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Text
1r_;
UNIVERSITÉ DE FRANCE. - FACULTÉ DE DROIT D'AIX
DE L'ERREUR
EN MATI ÈRE CIVILE
D' APRÈS LA LÉGISLATION ROMAINE
ET
LE DROIT FRANÇAIS
THÈSE POUR LE DOCTORAT
PAR
P IE RRE
DE
CASA BIANCA
Avocal à la Cour d'appel de Bastia
..
1\1.C A.
~
S
E::: I L L
E:::
TYPOGRAPHIE ET LlTHOGRAPHIE ANTOINE ZARATIN
20,
Rue des Feuillants,
1 883
20
�A MON PÈRE. A MA MÈRE.
A mes Sœurs.
A TOUS CEUX QUE J'AIME.
�INTRODUCTION
' ~··- . -
La volonté de l'homme, être raisonnable et libre, n'existe pas
touj ours dans toute sa puissance et dans sa. plénitude. Lorsque
l'intelligence qui est son guide, cesse de l'éclairer , elle s'engage sous
l'empire d" une ignorance absolue ou d'une fausse nonnaissance.
Si une force destructive de sa liberté vient à peser sur elle, ou si des
manœuvres frauduleuses la déterminent à contracter, elle est comme
obscurcie et corrompue. C'est l'erreur, le plus fréquent et le plus
dangereux des vices gui atteignent l'expression de la volonté, c'està-dire le consentement, qui est l'objet de cette étude.
Vouloir faire un traité complet sur l'erreur, serait une entreprise
au dessus de nos forces. Elle nous ferait désobéir au sage précepte
d'Horace.
Sumite materiam vestris, qui scribitis, œquam
V iribus ... ..
et dépasser les limites que nous nous sommes imposées.
Notre ambition est plus modeste. Après avoir indiqué brièvement, 0uelles sont les causes et la nature de l' erreur, nous nous
bornerons à examiner quelle influence elle exerce sur les actes
juridiques les plus importants, et à déterminer les règles auxquelles
elle a été soumise par la législation Romaine, notre ancien droit
français et le code civil.
�-8Qu\:st-ce que l'erreur ? L'erreur est une conception de l'esprit
contraire à la vérité. La Yèrité est la réalité devenue évidente ; s i
nous jugeons ayant <l'a \•oit· perc: u cette éYi<lence, nous nous
trompons.
On \'Oit donc quelle profonde diffél'ence sépare l'ig norance de
l'ct·rcur. La première nr. sait pas, la seconde croit savoir. L' ignorance est une imperfection de l' esprit ; ell e n'est que la privation de
la \'èrité: l'erreur qui en est ln contre-partie, est un obstacle à la
recherche de la Yèrité, car elle croit être la vérité même. En un mot,
« l'erreur est la fausse notion que nous arnns d'une chose, l'ignorance e~t l'absence de toute notion (1). » Error consi.stil in positiva
frisa j11dicio intellect us; ignorantia in privatione scientiéB 1 disent
les canonistes.
~Ialgré
cette différence, les auteurs se servent plus volontiers du
mot ll'l'wr qui semble ne pas comprendre l'ignorance proprement
dite. A cela il n'y a pas grand inconvénient ; car en droit, on ne
distingue pas si le contractant a ignoré on s'il a cru savoir.
Quelles sont les causes de l' errt:ur? La cause principale del' erreur,
est ln précipitation de notre es prit qui nous em pêche de retarder
notre jugement,jusqu'à ce que nous soyons éclairés par notre intelligence ;(2) précipitation, que produisent l' imperfection du langage,
l'emploi irrégulier de notre raison, de notre imag ination ou de notre
mémoire, et le mauvais usage de nos passions (3 ~ . Indiquer le r emède
de ce mal, que tout en nous, passions, sentiments et faiblesse des
facdtés conspire à faire naitre, chercher ses causes premières et
clas~er ses différente::. formes, tel est le domaine de la philosophie.
Au point de vue juridique, il suffit d'examiner si l'ag ent a contracté
-9en connaissance de cause ; inutile de rechercher l'origine de son
eneur. On la constate et la loi en détermine les effets, selon l'influence qu'elle exerce s ur la volonté du contractant et l'importance de
l'objet sur lequel elle porte.
Car, s'il est vrai de dire en théorie, que l'erreur vicie le consent<:lment, en se sens qu'elle fait mou voit' la volonté, gl'â.ce à une fausse
notion, il faut ajouter qu'elle ne le détruit pas. On a cons,:,nti en se
tro1npant, mais on a consenti ; seulement dans cel'tains cas, elle est
tellement dominante qu'elle donne à la volonté une direction tout
a utre que celle qu'elle voulait s uivre, et par suite de cette fausse
impulsion, elle dénature l'acte qu'eût accompli une intelligence
éclairée. Dans ce cas, la loi , tient l' en eur pour efficace et lui fait
produire la nullité de contrat. C'est dire qu'elle n'admet pas
toute sorte d'erreur ; sinon , les contrats e ussent été sujets à mille
ca uses futiles d'annulation ou de modifications, et la stabilité des
com·entions eùt été an éantie.
L'erreur considérée par rapport à son objet , peut porter sm· un
point de droit ou s ur un fait ( l) « Ignorantia jtwis, disait Pothier,
est ignora1·e quœ legibus aut moribus constituta su nt : ig norantia facti
est ir;norare quidpiam contiyisse, aut quomodo cuntigerit. ,, Cette
distinction a une très-g rande portée pratique. Au point de vue
rationnel cependant, que l'erreur soit de droit ou de fait, elle doit
produire les mêmes effets si elle vicie le consentement. Mais au
point de vue du droit positif, alors que l'erreur de fait peut être
oppofiée dans tous les cas, poUl'vu qu' elle remplisse les conditions
exigées par le lég islateur, l'erreur da droit ne peut pas toujours
être invoquée.
(1) De Savigny T. Ill. app. VIII.
C2J Erre~, disait Boss~et, c'es t croire ce qui n'estpas : ignorer, c'est simplement
ne le savoir pas (Connaissance de Dieu el de soi méme. l ch. XIV). E n ce sens
Descartes a dit: L'erreur n'est pas une pure négation c'est,.à-dire le simp!e
défaut ou manquement de quelque perfection (Méd1tat IV).
(3) Le trop de promptitude à l'erreur nous expose (Molière).
(1) •L'erreur de droit tombe sur une r ègle de droit, c'est-à-dire sur le droit
objectif. L'erreur de fait tombe sur des faits jur idiques, c'est-à-dire, sur les
conditions exigées en !ait pour l'application d'u ne règle de droit» (de Savigny.
T.lII app. VIII.)
�-
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Quand l'intérêt social est en jeu, il importe qu'on ne puisse, pour
échapper aux dispojtions J'une loi régulièrement promulguée,
DE L'ERREUR ENMATIERE CIVILE
exciper de son ignorance ou de son erreur .
.Mais, si la loi n'a eu pour but que de régler des intérêts privés ,
on doit pouvoir invoquer l'erreur, à \' effet de profiter des droits
qu'eUe accorde ou protégc. Donc l'adage: nul s'est censé ignorer la
loi, n'est applicable, que dans les cas où \'intfrêt s•1périeur commande
que personne ne puisse se soustraire aux obligation~ que la loi
impose, quelques raisons que l'on ait de s'être trompé ou de les
ignorer. Dans cette catégorie, rentrent les lois de police, les lois
pénales et touLescelles qui ont un caractère d'ordre public et d'inté·
rêt général. Sous le bénéfice de cette réserve, il sera vrai de dire,
u. que r erreur qui tombe sur un point de droit, dont l'ignorance a seule
déterminé le consentement des pal'ties, annule la convention tout
aussi bien que l'erreur de fait»( l) En résumé« l'ignorance des sujets
ne doit entraver ni l'action obligatoire, ni l'action protectrice de la
DROIT ROMAIN
oi. » (2).
CHAPITRE PREMIER
Excusabilité.
Des personnes privilégiées au point de vue de l'erreur.
De l'erreur de droit et de l'erreur de fait. -
La distinction de l'erreur en erreur de droit et erreur de fait , était
trop naturelle pour ne pas s'imposer à \'attention des jurisconsultes
Romains. Elle forme l'objet d' un tiLre tout entier au Digeste De
Ignorantia juris et facti (li.vre 22, titre 6) et au Code (livre 1 titre 18.)
«In omni parte,dit la loi 2. (22. 6. D.) error in jure non eodem
« loco, quo facti ignorantia haberi debebit: cum ju.s finitum et.pos-
sit esse, et debeat ; facti inte1'Pretatio plerumque etiam prudentissi<< .mas falla, .>i Il y aura erreur de droit, toutes les fois que l'erreur
'.«
(1) Rolland de Villarg-ues.
(2) Bressoles. Revue critiq. de legisl. el de Juris. T. X Vlll, 1843.
.portera sur une règle du droit établi, règle certaine et non contes-
�-
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1'2 -
tée. Cela résulte du texte préccdeot de Neratius et d"autres textes
enco1·e, où r on ne cite comme exemples d·erreurs de droit, que des
erreurs po1·tant sur des points indiscuta bles. (L. 2 § 15. 41. 4. D .)
Il y aura au contraire erreur de fait , lo rsque l'erreur tombera sur les
faits auxquels se rapporte une règle <le droit , en d' autres termes,
lor squ'on se trompe sur les choses, les per sonnes, les faits et même
le droit considéré au point de vue su bjectif. Donc, erreur de droit ou
erreur de fait, selon qu'elle a pour objet le droit obj ectif considéré
d'une fac:on abstraite, ou le droit. subjectif, c'est-à -dire quand on
l'envisage par rapport à tel ou tel fait déterminé.
Yoici deux exemples que nous empruntons aux textes et qui sont
une application de ces principes.
- Titius est informé de la mort de l' un de ses cognats, dont il
est le parent assez rapproche, pour avoil' droit à la bonorum posussio de sa succession. Mais il ignore so n droit ou il croit que tel
parent passe ayant lui : erreur de droit. Il sa it qu'il peut demander
la bonoru~ possessio, au cas où ce parent viendrait à mourir, mais
il ignore sa mort et par s uite il n'exerce pas son droit ; erreur de
fait. (Voir aussi la L. 1 § 2 et 4. 22. 6. D. )-Autreespèce.Titius croit
que la bonorum possessio du défu nt a été défé rée à un a.utre parent ;
mais il ne sait pas que ce parent a laissé écouler le délai utile pendant
lequel il devait la réclamer ; erreur de fait. Il connaît au contraire
la négligence de ce parent, mais il ignore que l'ordre s uccessoral
l'appelle à son défaut ; erreur de droit (L. 1 § 3. 22. 6. D. ) Mais
que faut-il décider, s'îl ne sait pas qu'il est parent au deg ré voulu
pour succéder? Dans ce cas, dit Paul , qui no us a fourni ces exem~
pies, il faut distingner : l'intéressé sait qu' il est libre et quels sont
ses parents, mais il ignore son droit à la succession du défunt· dans
)
ce cas, il y a erreur de droit : mais s'il n'a ja mais connu ses parents, si quoique libre il est in servitute, il y a bien plus erreur de
fait qu'crreur de droit. (eod. loco). Et la solut ion differt selon les
cas. S'il Y a e1reur de drojt, le délai pour faire valoir ses droits
court contre celui qui l' a commise: ce<W ei tempus quia. in..jure
errat; s'il y a erreur de fait, le délai ne COL\rt point contre celui qui
en est victime.
D'où vient que l'effet de l'erreur de droit et l'effet de l'erreur de
fait sont diamétra lement opposés : qu e l'on puisse invoquer l'u ne
et non l'autre? Cela vient, comme nous l'avons déjà dit, de ce qu'il
est nécessaire que chacun respecte la loi: constitutiones princitpum
nec ignorare quem quam, nec. dissimulare permittimus (C. i2 . Code
1. 18); tandis qu'on ne peut exiger, que l'agent connaisse tous les
faits qu i sont de nature à modifier sa volonté .
Tels sont le principe et la raison d'être de cette distinction. Quel
en est l'intérêt ? Papinien le détermine ainsi : juris ignomntia non
prodest acquirere volentibus; stmm vero petentibus non nocet. (L. 7,
22, 6, D. ) Donc, on ne peut s'appuye1· sur une erreur de droit pour
r éaliser un gain : pour éviter une perte, on peut invoquer indistinctement l'erreur de droit ou l'erreur de fait (L . 26 § 1. 23. 4. D.)
<( In eo diffenmt, dit P othier, ignorantia juri.s et ignorantia {acti
qtiod quwm quis certat de acqitirenclo, si quidem per ignorantiam
(( j uris hoc contigit, ma ei nocere debet ignorantia. Si autem pe?·
<( ignorantiam {acti, nocere ei non llebeat : hinc, illa regula quœ a
« doctoribus traditur: In lucris nocet erro1· jitris, non {acti . In eo
« autem conveniunt quod, quidquid aliquis sive per ignorantiam jttris,
« sive per ignorantiam {acti gesserit, non ei obsit quominus rem suam
« 1 e-poscere aut continere possit. Hinc allera regula: error quilibet non
« nocet in damnis. » (Poth. P and. § 2, 22, 6.). Mais il ajoute sous
forme <le restriction : << Observandum tamen est, adversus remjudica<< tam nonprodesse ignorantiam.l> "Error {acti, di~ en effet, la L . 7,
« code 1, 18, necdum finito negotio nemirii nocet : nam causa decisa
« velamento tali non instauratw·. l>
<(
L'er reur de fait, peut donc en principe, être opposée dans to us les
cas. Cependact on restreignit la pot'tée de cette r ègle a l'err eur qui
ne serait pas grossière. Est le pl us souvent inexcusable et gros-
�-15 -
-Hsière l'erreur de celui qui se trompe sur ce qu'il est, sur ce qu'il a
fuit, sur ce que tout le monde sait (L. 11 § 3, 14, 3 D.) ou terreur de
celui qui eût pu l'éviter en y apportant quelque soin ( 1). Celui qui
l'a commise est roupable de négligence et ne mérite aucun égard
Nec supina ignorantia, dit Ulpien , ferenda est factum ignoraritis;
ut 1uc scriipulosa inquisitio exigen.da: scientia enim, hoc moclo
œstimanda est, ut neque ni!gligentia crassa, a1tt nimia se.curitas salis
expedita sit, nequè delatori.a curiositas exigatur. (L . 6, 22, 6, D .)
On ne saurait au contraire tenir pour coupable de négligence celùi
qui fait erreur en un point, sur lequel chacun se trompe :
Si quis patrem familias esse credidil, non uana simplicitate deceptus,
nec juris ignorantia, sed quia publice pater familias pleris que videba·
lur , sic agebal, sic contrahebal, sic muneribus fungebatur; cessabit
senatus-consullum (L. 3. pr. 14. 6, D. Adde. U. 1, Code li, 23; .
En principe, l'erreur de droit n'est jamais excusable<< enim vero
cc cumjus finitttm sit, debet unus quisque aitt ille scire, aut de eo con« sulere peritos : adeo que ejus ignorantia culpabilis est et merito
u nocet. " (P oth. § J, 22, 6. Adde L. 29§ 1, 17, 1.D.) Mais cette règle
n'a-t-elle pas, elle aussi, subi quelques atténuations? Dans certains
cas, sera-t-il équitable de faire supporter a u contractant les conséquences d'une erreur de droit, dans laquelle il est tombé, sans
aucune négligence de sa part et alors qu'il peut établir combien,
par des circonstances indépendantes de sa volonté, il lui a été facile
de la commettre? !\on. Aussi fut-il admis sans discussion, que
certaines personnes privilégiées pourraient toujours invoquer l'erreur de droit et qu'en général on pourrait se prévaloir d'une erreur
de droit excusable, comme, par exemple, quand on erre sur un
point de droit non constan t : Scientiam eam observandam, Pompo-
nius ait, non quœ cadit in jurisprudentes, sed quam quis aut per se,
aiit per alios adseqtti potiût, scilicet consulendo prudentiores, ut
<liligentiorem patrem familias consulere digniim sit. (L. ~ § 5, 38,
15, D. Ad. L. 10, 37, 1. D. )
Mais il y a ura toujours cette différence entre les deux espèces
d' erreur, à savoir, que l'on pourra toujours invoquer l'erreur de
'fait, sauf à celui qui la combat à démontrer qu' elle est inexcusable ;
en somme, l'erreur de fait est présumée excusable : tandis que
l'erreur de droit est, présumée inexcusable et c'est à celui qui
l'invoque à établir qu'il n'a commis a ucune négligence et qu'il a
tout fait pour l'éviter ( 1) : En voici la preuve : Si temere separatio-
defiincti, impetrare ven!am possunt, JUSTISSIMA
scilicetignoranti<e causa allegala (L 1 § 17 in fine. 42 . 7. D.
11em petierint creditores
La distiction entre l'erreur de droit et l'erreur de fait au point de
vue de leurs effets est encore faite par P a ul dans le texte suivant :
Jiiris quidem ignorantiam cui qite nocere, facti vero ignorantiam non
nocere (L. 9. 22. 6. D .) Y a-t-il contradiction entre ce texte et celui
de Papinien que nous avons cité plus hau t ? Nous réservons cette
question: pour l'instant, retenons que ces deux textes reconnaissent
bien la distiction à. faire entre l'erreur de droit et l'erreur de fait.
La loi 5 de Neratius et la loi 3 de Pornponius s'accordent pour )a
bien préciser.
Malgré tous ces textes , 111. de Savigny, après avoir accepté cette
distinction au point de vue théorique, soutient que ce n'es t pas à elle
qu' il fau t rapporter les diverses solutions que nous avons indiquées.
D' après lui, il est très-difficile dans nombre de cas, de distinguel'
l'erreur de droit de l'erreur de fait. La cornuinaison:erronée des faits
( ! ). Fac~~ ~gnorantia tla denium cuique nocet, St nori ei summa ne9li~entta
ob;ic1atur: quid enim, si omnes in civitate scian t, quod ille solus
t9no:e1 '. E_t :ect~ Labeo definit, sci~ntiam neque cu1·iosissimi, neque
negl~gent.'ISstmt hominu accipiendami : verum eju1, qui eam r em diligenter inquirendo notam habere posrit (L. 9 ~ 2, 22, 6, D.)
( 1) Do:: Savigny T. III app. VIH n• 3 in fine. Voir L. 4 et 5. 18. 1. D et L. 50
19. 2. D. Il y a négligence dans les cas suivants. L. Il ~ 3 14. 3. D et L. 14
~ 10. 21. 1. D.
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16 -
auxquels s' applique une règle de droit, est-elle une erreur de droit
de
ou une erreur d e fai.t y Est-ce uoe erreur de droit ou une erre ur
.
fait de rapporter faussement une espèce à une r~gle. (D~ Savigny,
'b
328 et 336). Pour savoir si l'e rreur de droit ou s1 l erreu r de
1 • p.
bl
fait peut être invoquée, il suffit de rechercher si elle est excu s~ ~·
T out., dit-il, doit se ramener à l'idée de culpa et .comme ,preuves il
·
1.es lois
· 6 etO•. oo
c1te
Â,.,, 6• D • que nous avonsreprodu 1tes et d autres encore : « oi~i jus Io errore ducttts, negaverit se heredem venia dignus est»
(D.11 S l o. 11 . 1. D.) Jgnorantiaeniptori p1·odest quœ non in s~pinum,
hominem cadit (L. 15 S 1. 18. 1. D .) Mais ces textes étabhssen.t_ la
distinction entre l'erreur de droit et l'erreur de fait. L'excusab1hté
n'est qu'un corollaire de !:ette distinction, admis à la faveur de
l'équité pour adoucir la rig ueu r de la r ègle. Assurément dans
quelques cas, l'application de cette distinction ne laissera pas d'être
délicate, mais pourrait-01~ la r ejeter en présence des textes formels
qui la consacrent? C'est elle qui est la source de toutes les décisions
et vouloir leur donner une autre origine, c'est donner au principe de
l'excusabilité une portée que n e lui ont pas a ttribuée les jurisconsultes romains.
Parmi les textes que nous avons indiqués, il en est, qui nonseulement distinguent soig neusement l'erreur de drnit et l'err eur
de fait, mais encore qui déterminent dans quel cas spécial, 1' eneur de
droit peut être invoquée. Cela ne démontre-t-il pas·surabondaroment,
que c'est à cette distinction qu' il faut l'emonter, pour tranc her les
difficultés qui peuvent se présenter, puisque le ju risconsulte après
avoir posé le principe, l'étudie dans ses conséquences, sans qu'il
fasse jamais mention de l' e:xcusabilité ?
Aussi, a-t- on .-oulu limiter la portée de ces textes : « Ce principe,
« dit M. de Sa,·igny, ne saurait être appliqué sûrem ent, v u so n
défaut de précision; en effet, la question de savoir, si le préjudice
u causé par l'erreur est la privation d' un bénéfice ou une perte réelle ,
cc
cc
dépend souvent du poin t de vue so us leq uel nous envisageons
-17o. l'act e juridique. Or, comme le principe ne dé te rmine nulle men
ce point de vue, le r ésulta t définitif reste incertain. » Mais comme
cc
ce repro~he général ne suffit pas pour affaiblir la précision des termes qui établissent le princi pe, on oppose un !>econd argument.
D'a près l~ savant j uriscons ulte allemand, ces textes ne sont a ussi
géné raux q ue parce que les commentateurs les ont faits ainsi. Au
lie u de ne s'a ppli quer qu'à un cas s pécia l ou à une classe de personnes déterminées, comme l' en ten dait Papinien , ils s'appliquent à toutes les hypothèses, par suite d'une généralisation maladroite: et
p o ur preuve, on peut citel' la loi 3 du Code Théodosien IJI. 5. qu i
vise le cas d' unP. donation faite pal' un ma ri à sa femme: " On voit,
11 dit l\I . de Savigny, d'après les fragments supprimés, que lucrum
11
•<
u
désigne ici spécia le ment la. dona tion et non pas la moitié des actes
juridiques en général ; qu'i l est qu estion de ce rtaines class~s privilégiécs et qu' en matière de dona tions , on accorde aux mine urs
un e laveur r efu sée n ux fem mes. La su ppression de la partie concc crête, a donné à la loi du Code le même caractère d'abstraction
cc
qu'aux tex tes de Papinien ; or com me nous avons so us les yeux
la suppression opérée !"ar le Code, la supposition que le texte de
cc Digeste a une même orig ine , trouve da ns cette ana logie un foncc
cc
ce
dement historique (1).
>>
Cc n 'est en so mme qu' une conj ecture
basée su r un e analogie et cet argument démontrerait tot:t au plus
que les compilnteurs du Diges te e t d u Code ne se sont pas fait faute
d 'altérer les tex tes qu'ils inséraient dans l' un o u l'autre r ecu eil,
qu' ils on t défig u1·é la loi 11 du Code. l\Iais cela ne démon tre pas que
les textes de Pn pinien aient eux au~si subi une mutilation , et il faudrait en trouver la preu ve dans le texte lui-même (2).
( l) De Savigny, tome 11!, p. 350 et suiv.
('l) D'après M. Pochannet, Je texte fournit la preuve de celte altérati1 n. Les
cxpressiuns ne m aritus quidem révèlent chez le juriscons ulte une idfo ù'opposition. (De l'erreur de droit, Revue critique 1856, tome VIII).
2
�-18.
D
et Voët la règle de Papinien a une
Selon Cujas, onoeau
,
. .
.
•« aé éraie . mais pour la combiner avec le prmc1pe qui ernpor...,e o n
,
d d .
. . d 1.. dl'l par suite d'une erreur e ro1t, ces
pèche la répét1uon e m
.
.
.
.
t
que
lerreur
de
droit
pourra
etre
mvoquée
coromen tateurs d1sen
.
qui
est sur le point de perdre, de subir un dommage,
par ce1ui
,.
S' · · l
mais non par celui qui r éclame une chose qu il a perdue. ag1t.-1
.d'un damnum amitlend.'.e rei, on peut opposer l'erreur de dro1.t ;
s'agit-il d'un damrwm amiss.:e rei, on ne peut pas. s'en prév~lo1.r.
• Erranti in jura subvenitur ne suum amillal, non et1am ne amiseril;
,
u damnum facial , non etiam ne {ecerit: damna {acta qui infecta
1
« {accre studet. /ucrum captal, 1ion damnum {uturum amolitur » (2).
Cujas, qui s'appuie sur le texte de Papinien : juris crror nec
fo:minis in compendiis prodesl (L. 8. 22. 6 D. ) , soutient, ~~e par
comp endium, il faut entendre tout bénéfice, et d'après IUl il y a
bènéfice, soit que l'on recouvre un bien quel' on a eu précédemment,
soit que l'on recouvre un bien ~ue l'on n'a jamais possédé, et dan.s
ce cas, on ne peut invoquer lerreur de droit. Tandis qu'il y aurait
perte, quand on est sur le point de perdre un bien actuellement
compris dans son patrimoine. Distinction à la fois subtile et arbitraire : car on ne peut assimiler le compendium , c'est-à-dire le
bénéfice avec le damnum rei amissœ. Le texte de Papinien ne fait
aucune assimilation et ne pouvait en faire, car les deux choses diffèrent essentiellement, et, comme dit Donneau, qui cependant accepte la théorie de Cujas : Si qui.d de suo amisil damntt.m . ..• est
enim damnum patrimonii deminutio. (1) Donc , chaque fois qu'il y a
diminution du patrimoine, il y a perte ou dommage et possibilité
d'invoquer l'erreur de droit: s'il y a augmentation, il y a bénéfice et
impossibilité de s'en prévaloir.
Faute de pouvoir relever une contradiction entre les lois 7 et 8
de Papinien, on oppose à cette dernière un texte de Paul qui est
(2) Cujas. opp. IV Col. 505 et 507.
(\) Comm. de jur. civili 1. 21 et 23
-
19 -
ainsi con\u : Regula est, juris quidem ignorantiam cuique nocere, fac,_
ti vero ignorantiam non nocet·e. (L. 9. 22. 6. D. ). Paul fait suivre. ce
principe de nombreux exemples, où la distinction entre le gain à
réaliser et la perte à éviter, n'est pas reproduite et l'on fait le raisonnement suivant : Cette distinction n'a pas été adoptée par les
jurisconsultes romains. Papinien a bien essayé de la faire accepter:,
mais il n'a pu y réussir et Paul, gui lui est postérieur, établit le principe en termes ex plicites, sans dire mot de cette distinction capitale.
Ne pourrait-on pas cependant concilier ces deux textes en disant :
Oui, l'erreur de droit ne peut être invoquée en principe, à moins
cependant qu'il ne s'agisse d'éviter une perte et qu'elle ne soit pas
inexcusable; mais, s'il faut retenir avec M. de Savigny, que ces deux
textes sont contradictoil'es, la question se pose de savoir, quelle est
celle de ces deux opinions qui est la plus conforme aux principes du
droit et à l'équité. Il nous semble que c'est celle de Papinien.
On a prétendu aussi, que Papinien a sim plement voulu dire que
l'on pourra s'a ppuyer sur une erreu r de droit, pour revendiq uer une
• chose quand celui qui s'en trouve possesseur, n'a pas rempli les conditions de l'usucapion. Mais cette vêrité n'avait pas besoin d'être
énoncée, et en outre, cette intcrpt·étation réduit à une hypothèse
spéciale des termes très-généraux (1).
On ajoute encore, qu' il y a contl'adiction à soutenir que r erre ur
de droit en principe n'est pas excusable et qu'on peut toujours l'invoquer pour éviter une perte . Mais, com me nous l'avons dèjà dit,
on ne peut inYoquer l'erreur de droit qu'à la double condition que
l'on 'Veu11le éviter une perte et qu'elle soit excusable. La difficulté
(1) Oemangeat II, p. 311. On appuie génér;ilement ce syslème sur le~ 296 des
Fragmenla Vaticana. Pucbta dit que la première partie du texte s'applique 11u
possesseur qui invoque J't>rreur de droit com me base de l'u~ucapion. Le second
membre de phrase ($11ttm vero .. . ) se rapporte au propriétaire revendinuant ln
c hose qu' il a' cessé de p:isséder par su ite d'une erreur de droit. Puch ta I , p. /i'23.
Pochanne t, Revue critique 1856, tome VIU.
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20 -
d'apprécintion et d'application des princip~s po~r savoir d~s quel
cas il y a bénéfice ou perte, ne doit, pas faire rejeter .la théorie.
Pour nous résumer, nous dirons que, d'a près nous, il faut repousser
les opinions qui refusent au texte de Papinien, la portée générale qui
s'impose en présence de la clarté et de la généralité ~e ses termes ..
D'ailleurs, ce principe n'est que \'application du droit naturel, qu1
commande de protéger celui qui veut éviter une perte, plutôt que
celui qui veut réaliser un gain. << L'erreur de droit, disait le chance« lier d'Aguesseau, ne peut être d'aucune utilité à celui qui cou' tracte, parce quïl n'est pas juste que sa faute lui serve et qu'il
u pro(ite d'une faute dont il est coupable. » Mais, s'il n'est pas équitable que l'on s'appuie sur l'ignorance de la loi pour acquérir, il est
jusle qu'on puisse l'invoquer, quand elle est la cause :i'un préjudice.
.Même dans ce dernier cas, il faut qu'elle soit excusable. ( 1)
Donc la distinction entre l'erreur de droit et\' erreur de fait, et à
propos de la première, la faculté de l'invoquer s'il y a dommage,
atténuée et corrigée par le princi pe de l'excusabilité, telle est selon
nous la théorie qui rapproche le plus des textes et de 1' esprit de .
Droit Romain .
Mais, ni la théorie de M. de Savigny, qui fait de l'excusabilité le
principe dominant de_la matière. ni notre théorie qui, tout en maintenant la distinction entre l'erreur de droit et l'erreur de fait, en
fait découler les solutions que les jurisconsultes donuent dans les
diverses espèces où il y a erreur, et y ajoute l'excusabilité, pour en
modifier les conséquences parfois trop rigoureuses, aucune de ces
théories, disons-nous, n'est acceptée par plusieurs interprêtes.
L'excusabilité, quelle que soit la portée qu'on lui attribue est,
pour ces commentateurs, contraire aux principes fondamentaux de
cette étude. L'erreur, avons nous dit, vicie le consentement. ChaCl) Mülbenbruch ~ 96 o. 6. D'Aguesseau, Dissertation sur l'erreur de droit,
édit. Pardessus, tome IX, p. 629 et suiv.
- 21que fois que l'agent agit sous son empire, il s'agit de savoir si
l' erreur a exercé quelque influence sur sa détermination: si· l'agent
n'eut pas contracté d'une autre façon, ou bien si cette erreur n'était
pas de nature à modifiet· son consentement. Selon ·1ue l'on se trouve
dans un cas ou dans l'a utre, la loi maintient ou annule le contrai!.
Toute théorie qui admettrait des atténuations à ce principe serait
peu logique ei dangereuse, parce qu'elle deviendrait facilement
arbitraire.
D'après nous, ces deux théories ne sont nullement contradictoires.
Si l'erreur détruit absolument le consentement (no us savons ce
qu'il faut entendre par là) l'acte est nul; si elle ne tombe que sur des
éléments essentiels du contrat, elle ne pourra être invoquée que si
elle est ex~usab le. Décider autrement serait peu équitable, car
enfin il y a des erreurs tellement grossières que l'on n'en peut tenir
compte, à moins de méconnaitre les droits de la raison et de la
justice, et d'autres qu'il serait trop rigoureux de fai re supporter à
celui qui les a commises, en maintenant les engagements qu'elle lui
a fait prendre. Car l'équité est souveraine ici, c'est elle qui a introduit l'excusabilité en matière d' erreut'. Et la législation romaine,
sévère et formaliste dans le principe, devenant sous l'action du
t emps et du progrès des idées, plus humaine et plus juste, elle qui
définissaitla justice ars boni et œqui, fit de l'excusabilité le corrollaire indispensable de l'erreur.
On regarde cette théorie comme dangereuse et arbitraire, parce
qu'elle substitue l'appréciation du juge aux déductions rigoureuses
des principes. Assurément la mission du juge sera délicate: de son
examen dépendra pour le contractant, la faculté ou l'impossibilité
d'invoquer l'erreur. Mais où n'existe pas ce pouvoir d'appréciation
du juge et quel est le principe dont l'application ne lui est poin~
soumise ? Ce qui rend dangereuse cette ruission confiée au magistrat, c'est l'absence de toute régie. Or ici, le Droit Romain est loin
d'être incomplet, quelques rprincipes sont établis et le juge en
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22 -
sui,·ant leur lettre ou en s'inspirant Je leur esprit, ne sera pas
abandonné à sa propre initiative.
Et enfin, nous répondrons à ceux qui soutiennent que la théorie
de la di.tinction des deux espèces d'erreurs n·est qu'un cercle
, icieux, parce qu'elle donne pour solution la généralisation du fait
posé en question et que la theorie de l' exc'4sabilitc est le renversement de tous les principes (1) que nous n·a,•ons pas à juger, mais
seulement à constater que la législation romaine les a admises
to.·Hes deux: elle leur a donné une très-grande importance et à juste
titre. elon nous. Les te~tes qui affirment ces principes sont on ne
peut plus nombreux et précis. La distinction est établie en termes
irréfutables et l'excusabilité ne peut être contestée, car le Digeste et
le Code accompagnent sans cesse le mot error des adjectifs probab1lis , tolerabilis, jus/us, dissolu/us, crassus, supinus, qui démontrent
bien que l'erreur est plus ou moin~ e~cusab le. (L. 42, 50, 17. L. ll § JO, 11 , 1. -L. 5 § 1, 42, 10. - L. 29, pr. 17, 1. L . 6, 22, 6. D.) (2)
Des personnes privilégiées au point de vue
de l'erreur.
Les règles que nous venons de développer, ne sont pas aus;;i
entières qu'on pourrait le croire. Il serait en effet, inexact de dire
qu'elles sont applicables à toute espèce de personnes. Tandis qu'en
général, il faut que la personne qui invoque l'erreur de droit
démontre qu'elle est excusable, cette erreur est toujours excusable,
lorsqu'elle est cotnmise par certaines personnes déterminées, qui
• ( 1) Oudot, Conscieoce et Scieoce du Devoir, U, p. 225.
(2) Adde, L. 25 prin. 4, 4. O.
-
23
puisent dans leur propre condition une excuse permanente. Pour
elles donc, pas de distinction à faire entre l'erreur de droit et I' erreur de fait, ni l'une ni l' autre, non nucent; alors roème qu'on
prouverait de quelle négligence elles sont cou pables. Comme on le
verra par la s uite, ce privilège était plus ou moins éten du selon la
classe de personnes auxquelles il 6tait accordé. Ces personnts se
ramènent à quatr0 groupes distincts : les mineurs, les femmes, les
militaires et les rustici.
SEC:TIC>N"
1
Des Mineurs .
Paul, dans la loi 9, 22, 6, D., s'ex prime ainsi : « Afinoi·ibus
viginli quinque annis j us ignorare permissum est. » Leur àge est
donc leur meilleure excuse. 11Jllinoribus in his, qua: vel prœter mise-
runl, vet ignoraverunt, innu.me,.is auctoritaiib·us, constat esse consuttum. '' (C. 8, code 2, 22) et dans tous les cas, ils pourront s'en prévaloir.
Ainsi, chaque fois qu'un mineur 6prouve un préjudice, souffre d'un
dommage quelconque, par suite d'une erreur de droit ou d'une erreur
de fait, il pourra demander l' in integ1urn restitutio ( l). La règle est
générale et sans exception ainsi que cela résulte du texte suivant.
« Minor ibus in integrum restitutio, in qtâbus se captos probare pos-
sunt et si doltts adversarii non probetur, competit .ii (C. 5 Code 2. 22 .)
Et cela est vrai ,encore que, sans qu'il y ait préjudice, il se trouve frustré dans les espérances que le contrat lui permettait de concevoir :
(l) Adde L. 9 prio. io fin e 22. 6 et L. 11
~
7. 4. 4. D.
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~4 -
· ltttro nwwri
·
'bus succurraiur. (L
• H odie certo }ure utimur ui et m
î . § 6 4. 4. D.) Yoici un exemple que fournit un autr~ texte
<i. Qu<?situm est e::c eo quod in lucro quoque minoribus mbveni.en~tim
-
25 -
quand il dit : « .Minar XXV annorum, si aliq~o~ flagitium a~m~serit
quod ad publicam coercitionem speclet, ob hoc in i11tegrum restitui non
potes1. (Paulisententi.r l , 9§1 ). (1).
dicitur, sires e}us ven~rit , et existat, qui plus liceatur, an in int~
grum propter lucrum restitue11dus sil ? et cottidiè prœtorer e~s restiiuunt ut rnrsum admiuatur licilatio (L. 7 § 8. 4. 4. D.) (1) Bien que
le gain soit manqué par suite d'une erreur de droit . q.ui ~ui ~ fait
commettre une omission, il doit être restitué : Minar v 1ginttquinque
an11fa, omissam allegationem, per i11 integrum restitutionis auxilium
repetere potes!. (L. 36. 4. 4. D.)
Autres exemples : Il a répudié une hérédité avantageuse (L. 1 § 9 ·
-'t. 4. D.) il a négligé d'adire hereditatem sibi delatam (C l Code 2.
40.); de produire en justice, des pièces à l'appui de sa demande
(L. l § 5. 2. 13 D. ); d'intenter en cas <l'urgence, la querela ino/ficiosi teslamenli (C. l Code 2. 22.); de demander la bonorum possessio
dans le délai de la loi (C. 2. Code 2. 22); il a laissé défaillir la condition sous laquelle il a été institué héritier , etc ... dans tous ces cas
il pourra bénéficier de l'in i ntegrum restitutio, en invoquant son
erreur.
.
Cependant, si le mineur subit un dommage par son propre dol, il
ne jouit d'aucune fa venr (2), (L. 9 S 2. 4. 4. D.). Pourrait-il quant
aux délits qu'il a commis , invoquer son ignorance du droit? Oui, si
ces délits, sont des délits de droit civil. (L. 9 S 5. 4. 4. D.) . Non,
si ce sont des délits plus graves, de ces délits puni'> par toutes les
législations et qui relèvent bien plus du droit des gens que du droit
ch•il : c'est à ces derniers que Paul fait allusion dans ses sentences
( 1) Adde L. 35. 4. 4. O.
fl.J Non omnia quœ min ores annis vig1 nti quinque gerunt, irrita su nt, sed ea
tantum quœcausa cogn1ta, ejus modi deprebensa sunt, ut si ab aliis c1rcum venti
vel sua !ragilitate decepti, aut quod babuerunt amiserunt. aut quod acquirere
emolumentum potuerunt, omiserunt, aut se oneri quod non suscipere licuit, obligaverunt (L. 44. 4. 4. O.).
Des Femmes.
Les femmes aussi, sont favo rablement traitées au point de vue de
l'erreur. Ont-elles les mêmes privilèges que les mineurs ? Comme
eux pourront-elles touj ours invoquer l'erreur de droit? Deux opinions donnent une solution.différente à cette question.
D'après la premiè1·e, les femmes jusqu'en 414 ont été assimilées
aux mineurs. En effet, dit-on, la loi 3 du Code Théodosien ne fait
aucune distinction entre ces deux classes de personnes : Et mulieribus et minoribus in his quœ vel prœtermiserint.. . , etc. Cette loi promulguée en 414 est reproduite par le Code de Justinien. Mais les
commissaires de l'empereur y effacèrent les mots et mulieribus, afin
de mettre ce texte en ra pport avec la Constitution de l'empereur
Léon qui est insérée au Code (C. 13. Code 1. 18) et qui est ainsi
conçue: <<Ne passim liceat mulieribus, omnes suos contractus retractare, in Ms quœ prœtermiserin t, vel ignoraverint, statuimus : si per
ignorantiam juris damnum aliquod, circa jus vel substantiam suam
vatiantur, in his tantum ca.sibus ill quibus prœteritarum legum auclot•itas eis su/fragatur, subveniri. » Aussi, dit-on, ce [n'est qu'à partir
de cette constitution de L éon, que la condition des femmes, jus<Jue
là identique à celle des mineurs au point de vue spécial qui nous
occupe, vint à en différer sensiblemi-nt.
(1 ) Adde L. 37 ! 1. 4. 4. D.).
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26 -
D'apres uno seconde opinion qui nous semble préférable, .mè~e
arnnt la constitution de L éon (469), les femmes ne fu rent Jama is
aussi {a,·orisées que les mineurs, pa1· rappor t à l'erreur de droit.
D·après nous, tout ce qu'on peut condure du texte de la C. 3 du
Coùe de Théodose, c'est que les femmes, comme les mineurs
u'arnient pas à subir la rigueur des r ègles sur l' erreur de droi t,
mais on ne peut en déduire, qu'elles leur fussent entièremen t assimilées. Plu ~1eurs textes corroborent cette manière de voi r . f,a loi '.J.
~2.6 D, est bien explicite : « l'ideamus igitur in qitibus speciebus locum
habere possit : ante prœmisso quod minoribus viginti quinque annis
jus i911orare p~ rmissum est : quocl et {miinis rn QurnusoA:.r CAUSIS
propter sexus infirmilalem dicitw·: et ideo sicubi non est delicturn
sedjuris igt10rantia non lœduntur. Pour combattre ce texte on prétend que les mots in quibus dam causis ont été ajoutés par les com-
pilateurs du Digeste, afin d'éviter toute contradiction avec la constitution de Léon; mais on ne justifie nullement cette allégation. D 'ailleurs, d'autres textes non moins p récis, démontrent q ue cette assimilation que l'on voudraitétablir, n'a jamais existé et que jaruaisil n'y
eut sur ce point de modification à la condition des femmes. Ains i,
par exemple, la constitution 3, Code 1. 18 et 6, Cod e 6. 19, dont
l·une était ainsi conçue : Juris ignorantiam nec mulieribus ptodesse,
in eciicltû perpetui cursu, de agnoscenda bonotumpossessione, mani(estum est : » (An 286), refusent aux femmes q ui ont négligé de demandu la possession de biens dans le délai fixé par la loi, le droit
d'inrnquer l'erreur de droit, cause de cette négligence. T andis q ue la
const. 2. Code 2. 40 s'exprime ainsi au suj et des mineurs : Ad bono-
rum possessionem in paternis rebus omissam, m i11ores in integrum restitutionis beneficio jampridem admitti placuit (An lû4) et comme on
le Yoit d'après les dates, ces de ux constit utions q ui établissent une
différence bien ma rq uée ent re les de ux classes de person nes, ont to Gt es deux été promulg uées plus de cent ans avant la cons titution d e
Léon, qui d'après n os ad ver sair es aurait effacé l'assimilation. Et en
-
27 -
matière de donation e t de prescription les femmes n'étaient n ullement traitées comme les mincul's (C. 11 .Code I. 18. et C. 3. Code 7.
39). ( 1). Cc qu i r ésulte e nco re explicitement de la loi 8. 22. ô. Juris
autem error nec (omiinis in compendiis prodest, tandis q ue l' erre ur
de droit profitait a u x mi neurs même dans le cas, où elle leur faisait
manq uer un gain (2) . De rnème la loi 8 § 2. i. 8. D. : <•Si servus in-
venialur, Q'Ui ante7uam judicium accipiatur, (ulejussit judicatum
solvi succurrendum est actori iit in inlegrum caveatur . .Jtinori quo'
que vigniti quinrzue annis succurrendwn est FORTASSE et mulieri,
proplet imperitiam. » Il semble y avoir doute pou r accorde r· dans
ce cas-la même faveur à la fewme qu'au mineur.
Tenons donc pou r certain, que cc n'est que dans certains cas
déterminés, spécia lement par la loi , in quibusdam caiLSis, q ue les
femmes pourront invoque r l'erreur de droit. Quels sont ces cas?
nous allons nous borner à citer les pr:ncipaux.
Le ptincipium de la loi 15, 48, 10, D . q:ii reprod uit les termes de
la loi Cornelia de (alsis, déclare nu l le legs fait à celui qui a écrit le
testament, sous la dictée de testateur, bie~ que le legs ne s'adresse
q u'à l'escla ve o u au fils d e celui qui a écl'it dictante leslalore. Il est
fait exception à cette règle en faveur de la mère, qui a fait écril'e
pa r son esclave le testament de son fils, tes tament qui contient un
legs dont elle bénéficiera; et e n faveu r de la fille qui a écrit sous la
dictée de sa mère, un testament q ui contient u ne disposition
q u'elle est appelée à. recueillir (L. 15, pr. § 4 et 5. 48. 10 D, Autre cas : Quamvis mulier pro •Lio solvete possil, si prœcedenle
obligatione, quam Senatusconsult!im de i11tercessionnibus e(fu;acem
esse non sinit, solutionem (ecerit, ejus senatusconsulti bene(icio
( 1) Et recte circa feminas alldit Paulus in quibus dam cau~is: Non eniru
sicut minores ita fcminre all v<!rs us er rorcm jurrs semper restituuntur, Pothi.
Pend . 22. 6. ~ 4.
(2) Cependant ce principe n'était pas appliqué dans toute sa rig ueur, comme
nous le verrc1ns plus Ivin .
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m•initam se ignorans, locum habet repctitio. Donc elle a payé quand
elle pouvait s'en dispenser en s·appuyant sur le sénatus consulte
Yelleien, elle peut r~péter. (C. 9. Code 4, 29).-Autre espèce: Une
femme a négligé de produire en justice des pièces à l'appui de sa.
prétention ; elle peut invoquer l'erreur de droit (L. 1 §5, 2, 13· D. )
- Quand une ''euve en état de grossesse, ne remplit pas les forma~
lités imposées par la loi (De Inspiciendo ventre custodiendoque parlu
L. 2. § 1 D), on ne peut lui reprocber cette négligence produite par
une erreur de droit (1).
En matière de délits, et spécialement par rapport à l'inceste, la
femme n'est pas assimilée à l'homme. Il faut en e!Tet distinguer :
L'inceste est-il du droit des gens, c'est-à-dire commis entre parents
en ligne directe : la femme encourt toutes les peines dont il est
puni : Est·il de droit civil, on ne l'atteint pas ; tandis que l'homme
sera frappé quel que soit l'inceste dont il s'est rendu coupable, sauf
des différences dans la pénalité (L. 38 §2, 48, 5. D.)
SECTION'
III
Des Militaires.
la bonorum possessio (C. 1 Code 2. 5 1) : s'ils ont omis de produire des
pièces en justice, pas de déchéance (C. f. Code 1. 18). Depuis
Gordien, on leur donna la faculté de se faire restituer contre l'acceptation d'une hérédité, dont ils ont pu ignorer les dettes sans nég ligence. (Inst. 2. 19. § 6.) Ils sont dispensés de la plupart des
règles de fond et de forme des testaments. Comme les femmes ils
échappent à la sanction de la loi Cornelia (C. 5 Code 9. 2:n. Comme
elles encore, ils n'ont pas à répondre des délits de droit civil : Pourrait-on objecter que la loi 11 § 1 48. 5. D. punit l'inceste de droit
civil commis par un militaire, tandis que la loi 38 § 4 de même titre,
dit formellement « mulieres in) ure ern..,ntes, incesti crirnine non teneri? Nullement, car pour Je militaire le texte vise le cas où il savait
qu'il lui était défendu de prendre sa nièce pour concubine, (le texte
en effet ne parle pas d'erreur) et cependant il a voulu passer outre
et violer la loi, tandis que pour la femme la loi 38 fait mention de
l'erreur, et c'est cette erreur qui lui assure l'impunité. On ne recherche pas le militaire pour délit de contrebande (C. 3 Code 4. 61 ).
Mais les militaires, à la différence des mineurs, ne pourront invoquer !•erreur de droit, que dans les cas déterminés par la loi.
Comme le dit M. de Savigny: «Bien que •les empereurs aient souvent déclaré excusable l'igr.orance de droit chez les soldats, cette
ignorance n'a jamais été pour eux le motif d'une restitution générale, mais seulement de plusieurs pri\ iléges importants. » (l)
1
Pas plus que les mineurs, ils ne sont tenus de connaitre le droit
t Miles ... per constilutiones principales jtts i9norare potest. « L. 9 § 1.
2:l. 6. D.' ) .De ~à, les nombreuses faveurs dont ils furent l'objet
pr~pter nimiam imperitiam, comme dit Justinien, et en voici la
raison·· Arma etenim
·
·
·
magisqunm
Jura
scirc milites sacrati'ssimmus
legislator existimavit : Ainsi ils ne sont pas assujett;s a ux délais do
(1) Autres exemples L. 8
~ 2 2, 8 D. et L. 2 ~ 7, 49, 14 O.
29 -
(l) De &vigoy Tome Ill p. 408.
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31 -
« hommes très g rossiers, peuvent bien ne pas même soupçonner,
« qu'il y a des formes à observer, ou des conseils à demander. Au
contraire toute femme qui n'appartient pas aux dernières classes
(( de la société, quelle que soit son ig norance du droit, comprendra
<c suffisam1F1ent l'importance d'un décès pour demander conseil. (1 ) l)
Explication ingénieuse, mais ne ju stifiant nullement la différ ence
q ui existait enrre les femmes et les autres classes pri vilégiées, a u
point de vue du délai de la bonorum possessio.
c1
SEC:: 'I'J: _C> N"
J:"'V"
Des Rustici.
On entend par 1·usticus, tode personne ignorante, hors d'état de
connaitre la loi . Il est équitable que le législateur se montre , en
raison du défaut d'instruction et d'éducation , plus indulgent pour
le~
fautes qui en sont la suite. ( 1)
Si les rustici n"ont pas r épondu à lï njus vocatio, ils peuvent invoquer leur ignorance du droit (L. 2 § 1. · 2. 5. D) ; (2) il en est de
même, s'ils ont négligé de prod:iire leurs pièces en justice, en temps
uti le (L. 1§15. 2. 13. D.); on ne peut les poursui vr e po ur cert ains
délits de droit civil ; pour a voir, pal' e~emple contrevenu au sénatus-consulte Silanien (L. 3 § 22. 29. 5. D), pour a voir endommagé
les édits des magistrats (L. 7. ~ 4. 2. 1. D). L'erreur de droit ne
leur nuit pas quand ils ont laissé écoule!' le délai de la bonorum
possessio, (C. 8 Code 6. 9.) D'où vient que les mineurs, les soldats et
les rustici peuYent raire considérer comme non a venue l ex piration
du délai de la bonorum possessio, tand is que les fe mmes ne le peuYent point? Yoici !" explication de M. de avig ny: ((Cette fayeur,
" dit-il, n'est pas du tout l'e!Tet du hasard . La parenté et l'or<lr e des
11 successions existent pour tous, quelle que soit l édu cation, et
« ont de ! 'importance ;>our toutes les classes de la société. Mais des
.Cl ) La loi fran ç~i se elle-même tient compte dans nn certa in cas de ce dMaut
d'instruction. V.fart. 13'16.
(2) La r;usticita! n'ét.:iit pas un motif suffi sant pour écba pper à fa peine qn i
[{:cf:2\.~ dfranch1, qui adressait une vocatio in ju~ à son palron. (C. 2
CHAPITRE II
De l'erreur dans les contrats
Comme nous l'avons montl'é, l' erre ur peut por ter s ur un point de
d roit ou sur un fait ; en nous plaçant toujours a u même point de
vue, il im porte d'étudier avec soin q uelle est son influence selon
l'objet sur lequel elle tombe. Est-il nai de dire qu'elle a toujours
pour e lîet de détruire la volonté? Nous a ,·ons déjà résolu cette
question négatiycment. Telle n'est pas cependant la conclusion que
l'on pourrait tirer de di,·ers tl!:--tes: ci Cum non consentianl qui
errent; quid enim tam conlrahum consensui est, quam crror, qui
imperitiam ddegit (L. 15, 2, J. D.) Nul/a t'Olt111laserra111is est lL. :>O.
39, 3, D.) Non uidenlttr qui errant, consent ire tL. 116 '.?, 50. 1i
D .) (2) . Ces textes pèchent par exagération et ne sauraient être'
(1 ) De 8avigny, Tom. 3. App. VIU. p. ·HS.
(2) Autres textes: L. 2 , 5, 1, D . - C. 8 e t 9. Code 1. 18.
�- 32
~
~cceptés cocpme des.principes g~éraux, ~n voiçi la preuve d'après
M. de Savigny: « ,L_a proposition, dit-il, que l'erreur exclut la
« volonté, si elle était yraie, ,aurait la plus haute importance et
« nous y trouverions un principe positif et péremptoire sur l'effi" cacité de l'erreur; mais il est ,jndubitable que cette proposition
, doit être déclarée fausse ; nous en avons ,une preuve décisive
~ dac.s la théorie de doliu, si sQigneusement élaboré0 en droit
« romain. Si l'erreur en soi, suffisait pour exclure absolument
u 1' existence de la volonté et par conséquent ses effets, tout contrat
(( déterminé par l'erreur se trouverait nul et il serait indifférent
« que l'erreur fut ou non le résultat de la fraude. Néanmoins le
u Droit Romain regarde l'existence de la fraude comme une ciru constance importante et décisive. ( 1) :11 Si on prenait ces textes
à la lettre, on serait obligé d'annuler tous les contrats entachés
d'erreur , et on se trouverait en contradiction avec un grand
nombre de décisions, qui considèrent l'erreur comme nulle et
non avenue. L'erreur, comme cela a déjà été dit, ne détruit pas
la volonté, elle peut faire ' 'icier ou dévier le consentement : il s'agit
de déterminer dans quel cas elle a ret effet. Cela dépend de l'importance de l'élément sur lequel elle tombe. Cet élément est-il
essentiel, l'erreur annihile le consent~ment : par suite, pas de convention et le contrat sera annulé. Dans ce cas l'erreur sera appelée
error esserilialis. C'est peut-être à cette hypothèse que s'appliquent
les textes que nous avons cités tout à l'heure. L'é lément n'est-il
qJ'accidentel, le contrat demeure intact: parce que le consentement quoique vicié ne l'est point sur un élément dont l'existence
soit liée à sa propre validité. C'est l' e1-ro1· concomittans.
Nous supposons qu'aucun des éléments essentiels de la conven. tion ne fait défaut: sinon le contrat ne peut viVt'e et il est inutile
(2) De Savigny, lome Ill, p. 338.
- 33 de se demander s'il y a erreur ou non. Tous les éléments exi!'tent,
seulement le consentement des deux parties qui se rencontre sur
un point donné, est atteint pat· l'erreur.
Nous allons étudier quelle est la portée de l'erreur, suivant
<Ju'etle porte sur la nature du contrat, sur son obj et, sur la personne,
sm· la cause et les motifs de la convention.
De l'Erreur sur la nature du Contrat.
L'une des parties pense faire tel contrat, tandis que l'autre croit
en faire un autre. Il n'y a pas de contrnt, pa rce qu'il n'y a pas consensus fo idem placitwm , ba se nécessaire de toute convention : u fo
omm'bus negotiis contrahenc/is, si ve bona {ide si nt, si ue non si nt, si
erro1· aliquis interuenit, ut alitid scntiat, puta qui emil, aut qui
conducit, aliud qui cum his contral!it, riil!il t•alet quod acti sil.
(L. 57. 44. 7. D.).
Cela ressort .encore mieux d'un texte d' U lpien : « Si ego pecuniam
tibi quasi donalurus, lu quasi mutuam accipias, Julianus saibit
donationem non esse. Sedan mulua ~il t•idcncium ~Et pulo nec m11tuam esse, magisq11e 1111mmos accipientis 11011 fieri, cum alia opi11io11e
acceperit. .... Si ego quasi depo1wls libi declcro, ltt quasi nwtuam
accipias, necdcpositum, nec mutuum est. L. 18 pr. et 1' 1. 12. l D).
Ces deux te;, tes montrent clairement que le concours des volontés sur la nature du contrat est essentiel, puisque, bien gue le contrat que croyait faire l'un des contractants soit plus onéreux que
3
�- 34 conclure. (J.e donne 100 à. Titius;
ce 1m· que l' au t re s'imaeinait
..,
. qui
s'imagine les recevoir à titres de prêt), il n'y a ni dona tion, Ill prêt,
parce que les volontés ne se sont point rencontrée~.
.
Mais supposons que le contrat intervenu , s01t un de ceux gui
emportent translation de propriété, quoi qu'il y ait désaccord sur la
nature du contrat, la tradition ne sera-t-elle pas va la ble? Deux jurisconsultes donnent à cette question une solution diamétra lement
opposée : Gum in corpus quidem quod traditur consentiamus, in
causis vero dissentiamus, non animadverto cur ineffica.r; sil traditio :
veluti siego CJ·,:clam, me e.r; tesl11mento tibi obligatum esse, ut {und um
tradam, tu e.ristimes ex stipulatu, tibi eum deberi. Nam et si pecuniam nume1·atam tibi tradam donandi gmtia, tu eam quasi creditam accipias, co:-1STAT PROPRŒTATEll ad te trnnsire, nec impe dimenlo
esse quod circa causam dandi alqtte accipiendi dissenserimus (L. 36
41. 1. D. ). D'après Julien donc, l' auteur de ce texte, le contrat est
nul, mais la tradition est valable ; U lpicn dit au contraire, dans le
texte rapporté plus haut : magisque nummos accipientis non fieri,
cum alia opiriione acceperit (L. 18 pr. et § 1. 12. l ). On a essayé
de concilier ces deux textes, qui sont cependant contradictoires et
l'on a soutenu que les moLs accipientis non fieri signifiaient que les
deniers n'étaient pas ac'!uis à titre de mutuwm, comme le croyait
l'accipiens; qu'Ulpien n'étudiait pas le point de savoir s' il lui
sont acquis à un autre litre. car il s' occupe de la nullité de l' obligation et non du transport de propriété, question toute diffé.-ente ( l ).
On a dit encore que ces expressions indiquaient que la tradition
avait bien et dûment transféré la propriété des deniers à l'accipiens,
mais que celui-ci n'en restait pas propriétaire ; « ce qui parait d'autant plus probable, dit un auteur, qu'Ulpien n'accorde pas à celui
gui a donné, la revendication, mais une condictio, action qui ne compete poinl au propriéLaire. » (2).
-
D'après nous, il est impossible de concilier ces deux textes; ils
témoignent d'une profonde divergence de vues entre leurs auteurs.
Leur solution était différente et les termes dont ils se servent, (Ulpien tout a u moins), montrent qu'!ls n'exposaient qu'une opinion
personnelle, sur une question qui se prêtait à la controverse.
Il nous reste à choisir entre ces deux opinions. Celle de Julien
nous parait devoir être ado ptée, comme la plus conforme aux principes. En effet, la validité du contrat et la validité de la tradition sont
deux choses distinctes, indépendantes l'une de l'autre. Qu'il n'y ait
pas de contrat dans l'espèce que nous étudions, cela ne fait de
doute pour personne ; mais pourqnoi n'y aurait-il pas tradition valable? La}usla causa lradilionis, c'est-à-dire l'intention d'une part
d'aliéner et de l'<Jutre d'acquérir, n'exi$te-t-elle pas ici? Les deux
volontés, dis~identes sur le fait juridique qui a donné lieu à la tradition, se sont rencontrées sur la jusla causa traditi.onis; et cela
suffit pour que la tradition soit valable et transfère la propriété. La
tradition a cet effet, quoiqu'elle soit faite en vertu d'un acte radicalement nul (L. 6. 12. 5. D.) Mais cela n'est exact, que si les deux
parties avaient réellement, l'une, l'intention d'aliéner, et l'autre
l'intention d'acquérir : sinon la tradition serait sine causa et par
conséquent nulle:« C'est cet animus possessionem et dominium
transferendi et acquirendi, qui est l'élément essentiel de cette translation; elle s'opère si l'erreur des parties laisse subsister cet animtts,
clic ne s'opère pas si l'erreur exclut cet animus. 1i (l) Une autre
preuve, que la tradition transfère réellement la propriété, se trouve
dans ce fait que ce n'est pns par la rei t•endicatio, que le tradens
réclamera la chose qu'il a linée à l'accipiens; la loi reconnait l'efficacité do la tradition puisqu'elle donne au tradens une condictio :
C'est donc que le trndrns a perdu la propriété. (L. 18 pr. 12. 1. D.)
Mais si la tradition a transféré la propriété, le tradens a le droit de
(1) Molitor, des Obligations en Droit Romain. p. 135.
Cl) Hayn.z-Eiements de Droit Romain ~ 92, noLe 14. Id. PoLhier '11. 1. n· 58,
35 -
(1) Pellat. Textes choisis p. 125.
�-
36 -
-
réclamer sa chose par l'une ou l'autre de ces actions, selon que i'on
.accepte l'opinion d' Ulpien ou celle de J ulicn. - « Julien et U lpien a rrivent en somme au même i·ésultat pra tique, car l'un dans le cas o ù
J' objet li vré existe encore, donne au t1·adens une rei vindicatio, et
l'a utre une condictio. Si !"objet a été consommé et si la valeur est
clemeu1·ée dans son patrimoine, tous deux lui donnent une conclic tio.» ( J)
SECTIC>N"
II
De l'Erreur sur l'obj et du Contrat.
Nous supposons que l'o bjet du contrat est dans le commerce, si
non il est comme inexistant au point de vue des contrats et il est inu tile de s' occupel' de 1' erreur qu i a ura it pu por tel' sur cet objet.
(L. 137 § 6. 45. 1. D.). (2). Il ne s'agit plus que <le rechercher que l
sera contre le tradens le recou1·s de celui qu i a contracté dans l' ignorance de ce vice (::.!). Il a ura contre lui, soit l'action ex stipiûatu, si
l'on ajoute au contrat une stipulation de somme d'argent payable
pa1· le vendeur en ras d'éviction ; soit l'action exempta en cas de
(1) Pelfat, Textes choisis. p. 11 5.
(~) .~mnium rerum, quas quis ha-Oe1·e, vel possidere, vel persequi potest
vend,ho r:ecte fit; quai vero natura, vel 9entium jus, vel mores cit:itaris
commtl'c10 exuerunt, ea1·um mllla vendi!io est. (L. 3'1 ~ 1. 18. !. O.). Ad de.
L. 30 ~ 1. 11. l. O. et le~ 4 li. 20. Jost.
(3) La _vente bieo que nulle, peut donner lieu à une action de dommagesint.érôt.s; mais si la chose perdait dans la suite, le vice qui l'atiectait au moment du
c mtrat, la_ vente reste toujours nulle ; nec ad rem pertinet quod jus mutari
;~~~{.'et id quod nunc impo8si/Jile est, poitea possi/Jile fleri. (L. 137 ~ 6. 4.5
37 -
vente, que le vendeur soit <le bonne ou de mauyaise foi . Il sera toujo urs ou bien coupable de dol, s'il cc nnaissa it cc vice et s'il n'en a
pas informé l'acheteur, ou birn coupable de négligence, s'il n'a point
ronn u la nature <le la chose <] u'il li vrait (1). Cette solution exacte
po ur la vente ne le sera it pas pour la stipulalion, contrat de droit
strict (2). Celle-ci ne peui pas donner lieu à une action en dommages- inté rêts, car ce n'est q ue dans les contrats de bonne foi, qu'on
t 'engage à ne commettre aucun dol et q ue l'on répond de ses fautes.
En ontre, celui q ui a stipulé une chose hors <l u commerce ne peut
r éclamer cette chose qu i ne pourrait lui ôtre livrée, et il ne saurait
en demander une autre, car ce serait sortir des termes du contra~.
1
ous supposons aussi que la chose existe au moment de la. formation <lu contrat. Si elle n"exi te pas quoiqu'elle soit possible, ou
si clic n'existe pl...s, le contrat est nul faute d'objet, : et l'erreur n'a
ici au cune inAuence : cc qu i annule le contrat, c'est l'absence du
consentement (:l). Mais ici encore, le contrat quoique nul donne lieu
à une action en dom mages-intérèts contre le tradens (4). Faut- il,
( 1) Les I nstitutes semblent d istinguer entre le cas où le vendeur est de
bonne fo i et ce lui où il est de mauvaise foi. ~ 5. IH : 23. Cependant
les textes les plus prccis établissent que l'acheteur déçu a le d roit d'intenter
dans les deux hypothèses, l'action ex empto. Ainsi : Qui nesciens loca sacra. vel
religiosa, vel publica pro privatis compara vit licet emptio non teneat. ex emp'o
tamen adversus venditorem experietur ut conséquatur quod interfuit ejus ne
deciperetur. ( L. 6~. ~ 1. 18. 1). Liberi hominis emplionem cootrabi passe pleri·
que existimaverunt, si modo inter ignorantes id fiat. Quod enim placet. etiam si
venilitor sciat, emptor autem ignoret l L. îO. eod. titulo). Ce texte ne signifie
pas que la vente est valable. mais h1en que l'on c1rnçoit une telle vente, quia
difficile dil)nosci potest li/Jcr homo a servo. et q11°elle peut donner lieu à une
action en dommages intérclts. Cependant si la chose est extra commercium
parce qu'elle est fur/ira. il faut pou r l'exercice de l'action tx empto distinguer
si le vende ur est de bonne ou de mauvaise loi, car il peut sans aucune négligence ignorer qu'elle est extra commer•·ium.
('2) Inslit. ~ 2. III. t 9.
(3) M. de Savigny T. III. p. '!07 appelle l'<1rreur qui délruit l'àccord des volontés erreur improprement dite, puce q11e ce n'est pas à elle qu'il faut attriburr la nlln-formatiôn du contrat.
(1) L. l. ~ !). 41. 7. - L.. 15. 18 1. D.
�- 38 comme dan s le cas précédent le rendre responsable de n'avoir
' 1 pas
connu la perte ou l'inexistence de la chose, sans disting~er .s 1 est
de bonne ou de mauvaise foi? Non ; tandis, en effet, qu'il n est pas
permis de ne pas connaitre le caraactère spécial d'une chas~ hor.s
de commerCè, on peut de ti·ès- bonne foi ignorer que la chose qui était
l'objet du contrat a cessé d'exister. En s'appuya nt s ur les LL. 57 et
58. 18. 1. D. , il faut distinguer, s ui\rant que la perte est totale ou
partielle et que les parties sont de bonne ou de mauv_aise foi.
En admettant que lobjet soit dans le commerce et existe réellement
l'erreur peut porter soit sur son idendité, soit sur ses qualités substantielles, soit sur ses qualités accidentelles, soit s ur sa quantité,
soit enfin sur sa propriété.
-
contrats synallagmatiques, ou unilatéraux, mais non aux jugements où il n'y a jamais concours de volonté entre le demandeur et le défendeur. C'est au demandeur qu'il faut s'en rapporter, car jamais le défendeur n'avouera avoir consenti à un
moment donné (L. 83 § I. 45 1. D.). Si dans le cas d'erreur sur
l'identité de l'objet, on donnait une valeur quel conque au contrat,
il faudrait annuler au profit de l'un des contractants la volonté
de l'autre, au m épris de la condition essentielle de la convention, le consensus in idem placitum.
§ II. -
§ I. -
39 -
Erreur sur les qualités substantielles de l'objet
Erreur sur l'identité de l'objet
L'erreur peut encore porter sur la substance de l'objet. Que
faut-il entendre par ce mot substantia? :-\ous n'en trouvons point
Dans ce cas (di.ssensus incorpore) il n'y a pas concours de volontés. Le contrat ne peut se former : Si L' hominem stipulatus
sim et ego de alio sen.sero, tu de alio, nihil acti erit, nain stiptûatio
ex utriusque consen.su perficilt"r. (L . 137 § 1. 45. 1. D.) Si igilur
ego me fundum emcre putarem Cornelianum, tu mihi vendere Sempronianum puta~ti, quia in corpore disse11simus, emptio nulla est.
Idem est si ego me Stichum, tu Pamphilum abscntem venderc putasti,
nam cum in corpore dissentiamus apparet nullam es se emptionem.
(L. 9. 18. 1. D.) (1). Principes qui s'appliquent à toute espèce de
(1) L. 9 ~ 1. 28. 5. - L 4 pr. 30. l.- L. 2
! 6. 41. 4, D. - C. 10 Code 8. 54.
la définition dans les monuments de la législation Romaine.
Désigne-t-il la composition de l'objet et est-il synonyme du mot
materia? C'est dans ce sens qu'il est emplo)·é dans le texte suiYant ; « Inde qu,l!ritur, si in ipso corpore non erra/tir, sed in subslantia e1·ror sil, utputa si acetum pro vino i eneat 3!s p1·0 auro vel
pl11mbum 11ro arge11to, vel quid a/iud argento simile, an emptio et
venditio sit? (L. 9 § 2 18. 1. D.) (1). Ou bien faut-il entendre par
substanlia la qualité principale qui distingue l'objet d'un autre
de même genre, ou la qualité que les parties ont eue spécialement en vue en contractant? (2) Dans ce dernier cas on s·oc1
(1 ) L. 11 ! 1.18.10.
('2) De Sa,•igny. Tom. Ill, p. 287.
�-
40 -
cupe moins de l'erreur absolue, que de l'erreur relative d~ c~n
tl'actant; on subor<lonne la solution moins à l'essence de 1 obJet,
qu'au rapport sous lequel il a été spécialement considéré par
les parties.
Assurément, la qualité substantielle sera souvent la matière
elle-même, à moins que, selon les expressions de Mülhenbruch :
ejus modi sit res in qua forma votitis rcspiciatur quan, materia.
Aussi dirons nous, avec M. de Savigny: <t l'erreur s ur une qualité
est essentielle, lorsque d'ap rès les idées admises dans les relations de la 'ie réelle, la qnalité faussement s upposée, range la
chose dans une autre classe d'objets que celle dont elle fait
partie. Pour cela la difîérence de la matière, n·est ni une condition nécessaire ni une condition suffisante etdès lors l'expression
insubstantia est une désignation impropre. « Donc il faudra entendre par substance, tantôt la qualité ou cet ensemble de qualités qui
caractérisent l'objet au point que s'il fait défaut, il change d'espèce
et passe dans une autre catégorie; tantôt la qualité que les parties
ont regardée comme substantielle: question de fait et d'appréciation; mais la seconde interprétation s'appliquera beaucoup plus
souvent aux contrats de bonne foi, cü il faut tenir compte davantage de lïntention des parties.
Quelle est l'influence de l'erreur qui porte sur l'une des qualités
substantielles de l'objet ? Sur ce point les jurisconsultes ne
paraissent pas avoir été d'accord. Marcellus, dont l'opinion est
rapportée par Ulpien dit que bien qu'il y a it erreur sur la
substance, œs p1·0 auro, la vente est valable (L. 9, § 2.18. I. D.).
De même, dit-on, pense l\larcien qui suit sur ce point le système
de Labeon (L.45 eod. tit.). Ulpien au contraire, dans cette même
loi 9 ~ 2 dit, que si l'on a acheté du vinaigre pour du vin, la vente
est nulle, pourvu que ce fùt du vinaigre et non du vin tourné ou
gâté; dans la loi 11 il déclare que la vente est encore nulle, dans
le cas d'erreur sur le sexe d'un esclave: «Cœterwm, si ego mtûie-
-41-
rem venaerem, tu puerum emcre existimasti, qttia 1·n sexu error est,
nulla emplio et nulla vendilio ; bien quïl n·y ait pas erreur sur la
matière, mais erreur sur une qualité substantielle et cela
parce que comme dit Polhier : Errori matcrice comparari polest
error in sexu. Sexus enim substantiam mancipi venditi constituil;
unde iste error vitiat conlractum . Julien aussi dans la loi 41 (18. l.D)
proclame la nullité du contrat: Mensam argento copertam
mihi igno1·antip1·0 solida vendisti, imprudens. Nulla est emptio,
pecuniaque eo nomiHe data condicetur.
Nous adoptons l'opinion d'Ulpien et de Julien. Il faut reconnaître, qu'elle s'écarte du principe que nous avons posé et en
vertu duquel r erreur, lorsqu'elle ne tornbe pas sur la nature du
contrat ou l'identité de l'objet, ne détruit pas le consentement. Il
est donc en théorie inexact de dire que dans le cas d'erreur sur
la subtance, il n'y a pas de consentement. '.\fais cette anomalie
fut introduite pour corriger le droit rigoureux et pour rendre
hommage à réquité, qui veut que les parties puissent demander
la nullité du contrat entaché d'une erreur, qui porte sur des qualités déterminantes de leur volonté. Si donc, il y a erreur sur la
substance, le contrat est nul. On n'a pas à se demander si ferreur est dé droit ou de fait, si le vendeur a ou n'a pas été victime
de l'erreur s'il est de bonne ou ùe mam·aise foi: mais, lorsque par
son fait il a fait subir un préjudice à rac heteur, il lui doit indemnité. l1 faut cependant que l'erreur dans ce cas, comme dan tous
les autres, soit excusable : Ig11.ora11tia emptori p1·odest, qure
non in supinttm hominem cadit (L. 15 § 1. 18. 1. D.).
Les partisans du premier système nou oppo ent tout d'abord
le texte de la loi H. 18. 1. D. qui examine l"hypothè e sui\·ante:
Une personne, cr0yant qu'un objet est en or rachète. Or il se
trou\'e que cet objet est en cui\Te, pas de vente: sin autem œs
pro auro emptio non va let. Ou bien cet objet est d'une composition OÙ l'or n'est pas étranger, mais OÜ il)' a d'autres métaux, en
�-
42 -
un mot, il y a alliage d'or et d'un antre métal. Ici, vcnditioncm
esse constat. Or, dit-on dans ce cas il y a bien crror in substant?·a,
puisqu'au lieu d'tm métal précieux, c'en est un autre oü l'or se
trouYe mélangé aYec d'autres métaux, dont on ne soupçonnait
pas la présence, et cependant Ulpien dit qne la vente est valable.- Tout ce qu'on peut déduire de ce texte, c'est que l'alliage
n'est pas une qualité essentielle du métal el qu'il n'y a pas errelll' sur la substance dans celte hypothèse, parce que l'objet que
je croyais en or pur est en or de titre inférieur. « Si aurum qui-
-
43 -
Mais cette loi 45, est terminée par un membre de phrase qui
a donné lieu à de nombreuses interprétations : Qucmadmodwn
d'après l'étymologie même du mot, signifie mélange d'or et
d'un aut1·e métal, cette partie de la loi se trouve d'accord avec
le principe que nous avons admis et qui est exprimé dans la
prem ière partie du texte, à savoir: qu'il n'y a pas nullité du
contra t lorsque l'erreur porte s ur la quantité ou la pureté de l'or
dans l'objet en question. Mais, si comme on le prétend, l'aurichalcum. est une composilion, dans laquelle l'or n'entre à aucun
degré, si ce n'est qu'un mélange de cuivre et de calamine, <lu
laiton, il y aurait alors dans ce texte une trace de l'opinion qui
n'annulait pas le contrat pour cause d'erreur sur la substance,
opinion partagée par Marcien et Marcellus. l\Iais cela n'est pas
admissible : il suffit, en elTet, de jeter les yeux sur ce texte pour
se convaincre de la véritable pensée du jurisconsulte. Après
avoir parlé des vêtements, dont le plus ou moins de Yétusté ne
constitue pas une erreur sur la substance, Marcien ajoute quemadmodum pour montrer qu'il y a similitude entre les deux
espèces. Que les vêtements soient plus ou moins vieux, que l'or
soit plus ou moins pur, c'est une erreur secondaire. Or, si le
deuxième paragraphe visait un objet dont la composition ne
contient pas un atome d'or, ce serait une différence et non une
analogie qu'il faudrait signaler. La solution dans les deux cas
est la même, parce que les raisons de la donner sont identiques.
Averanius dit que le contrat est Yalable et voici comment il
raisonne : Le Yendeur, dit-il, aYait deux Yases, l'un d'or et
l'autre d'aurichalcwn considéré comme étant d'or. L'un de ces
vases a été vendu sans la désignation de l'espèce et c'est le Yase
d'au1·ichalcum qui aurait été liwé; la vente est valable, car les
deux parties ont eu en vue un vase en or et le Yase en or peut
seul être liné par le vendeur. (AYeranius,Liv. I. ch. XIX, n• 9.)
Autre hypothèse qui a fourni matière à controverse " Quam-
si vas aurichalcum, pro aw·o vendidissct igno 1·ans tenetur ut aurum
l
,
quod vendidit prœstet. Si l'on admet avec nous, qu'aurichalwm,
vù supra diximus, wm incorpore consentiamtis, dequalilateaulem
dissentiamiis, emptionem esse, tamen vendilor teneri debet quanti
dem fuerit deterius autem quam emptor e.i;istimaret, tune enim emptio valet. (L. 10. 18. 1. D.) Ce texte répond victorieusement à
l'objection.
On nous oppose encore la loi 15 du même titre: Voici l'espèce. Quelqu'un a acheté des Yêtements remis à neuf pour des
vêtements neufs. La vente tient; tel est l'avis de Trebatius, de
Pomponius et de Julien. Cependant, dit-on, ici encore il y a erreur sur la substance: la qualité substantielle des vêtements,
c'est qu'ils soient neufs. Nous répondons : le contrat est valable
parce qu'il y a eu concours de volontés sur ce point: l'un a
voulu vendre et l'autre acheter des \'êtements; que ces vêtements soient plus ou moins neufs, il y a erreur sur la qualité,
mais non sur leur substance, el de même qu'il y a \'ente malgré
l'erreur qui porte sur l'alliage, sur le plus ou moins d'or que contient un objet (nam si inauratwn aliqiiid sit, licct ego a •1rum putem, valet vend1ïio), de méme la vente ici est valable lorsque
l'erreur porte sur le plus ou moins de fraicheur des vêtements·
sous réserve des dommages-intérêts dont sera tenu le vendeur'
de mauvaise foi.
�-
44 -
t'ntt'rest non esse deceptum, et si t•c1icfilor qttoquc llesciel, veluti simensas quasi citreas emat quœ no11 s1mt. (L. 21 §2, 19, 1 , D.) Décision conforme à la théorie que nous ayons exposée. Ici la substance, la qualité substantielle de l'objet n'est pas le bois de citronnier, ce n'est pas la matière de l'objet. Tous avions donc raison
de dire, que la matière n'était pas toltjours la qual ité substantielle de l'objet et Ulpien n'es t pas exact en disant : In cœteris
autcm, m1llam esse venclitionem puto, quotiès in materia erratttr.
(L. 9 § 2, 18. 1). Ces termes sont trop généraux, puisque dans
l'exemple que nous Yenons de citer, il y a erreur s ur la matière,
et le contrat reste va lable, parce que la matière n'est pas la
qualité substantielle. :Yiais si le tradcns s'était engagé à livrer
du bois de citronnier, il dena des dommages-intérêts à l'acet'piens pour n'avoir pas tenu ses engagements.
Celte solution n'est pas admise par tous les interprêtes . On
dit que dans ce cas, il y a erreur s ur la subs tance et que par
suite le contrat est nul et, comme le texte dit tout le contraire
on intercale entre les mots emptionem et esse, une négation.'
Moyen plus co mmode que juridique 1 Cette négation n'existe
pas dans le texte de la Florentine, et s'il fa llait l'ajouter, comme
il l'a été dans beaucoup de manuscrits, la loi 21 se trouverai t
en contradiction aYec un autre texte de Paul : Et si conse11 sum
{ucrit in corpus, i·d tamen in 1·erum natimz ante vendilionem esse
desierit, nulla emptio est. (L. 15, pr. 18, 1, D.) n·autres respectent le texte et soutiennent , malgré l'évidence, que le
contrat est nul parce que la substanc e ici, c·est la matière, le bois de citronnier étant très-apprécié par les Roma ins.
C'est ici, dit-on, le cas de considérer l'intention de l'achetet~r, ce qu'il voulait ce n·est pas une t1.ble de n'importe quel
bois ou plaquée en bois de citrnnnier, il désirait une table en
bois de citronnier massif, et si la tab le ne r em plit pas cette
condition, il Y a erreur sur la subs tance et par suite pas de
-
45 -
contrat. - Mais comment se peut-il alors, que le tradetls soit
obligé de désintéresser celui qui a été victiine de l'erreur, en
vertu d'un contrat nul ? On répond « quoique le contrat soit nul
« en soi, le vendeur n'est pas moins obligé par d'autres motifs,
« indépendamment du con trat. » 'ous ne pouvons accepter
cetle interprétation, qui fait dire a u texte Je contraire de ce qu'il
exprime. D'après nous, le contrat est maintenu, et c'est dans
ce contrat valable <Jue l'acheteur puise le droit d'être désintéressé du préjudice qu'il a s ubi, en recevant un autre objet que
celui qu'il a \·ait l'intention acquérir (1).
Cependant l'erreur s ur la suùstance proprement dite, n'a pas
la même portée dans tous les contrats ; il en est même où elle
est a bsolument inefTicace. Il faul à cet égard distinguer entre la
stipulation et les autres contrats.
En cas de stipulation, l'erreur s ur la substance n'atteint pas
la validité du contrat. Si quod aurum putabam, cum œs esset, stipulat us de te {uero, tencberis mihi hujus œris nomine, qu-01iiam in corpore consenserimus (L. 22. 45. 1. D.), Nous avons vu qu'en matière de vente, du moins selon notre opinion, il faut dire que
l'errorin substantia annule le contrat. Quelle est la cause de cette
difîérence? Est-ce parce que la stipulation, est un contrat de
droit strict et la vente un contrat de bonne foi ? Sans aucun
doute.
Cela vient a ussi de ce que les deux parties, ont intérêt à ce
que la stipulation, au lieu d'être considérée comme nulle et non
avenue, ait un efîet quelconque, bien que l'objet sur lequel elle
portait, ne soit pas le même que celui qui est r emis au stipulant. Cujas dit à ce sujet : « RaLio h;ec quia si per erro1·em .... .
in stipulationem dedrtclo œre pro a uro, el slipu lationem n ullam esse
di.ceris, nihit super fuerit i1i obligatione, at stipulatori interest ut
( 1) Massol. Oblig. nat. p. 20, note 1.
�-
46 -
;es saltem in obligatione. )) Mais s i Je contrat est maintenu, il ne
faudrait pas en conclure que la partie lésée n'ai aucun recours
contre celui qui l'a trompée. Cela ne serait ni juste, ni équitable.
Aussi Paul ajoute-t-il : sed ex doli mali cla1tSula tecum agam, si
sciens me (e(elleris. ))
Que faut-il décider, quand le donataire reçoit autre chose ou
moins que ce que lui a promis le donateur ? La donation vaudra, bien que le donataire soit déçu dans ses espérances. Mieux
vaut quelque chose que rien. Si cependant le donateur donne
moins que ce qu'il croit donner, la donation est nulle, que le donataire ait ou non partagé cette erreur.
n en est de même en cas de gage : c< Si quis tamen, cum œs
pignori daret, adfi1·mavit hoc aurwn esse etitapignori dederit,
videndum erit an œs pigncri oblgiave1·it : et num quid quia in
corpus consensum est, p1'gno1·i esse videatm·? Quod magis est:
tenebilttr tamen pigneratitia contrm·ia actione qui dedit,
p rœter stellionafum qt1em fecit. » (L. 1. § 2. 13. 7. D.). Donc
celui qui a remis un objet, de moindre valeur, que celui qu'il
s'était engagé à mettre entre les mains du créancier, ne peut
par cette manœuvre, annuler le contrat. Cela tient au caractère
uni latéral de ce contrat: il Yaut encore mieux que le créancier
reçoive quelque chose, encore que cette chose ne soit pas celle
qu'il croyait recevoir en garantie de sa créance, plutôt que rien.
Mais il aura l'action pigneratitia contraria pour obtenir W1
objet de valeur égale à celui qui lui avait été promis par le débiteur.
-
47 -
§ III. - .Erreur sur les qualités accidentelles de l'objet.
L'erreur porte sur le nom de la chose ; elle n'a aucune influence : Si in nomine se1·vi, quem slipularemur dari, er1·atum
{uisset, cumde corpo1·e constiti.sset, placet stipulationem valere.
(L. 32. 45. 1. D.). De même décide la loi 9 § 1. 18. 1. D. Si l'erreur porte s ur les qualités secondaires de la chose J le contrat
est encore maintenu. Mais cette erreur dans laquelle est tombé
l'un des contractants, n'aura-t-elle aucune conséquence? Celui
qui en est victime, a ura un recours contre celui qui a négligé de
l'instruire ou qui l'a trompé. c< ~lais ici le motif de l'action n'est
« pas l'erreur, mais l'inexécution des conditions de la vente. » (1).
La loi des XII Tables, rendait le vendeur responsable de
l'inexactitude de ses déclarations, et c'est par l'action ex empto,
qu'on lui en demandait compte. Mais s'il n'avait rien déclaré
on n'avait pas de recours contre lui. Plus tard, on le rendit
responsable a ussi des défauts qu'il aurait connus et qu'il n'aurait point signalés. On l'atteignait dans ce cas comme dans le
précéùent, grâce à l'action ex empto qui était perpétuelle et qui,
dans la suite, sous l'empire des idées nouvelles, inaugurées
par les édiles, et sous certaines restrictions, put aussi être intentée contre le vendeur de bonne fo i (L. 6 § 4. 19. 1. D.).
Les Ediles curules firent, en effet, progresser la législation,
sur cette matière, qu i était de leur compétence. Par leur édit,
qui tout d'abord ne s'appliquait qu'aux ventes d'esclaYes et de
certains animaux, et qui fut encore étendu à toute sorte de ventes et même à l'échange (L. 19 § 5. 21. 1. D.), ils réglèrent les
droits des acheteurs trompés et lésés par un ou plusieurs dé(1) De Savigny, Tome III, p. 350.
�-
48 -
fauts de la chose. Si l'acheteur avait ignoré ce défaut, (L. 48 § 5.
21. 1. D.), si_ce défaut était non apparent et antér~e~r à la vente,
sïl n·ayait pas disparu depuis, deux actions dis tinctes, _entre
lesquelles il doit choisir, lui sont donnée~ po~r fa_ire Yalo1r ~e_s
réclamations. C'étaient les actions quanti minons et redhibito·ria. Par la première, il obtenait, le contrat restant intact, une
remise du prix., calculée sur l'importance du vice qui aiI~cLe la
chose. 11 peut exercer cette action pendant une anné~ entière, à
partir du jour où il a découYert la tromperie, et à diverses reprises, s i besoin est, c'est-à-dire si plus ieurs vi~es se déclarent
successiYement. Par l'action 1'edhibitoria, il obtient non-seulement, l'anéantissement du contrat et le rembomsement du prix
payé , mais même une indemnité pour tous les ~ommage_s que
peut lui avoir causés la chose, du jour où elle lui a ét~ hvr~e.
l\fais cette action ne peut-être exercée qu'une seule fois, pLusque si l'acheteur a gain de cause, le contrat est a nnulé, et elle
doit l'être dans w1 délai utile de six mois, qui commence le
j our où le Yice a été découvert, pourvu que l'acheteur n'ait
pas grevé la chose de droits réels et la restitue dans l'état où
elle lui a été livrée, sauf à tenir co111pte au vendeur des clétérioralions qu'il lui aurait fail subir et des fruits qu'elle a urait
produits. Remarquons que ces actions pourront être intentées
par l'acheteur, encore que le vendeur ait déclaré les vices de
la chose, si ces déclarations sont inexactes ou mensongères, et
.
qu'il aura aussi contre lui, l'action ex stipulatu, par laquelle il
lui réclamera l'indemnité que le Yen<leur a été obligé de promettre au moment de la Yen le, pour les v ices qui pourraient être
découverts dans la suite. Cette dernière action, a l'avantage de
ne pas être comme l'action 1'edhibitoria, entravée par l'aliénation de la chose et elle donne à l'acheteur qui l'intentera, une
satisfaction plus entière, que celle qu' il trnuverait dans l'action
quanti minoris. Cette promesse <l'indemnité est obligatoire, s i
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49 -
Je vendeur refusait de s'y soumettre, l'acheteur pourrait sans
autl'e raison que ce refus, intenter l'une ou l'autre des actions
édililiennes dont le délai est, dans ce cas spécial, continu et
beaucoup plus court.
Comme appendice à ce paragraphe, nous pouvons parler de
l'erreur sur l'accesso ire du contrat, s ur un objet secondaire par
rapport à l'objet principal. Supposons que je vous vende un
immeuble et mon esclave Pamphile; vo us crorez acheter ce
mc!me imm euble et en inème temps Lm a utre esclaYe, Stichus
par exemple. Ou bien encore : Je vo us vends un immeuble et
un esclave tichus : j'en a i plusieurs de ce nom, vous Yous
imaginez acheter l'un cieux et je vous en vends un autre que
celui que Yous pensez. Le contrat sera-t-il mainte11u dans son
entier ? Sera-t-il totalement annulé ou annulé en partie seulement quant à la vente de l'esclave? Le contrat re tera intact.
Tout d'abor d en vertn de la règle accesso1·iion sequitur principale. Or ici, l'obj et sur lequel notre attention a surtout porté,
c'est l'immeuble et su r l'i mmeubl e il y a eu concours de
volontés. Aussi la validité de cette partie essentielle du contrat,
ne sa urait être détruite par un e nullité atteignant une partie
accessoi re et le contrat va udra dans toutes ses parties.
Le Yendeur doit liYrer un esclave : mais puisque sur cet
esclave il n'y a pas concours de volontés, la volonté de l'un
doit exclure et primer la volonté de l'autre. Le vendeur denat-il livrer l'esclave que l'acheteur pensait acheter ou celui que
lui, vend eur, pensait lui ve ndre? C'est retle dernière solution
qui doit être ad mise. Paul à ce uj et s'ex.prime ain i : Si in
emptione fundi dictum sit, accede·re Sticlwm servum, ne que
intelli9atur, qui ex pluribus accesse1·it, cum de alio emploi·,
de alio vendito1' se11se1·it, nihil omi11us fundi venditionem
vale1'e constat : S ed Labeo it, aum Stich.wn de beri quem venditor intellexerit : nec refe1·t quanti sit access,io, sù;e plus i11
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�-
50 · 1psa
·
eo sit quam m
re eut· acced a t , an m.;1i1ts .· plerasque enim
1·es, aliquando propter accessiones emimu.~, sicut cum domus
p ropter ma1·mot·a et statuas et tab1tlas pictas emafttr. (L. 3 1,
p r. 18, 1, D.) Comme il est facile de le voir , la décisio n que
nous ayons donnée s·applique, bien que l'objet accessoire soit
plus important que l'objet principa l. Il s'agira dès lors de
rechercher avec soin, quel est l'objet que les parties ont regardé
comme principal et quel est celui quelles ont considéré comme
accessoire. Selon que r erreur porte s ur le p remi er (e1Torin
corpore) ou sur le second, le contrat est nul ou maintenu.
Avec P aul, nous avons <lit q ue l'objet, dans l'espèce r esclave,
q ue le vendeur avait en vue, serait Yalablement livré. Cujas, à
deux reprises difiérentes, a soutenu que c'était quem emptor
intellexerit qu'il fa llait lire parce que, dit-il, il est de règle que
les pactes obscurs s ï nterprêtent contre le vendeur << Veteribus
J;/acet, pacfionem obscur-am vel ambiguam, venditori et cui locavit nocere (L. 39, 2, H D.) Observons en premier lieu, que
Cuj as pour soutenir son opinion est obligé de dénat urer le
texte, dont il change le mot capital. En outre, il est vrai de dire
que les pactes obscurs doivent être interprêtés contre le vendeur, mais seulement quand il est certain que les volontés des
deux parties se sont rencontrées sur l'obj et. lei la règle ne saurait
s·appliquer, par ce il est certain que les parties n·ont pas eu en vue
le même objet : or quand les contractants dissentiunt in corpo1·e
ni hil actum est. Aussi puisqu'il n'y a pas eu concours de
consentement sur l'accessoire, rien ne vaut : mais comme il
est naturel et logique, que la validité du contrat en ce qui
concerne le principal, couvre la nullité de la partie qui porte
s ur l'accessoir e, le contrat est maintenu. Voilà le fondement
j uridique de la solution. Admettons si l'on veut que la r ègle,
que les pactes obscurs s'interprètent contre le vendeur, s'impose même dans ce cas. Elle ne s'applique qu'à celui qui a
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51 -
proposé les pactes, qu'à celui qui a parlé (LL. 38 § 18 et 99,
45, 1 D.) parce qu'il esl coupalJle de ne pas s'être suffisaniment
expliqué. Or il semble, comme dit Poth ier , qu'ici c'est l'acheteur qui a parlé puisque le jurisconsulte emploie le mot emptio au lieu du mot venditio, qui aurait plus spécialement visé
l'acte du vendeur. C'est donc contre lui acheteur et en faveur
du vendeur, qu'il faut interpréter le doute. rous pouvons
encore ajouter, pour j ustifter la décision de Paul, qui étudie
l'hypothèse où le vendeur a plusieurs esclaves portant le même ·
nom, qu'il est débiteur d'un genre. Or le choix dans ce cas
appartient au vendeur, s'il n'est pas spécialement donné par le
contrat à l'acheteur et il est libre de donner l'esclave appelé
Stichus qu'il lui convient de livrer (1).
§ IV. -
Erreur sur la quantité de l'objet.
On peut se tromper aussi sur la mesure, le poids, l'étendue et
la ·contenance de l'objet. Le vendeur doit livrer la chose telle
que l'acheteur a voulu l'acheter. !\lais supposons qu'il livre
plus ou moins que ce qu'il devait livrer.
1re HYPOTHÈSE : La contenance ou l'étendue réelle est supérieure à la contenance ou il l'étendue déclarée par le vendeur.
Il faut distinguer: la vente a été faite dans ces termes: Je vous
vends le fonds ~empronien de trente arpents, pour trente sous
d'or . Dans ce cas, quoique le fonds. empronien soit de quarante
arpents, comme la vente est faite pour un prix unique, cette
augmentation profitera il l'acheteur. ~Iais si je me suis exprimé
ainsi : Je vous vends le fonds empronien, d·une contenance de
trente arpents, à raison d'un sou d'or l'arpent; si le fonds
(1) Molitor, des Oblig•. 1,o. 100.
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5-2 -
Sempronien contient quarante arpents, le prix devra être de
quarante sous d'or, quoique il ait élé fixé il trente, parce que dans
ce cas on a voulu fi xer le prix de la mesure et non le prix total,
et dès lors, il est jus te que cha que mesure en plus, soit payée au
prix que les parties ont fi xé pour chacune des mesures qu'ils
avaient en vue lors de la vente de l'immeuble: Q111' ag1·wn vendebat, dù'Cit (undi juge1·a decem el octo esse : et quod ej us admenswn erd, ad singula juge1·a ce1'lwn p1·etiwn stipulatus erat;
vi9inii inventa su nt : pro viginti debei·e pecuniam respondit. >>
(L. 40 § 2. 18. 1. D.).
2m• IIYPOTHNSE. Le vendeur livre moins que ce qu'il a promis.
Dans ce cas l'achetenr pourra par l'action ex empto lui réclamer
le supplément de ce qui devait lui être livré et s i j amais le Yendeur ne peut le fournir, par l'action ex empto encore, l'acheteur
obtiendra une diminution de prix : T enelur ex empto venditor,
etiam si agnove1·it minorem fundi modwn esse (L. Gp.19. 1. D.).
S i modus agri minor invenialw· suo nu11ie1·0 Jugei·um, auctor
obligatus est (L. 4 § 1. 19. 1. D.) (1). In (undo vendito cwn m odus pronunciafus deest, sumitu1· po1·tio ex p1·etio, quod totum
colligendum est ex omnibus ;'uger·ibus dictis (L. 69. § G. 21. 2. D.).
Même solution dans le cas où la vente comprend p lusieurs obj ets
et que l'un d'eux n'a pas la contenance déclarée. Mais quid si un
des objets de contrat n'a pas la contenance déclarée par le vendeur, tandis qu'un autre a plus que la contenance fixée par ses
déclarations? Ainsi j e YOUS vends deux fonds de terre que j e dis
composés, l'un de cent arpents de vigne, l'autre de cinquante
arpents de prés, alors que le premier ne contient que quatre-vin!!tdix arpents et l'autre en contient soixante : Si duorwn fu ndon:n
venditor senm·atim
d e mod o CUJ·11sque pronunc1averit,
·
· et ita
·
r
ufrumque uno p1·etio tradiderit, et alteri aliquid desit, quam vùt
(1) Adde. L. 2. 19. 1. D.
- 53 in altero exuperet (L. 42. 19. I. D.). La question était vivement
controversée. D'après Labéon, il n'est pas j uste que le vendeur
profite de l'excédant de contenance d'un .bien, pour combler le
déficit constaté dans la contenance del'autre. L'acheteur pourra
donc réclamer le s upplément de contenance. Sa demande seraitelle entravée par l'excepti on de dol que lui opposerait le vendeur<!
Nullement, car il ne commet aucun dol puisqu'il ne fait qu'exercer son droit d'être mis en possession des prés qui manquent.
Cependant il vaut mieux dire avec Paul : R ectius est in omnibus
scriptis supra casibus, lucnon cum dam no compensari et si quid
deest emptoi·i sioe pro modo, sive pro qualitate loci, hoc ei re3arciri (L. 42 i. f· 19. J. D.): il y a donc lieu à compensation. Dans
Je cas ou les diYisions d'un même bien ne sont pas conformes
aux déclarations du vendeur, il faut encore établir une compensation : Yideanws ne nulla quercla sit emptori, in eodem fundo
si plus inveniat t'n vinea quam iri prato, cum um·versus modtt 3
constat.
L'erreur porte aussi sur la quantité quand elle porte sur le
p rix, qui dans certa ines obligations, est l'un des objets du cont rat. Ce que nous allons d ire sur ce point, se rapporte donc spécialement a ux contrats, où l'une des parties est tenue de fourni r
à l'autre une somme d'argent. Ainsi, je YOus vends ma maison
pour vingt sous d·or , vous croyez l'acheter pour dix : Je Yous
vends ma maison pour dix et vous croyez ètre obligé de payer
vingt. Dans la première hypothèse, le contrat ne peut se
former parce que je suis lésé dans mes intérêts et je ne sais pas
si vous Youdrez compléter la somme que j'aYais lïntention de
percevoir comme prix de la vente. Dans la seconde hypothèse,
le contrat se forme, parce qu'i l est 1.Jien certain que puisque vous
consentiez à payer vingt a fortior·i vous payerez dix. Telle est
la décision de Pomponius dans un ca ~ analogue : Si decem tibi
loccm fundum, tu au ti:m e.x:istimcs q11i11que te conducere, nihil agi-
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54 -
tur. Sed et si ego minoris me locare scnsero. lu pluris te conducere,
it1iq11e non p/w·is erit condttclio quam qunnti ego putaui. (L. 52. 19,
~ D.). Donc quand c·est celui qui doit fournir la prestation qui a
Youlu la pt·estation la plw forte, le contrat tient. Tandis que si
c·est celui qui doit la recevoir, qui l'a voulue plus considérable,
le contrat ne peut se former.
Faut-il en dire autant dans les contrats uni latéraux, en matière de s tipulation, par exemple ? Sur ce point, autre controYerse. Tout le monde s'accorde à dire que l'erreur qui porte sur
la quantité de l'objet, quand cet objet est un corps certain, vicie
la stipulation : Par exemple : Spondcs ne mihi dare dimidia m
partem dom us tuœ? Sponcleo tibi dare lc1·tiam parlem. Pas de contrat, parce qu'une des conditions essentielles à la validité de la
stipulation, la parfaite corrélation entre la réponse et la demande, fait défaut: au surplus il s'agit d\m corps certain, considéré comme tel, formant un tout qu'on ne peut ni augmenter, ni
diminuer, sans le dénaturer. l\Iais faut-il décider de même,
quand il s'agit d'une somme d'argent? Le doute proyient de ce
qu'on peut considérer une somme, comme un composé de diverses unités, égales entre elles el qui ne change pas de caractère,
alors que leur nombre varie . Si l'on en croit Gaius, il n'y a
aucune différence entre une somme d'argent et un corps certain.
Aussi quand le promettant s'engage à donner cinq, alors que le
stipulant aYait demandé dix., la stipu lation est nulle pour le tout:
Adhuc inutilis erit slipulatio ... si sestercia decem a te dari stipule1· et tu sexlercia quinque nihi promitlas : les Institutes ont
consacré cette opinion presque dans les mêmes termes (Gaius.
III. 102. Instit. Il. 19. 5). Ulpien dit au contraire : Si stipulanfi
mihi decem, tu viointi respondeas ; non esse contractam oblioalionem nisi in decem constat : e:r confrario quoque si me vigittti interrogante, tu decem respondeas, obligat1'0 nisi in decem non erit contracta. De même pense Paul quia in summis
-
55 -
1·d quod minus est sponde1·i videtu1·(L.1. § 4 et 83. § 3. 45. 1. D.)
Les deux opinions de Gaius et d'Ulpien sont donc contradictoires (1). Quelle est la meilleure? Cela dépend. Si c'est le promettant qui promet plus que ne demande le s tipulant, la stipulation vaut. Cette décision, n'est peut-être pas tout à fait conforme aux principes rigoureux qui dominent la stipulation et
dont Gaius ne consent pas à s'écarter, mais elle est plus logique
et plus équitable (2), le plus contient le moins et il est préférable de faire produire des effets au contrat, plutôt que de l'annuler, pour une question de forme, car au fond, celui auquel on
demande dix et qui répond : je promets vingt, donnera a fortiori les dix qu'on stipule. Alors même que le promettant promet moins que ne demande le s tipulant, la stipulation vaut, si
la prestation est faite à titre gratuit; il vaut mieux que le stipulant donataire reçoive quelque chose, plutôt que rien. Pour ces
deux hypothèses nous suiYons donc l'opinion d'Ulpien. J\ous
partageons au contraire l'ayis de Gai us, si la prestation faite par
celui qui veut le moins, l'est en vertu d'un contrat ou d'un fait
foridique préexistant; ce qui r ésulte de la volonté des parties,
lorsqu'elles ont eu l'intention de convenir de telle somme déterminée: car, dans ce cas, il n'est pas juste que celui qui a droit à
vingt se contente de dix et il n'est pas exact de dire que le plus
contient le moins. Le système que nous adoptons peut s'appuyer
sur la loi 52 que nous avons citée plus haut. Faisons aussi remarquer, que les Institutes, qui sur celle question suiYent la manière de voir de Gaius, l'abandonnent dan une autre hypothèse,
puisqu'ils admettent que si je stipule deux objets et que YOu ne
m'en promettiez qu'un seul, la stipulation tient, selon la doctrine
(1) On a soutenu le contraire, en disant que Gaius ne déclarait la stipulation
nulle que pour ls qnantité qui n'avait pas été cl.lm prise dans b réponse. Cela est
de toute é\·i<ience et i1 éta i ~ inutile de le dire.
('l) Licet eaim oportct cong ruere sum mam, attamen mani(estissimum
est viginti et decani inesse (L. 1. § 1. !15. 1).
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56 -
d'Ulpien et de Paul : contradiction inexplicable, car si l'on admet la divis ion dans la promesse en cas d'objets diITérenls,
pourquoi ne pas l'admettre pour une somme d'argent, l'objet le
plus di,·is ible qui existe, puis qu'il se compose de parlies distinctes dont l'absence ou la présence diminuent ou augmentent
sa valeur, mais ne lui font pas changer de caractère.
Si l'erreur est une simple errem de calcul, elle n ·a aucun effet;
on doit la rectifier (Unica, Code 2. 5).
§ V. -
Erreur sur la propriété de l'objet
Un tiers achète ou stipule une chose dont il est déjà propriétaire. L'erreur vicie radicalement le con trat : suœ rei emptio non
valet - Nec minus inutilis est slipulalio si qu is rem suam, ignorans
suam esse stipulatus fuc1·i1( L. 1 § 10. 14. 7. D.): parce qu'on ne
peut acquérir, comme acheteur, un droit plus entier que celui
qu'on a comme propriétaire. Mais il pourra r épéter le prix de
sa chose pourvu qu'il soit de bonne foi et qu'il ait ignoré qu'il
achetait sa propre chose (L. 16 pr. 18. 1. D.). Car s'il avai t
acheté, ayant connaissance de son droit de propriété, il est
censé avoir voulu gratifier le vendeur et on ne saurait lui donner une action quelconque pour réclamer le prix. dont il a payé
sa chose (L. 82. 45. 1. D.).
Le Yendeur vend comme appartenant à autrui, une chose qui
est bien à lui en propre. Il ne perd pas son droit de propriété,
parce que nemo err·ans 1·em suam amittit. Cependant il ne
pourra pas la revendiquer,parce qu' il est tenu de garantir l'éviction. Pour rendre cette h ypothèse vraisemblable voici l'exemple que donnent les jurisconsultes : Si p1'ocurator meus vel tuto1' pupilli, rem suam quasi meam vel pupitLi aUo tradiderit,
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57-
non 1·ecessit ab i's domi nii1m, et n11lla est alienatio ; quia nemo er·rans 1·em suam aim'ttit ( L. 35. 41. 1. D.J. Marcellus, dans
la loi -iû. 17. 1. D , confirme cette solution, en disant que le Yendeur, propriétaire sans le savoir, ayant agi comme mandataire,
ne pourra pas revendiquer la chose, parce qu'il s'est engagé
personnellement et parce qu e comme vendeur, il ne peut être
auteur de l'éviction, sa demande serait r epoussée par I'exceptfo rei vend itœ et traditœ.
Supposons que l'acheteur achète une chose d'un vendeur qui
se croit propriétaire, mais qui, en réalité ne l'est pas : Cette
erreur ne vicie pas le contrat, car le vendeur qui n'est pas
obligé de transférer la propriété, a valablement livré la chose,
et l'acheteur l'a valablement acquise, et si jamais il vient à. être
évincé, il parcourra en 1rtranlie contre le vendeur. (C. 3.
Code 8. l5.).
Enfin l'ach eteur reçoit la chose de quelqu'un, dont il ignore
la qualité de propriétaire : pl11s ùi 1·e est quam in existimatione.
Et ideo tametsi existi>1wt se 11on a domino emere, !amen si a domino ei tradatur, d ominus efficitu1·. (L. 9 § 4. 22. 6. D. ).
S~C::'r:CC>l"'IJ'
III
De l'erreur sur la personne
L'influence de l'erreur sur la personne nrie selon les conventions car la considération de laper onne déterminante, dans
certains contrats, n'a aucune portée ùans d'autres. Yoici la
règle : Toutes les fois que la consiùéralion de la personne est
un élément essentiel du contrat, et qu'il y a erreur; nullité :
quand cette considération est indifiérente, le contrat reste valable.
�-
58 -
Ainsi dans les contrat à titres onéreux, cette erreur n'a aucun effet. Si je loue (co11d11co) une maison, si j'échange un esclaYe, si j'achète un fonds, ponrvn que l'on me donne la jouissance de la maison, la pl'Opriété de l'obj et que je veux acquérir en échange de l'esclave, le fond s de terre que je veux acheter, que m'importe que ce soit celui-ci ou celui-là, qui me permette d'agir au mieux de mes intérêts ou d'atteindre le but que
je me propose! Cependant, si j'aYais, dans le contrat de louage,
d'échange ou de vente, manifesté ma volonté de traiter avec
Titius, de tenir de lui l'obj et du contrat, si je traite aYec un autre croyant traiter avec Titius, le contrat sera annulé, parce
que dans l'espèce, la considération de la personne qui n'est pas
naturellement déterminante, le devient accidentellement par
l'efTet de ma Yolonté.
Dans les contra ts à titre onéreux rn /aciendo, cette considération est capitale le plus souvent. En efTet, si je m'engage à donner
100 à un artiste célèbre pom qnïl fasse une statue, il est incontestable que mon dessein n'est pas rempli et le contrat n'a plus
de raison d'être, si croyant traiter avec cet artiste, je traite avec
son élève ou quelqu'un qui a peut être le même nom que lui,
mais qui n'a ni son talent, ni sa répntatiou. La même observation s'applique aux contrats à titre gratuit où l' intuitus personœ
est déterminant de la volontê du donateur. Cela ne s'entend que
de l'erreur sur la personne : l'erreur s ur le nom n'a aucune portée, pas plus que l'erreur sur les qualités. Mais dans ce dernier
cas, il faudra encore rechercher, si l'intenlion des parties n'a pas
été de subordonner la Yalidité de conlrat il l'existence de telle ou
telle qualité. S'il en est ainsi, le défaut de cette qualité, entrainerait la nullité du contrat.
Disons un mot de l'erreur sur la capacité de la personne. Le
prêt fait à un fils de famille, malgré la prohibition du Senalusconsulte Macédonien demeure · valable, s'il avait été fait par
- 59 suite d'une erreur tout à fait excusable (L. 3 pr. H. 6. D.) (1).
L'intuitus personœ est aussi très-important dans les contrats
unilatéraux. où l'on a intérêt à contracter avec telle personne
déterminée. Ainsi , je veux. bien prêter 100 à un tiers que je sais
en mesure de me les rendre; par erreur, je les prêle à un autre
qui est dans l'impossibilité de me les rembourser. Comme ici
je n'ai pas eu seulement pour objet de placer mon argent, mais,
encore de prêter à une personne solvable, le contrat est annulé
s'il y a erreur sur la personne. Cela résulte de la loi 32. 12.
1. D. (2).
Il n'y a pas lieu à résolution du contrat pour erreur sur lapersonne, dans certains contrats dans lesquels cependant lïntuitus
pe1·sonœ est décisif, la société et le mandat par exemple, car on
est toujours libre de révoquer le mandat ou de se retirer de la
société.
En résumé, li.l oit l'infltitu.s personre est, pour ainsi parler, la
cause de l'acte, l'erreur s ur la personne annule le contrat. Il a
ce caractère dans le contrat in (aciendo et dans le contrat à titre
gratuit ; il peut r avoir dans beauco11p d'autres com·entions ; ce
sera une question de fait (L. 15. 2. 1 et L. 2. pr. 5. 1. D.).
Erreur sur la cause.
On donne au mot cause deux sens difTérents. Tantôt, il signifie
l'élément générateur du contrat, ce pourquoi il existe en vertu
de la loi, l'élément de création légale. Dans ce cas, on l'appelle
(l) Adde L. 6. 15. 4.. O.
('2) Adùe L. 66 ~ •\. 4.7. 2. O.
�-
hO -
eause cflicienlc; fa it ex têrieur, sensib le, apparent qui témoigne
de la Yolonté des parlies : ,\'uda paclio, en eITet, obligationcm no1i
parit. Le consentement des parties n'a aucu ne portée, s 'il ne se
traduit pas au dehors d'une manière quelconque. La loi donne
à cette forme du consentem ent un nom particulier et une sanction spéciale, une action. Ce fa it juridique qui est l'œuvre des
parties et qui est réglé par la loi, est la causa civilù:
Cette causa civilis existe pour deux classes de contrats seulement; les contrats va/Jis et les contrats /ilteris; ils sont créés
par la loi qui leur a donné des formes artificielles, aux.quelles il
lui a plu de les soumettre; on peut en efîet, les comprendre autrement: tandis que dans les contrats réels et les contrats consensuels, tous les éléments sont naturels; il n'était pas nécessaire que le législateur leur imposàl des règles et des form es
particulières. Leur raison d'ètre est dans l'ordre et dans la nature des choses; ces com·entions n'auraient a ucun eITet, si la
loi ne les vivifiait pas. Aussi a-t-elle soin de créer une Yoie de
droit qui leur fera produire les eITels que les parties ont eus en
vue en contracianl. En sorte, que dans ces contrats la causa est
naturelle; elle n'est pas la création du droit et sauf des diITérences secondaires, taules les législations les comprennent de
même. Il est facile dès lors de conclure que l'erreur ne peut pas
porter sur la causa civilis.- Ce fait existe ou n'existe pas.
Le mot causa peut aussi signifier la raison immédiate qui
nous fait contracter; c'est dans ce sens <Ju'on l'appelle cause
finale: l'erreur qui parle sur cette cause, ne vicie pas le contrat. En efTet, la cause déterminante n'est qu'un motif immédiat si l'on veut, plus important que les au~res, essentiel même
à tout acte émanant d'une personne raisonnable, mais ce n'est
qu'un motif. Or, co01111e nous le verrons, l'erreur sur les motifs
ne vicie pas le contrat. Mais enfin s'il est d ifficile impossible
'
'
même pour la loi, de tenir compte de l'erreur sur des motifs
-
61 -
qui peuvent être multiples et éloignés, et qui ne se dégagent
pas du contrat lui-même, il serait injus te et peu équitable de
maintenir un contrat auquel une des parties donnait une cause
immédiate qui n'e:iste point. Aussi tout en rnaintenantle contrat
dans son inlégrilé, la loi permet d'en annuler les conséquences
par divers moyens. Ains i, par exemple, je promets à Titius une
certaine somme d'argent que je crois lui devoir comme héritier
de son débiteur; j'ai prom is tant, parce que j'ai cru devoir tant :
pourquoi donc donnerais-J· e il Titius et r ecevrait-il cet arCYent
"'
si je ne lui dois r ien, ou si je lui dois moins ? Par une condictio,
le condiclio indcbiti, Titius sera obligé de me retransférer la propriété des deniers qu'il avait valablement acquis, ou d'autres.
(Voir L. 7. 12. 6 D.), I s qui plus, quam hercditaria portio e(ficit, pe1· error·em creditori cavcrit, indebili promissi habet condictio11em (L. 31. 12. G. D.). De rnême comme héritier du testateur, je crois être obligé de payer à Titius une somme d'argent que j e crois lui avoir été léguée. Je donne ordre à mon débiteur de satisfaire Titius; or, il se trouve que Titius n'est pas
légataire; j'aurai et mon débiteur aura recours contre lui pour
êt re r emboursé (L. 51 § 1. 2. 4. D. ).
AUTRE HYPOTHÈSE. - Fundus dotis nominetradilus, si nupli;e
secutœ non fuerint, condictione 1·epeti potes/. La dation, en cas de
mariage est toujours présumée pure et simple, sauf preuYe
contraire (L. 7 § 3 et L. 8, 23. 3 D). i donc, en mettant pour condition si nuplùe sequanlur, un tiers a constitué en dot un fonds
de terre, si le mariage n'a point lieu, il pourra par la co11dictio
sine causa ou causa data, causa nori secuta recouYrer ses biens,
parce que sa dation est sans cause ; mais comme indépendamment <le ce défaut de cause, la dation a valablement transféré la
propriété, l'accipiens sera. tenu de la retransférer au tradens
-(L. 7. 12. 4. D. 7. 12 GD.) (1) On ne pourrait trouYer une objection
)
(1) Adde L. 38. 4. 3. D.
�- 62 dans le texte suivant: Fa/sus c1·cdit01· (!roc es t is qlli se si mu lat c1·editore11i) si quid acccperit , {ul'lllm {acit, nec nummi ejus fient (D. 43 .
47. 2. D). Car dans ce cas spécial, il y a erreur sur la personne et
ici cette considéra tion est capitale : On tient à se libérer envers
son créancier et non envers tout antre, et l'on ne peu t dire que
le fradens ait eu l'intention de transfér er la propriété. Ains i
donc, on le voit, si en théo rie, l'erreur s ur la cause, sur le motif immédiat, n'atteint pas le contrat, en pratique, elle en détruit ou en paralyse toutes les conséquences, p ar des actions
personnelles mises au service de celui qui en a soulîert.
SECTION' "V"
Erreur sur les motifs du contrat.
Elle n'a aucune influence sur la validité du contrat, car l'erreur sur les motifs n'empêche pas le consentement d'être entier
et parfait. En outre, on ne p eut tenir compte des motifs innombrables que peut avoir un agent en contractant, en se libérant,
en faisant un acte juridique quelconque. Ces principes sont très
nettement posés par les Ins titutes: « Longé magis legato {a/sa causa
« non nocet, reluli non ila quis dfrer-il: 1'ilio, quia absente me nea gotia mea cura vit, Sticllum do lego .... licét enim neque negotia
« testaloris unquam gessit Titius, legatum lttmen valet.» (Inslit. §31.
L. II. Tit. XX). La loi 52 au Litre de condictione indebiti est encore plus générale : << Damus ob causam, aul obrem. Ob causam·veluli e-i.Lm ideo do, quod aliquid a te consecutus sum, vel qw·a aliquid a te factum est : 111 étiam si {a/sa causa sil, repet1'tio tj11s, pecu:
niœnonsit. (L. 52. 12. 6. D.) (1) Cependant s i les parties ont en~
(!) V. L. 65.S 'l.l'l.6 D,
-
63 -
tendu donner aux motifs une importance capitale au point de Yue
du contrat, si l'erreur porte sur ces motifs, le contrat sera nul.
Le plus souvent on exprimera celle importance sous forme de
condition et alors la condition venant à défaillir, il est naturel
que le contrat .soit considéré comme non avenu (L. 3. 39. 5 D.)
Avant de terminer cette étude sur l'erreur dans les contrats
il importe d'examiner la question suivante: quelle volonté doi~
vicier l'erreur, pour avoir une influence sur la validité du contrat ? La réponse est faci le: la volonté du contractant. Mais en se
r~-t-il de même quand le contractant agit au nom et pour le cornpt;
dune autre personne? Cela nous amène à dire quelques mots de
1a s 1'tuat'ion spécia
. le qui est faite au pater familias, au pupille et
au mandant dans le cas, où le contrat est fait pour leur compte
par l'esclave ou le fils de famille, le tuteur, le mandataire.
Quand un esclave acquiert la propriété d'une chose, peu importe <le savoir si son maitre a erré ou non, car celui-ci acquiert
la propriété à son insu : « Item nabis adqufritur quod servi
« nostri ex traditione nanciscuntur, sive quid stipulentur vel ex
c< qualt:bet alia causa adquirant ; hoc enim nobis et 1·
9110 _
« m11tibus et invilis obveriit (Inslit. § 3 Liv. U Tit. IX.) Donc
quand l'acquér eur de la propriété est un esclave, il suffit de rechercher si son consentement à lui, s'est troU\·é ou non Yicié
par l'erreur. Que si au contraire, il acquiert la possession
d'une chose, c'est la volonté du maitre qu'il faut considérer
parce 11ue si l'on peut acquérir la possession corpore alieno '
c'est-à-dire par l'appréhension d'une autre personne, on ne peu;
l'acquérir alieno animo, parce qu'on ne peut emprunter à autrui la volonté de se colllporter comme propriétaire à l'égard
de la chose; or, conune l'existence ùe ces deux éléments est
indispensable pour l'acquisition de la possession, et comme un
de ces éléments ne peul-être abandonnée a w1 autre personne
�-
6t -
par le contractant , il en résulte que c'est l'animus du maitre
seul qui doit être étudié pour saYoir s'il 'f a erreur: P omponius
quoque in his, quiœ nomine domini possidentur, domini potius
quam sen·i <t'Olwitatelll specla11dam ail ( L. 2. § 12. 41. 4. D. )
Cependant, il y a une excep tion à ce principe quand il s'agit
d'une acquisition faite e:i: causa pec11liari: quocl si peculari tune
mentem servi quœre11dam (eod . loco). Dans le cas on s uppose
non seulement que le maitre a, le jour oü il a accordé à son
esclave le droit d'ayoir un pécule, donné un autorisation généra le
p ortant sur tous les actes d'acquisition que fera it cet esclave,
mais encore quïl emprunte l'a11im11s possidendi de cet esclave
puisqu'on reconnaît que l'esclaYe acquiert même pour ceux
qui ne peuYent avoir d'ani11111s possidendi personnel : Item
adquirimus per sernun aut (ilium qui i'n pofeslate est,
et qw'dem earwn 1·er11m f}llas pec11/iarite1· tenent etiam 1'g1101·antes; qw·a nostra t'oluntate ù1telligantur posside1·e, q1d eis
7Jecuhum habere pe1•mise1·inws. I r;itur ex causa peculiari
et infanset furiosus adqu inmt possession em . .. (L.1. § 5. 41.2. D.)
Car, dit un autre texte, à propos des choses acquisespeculiarife1·
V idenwr eas, eorumdem(lecolon ou l'esclave) et am'ino et corpore,
posside1·e (1) li y a donc ici exception à cetle règle qu'en matière da
possession , l'anùnu.~ doit êlre celui du matlre et il faudra décider,
dans les cas de la possession d'une ch ose acquise peculiariler
que c'est du consentement de l'escl::l.Ye seul quïl faut se préoccuper (L. 2. § 10. 11. 12. 13. 41. ..i. D.).
Les mêmes solutions doi\·ent être données à l'égard des fils
de famille, en tant qu'ils ne possétlent pas de pécule; il ne peuYent alors acquérir que pour le pater familias ; et de même,
pour les objets qui enlrenl dans les cliYers pécules, pour la disposition et l'administration desquels ils sont tenus pour patres
rt) L. 3 î 12. 41. 2 .
1
. (2) La L. ~4. î 1. 41. 2 donne ln raison de cette excep tion : Utiïtatis c<wsa
Jure t~nguLari re~eptum, tte cogerentum domini per momenta sptcies et causas
peeuhorum inquirere.
'
- 65 ( amih'as, c'est leur Yolonlé exclusive et absolue qu'il faudra étudier a u point de n ie de l'erreur. Dans les actes où ils agissent
en leur propre nom, c'est leur volonté qui doit être intacte: p ar
exemple pour le délai d'une possession de biens qui leur est déférée. Cfrca tempora bonon"n possessionis, patris scientia, ignoran ti filio non noce! (L. 3. 38 15. D.).
Le tuteur peut, soit à canse de l'état du pupille, soit à cause
de la nature de l'acte , administrer ses biens et agir en son lieu
et place, ou bien se borner à laisser agir le pupille lui-même et
à lui donner son auclon'tas. Quand il administre, c'est lui qui
est l'acheteur, le Yendeur ou le créancier ; c'est donc son consentement, qui doit être exempt de tout vice et de toute erreur.
S'il est de bonne foi et si les actes qu'il fait sont valables le
'
pupille doit en subir les conséquences, puisque ces actes sont
fa its dans son intérêt. !ais si, au contraire, !"acte exige l'int ervention personnelle du pupille el que le tuteur lui donne
simplement son aucf01·iias, c'est la Yolonté du pupille qui ne
doit pas être Yiciée par l'erreur.
Je donne mandat à Séius de gérer mes a1Iaires. Dans un acte
déterminé, Séius se trompe. Cette erreur, si elle remplit, d'ailleurs, les conditions que nous aYous longuement étudiées, Yiciel-elle le contrat? Oui, parce qu'en Droit Romain, le procurator
tout au moins dans le principe , agit en son propre nom. Aussi
,
c est son consentement qui doit è lre intact: s'il vend, s'il achète,'
bien qu'il Yende la chose du dominus, llien qu'il achète pour le
dontinus, c'est lui qui est lié, parce que c'est lui qui contracte.
Cela ressort du Lex.le des Institutes. Et hoc est quod dicitur,
pe1· e."Ctraneam personam, niliil adq11iri posse, e.rcepto eo quod
Pe1' li/Jeram personam, velu li pe1· procu1·ato1·em, placet non sol um scientibus sed et ignorantibus 11obis adquiri posse, scc1111dum Divi Severi constit1dt'o11em, si dominus fiât qui fradidit,
vel usiteatJionem aut longi tempol'is p1·œsc1•iptionem si domius
5
�- 66 ·t (S 5 Livre II T itre IX. Institntes). (1) Et cela v ient
11011 fiut . ::> •
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de ce que comme d 1ï CuJ·as .• quod p1·oc1wafor ha ea vo zm al
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mandant
emprun
e.
11
tem siL•e ma ndatum , eJ 11S cu 1
'
..
tlonc l'aninw s de son mandata ire, en vertu du mandat qu 1l. lu1
a donné, (exception à la r ègle que l'on ne peut posséder a11i 1110
alieno).
CHAPITRE
m.
De l'Erreur dans le mariage (2).
Le mariage est de tous les contrats celui où l'in tuitus personœ a le plus d'importance. Aussi ,quoiqu'il soit on ne p eut plus
difficile dïmaginer qu'il puisse y avoir erreur sur la pers~nne,
si cette erreur existe, elle s uffira pour faire rompre le manage.
n se peut aussi que l'w1 des conj oints, se soit trompé s ur les qu~ lités qu'il croyait trouver chez l'a utre ; victime de cette erreur 11
( l) (C. 1, Code 7. 32. ).
.
( 1) En matière d'affranchissements l'erreur n'a absolumen t au cun ~ mau en ~e
omme dans les cas s uivants: l.Jn mi neur dc'lO ans peut se sous traire à la ri -
;ueur de la loi .1Etia Sent.i a qui annu le les a!Ira nch1ssements q u'il fait s'il a une
· ste cause el si celle ;"usta causa est approuv6e par u n consei l, com posé à. Rome
JU
· ur se soit
de sénateurs, et dans les provinces de recupéraleurs. a·1en que 1e mine
t rompè sur la cawa., si elle a été approu vée par le con~ itiu.m . l'a[ran( h1ssemeotest
définiti f c Semt L autem causa probata, sice t:tra. s1t. sive fa.Isa. nori retra.ctatur
(Institut ~ 6 ltvre L Ti tre Vl). Non etiam ca.1ua. jam proba.ta. retra.ctanda. est
( L. 9 ~ l·. 40. 2, O.). Autre cas rl'erreur : Quoti~s. Dom.in.us servum ,ma~~
m itta.t quam vis c.û :itimet alien ton e.<se euni. ml11l onun11s verum est .. v o .
luntat ~ domi ni servum man u missu m et Uleo liber erit . Et e;; contra.~o, S'
se Sti chu m non put a.ret ma.n u mil t entis esse, nihil om in usUberta.t em ront •.ngere.
Plus eni m in re est qua m ili e:i;! ~ t imatio n e;et utroque casu verumut,Stichum
vo lunt at e domini m a.rm missum es1e. Jde1n q1w j uris est, et si domin us. et
et servus in eoerrore essent , u t neque i Lle se dom inum , nec hic se servum e1us
pu ta.ret. (l. 4 ~ l. 40. ~, D .).
-
67 -
pourra briser le mariage, divorcer par voie de répudiation,
par exemple, c'est à dire en exprimant formellement sa volonté de
rompre les liens du mariage. De m ême, si le mariage était contracté a u mépris des règles sur la parentè ou le connubium, les
époux de bonne foi pourront éviter les peines dont sont punis ceux
qui ont violé ces règles, en renonçant à.la vie commune. L'erreu r
peut aussi porter s ur la qua lité des époux, au point de vue de la
na tionalité ou du droit de cité. Cette question mérite qu'on s'y
arrête, un instant. Gaius dans le livre 1 de ses commentaires
(§ 67 à 72.), indique cinq hypothèses différentes qui peuvent
donner lieu à l'en·oris causœ probatio, moyen légal par lequel
les époux feront cesser l'irrégularité du mariage et légitimeront
les enfants qui en sont issus.
1° Un citoyen romain épouse une latine ou une p ér égrine qu'il
cr oit être romaine.
2° Il ép ouse une latine ou une pérégri ne, se croya nt latin luimême.
3° Une r omaine épouse un pérégrin tanquam civem romanum
vel latinum, avec intention dans ce dernier cas, d'user du moyen
que la loi /Elia Sentia met à sa disposition pour régulariser son
union par la causœ p1·obatio.
· 4° Un latin épouse une pérégrine croyant qu'elle est latine ou
romaine.
5° U ue latine épouse un pérégrin quem latinum esse creder·et.
Dans tous ces cas, et l'on peut dire qu'ils sont limitatifs, il sera
permis a u conjoint qui est Yictime de l'erreur d'en redresser les
conséquences, de faire de cette union irrégulière des jusfœ m1ptiœ, de faire acquérir le droit de cité à celui des deux époux qui
ne l'aurait pas ou anx deux, ainsi qu'à l'enfant(s'il n'était pas né
d'une r om aine et d'un latin, car da ns ce cas, depuis Adrien, il
était romain) et de faire tomber sous la puissance paternelle les
�-
70 -
lïmportance du testament et de son caractère unilatéral, nous
perm et d'expliquer la rigueur des juriconsultes qui veulent que
a volonté du testateur pour être indéniable et évidente revête
certaines formes déterminées, qui excluent le m oindre doute;
Solemnis autem institutio, hœc est : T itius hœres esto. Sed et
illajam comp1·obata videfu1· : Titium here dem esse jubeo . At ill
non est comprobata: Titiwn he,·edem esse volo. Sed et illœ a ple.
1·isque improbatœ sunt : heredeni i nstituo, item heredem ( acio
(Gaius II § 117) .Et si plus ta rd , le testament s ubit lui aussi les
conséquences de l'évolution qui laiss1 des traces dans toute la
législa tion en amoindrissant, on peut même dire en annulant la
valeur des formules et s i l'on devint moins for maliste et m oins
rigoureux, pour les formes extérieures du consentement, on
exigea, de tout temps, que la volonté du testateur ne put être
contestée. Aussi, en cette mati ère des s uccessions et des testaments, la plus légère erreur, soit de fait, soit de droit, excusable ou inexcusable, doit être so igneusement étudiée parce que,
comme dit M. de Savigny: (< l'erreur ex.erce une in!luence plus
(l marquée sur les actes juridiques r elatifs aux droits de s uc« cession que s ur les actes entre vi fs. » Les R omains, en elTet
ne consentaient à subs tituer l'hérédité ab intestat à l'hérédité
tes tamenta ire, les règles précises de la loi à la volonté du teslateur, que dans le cas où cette volonté n'était pas s uffisamment
établie.
Le testateur a pu se tromper s ur sa véritable condition; da ns
ce cas l'erreur vicie le testament, car il faut qu'il sache en vertu
de quel droit, il dispose de ses biens : De statu suo, dubitantes
vel errantes, testamentum (acere non possunt (L. 15. 28. 1. D.).
Dans ses règles, Ulpien n'est pas moins formel que dans son
livre II Ad edictum d'où est tiré le texte précédent : qrà d
statu suo incertus est testamenlum (acere non potest (Ulp. Regs
XX § 11) . Ainsi pour citer l'exemple de ce j urisconsulte : un fils
-
71 -
de famille ignore qu'il est .<Jui juris par suite du décès de son
père qui est mort à l'étranger et dont il n'a pas eu connaissance. « Quod paire pere9re morfito, ignorai se sui juris esse. ,
Malgré cela, il fait un testament, acte nul. Autre exemple de
Paul, qui le fait suivre de la règle: Qui in testamento domini
manu missus est, si 1·9no•r at dominum decessisse, aditam que
ejtt.<J esse hereditatem, testamentum f acere non pofest, licet
jam pater fa milias et sui /uris est, nam qui incertus de statu.
suo est, cerlam le9em., teslamento d icere non potest. (L. 1-1.
28. 1. D.). Cependant pour le cas où l'esclave est a!Iranchi par
testament, r empereur Léon introduisit une exception â. cette
règle générale, dans sa Constitution XXXVII, qui porte pour
titre : Ut domini testamento manu missus, si ilium decessisse
aditam que ejus hereditatem 1·gnm·at testat·i possit. - Il ne
tient aucun compte de lïncertitude où l'affranchi s·est trouvé
de sa condit;on et il lui permet de tester : en voici la raison :
u Non decet enim ut qui libe?·tafts di9nitatem manifeste accepit;
ob incerfam suspicionem. i9nominia a(ficiatur, atque a teslando
arceatur.
Supposons que le testateur, en pleine connaissance de statu
suo et de son droit de tester, se trompe sur les diYerses formalités ou conditions exigées par la loi, pour la validilé de l'acte
testamentaire : ou bien ces conditions et ces formalités ont été
r éellement remplies, et alors malgré la fausse croyance du testateur, le testament e t valable; ou bien elles ne ront pas été
et alors l'acte est nul, non parce qu'il y a eu erreur du testateur,
mais plulôt parce que les prescription · de la loi n'ont pas été obsenées. ~lais, ici encore, une restriction a été apportée au principe
e t l'on fit admettre que lorsque les conditions ou formalités exigées
à peine de nullité par la loi, n'auraient pas été obsen·ëes, par
suite d 'lme erreur invincilJle dans laquelle tout le monde serait
tombé, par suite d'une erreur commune, l'acte ne serait pas Yi-
�-
68-
enfants dont la filiation paternelle était jusque là, incertaine aux
yeux de la loi, et qui étaient regardés comme vulgo concepti.
Pour atteindre ce double but, on recourra à l'erroris cau.sœ
p1·obatio. On prouvera en justice, l'erreur dans laquelle on est
tombé, si cette erreur est démontrée et s i un en fant au moins
est déjà issu du mariage, le mariage sera régularisé et l'enfant
ou les enfants tomberont sous la puissance de leur père. Cependant
le premier seul de ces effets se produira, s i la femme romaine
avait épousé un déditice. Les enfants, dans ce cas, aur.ont une
filiation paternelle certaine, mais ne tomberont pas sous la puissance de leur père : ni si quod scilicet qui dedititiorum numero
est, in sua conditione pe1·manet, et ideo filiwn quamvi's fiatcit,is
romanus, in pofestatem patris non 1•edigitur (§ 68 in fine Gaius
Com m. 1) .
Dans la suite, l'erroris causre probatio tomba en désuétude .
Le prince s'arrogea le droit de légitimer les enfants et de régulariset· les mariages illicites par de s imples rescrits; mais, il
semble qu'il décidait d'après les principes généraux sur l'erreur,
pour accorder cette faveur dans le cas où run où les deux conjoints s'étaient trompés. Ainsi Marc-Aurèle et Lucius Verus
s'expriment a insi en s'a<ll'essant à une femme: « lt1ovemur el
« femporis diutu1'nitate, quo ignara ju1'is in matrimonio avun
<< culi fui fuisti et quod ab avia tua collocata es, el munero li« bero1·um vesfro1·111n : id cfrco que cum hec om11ia in unum
« concurrunt, confirmamus stafwn liberorwn t,•estro1·1w1 in eo
« matrimonio quœsitorum, quod ante an nos quadra[Ji tda con(/. fractum est, pe1·inde al que si Le[!itime concepti fuissent. »
(L. 57 § 1. 23. 2 D.). De même Jus tinien dans la ovelle 154 dit,
à propos des nombreux mariages illicites contrnctés dans une
province et qu'il veut bien régulariser:« Ma.cime ve1·0 quia ag1·es« tis et plurimum multifodo hœc f er·tw· detinque1•e ». Quoiqu'il
en soit, l'erroris causœ p1·obatio, de générale qu'elle était, devint
- 69 une faveur spéciale et particulière. Son effet certain était de légitimer des enfants, nés d'unions irrrégulières. Elle en avait
d'autres : comme par exemple, a lors même que faite postérieurement à la mort du père, elle permettait à ceux qu'elle avait
légitimés de venir à la succession comme sui heredes (Gaius III
§ 5). Mais en droit romain, il n'existe pas comme en droit français, une théorie sur les mariages putatifs et tout dans cette
matière est conjecture.
CHAPITRE IV
De l'erreur en matiére de successions et de testaments .
La législation romaine donnait une importance considérable
au testament. On peut dire que de tous les actes juridiques, le
testament fut celui qu'elle régla aYec le plus de soin et le plus
de détails. En même temps que l'ensemble des biens du défunt, l'hérédité comprenait le culte domestique et l'obligation
principale, le deYoir sacré pour \"héritier testamentaire consistait à faire honneur aux eng·1gements de celui qui l°aYait
institué, de ne pas laisser souiller sa mémoire par la bonorrtm
venditio, ni tomber entre lles mains étrangères les sacra privala du défunt. La portée de cet acte, e:dgeait donc que le te·tateur fut 'absolument libre et conscient de ce qu'il faisait; car
ici, il n'y a pas, comme en matière de contrats, possibité d·étudier le double consentement des parties contractantes et de
savoir par l\m ce qu'a voulu l'autre, puisque le testament est
essentiellement unilatéral. Cette double considération tirée de
�-
72 -
cié. Cette hypothèse d'e1·ro1· communis ne peut guëre se présenter en matière successorale, qu'à propos des témoins appelés à
assisler le testateur (§ 7. Liv. II. Tit. IX. Inst.). Ainsi, un
esclaYe assiste comme témoin le testateur, s'il est tenu pour
libre par tous, bien qu'il soit incapable a u moment de la. confection du testamen t, son incapacité n'a a ucune innuence su r la
validité de l'acte, erro1· communis (acit J1ts. (1). Mais ce n'es t
que pour certains cas déterm inés, parmi lesquels il faut comp ter le précédent que cette exception fut introduite ; cela ressor t
de la Noyelle 49 de l'empereur Léon qui s'exprime ainsi : Ve1·11111 tamen quia 11011nullœ le9es servilis conditionis hominibus,
in quibus dam (2) r'ebus testari concesse1·11nt, viswn nobis est,
hoc nota inducendum esse ut, qui libe1-ce vitœ participes no11
sunt, in universwn ad testandum non admittantw· (Const. 49
Léon. Imp. Ne sei·vi ad dicendum tesfimonium admitfantur).
INSTITUTION. - Quid, si l'erreur du testateur porte sur l'institué? Se trompe-t-il sur l'existence même de cet institué, le testament est maintenu. Il ne s'agi t ici, ni du cas ou l'institué n'est
pas encore conçu, ni de celui où il est déjà mort, le testament serait absolument et radicalement nul. Voic i l'espèce
prévue par Ulpien, pour donner un exemple de cette erreur.
Le testateur a, à la campagne une petite fille qui est enceinte
au moment où il teste et il libelle ainsi ses dispositions testamentaires : Quod in utero habet, ex parte heres sil. l\Iais au
moment de la confection du testament, sa petite fllle était
déjà accouchée d'un garçon. Le testateur a-t-il Yalablement
institué son arrière-petil-fils? An institutio heredis valeat
. ( 1) L'adage error communis (acit j11s, conservait toute sa portée dans plusieurs autres cas, bien plus importan ts que celui que nous venons d'indiquer•
Il s'a~pliq uait, par exemple, aux actes faits par les magistrats qui auraient
réussi à tromper le p ublic sur leur vdtitable condition (L. 3. l. !11 D .).
('2) Voici quelques-uns des cas auxquels rait allusion cette c:>nstitulion (L. 58
'2.21. 1 D. - 7.
3 D. - L. 7. 2'? . 5 O. - Nov. J ust XC. Cap. VI.
n
- 73
cum quo fempor·e, qi10 scriberetur Ü!stamentum, jam editu&
esset pm·tus ... licef i[Jnoranfe tesfafore, tamen insfitutfonem
jurf! (actam videri, 1·ecte responderi (L. 25 § 1. 28. 2 D.). Il y a
bien ici erreur de fait du testateur, mais on suppose avec raison, que puisqu'il consent a avantager un enfant qui n'est pas
né, à fortiori sa disposition doit valoir en faveur de cet enfant
déjà venu au monde.
L'institué existe réellement, mais le testateur l'a désigné
comme son héritier, en le prenant pour un autre : l'erreur sur
la personne (et non l'erreur sur le nom) vicie le testament: quoties volens alium heredem scribere alium scripserit, incorpore
hominis err·ans (velu fi pat~r meus, pafronus meus)placet neque
eum heredem esse qui scriptus esf,q11oniam volunlafe de ficifor,
neque eum quem voluit, quoniat11 sc,'iplus non est (L. 9 pr. 28.
5. D.) Ce tex.te n'est qu'une application du principe que nous
avons développé: que l'erreur sur la personne, si cette considération est décisive, vicie radicalement l'acte juridique où elle
est commise.
Que si au contraire, l'erreur ne porte que sur la cause où les
motifs de l'institution; par exemple, Titius m'a institué parce
qu'il croit que j'ai géré ses a!Iaires, ou bien, si elle ne tombe
que sur une qualité del'institué, elle ne vicie pas le testament; car
assurément le tex tateur eut tout aussi bien disposé de ses biens
'
en faveur de lïnstitué, encore qu'il n'eùt rien fait pour lui ou
qu'il n'eut point les qualiMs qu'il lui suppose. On ne peut faire
dépendre la validité d'une institution, de l'erreur secondaire
portant sur un motif ou sur une qualité accessoires. Ceci n'est
encore qu'une application de principes exposés plus haut à
propos de l'erreur dans les contrats.
Cependant, trois exceptions viennent ici déroger à ces principes. Voici la première: l\I. ùe avigny, la formule ainsi:
« L'institution d'héritier est nulle, si elle a été faite ùans la
�-
74-
« croyance d'un lien de parenté existant entre le testateur et
« l'héritier. Si l'héritier est un enfant supposé du testateur, la
« s uccession est dévolue au fi sc pour cause d'indignité ; dans
« tous les autres cas, l'institution est réputée non écrite (1). »
Au(er fur ei quasi indiono surcessio, 1ui cum heres insf1"fut11s
esset, ut filius post 11101•tem ej11s qui pafe1· dicebatur, suppositus declaratus est. >l (L. 4G, pr. 4!), H D.) et de même : « Si
pafet· tuus, eum quasi (ilium suum heredem 1'nstituit, quem
(alsa opinione ductus s1wm esse ci·edebat, non institurus si
ah'enum nosset; is que postea subditus esse ostensus est;
au(erendam ei successionem , D ivo1·10n Severi et Antonini
placitis continetur. C. 4, Code C. 2 1).
econde exception. Les empereurs décidèrent que quand le
testa teur aYait institué un esclave le prenant pour un homme
libre, lïnstitution ne vaudrait pas pour le tout, et s'il y avait
un substitué, la succession serait pa rtagée entre lui et lïnstitué
par portions égales ..... I n eo ve1·0 quem patrem (amdias esse
a1·bitrafz.t1· (illa verba si heres non ei·it) illud sigmj'icant, si
hereditatem sibi ei ve cujus /uri postea sub/ectus esse cœpenï
non ad quisierit; id que T1'beri us Cœsar in persona Parthemï
servi sià, constituit (§ 4. L. If, Tit. XV Ins tit. ) Mais on le voit,
la portée de l'exception elle-même a été restreinte et l'erreur
.sur la qualité, même dans cette hypothèse, n'annule pas l'institution tout entière, elle ne l'annule que pour moitié. Comment peut-on justifier cette décision? D'après les uns elle est
inexplicable : - car il est absurde de prendre le milieu entre
la formule écrite (et le principe veut qu'on s'en tienne à ce qui
est écrit) et la pensée du testate ur, qui, ici n e se dégage pas
nettement, car on ne peut savoir d'une façon certaine s'il a urait réellement institué cet héritier, s'il aYait eu connaissance
(1) De Havigny III, p. 365.
-
75 -
de sa condition d'esclave. D'après les autres qui s'appuient sur
ce texte d'Ulpien : in conditionibus primum locum, volunlas
de(uncti obtinet, ea que re9it conditiones (L. 19, 35, 1 D. ,) ici
le testateur a soumis la vocation du s ubstitué à une condition :
à la condition que l'institué ne recueillerait ni pour lui, ni pour
quelqu'un dans la puissance duquel il serait tombé après la
confection du testament. Or, cette condition se trouve accomplie
puisque !'institué étant esclave, n'a pu acquérir que pour le
maitre sous la puissance duquel il se trouvait au moment où
le testateur disposait de ses biens. Aussi le substitué Yient-il
prendre la place de !'institué; mais comme il ne recueille la
succession que parce que le testateur s'est trompé sur la qualité de l'institué, et qu'il est de règle que l'erreur sur les qualités ne vicie pas l'institution, il a été admis pour ne dê:sobéir
ni à ce principe de l'erreur, ni aux principes des conditions que
les deux appelés concourraient (LL. 40 et 41 , 28, 5, D.)
Troisième exception.
L'institution d'héritier est encore nulle, si elle est faite dans la
supposition erronée du décès d'un héritier ab intestat ou d'un
h éritier institué antérieurement (1). On .se fonde sur un texte de
Paul qui étudie l'espèce suivante : Le testateur institue un héritier et pour le cas où il ne recueillerait pas la s uccession, il lui en
subs titue un autre. Le s ubstitué meurt et le bruit se répand que
!'institué est mort aussi. Le testateur refait son testament
et choisit un autre héritier: quia heredes quos volui habere
milii, contine1·e non potui, 1Yovius Ru(11s lieres esfo. Or il
se trouve que le premier in titué n'est pas mort et il réclame
le maintien du premier testament. Bien que l'erreur n'entache en
rien l'institution et qu'on dùt maintenir le second testament on
lui préfére le premier : licet modus institutione confi11erelur,
(1 ) De Savigny eod.
loco.
�'i 6 -
-
quia (alsus non solet obesse, tamen e:r voluntate teslanfù;,pulavit
impe1·ator ei subue11ie11dum; ? [Jifu1·p1·onw1ciavit he1·editatem ad
(p1·im11m infitufwn) pe1 ·ti11ere (L. 92. 28. 5. D.). Mais ici encore
l'exception ne détruit pas absohlll1ent la r ègle, puisque l'empereur coonita causa,décide que l'liérécli té sera cléférée à l'ins litué du
premier testament, m ais il l'olJlige à payer tous les legs contenus dans le second oü il n'éta it pas inslitué héritier : Sed legata e:r posteriore festamento eam pre:stare debere : proùicle atqtte
si ù1 posferio1·ibus fabulis 1'psa (uisset het·es scripta (1). Autre
0
exemple et même décision rapportée par Paul : Une mère croyant que son son fils est mort, l'omet dans son testament et insstitue d'autres héritiers. Adrien décide que le fils recueille la
succession, bien qu'il ne soit pas scr1'ptus in tab11lis, maisqu'il
qu'il sera tenu de respecter les legs et les affranchissements contenus dans le testament qu'il aattaqué(L. 28. 5. 2. D.)Cesexcept ions ne sont donc pas absolument exclusives de la règle, que
l'erreur sur les motifs ou les qualilés n'a aucune influence s ur le
testament; elles n'ont été introduites qu'en faveur de l' intéressé
parce qu'on s'en r apporte plulùt à l'intention d u t est a teur qu'à
ce qui est ecrit. On décide ex vobmtate testantis.
La loi des xrr T ables (ita leoassit super pecunia tututelave suce 1·ei itaj11s esto), en proclamant souveraine
la volonté du pater familias, ounait la porte à l'arbitraire et
donnait pleine liberté à son caprice. Il était en e!Tet permis au
testateur, du jour le con trole <le ses dispositions tes tamentaires
n'était plus exercée par les comices, de <leshériter ses enfants
sans raison, ni motifs. On annulait a insi le principe par lequel les
sui lzeredes étaient considérés comme copropriétaires des biens
de leur père: Qui etiam vivo paire, quodam modo domini exisEXÉRÉDATION. -
-
timantur(L.11.28. 2. D.) (1 ) Po.~t mortempatris non heredlaiem
percipere, sed maois Liberam bonorum administrationem con.~e
quunfur. Aussi pour ne pas faire pièce à la puissance paternelle
et dans un intérêt de proteclion des enfants, on obligea le testateur à exclure de la success ion, ceux de ses enfants aux.quels il
ne voulait pas la trasmettre ; on lui imposa de manifester sa
volonté d'une façon formelle en les exhérédant. Quelle est l'influence de l'erreur en matière d'exhérédation ? ,.oici trois hypothèses étudiées dans le paragraphes 1-1, 15 ~t 25 du titre : De
liberis el posllzuMis he1·edibus, it1sfifuendis vel exheredandis
(Liv. 28. Tit. 2, D.).
r • HYPOTHÈSE. - Supposons que le testateur ait exhérédé
son fils en ces termes: i/le quem scio ex me natum non esse,
exheres esto. i ce llls plus t1rd, vient a établir sa filiation légitime, l'exhérédation est nulle, le testament annulé, il
recueillera la succession et en voici la raison: non enim videri
.quasi filium exheredatum esse cum elooium pater, cum {ilium
exlte1·eda1·et, propôsuisset et adjecissetpr·opter eamcausam exhereda1·e, probaLur que patrem circa çausam éxheredationiserrasse
(L. 14 § 2. 28. 2. D.).
000
2 HYPOTHÈSE. - ll en serait de même si le testateur avait dit :
J 'exhérède Titius, fils de Mrevius,pafrem eiper en·orem adsignans
(L. 15, 28 . 2. D.)
3m• HYPOTHÈSE. - Si le père après avoir institué un héritier, exhérède ses autres enfants : cœteri om11es filii filiœ que meœ exhe1·edes sunto, un de ses fils qu'il croyait mort sera-t-il compris dans
cette formule et sera-t-11 exhédèré? On peut soutenir que r exhérédation n'atteint pas le fils, quempaterpulavit decessisse. (L. 25,28,
2. D.)
Disons maintenant quelle est, lïnfiuence l'erreur
sur le · legs. - En matière ùe legs, l'erreur peut tout d'abord
LEGS. -
( 1) Dans l'espèce, c'était une femme qui <\tait i:Jstituée dans le premier testa·
ment.
77 -
(1) § 2. lI XlX Inst.
�-
78-
porter sur l'objet lui-même, su r la chos e légu~e, in ips~ corpor.e
/egati. Dans ce cas le legs est annulé. Et si in requis e1-ravit
td pu ta dum vult lancem derelinque1·e, vesfem Zeoet neufrum
debeb1't (L. 9. § 1. 28. 5. D.) . On ne peut en eliet dire quel est
l'objet qui doit être remis au légataire. Ce n'est pas celui qui
est indiqué dans le testament, puisque dans ce cas le consentement du testateur fait défaut ; ce n'est pas celui que le testateur
voulait léguer quisqu'il n'est pas écrit in tabulis.
Si l'erreur ne portait que sur le nom, le legs est maintenu :
En·o1· lzujus modi nihil officit ven'tati (C. 4. Cod. 6. 23.). (1).
Même solution p our l'erreur sur une particularité ou une indication sur l'obje t légué. : F alsa demonsfratio legatwn non perimit (L. adde 33. p, 35.1. D.). Et conveniente1·, si da demonstrave1·it, Sticliu m servwn quem a T itio emi, sit que ab alio emplus,
utile est legatum, si de se1·vo constat : Si q11 is ancillas cwn suis
natis legaverit, etia111 si ancillœ mo1·fllœ (u erint, parfus legato
ced unt ( § 29 et 30. e t 17. - Ins t. Lib. II. Tit. XX). Il faut décider de même pour l'erreur sut· une qualité de l'obje t ; elle
n'influe en r ien sur la va lidité des legs : Igitur et si ita servus
lcgalus si l, Stichum cocwn, Stichum sutorem, Titi o /ego; neque
sutor sil, ad legataritwi pe1·tinebit, si de co sensisse testatorem conveniat. (L. 17. § 1. 35. 1. D.).
Quid s i le testa teur se trompe sur la propriété de l' objet légué
si croyant léguer sa propre ch ose, il dispose de la ch ose d'autrui ? Le legs est valable ou nul , selon que le testateur a s u ou
iao noré que la chose n'était pas dans son patrimoine : Quod au-.
tem diximus alienam re111 posse teuari, ita inLelligendum est, si
de(unctus sciebat alie11am ·r em esse, non et si ignorabat; (orsitan enim si scisset alienam, 11011 legasset. (§ 4. Lib . II, tit. XX
Inslit.) et c'est au légataire à dém ontrer que le t estateur savait
( 1) Adde L. 4. p. 30. 1. D, - L. 17 ~ !. i. C. 35. 1. D. - ~· 29. Lib. If. Tit,
XX. fos tit.
-
79 -
bien que la chose léguée ne lui appartenait pas. Ce n'est là. que
l'application du principe qui met la preuve à la charge du demandeur. Cependant pour ce cac; pa rticulier il y eut quelque
h ésitation à suivre la règle générale. - Voici en effet comment
' erius esse e:ristimo ipswn qui aoit, id est
s'exprime Marcien: "V
ïe9atarium p1·obare oportere, scisse alienam r em vel obligatam
Zegare d e(uncfwn : non heredem probare oportere, ignorasse
alienam vel obligatam quia semper necessitas probandi incumbit illi qui agit (L. 21. 22. 3. D). Et il avait lieu de douter, car il
est s ing ulier de présumer l'erreur du testateur sur la consistance
de son pa trimoine. Aussi tout en s'inclinant devant le principe,
dispensa-t-on le légataire de faire cette preU\·e dans deux cas
d éterminés. Tout d 'alJord, quand le legs est fait en faveur d'un
proch e parent, le légataire n'a rien a prou,·er. Quod si suam
esse putavi'f : non alite1· L'alet 1·elictum, 11isi µroximœ personœ,
vel uxori, vel alii tali pe1·so11œ datwn sil, cui Le9aturus esse!, et
si scisset 1·em alienam esse. On prés ume qu'ici le testateur déterminé p:i.r son affection, aurait legué l'obj et au légataire, quelque
idée qu'il se fit de sa propl'iété (C. 10. Code G, 37). - Ensuite,
le légataire n'a besoin de faire aucune preuve quand le testament
à été fait au moment où la chose dont dispose le testateur, n'est
pas da ns son patrimoine, mais qu'elle y tombe plus tard, par
exemple par suite de la mort de son fils intestat qui l'a,·ait dans
dans son pécule caslrense (1). Dans cette hypothèse on consiùère
la chose comme ayant appartenu au p ère mème dans le passé.
( L. 4L 30 1°. D.
Le legs sera encore rnlable lorsque le testateur a légué sa chose
en croyant qu'elle appartenait à autrui : nam plus valet quod in t'eril ate est, quam quod rn opinione (S JJ. Lib. IL Titre XX. 1nst1t. ' ;
ou qu'il a disposé comme de s..i. chose J'un objet appartenant à l'hë(l) Nous nous plaçons avant Jus tinien, qui mC1diJia le mode de transmission
du pécule castrense.
�- ·ao ritier . Ici, si l'héritier n'avait pas cette chose,dans ses biens, il seriüt
tenu pour se conformer à la volonté du testa teur, de se la procurer
a fortiori , est-il obligé de s'en dépouiller pour la transférer a u légataire (L. 67 § 8. 30. ::2. D.) Il lui sera, d'ordinait·e plus a vantageux
de s'en priver que de l'acquéri r.
L'e1Teur du testateur peut en ~orc tomber s ur les charges qui
g rèv ent les legs; il croit par exempl e, que le fon ds quï l a légué à
Titi us est libre et au contraire il est g révé d' un droit d'usufruit, d'une
hypothèque ou d"une servitude. Il fa ut encore faire la distinction que
nous avons indiquée plus haut , du moins pour l'hypothèque. Le testateur a-t- il su que le fonds était hy pothéqué, l'héritier sera tenu
de le dégrever. L'a-t-il ignoré, le légataire recevra la chose telle
quelle : comme en cas d'erreur sur la propriété, c'est au legataire à
faire la preuve: sires, dit P a ul , obliyala c1·edilori 1 cuji1s wusam testator non ignora vit per damnationem lega ta sil , luilio ad heredis sollicitudi1lem spectat (P aul II I 6. S 8) . Mais ici enco re on apporta
une restriction au pri ncipe. L'héritier devrait dégrever la chose,
lorsqu'il est certain que le testateur ayant connaissance de la charge
qui pesait sur l' immeuble, au rait légué une a utre chose : Prœdia
obligata ver legatum vel ficle i commissum relie ta, heres luere debet :
maximè cum testator conditionem eon1111 non ignoravil; au t si sc isset,
legatwn tibi aliud quod non minus esse/, (itisset (C. l'i. Code 6. 42) .
l ei donc on suppose que le testa teur a absolument ig noré qu' une
cha rge quelconque gre,·àL l'immeuble ; le légataire devrait, selon la
règle, recevoir la cl1ose a ITecléc de cette charge : en ver tu de cett~
exception , on décide que si le testa teur, instrui t de la condition de
l'objet eut disposé d' une autre chose en fave ur du légataire, l'héritier devra remettre cette chose absolument li bre de toute charge.
Mais admettons que l'on ne puisse pas prouver que le testa teur aura it changé l'obj et du legs, l'objet restera grevé et le l6gatairc
pourra être pours uivi par le créancier qui intentera contre lui une
action hypothécaire ; mais le légataire, muni des actions à lui cé-
- 81 dées par le créancier, pourra recourir contre l'héritier pour obtenir
répa ration de l'éviction qu'il a subie: Quod si testator eo animo fuit,
u t quam quam liberandorum prœdiorum onus ad heredes auos pertinere noluerit, non tamen aperte utique de his liberandis senserit,
poterit fidei commissarius per doli exceptionem a c1·editoribus, qui
hypothecariam secum agerent, consequi ut acti ones sibi exhiberentur.
(L. 57. 30. 1 D.) . Donc en fin de compte, les charges que Je testateur a ou non connues seront supportées par l'héritier.
En ce qui concerne l'usufruit, les textes semblent ne fa ire
aucune dist inction : F und o le9aio, si usus ( r--uctus alienus sit ,
nihi lominus p etendus est ab lterede; usus(ructus enim et si inf ur e non in par te consi.stif, emolumentuoi tamen rei continet ...
Cependant il fa ut lui appliquer ce que nous avons dit de l'hyp othèque, à laquelle la suite du texte semble l'assim iler (L. 66.
§ 6. 31. 2. D.)
Pour les servitudes a u contraire, on ne distingue pas. Inutile
donc de se demander s i le testateur en a connu ou ignoré l'exi tence. Cep endant, si le testateur a légué son fonds uti optinws
maximus que, !"héritier est tenu de le dégager des servitudes qui
am oindr issent sa valeur : si (undus qw le9atus est, sen·itute111
debeat impositam, qualis est dar·i debet :Quod si ita le,q atus sil,
tdi optinrns ma;rimusque, lib~· pr(Psfandu.s est (L. 69 § 3.30. 1 D.)
Pour finir s ur l'erreur en matière de leg , nous dirons quelques mots de r erreur sur la cause et les motifs . Elle n·a aucune
influence sur la disposition, car elle ne détruit pas l'intention
du testateur de gratifier le légataire. Cette intention, en efTet,
peut proyenir d'autres motifs qu'il n'a pas exprimés Œ30 liY. JI
t il. XX. Instit.) :\lais si la générosité du testateur est subordonnée à cette cause, si le testateur ra regardée comme une
co ndition sine qua non du legs, l'erreur sur la cause, ur la condition ann ule le legs · Lo119e 11rngis, legato /a/sa causa 11011 110cet . S ed si condit?"onalite-r emmtiata (11erit causa, aliud Juris
6
�-
82 -
est: veluti hoc modo, Titio si negotia mea curavif, fundum do
/ego. (§ 31 ibid.) On semble exiger pour donner à l'e rreur sur
la cause un certain effet, qu'elle revête la forme conditionnelle.
Cela n'est pas absolu ; si en elTet malgré l'absence de cette forme, l'héritier peut établir que l'intention du défunt, était de
faire dépendre la libéralité de la rGalité de la cause exprim ée,
i l pourra opposer au légataire l'exception de d ol : Falsam causam legato non obesse ve1·1·us est, quia r nlio legandi Legato non
cohœ1·et. Sed plerumqne doli e:rceptio locum habebi t, s1'probetur
alias legatunis fui.<:se . (L. 72 § 6. 3!5. 1 D.) .
Happelons une règle qui est commune à l'hé rilier et a u légataire: l'erreur qui porte sur la personne du légataire, (il ne s'agit
point du nom ) vicie le legs.
'ous avons étudié jusqu'ici l'errenr commise par le testateur
Occupons-nous de ce Yice de consentement par rapport à l'héritier ab intestat ou testamentaire. L 'héritie r en recueillant la
s uccession, en faisant adition , doit avoir conscience cle son
droit, et connaissance de la condition e t de la m ort du défunt,
c'est-à-dire de la source e t cle la na issance de sa vocation; s inon
il fait un acte nu l : Heres ù1stit1d11 .~, s1· putet testatorem vivere,
quam vis jam defunctus sù, ad ire he>'ediwtem non pofest. Sed
et si de conditio1ie lestat01·is incertus .~il, pater /antilias an fili11s
ramifias sil, 11011 poferil adire he1·editate111 : et si ejusconditiollis
sil in veritate, ut testw·i poterit. ( L. ~2 . § 2. 29 . 2. D. - § 7 Lib.
1I Tit. XlXInst.) ( l ) De 1n ème s'il ne sait pas quelle est la nature
el l'étendue de son <lro it : qui .'$e 1mtat 11ecessari11m, vo!ll 11tm·i11s
e,r:ùster·e non polesl (L. lG. 2 9. 2. D. - L. 32 § 1. 2. D.) Et YOici
la raison de ces dis pos itions: ~Van1 ut quis pro lierede .f}er·endo
obstringat se heredilati, se ire debet, <;11a e;c causa hered itas ad
eum pertineat. (L. 22. 29 . 2 D.) .
(1) Adde L. 19, 29. 2. D.
-
83 -
A ces deux textes ou pourrait opposer quelques lignes d'Ul pien, d'après lesquelles l'erreur où s'est trouvé l'héritier de sa
propre condition, n'a aucune influence s ur l'adition d'hérédité :
Sed ét si de sua conditione qui~ di,bitet, an filiu8 fa1fliliri.~ .'lit,
posse eum adquirere hereditatem jam dicfom est ; cur autem,
.9i suam ignoret conditionern adire potest, .~ l testatori.s non potest? I lia ratio est, q11od qui conditionem fe8tatoris ignora(, an
valeat tesfamenfwa d11bitat, qui de .'Wa, de testamentocerfus est.
( L . 34 pr. 29. 2. D.) Cette opinion d'Ulpien est purement personnelle et nous ne la partageons pas. Il s'agit moins du testam ent, que de l'h éritier lui-même. Or, il est indispensable que
l'héritier, tout en n'ayant aucun doute sur le testament, sache en
vertu de quel droit il recueille la uccession. En \'Oici une
preuve com·aincante. Dans le cns où r escla\'e et le fils de famille adwnt hereditate111, la connai sance que le maître ou le
p ère pourraient aYoir de leur droit, ne peut suppléer à leur
ignorance, (L. 30 § i. 29. 2. D.) C'est donc que celui qui e t appelé à une s uccession, est tenu d'agir en pleine connaissance de
cause, bien qu'il ne soit que l'instrument ~·acquisition d'une
autre personne.
~I êroes solu tions en cas de répudiation; ici encore il importe, ']Ue
l'ioslitué n'ignore pas pourquoi et comment il est appelé à la succession. Le moindre doute à cet égard annulerait la répudiation :
Si quis dubitct l'ÎL'al lesta/or nec 11c, repudia11do nihil agii L. 1::5 § 1
2!). 2. - L. 15 ot L . li pr. ibid. D ..
L'hérilier peut encore se tromper ur la rnleur de la succes ion.
Dans le droit classique, à moins qu'il ne fût mineur (Gaü Corn. 1I
§ lli3 1, il deYait subir les conséquence <le son erreur, si lourd es
qu'elles fussent, et encore qu'il eut cherché avec soin à se rendre
exaclement compte des fo rces <le la succession. Adrien réagit le
premier contre cette doctrine rigoureuse et concéda, comme une
faveur spéciale et particulière, à un majeur de 25 ans, de se faire
�-
84 -
restituer contre 1' adition d'une succession trop onére use. Sous
Gordien cette faveur fut accordée à tous les militaires et J ustioien
institua dans , le même but, le bénéfice d'inventaire : Sed nostra
bcnevo/enlia, comrmme omnibus subjectis i111perio nostro, hoc bene(tcium prœslit it, et constittilionem tam œquissimam quam nobilem
sc1·1·psit cuj us tenorcm , si observaverinth omines, li cet eis et aclire hcreditatem et inla11 tum lenel'i, quantum, valere bona hereclitatis conlingit.
(§ 6. Lib. JI. T it . X I X. Inst.). Dès lors l'héri tier pour ne pas laisser confondre son patrimoine avec celui du défunt et pour ne pas
èlre obligé de payer de ses den iers les dettes de la succession , devru remplir certaines forma lités da ns un délai qui dépend des circonstCJnces.
L'erreur sur la consis tance de la succession peut encore p orter p réj udice aux. créanciers du défunt. 'i en eITet l'héritier a
plus de dettes que de biens, la succession qu' il recueille et qui
aur ait peut-être s um pour désintéresser les créanciers de la
succession , sera peut-être insuflisante s i elle tombe da ns son
patrimoine, Car l'héri tier emploiera les b iens qu'elle contient, à
payer ses créanciers personn els; aussi donna-t-on le droit aux
créanciers h éréd itaires, de demander la bono»wn sepa1·atio qui
empêchera la confusion des patri moines et par laqu~lle ils
s'assurerontle droit exclusif d'ètrepayés sur les bien du défunts.
:\fais la bonoru1n sepai·atio n'est réellement utile que dans le cas
ou les créanciers ont pensé qu'ils seraient intégralement désintéressés sur le montant ùe la succession. l\Iais supposons quïls
ne le soient pas, pourront-ils poursuiYre l'héritier sur son propre patrimoin e, aprés qu'il aura éteintses dettes personnelles ?
La réponse à cette question dépend de la solution de celle-ci:
Les créanciers en delllanclant la séparation des patrimoines,
ont-il eu la volonté de regarder la succession du défunt comm e
leur gage exclusif, et de renoncer aux. biens de l'héritier , ou ontils siwpleroent voulu prendre une précaution de nat ur e à garantir
-
85 -
a u m oins le pa iement partiel de leurs créances, s auf le d roit de
r ecourir cont1·e l'héritier en cas de besoin ? Sur ce point, les j uricons ultes ne s'accordent point. Papinien donne a ux. créan ciers du
défunt, non compléternent désintéressés, le droit de poursuivre
l'héritier , ses créanciers personnels une fo is payés ( L. 3 § 2 . 12. 6.
D.)Pa ul et Ulpien an contrai re dise11 t: C1·editores vero fe8fatorisex
bonis heredis, ni!til posse habel'e in s11 u m debitu m . (L. 1. § 17 et :>.
-1:2. G D.). Ylais en cas d'erreur, Ul pien comme Papinien, donne
ü celui q ui l'a commise, le droit de faire considé rer comme
non aYenue la dernan de en séparat ion de biens : Si ta1ne11 te11ie1·e sepa1·alioricm petierint credilorett de(uncti, iinpef,·are veniam possunt,j11stissit11a scilicet i[pwrantiœcausa alle9ala: ( L. 1
§ 17 i. fi. -12. G. D.)
L'héritier qui demande la posses8io bono1·um, doit aYoir connaissance de sa vocation et du titre qui ra fait naitre : ttcientiam
tamc11 exigenws, ut sciat heres e:rtare tabulas, cerfu8 que sil delafam sibi bo1w1·um possessionem(L . 1 § L 37. 11. et L. 2 § 3. 38.7D.)
L'erreur s ur ces divers points, qui se glisserait dans la demande
qu ïl doit adresser au magistrat, la rend rait nulle. Cette demande
doit ètre faite dans un délai déterminé. Quïl se trompe sur·
ce délai? Dans le droit classique, l'erreur de droit ne pouYait
être invoquée en mat ière de posse sion ùe bien: in bonorum posse8sionibu8, furis i911orc111tia 11011 prodest, q11omin11s dies cedat
(L. 10. 37. 1. D.) et nou ayons deja rn que les femmes, à la ùifference des autres personnes privilégiée~, étaient elles au<;si
soumises à cette règle (C. G. Co11. G. fi.). Cependant plus tarù
l'empereur Constance décida qu'on pourrait demander la bo1wrum possessio même aprè le déhi accordé à cet eITet, malgré
l'erreur de droit si per ignol'finlia111 (acti, vel quamcumque aliam
ratio11em, infra p1·œfinifll111 te111p11s 001101·11111 pos8e8sio11em min ime petiisse noscatw· (C. 8 Code G, fi.).
ous rattachons à ce chapitre l'ex.amen de la question suiYante.
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86 -
""upposons qu'un indiYidu, se cr oyant à lort h éritier, a it disposé
d es IJiens de la succession quïl croit lui è tre déYolue. L e véritable h éritier intente contre lui lapefitio hai·edilatis et gagne s on
procès. Quel sera le so it <les a liéna tions fait es par l'héri tier ap
parent et que p ourra faire l'h é ritie r définitif ? Pourra-t-il r evendiquer les biens a liénés, com me l'ayant é té a non domino? Voiçi
la rép onse qui nous fonrnil Ulpien : Ite11i si 1-cmi d isiraxii bonœ
fi dei possessor, nec Jil'efio ( actus sii loc11pleti01-, an singulas res
si nondum usucaplce sint, virulicare petitor ab emptore possit? Et pnlo
posse res vindicar·i, nisi emplores regressum ab boive fi.dei possessorem
lurbenl (L. 25§ 17. 5. 3. D ). Donc, si l' héritier apparen t est de bonne
foi, les aliénations q u'il a faites sont va lables et ir révocables, si !' év iction de l'acquérnur, donne lieu à un r eco urs contre lui. S'il n'a pas
à craindre ce reco urs, ces aliénations sont nu lles et le véritable
h~ritier po urra revendiquer.
CH AP1TRE V.
De l'erreur en matière de quasi-contrats . (1 ).
No us a llons exami ner a u point de v ue spécial de l'et·reur , la gestion d'a ffaires, et le paiement de l'ind u.
De la Gestion d'affaires .
Il y a quasi- contrat de gestion d'affai1·es, lors'lue q uelq u'un fa it
les affaires d'autru i, sans manda Lde la personne intéréssée et dan:;
l'intention d'obliger un tiers. Aussi, si en croyant gèrer les affaires.
d'a utru i, il fai t des act es r elatifs a son propre ptttr im0ine, il n'y a pas
de gestion d' a ITaires, par suite du défaut <l'une condi tion essentielle
(l) Il serait plus exact do dire : en ma tière d'obligations qui naissent qu asi
e.x rontractu.
-
87 -
à la na issance de ce contra t : si quis ita simpliciciter versatus est,
ut suum negotium ill su is bonis quasi meumgesserit, nulla ex u.troque
latere nascilur oclio, q1ûa WJr; fi les bona !toc paliatur. (L. 6. § 4. 3.
1
5. D.J. Il en est de même, dans le cas où le gérant croyant fa tre c;a
pl'Opre alfa.ire a fait ~elle cl'a uLr ui : q1ûa nem inem mihi obligare 1;0lui (L. 14 . § 1. 10. 3. D). Que s i le gt:rant tou t en Jaisant les a ffaires
d'un tiers, esL intéressé clans cetLe gestion, on disting ue, pour savoir
si le contr at s'est o u non formé, 5uirnn t qu' il a pu séparer on non
son intérêt de celui de ce Liers IL , G ~ 2. 10. 3, D. J. L 'erreur qui
por terait sur la personne que l'on veut ol>liger en \·ers soi, r;'a aucune infiuence sur le contrat (L 5 § 1. 3. 5 D. 1) Il suffit q ue l' on
ait eu l'intention d'obliger q uelq u' un. Dans ltt fa usse croyance q u'on
lu i a donné manda t, un Liers gère les affaires d'autrui, le contrat e:-.t
rn lable (L . 5. 3. 5. D.)
S E C::"I'J: C> N'
J: J:
Du Paiement de l'indù.
.'\. propos de l'erreur s ur la eau e, nous aueions pu nous arrèter à
étu dier le paiement, de l'indû et nous Jemanùer quelle était l'in_
fluence de l'erreur par rapport a la co11diclio irtdebiti, c'est-à- clin!
au point de rne de l'action par laquelle on r épète ce que l'on .1
payé a tort. Car nne de:- conditions e~senlitlles a l'exercice <le cet Lé
actio n ,est qu ïl y ait erreur dans la cause du paiement .\fois comllH!
1 étu de de la co11dil'lio i11dtb1ti, ::.oulè\e une question de la plus haute
impo r tance relative à la d1stmction entre r erreur de fait et l'er reur
de droi t, nous avon cru devoir ne pas mterrompre l'exposé de~
princi pes de l'erreur sur la cause et <'onsacrer ù la condiclio indt( 1) Adde L . 14 ~ J t>l 29. 10. 3 O.
�-
88 -
biti une place spéciale . Remarquons en premiel' lieu, qu' ici, r en·eu
a pour effet de créer un action spéciale qui permet d'attaquer l'acte
qu'elle entache. Lorsque, par erreur, je crois être débiteur de Titius et que je le désintéresse, la tradition que j'opère de ce que je
crois ètre l'objet de ma dette, lui en tranfèl'e la propriété ; mais
comme il n'est pas ju ste, que Titius s'enrichisse injustement à mes
dépens, la loi me donne le droit de réclamer ce que je lui ai remis
et que je ne lui devais point : llœc condictio ex bono et œqito intro-
ducta, quod allerius apud alLel'Um sine causa depi·ehenditur 1·evocare
consuevit (L. 66. 1'2. 6 D.). La condictio indebiti suppose que j'ai
réellement payé Titius, alors que je n'étais nullement son débiteur, ni en vertu d' une obligation civile, ni en vertu d' une obliga_
tion naturelle, ni en vertu d'un devoir de conscience : Natttrales
ob/igaliones non eo solo ;estimantur, si actio aliqua eorum nomine
compatit; verum etiam cum soluta pecunia repeli non potest (L. 64.
12. 6 D. et 16 § 4. 46. l D.). Sublata enim falsa opinione, relinqui.
tur pietatis causa, ex qua solutU?n repeti non potest (L. 32 § 2. tr
6 D.). On paie encore indûment lorsqu'on n'est pas encore tenu de
payer, ou que, tenu de payer, on peut par une exception perpétuell.e rendre vaine la demande des créanciel's (Fragm. Vat. §
266). Ou encore, quand Je paiement n'a pas pour cause la libération
d'une d~tte que l'on s'expose à ôtre condamné à payer deux fois, si
on vient à la nier et si on succombe dans le procès. Il faut enfin
pour constituer le paiement indû qu'il ait été fait par erreur.
Ne nous occupons que de cette troisième condition. Il faut qu' il y
ait erreur sur la cause du paiement : Et quidem, si quis indebitum
ignorans solvit, per hanc actionem condicere potest ; sed si sciens se non
debere solvit, cessat rep~titio (L. 1 §15. 12. 6 D.). L e doute du solvens autorise- t-il la condictio ? Oui, à moins cependant que le solvcns n'ait voulu faire une transaction (C. J 1. Code 4. 5). Il ne s'agit
nullement ici, de l' erreur sur le motif, c'est-à-dire, sur la raison plus
ou moins éloignée qui a déterminé le solvens à payer (L. 52 et 6ti
-
89 -
§ 2. i2. 6 D.) . Mais bien de l'erreur sur la cause, c'est- à- dire sur
la raison extérieure, immédiate et déterminante du paiement, de
1'erreur portant sur cet élément dont on peut dire que s'il eQt
existé, rien n'eut manqué à la validité du paiement.
Mais toute sorte d'erreur ~ur la cause, peut-elle servir de base à
la condictio indebiti. Pas de difficulté en ce qui concerne l'erreur
de fait : tous les auteurs s'accordent à dire qu'elle a cet effet. N'y
a- t-il aucune différence à établir eotre l'erreur de droit et l'erreur
de fait? Sur ce point, les commentateurs et les interprètes sont
divisés. D 1a prè:s les uns, le solvens ne peut exercer la condictio
indebiti, quand il invoque uoe erreur de droit. D'après les autres,
il suffit pour exercer ce~te action qu'il y ait erreur, peu importe
qu'elle soit de fait ou de droit.
En effet, dit le premier système, la condictio indebiti repose sur
l'équité; or, l'équité exige qu'on ne puisse se prévaloir que d'une
erreur excusable, et l'erreur de droit, à quelques rares exceptions
près, ne l'est pas. Au surplus, les textes sont formels à cet égard.
Le C. 10. Code 1. 18 s'exprime ainsi: Gum quis jus ignvrans, indé-
bitam pecuniam solverit, ceswt repetitio. P er ignorantiam enim (acti,
tantum repelitionem indebiti solttti competere, tibi notum esi. La répétition de l' indù exclut donc l'erreur de droit; Je principe ne saurait
être établi plus nettement. Les termes de ce texte sont généraux, et
s'appliquent à tous les cas, et notons qu'ils rappellent en suppliant
(tibi notum), une règle de droit notoire et incontestée ( l). Et en
deho1·s de ce texte, qui est trés affirmatif, il en est d'autres qui
donnent implicitement tout au moins, la même solution, ils accordent la condi{;lio indebiti en cas d'error facti; par exclusion, l'error
juris ne peut ètre invoquée dans ce cas : qu.i dicit de uno negat
de allcro. N ous nous bornons à citer ces textes. Ce sout les constitutions 6 et 7 au Code J. 18 et6et 7 au Code 4. 5. Voici, pour que
(1) Pochanet. Revue critique, 1856. p. 162.
�-
90 -
l'on pui8se juger des autres, comment est conçue la C. G au Code
1. l 8 : Si non lra11sactio11 i.s causa, sed inrlebitam, errore {acti, olei
91 -
qui, étant alieni juris, a emprunté de l'argent et qui, devenu sui
juris, a donné à son obligation au moyen d'une novation, la forme
d'une prnmesse, si cette novation a été faite par lui sous l'empire
matfriam, vos A rchanlico stipulanti, spopondisse rector 7)rovinciœ
a11imadverterit, rcsidui liberationem condicentes audict.
d'une erret:r de fait, il pourra repousser par une exception in factum
celui qu i, fort de sa stipulation, viendrait lui réclamer la somme
qu'il lui a pl'omise . L' el'rnur de droit ne donnerait pas le droit d'opposer cette ftn de non recevoir.
Passons en revu e quelques-u ns des textes s ur lesquels peut s'appuyer cette première opinion. Et, d'abord, on oppose la loi 9 § 5.
22. 6. Elle se rappo1'te à la Falcidie: si quis jus ignorans, lege Fal-
cidia usus non sit, nocere ei dicit ep1stola dilJ'i Pii.... Quod si
ideo repetitionem ejus pecuniœ habm·e credunt, quod impe1·it1·a
lapsi, legis Falcidiœ beneficio non usi sunt, sciant ignorantiam
facti, non Jiwis p1·odesse; nec stulti::; solere sucurri sed e 1·ra~i
tibus. Ce principe, app liqué aux municipes par les empereurs,
Enfin on cite la C. ~au Code 2. 23, qui est conçue en ces termes : Indebito legato. licet per errorem jt~ris a min.ore soluto, repeti-
tionem ei decerni; si necdum tempus,quo restitutionis tribuitur au.xi
lium, e:r;cesserit, rationis est. Donc a contrario, cette faveur qui est
auteur s du rescrit que Paul rapporte, est étendu par le jurisconsulte à toute personne : et licet nwni"cipum mentio in hac
accordée au mineu r , ne saurait être un droit pour le majeur (Adde
L. 29. ·~ 1. 17. l. D. )
epistula.fiàt, tamen et in qualibel persona idem observabitur ,·
Avant d'examiner les arguments du second système qui ne fait
aucune distinction entre les deux erreurs au point de vue de Ja
condictio indebiti, nous indiquerons les objections avec lesquelles il
. .
ams1 qu aux a utres cas ana logues à celui prévu par le rescrit :
se.d nec~ quod in opere aquceductus relicta esse pecunia proponitu7', in hune solum càsum cessa1·e repetitionem dicendum
est; nam initium constitutionis generale est; demonsfrat enim,
si non per errorèm solutam sit fideicommissum quod indebitwn fuit, non posse 1·epeti. Conclus ion tout à fait générale : voici
d·am eurs, quelle est la s uite d es idées de P au l dans cette loi.
Il dit, en commençant :Ju1·is qu.idem i9norantiam cuique noce1·e,
(activera i9no1·antiam non nocere, il fait s uivre la règ le des
exceptions qui la r estreignent et d es applications qu'elle comporte, et rune de ces applications, est l'hypothèse du paragraphe 5. La C. 9 au Code G. 50 confirme, d 'aille urs, cette solutio n.
· potes/ale patris esset, mu tua pecuct1rn m
n~a data ftierat, pater {ami.lias {actus, per ignorantiam facti, nova~ione {acta, eam pecuniam ea>prornisit, si petatur, ex ea stipulatione
in factum excipitmdum erit. (L. 20 . 1lt. G. D.) Donc le fils de famille,
. Autre t ex t e ··
s·t is· cui,·
>
combat les textes que nous venons de citer et les réponses que l'on
fai t à ces objections.
On dit que l'éq uité, fondemP-nt essentiel de la co1ulictio indebiti,
exige que l'erreur in voq uée soit excusable; or comme l'erreur de
droit ne l'est pas. elle ne peut lui servir de base.- Mais l'équité,
ne demande- t- elle pas avant tout, que celui qui a reçu indùment ne
s'enrichi. se pas aux dépens d'autrui. Jure naturœ œquuni est,
disent les textes, neminem curn alterùts cletrimento et injuria fieri
locupletiorem (L. 20G 50. 17. D. ) (1) Et c'e t là un principe que la
législation romaine proclame plus d'une fois. (2) Dès lors, qu'imr•orte que la cause de cet enrichissement injuste soit une ert'eur de
droit ou une erreur de fait. La nature de l' en·eur empêche-t- elle le
gain cle l'accipiens d'être inique et arbitraire? D'ailleurs, pourquoi
la loi exige-t-elle comme coïldition essentielle de la condictio inclebiti
(1) Add a L. 14. l'2. 6. D.
('l) Voir les lois 12 ~ l ifinc 20. 5 - L. 13. 8 -1. - L. 17 ~ -1. 1-'.1. 3. D.
�-
92 -
que le paiement ait été fait par erreur? c· est afin d'écarter toute
idée de donation, de gestion d'a[ail'es ou de datio in solutum; il y
aurait donation quand il n'y a dette, ni à la charge du solvcns, ni à
la charge d'autrui, et que le solvens paie sciemment raccipiens
auquel il ne doit rien ; gestion d'affail'es, dans le cas où la dette
existe bien, mais à la charge d'un tiers auquel on n'a nullement
l'intention de faire une libéralité ; da.lio ùi solutum quand l'objet
livré n'est pas l'obj et de l'obligation. Sur cc point, les textes sont
précis : Cujus per errorem dati repetitio est,ejus consullo dali donatio
esl (L. 53. 50. 17. D. )jDonari videtu1 quod nullo jure cogente, concedilur (L. 82. 50. 17 D. ) ( 1) Pour que le solvens ne paraisse pas
avoir voulu faire l'une de ces trois opérations, il s uffit qu'il se soit
trompé et l'eneur de droit comme l'erreur de fait, doit écarter cette
présomption.
A cela les partisans de la première opinion répondent : La maxime
que nul ne doit s'enrichir aux dépens d'autrui, ne prouve rien : << Celui qui prononce cette règle, pour repousser tel ou tel moyen de
s'enrichir qu'on invoque contre lui, n'a rien fait encore qu'une petition de principe. Sa démonstration n'est pas même commencée ;
il lui reste tout à prouver, savoir que la loi défend le moyen de
s'enrichir sur le quel s'élève le litige » (2)
Il faudrait donc démontrer qu'il y a enrichissement prohibé par la
loi. D'ailleurs cette règle d'èquité n'est pas absolue ; car si non il
faudrait annuler tous les actes qui profitent a l'une des parties con.
tractantes, et il faut d'autant moins appliquer cette règle ici, qu'elle
déroge aux principes du droit positif, en vertu des quels [•erreur de
droit n'est pas relevante. Est-i l plus exact de soutenir que l'erl'eur
n'est exigée que pour érarter la présomption de donation ou de to ut
autre acte juridique valable? Non certainement; ce serait admettre
que toutes les fois que l' idée de donation n'est pas évidente ou
(1) Adde L. 4.7. 38. 1 O. et L. 7 ~ 2. 111. 11. JJ.
('t) Oudot, Conscience et sc;1ence du devoir II p. 35.
- 93 pourra repéter ce que l'on à payé, et cela est formellement contredit par la règle suivante: il suffit q uc celui qui paye, ait payé sciemment
pourqu'ilnepuisse pas répéter, encore qu'il prouve qu'il n'a pas eu
idée de de faire une donation et à ce sujet, un texte de Pomponius ne
laisse absolument aucun doute. Quod quù sciens l indebitum ded it 1
hac mente ut postea repeteret, repetere non potest (L. 50, 12, 6. D.).
On invoque, continuent les partisans du second système,
le texte de la C. 10. au Cod. 1. 18. Ce texte est en effet, très pos itf : cum quis jus ignorans, indebilam pecuniam solve-rit, cessat repetitio. Mais tout d'abord il faut remarquer que ce texte est en
contradiction avec ce texte de Papinien : J uris ignorantia suum
peienlibus non nocet. Il s'en suit que le principe de la Const. 1,
n'était pas admis par tout le monde et en étudiant la valeur
respective de ce deux textes, on est amené à donner la preférence à celui de Papinien. En effet, le texte de la Constitution
1 est un r escrit de Constantin et de Maximien, adressé à un certain Araphias. Or les rescrits avaient une valeur essentiellement
relative. En indiquant au juge dans quel sens il devait tra ncher le difl'érend qui était soumis à l'empereur, ils n'avaient
comme le jugement, de portée que par rapport aux parties en
cause. Ne se peut-il pas que les circonstances de l'affaire so umise, et que nous ne connaissons pas aient entrainé cette décision ? En outre, le rescrit dit bien qu'en cas d'erreur de droit,
la répétition ne peut aYoir lieu; mais dans quel cas y a-t-il erreur
de droit, voila ce qu'il ne dit pas. On peut voir dans ce texte
moins l'affirmation d'un principe, qu'un motif sans portée donné
par l'empereur. Comment aussi pourrait-on prouver que le texte
n'a pas été tronqué ! Enfin, bien qu'il semble aYoir une portée
générale, il se rapporte à l'application de la loi Falcidie, or si
nous démontrons que de l'argument suivant qui lui aussi se
ra·ppo1 t e à cette loi, on ne saurait tirer aucune conclusion générale relative à la conditio i'ndebiti, le texte tombe de lui- même.
�-
94 -
Le texte du paragraphe 5 (L. 9. 22. G. D.) est, lui aussi, le texte
d' un r escrit ; par suite, il n'a, comme le précédent, qu'une valeur
restreinte et r elative. Puis il s'applique s pécialement à la F alcidie et
aux municipes. Que si on soutient que la conclusion est générale et
que Paul , en rapportan t l'hypothèse, éLend le principe sans lui
donner de limites, on peut dire que P a ul so utenait une opinion personnelle et nous ne répugnons pas à ad mettre que s ur cette <JUest.1on
du fondement de la condictio indcbiti, une profonde divergence séparàt les juriseonsul tes. En dehors de ('es considérations, il y a une
triple raison q ui permet de justifier cette décision spécia le à la Falcidie et qui empêche qu'on applique cette solution aux autres cas
de condicLio ù1debit.i. Observons en premier lieu 'llle, sans doute, les
circonstances de la cause étaient telles que les r éclamants ne pou-
-
95 -
.
cette construcfo d f mé e à témoigner
charge de la ville de Ceuta
' n es
,
.
.
.
·
· t
tiers Que s'ils
de la glorieuse libéralité d'un
cro1en pou voir répéter
.
.
,.
les sommes qu ils ont rern1se3 parce quïls n'o 0 t pas us é d u bénéfice
,.
. .
·
que l'erreu1· de dro1·t à Ja d"ff
de la
1 erence
, Falc1d1e, qu. ils apprennent
cl
d'
n'est
il
car
·
profiter
peut
ne
de 1 erreur de fait
e veni.r
pas usan-e
'
.
.
0
au secours des imbéciles ' mais bien de ceux q m· se t rompent. Dans
..
ce C<ls, les h éritier~, en exécutant les dispositions du testateur dans
·
leur
toute
. plénitud e et à leurs dépens , ont sat'1s fa1·t au regpect qn'1ls
.
« Dans ce texte , dit Mülhenbruch , la F a 1c1·d·1e est le
lui devaient.
.
des leo-s
la
de
seul. motif
o , sans êt re une natu.
. . décision. r; acquittement
• t
P.st néanmoins un devoir de conscience , et ces
rohs. obl1gat10,
pou r. .
,
qu oi. 1on r.efu s~- 1c1 la .r:o11~1·ctio pour cause d'erreur de droit, qui
· ·
serait admise s 11 s ag1ssa1t d'un autre indebüum • lJ ( 1) n\ OICI,
par
1
vaient invoquer aucune excuse, polll' atknuer l'ignorance où ils
avaient été de la loi, et nous savons qu'en matière de condictio indebit1", comme dans toute autre hypothèse, l'erreu r de droit n'est admiseqne si elle est excusable. Au surplus, il n'y a pas lieu, dans ce cas,
à répétition de l'indû parce qu'on n'a pas réellement payé l'indù ; il
y avait à la charge des t'éclamants une sor te cl' obligation nature lle
et cela s uffit poor q ue le paiement soit irrévocable. Voici l' espèce:
Ce qui a été payé indûment en vertu d'un fidéiconmiis ne peut être
répété, à moins qu'il n'y ait erreur du solvens . c· est donc à tort que
les héritiers de Cargilianus, qui ont remis à la ville de Ceuta les
sommes que le testateur avait léguées à cette ville, pour la constru ctruction d'un aq ued uc, en rédament le remboursement. Car, non
seulement ils n'ont pas exigé les sùrelés qu'ils étaient en droit de
demander, pour que If:! municipe leur restituât ce qu'i ls auraient
donné au delà des limites de la Fnlci<lie, mais encore ils ont stipulé
que les sommes ne seraient pas employées à un autre usage, et ils
n' ont pas ignoré qu'en effet, elles avaient ser vi à la construction de
l'aqueduc. Il serait inj uste, en elTet , d'autoriser la répétition de ces
sommes employées selon le vœu du t estateur et de mettre à la
e_xemple, un ~utre .cas où le devo ir de conscience l'emporte rur la
rigueur du d1:01t strwt : l n testamenlo quod per{ectum non erat, alu-
mnœ suœ libe1·tatem et fidei commùsa declit : cum omnia ut ab Ïll teslato egisscnl, quœsiit in.pemtor, ut cm e:c causa fideicomm issi
manu missa {uisset? Et intel'lowtus est, etiam si nihil ab intestato
pale1· P_elis~et , pios lamen fi lios debuisse manu mittere eam, quam
p~ter d1lex~sset. (L. 38. 40. 5. D. ) (2) Pothier fait remarq uer qu'il
n Y a ras li eu à répétition de lïndù : Quum id quod solutum 6$1, esse
tale, ut qiiis potuissel honesté non solvcre, tamen honeslius fecisset si
solveret. (Tome I , p. 646 Pand.) Le fait eul pat' les héritiers d'avoir
payé ce qu'ils pouvaient ne pas payer intégralement, permet de supposer qu'ils ont réellement voulu se dépouiller de leur droit de ne
pas tout payer, quelques conséquences qu'il pùt s'ensuivre. (L. 20,
§ 1. 3~. 5. D.) non point pour faire une donalion, car ici on ne présume pas la li béralité, mais bien l'intention <le respecter la volonté
du défunt : Quod ph'l'iquc magù (ulcm e.i; solvunt in hwic casum,
( 1) Mülhe n bruch, p. 393 et 39'1.
('2) Adde. L. 26. i 12. 12, 6. D.
�-
96-
qtuzm donant (L. 5, § 15. 24. 1. D.) , d'autant plus qu'ils ont négligé
d'exiger du légataire, ainsi qu' ils en avaient le droit, la promesse
qu'il restituerait ce qu'il aurait re('u de trop. - Enfin, la Falcidie a
pour but de permettre à l'héritier de recueillir le quart a u moins de
la succession. E lle repose s ur une idée de rétention, c'est- à-dire que
l'héritier pourra retenir la quarte à laq uelle il a droit ; c'est pour
cela que la réduction des legs se faiUpsofurc (L . 1, § 5. 4. 3. 3. D.) :
T uetur Jus suum heres 1·etentionibus1 actionibu&, etc ...... Et retentioni locus er it cum nondwn per solvit he1·es legata (1). Il est
donc facile de voir pour quelle raison, l'erreur de droit n'est pas admise en faveur de celui qui n'a pas usé du bénéfice de la Falcidie ;
c'est que, ayant eu le droit de retenir sa quar te et ne l'ayant pas
fait, il est censé y avoir renoncé et il ne peut plus tard prétendre
qu'il a payé l' indebitum par s uite d' une erreur de droit, pat'ce que
le paiement trouve sa cau$e dans la volonté du testateur. De la
similitude qui existe entre la quar te F a lcidie et la qua r te pégasienne,
on peut encore tirer un autre argument : Si totani hereditatem ro-
gatus restituere, tu sponte adieriset sine deductione quarfœpa1·tis
restitueris, difficile quidem c1·ede1·is per ignorantiam magis,
non explendi fi.dei commissi causa, hoc f ecisse. S ed si probaveris, per erro1·em te quartam nonretinuisse recuperare eam poteris. (L. 68, § 1. 36. 1. D .) De cc texte il résulte que l'erreur en
ma tière de quarte pégasienne n'était admise que très difficilement'
a fortiori l'erreur de droit ne devait- elle jamais !' être, mai$ pal' la
raison spécia le que donne le texte et qui ne s'applique qu'à la Falcidie.
On répond ainsi à cette argumentation : R ien ne démontre que le
texte en question se rapporte exclusivement à la F alcidie. Le rescrit des empereurs est bien interven u à propos de cette loi, mais
P aul en tire une conclusion générale, qui s'applique à tous les cas
(1 ) .Mühlenbrüch, ~ 751.
- -97 de condicti o indebiti reposant s ur une er reur de droit.On ajoute que
l'on ne peut répéter ici, parce qu'•m devoir de conscience empêche
la répétition . « 11ais, dit M. de Savigny, quel rôle joue ici ce devoir de conscience qu i n'engendre pas une obligatio naturalisf » Et
d'ailleurs, si tel eut é t(· le motif de la décision, Paul l'eut cer tainement
indiqué en disa nt.: C!. Il ne peut y avoir ici répétition, parce que ce qui
a été payé, ra été à j uste ti tre, en vertu d' une obligation naturelle
qui prend sa source dans le devoir qui incombe aux héritiers de
respecter toutes les dispositions testamenta ires du défunt. » Il dit,
au contraire que 1' er reur de droit empêche la répétition de l'indù :
le motif est tout autre. Dire enfin que la Falcidie repose sur une
idée de retention, c' est en a voir une notion fausse: Que la rétention
soit le moyen le plus facile et le plus commode pour profiter du bénéfice accorJé par cette loi, cela est cxart; mais il est tout aussi
vrai de di re qu'elle repose s ur une idée de revendication, puisqu'elle
permet à celui qui a été pri\·é de la succession au-delà des troisqua rts, de rentrer dans ce qu' il avait le droit de retenir. Le but Je
la loi est de ne pas faire perdre toute la succession à celui qui l'a
recueillie : qu'i l retienne ou qu'il revendique, le but est atteint.
Voici com ment on rejette la loi 20, 14. 6. D. invoquée pai· le premier système. Elle ne s'occupe nul lement de l'er reur de droit, mais
on en tire un argument a contrario, puisqu'elle ne donne qu'en cas
d'erreur de fait, le droit d'opposer l'exception in factum . Or, (et ceci
s'applique aux Constit. G et 7 au Code 1. 18 et 4. 5), les arguments
a contra1·io sont dangereux pou r la plupa rt : << L'argument généra l contre l'autorité des rescrits, dit M. de Savigny, semble plausible relativement à ces textes, car la règle sur l'erreur de droit ne
peut ètre tirée que par argument a contrario, procédé peu sùr
quand on l'a pplique aux rescrits. » D'ailleurs, doit- on nécessairement donner aux mots i9noran11·a facti leur sens habituel, erreur
de_.fait pat· opposition à erre11r de droit? Ne peurent- ils pas signifier erreur ou igno•·ance de ce qui s 'est passé, ce qui comprend
7
�-
98 -
tout à la fois l'erreur de fait et l'erreur de droit? (l): Au s urplus
quelle est cette erreur de fait dont pa rle le texte? Donneau suppose
qu' au moment où l' em pr unt a élé fa it, l'emprunteur croyait par
erl'e ur, sur la foi de la fa usse nouvelle de lu mort de son père, être
déjà pater familias et que sou s l' empire de cette er reur, il au rait
à un e époq ue o ù il étai t r éellement sin' juris , promis de payer ce
qu'il avait em prunté. D'autres auteurs n' admettent pas q ue ce texte
ait eu en vue cette hy pothèse. Donc, ceux mêmes qui ne veulent voir
:ians les ex pressions ignoran tia ( act q u' une erreur de fa it, ne s'entendent pas s ur le fa it dont il s'ag it (2).
L e dernier texte invoqué en fave ur de la première opinion est la
C. 2. au Code 2. 33, qu i donne le droit il un mineur de récla mer les
legs q u' il a payés par suite <l" une e rreur de droit , s'il se tro uve dans
les délais. Donc, dit·on , les maj enrs n'ont pas ce drc1it : argument
a contrario auq uel s'applique l'obser vatio n de M. de Savigny . I ci
il y avait pour le mineur devoir de piété et de conscience à payer
tous les legs et si on lui accol'de la r epétition , c'est bien moins pa1·ce
q u'il a payé l'indù. que pa rce q ue la loi le protège d'une façon toute
particulière .
Les partisans du second système, ciui ne fa it absolument a ucuae
distinction entre l'erreur de droit et l'el'reur de fait, comme condition essentielle de la condictio indebiti, ne Sl' bornent pas à com battre les arguments de leurs adversa i1·es. Ils s'a ppuient sur les
considéra tions q ue nous avons développées et sur des textes pl'écis
dont nous allons reprod uire les plus im portants.
Loi 1. pr. 36. 4 D. : Si q11is cum vetitus esset sa11·s accipe1·e,
accepe1·il an repefi satis datio ista possit, itf heres condicat libe1·ationem? E t quide111 s1· .sciens heres ùulebitum cavit, 1·epetere
11on pot est. Quid deinde si 1'gnoravit reinissam sibi salis datio( 1) Voir ces mots employ és dans ce sens dans la loi 7. 16, 1 n.
(2) Donnelli Comment. in C. ad. S .-C. Macéd. Machelard. Obhg. nat. pa. 222.
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99 -
fl.em ? P otest condicere. Si Ve?'O hoc non potuisse r em i tti cred iderit, n um quid condice1·e p ossit qui jus ignoravit? Ad hue tam en benig né quis dixerit satis dationem condici, posse. L' héri tier
était tenu lor sque le legs était à terme ou conditionnel, ou en
général t outes les fois que la délivrance s 'en trouva it r etar d ée, d e fo urnir au légataire q ui la r éclamait, la cautio legafor um ser vandm·um causa, c'est-à- dire une prom esse par laquelle
il s'enga geait à p ayer à l'échéance du ter me, ou à l'ar rivée de la
condition , les legs dont il était débiteur. La volonté du défunt
elle-mêm e était impuissante à le soustraire à cette obligation
jus qu'à Marc-Aurèle . Sa décision rapportée par le Digeste forme
ta loi 4G. 2. 14. Voici le cas prévu par notre texte : Le testateur
a dis pensé son h éritier de s ubir cette char ge. Cependant celuici a fourni la caution ; peut-il faire tenir pour nul et non avenu
son engagement et exercer la condictio indebiti? Oui, soit qu'i l
ait ignoré la disposition du testateur (erreur de fait), soit qu'il
ait cru que celte d isposition n'était pas Yalable et que dans ce
cas il ait comm is une er reur de droit. Donc l'erreur de droit
'
peut donner lie u à la co11dicli0 1'n teuili.
On fait a u s ujet de ce texte, les objections suiva ntes : Ulpien , diton, s'exprime en termes assez vagues. Il ne semble pas bien sûr
<le ce qu'il avance. D'après :M. <le Savigny, cette loi est bien peu
concluante: elle a bien plus l'air d'éta!:>lir une exception farnrable
à une règle contraire qu' un pr incipe absolu. Ulpien émet ici une
opinion personnel:e ; il nous <lit en effet, que quant à lui, il permettrait à l'héritier qui, dispensé de donner la cautio le9alo1·1m1 sevandorum causa, l'a cependant fourn ie, de condicere, mais on voit
au premie r coup-d'œi l a \ cc q uelle timidité, quelle incertitude le
jurisconsulte Ulpien hasarde son opinion, ben igné quis dixel'it. (1)
En second lieu, ce texte s uppose tout au plus une erreur de droit
(\ ) De Savigny . Traité de Droit Romain. Ill app. VIII p ....
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100 -
bien excusable, car Je point de droit dont elle s'occupe paruit douteux. Il ne serait donc ctu'une application de la règle, qui ~eut, que
toute erreur de droit qui porte sur une question controversée 1
puisse être opposée: «Je comprends, dit S,avigny, le do1.1te d'UlC( pien par la nature même de la disposition dont il s'agit. Nou.s
(t voyons un changement de
l'ancien droit ét,abli non par lwe loi
(( proprement dite, mais consigné dans un rescrit impérial qui n'était
« pas un rescrit, malgré son inserti0n dans les Semestria.Ce point de
u droit pouvait donc être considéré comme incertain : >> On dit aussi
que nous sommes en présence d'une dérogation au droit commun,
admise bien timidement par la loi romaine et qui se iustifie par lil
faveur dùe aux actes de dernière volonté. (1)
Autre texte: L. 38 pr. 12 6. Voici l'espèce et la décision du jurisconsulte : Deux frères étaient sous le pou voir du même père.
Chacun d'eux avait un pécule et de part ni d'autre, il ne s'agissait
d'un pécule cast1·ense. Les biens composant chaque pécule, suivant
les principes admis au temps <l'Africain, étaient la propriété du
père, les fils n'en ayant que l'administration avec le pouvoir d' engager leLlr père jusq u'à. concurrence de leurs pécules respectifs.
Dans cet état de choses, l'un d'eux emprunte une somme à son
frère; puis le père comm un vient à mourir, et c·est après la mort du
père, que l'emprunteur rembourse. La question qui s'élève est de
savoir si l'emprunte ur pourra répéter comme ayant payé ce qu'il
ne devait pas ; s'il pourra prétendre à exercer la cond1"ctio indebi11·.
Oui ; il y a confusion pour la moitié de la dette ; mais il y a toujours lieu à répétition pour l'autre moitié. (2) Ici encore pas de
distinction entre les deux espèces d'erreu1·; M. de Savigny objecte
que dans ce texte l'erreur tombe non sur la règle de droit, mais
sur l'application de la règle à une espèce particulière : c'est donc
une erreur de fait. (3) ~lais alors on arriverait à dire que toute per( 1) Pochaooet. l{evue Criliqoe 1856. I , p. 173.
(':!) Machelar d. Des obligations naturelles, p. 133.
(3) De Savigny. Tome lU p. 337 et 427,
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101 -
sonne commettrait une erreur de foit, lorsque sans ignorer la loi,
elle est persuadée que la loi ne s'applique pas à elle dans des circonstances déterminées. Si chaque fois que l'on se trompe sur l'application de la loi, on commet une erreur de fait, nous demandons
da.ns quel cas, il y aurait cneur de droit.
Autre texte (L. 16 § 2. L 4. D.). Le testateur a imposé à son
héritier, de remettre certaines choses à la nue de son frère, sous
cette condition, que ces choses lui seraient rendues si la légataire venait à mo uri r sans enfants. L'héritier meurt et la légataire promet de restituer ces choses au successeur de l'héritier
défunt. Ariston pense que cette femme pourra obtenir lïn integrtim restitutio. Pomponius ajoute que le légataire, même majeur, pourra condicere incerlum, car il est protégé non ipso jure,
mais par la condictio et cependant le majeur, pour lequel il n'y
a pas lieu d'édicter comme pour la femme une disposition de
faveur, commettrait dans ce cas une erreur de droit puisqu'il
n'est pas tenu de restituer quoique ce soit aux. héritiers de celui
envers lequel il s·est engagé. On objecte quïci, le légataire s·est
trompé sur une disposition du testament et que c'est une erreur
de fait. C'est mal envisager le texte.
On invoque a ussi le texte de la Constitution 10 au Code 4. 5.
Voici l'hypothèse qu·eue préYoit: Un débiteur tenu a·une dette
alternatiYe, paie par erreur les deux choses, alors quïl n'était
obligé d·en remettre qu·une seule, rune ou rautre à son choix:
utrumque pe1· i91w1·antiam solvit. Les jurisconsultes ne s'entendaient pas sur le point de saYoir, qui du solvens ou de l'accipiens, aYait le choix de la chose à restituer. Mais tous s'accordent à donner au sofrens, le droit ùe répéter l'une des choses
remises : Aucune di!Iérence donc, entre rerreur de droit et l'erreur de fait et ici il y a bien erreur de droit, puisque le solvens
a payé les deux choses, parce quïl croyait que la dette alterna~ive lui imposait de les paye r toutes deux. On objecte, qu'il est
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102 -
impossible d'admettre que le solvens ait pu ignoter le droit, au
point de se croire tenu de livre r les deux choses, en vertu d'une
dette alternatiYe. Le texte, d it-on , n'a pu prévoir w1e h ypothèse
aussi invraisemblaùle. Sans doute, le solvens a cru qu'au lieu
d'ètre alternative, sa dette était cnm ulative et comprenait tous
les objets qui e1·ant in obligatione et dans ce cas il y aurait
erreur de fait.
Ce second système qui r ej ette au point de v ue de la conclictio
i11debititoute distinction entre les deux sortes d'erreur s'appuie
encore sur les textes suivants: LL. J7. § 10. 50. 1. - 37. 34. 2.
- 16. § -!. 39. -! D. i\lais les partisans de la première opinion
ne veulent voir dans les espèces qu'ils rapportent, que des cas
d'erreurs de fait.
Enfin comme dernier argument, on oppose à ceux qui soutiennent que l'erreur de droit ne peut ctonner lien à la condictio
indebili le § 266 des F ragmenta Y aticana qui est ainsi conçu :
J ndebitulf/, solutum accipimus non solwn si omnino non debebatur, sed si per aliquam exceptioneni peti non poteral, id est
per perpetuam e:r:ceptionem : quare hoc quoque repeti poterit si qiiis perpetua exceptione tutus solverit. Unde si quis 1
contra legem Cinciam obligatus non excepto solvel'it, debuit
dici repetere etim posse. Cet exemple s i précis ne p ermet pas de
contester qu'il s'agit d'une erreur de droit et cependant celui
qui l'a commise n'en souffrira pomt. A cela , i\I. de Savigny répond : « La circonstance particulière et décisive pour autoriser
dans l'espèce la condictio , est non pas l'erreur, mais une règle
-absolue du droit positif. » i\Iais alors comment se fait-il , qu'Ulpien qui est l'auteur de ce texte, ait choisi pour donner un exemple d'erreur de droit, un cas oi.I cette erreur n'a a bsolument aucune influence, puisque la répétition s'appuierait ici non s ur
l'erreur, mais sur une règle spéciale à la loi Cincia?
On le voit, aucun d es arguments proposés par les deux opinions
103 ne s'impose d'une manière irrécusable. Que devons nous décider'? Il est hors de doute, que sur ce point les jurisconsultes
romains n'entendaient certainement pas détruire la distinction
qui domine tout le droit entre rerreur de droit et l'erreur de fait·
mais, toutes deux avaient-ell es la même portée en matière de'
conditio indebiLi 1 On pourra it restreindre le champ de la discussion et d ire qu'il est incontestable qu'à partir de Dioclétien,
la condictio était refusée pour cause d'erreur de droit. Le texte
des Constitutions 10. Code 1, 18 et G et 7. 4. 5 a u Code ne laisse,
ce nous semble, aucun doute à cet égard : mais en était-il ainsi
dans le droit classique; sur ce point les jurisconsultes sont loin
d'êtr e d'accord. La solution de cette longue controverse sur la
condictio indebiti, dépend du choix que l'on fera entre les deux
opinions de Paul et de Papinien au sujet de la portée de l'erreur
de droit. Paul prétend que l'erreur de dn,itnuit à celui qui l'a commise, tandis que Papinien, dit qu'elle ne peut lui être opposée
quand ilréclame ce qui lui appartient, suwn vero petentibus non
nocet. Comme plus haut, nous adoptons l'opinion de Papinien:
celui qui a payé l'indù réclamecequi luiappartientsuiimpetit(bien
que ce soit par une action personnelle (L. 53. 12. 6. D.) et par
suite, il ne doit point souŒrir de l'erreur de droit qu'il a commise. D"ailleurs ceux mêmes qui refusent à l'erreur de droit de
de pouvoir servir de fondement à la cond1ctio, acceptent notre
manière de Yoir, toutes les fois que les circonstances leur paraissent devoir faire Jléchir la rigueur de la règle quïl sufrent, tempérament que l'on peut déduire a contrario du texte suiYant :
ut cui facile sil scire, ei detrimento sit jiwis ignorantia.
Quant à la preuve de l'erreur il résulte d\m texte de Paul,
que si le défendeur, l'accip1·e11s, nie aYoir reçu le paiement et
que le demandeur, le sol!:ens, prouve qu'il en a menti, c'est à
l'acc1jJiens à établir que ce qui lui a été payé, lui était réellement
dù : peretenùn absurdum est, c11m qui ab ùiitio negavit pecu-
�~
104 - .
niam suscepisse, postquam (uerit convictus ea1n accepisse,p1·obafio11em non debiti ab adve1·sario e.-rige1·e. S i au contraire l'accipie11s a reconnu dés le principe qu'il a reçu le paiement c'est au
sofoens ù prouYer : d'abord qu'il a payé indü ment, et aussi qu'il
a été victim e d'une errem : ideo ewn qui dicit indebitas solvisse
compelli ad p1·obationes, quod pe,. dolum acdpientis vel ah'quam justam 1'gnorantiœ causam, indebiLum ab eo solutwnMais on comprend que si le solvens prouve qu'il a payé indù.
ment, l'erreur sera présumée, car on ne peut raisonnablement
supposer, qu'il ait voulu payer alors qu'il savait ne rien devoir,
Cependant cette présom ption n e sera pas admise, si l'erreur
portait sur le dro it, car l'erreur de droit, ne se présume point
et c'est à celui qui lïnvoque à l'établir (L. 25 p. 22. 3. D.).
L'accipiens aussi peut se tromper et croire que le solvens est
réellement debiteur. Mais cette erreur de l'accipiens, n'est pas
une condition de l'exercice de la condicti'o ùidebiti. Il n 'est intéressant d'examiner s'il est de bonne ou de mauvaise foi qu'au
point de vue du q1ta11tw1i de la res titution dont il est tenu. Il doit
r endre tous les fruits de la chose indûment payée, mais non les
intérêts si c'est une somme d'argent (1). S'il était de bonne foi et
qu'il ait disposé de la chose, sans en r e tirer profit il est libéré.
S'il était de mauvaise foi , s'il l'a a liénée ou s'il l'a conservée, il
doit rendre l'équivalent ou restituer la chose elle même au /1'adens. Rien de ce que nous avons dit jusqu'ici s ur la condictio
indebiti ne s'applique aux mineurs, ni aux femmes, ni à ceux.
dont l'ignorance est une suite du défaut d 'instruction, les rustici.
Quand une de ces p ersonnes paie l'indù, elle p e ut invoquer
l'errew· de droit comme l'erreur de fait. Elles r estent donc en deh ors de la controverse. L'incapable recouvrera ce qu'il a payé
indûment, non point par la condictio indebiti, mais pas la reven( 1) L. 15 pr, 12. 6. D - C. 1 Codé 4. 5.
-
105 -
dication (car il n'a pu valablement transférer la propriété) si
l'objet qu'il a remis à l'accipiens existe encore. Si cet objet a été
consommé de bonne foi il intentera la condictio sine causa,
puisque le paiement n'à pu éteindre une dette qui n'existait pas.
S'il a été consommé de mauvaise foi, il poursuivra l'accipiens
par l'action ad exhibendnm: nam in his personis generaliter re-
petitioni locum esse non ambigitur: et si quidem exstant num
mi, vindicanbuniur : consumptis vero, condiclio locum habebit.
(L. 29. 12. 6. D.)
CITA PITRE VI
De l'erreur en matière d'usucapion el de
« prrescriptio longi temporis. fJ
La possession d' une chose, pendant un laps de temps déterminé
et sous certaines conditions, en fait acquérir la pleine propriété
(Gaius Il. § 44. - L. 1 et3. 41. 3 et L. 5 pr. 5 1. 10. D ). Ce mode
d'acquisition ~e nomme usucapion , et les conditions requises d'ordinaire, en dehors de la durée de la possession, sont le juste
titre et la bonne foi .
Ce ne sont pas là, comme on l'a soutenu, deux éléments qui se
confondent. D'après quelques auteurs« la bonne foi, c'est-à-dire,
« la croyance d'être propriétaire ( 1) n'est point une condition par« ticulièee :iui soit distinctP. la justa causai elle en est au contraire
(l) Définition inexacte : la bonne foi est la croyance, que celui qui a transmis la chose, en était propr iétaire, ou avait le droit Je la trans fé1•cr (L. 109.
50. 16. D.),
�-
106
~
-
« un élément habituel, en ce sens que régulièrement, au moins
« daos le droit nouveau , la possession est sans fusta causa, si elle
« n'a pas été acquise de bonne foi. Pour rés umer le tout, dans une
cc formule pratique : celui qui veut se prévaloir de l'usucapion,
" doit prouver que sa possession a une justa causa, c'est-à-dire
<t que la cause, en va1tu de laquelle il a pris possession, était de
« nature à lui donner la conviction , qu 'il était autorisé à. avoir la
« chose avec animus dornini. li aura, !'ans doute, fourni cette
« preuve , s'il jus tifie d\m acte juridique va lable, qui implique une
« Justa cm1sa trans/erencli ou acquirendi domini. :Mais il aura
cc également satisfait à cc devoir de preuve, s 'il établit de tout
11 autre manière, qu e la prise de possession s 'est faite dans des cit·« constances telles, qu e la conviction dont il s'agit, a. dù naitre
« dans son esprit. \ 1) »
D'autr es auteurs présentent la justa causa comme un élément de
la bonne foi qui se confond avec elle :
cc
Une cond ition générale de
« l'usucapion est la conviction d'avoir acquis la propriété : bona
« fide. Cette bonne foi : 1° doit exister à l'origine; 2° .
'1 3° consister en une erreur de fait excusable sur l'obstacle qui em<c pêche que l'acquisition de propriété soit effectuée; 4° ·avoir une
« ca use apparente qui a pu, en réali té, faire naitre dans l'esprit de
« celui qui veut usucaper, la. conviction qu'il était propriétaire. En
thèse générale en exige l'exis tence effe~tive d'une ca use d'acqui« sition, apte par elle-même à opérer attribution de propriété, l'exis« tence effecti ,•e d'un titre, en un mot. Cependant l'usucapion est
cc
aussi admise exceptionnellement, sans titulus verus, et seulement
« s ur le fondement d un titulus 71utativus, lorsq ue, d'ailleurs, il
« existait des moLifs pouvant faire naitt·e cette conviction dans.
« l•espr1t de celui qui doit us uca.per. (2) »
u
Avec M . Pellut no us dirons que la distinction entr e le juste titre et
( 1) Maynz. Eléments de Droit romain I, p. 490.
('2) Bloodeau: Chrestoma~hi e p. 316.
107 -
la bonne foi s' impose. Voici comment il l'établit : " La juste cause
n'est pas destinée à motiver la bonne foi, la bonne foi ne se fonde
pas sur la juste cause. Lajusta causa, c'est ce fait qui déte1·roine le
but de la tradition et lui donne la vertu de t ransférer la propriété.
L n /Jona (ides , c'est la croyance, que celui qu i livrait la chose avait
le droit d'en transférer la propriété. Ce n'est pas la croyance qui
l'on est soi-même devenu propriétaire. Il y ajusta causa par exemple, si j'ai acheté de Titius une chose qu'il m'a livrée; il y a bona
(ides si je crùis qne Titius avait, comme propriétaire, ou fondé Je
pou \'Oirs du propriétaire, le droit d'aliéner la chose. (1) »
Cette discussion n'est pas pmement théorique, elle a un intérêt
pratique considérable. C'e t,, en effet, à celui qui prétend avoir
usucapé à démontrer que l'usucapion procède d'un juste titre, tandis que c'est à celui qui combat cette usucapion, à établir la mauvai e foi du possesseur ; en un mot, on présume La bonne foi et il
faut étab lir le juste titre.
i\Inis, puisque ceux qui soutiennent que la boone foi es~ la seule
condition requise, mais que le possesseur doit en prouver l'~"istenc~
et po ur cela démontrer qu'il a acquis ex jus ta causa, et que ceux qui
affirment que la preuve de la mauvaise foi est à la charge de celui
qui veut détruire l'effet de l'u uca.pion, mais que le possesseur doit
établir !ajusta causa, les deux systèmes se rencontrent sur la oécessité où se trouve le posesseur de justifier de son juste titre . .La
bonne foi est- elle présum ée indépendamment de la justa causa ou
bien lui est-elle intimément liée ; voilà en quoi ils diffèrent.
Il nous reste à montrer que la distinction que nous avons faite,
::,'appuie sur les textes les plus précis : Scparata est causa possessio-
nis et usucapionis, nam vt!rè diûtur quis emisse, sed mala fid! : quemadmodum qui sciens rem alimam emit,pro emplore possidet, licet no1~
wucapiat (L. 2 § 1. 41. 4 D.). Siquis a iion domino, quem domi1tum
esse orediderit, bona (ide (undum emerit, vel ex donatione, aliave qua( 1) Pellat, de la propriéttl, p. 469.
..
�-
108 -
libet justa causa, ceque botta (ide acccperit \Inst. TI. Tit. I. § 35) . Du
t exte s uivant, il résu lte qu'on doit établir le juste titre : Qui a pupillo emil ,probare dcbet ltilore rwclorc, lege non p1 oh ibente, se emisse.
(L. 13 § 2. 6. 2. D.) , tandis q ue ln bonne foi se présume touj ours,
malg ré une stipulation de garantie faite par l'acquéreur. C'est la
conclusion de la C. 30, Code 8. 45.
Ces deux éléments d' ai lieurs diffèrent essentiell ement. L'un, le
juste tit re, est to ut fait jurid ique q ui sert de cause à la trad ition,
qui témoig ne de la doub le intention d'aliéner et d'acquérir et qui
a urait r éellement transféré la propriété, si la na ture de l'objet ou la
q ua lité d u tradens ne l' en eussent empêché. Donc le juste titre n'est
pas l'intention d'aliéner ou d'acquérir ; il faut pour le constituer, un
événement juridique qui manifeste cette intention. Le juste titre
varie selon le fait en vertu du que l se fait la tradition. Ce peut être
uoe donation, un legs ou un acte de l'autorité (L. 11. 41. 2 D.). La
bonne foi a u contr aire, est r er reur dans la quelle est tombé l'acquéreur en attribuant, à celui q ui a transféré la chose, la q ualité de
propriétatre. Ces de ux éléments peuvent ne pas se r encontrer . L'acquéreur a peut-être un j uste ti tre et n'est pas de bonne foi, lorsqu' il a ad1eté une chose qu' il savait ne pas appartenir a u vendeur.
Il est peut-être de bonne fo i sans avoir un juste 1itre: q uand il a
cru acheter la chose et qu'en réalité il ne l'a pas achetée.
~ous a llons étudier s uccessivement l'erreur qui tombe sur la
qualité d u tradens et ici cette e rreUL' prend le nom de bonne foi, et
l'err eur q.ui tombe s ur le juste titre de l' usucapion.
De la bonne foi
L'err ecrr o u bonne foi ne peot se concevoir que dans une seule
des deux applications de l'us ucapion , c'est-à-dir e dans le cas où l'on
a reçu une chose d' un autre que le propriétaire. Car dans l'autre
-
109-
application, on sup~se que la chose a été livrée pnr le propriétaire
et l' usucapion ne seFt q u'à régulariser le vice de la transmissi.c.n,
q ui aurait dù s'opérer pa r un des modes spéciaux aux res manûpi.
D'ailleurs, cette dernière utilité a disparu avec la différence entre
les choses mrmcipi et nec mancipi.
La bonne foi, comme nous l'avons dëjà dit, est l'erreur en vertu
de laquelle on a cr u q ue le tradens était p11opriétait>e ou tout au
moins avait le pouvoir d'aliéner la chose. J amais l'erreur de droit
ne peut servir de fondeme nt fi l'usucapion. Ce principe est fol'mellement écrit dar.s plusieurs textes : Juris ignoPantiam in usucapione
negatur prodesse : {acti vero ig norantiam prodess~ "onstat (L.40. 2 2. 6
D.) . Nunquam in usucapionibus juris error possessori prodest (L. 31
pr. 41. 3 et L. 32 S 1 in fin6 41. 3 D.). Voici l'exemple que Paul
donne de cette distinction : Si a pupillo emero sine tutoris auctori-
tate, quem pube1·em esse putem, dicimus usucapionemsequi, ttt hic plus
sil in re quam in existimatione Quod si scias pupillum esse, putes ta
men pupillis licere res suas sine tutoris aucloritate administrare, non
capies usu, quiajuris error nulli prodest. (L. 2 § 15. 41. 4. D.). Et
l'eneur de fait elle-même, doit avoir été difficile à éviter.
En supposant que le possesseur ne possède pas de bonne foi la
totalité de la chose, il us ucapera toutes les parties de cette chose
sur lesquelles porte sa bonne foi ; il faut aussi qu'il ait une idée
bien nette de la pa rtie déterminée qu'il veut usucaper : lncertam
partem nemo possidere potest (L. 32 § 2. 4 L. 3 D.). Ce qui résulte
aussi de la loi 6 § 1. 4 L. 4 D.).
On restreint donc autant que possible l'effet de l'erreur, on veut
qu'elle soit excusable, on repousse l'erreur de droit parce qu'il
s'agit d'acquérir une chose qui appartient à a:.itrui et de l'acquéri1·
à son ins u et sans son consentement.
En principe, il suffit pour qùe l'erreur ou la bonne foi puisse
donner lieu à l'usucapion qu'elle ait existé au début de la posses-
�-
110 -
sion (1) : ftlala fi.des super veniens non impedit usucapionem. Cept!ndant la règle fléchit dans deux cas particuliers quand on usucape
pro emptore et pro donato.
Usucaper pro e1nptore, c'est usuca per en vertu d' une vente ou
d'autres faits juridiques que l' on avnit assimilés à la vente, par rapport à l'usucapion (L. 1. 4 1. 4. D. et Fl'J,gm. Vatic. § 111). Celui qui
a.ur·a acheté une chose à non domino usucapera pro ernplore, s'il a cru
que son vendeur en était réellement propriétaire. .Mais, dans ce cas
spécial, l'acheteur doit pour us ucapet' ètre de bonne foi au moment
du contrat et au moment de la tradition : In emptione lrnlem el cont~aclus tempus inspiûtur , et quod soluilw· (L. 48. 41. 3. D. ) (Z).
Voici un autre texte très explicite : Quare ergo et si pu lem me vendidisse, et traàam noh capies usu? Scilicet quiet in cœteris contracti bus,
sufficit traditionis lempus; sic denique, sisciens stipuler rem nlienam,
usucapia.m,si cum traditw· mihi, e.cisti mem illius esse: al inemptio11e
et ill ud tempus inspiciliir, quo cont1·ah itur; igitur et bona {ide emisse
debet el possessionem bona {ide adeplus esse. (L. 2. pr. 4 l. 4. D.)
Comment expliquer cette darogation à la règle gél').érale? Suivant
les uns , très probablement la loi des X CI Tables à propos de l'usu....
capion s upposait le cas d'un hom me qili bona {ide emü (L. 7 § 11 :
ô. 2. D. ) et les jurisconsultes, po'Jr' mettl'e d'accord le texte de la lot
avec les principes généraux qui régissent la bonne foi, ont exigé
que la bonne foi existât au début de la possession et au moment de
la tradition (3). Mais on ajoute que la loi des XII Tables s'occupait
plutôt de la mancipation que de la vente, afin d'expliquer t.:n texte
de Paul (L . .\8. 41. 3. D.). Suivant les autres, ct>la tient à la rédaction de l'édit du préteur sur l'action Publicienne; par les mots qui
bona fide emit, on crut qu'il demandait que la bonne foi existàt au
moment de la vente et pour satisfaire ù. la règle g énérale qui l' exi( 1) L. 15
~
2. 4. l. 3. e l L. 4.4 ~ 2.
(2) L. 7 ~ 17. 6. 2. O.
{3) Demange.at. I. 549.
Lit.
3. D.
-
111 -
geait au moment de la tradition, les prudents décidèrent qu'elle
devait existt:r à ces deux époques . Mais c'est une pure conjecture
de penser que l'édit reproduisait la loi des XII Tables, ou bien qu'on
avait appliqué à l'édit les dispositions contenues dans cette loi, à ·
propos de la mancipation. La mancipation, en effet, n'est pas une
jusla causa ust~capiencli et, en outre, si la loi des X ll Tables avait
édicté cette règle, les jurisconsultes auraient soumis la vente à
ce principe sans aucune hésitation, tandis que, pendant très longtemps, on se demanda s'il fallait que l'acquéreur fût de bonne
foi, mèrne au moment de la tradition. (L. 10. pr. 41. 3. D.) Cette
discussion, au contraire, est toute naturelle si on attribue à la publicienne l'initiative de cette autre condition, car cette action Il;! fut
introduite qu' assez tard Les j ul'isconsultes n'étaient pas bien fixés
sur la portée de ces pa roles du préteu r qui bona fide emit: Avait-il
voulu suivre la règle ou y apporter ~ne exception? (l )
Autrn exception pour l'usucapion pro donato. On usucapait pro
donato lorsq u' on avait reçu par donation, une chose dont le donateur
n'était point propriétaire : Pro dcnato is urncapit cui donationis causa
rcs lradita est : nec su(ficit opinari sed et clonatum esse oportet (L. 1.
41. G. D). Dans ce cas pal'ticulier, il fallait qu e la bonne foi eut
existé pendant tout le temps de la possession. Cela ressort du texte
de la loi 11. § 3. 6. 2. D. Mais Justinien supprima cette dérogation
que l'on pouvait expliquer par la défaveur que l'on témoignait anx
acquéreurs à titre gl'atuit et aussi par cette raison, que l'acquéreur ,
à titre gratuit ne s'est obligé à l'ien, en retour de la tradition qu'on
lui a fa ite et , par suite, ne mérite aucu n égard : Quod in rebus mobilibus observandum esse censcmus, ut in omnibus j1isto titulJ possessionis ante cessoris ju,sla detc-ntio, quam in re habuil: non inlcrrumpatur posleriore {orsilanœ alien rei scientia, licet ex titulo lucrativo ea capta est. (C. 1, Code 7. 31.)
(1) Accarias. I. 563, note 3.
�-
Dans certains cas déterminés, on peut profiter de la bonne foi ou
souffrir de la mauvaise ,foi de son a uteur, de celui dont on tient la
chose que l'on est en train d' us ucaper. C'est ce que l'on a ppelle
l'accessio possessionum. Voici très brièvement les règles a uxquelles
elle est so umise. Quand on succède à titre universel, on ne ti ent
aucun compte de la solution de continuité gui sépare la trnnsmission
de la prise de possession, et la possession de l'ayant-droit ne peut être
que ce qu'était la possession de son a uteur. Si donc, celui- ci était de
mauvaise foi, bien qu'il soit, lui, de bonne foi, il ne pou rra pas usucaper et si son auteur était de bonne fo i malg ré sa mauvaise foi, licet
ipse sciat prœdium alienum, il cont inu ~ra l'usuca pion commencée par
son auteur. (lnst. II , VI,§ l.t et L. 23 pt· 41. 2.) T andis que si l'on
succède à titre particulier , il fa ut que la possession de l'ayant-droit
remplisse toutes lEs conditions requises (L. 2, § 17. 4 1. 1. D.) et,
dans ce cas, il pourra profiter de la possession de ses auteurs, si
cette possession était régulière, si spécialement ils ont tous été de
bonne foi au début de la possession. Mais cette poc;session ne lui
nuirait pas si elle a vait été irrégulière. Dans cette dernière hypothèse, Je délai de la possession ne commencerait à courir que de
!'initium de sa possession personnelle. (Instit. eod. loc.)
Comme on le voit, l'erreur, qui dans les cas où la loi la décla1•e
efficace, vicie l'acte j uridiq ue qu'elle entache, rend valable, a u contraire, l'usucapion. E lle en est une condition essentielle, car il n'y a
pas d' usucapion sans bonne foi. Cependant, quelques exceptions
restreignent ce principe. L' usucapion dite pro herede n'exige nullement la bonne foi On ne dema nde point à celui qui s'empare d'une
hérédité ou d' une chose de la succession, qu'il ait cru que cette
succession ou cette chose lui ap pa rtenaient. P ourvu qu'il ne les ait
pas volées, qu'il ait la {actio testamenti avec le défunt et qu'il n'ait
pas possédé à un a utre titre, c'est tout ce que l' on exige pour que
l'usucapion puisse s'accomplir. De nombreuses decisions législatives
113 -
atténuèrent l~ p~rtée de ~ette usucapion que l'on appelait improba,
tant elle pa raissait contraire aux règles d'équité et de saine justice
et enfin la prohibèrent sous peine d'une poursuite criminelle, appelée
crimen expilatœ hereditatis.
La bonne foi n'était pas plus nécessaire dans J'usureceptio, c' està-dire dans l'usucapion de celui qui ren tre en possession d'une
chose dont il a vait cessé d'être propriétaire, soit parce quïl l'avait
remise en garantie d' une obligation <lont il s'est li béré, soit parce
qu'il l'a déposée chez un tiers, sous la condition de pouvoir la
reprendre •) uand il la lui <lernanderai t. li en est <le même dans
l'usureceptio ex p1YEd iatura, 1;' est-à- dire dans l' usucapion de celui
qui, après a voit' remis un bien en ga1·antie d'une dette envers l'Elat
est rentré en possession de cc bien que l'Etat a vendu, faute de'
paiement, à un prœdiato1'. L'usucapion commence pourvu que l'on
ait rembou rsé le prœdialor.
La personne missa in possessionem des biens d'autrui par
suite du r efus de donn er la cautio da111ni m(ectiusucapera valablem ent, b ien qu 'elle sache que ces biens ne lui appartiennent
pas (L. 15 § 11 et 16. 39. 2.).
Ind iquons en terminant, le cas d'usucapion d'une chose mancipi
tra nsm ise par tradition et l'usucapion d'une chose ex peculiari
causa (L. 1. 47. 41. 3et2§11. 41. 4. D.).
Il y a encore d'au tres hypothèses ou la bonne foi n'est pas indispensable, pour que rusucapion puisse s'accomplir: Les exemp les q ne nous Yenons, d'i ndiquer suffisent pour faire comprendre
quelle portée il faut donner à la règle que la bonne foi est un
élément essentiel de ce mode d'acquérir.
8
'
�-114 -
Juste titre
L'erreur peut aussi porter soit sur l'existence, soit sur la nature
du jus te titre. La croyance de l'acquéreur qu'il p osséde en vertu
d' un titre r éellement exis tant et valable ne s uffira-t elle pas pour
qu'il puisse usucaper ·7 En un mot, le Litre qui n'existe que dans
l'idée des parties et que l'on appelle le tit1·e putatif, peut-il servir de base à l'usucapion ? ur ce point les Institutes s'expriment ainsi : E rror (alsœ causœ usucapionem non parit ; veluti
si quis, cwn non emerit, emisse se existimans, possideat, vel cwn
ei donatum non (uerit, quasi e.t donatione possideat (Inst. § 11
Lib Il. Tit. VI) termes bien affirmatifs, qui pourraient laisser
croire que jamais, cette quesLion ne fut mise en d oute. Cependant elle avait été vivement controversée (L. 9. 41. 8. D.) Quelques juriscons ultes, avaient admis que le titre putatif pourrait
servir de base à l'usucapion, lorsque l'eneur dans laquelle était
tombé celui qui voulait s'en prévaloir, était excusable.
Cela est établi d 'une façon indiscutable par les deux.
textes suivants: Quod vulgo ti·adit u1n est, ewn qui existimat se
quid emisse, nec emeril non posse JJl'O cmptore usucapel'e, hactenus verum esse ail, si nullam causam ejus crrori emptor habeat;
nam si forte senms vel procuralor, cui emendam rem mandasset,
persuaserit ei rem emisse <llqtte ila tradiderit, magis esse ul usttcapio sequatur (L. 11. 41. 4. D.). Sed id quod quis cum sutim esse
existimaret, possederil, usucapiet, etiam si falsa fueril ejus existimatio : quod tamen ila interprelandum est, ut vrobabilis error possidentis umcapioni 11on obstet (L. 5 § 1 41, 10. D.) L'erre ur
-
115 -
sera excusable quand elle portera sur le fait d'autrui,comme le dit
le premier texte quia i n alieni (acti ignorantia tolerabitis error
est ;quand le titre existe en fait, mais qu'il est est nul dès le
principe ou l'est devenu dans la suite (L. 67. 23. 3. D); en un
mot quand on ne peut reprocher aucune négligence à l'acquéreur.
Il est incontestable, que le principe si nettement posé par les
Institutes et main tes fois répété par le Code, est plus confo rme
à la distinction entre le juste titre et la bonne foi, deux éléments
que ce système intermédiaire fait se confondre et cette doctrine
pour être plus équitable n'en est pas moins fort peu juridique,
en ce sens qu'elle fa it dégénérer l'examen du juste titre en une
question de fait, souvent fort difficile à résoudre. Aussi depuis
Dioclétien, le titre putatif fut- il rigoureusement écarté.
C'est, sans doute, parce que le système qui fit admettre le
titre putatif, répugne à la logique, qui domine la législation
romaine, que quelques auteurs ont essayé d'en contester l'existence en expliquant, à leur façon, les tex.tes qui la consacrent
et que nous ayons cités. Ainsi, dans le tex.te de la loi 2 § 15
41. 1 .D., on dit quïl y a urait une j us te cause, car le pupille,
semble avoir vend u, non des choses qui lui appartenaient, mais
des res alienœ. In terprétation inexacte, car il y aurait contradiction entre les deux paragraphes du texte, si le premier s'1ccupe cl~ la vehte des cho es d'autrui, alors que le second parle
ùes -r·es pupilli. Cette op inion est erronée : on aura beau torturer les textes, il esl impossible de contester qu'à un moment
donné, les jurisconsultes ou du moins quelques-uns d'entre
eux, n'aient pas donné au titre putatif sous certaines conditions,
le même etTet qu'au juste titre.
Que le titre soit réel ou putatif, c'est au possesseur à l'établir
ou à démontrer que, quiconque à sa place aurait ajouté foi à son
existence ·o u à sa validité (L. 13 § 2. 6. 2. D.).
A côté de l'usucapiOJ?. (dont nous n'avons voulu nous occuper
�-116 -
qu'au point de vue de l'erreur) fut crée par le préteur la prescriptio longi temporî.$. Toutes les choses n'étaient pas susceptibles d'être acquises par usucapion, entre autres nous citerons
les fonds provinciaux, et toute personne ne pouvait recourir à
l'usucapion comme mode d'acquisition de la propriété,les pérégrins par exemple. Afin de combler cette double lacune, la
prœsc1·iptio longi teinporis, fut introduite. Sans nous arrêter
aux différences très-saillantes qui séparent l'usucapion de la
prœscriptio, nous remarquons que les règles sur la bonne foi,
que nous avons exposées à propos de l'usucapion, s'appliquent
à la prœscriptio, assi111ilation parfaite quant à la bonne foi qui
se maintint, quand Justinien, alors que toute distinction avait
disparu entre le sol italique el le sol provincial, et entre les
diverses classes de citoyens, fondit ces deux institutions en une
seule (C. 1. Code 7. 31.).
CHAPITRE VII
De l'erreur ou bonne foi en matière d'acquisition de fruits
La bonne foi accompagnée des autres conditions requises que
nous avons indiquées, fait acquérir la pleine propriété d'une
chose, mais en dehors de cette elTet souverain, soit que l'usucapion, par suite de la réclamation du propriétaire n'ait pu
s'accomplir, soit que la chose possédée ne puisse être usucapée, (1) soit que celui qui possède ne puisse l'usucaper, elle
peut faire acquérir les fruits ou les produits qui ont ce carac~
tère et qui sont nés de la chose pendant la possession.
( 1) Nec interest ea res quam bona fid e emi, longo tempore cal-Ji possit nec
ne: veluti ;,i pupilli sit , aut vi pus!essa, aul presid i cunl ra legrn1 repetundarum J ùnata al>eoque al>ali~nal a s1t bona fidei cruptori (L. 48. 41. 1. D.).
-117 -
On entend par fruits, tout ce que la chose, d'après sa destination, produit périodiquement ou à peu près. Ici comme en
matière d'usucapion, la bonne foi n'est autre que l'erreur du
possesseur: Si quis a non dominf), disent les Institutes, quem
dominum esse Cl'ediderit bona (tde fundum emeril, vel ex donatione,
alia ve qualibel jus ta causa, ll'que bona (ide accepe1·it, naturali ratione, placuit fructus quos pe1·cepit ej us esse pro cultura et eu ra . et
ideo si postea dominus superveneril et fund um vindicct, de fruclibus ab eo consumptis agerenon potest. Ei vero qui alienum fundum
sciens possederil non idem concessum est; ita1ue cum fundo etiam
fructus licet consumpti si nt, cogitur restiluere ( § 35. Lib. JI.
Tit. 1). (1) Comme pour l'usucapion, ce texte exige pour l'acquisition des fruits la bonne foi et le juste titre, c'est-à-dire la
croyance chez celui qui possède la chose, que celui qui la lui a
livrée, avait le pouvoir de l'aliéner (L. 109 50. 16. D.) et un événement juridique qui établit chez les parties, l'intention de
transférer et d'acquérir la propriété, de sorte que la tradition
n'a été inefficace, que parce que le tradens n'était pas propriétaire on ne pouvait aliéner la chose.
Quelle est la nature du droit du possesseur sur les fruits et
sur quels fruits porte ce droit? Bonœ (iriei emptor, non dubié
pere?°piendo fructus, etiam e:c aliena re, suos interim facit, non
tantum eos qui diïigentia et opera ejus pervmenmt, sed omnes:
quia quod adfructus allinet, loco domi11i pœnè eçf (L. 48. 41. 1. D.)
Porro bon.;;e fidei 71ossessor, inpercipicndù frnctibus, id j1wis habet,
quod dominis prœdiornm t1·ib11tvm est (L. 25 § 1. 22. 1. D.) D'après
ces textes, ce droit est celui de pleine propriété et il porte sur
tous les fruits indistinctement. (2) Il suffit de les lire, pour voir
1
1
(1) En verlu de ci> droit aux lruils, le possesseur de bonne loi, profite des
acquisitions faites ez ope1·is ~ervi, soit par n n esclave d'autrui, soit par un
,
homme libre possédé de bonne loi comme esclave.
(2.) Adde L . 1 § 2. 20. 1,0. el L. 28. '12. 1 D. {l'uctus stat im pleno jitre sunt
bonœ fidei posseroris.
�-
- 119 A quel moment ce d"oit prend-il naissance? Au moment de la
scparation, c'est-à-dire lorsque le fruit est détaché ou se détache,
de quelque manière que ce soit. Faisons remarquer que le possesseur de bonne foi e~t mieux partagé que l' usurruitier, qui ne peut
faire tomber les fruits dans son patrimoine, que s'il les a perçus luimème ou s'il les a fait perecvoir par quelqu'un, en son nom ; il ne
118 -
combien est peu fondé le système de ceux. qui veulent faire une
Jistinction entre les fruits provenant du travail et les fruits naturels, en s'appuyant s ur un texte de Pomponius, qui semble
exposer wie opinion personnelle, et dont la portée est détruite
par le termes généra ux que Paul a employés. (L. 45 § 1. 22.
1.D.) D'autres a uteurs (1) sonliennent qu'on ne peut avoir sur les
fruits, partie de la chose, qne le droit que l'on a s ur la chose
elle-mème, sauf à pouvoir les usu caper par l'expiration du délai
de la possession et à n'être pas oLligé de renùre ceux que l'on
a consommés, (2) parce que, dit-on , les fruits sont des accessoires de la chose, et le droit qui porte sur eux ne saurait différer de celui qui porte s ur le principal. Certes, cela est exact
quand les fruits sont pendants (L. H. 6. 1. D.), il n'y a a lors
qu'une seule propriété, et non deux propriétés distinctes. l\Iais
quand ils sont séparés de la chose, les fruits n'appartiennent
pas au propriétaire comme partie de la chose, mais en vertu
d'un droit spécial qui porte directement sur eux. Si le principe
que l'on invoque était vrai , il faudrait dire quand il s 'agit d'une
1·es furtiua, que les fruits étant comme la chose afTectés d'un vice
qui en empêche l'usucapion, ne peuvent ètre us ucapés; tandis
qu'il est indiscutable que les fruits d'une 1·es furliva appartiennent i'pso jure au possesseur de bonne fo i ; il fa udrait a ussi
lorsqu'on a sur le fonds une propriété bonitaire, dire que l'on
n'acquerra sur les fruits qu'une propriété bonitaire. Or, d'après
les textes que nous avons rapportés, on a sur les fruits la propriété quiritaire, le dominium ex jure Quiritium. C'est que
l'on acquiert les fruits lege, c'est-à-dire en vertu d'une disposition
spéciale de la loi. Selon la plupart des a uteurs, et nous les
croyons dans le vra i, le possesseur de bonne foi acquiert sur
les fruits un droit de propriété pleine et entière.
pourrait les revendiquer s'ils avaient été arrachés à son insu, ( L. 12•
§ 5. 7. 1. D .)
La bonne foi doit exister a u moment de la séparation. Du jour où
le possesseur est de mauvaise foi, c'est- à- dir<! du jour où il a connu
le droit du vrai propriétaire et le défaut du sien, il nP. peut plus
acquérir les fruits (1). En cas de poursuite, il ne sera en fait, con-
stitué de mauvaise foi que par la sentence du juge qui prononcera
sur la réclamation du propriétaire. Mais comme les effets du jugement remontent au jour de la litis contestafio , comme c'est à la
lib's contestaHo quel' on se reporte pour évaluer le montant de la
restitution de celui qui succombe, c' est il partir de la lilis contestatio que le possesseur devra restituer les fruits, bien qu'il ait soutenu le procès de très-bonne foi. Ce qui revient à dire que la litis
contestat1' 0 Je constitue de mauvaise foi ('2). Et, en effet, du jour où
l'instance est définitivement engagée par le propriétait·e, la pr udence
commande au possesseur de ne pas consommer la'> fruits et de les
""arder jusqu'à l'issue du procès.
° Cette théorie se maintinL dans toute son intégrité pendant
\'époque classique. Dans aucun texte, il n'est question de ~e!'ftution
de fruits, tant que le possesseul' est demeuré de bonne f01 . Aucune
t
(1) De Savigny, de la possess ion ~ 22 a.
(2) L. 4 ~ 5. 41. 3. D. -
( 1) Ce qui con stitue une différence enlre l'us ucapion. el l'acquis!lion des
't (L t.8 2 1 41 1 O.) Julien , au contraire, soutenait (L. 25. ~ 'l~. 1) q~e
continuerait à acquérir
.
.
• ·
rut s . · 1 • ~ •
malgré la s urvenance de la mauvaise foi, le possesseur
r
.
les frui ts jusqu'à la pours uite.
(2) Au moins quant à. la resti tution drs fruits. li en était autrement pou
\ e5 ris ques. (L. 40. pr . 5 3. D.)
r
L. 48 ~ 5. 'i7. 2. O.
l
�-
120 -
distinction n'est faite, par exemple, enLre les fruits consommés et
les fruits non consommés ..... Cum (ructuarii, quidem, dit Julien
(fructusj, n on fiant, antequam ab eo percipiantur, ad bonœ fidei
possessorem pe-rtineanf, quoquo modo a solo separati fuerint :
sicul ejus qui r;ecti9alcm (undum habet, (rucfos fiunt, simul
atque solo separati sunt. (L. 25. S l. 22 . 1. D .) D'après J u lien , la
situation du possesseu r de bonne foi est bien préférable à celle de
l'usufruitier . Or, r.ela ne serait pas exact si le possesseur de bonne
foi était obligé de restituer les fruiLs non consommés, a lors que
l'usufruitier n'est nullement tenu de cette obligation. L a loi 28 du
même titre, qui eü de Gaius, est tout aussi ex plicite : à propos des
fruiL , ce jurisconsulte met su r la même ligne le possesseur de
bonne foi et l'usufruitier. Or, celui-ci ne restitu e jam&is les fruits
qu'il n'a pas consommés. Paul dit aussi: Deniqueetiampriusquam
percipial, stalim ttbi a solo scparati sunt, bonœ fidei emptoris {iufll.
(L. 48. 41. l. D.) Cette théorie se dégage encore de plusieurs autres
te~tes et fut même consacrée par les empereurs Sévère et An tonin,
ainsi que le prouve la C. 2. Code 3. 3 l. Que si plusie . rs textes semblent établir au contraire q ue, d0jà à l'époq1;.e classique, on faisait
u ne distinction ent re les fruits consommés et ceux qui ne l'étaient
pas, on peut affirmer sans crain te qu'ils ont été remaniés par les
CJmpilateurs du Digeste, désireux de mettre d'accord avec la nouvelle doctrine qui a mit été inaugurée par Dioclétien les textes des
anciens jurisconsultes. Il est facile de s'en conva incre, en lisant la
loi 4, § 19. 41. 3. où l'interpolalion est évidente . Voici en q uels
t e1·mes cette no uvelle <loctrine est fo rm ulée par DiodéLie n: Ce1·tu.m
est malœ fi dei possesso1·es omnes (1·uct11s sole1'e cum ipsa re p1·œstari; bon<E fidei vero exslantes. (C. 2:2. Code 3. 32. ) Donc, depuis
Ccllte disposition législati ve, le possesseur <le bonne foi est ten u de
r estituer les fruits non consommés; en un moL, il ne fait plus ,
comme par le passé, les fruits siens par la sépa raticn, ma is seulement par la consommation. Sous l empire de quelles idées naquit
-
121 -
cette modification à la th éorie primitive ? D'après nous , on admit en
principe qu'il était équitable (œquitatis ratione) d'établir une compensation e ntre les fruits que le possesseur de bonne foi avait déjà
perç us avant la titis contcsta tio, mais n'avait pas encore consommés,
et les sommes dont le propriétaire, qui intentait l'action en revendication, lui était redevable pour les a méliorations que le possesseur
avait fuites sur le fonds. (LL. 48 et 65, pr. 6. 1. D.) C'était faire
litière du principe qui accordait au possesseur un droit de pleine
propriété s ur les fruits dès leur s~paration du sol, et, peu à peu, on
décida q ue non se 11lement, dans ce cas le possesse ur devrait restit uer les fruits non consommés, mais encore da us tous les autre!', et
ce~te co utume devint un e obligation légale, en vertu du rescrit de Dioclétien . On expliqu e a ussi ce changement, par l'influence qu'exerça
s ur cette matiè re le sénatus-cons ulte J u ventien, relatif à la possessio n d e l'hé rédité. Le possesseur de l'hérédité, devait restituer non11eulement l' hé rédité en capital, mais toutes les acquisitions qui e n
découlaien t , tout ce dont il s'était enrichi, gràce à l'hérédité. Mais
il n 'y avait pas d'assimila tion possible, car il n'y a pas p a rité de
situation entre le possesse ur d e l'hérédité e t le possesseur d'un
fonds. E n efîet, d'après le sén atus-consulte Juventien, le p ossesseur de l'hérédité gardera les fruits existants s 'il en a déjà
absorbé la vale ur ou bien il r endra la valeur de ceux qu'il a consomm és si cette conso mma tion l'a enrichi. Tandis que le p ossesseur d'un fonds restitue les fruits qu'il n'a pas consommés e t
alors il s'a ppauvrit s'il en a déjà consommé la valeur, ou il garde
la val e ur des fruits dont il a d isposé, sans qu'ils ne soient pas
encore consommés, et, dans ce cas, il s'enrichit. Le but que l'on
p ours uivait de ne pas laisser enrichir le possesseur au détriment
du propriétaire, n 'est donc pas atteint et a utant la dis position du
sén a tus-cons ulte é ta it logique, autant le ch angement d ans l'obligation qui incomb e a u possesseur de bonne foi, est p eu raisonn a b le.
�-
122 -
Les fruits appartiennent donc au possesseur de bonne foi par
la séparation ou par la consommation, selon que l'on se place
avant ou après Dioclétien. Mais quel est le motif de cette
faveur toute particulière. D'après les Ins titutes, il garde les
fruits pro cultu1·a et c1wa . Mauvaise raison, parce qu'il se peut
que le possesseur n'ait contribué en rien à la production de ces
fruits et le possesseur de mauvaise foi, quels que soient son traYail et ses soins, ne peut se les approprier. Plusieurs auteurs
soutiennent que le possesseur de bonne foi acquiert les fruits
par l'occupation : car dit-on, le fruit n'a pas de propriétaire et
le possessew· de bonne foi s'en empare animo domini et cela
est si vrai que dans plusieurs textes, on le considère comme un
objet nouveau, absolument distinct de la chose (L. 10 § 2. et 33.
p. 41. 3. D.) et l'on ajoute que si le possesseur de mauvaise fo i,
ne peut se prévaloir de ce mode d'acquisition, c'est qu'il ne peut
im·oquer son dol pour s'en faire faire une source de bénéfices.
Il ne nous parait pas que le fruit soit une chose nullius et pour
preuve : si le possesseur acquérait les fruits par occupation, si
ces fruits sont volés, il n'y aurait plus occupation et il n'aurait
plus sur eux. aucun droit de propriété : tandis qu'il a le dro it de
les revendiquer : c'est donc qu'en les volant, on a violé son
droit de propriété qui existait depuis la séparation. Comme
nous l'avons dit, la loi attribue le fruit au possesseur : ce n 'est
pas par l'occupation qu'ils tombent dans son patrimoine. Mais
pourquoi la loi les lui attribue-t-elle ; d'après l'opinion commune, c'est parceque le possesseur croyant que la chose lui
appartenait a réglé sur ses revenus sa manière de vivre lautius
'
vixit : la restitution qu'il devrait faire lui serait trop ouéreuse
et le calcul de la valeur de ceux qu'il a consommés, trop diffi.cile.
Celui qui possède le fonds d'autrui y élève des constructions
avec ses propres matériaux : Que faut-il décider ? (§ 30. Lib. II.
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123-
Tit I. Instit.) Le possesseur de bonne foi, en vertu des principes
œdifiicillm solo cedit, perd la propriété de ses matériaux. qui
sont acquis au propriétaire du fonds. Mais quel sera le recours
de possesseur conl1·e le propriétaire? Ici, il importe de distinguer s'il a construit de bonne ou de mauvaise foi? At-il réellement cru qu'il élait propriétaire du fonds qu'il possédait? Dans
ce cas, à la di!Térence cle cons tructeur de mauvaise fo i, il opposera à l'action en revendication du propriétaire pendant qu'il
possède encore une exception de dol, (Gai us, IL § 76.) afin de se
faire rembourser non pas exclusivement, comme le prétendent
les Institutes, p1·etium male1·ù:e et 111ercedes fabrorum, c'est-àdire, le montant intégral de la dépense, mais tout aussi bien la
plus-value que ces constructons ont apportée au fonds, au choix
du propriétaire (L. 38. 6. 1. D.) Mais si le constructeur a perdu
la possession du fonds il n·a aucune action directe contre le propriétaire, afm d'être remboursé des dépenses dont il l'a fait profiter. Cependant les interdits pourront lui être d'un grand
secours: imde vi, s'il a élé dépossédé par la violence; utipossidef'is, s'il a possédé nec vi, nec clam, nec 7irecario ; il pourra
intenter raction publicienne s'il était en train d'usucaper, et si
le propl'iétaire lui oppose l'exception justi dom1.nii il lui répondra par la replfratio doli mali . Il aura aussi le droit de revendiquer ses matériaux. ; si jamais les constructions viennent à
être démolies. L e possesseur de mauvaise foi donasse videtu1· : cependant plus tard on lui concéda le droit d'opposer l'exception de dol pour se faire rembourser ses dépenses nécessa ires et de revendiquer les matériaux après la destruction de
l'êdifice. (L. 37. 6. D. C. 5. Code 3. 32.).
Ces principes s'appliquent, clans le cas où le possesseur de
bonne foi a fait des plantations sur le fonds qu'il possède.
Cependant, il ne peut jamais revendiquer les arbres quand ils
�-
124 -
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125 -
ont été arrachés ou coupés, ni les plantes qu'il avait ensemencées (L. 53. 6. 1. D.).
SEC::'rIC>N" I I
CHAPITRE VIII
De l'erreur en matiêre d'aveu et de transaction
SEC::'rIC>N" I
De l'aveu
On entend par aveu, la déclaration par laquelle le défendeur
reconnait la justesse des prétentions du demandeur. Il est très
important de rechercher s i l'aveu a été fait en connaissance de
cause, car il équivaut à un jugement : con(essus pro /udicato
est , qui quodam modo sua sententia damnatur (L. 1. 42.
2. D.). (1). Aussi l'aveu était-il considéré comme non avenu s'il
avait été fait par erreur : non (atelur qui errat (LL. 2 et 8. 42.
2. D.). (2). Et cette erreur pouvait être établie par celui qui
l'avait commise, ou résulter des circonstances (L. 13 pr. 11.
1. D.). Mais l'erreur n'était prise en considération que si elle
était de fait et excusable (L. 11. § 11. 11. 1. D.). L'aveu fait par
suite d'une erreur de droit, était acquis : non /atetw qui err·at,
nisi ;'us ignoravit.
tq 1. 11. 1. O.
(2) Adde L. 23 f ll. - L. 24. -
(J) Adde L.
L. 25. pria. 9. 2. O.
De la transaction
La transaction est une convention par laquelle deux ou plusieurs personnes, au moyen de sacrifices réciproques, préviennent ou terminent un litige. Elle a donc pour but de trancher
un diΎrend qui porte sur des droits douteux : qui transi9it,
quasi de re dubia el lite ince,·ta neque finita, transigit. (L. 1. 2.
15. D. et C. 32. Code 2. 4.). Puis que c'est une convention, elle
doit avoir pour fondement le consentement des parties ; l'erreur
peut vicier ce consentement. L'erreur peut porter sur la personne, avec laquelle on contracte. La considération de la personne a quelquefois une importance capitale dans la transaction : aussi, faut-il admettre, que si l'on a transigé intuitu
personœ et s'il y a erreur sur la personne de celui avec lequel
on transige, ou seulement sur la qualité juridique qui lui donne
pouvoir de transiger, la transaction est nulle. Plane si sine
/udice diviserint 1·es, etiam condiclionem earum re?·um quœ
ei cesserunt, quem coheredem esse pufavit, qui fuit heres, competere dici potest: non enim fransactum inte1· eos intelligilur,
cum ille coheredem esse pulave?·it (L. 36. in fine 10. 2. D.) Si
l'une des parties a voulu faire cesser une incertitude qui, en réalité n'existe pas , mais que les manœuvres de l'autre partie ont
déterminée dans son esprit, pas de transaction (L. 65 § 1.
12. 6. D.). De même encore, s'il n'y a pas accord de volontés
entre les parties sur l'objet même de la transaction ; si l'une,
par exemple, croit que la transaction porte sur tel objet et l'au-
�126 tre sur tel autre : ou bien sur tel point, que les deux parties
regardaient comme certain et déterminé (C. 3 Code 2. 4.) :
T ransaclio 9uœ cum911e sit de his tantwn, quibttS inter
com..'enienfes placuil, ù1terpos1ïa c1·edit11r (L. 9 § 1. 2. 15. D.).
De ce texte, il r ésulte que la transaction laisse absolument
intacts tous les objets que les parties n'ont pas eus en vue.
Mais si l'erreur tombe sur les droits que les parties regardent,
même à tort, comme incertains et douteux. la transaction sera
maintenue, car elle n'a d'autre fin, que de faire cesser le
doute et de préYenir le procès a uquel ce doute pourrait donner lieu (C. 2 et 23. Code 2. -l.). Ain i on transige sur une
prétention douteuse, plus tard on découYre des titres qui en
établissent le bien fondé, la transaction vaut : sub p rele:rtu
insfrumenti post 1·epe1·ti, fransacfionem bona (ide finitam rescindi, jura non patùmtur. (L. 78. s lG. 36. 1. D. - C. 19. Code
2. 4.). Les parties ont fait une transaction relative à un genre
sans savoir quelles espèces il peut comprendre, soit actuellement, soit éYentuellement; la découverte de nouvelles espèces ne vicie pas la transaction : s11b p1·etextu specierum post
reperlarum,generati transaclione fini ta, rescindi prohibent J°u ra
(C. 29. Code 2. 4.).
Cependant, el c'est une cause de rescision spéciale à la
transaction, si r erreur a porté sur la sincérité des pièces qui
ont engagé les parties à transiger, la transaction sera annulée :
Si e:r (alsis insfrumentis fran.sacliones uel pacfiones initœ (ueri11f, quamvi·s iusjurandwn de !tis intel'f'O.<situm sit, etiam ciuiliter (also r·evelato. eas refracta1·i p1·œcipfo11ts (C. 42. Code 2. 4.)
Ainsi les parties, s'appuyant sur des titres qu'elles croient sincères, consentent à transiger ; puis on découvre que ces titres
sont faux, la transaction sera rescindée quant aux chefs auxquels s e rapportent les titres reconnus faux., aliis (irmis manentibus. Donc il faut que les titres aient été déclarés faux, que
-
127 -
la transaction ait été conclue dans l'ignorance de cette fausseté
'
et que la croyance à la sincérité des pièces ait été déterminante
de la volonté des parties. Mais si les parties on t eu des doutes
sur la validité de ces pièces, si la transaction a précisément eu
pour but de faire cesser cette incertitude, la transaction est
maintenue, nisi forte etiam de eo quod (alsum dicitur, controversia orta decisa sopiatur ( eod. loco).
Peu importe quu les parties aient regardé comme douteux.
un point qui ne l'était pas; il suffit qu'elles l'aient considéré
comme tel. Cependant si ce point tenu pour douteux, ne
l'éta it plus par suite d'un jugement qui a acquis force de chose
jugée, l'erreur dans ce cas annule la transaction : u Si post rem
judicatam, qui tra nsegen·l et sol verit, repctere poteril, idcirco quia
placuil transactionem nullius esse momenti (L. 23 § I. 12 6; adde
C. 32 Code 2. 4.) et cela a sa raison d'être : pour qu'il y ait
transaction, il faut qu'il'! a it un doute quelconque; or ce doute
ne s aurait s ubs ister après le jugement, a mo ins cependant que
ce jugement ne so it pas définitif, ou soit tellement confus
qu'on puisse s outenir qu'il n'a pas tranché telle ou telle difficulté. « Et post 1·em judicatam tmnsactio valet, si vel appellat-io
intercesseril, vel appellai·e potue1·is (L. 7 prin. 2. 15. D. )Posl 1·em
judicntam, etiam si provocatio non est inferposita, tamen si
negetur judfratum esse, vel ignorari potesf an judicalttm sit,
quia adhuc lis subesse possil, fransactio fieri potest. (L . 11. 2
15. D. ). L'erreur de calcul doit ètl'e rectillëe dans la transaction
comme dans to ute a utre convention, it moins cependant que les
parties n'a ient précisément transige afin de fa ire ce~ser leur doute
sur l'exactitude des chiffres . (0. un. Code 2. 5.)
�-
128 -
CHAPITRE IX
Par quelles voies de droit peut-on invoquer l'erreur?
n n'y a
pas de voie de droit spéciale pour invoquer l'erreur
en justice. Mais celui qui en est viclime peul emprunter divers
moyens du droit civil, pour faire réparer le dommage qu'elle
lui a causé.
Il se peut que l'erreur annu le rad icalement l'acte juridique
qu·ene entache : dans ce cas, lors que le demandeur mettra son
droit en mouvement en demanda nt au mag is trat la formule de
l'action qu'il veut intenter contre la victime de l'erreur, le
défendeur excipera de la nullité de l'acte, prouvera que le rapport de droit n'a pu se former, et s'il p arvient à le démontrer
le magistrat refusera la formule; s'il la isse déliv r er la formule,
sans protestation, il pourra encore devant le juge, invoquer
cette exception tirée du fond du droit. Telle est la m arche que
l'on suivra dans la pr océdure formulaire, lorsque l'erreur aura
porté s ur l'objet lui-même, sur son exis tence, s ur ses qualités
substantielles, s ur la personne dans les contrats à la considération de la personne est déterminante, en un mot dans toutes
les hypothèses où l'erreur entraine la nullité du contrat. Mais
si le consentement se trouve simpl ement vicié, le défendeur
opposera à l'action, soit l'exceptio in factum, soit l'exceptio doli
mali qu'il fera insérer dans la formule . Cela résulte du texte
suivant: Yerbi gratiasi metu coactus, autdolo inductus, aut errore lapsus stiputanti Titio promisisti, quod non.debueras,palam est jure civili
-
129 -
te obligatum esse, et actio Ql.l<e intcnditnr te dnre oportere efficax est :
sed iniquum est te condemnari, ideo que datur tibi exceptio metus
causa, aut doli mali, aut in fa ctum composi ta ad impugnandam aclionem. (Inst. § 1. Lib. IV. Tit. XClI. ) Par l'exception in fa ctum,
le juge se bornera à examiner le fait allégué comme constitutif de
l'erreur, tandis que l' e:r;ceptio <loti mali lui donne la faculté d'examiner tous les faits qui peuvent établir l'erreur que l'on invoque.
En somme, l"exceptio doli mali rédigée en termes beaucoup plus
gén~raux, (si in ea re nihil dola malo . Gaius IV,§ 119) laisse au juge
une plus grande liberté d'appréciation.
Mais pour que l' exceptio doli mali puisse ètre opposée, il faut
suppose!' que le demandeur intente une action stricti juris.
c'était, en effet, une action de bonne foi comme l exception de dol
y est sous-entendue et comme le juge peut étendre son examen il.
tous les faits de nature à infl uer s ui· sa décision, on n'a pas besoin
d1opposer cette exception : Gum enim, disent les textes, doli exceplio
insit de dote actioni, ut in cœteris bon:.e fideijudiciis . (L. 21. 24. 3. D. ).
Mais si celui qui est victime de l'erreur, n·est pas pours uiYi et qu'il
veuille demander à qui de droit la répara tion du préjudice que cette
erreur lui a occasionné, comment le fera-t-il? Le plus souyent, par
l'action du contrat, si l'obliga tion qu'il engend1·e est sanctionnée
par une action de bonne foi. Ainsi, pat· exemple, en cas de Yentc, il
intentera l'action ex e111pto, pour r ëclamcr des dommages-intérêts au
vendeur de mauvaise foi. Que si cette action est stricti juri~·. et ~i
1' on a eu soin d"ajonter au contrat une clausula doli, dans ce cas, on
pourra encore demander compte au d~mandeur de son dol
Le préteur donne a ussi l'in inter;r-11 m restilutio pour cause d'erreur dans certains cas déterminés. Paul, après avoir défini l'in
1"nte9rwn restitu tio ;redintegr·andœ rci t'el causœ actio, s'exprime
ainsi cc I nterri 1·est?tutionem pr.-etor tr?°buit ex his causis q11œ per
J ustum e1·rorem [!esta esse dicuntur. »(Pauli. ent. Lib. I. Til.VII.
9
�- 130 § 2.) (1). l\ous avons vu que ce secours ex.traordinaire est
accordé a ux. personnes privilégiées. On l'accorde aussi aux
créanciers du défunt qui ont demandé par suite d'une erreur
t out à fait excusable, la séparation des pa trimoines : " S i tamen
temere separationem pefiei·int c1·editores defuncti, ilnpe fra1·e
veniam possunt justissima scilicet ionorantiœ causa alleg ata.
(L. 1. § 17. 42. 6. D.) Pourra a ussi en profiter celui qui p ar suile
d' une erreur, a ura nié en justice<< Quijusto erro1·e, ductus, neg averit se heredem esse, venia diynus est (L. 11 . § 10. 11.1. D.) Le
secours de l'in inteorum restifutio est a ussi accordé: à celui qui
pa r erreur ou ignorance a négligé d'opposer en justice une
exception péremptoire. « Sed pe1·emptoria quidem exceptione
cum re11s, per errorem non fuit usus, in inteorum restifuilu1",
servandœ c:r:ceptionis rratia (Gaius, Corn. IV. § 125); au demandeur qui a commis dans l 'infenlio une pluspeti tio. Ici encore,
il faut que l'erreur soit tou t a fait e x.cusable : Nec facile in inteo 1·um restifuebatur ; sane si tam magna causa justi erroris
interveniebat, ut elia111. constantissimus quisque labi p ossef,
etiam majo1·i vi9in ti quinque annis succurr ebatu1·. (Inst. Lib . IV.
Tit. VI. § 33. Gaii Corn. IV .§ 53.). Il y1 a lieu à in integrum
restitutio lors qu'il y a ura dans la condemnafio, une erreur qui
léserait le d éfendeur en aggravant, en dehor s des lim ites de l'intentio, l' obligation à laqu elle il sera soum is, en vertu d e la sentence du juge, qui est impuissant a rectifier pareille erreur.
u At si in condemnatione plus posi fum sil quam oportet , actoris
quidem periculum nullum est, sed reus, cumi n iquam f or mulam
acceperit, in inteurum reslituitiw , ut minuafur condemnai1·0. <<
Mais s i au lieu d'exagérer les prétentions du demandeur, la condemnatio les restreint par erreur, il ne peut recourir à l'in fotegrum resti tutio : S ivero, continue le tex.te, minus positum f ue(1) Adde, L. 2. 4. 1. U.
- 131 -ri t, quam oporfet, hoc solum actor consequitw· quod p osuit; nam
tota quidem res in judicium deducitu.1·, constringitur autem
condemnationis fine, quamjude.c egredi non potest. Nec ex aa
par te prœto1· in integncm restituit. Quelle est la raison de cette
différence éta blie entre le demandeur et le défendeur ? Gaius
nous la fait connaitre « F acilius enim reis prœtor succurrit
quam actoribus. )) (Gaii. Com . IV. 57 .) (1) Le défendeur obtient
encor e 1'1·n infegrum restilutio, lorsqu'i l souffre de l'omission
dans la formtùe de la clause nisi restituai, constitutive de l'action arbitraire qui lui permet en obéissant a u jussus judicis
qui détermine la satisfaction à donner au demandeur, de se
soustraire à la condamnation, et encore de la clause bonœ fi,dei
qui donne au j uge la facul té de s tatuer, sans se borner a examin er exclush·emen t le b ien fondé de la demande, en tenant
compte de la s ituation respective des parties d'après les règles
de l'équité (2).
Ra pp elons p our m émoire que pour être indemnisé du dommage causé par la découverte des vices de la chose, on
recourra a ux ac tions édilitiennes et que dans les cas ou il y a
absence de cause ou erreur s ur la cause, on usera de la cond ictio sine causa don t l'app licalion la p lus importante est la
condicHo indebiti, ou de la condiclio causa data causa non secuta. Lorsque par exemp le le créancier a remis par erreur une
dette à son débiteur. Il est à remarquer que ce sont les deux
seules hypothèses, ou l'acte juridique déterminé par une erreur
puisse être attaqué en vertu d'actions spéciales . (3)
( I) Adde. L.
m. 50.
17.
o.
(2) Autres cas d'm in.te91·um i·est itutio pour cause d'erreur. (L. 8. ~ '2.
2. 8. - L. 18. 11. 1. - L. 1. § 6. 27. 6 - L. 11. p. H . 2. D.
(3) Savigny, Tome IIT , p. 350.
�-
132 -
En jetant un coup d'œil d'ensemble sur cette étude, il est facile de voir qu'il n'existe pas en Droit Romain une théorie générale sur l'erreur. Des diverses notions, que nous avons essayé
d'examiner dans un ordre méthodique, il ne se dégage aucun
principe qui les domine. Nous ne trouvons que des soluti ons
éparses dans le Digeste et dans le Code.
Suivant en cela le principe rationnel que l'erreur n'anéantit
pas la volonté, les jurisconsultes romains, dans les premiers
temps, n'attribuèrent aucun eITet à ce vice du consentement. La
volonté devait se manifester dans la plupart des contrats, dans
des formes étroites et précises. Si ces formes faisaient défaut,
la volonté était réputée absente; s i elles existaient, le consentement, quelque vicié qu'il fut, etait considéré comme inattaquable. :\lais, sous l'action du progrès de la science du droit,
impatiente de secouer ce j oug rigoureux, il parut peu logique
de tenir pour parfait un consentement, atteint dans son essence,
et les magistrats comme les Prudents, tinrent compte de l'e rreur
et lui attribuèrent une certaine influence sur la validité des contrats.
Voici en quelques mots, quel rôle j ouait l'erreur en droit romain et quelles sont les régies générales auxquelles on pourrait
ramener les solutions des diverses hypothèses qui la concernent.
Tantôt elle annule, soit de plein droit, soit par des moyens
spéciaux, l'acte qui en est entaché; tantôt elle valide les actes
qui seraient nuls, si la loi ne venait au secours de celui qui a
été victime de l'erreur. L'erreur est de fait et de droit, selon
qu'elle porte sur un point de fait ou une règle de droit. Pour
pouvoir invoquer l'erreur de fait, il faut qu'elle soit excusable,
à moins qu'elle n'ait été commise par des personnes priviligiées,
auxquelles la loi accorde spécialement celte faveur. L'erreur de
droit, aussi, pourra être invoquée à la condition d'être excu-
-
133 -
sable et de ne pas amener la réalisation d'un bénéfice. La
preuve en sera plus difficilement admise (à moins encore quïl
ne s'agisse de personnes privilégiées), car elle ne se présume
point comme l'erreur de fait.
�ANCIEN DROIT FRANCAIS
..
Nos anciens auteurs suivirent presque pas à pas, les prin cipes du droit Romain sur l'erreur. On retrouve dans leurs ouvrages, la distinction entre l'erreur de droit el l'erreur de fait,
la théorie de l'excusabililé et une étude approfondie de l'influence de l'erreur, selon qu'elle tombe sur tel ou tel élément
du contrat.
Pothier, qui dans son Trai té des Obligations (1) s'occupe spécialement de l'erreur a u point de vue des contrats, dit que
u l'erreur n'est une cause de nulli té des contrats, qu'autant
« qu'elle tombe, non sur une qualité accidentelle, mais sur la
substance même de la chose qui en est l'objet l) ou bien «sur la
« qualité de la chose que les contractants onl eue en vue et qui
« fait la substance de celte chose.» Au sujet de l'erreur sur la
personne, il dis tingue suivant \\ que la considération de la per« sonne avec qui je veux contracter, entre pour quelque chose
u dans le contrat, ou n'y est entrée pour rien et que j'aurais
ci également voulu faire ce contrat, avec quelque personne que
« ce fùt, comme avec celui avec qui j'ai cru contracter. 'Il
Il repousse l'opinion de ceux qui soutenaient que l'erreur sur
(1) Potbier. Traité des obligations, nu mérœ 17. 181 70.
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136 -
les motifs annulait la comention , tandis qu'il admet, a la dilîérence de la législation romaine, qui n'atteignait ce résullat que
par voie détournée, que l'erreur sqr la cause à cet efTet immédiat et direct; «Mais lorsqu'un engagement n'a aucune cause,
1< ou ce qui est la même chose, lorsque la cause pour laquelle
« il a été contracté est une cause fausse, l'engagement est nul
u et le contrat qui la renferme est nul. » (1) Il ne parle point ici
de J'excusabilité: mais il admet et enseigne Jans ses Pandectes(§ 5. 22. G), dans son traité ùe procédure civile et dans d'autre commentaires,qu'il faut établir une différence entre l'erreur
qui témoigne d'une excessh·e négligence et celle qu'il n'est
point facile d'éYiter. Nous nous réserYons d'ailleurs d'indiquer,
là où il y a lieu, l'opinion de Polbier sur chacun des eITets de
l'erreur.
Domat, aussi fait les mêmes dis tinctions, (2) et enfin le chancelier d'Aguesseau, dans sa dissertation sur l'erreur de droit,
reproduit la théorie romaine dans tous ses détails . Comme
Papinien, il ne permet pas à celui qui invoque l'erreur de droit,
de s'en prévaloir pour réaliser un bénéfice. c< Quand même celui
es. qui erre dans le droit, dit-il, mériterait de p erdre son bien,
u comment pourra-t-on montrer que l'autre mérite de l'acquérir
« et cela par cette seule raison, que ce lui qui erre ne connait pas
es. le droit? En un mot , qui osera soutenir que par cette erreur,
u ils aient mérité, l'un , d'être dépouillé de ce qui lui appartecs. nait, et l'autre d'être revêtu de ce qui ne lui appartenait
u pas. » (3) Donc, sauf quelques légères difTérences, les princi-
(! ) Polh. ibid. numéro 42. Procédure ch•ile P art. 5. ch, 4 ~ 4. Prescription
numéros 28, 27, 97.
('l) Lois civiles l. 18. 1. n• 6.
(a) D'Aguesseau, dissertation sur l'erreur de droit. Edit. Pardessus, tome IX
p. 629 et suiv.
-
137 -
pes de nos anciens jurisconsultes, sur cette matière, sont presque tous empruntés au droit Romain. Aussi, est-il inutile. de
nous arrêter plus longtemps sur notre ancien droit.
CODE
CIVIL
CHAPITRE PREMIER
De l'erreur en général
c<
La convention, d'après les expressions mêmes de Potbier,
« est le consentement de deux. ou plusieurs personnes pour
form er entre elles quelque engagement, ou pour en résoud re
un précédent, ou pour le modifier. i> Le contrat est une convention par laquelle les deux parties réciproquement, ou seulement l'une des deux envers l'autre, promettent et s'engagent
à donner quelque chose, à faire ou à ne pas faire quelque
chose. Donc, ce qui distingue le contrat de la convention, c'est
qu'il est productif de l'obligation, que l'on définissait ainsi à
)=tome : Vinculum juris quo necessitate adstringimur alicujus rei
solvenclœ, secundum nostrœ civilatis jura. Supposons que les parties soient capables de contracter, que leur consentement se
soit rencontré s ur un objet certain, déterminé, et qu'il repose
sur une cause licite, la convention sera parfaite. Mais il peut se
faire que les éléments essentiels de la convention ne remplissent
pas les conditions que la loi exige pour sa validité; il peut se
faire par exemple, que le consensus in idem placitum soit entaché
d'un vice.
c<
<c
Nous avons à nous demander quelle est l'influence de l'un de
ces vices; de celui qui atteint le plus souvent le consentement,
l'erreur.
�-
138 -
« L'erreur, dit Pothier, est le plus grand vice des conven-
« tions car les conventions sont formées par le consentement
'
« des parties et il ne peut pas y avoir de consentement, lorsque
« les parties ont erré s ur l'objet de leur convention.
>>
Qu'est-ce que l'erreur ? Comme nous l'avons déjà dit, l'erreur
est la fausse notion que nous avons d'une chose; l'er reur consiste à croire ce qui n'est pas. Nous connaissons la dilîérence
qui existe entre l'erreur et l'ignorance. Nous savons aussi qu'à
Rome, suivant que l'erreur portait sur l'existence d'un fait, ou
qu'elle résultait de l'ignorance ou de la fausse interprétation de
la loi, on disait que l'erreur était de fait ou de droit, et les solutions Yariaient, selon que l'on se trouvait dans l'un ou l'autre
cas.
Notre code a-t- il, sur ce point, s uiyi la doctrine Romaine et
fau t-il dis tinguer entre les deux sortes d'erreurs ?
Ont-elles, dans notre législation, des efTets diŒérents? Nous
ne le croyons pas ; d'abord, les textes ne les séparent pas
(art. 1109). « Il n'y a point de consentemen t valable si le consentement n'a été donné que par er reur, etc... >> (art. 1110.)
« L'err eur n'est une cause de nullité de la convention que lors« qu'elle tombe sur la s ubs tance même de la chose qui en est,
« l'objet. » (art. 1377.) (( Lorsqu' une personne qui, par erreuri
se croyait débitrice, a acquitté une dette, elle a le droit de répétition contre le créancier ». Ces ar ticles démontrent surabondamment que les rédacteurs du Code ont entendu rejeter touta
différence, puisqu'ils ne la mentionnent même pas, à propos
du paiement de l'indù, qui avait donné li eu à Rome à une très
vive controverse. Or, il n'est pas permis de distinguer lorsque
la loi ne distingue pas, et les exceptions qui ne sont pas dans
la loi ne doivent point être s uppléées. (Liv. préli. du Code,
titre V, n• 7.) D'ailleurs, il est rationnel de confondre les deux
erreurs, au point de vue de leurs efîets. L'erreur a pour· résultat
l
...
- 139 d'obscurcfr la volonté, de vicier ou de détruire le consentement ;
mais qu'elle soit de fait ou de dr oit, ce r és ulta t est le même et
tout ce que demande la loi pour tenir compte de l'erreur, c'est
qu'elle ait une in fl uence déterminée sur le consentement (1).
Une autre opinion (2) soutient que le code, tout en ne mentionnant pas cette distinction dans les articles cités p lus haut, et où
il est question de l'er reur, l'a cepenùant maintenue. Elle oppose
à notre système deux sortes d'arguments : les premiers, empruntés à des considé rations générales, les seconds, tirés des
textes. On dit : N erno censetur i9norare legem ; ce principe
s'applique, on le reconnait, aux lois d'intérêt général, il doit
s'appliquer encore a ux dispositions qui règlent des intérêts privés. Aussi celui qui a ignoré ou mal interprété la loi, ne peut-il
pas se r etrancher derrière cette erreur ou cette ignorance, pour
se soustraire aux obligations du contrat , a uquel il a consenti .
Nous avons déjà dit ce qu'il faut penser de cette maxime. Nous
répondons en outre, que ce pr incipe n'est pas écrit dans notre
Code : que si on l'admet pour les lois d'ordre public, c'est parce
que l'intérêt de la société exige absolument et impérieusement, que l'on ne puisse la troubler sous prétexte qu'on n'a pas
connu la loi. Mais il n'y a aucune raison pour l'appliquer aux
lois qui s'occupent des intérêts des particuliers (3). Sinon à
quel résultat aboutirait-on? On innigerait une déchéance à celui
qui a commis une erreur de droit ; on créerait un titre injuste
pour celui qui en profitera it ; or la loi seule peut prononcer des
déchéances (4), et il serait inique de faire de mon erreur la
source d'une acquisition pour mon co-contractant, et l'on arrive( ! ) A Rome, on disti nguait soig neusement !"err eur d e fa it de l'erreur de
droit, parce que la première était réputée in ei:cu snble, en raison de l'impo1 tance
et de la vulgar isation des éludes juridiques.
('2) Delvincourt.
(3) Limoges 8 décembre 1837. Sit·. 1839. 2. 2.7. Cassation 12 mars 184.5.
(4) Toullier : Liv . lll, T it. III. n• 62..
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140-
rait aussi, comme le dit d'Aguesseau «A changer toutes les ol:)Jigations sans cause, en ùonalions forcée ;;, et tous ceux qui se
trompent en véritables donateurs. ».
On dit aussi que celui qui ignore la loi est coupable de négligence (1). Pourquoi en efiet, ne pas chercher à la connaître, ou
ne pas se la faire enseigner par ceu x qui la connaissent? Mais
cela est une considération qui ne diminue en rien l'influence de
l'erreur. Qu'elle soit ou non la suite de la négligence, peu importe, pourvu qu'elle vicie le consentement. Il se peut d'ailleurs
qu'il n'y ait aucune négligence à ne pas connaitre la loi. Si la
publicité est insuffisante, par exemple, ou, si son texte est tellement obscur qu'on ne puisse en saisir Je sens : au surplus
celui qui erre croit savoir et ne point avoir besoin de s'informer
ni d'apprendre.
Voici les textes que l'on invoque. 1°: art. 1356. c< L'aveu judi« eiaire est la déclaration que fait en justice la partie, ou son
• fondé de pouvoir spécial... 11 ne peut être révoqué à moins
ti: qu'on ne prouve qu'il a été la suite d'une erreur de fait. n
« ne pourrait être révoqué sous prétexte d'une erreur de droit.
' 2° : art. 2052. - Les transactions ont entre les parti es, l'auto« rité de la chose jugée en dernier resso rt. - Elles ne peuvent
« être attaquées pour cause d'erreur de droit ni pour cause de
« lésion. » Or, dit-on, ces deux articles en indiquant combien en
~as d'aveu et de transaction, l'erreur de fait que l'on peut invoquer, diffère de l'erreur de droit dont on ne peut se prévaloir,
ne sont que l'application de la règle générale qui établit la distinction entre les deux erreurs. « Mais, selon le raisonnement
(\) c·est dans ce sens que Cujàs disait: Jwris i9norantia stultitia est potius qua.m error et qu'un jurisconsul te cité par Merlin (Hép. v- Presc.),
soutenait qu~ : L'ignorance de la loi loin d'étre une excuse est un crime.
(Houard, auteur du Dictionnaire de Droit Normand.)
-
141 -
« de M. Laurent (1), où se trouve cette règle générale : Est-ce
« dans les articles 1109, 1110 ou 1377 ? Pas le moins du monde,
« puisqu'ils disent tout le contraire de ce qu'on voudrait leur
« faire dire, puisqu'ils ne distinguent pas. » D'apr ès nous, ces
articles ne sont pas des applications, mais bien des exceptions
à la règle contenue dans les articles 110!) et 1110, et si on ne les
interprête pas ainsi, ils n'auraient aucun caractère d'utilité,
puisqu'ils se borneraient à appliquer une règle générale. Si
ce sont des exceptions à la règle, nous pouvons suivre la
maxime : E xceptio firmat re9ulam.
D'ailleurs, la loi a eu ici des raisons spéciales pour s'écarter
du principe. En matière d'aveu d'abord, il est impossible de
prouver que l'erreur de droit à été le motif déterminant de la
déclaration faite en justice. :Voici, un exemple que donne Toullier. « J'ai reconnu une dette qui était prescrite, je prétends ré(( voquer mon aYeu, en alléguant qu'il est la suited'une erreur.
<< Je ne dois pas être écouté, si je savais que le temps de la
u prescription était écoulé, parce que je pouvais renoncer à la
cc prescription acquise, et qu'il est possible que j'aie reconnu
« la dette, par la conviction où j'étais qu'elle n'avait pas été
« payée, et qu'il était injuste d'user de la prescription .... Un
« aveu fondé s ur une erreur de droit impossible à prouver,
(( doit donc avoir toute la force d'un aveu réfléchi (2). 1i On peut
encore donner une autre raison qui doit faire écarter la rétractactation de l'aveu, pour cause ù'erreur de droit et la faire
admettre en cas d'erreur de fait. Quand l'aveu est fait par suite
d' une erreur de fait, si l'on s'est trornpé sur ce fait, la cause
de l'aveu disparait ; tandis que lorsqu'on aYoue par suite
(l) Laurent. Principe de Droit Civi l. Tome. XV. De l'erreur de droit, p.580·
(2) Toullier Jiv. III titre III n• 7ti..
�-
H2-
d'une erreur de droit, le fait avoué (car l'aveu porte toujours
sur un fait) reste intact ; on dit s'être, seulement, trompé sur
ses conséquences ou sur sa na ture. Comment prouver que
cette eneur a été le motif déterminant de l'aveu ? Nous savons
qu'il en était ainsi en droit Romain : Non errat qw· (atetu.r,
nisi jus ignoravit.
Dans l'hypothése d'une transaction, on ne peut pas davantage
se rendre compte s i les parties ont transigé, soit par s uite d'erreur de droit soit afin de prévenir ou de terminer leur contestation. La transaction n'intervient qu'en cas de doute : quasi de re
dubia et lite incerta neque finita , fransigit, disait Ulpien.
Les parties n'ont transigé que parce qu'elles doutaient de
l'existence ou de l'étendue de leurs droits, et c'est précisément
cette ignorance du droit qui a été le motif de la transaction;
elle ne saurait donc servir à la faire annuler. Le législateur,
suppose aussi que les parties, avant d'en arriver aux sacrifices
qu'impose de part et d'autre une transaction, ont soumis leurs
prétentions à des hommes de loi et si elle permettait que la
nullité de la transaction put être mise en question pom erreur
de droit, ce serait fai re continuer ou commencer un procès, que
la transaction a eu pour but d'empêcher ou de terminer. Voilà
les raisons spéciales qui ont décidé le légis lateur à faire exception au principe qu'il aYail posé dans les a1ticles 1109, 1110 et
137i, où il ne fait aucune distinction et ùe très nombreux arrêts
ont consacré cette interprétation de la loi. (1)
Mais pour que l'erreur de droit soit admissible, il faut qu'elle
soit, comme l'erreur de fait, la cause déterminante du contrat,
error dans causam contractui parce que s inon, on se heurterait,
comme en matière d'aveu, à l'impossibilité de démontrer que
(1) Besançon, 1.. mars 18î7. Dalloz v· oblig. -Toulouse, 19 janvier l82i.
Sir, 1824. 3, 11 5. Cassation 24. ianvier 1827. \Sir. 27, 1, 35 1. Limoges, 8 décembre 1837. Sir, 1839, 2. 59.
-
143 -
c'est bien elle qui a été cause de l'obligation contractée et non
point un tout autre motif. Telle était la doctrine de Domat qui
la form ulait ainsi : « Si l'erreur de droit n'a pas été la cause
l< unique de la convention, et que celui qui s·estfait quelque pre« judice puisse avoir eu quelque autre motif, l'erreur ne suffira
« pas pour annuler la convention. )) (1) Si cette erreur est déterminante peu importe qu'elle tombe s ur la forme des actes ou sur
le fond du droit. (2) Ce sera une question de fait. Faisons enfin
remarquer qu'il y aura toujours une certaine différence, au
point de vue de la preuve, entre l'erreur de droit et l'erreur de
fa it. On admettra plus difficilement la preuve de la première,
car on est censé ne pas ignorer la loi. C'est une présomption que
devra détruire la preuve.
En vertu du principe qui défend de distinguer quand la loi ne
distingue pas, nous dirons qu'on ne doit établir aucune di!Térence entre l'erreur excusable et celle qui ne l'est pas. On a
prétendu que la loi, qui dans l'article 1299, parle d'une juste
cause, n'avait pas sur ce point abrogé la théorie Romaine. C'est
à tort, car au sujet de l'article 1299 nous pouvons répéter ce que
nous avons dit, sur les articles 135G et 2052, à savoir que c'est
une dérogation, puisque partout oü il est question d'erreur, la
loi ne se demande pas si elle est excusable ou non. L'article 1299
contient une exception aux principes, qui s'appuie sur des raisons spéciales , et comme Loute exception elle doit être
restreinte a !"hypothèse qu'elle prévoit. Néanmoins quelques
auteurs et nombre d'arrêts, se montrent plus rigoureux que la
loi et y introduisent cette dis tinction, qui est cependant contraire à la nature même ùe l'erreur qui a pour eiîet de vicier le
consentement, comme nous l'avons déjà dit : «Si l'erreur, dit
(1) Lois civiles. Livr. 1 tit.XV111. secl. l. n• 17.
(2) Cassat. If> juin 1826, Dalloz, v· disvosltions n• 246.
�-
144-
M.Larombiêre, dans son Traité des Obligations, a été grossière,
« inexcusable, on n'y croira pas, sagrossièretémême fait douter
« de sa réalité. Alors tant pis pour celui qui s 'est trompé; aussi
« bien, n'a-t-il de reproches a adresser qu'a lui-même, quand il
« lui a été facile de s'assurer de la vérité. Nam et solere suciwri
<l nou stulf?·s sed err antibus. »(1) Est-ce à dire, comme Donneau,
qu'on ne doit pas permettre à celui qui est coupable d'une
grande négligence, d'une faute lourde de s'en préva loir pour
faire rescinder le contrat? D'après nous , tout se réduit à une
question de preuve; s i l'erreur est grossière, la preuve que l'on
voudra en faire sera plus difficile et on regardera l'erreur comme
invraisemblable (2), mais on ne peut refuser à celui qui prétend que l'erreur a vicié son consentement, le droit de fo urnir
la preuve de la réalité de cette erreur. Car enfin, l'erreur qui est
peut être grossière pour un autre, ne l'est peut-être pas pow·
lui. C'est au juge à se montrer plus sévère dans l'admission des
prem·es et si jamais l'erreur existe, et qu'elleait vicié le consentement, le contrat sera annulé. Mais la victime de l'erreur , coupable de négligence sera tenue d'indemniser, son co-contractant du préjudice qu'elle lui a causé, en faisant annuler le contrat, quand son imprudence seule a occasionné ce préjudice.
L'erreur en soi n'a aucune influence juridique, mais elle produit certains effets en portant sur les éléments des contrats,
effets qui varient selon l'importance de ces éléments.
Dans certains cas, l'erreur est destructive du consentement
dans d'autres, elle ne fait que le vicier. Elle détruit radicale~
ment le consentement, ou mieux elle empêche le consentement
de se produire lorsqu'elle porte sur des éléments essentiels du
contrat. Ai nsi, lorsqu'elle tombe sur l'objet de l'obligation ou
bien sur la nature du contrat. Ou bien, elle ne fait que vicier le
<I
(1) Larombiêre, Traité des Obligations n• 6.
(2) Besançon ter mars 18ti4. D. P. 1864, 2. 61.
-
145 -
consentement, dans ce cas, la loi maintient le contrat. Mais
comme il n'est pas juste que la partie qui s'est trompée, soit
tenue de remplir les obligations qu'elle n'a contractées que sous
l'empire de l'erreur, la loi lui permet de demander l'annulation
cle cette convention, et pour sauvega1·der l'intérêt de l'autre
contractant, elle détermine d'une façon limitative les cas dans
lesquels on peut demande r cette ann ulation, en remplissant certai nes condit ions., i l'erreur a pour ohjet un élément du contrat
peu important et dont la considération n'a pu être déterminante
de la volonté du contractant; la loi ne t ient aucun compte de
cette erreur et laisse subsister le contrat dans toute son intégrité.
On appelle l'erreur qui est destructive du consentement l'erreur-obstacle, c'est-a-dire, qu'elle empèche la formation du contrat; le contrat qui en est entaché est considéré comme nul et
inexistant; on lui donne aussi le nom d'erl'eur essentielle, en ce
sens qu'elle annule radicalement le contrat en l'attaquant dans
son essence. L'eneur qui vicie le consentement est appelée
erreur· nullité, c'est-à-dire, que celui qui en est victime pourra
seul l'invoquer, pour faire rescinder le contrat qui est simplement annulable. Ici le contrat subsiste, tant que celui qui a
soufTert de l'erreur n'en a pas clemandê l'annulation. Cette erreur est l'erreur non essentielle, car elle n'entraine qu'tme nullité
relative. On entend aussi par extension, el'reur non essentielle,
l'erreur qui n'a aucune influence sur la val idité du contrat, qui
en est entaché.
Nous verrons en étudiant l'erreur dans les contrats et dans
les autres parties de droit que nous examinerons, dans quel cas
l'erreur est ou non essentielle. l\Iais qu'elle le soit ou qu'elle ne
le s:iit pas, c'est toujours à celui qui l'invoque à l'établir, car
elle ne se présume pas; ce que l'on présume, c'est la Yalidité de
la convention P.t c'est à celui qui la conteste à établir ce qu'il
10
�-
146 -
avance. Acfori incumbil probalio (1) et s'il ne peut y parYenir, sï1
y a doute sur la réalité du vice quïl invoque, il en s ubira toutes
les conséquences, car in dubio, sempel' error nocct erranti. En un
mot, pour que l'erreur soit admise, il faut, en dehors des autres
conditions que nous aYons énum érées (à savoir que l'erreur
soit déterminante et porte sur certains éléments), il faut, disonsnoua, qu'elle soit certaine.
Celui qui invoque une erreur pourra-t- il se prévaloir de ce
que cette erreur est commune? (2) Assurément, sa preuve n'en
sera que plus facile, mais il ne faudrait pas croire que parce
que l'erreur est commune, elle soit soustraite aux principes
que nous aYons exposés et qui se rapportent aux deux sortes
d'erreur, ou en particulier à chacune crelles. En Droit Romain
et dans notre ancienne jurisprudence on appliquait le brocard :
error communis facil jus, parce que, disait-on, l'erreur commune est une erreur excusable. Nous savons que de nos jours
cette raison n'a plus la même portée, et nous disons que l'erreur commune pourra être invoquée, tout aussi bien que
l'erreur particulière, si elle vicie le consentement. Mais l'erreur
quoique commune n'en sera pas moins repoussée, si elle porte
sur une loi d'intérêt public par exemple. C'est ainsi qu'il a
été jugé, que l'erreur, qui avant l'avis du Conseil d'Etat du
2 juillet 1807, donnait aux secrétaires de mairie le pouvoir
d'imprimer aux extraits de l'Etat Civil qu'ils signaient, un
caractère d'authenticité, ne pouvait être invoquée pour faire
considérer ces extraits comme authentiques.
t l) Cela ne s'applique pas à l'erreur qu! prend le nom de bonne foi. (art. 2268
(2) Aix 30 juillet 1838. Cassation 4 août 1854.
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147 -
CHAPITRE II
De l'erreur dans les contrats
Nous ayons vu dans notre chapitre premier, à quel propos
les rédacteurs du Code avaient été amenés à s'occuper de l'erreur et à en déterminer les efiets. C'est en indiquant les éléments essentiels de la convention, au premier rang desquels
se place le consentement des parties qui s'obligent, et en examinant les vices qui pouvaient atteindr e ce fondement de toutes les conventions. Les principes qui régissent le consentement, s'appliquent à Lous les actes j uridiques où la volonté des
parties joue un rôle. Aussi, puisque c'est au sujet des contrats
que l'on nous fait connaitre les principes, commencerons-nous
par étudier l'erreur dans les con trats. Exposons, tout d'abord,
ses effets en quelques mots. L'erreur peut porter sur un ou plusieurs des éléments indispensables à la validité du contrat. Ici
le contrat es t nul, d'une nullité radicale et absolue, non par
suite de l'erreur mais à cause du défaut de l'une des conditions
'
essentielles à la validité de la c01wention.
Elle peut aussi tomber sur un des éléments de la com·ention,
auxquels la loi a donné une importance spéciale. Ce sont, d'après
l'art. 1110, l::t substance de l'objet, et la personne du contractant
lorsque la considéra tion de la personne a déterminé les parties
ou l'une d'elles à contracter. On peut mettre dans cette catégorie, les vices rédhibitoires et la perte partielle. Dans ces hypothèses le contrat n'est pas nul mais annulable seulement; il
est tenu pour valable, Lant que la partie victime de l'erreur ne
�-
148 -
s'en prévaut pas. Enfin, l'erreur peut aYoir pour objet d'autres
éléments si peu importants, qu'elle est indifférente et n·a aucune influence sur la Yalidité de la convention .
Nous allons traiter de l'erreur dans les contrats dans l'ordre
suivant : l° Erreur sur la nature de la convention; 2· Erreur
sur l'objet ; 3• Erreur sur la cause ; 4• Eneur sur les motifs ;
5° Erreur sur la personne.
SEC::TIC>N"
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149 -
acte que les parties avaient qualifié bail et qui contenait des
clauses incompatibles avec la nature de cc contrat, mais essentielles à un contrat de vente, a pu être considéré comme un véritable acte de vente (1). Quid, de l'erreur qui porte sur l'une
des modalités du contrat? Elle l'annule; ainsi par exemple, je
crois acheter sous condition et vous me vendez purement et
simplement; il y a erreur sur la nature même du contrat, qu i se
trouve modifié par la présence ou l'absence de la modalité.
I
SEC::TIC>N"
II
De l'erreur sur la nature du contrat
De l'Erreur sur l'objet du Contrat
Elle annule radicalemelît le contrat, parce que le consensus in
ia condition essentielle, fait ici absolument défaut. C'est l'application pure et simple de l'article
1108 : « Quatre conditions sont essenlielles pour la validité de
la convention: le consentement <le la parlie qui s'oblige, etc ... l>
L'erreur dans ce cas, sera toujours partagée par les deux parties et nous n'avons pas à nous occuper pour l'instant, des difficultés qu'ont souleYées ces mols: le consentement de la partie
qui s'oblige. <l C'est pourquoi, disait Pothier au sujet de cette
« erreur, si quelqu'un entend me vendre une chose, et que j'en« tende la receYoir à titre de prêt ou par présent, il n'y a en ce
a. cas ni vente, ni prêt, ni donation. i> (1). !\fais pour produire
cet efTet, il est indispensable que l'erreur porte sur la nature
même du contrat, et non pas seulement sur la dénomination clu
contrat, car l'erreur sur le nom , n 'indique pas qu'on se soit
trompé sur le contrat lui-même. Dans ce sens, il a été jugé qu'un
idem placitum , qui en est
A propos de l'objet, nous examinerons l'erreur portant sur
son existence, sur son iclenlité, sur sa substance, sur ses qualités accidentelles, sur sa quantité et sur sa valeur.
§ 1. - Erreur sur l'existence de l'objet.
Le contrat est encore radicalement nul, moins par suite de
l'erreur, qu'à cause du défaut de deux des conditions essentielles à sa validité : l'objet et la cause. L'une des parties ne peut
fournir à l'autre l'objet certain qui forme la maliére de l'engagement, et l'obligation de celle-ci n'a plus de cause, Yoilà pour
les contrats unilatéraux. Dans les contra ts synallamatiques il
en est de même : l'erreur portant sur l'un des objets de la convention l'amrnle, parce que l'ol.Jligalion de l'un des contractants
(1) Poth. ObLig. n· 17.
(1) Cassat. 3 décembre 18 32. Dalloz V· Enregistrement n· 2885.
�-
150 -
-151 -
demeure sans objet ell'autre obligation perd sa cause. La chose
est considérée comme inexis tante, quand elle est absoh.nnent
impossible, ou qu'elle est hors du commerce : d.ms ces deux
hypothèses, elle ne peut constituer l'objet c.lu contrat; mais qu id,
si la chose n'existe qu'en partie ? 11 fa.ut distinguer : la perte estelle assez considérable, pour faire supposer que l'acheteur en
ayant eu connaissance, n'aurait point acheté, la vente est annulable ou bien le prix sera d iminué, au choix. ùe l'acheteur. Si
la perte est peu considérable, il ne peut que demander une diminution de prix.
Ces règles que l'on tire de la combinaison des articles lGOI et
1632 sont générales et s'appliquent à tous les contrats.
trompées simplement sur le nom de cette chose, il est certain
que cette erreur ne vicie pas le consentement et par conséquent ne porte aucune a tteinte à la validité du contrat.
§ II. - Erreur sur l'identité de l'obj et.
Que décider dans le cas où l'erreur porte sur l'identité de
l'objet, c'est-à-dire sur l'objet lui-même : in 1'pso corpore rei ?
a Si quelqu'un entend me vendre ou me donner une certaine
chose, et que j'en tende acheter de lui une autre chose, ou accepter la donation d'une autre chose, il n'y a ni vente ni donation. » (1). Nullité absolue; le consentement des parties en efîet,
ne s'est pas rencontré. Le consentement de chacune d'elles a
peut être porté sur l'objet qu'elle avait en vue, mais non sur
celui que l'autre partie rega rdait comme l'objet du contrat. Pas
de concours de volontés, pas de contrat; sinon, il faudrait nécessairement sacrifier la volonté de l'un des contractants, à la volonté de l'autre. Mais ici encore si les parties qui ont consenti
toutes deux à faire de telle chose, l'objet du contrat, se sont
(1) Pothler ibid n· 17.
§ III. - Erreur sur la substance de l'objet
Les trois cas précédents n'ont pas été explicitement visés
par le Code : les solutions que nous avons données reposent
sur les principes généraux qui régissent le consentement des
parties. L'étude de l'erreur sur la substance nous met en présence de l'article 1110 qui s'en occupe spécialement dans son
premier alinéa. Art. 1110. « L'erreur n'est une caus~ de nullité de la convention que lorsqu'elle tombe sur la substance
même de la chose qui en est l'objet. » Donc, on suppose que
l'objet existe; que c'est bien celui que les deux parties font entrer da ns la convention, mais leur consentement ou le consentement de l'une d'elles, au lieu d'être anéanti comme dans le
cas précédent, est entaché d'un vice; l'objet n'est pas tel que
l'une ou l'autre des parties l'ont cru : qu'elle est l'influence de
ce vice; « il faut, dit l'article, que l'erreur porte la substance
de la chose. >> La première question qui se pose est donc celleci. Qu'est-ce que la substance d'une chose? Faut-il entendre
par là l'objet lui-même? Assurément non, puisque l'erreur sur
l'identité de l'objet annule radicalement le con trat, tandis que
l'erreur sur la substance ne fait que le vicier et le rendre annulable, et Polhier lui-même, comme les jurisconsultes romains,
sans s'arrêter toutefois à la difîérence à faire entre la nullité
absolue et l'annulabilité, théorie qui a été beaucoup mieux
précisée par les rédacteurs du code, Polhier, disons-nous, établissait nettement la distinction en ces termes : << L'erreur an-
�-
152 -
« nule la convention, non-seulement lorsqu·e11e tombe sur là
11
chose même, mais lorsqu·ene tombe s ur la qualité de la chose
« que les contractrults ont eue principa lement en vue et qui fait
" la s ubstance de celte chose. >> (l ) Le Code a maintenu celte distinction puisque l'errem· s ur la substance, rend le contrat annulable, tandis que l'erreur s ur l'identité l'emp<'.!ch e de se former.
D'après nous, on peut considérer la substance à un double
point de vue, par rapport il la nature de l'objet, et à la
convention. On pourrait dire que la s tù)stance est naturelle
ou conYentionnelle. La substance naturelle est l'ensemble des
qualités d'un objet, qui lui donnent un caractère propre et
le font classer dans telle ou telle espèce d'êtres. La substance
conventionnelle est l'ensemble des qualités ou la qualité particulière que les parties ont eue principalement en vue en
contractant et qui pour elles détermine le caractère de l'objet.
Dans le premier cas la substance est objectiYe ~ elle est subjective dans le second . Quel sens faut-il donner au mot s ubstance
employé dans l'article 1110? Faut-il le reslrnindre et dire que'
l'on ne doit nullement se préocuper <le l 'intenlion des parties ;
étudier in abstracto les propriétés essentielles d'une chose, et
ne permettre la rescision pour cause d'erreur, que si l'erreur
tombe sur rune de ces propriétés ; ou bien faut-il l'étendre et
accorder que ce qui caractérise la qualité s ubstantielle, c'est la
volonté des parties, qui lui donne, encore qu'elle ne soit que
secondaire, une importance capitale ?
Voici l'opinion des auteurs sur cette question délicate, d'une
très grande portée pratique. (( Par suhstance de la chose
u disent MM. Aubry et Ra u, on doit entendre non seulement le~
" élé_ments matériels qui la composent, mais encore les ;ro« pr1étés dont la réunion détermine sa na ture spécifique et la
(l) Pothier, ibid. obligations.
- 153 « dis tingue d'après les notions communes des choses de tout
<t autre espèce (1) »;en un mot c'est l'ensemble des qua lités que
l'opinion commune estime essentielles qui constitue la s ubstance.
Donc, d'après ces auteurs, la substance est purement naturelle et
l'intention des parties n'y est pour rien. Cependant ils accordent
quo si les parties ont manifesté cette intention d'une façon précise, par une clause sp éciale, on doit eu tenir compte, et en cela
ils ne font qu'appliquer la règle, que la convention fait la loi
des parties. « Ce s'est en e!îet que par sa prise en considération
expresse que la qualité de la chose devient substantielle (2) »
Nous croyO}lS au contraire que cette volonté des p1rties de
donner à cette qualité, la vel'Lu d'une qualité substantielle, peut
tout aussi bien résulter des circonstances. J'achète une bague
en cuine qui n'a aucune valeur intrinsèque et je la paie trèscher, parce que je m'imagine qu'elle a appartenu à un personnage célèbre; devra-t-on dire, que parce que je n'ai pas indiqué
la raison qui me faisait acquérir cette bague à laquelle j'attache
une grande Yaleur his torique, que la vente devra être maintenue ? Non, et les arrêts qne l'on peut citer dans le sens de
l'opinion que nous combattons ne sont pas conformes à l'esprit
ùu Code, ainsi que nous le montrerons dans un instant.
D'après d'autres auteurs, ce qui constitue la substance, c'est
toute qualité quelle qu'elle soi t, qui individualise l'objet, qualité « dont elle tire son nom, nomen appellativum 1 qui est un
substantif ou_une réunion de mots employés substantivemenh ;
ou bien selon la définition de l\farcadé « la qualité substantielle est toute qualité, qui n'étant pas susceptible de plus ou de
moins, fait passer l'objet clans telle espèce ou dans telle autre,
selon que cette qualité, existe ou n'existe pas.» i\Iais alors, on en
arrive à dire avec un auteur « que les qualités, constituant la
(!) Aubry et Rau, tome I V. page 299. ~ 34.3 bis.
(2) Larombière. - TraiLé des obligations.
�-
154 -
substance, sont celles dont l'absence dénature la chose, l'a ltère
au point qu'elle devient une antre chose, un autre être que celui
qui deYait être l'objet de la convention (1) » ; et l'on confond
ainsi l'erreur s ur la substance avec l'erreur sur l'identité, deux.
erreurs parfaitement dis tinctes et produisant des résultats tout
différents.
Selon nous, la loi a maintenu en partie au mot substance, l'acceptation large que lui donnait Pothier,c'est-à-dire qu'il désigne
la qualité substantielle, qui caractérise et spécialise cet objet et
tout aussi bien la qualité que les parties contractantes, ont regardée comme principale. Les rédacteurs du Code .ce sont inspirés dans toute cette matière des idées de Pothier, puisque
dans l'exposé des motifs, l\L Bigot-Préameneu reproduit absolument les termes de Pothier. u Pour que l'erreur soit une cause
de nullité de la convention, il faut qu'elle tombe, non sur une
qualité accidentelle, mais sur la substance même de la chose
qui en est l'objet. » (2) On peut donc supposer que le législateur a conservé au mot substance, qu'il ne définit pas, le sens
que lui donnait Pothier : cc Qualité de la chose que les contractants ont eue principalement en vue. »
Donc il peut se faire, que la qualité que les parties ont considérée comme substantielle ne soit que secondaire par rapport
à d'autres : c'est leur appréciation qui donne à cette qualité le
caractère en vertu duquel, si elle vient à faire défaut, le consentement sera vicié et l"on pourra demander l'annulation du
contract. C'est dire, que la qualité s ubstantielle au point de vue
de la convention tout au moins, est relative: Un bijou peut être
considéré par diverses personnes sous Je rapport du travail, du
( 1) Colme! de Santerre, Tome 5, p. 16, n• 61 bis.
(2) IJalloz Al v- oùligatioo, p. 21.
-
155 -
métal précieux (1), de l'ouvrier qui ra fait, du personnage
auquel il a appartenu, de son antiquité, et selon l'espèce, l'erreur
portera s ur la substance, selon qu'elle tombe s ur le travail, la
matière prem ière, l'ouvrier, l'origine, l'antiquité. (2) Cependant
nous n'admettons pas que la substance d' une chose soit absolument relative. La s ubstance n'est pas aussi variable : pour
obtenir l'annulation du contrat, il faudra démontrer tout d'abord ,
que l'on avait considéré telle qualité comme essentielle, comme
substa ntielle et en second lieu, que cette qualité faisant défaut
la chose est viciée dans son essence ; le juge en étudiant une
erreur sur la substance, devra donc se placer, au point de vue
de la subs tance naturelle et au point de yue de la s ubstance
conventionnelle. Pour nous résumer, quand l'erreur porte sur
une qualité qui donne un caractère spécial à la chose et que les
parties ont regardée comme essentielle, le contrat pourra être
annulé.
Cette solution ne souŒre aucune difficulté dans le cas où l'erreur est commune au x deux pa rties. Quid, si l'une d'elles seulement s'est trompée? Dans ce cas, l'erreur s ur la substance
vicie le contrat s'il a été expressément déclaré, quel était le
rapport sous lequel l'une des parties, l'acquéreur, considérait
(1) L'erreur s ur la s ubstance n'c3 t donc pas necessairement et exclusivemen t, l'erreur s ut· la matière : La matière n'est qu'une qualité qui peut n'être
pas subsbntielle.
(2) On tr0u1·e des applications de ces principes dans les arrêts suil'ants:
Grenoble, 27 mai 183 1. D. A. V•ubli~. n• 134 ;
Pa ris, 9 jam·ier, 18 119. O. P. 49. 2. 67 ;
Amieus, l l mai. 185'1. D. P. 51. 1. 147 ;
P~ r is, l3 décembre. 1856. O. P. 57 2. 73;
Cassai. 8 mai 1858. Sir. 59. 1. 238 ;
T rib. Seine. 28 juin, 1862. O. P. 63. 3. 24 ;
Gassat. 13 janvier, 1864. D. P . 611. 1. 162;
Gassat. 24 jui n, l8G7. Sir. G7. 1. 393.
Paris, 1er décembre, 1877. J ou rnal Le Droit, 8 décembre, 1877.
�-
-
15G -
l'objet, ce qui constituait, d'après lui, la qualité substantielle.
Par exemple, j'achète une broche, à la condition qu'elle soit
garnie de diamants et de perles flnes, et l'on me fait passer
comme tels, du s trass et des perles fausses. Le contrat pourra
être annulé plutùt, parce que la condition du contrat n·a pas
été remplie, que parce qu'il y a erreur. Le Yendeur peut n e pas
garantir la qualité des pierres précieuses, alors l'acheteur
achète à ses risques et périls, et il n'y a pas de recours en cas
d'erreur (1). Il en serait de même, dans le cas où il résulterait
des termes du contrat, à défaut de convention expresse, que
l'acquéreur a bien entendu acquérir un bijou orné de diamants et
de perles fines, tel qu'il parait être, sans subordonner son consentement, à l'existence d'une qualité déterminée. l\lais les parties ne
se sont nullement expliquées dans la convention . Ainsi, j'entre chez
un orfèvre, je demande le prix d'une bague. Je crois qu'elle est en
or et il me semble faire une bonne aITairc, elle est en ce qu'on appelle <lu doublé; l'orfèvre le sait, mais ne dit mot : je l'achète; pourrai-je, plus tard, si je viens à découvri r mon erreur, faire rescinder la ,·ente? Ecartons d'abord l'hypothèse où le vendeur, en
faisant valoir sa marchandise, m'engage, par ses mensonges, à
faire l'acquisition; dans ce cas, il y aurait dol et le contrat serait
re5cmdable pour cc motif, encore que l'erreur ne portât que sur les
qualités accidentelles, solution qu'on ne peut donner en matière
d'erreur. Mais supposons que le vendeur n'ait rien dit, il ne se doute
pas de mon erreur peut-être. Comment répondre à la question?
Deux opinions se trouvent en prjsence. D'après la première, l'erreu1· pour faire annuler le contrat doit avoir été commune aux cieux
parties.
M. Larombière défend ainsi celte manière de voir : << Nous
« supposons donc que la qualité de la ch ose a été formellement
(1) Cassat. 6 décembre 1814. Dalloz Alp. V• vente, n• 123.
157 -
« visée, garantie et promise. Ce n'est en efiet, que par sa prise
« en considération expresse, qu'elle devient s ubstantielle et si
'
« la loi ne parle que de l'eneur tombant sur la substance
<t même de la chose, c'est qu'elle n'a pas à s'occuper ici de ce
« qui est p urement de convention. Si donc les parties, s'arrêtant
seulement à son identité extérieure, prennent la chose telle
qu'elle leu r apparait, peu importe ensuite que leur attente
et soit trompée, par une qualité absente ou méconnue.Comme el le
« n'est pas entrée dans les prévisions expresses du contrat,
« l'erreur qni tombe s ur elle est indifiérente. Qu'un amateur,
<< par exemple, achète sciemment ou non, mais sans dol, un
« tableau de Corrège, ùes monnaies antiques exposés ou oflerts
<< en vente comme croûte ou comme lingots, peu importe rer« reur du Yendeur. Tant pis pour lui s'il n·a pas cowrn les
« qualités qui rehaussaient le prix. de sa chose. Il est lésé sans
« doute ; mais le Yice de lésion est le seul qu i se rencontre dans
« le contrat ; et comme à raison de leur rnleur arbitraire et
« variable, la lésion n'est pas une cause de nullité dans les
« ventes des ch oses mobilières, quelque lésionnaire quïl soit, le
« contrat est tout de même maintenu. Par les mêmes raisons,
« si l'acheteur se trompait s ur la qualité de la chose, il ne pour<< rail non plus revenir contre la convention, à défaut de prèvi<< sions expresses de sa part et de promesse formelle de la part
« clu vendeur, touchant la qualité supposée. >l Donc d'après
M. La rombière l'erreur est inùi1Térente, si elle n'a été commise
que p1r l'une seule des parties contractantes. Tous n'admettons pas cette solution et nous nous rangeons à l'opinion des
autems qui autorisent l'annulation du contrat, même dans ce
cas. Pourquoi distinguer, lorsque la loi ne ùistingue pas? Tout
ce qu".!xige l'article 1110 c'est que l'erreur ait vicié le consentement ; or s i ce résultat se produit, les prescriptions de la loi
sont remplies. Ce qui prouve bien que l'article 1110 ne Yise que
<<
<<
�- 100 que q uand on connait la valeur d 'u ne chose, or ic i précisément,
par cette erreur que l'on commel sur la substance même de la
chose, on ignore absolumenl cette valeur. Nous n 'avons parlé
que de la. \'ente, cependant les princ ipes que nous venons d'exposer , s'appliquent aux autre contrats synallagmatiques, comme aux contrat un il:ltérn.u x., le prêt ou la donation. On pourrait douter de cette exlensiou du principe à cause de la r éclaction mème de l'article 1110. En disant que l'erre ur n'est un cas
de nullité de la convention que lor squ'elle tombe sur la substance même de la chose, qui en es t l'obje t, cet article semble
exclure les contrats qui ont plu ieurs obj ets, j)arce qu'il y a plusieurs obligations. C'e tune faute d e r édaction qui se rapproche de celle de l'article 1108, qu i p our la validité de la com ·enlion exige le consentement de la partie qui s'obl ige, alors que
dans les contrats synallag mat iques, deux parties au moins
s'obl igent entre elles. 11 Le contrat est synallagmatique ou bila« téral, dit l'article 110:2, lorsque les contractants s'olJligent
réciproquement, les uns envers les aulres " et la lo i n'a pas
voulu sonstraire les contrats synallagmatiques aux r ègles qu'elle
1<
donne sur le consentement des pa rties. li aurait donr fallu dire :
l'e1-reur n'est une cause de nullité de la convention que lorsqu'elle
tombe sur la substance méme de la chose, ou des choses qui en sont
l'objet . Ces règles n'admettent aucune distinction entre l'erreu r
de droit et l'erreur de fait.
-
161 -
tantielles, nous l'avons déjà dit, sont celles, qui d'après la nature d e l'objet et la volonté des parties, caractérisent une chose,
lui don nent une perso nnalité et un e manière d'être qui la distingue absolument de telle ou telle autre chose. Tandis que les
qua li tés acciden telles ou accesso ires sont celles qui viennent
s'ajouter à la ch ose pour déterminer plus nettement son caractère, pour en augmenter l'utilité ou la valeur, mais dont l'absence ne d étruit pas la nature propre de l'objet. A moins que
les parties n'aient voulu donner à l'une de ces qualités une
importance déterminante, l'erreur qui porte sur l'une d'elles,
ne vicie point la convention, parce que cette erreur ne peut
avoir une influence très-sensible, sur la volonté du contractant,
puisqu'elle ne modifie pas l'individualité de l'objet. La présence de l'une de ces qualités peut bien engager le contractant à
fai1·e l'acquisition de l'obj et, mais elle ue le détermine point, parce
que c'est une qualité secondaire. «Par exemple, dit Pothier, j 'achète
« chez un libraire un cel'taio livre dans la fausse persuasion qu'il
<c
est excellent, quoiqu'i l soit au-dessous du médiocre. Cette erreur
« ne détruit pas mon consüntament, ni, par conséquent, le contrat
« de vente. La chose que j'ai voulue acheter et que j'ai eue en vue,
11
est véritablement le ti,rre que le libraire m'a veudu, et non aucune
a autre chose; l'erreur dans laquelle j 'étais sur la bonté de ce livre
" ne tombait que sur le motif qui me portait à l'acheter, et elle n' em« pêche pas que ce soit véritablement le livre que j'ai voulu ache" ter. Or, nous verrons dans peu que l'erreur dans le motif ne dé« truit pas la convention ( l ). >> La loi ne pou mit admettre que
§ IV. -
Erreur sur les qualités accidentelles de l'objet
A la différence des qualités substan tielles, l'erreur sur les
qualités accidentelles ne vicie po int le contrat. Quelle difîérence
y a-t-il entr e les prem ières el les secondes? L es q uali tés s ubs-
pour des erreurs aussi légères, il fut permis de demander l'annulation du contrat. Sinon les conventions eussent été sujettes à de
trop nombreuses causes do rescision et la stabilité des conventions
en eut souffert. L'erreur sur le nom ou s ur la qualification, rentre
(1) Potbier. Ibid., n · 18.
11
�d.in~
la catégorie de l'erreur
uucune po1·tée ( 1).
162 SUL'
les qualités accidentelles et n'a
Vices rédhibitoires
Cependant la loi appo rte une exception con ~idérab le à ces principes pour ce qu'on appelle les vices rédhibitofres. On appelle vices
1·édhibitofres, les défauts cachés de ln chose vendue, gui la rendent
iropropr~ à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement
cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise ou n'en aurait donné
qu'un moindre prix, s'il les avait connus. Telle est la définition que
contient l'article 164 1. Si les défauts rendent la chose impropre à
l'usage auquel on la destine, la théorie des vices rédhibitoires est
une application de la théorie sue la substance : « C'est que, la
11 règle en droit, dit ~I. Demolombe (2), est que les choses sont qua« lifiécs, non pas d'après les eléments physiques qui les constituent ,
« mais surtout eu égard à la fonction qu' elles remplissent da ns l'ordre
« des besoins de l'homme et à l'usage auquel elles sont destin ées.>>
On peut donc en drnit considérer la chose qui est impropre à l'usage
auquel on la destine, comme n'étant pas la chose même que la
partie voulait acquérir. l\Iais cette théorie s'éca rte des règles gui
régissent l'erreue sur la substance et les qnalités accidentelles, en
ce que si les défauts n'atteignent pas la substar:ce de l' objet, si, par
exemple, il~ ne foot qu'en diminuer l'utilité, celui qui souffre de ce
vice a encore le droit de demander une indemnité ou la rescision du
contrat. Ici la nature de l'objet n'est pas détruite par ce défaut, ce
n'est qu' une qualité accidentelle qui manqnc et cependant le contrat
e5t vicié. C'est donc une exception. Aussi la loi la restreiot-ellc aux
(1) Colmar, 15 nov. 1831, Dalloz. v · obllg. 133.
(2) Oémolombe, t . XXI V, n· 107.
-
iG3 -
vices qui rendent la chose impropre à l'usage auquel on la destine
ou qui la diminuent au point que !' acl.eteur ne r eut pas acquise
s'il les eut connus, ou à ceux qui en diminuent tellement l'utilité et
1a valeur qu 'il n'eut jamais consenti à donner de la chose le prix
qu'il a payé. Le juge am a à décider si le vice dont se plaint l'acquëreur, rentre dans l'une de ces trois catégories. En outre, la loi du
20 mai 1838 soustrait à l'autorité du Code certaines ventes spéciales, énumère limitativement les vices rédhibitoires , supprime
l' une des deux actions, dont il va être parlé, et enfin réduil le délai
pendant lequel on peut intenter l'autre. C'est encore parce que c'est
une exception que la loi établit de notables différences cotre les
actions auxquelles donnent lieu les vices rédh1bitoir~s et l'action
qui nait de l'erreur sur la substance. Le délai pour intenter les
premières varie selon 1' usage des lieux et l'espèce du vice ; mais il
est beaucoup plus court que celui qui est accordé pour intenter la
seconde. Différence rationnelle, car il sera toujours facile de constater si la qualité substantielle faisait ou non défaut au moment du
contrat; si la bague était en or ou en cuivre, par exemple; tandis
qu'il serait difficile, pour ne pas dire impossible, après un trop long
délai, de s'assurel' si le vice dont se plaint l'acheteur, existait
avant la vente ou ne s'est déclaré qu'après la passation du contrat.
L'action en nullité peut être intentée, même par le vendeur,
tandis que l'action rédhibitoire et l'action en réduction du prix sont
réservées à l'acheteur. En outre, ces deux actions ne sont pas admises dans les ventes faites par autorité de justice, tandis que ces
ventes sont soumises à l'action en nullité, s'il y a erreur sur la
substance. En intentant les premières, l'acheteur n'est jamais
obligé d'indemniser le vendeur; il peut quelquefois y étre contraint,
quand il exerce l'action en nullité.
�-
16-l -
§V - Erreur sur la quantité de l'Obj et
En déterminant les obligations du Yendeur, la loi étudie les
effets de cette eneur. Ils font l'objet des dispositions des articles 1G16 à 1623 inclusivement. Voici les hypothèses que la loi
dislingue à propos des ventes d'immeubles. On a fixé dans le
contrat la contenance de l'immeuble el le prix de la mesure.
On a dit : 1( je Yous Yenc.ls tel fonds de terre de Yingt hectares à
raison de mille francs l'hectare;» si au lieu de vingt hectares, il
s·en trouYe Yingt-deux, l'acheteur peut fournir le s upplément
du prix ou faire résilier le contrat, car l'excédant de la conten::mce réelle dépasse d'un vingtième la contenance déclarée :
Quid si le fonds a plus de vingt hectares, mais seulement vingt
hectares et cinquante ares? Ici , l'excédant n'atteint pas un vingtième de la conteanance totale. L'acheteur devra respecter le con
trat, et payer un supplément ; mais on ne lui accorde pas le droit
de faire résilier la vente, parce que la loi ne donne cette faculté,
que dans le cas où l'excédant est assez cons idérable, pour permettre de supposer que l'ouligation de compléter le prix excède
les moyens de l'acquéreur, qui n'eut peut-être pas acheté, s'il eut
connu la contenance réelle et l'augmentation de prix du bien
qu'il veut acquérir.
L'excédant pour produire cet eITet doit être d'un vingtième: et
lorsqu'il n'atteint pas celle fraction, l'acheteur doit nécessairement payer le supplément, qui sera forcément peu cons idérable
par rapport au prix qui avait été convenu. Il ne peut point se
désister du contrat, et dire à l'acheteur qu'il entend garder
l'étendue qui avait été poctée au contrat et abandonner l'excé-
-
1G5 -
dant; parce que, d'abord ce serait morceler la propriété et
laisser pour cornpte au Yendeur, une partie de terrain qui n'aurait aucune valeur à cause de sa petite étend ue, et encore parce
qu'on lui a vendu un corps certain et non pas telle fraction de
ce corps certain. Supposons au contra ire qu'au lieu de vingt
hectares, il n'y en ait que dix-huit, ici la différence entre la
contenance déclarée et la contenance réelle est en moins. Dans
cette hypothèse, l'acheteur, pourra obten ir une diminution de
prix et ne payer que dix-huit mille francs, au lieu de vingt
milie. Mais il ne pourrait point demander la résiliation du contrat, car qui peut payer vingt, peut a fortiori payer dix-huit.
Néanmoins, si celle diminution d'étendue r empèche absolument de faire servir le fonds à l'usage auquel il le destinait, il
pourra faire rescinder le contrat, car on ne pourrait l'obliger
en toute justice à garder un bien dont il ne saurait que faire.
On a fixé dans le contrat la contenance et le prix, sans indiquer le prix de la mesure. Ici, l'indication de la mesure n'a pas
la même importance que clans l'hypothèse précédente, où les
parties semblaient avoir voulu en faire la base de leur conYen tion. Aussi, dans le cas d'excédant, l'acheteur dena fournir le
supplément du prix et ne pourra faire rescinder le contrat, que
dans le cas ou la différence entre la contenance réelle et la contenance déclarëe dépasse un vingtième. Dans le cas de déficit,
il ne pourra obtenir une diminution du prix qu'autant que ce
déficit détruit l'utilité qu'il Youlait retirer <le la chose, eu égard
à l'usage auquel il la destinait. i la Yente a pour objet un bien
dont les diverses parties ont une Yaleur cliITérente, et pour chacune desquelles il y a eu déclaration spéciale de contenance, on
calcule l'e:\.cédant ou le défici t, non pas en se basant sur la contenance mais bien sur la Yaleur totale de l'immeuble. Ains i il a
été dit : 'que le domaine comprenait tlix hectares de Yigne et
�-
t66 -
quinze hectares de jardin, le tout pour ll ,500 fr.; l'hectare de
vigne ayant été estimé mille francs et l'hectare de j ardin deux
mille cent francs. Or, la contenance réelle est de huit hectares
de vigne et quinze hectares de j ardin. Si l'on comparait l'excédant à la contenance, il y a déîicit de plus d'un vingtième, puisqu'il manque deux hectares sur vingt-cinq. Mais comme on le
considère par rapport à la valeur, comme en somme, les deux
hectares qui manquent valent deux mille francs, et que ce chiffre n'atteint pas le vingtième de quarante-un mille c inq cents
francs, il n·y a lieu ni à augmentation, ni à diminution du prix.
i la vente comprend plusieurs biens avec l'indication de la contenance de chacun d'eux el du prix total, s'il y a déficit dans
l'un et excédant dans l'autre, on établit une compensation et lorsque la différence entre l'excédant e t le déficit n'atteint pas un
vingtième, l'acheteur sera tenu de payer le prix convenu. On a
pour exercer l'action soit en supplément ou en diminution du
prix, soit en résiliation de la vente, un an à partir du jour du
contrat.
C'est ici le lieu d'étudier une question que nous av::.ns déjà examinée en droit romain. Que fa.ut-il décider en cas d'erreur sur la
quotité? Ainsi, j e vous demande de me prèter mille francs, vous
m'en promettez cinq cents; le contrat est-il for!Ilé? Non, a-t-on
dit, car je puis avoir intérêt à ne devoir qu'à un seul créancier. Je
vous demande de me prêter cinq cents francs, vous m'en promettez
mille ; il n'y a pas de contrat, affirme-t-on, parce que vous avez intérêt à ne pas diviser vos capitaux et à ne les prêter qu'à un seu l
débiteur. Disons que la solution dépend de l'intention des parties.
Si elles ont regardé la plus petite somme, comme comprise dans la
plus Corte, formant avec elle un u1êmc objet, il y a alors concours
de volontés, jusqu'à concurrence de la somme la plus faible. R eprenons l'exemple précédent, vous me demandez cinq cents francs, jo
vous en promets mille; en vertu du principe, qui peut le plus peut Je
-
167 -
moins, la vente est valable, à moins cependant que je n'aie intérôt
à no pas prêter moms de mille francs et que, par sujte, je n'aie pas
regardé la somme de cinq cents francs que vous me dèmandiez,
comme un objet tout difîércnt de celle que je vous promets. Vous
me demandez mille francs et je vous en promets cinq cents; il se
peut que vous ayez regardé cette dern ière somme comme com prise dans la premi~re ; il y a dès lors contrat jusqu'à concurrence
de cinq cents francs. Il n'y aurait pas de contrat si vous aviez
voulu emprunter mille francs et non une autre somme.
Il n'en est pas ainsi dans les contrats sygnallagmatiques parce
qu'au cas de vente, par exemple on ne peut pas dire quP. celui qui
consent à vendre pour dix consent à vendre pour cinq, quand l'acheteur lui donne cinq ; tandis qu'il est évident que celui qui consent à vendre pou r dix, consentira à vendre pour dix, quoique
l'acheteur lui donne qumze; ici le moins est contenu dans le plus.
Donc, !' etTeur sur le prix annule le contrat lorsque l' offre est inférieure à la demande, mais le laisse intact dans l'hypothèse inverse.
En deux mots : celui qui doit fournir la prestation, l'a-t-il voulue
plus forte que celui qu i devait la recevoir, contrat valable; l'a-t-il
voulue moindre, contrat nul ; car dans ce cas il y a erreur sur
l'obj~t; l' une des parties, en efîet, ne consent pas à accepter l<i
quantité moindre et l'au tre à payer la quantité plus forte. Cependant dans le cas oe la vente comprend des objets multiples, si on
ne l'a pas considérée comme indi\•isible, la vente est valable enrore
que celui qui doit fourni r la prestation l'ait \'oulue moindre que
celui qui doit la recevoir. Ainsi vous croyez que je vous achète dix
ouvrages ôe droit, alors que je crois que vous m'en ver.dez vingt;
la vente vaut pour res dix ouvrages, pour\'u que nous l'ayons
regardée corrrne comprenant plusieurs ventes ~éparées portant
chacune sur un de ces ouvrages.
�-
§ VI. -
168 -
Erreur sur la valeur de l'obj et
L'erreur qui a pour objet la valeur de la chose, Le tombe pas sur
une de ses qualités substantielles, aiosi no vicie-t-elle pas la convention. Cependan t, dans certains cas dé:erminés, ell e peut occasionner une lésion qui est une cause <le rescision dans des hy pothèses spéciales, ou en faveur de quelques personnes privitlgiées.
La lésion n'est pas nécessairement la conséquence d' une erreur,
mais dans le cas où elle se trouve confondue avec elle, il faudra
rechercher si l' erreur remplit les conditions que nous a vons indiquées, c'est -à-dire :;i elle présente un double caractère de g raviLé
et de certitude, si elle tombe sur la substance de la chose ,· on lui
fera, dès lors, produire les effets spécia ux que la loi a attachés à ce
yice de consentement. Ainsi il a été jugé qu'il y avait nullité pour
cause d'erreur, dans la vente que le légataire fait de ses droits à son
colégataire, lorsqu'il résulte du texte du contrat et de la modicité dn
prix , que le vendeur ne connaissait pns l'étendue de:ses droits, t andis que l'acquéreur avait pleine connaissance, de ce que c0 mportait le testament. (1) Dans ce cas, en e!Tet, l'erreur portait sur la
substance même de la chose. Si l' en·eur ne rempliLpas ces conditions, on suivra les règles spéciales à la lésion (2)
Il peut se faire que l'erreur n'existe point dans l'esprit des parties
et qu'elle se trouve sut· le papier. C'est alors une simple erreur
matérielle ; ces erreurs, que l'on appelle e1'reurs de plume ou de
calcul ne vicient point la convention : 0 11 doit les rectifier . C'est ce
que décide le Code dans deux articles, l'article 2058 du Code Civil
et 1' article 54 1 du Code de procédure civile.
(1) Angers ~2 mai 1817. Dalloz V· appel civil n' 5il.
(2) Paris 14 décembre 183Z. Dall. V• oblig. 136. Nancy 15 mai 1869, Sir.
1869 - 2- l7 9.
-
169 -
§ VII. - Erreur sur la propriété de l'objet.
J e vends une chose dans la fa usse croyance qu'elle m'appartient;
or il se t rouve qu'elle n'est pas à moi ; vente nulle, en vertu de l'article 1599, qui dis pose que la vente <le la. chose d'autrui est n ulle.
Etudions l'hypothèse inverse : je vends une chose en croyant
qu'elle est à a utrui et il se lrouve qu'elle est à moi : contrat valable; on pourrait obj ecter que celui qui vend a vec la conviction que
la chose ne lui appa rtient pas n'a pas la volonté sérieuse d'aliéner,
car il sait bien qu'il n'est pas en son pouvoir de disposer de la chose
d'autrui . E n admettant qu'il connaisse la loi, il a peut-être, voulu
la frauder et !"on ne doit pas lui permettre d'alléguer sa propre faute
pom faire annuler le contrat.
SEC::'T'IC>N" I I I
De !'Erreur sur la cause.
Nous avons vu qu'à R ome le mot cause avait deux sens d ifférents. On dénommait ains: l'élément de création légale , le fait
extérieur et sensible qui permettait d'établir l'intention des parties conlraclanles; car la plupart des cmwenlions, n'avaient
d'effet que lorsque le consentement ùes parties prenait une
forme dé term inée par la loi ; application du principe : nuda
pact io oblir;ationem non paril. Par le mot cause, on entenda it
aussi ce que l'on a ppelle la cause finale, c'est-à-d ire la rai on
immédia te qui n ous fai t obliger. Le premier sens n'a plus de
�- 170 portée sous l'empire du Code. Ses rédacteurs, renversant
sur ce pointla théorie romaine, onl élabli que le concours des
volontés forme le contrat, que la conYention était valable par
elle-même, et engendre des obligations, sans qu'il soit besoin
de la revêtir de formes arbitraires; aujourd'hui l'élément générateur du contrat est le consentement des parties.
La seconde acception du mot cause est encore exacte de
nos jours.
Nous allons nous attacher à définir la cause, aussi nettement
que possible; nous étudierons ensuite quels sont les efîets de
l'erreur sur la cause.
L'article 1108 classe la cause parmi les conditions essentielles à la Yalidité du contrat. Mais le code ne la définit point.
Essayons de le faire.
D'après nous la cause est la raison d'être de l'obligation, le
but essentiel, direct et immédiat que le contractant se propose
d'atteindre.
On connaitra la cause d'une obli gation en répondant à cette
question : Cur debetur? C'est donc, le pourquoi de l'obligation;
but unique, car parmi les considérations qui engagent le contractant à conclure une convention, il en est forcément une qui
domine toutes les autres; but évid ent, car il est identique pour
toutes les obligations de la même espèce; raison essentielle et
inhérente, car on ne peut concevoir une obligation sans cause, à
moins de supposer que l'acte n'émane d'un fou, qu'il ne soit pas
l'œuvre d'une personne raisonnable.
On a souYent confondu la cause de l'obligation et la cause de
la convention ; le Code lui-mème semble ne pas distinguer, puisque dans l'article 1108 il parle d'une cause dans l'ob ligation et
dans l'article 1132 il dit que la convention n'est pas moins valable quoique la cause n'en soit pas exprimée. Or ces deux éléments sont essentiellement dis tincts. La cause de la convention
-
171 -
est le motif déterminant, si l'on veut, qui fait contracter, mais
il varie selon les personnes et les circonstances; il est accessoire, car l'ol.Jliga tion n'en dépend pas. « Par la cause d'une
c1 obligation ou du con trat, di t Toullier, le code entend, le motif
« qui détermine la promesse qu'il contient, le pourquoi elle a
« été faite. )) Mais la mciUeure preuve que ce n'est point là ce
qu'il faut entendr e par la cause d'une obligation, c'est qu'alors
que la cause est évidente et identique pour tous les contrats de
même espèce, M. Toullier dit que « c'est par la manière dont
racle est conçu, par la nature du contl'at, par l'objet de la promesse, enfin par les circonstances, qu'on peut juger quel a été
le motif déterminant de celui qui consent et si son consentement était subordonné à la réalité de ce motif comme à une
condition implicite. >) Celle cause ne serait ni plus ni moins
qu'un motif, puisqu'il difTère selon les éléments d'appréciation
que nous venons d'énumérer : tandis que chaque obligation
porte en elle-même sa cause, qui est invariable, et qu'il ne dépend point de la volonté des parties qui s'obligent de changer à
leur guise.
Ce que 'roullier appelle ici la cause, est la cause non de l'obligation, mais de la co1wention, c'e t-à-dire le motif, en d'autres
termes la cause de la cause; ce que l'on répondra à celte question : c1w contraxit? Pourquoi a-t-il contracté; il est facile de
voir que la réponse varie à l'infini.
Nous aYons dit que la cause est la même pour tous les contrats de même espèce. En efTet, dans les contrat· S)ïlallagmatipues, la cause de l'ol.Jligation de l'un des contractants se trouYe
dans l'obligation ou mieux, ùans l'objet de l'obligation de l'autre contractant. Aussi ne faut-il pas soutenir aYec quelques auteurs, que dans les contrats synallagmatiques, la cause et l'objet
de l'obligation sont la seule et même chose, sinon il ne serait pas
vrai de dire comme le fait le Code, que la cause et l'objet sont
�-
172 -
deux condictions distinctes de la ,·aiidité tles co1wentions. Ainsi
par exemple, dans la vente d'un chernl, la cause de l'obligation
du vendeur est le paiement du prix du cheYal par r acheteur et
r objet de son obligation est le transfert de la propriété de ce
cheval à l'acheteur, c'est-à-dire la chose elle-même: de mème
pour l'acheteur, la cause de son obligation sera l'obligation <lu
vendeur qui doit lui transférer la propriété du cheval et l'objet
de son obligation est le paiement clu prix de cette chose. On le
voit donc, cause et objet, même dans les contrats synallagmati·
ques, sont choses distinctes. On connait la cause par la réponse
à la question cur debell1d et l'objet de cette cause en répondant
à cette autre question: qttid dcbetttr?
Dans les contrats unilatéraux à titre onéreux, la cause de
l'obligation de la partie qui s'oblige se trouve dans Le fait ou la
promesse de l'autre partie : Vous m'avez prêté mille francs, je
vous les dois: cur, parce que Yous me les avez prêtés. Que vous
dois-je: Quid ? mille francs .
Dans les contrats de bienfaisance, la cause se trouve dans
l'intention qu'a l'une des parties de gratifier l'autre. La cause
d'une obligation peut aussi consister dans une obligation antérieure, dans une obligation naturelle ou même dans w1 devoir
moral, comme un sentiment de reconnaissance: dans un fait
passé, comme dans un fait actuel ou futur. Dans ce dernier
cas, la cause se rapproche de la condition; elle peut consister
dans la condition elle-même. si Le promettant à intérêt à l'accomplissement de cette condition par le stipulant et que le stipulant ait droit si cette condition se trouve accomplie par lui à
une prestation de la part du promettant. Ainsi, je vous promets mille francs si vous surélevez un mur qui se trouve sur
votre propriété.
Il nous reste à étudier l'infl uence qu'exerce l'erreur lorsqu'elle
porte sur la cause du contrat.
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173 -
D'après l'article 1131 : l'obligation sans cause ou sur fausse
cause ou sur une cause illi cite ne peut avoir aucun effet. L'erreur dans ce cas portant sur une des conditions essentielles du
contrat, l'ann ule rad icalemenl.
Le législateur met sur la même ligne, l'obligation sans cause
et l'obligation s ur fausse cause.
N'y a-t-il entre elles aucune différence? Non; au point de
vue des efîets, toutes deux entrainent la nullité ùu contrat. En
théorie, cependant, on peut distinguer : d'abord, il est impossible d'admettre d'une facon absolue qu'il puisse y avoir une
obligation sans cause, car tout être raisonnable a, en s'obligeant,
une raison d'agir, principale et déterminante. De plus, souvent
quand l'obligation est sans cause c'est que les parties qui
croyaient à l'existence ùe celte cause se sont trompées. L'obligation donc, la plupart ùu temps, ne sera sans cause que parce
qu'elle sera sur fausse cause, c'est en ce sens que Pothier
disait: << Mais lorsqu'un engagement n'a aucune cause, ou ce
« qui est la même chose, lorsque la cause, pour Laquelle il a été
u contracté, est une fausse cause, l'engagement est nul » (1).
Cependant, il y a des cas oü l'obligation est sans cause, quand
par exemple, la cause qui existait au moment de La com·ention
a cessé d'exister ou quand il s'agit d'une chose future qui ne
se réalise pas. Je vous \'ends ma Yendange de l'an prochain
et je n'ai pas de Yendange parce que le phylloxéra a détruit mes vignes. La cause peut encore faire défaut da1is
les obligations ayant pour objet des prestations périodiques.
Par exemple : J e yous ai Joué ma maison de Bastia depuis le
1" janvier et le 31 juillet elle est détruite par un incendie; à partir
de cette dernière date votre obligation de payer le loyer n'existe
plus, p.irce qu'elle n'a plus de cause. Dans certains contrats
( 1) Polhier, Obligations n• 12.
�-
1i4 -
comme le louage, les obligations sont pour ainsi dire, quolidiennes et successives et l'obligation de l'une des parties ne
prend naissance. qu' autant que la ca use de l obligation de l' a ulre
partie, existe encore. li y a donc des cas ou l'on peut s upposer que
l'obligation manque de ca use et c'est avec raison que la loi disting ue entre l'obligation sans ca use et l'obligation sur fausse cause.
Elle nous fournit elle-même un cas dans lequel il y :a rupture du
contrat par suite du défaut de cause ; c'est à propos de la constitution de rente viagére (article 1974 et 1975). Si la rente est constit u6e sur la tête d' une personne déjà morte, ou qui meurt dans les
vi ngt jours de la constitution, de la maladie dont elle était dejà atteinte a u moment du contrat, la constitution est nulle. L'aliénation du capital ou de l'immeuble avait pour ca use l' acq uisition d' une
créance d'arrérages que devait payer le d6biteur rentier : or cette
aliénation n'a pl11s de cause dans la premièra hypothèse et dans la
seconde la créance a pris naissance, mais comme le payement de la
rente ne pouvait pas être l'équivalent, même aléatoire de l'aliénation
du capital, puisque le créancie1· était Jéjà dangereusement malade
et que le payement de la créance devait prendre tin dans un délai
de très court~ durée, la constitution est encore nulle faute de
de cause. Mais no us l'avons déjà dit, a u point de vue des effets,q u' il
n'y ait pas de cause ou que la cause soit fausse, le résultat
est le m6me, le contrat est frappé d'une nullité et d'une nullité
absolue. La loi dit, en effet, que l'obligation sans cause ou sur
fausse cause ne peut a voir a ucun effet; disposition rationnelle, car
l'erreur sur la cause porte sur une des condilions fondamenlales
à la validité de la convention et l'obligation se trnuve attaquée dans
son essence par une erreur de ce gen1·e.
Mais s i l'on sort des limites de cette règle et des termes de
r article, il n'en est plus ains i. La loi en proclamant la nullilé,
exige que l'obligation soit sans cause ou repose sur une cause
q11i est fausse, c'es t-à-dire que les parties ont cm exister et qui
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175 0
n'a jamais existé ou a cessé d exister. Or, si la cause n'est que
simulée et si r obligation a une cause indépendante de la cause
simulée, le contrat est ma intenu; car le Code ne dit nulle part
que la s imulation soit une cause de nullité. Quant à la preuve,
c'est à celu i qui p rétend que la cause est fa usse à l'établir
puisque c'est lui qui demande la rescis ion de la convention :
actori incwnbit probatio. Si le débiteur prouve que la cause
est simulée, c'est au créancier à démontrer qu'il existe en
dehors de cette cause une cause véritable, réelle et s uffisante,
car il y a présomption que la cause est insuffisante ou illicite
puisque on a pris soin d'en simuler une autre. De là, il résulte'
que, pour que l'erreur s ur la cause puisse entrainer la nullité du
contrat, il faut qu'elle porte sur l'ex istence même de cette
cause. Dès lors si l'erreur ne portait que sur l'efficacité juridique, de la cause, s i elle ne portait que sur ses conséquences par
exemple, le contrat ne sera qu'annu lable: « Telle serait rerreur
a d'une personne qui s'engagerait par Yoie de novation à payer
a une dette simplement naturell e, dans la fausse croyance
« qu'elle est civilem ent efficace ( 1). »
Dans ce cas la cDuse existe, puisque nous savons que l'obligation naturelle peut servir de cause à une obligation civile,
mais on s'est trompé s ur les conséquences, sur la portée de
l'obligation naturelle : ce cas n'est qu'une application des règles
de l'erreur sur la substance, car l'erreur porte sur la nature d e
la dette et la dette est p récisément l'objet de la novation (2).
)
(1) Aubry et Rau~ 313 bis. note 5.
(1) Nous avons exposé la théorie sur la cause qui est presque unanimement
reçue. Quelques auteurs cependant refusent de voi r dans la cause un élément
essentiel du conti·at et soutiennen t que les rédacteurs du Code ont fait busse
route en la nommant d'uu nom pal'Liculiel' et en lui donnant des effets spéciaux. ~rnst, Van de Poli, el en France, M. Timbal. (Elude critique sur la
cause dans les contrats et obligations) estiment que lts articles du Code qui
traitent de la cause, sont vides de sens et inu tiles, car la cause se confond
�-
176 -
De l'erreur sur les motifs du contrat.
L'erreur sur les motifs ne vicie pas le contrat. Le motif est
but médiat que l'on se propose d'alleinclre en contractant. C'est
la raison indirecte ou accessoire qui varie selon les personnes,
tandis que la cause est la raison immédiate , inhérente à l'on éce~sairement
ou bien a\•ec le consent.cment ou l'objet, él{,ments réellement
essentiels ou bien encore a,·ec le motif qui n'a aucune influence sur la validité de la convention: En somme. on dit a que celle théol'ie de la cm1se qui,
prétend-on, domine tout le droit, n'e<;t qu' un mythe, une vaine imagination,
un lantome qui s'évanouit i1 la lumière de la critique. v
r oici, en deux mots, l'économie cle ce système nouveau. Au point do vue
rationnel, la convention se compose de trois éléments: 1° deux parties au
moins qui contractent; 2• leur consentemeut pour produire un ou plusieurs
effets de droit; 3• la production réelle de ces efTets. c'est-à- dire la naissance
ou l'extinction d'nne ou plusieurs obligations. Quant à la cause, ce n'est pas
un élément essentiel. Dans les contrats synallagmatiques pal' extmplc : Je
vous vends rna maison et elle vient de brùler, la convention est nulle, non pas
faute de cause, mais parce que le troisiéme élément essentiel, la production
des efTels juridiques ue peut exister. Dans les contrats unilatéraux le but
immérliat du prèteur, en cas de prèt, es t de rendre serdce ou de toucher
des iolérèts. Dans le cas oil il n'y a pas eu numération des espèces, il n'y a
pas de contrat. non parce qu'il n'y a pas de cause, mais parce CJJl'il n'y a pas
de prêt. Donc, dans les contrats syn'lllagmatiqucs, la cause de l'une des obligations, c'est, d'après les llns, l'objet de l'autre obligation. d'après les autres,
l'obligation dlc-mème ; c'es t-!1-dire que la cause de l'un des effets d' une convention, c'est la production mc'me de l'autre efTet,
Dans les coutrats unilatcraux, h ":lttse se confond avec l'objet. Dans les
contrats gratuits, on <lit '}ne la cause est l' intention de faire une libéralité ou
de rendJ·e un service; m:i.is qu'est- ce que cette intention, si ce n'est la
volonté même de donner, en un mot le conseutemeo t'l
Eo resumé, ce qu'oo appelle cause n'est dans les contrats qu'un autre
élément essentiel dont on fait un quatrième élément distinct en lui donnant
un nom particulier. - Note :<ur la T héorie générale des Conventions,
France judiciaire. Février 188.'3.
- 177 -
bligation et identique pour tous les contrats de même espèce.
Pourquoi la loi n'a-t-elle pas admis que l'erreur sur les motifs,
aurait le même effet que l'erreur sur la cause? D'abord, parce
qu'il était impossible de tenir compte des motifs plus ou
moins éloignés que chaque partie peut avoir de contracter à
'
moins de détruire la stabilité des conventions; et en second lieu
parce que le motif n'est pas un élément essentiel de l'obligation. Enfin, tandis qu'il est facile de s'assurer, s'il y a erreur sur
la cause, on ne peut contrôler la sincérité de celui qui affirme
qu'il a contracté pour tel et tel motif, car le motif est en dehors
du contrat, c'est quelque chose de personnel et d'intime.
Cependant les parties peuvent, en vertu de leur convention
donner à tel motif déterminé une importance capitale et y su-'
bordonner la validité du contrat : « Avec Barbeyrac et Pothier,
a disait M. Bigot-Preameneu, dans l'ex.posé des motifs du Titre
« des Contrats ou des Obligations conventionnelles en général,
« l'on doit décider que l'erreur dans les motifs d'une convention,
« n'est une cause de nullité que dans le cas où la vérité de ces
« motifs, peut-être regardée comme une condition dont il soit
« clair que les parties ont voulu fa ire dépendre leur engage" ment.» Il faut donc qu'il résulte d'une convention expresse ou
tout au moins de l'objet du contrat, de la nature de l'acte, des
circonstances, que les parties ont eu l'intention formelle et bien
arrêtée, de faire dépendre la validité de la convention du motif
énoncé. La simple énonciation du motif ne suffirait pas pour témoigner cette intention, ainsi que le pensait Pufiendorf, qui
soutenait « que les parties doivent être censées avoir youlu
« faire dépendre leur c01wention de la vérité de ce motif, comme
" d'une espèce de condition. » Pothier n'était pas de cet avis,
car dans ce cas ce n'est pas l'erreur sur le motif qui vicie la
convention, mais bien, le défaut de la condition, ce qui est tout
différent. L'acheteur, en effet, pourrait être tenu de dommages12
�-
178 -
intérêts en cas d'erreur sur le motif et non en cas de dé fallt de
la condition. Puis Pothier, après avoir fait remarquer que l'erreur dans les motifs ne vicie pas les legs, ajo ute ; << de même et
cs. à bien plus forte raison, doit-on décider, à l'égard des con« ventions, que l'erreur dans le motif qui a porté l'une des par<< ties à contracter, n'inl1ue p as sur la convention, et ne l'empê« che pas d'être Yalable; parce qu'il y a b eaucoup moins lieu de
« présumer que les parties a ient voulu fa ire dépend re leur co n« vention de la vérité de ce motif, comme d'une condition; les
« conditions devant s'interpréter p1·0 ut sonant et les conditions
« qui n'y pem·ent être apposées que par la volonté des parties,
11 devant s'y s uppléer bien plus difficilement que dans les
11 legs.» (1) l\f. Bigot-Preameneu s'autorise à tort du nom ·de
Pothier, puisque Pothier n'admettait pas que le motif pùt être
considéré comme une condition, tandis que l\I. Bigot-Préamenen, dit qu'il y a lieu à nullité quand il est clair que les parties
ont Youlu faire dépendre de la réalité de ce motif comme d'une
condition, la validité de la convention . Donc, si la volonté des
parties est expresse, ou si elle résulte du contrat de quelqu~
façon (ce sera une question de fait, soumise à l'appréciation du
juge), il faut dire que l'erreur sur le motif entrainera l'annuliltion de la convention, non parce qu'il y a erreur sur le motif,
elle est indiliérente, mais parce que la condition qui dominait
la convention est défaillie.
De !'Erreur sur la personne
o.
u
Voici comment Pothier s'exprimait sur ce point: Q L'crreûr su r
la personne avec qui je contracte détruit-elle pareillement le consentement et annule-t-elle la convention? J e pense qu'on doit dé(1) Potbier. Ibid. 20.
-179 u eider cette question par une distinction. Toutes les fois que la
con!>idération de la personne, avec qui je ' 'eux contracter, cmre
« pour quelque chose dans le contrat que je veux faire, l'erreur
« sur Ill. personne détruit mon consentement et rend, par consé« quent, la convention nulle. Au contraire, lorsque la considération
cc de la personne avec qui j e croyais contracter n'est entrée pour
« rien dans le contrat, et que j'aurais également voulu faire ce conc< trat avec quelque personne que ce fùt, comme avec celui avec
« qui j'ai cru contracter ; le contrat doit être valable (1). ,, ~e Code,
qui détermine les eITets de l'erreur sur la personne dans Je rnème
article où il s'occupe de l' erreu r sur la substance, ne va pas aussi
loin et se montre beaucoup plus rigomeux en dé<"idant C!Ue l'en·eur
n'e$t point une <'ause de nullité, lorsqu'elle ne tombe que sur la
personne av~c laquelle on a intention de contracter, à moins que la
considération de cette personne ne soit la cause principale de la
convention. 11 (art. J l lO , 2• alméa.)
Cette restriction est rationnelle; il sera, en effet, facile de distinguer dans quelles circonstances, la considération de la personne est
déterminante, et, dans ce cas, l'erreur sur la personne entrainera
l'annulation du contrat. Si l'on avait admis que l'e:rreur sur lapersonne aurait cet effet dans les contrats, où cette considération est
entrée pour quelque choc;e, comme en somme il y a beaucoup de
contrats, où cette considération, sans avoir une influence décisi\•e,
a tout au moins CJUelque portée, on aurait soumis la plupart des
contrats à de nombreuses causes de rescision.
~lais, dans quels contrats la considéra.lion de la personne, 1' i11lttùus person<e, est- il capital et déterminant? Le code se garde bien
dt.! nous le dire, afi n de laisser au juge la plus grande liberté d'appréciation. Ce sera essentiellement une question de fait, que le juge
tranchern d'après les circonstances. Mais sans poser une règle fh.e
<r
(l) Pothier. Ibid., 19.
�-180 -
-181 -
et générale; nous pouvons rechercher les contrats dans lesquels
l'intuitus personœ est r éellement important.
En premier lie u, nous trouvons le~ contrats de bienfa.isance, où la
libéralité a pour cause lïntention de grnt.ifier, non le premier vènu 1
mais telle ou telle personne déte rminée a u profit de laquelle on veut
bien se dépouille!', ou à laquelle on désire rendre service. En second
qn•elle défend a u colon de céder ou de sous-louer sans le consentement du propriétaire; le propl'iétaire devant partager avec le colon
lqs fruits de l'imme uble, a intérêt à ce que ~a terre soit bien c ul-
lieu , se placent ceux des contrats qui engendrent des obligations de
faire, dans lesquels cette obligation ne peut être acquittée que par la
personne avec laquelle on a voulu contracter. SI quiconque pouvait
exécuter cette obligation , l' erreur sur la personn e n'entra inerait
pas l'annulation du contrat, parce qu' il importe pe u a u créancier
qu e le contra t soit exécute par celui- ci ou pat• celui -là, pourvu qu'H
le soit, alors que cette exécution n 'exige pas de qualités personnelles ou spéciales de ta pa rt de celui qui l'exécute. Dans cette dernière hypothèse, la considé ration de la personne n· a. pu être déterminante. Vienn ent ensuite les con trats qui s upposent une certaine
confiance entre les pa rties, la société, par exemple, (à moins que ce
ne soit une société pureme nt de capitaux). IL est certain qu'on ne
pourrait obliger quelriu' un à r este1· en coll'lmunauLé d' inté rêts a vec un
associé m11ladl'Oit ou négligent qu'i l a pris pour un auLPe qui est o.cLi{,
intelligent et habile, car ici J' intuilus person<e est décisif. Il en est
de même pour le mandat, où l'on ne confie pas ses affaires à la première personne qui se p1·ésenLe, mais à celui dont on connait les
aptitudes , l'honnêteté, en un mot les qualités qui en font un bon et
utile mandataire, de même que le mandataire n'accepte pas un
mandat de qui que cc soit. Le mandant qui se sera trompé sur la
personne du mandaW.ire, pourra faire annuler le contrat, et tous les
actes fttits par ce faux mandataire seront. déclarés nuls, tandis que
la révocation n'annulerait que les actes q u'il pourrait faire plus tard
ut nou ceux qui ont p1•écédè la l'èvocation (art. 2004). Même solution en cas de dé p1t, en cas de colonat pa rtiaire : pour ce dernier
contrat, la loi elle-même indique l'importance de la personne, puis-
tivée, et par suite, à choisir un colon entendu et bon agriculteur
(11-rt. 17&3 ). Quelques a uteurs assimilent s ur ce poin t le bail à ferme
~u color:at pa rtiaire, pa rce que, disent-ils, bien qu~ le propriétaire
ne tou che que des fruits civils, dont le montant est fix é au moment
du contrat, il a encore un t rès-g rand intérêt à ce que sa terre soit
eo de bonnes mains, entre les mains de celui qu'il a jugé à même de
bien la c ultiver.
Dans certains contrats comme dans la vente, la considération de la personne n'a aueune influence. « Par exemple, dit
« Potbier, le véritable inspirateur des rédacteurs du Code d""tns
" toute cette matière, j'a i acheté chez un libraire un livre en
« blanc, qu'il s'est obligé de me livrer relié : quoique ce libraire
« en m e le vendant ait cru le vendre à Pierre, à qui je ressem(( ble, qu'il m'ait nommé du nom de Pierre en me le vendant,
« sans que je l'ai désabusé ; cette erreur en laquelle il a élé
Cl sur la personne à qui il vendait son livre n'annule pas la
« conven tion , et ne peut fonder le refus qu'il ferait de me liHer
" ce livre pour le prix. convenu, dans le cas auquel le livre
« depuis le marché serait enchéri ; car quoiqu'il ait cru vendre
« son livre a Pierre, néanmo ins comme il lui était indilTérent
« à qui il débitât sa marchandise, ce n'est pas précisément à
11. Pierre qu'il a voulu vendre ce livre, mais à la personne qui
« lui donnera it le prix. qu'il demandait, quelle qu'elle fùt (1). »
Mais en vertu du principe fondamental que les conventions
font ln loi des parties, il faut faire une restriction importante .
Si l'intention des pa1·lies a été de donner à la coo idération de
la personne une portée capitale, leur volonté doit être respectée
(l) Potbier, n. 19.
�-
182 -
el si l'erreur vient à ètre démontrée, si l'on prouve que, dans
ce contrat qui est de ceux oü la cons idêration de la personne est ordinairement indifférente, /'i11ttiitus pe1·sonœ u élé
déterminant, le contrat devra être annulé . c·est à celui qui
invoque cette erreur à l'établ ir, car il lui fa ut renverser la présomption que dans ces contrats une telle considêration est
habituellement et naturellement sans influence.
Une fois cette preuve faite, disons-nous, le juge devra annuler le contrat. Mais par suite, non du contrat qui n'existe plus,
mais par application de l'arl. 1382, la partie contractante,
victime de l'erreur, dena r éparation à la personne qu'elle a
confondue aYec son co-contractant, s i elle lui a causê un préjudice quelconque et si cette personne n·acommis aucune faute
ou ne s'est rendue coupable d'aucune fraude de nature à occasionner l'erreur. D'après l'exemple de Pothier, on veut faire
faire son tableau par Natoire et l'on s'adresse à Jacques que
l'on prend pour Natoire, contrat nul, dit-il, parce que la considération de la personne de Natoire et de sa réputat,ion entrait
dans le marché que je voulais faire cc observez néanmoins,
« ajoute-t-il, que si Jacques qui croyait que j e le prenais pour
« Natoire, a, en conséquence de cette convention erronée, fait
« le tableau, je serai obligé de le prendre et de le payer sui« vant le dire des experts, mais ce n'est pas en ce cas la con« venlion qui m'y oblige, cette convention qui est nulle, ne
u pouvant produire aucune obligation, la cause de mon obli« galion est en ce cas l'équité, qui m'oblige d'indemniser celui
" que j'ai par mon imprudence induit en erreur ( 1). » Le Code
a traduit ce principe d'équité une règle de droit positif.
Jusquïci nous ne nous sommes occupé que de l'erreur sur la
personne physique : mais l'acception du mot personne, ne doit(1) Pothier, ibid. n. 19.
-
183 -
elle pas être étendue à certaines qualités substantielles que les
parties peuvent avoir principalement en vue en contractant. Si
l'on ne s'en rapporte qu'aux précédents historiques, il faut répondre négativement, car Pothier n'a parlé que de l'erreur sur
l'identité physique', n'a étudié que le cas de s ubstitution
d'une personne à une autre. Mais nous croyous qu'on se conformerait davantage à l'esprit et aux principes du code précédemment développés, en étendant le sens de ce mot. Le mot
pérsonne comprend à la fois la personne physique et la personne morale; car «ce n'est pas seulement, dit M. Demolombe,
«. leur identité matérielle qui individualise les personnes, c'est
« aussi et bien mieux encore, leur identité morale et juridique.»
Or l'erreur qui porterait sur une qualité s ubstantielle de cette
identité, porterait sur la personne même et nous estimons que
cette erreur doit avoir le même effet que l'erreur sur la personne physique, dans les limites imposées par la loi. Ainsi, par
exemple j e fais une donation à François, parce qu'il est mon
neveu : c'est bien lui auquel s'adresse la libéralité; mais ce
qui me détermine à faire cette donation, c'est sa qualité de parent, qui pour moi est décisive, et si j 'apprends plus tard qu'il
n'est pas mon neveu, je pourrai faire annuler le contrat. On a
soutenu que dans ce cas, il n'y avait point lieu à annulation,
parce que en somme cette erreur, n'était qu'une erreur sur les
motifs, et qu'une erreur de ce genre est indifîérente, à moins de
circonstances exceptionnelles. Assurément, lorsque je fais une
donation à une personne dans la fausse croyance qu'elle a géré
mes a1Iaires, ou qu'elle est pauvre; tandis qu'elle 1ù rien fait
pour moi et qu'elle est riche, la donation subsiste, parce que sa
cause, qui est l'intention de gratifier n'est pas détruite, et parce
l'en·eur n'a porté que snr le but médiat que je me proposais. En
somme il y a erreur sur le motif. l\Iais da ns le cas où je gratifie telle personne, parce que c'est mon parent, dans ce cas il y
�-
184: -
a erreur sur la qualité substantielle; or l'erreur sur une qualité
de ce genre annule la convention et l'on peut à l'appui de
cette manière de voir, tirer argument de l'analogie que la loi
établit par le même article entre l'erreur sur la personne et
l'erreur sur la substance. La difficulté consistera pour le juge, à
s'assurer si la qualité est substantielle et si la considération de
cette qualité a été déterminante, si, par exemple, j'ai donné à
François, non parce que je le croyais mon neveu, mais parce
qu'il est bon et affectueux pour moi : difficulté dont la solution
tient en suspend la validité ou la nullité de la convention et pour
l1 trancher, le juge établira les éléments de sa conviction
d'après les circonstances, la nature du contrat, son objet et tout
ce qui peut éclairer sur la véritable intention des parties.
Toute qualité importante, principale même, n'est pas substantielle, cela va sans dire; ainsi, je prête mille francs à Pierre,
pensant qu'il est solvable; la solvabilité est bien la qualité
principale que l'on recherche chez un débiteur; cependant ce
n'est pas une qualité substantielle, l'identité de Pierre ne change
pas selon qu'il est solvable ou selon qu'il n e l'est pas. Je lui a i
prêté dans la croyance qu'il était solvable, erreur sur le motif.
S'agit-il d'une erreur portant sur la capacité des parties contractantes'! La capacité juridique, n'est pas une qualité substantielle, et par suite l'erreur dont elle serait l'objet ne pourrait
pas amener l'annulation du contrat. Cependant l'on doit supposer que celui qui contracte veut avant tout, faire une contrat valable et inattaquable et par suite obliger envers lui ou s'obliger
envers une personne capable. Mais il est de principe que l'incapable peut seul se prévaloir de son incapacité (1125), parce que
les personnes qui ont contracté avec lui sont coupables de ne
pas avoir recherché avec soin qu'elle était sa condition juridique,
et en outre, la condition d'une partie est bien une considération
importante mais elle n'est jamais déterminante de la volonté
-
185 -
des contractants. Néanmoins, on admet que si l'incapable est un
interdit légal, celui qui a contracté avec lui pourra demander la
nullité du contrat, parce que dans ce càs l'incapacité n'est pas
une mesure de protection, établie en faveur de l'incapable, mais
une mesure de rigueur pri~e contre lui; c'est une peine; cette
nullité est donc, pour ainsi dire, d'ordre public.
Disons en terminant, que pas plus que l'erreur sur la dénomination de la chose, l'erreur sur le nom de la personne ne peut
vicier le contrat lorsqu'il est certain que l'erreur ne porte pas
sur la personne elle-même. (1)
SECTION' "VI
De l'action en nullité
Il y a un grand intérêt à distinguer le contrat nul et le contrat
annulable : Le contrat est nul quand l'un des éléments essentiels
à sa validité, comme l'objet, le consentement ou la cause lui
fait défaut. Il n'est qu'annulable, lorsque tous les éléments
essentiels existent, mais que l'un deux est entaché d'un vice
que le législateur répute être assez grave et assez important
pour permettre à la partie contractante, qui en a été victime, de
faire annuler le contrat qu'elle a fait sous son empire. Nous ne
pouvons indiquer les caractères généraux de l'action en nullité
pour cause d'erreur, sans montrer qu'elle profonde différence
la sépare de l'action en nullité proprement dite, pour défaut
d'un élément indispensable.
(1) Aix, 21 décembre 1870. (Dcvil. l871. 2, 216.)
�-
186 -
Dans notre ancien ùro it, l'action en nullité était réservée aux
contrats dont la nullité ~ tait prononcée par les ordonnances ou
les coutumes ~1) ; on ponvait l'inten ter directem ent deYant les
juges compétents et elle se prescrivait d'ordinaire par trente
ans. Tandis que l'action en rescis ion était celle par laquellé on
demandait la nullité des contrats, qui vala bles en principe,
étaient considérés comme viciés ou impa rfa its, soit par le droit
romain, soit par l'équité. C'est cette action que l'on intentait eri
cas d'erreul', de ,·iolence ou de dol. Avant <le pouvo · r la porter
devant les tribunaux il falla it obtenir des lettres de rescision
délivrées par les chancelleries, au nom du roi : pure formalité,
qui ne préjugeait nullement l'appréciation des magistrats. Cette
action se prescrivait par un laps de temps de dix ans. (2) La loi
des 7 et 11jui!Iet1790, en ordonnant que les demandes en nullité ou en rescision seraient portées directement devant les
juges, supprima toute différence entre ces deux actions et le
Code Civil dans l'article 130-l a consacré cette assimilation ,· cependant quelques légères différences exis tent encore entre elles,
au point de vue de leur qualification et de .l eurs s uites. Le code
se sert indifféremment des mols action en nullité ou action en
rescision, quant il s'agit de l'action qui a pour but de demander
la nullité d'un contrat annulable pour cause <l'erreur, de violence
ou de dol ; tandis qu'il emploie exclusivement les mots action
en rescision pour qualifier l'action en nullité d'un contrat' annulable pour causedelésion(887, 891, 8D2, lG71).Etl'action en rescision düiert encore de l'action en nullité en ce qu'elle peut-être
paralysée par une indemnité qui sera it fournie à la partie lésée
(891-1681). Autre di!Térence: quand on intente l'action en nullité
il suffit de prom·er que l'erreur a porté su1· tel élément déterminé par la loi, tandis que pour l'action en rescision, il faut
(l) Loisel, lnslilul. Cout. lh'. v. Til. l i. Reg V
(2) Ordonnance de 1510. (a rt. lt6).
· ·
-
187 -
démontrer tout d'abord que l'on était dans l'un des cas pour
lesquels la loi autorise l'aclion en rescis ion pour lésion et ensuite
que l'acte dont on se plaint a réellement occasionné une lésion.
A quel cont1·at s'a pplique l'action en nullité? Ce n'est pas au contrat nul. Le contrut nul est censé inexistant ; on n'a pas besoin de
s'adresser à la jusLire pour en foire prononcer la nullité; il ne produit aucun eŒet : Quod nullum est nullum producit effcctum. La
nullité est absolue; quic:mque peut s'en prévaloir : elle est perpétuelle et jamais le contrat ne peut être ra.tiûé ou confirmé, 111 expressément, ni tacitement, en l'exécutant, par exemple, parce qu'on ne
ratifie pas ce qui n ·existe pas. l otre action, en nullité, s·applique
au contrat annulaule, qui se distingue sous beaucoup de rapports
du contrat nul. Le contrat annulable est valable en principe et, en
fait, il existe, produit des eŒets de d1oit ; il vit en un mot, mais
d'une vie apparente et temporaire, car il n'est maintenu qu'autant
qu'on n'en demande pas la nullité. Cette nullité ne peut être solli citée que par la partie intéressée et dans un délai déterminé. Cependant, on accorde le droit à l'a utre pal'tie de la mettre en demeure
do décider si elle veut demander la n:.ilfüé ou maintenir le contrat.
Mais la partie in téressée est libre de tenir pour valables toutes les
obligations gui découlent du con trat et elle peut le ratifier, soit
expressément, soit tacitement, en lexécutant ou en laissant écouler
le délai que la loi lui accorde pour l'atta')uer.
Le contn\t entaché de l'une des deux er1·eurs pré\'Ues par l'article 1110 est annulable. Cela ré:-ulte d'abord de J'artide l l09 , qui
dit: Il n'y a point de consentement valable ... De l'article l l lî, qui
est ainsi ccn<_ u : « La rom cnticm contractée rar erreur, 'iolence
Cl ou clol, n' e~t point nulle de plein droit, elle donne seulement lieu
u ù une action en nullitc ou en 1·escision d~ns les cas et de la ma11 nière expliquée à la section VlI du chapitre V du présent titre. »
Cela est rationnel, ca r nous rnvons qu'en principe l'erreur ne détruit pas la volonté. Dans les deux cas, visês par l'article 11101
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188 -
elle l'atteint de faeon il lui foire vouloir tout ;iutre ohosc que ca
qu'elle voudrait si elle ctait éclairée, et c'est pour cetto raison que
la loi tout en donnant à cette erreur un caractère de gravitJ suf'
fi:.ante pour faire annuler la convention , veut que cette cooveüiion
soit maintenue dans son intégrité taot q•:'on ne l'attaque pus . Donct
le contrat entaché d"erreur· est annu lable et , pour en obtenit• l'anéantissement, il faut exercer l'action en nullité. C'est à.celui qui allègue
!•erreur à létablir ; cela a déjà été dit ; c'est à lui à montrer que son
con! entement a été ,•icié, si cette preuve est faite et si 1' erreut' remplit les conditions exigée$ par la loi, pour être une cause d'annu lation du contrat, encore qu e la partie qui s'est trompée n'ait éprouvé
aucune lésion, sa demande sera accueillie. Quelles en seront les
conséquences? Par le jugement qui prononce la nullité de la convention, les choses $eront remises en leur état antérieur. S'il y
a eu translation de propriété, J es droits réels consentis, tout est
détruit rétroactivement ( l) et, en ou ire, les parties doivent mutuellement se restituer ce qu'.::Uf'.s ont perc:u en vertu du contrat, ~lais,
en cas de translation de propriété, !"acquéreur n'est tenu de rend~(}
que les fruits perc:us du jour de la demande en j ustice, qui, pouf
ainsi dire, le constitue de mauvaise foi. Si 1e contrat que l'on fait
annuler a été transcrit, la loi oblige ;·avoué du demandeur, à peine
de l OO francs d'amende, de faire transcrire le ju gement en marge
du contrat et ce dans le mois du jugement. Le mois commen(l() à
courir du jour où le jugement est inattaquable De là, il ré$ulte que
si le jugement doit être porté a lu connaissaooe des tiers, c' est qu'on
peut le leur opposer et que laction en nullité est réelle. (art. 4 de I~
loi du 23 mars 1855.)
La loi, avons-nous dit, ftxe un d..ilai pour exercer le droit de
demander la nullité. Ce délai est établi dans leo; termes suivants par
(1) A moins qn'il ne 11e soit accompli au profit du tier~-acquéreur une prescription,
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18!) -
farLicle 1304: « Dans tous les ca~ où l'action en nullité ou en res• cision d'une convention n'est pas limitée û un moindre temps par
a une loi pnrticulière, cette action dure dix ans. » C'est bien le cas
ici, fart. 11 17 se borne lt nous renvoyer ici à ln. section où se trouve
l'article 1304, sans fixer u.ucundélni. L'artidec:ootinue : 11. Ceterops
« no coui·t, dam~ le cas de violence, que du jour 06 elle a cessé,
« dans le cas d'erreur ou de dol, du jour où ils ont été découverts. J>
Donc, la partie contractante, qui a été victime de l'erreur, a dix nos
pour s'en prévaloir et ces <lix ans courent du jour où cette erreur a
été découverte. C'est à celui qui prétend que la prescription n'a pu
courir, parce que 1' erreur n'était pas découverte à le prouver, excipiendo reus fil actor Mais quelle est la nature de ce laps de temps!
Est-ce une prescription ou simplement un délai précis et invariable 't
Voici l'intérêt de la question: Si c'est un e prescription, on lui appliquera toutes les règles contenues au titre de la prescription et toutes
les causes de suspension qui sont iodiquéec; dans ce titre. Tandis
que s i c'est un délai, il ne sera interrompu par aucune de ces causes.
D'après nous, c'est une prescription (t); tel était le sentiment de
Pothier (2) et nous ne croyons pas que le Code ait voulu abandonner sa doctrin e. On suppo e que par cela seul qu'elle a laissé
écouler ce délai, la partie qui pouvait demander la nullitè du
contrat l'a confirmé, et pour démontrer la justesse de cette idée, il
suffit de lire l'article 1115 qui , à propos de la violence, sllppose une
ratification tacite de la part de celui qui a laissé passer le délai de
restitution fixé par la loi. Mais, o)jecte-t- on, cette solution est manifestement contraire à la disposition de l'article 2:?64 : • Les règles
u de la prescription sur d'autres objets que ceux mentionnés dans
~ le présent titre, sont expliquées dans les titreE qui leur sont pro< pres . J> Or, dit-on, l'art. 1304 semble dire que le délai est un
(1) Cass. 8 oovemb. 1813. Sirey. 181l, 1. 129.
(2) Potbior, P l'océdure civ1to, chap. IV, art, 2, f 6.
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190 -
délai invariable et il échappe, par conséq uent, à l'art. 2264. Mais,
· nou5 , il ne résulte nullement de l'art. 1:304 que le laps de
d,apres
.
• • et tout ce que. veut dire l'art. .2i64,
temps de d.1x ans soit un déhi
on
qui sont établies au titre de la . prnscr1pt1
.
o
c·est que les .rè<>-les
n'abrogent point les règles spéciales aux autres prescr1pt10ns organisées dans d'autres titres du code; il ne signifie nullement que ces
diver.:;es prescriptions soient so ustraites aux règles _établie~ au titre
de la prescription, quand rien ne permet de cro1r~ qu elles le~
excluent. On ne saurait tirer un a utre argument de l art. 1676 qui
e5 t justement une exception aux principes : exceptio firmal 1·e. .
gulam.
l\Iais supposons que la partie contractante qm s est trom~ée
n'agisse pas pour fai re annuler le contrat, est-il exact de ~ u:e
que si le droit d'exercer l'action en nullité est temporaire,
l'exception qu'elle pourra opposer est perpétuelle. et que ~e
tout temps, il lui sera permis d' invoquer cette nullité par vo_ie
d'exception. En d'autres termes, la maxime : quœ temporalla
sunt ad agendum, perpefoa ad excipiendwn (1) do it-elle être
admise ? Nous ne le croyons pas. Nulle part la loi ne l'a
reproduite et c'est avec raison qu·on la repousse dans le cas spécial dont nous nous occupons : car on peut soutenir, qu'en
laissant écouler dix ans, la victime de l'erreur a confirmé
tacitement le contrat , puisqu'il lui était possible d'agir
directement, et en faire prononcer la nullité. En fixant pour
intenter l'action en nullité un délai de dix a ns, la loi a voulu
éviter les difficultés qu·entralnerail l'examen de l'erreur, s i elle
était im·oquée, en dehors de ce laps de temps : ce serait donc
méconnaitre son but et le tourne r, que de permettre au contractant qui a été victime de l'erreur de s'en prévaloir après l'expi1
ration de ce délai, m~me par voie d'exception. Mais qia.d , s··1
(t) L'ordonnance de Villers-Cotterets ( 1539) avait abrogé celle régie.
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191 -
s'est écoulé trente ans depuis la passation de l'acte; le défendeur pourra-t-il invoquer cette prescription et repoussez le
demandeur, victime de l'erreur, qni établirait qu'il a découvert
son erreur depuis moins de dix ans "l Non, car on acquiert pas
la validité d'un contrat, comme on acquiert la propriété d'un
bien ou la libération d' une dette ; en outre, l'art. 2264 maintient
l~ règles spéciales à chaque prescription ; or il résulte de
l'art. 130-1, que l'action en nullité ne peut se prescrire qu'autant qu'il a été possible de l'intenter, c'est-à-dire après la
découverte de l'erreur (1) . Dans les limitt>s du délai de dix ans,
les héritiers et les créanciers peuvent exercer cette action, car
nos héritiers succèdent à nos d roits et actions et les créanciers
ont le droit d'exercer les actions de leur débiteur (art. 1166).
Le but de l'action en nullité, en eITet est essentiellement
pécuniaire, q uoique provenant d'une cause personnelle. Un
auteur refuse ce droit a ux créanciers, parce que, dit-il, les
créanciers a uron t beaucoup de peine à établir le vice qui a
entaché le contrat. Qu'importe! Le moyen de Caire triompher
l'action doit-il êtr e confondu avec le droit de l'exercer et s'il y
a des difficultés, ce n'est pas une raison pour leur refuser le
qui leur est conféré par l'art. llGG. Puisque le contrat
droit
1
entaché d'erreur est un contrat annulable, il tombe sous l'application de l'art. 1338, qui dispose qu'il est loisible de confirmer ou ratifier le contrat entaché d'erreur et soumis à une
action en null ité ou en rescision. JI faud ra donc suivre toutes
les règles qui se rapportent aux actes confirmatifs. On ne
pourra ratifier expressément, que du jour oü l'erreur aura été
découverte, sinon la confirmation serait entachée du même
vice que le contrat, et l'on de\'ra mentionner sur l'acte confirmatif que l'on a connaissance du vice et intention de le réparer .
( 1) Contra. Aubry et Rau el amH de la Cour de Paris du 22 juillet 1853
Sirey 1854, 2, 49.
�-
192 -
on pourra aussi ratifier
tacitement, en exécutant volontairementle contrat après l'époque à laquelle l'obligation pouvait
être valablement confirmée ou ratifiée, sinon même vice et
même nullité.
Par l'une ou l'autre de ces ratifications, si elle est valable,
le contractant qui pouvait invoquer l'erreur est absolument
déchu de son droit d'intenter l'action en nullité, et le contrat
est censé parfait du jour où il a été conclu . La confirmation fait
donc remonter la validi té au jour même de la convention ;
mais elle ne peut porter atteinte aux droits des tiers.
CHAPITRE Ill
De l'erreur dans le mariage. (1)
Nous avons à dessein terminé l'étude de l'erreur sur les
éléments du contrat, par l'examen de l'erreur sur la personne,
afin de rattacher plus directement aux principes que nous avons
développés en dernier lieu, une de leurs applications les plus
délicates. Nous voulons parler de l'erreur dans le mariage. Il
est peu de difficultés dans notre Code qui a ient si profondément
divisé les interprètes. La confusion de la discussion qui p1·écèda
la rédaction du Titre du mariage, le laconisme des textes, la
gravité des intérêts qui sont engagés dans la controverse, l'impossibilité de soumettre le mariage aux règles qui dominent les
( \) L'erreur en matiére de mari>1ge ne peu t porter sur la oalure du contrat
et on ne pourrait in voquer l'erreur qui tomberait les conséquences du mariage. Cette erreur ne peut, en efîet, naitre dans l'esprit des pa rties puisque
l'officier de l'état-civil, avant de rccuelllfr leur coosenLcmenl, est tenu de
leur lire le chapitre rela tif aux droits cl aux devoirs respectifs des époux.
-193 autres contrats rendent cette question très difficile à résoudre.
Les opinions sont presque aussi nombreuses que les commentateurs, et la jurisprudence, longtemps indécise, ne s'est
affirmée, qu'après s'être maintes fois contredite. C'est qu'on ne
peut se guider ici, d'après les principes généraux. u Il y a une
« différ ence r adicale, dit M. Laurent , enlre le mariage et les
« contrats ordinaires; ceux-ci, ont pour obj et les choses du
• monde physique; ils concernent les intérêts pécuniaires des
« parties contractantes, landis que le mariage est avant tout
« l'union des âmes. Le mariage est un contrat, il est vrai, en ce
« sens qu'il exige un concours de consentement ; en réalité, il
<c di!Tère des contrats de droit commun ; quand des âmes
« s'uuissent, peut-on dire qu'elles contractent? » ( 1)
Ava nt d'examiner les dispositions du Code, sources de tant de
divergences et de tant de systèmes, voyons quelle était en cette
matière, la théorie de Pothier. Le grand j urisconsulte distinguait entre l'erreur s ur la personne et l'erreur sur les qualités
de la personne. Par en eur sur la personne, il entendait l'erreur
sur la p ersonne ph ysique, la subs titution d'une personne à une
autre, et il décidait qu' une telle erreur détruit absolument le
consentement. Tandis que l'erreur sur les qualités ne le viciait
point, et n'atteignait pas le mariage. « L'erreur qui ne tombe
« que sur la quai ité de la personne, disait-il en concluant,
u est donc bien différente de celle qui tombe sur la personne
<< mème. Celle-ci est incompatible aYec ce qui est ùe r essence
« du mariagP; cal' il est de l'essence du mariage, qu'il y ait un
« homme el une femme qui veuillent l'un l'autre s'épouser; ce
« qui ne se trouye pas, lorsque la femme que j e parais épouser,
« n'est pas celle que je veux épouser; mais il n'est pas de même
« de l'essence du mariage, que la femme que j'épouse ait les
a qualités que je crois qu'elle a; il suffit que ce soit celle que j'ai
(1) Principes de droiL civil. Laurent, tome 11, p. 368.
13
�-
194 -
a voulu épouser. l) (1) Nous reYiendrons plus loin sur cette
distinction fondamentale. Le code l'a-t-il maintenue ? C'est ce
que nous examinerons.
Deux articles seulement s'occupent de l'erreur dans le mariage:
ce sont les articles 180 et 181. Ils sont ainsi conçus : .... art. 180,
« 2• alinea. << :Lorsqu'il y a eu erreur dans la personne, le ma« riage ne peut être attaqué que par celui des de ux épou:\. qui
« a été induit en erreur. -Art. 181.Dans le cas de l'article pré\( cédent, la demande en nullité n'est plus recevable toutes les
« fois qu'il y a eu cohabitation continuée pendant six mois,
« depuis que r époux a acquis s a pleine liberté ou que l'erreur a
« été par lui reconnue.»
Mais que faut-il entendre par ces mots : erreur dans la pe1·sonne. Tel est le premier point de la discussion. Visent-ils
l'erreur sur la personne physique? Assurément n on ; car, si l'on
admettait cette interprétation, le contrat ne serait qu'annulable,
puisque l'article 181 déclare qu'on peut le confirmer tacitement;
or nous disons que dans le cas d'erreur sur la personne physique, le mariage est absolument nul, el que ce cas d'eneur
est prévu par rarticle 146, qui déclare qu'il n'y a pas mariage
lorsqu'il n'y a point de consentement.
Il y a ici absence du consentement, que M. Troplong appelait
l'àme du mariage , parce qu'il y a erreur s ur l'indentité de
l'objet ; puisque l'on croit épouser Marie quand on épouse Jeanne.
Voici les principaux arguments que nous pouvons faire valoir.
Faisons remarquer tout d'abord qu'il en était ainsi en Droit
Canonique. Parmi les empêchements dirimants, l'erreur sur la
personne était placée en première ligne: Error, conditio, votum, etc ..... (2) Error circa pe1·sonam quicwnque sit, fure na( 1) Polhier, Contrat de mariage, n•• 308 à 310.
(2) Gautier : Précis de l'Ilis toire de droit, p. ZOO.
-
195 -
°"ra/,i i1'ritat mai?'imonium, nam matrimoninm non poteat eaae
sine consensu : Aiqui en·or personœ tollit con.~ensum . D i ·ci ·1ur,
error, quicumque sit, quia sive vincibilis sive invincibilis perinde est quoad effectum prœsentem. ( 1)
Nous invoquons aussi l'autorité de Pothier. (2) « Il est évident,
cc 9,it-il, que l'erreur de l'une des parties qui tombe sur la personne
~ même qu'elle se propose d'épouser, détruit son consentement.
cc car le concours des deux parties pour une chose, duorum in id~
« placitum consensus, ne se trouve pas dans cette espèce. »
cc Quand dans ce cas je dis que je consens à prendre pour épouse
« la femme ici présente, c'est à Marie que je pense, c'est de Marie
« que j'entends parler, c'est sur Marie que ma volonté tombe;
«. et si J eanne, elle, veut bien me prendre pour mari, moi je ne
c veu~ pas la prendre poor femme. Donc alors, il n'y a pas de
« concours des deux volontés sur le même fait. Dès lors, pas de
« contrat, pas de mariage (3). i>
Pendant la discussion qu i eut lieu en Conseil d'Etat on ne fut
'
pas moins affirmatif, Le Premier Consul, dans la séance du
24 frimaire an X, après avoir entendu la lecture de l'article 146,qui
étai~ ainsi rédigé : " Il n'y a pas de mariage quand il n'y a pas de
cc consentement. - Il n'y a pas de consentement quand il y a viocc lence 1 séduction 1•u erreur sur la personne, » s'exprime dans ces
termes : <c On a. distingué entre l'erreur sur l'individu physique
« et l'erreur sur les qualités civiles. Il n'y a pas de mariage, quand
« un individu est substitué à celui qu'on a consenti d'épouser; ma« riage su5ceptible d'être cassé, quand l'individu avec lequel on a
cr, contracté mariage est bien physiquement le même, mais n'ap« partient pas à la famille dont il a pris nom (4). » Rapportons
(1 ) Carrière. Prœlect. thèolo. comp. Pars lII. cap. TV S'l.
(2) Pothier, Contrat de ma1·iage, 1 V• partie. p. 208.
(3) Marcadè. Tome J. p. 463.
(4) l•'enet. Tome I X. p. 99.
�-
196 -
aussi les paroles de Portalis : « Mon intention déclarée, était
« d'épous<.'r une telle personne : on roe trompe, ou je suis trompé
<< par un concours singulier de circonstances, et j'en épouse une
<< autre qui lui est substituée à mon ins u et contre mon gré; le
« mariage est nul (1). »Lorsque l'article fut soum is au 'l'ribunal de
Cassation, il proposa de changer les mots, erreur dans la personne,
et de les remplacer par les mots, er1·eur sw· l'individu. Cette propo ilion fu t repoussée, et l'on maintint les mols e1Teur clans laperson11e parce qu'ils signifiaient au tre chose qu'une errenr s ur la
personne physique. - D'ailleurs, le texte lui-même contient un
argument en notre faveur. Il ne dit pas eri·ettr su1· la personne,
comme disait P othier , (ces mots auraient été entendus dans le sens
où les prenait Potbier, c'est-à-dire erreur s ur la personne physique), mais erreur dans la personne, et ces expressions erreur sw·
la personne, comme celles e1·reur· sur l'indi vidu, eussent fait cesser toute équivoque, et clairement indiqué qu'elles visaient l'erreur
sur la personne physique. Cette hypothèse de l'erreur s m· l'individu
est implicitement résolue par J'a l'ticle 146. Si l'on ne donne pas ce
sens à cet article, il faut nécessai1·ement dé<.:larer qu'il est inutile,
et vide de sens, car bien que le mariage soit un contrat sui geitens
et qu'on ne puisse pas le soumettre a ux règles des conventions, il
n'en n'est pas moins un contrat, qui exige comme tous les a utres
le consentement des parties. En outre, comment peut-on admettre
que le Code ait voulu viser dans l'article 180 , cette espèce
chimérique et presque irréalisable de la substitulion d' une personne
à une autre sur laquelle, encore une fois, il était inutile de statuer
puisqu' elle était nécessairement comprise dans les termes généraux de l'article 146 ? P uis comment se peut-il que cet article
ait pour objet, dans sa première partie, l'erreur sur l'individu,
alors que, dans sa seconde parlie, la loi accorde, pour demander
(1) Fenet. 'füme IX. p. 167.
-
197 -
la nullité du contrat, un délai de six mois qui court à partir du
jour où l'erreur aura été reconnue; c'est donc qu'il ne s'agit pas
d' une erreur, qui, comme l'erreur physique, est Cacileàreconnaitre
dès la première heure. Le code serait, en outre, non-seulement illogique, mais injuste et cruel, car il ne donne l'action en nullité qu'à
la partie victime de l'er reur ; or, en cas d'erreur sur l'individu,
comment pourrait-on obliger la personne au suj et de laquelle
l'erreur· a été commise, à vivre avec un conjoint qui voulait épouser une autre personne qu'elle?
Enfm, il faudrait supposer que le Code a voulu statuer dans
le même article sur deux hypothèses tout à fait différentes. Si
l'on soutient que dans le second alinéa il parle de l'erreur sur
l'individu, c'est-à-dire d'une hypothèse où le consentement fait
absolument défaut, il fa ud rait admettre, que dans le premier
il vise aussi un cas de non consentement. Or, ce n'est pas cela,
puisque le 1er al inéa s'occupe, non pas du défaut de consentement, mais du défaut de liberté dans le consentement, c'est- à dire d'un vice du consentement ; et cet argument prend plus de
foroe, en présence de l'art 181 qui donne la même solution pour
les deux. hypothèses : c'est donc qu'elles ont toutes deux le
même caractère ; a savoir que dans toutes deux, il est question
non de l'absence du consentement, mais d'un vice de consentement ; cela est certain pour la première, il doit en être de même
pour la seconde. Nous avons groupé ces arguments sans les
développer, ils forment un faisceau compact et nous croyons,
grâce à eux, pouvoir répondre victorieusement aux objections
qu'on nous oppose, car notre système n'a point été accepté par
tous les auteurs, bien s'en faut. On a soutenu que l'art. 180 ne
s'occupait que de l'erreur sur la personne physique et que cette
ei:reur en ver tu de l'a r t. 181 ne rendait pas le mariage nul ; viciant
s implement le consentement, elle le rend annulable « Oui,
« dit-on, l'erreur sur la personne est destructive du consen-
�-198 « teroent ; les auteurs qui le soutiennent pourraient a\oir rnison
au point de vue purement philosophique : non videnl1w qtti
« en·ant consentire. !\lais leur opinion ne saurait se concilier
« avec le système établi par les rédacteurs du Code, soit en ce
« qui concerne les contrats en général, soit par rapport au maù riage en particulier (1). >) Nous n'appuyons pas notre solution
sur des considérations philosophiques, mais sur l'esprit et le
texte du Code: Nous soutenons qu'ici, il y a lieu, en cas d'erreur
sur la personne physique, à nullité absol ue et à la non application de l'article 181, moins parcequïl y a erreur sur la personne,
que parcequïl y a défaut total de consentement et le Code luimème prononce la nullité, quand un élément essentiel de la
convention comme le consentement, n'existe pas. On se prévaut aussi des dispositions de l'art. 1110 sur reneur sur la
substance et sur la personne qui ne rend pas le contrat nul, mais
simplement annulable. D'abord, comme nous l'avons dit en
commençant, on ne doit point assimiler le mariage aux. autres
contrats et en second lieu si l'erreur sur la substance ou la per~
sonne n'annule pas radicalement le contrat, c'est parce que le
contrat en lui-même est valable; aucun élément ne l ui fait défaut.
Mais ici c'est le consentement mème qui est absent, et il faut
appliquer les solutions que le loi donne en cas d'erreur s ur
l'identité de l'objet ; car l'erreur en elîet, porte ici sm l'objet
même du contrat. D'ailleurs, si la loi ne croit pas devoir a nnuler
(<
(1) t Non t>i~entu: q11i errant consent ire. Il en r ésulte qu'en pure théorie
" toute co?v~n~1on qu1~st le résult at d'une erreur, devrait èlre réputée non avec nue. Mais 1l 1mporta1t pour les besoins de la pratique, de préciser les ci r• constances dans lesquelles l'erreur se trouverait de fail avoir déterminé la
• conven tion et la vérifica~ion de ces circonstances nécces,sitant une instrucc t ion judiciair~, on comprend que les rédacteurs du Coùc Napuléüo aient élé
• a~eoés à envisager la conveolioo conclue par s uite d'une erreur, comme
c simpl_emeot sujette à annulation et non comme inexistante. » A.ubry et }{au.
l 313 bis. note 1.
-199 ~adicalement le contrat ordinaire, pour erreur sur la personne
c;lu contractant, bien que la considération de cette personne soit
déterminante, ne peut-on pas faire une exception à celte règle
pour le contrat de mariage, qui de toutes les conventions est
celle ou l'intuitus personnœ joue le rôle le plus important, 1e
.i;ôle capital. Mais admettons que dans l'esprit du Code, même en
matière de mariage, l'erreur sur la personne ne puisse pas
anéantir le contrat de plein droit, il faut au moins reconnaitre
que l'erreur sur l'objet et le défaut de consentement doi\'ent
nécessairement, en raison pure et en législation amener ce
résultat. Quand un individu est en état d'ivresse ou de démence,
le contrat est nul, parce qu'il n'a pas consenti; il a pu consentir
matériellement par la parole, mais l'état de ses facultés ne lui
permettait pas de saYoir ce qu'il faisait ; il n'y a pas de consentement. Lorsqu'un acte de célébration, constate que deux.
personnes, ont consenti à se prendre pour époux. et que dans la
r éalité, l'une d'elles n'a pu consentii', parcequ'elle n'a pas comparu devant l'officier de l'Etat-Civil, par suite d'une substitution
de personnes, il n'y a pas mariage. Pourquoi ? Parce que cette
personne, n·a pas donné son consentement même matériel. De
même ici , il n'y a pas mariage, quoique l'autre personne ait consenti car en réalité son consen tement est inexistant, puisqu'il
'
tombe sur un tout autre objet que celui qu'il avait en YUe.
On fait enfin valoir pour soutenir le système que nous combattons, des considérations morales.
« Il serait contraire, disent MM. Aubry et Rau, il la morale
« publique et à l'intérêt des familles que, sous prétexte <l'erreur
(( sur la personne physique, l'existence du mariage put être
« contestée à toute époque, malgré une cohabitation continuée,
<< pendant plusieurs années, et ce, par tonte personne intéres« sée, y compris l'époux qui aurait trompé son conjoint». (1)
(1) Aubry et Rau,~ 451 bis, note 5.
�-
200 -
-
ObserYons d'abord qne le cas de substitution d'une personne à
une autre ne se présentera que très rarement, à la fa\'eur de
circonstances tout-à-fait extraordinaires et que d'ailleurs ces
inconvénients qui eITraient, se présenlent dans les cas où il n'y
a pas mariage, quand l'individu qui consent était en état dï nesse·, ou que la personne, dont il est fait Iuention dans l'acte
de célébration, n'a pas comparu deYant l'officier de l'état-civil.
Pourquoi ne pas accepter, ajoute-t-on, que l'erreur sur lapersonne physique rend le contrat annulable? Pothier, qui est le
guide des rédacteurs du Code , admettait une ratification; donc
le contrat était non pas nul, mais seulement annulable, car on
ne ratifie pas ce qui n'existe pas. Il ne faut pas oublier, répondTons-nous, que la théorie des contrats nuls et des contrats annulables n'était guère précise dans l'ancien droit. C'est aux
rédacteurs du Code que revient l'honneur de l'aYoir formulée
d'une façon nette. Puis, il ne ressort guère des textes que nous
avons cités que Pothier ne consi<léràt pas comme entièrement
nul, le mariage où il y a eu s ubs titution de personnes: «et le ma<< riage que j'ai contracté avec Louise que je prenais pour Marie,
« est nul par défaut de consentement. » - Mais il dit plus loin:
cc Si après avoir reconnu l'erreur, je consens à prendre pour
<< femme Jeanne, que j 'avais d'abord prise pour ~1arie, ce con« sentement réhabilite mon mariage avec cette femme , lequel
« avant ~e consentement était nul. (1) En somme, le mariage ne
serait pas nul; ce mot nul aurait été employé par Pothier dans
le sens d'annulable.- Si l'on acceptait ce dernier sens, il faudrait supposer que Pothier se contredit de la façon la moins
excusable, puisqu'il avait dit quelques lignes plus haut, qu'en
ce cas il n'y ayait pas de consentement; or s'il n'y avait pas de
consentement, le contrat ne peut se former e t ne peut être ralifié. D'ailleurs, quelle est la raison que donne Pothier pour jus ti• ( 1) Pothicr, Traité du
con~ra t de mariage,
IV• partie, n00 308 el 30!>.
201 -
Oer eette réhabilitation qu'on veut assimiler à une ratification'!
La voici : la bénédiction nuptiale qui a précédé le consentement
de la partie trompée suffit pour la publicité du mariage quoi·
qu'il n'ait été contracté que depuis. Ecoutons-le: «Lorsque j'ai
a épousé, en face de l'Eglise, Jeanne, que je prenais alors pom
« Marie, quoique ce ne soi t que depuis la bénédiction nuptiale que
<< j'ai reconnu l'erreur et que j'ai consenti à prendre Jeanne pour
<< ma femme, néanmoins, lorsque l'erreur est secrète, la béné11. diction nuptiale qui a précèdé mon consentement suffit pour
« la publicité de mon mariage avec Jeanne, quoiqu'il n'ait été
u contracté que depuis, par le consentement que j'ai donné de« puis l'erreur reconnue et il n'est pas nécessaire qu'il inter<< vienne une nom·elle bénédiction nuptiale.» Celte raison nous
donne la clef de la dilftculté et nous croyons que loin de corroborer le système de nos adversaires, ce tex.te plaide en notre
faveur. Pothier n'a point voulu dire que le mariage contracté
par suite d'une substitution de personnes pût ètre ratifié. Au
contraire, ce mariage est nul , parce qu'il y a eu erreur sur la
personne. Or, si du jour où la victime de l'erreur a reconnu cette
erreur, si elle a voulu ne point en tenir compte, ni s'en prévaloir, si en un mot il lui plait ou il lui convient de rester le mari
de Jeanne qu'il n'avait point l'intention <l'épouser, mais à laquelle
il veut aujourd'hui rester uni, il ne ratifie pas un mariage nul;
un nouveau consentement se pr oduit, sa volonté se prononce en
connaissance de cause et il procède, pour ainsi parler, à un nouveau mariage avec Jeanne. Seulement il ne sera pas nécessaire
de demander de nouveau la bénédiction nupliale, de recourir à
une nouvelle célébration: ü un mariage nul succède w1 mariage
valable. De nos jours, si l'on atlmet avec nous que le mariage est
nul , il est incontestable que les liens de cette union étant
rompus, les parties pourraient, en manifestant de nouveau un
consentement éclairé et libre, recourir à une nouvelle célébra-
�-
202 -
tion qui prendrait en elle- même, tous ses éléments constitutifs
et qui ne ratifierait en rien l'union ancienne. Cette nouvelle
célébration n'était pas exigée dans rancien droit, car d'après
le concile de Trente, la présence du prêtre n'est exigée que
pour assister les époux et pour donner la publicité au mariage;
en principe ce qui constitue le mariage, c'est la volonté réciproque
des parties et le prêtre n'est qu'un témoin. Cela est constant au
point de vue canonique. Le Concile de Trente n'était pas reçu
dans le royaume , comme dit Pothier, mais les rois de France
Henri III par son ordonnance de Blois, Henri IV par l'Edit de'
décembre 1606, Louis XIH par la Déclara tion de 1639 exigèrent,
à peine de nullité, la présence du prêtre. L'Edit de IG97 qui
résume les dispos itions précédentes, était ainsi conçu: «Voulons
« que les ordonnances des Rois nos prédécesseurs, concernant
« la célébration des mariages, et notamment celles qui regar« dent la nécessité de la présence du propre curé de ceux qui
« contractent, soient exactement observées. )) Mais la présence
du prêtre exigée à peine de nullité pour la célébration du mariage
contracté par erreur, n'était point nécessaire pour la validité du
mariage que les parties r evenues de leur erreur, contractaient
librement. (1) En somme, il y a ici nouveau mariage sans célébration ; il n'y a donc pas lieu de dire qu'il y a ratification; en fin
de compte, comme c'est runion entachée de vice qui revit et
devient valable, Pothier a quelque raison de dire que c'est une
sorte de réhabilitation ; mais ce mot ne doit pas être entendu
dans le sens de ratification, car nous n'admettrons jamais que
Pothier ait pu commettre une pareille erreur juridique et a it
voulu dire que le contrat nul pour défaut de consentement pourrait être ratifié; le mariage peut-être refait de par la volonté
des parties, sans une nouvelle cérémonie religieuse.
( 1) Potbier, Contrat de mariage ~ 344.
- 203
Au surplus, les juges auront à apprécier et se montreront très
vigoureux dans l'admission de la preuve ; preuve qui sera d'autant
plus difficile à faire, qu'on aura tardé davantage à la produire et si
oette preuve ne les convainct pas, ils diront qu'il n·y a pas eu erreur
et que, par suite, le maria!je a rëellement existé. « L'appréciation
<f des faits appartient souverainement aux magistrats, et je conce(\ vrai très bien qu'ils pt·enncnt en con~idécation, mème les circonc~ stances postérieures, pour décider la question de savoir si le ma11 riage a, en effet, originairement existé. De cette facon, du moins,
(c les principes seront sa uvés (1). >> Ici l'opinion contraire nous
arrête pour nous faire une dernière objection . Voici comment on
peut la formuler, d'après l\I . Paul Pont: '< En fait et en droit, il c•t
cc faux de dire que l'erreur sur la pe1·soonc exclut radicalement le
a consentemenl. En fait, car si Paul qui croyait épouse1· .Murie, épouse
cc Lou ise, on ne peut nie1· qu'il ait consenti, on peut discuter sur la
c< portée de ce consentement, non pas sut' labsence de consentement. »
Nous ouvrons ici une parenthèse et nous demandons si c'est la
parole ou la volonté qui constitue le consentement. Si c'est laparple, il faudrait valider le mariage de celui qui, en état d'ivresse, a
répondu affi rmativement à la question de l'officier de l'état-civil :
et cependan t il est nul, parce que ne sachant pas ce qu'il disait, il
y. a absence de consentement. « En drnit, car on admet qu'r.près
cc cohabitation de six mois ou approbation personnelle, les juges
" pourront dire que le mariage a existé ; on ne fait pas revivre ce
<c Qui a été inexistant ; on ne ratifie pas un acte nul. » (2)
D'a près nous, le contrat est nul, inexistant s'il y a erreur s11r la
personne physique, mais si les juges esliment d'après les faits de la
cause qu'il n'y a pas eu erreur, le contrat n'a jamais été nul, il a
toujours été va lable, puisque la ca use de sa nullité est une cause
imaginaire.
. .
(1) Dcmolombe. Traité du mariage, t..I. ~· 398.
(2) Pau l Pont. Revue critique de Jég1s latton et de 1ur1spr udence. E:i:amen
doctrinal de la j urisprudenco en matière civile. 186l , t. X VIll.
�-
204 -
Nous croyons avoir démontré que l'art. 180 ne s'occupo pas de
l'erreur sur la personne physique. De quelle erreur est-il donc question dans cet article? Est-ce de l'erreur qui porte s ur la personne
civile, c'est-à-dire sur J' ensemble des qualités qui individualisent
une personne, qui la distinguent des autres? Non d'après M. Labbé;
J' erreur sur la personne civile est comme, l' e1Teur sur la personne
physique, destruetiv ede consentement, et c'est, dès lors, à l'art. 146
qu'il faut se reporter et l'on doit ùéeider que, dans le cas d'erreur
sur l'individualité, il n'y a pas consentement et, par conséquent, pas
.de mariage. Nous allons combattre ce second système ; et cette
réfutation nous amènera à dire à quelle erreur il faut appliquer
l'art. 180.
Un point démontré jusqu'à l'évidence, dit M. Labbé, c'est la
a. distinction entre l'absence de consentement qui peut provenir
« d'une erreur et le consentemen~ vicié par l'erreur. Le premier cas
« est prévu par l'art. l liG; point de consentement, point de contrat;
« le second est l'objet de l'i.ut. 180, le consentement existe, il ost
a im parfait ; la nullité est relative »; ce sont les principes que n9U5
avons exposés. Mais voici la théorie que n<Jus n'acceptons pas :
(( S'il n'y a pas de consentement, quand je ~uis trompé s ur l'identité
< physique, n'en est-il pas de mème, quand mon erreur a pour
a. objet l'identité civile de la personne? L'interrogation et la r éponse
<t ont porté, non s ur l'individu physique alors présent, quelque soit
« son nom et son état, mais sur une peesonne ayant un nom, un
« état, des r elations précises. Le mariage unit, non pas des indi" vidus qui se rencontrent par hasard ou par fraude, mais des pel'cc
sonnages qui ont des précédents, une condition, une existence
« juridique. Le consentement intervient entre les individus qui sont
ci
(( devant l'officier de l'état-civil, mais il a pour objet une union à.
u former entre les personnes civiles dénommées par cet officier civil
u et qui seront dans le procès-verbal de la célébration. Une erreur
« sur l'identité del' objet d'un contrat et dans le mariage, sur l'iden-
- 205 (( tité civile de la personne agréée empêche l'accord des volontés,
« anéantit le contrat. Pour trouver une application de l'art. 180, il
fuut prévoir le cas d'e1Tem· sur les qualités substantielles de la
« personne (!) . » D'après nous, il y a une différence considérable
entre l'erreur sur la personne physique et l'erreur sur la personne
civile : lorsque, par exemple, au lieu d'épouser Marie, c'est avec
•touise. que je ne connais pas et qui lui est substituée que je me
marie, il n'y a pas consentement. Mais lorsque, à la place de Marie
que je ne connais pas, mais que je veux épouser, parce que c'est la
sœur de mon ami, parce que je connais et j'estime sa famille, parce
qu'on m'en a dit le plus grnnd bien , c'est Louise, une avepturière,
qui se présente et se fait passer pour Marie; je la connais, quand je
me ma1·ie, c'est bien Louise que je consens à épouser , c'est cette
jeune fille que j'ai connue et aimée peut-être avant mon mariage;
seulement je me trompe sur sa condition sociale, s ur son identité
civile, et dans ce cas, il y a erreur sur la personne civile. Cette
erre ~r n'entraine pas le défaut de consentement ; elle 1' atteint seulement : c'est un vice qui corrompt, mais ne détruit pas la volonté
<r
et, dans ce cas, la loi ne dit pas qu'il y a nullité, il y a annulabilité
seulement. Le mariage sera réputé valable tant qu'on ne l'aurCJ pas
attaqué, parce qu'il se peut que l'erreur s ur l'identité civile n'ait pas
été déterminante et que l'épo ux, victime de r en eur, eût peutêtre consenti à épouser la personne sur laquelle son erreur est
toœbée, encore qu'il eut connu son individualité civile. Tandi::s que,
quand j'épouse ~larie au lieu de Louise, aliam pro alia, il est certain que mon erreur est déterminante et que je ne Yeux nullement
épouser Marie, alors que je croyais épousee Louise. Voilà la raison
de distinguer entre les deux cas.
D'après nous, c'est à ce cas d'erreur sue la personnalité civile
que se réfère l'article 180 et c'est de cette erreur que la loi fait
( l) Labbé. Note ~ur l'arrêt de la cour de Paris du 4 février 1860. Journal du
Palais, 1860, p. 241.
�-
208 -
Mais il est nécessaire pour que l'erreur sur l'identité civile
'
puisse amener l'annulation du contrat qu'elle porte sur une
perso1malité complète el qu·clle soulève une question d'identité.
C'est en ces termes que la Cour de Paris a formulé la doctrine
'
dans son arrêt du 4 février 1860. Nous nous ex.pliquerons plus
loin sur ce point.
Quelques auteurs ont soutenu que l'article 180 se r éférait à la
foi s à l'erreur sui· la personne physique et à l'err eur sur la personne civil.;. 1ous avons réfuté la prcrnièl'e partie de cette opinion
et nous sommes d'accord avec elle, en ce que nous pensons que
l'article 180 s' occupe de l' errem sur l'identité civile. Ma is tous les
interprètes n'admettent pas qu'il faille r estreindre autant la portée
de cette disposition, et ils admettent que l'article 180 vise aussi
l'erreur sur les qualités de la personne. C'est le point le plus délicat de la discussion. Nombre d'auteurs donnent à cette théorie
l'appui de leur nom illustre dans la science du dl'oit. Pendant
longtemps, la juris prndence et la Cour de cassation elle-même un
moment adoptèrent cette extension. Aujourd' hui, la question a été
définitivement tranchée par la Cour suprême, mais il y a quelque
intérêt à revenir un peu en arrière, c:t à montrer combien ce système était peu acceptable et quels arguments sérieux l'ont fait
succomber.
l'~~ion des individus, des êtr:is corporels ; mais que dans l'état de sociét6 ci-
v1hsée, on considère né::cssairemenl, essentiellement tout ce qui constitue
l'état-Ci\·il et personnifie l'i ndividu, el que, c'est l' individu ainsi personnifié
auquel on donne son con~entcment - Que s i la sainteté du mariage, son importance dans la société. l'indissolubilité du lien, pouvait écarter les erreu rs
résultant, dans un cas du plus ou moins de fortune dans un autre des emplois plus ou moins éminents, ailleurs d'une existe~ce sociale plus ~u moins
élevée, on ne peut admettre la même décis ion dans le cas où rien n'existe de
ce ~ui constitue l'éta t-civil an noncé, pui5qu'alors ce n'e<>t plus la pel'sonne à
q1.11 le consentement a élé donné ; - Que telle a été l'opin ion de plusieurs
~~res d~ l'~glise Romaine. celle des plus savants juriconsult.es et la seule
1dee qui puisse naitre des termes saineU1ent onlendus du Code Civil.
Dalloz, Al. V" Mariage, n• 71 en note.
-
209 -
N ous disons que l'erreur
sur
,
. les qualités de la personne ne peut
pas être une cauS'e d annulation de mariage . Que déct·d a1·t-on dans
l'ancien droit su r ce point? En droit canoni·que , (car c •est dans le
droit canonique qu'il faut r echercher la solution de ces questions,
·
qui étaient, en principe, de la compétence des tribunaux ecclésiastiq u~s.'). e~ dro.it canonique, disons-nous, l'erreur sur les qualités
ne v1cia1t Jamais le consentement. En voici les preuves irréfutahles.
« L'erreur de la personne annule le mariage; cet empêchement
« est de d roit naturel ; pour s'obliger , il faut consentir. L'empè-
« chement de la condition a le même fondement que l'erreur sur
<<
<<
la personne ; la li berté est une chose si précieuse que, par opposition , la ser vit ude anéantit, pour ainsi parler, un esclave dans
« la société. » (Dictionn. de Droit ca n. 'Tom. JI, V 0 Empêchement) .
« Quali tés. - L'erreur sur la fort une et la qualité n'opère pas la
« n ullité di.l. mariage, comme l'erreur sur la personne et s ur la
<< condition. Ainsi on ne peu t faire dissoudre le mariage que l'on a
« contracté avec une personne débauchée, quel' on croyait sage. »
« ou avec une personne pauvre quel' on croyait riche. » C'est ce que
l'on exprimait en ces termes : Non omnis c1'/'or consensum excludit,
alius csl personœ,. alitts {orlunœ; a li us condilionis, alius qualitatis. (Ca no. Quod . 390).
Ainsi donc, on distinguait l' en eur sur la personne qui était
destructive du consentement et l' erreur sur la condition ; lorsque
par exemple, on aurait épousé par eneur, une femme de condition
servile. C'étaient des ca uses de nullité du mariage ; mais !'erreur
qui ne porta it qu e sur la qualité ou la fortune était indifférente,
à moins, cependant, qu e l'erreur sur la qualité ne rejaillit sur la
personne m ême, mais pour cela il fallait u t illa qualitas sil indiui-
dua, qua pe'rsona dislinguatur a qt1alibel alia, ut persona non cogna_
scatur nisi sub ea qualilate, aut sallem hœo sitprœc ipua notiLia; on
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appelait cette qualité : qualitas ndwulan.s fa personam. c· est dahs
ce .sens que saint Thomas disait que l'erreur quant à la qualité et
quant à la noblesse-, comporte quelquefois l'erreur quant à la personne (l j': c1 Toute sorte d'erreur ne met pas obstacle au mariage .
u Car si quelqu'un épouse une fille déjà séduite, qu'il croyait
« vierge, ou une prostituée qu 'il croy<üt sage, il se trompe dans
a l'un ou l'autre cas, mais son erreur n'est pas capable de dissoua dre le mariage (2). i>
Voici ce que disait Pothier de l'erreur sur les qualités :
" Lorsque l'erreur ne tombe que sur quelques qualités de la
Il personne, cette erreur ne détruit pas le consentement nécesa saire pour le mariage et n'empêche pas par conséquent, le
« mariage d'être valable. J'ai épousé Marie, que je croyais
a noble quoiqu'elle soit de la plus basse roture, ou la croyant
u vertueuse quoiqu'elle se fût prostituée, ou la croyant de
u bonne renommée, quoiqu'elle ait été flétrie par la justice ;
« dans tous ces cas, le mariage que j'ai contracté avec elle, ne
« laisse pas d'être valable nonobstant l'erreur dans laquelle
« j 'ai été à son sujet (3). » Cependant, lorsque, par erreur, on
épousait une personne de condition servile, bien que l'eneur
ne portât que sur une qualité elle entrainait la nullité du
mariage (Decrétale d'Alexandre Ill et d'Urbain III. Il en était
de même à Rome. Nov. 22 de Justinien, cap. 10.)- Pothier qui
n'admettait pas l'efficacité de l'erreur sur les qualités, qui s'exprimait ainsi à propos de l'erreur sur la personnalité civile.
• Il n'y a plus de difficultés à l'égard de l'erreur sur l'état-civil
u d'une personne, comme si une femme épousait un homme
« qu'elle croyait j ouir de son état-civil , et qui est mort civile(1) 8. Alph. de Liguori. Lib. 6. Tracta. de matrim. n• 1009 et 1010.
(2) Ins til de droiL canonique. Durand de Maillanes, 4, 389. Dictionnaire
de Droit canoniqu e. Tom. II. V°, Empêchement 308 et 310.
Pothier. Contrat de mariage. 310. 313.
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211 -
« ment par un jugement qui l'a banni à perpétuité hors du
«1 royaume, ou qui l'a condamné aux galères à perpétuité d'où
« il s'est évadé. Cette erreur a beaucoup de re8Semhlanc~ avec
« rerreur sur la condition de servitude. Néanmoins, il n'y a ni
« loi, ni canon qui déclare nul le mariage contracté par cette
« ,e::;pèce d'erreur; au contraire, il y a des arrêts qui ont déclaré
« valides des mariages avec des personnes dont on ignorait le
<l bannissement. » On voit donc que nous allons plus loin que
Pothier, puisque, selon nous, l'erreur sur l'identité civile de la
personne peut entrainer la nullité du mariage.
D'où vient que P othier, qui avait distingué entre l'erreur sur la
personne physique et l'erreur sur les qualités n'ait pas attribué une
assez grande importance à l'erreur sur la personnalité civile? M. Paul
Pont en donne la raison suivante : <1 Dans l'ancien droit, le mariage
pouvait être secret et se faire même par procuration; en sor·te que
les substitutions d'une personne à une autre, l'erreur sur la personne
physique, étaient possibles et pouvaient même être fréquentes, en
sorte que la règle qui limitai~, dans les termes indiqués, l'erreur de
copsenteme11t susceptible de faire annuler le mariage, avait sa raison
d'être dains les chances nombreuses d'application. Mais, aujourd1h1Ji que Je mariage est un contrat public, << le législateur aurait
<1 consacré la même règle t:t :>es prévisions ne seraient pas allées au
« delà ! Il aurait disposé uniquement en vue de la substitution de
cc personnes, hypothèse à peu près impossible aujou rd'hui, ou du
« cas d'erreur sur la personne physique, hypothèse absolument
(( irréalisable en pi·ésence des dispositions sur les actes de r état
« civil et notamment de l'art. 76 qui règle la fol'me de l'acte de
« mariage. A priori, cela ne semble pas pouvoir être raisonnable« ment supposé ( 1). Pour linstant, ne retenons des textes que nous
avons extraits de Pothier que l'observation suivante: L'erreur sur
(1) Paul Pont. Revue critique, 1861, t. XVIII.
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les qualités n'entraine pas la nullité du mariage, ~e qu'il expliquait
encore ainsi: o. Il n'est pas de l'essence du mariage que 1!1 femme
" que j'épouse ait les qualités que je crois qu'elle a; il importe que
« ce soit celle que j'ai voulu épouser ( l). »
Voici comment s'exprimait Portalis: « L'erreur en matière de
o. ma!'iage ne s'entend point d'une sunple erreur sur les qualités, la
« fortune ou la condition de la personne à laquelle on s'unit, mals
« d'une erreut· qui aurait pour objet la personne rnèrne (2) . >>
~Ia lleville qui prit part à. la discussion, après avoir dit clans son
analyse raisonnée du Code civil , à propos de l'art. J 80, que l'erreur
sur la personne rend le mariage nul, continue en ces termes : « Mais
« l'erreur dans la fortune, la vertu et les autres qualités de la per« sonne ne vicient pas le mariage; ainsi, tant pis pour moi si j'épouse
« une fil!e sans biens, sans naissance et sans honnêteté, croyant
« épouser une personne riche, 'ertueuse et d'une naissance illus« tre. » Il indique sommairement les principales idées qui furent
émises au cours de la discussion et il termine ainsi : l< Mais, après
« bien des élucubrations, on convint de ne pas entrer dans le détail,
« et les chose~ en sont restées sur· le pied des lois anciennes. »
Pendant le débat, d'ailleurs, on ne s'occupa que très superficiellement des qualités physiques et mornles de la personne et lorsqu'on
cherchait si l'on devait donner à une autre erreur le mème effet qu'à
l'erreur qui portait sur la personne physique, on ne parlait que de
l' erre_ur qui portait sur l'origine, la famille, ce qui constitue l'état
principal et civil de la personne.
(1) Pothier. Mariage, 310.
('2) Nous invoquons les travaux p ré p ara~oires, mais nous n'attachons pas une
grande importance à cet argument historique. De cette discussion, M. Uupin
disait : «Ce sont des opinions échangées entre des législateurs qui mettent en
• avant ou en réplique les idées qui leur viennent instantanément. Dans ces
• conversations dialoguées, on les voit tour à tour émettre une idée, que bientôt
• après ils abandonnent, ramené6 qu'ils sont par les obj ections d'autrui. C'est
• un va-et-vient perpétuel, en sens très divers. » (Dalloz, 1862, 1. 155.)
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213 -
On ne peut, en e!Iet, admettre, e t l'on n'admet plus de nos
jours que dans l'ancien droit, que l'erreur sur les motifs puisse
vicier le consentement. Or, ce serait renverser celle théorie que
de donner un effet quelconque à. l'erreur sur les qualités de la
personne que l 'on épouse. Il y a enfm d'autres arguments bien
plus graves que les précédents qui doivent faire repousser l'influence que l'on voudrait attacher à l'erreur sur les qualités .
La morale et l'ordre social exigent que le mariage soit indissoluble, et que l'on ne puisse rompre les liens qui unissent
les deux époux que dans les cas de la plus extrême t>n-rav1té·l
comme, par exempte, quand il y a erreur sur la personne ou
erreur sur l'identité civile. Mais permetlre que l'on puisse annuler
le mariage parce qu'on a cru épouser un honnête homme et que cet
homme est un forçat, c'est permettre que l'on puisse se prévaloir
de l'erreur s ur une qualité dont l'absence ne détruit pas en somme
la pcrsor.nalité de lïndividu. rirais, dit-on, on ne touche pas à ce
principe f'Ssentiel de l'indissolubilité dL: mariage et l'annulation du
mariage, dans tel ou tel cas donné, le laisse intact. << Car , dit-on,
« quand une femme vient demander à. la justice de rompre l'union
« qui, par s uite d'une et'reul' de consentement, a été formée entre
a elle et le forçat libél'é, c'est confond re de::; choses qu'il faut soi(( gneuseroent distingue1· que lui opposer le principe de l'indi.ssolu« bilité du mariage; car, dans le procès qu'elle soumet à la justice,
« il s'agit, non pas de dissoudre le mariage, mais uniquement de
« savoir s'il y a eu consentement et, pat' conséquent, si un mariage
« a été réellement contracté. >> 1Ia1s de quel nom appellera-t-on
cette union? N'y a·t-il pas eu consentement librement donné, célébration du mariage, et alors que l'erreur n'a porté que sur des qualités qui ne changent point la personne au point de me civil, peut-on
rompre le mariage sans porter atteinte au principe de l'indissolubilité.
E t d'ailleurs, les p arents ne sont-ils pas coupables d'une
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214 -
négligence impardonnable. Pourquoi ne pas entourer le mariage
de toutes les garanties que leur aŒection, le souci de l'avenir d:e
leur enfant, l'intérêt, l'honneur de la famille, la paix et la
tranquillité du ménage, doivent leur inspirer dans un acte
aussi solennel et aussi grave. - On répond que la prudence
humaine a des limites, et qu'on ne peut reprocher à des patients
de n'avoir point cherché, par exemple, le casier judiciaire de
eur futur gendre. C'est un luxe de précaution sans doute,
mais où !"excès lui-même s'impose-t-il p lus que dans un acte
qui lie les époux l'un à l'autre pour la vie. Avant de s 'informer
du caractère, des mœurs, des habitudes, des rela tions, de la
fortune de celui qui demande une j eune fille en mariage, ne
doit-on pas chercher à savoir s'il est probe et honnête. On
ajoute, en faisant valoir des raisons de sentiment que l'on
punit cruellement en maintenant le mariage, le malheureux ou
la malheureuse qui n'est pas coupable, car le plus souvent ce
sont les parents qui le sont. - Sans doute, la situation de la
victime de l'erreur est digne de pitié et de commisération, il
est regrettable de frapper un innocent et de le frapper jusqu'à
ce que la mort vienne briser des liens qu'il abhorre, de fütilèr
aux pieds ces sentiments les plus intimes qui sont Je patrimoine de l'honneur et de la vertu, de donner gain de cause à
celui qui a trompé et de consacrer sa turpitude et son indignité. Mais l'intérêt général doit l'emporter sur l'intérêt pàrticulier, si recommandable qu'il soit, et l'intérêt social commande
que le mariage reste indissoluble et que la crainte d'un
malheur auquel la mort seule peut mettre fin, empêche les
parents ou les époux de regarder le mariage comme une chose
de peu d'importance. « Il faut craindre, disait M. de Raynal,
« dans son magnifique réquisitoire devant la Cour de Cassatiort
u de multiplier les mariages trop légèrement contractés et d~
« favoriser l'aveuglement trop commun quand la passion nous
-
215 c< entraîne. Il faut que de tristes et solennels exemples viennent
« prouver que le mariage est chose sainte, et qu'avant de le
« contracter, toutes les précautions de la puissance humaine
« doivent être épuisées. »
Le système que nous combattons entraine des conséquences
déplorables. Ceux qui le soutiennent, sont loin d'être d'accord
quand il s'agit de déterminer les qualités dont l'absence permet
de demander la nullité du mariage. Les uns, comme M. Marcadé,
font une énum ération; les autres disent que ce sont les qualités
qui rendent l'homme mariable; ceux-là les qualités substantielles, ou que la victime de l'erreur regarde comme telle : et
presque tous enfin, dans une question de cette importance où
l'intérêt social est en jeu, s'en remettent à la décision souveraine et arbitraire des juges et leur permettent de rompre ou
de maintenir le mariage ; le sort de l'union conjugale est entre
leurs mains. La loi, d'après nous, n'a pu vouloir confier aux
magistrats un pouvoir aussi considérable, leur imposer une si
lourde responsabilité et priver la société des garanties qui lui
sont nécessaires. En outre, si l'on donne aux juges le droit de
trancher les difficultés selon leur appréciation, ne serait- ce pas
« établir autant de jurisprudences qu'il y aurait de tribunaux
« et permettre d'admettre comme causes de dissolutions les
<c motifs les plus légers, comme de repousser les motifs les
« plus graves. » Que deviendrait l'unité de jurisprudence ?
« Ce ne serait plus de la justice, ce serait de l'anarchie (1) » et
ceux mêmes qui accordent ce pouvoir aux tribunaux reconnaissent en effet que cc l'application de leurs théories sera très
c1 incertaine et très-arbitraire. » c< Les tribunaux, dit M. Demo" lombe auraient à considérer toutes les circonstances de fait,
'
« la position
de l'épouse trompée, son cm·actère personnel,
(l) Rapport de M. Sevin devant la Cou r de Casgatiou. Journal du Palais
1861 p. 115, col. 2.
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158 -
l'erreur particulière, c'est que dans son second alinea, il s'occupe
de l'erreur sur la personne, qui, à moins de circonstances rares
et e"Xceptionnelles que le lcgislateur n'a pu vouloir prendre en
considératio11, ne peut être qu'une erreur particulière. Or, dans
le cas d'erreur sur la perso11ne, le contrat, si cette erreur est
déterminante, est annulable, pourquoi ne le serait-il pas, dams
le cas d'erreur individuelle sur la substance ? Si le principe est
le même, à savoir que, par cela seul qu'elle vicie le consentement et qu'elle porte sur la substance ou sur la personne, l'erreur rend le contrat annulable,pourquoi lui donner dans deux
cas identiques des effets diΎrents? Un autre preuve, que rerreur
individuelle suffit, c'est qt1e le dol et la viole11ce particulières
suffisent pour faire annuler le contrat, pourquoi donc en seraitil autrement de r erret1r quel 'article 1100 leur assimile con1plètement? w1ais, dit-on, il n'est pas équitable que le vendeur, par
exemple, qui n'a rien à se reprocher voit briser le contrat, annuler la vente,parcequel'acheteur s'esttrompéetpar sa.fautepeutêtre. Que cela soit équitable ou non, c'est la disposition de la loi;
est-il plus juste de rompre le contrat dans l'hypothèse d'tu1e
erreur déterminante sur la personne? La personl1e sur laquelle
a porté l'erreur, est-elle moins digne de pitié que le vendeur?
Certes non et cependant le contrat pourra être annulé. On insiste en disant: en somme, l'acheteur a essayé de frauder le
vendeur, en dissi1nulant le motif qui le poussait à acheter, en
n'exigeant pas la garantie du vendeur; il a voulu acheter à bas
prix, alors que dans son esprit l'objet qu'il désirait élait une
chose de valeur; qu'il supporte donc les conséquences de sa conduite peu loyale(l). 1'Iais, encore une fois, que l'erreur soit plus
ou moins excusable ou blân1able, quelle qu'ait été l'intention
~
1
(1) Paris 9janvier 1849. Sir. 1 8~9. 2.80
- 159 de la partie contractante, si l'erreur a vicié son consentement
il 11'est pas juste qu'elle subisse un contrat qui en est vicié; ce'
principe don1 ine toutes les autres considérations. D'ailleurs
celui qui a comn1is l'erreur devra l'établir; or cette preuve sera
d'autant plus difficile, que l'erreur aura été plus grossière : aux
juges donc il appartient de tenir con1pte des circo11stances; c'est
une questio11 de fait qt1i estsoumise à leur appréciation. En outre,
celui qui aura souliert de l'annulation du contrat, le vendeur par
exemple, aura le droit de réclamer des dommages-intérêts
(quand on i1e pourra rien lui reprocher) à la partie qui l'a obtenue, à raison du préjudice qu'il a subi et en vertu de l'article
1382, qui oblige à réparation taule perso1u1e, qui par son fait a
causé un domn1age à autrui. Il pourra se faire que le montant du
préjudice, égale le n1ontant de l'in<le1nnité, qu'exige l'acheteur,
lorsque, le \rendeur pourra prou\'er que le lenden1ain, il aurait
pu vendre la chose qui fait l'objet du contrat à telle
personne déterminée, qui en donnait scie1nment le prix qui en
avait été payé par la victi1ne de l'errenr. Dans ce cas, il retiendra le prix d'achat com1ne inùe1nnité.
Nous avons dit, que pourvu que ]'erreur ait vicié le consenlcn1 en t, il i1'était pas besoin qu'elle ait été com1nune aux deux
parties. Notts avons supposé que c'était l'acheteur qui l'avait
co1n1nise. Mais tout ce que nous avons ùit, s'applique indistinctcrnent aux deux parties contractantes, au vendeur tout aussi
bien qu'à l 'acbeteur. La loi en effet ne distingue pas, et le conse11ten1ent des deux parties est nécessaire à la Yalidité de la
convenlion. Le vendeur viclin1e d'une erreur, pourra donc lui
aussi, solliciter l'annulation du contrat, sauf à indemniser
l'acheteur clu i)réjudice qu'il lui aurait occasioru1é par sa faute.
't\1ais, objecLe-t-on, le vendeur invoqt1e la lésion ; or l:i lésion ne
peut être invoqt1ée <lans les ventes i11obilières. Il ne faut pas
confondre l'erreur avec
la 16sion. L n lésion i1e peut exister,
•
�'
•
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206 -
une cause d'annulabilité dll n1ariage. Mais avant tout, il· faut
nettement spécifier ce que nous entendons par personnalité ciYile. (~ Lu personnalité ciYile et sociale est cet en.semble de qua« lités, qui individualise et persoru1ifie chacun de nous au:x. yeux
« de la loi, dans la fan1ille et dans la société. (Demolombe)., »
C'est donc la place que chacun de n.-ius occupe dans la société.
Toute pe.rsonne en eŒet,a, au n1ilieu de ses semblables, so11 indiYidualité particulière, constituée par des qualités fonda1nentales·
qu'il fat1t distinguer ayec soin de ces qualités accessoires dont
la présence ou l'absence n'atteignent pas sa personnalité. C'est
en somme l'état principal et civil, selon les expressions de
1vf. ?vlourlon, l'origine qui rattache l'individu à telle ou telle fa-·
mille. Ainsi, pour reprendre l'exen1ple que nous donnions plus
haut, lorsqt1'à la place de 1v1arie que je ne connais pas et que je
Yeux épouser parce que c'est la sœur de n1on ami et que j e sais•
qu'elle appartient à une excellente fan1ille, j 'épouse une aventurière) sa femme de cl1ambre peut-être qui a été informé dte
mes projets de mariage, qui se fait passer pour Matie~ je
l'épouse après l'avoir bien connue et plus tard je viens à reeonnaitre qu'au lieu de Marie, j'ai épousé sa femme de cha1'.üb'Te ;
il y a erreur sur l'identité civile. Est ce bie11 cette erreur qui est,
l'objet de la disposition de l'art. 180? Nous le croyons et voici
quels arguments on peut présenter à l'appui de cette opinion.
D'abord, on conviendra que cette hypothèse n'a pas un caractère
exceptionnel et extraordinaire comme l'erreur sur la personne
physique. Elle pourra présenter souvent dans le cas de substitution à une personne physiquen1ent inconnue. En outre rious
trot1vons dans les travaux préparatoires la preuve que par les
mots erreur dans la personne (employés au lieu des expressions,
erreur sur la F~"sonne ou sur Z' individu), 0 11 visait la lDel'sonne ci'vile. Dans le cours de la discussion, Malleville s'exp11imait en ces termes : « On a toujours distingué l'erret1r dans la
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207 -
a person11e mên1e et l'erreur sur les qualités de la personne.
« Cette dernière erreur n'a jamais été accueillie comme cause
«•de dissolution. Il en est autrement de l'erreur dans la pera sonne. On a toujours j ugé que dans cette hypothèse, il n'y a
<1 pas de consenten1ent. Vainement on voudrait réduire cette
<< application à l'erreur sur la personne physique; l'erreur peut
(( avoir un autre objet; la personne sociale. )) Et de même, Cam}:)aeérès dit à plusieurs reprises <( Que l'erreur sur la personne
« sociale viciait le consentement tout aussi bien que l'erreur sur
« la personne physique (1). »Si l'article 180 a pour objet l'erreur
sur l'indentité civile, on comprend que l'article 181 donne à celui
qui en est victin1e, un délai de six n1ois pour recueillir les preuves et se procurer les renseignements nécessaires pour établir
son erreur devant les tribunaux. C'est dans ce sens qu'il a été
jugé qu'à supposer qu'on ne puisse pas regarder comme une
er.reur sur la personne dont la loi fait une cause de nullité de
n1ariage, celle résultant du plus ou i11oins de fortune, des
emplois, etc ... cependant l'erreur dont parle la loi, ne doit pas
s'entendre seulement d'une erreur sur l'individu physique, qu'elle
s'entend aussi d'une erreur sur l'état-civil d'un individu et que,
par exemple le mariage doit être déclaré nul, lorsque l'un des
co.ntractants par suite d'un faux ou de manœuvres fraduleuses,
a pris un nom de fa1nille et des qualités qui ne lui appartenaient
pas. (Bourges, 6 août 1827.) (2).
(1). Locré. T. JI. 24 Frimaire. an X, 0° 12. P . :JG3.
(2) Voici quelques considérants de cet a r rêt : qu'à la Yérité Je prétendu X ..
est bien l'individu qu'a vu N... celui qui a reçn sa Ioi, mais que l'identité de
l'individu n'est pas assez pour la validité du mariage. - Qu'ayan t la publication du Code, on lisait da us le projet, que le 111ariago pent·ètro attaquë
quand il y a et·reur dans la persouno; que la Cour de Cassation ayant proposé
de suL~:.iLuer le tnol in.dù>idu à celui ctc personne, après un long examen et
les plus savantes disset·tations devant le Conseil d'Etat. le mot individu n'a
pas èté adn1is; d'où il faut conclure que ces deux acceptions exprin1ent deux
cb0ses différen tes ; qu'en effet dans l'état de nature le mariage n'est que
�-
216 -
u. toute la situation enfin, pour décider en fait s i cette e1·reur a
« ou n'a pas altéré d'une manière profonde et essentielle son
« consentement, s i elle a enfin ou s i elle n'a pas produit ce que
« l'art 180 appelle en·eur dan$ lape1·sonne (1) (2).
Pourquoi cra indre, nous répondent nos adver saires de confier
aux juges cette mission ? Ne sont- ils pas appelés tous les jours
à juger des questions d'état, qui après avoir été examinées en
premier r essort, sont tranchées par la cour, toutes cham bres
réunies. T'est-ce pas là une garantie sérieuse? E n outre, dit-on,
il résulte de la discus ion que ron a eu la volonté de donner aux
juges, une très grande latitude en celle matière. rous savons,
en eITet, qu'au lieu d'employer dans l'article du projet qui est
devenu l'article 180 du Code, les mots tle Polhier erreur sur la
personne, on a inséré les expre s ions, errwr dans la person1ie, qui
ont une portée beaucoup pins large : au surplus dans le premier alinéa de l'article, il est question de la violence au sujet
de laquelle la loi ne précise rien, qui forcément est susceptible de plus ou de moins, et qui diITére selon les personnes et
selon les circonstances. Tl doit en C:tre de même pour l'erreur.
Assurément ce sera une ques tion de fait de savoir si l'époux
a été victime d'une erreur sur la personne ou s'il a été privé de
sa liberté. Mais nous refusons au juge le droit d'étendre les cas
(1) Demolombe. Mariage T. L. 414.
(2) Voici comment s'exprime la Cour d'Orlf>ans dans son arrêt de 1861 :
Attendu que laic;ser en p1reille matière aux tribunaux l'appréciatio n, en
quelque sorte discrétionna ire. rles faits et des d rconst.ance~. ce serai t enlever
au mariage les garanties spéciales dont il a Hé entouré par le l é~isl aleur,
substituer les interprétations diverses ou con tradi ctoires des magistrats aux
règles inflexi bles et tutélaires de la loi et porter l'alleinte la plus dangereuse
à une insti tution qui est le fondemen t. de la famille et ta base de ta morale
publique.
Att.endu qn'une telle ext.ension donnée aux d ispositions de l'a rt. 180 d u
Code Naµoléon, sera it con traire a u texte et à l'Ps pri t de La to i et donnerait
lieu à des contestations sans limites, pa rfois scandaleuses ...
- 217 d'erreur toutes les fois que cela lui plaira, et nous ne voyons pas
pourquoi l'on assimile l'erreur à la violence. Si la loi en parle
dans le m ème ar ticle, c'est que toutes deux constituent des vices
de consentement, mais la difficulté consiste à établir la
portée de l' un de ces vices; or on ne peut fixer ses limites en le
comparant à un autre dont il difTère essentiellement. Quand la
violence est destructive de la liberté ou que l'erreur est exclusive du consentement: nullité, mais toute erreur et dans l'espèce, l'erreur s ur les qualités, selon nous, n'a pas cet effet.
Ainsi par exemple dans le cas d'une peine affiictive et infamante, quel est l'élément auquel il faut s'attacher pour déterminer la nature de l'erreur? Est-ce le crime; non, car s'il n'a
pas été poursuivi ou s'il n'a pas été puni, on ne peut demander
la nullité du mariage. Es t ce la peine ; pas davantage, car si elle
n'est pas accompagnée de la dégradation ciYique, elle ne laisse,
une fois subie, subsis ter aucune incapacité. C'est donc la dégradation civique; mais ell e ne change pas la personne, elle atteint
l'homme p ublic, mais non l'homme privé, l'homme après tout
qui se marie : mais alo rs il faudrait prononcer la nullitë du
mariage contracté avec un individu qui a été condamné à la
dégradation civique pom un crime politique ou pour un acte
allentatoire à la liberté individuelle. Le rés ultat auquel on veut
arriYer a quelque chose d'effrayant. (1)
Le système que nous repoussons s'appuie lui aussi sur les
travaux préparatoires. A l'opinion s i tranchée de Portalis qui
rédigea l'exposé des motifs du projet de loi rel<1tive au mariage,
on oppose l'opinion de Tronchet qui,à la séance du 4vendémiaire,
s'exprima ainsi : (( Il a été reconnu que l'erreur annule le ma« r iaae
il ne s'aaitplus
maintenant que de savoir dans quel cas
b
)
b
« elle opère cet effet. Or, l'erreur dépendant des circonstances
( 1) De Raynal. (D. P . 1861. 1. 63.)
�-218« qui se diversifient tellement à l'infini, que la loi ne peut toutes
« les. embrasser, la loi ne doit poser que les principes et ne pas
« aller jusqu'à déterminer les divers cas où il y a erreur ( 1). )) Et
Bouteville disait : (1 Pour régler les cas où il y a erreur sur la
« personne , on a demandé s'il fallait s'attacher aux seules
« qualités physiques ou si les qualités morales devaient être
11 également considérées ..... L es décisions de la justice dépen« dent nécessairement des faits particuliers à chaque espèce.
« Le plus grand acte de sagesse du législa teur est de s'en
« remettre à celle des tribunaux. Point de consentement, consé« quemment, de consentement parfaitement libre, point de
« mariage. Ce fanal dirigera bien plus sùrement les juges que
<1 les idées métaphys iques et complexes qui ne pourraient faire
« que les embarasser ou les égarer. (2) On voit d'après ces
paroles que les orateurs eurent l'intention d'a}'.landonner la distinction de Pothier, et d'admettre comme cause de nullité l'erreur
sur les qualités qui paraitrait au juge assez grave pour vicier le
consentement. - Mais si la loi eut vo ulu faire produire un tel
effet à cette erreur, elle l'eut explicitement déterminé. Elle eut
dit: a: l'erreur sur les qualités de la personne ou l'erreur dans la
<< personne ou ses qualités substantielles » et elle aurait indiqué
d'un mot qu'elle entendait laisser au juge un pouvoir d'appréciation qui lui permettrait de décider dans quel cas l'erreur
devait être considérée comme assez grave. Ains i , sans vouloir
établir une comparaison, mais pour citer un exemple, nous
invoquerons l'article 1110, où la loi dit que l'erreur sur lapersonne est une cause de nullité quand la considération de celte
personne est la cause principale de la convention, ce qui suppose
que le juge aura à examiner dans quel cas l'erreur sur la personne remplit cette condition. Tandis qu'ici la loi dit simplement
(1) Feoet, Tome IX, p. 145.
Cl) Feoet, Tome lX, p. 201.
-
219 -
quand it y a ei.t. erreur dans la personne. Or il est de principe que
les nullités ne se s uppléent point et celte règle doit être appliquée bien plus rigoureusement au mariage qu'à tout autre
matière. Mais l'opinion contraire invoque précisément l'article
1110 pour dire que la loi admet bien l'erreur s ur les qualités
substantielles dans les contrats el que par suite il doit en être
de même ici, pour l'erreur sur les qualités substantielles de la
personne. On voudrait clone faire de l'article 180 une application
de l'article 1110, mais nous avons déjà dit que le mariage se distingue trop des autres conventions, pour qu'on lui en appliquer
toutes les règles, et en second lieu que cet article 180 visait non
l'erreur sur les qualités substantielles, mais l'erreur sur la
personne.
Mais il y a, nous dit-on, contradiction à soutenir que l'erreur sur
les qualités n'a aucune inA uence, tandis que l'erreur su r la personne
civile peut annu ler le contrat. Qu'est. l'erreur sur la personne civile,
sinon que l'erreur s ur les quali tés qui constituent la personnalité.
Il y a, d'après nous, une très grande différence entre les deux cas.
Cc qui constitue l'individualité civile, c'est un ensemble de qualités
et non t elle ou telle qualité déterminée. Cet ensemble de qualités
est tout à fait spécial à la person ne même ; c'est son origine, sa
fam1llc, son nom, son état civil , toutes choses qui lui appartiennent
en propre et ne peuvent être à un autre qu'à lui ; tandis que les
s imples qualités de la personne n'ont plus ce caractère et peuvent
apparteni1· à telle personne ou à telle autre. La qualité civile est
donc indépendante de la personnalité civile, comme la qualité
physique est. dist.ir1cte de la personne physique et il est logique
d'admettre que l'erreur sur l'ensemble des qualités soit une cause
de nullité, tandis que l'erreur sur l'une ou plusieurs de ces qualités
n'ait.aucune portée. Voiei comment Ml\1. Aubry et Rau exposent
cette distinction : « Cette individualité de la personne se détermine
« par le nom, tout d'abord, ensuite par l'ensem ble des diverses
�-
220 -
a qualités qui individualisent une personne, la disting uent de toute
« autre du même nom et l'absence de l'u ne ou de plusieurs qualités,
« mêmP. sociales, faussement attribuées à un individu, ne suffit pas
« pour dire que cet individu soit, civilement parlant, une autre
u personne (!). »
On imroque contre nous un dernier argument tiré de l'art. 232
du Code civil, abrogé par la loi du 8 mai 1816 et qui était ainsi
conçu : « La condamnation de l'un des époux à une peine infamante sera pour r autre une cause de divorce. » La loi dit-on
'
'
rompt le mariage, elle autorise par cela même la partie trompée
à en demander la nullité. Voici ce que l'on peut r épondre : si
l'art. 232 vise une condamnation postérieure au mariage, le
dirnrce est autorisé, non parce quïl y a eu erreur sur les qualités ciYile , mais parce qne l'époux a violé les obligations qu'it
avait contractées en se mariant : « Il a rompu le contrat, disait
deYant le Tribunat le rappo rteur en dég radant par sa propre
faute son existence ciYil e et changé la nature de l'association. ,,
Si, au contraire, l'art. 232 s'occupe d'une condamnation antérieure au mariage, cet article prOU\'P la validité du mariaae car
t> '
si c'est Je divorce qui est le remède, le mariage était valable et
le législateur n'a pu venser à autoriser la demande en nullité (2).
( !)Aubry et Rau~ 462, note 9. L'erreur dans la personne civile ne doit pas
consister dans une simple déception sur les qualités ou la capncité civile de l' un
des conjoints, mais dans un changement de personnalité civile tel que, par suite
de cette erreur, l'uo d'eux ait é po usé une per~onne civile autre que celle qu'il
a voulu é pouser. (Ürlé:J.ns, 186l. 1 Pour que l'erreu r sui la personne civile puisse
devenir une cause légale d'annulation du m:i ria"e il faut que cette erreur ait
é.té r~d.icale et absolue, eo ce sens que l'un des é~~nx se soit mé pris sur l'idenh_té cmle de son conjoint, qu'il ait cru épouser une personne civile entièrement
~1fféren~e de celle q~'i l a réellement_ épousée. Il ne suffit pas qu'il y ait e ntre
1un ~t. l autre un~ d issemblance ~artielle, portant s ur une des qualités ou des
cond1t1ons dont 1ensemble conslttue la persoonali'é civile. (Bordeaux, 1866,)
\2) Dalloz, 1861, 1, 55. - Glasson: Du consentement d es époux au mar iage,
page î08.
- 221 -=Notre opinion fut consacrée par un jugement du Tribunal de
la Seine du 29 juin 1859, que confirma l'arrêt de la Cour de
Paris le 4 février 1860, dont nous avons donné les divers motifs
de droit dans le cours de cette discussion. Mais cet arrêt fut
cassé le 11 février 18Gl par la Cour de Cassation, qui adopta
le système que nous avons combattu et que d'autres tribunaux
avaient déjà admis. Ainsi, la Cour de Colmar par son arrêt du
Gdécembre 1811, annule un mariage contracté avec un individu
qui était engagé dans des liens religieux (1). Le Tribunal de
Boulogne le 2:3 aoùt 1853, annule le mariage contracté avec une
fille adultérine que l'époux avait cru légitime (2). - Le Tribunal
de Chaumont ( 9 juin 1858) prononce la nullité d'un mariage, pour
cause de dissimulation de grossesse au moment de la célébration. - La Cour d'Angers, le 25 janvier 1859, décide de même,
parceque run des époux avait refusé de consentir à la célébration religieuse. - Le Tribunal d'Agen (6 juillet 1860) annule un
mariage contracté avec un moine espagnol. Et en 1860, la Cour
de Cassation, appelée à statuer sur cette question, à choisir
entre notre système qui était celui des Cours de Paris, de
Montpellier et de Lyon (3) et l'opinion des divers tribunaux. que
nous venons a·énumérer cassa l'arrêt de la Cour de Paris (4)
qui excluait comme cause de nullité de mariage, l'erreur sur
les qualités, malgré le réquisitoire de M. de Raynal, avocat
général, malgré le rapport de M. Sevin, conseiller rapporteur
dont l'opinion, au dire de l\I. Paul Pont, était à peine dissimulée
et renvoya l'affaire devant la Cour d"Orléans (5). L'arrêt de la
Cour de Cassation fut vivement critiqué et défendu. La question,
à cette occasion fut remise en discussion, l\l. Paul Pont soutint
(1) Colmar (D. A. v• Mariage), 71.
(2) T ribunal de Boulogue. (O. P. 1853. 3. 5G),
(3) Montpellier, 4 mai 1827. Sirey. 18'17. 2. 418. Lyon. Dalloz 1853. 210.
{li) Paris, 4. fé vrier 1860. Dalloz 1860, 1. 88.
(5) Odéans, Dalloz. 1861. 2. 132.
�- 222 chaleureusement l'arrêt de la Cour suprême, qui s'appuy~it sur
des noms comme ceux de Toullier, de Marcadé et de M. Demolombe. La Cour d'Orléans par son arrêt du 6 juillet 1861~ se 1
rallia et à la doctrine de la Cour de Paris et r aITaire reviI).t
devant la Cour de Cassation, toutes cham bres réunies, le 24 avril ,
1862 (1). L'illustre procureur général Dupin, fit revenir la Gou1:
sur sa première opinion, et par un arrêt fortement motivé la,
cour décida que l'errem sur les qualités ne pouvait entrainer
la nullité du mariage. Elle confirma de plus fort cette solution, ,
1) Cassat. 24 avril 1862..
Attendu que l'erreur dans la personne. dont les art. 146 et 180 du Code civil
ont fait une r.ause de nullité de mariage. ne s'entend, sous la nouvelle comme
sous l'ancienne législation. que d'une erreur portant sur la personne elle-m<lme.
attendu que si la nullité ainsi 6t.ablie ne doit pas être restreinte au cas unique
de l'erreur provenant d'une substitution frauduleuse de person ne au moment de
la célébralion. si elle peu t également recevoir son application quand l'erreur
procède de ce que l'un des époux s'est fait agréer en se présentant comme membre d'une famille qui n'est pas la sienne, et s'est attribué les conditions d'origine et la filiation qui appartient à un autre, attendu que le te:i.:te et l'esprit de
l'art. 180 du Code civil écartent virtullllement de sa disposition les erreurs
d'une autre nature et n'admettent la nullité que pour l'erreur qui porte sur
l'identité de la personne et par le résultat de laquelle l'une des parties a épousé
une personne autre que celle à qui elle croyait s'unir. - Qu'ainsi la nullité
pour erreur dans la personne reste sans extension possible aux simples erreurs
sur des conditio!ls ou des qualités de la personne, sur des flétrissures qu'elle
aurait subies, et spécialement à l'erreur de l'époux qui a ignoré la condamnation à des peines affiictives et infâmantes antl!rieurement prononcée contre son
conjoint et la privation des droits civils et civiques qui s'.:n est suivie. - Que
la déchéance établie par l'art. 3~ du Code pénal ne constitue par elle-même ni
u.o empêchement au mariage ni une cause de nullité de l'union contractée. Qu'elle ne touche non plus en rien à l'idenlité de la personne, qu'elle ne peut
donc motiver une action en nullité du mariage pour erreur dans la personne.Qu'en le jugeant ainsi et en rejetant la demande en nullité de son mariage.
formée par Z. H. et motivée sur l'ignorance où elle avait été à l'époque du
mariage, de la condamnation à quinze ans de travaux forcés qu'avait antérieurement subie B. son n1ari et de la privation des droits civils et civiques qui en
avait été la suite, l'arrêt attaqué n'a fait qu'une juste et saine application des
art. 146 et 180 du Code civil, Rejette... 11
-
223 -
par son arrêt du 9 février 1863 (1). Depuis les Cours d'appel qui
ont élé appelées à connaitre des demandes en nullité pour cette
cause ont admis cette solution (2).
Sans doute, nous sommes obligés de le reconnaitre, dans
nombre de cas, l'application de cette théorie sera rigoureuse et
cruelle. Dans telle hypothèse, on obligera l'un des époux à violer
ses convictions religieuses, à se mettre en révolte avec sa conscience. Que ne souŒrira pas une femme catholique par exemple,
d'être unie avec un sacrilège, lorsqu'elle a épousé un religieux ou de vivre en concubinage (3) avec son conjoint, lorsque
son mariage n'a point été béni par l'Eglise? Il est évident qu'au
point de vue légal le mariage existe ; il est valable, inattaquable et complet, dès que les époux ont été unis par l'officier
de l'Etat-Civil, mais par rapport à la religion catholique, l'union
ne devient régulière qu'autant qu'elle a été consacrée par le prêtre. On dit, que la femme victime de l'erreur, pourra demander
la séparation de corps pour injure grave. Mais n'est-ce pas là
un remède insuffisant ? Car enfin on ne se marie par pour être
séparé et la société elle-même soufîre de cette séparation, car
un des buts principaux du mariage, la procréation des enfants,
ne sera pas atteint.Ces décisions ont paru si injustes et ce remède
si dérisoire, que certains auteurs, qui n'admettent pas que la
femm e puisse demander la nullité du mariage dans le cas où
elle a épousé un forçat libéré, soutiennent qu'il faut prononcer
cette nullité dans le cas où elle s'est trouvée unie avec un religieux.
A propos de l'arrêt de la Cour de Colmar, M. Dalloz dit :
« Indépendamment de l'article 180 du Code civil, cette décision
(1) Uassation . Sirey. 186<1. 1. 45.
('l) Montpellier, 1 février. 1866. Dalloz. 1867. 3. 2î0. Bordeaux, 21 mars 1866.
- Sirey 1866. '!. 209.
(3) Au point de vue canonique.
�-
224 -
« nous parait trouver sa justification dans ce principe d'ordre
« supérieur, que la loi ne peut faire violence à la conscience de
« la femme et l'obliger à demeurer dans les liens d'un mariage
« qui n'est aux yeux de la r eligion qu' un crime permanent,
« Aussi irons-nous plus loin que la Cour de Colmar et déciderons« nous que dans le cas même où la femme, en se mariant
<l aurait connu la pos ition de l'hom me qu'elle épousait, elle
« n'en pourrait pas moins, s i sa conscience venait à se r éveiller
« plus tard , demander la nullité de ce mariage. Il doit toujour~
(( être permis de rompre avec le cri me p our revenir à l'accom(< plissement du deYoir ( 1). >> Celte doctrine est en contradiction
avec le texte et l'esprit de la loi (2). S'il nous était permis de la
juger, nous dirions, qu'en effet, elle ne do nne pas satisfaction
aux conYictions religieuses et qu'il serait à désirer qu'elle
disposât que, dans le cas où il résulterait de la convention
expresse ou tacite des parties, que le mariage doit aussi ètre
célébré à l'église, el où l'une des parties viendrait à manquer
(1) La Cour de cassation n'appC>rte pns une exceplion à cette r~gl e pour
décider que l'engagement dans les ordres sacrés , con sti tue un empôch1ment
diliroant a a mariage, mème à l'égard du prôtre catbolique qai a abandonné le
sacerdoce. Voici les motifs de droit qu'elle a donnés da ns le dernier arrôt
qn'elle a renda sur cett e hypothèse : - Attendu qn'1I résulte des articles 6
et 26 de ta loi organique du Con cordat d u 18 germinal an X . que les prêtres
catholiques sont soumis aux canons qui étaient a lors r eçus en France et par
con séquent à ceux qui prohibaient le mariage à l'homme engagé dans les ordres
sacrés . - Attendu qae le Code civil et les lois cons titutionnelles ne ren fH ment
a ucune dérogatio n à cette légish tion spécia le. l'arrèt attaqué d éclaran t nul et
de nal effet, le mar iage dont il s'agit n'a violé aucune loi, - 26 févr ier 1878.
- ( Dalloz, 1878. 1.1 12).-Voir aussi Arrêt de Limoges, l7 janvi er 1846 (Da lloz
18i6. 2. 3~) et Arrét de Cassation d u 23 février 1847. (Dalloz. 1847. 1 129).
(2) hl. Bressolles considère comme une err eur sur la personne, le fait de
l'époux qui a urait trompé l'autre sur ses sen timents r eligieux jusqu'après la
célébration civile da mariage. (Revue de légis lation 1846. T . Il. p. 1i!J).
Marcadé dit que c'est une erreur s ur la qualité morale suffisante puur Caire
prononcer l'annulation . ( lb. 1846. T. 3. p. 3't2).
M . Thierret, au contraire, p ense que le mariage civil es t complètement à
l'abri de toute demande en nullité pour une cause pareille. (Ibid. 18!i7,
T, l. p. 370)
-
225 -
à cet engagement, il serait permis à l'autre partie de demander
la nullité du mariage. La liberté de conscience, dés lors, serait
sauvegardée ; mais telle qu'elle est, la loi doit être appliquée
dans toute sa rigueur, quelque incomplète et si cruelle qu'elle
soit. Si nous admettions une seule exception, comme celle
que cite M. Dalloz, nous ouvririons la porte à l'arbitraire le plus
dangereux, et nous ne savons où l'on s'arrêterait.
L'impuissance n'est-elle pas une cause de nullité du mariage?
Arrêtons-nous un instant à cette question. Sur ce point, notre
1égisla lion a complètement aband onné les errements de l'ancien
droit. Parmi les empèchemen ts dirimants le Droit canonique
et Pothier, comp taient l'impuissance et la constatation de ce
vice donnait lieu à un i11spectus corporis, qui éta it une injure à
la mora le et à la décence. On dis tinguait suivant que l'impuissance était naturelle ou accidentelle. Elle cons tituait un empêchement dirimant, pourvu qu'elle fut incurable ou perpétuelle.
Mais on n'exigeait pas qu'elle eut été connue par l'autre époux.
« Quoique l'union des corps, disait Pothier, ne soit pas de
cc l'essence du mariage, néanm oins, comme la procréation des
(( enfants es t la fin principale du mariage, il faut, pour être
« capable de se marier , avoir au moins le pouvoir de parvenir
(( à cette union des corps (1) . » Pendant la discussion du Titre
du mariage, au Conseil d'Etat, il ne fut j amais parlé de l'impuissance. Dans les discussions du Titre de la Paternité et de la
filiation, Portalis s'en occupa : « Quant à l'impuissance, disait-il,
a. ell e ne peut pas devenir le principe d'une exception, puisque
« dans la loi s ur le ma riage on n'en a p oint fait l'objet d'une
« action en nullité, et ce sil~nce absolu de la loi est fondé en
(( raison , car il n'y a pas de moyen de reconnaitre avec cerli« tude l'impuissance (2). » Dans la discussion du titre du
(1) Pothier, I"\' 96, 97 et 98.
(2) Locré. Tom. 6, p. 35 et 291.
15
�-
226 -
- 227 -
Divorce, on ne voJlut pas accepter l'impuissance comme une
cause de dissolution du mariage. En effet, si la procréation des
enfants et une des fins principales du mariage, elle n'en est
point le but essentiel. Le mariage n'est pas exclusivement la
société de l'homme et de la femme, qui s'unissent pour peFpétuer l'espèce ; ils s'unissent aussi pour s'aider par des
secours mutuels, à porter le poids de la vie et pour partager
leur commtllle destinée, selon les expressions de Portalis. La
loi 1 dans l'article 1-14, n'exige qu'une seule condition pour que
le mariage puisse être contracté. C'est qu'il le soit entre un
homme et une femm e. L'homme, cesse-t-il d'être homme, pour
être impuissant (1)? Pour preuve que le mariage n'est pas seulement l'union des corps, on peut dire que les mariages contractés in extremis sont permis, puisque la loi ne fait pas mention de la prohibition de la Déclaration de 1639, article 5 et 6,
qui défendait ces sortes de mariages. - Le Code a voulu
mettre fin aux scandaleuses recherches auxquelles on soumettait celui que ron disait être impuissant, et repousser l'allégation de ce vice, le plus souvent incertain et difficile à constater.
En outre, admettre que l'impuissance est une cause de nullité,
c'est ajouter w1e nullité à celles qu'indique le Code, et détruire
la théorie que nous avons exposée sur les qualités physiques et morales de l'individu (2). Car ici l'erreur porte sur
la qualité et non sur l'identité. D'ailleurs, les auteurs qui veuleht faire de l'impuissance une cause de nullité, ne s'entendent pas sur le point de savoir de quelle espèce d'impuissance
il s'agit. D'après Toullier, il faut qu'elle soit accidentelle et
qu'elle se manifeste par des signes extérieurs. Selon d'autres,
l'impuissance manifeste et extérieure, soit naturelle, soit accidentelle, est une cause de null'té, car, dit-on, il y a erreur
dans la personne et non-seulement s ur les qualités physiques
et l'articte 180 est applicable. Nous avons dit comment il faut
entendre l'article 180. D'ailleurs, pour constater cette impuissance il faudra recourir un inspectus corporis et si l'impuissant
s'y refuse, pourrait-on l'obliger de vive force? Ce serait odieux
et s'il ne proteste pas pourrait-on conclure de son silence, qu'il
fait l'aveu du vice qu'on lui reproche; c'est impossible. Voici
l'argument qu'on nous oppose . La loi, dit-on, dans l'article 312
permet à l'époux qui, par suite de l'impuissance, s'est trouvé
dans l'impossibilité de cohabiler avec sa femme au moment de
la conception de l'enfant dont elle est accouchée, d'invoquer
son impuissance accidentelle. Ne suit-il pas de là, que l'on doit
pouvoir faire rompre le mariage pour impuissance accidentelle,
puisqu'il y a impossibilité de cohabitation? - Non, ici il ne
(1) Contrà. Merlin. Répertoire au mot Impuissance. n · 2.
('2) Génes, 7 mars 1811. - Riom, 'lO juin 1828. - Be~nçon. 28 août 1810.
- Nimes, 25 DO"Vembre 1869. (Devill. 1870. - 2. 78). La Cour de c'lssation a
maintenu un mariage dont on demandait la nullité pour cause de refus de la
part d'un épouit de remplir le devoir congug11.I. - Dans ce sens la Cour J e
Caen a jugé tout récemment c que l'absence complète des organes qui carac• térisent le sexe n'eat pas une cause de null ité du mariage. 16 mars 1882.
(Dalloz. 1882.
2. 155.). Le demandeur ne se prévalait pas d'un e erreur sur la
per;onne, qu'on ne peut plus invoquer après si.x m'lis de cohabitation, mais d'un
défaut absolu de consentement; il disait que le mariage est la conj1.mctio marts
et feminœ. La Cour de Caen dit que la mariage est le consort1um omnts vitœ,
Que les n ullités dans les contrats aussi importants, que le mariage sont restricti vement déterminées ; q•1c cette nullité radicale et absolue ne permettrait pas
qu'on y renonçât, bien qu 'on rùt marié en connaissance de cause; qu'un pourrait toujours invoquu cette nullité, alors qu'on connaissait le défaut; que les
étrangers, la personne intére•sée, le ministère public pourraient demander la
n ull ité du mariage d'époux unis par l'affection la plus intime et cela malgré
eux; pendant leur vie comme a près leur mort, quelque fut le te~~s éco~lé. La Cour de Trèves a admis l'impuissance comme cause de null1le (1 .. JUiiiet
1808. Dalloz. v• Mariage). Le tribun~! d'A lais et en appel la Cour de Montpellier. appelés à statuer sur un cas id.?ntique à l'espèce soumise à la Cour de
Caen ont 1ugé en sens contraire. (Dalloz. 1872, 2. 48.). La c.our de Paris, dans
son arrêt du 30 mai 1883, regarde le refu s de la part de bien de~ époux de
r emplir leur devoir cunjugal comme une injure grave pouvant entrainer la sépar ation de corps. (Ga;ictte des tribunau:z;, m11i, 1883. A ffaire Aucher).
�-
228 -
s'agit pas de donner au mari le droit de prouver qu'il n'est pas
le père de l'enfant dont sa femme est accouchée, de prouver
le crime d'adultère, par tous les moyens qui sont en son pouvoir. Il s'agit seulement de savoir s'il y a eu erreur da ns la
personne, et pour le démonlrer, il faudrait recourir à <les investigations scandaleuses et indécenles. C'est ce que la loi n'a
point voulu.
Pour terminer sur ce sujet, il nous faut dire quelques mots
de l'action en nullité, que la loi accorJe dans le cas d'erreur~
Remarquons d'abord que, pour pouvoir intenter cette action.en
nullité, il n'est point nécessaire que l'erreur ait été la suite des
manœuvres frauduleuses de l'autre partie. Le Premier Consul et
quelques autres orateurs, demandèrent avec insistance que l'on
introduisit cette distinction dans la loi. Mais on repoussa celle
proposition, parce que l'erreur est indépendante de la bonne ou
mauvaise foi de l'autre conjoint. i elle porle sur la personne
physique, il y a défaut absolu de consentement, le mariage est
inexistant, radicalement nul ; quiconque peut demander la
nullité, à quelque époque que ce soit. Si elle por te sur la personnalité civile, d'après l'art. 180, l'époux seul qui a été induit
en erreur, peut demander la nullité du mariage ; s'il est majeur
de sa propre autorité et s'il est mineur avec l'assistance de son
curateur; ni l'autre époux, ni les ascendants, ni les créanciers
ne peuvent exercer ce droit à son lieu et place, parce que la
loi tient ce droit pour exclusivement personnel ; et en effet la
personne seule qui a été victime de l'erreur, peut seule en
connaitre la gravité et l'établ ir mieux que tout autre. - Doiton accorder ce droit aux héritiers, en vertu du p rincipe que
nos héritiers succèdent à nos droits et actions · et dire que
'
'
lorsque les héritiers se trouvent dans le délai fixé par la loi, ils
pourront intenter l'action en nullité ? - Non, quand la loi parle
de la transmissibilité des droits et actions, elle suppose des
- 229 qroi~ pécuniaires. Or le droit de demander la nullité du
manage. est un droit essentiellement moral, attaché exclusivement a la personne au profit de laquelle il a été créé. Voici
un autre argument qui a son importance. Dans le cours de la
discussion, on demanda que l'action put être exercée par
les ascendants : on rédigea même dans ce sens, l'article du
projet et cette rédaction fut repoussée. Mais que faut-il décider
dans le cas où l'époux est mort, après avoir manifesté son
intention de demander la nullité du mariage, en engageant
l'instance? Ne peut-on pas appliquer la maxime : Actiones
<ptœ tempore aut morte pereunt, semel inclusœ ;'udicio salvœ
permanent, et tirer argument des art. 330 et 957 ? Nous ne le
croyons pas : cette maxime exacte en droit romain, où la titis
contestaf?'o opérait novation de la demande, ne l'est plus dans
notre législation ou le droit ne change pas de caractère pour
être déduit en justice. En outre, dans l'art. 330, l'action n'est
pas purement m orale, elle est en partie pécuniaire ; elle est
donc transmissible en principe: d'ailleurs, le législateur permet
aµx. enfants de continuer l'action, parce qu'il leur donne le droit
de l'intenter de leur chef, s'ils se trouvent dans certaines conditions qu'il détermine. Mais ici la loi ne leur donne pas ce droit
et si elle eut voulu le leur concéder, elle l'eut fait en termes
formels comme dans l'art. 329. Et ces deux remarques s'appliquent encore à l'art. 957. La loi permet aux héritiers d'intenter l'action ; pour être logique, il fallait leur permettre de
la continuer et au surplus l'action est encore moins morale que
pécuniaire (1). D'après l\I. Demolombe, la loi ne donne pas aux
( 1) Le droit dt: poursui H e ln nullité <l'un mari:1ge 1 n'est transmissible aux
hériti1•rs des rpoux que lor<;q11'il s'agit d'une cause absolue rle nullilë. li est
intrans missible du moment oit il r::po<;e s ur une cause de nullitë pu~ment
relative ; spécialement 110 mari:ige ne peul être attaqué après le decès de
l'nn des coujoints. par les hcriliers de celui- ci pour caus~ d 'erre11r dans la
personne.
Trihu nal llivil rle T onlouse, 2!1 lévrier 1879. (Dalloz, 1879, 3, 6\), C'est ln
décis ion judiciaire la plus r écente.
�'
-
230 -
héritiers le droit d'attaquer 1 n1ais elle ne réserve pas non pltls
à l'époux le droit de continuer l'action. l\1ai, continuer à attaquer, n'est-ce pas attaquer encore? La loi a voulu lil11iter
l'actio11 au principal intéressé, afin de ne pas n1ultiplier les
de1nandes e11 nullité. EL ce qui dén1onLre bie11 qne la loi
n'entend doru1er ce droit qu'à l'épottx, c'est que clans l'art. 181,
elle ne pense qu'à lui 1 en organisant un in ode spécial de ra Lift-catio11 tacite. ' 'oici du resLe le texte de cet article que nous
allo11s examiner.
•
Art.~181 .
'
- c< Dans le cas de l'arLicle précédent, la demande
« en l(ullitén'est plus receYable toutes ies fois qu'il y a eu coba« bitation continuée pendant six. n1ois depuis que l'époux a
« acquis sa pleine liberté ou que l'erreur a été par lui re« connue. >) La loi exige que les époux aient col1abité pendant
six inois consécutifs, qui cornmencent le jour où l'erreur a été
découverte. Cependant, on ne pourrait regarder t1ne interruption de quelques jours co1nn1e une solution de continuité,
Délai trop long sans doute et qui excède le temps nécessaire
pour recueillir les preuves de l'erreur dont on a été victitne 1
Remarquons aussi que si l'erreur dure encore après l'expiration
du délai, celui qui a été induit en erreur, pourra encorè demander la nullité du mariage à la condition d'établir que l'erreur
n'avait pas encore cessé au n1oment où expirait le délai accordé
par la loi (1). Aucune autre ratification tacite ne serait ad1nise,
comme la naissance d'un enfant. La loi, en prenant soil1 de
déterminer une ratification tacite, exclut par cela même tous les
autres modes de ratification du même genre. Mais cela doit-il
s>appliquer à la ratification expresse? Certaine1nent non. Si la
•
•
(1) Bordeaux, 20 févr. 1867. Da ll 1868. 2. 19.
(2) Cassation, 20 avril 1869. Sirey . 1869, 1 3f)3,
•
-:- 231 loi ne s'en est pas occupée, c'est que dans le cas où les parties
s'ex.priment d'une façon formelle et précise, il ne saurait y avoir
de doute sur leurs intenlions. Tandis qu'il était nécessaire de
régler les conditions d'une ratification tacite, qui est toujours
plus ou moins équivoque. « C'est précisément, dit Marcadé, à
<1. cause de la valeur évidente ici, d'un consentement formel« lement donné, que la loi a dù se préoccuper d'organiser d'une
« manière certaine la ratification tacite, dont l'ancien droit ne
« précisait pas les conditions; tandis qu'elle a dû trouver inutile
« de parler de la ratification expresse, qui va de soi et qu'on a
« toujours adn1ise. )) (ld. Polhier, n•• 309 et310.) (l)Aux tribunaux
de voir si la partie tron1pée a ratifié libre1nent, volontairement
et en connaissance de cause; aux juges de décider s'il résulte de
l'acte que l'on produit comn1e expression de sa volonté, (et qui
n'a pas besoin, pour un contrat exceptionnel comme le mariage
d'être revêtu des formes exigées par l'art. 1338) si l'époux a eu
réellement l'intention de tenir la nullité pour non avenue. Cette
ratification ne résulterait pas, par exemple, de l'autorisation
donnée par le mari d'ester en justice (2).
Mais supposons, qu'il n'y ait ni ratification expresse, ni ratification tacite par une cohabitatjon continuée pendant six mois,
doit-on admettre que l'époux trompé pourra, pendant aussi
longtemps qu'il lui plaira, tenir en suspens la validité du mariage? En un mot, les règles de la prescription ne s'appliquent_
elles pas ici et quelle est la prescription applicable à l'action en
nullité de l'art. 181? La question est controversée. D'après les
uns, cette aclion en nullité est imprescriptible, comme toutes les
actions en nullité relatives à l'état des personnes. - 1'1fais il
nous semble que ne sont imprescriptibles que les actions aux(1) Marcadé. Tome I , art. 181.
(2) Contr à Duranton IJ, 283.
•
�-
•
232 -
quelles la loi a spécialen1ent don11é ce caractère. - D'après les
autres, r art. 1304 doit recevoir ici son application et l'action en
nullité sera prescrite par le délai de dix ans. Cet te disposition,
disent les partisans de ce second système, ne se rapporte pas
seulement aux contrats et aux obligations, bien qu'elle soit
édictée dans le titre qui les concerne ; elle a une portée plus
générale. Cette prescription s'étend à toutes les actions en nullité
qui nécessitent des preuves qu'un long délai rendrait trop
difficiles ou da11gereuses. Puisque la loi n'a pJ.s fixé ce délai, il
y a lieu, malgré la nature particulière de ce contrat, d'appliquer
la prescription la plus courte, afin de ne pas laisser durer trop
longtemps l'incertitude qui pèse sur la Yalidité du mariage.
Donc, l'époux induit en erreur, qui n'a pas cohabité pendant six
mois avec son conjoint et qui n'a pas ratifié expressément la
nullité du mariage, ne sera plus recevable après dix ans à
intenter cette action en nullité. - Nous n'acceptons ni l'u11e, ni
l'autre solution. Nous croyons que la prescription à laquelle est
soumise l'action de l'art. 181, est la prescription ordinaire de
l'ar t. 2262, la prescription trentenaire. Cet article contient 1a
règle générale en matière de prescription: l'art. 130-t est exceptionnel et il n'y a aucune raison pour l'appliquer ici. L'art. 1304
ne s'applique qu'aux contrats, et le mariage ne leur est pas assiimilable; et enfin il repose sur une présomptio11 de ratification
tacite ; or, la loi a pris soin de détern1iner la seule n1anière dont
on pourra ratifier tacitement la nullité; toutes les autres doivent
être rejetées.
-
233 -
J
CI1APITRE IV
Du Mariage putatif
l
Nous ve11ons de voir que l'erreur dans certains cas déterminés, entraine la nullité ou l'annulabilité du mariage. Mais là ne
s'arrête pas son influence. Le mariage une fois annulé, devr ait
ètre réputé il1existant, non avenu; et cependant, ~iles époux ou
l'un d'eux, ont été de bonne foi, la loi considère ce mariage,
qu'une décision judiciaire vient de rompre ou de déclarer
inexistant, comme ayant été valable et régulier, jusqu'au jour, ou
cette décision est intervenue. Donc en même te1nps qu'elle fait
briser le mariage, l'erreur sert de fondement à sa validité
rétt,oactive, et lui fait produire tous les eITets d'un mariage régulièrement contracté. Ce mariage, nul en fait, mais valable en
vertm de la bonne foi des époux, est appelé mariage putatif.
La loi s'en occupe dans les articles 201 et 202 qui sont ainsi
convus Art. 201 : « Le mariage qui a été déclaré nul, pro« duit néan1noins les effets civils, tant à l'égard des époux,
« qu'à l'égard des enfants, lorsqu'il a été contracté de bonne
« foi. - Art. 202. Si la bonne foi n'existe que de la part de l>un
« des deux époux, le mariage ne produit les eITets civils qu'en
« faveur de cet époux et des enfants issus du mariage. » Cette
disposition de la loi est équitable ; si l'on annulait rétroactivement le mariage, si on ne lui faisait produire aucun eITet, on
frapperait des innocents, en refusant la légitimité aux enfants
qui en sont issus ; on serait injuste envers les époux, car étant
de bonne foi, on ne peut le1.1r reprocher l'erreur qu'ils ont corn-
�-
234 -
n1ise et cette sévérité serait inutile, car la crainte de la peiJH~
n ·arrête que ceux qui savent ce qu'ils font et ici les époux ne se
doutaient pas de l'irrégularité de leur union.
Le droit canonique avait, lui aussi, fait produire cet effet à la
bonne foi des parties. '"loici con1n1ent il définissait le n1ariage
putatif. 11IatrinioniuniJ?Ufativunz est quod bona fide et solernriiter salteni, op-i- nione conJugis lotins, Justa ·interpe1~sonnasjuri.gi
vetitas cons~iit. Et Pothier disait : (< Ce cas auquel le mariage
«. quoique nul a des eŒets civils, est lorsque les parties qui l'ont
« contracté étaient dans la bonne foi et avaient une juste cause
<t d'ignorance d'un en1pêchement dirimant qui le rendait nul. »
De nos jours, la seule condition pour que le mariage soit réputé
régulier, est qu'il ail été contracté de bonne foi, et par bonne foi
00 entend l'erreur des parties, la fausse croyance, qu'elles ont
eue de la validité de leur union. Toute espèce d'erreur est-elle
admissible, et ne faut-il pas distinguer entre l'erreur de droit et
l'erreur de fait, entre l'erreur excusable et l'erreur gTossière?
Nullement, les termes de l'article 201, so11t généraux et là où la
loi ne distingue pas, il ne faut pas introduire de distinction. A
Rome, où la différence entre les det1x espèces d'erreurs était
bien plus importante, que dans notre droit, on ne les distinguait
pas au point de vue du mariage, ainsi que cela résulte des lois
57 § 1. 23. 2. D. et Const. 4. Code 5. 5. Pourquoi d'ailleurs établirait-on une dissemblance? En vertu du principe que, nul n'est
censé ignorer la loi? Nous savons déjà, qu~elle juste portée il
faut donner à cette maxilne, qui n'est écrite nulle part dans not re
Code Civil. Que la preuve de l'erreur de droit, soit inoins facilement
accueillie par les tribunaux, parcequ'elle est moins vraisemblable,
que 11erreur de fait, c'est justice (1). niais pu.isque tout aussi bien
( l) La dernière décision judiciaire su r cette question à été rendue, par le
Tribunal de Toulouse, le 24 (évrier 188 1. Dalloz, 1881-2. 199. - Le tribunal
a jugé que la bonne foi requise pour le n1ariage putatif peut résulter d'une
erreur de drolt. - Metz, 7 février 1854 (Oall. 18!>4. 2.. 2.lO). - .Paris, (Dalloz
-'.860. 2. 137).
-
I
1
235 -
que l' erreu1' de fait, elle engendre ln bonne foi, elle doit produire le
même e[et. Cela s'applique encore à l'erreur grossière. 11 suffit
qu'il y ait eu bonne foi, sans avoir à rechercher le degré de négligence des parties . Donc le Code se n1ontre moins rigoureux que le
droit canonique et 1' ancien droit.
A que l moment doit exister cette bonne foi ? Au moment de la
célébration : encore que les époux ou l'un deux: viennent à avoir
connaissance de l'irrégularité de leur union , la bonn~ foi est censée
persister jusqu'au j our où le n1ariage n'a pas été annulé par les tribunaux. On a voulu cependant que le maria ge ·n e produisit les
effets civils attachés à sa validité, qu'autant que dûrerait la bonne
foi. On a même distingué entre les diverses nullités et l'on a dit que
n~alg-ré la survenance de la mauvaise foi, en cas de défaut de publicité, le mariage continuerait à être réputé valable ; tandis qu'en cas
de bigamie, il ne serait plus considéré comme tel, du jour de la découverte de l'erreur. Distinctions arbitraires que l'on ajoute au texte
de la loi, qui a sagemment agi en n'en faisant pas mention. Car il
eut été très difficile de prouver à quel moment précis la bonne foi,
croyance intime, avait cessé, et il eût été dangereux, d'après un
mbde de preuve si délicat, de tenir tel enfant pour légitime ou naturel, selon qu'il était né avant ou après la cessation der erreur. D'ailleurs dans certaines hypothèses, la loi elle-même, engage les parties à rester unies malgTé la connaissance qu'elles ont de leur e~reur,
puisque le j our où le vice de leu r union disparait, elle valide le
mariage, comme dans le cas d'impuberté par exemple. Comment
donc pourrait-on les punir, pour n'avoir point rompu un mariage
que la loi elle-même confirme et déclare réguli('r?
Qui doit établir la bonne foi? Ici il y a encore lieu d'appliquer
le principe, que la bonne foi se présume toujours et c'est à celui
qui de1nande la nullité radicale et absolue du ma1iage, à prou·ver
que la bonne foi n'a jan1ais existé. Le Code lui-n1ême applique
ce principe dans les articles 1116 et 2268. Mais certains auteurs
�-236soutiennent que c'est par exception que le mariage nul produit
des efiets civils en vertu de la bonne foi. C'est donc à celui qui
invoque l'exception à prouver qu'elle s'applique bien à lui et à.
établir sa bonne foi. Ce n'est pas une exception à une règle générale: la loi par sa toute puissance, erige en principe, que celui
qui est de bonne foi, profile des effets du mariage comme
s'il était valable. Il n'est p as plus exact de .dire, qu'en général11
c'est au demandeur qu'incombe la preuve de la mauvaise foi:
act0t·i t·ncumbit probatio, ca r il peut se présenter tel cas , où précisément celui qui est demandeur au procès sollicite, des magistrats, de faire produire au mariage tous ses effets, en vertu de la
bonne foi qu'il prouve avoir exis té dans l'esprit des conj oints,
ou de l'un d'eux. Ainsi quand c'est un enfant qui demande une
pens ion a limentaire à ses parents, dont le mariage a été déclaré
nul: pour l'obtenir il doit établir leur bonne foi. Il nous reste à
nous demander si la bonne foi dont parle la loi peut couvrir toutes les nullités, les nullités radicales et absolues,
comme les nullités temporaires et relatives. A-t-elle pour résultat de rendre valahle le mariage nul, pour défaut de consentement par exemple, ou seulement le mariage nul pour erreur sur
la personne civile? La question est vivement controversée.
Selon nous, que la nullité soit absolue ou relative, que le roariaç-e
ait réellement existé et ait été annulé, soit qu'il n'ait jamais )
existé, peu importe. En elTet, l'article 201 en parlant du mariage
qui a été déclaré nul, comprend à la fois et les nullités prononcées par les juges et celles qu'ils se sont bornés à constater. En
second lieu, sa place à la fin du chapitre IV, démontre qu'il
s'applique à toutes les nullités qui sont étudiées dans ce chapitre,
comme la bigamie et la clandestinité. Il faut dire aussi que cet
article a une portée plus grande et qu' il s'applique en outre à
toutes les nullités qui ne sont pas prévues dans ce chapitre
quelles qu'elles soient. Il fut dit, en elTet, par M. Tronchet
-
237 -
devant le Conseil d'Etat, que le mariage contracté de bonne foi
àvec un mort civilement était un mariage putatif. Il faut donc
admettre, que l'union célébrée devant une a utre personne que
!'ollicier de rEtat-Civil, sera un mariage putatif, si l'un des
époux. au moins est de l.Jonne foi. On prétend cependant que ce
cas ne tombe pas sous l'application de l'a1ticle 201 qui parle du
tnariage confracté. Or, dit-on, ici il n'y a pas eu célébration, il
n'y a eu qu'un simulacre. On joue s ur les mots, car le mariage
est contracté aux yeux de celui qui a été induit par erreur et
l'on ne doit pas restreindre ce mot à la célébration devant l'officier de l'Etat-Civil, s inon la loi eut employé le mot céléb1·é. On
ajoute qu'ici il n'y a même pas eu semblant de mariage et que
la loi ne peut pas faire vivre, ce qui est nul ; quod nullum est
nullum produciL e(fectum; ma is le ma riage existe-t-il davantage,
quand il est radicalement nul pour erreur sur la personne physique par exemple? On ne peut dire que la présence de l'officier
de l'Etat-Civil soit absolument essentielle et inhérente à la vali ·
dité du mariage, puisque la loi regarde comme valables les
mariages cou tractés à l'étranger hors la présence de l'officier de
l'Etat-Civil et sans formalités, si la législation qui régit le pays
où le mariage a été céléb ré, n'en exige pas. Remarquons enfin
que dans ce cas, autant que dans tout autre, si ce n'est plus,
l'erreur mérite indulgence : car il est facile de se tromper et de
croire que la personne que l'on a devant soi, a réellement reçu
de la loi le pouvoir de célébrer le mariage. Le législateur pourrait-il dépouiller de tout elîet ce mariage pour défaut de célébration, alors qu'il regarde comme valables, des mariages où
l'erreur est beaucoup moins excusable , comme ceux où les
époux sont parents ou engagés dans les liens d'un précédent
marhge. (1) Donc la bonne foi couvre la nullité quelle qu'elle
( 1) Sic P aris 1838 (Derille. 1838. 2. 113.) Cassat 1847. (Deville. 18.\7. !. 116)
Contrà Bourges (Dall. 1830. 2. 215,)
�-238soiL Nous ne voulons pas nous étendre sur les effets que la
bonne foi fait produire au mariage. Nous devions montrer quelle
était la vertu spéciale que la loi donnait à l'erreur sous le nom
de bonne foi, de communiquer une validité rétroactive à un
mariage déclaré nul. Nous tenons cependant à dire, en quelques
mots, combien sont importantes les conséquences de la bonne
foi jusqu'au moment où le mariage et plutôt dissous qu'annulé
•
par la décision judiciaire.
Il faut distinguer deux hypothèses. D'abord, les époux sont
tous deux de bonne foi. Ici le mariage putatif produit tous
les effets du mariage régulier à l'égard des époux, des enfants
et des tiers. Donc, droits sur la personne et les biens des enfants,
tutelle en cas de prédécès de l'un des époux, incapacité de la
femme, exécution du contrat qui détermine le régime ou application des règles de la communauté, en cas de silence du
contrat. Si le j ugement n'est pas encore prononcé lors de la
mort de l'un des conjoints, droits de succession, sous les réserves déterminées par la loi ; droit de succession sur les biens
des enfants. En ce qui concerne les enfants, ils ont tous les
droits et prérogatives des enfants légitimes : nom, droit aux
aliments, droit successoral sur les biens de leurs parents, des
ascendants de leurs parents et de leurs frères ou sœurs. En
outre, malgré controverse, le mariage putatif a pour effet de
légitimer les enfants naturels nés avant la célébration. Car
tel est l'efiet du mariage valable ; mais, pas plus que ce dernier, le mariage putatif ne peut légitimer les enfants incestueux ou adultérins (331 et 335). Si l'art. 202 ne parle que des
enfants issus du mariage c'est qu'il statue de eo quod plerum
que fit et même de ceux-ci il ne s·en occupe que d'une façon
incidente ; d'ailleurs, l'art. 201 qui pose le principe, parle des
enfants en général, et si l'on n'admettait pas que le mariage
putatif a cet effet, il serait faux de dire qu'à l'égard des époux
- 239 il produirait tous les elTets du mariage régulier, car il peut se
foire que ceux-ci se soient mariés dans le but de légitimer les
enfants nés avant cette union viciée par l'err~ur et afin de
retirer de la légitim ilé les bénéfices moraux et pécuniaires qui
y sont a ttachés. Pothier disait que la bonne foi que les parties
ont eue en contractant ce prétendu mariage ne peut donner les
droits d'enfants légit imes a ux enfants nés du commerce qu'elles
ont eu ensemble auparavant, car ce commerce est un commerce criminel de la part des deux parties, dont le vice ne
peut ê tre purgé que par véritable mariage (1). Puisqu'on
admet que le mariage valable efface l'irrégularité de ce commerce, il faut que le mariage putatif qu'on lui assimile, ait le
même résultat, pourvu que la bonne foi existe au moment du
mariage. A l'égard des tiers, on peut encore résumer en deux
mots les résultats de la bonne foi. Le mariage putatif est réputé
valable. Incapacité de la femme, hypothèque légale et donatious f·lites par contrat de mariage, toutes les règles édictées
pour les mariages réguliers s'appliquent ici.
Mais que faut- il décider si l'un des deux époux est seul de
bonne foi? Tous les eŒets que nous venons d'énumérer, et plus
généralement tous ceux que la loi donne au mariage inattaquable, se produisent à l'égard des enfants et de l'époux de
bonne foi; l'autre époux est privé de tous les avantages du
mariage. Pour lui, le mariage est censé n'avoir jamais existé ;
aussi ne peut-il pas demander l'exécution des conventions
matrimoniales. L'époux de bonne foi a seul ce droit, mais ce
droit est indiYisil>le, il ne pourra pas exécuter ces conventions
en partie seulement, car loules les clauses du contrat se tiennent et forment un acte à litre onéreux qu·on ne pent scinder.
Lui seul, peut demander l'exécution des donations faites par
(1) Pothier. Mariage, 44 1.
�-
240 -
contrat de mariage, même les donations réciproques (arg.
d'analogie tiré de rart. 300), droit qui est refusé à l'époux de
mauvaise foi. n ne peut même pas garde r les dona tions à lui
faite par contrat de mariage, car sinon on fer ait produire
quelque effet au mariage qui n·en doit point produire pour lui ;
le enfants il est vra i, seront les premiers à sou!Irir de cette
rigueur. fais si l'on n'admet pas cette solution, que décideraiton dans le cas oü aucun enfant n'est issu du mariage? Que
serait la donation jusqu·à la naissance d'un enfant ou si l'enfant
meurt ayant la donation ? Cela ne s'applique pas cependant à la
donation de biens à venir qui renferme une s ubstitution en
faveur des enfants de l ïnstitué, au cas où il viendrait à être
incapable ou à mourir (art. 1082). De même il faut décider que
les donations quïl a faites aux tiers ne seront pas révoquées
pour cause de survenance d'enfan t, car il p rofiterait directement de cette révocation, puisqu'il jouirait des biens compris
dans la donation révoquée pour cette cause. Il ne peut pas
davantage révoquer les dona tions qu'il a faites à son conjoint
pendant le mariage. Il succèdera pas à l'époux de bonne foi,
si celui-ci meurt avant lui ; il ne succède aux enfants issus
de son mariage. Il peut être tenu de fo urnir les a liments et ne
peut en obtenir, si sa parenté naturelle n'est pas certaine et
légalement constatée. La puissance paternelle ne lui appartient
pas, à moins que l'autre conjoint de bonne foi n e soit mort, et
seulement si sa paternité naturelle est certaine. Il ne dev ient
pas tuteur des enfants issus du mariage. Si c'est le mari qui
est de mam·aise foi, il n'a pas le droit d'autoriser sa femme et
ne peut demander la nullité des actes faits sans son autorisation. Si c'est la femme, elle ne peut se prévaloir d'une incapacité qui n'a son fondement que dans la qualité de femme
mariée, et, si son mari est de bonne foi, il pourra seul deman-
-
241 -
der la nrlllité de ces actes qdi ne lui seront pas oppos~:btës.
Du jdur où lè mariage est hhnulê, il ne produit plus Wetrets. Les
seulS 'effets civils a tlachés au m ariage putatif cohtirHierodl à
subsister. L'union n 'est plus qu'm1 concubinage e~' les enf!Xnts
qui en naitront ser ont illegitimes.
CHAPITRE V.
De l'erreur en matière de Successio'n s.
Acceptation.
La cdnnaissarfoe de r ouverture de la successfon est nécessaire, p our que l'héritier puisse l'accepter ' valaÏMm'ent. C'ést
ce que Pothier expr imait en ces termes : << La volonté 'supp'osè
« la connaissance de ce qu'on veut. Nous ne pouvons pas vou« loir accepter une succession que nous ne savons pas êt'rb
ou'Verte et noùs être déférée (1). >> Si le Code n'a pas re1prod-üit'
cette r ègle empruntée an droit Romain, c'est qu'il n'en ét~i t '
nul besoir\''; d'ailleurs ils la maintient implicitefu1et1t, 'en déferldant tous les 'actes relatifs à une succession fu't u're : br; accep'...
ter une succession qui n'est pas encore ouYerte, c'est accepte\une succession' future.
Supposons dôhc qu'bn corinàisse l'oûverture dë'la'suc!cess ion
et qu'on l'accepte. Quelle est l'influence de l'er reur en 'hl-aüère
(1) Pothier, Successions cllap. Ill, secl. III, art. 1,
~
1.
16
�-
2-12 -
d'acceptation d'hérédité. Ecartons tout d'abord le cas où. l'on
accepterait une succession pour une autre. Ici le consentement
fait défaut, car l'erreur tombe 1·n ipso coi-pore rei et une telle
erreur est, nous le savons, destructive du consentement. L'acceptation dans ce cas est absolument nulle et non pas seulement
annulable, comme le soutiennent MM. Aubry et Rau, qui donnent pour faire annuler une pareille acceptation, l'action en
nullité ou en rescision prescriptible par dix ans, qui ne s'applique qu'aux actes annulables ou rescindables. La succession que
l'on accepte, est bien celle à laquelle ont est appelé et que l'on
veut accepter, pourrait-on la faire annuler par erreur sur la
substance conformément à l'article 1110? Non. L'ar t. 783 en
parlant des causes de rescision de l'acceptation ne fait aucune
mention de l'erreur. Voici comment il est conçu. « Le majeur
« ne peut attaquer l'acceptation expresse ou tacite qu'il a faite
« d'une succession, que dans le cas où cette acceptation amait
« été la suite d'un dol pratiqué envers lui : Il ne peut jamais
« réclamer sous prétexte de lésion, excepté seulement dans le
« cas où la succession se trouverait absorbée, ou diminuée de
« plus de moitié, par la découverte d'un testament, inconnu au
« moment de l'acceptation. » La loi a eu raison de ne pas
compter l'erreur sur la substance, au nombre des causes d'annulation de la succession, parce que l'erreur sur la substance,
ne peut être ici que l'erreur sur la valeur de la succession. Or
la valeur n'est pas une qualité substantielle, et au surplus cette
erreur se confondra le plus souvent avec la lésion. On ne peut
en effet, se tromper sur la substance d'une succession, parce que
toutes les successions forment une même espèce de choses, et
la qualité substantielle de l'une est la qualité substantielle de
l'autre ; cette qualité ne peut différer selon les successions que
par la quotité, en un mot par la valeur. Cependant, l'erreur est
encore nécessaire pour qu'on puisse invoquer la lésion. Car
-
243 -
il tésolte du texte de l'article, que nous venons de citer,
que pour l'on puisse réclamer pour lésion de plus de moitié, il
faut établir la découverle d'un teslament inconnu au moment
de l'acceptation. Nous n'avons pas à nous occuper des discussions que soulève l'interpréta lion de cet article : bornons-nous
à constater le rôle que l'erreur joue dans le seul cas où la rescision pour lésion est admise. La loi exige comme premiêre
condition, que l'héritier ait ignoré l'existence même du testament. Il ne suffirait pas que l'héritier en ait ignoré le contenu ;
ce serait donner une prime à la négligence la plus grossière
que de permettre de demander l'annulation de l'acceptation
d'une succession, transmise par un testament dont on a négligé
de prendre connaissance. C'est à l'héritier à prouver qu'il s'est
trouvé dans l'ignorance de ce testament, pour que son acceptation soit déclarée nulle.
L'erreur a aussi une très grande influence sur l'acceptation
tacite. L'héritier qui fait des actes de maitre sur les objets de
la succession est réputé l'avoir acceptée. (art. 778.) Mais, pour
que l'héritier soit tenu pour acceplallt, il faut que l'acte suppose
nécessairement son in tention d'accepter. L'acte de propriétaire
n'aurait donc pas cet eITet, si l'héritier pouvail démontrer qu'il
n'a pas regardé l'objet comme faisant partie de la succession;
lors, par exemple, qu'il dispose d'un objet de la succession,
non pas en vertu de son droit d'héritier, mais parce qu'il croit
que cet objet lui appartient à un autre titre. Mais, objecte-t-on,
puisqu'il n'avait le droit d'en disposer qu'en sa qualité d'héritier, d'après l'art. 778 lui-même, il doit être présumé acceptant.
Cette seconde partie de l'article ne sert qu'à obscurcir et embarrasser la première ; ce que la loi exige avant tout, et c'est la
partie importante de l'art. 778, celle qui ne prête pas à la critiquer, c'est que l'acte suppose nécessairement l'intention d'accepter, or, si le successible a été dans l'erreur, cette erreur
�-
-
24-1-
dét.c\lit sqn il).tentjon d 'jlrcepter. Vpici une apE}licatioq, assez
récente que la Cour de Cassation a faite de ce& Pr\ucipes, Un
successible était en même temps donataire d'Wl, irJlmJ~µpl~.
Apr:ès la mort du défuni1 il se mel en possession d~ lïmm~uble,
eJ,l, croyant ~er de son droit de donataireet nuHement faire
acte d'héritier.Il.se trouva que la donatioq n'était pas y~l(\.b\e par ,
rapport a4x. tiers, à cause du défaut dE; transcription; p;i.r suit~,
on soutenait que le doua taire n'avait pu prendre possession, de
ce bien que comme héritier et qu'il avq..it accepté tacitement. La
Cour repoussa. ce raisonnenwnt en disant qµe l'héritier avait
deu~ titres : celui d'h~ritier et ce\ui de donataire. : que l'un
pouvait µ'être pas _opposable aux tiers, mais puisque le don~
tai,re avait cru quïl possédait à ce titre, son acte ne ~u,p posait pas
nécessairement l'intention de se comporter en héritier et d'accepter la succession (1). Donc tout, en matière d'acceptation
~cj~e, .se résume en un.e question d'intention. Si l'acte est douteuxA on {le peut présum.e,r lïntention d'accepter. Si l'héritier a
été dans rerreur, on ne peµt pas davantage ia s upJJoser. Mais
s'il prétend qu'il s'est trompé, c'est à lui à l'établ~r (2)_: Excipiendo. reus fit act01-.
SEC:::TXC>N"
II
Renonciation
Comme en cas d'acceptation, il faut, pour que la renonciation
soit va~ble, que la succession, qu.i en est l'obj~t, soit ouverte et
q1,1e le renonçant ne l'ignore pas, sinon il renoncel'.ait à une suc(1) Cassat. U janvier 1868. Dalloz. 18G8, t-130. Laurent, tome I X, p. 360.
(2) L, 87. 29. 2. D. et P Qtbier. Des succession~, cb. HI, sec~., Ill, art. 1, â 1
245 -
cession future, acte formellement prohibé par l'art. 791. L'errèur
qui porterait sur la succession elle-même (quand oh tenohce 'à
telle succession, croyant renoncer à telle autre), est radicalement
nulle, car ici encore, il y a erreur sur l'identité de l'objet èt, par
suite, défaut absolu de consentement. Si l'erreur ne tombe·que
sur la substa nce, c'est-à-dire que sur la valeur de l'hérédité,
elle n'a aucune portée; elle ne peut même pas profiter de la
rescision, pour cause de lésion, car la lésion n'est 'jamais une
cause d'annulation de la renonciation. Ainsi on ne pourrait
obtenir la rescision d'une renonciation que 'l'on a faite à une
succession dans la fausse croyance que l'on cotiservait son droit
à la réserve, non point, comme on l'a dit, parce que c'est une
erreur de droit et que l'erreur de droit n'autor ise pas une restitution, mais bien parce qu'en som me, on se plaint d'une lésion,
et la lésion n e saurait être invoquée contre une renonciation (1).
Des actes faits par l'héritier apparent
La seule question relative à l'erreur dans les successions qui 'ait
quelque intérêt et quelque importance est celle tle savoir qu'elle est
la valeur des actes faits par l'héritier apparent : tous les auteurs se
plaisent à donner à cette controverse de très longs développements.
La solution de cette difficulté, a une portée pratique très étenBue,
et jusqu'ici la jurisprudenee a obstinément repoussé la théorie
enseignée par la majorité des auteurs ; aussi chacun cherébe-t-U
à étayer son opinion sur de solides arguments. Nous n'avbris
pas la prétention d'étudier cette fameuse discussion, da:ns tbtis ses
h
,
(1) Riom, 16 février 1854. tDa)loz, 1855, 2, 62.)
�-
246-
détails. Nous exposerons briévement les divers systèmes
qui ont été soutenus et nous indiquerons les raisons qui nous
font accepter celui que la jurisprudence reCuse de suivre.
Voici l'hypothèse : La succession d'un individu qui vient de mourir, est ouverte. Un parent quelconque ou un tiers appréhende
l'hérédité, la possède pendant quelque temps, fait tous les ac~es
que comporte l'administration de ce patrimoine , dispose des
biens qu'il contient ; en un mot, il agit en véritable propl'iétaire.
Un autre successible, conteste les droits du possesseur, intente
contre lui la pétition d'hérédité et parvient à établir, que le possesseur n'a aucun droit sur la succession, que lui, demandeur, lui est
préférable et que par suite, il est le vèr1table héritier. L'héritier
apparent est déclaré déchu de ses prétendus droits, et le véritable
héritier est mis en possession de la succession. Mais cette succession n'est pas ce qu'elle était au jour de l'ouverture. Les actes
d'administration ou de disposition du précédent possesseur, ont
changé le caractère des biens qu'elle comprenait, en ont peut-être
diminué la quotité. L'héritier doit-il respecter les actes d'admiqistration ou de disposition qui ont été faits, à son insu ; tenir pour
valables les baux consentis, les paiements acceptés par l'héritier
apparent; regarder comme définitives et irrévocables les aliénations
qu'il a faites sans nécessité, par caprice peut-être ? Telle est la
question.
Avant d'y répondre, étudions quelle est l'influence de l'erreur ou
bonne foi, dans les rapports, entre l'héritier apparent et le véritable
héritier, sans nous occuper des tiers. Si l'héritier apparent, qu'il
soit de bonne ou de mauvaise foi, a possédé pendant trente ans les
bien de la succession. il les acquiert. A l'expiration de ce délai, le
pétition d'hérédité n'est plus recevable. S'il est de bonne foi, s'il a eru
que la succession lui appartenait, il gardera tous les fruits qu'il
a perçus de bonne foi ( l ) (Art 549 et 550 ; il en était autrement à
( 1) Casaat. 21 janvier 1852. (O. P. 52. 1. 56.)
-
247 -
Rome où l'on avait admis le principe (ructus augent hereditatem !)
il est tenu de rendre les biens dont il n'a pas disposé, la valeur de
ceux qu'il a aliénés a titre onéreux jusqu'à concurrence de son profit ; il ne répond pas des détériorations qu'il a faites de bonne
foi, et il pourra demander ainsi que le décidait Pothier, le remboursement de toutes ses dépenses. Mais malgré sa bonne foi, il ne pourra
prescri re ni en vertu de l'article 22t15, m en vertu de l'article 2279
applicable le premier aux immeubles, et le second aux meubles corporels, car l'hérédité considérée dans son ensemble, soit qu'elle soit
totalement mobilière ou immobilière, soit en partie mobilière et en
partie immobilière, l'hérédité n'est ni un meuble, ni un immeuble :
c'e$t une universalité dont l'acquisition n'est soumise à aucune de
ces deux prescriptions. Remarquons que l'erreur de droit comme
l'erreur de fait, peut engendrer la bonne foi.
Si, au contraire, il est de mauvaise foi, il est tenu de rendre
tous les fruits, même ceux qu'il n'a pas perçus et qu'il a négligés
de percevoir ; il doit la valeur r éelle de tous les biens qu'il a
aliénés, quel que soit le prix qu'il en ait reçu, de quelque façon
qu'il les ait fait sortir de l'hérédité( si l'action en revendication
dont hOus allons parler était inefficace) et encore qu'il ne se soit
pas enrichi: il n'a droit au remboursemen t de ses dépenses que
jusqu'à concurrence de la plus-value qui en résulte. On voit
donc combien il importe de distinguer si le possesseur a été de bonne
ou de mauvaise foi.
. Revenons à la question et étudions les effets de l'erreur dans
laquelle sont tombés les tiers qui ont traité avec l' héritier apparent,
en le prenant pour le véritable héritier. Ceux qui ont acquis de lui
des biens par vente, par donation, en sont- ils propriétaires incommutables; ceux qui ont payé entre ses mains sont-ils libérés; ceux
qui ont pris des immeubles de la succession à bail, sont-ils régulièrement en possession; les jugements intervenus entre les tiers et
l'héritier apparent sont- ils inattaquables ? Toutes ces questions,
�- 218 heureusement, ne sauraient être mises en discussion. La loi clleméme, décide que le paiement fait entre les mains du possesseur <.le
la crcance libère le débiteur (art. 12-!0), et cette dél'ision e.'St rationnelle, car le paiement est le plus souvent, comme nous l'expliquerons
plus loin, un acte nécessaire p•)Ur le débiteur. Le véritable héritier
ne saurait donc lui reprocher d'avoir obéi à une nécessité impérieuse
et, dans le cas où il n'y a pas nécessité pour lui de se libérer, il a le
droit de le faire. On admet généralement que les baux consentis par
le possesseur de l'hérédité doivent ètre maintenus, car, en tant que
possesseur,il a le droit d•administrer les biens; en outre, on n'est pas
ausc;i coupable de ne pas s'informer aussi soigneusement des droits
dn bailleur que des droits de l'aliénateur. Quant aux jugements, on
est d'accord pour les assimiler au paiement et dire que c'est un acte
nécessaire, auquel l'héritier apparent n'a pu ne pas répondre ou
qu'il a dù provoquer. Mais, dans ces divers cas, il faut supposer
que les tie.r s étaient de bonne foi; car si l'on pouvait établir qu'il y
a eu collusion entre eux et l'héritier apparent, le véritable héritier
ne serait pas te!lu de respecter les paiements qui ont été faits indùmen.t ou les jugemeQts qui ont été rendus conûe le possesseur
Quid des aliénations? P as de difficulté s ur l'aliénation des
meubles, car l'acquéreur de bonne foi est protégé par l'art. 2279,
qui crée en sa faveur une prescription presque instantanée. Pas de
discussion non plus sur l'aliénation des meubles incorporels, comme
une créance. La jurisprudence qui maintient les aliénations d'un
meuble, annule la cession de créance, contradiction réellement
inexplicable (1). Pas de controverse sur l'aliénation de l'hérédité ou
d'uue quote-part de l'hérédité. Les tribunaux tombent ici dans la
mème contradiction, puisqu'ils annulent une pareille vente et ils
aboutissent à ce résultat, à traiter plus favorablement l'acquéreur
d'un bien particulier que l'acquéreur de tous les biens héréditaires
-
an bloc .•D'où il suit, que si l'acquéreur achète les biens de la succession l'un :iprès l'autre, mais les acquiert tous, les diverses ventes
S<'l'ont valables ; s'il les acquiert tous d'un seul coup, la vente est
nulle, distinction qui n'est rien mçiins que Logique (1). M. Demolombc, qui fait reposer le droit d'aliénation de l'héritier apparent
sur l'idée d'un mandat tacite, donne cette raison : <1 En cédant son
droit héréditaire, l'héritier apparent excède son mandat, il n'administre plus, lorsqu'il abdique son rôle, lorsqu'il résigne son II\andat
en livrant à un autre 1' uni versa lité de sa gestion. » La. j ur1sprudence
donne un autre motif: elle dit qu' une telle vente suppose nécessairement la qualité d'héritier dans la personne du vendeur, qui est
obligé de garantir (2). Tout le monde, enfin, s'accorde à annuler la
donation d' un Ï1JJrneub le, car, pour les uns, le donateur ne peut pas
disposer de ce qui ne lui appartient pas et, pour les autres, le
mandat d'administrer dont on supposP. investi l'héritier apparent,
ne comporte pas le droit de faire des libéralités.
En somme, la discussion ne porte que sur un seul point.
L'aliénation à titre onéreux d'un immeuble de la succession
faite par l'héritier apparent est-elle valable, irrévocable ou bien
est-eHe rrnlle•et doit-elle tomber devant l'action en revendication du véritable héritier "? Sans h ésiter, nous répondons que la
vente est nulle, qu'elle ne doit pas ê tre maintenue, et voici les
principaux a rguments s ur lesquels s'appuie cette solution.
Quelques a uteurs, Voët, Vinnius, Lebrun (3), donnaient ·à
cette opinion l'appui de leur autol'ité. Mais laissons de côté
la t radition, qui est peut-être plus favorable à l'opinion contraire, et passons à un autre ordre de preuves plus positives.
L 'article 1599 dispose que la ven te de la chose d'autrui est
nulle. Cet artiole, qui présente certa ines ditncultés <l'interprétak
Ci)
Cassation, 11 mai 1839. (Deville. 1839, 1. 16.9), Cassat., 14 août 1840.
(Deville. 18W, 1. 753).
249 -
( 1) lifoulon, t, II, p. 259.
(2) Cassat., 26 août 1833. Al. V· succes., n· 555.
(3) Lebrun, des Successions, Liv Ill. Cb. !V. 1.l" 7.
�-
250-
tion, n'a jamais été discuté en ce qui concerne la nullité de la
vente par rapp11rt au propriétaire, qui à son insu a été dépouillé
de son bien; il a le droit de revendiquer sa chose. Ce principe
doit être appliqué ici dans toute sa rigueur. L'héritier apparent est-il propriétaire? non; a-t-il le droit de vendre? non
encore; par conséquent, en aliénant la chose il a disposé de la
chose d'autrui. . rous disons que !"héritier apparent n'est pas
propriétaire, parce que la chose ne peut appartenir pour le tottt
à deux personnes à la fois et ici le vrai propriétaire, c'est l'héritier. En effet, du jour de l'om·erture de la succession , il a été
saisi de plein droit, à son insu, sans s'en douter, des droits actifs
et passifs du défunt. ïl accepte la succession, l'acceptation
confirme la saisine et la rend irrévocable, et cela est tellement
exact, que l'effet de !"acceptation remonte au jour de l'ouYerture
de la succession. S'il renonce, il est censé n'avoir jamais été
saisi. La saisine n'est pas coll ective; elle n'appartient pas à
tous les parents successibles, en admettant que l'héritier apparent soit successible au degré, fixé par la loi. La saisine
n'appartient qu'au premier de ces successibles, à celui qui est
préférable aux autres. Comme disaient les anciens autem:s
auquels a été empruntée cette fiction de la saisine. Le mort
saisit le vif, son hoir le plus proche et habile à succéder (1). Donc
s'il n'est pas propriétaire, il ne peut pas aliéner et s'il n'a aucun
droit sur la chose, il ne peut transférer à autre plus de droits
qu'il n·en a lui-m ême ; principe indiscutable et écrit en toutes
lettres dans notre Code. « Le vendeur, dit l'article 2182, ne
« transmet à l'acquéreur que la propriété et les droits qu'il
« avait lui-même sur la chose vendue, il les transmet sous
« l'a.fiectation des mêmes privilèges et hypothèques dont il
u était chargé, '' et l'article 2125 n'est pas moins explicite. Que
l'acquéreur de bonne fo i gagne les fruits, qu'il puisse prescrire
( 1) Article 318. Coutume de Paris.
-
251 -
la propriété de l'immeuble par dix ou vingt ans, voilà ce que
personne ne saurait contester, mais tant qu'il n'a pas acquis
la propriété par la prescription, le droit de l'héritier véritable
reste intact, parce que l'héritier apparent n'a pu transmettre
aucun droit a l'acquéreur.
La loi a bien apporté à l'article 15!)!) quelques exceptions .
Ainsi, les aliénatiolls faites par les envoyés en possession définitive des biens de l'absent sont inattaquables, parce qu'il s'agit
rle biens aliénés après trente-cinq ans au moins d'absence(132).
Il n'y a pas d'analogie entre celte situation et celle de l'héritier
apparent, car si celui-ci a posséclé l'hérédité pendant trente ans,
nous avons dit que le véritable héritier, n'aura plus de recours
contre lui. Les actes de dispositions faits par le donataire, dont
Je droit est révoqué pour cause d'ingratitude (958) sont encore
maintenus, parce que si son droit se trouve rétroactivement
anéanti, c'est parce qu'il s'est rendu coupable d'une ofiense grave
enVfill'S le donateur; la révocation est donc une peine qui ne doit
pas atteinùre les Liers innocents. On comprend encore, que l'on
ne Çqnne pas a u déposant le droit de revendiquer les biens
aliénés par l'héritier du dépositaire, (art. 1935) parce que les
meubles seuls pouvant faire l'objet d'un dépôt, les tiers sont
protégés par l'art. 2279. Que l'on tienne pour valables à l'égard
du renonçant qui revient sur sa renoncia tion, les actes faits par
le curatetu· à la s uccession pendant qu'elle était vacante, c'est
juste : car la loi donne au curateur le droit d'aliéner et la con'
ce~sion de ce droit n'a rien d'exhorbitant, puisque l'exercice est
entouré de nombreuses garanties (790). Il n'y a donc aucune
assimilation à établir entre le curateur à une succession vacante
~t l'héritier apparent; car le premier agit au nom de l'héritier,
~t se ti:ouve soumis à un contrôle sévère; « tandis que l'héritier
<( apparent, comme dit Marcadé, est l'adversaire naturel du
« véritable héritier, le curateur de la succession vacante est
�-
-
25!2 -
" mandataire légal de de l'héritier renonçant. » \ 'oilà les principales exceptions que la loi apporte au principe de l'article 1599.
Le Code n·en contient aucune qui soit s pécialement relative a
l'béritier apparenl ; pas une de celles que nous venons d'énu.:
mérer ne lui est applicable pa r voie d'analogie ; car il n'y a pasl
parité de situation et l'héritier ne <loit pas bénéficier <les raiSorrs 1
spéciales et particulières qui les ont fait établir par le l égisla~
teur. Il y a enfin un autre argument, que l'on pourrait indiquer.
La loi exige que les successeurs irrégulier s envoyés en posses- r
si?n des biens du d éfunt, fournissent caution pour la restitution
du mobilier qu'ils n'em ploient pas en acquisitions d'immeubles
ou quïls ne placent pas en rentes sur l'Etat ; quelle est la
raison de cette disposition? C'est que l'aliénation des m eubles
deYenant irrévocable, par J'e[ et de la prescription de l'article
2279, l'héritier préférable au successeur irrégulier, n'aurait plus
de recours contre le tiers acquéreur. Or, si l'aliénation des
immeubles était irrévocable, comme le plus souvent ils ont une
bien plus grande valeur que les meubles, la loin 'eût pas manqué
d'exiger, pour la restitution des imm eubles ou de leur vàle\lr
'
la caution qu'elle impose pour la restitution des meubles; si elle
ne l'a point fa:t, c'est que l'aliénation des immeubles n'es t pas
irrévocable. Sinon on créerait au profit des immeubles, une
prescription instantanée, sembla ble à celle qui s'applique aux
meubles.
Malgr é la force de ces arguments, quelques auteurs et la
jurisprudence presque unanime de la Cour de Cassation et des
tribunaux., n'admettent pas cette opinion. Avant de passer en
revue les arguments qu'on tire des textes, il en est un, qu'il
nous faut présenter le premier, comme le plus grave et le plus
important. Oui, dit-on, en droit pur, vo us avez peut-être raison,
mais en équité, il serai t souverainement injuste d'annuler les
-Oroits des tiers acquéreurs qui sont de boh'Il'.e -foi, qui oi'rt été
253 -
victim ~s d'une erreur très difficile à éviter, une erreur commune,
p~ut-être, dans laquelle quiconque serait tombé, (1) des tiers qui
n'ont pu se douter, aussi minutieux qu'on veuille les s upposer,
que le possesseur de l'héré<l ité ne fùt qu'un héritier apparent.
En annulant la vente, on les punit pour une faute qu'ils n'ont point
co,~uroise, el on les atteint dans leurs intérêts. Ils auront il est
'
.
vr·a.i, uu recours contre l'héritier a pparent, mais s'il est insolvable, leur action en garantie est absolument illusoire. Au surplus, ajoute-t-on, votre système est dangereux, car il arrête la
circulqtion des biens, nécessaire à la prospérité. d'une nation ; il
empêche toute sorte de transactions avec les héritiers; on n'osera
plYs en effet traiter avec eux, de peur de voir annuler les actes
qu'on a faits avec un contractant, qui n'était qu'un h éritier apparent: en outre, com m e le véritable héritier pourra r ecourir
contre les acquéreurs qui n'auront pas prescrit, pendant dix
ans au minimum, on rend la propriété incertaine.
A,sstirément, la situation de l'acq uél'eur de bonne foi, qui achète
des ,biens de l'hétitier apparent, est digne de piti é, autant que celle
des autres acquéreurs de bonne foi ; la loi lui accorde en raison de
soo. er.r;eur, le droit de faire les fruits siens, et de pouvoir par une
prescription de dix ou vingt ans, acquérir la propriété de l'immeuble possédé ; mais sa protection ne va pas au-delà. Que si elle a
fait quelques exceptions et s'est montrée plus favorable envers certains acquéreurs, c'est qu'elle avait des motifs particuliers qui
n'existaient pas ici vraisemblablement, puisqu'elle soumet l'héritier
apparent aux principes généraux. Mais nous plaçant sur le terrain
de l'équité, qui ne voit que l'argument que l'or. invoque, vient se
(1) Les aliénations i,mmobilières fai tes par l'héritier apparent peuvent être
si elles ont eu lieu de bonne foi et sous l'empire de l'erreur corn_
mune. 18 juin 186!1. Besançon ( O. P · 18CH, 2.171) idem: lorsque l'héritier ap·
parent a été admis au . partage, par suite d'une erreur (le droit. par l'héritier
vérîtable lui-méme; (même cour l" mars 1864. (D. P. 1864, 2. 61) Cassation, 4
aoùt 1875 (D. P. 1876, l. 123) Cassat. 13 mai 1879. (D.P: 1879 1, 417).
validée~.
�-
254 -
briser contre cette ra.Jsoo de suprême j ustice, qu'on ne peut pas
lat::-ser du jour au lendemain, dépouiller un individu qui n'a aucune
négligence à sti reprocher, par une personne q ui est peut- être de
mr.u ,•aise fot. qui sans l'ombre d'un droit. s'empare de biens qui ne
lui appartiennent point ? ··y a- t-il là un principe socia l 11 sauvegarder? Ne faut-il pas mel!re la propriété à l'abri des atteintes
étrangères, quelle que soit la bonne foi de ceux qui les commett ent?
Yoyoos quels sont les arguments de tc:-..te que l'on nous oppose.
Il est une remarq ue générale qui s'applique à quelques-uns d'eut?'e
eux; ou raisonne par analogie, or. il est indiscutable que les exceptions ne s'étendent pomt d'un cas à uo autre. La règle cesserait
d'être la règle, si oo pou\•ail à loisir , y introduire des exceptions et
celte observation suffirait pour rejeter quelques-unes des raisons
que l on emprunte aux divers articles du Code. On s'a ppuie snr
l'article 1240, qui rnlide le paiement fait entre les mains <lu possesseur de la créance. Nous ttvons déjà réfutl en deux mots
cet argument, en disant que le débiteur est tenu de payer, tandis
que l'acqu6reur n'est pas tenu d'acheter: le débiteur est tenu de
payer, car, s'il s'y refusait, l'héritier apparent pourra it le cootrain ·
dre en justice, et le dél.>iteur pour se soustraire à l'obligation de
payer entre ses mains, devrait étabtii· qu 'il existe un héritier véritable et qùe le demandeur n'est qu'un heritier apparent: preuve si
difficile et si incertaine qu 'elle suffit pour déterminer le débiteur à
se libérer , sans ètre obligé, pat· de:ss us le marché, de payer les
frais d'un procès qu'il est presque sùr de perdre.
On a essayé aussi d'amoindrir, l'arg ument que nous avons tiré
de l'article 1599; d'après l'opinion ad,·erse, cet article ne s'applique
pas ici. L' héritier apparent, so utient-on, a disposé de son propre
bien, car, d'après l'article 724 , les héritiers légitimes sont saisis de
plein droit, des biens, deoits et actions du défun t; or, sont héritiers
-
255 -
légitimes, tous les parents jusqu'au douzième degr é. Tous sont
saisis, chacun peut donc se mettre en possession des biens, sauf à
les r estituer à celui qui établira qu'il es~ préférable a u possesseur ( l).
Ce raisonnement est fa ux et il repose sar une notion inexacte de la
saisine. Comme nous l'avons déjà dit, la saisine n'est pas collective
et tous les parents ne sont pas saisis. L'article 724 dit : u Les
héritiers légitimes sont saisis de plein droit , etc. » Il ne dit que les
parents sont saisis de plein droit. l~st-il vrai de dire que les parents
sont héritiers légitimes en vertu de l'article 755 ? Non, tout ce que
cet article sig nifie, c'est qu'a u delà du douzième degré on ne peut
plus succéder, mais non pas q u'en deçà d u douzième degré, la
succession est dévolue à tous les parents. Et quels sont les héritiers
légitimes, ce sont ceux a uxquels la loi défère la s uccession, dans
l'o1·dre quelle indique. Donc est héritier légitime , celui qui vient
a u premier rang, dans l'ordre légal ; c'est en un mot le parent le
plus pr oche qui est saisi, et la meilleure preuve que lui se ul est
saisi, c'est q ue s'il accepte, il est censé avoir été propriétaire du
jout' de l'ouverture de la succession, a ucun autre ne l'était donc à
sa place (article 777).
M. Demolombe (2), qui est l'un des plus chauds défenseurs
du système que nous combattons, n'attache pas une très
grande i mportance aux arguments précédents . D'aprês lui
les ventes d 'immeubles faites pa r l'héritier apparent, si c'est
un parent du défunt, doivent être mainten ues, parce qu'il
est inves ti d' un mandat tacite en vertu duquel il représente
le véritable h ér itier. Mais où trouve t-on les éléments de ce
mandat? Ce n·es t pas dans la volonté du mandant ; car
enfin, le mandat suppose, comme tout contrat un concours de
(1) Cassat l ô janvier 1843. (Da lloz 1843. 1. 37).
('l) Dcmolombe, Traité de l'absence. T"me II n" 249 et suiv.
�- 256-
IJ
volontés qui n'existe pas ici, puisque le prétendu mandant vient
réclamer contre les actes de son mandataire. Est-ce dans la loi!
Mais la loi ne s'explique pas sur ce point. Supposons qu'il y ait
mandat, l'héritier apparent, a-t-il le droit d'aliéner? L'art. 1988,
répondra pour nous « Le mandat conçu en termes généraui<
« n'embrasse que les actes d'administration. - S'il s'agit d'alié« ner ou d'bypotbéquer ou de quelque autre acte de propriété,
« le mandat doit être exprès. »
La loi ne peut être formulée en termes plus impératifs.
y a-t-il ici mandat exprès ? Nullement : d'où, pas de dro1t
d'aliénation. l\I. Demolombe, répond ainsi à l'objection : « C'est
« là, dit-il de cet article, une simple règle d'interprétation, qui
u ne s 'oppose pas absolument à ce qu'on reconnaisse dans ~
41. mandat quelconque le pouvoir d'aliéner, si dans l'espèce, il
a est constaté que telle a été effectivement l'intention, soit de lq.
a loi, soit de la partie qui a conféré le mandat. C'est ainsi
a qu'autre fois le procurato1· omnium bonorum citm libera
a adminisL1'atione, avait le pouvoir d'aliéner, lorsque le mandant
cc partait pour un pays éloigné (1). » Il nous semble fl.U, cqn-.
traire que s i le législateur, abandonne l'ancienne théorie, c'el}i
afin d'écarter toute interprétation, afin d'éviter au juge de rechercher s i le mandat contient le pouvoir d ·aliéner et en présence des termes si explicites de la loi, on peut affirmer que tel
a été le but de ses rédacteurs : la portée de l'art 1988, ne doit
pas être restreinte à une règle d'interprétation. M. Demolombe
dit qu'on peut découvrir le mandat dans une double cause, soit
dans le fait même de la possession publique et notoire ùe l'hérédité, soit dans le droit conditionnel qui appartient jusqu'à un
ce1·tain point, aux parents d'administrer les biens d'une succession qu'on ne recueille pas. Mais encore un coup, le mandat ne
- 257peut résulter que de la loi ou de la volonté des parties. Où est
cette disposition de la loi ? Se trouverait-elle au moins implicitement dans l'art. 136 que, par analogie, l'on devrait appliquer
à l'héritier apparent. D'après 1'6minent jurisconsulte, cet article
défère aux co-successibles, qui se présentent à défaut de l'héritier véritable absent, la succession qui est dévolue à ce dernier,
et leur donne le pouvoir d'administrer et d'aliéner. D'après
nous, la loi se borne à reconnaitre les co-successibles de l'absence, comme des propriétaires provisoires, qui n'ont sur les
biens de la succession, qu'un droit révocable puisque l'article
137, ajoute que si l'absent revient avant trente ans, il aura le
droit d'intenter la pétition d'hérédité et de faire valoir ses autres
droits. La meilleure preuve que les co-successibles ne sont pas
les mandataires de l'absent, c'est qu'ils peuvent prescrire les
biens qui leur sont échus et s'ils peuvent prescrire, ils ne sont
ni propriétaires, ni mandataires. Ces co- successibles n'ont d'autre droit que celui d'administrer la succession.
L'accord d'ailleurs, n'est rien moins que parfait, entre les
auteurs qlli maintiennent la validité des aliénations consenties par l'héritier apparent. On compte bien quatre systèmes
distincts. Suivant Merlin, qui s'appui e sur le texte de la loi 25 §
4. 5. 4. au Digeste, l'aliénation n'est nulle que si révi.ction de
l'acquéreur de bonne foi, donne lieu contre l'héritier apparent à
un recours, qui dépasserait le montant de la condamnation à
laquelle aurait abouti l'action en pétition d'hérédité intentée directem ent contre lui (1). Le deuxième système va plus loin; il valide
les aliénations dans tous les cas où l'héritier apparent et l'acquéreur sont tous deux de bonne foi. Mais pourquoi exiger la
bonne foi du vendeur, alors qu'il s'agit de savoir quels effets
doit avoir la bonne foi de l'acheteur ? La troisième opinion
(1) Merlin, Répertoire v· Héritier~ 3.
(l) Pothier, du Ma ndat, cbap. V, art.
11.
g2
n• 1i7.
17
�-
•
258 -
-
n'exige que la bonne foi de l'acquéreur. La quatriè1ne enfin,
1r1aintient les aliénations fa ites par r 11éritier apparent, qui est
parent du défunt au n1oins au douzièn1e degré, elle les annule
si cet héritier n'avait aucun titre ou n'avait qu'un titre i1ul (1).
'f ous ces systèmes rejettent avec ensemble l'argun1ent tiré de
l'art 1599, qui n'a été fait, dit-on 1 que pour ron1pre avec le principe du droit romain, qui validait la ve11te de la chose d aut'rui ;
et l'al'gun1ent tiré de l'article 2182, qui n'a d'at1tre but que de
faire ressortir l'abrogation de la loi de Brumaire A11 VII} sur la
nécessité de la transcription. Ils invoquent l'article 132 qui maintient les aliénations faites par les envoyés en possession définitiYe des biens de l'absent et, appelant à leur aide les considérations fondées sur l'équité, ils prétendent qu'il faut préférer un
possesseur de bonne foi à un héritier négligent. Nous savons
con1n1ent on peut répondre à ces divers argu1nents, qui ne parviennent pas à détruire la force des preuves que nous avons
ex.posées et malgré les inconvénie11ts qui sont inhérents à notre
système, que nos adversaires sont obligés de reconna~tre ~
" comn1e le plus vrai théoriquement et le plus juridique'• >) (2~I?
malgré la rigueur ou l'injustice, qui pourront en être la
conséquence, par application stricte de la loi que nous n'avo1~s
point à refaire n1ais à respecter, nous nous prononçons pour la
nullité des aliénations d 1 in1m eubles faites par l'héritier apparent
et nous donnons le droit au véritable héritier, de les revendiquer
entre les mains des acquéreurs de bonne foi, qui ne les auraient
pas encore prescrits (3).
(1 ) Paris 16 mars 1806. (1866. t. 98. D. P.)
(2) Demol()mbe. - De l'~Lb sence . T. IL n· 24.4..
(3) Reno~s. 12 avril. 1844.. (Devil. 184.4. 2. 1150.)
•
259 -
j
CHAPITRE Il
[
De l'erreur en matière de donations, de legs et de partages
1
SEC::'"rIC>N
I
De l'erreur dans les donations
L'art 901, en disant que pour faire une donation ou un testament, il faut êtr e sain d'esprit, ne doit pas être entendu en ce
sens restreint, que toute personne qui est atteinte de démence
~e folie ou d'imbécillité, est incapable de disposer entre vifs 0 ~
Par ~cte de dernière volonté. Les termes ·qui ont
1
été employés
sont assez élastiques, pourper1nettre de soutenir qu'on peut considérer jusqu'à un certain point, con1me n'étant pas sain d'esprit
celui dont la volonté a été absolument détournée de son but, pa;
l'erreur, la violence ou le dol. C'est ce que tout le monde admet
pour la donation, que la loi définit à tort dans l'article 894:
« un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et
« irrévocablement de la chose donnée, en faveur du donataire
« qui l'accepte. » Car la donation est un véritable contrat, qui
pour son existence, exige la concours des volontés des deux
parties, du donateur et du donataire. Si c'est un contrat, en
dehors des principes particuliers, auxquelles il est soumis, nous
lui appliquerons toutes les règles que nous avons développées
sur l'erreur dans les contrats .
�-
260
~
SE::C'T'IC>N" I I
De l'erreur dans les legs
1 1
Des donations se rapprochent beaucoup les legs et il n'y a
aucune raison spéciale qui empêche de les so umettre a ux. principes communs. Ainsi, le testateur a-t-il légué tel objet pensant
léguer tel autre, il y a erreur in ipso coi-pore rei et par suite pas
de consentement ; mais il sera très-difficile de prouver cette
erreur. S'il a légué une chose inexistante, le legs est nul faute
d'objet. Si l'erreur porte sur la s ubstance de l'objet légué, elle
annule encore le legs, par application de l'art. 1110 ; mais de
même, ici il sera presque impossible d'établir l'erreur du
testateur, car la qualité substantielle est la qualité que le
contractant a regardée comme telle ; or, après la mort du
testateur, il ne sera guère aisé de savoir sous quel rapporit il a
considéré l'objet légué et qu'elle était selon lui , sa qualité
substantielle. L'erreur s ur le nom ou sur une indication du legs
est sans aucune portée: c1 Si j'ai légué, disait Pothier, ma
« maison de vignes de la Corne de la paroisse Saint-Denis,
u ou mon corps de droit relié en veau, quoique cette maison
u soit de la paroisse de Saint-Jean-le-Blanc et non de celle de
c Saint-Denis, quoique mon corps de droit soit relié en basane
u et non en veau, le legs n'en sera pas moins valable (1). » Si
le testateur s'est trompé sur la propriété de l'objet légué,
d'après l'art. 1021, le legs est nul; s'il a légué sa chose croyant
disposer de la chose d'autrui, le legs est valable : plus est.in
in re quam in existimatione.
(\) Pothil}r, Trailé des donations testamentaires, ch. 11 i ll.
261 -
. Si.l'erreur porte sur la personne du légataire, comme ici,
amsi que dans tous les contrats à titre gratuit, la considération
sera n on avenu ; car
est déterminante ' le le"s
personne
de la
o
.
.
le le~ataire dont le nom est écrit dans le testament, n'est pas
celui que le testateur voulait gratifier et celui auquel il voulait
faire la libéralité, n'est pas nommé dans le testament. L'erreur
sur: 1e nom ou s ur la désignation de la personne, n'a aucune
iniluence lorsqu'il est certain, qu'elle ne déguise pas une erreur
sur 1a personne. Quant à l'erreur sur les qualités du légataire
ou sur les motifs du legs, suivant la règle générale elle est indifférente, mais ell e peut être prise en considération. Si, en effet,
il était incontestable que le motif indiqué par le testateur, ou
que la qualité qu'il a eue en vue sont des conditions auxquelles
il l'ui a plu de subordonner la libéralité, l'erreur annule le legs,
car elle a pour effet de vicier la volonté du testateur, qui, sans
cette eneur, n'eut pas fait le legs. Après avoir dit que l'erreur
sur le motif n'empêche pas les legs d'être valables, Pothier
ajoute : « Il en serait autrement, s'il paraissait effectivement
cc 'Pa1' les circonstances que la volonté du testateur a été de faire
<t dépendre le legs qu'il faisait de la réalité des dits faits (1), »
11. Il en serait de même, disait Furgole, si le testateur s'était
« trompé sur une qualité qui a été la cause de la libéralité, de
cc sorte que le testateur ne l'aurait pas faite s'il n'avait été dans
cc cette erreur (2). n
L'erreur peut atteindre aussi la révocation des legs. Si
l'erreur sur les motifs, qui est à peu près la seule qui puisse
vicier la révocation expresse, est la cause unique de cette
révocation, le legs est maintenu. On peut encore révoquer
tacitement les dispositions testamentaires, soit en faisant un
second testament qui contient des dispositions nouvelles
(l) Pothier, des Ponations testamentaires, ch. 11 S IIT.
(2) Furgole, tome 1, ch. V, secl. IV, n. 4 el Z.
�-
262 -
contra.ires aux premières ou incompatibles aver elles(art.1036)1
soit en aliénant la chose Jéguèe. Il est évident que si le second
testament est nul pour cause d'erreur, la révocation tombe et
Je testament reprend son eITet. La seule intention d'aliéner
robjet légué, manifestée dE' quelque façon que ce soit, révoque
le legs. Mais si la volonté du disposant est viciée par l'et'reur :
Quid jur·is? Il faut distinguer : a-t-il légué l'objet à une personne croyant le léguer à une autre, son intention d'aliéner est
éYidente et la révocation doit s·en suivre; mais s'il a disposé de
robjet légué, croyant en aliéner un autre, il n'a pas \'Oulu aliéner
Ja chose léguée et il n'est pas censé avoir révoqué le legs. Il n'y
a donc en somme , que !"erreur sur la chose même , qui
empêche l'aliénation d'entrainer la révocation, parce que dans
ce cas, l"intention d"aliéner l'objet légué n'existe pas. Ces règles
s'appliquent aussi au légataire. Son consentement serait vicié
par rerreur qui tomberait sur la personne du disposant, sur
certaines qualités du legs ou sur les motifs de son acceptation. Son acceptation elle-même peut-être viciée par l'erreur,
ce sera là une question de fait soumise à l'appréciation souvé1
raine du juge.
S ECTION" I I I
De l'erreur dans les partages
Les vices du consentement qui, sous les conditions déterminées par la loi, permettent de demander la nullité des conventions sont, nous l'avons déjà dit, l'erreur, la violence et le dol
(art. 1109). Ces trois causes de nullité sont-elles applicables aux
partages? Ecoutons Pothier : a. Les partages peuvent Mre J,!eS-
-
263 -
« Cindés par les mêmes causes, pour lesquelles se rescindent
les autres actes, comme pour cause de violence, de surprise
« et d'erreur- de fait (1). )) Dans le projet de l'an Vlil, les commissaires du gouvernement, fidèles à la doctrine de leur guide,
awaient formulé ainsi l'article 211 du projet. << Les partages
« peuvent être rescindés comme les autres actes pour cause de
« violence, de dol ou d'erreur de fait (2). » Mais devant le
Conseil d'Etat, l'article fut modifié et il devint ce qu'est aujourd'hui l'article 887 du Code Civil, qui est ainsi conçu. « Les par<c tages peuvent être rescindés pour cause de violence ou de
« dol. - Il peut aussi y avoir lieu à rescision, lorsqu'un des
cr. cohéritiers, établit à son préjudice, une lésion de plus du
<< quart. La simple om ission d'un objet de la succession ne
« donne pas ouverture à l'action en rescision, mais seule« ment à un supplément à l'acte de partage. » On a donc
retranché de l'énumération des vices du consentement, l'erreur
et cette suppression défend de donner à l'erreur en matière de
partages, l'effet qu'elle a dans les conventions. Ce n'est point
l!J1 ,qubli,, c~r Ufut positivement dit, au cours de la discussion,
qu'il était inutile de mentionner l'erreur comme cause de rescision du partage (3). Treilhard s'exprimait ainsi : << ou l'erreur
<< produira un dommage qui donnera lieu, par lui-même, soit
<< à une nullité de plein droit, soit à une action en nullité ou en
« rescision, ou bien elle sera indiITérente. » D'où il résulte, que
lorsque l'erreur se confondra avec un autre vice, comme le
défaut de cause par exemple, le partage sera radicalement nul•
non à cause de l'erreur, mais par suite de l'absence de l'élément
essentiel, sans lequel il ne saurait exister, et l'erreur profitera
de cette nullité ; ou bien elle se confondra avec la lésion ou le
ù
(1) Potbier, Traité des Successions. ch. IV. art.6.
('l) Fenet, tom. II, p.
1 ~8.
(8) Locré, teim. X, p. 142, n• 32.
�-
-
264 -
dol, et dans ce cas la nullité qu'on aura obtenue, profitera
encore à l'erreur ; ou bien elle sera absolument sans portée,
parce qu'en cette matière, elle n'a aucun efiet par elle- même.
Pourquoi la loi déroge-t-elle ici aux principes qui lui font
prendxe en considération l'erreur dans les contrats? En voici la
raison. L'erreur ne peut entrainer la nullité du contrat> que.
lorsqu'elle porte sur la substance de l'objet, ou s ur la personne
du contractant, lorsque la considération de cette personne est
la cause principale de la convention (art. 1110). En ce qui concerne l'erreur sur la substance, la loi a refusé de lui donner le
moindre effet sur le partage, parce que si cette erreur cause un
prejudice considérable à celui qui en est victime, un préjudice
qui dépasse le quart de sa portion héréditaire, la lésion sera
une cause suffisante, indépendamment de l'erreur, pour faire
rescinder le partage; si le dommage n'atteint pas cette proportion, et qu'on ne puisse inYoquer la lésion, l'erreur n'a par
elle-même aucune influence, parce que d'ordinaire, dans un
partage, on attache peu d'importance, à la qualité substantielle
des objets : tout ce que l'on recherche, c'est leur valeur pécuniaire, :Qase de l'égalité des lots.
En outre, le partage comprend le plus souvent plusieurs
objets ; il se peut que l'on se trompe sur la substance de l'un
d'eux, mais il arrive aussi que le dommage occasionné par
cette erreur, soit compensé par la plus-value d'un autre objet,
plus précieux qu'on ne le supposait. Au s urplus, il eut été très
difficile d'établir que l'erreur, portant sur un objet unique, avait
réellement vicié le consentement. D'ailleurs, quel est le résultat
auquel on aboutit, en faisant rescinder le partage; à donnel'
lieu à un partage judiciaire, qui, celui-là, est inattaquable : tl
est possible que dans ce nouveau partage la distribution soit •
identique à la distribution du partage amiable . En faisant rescinder celui- ci, les parties n'ont donc qu;une faible chance
"'
265 -
d'être dédommagées de leur erreur et la loi n'a pas voul\1 soumettre à une éventualité aussi douteuse, la rescision du partage
primitif.
I l n'était pas besoin de mentionner davantage l'erreur dans la
personne, parce que, dans ce cas, si l'on se trom pe sur la personne
même de son cohéritier, le contrat sera nul pour défaut de cause;
quand on partage, par exemple, avec un étranger qui n'a aucun
droit sur la succession. Si l'on ne se trompe que sur les qualités de
la personne, qui est véritablement l'ayant-droit, cette erreur n'est
jamais assez grave pour faire rescinder les conventions (à moins de
conventions expresses, qui n'ont pas de rai5on d'être en matière de
partages de successions) : pourquoi lui donner ici une plus grande
importance? Si je partage avec Pierre, que je crois être mon parent
et qui est bien mon cohéritier, qu'importe qu'il ne soit pas mon
parent ; ai-je partagé en vue de cette qualité? Nullement. Peutêtre, l'erreur sur cette qualité m'a fait faire des concessions que je
n'aurais point faites, si je ne m'étais pas trompé, mais si ces concessions sont peu importantes, le partage doit rester intact. Ceci
nous amène à nous expliquer sur 1' erreur qui porte sur les droits
des co-partageants. Comme nous venons de le dire, si un étranger à
la succession est, par erreur, admis au partage, le partage sera
nul, car il n'y a rien à partager avec celui qui n'a aucun droit; le
part<l.ge manque de cause. D'après quelques auteurs (1) et quelques
arrêts, le partage dans cette hypothèse, ne serait qu'annulable, et
l'action en nullité serait prescrite au bout de dix ans, par application
de l'article 1304. Opinion erronée, qui méconnait la portée de
l'article 113 1, en vertu duquel l'obligation sans cause ne peut avoir
aucun effet, c'est-à-dire est nulle, d'une nullité absolue et radicale.
Que l'erreur qui a fait admettre ce tiers au partage, soit une erreur
de fait ou une erreur de droit, il n'y a pas de différence, car ce n'est
(l) Duvergier et Toullier, t. III, n· 62. Aix, 12 décembre 1839. (Deville. tB•O,
2. 176.)
�-
-
266 -
pas parce qu'il y a erreur que le partage est inexistant, mais parce
qu'il manque de cause. Doit-il être refait en entier ou donner lieu
à une action en supplément clc partage, par application de l'nrt. 8871
Cet article, en effet, ne parle que de l'omisl3ion d'un objet de la suc..i
cession dans la masse à partager, et ici on peut considérer les biens
attribués à cet étranger, comme 'biens omis; solution qui a l'avantage de ne pas multiplier les causes de rescision du partage. Mais,
pourrait-on dire, il s'agit ici d'une part entière qui, venant à ~tre
partagée entre les véritables héritiers, pourrait bien ne pas rompre
l'égalité des lots, mais qui aorait pour effet de préjudici~r aux
parties qui ont fait le partage de la masse héréditaire, alors qu'elles
croyaient qu'elle contenait tous les biens de la succession et qu'elles
ont partagé l'ensemble des biens au mieux de leurs intérêts. Cette
décision nous parait plus conforme au principe par lequ el la convention qui manque de cause est nulle et ne produit aucun effet.
Mais la première opinion est plus généralement adoptée ( J), « parce
a que, dit- on, la loi cherche à maintenir les partages et à c:onsoa. lider la propriété. »
C'est encore par suite du défaut de cause que serait annulé lo
partage où l'un de!. coMritiers aurait reçu par erreur, au delà de sa
part héréditaire; pour tout ce qui dépasse la quotité de ses droits,
en effet, il est comme étranger à la succession. Le surplus n'a p~
de cause. En vertu de quelle cause, en effet, le détiendrait-il?
Serait-ce en vertu du partagcl, mais le partage n'est qu'un règlement
qui a son fondement et sa raison d'être dans un droit antérieur; or,
si ce droit fait défaut, la cause manque et le partage est nul. On
conteste encore cette solution et l'on dit que l'erreur n'étant pas
une cause de rescision de partage, le partage ne doit être anoul~
dans ce cas, que s'il y a dol ou lésion. Mais nous ne faisons pro,
<luire aucun effet à l'erreur; nous n'ajoutons rien à la loi : nous
l'appliquons en ce qu'elle dis pose qu'un acte est nul, s'il n'a pas de
cause. D'après une autre opinion, ceux qui, dans cette hypothèse,
( 1) Cassat. 23 mars 184.3. Dalloz v· Biens.
267 -
auront recu au-dessous de ce qui leur revient, ont droit à une action
en supplément de partage des biens à restituer par celui qui les a
reous indÔJllent, le partage restant intact. est faux, car le partage
où. tout se tient, fait sur de fausses bases, doit être annulé dans son
entier. Pourquoi obliger les héritiers lésés à ne recevoir que des
suppléments, et s'il n'y en a qu'un seul qui ait reçu moins que sa
part, pourquoi lui imposer de demander un supplément à chacun de
ses cohéritiers? Ce serait inique l
c·
Le partage est encore nul pour défaut de cause, lorsqu'un des
co-héritiers a été omis dans le partage. C'est ce que la loi décide
dans un cas analogue. Voici, en eliet, comment est conçu l'article 1078 : " Si le partage n 'est pas fait entre tous les enfant~
<s qui existeront à l'époque du décés et les descendants de ceu
« prédécédés, Je partage sera nul pour le tout. Il en pourra être
<< proYoqué un nouveau, dans la forme légale, soit par les enfants
a ou descendants, qui n'y auraient reçu aucune part, soit mém.;
a. par ceux, entre qui le partage aurait été fait.1> Il n'y a aucune
raison, pour ne pas appliquer cette disposition écrite à propo~
des pa;rtages d'ascendants, à toute hypothèse identique. Noue,
disons qu'ici il y a défaut de cause dans le partage, puisqu'ur
des co-héritiers a conservé sur tous les objets de la successior
sa part indivise, que n'a pu lui faire perdre un partage auqu~
il n'a point été appelé. Comme le dit l'article 1078, tous les béri·
tiers pourraient demander la nullité; à moins cependant, qu'il
n'aient possédé depuis trente ans les objets qui leur sont échus
auquel cas ils sont devenus propriétaires irrévocables, par
l'effet de la prescription, ou à moins qu'ils n'aient sciemment
exclu du partage leur co-hérilier. Ils seraient censés dans ce cas
avoir consenti à rester muluellement garants du partage qui a
été fait. (1)
(1) Cassation 13 février 1860. L'action qui appartient à l'enfant omis dans un
partage d'ascendant constitue une véritable fôtitt0n d'hérédité qui n'est prescriptible que pa.r 39 ans. (Besançon 23 mars 880. Oalloz. péri. 1880. 2. 15).
�-299 -
- 268 -
supposons que l'erreur porte sur les objets de la succession';
en a-t-on omis un ou plusieurs dans la masse à partager, il y a
lieu à un supplément de partage. Ainsi décide l'article 887 et
l'article 10i7, dans un cas semblable. Cet article est applicàble
quelle que soit la cause de l'omission. Si la loi n'avait pa's ~tis
soin d'indiquer le moyen de réparer cette omission, on auraif
pu soutenir que, les héritiers n'ayant renoncé à leur droit 'inl:iiYis, sur les biens tombés dans le lot de leurs CO-héritiers, qu'à
la condition que ceux-ci renonceraient à leurs droits sur tous'
les biens non tombés dans leur lot, comme ces derniers c011sèr!
vaient leurs droits sur certains biens, le partage manquait
partiellement de cause et que le défaut de cause devait entrattle'r
la nullité totale.
L'erreur porte-t-elle sur la valeur des objets partagés? Il
s'agit de savoir si elle produit ou non une lésion de plus du
quart et dans le cas où la lésion dépasse cette proportion elle
:ucu~)
fera annuler le contrat; mais l'erreur par elle-même n'a
1
effet. A moins cependant, que l'erreur ne soitla suite du dol des
1
aut~es ou de l'autre co-héritier ; dans ce cas rescision llOllf 1d9J',
mais non pour erreur. Les biens partagés n'existent pas dans la,
masse héréditaire: si jamais le co-partageant auquel ils s~nt
échus vient à être évincé, il aura un recours en garantie contre ses
co-héritiers. La connaissance que ces biens sont sujets à éviction
ne paralyse pas ce recours, car le droit de poursuivre les héritiers en garantie ne peut être enlevé que par une clause particuliète et expresse (art. 884). Les biens existent, mais ils sont
atteints de vices ou de défauts cachés. L'héritier victime de ce
dommage a-t-il le droit de recouvrir en garantje contre ses
co-béritiers ~ Nous le croyons : l'article 884 ne le dit pn:~ d'une
façon explicite, mais ses termes ne s'opposent pas à cette solution, car anciennement on entendait par le mot éviction, lafo
3énsu, non seulement le fait d'une dépossession, fnais encore
toute perte ou préjudice, que l'on peut subir dans les objets
partagés. « En bref, disait Pothier, tout~s les fois que les choses
« échues en mon lot ne sont pas telles qu'elles ont été déclarées
(/. par le w~rtage, et que j'ai intérêt qu'elles soient, il y a lieu à
« la g,a rantie du partage, quand même je, ne souffrirais pas
<\ d'éyiction; cpm,m e si l'héritage qui est échu dans mon lot, est
« d'une m,oipdre contenance que celle qui est déclarée dans' le
« partage.>> (1) Ajoutorl$ que l'équité exige, plus impériew;erny,.i:it ici que dans tout autre contrat, que l'égalité soit aussi
parfaite que possible : il faudra donc appliquer tout ce que nous
avons dit sur les vices redhibitoires. Mais si les biens sont absolument inexistants, le partage sera absolument nul, car il manque
de cause. Certains auteurs admettent qµE} si ces biens, supposés
existants, ne forment qu'une part relativement minime de la
masse à partager, il n'y aurait pas lieu à nullité, mais à une
action en garantie. (2) On repousse avec raison cette décision
'
car la garantie ne se comprend que lorsqu'il y a trouble ou
e~iption. La vente d'une chose inexistante, entraine la nullité du
cpntrat et ne d~nne pas lieuJ l'action en garantie (art. 1601).
, Un h éritier croit trouver dans son lot un bien qui n'y est pas;
l'err~ur est indiITérente pourvu que son lot égale la valeur de sa
part héré?itaire , et qu'il n'y ait pas dol de la part de ses
co-héritiers.
(
..
CHAPITRE VII
De l'erreur dans les quasi-contrats
Qu'est-ce qu'un quasi-contrat? Le quasi-contrat est tout fait
licite et volontaire de l'homme qui oblige son auteur envers
( 1) Pothier. Trai té des 13uccessiç>ns. U. IV, art. 51 3.
(2) Demante, Tome Ill n• 231 bis§ Il.
~..
'
'
�-
272 -
jusqu'à concurrence du profit qu'en a retiré le maitre. Si le pro~t
a disparu au moment de la demande, on ne lui doit plus rien (1) i.
tandis que par l'action de gestion d'affaires, il obtient le remboursement de toutes les dépenses, que le juge tient pour utiles, encore
que le profit, la plus-value, ait disparu par cas fortuit. D'après
MM. Aubry et Rau, au lieu de l'.action de in rem verso, le
gérant pourrait intenler Paction negotiorum gesto1·um contre le
mai'tre, qui a eu connaissance de la gestion. « Cette connaissance,
« disent-ils, doit produire contre Je maitre de l'affaire, au moins
c autant d'effet, qu'en produirait malgré son ignorance, la circoos« tance que la gestion aurait été entreprise par le gérant en con« naissance de cause.>> M. Demolombe rejette cette interprétation,
' Car, dit-il, dans ce cas, l'intention qui est la condition caractériscc tique de notre quasi-contrat, fait défaut (quand je gère l'affaire de
ci Paul croyant gérer rna propre affaire) et on ne v01t pas comment
• la connaissance de la gestion par le maitre pourrait équivaloir à
« cette intention. » Il est évident que si je crois gérer l'affaire d'autrui et que je gère la mienne, hypothèse inverse de la précédente il
n'y à ni contrat de gestion d'affaires, ni contrat d'aucune soTte.
La gestion d'affaires suppose le plus souvent l'erreur ou
l'ignorance du maitre. S'il connaissait la gestion, y au,rait-il
contrat de mandat tacite. « Le quasi contrat de gestion d'afl'ai~
a res, disait Pothier, ne se forme qu'autant que la gestion a eu
u lieu sans mandat exprès ou tacite, c'est-à-dire à l'insu des para. ties. » La question est de nos jours assez vivement controversée. Les uns, opposent l'art. 1372 d'où il semble résulter
clairement que notre code ne reconnait pas un mandat tacite
dans le cas de connaissance de la gestion par le maitre.
u Lorsque volontairement, on gère l'afiaire d'autrui, soit que le
u
-
273 -
àUtres soutiennent par application du principe romain. Qui tion
prohihet pro se intervenù·e, manda1·e creditur (1), qu'ici il y a réellement mandat tacite et que ces mots de l'art. 1372 s'appliquent
au cas où ce n'est qu'après coup que le maitre de l'affaire a eu
connaissance de la gestion entreprise d'abord a son insu, et
qu'H ne visent pas l'hypothèse où il a connu la gestion dès son
d~but, lorsquelle a commencé. On répond d'autre part que l'article ne distingue pas et, selon M. Demolombe, il ne devait pas
distinguer. « Pourquoi donc si le seul fait de la connaissance
<< de la gestion par le maitre équivalait à un mandat, cette con<c naissance acquise seulement dans le cours de la gestion
<1 même, n'imprimerait-elle pas ce caractère à la gestion conti« nuée depuis; ce serait une inconséquence. >> Cet article abandonne la théorie romaine et on ne doit pas restreindre
l'i1movation au cas où le maitre viendrait à connaitre la gestion
alors qu'elle est déjà commencée. D'après nous, la loi a voulu
di're que le seul silence du maitre qui a connaissance de la gestion, ne suffit pas pour constituer Je mandat tacite ; elle veut
parler des cas qui se peuvent p résenter, où il est impossible au
maitre, au courant de ce que fait le gérant, de s'opposer à sa
gestion ; il serait exagéré que dans ces cas, il fut considèré
comme ayant donné mandat a u gérant. Il y a un grand intérêt
pratique à distinguer s'il y a mandat tacite ou gestion d'affaires;
pal' l'action mandati on recouvre toutes les dépenses faites,
encore qu'elles ne soient pas utiles, tandis qu'il faut qu'elles
aient ce caractère pour être remboursées au gérant. En outre,
celui- ci est tenu de continuer la gestion de l'affaire dont il s 'est
chargé de son plein gré, jusqu'à ce que les héritiers du maitre,
s'il est mort dans le cours de la gestion, viennent l'en déchar-
propriétaire connaisse la gestion soit qu'il l'ignore, etc. » Les
(1) Pothi,er n· 189, du quasi-contrat ne9otiorum gestorum.
( 1) Cassat 29 avril 1876 (Devill. 1876, 5. 215).
18
�-
-
274. -
ger: tandis que le mandataire n'est tenu de continuer le mandàt,
après la mort du mandant, que s'il y a péril en la demeure.
(art 1991).
:>
SECTION"
II
Du paiement de l'indù.
I
Le paiement de lïndù consiste dans le fait d'une p ersonne
qui accomplit à titre de paiement, une prestation à laquelle elle
n'est point obligée. Le rôle de l'erreur est bien plus important
dans ce second quasi-contrat. Cependant en droit Français la
répétition de l'indù, ne repose pas comme en droit Romain sur
l'erreur; car, sous l'empire du code, celui qui a payé l'indù, n'a
pas, comme en droit Romain, s 'il y a eu d'une part intention
d'aliéner et de l'autre volonté d'acquérir, valablem ent transféré
la propriété. Il a fait un acte absolument nul qui man_que lie
cause. Le paiement en effet, ne pouvait avoir pour but immédi&rt
que d'éteindre une dette, or si la dette n'existe pas, il n'a plus
de raison d'être, il n'a plus de cause (art. 1131) et le solvens n'a
pas comme en droit Romain, une action personnelle contre
l'accipiens; il a une action réelle, car il ne lui a pas transmis la
propriété. Pour aliéner en effet, il faut consentir, or le consentement qui manque de cause n'est pas valable. L'erreur n'est
qu'une condition de la répétition de lïndù; cette répétition ne
peut aboutir que si les trois conditions suivantes se trouœnt
remplies . Il faut avoir payé, avoir payé sans qu'il existât de del te
et avoir payé par erreur.
Comme nous l'avons fait pour la condictio indebiti, nous ne
nous occuperons que de cette troisième condition.
275 -
!Haut distfogaer trois hypothèses différentes t 1° L' accipims est
créancier; mais celui qui le paie n'est pas son débiteur: dans ce
cas, dit l'art. 1377, «lorsqu'une personne qui, par erreur, se croyait
« débitrice, a acquitté une dl·tte, elle a le droit de répétition contre
« le créancier. » L'erreur est ici indispem;able pour auto1·iser la
répétition; sans elle, en effet, le solvens serait censé avoir voulu
acquitter la dette du véritable débiteur, pour lui faire une libéralité
ou sauf à recourir contre lui, par l'action de gestion d'affaires .
L'erreur est donc nécessaire pour exclure l'intention du solvens,
d'avoir voulu agir pour le véritable débiteur, intention qui se manit~sterait clairement , da ns le cas où il a:. rait payé au nom et pour
acquit du débiteur (art. 1236). Dans cette dernière hypothèse, ce
qu'il a payé est bien et dùment payé, et il n'aurait pas d'action en
répétition contre le créancier, mais bien un reco urs contre le débite ur. Donc, pour que la répétition dans le cas où 1' accipiens est
créancier, smt adrrise, il faut que le paiement ait été fait par erreur
par le solvens et qu'il l' ait fait en son propre nom.
·1 Voici les deux autres hypothèses : Le sotvens a fait un paiement
à l'aac~iens qui n'est pas créancier; dans ce cas, la dette existe,
mans elle est payée à une a utre personne que le créancie; . Ou bien
le paiement est fait par quelqu' un q ui n'est pas débiteur, à quelqu'un
qui n'est pa s créancier ; dans ce cas, la dette n'existe pas. Quid?
La réponse est fournie par l'art. 1376, qui est ainsi conc:u: « Celui
<11 qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui e;:;t pas dù,
a s'oblige à le restitue1' à celui de qui il l'a indûment reçu. » Cet
article ne distingue pas si l'accipiens a accepté le paiement en connaissance de cause ou par ignorance : n'est-il pas tenu de restituer,
dans tous les cas, puisqu'il ne lui est rien dù? Mais il ne parle pas
du solvens, faut-il pour qu'il puisse répéter qu'il ait payé par erreur?
Su r cc point, nouvelle con troverse. Un premier système n'exige
point cette condition. Que le solvens ait payé sciemment, s'ensuit-il
que l' accipiens ait acquis le <lroit de recevoir ce qui ne lui est point
�-
276 -
dù ! A quel titre : à titre de dona taire, mais la libéralité ne se présume point et il se peut que le solvens n'ait point voulù le gratifier.
S'il n'y a pas donation , l'accipiens s'enrichirait aux dépens d'autrui,
si l'on ne donnait pas a u solvens le droit de t'épéter dans tous les
cas. Si telle n'était pas la portée de l'art 1376, la loi n'el!lt pas
manqué, comme en l'art. 1377, d'exiger pour la répétition qu'elle
ait été faite par erreur. - Un second système, qui nous semqle
préférable et qui est plus généralement suivi, soutient que, seul, le
sofrens qui a payé par erreur, pourra répéter. S'il a payé sciemment quelqu'un qui n'était pas créancier ou n'était pas le véritable
creancier 1 il ne pourra pas répéter ; il est censé a voir voulu fa.ire
une libéralité, intent ion qui provient de la connaissance qu'il avait
de l'absence de dette ou du défaut de droit du créancier . Telle était
la doctrine du droit Romain et de nos anciens j ~riscons ultes; riel\
n'indique que le Code ait entendu s'en écarter. Si quelque doute
pouvait exister à ce sujet, il serait dissipé par les travaux préparatoires. Voici, en effet , comment s'exprimait le tribun Tarrible r
• Une personne ne peut recevoir ce qui ne lui est pas dû. ; elle peu,li
« recevoir aussi ce qui lui est réellement do., mais d'une autre .m ain,
« que celle de son vrai débiteur : Dans l' un comme dans l'aut1re cas,
<1 la répétition appartient à celui qui a payé par erreur. L' erreiir de la
u p ar t de celui qui paie peut seule auto1·iser la répétition de la chose;
a sans cette fausse opinion, il serait censé au premier cas (ar t . 1376)
a a\'Oir voulu donner ce qu'il savait fort bien ne pas être dù; a u
a second cas (art . t:l77), avoir vo ulu payer une dette légitime, à la
a décharge du véritable débiteur, et to ute voie de répétition lu
u serait justement formée ( 1). » Si la loi n'a pas parlé de l'erreur
du solve11s dans l'art. 1376, c'est parce qu'elle ne s'occupe exclusivement que de celui qui a rei:u le paiement et la diffé rence de rédaction entre l'a rt. 1376 et 1377, provient de ce qu'ils prévoient deu.ic.
hypothèses de tous points différentes.
( l) Fenet. Towe Xlll, p. 484 et 485.
-
277 -
Dans 1'1.ypothèse de l'art 1376 l'accip icns , n'étant pas créancier ,
n'o. pas de débiteur. Celui <}Ui paie ne peut donc pa · dire qu· 1 a
payé pour le débiteur ; tandis q11e dans l'article 137i, l'accipiens
étant créancier, si le paiement lui est fait pa r 1Jn autre que le débiteur, il a pu légitimement oroire que le solvens a payé pour le débiteur, et il était dès lors nécessaire de dire que dans ce cas, l'erreur
détruirait cette présomption. Mais, objecte le premier système, on
ne présume pas les donations ; en outre, comme cela a déjà été
dit, la donation est un contrat qui se forme par le concours des
~olontés du donat~m· et du donataire. Y a-t-il eu ici nécessairement intention de donner de la pa rt du solvens ? Nullement. Ne se
peut-il pas en effet , qu'il ait voulu payer, en se réser vant le droit de
répéter plus tard, dans le cas par exemple ou a u moment de la
poursuite, il ne trouve pas la quittance qui constate sa libération
antérieure ; ne peut-il pas avoir voulu fa ire un dépôt d'a rgent chez
l'accipiens, qui n'aurait pas accepté directement d'être dépositaire r
Et la volonté de recevoir à titre de donataire a-t-elle existé chez
i'accipi&ns ? N'a-t-il pas pu croire réellement, que puisqu' on le
payait, il était créancier sans le savoir ? E nfin , dit- on, on présume
une donation, mais cette donation est nulle, puisque les formes
solennelles auxquelles la loi l'a soumise, font défaut ici. Si le paiement consiste dans une chose mobilière, il est vrai de dire que l'accipièns sera protégé par le principe de l'article 2279, dans le cas où ii
est de bonne foi : mais si la chose est immobilière, la donation est
nulle. Voici ce que l'on peut répondre. On ne prés ume pas la donation ; elle existe et d'une fai:on évidente. Sinon comment pourra iton interpréter l'acte de l'une et de l'autre partie ; il n'aurait aucun
sens. Les hypothèsés que l'on suppose sont invraisemblables ou
chimériques, et il est de règle dï nte1·préter les actes de la manière
qui se présente na turellement à l' espl'it, et qu i est la plus raisonnable. Or celui qui a payé sciemment l'indu fait une ·libéra lité; dès
lors, il n'a pas le droit de répéter , et l'etTeur servira à débr,uire la
�-
-
278 -
présomption de donation. Cependant, et c'est là une restriction
importante, si l'on peut voir dans le paiement autre chose qu'une
donation, que cet acte soit certain et évi<leat, s'il à sa raison d'être
en lui-même, l'on ne pourrait plus <lire qu'il y a donation de la part
du solve11s . Quaat à la question de formes, elle ne peut faire l'obje t
d'une difficulté pour les choses mobilières ; en ce qui concerne lés
choses immobilières, la jurisprudence s'accorde à reconhaitre
comme donations valables, celles qui sont déguisées sous l'apparence d'un coatrat à titre onéreux et auxquelles il ne manque, pour
leur validité que d'être revêtues des formes légales. Donc il faut
dans tous les cas, pour que la répétition de l'iadu puisse ètre intentée, que le paiement ait Hé fait par erreur.
~l ais peut-on inrnquer toute sorte d'erreur? L'erreur de droit.
peut-elle sen·ir de fondement à la condiclio indebiti ?
l\ous avons vu à quelle longue discussion , cette question donne
lieu en droit romain. Elle ne fait aucun doute dans notre droit. Notre
Code, nous le savon5, ne fait pas de distinction entre les deux
erreurs, si ce n'est dans deux articles et nons avons dit gur quelles
raisons sont établies ces dP.ux exceptions. D'ailleurs dàns nos articles 1376 et 1377, il parle d'erreur, sans jamais distinguer ; 11 eut
certainement, comme en matière d'aveu et de transaction, séparé
l'erreur de droit et l'erreur de fait, si son intention, avait été d'â:c~
cepter sur ce point, la théorie de ceux qui en droit romain n'admettaieat pas que les deux erreurs eussent le même effet. Laquestion pouvait être disc~tée à Rome, car il s'agissait d'annuler un
acte le plus souvent translatif de propriété et l'on ne voulait. faire
produire cet effet important, qu'à l'erreur de fait qui d'habitude
était excusable. Chez nous, ce o' est pas r erreur qui sert de fondement à la répétition ; c'est l'absence de cause, or que l'erreur, soit
de fait ou de droit, la cause n'en fait pas moins défaut.
Pour obtenir le remboursement de ce qu'il a payé indô.ment
le Bolvens devra prouver, le paiement, l'absence de d~tte et
27V -
son erreur. Cette dernière preuve est à sa charge, car, actori
incumbit 1wobatio; l'on présume que l'acte a été fait en connaissance de cause. Cette solution n'est pas admise par tous les
auteurs. Quelques-uns d'enlre eux, disent que mettre à la
c)large du solvens, la preuve de l'erreur, c'est présumer la
libéralité ; en outre, l'acte ayant apparence de paiement,
a;yant été tenu pour tel par les parties, on doit présumer ce qui
se passe d'ordinaire; or il est d'usage, que quand on paie, on
ne paie pas l'indu, et si on paie l'indu, la plupart du temps, on
ne le fait pas exprès ; c'est donc au défendeur à établir le fait
anormal qu'il invoque, à savoir, que le solvens a payé sciemment
en parfaite connaissance de cause. Au sujet de cette obligation
de preuve MM. Aubry, Rau el Demolombe, mettent en principe
la preuve à la charge du sofoens, mais en faisant les distinctions suivantes : « Lorsque l"exception péremptoire qu'eut pu
<< invoquer le demandeur en répétition de l'indu, est de nature
" à faire disparaitre toute cause juridiquement suffisante du
ci paiement, l'erreur de fait doit se présumer, et l'erreur de
« droit elle-même, quoique la preuve en reste toujours à la
u charge de ce dernier, peut plus facilement s'admettre que
4 d'ordinaire; .... mais si l'exception péremptoire que le deman' deur en répétition de l'indu, a omis de faire valoir est telle
« que son admission même, n'eut pas fait disparaître toute
« cause de paiement, l'erreur même de fait ne peut plus se
« présumer; le demandeur en répétition doit en administrer la
« preuve, pour établir que le paiement n'a eu d'autre cause
« que l'erreur (1). :1> L'appréciation de la preuve appartient an
juge, car c'est une pure question de fait. Tous les auteurs
admettent que si l'accipiens a nié le paiement, et que le solvens
soit parvenu à l'établir, il y a présomption que le paiement a
(1) Aubry et Rau,
1 442,
�-
280 -
été fait par erreur; car sinon l'accipiens n'eùt pas contesté un
paiement fait animo donandi et la preuve du contraire est à sa
charge.
En commentant l'article 1376, nous avons dit que l'accipiens
de bonne ou de mauvaise foi, devait restituer l'indu. Mais la
loi attache des effets très importants à la bonne foi, et DOQS
allons les passer en revue. Le second alinéa de l'article 1377
est ainsi conçu : « Néanmoins ce droit, (le droit de répétition
« contre le créancier) cesse dans le cas où le créancier a supa primé son titre par suite du paiement, sauf le recours de
a celui qui a payé contre le véritable débiteur. >> De cette disposition, il résulte que le créancier qui a été désintéressé par
une autre personne que le débiteur, ne serait pas obligé de
restituer ce qu'il a reçu, si, sur la foi du paiement, il a détruit
son titre de créance. Si cette restriction n'avait pas été apportée
au principe posé dans le premier alinéa, on aurait fait supporter au créancier les conséquences de la faute, ou tout au
moins de l'erreur du solvens, conséquences qui ponrraient lui
être très onéreuses, car aprés avoir été obligé de restituer ce
qu'il a reçu indùment, il ne pourrait plus, faute de preuve,
recourir contre son débiteur. Cette faveur exceptionnelle n'est
accordée qu·au créancier de bonne foi, car s'il était qe mauvaise foi, il profiterait de l'erreur du solvens. Supposons, en
effet, que le véritable débiteur soit insolvable, comment se
peut- il que la loi ait voulu que le créancier gardât ce qui lui a
été remis et que le solvens supportât en fin de compte, l'insolvabilité du débiteur.
On étend cette disposition et on donne au créancier le droit
de garder la somme reçue en paiement, toutes les fois qu'il
éprouverait un préjudice par suite de ce paiement erroné, lorsque, par exemple, il a laissé prescrire sa créance ou négligé
de conserver les sûretés qui la garantissaient : Nemo ex alfe-
-
281 -
rius facto peragravari potest. D'après nous, on va beaucoup trop
loin ; la disposition de l'article 1377, étant une exception
doit être entendue restrictivement. Que si le dommage éprouvé
par l'accipiens, ne lui fait pas perdre la totalité de sa créance,
pourquoi lui permettre de conserver la totalité du paiement
indu? Il appartient au juge, da~s ce cas, d'appliquer l'article
1382, qai oblige toute personne qui, par son fait, cause un préjudice à a utrui, à le réparer . Il déterminera le montant des
dommages-intérêts à payer par le solvens, et si cette indemnité.
n'égale pas le montant du paiement, l'accipiens sera tenu de
rembourser le surplus. L'article 1377 ne serait }Joint applicable,
si le débiteur pouvait réussir à replacer le créancier dans la
situation où il était avant la destruction de son titre, en lui
procurant un titre nouveau, ou de toute autre manière; dans ce
cas, le créancier n'aurait plus de motifs pour conserver le paiement indu.
En outre, les articles 1378, 1379 et 1381 disposent par a contrario
quç l' acaipiens de bonne foi, obligé de restituer l'ir,dQ, garde les
fru.its et les intérêts qu'il a perçus, jusqu' au jour de la demande;
qu'il n' est tenu ni des cas fortuits, ni des détériorations commises
par son fait (1) ; qu'il a droit au remboursement de toutes ses dépenses. Enfin, l'art. 1380 lui accorde une autre faveur; s'il a aliéné
la chose à titre onéreux, il n'est tenu de rendre que le prix qu'il en
a reçu ; bien que ce prix soit inférieur à la valeur réelle de l'objet;
s'il l'a donné, il est libéré, à moins que la donation ne lui ait profite; dans ce cas, il devrait rendre quantum silœ pecuniœ pepercit.
Si on l'obligeait à rendre les fruits ou les intérêts qu'il a déjà consommés, à donner une indemnité pour les détériorations qu'il a
faites, si on ne lui remboursait que ses dépenses utiles, ou s'il devait,
en cas d'aliénation de l'objet, restituer sa valeur réelle, il serait
(1) Quia quasi suam r em negtesit nulli querelœ sub}ectua esl. (L. 31
l 3. 5. 3. D.)
�-282 constitué en pel'te pal' la faute du sofoens et il serait inique que la
foute d'autrui pat l'appauvrir .. Aucune de ces faveurs n'est a<!corclée
au possesseur de mauvaise foi : les articles précités déterminent ses
obligsttiom:. Il est donc trè irnporlant de distinguer entre la boQne
i>t la mauvaise foi, et du jour où la bonne foi cesse, les effets qui y
sont attachés ne se produisent plus. Ainsi, si au moment où il a
détruit son titre, il n'était plus de bonne foi, il ne profilera d' au~un
des avantages que la loi attache à l' erre1;r.
Pour terminer sur cette matière, nous examinerons une dernière
question. Le so/11ens qui a payé par erreur, aura- t-il le droit de
re,·endiquer entre les mains des tiers acquèreurs les choses qui leur
auront été transmises par l'accipiens ? Pothier disait que cette action
en re\'endication pourrait être intentée dans le cas où il s'agissait
d'un acq'..!éreur à titre gratuit. De nos jours, la controverse est très
Yive. En premier lieu , faisons remarq1Jer qu'il ne s'agit nullement
des meubles. Lorsqlle les tiers auront été de bonne foi, ils seront
protégés par l'art. 2279 et repousseront l'action en revendication
du propriétaire. D'après une première opinion, l'action en revendication ne pourra jamais être intentée ; d'après la seconde, elle Ille
pourra l'être que si l'accipiens était de mauvaise foi. Car, dit-0n
dans l'art. 1380, le législateur limite le recours du solvens au paiement de ce qu'a reçu l'accipiens, jusqu'à concurreoce de son enrichissement et il exclut par cela même tout autre droit du solvons
contre les tiers. Telle parait avoir été l'intention des rédacteurs du
Code, si 1' on en croit les travaux préparatoires et sil' on n'admettait
pas cette solution, l'art. 1380 serait violé, car Je tiers acquéreur
recourrait en garantie contre son vendeur, l' accipiens, et celui-ci, tenu
de l'indemniser , subirait le dommage que veut lui éviter l'art. J 380.
Avec M. Demolombe, nous pensons qu'il faut toujours (sauf le cas
de l'art. 2279) accorder au solvens le droit d'exercer l'action en
revendication. L'art. 1380 ne doit pas intervenir dans la discussion,
parce qu'il ne règle que les rapports du sotvms avec J' accipiens et
-
283 -
il ne s'occupe nullement des tiers : c'est d'après les principes générnmc qu'il faut résoudre la difficulté. Nous avons déjà exposé ces
principes à propos des aliénations d'immeubles faites par l'héritier
apparent : nous les rappelons en deux mots. L'accipiens n'était pas
propriétaire, car le solvens ne lui avait pas transféré la propriété,
parce que son intention n' était pas de la lui transférer: le paie.ment, en effet, avait pour but d'éteindre une dette, la dette n'existe
pas donc il est fait sans cause; or, tout a0te fait sans cause es( nul
et ne produit aucun effet: on violerait le principe, si on lui donnait
le pouvoir de transférer la propriété. Cependant, pour respecter la
règle qui demande que l'accipiens de bonne foi ne souffre pas de la
faute du solvens, il faut ajouter que celui-ci doit prendre à sa charge
toutes les suites de l'éviction dont il est \•auteur. Cela est encore
contesté; on dit que les dommages-intérêts réclamés par l'acquéreur'
devraient être supportés par le vendeur, l'accipiens, qui a vendu
la chose par imprudence peut-être (art. 1151 ) et que le recours en
garantie est la conséquence de l'aliénation qu' il a faite. D'après
!Ilous, le solvens n'a droit de revendiquer contre le tiers-acquéreur
que .s~ celui-ci ne peut pas recourir contre l' accipiens; dans le cas
de donation, par exemple, ou de vente avec stipulation de non
garantie ou bien en dehors de ces cas, s'il prend à sa charge toutes
les indemnités que l'acq uéreur pourrait réclamer à l'accipiens.
Lorsque l' accipiens de bonne foi est tenu de restituer le prix de la
chose aliénée, la non recevabilité de l'action en revendication contre
le tiers acquéreur qui aurait prescrit la propriété de l'immeuble ou
1la perte de la chose par cas fortuit, ne sauraient le libérer de son
obligation.
li
Il
�-
2A4 -
11
CHAPITRE VIII
De l'Erreur dans les transactions
Avant d'étudier les dispositions du Code relatives à l'erreur
dans les transactions, il importe de définir la transaction et
d'indiquer en quelques mots, ses principaux caractères.
L'article 20-14 est ainsi conçu: « La transaction est un contrat
1t par lequel les parties terminent une contestation née ou pré'« viennent une contestation à naitre.>> Cette définition est incomplète, car le Code semble supposer qu'il n'est pas nécessaire
pour que la transaction puisse se former, que les parties se
fassent des concessions réciproques. Cela est faux, car cette
réciprocité est précisément le caractère qui distingue la fransa'ction de plusieurs autres contracts avec lesquels le Code luimème a soin de ne pas la confondre. Il sépare soigneuse'tnent,
en effet, l'acquiescement de la transaction à propos des pou~oits ·
du tuteur (articles 464 et 467); en formulant les règles spéciales
au désistement, à la remise de la dette, à la confirmation, tous
actes qui impliquent de la part de l'une des parties, renonciation
à un droit qui peut être litigieux, mais qui ne sont pas dès
transactions parce qu'il n'y a pas de sacrifices réciproques.
Cet oubli a sa source dans la définition que Domat donnait
de la transaction, définition qui ne tenait aucun compte de ce
caractère que le célèbre jurisconsulte ne regardait pas comme
fonda1:1ental. « La transaction est une convention entre deux op
« plusieurs personnes, qui, pour prévenir ou terminer un procès
285 -
règlent leur différend de gré à gré, de la manière dont elles
q conviennent et que chacune d'elles préfère à l'espérance de
« gagner jointe au péril de perdre.» (1)
Malgré l'opinion de Domat et celle des orateurs auxquels il a
servi de guid e dans la discussion de ce titre, et qui ont commis
la même faute que lui, il faut s'en tenir à la formule du droit
Romain, qui disait très nettemeut : transactio, nullo data, vel
retento, seu promisso, minime procedit (C. 48, Code 2. 4.) Nous
définirons la transaction : un contrat par lequel les parties
tranchent une question qui leur parait litigieuse en se faisant
des sacrifices réciproques. Il faut donc, et c'est là le second
caractère essentiel de la transaction, qu'elle ait pour objet un
droit litigieux. Mais dans quel cas, le droit serait-il considéré
comme tel ? Est- ce lorsqu'il le sera aux yeux du juge? par
suite, faudra-t-il admettre qu'il n'y a de transactions valables
qu~ celles qui portent sur un droit sérieusement litigieux et
pouvant donQer lieu à un procès raisonnable ? On le dirait
d'~près les paroles de M. Bigot-Préameneu : « Il n'y aurait pas
« <;le transac~ion 1 si elle n'avait pour objet un droit douteux. Il
« s~r~~t toujours facile aux juges de vérifier si l'objet était susceptible de doute.» (2) Bien que ces paroles soient prononcées
par le rapporteur, nous les repoussons ainsi que la doctrine des
aµ teurs qui les invoquent pour dire <<qu'il appartient aux tribu« paux de décider la question de savoir si dans telles circons« tances déterminées, une personne qui a transigé pouvait
<t rl\isonnablement craindre un procès ou avoir quelque appré« hension sur l'issue de la contestation déjà liée.>>(3) - Pourquoi
igtroduire dans la loi une distinction qu'elle ne fait pas entre les
crqintes raisonnables et celles qui ne le sont pas?« Cette théorie,
u
fi
(!) Domat, Lois Civiles, liv. I, til. XIII, sect. 1.
' ('l) Fenet, 1fo111e ":l..V, p. 303.
{3), Aupry et Rau p. U8, Nole 3.
�- 286c dît M . Accarias, est tout à la fois dangereuse et inapplicable;
c dangereuse, car elle tend à remettre en question ce qui a été
c décidé ; elle glisse des germes de chicane dans une convention
« qui prétend étouffer le procès; inapplicable, car les faits les
a plus clairs n'ont pas toujours même signification aux yeux de
11 tous; la jurisprudence la mieux assise peut changer, etdes.
11 décisions juridiques les plus solides rencontrent des contra« dicteurs. En fait tous les jours, lïgnorance et l'esprit de chicane
11 soulèvent des procès insensés; tous les jours aussi, les pré« tentions les plus opposées trouvent des défenseurs également
« convaincus. Où donc un tribunal puiserait-il les éléments
1 d·une décision portant qu'il n'y a pas de procès à craindre?»(!)
Le droit doit donc être tenu pour litigieux, quand il est actuel.-.
lement l'objet d·w1 procès ou quand il inspire la crainte d'un
procès raisonnable ou déraisonnable.
La transaction est un contrat consensuel. L'article 2044, en
exigeant qu'il soit rédigé par écrit, a seulement voulu exclure
la preuve testimoniale : cela résulte clairement de la discu-.
tion (2); accessoire, car il suppose une convention ou un fa.it
juridique antérieur; synallagmatique, car il engendre de paFt et
d·autre des obligations de donner, de faire ou de ne pas faire1
comme par exemple, de ne pas déduire en justice le dToit contesté ; à titre onéreux, commutatif ou aléatoire, selon la nature
des avantages reçus par celui qui abandonne tout ou partie de
son droit; translative de propriété à l'égard des objets non litigieux que l'une des parties s'oblige à céder à l'autre. La question
de savoir si elle est translative ou déclarattve de propriété,
quant aux objets litigieux est vivement controversée : nous
laissons de côté cette discussion qui est complètement étrangère
à notre sujet.
(1) Accarias. Thèse de docLorat. P. 170.
(1) Fenel, Tome X V p. 115.
-287Puisque la transaction est une convention, elle doit avoir pour
é1éments, les éléments essentiels de toute convention: le consentement, la capacité, l'objet et la cause. Donc, si le consentemeht fait absolument défaut, la transaction ne peut se former·
Ne nous occupons pas de la capacité. Quel est l'objet de la
trahsaction, ou plus clairement, l'objet des obligations qui naissent de la transaction ? Comme dans tout contrat synallagmatique, il y a double obligation et double objet.
L'objet de chacune des obligations, est la prestation que
promet l'une des parties, ou si l'on veut la renonciation partielle
à la prétention qu'elle a sur le droit litigieux ; par suite, appliquant ici les règles que nous avons exposées à propos de l'erreur
sur la cause, nous dirons que la cause de chacune des obligations
se trouve dans l'objet de l'obligation de l'autre. Ainsi, je
consens à céder une maison à Pierre, s'il abandonne ses prétentions au droit de propriété qu'il prétend avoir sur un autre
bieh que je possède. Peut-être qu'il n'a aucun droit sur le bien
en litige; mais je crains de perdre le procès qui pourrait s'engager; parce que les pièces qui établissent d'une façon irréfutable mon droit de propriété me font actuellement défaut et je
transige: mon obligation à sa cause dans la renonciation que
Pierre fait de ses prétentions : La cause donc, ne consistP, pas
dans la renonciation à un droit, car il se peut qu'il soit démontré que l'une des parties seule avait des droits sur la chose, et
que par suite son obligation manquait de cause, mais bien dans
l'abdication des prétentions que son co-contractant élève sur
le droit litigieux, que ces prétentions soient plus ou moins fondées, plus ou moins raiso1mables. Supposons que le bien ,
la maison que je cède à Pierre n'existe plus au moment
de la convention ; son obligation manque de cause, parce que la
mienne manque d'objet ; dans ce cas l'objet, élément essentiel
faisant défaut la transaction ne peut se former.
�-288 Ces quelques notions três générales, étaient nécessaires pour
nous permettre de mieux exposer la théorie de l'erreur dans la
transaction.
Articles 2052 2° « Elles (Les transactions) ne peuvent être
attaquès pour cause d'erreur de droit, ni pour cause de lésion.>>
Telle est la disposition , presque unique , dans laquelle le
législateur distingue l'erreur de droit de l'erreur de fait ; et
fait exception à la règle générale qui n'établit aucune différence
entre elles. Nous avons déjà indiqué les motifs spéciaux ,
sur lesquels repose cette exception. On suppose que les
parties avant de transiger, c'est-à-dire., avant de consentir à
l'abandon d'un droit douteux, ont consulté des hommes
spéciaux, pour s'assurer sïl ne leur convenait pas de laisser
engager le procès, et de courir la chance d'obtenir pleine et
entière satisfaction, en conservant tout leur droit, plutôt que
d'en abandonner une partie. Dès lors il serait très difficile
d'établir, que la transaction n'a été faite que par suite d'une
ignorance de la loi et cette allégation ne servirait, le plus
souvent, qu'à déguiser la mauvaise foi. Telle est la véritable
raison de l'exception ; il n'est donc pas exact de dire, comme
M. Troplong , qu'elle a son fondement dans ce principe :
v L'erreur de droit ne se suppose pas, ou du moins ne s'excuse
pas facilement. , No us avons démontré en eITet qu'au point
de vue rationnel, comme au point de vue légal, l'erreur de
droit lorsqu'elle est établie, produit d'habitude, les mêmes
effets que l'erreur de fait ; et le motif de M. Troplong ne
justifie nullement la diITérencc, pas plus d'ailleurs que celui de
Bigot Préameneu, qui est de plus absolument faux: «Dans les
<i jugements, disait-il, auxquels on assimile les transactions, de
« pareilles erreurs, n'ont jamais été mises au nombre des mo« tifs suffisants pour les attaquer. (1) i> Il y a d'abord beaucoup
(1) Fenet. Tome XX. P. 108.
- 289 plus de raisons de distinguer les transactions des jugements que
de 1es assimiler et au surplus il n'est pas vrai qu'il y ait ressemblance sur ce point, car les jugements peuvent être attaqués,
pour cause d'erreur de droit. « L'erreur de droit, disait le tribun
Gillet, quoi qu'elle puisse être en certain cas, un motif de casser
les jugements, n'en est pas un de rescinder la transaction » (1).
Art. 2053 1°. Néanmoins, une transaction peut être rescindée,
lorsqu'il y a erreur dans la personne, ou sur l'objet de la
contestation.
Errettr sur la personne. - Dans quel cas pourra-t-elle faire
rescinder la transaction? D'apt'ès nous, l'article 2053 n'est que l'application de l'article 1110. Il est donc inutile ; on a simplement
voulu faire antithèse à l'article précédent qui s'occupe de l'erreur
de droit. Le principe est le même, et il faut décider que toutes,
les fois que l'erreur sur la personne aura été déterminante de la
volonté des parties et que la considération de cette personne était
capitale, on pourra faire rescinder la transaction. La transaction ne
serait donc en ce cas, que simplement annulable. Mais que faut-il
entendre par erreur sur la personne, est-ce l'er~eur qui porterait
sur la personne même ou l'erreur qui tomberait sur la qualité que
l'une des parties avait pou1· transiger. Ainsi par exemple : Je crois
avoir une difficulté avec Pierre, je transige avec lui tandis que
la difficulté existe avec Paul ? Ici il n'y a pas transaction
annulable, il y a transaction nulle, par défaut d'objet ou de cause,
car il n'y avait pas de contestation cnt1·e Pierre et moi. Ce n'est pas
à cette hypothèse que se réfère l'article 2053, puisqu'il parle d'une
rescision du contrat : il vise le cas où c'est bien avec _Pierre, que j'ai
la difficulté, mais je donne à Pierre, une qualité qu'il n'a pas ; dans
ce cas, si cette qualité à été déterminante dc·mu volonté et qu'elle
(1) Fenet. Tome XV, p. 128.
19
�-
290 -
n'existe pas, la transaction sera an nulable. - Quelques auteurs
n'ont pas fait cette distinction importante, ils soutiennent que dans
tous les cas où il y a erreur sur la personne, le contrat est radicalement nul, parceque disent-ils il y a erreur s ur l'objet et à l'appui
de leur opinion ils citent ces quelques lignes de l'ex posé des motifs
où il est dit : 11 Qu'il n'y a ni consentement, ni mème contrat, lors• qu'il y a erreur dans la personne. Telle serait la transaction que
« l'on croirait faire a\' ec celui qui aurait qua lité pour élever des
« prétentions sur le droit douteux, tandis qu' il n'aurait aucune
<1 qualité et que ce droit lui serait étranger» (1). Nous observons
tout d'abord que l'article 2053 parle d' une transaction rescindable,
tandis qu'ici il s'agit d' une transaction radicalement nulle : en
second lieu , on appt•rte une exception à l'article 111 0. Pourquoi
faire cette dérogation au principe qu'il contierit et dire que l'erreur
sur la personne est toujours une cause de nullité ? Est-il vrui de
soutenir que dans cette convention, l'intuifus person<E est toujours
et nécessairement déterminant de la volonté des parties? N ullement,
car le p!us souveuL le but que l'on veut atteindre est de parvenir
à terminer un procès, de ne pas courir le risque d'une l utte judiciaire, douteuse et incertaine, et nullement de faire chose agréable
ou de rendre service à la personne aveû laquelle on contracte. Et si
l'intuilus perso1UP- avait eu cette importance capitale qu'on voudrait
lui donner, la loi aurait dit : La transaction doit être rescindée pour
erreur sur la personne, et non pwt être rescindée. - Ass urément
l'erreur sur la personne se confondra avec l'erreur sur l'o!:>j et dans
l'bypothèse suivante : Mon père fait un legs dans son testament:
quelqu'un, Pierre si l'on veut, se présente comme légataire ; je
refuse de lui délivrer le legs, puis je consens à transigt>r avec lui ;
or il se trouve que Pierre n'est pas légataire. Dans ce cas il y a
défa ut d'objet parce qu'aucun différent n'existait entre ce prétendu
(1) Fenet. - Tome XV. Page 107.
-
291 -
légataire et moi. Mais supposons au contraire, que Louis le véritable légataire se présente et me demande la délivrance du legs, je
transige avec lui, mais je m'imuginais en transigeant t1·aiter avec
une autre personne que j'avais en vue. Dans ce cas l'erreur sur la
pel'Sonne ne se confond pas avec l'erreur sur l'objet et il faut
appliquer le principe, qu'il n'y aura lieu à rescision que dans le
cas où, la considération de la personne était capitale et déterminante de ma volonté de transiger.
LI ne s'agit pas ici de l'erreur qui porterait sur l'identité, su r l'individualité ùe l' objet. Dans ce cas, il y
Ert·eu1· su1' l'ob/ef. -
a urait transaction nulle ; ainsi, par exemple, je consens à tram;iger
sur la propriété de ce bien, vous croyez transiger sur la propriété
de tel autre. Je transige s ur le possessoire et vous transigez sur la
pétitoire. On a voulu faire rentrer ce cas sous l'application de l'article t053, mais c'es~ à tort, car cet article ne parle que d'une transaction rescindable; or, ici, elle est radicalement nulle, parce que
le consensus in idem placitum fait défaut. Ce qu'il faut entendre par
les mots erreur sur l'objet, de l'article 2053, c'est r erreur sur la substance, eti ici il y a lieu à annulabilité de la transaction par une
action en rescision, comme l'article 11l0 accorde pour l'erreur sur
la substance, le droit de demander la nullité du contrat. Remarquons
que l'art. 2053 qui, dans sa seconde partie, dit que la transaction
peut être rescindée pour cause de dol ou de violence et répète les
principes de l'art. 1110 dans le même ordre, ne doit pas, dans sa
première partie, avoir voulu donner aux mots erreur sur l'objet une
autre portée que celle des mots erreur su1· la substance. Donnons
un exemple : Je prétends avoir un droit de propriété sur un bien
qui est dans votre patrimoine. Vous n'êtes pas vou!-rnême bien
certain d'en être propriétaire; après discussion, je fais abandon de
mes prétentions à condition que vous me donnerez une statue de
David d"Angers que vo us possédez. Vous me remettez la statue
et je découvre que ce n'est que la copie d'une œuvre du célèbre
�-
~92
-
scylpteur. I ,l Y. a ~rreur sur la substance et, par suite, droit.de faire
resèinder la trans,aption. ~I est cert11in que si j'avjliS pu me douter
qne la statue n'avait auç,une valeur, je n'aurais P,ll.S transigé. Dope,
si l'erreur ne porte pas sur les qualités substantielles d~ l'objet, la
transaction, par application des principes généraux, demeurera
inattaquable ( 1).
De cette erreur sur, la substance se rapprochent beaucoup certaines erreurs spéciales à la transaction, auxque,lles sont consacl!é,$
quatre articles du Code. Ces erreurs donnent, comme l'erreur sur la
substance, une action en rescision du contrat, action prescriptible
par dix ans comme celle de l'art. 1117. La loi suppose que la transaction ne manque d'aucun des éléments essentiels à toute convention, mais elle se préoccupe de quelques erreurs qui atteignent
la transaction dans sa validité. Elles consistent dans l'ignorance fortuite d'une circonstance, d'un fait, d'un titre décisif, dont la décou,..
verte établit qu'il n'y avait pas lieu de transiger, parce qu'il n'y avait
pas de différend possible, parce que l'une des parties n'avait abso1
lument aucun droit. Aussi la loi ne veut-elle pas que l'un des c0ntractants renonce à ses d:-oits, par suite d'une fausse croyance
tout à fait excusable, et qui a servi de fondement à la transaction.
La première de ces erreurs fait l'objet de l'art. 2054 : « Il y ai
« également lieu à l'action en rescision contre une transaction,
« lorsqu'elle a été faite en exécution d'un titre nul, à moins que les
u parties n'aient expressément traité sur la nullité. » Que signifie
le mot titre? Il signifie non pas l'écrit, l'inst1'umentwn, qui constate
le fait juridique à propos duquel est née la contestation, mais ce
fait juridique lui-même, c'est-à-dire la volonté de l'homme ou lw
convention elle-même qui sont l'origine du litige. (< La nullité de
( 1) Ainsi il a été jugé qu'il n'y a pas erreur sur la substance mais seulement
erreur sur la quotité, lorsque deux Co-héritiers. qui ont transi;é sur leurs droits
respecufs. en partageant par moitié, se sont trompés sur l'étendue du droit de
l'un d'eu:< . Paris, 7 juillet 18~ 1. (Dalloz. 1853. 2. 55.)
-
293
« !Jacte instrumentaire ne pourrait donner lieu à l'app!icàtio'n de œt
« article, qu'autant que la validité de la disposition ou de la conven-
tion serait elle-même subordonnée à la validité de lacte, del'écrit,
K l'ins trument qui le constate (L). »Donc, cette distinction entre lé
titre, fait juridique, et le titre, acte instrumentaire, n'a pas d'importance pour les actes solennels, comme le testament par exemple)
car ici la nullité de la forme entraine la nullité du fond. l..e mot nul
doit être entendu dans son acception la plus large; que le fait. juridique soit nul ou simplement annulable, la découver't e de la nu1litê
peut avoir pour effet de faire rescinder la transaction. Tout CE' qùe
veut la loi, c'est que ce tit.re établisse que l'uné des parties ne
pouvait élever aucune prétention sur le droit litigieux.
Donnons un exemple pour mieux faire corripre'ndre à quelle
hypothèse se rapporte cet article. Je suis héritier dè mon père
qui, dans son testament, lègue à son ami sa ma'iSon de campagne. Après discussion je transige avec fo légataire, il m'aban·
donne ses droits sur la maison et consent à recevoir en retour
vingt actions de Chemins de fer français. Plus tard je découvre
un second testament qui révoque le premier; serait-il équitable
dè maintenir la transaction, que je n'ai faite que parce que
j'ignorais ~a nullité du titre qui était la source du droit du légalâire? Nullement,aussi la loi permet-elle à l'héritier d 'en demandèr la rescis1on. Mais supposons que l'ignorance de la nullité du
titre, provienne d'tme erreur de droit. Àinsi, j'exécute le legs
en vertu d 'un testam ent olographe qui est nul, parce qu'il n'est
pas signé. Pourrait-on, en cas d'erreur de droit, invoquer la
nullité du titre, pour faire annuler la transaction? La ques tion
est très vivement controversée. D'après un premier système,
l'article 2052 pose un principe qui domine toutes ies dispositions qui concernent les transactions ; l'erreur de droit n'est
<(
(1) Aubry et Rau .
•
�-
294 -
pas_ invocable an cette matière. L'article 205! n'est qu'une
~pplicàtion implicite. Comment admettre que la loi ait voulu
déroger, sans le dire expressément, à une règle qu'elle vient
de poser et les motifs qui font exclure l'erreur de droit ne s'illlposent-ils pas ici?
Un second système, soutient que la transaction dans l'hypothèse où l'on vient à découvrir la nullité du titre qui lui a servi
de fondement, est nulle pour défaut de cause; par suite il est
inutile de rechercher, s'il y a erreur ou non, s'il y a erreur de
droit ou erreur de fait, voici comment on raisonne : la cause est
le motif juridique qui porte les parties à contracter ; dans les
contrats synallagmatiques, l'objet de l'obligation de l'une se confond avec l'objet de l'obligation de l'autre. Ici l'obj et de l'obligation est le droit douteux,or là où il n'y a pas de droit douteux.il
n'y a pas matière à transaction, ni par conséquent, de cause.
Or quand le titre est nul, il n'y a pas de droit, puisque le droiL
tombe avec l'annulation du titre. Donc il n'y a ni objet, ni
cause (1). A l'appui de cette opinion on cite les paroles suivantes du tribun Gillet. « Si la transaction n'est que l'exécution
« d·un titre nul, il ne peut y avoir de transaction, parce qu'il ne
« peut plus y avoir de doute. La convention manque de cause,
ci. à moins que les difficultés élevées sur la transaction même
« n'en aient été l'objet.» Et l'on dit: si l'acte ne vaut pas comme
transaction il ne vaut à aucun titre, il est nul, et les deux parties pourront invoquer la nullité. Cependant si rune des parties
a agi en connaissance de cause, on présume quïl y a de sa part
renonciation à un droit el il s'agit d'examiner si cette renonciation est valable ou nulle, si elle remplit les conditions imposées par la loi (2). D'après ce système, l'article 205-1 apporterait
(!) Pochannet, Revue critique. tom. IX, p. 196. Mugoier. Revue critique•
tom. XI 1. p. 83.
{2) Poitiers. 10 juiu lll78. O. P. 1879. 2. 69.
-
295 -
une exception à l'article 1338, car cet article dispose que la
confirmation d'une convention nulle n'est valable que si les
parties ont eu connaissance du vice qui l'entachait, tandis
qu'ici la transaction serait toujours nulle, bien que les parties
aient eu connaissance du vice. Et cette ex.ception résulterait du
texte même de l'ar ticle, à moins que les parties n'aient expressément fraité sur la nullité, preuve que la simple connaissance
de la nullité ne suffirait pas pour rendre l'action en rescision
non-recevable.
Pour combattre ce système, nous ferons tout d'abord observer, que s'il y avait réellement défaut de cause la transaction
serait radicalement nulle et non pas s ujette à une action en rescision, comme le dit l'article 205 -L On invoque les travaux préparatoires. Mais les rédacteurs du Code qui, dans cette discussion, étaient priYés de leur guide habituel, Pothier, n'ont émis
que des idées fausses et des notions inexactes. Ainsi le tribun
Gillet, dont on cite les paroles, disait que dans le cas des
articles 2056 et 2057, la transaction manque de cause, alors que
tout le monde r econnn.it qu'il y a lieu à rescision, par suite d'un
vice du consentement. Le tribun Albisson disait à propos des
mêmes articles : « que la transaction est entièrement nulle ou
tout au moins suj ette à rescision. » Cet argument tiré des
paroles prononcées pendant la discussion n'a donc aucune
valeur.
Outre l'inconséquence qu'il y a à dire qu'un contrat radicalement nul est soumis à une action en rescision; Yoici à quel
résultat on aboutit, en suivant ce système. L'action en rescision,
d'après les auteurs, dont nous combattons l'opinion, est raclion
qui est prescrite selon l'article 130-1 par un délai de dix ans. De
quel jour partira ce délai? Puisque on ne recherche pas s'il y a
erreur ou non, connaissance ou ignorance de la nullité, c'est du
jour où la transaction aura été faite. Donc cette transaction
�-
296 -
qu'on regarde comme nulle pour défaut de cause, sel,'a inatta,
quable au bout de dix ans, alors même que les parties_ n'auraient découvert la nullité du titre qui a servi de base à la transaction, qu'après r expiration de ce délai, et bien qu'elles aient
été dans l'impossibilité d'inyoquer le défaut de cause de la.
transaction? C'est le renversement de tous les principes. Poursuivons. Le caractère de la prescription de l'article 1304, selon
l'opinion commune consiste dans une présomption de confirmation tacite ; on suppose qu'en laissant expirer le délai, les
parties ont renoncé à se prévaloir de la nullité alors qu'elles
n'avaient pas connaissance d'un vice de la tra nsaction, du moins
il nous est permis de le supposer, puis qu'il y a ici absence de
cause et que c'est la seule raison de la nullité. Donc les parties
ont ratifié tacitement une convention absolument nulle et si les
parties ont ratifié la nullité en exécutant le contrat, on dira que
cette ratification tacite par l'exécution, qui est admise dans tous
les cas où s'applique la prescription de l'article 130.t> n'est pas
\'alable, parce qu'on ne confirme pas pa1· l'exécution une
com-ention radicalement nulle. C'est absolument illogique.
Au surplus, ce système apporte une exception à l'airticle
1338. Comment peut-on la j uslifier, on reconnait que le mérite
u en est contestable au point de vue des principes généraux
• du droit. » D'ailleurs , on appuie cette exception sur un
mot, sur le mot, expressément dont on exagère la portée.
La loi, en disant que l'on pouna demander la nullité de la transaction, lorsque la nullité a été découYerle à moins que les
parties n'aient expressément traité sur la nullité, veut dire que
si les parties n'ont pas eu en vue la nullité du titre, elles pourraient attaquer la transaction, car il y a eu erreur sur le fondement même de la transaction Tandis que si elles ont expressément transigé sur la nullité, ell es ne le pourront pas. En d'autres
termes, le silence·des parties permet de supposer qu'elles n'o.lilt
- 297 pas en connaissance de la nullité du litre et pour qu'on puisse
supposer qu'elles la connaissaient, il faut que la P'l'euve se
trouve dans la transaction, et elle y sera quand les parties ont
fot'mellement exprimé qu'elles transigeaient sur la nullité. En
llll mot, la connaissance de la nullité ne se présume pas.
D'ailleurs est-il exact de dire qu'H y a ioi absence de cause?
La aause dans l'obligation qui nait de la transaction, n'est pas
l'abandon du droit, sur lequel porte le litige et qui peut ne pas
ex.ister, mais bien l'abandon des prétentions que l'on élève
relativement à ce droit. En transigeant, l'une des parties sait
peut être que plus tard des preuves certaines permettront d'établir son droit exclusif et souverain, mais afin d'éviter le procès
}Jropter timorem litis, elle a transigé. La cause réside dans
l'aba ndon des prétentions de l'un des contractants, et la preuve
que dans notre hypothèse la loi ne regarde pas la transaction
comme nulle par défaut de cause, c'est qu'elle se préoccupe
dans a•article 2054 comme dans les suivants du point de savoir
si les parties ont connu Otl ignoré la nullité du titre, le pro1rnncé
du jugement, etc ... , or s'il y avait défaut de cause, la transaction
sera~tt0ujours nulle, quelle que soit l'idée des parties, MM.Aubry
et Rau, qui, dans les trois premières éditions de leur ouvrAge,
avaient adopté le système qui répute la transaction nulle }}OUr
défaut de cause, en donnant une trop grande portée aux. derniers
mots de l'article 205.t, ont, dans leur quatrième édition abandonné leur première manière de voir, et voici comment ils
s'expriment : et Un nouvel ex.amen de la question , nous a
« conduit à reconnaitre que les ex.pressions finales de l'article
« précité, n'étaient pas aussi décisives, qu'elles le paraissent au
n premier abord. S'il en résulte que l'action en nullité, doit être
« réputée comq1e non recevable lorsque les parties ont ex.pres« sément traité sur la nullité, il n'en ressort pas que dans l'hy<< pothèse contraire, elle doive nécessairement être admise
�-
-
298 -
con1me fondée, alors n1ême que la partie qui attaque la tran« saction, al1rait connu le fait de nature à entrainer la nullité
« du titre en exécution duquel elle a été conclue. La liaison
(< qui
existe entre l'article 205 1, et celui qui le précède, ainsi
« que son rapproche1nent de ceux qui le s uiye11t, démonttent
(( qu'ici encore le législateur n'a entendu OU'\7 Tir contre la tran(( saction, qu'une action en nullité pour erreur de fait, et don
(< l'écarter co1nme non avenue pour défaut de cause. Cette
cc h1terprétation est d'autant plus plausible qu'elle met l'article
<t 2054 en harmonie parfaite avec les articles 1338 et 2052 (1). »
Il nous reste à réfuter un troisiè1ne et dernier système qui
est moins radical que le précédent, puisqu ïl accorde que
l'action en rescision est accordée pour cause d'erreur, mais il
est plus libéral que le pren1ier en ce qu'il étend cette disposition à l'erreur de droit. Ce système, soutenu par Merlin
devant la Cour de cassation, invoque trois arguments (1).
Peu importe, dit-il, que l'erreur soit de fait ou de droit, tout
ce qu'exige la loi pour que les parties puissent ici demander
la rescision de la transaction, c'est qu'elles n'aient pas expressément transigé sur cette nullité. L'article 2054 déroge donc à.
l'article 2052. Gela n'a rien qui doive nous étonner· la loi après
'
,
a,~oir posé le principe, le fait suivre de ses exceptions. L'article 2054 est général et par suite ne doit subir une restriction
qui porterait sur l'erreur de droit. L'exception de l'article
2054 résulte du contexte lui-même des articles 2053 et
2054. En effet, l'article 2052 dit : les transactions ne peuvent
être attaquées pour cause d'erreur de droit. Néanmoins, dit
l'art. 2053 ..... voilà l'indication de la première exception et
elle est immédiatement suivie des mots : il y a également, qui
tl
•
annoncent la seconde exception. (1) Aubry et Rau, T. l l l l 4'?2 n• 5.
(2) .Merlin v. Transaction 1 5 n• .\.
Au surplus, les travaux
1
299 -
préparatoires corroborent cette opinion. L'article 2052, dans sa
première rédaction, portait que « les transactions ne pourraient
être attaquées, pour cause d'erreur, dans la nature du droit
ljtigieux. » Il n'y était pas question de l'erreur de droit. Si cette
r édaption avait été conservée, on n'aurait pas osé soutenir que
l'article 2.054 devait exclure l'erreur de droit puisqu'il était
soumis à la règle générale de l'article 2052 qui n'en faisait pas
{11.ention. Or l'article 2052 a été modifié, sans que l'obser,ration
qui a amené ce changen1ent ait visé l'article 2054. Donc on doit
maintenir l'art. 205! ùans sa généralité primitive et de même
que dans sa première rédaction rapprochée de l'article 2052, il
ne pourrait pas être limité à l'erreur de fait, de même ne doiton pas aujourd'hui, malgré la nouvelle rédaction de rarticle
2052, lui imposer une pareille restriction.
Voici comment on peut répondre à ce système. On dit que
l'article 2052 et 205-1, sont tous deux généraux. et qu'on ne doit
pas restreindre l'un par l'autre. C'est inexact, l'art. 2052 contient une règle C{lti domine tout le titre des transactions et
l'article 205-! lui est soumis comme les autres. D'ailleurs) est-il
vrai de dire que l'article 2054 est général ? Pas le moins du
rp.onde puisqu'il est une application de l'article 2053, qui
s'occupe de l'objet en général et qui 11e vise que le cas d'une
erreur de fait. Or la conséquence ne saurait être plus étendue
que le principe dont elle dépend. On ajoute que l'exception
ressort des mots nérr.nnioins et il y a égale11ient. « La transac« lion n'est rescindable ni pour erreur de droit ni pour lésion .
« En quoi L'article 2053 fait-il exception à ces règles, quand il
« admet la rescision pour dol, violence, erreur dans la per« sonne ou erreur sur l'objet, c'est-à-dire pour des causes
<( toutes différentes de celles prévues en l'article 2052 ? Le mot
« néanmoins ne n1arque, ce nous se1nble, qu'une antithèse.
« Aux deux causes qui ne font pas rescinder la transaction, le
�- 300 -
- 3.Ql -
en
• législateur oppose quatre autre causes, qui
a'.uto'tisent la
u rescision, dès lors l'adverbe é9aleme11t n'exprime dans notre
u article 2054 que la continuation de l'antithèse commencée
u dans l'article précédent (1). D
bn dit enfin, que l'article -2054 doit conserver la pot~tée générale
qu'il avait è~ présence de l'article 2052, première rédaction. iifais
précisément il résulte des procès-verbaux de la discussion, que
cette nouvelle rédaction, n'a pas eu du tout pour objet de changer
le sens de l'ancienne, mais seulement de le rendre plus clair. Voici
comment on expliqua ce changement de termes. «L'expression
u qu'on propose de substituer, a été trouvée plus satisfaisante, en
a ce qu'elle est plus généralement usitée et que l'ancienneté de
0: l'usage a fixé les idées sur son véritable sens. (2) )) .
ne saurait donc tirer aucun argument de la première réd~ction, qui était
moins explicite que la seconde, mais qui avait la même étendue,
l'étendue d'une règle générale placée en tête et à laquelle il n'est
point fait d'exception.
D'après nous le meilleur systême est celui que nous avons expo~é
Je premier. I l n'apporte aucune exception à l'article 2052.
u L'article 2054 doit étre pris dans un sens dans lequel il s'a'ccorde
a aveè l'article 2052, Or l'article 2052 déclare que la transaction ne
t peut êtte attaquée pour cause d'erre1Jr de droit. L'article 20:14
<i suppbs'è par conséquent qûe celui qm a demandé la rescision
u d'une transaction, a ignoré là nullité du titre par ùne erreur de
« fait. (3) ». Il fo.ut donc admettre qu'il y a lieu a ûne action en
rescision, èoutre ùne transaction, lorsque par suite d'une erreur de
fait elle a été conclue en exécution d'urt titre nul.
on
ANic'12055. - «La transaction faite sur pièces qui depuis ont
été reconoes fausse est entièrement nulle.• La loi su ppo~e qu'au
moment de la transaction, les parties n'avaient aucun doute sur la
sincé1·ité des pièces. Si les parLies avaienl transigé s ur des pièces
déjà reconnues fausses, ou bien si elles ont transigé s ur la fausseté
l'oême de ces pièces, afin de ne pas luisser engager le procès, elles
agissent en pleine connaissance de cause, et la transaction est parfaitement valable. L e mot depuis indique bien qu e les parties ou
Puoe d'elles, n'ont donné leur consentement à la transaction, que
parce qu'elles croyaient à la sincérité des r•ièces soumises; 3i depuis
la fausseté est dP.rnontrée, elles pourront demander la rescision de
la. transaction, si des deux côt~s on a produit des pièces fausses ;
sinon il n'y a que la partie trompée qui aurait ce droit.
t.
Nous disons : demander la rescision, car la transaction est annulable et non pas nulle, comme pourrait le faire croire l'adverbe entièrem~nt. Ce mot signifie que la transaction est nulle dans toutes ses
partie~ . Nous savons qu'en droit romain, les clauses seules qui
avâlent été déterminées par les pièces fausses étaient annulées, aliis
firmis manen.tibus. Le code n'admet pas comme les juriscons ultes
rôroains la divisibilité de la transaction, théorie qui cependant avait
été adoptée dans l'ancien droit, par Domat : cc Si on a transigé sur
« ùn fondement de pièces fausses , qui aient passé pour vraies, et
« que la fausseté se découvre dans la s uite, celui qui s'en plaindra
« pourra Caire r ésoudl'c la transaction, en tout ce qui a été réglé
u sur ce fondement ; mais s'il y avait dans la transaction d'autres
« chefs qui en fussent indépendants, ils subsisteraient el ils ne se
<< ferait pas d'autres changements que ceux où il obligerait la con-
(1) Acc.uios, thèse de docU>r. p. 316.
(2) Fenet. Tome XV. p. 100.
(3) Voyez Merlin. !oc. cit. qui rapporte les conclusions de Jlavocat général
Daoleb qui fit prévaloir ce système devant la Cour de Cassatiol'I . 27 Mars \807.
L'article 2054, d'après lequel la transaction baeée sur u n titre nul peut
êtr6 resêfr\ilëé quand les parties n'ont pas expressém~nl traité sur la nullité,
ne s'applique qu'au cas où cette nullité élait ignorée des parties, et où leur
i"'norauce serait le résultat d'nne erreur de fait. Une ignorance provenant d'une
C;l'eur de droit ne suffirait pas. (Cassation 19 Déc. 1865 (Dall. 1866. 1 183.)
Cassat. 14 août 1877 <lb. 1878. I. 298).
�-
302 -
« naissance de la vérité, que les pièces fausses tenaient incon(1) » Notre Code proclame l'indivisibilité de la transaction
« nue
et cette innovation , est d'autant plu~ remarquable qu'elle n'est pll.S
générale. L'article 4.82, du Code de procédure, décide en effet
« que le jugement rendu sur pièces fausses, ne sera rétracté que
11 sur les chefs déterminés par ces pièces et ceux qui en dépendent 1
« directement. 'Il La règle qui prononce l'indivisibilité de la transaction est plus logique et plus équitable, car comme disait Bigot
Prearneneu. « On ne doit voir dans une transaction que des parties
« corrélath·es. La règle. générale que tout est corrélaLif dans une
« transaction, est celle qui rés ulte de la nature du contrat, et ce
« qui n'y serait pas conforme, ne peut-être exigé par celui-mème
« contre lequel oo s'est servi de la pièce fausse [2) . » ::\lais en
somme, comme lïnd.ivi~ibilité ne repose que sur la présomption que
les parties ont voulu regarder la transaction comme composée de
parties corrélatives, si les parties exprimaient qu'elles ont considéré
les diverses causes de la transaction comme distinctes , ou si cette
volonté résultait des circonstances, le caractè1·e d'ir1divisibilité est •
détruit. (3) Les pièces seront reconnues Jausses lorsque Ill. fausseté
aura été volontairement reconnue par l'adversaire, ou bien encore
lorsqu'elle aura été prononcée par un jugement qui serait intervenll
entre les parties ; car l'autorité de la chose jugée ne profite ou ne
nuit qu'à ceux qui ont été parties au procès. La transaction intervenue sur un titre qui depuis a été reconnu faux est nulle par suite
du défaut de cause, à moins que les parties n'aient voulu traite1•
sur la nullité.
Article 2056. - <s. La transaction sur un procès terminé par un
jugement, passé en force de chose jugée, dont les parties ou l'une
d'elles n'avaient point connaissance, est nulle. Si le j ugement, ignoré
(1) Domat: Lois civiles. Liv.
(2) Fenet. Tome XV. p, 11 0.
(3) Cassat. 9 février 1830.
r. Tit.
XIII. Sect. II n· 4.
-
303 -
des parties, était susceptible d'appel, la transaction ser~ valable. ,,
La rédaction primitive de cet article était hier: différente, comme
on peut en juger : « J>our que la transaction sur un procès déjà
« terminé i:oit valable, il faut que le j ugeroent soit susceptible d'être
« attaqué par appel. » Elle était donc la reproduction de la théorie
Ro111aine, qui admettait que l'existence d'un jugement ignoré ou
connu des parties faisait obstacle à la transaction. Tandis que,
d'après la rédaction définitivement adoptée, la connaissance seule
du jugement, et non l'existence du jogement, empêche qu·on puisse
attaquer la transacticn, qui est intervenue entre les parties. Si donc
la transaction a été faite dans l'ignorance d'un jugtoment, passé en
face de chose jugée, elle est annulable et non nulle, ainsi que le
prétendait le tribun Gillet, qui !loutenait qu'ici la transaction manque
de cause. Voici l'espèce : Je suis en procès a\·ec mon cousin Louis,
i1 propos de la propriété d'un jardin. Lel:i essais de conciliation, qui
ont été tentés avant de remettre la solution du litige aux tribunaux,
ont été vains. Pendant la durée de l'instance, nous essayons de
prendre de nouver,ux arrangements et, cette fois, nous nous mettons d'accord : nous transigeons. Cependant, le procès a s uivi son
cours, les j::iges ont tranché le difTérend et donné gain de cause
à L'un de nous. Il est évident que celui dont le droit a été judiciairement consacré n'aurait pas transigé, sil avait connu l'issue du
procès, et la loi, dans ce cas, l'autorise à demander la nullité de la
trnnsaction. ll est de toute justice que l'ignorance de la partie gagnante amène la rescision.
Mais s upposons qu'elle ait eu connaissance du jugement, passé
en force de chose jugée ou rendu en dernier ressort, qll'elle ait
transigé quand même. La transaction serait-elle valable? Pourquoi
ne le serait-elle pas? Il se peut que, malgré l'autorité qui s'attache
à la décision judiciait·e, la partie qui a triomphé doute de l'équité de
cette décision, doute de la légitimité de ses prétentions, et qu'obéissant à un scrupule de conscience, elle veuille tenir pour non avenue
�-
30t -
Ja consf\cration de son droit et foire des concessions à l'autre partie.
Dans ce cas, la transaction serait irrévocable, car celui qui a succombé au procès ne pourrait en dem<1nder la nullité, puisq u'il
obtient, grâce à la transaction, cc que le jugement lui a refusé, et
la partie gagnante ne le pourrait pas davantage, c;ar elle a sciemment renoncé au droit qu'elle tenait du jugement. La loi elle-même
n'autorise-t-elle pas la transaction s ur un point tranché par un
jugement. L'arrêté du 14 fructidor, an X, art. 1, permet à l'administration des Douanes de tran~iger soit avant, soit après jugement.
L'ordonnance du 19 février, art. 1, el la loi du 4 juin 1859, art. 9,
donne le même droit à l'administration des Postes. L administration
des Forêts a aussi cette faculté , en vertu de l article 159, S 4. (Loi
du 18 juin 1859.) La loi, dans l'exemple précité, considère, comme
une cause suffisante de la transaction , le doute que la décision judiciaire n'a pu détruire dans l'esprit de la partie gagnante.
La transaction serait encore valable si le jugement, au lieu d'avoir
acquis l'autorité de la chose jllgée, était encorn susceptible d'être
attaqué par la voie de l'opposition ou de l'appel. Ici on ne recherche
pas si les parties ont connu ou ignoré le jugement; la transaction
sera toujours valable, parce que, comme l'appel ou l'opposition
peuvent remettre tout en question, l'issue est incertaine, et la transaction a mis la partie gagnante à l'abri d'un danger et fait cesser
cette incertitude. En outre, on ne pourrait dire sans hésitation, que
la connaissance de ce jugement aurait empêché la transaction.
Toute cette théorie est empruntée à Dornat, qui l'expose en ces
termes : « Si, après un procès jugé à l'insu des parties, elles en
« transigent, la transaction subsistera , si on pouvait appeler, car le
« procès pouvant encore durer, l'événement était incertain. Mais
" s'il n'y avait point de voie d'appel, comme si l'affaire était jugée
<c pai: un arrêt, la transaction est nulle , rar il n'y avait plus de
« procès, et on ne transigeait que parce qu'on supposait que le
« pro~s était indécis et qu'aucune partie n'avait son .droit acquis.
-
305 -
« Aussi cette erreur, jointe à l'a utorité des choses jugées, fait pré« fc'..rer ce que la justice a réglé, a un consentemetlt que celui qui
<< s'est relâché de son dl'Oit, n'a donné que parce qu'il croyait être
« dnns un péril où il n'était pas ( 1 ~. 1>
Mais cela ne s'applique pas aux voies de recours extraordinaires par lesquelles on peut attaquer les jugements, comme
le pourvoi en cassation ou la requête ch-ile, qui sont beaucoup
moins accessibles aux parties et dont le résultat est beaucoup
plus incertain. La transaction ici n'aurait plus d'utilité. En
effet, le reconrs en cassation n'empêche pas que la partie
gagnante n'ait un droit acquis. Donr . si elle aYait transigé par
ignorance de ce jugement 011 de cet a rrêt la transaction est
null e, bien que ce jugement ou cet arrêt soient susceptibles
d'être déférés à la censure de la Cour de cassation. A contrario,
la partie qui a connaissance de ce jugement ou de cet arrêt
transige, elle serait mal venue plus tard, à faire rescinder la
transaction par la raison qu'ell e ignorait que le recours en
cassation lui était ouvert. Si les parties ou l'une d'elles savaient
que la décision judiciaire était s usceptible d'être cassée par la
Cour de cassation et qu'elles aient voulu éviter les risques de
ce recours et d'un nouveau procès, elles peuvent transiger
valablement, car, comme disait Bigot Préameneu : (( Si les
« moyens de cas~ation présentent eux-mêmes une question
« douteuse, il y a là une contestation qui peut, comme tout
cc aulre être l'objet <l'une transaction (2). » La distinction que
la loi fait entre les cli\·erses voies de recours a sa raison
d'être, car il est permis de s'assurer facilement, si Je jugernent
est susceptible d'appel ou d'opposition, tandis qu'on ne saurait
apprécier d'une façon certaine, quel est le bien fondé d'un
moyen de cassation ou d'un moyen de requête civile.
( 1) Uoma.t. Lois civiles, liv. I. tit. X IIr. section 2, n· 7.
('2) Exposé des motifs. Fenet. Tome X V, p. 111 ,
20
�..,... 306 Article 2057. «Lorsque les parties ont transigé généralement
(l sur toutes les affaires qu'elles pouvaient avoir ensemble, les.
11 titres qui leur étaient alors inconnus et qui auraient été
« postérieurement découverts, ne sont point une cause de
<t rescision, à rnoins qu'ils n'aient été retenus par le fait de
« l'une des parties. - l'i.fais la transaction serait nulle Si elle
« n'avait qu'un objet sur lequel il serait constaté pat· des titnes
a nouvellement découverts, que l'une des parties n'avait aucun
u droit. >i
Cet article s'occupe de deux hypothèses dis tinctes. Les
parties ont transigé sur toutes leurs contestations en bloc, et
puis plus tard, elles ont découvert ùes litres, c'est-à-dire des
actes, des moyens de preuve qui établissent que l 'une d'elles
n'avait absolument aucun droit. Voilà la première. La loi
décide que la décom·erte de ces titres n'a aucune influence sur
la validité de la trans1ction qui demeure intacte. Si au contraire,
la transaction n'a porté que sur un seul objet ou sw- des objets
limitativement déterminés , si elle n'a eu pour but que çie,mettre fin à un di!Iérend spécia l, la transaction sera annulée par la
découverte de ces titres : telle est la seconde hypothèse. La
transaction est annulable et non pas nulle pour défaut de
cause, comme l'a dit le tribun Gillet. Il appartient au~ juges
d'apprécier dans quel cas il y a transaction générale ou spéciale.
Cette distinction a été empruntée à Do mat. «Si, dit-il, celui qui,
« par une transaction, déroge à un droit acquis par un titre qu'il
" ignorait, mais qui n'était pas retenu par sa partie, vient en" suite à recouvrer ce litre, la transaction pourra ou subsi!lter
« ou être annulée selon les circonstances. Ainsi, si c'était y.ne
« transaction spéciale, elle est annulée; au contraire, si c;était
« une transaction générale sur toutes les affaires que les
• parties pourraient avoir ensemble les nouvelles pièc~s qui
- 30711 regarderaient l'un des différends et qui auraient été igQorées
<t de part et d'autres, n'y changeraient rien ; car l'intention a
•t été de compenser et d'éteindre toute sorte de prétention (1). "
Qn voit, d'après ces derniers mots, qu'elle est la raison de
•oette distinction ; on pourrait aussi ajouter pour la justifier
qu'elle tient au caractère légal de la transaction, en vertu
duquel toutes les clauses du contrat sont corrélatives, et les
•parrties sont présumées n'avoir consenti à la transaction générale, qu·a la condition de ne plus élever de prétentions sur
leurs afîaires antérieures et on suppose qu'elles ont compensé
le dommage qui pourrait résulter de la découverte d'un titre
relatif à une affaire déterminée, avec le bénéfice qu'elles retirent des autres clauses du contrat.
A Rome, que la tran action fùt sp éciale ou générale, on ne
faisait aucune dis tinction et Je contrat était maintenu : s116
pretextu insfrumenti post reperti, transactionem bona fi de
fini t am, rescindi Jiwa non patiuniur.
Mais encore que la transaction soit générale , il y a lieu arescisiôn si les titres, nouvellement découverts ont été retenues pat'
l'une des parties contractantes. ~lais si la convention est annulée,
C'est pat s uife du dol de l'une des parties. Suppôsons que les
pièces aient été retenues par l'une des parties, mais à son issu,
sans aucun dol de sa part. Y a t-il lieu a rescision? Oui disent
les w1s, la loi ne distingue pas. Les mots retenus par le (ail,
s6nt généraux et s'appliquent au cas oü il y aurait fait volontaire comme fait inYolontaire. 100 , ùisent les autres. Il résulte
en effet, de la discussion que cette exception ne Yise que le cas
de dol ; <1 car la partie qui retient les pièces se rend coupable
de dol (2) ».
Donc, pour résumer, la transaction est rescindable dans les
(1) Oomat. Lois civiles. Ibid.
(2) Fenel. Tome XV. P. 96.
�.
-M8quatreJ1ypolhè$es suivantes: 1• Nullité du titre qui a serv1 de
fondement au ,contrat. 2· Constatation ultérieure de la fausseté
des pièces qui ront détermintie. 3· Découverte ultét·ieuue d'un•
jùgement qui n'était pas ou n'était plus susceptible d'être attaqué
par les Yoies ordinaires. 4' La découverte ultérieure de tit.nes
Q.écisifs, se rapportant à une transaction spéciale.
, 1•
Cependant si la partie intéressée, a eu connaissance dn vicè
qui entachait la transaction, le contrat ne serait pas rescindable,,,
car on suppose qu'elle a voulu renoncer aux droits que lui
donnait la découverte de son erreur. Ain i donc qu'il y ait chose
jugée, constatation de pièces fausses , découverte de pièces
décisives, la transaction serait inaltaqual>le, encore que l'on n'ait
pas exprimé qu'on transigeait sur la chose jugée, sur la fausseté
des pièces oµ la découverte des titres ùécisifs. Mais s' il s'agit
d'un litre nul> il faut que les parties aient formellement expFimé
leur intention de transiger sur la nullité du titre; on ne présumerait pas cette intention.
L'action en rescision n'appartient qu'à la partie Yiotima. de
l'erreur. Comment fera-t-on rescinder la transaction ? LI faut
distinguer. Si la transaction a été faite dans les formes d'un
contrat synallagmatigue, on intentera l';iction en rescision
deq,nt les tribw1aux. Si la transaction estjudiciaire, c'est-à-dire
si elle a été soumise aux tribunaux qui en ont donné acte aux
parties par un jugement, qu'on appelle jugement d'expédient,
il faudra l'attaquer par les voies de recours spéciales aux jugements : l'appel, si le montant de la transaction dépasse la compétence du tribunal civil, ou la requête civile, si elle ne la dépasse
pasoµ s'il a été donné acte de la transaction par la cour.
Comme tout acte annulal>le ou rescindable, la transaction peut
être ratifiée tacitement ou expressément selon les règles établies
par la loi pour les confirmations. Au ùout de dix ans, le droit
d 'att1quer la transaction est prescrit, et le délai commence à
-309 courir du jour, où l'erreur a été découYerte. Aucune auh:1e prescription ne saurait être opposée. Ainsi, supposons qu'il se soit
écoulé trente ans depuis le jour où été conclue la transaction, et
moins de dix ans depuis la découverte de l'erreur, on pourra
toujours l'attaquer, parce que la seule prescription, que la loi
applique, aux actes annulables, est fondée comme nous l'avons
di~ sur une présomption de ratification tacite, or les parties ne
peuvent pas être censées awir ratifié alors qu'elles ne connaissaient pas encore le vice de la transaction (1).
Le dernier article du titre des transactions est ainsi conçu,
art. 2058 : « L'erreur de calcul dans une transaction doit être
réparée. ,, li faut entendre par erreur de calcul, l'inexactitude
dans les opérations arithmétiques auxquelles on aurait eu
recours pour le règlemenldes intér êts des parties. Il s'agit doue
purement d'une erreur ma térielle, qui donne lieua une action
en réparation, bien qu'elle se trouve dans un compte litigieux et
non à une action en rescision de la transaction. La bonne foi
en effet exige que les parties réparent cette inadvertance. L'ervettr q~i porterait sur le mode du prélèvement des dettes, n'est
pas une erreur de calcul, mais une erreur de droit, ainsi que l'a
décidé la cour de Bas tia dans son arrêt du 8 février 1837
(Dalloz 37. 2,447).
( 1) Con'fra. P~ris 22 juillet 1'8~3. ( Oa llo~ l8 j 5, 2..156).
�•
-
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r.J
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1
•
CHAPITRE IX
De l'Erreur ou bonne foi en matière. de possession
et de prescription .
1
Nous avons vu au 'chapitre VII, section II, quels sont les elîet§
de l'erreur ou bonne foi au profit de celui qui a reçu lïndù.
Réunie à d'autres conditions dont il sera parlé dans un instant
l'erreur fait acquérir au possesseur les fruits de la chose qu'it
possède et même la propriété de cette chose, conséquences
autrement importantes, autrement gra,·es que celles que nous
avons déjà étudiées. Nous aurons à nous occuper successivement de la bonne foi à propos de l'acquisition des fruits, à
propos des constructions faites par le possesseur sur le foqds
d'a utrui et à propos de l'acquisition de la propriété par la prescription.
S E C::'I"I C> 1'T" I
'l
11
Il
Possession de bonne foi.
§ J. -
ACQUISITION DBS FRUITS
'l
Lorsqu'un tiers possède par erreur la chose d'autrui, il fait
siens les fruits de cette chose. Ce principe est écrit dans l'artiè1e
549, dont voici les termes ex.acts : « Le s irnple possesse ur ne
" fait les fruits siens que dans le cas où il posséde de bonne fôt:
- 311 « dans le cas contraire, il est tenu de rendre les p roduits avec
'([ la chose au p ropriétaire qui la revendique.»Cet ar ticle déroge
donc à la règle de l'article 5t7, en vertu de laquelle tous les
fruits d'une chose appa rtiennent au propriétaire, par droit d'accession. Quel est le motif de ce tte disposition? La loi suppose
q ue l~ possesseur se cr oyant p ropriétaire de la chose a r églé
s ur les fru its ou sur les intérêts qu'il en a retirés, sa manière de
vivre et qu'il serait inique de lui en imposer la restitution, alors
peut être qu'il les a consommés; car d'ha bitude on dépense ses
révenus au fur et à mesure de ses besoins. Si le propriétaire les
eù.t perçus, il en aurai t lui aussi pr ofité en les consomman t au
jour le j ou r, et par suite on ne saurait le fa ire bénéficier d'une
d'une restitution de fruits capitalisés sur laqueOe il n'a pas dù
compter et qui serait très onéreuse pour le possesseur. Le propriétaire mérite d'autant moins cette restitution intégrale des
fruits , que le plus souvent il a fait preuve de négligence, en ne
faisant pas valoir son droit de propriété et en laissant dùrer
l'illusion du possesseur. Un principe plus général a déterminé
le législateur à dispenser. en cas de Lonn e fo i, de la restitution
des fruits; elle donnerait lieu à beaucoup de procès, à des calculs très délica ts , el il a voulu é\'iler ces contestations. C'est
pour cette raison que dans l'article 928, il permet au donak1ire
qui rapporte un bien à la masse de garder tous les fruits perçus
jus qu'à la mort du dona teur, et clans l'article 982, il autorise le
donataire, dans le cas où la donation est révoquée p ur cause
de survenance d 'enfant, à conserver les fruits qu'il a perçus
jusqu'au jour de la notification de la naissance ou de la légitimation.
L'erreur est la condition indispensable de la faveur que la loi
accorde au possesseur. Elle prend ici le nom spécial de bonne
foi. A ce sujet, faisons remarquer que la loi n'appelle pas
bonne foi, toute espèce d'erreur. Elle r~serve cette dénomina-
�-
312 -
tian à l'erreur qui entache un acte, qui, sans elle, serait un acte
d'indélicatesse ou d'usurpalion, en un mot un acte oondamn1ble. Ainsi dans le cas spécial que nous étudions, il y a1,1rait
indélicatesse à vouloir acquérir les fruits d'un bien, que l'on sait
appartenir à une autre personne. L'erreur efface le caractère
blàmable de cet acte et innocente absolument celui qui le
commet.
~Jais quand peut-on se dire de bonne foi? On est de honHe
foi, lorsqu·on est convaincu que l'on est réellement propriétaire
de la chose que l'on possède et ron ne peul se croire tel, que si
ron n·a aucun doute sur la validité et sui· l'existence du titre qui
a transmis la propriété. L'erreur doit être excusable et légitime,
sinon la loi refuse d'en tenir compte, mais on présume toujow;s
la bonne foi. Remarquons qu'en matière d'acquisition de fruits,
la bonne foi est la seule condition exigée, le juste titre n'est
qu'un moyen de l'établir. Il ne forme donc pas un élément constitutif du droit du possesseur ; il n'est qu'un élément de la bonne
foi, élément que la loi prend soin d'indiqncr.
Qu'est-ce que le juste titre : Le juste titre est l'élérnent géné,.
rateur du droit; c'est tout fait juridique qui est <ile nattJ.re à
transférer la propriété. Si le titre émane du véritable propriétaire, s'il est inattaquable et exempt de vices, il transfère réellement la propriété, et le possesseur aurait sur la chose un droit
plein et entier, le droit d'un propriétaire. lais le titre qui a
servi à la transmission, est affecté d'un vice qui ra empêchée
de s'opérer, et la propriétë n'a pas changé de maitre. L'acquéreur dès lors, à défaut de la propriété a eu la possession de la
chose, et s'il a ignoré le vice de son titre, s'il s'est réellement cru
propriétaire; il est de bonne foi et dans ce cas il acquiert vala~
blement les fruits de la chose possédée.
Le titre peut donc consister dans l'un des modes d'acquisitions de la propriété, comme la vente, la donation, e~c. Maip
-
313 -
supposons qu'aucun de ces modes ne soit intervenu. Ainsi, l'acquéreur donne mandat à un tiers, de lui acheter telle maison.
Le m:mdataire lui dit avoir rempli son mandat, avoir payé le
prix de la vente ; le mandant croit de bonne foi que la maison
lui a été réellement vendue, et qu'il eu est valablement devenu
propriétaire, or il se trouve que la ventè n'a pas eu lieu. Le titre
translatif n'existe pas, il est imaginaire. La fausse croyance de
son e-xfatence, équivaut-elle à sa réalité ? En deux mots, le titre
putatif peut-il servir de preuve de la bonne foi ? A Rome, dans
Je drojt classique, le titre était admis lorsque l'erreur était excusable ; lorsqu'elle tombait, comme dans l'exemple précédent,
sur le fait d'un tiers. En est-il de même dans notre législation :
a prem.ière vue on serait tenté de répondre négativement. L'article 550 dit en elîet : « Le possesseur est de bonne foi, quand il
« possède, comme propriétaire, en vertu d'un titre translatif de
« propriété dont il ignore les vices. » Il semble donc que l'on
n'est de bonne foi, qu'autant qu'on possède en vertu d'un titre
réellement translatif de propriété. Cependant il ne faut pas s'y
tromper ; la loi ne fait pas du juste titre, une condition indis pensable de la bonne foi. La bonne foi, le plus souvent ne pourra
s'étabfü, qu'au moyen <l'un juste titre, mais il se peut qu'on soit
de bonne foi, et que le juste titre n'existe point. Il suffit que l'on
puisse ùémontrer que l'on a crn légitimement à l'existe.nce du
titre et que l'on ait été intimement persuadé, que la propriété
aYait été valablement transférée. Le titre putatif n'est pas exclusif de la bonne foi, et par suite il d Jit suffire pour l'établir. euleihent celui qui l'invoque devra démontrer qu'il eu des motifs
plausibles pour croire à son existence.
Si le titre translatif de propriélé est rue!, et n'existe par seulement dans l'idée du possesseur, il faut, pour que celui-ci soit
de bonne foi, qu'il ait ignoré les vices qui l'entachaien_t et l'ont
empêché d'ôpérer la transmission de la propriété. La loi ne
�-
314 -
.distingue pas entre les vices ; soit qu'ils provienneut de l'absence du droit de raliénateur qui n'était pas propriétaire ou qui1
était incapable d'aliéner, soit qu'ils consistent dans un vice de
consentement qui l'annule, ou da ns la nature de la chose q1.ü
n'était pas susceptible d'aliénation , ou dans un vice de form e 1
peu importe; le possesseur, s'il a ignoré absolument Je ou , les
vices du titre, sera de bonne foi (1). On a cependant voulu appli··
quer ici la distinction qui es t faite par l'article 2267, l'on a soutenu que le titre qui était nul pour vice de forme, ne poun·ait
être inrnqué pour établir la bonne foi en matière d'acquisition
de fruits , puisqu'il ne pouYail pas l'ètre en matière d'acquis ition
de la propriété. - Mais il est lrès naturel que la loi se montre
plus sévère pour le j uste titre quand il s'agit de l'acquisition de
la propriété. En outre, il n'y a aucune assimilation possible
entre les deux espèces. La loi n 'exige-t-elle pas en matière de
prescription, le jus te titre comm e condition dis tincte spéciale?
01· nous aYons Yu qu'en matière d'acquisition de frui ts, le titre
n'était qu'un élément de bonne foi et pouvait n'ê tre que putatif,
Cela rés ulte de la différence de récl1.ction de l'a rticle 2265 et d~
rarticle 550. Cette disposition rela tive au vice de form e est spéciale à la prescription; elle ne doi t pas être entendu ici et puisqu.e
l'article 550, dont les term es sont très-généraux, ne distingue
pas, nous ne pouvons et nous ne devons pas distinguer.
Pas plus ici qu'aill eurs, (à l'exception de l 'ayeu et de la
transaction) (2), il ne faut faire de différence entre l'erreurde droit
(1) Le légata ire d'un immeuble fait les frui ts siens quand il le détient en vertu
d'une donation entre vifs émanée d'une personne qu'il croyait propriétaire
(Cassai . 2'2 décembre 1873 O. P. 74. 1. 2·~ .)
('2) Celui qui possède en ,·ertu d'un titre do nt il ig Mre les v ices, !ail les
frui ts siens sans qu'il y ait à disting uer entre l'er reur de d roi t et l'erreur de
de ftut, ( Liége 20 juillet 1880, D. P. 81. '2. 41. Voir da ns le même sens un
arrét moins récent de la Cour de T1>ulouse, du '27 mai 1878. - O. P. 1819,
2. 14 1) .
•
315 -
et lletreur de fait. L'une aussi bien que l'autre, constitue la
bonne foi. Au point de vue de la preuve cependant, la preuve
de la première sera plus facilement admise que la preuve de la
seconde. La bonne foi, en etTet, que l 'on présume toujours en
matière de prescription et a fortiori, en matière d'acquisition
de fruits sera prés umée, quand elle repose sur l'erreur de fait;
tahd)s que si l'erreur es t de droit, la présomption se trouve en
lutte avec cette autre présomption : nul n'est censé ignorer la
loi, et il sera plus difficile à la partie qui l'invoque, de l'établir.
En somme, la bonne fo i est une question de fait, soumise à
l'apprécia tion souveraine du juge.
Le possesseur, pour acquérir les fruits, doit être de bonne
fôi à cha que perception. L'acquisition des fruits n'est pas un
fait continu ; on perçoit les fru its par inter vall es : c'est la solution qui dér oule de l'article 550. En disant que le possesseur
cesse d'être de bonne fo i, qua nd il conna it le vice de son titre,
il contient implicitement que, d u moment où il cesse d'être de
bonne foi, il n'a plus droit aux fru its. La bonne foi est essentiellement personnelle, d'où il suit que l'héritier ou possesseur de
bonne fo i, garde les fruits perç us pa r son auteur, s'il est luimème de bonne foi et il devra restituer ceux: que son auteur
a perçus de mauvaise fo i, rnais non ceux. qu'il a perçus luimême en Yertu de sa bonne foi. On a contesté cette conséquence
en di sant que l'héritier ne fait que continuer la possession de
son auteur, et il est de règle que, si la possession, en cas de
prescription de son auteur a été viciée, la sienne reste entachée
de ce vice: en outre, il succède aux charges et aux. obligations
du défunt ; or, quand le possessem est de mauvaise foi, il doit
ir~demniser le propriétaire de tous les do mmages que lui a
causés son il1due possession, si l'héri tier a gagné les fruits, c'est
par sui t~ de la possession du défunt, donc il doit les restituer.
A cela on peut répondre que l'obligation de r estituer les fruits
�-
316 -
imposés au possesseur de mauvaise foi, dis parait le jour ôll il
n'a plus la possession ùe la chose. Celle obligation ne lui survif'
pas, à moins qu'il n·au cess.é de posséder par dol, afin de s'y
soustraire et ce n'est pas ici le cas. JI n'y a, en outre, aueu11e
assimilation possible, entre la continuatio n de la possessiOn et
l'acquis ition des fruits; car cette dernière profite à quiconqué
est de bonne foi et atm juste titre à chaque p erception isolée;
la possession pour la prescription, au contraire, doit avoir été
de bonne foi au début, et co mm e e lle repose sur un état de
choses permanent dont le caractère se détermine en général
d'un manière invariable, d'après les cil'constances qui en ont
accompagné l'origine (1), ce vice qui l'entachait au commehcement, l'affecte pendant toute la durée, lorsque le successeur est
à titre universel.
Le possesseur cesse d' être de bonne foi, de quelque façon qu'il
ait connu les vices de la chose, roème a va nt la poursuite en justice.
D'après l'article 94 de l'ordonnance de Villers-Cotterets (1539), la
bonne foi du possesseur prenait fin à partir de la demande en justice. Sous l'empire du Code, il est cc.core exact de dire qu'à ce moment
où le procès est intenté, le possesseur n'a plus cc que les Romains
appelaient : lllœsa conscientia quœsiti dominii. La mise ~n mouvement du droit du propriétaire a dù le faire doute1· de la validité de
son titre; il est donc prudent qu'il conserve les fruits ; en outre, le
principe de la chose j ugée exige que le demandeur qui gagne son
procès soit placé dans la situation où il se trouverait si son droit
' les vices
a \·ait été reconnu le jour de la demande. Mais s'il a connu
de son titre, avant la poursuite judiciaire, sa bonne foi tombe et,
dès ce moment, il ne peut plus acquérir les fruits.
Quels sont les fruits qui sont acquis au possesseur? Ce sont tous
les fruits, c'est- à-dÎl'e tout ce que la chose produit, d'après sa desti(1) Aubry et. Rau, ~ WG, note 2~.
-
317 -
natir;m, périodiquement ou à peu près. Cela comprend les fruits
qa~~rels, industriels et civils; s'il possède un usufruit, il gagnera les
fruits eux-mêmes et non pas seulement l'intérêt de ces fruits : quant
au~ , prçiduits, il fa nt distinguer s'ils ont 011 non le caractère de fruits
r11r s~ite d'une exploitation antériellre qui permettait de les percevoir
rç~,~~èrement (578-582). Si ce sont des produits proprement dits,
cowme des coupes de bois de hautes futai es, non aménagés par le
prop~·iétaire, le possesseur ne peut les acquérir. Cependant, on a
sou~enu que tous les prod uits, quels qu'ils soient, sont acquis au
possesseur en vertu de l'art. 2279 ..Ils sont, dit-on, devenus meubles
rwr la séparation, ils doivent donc appartenir au possesseur, gràce
à la prescription instantanP.c. Mais il faut remar11uer que rart 2279
ne s'applique qu'aux meubles revendiqués d'une manière principale,
ou qui ont fuit l'objet d'un titre spécia l et direct. Or, ici les meubles
1) ';existaient pas en<:ore au moment de la prise de possession, puisque
ce n'est que postérieurement que la sl!paration leur a donné ce
caraçtèrz. La meilleure preuve que l'art. 227~ n'a aucun rapport
av~c l'art. 549 1 c'est que celui-ci accorde au possesseur, même les
fruits civils de la chose, et l'art. 2279 ne s'étend pas aux meubles
incorporels. Au surplus, la raison que nous avons donnée, pour
expliquer la disposition de la loi qui laisse les frui ts au possesseur,
n'existe plus pour les produits extraordinaires. Ceux-ci ne sont pas
des revenus; ce n'est dune pas sur· l6ur quotité, qu'il a réglé sa
manière de vivre. Ils sont une partie du capital et le capital tout
entier doit être restitué a u propriétaire.
Comment le possesseur fait-il les fruits siens ? Par la séparation
encore qu~I ne les ait pas encore consommés. Domat disait (( si les
cc fruits étaient cueillis avant la demande, quoiqu'ils n'eussent. pas
« encore été emportés et qu'ils fussent rest6s dans les champs, ils
<c appartiendraient au possesseur de bonne foi, car les ayant cueillis
u et séparés du fonds, ils ont élé à lui; et on ne peut lui en ~ter la
�- 318« propriété ni l'empêcher d'emporter ce qui lui est acquis (!}. i> E,n
ce qui concem e les fruits ci\l ils , la question se pose de s 11.voir s' ils
sont acquis jour par jour comme à l' usufruitier et si Pon doit app!iquer l'art. SM. L'art. 586 est , dit-on, une règle générale, bien q ue
faisant partie des dispositions qui se ra pp?rtent à l'usufruit. Il est
vrai de dire ~u e si les fruits natu rels sont acqu is pa r la perception ,
les fruits civils ne sont acqu is que pa r le paiement ; 1.oais, en dehors
du pair ment, n'y a-t-il pas une sorte de perception ficti rn, svi
generi3, q1.:i les fait considérer comme per('us, alors qu' on ne les n.
pas encore touché>', perception que l'on peut as!'imiler à laperception naturelle. Les fruit s naturels eux-mêmes sont acquis dès
qu'ils sont séparés, alors qu'on ne les a pas per(' us, s'ils ont été séparés sans le fait du possesseur. D'après ~I. Demolombe, les fr uits
ch·ils ne sont per('us que par le paiement , c'est dans ce sens qu'es t
rédigé l'art. 5~9 ; en décidant que le pos~esseu r d e ma uva ise foi est
tenu de rendre tous les fr uits, il dit implicitement que le possesseur de bonne foi pzut garder ceux qu'il a perçus seulement.
L'art. 586 n'est pas applicable au x possesseurs de bonne foi, parce
que leur droit a été réglé d'une fo('on spéciale. L'usufru itier a un
droit qui porte sor la chose elle-mème, tandis que le possesseur n'a
a ucun droit sur la chose. (( Dès lors, on comprend que lorsgue les
(( fru its ne sont pas entrés dans ses mains, durant sa bonne foi, la
" loi ne lui permette pas d'ag ir ensuite pour se les approprier a ux
t dépens du prop riétaire (2). »
§ II. - Dss
CONSTRUCTIONS ET PLA NTATIONS FAITRS
PAR LB POSSESSEUR DB BONNE FOI .
Supposons que pendant qu' il possède le fonds d'a utrui , le possesseur de bonn e foi y élève des constructions ou y fasse des
( 1) Don nat. Lois civiles, liv. Ill, tit. V, sect. III. n · 7.
(2) Demolomb•. Trai!é de la distinction des liieni, t. l , p. 584. V . oqssi
Aubry et Rau, 1(. ~ 206, note 29.
- 319 -p\antàlions, pour son propre compté. •Comment doit orr r égler
ses ; apports avec le propri ~tai re? C'est l'hypothèse prévue par
Farticle 555 qui est a insi con çu. « Lorsque les plantations,
« 1constructions e t ouvrages ont été faits par un tiers et avec ses
<( m a tériaux, !e propriéta ire du fonds a droit ou de les r etenir
« ou d 'obliger ce tiers à les enlever. - Si le propriétaire du
« fonds demande la suppress ion des plantations et cons tr uc« tions , elle es t aux fra is de celui qui les a faites, sans a ucune
« indemnité pour lui ; il peut m ême être condamné à des dom« m ages et intér êts, s'il y a lieu, pour le préjudice que peut
« avoir éprouvé le propriétaire du fonds . - Si le propriétaire
« préfère conserver ces p lanta tions et constructions, il doit le
11 r embourse ment de la valeur des matériaux et du prix de la
« main d 'œ uvre, sans égard à la plus ou moins grande augmen
(( ta tion de Yaleur que le fonds a pu recevoir. ~éanmo ins , s i les
« plantations, cons tructions e t ouvrages ont été faits par un tiers
1< évincé qui n'aura it pas été con damné à la restitution des fruits,
« a ttendu sa b on ne foi, le propriétaire ne pourra demander la
« supp ression desdits ouvrages, planta tions et constructions ,
« mais il aura le choix, ou de r embourser la valeur des matéd riaux e t du prix de la main-d'œuvre, ou de rembourser une
« s omm e égale à celle dont le fonds a au gmenté de valeur. ,
Donc le propriétaire acquiert la propriété des plantations et
constructions pa r application du principe : superficies solo ced il :
m ais ses obligations et ses droits varient selon que le possesseur est d e bonne ou de mauvaise foi. Est-il de mauvaise foi , il
peut l'obliger à démolir, sans lui devoir a ucune indemnité,
a yant le droit a u contraire d 'en dem ander une pour le dommage
que la construction ou la démolition ont fait subir à sa proprieté ; s 'il préfère garder ce qui a été cons truit ou planté 0 11
suppose qu'il aurait lui- mêm e construit ou planté, que ce qu'a
fait le possesseur lui convient et dès lors on l'oblige à rembour-
�- 320 ser ll ce possesseur le montant intégral de la dépense, fût-il
supérieur à la plus Yalue. Tout autre est la situation du possesseur de bonne foi. On ne peut l'obliger a démolir et le propriétaire devra lui payer, à son choix, le montanl de la plus value,
qui sera déterminée par les tribunaux, ou le q1ontant de la
dépense, des deux. la somme la moins forte; tout ce que veut la
loi c'est qu'il ne s'enrichisse point au détriment du possesseur.
Ce que nous avons dit au sujet de la bonne foi à propos de l'acquisition des fruits, s'applique ici. Elle se présume et en matière
de constl'Uctions ou de plantations , elle doit exis ter au mom ent
de l'exécution des travaux. - li ne serait inexact de penser que
le possesseur de bonne foi soit moins bien traité que le possesseur de mauYaise foi, bien que celui-ci ait droit, dans le cas de
non démolition, au montant intégral des ses déboursés, tm1dis
que celui-là ne peut obteni r que le montant de ses dépenses
jusqu'à concurrence de la plus value, qui ne représente peutêtre pas ce qu'il a dépensé. Car le propriéta ire pouvant obliger
le possesseur de mauvaise foi à démolir, sans être tenu de lui
donner aucune indemnité, obtiendi·a facilemen t une réduction
sur le total des rlépenses. D'ailleurs le propriétaire peut s'il le
préfère considérer de bonne foi, le possesseur a lors mème qu'il
est de mauYaise foi (à moins cependant, que cette mauvaise foi
ne r~sulle des circonstances.) Il ne pourra alors ni revendiquer
les fruits, ni l'obliger à démolir. Et le possesseur de mauYaise
foi ne pourrait protester, ni exiger la ciémolition,car la bonne foi
se présume et nemo auditur fttrpitud i11e1rl su am alle9a11.~.
Si le possesseur. au lieu d'élever de nouvelles constructions
a fait des réparations à celles qui existaient déja sur le fonds,'
il n'y a plus lieu d'appliquer la distirtclion. On ne saurait eu
effet, imposer au possesseur de mauvai 'e foi de démolir., a
situation sera donc identique à celle du possesseur de bonne
foi et le propriétaiire devl'a lui :restituer le montant des dépenses
-
321 -
nécessaires et utiles qui ont été faites pour la conservation de
la chose (art. 1381) à moins que celle-ci ne vienne à périr,
auquel cas le propriétaire ne s'enrichit plus aux dépens du
possesseur (1).
L'indemnité dont le propriétaire est débiteur envers le possesseur de bonne foi, pourrait-elle se compenser avec les fruits
qu'il a perçus? Nullement. Le propriétaire doit payer intégralement sans qu ïl puisse invoquer une compensation. La
compensation ne peut s'établir qu'enlre deux personnes, respectivement débitrices l'une de l'autre (art. 1289). Or ici le propriétaire est débiteur de la plus-value, mais il n'est pas
créancier des fruits que la perception a fait acquérir définitivement au possesseur. Si l'on n'admettait pas cette solution,
l'art. 5 W, qui dispense le possesseur de bonne foi de restituer
les fruits, deviendrait lettre morte et l'on détruirait la présomption que le possesseur a consommé ces fruits et que
lautius vi:rit, présomption qui est le fondement de l'art.5-!9 (2).
Cependant si les moyens du propriétaire ne lui permettaient
pas de payer la plus-value, comme on ne peut en somme, le
dispenser de payer la somme qu'elle rep1·ésente et que ct·autre
part, on ne peut imposer au possesseur de bonne foi de détruire,
Pothier disait qu'on peut concilier les intérêts des parties, en
obligeant le propriétaire à servir au possesseur la rente
d'une somme représentant la plus-value de l'immeuble (3).
(!) Cassation, 22 août 186j. irey. 1866. p. 153.
('l) Le possesseur de bonne foi a droit à la ,·aleur des améliorations ou
plantations qu'i l n faites sur l'immeuble pendant la durée do sa po session
sans qu'on pnisse compenser ces améliorations ou plantations avec les fruits
qu'il a per~us. Pau. 29 juillet1868. D. P. 68, 2, 237.
(3) Polh ier, de la Propri été, n. 317. La loi du 16 seplembre 1807 a fait une
applic.ation de cette théorie en accordant a u proprirtaire dont le fonds a été
desséché, la faculté de se libérer de l'indem ni té par lui due en délaissunl une
partie du fonds 011 en cons ti tuant une ren te au quatre pour cent.
21
�-
322 -
Ou peut appliquer, aujourd'hui encore, cette décision éqtiitahie
Le possesseur a urait-il un droit de rétention sur l'immeuble
pour obliger le propriétaire à se libérer au plus tôt, par le
paiement de l'indemnité qu'il lui doit. La question ne faisait
aucun doute en droit romain et dans notre ancienne législation.
Mais comme le droit de rétention est une faveur particulière,
une cause de préférence exceptionnelle que la loi n'accorde
que dans certaines hypothèses , il est à croire que puisqu~
la loi n'en parle pas, elle n'a pas voulu l'accorder au possesseur (570, 867, 1612, 1673, elc.) Certains auteurs l'accor~
dent au possesseur de bonne foi ( 1). Cependant par faveur
pour le possesseur, qu'il soit de bonne ou de mauvaise foi, il
faut lui accorder selon nous, ce droit de rétention pour garantir
le paiement de sa créance.
S E C T I O N :CI
De la bonne foi dans la prescription
§ I. -
PRESCRIPTION Th1MOBILIÈRB DE DIX A. VINGT ANS
q
Comme nous l'avons dit au commencement de ce chapitre,
l'erreur, sous le nom de bonne foi peut encore faire acqué:rir
la propriété pleine et entière de l'immeuble ou du meuble possédé, s'il y a possession pendant le laps de temps déterminé
par la loi et juste titre.
La loi établit une très grande différence en matière de ptes(1) Bas tia, 9 juillet 1856 (Deville. 1856, 2. 404).
-
32;{ -
orlptit111 >entre le possesseur de bonne et de mauvaise foi.
~elu.i"ci ne peut acquérir la pleine propriété de l'immeuble, que
slil l'a possédé pendant trente ans, tandis que pour celui-là,
s'tl a un juste titre, le délai est beaucoup moins long, il est de
dioc à1 vingt ans, selon que. le propriétaire habite ou non le ressort dans lequel l'immeuble est situé. (art. 2265.)
Examinons en premier lieu, le rôle de l'erreur dans cette
presoription qui s'applique aux immeubles. Remarquons que
la bonne foi est présumée, que c'est à celui qui la conteste a
établir, par tous les moyens, que le possesseur n'était pas dans
1'elTeur. Il ne suffit pas qu'elle existe seule comme pour l'acquisition des fruits, afin de produire un elTet de droit; il faut
qu'elle soit accompagnée d'un juste titre, c'est-à-dire d'un titre
qui serait valable, s'il émanait <lu véritable propriétaire capable
d'aliéner, et de nature à transférer la propriété; il n'est plus
un des éléments de la bonne foi, mais bien une condition distincte et indépendante, sans laquelle la prescription ne peut
s'accomplir. La loi, en outre, se montre ici beaucoup plus
sévère pour l'admission du juste titre. La fausse croyance dans
l'existence de cette cause juridique et légitime d'acquisition, ne
suffirait plus ici. Cependant, les jurisconsultes romains et
Pothier (Prescription, 95 et 97) admettent le titre putatif; on ne
peut plus faire de nos jours cette concession : le tex.te de
l'article 2265 est trop formel. Si la loi eut voulu faire produire
cet effet considérable au titre putatif, elle n'eut pas été aussi
affirmatiYe. L'acquisition des fruits permet qu'on fasse cette
dérogation, parce qu'en somme elle ne soulève qu'une simple
qu~stion de fait, tandis qu'ici, c'est une question de droit qu'il
faut résoudre et on ne saurait se montrer trop circonspect,
quand il s'agit d'enlever la propriété au vrai propriétaire. Lemaitre disait justement : c.c. On ne peut pas suppléer a ce que la
c coutume exige, quand il s'ngit de dépouiller le véritable
�-
3!?l -
" maitre au profit du possesseur. Il (1) (Cout. tle Paris, titre ~I
Ch. 1. s.1.). ·on seulement ce titre doit exister actuellement et,
réellement, mais il doit encore être exempt de vices. « 11 faub
« dit-on dans l"exposé des molifs, un litre qui soit de sa natUl'e
(( translatif ùu droit de propriété et qui soit, d'ailleurs, van
« la1Jle. n La loi prend soin de ùire dans l'article 2267, que les
vices de forme, com me ceux qui portent sur la solemnité essenr
tielle à certains actes, dénaturent le titre et l'empêchent de
ervir ùe base à la prescription. Que faut-il dire des vices de.
fond, des nullités absolues, des titres prohibés par la io~
larl. 896 et 901)·? JI faut les rejeter a fortiori, bien que la loi1
moins explicite que l'ex.posé des motifs, ne le <lise pas . .'.\la i:suppo 'on::. que le vice consiste dans une nullité simplement
relative, pour viœ tle con-:;entement ou incapacité ùe l'aHériateur. Tous les auteurs, fülèle · à la lradition,(2)admettent qu~ le
vice purement relatif, qui alteint le titre, u'a point empêché l~
transmission de la propriété a l'égard de tous ceux qqi. i;i.·011~
pas le droit de se prévaloir de cette nullité. Ainsi, si no1,1s ex.ceI?tons le vice du titre annulable, nous pouvons dire que loµs vlc~~
de fond ou de forme, ùépouillent le tilre du caractère essentiyl
quïl doit avoir pour servir de base à la prescription. Le se~l
vice donc, qu'il soit permis au possesseur d'ignorer et cl,ont il
puisse se prévaloir, est l'absence <le droit de l'aliénateur; il faut
qu'il ait été convaincu qu'il tenait l'imm euble du Yérita1Jle propriétaire, et que l'immeuble lui avait été transmis ct·w1e faç.on
régulière et Yalable.
(1) La prescription de 10 el 20 a11s. est soumise à la double condition de
l 'exist< n ·~ d.- la bonne foi et <I un juste lilr~. L:i prcsomp lion de bo1111e loi
établie par l"11rlièle 2268 ne dispense pas l·elui qui Invoque cette prescription
de jus t ifier qu'il a ac4uis par jus te litre. <..:asi;al. 22 juiUe t 18H. D. P. 1875.
1. 1i;,,
<2) l> 'argentré. Coutume de Breta9ne, art 266. Ch. II. n• II. pf !JOO.
Dun1,d, parlie 1. ch. VIII, p, 47 ut suiv,
-
325 -
1 'Revenons à la bonne foi : il faut qu·ene soit pleine et entière (1), mais est-il nécessaire qu·elle ait duré pendant tout
Je temps de la possession? C'est ce que soutenaient les canonistes et nos anciens juristes. Les rédacteurs _du Code ont suiYi
de r>référence le principe Romain : rnala fides supervtmiens
ntm impedit us11capionem. L'art. 22GO s'exprime ainsi:<<Il sufllt
que la bonne foi ait existé au moment de l'acquisition, n et
cétte théorie, bien quelle soit en contradiction avec la morale,
ést admissible. Il fallait se montrer indulgent em·ers celui qui
découvrant le défaut de son droit, ayant conscience de la situation critique où il se trouYe par s uite d'une erreur, ne ra pas
dénoncée et n'a pas provoqué lui-même sa dépossession.
Les règles sur la jonction des possessions s·appliquent ici. Le
successeur à litre uniYersel, ne peut se préYaloir de la possession de son auteur que si celui-ci était de bonne foi, au moment
où il con\mence à prescrire, en Yertu d'un juste titre. Si son
aut'eur était de m auvaise foi, il ne pourrait prescrire par la
pl·escription de dix à vingt ans, ca r il ne fait que continuer la
pdssession dtt défunt, qui n'aurait pu prescrire que pa.r trente
m'.l.s ~ $Î son auteur était de bonne foi, quoi quïl soit de mam·aise
foi il pourra prescrire par dix ü , ·ing-t ans. Le successeur à
litre particulier profite de la possession régulière de son auteur,
1nais si elle ne l'est pas, elle ne lui nuit pas, s'il est luimème de bonne foi et remplit les conditions exigées par la loi.
c~23s. 2231.)(1).
(l ) La bonne foi e xigèe du possesseur pour la prescription décennale ~.c
l 'art. 2265 doit è lre pleine e t e ntière cl conc;islcr dans la lan<>Se c:oYance qn 11
a acctuls la propriété de l'immeuble possédé. (Alger 17 m ars 1819. D. P. 81.
t 141 .).
.
(1) Le droit pour le successeur à litre parliculier de ~récédents nc~~ereurs
de joinrlre à sa posse~sion celle de ~es a uteurs est sonm1se à la cond 1t1011 de
justifier de l'exis tence de ln bonne foi et d'u_ri juste _titre en la personne des
di ts auteurs. (Cas~at. 22 juillet 1874. D. P. 7.J. l. l7J).
�-~~
11. -
PnE<::CRll'TIOX l!OBILIÈRE.
L·crreur on bonne foi et le juste titre . ont aussi deux. condi-.-.entielle~ ile la pre-.~riplion iles rneuhles, ùe l'art. 2?W,
I · ·c1e 11 ll. ét1Llit h nt:ee..;-..ité tle cette double condilion.
" • 1. cll(l:'e qu·.. n ··e::.t obli,.;é Lit> J1m11er ou tle livrer à deux
p n-;onnes ucccssh·ement. e-..L purement mobilière, celle rle~
a 1\eux. qui a été mbe en po ·se sion r~elle est préférée et en
1 1lemeure propriétaire. encore que ~on litre soit postérieur en
e d 1le. pourn1 toutefui:s que la po::-ses ion soit de bonne foi. »
On l'epen1lant es~:i.yë de soutenir quïl n'était pas nécessaire
pour empêd1t'r la re\'endkalion des meubles. que le possesseur..
fùt Je bonne foi. En prê-..ence de l'article 1111 cette opinion '
mauque de fonderueut. D'ailleurs la discu:ssion est puremenL
théorique. C.'lr si l'on admet pas que l'on puis ·e intenter l'action
t'll rcnmùic'llhm de l'article ??ï9. coutre un pos esseur de mau\ ,1i:->e Cui, on est oblige tle convenir qu'il est tenu de payer dom111a~e ·-intênb e1~ Yifflu des articles 13t-i2 et 13 3. On indique
11uelquewis runm1e trobit:me condition. tle cette prescription
l'al1~ence tl"vLligation personnelle ùe restitution ; mais elle se
l'l•nfundra le plus souv~nt a\'ec la premiére ou la seconde.
tion-.
Tout ce que nou avon dit -..ur la bonne foi et le juste titre, à
propo:s de h prescription uumooilière, s'applique à la prescription de:s meubles.
Tels sont les principes qui régissent l'erreur en matière civile.
Il a été justement dit que a l'erreur est un vice de l'intelligence
et qu'il n·y a qu'une manière de ramener l'esprit humain, c'est
-
327 -
de l'éclairer et de l'instruire.» Sans aucun doute,si nous avions
élé plus instruits on mieux éclairés, nous n'eu sions point choisi
un pareil sujet. Quelque f ûl notre application à exposer ces
notions avec clatté, avec ordre, d'une fa1;on complète, en indiquant les grandes lignes, sans nous arrôter aux détails inutiles,
beaucoup de redondances, d'imperfections et de lacunes devaient
forcément se faire jour dans une étude aussi complexe et aussi
dulica te. De nombreux défauts frapperont les yeux de celui qui
lira cet essai, dont nous pourrions dire avec Ovide :
Cum relego, scripssisse pudel, quia plurima cerno
Me quoque, qui fcci, Judice, digna lini.
Notre meilleure excuse se trou\'e dans la difficulté qu'il y
avait à réunir des règles disséminées dans les monuments de
la législation romaine et dans notre code civil, à faire une manière de révision et à étudier à propos d'un vice du consentement d'une nature très abstraite, les actes juridiques les plus
difféveots.
Nous avons voulu faire preuve de bonne volonté. Que cette
considération sollicite nos juges et le lecteur à suppléer par leur
indulgence tout ce qui manque à ce travail.
�-
329 -
POSITIONS
DROIT
ROMA IN
Af éme avant les Constitutions de T héodose, l'infantia ne
correspondait pas au défaut de par·ole.
1. -
Les femmes ri'ont jamais été assimilées aux mi11e1ws r·elafivement à l'er1·eur de droit.
II . -
L'erreur sur la nature du contrat n'empêche pas la tradition d'opérer· le transfert de propriété, quand ce transfert a
été dans l'intenft'on des pm·ties.
III. -
IV. - L a condictio indebiti pouvait se f onder sur une er·reur de
droit.
Le titre putatif avant Dioclétien pouvait servi?· de base à
l'usucapion.
V. -
VI. - A vant S eptime Sévére, les prredia rustica atque suburbana
pupilli pouvaient être usucapés.
HISTO IRE
DU
DROIT
FRAN ÇAI S
A près l'invasion des B ar·bares, il n'y eut aucun partage de
terres entre les Francs et les Gallo-R omains.
I. -
II. - Il y avait inégalité cle condition jurid ique entre le Francus h omo et le Romanus homo.
�-
- 330 -
DROIT
331 MARITIME
CODE CIVIL
I
I. - La nullité du mariage qu'un (rança·is a contracté à l'étraziger, sans se conformer au.'C dispositions de l'article 17.0 , ~st
soumise à l'appréciation des fribwiaux (Bastia, 7 mai 1859.
.
li
Paris, 2.J (évner
1882.)
II. - Le défaut de franscription sur les 1·e9islres de l'EtatCiuil de l'acte du mariage qu'un fra11çais a confracté à l'é-
I. - Les ouvriers et (o u1·nisseurs ont le privilè,qe de l'article
'191 '§ 8 du Code de comme1·ce sur le navire en cours de consl truction à (01'(ait.
1 (
\.
II. - Le navire en cou1·s de construction à (01·/ait appartient
au constructeur .
"
i1·anger, ne l'empêche pas de produire ses effets civils. (art.
171).
III. - L'e1-reur su1· les qualités n'est pas une cause de nullité
du mariage.
Vu par le Professeur, Président de la thèse :
IV. - La vente d'un immeuble faite pa1· l'héritier apparent es
nulle.
L'action en nullité des contrais annulables ne se prescrit
que par le délai de l'art. 1304 qu1· commence a couri'P le·. four
ou le vice a été découvert.
ALFRED GAUTIER·
V. -
1 ,
~u
et perm.is d'imprimer :
Le Recteur,
BELIN·
n. -
Celui qui a payé l'indû a une action en t·evendication contre les tiers acquéreurs des biens aUénés pa1· l'accipiens.
.è' 1
'
VII. -
La transaction est simplement décla1·ative de propriété,
quant aux droits htigieux .
VIII. - Dans l'article 2265 il s'a91ë de la résidence et non du
domicile de droit.
DROIT
CRIMINEL
I. - La Cour d'Assises .Jugeant par contumace, peut accorder
des circonstances atténuantes.
II. - L'article 365 du Code d'instruction criminelle, doit rececevoir son application devant les Tribunaux cor1·ectionnels.
''
�t .. T
T1\BLE DES MATIÈRES
---•1>QO
Pages
IJ hCi'tl fi 1
Introduction. -
De l'erreur en général.
7
P REMIÈRE PARTIE
DROIT
CH. I ... -
ROM~I
· ••
N
De l'erreur de droit et de l'erreur de fait. -
11
Excusabilité.
Des personnes privilégiées au point.de vue ~e
l'erreur.
r
Toa?.
l' ~
SECT.
·û~
SECT .
11
I
li~
l
[
P.
SECT.
~
SEcT.
1
~
[
1 .
T
SECT.
I. -
,,f.{
P.
Des mineurs.
.'
.
I I. - D es femmes.
III. - Des militaires.
IV. -
CH. lI. -
1
f
SBC'l'.
T. -
Des rustici.
D e l' erreur dans les contrats.
Erreur s ur la nature du contrat.
Erreur sui· l'obj et du co ntrat. .
22
23
25
28
30
31
33
II. •
§ l . Erreur sur l'identité de l'objet. . . .
§ 2. Erreur sur les qualités substantielles de l'obj et.
§ 3. Erreur sur les qualités accidentelles de l'objet.
38
39
§ 4. Erreur sur la quantité de l'o bjet.
51
§ 5. Erreu1· sur la propriété de l'obj et .
SECT. [[!, Erreu r s ur lu personne.
56
SEcT.
SEcT.
IV. -
Erreur s ur la cause.
V. ~ Erreur .s ur les motifs . .
36
47
57
59
62
�-
-
334 -
. .. . Gy
CH. III. -
De l'erreur dans le mariage.
CH. IV. -
De l'erreur en matièt•e de successions et de
testaments. . . . . . • .
CH. V. - De l'erreur en matière de
SECT.
I. - De la gestion d'affaires.
SEcT. II. - Du paiement de l'indù. .
CH. VI. -
quasi-co~trats.
•
. •.
I. -
SEcT.
II. -
86
ib.
87
De l'erreur en matière d'usucapion et de
prœscriptio longi temporis . .
SECT.
De Ja bonne foi.
Du juste titre. • .
CH. VII. -
105
IOS
114
.
De l'erreur en matière d'acquisition de fruits
CH. II. - De l'erreur dans les contrats.
I. - De l'erreur sur la nature du contrat .
147
148
II. - De l' erreu1· sur l'objet du contrat.
149
$'ECT.
SEcT.
69
i 1()
335 -
1§
§
§
§
1. Erreur sur l'existence de l'objet.
.
.
2. Erreur sur l'identité de l'objet. . . .
3. Erreur sur la substance de l'objet. . . . .
4. Erreur sur les qualités accidentelles de l'objet.
Vices rédhibitoires. • • . .
§ 5. Erreur· sur la quantité de l'objet.
,§ 6. E1·reur sur la valeur de l'objet.
§ 7. Erreur sur la propriété de l'objet.
SEÇT. Ill. De l'erreur sur la cause du contrat.
SECT. IY. De l'erreur sur les motifs du contrat.
SEçT. V. - De l'erreur sur la personne.
SBCT. VI. - De l'action en nullité. . . .
176
178
185
i , CH. III. -
De !'erreur dans le mariage.
t92
Du mariage putatif. .
233
1
ib.
150
101
1GO
162
164
168
169
ib.
CH. VIII. SEcT.
I. -
SBCT.
II. -
De l'erreur en matière d'aveu et de transaction. .
De l'aveu . • .
De la transaction.
CH. IX. -
Par quelles voies de droit peut-on invoquer
l'erreur. . . . . .
. . . .
124
·ib.
125
1
128
135
CODE CIVIL
CH. I . -
De l'erreur eo général.
.
.
CH. V. - De l'erreur dans les successions.
SECT.
1. - A cceptat1on.
'
. . . . . . . .
S ECT. II. Renonciation. . .
SEcT. III. Des actes faits par l'héritier apparent.
241
ib.
244
245
CH. VI. -
DEUXIÈME PARTIE
Ancien droit français. . .
' CH. IV. ('
. 137
De l'erreur en matière de donations, de
259
legs et de partages. .
ib.
SECT.
I. -- Erreur dans les donations.
260
SnOT. II. - Erreur dans les legs. .
262
SEcT. III. Erreur dans les partages. .
CH. VII. - De l'erreur dans les quasi-contrats.
SECT.
I. - Gestion d'affaires.
S.&C'.l'. II. - Paiement de l'indû. . • .
269
270
274
�CH. VIII. -
336 -
De l'er1·eur dans les transactic:..ns.
.
284
CH. IX. -
De l'erreur ou bonne foi en matière de possession et de prescription.
310
SscT. I. - Possession de bonne foi. . . .
ib.
~ 1. Acquisition des fruits.
ib.
§ 2. Constructions et plantations faites par le possesseur . 318
SECT. II. De la bonne foi dans la prescription.
322
§ 1. Prescription immobilière.
ib.
§ 'l. Prescription des meubles.
326
Positions.
... . . . . .
Marseille. - lmp. -Antoine 7.aratin, rue des Feuillants, 20.
329
�
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
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Monographie imprimée
Description
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Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
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Title
A name given to the resource
De l'erreur en matière civile d'après la législation romaine et le droit français : thèse présentée et soutenue devant la faculté de droit d'Aix
Subject
The topic of the resource
Droit civil
Droit romain
Description
An account of the resource
Etude de l’erreur en matière civile à travers trois époques, le droit romain, l'ancien droit français et le droit français du 19e siècle et à travers des thématiques précises
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Casabianca, Pierre de (1859-1944)
Faculté de droit (Aix-en-Provence, Bouches-du-Rhône ; 1...-1896). Organisme de soutenance
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES-AIX-T-127
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Antoine Zaratin (Marseille)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1883
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/234816937
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-AIX-T-127_Casabianca_Erreur_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
336 p.
24 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/374
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Abstract
A summary of the resource.
Des causes et de la nature de l' erreur et ses conséquences sur les actes juridiques les plus importants, successivement dans le droit romain, l'ancien droit français, et le droit français du 19e siècle et à travers des thématiques précises.
Thèse : Thèse de doctorat : Droit : Aix : 1883
Notes : La thèse porte : Marseille (20, rue des Feuillants) : Antoine Zaratin, Typographe-Lithographe, 1883
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Contrats -- France -- 19e siècle -- Thèses et écrits académiques
Contrats (droit romain) -- Thèses et écrits académiques
Erreur (droit romain) -- Thèses et écrits académiques
Erreur (droit) -- France -- 19e siècle -- Thèses et écrits académiques
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/394/RES-AIX-T-130_Talagrand_Proescriptio.pdf
10c9144d814ccfb1fff12ac1290725d7
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Text
FACULTÉ DE DROIT D' AIX
LA
DE
PRŒSCRIPTIO LONGI TEMPORIS
EN DROIT ROMAIN
DE
LA
PRESCRIPTION DB DIX A VINGT ANS
EN DROIT FRANÇAIS
THÈSE POUR LE DOCTORAT
PAR
Auguste TALAGRAND
AVOCAT
UZÈS
DI PRIM E'H I E H. · MALI GE
188 3
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PRŒSCRIPTIO LONGI TEMPORIS
EN DROIT ROMAIN
DE
LA
PRESCRIPTION DB DIX A VINGT ANS
EN DROIT FRANÇAIS
THÈSE POUR LE DOCTORAT
PAR
Auguste TALAGRAND
AVOCAT
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MA _}1ÈRE
��CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES
Parmi les institutions humaines, il n'en est point qui
aient été l'objet d'appréciations aussi diverses que la
prescription. Tandis, en effet, que quelques-uns, la considérant dans l'injustice de quelques applications particulières, sont allés jusqu'à la qualifier irnpium prœsidium (1), d'autres, au contraire, l'envisageant sous le
rapport de l'utilité générale, ont vu en elle une des
premières garanties d'ordre et de sécurité parmi les
hommes et n'ont pas craint de l'appeler: patrona generis
humani (2); Cicéron (3) la nomme : fi,nem sollicitudinis
ac periculi litiuni.
La prescription remonte aux temps les plus reculés (4);
elle a dû suivre de près l'établissement de la propriété,
et l'on peut dire que c'est à cette époque surtout qu'a dû
se faire sentir la nécessité de cette institution. En effet,
(1) Justinien, Novel. 9.
(2) Cassiodore.
(3) Orat. pro Cœcinâ.
(4) Démosthène, dans son plaidoyer pour Phormion, opposa
une fin de non-recevoir tirée d'une prescription établie par les
lois de Solon.
�-6lorsque l'écriture était encore inconnue, ou du moins peu
répandue, la propriété n'ayant pas de titres, et les conventions étant confiées à la mémoire des témoins, on
conçoit que de très bonne heure la possession paisible
et publique ait été considérée comme une preuve suffisante de la propriété, et que, dans J'intérêt du repos
public, autant que par des motifs d'équité, les lois aient
protégé celui·que l'on venait inquiéter après une longue
et paisible possession. De nos jours, au contraire, où la
propriété est presque toujours constatée par écrit, et
où, grâce au système de publicité établi par la loi de
1855, la condition des fonds de terre se trouve déterminée par des registres comme l'est celle des individus, la
prescription acquisitive est d'une application moins fréquente. On pourrait même concevoir un Etat dans lequel cette prescription ne saurait plus recevoir aucune
application. Si on suppose en effet que, même à l'égard
des parties contractantes, la convention n'est translative
de propriété que si elle a été soumise à la formalité de
la transcription; si on suppose, en outre, qu'il existe des
registres sur lesquels l'étendue des fonds a été déterminée d'une façon certaine, et que ces registres font foi
en justice, celui-là seulement pourra se prétendre propriétail'e qui pourra montrer son nom inscrit sur le
registre en regard du fonds qu'il réclame; toute possession qui ne sera pas confirmée par l'inscription sera
une usurpation; il existe quelque chose d:analogue en
Allemagne.
Si on se place à un point de vue purement philosophique, et si on considère les droits en eux-mêmes et
dans leur essence, on voit qu'ils sont par leur nature
même éternels et impérissables. A un point de vue
moins absolu, et si on considère l'homme comme sujet
�-7actif ou passif de~ droits, on voit aussi que la nature
des droits reste la même, que ces droits ne sont nulle·
ment soumis aux atteintes du temps, car si l'homme,
s_ujet des droits, vieillit et meurt, ses droits lui survivent
et forment le patrimoine de ses héritiers.
La prescription ne vient en rien infirmer ces considérations, car si elle a pour effet d'éteindre soit le droit de
propriété, soit le droit de créance, cet effet n'est pas le
résultat unique du temps, mais a son fondement et sa
source dans une présomption de renonciation chez
celui qui néglige de les exercer.
Avant d'entrer dans le détail de la prescription, il
importe de se poser et de résoudre une question intéressante surtout à cause du point de vue philosophique qui
la caractérise. La prescription est-elle une création
arbitraire du droit civil, ou bien a-t-elle son fondement
et ses racines dans le droit naturel et l'équité?
Cette qu·estion capitale, les jurisconsultes romains
ne manquèrent pas de se la poser. Dès l'origine du droit
romain, et déjà dans la loi des XII Tables, on voit en
effet les décemvirs consacrer, sous le nom d'usucapion,
une institution analogue à celle de la prescription; on
conçoit donc que de très bonne heUl'e les jurisconsultes
se soient demandé quel! était le fondement de cette
institution.
Gaïus (1) ne voit dans l'usucapion qu'une création
purement arbitraire du droit civil, une institution dont
le but a été exclusivement politique et considéré comme d'intérêt public, savoir : la nécessité de prévenir
l'instabilité et l'incertitude dans ia propriété, et de
(1) L. 1, Dig. de usucap.
�-8déterminer les citoyens à s'occuper de la gestion de
leurs affaires comme de bons pères de famille. Plus
tard Cujas, dans le commentaire qu'il nous a laissé de
Gaïus, regarde la prescription comme une institution du
droit ci vil.
D'autre part et en sens contraire, de nombreux auteurs (1), et parmi eux Cicéron, considèrent la prescription non pas comme une création arbitraire du droit
civil, mais comme une institution dont le fondement se
trouve dans le droit naturel. En d'autres termes, ils
considèrent que le droit civil n'est pas venu de sa propre
autorité et dans un but d'intérêt général, créer un droit
pour le possesseur et le débiteur, et prononcer une
déchéance contre le propriétaire ou contre le créancier
négligent, mais qu'il n'a fait en cette matière que consacrer un principal de droit naturel et déterminer les
. conditions dans lesquelles ce droit devait s'exercer.
Pour nous, et bien que l'opinion de Gaïus semble à
première vue plus conforme à la nature des choses,
nous adopterons néanmoins cette dernière manière de
voir.
Je dis que l'opinion de Gaïus paraît plus conforme à la
nature des choses ; en effet, puisque les droits· sont
perpétuels, puisque la propriété est sacrée et qu'on ne
peut la perdre sans son propre fait, comment se fait-il
qu'on soit arrivé jusqu'à sanctionner le droit de celui
qui n'est entré en possession que par une véritable
usurpation, ou qui s'appuie sur une possession vicieuse?
(1) Puffendorff, Droit cle la nature et cles gens, livre 4, chap.
12, § 9 et 11. - D'Ar()'entré, Coutume cle Bretagne. - Merlin,
v' prescription, sect. l" § 1". - Vazeille, prescription, chap.
1, n' 5 et suiv. - Troplong, Prescription, n' 2 et suiv.
�-9Des considérations d'intérêt général telles que nous les
indiquions plus haut, ont pu sans doute déterminer le
législateur à déclarer le possesseur propriétaire, si sa
possession réunit d'ailleurs des conditions qui seront·
plus ou moins rigoureuses, suivant l'époque de l'histoire
à laquelle on se placera, mais ce sera alors une èréation
du droit civil, et non pas la confirmation d'un principe
du droit naturel.
Certains auteurs ont cru résoudre la question, mais
en réalité ils n'ont fait que tourner la difficulté, en · se
basant sur un principe dont la fausseté est évidente. Ils
on dit que la propriété · n'est qu'une création du droit
civil, et qu'elle n'est sanctionnée par la loi qu'à certaines
conditions qu'elle a pu arbitrairement déterminer. Etant
admise cette idée, · que la propriété est une création du
droit civil, rien n'est plus facile que de légitimer la
presc1'iption, car si la loi a créé le droit de propriété,
elle a pu en fixer les limites. Mais il est aujourd'hui
universellement admis, et nous ne nous attarderons pas
à en faire la démonstration, que la propriété est de
droit naturel, que ce n'est pas la loi qui a créé le droit
de propriété, mais qu'elle n'a fait que le sanctionner.
L'origine de la propriété se t1;ouve en effet dans l'occupatiém; c'est l'occupation s'exerçant sur un objet sans
maître qui a donnné naissance à un droit respectable
sans doute, mais qui l'est devenu bien davantage encore
lorsque la matière a été façonnée, améliorée par le travail et l'intelligence de l'homme . Ce droit de pro"priété
une fois acquis par l'occupation et le travail, s'est naturellement conservé, non seulement par les mêmes
moyens, mais encore par la seule volol).té de ne pas l'abdiquer, car, jè le répète, il est de la nature du droit de·
se perpétuer et d'avoir une durée indéfinie.
�-
10 -
Nous arrivons ainsi à la question que nous nous étions
posée plus haut : le droit de propriété étant de son
essence perpétuel, comment se fait-il que · la loi soit
venue d"éclarer ·déchu de son droit de propriété celui
qui a cessé de posséder pendant un certain lap·s de
de temps, et propriétaire celui dont la possession réunit
certaii1es conditions déterminées ? Cette déchéance prononcée contre le propriétaire, cette attribution de droit
aù profit du possesseur, sont-èlles une création arbitraire du droit civil, ou bien ont-elles lem· base daris
l'équité et le droit naturel?
· Cette dernière manière de voir nous a paru la seule
.exacte ; voyons comment on peut la justifier.
Tout d'abord il importe de faire remarquer que la possession de celui qui invoque la prescription peuû être de
deux sortes : le possesseur, peut être de bonne foi, il
peut être aussi de mauvaise foi. Ces deux hypothèses
doivent être soigneusement distinguées, car on comprelid
que la justification de la prescription sera plus facile
dans le premier cas que dans le second.
Si nous nous plaçons dans l'hypothèse de la possession
de bonne foi, la justification de la prescription se trouvera dans cette considération que le droit de 'propriété,
pas plus que les autres droits, n'est absolu, et qu'il se
trouve nécessairement borné par l'idée de devoir. Tout
droit se trouve en effet limité par un corrélatif, et quiconque refuse de subir la loi du devoir qui restreint sa
liberté pour assurer celle des autres, s'expose à la perte
de son droit. Sans doute, ainsi que je l'indiquais précédemment, le droit de propriété est de sa nature perpétuel,
mais il ne s'en suit pas de là que ce soit un droit absolu;
les droits de chacun sont naturellement limités par les
droits des autres, et les lois ne sont autre chose que la
�-
'11 -
'détermination faite par une autorité légitimement constituée, des conditions d'équilibre sans lesquelles la société
ne saurait exister.
Si clone on se place dans la situation d'un individu qui
a tout lieu de croire qu'il est devenu légitimement propriétaire de la chose qu'il possède, par exemple parce
qu'elle lui a été livrée à la suite d'une vente, d'un
échange, d'une donation ou de tout autre contrat translatif' de propriété ; si, de plus, on suppose que par un
travail de tous les jours il a amélioré la chose qu'il
possède ainsi de bonne fo i, qu'il y a incorporé des capitaux considérables, résultat d'un travail antérieur ; qu'il
a constitué sur cette · chose et à l'égard des tiers des
droits qui ont paru incontestables et irrévocables, parce
que jusqu'à ce moment le droit du constituant n'avait
paru contestable à personne, fauclra-t-il qu'en présence
d'une situation aussi solidement établie et de droits
aussi sacrés, le propriétaire puisse s'armer de son droit
de propriété, qu'il a négligé d'exercer pendant si longtemps, pour réduire à néant un état de chose si digne
d'intérêt ? N'est-ce pas alors qu'il est utile de se rappeler que les droits de chacun sont limités par les droits
des autres, et que si le droit de propriété est toujours
digne d'être sauvegardé, il faut du moins que ce ne soit
pas à l'encontre d'autres droits non moins légitimes et
non moins dignes d'être respectés ?
A l'origine l'erreur était réparable, il suffisait d'une
réclamation émanée du propriétaire pour faire tomber
les illusions et montrer les vices d'une situation qui ne
se connaissait pas elle-même ; mais en vieillissant, en
passant de degrés en degrés, elle a fini par ressembler
tellement à la vérité, des liens si nombreux et si légitimes se sont étendus en sens si divers, des intérêts si
�-
12 -
sacrés ont pris naissance sur ce sol où on voudrait les
anéantir aujourd'hui, que l'on peut se demander avec
raison, s'il n'y aurait pas une perturbation plus grande
à remettre les choses dans leur état de vérité, qu'à
sanctionner une erreur qu1 est devenue le droit. Le droit
ne va jamais sans un devoir qui le limite; or, le devoir
du demandeur était de ne pas laisser le possess·eur dans
sa bonne foi. Que si l'on nous objecte que le propriétaire
n'a ·peut-être aucune négligence à se reprocher, èar il
ignorait que sa chose était possédée par un tiers, nous
répondrons que cette ignorance est une faute, et que lui
seul doit supporter les conséquences d'une erreur qui
porterait atteinte au droit d'autrui.
Ces cvnsidérations, à elles seules, suffisent à légitimer
au profit du possesseur de bonne foi la prescription
acquise à l'encontre du propriétaire. Ce droit du possesseur est donc antérieur-au droit civil et exclusivemenl
basé sur l'équi_té et le droit naturel. Que le droit civit
soit ensuite intervenu pour déterminer le laps de temps
à l'expiration duquel le droit du propriétaire serait définitivement perdu, cela était nécessaire pour donner à
tous une règle uniforme, mais il n'en est pas moins vrai
que dans cette matière de la prescription, comme dans
beaucoup d'autres d'ailleurs, le droit civil est venu, non
pas créer et innover, mais qu'il n'a fait que travailler sur
des notions déjà fournies par le droit naturel et l'équité,
et qu'il s'est borné à les adapter aux besoins variables
des sociétés.
J'arrive maintenant à la deuxième partie de la question
que je m'étais posée plus haut, c'est-à-dire à l'hypo·thèse où le possesseur est de mauvaise foi ; dans ce cas,
faudra-t:-il dire encore que la prescription a son fonde-
---
--
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13 -
ment dans le droit naturel, ou qu'elle est au contraire
une création du droit civil ?
Cette question, je le reconnais, sort un peu du sujet
que je me propose de traiter, car n'ayant à parler que de
la prescription de dix et vingt ans, je n'ai pas à me
préoccuper du possesseur de mauvaise foi; et néanmoins, il .m'a paru nécessaire, sous peine d'être incomplet,
d'envisager au moins brièvement ce deuxième côté de
la question, surtout dans un chapitre à la tête duquel
j'ai mis ces mots : Considérations générales.
Ici, j'en conviens, et lorsque on se place en face du
possesseur de mauvaise foi, ce n'est pas dans le droit
naturel qu'il faut chercher le fondement de la prescription : l'injustice et la violence ne sauraient rien fonder.
Sans doute la situation de l'usurpateur finira par ressembler de plus en plus à celle du propriétaire, il utilisera par son travail la chose qu'il possède, il paiera à
l'Etat les sommes exigées du propriétaire, il supportera
les charges que la loi lui impose au profit des propriétaires voisins ; en un mot, tandis que ses actes tendront
de plus en plus à l'assimiler au propriétaire, le propriétaire, de son côté, semblera oublier et abdiquer ses
droits. Néanmoins, cette apparence de légitimité ne
saurait jamais être assez forte pour annuler le droit luimême; on ne saurait concevoir que ce qui est vicieux
à l'origine se m~tamorphosât en droit par sa propre
énergie; il faut donc qu'un fait nouveau vienne régulariser la possession de mauvaise foi et lui fasse prendre
place parmi les droits.
Nous avons vu que ce qui légitime l'acquisition de la
propriété par le possesseur de bonne foi, c'est le préjurlice que lui cause le propriétaire en le laissant dans
l'ignorance de son di·oit ; ici, cette raison ne peut plus
�-
14 -
être invoquée, car le possessem de mauvaise foi est
toujours plus coupable que le propriétaire négligent. Il
faut donc chercher le fondement de la prescription dans
des raisons d'intérêt général. Or, si l'on considère
quelles sont les nécessités de l'ordre public, on se convaincra qu'il est un terme au-delà duquel il serait dangereux de demander compte aux citoyens de l'origine de
lem'. fortune et de leur condition. Vouloir remonter à la
source de tous les droits; ce serait remettre tout en
question, et sous prétexte de justice, bouleverser la
société tout entière. Ancienneté a autorité, a dit Loisel,
et par cela seul qu'une possession est demeurée paisible pendant une longue suite d'années dans les mêmes
mains, elle devra être réputée légitime. Sans doute, il
arrivera quelquefois que l'usurpation se trouvera à l'origine de cette possession, mais parce que dans quelques
applications particulières une règle générale produit des
conséquences regrettables, faut-il rejeter l'institution
elle-même?
Il ne faut pas en outre s'exagérer l'importance du
sacrifice que la loi positive demande à la loi naturelle,
car . s'il est juste de regretter que .ces deux lois ne
soient pas toujours et sur tous les points eu harmonie
parfaite, il faut cependant constater que la négligence
du propriétaire poussée jusqu'à ses extrêmes limites,
justifie pleinement la déchéance proi:ioncée contre lui.
La loi est donc parfaitement fondée à considérer ce
long silence comme un acquiescement à l'état de chose
apparent et à consacrer d'une façon définitive la situation
du possesseur. L'Etat est d'ailleurs intéressé à ce que
les droits ne restent pas trop longtemps en suspens,
et il a bien le droit d'exiger, au profit de l'intérêt
général, le sacrifice de quelques intérêts particuliers.
�-
15 -
Usucapio darnno est dominis, dit Cujas (1), bono reipublicm.
Cette vérité a toujours été profondément sentie par
l'opinion publique, et, pour ne citer qu'un exemple
récent, on trouve encore partout des traces de l'émotion
profonde que ressentirent, à l'époque de la Restam'ation,
les détenteurs des biens nationaux, et on se rappelle
qu'il ne fallut pas moins de plusieurs déclarations émanées de l'autorité législative (2) pom; calmer l'agitation
qu'avait fait naître la crainte de voir rechercher l'o rigine de la possession de ces biens.
(1) Sur la loi J, Dig . cle Usucap.
(2) Les ventes de domaines nationaux sont irrévocablement
maintenues : 6 avril 1814, art. 24; 2 mai 1814; 4 juin 1814,
Charte, al't. 9; 5 déc. 1814, art. 1"; 2i avril 1825, art. 24; 14
'
noCtt 1830, Charte, art. 8.
On a poussé le respect pour les ventes de domaines nationaux
jusqu'à décide!' que lorsq ue, pa1· erreur, un domaine patrimonial a été compris dans une vente fai.te par l'autorité administrative, une fois la vente consommée, le propriétairn est
non recevable :'t. exercer l'action en revendication contre l'adjudicataire, et n'a que l'action en indemnÙé contre le Gouvernement (li mar s 1815). Mais la survenance de la Charte constitutionnelle a paru à la Cour de cassation un motif suffisant
pour décider que le propriétaire pouvait revendiquer (arrêt 26
déc. 1825, Syrey, 26, 1, 2i0; Dall. 26, 1, 86.).
�.•. .J .
�PREMIÈRE PARTIE
DROIT ROMAIN
DE LA PROESCRIPTIO LONG! TEMPORIS
INTRODUCTION
Le mot prœsm·iptio, dont nous avons fait dans notre
langue moderne le mot prescription, avait à Rome un
sens tout différent de celui dans lequel nous l'entendons
n.ujourd'hui. Ce mot, tiré du verbe latin prœscribere, ne
signifiait pas autre chose que ce qu'on entendait par le
terme exceptio : nihil enim aliud est prœscribere, quam
eœceptionem apponere, dit Cujas, et l'on trouve au
Digeste un titre avec cette rubrique : de eœceptionibus,
prœscriptionibus, et prœjuàiciis (liv. 44, tit. 1°').
Il importe toutefois de remarquer que bien que les
mots prescription et exception soient synonimes dans le
�-
18 -
langage des jurisconsultes romains, néanmoins le mot
exception a. plus d'étendue :· _fa .:prescription est à
l'exception ce que l'espèce est au genre.
L'exception est un moyen de défense, mais un moyen
qui présente ce caractè.re particulier, que le défendeur
qui l'invoque ne s'attaque pas directement à la prétention du demandeùr pour soutenir qu'elle n'est pas
fondée; il allègue un droit indépendant, de manière à
paralyser celui que peut avoir le demandeur. Ainsi vous
intentez contre moi une condictio ce1·tià l'effet d'obtenir
la restitution de dix sous d'or que vous prétendez m'avoir
prétés; si je réponds que je ne les dois pas, parce que
je vous les ai rendus, je n,'invoque pas une exception, car
j'attaque directement votre prétention; si je reconnais
au contraire que vous me les avez prêtés, mais qu'il a
été convenu entre nous que vous ne me 1es réclameriez
pas, j'oppose alors une véritable exception.
Le caractère de la prœscriptio est certainement le
même que celui de l'exception, et lorsque une prœscriptio
se ra invoquée par le défendeur, le juge, comme en
matière d'exception, ne prononcera la condamnation que
tout autant qu'il aura reconnu : 1° que l'exceptl_on ou la
prœscriptio n'est pas justifiée; 2° que la prétention du
demandeur est elle-même fondée.
Toutefois·, ce qui caractérise la prœscriptio, et ce ·qui
m'a permis de dire qu'elle est à l'exception ce que
l'espèce est au genre, c'est que la prœscriptio est une
exception mise en tête de la formule; la question
soulevée par le défendeur est 'de telle nature·, qu'il y a
intérêt à ce que le juge commence par.T examiner.· Ainsi,
je revendique un immeuble contre une personne ·· qui
invoque la possessio longi temporis, le juge commence par
rechercher si les conditions voulues pour cette possessio
1
�-
19 -
existent réellement : si leur existence est une fois établie,
peu importe que je fusse ou non propriétaire, ma
demande sera repoussée .
. « Prœscribere est ante scribere, '' voilà d'où nous est
venu le nom de .p rescription. C'est donc un accident de
procédure, cette circonstance particulière que l'exception
tirée de.la possession se trouvait inscrite en tête de la
formule qui a donné à une institution le nom qu'elle
conserve encore aujourd'hui, bien que depuis le règne de
Constantin, l'usage des formules ayant été supprimé, le·
mot prœscriptio ne correspondit plus à quelque chose de
réel.
J'ajoute d'ailleurs que sous la période de la procédure
formulaire, le mot p1·œscriptio ne s'appliquait pas seulement à l'exception fondée sur la possessio longi temporis,
mais qu'on appelait ainsi d'une façon générale toutes
les exceptions qui soulevaient des questions d'une nature
telle, qu'il fallait les examiner avant la demande ellemême : ainsi l'exception tirée de la chose jugée .
Quintilien a parfaitement indiqué le caractère général
des prescriptiones quand il a dit : « cùm ex prœscriptione
lis pendet, de ipsa re qiiœri non est necesse. »
Après avoir ainsi indiqué quel était le sens clans lequel
ces mots prœscriptio lqngi temporis furent primitivement
entendus, . et avoir montré que cette prœscriptio fut
originairement une espèce d'exception au moyen de
laquelle l'homme qui depuis longtemps possédait une
chose, pouvait repousser ceux qui l'actionnaient en
restitution, il me restera à faire voir comment, ce qui
n'était primitivement qu'une exception, finit par devenir
un véritable mode d'acquisition de la propriété et à
déterminer quelles furent les conditions requises pour ce
mode d'acquérir.
�-
20 -
Ces conditions, je dois le dil'e dès maintenant, sont,
sauf une différence relative à la durée de la possession,
absolument les mêmes qu'en matière d'usucapion. C'est
ainsi que les règles sur la juste cause, la bonne foi, sur
le mode de calculer le délai et sur l'açcessio temporis,
comme aussi sur les obstacles qui rendent la possession
inutile, se retrouvent dans la théorie de l'usucapion et
dans celle de la prœscriptio longi temporis.
Toutefois, ce serait une erreur de croire que ces deux
institutions soient absolument identiques; dans de telles
conditions, la prœscriptio, qui est moins ancienne que
l'usucapion, n'aurait certainement pas pris naissance ;
mais outre que la prœscriptio fut créée pour répondre à
des · besoins nouveaux auxquels ne pouvait satisfaire
l'usucapion, nous verrons, au point de vue de leurs
effets, des différences fondamentales entre ces deux
institutions.
Ce qui caractérise les législations anciennes et
notamment la législation romaine, c'est que les créations
et les transformations juridiques ne s'opèrent pas chez
elles par voie législative ; aujourd'hui, lorsqu'une institution a vieilli et ne correspond plus à l'état de chose
actuel, lorsque des besoins nouveaux se font sentir, il
existe des assemblées législatives qui viennent supprimer
ou corriger l'institution ancienne et élaborer des lois
plus conformes aux nécessités du moment.
A Rome il n'en était pas ainsi ; presque toujours à
côté du droit civil, c'est-à-dire d'un droit très ancien,
mo1·es majorum, formulé pour la première fois par les
Décemvirs dans la loi de XII Tables, se trouve un droit
de formation plus récente appelé droit Prétorien. Ce
droit, suivant l'expression de Papinien, complète, corrige
�-
21 -
ou supplée le droit civil propter utililatern publiccvm, ; ce
n'est pas que les dispositions de l'Edit de Préteur soient
arbitraires; quand le Préteur s'écarte du droit civil, c'est
toujours parce que celui-ci ne convient plus aux mœurs
nouvelles, parce qu'il ne donne plus satisfaction à des
situations inconnues autrefois et fréquentes aujourd'hui :
le jus gentiurn et la coutume lui fournissent le plus
souvent les règles qu'il consacre dans son Edit.
Cette action du Préteur sur le droit civil, que l'on
trouve à chaque pas dans l'histoire du droit romain,
nous la trouvons encore en matière d'usucapion.
Lorsque pour des raisons que nous aurons à exposer
plus loin, l'usucapion fut devenue insuffisante, le Préteur,
fidèle à son .rôle, intervint et créa cette prescription dl
dix et vingt ans, qui dans le principe apparaît comme
secondaire et se pose en présence de l'usucapion, pour
reproduire l'antagonisme que nous trouvons partout
chez les Romains entre le droit civil et un droit moins
sévère et plus humain.
Dans cette étude, à laquelle nous allons nous livrer sur
la prœscriptio longi ternporis considérée ·comme moyen
d'acquérir la propriété, nous distinguerons deux sortes
de conditions : les unes relatives à la personne qui
invoquait cette prœscriptio, les autres relatives à la
chose même qu'il s'agissait d'acquérir par ce mode.
Sous le premier rapport, nous verrons que pour que
la prœscriptio pût être invoquée il fallait une juste cause
à la possession, la bonne foi dans le possesseur et la
possession continuée pendant le laps de temps déterminé par la loi.
Sous le second rapport, il fallait que la chose fût
dans le commerce, qu'elle n'eût été ni volée, ni prise
2
�-
22 -
ou usurp ée par violence, et, de plus, qu'elle fût susceptible de possession.
Après avoir ainsi étudié dans les deux premiers
chapitres ces deux ordres de conditions, nous examinerons dans un troisième chap itre quels étaient les effets
de la prœscriptio, et quelles furent les innovations de
Justinien.
CHAPITRE IEI\
Des conditions relatives à la personne
Pendant très longtemps, à Rome, les modes d'acquérir la propriété furent distingués en modes du droit
civil et en modes du droit des gens . Cette distinction
entre le droit civil, c'est-à-dire un droit exclusivement
réservé aux membres d'une nation, et le droit des gens,
c'est-à-dire un droit dont l'exercice appartient à toute
personne sans distinction de nationalité, se trouve, au
début de toutes les civilisations, marquée d'une façon
très nette, et le peuple romain, plus encore peut-être
que tous les autres peuples, en est un exemple frappant.
De nos jours, cette distinction subsiste encore sans
doute, car il faut qu'une nation reste maîtresse chez
elle, et qu'il es t certains droits d'une nature telle qu'on
ne saurait en conférer l'exercice à des étrangers sans
�-
23 -
compromettre la sécurité nationale; mais cette exclusion
qui les frappe n'e~t relative qu'à l'exercice des droits
politiques, et l'on peut dire d'une façon générale, quoique
la question soit cependant controversée, que sauf quelques
exceptions limitativement énumérées par notre Code, les
étrangers jouissent en France des mêmes droits civils
que les Français eux-mêmes. Enmême temps que la civilisation a progressé, les barrières entre les nations se sont
abaissées, les rapports internationaux sont devenus
infiniment plus considérables, et la notion du droit des
gens étant une notion essentiellement élastique et se
prêtant à des interprétations variables, a été successivement étendue par la Cour de cassation et s'applique
aujourd'hui dans des cas de plus en plus nombreux: c'est
ainsi que les alliances entre Français et étrangers devenant de plus en plus fréquentes, la tutelle a été confiée au plus proche parent français ou étranger, et est
ainsi devenue du droit des gens, après avoir été longtemps considérée comme un rwunus publicum exclusivement réservé aux membres de la nation.
Autrefois, au contraire, la société fut organisée d'une
manière toute différente, et la séparation était marquée
d'une façon profonde entre le droit civil et le droit des
gens. Cette séparation ainsi établie entre les membres
des nations différentes avait d'ailleurs sa raison d'être
et s'explique d'une façon toute naturelle si l'on considère
quelle fut à l'origine la nature des relations internationales.
Dès le début, la préoccupation unique des peuples, et
notamment du peuple romain, fut de se maintenir en pos-'
session de ce qu'ils · avai:ent acquis par la conquête et
d'étendre même leur domination sur les peuplades voisines. La caste principale, sinon la caste ùnique, était
�-
24-
celle des guerriers ; la richesse consistait dans le butin
enlevé à l'ennemi, et les membres de la nation vaincue
se livraient seuls à l'agriculture pour le compte des
vainqueurs. Au milieu d'un état social semblable, les
relations civiles devaient être fort restreintes, et le commerce, s'il existait, devait occuper une place très petite
et ne s'exercer qu'entre les membres d'une même nation.
Quant îaux hommes de nationalité différente, ils ne se
rencontraient que les armes à la main et sur les champs
de bataille. Les hommes étant ainsi dans un état de
guerre à peu près permanent, et les relations de nation
à nation étant pour ainsi dire nulles, on conçoit que les
peuples se soient habitués à considérer leurs institutions
comme exclusivement propres à leurs membres et que
les étrangers n'aient pas été admis à en invoquer le ·
bénéfice. Ces idées pénétrèrent profondément dans les
institutions du peuple romain, et, dès le début, l'usucapion fut considérée comme un mode d'acquérir exclusivement propre aux citoyens ; les étrangers furent
exclus de ce droit par un article formel de la loi des
XII Tables : adversùs hostern (1) œterna auctoritas (2) esta.
(1) Ce terme, hostem, ne doit pas s'entendre d'un ennemi,
mais seulement d'un étranger; c'est ce que nous dit Cic6ron,
lib. I, de Ojfi.ciis : Hosti.s apucl majorns nostros, is dicebatur
quem nunc PEREGRINUM clicùnus : indicant XII Tabulœ ..... aclve1·sus hosten œterna auctoritas esta. Le terme qui signifiait
ennemi était celui de perduellis, comme l'observe Gaïus sur la
loi des XII Tables : quos nos hastes appellamus, eos veteres
PERDUELLES appellabant, per eam adjectionem inclicantes cwn
quibus bellum esset, 1. 234 de verb. signif.
(2) Auctoritas est pris lu pour le droit de revendiquer la
chose.
�-
25 -
,/)'\insi l'usucapion étant une institution du droit civil,
quel que fût le laps de temps pendant lequel un étranger
eût possédé. une chose, il ne pouvait en acquérir le domaine, et le propriétaire était toujours recevable à la
revendiquer contre lui en justifiant de son droit de propriété. Dès l'origine, cet état de chose était, ainsi que
je l'ai montré, parfaitement normal et ne présentait
aucun inconvénient à une époque où le territoire romain
était excessivement restreint et où Rome, en guerre
avec presque toutes les nations voisines, ne contenait
dans ses murs que des citoyens romains.
Mais il devait arriver bientôt que les Romains euxmêmes sentiraient les vices de cette organisation et
comprend_raient qu'en excluant ainsi systématiquement les étrangers des bénéfices de leur droit civil,
ils apportaient à l'agrandissement et au développement
de leur cité un obstacle considérable. Lorsque Rome,
par la force des armes, eut rendu tributaires la plupart
des nations voisines ; lorsque, par des traités d'alliance,
elle se fut liée avec les autres, il arriva bientô.t que les
Romains ne furent plus les seuls à habiter la cité et à
posséder son territoire. Les étrangers entrés à Rome
non pais comme des prisonniers et des vaincus, mais
attirés par l'hospitalité qui leur était offerte, ne tardèrent pas à y acquérir des richesses et à devenir pos·
sesseurs à leur tour. On comprend sans doute que Rome
ait refusé longtemps de cesser de les considérer comme
des étrangers et de leur accorder d'une façon générale
les mêmes droits qu'aux citoyens romains; mais il fallait
pourtant, et sous peine de leur rendre le séjour de Rome
impossible, leur accorder dans une certaine mesure
l'exercice de certains droits civils.
Dès ce moment, on aurait pu sans doute déclarer que
t .
�..
- 26 l'usucapion cessait d'être considérée comme un mode
d'acquérir exclusivement réservé aux citoyens romains,
et que les étrangers, les pérégrins, pourraient désormais
l'invoquer. Mais, ainsi que je l'indiquais plus haut, cette
façon de procéder n'était pas dans les habitudes romaines, les innovations n'étaient point faites par voie
législative, et lorsque un besoin nouveau se faisait
sentir, c'était à la coutume, aidée le plus souvent pa1·
le Préteur, qu'était réservé le soin de modifier le droit
civil ou d'en combler les lacunes. L'usucapion fut donc
maintenue avec son caractère primitif, c'est-à-dire qu'elle
resta un mode d'acquérir exclusivement réservé aux
citoyens romains; mais on vit naître à côté d'elle la
longi ternporis prœscriptio.
On ne peut indiquer d'une façon précise l'époque
exacte de la: naissance' de cette institution. On sait
pourtant qu'elle remonte à des temps fort reculés, et
l'on peut conjecturer que ce fut à partir du moment où
les relations de Rome avec les peuples voisins devenant
plus pacifiques, et le nombre des étrangers grossissant
de plus en plus, on sentit le pesoin d'une institution nouvelle qui, à l'exemple de l'usucapion, mais d'une façon
plus générale, protégeât les possesseurs de bonne foi .
Conformément à l'esprit ordinaire des 'créations du
Préteur, la longi temporis prœscriptio ne supprima ni ne
restreignit en rien l'utilité de l'usucapion; mais tandis
que les citoyens romains demeurèrent les seuls qui pussent invoquer cette dernière, les pérégrins trouvèrent
désormais dans la première. un moyen d'acquérir parfaitement analogue.
Cette nécessité de donner ·aux pérégrins un moyen
d'acquérir la propriété par la possession, fut sans doute
un ma.tif déterminant pour la création de la longi tem-
�-
27 paris p1·œscriptio, m.ais ce ne fut pas le seul. Si les
ci~oyens romains pouvaient seuls invoquer l'usucapion,
ils ne le pouvaient pas toujours, car ce moyen était inapplicable aux fonds provinciaux non investis du jus italicum. Item provincialia prœdia usucapionem non recipiunt
(Gaîus II, § 46). Par conséquent, les citoyens romains
eux-mêmes, lorsqu'ils avaient acquis un fonds de cette
nature a non proprietario, restaient sous une menace
permanente d'éviction. C'est donc un deuxième rapport
sous lequel l'usucapion était devenue insuffisante et que
nous traiterons dans le chapitre II, quand nous nous
occuperons des conditions relatives à la chose possédée.
Après avoir ainsi montré à la suite de quelles transformations sociales l'usucapion était devenue un moyen
d'acquisition insuffisant et incomplet, et comment la
longi temporis prœscriptio vint ~onner satisfaction à des
besoins nouveaux, il nous reste à étudier maintenant
quelles sont les conditions qui doivent se trouver réunies dans la person_ne de celui qui invoque ce mode d'acquérir la propriété. Ces conditions, ainsi que nous
l'avons indiqué déjà, sont ~u nombre de trois : il .faut
que le possesseur ait une juste cause de posséder, qu'il
soit de bonne foi, qu~ sa possession ait duré pendant
tout le laps de temps déterminé par la loi; nous allons
examiner la première.
�-
28 -
SECTION PREMIÈRE
De fa juste cause
La possession de celui qui invoque la prescription de
longtemps doit avoir, disons-nous, une juste cause. II
importe de se faire une idée très exacte de ce que les
jurisconsultes romains ont entendu par ces mots juste
cause en matière d'usucapion et de prescription de longtemps, et de ne pas confondre cette juste cause avec
celle qu'on retrouve dans la théorie de la tradition.
Parmi les modes d'acquérir la propriété à titre particulier, la tradition fut classée par les jurisconsultes
romains dans la catégorie des modes du droit des gens,
c'est-à-dire que l'usage n'en était pas restreint aux
citoyensromains (Gaïus II,§§ 65 et 66). En sa qualité de
mode du droit des gens, la tradition dut nécessairementapparaître avant les modes du droit civil, et il est à
remarquer qu'elle leur survécut néanmoins; dès l'époque de Justinien, en effet, les 1·es mancipi disparaissant,
la mancipation n'avait plus de raison d'être, et l'in jure
cessio, depuis longtemps inutile à l'égard des 1·es corporales, le devint aussi à l'égard des res incorporales
lorsqu'on admit pour ces dernières la possibilité d'une
quasi tradition.
Indépendamment des conditions relatives à la 1·es
tradita, pour que la tradition fût translative de propriété
on exigeait qu'il y eût remise effective du co1pus, c'est-
�-
29 -
à-dire de l'élément corporel de la possession; il fallait
en outre à cette tradition une justa causa; c'est cette
dernière condition qu'il nous importe surtout d'étudier.
En matière de tradition, la juste cause consiste dans
l'intention chez .le tra!J§ns detran~férer la propriété de
la 1·es tradita, et chez l'accipiens dans l'.intention de l'acquérir. C'est donc l'ac,Q.Qrd ré"..,iproque de deux volontés,
tendant, l'une à aliéner la chose et l'autre à l'acquérir,
qui. constitue la juste cause. Sans doute le plus souvent
cet accord de volonté sera la conséguence d'un acte
antérieur, acte obligato ire, tel que le legs per darnnatfoneni, vente ou _stipulation; ou acte dépourvu par luimême de toute force obligatoire, tel que échange, donation; roais dans aucun cas ce fait indép~ndant ne doit
êtJ:.f;l confondu avec la justa causa de l ~ tradifil.Ql!.. Il
suffira donc, pour que la tradi_tion produise son effet 01;dinaire, c'est-à-dire la translapion de propr!_été, que la
volonté récip~oque des deux parties existe i;iu m..Pment
de...laremis.e de a__c,liru;e.
Si maintenant nous nous reportons à la théorie de la
prescription de long temps, nous voyons que l'idée de la
juste cause est toute différente en cette matière. Ici, en
effet, la ·uste caus..eJle c.onsj,<St.e_plus_dans.J.e_c.o.nc.ours_d~
Çleux volouié_s, tendant l'une à aliéner et l'aajr~à acquétl!:, mais dans le fait lJJi-même antérieur...à.Ja tradition et
indépenda.ru d'illle, qui dénot_Et c.hez les parties cette in~on d'aliéner d'une part et cl'._acqQérir de l'autre. Ce
fait, ainsi que nous l'indiquions tout à l'heure, peut être
générateur d'oQJ.ig_g,t' JJ., tel qu'une vente, une stipulation,
et dans ce cas l~ tradition n'est qu'un moyen d'exécuter
une obligation antérieure, ou bien ~mut être un fait
~ll.Q.1!IVU lui-même de t out caractère obligatoire, tel
qu'un échange ou une donation, et la tradition dans ce
�-
30 -
cas vient lui donner sa force et le rendre exécutoire.
On peut donc dire d'une façon générale, et bien que
pourtant cette règle souffre quelques exceptions (1),
qu'en matière de possession la juste caus~oon:;?iste <t!:gs
un fuit ailtérieur à ln. tradition, qµi dé11ote cliez les_ ar·
ties l'intention r~ciproque d'aliéner et d'acquérir; dans
un fait d'une nature telle, que la tradition qui en est
la conséquence eût transféré la propriété si l'acte eût
émané du véritable propriétaire, nous écartons le cas
où, la chose étant une res mqg.icipi, l'obstacle au trans·
fert de la propriété vient de ce que les modes solennels
n'ont pas été employés .
On voit donc que la juste cause en matière de tradition, et la juste cause en matière d'usucapion, sont
choses parfaitement distinctes ; la différence apparaît
encore plus nette dans les applications qu'on peut faire
de ces principes, et c'est ce que nous allons montrer par
un exemple .
Soit une tradition faite par une personne qui se croit
débitrice d'une chose en vertu d'un legs ou d'une stipulation, bien qu'en réalité il n'existe ni legs ni stipulation;
si toutes les conditions requises en matière de tradition
se trouvent d'ailleurs réunies, cette tradition sera parfaite, c'est-à-dire qu'elle sera translative de propriété,
sans qu'on puisse alléguer que la justa causa fait défaut.
Sans dôute la chose n'aurait pas été livrée si le tradens
(1) Ainsi, celui qui s'empare d'une res derelicta commence
certainement a usucaper, bien qu'on ne puisse trouver de juste
cause en dehors de cette ' tradition incertœ personœ que les
Romains reconnaissaient dans la de1·elictio (L. 4, P1·0 derelicto,
liVl'e XLI, tit. 7.)
�-
31 -
avait eu connaissance de l'absence de legs ou de stipu·
lation, mais cette erreur n'infirme en rien l'existence
de cette juste cause, elle l'explique au contraire, car
elle indique d'une part que le tradens a voulu transférer la
propriété de la chose dont il se croyait faussement débi·
teur, et d'autre part que l'accipiens a entendu l'acquérir,
ce qui constitue précisément la justa causa; il n'y a pas
à se préoccuper de savoir si l'accipiens a su ou non que
la chose ne lui était pas due.
Supposons maintenant que la même personne qui se
croit faussement débitrice en vertu d'un legs ou d'une
stipulation, livre une res aliena. L'accipiens qui la prend
sachant que la chose ne lui est pas due·, ne commence
pas à prescrire, car sa possession manque d'une juste
cause : sa possession manque de juste cause, et en effet,
la juste cause en matière d'usucapion est un fait anté·
rieur à la tradition, et qui explique cette tradition, tel
que testament ou stipulation disions-nous; or, dans notre
hypothèse, ce testament, cette stipulation, n'existent que
dans l'imagination du tmclens; la possession de l'accipiens
est donc dépourvue de juste cause, et il ne peut par
conséquent pas prescrire.
Il résulte de ce que nous venons de dire, qu'une tradition faite par le propriétaire de la chose livrée, alors
même que cette chose n'était pas due, est translative
de propriété, tandis que dans la même hypothèse, la
tradition d'une res aliena ne met pas l'accipiens in causa
ucapiendi; en d'autres termes, on devient plus facile·
ment propriétaire de la chose livrée a domino, qu'on
n'usucape celle livrée a non domino. Quant à la raison
de cette différence, elle est facile à donner : si le propriétaire d'une chose est dans l'erreur et la livre parc'e
qu'il s'en croit faussement le débiteur, la faute en est
�-
32 -
à lui, et la tradition n'en produit pas moins son effet
ordinaire; la loi, d'ailleurs, ne l'abandonne pas et lui
donne une action personnelle à l'effet de contraindre
l'accipiens à lui retransférer la propriété de la chose
indûment livrée, c'est la condictio indebiti (D. liv. xn,
tit. 6); si, au contraire, l'erreur est commise par un autre
que le propriétaire de la chose livrée, il serait injuste
que celui-ci pût se trouver ainsi dépouillé sans son fait.
Dans l'hypothèse que nous faisions précédemment relativement à la chose livrée à non domino, nous avons
supposé que l'accip iens savait que la chose ainsi livrée
ne lui était pas due, et la y'usta causa faisant ainsi défaut,
nous avons conclu que l'usucapion ou la prescription de
long temps n'était pas possible. Il reste à nous demander
maintenant si la solution devait être la même dans le
cas où l'accip'iens aurait cru que la chose livrée
lui était due; ainsi l' accipiens croyait à une vente qui n'a
jamais eu lieu, à un legs qui n'a jamais été fait. La
même question peut se poser encore lorsque, par suite
d'une erreur de fait, l'accipiens croit à la validité d'un
titre qui existe en fait, mais qui est nul' en droit : ainsi,
une dot lui a été constituée, mais le mariage est nul et
avec lui la constitution de dot. Dans ces deux hypothèses'
la tradition faite en vertu de ce titre inexistant, ou nul,
permet-elle d'usucaper ? En d'autres termes, le titre
putatif peut-il remplacer le titre réel-?
En principe, il faut répondre négativement ; la y'usta
causa est une condition essentielle à l'usucapion comme
à la prœscriptio longi temporis; c'est d'ailleurs ce que dit
Justinien dans ses Institutes d'une façon très explicite :
Error falsœ causœ usucapione1n non parit ; veluti si quis
cùm non eriwrit, emisse se existimans, possiclcat; vel cwni
�-
33 -
si ctonaturn non fuerù, quasi ex donationè, possideat (1).
Si des Institutes on passe au Digeste, on trouve au
contraire que la solution de cette question a paru plus
douteuse à l'esp rit des juriconsultes romains, et l'on voit
notamment Hermogénien attester l'existence de longues
controverses : Pro legato urncapit, cui rectè legatum relictum est. Sed et si non jure legatum, rel-inquatii·r, ·vel legatuni
adeptum sit, pro legato itsuwpi, post niagnas varietates
obtinu'it (2). Cette affirmation d'Hermogénien est parfaitement exacte, aussi voit:-on que tandis que certains
jurisconsultes placent le titre apparent sur la même
ligne que le titre réel, d'autres, au contraire, déclarent
que le titre réel peut seul servir de fondement à l'usucapion.
Parmi ceux qui repoussent le plus énergiquement le
titre putatif, nous nous bornerons à citer Ulpien, qui ne
fait d'ailleurs, ainsi qu'il l'indique lui-même, qu'adopter
l'opinion de Celsus : << Celsus libro tricessimo quarto errare
esos ait, qui existimarent, cujus rei quique bonâ (ide adeptu,s
sit possessionnem, pro sua usucapere non passe, nihilque
referre, emerit necque, donMiim sit nec ne, si modo emtum
vel donatum sibi existimaverit, quia neque pro legato,
neque pro donato, ncque pro dote usucapio valeat, si nulla
clonatio, nulla dos, nullum legatum sit. Idem et in litis
œstimatione placet, eut nisi vere quis litis œstimationem
subierit usucapere non possit (3). »
La question fut donc longtemps controversée, ce que
ne ferait pas supposer la lecture des Institutes; toutefois
il en fut de cette controverse ce qu'il en avait été déjà
(1) § 11 de usucup.
(2) L. 9, D. Pro legato, livre XLI, titre 8.
(1) L. 27, D., de usurp. et usuc. livre XLI tit. 3
�-
34 -
de bien d'autres, c'est-à-dire que ni l'une ni l'autre des
deux opinions extrêmes ne triompha absolument; il se
forma une doctrine intermédiaire que nous trouvons
nettement formulée dans deux textes, l'un d'Africain et
l'autre de N ératius; d'après cette doctrine, la nécessité
du titre réel était posée comme règle générale, mais à
ce principe on apporte une restriction considérable :
dans tous les cas où le possesseur est tombé dans une
erreur plausible, dans tous les cas où les circonstances
étaient telles, que même un homme raisonnable et
attentif y · aurait été trompé, le titre putatif équivaudra
à une justa C(J!Usa réellement existante.
Voici, en effet, ce que dit Africain : (( Quod vulgo
traditum est, eum qui existiniet se quid emisse, nec
emerit, non passe pro emptore usucapere, hactenits verum
esse ait, si : nulla;rn justam ca·usam ejus erroris empto1·
habeat ; nam si forte servw vel procurator, cui emendam
rem mandasset, persuaserit ei, se emisse, atque ita
tmdiderit, magis esse, ut 'iMucapio sequatur (1). »
Né~atius est non moins explicite : Secl id, quod quis,
qwum swum esse existimaret, possiderit, usucapiet, etiamsi
falsa fuerit ejus existimatio. Quod tamen ita interpretandum est, ut prnbabilis error possidentis usucapioni
non obstet, veluti .... etc ... (2) .
Cette opinion, d'ailleurs parfaitement conforme à la
saine logique et à l'équité, finit par prévaloir d'une façon
définitive dans l'esprit des jurisconsultes de l'~poque
classique. (( Je crois volontiers, clit M. Accarias, que cette
circonstance d'une erreur plausible doit être réputée
(1) L. 4, D., Dejuris et Jacti ignorentiu. liv. XXXII, tit. 6.
(2) L. 5, § 1 D., Pro suo. livre XLI, titre 3.
�· - 35 sous-entendue dans les textes qui admettent l'usucapion
sans juste cause, et absente dans ceux qui la repoussent; de telle sorte que la controverse aurait beauc-oup
moins porté sur le principe lui-même que sur le nombre
et l'étendue des exceptions qu'il pouvait recevoir; ce
point de vue n'a pas seulement l'avantage d'atténuer la
portée de la controverse; il est le seul acceptable si l'on
ne veut pas trouver un même jurisconsulte en contradiction avec lui-même (1). >>
Cette doctrine une fois admise, les jurisconsultes en
firent de nombreuses applications; c'est ainsi que
P1·oculus déclare que le mari usucape les valeurs apportées en dot par sa femme esclave, s'il la croyait libre au
moment où il l'a épousée : quod si vir eam pecuniam pro
sua possidenda usuceperit, silicet quia eœistimavit,
·m ulierem libemm esse, propius est, ut eœistimarem eum
lucri fecisse (2). On trouve dans Paul une décision
analogue dans le cas où quelqu'un aurait acheté d'un
pupile qu'il croyait pubère, ou d'un fou qu'il croyait sain
d'esprit. (L. 13, § 1, cle usurp. et usucap. - L. 2,
§§ 15 et 16, pro empt). Il est bon de faire remarquer que
dans les différentes hypothèses que nous venons de citer
et où le titre existe en fait, mais est nul en droit, il faut
que le possesseur ait ignoré la qualité de la personne
avec laquelle il traitait; s'il a su, par exemple, que la
femme qu'il épousait était esclave, et qu'il ait cru
néanmoins que sa possession avait une juste cause,
l'usucapion deviendra alors impossible, car nous nous
trouvons en présence non plus d'une erreur de fait, mais
(1) Tome 1", page 527.
(2) L. 67, D., De jure dotium. livre XXIII, titre 3.
�-
36 -
d'une erreur de droit, et c'est une règle générale que
l'erreur de droit ne peut servir de fondement à l'u ucapion : juri~ ignorentia in us1wap ione n egatur prodesse ;
facti vero ignorentia prodesse constat, dit Pomp onius (1).
Cette doc trine, que professaient Africain et Nératius,
et que nous avons vue adoptée par la plupart des
jurisconsultes de l'époque classique, était certainement
très équitable en principe, car on ne saurait rendre
quelqu'un responsable d'une erreur à laquelle il ne
pouvait se soustraire ; mais si l'on se place au point de
vue de son application, on voit qu'elle ne saurait mél'iter
les mèmes éloges et que la critique au contraiee en est
bien fac ile. Comment, en effet, déterminer les cas dans
lesquels l'erreur du possesseur devra être considérée
comme plausible et ne faisant pas obstacle à la
prescription ; dans quels cas au contraire faudra-t-il dire
que l'erreur du possesseur a été d'une nature t rop grossière et que l'existence fictiv e d'un titre qui n'a jamais
existé, ou qui était nul aux yeux de la loi, a été
impuissante à fond er la possession ? Question évidemment délicate et susceptible d'être résolue par les
jurisconsultes en sens très divers ; aussi est-ce bien là ce
qu'ils ne manquèrent pas de faire ; de là des controverses
nombreuses . Cette doctrine présentait d'ailleurs un autre
danger, c'est que, soulevant des questions de fait ·
touj ours très délicates , elle tendait à fav oriser l'esprit
de chicane. Ces inconvénients ne tardèrent pas à se
faire sentir, et la pratique en fut tellement embarrassée
que nous trouvons au code des constitutions imp éri ales
(1) L. 4, D., De ;w·is et Jactis ignorentia. livre XXXII .
titre 6.
�-
37 -
nombreuses, qui toutes exigent absolument le titre réel :
Nullo justo titulo possidentes ratio juris quœrere dominium
prohibet (1). Au titre de la longi ternporis prœsoriptio, une
constitution de Dioclétien et de Maximien est non
moins énergique : << Nec petentum dorninium ab eo, 'cui
petentis solus error causam possessionis sine vero titulo
prœstitit, silentii longi temporis prœscriptio 1·epelli, juris
evidentissimi est (Loi 5). >> Ainsi, tandis que dans son
Digeste, iustinien nous cite l'opinion de jurisconsultes
admettant le titre putatif avec la restriction que nous
avons indiquée, dans son Code, au contraire, nous
trouvons des constitutions exigeant le titre réel ; en face
d'une semblable contradiction, il est impossible de
savoir quelle est la doctrine qu'il a entendu définitivement consacrer.
Après avoir ainsi indiqué en quoi consiste la justa
coosa usucapionis et avoir montré que c'est un fait
antérieur à la tradition, il nous reste à examiner quels
peuvent être ces faits générateurs de lajusta causa. Ces
faits sont indiqués au Digeste dans une série de titres
séparés; nous les examinerons successivement.
j)ro jJmptore. - Possède à titre d'acheteur celui qui,
à la suite d'une vente dont il a payé le prix, ou pour le
paiement duquel il a obtenu un terme, a reçu livraison ·
de la chose vendue. Nous verrons dans la section
suivante que le titre pro emptore présente une particularité remarquable relative à la bonne foi du possesseur.
Le titre Pro emptore s'applique non seulement à celui
qui possède une chose en vertu d'un contrat de vente,
(1) L. 24, De 1·ei vindic. III, titre 32.
�-
38 -
mais encore à celui qui, défendeur à l'action en rQ_Yendication, paye la litis œstiniatio et garde pour lui la chose
revendiquée : litis œstimatio similis est emplioni, dit
Ulpien('l).
L'action en revendication étant une action arbitraire
comme toutes les actions réelles, le juge ordonne que la
chose soit rendue au demandeur qui a prouvé sa qualité
de propriétaire (loi 68, de rei vendic.). Mais il. peut se
faire que le défendeur refuse d'ob~ir à l'ordre du juge et
de faire la restitution ordonµée ; dans ce cas, pourra-t-il
être contraint à l'effectuer même mctnu militari? Sans
entrer dans l'examen de cette longue controverse, nous
nous bornerons à dire que, repoussant l'opinion de
M. de Savigny et l'hypothèse d'une interpolation de
Tribonien nous adoptons l'opinion d'Ulpien formulée
dans la loi 68, et croyons possible l'exécution forcée de
la condamnation. Mais si, d'après nous, le demandeur
peut employer l'exécution f'2_rcée pour lever les obstacles
de fait, sinon les obstacles de droit, nous reconnaissons
aussi que c'est pour lui non pas une néc~té, mais une
simple faculté ; aussi peut-il, s'il le préfere, laisser au
défendeur récalcitrant la chose revendiquée et fixer sous
serment le montant de la restitution; c'est ce que les
textes appellent la lit'is œstimatio et qu'ils assimilent à
ia vente : « Possessor qui lilis œstimalù:mem obtulil pro
emplore incipit possidere (2). » La position du défendeur
est en effet sensiblement analogue à celle d'un acbe~ur;
il a refusé de restituer la chose réclamée, mais il en a
payé le prix arbitré par le demandeur, et si l'on arrivait
(1) L. 3, D., Pro emptore, liv. XLI, titre 4.
(2) L. 1 D., Pro emptore, liv. XLI, tit. 4.
�-
39 -
plus tard à établir que la propriété de la chose n'a
jamais appartenu à ce dernier, le défendeur pourrait
alors invoquer la longi temporis prœscriptio.
Nous trouvons enfin au § 3 des Fragmenta foticana
une dernière application du titre pro emptore ; il s'agit
des 1·es œstirnatœ qui ont été livrées au mari à titre de
dot pendant ou avant le mariage .
jf)ro hœrede. - Pour qu'une longi temporis prœcriptio
puisse s'accomplir au titre pro hœrede, il faut nécessairement supposer que l'initiurn prœscriptionis se trouve
·dans la personne de celui qui invoque cette prescription.
La possession de l'héritier se joignant en effet à celle du
défunt, aura dans la pel'Sonne de l'héritier le même
caractère que dans la personne du déf~1t, et si ce dernier
possédait au titre pro mnptore, p1·0 don~to ou à l'un des
autres titres énumérés dans le Digeste, la prescription
s'accomplira au profit de l'héritier au titre pro emptore,
p1·0 donato, etc ... Il faut donc supposer que le défunt ne
possédait pas la chose et que l'héritier ne peut invoquer
d'autre titre que s.a qualité d'héritier. C'est l'hypothèse
dans laquelle se place Pornponius lorsqu'il dit : « Plerique
putaverwnt, si hœres sim, ei puteni rem altquam ea; hœ·
1·editale esse, quœ non sit passe me 'lhsucapere, (1). '' Il
s'agit donc d'une chose que l'héritier trouve parmi les
biens héréditaires; il la possède croyant qu'elle appartenait au défunt, alors pourtant qu'elle lui avait été
remise en dépôt, par exemple; dans une semblable hypo·
thèse, le possesseur ne peut invoquer d'autre titre que
sa qualité d'héritier ; ce titre est sans doute inexact,
(1) L. 3, D., XLI, tit. 5.
�- 40 car la chose ne se trouvait pas parmi les choses hérédi·
taires, mais l'erreur de l'héritier est plausible; en d'autres
termes, c'est une application de la doctrine d' Africain,
et de Némtius sur le titre putatif.
p1·0 J!!}onato . - Pm donato is usucapit, cui donationis
ca;usa res tradita est, dit Paul (1), et j'ajoute qu'il faut
en outre que la personne à laquelle la chose a été
ainsi livrée soit capable de recevoir à ce titre; c'est
bien là d'ailleurs ce que suppose ce jurisconsulte, car
dans le premier paragraphe de la même loi, se référant
à l'hypothèse d'une donation faite par un père de ·
famille à son fil s actuellement sous sa puissance, il
déclare qu'après le décès du père, l'usucapion n'est pas
possible. Non, sans doute, après le décès du père,
l'usucapion ne pourra pas s'accomplir au profit du fils
au titre pro donato, car il n'y a pas eu de donation,
quoniam mulla donatio fuit (2), mais il continuera à
posséder au même titre que possédait son auteur, et à
ce titre la prœscriptio longi temporis sera possible.
Dans le paragraphe 2 de la même ·loi, Paul, parlant
des donations entre époux, déclare qu' elles ne peuvent
pas servir de fondement à l'usucapion : « Si inter vfrurn
et uxorem, donatio {acta sit, cessat usucapio . » Cette
affirmation est certainement très exacte chez un jurisconsulte de l'époque classique, mais si on remonte aux
origines de la législation romaine sur cette matière, on
voit qu'elle fut réglée d'abord d'une manière différente.
Dès le début, en effet, l'usage de la rnanus étant excessi-
(1) L. 1, D., liv. XLI, tit. 6.
(2) L. 1. Eod. tit.
�- 41 vement répandu, les donations entre époux étaient très
rares, .par conséquent aussi furent-elles longtemps
permises comme ne présentant aucun danger; à cette
époque, on le voit donc, la donation entre époux pouvait
servir de fondement à l'usucapion. Plus tard, au
contraire, la manus ayant .à peu près disparu des
habitudes romaines, le danger des donations entre époux
se fit bientôt sentir, danger résultant, comme le dit
Ulpien, de la trop grande influence qu'un époux pourrait
exercer sur l'autre pour le déterminer à se dépouiller
à son profit; les donations entre époux furent donc
prohibées.
Toutefois, comme il était certains cas particuliers
dans lesquels le motif qui avait fait interdire les dona·
tions entre époux n'existait pas, ces cas furent exceptés;
c'étaient, rar exemple, les donations qui n'appauvriraient
pas le donateur; celles que la femme ferait au mari
honoris causâ; celles qui auraient pour objet un terrain
destiné à servir de sépulture; celles qui auraient pour
objet une res aliena, et que l'époux donateui:' ne pouvait
pas usucaper. En dehors de ces cas exceptionnels et .de
quelques autres d'une nature analogue, la donation
était dénuée de tout effet et ne pouvait servir de base
à la prœsci·iptio longi temporis.
Plus tard, sous le règne de Septime Sévère, une loi
rendue sur la proposition d'Antonin Caracalla, et
appelée pour cela par les textes Oratio Antonini, vint
déclarer que la donation entre époux, quoique nulle de
plein droit, devrait être considérée· comme tacitement
confirmée, par cela seul que le donateur ne manifesterait
pas de volonté contraire jusqu'à sa mort, le mariage
durant encore à cette époque; les donations entre époux
furent donc révocables. Ait oratio : fas esse, eum
--
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�42 -
quidem, qui donavit, pœnite1·c ; herœdcm ve?·o eripe1·e
f orsitan adversus valontatem supremam ejus qui donaverit, du1·um et avarum esse (1).
Parmi les cas exceptionnels que nous citions tout
à l'heure, et dans lesquels la donation entre époux peut
servir de juste cause à une acquisition, nous avons
mentionné la donation d'une ?'es az.iena que l'époux
donateur ne pouvait pas usucaper. Si l'on se rappelle
que la prescription de long temps ne peut s'accomplir
qu'autant que le possesseur est. de bonne foi, c'est-àdire croit le t1·adens son conjoint propriétaire, on peut
nous objecter que pa1· cela même il doit tenir la
donation pour nulle, sinon il commet une erreur de
droit, erreur qui fait obstacle à la prescription de
long temps. (( La ré1)onse est fo rt simple, dit M. Acca1·ias (2) ; :on erreur ne supprime pas les éléments de fait
qui rendent la donation valable, et c'est le cas de dire :
. plus est in re quam in existimatione mentis. lL. 954,
de Jiir. el faict ignor. XXII, 6).
Enfin, nous terminerons en faisant observer que
J:-Iérmogénien, faisant ici l'application de ce principe qui
consi ·te à déterminer la nature d'une opération, non pas
par le nom que lui ont donné les parties, mais par le but
qu'elles se proposaient d'atteindre, déclare dans la
loi VI que, dans l'hypothèse d'une donation faite sous
forme de vente, le possesseur commencerait une
possession fondée non pas sur le titre pro ernptore, mais
pro donato : donationis caiisa {acta venditione, non pro
emptore, sed pro donato ?'es tradita umcapitu1· (3).
(1) L. 32, D., § 2. XXXIV, t it. 1.
(2) Tome 1", page 728, not. 1.
(3) L. 6. D., Pro donato, L. XLI, tit. 6.
�-
4.3 -
f)ro Jlerelicto. - Celui qui, trouvant une chose
abandonnée par son propriétaire, s'en empare, en
acquiert lui-même la propriété; mais de quelle manière
cette acquisition se réalise-t-elle ? Est-ce par tradition
ou par occupation? D'après M. Acca1·ias, se serait
toujours par tradition. Ce fut, dit-il, la doctrine unanime
des jurisconsultes romains, et s'ils se divisèrent, ce fut
seulement sur la question secondaire de savoir à quel
moment précis le de1·elinquens perdait la propriété.
Tandis que les Sabiniens, suivis en cela par Justinien,
la lui déniaient immédiatement, les Proculiens voulaient
qu'il perdit seulement la possession et retint la propriété
jusqu'à ce que la chose eut été occupée par un tiers.
Que les Proc·uliens aient rattaché à la tradition
l'acquisition d'une chose abandonnée, c'est une consé·
quence logique de leur système; mais que les Sabiniens,
et après eux Justinien, aient admis la même conséquence,
nous ne le croyons pas. La raison que M. Accarias
invoque à l'appui de son système est double : « Pomponius, dit-il, qui appartenait cependant à l'école
Sabinienne, assimile une res derelieta à l'œs jeté dans la
foule, •et nous savons que le peuple n'acquiert ce œs
que par la tradition. Je remarque de plus, ajoute-t-il,
que les choses nnllius, celles qu'on occupe, sont l'objet
d'une possession pro sua, tandis que les choses abandonnées font l'obj et d'un titre de possession spécial.
(Pro derelicto, X L.d, 7).
>l
•
Sans doute Pomponius compare les choses abandonnées à l'argent qu'on jette dans la foule, et que celle-ci
acquiert par la tradition; id quod quis pro derelicto
habue1·it, continuo meurn fit : sicuti cùm œs spm·serit;
mais il ajoute : ant aves a;rniserit (1); et nous savons
(1) L. 5, D.,
P1·0
derelicto, XLI, 7.
�-
44 -
que les oiseaux rendus à la liberté sont acquis par
occupation par celui qui s'en empare de nouveau. On
ne peut donc rien conclure du texte de Pomponius, et
nous ferons observer que si l'une des deux comparaisons
est exacte, c'est assurément la seconde. Lorsque en effet
je jette de l'argent dans la foule, j'ai l'intention évidente
de faire une libéralité; à qui sera-t-elle faite? peu m'importe; lorsque au contraire j'abandonne une chose qui
n'offre plus pour moi aucune utilité, j'ai certainement
l'intention d'abdiquer ma propriété, mais rien ne fait
·supposer que je veuille la transférer à quelqu'un; de
même lorsque j'ouvre sa cage à un oiseau.
Quant à la deuxième raison, tirée de ce que les choses
abandonnées font l'objet d'un titre spécial, tandis_que
les res nullius sont rangées sous le titre pro suo, nous
répondons que ces dernières n'étant pas susceptibles de
prescription, les compilateurs du Digeste n'ont pas cru
devoir leur consacrer un chapitre spécial au titre de la
prescription, et que la possession pro sito n'est pas
d'ailleurs particulière aux res nullius. Quelle que soit
.d'ailleurs l'opinion que l'on suive, si l'on suppose que la
chose a été abandonnée, le tiers qui s'en emparera
n'acquerra pas immédiatement la propriété, mais commencera une possession fondée sur le titre pro derelicto
qui pourra le mener à la prescription : Id, quod pro
derelicto habitiim est, et haberi piitamus, usucapere
• possumus (1).
§Jro legato. - Pour que la prescription puisse s'accomplir au titre pro legato, il faut nécessairement que
celui qui l'invoque ait la /'actio testamenti avec le dé(1) L. 4. D., Pro de1'elicto, XLI, 9.
�-
45 -
funt, car c'est du testament, dit Javolenus que la posses·
sion tient son origine et sa force : quia ea possessio ex
ju1·e testamenti proficiscitur (1). .
C'est dans le titre VII.I du Digeste, pro legato, que
nous avons pris les principaux arguments pour établir
l'existence de la controverse relative à l'efficacité du
titre putatif: ce même titre nous fournit encore de nouveaux exemples dans lesquels nous voyons l'erreur de
fait paraître suffisante aux jurisconsultes pour conduire
à la prescription; les cas principaux dans lesquels la
prescription peut se fonder sur ce titre sont énumérés
par Paul (2) ' : lorsque la chose léguée n'appartenait pas
au testateur; lorsque le legs a été révoqué par un co·
dicille à l'insu du légataire; lorsque une personne portant
le même nom que le légataire s'est crue désignée par le
testateur et s'est mise en possession de la chose léguée
à son homonyme. De même encore Pomponius nous in·
dique que la prescription serait possible au titre p1·0
legato, quoique la chose livrée à titre de legs fit partie
du patrimoine d'une personne encore vivante, si d'ailleurs le légataire a cru le testateur déjà mort; le mème
juri~consulte déqlare au contraire qu'on ne peut possé·
der utilement pro hœrede le bien d'une personne
vivante (3).
pro dote. - Nous avons vu plus haut, en examinant
le titre pro empt01·e, que lorsque les objets que la fem·
me s'est constituée en dot ont été livrés au mari après
estimation, celui-ci commence une possession fondée
(1) L. 7, D., Pro leg. XL, 8.
(2) L. 4, eod tit.
(3) L. 1, D., Pro hœrede, XLI,5.
-- - -- --
�-
46-
sur le titre pro emptore, et non pas pro dote; c'est une
applica tion de ce principe bien connu, que l'estimation
vaut vente. Si nous supposons au contraire que la dot
de la femme a été livrée au m~ri sans estimation, cùm
res dotales sunt, dit le § 111 des Fragmenta vaticana, et
que d'ailleurs ces objets ainsi constitués en dot n'ap·
partiennent pas à la femme, le mari commence une
possession fondée sur le titre p1·0 dote, qui le mènera
à l'acquisition de ces objets. Le jurisconsulte Ulpien (1),
après avoir constaté que rien n'est plus équitable que
cette acquisition ainsi réalisée, déclare qu'il importe peu
que la dot ait été constituée à titre partfoulier ou à
titre universel.
Ce même jurisconsulte, supposant ensuite que pour
une raison quelconque, le mariage n'a pas lieu immé·
diatement après la tradition de la dot, se demande si
la possession du mari, fondée sur le titre p1·0 dote, commence dès le jour de la tradition, ou seulement à partir
de la célébration du mariage ? Voici dans quel sens la
question aurait été résolue par le jurisconsulte Julien:
si la femme a livré sa dot àsonfutur mari sousla réserve
expresse qu'il n'en deviendrait propriétaire que du jour
du mariage, le mari ne commencera à usucaper qu'à
dater de ce jour, si les choses livrées en dot n'appartenaient pas à la femme; si au contraire la femme n'a fait
aucune réserve expres e au moment de la tradition, il
faudra supposer qu'elle a entendu que son futur mari
deviendrait propriétaire dès l'instant de la tradition, et
c'est par conséquent à partir de ce moment qu'il prescrira si les choses livrées n'appartenaient pas à la fem-
(1) L. 1, D., Pl'o clot, XLI, 9.
�_ /17 -
me. Sans doute sa possession ne sera pas fond ée sur le
titre p1·0 dote, car il ne saurait être ques tion de dot
tant qu'il n'y a pas de mariagE1 ; mais elle sera fondée
sur le titre pro siio jusqu' au jour du mariage , et se
transformera en possession p1·0 dote à partir de ce moment.
lfJro lfuo. - L e titre p1·0 suo , no~s dit Ulpien (1), présente ce caractère p~rticulier qu'on le teouve dans toute
possession en vertu de laquelle nous acquérons la
propriété . Ainsi, dit-il , lorsqu'une chose nous a été livrée
à la suite çl'une vente ou d'un legs, notre possession es t
sans doute fond ée sur le titre pro ernptore. ou p1·0 le,qato,
mais aussi sur le titre pro sua. Il convient néanmoins
de remarquer que ce titre pro sua s'applique plus
spÙ ialement à une possession dérivant d'une cause qui ·
n'est pas munie d'un nom techriique. Nous venons de
voir tout à l'heure que, jusqu'au j_our du mariage, le
mari possède à titre pro sua les obj ets livrés en dot par
sa femme. Pomponius (2) cite enco re le cas d'un partage
fait par un père de famille entre ses enfants : si dans
le lot de l'un d' eux se trouv e une res aliena, l'enfant
usucapera p1·0 suo.
lf'Jro soluto. - A la différence des ,autres titres, les
compilateurs du Digeste n'ont pas c0nsac ré un chapitre
spécial à celui-ci ; nous trouvons dans la loi 46 (de usurp .
et usuc. ) que ce titre s'applique au créancier qui a reçu
tradition de la chose due, ou de t oute autre chose qu'il
a bien voulu "agréer à sa place .
(1) L. 1, D., Pro suo, XLI, 10.
(2) L. 4,, § 1, D., XLI, 10.
�-
48 -
A ce titre on peut rattacher le titre pro cessa, qui
suppose que celui auquel j'allais intenter un procès
m'a abandonné la possession de l'objet litigieux. (L. 33,
'
§ 3, D., L. 1, 3.)
/jPro Judicato. - cc Ce titre s'applique probablement,
dit M. Accarias (1), lorsque pour exécuter une condamnation prononcée, ou, sur l'ordre du juge pour éviter
une condamnation, le défendeur livre au demandeur
une 1·es aliena. (L. 3, § 1. D., 62). »
Dans les hypothèses que nous avons examinées jusqu'à maintenant, la possession résultait d'une tradition;
il nous re~te· à faire observer que la possession accordée par le Préteur est aussi une juste cause de
• prescription : Juste possidet qui auctore Prœtore, possidet,
dit Paul (1). Cette volonté du magistrat peut résulter
d'une disposition générale de l'édit qui autorise la prescription directement et sans nouvelle décision du
Préteur.
Ainsi en est-il du bonorum emptor ou possessor.
Plus rarement elle résulte d'un décret spécial rendu
par le magistrat. On peut citer l'exemple de l'envoi en possession ordonné par le second décret du Préteur ex causâ
dMnni infecti. Si le propriétaire d'une maison qui menace
ruine ne veut pas consentir la stipulation damni infecti,
le propriétaire de la maison voisine obtient par un premier décret l'envoi en possession; au bout d'un certain
temps et par un deuxième décret, le Préteur lui donne
l'ordre de posséder, possidere jubet. Ce décret ne le rend
(1) Précis de Dt·oit Romain, tome 1, pag. 525, not. 6.
(2) L. 11, D., de acqa. vel amitt. poss. XLI, 2.
�-
49 -
pètS propriétaire de la maison, mais il le met en position de le devenir au moyen de la prescription. (L. 5.
D., 32, 2).
Il nous reste à faire observer en terminant, que lorsque l'effet du titre en vertu duquel on possède est suspendu par une condition, la prescription ne commence
pas à courir, et le jurisconsulte Paul (1) ajoute qu'il en
serait de même si le possesseur croyait faussement à
l'existence d'une condition.
Lorsque, dans la section suivante, nous étudierons en
quoi consiste la bonne foi du possesseur, nous verrons
qu'elle n'est autre chose qu'une erreur de fait, consistant à croire le tradens propriétaire de la chose livrée.
Quelques auteurs, s'inspirant de cette idée que la prescription serait imposi;;ible si le possesseur a su que la
chose livrée n'appartenait pas au tradens, en ont conclu
que le juste titre était un élément de bonne foi ; comment, en effet, soutenir, disent-ils, que la tradition ait
une juste cause, lorsque l'accipiens savait que la cho se
ainsi livrée était une ires aliena. Nous ne nous arrêterons pas longtemps à refuter cette doctrine; nous savons
en effet que. la juste cause est un acte antérieur à la
tradition et qui l'explique, acte ayant une existence
propre et parfaitement indépendante de la bonne foi.
Lorsque, par exemple, j'ai sciemment acheté la chose
d'autrui et en ai reçu livraison, je n'en suis pas moins
acheteur, quoiqu-e dans l'impossibilité de prescrire, l'obstacle à la prescription venant de ma mauvaise foi (2). Il est
enfin un dernier argument qui suffit à lui seul à refuter
(1) L. 2, § 2, D., p1·0 empt. XLI, 4.
(1) Vere dicitur quis emisse, licet mala fide, quemadmodum
qui scicns rem alienam esse emit. - Paul. L. 3, § 1, D., XLI, 4.
�-
50 -
le sys tème ci-dessus : le juste titre ne se présume pas;
c'est à celui qui prétend avoir une juste cause de possession à le prouver; s'il soutient, par exemple, qu'il possède à titre d'acheteur? qu'il prouve la vente; la bonne
foi au contraire se présume toujours ; ce sera donc à
c~lui qui prétend que la prescription était impossible,
parce que le possesseur savait que le tradens n'était pas
propriétaire de la chose livrée, à prouver la mauvaise
foi du possesseur.
SECTION
DEUXIÈME
De la bonne foi
Celui qui prétend avoir prescrit une chose, c'est-àdire avoir acquis la propriété de cette chose par sa
possession, doit non seulement avoir possédé en vertu
d'un juste titre, mais encore avoir possédé d<". bonne foi;
car, nous dit Paul (1), separala est causa possessionis et
usucapionis, et tel qui peut se prétendre acheteur ne
peut cependant pas prescrire s'il a su qu'il achetait la
chose d'autrui.
·
La loi 109, au titre de verbor'Wln significatione (D., L.
16), nous dit que la bonne foi consiste à croire que le
tradens était propriétaire de la chose, ou du moins investi
du pouvoir de l'aliéner comme mandataire ou tuteur.
(1) L. 2, § 1, D., pro empt. XLI, 4.
�-51Cette croyance, qui n'est autre chose qu'une erreur de
fait, doit se trouver dans la personne du possesseur ; en
d'autres termes, la bonne foi est essentiellement personnelle, et dans l'hypothèse où un mandataire aurait
reçu tradition d'une chose à l'insu du maître, celui-ci ne
commencerait à prescrire qu'à partir de l'époque où il
aurait connu la tradition, car sa bonne foi ne saurait
précéder la connaissance de l'acte de son mandataire.
La bonne fo i consiste, avons-nous dit, dans une erreur
de fait; mais à côté de l'erreur de fait se trouve l'er·
reur de droit; il importe donc de les distinguer soigneusement, car cette dernière, loin de constituer le possesseur en état de bonne foi, forme au ·contraire un obstacle
absolu à la prescription. (L. 4. D., XXIII, 6).
Si je reçois de Primus une chose dont je le . croyais
propriétaire, alors qu'en fait il n'en était que le simple
administrateur, je commets une erreur de fait; si,
sachant au contraire que Primus n'en était pas propriétaire, j'ai cru que sa qualité de simple administrateur
lui donnait le pouvoir d'aliéner, je commets une erreur
de droit.
Nous trouvons au Digeste (1) deux textes dans lesquels le jurisconsulte P aul, supposant que la chose a été
livrée par un mineur que je croyais pubère, ou par un
fou que je croyais sain d'esprit, déclare la prescription
possible , et certains interprètes en ont conclu que
l'erreur de fait consistant à croire à la capacité d'un
incapable, constituait le possesseur en état de bonne
foi et lui permettait d'usucaper. Nous croyons plus
volontiers, avec M. Accarias (1), que dans cette hypothèse
(1) L. 2, § 15 et 16, D., XLI, 5.
(1) Prècis de D1·oit Romain, tome 1, p. 530, not. 1.
�- 52 la bonne foi du possesseur n'est pas en cause et que la
question est toute autre : les actes faits par un incapable
étant nuls ipso jure, il sagit de se demander non pas si
le possesseur est de bonne foi, ce que suppose d'ailleurs
le texte, mais si la possession, se fondant sur un titre
nul, peut conduire à la prescription, Paul résoud cette
question affirmativement; et ce qui montre bien que
c'est là le point de vue auquel il se place, ce sont les
termes dont il se sert; utilitatis ca1tsa usucapere passe,
dit-il. On conçoit l'intérêt de .la question, car si la
bonne foi se présume, c'est au contraire au possesseur
à prouver l'existence d'une juste cause.
Nous avons dit que l'erreur de droit, à la différence de l'erreur de fait, obstacle à la prescription; on
trouve n~anmoins au Digeste (i) quelques exemples dans
lesquels, à raison de circonstances particulières, l'erreur
de droit est excusée chez certaines personnes, et d'autres, à l'inverse, où l'erreur de fait est tellemen~ grossière, qu'elle est assimilée à l'erreur de droit.
La bonne foi étant une des qualités que doit présenter la possession pour conduire à la prescription, c'est
à l'origine de la possession qu'il faut se placer pour
voir si elle présente ce caractère; or, la possession
consistant dans la possibilité de disposer physiquement
d'une chose, c'est au moment où ce pouvoir de disposer
existera, c'est-à-dire après la tradition, qu'il fauqra se
demander si celui qui désormais est possesseur, peut
se dire de bonne foi. La bonne foi n'étant exigée qu'au
moment de l'entrée en possession, il n'y aura pas à examiner si elle existait au moment où s'est produit le
(1) L. 6 et 9, D., XXII, 6.
�-
53 -
fait constitutif de la justa causa possessionnis, et ,qui
· explique la tradition : auss i voyons-nous au Digeste (1)
que celui qui a sciemment stipulé la chose d'autrui
prescrit néanmoins s'il a cru, au moment de la tradition,
que le promettant en était devenu propriétaire.
Une exception se produisait toutefois en matière de
vente; l'acheteur ne pouvait usucaper qu'à la condition
d'avoir été de bonne foi au moment du contrat et au
moment de la tradition. Il est d'abord une chose certaine et dont on trouve la preuve dans un fragment
d'Ulpien (2), c'est que cette règle ne fut pas acceptée par
tous les jurisconsultes romains, et fut au contraire l'objet
de longues controverses. Ulpien nous dit, en effet, · que les
Proculiens l'entendaient en ce sens, qu'au lieu d'exiger
la bonne foi d'après la règle générale, au moment de
l'entrée en possession, il leur suffisait qu'elle existât au
moment de la vente, tandis què les Sabiniens exigeaient
la bonne foi aux deux époques : au moment de la vente
et au moment du contrat. Ce fut cette dernière opinion,
nous apprend le fragment précité, qui finit par triompher
définitivement.
Lorsqu'on se demande maintenant quelle fut l'origine
de cette règle exceptionnelle, il faut constater qu'on en
est réduit à de simples conjectures. Il en est qui ont
voulu la trouver dans la nature même du contrat de
vente. Pour prescrire, a-t-on dit, il faut être de bonne
foi à l'initium possessionis et avoir un juste titre ; or, si
j'achète une chose que je sais ne pas appartenir à mon
vendeur, alors même que je serais de bonne foi au
moment de la tradition, je ne puis invoquer de juste
(1) L. 15, § 3, D., de usurp. et
(2) L. 10, pr. D., XLI, 3.
~uc.
XLI, 3.
�-
54 -
titre qu'à la condition d'avoir été de bonne foi au moment
de la vente, autrement je posséderais non pas pro
emptore, mais pro suo. Cette manière de voir nous paraît
tout à fait inexacte, car la vente de la chose d'autrui
étant valable en droit romain, aurait pu parfaitement
servir de juste cause à celui qui invoquait la prescription, pourvu toutefois qu'il fût de bonne foi au moment
de la tradition, et l'on ne voit aucun motif de déroger à
cette règle générale.
1' La plupart des interprètes donnent à cette anomalie
une explication historique. D'après M. Demangeat, cette
règle spéciale à la vente remonterait à la loi des
XII Tables, qui, à propos de l'usucapion pro emptore,
supposait le cas d'un homme qui bonà fide eajt. << Alors,
dit-il (1), les jurisconsultes, pour observer à la fois le
téxte de la loi et la règle générale qui veut que la bona
fides existe à l'initium .possessionis, sont arrivés à dire :
l'usucapion pro emptore suppose qu'il y a eu bonne foi,
non seulement au moment de la tradition, mais encore au
moment de la vente. n Seulement, ajoute-t-il, le texte de
la loi des XII Tables préygyait, non pas le cas de vente,
mais celui de mancipation, et i;ien ne justifie cette substitution de mots.
M. Accarias (2) considère cette conjecture comme inadmissible et la repousse pour deux raisons qui nous semblent décisives : la mancipation, dit-il, n'était pas une
justa causa usucapiendi, et en outre, ce qui prouve que
la règle particulière à la vente est très postérieure à la
loi des XII Tables, c'est que les jurisconsultes discutaient encore, au premier siècle de notre ère, sur le
(1) Cours de Droit romain, t. 1, p. 549,
(2) Précis cle Droit Romain, t. 1, p. 530, not. 3
�-
55 -
point de savoir si la bonne foi devait être exigée au
moment de la tradition. Il rattache alors oette anomalie
à la rédaction de l'édit Prétorien sur l'action publicienne,
action qui était donnée par le Préteur à celui qui bonâ
fide emit. Dès lors, comme cette action n'appartient qu'à
la personne dépossédée qui était in justâ causâ usucapiendi, les jurisconsultes durent, pour satisfaire à la
lettre de l'édit, exiger la bonne foi de l'acheteur au jour
du contrat, ce qui ne le's empêcha pas de l'exiger aussi,
et c~la par application de la règle générale, au jour de
la tradition.
L'action publicienne étant postérieure à l'usucapion,
on a quelquefois reproché à ce système d'emprunter à
l'action publicienne une règle de l'usucapion, alors qu'on
devait faire l'inverse et emprunter à l'usucapion les
règles de l'action publicienne. Cette objection ne nous
paraît nullement fondée : il ne s'agit pas, en effet, d'emprunter une règle à l'action publictenne, mais de se
demander pourquoi une règle générale de l'usucapion a
reçu une modification en matière de vente. La raison de
cette modification, on a cru la trouver dans la rédaction
de l'édit du Préteur sur l'action publicienne ; que la
modification soit de beaucoup pustérieure à la règle
générale, il n'y a là rien que de très naturel, et cette
circonstance permet même d'expliquer l'existence de la
controverse à une époque où l'action publiciénne étant
encore récente, on pouvait se demander si le Préteur
avait voulu, en matière d'usucapion pro emptore, ajouter
une condition nouvelle, ou, au contraire, remplacer une
des conditions par une autre .
Il nous reste à faire observer en terminant, que celui
qui de bonne foi a açheté la chose d'autrui et en a reçu
tradition, ne commence à prescrire que du moment où il
�- 56a payé le prix de la chose vendue, ou satisfait le vendeur
d'une manière quelconque; on ne saurait admettre, en
effet, que celui qui a besoin de prescrire pour acquérir
la propriété soit traité plus favorablement que celui qui
acquiert par l'effet de la vente. Or, si la chose eût réellement appartenu au vendeur, l'acheteur n'en serait devenu propriétaire qu'après la paiement du prix convenu.
Nous avons vu que d'une manière générale on n'exigeait la bonne foi chez le possesseur qu'à un seul
moment, à l'initium possessionis ; nous avons constaté
qu'en matière de vente il existait une dérogation à cette
règle générale, puisque la bonne foi était exigée non
seulement à l'entrée en possession, mais encore au
moment du contrat ; il nous faut encore signaler une
deuxième anomalie relative à celui qui possède pro
donato. Ici, la dérogation consiste en ce que la bonne foi
doit exister non seulement à l'initium possessionis, mais
qu'elle doit encore durer jusqu'à l'expiration du temps
requis pour la prescription. Outre un texte d'Ulpien (1),
dans lequel cette différence entre le titre • gratuit et le
titre onéreux se trouve parfaitement marquée, il existe
encore une constitution de Justinien qui ne saurait laisser
aucun doute à cet égard. L'empereur, dans la nouvelle
usucapion qu'il établit, déclare qu'il n'existera plus
désormais .aucune différence entre le titre pro donato et
les autres }ustœ causœ, et que la mauvaise foi survenue
pendant la possession du donataire n'aura plus pour effet
d'interrompre l'usucapion. C'est donc qu'antérieurement
à cette constitution, la bonne foi était requise chez le
donataire jusqu'à l'achèvement de la prescription.
A la différence de c.e que nous avons vu pour la vente,
(1) L. 11, § 3, D., VI, 2.
�-
57 -
il est beaucoup plus facile d'expliquer cette dérogation
à la règle générale. Lorsque la possession résulte d'un
contrat à titre onéreux, c'est-à-dire lorsque en échange
de la chose reçue le possesseur a donné un équivalent
en argent ou de 'toute autre nature, on conçoit que la
mauvaise foi, survenue au cours de la possession, ne
fasse pas obstacle à la prescription ; il a reçu la chose de
bonne foi et en a payé la valeur, il est en droit d'attendre
qu'on vienne la lui réclamer. Le possesseur à titre
gratuit est dans une situation toute différente ·: il a reçu
la chose et n'a rien déboursé ; dès qu'il apprend que
la chose n'appartenait pas au donateur, il doit la rendre
immédiatement au propriétaire, sous peine de s'enrichir
aux dépens d'autrui. Quel que fût d'ailleurs le fondement
de cette distinction, nous avons vu qu'ell~fuLs~pprimj_e
par Justinien.
Lorsque quelqu'un ne possède pas directement luimême, mais par l'intermédiaire d'une personne placée
sous sa puissance, d'un esclave, par exemple, la bonne foi
est exigée non seulement chez le maître, mais encore
chez l'esclave; c'est en effet ce que nous trouvons au Digeste (1) : si servus tuus emat rem, quam scit alienam licet
tu ignores alienam esse, tamen usu non capies. A l'inverse,
la bonne foi de l'esclave ne profiterait pas au maître
de mauvaise foi.
Pour résoudre la question de savoir à quel instant
doit exister la bonne foi chez le maître, si c'est au moment de l'acquisition faite par l'esclave, ou lorsqu'il a
eu connaissance de cette acquisition, il faut nécessairement faire la distinction suivante : l'acquisition réalisée
par l'esclave a-t-elle été faite sur l'ordre du maître, ou
(1) L. 2, § 10, D., XLI, 4.
�-58 bien la tradition faite à l'esclave est-elle relative à son
pécule? Dans la première hypothèse, la prescription,
ainsi que nous l'indiquons plus haut, ne commence à
courir au profit du maître qu'à partir du moment où il
a eu connaissance de l'acquisition réalisée par son esclave ; c'est donc à ce moment qu'il doit être de bonne
foi; dans la deuxième, par une disposition toute de
faveur, le maître commence à prescrire, quoiqu'il n'ait
pas encore connaissance de l'acquisition réalisée par
l'esclave ; c'est donc au moment même de la tradition
faite à l'esclave que la bonne foi devra exister chez le
maître. (L. 2, §§ 11et13, D., XLI, 4).
· Nous trouvons au Digeste deux textes (1), l'un de
Paul, l'autre de Julien, qui établissent d'une manière
générale, la nécessité de la bonne foi chez celui qui
rentre en possession d'une chose dont il avait été dépouillé avant l'ach~vement de la prescription; celui qui
est de mauvaise foi au moment où il recouvre !:!possession n'usucape pas, nous dit Paul, quia initium secundœ
possessionis vitosum est. Il existe pourtant une hypothèse
pour laquelle on admet généralement que l'existence de
la mauvaise foi chez celui qui recouvre la possession,
ne fait pas obstacle à la prescription : c'est le cas où,
par suite de l'exercice de l'action publicienne, quelqu'un
rentre en possession d'un fond provincial dont il
avait été dépouillé avant l'achèvement de la prescription.
Quoiqu'il fût de mauvaise foi au moment de l'exercice
de l'action, il ne recommencera pas moins à prescrire,
car on a pensé que si la survenance de la mauvaise foi
ne fait pas obstacle à la prescription de celui qui n'est
pas dépossédé, il doit en être de même lorsque celui
(1) L. 15, § 2, D., XLI, 3. - L. 7, § 4, D., XLI, 4.
�.- 59qui a été dépouillé rentre en possession en vertu d'une
action dans laquelle on le considère comme ayant achevé
le temps requis pour la prescription.
Il nous reste maintenant à examiner rapidement quelques cas exceptionnels dans lesquels la bonne foi n'est
pas requise chez le possesseur.
I. - Le premier de ces cas, et de beaucoup le plus
important, est l'usucapio lucrntiva pro hœrede. La découverte des Institutes de Gaïus a permis de se faire une
idée claire de cette usucapion particulière. Nous trou. vons, en effet, dans les §§ 52 et suivants, que celui qui a
possédé pendant un an le patrimoine d'une personne
décédée testat ou ab instestat, en devient l'héritier, alors
même qu'il aurait été de mauvaise foi. Quant au motif
qui a pu faire établir une usucapion qui paraît si con·
traire à l'équité : Illa ratio est, nous dit Gaïus, quod
valuerunt veteres matwriùs hœ?·editates adiri, ut essllnt qui
sacra fecerent, quorum illis temporibus swmma observatio
fuit, et ut creclito?·es haberent a quo summ consequerentur.
Et ce qui nous montre bien que la nécessité de ne laisser
subir au culte domestique, aux sacra privata, aucune interruption, préoccupa l'<;Jsprit des jurisconsultes de cette
époque, c'est un passage de Cicéron dans lequel nous
voyons que le défunt n'ayant point d'héritier, adstringitur sacris is qui de bonis, quœ ejus fuerint c'Ùlln moritur,
usuceperit plurimwm possidenclo.
Cette usucapio, qui dès le début avait été vue avec
beaucoup de faveur et faisait acquérir au possesseur
l'hérédité elle-même, ne lui conféra plus tard que la
propriété des choses corporelles héréditaires sur lesquelles sa possession avait porté. Plus tard encore, et
lorsque les sacrn privata furent à peu près tombés en
dessuétude et que le Préteur eut autorisé les créanciers
�- 60 à vendre les biens d'un débit~ur mort sans héritier,
l't'1sucapio pro hœrede n'eut plus de raison d'être. En
vertù d'un sénatus-consulte rendu sur la proposition de
l'empereur Adrien, elle cessa de pouvoir être invoquée
contre l'héritier, et Marc-Aurelle, allant encore plus loin,
établit une accusation particulière, le crimen expilatœ
hœreditatis, contre celui qui se serait emparé des choses
héréditaires avant l'adition ou la prise de possession de
l'héritier.
II. - Lorsqu'une chose a été aliénée fiduciœ causa,
c'est-à-dire lorsque l'acquéreur s'est obligé à la · restituer à l'aliénateur à l'époque où celui-ci lui aura payé ce
qu'il lui doit, ou lorsque il la lui redem~mdera, si l'aliénateur rentre en possession de cette chose d'une manière quelconque, et la conserve pendant un an, il en
acquiert la propriété; c'est ce que les jurisconsultes
romains appelaient usureceptio, de usu recipere. Toutefois, si la chose ayant été aliénée à titre de gage, le
créancier n'a pas été payé, le débiteur usucapera seulement si neque conduxerit eam ?"em a me neque prœcario
ragaverit ut eam rem possidere liceret. Cette usucapion
disparut le jour où on n'eut plus recours à l'aliénation
pour constituer le dépôt ou le gage.
III.- Sous Justinien, les servitudes urbaines ne s'éteignent point par le non usage; pour elles, il faut, de la
part du propriétaire du fonds servant une usucapio libertatis, usucapio qui s'accomplit sans bonne foi.
Enfin, on trouve encore à l'époque de Justinien une
dernière hypothèse où la prescription s'accomplit même
de mauvaise foi. Si l'on suppose qu'un esclave possédé
par une personne qui n'en est pas propriétaire 'commet
un délit, la victime du délit sera dans la nécessité d'intenter son action noxale contre le détenteur de l'esclave,
�- 61 bien qu'elle sa'che qu'il n'en est PiS propriétaire; or, si
ce détenteur refuse de réparer le dommage causé et
préfère abandonner l'esclave au demandeur, celui-ci commencera à prescrire, bien qu'il sache qu'il ne tient pas
l'esclave du propriétaire.
SECTION TROISIÈME
Du laps de temps
Lorsque au début de cette étude nous avons examiné
le caractère de la prescription, nous avo;ns dit que le
laps de temps à l'expiration duquel le possesseur d'une
chose en devient le propriétaire, était une de ces matières
livrées en quelque sorte à l'arbitraire législatif; qu'il'
appartenait à cette autorité seule de déterminer, eu
égard à l'état de civilisation et aux mœurs des temps,
l'époque à laquelle la possession se transformait en propriété. Nous avons constaté qu'à l'origine, le nombre
relativement restreint des membres d'une même nation,
où chacun pouvait avoir une connaissance approximative
des affaires des autres, devait avoir pour conséquence
l'établissement d'une prescription de courte durée. L'histoire de l'usucapion, à Rome, vient pleinement confirmer
ces considérations. Tant que le sol romain proprement
dit eut une étendue peu considérable, et tant que les
relations de citoyen à citoyen ne dépassèrent pas un
�,.- 62 -
cercle restreint, la nécessité d'un longue prescription
ne se fit pas sentir; chaque propriétaire, habitant sur
sa propriété elle-même, devait nécessairement avoir
connaissance d'une usurpation si elle se produisait, et
son silence ne pouvait s'interpréter que dans le sens de
l'abandon de la propriété au profit de l'occupan.t. Aussi
l'usucapion s'accomplissait-elle à cette époque par un
an pour les meubles et deux ans pour les immeubles :
i·er-um mobilium a.n ni, immobilium, bienni, nous dit
Ulpien (1).
Plus tard, quand le peuple romain prit une importance
de plus en plus considérable, quand les citoyens devinrent plus nombreux et le territoire plus vaste, la propriété se trouva insuffisamment protégée par les règles
de l'usucapion ; la nécessité d'une protection plus efficace
se fit sentir, surtout à l'époque où la pratique vint effacer
toute différence entre le sol provincial et le sol italique,
et Justinien,. obéissant à cette nécessité, vint décider
que désormais l'usucapion s'accomplirait, quant aux
meubles, par le délai nouveau de trois ans, quant aux
· immeubles, par les délais prétoriens de dix ans entre
présents et de vingt ans entre absents.
Comment se calcule le laps de temps exigé pour la
prescription ? Faut-il compter d'heure à heure ? Ulpien,
résolvant la question, déclare que pour calculer le délai
on compte non pas d'heure à heure, mais de jour à jour,
et il ajoute que le dernier jour est réputé accompli dès
qu'il est commencé : in usucapionibus non a momento ad
momentum, sed totum postremum diem computamus.
ldeoque qui hera seœta diei kalendarum januarium possidei·e cœpit, hora seœta noctis pridie kalendas januarias
(1) Tit. XIX, de clominiis et aclquisitionibus 1·e1·um, § 8.
�- 63 implet usucapionem (1). Ainsi on néglige le jour où a corn·
mencé la possession, et on considère le dernier comme
complet dès qu'il est commencé.
Lorsqu'avant l'expiration du laps de temps requis pour
la prescription, le prescrivant perd la possession, il
perd en même temps tous les titres que la possession lui
avait donnés à l'acquisition de la propriété, et si plus
tard il recouvre la possession, il recommencera une
prescription nouvelle.
Par application de cette règle générale, il faudrait
décider que celui qui rentre en possession de la chose
par l'action publicienne ou à l'aide des interdits Utrubi ou
Uti possidetis, doit réunir toutes les qualités requises
pour prescrire, et notamment la bonne foi. En ce qui
concerne l'action publicienne, nous avons déjà indiqué,
lorsque nous nous occupions de savoir à quel moment
doit exister la bonne foi, que 1.a solution contraire nous
semble préférable, et qu'il vaut mieux décider, sous
peine de méconnaître le caractère et le but de cette
action, qu'il n'est pas nécessaire que la bonne foi existe
encqre chez le demandeur au moment où il est r~mis en
possession de la chose réclamée. Quant aux interdits
Utrubi et Uti possidetis, la même solution nous paraît
encore la bonne. Les interdits, en effet, ont toujours été
qualifiés par les jurisconsultes interdits rœtinendœ possessionis, même lorsqu'ils ont plutôt pour effet de rendre
que de conserver la possession; or, cette qualification
indique clairement que l'on doit considérer la possession
nonpascomme interrompue, mais plutôtcommecontinuée
(1) L. 6, 7, D., XLI, tit. 3. Dans l'exemple indiqué par
Ulpien, le délai va du premier janvier à midi, à minuit avant
le premier janvier de l'année suivante.
�-
64 -
avec tous les caractères qu'elle présentait avant l'événement qui a rendu nécessaire l'exercice de ces interdits.
L'interruption de la prescription par la cessation de la
possession, c'est-à-dire l'interruption naturelle, est la
seule dont s'occupent les jurisconsultes de l'époque classique ; aucun d'eux ne parle de ce que nous appelons
aujourd'hui l'interruption civile. Il en résultait cette
conséquence, en matière d'usucapion, que, comme dans
l'action en revendication, le demandeur ne triomphe que
si son droit de propriété existait non seulement au
moment de la litis contestatio, mais encore au jour du
jugement, si dans les délais de l'instance lé défendeur
achevait l'usucapation, le demandeur ne pouvait obtenir
de condamnation faute d'intérêt. Cependant, comme le
demandeur ne doit pas souffrir des délais de l'instance,
l'usucapion accomplie au profit du défendeur n'empêche
pas que le demandeur n'obtienne gain de cause. Le juge
lui accordera tout ce qu'il aurait obtenu si justice lui
avait été rendue au moment de la l-itis contestatio, et la
revendication aboutira ainsi à une transmission de
propriété, si d'ailleurs le défendeur possède encore
au jour du jugement; car la restitution ne peut être
demandée qu'au possesseur, de même que l'action ne se
donne que contre lui. Hâtons-nous de dire qu'en matière
de prœscriptio longi temporis, une semblable conséquence _n 'était pas à craindre. La prœsoriptio fut en effet
considérée, à l'origine, non pas comme un mode d'acquérir la propriété, mais comme un moyen donné au
possesseur de repousser l'action en revendication du
propriétaire; or, comme le moyen de défense ne triomphe
que s'il est acquis au jour de la demande, la p1·œscriptio
ne pouvait être invoquée, encore que le temps requis
pour prescrire vint à expirer inter moras titis.
�-
65 ~
Dans son principe, et considérée en elle-même, la
possession n'étant qu'un simple fait, il en résulte cette
conséquence qu'elle ne saurait faire l'obj et d'une transmission proprement dite, c'est-à-dire qu'un po ssesseur
ne peut jamais, comme tel, être dite successeur du possesseur antérieur; il acquiert, au contraire, pour luimême une possession nouvelle, indépendante de celle
de son prédécesseur. Mais si ces principes sont rigoureusement exacts , il faut bien convenir que dans la pra·
tique, et surtout dans la matière de la prescription, ils
devaient être rejetés ; et, en effet, si ces idées · étaient
admises , il faudrait décider que le possesseur ne devient
pi·opriétaire qu'autant que le fait de la possession s'est
maintenu chez lui, corpore suo, soit chez son représentant, corpore alieno, pendant tout le laps de temps
nécessaire à l'achèvement de la prescription. Une semblable théorie aurait constitué un obstacle grave à la
transmission des biens ; aussi voyons-nous qu'il a été
admis, dès l'origine, que la possession utile du défunt
compte à son successeur universel. Diutina possessio , dit
Justinien, quœ prodesse cœperat defuncto, et heredi et
bonorum possessori continuatu1·. Quod nostrn constitutio
similiter, et in usucap·ionibus observari constituit, ut tempora continuentu1· (1) . Ainsi, lorsque l'héritier se met en
possession des choses laissées par le défunt, il commence une possession qui n'est, en quelque sorte, que
la continuation et le prolongement de la possession antérieure, et la propriété lui est acquise à l'expiration du
laps de temps requis pour prescrire, comme si les biens
n'avaient pas changé de mains.
(1) Inst., § 12,
de usucap.
L. 11, t. VI.
�-
66 -
Cette fâculté accordée à l'héritier de joindre à sa
possession personnelle, celle du défunt, appelée par les
jurisconsultes accessio possessionum ou continuatio possessionis, est celle qui, dans l'ordre naturel des choses,
devait se produire, et se produisit la première, parce
que le besoin s'en faisait sentir d'avantage; mais on ne
s'en tint pas là. Nous trouvons en effet aux Institutes
de Justinien (1), que même le successeur ou ayant cause
particulier peut profiter de la possession de son auteur,
en la joignant à sa propre possession : inter venditorem
quoque et ernptorem conjungiternpora Divi Severus et Anto·
ninus ?·escripserunt; et l'on a pensé avec raison que cette
accessio possessionum, admise d'abord au. profit de l'acquéreur à titre onéreux, tel que l'acheteur, le fut également plus tard au profit de l'acquéreur à titre gratuit,
tel que le donataire ou le légataire; on comprend en
effet que la situation de celui qui n'a acquis une chose
qu'en échange d'un équivalent donné par lui, ait paru
tout d'abord plus digne d'intérêt et méritât davantage
d'être sauvegardée, que celle d'un acquéreur à titre
gratuit, c'est-à-dire d'une personne qui a sans doute voulu
acquérir, mais qui n'a rien déboursé pour cela.
Bien que le successeur universel et le successeur particulier puissent invoquer l'un et l'autre l'accessio possessionum, c'est-à-dire joindre à leur possession personnelle celle de leur auteur, il faudrait bien se garder de
croire que leur condition fut identique ; elles sont séparées au contraire par des différences profondes que
nous allons indiquer rapidement.
En ce qui concerne le successeur universel, un texte
de Javolenus contient le principe de ces différences.
(1) § 13, de usucap.
�•
-
67 -
Cù11n heredes institut·i sU11nus, dit ce jurisconsulte (1), adità
hœroditate omnia quidem jura ad nos transenut, possessio
tamen, nisi naturaliter comp1·ehensa, ad nos non pertinet.
Ainsi, après l'adition d'hérédité, tous les droits passent
en la personne de l'héritier tels qu'ils se comportaient
en la personne du défunt, et parmi ces droits se trouve
la possession, car s'il es t vrai de dire que la possession
est avant tout un fait, il est également vrai qu'elle est
aussi un droit par les conséquences légales qui y sont
attachées . La possession a donc chez l'héritier les caractûes qu'elle présentait chez le défunt, ou plutôt il
n'y a pas deux possessions, mais une seule; posséssio
defuncti quasi juncta descendü ad heredmn (2) . Or, si la·
possession du défunt continue en la personne de l'héritier, il importe peu que celui-ci soit de mauvaise foi; il
en profite, dit Justinien, licet ipse sciat prœdium alienum,
et en effet, si le défunt vivait encore, la mauvaise foi
survenant en sa personne, ne l'empêcherait point d'accomplir l'usucapion.
L a condition du successeur particulier est toute autre;
il ne succède pas à la personne de son auteur, il succède
à la chose seulement ; aussi faut-il que toutes les conditions relatives à la personne, et notamment la bonne
foi; existent chez lui au moment de la prise de possession : si eam rem quarn pro emptore usucapiebas, scienti
nihi alienam esse vendideris, non capiam usu (3).
De ce principe que la possession de l'héritier a forcément le même caractère que celle du défunt, il résulte
(1) L. 33, D., de acquir·vel amit. poss. XLI, 2.
(2) Paul. L. 30, pr., D., Ex qaib. caus. maj. IV, 6.
(3) Paul, L. 2, § 17, D., pro empt. XLI, 4.
�•
-
68-
cette autre conséquence remarquable que le successeur
universel ne peut pas usucaper quand la possession du
défunt n'était pas utile. Quod si defunctus initium justum
non habuit, heredi et bonorun possessori, licet ignoranti,
possessio non prodest (1) . Le successeur particulier peut
au contraire répudier la possession vicieuse de son
auteur et invoquer la sienne propre.
Nous avons dit plus haut, qu'après l'adition d'hérédité et la prise de possession de l'héritier, la possession
de défunt se joignait à celle de l'héritier, de manière à
n'en former qu'une seule sans aucune interruption. Mais
il arrivait souvent qu'un laps de temps considérable
s'écoulait entre le décès du défunt et l'adition ou la
prise de possession de l'héritier ; pendant cet intervalle,
les choses héréditaires n'étaient certainement possédées
ni.par le · défunt, ni par l'héritier, ce qui semblait ren·
dre impossible la jonction des deux possessions. Les
jurisconsultes obvièrent à cet inconvénient en donnant
à l'hérédité jacente une sorte de personnalité : Heredi·
tas personam sustinet, disaient·ils ; et comme la possession ne subissait plus désormais aucune interruption, on
dut décider que la prescription pouvait s'accomplir entre
le décès du de cujus et l'adition de l'héritier : ante
aditam hereditem impleri constitutum est (2).
(1) Inst., § 12, de usucap.
(2) L. 40, D., de usurp.
�CHAPITRE II
Des conditions relatives à la chose
SECTION PREMIÈRE
La chose doit être in commercio
Dans un sens étroit et véritablement technique, le
corwmercium n'est autre chose que l'un des éléments de
la civitas roma;na, qui au point de vue du droit privé
donne le droit de figurer dans la solennité appelée mancipation. Ce n'est évidemment pas dans ce sens que
nous entendons ce mot, lorsque nous disons que les
· choses in commercio sont les choses qui sont susceptibles d'être prescrites, nous voulons désigner par la les
choses qui peuvent être un objet de propriété, de possession ou de créance, et nous les opposons ainsi à
celles pour lesquelles il n'y a ni droit réel ni créance
possible. Cette formule exclut les hommes libres, les
choses sacrées ou religieuses, les choses du domaine
public.
�-
70 -
I. - Les hommes libres. - Parmi les cas dans lesquels
la possession ne saurait jamais conduire à la prescription, Justinien cite en ·première ligne la possession d'un
homme libre, alors même qu'elle serait de bonne foi.
Ce n'est là qu'une application du principe de l'inaliénabilité de la liberté. Les Romains pensèrent avec raison
que la liberté était une chose trop précieuse, et d'une
nature trop noble, pour qu'elle pût jamais faire l'objet
d'une spéculatiog (1 ); or, comme la prescription s'analyse
en un abandon tacite de la part de celui auquel appartient une chose, on devait nécessairement empêcher de
réaliser par une.voie détournée ce qu'il eût été impossible
de faire directement.
II. - Les choses sacrées ou religieuses. - Sans nous
arrêter à donner une énumération complète des res divini
juris, qui formèrent à l'origine de Rome une classe très
considèrable, nous nous bornerons à citer parmi les plus
importantes, au point de vue qui nous occupe, les immeubles qui ont revêtu un caractère sacré en vertu
d'une loi, d'un sénatus-consulte, et plus particulièrement,
à compter du troisième siècle, par une constitution impériale. A partir de Justinien, la nécessité d'une autorisation publique disparut, et il appartint aux évêques de
faire à leur gré des 1·es S'1:1,Crœ.
III. - Les choses du doniaine public. - Il faut entendre
par là les choses qui sont affectées à un usage public,
c'est-à-dire commun à tous les citoyens, soit que chacun
d'eux en jouisse directement, comme les places publiques
et les rues des villes, soit que ce caractère résulte de
leur destination, comme les arsenaux et les forteresses.
(1) Lomo enùn libe1-, nullo pretio œstimatur. Pauli. sent.
L. 5, t. 1, § J.
�-
71 -
Il nous reste à faire observer que certaines choses
qui par leur nature sont in commercio, et comme telles
susceptibles d'être acquises par prescription, sont temporairement, pour des raisons spéciales, mises extra
commerciwm, et deviennent imprescriptibles : tels sont
les immeubles dotaux.
Cette imprescriptibilité des immeubles dotaux n'est
qu'une conséquence de leur inaliénabilité ; sans elle, rien
n'eut été plus facile pour le mari que d'éluder les dispositions de la loi Julia, aussi décida-t-on dès l'origine
que la dotalité faisait obstacle non seulement aux alié·
nations conventionnelles, mais qu'elle affectait la chose
d'un vice qui en rendait impossible l'acquisition par la
prescription : Nam licet lex Julia, quœ vœtat fundum dota
lem alienari, pertineat etiami ad hujus modi acquisitionem (1 ). Comme cette imprescriptibilité n'a d'autre but
que la protection de la femme, il faut en conclure
qu'elle commence et finit avec le danger qu'elle a pour
objet de prévenir, c'est-à-dire avec le droit de propriété
du mari. Elle a donc pour point de d~part le jour même
de la constitution de dot, et pour point d'arrêt le jour
de la restitution. (L. L. 4 et 12 pr., De (und dot.,
XXXIIJ,
5)._
Quelquefois certaines choses, tout en restant in commercio d'une façon générale, en sortent cependant à
l'égard de certaines personnes, et, à ce titre, deviennent imprescriptibles pour elles; tels sont les fonds
situés dans une province à l'égard du gouverneur de la
province et de certaines personnes investies de fonctions
civiles ou militaires ; les biens du pupille ou de l'indi-
(1) L. 16, D., de fund. dot. XXII, 5.
�-
72 -
vidu en curatelle, à l'égard du tuteur ou du curateur, et
d'une façon générale les biens d'un tiers à l'égard de
celui qui en a l'administration.
Les biens vacants rentrent dans la catégorie des choses
imprescriptibles. On appelait ainsi les biens des personnes décédées sans successeur et qui sont acquis au
fisc, à moins que quelqu'un n'ait commencé à les posséder avant la dénonciation de la vacance aux agents,
et seulement tant que le délai de quatre années continues
donné au fisc pour exercer ses droits n'est pas écoulé.
Enfin, il est une dernière catégorie de choses dont
l'acquisition par prescription est impossible, ce sont les
biens appartenant à un pupille ou à une personne en
curatelle.
En ce qui concerne les prœdia rustica vel suburbana,
tout le monde reconnaît que leur imprescriptibilité tient
à cette raison, que l'aliénation directe et immédiate de
ces choses étant défendues, on ne pouvait admettre à
leur égard l'aliénation par la voie oblique de la prescription. Pour les meubles, au contraire, la question de
savoir à qui tient leur imprescriptibilité paraît plus douteuse. Quelques-uns, s'appuyant sur le texte de Paul (t);
qui parle des biens du pupille sans distinguer, admettent
que l'obstacle à la prescription tient à la même cause,
c'est-à-dire à la qualité du propriétaire. Dans une autre
opinion qui nous paraît préférable, on s'appuie sur un
texte de Julien (2). Ce jurisconsulte, déclarant que les
choses volées à un pupille ne peuvent être usucapées,
considère que c'est le vol seul qui rend la chose vicieuse
et met obstacle à la prescription. Ce texte nous paraît
(1) L. 48, pr. D., XLI, 1.
(2) L. 7, § 3, D., XLI, 4.
�- 73décisif et s'appliquer aux meubles du pupille : en effet,
le vol ne saurait atteindre les immeubles, et, d'un autre
côté, comme aui yeux des Rqmains, les meubles eurent
toujours une importance secondaire; il n'y a rien d'étonnant à ce qu'ils aient .considéré ceux du pupille comme
susceptibles d'être acquis par prescription.
Quoiqu'il en soit, une constitution de l'empereur
Théodore-le-Jeune, rendue en l'année 424, vint déclarer
les biens quelconques des pupilles impresc1:iptibles.
SECTION DEUXIÈME
Des choses volées ou occupées par violence
Il fut de tout temps admis à Rome que les meubles
volés et les immeubles occupés par violence échappaient
à la prescription. Ainsi que le rapporte Justinien dans
ses Institutes, la prohibition remonte, pour les meubles.,
à la loi des XII Tables et fut reproduite par la loi
Atinia, rendue en l'an de Rome 537 : nam furtivarwrn
1·m·um lea; duodecim tabularUtm et lea; A tinia inhibent usucapionem; vi possessorum lea; Julia et Plautia; pour les
immeubles, et après qu'il fut reconnu qu'ils ne comportaient pas de furtum, elle date seulement de la loi Plautia
rendue en l'an de Rome 665, et fut renouvelée sous Auguste par la loi Julia de vi.
�-
74 -
L'esclave fugitif est assimilé aux choses volées :
prendre ainsi la fuite c'est furtum sui facere. Il y a vol et
par conséquent obstacle à la prescription, non seulement
lorsque la chose a été enlevée à celui qui en était propriétaire, ou lorsque l'esclave s'est enfui de chez son
maître, mais encore lorsque celui qui a été victime du
vol ou de la violence était un simple possesseur de la
chose . Cette solution est donnée par Paul d'une façon
positive pour le cas de violence : etiam si malà fide fwndum nie possidentem dejeceris, et vendideris, non poterit
capi, quoniam verum est vi possessum esse, licet à non
domino (1).
Lorsqu'on dit que les choses volées ne peuvent être
prescrites,_ on n'entend pas par là interdire la prescription au voleur; une telle prohibition n'eut pas été
nécessaire, car ainsi que nous l'explique Gaïus, et aprèsL,,.;..
Justinien, pour prescrire· il faut être de bonne foi et
posséder ex justâ causâ, ce qui n'est jamais le fait du
voleur ; la prohibition trouve son a1LPlication contre le
tiers de bonne foi qui possède la chose volée ex justâ
causa.
Gaïus nous fait observer qu'en ce qui concerne les
meubles, la prescription aura rarement son application,
car, en effet, presque toujours, lorsque le propriétaire
n'aura pas consenti à l'aliénation, il y aura vol. Il existe
cependant quelques cas dans lesquels l'aliénation,
quoique faite par celui qui n'était pas propriétaire de la
chose, ou qui n'avait pas le droit de la faire, ne constitue pas un vol, par cette raison qu'elle n'a pas été
accompagnée d'intention frauduleuse ; tel est le cas cité
au~· Institutès , où un défunt ayant reçu une chose à titre
(1) L. 4, § 23, D., clc usurpai.
�-
75 -
de dépôt, de louage ou de commodat, son héritier la
prenant pour un bien héréditaire, la vend-ou la donne à
une personne qui la reçoit de bonne foi.
Le vice qui affecte la re~ fwrtiva ou vi possessa et qui
rend la prescription impossible, n'est pas perpétuel et
peut être purgé par le retour de la chose volée, aux
ma~ns et en la possession du propriétaire. Cette règle,
nous dit Paul, fut établie par la loi Atinia. Pour que la
prescription soit de nouveau possible, il ne suffit pas que
la chose volée revienne aux mains du propriétaire d'une
manière quelconque ; s'il l'achète, par exemple, ignorant
qu'elle lui a été volée, elle n'est pas censée rentrée en
sa possession : il faut que le propriétaire ait eu connaissance du vol et qu'il la recouvre d'une manière légale :
cum possessionem ejus nactus sit, ut juste avelli non possit,
.t sed et tanquam suœ rei ; nam si ignorans rem mihi subrep·
tam eman, non videri in potestatem meam reversam (1).
On trouve cependant cité au Digeste un cas où il n'est
pas nécessaire que le maître sache que la chose volée
lui a été rendue pour que la prescription en soit de nouveau possible ; une chose a été mise en dépôt chez une
· personne; le dépositaire la vend pour en bénéficier, puis,
se repentant de son infidélité, il la rachète et la reprend
au même titre qu'auparavant; le vice est purgé, soit
que le maître ait connu, soit qu'il ait ignoré tous ces
faits (2). Enfin, Paul nous . apprend que le vice résultant
du vol est purgé, et que la prescription est possible lors·
que le propriétaire, après avoir exercé l'action en revendication contre le voleur, a reçu de lui, non pas larestitution de la chose, mais a accepté la litis ee~test6ttfo.
a.g~
(1) L. 4, § 12, D., XLI, 3.
(2) L. 4, § 10, D., XLI, 3.
�-
76 -
Lorsque la chose a été volée entre les mains du commodataire, du créancier· gagiste ·ou de l'usufruitier, Paul
nous apprend que pour que · l'obstacle à la prescription
soit levé, il faut que la chose revienne aux mains du
propriétaire et non du commodataire, du créancier
gagiste ou de l'usufruitier (1) . En ce qui concerne lecréancier gagiste, Labéon enseigne une doctrine con·
traire en l'attribuant à Paul. En présence de cette contradiction, on a pensé, avec raison, que Labéon faisait
allusion au contrat de fid!ucie, par lequel le débiteur se
dépouillait de la propriété : le créancier devenant alors
propriétaire, la chose devait revenir entre ses mains.
On dit qu'un fonds est occupé par violence, et que
comme tel il ne peut être prescrit, lorsque le possesseur
en ayant été expulsé, l'auteur de l'expulsion en a pris
possession ; mais si un tiers étranger aux voies de fait
s'établit sur le fonds, sa possession ne sera pas violente.
Ainsi que nous l'avons dit pour la chose volée, le vice
résultant de la violence nuit, non pas au spoliateur,, pour
lequel il ne saurait y avoir de prescription, mais au tiers
de bonne foi auquel il aurait transmis l'immeuble.
(1) L. 20, § 1, D., XLVII, 2. Deful'tis.
�-
77 -
SECTION TROISIÈME
La prescription de long temps ne s'applique
qu'aux choses susceptibles de possession
L a prescription de long temps étant, comme l'usucapion, fondée sur la possession, les choses susceptibles
d' être possédées sont les seules qui soient sqsceptibles
d' être prescrites ; nous avons donc à nous demander
quelles sont les choses susceptibles de possession.
L es jurisconsultes romains, considérant que l'un des
éléments essentiels de la possession consiste dans la
détention matérielle de la chose, en conclurent que les
choses ayant un corpus, c'est-à-dire l'élément physique,
étaient seules susceptibles de possession (1). L e droit de
propriété (pas plus que les autres droits) n' aurait jamais
dû être rangé dans la catégo rie des choses corporelles ,
car pas plus que le droit d'usufruit ou de créance, il ne
tombe sous nos sens. Mais par suite d'une habitude de
langage qu'explique la nature différente des droits, le
droit de propriété fut confondu avec l'obj et sur lequel
il porte et rangé dans la catégorie des choses corporelles. LorsG_[u'il s'agissait au contraire d'un démembrement du droit de propriété, on le distinguait de la chose
(1) L. 3, pr. de pass.
corporalia.
" Possidere autem possunt quœ sunt
�-
78 -
sur laquelle il reposait, et l'on fut ainsi amené à les
ranger parmi les choses incorporelles. La conclusion fut
donc que le droit de propriété, chose corporelle, fût susceptible de possession et par conséquent de prescription,
tandis que les autres droits, choses incorporelles, ne
pouvaient être l'obj et ni de possession, ni de prescription (1).
De bonne heure, néanmoins,)e Préteur considère que
la base du droit aux interdits, consistant en un trouble
apporté illégitimement au droit de propriété, s'il existait
d'autres droits dont l'exercice puisse être troublé par
un acte de violence, il était logique de les protéger
contre ce trouble au moyen des mêmes interdits. Or, tel
était le cas pour les démembrements de la propriété, et
notamment pour l'usufruit et les servitudes réelles, car
il est évident qu'un trouble se conçoit tout aussi bien
dans l'exercice de ces droits, que dans celui· du droit de
propriété. Aussi le Préteur accorda-t-il des interdits
utiles, et c'était reconnaître par là que la tradition
d'une servitude, soit personnelle, soit préd:iale, et la
patience du propriétaire à en souffrir l'exercice, constituait une sorte de possession que les jurisconsultes
appelèrent quasi possessio, possessio juris. On accorda
même plus tard au possesseur de ce droit une action
réelle, utile, l'action publicienne. (L. 11, § 1, D., VI, 2).
Mais faut-il aller plus loin, et décider que celui qui a
l'exercice d'un jus in 1·e, c'est-à-dire une quasi possession, pourra acquérir ce droit par la prescriptio longi
temporis? En ce qui concerne l'usufruit, la solÙtion ne
(1) L. 4, § 2i, de
incorpomle.
ltSW'P : "
Qaiu nec possicle1'i intelliqitw· jus
�-
79 -
saurait être douteuse; aucun t xte,..tln effet avant Justinien1 ne peut nermettre de supposer u'il füt susceptib~e
cl'ac uisition ar la possession. y
Quant aux servitudes, i es également certain qu'après
la loi Scribonia elles ne purent plus s'établir par l'usucapion, mais antérieurement à cette loi en était-il de
même ? L'affirmative a été soutenue; en effet, a-t-on dit,
l'usucapion n'étant autre chose qu'un mode d'acquisition
par la possession, ne saurait s'appliquer qu'aux choses
susceptibles d'être possédées; or, les servitudes étarit des
choses incorpor.elles, n'admettent pas la possession; ce
ne fut que plus tard et à une époque postérieure à la lQ.!
Scribonia, qu'on admit à leur égard une quasi possessio;
il faudrait donc supposer dans l'opinion contraire, que la
quasi possession existait avant la loi Scribonia, et disparut ensuite, ce qui est inadmissible. Il est plus probable, conclue-t-on, .que l'usucapion des servitudes était
déjà impossible avant la loi Scribonia, et que cette loi
n'eut d'autre but que de venir consacrer une règle qui
était la conséquence logique des principes admis à cette
époque.
Malg1~é la logique de ce raisonnement, l'opinion contraire nous paraît préférable. Il existe en effet au Digeste
un texte qui ne saurait être conçu d'une manière plus
affirmative, et qui nous dit que la loi Scribonia vint
désormais rendre impossible l'acquisition des servitudes
par usucapion; c'est donc qu'antérieurement cette usucapion était possible, sinon cette loi n'aurait eu aucun
sens. On peut, nous dit Paul dans ce passage, acquérir
par usucapion l'extinction d'une servitude, car ce que
la loi Scribonia est venue défendre, ce n'est pas l'extinction des servitudes par usucapion, mais leur acquisition : Libertatem servituti~m usucapi passe, verius est,
�-
80 -
quia eam usuca,pionem sustulit lea; scribonia, quœ servitutem constituit, non etiam eam, quœ libertatem prœstat
sublata servitute.
Il nous reste à nous demander maintenant si le Préteur, après avoir reconnu les servitudes susceptibles de
quasi possession, et en avoir protégé l'exercice par un
interdit, alla jusqu'à admettre qu'elles pouvaient être
acquises par la prescription de dix à vingt ans. Un point
sur lequel tout le monde e t d'accord,, et gui était unsi
consé uence nécessaire du principe admis ar le Pr teur, c'est qu'un exercice longtemps prolongé suffij;
pour faire acquéTir une servitude prédiale.; mais faut-il
aller plus loin et dire q~ de même que la propriété
peut s'acquérir par une longi tern;poris possessio, de même
les servitudes peuvent être constituées par une quasi
longi temporis possessifJ, et que lw règles de l'une sont
applicables à l'autre ?
Malgré l'autorité de certains interprètes, i10us n'hé~i
tons pas à ado ter ' ffirmafüre et à admettre qu'il
exü~te pour les ser itu.d.
uue uasi "jgng} tem11pris possessio, dont les rè les fuœnt arfaitement analogues ~
celles de la longi temporis 1!_ossessio, sauf ourtant ce quj.
regardeJa juste cause.
D'après les partisans de l'opinion contraire, le délai
exigé pour arriver à l'acquisition d'une servitude ne
serait pas un délai fixe de dix à vingt ans, comme pour
l'acquisition de la propriété, mais serait un délai variable, entièrement livré à l'appréciation du juge. L'argument sur lequel on se base est uniquement tiré des
expressions employées par les textes, dans lesquels on
trouve les mots diuturnus usus, longa quasi possessio,
longa consuétudo, longi temporis consuétudo, mais jamais
quasi longi temporis possessio. Cet argument de mots nous
�-
St -
(1) C. L, 3, tit. 34, l. 1, de servit. et acqu ...
(2) Lyon-Caen. Revue critiqua de législation, t. Ill, 1874
p 394 et 95.
(1) L. 10, D., VIII, 5. Si servit. 1Jincl.
�-
82~-
remarquer néanmoins, que si la nécessité d'une juste
cause se fait sentir quelque part, c'est surtout dans la
matière de l'acquisition des servitudes, car la propriété
étant naturellement présumée libre, c'est à celui qui
prétend le contraire à jstifier son dire.
Il est bien certain d'ailleurs qu'à l'époque de Justinien
on put acquérir les servitudes par la quasi possessio longi
temporis; il en est de même de l'usufruit, ainsi que cela
résulte de la loi 12 au Code VII, 33.
CHAPIT&E III
Effets de la Prescriptio longi temporis
SECTION PREMIÈRE
Effets de la prescription dans le droit classique
La longi temporis prescriptio fut, à l'origine, non pas
un mode d'acquérir la propriété comme l'usucapion,
mais, ainsi que nous l'avons expliqué lorsque nous recherchions le caractère de cette institution, une exception
�83 -
d'une nature particulière, qui n'avait d'autre effet que
de donner au possesseur d'une chose le moyen de
repousser la revendication du propriétaire. De ce que la
prœsc;riptio longi temporis n'était pas un mode d'acquisition, il en résultait qu'après l'expiration de dix ou
vingt ans, le propriétaire qui avait conservé son droit
pouvait toujours intenter une action contre le possesseur ; de telle sorte que la question posée au juge étant
uniquement de savoir si le demandeur était propriétaire,
devait toujours être résolue affirmativement, et le défendeur succombait nécessairement, à moins qu'il ne fit
insérer son exception dans la formule.
De ce principe que la prescription de long temps
n'était pas un mode d'acquérir, il résultait cette autre
conséquence que si le possesseur venait, pour une cause
quelconque, à perdre la possession, il ne pouvait pas
intenter une action en revendication, car cette action
n'est donnée qu'au propriétaire, et qu'il se trouvait ainsi
dépourvu de tout moyen, à moins qu'il ne réunit les
conditions requises pour exercer quelque interdit. Nous
avons eu déjà l'occasion de dire que cette situation défavorable pour le possesseur ne dura pas longtemps, et
que de bonne heure le Préteur lui accorda une revendication utile ; cc de sorte, dit M. Accarias, que désormais
la longi ternporis prœscriptio put être considérée très
exactement comme un mode prétorien d'acquérir. ,, Utilem, habet actionem, nous dit Ulpien, et Justinien, après
avoir établi que celui qui a accompli la prescription de
long temps pourra exercer l'action en revendication,
ajoute : hoc enim et veteres leges, si quis eas recte inspexit,
santiebant (1).
(1) L, 8, pr. C. VII, 39.
�-84.-
A un autre point de vue, et outre que la prœscriptio
longi temporis exige une possession d'une plus longue
durée, on peut encore dire qu'elle est moins avantageuse
que l'usucapion, car tandis que dans cette dernière, le
demandeur n'obtient gain de cause que si son droit de
propriété existe encore au moment du jugement, la prœs·
criptio ne peut être invoquée encore que le délai vienne
à s'accomplir inter moras litis, car . c'est une règle générale que nul moyen de défense ne triomphe s'il n'est
acquis au jour de la demande.
Sous un autre rapport, on a soutenu que la prescrip·
tion de long temps était préférable à l'usucapion, en ce
qu'elle fournissait un moyen de défense opposable non
seulement au propriétaire, mais encore à ceux qui
avaient des droits réels sur la chose. cc Par l'usucapion,
dit M. Demangeat (1), j'acquiers la propriété salvo jur·e
servitutis vel hypothecœ. Au contraire, quand je puis in·
voquer la prœscriptio longi temporis, ce n'est pas seulement contre le propriétaire c'est également contre tous
ceux qui prétendraient avoir acquis du chef des précédents propriétaires, un droit réel sur la chose. » Il appuie
sa théorie sur une constitution de Gordien, dans laquelle
cet empereur déclare que les créanciers hypothécaires
n'auront pas d'action contre celui qui a accompli la prescription de long temps : Dinturnum silentii11rn longi tem·
poris prœscriptione corroboratum, creditoribus pignus pm··
sequentibus inefficacem constituit actionem (2).
Cette doctrine, contraire au principe d'après lequel la
propriété ne s'acquiert que sous la réserve des charges
(1) Cour·s de droit romain, t. 1", p. 536.
(2) L. 1, C., si odv. crvd. prœscr. appo. VII, 36.
�-
85 -
dont elle est grevée, est de plus en plus abandonnée. On
considère auj ourd'hui que la prescription d~ long temps
pouvait sans doute, à la différence de l'usucapion, être
opposée au créancier hypothécaire ou à celui qui avait
une servitude, mais que ce droit, loin d'être une conséquence de la prescription opposable au propriétaire, était
un effet de la prescription accomplie directement contre
le créancier hypothécaire ou le titulaire de la servitude ;
en un mot, il y avait deux prescriptions distinctes opposables, l'une au propriétaire, l'autre aux titulaires des
droits réels sur la chose, et pour chacune d'elle il fallait
la réunion des conditions distinctes de temps et de
bonne foi. Quant au texte invoqué dans l'opinion contraire, il prouve seulement une chose, qui n'est contestée
par personne, c'est que la prœscriptio longi temporis
pouvait être opposée au créancier hypothécaire.
SECTION DEUXIÈME
Innovations
de Justinien
Lorsqu'au début de cette étude nous nous demandions pour quels motifs, à côté de l'usucapion, mode
d'acquérir fondé sur la possession, la prescription de
long temps, institution parfaitement analogue, avait pris
naissance, nous avons vu que la raison en était double :
la nécessité de donner aux pérégrins un .mode d'acqui6
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86 -
sition analogue à celui dont jouissaient les citoyens
romains, et aux citoyens romains le moyen d'acquérir
par la possession les fonds qui ne faisaient pas partie du
sol italique, c'est-à-di re les fonds provinciaux. A l'époque
de Justinien, les différences établies pour le vieux choit
quiritairc, entre les Cives romani et les Pereg?·ini, entre
le sol italique et le sol provincial, et bien d'autres encore,
avaient depuis longtemps disparu sous l'influence de la
jurisprudence plus large des Préteurs et des Constitutions impériales. Le· droit de cité, étendu peu à peu à
tous les sujets de l'empire, quelquefois même aux bar·
bares, et la distinction tout à fait artificielle des fonds
provinciaux et des fonds italiques complètement effacée,
la prœsc?·iptio longi ternporis n'avait plus de raison d'être.
Consacrant légitimement cette pratique, Justinien était
conduit à supprimer l'une des deux institutions parallèles de l'ancien droit, o~ à les fondre ensemble : c'est
à ce second parti qu'il s'arrêta. <( Pour emprunter son
propre langage, dit M. Accarias, il transforme l'usucapion (L. unie. C., De usuc. transf. VII, 31), c'est-àdire qu'il la laisse soumise aux règles qui lui étaient
autrefois communes avec la prescription, que là où il
rencontre des règles contraires, il opte ou innove; mais
que dans son silence, il faut plutôt présumer le maintien
du droit propre à l'usucapion, car, jusqu'à preuve con·
traire, qui conserve le mot conserve la chose. »
Ainsi, à partir de Justinien, celui qui reçoit une chose
à non domino et de bonne foi, celui-là en devient propriétaire, sans qu'on ait à se préoccuper désormais de
savoir s'il est citoyen romain ou pérégrin, ou si le fonds
possédé est situé en Italie ou en province . Reste à se
demander quelle doit être la durée de la possession.
Pour les immeubles, Justinien décida que la propriété en
�- -87 -
serait acquise au possesseur à l'expiration du délai de
l'ancienne prœscriptio longi temporis, c'est-à-dire après
dix ou vingt ans, et pour les meubles après un délai de
trois ans .
Quelques commentateurs, remarquant que Justinien
parle de prœscriptio ou possessio longi ternporis, tandis
qu'il emploie habituellement l'expression usucapio lorsqu'il s'agit de meubles, en ont conclu qu'on doit appliquer
aux immeubles les règles de l'ancienne prœscriptio longi
ternporis, et aux meubles les règles spéciales de l'ancienne usucapio.
Nous avons expliqué déjà que nous pensions que Justinien a entendu, sauf en ce qui concerne le délai, consacrer les règles générales de l'usucapion; et ce qui
prouve bien que la même règle existe ·pour les meubles
et pour les immeubles, ce sont les expressions employées
par Justinien aux Institutes : Constitutionem super hoc
prornulgavimus, quâ cauturn est ut res quidem mobiles
per trienniwm, irnmobiles vero per longi temporis possessionem usucapiantur. Quant aux termes longi temporis
possessio, dont il se sert quand il parle des immeubles,
cela tient uniquement à ce que désormais ils s'usucapent
par le longum ternpus, tandis qu'il réserve aux meubles
l'expression technique usucapio.
Justinien tranche, en outre, une difficulté qui s'était
élevée dans l'ancien droit, et détermine en quel sens
doivent être entendus les termes présent et absent. Le
propriétaire et le possesseur habitent-ils des provinces
différentes, la prescription s'accomplit inter absentes, et
la· propriété ne s'acquiert que par vingt ans de possession ; on n'a donc point égard, comme dans notre droit
actuel, à la situation de l'immeuble possédé. M. Accarias
fait remarquer que si l'on eût ainsi égard au domicile
�-
88 -
du propriétaire et à la sit nonuation de l'immeuble possédé, cela tient à l'influence toujours si puissante du langage. Op. abrégeait le délai inter prœsentes et non pas
contra p1·œsentem. Or, ce pluriel n'indiquait-il pas qu'il
fallait considérer le domicile du propriétaire dans son
rapport avec celui du possesseur, plutôt que dans son
rapport avec la situation de la chose? C'est le propriétaire et le p.ossesseur qui devaient être présents, non le
propriétaire et la chose.
Quant à ses effets, la prescription n'est plus, comme
autrefois, un simple moyen de défense ; elle est devenue
un mode d'acquérir la propriété ; elle fournit à celui qui
l'a accomplie une véritable action en revendication, au
moyen de laquelle il peut poursuivre la chose contre tout
détenteur.
Après avoir admis implicitement que la litis contestatio
n'interrompt pas la nouvelle usucapion, puisqu'il suppose qu'une usucapion s'est accomplie inter moras litis
(L. IV, 32, t. 17), :Justinien, oubliant, ou voulant modifier
la règle posée aux Institutes, consacra, dans la Novelle 119, chapitre 7, une décision contraire.
D'après la législation de Justinien, les mineurs ne peuvent perdre aucun droit par une prescription d'une durée
inférieure à trente ans ; il en résulte que leurs biens ne
sont pas susceptibles d'être occupés. Cette doctrine est
directement le but que l'ancien droit n'atteignait qu'à
l'aide de l'in integruni restitutio .
Quand c'est un absent, un infans ou un fou sans curateur qui possède, Justinien permet au propriétaire ou
au créancier hypothécaire d'interrompre la prescription
par une requête adressée au préteur ou au président de
la province, et, en leur absence, à l'évêque ou au defensor
civitatis. Si ces personnes font elles-mêmes défaut, il
�•
-
89 -
suffit d'afficher au domicile du possesseur une protes·
tation signée des Tabularii ou de trois témoins.
D'après l'opinion la plus généralement admise par les
jurisconsultes, les immeubles n'étaient pas, avons -nous
dit, susceptibles d'être volés ; il suffisait au possesseur
de bonne foi, que l'immeuble n'eût jamais été possédé
par violence pour qu'il· pût l'usucaper, encore que son
auteur eût été de mauvaise foi . Justinien modifia cette
doctrine en exigeant, par la N ovelle 119, que l'auteur ait
été lui-même de bonne foi, ou que, dans le cas contraire,
le maître ait eu connaissance de son droit et du fait qui
a transporté la possession à un tiers. En l'absence de ces
conditions, le possesseur, malgré sa bonne foi, ne peut
prescrire que par trente ans. Cette décision ne doit
cependant pas être étendue à ceux qui traiteraient avec
acquéreur resté de bonne foi, sinon l'usucapion des immeubles serait à peu près impossible.
�•
�DEUXIÈME PARTIE
DE LA PRESCRIPTION DANS L'ANCIEN DROIT. FRANÇAIS
Après avoir étudié l'origine de la prescri.ption et avoir
suivi son développement dans le droit romain jusqu'à
son organisation complète sous Justinien, il importe de
se demander quel fut le sort de cette institution dans
l'ancien droit français, c'est-à-dire durant la longue
période qui s'étend depuis la conquête de la Gaule par
les barbares, jusqu'à la rédaction de notre code civil.
S'il est des institutions qui ne sauraient survivre à un
bouleversement général de la société, tel qu'il dut se
produire à l'époque de l'invasion des barbares, la prescription n'est certainement pas de ce nombre. Nous
avons constaté, en effet, que c'est surtout aux époques
de trouble et de désordre que doit se faire sentir davantage la nécessité de la prescription; on conçoit donc de
quelle utilité elle devait être à une société sans cesse
livrée à la violence et à l'instabili té . La possession
étant devenue à ce moment le titre rinci J!.l,_sinon le
titre unique de la pro:r>riété, les vaincus ne manquèrent
pas de s'en faire un moyen pour conserver leurs domaines sans cesse menacés. Par une constitution rendue dès
�-
92-
l'an 5.§.9, l'em ereur QlfilaiI'al~ vint déclarer que l'Eglise,
les ecclésiastiques et les provinciales, c'est-à-diré les
Romains, pourraient se défendrê contre toute revendication par la prescription de trente ans.
Quelques années plus tard, vers 595, une constitution
de Childebert, roi d'Austrasie, établit une prescription
nouvelle dont l'origine est évidemment romaine. La
propriété d'un immeuble se prescrivait par dix ans si le
propriétaire avait son domicile dans la juridiction du
dux ou du judex où l'immeuble était situé; par trente
ans dans le cas contraire.
A côté de ces règles en quelque sorte générales, ou
du moins applicables à mw agglomération ·considérable
d'individus, et . qui exigeaient une possession de longue
durée, on trouve des chartes de communes antérieures
au treizième siècle, qui se contentent d'une durée excessivement restreinte. C'est ainsi que les chartes des
communes de Troyes, de Pontoise, de St-Quentin, dé·
clarent qu'une année de possession suffit pour acquérir
la propriété d'un immeuble. La brieveté de ce délai,
qui peut étop.ner tout d'abord, est cependant facile à
justifier : ces lois ne régissant qu'un nombre d'individus
fort restreint, le fait de la possession devait nécessairement être bientôt connu du propriétaire, et son silence
ne pouvait s'interprêter que dans le sens de l'abandon
de son droit. Rien, d'ailleurs, n'était plus variable que le
délai imposé par les différentes coutumes, et tandis que
les unes exigeaient deux ans, d'autres trois ans, la
charte de la _commune d'Amiens, rédigée en 1190, admet·
tait pour les immeubles une prescription de sept années.
A partir du treizième siècle, cette diversité dans les
délais avait déjà disparu d'une façon à peu près com·
plète, quoiqu'on retrouve pourtant le délai de sept ans
�-
93 -
d:;ms la coutume de Hayonne, et 4Beaumanoir, obéissant
à une règle à peu près générale, fixa à dix ans, daii.s sa
coutume du Beauvoisis, le temps nécessaire pour acquérir par la possession les immeubles des majeurs.
Au seizième siècle l'organisation définitive de la prescription était chose accomplie, et l'on voit presque toutes
les coutumes exiger la réunion des trois conditions nécessaires encore aujourd'hui, c'est-à-dire le juste titre,
la bonne foi et un certain laps de temps de possession.
La coutume de Paris l'établissait en ces termes dans
son article 113 : << Si aucun a joui ou possédé héritage
ou rente à juste titre, tant pour lui que pour ses successeurs dont il a le droit et cause, franchement et sans
inquiétation par dix ans entre présents, et vingt ans
entre absents, il acquiert la prescription dudit héritage
ou rente. >> Ce serait toutefois une erreur de croire que
ce délai de dix ans ait été adopté d'une façon uniforme
par toutes les coutumes . Celles qui l'admirent furent
certainement très nombreuses, et avec l'article 11 3 de la
coutume de Paris, que nous avons déjà rapporté, on
peut citer, à titre d'exemples, la coutume de Calais ,
art. 205 ; celle de Meaux, art. 80 ; celle de Blois, art.
192; celle d'Auxerre, art. 188; celle de Melun, art. 170;
celle de Verdun, art. 1, titre 13; celle de Montfort, art.
61 ; etc. Mais à côté de ces coutumes il en existait
d'autres qui n'admettaient que la prescription de trente
ans. C'est ainsi, nous dit Dunod, << que ce qui est prescriptible par dix et vingt ans, suivant le droit romain,
ne peut être prescrit que par trente ans en FrancheComté. Il en est de même . en Bourgogne, Normandie,
Nivernais, Orléanais, la Marche, Bourbonnais et Auvergne. » Et ce jurisconsulte, approuvant cette décision,
ajoute << que ces coutumes ont ainsi coupé sagement la
�-
94 -
racine d'une infinité de procès, que la diversité des temps
des prescriptions introduites par le droit romain, la
preuve de la bonné foi et la qualité des titres qu'il exige
dans les prescriptions courtes, faisaient naître. » Il fau t
enfin ajouter que si quelques coutumes, comme celle de
Lorraine, par exemple, se contentaient de la bonne foi
pour permettre la prescription, d'autres, plus sévères,
notamment celle de Bruxelles, exigeaient le titre et la
bonne foi même pour la prescription de trente ans .
Il semble que dans les pays de droit écrit, où les
traditions du droit romain subsistaient davantage, la
prescription de dix à vingt ans devait seule prévaloir, et
c'est bien là ce que dit Dunod (1).
Nous croyons plus volontiers, avec Merlin (2), que cette
règle, loin d'être absolue, comme l'affirme Dunod, souffrait au contraire de nombreuses exceptions . Chorier,
dans sa Ju1·isprudence de Guy-Pape, page 333, dit que le
parlement de Grenoble ne reconnaît que les prescriptions de trente et quarante ans; et lorsque Bretonnier
affirme, dans ses Qiiestions alphabétiques, au mot prescription, que cette Cour est la seule qui juge ainsi, il se
trompe certainement, car Serres, dans ses Institutions
au droit français, livre 2, titre 6, dit que dans les pays
de droit écdt on n'a conservé la prescription de dix à
vingt ans qu'à l'égard des hypothèques. La même doctrine était établie au parlement de Bordeaux, et l'annotateur de La Peyrère fait remarquer que bien que la
prescription de dix ans soit établie contre le créancier,
néanmoins il faut trente ans pour prescrire contre le
(1) Traité de la p1'esc1'iption, part. 2, chap. VIII.
(2) Répertoi1'e, V' prescription, section II.
�-
95 -
propriétaire. Julien, dans son Corrvmentaire sur les statuts
de Provence, tome 2, page 516, assure que la même
chose existait au parlement d'Aix.
Après ce rapide exposé, qui nous permet de constater
une foi s de plus l'infinie variété des règles de notre ancien droit français, nous allons examiner les diverses
conditions requises par les coutumes ou les pays de droit
écrit qui admettaient la prescription acquisitive de dix
à vingt ans.
CHAPITRE IER
Du juste titre
Dunod, après avoir constaté que le droit civil, comme
le droit canon, exigent que la possession soit fo ndée s ur
un juste titre pour mener à la prescription, après un
délai de trois ans pour les meubles, et de dix ans poi;tt'
les immeubles , le définit de la mani ère suivante : cc ~
· 't_p..e.s_ gens,
~~n elle-même, soit ar
~.LJ2ar le droit civil, à transférer l e domaü1e, ''
Or, comme dans notre ancien droit, le simple consentement ne pouvait à lui ~eul transférer la propriété, c'est
avec raison que ~· a pu dire que le juste titre était
~t , ou un autre aci&_, de natun à transférer la
�..-- 96 p_!'gpriété par la tradition }!i _.Q.!!_~tait~ conséquence,
~e manière que l.orsque la propriété n'était pas transférée, c'était par le défaut de droit en la personne qui faisn,it la tradition, et non par le défaut du titre en conséquence duquel la tradition avait été faite. La notion du
juste titre est donc dans notre a!!_ciell_droit français ce
qu'elle était en droit romain, c'est-à-dire que le juste
titre est un acte juridique antérieur à la tradition et qui
l'explique, acte qui aurait eu pour conséquence le transfert de la propriété s'il eût émané du véritable propriétaire. Les contrats de vente, d'échange, de donation, les
' legs, etc., sont donc des justes titres ; au contraire, un
bail à ferme ou à loyer, un contrat de nantissement,
n'en sont pas.
Par application des principes du droit romain, c'était
à celui qui prétendait que sa possession était fondée sur
un juste titre, à justifier de l'existence de ce titre. S'il
prétendait, par exemple, qu'elle provenait d'une vente, il
devait en justifier par la présentation d'une expédition
du contrat qui avait été passé devant notaire. Si la
vente avait été faite sous signature privée, le possesseur de l'héritage en justifiait suffisan1ment par la
présentation de l'acte sous seing privé qui la constatait.
Mais ici se présentait un danger, car si, même à_ l' é~'trd
des ti~rs, cet acte sous seing privé prou!ait l'existerice
de la vente, il y avait à craindre que la facilité de l'antidater ne poussât les parties à la fraude. Un arrêt du
29 novembre 111.§..(1) vint pa~r à cet inconvénient, en
décidant que le possesseur devrait prouver par témoin
la durée de la possession qui procédait de ce titre.
(1) Journal cles Audiences, tome 6.
�- 97 Quant à fair e par témoin la preuve de la vente ellemême, ou de tout autre juste titre, le possesseur n'y était
autorisé ~e dans les trois cas
i nts : lorsque la
chose vendue était d'une valeur qui n'excédait pas cent
livres ; lorsqu'il y avait déjà un commencement de preuve
par écrit; lorsque l'écrit dressé pour constater l'existence du juste titre avait péri par suite de quelque
accident de force majeure ; lorsqu'il avait été détruit,
par exemple, dans l'incendie de la maison où il avait été
déposé, et, d'une faço n générale, toutes les foi s que le
possesseur pouvait justifier qu'il avait été perdu sans sa
faute.
La coutume du Poitou présentait une disposition bien
singulière en ce qui concerne le mode de preuve admis
pour établir l'existence d'un juste titre. Le possesseur
était cru et était dispensé de toute autre preuve , lorsqu'il
affirmait sous serment que l'immeuble pour lequel il
opposait la prescription lui avait été livré par un ti ers
en vertu d'un j~s te _!;itre. Il existait cependant deux cas
dans lesquels le serment du possesseur était impuissant
à établir l'existence d'un juste ti tre ; c'était, premièrement, lorsqu'il disait qu'il avait acquis l'immeuble du
demandeur lui-même, et que celui-ci le niait sous serment; et en second lieu, lorsqu'il prétendait que le juste
titre s'était produit, non pas en sa personne, mais en
celle de son auteur.
P othier (1) fait remarquer que cette disposition de la
coutume de P oitou, d' après laquelle le possesseur justifiait par son serment de l'existence du juste titre de sa
possession, devait être restreintè au territoire de cette
(1) Traite de la prescription art. IV, part. 1.
�-
98 -
province, car, ajoute-t-il, « elle ne s'accorde guère avec
l'horrible corruption des mœurs de notre siècle et avec
l'irréligion qui fait tant de progrès, et qu'on professe si
publiquement et si impunément . »
D'après Dunod, le titre sur lequel se fonde la possession doit présenter les caractères suivants; il faut :
® qu'il soit certain ;@ qu'il soit véritable et qu'il puisse
être appliqué à celui qui veut s'en servir;@ enfin qu'il
soit valable et capable de mettre le possesseur en bonne
foi, car, dit-il, cc l'erreur de droit n'excusant pas, il ne
suffirnit pas de croire bon un titre qui serait nul. »
D'après J;..othier (1), il fout: @ que le titre soit valable;
@ qu'il ne soit pas suspendu par quelque condition;
(fil) enfin, qu'il continue d'être le titre de cette possession
pendant tout le temps requis pour l'accomplissement de
la prescription. Le titre nul, nous dit Pothier, n'étant
pas un titre, la possession qui en procède est une possession sans titre qui ne peut opérer la prescription, et
comme exemple d'un titre nul, il cite le cas où quelqu'un s'est mis en possession des biens de son parent
qu'il croyait mort, quoique celui-ci fût encore vivant.
Il rapproche de ce cas celui où un légataire s'est mis en
possession, du vivant du testateur, de la chose léguée,
et il déclare que dans ce cas la possession a un juste
titre. cc Cujas, nous dit-il, donne pour raison de cette différence qu'il ne peut pas y avoir de succession d'un
homme vivant, au lieu qu'il peut y avoir des legs d'un
homme vivant, un testateur pouvant délivrer d'avance à
q)..lelqu'un la: chose qu'il lui a léguée. >>
Le titre putatif était-il suffisant pour mener à la prescription? Po-thier, adoptant la théorie du droit romain,
(1) frescrip . part. 1, chap. 3, art. 2.
�-
99 -
n'hésite pas à résoudre. cette question affirmativement
et réfute l'opinion contraire qui avait été soutenue par
Lemaitre . Celui-ci, s'appuyant sur les termes mêmes de
la coutume de Paris « si aucun a joui et posséclé ....... à
juste titre, etc ., en concluait que le système romain avait
été abandonné par cette coutume et autres semblables,
car, disait-il, l'opinion erronée d'un titre, quelque fon dement qu'elle ait, n'est pas un titre et ne peut pas
remplir ce que la coutume exige pour la prescription.
La réponse, disait Pothier, est que l'opinion qu'a le ,
possesseur que sa possession procède de quelque juste
titre, quoiqu'elle soit fausse, lorsqu'elle est appuyée sur·
un juste fondement, est elle-même un juste titre comme
sous le titre général p1'o sua : un tel possesseur peut
donc dire qu'il est dans les termes de la coutume de
Paris et qu'il a possédé à juste titre : << La coutume de
Paris, en l'article 113, ajoute-t-il, et les autres coutumes
semblables n'ont entendu faire autre chose que d'adopter
la décision du droit romain sur la prescription de dix et
vingt ans : les dispositions de ces coutumes doivent donc
s'entendre et s'interpréter suivant les principes du droit
romain, lorsque rien n'oblige de s'en écarter. >i
�CHAPITRE II
De la bonne foi
La bonne foi qui doit accompagner la possession pour
opérer la prescription est, nous disent les anciens auteurs, la juste opinion qu'a le possesseur d'avoir acquis
la propriété de la chose qu'il possède; en d'autres termes,
c'est la croyance, chez le possesseur, que la chose lui a
été transmise par celui qui en était propriétaire.
Comme on se demandait, nous dit Dunod, si celui qui
doutait était de bonne foi, on avait distingué deux sortes
de doutes : le possesseur pouvait. avoir des doutes sur
les droits de celui qui lui avait transmis la chose; ce
premier doute pouvait en faire naître un autre chez lui,
sur le point de savoir s'il devait retenir la chose en
sûreté de conscience et sans péché. Lorsque ces deux
doutes étaient réunis, le possesseur ne pouvait ni commencer, ni continuer une possession utile pour la prescription. Le motif qui avait fait admettre cette solution
était que celui qui est incertain sur le point de savoir
s'il doit continuer ou abandonner la possession de la
chose abdique, en quelque sorte, l'animus domini, condition essentielle à toute prescription. Si le do.ute portait
seulement sur le droit de celui qui lui avait transmis la
chose, la prescription ne pouvait sans doute pas corn-
�-
101 -
mencer, mais le possesseur pouvait continuer la prescription commencée déjà, lorsque, malgré ce doute, il
n'en était pas moins décidé à conserver le bien et à l'acquérir par prescription ; c'était une application de la
doctrine romaine mala (ides superveniens non nocet ; le
possesseur n'était pas sans doute à l'abri de tout reproche,
mais au moins avait-il conservé l'animus po'Ssidendi.
En ce qui concerne l'erreur de droit chez le posses·
seur, Dunod répond qu'elle était une excuse suffisante
« si la matière était épineuse et difficile, mais que si le
doute portait sur un droit clair, l'ignorance du droit
n'excusait pas la mauvaire foi. >> Pothier, s'appuyant sur
le texte de Paul, numquami in usucapionibus juris errnr
possessori prodest, rejetait dans tous les cas l'erreur de
droit.
D'après le droit romain, il suffisait que la bonne foi eût
existé chez le possesseur au commencement de la pos·
session j la connaissance qu'il pouvait acquérir plus tard
que )a chose ne lui appartenait pas, ne faisait nullement obstacle à la prescription et la chose devenait
sienne à l'expiration du temps requis pour prescrire. Le
droit canonique, au contraire, exigeait que la bonne
foi eüt existé chez le possesseur pendant toute la durée
de la possession : quoniam omne quod non est eœ fidè,
peccatum est .... , unde opportet, ut qui p1·œscribit, in nulla
temporis pa;rte, rei habeat conscientiam alienam ; de là la
question de savoir si le droit canon devait être suivi de
préférence au droit civil. Cette difficulté avait donné
naissance à cinq opinions différentes qui nous sont rapportées par Dunod de la manière suivante :
<< La première soutenait que les lois civiles doivent
être suivies dans les terres du prince q~i les a faites ou
reçues, et les canons seulement dans les terres du pape.
7
�-
102 .-
La seconde, que les lois civiles . servent de règle pour
le for extérieur et que l'autorité des canons doit être
bornée au for intérieur ou de la conscience.
La troisième, que les canons ne sont applicables qu'à
la prescription des choses, et que les lois civiles sont
demeurées dans leur force pour celles des· actions personnelles.
La quatrième étend les canons aux actions personnelles , même lorsque le débiteur a été mis en retardement.
La cinquième , que les canons doivent être suivis préalablement à toute loi qui autoriserait la prescription en
mauvaise foi . » Cette dernière opinion fut adoptée par
Pothier. « Cette disposition du droit canonique est très
équitable, dit-il. Par ln. connaissance qui survient au
possesseur avant qu'il ait accompli le temps de la prescription, que la chose qu'il avait commencé de bonne foi
à prescrire ne lui appartient pas, il contracte l'obligation
de la rendre, laquelle obligation naît du précepte de la
loi naturelle, qui défend de retenir le bien d'autrui. Cette
obligation étant une fo is contractée , dure toujours jusqu'à ce qu'elle soit acquittée et résiste à la prescription (t ). >>
Comme sous l'empire du droit romain, le successeur
pouvait joindre à sa possession celle de son auteur'.
Lorsque c'était un héritier ou .un autre successeur universel, sa possession étant censé n'être que la continuation de la possession du défunt, si ce dernier avait possédé de bonne foi un héritage et était mort avant l'accomplissement du temps de la prescription, son héritier,
quoiqu'il fût de mauvaise foi, pouvait l'acquérir par pros(1) Prcscrip . part. J, cliap. II art. 1.
�-
f03 -
cription en continuant à le posséder pendant le temps
qui restait à courir. Cette conséqueli.ce, exacte suivant le
droit romain, ne l'était plus dans notre ancien droit, car
nous avons vu que d'après la règle empruntée au droit
canonique: la bonne foi du possesseur devait durer pendant tout le temps requis pour prescrire. L a question de
savoir si l'héritier bénéficiaire hérite de la mauvaise foi
de son auteur avait fait cloute. Dunod pensait avec
raison que l'héri tier bénéficiaire n'en reste pas m~ ü1s un
véritable héritier , un successeur universel qui représe nte touj ours la personne du défunt.
CHAPITRE III
Du laps de temps
D'après la coutume de Paris, article 113, la prescription s'accomplissait par dix ans entre présents et vingt
ans entre absents. Le sens dans lesquels ces mots présents et absents s'entendaient était le même que sous
Justinien, c'est-à-dire que la prescription était censée
courir entre présents lorsque, tant le pos·s.esseur que le
propriétaire, demeuraient l'un et l'autre dans le ressort
du même parlement. On ne tenait nul compte de la situa.
tion de l'immeuble. L'article 116 de la ·coutume de Paris
dit : sont réputés présents ceux qui sont clemeurants en
la ville, prévoté et vicomté de P aris » , et la coutume de
�- 104 Meaux, article 82, cc on tient pour présents ceux qui
demeurent au même baillage royal. »
Lorsqu'on dit que la prescription court entre présents
quand le possesseur et le propriétaire ont leur domicile
dans le même baillage, on entend parler du domicile de
· fait, et c'est dans ce sens que le prend l'ordonnance
de 1667; il ne suffirait donc pas que l'un et l'autre eussent leur domicile de droit dans le même baillage, si
l'un ou }'autre n'y avait pas sa demeure actuelle. Lorsque
le possesseur ou le propriétaire n'avait de demeure fixe
nulle part, la prescription était censée courir entre
absents. Quand la prescription avait commencé entre présents et que, avant son accomplissement, le possesseur
ou le propriétaire transférait son domicile dans un
autre baillage, il fallait, pour l'accomplissement de la
prescription, doubler le temps qui restait à courir pour
la prescription de dix ans. Dans le cas il~verse, il ne
fallait plus, pour accomplir li:t prescription, que la moitié
du temps qui restait à courir de la prescription de vingt
ans, lorsque le propriétaire et le possesseur commençaient à demeurer clans le même baillage.
La coutume de Sedan s'était F,;eule écartée du droit
commun et faisait dépendre la présence ou l'absence de
la distance qui séparait l'héritage du domicile du propriétaire : cc Sont réputés présents, dit l'article 313, ceux
qui sont demeurants dedans dix lieux à l'environ de la
situation de l'héritage; et ceux qui sont clemeurants plus
loin que de dix lieux sont réputés absents. »
Lorsque quelqu'un prescrivait un héritage contre d~ux
propriétaires par indivis dont l'un habitait le même
baillage que le pbssesseur, et l'autre un baillage différent, la prescription de dix ans s'appliquait seulement à
la part de celui qui était réputé présent.
�CHAPITRE IV
Au profit de qui et contre qui pouvait courir la
prescription ? Effets de la prescription
Nous avons vu que dans le droit romain, les citoyens
étaient seüls admis au bénéfice de l'usucapion. Les
mêmes motifs qui avaient déterminé l'application de cette
règle à Rome, paraissent devoir recevoir application
dans notre ancien droit français, pour y exclure du droit
d'acquérir par prescription les étrangers non naturalisés.
Aussi Pothier pensait-il que le temps de la· prescription ne pouvait courir à leur profit tant qu'ils
n'avaient pas obtenu des lettres de naturalisation.
Le seigneur ne peut prescrire contre son vassal, était un
axiome reçu dans la plupart des coutumes ; il devait être
entendu en ce sens que le seigneur ne pouvait acquérir
la propriété du fief de son vassal en le possédant en
vertu d'une saisie féodale faite en sa qualité de seigneur ;
en effet, le seigneur possédait le fief saisi, non pas
comme s'il devait le conserver toujours, maisjusqu'à ce
que le vassal se présentât à la foi.
Il y avait dans notre ancien droit certaines personnes
contre lesquelles la prescription ne courai~ pas ; tels
étaient _les mineurs de vingt-cinq ans. Bien plus, lorsque
la prescription avait commencé à courir contre un
�- 106 majeur auquel succédait un mineur, elle était suspendue
au profit de cet héritier pendant sa minorité . Il y avait
cependant quelques coutumes qui s'étaient écartées de
cette règle ; celles du Ludunois et de Bretagne déclaraient que la prescription continuait à courir contre les
mineurs lorsqu'ils étaient pourvus de tuteurs . « Les
prescriptions commencées avec les · majeurs courent
contre ..... les mineurs, étant pourvus de tuteurs, etc ... >>
dit l'article 9 de la coutume de Bretagne.
A côté des biens des mineurs on rangeait dans la
catégorie des biens qui n'étaient pas soumis à la prescription de dix ou vingt ans : 1° les biens des églises et
des communautés ; la prescription de quarante ans leur
était seule applicable ; 2° les biens du domaine de la couronne. Le décret de 1790, qui déclarait à l'avenir le
domaine national aliénable, décida aussi qu'il pouvait
être prescrit, mais seulement par une possession de
quarante ans .
Les choses incorporelles étaient, dans notre ancien
droit, susceptibles de quasi possession et pouvaient,
comme telles, être acquises par la prescription de dix
à vingt ans par la jouissance qu'on en avait eue pendant ce temps-là. C'est ce qu'exprime formellement la
coutume de Paris : << si aucun a joui ou possédé héritage ou 1·ente ... '' ce qui s'entendait tant des rentes consti. tuées que des rentes foncières, et s'étendait aux autres
choses incorporelles. Quant à la prescription des servitudes, la plus grande diversité régnait dans les coutumes
(Merlin, Report. v0 • servit. § 22 et suiv .). On pourrait
cependant ranger les coutumes en quatre classes : les
unes admettaient la prescription pour toutes les servitudes sans distinction ; les autres ne l'admettaient que
pour certaines servitudes. Il y en avait qui rejetaient
�-
107 -
absolument la prescription, d'autres, enfin, qui suivaient
la regle « nulle servitude sans titre n et n'admettaient
pour la prescription que la possession colorée .
La prescription de dix à vingt ans était, dans notre
ancien droit, un véritable mode d'acquisition de la propriété; cette manière de voir, exprimée formellement
par l'article 113 de la coutume de Paris, avait été adop tée par la plupart des autres coutumes; l'article 118 de
la coutume de Senlis dit : << ils acquièrent par prescription la propriété et seigneurie, '' et l'article 431 de
celle d'Anjou.« a acquis le droit de propriété de la chose. n
La prescription faisait acquérir non seulement la propriété, mais, aux termes de l'article 114 de la coutume
de Paris, elle la faisait acquérir <<franche et quitte; ''
?lle éteignait donc de plein droit les rentes foncières,
hypothèques et autres charges réelles dont l'héritage
était grevé , pourvu, toutefois, que le possesseur eût été
de bonne foi et eût ignoré l'existence de ces charges.
Quoiqùe les coutumes disent « toutes rentes))' il faut néanmoins en excepter celles qui sont récognitives de la
seigneurie directe que le seigneur, de qui l'héritage
relève, s'est réservé; les droits de seigneurie étaient en
effet imprescriptibles, et il en était de même des devoirs
et des redevances qui en étaient ré~ognitifs. De même
encore le possesseur ne pouvait acquérir par prescription l'affranchissement du retrait seigneurial ou du retrait
lignager, car ces retraits étant de droit commun, il
avait dû s'y attendre ; la prescription, au contraire, le
déchargeait du retrait conventionnel.
Les droits de substitution dont les héritages pouvaient
être chargés n' étaient point sujets à la prescription de
dix ou vingt ans, lorsque b substitution avait été insinuée ; le motif en était que le possesseur de l'héritage
�-
108 -
grevé ne pouvait être de bonne foi, car il avait dû consulter les registres publics où ces substitutions étaient
enregistrées.
A l'époque de la rédaction du Code civil, le proj et du
titre de la prescription ayant été communiqué aux Cours
d'appel, il y en eut quelques-unes qui, se fondant sur
les difficultés que faisaient naître le domicile du propriétaire, souvent incertain, et la bonne foi du possesseur, proposèrent de supprimer la prescription acquisitive de dix et vingt ans. Le législateur pensa avec raison
que ces difficultés, quoique réelles, n'étaient cependant
pas suffisantes pour faire rejeter une institution aussi
utile, et le Code, dans son titre XX, décrété le 24 ventôse an XII , consacra la prescription décennale à côté de
la prescription trentenaire. Ap rès avoir constaté que la.
prescription s'impose par des considérations d'ordre
public, M. Bigot-Prearnenen, l'orateur du gouvernement,
déclare qu'une distinction doit nécessairement être faite
entre le possesseur avec titre et bonne foi, et celui qui
n'a à opposer que le fait même de sa possession : cc Le
possesseur avec titre et bonne foi, dit-il, se livre avec
confiance à tous les frais d'amélioration; le temps après
lequel il doit être dans une entière sécurité doit donc
être beaucoup plus court. Quant aux possesseurs qui
n'ont pour eux que le fait même de leur possession, on
n'a point de raison pour traiter à leur égard les propriétaires avec plus de rigueur que ne le sont les créanciers à l'égard des débiteurs. ''
<:..
�TROISIÈME PARTIE
DROIT FRANCAIS
>
DE LA PRESCRIPTION PAR · DIX A VINGT ANS
(Code civil, art. 2265-2269)
INTRODUCTION
Il est universellement admis que la possession est le
fait par lequel le droit de propriété se manifeste, d'où il
suit que, lorsque le droit marche d'accord avec le fait, la
possession est unie à la propriété, sans que la volonté
du propriétaire qui consent ·à céder la possession à un
tiers, comme dans le cas de louage, brise le lien qui unit
le droit au fait, car alors le propriétaire est censé jouir
de la chose par son fermier . .Mais lorsque le droit de
propriété est contesté, et que, parmi des personnes qui
�110 allèguent des prétentions également plausibles, il faut
rechercher où il se trouve, on est alors forcé de considérer la possession abstraction faite de la propriété. La
loi, fidèle à ce principe que la possession est un attribut
ùe la propriété, présume pro:visoirement, et jusqu'à
preuve contraire, que celui qui possède est propriétaire ;
si la possession a été assez longue pour établir cette
présomption, si elle a duré un an et un jour, elle lui
accorde les actions possessoires; si elle a continué pendant dix ou vingt ans avec certaines conditions, la loi
déclare le possesseur propriétaire.
Quelques auteurs , considérant rue la prescription
repose en grande partie sur la présomption de fait d'un
droit antérieurement acquis, ont pensé que la rédaction
de l'article 2019 était défectueuse, et que la prescription,
au lieu d'être un mode d'acquérir, 6tait plutôt la présomption légale d'une acquisition préexistante.
Cette manière de voir ne nous paraît pas admissible .
En effet, outre qu'il ne saurait y avoir d'autres présomptions légales que celles qui ont été attachées par un e
loi spéciale à certains actes ou à certains faits, dire que
la prescription est une présomption, c'est dire qu'elle
est un mode de preuve de la propriété. Or, telle n'est pas
certainement l'idée que le législateur s'est faite de la
prescription, puisque clans l'article 712 il la met sur la
même ligne que la donation et le testament ; la proscription est rangée par la loi parmi les faits par lesq uels
la propriété s'acquiert, ce n'est donc pas une preuve.
Un titre n'est d'ailleurs translatif de propriété que s'il
émane du propriétaire; or, celui qui invoque la prescription se fonde sur un titre qui n'émane pas du propriétaire, sans quoi la prescription serait inutile ; comment
donc soutenir que la prescription est la présomption lé-
�- 111 gale d'une acquisition puisqu'elle se fonde sur un titre
qui ne pouvait transférer la propriété ?
Cette notion de la prescription, contraire aux textes,
constitue d'ailleurs une innovation contraire à la doctrine
admise dans le droit romain et dans notre ancienne jurisprudence: A Rome, la prescription acquisitive, appelée
usucapion, était un des modes d'acquérir la propriété
quiritaire ; la définition du code civil a été empruntée
à Domat, pour lequel la prescription était un mode d'acquisition, et Dunod s'inspire de la même pensée quand il
dit : cc la prescription est un rnoyen d'acquérir le domaine
des choses en les possédant. 11
L'intérêt de la question est d'ailleurs purement théorique, car tout le monde es t d'accord sur la solution
de la difficulté' qu'elle présente dans l'application.; on
reconnaît, en effet, que bien que la prescription soit un
véritable mode d'acquisition, ses effets remontent au
jour où elle a commencé. Le législateur, il est vrai, n'en
pose pas le principe, bien moins encore en donne-t-il
la raison, mais il en consacre une application dans l'article 14.02. Si l'un des époux mariés sous le régime de la
communauté, achève pendant la durée de la communauté,
une prescriptisn commencée avant le mariage, l'immeuble sera-t-il acquet ou propre ? L'immeuble est propre, nous dit la loi ; c'est donc que la prescription produit son effet du jour où elle a commencé, car si l'effet
de l'acquisition eftt daté du jour où la prescription s'es t
accomplie, l'immeuble eftt été un acquet.
Avant d'entrer dans l'examen détaillé de la prescription décennale, faisons remarq'uer une inexactitude clans
la terminologie employée par le code. La rubrique de la
section III du chapi tre IV porte en effet ces mots : cc De
la prescription par dix ou vingt ans». On a souvent fait
�- 112 observer que cette formule semble indiquer que la prescription s'accomplit tantôt par dix ans, tantôt par vingt
ans, sans pouvoir présenter jamais de délai intermédiaire, tandis, au contraire, qu'elle est susceptible de se
réaliser dans un espace de temps compris entre le
minirrvuni de dix ans et le maxinvwm de vingt . .
Supposant la possession revêtue des caractères énumérés par l'article 2229 et nécessaires pour toute pres cription acquisitive, nous allons étudier successivement
les conditions particulières à cette · prescription privilégiée, et nous le ferons dans l'ordre que nous avons suivi
déjà pour l'étude de la prœscriptio long·i temporis du
droit romain, c'est-à-dire que nous distinguerons les
conditions relatives à la personne qui invoque la prescription, et celles relatives à la chose qu'il s'agit d'acquérir par ce mode ; dans un dernier chapitre, nous
parlerons des effets de cette prescription.
;
�CHAPITRE lllR
Conditions relatives
à la personne
SECTION PREMIÈRE
Du juste titre
Le juste titre nécessaire à la prescription de dix à
vingt ans est celui « qui de sa nature est translatif du
droit de propriété . >1 C'est ainsi que le définissait BigotPréameneu dans l'exposé des motifs. Ce titre est appelé
juste , non pas parce qu''ü émane du propriétaire, car
alors la prescription serait inutile, mais parce qu'il est
l'expression d'un des modes reconnus par la loi pour
opérer le déplacement du domaine des choses; parce que
lui seul peut déterminer chez l e possesseur la croyance
plausible qu'il s'est passé un événement qui l'a investi
de la propriété. Sans doute, à l'égard du propriétaire, ce
titre est injuste et celui-ci peut en paralyser les effets
en intentant l'action en revendication en temps 'utile ;
mais s'il ne le fait pas, on n'a plus égard à l'absence du
�-
114 -
droit dans la personne de celui qui s'est faussement prétendu maître de ln. chose afin de pouvoir l'aliéner, la
faute de l'aliénateur ne jaillit pas sur l'acquéreur qui
n'en est pas le complice, et le titre se dépouille de son
vice originaire en faveur de la possession. de borrne foi.
Les faits ou les conventi ons constitutifs du juste titre
sont aussi nombreux qu'il y a de manières différentes
d'acquérir la propriété ; nous examinerons les plus usuels.
La vente, contrat essentiellement · translatif, es t, de tous
les justes titres celui qu'on invoque le plus souvent pour
servir de base à la presc ription. L'échange es t un contrat tout à fait analogue à la vente. De même encore le
paiement et la dation en paiement, car donner en paiement c'est vendre; seulement il faut ici fair e remarquer
que lorsque c'est la chose due qui m' a été payée, comme
dans ce cas le paiement n'est que l'exécution d'une
convention antérieure, le titre pm solu to conc ourt toujours avec un autre, t andis que s'il y a dation en pp.iement proprement dite, le titre unique de la possession
consiste dans le paiement ; de même encore lorsque la
chose vendue est une chose indéterminée, comme la propriété est transférée par le paiement, le paiement seul
constitue le juste titre.
L es actes à titre gratuit peuvent également constituer
de justes titres , tels sont les donations et les legs . En
est-il de même du ti tre d'héritier ?
Les jurisconsultes romains plaçaient le titre pro hœr13de
parmi les justes titres , et notre Code dit que la propriété
s'acquiert par succession. Il n'en es t pas moi_ns vrai cependant que dans notre droit actuel, le titre d'héritier ne
peut servir de fondement à la prescrip tion de Q.ix an .
L'héritier n'a d'autre droit, en effet, que celui de son
auteur; si celui-ci avait un juste titre, l'héritier y succé-
�115 dera, mais il ne commencera pas une possession fondée
sur un titre nouveau, et si le défunt n'avait pas de titre
l'héritier ne saurait en avo ir aucun . S'il en était autrement en droit romain, c'est qu'on avait admis que le ti tre
n'était pas absolument nécessaire et que la bonne foi
était suffisante, pourvu qu'elle fût claire et légitime : tel
était le cas de l'héritier qui, trôuvant une 1·es aliena
parmi les choses héréditaires, la possédait croyant
qu'elle faisait partie de l'hérédité . Notre droit moderne
est plus rigoureux, il exige un titre translatif; or, si
dans cette hypothèse l'héritier a possédé, c'est évidemment sans titre, et la prescription de dix ans no le con. cerne pas .
Le titre pro dote se rencontrera rarement dans notre
droit français, car le mari devient, non pas propriétaire,
mais seulement administrateur de la dot de sa femme .
Si l'on se place cependant dans l'hypothèse de l'article
1552 et si on suppo se que l'immeuble appor té en dot a été
estimé avec déclaration que l'estimation vaut vente, le
mari l'usucapera par dix à vingt ans dans le cas où il
appartiendrait à un tiers. Sans cloute il y a eu dans ce
cas plutôt vente que constitution de dot, mais comme la
vente n' a d'autre but que de réaliser la constitution do
dot, on peut dire que le mari possède pro dote.
La tmnsaction est-elle un juste titre pour proscrire ?
La question ne souffrait aucune difficulté en droit
romain, et la solution affirmative se trouve dans plusieurs
textes ; en est-il de même dans notre droit français?
Nous ne le croyons pas .
Nous savons en effet qu'à la différence du droit romain,
qui s'attachait plutôt à la juste opinion du titre qu'au
titre lui-même, et qui souvent même co nsentait à ce
qu'on s'en passât , notre droit actuel se montre plus
�116 -
rigoureux sur l'existence du juste titre. Nous repoussons
aussi la doctrine admi s~ par les anciens interprètes et
qui consistait à distinguer si la transaction avait ou non
déplacé la possession. Il faut, croyons-nous, s'attacher
uniquement à la cause du contrat, et après avoir examiné les faits , voir si la transaction n'a fait que confirmer un droit antérieur, ou si elle a créé un droit nouveau. Si l'on supp ose que quelqu'un, dépouillé d'une
chose, transige avec le possesseur et l'abandonne à ce
dernier, la transaction devra être considérée comme un
titre véritablement translatif et pourra servir de base à
la prescription de dix à vingt ans. On peut même dire
que ce titre, quoique qualifié de transaction, est une
véritable vente, et que la possession est basée sur le
titre pro emptore.
La transaction constitue également un juste titre lorsque l'une des parties, afin d'amener un accord entre
elles, cède à l'autre un immeuble qui n'est pas compris
dans le litige .
Mais le plus souvent il n'en sera pas ainsi; la transaction interviendra presque touj ours sur un droit trèsdouteux, de telle sorte qu'il sera impossible de dire s'il
y a eu translation de propriété. Dans d!'l telles conditi ons , soit que la possession de la chose qui fait l'obj et
de la transaction ait été déplacée, soit que cette chose
soit restée entre les mains du possesseur primitif, celui
auquel elle est attribuée est censé l'avoir désormais au
ti tre dont il se prévalait avant la transaction.
Une transaction offre beaucoup d'analogie avec un
jugement; nous sommes ainsi amenés à nous demander
si ~s j.u.gé_e constitue un juste titre à l'effet de pres·
crire par dix et vingt ans.
A raison même de l'analogie qui existe entre la tran-
�-
117 -
saction et le jugement, nous sommes conduits à décider
pour le jugement ce que nous avons admis déjà pour la
transaction. Il y a des jugements qui sont de véritables
contrats de vente; tels sont les jugements d'adjudication. De tels jugements sont translatifs de propriété, ils
peuvent donc être invoqués comme justes titres. Mais
d'o rdinaire les jugements n'ont pas ce caractère, ils sont
déclaratifs de droits et non pas translatifs; ils déclarent
et sanctionnent un droit préexistant, ils ne le créent
point; ils ne sauraient donc être invoqués comme un
juste titre d'acquisition. Nous devons constater cependant que la Cour de cassation est d'un avis contraire et
que, par deux fois, elle a attribué au jugement la force
du juste titre (21 février 1827, Sir. 27, 1, 451; 14 juillet
1835, Sir 35, 1, 754).
Le contmt de société est-il un juste titre dans le sens
que nous donnons à ce mot au point de vue de la pres·
crip tion de dix à vingt ans?
L'affirmative ne semble pas douteuse si l'on considère
que le contrat de société est translatif de propriété. En
effet, à partir de la constitution de la société, la propriété des apports P9'SSe de chacun d<?s associés à l'être
moral que constitue leur réunion (1 ). Il faut dire cependant
que le contrat de société ne peut pas servir de fondement
à la prescriptio·n de dix à vingt ans; car, de deux choses
l'une, ou bien celui qui a mis dans la société un immeuble qui ne lui appartenait pas, le possédait en vertu d'un
juste titre et de bonne foi, et alors la société n'aura pa.s
besoin de commencer une prescription nouvelle~ mai_s
continuera la prescripyon commencée par l'associé qui
lui a transmis la chose; ou bien cet associé avait une
(1) Nous ne parlons que des sociétés commerciales, laissant
en dehors les sociétés civiles.
8
�-
118 -
possession sans titre et par conséquent de mauvaise foi,
et dans ce cas la possession sociale, qui ne saurait avoir
un caractère différent de la possession de l'associé par
lequel elle s'exerce, sera nécessairement viciée et la
prescription décennale inadmissible.
Si nous examinons maintenant la société ayant des
caractères particuliers qui se forme entre les époux
mariés sous le régime de la communauté, nous voyons
que la solution doit être différente. Si c'est la femme
qui apporte à la communauté un immeuble qu'elle savait
ne pas lui appartenir, le mari de bonne foi, seul maître
et seigneur de ce bien comme de tous ceux qui composent la communauté (art. 1421), commencera une prescription qui ne saurait être viciée par la mauvaise foi
de la femme, étrangère à la possession. Si l'apport a été
fait par le mari, la mise en communauté ne le déssaisissant pas de l'exercice du droit de propriété, la prescription demeurera impossible pendant comme avant le
mariage, à cause de sa mauvaise foi.
Après avoir parlé du contrat de société et de la prescription que l'on peut fonder sur ce titre, il nous reste à
examiner le partage, qui est la conséquence de la dissolution de la société ou de la communauté, et à voir si on
peut l'invoquer comme un titre suffisant pour servir de
base à la prescription de dix à vingt ans .
Nos anciens auteurs, suivant la doctrine du droit
romain, plaçaient le partage au nombre des titres translatifs et le considéraient par conséquent comme un juste
titre au point de vue de la prescription. Nous savons
au contraire que notre droit actuel s'est tout à fait écarté
des principes admis à Rome sur l'effet du partage, qui
est aujourd'hui purement déclaratif et jamais translatif.
Mais par .cela même que le partage, effaçant le temps de
�-
119 -
l'indivision, pr·oduit un effet rétroactif à l'époque de la
mise en société, de l'entrée en communauté, de l'ouverture de la succession, il peut se produire, relativement
à la prescription,, des difficultés qu'il importe d'examiner.
Voyons d'abord le partage, qui est la conséquence de la
dissolution d'une société .
Si par l'effet du partage, l'apport d'un associé tombe
clans son propre lot, cet associé sera considéré comme
n'ayant jamais cessé d'être propriétaire, et la prescription aura suivi son cours comme si la société n'avait
jamais existé .
'
Si l'immeuble apporté par un associé tombe dans le
lot de son coassocié, l'effet translatif remontant au jour
de la constitution de la société, le contrat de société
servira de juste titre à ce dernier. S'il était de mauvaise
foi au moment de la constitution de la société, c'est-àdire s'il savait que l'immeuble apporté par son associé
ne lui appartenait pas, il ne pourra évidemment pas
invoquer la prescription décennale; mais s'il était de
bonne foi il pourra certainement s'en prévaloir, car, par
l'effet du partage, le temps de l'indivision étant effacé,
il réunira les conditions exigées par l'article 2265.
Lorsqu'un partage se produit à la suite de la dissolution de la comml1nauté, les mêmes principes doivent
dicter les solutions.
Enfin, s'il sagit d'un partage entre cohéritiers, c'est-àdire d'un partage intervenu à la suite de l'ouverture
d'une succession, la question de savoir s'il peut constituer un juste titre ~e prescription dépend de l'étendue
que l'on donne à l'article 883 . Si l'on admet que le partage est déclaratif non seulement entre les cohéritiers,
mais encore à l'égard des tiers, erga onvnes, chacun des
héritiers étant censé tenir directement du défunt les
.·
�120 -
biens qui constituent son lot, ne saurait- invoquer d'autre
titre que celui que le défunt pouvait invoquer lui-mêmeIl nous s~mb l e préférable de croire que la fiction de
l'article 883 n'a d'effet que dans les rapports des cohéritiers entre eux, mais qu'à l'égard des tiers, à l'égard
du propriétaire, le partage constitue pour chaque héritier un juste titre. Chacun d'eux, en effet, doit être considéré, à l'égard des biens qui composent son lot, comme
un étranger qui les aurait acquis à la suite d'une
licitation.
Nous venons de voir quels sont les titres principaux
que le possesseur peut invoquer comme source de son
droit; mais il ne suffit pas que le titre soit de sa nature
translatif de propriété pour constituer un juste titre. Il
doit réunir encore d'autres conditions que l'on peut
résumer de la façon suivante. Il faut : 1° que le titre soit
réel et non putatif; 2° qu'il soit valable; 3° qu'il soit
définitif et non pas suspendu par l'effet d'une condition;
4° qu'il dure pendant tout le temps nécessaire à la prescription.
1° Nous disons que le titre doit être réel et non pas
putatif, et par titre putatif il faut entendre un titre qui
n'existe point, mais que le possesseur croit exister .
Notre ancien droit français, s'inspirant de la doctrine
romaine, admettait au contraire, ainsi que nous l'avons
vu, que le titre putatif pouvait servir de base à la prescription de dix à vingt ans ; on distinguait néanmoins
entre l'erreur de droit et l'erreur de fait. Si la personne avait possédé en vertu d'un titre sans existence
légale, mais qu'elle avait cru valab le par une erreur de
droit, elle ne prescrivait pas ; si, au contraire, elle avait
possédé en vertu d'un titre sans existence légale, mais
qu'elle avait cru valable par une erreur de fait, elle
�-
121 pouvait se prévaloir de la prescription. Nous avons vu,
aussi de bonne heure nos anciens jurisconsultes s'étonner
qu'on ne fit aucune distinction entre celui qui avait
acquis réellement et celui qui par erreur croyait avoir
acquis, et Lemaitre, commentant la coutume de Paris,
affirmer la nécessité d'un titre réel. Pothier, au contraire, fidèle à la doctrine romaine, admettait le titre
putatif ; cette doctrine a-t-elle été consacrée par le
Code? Quelques-uns l'ont pensé, se fondant sur ce que
les rédacteurs du Code suivent généralement la tradition.
Nous croyons, au contraire, que le titre réel peut seul
être invoqué pour la prescription. Tout d'abord, la tradition n'étant pas constante, ne saurait être invoquée, et
l'on peut objecter que le titre putatif étant un titre fictif,
un titre qui n'existe pas, on ne saurait se fonder sur le
silence du Code pour admettre une telle fiction, car il
appartient au législateur seul de créer des fictions et de
déterminer les conditions dans lesquelles il les admet. Si,
d'ailleurs, le Code n'exclut pas formellement le titre
putatif, il le rejette néanmoins d'une façon implicite, car
l'article 2265, beaucoup plus expressif que les anciennes
co_utumes, exige nécessairement un titre d'acquisition,
un titre translatif de propriété. Les travaux préparatoires confirment cette opinion : « Nul, dit Bigot-Préameneu, ne peut croire de bonne foi qu'il possède comme
propriétaire s'il n'a pas un juste titre, c'est-à-dire s'il n'a
pas un titre qui soit de sa nature translatif du droit de
propriété et qui soit d'ailleurs valable. ''
La· nécessité d'un titre réel étant admise, la solution
ne peut être douteuse dans les différentes hypothèses
que l'on peut rencontrer. Un acheteur, par exemple,
dont le titre ne porte que sur une partie des objets possédés, ne saurait invoquer la prescription que pour la
�-
122 -
partie de l'immeuble comprise dans son titre ; pour l'excédant il possède sans titre, ce qui rend la prescription
décennale impossible. Il faut remarquer, toutefois, qu'il
n'est pas nécessaire que le titre comprenne une désignation spéciale de toutes les parties de l'héritage qui
fait l'objet du contrat; mais c'est à celui qui prétend que
tel objet s'y trouve compris à en faire la preuve. Ainsi,
la donation faite à une personne d'une ferme telle quelle
<< s'étend, poursuit et comporte)) comprend telle pièce de
terre qui a toujours été considérée comme une dépendance dudit domaine ; et si un tiers revendique cette parcelle contre le donataire, celui-ci pourra certainement lui
opposer une prescription fondée sur la donation, à la
charge, toutefois, de prouver que la portion revendiquée
est comprise dans la donation (Cassation, 23 janvier 1837).
2° Il faut que le titre soit valable. Parmi les causes
nombreuses de nullité qui peuvent atteindre un titre, le
défaut des solennités prescrites est la seule que la loi ait
cru devoir consacrer.
L'article 2267 dit : « le titre nul pour défaut de forme
ne peut servir de base à la prescription de dix à vingt
ans. Il faut entendre par forme, dans cet article, la
solennité que la loi requiert dans certains actes comme
une condition substantielle, sans laquelle l'acte n'existerait pas ; on les appelle pour cette raison des actes
solennels : tels sont les donations et les testaments. La
loi ne nous dit pas que l'acte doit être valable en la
forme, mais, ce qui est bien différent, que le titre
nul pour défaut de forme ne peut servir de base à la
prescription; or, la nullité de l'acte n'entraîne la nullité
du titre que dans l~s contrats que nous venons de nommer et pour lesquels la loi exige des solennités qui constituent leur essence. La jurisprudence donne cependant
>)
�-
123 -
à l'article 2267 une étendue beaucoup plus grande~ëet
applique sa disposition à tous les écrits . C'est ainsi qu'il
a été jugé qu'un acte de vente notarié, dont la minute
n'avait été signée ni par le vendeur, ni par les témoins,
ne pouvait servir de juste titre à la prescription (Angers,
19 mars 1855; Dalloz, au mot prescript. n° 900, 2°). C'est
une confusion évidente entre le titre et la preuve du
titre . Le seul consentement des parties suffit à la validité de la vente, à la validité du titre, l'écrit n'est qu'un
moyen pour elles de se procurer une preuve littérale de
leur convention ; la nullité de l'acte ne peut donc pas
atteindre le titre . Ce que nous disons de la vente est
également vrai pour tous les contrats dont l'existence est
indépendante de l'écrit qui les constate. Lorsqu'il s'agit,
au contraire, d'actes solennels, d'actes pour lesquels les
formes déterminées par la loi sont exigées, non pas ad
probationeni, mais ad solemnitatem, la nullité de l'écrit
entraîne la nullité du titre, et l'on peut dire d'une donation nulle en la forme ce que l'article 1131 dit des contrats
sans cause : elle ne peut avoir aucun effei; j partant elle
ne peut servir de base à la prescription.
Ces principes, quoique certains donnent .lieu, dans
l'application, à une difficulté sérieus_e qui provient de la
disposition de l'article 1340. Après avoir dit, dans l'article 1339, que les donations nulles en la forme ne p_eu e..-v1\'
ètre confirmées, ce qui implique qu'elles sont inexistantes, le législateur dit, dans l'article suivant, que les
héritiers du donateur peuvent valablement confirmer la
donation en l'exécutant; ce qui revient à dire qu'à leur
égard la donation est seulement considérée comme nulle,
car ce qui caractérise les actes nuls, c'est qu'ils peuvent être confirmés, tandis que les actes inexistants ne
sont pas susceptibles de confirmation. On se demande
�-
124 -
""x alors si une donation exécutée par les héritiers du
donateur peut servir de base à la prescription.
La donation faite en dehors des formes légales étant,
à l'égard des héritiers du donateur, non pas un titre
inexistant, mais un titre frappé d'une nullité établie dans
leur intérêt, ceux-ci peuvent, en exécutant la donation,
c'est-à-dire en confirmant l'acte, le rendre valable : cette
donation peut donc ainsi devenir un juste titre.
On objecte que d'après' l'article 1338, la confirmation
ne saurait préjudicier aux droits des tiers ; or, ne seraitce pas violer cette disposition que d'opposer au propriétaire, comme servant de base à la prescription, une donation nulle en la forme ? Ce raisonnement ne nous
paraît. pas exact. En effet, par tiers l'article 1338 entend
ceux qui ont acquis un droit dans la chose postérieurement à l'acte nul, droit que la confirmation ne saurait
leur enlever. Mais la position du propriétaire n'est pas
telle ; son droit ne résulte pas de la donation, il est, au
contraire, antérieur à elle, et il peut le faire valoir
malgré elle en revendiquant la chose . La donation ne lui
enlève donc rien et on se trouve en dehors du principe
de l'article 1338.
Il faut appliquer aux legs et pour les mêmes motifs la
théorie des donations ; en effet, lorsque le testament est
nul en la forme, le legs est inexistant, il ne saurait constituer un juste titre. Mais pour que l'on puisse se demander si un legs contenu dans un testament nul en la
forme peut servir de base à la prescription, il faut nécessairement supposer que le legs a été exécuté; et alors se
pose la question de savoir si cette exécution ne constitue
pas une confirmation, et si, comme pour la donation, le
vice ne se trouve pas purgé? Nous ne le pensons pas.
L'article 1340 contient une disposition exceptionnelle
�- 125 relative aux donations, que l'on ne peut pas étendre aux
legs sans dépasser les termes de la loi. Nous devons
constater, toutefois, que la tradition est contraire et que
Pothier, se fondant sur la loi romaine, enseigne que le
legs devient un juste titre lorsque l'héritier le confirme .
Il est plus vrai de dire, nous semble-t-.il, que dans cette
hypothèse l'héritier n'exécute pas le legs, mais fait une
libéralité nouvelle qui doit être soumise aux formes
prescrites par la loi.
Les nullités de formes que nous avons étudiées jusqu'ici sont des nullités qui appartiennent à l'ordre public
et qui peuvent être invoquées par tout le monde . Mais,
à côté de ces nullités absolues il en est d'autres qui ne
sont que relatives, c'est-à-dire que ce sont des nullités
établies en faveur de certaines personnes déterminées
et qui ne peuvent être invoquées que par elles ; telles
sont les nullités qui intéressent les mineurs et les interdits . On se demande alors si, lorsque l'acte est vicié
par une de ces nullités relatives, la prescription décennale peut néanmoins être opposée au propriétaire.
Il arrivera quelquefois que l'acquéreur, traitant avec
le mineur ou l'interdit, connaîtra la qualité de la personne avec laquelle il traite, de telle sorte que les formalités légales protectrices de l'intérêt de ces personnes
n'étant pas observées, l'obstacle à la prescription se
trouvera dans la mauvaise foi de l'acquéreur. Toutefois,
dire que la prescription est impossible parce que l'acquéreur est de mauvaise foi, c'est tourner la difficulté,
car on peut avoir un juste titre et être de mauvaise foi,
et la question est de savoir si le titre frappé d'une nullité
relative est un juste titre. Nous croyons que cette question doit être résolue affirmativement, car la nullité
relative dont le titre est frappé n'empêche pas ce titre
�-
126 -
d'être translatif de propriété et de produire ses effets
tant que le mineur ou l'interdit n'invoque pas le bénéfice
du droit civil pour faire prononcer la nullité de son
obligation. Le tiers qui se prétend propriétaire et
combat la prescription invoquerait inutilement la nullité
de l'acte; la nullité n'existe qu'en faveur du mineur, et
tant que celui-ci ne l'invoque pas il ne saurait en être
question. Nous devons ajouter que, le plus souvent,
lorsque le possesseur invoquera la pre cription, l'action
en nullité qui appartient au mineur sera prescrite de
telle sorte qu'on ne saurait plus méconnaître le caractère translatif de l'acte. Sans doute alors pourra se poser
la question de bonne foi, mais nous ne nous occupons
ici que du juste titre et nous pensons que la nullité relative dont il est frappé ne l'empêche pas de servir de
base à la prescription de dix à vingt ans. Disons cependant que la Cour de cassation a jugé en sens contraire
que la vente des biens de mineurs faite en dehors des
formalités légales ne constitue pas un juste titre (Cassation, 1°' floréal an V. Dalloz, prescription, n° 900, 1°).
// Jusqu'à maintenant, nous renfermant dans les termes
de l'article 2267, nous avons supposé que la nullité de
l'acte invoqué comme juste titre tenait à la forme même
de l'acte ; mais un acte peut être nul pour un grand
nombre de causes prises ailleurs que dans sa forme. Il
peut être entaché de quelque vice intrinsèque, par
exemple, être attaquable pour cause d'erreur, de dol,
de violence, ou comme contraire aux lois ou aux bonnes
mœurs. Hâtons-nous de dire que le Code ne contient
aucune règle sur le point de savoir si de tels titres
peuvent servir de fondement à la prescription, et que
nous sommes par conséquent forcés de remonter à la
tradition. D'Argentré avait introduit une distinction fort
�-
127 -
rationnelle et qui doit encore· être suivie aujourd'hui,
entre les nullités absolues et les nullités relatives . Les
premières , fo ndées sur des raisons d'intérêt public, pouvant être invoquées par toute personne, seront opp osables par le propriétaire: à celui qui prescrit; ainsi , les
titres prohib és par la loi, les substitutions, les contrats
qui ont un caractère déshonnête ou contraire aux mœurs,
tel que l'achat d'un immeuble litigieux par un magistrat
ou un officier ministériel dans le cas prévu par l'article 1597, et aut res analogues, sont entachés d'une nullité d'ordre public que tout le monde peut invoquer. Ces
l'rnllités pourront donc être opposées par le propriétaire
qui revendique : de semblables titres ne sauraient servir
de base à la prescription décennale.
Restent les titres que la loi ne déclare nuls que dans
un intérêt privé . Si la partie intéressée n'en demande pas
la nullité , rien n'empêche qu'ils ser vent à fonder la
prescription. P armi ces nullités relatives, nous avons
déjà vu celles qui tiennent à l'absence des fo rmalités
légales qui doivent accompagner les actes faits par certaines personnes naturellement incapables, telles que les
mineurs et les interdits , nous pouvons y ajouter les actes
d'aliénation faits par la femme sans l'autorisation de son
mari.
· L e défaut de transcription _des donati ons de bîens
immobiliers est enco re une nullité relative, et l'article 941
nous dit que la nullité de la donation pourra être opposée
par t oute personne intéressée . La question se pose alors
de savoir si le donataire qui a reçu un immeuble de
quelqu'un qui n'en était pas le propriétaire et n'a pas
fait transcrire la donation, peut néanmoins opposer au
propriétaire qui revendique l'immeuble la prescription
de dix à vingt ans fond ée sur une donation non trans-
�-
128 -
crite; en d'autres termes, si le propriétaire peut être
rangé parmi les intéressés que la transcription a pour
but de protéger. Nous ne le croyons pas. D'après l'article 938, la donation dûment acceptée est parfaite par
le seul consentement des parties; la transcription n'est
nullement nécessaire pour opérer le transfert de propriété. Cette formalité n'a d'autre but que de permettre
d'opposer la transmission de propriété à certains tiers,
et par ce mot il faut entendre seulement ceux qui auraient acquis des droits réels sur l'immeuble du chef
du donateur postérieurement à la donation. L e propriétaire qui revendique ne peut être rangé dans cette catégorie, puisque son droit est antérieur à la donation.
La loi du 23 mars 1855, en exigeant la transcription
des actes translatifs de propriété immobilière, a fait
naître, pour les actes à titre onéreux, une question analogue à celle que nous venons d'étudier pour les aliénations à titre gratuit. L'acquéreur qui n'a pas fait transcrire son contrat d'acquisition peut-il opposer la prescription de dix ans au propriétaire qui revendique l'immeuble ? La réponse nous paraît encore devoir être
affirmative, et voici pour quels motifs. Le but de la loi
de 1855, qui exige la transcription des actès translatifs
de propriété immobilière, est de prévenir, par ce moyen,
les tiers qui pourraient traiter avec le précédent propriétaire. Ce sont donc ceux qui, postérieurement à la
vente, ont acquis des droits sur l'immeuble du chef du
vendeur qui ont. intérêt à invoquer le défaut de transcription . Mais si on suppose que la vente a été faite a
non domino, qu'importe au véritable propriétaire que le
contrat ait ou non été transcrit ? Le fait de sa dépossession avait dû suffisamment l'avertir et le mettre en
demeure d'exercer son action en revendication; la trans-
�-
129 -
cription du contrat de vente est donc pour lui une chose
indifférente.
Sans doute, d'après l'article 2180, le tiers détenteur ne
commence à prescrire contre les créanciers privilégiés
et hypothécaires qu'à partir du moment où il a fait transcril"e son contrat d'acquisition, mais il ne faudrait pas
en conclure que ce qui est vrai des créanciers privilégiés
et hypothécaires, le soit aussi du propriétaire. La disposition spéciale de l'article 2180 s'explique par cette considération, qu'une simple substitution dans la personne
du détenteur de l'immeuble affecté au privilége ou à
l'hypothèque, n'étant pas regardée comme suffisante pour
avertir les créanciers de la mutation de propriété, le
législateur a dû imposer, dans leur intérê"t, une transcription qui la leur révélât. La situation du propriétaire est toute différente, et lorsque l'acquéreur a non
domino aura possédé pendant le temps requis par l'article 2265, son droit reposera, non pas sur la vente que
le propriétaire n'avait nul intérêt à connaître, mais SUL'·
la prescription qui s'est accomplie à son profit et à la
quelle la vente est seulement venue servir de titre.
- 3° Il faut que le titre soit définitif et non pas suspendu
par l'effet d'une condition. Disons tout d'abord que lorsque le titre est sous condition résolutoire, il ne constitue
pas moins un juste titre dans le sens de l'article 2265,
car cette condition ne suspend pas les effets du contrat.
La 10i fait une application de ce principe dans l'article
1665 à celui qui acquiert avec faculté de rachat pour le
vendeur: l'acquéreur, quoique propriétaire sous condition
résolutoire, prescrit néanmoins contre le véritable propriétaire.
Lorsque la condition s'accomplit, comme la résolution opè~·e son effet rétroactivement, le titre est censé
�-
130 -
n'avoir jamais existé et le possesseur ne peut invoquer la prescription.
La condition suspensive est d'une nature toute différente. Elle suspend les effets du contrat, notamment en
ce qui concerne la translation de la propriété. Le titre
affecté d'une semblable condition n'est donc pas un titre
translatif de propriété, d'où il suit qu'il ne peut pas être
invoqué pour la prescription. Mais, objecte-t-on, pour
qu'on puisse se poser la question de savoir si le titre
sous condition suspensive peut servir de base à la prescription, il faut nécessairement supposer que la condi- ·
tion est accomplie, car autrement il n'y aurait pas de
titre, et alors, comme la condition rétroagit, ne peut-on
pas dire que l'acquéreur est devenu propriétaire au jour
du contrat et qu'il peut invoquer son titre à partir de
ce moment ? On répond que si l'acquéreur est entré en
possession avant l'arrivée de la condition, ce n'est évidemment pas en vertu de son titre, car le titre ne lui
donnait pas droit à une possession actuelle ; s'il est
entré en possession, c'est en vertu d'une convention
ultérieure qui l'obligeait éventuellement à re's tituer : il
ne peut donc pas invoquer la prescription, car il ne
possédait pas à titre de propriétaire.
4° Il faut que le titre dure pendant tout la temps
nécessaire à la prescription. Cette dernière condition ne
saurait faire l'objet d'aucune difficulté, car il est évident
que si la possession cesse d'être ce qu'elle était à l'origine, s'il survient un événement qui change le caractère
de la possession, la prescription devient impossible.
Comme la prescription dont nous traitons s'accomplit
par un laps de temps qui peut varier de dix à vingt
ans, le possesseur qui l'invoque doit justifier que
le titre sur lequel il la fonde remonte au moins dix
�-
131 -
ans en arrière. Si le possesseur produit un acte authentique, il ne saurait y avoir de contestations; mais s'il
invoque un acte sous signature privée, comme cet acte
ne fait foi de sa date qu'entre les parties, l'acquéreur ne
pourra l'opposer au tiers revendiquant qu'à partir du
jour de l'enregistrement ou de l'événement qui lui aura
donné date certaine (art. 1328, C. civ .).
SECTION DEUXIÈME
De la bonne foi
La deuxième condition qui doit se trouver clans la
pers<mne de celui qui invoque la prescription de dix à
vingt ans, c'est la bonne foi.
La b0nne foi exigée par l'article 2265 peut être définie
la juste opinion qu'a le possesseur d'avoir acquis la
propriété de l'immeuble qu'il possède : jus ta (opineo
q·uœsiti domini. Dunocl, disant que la bonne foi consiste
dans l'ignorance du droit qu'un tiers a sur la chose
qu'on prescrit, n'avait pas donné une idée assez lai:ge
de cette condition nécessaire à la prescription de dix à
vingt ans, car on peut ignorer le droit du tiers contre
lequel on prescrit et n'être cependant pas de bonne
foi. Ainsi, il n'y a pas de bonne foi de la part de celui
�132 -
qui achète contre la prohibition de la loi, quand même
il serait de bonne foi par rapport au véritable propriétaiee de la chose.
Nous établirons plus loin, quand nous traiterons des
effets de la prescription de dix à vingt ans, qu'elle a pour
objet non seulement de consolider l'acquisition faite
par un tiers, mais encore de le libérer des charges qui
grèvent l'immeuble.
Il faut donc, pour arriver à ce résultat, que le tiers
acquéreur ne connaisse pas l'existence du droit qui
grève l'immeuble. C'est ainsi qu'il a été jugé que l'adjudicataire d'une forêt soumise à un droit d'usage ne
peut opposer la prescription décennale à l'usager lorsqu'il a été fait mention du droit de celui-ci dans le
cahier des charges.
On peut résumer ainsi les conditions constitutives de
la bonne foi. Il faut : 1° ignorer qu'un autre que celui
qui vous transmet la chose en est propriétaire; 2° être
convaincu que celui qui vous la transmet avait le droit
et la capacité de l'aliéner; 3° la recevoir par un contrat
pur de fraude et de tout autre vice .
Ainsi, si l'acquéreur sait que le bien qu'il achète n'appartenait pas à son vendeur, il est de mauvaise foi ; sur
ce point il ne saurait y avoir de doute. Mais la jurisprudence est allée plus loin, et on considère l'acquéreur
comme de mauvaise foi lorsque il a su que le droit de
propriété de son auteur était judiciairement contesté au
moment du contrat; il ne peut, en ce cas, être convaincu
que le vendeur était propriétaire et qu'il l'est devenu
lui-même. On ne doit donc pas considérer comme étant
de bonne foi celui qui doute si son auteur était ou non
propriétaire de la chose vendue, avait ou non le droit
de l'aliéner; car autre chose est croire, autre chose est
�-
133 -
douter. Troplong dit que la bonne foi est une croyance
positive, une confiance entière dans le droit qu'on
exerce; le doute n'est qu'un milieu entre la bonne et la
mauvaise foi . Ce principe, quoique certain, semble avoir
été méconnu par un arrêt de la Cour de Lyon du 28
décembre 1841. Dans l'espèce, un acheteur savait que
l'immeuble acquis par lui avait été l'objet d'une donation
de la part de son vendeur, mais il soutenait que des
faits antérieurs à son contrat de vente lui avaient fait
croire que le donataire n'avait point accepté la donation :
ce donataire ne s'était pas mis en possession, il avait
repoussé une demande en aliments fondée sur l'existence
de cette donation. Il y avait peut-être là raison de douter
de l'acceptation, mais y avait-il cette justa opinio
quœsiti dominii exigée par les auteurs, cette certitude
de bonne foi requise pour prescrire? Nous ne le croyons
pas .
Lorsque l'acquéreur d'un immeuble sait qu'il n'appartenait au vendeur que pour une partie déterminée, ce
n'est qu'à l'égard de cette partie qu'il est acquéreur de
bonne foi. Mais celui qui, avant le partage d'une succession composée de plusieurs immeubles, aurait acheté
l'un d'eux d'un seul des cohéritiers, bien qu'il n'ignorât point que par l'événement du partage cet immeuble
pouvait être exclu en tout ou en partie du lot de son
vendeur, devrait être considéré comme n'ayant rien
acquis de bonne foi, et n'aurait pas de titre à la prescription. L'arrêt de la Cour de cassation qui repousse la
prescription décennale semble dire que, dans cette
-hypothèse, l'obstacle à la prescription se trouve dans
le défaut de titre de l'acquéreur auquel l'héritier n'a pu
transmettre plus de droit qu'il n'en avait lui-même. Il y
a là certainement une confusion; l'acquéreur avait un
9
•
�-
1311 -
titre, car il prétendait que son aute ur était héritier apparent, et la jurisprudence admet que l'héritier apparent
peut vendre; mais là n'était pas la question, car, n,insi
que nous l'avons dit, les circonstances de la cause prouvaient que le vendeur ne pouvait pas être considéré
comme héritier apparent, et que par conséquent la bonne
foi manquait à l'acquéreur.
Du principe que nul n'est censé ignorer la loi il suit
que l'erreur de droit exclut toujours b possession de
bonne foi. C'est ainsi qu'il a été décidé, par un arrêt de
la Cour d'Orléans du 15 juin 18'20, que l'ignorance des
vices d'un acte translatif de propriété nécessaire pour
constituer la bonne foi de celui qui possède comme propriétn,ire, ne doit pas s'entendre d'une nullité de droit JUi
vicierait cet acte.
"? Malgré la parfaite validité du titre d'acquisition, la
prescription de dix à vingt ans peut encore être rendue
impossible lorsqu'une disposition légale mettait obstacle
à l'aliénation; ainsi celui qui, dans l'ignorance de l'article 1988, aurait cru pouvoir acquérir valablement d'un
mandataire muni d'une ,procuration conçue en termes
généraux, ne prescrirait, malgré sa bonne foi réelle,
que par le laps de trente ans. De même encore les donataires ne pourraient opposer la prescription décennale
aux héritiers du donateur qui réclament la délivrance de
la légitime qui leur est due (Nancy, 6 mars 1840).
Lorsque le titre de l'auteur est vicié par une cause de
nullité ou de rescision et que l'acquéreur a connaissance
de ce vice, il ne saurait être considéré comme de bonne
foi . La question ne fait aucun doute lorsque la nullité
est absolue et d'ordre public, car le possesseur doit
s'attendre ù. être évincé ; mais en est-il de même des
nullités relatives? Nous avons déjà décidé que la nullité
•
�-
135 -
relative qui entache le titre du possesseur n'tlmp êche
pas qu'il ne constitue un juste titre; mais ici, et en ce qui
concerne la bonne foi du possesseur; nous adoptons une
opinion différente. La nullité relative rend en effet la
propriété annulable, et par cela seul que le possesseur
connaît cette cause de nullité, il ne peut plus invoquer
sa bonne foi . Ce qui est vrai de la nullité ou de la rescision, l'est aussi de la résolution qui affecte le titre de
l'auteur.
La mauvaise foi continuerait à subsister, même après
que la prescription décennale de l'article 1304 aurait
effacé, à l'égard .des parties, la cause de nullité ou de
rescision de l'acte ; cette prescription n'empêcherait
nullement !le vrai propriétaire, tant que la prescription
trentenaire ne serait pas acquise contre lui , de faire
valoir, pour évincer l'acquéreur, le défaut de bonne fo i
de celui-ci au moment de l'acquisition. Mais si la nullité
était couverte lors de la tradition par la renonciation de
la partie intéressée à s'en prévaloir, la possession de
l'acquéreur serait alors de bonne foi. Ainsi, lo"rsque l'héritier, renonçant à faire valoir quelque défaut de forme
du testament, fait délivrance de la chose léguée, le légataire devient capable de prescrire la propriété par dix
à vingt ans contre le vrai propriétaire.
L'article 2268 dispose que la bonne fo i est toujours
présumée, d'où il suit que c'est à celui qui allègue la
mauvaise foi de la prouver. II y a cependant des circonstances de fait qui, si elles ne sont point contestées, dispensent celui qui les allègue de toute autre preuve de
mauvaise foi . Ainsi, suivant un arrêt de la Cour de
Bourges (10 janvier 1826), la circonstance que dans 1a
vente d'un acquet de communauté consentie par le mari
seul après le décès de la femme, on a relaté l'acte
�-
136 -
d'acquisition des époux, a fait assez connaître à l'acquéreur la nature du fonds vendu pour qu'il ne soit point
fondé à se prévaloir' de sa bonne foi vis-à-vis des héritiers de la femme, ni, par suite, à leur opposer la prescription de dix à vingt ans. Il a été jugé en sens contraire, que la seule énonciation, dans l'acte de revente,
du titre du second vendeur, constatant que celui-ci
n'avait pas payé son prix, ne suffit pas pour constituer
le sous-acquéreur en état de mauvaise fo i. Il faudrait
encore, dit la Cour, qu'il fût prouvé que le sous-acquéreur
a réellement connu que le vendeur n'était pas payé. '
L a preuve de la mauvaise foi du possesseur est soum~se aux règles du droit commun, c'est-à-dire que la
preuve par t émoin ne sera admissible que s'il a été impossible de se procurer une preuve litt érale. Toutes les
fois que la preuve testimoniale est admise , les présomptions le sont aussi; or, comme le plus souvent il sera
difficile d'établir la mauvaise foi par témoin, c'est au moyen des présomptions que les juges établiront la mauvaise
foi du possesseur.
A quelle époque doit exister la bonne foi ainsi présumée? L'article 2269 nous dit qu'elle doit exister au moment de l'acquisition, c'est-à-dire qu'il suffit qu'elle
existe à l'origine de la possession. C'est la reproduction
de la doctrine romaine. Nous avons vu cependant que
même à Rome, et lorsque la fusta causa était à titre gratuit, la question de savoir si la bonne foi ne devait pas
persister pendant toute la durée de la possession. était
douteuse. Justinien trancha la controverse en décidant
que même lorsque la possession serait fondée sur le
titre prn donato, la bonne fo i qui n'a existé qu'à l'origine
seulement suffirait. Le droit canonique, au contraire,
plus sévère, exigeait que la bonne foi persistât pendant
�-
137 -
tout le temps de la possession, et la plupart de nos
anciennes coutumes avaient adopté ce principe.
La doctrine du Code civil, déjà critiquée par la Cour
de Bourges dans ses observations sur le projet de Code,
a été vivement blamée par la plupart des auteurs modernes. Dans la prescription de dix à vingt ans, dit-on,
le temps n'est abrégé qu'en considération du juste titre
et surtout de la bonne foi; or, si la cause cesse, l'effet
doit cesser aussi. Le manque de bonne foi lève toutes
les différences entre le porteur d'un titre et le simple
possesseur à qui la loi ne permet de prescrire que par
trente ans. Approuver la doctrine du Code civil « c'est
dire que la loi doit être plus indulgente que la morale,
dit M. Laurent (t. 32, n° 416). Cela est vrai en ce sens
que la loi ne peut pas toujours condamner ce que la
morale condamne; mais quand elle établit un principe
sur le fondement de la morale, elle doit être conséquente
et séyère jusqu'au bout. Nous ne concevons pas que le
législateur soit moral au début de la prescription et
qu'il soit immoral ~nsuite; car c'est être immoral que
d'autoriser une prescription fondée sur la bonne foi,
alors que le possesseur n'est pas de bonne foi. Le législateur ne doit jamais favoriser la mauvaise foi. »
On ne saurait contester que le système adopté par le
Code civil ne présente quelque inconséquence, mais nous
sommes loin de souscrire à la sévère appréciation du
savant professeur belge, et d'admettre avec lui que la
loi fait preuve ici d'immoralité. Il nous semble au contraire que l'indulgence de la loi est pleinement justifiable
et cela pour plusieurs motifs. Personne n'ignore, en effet,
les difficultés inextricables et les contestations nombreuses auxquelles la doctrine du droit canonique avait
donné lieu. Lorsque le propriétaire exerce son action
�- 138 en revendication contre le possesseur qui lui oppose la
prescription de dix ans, nous avons vu qu'il doit faire la
preuve de la mauvaise foi de ce dernier au moment de
son entrée en possession, et que cette preuve il ne peut
la trouver le plus souvent que dans des présomptions
livrées entièrement à l'appréciation des juges . Si cette
preuve est déjà pleine d'incertitude et d'arbitraire
lorsqu'il s'agit cependant d'établir que la mauvaise foi
existait à un moment déterminé, combien plus d'incertitude et d'arbitraire ne doit-elle pas présenter lorsqu'il
s'agit de démontrer que pendant une période qui varie
entre dix et vingt ans, la bonne foi du possesseur a pu
être un moment suspectée. Peut-on s'étonner alors que le
législateur ait voulu mettre un terme à ces contestations
fâcheuses, et peut-on l'accuser d'immoralité pour avoir
voulu tarir la source de procès si dangereux pour l'honnêteté des parties? Car si la morale publique souffre de
voir ·un possesseur conserver une chose qu'il sait appartenir à autrui, ne souffre-t-elle pas davantage de voir
le propriétaire chercher à faire la preuve d'une immoralité que le plus souvent il ne pourra pas établir ?
En second lieu, et quoiqu'il soit contraire à la conscience de ile pas restituer le bien d'autrui qu'on possède
sciemment, cette faveur que la loi accorde à celui qui
a perdu la bonne foi qu'il avait à l'origine de sa possession, n'est pas sans fondement, et la distinction faite
entre celui qui dès son acquisition était de mauvaise foi
et celui qui, de bonne foi à l'origine, n'a connu que plus
tard le droit d' un tiers sur la chose qu'il possède, n'est
pas sans raison d'être. Le premier a commis un acte
coupable que rien n'excuse et qui ne mérite aucune indulgence; si le législateur consolide la mauvaise foi
après trente ans, on peut dire que c'est par nécessité,
�-
139 -
•
et pour rie pas éteruiser l'incertitude des possessions .
Le second, au contraire, est dans une situation toute
différente et qui certainement mérite quelque faveur. En
même temps qu'il acquérait la possession, il a cru qu'il
devenait propriétaire et s'est conduit en conséquence ;
il a cultivé et amélioré la chose ainsi reçue, il y a peutêtre incorporé des capitaux considérables; dans tous
les cas, il en a payé le prix à son auteur, et ce dernier
?St-il peÛt-ètre déjà insolvable au moment où il s'aperçoit que, n'étant pas propriétaire, il n'a pu lui transférer
ce qu'il n'avait pas. Sans doute, si ce possesseur est
d'une honnêteté parfaite, il préférera restituer la chose
à son pr9priétaü;e, au risque bien souvent de consommer
sa propre ruine; mais on ne saurait reprocher au législateur de ne lui avoir pas imposé cette dure nécessité,
d'autant plus que, si le plus souvent le possesseur n'a
aucune faute à se reprocher, il n'en est pas de même du
propriétaire négligent qui a abandonné sa chose pendant
de longues années.
Quelle que soit la valeur de ces considérations, il
nous semble que le législateur aurait pu se soustraire
aux reproches que nous avons vu lui adresser les jurisconsultes modernes, en consacrant la distinction admise
à Rome entre les aliénations à titre gratuit et les aliénations à titre onéreux, distinction supprimée bie·n à tort,
selon nous, par Justinien. Si après avoir payé un immeuble dont je me crois devenu le propriétaire, je ne
pouvais opposer la prescription de dix à vingt ans à
celui qui le revendique plus tard, en se fondant sur ce
que mon auteur n'en avait pas la propriété, j'éprouverais
un préjudice considérable, préjudice que ne saurait justifier l'intérêt d'un propriétaire négligent. Au contraire,
si le possesseur est un donatafre, la situation est toute
•
�-
140 -
différente. Quelle que soit la négligence du propriétaire,
elle ne saurait devenir une cause de gain pour le possesseur qui certat de lucro captando.
L'application de ce principe qu'il suffit que la bonne
foi ait existé lors de l'acquisition du tiers détenteur pour
qu'il puisse se prévaloir de la prescription de dix à vingt
ans, a donné lieu à une question intéressante. On sait
que lorsque la prescription est interrompue, à dater de
l'interruption elle reprend son cours et dans les mêmes
conditions que celles qui existaient antérieurement. Mais
si la prescription de dix à vingt ans a été interrompue
par un acte par lequel on revendique le droit de propriétaire, la prescription qui recommencera peut-elle
être celle de dix à vingt ans ? Troplong soutient la né·
gative (Prescript. t. II, n°688). La prescription qui recommence, dit-il, ne peut être que la prescription trente- ,
naire, car là où manque la bonne foi, la prescription décennale est impossible. Un arrêt du 2 avril 1845 a cependant jugé en sens contraire, en se fondant sur ce que
l'interruption rend seulement inefficace la possession
•
antérieure sans affecter le titre duquel elle procède.
Ce même principe qu'il suffit que la bonne foi ait
existé au commencement de la possession, a soulevé une
difficulté par rapport au successeur particulier. Lorsqu'il
s'agit d'un successeur universel, comme sa possession
n'est que la continuation de celle de son auteur, il
prescrit par dix ou vingt ans, malgré sa mauvaise foi
personnelle, pourvu que la possession du défunt ait été
de bonne foi à l'origine. La solution doit-elle être la
même lorsque le défunt, ayant été de bonne foi, le successeur particulier est de mauvaise foi? Celui-ci peut-il
invoquer la prescription décennale ? Troplong admet
cette solution ; il veut que le successeur particulier qui
•
�- 141 est de mauvaise foi puisse toujours tirer de la possession
de bonne foi de son auteur le même avantage qu'un successeur universel ; et la raison qu'il en donne, c'est
qu'aux termes de l'article 2269, il suffit que la bonne foi
·ait existé au commencement de la possession. Cela nous
paraît être une erreur. Sans doute il suffit que la bonne
foi ait existé au début de la possession, et tant qu'il n'y
aura qu'une seule possession, la mauvaise foi, survenant
au cours de cette possession unique, sera insignifiante.
Mais lorsqu'en droit comme en fait les possessions sont
multiples, n'est-il pas vrai de dire que chacune de ces
possessions, pour être efficace, doit réunir les conditions
exigées par la loi ? Si donc le successeur particulier est
de mauvaise foi au début de la possession, il ne pourra
pas invoquer la prescription décennale, malgré la bonne
fo i de son· auteur, parce que sa possession est distincte
de celle de son auteur. Troplong dit vainement que,
puisque la mauvaise foi du successeur universel est indifférente pour la prescription décennale, il doit en être de
même de celle du successeur particulier, et qu'on ne
saurait donner une bonne raison de cette différence.
Cette raison se trouve précisément dans ce principe
développé par M. Troplong lui-même, que pour le successeur universel il n'y a qu'une seule possession, tandis
que pour le successeur particulier il y a deux possessions distinctes. Puisqu'il y a deux possessions, et par
conséquent deux commencements de possession, il faut
qu'il y ait deux fois existence de la bonne foi. Si d'ailleurs le système de M. Troplong, sur le successeur particulier, était adopté, il en résulterait cette conséquence
qu'il n'y aurait plus aucune différence entre celui qui,
de bonne foi à l'origine, n'a connu que plus tard le droit
du propriétaire, et celui qui a été de mauvaise foi dès le
�-
142 -
début de sa possession. Or, cette solution aurait dû
être encore plus inadmissible pour M. Troplong que
pour tout autre, car nous savons que ce savant magistrat ne se contente pas de trouver indulgente la disposition de l'article 2269, qui absout un possesseur de sa ·
mauvaise fo i postérieure à raison de sa bonne fo i originaire; il déclare qu'elle est en opposition avec la morale;
or, si dans le cas d'un possesseur plus malheureux que
coupable cette indulgence est une immoralité, que seraitelle donc dans le second cas ?
L'article 2269 nous dit que la bonne foi du possesseur
doit exister « au moment de l'acquisition ii; que faut-il
entendre par ces mots? Dans notre droit actuel, quand il
s'agit d'actes entre vifs, le moment de l'acquisition est
certainement celui du contrat; le concours des volontés
suffit en effet à transférer la propriété : c'est donc à ce
moment que se réalise l'acquisition et que l'acquéreur
doit par conséquent être de bonne foi. Il faut cependant
remarquer que cette façon de s'exprimer << au moment
de l'acquisition >i, a quelque chose de défectueux et
d'impropre dans l'article 2269 . La prescription, supposant en effet que l'aliénateu r n' est pas propriétaire, le
contrat ne saurait avoir pour effet la réalisation d'une
acqu isition. La bonne foi doit donc exister, non pas au
moment de l'acquisition, puisqu'il n'y en a pas, mais au
moment où se serait réalisée l'acquisition si le transmettant eût été propriétaire de la chose qui fait l'obj et
du contrat. C'est donc dans un sens conditionnel que le
mot acquisition est employé dans l'article :2269, et cette
même idée se retrouve dans la rédaction de l'article 2265,
où l'on lit : « celui qui acquiert >i au lieu de « celui qui
aurait [tCquis ,, ,
En ce qui concerne le legs , comme b propriété se
�-
143 -
transfère par l'effet du testament, et que le testament
produit son effet à l'ouverture de la succession, il nous
semble que c'.e st à ce moment que doit exister la bonne
foi . On objecte que l'acquisition ne se consomme d'une
manière définitive que par l'acceptation du legs, d'où
suivrait que c'est lors de l'acceptation que le légataire
doit être de bonne foi. Cette raison n'est pas déterminante ; la loi dit, en effet (ârl;. 711), que la propriété s'acquiert par donation testamentaire; c'est donc au décès
du testateur que le légataire devient propriétaire. Sans
doute son droit n'est pas définitif, mais s'il accepte le
legs, son acceptation rétroagira au jour de l'ouverture
de la succession; ce qui prouve bien que l'acceptation
n'est exigée que pour confirmer son droit et non pour le
faire naître.
Il est un auteur, M.. Delvincourt, qui admettait bien
comme nous qu'il suffit que la bonne fo i ait existé au
moment de l'acquisition; sous ce rapport, le texte de ln.
loi est trop formel pour pouvoir soutenir le contraire ;
mais, considérant que si la propriété peut s'acquérir
cmimo solo, il n'en est pas de même de la possession, qui
ne peut s'acquérir que CM'JJOre et a1n/imo, il décidait que,
conformément aux anciens principes, la prescription ne
commençait à courir qu'à partir de la tradition de la
chose . La réponse est fac ile : l'article 2228 nous dit, en
effet, que la possession est la détention d'une chose que
nous tenons par nous-mêmes ou qu'un autre tient en
notrn nom ; or, lorsque le vendeur cesse d'être propriétaire, il ne possède plus, il détient seulement poue l'acheteur, quand même les titres de propriété ou las clés des
bâtiments vendus n'auraient pas été remis à l'acheteur.
Ajoutons, d'ailleurs, que la question ne présente d'intérêt que lorsque le vendeur n'étant pas de bonne foi,
�-
144 -
ne prescrivait pas par dix ou vingt ans; car, autrement,
l'acheteur pouvant joindre à sa possession la sienne
propre, il deviendrait indifférent que le temps écoulé
entre le contrat et la délivrance de la chose fit partie de
la première ou de la seconde possession.
SECTION TROISIÈME
De la durée de la possession
Ainsi que nous le faisions remarquer plus haut, le
temps pendant lequel doit durer la possession du détenteur est, non pas un délai préfix de dix ou vingt ans,
mais un délai qui peut varier de dix à vingt ans, suivant la présence ou l'absence du propriétaire. Cette distinction établie dans la durée de la possession, suivant
que le propriétaire est réputé présent ou absent, fut critiquée par la Cour de cassation lors de la communication du projet du Code civil aux cours et tribunaux.
Le motif sur lequel s'appuyait cette Cour était que cette
distinction n'avait plus de raison d'être, étant donnée la
grande faci lité de communications qui ne permet plus de
supposer qu'il est trop difficile de veiller à ses biens
quand on n'est pas dans le ressort de la mème cour
d'appel. La Cour de Lyon fit une observation semblable,
�- 145 et celle de Paris proposa de fixer à quinze ans le délai
de la prescription avec titre et bonne foi, sans avoir
égard à la présence ou à l'absence des parties.
Quoiqu'il en soit, cette distinction a été maintenue par
le Code; seulement, le sens dans lequel on doit entendre
ces mots présent et absent est tout autre que celui dans
lequel on les entendait en droit romain. D'après le droit
romain, suivi à peu près universellement dans notre
ancien droit, la prescription était réputée courir entre
présents lorsque celui qui prescrivait et celui contre
lequel on prescrivait avaient leur domicile dans une
même circonscription déterminée ; on ne se préoccupait
pas de savoir en quel lieu était situé l'immeuble qui
faisait l'objet de la prescription. La présence ou l'absence était donc une relation du propriétaire au possesseur, et non du propriétaire à l'immeuble . Il n'y avait
qu'une seule coutume, celle de Sedan (art . 313), où l'on
eùt égard à la distance qui séparait l'immeuble possédé du domicile des parties. Cette disposition isolée
est devenue la règle de l'article 2265. Il n'y a plus à ·
s'occuper du domicile du possesseur, mais seulement
de la situation de l'immeuble possédé, et c'est par rapport à cet immeuble qu~ le propriétaire est réputé
présent où absent, suivant qu'il a ou non son domicile
dans le ressort de la cour où l'immeuble est situé.
Il est hors de duute que cette innovation du Code civil
constitue une amélioration sensible de l'ancien droit, qui
n'avait pas assez considéré que le présence des individus
dans un même lieu ne leur apprend rien sur la possession et l'usurpation d'un immeuble qui est peut-ê_tre situé
bien loin de l' endroit où ils habite~t. Voici, d'ailleurs,
quel fut le langage de l'orateur du gouvernement pour
justi:füer cette innovation : <c Le but que l'on se propose
�-
146 -
est de donne r à celui qui possède une plus grande faveur
à raison de la négligence du propriétaire, et cette faute
est considérée comme plus grande s'il est pr ésent. Mais
ceux qui ne se sont attachés qu'à la présence du propriétaire et du possesseur dans le même lieu ou clans un lieu
voisin, n'ont pas songé que les actes possessoires se
font sur l'héritage même. C'est clone par la distance à
laquelle le propriétaire se trouve de l'héritage qu'il est
plus ou moins à portée de se maintenir en possession ;
il ne saurait, le plus souvent, retirer aucune instruction
du voisinage du nouveau possesseur. Ces lois ont été
faites clans les temps où l'usage le plus général était
que chacun vécût auprès de ses propriétés. Cette règle
a dû changer avec nos mœurs, et le vœu de la loi sera
rempli en ne regardant le véritable propriétaire comme
présent que lorsqu'il habitera dans le ressort du tribunal
d'appel où l'immeuble est situé . ''
Nous avons dit que la disposition de l'article 2265 a
été empruntée par les rédacteurs du Code civil à la
coutume de Sedan. Il est à regretter qu'après avoir
admis avec raison le principe qui consiste à rega rder le
propriétaire comme plus ou moins négligent, suivant
qu'il est plus ou mo ins éloigné de sa propriété possédée
par un tiers, ils n'aient pas appliqué toutes Tes conséquences de ce principe en établissant d'une manière
invariable, comme le faisait l'article 313 de la coutume
précédemment nommée, la distance ù laquelle il est
réputé absent. Au lieu de cela, ils se sont arrêtés au fait
de son habitation dans le même ressort que celui où est
situé l'immeuble, sans r emarquer qu'avec une semblable
règle il peut arriv~r que le propriétaire soit réputé
absent, alors cependant que l'immeuble est situé à
quelques pas de sa maison, t andis qu'il peut être réputé
\.
�-
147 -
présent bien qu'il en soit séparé par une distance de
plus de quarante lieues .
L'article 2266 a pour objet de régler le cas où le véritable propriétaire a eu son domicile, en différents temps,
hors du ressort et dans le ressort : « Si le véritable propriétaire a eu son domicile, en différents temps, hors
du res sort et dans le resso rt, il faut, pour compléter la
prescription, ajouter à ce qui manque aux dix ans de
présence un nombre d'années d'absence double de celui
qui manque pour compléter les dix ans d'absence. n Bien
que jamais aucune difficulté ne se soit élevée sur l'interprétation à donner à cet arlicle, il faut convenir
néanmo ins que b rédaction en est défectueuse . En supposant avec la loi que le propriétaire a été successivement présent et absent dans le sens légal du mot, le
nombre d'années d'absence double, nécessaire pour compléter la prescrip tion, doit être ajouté, non pas à ce qui
manque aux années de présence, mais bien aux années
de présence déjà accomp lies.
La question s'est posée de savoir si la distinction que
la loi fait entre les présents et les absents était applicable
à l'Etat. L'affirmative a été soutenue et on a prétendu
que l'Etat devait être réputé présent là où siège le gouvernement, et absent ailleurs. Nous ne croyons pas qu'il
soit nécessaire d'insister beaucoup pour prouvel' que
partout 011 prescrit pour dix ans contee l'Etat ; en effet,
l'Etat est présent partout, car partout il a des agents
chargés de veiller à ses in térêts .
Après avoir ainsi indiqué quelle est la durée que doit
avoir la possession, nous ne nous arrêterons pas à examiner les règles . ur la manière ds la calculer, car ces
règles ne sont pas spécüiles à la prescription décennale
et sont, au contraire, communes à toute espèce de pres-
�- 148 cription. Nous nous demanderons seulement dans quel
sens la loi a entendu la présence ou l'absence du propriétaire, en d'autres termes, si on doit s'attacher a son
domicile de droit ou simplement à sa résidence, son
domicile de fait.
Disons tout d'abord qu'au point de vue des textes,
cette question qui a divisé la jurisprudence et la doctrine
est indécise. En effet, l'article 2265 commence par dire :
« si le véritable propriétaire habite dans le ressort, '' ce
qui indique la résidence de fait; puis, prévoyant l'absence,
il continue : << s'il est domicilié hors dudit ressort, » ce
qui, évidemment, doit s'entendre du domicile de droit.
Lorsque nous avons étudié la prescription décennale
clans l'ancien droit français, nous avons vu que Pothier
décidait d'une façon formelle que la présence du propriétaire devait s'entendre du domicile de fait, de la
résidence, et non pas du domicile de droit. Or, si on
considère que ln. décision de. Pothier est en harmonie
parfaite avec l'esprit de la loi et avec les travaux préparatoires, il nous semble qu'aujourd'hui encore, et bien
que la présence du propriétaire ait une signification
autre que dans notre ancien droit, on doit l'entendre
toujours du domicile de fait, de la présence effective du
propriétaire. Mais ce qui, d'après nous, doit surtout décider la question, ce sont les considérations dont s'est
inspiré le législateur en cette matière, considérations
que nous indiquions plus haut en rapportant les paroles
mêmes de l'orateur du gouvernement. Le législateur a
pensé avec raison que cette circonstance que le propriétaire et le possesseur habitent dans le même ressort,
était sans importance au point de vue de. savoir si un
immeuble avait été l'objet d'une usurp ation, parce que
l'immeuble pouvait être situé bien loin de là. Il a cru'
�-
149 -
que le propriétaire serait plus facilement informé des
faits de possession lorsqu'il habiterait dans le voisinage
de son domaine, et c'est pour cela que, dans cette
hypothèse, il a décidé que la prescription s'accomplirait
contre lui par dix ans . Dans l'opinion contraire, et en
rattachant la présence au domicile légal, ·ces considérations n'auraient plus aucune valeur, car une personne
peut avoir son domicile dans un lieu où elle n'a jamais
résidé et où par conséquent il lui est impossible d'exercer
une surveillance quelconque.
Quelques auteurs, et parmi eux M. Troplong, ont
pensé au contraire que la présence ou l'absence du propriétaire étaient uniquement déterminées par son domicile de droit; et le principal argument sur lequel ils
se sont fondés est tiré de l'embarras considérable que
susciterait l'application de l'article 2266, si la loi eftt
voulu qu'on tînt compte de toutes les allées et venues,
de tous les déplacements du propriétaire. Nous y répondrons en faisant remarquer que le domicile de droit a
aussi ses inconvénien,ts à raison de la difficulté qu'il y
a souvent à le déterminer; que, d'ailleurs, des déplacements momentanés ne suffisent pas pour changer la résidence, l'habitation de fait . On a aussi invoqué l'esprit
général de notre législation sur le domicile, et cette
idée que pour le règlement des rapports juridiques dans
lesquels une personne peut se:trouver avec une autre
elle est toujours censée présente au lieu de son domicile
(Aubry et Rau, t. 11, p. 136, note 38, § 218). Nous
répondrons, avec M. Laurent, que c'est donner aux principes une prépondérance sur la réalité des choses; que
les principes sont faits pour les hommes et non les
hommes pour les principes. Qu'importe. que le domicile
de droit soit la règle générale ? Cette règle peut et doit
10
�-
150 -
recevoir des exceptions· quand c'est l'habitation plutôt
·que le domicile de droit qui doit être prise en considération. Quand les principes conduisent à des conséquences absurdes, le législateur fait bien de laisser là les
principes et de tenir compte de la réalité des choses .
Lorsque la possession s'exerce sur une chose appartenant à deux propriétaires par indivis, dont l'un demeure
dans le ressort où l'immeuble est situé, et l'autre dans
un autre ressort, le possesseur acquiert par dix ans la
part du propriétaire présent; mais il lui faut vingt ans
de possession pour acquérir la part de l'autre. Si la
chose était indivisible, la prescription ne pourrait s'accomplir que par vingt ans.
CHAPITRE II
Des conditions relatives à 1a chose
La prescription de dix à vingt ans, quoique constituant
une dérogation au principe formulé par l'article 2262, qui
consacre la prescription trentenaire, n'en est pas moins
soumise aux règles générales sur la prescription:Nous
ne nous arrêterons pas néanmoins à examiner les caractères généraux qui rendent les choses susceptibles de
prescription, car notre étude a uniquement pour objet
les règles partï"culières à la prescription décennale.
�-
15'1 -
Mais par cela même qu e les règles de la prescription
de dix à vingt ans sont des règles exceptionnelles , elles
ne doivent pas être étendues , et nous en concluerons
t out de S\Üte que, l'article 2265 ne parlant que des
immeubles ip.dividuellement déterminés, les universalités
de biens irrimobiliers se trouvent par là exclues de cette
prescription pri vilégiée .
Ainsi, en général, et conformément au principe de
l'article 2226, tout immeuble qui est dans le commerce
peut être l'obj et de la prescription décennale. Une
exception qui mérite d' être mentionnée comme fait historique a été apportée cependant à cette règle générale
par une loi du 12 m, · 1871. L'article premier de cette loi,
r endue à la suite des funes tes excès commis à P aris sous
la commune, est ainsi conçu : << sont d éc~ ar és inaliénables, jusqu'à leur retour aux mains du propriétaire,
to us les biens meubles et immeubles de l'Etat, du département de la Seine, de la ville de P aris et des communes
suburb aines , des établissements publics , des églises ,
des fabriques, des sociétés civiles, commerciales ou
savantes, des corporations, des communautés , des particuliers, qui auraient été soustraits, saisis , mis sous
sequestre, ou détenus d'une manière quelconque, depuis
le 18 mars 1871 , au nom ou par les ordres d'un prétendu
Comité central, comité du Salut public, d'une soit-disant
commune de P aris ou de tout autre pouvoir insurrectionnel, par leurs agents, par toute personne s'autorisant
de ces ordres, ou par tout autre individu ayant agi
même sans ordre à la faveur de la sédition. ii L'article
second de la loi consacre la conséquence qui résulte
de 'l'inaliénabilité proclamée par l'article premier : « Les
aliénations frapp ées de nullité ne pourront, pour les
immeubles, servir de base à la prescription de dix à
�- 152 vingt ans, et pour les meubles donner lieu à l'application des articles 2279 et 2280 du Code civil. Les biens
aliénés pourront être revendiqués, sans aucune condition
d'indemnité et contre tous détenteurs, pendant trente
ans à partir de la cessation officiellement constatée de
•
l'insurrection de Paris. »
J-usqu'ici nous avons considéré la prescription de dix
à vingt ans comme s'appliquant à la pleine propriété
d'un immeuble; il faut se demander maintenant si elle
peut s'appliquer aussi au simple démembrement de la propriété d'autrui à l'effet de le faire acquérir. La base de la
prescription acquisitive se trouvant dans la possession,
il faut nécessairement supposer que. ce démembrement
est susceptible de possession. L'usufruit se présente en
première ligne.
La prescription décennale s'applique-t-elle à l'usufruit?
Cette question ne saurait faire l'objet d'aucune difficulté.
En effet, l'article 526 range l'usufruit dans la catégorie
des immeubles, et l'article 2118 nous dit qu'il peut servir
de base à l'hypothèque ; il se trouve donc nécessairement comp ris dans la formule générale employée par le
législateur dans l'article 2265, et il faut en conclure que
la jouissance à titre d'usufruitier, fondée sur un titre
émané du propriétaire apparent, fera prescrire l'usufruit
contre le véritable propriétaire après un délai de dix ou
vingt ans.
Quant aux droits d'usage et d'habitation, nous croyons
que leur quali té d'immeubles les fait aussi tomber sous
l'application de l'article 2265. La loi , il est vrai, ne les a
pas rangés, dans l'article 526, parmi les droits immobiliers, mais puisque l'usage n'est en réalité qu'un
usufruit restreint, il nous semble que lorsque son objet
�-
153 -
est immobilier, i\ doit être, comme ce dernier, rangé
dans la catégorie des ifomeubles .
La ques tion de savoir si la presc ription de dix à vingt
ans s'applique aux servitudes présente beaucoup plus de
difficultés ; nous ne voulons, bien entendu , parler que
des servitudes continues et apparentes , car ce sont les
seules qui soient susceptibles d'être acquises par la prescription. M. Troplong pense qu'il y a analogie parfaite
entre les servitudes et l'usufruit; que comme lui elles
sont immeubles par l'obj et auquel elles s'appliquent, et
que par conséquent elles ne sauraient échapper à la
disposition de l'article 2265. Cherchera-t-on à se prévaloir de l'article 690 pour dire que la loi exclut toute
autre prescription que celle de trente ans ? Ce serait une
erreur. L'article 690 ne parle que de la prescription qui
s'appuie sur la seule possession, il ne s'occupe pas de la
prescription avec titre : le L es servitudes continues et
apparentes s'acquièrent par titre, ou par la possession
de trente ans. ii Dans ce dernier membre de phrase , la
po ssession es t séparée du titre, par conséquent il est
naturel qu'elle ne conduise à la prescription que par le
délai de trente ans.
L es partisans de cette opinion invoquent ensuite la
t radition. Sous l'empire des coutumes où l'on suivait la
maxime (( nulle servitude sans titre ii, et où par conséquent on n'admettait pas la prescrip tion trentenaire, on
reconnaissait cependant la prescription décennale fond ée
sur un titre qui n' émanait pas du véritable propriétaire.
Or, il n'est pas vraisemblable, dit-on, que les r édacteurs
du Code civil, qui ont consacré la prescripti on de trente
ans repoussée par les coutumes , n'aient pas admis, à
l'égard des servitudes, la prescription de dix ans fond ée
�-
154 -
sur un titre, prescription admise par les coutumes ellesmêmes. Si dans l'article 690 il· n'est parlé que de la
prescription de trente ans, c'est que cette prescription
constitue elle seule une innovation ; la prescription décennale se trouvant déjà autorisée par les coutumes, le
Code n'avait pas à en parler.
Nous ne suivrons pas cette doctrine. Nous croyons
au contraire que la prescription de dix à vingt ans ne
s'applique pas aux servitudes, et qu'en cette matière,
l'article 690 est la seule règle à suivre ; en d'autres termes, que malgré le juste titre et la bonne foi, il faut une
possession de trente ans pour acquérir les servitudes
par la prescription. L'argument qui nous paraît décisif
est celui que l'on tire du rapprochement des articles 690
et 2264 . L'article 2264, qui se trouve clans le chapitre V,
intitulé : Du temps requis pour prescrire, dit que les
règles de la prescription sur d'autres objets que ceux
mentionnés dans le titre de la prescription, sont expliquées dans les titres qui leur sont propres. Or, dans le
titre consacré aux servitudes, on trouve une disposition
spéciale concernant la prescription; c'est l'article 690,
qui exige une prescription de trente ans pour l'acquisition d'une servitude par prescription ; la prescription
décennale se trouve par cela même exclue .
On nous objecte, avons nous vu, que l'article 690
contient deux dispositions distinctes, l'une réglant l'acquisition des servitudes en vertu d'un titre émanant du
véritable propriétaire, l'autre s'occupant des servitudes
basées uniquement sur la possession séparée du titre
coloré; que convertir en une disposition limitative les
termes évidemment énonciatifs de l'article 690, et transporter dans son texte la formule restrictive qùi n'est
écrite que dans l'article 691, c'est changer la loi et la
�-
155 -
refaire à son idée. Il nous semble que ce reproche se
retourne contre ceux qui nous l'adressent, car ils méconnaissent la généralité absolue du t exte et introduisent une distinction que ses termes et son esprit repoussent également.
Sans doute, dans nos anciennes coutumes on admettait
l'acquisition des se rvitudes par la prescription de dix à
vingt ans en vertu d'un titre color é, mais c'était là un
temp érament à la rigueur extrême de la maxime généralement suivie « nulle servitude sans titre. » L e Code,
en décidant que les servitudes peuvent s'acquérir ·par
une prescription de trente ans, n'est pas venu compléter
la th éorie admise par les coutumes ; il a créé un sys tème
nouveau qui se suffit à lui-mêI)le, et rien n'est plus facile
que de le justifier lorsqu'il exige pour les servitudes
une possession de trente ans. L a possession d'une servitude es t moins caract érisée que celle de la propriét é
ou de l'usufruit ; elle n'éveille pas au même degré
l'attention du propriétaire, elle est donc plus à redouter.
S'il est juste que le législateur ait refus é l'action en
revendication au propriétaire après un délai qui varie
entre dix et vingt ans, on s'étonnerait qu'il en eût décidé
de même en matière de servitude.
Nous avons dit que la prescription de l'article 2265 est
une prescription exceptionnelle ; elle ne saurait donc
être étendue ; il faudrait pour cela un texte précis, et
ce texte n'existe pas . On a dit enfin que, dans notre
sys tème, on ne fait aucune distinction entre le possesseur de bonne foi qui s'appuie sur un titre et celui qui
n'a ni titre ni bonne fo i; que, pour l'un comme pour
l'autre, le délai est le même, ce qui est une grave inconséquence.
· - Nous répondons à cela, qu'en mati ère de prescription,
�-
156 -
la loi, avant de prononcer la déchéance des droits du
propriétaire, ne s'est pas uniquement préoccupée de la
condition du possesseur. Sans doute le législateur a
voulu que, dans l'intérêt de ce dernier, la possession ne
restât pas longtemps incertaine, mais il a vu aussi dans
la prescription un moyen de punir le propriétaire qu'il
considère comme ayant fait une abdication de son droit.
C'est en s'inspirant de cette dernière idée qu'on a fait
varier la durée de la prescription entre dix et vingt ans,
suivant que le propriétaire avait plus ou moins de facilité
pour connaître l'usurpation dont il avait été la victime.
Si le Code s'est occupé de l'intérêt du possesseur en
abrégeant, dans certains cas, le délai de la prescription,
il tient compte avant tout des droits contre lesquels on
prescrit, et c'est ainsi que nous voyons, dans l'article
2180, que la prescription ne court contre les créanciers
hypothécaires qu'à partir de la transcription de l'acte
d'acquisition. Si la loi n'avait tenu compte que de l'intérêt du possesseur, elle aurait fait courir le délai de
l'affranchissement de l'hypothèque du jour de la prise
de possession ; mais comme elle a pensé que les créanciers ne seraient pas suffisamment avertis du changement
qui s'est produit dans la propriété de l'immeuble, elle a
exigé la transcription pour les en prévenir. Nous avons
suffisamment indiqué déjà que l'exercice d'une servitude
sur son immeuble était un événement qui ne devait pas
frapper l'attention du propriétaire comme la perte de la
possession, et c'est là certainement le motif qui a déterminé le législateur à garantir le propriétaire, non pas
pendant dix ans, mais dans tous les cas pendant trente
ans.
Après avoir recherché si les droits réels qui constituent des démembrements de la propriété, tels que l'usu-
�- 157 fruit et les servitudes, peuvent faire l'objet de la prescription de dix à vingt ans, il nous reste à parler de
l'emphitéose. Le Code ne dit rien de l'emphitéose, il
ne la mentionne pas parmi les droits réels qui sont
énumérés dans l'article 543, ni parmi les droits immobiliers qui sont susceptibles d'hypothèque. De là des doutes sérieux sur la question de savoir si l'emphitéose
existe encore en droit français à titre de droit réel
immobilier. Nous n'avons pas à entrer dans l'examen
de cette question, mais avoir constaté après que la
jurisprudence s'est décidée pour le maintien de l'emphitéose comme droit réel immobilier, il nous reste à
nous demander si ce droit peut faire l'objet de la prescription de l'article 2265.
La question ainsi posée ne nous paraît pas douteuse,
et la solution affirmative doit nécessairement découler
des principes généraux admis en matière de prescription. La propriété s'acquiert par la prescription, ainsi
que les démembrements de la propriété ; pourquoi n'en
serait-il pas de même de l'emphitéose? L'argument a
d'autant plus de force, que d'après les articles 711 et
2219 la prescription est un moyen général d'acquérir ;
peut-il y avoir une exception pour l'emphitéose sans un
texte qui la consacre ? Quant aux motifs qui nous ont
fait repousser la prescription décennale pour l'acquisition des servitudes, ils ne sauraient être invoqués dans
la matière qui nous occupe, car la possession de l'emphitéose est aussi caractérisée que celle de l'usufruit.
Celui qui a passé avec une personne qu'il croyait propriétaire de l'immeuble, ce que dans l'usage on appelle
un bail emphitéotique, pourra donc invoquer l'article
2265, si d'ailleurs les autres conditions exigées par cet
article se trouvent réunies.
�-
158 -
Nous allons indiquer maintenant en quelques mots
pourquoi l'hypothèque, à la différence des autres droits
réels, n'est pas susceptible de faire l'objet de la prescription de l'article 2265. La raison en est bien simple,
c'est que l'hypothèque n'est pas susceptible de possession, et nous savons que la possession est la base de
toute prescription acquisitive. Ce qui prouve que l'inscription hypothécaire ne constitue pas une possession de
l'hypothèque pour le créancier, c'est que l'article 2180
nous dit que les inscriptions ·prises par le créancier n'interrompent pas le cours de la prescription établie par la
loi en faveur du débiteur ou du tiers détenteur. Ainsi, si
l'on suppose que celui qui se prétend propriétaire d'un
immeuble, consent à un tiers de bonne foi une hypothèque sur cet immeuble, celui-ci, malgré l'inscription
régulièrement prise et conservée pendant dix, quinze ou
vingt ans, n'aura jamais acquis l'hypothèque ainsi consentie a non dornino, et lorsque le propriétaire aura
exercé son action en revendication contre le possesseur,
le créancier hypothécaire ne pourra pas lui opposer son
droit réel malgré la date ancienne de son inscription,
car, nous le répétons, l'inscription ne constitue pas une
possession du droit.
�-
159 -
CHAPITRE
III
Des effets de la prescriptiôn de dix à vingt ans
Les effets de la prescription de dix à vingt ans sont
réglés par l'article 2265, qui nous dit que celui qui acquiert de bonne foi et par un juste titre un immeuble, en
prescrit la propriété. Par là, il faut entendre la propriété pleine et entière, de telle sorte que si l'immeuble
était grevé de charges r éelles consenties par le précédent propriétaire, l'acquéreur qui l'a possédé comme
libre de toute charge aura prescrit contre ces droits
réels et aura acquis une propriété non démembrée. Cette
doctrine est parfaitement conforme à la logique, car on
ne conçoit pas qu'une possession, considérée comme
suffisante pour acquérir la propriété, puisse être insuffisante lorsqu'il s'agit d'acquérir les démembrements de
la propriété.
Nous devons constater cependant que cette question
n'est pas aussi ~imple qu'elle peut le paraître au premier
abo rd; qu'elle a été, au contraire, l'objet de longues
discussions, et que la Cour de cassation s'est prononcée
souvent contre la doctrine que nous avons adoptée('! ).
Disons tout d'abord que le motif principal sur lequel on
(1) C. Cass., 20 décembre 1836; 31 décembre 1845; 14 novemhre 1853.
�-
160 -
se base est que, prescrire les charges qui grèvent un
immeuble, c'est se libérer, et que la prescription libératoire ou extinctive est de trente ans.
Nous allons exposer maintenant les motifs qui nous ·
ont déterminé à croire que celui qui a acquis par juste
titre et de bonne foi, comme franc de toute charge, un
immeuble grevé en réalité de servitudes et qui le possède
libre pendant dix à vingt ans, acquiert la franchise de
cet immeuble. ·
La question de savoir si la prescription de dix à vingt
ans peut affranchir un immeuble des servitudes qui le
grèvent peut se présenter dans deux cas : il peut se faire
que j'achète un immeuble de son véritable propriétaire,
immeuble grevé de servitudes que le vendeur ne me
déclare pas et que j'igno~·e par conséquent. Si je possède
cet immeuble, libre de toute charge, pendant dix à vingt
ans, j'aurai acquis la liberté de l'immeuble. Dans cette
première hypotèse, notre solution, ainsi que nous l'avons
déjà fait remarquer, est parfaitement conforme aux principes qui régissent la prescription, car si je puis prescrire la propriété par dix ou vingt ans, pourquoi ne
pourrais-je pas la prescrire toute entière, c'est-à-dire
libre de tout droit réel ? Tamti'vm prœscriptum quant'Ùlm
possesswni, dit un principe admis par tout le monde, si
je possède un immeuble co~nme libre de.toute servitude,
je · dois acquérir cet immeuble en toute propriété. En
second lieu, il peut arriver que j'achète un immeuble de
celui qui n'en était pas le propriétaire ; cet immeuble
était grevé de servitudes, mais je les ai toujours ignorées.
Dans cette hypothèse, comme dans la précédente, après
dix ou vingt ans de possession j'aurai acquis, disonsnous, la pleine propriété de l'immeuble. Quant à justifier
�-
161 -
cette acquisition au point de vue des principes, c'est
encore plus facile que dans le cas précédent. N'est-il
pas évident, en effet, que si je puis prescrire contre le
droit du propriétaire, je puis prescrire aussi contre le
droit de celui qui n'a qu'un démembrement de la propropriété ? Le but de la prescription est bien ici d'acquérir l'immeuble, et comme en l'acquérant je l'acquiers
tout entier, la servitude dont il est grevé, et qui n'est
qu'une partie et un démembrement du dominiwm, se
trouve acquise avec ce dominium, à l'obtention duquel
me conduit la prescription. Cela est tellement vrai qu'un
auteur, M. Marcadé, qui sur la question qui nous accupe
adopte d'une façon générale l'opinion de la jurisprudence, reconnaît cependant que, dans ce cas particulier
où l'aliénation est faite a non d01nino, il s'agit bien de
la prescription acquisitive de l'article 2265 et non pas
de la prescription extinctive de l'article 706.
Mais s'il est si facile de justifier notre système au point
de vue des principes, en est-il de même au point de vue
des textes? Car nous reconnaissons que quelle que soit
la valeur des principes, ils ne sauraient se passer de
l'appui des textes. Nous avons déjà invoqué l'article 2265
lui-même : la prescription décennale, nous dit cet article,
nous fait acquérir la pr·opriété, et donnant à ce mot
toute l'étendue qu'il comporte, nous en avons conclu
qu'il devait s'entendre de la propriété absolue, de la
propriété toute entière. Ce qui prouve bien que cette
interprétation est exacte et que l'on peut prescrire ·1a
liberté d'un fonds comme on peut en prescrire la propriété, c'est l'article 2180 lui-même, qui admet la prescription des hypothèques par dix à vingt ans, quand le
fonds est entre les mains d'un tiers détenteur; la loi assimile donc la prescription de l'hypothèque à la prescrip-
�-
162 -
tion de la i)ropl'iété, et l'article 2180 est uue application
de l'article 2265 .
Il es t donc établi par le Code lui-même que les droits
réels s'éteignent par la prescription de dix à vingt ans.
Comme, a.in ·i que nous le verrons plus loin , il est également admis que la prescription de dix à vingt ans peut
éteindre le droit d'usufruit, on se demande alol's pourquoi ce qui est vrai de l'hypothèque et de l'usufruit, ne
le serait pas également des servitudes. On répond que
la solution affirmative, admise en matière d'usufruit, ne
saurait l'être en matière de servitude, car les deux choses
sont d'une nature toute différente. Il faut, en effet, que
le possesseur ait possédé ce qu'il prétend avoir prescrit;
or, s'il est vrai de dire que la jouissance de l'acquéreur
s'exerce contre la jouissance de l'usufruitier , il ne saurait
en être de même en matière de servitude, car l'acquéreur
n'exerce pas les droits du propriétaire du fonds dominant; il ne peut clone rien acquérir par la prescription
acquisitive, puisqu'il ne possède pas . Outre qu'on pourrait répondre que celui qui possède toute la propriété en
possède par cela même les démembrements, il y a un
argument tiré de l'article 2180 qui fait tomber cette
objection. Cet article consacre l'extinction des hypothèques par l'effet de la prescription décennale; or, nous
avons indiqué déjà que l'hypothèque n'est pas susceptible
de possession ; c'est clone que, dans la. théorie du Code,
la prescription de dix à vingt ans fait acquérir la propriété pleine et entière, libre de tout droit réel.
Il est enfin un argument de texte qui est la base du
système que nous combattons ; il est tiré de l'article
2264, aux termes duquel « les règles de la prescription
sur d'autres objets que ceux mentionnés dans le présent
titre, sont expliqués dans les titres qui leur sont
�-
163 -
propres. » Lorsque nous examinions ln. question de savoir si les servitudes peuvent s'établir par la prescription de dix à vingt ans, c'est cet article qui nous a
déterminé à adopter la négative; il semble donc que si
nous considérons ln. prescription décennale comme incapable d'établir une servitude, nous devons admettre aussi
qu'elle est incapable d'en amener l'extinction. On a
ainsi, en ce qui concerne les servitudes, un système
complet, dans lequel la prescription de l'article 2265 est
remplacée par la prescription trentenaire : l'article 690
réglant l'acquisition, l'article 706 réglant l'extinction des
servitudes par la possession.
Nous répond{)ns à cela que la matière de l'extinction
et celle de l'acquisition des servitudes par la possession
a été réglée d'une façon toute différente par le législateur. En ce qui concerne l'acquisition, l'article 690 consacre une dérogation évidente à l'article 2265 ; nous
avons dû par conséquent admettre que la prescription
décennale était impuissante à faire acquérir une servitude. Pour l'extinction, au contraire, nous ne trouvons
aucune exception à la règle générale; l'article 706 n'est
qu'une application de l'article 2262, consacrant l'extinction des actions réelles par une prescription de trente
ans. Mais ici, nous le répétons, nous sommes en face
d'une prescription acquisitive; c'est donc l'article 2265
qui est seul applicable .
Ajoutons que notre système peut invoquer la tradition .
La coutume de Paris contenait en effet deux dispositions
distinctes, l'une réglant la prescription à l'effet de se
libérer, prescription résultant uniquement du non usage
de la servitude et qui en fait acquérir la libération même
à ceux qui les auraient constituées (l'article 706 n'en est
que la reproduction); l'autre consacrant une prescription
�-
164 -
qui n'avait rien de commun avec la précédente, ainsi que
le dit Pothier (1), prescription que pouvait invoquer
l'acquéreur de bonne foi qui avait possédé l'héritage
comme libre de toute servitude, et qui en opérait l'extinction par dix à vingt ans ; cette dernière disposition
était contenue dans l'article 114 de la coutume de Paris ;
les rédacteurs du Code civil, qui suivaient cette coutume, en ont fait l'article 2265.
Nous avons déjà eu l'occasion de constater, en invoquant l'article 2180, que la prescription de dix à vingt
ans avait pour effet d'éteindre les hypothèques qui
grèvent l'immeuble possédé par [le tiers détenteur. Le
tiers détenteur peut acquérir la pleine propriété par une
possession de dix ou vingt ans appuyée sur un titre et
sur la bonne foi; il est donc naturel qu'il puisse acquérir, sous les mêmes conditions, un démembrement de la
propriété, dans l'espèce l'hypothèque qui ne lui laisse
qu'une propriété démembrée . On a objecté que le tiers
détenteur ne peut jamais invoquer la prescription de dix
à vingt ans contre les créanciers hypothécaires, parce
que ,la bonne foi lui manque nécessairement, parce qu'il
doit être réputé avoir connaissance des droits hypothécaires affectant l'immeuble qu'il a acquis. Nous répondons que sans doute, si l'acquéreur est prudent, il
consultera le registre du conservateur des hypothèques,
qui lui donnera connaissance des inscriptions; mais il
n'en est pas moins vrai que la bonne foi est une question
de fait et que ce serait renverser la présomption de la
loi que de présumer la mauvaise foi.
(1) Traite de la presc1'iption, n' 139.
�-
165 -
Faisons remarquer, en terminant, que si le tiers détenteur prescrit par dix ou vingt ans contre les créanciers
hypothécaires, cette prescription de l'hypothèque n'est
pas une conséquence de la prescription de la propriété,
mais constitue une prescription distincte qui ne commence à courir qu'à partir de la transcription du titre
d'acquisition.
Examinons maintenant l'hypothèse où le droit réel
dont on veut s'affranchir par la prescription est un usufruit. Celui qui, par un juste titre et de bonne foi, a
acquis, soit du nu-propr~étaire, soit d'un non-propriétaire
un immeuble grevé d'usufruit, peut-il acquérir l'affranchissement de cet usufruit par une prescription de dix à
vingt ans ? Ici, comme en matière de servitude, nous
admettrons l'affirmative.
On a dit, dans un système contraire, que l'acquéreur
de la pleine propriété d'un immeuble n'ayant pas entendu
acquérir et posséder l'usufruit comme tel, ne pouvait, à
l'aide de la prescription acquisitive, réunir cet usufruit à
la propriété. La réponse est facile, car si l'acquéreur
n'a possédé l'usufruit que comme un attribüt de la pleine
propriété, et non comme un démembrement de cette dernière, il n'en a pas moins exercé en fa,it la jouissance
que l'usufruitier aurait dû exercer.
Reste enfin un argument de texte analogue à celui
que nous avons vu invoquer à propos des servitudes, et
qui est tiré du rapprochement des articles 2264 et 617.
Puisque ce dernier article n'admet pas d'autre mode
d'extinction de l'usufruit par voie de prescription que le
non usage pendant trente ans, c'est donc que l'application de l'article 2265 se trouve écartée. Cette seconde
objection n'a, en matière d'usufruit, qu'une valeur
11
�-
166 -
relative, car nous pouvons répondre ici ce que nous
avons déjà dit à propos des servitudes, sur le sens et
l'étendue à donner 'à l'article 2264; nous avons déjà vu
que la disposition de cet article n'empêche pas l'acquéreur de l'usufruit d'un immeuble de consolider son
acquisition par la prescription de dix à vingt ans, alors
que cet usufruit avait déjà été constitué au profit d'une
autre personne. On peut d'ailleurs répondre que les
principes généraux suffisent à décider la question; que
celui qui possède la pleine propriété prescrit la pleine
propriété, c'est-à-dire la propriété libre de toute charge.
Nous avons déjà vu que la loi. applique ce principe à
l'hypothèque; si le plus favorable des droits réels s'éteint par la prescription acquisitive, il doit en être ainsi
à plus forte raison de l'usufruit, dont la loi favorise
l'extinction.
On peut invoquer enfin l'article 1665, qui dit que l'acheteur à réméré peut prescrire « tant contre le véritable propriétaire que contre ceux qui ont des droits ou
hypothèques sur la chose. Ces droits autres que les
hypothèques ne peuvent être que des servitudes réelles
ou personnelles . La prescription acquisitive a donc
pour effet d'éteindre l'usufruit aussi bien que l'hypothèque.
Nous venons de voir comment la prescription de dix à
vingt ans a pour effet de faire tomber les droits réels qui
pesaient sur l'immeuble possédé par le tiers détenteur;
il nous reste maintenant à étudier une question analogue
et qui consiste à savoir si le tiers détenteur, après avoir
prescrit la propriété de l'immeuble, pourra repousser,
par la prescription, l'action intentée contre lui par suite
de l'annulation, de la rescision ou de la résolution du
titre l1e son autem.
�-
167 -
L'affirmative est admise par la jurisprudence, et elle
uous paraît certaine. Il suffit, en effet, de remarquer· que
lorsque le propriétaiL'e, après avoir fait prononcer la
nullité, la résolution ou la rescision de la vente, par
exemple, se retourne contre le tiers détenteur, il agit
non pas par une action personnelle, mais par une action
réelle, l'action en revendication. S'il en est ainsi, la
prescription que le possesseur oppose au propriétaire est
non. pas la prescl'iption extinctive, dont la durée doit
être de trente ans, mais la prescription acquisitive, qui
est de dix à vingt ans, lorsque les conditions de l'article
2265 se trouvent réunies.
Quelques-uns, p::i.rtant de cette idée fausse que le
propriétaire peut intenter une action en nullité, en
rescision ou en résolution contre le tiers acquéreur, en
avaient conclu que la prescription extinctive pouvait
seule être invoquée, puisqu'il s'agissait d'une action personnelle. Nous savons au contraire que les actions personnelles ne peuvent être in~entées que par le créancier
contre le débiteur et jamais contre un tiers. Mais lorsque
la nullité, la rescision ou la résolution de contrat ont été
prononcées, tous les droits concédés par le propriétaire
dont le droit a été résolu venant à tomber, la chose
peut alors être revendiquée par le propriétaire entre les
mains du tiers détenteur. C'est alors que le possesseur
peut opposser la prescription acquisitive, comme il peut
l'opposser à toute action en revendication.
Nous pouvons encore, à l'appui de notre système,
reproduire ici l'argument que nous avons invoqué déjà
lorsqu'il s'agissait d'établir que la prescription acquisitive avait pour effet d'éteindre tous les droits réels qui
pèsent sur l'immeuble possédé, et montrer que notre
doctrine est en conformité parfaite avec l'ancien droit.
�-
168 -
Pothier pose en principe que la prescription de dix à
vingt ans non seulement fait acquérir au possesseur la
propriété de l'héritage, mais qu'elle le lui fait acquérir
tel qu'il a cru le posséder, c'est-à-dire libre de toutes
les rentes foncières, hypothèques et autres charges réelles dont il était grevé, si elles n'ont pas été déclarées à
l'acquéreur par son contrat d'acqufsition et s'il les a
ignorées. Cette doctrine était formellement consacrée
par l'article 114 de la coutume de Paris. Il ne faut pas
isoler l'article 2265 de la tradition ; sans cloute cet article ne reproduit pas les termes de la coutume de Paris,
mais il en reproduit la substance en déclarant que l'acquéreur prescrit la p1·opriété, c'est-à-dire que la possession de bonne foi fait acquérir au possessseur ce qui
manquait à la perfection de son domaine, en affranchissant l'héritage de toutes les charges dont il était grevé.
Il nous reste à constater une exception au principe
que le possesseur prescrit l'immeuble libre de toutes les
charges qui pesaient sur lui ; cette exception est écrite
dans l'article 966. Voici l'espèce prévue par la loi: une
personne fait une donation à l'époque où elle n'avait
point d'enfants ; plus tard, un ou plusieurs enfants surviennent au donateur. Par application de l'article 960, la
donation se trouve révoquée, pourvu que le donateur
demande la révocation dans le délai de trente ans qui
court à partir de la naissance du dernier enfant, même
posthume. Si le donateur ne veut pas intenter son action,
ou s'il néglige de l'exercer à l'expiration des trente ans,
le donataire deviendra propriétaire des biens donnés,
mais les conservera à titre de donation et non à titre de
biens acquis par prescription. Cette décision de la loi
est parfaitement logique et n'a d'autre but que d'empêcher que la révocation de la donation ne devienne pour
�-169 -
le donataire la cause d'une situation meilleure que celle
qu'il avait auparavant. Si donc il continue à détenir l'immeuble à titre de donataire, il demeurera soumis à toutes
les charges que ce titre lui impose, de telle sorte que
s'il se rend coupable de l'un de ces actes qui, d'après
la loi, constituent l'ingratitude envers le donateur, celuici pourra, nonobstant la prescription, demander de ce
chef la révocation de la donation. Au point de vue de
l'action en réduction qui appartient aux enfants du do- .
nateur, il importe encore de constater que le possesseur
conserve la qualité de donataire.
, Cette impuissance de la prescription à lib érer l'immeuble donné des charges auxquelles il est tenu à ce
titre, aurait dû, semble-t-il, s'arrêter à la personne du
donataire ou de ses ayants cause. Mais la loi est allée
plus loin et n'a fait aucune distinction entre le donataire
et un tiers quelconque possesseur de l'immeuble donné.
Ainsi, lorsqu'une personne, sans traiter avec le donataire, a: possédé l'immeuble donné et l'a acquis par prescription, elle ne peut invoquer cette prescription contre
le donateur ou ses enfants qu'à l'effet de faire valoir la
donation. Il est probable que s'il en est ainsi, c'est que
le législateur a eu surtout en vue l'intérêt des enfants du
donateur, auxquels il a voulu, par ce moyen, conserver
leur action en réduction.
Lorsque la prescription décennale est accomplie, celui
au profit duquel. elle se produit voit s'effacer le titre qui
a coloré sa possession, car ce n'est pas ce titre qui lui
a transféré la propriété, mais bien la prescription : le
titre n'a eu pour lui qu'un seul effet, celui d'abréger le
temps ordinaire de la prescription. Nous venons de voir
une première dérogation à ce principe en montrant que,
après la révocation d'une donation pour cause de surve-
�-
170 -
nance d'enfants, la prescription avait pour effet de maintenir la chose entre les mains du donataire à titre de
chose dorinée. Il faut se demander maintenant s'il n' existe
pas une seconde dérogation au principe que nous venons
de rappeler, et si l'acheteur, après la prescription de dix
à vingt ans, ne continue pas à détenir la chose à titre
d'acheteur.
En droit romain la question ne présentait aucune difficulté et il était admis que lorsque l'usucapation s'était
accomplie au profit de l'acheteur, celui-ci n'en était pas
moins tenu de payer le prix de la chose ainsi acquise.
Cette solution était une conséquence nécessaire de la
doctrine romaine en matière de vente. L'obligation principale dont était tenu le vendeur romain était, non pas
de transférer la propriété de la chose vendue, mais de
procurer à l'acheteur une vaCJUam possessionem; en un
mot, de mettre l'acquéreur in causa usucapiandi. D'où
il résultait que dans le ca·s de vente de la chose d'autru i
et d'usucapion accomplie au profit de l'acquéreur, celuici ne pouvait se refuser à payer son prix d'acquisition
au venclem qui avait rempli toutes ses obligations. Notre
droit actuel s'est montré plus sévère, et l'article 1599
prononce la nullité de la vente de la chose d'autrui.
Puisque la vente de la chose d'autrui est nulle, il semblerait logique de décider que, après la prescription
accom1)lie au profit de l'acquéreur, il ne saurait être
question d'exiger de lui le i.;aiement de son prix d'acquisition, car ce qui est nul ne peut produire aucun effet.
La jurisprudence admet cependant le con.t raire ; cette
solution provient de ce que elle considère la nullité de
la vente de la chose d'autrui comme une nullité simplement relative.
Cette façon d'interpréter l'article 1599 et de considérer
�-
171 -
la vente de la chose d'autrui comme frappée d'une nullité
simplement relative n'est pas admise par tous les auteurs . Mais il nous semble que, même en donnant à l'article 1599 la portée qu'il comporte, et en considérant la
vente de la chose d'autrui comme frappée d'un nullité
absolue, on doit néanmoins imposer à l'acheteur qui
inv-oque la prescription décennale l'obligation de payer
son prix d'acquisition. Sans doute, c'est en vertu de la
prescription et non en vertu de la vente que l'acquéreur
est devenu propriétaire, mais il n'en est pas moins vrai
que la vente a eu pour effet de lui servir de juste titre
et d'abréger le temps requis pour prescrire. Or, parmi
les obligations que fait naître la vente, la principale,
pour l'acheteur, consiste à payer son prix d'acquisition.
Si donc l'acheteur invoque la prescription de dix à vingt
ans, prescription qui a son fondement dans le titre
d'acheteur, il doit nécessairement accepter toutes les
conséquences que ce titre lui impose. Refuser de payer
le prix, ce serait nier les obligations qui résultent du ·
titre qu'il invoque ; ce serait se mettre dans l'impossibilité de l'opposer au propriétaire qui revendique; ce
serait, en un mot, renoncer au titre qui servait de base
à sa possession et lui donnait droit à la prescription
décennale.
Pour terminer ce que nous avions à dire sur les effets
de la prescription dans les rapports du possesseur avec
le propriétaire de l'immeuble, il nous reste à examiner
la question de savoir si la prescription court contre le
propriétaire sous condition suspensive . Voici l'espèce
que l'on peut prévoir : un immeuble a été vendu par le
propriétaire qui a stipulé que la vente serait résolue si
l'acheteur ne lui payait pas le prix dans un délai déterminé, huit ans par exemple. L'acheteur devient proprié-
�- 172 taire sous condition résolutoire, et le vendeur, par conséquent, reste propriétaire sous condition suspensive.
Si dans ces conditions un tiers entre en possession de
l'immeuble, il prescrira évidemment contre l'acheteur,
mais prescrira-t-il aussi contre le vendeur? En d'autres
termes, et pour poser la question sous une forme plus
générale, la prescription court-elle contre les dro.its
réels conditionnels ?
En ce qui concerne les droits personnels, les créances
conditionnelles, la question est tranchée par l'article 2257
qui déclare que la prescription ne commence à courir
qu'à partir de l'arrivée de la condition. Cette solution
est facile à justifier, car, d'une part la prescription
étant considérée comme une peine infligée à la négligence du créancier qui reste clans l'inaction, ne saurait
commencer à courir tant que le créancier ne peut agir
contre son débiteur, et, d'autre part, par rapport au
débiteur, la prescription libératoire étant fondée sur une
présomption de paiement, il ne serait pas rationnel
d'établir cett~ présomption à une époque antérieure à
celle où le paiement doit s'effectuer.
Pour les droits réels, il n'en est pas de même, et
notre ancienne jurisprudence, afin d'éviter l'i'nconvénient
immense qui résultait de la suspension de la prescription
jusqu'~ l'arrivée de la condition, avait créé une action
d'interruption par laquelle le titulaire d'un droit réel
conditionnel pouvait mettre obstacle à la prescription
qui avait commencé à courir contre lui ; il ne pouvait
donc plus invoquer en sa faveur la maxime : con.tra non
valentem agere non cu1·rit prœscriptio. Le Code n'a fait,
croyons-nous, que consacrer cette doctrine, car nous
voyons l'article 2257 ne parler que des créances. Nous
devons constater cependant que la Cour de cassation a
�-
173
~
décidé que la prescription d'un droit conditionnel était
suspendue jusqu'à l'arrivée de la condition, aussi bien
vis-à-vis du tiers détenteur d'un immeuble que vis-à-vis
du débite~r ; la Cour se fonde sur ce que les actes interruptifs de l'article .2224 ne sauraient être faits en vertu
d'un dt·oit conditionnel (Cassation, 4 mai 1846). Cette
doctrine nous paraît inexacte ; il nous semble que la
prescription n'est suspendue qu'entre les parties contractantes, mais non pas à l'égard des tiers qui détiennent
des immeubles affectés d'un droit réel conditionnel. Dire,
en effet, que l'article 2257 est applicable aux tiers détenteurs, c'est méconnaître le principe de l'article 1165, en
vertu duquel les contrats n'ont d'effet qu'entre les partles
contractantes; c'est assujettir le tiers détenteur aux obligations formées entre d'autres parties et lui créer une
position toujours incertaine, puisque, après de longues
l:tnnées de possession paisible et de bonne foi, il pourrait
être recherché pour un immeuble que ses ancêtres auraient ainsi acquis, ignorant que le vendeur était soumis
à une action de la part de son auteur. Si d'ailleurs le
titulaire d'un droit conditionnel ne peut faire aucun des
actes interruptifs énumérés dans l'article 2224, il peut
du moins • exiger une reconnaissance de son droit. Cela
est tellement vrai que l'article 2173 suppose que le tiers
détenteur d'un immeuble hypothéqué a reconnu l'hypothèque, ce qui se réfère à l'action d'interruption que le
créancier hypothécaire peut intenter pour la conservation de son droit.
Jusqu'ici nous ne nous sommes occupé des eff~ts de
la prescription que dans les rapports du propriétaire et
du possesseur, et nous avons vu qu'elle avait pour conséquence directe de donner à ce dernier un moyen de
�-
174 -
repousser l'action en revendication dirigée contre lui.
Mai. ce n'es t pas là le seul effet de la prescription, et par
cela môme que le propriétaire est dépouillé de son droit,
il voit naîtrn à son profit une action en indemnité contre
celui qui a fourni au possesseur les moyens d'arriver à la
prescription en lui délivrant un titre. Le propriétaire ne
peut plus revendiquer, puisque son action en revendication est prescrite, mais il a une action personnelle qui
ne se prescrit que par trente ans, action qui peut être
intentée contre tous ceux qui étaient tenus de lui rendre
la chose en vertu d'une obligation dérivant d'un contrat,
d'un quasi-contrat, d'un délit ou d'un quasi-délit. Si on
supp0se que l'aliénation a été faite pa-r un détenteur précaire, par un fermier, par exemple, l'acquéreur peut.
prescrire l'immeuble par dix ans, puisqµ'il a un juste titre
et que nous le supposons de bonne foi; mais cette prescription laisse intacte l'obligation dont est tenu le fermier de restituer la chose à l'expiration de son bail.
L'exécution de cette obligation a été rendue impossible
par sa faute, puisque l'acquéreur est devenu propriétaire; mais alors naît une actiun en dommages-intérêts,
action qui' ne se prescrit que par trente ans à partir du
jour où le bail est expiré, puisque c'est alors que naît
l'obligation de restituer. Le fermier ne pourrait pas prétendre que la prescription a couru à son profit à partir
du jour où il a disposé de la chose, sous ce prétexte que
c'est ce fait qui a donné naissance à l'action contre lui;
è'est, en effet, un principe que, lorsqu'il s'agit d'un droit
ou d'une créance à terme, la prescription ne commence
à courir que di;t jour de l'échéance du terme (article 2257) ;
or , la.restitution de la chose donnée à ha.il ne devait être
faite qu'à l'expii·ation du bail.
Si celui qui a disposé de l'immeuble et qui ne le pos-
�- 175 sédait pas encore depuis trente ans, s'en était emparé
sans titre, il est clair que l'usurpation obligeant l'usurpateur à la restitution, il sera passible pendant trente
ans d'un recours en indemnité de la part du propriétaire.
La seule questio.n qui puisse présenter quelque difficulté
est de savoir quel est le point de départ de cette prescription contre l'act"ion en indemnité du propriétaire :
est-ce le jour où l'usurpateur s'est emparé de l'immeuble,
ou le jour où il en a disposé? Il semble, tout d'abord,
que la prescription ne commence à courir à son profit
que du jour où il a disposé de l'immeuble, puisqu.e c'est
à partir de ce moment que, conformément au principe
de l'article 1382, il a contracté l'obligation d'indemniser
le propriétaire du préjudice que l'aliénation pouvait lui
causer. Il n'en est cependant pas ainsi, et il est vrai de
dire, au contraire, que c'est le jour où il s'est emparé de
l'immeuble qui est le point de départ de la prescription
trentenaire; et, en effet, s'il n'avait pas disposé de l'immeuble, la prescri]_)tion de trente ans n'aurait pas moins
couru contre l'ancien propriétaire à partir de l'entrée
en P.ossession. L'aliénation n'a rien ajouté au préjudice
éprouv é par le propriétaire, puisque s'il n'a pas réclamé
sa chose dans les trente ans qui se sont écoulés depuis
qu'il a cessé de posséder, la prescription lui est toujours
opposable. L 'obligation de restituer, pour celui quipossède sans titre, naît en même temps que sa possession,
et c'est à partir de ce moment que le propriétaire peut
agir contre lui ; mais il serait inexact de dire que la
possession sans titre donne naissance à une obligation
successive et de chaque jour de restituer la chose, car
s'il en était ainsi, la prescription serait !3n réalité de
soixante ans, et le Code n'en consaere pas de plus longue
que celle de trente ans ; l'article 2262 pose, en effet, en
�- 176 principe, que toutes les actions, tant réelles que personnelles, se prescrivent par trente ans, sans qu'on puisse
opposer l'exception déduite de la mauvaise foi. ·
Lorsque nous avons étudié les effets de la prescription
dans les rapports du propriétaire et du possesseur, nous
avons vu que quand la prescription était acquise au
profit de ce dernier, le propriétaire ne pouvait pas lui
opposer les causes de nullité, de rescision ou de résolution dont était entaché le titre de son auteur. Mais si
l'on envisage les rapports du propriétaire avec celui qui
a consenti l'aliénation, il faut constater que ce dernier
demeure toujours soumis aux causes de nullité, de rescision ou de résolution dont pouvait être entaché son
propre titre. Il est vrai que ces actions se prescrivant
aussi par dix ans, il arrivera souvent que lorsque le
possesseur pourra invoquer la prescription acquisitive
contre le propriétaire, l'aliénateur pourra aussi se prévaloir contre lui de la prescription lib ératoire. Mais il
peut arriver aussi que le contraire ait lieu, car le point
de départ de ces deux prescriptions n'est pas le même.
Le possesseur commence à prescrire dès son entrée en
possession, tandis que le débiteur ne commence à prescrire que lorsque l'action du créancier est née; or, elle
peut s'ouvrir longtemps après que le contrat a été exécuté, si le vice qui l'entache s'est prolongé, comme cela
arrive en cas d'erreur, de dol ou d'incapacité. Il peut donc
se faire que l'action en revendication soit prescrite
quand le tiers acquéreur a possédé pendant dix ans,
tandis que l'action personnelle du propriétaire subsiste
contre l'aliénateur.
�POSITIONS
DROIT
ROMAIN
1. - Dans l'action en revendication, le défendeur qui
possède la chose et refuse de la restituer peut y être
contraint par la manus milita1ris.
II. - Lorsque, pour faire disparaître la lésion dont il se
se plaint, le mineur a à sa disposition tout à la fois
la demande en restitution et la condictio ince1·ti, on
lui donne toujours le choix entre ces deux moyens.
III. - Même à l'époque de Justinien, les servitudes prédiales et l'usufruit ne peuvent s'établir par pactes et
stipulations.
IV. - L'innovation de Justinien, qui étend la compensation aux actions in 1·em, a une portée générale et
ne s'applique pas seulement dans les cas où le droit
réel se convertit en une somme d'argent, comme
par exemple lorsque la restitution de la chose est
devenue impossible.
�-
178 -
DROIT CIVIL
I. - Le rapport des meubles incorporels se fait en
moins prenant.
Il. ..
~
L'action en revendication organisée par l'article
2102 - !1• au profit du vendeur n'est autre chose que
la revendication du droit de rétention, et non po,s
l'action en résolution exercée à l'encontre des créanciers de l'acheteur.
III. - Dans l'hypothèse d'une institu tion contractuelle,
le donateur ne peut disposer à titre gratuit de::;
biens compris clans la donation, même avec l'assentiment du donataire.
IV. - La renonciation de la femme à son hypothèque
légale en faveur d'un tier s est une vé ritable cession .
DROIT
CRIMINEL
1. - L'action civile résultant d'un crime se prescrit par
dix ans, comme l'action publique.
II. - Le sequestre dont parle l'article 471 du Code pénal
pour les biens des condamnés par contumace consiste dans l' administration des biens par la régie
des domaines et non clans l'administration par les
héritiers présomptifs du condamné, comme sous le
Code de l'an IV, et comme semble l<? dire l'article
28 : « seront régis comme biens d'abs~nts. »
�-
179 -
ENREGISTREMENT
I. - En matière de droits d'actes, la cause génératrice
du droit se trouve, non pas dans la rédaction d'un
écrit, mais dans l'opération juridique, l'accord intervenu entre les parties.
II. - Le jugement qui prononce la résolution d'une
convention pour cause de nullité relative n'est pas
soumis au droit proportionnel; en d'autres termes,
les nullités relatives doivent être considérées comme des millités radicales dans le sens de l'article
68, § 3, n° 7, de la loi du 22 frimaire an VII.
lll. - Les nullités qui repo ·ent sur la lésion rentl'ent
aussi dans la catégorie des nullités radicales.
HISTOIRE
DU
DROlT
I. - L'o rigine du cens se trouve dans la convention intervenue entre le serf affranchi et le seigneur.
Il. - L'origine de la communauté se tl'ouve dans les
sociétés serviles.
Vu pcir nous Projessear, P1·ésiclent clc la Thèse,
PISON.
VU ET PERMIS D'IMPR!l\I ER :
Le R ecteur cle l'Académie ,
BE~LIN.
��TABLE DES MATIÈRES
Pages
CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES ............. . .......
PREMIÈRE PARTIE. -
5
DROIT ROMAIN
I NTRODUCTION ........ . ..................... . • • . • •
I. - Des conditions relatives à la personne.. ... . ................. . ..
Section 1. - De la juste cause .. .. .
Section II. - De la bonne fo i......
Section III. - Du laps de temps...
CHAPITRE II. - Des conditions relatives à la chose
Section 1. - La chose doit être in
commercio . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. ..
Section II. - Des choses volées ou
occupées par violence . . . . . . . . . .
Section III. - La prescription de
long temps ne s'applique qu'aux
choses susceptibles de possession ....... .. ...... . . . . . . . . . .. . .
CHAPITRE III. - Effets de la prœscriptio longi temporis ...... . ................. . . .
Section 1. - Effets de la prescription
. dans le droit classique....... ...
Section II. - Innovations de Justinien
16
CHAPITRE
22
28
50
61
69
69
73
77
82
82
85
�18:?
DEUXIÈME PARTIE -
ANCIEN DROIT
])1.; L .\ PRF.SCRIPTION DA:"iS r/ .\!\ CIEX DROIT FRANÇAIS
91
Dn ju:ste titre...... . . . . . . . . . . . . . .
95
Cn.\PITRE
I. -
CHAP ITRE
II. - De la bonne foi ........ ... ....... 100
CHAPITRE
111. - Du laps de temps ...... . .. . ....... 103
CHAP ITRE
TV. - Au pt'ofit de qui et contre qui pouYait courit· la prescription. -E:ffe t;s
do la pr0sc1·iption. . . . . . . . . . . . . . 105
TROISIÈME PARTJE. -
DROIT FRANÇAIS
Î:-!TROD lJC:'l'JO~ . ........ .. ..... . .. . ...... , ..... .. . .
'l llH
Dr..· courl itions relatiYes h la personne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Section r. - ·bu ju:te titre. . . . . . . . .
Section II. - De la bonne foi.... . .
Section III. - Do la durée de la po. :;e.,ion ................ . .......
1 l3
1:3 1
CrrA Pr1'nv. J. -
CHAPIT RE
CnAPI'I' RE
·11 3
1't4
Il. - Des conditions relai ives à la chose 1:JO
TTJ. - Des effets de la prescription cle dix
ù vingt ans .. .. ... .. .. ...•. .. .. t:J9
PosrTro:-;s . .. . . . ... . ............. . ... .. .. ... .. . .. 177
��
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A name given to the resource
De la "Prœscriptio longi temporis" en droit romain. De la prescription de dix à vingt ans en droit français : thèse présentée et soutenue devant la faculté de droit d'Aix
Subject
The topic of the resource
Droit pénal
Droit romain
Description
An account of the resource
La propriété étant constatée par écrit, qu'est-ce qui fonde le droit de prescription qui limite le droit de propriété et le droit de créance, comme le permettait autrefois l’usucapion
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Talagrand, Auguste
Faculté de droit (Aix-en-Provence, Bouches-du-Rhône ; 1...-1896). Organisme de soutenance
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES-AIX-T-130
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Malige (Uzès)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1883
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/24040937x
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-AIX-T-130_Talagrand_Proescriptio_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
182 p.
23 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/394
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Alternative Title
An alternative name for the resource. The distinction between titles and alternative titles is application-specific.
De la prescription de dix à vingt ans en droit français
Abstract
A summary of the resource.
Thèse : Thèse de doctorat : Droit : Aix : 1883
Cette étude s’intéresse à la prescription, dont l’auteur estime qu’elle remonte aux temps les plus reculés, en droit romain, en ancien droit français et en droit français moderne
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Prescription (droit) -- France -- 19e siècle -- Thèses et écrits académiques
Prescription (droit) -- Rome -- Thèses et écrits académiques
Procédure (droit) -- France -- 19e siècle -- Thèses et écrits académiques
Procédure pénale -- France -- 19e siècle -- Thèses et écrits académiques
Procédure pénale (droit romain) -- Thèses et écrits académiques
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/372/RES-AIX-T-126_Borel_Constitution-dot.pdf
9315d4451ee026fb244232ed84411488
PDF Text
Text
UNIVERSITÉ DE FRANCE. -
FACULTÉ DE DROIT D'AIX
THÈSE
POUR
LE DOCTORAT
PRrSENTrE ET SOUTENUE
PAR
LAZARE
BOREL
Avocat
•
·.
MARSEILLE
TYPOGRAPHIE
ET LITHOGRAPHIE JOSEPH CHAUFFARD
'lO, rue des Feuillan ts, 20.
18~ 3
11ruîïi1Wi1iiiill
100215458
�DROIT ROMAIN
•
l
\
�DROIT ROMAIN
DE LA CONSTITUTION DE DOT
CHAPITRE PREMIER
Généralités
On peut définir la constitution de dot une donation faite dotis
cau3a à la personne qui doit supporter les charges du mariage ( l) .
De cette d{>flnition on doit tirer les conséquences qui suivent :
A. - De même qu'il n'y a pas en droit Romain de contrat de
donation , il n'y a pas de contrat de constitution de dot. - La
constitution de dot se réalise par la création ou l'extinction d' un
droit réel ou de créance, d'une manière plus générale par tous
( 1) La constitution de dot est certai nement une donation. Mais est- ce une
donat ion pure? n'a- l-elle pas, à certains points de vue, un caractj1 re onéreux? G'r.st u1ie question que nous examinons longuement plus loin. Nou$
venons que ce caractère onéreux. qni existe réellement, ne sulllt pas pour
faire dispai·aHre l'idée cte donation. Cc sont les conséquences de cette idée
que nous recherchons ici.
�- 4-
-5-
moyens de droit permettant.d'enrichir a u détriment du constituant
celui qui doit wpporter les charges du mariage.
B. -
La Constitution de <lot suppose l'intervention de deux
perionnes (donateur et donataire).
restituée. Dans cc dernier cas, le père était tenu de constituer à sa
fille une nouvelle dot si elle contractait un second mariage, et il ne
pouvait pas en diminuer le montant, à moins que sa fortune n'eût
subi quelque atteinte dans l'intervalle (L. un. § 15 C. de rei u.xoriœ
actione) .
a. -
DU CONSTITUANT
(DONATEUR).
Qui peut ou doit constituer la dot ?-Nous constaterons dans la
suite qu' un des modes de constitution, la dotis diclio, ne peut être
employée que par certaines personnes limitativement énumérées.
Il n"en est pas moins vrai qu'en principe tout le monde peut constituer une dot : Dotem da1'e, p1·omillo-e omnes poss11nt, ùit U lpien
(vi, 2 conf. 1. 41 D. d. j. d.) . La loi romaine est mème allée sur ce
point plus loin que notre loi moderne; tandis que de nos jours on
discute pour sayoir si le père est naturellement tenu de doter sa
fille, il y avait à Rome une catégorie de personnes, q ui étaient civi·
leroent obligées de doter. C'étaient :
1° Le Père. - L'origine 'première de cette obligation se trouve
certainement dans les lois caducaircs. Puisqu'on frappait de peines
les célibataires, il fallait empêcher que celui ou celle qui voulait se
marier püt se heurter à un obstacle insurmontable. Aussi la loi J ulia vint au secours du fils ou de la fille de famille, lorsque le père
r efusait systématiquement de consentir au mariage. Plus tard on
s'aperçut que le refus obstiné du père de dotel' sa fille équiva lait au
refus de consentir au mariage, et les empereurs Sévère et Antonin
donnèrent à la fille de famille à J' eITei <le se faire constituer une dot
par son père une action dont le p1·éteur connaissait extra ordinem.
(L . 19 D. De rilu nuptiarum). Il est prouable que cette obligation
subsistait lors que le père n'avait pas la fille sous sa. puissance, lorsqu' elle possédait des biens propres (L. 5 c. v., 11 - L . 5 § 11 D . d.
j. d.), après la dissolution du mariage, lorsque la dot lui avait été
2° La mère en principe n'était pas forcée de doter sa fille, et son
mari ne pouvait pas l'y contraindre (L. 14 C. d j . d.) . Pourtant la
mère hérétique est tenue à titre de peine de doter sa fille orthodoxe
(L. 19 § J C., I , 5).
3• On a soutenu que le frère était tenu de doter sa sœur consanguine, quand elle était dans lïmpossibilité de se marier sans ce
secours. On fait valoir en cc sens un texte de Paul (L. 12 § 3 D. de
administ. et peric. tut or.) et des vers de Plaute ( Tr inumm us, act.
III, se. II). Mais ces passages s'expliquent suffisamment par cette
idée que c'était un simple devoir imposé par les rnœurs.
4° Enfin on est allé jusq u'à admettre que la femme devait s~
doter elle- même, et on a invoqué les lois 52 D. de administ. et pe1·ic
tutor. , 1. 9 C. cle ad min. t nt.or. vel curai ., 1. n § 2 D. de condict
indeb. Mais les deux premiers textes montrent seulement qu'elle
pouvait forcer son curateur à lui constituer une dot; quant au dernier qui refuse la concliclio indebili à la femme lorsqu'elle a payé la
dot, se croyant faussement obligée, les motifs qu'il nous donne
excluent l'idée d'une obligation civile: « Quia subl-0.ta falsa opinione,
relin7iâtur pietatis causa, ex qua solutio 1'epeti non polest. »
Ca pacité exigée . - Il est impossible d'indiquer dans une formule générale la capa.cit6 nécessa ire pour constituer une <lot. La
constitution de dot emprnntant pour sa réalisation la forme cl' un
acte juridique quelconque (dat ion, stipulation, acceptilation), ia
capacité exigée sera la capa cité néressaire pour faire cet acte.
ous
�-6 deYons nous étendre plus longuement
constituée par la femme elle- même.
-7 ur le cas où la dot serait
que la fille de famille était à l'époque classique incapable de s' obliger ; mais il est probable que cette incapacité disparut du jour où
cessa la tutelle des femmes pubères.
1° La Femme est mi juri.s. -
A l'époque classique la femme
pubère est soumise à la tutelle légitime, et les principes exigent
l'auctorita.s tutot·is pour se doter (Gaius I , 178 - Ulpien XI , 20).
a,. -
Mais il pouvait arriver que le tuteur légitime qui devait l'habiliter
fùt absent ou empêché. S'il s'agi sait d'une tutelle autre que la
tutelle légitime du patron ôu du père émancipateur, de bonne heure
un sénatusconsulte avait permis à la femme de demander le remplacement de son tuteur absent (Gaius I , 173). Quant à la tutelle du
patron et à celle du père émancipateur, elles furent plus longtemps
sérieuses : aussi le sénatusconsu lte ne s'appliquait pas à cette hypothèse. 11Iais la loi J uüa de mari tandis ordinibtt.s permit à la femme
de demandF-r au préteur urbain un t uteur dotis constituendie gratia,
lorsque ~on tuteur légitime était absent, impubère, fou ou muet
(Gai us I, t 76-181 - Ulpien XI. 20-22).
Ces tuteurs devaient pour la fi xation du montant de la dot tenir
compte de la fortune et de la digoité de la femme et du mari. Dans
le cas où par dol ils auraient laissé promettre une dot excessive, on
devrait la réd uire (L. 60 , 61 D. d.j. cl.).
A l'époque de Justinien, la tutelle des femmes pubères a cessé
depuis longtemps. On doit distinguer suivant que la femme est
majeure de 25 ans, et elle pourra seule se constituer une dot, ou
mineure de 25 ans, et elle aura besoin du con.sen.sus cura loris (L. 26
c. d. J. d. ).
2° La Femme e.>t alieni juris. - Elle ne peut alors se constitu er
une dot, ni par dation , car elle n'est pas propriétaire, ni par
dictio dotis ( Vatic. fragm. 99). Mais pounait-elle le faire à l'aide
d'une stipulation? Malgré la controverse élevée à ce s ujet, j e crois
AU PROFIT DE QUI LA DOT EST CONSTITUÉE.
La dot doit évidemment être constituée au profit de celui qui
supporte les charges du mariage. << Ibi dos esse debet ubi onci·a
matrimonii sunt. >i (L . 56 D. d. j. d.). Elle sera donc constituée.
1° Si le mari est alieni juris au profit du paterfamilias (L. 57 D.
d. j. d.). Mai~ si le père meurt ou si le mari est émancipé, le mari
prélèvera ou emportera la dot de sa femme.
2° Si le mari est sui juris, au profit du mari.
La dot ne pourrait pas être constituée au profit d' une autre personne . .Mais il faut remarquer que malgré cette règle :
1° L'acte juridique employé pour constituer la dot peut être fait
avec d'autres personnes que le mari ou son père. Il pourra être fait
avec les personnes qui se trouvent sous sa puissance, et par l'intermédiaire desquelles il peut acquérir (L . 8destipul. serv.).
2° Il n'est même pas nécessaire que le constituant transfère la
p1·opriété de la chose donnée en dot au père ou au mari, ou qu'il
devienne leur débiteur. li faut et il suffit que le bénéfice de l'acte se
réalise en la personne de celui qui supporte les charges du mariage.
Ainsi la dot pourrait être valablement donnée ou promise à un tiers
s ur l'ordre du mari (L. 19 D. d. j. d. ). C'est ce gue dit Marcellus
dans la loi 59 pr. D. d. j. d. : << Nec mirum qmim etiam promissura
viro dotem possil delegante eo alte•·i promittere, etsi dici so/et alii
'}tw.m marito dotis nomine mulierem non possc obligari. »
�- 8
3• .\. plus forte raison la dot pourrait-elle être promise en c~s
termes : l( Dccem marito aut Tit io doti crunt. » Titius sera considéré comme un adjectus solulionis gra tia (L . o9 JJ1'.) .
c.- Tout ce qui est susceptible de faire partie de notre patrim oine peut faire l'objet d'une constitution de dot comme d'u~e
donation. La dot peut donc comprendre des choses corporelles (droits
de propriété) ou des choses incorporelles (obligation~, ju~·a in r·e).De
même qu'on peut donner au mari des créances déjà existantes, on
peut le libér er d'une dette qui lui incombe. De même q~'on pe~t
lui donner des jura in re, on peut le libérer des charges qui r estreignent son droit de propriété; des droits de superficie, d'emphythéose, de ser\'itude, d'usufruit, de gage, d'hypothèque, seront
donc des objets régu liers de constitution de dot.
Il y a des cas où des doutes pourraient s'élever sur la validité
d'une constitution de dot à r aison de son objet . Une femme peutelle se constituer en dot :
-9textes des auteurs classiques qu e Cujas invoquait dans son opinion,
ils n'ont pas la portée qu'il leur attribuait (1).
Enfin il y a des cas où le doute peut s'élever sur la question de
savoir qu e l est l'objet de la constitu tion de dot :
I. Soit une dot constitu ée sans que l'obj et en soit déterminé. Quel
sera l'o bjet de la do t ? Si la <loi est constituée par datio, son objet
set·a toujours dé terminé. I l fa ut donc s upposer qu'elle a été constituée par un mode créat if d'obligations (dolis diclio, slipulatio). Soit
par exemple une personne qui a promis au muri une dot sans en
fixer le montant. Une question préalable se posait. Cette tipulation
n'est- elle pas nulle? Les principes générau:\ des obligations ne
laissent aucun doute sur ce point : pour qu'une ol>ligation soit valable, il fau t que la chose promise soit déterminée dans sa quantité et
dans son genre (L. 11 5 vr. D . de verb. oblig.). J\lais la fa,eur due à
la dot permit aux j uriconsulles de porter à cette règle une dcuble
atteinte spécia le à notre matière :
t• Les fruits que produit un fonds ? P eut-on convenir que les
1° Supposons la dot constituée par un autre que le père de la
fruits d' un fo nds dont la femme confère au mari soit la pro priété
soit l'usufruit seront dotaux? On en a douté, il semblait que la dot
disparaissait presque entièr ement. Néanmois Ulpien (L . 4 D. de
pact. dot.) yalide cette convention : la dot ne sera pas stérile, dit-i l,
car il est possible que le revenu des fruits ca pitalisés soit supérieur
au r evenu de la dot que le mari avait lieu d'attendre.
femme. En principe , elle devra être déterminée. Si elle ne l'était pas
le mari n'aurait pas action contre le promettant : « Frustra existi-
2• Tout ce qu'elle possède (Constitution universelle de dot)? Ce
qui permet le do ute, c'est que d'après Cujas la loi P apia aurait fixé
pour la dot un maximum de un mill ion de sesterces. Il faudrait
donc défendre à la femme dont le patrimoine excédemit cette
somme de se constituer tous ses biens en dot. Mais l'opinion de
Cu jas doil être condamnée sans hés1talion. Le§ l 15 <les frag ments
du \'atican et un r escl'it d'Alexand re Sévèr~ (L. 4 C. d. j. d .) valident sans restriction la constitution univeL"sellc de dot. Quant a ux
mas actionern tibi competere, quasi promissa dos Libi, nec pr<estita sit,
( 1) C'est ici la place de dire quelques mots sur les effets de la constitution
universelle de dot. Le mari n'est pas un successeur universel comme 1 héritier
mais un successeur à titre particulier (L. ï2 D. d. j. d.). De là les conséquences suivantes:
l • li deviendra propriétaire des choses corporelles par les modes ordinaires
de translation rie propriété.
'l• 11 ne pourra actionner les débiteurs de la femme que s i une no,·ation a
été faite, ou si elle lui a cédé ses actions .
3• Si une novaliou a éu" faite, les créanciers pourront le poursnine. Dans
le cas contraire, ils n'aurnnt action lJUe contre la femme (L. ?'! D. cl. j. ri.)·
Mais la femme pou rra, si elle n'a pas encorr liné ses biens, retenir de quoi
payer ses delles. Si e ll ~ les a liHés elle intentera contre le mari la co,,dir·tio
indebiti ou la condictio sirt e c·au ~a. suivant que la dot a et~ constiluêe p:u·
promissio, dictio ou da tio. Dans le cas oil 011 lui refuserait ces actions, il
faurlrait au moins lui accorder nne action de dol, ou plutôt in factum.
�-
10 -
- 11 -
quum neque species 111/a neqll" quanlilas p1·0111issa sil, sed haclenus
nupliali i1~11·11men10 adscriptiim : Quod ea qu<.e nubebat dolcm dare
prom iserü. » (L . 1 C. de dot. promiss. ). Mais la promesse serait
valable si le constituant avait ajouté que la fixation aurait lieu boni
viri arbitratu. On alla plus loin encore et on permit de promettl'e
une dot dont le montant serait déterminé promitlentis arbitratu
(L. 3 C. de dol. promiss.). On considérait en effet, conformément à
la doctrine re<:ue dans les actions de bonne foi (L. 22 § l D. de reg.
jttris), ces deux formules comme équivalentes : « Videlur enim boni
viri arbilrium stipulationi insertum esse. » (L. 3 C. de dot. pro miss.).
II. - Soit üne femme se constituant en dot un fonds indivis (L.
78 § 4 D. d. J". d.). L'autre copropriétaire intente l'action communi
dividundo.
2° La promesse de dot faite par le père de la femme sera valable,
alors rnéme que son objet étant entièrement indéterminé les parties
ne se seraient pas référées à l' arbitrium, boni viri ou à 1' arbitriuui
promittentis. est que, le père étan"t obligé de doter sa fille, l' étendue de son obligation légale donne la mesure naturelle de l'étendue
de sa promesse. Le juge fixe ra donc le montant de la dot d'a près
les mêmes considérati ons q ui servent au magistrat, lorsq u' un père
se refuse à doter sa fille, c'est-à-dire « pro modo (acultatttm pr.llris
et dignilate mariti » (L. 69 § 4 D. d. j. d.). « E.r; diynilate, e.r; (acul-
c·
Ullibas, ex numero liberorum » (L . 43 D. de leg. III). (Gein(. L. 15 D.
de duobus reis).
Dans les cas qui précèdent, le mari pourra à l'aide des actions
qui lui a ppartiennent, arriver à l' érnluation judiciaire de la dot.
.Mais quelles actions aura-t-il à cet effet? Il aura :
1° L'action née de l'acte constitutif (Condictio, aclio ex stipulatu,
condiclio ex lege, suivant que la dot a été constituée par diction,
promesse ou pacte).
1° P eut- être le prmjudicium quanta dos sit (Gaius 1 V, 44 ).
1° Si le juge partage le fonds en deux parties égales et en adjuge
une à chacun des copropriétaires, la partie attribuée au mari ser a
dotale.
2° Si le fonds entier est adjugé à l'autre copropriétaire ou vend u
à un tiers, la somme à la quelle l'adjudicataire sera condamné, ou la
portion du prix qui r eviendra au mari sera dota le.
3° Si le fonds entier est adjugé au mari, q1fid juris? c· est l' hypothèse prévue dans notre code par l' A. 1408 2° ; de là l'intérêt qui
s'attache à la décision du j urisconsulte romain. La partie du fonds
qui a ppartenait orig inairement à la femme sera dotale : quant à
l'autre portion , elle ne sera pas dotale, mai. le mari n'en sera pas
moins tenu de la restituer à la femme : c'est quï l est tenu de restituer non seulement les choses do tales, mais encore ce qui lui est
parvenu à l' occasion de ces choses, sauf les fru its. En retour la
femme lui rem boursera la somme par lui payée au copropriétaire.
Notons, car c'est là un des traits qui distinguent Jes deux légi lations , que la disposition de notre loi est impérative : elle s'impose
au mari comme à la femme, et ils ne pourraient s'y soustraire que
d'un commun accord. Il fau t donc y voir non une faveur faite à la
femme, mais une solution logique découlant r égulièrement des principes.
III. - L orsque une femme se constitue en dot une créance Il sera
souvent difficile de déterminer exactement l'objet de la constitution.
1° Elle se constitue en dot Ja dette d' un tiers avec les intérêts à
échoir. La dot com prendra le capital et les intérêts antérieurs au
mariage. Comprend ra-t-elle également les intérêts postérieurs qui
auront couru jusqu' au paiement du capital? Oui, dit la loi 69 s 1 D.
d. j. d. Cette décision a paru irrationnelle à Cujas : il y voyait la
�-
12 -
Yiolation du prmc1pe que la dot sert à supporter les ch a rges du
mariage. E lle ~st cependant la con·équence logique de la loi 1 de
part. dot . citée plu · ha ut, qu i permet de constirucr en dot les fruits
d'u n fonds .
2° Elle se constit ue en dot la dette de son mar i ou futur mari.
Quel est l'objet de la dot, est-cc la dette ou l'obj e t de cette de t te ?
Voici lïntérèt de cet te ques tion. Supposons le mari débiteur d'une
escla,·e qui donne naissance à un enfant. Le mari doit-il restit uer le
part? Ou i si la femme s'est constitué en dot l'esclave; non, si elle
s'e,t constit ué sa créance (L. 58 ~ 1 D . d. j. d.). De plus si la c hose
due est immobilière, elle sera inaliénable ou a liénable entre les
ma ins du mari suivant la manière dont on cm·isagcra la constitution
de dot.
-
13 -
en dot la dette d' un fils de famille qui ne fù t ni son fiancé, ni le fils
de son fiancé, on se placerait pour estim er le pécule touj ours au
moment de la promesse , jamais a u moment du ma riage (L. 45 § 1
D . d. j . d.). Il est difficile de donner une bonne raison de cette différ ence.
IV. - Une femme se constitue en dot une chose estimée. Quel
es t l' obj e t de la constitution ? E st-ce la ch o. e estim ée, ou Je monta nt de l'estimation ? La qu esti on se r amène à celle- ci : l'estimation
vaut- eUe ou non vente ? En droit r omain elle v aut toujours vente.
(L. 3 D . d. Local. cond. - L . 10 , 16, 17, 34 D. d. j. d.) De là cette
conséq u ence gue la chose estimée n'est pas dotale : le montant de
l'estimation, l'argent seul est fra ppé de dotalité. Donc :
1° L'objet de la dot éta nt une chose in genere, les risqu es sont à
Le textes font des distinctions. ' i la dette est une dette de genre,
la femme est censée arnir été payée de sa c1·éance et avo ir ens uite
la charge du ma ri. (L. 10 pr. L. 42 d. j . d.)
donné en dot ce qu'elle a re1:u. Donc les choses d ucs sont dotales
(L. ï7 D. d. j. d. ). Dans le cas contraire la créance clle-mème ou
nable.
2° Si la chose estimée est un immeuble, elle ne sera pas inalié-
son obj et sera dotal suirnot que le rna1·i n'aura pas ou a ura entre
les mains la chose d ue (L. 58 ~ 1 D. d. j. d. ).
3° E lle se constitue en doi la. dette de son futm· mari qui est fils
de fa mille iL . 57 D. d. j. d.) ou la dette du fils de son fu tur ma r i
(L. 44 ~ l D. eodem). Qu'a-t-elle entendu se constituer , est-ce ce
que le fils lui doit, ou bien ce q u'elle peut obtenir du pè re par les
al'l ions de pewlio et de in rem verso? L a loi 57 nous dit g ue dans le
D. - En par tant de ce principe que la constitution de do
est une donation, les Romains devaient-ils permettre de
constitu er une do t soit avant soit après le ma riage?
doute on présumera q ue la femme a eu en vue l'obligation du fils .
.\fais dans le cas où en présence d" une déclara tion expresse on doit
prendre le second parti, à quel moment se placera- t-on po ur appré-
On sem ble conduit logiquement à fai re une distinction . la constitv ion :ie doi fai te pa r un autl'e q ue la femme pouvait précéder
ou sui vre le mariage, faite par la femme elle po uvait le précéder et
cier la consistance d u péc ule? D"aprè.;; la loi 45 D . cl. j . d . on se
place au moment du mariage, d'ap1·es la loi 57 au momen t de la
non le s uivre. Néanmoins les Romains permirent à tout le monde
de la faire en toui te mps. « Do:; aut antecedit aut sequitur matri-
promesse . .\lais la loi 4 ~ § 1 concilie logiquement ces deuh textes :
le pre mier su ppose la <'onstitu tion antérieure, le second la su ppose
postérieure au ma riage. 8 i <W <'On tra irc une femme se constituait
m onium »dit Paul (Sententi<e II, 21). Et on ne peut pas les accuser
d' a voir ou blié la prohibition des donations entre époux , car :
1° L es dona tions de frqits ne furent j amais prohibées,
�-
14 -
-
2• La constitution de dot est, nous le verrons, un acte à titre
onéreux par rapport au mari. (1)
1 _ Constitution de dot antérieure au mariage. -
comme des rapports semblables à la puissance paternelle et à la
tutelle romaine.
3° Que le mariage soit un mariage valable. (L. 3. D. d. j. d.) La
loi 39 § 1 contient une application de ce principe; elle suppose Je
mariage conclu par un impuissant et décide « ut in castrato dicas
dotem non esse; in eo qui castratus non est q·uia est matrimonium
,
'
el dos et dotis exactio est. »
« Ante
tiuptias dater earwn e:i;pectal ~dventum, » dit Paul. En effet, c'est
en vue du mariage que l'on constitue une dot ; dans la pensée du
constituant son acte, sa donation est toujours ex pressément ou
·
t aua·ectée de la condition ·· « Si 1wptiœ sequantur. i> Nous
tac1temen
..
ne pouvons pas e·tudier encore les· conséquences de cette cond1t100,
mais nous allons rechercher dan
l5 -
P eu importe d'aillcms que le mariage ait commencé par être nul
s'il est devenu postérieurement valable. La condition sera donc
remplie. (L. 68 § 2 D. d. j . d. ) :
quels cas on doit la considérer
comme remplie ou défaillie.
.
.
Pour que la condition soit remplie, il faut 1° Que le :°1aria~e s01.t
célébré. Il ne suffit pas qu'un mariage quelconque s01t célebré : il
doit. être célébré avec la personne que le constituant a eue en vue.
Mais une dot pourrait aussi m'être promise pour le cas ou je me
marierai, quelle que soit la femme que je puisse choisir. Les juri~
consultes, après quelques hésitations, ont fini par admettre la vali dité de cette condition. (L. 108 D. de verb. oblig.)
Si le mariage ayant été contracté à l'insu du père de l'un des
époux, celui-ci ayant eu connaissance du mariage, donne plus tard
son consentement.
Si une femme, âgée de moins de douze ans, a été prise comme
épouse, lorsqu'elle aura atteint l'âge de la puberté. (L. 8 D. de
cond. causa data) .
Mai", si la. condition venait à défaillir, elle ne pourrait plus utilement se réaliser dans l'avenir « Conditio semel defecta non resum il:ur. » C'est ce qu'expriment les lois 21, 22 D. d. j . d. « Quara si
nuntius remittatur, de(ecisse conditio stipulationis videlur, et, lice/
postea eidem nupserit, non convalescit stipulatio. »
Or, la condition est considérée comme défaillie :
.2° Que le mariage soit un mariage civil. La dot, en effet, est une
institution propre au droit des Quirites. Cependant on a invo.qué
un passage de Cicéron pour soutenir qu'il y avait des relations
dotales proprù1 sensu dans le mal'iage qu'une Romaine avait conclu
ctun eo quicum connubium non esset. Mais ce passage dit plutôt le
contraire car il refuse la r etentio propler liberos. Il est d'ailleurs
'
.
probable que, chez les Latins et chez d'autres peuples faisant partie
de l'empire romain , il y avait des institutions analogues à la dot,
1° Lorsque le mariage devient impossible, soit par le décès de
l'un des fiancés, soit par l'effet d'une prohibition légale, alors même
que cette prohibition serait susceptible de disparaitre. (L. 9. pr.
D. d. j. d.) Ex. : L orsque le fiancé, élevé à la dignité de sénateut·,
ne peut plus épouser la fiancée qui est une affranchie, ou lorsque
nommé président d'une province, il ne peut plus épouser sa fiancée
qui est de cette province.
(I) On a sout~ ou pourtanl, ce qui n'infirmerait pas le p~incipe posé, que
la dotis dictio doit toujours précéder le mariage. (Arg Olpien ~ r, '2.. Vatte.
fragm . l 10. Lois 2.5. 45 pr., 46 ~ 1, 'a7, 77, 83 U. d. j . d. - L. l'.1:> D. 50, l ~)
Mais ces textes, quoique conlornies Il cette opinion, no semblent pas exclus_ils
de l'opinion contraire. D'ailleurs cette conjecture est lormel ~em eo~ contredite
par la ph1-ase visigothe de l'Epitome de Gaius : .Si miûier, sive sponso
ua:or {ucura, sive jam marito dotem di<x;it. J (Il, 9, 3).
2° Lorsqu'il y a renonciation volontaire au mariage projeté.
Notons sur ce point une distinction :
1
�-
l6 -
"il n'y a pas eu de fiançailles, le refus de l'un des époux ou
même le changement de volonté de tous les deux ne suffit pas
pour faire défaillir la condition. Pour que la condition ne puisse
plus se réafü;er efficacement, il faut que l'un des futurs conjoints
ait épousé une autre personne. (L. 58 D . d. j. d.)
Si, au contraire, il y a eu des fiançailles, la condition est défaillie,
dès qne les fianç-ailles ont été rompues par une renonciation
expresse,riwitio remisso. (L. 9. 21, 22 D eodem).
li. - Constitution de dot postérieure au mariage. - La
conséquence du principe posé plus ha ut est que la dot peut
être augmentée après coup. Au contraire, elle ne peut pas ètre
diminuée ( auf le cas où des impenses nécessaires sont faites, ipso
jure dolem mimwnt), car ce serait une restitution partielle, et la
restitution de la dot suppose en prim:ipe le mariage dissous. (L. un.
C. V, 19) (1).
Si la dot ne peut pas être diminuée après coup , elle peut être
modifiée dans sou objet. (permutatio dotis). Encore faut-il : 1° Le
concours de volonté des époux. (L. 21 D. d. vact. dot., l. 32 d. j .
d.) 2° que la femme y trouve un avantage. (L. 26 D. d. j. d.) Enfin
la permutatio clotis peut quelquefois s'e[ectuer indépendamment de
la volonté des époux par le cours régulier des événements :
l 0 Quand l'objet constitué en dot périt sans la faute du mari par
suite de faits délictueux commis par un tiers ; les actions en t'éparation du préjudice causé sont dotales. (L. 18 § 1 D. solut. ma_
trim..) ; 2° Lorsque la dot comprend des créances et que le débiteur paie au mari.
(1) Cependant la faculté de diminuer la dot constante matrimonio lut
admise par le Bas-Empire et maintenue pal' Justinien. (L. 19 c. V, 3. Nov. 22, cap. 31).
-11 -
CHAPITRE II
Formes et Effets de la Constitution de dot
<: Dos aut dat~r au~ dicitur aul promitlitur » dit Ulpien (VI, 1).
~ 1 ~poque classique ily avait donc trois modes principaux de const1tut'.on de dot : la dation, la diction et la promesse, que nous allons
étudier successivement.
SEC::"I'ION'
I
De la Dation
La dot se constitue par dation lot·sque le mari acquiert soit d'un
tiers soit de la femme la propriété d' une chose mobilière ou immobilière.
La dation s'opère par les modes usuels de translation de la propriété : par la mancipation p0ur les choses mancipi, par la tradition
pour les choses nec m ancipi, par l' in jure cessio pour ces deux
classes de choses à !'exception des fonds provinciaux qui n' admeltent que la tradition.
Pour étudier les effets de la dation, nous distinguerons suivant
que la dation est postérieure ou antérieure au mariage.
2
�-
18 -
A. - Dation postérieure au mariage.
La dation peut produire un double effet :
a. '
Au point de vue du transport de la. propriètè.
La dot se constituant par dation, il est naturel que le mari
devienne propriétaire des choses dotales. N'est-ce pas 1' effet de
toute dation régulièrement faite? Supposons une donation effectuée
à l'aide d'une dation, on n'a jamais douté que le donataire devienne
propriétaire des choses données ; or une constitution de dot n'est
autre chose qu'une donation faite doti.s causa, dès lors il semble
impossible non seulement d'admettre, mais même de supposer que
les effets produits dans ces deux cas ne soient pas absolument identiques.
Néanmoins, ce principe que le mari est propriétaire des choses
dotales a soulevé chez les interprètes des contro verses sans tin qui
sont loin d'être éteintes aujourd'hui, et qu'il nous sera impossible
d'exposer dans toute leur ampleur. On ne peut se figurer quelle
diversité d'opinions on rencontre chez nos anciens auteurs: aussi
voit-on Fontanella avant d'aborder lexamen de cette question
exprimer la crainte de se perdre au milieu de cet océan de controverses: t: Quis in tanto pelago non submergetur », s'écrie-t-il? (De
Pactis nuptialibus claus. 6 glos. 1 pars 2, n• 30, p. 256). D'après les
uns, la femme est seule propriétaire, et, si l'on trou ve des textes
qui donnent cependant cette qualification au mari, c'est qu'ils font
allusion à son droit d'administration si étendu qu'il ressemble à un
droit de propriété ( Fontanella, Noodt , P erezius, Doneau,
Comment. de jure civili l. 14, cap . 4, n • 8 à 11 , Domat, Lois
civiles, titre de la dot, sect. I , n• 4) . Pour d'autres, le mari est propriétaire sous condition résolutoire (Vionius, Voët, De Hillig er,
De Connan) d"autres font du mari et de la femme deux propriétaires (Cujas : Mu.lier jur e natural'i est domina, ma1'itus fictione legis
Observat. l. 101 cap. 32 t. 2.) . Pour le président Favre, le mari a le
-19 domaine bonitai~e, la femme le domaine quiritaire, pour le cardinal
de Luca, le mari a le domaine civil ou utile, là femme le domaine
naturel et direct.
Pothi~r. semble avoi r vu plus clair dans cette question : « Le
mari, dit-i~, durant le mariage 6tait le véritable propriétaire. La
femm~. é~ait pl,utôt créancière des biens dotaux qu'elle n'en était
propr'.etaire. Ces: e~ conséquence de cette créance, c'est par rapport .a c~tte res.t1tut1on et en considération de cette restitution qui
d~va1t lui être faite un jour de sa dot que la dot est appelée quelque~01s ~a~s les textes de droit le bien et le patrimoine de la femme. »
\ Traite de la ptûssance du mari sur la personne et sur les biens de la
femme, 2• partie, n• 80).
. A ~otre époque cette question a fait un nouveau pas. L'étude
historique du droit romain l'a éclairée d'un nouveau jour, et un
savant professeur a montr6 dans un travail connu que, pour comprendre
quel était le caractère de la dot en droit romain , il faut
.
suivre et rechercher les modifications qu'ont subies les idées romaines en cette matière et qui rmt fini par les transformer entiérement.
Les premières conceptions des Romains étaient bien éloignées des
nôt~es: à l'origine ils n'ont connu que le régime de la mânus, où le
~art devenait propriétaire de tous les biens de la femme sans être
Jamais tenu de les restituer. La législation à laquelle on devait
a.boutir. après des évolutions successives. après un travail de plusieurs siècles est notre législation actuelle. Hâtons-nous de dire que
les Romains n'y sont parvenus à aucune époque pas même au BasEmpire, mais c'est le bu t vers lequel ils tendaient inconsciemment
sans avoir jamais pu l'atteindre. Il nous est impossible de décrire
les diverses phases par lesquelles ont passé les idées romaines ;
contentons-nous de poser en principe qu'à l'époque classique deux
propositions vraies encore sous Justinien résument la législation :
1° Le mari est propriétaire de la dot, 2° Il est tenu le cas échéant de
la restituer. De ces deux propositions la seconde est incontestable,
nous nous contenterons d'établir rapidement la première.
�•
-
20 -
-
21 -
10 Les modes de constit ution mentionnés plus haut sont tous
b. - Au point de vue rie l'usucapion.
translatifs de propriété.
2• Un grand nombre de textes disent expressément que la propriété des biens dotaux appartient au mari eL passe sur sa tête dès
que ces biens acquièrent le ca ractère dotal (Gaius 11, 63 .- Institu-
tes, Quibus alienare licet vel non, Pr. - L. 7 § 3 D. d. j. d. - L. 9
L. 13 §2 D. Ve {ttndo dota.li. - L . 47 § 6 D.
De Peculio. - L. 23 C. d. j. d. - L. 7 C. Deserv . pign. dat.. )
§ L, 67, 75 eodem. -
3° Tous les effets que les textes indiquent supposent la qualité de
propriétaire dans la personne du mari. Les acq uisitions faites par
les esclaves dotaux appartiennent au mari (L. 58 D. Salut. matrim.,
L. 65 D. d. j. d. ) - Le mari peut affranchir les esclaves dotaux et
acquiert les droits de patronat, y compris les droits de succession
(L . 61, 64 D. Sol. matrim., L. 21 D. demanwmiss., L . 3 § 2 D. de
suis et legit. hered., L. 3 C. d. j. d., L . 1, 7 C. de serv. pig. dat.) L 'immeuble donné en dot n'a la qualité de fonds dotal q ue lorsque
le mari en est deven u propriétai1·e (L. 13 § ~ D. de fundo dotali). I l peut donner les choses dotales en gage même à sa femme (L 30
C. d. j . d. - L . 1 C. de servo pign. dato). - Il légue valablement
les biens dotaux per vindicationem même à sa femme (L. 13 § 4 D.
de {undo dotali). - Il exerce toutes les actions relatives aux biens
dotaux qui supposent la qualjté de propriétaire (r evendication, actio
furti et legis Aquilié.e) (L. 18 § 1 D. Solut. matrim. - L . 24 de act.
rer. amot. - L. 49 § l de {urlis. - L. 11 C. d j . d.) - Au contraire la revendication de ces biens est refusée à la femme (L. 9 C.
de rei vindic.), qui ne peut pas les laisser par testament ( Vatic.
fragm. § 98). - Enfin le mari peut revendiquer les choses dotales
contre la femme elle-même (L . 24 D. de act. rer. amot.) - De tout
cela il résulte que le mari a la pleine et entièr e propriété des biens
dotaux.
L e mari aura besoin de l' usucapion dans deux cas: 1° Si la chose
donnée en dot ètant res mancipi le constit uant s'est contenté de la
livrer . La tradition ne rend pas le mari propriétaire quiritaire, elle
le met seulement à même de le devenir par l' usucapion. - 2° Si le
constituant n'était pas propriétaire' de la chose donnée (L. 7 § 3 D.
à. j. d.)
Notons que le mari pourra usucaper les immeubles aussi bien
que les meubles. Cujas pensait cependant que le mari ne pouvait
pas usucaper les choses immobilières données en dot. Il se fondait
sur ce que l'usucapion est une aliénation et que l'aliénation du fonds
dotal est prohibée par la loi Julia. Il s'appuyait aussi sur la loi unique au code de usuc. pro dote qui ne parle que des choses mobilières : « Res mobiles in dotem dataJ quamvis alien<E, si sine vitio tamen
{uerint a bon<E (tdei accipiente pro dote accept;e, usucapiuntur. » Le
premier argument ne po rte pas. Il s'agit non d'une aliénation, mais
d'une usucapion qui conférera n.u mari la propriété du fonds livré en
dot, pou r qu'il l'ait comme dotal et le r estitue comme tel à sa
fem me, Je cas échéant. Quant à l'argu ment à contrario tiré de la loi
du code il est extrêmement faib le . Si l'auteur du rescrit parle de
'
res mobiles, c'est qu'il s'agissait de meubles dans l'espèce sur laquelle il a été consulté et que d'ailleu rs l' usucapion présente plus
de difficultés pour les meubles, à cause du vice de res {urtiva qu'ils
contractent fréq uemment : c'est à quoi fait allusion la phrase incidente : si sine vilio tamen {uerint. Enfin Gaius (11, 63) mentionne
comme efficace l'usucapion que le mari ferait du fonds livré en dot :
« Nam dotale prœdium maritus invita muli~re per legem Juliam
prohibetur alienare, quamvis ipsius sil, vel mancipatum ei dotis
causa, vel 'in jure cesrnm, vel umcaptum. »
A q uel titre Je mari va-t- il usucaper les choses livrées en dot ?
Les textes font une distinction.
�-
22 -
-
1° La chose livrée en dot n'a pas été e timée.
Le mari usuca'pera au titre pro dote (L . 1 R 3 D. pro dote). Remarquons que comme il ne peut y avoir de dot sans mariage, si le
mariage est nul, l'usucapion pro dote est impossible. C'est ce que
nous dit Ulpien: « C<Eterum si cesset matrimonium, Cassius ail cessare.
23 -
En soi le transport de la propriété peut être soumis a une condition suspensive. Les donations pour cause de mort en fournissent
la preuve évidente. Mais tous les modes de translation de propriété
ne s'y prêtent pas également.
usu.capionem, quia dos rwl/a sit. » Mais qu'arrivera-t-il si Je mari
t 0 Tradition. - La tradition contient deux éléments 1 un élément
croit à la validité du mariage? L'us ucapion s era encore impossible,
dit Ulpien: « Idem scribit et si put a vit mari/us essesibi matrimonium l
matériel et un élément intentionnel. Le second étant dominant il
est possible de remettre à une époque ultérieure le transport de la
propriété effectué par la tradition. Les Institutes nous en offrent
un exemple saillant à propos de la traditio rei vendit,œ (Inst. de rer.
divis . § 41 ).
quum non esset, usucapere eum non posse, q·uia nulla dos sit. Qu.;e
sententia habetrationem. » (L. 1 § 4 D . p,.o dote) . Nous verrons plus
tard que certàins jurisconsultes, entre autres Proculus, ne partageaient pas, s ur ce point, l'opinion d'Ulpien.
2° La chose livrée en dot a été estimée.
Le mari n' usucapera plus au titre pro dote, mais au titre pro emptore (Fragm. vatic. , 11 J ). Et ce n'est pas là une simple question de
mots. Le mari, pour usuca per , devra être de bonne foi au moment
de l'estimation et au moment de la tradition.
B. - Dation antérieure au mariage
L'acte par lequel on r éa lise une constitution de dot antérieure au
mariage est, avons-nous v u , affecté de la condition « si nuptiœ
sequantur ii. En est-il ainsi lorsq ue la dot a été constituée par voie
de datio?
On peut concevoir deux espèces de conditions, la condition suspensive et la condition résolutoire.
a. -
CONDITION SUSPENSIVE
«
SI NUPTllE SBQUANTUR ll
La datio peut-elle être faite sous ln condition s uspensive si nuptial
sequantur?
)
2° Les autres modes sont l'adjudication, l'injure cessio, la mancipation. No us n'avons pas à parler de l'adjudication car on ne conçoit pas une dot constitué~ adjudicatiotie. L'injure cessio et la mancipation ne comportaient pas la condition expresse. Mais elles
se prêtaient à la translation conditionnelle quand la condition sans
être exprimée dans l'acte était suffisamment indiquée par les circonstances 1-lt le but de l'opération. J'en trouve la preuve dans la
la loi !!) D. demanumiss. de laquelle il résulte qu'on pouvait mortis
causâ transférer pa1· la vindir.te une liberté conditionnelle. Or la vindicte n'est qu'une des formes de l' injure cessio. Il est donc certain
qu'on pouvait par in jure cessio transférer mortis causâ la propriété
sous condition. Il devait en être de même pour hi mancipation.
Dès lors on peut affirmer que la même règle s'appliquait à la constitution de dot : nous pouvons argumenter d' une décision que nous
trouver ons plus loin à propos de l"acceptilation. L'acceptilation,
comme la mancipation, comme l'in jure cessio est un de ces actes
que les interprètes appellent actus /egitimi. Or nous verrons (1. 44
pr. D. d. j . d. ) que l'acceptilation do tis causa peut être subordonnée
à la condition si nupti;e sequantur. Pourquoi trouverions-nous dans
le cas q ui nous occupe des principes différents ?
�-
24 -
-
EFFETS DE LA CONDITION SI :'\UPTIIE SEQUANTUI\
.... -
AU
P OI:-<T
DE
YUB
DU
T RANSPORT
DE
LA
PROPRIÉTÉ
I. Da ns la tradition. - 1° Pendente conditione. - 1° Le constituant (traden~) reste propriétaire. Le transport de la propriété que
la tradition avait pour but d'effectuer est s uspend u j usq u'à la condition. C'est ce que nous dit Ulpien dans la loi 7 § 3 D . d. j . d. :
« Quid ergo si ante matrimonium? Si mu lier hac conditione dederit,
1Lt tu ne efficiantur , quum nupscrit, sine clubio dicemus tune ejus fieri
quum nupti<E fuerinl secttl<-e >> .
De là résulte que tant que la condition est en suspens le constituant demeuré propriétaire aura seul l'action en revendication
contre tout détenteur de la chose. Il semble dès lors qu'il pourrait
avant même que le projet de mariage fût rompu, agir en revendication contre le futur mari : ne voyons-nous pas dans l' hy pothèse
d'une traditio rei vendil<lJ le vendeur non payé agir en revendication
contre l'accipiens? Il n'en est rien cependant, et l'action en revendication du constituant dirigée contre le sp;nsus viendrait se heurter
à une exception doli ou in factum . « Sed ante nuntium remisswm si
vindicabil, exceptio poterit nocere vindicanti aut doli, aut in factwm;
doti enim destinata non debebunt vindicari », nous dit Ulpien (L. 7
§ 3). C'est que la volonté des parties était que le futur mari conservât la possession, tant que la condition demeurait en suspens. Le
constituant commettrait donc un dol s'il essayait de revendiquer la
chose.
2° Mais il ne conserve qu'une propriété restreinte. De là deux
conséquences importantes sur lesquelles nous n'avons pas à insister :
Les actes de disposition irrévocables (Ex. : affranchissements) lui
s ont interdits.
Les a utres actes de disposition (aliénations, constitutions de droits
réels) ne transféreront aux acquéreurs que des droits soumis aux
mêmes restrictions.
25 -
2° A Carrivee de la condition. - A l'arrivée de la condition la
translation de propriété au profit du mari s'opérera immédiatement
sans que le constituant puisse par sa volonté y mettre obstacle.
C'est une conséquence du principe que le constituant ne conserve
vendente conditione qu' une propriété restreinte et conditionnellement péri$sable. Les jurisconsu ltes auraient encore dù logiquement
en conclure que son décès pendente conditione n'apporterait aucun
empêchement a u transport de la propriété. Telle était en effet la
doctrine que professait Julien en matière de tradition conditionnelle. <c Si pecuniam mihi Titius dederit absque ulla stipulatione, ea
tamen conditione, ut tune demum m ea fieret, quwm Seius consul factus esset, sive furente eo, sive mortuo Seius consulatwm adeptus fueril, mea fi~t. » (L . 2 § 5 D. de donation). Ma lheureusement ce texte
de Julien est démenti par la loi 9, § 1 D. d. j. d. d'Ulpien, qui a fait
le tourment de commentateurs. U lpien après avoir posé l'espèce
nous dit : « Vereor ne non possint in dominio ejus effici, cui data:
sunt, qu ia post mortem incipiat dominium discedere ab eo qui dedit,
quia pendet donatio in diem nuptia1·ium, et, quwm sequitur conditio
nuptiarium, jam heredis dominium est, a quo discedere renbm non
posse domini-um invilo eo fatendum est. » Nous serons plus loin
appelés à examiner la fin de ce texte que nous supprimons ici.
Cujas, Savigny ont tenté sans succès des essais de conciliation.
En désespoir de cause d'autres interprètes se contentent de constater cette divergence et déclarent qu'Ulpien et Julien devaient sur
la tradition conditionnelle professer deux théories différentes, l'un
exigeant que la volonté d'aliéner existe encore au moment où la
condition s'accomplit, l'autre se contnntant qu'elle ait été une fois
exprimée bien qu'elle ne puisse plus l'être au moment de l'arrivée
de la condition. P our nous cet aveu d'impuissance ne rious sati fait
pas : le texte de Julien contient J' expression de la seuk doctrine
raisonnable, aussi il répugne de penser qu'un novatc11· comme
Ulpien l'ait repouss ée. L'opinion, qu'on prête à ce derrùc :, poussée
�-
26 -
dans ses dernières conséquences n'aboutirait il. rien moins qu'à ruiner la théorie entière de la propriété conditionnelle. S'il est réellement nécessaire que la volonté d'aliéner subsiste au moment de
l'arrivée de la condition, il: faudra. dire encore :
J0 Que le décès de l' accipiens rendra la tradition inefficace comme
le décès du constituant, idée vraie dans notre matière s péciale,
l'accipiens étant le futur mari et sa mort entraînant la défaillance de
la condition, mais idée inacceptable en général.
2° Que les ayant-cause à titre particulier du constituant auront
des droits opposables a u mari, a près l'arrivée de la condition, car
ils pourront invoquer le changement de volonté du tradens.
Ces conséqnences sont inadmissibles, et il est impossible qu'Ulpien les ait jamais considérées comme vraies. Donc il devait repousser le principP. même de ce système. Pour nous Julien avait dans
son texte énoncé une théorie incontestable et qu'a ucun auteur ne
songeait à révoquer en doute. Quant au texte d'Ulpien nous allons
en indiquet· la portée probable.
IJ. - Dans l'injure cessio et la mancipatio. - Ces actes répugnent par leur forme à la condition : ils a uraient dù exclure comme
la condition expresse la condition tacite, qu'on finit cependant par
admettre. P our comprendre que ces actes qui contenaient la déclaration d'un droit actuel pussent être soumis à une condition, il faut
nécessairement reconnaitre l' existence d'une fiction en vertu de
laquelle l'acte dont il s'agit est censé se produire et se former à
l'arrivée de la condition seulement. A cette époq ue sans doute il se
formera fatalement à l'ins u et contre le gré des parties, mais il est
logique d'exiger qùe les choses soient demeurées dans un état tel
que les par~ies puissent encore le <'Onsentir. De là une conséquence
dans l'espèce que nous examinons: lorsq ue le constituant a employé
la mancipatio ou l'in jure cessio, le transport de la propriété au
profit du mari ne s'effectuera pas si le constituant est décédé au mo-
27 -
ment du mariage. On le voit : dans cette hypothèse on al'rive logiquement aux principes que professait Ulpien dans la loi 9 § 1, et
c'est en se fondant su r cette observation qu'un savant professeur
a donné une explication n:>uvelle des lois 9, § 1 et i , § t; de donation. Les deux j u1·isconsultes d' après lui prévoient deux cas différents comportant des solutions diverses : Julien parle de la tradition conditionnelle, Ulpicn de la mancipation ou de l'injure cessio
conditionnell".
Cette explication semble fondée :
1• Elle est logique.
2° Elle nous rend compte de la loi 9, § 1 dans toutes ses parties.
Ulpien, prévoyant un mode de translation de propriété, qui n'existait plus a u temps de Justinien, les compilateurs du digeste ont
substitué à l'hypothèse dont il parlait celle d'une tradition. La décision du jurisconsulte devenant alors contraire aux principes et à
l'équité, ils ajo utèrent à son texte une phrase, dont la forme dénote
l'origine, et qui a pour effet d'amener par une voie tortueuse à la
solution que défendait Julien. « Sed benigniu-s est favor·e dotiwm
necessitatem imponi heredi consenlire ei quod de(unctus (ecit, aut, si
distulerit vel absit, eiiam nolente vel absente eo, dominium ad maritum ipso jure lrans(erri, ne mulier maneat indotata. »
/3.
-INFLUENCE DE LA CONDITION SUR L'USUCAPION
Tant que lema riage n'aura pas été célébré, l'usucapion sera impossible. C'est ce que dit Ulpien dans la loi 1§ 2 D. pro dote: «Si sponsa
sponso ea mente tmdiderit res ut non ante eju.s fieri vetlet quam nuptial
secut.:esint, usus quoque capio cessabit. »Et il en sera ainsi alors même
que la chose donnée en dot aura été estimée(Fragm. Va tic. 111,L. 2
D . Pro dote , L. 2, § D. Pro emptore) . La raison qu'on doit en donner
est que pendente conditione il n' existe pas encore de juste cause;
�-
-
28 -
Quurn vero ;estimat.œ
àantur, quonimn ex emplo incipiunt possideri, ante nuplias pendente
conditione, non prius usucapio seqiû polcst quam nuptiis secutis. »
(Fragm. ratic. 11 l ).
c'est l'idée qu'exprime P aul lorsqu'il dit :
<<
Mais du jour de la célébration du mariage, la condition étant remplie, la juste eau e prend naissance et l'usucapion commencera à
courir a u titre Pro riote ou Pro emptore s uivant les cas.
..,,. - Conséquence de la défaillance de la condition.
Cette conséquence sera la même que la dot ait été constituée par
traditio, in jure cessio, ou mancipatio. Le constituant n'aura jamais
perdu on droit de propriété, et intentera l'action en revendication,
contre le fiancé. C'est cc que dit U lpien dans la loi 7 § 3 D. d. j. d.
pour le cas oü la dot a été constituée par la femme et c'est ce qu'il
répète dans la loi 9 pr. eodem pour le cas où la dot a été constituée
par une autre personne.
b. -
CONDTTlON HÉSOLUTOIRE
sr LE
MARJA&E
~·EST
PAS CÉLÉBHÉ.
La dation qui sert à constitue1· une dot antér ieurement au
mariage peut-elle être affectée de la condition résolutoire si le
mariage n'est pas célébré? On sait quelles vives controverses a
soulevées parmi les interprètes modernes la théorie de la translation
de la propriété sous condition réso lu toire. Ils se sont demandé, si
dans l'acte même par lequel on transmet la propriété, on peut
insérer une clause en vertu de laq uelle la propriété se tro uverai t
frappée entre les mains de l'aquéreur d'une résolu tion ou extinction conditionnelle. Quant à nous , nous pensons avec les jurisconsultes franç·ais les plus autorisés, que la réponse à cette question
va ria suivan t les époques : elle du t être négative d'abord, mais
l'affirmative proposée par U lpien et Marcellus finit par prévaloir et
triompha sous Justinien. Dans cette opinion , on doit reconnaitre
29-
que les parties pourraient faire la dation sous condition résolutoire :
pourtant il fautl avouer qu'on n'en trouve aucun exemple dans les
textes.
Lorsque la constitution de dot se présentait sous la forme qui
nous occupe, les jurisconsultes interprétaient autre.ment la volonté
des parties. Pour eux, le constituant avait transféré la p1·opriété
hic et n:unc, purement et sim plement, sans restri<.:tion. Cette
manière d'envisager les choses ne présentait aucun inconvénient si
le mariage était célébré; mais si le projet d'union était rompu,
allait-on laisser le fi ancé profiter d' une libéralité, qui, par la force
des choses, était évidemment conditionnelle ? Non, il devait restituer ce qu'il avait r eçu dotis causa: seulement le constituant n'aura
pas l'action en revendication qu' il aurait eue si la propriété avait
été sous condition résol utoire. La restitution dans notre cas n'était
imposée que par une obligation quasi ex contractu dérivant des
règles générales. Sans doute la dation n'a pas été faite sous condition, mais elle a été faite dans un but déterminé, celui de constituer
une dot ; ce but n'est pas atteint, aussi le fiancé sera- t-il tenu par
la condictio ob rem dati re non secutn. de retransférer au constituant
la propriété des choses donn ées . (L. 7 § 3, 1. 9 pr. D. d. j . d.)
En t erminant nous devons noter que, si les parties n'ont pas
tranché expressément la question, c'est en ce dernier sens qu'on
intcrpeétera leur volonté. La dation ne sera pas présumée faite sous
condition s uspensive (L . 8 D. d. j. d) .
Influence de cette theorie sur· l'usucapion. - Dans le système que
nous avons étudié, si le constituant est propriétaire, le fiancé acquiert
im ..1édiatement la propriéLé des choses livrées. Les jurisconsultes
devaient logiquement conclure que dans l'hypothèse contraire, celle
où le constituant donnerait une res aUena, le fiancé pouna usucaper
avant le mariage. Il fau t remarquer cependant que l'usucapion ne
procédera plus au titre Pro Dote, la do t s upposant le mariage ; elle
procédera à un titre assez vague et assez élastique, au titre pro suo.
(L. 1 D. Pro Dote).
�-
30 -
Lorsque la dot a été estimée, I~ mari peut-il usucaper avant le
mariage ? Les interprètes lui refusent ce droit sans distinction et
s'appuient sur la forme absolue des lois 2 § t D. pro emptore, 2 Pro
dote, l l l Fragm. Vat. Quant à nous, nous tit·ons de ce::. textes une
double conséquence: Le mari ne peut pas usuc;apel': 1° a u titre Pro
suo car il est acheteur, 2° avant le mariage lorsque la vente a
été faite sous condition suspensive, et elle devait être présumée
ainsi faite. Mais on ne voit pas pourquoi il serait inte1·dit a ux parties
de faire une vente pure et simple, résoluble a u cas où le mariage
ne suivra it pas, et dans cette hy pothèse rien ne s·opposerait à une
usucapion immédiate au titre Pro emptore.
SE'.C::~IC>l'V
II
De la Dictio dotis
A. - Forme. - La dictio clotis est un contrat que lon peut
comparer à la stipulation : toutes deux exigent la présence personnelle et des paroles solennelles de la part des contractants. Elle en
diffère en ce que la déclaration de la personne qu i s'oblige n'est pas
précédée d'une interrogation à laq uelle elle sert rle réponse. Le
constituant déclare au mari que telle ou telle chose lui sera en dot:
« Fundus sempronianus t ibi doti erit, centum millia sestertium tibi
doti erunt. » Térence dans son Andrienne (acte V, se. IV) nous
donne un exemple de ce mode de constitution :
Chremès
Dos, Pamphile, est
Deum talenta,
Pamphilus,
Accipio.
- 31 Ce passage pourrait faire croire que la déclaration du constituant
devait être suivie de l'acceptation du mari. Pourtant rien n'est
moins certain, car les no mbreux textes où il est question de la diction
ne font pas mention de son ad hésion.
Si la dictio dotis ressemble par sa fo rme à la stipulation, on ne
devr ait pas pousser trop loin cette comparaison. Elle était loin d'être
comme la stipulation un mode général accessible à toute personne
et en toute circonstance de contracter une obligation. Cette forme
en effet ne pouvait être empl oyée que pour constituer une dot: elle
était limitée aussi quant aux personnes qui pouvaient s'en servir.
Ulpien (VI, 2) et Gaius (Epitome II , 9, 3) nous apprennent que
trois catégories de personnes pouvaient seules l'employer. étaient:
1° La femme. ~· Le débiteur de la femme, s ur son ordre. 3° Un ascendant de la femme du sexe masculin uni à elle par les mâles.Ex.:
le pèr e, !'aïeul, le bisaïeul paternel de la fem me. Fallait-il encor e
que cet ascendant eût la fu tu1·e femme sous sa puissance? A ne
·consulter que les textes d'U:pien et de Gaius que nous avons cités,
cela ne serait pas nécessaire. Ils ne s'attachent en effet qu'à la relation de parenté et n' exigent pas cette condi tion nouvelle, qu'ils
n'auraient certainement pas oubliée, si elle avait été nécessaire.
D'ailleurs si on compare la liste des ascendants qui peuvent faire la
diction à celle des ascendants auxquels la dot par eux constituée fait
retour comme profectice (L. 5pr. D. d. j. d.) , on voit qu'elles sont
toutes deux composées des mêmes personnes. Or, il est certain que
la dot constituée p11r le père pour sa fille émancipée est profectice,
Ulpien nous le dit (L. 5 5 11), et il en donne une raison que l'on peut
apµ :ique1· à l'hypothèse qui nous occupe. « Non jus potestatis sed parentis nomen. dolem pro{ectitiam {acit. » Cujas cependant adoptait
l'opinion contraire. Et il semble, en effet, que cette opinion permette
seule d'expliquer un texte assez embarrassant, la loi 44 pr. D.d. j. d.
Jul:cn suppO$e qu'un père de famille, après avoir promis par die-
c·
�- 32 tion une dot à sa filllc, l'a émancipée avant le mariage, et il se
demande si cette promesse subsiste malgré l'émancipation ou si on
doit la considérer comme résolue. Dans l'opinion de Cujas on comprend l'hésitation du jurisconsulte. Sans dt•ute au moment de la
diction le père avait la fille sous sa puissance, mais par son émancipation il se trouvait placé dans une position où il n' al' rait pas pu
s'engager par diction. Dès lors on devait rechercher s'il y avait
lieu ou no'9- d'appliquer le brocard : « Quœ ab initio constitcr-unt, postea
evanescunt, si in eum caswn incidcrint, a quo incipere non poterant >i. Pourtant ce texte n'est. pas inexplicable dans notre opinion
et on peut se rendre comple des motifs qui ont détermin é le jurisconsulte à examiner la question. Un père gui promet la dot pour
sa fiUe qu'il a sous sa puissance a toujours le pouvoir de faire manquer la condition de sa promesse en refusant son consentement au
mariage. Il n'était donc pas déraisonnable dè le considérer comme
ayant le pom•oir de se rétracter à volonté. Or lorsqu'il émancipait
sa fille, à moins d'admettre que cette émancipation était sans cause,
on était forcé de croire qu'il avait contre elle de justes sujets de
mécontentement. Aussi se demandait- on s'il ne fallait pas considérer
cette émancipation comme manifestant sa volonté de se rétracter.
Lejurisconsulte répondait d'ailleurs que sa promesse devait être
maintenue : bien plus elle était désormais définitive, en cc sens que
sa fille n'avait plus besoin de son com;entement pour se marier, il
était dans une situation semblable à celle dans laquelle se seraient
trouvés ses héritiers, s'il était mort, car ils n'auraient pas pu empêchet' le mariage.
B. - Histoire. - Il est propable que la dotis dictio était originairement une promesse accompagnant les fiançailles. C'est ainsi
qu'elle apparait chez P laute (Aulularia, II, 2, 61. - Trinummus
V, 2, 33) et chez Térence (Anclria, V , 4, 47) . Cette hypothèse
permet à certains auteurs d'expliquer pourquoi, comme ils le pré-
- 33 tendent, la dotis dictio avait toujours lieu avant le mariage, et fait
comprendre la limitation des personnes qui pouvaient l'employer.
Mais elle ne laisse pas deviner la raison Juridique qui aurait engagé
les Romains à admettre dans cette hypothèse une forme cl' engagement autre que la stipulation. On a cherché à expliquer cette
énigme en supposant que la dfotio dotis, constituant comme un
pacte adjoint <les fiançailles, aurait été dans l'origine poursuivie au
moyen de l action ex sponsu, découlant de la convention principale
et que, dans la suite, quand la convention principale eut perdu son
caractère obligatoii·e, l'action serait restée pour le pacte élevée
ainsi à la hauteul' d'une convention indépendante, comme une
espèce de pacte légitime. Cette explication est ingénieuse, mais elle
a le malheur de reposer sur une base incertaine, car il est trèsdouteux que les fiançailles aient jamais donné lieu à une action.
Ajoutons qu'elle donne un résu ltat bizarre : en effet, on constate
l'existence d'une action en exécution d'un pacte adjoint ne pouvant
se produire qu'à condition que l'action principale dont elle tire sa
force ne vienne pas à naitre. La dot, en effet, ne peut être exigée
que si « nuptiœ secul\e (uerint; » or si le mariage a été conclu, il
n'y a pas lieu à l'action ex sponrn, en exécution de l'engagement
pris par les fiançailles.
Quoiqu'il en soit, la dotis diclio apparaît par son origine comme
une forme très-ancienne. Ellen' était pas d'ailleurs destinée à survivre
longtemps à la période classique. Les empereurs Théodose II et
Valentinien III ayant affranchi la constitution de dot de f,l solennité de paroles et décidé qu'une simple convention, formée dans ce
but spécial, serait obligatoire (L. 4 C. de dot promiss. ), la dictio
dotis dut être rarement employée. Cette forme solennelle et verbale
était com!'.Ilodément remplacée par le mode simple et flexible de la
convention susceptible de se nouer, même entre personnes éloignées l'une de l'autre (1). Aussi, en admettant qu'elle n'ait jamais
(1) La dotis di<'tto conservait à cette époque unt: utilité, celle d 'éteindre
les obligations ipso jt,re. Gal' Théodose Il et Valentin ien III ne pa raissent
pas avoir voulu qu une simple convention sufflt à cet effet.
3
�- 34été abrogée, finit-elle par tomber en clésuétude, et, dans le dernier
état du droit, peut-on dire que la dot se constitue par dation,
promesse ou pacte. Aussi, dans tous les textes, que les jurisconsultes classiques avaient écrit en vue de la dictio, les commissair es
de Justinien ont eu soin de su bstituer le mot promitLere au mot
dicere, l'hypothèse de la stipulation à celle de la diction. Cette
modification e'3t souvent malheureu:;e, et nous au rons à citer plus
d'une loi, maladroitement conigée par Tribonien et ses collègues.
C. - Effets . - La àotis aictio pou vait servir soit à créer une
obligation . Elle faisait naitre a lor une obligatio uerborum et une
action qu i était probablemen t une condictio ce1·ti ou incerti, comme
celle qui résulte de la stipulation.
Soit à éteindre une obligation. A ce point de v ue elle peut ètre
comparée à l'acceptilation. Notons cependant qu e q uelques jurisconsultes n'admettaient pas qu'elle pot éteindre une obligation ipso
jure.
Ainsi elle pouvait produire un double effet : effet créatif d'obligation dont nous reparlerons à propos de la stipulation, effet extincLif
que nous retrouverons en parlant de l'acceptilation. Il arrivait quelquefois que ce double effet se produi ait si1uultanément ; les textes
nous en donnent un exemple dàns la 101 46 § D. d. j. rl. :
-
35 -
dot ce qu'il lui devait, elle repoussera par une exception l'action
par laquelle il r éclamerait le fonds sempronien. Si au contrair e elle
préfère donner en dot le fonds qu'elle a promis, elle réclamera par
une condictio sine causa la somme dont il a été libéré car il est
libéré sans cause dès qu'elle a fixé son choix sur l'autre objet.
D. -
Nature de la dictio dotis. -
La dicti-0 dotis constitue :
1. - Un contrat verbal. - De là deux conséquences que l'on
peut considérer comme certaines :
1° L'obligation née de la dotis dictio pouvait être garantie par un
sponsor ou un fi.depromissor. On peut invoquer en ce sens la loi !)5
D. d. j. d. Dans cette loi Paul fait remarquer que lorsque une expromission est faite pour cause de dot, le fidéjusseur donné à cet égard
est valab lement obligé. Il est probable que ce texte malheureusement corrigé par Tribonien supposait originairement une dot constituée par dictio dotis. Le j urisconsulte se demandait alors si la dette
du constituant était valablement cautionnée par un sponsor ou fidepromissor. On aurait pu en douter, l'obligation principale n'ayant
pas été contractée dans la même forme que l'obligation accessoire,
c'est à dire par une interrogation et une réponse. Néanmoins sans
s'arrèter à ce scrupule Paul considérait que, l'obligation principale
étant une obligation verborum, cela suffisait pour qu'un 1ponsor ou
un fùiepromissor pùt y accéder.
Une femme se constitue une dot en ces termes : «Vous aurez en
dot ce que vous me devet ou le fonds scmpronien. » La dot consiste
dans l'un ou l'autre de ces objets a u c;ho1x de la femme : mais les
deux effets respectifs, Libératoirt: et obligatoire, des deux parties de
j ure pereunt, l'acceptilation ne devrait éteindre que les obligations
la di-::tion sont produits simu ltanément. Ct: résultat semble contraire
à l'intention des parties, car le mari va pouvoi r à la fois réclamer le
fonds sempronien et refuse1· à la femme de lui payer ce qui lui est
dû. Il n'en est rien pourtant. Si la femme veut que le mari garde en
contractées par voie de stipulation. Tel fut probablement le droit
primitif. Les jurisconsultes finirent cependant par décider qu'elle
éteindrait aussi les obligations nées du jusjurandum liberti. (L. 13
pr. D . de acceptil.). Il est probable q u'elle devait éteindre encore
2° Elle pouvait étre éteinte par une acceptilation. A raison de sa
forme et par application de la règle qu~ jure contrahunt1ir contrario
�- 36les obligdtions nées de la dictio do tis. P ourquoi en aurait-il été
a utrement puisque le jusjurandum liberti et la dotis dictio sont de ux
contrats verbis et que Je premier ne suppose pas plus que le second
une interrogation et une ré ponse? Aussi peut-on affirmer que la loi
13 pr. de a.cceptil. t ra nc hait les deux questions qui pouvaie nt s'élever à l' occasion de ces deu x contrats, mais Justinien a do. supprimer
ce qui était relatif à la àotis dù;tio.
JI. -
Un contra t solennel.
La dotis dictio était certainement un cont ra t solenn el. F aut- il alle r
plus Join et dire avec P othier que c'éta it u n de ces actus legitimi
qui ne comportent l'appos ition d'aucune moda lité expres!>e (L 77
D . de reg. juris; ? Pour trancher cette question il faudrait savoir à
quel sig ne distinctif on reconnait les actes compris sous cette qualincation. Or les interprètes sont fort embarrassés pour en donner
u ne définition. Dire avec Cujas que ce sont des actes « qui in jure
peraguntu1-, solemni ritu, et ordine juris », c'est ou manquer de
précision ou commettre une er re ur démentie par les termes mêmes
de la loi 77. Si l'on dit avec M. P ellat (De la dot, p. 1 8~) que ce
sont des actes solennels, ou avec M. Vernet (T extes s ur les obligations, p. 149) que ce sont des actes solennels venant de l'ancien
droit civil, on sera peut-être dans la vérité, ma is assu rérnent dans
le vague. Il vaut mieux c roire avec M. Accar ias q ue les Romains
n'ont jamais connu une catégorie spéciale d'actes , appelé actus
legitimi, ayant pour caractère commun de ne com porter l'apposition d'a ucune modalité. Il est vrai qu'on pourrait opposer à ce système la loi 77, mais cette loi est parfaitement explicable dans cette
opinion. Il s uffit de partir de cette idée que le mot legitimw; n'a pas
-
37 -
dans la loi, et quarta legitim<B partis le quart de la part que la loi
assig ne. D ès lors au lieu de traduire la loi 77 : c< Les actes légitimes,
c' est à dire les actes qui ne comportent ni terme ni condition ", il
suffit pour détruire la théorie édifiée sur ce texte de lire : « Ceux
des actes consacrés par la loi qui ne comportent, etc... »
Quoi qu' il en soit, la discussion précédente ne tranche pas la
question que P othier examinait à ce sujet. Qu'il y eô.t ou non à
R ome une cat égorie d'actes qualifiés actu.s legitimi, ce qui est douteux, il est certain, e t de nombreux textes, la loi 77 entre autres, le
prouvent, qu'il y avait des actes ne comportant pas de modalités.
La dictio dotis est- elle un de ces actes ? Pothier le soutenait et invoquait la loi 3 C. Theod. de incestis nuptiis, III, 12. Mais cette loi
ne, dit rien de la diction qu'elle n'applique en même temps à la
dation et à la stipulation. Il est vrai, nous l'avons reconnu, que la
dictio dotis est un contrat solennel : mais cette observation n'a rien
de décisif, car la stipulation est cel'tainement aussi un contrat
solennel et r ie n n'empêche de la faire à terme ou sous condition.
D'autre pa rt si l' on recherche quelles sont les modalités que les
pa rties po urraient vouloir insérer dans la dotis dictio, on en trouve
quatre comme pour la stipulation : dies, conditio, modus et accessio.
Or il y a un texte où la formule de la diction est rapportée avee un
terme ex primé. C'est la loi 125 de uerb. signi{.: « Quum commodum
erit dotis filiœ mœ tibi. erunt aurei centum. » Trois textes que nous
avons déjà re ncontrés supposent u ne diction contenant les uns une
alternative (L. 44, § l, 46, § 1 D. d. j. d. ), et l'autre une accessio
(L . 59 eodem). Reste la condition sur laquelle ies textes sont muets:
ma is au fond de toute alternative n'y a-t-il pas une condition ? Si
dans la loi un sens spécial. Le sens de ce mot apparait nettement
dans la loi 6 D . de Pactis : • Legitima conventio est quœ lege aliqua
1' on objecte q ue cette condition est une condition tacite, nous répon-
confirmatur », on entend pa r convention légitime u ne convention
confi rmée pa r une loi quelcon que. De même on a ppelle tutela legitima, hereditas legitima la tutelle et l' héridité qui ont le ur source
terme et répugnent à l'insertion ù'une condition.
drons q ue l'on ne connait pas d'actes qui su pportent l'insertion d'un
�-
38 -
SECTION"
III
De la Promesse
La dot se constitue par promesse lorsque le mari stipule à titl'e
de dot d'une personne quelconque un certa in avantage de manière
à devenir cr éancier de cette personne.
La promesse de :lot n' est qu'une application de la forme générale
de la stipulation. Le constituant interrogé par le mari en ces termes : 11 Promettez-vous de me donner en dot telle somme o u tel
fonds ? » répondait : « J e le promets. • Aussi ce moyen était
ouvert à tout le monde. C'est ce que disait P aul dans un texte mal
à propos conservé par Justinien, car il contient une comparaison
implicite avec la dotis dictio, qui n' existait plus sous ce prince :
a; Prom illmdo omnes obligantur, cuj uscumque sexus conditionisque
sunt. » (L. 41 D. d. j. d. ).
La stipulation comportait sans aucun doute toute espèce de modalités, notamment le terme et la condition.
J. Terme. -
1° Supposons une personne promettant la dot en
ajoutant la modalité post mortem meam ou pridie qvam moriar.
Cette stipulation sera nulle conformément aux règles générales à
l'époque classique, mais Justinien crut devoir la valider (L. 11 C.
de conlrah. el committ. stipul.). En serait-il de même de la dot que
le constituant promettrait pour le moment même de sa mort ? Cette
stipulation était r econnue valable par les jurisconsultes classiques,
elle le sera donc à plus forte raison sous Justinien (L. 76 D. d. j . d. ).
Faudrait-il adopter encore cette solution si la dot est constituée par
la femm e elle-même ? Il y avait une r aison pour en douter : toute
dot s uppose un mariage, or dans l'espèce, la dot n'étant exigible
qu'apr ès la mortde la ferom e, le mari ne po urra la r éclamer que lors·
39 -
que le mariage sera di~sous. Malgré tout Julien n'hésitait pas à
valider cette stipulation , et il invoquait avec raison, semble- t- il, ce
fait que l'on peut convenir qu'une dot déjà promise purement et
simplement ne sera pas exigée du vivant de la femme. Pourquoi
ne pourrait-on pas faire au moruent de la stipulation ce qu'on peut
faire plus tard ? Cependant cetLe opinion n'était généralement pas
reçue. Paul, pour montrer que la comparaison faite par J ulien est
fausse, fait remarq uer assez s ubtilement que lorsque la d0t est promise purement et simplement il y a une dot quoique à cause du
pacte elle ne puisse pas être exigée ; au contraire, lorsque la dot
est promise pour le moment de la mort de la femme, on ne peut pas
conce\•oir q u'il y ait une dot, puisque la dot commmencerait à exister au temps où il n'y a plu de mariage (L. 20 D. d. j. d.).
2° - Un père promet pour sa fille une dot qu'il paiera quum
commodum erit, qnum poluerit. La stipulation sera-t-elle rnlable ?
Il semble qu 'on devrait répondre négativement, car le père pourra
toujours en a lléguant sa situation plus ou moins précaire refuser
de payer. Dès lors on devrait dire que la stipulation est nulle
comme est nu l!~ une stipu lation contractée sou!> une condition
purement protestative de la part du débiteur. Cependant Procolus
(L. 125 de uerb. signi[.) et Labéon (L. 79 § 1 D. d. j. d.) la valident:
ils foo t remarquer qu'il fa ut rechercher l'intention probable du
constituant, et cette intention, si elle ne ressort pas d'autres circonstances, parait leur être de s'engager à payer la dot quand il
pourra le faire sans se mettre hor· d'état de soutenir honorablement
son rang.
Devrions-nous admettre la même solution, si la dot au lieu d'être
constituée par le père avait été constituée par un étranger ? Il est
impossible de l'affirmer, si l'on remarque que les deux textes précédemment cités ne s upposent que le cas où la dot est constituée
par le père, et si l'on se rappelle les principes admis en matière de
dot sur les promesses de choses indéterminées.
�-
40 -
3• _ Soit la stipulation suivante :
et Promettez-vous de me donner dix à titre de dot dans un an ? » Quel sera le point de départ du
délai ? Est-ce le jour de la stipu lation ou le jour où il peut y avoir
une dot, c'est-à-dire le j our du mariage ? On décide gue c'est le
jour du mariage, car, si l'on comptait l'année à partir du jour de la
stipulation , il pourrait arriver que par s uite des retards apportés
au mariage la dot fl1t due avant la célébration du mariage.
(L. 48 D. d. j . d.)
Il faut transporter toutes ces décisions au cas où la dot serait
constituée par diction. Le bon sens nous y autoriserait à défaut de
textes ; de plus on peut invoquer pour les deux premières hy pothèses cette circonstance que les lois 76, 79 § 1 D . d. J. d. , 125 de
verb. signif. prim itivernent écrites pour la diction ont été appliquées
par Justinien à la promissio do lis : ce qui prouve que les décisions qu' elles contiennent s ont communes à la diction et à la stipulation.
II. -
Condition. -
La stipulation faite dotis causa avant le
mariage est toujours présumée contenir la condition tacite si m,i,p-
ti<e sequantur. Cette condition, comme toutes les conditions que
les Romains ont connu au moins origina irement, est une condition
suspensive. (L. 4 D. de Pactis, 1. 2 1, 41 § l D. d. j . d.) Il en était
probablement de même si la dot était constituée pa r dicti on a u
lieu d'être par promesse.
De là une double conséq uence q u' indiq uent nos textes et qu'imposaient les principes de la condition : J0 L'action qu'intenterait le
mari pendenle conditione n'aboutirait pas : u ante nuplias male
pelilur » (L. 4 D. de Paclis). 2° Si l'on r enonce a u mariage, c·est-à -
- 41 civil romain annulait la condition résolutoir e comme le terme
extinctiI et réputait 1' obligation pure et simple. Mais le pr éteul'
serait venu au secours des parties et aurait accor dé au débiteur
l' e..xception de dol si la condition résolutoire s ' était r éalisée avant le
paiement ; si elle s 'ôtait réalisée après, il est probable que le constituant a urait pu répéter en se fondant sur ce que la cause de
l' obligation aurait cessé d'ex ister . Aucun te.>.te ne prévoit d'ailleurs
une pa reille constitut ion de dot, q ui devait êtœ évidemment fort
rare.
La stipulation faite dotis causa comportait l'apposition de toute
condit ion expr esse pourvu qu'elle jtit licite et possible. Bien plus
on tr ouve en cette matière une décision qui évidemment inspirée
par la faveur d ue il. la dot valide une condition considérée<l'ordinaire comme n ulle . Supposons UI!e stipulation ainsi conçue : «Si.
nav is ex Asia venerit, hodie dare spondes? » la fo rm ule employée
par les par ties place l'exigibilité de la créance avant l'arrivée de la
condition, elle a utorise l'action en justice avant qu'on puisse savoir
s'il y a un droit. A raison de ce ren versement de l'ordre naturel
des choses, on dit que la condition est prépostère. Le droit classiq ue l'annulait toujours, J' empereur L éon la valida dans les stipula tions faites dolis ca'usa ; dès lor s, on devait considérer dans
l'exemple que nous avons donné le mot hodie comme non avenu,
la n ullité résultant en effet de l'insertion de ce seul mot (lnst. l. III.
t . XX, § 14. J ustmien généralisa la décision de Léon.
Effets de la promesse de dot. - (communs à la dictio dotis). -
dire si la condition vient à défaillir, la stipulation reste sans effet :
u ipso jure evanescit » (L. 4 de Pactis, 1. 2 1 d. j. d. )
Les effets de la promesse de dot comme ceux de la diction sont
ceux que produirait une stipulation qui ne serait pas faite dolis
causa. E lle crée au profit du mari un droit de créance, garanti par
u ne condictio certi ou incerti suivant les cas.
Les parties pourraient essayer de faire cette stipulation sous la
condition résolutoir e de la non-célébration du mariage. Le droit
Le constituant pouvait pr omettre en dot ce qui lui était dù par
un tiers. Un double moyen lui était alors ouvert. Ou il promettait
f
�-
4'2 -
-
lui-même au mari par dictio ou stiptûatio ce q ue le tiers lui devait.
Et a lors le maria ae conclu il devait encor e investir le mari de la
0
.
créance promise. Il pouvait à cet effet se ser vir soit de la nova~ion ,
moyen impa rfait d'ailleurs, ca r il s upposait l'agr ément d~ débtt~u_r
et faisait perdr e au cessionnaire les ga ranti es qui entouraient or1g1nairement la cr éance, soit de la procu1·atio in rem mam, moyen
qui pr ésenta longtem ps un inconvénient d' une autre espèce, c_ar
tant que la litis contestatio n'était pas inter ven ue ou que le paiement n'était pas effectué entre les mains du cessionnaire, ce dernier pouvait \·oir ses es pérances anéa nties par les frau~es d ~
cédant. Cet inconvénient ce sa Ju jou r où le cessionnaire fut mvest1
d'une action utile, et un tex te ~ous montre que dans notre hy pothèse spécialement ce progrès ne tarda g uèr e. (L. 2 C. IV, 10).
Ou bien il pouva it user du procédé de la Dt!legation, dont nous allons
plus longuement parler. On pou rrait c roi r~ d'après la place que
nous donnons à cette théorie que la délégation s uppose nécessairement une stipulation. 11 n'en est rien cependant; des travaux récents
43 -
le nomen lransoriptilium, le pacte de constitut, la titis contestatio :
elle pourra s'accomplir aussi par stipulation et par dotis dictio,
moyens fréq uents daos notre matière, aiosi que le montrent les lois
31, § 1 D. de novation , 44, 45, 56, 57, 80, 83 D. d. j. d. Aussi dans
ce q ui va s uivre la supposerons-nous toujours exécutée par stipulation ou diction.
On peu t comprendre dans notre matière deux espèces de délégation:
1. Le constituant délègue au mari u n tiers qui lui promet la dot.
Cette hypothèse est la plus fréquemment prévue par les textes. La
délégation peut s' exécute1· toujours par stipulation. Quant à la diction ses règles spéciales en lim iteront l'emploi : elle ne pourra servir qu' autant que le délégué est un d e~ ascendants de la femme qui
peuvent dire la dot, ou que le constit uant est la femme, le délégué
étant son débiteur (Ulpien v r, 2).
2. Le ma ri délègue le constituant à un tiers, que ce tiers d'ail-
ont montré en effet que la délégation suppose : 1° un ordre donné
par le délégant au délégué. Cet ordre peut d 'ailleurs être soit un
leurs soit le créancier du mari ou une personne à laquelle il veut
fai re un e donation, peu importe. Cette hy pothèse o 'est prévue que
jussum dandi , soit un jussum promittendi. 2• l'exécu tion de cet
ordre (da.tio ou promissio). Nous n'avons pas parlé à propos de la
par la loi 59 pr. D . d. j. d. qui nous dit : « Afulier promissura viro
dotem polesl eo deleyante alteri promillere. » La délégation pourra
s'exécuter pa r stipulation ; pourrait-elle s'exécuter aussi par dictio
au moins lorsque le délégué est une de ces personnes qu'Ulpien
dation de la délégation dolis causa contenant un jussum dandi, quo iqu'elle soit possible (L. 19 D. d.j. d.), car elle n'appelait a ucu ne
observation spéciale. Nous nous occupeMns ici de fa délégation consistant dans l'ordre de promettr e.
Dans la pl upart des exemples qui no us sont donnés pa r les textes
la promesse a pour objet de l'argent. Il n'y a cependant là rien
d'absolu et elle pourrait avoir tout a utre obj et. La loi 56 pr. à notre
titre nous en donne la preuve : car elle suppose une fe mme déléga nt à son mari une pet"sonnc qui lu i doit un esclave.
L'ordre ayant été' donné par le constituant délégant au délégué,
la délégation pourra s'accom plir par les moyens les plus divers, par
nous indique comme ayant le droit de l'em ployer ? La lecture de la
loi 59 pr. pourra it le faire croir e : il est en effet certain que dans la
première partie de ce texte le mot promiseril a été substitué à dixerit, et on est amené naturellement à admettre que dans la deuxième
partie, da ns la pht·ase q ue nous avons citée, le mot promissu.ra a
été s u bstitué au mot dictura. Néanmoins ile t difficile de le croire,
car si Ulp1en nous app rend q ue non-seulement la femme et son
ascendant paternel, mais encore un débiteur de la femme sur a
délégatior. peut dire la dot a u mari ou au père de celui-ci, nous ne
�-U- 45 -
trouvons nulle part que ces personnes puissent s ur la délégation
du mari dire La dot à un tiers.
Cette seconde hypothèse prévue pa-r un seul texte était rat·e :
dans les développements qui suivront nous n'examinerons que la
première. Et encore pour simplifie1· supposerons-nous : 1°Que le constituant délégant est la femme; 2° Que le délégué est une personne
qui était ou qu'elle croyait ètre son débiteur , ce q ui constituera
évidemment le cas le plus fréq uent et le plus pratique.
Quels seront Les effets de la délégation ? Nous distinguerons deux
cas suivant que la constitution de dot sera postérieure ou a ntérieure au mariage.
A.- Délégation dotis causa postérieure au mariage. - No us
supposerons d'abord que la personne déléguée par la femme était
réellement son débiteur.
a. -
LE DÉLÉGUÉ ÊTAJT DÉU I T&Ul\ DE LA FEMME.
En pareil cas :
J. - Le débiteur délégué sera tenu en vers le mari.
II. - Il sera libéré à l'égar·d de la femme.
S'il s'est engagé envers le mari par stipulation , cette li bération
ne peut pas faire dc.ute. Il s'est en effet produit une novation par
changement de créancier, la deuxième dette ayant pris naissance,
la première est éteinte ipso jure.
Qu'en est-il s'il s'est engagé par dic,io dotis ? La première dette
est-elle éteinte ipso jure ? On ne peut plus invoquer ici les principes
de la novation. Néanmoins il faut dire que, dans l'opinion même des
jurisconsultes qui décidaient que la dictio dotis ne donne que r exceptio doli ou pacti conventi, la dette est éteinte de plein droit. En
effet les principes de la diction ne sont pas en j eu, ceux de la délégation doivent être seuls appliqués. Or en matière de délégation on
sous-entend et on tient pour accomplies trois nnmérations : l'une est
r éputée faite par le délégué au délégant, un e autre par le délégaht
au délégataire, la troisième par le délégataire au délégué (L. 2 t
§ t D. de donat.). Cette dernièr e montre pourq uoi le délégué est
tenu envers le rnal'i délégataire, nous nous explique:rons plus loin
sur la seconde, la première entraine forcément la libération ipsoJure
du débiteur délégué envers la femme délégant. D'ailleuts 110us
avons un texte en ce sens, la loi 3 l § 1 D. de novation., sur laquelle
nous devons nous expliquer. Dans ce1te loi Vénuléius suppose une
obligation Corréale activement, et il constate après examen que
l' obligation sera éteinte à l'égDrd des deux correi stipulandi,
1° Si wnus delegaverit creditori suo communem debitorem , isque
ab eo stipulatus {ut1·it. (Dans le cas où l'un des correi stipulandi délég uerait à son créancier le débiteur commun).
2° Si mulier {und·umjusseril [)1C'mittere viro. Voici l'espèce. Titius
est débiteur d'un fonds envers deux rei stipulandi, dont l'un est une
femme que nous appellerons Prima. Prima, qui va se marier à
Ma:vius, veut se constituer une dot ; dans ce but, elle donne mandat
à Mrevius de se faire promettre pDr Titius le fonds qu'il lui doit. A
la suite de cette promesse l'obligation corréale est éteinte.
On n'apercoit pas quelle utilité il pouvait y avoir de citer cette
deu xième hypothèse après la première. Il y a double emploi dans le
texte du Digeste . Mais suivant toute apparence la faute n'est pas à
Vénuléius. li est plus que probable que Vénuléius avait écrit dicere
au lieu de promittere, voulant montrer que la dotis dictio faite par
le 1'.ébiteur sur l'ordre d'un des créanciers à la même puissance
extinctive que la promesse précédée d'une stipulation. Mais du
temps de Justinien la dotis dictio étant tombée en désuétude, les
compilateurs plus zélés qu'intelligents auront simplement remplacé
direre par
promitler~ ,
sans s'inquiéter de voir ju qu'à quel point la
pensée du juriscons ulte ou même la raison était respectée dans ce
changement.
�-46 -
-
III. - La femme (délégant) ne doit rien au mari (délégataire).
De là une conséquence, qui est évidente, c'est que 8i le débiteur
délégué ~t insolvable le mari délégataire ne pourra exercer a ucun
recours contre la femme. Mais a lors lorsque le jour de la restitution
de la dot arrivera , le mari est-il tenu de restituer ce que l'insolvabilité du débiteur a fait perdre. La question est douteuse et cela se
comprend: il y a conflit entre les règles de la restitution de dot et
celles de la délégation. Si l'on s'en tient a ux premières, on doit dire
que les risques des choses dotales sont à la charge de la femme :
on applique ce principe lorsque la dot a été promise par une personne qui ne devait rien à la femme (L. 33, 4.9 d. j . d. ), pourquoi
s'en écarter lorsqu'elle l'a fait promettre par son débiteur? Si l'on
s'en tient aux prmcipes de la délégation, la question cha nge de face .
Le délégataire, avons-nous vu, est censé a voir reçu une numération du délégant : il a pu pa r fiction avoir à son tour compté cette
somme au délégué, le délégué a pu devenir insolva ble, peu importe :
il n'en est pas moins vrai qu'on le considère comme ayant reçu une
certaine somme de la femme-délégant, et c'est cette somme qu' 11
doit restituer. Voilà en quels termes la question se pose. Il ne no us
appartient pas de la résoudre .
b. -
LE DÉLÉGUÉ N'ÉTAIT PAS LE DÉBITEUI\ DE LA FEMME, IL
NE LUI
0
DEVArT RIEN D APRÈS L E DRO IT CI VIL OU POU VAIT L UC OPPOSE R UNE
E XCEPTION.
Recherchons dans cette hypothèse q uels sont les principes de la
délégation. Les textes usel)t de distinctions :
1° Le délégué connaissait au mo ment de la délégation le moyen
de défense quïl pouvait op poser à son créancie r primitif. Il est
réputé y avoir renoncé et ne pourra pas le faire valoir contre son
nouveau créancier.
2° S'il l'ig norait ont fait une sous-distinction .
Le délégataire reçoit-il la délégation à titre onéreux, il ne doit
pas souffrir de l'erreur du délégué, qui restera tenu à son égard.
Mais on réserve un recours à ce del'llier contre le délégant.
47 -
Le délégntaire re('oit-il la délégation à titre gratuit. - On a deux
personnes en présence, l'une le délégataire qui certat de lticro captando, l'a utre Je délégué qui certat de dam.no vitando. Il faut doncprotéger le second contre le pl'emier, et lui permettre soit de se
défendre par 1' excepLion de dol soit de prendre les devants en intentant contre le délégatafre une condictio incerti sine causa à l'effet de
se faire li bérer.
Voilà les principes qui résul tent des lois 12 de nov., 2 de donat., 7
S 1 de dol. mal. el met. except., et dont no us devons fa.ire application à la délégation dotis causa avec les lois 78 S5 D. d. j. J., et 9
S 1 D. de cond. caus. dat.
1. -
La délégation a été exécutée par une stipulation.
1° L e prétendu débiteu r connaissait le moyen de défense. Nous
retrouverons plus loin la présomption de renonciation, de donation
dont nous parlions plu haut avec la loi 7 D. de cond. caus. data.
2° Il l'ig norait. Devrons-nous considérer le mari comme un délégataire à titre gratuit ou à titre onéreux ? Nous examinerons plus
tard cette question dans toute sa largeur, nous nous demanderons
s'il fa ut considére1· la constitution de dot comme un acte à titre
grat uit ou à titre onéreux. Disons to ut de suite que pal' rapport au
mar; c'est sans aucun do ute possible un acte à titre onéreux. La
loi 9 S l D. de condict. causa data nous. le dit: << Jlaritus suum negotium gerit, nec decipiendus est, quod fit, si cogatur indotatam u.xorem
habere. » Aussi cette loi ainsi que la loi 78 § 5 D. d. j. d. décidet- el'..: que le délégué sera forcé de payer a u mari.
Il faut cependant faire une double réserve:
1° Si le mari ne formait sa demande qu'après la dissolution du
ma riage, le délégué pourrait lui opposer l'exception de dol, mais
seulement jusqu'à concurrence de ce que la femme aurait à recouvrer (L. ~ § l D. de concl. causa data). Cette restriction est facile à
�-
48-
j ustifier; l'équité l'imposait. Qua11d ce_ que le mari veut se fair~
payer doit profiter non à lui-même, mais à la femme seule~eot, il
est naturel que le délégué puisse se refuser à payer ce qu il pourrait refuser à la femme.
2• Le premier mari délégué comme débiteur de la dot au s~cood
mari peut lui opposer l' exception in id quod {acere potest , ~~il eût
pu opposer à la remme (L . 32 D . Solul · matrim ,\. Cette
. décision
,
. est
exceptionnelle, et on ne voit pas comment on po~rra1t l expliquer.
Ainsi en principe le délégué quoique non débiteur d ~ la ~emme
est absolument tenu envers le délégataire, envers le mari. N aurat-il pas un recours contre sa prétendue c reancière? Les deux
lois 9 § l D. de cond. causa dcita et 78 § 5 D . d. j. d. nous m0ntrent
qu'on ne le lui refuse pas plus dans la délégation dot~ ~ausa que
dans la délé!ration ordinaire. Le délégué aura une condichO contre
0
.
le délégant pour ce qu'il a promis ou payé indûment au man.
JI. _ La délégation a été ei;écutée par une dotis ditio. - Cette
hypothèse sera plus rapidement examinée que la précédente. L "erreur du prétendu débiteur de la femme reconnue, il ne sera pas
obligé, parce qu' il ne rentre pas dans Ja catégorie des personnes
qui peuvent user de la do tis diclio. Il en serait autremen~ . ce pendant si ce prétr.ndu débiteur était le père ou d'u ne mamere pl us
aénérale un ascendant màle uni par les mâ.les à la femme. En effet,
~dépendamment de la qualité de débiteur qu'il s'attribuait. à tort,'.'
possède réellement une autre qualité celle d'ascendant qui suffit a
elle seule pour le rendre apte à la diction. Dans ce cas, on appliquerait ce qui a été dit sui· la délégation exécutée par stipulation.
Ce qui précède nous permet d'expliquer la loi 46 § 2 D. d. j. d.
ainsi conçue : « Pater, etiamsi {also e.xistimans se fili<E Stkli debitorem esse dotem promisisset, obligabitur. » Le j uriscons ulte devait
a voir écrit dirisset a u lieu de promisisset, et comparait le cas où la
dot a urait été dite par le père, à celui où elle aurait été dite pa1· un
-
49 -
étranger, le père et l'étranger se croyant à tort débiteurs de la
femme.
B. - Délégation dotis causa antérieure au mariage. - La
délégation sera conditionnelle, subordonnée à la condition s uspensive <( si nwpti<e sequantur. »
a. -
Effets pendente conditione.
1• L'obligation du débiteur de la femme envers le mari (du délég ué envers le délégataire) sera conditionnelle. Donc le mari ne
pourra pas pendente conditione agir contre lui.
2° L'extinction de l'obligation du débiteur envers la femme (du
délégué envers le délégant) sera conditionnelle aussi. En réalité,
l'obligation existe toujours, elle ne sera éteinte que lorsque la condition se réalisera et si elle se réalise. De là Labéon concluait que le
débiteur pouvait avant le mariage être poursuivie par la femme qui
demeurait encore sa créancière, et qu'alors il ne deviendrait pas
débiteur du mari si le mariage s'accomplissait. Mais Javolénus
prévoyant cette question en matiére de délégation conditionnelle en
dehors de la délégation dotis causa décidait au contraire que pendente conditione l'ancien créancier ne peut pas agir (L. 36 D. de reb.
cred. ). Et il n'hésite pas à transporter cette décision en la matière en
qualifiant d'erreur l'opinion de Labéoo. Il fait remarquer qu'en
attendant le mariage les deux obligations sont en suspens (L. 80,
83 D. d. j. d.). Il faut aller plus loin encore et décider avec Paul
(L. 60 § 1 D. de cond. inaeb.) que le délégué qui aurait payé avant
le mariage aurait le droit de répéter ce paiement.
b. -
Réalisation de la condition.
Le mariage étant célébré, tout se passe comme si la constitution
de dot étoit pos tériew-e au mariage.
4
�-
50 -
c. - DC{aillance de la condition.
Si le débiteur délégué n'a rien payé au sponsus, pas de difficultés : la nouvelle obligation (du délégué envers le délégataire) n'aura
jamais pris naissance et la prcmièr·c (du délégué. envers le délégant)
sera rétablie dans son premier étai. Il semble pourtant que les
principes de la novation devraient permettre a u débiteur d'opposer
l'exception doli ou pacti conventi (Gaïus III, 179). Il n'en est rien
cependant : dans le cas de novation par adjectio conditionis le débiteur ne peut opposer cette exception qu'autant que la stipulation a
été faite inter casdem pu-sanas (L. 30 § 2 D. de Pactis). Or dans
notre hypothèse il y a changement de créancier. D'ailleurs ce
resultat e t conforme à l'intention des parties, car il est évident
que, si la fiancée voulait faire un avantage à son futur mari, elle
n'entendait pas gratifier son débiteur.
~[ais qu'arrivera-t-il si le débiteu r délégué a payé entre les
- 51 promis a~a~t défailli, il se trouve avoir payé sans cause. il a donc
une condwtio contre le fiancé.
,
3• . L~ délégué n'était pas débiteur de la femme et le savait. La
condictw
. ? p arce que
l'
t sera
. alors intentée par la femmP.·· p ourquo1.
1
ar~en u1 appartienclrait, nous dit le jurisconsulte. En effet ce
serait une donation que le prétendu débiteur aurait voulu lui faire
et elle sera réputée avoir reçu de celui- ci l'argent et l'avoir compté
elle-~ême à son fiancé. Cette Mcision est confirmée par Paul dans
la 101 9 D. de condict. causa data.
SECTION'
I"V"
Autres modes de constitution de dot
mains du sponsw;? Il faut avec la loi 7 D . de cond. causa data distinguer trois hypothèses :
1° Le débiteur délégué étail véritablement débiteur de la femme.
Si le mariage manque la condition sous laquelle il a promis au
fiancé est défaillie et il est resté débiteur de la femme. Il aura donc
une condictio pour répéter ce qu'il a payé, et il pourra lui-même
étre poursuivi par ln femme, qui a conservé contre lui laction de
sa créance pr·imitive. Mais comme i! ne serait pas juste qu'il sou fîrit
de ce qu'il a fait poul' se conformer ü la volonté de sa créancière
qu i le délégait, il sera tenu non de payer à relie-ci et de courir luimême la chance de l'insolrnbil1lé du fiancé, mais de cé<ler sa condiction contre ce demier.
2° Le délégué se croyait débiteur de la femme et cependant ne
l'était, pas ou pouvait se défendre par une exception. ll pourra
répéter ce qu'il a payé, car, la condition tacite sous laquelle il a
No us ven~ns ~'énumérer et d'étudier les trois procédés compris
dans la classification des jurisconsultes: dos datur, dicitur , promittitur. Mais ces procédés ne sont pas les seuls.
A. -
Acceptilation
Quand le mari débiteur de l~ femme ou de toute autre personne
dit à son créancier : « Tenez-vous pour reçu ce que vous me
devez », et que ce dernier répond: « J e le tiens pour reçu», le tout
dans l'intention de constituer une dot, éest comme si le mari avait
payé à son créanciet· le montant de sa dette et que celui-ci l'eùt
ensuite compté en dot au mari (L. 41 § 2 D. d. j . d.).
�-
52 -
Effets de l'acceptilation dotis causa.
a. - PO TÉRŒURE AU MARIAGE.
L' acceptilation produ ira son elfet ordinaire, la dette ser a éteinte
ipso jure.
Mais no us avons vu que la femme ou l' un de ses ascendants
patern els uni à elle par des mùles, créancier du mari pourruit au
heu d" employer l'acceptilntioo faire usage de la dolis dictio. La
diction produira-L-elle le mème effeL que l'acceptilation, éteindrat-elle la dette ipso jure? Ma rcell us décide dans la loi 44 § 1 qu e la
diction ne donnera naissance qu'à une exception comme le ferait un
pacte de non petcndo. Mais des te).tes nomb reuÀ prou vent que l'opinion de Marcellus était réprouvée par plm,ieu rs ju riscons ul tes .
:\'ous ayons déjà rn que la loi 46 § l où la fe mme se constitue en
dot (( quod mihi debes aut fundus sempronianus » suppose qu e la
dotis dictio opère ipso jure. P aul partageait cette opinion (L . 25 D.
d. j. d.). Tryphoninus cornl'aruit l'effet extinctif de la dotis dictio à
celui du paiement (L . 77 D . eodcm ,. E nfin Vénuléius dans la loi 31
D. de nov. su ppose une obligation corréale activement existant a u
profit de Prima et Secuodus et ayant pour obj et un fonds. Prima
va épouser le débiteur commun Titius et « nuptura ipsi doti fundwm
promittit ». En pareil cas, dit le j urisconsulte, « debitor ab utroque
liberabitur ». Il est évident malgré le texte de la loi que Vén uleius
parlait d' une dictio et non d'une promissio. En effet, si P rima faisait
une pr omesse, tout au plus pourrait-on comprendre q ue la dette fût
éteinte par l'exception de dol fondée s ur la constitution de .MarcAurèle. D'ailleurs les principes de la stipulation devra ient la faire
déclarer c ulle a u moins le plus souvent : en effet, personne ne peut
stipuler sa propre chose (Iost. III, t. 20, § 2); si donc nous supposons, ce qui arrivera fréq uemment, que le mari possède la chose
dont il est débiteur, la stipulation que s uppose le texte de la loi 31
ne produirait aucun effet. Au contraire dans l'hypothèse d' une
-
53 -
dictio faite par Prima au débiteur de son futur mari , tout s'explique
par faitement, si l'on admet que Vénuleius pensait que la diction
émanant du créaneie,r a u profit d u débiteur équivaut à J'acceptilati on.
Une question se pose ici. P uisque la dicti on et J'acceptilation
produisent le même effet, po urquoi recourir à la diction et ne pas
se servir du mode usuel de l'acceptilation ? Peut-être la form ule de
la diction était-elle moins compliquée et plus commode et en pratique la préférait-on. P eut-être aussi et cela parait vraisemblable la
diction était-elle un mode plus général d'extinction des obligations,
en ce qu e l' acceptilation pour être valable suppose une obligatio
verborum , alors qu'aucun te:xte ne semble r estreindre l'emploi de
la diction.
b. -
ANTÉRIEURE AU MAlUAGE
On peut compr endre sur l'effet de I' acceptilation clotis causa antérieure au mariage deux théori es :
I. - La dette ne sera éteinte qu'autant que le mariage sera célébré.
Nous avons vu que d'ordinaire l'acte par lequel la dot est constituée antérieurement au mariage est conditionnel. Peut-il en être
a insi lorsque la dot est constituée par acceptilation? La raison de
do uter est que la loi ï7 de 1·1•g. juris cite l'acceptilation parmi les
actes gui ne comportent ni terme ni condition, mais la loi ajoute
aussitôt : <c Nonnunquam lamen. aclus suprascripti tacite recipiunt
quœ aperte comprehensa iiitium adferunt >>. Or il est certain que
l'acceptilation c.:omporta1t le terme et la condition tacites; bien plus
l' acceplila tion conditionnelle parnit a mir été d'un usage a ~sez pratique. Donc il est naturel que la condition, qui dans notre espece
résulte de la nature de l'opération, ne vicie pas l'acceptilation.
Dès lor s il est facile de détcrmioct· les effets que nous cherchons :
�-
54 -
t • ?endente conditione, le constituant ne pourra pas agir contre
le mari, quoique la dette C::\Ïste encore et qu'elle ne s'éteigne
qu'avec la célébration du mariage.
2° La condition se réalisant, l'obligation est éteinte. Rappelonsnous que conformément à une théorie qu e nous avons émise plus
haut et dont nous avons trouvé l'indice dans un texte d'Ulpien (L. 9
§ 1 D. d. j. d.) l"acceptilation sera non avenue si le créancier décède
pendente conditione.
3° Si la condition vient à défaillir , l'acceptilation ne produit
aucun effet et l'obligaiion reste dans son premier état (L. 43 pr. D.
d. j. d.) .
li. - /,'acceptilation produit immédiatement son effet. - Si le
mariage est célébré cetle situation sera définitive. S' il manque,
l'obligation ne r evivra pa s, car aucun texte ne nous permet de
croire à la possibilité d'une acceptilation sous condition résolutoire,
mais la femme, si elle a elle-même constitué la dot, aura une condictio (L. 10 D. de condicl. causa data). Si la dot a été constituée par
un tiers, à qui appartiendra cette condictio ? La loi 46 § 1 D. d. j. d.
fait une distinction et la donne à la femme ou au constituant selon
que ce dernier a vou lu ou n'a pas voulu faire une donation à la
femme à tout événement. Il semble bizarre que la femme ait une
condictio sine causa ou ob causam dati causa non secuta, alors
qu'elle n'a rien donné à son fiancé. Mais le juriscons ulte justifie sa
décision : on doit se figurer que le fiancé a payé au constituant le
montant de la créance, que la femme l'a reçu de ce dernier et qu'elle
l'a ensuite donné a u mari. Sans cette fiction la femme acquerrait la
-
55 -
consacrée par la loi 43 pr. D. d. j. d., l'autre par la loi 10 D. cle
cond. causa clata. Dans quel cas appliquer a-t- oo le premier de ces
textes, dans qu el cas le second? On a proposé de distinguer si l'acceptilation est faite par la femme ou un étranger. L a femme hâtant
le mariage de ses vœux et le regardant comme sur le point de se
foire veut donner la dot sur le champ et entend que l'acceptilation
produise immédiatement son efTet. Le créancier étranger moins
empressé ne veut libérer son débiteur qu'au moment du mariage.
Cette distinction qui parait rationnelle est contredite par les textes :
car ·la loi 43 pr. suppose é\•idemment l'acceptilation faite par la
femme, le juri cons ulte ne traite de l'acceptilation faite par un
étranger qu e dans le§ l. Cujas avait admis un système qui est
a u~si rationnel et qui semble fondé. Pour lui tout dépendait de l'intention des pat·tics : ont-elles vou lu que la dette fùt éteinte de suite?
L a loi LO de cond. causa dala recevra son application; ont-elles
préféré que la dette ne soit éteinte qu'au moment où le mariage
sera conc lu , la loi 43 p1·. d. j. d. régira cette hypothèse.
De l'acce ptilation dotis causa on peut mpprocher le pacte de non
PetenJo (L. 12 § 2 D cl. j. d). Supposons un mari débiteur de sa
femme : elle convient avec lui <ju'il gardera en dot ce qu' il doit, ce
qui revient à dire qu'elle n'agira plus par l'action de sa créance,
mais qu'elle agira, le cas échéant, par l'action de dot. Le mari ne
sera pas libéré ipso jure, comme il le serait si la femme avait fait
acceptilation, mais il a pom· se défendre contre l'action que la
femme voudrait exercer en \'ertu de sa créance l'exception pacti
conventi. C'est donc en somme comme _'i l était li béré, comme s i
ayant payé sa dette il en avait re<:u le montant à titre de dot.
condiction par une personne étrangèr e, ce qui est impossible; la fiction du jurisc~nsulte permet donc de consacrec la volonté des parties sans violer aucune r ègle de droit.
B. - Renonciation à un avantage déféré par disposition
de dernière volonté
Voilà les deux manièr es dont les jurisconsultes romains envisagent 1'acceptilation dotis causa antérieure au mariage. L'une est
La loi 14 § 3 D. de {u11do dot. pré' oit trois cas Jans le quels la
constitution de dot au ra l ~eu de cette manière: t• Si [undum legatum
�-
56 -
- 57 -
sibi dotis causa mulier repudiavcrit, vel etiam substitttto viro omi.se-
rit hereditatem vel legatum, erit fundus <lolalis.
>)
1° Le mari est institué héritier par un tiers. La femme légatair e
renonce à son legs dotis constituendœ causa. Le mari r ecueillera la
chose léguée, qui sera dotale.
2• La femme est instituée héritière par un tiers ; le mari lui est
substitué vulgairement (L. 14 § 3 D. de fundo dot. ) ou serait appelé
à l'héréruté si le tiers était mort ab intestat (L. 5 § 5 D. d. j . d.). La
femme répudiant l'héréruté dotis causa, le mari la recueillera et les
choses héréditaires ser ont dotales.
:~· Ce cas est la répétition du précédent en matière de legs. Un
legs est fait à la femme à cette condition que à défaut de la femme
c'est le mari qui le r ecueillera. La femme pourra refuser le legs
<lotis constitue~ causa.
4° Enfin on pourrait constru ire une autre hypothèse que le jurisconsulte n'a pas prévue. Le testateur institue héritiers le mari
et la femme, ou encore légue le fonds Cornélien conjointement a ux
deux époux. La femme pourra répudier l'hérédité ou le legs dotis
causa. Ici c'est la moitié seulement de l'hérédité ou du legs qui sera
le même mari que par une nouvelle convention. Mais cette convention est toujours présu mée à moins qu'il n'apparaisse une volont~
contraire (L. 30 D. d. j. d.) . D'où cette conséquence, nous dit la
loi 13 D . d. j. d., que, si pendant la durée du nouveau mariage elle
intentait l'action ex slipulatu ouverte en sa faveur a u moment de
la disso lution d u pr emier, elle sera repoussée par l'exception de dol.
Mais cette présomption cesserait.
1° Si la femme avait dans l'intervalle des deu:x mariages agi en
restitution (L. 13 D. d. j. d. . Il faut qu' elle ait laissé la dot chez
celui qui fut son mari et est destiné à le redevenir.
2° Si elle avait révoqué l'acte dotal : « revocatis instr-umentis.
(L. 40 D. d. j. d).
,>
Notons que la présomption subsisterait si, dans l'intervalle qui
sépare le divorce de son nouveau mariage avec son ancien époux
la femme avait épousé un autre homme, pourvu que les deux condi-
tions indiquées fussent r emplies (L. 64 D. d. j. d.;.
La nouvelle dot comprendra en principe ce que comprenait l'ancienne. Cependant :
dotale.
Les exemples précédents pourraient laisser croire que ce mode
de constitution est ouvert à la femm e seule . Ce serait commettre
une erreur: la loi 5 § 5 D. d. j. d. s uppose qu' une héréruté soit
1° Elle comprend en outre les intér êts que le mari pourrait devoir
à la femme en vertu d' une convention accessoir e pour le temps
intermédiaire compris entre la dissolution et le renouvellement du
déférée au père, son gendre étant substitué vulgaire ou héritier
légitime, ou qu'un legs lui soit fait, le gendre étant héritier, et elle
décla re que le père pourrait en répudiant l'hérédité ou le legs constituer une dot à sa fille.
mariage (L. 69 § 2 d. j. d.). C'est une ll.pplication du principe que
les fruits perçus avant le mariage font partie de la dot (L. 7 § 1
d. j. d.) .
C. - Constitution tacite de dot
Les textes nous en donnent. deux exemples :
a. - La dot qui a été constituée po ur un premier mariage ne
devient dot du second mariage contracté par la même femme avec
2° La nouvelle dot ne comprend les biens que comprenait l ancienne que sous réserve des droits des tiers. Et nous trouvons au
Digeste deux applications de ce principe rationn€1, consacré dans
une matière qui oŒre une analogie un peu lointaine avec la nôtre
par l'A. 1451 du Code civil :
Loi 64 D. d. j. d. -
i le premier mari lors du ruvorce s'ét<üt
�-
58 -
lai sé déléguer à un tiers, ce dernier ne serait pas privé de sa
créance parce qu'il aurait plu aux époux séparés de se réunir.
Loi 63 D d. j. d. i certains biens dotaux viennent d' un tiers
qui a st ipulé qu'ils lui serail•nt 1·endus it la dissolution du mariage,
le divorce a ouvert en sa faveur une ac:tion, dont la réconciliation
des époux ne saurait le pri ver. Pour que les choses par lui données
fussent de nouveau dotales, il faudrait qu'il y consentit, et s'il
venait ensuite à agir aprè la réunion des époux, il se verrnit opposer avec succè l'exception de dol fL . 29 pr. D. de pact. dot.;. Notons
qu'il n'en serait pas ainsi si au moment du premie r mariage la
femme avait elle-même constitué la dot et permis à un t ie rs de la
stipuler. En effet dans cette hypothèse le tiers n'anrait pu intervenir que comme mandataire ou comme donataire à cause de
mort : le mandat et la donation mortis causa étant r évocables à
volonté, le tiers n'aurait pas un droit opposable à la femme (L. 63
D. d. j. d., l. 72 § 2 eodem ).
b. - (L. 39 D. d. j. d. ) Une esclave épousant un esclave a donné
en dot certains biens à son prétendu mari. Ces biens ne sont pas
réellement dotaux, car il n'y a pas de <lot sans justes noces; ils ont
seulement pa séau moins en fait du prcule de l'u ne dans le pécule
de l'autre. Plu tard les deux esclaves sont aITranehis, ils persistent
dans leur rnlonté d'être unis en mariage et désormais il peut y
avoir une dot. Les c hoses li vrées à cet effet avan t l'affranchissement, si elles existent encore, seront dotales en vertu de la convention tacite r ésultant de la persistance de la volonté primitive. 1l en
serait de même s i au lieu de supposer deux esclaves qui s'unissent
il s'agissait d'une femme esclave et d'un hommr libre. C'est sui·
cet.te hypothèse <JUe pré\'OÏt lu loi 67 D. d. j. d. que nous allons
raisonner dans les développements qui suivent.
Dans ce cas de constitution ta('ite de dot il faut enco r e réserver
le droit des tiers . L e ticl' · dont nous avons à nous préoccuper ici
est le propriétaire de l' escla ve 1 qu i n'a pas pu être dépouillé de la pro-
-
59 -
priété des choses données en dot. Aussi la loi 39 pour qu'il y ait
CQnstitution tacite de <lot suppose que l'esclave a été affranchie
peculio non adempto.
Qu'arriverait-il si en l'aITranchi::.sant le maître avait retiré le pécule
comme le prévoit Proc ulus dans la loi 67 ? Il serait resté propriétaire des choses, de l'argent par exemple, données en dot. Aussi cet
argent n e peut pas devenir dotal et J' esclave affranchie ne pourrait
le r éclamer au mari ni par l'action rei uxo1·iœ qui suppose une dot,
ni par la condictio ob rem dali qui suppose une translation de propriété qui dans l'espèce n'a pas été effectu ée. Mais le patron pourra
le r evendiquer au mari.
Mais il fa ut prévoir le cas,
1° Où le mari de bonne foi en aurait acquis la propriété par usucapion. - Son usucapion procèdera au titre pro dote, s'il a usucapé
a près l'affranc hissement. Dès qu'il en aura acquis la propriété la
c hose sera devenue dotale et à la dissolution du mariage la femme
aura le cas échéant l'action rei uxoriœ.
P ourrait·1l usucaper avant l'aITranchissement, c'est-à- dire avant
que leur union soit devenue un mariage civil? Sans doute il n'a pas pu
usucaper au titre pro dote, n'a- t-il pas pu le faire au titre pro suo?
Proculus dans no tre texte l'admet, Ulpien au contraire le repousse
dans la loi 1§3 et 4 D. Pro Dote:« Si putavitmaritus esse sibi malrimo-
nium, quum non esset, usucapere cum non posse, quia nulla dos sit. »
Il y a donc contradi ction entre les jurisconsulte ; mais, s'il semble
impossible de concilier leurs te~te , on comprend cette divergence.
On connait le principe inscrit aux Institutes : « Error faisœ causœ
usucapionem non parit. » Ce principe ne fut pas admis sans peine
par les jurisconsultes et le Digeste a laissé subsister les trace d'une
t.:ontroverse sur la \'aleur du ju te titrn putatif. Ulpien admettait
l'opinion consacrée par J u:.timcn (L. '27 D. de usurp. cl usuc.), aussi
ne poL' vait-il pas profe ser que la croyance du mari à la validité du
mariage servft de base it l'usucapion. Proculus devait partager
�-
-
60 -
l'opinion contrair e ; aussi permettait -il au mari d'usucaper non au
titre pro dote q ui s uppose un mariage, mais au titre pro suo, qualification employée quand la cause d'acquisition bien que juste n' a
pas de dénomination propre.
Donc dans l'opinion d'Ulpien, le patron a conservé l'action en
revendication. Qu'en était-il dans l'opinion de Proculus ? Il décidait
que le mari devenu propriélaire gard era it l'argent pour lui , la femme
n'ayant aucune action pour le lui réclamer. Cette décision n· est pas
bien logiq ue . On comprend que dans le système d u jurisconsulte
il n'y ait pas place pour l'action rei u.'toriœ, le mari ayant usuca pé
au titre pro suo et non a u titre pro dote. Ma is la femme a dù acquérir la condictio causa d.ata, car, si par hy pothèse elle n'a pas transféré la propriété au mari, celui-ci l'a a u moins acquise par usucapion et cela suffit aux termes de la loi 13 pr. D . de mort. causa
donat. Proculus aurait donc dù réserver l'exercice de la condictio,
et le réserver non au profit de la femme comme le raisonnement
précédent pourrait le faire Cl'Oire, mais au profit du patron : car la
femme étant esclave lorsque l'usuca pion s'est accomplie a dù acquérir la condictio non pour elle mais pou r son maitre.
2° Où le mari a employé l'a rgent donné en dot.
Etait-il de bonne foi? Luc1·i{ecit, dit Proculus avec ra ison. Car la
femme ne pourra pas in voqu er l'action rei uxoriœ, et le patron ne
pourra ni alléguer la condictio acquise du chef de l'esclave puisqu'il
n'y a pas eu datio, ni intenter l'action en revendication ou l'action
ad exhibendum puisque le mari ne possède plus les choses données
en dot , nec dolo {ecit quominus possiderel.
Si au contraire il était de mauvaise foi, le patron aurait sans difficulté l'action ad exhi/Jendum.
O. - Acte pour cause de mort (Legs pet damnationem).
Supposlins qu'un père avant de mourir lègue une certaine somme
pour doter sa fille. Deux cas sont a considérer :
61 -
1° Le père a v11.it antérieurement promis une dot pour sa fille
(L . 29 D. d. j. d. ). Alors la constitution de dot était antérieure à la
mort du père et nous n'avons pas à examiner cette hypothèse.
2• Si le père n'avait pas antérieurement promis de dot. la loi 48
S 1 D. d. j. d. décide que le gendre et la fille auront tous deux en
vertu de ce legs l'action ex testamento, car ils tirent l'un et l'autre
avantage de la dot. Mais il faud ra s'arranger pour que la somme
l éguée ne soit pas exigée deux fois et r emplisse sa destination qui
est de servir de dot . Aussi P api.nien dans la loi 71 S3 D. De condit.
et demorislr. prend-il des pl'écautions que nous devons indiquer
sommairement :
0
J P endant le mariage, le mari peut demander la dot sans qu'il
y ait aucune précaution à prendre. Quant à la femme l'héritier ne
devra lui livrer la chose léguée qu'en s'assurant qu'elle l'emploiera
à se doter. Si elle r efuse de donner des garanties à cet effet, elle
sera repoussée par l'exception de dol.
2° Avant le mariage, le futur mari peut demander le legs, car il est
pur et simple, mais il doit donner caution d'en rendre le montant à la
femme s'il refu se de l'épouser . S'il refusait de l'épouser, la femme
seule pourrait réclamer le legs et il serait 1ui-rnême repoussé par
l'exception de dol.
:1° Après la dissolution du mariage l'héritier peut payer le legs
au mari sans exiger de caution. Le paiement ainsi fait le libérer a
même à l égard de la femme, la somme payée étant devenue dotale
et la femme pouvant la réclamer par l'action rei u.xor~.
�-
62 -
CHAPITRE III
Du caractère de la constitution de dot
La constitution de dot est-eUe un acte à titre g r atuit ou à titre
onéreux ? Cette question a soulevé en droit français une controverse qui n'est pas encore éteinte. En d roit R omain q u' en étai t- il ?
Nous examinerons séparément cet te qu estion 1° à l'égard d u constituant, 2° à l'ég ard du mari, 3° à l'égard de la femme.
Caractère de la constitution de dot par rapport au
constituant .
Si le constit uant était une de ces personnes qui sont dans l' obligation légale de doter la fille, l'acte était à tit re onér eux. On peut
en conclure qu e le constituant n'était pas libéré si par suite d'évic..
tion le mari ne recevait pas ce q u'il aurait dQ lui donner.
Si a u contraire la constit ution de dot avait été faite li brement,
nullo jure cogente, la question changeait de face, et on devait la
considér er comme faite à titre gratuit, car le mari ne contracte
aucune obligation envers le constituant. Ce serait une err eur en
effet de considérer comme telle le devoir du mari de supporter les
charges du mariage, car l 0 l'obj et de ce devoir est trop vague et
-
63 -
indéterminé pou r former la base d' une obligation civile, 2° ce devoir
résulte du fait du mar iage et non de la r éception de la dot, 3° il
n'existe pas vis à vis <lu constit uant mais vis à vis des personnes
qui fon t partie du ménage. Aussi il est probable qu e la constitution
de dot n'entrainait dans le principe aucune garantie en cas d'éviction; cependant comme le ma ri ne s'est soumis â supporter les
charges du mar iage que dans l'espérance de recueillir la dot on
chercha il le favoriser autant que l'économie du dr oit romain Je
permettait. De là la constitution de Sévère et de Caracalla (l. 1 C.
d. j d.), texte fondamental de la matière.
« Evicta re qU<'P {uerat in dotem data, si pollicitatio vel promissio
{uerit interposita, gener contra socerum vel mulierem seu lteredes
eorum condictione vel e.t stipulation.e agcre polest. Sin autem mllla
pollicilalio vel promissio intcrresserit, post wictionem ejus, si quidem
1·es œstimala fuerit, ex emplo competit actio. Sin vero hoc non est factum, si quidem bona fi.de eudcm ns in dotem data est, nulla marito
cornpetit actio. Dolo autem danti.s inlerposito, de dolo actio adversu.s
eum locum habebit, nisi ri m uliere dolus interpositus sit; tune enim,
ne famosa aclio adversus eam detw-, in factum aclio competit. »
L a dot peut avoi r été constituée de différentes manières :
1• La constit ution de dot a consisté dans une création d' obligatior. au pr ofit du mari. Les empereurs supposaient probablement u ne obligation créée soit par dictio soit par promesse.
La diction ayant disparu dans la législation de Justinien, les compilateurs ont substitué dans le texte le mot pollicilatio au mot de
dic "J . Ce terme de pollicitutio n'est pas heureusement choisi : il
désigne une promesse émanant d' une seule volonté sans le concours
de volonté du créancier (D. L 12), promesse qui n'est obligatoire
q ue dans des cas exceptionnels, et la constitution de dot n'est pas
au nombr e de ces cas. Ce ruot est sans doute employé dans le
sens im propre de convention non revêtue des formes de la stipulation. Cette explication est vraisemblable si l'on se rappelle que
�-
64 -
Théodose U et Valentinien I II pour exprimer leur r éforme se sont
-
65 -
ser vi de ce mot (L. 6 C. V , t I).
.
Le mari est devenu créancier du constituant; après avoir ~eçu
ragés à fonder une famille devaient comp ter sur des r essources
ass urées.
la chose due il en est évincé, le paiement est nul. Il a ~e droit de
·
d nouveau en paiement le constituant débiteur de la
poursmvre e
. .
, .
.
dot : le texte lui accorde à cet effeL la cond_wtw ou l a~lw ~x sttpu. t éf1'alernent une condicLio le man exercera l action de la
latu qw es o
'
.
. .
dette primitive. soit condictio ex stvpulatu, ~oit cond~clw e~ lege. . .
2• La dot a été constituée au moyen d une dation, c est à di1 ~
d"un acte translatif de propriété sans obligaLion p réalab le. Le man
vincé a-t-il un recou rs? Il fa ut disting uer . Ou la chose donnée
est é
,
.
l' ·
a été estimée, ou elle ne l'a pas été. ,Dans le premier cas est ima.
tton
vaut ,.·e-nte ·· l'opération se décomposant en une vente et
. une
·
t'
dot
du
prix
le
mari
est
à
l'égard
du
constituant
const1tu ion en
· ,
, . .
, Ce~endant la doctrine précédente semble contredite par
texte
d Ulpien (L . 34 D. d. j . d. Vatic. fragm . 269). Une mère a
donné un obj et en or à sa fille pour qu'elle s'en serve . l a mère a
conservé la propriété de cet obiet Le père sous 1
· '
d
·
J
•
a puissance e q u1
se trou ve la fi lle croyant avoir acquis cet objet par sa fille le donne
en dot à son g endre ~t le pèse en le donnant. La lnëre meurt ens uite.
SI cet obj et a été donné contre le gré o u à l'insu de la mère l' héritier de la mère peut le revendiquer. La dot sera diminué~ et le
m~ri évincé a un recours contre son beau-pèr e. Il semble au pre-
dans la situation d'un acheteu r , il a l'action empli en cas d é:1cti0n.
Dans le second cas, le mari évincé n'a pas de reco urs à moms q.ue
le constituant n'ait agi de mauvaise foi ; si Je constituant, connaissant la cause d'éviction et la cachant, s'est rendu co upab le de do l,
le mari victime a soit l'action de dolo cont re toute autre_pe~sonoe
qu e sa fomme, soit contre sa femme !" action in (actwrn, q ui lui épa1·C1'ne l'imputation d'u n dol et l'infâmie.
La loi l c. d. j. d. confi rme donc ce que nous avons dit : la
constitution de dot par elle-même n'emporte pas obligation de
0
garantie. Le mari évincé n'a de rerours contre le co_nstituant qu~
dans certaines hypothèses et en verLu de causes accidentelles qm
se rencontrent dans le mode de constitution. Il reste encore un cas
où il n' a aucun recours: c"est lorsque la Jot consiste dans un corps
certain donné et que le constituant s'est cru propriétaire. Dans ce
cas rien ne vient modifier l'application des princi pes : le constituant
est un donateur, il n'est pas tenu à garantie. Les jur isconsultes
romains n'ont pas été touchés a ussi vivement que le législateur
français de cette considération que les fut urs épou:' pour être encou-
un
mier abord que dans la pensée d'Ulpien de l'éviction de toute chose
dota le d écoule a u profit du mari une action contre le constituant.
Mais il faut r emarquer que lobjet a été pesé au moment de la donation, c'est- à-dire qu' il a été estimé d'après son poids. L'estimation
éq uivaut à une vente et le mari à l'aètion ex emplo. Nous sommes
on le voit, dans l'une des hypothèses où le mari évincé a un recours:
notre t héorie est confirmée.
C'est également à une de ces hy pothèses spéciales que Justinien
a sans doute songé lorsque dans une constitution célèbre il a ètablj
une hy pothèque génér ale sur les biens du constit uant pour assurer
non seulement Je paiement de la dot promise, mais encore le r ecour s
à exercer par le mari en cas d'éviction : <.< Ut plenius dolibus subve-
niatur..... in Jiujus moc(i actione damus ex utroque latere hypothecam,
sive ex parte mariti p1·0 reslitutione dotis, sive ex parte mulieris pro
ipsa dole pr:estanda, vel rebus evictis : sive ipsœ principales person.1!
dotes dederint, vel promiserint, vel susceperint, sive ali<B pro his personœ.... » L . ( § l C. de rei uxor. actione;. L a phrase est embro uillée, les mots ex parte mulieris pourraient faire admettre que l' hypothèque légale n'est étab lie que s ur les biens de la femme et non
cl' un a utre constituant, ma is lu fin du passage prouve que le légis la_
;)
�-
66 -
teur se préoccupe d'assurer le paiement de toute dot quel qu'en
soit le constituant : c'est ainsi que l'innovation de Justinien a été
comprise.
pas
67 -
donatair~.
Telle est l'opinion de Labéon approuvée par Paul
8.1- D. d. j. d.). Mais on pourrait opposer à cette loi un texte
d ?lpien à notre titr.e (L. 33 d. j. d.). Un extraneus après avoir promis une dot au mari
devenu insolvable, la femme ne peut pas
reprocher à son mari de ne pas l'avoir poursuivi : « Car dit-il il
(~.
:st
SECTXC>N'
X :C
Caractère de la Constitution de dot par rapport
au mari
Il résulte d'un ensemble de textes que par rapport au mari la
constitution de dot n'est pas un acte à titre gratuit, mais un acte à
titre onéreux.
De là des conséquences nombreuses :
1° Au point de vue de l'action Paulienne, comme nous le verrons plus loin.
2° En matière de délégation (L. 78 § 5 D d. j . d. - L. 9 § 1 D.
de cond. causa data-) . Nous avons déjà vu que si l'on s'est servi de
la ·délégation pour constituer une dot les jurisconsultes r omains
étaient unanimes à voir dans la personne du mari un délégataire à
titre onéreux: <c Negotiwm m um gerit », dit Paul.
3° Un re crit d' Antonin le Pieux accordait au donateur le bénéfice
est,.nat~rel ~u'il
ait. a&"i avec modération à l'égard d'un d onate~r,
qu tl n aurait pu faire condamner que jusqu'à concurrence de ses
facultés.» Cujas a fait cesser cette contradiction apparente: il a montré que la traduction littérale que nous avons donnée est inexacte
~t qu'.il faut lire.: «.Que la femme n'aurait pu faire condamner que
3 usq~ à .... » Ainsi entendue la loi est facile à justifier: elle laisse
subsister ce que nous avons dit sur le caractère onéreux du droit
du mari, mais elle déclare en même temps que la femme est consi1
dérée c~n:ime do.nataire : nous verrons en effet dans la suite que
cette opm1on avait des partisans à Rome.
La dot aétéconstituée par le père de la femme. - Labéon lui r efusait le bénéfice de compétence ; Paul plus équitable le lui accorde
1u~is il ne le lui concède pas à raison de sa qualité de donateur, i l
fait valoir 1' alliance qui existe entre le beau-père et son o-endre.
1
L'alliance cessant avec le mariage qui lui a donné naissa~ce, la
logique aurait dû le conduire à retirer cette fa veur lorsque la
demande est formée après la dissolution du mariage; pourtant
l'équité fait ici fléchir le drpit, et le jurisconsulte déclare q u'il fa ut
avant tout avoir égard aux circonstances. Aussi il lui accorde le
bénéfice lorsqu'il ne s'en est pas rend u indigne en trompant le mari,
par exemple, en lui promettant une dot q u'il savait bien ne pas pouvoir donner (L. 84 D. a. j . d. - L. 2 1, 22 D. de re Judicata).
(Iost. IV, 6, § 38 ; L. 33 D. d. j. d ; L. 12 D. de
doiiat). Il semble donc que, lorsque la dot a été constituée par diction, pacte ou promesse, le constituant pours uivi par le mari pourra
lui opposer l'exception in id quod (acere polest. Il n'en est cependant
pas toujours ainsi et les textes soumettent la solution de cettequestion à plusieurs distinctions .
La dot a été constituée par la femme. - Elle ne sera condamnée
que in id quod ... Il es t bon de r emarquer qu'elle doit ce bénéfice à
sa qualité non de constituant, mais de femme. Il suffit, pour s'en
Si la dot a été constituée par un étranger , ce dernier ne pourra
p1:; profiter du rescrit cl' Antonin : car s'il est donateur le mari n'est
convaincr e, de voit· comment le jurisconsulte motive sa décision. Tl
observe qu'un associé peut l'opposer dans ses rapports avec ses co-
de compétence
�-
68 -
associés. Or, s'il n'y a pas, entre les époux, une société formelle,
le but pécuniaire qu'il s'agit d'atteindre, savoir de soutenir les charges du mariage, est un but commun aux deux époux. De là notre
loi 17 § t D. Solut. matri-m., de là a ussi la théorie ad.mise en droit
romain sur la prestation des fautes.
4° La défense des donations entre époux n'empêche pas que la
dot puisse être aug mentée ou constituée pendant le mariage.
5° On connait la cause d'extinction des obligations dont parlent
les Institutes à propos des legs, le concours de deux ca uses lucratives : « dwis lucrativas causas in eumdem hominem et in eamdem
1·em concurrere non posse. » Nous en trouvons une application dans
la loi 83 § 6 D. de verb. oblig. : «Si rem, quam ex causa lucrativa
stipulatus sum, nactus fuero ex causa lucrativa, evanescit stipulatio. Il S upposons qu' une personne me promette une chose pour me
faire une donation, plus tard cette chose m'est léguée, ou d' une
manière plus générale la propriété m'en est transférée sans que j e
donne rien en retour, evanescil stipulatio. Si la promesse m'a été
faite dolis constituendai causa, il n'en sera pas de même, car la
promissio dotis n'est pas une causa lucrativa, elle l' est si peu qu'on
corn pare le mari à un acheteur ou un créancier : (( Ex promissione
doiis, dit Julien, non videtur causa lucm tiva esse; sed quodammodo
creditor aut emptor inlelligitur qui dotern petit. Porro quum oreditor
aut emptor ex causa lucrativa rem habere cœperit, nihilominus integras acliones retinet, sicut ex contrario qui non ex causa lucrativa
rem habere œpit eamdem non prohibetu1· ex lucrativa causa pelere. »
(L. 19 D. de obl. et act.)
6° On sait que le patron pouvait r évoquer pour cause d'ingratitude la donation qu'il avait faite à son affranchi. Si un patron, dans
l'intention d~ faire une donation à son aO'ranchie, a promis une dot
au mari de celle-ci, l'ingratitude de la donatail'e n'empêchera pas le
patron de payer ce qu'il a promis a u mari, parce que ce dernier ,
-
69 -
receva nt la dot à titre onél'eux, nu doit pas souffrir de l'ingratitude
de la donataire (L. 69 § 6 D. d. j . d. - L. 24 C. d. j. d.).
7• Le mari, étant un acq uéreur à titre onéreux, il était naturel
qu'on fit courir de bonne heure les intérêts dus par le constituant.
De nos jours ils sont dus depuis la célébration du mariage; Justinien n'accorda a u mari le drnit de les réclamer que deux ans après
la célébration du mariage (L. 31 § 2 C. d. j . d.).
8° On sait que lorsque un créancier hypothécaire permettait à son
débiteur, détentenr de la chose hypothéquée,.. d'aliéner cette chose,
une fois l'aliénation fai te il ne pouvait plus intenter l'action hypoth écaire. Encore fallait-il que le débiteur n'excédât pas la permission donnée par le créancier , et .Marcien nous apprend que s1, le
créancier ayant permis de vendre la chose, le débiteur l'a donnée,
l'action hypothécaire ne sera pas perd ue. Mais si le débiteur l'avait
donnée en dot, le créancier serait déchu ; car, nous dit le texte,
cc vendidisse in hoc .casu recte videtur propter onera matrimonii "
(L . 8 § 13 D. Quibus modis pignus velhyp. solv.).
SECTION
III
Caractère de la constitution de dot par rapport
à la femme (action Paulienne)
On examine d'ordinaire cette question à propos de l'action Paulienne, dont nous allons d' une manière générale étudier l'application
à la constitution de dot.
L'action Paulienne avait pour but la révocation des actes faits
par uo débiteur en fraude de ses créanciers. Pour qu'elle réussit, il
fallait : 1° Que l' acte fait ptu· le débiteur en diminuant son patrimvine
�-
70 -
ellt augmenté ou occasionné so n insolvu bilité ; 2° (~u e le dëbiteur
eù t agi en connaissance de eau e ; 3° F a llait-il encore que le tiers
H ec lequel avait traité le fraudator eût connaissance de la fraude
commise ? Sur ce poin t les textes présentent une distinction que
l'on admet encore généralement de nos jours : si l'acte attaqué
constituait un e li béralité, on se contentait de la m auvaise foi du débiteur (L. 6, S 11 et1 3 D. Qiue in {rattd. cred.) ; si au contra ire il
était à titre onéreux on exigeait la participation du tiers à la fraude
(L. 6, § 8 eodem).
Cela posé, sup posons une personne insolrnb le q ui constitue une
dot à une femme. L es créanciers reconnaissent q u' un e fra ude a été
commise, ils veulent user de J"action P a ulienne ; a ppliquer a- t-on la
r ègle admise pour les actes à titre g rat uit o u la règle contraire ?
Il faut d'abord se demander contre qu i ils agiront. lis po urront
agir : 1° Contre le mar i, si le ma riage n"e t pas encor e dissous, ou
si le mariage étant dis o us la dot 1:st r estée ent1·e ses mains ; bien
plus ils pourraient encore l'actionner s'il avait restitué la dot, m ais
a lors il a urait un r ecours contre la femme par la condiccio indebiti,
à condition qu' il eût payé sans se laisser poursuivre (L . z!) § 1
eodem) . 2° Contre la femme si elle est suijuris o u contre son père
si elle est sous sa puissance. Cela n'est pas doute ux lorsque le mar iage étant dissous la dot a été r estituée ; cela est possible enco re
pendant la durée du ma riage (L . 14 in fine, 1. 25, § 2 in fine ), mais
dans cette hypothèse cette action leur sera bien moins pr ofitable
que celle q u'ils intenteraient contre le ma ri, car to ut cc q u' ils pourront exiger c'est que la femme o u le pèr e leur cède l'action de dot
o u bien leur promette de restituer la dot , s'ils viennent à la r ecueillir
(L. 14, 25 § 1 et 2).
Ainsi trois actions pourront être ouvertes, dont deux seront
ot1 r ertes concurremment, et que nous allons examiner séparément.
A. -
71 -
ACTION PAULIENNE I NTENTÉE CONTl\E L E
u ....
""'-Al.
Dans c~tte hy pothèse aucun doute ne peut s'élever. Le mari ne
sera passibl~ de cette action qu'autant qu'il sera complice d u fraudator. La 10 1 25 est formelle sur ce point.
~ans son ~ l elle suppose la dot constituée par le beau-pèr e et
décide : 10. Si le gendre seul a vait connaissance de la fraude il sera
tenu, 2• St le gendre ignorait la fra ude, la fille la connaissa~t il ne
sera pas tenu , 3• Si le gendre et la fille avaient conoaissanc; de la
fraude, il sera tenu, 4° Si le gendre et la fille l'ignoraient, il ne sera
pas tenu.
Dans son § 2 elle suppose la dot constituée par un extraneus et
ne donne action contre le mari qu'au tant qu' il aura été complice« si
scierie.
»
Cette décision ne doit d'ailleurs pas nous étonner : n·a,·ons-nous
pas vu que la constitution de dot est un acte à titre onéreux quant
au mari ? la dot n"est pour ainsi dire entre ses mains que le contrepoids des cha rges du ma riage. Il fa ut noter cependant pour faire
des r éserves le motif que donne Véoulèius dans le§ t où il suppose
la dot constituée par le père : il compar e le mari à un créancie1· qui
a r eçu de son débiteur le montant de sa dette. Le motif est exact
s'il veut seulement dire que le mari est acquéreur à titre onéreux,
mais il ne fa ud rait pas prendre cette comparaison à la lettre, elle
serait inexacte à un double point de vue: 1° Sans doute, nous
l'avons vu, le père est tenu civilemeat de doter sa fille, mais cette
obligation cxi ' te à l' égard de la fille plutôt qu'à l'ég.ard du gendre,
2° Si l'on considérait le mari comme un créancier proprement dit, il
faudrait en conclure q ue toute con titution de dot antérieure à la
missio in possessionem est inattaquable (L. 6 7 eotlem), ce qui serait
nne er reur , pui q ue le gendre de mauvaise foi est tenu de l'action
P aulienne.
�-
72 -
-
73 -
PAULIENNE INTENTÉE CONTRE LE PÈRE DE LA FEMME
2° Le mari et la femme étaient de mauvaise foi, elle peut être
actionnée.
Le père doit êtl'e complice de la fraude d'a près Vénuléius : << Tenebitur pater, si non ignoraverit ii (L. 25 § 2). Pourquoi? 8i l'on
3• Le mari et la femme étaient de bonne foi. « Quidam existimant
B. -
ACTlON
admet que Vénuléius exigeait dans l'hypothèse que nous examinerons ci-après que la fem me fût complice de la fraude, la raison de
cette décision est facile à donner. Sans do uLe c'est le père qui à la
nihilorninus in filiam dandam actionem, qtuia intelligitur quasi ex
clonatione aliquid acl eam pel'venisse ». « Quelques jurisconsultes
dissolution du mar iage agit en r estitution de la dot , mais il n'agit
qu'adjuncta filiœ persona; si l'action est intentée a u nom d u père,
elle n'existe q ue dans l'intérêt de la fi lle pour qu'elle tr ouve une dot
chez son père lorsqu'elle voudra se remarier . On comprend que la
pensent que l'acLion peut être intentée contre la femme on ta
considère comme ayant recu quelque chose comme par don~tion. ,,
La formule employée pal' Vénuleius dans ce texte nous montre
que cette question fit difficulté à Rome. Une controverse s'éleva
'
. . .
certa10s Juriscons ultes exigeaient la complicité de la femme d'au' fait
tres ne l'exigeaient pas. L'existence de cette controverse ne
complicité soit exigée, comme elle est exigée chez la femme quand
elle agit elle-même. Si a u contraire on pense avec certains interprètes que Vénuléius adoptait l'opinion contraire il est difficile de
donner une bonne raison, et on est forcé de constater dans les déci-
difficulté pour personne. Il nous reste à rechercher : Jo Quelle
était L'opinion de Vénuleius lui- même, 2° Quels étaient les motifs
qu'on invoquait de part et d'autre, 3° Quel est le système qui a
prévalu?
sions du jurisconsulte une contradiction entre cette hypothèse et
l' hypothèse suivante. On a bien essayé de d ire que le père devrait
constituer une nouvelle dot à sa fille dans le cas où elle se remarie..
rait, mais cette explication n'explique rien. Nous l'avons déjà dit:
c'est uni1uernent dans l'intér êt de la fil le que l'on a admis le père à
se fai re restituer la dot, or l'intér êt de la fi lle est a u moins aussi
considérable lor squ' elle est appelée à toucher elle-même la dot, que
lorsqu'elle n'en peut profiter que par l'intermédiaire du père, et
nous sommes fondés à remarquer avec étonnement que l'action est
pl us facilement accordée contre la fille que contre le père.
a. - Quelle était l'opinion de Yènuleius?
U ne lecture s uperficielle de la loi pourrait faire croire qu'il
approuvait l'opinion qu'il énonce, car il se contente d'indiquer le
système de ces jurisconsultes et le motif qu'ils invoquent et semble par conséquent considérer ce point comme acquis. Je crois
néanmoins qu'il devait partager l'opinion contraire. Son texte a dù
subir un e mutilation malheureuse : il 'devait probablement combat-
La loi 25 § 1·s upposant la dot constituée par le père contient les
dispositions s uivantes :
tre les jurisconsultes dont il parle. Les termes qu'il emploie« quidam existimant » sont un indice de sa pensée, la formule dont il se
ser t est peu affirmative, ce n'est pas assurément le langage d'un
homme qui tranche r ésolument une controverse. Mais il y a mieux
que cela à dire : le § 2 de cette loi paraît devoir faire cesser toute
hésitation.
1° Le mari était de bonne foi, la femme de mauvaise . La femme
peut être actionnée..
La loi 25 § 2 uous dit : << Tenebitur maritw si scierit, œque
mutier. » Le mot œque semble assimiler la situation de la femme à
C. -
ACTION PAULIENNE INTENTÉE CONTRE LA FBl\fM.B
�-
74 -
celle du mari : elle est tenue comme lui, dans les mêmes conditions
que lui. Le jurisconsulte ajoute : « nec minus (tenebitur) pater, si
11011 ignoraoerit. » Le père sera t enu s'il a eu connaissance de la
(raude. Les derniers mots sont décisifs, nous l'avons 'déjà fait r emarquer: Si Vénuleius est par tisan de l'opinion des jurisconsultes
qu'il cite, cette décision est en contradiction flagrante avec les
principes qu'on veut lui faire professer. li vaut donc mieux croire
que si une faute a été commise elle doit être mise à la charge des
compilateurs du Digeste, qui ont maladroitement altéré notre tex te
(1. 25 § 1).
b. - Quels motifs invoquait-on?
Les jurif;consultes qui donnaient action m ême contre la femme
de bonne foi alléi:,"1lient, c'est Vénuleius qui nous le dit, lorsque la
dot a été constituée par le père, que la constitution de dot contient
une véritable donation à l'égard de la femme. Ils devaient à plus
forte raison la considérer comme donataire lorsque la dot était
constituée par un extraneus. Ils faisaient remarquer sans doute que
la femme tire un profit considérable de la constitution de dot, puisqu'elle acquiert une action en restitution et que, en retour, elle
n'assume aucune charge ou du moins n' ass ume que des charges
minimes comme nous allons le voir.
Les juriscons ultes qui adoptaient l'opinion contraire devaient nier
ce caractère g ratuit à l'égard de la femme.
t• Toute donation suppose un appa uvrissement de la pal't du
donateur , un enrichissement correspondant de la pa rt du
donataire, et sinon chez les deux parties du moins chez le donateur
la volonté d'arriver à cet a ppa uvrissement de l'un , à cet appa uvrissemet de l'autre. Or, en matière de cons titution de doi sa ns doute
le constituant s'appa uvrit et la fomme s'enrichit, mais on ne trouve
pa.s l'intention de libéralité, ce lien nécessaire entre les deux autres
éléments pour qu'il y ait donation. En effet la dot est donnée au
- 75mari, et, si la lemme acquiert une action en r estitution, c'est la loi
qui la lui accorde plutôt que la volonté du constituant.
2° On aurait pu dire encore que le bénéfice recueilJi par la femme
n 'est .ras pur de toute charge. Après la dissolution du mariage elle
doit des aliments aux enfants qui en sont issus, quand ils ne peuvent pas en obtenir de leurs descendants. Dès lors on a le droit de
r egarder la femme comme n'ayant accepté cette charge qu'en considération de la dot.
3° Enfin on pouvait arg umenter de l'action que la fille a contre
son père pour l'obliger à la doter, et dire que la constitution de dot
n'est quant à lui que l'exécution d'une obligation.
De ces trois arguments le premier seul est sérieux. Le dernier
ne m érite pas un examen attentif, car la même question s'élève
lors que la dot est constituée par un extraneus. Quant au second il
ne pouvait pas avoir une grande influence: les cha rges qui pesaient
sur la femme n'étaient pas du es à to ut événement, elles n'étaient
q u'éventuelles, et lui laissaient la plus grande par tie des revenus
de la dot.
c. - Quelle est l'opinion qui a prévalu ?
Les éléments de discussion que nous donne le Digeste sont insuffi sants et ne permettent pas d'éclairer cette question :
1° Nous avons vu q ue la loi 25 dans l'état où elle nous est parvenue contient deux décisions coütradictoires (§ 1 et§ 2).
2° U n e autre loi au même titre (1. 14) d' Ulpien nous dit: « Ergo
et si fraudator pro (ilia sua dotem dedisset scienti fraudari creditores :
(ilia tenetur, ut cedat actiona de dote adversus maritum. » Si l'on
veut traduir e littéra lement ce texte, il faut supposer que le mot
scienti se ra ppor te à marito sous-entendu et dire : « Si le {ra udator
a constitué une dot pour sa fille à son gendre qui connaissait la
fraude, la fil le sera tenue et devra céder son action de dcite. ,
�-
'16 -
Ulpien semble donc sudordonner le recours contre la femme à la
condition de la mauvaise foi du mari. Ainsi entendue cette loi est
absurde et est en contr~diction avec la loi 25 § 1 : cc Quod si is ignornverit, fi/ia autem scierit, tenebitur filia. » La loi 14 a certainement dô subir une altération. On a p1·oposé une correction assez
vraisemblable, bien légère en apparence, mais qui en modifie entièrement la signification. Il faudrait lire soiente au lieu de scienii, le
mot sciente se rapporterail à filia, Ulpien exigerait la mauvaise foi
de la femme, et la loi ainsi entendue confirmerait l'opinion que nous
avons attribuée à Vénuleius.
Voilà les seuls indices que nous a laissés le Digeste : une loi dont
les deux parties sont contradictoires, une loi sur l'authenticité et le
sens de la.quelle on peut élcvel' des doutes sérieux. Dans ces conditions il est impossible de dil'e quel est le système que consacra
Justinien et il vaut mieux constater la controverse qu'essayer de
la résoudre.
DROIT FRANÇAIS
�DROIT FRANÇAIS
DU
QU A SI-USUFRUIT
APPLICATION DES PRINCIPES
DU QUASI-USUFRUIT EN MATIERE DÈ CONTRAT DE MARIAGE
PREMIÈRE PARTIE
DEFINITION DU QUASI-USUFtlUIT.
L'us ufruit, dit l' A. 578 du Code civil, est le droit de JOUÎr c
choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-mên
mai_, à la cha1·ge cl'en conserver la substance.
Si le législateur s'était rigoureusement tenu à cette définition
aurait dù reconnaitre que tous les biens ne sont pas susceptiblesd
sufruit. Il en a urait excepté les choses consomptibles, c'est-à-dire
celles dont on ne peut jouir qu'en en a ltérant et en en détruisant la
substance. Mais le législateur français ne pouvait pas se montrer
plus strict observateur des principes que le législateur romain : il
�-
80 -
devait donc, à. c'ôté de l'usufruit, reconnaitre l' existence d'un quasiusufruit, et il l'a fait dans l'A. &81 d'abord, qui porte que l'usufruit
peut être établi sur toute espèce de biens, sans disting uer s uivant
leur nature, dans l'A. 587 ensuite, où il a déterminé quels sont les
droits et les obligations de l'usufruitier de choses consomptibles.
Donc parallèlement à la théorie de l'usufruit s'est développée
la théorie du quasi-usufruit. Le nom même qu'on leur a donné montre que, si certaines ressemblances rapprochent ces deux droits, ils
ne se confondent pas cependant, et que des différences caractéristiques les séparent . Ils se ressemblent par les modes de constitution
et les causes d'extinction, qui sont les mêmes au moins en principe.
Mais deux différences essentielles les distinguent. L' a sufruitier n'a
qu' un démembrement de la propr iété, le jus ulenai-fr uendi; le
quasi- usufruitier est propriétaire de la chose. Aussi, l'un doit-il en
conserrnr la substance, et l'autre peut-il la détruire en la consommant. L' usufruitier doit, à la fin de l'usufruit, rendre la chose même
quïl a reçue ; le quasi-usufr uitier est débiteur de choses semblables à celles qu' il a re\ues, de choses de même quantité , qualité et
valeur, dit l'A. 587.
On compare souvent le quasi.us ufruit au prêt de consommation, et l'usufruit a u prêt à usage. En effet , on peut dire, sans
trop méconnaitre la vérltê, que le qual>i-\l!>ufruit est à l' usufruit ce
que le prêt de consommation est au prêt à usage. Non pas sans
do ute qu' il n'y ait aucune différence entre la situation du commodataire et celle de l'usufruitier ; mais le commodataire comme l'usufruitier , retire de la chose un avantage qui ne l'épuise pas ; comme
lui, il doit restituer la chose même qu'il a reçue. L e quasi-usufruitier
et l'empr unteur dans le mutwum deviennent au contraire propriétaires de la chose et débiteurs de chose in gener e. Il ne faut pas
croire cependant qu' on puisse les placer sur la même ligne, au point
de vue de la situation qui leur est faite. On signale trois différences :
0
1° L' usufruitier, en vertu de l' A. 601, est tenu de fournir caution i
-
81 -
l'emprunteur ne doit fournir que les sùretés expressément stipulées
~ar la_convention. 20 Le quasi-usufruit s'éteint par la mort du
titulaire du droit ; les héritiers de l'emprunteur s uccèdent aux droits
~e leur auteur .. 3° Notons enfin que les droits et obligations de
1emprunteur dé~tv~nt toujours du contrat de prêt. L'usufruit peut
ré~ult~r de la 101, d un acte à titre onéreux ou d'un acte à titre gratmt soit entre vifs soit pour cause de mort.
Nous avons,_ par les comparaisons qui précèdent, déterminé la
na~ure du quasi-usufruit; il faut encore en donner la définition. JI
d01t se définir d'nne manière différente suivant qu'on l'envisage au
moment de sa constitution ou pendant le cours de sa durée. Dans le
\re~ier ::as, c'est la translation c!e propriété des choses qui en sont
I Obj et, à la charge par l'acquéreur de restituer des ~hoses semblables, lorsque se réalisera l'une des causes d'extinction d'usufruit
applicables au quasi-usufruit. Dans le second cas, c'est le droit de
ne rendre des choses semblables que plus tard et à l'échéance en
l'une de ces causes d'extinction.
DANS QUEL CAS LE QUASI- USUFRUIT PREND-IL NAISSANCE
?
Les différences déjà sig nalées entre !•usufruit et le quasi-usufruit
montrent qu'il est essentiel de pouvoir reconnaitre dans quels cas
l' usufruit, dans quels cas Je quasi-us ufruit prendr<l naissance.
N0us verrons plus tard que l'usufruit comme le quasi-us ufrui t
peut être créé par la loi ou par la volonté de l'homme. Si le droit
dont nous recherchons la na ture doit sa naissance à la loi nous ne
le qualifierons de quasi-usufruit qu'autant qu'il portera sur des
choses consomptibles. En effet l'A. 577, qui est l'article fondamental
de la matière ne donne des règles spéciales que pour l'usufruit << qui
comprend des choses dont on ne peut faire usage sans les consom6
�-
82 -
mer ». Si au contraire le droit doit sa. naè:;sance à la -volonté de
l'homme il deyient impossible de donner une règle générale et préci e. On ~oit tenir compte en effet du principe de la Liberté des conventions. Il faudra recbercher dans chaque cas quelle est la
vnlonté expresse ou tacite soit du constituant ( actes pour
cause de mort ) soit des parties contractantes ( actes entre
vifs). Il y aura quasi-usufruit toutes les fois que les parties a uront
entendu transférer à l'usufruitier la pleine propriété de la chose.
Dans le cas contraire il y aura usufruit. De là résulte 1° Q u' une
chose non consomptible pourra ètrc l'objet d'un quasi-usufruit,
2• A l'inverse qu'une chose consomptible pourra accidentellement
faire l'objet d'un véritable droit d'usufruit, comme elle peut être
l'objet d'un commodat (L. 3 S 6 et loi 4 D. Commodati vel contra).
Et c'est là un résultat que la théorie et l' A. 587 ne repoussent pas :
c'est qu'alors, au point de vue spécit<l où se sont placées les parties,
,
on peut se servir de la chose sans la consommer.
Pourtant les auteurs déterminent ordinairement la nature du droit
d'après la nature de la chose s ur laq uelle il porte. C'est ain~i qu~
Marcadé (Te II, § 36, r ésumé du titre HI) dit que le dl'ott qui
porte rnr des choses de e-0osommation et des choses Congibl es est
un quasi- usufruit. Voyons ce qu'il y a dans cette formu le. E st
un quasi- usufruit : 1° Le droit qui porte sur des choses consomptibles. Cette proposition est tl'op étendue, puisque, si ces choses sont
naturellement susceptibles de quasi-usufruit, elles pem·ent accidentellement faire l'objet d'un droit d'usufruit. 2° Le droit qui porte s ur
des choses fongibles. Il ne faut pas confondre les choses consomptibles et les choses fongibles. Tandis que les choses sont consomptibles de leur nature, elles ne sont pas fongibles de leur nature : la
fongibilité dépend de la volonté des (Jarties contractantes. Dès lors
il est absurde de parler de choses fongibles lorsq ue l' usufruit a été
constitué par la loi, et, lor sque le droit a été créé par la volonté de
l'homme, dire que c'est un quasi-usufruit s'il porte s ur des choses
-
83 -
fongibles, c'est r econnaitre que la volonté des parties est souver aine. Ce qui est v'rai, c'est que, lorsque les parties ont considéré
les cho~es non dans leur espèce, mais dans leur genre, elles leur
~~t att~1bué le caractère de fongibilité, et manifesté en même temps
1mtent1on de constituer un quasi-usufruit.
Ces principes élémentaires sont essentiels , et leur oubli peut conduire~ de véritables erreurs juridiques . Ainsi il a été jugé que sous
le régime de cummunauté réduite aux acquets la communauté est
quasi-usufruitière des obligations au porteur que les époux possèdent au jour de la célébration du mariage. En effet, dit-on, ce sont
des choses fongibles. On oublie que la volonté des parties peut seule
donner à une chose le caractère de fongibilité, et que cette volonté
ne résulte pas de la simple déclaration que les époux se marient
so us Je régime de eommunauté d'acq uêts (Gand, 30 avril 1870,
Pasicrisie 1870, 2, 399. Comparez Laul'ent, t• 23, n• 148).
�- 85 -
DEUXIÈME PARTIE
Établissement du quasi-usufruit par la volonté
ÉTABLISSEMENT
DU
de l'homme
QUASI-USUFRUIT
CHAPITRE PREMIER
Le quasi-usufruit, comme l'usufruit, peut être établi par la loi 011
par la volonté de l'homme (A. 579). Il peut en outre résu lter, en
matière de contrat de mariage, des conventions et du ré~ime adopté
par les époux. Il peut résulter enfin de certains faits spéciaux. De là
quatre sections.
SEC:::'TIC>1'T
I
Etablissement du quasi-usufruit par la loi
Il y a quatre cas d'établiss~ment d' us ufruit pa1· la loi. Deux seulement sont communs à l'usufruit et au ')Uasi-us ufruit. Ce sont:
1° A. î 54. Dans le cas de l' A. 753 le père ou la mère s urvivant a
l'us ufruit du tiers des biens auxquels il ne s uccède pas en propriété.
2° A. 384. Le père, durant le maringe, et, après la. dissolution du
mariage, le survivant des pere et mère ont la jouissance des
biens de leurs enfants jusqu'à l'â.ge de dix-huit ans accomplis.
Si parmi les biens, dont le père ou la roèce à l'usufruit, se trouvent des c!ioses consomptibles, le quasi-usufruit prendra nais3ance
J>a1· .la volonté de la loi.
MODBS DF. CONSTITUTlON DU QUASI- USUFRUIT
Il peut être établi
1° l'ar testament.
2° Par acte entre vifs. Duranton en a douté (rv, n° 374). A l'entendre le quasi-usufruit constitué par acte entre-vifs se confondrait
a vcc le rn utuum. est une erreur évidente : parmi les différences
c·
que nous a vons signalées plus haut , deux sub istent encore et distinguent les deux situations.
Il peut d'ailleurs ètre constitué soit à titre onéreQ\'. (vente,
échange) soit à titre gratuit. Dans ce second cas, les formes ordinaires des donations s'imposent, à moins qu·on ne dissimule la
libéralité sous une apparence de contrat à titre onéreux, si l'on
admet l' opinion de la juri prudence dans une controverse célèbre.
Mais il est une forme de donations, dont on ne peut parler : ce sont
les donations faites de la main à la main, car on supposera toujours
que le donateur a voulu transférer au donatdire la propriété sa~
r harge de la chose donn ée et non con tituer seulement un quas1us ufruit.
Les mêmes modes étant communs à l' usufruit et au quasi-usufr uil , il faut rechercher dans quels cas on peut présumer que les
parties ont voulu constituer un quasi-u. ufruit.
�•
-
86 -
Il y aura quasi-usufruit :
1• Lorsque le droit portera sur des choses consomptibles.
N ous n'avons pas encore donné de définition de ces choses, nous
n'essaierons pas d'en donner une qui ne pourrait qu'obscurcir une
expression très- claire p~r elle-même. Il faut seulement consta ter
qu'on disting ue deux espèces de consommation : la consommation
naturelle et la consommation civile ou fictive. Par ces derniers
mots on entend la consommation que l'on fait de l'argent comptant.
Il y a encore consommation civile lorsque l'usage que l'on fait
d' une chose la rend incapa ble de ser vir à d'autres : en ce dernier
sens le papier est chose consomptible (Pothier , du prêt de consommation n• 26).
Remarquons encore que l'on ne doit pas faire entr~r clans c~tte
catégorie les choses qui, sans se consommer de s uite, se détériorent peu à peu par l'usage (linges, meubles meublants). Nous
verrons plus tard si l'usufruitier a le droit d'aliéner seul de semblables choses, mais il est dès à présent certain qu'il n'en est pas propriétaire (A. 589, A. 1566). Il faudrait donc refuser a ux créanciers
de l'usufruitier le droit de le saisir.
2° Lorsque les parties auront considéré les choses non au point de
vue de leur individualité, mais âans le genre auquel elles appariienneni ; en d'autres termes lorsque le droit portera s ur des choses
fongibles.
I ci se pose une question. F a ut-il considérer un fo nds de commerce comme une chose fongible et dire que l'us ufr uitier en est
propriétaire? Proudhon Wm n• JOJO et s.) n'en fait pas doute. Il
coD!tate qu' un fonds de commerce se com pose de marchandises, et
n' hésite pas à appliquer la régie de l' A. 587. Cette théorie est inadmissible. On ne peut pas dire que le fonds de commerce se compose
exclusivement de marchandises . A côté d'elles se trouvent des
instruments de fabrication, des objets serva nt à la vente et s urtout
une clientèle. Il semble donc qu'on devrait appliquer à chacun qes
- 87 éléments qui composent le fond les règles spéciales qu'il comporte,
et reconna ître que l' usufruitier sera propriétaire des marchandises en vertu de l' A. 587, qu'il pourra se servir des instruments de fab rication en vertu de l' A. 589. Mais, s'il en est ainsi , à
quelles règles va-t-on soumettre l'usufruit de la clientèle ? Le code
est muet sur un sem blable droit, et de nouvelles difficultés s'élèvent. En outre, l'application de I' A. 589 conduirait à une injustice;
l'usufruitier serait quitte envers le constituant en lui restituant les
objets de fabrication détériorés, anéantis presque par l'usage qu'il
en a urait fait. E nfin cette manière d'envisager les choses n'a rien
de juridique: le constituant n'a pas voulu crier trois usufruits distincts, us ufruit de marchandises, usufr uit d'outils, usufruit de la
clientèle : il a créé l'usufruit d' un fonds de commerce considéré
dans son ensemble, et, si l'analyse peut décompO!er le fonds en
trois éléments, elle ne peut pas décomposer de même le droit de
l' usufr ui tier. Il faut donc reconnaitre avec les auteurs les plus
récents que le fonds de commerce est un corps universel ( universumi jus) dont l' usufruitier n'aura que la jouissance et non la propriété.
3° Lorsque les parties ont esiim.é la chose, ont-elles entendu créer im
q1tasi-us ufruil ?
La so lution de cette question dépend de l'effet qu'on attache à
l'estimation . Repousse-t-on le brocard : <c !Estimatio facil uenditionem, » rien n'est changé atLx règles ordinaires de l'u ufruit. i
au contraire on !'admet, il vaut la peine de rechercher les conséquences del' estimation. Supposons que Primus donne à Secundus
l' u ufruit d'un cheval. Les parties estiment le cheval cent et conviennent que l'estimation vaut vente. ecundus sera propriétaire
du cheval et à l'extinction de l'usufruit devra restituer cent. En
réalité les parties n'ont pas constitué un usufruit sur le chen~,
rnn is un quasi-usufruit sur cent: le contrat constitutif de l'usufruit
a rendu 8ecundus actuellcrncnL créancier de cent, éventuellemen~
�•
-
88 -
débiteur de la même somme. Pour acquitter sa dette, Primus a
donné son cheval. Donc pour être rigoureusement exact, on devrait
dire non pas que t' estimation vaut vente , mais qu"elle vaut dation en
paiement. Mais on ne doit pas oublier que le législa teur assimile la
dation en paiement et la vente (A. t 595).
De cette analyse il résulte que:
1° Si l'objet estimé n'est pas une chose consomptible, les parties
auront substitué un quasi- usufruit à l'usufruit.
2° Si l'objet estimé est une chose consomptible, rien ne sera
changé à la nature du droit, mais son objet ne sera pas le même.
Au lieu de porter sur des denrées par exemple, il portera s ur de
l'argent. Aussi lorsqu'arrivera la fin de !'Usufruit, !'Usufruitier
devra restituer de l'argent et n'aura pas le choix que certains
autew·s prétendent lui accorder. No us aurons donc une première
raison pour trancher une controversE: que nous examinerons plus
tard.
Voilà l'intérêt de la question. Mais quelle solution faut-il lm donner? Il y a une hypothèse, qui doit être mise hors de cause. Il est
certain que l'on ne doit pas attacher à l'estimation les effets d'une
vente toutes les fois que les parties ne r ont faite que pour se
conformer à l'ordre de la loi. Or, la loi impose l'obligation de faire
un inventaire estimatif dans deux cas : J• a u père tuteur et usufruitier légal des biens du mineur (A.453), 2° au donateur d'effets mobiliers (A. 948- 950).
En dehors de ce cas, la question est embarrassante, et on constate entM les auteurs des divergences assez notables: c'est qu'en
effets les contractants en estimant la chose ont pu poursuivre différents buts et leur intention n'est pas certaine. P eut-être ont-ils
voulu que l'estimation vaille vente (arg. A. 155 1-185 1), peut-être
que celui qui recevait la chose, sans devenir propriétaire, courût
les chances de la perte (Arg. A. 1883-1822), peut-être ont-ils voulu
fixer par une clause pénale la somme dont 1' usufruitier sera débi-
-
89 -
teur si la chose périt par :sa foute, peut-C:tre enfin ont-ils seulement
voulu déterminer la valeur sur laquelle l'enregistrement calculera
les droits à percevoir.
Parmi ces hy pothèses il en est une qu'on doit rejeter sans plus
am~le exa~~n : il est impossible de mettre les risques à la charge
de l usufru1t1er sans le rendre propriétaire et voir en lui un quasiusufruitier. Sans doute de ux fois dans d'autres matières la loi a
interprété ainsi la volonté des parties. Mais si on doit appliquer les
A. 1882-1883 a ux espèces pour lesquelles ils ont été écrits, on ne
peut pas les étendre par voie d'analogie. Ils constituent en effet
des dérogations plus ou moins légitimes au principe doctrinal de
l'A. 1302. Or, les exceptions sont de droit étroit et il nous est
impossible de les étendre sans un texte formel ou une convention
expresse.
Mais écarter une hypothèse parmi celles que nous avons proposées n'est pas déterminer celle à laquelle on peut s'attacher. La loi
ayant dans un certain nombre d'articles appliqué ou repoussé le
principe : /Estimatio {acit.. .. peut-être pourron!>-nous trouver un
principe certain en étudiant ces décisions et les motifs qui les ont
inspirées.
1° A. 1551-1552. Ces articles supposent que par leur contrat de
mariage les époux ont estimé les valeurs mobilières ou immobilières que la femme dotale apporte en dot. Pour les valeurs mobilières, ils présument que l'estimation vaut vente, pour les valew'S
immobilières, ils repoussent cette présomption. Pourquoi cette
décision? La femme a intérêt à rendre le mari .:iuasi-usufruitier de
ses rn leurs mobilières, au moins quand ces 1·nleurs sont des meubles corporels, et c'est surtout de ces meubles que se préoccupe le
législateur de 1804 : elle ne sera plus exposée à se 1·oir restituer de
meubles usés et détériorés. D'autre part le mari n'a pas un intérêt
contraire; propriétaire des meubles dotaux, il pourra les aliéner·
S'il les a liène, iJ ne souffrira p~ des détériorations ; s'il les garde,
�90 -
-91 -
on doit supposer qu'il y est intéressé à raison de l'usage qu'il en
On a YI) que le quasi-usufruit C"t il r usufruit ce que le muiuum est
au commodat, aussi semble-t-il qu'on trouve ici toute faite la règle
que nous cherchons. Néanmoins on ne peut pas appliquer à notre
espèce I&décision de l'A. 1883. Nous avons vu qu'on ne peut pas
rn~tire la chose aux risq ues do l'usufruitier sans lé rendre propriétaire. On ne peut pas davanta~e invoquer l'A. l 883 pour nier la
translation de propriété. On comprend que la loi n'admette pas facilement la transformation du comrnodat en mutuum : de tout temps
ces deux contrats ont été di!!tingués avec soin, le sens de ces deux
expressions ne laisse place à aucun doute, et lorsque les parties ont
dit commodat, elles ont exclu le mutuum. Il n'en est pas de même
de l'usufruit et du quasi-usufruit. Le quasi-us.ufrmt n'est pas d'ordinaire regardé comme un droit distinct de l'usufruit : on le considère seulement comme une modification, une variante de ce droit :
le mot de quasi- usufruit en est la preuve. Bien plus ce mot n'est
employé que par la doctrine, et est inconnu de la loi et de la pratique : le terme d'usufruit embrasse dans sa généralité les droits
d' usufruit et de quasi-usufruit (Arg. A. 581). On peut donc conclure
que lorsque les parties se sont servi du mot d'usufruit, elles n'ont
pas exclu toute idée de quasi-usufruit.
On voit donc que l'étude des articles où la loi a tranché expressément la question ne conduit paf> à des règles bien certaines. Tout
au plus a-t-on le droit de dire, et c'est un résultat qu'on eQt pu préYoir à l'avance, que l'estimation yaudra vente, si les deux parties
y ont intérêt, qu'elle ne vaudra pas vente si aucune d'elles n'est
intéressée à la translation de propriété. Mais qu'en sera-t-il lorsque
l'intérêt du quasi-usufruitier sera opposé à celui du constituant? La
que tion reste douteuse. Cependant on peut affirmer,
l 0 Que l'estimation des immeubles n'en transfère pas la propriété
à moins d'une clause expresse.
En effet le constituant a intérêt à rester propriétaire, il aura
ainsi un droit réel qui le mettra à l'abri de toutes chances d'insol-
-
veut faire.
Quant aux immeubles, le mari aurait intérêt il. en devenir propriétaire : mais alors la femme aurait à craindre son insolvabilité.
De plus la dot immobilière -est autrement bien garantie que la dot
mobilière.
2• L'A. J851 suppose que les associés apportent certains biens
à la société pour la jouissance seulement. La société en sera propriétaire lorsqu'ils auront été estimés.
Ici l'estimation vaudra toujours vente, qu'il s'agisse de biens
mobiliers ou immobiliers. Mais c'est une décision qu'on ne peut pas
étendre, car elle est inspirée par des raisons spéciales au contrat
de société. Si la société devient propriétaire, c'est que créée dans
un but de spéculation elle a besoin d'un pouvoir étendu sur l'apport des associéS.
Au contraire l'estimation ne vaut pas vente :
l 0 En matière de cheptel simple (A . 1805). C'est que personne
n'a intérêt à lâ translation de pr opriété : ni le cheptelier, qui en
devenant propriétaire serait débiteur de choses in genere et courrait
les risques, ni le bailleur, qui n'aurait pour la restitution de la chose
qu'une simple action personnelle souvent insuffisante contre les
chepteliers, hommes de situation humble.
2° En matière de cheptel de fer (A. 1822-522). Ici encore le bailleur a intérêt à rester propriétaire. Si le fermier devenait propriéta ire le troupeau perdrait sa qualité d'immeuble par destination.
Meuble et propriété du fermier, il pourrait être saisi pour une dette
de ce dernier, et la culture du fonds serait compromise.
3° En matièr.e de cornmodat (A. 1883). Uest.#rnn.tion ne transfère pas la proprié~é à l'accipien.s : elle met ~ chose à ses risques.
Si l' Q,ccipiertt n.e devient pas propriétaire, c' c~t qu'il est de 1' essence
du comcu~t q:qe le prAteur conserve li\ proprÎé.té.
�92 -
- 93 -
vabilité de l'usufruitier : sans doute il courra les r isques de dépré· s·t l·i·mmeuble augmente de valeur, il en profitera. Son
. ·
mais,
ciatton,
intérêt est donc trop g rand pour qu'on puisse facilement admettre
qu'il a voulu le sacrifier : d'ailleurs, dans l'esprit de l~ loi,. on ne
peut pas présumer l'intention de se dépouiller de la propriété immo-
au moment de la constitution on sache laquelle, étant intéressée a
ne pas adopter le brncard œstimatio facit ... , toutes d'eux doivent
être d'accord pour l'écarter.
-
.
.
1.ière (Arg. A. 1552).
2• Quel sera !•e ffet de l'estima i.ion des meubles qui se détériorent
par !•usage (A. 589) ?
On peut soutenir avec Duranton (T. rv, n° 579) ~ue l'estimation
en transfère la propriété. L'A. l 551 vient à l'appui de cette théorie et toutes les remarques faites pour le justifier trouvent ici leur
place. On pourrait donc l'étendre sans témérité. Néanmoins les
auteurs adoptent généra lement l'opinion contraire (Demolombe X,
468. Laurent. VI, 410).
3° ~feubles qui ne ·e détériorent pas par l'usage qu'on en fait.
oit une créance par exemple. Une question préliminaire se pose :
quand y aura-t-il estimation ? Fa ut.-il dire que, la créance portant
en elle son estimation la propriété en sera toujours transférée? Un
auteur l'a soutenu en matière de régime dotal (Odier III, 1227) . C'est
une erreur manifeste. Si l'estimation vaut vente, c'est par interprétation de volonté : il faut donc toujours une clause estimative
faisant présumer l'intention de transférer la propriété .
Primus donne à Secundus l'us ufruit de sa créance de 1,000 francs
s ur Tertius. On ne peut pas encore dil'c qu' il y a estimation : c'est
une simple indication, une désignation plus précise de la créance
rRodière et Pont, n° 1668).
Enfin les parties peU\·ent estimer la r réance à une somme difîérente de son monta nt. On ne peut guère soutenir que t'estimai.ion
vaut vente: l'intérêt de l'us ufruitier el. celui du constituant sont trop
douteux. Si le débiteur paie, l' usufruitier y aurait sa ns doute intérêt,
mais le constituant aurait un intérêt contraire. S i le débiteur ne
paie pas, il faudrait dire l'inverse. Donc l'une des pa rties, sans que
Cette décision ne doit pas être restreinte aux créances, il faut
l'étendre à tous les meubles qui ne se détériorent pas par l'usage et
notamment aux fonds de commerce. Le constituant a un trop grand
intérêt à conserve1· la propriété du fonds, car si l'usufruitier fait de
mauvaises affaires ses créanciers ne saisiront que l'usufruit et il ne
s ubira pas leur concours (Aubry et Rau II, page 527, note 6).
D' ailleurs par l'estimation qu'elles ont faite les parties ont simplement entendu faciliter un règlement de comptes assez complexe au
moment de la cessation de l'usufruit (Laurent VI, 423).
.Nous venons de déterminer les cas où l'estimation vaut vente, il
faut voir quelles sont les conséquences de cette idée de vente lorsqu'on l'admet :
1° L'usufruit est transformé en quasi-usufruit.
2° L'action ep restitution du constituant sera-t-elle garantie par
le pri vilège du vendeur et l'action en résolution de l'A. 1654? Nous
retro,u verons plus loin cette question).
3° Si la chose estimée est un immeuble et si l'estimation fait subir
au constituant une lésion supérieure aux 711 2 de la valeur de l' immeuule estimé le constituant aura- t-il l'action en rescision pour
lésion des A. 1ti74 et suivants ?
)
Au premier abord, il semble que le principe de l'A. 1674 s'impose. Supposon un débiteur de somme d'argent qui, pressé par le
besc,in et menacé de poursuites, donne a son créancier un immeuble
en paiement ; il n'y a pas de rai on pour lui défendre dïnrnquer
notre article. Or, lorsque l'estimation vaut vente, nous avons ainsi
analysé l'opération : !° Constitution de l' usufruit sur une somme
d'a1·.~ent; 2° Da tion en paiement de la chose. Les deux hypothèses
semblent donc être identiques et comporter la méme solution.
Néanmoins elles présentent une diŒérence essentielle. Dans la pre-
�- 95 -
- 94 mière on constnte l'existence de deux actes juridiques complètcmentdistincts et séparés: création d' une dette et dation en paiement.
Dans la deuxième ces deux actes ne sont distincts ni en fait, ni dans
l'intention des parties. La dation èn paiement n'est plus un pacte
ex intervallo, mais un pacte in Cônllnenti. Dès lors inltaetet contrac-
tui. De là des différences dam~ les solutions.
1° L'acte constitutif est un acte h titre gratuit. I l n'est permis de
parler m de besoin presc;ant du donateur, ni de lésion éprouvée par
lui. Il fait une donation et pe1:1t la foire plus ou moins large . Donc
s'il n'estime pa l'immeuble à sa vraie valeur, il fait un avantage
consid.érable au donataire, mais ne souffre pas un préjudice dont il
puisse se plaindre.
2° L'acte constitutif est à titre onéreux ; l'hypothèse sera rare,
mais elle peut se présenter.
L'acte constitutif est un échange. Ex. : Primus donne à Secundus l'usufruit de sa maison qu'il estime à un prix très-bas. Secundus
donne sa maison à Primus . L'A. 1674 est inapplicable. Il suppose
en effet que l'acte incriminé est une vente; or ici cet acte est un
échange avec soulte, puisque Primus, en retour de sa maison, teçoit une autre maison et une créance à terme.
L'acte constitutif est une vente. Ex. : Primus vend 10,000 fr. à
Secundus l'usufruit de sa maison qui vaut 60,000 fr. et qu' il estime
14,000. En pareil cas la rescision est possible en principe ; mais il
ne suffi.ra pas que les parties aient estimé l'immeuble à moins des
sept douzièmes de sa valeur, il faudra que Je montant de l'estimation, auquel on ajoute le prix de l'usufruit, soit inférieur aux sept
douzièmes de la valeur réelle.
4° Si le constituant n'est pas propriétaire de la chose livrée, quel
sera le droit de l' usufruitier? Il pourra, dès qu'il sera évmcé, agit•
en garantie contre le constituant, et cette action sera soumise aux
règles des A. t 626 et suivants. Il pourrait même, sans attendre
qu'il soit évincé, agir en vertu de l'A. 1599.
le , mê me droi"t , s1· l' acte constitutif est à titre graaura-t-il
.
tu 1t . L~ question n est pa:; douteuse, si on se rappelle ce qui vient
~· ~tre d1_t. à la pagé 9J. Le donateur n'est pas tenu à garantie : donc
1us ufru1t1er ne pourra pas agir contre Je constituant. Mais aui:isi ce
dernier_ne _po urra, après l'arrivée des évènements de l'A. 617, agir
en rest1tut1on qu'autant que l'usufruitier aurait acquis la chose par
prescription et invoqué cette prescription.
.Mais
9
Nous donnerions uoe solution différente et reconnaitrions à l'usufruitier le droit d'agir en garantie : t• En matière de constitution de
dot (A. 1440- 1547). 2° Si, par un premier acte, Primus donne à
Secundus l'usufruit de 100, et par un second acte fait plus tard lui
donne en paiement une chose qui ne lui appartient pas. (Voir
page 93).
5° Les parties pourraient-elles convenir que l'estimation- vaudra
ou ne vaudra pas vente, au gré soit de !'usufruitiers soit du constituant ? TI n'y a aucune raison pour nier la validité de cette clause.
Mais alors , sur la tête de qui va résider la propriété de la chose,
qui courra les risques de détérioration totale ou partielle? Pour répondre à cette question, il suffit d'appliquer les principes sur les
promesses unilatérales de vendre et d'acheter. TI peut arriver que
le choix soit laissé :
.\. l'usufruitier. - C'est une promesse unilatérale de vendre, et
je crois : 1° Si l'usufruitier accepte l'idée de vente, il sera propriétaire du jour de son acceptation, mais sans rétroactivité. 2° Si la
chose pèrit ou se détériore, l'usufruitier ne voudra pas accepter
l'idée de vente, et les risques sont à la charge du constituant.
Si le choix est laissé au constituant, c'est une promesse unilatérale d' arbeter : l 0 Du jour où Je constituant aura opté, l'usufruitier
sera propriétaire mais sans rétroactivité. 2° Les risques de la perte
totale seront ù la charge du constituant, car son adhésion à la vente
se manifesterait trop tard après la perte de la chose. Les risques de
la perte partielle seront, au conLrnire, à !a charge de l'usufruitier,
car l'adhésion du constituant se produirait en temps utile.
�96 -
CHAPITRE II
-
97 -
SECTJ:ON
J:J:J:
Du Quasi-Usufruit résultant des conventi
.Des modalités du Quasi - Usufritit
Les mêmes modalités, qui peuvent affecter l' usufruit, pourront
également affecter le quasi-usufruit. Il peut donc être établi p11rement et simplement, sous condition , avec ou sans charge, à partir
d'un certain jour, j usqu'à une certaine époque.
Mais l'usufruit ne peut être établi ni pour un temps plus long que
la vie de l'usufruitier, rù au profit d'unP- personne morale pour plus
de trente ans. Ces modalités seront permises en matière de quasiusufruit. Les décisions précédentes reposent sur les inconvénients
de la di vision de la propriété, et à cc titre les A. 617-6 19 sont d'ordre public. Mais dans le quasi-usufruit, la propriété n'est pas démembrée, le quasi-usufruitier est propriétaire et débiteu r . Or rien
n'empêche de créer des dettes à terme et à aussi long terme que les
parties le désirent.
Mais en pareil cas on s'éloigne de l'idée d'usufruit pour se rapprocher de l'idée de m.utuum, car le droit de l'u~uir uitier devient transmissible à ses héritiers. Néanmoins on retrouve encore la différence
d'origine que nous a\•ons déjà signalée. (Le mutuum est un contrat,
l'u~ufruit a des sou rces diverses). De plus l'usufruitier sera tenu de
fournir caution.
matrimoniales.
On dit souvent que la communauté est usufruitrière des propr(
des époux, et que le mari est usufruitier de tous les biens de
femme so us le régime sans communauté, des biens dotaux seulemer
sous le ré~ime dota l. Cet usufruit dérivant des conventions expre
ses ou tacites des époux est un usufruit conventionnel. Il semb
donc que nous eussions dù en parler à propos de l'établissemei
du quasi- usufruit par la volonté de l' homme. Pourtant cette théor1
n'aurait pas été à sa place. Les droits de la communauté ou du ma
ne sont pas de même na ture que ceux d' un usufruitier ordinairl
L es auteurs sont assez généralement d'accord pour ne pas y vo
un usufruit proprement dit. Pour eux le mari n'est pas un usufru
tier, c'est un administrateur qui a la jouissance des revenus (Demc,
lombe X, 236. - Aubry et Rau II, page 4ï0 , n• 8) (1).
Néanmoins il est certain que la communauté (A. 1401 2°, 140
1409 4°) et le !Bari (A. 1530, 1532, 1549, 1562) sont, d'une manière
générale et sauf quelques différences de détail, dans une situation
semblable à celle d'un usufruitier. Il pourra donc arriver qu'ils
soient dans une situation semblable à celle ?'un quasi-usufruitier.
(1) Voir à la page 116 en note la conséquence qu'on a voulu tirer de cette
idée.
7
�-
98 -
CilAPITRE PREMIER
DE LA COMMUNAUTÉ LÉ GALE
La communauté est usufruitière J es propres des époux (A. 1401
2o). Lorsque par application des principes que nous avons étudiés
elle en est quasi-usufruitière, les propres sont qualifiés de propres
imparfaits par opposition aux propres parfaits qw restent la propriété des époux. Les propres imparfaits sont donc ceux qui entrent
dans la communauté en laissant à l' époux. un simple droit de créance.
Nous allons étudier quels sont ces propres imparfaits et à cet effet
nous rechercherons d'abord quels sont les propres, et ensuite parm i
eux quels sont ceux qui nous occupent.
li y a deux catégories de propres :
Les propres immobiliers, qui ne peuvent ètre l'objet d'un droit de
quasi-usufruit qu'autant qu'ils ont été estimés ; or il est imposs ible
de prévoir ce cas en matière de communauté légale.
Et les propres mobiliers, qui seront fort rares. Car aux termes de
l' A. 1401 « la communauté se compose activement 1° de tout le
mt•bilier présent et futur des époux. » Néanmoins on peut en trouver: c'est ainsi que l' A. 1595 2° park de deniers propres à la femme,
et l'A. 1401 lui-même après avoir posé le principe y apporte une
exception.
Sont propres :
1° Le mobilier donné ou légué à l'un des époux à condition qu'il
soit propre (A. l 401 l 0 ) .
2° Les traitements, dotations, pensions et rentes que la loi déclare incessibles et insaisissables.
-
99 -
. 30 Les ob! ets mo biliers autres que les fruits qui pendant le mapropre à r un des é poux ou qui. lui.
riage sont
.
. tirés d'un immeuble
sont attribués en sa qualité de propriétaire d'un pareil immeuble.
4• Toutes les valeurs mobilières substituées pendant le mariage
aux pr:>pres de l'un des conjoints.
les propres mobiliers. On pourrait soutenir comme on l' a
Voilà
.
fait en mati ère de communauté conventionnelle qu'ils sont tous des
propres i~parfaits. Mais ce sernit une enenr manifeste. Les principes sont bien connus : un usufruitier ne devient propriétaire des
biens dont il a l'usufruit que dans des cas exceptionnels étudiés plus
haut, et ces principes ne viennent pas, comme en matière de communauté conventionnelle, se heurter à des textes (A. 1503) que
certains auteurs leur trouvent contraires, et qui sont tout au plus
ambigus. Bien plus on peut citer trois textes qui corroborent cette
opinion :
L'A. 14.01 met deux catégories de biens hors de la communa•Jté
certains meubles (A . 140 1 1°) et certains immeubles (A. 14.0 1 3°).
Or l'article ne fait aucune distinction entre ces deux classes de propres : le mo')ilier doit donc rester propre au mème titre que les
immeubles, et personne ne so utient que la communauté est propriétaire des propres immobiliers.
L'A. 1428 donne au mari le droit d'exercer seul les actions
mobilières qui appartiennent à la femme: 01· si tous les propres
mobiliers étaient des propres imparfaits, l'A. 1428 denait parler
non des actions mobilières qui appartiennent à la femme, mais des
actions qui lui appartenaient au jour rie la célébration du mariage.
De plus, le mari les exercerait non en qualité d'administrateur des
propres de la femme, mais en qualité de chef de la communauté.
Cette disposition ne serait donc pas à sa place dans l' •.\ . 1428, elle
aurait do. se trouver aux .\ . l421-l42t.
Enfin l' A. 14.33 fournit un dernier argument. li suppose un immeuble propre vendu , et ne donne à l'époux propriétaire droit à
�•
-
100 -
-
une récompense que lorsque le prix en a été versé dans la communauté. c·est dire que r époux reste propriétaire de la créance du
prix comme de l'immeuble lui-même; car si la communauté était
quasi-usufruitière de la créance l' époux devrait a voir droit à la
récompense du jour de la vente et non du jour où le prix a été
101 -
CHAPIT~
1
II
1
pa3ré.
On pourrait nous opposer l'A. 1403 , mais nous allons voir comment on doit l'interpréter.
En résumé 1 la communauté ne sera en principe qu'usufruitière
des propres mobiliers. Pourtant elle sera quasi-usufruitière des
objets mobiliers dont ·on ne peut faire usage sans les consommer (1).
Fa.ut-il en dire autant des objets mobiliers destinés à être vendus ?
Telle est l'opinion de Marcadé CV, A. 1408) Aubry et Rau (V, p.
290) et Rodière et P ont (n° 1275), qui semble s'appuyer sur l'A.
1403 . Cet article n'est pourtant pas décisif. Sans doute il semble
dire que les produits des mines et c8:rrières ouvertes pendant le
mariage tombent dans la co1nmunauté à charge de récompense.
Mais l'objet de cette disposition n'est pas de déterminer la nature
du droit de la communauté sur ces choses; l'article a simplement
pour but d'empêcher de confondre ces produits avec les fruits.
Aussi ne refuse-t-il pas à l'époux le droit de réclamer en nature les
produits qui existent encore à la dissolution de la con1munauté ·l
il réserve seulement son droit à une récompense au cas probable
où ils ont été vendus (Laurent 2 1 n° 287). L'A. 140:~ étant étranger
à la question, il faut la trancher à l'aide des principes généraux et
dire: ces produits sont des propres parfaits, mais, comme ces pro!'.>res sont destinés à être vendus, le mari soit en son nom propre,
soit en qualité d'administrateur des biens de la femme , pourra les
aliéner seul, alors même qu'ils appartiendraient à celle-ci. (Colmet
de Santerre, VI n° 71 bis X.)
1
(1) Voir la note 1 de la page 116.
DE LA COMMUNA OTÉ CONVENTlONELLE
Les conventions qui modifient la communauté léo-ale varient. à
l'infini . .Nous ne pourrons donc pas les examiner ~outes. Parmi
celles dont s'occupe le code (A. 1498-1 526) celles qui modifient
r~ct~ mobilier de la communauté sont les seules qui méritent
d attirer notre attention. Toutes les autres sont étrangères au sujet
de cette étude.
Les conventions qui affectent l'actif mobilier sont ainsi classées
par le code : 1° Communauté réduite aux acquêt~ ; 2° Clauses qui
excluent de la communauté le mobilier en tout ou partie. Tel n'est pas
l'ordre que nous sui vrons. Nous étudierons : 1° Les clauses de
réalisation expresse. Elles peuvent être, soit à titre particulier, soit
à titre universel (A. 1500 1°). Dans cette seconde catégorie on
peut faire entrer la communauté réduite aux acquèts. Il est vrai
qu'on a prétendu signaler entre la clause de l' A. 1500 1° et celle de
l' A. 1498 une différence essentielle (Troploog III 194~ ). Mais cette
différence, ne portant que sur le passif nous intéresse peu. En
réalité ces deux clauses n'ont qu' une différence d'origine ( L).
2° Les clauses de réalisation tacite, c'est à dire les clauses d'emploi
et d'apport.
(1) Laurent signa le une aut re diOët·en~0
(A . 1499- l50t1). Nous retroL1verons coht.
:u1
point de
Ytte
de la preu"e
�-
102 -
ART ICLE PREMIER
Des claiises de réalisation expresse.
1° R éalisation de certa ins meubles spécialement déterminés .
Sont propre~ : 1• To us les meubles propres sous le r égime de communa uté légale ; 2° L es meu bles réa lisés.
.2° R éalisation des meubles présents et fu turs ou communauté
réduite aux acquêts.
Sont propres : 1° Les meubles propres sous la comm una uté
légale ; 2° Les meubles q ue les époux possédaient au jour de ln
célébration du mariage (A. 1498); 3° Les meu bles futurs (A. 14!18 ).
Il faut cor riger sur ce point le premier paragraphe de 1 A. 1498 par
son deuxième et lire : le mobilier fu tur acquis à titre g ratuit.
3° R éalisation des meu bles pr ésents seu lement o u fu turs seulement. Sont propres : 1° Les meubles propres sous le régime de
communa uté légale ; 2° Les meu bles présents dans le p remier cas ,
ceux qu'ils ont acquis à titre g ratuit postérieur ement à la célébration du mariage dans le deux ième.
Voilà les propr es. Quels seront les propres impa rfaits? I ci se
place une controverse q ue no us avons déjà annoncée. Avant d' aborder la discussion d'une question, o ù les so uvenirs de l' ancien droit
jouent, comme nous le verrons, un rôle important, il est intéressant
de rechercher quelle était sur ce point l' opinion de nos anciens
auteurs. D'après P othier (n• 325) la comm una uté serait to ujours
propriétaire des propres mobiliers des épo ux. Il étab lissait en effet
une différence entre les propres conventionnels o u fi ctifs (pro pres
mobiliers) et les propres réels (propres immobiliers), et enseignait
que, tandis q ue l'époux conser vait la propriété des seconds, les
pr emiers entraient a u contrair e ('n communauté, le droit de l' époux
consistant seulement en une cr éance ayant pour objet la r eprise de
-
103 -
leur va leur . Bourjon (D,.oit commun rfe la France) est par tisan de
l'opinion de Pothier. Il pré<:ieote toujours la stipulation de propres
comme se résolvan t en une r eprise du montant du mobilier, c'est-àdire en une somme d' argent. D uplessis enfi n (Traite de la communau té t. l pages 362-427) donne à l'époux une simple action en
r ep rise. On voit donc que Pothier n'était pas seul à défendre son
système; il était pou rtant loin d'avoir en sa faveur l'unanimité des
jurisconsultes et on constate de nombr euses divergences. C'est
ainsi gu'Auroux des P om miers (Coutumes di~ Bour bonnais t. J pages
334 n° 2,468 n° 4) dit« que les meubles et effets mobiliaires réser vés
de natu re des propl'e sont repris hors part et sans confusion,
comme n' entrant pas en communauté. i> Renusson n'était pas
moins explicite. Dans son traite des propres 1Page 278 n°' 10 et 11)
il examine succe sivcmenL deux q ue tion gui ne sont que des cas
par ticuliers de la nôtre. Après avoir établi (n° 6) que les pratiques
des procureurs et notai1·es sont purem<>nt mobilières à la différence
des offices et qu'on peul les stipuler propres en sr mariant (n• 7),
l'auteur passe à l'application de celte clause, et distingue sui\•ant
qu'elle a_été accompagnée ou nom d'estimation. « Au premier cas,
dit- il, la stipulation de p1·opre est déterminée par l'estimation, et ce
ne sera que le prix de l'estimation qui sera propre. ~lai si la pratique a été stipulée propl'e purement et simplement et qu'il n'y en
a it point eu d'estimation, en ce cas c'est la pratique en soi qui e t
stipulée propre, et elle appartient au mari ou à ses héritiers en
t' état qu'elle est ou qu'elle se tt·o urnra au temps de la dissolution
du mariage. » Arrirnnt it une autre espèce, il pour:rnit : « De rnème
un trou peau de moutons peut èlre stipulé propre.. .. '"il n'y a point
d'estimation et ï ue le nomb1·e ait été déterminé, comme quand on
ex prime dans le contrat que c'est un trou peau de cent mouton ,
ce sera le nombre de cent mouton· qu i sera propre. i le nombre
augmente celui des conjoints au profit duquel la. stipulation a été
faite ne reprend1·a que le nombrn de t•ent moutons, le surplu sera
�-
104 -
pour la communauté. Si le nombre diminue, il prendra ce qu' il
trouvera et sera indemnisé de ce qui manque du n0mbre sur la
communauté. Mais s'il n'y a point d'estimation ni de nombre déter miné, c'est le troupeau en soi et en l'état qu'il se trouvera, qui sera
propre. » Ferrière (Commentaire sur la coutume de Pads , III, 1372)
partageait la même opiiùon: « Si les meubles apportés par la femme
se trouvent en nature et compris dans lïnventaire qui en au rait été
fait avec stipulation de reprise en cas de renonciation à la communauté, elle pourrait les revendiquer. C'est le sentiment de Charondas
sur l'A. 172 et de Brodeau au même lieu, ce que je crois indubitable. » On a souvent cité Lebrun comme adhérant à l'opinion de
Pothier. Le passage suivant montre au contraire qu'il la combattait. cc Pour ce qui est des meubles dont la valeur consiste principalement en poids, en nombre et en mesure, comme du blé et du
vin, nous ne nous éloignons pas du droit Romain, et sans qu'il en
ait été fait aucune estimation, il suffit qu'on en ait donné la dot au
mari, et il est tenu de rendre le prix à la fin du mariage, lorsqu'il y
a une clause de reprise. Pour les meubles dont la valeur dépend
principalement de leurs qualités (diamants, tableaux, tapisseries) ,
ils ne sont point censés vendus au mari, s'ils n'ont été estimés par
le contrat de mariage, et il semble que le mari les peut rendre tels
•
qu'ils sont à la fin du mariag-e en exécution d'une clause de reprise. >>
(Lebrun, l. II, ch. JI sect. IV, n° 51).
De nos jours deux opinions principales se sont produites dans
cette question. Dans une première opinion (so utenue par Merlin et
autres jurisconsultes cités par Aubry et Rau t. V, p. 455, note 26)
on affirme que tous les propres mobiliers sont des propres imparfaits : la communa uté en serait toujours propriétaire. Cette opinion
invoque l'autorité de Pothier: on fait encore remarquer que l'A.
1428, interdisant au ma ri l'aliénation des immeubles de la femme,
lui permet par là même d'aliéner ses meubles, ce qui ne peut s'expEquer si la femme en conserve la propriété. No us verrons plus
-
105 -
loin si l'autorité de Pothier suffit i1 faire admettre ce système. Mais
il est impossible d'en voir la consécration dans l'A. 1428: nous
avons dans cet article (page 99) trouvé la preuve que la communauté légale n'était pas propriétaire des propres mobiliers de la
femme (A. 1428 2°). Il serait donc bizarre que son troisième paragraphe fit admettre un système que le deuxième repousse. Et en
effet la question de propriété ne se confond pas avec celle de la
validité des aliénations faites par le mari. Pour nous l' A. J428 ne
donne pas au mari le droit d'aliéner les propres mobiliers de la
femme: mais lui donnerait-il ce droit, on ne pourrait pas encore
affümer que l'article l'autorise à les aliéner en qualité de propriétaire. E st-il donc impossible de voir en lui un administrateur ayant
des pouvoirs extrêmement étendu. ? Le tuteur dans l'opinion gènérale a le droit d'aliéner les meubles du mineur , en est-il propriétaire?
On voit que quelle que soit l'interprétation qu'on donne à l'A. 1428
il est et demeure étranger à la question.
On invoque aussi l'A. 1503. Il eo résu lte certainement que la
communauté est dans certains cas quasi-usufruitière de tous les
pro pres mobiliers. Mais l'A. 1503 a-t-il bien été écrit pour la clause
de réalisation qui est l'objet de notre controverse? A côté de la
clause de réalisation expresse prévue par l' A. 1500 l 0 se trouve
une clause de réalisation indirecte prévue par l' A. 1500 2°. L' A.1503
se réfère certainement à cette seconde clause, se réfère-t-il aussi à
la première? L'affirmer serait commettre une erreur. ion lit avec
soin l'A. 1503 on voit qu'il parle d'une mise dans la communauté :
ces mêmes mots se retrouvent dans le deuxième paragraphe de
l' A. 1500, alors que le premier au contraire suppose une exclusion
de la comm unauté. Il doit donc être étranger à la clause prérne
par l'A. 1500 1°. Cette opinion se confirme lorsqu'on considère l'ordre des différentos dispositions du code. L'A. 150 l ne fait qu' expliquer la dernière clau e de l'A. 1500 lorsqu'il dispose : « Cette
clause rend l'époux déb~teur de la somme qu'il promet d'npporter.))
0
�-
106 -
« L'apport, continue !'A. 1502, est suffic;amment justifié lorsque ... !)
Vient en uite l' A. L503 qui doit être rédigé clans le même ordre
d'idées, et compléter l'explication de cette clause. On a <lonc le
droit d'affirm'3r quïl en est de l'A. 150:i c.;omme de L\.. 14'28 et
qu'ils doivent tous deux être mis hors de cause (1).
Restent les précédent hi toriques et il faut en rechercher la
valeur. L'autorité de Pothier est battue en brèche par les auteurs
de l'ancien droit qui l'ont combattu , et par l'A. 1503 lui- même,
que l'opinion contraire invoque. L'A. 1503 en effet a été copié sur
Pothier, mai:; les auteurs du Code ont fait subir à la phrase de
Pothier une modification qui révèle leur intention. Poihier parlait
de la reprise des effets réalisés, le Code dit au contraire : reprise de
ce dont le mobilier exc~daii la mi e en commumi.uté. Or, nous
l'avons vu, cette mise en communauté ne se trouve que dans la
clau e de réali ation tat'ite. Ajoutons que Pothier n'avait donné de
on opinion que des raisons mauvaises à son époque, et détestables
aujourd'hui. Pour lui le meuble se divisent en deux grandes catégories : meubles gui se consomment par le premier usage, meubles
qui s'altèrent par un long usage : refu set• à la communauté le droit
de les aliéner serait tantôt lui en 1·efuscr la jouissance, tantôt la
diminuer d. une manière notable. Cette c<rnsidération o' a rien de
déci iL Pour la première catégorie de biens nous verrons que la
( t) Certains aul"lur:>, qui refusent toni•>llt'<! il la communauté h propriété
des propres mobiliers des é pnux on l proposé une autre explication. L'A.
lâ03 se rélérerait aux deux chuses de I'.\. 1500, mais il supposerait que le mari
a "n vertu des pou\·oirs que lui donncr.1il 1·.\. 1U8 ali1l nc les 111cubles propres.
En µareil ras r épou x n':iurait droit qu'il la \·'\lenr du meuble ri·alis1• (V .
ous repouss,ms ce svslème :
Reprises el Préle\•ements. Revue critique r 11)
t· 11 con~tituc une interprétation divinatoire de l'A. 150.3. 2° U'ap rb; nou;; le
mari n 'a pas C[U'llilé p1ur aliéner l1is prnpre-; mobiliers de la le1nrnc 3• L'.\ .
ISOJ se rèlére p;1 r ses termes et sa place au t •• et non au 2• paragraphe do
l'A. JjOO. !• Nous ve1Toos plus loin qu 'on ne l'Oinprenrlrait pas cl.tus la clause
d'apporL que l'é110ux conserve la propriété de ses prnpres m <>bil iers.
-
107 -
.
communauté en est propriétaire nième d
ans notre systeme : pour
.
..
.
la deux1eme, il suffit de renvoyer Pothier . dé . .
aux c1s1ons admises de
fi
E
5
A.
les
par
tout temps et consacrées
89 •1566 · n n à coté de ces
.
<lem< classes de meubles il en est une trois·è
1 me que p oth'1er oublie·
'
ce sont les meubles incorporels (créances • fonds de commerce, etc.)·
.
·
1 au3ourrie
catégo
et, cette
,. l'est encore pus
.nombreuse de son tcmns
.
et obli0>ation
d hui. P eut-on
s de nos grandes
o
, voir..dans les actions
.
compagnies financieres, commerciales ou industr·
• 1eli es de choses
dont la valeur va en diminuant? Ne serait-il pas vrai de dire au
contraire que leur vale11r augmente tous les jours et est destinée à
augmenter sans cesse (l) ?
Enfin on peut objecter à Pothier et il ses disciples quïls ne tiennent pas le moindre compte de l'intention des époux. Or cette considération est capitale en matière de communauté conventionnelle.
Ne serait-11 pas étrange de faire entrer en communauté un mobili~r
que les parties en ont exclu (A. 1500 1°1 ? Pouvaient-elles se ervir
d'un terme plus clair, d'une expression plu · significative? Elle ont
voulu déroger ü la régie de la eommunauté légale en vertu de
laquelle l'époux perd la propriété de son mobilier. Nier l'existence
de cette règle, l'effacer pat· leur volonté toute puissante, n'est-ce
pas dire que l'époux doit en re ter propriétaire?
L'opinion, que nous combattons, ne peut donc s'appuyer sur
aucune base certaine. L'opinion contraire, qui con~en1e à l'époux
la propriété de ses propres mobilier , est fondée en droit ur les
principes de l'usufruit, elle re pecte l'mtention présumée des partie , justifie l'A. 1503. Elle résulte encore de l'A. 1510, 2° et 3°.
(1) Aussi certains juriconsultes tout en anmettant 1opinion de Pothier
quant au\'. meubles matèriels "'' s11nt refusé :·l h générolisation Je <;ûtl principe et laissent aux cpoux la proprieli' des tilres de créance rciali$é,:; (Rolland
de Villargue \'• Réalisation). ce srstè111e int<'rtnérliaire, que rien ne justifie,
ni les préeédents historiques, ni it'~ principes, ui l<Js texte~ <ln Code, e.;t la
meilleure criti<1ue l(ll6 l'on puisse !aire de la rtoctrine de Pothier.
�-
108 -
Cet article :lécide implicitement' q ue, lorsque les meubles réalisés
de la femme ont été constatés par inventai re, ils sont soustraits
aux créanciers de la communauté. N'est-ce pas dire que la femme
en demeure propriétaire? Enfin les t ravaux préparatoires de la loi
du 28 mai 1838 modificative du Code de commerce sont venus jeter
un nouveau jour sur cette question. L'A. 554 de l'ancien code de
commerce inspiré, soit par les idées de P othier, soit par une réaction rigoureuse contre les désordres commercia ux de l' époque,
réduisait la femme du fail li à la simple reprise des bij oux, diamants
et m is elle, dont elle juslifiait authentiquement 1' orig ine ou dotale
ou héréditaire : tous les autres meubles étaient livrés a ux créanciers
du failli. Le premier projet modificalif maintint l'A. 554 avec un seul
tempérament qui consi:;tait à admettre lorigine par donation entre
vtfs comme l'origine testamentaire. La première commission de la
chambre des députés pensa qu' il était juste de généra liser la fae;ulté
de reprise. Elle eut pour organe M . Dufaure qui protesta énergiquement au nom du respect dù au droit de propriété cont re l'inconséquence de la loi de 1807. L'innovation fut adoptée par la chambre.
A la chambre des pairs, le g arde des scea ux , M. P ersil, s'éleva
contre l'opinion qui avait prévalu à la chambre des dé putés , en
invoquant l'A. 1503 comme non -susceptible d' équivoque, et la doctrine professée par Pothier , dont il reproduisit en partie le passage.
Le ministre ajoutait , comme considération propre au cr édit commercial, que les créanciers du mari ont dû avoir un gage dans la
totalité des meubles possédés par· lui et que leur confiance serait
trahie par le droit accordé à la femme . Il concl uait donc que celleci était créancière a u même titre que les a utres créanciers, et devait
venir comwe eux au marc le franc. Dans son rappor t du 10 mai 1836 ,
le baron Tripier se déclara partisan de l' avis du garde des sceaux.
La chambre des pairs suivit néanmoins l'exemple de celle des députés, et ce double vote fit entrer dans la loi nouvelle, sous le
n• 560 , un article qui consacre le principe de la reprise en nature.
-
109 -
On peut donc considérer la loi de 1838 comme contenan t dans son
t exte, et surtout dans les trava ux préparatoires qui l'ont précédée,
une interprétation du Code Napoléon , qui doit être d' un grand poids
dans la controverse. f)i donc il était vrai que le Code Napoléon
la issât subsiste r un cer tain doute, il faudrait profiter de l'ambiguité
de ses termes, pour adopter l'opinion dont le législateur de J838
s'est montré partisan.
Nous a urions tout dit sur cette intéressante question, si Troplong
n' avait sou tenu un système intermédiaire, qui d'ailleurs n'a pas
séduit et ne méritait pas de séduire les interprètes. 11 distingue
suivant qu'il s'agit d' une clause de réalisation à titre par ticulier , ou
d'une clause de réalisation universelle (comm unauté d'acquêts).
Dans le premier cas la communauté, dans le second cas lépoux
serait propriétaire des propres mobiliers. A l'appui de cette théorie,
il fait remarquer que, ta ndis que l'idée de communauté prédomine
dans le premier cas, elle est sinon détl'Uite au moins fort entamée
dans le second. Cette tentative de conciliati~n n'a pa trouvé fave ur,
et c'est à juste titre. Troplong prétend que l'idée de communauté
dispara it dans la communauté d'acquêts . li oublie qu'elle est encore
usufr uitière des propres des époux, et que c' est dans les principes
de l'usufruit qu'on doit chercher les éléments de solution, qu'elle a
encore un actif et un passif et efface de sa seule autorité les
A. 1497, 1528. Cependant son système aurait pu trouver un appui
apparent dans P othier , au cas de réd uction de la communauté aux
acquêts, par opposition au cas où les époux auraient déclaré exclure leur mobilier. C'est en effet dans ce second ca. seulement
que P othier énonce et développe son opinion : il ne s'occupe pas de
la première clause qui n'était pas usitée dans les pays de droit
coutumier.
La jurispr udence, après avoir été assez longtemps hésitante,
semble se rallier au système que nous avons défendu. (Civil rejet
16 juillet 1856. D. P . 56. 1. 381 ; Paris 25 février 1868. D. P. 68.
�-
-
11 0 -
2. t 76). P ourtant on peut dire qu'en génél'al elle a r endu plutôt des
arrêts d'espèces que de principe . Il n'y a pas lieu de s'en étonner:
la question est. au fond un e question d' interprétation da volonté.
L'époux qui, pat· son contrat, s'est réservé en propre une créance
par exemple, a voulu probablement s'assurer de la retrouver à la
111 -
1855. D. 55. 1. 461.) (Comp. Aubry et Rau. V, p. 457. Rod. et
Pont II, 1277. Civil rejet 2 1 mars 1859. D. P. 59. 1. 225).
3° Quid des meubles destinés à être vend us . Nous nO\lS en référons à ce qui a été dit plus haut. (Voir page 100) .
dissolution de la communauté. Mais il peut avoir aussi voulu le
contraire. L'expression de sa volonté fera la loi. Qui décidera alors
si l'époux a entendu transporter à la communauté la propri été des
ARTICLE II
objets mobiliers réalisés? Les tribunaux. Aussi, dans cette question,
Des clauses de réalisation tacite
le fait primera souvent la droit.
La communauté n'aura donc que la jouissance des propres.
Pourtant elle sera propriétaire.
l 0 Des meubles consom ptibles. Car le droit d'en user emporte le
droit. d'en disposer en les consommant.
2° Des meubles estimés. On en a douté (Toullier 13 n° 326. Laurent 23 n• 149). éanmoins, je cr ois que l'on peut à l'appui de
cette doctrine, faire interveni r les A. 155 l-1 552. Nous connaissons
déjà leur dispositif et avons vu que leurs motifs n'ont rien de spécial au régime dotal. D'ailleurs l'A. 185 1 no us fo urnit un nouvel
argument. Cet article rend la société propriétaire des biens m eubles
ou immeubles estimés que les associés apportent pour la jouissance
seulement. Or tous les auteurs sont d'accord pour voir dans la
communauté une véritable société: de plus, dans l'es pèce, l'apport
consiste dans la jouissance seulement des propr es. Nous sommes
donc bien dans le cas prévu par l' A. 185 l. Cependant il importe
d'observer que la raison principale de décider se trouve dans
l'A. 1551 et non dans l'A. 1851 : ce dernier article sï 'nspire en effet
de cette idée que la société est créée dans un but de s péculation.
On ne peut pas en dire autant de la communauté . Aussi la communauté n'est-elle propriétaire ni des immeubles propres estimés, ni
des propr es mobiliers qui dépérissent par un long usage lorsqu'ils
ne sont pas estimés. (En ce sens 1551-1 552 . Civil cass. 14 oov.
I. - CLAUSE
upposons que les époux conviennent
qu'une cerlaine somme à prendl'e sur le mobilier appartenant à
l'un d'eux sera employée à on profit en acquisition d'immeubles.
Cette clause était prévue par la coutume de P aris dont ]'A. 93
disait : -. Somme de d eni er~ donnée par père et mère, aïeul ou
aïeule ou au tres ascendan ts à leurs enfants en coutemplation du
o'EMPLOr. -
m ariage pour être em ployée en achat d'héritage, encore qu'elle
n'a it étc employée, est réputée immeuble à cause de sa destination. ]) Le principe de cet te cln u ·e (P othier n• 3 17) avait été étendu
a u cas où la donation sernit faite par un étranger ou la stipulation
par l'ëpoux.
Serait-elle valable auj ourd'hui? Il n'y a pas de raison pour en
douter : le silence du code ne suffit pas pour faire échec au principe
de la liberté des conventions (A. 1 3~7 et s.).
L rsque le ma ri satisfaisant au vœu du contrat aura lait emploi,
nous serons hors de la matière du quasi-usufruit. ~lais, dan le cas
contraire, l' époux qui a stipulé l'emploi n'a t -il pas manifesté l'int ention de réaliser la somme dont emploi aurait dû. être fait? Et
alors la communauté serait q uasi-usufruitière de cette somme. Un
seul auteur Battur en a douté. Pour lui cette clause ne sort à effet
qu'autant que le mari a fait emploi. Mais oo peut lui objecter
�-
11 2 -
1o L'A. 93 de ta coutume do Paris qui réputait la somme immeuble à raison de sa destination et non à. raison de son emploi ;
2• l'intentien des parties qui semble évidente ; 3° enfin , si la stipulation a été faite du chef de la femme, ne voit-on pas q u'on donne
au mari le moyen de la dépouiller ?
II. -
A. - Apport d'un objet déterminé. (A . 1511 ; . - L'un des époux en se mu.riant déclare apporter dix
CLAUSES o' APPORT. -
obligations d' un chemin de fer par exemple. Il manifest e ainsi
l'intention d'exclure de la communauté tout le reste de son mobilier en vertu du principe : Qui dicit de uno negat de altero. Cette
clause se confond donc avec celle de 1' A. 1500 1° (Colmet de
Santerre VI, n• 166 bis II), à une différence près qui nous importe
peu, c'est qu'elle constitue 1' époux. débiteur et par conséquent
garant de son apport.
B. - Apport du mobilier présent el futur, ou du mobilier présent
seulemenL, otL dit mobilier futur seulement jusqu,' à concurrence d' une
certaine somme. - A. 1500 2°) . - Aux termes de l'A. 1500 2°
« lorsque les époux stipulent qu'ils mettront réciproquement leur
mobilier dans la communauté j usq u' à. concurrence d' une certaine
somme ou d' une valeur déterminée, ils sont par cela seul censés se
réserver le surplus. )) Cette clause dont parle I' A. t 500 2° produit la
réalisation de ce dont le mobilier de l'époux dépasse la somme ou
valeur par lui promise : elle ne la produira cependant pas toujours,
car il peut arriver que le mobilier n'excède pas ou même n'atteigne
pas la somme promise. Mais s'il y a un excédant cet excédant sera
réalisé.
La réalisation produite par cette clause est-elle une réalisation
parfaite ou imparfaite ? En d'autres te rmes l'excédant du mobilier
sur la valeur promise sera-t-il un propre parfait ou un propre
imparfait? On pourrait croire que l'époux en conserve la propriété,
comme il conserve la propriété des meubles expressément réa-
-
113 -
lisés. La rédaction de 1' A. t 500 pourrait induire en erreur sur ce
point ; ne met-il pas sur la même ligne .et ne semble-t-il pas
assimiler les clauses de réalisation expresse et d'apport? (1) Mais la
lecture attentive de 1' A. t 503 ôte toute espèce de doute et montre
qu'on ne doi t pas s'attacher à cette idée. Nous avons prouvé qu'il
ne s'occupe que de la clause d'apport : or il donne à l'époux (( Je
droit de reprendre et prélever la valeur de ce dont le mobilier .....
excédait la mise en communa uté. » Les mots de reprendre et prélever dont se sert la loi indiquent une récompense, une indemnité.
Il est vrai que l'A. 1470 qualifie de prélèvement la reprise des
propres en nature ; mais l'article ne parle pas de prélèvement des
biens, il dit que les époux prélèvent une valeur. Ces mots sont
décisifs et montrent que le droit de l'époux est un simple droit de
créance, et que la communauté est devenue propriétaire. L'excédant réalisé n'est donc pas un propre parfait, mais un propre
imparfait.
Mais encore faut- il comprendre la raison de cette différence
d'effets entre la clause de réalisation expresse et la clause d'apport.
On a dit : « Dans la première, les époux ont exclu leur mobilier de
la communa uté, donc ils ont manifesté l'intention d'en consener la
(l) On pourrait citer en ce sens un a rrêt de la cour de cassation (Cass.
5 novembre 1860. Sirey 1861, 1,49) . .Mais cet arrêt est un de ces arrêts d 'esp~
ces qui, comme nous l'avons dit plus haut, sont fréquents en la matière. Il
s'agissait d'une femme qui, possédant une créance de 30,000 francs eu,·iron,
apportait une somme de 500 francs. La disproportion entre 1:1 somme
apportée et la valeur réalisée pouvait faire croire que dans l'intention des
parties il s'agissait d'une réali..alion parfaite. Tout au plus aurait-on pu 1Hre
tenté de donner ou mari le droit d'aliéner les propres parfaits de la femme
pour se procurer la somme due. Aller plus loiu eut été violer l intention
évidente des éponx.
.
.
C.:'est ainsi qu'on peut expliquer l'arrêt de cassation. D'ailleurs si o~ Y~u~;lll
eu !aire un arrètde principe, manifestant l'adhésion de la cour :\ 1 op101on
énoncée au texte, son autoril.é serait singulièrement infirmée p:u· un a~rèt
antérieur d'ntl an seulement à l'arrêt énoncé, et qui con Lient h con~écraLtun
évidente du système que nous défendons (Cass. ch·il. 21 Mars 1859, Journal
du Palais 1860 p. 812).
8
�-
11 4 -
-
propriété. Par la seconde ils l'ont mis dans la communauté: donc
ils l'y ont fait entrer et ont consenti à en rendre la communauté
propriétaire. • (Laurent XXIII,23 1 fo fine) . Cette explication est
insuffisante. On pour l'ait objecter a u savant auteur que, si les
époux ont mis leur mobilier en communauté, ils ne l'ont mis que
jusqu'à concurrence de la somme promise. Ils sont, dit l'A. 1500,
censés s'être réservé le s urplus, l'excédant. Dès lors, il semble
illogique d'en transporter la propriété à la communautiS . On peut
répondre que sans doute les deux clauses de l' A. 1500 manifestent
l'intention des époux de conserver la propriété de tout ou partie de
leurs biens mobiliers. Mais de quels biens ? S'il y a une clause de
réalisation expresse,on peut les déterminer individuellement. Il n' en
est pas de même dans la clause d'apport : peut-on affirmer que
l'époux a entendu se réserver une créance plutôt qu'un tableau ,
tel meuble plutôt que tel autre? S'il ne peut pas dire de quels biens
il est propriétaire, il ne pourra pas intenter une action en revendication, et n'aura qu'une action personnelle à la dissolution de la
communauté.
L'A. 1501 permet d'expliquer autrement la décision de l' A. 1503.
Aux termes de l'A. 1501, la clause d'apport <t rend l'époux débiteur
de la somme promise. >> Pour s'acquitter de sa dette, l'époux livre
son mobilier à la communauté, qui le reçoit en paiement de ce qui
lui est dl1. Si la valeur du mobilier versé est inférieure ou égale à la
somme promise, le mobilier est commun en totalité. Si elle l'excède,
l'excédant est réalisé : mais la communauté n'en sera pas moins
propriétaire. On ne peut pas en effet comparer immédiatement les
valeurs versées aux valeurs promises : cette comparaison suppose
un règlement de comptes, qui ne pourra se faire qu'à la dissolution
de la communauté, c'est à ce moment là seulement qu'on saura s'il
y a un excédant. ll faut donc dire que la communauté reçoit à titre
de dation en paiement, sauf à compter plus tard.
C. -
Apport d'wne certaine somme (A. 1511). -
Cette clbuse se
11 !> -
confond avec celle de l' A. 1500 t•. Ce qui le prou\·e c'est que le
Code a appliqué à la for'llule de l' A. 1500 2° les règles que Pothier
avait établies pour cette clause. D'ailleurs les raisons de droit qui
justifient 1' A. 1503 s'appliquent encore ici; cette clause nécessite un
règlement de comptes ayant pour objet de faire ressortir la différence entre la somme promise et la valeur du mobilier apporté.
Il faut pourtant faire une réserve. Il est un cas où nous refuserions d'assimiler les deux clauses : c'est celui où, l'époux ayant promis d'apporter 100 par exemple, on retrouverait cette somme ou
une somme supérieure en argent comptant parmi les meubles qu'il
possédait a u jour de la célébration du mariage. La clause ne serait
plus en réalité une clause d'apport d'une certaine somme, mais
d'apport d'un objet déterminé, dont nous avons déjà étudié les effets
(Voir page 112). Ajoutons qu'unrèglement ultérieur n'étant pas nécessaire en l'espèce il est naturel que la réalisation produite soit une
réalisation parfaite.
CHAPITRE III
DE LA CLAUSE PORTANT QUE LES ÉPOUX SE MA.R.IENT SA. NS COàUfUNAUTÈ
(A. 1530-1535).
Le mari est usufruitier des biens de la femme. Donc il sera q uu.siusufruitier :
1° Des biens qui se consomment par le premier usag~ (A. 1532).
2° Des meubles estimés (A. 1551, 1552).
Les auteurs sont unanimes à appliquer ces articles . C'est que ce
régime se rapproche beaucoup du régime dotal a \'eC constitution
universelle de dot (Comp. Laurent 23 n• 436).
Notons que, si la femme exerce une iudustrie ou un commerce et
y fait des bénéfices , le mari ne sera pas propriétaire sans chnrge de
ces bénéfices, il n'en sera. que quasi-usufruitier (Aubry et Rau V 1
page 515).
�-
11 6 -
CHAPITRE I V
OU li.ÉGIME DOTAL.
Le mari a la jouissance des biens dotaux de la femme, c'est- àdire: 1° De ceux qu'elle se constitue en dot (A. 1541) 2° de
ceux qui lui sont donnés par contrat de mariage (A. 154 1).
Dans quels cas en sera- t-il quasi-usufruitier? Troplong a soutenu
que le mari est propriétaire de tous les biens dotau x. C'est une
erreur que signalent les auteurs les plus autorisés (Aubry et Rau V ,
page 545, note 1 et auteurs qu'ils citent; ajoutez Laurent 23 n• 472,
473). Il nous suffi.ra de l'avoir relevée sans entrer dans le débat. Il
n'y a là en effet qu' une simple question de langage importante en
certaines matières au point de vue des conséquences qu'on en tire,
sans intérêt à notre point de vue spécial. Nous recherch ons les cas
où le mari est quasi- usufruitier ; or Troplong tou t en le déclarant
propriétaire ou quasi- propriétaire reconnait (A. 1564) qu'en principe il est débiteur de corps certains : il ne voit donc pas en lui un
quasi- usufruitier et cette controverse sort de notre sujet.
Le mari est quasi-usufruitier :
1• Des choses consomptibles ( l).
( 1) A quel moment la femme perdra-t.-ellc son droit de propriété sur les
choses consomptibles '1 Est-ce au moment de la constituti on de dot, ou de la
donation qui lui est faite, de la snccession qui lui échoit ou bien seulement
au moment de la consommation naturelle ou tictive qui en sera faite par le
mari '? En d'autres termes, dans l'intervalle qui sépare la constitution de
dot, la donation ou la s uccession de la consommation, la propriété des
choses consomptibles réside-t-elle s ur la tête du ma ri ou sur celle de la
Lemme '1
-
117 -
Nous avons exclu des choses consomptibles celles qui se détériorent peu à peu par l'usage. L'A. 1566 1° consacre notre doctrine et
confirme l'A. 589. On y lit en effet que le mari n'est tenu de restituer à la dissolution du mariage que les meubles qui resteront et
dans l' état où ils se trouveront. P ourtant pour quelques-uns de ces
meubles nous tro ~vons en matière de régime dotal une disposition
qui rappelle le quasi-usufruit. Il s'agit des linges et hardes de la
femme. Si le législa teur avait appliqué les principes rigoureux de
l' usufruit, il aurait donné à la femm e le droit de reprendre ceux
qu' elle avait apportés, neufs ou vieux, en bon ou en mauvais état,
peu importe (A. 589). Or l' A. 1566 2° décide que : « La femme retirera les linges et hardes à son usage actuel ll . La femme retiendra
donc non la chose même qu'elle a livrée, mais une chose semblable,
comme cela se passe en matière de quasi-usufruit. Sommes-nous
en présence d'un quasi-u ufruit véritable ? Non. S'il y avait quasiusufruit : 1° Elle reprendrait l équivalent exact de ce qu'elle a livré :
or elle retire tou t ce qu'elle trouve, et peut y gagner ou y perdre
suivant que son mari a été ou non généreux . 2° Elle n'aurait qu'une
La que tian ne somble pas douteuse . Les principes qui régissent le quasiu!'>ufruit onl é té établis plus haul. Il résulte <le l'A. 587 que l'usufruitier
acquiert immédia temeul la propriété des choses consomptibles sur le quelles
l'ns ufruit a élé cons titué. Telle éta it déjà la dëcision du droit romain. Uaius
(loi 7 De usufructu earum 1·e1·11m Dig. V. 7) décide que, si uo semblable
usufrni t est l'objet d'un legs, la propriété de la chose doit être transfért>e au
légata ire . .M. Demolombe adopte a ujourd'hui la mème solution . « li va. •Jit- il.
translation immédiate à l'usufru itier de la propriété d~ choses qui ... " nt
livrées. n (De la distinction des bien · TI n· 291). Ces principes di.,;,cnl
recevoir leur a pplicalion en ma tiè re de régime dotal le mari ëtant usufruitier
des biens dota ux. Aussi :Merlin disait-il : « i ce sont des biens de nature à
n'en pouvoir retirer une utili té qu 'en les consommanl le mari en a la pleine
propriété. » Rodière el Pool, 111 1666, 17'20, Laurent xxm n· t '8, Aubry et
Ran, l. v, n· 537, p. 557 ne "ont pas moins affirmatifs et tranchent h question dans le même &ens .
Néanmoins il s·e~t trOtl\'l°' de nos jours un tribunal, le tribunal de la ine.
el une cour 1<1 co11r de Paris, pour soutenir contt-;iiremeut ù tous les préccdenls et à L~ules les idt•cs reçnes que la femme restait propriétaire de ces
choses jusqu'au jour de la cM sommalion. que jusqu'à ce jour le créancier du
.
.
--
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,_
�-
118 -
action personnelle en restitution, tandis que le Code en spécifiant
l'objet de son droit lui donne une action réelle. 3° Le mari n'est pas
propriétaire de son trousseau : donc ses créanciers ne pourraient
pas le saisir .
En matière de communauté on trouve une décision analogue.
L'A. 1-'t92 statue: << La femme renonçante retire ~s linges et hardes
à son usnge >> . D'où vient que nous ne l'avons pas indiquée au chapitre I ? Il n'y a rien qui ressemble à un usufr uit ou un quasi-usufruit. Les linges et hardes tombent définitivement en communauté.
Ce qui le prouve, c'est que cette faculté n'existe que au cas de
renonciation de la femme et à son profit seulement, à lexclusion de
ses héritiers. C'est une favem spéciale et personnelle que lui fait la
loi. En cas d'acceptation, on ne trouve rien de semblable (Conf.
Rod. et Pont 1, 534. En ce sens Pothier n° 569).
2° Des meubles estimés (A. 155 1). En droit romain l'estimation
des choses dotales mobiliéres ou immobilières valait toujours vente
(Lois 10 et 69 § 8 D. de jtH'e dotium. L ois 5 et 10 C. Eodem) et
mari qui les saisira it serait exposé à une action en revendication. et que si
rette action en revendication cesse avec la consommation, c'est par application du principe : res e:vtinctœ vindicari non possunl . (Tribunal de la
Seine, 2'l juin 18TI. ~Attendu que la revendication doit comprendre également les choses dont on ne peut !aire usage sans les consommer mais qui
existent encore en nature, le droit de propriété s ubs istant sur les dits objets
ta nt qu'ils n'ont pas été consommés. n Cour de Paris, 28 fé\'rier 1880. « Adoptant les motifs des premiers juges. etc. ») A l'appui de cette opinion, les
parties allégaieot que le mari n'est pas véritablement usulruilier des biens
d otaux. Cette qualification. disaient- elles, ne lui est donnée par au cun texte,
et la jouiss:1nce qui lui appartient di1Tère de J' usulruit à plus ieurs points de
vue: c'est ainsi qu'il n'est pas tenu de donner caution, qu'il lui es t dù une
indemnité pour les récoltes omises, pour les a méliorations faites , que son
droit est incessible et insaisissable au moins dans une certa ine mes ure, et
qu'il ne peut pas être hypothéqué.
Sans examiner la question de savoir si le droit du mari est un d roit de
jouissance d' une nature spéciale, ou un droit d 'usurr uit proprement dit, il
estcerlain ']Ue les auteurs sont d'accord pour étendre à cetlejouissaocetoutes
les règles de l'nsu!rult, dont l'application 11'cst exclue par aucune dispositi on
légale ou n'est pas incompatib le avec les principes. !)'ailleurs s i on se
-
119 -
Cujas disait : « Quidquid <EStimatur non est dotale ,, . Dans l'ancien
droit, les pays de droit coutumier repoussaient la maxime dos ;.estimaia dos vendita. Les pays de droit écrit au contraire , héritiers de
la législation romaine, reconnaissaient à l'estimation même des
immeubles les effets de la vente. Mais les nécessités pratiques forcèrent d'appor ter des tempéraments si nombreux à la règle que les
exceptions admises 1finirent presque par la détruire. C' est ainsi que
lorsque le mari était insolvable la femme avait une a~tion pour
réclamer le fonds estimé, que si le~ pactes étaient équivoques on
pouvait les interpréter contrairement à l'idée de vente. Enfin on
alla même jusqu'à permettt·e au juge de rechercher les motifs qui
avaient pu faire estimer la chose. Ainsi on en était arrivé à substituer à une règle bonne ou mauvaise en elle-même des décisions de
détail et l'a r bitraire du juge. De là une porte ouverte a ux controverses, et les jurisconsultes ne s'en firent pas faute. Aussi le législateur de 1804 , sentant le besoin de réagir et de ramener la clarté
dans une matière obscurcie par des discussions sans fin , posa en
pr·incipe que l'estimation des objets mobiliers est présumée valoir
vente , que l'estimation des immeubles n'en transfère pas la propriété, le tout sauf déclaration contraire.
demande pourquoi l'us u!r uitier est pro p riétaire des choses consomptibles,
on est forcé de répo ndre que, co mme on ne peut en joui r qu'en les détruisaol
le d roit d'e n jo uir suppose le droit d'en disposer, la q uali té de propriétaire
chez celui qui en a la jouissance. 0 1· ee mo.>li! n'a rien de spécial à l'usulruit, el le ma ri a le d roit de l'alléguer alors même q u'on ne Yerrait
en lui qu'un si mple adminis tra teur ayant la jouissance des revenus.
Enfin on peut !aire remarquer a\'ec l'a,·ocat généra l prés la cour de cassation
que le système de la cour de Pa ris la i t d épendre du mari selon q u'il
consommera 0 11 noo de constituer la le mme crëancière ou de la laisser
propriétaire. Or cette conséquence n'est pas de nature à assurer la fixité des
droits r es11ecti!s des épou x, que le légis hteur de 1801 a toujours es..~yé
d 'obtenir.
Aussi cette théorie nou velle n'a-t- elle r as i'.·chappé à la censure de la cour
de cassation (Gass. civ. 22 urnrs 1ssi. l) , l'. 1882, 1, ~37 ) .
La même ques tion pourrait être soulevée dans les mêmes termes en
matière de comm11oau té légale. Elle se résoudra it de la même manière.
�-
120 -
On comprend que la loi présume facilement la vente des meubles :
les époux y ont interêt (voir page 89). La feJllme au contraire a un
intérêt considérable à rester propriétaire de ses immeubles. Les
immeubles loin de se déprécier par le temps augmentent de valeur
par le cours naturel des choses : de plus la dot immobilière est inaliénable, et c'est un avantage assez sérieux pour qu' on ne puisse
pas croire qu'elle y renonce facilement.
La règle de l' A. 155 1 s'applique à tous les meubles corporels et
incorporels, car la loi ne distingue pas. E lle s'a ppliquera donc
1° Aux actions, 2° Aux créances : mais encore faudra-t-il une estimation véritable, l'indication du chiffre même de la créance ne saurait valoir estimation (voir page 92). 3° Aux universalités de créances
(Rod. et P ont III 1668). 4° Aux fonds de commerce.
La règle de rA. 1552 s'appliquera de son côté à tous les immeubles (par nature, destination, etc ... ).
Mais la présomption des A. 1551-1552 cesserait en présence
d'une déclaration contraire. On ne peut pas exiger que cette déclaration soit faite en termes solennels, en termes sacramentels : mais
il faudra au moins qu'elle soit formelle, et que la volonté des parties résulte clairement de l'acte. On s' est demandé ce qu'il en serait
si le contrat de mariage a~ordait au mari le droit d'aliéner sans
remploi l'immeuble estimé : il ne semble pas douteux que la femme
reste propriétaire. D'abord nous ne trouvons pas dans l'acte la
déclaration expresse e;.igée par l'A. 1552 : bien plus, puisqu' une
clause spéciale a été jugée nécessaire pour donner au mari le droit
d'aliéner, c'est que les parties, ne voyant pas en lui un propriétaire,
ont voulu seulement étendre les pouvoirs que lui confère l'A. 1549.
Enfin malg ré l'extension donnée à. ses pouvoirs on ne peut pas dire
que sa situation se confonde avec celle d'un propriétaire. Il reste au
point de vue des droits des créanciers une dilférence qu'il n'est pas
permis d'oublier. (En ce sens , Bellot des Minières, Rég. Dotal 774.
Contra, Troplong , n° 3144).
-
121 -
Il peut donc arriver.
1° Que l'estimation ne vaille pas vente. - L'estimation aurait
encore une véritable utilité: elle servirait à fixer les droits d' enreg istrement et à déterminer l'indemnité que le mari aurait à payer,
si la chose venait à périr par sa faute :
A faciliter le calcul des droits. Notons que l'enregistrement
pourra admettre l'évaluation des parties comme base des calculs à
faire, mais qu'il pourrait s'y refuser aussi, s'il la jugeait frauduleuse ou seulement fausse. Nous allons voir jusqu'à quel point
l'estimation lie les parties qui ont concouru à la faire, elle ne peut
lier l' enregistrement qui est un tiers. A ce point de vue il est vrai
de dire que l'estimation n'est pas définitive.
Mais qu'en est-il dans les rapports des époux entre eux ? Rodière
et Pont (III, 1675) voient dans l' es~imation une simple indication
que les tribunaux peuvent modifier le cas échéant. Telle était la
décision du droit Romain (L. ü § 2 D. de jure dotium), et une doctrine contraire, disent -ils, méconnaitrait cette idée prouvée par
l'expérience de chaque j our que l'estimation sera rarement sincère,
tantôt trop faible pour frauder l'enregistrement, tantôt trop forte
dans un but d'ostentation. Néanmoins cett e opinion semble erronée:
les tribunaux ne pourraient pas considérer l'évaluation comme
inexacte. Est.ce à dire que nous invoquions l'A. 1152 et que nous
voyions dans cette simple estimation une véritable clause pénale,
destinée à fixer l'indemnité due par le mari au cas où la chose périrait par sa faute? Ce serait aller trop loin. Les tribunaux devraient
mettre hors de doute qu'au moment du contrat la chose valait ce
que les parties l'ont estimée: elles ont été d'accord pour en déclarer
la valeur, on ne peut pas penser qu'elles aient entendu faire une
déclaration inexacte: permettre au juge de modifier l'estimation
serait tromper celui des deux époux, qui a pu croire agir loyalement et sincèrement. Mais elles n'ont pas dit qu'elles fixaient une
clause pénale a u cas de perte de la chose: le juge pourra donc
�-
•
-
122 -
admettre que la chose a augmenté ou diminué de valeur depuis le
jour de l'estimation. L ui refuser ce droit serait au cas où la chose
périrait par la faute du iuari mettre les risques de détérioration ou
de plus value à la charge ou au profit de ce dernier: et c,est un
résultat qu~on ne peut accepter qu'en présence d'une convention
expresse. Mais il n'en restera pas moins vrai que la base du règlement de comptes sera r estimation faite par les parties .
~ 0 Qt1'e l' esli-mation vaille -vente. Les parties ne pourront pas
estimer la chose après la célébration du mariage (A. 1395-1 595),
et elles ne pourraient le faire dans l'intervalle de la signature du
contrat et de la célébration que dans les formes prescrites par les
A. 1396 -1397. Ces deux propositions ne sont pas douteuses aujourd'hui. Dans l'ancien droit au contraire il arrivait souvent qu'oo
n'estimait le tro usseau qu'après le mariage, et le mari devenant
acheteur devait le prix convenu (Troplong n° 3156).
Mais l'estimation est-elle définitive? Elle est définitive en ce sens
que les parties la reconna1ssant inexacte ne pourraient pas la modifier
(A . 1395). Les tribunaux ne pourraient même pas si la chose estimée est une chose immobilière, si la femme a été lésée , et si cette
lésion est supérieure aux sept douzièmes de la valeur de l'immeuble
admettre la r escision pour lésion de l'A. 1674. Le motif qui a inspiré cet article est que le vendeur ne peut avoir consenti que pressé
par le besoin, sous l'empire d'une espèce de violence morale qui
vicie son consentement. Or ici il faut rejeter cette idée: une femme
ne se marie pas pour se procurer de l' argent, et l'acte s'explique
suflisamment-~ar une pensée de libéralité. D'ailleurs si on voulait
apprécier la lésion d'une manière exacte, il faudrait prendre en
considération les charges multiples qui pèsent sur le mari, et leur
estimation serait chose bien délicate. Enfin l'opinion contraire aurait
des 0onséq ueoces pratiques déplorables : la prescription ne court
pas entre époux, le point de départ du délai fixé par l' A. 1676 serait
one le jour de la dissolution du mariage. Or il serait impossible
123 -
d'apprécier sûrement la lésion trente ou quarante ans quelquefois
après que la vente a été faite.
Enfin, la vente pourrait être conditionneJle. C'est ainsi qu'elle est
soumise comme le contrat de marjage à une condition implicite :
que le mariage soit célébré. Si le projet de mariage était r ompu,
c'est la chose et non le prix que le mari devrait restituer (L. 17 § 1
de jure dotium). N!ais les parties ne pourraient pas la soumettre a
une condition dépendant de leur volonté: il y aurait une atteinte au
principe de notre droit moderne de l'immutabilité des conventions
matrimoniales. JJe contrat de mariage une fois signé est entièrement
soustrait à la volonté des parties. Il faudrait donc considérer comme
, nulle la clause qui laisserait à l' un des époux à la femme par exemple le droit de donner ou refuser à son gré à l'estimation les effets
de la vente. Non pas qu'il y ait vente conditionnelle (voir page 95),
mais parce que, au jour de la séparation de biens, la femme pour•
rait, suivant qu'elle accepterait ou repousserait l'idée de vente,
diminuer ou augmenter sa dot immobilière. Et c'est un résultat
inadmissible en présence des A. 1395-1543. (Contra, Rod. et
Pont III, 1673).
CHAPITRE V
;
,
1
I
~
REGIME DOTAL ET SOCIETE D ACQUETS
Il faut distinguer trois catégories de biens :
1° Biens de la femme. - La communauté sera quasi-usufruitière
des biens dotaux dans les cas étudiés pages 11 6 et suivantes, de ses
biens paraphernaux dans les cas étudiés page l 10.
2° Biens du mari. - Appliquer ce qui a été dit pages 110 et suivnntes.
3° Acquêts. - La communauté en est toujours propriétaire,
jamais usufruitière.
•
•
�-
124 -
S E C:::~::C C> N"
-
::C"V"
Transformation de !'Usufruit en Quasi-Usufruit
CHAPITRE PREMIER
DE L'USUFRUIT PI\OPREM.ENT DIT
Dès que l'usufruit a été constitué, on peut en recherchant ~'in
tention des parties et en examinant la nature de la chose détermmer
la nature du droit, et d11·e si elles ont constitué un usufruit ou un
quasi-usufruit. Mais il peut arriver que des événements postérieurs
à l'établissement du droit substituent à la chose qui est l'objet d' un
usufruit une chose consomptible, le plus souvent de l'argent. En
pareil cas l'usufruit cessera et le quasi-usufruit prendra naissance.
Ces événements sont extrêmement nombreux, a ussi ne pourronsnous pas les rechercher tous . Il nous suffira d'étudier les principaux
et de les citer à titre d'exemples . Nous étudierons : 1° Le cas où la
chose serait aliénée, 2° le cas où l'usufruitier d' une créance en
recevrait le montant, 3° le cas où la chose serait ass urée et vien_
drait à périr.
ARTICLE PREMIER
Aliénation de la chose.
Sous Je mot d'aliénation, nous comprendrons aussi bien l'échange,
lorsque la chose donnée en retour sera consomptible, que la vente.
On distingue deux espèces d'aliénation : volontaire et forcée.
125 -
De l'aliénation volontaire. - Supposons que la chose sur laquelle a été constitué le droit d'usufruit soit vendue. Est-ce que le
prix de l'aliénation sera substitué à la chose, et le quasi- usufruit du
prix à l'usufruit de la chose ? Pour que la question se pose, il faut
évidemment que l'usufruit et la nue- propriété soient simultanément
vendus ; de plus, comme les !'apports de l'usufruitier et du nu-propriétaire seront modifiés, il faut qu'ils consentent à subroger le prix
à la chose. S' ils ont expressément manifesté leur volonté, aucune
difficulté ne s'élève. Mais le simple concours des deux parties à la
vente su:ffira-t-il pour faire présumer leur intention de mettre le prix
au lieu et place de la chose ? Je ne le pense pas. La nue-propriété
et l'usufruit sont de~x droits distincts, <leu..\'. propriétés séparées,
appartenant à deux personnes différentes. ll y a <leu..\'. choses vendues et cieux vendeurs, j'en conclus qu'il doit y avoir déux ventes
et deux prix. Si donc la chose a été aliénée à un prix unique, il faudra par une ventilation fixer la part de chacun dans le prix (Laurent VII, n• 35).
Mais n'y a-t-il pas des cas où la substitution du prix à la chose
peut s'opérer :
1° Par la seule volonté de l'usufruitier. Proudhon donne le droit
de vendre : 1° à l'usufruitier d'un animal vieux sur le point de mourir (Proudhon III, 1098) ; 2° à l'usufruitier de choses qui se détériorent rapidement Proudhon, III 1078). En pareil cas le nu-propriétaire n'aurait droit qu'au prix à la cessation de l'usufruit. Sans
doute cette vente serait avantageuse aux <leu..\: parties, ft'.la.is leur
intérêt ne suffit pas à permettre une exception au principe le plus
certain de la matière : « L'usufruitier doit conserver la s ubstance. »
Il ne peut don~ pas avoir le droit d'aliéner seul.
2° Par la seule volonté du nu-propriétaire. Des héritiers pourraient-ils vendre l' immeuble héréditaire grevé d'us ufruit parce qu'il
est impartageable, et transformer ainsi l' usufruit sur l'immeuble en
un quasi-usufruit d' un capital mobilier? Demolombe sans exami-
�-
-
126 -
ner la question la tranche implicitement par l'affirmative (Demolornbe X, 500). Il semble en effet que le droit de l'usuf:uitier ne
peut pas forcer les héritiers à rester dans l'indivision . Or co1nment
pourraient-ils en sortir s'ils ne peuvent ni partager, ni vendre l'icnn1euble? On pourro.jt peut-êLre so utenir que le testateur en l~gant
l'usufruit a manifesté l'intention de les empêcher de procéder au
passage : mais si l' A. 815 permet certaines conventions qui font
échec à son principe, il interdit toutes prohibitions contraires. La
volonté du testateur, à supposer qu'elle fû.t certaine, devrait donc
rester lettre morte. Néanmoins cette opinion n'est en réalitê' -pas
soutenable. Sans doute les héritiers sont dans l'indivision et doivent
pouvoir y mettre un terme, mais sur quoi porte l'indi vision? Est-ce
sur l'usufruit? non, puisque un étranger en est titulaire; c'est sur
la nue propriété. Or rien n'empêche les héritiers de procéder au
partage de la nue propriété, et, si le partage est impossible, de la
faire liciter. Assurément ce mode de procéder leur causera un préjudice sérieux, mais qu'importe? Il ne suffit pas que leur intérêt
soit contraire à celui de l'usufruitier, il faudrait encore qu' ils aient
un droit contraire au sien. Or nous avons vu qu'ils n'ont pas ce
droit.
De l'aliénation forcée. - 1° Saisie. - Généralement une saisie
opérée par les créanciers soit del' usufruitier, soit du nu-propriétaire
ne changera rien à leurs rapports. Ils saisiront suivant le cas
l'usufruit ou la nue propriété et ne pourront jamais saisir à la fois
ces deux droits. Il semble pourtant qu'un créancier hypothécaire
inscrit avant la transcription de l'acte constitutif d'usufruit pourrait
saisir l'usufruit et la nue propriété. Sans doute, mais il y aura alors
deux saisies et deux ventes distinctes et nous n'assisterons pas à
une conversion de l'usufruit.
2° Expropriation pour cause d'utilité publique. - A. 59 de la loi
du 3 mai 1845. « Dans le cas d' usufruit, une seule indemnité est
fixée par le jury en égard à la valeur totale de l'immeuble. Le nu-
•
127 -
propriétaire et l'usufruitier exercent leurs droits sur le montant de
l'indemnité au lieu de l'exercer sur la chose. » Voilà un exemple
bien saillant des faits juridiques que nous étudions . ~fais pourquoi
le législateur n'a- t-il pas exigé une indemnité distincte pour
l'usufruitier, alors que le •jury prononce d'ordinaire des indemnités
distinctes en faveur de ce11x qui ont des droits réels ou personnels
à la chose expropriée? 90 a sans doute estimé que si le jury fixait
une certaine somn1e en tenant compte de l'âge et de la santé de
l'ayant-droit, ce procétlé serait trop incertain et aléatoire.
ARTICLE II
Paiement de la créance sitr laquelle est constitué l'usufrui i
'
Nous avons établi que l'usufruitier n'est pas propriétaire de la
créance sur laquelle porte son droit. 1-Iais si, pendant l'usufruit,
elle est payée, les choses payées n'étant d'ordinaire que des choses
consomptibles, le . plus souvent de l'argent, l' usufruitier deviendra
propriétaire de ces choses à la charge d'en restituer l'équivalent à
la fin de l'usufruit.
l'~ ous assistons donr à une tran3formation de l'usufruit. Mais
cette transformation suppose-t-elle encore le concours des deux
parties, nu-propriétaire et usufruitier ? On a hésité quelquefois à
donner à l'usufruitier le droit de toucher seul le paiement (Nancy,
'1 7 février 1844. Dalloz v0 Usufruit , n° 229). La question peut être
aujourd'hui considérée co1nroe tranchée. L'usufruitier a l'obligation
et le droit de jouir comme le propriétaire lui-mème: or le propriétaire a le droit de toucher Je paiement. L'usufruitier doit donc avoir
le même droit. D'ailleurs les parties ont dô prévoir que la créance
arriverait à son terme avant la cessation de tiusufruit, elles ont
donc dù s'attendre ù. voir l'usufruitier mettre son droit en exercice
�-
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128 -
( Laurent VI, 413, Demolombe X, 323 et 325. Grenoble
17
juillet 1868, Sirey 1869, 2, 9).
Faut-il étendre cette décision et permettre à l'usufruitier de
recevoir seul le rembo ursement des rentes, obligations ou actions,
si la société arrive à son terme ou si le capital est am0rti? Pour les
rentes au moins la question pourrait paraître douteuse : il est
moins facile d'admettre que les parties ont prévu le remboursement.
Néanmoins la question est généralement tranchée par l'affirmative:
l'usufruitier ne peut-il pas jouÏI' comme le propriétaire (Demolombe X, 323 ?) Pothier enseignait au contraire: « Quant aux
rentes constituées (des rentes constitutées n• 187) 1' usufruitier et
le créancier appelés au remboursement de la rente peuvent arrêter
les deniers pour rester entre les mains soit du nota.ire, soit du
débiteur sous forme de dépôt, jusqu' à ce qu'on en fasse emploi en
quelque héritage ou rente, qui sera suj et aux mêmes droits, auxquels était sujette la rente qui a été remboursée. »
ARTICLE III
Perte de la chose assurée
Supposons un usufruit portant sur un objet assuré qui vient à
périt, on est tenté de dire que l'indemnité étant la représentation
de la chose assurée, lui sera toujours substituée, et que l'usufruitier
en jouira sa vie durant, à la charge de la restituer à sa mort a u
nu-propriétaire.
Ce n'est pas en cette matière seulement que se pose une semblable question. P artout en droit civil et en droit commercial elle
reparaît, partout on se demande si ceux qui ont un droit sur la
129 -
chose ont te même droit s ur l'indemnité. La solution en est toujours
fort délicate. Il y a en effet contradiction entre la loi et l'état actuel
de nos mœurs. L'usage de l'assurance s'étant généralisé, on est
amené à voir dans l'indemnité comme un reste, une dépendance de
l'immeuble. Mais il n'en était pas de même en 1804: l'assurance
n'était g uére pratiquée qu'en matière maritime, en matière
terrestre elle ne se rencontrait qu'accidentellement Dès lors les
tiers qui avaient un droit sur une chose ne pouvaient pas légitimement compter sur l'indemnité. Aussi les interprètes refusent-ils en
général de considérer l'indemnité comme la représentation de la
chose. Pour eux, et c'est une donnée qui restera vraie tant que
l' assurance ne sr.ra pas obligatoire pour tous les propriétaires,
l'indemnité ne provient pas de l'immeuble comme le prix de vente
provient de la chose vendue. Elle est née d'un contrat qui a été
form é à l'occasion de l'immeuble , ma is dont l'immeuble n'est pa
!•obj et. En réalité l'indemnité est la représentation des primes et
non de la chose. De là les solutions g énéralement admises au cas
de vente (Col met de Santerre V , 260 bis III) de rapport (Laurent XTn• 12) et d'hypothèque (Colmet de Santerre, I X n• t OO bis H ,
Aubry et Rau IIT, page '+90 , note 14) de la chose assurée.
L a loi commerciale, au cont1·aire, plus souple, plus flexible que
la loi civile, moins rigoureuse dans l'application des principe-, et
surtout plus favorable au crédit tend à admettre la subrogation de
l'indemnité à la chose. Des textes légaux sont venus dans deux cas
spéciaux consacrer cette subrogation en matière de warrant::. et
d1hypothèque maritime. Ajoutons enfin que la loi Belge du Jti décembre 185 l a reconnu aux créanciers hypo t h éu\Î1e~ un droit de
préférence sur l'indemnité due par les assureurs (Laurent ::s:xxr
n° 409).
Mais que devons-nous admettre dans l'hypothèse qui no6s occupe? Deux cas sont à examiner, suivant que l'assura nce a été faite
pat' l'usufruitier ou par le nu-propriétaire.
9
�-
130 -
.
.
1• L•asrurance a été faite par fosufruilier .
' 1 assuré la chose pour l'us ufruit seulement, il est certain
E
· ·
1 a
qu'il· profi tera de L'indemnité à l'exclusion du propriétaire. ncorc
faut-il que cette assurance soit licite. Des do~tes se sont él~:'és s~r
sa validité : on ne peut, disait-on, assurer qu une cho~e pér~ssab,e,
or l' usufruit est un droit incorpol'cl, ~t pa r cela mêm_e im.pén ssable.
Sans insister sur ce point, et montrer l'erreur comill.lse, il no us suffit de constater qu'il n'y a rien d'exact dans ce langage : c'est un
malheureu..x souvenir du droit roroa.in , dont les jurisconsultes a~
raient dù s'abstenir (Voir Alauzet n° 124, Quesnault n• 41, Persil
n• 121 Grün et J oliat n• 87).
..
'
Mais l'usufruitier peut avoir ass uré la chose pour son ent1ere
valeur. La chose périt. L'assurance ne pouvant pas être pour l'us ufruitier une source de bénéfices, faut-il appliquer les A. 357, 358,
359 du code de commerce, qui annulent totalt;ment le contrat d'assurance ou réduisent la somme ass urée, suivant que l'assuré est de
mauvaise ou bonne foi? Les auteurs repoussent généralement cette
solution. Lorsque l'usufruitier a assuré la chose, il a prétendu faire
une assurance valable. Il ne faut donc pas croire qu'il a vou lu assurer l'immeuble entier en son nom personnel, car alors le5 A. 357 et
s. devraient être appliqués, mais qu'il l'a assuré en ce qui concerne
l'usufruit en son nom peesonnel, en ce qui concerne la nue propriété au nom du nu-propriétaire. Il ne faut pas d'ailleurs s'étonner
de voir l' usufruitier ugir c:omme m..tndata ire du nu-propriétaire. Ne
reconnait-on pas généralement qu'il peut et doit faire en son nom
tous les ,actes consen·atoil'es? et on en tire une double conséquence : 1° au point. de vue <les actes interruptifs de prescription;
2° au point de vue des jugements par lui obtenus. Ne peut-on pas
dire qu'il est son mandataire pour tout ce qu i concerne leurs intérèts communs? (En cc sen:; Aubry et Rau 11 p. 495 note 9 ; Laurent VI n• 530 ; Comp. Besançon 1., avril 1863, D. 63. 2. 93).
Donc si l'immeuble vient à périr, l'indemnité n'appartiendra à
-
f31 -
l'usufruitier que pour la jouissance. Il devra à la cessation de l'usufruit la restituer au nu-propriétaire, sous déduction des primes
payées (Arg. A. 609-612). Nous avons donc ici un cas de substitution de quasi-usufruit à l' usufruit.
2° L'assurance a été {aile par le nu-propriétaire.
S'il a assuré la nue propriété seulement, il aura seul droit à l'indemnité. (Besançon 26février 1856. D. P. 1856. 2. 96).
S'il a assuré la pleine propriété, quid juris? Aubry et Rau appliqu ent au nu-propriétaire les idées que nous venons d'émettre.
Pour eux il a agi tant en son nom personnel qu'au nom de l'usufruitier; l' us ufruitier aurait donc la jouissance de l'indemnité, en
bonifiant au nu- propriétaire les intérêts des primes par lui payées.
(Aubry et Rau 11 page 513 note 21 ; Quesnault n• 315 ; Persil
n• 124). Laurent repousse cette opinion. Pour lui, il est contraire à
la nature des choses de considérer le nu-propriétaire comme mandataire de l' usufruitier , c'est-à-dire de celui qui détient la chose, qui
jouit, qui administre, qui est le plus à même de veiller aux intérêts
communs. Le propriétaire n'a dù sor.ger qu'à lui-même, et n'a pu
assurer qu'en son nom propre. Donc l'us ufruitier n'aura aucun droit
à l'indemnité. Mais alors faut-il appliquer les A. 357 et suivants du
code de ·commerce? Laurent les repousse : car, dit-il, le nu-propriétaire est intére sé non seulement pour la nue propriété, mais encore pour la jouissance qui doit lui revenir un j our. Ce rai ·onnement
doit subir, semble-t-il , une correction. Sans doute l'u ufruitier ne
pourra pas invoquer le contrat d'assurance, mais les assurnurs
pourront opposer les A. 357 et s.. Il y a, en effet, une erreur dans
le langage de Laurent. Quand on estime la nue propriété, on ne
l'estime pas en elle-même, car une nue-propriété à laquelle le droit
de jouir ne devrait jamais faire retour serait inutile. Ce qu'on estime,
c'est r espoir de la cessation de l'usufruit, c'ec;t le droit du nu-propriétaire à la jouissance dans un avenir plus ou moins éloigné. En
vertu des principes du contrat d'assurance, l'ass uré doit avoir in-
�-
132 -
-
usufruitière (A. 1401-2°). Mais que la créance soit payée, la communauté sera propriétaire des deniers et débitrice de récompense,
c' est- à-dire qu'elle sera quasi-usufruiti ère.
térèt i1 la conser vation de la chose assü.rée : le nu-propriétaire est
intéressé à la conservation de son droit à la jouissance, qui périrait
si la chose périssait: et ce qu' il tait assurer ce , n'est pas la chose,
mais l'espoir de jouir de la chose (Con f. Griln et Jolia t n° 9 t).
B. - Aliénation d'un propre. - Cette aliénation peut se présenter so us forme de vente, échange ou partage.
a. Vente. - Supposons qu'un propre soit vendu ou qu'un service
foncier dô à. un héritage propre soit racheté. L'époux perd un propre,
en échange il acquiert une créance, le droit au prix. Cette créance
sera propre comme le prop1·e vendu , c'est-à dire propre parfait. La
CHAPITRE II
DE L' USUFRUIT DÉRIVANT DES CONVENTIONS MATRIMON IALES
communauté n'en sera donc pas prop1·iétaire: l'A. 1433 en est la
preuve puisqu'il ne constitue la communauté débitrice de récompense que du jour où le prix aura été versé, les principes le veulent
aussi puisque une créance n'étant pas chose consomptible est susceptible d' un usufruit véritable. ~lais du jour où le prix sera payé
En matière de contrat de mariage, la transformation que nous
étudions sera plus fréquente qu'en matière d' usufruit propt'ement
dit. L' usufruit de la communauté ou du mari porte sur un trèsgrand nombre de biens, le plus souvent sur tous les biens de l'un
des époux ou même des deux époux: il sera généralement de plus
longue durée que l'usufruit proprement dit, établi d'ordinaire a u
tout changera: la communauté deviendra propriétaire et débitrice
d' une somme d'argent ( l); elle n'est plus usufruitière, elle estquasiusufr uitière.
profit de parents àgés, au rl étriment de parents jeunes. Les nécessités d' une bonne administration pourront donc entraîner plus fréquemment une transformation du droit, que facilitera d'ailleurs le
b. Echange. - Supposons qu' un immeuble appartenanten propre à
bon accord du mari et de la femme.
ARTICLE PREMIER
Communauté légale et conventionnelle
Nous avons \ ' U plus haut que les valeurs s ubstituées pendant le
mariage a ux propres de l'un des conjoints sont propres. Si ces
valeurs no uvelles sont des choses consomptibles , l'usufruit de la
communauté cessera et le quasi-usufruit prendra naissance.
A. - Paiement d'une créance propre. - Soit une créance de
io;omme d'argent exclue de la communauté. La communauté en sera
133 -
'
l'un des époux soit échangé pendant le mariage. Si l'immeuble reçu
est d'une valeur inféricnre à l'immeuble donné par l'époux, une
soulte sera payée pour compenser la différence. La communauté
sera quasi- usufruitière de cette soulte.
c. Partage. - Première hypol/1èse. - Soit une succession partie
mobilière, partie immobilière échue à l' un des épou..x avant ou
( 1) L'A IH8 pourrai! conduire à des résultats inexacts, et Jaire rroire que
l'époux reste propriétai re des deniers pay~s. 11 veut donner un e. emple de
récompense due ::iar l'un 1lt•s ~poux à l'autre et suppose que I> prix d un
propre a été empl<>yo à pa)'er une delle personnelle d3 l'autre époux. La->
auteurs sont d'accord pour reconnaitre la ruau,·aise rédaction de l'A, 1478.
Il !nul supposer que la errance de l'opoux vendeur a é té donn\\e en paiement
au créancier de l'au tre époux. ])an<: le cas de l'A. 14ï8 c'est la communauté
qui sera it créancière de récompense.
�-
1:34 -
·
o postérieurement à la célébration
et parta"'ée
pendant 1e mariage,
du mariage. Supposons par exemple qu'elle se compose de 50 ,000 fr .
en argent comptant et de 50,000 fr. en immeu~les . . L'époux ayant
droit à la moitié de la succession, au lieu de lui attribuer 25,000 fr.
en meubles et autant en immeubles, on lui attribue 50 , ~00 f'.. en
argent comptant. De ces 50,000 fr., il en est 25 ,000 qui amve~t
réa-ulièrement à l' époux et tombent en communauté (A. 140 1-1 ).
hl:is les 25,000 fr. restants lui sont attribués comme représentant
son droit aux immeubles héréditaires : ce droit aux imm~ubles c~t
propre (A. 140'l), ta somme àd'argent qui lui est substituée. doit
donc être propre aussi,: mais ce ne sera plus un propre parfait, ce
sera un propre imparfait.
Cette solution a été contestée : on a prétendu que ce n'est pas
25.000 francs, mais 50.000 francs qui tombent définitivement en
communauté. En effet, dit-on, le principe de l'A. 883 veut que
l'époux soit censé n'avoir jamais été propriétaire que de meubles :
dès lors il faut appliquer à ces meubles la décision de l' A. 1401 1•·
Ce raisonnement serait inattaque si !'A. 883 pouvait être invoqué
en la matière : or les jurisconsultes sont en désaccord sur la portée
de son principe et sur le champ de son application. Sans doute si le
partage produit un effet rétroactif ergà omnes, les 50.000 fra~cs
tomberont en communauté ; mais sans examiner cette question
aussi longuement qu'elle Je mériterait, ne semble-t-il pas raisonnable de restreindre l'application de l'A. il83 aux hypothèses pour
lesquelles il a été créé? Le législateur a redouté les recours que
l'un des copartageants aurait eu à exercer contre les autres à raison
des droits réels constitués par ces derniers pendant la période de
l'indivision. L'A. 883 s'applique donc dans les rapports de l'un des
cohéritiers et des ayant-cause des autres cohéritiers; mais son
application dans les rapports d'un des cohéritiers et de ses propres
ayant-cause conduirait à des conséquences absurdes. Nous n'en
citerons qu'une entre toutes : qu'un des copropriétaires d' u ·
-
135 -
immeuble constitue une hypothèque su r ce bien, et qu'il ne soit pas
adj•Jdicataire sur la licitation, comprendrait-on que la part du prix
de la licitaLion qui lui est due ne fùt pas affectée au créancier hypothécaire et fût partagée entre les créanciers chirographaires? C'est
un résultat que repo usse l'équité et qu'imposerait l'interprétation
que l'on veut donner de l'A. 8~3. Nous refuserons donc de l'appliquer dans les rapports de l'un des époux et de la communauté son
ayant-cause. La doctrine contraire présenterait d'ailleurs des inconvénients graves : les époux en s'entendant avec les autres héritiers
pourraient suivant la combinaison adoptée pour la liquidation de la
succession soit fai re entrer en communauté la succession entière,
soit l'exclure d'une manière complète. Or ce résultat est contraira
aux principes fondamentaux dn contrat de mariage. Enfin si 1' on
nous opposait l'opinion de Pothier nous citerions l'opinion contraire
de Valin et de Lebrun Yalin, Co111ume de la Rochelle, art. 48, p. 2,
note 11. Lebrun, de la Communauté, 1. I. ch. V. sect. II, Dist. t ,
n•• 78 à
8 1).
Deuxième hypothèse. - Soit une succession purement immobilière échue à l'un des époux. En vertu du partage il a droit à un
immeubl e et à une soulte. Cette soulte représentant un propre sera
propre : donc, lorsque le mari en aura reçu le montant, la communauté quasi-usufruitière sera débitrice de récompense.
Cette hypothèse, gui ne se distingue pas pour nous de la précédente, méritait cependant une mention spéciale. Les auteurs qui
voulaient précédemmc>nt appliquer l'A. 883 reconnai sent qu'il ne
peut plus être invoqué : !'..\ . 883 en effet ne parle que de biens
héréditaires ; or la succc ion étant purement immobilière la soulte
n'est pas une valeur hPréditaire, mais une valeur prise dan.;; le patrimoine d'un des héritier:.;. Tl faudrait donc appliquer non i.-lus les
ce ·ens, Pothil'I', de
mais celles de l'échanae~(En
du p'lrta.,·e
rèofos
~ •
::> '
0
la Communauté, n• 100).
C. - Un des époux vend un propre immobilier. Le prix ëtant
�-
- 1:n -
!JI) -
inférieur aux sept douzièmes de la va leur de l'immeuble, l'action en
r escision se1·a ou verte. Cette action en r escision est évidemment
propre si L'immeuble a été vendu pendant le mariage, car elle re présente un pr opre. Il en sera de m ême si la vente est antérieure au
mariage, car l'action en rescision est u n droit immobilier qui ne
tombe pas en communanté (A. 1402). Il est vrai que dans l'ancien
droit quelques dou tes s'étaient élevés su r sa nature . L a faculté qu'a
l'acheteur de payer le supplément du juste prix avait t rompé D espe1sses, q ui voya it dans son obligation une obligation a lternative
(Des peisses, t• I , p. 1, sect. IV, n• 5). Mais D umou lin et P othier
(Vente, n• 349) rétablirent les principes : Sola rescisio et restitutio est
in obligatione, suppletio aulem pretii in {acu llate, quœ non est in
consideratione, disait Dumoulin (Coutume de Paris, p. 33, Glos. 1,
n• 44). L'obligation de l'acheteur est donc une obligation facultative,
D. - Incendie d'un propre assuré . - L r mari peut avoir a::.suré
ou l' us ufruit seulemeot du propr e ou la pleioe propriété. Dans le
premier cas, c'est au nom de la commu nau té usufruitière que Je
contra t a été passé : la communau té profitera seule de l'indemnité,
et il n'y a pas à parler de substit ution d' un propre imparfait à un
propre parfait.
Si le mar i a assuré la pleine propriété, il a passé le contrat au
nom de la communauté pour l'usufru it, en son nom personnel ou au
nom de la femme pour la nue propriété. Donc si l'immeu ble périt,
l'indemnité, qui en est la représentation dans les rapports des époux
ent re eux, sera propre comme l'immeuble lui-même. Mais tandis
que l'immeuble était propre parfait, l'indemnité sera [propre imparfait.
ART I C L E
et l'action en rescision tendant à la restit ution de l' immeuble est
immobilière. Donc elle est propre. J 'en conclus que si l'acheteur
paie le supplément du juste prix, ce s upplément sera pr opre, mais
propre imparfait, alors que l'action en rescision était un propre parfait.
Cette décision adoptée pa r tous les a uteurs n'est pas doute use. Il
n'an est pas moins vrai que les principes conduisent à un résult at
bizarre : en effet, le prix de l'immeuble vendu avant le ma riage
tombe en communauté, qu'il soit payé avant ou après le ma riage,
et Je s upplément du juste prix est propre. Et cependant le bon sens
dit que le s upplément du juste prix est une port ion du prix dont il
d evrait sui vr e le sort.
A l'inver se, un époux avant le mariage achète un immeuble, le
vendeur lui intente pendant le mariage l'action en r escis ion: l'époux
pourra r éclamer la restitution du prix pa r lui payé. Cette action en
restitution doit être propre, car elle représente un immeuble qui
était propre . Le prix sera donc un propre mais un propre imparfait.
II
Régime Dotal.
Nous r::e parlerons pas du régime exclusif de communauté, qui
ne comporte aucune r ègle spéciale.
En matière de régime dotal, le mari us ufruitier deviendra propriétaire des choses consomptibles qui seront mises au lieu et place
d e c:clles dont il a l'us ufr uit. Cela se présentera :
1° Pour les créances dotales de sommes d'argent ou autres choses
consomptibles.
2° En cas de vente d' un meuble dotal.
En cas de vente d' un immeuble dotal (.\ . 1557-155 , . Indication
purement t héorique, car à raison de la re ponsabilité des tiers le
remploi en p ratique sern touj ours antérieur au paiement de la
somme d ue.
3° E n cas d'échange de l'immeuble dotal avec soulte (A. 1559).
Le rnal'i sera q uasi-usufr uitier de la somme donnée en paiement de
la soulte . .Mais cette indication n'a encore aucune portée pratique.
4° Si l'immeuble dotal assuré vient il péri1·, le mari sera quasiusufruitier de l'indemnité, s'il a assu ré la pleine propriété.
�-
138 -
TROISIÈME PARTIE
DES
DROITS
DU
QUASI-USUFRUITIER
Pour examiner cette question nous supposerons successivement :
1• Que la chose sur laquelle le quasi-us ufruit a été constitué n'a
pas encore été livrée, 2° qu'elle a été livrée.
CHAPITRE
DES
DROITS
DU
PREMIER
QUASI-USUFRUITIER
AVANT LA LIVRAISON DB LA CHOSE
Du jour où le quasi-usufruit a été établi , le quasi-usufruitier a
une action pour réclamer la chose. 8i cette chose a été individuellement désignée, si c'est un corps certain, le concours des volontés
des deux parties a suffi pour en transférer la propriété, et le f)Uasiusulruitier pourra à son choix, pour réclamer la chose, exercer soit
l'action personnelle née de l'acte constitutif, soit l'action en revendication. Si, au contraire, la chose n'a pas été individuellement
déterminée, si le quasi-usufruit a été établi sur une chose in generP,
-
139 -
l' usufruitier sera un simple créancier et n'aura qu' une action personnelle à l'effet d'exiger la mise en possession et la translation de
propriété.
De ces deux situations, la première est évidemment la plus avantageuse. Le quasi-usufrui tier pro priétaire de la chose n'a pas à
subir le concours des créanciers du constituant , qui ne peuvent pas
saisir valablement un bien sorti du patrimoine de leur débiteur.
Dans le second cas, le q uasi-usufruitier, simple créancier chirographaire , pourra être obligé de subir le concours des autres créanciers du consti tuant et même être exclu par ses créanciers privilégiés.
Mais à un autre point de vue, cette seconde situation est peutêtr e préférable à la première. Le quasi-usufruitier, créancier de choses
in genere, ne court pas les risques de leur perte : si la chose que le
cons tituant avait l'intention de livrer vient à périr, sa dette n'en
s ubsiste pas moins, les risques sont à sa charge. Dans l'autre cas,
au contraire, le quasi-usufruitier est créancier de corps certain :
donc si la chose périt, il ne pourra rien réclamer au constituant
(A. 1302) . Ma is faut-i l dire qu' il sera, malgré tout, tenu de l'obligati on de restituer aux termes de l' A. 587? Suivant que la réponse à
cette question sera affirmative o u négative, les risques seront ou ne
seront pas à la charge de l'usufruitier.
La question est fortement controversée, dans une matière qu i
offre avec la nôtre une grande analogie. Supposons qu'une personne promette ù une autre de lui prêter une chose à titre de mu-
tuum. Cette promesse de prêt peut avoir pour objet une chose in
genere : en pareil cas le contrat de prêt ne prendra naissance q u'au
moment de la livraison de la chose (A 189z). A ce jour les risques
q ui étaient à la cha rge du promettant, passeront à la charge du
stipula nt. Mais cette prom esse deprèt peut arnir po ur obj et un corps
certain. La chose périt avant la livrai on. i nous admettons que
le prêt à pris naissance au j our où la promesse a été faite, l' obliga-
-
.
-
- -- -
-
-
- -
--
�,
-
140 -
tion de restituer est nce avant la pel'te, et les risques sont à la
char ge du stipulant-emprunteur. Si, au contrai re, le prêt ne doit
prendre naissance qu'avec la livraison , la tradition étant désormais
devenue impossible, le contrat de prêt restera toujours à l' état de
simple projet, et le promettant SU!Jporter a la perte. Au premier
abord il ne semble pas douteux qu'on ne doive admettre cette seconde idée. En effet, la première confond prêt et promesse de prêter
que le droit Romain et les juriscons ultes out to ujours soig neusement distingués: ; elle viole l'A. 1892 Qui définit le prêt un contrat
par lequel l'une des parties li t>re ... ; or ici il n'y a pas eu livraison;
enfin il est absurde de faire supporter à l' emprunteur les risques
è' une chose dont il n'a pas pu user (Voir Laurent XXVI n•• 486-487).
N éanmoins cette idée, contre laquelle on élève de si fortes objections, semble juridique. Quand une personne promet de prêter une
chose, elle promet implicitement de la livret' (Voir L aurent xxvI
n• 454), et de la livrer de manière à en transférer la propriété au
stipulant,
dans l' hy pothèse du mutuitm. Dès lors il y a lieu d'appli-
quer la formule de l'A. 1138 : « L'obligation de livrer est parfaite
par le seul consentement des parties contr actantes; elle rend le
créancier propriétaire. » Donc le stipulant, par l'effet de la promesse
de prêt, est devenu propriétaire de la chose. J'en conclus que le
contrat de prêt a pt·is naissance : en effet, pour que le contr at se
[orme, il faut: 1° l'intention des parties contractantes , qui e:xiste
-
141 -
oubliant le principe posé dans I' A. I 138, a copié trop textuellement
.. d on trouve d' autres
. D evons-nous nous en étonner, quan
P othier
.
. t e que
A
.
(ex
oubli
même
le
commis
a
il
où
articles
. . . 1303) ?. J'aJOU
_
·
· par 1e législateur
st on se. r appelle les détours su1· v1s
pour arriver
~u~ a rttel~s 1138, 938, on peut soutenir qu'il y a eu tradition. Enfin
il~ y~ r ien d'étonnant que le stipulant supporte les risques ; propriétaire de la chose, s' il ne la détient pas encore matériellement 1 il
peut en disposer, il peut l'aliéner, il profite des au.,.mentations de
valeur. Pourquoi ne suppor terait-il pas sa perte? (nuvergier dtJ
'
Prêt n• 25).
s~ .n ous avons ~i long~ernent discuté cette question, c' est qu'en
rnat1ere d~ quas1-us ufru1t la. situation est identique. Pourquoi refuse-t-on d admettre que l' obligat.ion de restituer a pris naissance ?
C'est qu e cette oblig ation ne peut pas exi~ter sans li\' raison. En matière de quasi-us ufruit comme en matière de prêt, le bon sens le dit,
on ne peut restituer que ce qu'on a reçu : la tradition est donc nécessaire en principe. Il reste à sa.voir si, dans les deu.x cas, il n'y a
pas eu translation de propriété, et si cette translation de propriété ne
peut pas remplacer la tradition. Remarquons seulement que dan notre espèce, on ne se heurte pas à un texte o-ènant comme celui de
1892, et par conséquent nous sommes ;lus à notre ai e pour
I'
~·
dm :uter et faire prévaloir la sol ution que nous avons défendue.
dans l'espèce, puisqu'elle résulte de la pl'omesse de prêt; 2° Une
res, cette res c'est la translation de propriété . Il est vrai que l'on
CHAPITRE
DES
DROITS
DU
II
QUA S I-U SU FR U ITIE R
objecte que de tout temps, en droit Romain et en droit Français, les
juriscons ultes ont exigé la tradition de la chose, et quel' A. 1892
consacr e sur ce point leur doctrine. On peut répondre que la condition exigée de tout temps c'est une res. En matière de mtituum, il
Le quasi-usufruitier est propriétaire de la chose, et débiteur de
choses semblables, non de la chose même qu'il a r~çue. L ' usufrui-
fallait une tradition parce qu'en droit Romain la propriété ne se
transférait pas solo con.sensu; l'ancien CU-oit a suivi les errements du
droit Romain, et si l'A. 1892 exige la tradition, c'est q ue le code;
tier, au contraire, n'est pas propriétaire ; il n'a qu'un démembrement
du droit de propriété, et ce qu'il doit r estituer c'est la cho e mêm e
qu'affer,te son droit.
APRÈS L A LIVRAI ON DB LA CHOSE
·- ---
- - -·
~
- --
-
�-
143 -·
142 -
De là des différences entre les deux situations :
10 Quant aux i·i.5qu-es. - Si les choses que le quasi-usufruitier a
reçues viennen~ à se détériorer, à périr , à augmenter de valeur,
c'est lui qui en souffre et qui en profite. L e constituant n'a pas à se
préoccuper des accidents qui peuvent arriver, car il e~t créancier
de choses in genere et genera non pereunl.
En matière d'usufruit, il n'en est pas de même : sans doute, si la
chose se détériore, si elle périt par cas fortuit, l'usufruitier en souffre, car son droit de jouissance s'amoindrit et pourra même s' étei_ndre. En d'autres termes, il supporte les risques de sôn usufrmt,
dont le profit pourra aller en augmentant ou en diminuant. Mais il
ne court pas les risques en ce qui concerne la nue-propriété : car il
sera quitte envers le nu-propriétaire en restituant la chose dans
l'état où elle se trouve (A. 589,607,615,616,1567).
2° L'usufruitier n'a que le droit de jouir de la chose : il a le jus
utendi {ruendi, mais n·a pas le jus abutendi; il n'a donc le droit ni
de l'aliénet\ ni de la détruire matériellement.
Au contraire le quasi-usufruitie1· est propriétaire, et à tous les
droits inhérents au droit de propriété. Il peut donc non- seulement
se servir de la chose comme le dit la formu le trop restrictive de
l'A. 587, mais encore en tirer tel avantage qu'il juge con venable.
La fameuse règle salua rerum substantia est lettre morte pour lui :
il pourrait donc la détruire, la consommer, l'aliener, et s'il l'aliène
la valeur reçue en échange lui sera entièrement attribuée, car cc
qu'il a aliéné c'est sa chose 1,roprc.
3° Les créanciers d' un usufruitier peuvent saisit· l'usufruit, ils
n'ont aucun droit sur la nue-propriété. Les créanciers d' un quasiusufruitier peuvent saisir et faire vendre la pleine propriété de
la chose, reçue à titre de quasi-usufruit. C'est une conséquence
du droit de propriété du quasi-usufruitier.
CHAPITRE
rn
APPLICATION DE CES PRINCIPES EN MATlÈRE DE CONTRAT DE MARIAGE
A. - De la communauté.
I. - Propl'es du mari.
·
1° s·1 1a communauté est quasi-usufruitière,
les risques sont à sa
charge. Au contra it·e si elle est usufruitière les risques sont à fa
charge du mari.
2• Si_ la communauté est usufruitière. le mari nu-propriétaire
peut a~1~~er !a chose à titre gratuit ou onéreux. Si elle est quasiu~ufru1t1ere il ne peut en disposer à titre gratuit qu'à la charge
d observer l' A. 1422.
3• Q.ue la communauté soit u ufruitière ou quasi-usufruitière, les
cré_anc1ers de la communauté comme ceux du mari peuvent saisir la
pleme proprié~é de la chos~ : c'est une conséquence du principe
qu~ les créanciers du mari sont créanciers de la communauté et
réciproquement.
11. - Propres de la femme.
1° Quand aux risques nous n'avons rien de spécial à dire.
2° Si la communauté est quasi-u ufruitière, le mari peut disposer
de la chose même à titre gratuit, à la charge de ne pas violer
( ~· 1422. Si la communauté est u ufruitière, le mari simple admirustrateur des propres ne peut pas le aliéner à titre gratuit. Je ne
pense même pas qu'il puisse les aliéner à titre onéreux.
3° Si la communauté est usufruitière, les créanciers personnels
de la femme pourront seuls saisir la nue-propriété. Pourraient-ifs
saisir l'usufruit ? La question comporterait des distioc~ions que
~ou c; ne pouvons pas faire. - Si la communauté e t quasi-us ufruit1ère, ses créanciers pourront saisir la chose, à l'exclusion des
créanciers personnels de la femme.
�-
144 -
- t.\5 -
B. - Régime sans communauté .
Il n'y a ici qu'à répéter ce que nous venons de dire pour les pro-
QUATRIÈME PARTIE
pres de la femme.
C. -
Régime dotal.
1° Quant aux risques, nous n'avons rien de spécial à dire.
! 0 Si le. mari est quasi-usufruitier, il peut aliéner la cho~e . S'il
est usufruitier, je crois que la chose pourra être aliénée, mais qu'il
faudra le concours du mari et de la femme.
3° Si le mari est quasi-usufruitier ses créanciers pourront saisir
la chose. S'il est usufruitier , les créanciers de la femme pourront
seuls la saisir et encore faudra-t-il si la dot mobilière est inaliénable
qu'ils soient antérieurs au contrat de mariage ou que la dette qu'ils
invoquent soit une dette délictuelle.
4° Enfin signalons à raison de l'A. 1553 une dernière conséquence
du droit de propriété. Lf\ mari propriétaire des deniers dotaux es
propriétaire : 1° De l'iromeubleacquis des deniers dotaux . Cela
n'est pas douteux lorsque le mari aura fait l'acquisition en son nom
personnel. Il est de principe que c'est la personne au nom de
laquelle l'achat est fait qui devient propriétaire. « Quotiès quisquam
in rebus agit, vendit, permutat, contrahit sine adjectione externte
qualitatis proprio nomine contrahere videtur » '. disait d' Argentré.
Mais qu'en serait-il si le mari achetait la chose au nom de la femme?
C'est une question que nous retrouverons. 2° De l'immeuble donné
en paiement de la dot constituée en argent. Tout se passe comme si
le mari avait reçu ll!s deniers dus par le débiteur, et avec ces deniers
avait acquis la chose. L' A. 1553 2° est donc une conséquence de
l'A. 1553 1°. Il y avait d'ailleurs une autre raison : c'est que la
nature des biens qui constituent la dot ne peut pas être modifiée
après coup.
DES OBLIGATIONS DU QUASI-USUFRUITIER
Le quasi-usufruitier est obligé de restituer l' équivalent de ce
qu'il a reçu à la fin du quasi-usufruit.
Nous étudierons :
l ° Comment le quasi-usufruit prend fin ;
2° L' obligation de restituer.
SECTION"
I
1
Comment le qua sit1usufrutt pr.end fin
Le législateur ayant ftssimilé le qu,asi-usufruit à l'usufruit, les
causes d'extinction indiquées aux articles 617 et suivants doivent
en principe être co~rµunes à ces deu.x droits. D'ailleurs s'il n'y
avait pas entre eux une resembjance à ce point de v9e, on serait
bieo embarrassé de dire quels son~ leurs points de contact. Il faut
cependant faire une réserve : si parm\ ces ca4ses il ei+ est qui
répugnent à la nature du quasi-usufrµit, !(lies n~ lui seront pas
~ppli,cables.
Les causes d'extinction q~ ~uivent son~ cpIDJ1lW}es au.x deux
droits :
10
�- 146 1° La mort de l'usufruitier.
2° L' 01-rivée a·u terme.
3° L'accomplissement de la condition résolutoire à laquelle le droit
de l'usufruitier a été soumis.
4° La renonciation de t'usufrttitier.
5° Faut-il en dire aiitant pour la consolidation? On dit généralement qu'il n'y a pas place pour la consolidation en matière de
quasi-usufruit. La nue-propriété en effet ne peut pas venir se réunir
à la jouissance, car elles n'ont pas été séparées l'une de l'autre, le
quasi-usufruitier ayant toujours eu la pleine propriété de la chose.
Sans doute on ne peut pas assi ter à la réunion des deux droits
réels, usufruit et nue propriété sur une seule et même tête. Mais il
n'en est pas moins vrai que deux personnes sont en présence qui
ont des qualités contraires si ces cieux qualités incompatibles se
réunissent sur une seule tête le quasi-usufruit sera éteint. Ce qu' i1
est vrai de dire c'est qu'on ne saurait en pareil cas se servir du
mot de consolidation. Mais il y a un évènement juridique qui est aux
droits de créance ce que la consolidation est aux droits réels : c'est
1a confusion. La confusion sera possible lorsque le quasi-usufruitier deviendra l'héritier du constituant. On ne peut pas supposer
l'hypothèse inverse,. car l'usufrui t s'éteint par la mort de l' usufr uitier.
Au contraire ne s'appliqueront pas au quasi-usufruit:
1° J,e non-usage du droit pendant trente ans, ou prescription
extinctive. - Cette preseription a pour effet de libérer une chose
du droit d'usufruit qui la grève : or en matière de quasi-usufruit il
n'y a pas de chose affectée du droit réel d'usufruit. Donc ce mode
d'extinction est inapplicable.
Mais il faut remarqu er : 1° Que l'action en délivrance du quasiusufruitier peut s'éteindre par la prescription libératoire de trente
ans. Le quasi-usufruit sera lui-même éteint, car l'obligation de
restituer se formant par la livraison de la chose n'a pas pu prendre
-
147 -
naissance. 2• Que l'action en restitution du constituant se prescrira
e.lle-même par trente ans. Mais ce n'est pas une prescription extincti rn du quasi- usufruit, car la prescl'iption ne commencera à courir
que le jour où le quasi-usufruit aura cessé (A. 2257).
2° La perte totale de la ch~e. - Le droit du quasi-usufruitier
étau: précisément de détruire la chose, la perte qui se pro<fuit soit
par ~ etfe~ de sa volonté, soit autrement ne doit apporter aucune
mod1ficat1on à ses rapports avec le constituant.
3• L'abus
d~ jo~iss~nce.
-
Tous les auteurs reconnaissent que
cet~e cause d extmct1on ne concerne pas en principe le quasi- usu-
fruit. Le quasi-usufruitier propriétaire a le droit de disposer de la
chose et d'en faire tel usage qu'il voudra.
Pourtant un arrêt a dans un cas particulier proclamé l'abus de
jouissance, et cet arrêt a trouvé un approbateur chez M. Laurent.
L'usufruitier, dit-il, a le devoir d'administrer en bon père de famille :
ce pri~~ipe étant un principe d'équité doit s'appliquer au quasiusufru1tier. Donc si ce dernier dissipe les deniers qu'il a reçus au
lieu d'en faire un placement avantageux, il y a abus de jouissance.
Cette argumentation ne semble pas avoir une portée sérieuse.
On comprend l'obligation de bien administrer lorsque le droit du
nu-propriétaire portè sur un corps déterminé : la valeur de la
chose dont l'usufruitier abuse ira en diminuant, il ne sera donc pas
seul à souffrir de sa mauvaise gestion, le constituant souffrira luimême de ses négligences et de ses fautes. Mais en matière de
quasi-usufruit le constituant ayant le droit d'exiger l'équivalent de
ce qu'il a livré, peu lui importe l'usage que l'usufruitier fera de la
chose, peu lui imporLe qu'il dissipe les deniers : son droit ne subira
aucune modification, son action en restitution a pris nais~ance
avec la livraison de la chose, à ce moment son objet a été déterminé
d'une manière précise et ne peut plus varier.
On dit que l'usufruitier doit employer les deniers reçus à un
�-
148 -
-149 -
placement avantageux. Mais quel intérêt le constituant peut-il
·mvoquer pour forcer l'usufruitier à observer cette règle
_ ? Son
intérêt serait évident !-i'il était propriétaire de la chose acquise avec
les deniers, mais les principes du quasi-usufruit prouvent au
contraire qu'il n'y a aucun droit. En r éalité le constituant est un
simple créancier chirographaire, qui n'a pas une action spéciale
sur tel ou tel bien de son débiteur, mais qui a action sur son
patrimoine tout entier (A. 2092-2093). Dès lors, si on voulait être
logique, il faudrait imposer au quasi-us ufruitier l'obligation de bien
administrer non les deniers du quasi-usufruit, mais sa fortune
entière, et attribuer au constituant un droit de surveillance sur
l'administration de son patrimoine. Or ce serait là un droit exorbitant: simple créancier le constituant ne saurait avoir plus de
droits que les créanciers ordinaire et ne pourra invoquer que les
A. 1166, 1167.
Enfin M. Laurent semble dire que s' il peut êtœ question d'abus
de jouissance lorsque l'usufruit porte s ur de l'a l'gent destiné à être
placé, il n'en est pas de même s'il porte sur des denrées destinées à
être consommées. Cette distinction est frag ile : sans doute les denrées sont destinées à êtœ consommées , mais encore sont- elles susceptibles d'être consommées utilement ou inutilement. Que dirait
M. Laurent si l'usufruitier laissait volontairement ou par incurie
les denrées se gâter, s'avarier? N'y aurait-il pas une atteinte à cette
prétendue obligation d'administrer en bon père de famille? (L aurent
VII n• 80. Conf. Cass. 2 1 janvier 45. D. 45. I. 104).
On voit qu'il est bien plus j uridique et plus sùr de rayer entièrement l'A. 618 en matière de quasi-us ufruit.
4° La prescriptfon acquisitive de l'usufruit. - Sans doute un tiers;
pourrait prescrire la propriété des choses données en quasi- usufruit.
Mais le quasi-usufruitier ne serait pas moins débiteur du constituant, et jouirait toujours du même délai pour la restitution. Il
perdrait donc la chose mais le quasi-usufruit s ubsisterait.
5° La résolution du droit du constituant ne peut produire aucun
effet en matière de quasi-usufruit. L e quasi-usufruitier sera devenu
propriétaire dès la livraison par l'effet de l'A. 2279. Une seule
question pourrait se poser: le propriétaire a-t-il le droit d'exiger
que l'équivalent des choses données lui soit restitué à la fin de
l'u sufruit, a u lieu d' être restitué a u constituant? La même question
se pose en matière de mutuum. Les auteurs décident conformément
à la doctrine de P othier que le propriétaire devrait être débouté de
sa demande (Laurent XXVI, n• 494). Nous adopterons la même
solution.
•
Enfin remarquons en terminan t que le quasi- usufruit du mari ou
de la communauté aurait des causes d'extinction spéciales qui sont:
1° L' annulatiC'n du mariage putatif, 2° L'absence déclarée de l'un des
époux, 3° La dissolution du mariage, 4° La séparation de corps et de
biens ou la séparation de biens seulement.
A.PPEN:OI:CE
Transformation du quasi-usufruit en usufruit.
Nous avons vu que l'usufruit pouvait dans certains cas spéciaux
être modifié : la nature du droit change avec la nature de la chose
sur laquelle il porte. Aussi n'est-il pas étonnant que comme nous
avons assisté à la transformation de l' usufruit en quasi-usufruit,
nous assistions aussi à la transformation du quasi-usufruit en usufruit. En pareil cas, le quasi-usufruit cessera : aussi sommes-nous
autorisés à placer ceLte question au titre de la cessation du quasiusufruit. Mais ce mode d'extinction diffère profondément de ceux
que nous avons étudiés. i le quasi-usufruit cesse, le droit du qua iusufruitier ne cesse pas : seulement il porte sur un autre objet,
l'action en restituLion du constituant ne pourra pas encore s'exercer.
De là une cli[él'Cnce considérable qui exige qu'on examine cette
question à part.
�-
150 -
CHAPITRE PREMIER
QUASI-USUFRUIT PROPREMENT DIT
La transformation sera évidemment fort rare : il faudra que d'un
commun accord les parties aient substitué à la chose consomptible
objet du quasi- usufruit une chose non consomptible. La simple
volonté du constituant ne pourrait pas produire un tel effet . Quant
à l'usufruitier, il pourrait placer seul les deniers provenant du quasiusufruit, mais la nature du droit ne sera pas transformée : la chose
acquise sera la propriété du quasi-usufruitier et son obligation de
restit uer restera ce qu'elle était.
Pourtant il peut arriver que cette transformation s·opère par la
seule volonté du constituant: supposons avec l'A. 603 qu'un us ufruitier d'une somme d'argent ou de denrées ne puisse pas donner
caution. Le constituant pourra exiger que les sommes c::>mprises
dans le quasi- usufruit soient placées , que les denrées soient vendues
et le prix en provenant également placé.
CHAPITRE II
QUASI-USUFRUIT DÉRIVA.NT DES CONVE NTIONS MATRIMONIALES
Les principes du contrat de mariage pourront a mener fréquemment la conversion, sous le régime de communau té, des propres
mobiliers en propres immobiliers, sous le régime dotal , de la dot
mobilière en dot immobilière, do lem pecuniaria11i in corpora converlere, disaient les jurisconsultes romains , enfoncer la dot mobilière en
hêritage, suivant l'expression des vieux légistes de la Bretagne. Ils
amèneront donc la conversion en usufruit du quasi-usufruit du mari
ou de la communauté suivant les régirues. Trois opérations surtout
- 151 auront cet effet: ce sont l'emploi, le remploi et la datio in solutum.
Avant de rechercher dans quels cas ces opérations seront possibles,
il importe de fixer avec soin le sens qu'on attache à ces trois expressions .
11 y a remploi lorsque les deniers provenant de l'aliénation d'u n
imme uble propre ou dotal sont employés à l'acquisition d'un autre
immeuble (o u de meubles déterminés pa r La convention ou la loi)
qui sera subrogé à l'immeuble a liéné. Le remploi nous permet :lonc
d'assister à une double transformation du droit du mari ou de la
communauté s uivant les régimes: droit d'usufruit d'abord converti
en quasi-us ufruit, droit de quasi-usufruit ensuite converti en usufruit.
Il y a emploi lorsque des deniers propres ou dotaux ou provenant
de l'a liénation de valeurs mobilières propres ou dotales sont employés à l' acquisition d'un immeub le (o u d' une valeur mobilière
détuminée) qui sera lui-même propre ou dotal suivant les régimes.
Ici nous assistons donc tantôt à une simple, tantôt comme ci-dessus
à une do uble transformation du droit du mari ou de la communauté.
Enfin il y a daLio ill solutum, lorsque la communauté ou le mari
quasi-usufruitier donne à l'époux quasi- r1u- propriétaire un bien en
paiement de ce qui lui est dù, ou plutôt de ce qui lui sera dù au
moment de la reddition de comptes entre épou..'i (dissolution du mariage, séparation de corps, etc).
On voit:
1° Que !•emploi et le 1·emploi ofîrent une grande analogie : ce qui
les distingue c'est. seulement une différence d'origine des deniers.
~· Mais que ces deux operat1ons doivent être distinguées a\·ec
soin de la datio in solulum. L'emploi et le remploi suppo ent en effet
une acquisition ftute pour le compte et au nom de l'ëpou:-. crenncier,
qui deviendra propriétai re du jour où l'acquisition sera faite soit
par lui- même soit par l'intermédiaire du mari agissant au nom de
---
- · --
--
- -- -
- -- - -
--..:-
�-
-
152 -
la femme. D'où cette conséquence que la propriété de la chose passe
directement du patrimoine du vendeur dans le patrimoine de l'époux
créancier sans qu'elle s'arrête un seul instant dans le patrimoine de
la communauté ou de l'époux débiteur. Àu contraire la datio in
solutum suppose que r époux débiteur ou la communauté prend
dans son propre patrimoine un bien pour Io donner à l' époux créancier. Voilà une différence essentielle, différence qui est sans doute
l'objet d'une vive controverse, mai8 qui nous semble cependant certaine.
Dans quels cas ces t rois opérations seront-elles possibles ?
ARTICLE PREMIER
Communauté légale et conventionnelle.
A. -
1
DBNIBRS PROVENANT DE L'ALIÉNATION D UN IMMEUBLE PROPRE,
OU DRNrBRS SUSCEPTIBLES DE REMPLOI.
a. -
Provenant de l'aliénation d'un immeuble du mari.
1° Remploi. - Le remploi est possible (A. 1434). L'A. 1434 exige
pour qu'il Y ait remploi que l'acte d'acquisition contienne une double déclaration: : de provenance des deniers, que l'acquisition est
faite pour tenir lieu de remploi. J'en conclus que Je remploi ne peut
pas ~tre fait en immeubles communs : car si l'acte d'acquisition
con~1ent cette double déclaration l'immeuble sera la propriété du
ma'.' et ~·aura jamais été commun, s'il ne contient pas cette déclarat10n l'immeuble sera commun, mais il ne pourra pas y avoir remploi (A. 1434).
Il ne pourra pas non plus être fait en immeubles de la femme. Ce
ne serait plus un remploi mais une datio in solutum.
153 -
La datio in solutum est impossible. Le
2° Datio in solutum.
mari ne pourrait recevGir en paiement qu'un immeuble de la femme
ou un immeuble commun dont la femme a la copropriété.L'A. 1595
!brait d{•nc échec à la validité de cette opération.
b. -
Provenant de l'aliénation d'un immeuble de la femme.
1° Remploi. -
L'A. 1435 l'autorise. Il ne pourra pas avoir lieu
en immeubles de la communauté, car la double déclaration est encore
nécessaire et doit malgré une vive controverse être faite au moment
de l'acquisition. Donc nous n'aurions qu· à répéter ici le raisonnement que nous venons de faire.
Pourrait-il avoir lieu en immeubles du mari ? Ce ne serait plus
un remploi, mais une datio in solutum.
2° Datio in solutum. - Elle est possible. L' A. 1595 2° autorise
en effet le mari à céder un de ses biens à la femme, toutes les fois
que la cession a une cause légitime telle que le remploi de ses propres aliénés.
Il pourrait donner à la femme soit un bien lui appartenant personnellement, hypothèse que l'A. 1595 2° semble prévoir spécialement, soit même un bien de communauté; en effet c'est en réalité
la communauté qui est débitrice; d'ailleurs, puisqu'il peut disposer
des biens de la communauté à titre onéreux , il doit pouvoir en disposer au profit de la femme, du moment que la vente entre épou.."t
devient permise.
On voit donc quelle différence nous devons constater entre cette
hypothèse et la précédente : la dation en paiement prohibée au profit du mari est permise au profit de la femme. Les auteurs sont
d'accord pour la justifier et nous n'avons pas à insister sur ce point
(Colrnet de Santerre, t. vn n• 20 bis rv. Laurent n1v n• 35).
�-
B. -
DENIERS PROPRBI
o ' nnmUDLES PROPRES
NE PROVENANT PAS
ou
- 155 -
154 - ·
DE L' ALI!NATJON
DENIERS SUSCEPTIBLES
n 'EMl'LOI
Il faut que les deniers soient propres, sans quoi on ne pourrait
plus parler de quasi-usufruit, et la communauté étant propriétaire
sans être débitrice, on ne pourrait concevoir ni emploi ni dation en
paiement. L'existence de deniers propres se constatera fréquemment en matière de communauté conventionnelle. On pourra en
rencontrer aussi - plus rarement, il est vrai - en matière de communauté légale. Ex. : Legs d'une somme d'argent, à condition
qu'elle n'entrera pas en communauté.
a. - Le contrat de Mariage ne porte pas qu' emploi sera {ail des
deniers propres.
1° Deniers propres au mari. - La datio in solutum sera impossible. Nous en donnerons la même raison que ci-dessus (deniers
provenant de l'aliénation ci'un immeuble du mari).
2° Deniers propres à la femme. - L' A. 1595 2° semble autoriser
la datio in solulum. En eJJet, il l'autorise toutes les fois :iu'elle a
une cause légitime, et comme exemple de ces causes, il cite : l 0 L e
remploi d'immeubles propres à la femme ; 2° le remploi de deniers
à elle appartenant. Cette seconde hypothèse semble être notre hypothèse actuelle : sans doute ce mot de remploi peut donner le
change sur l'intention du législateur; néanmoins l'opposition qu'il
établit entre le J• et le 2° semble faire ressortir le sens de ces mots
d'une manière suffisamment claire.
Lajunsprudence est en sens contraire. Il a été jugé (Civil rejet.
2 juillet 1873. D. P. 1873. l . 46'1), sous lerégimedecoromunaut.é
réduit.eaux acquêts, que le mari ne pourrait pa · donner à la femme
un immeuble en paiement de deniers propres dont la communauté
est quasi-usufruitière. La raison donnée est que la vente n'aurait
pas une cause légitime : car si la. femme est créancière , elle est
créancière à terme, sa créance n'est pas encore exigi ble. Cett.c
raison ne semble pas déci--ive. Lorsque la femme a aliéné un immeuble propre, tout le monde est d'accord pour autoriser le mari à lui
céd~r un de ses biens eo paiement. Or, dans ce cas, le mari n'est pas
débiteur actuel, car la femme n'a qu'une reprise f']u'elle exercera à
la dissolution de la communauté. Nous arnns donc Je droit d'affirmer que, pour que la cession ait une rause légitime, il n'c:.t. pas
nécessaire que la créance de la femme soit exigible, qu'il suffit
qu'elle soit certaine. Or dans notre bypotbese, l'existence de la
créance n'est pas douteu e, elle c~t certaine : donc la datio in solutum doit être pcrmi:.e. (En ce sens, Chambéry 21 fé,Tier l ï6.
D. 77. 2. 47).
Nous permettrons, comme plus haut, qu'elle soit faite, soit en
biens communs, soit en biens du mari.
Aim.i la dat10 in solulum sera permise ou défendue, suivant qu'il
s'agira de deniers appartenant au mari ou à la femme. ~Jais qu'en
sera-t-il de l'emploi? Faut-il le permettre ou le défendre toujour::. ou
user de distinction, comme nous in on
paiement?
fait pour la dation en
Au premier abord, il semble qu'un emploi régulit!rernent fait,
c'est-à-dire fait dans les formes exigées pour le remploi (A. 1~341435), ne deHait soulever sur a ''ahdité aucune espèce de doute .
L 'emploi et le remploi sont deux opérations qui présentent la mérne
utilité pour l' épom.. créancier et pour la communauté débitriœ. Ces
deux opérations offrent d'ailleurs une analo•Yie parfaite. Qu'importe
que les der;ier:; soient propres parce qu'il.:; proYiennent de l'aliénation d'un immeuble propre ou parce qu'ils ont étL legué' OllS cette
condition? Leur nature n 'c~t-dle pa' la même dao:. le,. deu'\ l'a!<?
Bien plus, quelle d1ffércnl e réelle, !"Cl'tcuse peut-on rele' er cotre
l'cmplo1 et le rt!m plo1, lorsqu'il s'agit d'employer J~ dt.nia pro'enant de l' nlicnat100 d'un propre mobilier? Dè" lors. s1 pour ' n lidcr lemploi on ne peut pt\.S mvoquer i11 ltrmi11is les \ . l-i'l.i-1 i3~
qui ne parlent que de deniers pro' ennnt de l'aliénanon d' un immcu-
�-
156 -
-
ble, pourquoi ne les invoquerait-on pas par analogi~? d'autant
plus que leur formule restrictive n'est qu' un simple accident de rédaction facile à comprer.dre et auquel on ne peut pas attacher d'importance. Elle s'explique par cette circonstance que dans la communa uté légale il y a bien peu de propres mobiliers. La même
remarque n'explique- t-elle pas le silence de l'A. 1428 sur l'aliénation des propres mobiliers de la femme et ne permet-elle pas a ux
auteurs les plus recommandables de repousser l'argument à contrario qu'on voudrait tir~r de cet article? (En ce sens Aubry et Rau
v p. 309 note 88. Rod. et Pont n•• 678, ü79, 6130. Marcadé, sous les
A. 14.34, 1435. Bourges, 27 aoùt 1853, D. 55, 2, 319. Douai,
15 juin 1861 , D. P. 62, 2, 160).
Cette argumentation semble décisive. Pourtant certains auteurs
résistent. Qu'est-ce que le remploi?
est une fiction de subrogation par laquelle un b!en est censé p1'endre la place d'un autre.
(Aubry et Rau v p. 300 p. Rod. et Pont n° 641. Laurent xx1 n• 359).
Si le remploi est une fiction, nous ne pouvons l' admettre que dans
les termes où la loi nous autorise à Je faire. Or sil' A. 1434 autorise
le remploi des deniers provenant de l'aliénation d'immeubles personnels, aucun article n'autorise l'emploi de deniers propres. Donc
cet emploi est impossible. On peut encore présenter ce raisonnement
sous une autre forme. L'A. 1401 3° pose le prin~ipe : tous les immeubles acquis pendant le mariage sont acquêts. Les A. 1434, 1435
établissent une exception au principe : mais l'emploi n'étant pas
prévu par ces articles, nous ne sommes pas dans l'ell ception, donc
nous sommes dans la règle.
Pourtant dans l'opinion contraire on invoque deux textes: 1°
L'A. 1470 qui permet à l'époux de retirer a la dissolution de la communauté ses biens personnels s'ils existent en nature ou <;eux qui
ont été acquis en remploi. Or, dit-on, I' Article parle de tous les biens
acquis en remploi, sans distinguer entre le remploi de meubles et le
remploi d' immeubles. A cette obj ect10n on peut faire une double
c·
157 -
réponse. En admettant qu'ù se dégage de cet article un argument
sérieu..x, sa portée serait diminuée par cette considération que r A.
H70 est un article fort mal rédigé, qui confond l'époux propriétaire et l'époux créancier de récompense . .Mais en réalité l'argument
vau~il? Non. L'A. 1470 ne distmgue pas suivant la provenance
des deniers parce qu'il n'avait pas à distinguer. Simple article de
rappel, il se sert du mot de remploi et renvoie pour son explication
à l' A. 1434, article de principe. D'ailleurs le mot même dont il se
sert loin de donner gain de cause au premier système est plulôt
favorable au second : car il parle de biens acquis en remploi et non
de bien$ acquis en emploi.
2° L'A. 1595 2°. Nous avons vu que cet article autorise en pareil
cas la cession que le mari fenùt à la femme d'un de ses bien:::. ou
d'un bien de communauté. Cet article n'a rien de décisif: sans doute
il se sert du mot de remploi, mais la dation en paiement nou.. l'a von"
vu ne se confond ni avec l'emploi, ni avec le remploi (Voir Aubry
et Rau v, p. 304 note 71. Colmet de Santerre, t. v1 n• ï9 bi.s :x).
Aussi si cettte obj ection se comprend dans la bouche de Rodtère et
Pont qui confondent l'emploi et la datio in solutum, elle ne e
comprend plus dans celle d' Aubry et Rau.
Enfin on peut justifier la distinction du légi !ateur qui autofre le
reruploi et prolùbe l'emploi. Le remploi n'apporte aucone modification au:\. rapports de la communaut~ et de l'épom. : a l'ori 0 'Ïne la
communauté était usu.fruittere d un immeuble, c'est cette première
situation qu on rétablit. L'emploi au t'Ontraire a pour effet de substitu..:r au quasi-usufruit de la cornmunaut~ un usufruit : dé~ormai
le man ne pourra plus aliéner le::. propres <le la femme, il ne pourra
plus s'en servir dans l'intérêt commun. l\'est·ce pas une modification apportée après coup au contrat du mariage! (Laurent xi,
n• 163. Duranton XIV , o• 389. Douai, 2 avril 1 46, D. P . -H, ~.
198. Rennes, 12 décembre 1 46, D. P. 47, ?, 199 .
Nous n'avons discuté Jusqu'à présent qu'en mat.lère de commu-
�158 nautfS légale. Les auteurs qui adoptent cette deuxième opinion se
demandent s'il faut l'étendre à la communauté conventionnelle, à la
communauté d'acquêts spécialement : comme aucune raison nouvelle ne se présente, I' A. 1528 autorise à le faire. On a bien dit (Cass.
16 novembre 1859. Dalloz 59, I, 1190) que si l'A. 1434 ne prévoit
pas l'emploi du mobilier propre, c'est que cc mobilier propre n'existera presque jamais sous la communauté légale. On en constatera
au contraire fréquemment l'existence en matière de communauté
conventionnelle : donc il faut reconnaitre que !'A. 1434 est spécial
à la communauté légale. Maie; cette objection tombe si on se rappelle qu'il peut exister des meubles propres sous le régime de communauté légale. D'ailleurs le principe est que les immeubles acquis
à titre onéreux pendant le mariage sont communs (A. 1498;. Pour
faire échec à ce principe il faudi·ait un article : or cet article n'existe
pas (Laurent XXIII, n• 154).
Nous avons exposé l'état de la doctrine sur cette question. A
quelle opinion doit-on s'arrêter ? L'opinion de Laurent est fondée
sur les textes et les principes : on doit donc l'adopter. Mais il faut
reconnaitre que la doctrine contraire généralement suivie est plus
raisonnable et meilleure en pratique. Pourquoi prohiber l' emploi
puisque l'opération présente toutes garanties et ofüe une utilité
incontestable? Aussi ne doit-on pas s'étonner de voir la jurisprudence s'y rallier.
Nous avons à dessein pdssé sous silence un système intermédiaire
appuyé par Dalloz et Bugnct sur Pothier (Dalloi V0 contrat de mariage n• 1477). Par application de l'A. 1595 2° l'emploi permis au
profit de la femme serait défendu au profit du mari. Nous repoussons cette doctrine, l'A. 1595 étant pour nous hors de la question.
L'emploi de deniers propres est donc prohibé. Mais qu'arriverait-il
si le mari sans tenir rom pte de la prohibition venait à acquérir un
immeuble pour lui servir d'emploi, ou pour servir d'emploi à sa
femme? li faudrait répondre que cette acquisition est une acquisi-
-
159 -
tion à titre onéreux faite pendant le mariage et que l'immeuble sera
commun (A. J401 3°). La communauté reste~d d'ailleurs u sa dissolution débitrice des deniers propres.
b. - Le contrat de mariage contient une clause autorisant l'emploi
des deniers propres.
1° Deniers propres au mari. L'emploi sera· possible, la convention étant la loi des parties ; la datio in solutum sera prohibée (A.
1595 2°).
2° Deniers propres à la femme. L'emploi et la dati-0 iti solutum
seront possibles.
ARTICLE II
Régime sans commuMutt (A. 1530, 1535).
Sous ce régime la femme aura fréquemment des deniers dont le
mari sera quasi-usufruitier.
En pareil cas : 1° i les deniers proviennent de l'aliénation d'un
immeuble, le remploi sera possible ; 2° ïls proviennent d'une autre
sou 1ce l'emploi sera possible.
Nous constatons une dill'érence a,·ec le régime de la communauté, où l'emploi n'est possible qu'autant qu'une clau::;e du contrat
l'autorise. Il n'y a pas lieu de~ en étonner : ous ce ré,,.ime nous
ne t.·ouvons plus la regle de I'.\ . l ~O 1 3•, lu femme peut donc acquérir à titre onéreu\:.
Les conditions d'emploi et de remploi ont celles de !'..\.. 1435.
Le mari pourra toujours donner à la femme un de ·e:. bien:. en
pairment. L'A. 1595-:?0 autorise en pareil eas lu Yente. Il et uai
que le exemples que donne ret article étant empruntes à la L'OCDmunauté, on pourrait être tenté de restremJre ·on applicatton ù ce
régime. On est cependant générlaement d'accord pour reconnaitre
�-
160 -
que l'article n'est pas limitatif. Il donne de simples exemples : aussi
applique-t-<m sa règle aux espèces analog ues qui se présentent
sous d'a utres régimes.
ARTICLE III
Regime dotal
A. -
DENIERS NB PROVENANT PAS DE L ' ALIÉNATION D' UN IMMEUBLE
DOTAL, OU DENIERS SUSCEPTIBLES D'EMPLOI.
a. - Le contrat de mariage ne contient pas de clause autorisant l'emploi.
J. - Emploi. - L'emploi en pareil cas n'est pas possible. L'immeuble acquis en emplvi n'est pas dotal. No us avons vu qu'en
matière de communauté la question est douteuse, ici deux r aisons
décisives im posent cette solution : d'abord le texte for mel de
l' A. 1553, ensuite une r aison de principe. Il est de principe que
-
IGl
bration du ma riage, est immuable, et ses règ les s'imposent aux
\'.·poux alors même qu'ils seraient d'accord pour essayer de s'y
so ustraire.
. Mais l'immeuble ne serait-il pas dotal, si la femme s'était constitué e~ dot tous ses biens présents et à venir ? On a essayé de le
soutenir (To ulouse, 17 décembre 1868, Sirey 1870, r, 185). Sans
doute, a- t-on dit , l'immeuble ne peut pas être et n'est pas dotal
r·on:i~e représentant une valeur dotale : l'A. 1553 s'y oppose.
Mais 11sera dotal en vertu du contrat de mariage et des ter mes de
ln ~onstitut~on de dot comme bien à venir (Dutruc, Traité de la séparation des bLens , n•. 454, note 5). Ce raisonnement n'a pourtant pas
préva lu. On a fait r emarquer avec raison que la disposition de
l'A. 1553 est absolue et ne renferme a ucune distinction. Le législateur ne s'y préoccupe pas de l'étendue de la constitution dotale il
ne considère qu' une chose : le contrat de mariag e contient-il ~u
non une clause d'emploi ? Or no us avons supposé q u'il n'en contient
note 20. Rod. et Pont HI, 1680).
Mais alors que fa udrait-il décider :
a ucune. D'a utre part l'immeuble ne peut pas être considéré comme
bien à venir et comme dotal à ce titre. On entenJ par biens à venir
ceux qui viennent a ug menter le patrimoine et s'ajouter aux biens
existants ; o r l' immeuble acci uis en r emploi n'est pas uoe valeur
1° Si la femme venait à acquérir un immeuble, et si le mari payait
le pri:.c en déclarant employer les deniers dota u.i; pour {aire ce paiement ?
Allons-nous voir le quasi- usufruit se transformer en us ufruit î
no uvelle, ma is la r eprésentation d'une \'aleur préexistante. D'ailleurs q ue l'on suppose un contrat de mariage portant constitution
de dot des biens présents eulcment et contenant une clau e d'em-
Non. L' immeuble a ppa rtiendra la femme, car c'est en son nom
q ue l'acquisition a été faite (1), mais il ne sera pas dota l, car la dot
immobilièr e ne peut pas être a ugmentée pendant le mariage
(A. 1395 1543 1553). Il en serait ainsi a lors m ême que les époux
par une convention expresse a uraient déclaré imprimer à l'immeuble un caractère dotal : car le contrat de mariage, apr ès la célé-
ploi, l'immeuble acquis en emploi des deruer· dotaux sera dotal :
donc ce n'est pas un bien compris dan la catégorie des biens à
venir, car alors il ne serait pas dotal, la constitution de dot ne
com prenant pas rette clas~c de biens. Il faut donc reconnaitre que
la dot ne peut pas être modifiée pendant le mariage quant à la
nature des biens dont elle se compose (Aubry et Rau V, p. 537 ,
'
( !) Voir la note page 16l.
les principes qui ont dicte nu législateur l'A. 1553 sont seuls en jeu
dans la matière : or ces principC.) refusent à l'immeuble la qualité
de bien dota l (En ce sens Grenoble 11 juillet l 85i, Dalloz Sï , :"? ,
:? lO. Rcq. :?6ju11lè1 1 6:5 , D. 65, 1146î. Rejet Cass. 12 a\'ril 18î0
S ir ey 18î0 , 1. 1 8~) . .\ ul>ry et Rau , l V , page 539 note JO).
ll
�-
162 -
L'immeuble n'étant jamais dotal, il eu résulte que la dot mobilière
va être diminuée pendant le mariage : le mari a va nt le paiement
était quasi-usufruitier des deniers dotaux et ces deniers sont après
le paiement remplacés par un imm~uble pa:aph~rna~. Comment
empêcher cette atteinte à la convention matr'.mom~~e . Aubry ~t
Ra u (V page 538 note 26) décident que quoique. l 1mme~ble soit
paraphernal le mari en aura l' usufru it. Cette solut ion est macceptable : on crée une classe de biens intermédiaires entre les dotau~
et les paraphernaux, dont le mari a l'usufruit co~m~ il a l' usufrwt
d~s biens dotaux, qui sont aliénables et prcscr1pt1bles comme les
parap!lCrna ux. Troplong (IV, 3 196) croit qu'en ~rincipe les frui ts
doivent être délégués a u ma ri et affectés à soutentr les charges du
mariage : mais il reconnait à la femme le droit si elle le préfère de
s'approprier les fruits à la charge de payer au mari les intérêts du
capital dotal employé à l'acquisition. Colmet de Santerre enfin
(t. YI n• 225 bis V) s'inspire de cette dernière idée, et propose
une solution meilleure. L'immeuble sera para pherna l et la femme
en aura la propriété et la jouissar1ce. Ma is le mari en payant avec
les deniers dotaux a renoncé à la jouissance de ces deniers : c'est
cette renonciation qui est inéguUère et dont il fa ut l'indemniser.
Aussi pour ra-t-il lui réclamer le paiement des intérêts de la
somme d'argent qu'il a fournie Cette solution est d'ailleu1·s conform~ aux principes généraux : le mari en payant a u nom de la
femme peut avoir agi soit comme ::.on mandataire, soit comme son
gérant d'affaires, dans les deu:i. cas il poul'ra inrnqucr l'A. 2001.
u L'intérêt des avances faites pa1· le mandataire lui csL dù par le
mandant à dater du jour des avances constatées ( 1). »
2° Si le mari achéle seul un immeuble rn déclarant l'acquerir
pour le comµle el au nom de la femme el pour lui servir d'emploi ?
( \) Pour la gestion d'affa ires la q uestion es l controversée (Voyez ALtbry
p. 724 note 12).
t Rau 1V
-
163 -
Si la femme accepte, le mari ayant joué le rôle de gérant d•affaires , tout se passe comme si elle avait figuré elle-même au contrat.
0."o us retombons donc dans le cas précédent (1).
S i la femme refuse, elle ne sera propriétaire de l'immeuble ni à
titre dotal, ni à titre paraphernal: nemini invita acquiricur. Fautil dire que 1' opération sera au compte d1J mari et que ce dernier en
acquerra la propriété ? La solution de la question dépend de Ja
manière dont on apprécie le rôle joué par le mari dans les emplois
ou remplois. L es a uteurs qui analysent l'opération en une acquisition faite au nom du mari, et une offre adressée à la femme de la
s ubstituer a u bénéfice de l'acquisition doivent décider que l'offre
tombe devant le refus de la femme, mais que l'acquisition faite a u
nom du mari reste. Les auteu rs, qui au contraire considèrent le
mari comme mandataire de la femme, doi,•ent appliquer l'A. 1997.
es pouvoirs sont connus, ils sont déterminés pa r l'A. 1549, et les
t iers qui traitent avec lui doivent être regardés comme en ayant
une connaissance suffisante. Le mari n'est donc tenu à a ucune
(1) Uans cette h\'polhèse el celle qui précède une autre opinion s'est lait
jour. Elle repose s ur des principes entièrement différents de ce11x que nous
:i,·ons admis el ne semble pas êt re exacte. On prétend que l'immeuble acquis
:\\·ec les drniers dotaux ne sera ni dotal ni paraphernal, parce quît n'e.<:t pas
la propriété de la lemme, mais t'elle du mari. c En effet, dit-on. si le mari n
figuré seul dans l'acte d'acquisition. il e.~t è1·idenl que la dol n'a pu être
changée contre la \'Olontè de la lemme, qui n'a pu acquérir l'immeuble contre
son gré. " Nous examinerons plus loin <'e C.'I... On ajoute: c 1 La
lemme a concouru à l'acte le résultat est le même, parce quïl ne depeud pas
de h femme de changer le C.'lraclère de <;a dot par le seul fait tfe ' \'olonlé ,
Le principe sur lequel on !.'appuie,;\ sa\'Oir que la lemme ne peul pas chan~er
le ca1·actère de sa dot esl exact, 1.\ conclusion qu'on eu tire que l'ac:qui~ition
est au compte du mari e.st hu-.s~. L'opëration laite ou plutôt teulile p:u b
lemme s'annly<:e en un double acte: t • en une acquisition hile en n nom.
2• en une teuta li1·e d'emploi. o.. ces deux actes le premier e;';t inaltaquabhi:
jamais on n ·a soutenu que la lemme doL1le lùt frappée de l'iucapacite d'acquérir: donc l'immeuble serJ -;.1 propriMë. Le :;econd acte seul constituer:iit
une \'iolalion des rO:j?le~ de ln dot. L'.\ . 1553 ne défend pas 1\ la lemme
d'acquérir on son priiprt' Mm, il lui dèfeud d'employer ses deniers dotau .
<1'e•ll don<' de ee ser11nrl a..te seulement qu on doit se préoccuper, car c'est le
�•
-
164 -
garantie pour ce qui excèJe ses pou\•oirs, et l'opération doit être
l'Onsidérée comme non avenue. Il faudrait pourtant reconnaitre aux
tiers le droit d'agir eo dommages-intérêts contre le mari dans le
cas où il se serait porté fort pour sa femme (Troplong IV , 3196).
JI. - Datio in solutum. - Le mari pourrait-il céder à la femme
un de ses biens en paiement des deniers dotau'.\. ? Certains arrêts
approuvés par Aubry et Ra u (t. IV, p. 350, note 24) annulent la
dation, la vente entre époux étant prohibée. Pour eux on ne peut
pas invoquer l'A. 1595 2° car la cession n'a pas une cause légitime:
i1 le entendre, cette cause légitim e suppose le mari débiteur de
somtnes susceptibles d'un rem'.rnursement actuel, ce qui n'est pas
dans l'espèce (Cass. civ. 11 juin 188 1 D. P. 1882, 1, 193). No us
avons combattu plus haut cette doctrine a \•ec Laurent (Laurent
XXIV, n° 38). Dès lors devrons-nous dire avec cet a uteur que la
dation en paiement est possible ? Non. ans doute l'A. 1595
n'empêche pas cette opération, mais les principes du contrat de
mariage font échec à sa validité. Quelle serait la nature de lï mmeublc que la femme aurait reçu ? l~ n fcrn-t-on un bien dotal ?
seul qui soit irrégulier : aussi avons- nou~ essayt!- de restiluer le mari contre
le:; oonséquences du paiement par lui rait.
[)'ailleurs n'est- il pas bizarre de rorcer le mari à rester proprié ta ire ùe
l'immeuble qu il a acquis pour le compte de sa femme '1 On a essa1•é d'expliquer ce ré ~ull:tt étrange en disant : " Le mari q11i achl-le pour le compte de
sa femme !;e trouve daos la m,;mc situati rn que crlui <JUi achète pour le
compte d ' un tiers pour lequel il se porte rort. Si le Liers refuse de ratifier la
prupriélé reste néc6';sairement sur la tctu ùc la personne qui a,·ait acheté pour
le compte de ce tiers. ,. Il est facile de rrpondre :
1 Le mari n'est pas d'ordinaire porte- fort, m·lis g61·ant d'a[ai.res ou mandataire de la femme.
2• Serait-il porte- for t, le porte- fort n'es t passible le ras échéant que do
d<>1nmages-inlérèls. tns doute il peut p rendre l'o plmll ion it son compte s'il
le juge conn~naLle, 1nais il n e Jl"Ut pa'l y être contrai ni. (Aubry et nau I V,
p. 308 note 15 ).
Voyez R orlii re en note de l'o.rrêl de <':1<>'<ali1111 <lu 12 U\'ril 1870. Sirey 1870.
t. 185.
-
165 -
~Iais alors la nature de la dot est modifiée après coup ; elle était
mobilière, elle sera immobilière. D'ailleurs il est de principe qu'un
bien ne puisse pas de.. enir dota l en dehors des cas spécialement
prévus par la loi ou par le con trat. Or les conditions exigées par
l•A. 1553 ne sont pas remplies . donc l'immeuble n'est pas dotal. En
fera-t-on un para phernal? Une nou,•elle objec tion se présente: la
jouissan-;e du mari va subir une rood1ficatioo. Il a mit l'usuCruit de
deniers dotaux, désormais cet usufruit lui fera défaut et en echan"e
0
il n'acquerra rien. Or l'A. 1595 2° n'a certainement pa entendu en
a utorisant la vente entre époux permettre la Yiolation des r1:gles le
plus essentielles du régime dota l : oo ne pourra donc pas l'm\·oquer pour valider la dation en paiement (Col.met de Santerre Yl,
n° 225 bis IV).
b. - le Contrat de Mariage contient une clause autorisant
l'emploi des deniers dotaux.
L'emploi sera possible. Le bien acquis en échange sera dotal. Il
est vrai que la dot mobilière sera transformée en dot immobilière,
mais cette transforrnat100 est régulière ayant été pré,·ue au contrat
(A. 1553). Le quasi-usufruit du mari cessera donc pour faire place
à un droit d'usufruit.
Mais au lieu de faire emploi, le mari pourrait-il donner un de SéS
immeubles en paiement des denier· dotaux? Sans doute. - ·ou~
avons établi plus haut que !'.\ . 15!.l5 ne fait pas olistacle à c1.:he
opération, d'autre part le· principe:> spéciau" de la dot n'y foot
plus échec : ln Jot sera mod1fièe Jans sa compo itioo, mais cette
modification a été pré\ ue au contrat, par cela seul que l'emploi a
étc autorisé. Les débiteur de la dot d'ailleul'S, sils sont respons,1bles de l'utilité do l'emploi, !'Cront appelés à contrôler ln dation en
puiemcnt, comme tout autre placement fait p<lr le mari : ils lui
donneront, après e\.amen, les denier:; dotaux, dont il usera comme
�-
166 -
bon lui semblera, et l'immeuble cédé à la femme deviendra dotal
(Benech de l'Emploi et du remploi n• 34).
B. - DENIERS PROVENANT DE L' ALIÉNATION o'm~ŒUDLES DOTAUX. L'aliénation peut avoir été faite eo vertu des A. 1558- 1559 : le remploi sera non seulement possible, mais encore obligatoire. Elle peut
avoir été faite en vertu du contrat de mariage (A. 1557). Le contrat
contiendra toujours une clause ordonnant le remploi.
En pareil cas le mari ne pourrait-il pas, au lieu de faire un remploi, donner un immeuble en paiement? Nous n'aurions ici qu'à
répéter le raisonnement que nous venons de faire dans le paragraphe précédent et nous en concluerons: 1° que l'immeuble sera dotal ; 2° que le mari pourra user des deniers comme bon lui semblera (Benecb rk /'Emploi et du remploi n• 90).
Nous venons d'indiquer les cas où le quasi-usufruit peut se transformer en usufruit : nous avons vu que d'ordinaire, pour que cette
transformation s'opère, il faut le concours de volonté des deux intéressés (voir page 150). En est-il de même en matière de contrat de
mariage? Une hypothèse doit d'abord être mise hors de cause,
c'est celle ou la communauté est quasi-usufruitière d'un propre du
mari. Le mari est administrateur de la communauté et de ses propres biens : son consentement sera donc nécessaire et suffisant pour
l'emploi, le remploi et la dation en paiement. Mais lorsque la communauté ou le mari, suivant les régimes, set·a quasi-usufruitier d'un bien
de la femme, pour que ce quasi-usufruit soit converti en usufruit,
faut-il le concours de leurs volontés ? Des distinctions s'imposent.
Pour la datio in solutum, le mari et la femme doivent être d'accord.
Pour l'emploi et le remploi quidjuris? Ils peuvent être facultatifs pour
1e mari. En pareil cas, la femme sera appelée à accepter ou refuser I' offre qui lui est faite . Qu'en est-il s'ils sont obligatoires (clause d'emploi
ou remploi obligatoire) ? Ici les auteurs sont en désaccord. On peut
soutenir que l'acceptation de la femm e n'est plus nécessaire, le
mari n'agissant plus comme gérant d'affaires, mais comme manda-
-
167 -
taire de la femme. S'il en était autrement , le mari serait dans une
situation fâcheuse : il serait tenu de remployer, et la femme pourrait refuser les offres qui lui seraient faites. On le mettrait donc
dans une impasse dont il ne pourrait plus sortir. Cependant le système contraire semble plus sûr. Peu importe la situation difficile
dans laquelle se trouve le mari : ce n'est pas dans son intérèt mais
dans l'intérêt de la femme que la clause a été inscrite, peut-on
s'étonner qu'il en souffre? C'est un sentiment de défiance qui a
inspiré cette clause, 11 serait bizarre qu'on pût y trouver la source
de nouveaux droits pour le mari el la JU tification de I' e:\tensioo de
ses (JOuvoirs (Comp. Laurent n1 n° :.190. Aubry et Rau et les auteurs qu'ils citent v p. 539 note 31).
S~C:::'TIC>N'
II
De l'obligation de restituer
Nous étudierons : J0 L'obligation de restituer en elle-même ;
2° Les garanties qui assurent lu restitution.
eu
DE
PITRE PREMIER
L'OBLIGATIOX
DE
RESTITUER
ARTICLE PREMIER
Quasi-usufruit ord inairt
Le riuasi-usufruitier, dit I'.\ 587, doit à la fin de l'usufruit rendre
des choses de même quantité, qualité et rnleur que celles qu'il a
rc<:ues ou leur estimation.
�-
168 -
De cet article il résulte que le quasi-usufruitiel' ne jouit d'aucun
délai pour restituer. Mais que doit-il restituer? On a soutenu que
l'article lui donne le choix entre des choses de même nature et leur
estimation, on a prétendu que les termes dont il se sert laissent
croire que son obligation est une obligation alternative. Mais à quel
moment se placera le juge pour faire cette estimation : Est-ce au
moment de la constitution ou de la cessation de l'usufruit~ Le~
auteurs sont en désaccord. D' un côté on peut d1re qu'il est logique
de se placer au moment où l'obligation de restituer prend naissance,
c'est à dire au moment de la constitution de l' usufruit. De l'autre on
peut alléguer le principe des A. 1895 , 1993, qui pour déterminer
l'obligation de l'emprunteur se placent au moment où le prêt a pris
fin. D'ailleurs, ajoute- t-on, la première interprétation conduirait à
un résultat injuste et inadmissible, elle aurait pour conséquence de
mettre les risques de moins- value à la charge du constituant, sans
qu'il puisse espérer profiter d'une plus-value possible car l'usufruitier ayant le choix restituera des choses semblables ou leur
estimation, suivant que leur valeur aura diminué ou augmenté
(Comp. Proudhon V, 2634. Toullier UI, 398. Aubry et Rau Il,
page 525, note 3).
Ces deux systèmes doivent également être repoussés : ils sont
contraires aux principes et à une saine interprétation de l'A. 587.
Les principes disent (A. 1243) que le c1·éancier ne peut étre contraint de recevoir que la chose môme qui lui est due. Or ou l'acte
contient une estimation de la chose sujette à usufruit, ou il n'en
contient pas. S'il n'en contient pas, pourquoi donnerait-on ü l' usufruitier le droit de restituer l'estima tion, a lors que le constituant
a certainement voulu se faire restituer des choses semblables? S'il
contient une estimation, n' est-ce pas le cas d'appliq uer le principe :
A?stimatio (acit ... ? Quel autre sens pourrait-on donner à cette estimalion, puisque ce n'est jamais la chose même qui doit être restituée? D' ai lieurs le constituant a un intérêt incontestable à faire
-
JGq -
prévaloir cette interpretat1on : lc:s choses peuvent diminuer de
valeur et c'est une chance <tu'il ne veut pas courir. L'e5timation
vaudra donc vente, et 1' usufruitier ne sera débiteur que du monta nt
de cette estimation. Il ne faut pas croire que le texte de I'.\. 587
empêche d'adopter cette solution il contient implicitement a u co~
traire la distinction que réclament les principes. En effet en admettant que l'usufruitier pourra restituer l'ei;t1mation il suppose que
l'estimation a été faite : s'il a ra it dû recevoir son application même
au cas où les pa rties n'a uraient pas estimé la chose il aurait contenu
non le mot d'estimation, mais celui de va leur, dont se sert l'A. 1903
dans une hypothèse ana logue. Enfin le sens de r .\ . 58ï de,·ient
pa rfaitement clair si l'on tient compte des précédents historiques.
Son origine se trouve da ns la 101 7 dt usu(ructu tan.on rerum qtliP ...
d' où l'on peut indull'e qu1; la même distmction était admise à Rome.
T elle était l'interpréta tion que Doma l donnait de cette loi, et il n'y
a pas lieu de croire que les rédacteurs du code civil aient voulu
mnover.
Donc .
Ou les parties ont estimé la chose (J). - Le quasi-uc;ufruitier
paiera le monta nt de l'estimation. Il pourra arrh·er dans ce cas
qu'il restitue moms qu'il n'u rc~·u. ""opposons qu'il ait reçu en qua-iusufruit un immeuble estimé :20, l' estimation valant vente, ce qui
sera fréquent en matière de contrat de mariage. Il est 1n-incé : l'action en garantie étant mtentée contre Je vendeur, il aura droit indLL
pendarument du prix de vente ù la plus-,·alue que le bien avait
acquise au moment de l'é' 1ct10n. P ourtant il ne sera pa · tenu de
restituer la somme qu'il aura re~·ue en -u:s du prix Celte dt.\ci::;i.on
semble injuste, elle est pourtant inattaquable S 11 n'avait pas ëté
é\ mcé, il n'aurait restitué que le montant de 1esllmation et aurait
(1) Peu importe qno la
cho~
it atl l'estimation l'aillo voute.
estimée soit ou uou consomptible, J")ur,·u
�-
l70 -
profité de la plus-value ; pourquoi n'en profiterait-il pas en cas
d'éviction? le bénéfice qu'il a fait lui advient non pas en qualité
d' usufruitier, mais en qualité d'acheteur. Ses pré tentions sont par
conséquent fondées (Colmet de Sante1-rc, VI, n• 224 bis III).
Ou aucune estimation 1t' a éte faite. - L'usufruitier rendra, dit
J•A. 587, des choses de môme quantité, qualité et valeur. Il y a
dans ces mots une inexactitude : la valeur des marchandises étant ·
variable, il sera fort rare que des choses de même quantité et qualité aient la même valeur. Si l'usufruitier restitue des choses de
même valeur, ce ne sera pas la môme quantité ; s'il restitue des
choses de même quantité, ce ne sera pas la môme valeur. Il faut
donc effacer le mot de même valeur ou le prendre dans le sens de
même bonté.
~fais qu'arrivera-t-il si l'usufruitier ne fait pas la restitution à
laquelle il est tenu? Il se peut qu' il ne 1·estitue pas : 1° Parce qu'il
est dans l'impossibilité de satisfaire à son obligation. En pareil cas
l'A. 1903 décide en matière de mut.u1lm que l'emprunteur est tenu
de payer la valeur eu égard au temps et a u lieu où la chose devait
6trc rendue d'après la convention, et si la convention est muette sur
ce point eu ~gard au temps et au lieu où l emprunt a été fait. De ces
deux décisions de l' A. 1903, la première est une application du droit
commun : en effet, avec la somme qui lui est restituée. le prêteur
pourra se procurer les denrées promises ; le paiement de la valeur
équipolle donc au paiement des choses en nature. La seconde a u
contraire est une violation des principes : car la valeur des denrées
se modifiant, le prêteur ne recevra pas l'équivalent de ce qu'il eO.t
reçu en nature. Nous appliquerons donc la première solution de
l'A. 1903 au quasi-usufruit, quant à la seconde nous la repousserons : nous adopterions plus volontiers l'opinion de Pothier en
matière de prêt (Du Pr~t de Consomm. n°• 40 et 41) qui considérait le
temps de la demande; mais il fau t a ller plu!l loin encore : il est plus
conforme aux principes de se placer au moment du jugement, car
-
171 -
c'est à ce moment que le créancier devra se procurer le denrées
dont il a besoin.
Mais quand peut-on dire que l'usufruitier est dans l'impossibihte
de satisfaire à son obligation? Ce sera évidemment fort rare. On
peut citer le cas où les choses qui ont fait l'objet de !'usufruit ont
été mises hors du commerce, où pendant une disette l'usufruitier
serait obligé d'acheter la chose à un vend(:;ur, qui abuserait de la
situation etc ...
2° Il peut arriver que !•usufruitier refuse ~os rootiC d'exécuter
son obligation. Alors le créancier aura le droit de demander ou que
des choses semblables soient achetées aux frais du oébiteur
(A. 1243) ou que sa créance soit convertie en dommages- intérêt
conformément au droit commun.
De la preu1:e a faire par le constituant. prouver:
Le constituant derra
1° L' cxi,,tence <lu titre constitutif de quasi-usufruit.
:2° Qu e les cho~c., sur lesquelles portait l'usufruit ont été liHées.
Nous avons vu, en eITet, que l'obligation de l'usufruitier ne prend
naissance que par la li vrais on de la chose : il ne peut pas restituer
ce qu'il n'a pas reçu.
Cette preuve se fera conformément au droit commun. Donc, :;.1 la
chose a été livrée par le con~tit uan t, il faudra un ~crit, une quittance, à moins que sa valeur ne ::,oit inférieure à 150 franC-$. i la
chose a été livrée par un tiers, (exemple, oit un usufruit constitué
sur une créance, le débiteur en payant.. le tranforme en quasi-u:;.ufruit) il y a lieu d'appliquer l'A. 131 et <le permettre la preU\c par
tous moyens f!OS ibles.
3° La consistance des choses sujettes à quasi-usufruit Cette
prcu ve sera d'ordinaire asbe1 fal'ilc . C'\ . u 11f1 u1t de 100 quintaux
rie blé. Mais qu'en est-il si l'usufruit n ëté constitué sur un en emble
de bien : ex. une s uccession? On fera la preu\ e à l'aide de l'inventaire que l'usufruitier a dù dresser (A. 600) au moment de :..on en-
�-
172 -
trée en jouissance. Mais ,1iûd s'il n'a pas fait inventair~? Le constituant pourra-t-il prouver par témoins, simple présomption'. com~une
renommée? r0 us n'avons pas à insister sur cette question qui est
commune à l'usufruit et au qnasi-u ufruit.. Qu'il nous suffise de
dire que les auteurs sont en désaccord et que l'affirmative rencontre
plus d'approbateurs (Laurent v1 503. Aubry et Rau II p. 472).
4• Que le quasi-usufruit a pris fin. Cette preuve se fera conf~r
mément au droit commun , elle incombera toujours au constituant
nonobstant l' A. t 983 relatif à. la rente viagère.
ARTICLE If
Quasi- usufruit résultant des conventions matrimoniales
A. - Communauté légale, communauté d'acquêts, réalisation
expresse. - L'époux créancier aura droit, conformément aux
principes généraux, si la chose a étè estimée, a u montant de l'estimation, et, dans le cas contraire, à lles choses de méme qualité et
quantité (A.. 587). Dans Je cas où le débiteur n'exécuterait pas son
obligation, l'époux créancier pourra obtenir une indemnité représentative de la valeur au moment du jugement. En combinant ces
principes avec ceux de la communauté on conclut que, si la femme
accepte la communauté, J' époux créancier pourra réclamer à l'a utre
époux la moitié de la créance, sauf le droit, pour la femme, d'invoquer l'A. 1483 ; que, si la femme renonce u la communauté, la
femme créancière pourra réclamer au mari le paiement de la créance
r.nticre, quant au mari, il est seul propl'iétaire de la communauté
et n'est ni créancier ni débiteur.
Dans le cas où l'époux créancier se paierait par voie de prélèvements, il aurait droit à une valeur roobilicre ou immobilière repré-
-
173 -
sentative de la valeur de la cho;,c uu moment de la dissolution de la
communauté 'En <·e ,;cns .•\ ulJry et Rau,. page 1158 note 32 Laurent voudrait lui .-tonne: la valeur au moment où la cboi'e e-.t
tombée en . .: ommunautè Laurent Hill n• 151 . C'est une erreur:
l'époux " lroit, eo principe. « une chose de même nature . le~ règ les s ur le prélèvement transforment son droit, pour connaitre
J' étendue de ce droit il faut se placer au moment de la tranformation,
c'est-à-dire 1u moment de la dissolution de la communaute. On
pourrait comprendre un ystème considérant l'époque du partage,
on :le comprend pas un système considérant l'époque de la mise en
communa uté.
Comment l'époux créancier prou' era-t-il la consistance des objets
dont la "Ommunauté e t 1uasi-usufruitiere? Cette question ~e posant clans les mêmes terme pour tous le propres mol>iliers des
époux (propres parfaits o.; imparfait , , nous l'examinerons trèssuccinctemeot.
1° )fobilier présent 1 que r époux pos. édait au jour du maria "'e).
L'A 1499 décide que la preuve ne pourra se faire que par im entaire ou état en bonne forme antérieur à la célébration du mariage.
Certains auteurs admettent cependant un m,·entaire ou état postérieur de peu de j ou t'S à la cèlébration du mariage : mais c'e:.t une
atteinte injustifiable à I' .\ . 1199. Nous repoussons donc ce tempérament (Laurent .xxm n• 173).
2° Mobilier futur. L'.\.. 1501, en matière de clause de reali:.at1on,
déclare que, à défaut d'1D\ enta ire, le mari ne pourra prou\'er que
par titres, et que la femme prou' era m~me par commune renommée. L'A . 1199 i;emble au contra1rc, en matière de communauté
d'ucqut!ts, C'.\Îger un in\ entairc pour la femme comme pour le mari.
Faut-il compléter L \ . 1Hl9 par l'.\.. 1504 ! Laurent s·y refu ·e et
con tnte ainsi uue d1ffercol'c entre la communauté d'acquêt' ~t 111
dause excluant de communauté tout le mobilier pre:;cnt et futur
(Laurent .xxm n• :?06, n• 181). Il nlut llllèU'.\ appliquer coocurrem-
�-
J7i -
ruent les A. l499 et 1504 (Aubry et Rau v p. 451 note l5. Colmet
de Santerre v1 162 bis rv et v). Il ne faut pas laisser la femme sans
secours en présence de la mauvaise v?lonté ou des tentatives frauduleuses du mari. La femme pou rra donc prouver par commune
renommée la consistance des effets qui lui sont échus à titre de donation ou succession. Mais elle devra prouver , conformément au
droit commun, le fait même de la donation ou de la succession : ici
il n'y a plus de faute imputable au mari (Laurent xxm n° 184. Contrà cass. rejet 28 novembre 1866, Dalloz 1867. 1. 209).
B. - Communauté conventionnelle (apport du mobilier jusqu'à concurrence d' une certaine somme. A. 1500 2°). - Cette
clause a pour effet : 1° de rendre l'époux débiteur de la somme promise ; 2° de le rendre créancier de la va leur de son mobilier excédant la somme prQmise. On constate donc une différence avec le
quasi-usufruit ordinaire : l époux créancier aura droit non à des
choses semblables à celles 'lu'il a livrées, mais à une somme d'argent. C'est ce que dit l'A . 1503: <(Chaque époux a le droit de reprendre et de prélever... la valeur de ce dont le mobilier qu'il a
apporté lors du mariage ou qui lui est échu depuis, excédait la mise
en communauté. »
On devra faire la somme des valeurs mobilières tombées dans la
communauté du chef de l'époux ; s'il y a des créances on ne les
comprendra qu'autant qu'elles auront été payées (Laurent xxm
n•• 246, 247). On a ura ai nsi reconstitué l'apport. L'apport ayant été
estimé, on en dédmt les dettes mobilières tombées en comm uca uté
du chef de l'épou x. La différence entre la somme ainsi obtenue et
la somme promise donne la somme à laquelle l' époux a droit.
Nous avons dit qu'on estime l'appor t. A quel jour se placera-t-on
pour faire cette estimation? Les nuteurs sont d'accord pour se plaecr au jour où l'apport a été efTectué. En effet la communa uté
cr~ncière reçoit en paiement les meubles de l époux , elle doit les
-
175 -
recevoir pour leur valt:ur au momeot où l'opération s'effectue, c'est.à-dire au moment du mariage, de la donation ou de la succession.
L 'époux doit ét.abiU' la consisLance du mobilier apporté. Il l'ét.ablira: J• pour le mobilier pré:;ent (A. 1502), s'il s'agit du mari par
une déclaration que doit contenu· le contrat de mariage, s'il s'agit
de la femme par la quit.tance que Je mari lui donne ou donne a. ceu.'\
qui 1' ont dotée. "2° Pour le mobilier fut ur, conformérot:nt. a l'.A. Jô04
dont nous connaissons déja le <l~posit1f.
c· est. confot•mément. à ce:; principes que l'époux prouvera rap
port des créances tombées de son chef en communauté. DeHa-t-Jl
également. prouver que ces créances ont été payées pendanl la
communauté? Pot.hier (De la Communauté n° 290) faisait. une dbtinction que nous admettons encore aujourd'hui. Le mari de\ ra
justifier que les créances ont été acquittées : cette preuve lui era
facile, il la fera soit par des contre- qt1ittances, soit par un journal
non suspect. Quant à la femme, 1! lui suffira de justifier l'apport des
créances ; ce sera au mari , s'il en conteste le paiement, de justifier
que malgré les d1ligenc~ fait.es il n'a pas pu être payé lLaurent
lllll a• 248. Aubry et Rau v p. 4i 1 note 32).
Nous venons de tlet.ermmer dans les différents cas de communauté légale ou conventionnelle quand l'epoux aura droit à une
som1ue d'argent, quand il a urn droit à des choses semblable ,\
celles qu'il a livrées. l\ous avons a10s1 fixé les choses que l'épou:\.
cr~ncier pourrait réclamer et dont 11 devrait se c.ontenter, ::-i Je;:,
principe::. générau.\: ne subissa1eot aucune atteinte . .MalS une e:\.t'eption bien remarquable est apportée par les .-\. 14ïO-J.fï1 à l'A. J:,)43.
De ces articles, dont une ctude upprofondiè nous est interdite, il
résulte que !' cpuu~ crcanc1er lor::.quc lu femme accepte la communauté pourra sùrcmcnL C\.tger, peut-être titre forcti de rece\'oir en
patl'ment d'abord l'argent comptant, ensune le mobilier, enfin le:,
immeubles de la communauté. Pat là les prmcipes que nou~ (l\'Ons
établis plus haut subiront une J.Uotl.ifkalton.
�-
c. -
lïG -
Régime exclusif de communauté. - L'A. 1532 est ainsi
conçu : « Si dans le mobilier apporté en dot par la femme ou qui
lui échoit pendant le ma riage, il y a des choses dont on ne peut
faire usage sans les consommer , il en doit ôtre joint un état estimatif a u contrat de mariage, ou il doit en être fait inventaire lors de
l'échéance et le mari en doit rendre le prix. ll Cet article semble
rendre Le mari quasi-us ufruitier débiteur toujours de l'estimation,
jaruais de choses semblables. Ce serait une atteinte au principe de
l'A. 587. Cette dérogation n'est qu'apparente. L'A . 1532 suppose
que les choses ont été estimées, et alors Je mari devra restituer le
montant de l'estima tion. Mais il peut arriver a ussi, et cette hypot hè e est en dehors de l'article, que les choses n'aient pas été
estimées : en pareil cas le mari devrait restituer des choses semblables à celles qu'il a reçues. On voit ùonc que l' A. 1532 est pour
nou:, une apphcatioo de r A. 587. Mais si on adoptait l'interprétation
que nous avons repoussée sur cet article il constituerait une
dérogation à son princi pe et c'est ce que Aubry et Ra u sont forcés
de reconnaitre (Aubry et Ra u, Y p. 513 note 11 ).
L'A . 1565 que nous étudierons plus tard donne au mari sous le
régime dotal uo délai pour se libérer . On se demande s'il convient
d'étendre I' A. 1565 au régime exclusif de communauté. Cette
question n'est qu'un cas particulier d' une 'luestion plus générale
dont nous n'aborderons pas l examen : doit-on compléter les décisions des A. 1530 et sui vants par les règles de la "omrouna uté ou
celles du régime dotal ! L'origine du régime sans ;:omm unauté
semble imposer la première solution plutôt que la seconde (Cotitra
Ro<l. et Pont IH, 2066-2080).
.Mais comment la femme prouvera-t-elle la consistance de son
mobilier ? Le mari est tenu de toutes les obligations des usufruitiers
rA. 1533), il doit donc faire inventaire. Dans le cas oci il aurait été
négligent la femme pourrait prouver la consistance de son mobilier
présent ou futur même par commune renommée.
-
177 -
D. - Régime dotal. - Conformément a ux principes généraux,
le mari devra restituer des choses de même quantité et qualité que
celles qu'il a reçues ou leur estimation, suivant qu'estimation n'a
pas été ou a été faite. Voilà la règle. Mais l' A. 1566 y fait exception da ns un cas particulier. Supposons qu'une fem me se soit constitué en dot ses linges et hardes et qu'elle les ait estimés. Elle ne
de vrait avoir droit qu'à l'estimation : l'A. 1566 décide cependant
qu'elle précomptera sur 1'estima tion la valeur des linges et hardes
à son usage actuel. Il pourra arriver alors ou que la valeur du
trousseau soit inférieure a u montant de l'estimation et elle pourra
forcer le mari à parfaire la difiérence en argent, cela résulte ex pressément de 1'A. 1566 ; ou que sa valeur soit supérieure à r estimation, il semble qu'elle devrait rembourser au mari la différence.
Pourtant on re pousse cette décision: en effet, dit- on, si on n'avait
pas fait d'estimation, elle aurait pu t·éclamer ses linges et hardes à
son service actuel, alors même que leur valeur ellt été supérieure ù
celle de ses linges et hal'des au moment de la célébration du
mariage. P ourquoi en serait-il autrement si les parties ont fait une
estimation !
Dans quel délai le mari devra-t-il restituer ? D'ordinaire 1' usufruitier doit s'exécuter dès que l'usufruit a pris fin. ous le rétpime
dotal on constate une exceptaon à cette règle. Le droit romain
classique accordait un délai au mari débiteur de cho-es in genrre,
de quantités : il pou\ ait se libérer en trois paiements partiels faits
un a n, deux ans, trois ans après la di · olution du mariaoe (annua
bima, lrinv.J die). Justinien modifia celn et accorda un délai d'un
an au ro::iri débiteur de choses mobilières. Comme Ju tjnien L\. .
1565 accorde un délat d'un an, mais comme les juri::.1.. onsultes
clasl>iques il oe l'accorde qu'au mari débiteur de quantité', c'est-àd1 re a u mari quasi- usufruitier à l'exclusion du mari usufruttier.
Cette distinct ion est logique : on comprend que ln restitution :;oit
immédiatement exigée lorsqu'elle a pour objet des corp c~rtain~
12
�-
li8 -
que le mari doit avoir en sa possession ; au contraire lorsque la
restitution porte sur des sommes ou valeurs confondues dans les
biens du mari, il est juste de faire jouir celui-ci ou ses héritiers
d'un délai suffisant pour se procurer ces sommes ou valeurs.
Ou peut se demander quelle est la nature de cc délai. On distingue deux espèces de termes, le terme de droit des A. 1185 et suivants, Je terme de grâce de l'A. 1244 : le prcroie1· est celui qui est
stipulé par la convention, le deuxième celui qui est accordé par le
juge. Le délai de l' A. 1565 est un terme de g ràce. En effet, dans la
rigueur du droit, le mari aw·ait dù payer immédiatement: des
considérations d'équité et de convenance ont décidé le législateur à
faire fléchir le droit de la femme, mais la nature même de ces
considérations montre que ce délai peut être comparé à celui de
l'A. 1244. De là une conséquence pratique importante: quand on
se demandera quels sont les évènements qui font per·drc au mari le
bénéfice du terme, il faudra dire que ce ne sont pas ceux de
l'A. 1188, mais ceux plus nocnbreu.x de l'A. 12'1 Ju code de procédure civile.
Mais le terme de grâ.ce de l'A. 1565 diffère à un point de vue du
terme de grâce de l' A. 1244. Le premier est accordé par la loi, le
::.econd est accoi·dé par le ju~e. On peut en déduire que les juges
auraient le droit de l'allonger, en accordant un nouveau terme
après l'expiration du terme de gràte légal. On décide cependant
que le juge ne peut pas après lex piration du premier terme qu'il a
accorde en concéder un second (A. 122 <lu cod. proc. c1v.). :Mais s' il
en est ainsi c'est que la deuxieme décision qu'il rendrait viendrait
modifier la premiere et par conséquent une atteinte serait portée au
principe de l'au torité de la chose jugée. Il n'en c~t pas de même en
l'esµc:ce, le premier délai ayant été accordé non par le juge, mais
par la loi.
L'A. 1565 qui accorde au roari le dûlni d'un an pour se libérer
suppose que l'évènement qui do11nn lieu a la restitution de la dot el:lt
la dissolution du mariage. Qu'en serait-il :
-
179 -
1° Au cas de séparation de corps. -
Il ne faut pas hésiter à
éte~dre à c.e cas la décision de l'article. L'article en effet s'appliquait certamemtnt en 1804 au cas de divorce : or il aurait été
bizarre que la femme pôt se rnon~rer plus exigeante au cas de
séparation de corps qui relâche seulement les liens du mariage
qu'au cas de divorce, qui les détruit entièrPment.
'
2° Au cas de séparation de biens . - L'appÜ<.;ation de l'A. 1565
~ cette hypo~hèse peut sembler plus douteuse. On pourrait dire que,
l ~· 1444 oblt.geant la femme à exécuter la séparation dans la quinzame, la restitution doit être immédiate. A cela on peut répondre
quel' A. 1444 exige seu lement que des poursuites soient commencées et non interrompues : bien plu , on est d'accord pour reconnaitre <]Ue la déchéance prononcée par cet article cesse lorsque
l'interruption des pour uites provient d'un fait indépendant de la
volonté de la femme. Elle ne sera donc pas dechue si cette
interruption a sa cause dans le délai légal dont jouit le mari.
On pourrait dire encore qu'aux termes des artides 11 88 code ci"il
124 c. de proc. civ. le mari doit être déchu comme l' e-t tou~ débi~
teur en déconfiture. A cela on peut répondre que l'application de
ces articles n'est pas douteuse si la séparation de bien a été
prononcée parce que le mari e t en déconfiture; mais elle peut
avoir été prononcée aussi parce que la mauvaise administration du
mari inspire des doute sérieu\. pour la conser\'ation de la dot, san
qu'il soit en déconfiture Débarrassés de ees objections. nous déciderons que le mari jouirait du délai de l'.\. 1565. n::. doute l'article ne prévoit pa i1i terminis le cas de sépar-.ition de~ bien -, mais
prévoit-i l da\antage celui de séparation de corps, d lo~que l.t
séparation de corp e-t prononl'ée la restitution de lu dot n'a-t elle
pa. sa cause dan la séparation de biens qui en c~t la conséquente!
D'ailleurs le raisons de convenance dont le législateur s'est inspiré
subsi~tent quelque soit l'événement qui rende nécessaire la re titution. Il en ;;erait autrement si ln 'êpnration de bien avait !!te
�-
180 -
-
prononcée parce que le mari est en faillite ou en déconfiture, o u
s'il avait diminué par son fait les sùretés de la femme (A. l 188-
12lt).
Enfin le délai de l' A. t 565 peut-il êt re modifié par le contrat de
mariage ? En droit r omain on accordait (Lois 14 et 15, D . 23, 4)
aux épo\Th le droit de le restreind re, on lau r r efusa it celui de (Loi
16 eodem) le pr olonger. Cette distinction était inspirée par cette idée
que tout cc qui peut retarder la seconde union de la fe mme est
contraire à l' ordre public . Aujourd' hui les lois caducaires sont mortes , nos iùées se sont modifiées : cette dis tinction n'aurait donc plu.~
une base sérieuse. Le principe de la liberté des COO\'ent1ons doit
s'appliquer dans toute sa largeur.
De la preuve à fa ire par la fe mme. - E lle devra prouver :
1° Que le ma ri a reçu la dot. Cette preuve se fer a conformément
au dr oit commun. Donc si la dot a étè constituée par un tiers, elle
pourra prouver la réception par tous moyens (A. 1348). Si elle s'e t
constitué certains biens en dot, elle devra se procur er une preuve
littérale.
2° La consistance de la dot, si la dot a été constituée sur un
ensemble de biens. Le mari étant obligé de faire inventaire, la femme
prouvera soit par cet inventaire, soit par tous les moyens possibles
si le mari a violé son obligation.
181 -
CHAPITRE
II
DES GA.RANTŒS QUI ASSUitBNT LA RESTITUTION
ARTICLE PREMIER
Quasi- usufruit ordinaire.
On trouve deux garanties au profit du constituant : l'inventaire
et le cautionnement .
1° In ventaire. - L us ufrui tier doit a\ant d'entrer en jo uissance
dresser un inventa ire (A. 600). Cet inventaire sera fort utile au
cons tituant, q m aura ainsi un moyen facile d'établir r étend ue de a
cr éance.
2° CattlionnemenL. - ([ L'us ufruitier donne caution de jouir en
bon pèr e de famille », dit 1' A . 601. " i on s'en tenait aux termes de
cet ar ticle, il faudrait dire q ue le cautionnement, ne portant que ur
le mode de jo uissance, n'est pas dù par le quasi-usufruitier: en effet
il n'est pas tenu de jouir en bon père de Camille, pui-qu il est propr iétaire. La rédaction de l' A . 60 l c~t cvidemment inexacte : c'est
précisément pour le quasi-u-;ufruit que le cautionnement a été introduit, et c'est surtout quand l'usufruitier peut dti>poser de ln '-bOi>1..
que le nu-propriétaire a besoin de garantie. Il faut don'- dédder qut:.
le q uasi-usufruitier doit donner caution de la \ aleur totale des bien::do nt il a la jouissance, la caution garantis~unl le paiement del l.':;tima tion o u la restitu tion de c. hose-. <le même quantité et qualit~.
Cette obligation de donner caution ces ·c dans les L'as indiqu~
par l'A. 60 1, c'est-à-dire:
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182 -
1° Au profit des père et mère, ayant l'usufruit légal des biens de
leurs enfants. Le respect que les enfants doivent à leurs parents ne
permet pas qu'ils exigent une garantie qui est une marque de défiance.
2° Au profit du vendeur ou du donateur sous réserve d'usufruit.
Il est difficile d'en donner une bonne raison: ce quo l'on peut dire
c'est que l'acquéreur connaissant la manière de jouir de l'us ufruitier
doit, si elle ne lui offre pas une garantie suffisante, avoir soin r.l e
stipuler expressément des s ûretés.
3° Lorsque l'acte constitutif de l'us ufruit en a dispensé l'us ufruitier.
Une question importante se pose ici : s'il s urvient pendant la
durée de l' us ufruit des changements qui mettent en péril la nuepropriété, i<L dispense de fournit' caution accordée par la loi ou la
convention cesse-t-elle ? Les auteurs sont en désaccord. En principe la dispense doit être irrévocable : la dis pense accordée aux
père et mère est irré\•ocable de sa nature, les raisons de convenance
qui ont inspiré le législateur s ubsistent et conservent la même
force malgré les changements qui peuvenl se produire. Il en es t de
même des dispenses fondées s ur la convention expresse ou Lacite.
L' A. t 134 dit que les conventions ne peuvent être révoquées que
du consentement mutuel des parties ou pour les causes que la loi
autorise. Or la convention, uous le supposons, est rouette sur les
causes de révocation, la loi elle-même n'en a indiqué a ucune. Priver
l' us ufruitier de la dispense qu'il a expre séroent ou tacitement s tipulée ce serait légitimer la violation de la convention.
Voilà l'opinion que l'on doit ado pter en principe. Mais ne doitelle s ubir aucune modification si on examine les d1ffé1·ents changements qui peuvent se produire? Ces changements peuvent :
1° Provenir du fait de l'usufruitier. E xemple : si I" us ufruitier
commet des a bus de jouissance. Nous avons vu que l'A . 61fi ne
s'applique µas au quasi-us ufruit.
-
183 -
Mais qu'en serait-il si le quasi-usufruitier tombait en faillite ou en
déconfiture ! Les auteurs examinant la question au point de vue de
l'usufruit proprement <lit <list;utent et on comprend qu'ils puis~ent
être en desaccord tLaurent VI, n• 518. Demolom be X, n• 497. Aubry
et Rau II, p. 477) En notre matière, il ne peut pas y a voir doute.
Nous avons un article formel qu il faudra appliquer, c'est l'a rticle
1188. Le quasi-usufruitier est un débiteur à terme, il doit être déchu
du bénéfice du terme dans les cas pré\ us par cet article. Le constituant pourra donc exige r la re·t1tulion immécLat e des choses données en quasi-usufrnit .•\ plus forte ra1~on devrait-on l'écouter 'il
ne demanda it qu·un s up plément de ga ranties.
2° Provenir de circonstance!' relati \ es a ux bien , lorsque des
cha ngement. sun iendron t è.an · l'l'lat de- biens. san qu'aut'u n
cha ngement se produi ·e dan-. la fortune ou Jec, affaire. de ru -ufruitier . Cette question e po-.era dans tous le cas déja étudiés der.onversion de l' usufruit en quo si-usufr uit. Il est une espèce où la loi l'a
cxpres~émen t trauchéc. L' ,\ . 3!) de la loi du 3 mai
1 ~ 1 décide que
l'usufrui tier et le nu-p roprictairc de lïmmeuble e-..proprié excrçent
leurs droits sur le montant de l'indemnité, et il ajoute : n L' usufruitier sera tenu de donner <'aut1on, les père et mère ay.lDt l'u ·ufruit légal de biens de leur,,, enfants en --eront seul· di~penst..-. •
F aut-il étendre la <léc1 ion <le cet article, et dire que lu tran,formation du droit entrainera toujours pou1· l'u ufruitier l"obli•"'ution de
donner caution ? • on. L'A. 3\l t'Onstituc ;)our nous une dcro" tion
au droit commun, que l'on doit re::itrcinclre. Le droit d•' l'u.;;ufru111er
dispensé de caution consiste précisément ;\ e:\crccr le.; mème.:; droit que s'il avait donné caution. (En ce sen, Laurent YI n 511 .\ ",
12 jui n 1879, J . du Palai:-. 1 80, i1 9. Contr.1, Besan 0n. "re, ricr
75. J . du P a la is 77, ~ 1 3).
Voilà les deux sùretés c~u·n le èonstituant: in,·cntaire et cautionnement. Il aura en outre toute" rl'llcs <JllÏl se --cr,1 ùonné la pt'Înc de
st ipulct' e:\.pressemcnl. (\'lie ob~cn nt ion nt' mcritc pa · e"amen.
�-184 Mais il est une hypothèse plus délicate où une sûreté nouvelle semble résulter de plein droit de la nature de J'acte jnridique intervenu
entre le constituant et le quasi-usufruitier. Supposons qu'un objet
quelconque ait été livré à !"usufruitier avec estimation, l'estimation
valant vente. On se demande si le constituant jouit du privilège du
vendeur et de l'action en résolution de l'A. 1654. Au premier abord
la question ne semble pas douteuse : une vente a été librement
consentie, po11rquoi le constituant-vendeur ne pourrait-il pas invoquer les A. 1654, 2102 4°1 2103 1°? Au ~si la plupart des auteurs se
prononcent en ce sens. (Rod. et Pont n• 1667, note l , n• 1911 en
note, n• 1934. Aubry et Rau V, p. 628, n• 2. Laurent XXIX, n• 473).
(Montpellier, 26 juin 1848. Dallot 1848, 2, 173) . Ma lgré tout il vaut
mieux croire avec M. Colmet de Santerre (Colmet de Santerre VI,
224 bis II), dont l'opinion est restée isolée peut-être parce qu'elle a
passé inaperçue, que cette doctrine est erronée. Sans doute le quasiusufruitier est débiteur, mais est-il débiteur à titre d"acheteur ?
Non . La constitution du quasi-usufruit l'a rend u créancier d'une
certaine somme, la vente l'a rendu débite11r de la même somme1 les
deux créances se sont éteintes de plein droit : l'usufruitier est censé
avoir payé le prix et l'avoir ensuite reçu à titre de quasi-usufruit.
Dès lors la vente a produit son effet, !"action née de la vente a été
éteinte en même temps qu'elle est née, et le constituant agira contre l'usufruitier non par l'action venditi, mais par l'action en restitution des choses du quasi-usufruit. On ne peut donc parler ni de
privilège du vendeur, ni d'action en résolution de la vente.
ARTICLE II
Quasi-usufruit dérivant des conventions rnatrinioniales
Trouvons-nous en cette matière les sûretés que nous venons de
passer en revue ?
-
1° Inventaire. -
185 -
Il résulte de ce qui vient d'être dit que le mari
doit faire inventaire sous le régime de commun uté des biens futurs
et non des biens présents (Arg. A. 1499, 1502,1504), sous le régime
exclusif de communa uté et sous le régime dotal de tous les biens
présents et futurs de la femme (Arg. A. 600, 1532, 1562).
2° Caution. - Sous aucun régime elle n'est exigée. Pourtant à
une éi;oque antérieure au IV• siècle, l' usage des fidéjusseurs s'était
répandu dans l'~mpire romain, et cet usage était fondé en partie sur
la loi, en partie s ur la coutume. Mais Théodose et Arcadius prohibèrent radicalement cet usage et Justinien revint sur cette abolition
pour lui donner plus de force (L. l et 2 C. Ne fidejussores). Aujourd'hui la question est définitiY<'ment tranchée par l'A. 1550. Le mari
n'est pas tenu de donner caution pour la réception de la. dot, s'il n'y
a pas été assujetti par le contrat de mariage. 11 serait peu con\ ena·
bic qu'un tiers vint s'immiscer entre mari et femme, d'ailleurs une
caution serait difficile à trouver : es. Que \'oudrait-on, disait Despeisses, demeurer caution des 20, 30, 40 années que peut durer un
mariage? Ce serait être incertain de sa fortune et demeurer attaché
pour toute sa vie et les siens. » (Despeisses, De la dol, section III,
n• 7) .
Mais si le cautionnement n'existe plus, on trouve bien d'autres
sûretés. t\ous les classerons en deux catégories: sûretés communes à tous les régimes, sùretés spéciales à chaque régime.
1. -
Sûretés communes à tous les r égimes
A. - Hypothèqu e lé9ak de la femme 111ariêe. - De tout temps on
a songé à assurer les droits de lu ferurue mariée.•\ Rome dan:. le
droit clas::.ique un prn•drgiu111 Ïlllrr penonnlt~ arlior1 s !!llrantis~ait
la restitution de la dot. Ju t101en voulut uller plus loin. et après
quelques hésitations il ar-:01Ja1t à la feruroc par la loi .'1ss1'{/Ws une
hypothèlJUe pm 1lèg1ëe c:;nr 11.!s btèn' du mari, par laquelle elle pri-
�-
186 -
-
mait même les créanciers hypothécaire<; de re dernier antériellrs à
la célébration du mariage. Dans l'ancien droit, certains parlements
des pays de droit écrit, le parlement de Toulouse par exemple,
admirent l'application dP. la loi Assiduis. Le Code n'ayant nulle part
accordé un privilège à la femme a ainsi effacé les derniers vestiges
de cette loi. Bien plus un texte spécial au régime dotal l'A. 1572
statue que la femme et ses héritiers n'ont point de privilège pour
la répétition de la d0t sur les crénncie rs antérieurs à elle en hypothèque.
Néanmoins Troplong a admis l'existence d'un véritable privilège
au profit de la femme commune sur l'actif de la communauté: il est
vrai qu'il appel le la sûreté qu'il lui accorde un droit de délibation.
:M ai il ne suffit pas de changer la dénomination d'un droit pour en
modifier la nature (Aubry et Rau , V. p. 364, note 28).
La femme n'a donc plus de pri vilège. Mais le Code lui a donné
une hypothèque légale ( _ 2121).
B. - Séparai ion de biens. - Voici encore une sûreté spéciale à la
femme (A. 1443). Nous devons examiner si, lorsque la communauté ou le mari sera quasi-us ufruitier des biens de la femme, celleci peut le ca,.; échéant invoquer l'A. 1443. Quand peut-elle dire que
sa dot est en péril, que le désordre des affaires du mari fait craindre
que ses biens ne soient point suffisants à la 1·emplir de ses droits et
reprises? Pour répondre à cette question , il faudrait être fixé s ur
le sens de ces trois mots« dot, droits el reprises». Un auteur récent,
M. I..aurent, a attaché à chacune de ses expre sions le sens qu'elle
comporte. On entend par d'JI ce que la femme apporte au mari pour
supporter les charges du mariage, dans l'espèce c'est la jouissance
des deniers propres ou dotaux . Quant au SP,ns du mot 1·eprises, il est
parfaitement caractérisé par la combinaison des articles 1472 1470
1'143 . C'est d'une manière générale tou tes les ind emnités qui lui
sont dues suivant le régime par la co mmnnnuté ou le mari . Quant
au mot droits il répéte l'idée cor.tenue dans le mot de reprises . Dans
1
'
187 -
l'espèce par reprises de la femme nous entendrons l'action en restitution des deniers propres ou dotaux.
Dès lors la femme pourra demander la séparation de biens judiciaire:
l 0 Lorsque le mari fora un mauvais emploi des dP.niers dotaux.
S'il en mésuse la dot est en péril. De Là une différence avec le
quasi-usufruit ordinaire, puii:;que nous avons reconnu au quas1usufruitier le droit de se servir des choses consomptiùles comme
bon lui semble et r efllsé au constituant le droit d'intervellÎr. C'est
que le mari n'est pas usufruitier dans :.on interét seul, mai dans
l'intérêt de la Camille entière. Mais encore fa_udra-t-il pour que la
dot soit en péril, que les valeurs dont le mari mésuse constituent
une fraction notable de La dot.
2° Lorsque les affaires du mari seront en désorJre. Car on peut
craindre que l'action en restitution ne devienne inutile tA. 1443 2°).
C.
Sûreté resullant de la théorie de l'emploi tt d1' remploi. .l\ ous exalllinerons cette question sous chaque ré""1me éparemenL.
Il. -
SClretés spéciales à chaque régime
A. - RÉGIME DE CO~C\1U'J.\l1TÉ. - On troa\'e une double sûreté
résultant: 1° De la théorie des A. 14il-l4ï2. ~· De la théorie de
lemploi et du remploi :
a. - Théorie des A. 1471 -1472. - 'l\oas avon' \'a ce que
contiennent ces articles. ~ous allon-, ret·hcrcher sommairement
quels avantages y trou ' e l'èpou' t'r~anl:ier
1° ûrett comm1111c n11 111ari et i1 /11 {emmt. - Le mari et la femme
jouis cnt pour f e'\erCÎt'e de leur-. rcpri~es d'un l.'Crlain droit de ::,oite
et d'un certain droit de prcfcrenl'C
Droit de suite. i l"un ùes cpou" celle à un 11el"" son Jroit :1 la
1·ornmu nault\ l'autre:' (•poli\. 1'on,er,cra le droit d't''\ert·er les prelè-
�----
188 -
\'eme~ts.
Tous les auteurs admettent <"ela , qu'ils considèrent le
prélèvement comme une des opér-.ttions de partage ou comme un
régleroent entre époux antérieur au partage.
Chaque époux sera préféré Slll' les biens
communs aux créanciers personnels de l'antre époux. Mais quelle
sera la situation de l'époux créancier en présence des créanciers de
la communauté? Quant au ma ri, il est rcrtain qu'il oc leur sera pas
préféré. Qu'en est-il de la femme? Cette question a soulevé une
controverse célèbre : il faot d~cide1· que simple créancière chirographaire la femme doit subir le concours de · autres créanciers
chirographaires de la communauté.
Dl"oit de préférence. -
2° Sureté spéciale à la femme. - A. 1471. Les prélèvement;S de la
femme s'exercent avant ceux du ma ri. -A. 147:? . En cas d'insuffisance des biens de la communauté, la femme aura une action
récursoire contre le mari.
B. - Emploi et remploi. -
Le mari ne trouve dans la théorie de
!•emploi ou du remploi aucune sùreté spéciale. Sans doute cette
opération pourra être avantogeuse pour lui , car il courra les
risques d'augmentation de va leur des biens qu'il a acquis; mais il
ne peut pas e-pérer se soustraire à. l' ttct1on des créancie1·s com muns,
car ces deroie:-s étant s~s créanciers personnels pourront agir sur
des liiens propres.
Quelle sùreté y trouve la femme ? 1° Le contrat ne contient
aucune clause d'emploi ou de r emploi. - Du jour où le remploi est
effectué elle ne court plus les risques de l'insolvabilité du mari et
de !a com'ti.mauté; elle n' e::it plus créancie;·e chirog raphaire, mais
prop:-iétaire des biens acquis en emploi ou remploi. Il faut remarquer d'ailleurs que sa situation est sù!'e du j0ur o.J J ~ m<lri a fait
l'acquisition pour servir de remploi, avur1t même gu'elle l'dit accepté, pourvu qu'elle r accepte avcl.nt la dissolution du mariage. Le
mari en effet a agi comme gérant d'affaires de la femme, et des
-
189 -
lors on doit décider qu'il ne peut ni révoquer, ni modifier son offre.
l'acceptation de la femme rétroagit au jour de l'acquisition, et fait
tomber tous les droits réels constitué:> du chef du mari servitude:>
hypothèques conventionnelles ou léga les.
2° Le centr al de mm·1ar;e conli~nl une clause d'emploi ou de rtmpl-O i.
- Quel sera l'effet de la clause a l'égard du mari ! - Tout dépend
des termes du contrat ; les parties peuvent simplement avoir voulu
rappeler les dispositions des A. 14~4. 1U5, et autoriser le mari à
faire emploi des deniers propres (Voir pages 155 et suivantes). En
pareil cas rien ne doit être changé a ce qui \ ient d'être dit. Le
contrat de mariage n'a pas renJu plus sùre la situation de la
femme. i au contraire les termes impératifs du contrat montrent
que dans l'intention des parties le mari a non-seulement la faculté
mais encore le devoir d' emplo) er ou remployer, la femme aura
pendant le mariage action contre lui pour le forcer à exécuter ::-on
obligation. Troplong a pourtant \'Oulu lui refuser celle action: il a
prétendu qu'elle serait une source de scandale·. on opinion e-t
resli!e isolée. Cette clause impérative est valable, les .\ . 13 ï,
1388, 1389 en sont la preuve et Troplong ne le nie pas. La femme
a donc droit au remploi : si elle a ce droit elle a C('rtainement le
moyen de le faire valoir, elle a Jonc une action, sanction n&-e sair.! et corréh1tif de tont droit Dire que le proces -era incoO\·enar;t, c'est vouloir toujours défendre à la femme d. agir contre son
mari. Or la loi a permis à la femme d'exercer des poursuites autrement graves lorsque I'.\ . 1H3 a été écrit. La demande de séparatio'.1 de biens sera l'objet de discussions autrement sérieuse et
autrement Yi\'es. Pourquoi rmtcrprète se montrerait-li plus respectueux que le législateur de 1 autorité maritale et de l'ordre pubU~ !
Enfin on ne peut pas dire que la san1.:tion ordinaire d&. droit de
la ft>mmc (hypothèque légale, recours sur les bien<: de la communauté et du mari) soit -:utll~nnte Elle doit être coosidéree comme
insuffisante par cela seul que les parties ue s'on sont pas conten,
1
�-
190 -
tées. Que deviendra d'ailleurs l'hypothèque légale si le mari n'a pas
d'immeubles ? Que deviendra le recours de la femme, si le mari et
la commu nauté sont insolvables ? (En ce sens. Req. rejet 20 déc.
1852, Sirey, 53, l, 151. Contrà Angers, lt< mars 1868 D. 68, 2, 82).
A l'egard des tiers? - Les tiers acquéreurs de biens propres,
débiteurs de deniers propres sont-ils responsables du remploi et de
l'emploi? Nous verrons plus tard ce qu'il faut décider sons le
régime dotal. Sous le régime de communauté, la clause que nous
étudions ne suffirait pas à les rendre responsables. Le principe est
que le mari peut toucher seul les deniers propres, sans que les
tiers aient à se préoccuper de l' usage qu'il en fttit. La clause
insérée au contrat impérative pou!' le mari peut avoir créé une
obligation pour ce dernier, elle ne semble pas a voir modifié la situatii•n
des tiers.(Orléans 19mars 1868, D. 68, 2, 196). On doit pourtant reconnaître qu'une clause expresse ne laissant aucun doute sur l'intention des époux fJOUrrait les rendre responsables. Cette décision sero ble
étrange au premier abord. Le contrat de mariage est quand aux
Liers res inter alios acta, comment y voir la source d'une obligation
aussi lourde lorsque les intéressés n'y ont pas été parties ? Il est
facile de répondre que le mari touche les deniers propres comme
mandataire de la femme ; or ce mandat peut-èt1·e pur et simple
(A. J 4~8), il peut être aussi conditionnel en vertu du contrat, et la
femme peut le subordonner à la condition que remploi ou emploi
sera fait. Dès lors si les tiers payaient sans s'assurc1· que la condition a été remplie, ils s'exposeraient à payer une seconde fois, le
premiet' paiement étant nul comme fuit à une personne n'ayant pas
pouvoirde lerecevoir (A. 1239). (Reg. rejet 19 juillet 1865. D.
65, 1, 431).
COM~IUNAUTR.
Tl n'y a rien de spécial à dire
sous cc 1·égime. On a dit cependant que le mal"Î était responsable
du défaut de remploi par application de I' A. l '150 (lorsqu'il a ura
D. · - RÉGl\18 SANS
-
-
191 -
concouru au contrat, ou s'il est prouvé que les deniers ont été
reçus par lui ou ont tourne a son profit) (Rod. et P ont IlI, t083).
Il y a mieux que cela à <lire. Sous ce régime le mari e t admini.:.trateur et usufruitier de::. biens <le la femme : à ce titre il a seul le
droit de toucher Le pl'i:.., et il "cra tenu de le restituer à la dbsolution du mariage ou lorsque la ::.éparation <le biens sera prononcee.
c. - Ri:CHME DOTAL . - On trouvait autrefois dans les pay · de
droit écrit bien des sùretés qui n'existent plu· aujourd'hui :
1° La femme jouissait d'un droit de rétt:ntion sur le::. biens du
mari, droit qui avait besoin d'être tipule par contrat Dalloz, J'•
Co11trat dr mariage, n° 42:30).
2° Les paraphernaux étaient frappés d'uoe dotalité i;ubsicùaire
(Dallot eodem 4229).
3° Soit uoe dot constituée en argent. Le debiteur de la dot abandonne un immeuble en paiement. .\.ujourd hUI (A. 1553) cet immeuble de, ient et reste la propriété du mari. Dans le res:>ort du parlement de Bor<leau:;. tl était frappé dune dotalité subsidiaire garantissant la restitution des deniers dotau\. (D11lloz eoclem 4229).
4° Le pere du mari, gui a' ait concouru au contrat, etait le
échéant respon~ablc de la solvabtltte Ju mari (Dalloz eodem\.
ai::.
5° Enfin par application des 101 · romaines les héritiers du mari
jou1~sant pour la restitution <le la dot de dl.'lai::. analogues à ceu::\ de
l'A. 15ti5 devaient donner caution Dalloz eode111 1131 .
Il reste encore aUJOunl'hui en dehors de· sllretes générales déjà
signalées certames llretês spceiale!S à ce ré"'iroe.
a. - L 13 de la loi d11 3 mai 1 U rnr i'erprovrialion pour eau.se
et 11/iltti µubl1q1u. - 81 un immeuble dotal est e::\.proprié remploi
doit être fort. l:)i au contraire les cpOU\. ont a' ec l'auLOr1sation du
tribunal t'i~dé ù l'ummble le bien dotal, le tribunal ordounero telle
mesure de t'Onscn at1on ou de rumploi qu'il jugera 0tx'essaire.
�-
192 -
b. - Sureté résultant dP l'emploi et du remploi. -
Nous n'avons
rien à changer à ce qui a été dit page 188 sur la situation de la
femme après que le remploi ou l'emploi a été effectué.
Mais quels seront les droits de la femme avant que l'emploi ou le
remploi ait été effectué? Des distinctions sont 11écessuires. Si le
contrat de mariage ne contient aucune clause d'emploi, ou s'il contient une clause permettant l'aliénation des immeubles dota ux sans
exiger le remploi, la femme n'a aucune action ni contre le mari, ni
contre les tiers. Bien plus le mari ne pourrait faire ni emploi, ni
remploi (A. 1 55~). Mais il peut arriver au contraire que le contrat
contienne une clause d'emploi, ou une clause permettant d'aliéner
l'immeuble dotal et créant pour le mari l'obligation de remployer ;
il peut arriver encore que en dehors de toute clause spéciale la
femme se trouve dans les cas prévus par les A. 1558 in fine et 1559.
Quel moyen coercitif aura-t-elle alors pour forcer le mari à employer
ou rem ployer les deniers dotaux? Faut-il lui donner une action
comme sous le régime de communauté ? La comparaison des articles 1428 et 15rn pourrait la lui faire refuser. L'A . t -!2El donne au
mari le droit d'exercer les actions mobilières de la femme commune,
mais il ne semble pas lui interdire de les exercer elles-mémes dans
certaines circonstan~es spéciales. La rédaction de l'A. 15"9 au contraire est restrictive : u Le mari seul a le droit, dit cet article, de
poursui He les débiteur3 et détenteurs de choses dotales. » Malgré
cette formule prohibitive de l"artide, les auteurs sont généralement
d'acçgrd pour permettre à la femme d'agir contre le mari. Il s foot
remarquer qu'on l'a toujours autorisée à faire les actes conservatoires de la dot (interruption de prescription, proJuction à des ordres
ouverts, inscription de son hypothèque A. 2 1~4). Il est vrai que ces
actes n'exigent pas l'intruductiou d'une action (Aubry et Rau V,
p. 557, note 1 l), mais dans l'espèce il s'agit d'assurer l'exécution
du contrat. Sans doute l' A. l r1t19 sera violé, mais l'origine de cette
violation ne se trouve-t.-elle pas dans le contrat de mariage qui peut
-
193 -
modifier les dispositions légales dans la mesure déterminée par les
A. 1387 et suivants? La femme pourra donc au cas de remploi se faire
autoriser à toucher le prix et à 1' effectuer elle-uaêrne, au cas
d'emploi faire condamner le mari à consigner une somme suffisante
po ur garantir le remboursement de la dot(Benech,n00 23,R5.Aubry
et Rau V, p. 578, note 75).
Le mari est donc responsable du défaut d'emploi ou de remploi.
Il faut encore aller plus loin : il sera responsable de l'insuffisance
ou de l' inefficarité de l'emploi ou <lu remploi , toutes les fois que
cette insuffisance ou cette inefficacité proviendra d'une négligence
qui lui est imputable. Comme tout débiteur il doit répondre de ,a
faute (Aubry et Rau v p. 551note2J).
Nous avons vu que, sous le régime de communauté modifiée par
une clause d'emploi ou de remploi, les tiers ne sont pas responsables de l'usage que le mari fait des deniers propres. Sous le régime
dotal, la même solution ne peut pas toujours être admise. Une distinction s'impose. L es tiers détenteurs de denier dotaux ne sont
pas en principe responsables de l' emploi de ces deniers. Cela a été
contesté. (Benech n•• 55 à 58. Troploog 1v 3 120). Le pomt de départ du raisonnement que nous avons fait plus haut (page 190) est
le même que sous le régime de communauté. Le mari a les poO\·oirs
néces aires pour poursuivre les débiteurs dotaux et rece,·oir le remboursement des capitaux. 'ans doute, une clause expresse du contrat pourrait restreindre ses pouvoirs légaux, mais on ne doit pas
présumer facilement une emblable rüStrict1on, et c'e_t les diminuer
que de subordonner à la néce:. ité de lemploi la validité du paiement fait entre les mains du mari (Aubry et Rau v p. 350 note 19.
Colmet de ""'anterre t• v1 n° 2?5 bis YH).
Les tiers acquéreurs dïmmoublos dotnu..x devront au contraire
veiller au remploi. "i Io remploi n'est pas efIC\.'tué, la femme pourm
demnnder la nullité de l'l\ltênation faite. Le principe e t que les immeubles dotaux sont ~liéllubles · le oontrut de marmge a f11it
13
�-
-
194 -
échec à cette règle, mais il a subordonné le droit d'aliéner à cette
condition que le remploi soit effectué. L'acquéreur est donc.e.xposé
à une éviction si le remploi n'est pas effectué; car, la conclit1on de
l
•
l'aliénabilité n'ayant pas été réalisée, l' aliénation faite constitue ~ne
violation de l'A. 1557 et tombe sous le coup de l'A. 1560. Bien
plus, il ne suffirait pas que le mari ait acquis un b_ien d' une valeur
quelconque au nom de sa femme, pour que les tiers f~ssent décharrrés de leur responsabilité. Le remploi n'est pas affaire de pure
form: il doit être sérieux et assurer la conservation de la dot. Telle
a été ~'intention des signataires du contrat de mariage, sans quoi la
sûreté stipulée serait illusoire. Il faut donc reconnaitre que les tiers
sont garants de l'utilité du remploi (Benech n•• 60, 114. Aubry et
Rau v p. 582 note 94).
c. - Inaliénabilité de la d('t mobilii:re. - Il semble que la
question de !'inaliénabilité de la dot mobilière ne puisse pas s~
pose1· dans l'hypothèse qui fait l'objet de cette étude. Le mari
est quasi-usufruitier des choses consomptibles comprises dans
la dot, d' une somme d'argent par exemple. Peut-on lui refuser le droit de disposer de cette somme? La déclarer inali6nable serait en rendre la jouissance entièrement inutile. Quel profit peut-on
tirer d'une somme d'argent, si on ne la place pas ou si on ne la dépense pas ?
Pour comprendre que la question puisse se poser, il faut se rappeler les conséquences qui déco ulent de l'inaliénabilité de la dot.
immobilière. Cette inaliénabilité n'aiTecle pa:; les droits du mari.
Supposons que le contrat de mariage déclare les immeubles dotaux
aliénables, il ne pourra pas les aliéner : celui-là seul peut aliéner
qui est propriétaire et il n'est pas propriétaire. Donc si le mari n'a
pas le droit d'aliéner les imroeubles dotaux, ce n' est pas parce
qu'ils sont inaliénables, mais parce que ses pouvoirs sont. insuffisants. La règle de !'inaliénabilité a donc pour unique conséquence
d'empêcher la femme d'aliéner la nue-propriété de sa dot immobilière ; elle affectc les droits de la femme seule.
195 -
L'inaliénabilité de la dot mobilière doit, si elle existe, produire
un effet semblable. Elle doit rendre la femme incapable de disposer
de sa dot mobilière, comme elle est incapable de disposer de sa dot
immobilière. Or dans 1' espèce que nous examinons, on se demande
de quoi elle pourrait disposer. Ce n'est pas des choses consomptibles, dont le mari est propriétaire, et sur lesquelles elle n'a plus
aucun droit ; ce qu'elle pourrait essayer d'aliéner c'est seulement,
com me plus haut, sa nue-propriété. Cette nue-propriété, il est vrai,
n'exis te pas dans l'espèce : la propriété des deniers dotaux n'est
pas démembrée, elle réside toute entière sur la tête du mari. Mais
la femme n'est pas déchue de tous droits: elle a un droit qui, sans
doute, n'est pas une nue-propriété, mais qui, en matière de quas1usufruit, est la représentation de la nue-propriété, elle a une créance
contre le mari. Cette créance est tout ce qui lui reste de sa dot :
peut-elle en disposer au profit d' un tiers, s'en dépouiller, abandondonner les garanties qui en assurent le paiement, l' hrpothèque que
la loi lui donne? Voilà la question que l'on se pose lorsqu'on se
demande si la dot mobilière est inaliénable.
La question de !'inaliénabilité de la dot mobilière est de toutes
les questions qu'a soulevées l'étude de nos codes, celle qui a donné
lieu aux controverses les plus vives. Nous ne pouvons pas l'examiner ici : il nous suffira de constater que, si la discussion à laquelle
se livrent les auteurs offre un intérêt théorique considérable, elle a
perdu tout intérêt pratique. La jurisprudence moderne a en effet
consacré, dans ses grandes lignes au moins, la doctrme qu'avaient
fait pré\•aloir les arrêts de nos anciens parlements de droit écrit. On
peut a ujourd'hui poser en principe, :>inon en droit au moms en
fu.it que :
1° La femme ne peut pu ,
ses reprises dotales.
t\\
ant la dissolution du mariage, céJer
�-
196 -
2° La femme ne peut ~i subroger à l'hypothèque léga le destinée
ü garantir ses reprises dotales, ni y renoncer 1 ni céder la priorité
de son rang hypothécaire (Aubry et Rau v p. 600 note 10, p. 601
POSITIONS
note 12 et arrêts cités).
DROIT ROMAIN
1. Les filles de famille ne pouvaient pas à l'origine s'obliger civilement.
II. Les risques de l'insolt'flbilité du débiteur de la femme <UU9ui
dotis causa par elle a son mari sont à la charge de la femme et non à
celle dit mari.
Ill. L'action paulienne ne peut à raison d'une constitution de dot
êtrt intentée contre le mari q11'a11tant qu'il est complice du fraudator.
Peut-elle être •ntentée conlre la femme qui n'est pas conscia !raudis ?
,Yon, d'après V!1n11léius.
IV. Il n'e:ci.stait pas à Rome une calégorie d'actes connus sous le
nom <l'actus legitimi ayant pow· caractère commuri àe ne comporter ni
terme ni conditiort.
DROIT CIVIL
l . l'origine de la comm11ncw11: ne se trout•e r~i dans' les coutumes
relt1q11cs, ni clans les coutumes germa1liques: tlle se trout•e dans les
rommunautés scrl'iits qui t.rist11ie11t au moyen-dge.
Il. Le mari n'est ni propriétaire, ni quasi-propriétaire des biens
dota1u; non co1~omptibles.
Ill. Dans le ras de l' { . 1135 (ltrq11isîtion fait~ pllr k mari pour
sc1 t>ir de rtmploi ù /11 femme) l'atapta1io11 dr. la fe mme remonte 1111
jour de l'acquisition faite par le mari.
�-
198 -
DROIT ,l!ARITIME
T
'
BLE DES MATIERES
J. A qui appartient le navire en cou1·s de conslmction (construction
à forfait)? au constructeur.
JI. Dans le cas de construction à forfait les otwriers et foumisscurs
ont le privilège de l'A. l 91 8° du Code de commerce.
DROIT ROM.A IN
De la constitution de dot.
DROIT CRIMINEL
J. Les actes {ails par un interdit légal sont ntûs erga omnes.
CIIAPITRE
PRE'~HER
Jl. La résistance à un acte illigal de l'autorité ne peut constituer ni
GENÉRALITÉS
le crime tii le délit de rébellion.
Vu par le président de la thése :
Du constituant.
Au profit de qui la dot est constituée
Objet de la constitution de dot.
Temps de la constitution de dot
7
s
13
E. NAQUET.
CHAPITRE II
Vu et permis d'imprimer :
FOR\lE
Le Recteur de l'A cadémie d'Aix ,
ET EFFETS DE LA CON
ECTION I. -
Chevalier de la Légion d'hon.neur, Of!l,cier de L'instruct ion publique,
TrTUTIO~
DE DOT
1ï
De la dation
A. - EfTets de la dation postérieure au mariage.
BELIN.
a. - Au poiot de vue du lraosporl de l:l propriété .
b. -
~1
Au de vue de 1 usucapion.
B. - Effets de la dation antérieure au mariage.
a. - Condition suspens\\ o si 1111p1i:-r sequantur
" · _ Influence sur le lr:rnsf~rl de h propri\lé .
I. - Oans ln trodilion. .
l\ . _ L),rns 1'111 jure ct•~io cl
I:\
mnndp.1tion . .
/3· - lufluence sur 1·usm•·1pion.
'Y. _
(.;oust'-quen1·0 ile la M f,1ill.rn1·P. il..- h r~ndilion.
b. _ Condition rb;oluto1rc
u
si le mariage n'est pa célébre
n
�A.
B.
C.
D.
200 -
- 201 -
SECTION II. - De la dictio dotis.
- Forme .
- Histoire.
- Effets
- Nature .
DROIT FRANÇAIS
32
Du quasi-usufruit , application des principes du quasi-usufruit
èn matière de Contrat de Mariage
34
35
SECTION III. - De la promesse de dot.
~Iodalités . .
Effets .
De la délégation
38
38
41
42
Uélégalion postérieure au mariage.
JJélég,tlion antérieure au mariage .
PREMIÈRE PARTIE
Défini tion du quasi- usufruit.
Dans quels cas le qua~i-usufru it prend-il naissance ?
ï9
~I
DEUXIEME PARTIE
49
SECTlON IV. - Autres modes de constitution <lf Jot
A . - Acceptilat..ion .
I• Postérieure au mariage. • • . • • • .
'.! Antérieure au mariage. • . . . . • •
30
30
.
.
.
.
B. - Renonciation à un avantage déféré par disposition de
dernière volonté . . .
C. - Constitution tacite de dot
D. - Acte pour cause de mort
51
SECTION I.
5'2
Etablissement du quasi-usufruit par la loi .
53
55
56
()(J
CHAPITRE III
~CTlû.\"
II .
Ecal·lissement dJ quasi- usufruit par la volonté
de l'homme
CHAPITRE PREMIER quasi- usufruit.
6;?
66
69
')
I• Choses consomptibles.
'.!• Choses fongibles .
3• Choses estimées .
Uu principe œslimalio racit \'enditio11ero. - Cas où il s'applique ..
Conséquences . .
CIL\ PITRE [ r.
-
.)
Modes de constitution du
Gas où le quasi-us ufru it prend naissance. -
DU CARACTÈRE DB LA CONSTITUTION DB DOT
SECTION I. - Par rapport au constituant. .
SECTION II. - Par rapport a u mari .
SECTION III. - Par rapport à la femme (action Paulienne) . . . . . . .
Établissement du quasi- usufruit
5l
J
li
i
.l
Dti moduhtés du quasi- usufruit.
SECTI01~
III.
Du qua~1-usufruit rê-,ultant des convention:,
matrimoniales. . . .
CHAPITRE I. -
De la communauté légale.
'1-;
. .
98
Tous le-; 111·opres mubiliers Ol' ..;ont JI 1<1 rl~" (ll'lfll'es i111parf.1its
P r 1pre.,; impurlail-.. • . . • . . . . . . . . .
100
'l')
�CHAPITRE II. -
-
:.?02 -
De la communauté conventionnelle
Article Jer. - Des c lauses de réalisation expresse.
Tous les propres mobiliers ne sont pas des propres imparfaits .
P ropres imparfai ts . . . . •
Article II. - Des clauses de réalisation tacite.
10 1
102
103
LIO
111
11 1
112
T. Clause d'emploi .
II. Clauses d'apport. - A. Apport d'un objet déterminé .
B. Apport jusqu'à concurrence d' une certaine
somme.
C. Apport d' une certaine somme. .
114
CHAPITRE Il[. - De la clause portant que les époux
se marient sans communauté.
115
CHAPITRE IV. - Du régime dotal
11 6
Le mari n'est pa s propriétaire des biens dotaux.
Biens dont il est propriétaire. - t• Choses consomptibles.
Z• Choses estimées.
Cas où l'estima tion ne vaut pas vente.
Cas où l'estima tion vaut vente . .
CHAPITRE V. - Régime dotal et société d'acquêts.
112
CHAPITRE PREMIER. - De l'usufruit proprement dit .
Article I. -
Aliénation de la choso.
Aliénation volontaire .
Aliénation forcée ..
117
Àrticle III. -
Article II. -
132
133
135
137
Régime dotal.
l3ï
TROISIEME PARTIE
Des droits du quasi-usufruitier
CHAPITRE Jt•. - Des droits du quasi-usufruitier a \·ant
la livrai on de la chose .
1:3
CHAPITRE II. - Des droits du quasi-usufruitier après
la livraison de la chose.
141
CHAPITRE HL - Application des principes précédents
en matière de contra t de mariage. .
118
113
121
122
123
QUATRIEME PARTIE
Des obligations du quasi-usufruitier
1'l4
124
124
125
1'26
SECTION I .
Comment le quasi-usufr uit prend fin .
145
(;.iuse.<; d'extinction commu nes à l'usufr uit et .iu quasi- usufruit.
Causes d'e>: lioction de l'usufrui t qui ne s'appliquent pas au qua<;iusulruil .
1~6
1Io
APPE 1 DICE
Article Il. -
Paiement de la créance sur laquelle est constitué l'usufruit.
Paiement d'une créance propre .
Aliéna tion d'un propre. . .
Rescis ion pour lésion .
Incendie d'un prop re assuré . •
t 16
SECTION IV.
Transformation de l'usufruit en quasi-usufruit
203
127
Perte de la chose a&surée.
128
CHAPITRE IL - De l'usufruit dérivant des conventions
matrimoniales.
Article I. - Communauté légale et ronvcntionnellc.
1.32
13'2
Tra n formation du quasi-usufruit en usufruit.
1.rn
CUAPITlŒ PREMIER. - Qua i-u. ufrmt proprement dit. 1:10
CIIAP lTRE Il. - Qua 1-usuCruit derirnnt de- conventions
matrimonmlt!:> .
1~1 0
J)u rc111pll'li, de l'l'nlploi d dt! 11 dnrio in
~olutum.
-
D~tluition, .
.
l '>l
�-
204 -
-
.lrticle premier. - Communauté légale et conventionnelle .
A. - Deniers provenant de l'aliénation d'un immeuble propre
ou deniers susceptibles de remploi.
a. - Provenant de l'aliénation d'un propre du mari
b. -
Provenant de l'aliénaJ:ioo d'un immeuble de la remme
152
B. - Communauté conventionnelle (Apport du mobilier
jusqu'à concurrence d'une certaine somme.)
li4
152
C. -
J76
152
153
D. -
B. Deniers propres ne provenant de l'aliénation d'immeubles
propres ou deniers susceptibles d'emploi.
205 -
154
Régime exclusif de communauté.
Régime dotal.
lïï
Que doik>n restituer '1
Dans quel délai "!.
Preuve fl !aire .
liï
tî7
180
a. - Le contrat de mariage ne porte pas qu'emplo i sera fait des
deniers propres.
b. - Le contrat de mariage con tient une clause autorisant l'emp loi
des deniers propres . .
CHAPITRE IL tution . .
154
Des garanties qui assurent lare ti181
159
Article Il. - Régime sans communa uté .
159
Article premier. - Q:.iasi- usufru1t ordinai1·c.
<..:as oil la dispense de raution et!~. •
Articlt III.~ R égime dotal.
160
eas oil la chose a cté estimée (Prh·ilège du vendeur) .
160
A. - Deniers susceptibles d'emploi.
Article II. - Quasi-u1:>ufruit dérivant des conventions
matrimoniales. .
a. - Le contrat de mariage ne contient pas de clause autori':;aot
l'emploi .
1. - L'emploi est impossible Sanction.
JI. - La datio in soluuon est impossible. Sanction.
b. - Le con trat de mariage contient une clause autorisant l'emploi.
160
161
165
B. - Deniers provenant de l' aliénation d'immeub les dotaux.
lG6
170
I.- Sûretés commune - à tous les régimes.
a. - Hypoth èque légale de la femme
b. - Séparation de biens .
c - Emploi el 1•emploi. .
IL SECTIOr
IL
De l'obligation de restituer .
CHAPITRE PREMIER. - De l' obligation de restituer.
A. 167
167
l 1
mari~e ..
15
LS
17
ùretés spéciales à chaque régime.
181
Régime de communauté.
l 7
a. - Thèorie des A. 1\71, 1172. .
b. - Emploi et remploi,
1 ;
IS
B. -
Régime san1:> communauté.
190
C. -
Régime dotal.
191
Article !". - Quasi-usufruit ol'C!inaire.
<.:as où les parties ont estime la chose .
J67
Cas oil les parties n'ont pas estimé la chose .
170
a. - Expropriation pour cause d'utilité publique.
191
171
b. - Emploi et rem!)loi.
19':!
<'. -
m
Preuve à Laire par le constituant .
Article II. - Quasi-usufruit résultant des conventions
matrimoniales. .
A. - Communauté légale, communauté d'a<'quêts, réalisation expresse.
tG9
.
In:ùiéaabilite de la dot rnobiliêrc .
1n
172
Mars.iille. -
lnip. Jo•1Jpb l baull'ard, rue des
F~uillant. , ~'O
�
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Monographie imprimée
Description
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Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
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A name given to the resource
De la constitution de dot en droit romain ; Du Quasi-Usufruit, application des principes du quasi-usufruit en matière de contrat de mariage en droit français : thèse présentée et soutenue devant la faculté de droit d'Aix
Subject
The topic of the resource
Droit des successions
Successions et héritages
Droit romain
Description
An account of the resource
Etude de la constitution du mariage à travers la constitution de la dot en droit romain et à travers le quasi-fruit en droit français du XIXe
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Borel, Lazare.
Faculté de droit (Aix-en-Provence, Bouches-du-Rhône ; 1...-1896). Organisme de soutenance
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES-AIX-T-126
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Joseph Chauffard (Marseille)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1883
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/234816562
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-AIX-T-126_Borel_Dot_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
205 p.
In-8°
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/372
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Alternative Title
An alternative name for the resource. The distinction between titles and alternative titles is application-specific.
Du Quasi-Usufruit, application des principes du quasi-usufruit en matière de contrat de mariage en droit français (Autre titre)
Abstract
A summary of the resource.
Thèse : Thèse de doctorat : Droit : Aix : 1883<br /><br /> On peut définir la constitution de dot comme une donation faite à la personne qui doit supporter les charges du mariage. Cependant, de même qu’il n’y a pas de contrat de donation en droit romain, il n’y a pas de contrat de constitution de dot.<br /><br /> Pour répondre aux exigences apportées par la loi nataliste « <em>Lex Pappia Poppaea</em> », proposée sous Auguste en l’an 9 de notre ère, plusieurs procédures ont été prévues pour effectuer la constitution de dot, et permettre à tous de se marier, en dépit de l’existence d’un contrat qui lui est propre. Pour ce faire, trois formes de constitution de dot ont été appliquées durant l’époque classique : la dation, la diction et la promesse. Quelles étaient les conditions d’application de ces procédures ? Qui pouvaient y avoir recours ? Y avait-il une contrepartie en retour ? <br /><br />Cette thèse répond à ces différentes questions et pousse la réflexion à l’étude d’un autre sujet concernant le patrimoine familial : l’application des principes du quasi-usufruit en matière de contrat de mariage au XIXe siècle<br /><br /><span lang="fr"><span style="font-family: Calibri,sans-serif; font-size: small;"><span style="font-size: 11pt;">Résumé Liantsoa Noronavalona</span></span></span>
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Contrats de mariage -- France -- 19e siècle -- Thèses et écrits académiques
Dot -- France -- 19e siècle -- Thèses et écrits académiques
Mariage -- Droit -- France -- 19e siècle -- Thèses et écrits académiques
Mariage -- Droit romain -- Thèses et écrits académiques
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/395/RES-AIX-T-131_Terris-Loi-Cincia.pdf
60370fb345893716f4778304eb4efab5
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Text
UNIVERSITÉ DE FRANCE -
DE
ACAOÉ.MJE D'AIX
LA
LOI CINCIA
EN DROl'r ROMAIN
DE
LA
RÈGLE :
DONNER ET RETENIR NE VAUT
DAN S NO TR E ANCIE NNE JURI SPRUDE NCE
E T
SO U S
LE
CODE
CIVIL
PRÉSENTÉE ET SOUTENUE
Par Jos eph DE TE RR IS
Avocat près la Cour d'Appel d'Aix
--~
Dl P RDIERIE J.
AI X
:N I COT, 16,
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R l 'E
Dr
LOUYRE
�A LA l\fg~JOIRE VI~Nl~RÉ E DE MO:\' PERE
A MA MÈRE
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�l)Rürr
l)O~lAIN
Généralités sur la Loi Cincia
La loi Cincia, appelée aussi /ex de donis et mtmeribus
par Cicéron et Tite-Live el lcx 11uineralis par Festus, est
un plébiscile qui fut porlé au mili eu du VI" siècle <le la fonda lion <le Hom e. Présentée par le tribun Ciacius Alimentus, elle fut énergiquement soutenue par Q. Fabius Maximns el Caton le censeur ( 1). Oo ignore encore de nos jours
sa date précise et exacte. On sail seulement par un passage de Ti le-Live (2) qu'elle existait déjà en l'an 555 de la
fond ation de Rome. Tout fait présumer qn'ell e fut votée
v~rs \'ao 5 50 sous le con$n lat de M. Cornelius Cethegus et
de P. Sempronius Tuditan us.
L'obscurité qui règne aujourd'hui encore sur l'origi1rn
de ce lle loi s'étendait autrefois à ses dispositions ellesmêmcs. Cc qu 'on en con naissait se bornait à bien peu <le
choses. Les juri co n ulte romains cependant en avaient
( 1) Cicér o11, dP .Srnertulr. i.
('i) T itc- Li vr. li\'. \ n l Y, )( i .
�-6fait l'objet cle leur. étude cl y avaient co11sacré plusieurs
commentaires. On pense généralement qu' Olpien y faisait
allusion dans les premiers mots qui nous sont parvenus
des Fragments connus sous le nom de : Tit uli !!X Cmpore
V/piani. Paul avait même composé un traité spécial :
Liber singularis acl l ege m Cincinm, mais ce traité qui eût
étè de nature à. nou ' fo urni r de' inJicalions bien précises n'a
malhenreusement point été retrouvé. Quan t aux textes du
Digeste, ils avaient été, pour la plupart . altères so us l'em pe·
reur Justinien qui arnit vou lu les faire cad rer avec sa théorie ùe l'in$inuation ; ceux qu i arn ien t été épargnés ne fai aient que mentionner en matière de donation entre-vifs
une limite fixée par une loi do11t le nom n'était prononcé
qu'une fois. C'était là avec quelques constitutions du Code
Théodosien et du Code de Justinien. quelques passages de,
historiens et des auteurs de l'ancienne Rome, tout ce que
les anc;iens interprètes du droit romain connaissaient sur la
loi Cincia. La découverte des Fragmen ts du Vatican en ·J 82 1
par l\l . Ange!o .Maï est venue étendre le champ Je nos
connaissances. Nous y trouvons, en effet, un certain nombre de paragraphes C§ 26G à 5 16) qni traitent: de Donatiunibus c'd Legtm Ci11cia111 . Sans doule, cer tains détails
sonl encore ignorés de nos jonrs , certain po ints sont c11core restés dans l'ombre, mais du moins pouvons-nous.
avec les documents qoe nom, possédon, , nous fa ire u11e
iciée exacte et complète de la loi, en saisir le but et co nnaître les moyens de li né. à fa faire observer.
Elle avai t deux objets. Elle défend ait e 11 premier lieu
les dons ou présents fai ts par les clients aux al'ocats chargés de défendre leur cau se. Dans 11n second chef. beau-
-
7-
coup plus important , elle prohibait les donations en tre-vifs
au delà d'un Laux déterm iné, saof celles qui étaienl adressées à certaines personn es appelées 71l'1'sonœ exceptœ et qui
étaient va lables in i11/initurn.
On pourrait peut- être, au premier abord. 'étonner Je
l'oir rcuni es dans une même loi des décisioos aussi dillcrentes pa1· leur objet. Il est cependant probable qu'il
existait un lien entre les deu'\ dispositions de la loi Cincia.
L'explication donnée par M. Accarias ( 1) sur ce point
nous parait même assez . atisfai an te. A l'origine et jnsque
sous les Antonins, les honoraire d e~ avocats furent con idérés légalement comme perçus à titre gratuit et coostitu:iient non point une rémunératior1 des serv ices rendus,
mais une réritable libéral ité faite par le client à son
défenseur . Voici donc qn elle aurait ét~ l'économie de la )(Ji
Cio cia. Ell e distinguait trois sortes de donations : 1° les
donations faites aux avocats qui étaient absolument interdite ; 2° cell es qui dépassaient le taux fixé par la loi cl qu i
n'étai ent pa ad res·ées à des pcrso11œ exceptœ, donl laperfecti on était ·uburd on née à l'accomplissement J e nouvelles
fo rmalités ; j• cell es LJUi n'exci•cla ient pas le modus ou qui
étaient faites :t une personr.c cxceplée, et qui écluppant à
l'application de la loi demeuraient régies par le droil antérieur .
( t) Droit roma111 , l.
1,
p. 70 , oo lci.
�-8
PREMIÈRE PARTIE
Êtnclc dn 1•rcmle1• chef de ln Lol Cineln
Sous les rois et dans les premiers temps de la république il n'y avait pas d'avocats à Rome. Le patricien était Je
protecteur légal de son client el ùevait prendre en main
ses intérêts. Possédant seul le dépôt des coutumes et les
formules de la procédure il pouvait seul remplir les fonctions de juge et d'avocat. La défeu~e eo justice était
uo de ses privilèges ou plutôt une de ses obligations. Mais
son ministère était nécessairement gratuit. Il ne pou vait
évidemment rien ex iger de ceux que ses devoirs de patronage le forçaient à secourir quand ils se trouvaient dans la
détresse et les honoraires qu'il pouvait percevoir étaient
regardés comme des dons volontaires que lui faisaient ses
clients.
Les divulgations de Cneius FlaYi us ( 450) en enlevant
aux patriciens les secrets de la procédure, aITranchirent Je
plébéien de la tutelle du patron de\'ant les tribunaux et le
laissèrent désormais libre de choisir à son gré le défenseur
qni lui plaisait. De ce jour-là, date à Rome l'origine du
barreau ; l'avocat prend la place du patron et l'assistance
judiciaire devient une véritable carri ère accessible à tous
les citoyens. Il n'est plus rare, à partir de celle époq ue, de
voir des hommes de la plèbe arri ver au premier rang par
leur travail et leur éloq•Jence el compter à leur tour
parm i leurs clients leurs an~i ens patrons. TouLefo is la défense en justice reste, ce qu'elle avait été à l'origine, c'est-
- · 9 -
à-dire entièrement gratuite. En échange des services rendus les orateurs obtenaient l'influence el la réputation et
regardaient • l'estime de la postérité comme le pins
digne salaire de lenr êloqu ence • ( 1). La profession d'avocat permettait à ceux qui l'embrassaien t de se signaler,
d'arriver rapidement aux honneurs et aux dignités et le
barreau ne tarda pa:; à devenir le stage obligé d~ Lous ceux.
qui se destinaient aux fonctions publiques. " C'estait, dit
Laroche-Flavio , le principal moyen de l'état populaire de
romains de pan·enir aux grandes choses que d'estre bon
avocat » (2).
En fait cepenàan t l'usage de ces dons vol1mtaire· qu e
les clients faisaient à leurs défenseurs, un e fois le procès
terminé, était entré dans les mœurs. Le. avoca ts s'étaient
habitu és à ex iger des honoraires qui , modiqu es à l'origine,
devinrent pins tard exagérés. Le patriciens su rtout qui
avaient eu pendant longtemp · le mon opole exclusif de la
défense en justice et dans les rangs desquels se recru lail
encore la plus grande partie des orateur en étaitlnt v enu ~
à commettre tonLe sortes ù'exactions el à prélever de véritabl es impôts sur la plèbe dont l'influence sans cesse
grandi ssante leur portait ombrage. C'est pour mettre un
terme à c.es a.bus que le tribun Cinciu présen ta un plébi cite dont le but éminemment politique était d'affranchir
le peu~le ùe la dépendance ruin euse da ns laquelle le plaçait l'usage des don \ Olontaires coYers le grands. Ceux-ci
firent d'abord peu <lû cas <le celle proposition el Cicéron
( 1) Ta cilo ( Annafrs, li,·. :1.1 . :1. )
.
(:t) On sa it qull Cicéron ne fuL cousu! , c't·~l-à-d 1 rc le pr emier homm\'
d e l' um vcr s 001HJ11 que pour 11\'0tr ~ t ê 91•ora1. \' olld1re. (/J1cl1011nu1n
philosopltique, )
�-
10 -
nous a co 11scr\'é la répon"e llèn' t' t énergiqu e que Ill Cincius au patricien Caiu$ Centn qui llli demandai! dédaigneusement cc qu'il proposait : Q11icl /i•rs Cinciole ?
Ul e111as, i11q11it. si 11/i ne/is ( 1 ).
La loi fut cependant votée trompant ainsi l';\ltenle ùcs
orateur. don t elle chcrch:i il il. réprimer le honteux lrafic.
El le leur ordonnait de ne rien dem;1ntl cr ou rcceYoir de
leurs cli ents pour leurs plaidoirie. : Ne qtti.s, ob causarn
m·M1d11111, 7>er·1t11inm rlonnmre acriperl'l (2). ~l a is elle
n'atteign it p:i$ le résul tat qu'elle 'était proposée car ell e
était ~1 la foi~ lro p rigoureu:rn et tro p inwmplètc ; trop rigooreu. e : pourqu oi en efîet c!Cfcndre d'une fo ço11 <t bsolu e
aux avocats de toucher des honnr:i ires ? Le sy·tème légi·latif des Romains de plus en pins co mpliqué ex igeait qu e
des hommes spéciaux se consacrassent ex closirnrnent :1
l'étude et à la prat iq ue du droit. L'état c1·a,·oca t vent so n
hommr. tout enlier, disait Loysel. L'arocat est souvent
obligé de négliger ses propres affaire. ponr s'occ uper de
celles qui lui sont confiée ·. Il faut dilue 1 ~1 i perrnellre de
LrOU\'Cr ùan l'exercice dr, ~a profession des rémunérations
pécuniaires el le moyen de mener t1ue vie honor:i blc el in·
dépendante. La loi Cinria était en même temps incompl èle,
car elle ne prnnoncail :i ncune. ancLinn et ne frappail d'aucune pein e ceux qui violaient ses di. po. itions . Au s:i ne
tard a-t-ell e pas à tomber en dés uétud e et ne fut-ell e re ' pec lée que par qu elque· orateurs d'un e honnêlelé éprouvée. Si le:; historiens niius montre11l en effet Asinins,
Messala, ArunLius el Eserninu s pél rvcnus au fait e des hou-
-
neurs par une vie san reproche et une éloquence désin·
térnssae, il nous rapportent également que Clodius et Curion mettaient leur talent à un prix. excessif, que Marcellus
Eprius et Vibius Crispu s acquirent en peu de temps nne
fortune de trois cent mill ions de sesterces ( 55 ,07 9. 679 fr. ) .
Sous Augu te on es aya de remettre en vigueur le premier
chef de la loi Cin cia et un séoatu con ulle condamna l'avocat qui aurait reçu des honoraires, a une re titution du
quad ruple ( 1). Mais celle nouvell e prohibition fnL égalemen t impoi sante à fa ire cesser les abus qu'elle \'Oulait em pêcher et Tacite ponvait sans être taxé d'exagération éGrire
l{U e : « Nulle marchandise publiqoement étalée n'était
plu a vendre que la perfidie des avocats (2) . •
Un grand scandale qui se produi ·iL ous le règne de
Claude éreil la de nouveau su r ce [)Oin t l'allenlion du léaisl':>
latcur. Un chevalier romain , Samiu , après avoir donné
quatre cent mille sesterces i1 un arocat clu 110 111 de Sui li u
reconnut que cel ui-ci le trahissa it et e perça de so u épée
dan la mai ·on cl e on défen eur infidèle. Emu par un
pareil fait le consul Siliu porta au sé11at la question du
rélauli sdmen l de la loi Cincia. Celle prnpo ilion donna
lieu :l de long· débat· dont le Annal e, de Tacite nou on t
~o nsen' é le souvenir (5). Le· partisans du projet .ou lenaicn l que si la plaidoirie n'enrichis ait per onne il y
aurait moins de procès, que les iuimitiés, les accusations,
les haines , les injusLices étaient t)ncouragées par le avocats
qui trournien t dan Gelle plaie du barreau , commt' les
(1 ) Dion Cass i u~ (liv. iv. l i!).
Cl) Cicér on (de Oral. 11 , il 1.
(i) Tacit e (A nnnlr.~ " · :;).
11 -
(~l Tuc1te ( llmalcs ~1 . 5).
P) Tai:ilc ( !n11ales '11, 6 ('li).
�-
l2 -
-
m~deci us ùan, les maladies. nne ~onrce Je for tune. A cela
uiliu el ~ amis rèpondaienl que l'av oca t n'est pas
toojours . ûr ùe pa er à la po lérité ; pourq11oi dès lors
•es services si nécessaires ne seraient-ils pas rémunérés?
L'éloquence est un appui ménagé à la faiblesse pour
qu'elle ne soit pas à la men;i <le la force ; c'en est fait des
talents .i on ::.opprime les récompenses. En pré ence de
deux opinions au i ex trèmes, Claude n'osa point, dans
b craint e ùe mécontenter quelques-uns de .es uj ets
prendre une détermination ferme et énergique el rendit
une décision telle qu'on devait l'attendre d'un prince faible et irrésolu comme l'était cel empereur . li lim ita les
honoraires des avocat· à. un maximum rie ui x mille sesterces (e1wiron 1. 950 francs) an delà desqu els on ne pourrait rien ex iger sons peine J 'être déclaré co upable de con -
modifient. C'e t le juge qui fixera désormais les honorai res e:rlra ol'di11em , d'après l'importance de l'a!Taire le
'
talent el l'éloquence de l'orateu1· les usages recus ( 1) .
Ces honoraires ne pourront jarnai excéder cent sous
d'or. !I est de plu s défendu au défcn,eur rle s'associer à
l'avance avec so n client pour recevoir une part de la
somme qu i fa it l'objer du procè_. Constantin (L. 5 C. c1,,
P(lslul.) et aprè lui Valenlin ien et Valen (L. 6 § 2 c.
(/,e Postul.) prnhib01·enl tout pacte :-.ur les honorai res.
· Toutes ces me ures et toute_ ces decisioo, euren t pour
effet de rendre la profc:sion cl'a\ ocal plus honorée et de
lui fai re recouvrer le pre~tigc que la licence et Jïntlélicale~ e de ses premiers membres lui a\aien l fait perdre.
Presqu e seul de Loules les in. litu lions et do Lous les coq•s
de l'Etat, le barreau , eml>le avoir résisté au déborJement
de toutes les corru ptions qui envahi rent au Bas-Empire la
$Ociété romaine. el le;s constitutions yui nous son t parren11es nous atteslent la eonsidération et le respect dont les
arocals fu rent en tourés à celle époq ue. C'est ainsi qu'une
dispo ition enj oignait de choisir dans leurs rang' les ponLifes de provinces. Une au Lre LléclaraiL que ceux qui
0taien t arri \'és aux dign ités ne dérogeaiell t pas en fa i'an t la
fo nction d'avor.at. parce que, di 'ail-elle, il étai t tou t aussi
honorable d'êl r~ debout ponr pl:lider qu'as. is pour
juger ( 1) . Enfin , dans uneconslitution célèbre. la loi 14
C. de A duocali~ diversol'wn judiciurwn , le empereurs
Léon et Anthemi us déclarent que les arncats ont tout
aussi nécessaires à un pays que le soluat. qui le défen-
cus ion.
Ce sénatusconsulle fut renouvelé sous Nëron qu i permit
aux plaideurs • de payer nn s:tlairc équitable et modér é à
leurs défen. eurs ( 1). ,, So us Trajan. Pline-l e-Jeun e n ou ~
rapporte qu'un préteur Nepos po1ta uu édit aux termes
duquel • il était ordonn é à tous ceu x qui a,·aient un
procès. de quelque nalure qu'il fûl , J e fa ire serment avan t qu e de plaid er, qu'ils n'avaient rien donné.
rien promi , ri e11 fait promettre à celui qui s'élait chargé
de leur cau:-:e (2J .• On leur permettait cependant, une
fois le proces lerminé, de don11er à leur avot:at une certaine somme, pour\'U qu'elle ne fût pas snpérieu re à
ùix mill e esterœs. Sous les Antonins, les principes se
( l l ..;uetone ( l'tr âe Néro11. 1?) •
( i) Pli ne le J ('U O<' (T.rttrrs, }Î\',
'.
15 - -
(1) lllpièn ( L. 10 ;\ 1.1 tle t'.clrwm/. <:ot, 111 /1.
\':!) Hou c· lier d'Argi• (rh. :1, I'· 3'!).
le/I re 1 ad nurum).
•
�-
14 -
dent au pé1·il de leur vie sur un champ de bataille : Advorati, qiti diriunmt ambigua /'atri 1·n11sarnm. suœque de(ensionis t'iribus in rebus swpe publicis ac privatis lapsa
eriymtt, fatigata reparant. Mn min11s 71rovidenl h11111a110
generi quam si prœliis alqu c u1tl11eribus palriam parenlesque saluare11t. N1~c e11im solos twstro im11erio militare
credimus illos qui gladiis, clypeis. ~t t/lomribits riituntur.
se<l clittm a<lL>o~atos , mililalLL 11amq11c cirnsarwn palroni,
q1û gloriosœ vocis co11fisi 111unimi11e, laborantiwn s-pem,
vitam et posteras dcfe11 d1w1 .
Tel fut donc la destinée du premier chef de la loi Cincia . • Il n'ent sa complète application que pendant les
dernières années de la républiqu e et lec premières de
l'empire ; mais l'espri t de l'antique prohibition laissa dans
les mœurs des véritables jurisco nsultes un principe d'honneur et de désintéressemenL digue d'être recueill i par les
âges postérieurs ( 1) . •
DEUXIÈME PARTIE
Etude do ~econd clu-f dt• la f,ol f'lucla
Droit antérieur à la loi Cincia.
Avant d'aborder l'étude du second chef de la loi
Cincia, il ne sera pas inutile de jeter un coup d'œil sur
les formes auxquelles étaient assujetties les donations
l i ) Laft>nic r e ( lfisloire du Droit, l. 1, ir 471.).
--
I ~
-
entre-vifs Jaus l'ancien droit romain . Cc rapide aperçu
aura une double utilité. Il nous pcrmcllra tout d'aLord de
nous rendre un compte plu exact des modifications inlroduites eu cette matière par le tribun Cincius. Il nous
fera ensuite connaitre dan s son en. emble la législation
concernant le libéralités entre-v ifs dan le droit cla sique, car, ainsi que nous le 1·errons , un certa in nombre
de ces libéralités échappèrent à rapplication de la loi Cincia
et co ntinuèrent à être rég ie· par· le droit antérieur .
Les f~s Litut es (L. JI . tit. Vff, pr. de Donat. ) rangent
la ùonat1ou parmi les modes d'acq uisition. C'est là une
erreur commise par Ju tinien . La donation , en effet, 11 ·a
p:.is revêtu à Rome de forme propre; on ne peu t pa dire
q.u'el.le soit un con trat spécial ui nu mode d'acquérir particu lier. Pour qu'elle devînt obligatoire ou translalirn
dl} propriété, il falla it qu 'à la conventiou Je donner, incapable par elle-même de créer un droit, vint se joi ndre
l'emploi de certain es formalité déterminées. La donation
ùevait empronter oi t la forme d'un mode d'ac4uérir, soit
celle J'un co ntrat, soit celle d'un mode <l'extinction des
~l~li~a tions. On disait alors, suiYant les cas. qu'elle se
lê~1sa1t dando , obliy a11do t•el libera11clu. Ces principes su.
b1rent cependant avec Je Lem ps J'importantes rnoditications.
Antonin-le-Pieux décida ( L. 4. C. Tu. de Donat. VIII , J ~
- Fray. Va t. ~ ~49 et 3 l 4. - Paul. Senl. ff. t ,
~ ~ 1), que le simple pacte <le donation. pounu qu'il eût
ete con Laté pa1· écrit Cl que l'écrit eùt été remis au donataire. serait obligatoire eutl'e ascenùauls et descendaots.
Ju l> tinien généralisa •;elle règle ot posa en princi pe que la
ciinvention de Jo1111er, écl'ite ou non écr·ite. erai l en tre
�-
16 -
toute· personnes une caose suffi ante <l'obligation (§ 2
b-i:;t. - L 35 , § 5, C. de Donat . Vlll , 54) ( l ). Mais là
s'arrètèrent les innovations cles empereurs, et, jamais en
droit romain, la doPation ne tra11sféra par ell e-même la
propriété. La règle existe enco re dans le droil Je Justinien
qui se contente de faire produire à la convention des parties une créance et d'accorder au donataire un e action personnelle pour obtenir l'exécution de la libéralité qui lui a
été faite.
Si donc. à l'origine, la conventior. de donner était impuissante à engendrer un e action et à créer un droit,
comment p:irvenait-on à lui donner celte force juridique
dont elle était dëponnue par elle-même' Antérieurement
à la loi Cincia. on pP.ut poser en principe que la donation
derient parfaite, dès qu'une action ou un moyen de défense
quelconque sont acquis au donataire, à l'effet d'en obtenir
ou d'en conserver le bénéfice (2) . On pouvait arriver à ce
résollat :
l. />ar· voie de Dation. Ce devait même être
là si ·l'on s'en rapporte à l'étymologie du mot donatiori
(dono da1·c) le procédé le plus employé à l'origine pour
fa ire un e libéralité. On pouvait transférer par ce moyen
soit un droit de propriété quiritaire ou boni taire, soit un
droit réel quelconqne civil ou prétorien, à l'exception cependant du droit d'hypothèque qni , n'étant qu'un acces( 1) T~utefo i s , lorsq ue les purUes s'élai ent proposé de faire un écrit,
la don3t10~ , en vc_rtu des pr1nc1pes adm is da os le droit ùe ce lle époqu e,
ne devenait parfaite que par 1!1 rédaction Je l'ins/rmnentmn et sa perfoction.
(z ) Accarias, t. 1, p. 706.
-
17 -
soire de la créanr,e dont il vient garantir le paiement et
n'enrichi sant en aucune façon le donataire, ne pouvait
faire l'objet d'une donation . Cette translation pouvait
s'opérer soit par la réunion d'une mancipation et d'une
tradition ou par nne inju1·cccssio, s'il s'agissait de rcsma11cipi, soit par ut1e inj 1trc cessio ou une tradition , s'il s'agissait de res tiec mancipi. Toutefois, on n'avait pas sonvent
recours en pratique à l'in jure ccssio. Gaius (II.§ 125)
nous apprend en efTet qn'en ce qui concerne les res man·
cipi, on employait de préférence la mancipation qui n'exigeait pas que les parties se rendissen t auprès du préteur
ou du président de la province, tandis que, par rapport
aux res nec manc1)Ji, on n'usait guère que de la tradition
dont les formes étaient beaucoup plus simples.
La simple mancipation ou tradition d'une res mancipi
suffisaient également pour rendre la donation parfaite. La
mancipation investissai t le donataire des droits qui appartenaient au donateur et lui permettait d'exer(:er la revendication relativement à l'objet donné. Quant à la tradition,
elle faisait entrer cet objet dan le patrimoine du donataire qui arait désormais sur lui un droit de propriété bonitaire et qui pouvait soit l'epousser par l'exceptio rci do natœ et tradicœ l'action intentée par le donateur, soit même
agir par l'action pub:iciennc, s'il venait à perdre la possession.
IL Par voie et' Obligation. - Le simple pacte de dona1ion, étant par lui-même ans valeur juridique et
n'aboutissant qu'à nne manifestation impuissante d'un
désir de libéralité, il fallait, poul' lui donner effet, le re-
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18 -
rëtir des formes d'une stipnlation ou de celles d'un contrat
/itteri.s. Dans les ùeu x ca ·, c'~ Klil une conllictio ou une
action ex stipulatti qu i était acco rdée au ùonataire. La stipulalion devait être encore le procédé le plllS usité. ca r
l'expcns1:latio ne s'appliquait qu'aux donati ons aya nt pour
objel une somtUe d'argent .
Ill. Par voiG de Remise de Dette. - Le créancier qui
voulait faire à son débiteur abanùon gratuit de sa
créance a\'ait deux moyens :1 sa disposi tion. li pou,·ait
consentir un pacte cle non 1Jl'lendo qui laissant subsister la
delle selon le droit ci,•il l'éteignait exceptionis ope. ~ Il
pouvait également recourir i1 l'acceptil alion qui était encore
préférable en ce sens qu'elle libérait ùe plein droit le donatlire et condamnait la demande dn donateur à échouer in fai ll iblement.
TV. Par voie de Dèlt!gation. - La donation par voie
ùe délégation pouvait s'accompli r de plusieu rs manières
dilTérentes. li serait trop long d'énu mérer ici le di verses
hypothèses qui pouvaient se présenter. Bornons-nous seulement à en indiquer trois prévues par les tex tes du Digeste P.t sur lesquelles nous serons appelé à. revenir plus
tard : 1• Le donateur s'oblige sur l'ordre de son donataire
envers la personne que celoi-ci vent gratifier (L, 2 § 2 de
Donat. - - L. 55 § 5 eocl . tit .) ; la délégation servait alors
à réaliser deux libéralités; 2° il li bère le donatai re d'une
dette dont celui-ci était tenn en s'engageant envers soo créancier ( L. 5 § 5 de Dol. Mal . et /lli:t. Exccpt. ); 3° il ùonnc à
son déhit en r mandat dr s'engager en,·rrs Ir rlnna tfl ire qui
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19 -
an lieu de se troU\'er libéré comme ti ans la seconde hypothèse devient lui -même créancier (L. 2 1 § l de Donat.) .
Dans ces tro is cas, la donation deven:iit parfaite aussitôt
que ces diverses obligations avaient été contractées par un
moyen de droit civil.
Quelques interprètes estimen t enfin que l'on pouvait recourir h une ce ion de créance pour rendre la libéralité
immédiatement parfaite. Nous ne partageons pas leur manière de voir, suivant en cela l'opinion de M. Accarias ( 1).
La donation ne devenait, en elTet, dans ce cas, pendant
toute !'~poqu e cla iqu e, irl'évoca.ble que lorsque le donataire constitu é prowrator in rem suam avait reçu le payement ou \or que la poorsuite intentée contre le débiteur
céJé avait abou ti ~\ la titis co11teslatio. Si Je donataire venait
à mourir avant celte époque, la 1n·owratio qui n'était qu' une
sorte de mandat s'évanouissait et ne passait pas à ses héritiers. C'e t ce qui résul te de la loi 55 (C. de Donat. ) où
Justinien rappelle ces principes pour les modifier. (2)
Tels étaient donc à l'origine les dirers moyens employés
pour fa ire une donation. Dès que œs formalités que nous
venons d'indiquer étaient observée , b libéralité devenait
parfaite et irrévocable quelles que soient ùu reste son importance et son étendue. Au cune loi n'était ïeoue interdire les libéral ités dépassant une certaine limite. L'utilité
d'une pareille loi ne se fais:iit du reste pas sentir. Rome
était encore enfermée dans d'étroi tes li mi tes ; elle n'avait
pas, pir l'effet de ses conquêtes, ëtendu au loin son em( 1) Droit rom a il1, tome t y. 706, not~ 3..
, . , . ,
(2) La procuralio devena1l ou C'ootra1ro _1,r n\".'ocnble. qu!lno lis Di!ISSfül
1
d' une cession à t1 l rc onéreux , por ln s1gnrhC'nllon au <k bll eur C'M~.
�-
20 -
-
pire cl sa ctomination : les for tunes de chacnn étaient modiqu es et Je pen d'importance; les citoyen soucieux de
transmettre tout leur patrimoine :1 leurs descendants, afin
de leur permettre de ~o utenir l'éclat et la gloire de leur
nom, devaient rarement le dim inuer par des largesses immodérées. Du reste les Romains étaient peu portés par
nature à se dépouiller de leurs biens, :iinsi qu e nous l'apprend Polybe. qui , fai sant l'éloge de ~ cipi on 1' Mrica in pouvait dire que sa générosité qui eût étë remarquée partout
ailleurs, derait l'être urtout à Rome, où ce n'était point
une Yertu commone ( 1). Plus tard cependant il en fut autrement; celle liberté ill imitée laissée au donateur présenta
de sérieux dangers. Il fall ut dans son intérêt et dans celui
de 5a famill e y apporter certaines restrictions. r.·est le but
que se proposa le tribun Ciocius en portan t le plébiscite
dont nous alIons étudier la second e disposiLion.
i:·conomle do ""coud
(')l('f
cl<' ln J,ol Chacln
L'économie du second chef de la loi Cincia était assez
sim ple. 11 iixai t un taux (modtts Legis nu tcr1itimas) qu e les
libéralités ne devaient pas dépasser et diYisait pou r ai nsi
dire les donations en deux catégories. Celles qui n'excédaient pas le modus ou qui étaient fai tes ~1 ùes perso11œ
exc<!'fJtœ restaient soumises pour lenr· valiclilé et leu r perfection aux règles que nous venons <l'indiquer. Cell es au
( 1l Pol ybe (lli.~t . Ji,•. XXXlf , 9.)
21 -
contraire qui étaient supérieu res au taux tixé ou qui s'adressaien t à des personn es non ex1..eptées tombaient sous
le coup de la loi Cincia et ét<1ien t prohibées par ell e. Toutefois. par une bizarrerie qu'on a de la peine à s'ex pliquer,
la loi Cinr,ia 11e prononçait pas la nu llité de r,es dernières
dispositions et n'anéantissait pas l'opération juridique intervenue; c'était clone. ainsi qu'Ulpien le fait remarquer
avec beaucoup de raison, uue loi imparfaite. De celte im.
perfection découlait comme conséquence naturelle que le
donateur n'avait aucnne action pour reprendre ce qu'il
a\'ait donné en violation des dispositions légales. Le plébiscite loi accordait seulement certains moyens de défense
qui lui permettaient de se son traire aux conséquences régulières d'un acte qui eût suffi antérieurement pour le dépoui ll er d'une façon irrérncable. Si le donataire avait be·
soin d'intenter une action pour faire produire à la libéralité
tous ses elîets, le donateur avait à sa disposition une exception fond ée sur la prohibilion de la loi. grâce à laquelle
il pouvait repousser les demandes formées contre lui. Si
au contraire Je donataire n'aYai t pas besoin d'agir, s'il se
trouvait en possession de l'objel donné, le donateur pouvait
faire valoi r tous les moyens empruntés au drnit ciril qui
étaient restés entre e main et qui , inutiles autrefois,
clevenaien t erfic<1ce. gràcc h une re11lica1io legis Ci nciœ .
Prenons par exemple ce qui avait li eu dans le ca où
la donatio11 arnit. pour objet u11 fonds italique. Quand
le donate111· s'était borné il manciper la chose, l'e.i: ce11tio /e_q1:s Cinciœ paraiysait la rercndication du don a·
taire ; quand il s'était conten té de la li l'rer, il pouvait
revendiquer . puisqn'il avait ~ ncore le domi11ium e.1· jure
�-
22 -
-
~5
..
Q1tfritimn, et à l'exception rei donatw et tradilce qu e lui
opposait le donataire, il répondait victorieusement par la
replicatio Legis Cincice. Mais si la mancipation se trouvait
jointe à la tradition , le donateur n'avait plus aucune ressource: Omnisvia agendi pere1wpt.a est(L. 2 C, de Acceplil.);
la donation était parfaite et c'est alol's véritablement que la
loi Cincia manquait son but en ne lo i donnant aucune
action. Les libéralités supérieures au modus pouvaient
ùonc dernnir inauaquables, quand elles avaicnl été eu lourées de formalités telle que le don:lteur n'avait plus aucun
moyen de faire usage de l'exception. C'est en ce sens,
croyons-nous, qu'on peut être amené à Jire avec certains
au teurs que la perfection ùes dooations était plu difficil e
à obtenir sous l'empire de la loi Cinria, el qu'il fallait des
for mali tés spéciales pour les l'endre irrévocables.
Nous diviserons en deux chapitres l'étride dn second
chef de la loi Cincia : nous i11d iquerons d'a bord quell es
étaient les donations qui tombaient sous so n app lication :
nous verrons ensu ite quelles innovations elle avait introduites et comment ell e ètai t venue au secou rs du donateur dans chacune des hypothèses qLH:: nous avons pi·écéùemrneot examinées.
CHAPITRE I•'
Détermination des Donations sonm1ses
à la: Loi Cincia:
Pour :lrriver à connaitre exaclemenl quelles élaient les
d•mations qui tombaient . ous le coup de la loi Cincia , il
non paraîl néce saire de poser deux règles dont nous
allons étudier en détai l toutes le conséquences.
Premièni Règle : Les donation entre-vifs seules étaient
•oumises à la loi Ciocia.
DeiHième RP.gle : Certaines li bérali tés entre-..-ifs échap-
paient à l'application tle la loi Cincia .
•
�-
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-
SECTION I••
LES DONATION"
ENTRE-YTFS
Loi
EULES
'ONT SOUl\JISES
A LA
Ct:-iCIA
Celte premiè1·e règle a pour rés ultat de laisser en
dehors du plébiscite du tribun Cincius toutes les donations
mortis causa .
Le droit romain reconnaissai t à côté des libéralilés entre-vifs , des legs et des fideicommis un autre mode de
disposer à titre gratuit, les donations a cause de mort. La
donation à cause de mort peut être définie : une libéralité
faite en vue de la mort par une personne qui est ou non
sur le point ùe courir un danger, naturellement révocable
au gré du donateur, essentiellement cadu1Jue par le prédécès du donataire. Ces donations étaient certainement
conm10s et usitées au V(• siècle de la fondation de Rome.
C'est une question controYersée entre les interprêtes que
celle de savoir si elles tombèrent sous l'appli cation de la loi
Ciocia.
La discussion paraît tout d'abord dén uée d'intérêt pratique. Il semble, eo elTet, que l'exceplio legis Cin ciœ ne
pouvait dans ce cas être d'aucune utilité pour ceux auxquels le législateur accordait ordinairement le droit de
l'invoquer. Ell e était inutile au donateur qni avait un
pouvoir de révocation absolu sur la lihéral ité qu'il venait
de faire. D'autre part, pour qu e les héri tiers ruissent s'en
prévaloir, il était nécessa ire qu e leur auteur ait persé véré
25
jusqu'à son décès da os son intention libérale ; or. cette circonstance avait pour elTet, en vertu de la règle morte Cincia removelur que aous étudierons plus Join , de rendre la
Jibéralilé inattaquable.
On peut cependant imaginer deux hypothèses dans lesquelles la question présente un réel intérêt, si l'on suppose que le donateur a renoncé à son droit de révocation
et que la. règle morte Cincia removetur n'a pas été acceptée dès l'origine. Dans ces deux cas. le plébiscite pouvait
servir au disposant ou à ses héritiers et leur permettre de
faire rentrer la chose donnée daas leur patrimoine ou de
l'empêcher d'en sortir .
Nous n'hésitons pas à nous ranger du côté des auteurs
qui repoussent en ce qui concern e les donations mortis
causa l'application de la loi Cincia. Ni dans le Code Tbéodosieo, ni dans le Dig1::ste, ai dans le Code de Justinien.
ni surtout dans le Fragments du Vatican nous ne trouvons
rien qui nous permette de dér,ider que ces dispositions
tombaient sous le coup de la loi Cincia ; tous ces textes ne
se réfèrent qu'aux donations entre-vifs. Le tribun Cincius
s'étant surtout préoccupé cle venir au secours du disposant
et de Je protéger contre des entrainements aveugles , oo
comprend qu'il n'ait pa che1·ché à prohiber des dispositions sur lesquelles celu i-ci était toujour le maîlre de
revenir sauf dans l'hypothèse. bien rar e d'ailleurs . où il
'étai t interdit la faculté d'exercer son droit de révocation .
Il est ùonc perm is de conclure ùe là que ces li béralités
échappaient aux prohibitions du plébi cite, et c'est peutêtre même, ainsi que l'indique M. Glas on, par exlen:; io11
de ce qui avait lieu pour le donatious :i cau.c ùe mort.
�::Hi qu "oo en vinl a refuser :wx héritier le l>énéfice de l'e xception legi:s Cinriœ, quand leur auteur était mort sans
avoir mauifesté l'intention de révoquer la libéralité qu'il
avait faite . ( 1)
SECTlON II
CERTAINES LlBÉRALl'l'ÉS ENTRE·\'JF
.\ LA
NE
'OXT PA
SOU;\H SES
101 C1 '('J \
a \'a pplication
Les donations entre-vifs qni échappaient
de la loi Cincia étaient :
1° Les donation, qui n'excédaient pas le modtts lr:1ilimus ;
2° Les donations même iLltra modwn faites aux per:so11œ exceptœ ;
3° Certaines donations particultèrcs.
.: 1. -
Des Donations faites i11/1·a modun1.
Le 111odus fixé par la loi Ciucia e t encore ioconnu de
nos jours, malgré la découverte des Fragmenta Vaticaria.
La plupart des juri consul les pensr nt ~n e c'était une somme
fixe P,t invariable la même pour L(J us les patrim oines.
0
Î
~ l )_ Glas,,011 , flevue crilique T . ;J\ , p 50 1 ; \ cc~rias T, (. p. 7!2, 11ote;
11
o!a'.' ~· Il. fl. 565 . - En sens contrai re, ni' Savl ~nv. n roil to111oi11 ·
1
\ ~ 114: Maubold , Opusr. 1. 14 ~ .
·
·
-
't.7 -
Cujas es limr qu'il devait être de deux cents solide~ . chiffre
que Justinien prit d'abord pour base, en ce qui concerne
la nécessité de l'insinuation. D'après MM . de Savigny et
G. Hugo, la loi Cincia avait apporté aux donations la même
restriction que la loi Cornelia apporta un siècle après aux
cau tionnements, et au rait par conséquent défendu de donner pour une valeur supérieure à vingt mille sesterces.
M. Laferrière croit enfin que Cincius Alimentas fit adopter
la limitation de mille a· que la loi Furia testamentaria
fixa , vingt ans plus tard , pour la valeur des legs.
D'autres jurisconsultes supposent, au contraire, que l'on
avait suivi pour la fixation du taux légal un procédé analogue à celui de la loi Falcidia, et que le modus était une
lJUOte-part du patrimoine. M. Demaogeat estime q1Je le
taux , au lieu d'être uniforme, variait suivant l'importance
des patrimoines.
Nous n'osons, quant à nous, prendre parti entre au cun
de ces systèmes qui reposenl tous sur ries conj ectures plu ·
ou moins hypothétiques. A noire avi cependant le modu
devait êlre peu élevé. Au VI• siècle de la fonda tion de
Rome, en elTet. les fortun es privées étaient encore peu
considérables, les ressources de chacun modestes. el telle
somme, modique en réalité, pouvait cependant paraîlre
exagérée. Comment dn reste comprendre ans cela • la
rè~le ob ervée à l'occasion des meubles pour lesquels la
réunion d'u ne mancipation et d'une tradilioo était imparfai te à parfaire la donation, règle qui parait bien s'appliquer dans tous les cas, sans qu'on ait à s'inquiéter Je
œtte circon tance qu'à côté de la donation rle, meubles il
�-
28 -
-
y aurait eu en même Lemps donation d'immeubles ( 1). •
Le taux servaiL à délerminer quelles dlaienl les llbéralités qui tombaient sous le coup de la loi Cincia . Les donations intra modum restèrent soumises aux principes de
l'ancien droit; celles an contraire qui étaient supérieures au
modus forent probibees par le plébiscite. Quelques jurisconsultes r,erendaol ont émi , une opinion différente . D'après eux l'observation des formai ité, nouvelles était toujours nécessa ire el ne devenait inutile que lorsque la
libéralité s'adressait à une yJersona excepta . En résumé, la
loi Ciocia avai L établi tout à. la fois un maximum et un e
forme particulière : la donation demeurait inefficace soit
que le maximum eût été dépassé, oil que !a forme eû t
été omise. A l'appui de ce système on in voqu e le
paragraphe 511. Ce tex te décide qu e la simple mancipation et la seule promesse ne suffisent point pour rendre
la donation parfaite, quand cell e-ci es t faite à une 7Jerso'11l1 non exce71ta sans distinguer suivant qu'elle excède
ou non le taux légal. Les paragraphes 515 et 2 6 6 ne
distinguent pas davantage. ND lle part les Fragments
du Vatican el les tex tes du Oigesle ne nous disent
. que la donation u.llt'a modum éLait seule oumi e à la loi
Cincia el • l'impression générale qui en résnlte serait
plutôt que les formes spéciales ava ien t été prescrites pour
toules les donations même les petites (2) . • Toutes ces
raisons ne sauraient nous convaincre et no us n'h1U tons
pas à rejeter cette opinion . En effet, si la loi Cincia eil t
( .1) Mac~1ch~rd (Obs. su~ la. loi Çmcia n· ô) .
> (2) OP Sav1;:(ny (Ver~n1schlc Sch rirlcn. t.
l 11cll1a (Cttl'.ms der msl1l ulio11en. 1. 11, r. MG).
1.
11 . l'!). \" . t.l!rn lernenl
"
29 -
été applicable ind islinctement ~. toutes les donations, Pau I
clans le paragraphe :104 ne se serail pa~ conten té de Jirc
qu e le tuteur pouvait donner in i11 (i11ilum . il aurait également ajouté qu'il était dispensé d'observer les conditions
de formes exigées par la loi . D'autres textes impliquent
nécessairement que l'imperfection de la donation était attachée exclusivement à la donation dépassant le mod11 8
lt:gilimus ( 1) . Quant au silence des Fragments du Yatic:rn
il s'explique très-bien selon nou_, car le compilateurdeces
Fragments n'a pas voulu faire un traité complet de la matière ; il s'est plutôt proposé d'indiquer et de recueillir
ce1·taines hypothèses où la loi Cincia recevait son applicati on .
~
If. -
Des Donations m ême ultm moJ11m rattes aux
pers1111œ e.ue71tœ
La prohibition portée par la loi Cincia n'était pas absol1!e et ne s'arpliqua1t pas indilTéremment à tous donataires.
Tl y avait au contraire une certaine catégorie de personnes,
assez vaste d'ailleu rs, auxquelles il était permis de recevoir
in in finilu.m , sans que l'on ai t cherc:hë., en ce qui les con cerne. à en lraver les sentiments de libéralité dont le disposa nt étai t an ~mé à leur égarJ . Ces personnes étaient appelées 1)ersonœ exœptœ. C'étaient les proches paren ts et Je_
alliés du disposant. ou bien encore des personnes auxquelles cel ui-ei était uni par des liens d'une natu re toute
. péciale qn i j m;tifiaient complètement la libéralité dont ell es
étaien t l'objet. L'énumération des 71ersonœ exceptœ nous est
(1) L.
~I. ~
1. llP nonnt . -
r.. ; ,
~~ et
3. de /loi. J/<l l . el lM. l!.'.rctiit.
�-
30 -
1lu reste donnée d'une façon limilalive par plusieurs textes
(Frag. Vat. § 298 à 309 .- Paul ent. V. t. 11§5). Elle
comprend : 1• certains coguals uu donateur ; 2° certain, de
ses alliés; 5° le pupille par rapport an tuteur; 4° le patron,
s'il receva11 de se:>- a!Tranchis; 5° la femme par rapport à
tous ses cognalS eo cas de donation dotis causa ; 6° celui
qui avait sauvé la vie du donateur. Nous allons parcouri r
rapidement ces six catégories de personnes.
1. Certains Cog11ats dt' donatciir. - Tous le cognats jusqu'au cinquième degré ioclu ivement et au sixième le cousin
i su de germain (sobrill.11s et sobrina) étaient rangés par les
Frag. Vat, (§298el299 ) parmiles71ersonœexceptœ. Quù1que igitur grndus pieni excepti sunt , et ex sexto mia 11ersona ,
sobrim1s et sobrina , dit Paul ( § 299 ). Il est bon de
•
remarquer que la loi Cincia ne lenait pas compte de laparenté civile mais simplement de la parenté nalurelle. ce
qui étendait dans une large mesure la portée de l'exception. C'est ainsi , que l'on pouvait très valablement donner
in i11finitum au fils de sa sœnr , quoiqu'on ne soit pas uni
avec lui par les liens de !'agnation. Notons du reste que les
agnat . étant en même temps les cognats du disposan t.
pouvaient à ce titre recevoir des libéralités ultra modum de
celui-ci. Si nous supposons par exemple une libéralité faite
à l'adopté par un de ses nouveaux agnats en supposant que
œt agnat rentre dans l'énumération des paragraphes § 298
et 2 99, cette libéralité sera toujours valable quelles qne
soient du reste son importance et son étendue. A l'inverse,
la donation qui lui serait faite par un des cognats de son
père adoptir devrait être entourée des formalités exigées par
31
la loi Cincia, car !'adopté ne devient pas le cognat des
simples cognats de l'acl oplanl, mais seulemeril de ::es
agnats. ( L. 7 de Î'n j11s vucat .)
Le paragraphe 500 exceptait également les personnes qui
élaienL sous la puissance des cc;gnals énumérés dans les deux
paragraphes précéùer. ts, cl celles sous la puissance desquelles
ces cognats se lrou,·aieul. Excipiurilttr et ii , qui in poteslote
conwi vel manu rnanci.piuve, item qiiormn i11 potestate.
manu ma11cipiove eru11t. Dans ces deux cas la libéralité
était répulée faite aux cogrtats eux-mêmes. Par application
de celle règle le paragraphe 301 fa il remarquer avec juste
raison que la loi Cincia ne prohiberait pas une donation
ultm rnodwn faite à un cognat dn septième degré , si ce co gnat se trouvait ous la puissance d'un liOgnat plus rapproché, d'un cou.;in issu àe germain par exemple. Il en serait
de même si nous supposions une femme in mantJ dont le
mari est encore in potestate patriu; le pate1·/'amilias pourrait recevoir in in/initum des cognat: de la femme.
La loi Cincia . e montrait moins large dans . on exception que la loi Faria testamentaria qui avait dispensé de
l'ob en'ation des règles qu'elle consacrail les cognats du
testateur j1~3q u 'au eptièrne degré (Frag . Vat .§ 501 ) .
Les cognat jusqu'au sixième degré et au septième lei;oûri110 on sobrina nati écùappaicnt <'gaiement aux déché:.rnces établies par les lois caducaires ( Frag. Vot. .~ 21 6
et 2 17). A l'inve1· e, certai nes lois ava ienl adopté les mê_
tnes limites. C'e t ain i que la Loi 1,(§ t deleg. Ju /. repet. )
rangeaiL les cognats jusqu'au sixième degré parmi les personnes dont un magistral pouvai t recevoir des pl'ésents
~:ins ètre arcnst' 1lp concuss inn .
�-
32 -
II Ce-i·tains Alliés - Exr.ipiuntur 1?l aclp-11 iiim personœ, ul ( 1) privignus pril'Ï<)lta. 11ouerca vitricus, soce,.
sor.rus , gener nm·us, vir et uxor, sponsus sponsa (§ 302 ,
Frng. Fat. ). Toutes ces personnes peuvent réciproquement
se donner et recevoir in infinitum, mais à' une condition,
c'est que l'alliance existe encore au moment de la donation .
(§ :->05). Si le mariage qui l'a produite vient à être dissous soit par la mort de l'un Lies époux, soit par le diYorce. l'exception établie par la loi Cincia cesse en même
temps. Tonie autre avail été la règle admise sous l'empire
des lois caducaires, s'il faut en croire les paragraphes 218
et 2 19 (Frag. Vat .) Tous ceux qui étaient ou avaient
été les alliés du testateur à un certain degré étaient rel evés
des peines et des incapacités prononcées contre Je cœlebs
el
l'orbus .
On pourrait peut-être s'étonner de voir figurer le mari et
la femme (vir et uxor) dan s l'énumération du paragraphe
~02 . Ce ne sont point en effet à proprement parler des
alliés; le lien qui se forme entre eux à la suite du mariage
est un lien d'une nature toute sréciale et assez difficile à
définir. Cependant, d'autres textes. notamment le para·
graphe 218 (Frag . Vat.) les qualifient d'alliés. A un autre
point de vue , on pourrait considérer l'exception introduite
en leur faveur par le paragraphe 502 comme inutile,
puisque les donations entre époux étaient interdites à
Rome. Il est probable toutefois. que cette prohibition fut
postérieure à la loi Cincia. Elle fut l'œuvre des Prudents
(IJ ~e mot ut doi t être pris ici comme synonymè de sciticet. L'énumération do~o~c P.a r le paragraphe 30! est en effet trop compl ète pour
ne pas être l1m1tal1ve.
35
et ne ful sanction née définitivemen t que sous le règne
d'Augusle (1). Ou reste. l'exception du paragraphe 502,
aurai t toujour s eu sa raison d'être, ca r certaines douations particulières furent , à raison même du motif qui
les inspirait, toujours permises entre époux . Tdles forent
celles que la femme faisait à son mari honoris causa ( L.
40 el 4·2. de Do11 . int . Vi1·. et Ux.) pour lui permettre
ù'obtenir la <ligoilé de chevalier ou le droit de porter le
laticlave. Il était juste que ces libéralités fussent dispensées
de l'observation des règle:; posées par la loi Cincia et autorisées d'une façon absolue sans aucune limitation de taux.
Le paragraphe 502 considère également comme affines.
le sponsus el la sponsa , quoique il n'existe cependant
entre eux aucune espèce de lien. C'était sans doute
pour encourager le mariage projeté qu'on leur permettait de se faire réciproquement des libéralités même
iûtra rnodum . Constatons du reste qu'un autre texte (L. 8
de Gond. causa) les regarde également comme alliés.
Les justes noces prouuisaient Ca(fini.tas entre les parents de l'uu des époux et les parents de l'autre. Ces personnes n'étaient point cependant rangées parmi les per$Omc exceptœ et ne pouvaient <lès lors se donner réciproquement que dans les limites tracées par la loi Cincia
III. Le Pttpille par rapport à so1i Ttdeur. - Le tuteur,
pouvait donner in i11finitmn ~i son pupille, parce que la
(1) Certain auteurs ont cepenJont soutenu le contraire et pensent
qu e la disposiLion de la loi C:incia ne s'appliquoiL qu'au cas où les donol\oos entre époux étaien t par exceµtion permises. Mais d'uoe part la
généra lité des termes du § ~oi et de l'autre Io considération que les
exceptions nu principe de la prohibition ont été édictées pour la plupart par les constitulioos !mpèriales doivent nous faire rejeter cette
opimon.
�-
34 -
loi Je reganlait comme le père de cèlui-ci (§ 5ùl~ ) . Mais
·celle exception, ain i que P,wl prend soin de nuns le
dire, ne s'appl iqu e qu'au Lulenr qui gère elfoctirnment.
On ne pourrait donc l'étendre ni au curaleur. ni au tuteur honoraire, ni au tutenr .orLi d'exercice. Qu()n l au
pupille. il ne pouvaiL fa ire à son tuteur aucune donation
même i11tra mod11111. li élaiL en effet incapa ble de faire sa
condition pi re el par C<' n équ enl de disposer 1i Litre
gratuit d'une somme qu elco nqu e. La dispositi on finale du
paragra phe 50 1- était donc à ce poinl de vue complèLPmenL
inuti le.
IY. Le Patron, .s'il recevait ilr i;es A/li·mnhi.s (~ ;)Oï ).
- Le patron 1~ LaiL considéré comme 1u•r.so1111 c.ccepla par
rapport à son affrauchi . Par celle ex pressi(Jn d'an'ra11chi,
nous dit le paragrap he 307 , il fall t entendre aussi bien
l'esclave une fois libéré, 411e l'homm e li bre qui l1ona /ide
sen•iil. On s'êtail demandé si à l ' inre r~e l'affrant;hi pouvait
recevoir in in fin il•iin de son patro n. Paul qui men tionn e
la contrn verse (§ 309) nou - apprend qu e la négati rn
avai t prérnlu , sans doute parce que l'én umérati on des
personœ exceplœ donnée par la loi ava it paru limitati\·e.
Une autre controverse 'était également élevée sur le poin t
de savoir si l'on ùevait étendre aux de.ccnrlan ls du patron l'excepti on rclati rn à celui -ci (§ 508) . Les jurisconsultes qui aùmettaient une pareill e extension se fon daient sur 11n argument d'analogie tiré de la loi des Douze
Tabl es qui désignait sous l'cxpl'cssion genérale de 11alron tts,
le patron e~ ses d e~ccndant:' .
- -:55 V. La Fem111r•, par ra11J>0rt ri tous se::; Cogaats,
r111anct la do11atio11 était f'<tilc clotis r,r.tusa. --. Le paragraphe 50 !j étendait l'exception contenue dans les paragraphes 29 H et 500, cl décidait qn c les donations fa ites à
la femme par n'im por te leqnel de ses cognats étaient valables in in(i.nitwn , poun•u qu'ell es aient été fa ites dotis
causa . Le motif qui avait inspiré la libéralité suffisait aux
yeux clu législateur tout disposé à fa\•oriser les mariages
pour ex pliquer son étendue. Il importait peu, du reste.
que la dot eût été constituée avant ou après le mariage
(mulieri virginive); le texte préroyait les deux hypo·
thèses et donnait dans les deux ca la même solution.
La loi Cincia ne pal'lait qu e du cognat. Le paragraphe
506 mentionne à ce ujet une ùiscu. sion qui s'était engagée entre les jurisconsulte rnmél ins pou r sarnir si l'on
devait assimiler la cogn?la au coqnatus. Labéoo, interprète rigoureux de la loi. se prononçait pour la négative.
Paul , au contraire. e fondant ' Ur nn motif d'équité
(1·atio rcquitatis) . étendait à la cognata 1:1 disposilion ùe
fayeur établie par la loi pour le cognat.
Yl. Celtti
'/Il i avait sauvé la 1Jic an Do1wleur . -
Cette except ion est ainsi formulée par Paul ( Pnt.
§ 6) :
Y,
t. 11 ,
Ei qui aliq 11eui a latnmculis vel hoslibus eripuit,
in i11finilum clonare non 7n·ohibemur, si tamen clon atio et
non me1·ces eximii labori.s appellanda est ; q1âa contemplationem salutis certo moclo œstimari non placuit. Le service
rendu dans cc cas était si grand qu'il étai t juste de dispenser de toute resl1'ictio11 la libéralité qui deYait en être
�-
36 -
la ré.~ompense. Qnelqnes auteurs ( 1) egLimenL qu e l'on
doit étendre, par analogie de motifs. cette dispo ili on à
tClules les donations rémunératoires et qu e Paul 11'a entendu statuer qu'e.t cmpli yratia . Ce 11'cst pas notre avis.
L'énumération des pc1·so11 11· l!xce1Jtœ e t trop complète
pour ne pas être rigomeusement limitative; on doit donc
interpréter d'une façon re tri ctirn tons les textes qui y
sont relatifs . Du reste, ainsi que le remarqu e avec juste
r:iison M. de Savigny (2). le fait de sau\'er la vie du Jonateur es t tellemenl spécial. que les motifs qui on t di cté
la solntion du juriscousulle pourraient ne pas se retrouver
Jans un autre cas.
Telles étaient les personœ exceplœ. Les libéralités qni
leur étaient fa ites êchappaient compl ètement à l'application de la loi Cincia et restaient soumises aux form es
exigées par le droit antéri eur même quand elles excédaient le modtM legitinws. C'est ce qui résulte des paragraphes 5 10 et 504, fï' rug . Vat. Le premi er de ces tex tes
déclare que la donation sera parfa iLe à l'égarJ des per. onnes exceptées svla 111a11cipatio11e vcl 7Jro111 issione, san,
distinguer si cette donation dépasse ou non le taux léga l.
Dans le second. Pan l décide que le tuteur pourra donner
à son pupille ill i11(inil u.m el ne le soumet pas à l'obliaa0
Lion d'accomp:ir les nouvelles forma lités requises par le
plébiscite. Les personnes exceptées , du reste, étaien t
celles pour lesquelles le donalenl' avait le plus d'affection.
Les donations qui leur étaient ad ressées ne ponvaient do nc
( 1) )lu lilrnbruch ~ 'o'i :i
(t) ll ro1I rom ai11 ,' 11 , p. 9H l'i Dll.
-
57 -
éveiller aucun goupçon m prêter à aucune critique. Elles
s'ex pliquaient et se justifiaient très bien par l'a!Teclion naturelle que le donateur avait pour le donataire. Pourquoi ,
dès lors, exiger des formes spéciales qui n'avaient pour
bul qu e de protéger Je di posant contre des entrainements
irréfléchis qni n'étaient pas ~1 redouter dans '.:e cas?
~ Ill. -
De quel q u es Do n ations pa r Uculières
La donation pouvait
quelquefois comprendre à côté de la chose donnée des valeurs accessoires d'nne certaine importance, telles que
des frui ts , des revenus et fermages, le croît des animaux.
Ces l'aleurs n'entraient pas en li gne do compte quand il
s'aoissait
de voir si le modus lcg is avait été ou non déo
passé. Le tau x de la donation s'appréciait uniquement
d'après le capital donné. C'est ce qui résnlle avec la dernière évidenœ d'un Lexte de Gaius la loi 11 de .Doriat :
Qtrnm de modo donaliouis quœritw·, neque partus nomine,
neque fi·uclmw1, ncquc pensionmn. m•que mercedum ulla
1. Des Don ations <l'interét . --
donatio {acla esse vicletur.
~l ais l,l règle éLaiL di!Térent e lorsq ue la libéralité por tai t
uniqu ement ur des revenu . Il fallait alors faire une distin ction peu ra Liùn nelle, i1 est vrai, mais commandée par
les tex tes. Si la li bér~ili té avai t pour objet de· fr uits. elle
tombait sous l'appli cation de la loi Cincia (L. 9. § 1. de
Donat. ). Elle était au contraire ,·;ilablc in i11fi11i1t111H1nand
�-
38 -
elle portail ur des intérêts. Modestin (L. 25. pr. de Douat .)
pré"oyant en effet le cas où on créancier fait à son déùiLeur
remise de certains intérêts décide qu e l'importan ce de
cette donation ne saurait a1·oir ur sa validité aucnne in'
flu ence : Illodestiri us respondil,
credùorem (ut ur i te111p01·is
ttsuras el rcmillere cl 111i1werc pacto passe : 11 ec lit ea clo11atione ex smnma quantilalis aliq1tid vilii inct1rrere.
Il . Des Do11atio11s /(1ites à wu: Cité. - La prohibition de
la loi était égalemen t étrangère aux libéralités fo ites par les
particuliers aux 'illes ou aux municipes. Ces dona lio11s
dcrenaien t parfaites par la ·impie pollicitalion, quand un
motif raisonnable et légitime les a1·ai t in piréPs: Si quidam
ob houorcm promisei·it decretum sibi vel <lcce1"1w11rlmJl.
vel ob aliam j 11stam cnusain, teuebitm· e.r; 71ollicitatio1le ;
sin vero sine causa promiscrit, 1wn erit obligatus. ( L. l ,
§ 1, de Po/lie. - L. 19, de Donat.)
Il est facile d'expliquer la raisori qu i ava it fait éldmell rc
celte exception. De pareilles donation ne ùev"ieul pas
èLre bien fréquentes en pratiquC:J el il 11'y ava it pas d'ailleu rs à redouter qu'un e personne vint s'a ppa111Tir inconsidérément en faveur ù'unc ci té ou d'un municipe. Le législateur pouvait donc sans crainte dans œ ca~ se départir
de sa rigueur.
Les développements que no us avun~ cousacrés jusqu'ici à l'élude d11 seco nd cir er de la loi C:incia nous per1~ette~l ~aintenant d'en délcr111i11er exat:le n1 cnl le clramp
d appltca two . Elle en rb ra~~ail eu principe ua 11 ~ ~a pndri-
-
59 -
bition toutes le:. donations entre-vi fs qui étaient à la fois
supérieures au mod11.s et ad ressées ades personœ non excep·
1œ . Nous arnns indiqué d'nne fa\·on générale le .ystème
iinaginé par le tribun Cin ciu el donn é une idée ùes moùifi cntions qu ' il apporLa clans la matière des libéralités entrevil's. JI nous res te à compléter ces ùonnëe~ eu étndian l :
1• le fonctionnement ùc la loi Cincia dans chacune ùcs
hypothèse que nous avons déjà parcourues au début ùe
notre seconde partie ; 2° la nal urc et les caractères des
di 1·crs moyens de défense accorùés au ùunateor.
CIIAPITHE li
Fonctioxmement de la Loi Cmcia
( De l'exce ption ler1•s <.:111c1œ)
' ECTIU:\ Ir•
FO:'\CT JONNEl\!ENT
DE L .\
LOI C l~CJ.\
Pour faire une li béralité. avons-nous m. on peu l recou·
rir soit à. une dation , soit à une pro1oesse. soit à une remise de dette, oit enfin :i une stipulation. Reprenons succes. ivernent chacune de ce hypothè·es.
~
I. _
Don~tion
p a r voie d e Dation
Il nous faut encorn dislin gne1· sui vant que la donation
porte StJI' nn fo nds italique, :.U r llll fo11ds prorincia\ OU sur
un meuble.
�-
40 -
1. Donation d' u11 Fonds italique. -- Antêri euremenl
au rJ• siècle, ]a mancipation, la tradition Oll J'i11 jure ccssio
suffisaient pour rendre parfait<~ la donation d'un
immeuble italique cl investir Io donataire d'nn droit
qu'il pouvait faire valoir soit au moyen de la revendication
s'il était resté dominus ex jure Q11irilimn soit par l'action
publicienaeou l'exceptio rei clonata: et tradilœ dans le cas
contraire. Il n'en est plus de même sous l'empire de la loi
Cincia. li faut que le donateur e dépouille et de la pro priété et de la possession . sinon il reste toujour libre de
revenir sur ce qu 'il a fait. S'est-il content é ùu manciper
l'immeuble, il écartera par l'c:cccptio legis Cinciœ la revendication du donataire. Y a-t-il eu au contraire simplement
tradition , le donateur restant armé de la reYendication
pourra repousser l'e:rceptio rei donatw et traditce qui 1u
sera opposée grâce a une replicatio fondée sur la prohii.Jition de la loi. La dooatioo ue devenait donc parfaite que
lorsque l'immeullle avait élë mancipé cl lil'ré. Donatio
prœdii, quoJ, mancipi est, intel' non exceptas 7)erso11as 1raditione atque ma11 cipatione perficit11r . (§ 3 15, Fray. Vat .)
Il ne faudrait cependant pas cfJu clurc de là qu e la simple mancipation ou la simpl e tradition d'un fo nds itali que
fussent. même sous l'empire de la loi Cincia, dénu ées Je
tout eITet juridique. Sans doute le do.nalaire auquel le fond!>
n_'~vait pas été livré ne retirait aucun al'antage de l'acqu is1t1on de la propriété résultant d'un e mancipati on et son
action en rerendication était in fa illiblement paraly. ée
par l'exception lcgis Cinciœ. Mais s'il pan·enait à se
mellre en possession de l' immeuble et i cette mise Cil
possession n'avait lieu net v:, nec rta1n , nec prccario ,
-
4t -
la donation quoique incomplète échappait cependant aux
atteintes du donateur . Celui-ci, en elTet, ne pouvait
pas revendiquer puisqu 'il avait perdu la propriété pal'
la mancipation. Il ne pouvait pas espérer faire usage de
l'exception contre une action que le donataire désormais
nanti n'avait plus intérêt à intenter. Il ne pou v!lit pas davantage songer à engager un débat sm· la possession ; l'interdit uli possidetis. le eul dont il pût user. aurait en elTet
assuré le triomphe du donataire qui possédait au m0ment
de l'érni sion de l ' inlerdi ~ et dont la possession était
exempte de tous vices. Il était donc complètement désarmé
et ne trouvait dans la loi aucun moyen de protection.
Toutefois le donataire n'était point dans une situation aussi
bonne que si on lui avait fait la tradition. Si le donateur
recourrait la possession , ara nt qu e l'usucapion fût accom·
plie, il recouvrait en rnème temps le droit de se prévaloir
de l'exception /egis Cinciœ ; la donation redernnait imparfaite et révocable, ain i que le prouve la Loi 5, § 2. de Dol.
A/al. et Met. ucept. On peut donc dire avec M. Machelard ( t) qu e dan l'hypothèse oü un fonds italique arai t
été simpl ement mancipé, le , ort Je la donation dépendai t
clu point de savoir entre !es mains de qui étai t la posse, ion. Pa1· conséquent , le donateur qni dans ce cas voul ait
se réserrer la faculté de revenir sur ce qu'il avait fait , de"ai l co nserver et garder aYCC soin la pos ession de l'objet
donné. La moindre négligence ùe sa part pouYa il arnir
pour lui les co nséqu ences les plus func tes et entraîner irrérocablcmcnl la perle de tous es droit:>.
( 1) Obs. [,Ur ln L. Cinci:i, no lï.
�-
- . 42 -La simple lraditiou n'ûlait P~ ' non plu:> complètemen t
inefficace. Elle permettait au donataire ùont la possession
~e prolongeait pend:rnt un temps <létcrrniné d'usucaper les
objets don nés. La donation contraire à la loi Cincia était
<lonc une justn ca11sa wwca1Jie11di. C'est c.e qui résulte de
plu ieurs tex tes de Fragmenta \laliccma. Ainsi. da ns
le paragraphe 2:59 le juri ·consulte. h l't;gard <l es res 11ec
111ancipi qui a'·aient fait l'objet d'une donation relève celle
circonstance de fait qu e l'usucapion n'était pas encore act:omplie au moment dn décès de la donatrice. ce qui inùi que bi en que l'nsucapion trouvait ic,i son application. Dans
le par<lgraphe 295 il e. t question de choses mancipi donnée' con~rairement aux prohi bitions ùe la loi et qni cepc11danL ne peuvent pas èLre re'·endiqn ée parce qu'elles so nt
usucapées. Sans doute. ces texte ne prcivoient qu e le c:1s
d'un e donati on d'effets mobiliers. Mais nous ne voyons
aucun motif de 11e pa. les appliquer en matière immobilière. 11 n'y ava it d'ai llenrs aucun danger à admettre
le jeu de l'usucapion. Le donat eur se trouYait suffisamment
protégé puisqu 'il conservait pendant un an pour les meubles et deux ans pour les immeubles la facullé de se rèLracter. Le silence prolongé qu'il gardait pendant ce Jap.
de ternp~ ne pouvait laisser aucun ùou le sur sa volonlé Je
donner et témoignait de !:.On intention bien arrètée de graLifier le dona tai re.
Ce genre
ile libéralités resta co mplètemen t <' n dehors des préviion de la loi Cincia. La trad iti ou fut toujours rnffisan te pour parfaire la donati on d'un imrne11 ble 11er mancii1i .
If . Do11atio11 d'un Fo11ds 7Jrovi11cia/ .
-
45 -
Donatio prœdii quod nec man cipi est lraditione aola perficit11r (§ 5 15). Il n'y avait à tenir compte ni de l'importance
de la libéralité, ni de la quali té de la personne à. laquelle elle
était adressée. In donatione rei tributoriœ ci,.ca exceplam et
non exceptam personam Legis Cinciœ m tlln differentia est
(§ 293). Toute la protection du législateur s'était concentrée sur les immeubles italiques qui étaient considérés
co mme ayan t le plus de valeur vénale. On n'avait au contrai re attacbé qn'une importance bien secondaire aux fonds
provi nciaux dont la propriété était du reste susceptible de
révocation dans l'intérêt de l'Etat. C'est ce qu i explique
pourquoi le tribun Cincius ne crut pas devoir les soumettre
à l'application ùe son plébiscite. li y avai t également une
autre raison pour laqu elle la loi Cincia était inapplicable
aux don ations <le fon rls provinciaux, c'est qu'en ce qui concerne ces libéralités, il était impos ible d'exiger l'emploi
d'une nouvell e formalité indépendamment de la tradition.
La mancipation, mode du droit civil . ne pouvait pas être
employée pour l'aliénation d'une res 11ec mat1cipi et quand
à l'in juro cessio elle n'aurait rien t1jou té aux elTet. déjà produ it par la tradition.
Quand il
lll . Donation d'un Objet mobilier
s'ag it ùe meuble, 111ancipi , le ~ oloti ons sont identiqu es a celles qne noo avons donoées pour la donation
immobilière, si le donateul' en a seulemeot transmis la propriété l U donataire par la mancipation ou 'il le lui a sirnplern coL livr6s. Dans le premie1· ca . il oppo. e :1 ln r~vrncli ca 11o n
l'excep tion lcgis Cinciœ ; dans le second cas, c'e~ L lui qui re·
Ycnd ique. tant que l' U$UCapion n'e, Lpas accomplie, el qu i
�""' repousse par la repliwlio Legis Ci111;iœ, l'exc;eptioo rei donotœ
-
du donataire. Mais il en était autrement si la
tradition se trouvait uuie à la mancipation pour un meuble
mancipi, ou i le donateur avait li vré une chose mobilière
t1cc maucipi. Dans ces deux hypothèses, s' il s'agissait d'immeubles, la donation serait irrévocable, parce que le donateur n'aurait pins aucun moyen de faire valoir son exception . Mais ici. le· principes se modifient; la donation ne peut
pas devenir parfaite d'une façon actuelle. Le. règles spéciales aux interd its permettent au donateur de reprendre les
objets qu'il a donnés . Il a en elTet le droit d'in tenter l'interdit utrubi tant que le donataire ne peut pa se prévaloir
d'une possession plus longne que la sienn e dans l'année qui
précède l'émission de l'interdit. Ce droit lui appartient
égalemen t dans le cas où il s'agit d'une chose mobilière
mancipi simplement livrée. li a alors le choix entre l'interdit et la revendication. ln rebus mobilibus , etiamsi
et trndilo·
traditœ sil , l'xigiltLr ut el i·nlerdicto utnibi superior sit is
cui donala est, sivc mancipi inancipaL<L sil. swe nec ma11 cipi
tradila . (§ 295 ). Si donc nou' . nppo on qu'au jour où il
a fait la trad ilion. le donateur avait unr. possession de
six. moi , il pourra pendant six mois rentrer en possession de la chose donnée, et une fois nanti, invoqu er les
moyens de défense que la loi Cincia metlait à sa ùi po ilion. ( 1)
La perfei;lion d' une dooalio11 mobilière était donc plus
difficile Î\ réaliser ciue ccllr. d'une donation imm obilière.
( 1) l.,e .tlon ~lni re ncvra évilli'mm cnt nvoi r pusstldl· par lui- mèmc s;in~
pou,01 r 111voqucr comm e cl'ordina1rc l'occessin pnsseM1onw11 cr .1oind 1c . 1
.;a po-;~ess1on c,•li!' du clonatPu r ( na1us 11, !\ \ ~,, ).
-
45 -
C'était fa, il faut le reconoaîLre. nn ingulier résultat. A
notre avis, cette anomalie ne doit point êtra attribuée au
tnbuo Cincius. La loi Cincia n'arnit iruposé des conditions
ùe perfection particulières 4u'aux donations de res mancipi
c'est-a-dire de re15 prcliosiore~. Elle ex igeait alors qu'il y e1H
réunion de la mancipation et de la tradit ion sans distinguer
certainement entre les meubles et les immenbles. Si J'u ue
de 1;es deux formalités avai t éLé omise, elle permettait au
donateur de revenir sur ce qu'il avait fait. La re\•endicaLion
restait possible, en cas de simple tradition. tant que l'usucapion n'était point accomplie. Daos l'hypothèse où il y aYait
eu seulement mancipation. l'exception Legis Cin ciœ paralysait la demande du donataire. Mais ces protections accordées au disposant paruren t insuffisantes aux jurisconsultes.
Peu disposés à encourager les li béralités, ils cherchèrent à
multiplier les entraves que l'on avait apportées à leur réalisation. lis s'emparèrent des règles relatives à la posse ion des meubles et en firent une application véritablement injustifiable dans celle matière. L'interùit ulrubi, dont
ils permirent au donateur d'user. ne pouvaiL. en e!Tet, en
vertu des principes mêmes du droit. être invoqué que pa r
cel ui qui n'avait pas volontairement tra11smis la po e s10n
de sa ehose à. une autre personne. L'accorder au contraire
à celui qui s'en était depouillé de son plein gré, i;'était,
ainsi que Je dit avecju te raison M. Machelard , rendre impossible « toute trad ition sérieuse ponr les meubles. Un
vendeur , p:ir exemple, qui après avo ir exécuté le con trat
tent erait d'user de l'interdit utrubi pour dépouiller l'acheteur. échouerait incontestablement , par l'emploi de l'exCèpli on <le d0l, qui serait ici J'exccptiou rei vemlitœ et Ira-
�-
li-6 -
ditœ . • ( 1) L'application de l'interdit utrubi aux Jonations
mobilières ne saurait donc se ju. Lifier. On ne peut la comprendre qu'à l'occasion des meubles 111a11ci!1i qui avaient
fait l'objet d'un e impie tradition. On devait so uvent dans
ceue hypothèse recourir à l'interdit plus com mode qu~. 1~
rernudication parce qu'il dispensait ùe prouver la propr1PLe
el c'e, t ce qui expliqne que les textes le mentionnent ici.
Peu à peu on finit par l'étendre dans les autres cas de donations mobilières et par accorder à. tout donateur qui
avait perdu la posses ion de sa chose le Jroit de l'invoquer .
~
JI -
Donation par vole d e Promess e
Celui qui voulait s'engager donationis causa P,nvers une
autre personne, pouvait. avons-nou déjà dit, recourir soit à
une stipulation soit à une expensilatio . Dans les deu x cas il
se trot1vait protégé par l'exception legis Ciuciœ, tant qu'il
n'avait pas exécuté sa promesse. Mais. une fois le paiement effectué, quell e était sa situation? Avait-11 une action
pour reprendre ce qu'il arnit payé ou au contraire la donation était-elle parfaite et irrévocabl e ~ Une distinction est
ici nécessaire. Si le donateur avait volon tairement exécuté
son obligation. sachant qu'il pouvait se refuser à le faire,
il se trouvait complètement désarmé. Si au contraire le
paiement avait été fai t par erreur, il pouvait exercer la
condictio indebiti (§ 266 Prag . Vat. ).
-
OIJ ~ .
sur la lui Cincia, n• :16,
-
Une discuss ion , 'est élevée parmi les interprètes sor le
poin t de savoir qo elle était la nature de l'action qui étai t
ainsi accordée ao do11atcur . D'après M. de Savigny ( t ), ce
ne serait pas n ne condictio indeln'ti mais bien one conclitio <'.:c
inju.sta causa fondée sur la violati on de la loi. L'inlérêt de
la di cussion est facil e à ~aisir . S'il s'agit dans le paragraphe
266 d'une condiclio ex injw1ta causa , il n'im porte qu'il y
ait eu erreur de la part du donateur ou qu'au contraire il
ait sciemment livré la chose promise, il y aura dans les
deux cas Yi olatiou de la loi et partant ouverture à la con<lictio. Bien plus, l'action compètera au donateur non seulemen t lorsqu 'il aura fa it trad ition d'un e chose en exécu tion
d'une promes.e antérieure, mais encore !or.qu'il aura,
. ans s'y être précédemment obligé, fait une dation ou.consenti un e acceptilatiou, car ùans ces deux hypothèses les
di ·positions de la loi serai ent égalemen t r iolées.
Nous croyons. pour notre part, qutJ c'est bien à une conrlictio indebiti qu'Ulpi en a entendu fa ire allusion dans le pa.
rJgraphe .2 66. En vain dira-t-on que le texte ne mentionne
pa~ la nécessité d'un paiement par erreur. li est facile de
répondre que le juri:;cousulte ne c propose pas de fai re une
théorie con1plète de l'indebitum et d'indiquer quelles sont
les conditions requises pour l'exercice de la cmulictio; il
se borne à rechercher si dans l'espèce il y a bien paiemen t
de l'indu . et il conclut affirmati vement, parce qu e, dit-il .
il n'y a pas .eulement indebitiim , quand il n'y a pas de
ùette, mais encore quand on c trouve en présence d'une
delle paralysée par un e exception perpétu elle. lndebitum
( 1) Droil Romnin . T. IV , p.
( 1)
!~7
:! O ~ .
�-
•
1.8 -
soluL".m accii>itluts ri o11 sol ton si omni110 non deûcbatttr, sed
Pl si 11cr <iliq1ta11t exccptionem 7wti non poteral , id est, per1wtua111 c.1.:ceptio?Je111 ; quan: hoc quoque repeti polerit. si qitis
tutus solucrit. Unde si 'JIÛS contra le11erpetua exceptionc
gem C inciarn obligal us ·non excepta soluerit , debuit clict
repetere eum posse. t 1)
11 résulte de là : t 0 que l'exception de la loi Cincia
ne laissait même pas subsister à la charge de celui qui
l'invoquai! une obligation naturelle, car l'existence d'une
pareille obligation suffisait pour valider le payement et
enlever au1débiteur le droit de répéter ce qu'il avait livré;
2° Que le paiement ne ponvail être attaq ué qu e s'il avait
ëté déterminé par une erreur . C'était. dans ce cas. au donateur , en vertu de la règle actori incmnbit 71robatio, à
prouver l'ex istence de l'erreur . En principe, celle de fait
était seule admissibl e. Les jurisconsultes romains, en eJTet,
avaient une certaine tendance à ne pas tenir compte de
l'erreur de droit et l'erreur reposant sur l'ignorance des
dispositions de la loi Cincia était d'aill eurs trnp grossière
pour pouvo ir être prise en considération. La condictio indeûiti pouvait être valablement intentée au contraire,
quand le donateur s'était trompé sur la valeur de l'objet
donné ou sur lê. qualité du donataire qu'il considérait à tor t
comme une persona excepta. L'erreur pouvait également
porter sur le modus legis, si l'on suppose que ce taux au
lieu d'être uniforme variait suivant l'importance du patrimoine. Mais c'étaient là. des hypothèses qui devaient se présenter bien rarement. Il est donc probable que la coriclictio
( 1) Acca 1·ias, T. 1, p. 709 , nolc 3.
fi,9 -
indeuiti ne de\•ait pas être fréquemment employée et qu'elle
ne pouvait être ntilè au donateur que dans un petit nombre de cas fort restreint d'ailleurs.
La conclusion ùe tout ceci est que le donateur f(lli
:l\·ait livré ulle chose en exécution d'une promesse antérieure se trouvait protégé J' une façon plus efficace que celoi qui aYait grati ué une personne sans s'y P.tre précédemment obligé. Le premier avait toujonrs la ressource de la
cunclictio indebiti. en cas ù'erreur. Le second. au con traire,
se trouvait irré,•ocablemenl dépouill é par la simple tradition s'il s'agissait d'une res nec mancipi, par la réunion
ù'nne mancipation et d'une traù itiun 'il s'agissait d'une res
rnancipi sauf dans le cas de tlonation mobilière où l'interdit atrnbi lui laissai t pentlant un certain laps de temp la
faculté de se rétracter. Cette circonstance que la datio avait
été précédée d'une sti pulation tournait donc au détriment
du donataire. Nouvelle inconséquence de la loi Cincia qu'il
faut . d'après nous, attribuer ~' ce qu'elle était une loi imparfaite et n'avait pas o é ann uler les libéralités qu'ell e prohi bait.
.\ III. -
Don ation par voie de Délégation
Il y a délégation toute les fois qu'une personne donne
mandat à une autre de fourni r une prestation quelconque
à. une troisième personne. Ainsi que l'indique M. Accarias, ( 1 ) la délégation pouvait servir ou à éteindre
des obligations ou it contracter <les prèls ou à parfaire des
(1) T .
n. p. 100.
�:w donations. Pour cxpliqncr les rés ultats qu'elle produisait
dans ces trois cas les juri~co ns ulte$ romains avaient eu recours à uue fiction. lls supposaien t rëalisés lroi · ùéplacements de fond;:; qui n'avaient cepcnùant pas été faits. Le délégué était censé avoir réellement compté nn e certaine
somme au délégan t, le délégant l'avoir remise au délégataire et celui-ci avoir remis au délégué ce qu'il venait de
rece\'oir.
Nous avons indiqué au début ùe la second e partie de
celte élude dans quel· cas principaux la don ati on pouvai t
s'opérer par voie de déléga tion. Elle pouvait arnir li eu de
troi manières. soit que Je donateur s'engageàt directement en\'ers la personne que Je donataire voulait gratifier.
soit qu'il s'engageât enver le créancier de celui- ci, soit
enfin qu'il fît engager son débiteur e1H'ers le donataire lu imême. Dans 1:es trois hypothèses . la donation était parfai te
à l'origine dès qu e la promesse éta it intervenue.
Ces principes furent-ils modifiés par la loi Cincia? La
négati ve est incontestable el résu lte de ùeux tex tes. l'un
d'Ulpieri contenu pans Il loi 2. paragraphe 2 clc Donat. , et
l'autre d'Hermogén ien (L. 33 , § 3, cod. tit.). Les deux jurisconsultes prévoien t la même e~ pèce. Prirnu vent me
faire une donation el de mon ~ô lé je me propose ùe faire
une libéralité à Secundus dans la même mesure. Afin d'é\·iler une double slipulation el un double paiement , Primus
s'oblige directement envers Se'=-undus sur mon ord re el lu i
promet la soinme ùont il voula it me gratifier. Quelle sera la
valeur de cet c:ngage•ncnt et de l'opèration juridique ainsi
intervenu e? Les deux.jurisconsultes font à i;etle qu esti on la
mr·mp n'• pon;;e et dérlarent q11e la rl nnation es t dèsn rm;ri.;;
-
;)I -
parfaite. lntN 011incs donatio perf'ceta est (L. 2 ~ 2) .....
Per(icitur donalio (L. ;)3 § 5). Il nous faut préciser maintenan t le sens de ces deux formnles et rechercher quelle
est la portée exacte de la doctrine professée par Ulç..ien et
par Hermogéo ien.
Si nous nous plaçons tout d'abord dans les rapports du
délégué el du délégataire, la solution que nous donnent la
loi 2 paragrapbe 2 et la loi 35 paragraphe 5 est parfaitemen t jurid ique et rationnelle. Primus est lié d'une façon irrévocable et ne peut pas se refuser à remplir l'engagement qu'il a pris, en invoquant l 'excep~ion de la loi Ciocia .
Ce n'est pa lui , en effet, qui gratifie Secundus; en s'obligeant enver celui-ci, il n'a fait qu'exécuter l'ordre que je
lui avais donné. Par 1·apport au dèlégalaire il n'est qu'un
débiteur ordinaire. C'est ce qu'exprime très bien Hermogénien : quia ni/dl Primi's Secundo donavit. La conséquence qu'il en tire c'es t que Primus ne pourra pas opposer le bénéfice ùe com pétence qu i n'est accordé qu'au seul
dona teur. Cette solution est entièrement r,onforrne aux principe admis en matière de délégation et contenus dans la
loi 19 de Aoval. qui décide que le tlélégné ne pourra pas
opposer au délégataire les exceptions rlont il aurait pu se
pr6valoir à l'encontre du délégan t.
l\fais si Primus e l obligé de payer le délégataire, n'aura-Li! pas du moins un recours con tre le délégant? Pour le lni
refuser nous ne pouvons plus iO\'Oquer le motif que nou,
. donnions tout à l'heure. En réaliLé Primus m'a fait une
donation. Quoique aucune valeur nouvell e ne soit entrée
dans mon patrimoine. j'ai pu cependant , gràce à l'engagement qu'il a pris envers ecundus. faire à ce dernier la libé-
�-· 52
ralité que jû iui ùeslir1':.\i ·. Nous n'hésilo11s pcs cepenrlanl ;1
déclarer qne Prim us n'aura pas le droit ùe se faire indemni·
ser pat· le dèléganl. Les termes ùo la loi 2 paragraphe 2
sonl formels : htler omues 11er/'ecta est clonatio, dit Ulpien.
La don alion est parfai te :1 l'éga rd de tou tes les personnes
qui y ont pri part. C' est la un e solutiou qni concorde abso lum en t arec les princi pes 4ue nous aYons rappelés plus
haut. Le donateur , dans l'e pèce. e t cen é avoir remis la
somme qui fait l'objet de la donation à so n donataire qui à
son tour est censé l'avoir donnée à l:i pt.!rsonne qu'il vonlait
gratifier. Or, de même que la donation serait parfaite . i la
somme donnée avait réellement passé des mains du délégué
dans cell es du délégant et de celui-ci au délégataire. de même
doit-ell e être parfaite qu and la double numéra tion an lieu
d'être réelle est purement fictive. D'aill eurs si l'on donna it
un recours au délégué con tre celui qui lui a donné mandat
de s'engager, on devrait nécessairemen t au torise1· ce dernier a recourir contre le délégataire et on arriverait par ce
circuit d'actions an même résu ltat que si on eût permis
au délégué d'opposer l'exception leyis Ci11riœ à la demande
formée i;ontre lui.
Ainsi donc, dès qu~ la ùélégation est accomplie. la do·
nati on devient parfaite et lie irrévocablement le donateur.
C'esl ce qui résulle des deux tex tes qne nous Yenons d'él11 dîer et dont il faut généraliser les décisions en les appli.
quanl dans toutes les hypothèses oü la donation a lieu par
voie de délégation,
Toutefois. à côté ùe ces deux clécL ions qni ne peuvent
raire l'objet d'aocune difficulté, nous trouvons dan le Digeste deux antres te-.: tc-:,; trrs emharra~sa n ts et qui nul
donné lieu à de granJc controverses entre les interprètes. Cc sont les lois 5, paragraphe :;, de Dol. Mal. et
Jllrt. Except. et 2 1 , paragraphe 1 , de Donat.
La loi !5, paragraphe ;j, prévoit le cas où une
per.onne, voulant L1ire une libérali té qui cxcède le
modas leyiti11rns, s'engage envers le créancier de œlui
qu'elle veut gratifier. Le donateur, une fois obligé ,
ne pourra opposer, dit le jurisconsulte Paul. aucunP.
exception au créancier. car celui-ci ne fait que ré·
clamer ce qui lui e' l légi timement dû. Mais il pourra
agir par une coMlÙ'tio contre le donataire, afin que
celui-ci Je libère de son ohliga1ion ou l'indemnise s'il
a déja payé. Si wm qui volebal mihi dotiare supra
legitiiruwi modum. cfolegavcro creditori meo ; no1i poleril
adversus petentem u.ti e.cceptione : quo11iam creditor stmm
71ctit .... l taqlle conclictione t,cnetw· debitor qui clelegavit, ut
vcl liberet clebitorem. vel si solvil 1~l pewnia ei recldatur.
li e t impossible en présence d'un texte aussi formel de
soutenir que Paul n'accordait pas dans ce cas particulier
un moyen direct de f,1ire tomber b ùonalion intervenue.
Cela d'ailleurs n'a pas été conte té. Les controverses qu i
ùivi:;ent le interprète portent uniquement snr le point ùe
savoir qu elle action le jurisc.on olte donnait au dispo ant.
~I . Accarias pense que c'était une co11dictio indebiti el
explique par conseq uent la loi 3, paragraphe 5, comme le paragraphe '2üG Fray. \lat. • Les juri'consultes
romains, dit-il , avaient l'habitude de comparer la
délégation à un double paiement Dan J'e ·pèce donc,
les chose. e pas ·cnt :l l'égard ùu donataire comme "i\ eû l èté Gréancicr llu \\on:item et que celui-
�55 ci l'eût payé. Or, tle même qu'un payeme11t véritable
fait par erreur autoriserait la condiclio indebiti , de
même sera-t-elle possible ici en supposant que le Jonateur, au moment où il fai ·ait la promc se, a cru rester
en ùeça du taux de la loi . » ( 1) Nous ne saurions
admettre l'opinion ùu savant prof€ senr. JI considère. en
effet, l'erreu r comme essen tielle pour l'exercice tic la
condictio qui apparti ent an ùonateur. La loi 5, parngrapbe
5, ne fait cependant aucune allusion i1 une pareille
condition . C'est en vain que l'on cherche à ex pliquer
le silence du texte par un e interpolation ùc Ju tinien
qui aurait retranché cette circonstance de l'erreur pour
metlre la décision du jurisconsulte d'accord art!c sa th éorie
de l'insinuation, C'est là une pu re affirma tion qui ne
repose ur aucun fondement . Rien dan la formule dont
se sert la loi 5, paragraphe 5, ni dao s la solntion
qu'elle donne ne pronvc qu 'elle ail. subi un e al tération
quelconque. Elle n'accorde point, en effet. se ulement ,
comme la loi 21, paragraphe l. que nous allons examine!', action au disposant pour reprendre cc qui excède le
modus; mais il résu lte, au contl'aire, de ses termes qu'ell e
l'autori3e à réclame!' la totali té de ce qu 'il ava it donné.
Or, i elle avait été remaniée par les rédacteurs des Pan dectes,
il est certain que ceux-ci l'au 1aien t érYalemen t cor. .
rigee sur ce point cl qu ' il ~ l'auraient ainsi mise compl ètement en harmonie avec la loi 2 1, paragraph e 1.
~
Nous pensons donc , d'accord avec MM . Gide et
Machelard, qu'il vaut mieux prendre ce texte 1lans
son sens naturel et no pas y introduire une cir·
constance dont il ne clit ri en. La loi 5, paragraphe 5,
n'est que l'ex press ion d'nne opinion personnelle de Paul
qui, dans ce cas particulier, permettait au disposant
d'inten ter un e action pour so soustraire aux conséquences
de l'opération juridiqoe interveno e, action que celuici pourait exercer indépendamment de toute erreur .
C'était. là. ans doute. nnc décisio11 contraire a l'esprit
et an système généra l de la loi Cincia. mais qni pouvait cependant se ju. tiGer dans 11 11P. certaine me ure .
frappé des inconvénients que présentait dans le cas spé·
cial de délégation l'appli cation rigoureuse du plébiscite,
le jurisr,onsulle avait vou lu y remédier autant que po •
sibl e. li avait cherché a créor au profit du disposant une
protection particulière q11 e le tribun Cincius, doot l'atl~~
tion s'était uniquement portée sur les modes les plu s us1tes
de parfaire tes donation , aYai t onlllié de lui fournir et
il avait voulu empêcher que l'interve1llion d' un tiers ne
rendit irrérocable une libéralité pour laquelle il n'y aYait
eu en réalité qu'une simple promesse. Quand le donateur.
1~n e!Tet . 'engageait directement envcr· le ùonataire, son
obli rration ne devenait déGniti,•e que le jour où elle arait
D
.
>
•
été volon tairement exécutée. Tan t que le paiement n avait
pas eu li eu, la loi lui accor1lait une exception . S.i au. lieu
d'user de ce moyen de défense, il payai t. il témo1gna1t par
fa que sa volonté de donner étaiL sérieu -e et bien arrê tée,
encore même alor- lui permcltait-011 de reprendre ce qu 11
avait donné par une ronrfictio i11dr/1iti . :;'il prouvait que le
:.l
( 1) 1Jro1t ,.oma111 ., r. J, p. 71o, note 1.
�-
Ll6
paiement qu'il avait fait avait été le fruiL ù'unc erreur.
Mais si au lieu de s'engager directement envers la personne
qu'il voulait gratifier, Io donateur avait eu reco urs à
une délégation et avai t fait un e promesse au créancier
du donataire, il se serait trouvé complèlement désarmé.
Il ne pouvait pas . en eiîel, se préraloir de l'exception legis
Cinciœ à l'encontre du créancier, ca r, ainsi que l'indique Paul. creditots1m11171cti1 ; il ne pouvait pas davantage l'opposer au donataire. ca r avec celui·ci il n'y ava it
plus dé~ormai de procès pos ible. La donation aurai t
donc été immédiatemen t parfaite et irrévocable. C'e L
pour éviter une conséquence aussi rigoureuse que certains jurisconsultes crurent ju. te et éq uitable de remplacer l'exception par un moyen de défense équi,·alent et
d'accorder au disposant une condictio con tre le dona tai re,
à l'effet d'obtenir ou sa libération ,:;'il n'avait pas enc•Jre
payé, ou son remboursemen t ùans le cas contraire. ~Jais
celle dérogation de faveur qui n'avait de raison d'être
que dans le cas de délégation ne fut jamais étendue par
ces jurisconsultes dans d'autres hypothè e .
Le second tex.le qn'il nous reste a examiner est
la loi 21 paragraphe 1 de Donat . Voici l'hypothèse
qu 'il suppose. Le donateur pour fa ire une donation supérieure au Laux de la loi Cincia ùélegue son débi teur au donataire. Le jurisconsulte Celsus décide lout d'abord qu e le débileur n'a au cun
moyen d'échapper aux poursuites du donata ire el ue
peut pas in voquer l'exceplion legis Cinciœ. Mais il donn e
au contraire au donateur une acti on re~ciso i re pour f<1irc
réduire au moclus legi!iorns l'obli galiun contractée envers
-
~) 7 -
le délégataire et, dans le cas oü le débiteur aurait déjà
payé, il permet au donateur d'exiger la restitution de ce
qui dépasse le modus . Secl si debitot·em meum tibi do11a1ionis immodicœ causa 7n'omitterc jussi, an summoveris
donalionis exception e, ner.nc tmctabitur ? Et meus qiiidern
debitor exceptionc le ayenteui repctlerc non potest : quia
7)erindc smn, quasi exactam a debitore meo summam tibi
clonauerim, et tu ilium ei credicleris. Secl ego (s i 71,idem
7JeC1tniœ a debitore meo noncfom s olutœ sint) habeo iiduersus debitorem 11icum 1·escissoria11i in id , quod supra Legis
modum tibi prnmisit : ila 11t in reliqumn tanturnmodo tibi
maneat obligatio ; si11 aulem pecunias a debitore meo exe·
gisti , in hoc, quod modinn Legis excedil, habeo contra te
condictionem. Prise à la lettre , celle solution serait injustifiable. Celsus. en effet , restreint l'action à ce qui excède
le modus : in hoc quod modt'm Legis excedit. Or. nous
verrons bien tôt que les moyens tirés de 11 loi Cincia fai-
saient tomber la donation toute entière et ne l'annulaient
pas seulement pour partie. Il e·t <lonc évident que la loi
~ l. paragraphe 1, a été remaniée par les compilateurs de
Justinien qui ont vou ln la faire cadrer avec la théorie de
l'insinuation. ~l ais dans quelle mesure a-t-elle été altérée?
Sur ce point encore les interprètes ne sont pas d'accord.
~I. Machelard estime que tou te la fin du tex te depuis 1 ~
mols : Sed ego si quidem pectmiœ a été détournée <le sa
signi fica tion originaire et que la doctrine de Celsus était au
fond la même que celle ù'Ulpien et d'Hermogénien. li fond e
son opinion snr un double motif. Son l'empire de la loi
Cincia, dit·iL on ne connais ait pas ù'action directe pour
1e d nder les actes accomplis contrairement aux disposition~
�- 58 légales. Il e..<:l d'ailleurs inr.on lestablc que la loi t 1~ paragraphe 1. a é lL~ interpolée en part!c puisqu'elle restreint
l'effet de la con dirtio a1:conlée au donatenr à. ce qui dépassa it le modus; celle particularité ne suffil-elle pas pour
nous fai re conceYoir d e~ donte. sur la source véritable do
la dernière partie du tex te. el pour nous faire penser
qu'elle est due toute en ti ère aux rédacteurs des Pa ndectes "!
Nous om mes sur nu point particulier ab olument de
l'ayis de ~1 . Machelard donl nous repou::sons cepend:rnt le
. ystème. Il est éridenl que ia décision con tenue dans la loi
2 1 paragraphe 1 e l en con tradir,tion a,·ec tous les principes
admis par la loi Cincia qui ne fourni " ai t au donateur aucun
moyen direct pour ér iler l'ap pauvrissement résultant de sa
libérali lé. Nous croyons toutefois qu'elle nous fa it comiaitre
bien exactement la doctrine profeçéc par Cel u et qu e
sauf en ce qui concern e les mots in id quod :mpra mod1wi
legis qui ont été év idemment ajoutés au texte primitif elle
n'a pa · été modifiée par les compilateur de Justinien . Cc
qm nou confirme dans cette façoo de ''oir c'es t <]ne la loi
5, paragraphe 5, d.e Dol. Mal. et ftfl'l. E.J.·cepl . que nous vanons d'étudier et qui ne r.ontient pa trace d'in terpolati on
donne une solution absolument identique et dan: une hypothèse analogue accorde éga lement unè action au dtrnaleur pour revenir ur ce qu 'il a fait. No u pensons donc
que le j 11risconsulle Celsus permettait véri Lablemen t au
disposant d'intenter une condittio contre le donataire u.'.\ns
l'hypothè e prévue par la loi 2 1. paragraphe 1.
Quelle était la nature de cette r011dictio _9 Nous rel rouvons ici les mêmes difficultés 4ue 1;olles <JU C 11ous avons eu
~1 ré oudre à l'or.rasio11 de la loi ;;, paragraphe :>, d e Dol.
-
59 -
Mal. Mel et. Hxcept. Sans revenir sur une discusion à. la-
quelle nous avons déjà. consacré des développements considérables, nous croyons devoir adopter de nouveau le système
que nous avons précédemment exposé. Nous pensons qu'il
est question dans la loi 2 1,paragraphe 1, d'une condictio
donnée inJéµe ndamment de toute erreu r et dont l'application spéciale au cas de délégation se trouvait motiYée
par des raison particu lières 4ue nous a\·ons déjà. fait connaitre. En d'autres terme . la doctrine de Celsus est pour
nous la même que celle de Paul.
L'expcnsilatio , quoique d'un usage moins fréqu ent que
le contrat verbis , pouvait également être em ployée pour
faire un e donation par \'Oie de délégation. li fallait alor:::
appliq uer les principe· admis Jans le cas oü la délégation
s'exécutait par la stipulation.
S l\' .
-
Donation par voie d e Remise d e Dette
Le donateur pouvait con entir un pacte de non petendo
ou recourir à une acceplilation. Dans le premier ca , il .
cowenait son ancienne action qui triomphait grtice à la
replicatio legis Cinciœ de \'exception pacti convenli du
donataire. Celle solution, conforme d'ailleur au vèritable
esprit de la loi Cincia, 'appuie snr la loi 1. paragraphe 1.
rtttilms mod. pi911. vel hypolh. so/u. Dans le -econd cas.
au contraire. la donation ét:iit irréYocable, el le donateur
n'avai t plus aucun moyen de se sou traire anx con équences de \'opération juridique intenenue. ainsi que
l'indique la loi '2. C. de Acce11til. ~ i dcmalionis gmtin 110-
�-- 60 wtio11e (acta pcr acceptilacionem prœslitisci libemtionem,
omnis agendi via perempta est. Les Lextes ne lui accor~
daienl mème pas. coinme dans Je cas ùe donation par voie
de promesse, une action analogue à la conclictio indebiti,
dans l'bypothese où il ayail fait abandon de sa créance
sou l'empire d'une erreur. C'était là encore nn e inco nséquence de la loi Cincia, duc à. l'imprévoyance de se auteurs, qui ne ,'étaienl vrai emblablement préoccupés que
des modes habituel de réaliser une donation. c'est-à-dire
la dation ou la promesse. et donl l'attention ne s'élait pas
portée au delà.
SECTION II
DE L'EXCEPTION LEGIS CINCL E
La loi Cincia avai t ceci de particulier qu'elle ne prononçait pas la nullité des donations failes en violation de
ses dispositions. Le donateur n'avai t aucune action pour
répéter ce qu'il avai t donné , sanr dan deux hypothèses
exceptionnelles où les jurisconsulte· Paul et Celsus. par
un motif d'équité, l'auwrisèrent à agir directement con tre
le donataire. Toute la sanction de la loi consistait h lui
accorder. selon les cas. une exceplion ou une réplique.
L'exception lui permellail de e dél'ober à l'acllon et aux
poursuites Ju donalaire. La réplique, au contraire. fai ai t
revivre et sortir à effet tous les moyens de droi t commun
qni lui restaien t M paralysait les di verses exœptions qui
pouvaient lui être opposée,. Notre éLuùe serait incomp lèlc,
si nous n'indiqnious brii>vement quelle était la nature el
-
61 -
quels étaien t les caractères ds cr.s deux moyens de défense.
ou plutôt de l'excepti on Legis Cinciœ, car la réplique
n'était elle-même, scion l'ex pression si juste de Paul .
qu'une exception opposée à une autre exception, 'lua,çi
exceptionis exceptio ( L. 2~, § 1, de Except.).
L'ex.ception de la loi Cincia tirait son existenèe de la
loi et devait par conséq uent être proposée dans l'édit. Elle
présentait JC;s caractères suivants : 1u elle n'avait pas pour
but de faire prévJloir l'équi té ; 2u elle étai t perpétuelle et
péremptoim: 3° elle étai t rei cohœrens et populaire d'après
les Proculéiens ; 4° elle était Lransmissible aux héritiers
du donateur, à moins que celui-ci n'ait persévéré jusqu'à
sa mort dans la rnlonté de don ner ; ;;• elle entraînait l'absolution complète du défendeur ; 6" e116 pouvait être
conçue in (actwn.
L L'Exception de la l oi Ci11cia n'avait pas pom·
but de f'aire triompher l'équité. - Parmi les exception
les unes , les pins nombreuses. étaient fondées sur
l'équité. Elles étaienl donnée pour écarter une demande
qui, bien que conforme au droit. étai t cependant inique
et injuste à l'égard du défendeur . D'autres. au con traire ,
se rattachaient directement ou indirectement à des motifs
d'ordre public et i\ des considérations d'intérêt général.
San être nécessairement contraires à l'équité, elles pouvaien t cependan t la violer dans certain es de leurs applications. C'e t dans cette dernière catégorie qu'il faut ranger
l'exception legis Cinciœ. Son but était de venir au secour
du donateur et de lui permettre de faire tomber une donalion qui . parfaite selon les principes de l'ancien droit
�-- 62 ciYil , ne présentait pas aux yeux du législateur toutes les
aaran Lies de •incérité dé irabics.
~ De cetle première idée découlaient les conséquences
suivantes :
1° L'exception de la loi Cincia n'était pas ous-entendne dao les actions de bonne foi. Elle devait toujours
être insérée dans la formul e. Cette remarque paraît tout
d"abord sans importance pratique. li devai t être bien rare,
en efTel. que le donateur soit poursui\'i par une action de
ùe bonne foi on ait à en intenter une. Le contraire pou vai t cependan t e présenter quelque foi , s urlou ~ lorsque
l'exception se tran formait en réplique. Supposons, en effet,
qu'un bailleur ait fa it dOJtationis wusci remise à son locataire de la somme que celui-ci lui devait. A l'action locali
intentée par le donateur, h1 donataire répondait par l'exceptiopacti conventi qui était elle-même paralysée par la
replicatio leg is Cinciœ. Dans cette hypothèse la réplique
devait être contenue dans la formul e.
2' l'exceplio leg is Cinciœ ne pouvait pas être remplacée par celle de dol. Cette sub:,titution n'était possible
que dans les moyèns de défense tirés de l'équité où elle
présentait pour le défendeur des avantages et une utilité
incontestables.
-
65 -
écoulé ùepu i:> la clona Lion. l'exception n'en subsi Le pa •
moins, car le temps ne sau1·ait à loi seul corroborer une volonté qu e la loi con idère comme in complètcl et Jéfectueuse?
Remarquons toutefoi qu'il es t cer taines hypothèse, où le silencegarJé par le donateur pendant un laps de temps déterminéentraîncraiL pour lui la perte complète de son droit. Il
en serait ainsi notamment dans le ca où il aurai t laissé l'u sucapion s'accompli r au prnfit du donataire. Mais il n'y avait
pas là échec au principe ùe la perpéiuité de l'exception. ~en
lemen t les faits étaient tels qn ïl s ne se prêtaient pin au
fonct10nnement de ce moyen de défen·c. En même temps
qu'elle était perpétuelle. l'exception de la loi Cincia étail
également péremptoire.
Il faut rattacber ace double caractère les t:onséq uences
suivan tes :
'l° Le donateur qui. par erreur . arait ex.é~u Lé la promes~e
qu'il avait faite, pouvait , ainsi que nous !"avons déjà dit,
exercer la condictio indebili pour réclamer ce qu'i l avait
Jonné. Il était en effet de principe en ùrnit romain que
celui qui payait. quoiqu e protégé par un exception perpétuelle, conservait , s'il avait été 'ictime d'une erreur. un
droit de répétition : Qui exceptionem habel perpetuam so lutum per errorem repetere potesl (loi 40. 71r. de Gond
indeb.).
IL Elle ~tait 71erpétue/le et 7Jére111ptoire. - L'exception de
la loi Ciocia était perpétuelle. Ce cara~tère, qui appartenait
d'après Gai us (lV, § t 21) à tontes les exceptions fondées
sur ce qn'il y avait eu contravention à un e loi ou à un
sénatusconsulte, lui était formellement reconnu par le
paragraphe 266 Fra9. Vat. Qu' importe, en eITet, le délai
2° L'exception Je la loi Cincia paraly ai t compl ètement
le droit ùu don:lla ire et lui enlevait toute sa force. Con idcré comme inex istant. ce droi t ne pouvait par conséquent
plus désormais faire robjet J'u n pacte ùe constitut ni ervir de cause valable il une t:ompcn ·ation.
:5" ~! ème après la titis co11 teiilatifJ et tant que la sentence
�ük -
du juge n'était pas renJue. le donateur pom·ail'.. j l'e~cep·
tion avait été oubliée dan3 la fo rmole parce qu 11 en ignorait l'existence, obtenir une resliltLtio iu inteyrnm, ali11 de
baser sa défense snr ce moyen (Gaius IV. §. 125). 11 ne se
trouvait complètement désarmé qu'après la prononciation
du jugement. Toutefois même alor , il lui restait une
dernière ressource ; il pouvait opposer le bénéfice de compétence à. l'action j1ulicati du donataire et obtenir ainsi de
n'être condamné que dans la limite de ses faculté .
Ill. Elle ètait rei cohrereos et populaire d'après les P1·0c1deiens. - Les Institutes divisenl encore les exceptions en
exceptions 11ersonœ cohœrentes et exceptions rei. cohœrenles . Les premières n'appartenaien t qu'à celui en faveur
duquel elles avaient pris naissance. Les autres. au
contraire. profitaient à d'autres personnes et notam ment aux fidéjusseurs. L'exception Legis Cinciœ était
évidemment une de ces dernières. Nous voyons
en effe~. dans la loi 24 de Donat. Javolénus, quoique
appartenant a l'école Sabinieone qui restreignait la portée
de l'exception. l'accorder cependant au fidéjusseur qui
avait garanti la promesse du disposant; Ficlejussori ejus
qui donationis causu pewniam vel aliud quid 1n·omisit,
exceptio dari debet, etiam invita reo : ne forte reus solvendo non fuel'it, 7Jecu.11iam fidejussor amittat. Il faut, du
reste, étendre cette décision et l'appliquer dans tous les
cas ou un débiteur accessoire est venu s'engager à côté
du disposant et garantir l'exécution de la libéralilé, soit
en donnant un gage, soit en consentant une hypothèque.
Le texte de Javolénus et l'extension que nous lu i donnons
-
65 -
se justifient en effet par l'intérêt même du donateur, car
ainsi que le fait remarquer avec juste raison Justinien :
Quod a fidejiissoribus petitw" id ub ipso debitore peti videtur, quia 11ia.11dati j1tdicio redditurus est eis quocl ii pro eo
sol.verin t ('f. 4 de Replie. § 4). Par conséq uent, si l'ex~ep
tion ava it été refusée au fidéjusseur , le donateur aurait été
le premier à en souITrir, car le dona taire aurait toujours
pu en s'attaquant aux cautions et aux au tres débiteurs
accessoires, évi ter la probibition de la loi Cincia.
Un point également certain , c'est que le bénéfice de l'exception de\·ait appartenir aux ayants cause particuliers du
donateur. Celui -ci, en effet ne s'était point"'complètement
dépou illé de l'objet donné , puisqu'i l pouvait, grâce a la
loi Cincia, le conserver ou le faire rent rer dans son patrimoine. Rien ne s'opposait, par conséq uent, à ce qu'il cédât
ou transmi t les droits qui lui appartenaient a une antre
personne et permit à celle-ci de les exercer à sa place.
C'est ainsi, par exemple. que dans le cas où après avoir
mancipé do11ationis causa une res muncipi, sans en faire
la tradition , il l'aurait livrée soit à un acheteur soit aun
second donataire, ceux-ci pourraient opposer l'exception à
la revendi cation du donataire primitif.
Mais fallait-il étendre encore la portée de l 'exception~
C'était ce qu'enseignaient les Proculéiens qui la qualifiaient
de popttlaire (§. 266 Frag. Vat.) et l'accordaient à tous
ceux qui avaient intérêt à s'en prévaloir. Les Sabimens ,
au con traire, contestaien t cette doctrine en se fondant sur
ce que la loi avait en surtout en vue l'intérêt du donateur.
L'opinion de ces derniers finit vraisemblablement par
triompher. La règle posée par les Proculéiens était en effet
�-
fi ü -
heall coup lrnp large'. lntr.rpré lêc d'une fa co11 rigourcn:;c
cl absolue. clic aurai t en :raimi 11otamme11l ce lle con éqncncc qu e celoi qui s'êLait mi.; c11 po. :;cssion h lïnsn_du
di$pos:rn l d' nn l.Ji cn simpl ement mancipé au donata1rc ,
aurait pu repousser celui- ci par l'excop tion legis Ci11 ciœ'.
Or c'é Lait 1i1 un r~s u l tal tmp conlraire li. l'e~ p r iL de la 101
el à l'inten tion du don:itcur pour· pournir être admis.
!\us. i le jurisco nsulte Cel:;us. CJU1Ji411e Procnléien s'étai L-il
. épar~ de~ juri.consu ltes de son éco le et refusait -il au débiteur délégué do11atio nis causa le droit d'in voquer les
moyens Je défen. e ti rés lie la lui Cincia. Il es t pr0bablc
tl 'ailleur~ que l'npi nion de Procu léien. fn l défin ilivcmcn l
condamnée le jour où on admi t que le ·ilcnce ùn donateur jm>qu'à sa mort anrait pour clTet de re ndre la dona Ll on parfa i te ~' l'égard de ses héritiers.
JV. L'excr:plion de la loi Ci1icia. eu1il tra11smis1Jiu /e aux
/1éi'iliers du donatear. si et:/ 11 i- ci 11 'ava il pas 71er1Jéverd j usq 1t'à
.sa 111ort dans la voio11té de do1111 er. -- L'exception ùe la loi
Cincia ne s'éteignait p:i a l'origin e arec le do11alenr. Lui
mor t, elle pa,sait à. ses héri tiers. L'in térêt de la fami lle
n'arait point étè étranger à la prol1ibiti on de la loi et le tribun Ci n ciu~, toot en renant au ~cco n rs du donateur, s'était
égalemeul préoœupé de protéger ~es procbcs parents co ntre
des libéral ités incousillé1ées. li était juste p'.lr conséquent
de faire bénéficier les hérit iers des moyens de défense qni
ôtaien t accordés à leu r auteur .
f ar 1:1 suite t:cs principe:> ::c modiriùrcrit. Il pou rJit rn
fa ire en effet qu e le donateur· ail persévéré jusq1dt ~a
mort dan:> la YOl011 lé dl! donll er el 11\1il rew lè que par
égoïsme 011 néglig1•1m' il Pva11 l l'accorn plisscn1er1t cl <::; 11011-
-
67 - -
formalités nécessaires a)a perfection de la ?onatiori.
Pourquoi Jans ce cas empêcher de sortir ~1 e!Tet une libéralité que son aulenr avai t au con traire entendu maintenir?
C'est pou!' cela que l'empercnr Sérère décida que lorsque
le donateur serait mort sans avoir man ifesté' l'intention de
révoquer sa li bèralité, sos héritiers seraient repoussés par
une répl ique ou un e duplique cle dol, dans le cas où ils
invoqueraienl l'~xcep lion ùe la loi Ci ncia : Nam semper
\'Cll C •
e.cceptione Cincicc Ltli pot ait. ... secl et heres ejas, nisi forte
durcmte volanlale clecessit rlonalor : l1111c en im doli replicativnem /ocam habere imperalor 1t0.sler rescripsit in hœc
verba ... C§ 266 Frag. Vat.). Celle décision fut confir-
mée plr un rescrit ùes empereurs Dioclélien el Constantin qui l'orme le paragr:tphc ;) 12 ùes Frag . Vat. S11 ccessoi·iuus dunatoris pu/'ectwn do11atione111 revocare non per·1nillilttr , qULWL nnper/'eclam per.seuera ns volimtas per do li
mali replicalionein con(irmet. On considérait en effet qu'il
y avait dol ùe la p:irl ùes héritiers :1 se refuser à l'exé-
cution ùc la donation malgré la volon té persistante de
leur au teur. L'exception leyis Cinciœ ne cessait pas
cepcnùan l Je leur appar ten ir'. Elle ne devenait inutile
cl n'était paralysée pa1· la réplique ùe dol qu'autant que
le donataire parvenait à mon trer que le donateur anit
toujours entendu maintenir la ll bëralité. C'était en elTel à
lui , devenu demanùeur au point de vue de la réplique, à admi nistrer cette preuve et celte règle était d'autant
plus j nste que la présomption de changement de volonté
êtait bien naturell e quand il s'agi ~sai t d'une promesse de
donation à laquell e il n'avail pas été donné de suites do vivant du donateur .
�-
ti S -
La décijon f.onsacrée par les parngraphes 26G et 3 1'2
se trouve f•)rmulée cl'unc façun brèn~ el énergi cJ11 e 1lar
Papinien dans le pa ragraphe 259 en ces terme~ : M~ ,·~ e
. · remove t tt••.. Ci•, Le'·te
o!lre un e autre 1)arll cnlan1 c.
·'
Cmc1a
Il statue sur une hypoth è' e dans laqu ell e c'est par un e
duplique qnP, le donataire repousse les prélcnti ons des héritiers du donateur . \'oici l'espèce prévn e : une femme
en tutelle avait donné à un Latin san·s l'autorisalion de
son tnteur un fo nds tipendiaire et Lous le:; obj ets nécessaires à son exploitation. En cc qui concern e le fonds cl
les autres res nec maucipi, la tradi tion aYaiL sullî pour
parfaire la uonation. Mais il en était autremen t h l'égard
des esclaves et des :rn imanx qaœ collo vel clorso domantttr, qui n'avaient pas en core été usucapés. - Cc
détail nou permet de di re que la femme n'élait pas sou s
la tutelle légitime de ses agnats, car alors , aio, i que nous
l'apprend Gaius (Il § 1~7 ) . sesrcs 11w.ncipi n'<1uraient pas
pu être usuca pées et Pap!nien se place au con traire dans
l'hypothèse ou ces choses bien que suscepti bles d'usucapion en fait cependan t ne l'on t pas été . - Les hériti ers
de la femme revendiquent contre le donataire . Celu i-ri
répond par l' exception rei donatœ et tradilœ qui aurait
été infail liblernent paraiysée par la rcpliratio legis Ci11ciœ .
si le rescrit de l'em pereur Sé,·ère n'était \'enu au secours
du Latin en lui accordant une cluplicatio doli fond ée sur
ce que la fcrnœe avait persévéré jusqn'il sa mort dans la
volonté de donner.
La règle : Morle Ci11cia removctar n'a vail pas pou r effet
de transfo rm er la libérali té en une donation à cause de
mort. P<1pinien prend soin de nons le dirr, dans le para-
- - (j !) - -·
graphe 25 9 : Non c11 i1n morlis r.ausa capitm· latinus qtwd
aliter do11atu m est. Sa ns dou te ces deux sortes de libérali tés prP,sentaient certaines ressemVances. Elles étaien t
tou tes deux parfa ites au décès du donateur et rérncables
par son repen ti r. Mais i1 côté de ces ressemblances il est
bun de signa ler des ùiITérenccs essentielles. La donati on
co ntraire à la loi Cin cia pouvait deveni r parfaite avant
la mort rlu ùona teur par l'accom plissement des formalités
requises pour sa perfection. Elle n'était point révoquée par
le prédécès du donataire et profitait dans ce cas à ses héritiers. li fallait donc lui appliquer les règles qui régisaient les donations entre-vifs ordi naires et non point
celles des donation à can e de mor t. 11 en résu Ile :
1° Que le donataire ne sera pas tenu d'avoir le J· us w Jlic11cli. Le paragra phe 259 fa it un e application de ce principe en permettant au Latin qu i est cependant priYé du
j us capiendi d'in voquer la rügle: .4/ortc Cincia l'emovctur .
2" Que la donation ne sera pas soum i e à la réd uction
prescrite par la loi Falc idia etc. etc.
Les di i'positions contenues dans les paragraphes 26 6 et
3 12. ( Frag. Vat) ne s'appliquaient pas aux libéralités qu'n o
paler/'amilins fa isa it à ses en fant en puissance. Il ne suffisa it pas dans ce cas que le père ait mani festé jusqu'à sa mort
l'intention de mainteni r la libéralité, il fallait encore qu'il
l'eût expre sémcnt confi rmée par testament. Sinon les objets
donn és étaient compris dans la masse commune et partagés
entre chacun <.l es héritiers. C'est ce que nous iodique Papini en dans le parngraphe 2H/i.: Quod pncer filin:, q11a111 hnbuit
�-- 70 -
-
ac retimâl in potestatc. clunavil, q1wm cam do11atio11cm lf'sla-
me11to non confirmasse/. filiœ 11 0 11 es.~e ri•spondi. Une pareille donation ne pouvai!. même pa,, après la mo1·t du père
servir de juste cause pour l"nsucapion (§ 2%).
Toutefois la doctrine do Papinicn n'a vait pa$ été <1Jmisc .
même à l'époque classique.d'une fa t;on :ibsoluc. Paul moins
sérère professait une théorie tonte di lTérente (SeHL . V . 1.
11. § 3). Pater si filio{o 1111/ias aliqiticl do11averit, et in ra
voluntate decrsseril, morte pair is donal io con vales cil. So n
opinion ful consacrée ail Ill° _ièclc par de rC$CriL: impériaux qui assimilèrent ~1 peu p1 ès complètement les donations faites par un père de fami ll e à es en fan ts aux lil.Jér:ililés ordinaires (L, 2. C. dt' i110ff. Donal. - Frag . Vat.
§ ~7 4, 280, 281). Dés1)rm::i is I ~ ' il e1H:e dn père jusqu 'à
sa mort fut reconnu suITisant pour parfaire la donation et
les biens qui y élaienl compris duren t être adjugé ho1'$
part au donataire par le juge de l' acti on (amiliœ ercisra11 dœ. Toutefois les em pereurs Dioclé tie11 et Constanli11 apportèrent un Lem pé1 ame11 l et décideren l ~u e la lil>èr:ilite
ne devait pas dépasser le Laux fixé par la loi Falcid ia.
si non elle serait réduile dans la mesure Y1Ju lue (Frag. Vat.
§ 28 1).
V. l 'exception de la lui Ci11àa 1•11lnd1wil l'of1:svl 1•tivu
com1Jlèle du clr;{t 11cle11r. - L'eHeplion fa i:-ail·cl lc Lonibcr la
donation tout cnlierc ou biui au contr:iirc la laissa i!-cl lc
suts1sler pour pa rtie cri rie permettant an don:i lcur qu e de
retenir ou réclamer c0 qu i cx1·ürJail le 111otf11s /t gi:;? Celte
derni ère solution aYail 1;lé ndniisc clans :c dr·r nier état dn
droil en cc qui co ncerne lïnsi1111;di u11. L'1·mi ssion cle
1
1
71 -
cel le foi mali lé ('mpurtail de plei11 droil la nullité de la
dnnaLion mais seulement pour cc qui était supérieur à la
somme de deux cents ou cinq cents solides, suivant l'époque à Jaq11 cllc on se pl:1ce. Il pOO\'a il même y arnir en tre
le donalcnr et le donataire une ind ivision dont Justini en a
ilèlerminé les con éqnenccs dan l:l loi 3!.1- C. de Donat.
~l a i tout autre fut la rèi.d e admise sous rempire de la
loi Cincia. La dona tion lombanl par l'elTet de l'exception
dcrnit tomber tout entière et cc que le ùisposanl pouvait
réclamer ou retenir , c'ét'.lil la totalité même Jes objets
donnés. Celle ~uluti o n paraît contredite par la loi :2 1 paragraphe 1 . de Douat . qu e nous avons analysée plus haut et
1hns laquell e Celsus ne donne une aclion au ùonateur que
pour ce qui cxcP.cl~ le taux léga l. ~lais ce texte a été éricl cm men t i11te1polé sous .ln. tinien. JI e trouve, en eITet, en
co ntrad icti on complète :i rec ci eux décisions de Paul que les
compi lateurs de. Panù ectrs ont om is de ~o rriger les paragraphes 2 et 5 de la loi ~ de Dol. Mal . et il/et. Except.
Dans le premier de ces tex tes le juri consulte suppose une
donation porl<1 nt sur nn fond · italiq ue qni a été seul ement
m<1ncipé. Po Lérieuremen t le ùonatairc entre en pos_e__ iou
de l'immeul>Jc el\ élère des construction an YU et au su
clu donateur . Pui , ces con, trn ctions aclm·ées, la possession retourne entre le· mains de ce dernier. A la reYencli catinn du donataire, celoi-ci nppo. e \'exception de la loi
Cineia qui assurerait ccrlainement son tri omphe. , i clic ne
se Lrnuvail paralysée par une répliqu e de dol fondée . ur
cc qu 'il a appronvé les cl · penses !'ailes. puisqu 'il ne les a
pas t>tnpê~h ùcs. et sur cc qu'il rè:'11 : : 1' en même temps d'en
reml>o11r ·c1· le montant. Il résulte de fa que le lli::posanl
�-- 72 -
aurait pu, en indemnisant le demandeur, rntenir l'intégralité de la valeur donnée. Un argument semblable peut
être tiré du paragraphe 5 de la même loi qui accorde une
action rescisoire au donateur dans le cas de délégation ,
action qui n'est point limitée seulement à ce qui dépasse
Je 111odus, mais qui lui permet de répéter absolument
tout ce qu'il a donné. On peut encore invoquer à l'appui
de ce système les paragraphes 266 et 295 (Frag. Vat.)qui
contiennent des décisions analogues. Il est donc incontestable que l'exception de la loi Cincia entrainait l'absolul1on complète d_u défendeur. C'est là d'ailleurs un résul La l
parfaitement rationnel. Le législateur attachant la cer titud e
d'une intention bien réfléchie de donner à l'emploi de certaines formes, il serait bizarre, qu'en l'absence de ces formalités, on tînt la volonté du donateur comme certaine
pour partie et incertaine pour le surplus.
APPENDICE
B11t et
~a1•nctère
de IR 1,01 CluelR
Il nous reste pour terminer le travail que nous avons
consacré à la loi Cinr,ia à preodre parti sur deHx questions cootroversées dont nous avons renvoyé l'examen à. la
fin de celte étüde, parce qu'il nous a paru nécessaire pour
les résoudre de con naîlre à fond certaines disposition de
la loi. Elles portent sur le poi al de savoir : 1° si la loi
Cincia fut inspirée par des considérations d'un ordre politique ; 2° si elle était véritablement prohibitive.
1. la foi Cincia eut-elle un but 11olitiquc? -- Les restric-
VI. L'exception de la loi Cincia 71oiivait être conçue in
factum.-Le paragraphe 510 (Frag . 1i11t.) nous présente Je
donateur comme pouvant invoquer tantôt l'exception lcgis
Cinciœ. tantôt une exception in fa ctum. Il est probable
que cette dernière lui était donnée lorsq ue le donataire
sans nier que l'objet fût sopérienr au Laux légal, prétendait l'avoir reçu non pas dunationis causa. mais à un autre
Litre. Dans ce cas l'exception était aio. i rédigée : Si 11on
donationis causa mancipavi vel1Jromisi me daturum , et si
elle était reconnue juste elle assurait le triomphe du défendeur sur le fonds même du procès.
tions qu e le plébiscite du tribun Cincius apporta à la libre
faculté de donner avaien t un double bul. Elles protégeaient
le donatenr con tre des entrainements irréfléchis el sa famille
contre des libéralités propres à déplacer les patrimoines.
~J a is était-cc ià tout l'esprit de la loi ? N'avait-elle pas élé
également inspirée par d'autre motifs? M. Laferrière a
co nsacré dans son Histoire du Droit français (T. l. appendice Ill) llne ltrngue et a\'an te dissertation à établir que
l'intérêt politique n'était point étranger à la prohibition de
la loi .• La pensée politique du tribun . dit-il , pouvait être
d'empêcher les patriciens. les citoyens riches. d~ faire pa. . er, par leurs largesses intere~sées . des cltents, des
citoyens pauvres mais considéré , des centuries d'uue classe
�-
ï /i. -
1nférieurc dans une d 11:-sc upèrieu1 c, oil ils ponv:1 ient
avoir une parL pl us effi cace aux \'Otes des comice~, aux
èlertions des milgi ·trals. aux jngcmenls en matière ca pitale. el s' unir rlu.s élroilerncnl <Il l.X inlûrêls de l'ari· to. cra tie. On s:iil qu 'un e d ~s conditions au:iehées au polronage étail que l e~ clien t dc1·a icnl appll yer les patro n · de
leur. suffrages Jans le:' colll ice.s. A Rome Lou t se réJ u i ~ail
aux comices el a l'action qui 'exerçai t sn1· les suffra ges. , .
La loi Cincia rnulu L pré1•e11ir une infi ncnce qui avait quelque cho e d'hnoorable et qui m~ pou1·ait être réprim ée
co mme 0 11 ùélit. Dans le. nourernern enls libres on vo it
ou\'ent le3 ri ches chercher. ü l'aide de leur· fortune, à :111gml!il ler le nombre des èleclenrs h l'arpui de lenr opinion
ou de leur candida ture. »
Ce sys lème. malgré tout le l:i lcn t et Lou le la science d.;_
ployès par M. Laferrière , pour le so utenir est auj ourd'!Jui
un i1•ersellement repou sé et a\'ec juslc raison selon no11s.
C'est une err eur, à no tre a1·i . de croire qu e le tribu n
Cinci us fu t délerminé pa r de con iu ér:iti ons politiqu es à
présen ter le second che f de sa loi. Il n'eut d'a utre bct que
de fa ire eesser un état de cho::.es fâcheux et de prému nir le
donateur con lre ce1Lains danger!:> que prérnn1ait pour lui
la li berté absolue de donner qui lui appartenai l ~ l'origine.
Il nou suffi ra pour le dému111rer ùe refnt er les argument
in roq nés par l'opi 111011 contraire.
~1 Laferr ière ~c fo nde rl'al101 d ~ur le carnctèrc pnpulairc ùe l'exce ption de la loi Cincia. Pou1 qu oi, dit-il , pcr1~ellre ainsi à tout citoyeu d'agir. ~1 0011 p3rcc que tou t
citoyen ar:iiL intérêt a. assurer l'cxéw li()n du plébisci te? Cette première co11sidéra ti ori Psl lui11 d'ôtre dtilerm inante.
-- 75 -
ll e't bonde rappeler, en elîet. que les jurisconsultes romains
n'étaient pas d'accord u1· la porlée à attribuer aux moyens
Lie défense Lirés de la loi Cincia. Les Sabioi ens combaltaient avec énergie sur ce poinL la doctrine des Procnléicns
et rofusaien l de considérer l'exception comm e 1Jop ttlaris.
Celsus lui-même se séparait de l'opinion de son école et
cette circonstance nous a permis de conclnrc que celle opinion avai t fi ni par être repoussée.
Une seconde l(Jreuve :;e tire du changement qui s'opérai t au décès ùu donateur. L'ex ceplion ne passait poin t
à l'hériti er , :,i le Ji posant aYa il persë1·éré dans sa
volonté de donner jusqu'à son décès. S' il en était ain i,
ùit-on, c'est que l'intérêt poli tique du donateur ne pourni l
pl u ex i ter ; en politique et en matière de suffrage la
mort termine loul: M<·rs 011111ia solvit. - - Ce raisonnement
pourrait être pris r n consiciéra tion si la règle: Morte Cincia rcmovclttr :.ivail cxislê ùès l'origine. Noos arons E'tabli au contraire qu'elle n'al'ail étè admise qu n bien :i près
le votë cl u plébi -cile et dénniti1·emenl consa~rée que par
u11 rescrit de l'empereur Alexandre Sérère . L'argument
par con·équenl ne s:iurail por ter.
Une tr0i 1ème preuve, ajoute-t-on enfin . e l fournie par
les dispositi ons ùe la loi qui n'apportait aucune reslril'tion
aux donations de bien • ituês dan ' les proYi nces. Cela
tenail à cc que les terres de l'agcr ronwm1s et do l at'.um
fi gur:.iicn l seules dan le cens du citoyen el à ce q.ue les bien.
prc11·inciaux ne $errnicn t p:is au t"1 ux des c.enl.un:s. ~ Eslce bien 1~1 Io mot if pour lequel les ùonal1ons d rmincub\cs
ll('C 111 r111cipi echappèronl :\ l'applic:ition de la !oi. Cincia ~
Il est permi tl 'eo do11 Lcr. A nolro a1·is. j r,e.s biens rbs-
�-
76
tèren t en dehors des prèvision de la loi , c'est qu 'ils s'étaient con idèrés encore au VI• siècle de la fo ndation de
Rome comme n'aJant qu'une \'aleur bien restreinte et ne
formant qu'une partie secondaire de la for tune el du
pa tri moioe des ci toyens. 011 ne crut clone pas nécessaire
en ce qni les concernait de limiter le droit de disposition
du donateur. D'ailleurs, en qnoi le tri bun Cincius aurai t-il
pu modifier sur ce poinL le principe' du droit antérieur
et qnelles nonvel les forma lités <rnr:ii t-il pu ex iger . puisqu e
la mancipation était inapplicable aux res nec 111a11cipi et
que l'in jurr ressio ne pouvait nen ajo uter aux effet' uéjà
prod uits par la trad ition ?
S'il e' t donc. è\'ident qne le premi er cner de la loi Cincia pour·ui,·aiL nn !:lut éminemmen t pol iti que, il e, t non
moins certain que dans la seconde di position de ce pl.;biscit.e le légi lateur n'avait eu en vue que l'intérêt cl n
donateur et de sa fa mill e. Il aurait été, en efTeL, pour le
moin ex traordinaire qu'une même loi ai t chercl1ë tout à
la foi à mellre un fr ein ;i la cupid ité de. patriciens et à
modérer len r générosité
li . La loi Ciu cia pt·oftibait-ellc rt!elfeme11l les donations
Nous l'arnn · admi:; jusqu'ici dans le cours
de- dève loppemeots qui précedent . Nous avons co 11sidéré
le plèbi ·ci le comme défe:ida nt cle fai l'e des don aLions au
ei:ag~rées? -
delà du taux fixé. arer celle réserve tou tPfois que la prohibition 11'a llait pas ju qu'à détruire compl ètement l'opération jn l'idique intervenu e. Ce caractère particulier de
la loi est indiqué par un texte d'Ulpien le paragraphe 1
de es Regulœ : Prohiber, e.tcrptis qtûbtmlam to,qnatis , et si
ii
e'l J, rs de d Ult' fllle
i:ellc lléci:ion ~:appliqu:lil réellement ·t b. 1 1 Cinôa. ce
qui ressort d'une p:irt Je lïn licati"n ~run llux th~ p ur
les donations quand elles ne ~·adr\!$:: i.:nt p..ts. à des · r ·ouœ e.rceptœ, el d'au l re parl de t:etle circon ·tance. c'e~l
qu·:1 l'ëpoque où ècri,all Clpieo il n'y avait aucune lUlrt
l0i qui fùl applicable aux. hbèraltt~ t'nlre-rifs. Le jun::.consulte attribue au plébisctlc dè Ci ociu . tlime-1lt~ un
caractère prohibitif. mai· il constate en m1>me lemrs lUÏI
n'accordait au J1:po' :lnt aucune action ponr rep. en1ire
ce quïl a,·a1t donné CüOlrairement :rnx prt!~c11plll ns
légales. C'etait fa préei·ément ce 4ui dbtin~uait la Ili
('iocia Cl Ce qui J'aYait fait appeler lu imper{t·cla p:u les
ju1 isNnsultes romains. Tou te 'a sanction con.i·tait 1\ rnellre
par la cooces ·ion d'une exception le donateur à l'abri iles
coo. ëquences règu li ères 11'0 ne mancipation et d'une promesse qui auraient • ~1ffi primitirement ponr le dépouiller
cl'uoe façon irrérncable. •~lais n'ètait-ce pa.~ a:~ez pour
~Ire autorisé à considérer comme pMh1béc la maneipalion
ou la promesse interrenue do11atio11is cattsn! Yoifa des acte·
dooL le buL ordinaire est d'inre' lir l'acquéreur de la faculté utile de rereDdiquer ou de lui procurer une obli gation sé1 icuse pouvant aboutir à une condamnation. Que
cc' acte· soien t fait do11amli causa, iL resteront irnpui:san ls el dépournis ùe la valeur qui leur appartient en
principe. Nul incon\'énient dès lors~ ùire qu'il son t pïoliibè' par la loi Ciocia. pui ' qu'elle les rend inoffensifs l\
l'encontre de celui tic qui il émanent.• ( 1)
Jl/rh cfo11<1l11111
;,Il, llOtl rt:>CÏllt/ÏC. (l
( 1) '.llachelonJ. Ob~ . sur la loi Ci11ci11. n 9.
�-
7~
-
Plnsieurs auteurs ·~epeo<lant admetlent un système
contraire. IY ~rès enx la lni Cincia ne proh ibait pas les
donation supérienres au taux qu 'e lle avait fixé. pnisque
en définitire , en aci::ornplissant cerLain es formalit és il élail
t11ujours possible de cij)nner i11 i11/inilwn . Elle avait simplement vou lu en rendre la perfecti on plus rlirficil e et prévenir des entraînements irré11échis. Elle n'av<tit cherché
qu'à an1rer la liberté Ju donateu r. pen ant qn'il était
inutile d'interdire les libéralités co n idérables • qnand la
généro'ité de l'homme trnnrc 11n frein , i na ln re l et si sùr
dans la prévoyance de chacnn el dans l'égoï me du grand
nombre . • Admellre le con lrnire. cc serait prèler au législateur une incon éqnence el une con tradiction, car ce serait tout à la fois lui faire permettre el prnhiber le- donation nitra molfom. pu isqu'il ne donnait an donateu r
au1~une actio11 pour le, faire tomber. Du res te. ajoutet'on, i les dispositions de la loi Cincia a\'àicnt réellement un caractère prohibitir, pourquoi le di~posant n'a''aiL-il pas touj ours u11 e condictio ex injusta cattsa pour
reprendre les valeurs acq ui ~es au donataire? Comment la
donation ultra modwn pouvait-el le ervir de jusla causa
pour l'usucapion? Comment le. Sahiniens avaient-ils pu
con tester le caractère populaire de l'exception Legis Cinciœ?
Comlllenl expliquer la règle morte Cincia rcmovetur, car
assurémen~ on ne triomphe pas d'une prohibition légale
par la persistance à la violer? Qnant au texte d'Ulpien il
est assez difficil e de bien en la déterminer valeur. C'est 1111
lambeau de phrase mu tilé qui ne peul servir de base à un
système juridique, alors surtout que l'on ignore ce qui
--- 79 -
précéùai t cl qne le nom de la loi Cincia n'y e:>t pas mèmc
prononcé. ( 1)
Nons. avons cléj;t ind iqué le:; moLirs pour lesquels nous
pensons qu e le paragraphe 1 des flef111lœ s'appliquait bien
à la loi Cincia. Il ne nou· res te p\0:1 q11'à examiner les
objections élevées par les pat'li 'ans do , ystème que non~
venons d'expo~ er ; en montrant qu'elles son t peu fondéeg
nou for tifierons par cela même l'opinion à laqnclle nous
nous sommes 1al lié.
A. li est impos ibleqnc l:t loiCinciaait prohibé le· dona -
tions exce ives pui que ces ùonations pouv;iient . enir de
jn le eau e pour l':isucapion el que le donateur n'arait pa
de condictio c.r i11j11sl<' Clwsa pour les faire tomber. -C'Pst là an contraire, d'api ès nous, ce qni caractéri ail la
loi Cin cia et cc qui b diITérenciait de la plupart des lois de
celle époque. Elle ne contenait pas de clause absolument
ir ritante, elle ne pn>nonp it pa. la nullité des libéralité,
f:iiles en violation ùc ses di po il ion~: le législateur a,·ait
recu lé rleva nt nn pareil ré ult:it. Mai · elle e bornait à
fo urni r :rn Jonalenr un moyen de rcponsser l'aclion q11 i
déroulait des actes quïl venail d'accomplir . Celle 5anction
parfois i11efficace j1Llifiail celle qualification de /ex impurcta que lui arail donnée Ulpien el que l'on ne pourrail
1'xplicp1 er sans cela.
n.
Si l:t loi Cincia etail véritablement prohibitl\'e, comment expliquer que les ~abin i ens aien t mème songé à con tester le caractère popu laire de l'l'xceptio ler1i~ Ci11 ciœ? 11) Acro ri11~. TJ1·n1I ro111n111, T. 1, p. 71~ nolt• 3
�-
80 -
L'objeclion n'est rien moins qu e co ncluante. Le tribun Ci~
cius avail eu surtoul en vue l'intérêt du donateur. Il était
par conséqueol tout naturel de voir certains jurisço o~ ult.es
reslreindre la portée de l'exceplion et ne pas accorder 10d1fféremment à toute personne intèressée Io droit de s'en prévaloir .
C.Comment expliquer la règle: /tforte Cincia reinouetur?L'explication oous parait toute naturelle. Cette règle ne fut
pas posée el établie par les auteurs de la loi; elle fut même
tout d'abord admise avec difficulté et ne fut définilivement
consacrée que par l'empereur Alexandre Sévère. Par con·
séquent à l'époque où fut voté le plébiscite. l'objection
n'avait aucune portée. Quoi d'étünnant d'ail leurs à ce
qu'une loi qui ne s'était préoccupée qu e de l'intérêt du donateur n'ait pas étendu à ses héritiers ses dispositions protectrices~ Il aurait été au contraire injuste de faire bénéficier
ces derniers de l'exceptio Legis Cinciœ quand leur auteur
avait persévéré jusqu'à sa mort dans la volon té de donner.
Nous concluons de tout ceci qu e la loi Cincia prohibait
réellement les donations ultra ?nodmn. mais que sa prohibition n'allait pas jusqu'à annuler ces libéralités. C'était
donc en même temps une loi imparfait e comme le sénatusconsulte Velleien qui n'opérait également que par voie d'exception et dont ou disait cependant que totam obligationem
im7Jrobat .
Le second chef de la loi Cincia n'eut pas une destinée
bien longue. Aucune loi ne vint sans doute en prononcer
l'a.brogation , mais il tomba sous le poids de ses imperfections chaque jour constatées. Chemin faisant nous avons signalé la plupart de ces imperfections. Nous avons montré
-
81 -
qu e le système du tribun Cincius manquait complètement
d'unité et de logique. Les mesures imaginées pour empêc-.her les donations excessives opéraient de la manière la
plus inégale et tan tôt ùépassaient le but que l'on s'était
proposé. tantôt ne l'atteignaien t même pas. Le donateur ne se trouvait presque jamais secouru d'une façon utile
sauf peut·être dans le cas où il s'était engagé par voie de
promesse envers le donataire; il était toujours au contraire
protégé ou insuffisamment ou d'une façon trop efficace. Cela
explique le peu de fayeur dont jouit à Rome la loi Cincia et
la prom pte désuétude dans laquelle elle ne tarda pas à
tomber. Elle subsistait cependan t encore du temps d& Dio·
clétien ( Frag . Vat. 293, 5 15) ; nous en trouvons même des
traces dans les lois 1 , 2. 4, J , i ( C. Théod. de Donal.) Elle
dùt vraisemblablemen t disparaître le jour où l'insinuation
prit naissance et fut exigée par les empereurs pour la perfection des donati ons.
�ANCIEN DROI1
1
DE LA RÈGLE DONNERET RETENIR NR VA UT
Dans la dernihre période cle notre droit coutumier, la
règle: Donner et retenir ne vaut avait une double signification. «C'est donner et reten ir, disait l'article 27!~ de la
Coutume de Paris. quand le ùonateur s'est réservé la
puissance de ùisposer librement de la chose par lui donnée
on qu'il demeure en possession jusqu'a son décès. • Deux
con ditions étaient donc exi gées pa1· la maxime pour la validité des donations entre-vi fs, d'une part la tradition de la
chose donnée, de l'autn~ lïrré\·ocabilité de la disposition.
Un grand nombre de C1)utume· étaient sur ce point
conformes a ce110 de Paris et ratlachaient comme elle ces
deux. conditions! à la même règle. Cit ons les Coutumes
d'Auvergne (ch. U, art. 18-25): d'Orléans (arl. 285) :
d'Auxerre (art. 2 17); do Sens (arl. 108 et 115): de
Clermont (art. 127); de Melun (art. 250): du Nivernais
(chap, 27, art. 2); de Normandie (art. 23 1). D'autres.
�- · 84
au cnnlraire. parmi lesquelles les Coutumes de Péronne ,
Montdidier el Roye (art . 1OD ); d~ Senli s (arl. 2 11); du
Berry(t. vu. art. 1-4); de Mantes(art.150);d'Etampes
(art. 146), etc .. ne parlaient que de la nécessité de la
tradition. Toutefois, même sous l'empire de ces Cou tumes.
Je principe de \'irrévoca bilité des donations était admis. 11
était sou -entendu , pour ain i dire. et les commentateurs.
comblan t les lacunes el les oubli qui avaient pu se glisser
dans les textes. étaient arrivés à établir parlout une législation uniforme. C'est ain. i. par exempl e. que Claude le
Caron disait sur la Coutume <le Péronne (art. ; 09 , n. 8) :
• Si le donateur réser\'e la fa culté de pouvoi r ,·encire en
cas de nécessité et si traclita ( 11erit 1>ossessio, la donation
ne van t. »
A l'inverse. la Cou tum e dn Bourbonnais (art. 212 et
2 t 5) se contentait de prohiber les conditions potestatives
de la part <ln donateur et n'ex igeait pas en termes formels
du moins la tradition. Mais Auroux des Pommiers . dans
soo Commen tail'e avait réparé celle omission et enseignait
qu'il fallail au moins une tradi tion feinte on par éq uipollenl . On peut donc dire qtrn la max im e: Donner el retenir
ne vaut, avai t, dans toutes les Cou tumes, le même sens et
la même portée ( 1).
Les deux. conditions requi ses par l'article 27 4 de la
Coutume de Paris n'ont pas une origine également an( Il Ricard {lomo 1, n• 898) a rapproché, dan~ une même coni munauLé
d'expressions . les deux parli<>s tle ln r~itle . Pou r rendre Io donation
valable. di~-1 1, il faut qu' il !J o i l trad1t io11 de dr o1l et tradition de {ail. Ces
d11ux ex.pressions, consacrées au jourd' hui par l' usage, ne SA relrou1•e111
pas, sans dou le, dans les nnciens nulcurs . Mais elles ont l'uvan lage tle
r('Sume r sou$ une forme brève et co ncise une ri·gle ro mple~ c. Nous nt'
erons aucu ne diflicollê de lt'S <' mploye r dAns la suite rl<' cell<' l'lude.
1
8~
-
cienne .. La tradition de fa it fut d'abord seule nécessaire el
la maxime : Donner el reten ir ne vaut pouvai t, au début,
se rés umer dans cet adage qu e nous trouvons dans le
livre des Assises ùe la Cour des BoDrgeois: u Don ne vau t
sans la saisine de la chose. » Il suffi rait , pour le démontrer, ùe cette simple remarque c'est que la première rédaction de la plupart des Coutumes ( 1) ne faisait aucune
mention du principe de \'irrévocabilité. Si nous nous reportons égalemen t aux recueils ùe droit féodal antérieurs
an XVI• siècle. nou ne trou,·ons indiquée qu'une chose,
c'est la nécessité pour le donateur de se dépouiller immédiatement de la propriété de l'objet donné. Les Coutumes de Champagne réoigées en 1224 ex igent, dans
leur article 4'"· qne l'homme ou la femme qlli donnent à
un autre nne maison ou un héritage • li quittent et li
donnent quanq ues il li ont. et toutes voies li devesteres
retient et en demeure saisis, sans ce qu'il en paie loier,
oe nulle redevance acelui à qui au ra fait li don, li don oe
vaudra rien contre loir dou mort, pour ce que pa1· droi t
commun et par Coutume de Champagne, donners el retenir ne vaut riens. • Nous arnns cité de prèférence ce passage, parce qu'il contien t la for mule même qui passa pins
tard dans la rédaction des CouLUmes. Les assises de Jérusalem, du reste. n'étaient pa moins explicites. Dans leur
chapi tre l it.!~, elles prérnient l'hypothèse où la d.onati~n a
pour objet une ferme et décid ent que le donataire n aura
aucun droit, s'il n'a le tenure de ce t~e ferme, parce _que,
disen t-elles, • le don qu'il (le donê\teur) en aura fait en
( 1) Pa ris (art. 160 ot ~ 6 1 ), Sens (orl. 95 ~l 101); Au ~~rr e (ort. t O l ;
Orlél\ns (art. 2t'!), elc.
�-
86 -
dit ne sera valabl e ne establo. parce que n'anra esté que
prouméce; car le don n'au ra esté qne en dit el non en
fait; que ce don n'est p:is parfait qni n'est en fait qu e en
di l sans fait. 11
Il ne faudrait cepen dant pas croire qu'à cet~o époqu e
!'irrévocabilité n'é tait µas ex igée clans les donations. Senlement, Je principe n'était pas en tendu avec la ri gueur
que lui donna plus tard la législation cou tumi ère et qu'il a
conservée sous l'empire de notre Code ri ,•il . Les libéralités,
une foi fait es et exécutées, étaient irrévocables, com me
tous les autres contrats , en vertu de cette règle posée par
Beau manoir (chap. xxx1v. n• 3) . « Toutes conrenences
sont à tenir et por cc di t-on : convenence loi vaint. n
Mais celte irrévocabilité n'étai t pas co n~ id erée Go mme tellement essentielle qu'il ne fùt pas permis d'y déroger par une
convention spéciale. L'abrégé du livre des Assises de la
Cour des Bourgeois permet an co ntra ire aux parties, dans
un cas parLiculier, de faire nne donation sous des conditions potestati ves de la part du donateur : ,, Je donc mon
héritage à toi! à mon rapiau, par enci qu e toute les fo i
qu'il me plaira, je le puisse rapelor le don qu e je li fais
doudit héritage. - Et saché qu o cegte manière de don .i
vaut tant corne celi que li aura doné Je rapele ( 1). »
Ce n'est guère que rer le commencemci1t du XV!•
siècle, à l'époque de la rédaction des Coutumes, que nou.
voyons rattacher pour la première fo is le principe de !'irrévocabilité à la maxime: Donner et retenil' ne raut. Il est
alors considéré comme de l'essence même des donations
( 1) 1" partie (ch. 3J).
-
87 -
et toute clause qui aurait poul' bnt d'y porter atteinte est
sévèrement prohibée. Une fois admise. celle partie de la
règle ne tarda pas à acquérir une importance de plus en
plus grande au détrimen t de l'an tre qui tendait au con·
traire à disparaître et perdait chaque jour de la force
qu 'elle avai t eue tout d'abord. Tandis, en elTet, qu'à l'origine on exigeait une tradition rigoureuse el de fait, la
plupart des Coutumes se content ent par la suite d'une tradition feinte. Plus tard , enfin. la simple convention de
donner est recùnmrn suffisante ponr obliger le donateur
qui pouvait être contraint par le donataire à délivrer les
choses données. A l'inverse, lïrrérocabilité est toujours
exigée avec la même rigueur; le temps n'a jamais apporté
ùe modifications à celte l'ègle qui subsiste encore dans notre
Code civil avec toute la sél'érité qu'elle avait au début.
En terminant ce rapide aperçu. il est bon de faire remarquer. avec M. Albert Desjardins, qu'il n'existait pas
seulement une di!Térence entre les deux applications de la
maxime, mai qu'il y avait eutre elles une contradiction
formelle. • L'une. en effet, tend à rendre la donation t:ntièl'ement irrévocable ; par l'elîel de l'autre. celle même
donati on, dépourvue de tonte force, esl laissée en la main
du donateur qui peul, li son gl'é, la rendre efficace ou
inutile, selon qu'il accorde ou refuse la tradition ( 1). •
Nous étncli erons d'abord succes_i vem en l chacune des
deux parties de la règle; oou rechercherons ensuite quelle
ru t sa véritable origine ; nous verrons enfin ce qu'elle
devint sous l'empire de l'ordonnance de 1731 .
( 1)
Revue rrit iq11c, l. xxx111. P· ~ 1 5
�-
88 -
CHAPITHE l..
De la nécessité de la Tradition
La convention de donn er ne transférait pas de plein
droit la propriété dans notre ancienne jurisprudence pas
plus que dans le droit romain . Il fallait, pour opérer celle
translation, avoir recours à la trad ition. D'Argentré
(art. 228 de la Coutume de Bretagne) fo ndait la nécessité
du dessaisissement actuel dn donateur sur un double
motif : sur la présomption qu 'il y avait repentir de sa
part, et que la donation pouvait cacher un acte simu lé.
Ricard exprimait une idée analogue: "Elle (la tradition)
fait comme le sceau et la vérification de la donati on . afin
qu'il paraisse qu'elle a été faite sincèrement et sans dissimulation ( t ) . »
Le simple pacte de donation était, à l'origine. également impuissant par lui-même à obliger le donateur. «Il
n'y avait pas, dit Laurière, de donation sans traditi on actuelle; la donation n'était alors qu'une libéralité et non
un contrat, parce qu e. quand elle était acceptée. tout
étant consommé sur le champ et à l'heure même, il r.'en
résultait aucune obligation civile, ni par conséqu ent aucune action (2). » li est vrai que, dès la fin du XIII•
-
89 -
siècle, Beaumanoir semble admettre une opinion contraire
et écrit " qu'on ne peut faire la révocaLiou que des dons
que l'on fait dans un testament, et que quant à ceux. faits
dans one autre forme. il les convien t remplir ( 1). • Mais
Beanmanoir était évidemment en avant de son siècle et
n'exprimaiL pas le droit de son temps en déclarant la promesse de donner obligatoire. li ne faisait que formuler à
l'avance unerègle qui ne fut définitivement consacrée que
beaucoup plus tard .
La tradition exigée devait être. dans le début, réelle et
elîectirn. Le donateur devai t se dépouiller complètement
et transférer réellement. avec la propriété, la possession de
la. chose don née, témoignaut par là de sa rnlonté bien arrêtée de gratifier le donataire. puisqu'il le préférait à lui même. C'éLait déjà ce qu'exigeaient les Capitulaires de
Charlemagne : Si quis 1·es m as citilibet Lradere volrt-eril,
legitùnmn traditio11cm {acure studeaL et 7iost.qriam hœc ~r~
ditio ita {acta f'uerit, luei·es illius rwllam de 7Jrœd1clis
rebus valeat {acerc repetitioncm (2). Il est incontestable
que notre ancienne jurisprudence reproduisit les mê~es
prescriptions. C'e t là, du reste, une remarque ~ue. 1on
peu t faire à l'origine de la plupart des lég1slat1ons.
L'accomplissemeoL des nombreuses for~alités don~ sont
en tourés presq ue toujours les actes 1urid1ques est d abord
exigé avec la plu grande sévérité. Puis. peu à ~e~,. celle
rianeur disparaî t : la fiction se substitue a la realite _: le
r>
,.
devient moins forma11-ste. et on arri ve à suppn mer
droit
tontes ces formes que le temps fi nit par rendre trop se-
(1) fü card, t• pnr lie, o• 901.
(:!) rexte des Coutume~ de la prevôte et vicomté de Paris sur l'nrin.
ticte
• cln111• 1i! • no 3~.
·s1s,
( 1) Coutumes du 1Jeauvo1
<, cap. 19.
(t) Liv.
�-
90 -
- . 91 ·-
,·ères . Nous ponvon· coustater e11 c;ello n1alièro un progrès analogne. Yers le commencemen t du XVI• siècle, les
Cou lumes sont récligées. cl la plupart, subissant l'influence du droit romain qu i était alors généralè admettent la possibilité d'un e tradi tion feinte. P!lthier. tontefois. constJte que, même à son époque, les ùispositions
de:; Coutnmes n'étaient pas uniformes snr cc poin t. Les
une. demandaient une traditiori solennelle sous dilTéren ts
noms. D'autres exigeaien t une tradi tion réelle et ne tenaien t
pas pour valables les donations dau~ lesq nc:lles il n'était
interrenu qu 'une tradition fointe. Citons parmi ces dernière5 les·Coutumes de en lis (art. 2 11 , 212) ; de Clermont (ar~. 127); d'Amiens (art. :->5, 54 , 157); d'Anjou
(art. 54.5 et 429) ; du ~fai11e (art. ;:;;>7 el 444). Ces
deux premi ères classes de Contume étJicn t appelées Coutumes de snisin e et de nantissement. Les dern ières, enfin .
de beaucoup les plus nombreuses, se con tentaient d'un e
tradition f~inte.
l
i
La tradi.tion feinte es t ai n. i définie par F1wrière ( 1):
• Celle qu i , e fa it par uue fi t;tion de la loy , laqu ell e feint
que la tradition a élé faite, que le donataire possède la
c.hose en qualité de mailre. et que le donateur qui la détient. ne la possède ~u'au nom du ùonatairc en \'ertu de
quelque clause apposée au co11lrat de donation. » Une fois
i1~ten·enue, elle prod uisait le mè1nc effet que la lrarlition
recl le, ~vcc cette résen•e lou tefoi~ exp rimée par plusieur de
nos aoc1en. aut eurs, c'est qu'elle fut fai 1c de bonne foi et ne
( 1) Co1mr.entaires sur la Cou/umt <le Pari.(. art. 275, n·
~.
coo tint ui apparences ni pré ompti ons de fraude • au tremen t la donation court fortu ne d'être cassée. • ( 1)
Elle était égalemen t applicable à toutes sortes d'objets.
Quelques do11tes cependant s'étaient élevés en ce qu i conce rne les donations d'objets mobiliers. Duval (de Reb. club.
2) ex igeait la d élivrao~e réelle et don nait pou r raison que
les meubles n'ont pa de suite. Son opini on avait été adm ise
par la Coutume de Sedan (a rt. 11 :->) : " Les donations de
meuble· ne sont point valables sans la trad ition et délirrance réelle et ac tuelle de la cho e. • Le contraire parait toutefois a,·oir pré\'alu dans n0lre ancien oe jurisprudence, mais avec certain es restricti ons. C'est ainsi que
Ferrière n'admettait la validité de la tradi tion feinte qu 'au tant que les meubles donnés étaient certain et as uré.; et
qu'u n inventaire en aYai t été dressé soit dans l'acte même
de donation soit dans un acte séparé afin , dit-il : • Qu'on
ne pni sse pas donl er des meuble conten us dans la donation, car les choses incertaines ne peuvent poiot être livrées
ni par traùi ti on réelle ni par tradition feinte. • (2) Ric::ird s'c11 tenai t <111 texte de Coutnmes et exigeait par conséquen t selon les pny oit la tradition réelle soit la tradition feinte. Seul ement. dans ce dernier cas, il ''oulait,
comme Ferrière. un in ver.taire de objets donnés. (3) Le
système de ces deux ::iu teurs fut plus tard consacré par
l'ordon nance de 17'5 I .
Les modes d'o pêre1· la trad ition fei nt e étaient trèsnoinbrcux dans notr e ancien droit. L'article 275 ùe la
(1) Dela l11n<IC',
ttr
l'.lr /. ~84 de ta Co11l~111ie de l'aris n S.
(i) Co111mentai1·e di• la r:o 1~t 1w1e d? l'an s,
(·;) 1" por11e. n••• !lbl! l'l su•' .
11°
1O.
�-
92 -
Coutume de Paris cite à titre d'exemples, la réserve d'us11frui t à vie ou à temps, ln clau e de constitut et celle de
précaire. La rétention d'usufruit était certainement celle do
ces clauses qui était lâ pl us usitée dans les actes de donation. Le donateur était alors censé avoir livré la chose au
donataire donationis ctrnsa et l'avoir ensuil e reçue de celui-ci.
Quoique moins employées. les clauses de constitut et
de précaire P.taient cependant regardées comme ~ uffisanLes
pour rendre la donation va lable Il es t Hai que, d'après
Ferrière, elles avaient été regardées quelqu efois comme
imaginaires et qu 'on a\'ai t so ut en u que dans l' usage,
elles ne pouraient avoir aucune raleur sans la réser\'e
d'usufruit . mais on répondait en e fo ndant sur l'au torité
des lois romaines que perso nne ne pent teni r de soi à ti t~e
préc1ire (L. 4. § 5, de Prec.) ni être locataire de sa propre
chose ( L. 20 l ocal. Co11d.). Il avait même été admis que
rlans les Coutumes qui ne s'ex pliqn <lient que sur la réten tion d'usufruit, !e constitu t et le précaire produi saient le
même eITet.
D'ai lleurs , l'énumération donnée par l'article 275 de 1:1
?outu_m~ de Paris n'était point limita ti\'e, mais si111plement
enonc1at11·t:. Tel était l'avis de Ricard qui décide que :
• r .outes les espèces de traditions feintes introd uit es pa r le
droit romain doi\'ent avoir li en dans nos Cou tumes qui ne
les ont pas remises particulièrement et qu i ne font mention
par exemple que de la rétention d'usufru it, du cons titut et
dn précaire. » parce que. dit-il : " L'usage des traditions par
-
95 -
voyes teinLes a été em;1:·unlé au droit romai n. .. ( 1) La
liberalité était donc valabl e par cela seul que le disposan t
retenait l'obj et donné co1iJme locataire, dépositaire ou
commoùataire. Il en était cle même quand. antéri&urement à
la donation, le donataire possédait la chose: il y avait
alors tradition brevi 1nci1w. Enfin il suffisait égalemen t
pour la perfection de la libéralité que le donateur remit au
donataire les clefs de l'appartement (•li les titres de propriété. ou bien encore qu'i l le laissât se mellre en pesses·
sion des biens compris dans la disposi tion.
Par exception cependant, et contrairement à ce qui était
adm is en droit romain, la rem ise de \'i?1Slru111c11t1onclom1tio11is n'équi valait pas à la dél ivrance réelle. La clause de
dessaisine-saisine était également regardée comme i nsuffi sante , ainsi qu e nous l'apprend la Thaumassière: •Quoique dans les contrats de vente et aliénation, saisine et dessaisine faite en présence du donataire, équipolle à tradition
de fai t et à prise de possession de la chose aliénée, néanmoins en matière de donation entre-vifs. la tradition réelle
ou la feinte pa r rétention d'usufruit, par constitut ou précaire, est absolu ment req uise acause de la règle: Donner el
retenir ne vaut. • (2) Une seule Coutume, celle d'Orléans
(art. 278) . faisait valoir celle clause et encore n'était-elle
valable, d'après Dumoulin, qu'à une double condition.
c'est que non seul emen t il s'agisse de biens situés dans les
pays où la Coutume d'Orléans recevait son application ,
mais encore que J'acte même de donation y ait été passé :
( 1) I" pndie, n .. 9 ~ 0 cl 941.
(2) o r le chap itre
"tl,
.
art, 5, ile 111 Coulum~ ~le l.orns ..
�-
94 -
--
• Dmnmodu sil (acta Aw·cliœ, scrns si de terris silis Parisiis. •
Quand la libéralité avait pour objet une créance, la signification ilu titre cédé au débiteur tenait lieu de traditi on et était nécessai:-e mème pour l:t validité de la donation entre les parties: «Un simple t1·ansport ne saisit et il
faut signifier le transport, ùisait l'article ! 08 de la Coutume de Paris-. • L'acceptation de la cession par le débiteur
r.édé produisait d'ailleurs le même c!Tet que la significa·
lion ( t ).
Quant aux droits réels. tels qu e servitudes, rentes
foncières, etc. : • Ces droits étant une partie de la propriété de la chose ou une propriété imparfaite et di minuée, il est aisé de concevoir que de même qu'on pent
transférer une propriété pl eine, on pèut aussi transférer
une propriété irnpa ~'fa ite et diminué&; et par conséqu ent
la tradition de ces sortes de droits se fait et s'opère de la
même manière que celle de la chose même. » (2).
Enfin . en ce qui concerne les biens dont le donateur n'étai t
pas en possession au moment de la donation. comme ils ne
pouv:iieot fai re l'objet ni d'une trad ition réelle, ni d'une tradition feinte, on avait admis que la signification au posses·
seur de ces biens par le donataire de la donation qui I ui
était fa ite, avec assignation de les délaisser, suffisai t pour
rendre la libéralité Yalable et tenait lieu de trad ition ( 5).
Dans le dernier état de notre droit coutumier, la tradition
est donc toujours nécessaire pour transférer la propriété
~. . , (:~) ..,,Pot?i!~·
lnt~oduction ou tilt'e 1:; de
,n
Zi·J.
n•
ll.f cnizart, Collectiu11 de
Decisiu11s
(3) Po th ier. des Do11ations, section 2.
95 -
de l'objet donné. Il <'a résulte qu 'entre deux donataires
d'une même chose on doit préférer celui qui a été mis en
possession le premier, e.1core qu 'on ne lui ait fait qu'une
trad ition feinte et que te secoud donataire ait reçu une tradition réelle (1) . Mais à un autre point de vue nous
co nstatons un progrès bi en marqué . La simple promesse
de donner, dépourvu e de toute force à l'origine, oblige déso rmais le donateur et le so umet à une action en joslice.
La donation dev ient obligatoire pour lui du jour où ell e a
été acceptée par le donataire. A quell e date ce noureau
principe apparut-il dan notre droit ? C'est ce qu'il serait
assez difficile de préci er. Au XVI• siècle la plupart des au·
Leurs refu sent tout effet à la promessP. de donner; au XVII<
la fo rce obligatoire du pacte de donation esl encore contestée ; ell e n'est reconnue que dans le courant du X.VIH•
siècle . Toutefois les Couturnes de Châlons et de Reims accord aient déjà une action au donataire. • Le donataire peut
agir par action personnelle à l'encontre du donateur vi va nt ,
afin d'avoir déli vrance de la chose par luy donnée. • (2)
Ricard qui reproduit cette décision déclare même qu'elle doit
être étendu e a Lous les pays don t les Coutumes ne contiennen t pas de dispositions contraires (n• 94ï ).
Mais. par rapport aux héritiers du donateur, Je:; règles
anciennes su bsistent dans toute leur rigueur . Pou r leur
être opposa ble, la do nati on ùoit avoir été acrompagnée
de la tradition. Il fau t que le disposant se soit dessaisi de
so n viva nt de la proprifité de la cbo e donnée . « Et si le
la Coutum,, d'Orléans, seclion
i11J1111ellcs.
T. rr, Vo Do11ation .
( 1) Fr rrière, 1:0111111a11t11lre de ln Coulumr ,Jr Pat·is , art. 'H a. D'
(!) Cot1lmne de t:hcllons, 81'1. 114 .
3~ .
�-
96 -
donateur mourait en la possession de la chose donnûe
avan t l'action intentée, telle ùonati on ne 1'aut aucunement
et ne peut le donataire en vertu d'icelle agir personnellement, ne autrement à l'encontre de l'héritier. ,, ( 1)
Quelle était la raison de ceue différence et ponrquoi l'ac.
tion donnée con tre le donateur était-elle refusée con tre se.
héritiers? Nous avouons ne pas nous l'expliquer. Ricard
justifiait ainsi cdte distinction : • La so lenn ité de la trad ition
qui est nécessaire pour l'accomplissement de la donation à
l'égard de l'hérilier et des créa nciers du donateur n'est requise que pour éviter aux fraud es et à la dissimulation des
contrats; d'où il s'ensuit que le donateur ne peut pas s'en
prévaloir pour luy-même, personne n'etant reçu à alléguer
sa turpiLUde et qu'il ait eu intention de pratiqu er une
fraude; si bien qn'il demeure pour constant, qu e la donation est rendue parfaite à son égard par l'acceptation du
donal.aire. • (2).
li est bon enfin de faire remarquer que les donations
faites en faveur du mariage n'étaient pas soumises à la
néce.ssilé de la tradition : • Toutes conventions, donations,
a1·antages, institutions ld'héritier et autres choses fa ites
par contrat de mariage sont bonnes et valables en quelque forme qu'elles soient faites etiam en donnant et retenant. • (5).
( 1) Coutume de Châ/011s, art. 64
(t. ) Ricard, n• 04 5.
( 3) Coutume du Bourbonnais, art. 2 1!J.
..... 97 -
CHAPITRE li
De I'Irrévocabilité de la Donation
L'irrél'Ocabi lité était considérée par tous nos anciens auteur comme l'âme de la donation. le signe caractéristique
qui la dilTéreociait <les autres dispositions à titre gratuit.
«C'est, di ail Pothier, le caractère essentiel et distin ctif de
la donation entre-vifs d'être irrévocable ( 1) . • La violation
de ce principe avait ponr conséquence d'entraîner la nullité
de la li béralité elle-même.
Mais en qu el sens la donation devait-elle être irrévocable? C'est donner et retenir, disait la Cou tume de Paris
dans soo article 27 4, quand le donateur s'est réservé la
puissance de disposer librement de la chose par !ni donnée . Il était doue interdit de faire une libéral ité sous des
clauses réservant au ùisposant la facu lté de la révoquer
directement ou indirectement et notamment sous des conditions potestatives de sa part. Notre ancienne jurisprudence avait fait en pratique de nombreuses applications de
cettè partie de la règle : Donner et retenir ne vaut. Signalons les principales :
I. C'est ainsi, pa1· &xomple, qu'on annulait la donation
dans iaqnelle le donateur s'était réservé le droit de dispose1· de nouveau des objets par lui donnés , encore que ces
(1) Pothier, des no1iat1011s, section '!,
S '!.
�-
9$ -
objels eu:sent élé remis an ùouatairc. Ce point cepencbn t
n'avait pa ' clé oniYCt" cllemen t adm is. Cltaroncbs ne .prononçait la nulliLé ùe la libéralité qu'aut:rnt que le dtspo·
sanl avait effecli rement use de la faculté qu 'i l s'élait réservée. ~lais Ferrière et la major ité des Cou tu mes décidaient au contraire qu e la donation èlant entachée d'un
vice origin el ne potn ait produire aucun effet et conférer
aucun droit au donataire ( 1).
Si le donateur arait seul ement stipul é le droit de disposer d'une somme détermtn ée. la libérnlité n 'é.tai~
annu lée que jusqu 'à concurrence de ce lte somme. :itn 1
que nous l'apprend Dumoulin : • Si quis <ionet omnia
bo11a prœsen tia, reservalis 300 lirres ad leslanclitm , si
1
11on est teslalus renia neni llœredi, 11ec ced1111t lt11Jro do11a-
torii, r1 1ûa ealenus bona retenta rnnt et sic dmwlio 111tfla
ealenus. » (2) Telle5 étaient ëgalemcnt les dispositions des
Coutumes d'Auvergne ( chap.
Bourbonnais (art. 211 ) .
1li. ,
art. 22 et 23) , et du
Il. Etait également prohibée la donation faite à la charge
par le donataire d'acquitter les delles <Ju e le donateur laisserait à son décès. C'était ce que décidaient d'une façon expresse les Coutumes d'Auvergne(art. 19 , chap , U ): du
Bourbonnais (art, 2 12); du Nivernais (chap. 27. art. 3).
C'était également ce qu'enseignait Ricard (n°• 1Oz9, 1050).
Toutefois, Charondas (sur la Coutume du Nivernais) et
Tronçon (Coutume de Paris, art. 275) étaient d'un av1
-
99 -
contraire cl lcnr opin ion avait même été consacrée par nn
arrêt du Parlement de Pari en date du 1°• avril 1586.
Des difficn lté plus sérieuses s'él<1ient élevées sur le
point de savoir s'il fa llait valider la li béralité qui imposait au dona taire l'obligation d'exécot.er le testament du
donateur et d'acquitter les leg- qui pouvaient y être coo tenns . Deu' seules Cou tumes avaier.t préïu la question et la
tran chaie11t d'une façon différente. Celle do Nivernais
(chap. 27, art. 3) an nulai t expre'sérnent une pareille dispo.-ition; celle d'Auvergne. au con traire, la tenait pour valable. Cette dernière doctrine parait avoir prévalu . Elle était
admi e par Charonda et Auzanet. Dumoulin lui-même s'y
éta it rall ié. Après avoir, en cITet, tout d'abord enseigné sur
l'a rticle 1(iO de la Coutume de Paris, que c'était donner et retenir qu e de di poser nd onus testamenti, il so utint par la suite qu e cette donation était valable, parce que,
dit-il « etiamsi non sil rerta stwima en intelligitur secundum
qualilatem 7Jersonœ et bonorum. » Ferrière se prononçait
également clans le même sens en admellant toutefois la
même re triction que Dumonlin : « Le testament, dit-il, doi t
être réduit à proportion de ce que les personnes de la qualité dn donateur peuvent laisser, eu égarJ à la qualité de
ceux auxquels il laisse. <le leurs besoins et des biens du donateur et le surplus doit être retranché. » ( 1)
III. Nos anciens auteur prohibaient enfin , comme contraires au principe de !'irrévocabilité, les donations de biens
à venir. Un autre motif devait ègalement faire annuler fle.
l
{t) Fcrrii)re, G11111111e11taire de la Cnutumc d~ Paris, no 12.
(:1) Dbmoulin, nrl. 1130, A nriemw r:m1/1in1P dr l'a n~. n• !l.
(1)
..-
Co11111w11t11ir~ de lrl
Co11t11111e rl1• Pnl"is, or t, 271, n• 19 .
�-
100 -
pareilles libéralités. c'esl qu'en ce qui concerne les biens
qui y élaient compris. la tradition do fait exigée par la maxime él3it impossiLl e. « La tradition ne pent pas être faite
d'un bien avenir. auquel I~ donateur 11'a aucun droit lorsque la donalion est fait e. » ( 1) C'était là le droit commun
du royaume et la règle que l'on suivait dans les Cou tumes
qui ne contenaient point de disposiLion contraire-. Mais
quel de,·ait être le sort de la Jorialion qui com prenait à la
fois des Liens présen ts et des biens à venir~ ~otre ancienne
jurispruden ce était très divi êe sur· ce point. DuYal (de Rev.
dub. tract. 2 1wm. 4) prononçait la nullité totale de la donation même par rapport au'\ biens présents. Cnjas (act
l cg . si quis argenlum C. de Donat.) soutenait qu'elle ne
devait être nulle qu ·a l'égard des biens à Yenir, mais qu'elle
devait au contraire receroir son exécution en ce qui concerne les biens présents. Enfin , Ricard . adoplaot un système mixte, décidait qu'i l fallait avant tou t tenir compte de
la volonté du donateur. •Je voudrai s. dit·i~ après avoir ci té
Cujas, pour recernir ce partage qu'il eî1t été stipul é qu'en
cas que la donalion ne pût pa valoir pour le tout, elle aurait son elTet pour les biens présents ou du moins qu 'il parût par les termes avec lesquels la dona tion a esté conçue,
que l'intention du donateur eût esté d'en soulfrir la division, en cas qu'elle ne pût pas subsister pou r les hiens à
venir; sin on. el lorsque la donation des deux espèce de biens
présents et à venir est tellemen t jointe. qu'il n'y a pas li eu
de présumer que le donateur se fùt porté à do:1 ner l'u n
sans l'ao tre. on ne pent loy faire ce préjudice, de faire su h( 1) Ri<>anl, Il' lil09.
-
101 -
sister le contrat pour les biens présens, en le cassant pour
les biens à venir. » (1)
Cette seconde partie de la maxime: Donner et retenir ne
va nt, n'était, pas plus que la première, applicable aux donations en faveur du mariage qni se trouvaient régies par des
principes tout particuliers et des règles toutes spéciales.
CllAPlTRE Ill
Origine de la règle : Donner et retenir ne vaut
Après avoir montré les lliverses transform~tio~s q~·a
subies la maxime: Donner et retenir ne vaut, la s1g01ûcat1on
et la portée quelle a eues dans chacune des périodes de no·
tre droit coutumier, il ne sera pas inutile, croyons-nous.
de rechercher quelle fut sa Yéritable origine. Quand cette
form ule s'est-elle dégagée? Sous J'influence de quels motifs et de quelles idée~? A quels besoins répondait-elle! Ce
sont là tout autant de questions qui nous semblent de nature
à appeler notre attention. Après a\•oir indiqué et exa.mioé
chacun des princip:i.ux systèmes proposés pour expliquer
notre rëgle, nous feron s connaitre quel est celui qui nous
parait préférable.
(/ ) Jlicai·d n• IW1.
�-
102 -
De toutes les expl icalions qu'on a ùonuées de la maxime,
la plus originale à cour sùr , .inon la mieux fondée. est
celle de Coquill e: « Ton tes les Coutumes de France Jisent
pour règle que donner et retenir ne rauL. Ce qui procède,
comme il est vraisemblable. du natLH'el des 1Tais François
qui est de faire franch ement et a cœur ou,·ert , sans retenfr
à couvert. » ( 1) Quelque llalleu,c que soit pour notre carac t~re national une pareille crigine. il nous pélraît as,ez
difficile de s'en coo Len Lcr, 1·ar, ainsi que le fair for t 1Jie11
remarquer M. Demolomue ('f. 18, n° 2:>), la règle n'est
point interprétative de la rolonté ùu donateur, ell e c, t au
con l1aire impérative el ne saurait souffrir une dërogalion
quelconque.
De Laurière dans ses No tes sur Loy el (lnst . Cou1. liv . 1v.
lit.4 , règle 5) prétend que la 1ègle: Do nuer et retenir ne vau t,
u a été introduite originairement eu faveur des dona teurs,
afin que, connaissant la pe rte qu 'ils vont faire, ils soient
moins faci le à se dépouiller. " Cette explication ne sanr11it
non plus avoir une bien gra11cle ralcur. En effet, si l'iùée
exprimée par de Laurière arait c~ une influ ence quelconque sur la maxime, il est certai11 que la trad ition aurail
loujours été exigée avec la mème rigueur et que les Coutumes n'auraient pas admis l'usage des trad ition;; feintes
qoi ne fai aient pas suffi arnmen t compren dre au donateur
toute l'imporlance ùe l'acte qu'il \'enait de pa,se1 et qui 1w
lais aient éprournr qu'aux héritiers l'appaun issemenL résultant de la libéralité.
Potbier invoque pour justifier les deux µJ rtics de la rè(1) Institution au nroil (r11nr,ai:.. Ue,
-
103 -
gle l'intérêt de la famille. Son ex pli ca tion a élé admise de
nos joors par Grenier . " La raison. dit Pothier, pour
laqu elle notre droit a requis. pou r la validité ùes donations, la nécessité de cette tradition, ai nsi que celle de l'irré1•ocabilité se fait as cz apercevo ir. L'esprit de notre droit
françai incline it cc que le· biens demeurent dans les famill es el passent aux héritiers ..... Nos lois ont jugé à. propos ..... en conservant aux particuliers ce droit de donner
entre-Y ifs , de mettre un frein qui leur en rende l'exercice plus
ùifllcil e. C'est pour cela qu'el les ont ordon né qu'aucun ne pù l
v a lablen~enl donner, qu'il ne se dessaisit, ùès le temps de la
donation , de la chose donnée, et qu'il ne se prirâl pour tou jours de la facu!Lé d'en disposer, ann que l'allache naturelle
qu'on a à ce qu'on possède, et l'éloignement qu'on a pour le
dépouillement détol;rnât les particuliers de donner. • ( 1)
Une seule raison suffirai t, à notre avis, pour faire rejeter cette
explication, c'est que nous ne la trouvons mentionnée dans
aucon auteur avant Pothi er et qu 'il serai t bien étonnant que
ce soit ce jurisconsulte qui l'ait trouvée le premier. 11 est
probable. au contraire, qu'il l'a imaginée aprè coup pour
justifi er le maintien d'une règle qui avait été introduite
pour des raisons qui n'existaient plus de son temps et dont
par con équent il pou,·ait ne pas se rendre bien compte.
D'ailleurs, si les Coutumes araicn t réellement Youlu proté"er le hériti ers. elles auraient pu le faire d'une façon bien
~lus r,fUcace encore en permettant la révocabilité de la donation.
. .
Ricard donne aux ùeux part ies de la règle une or1g111e
IJOM1i1111~.
( 1) r,.aité d1•s /Jo11<1ti1111~. scct. 't, ort. ~.
�104 -
différente. D'après lui . l'idée de protection pour les héritiP.rs
du donateur sel'ait bien le véritable fond ement du principe
de l'irrérncabilité. Quant 3 la tradition, elle aurait èfé ex igée dans un double but: d'abord , pour prouver la sincérité
de la donation et p1·évenir les fraudes et dissimulations qui
pourraient être commises ; ensuite dans l'intérêt des tiers
qui contracteraient avec le donateur afin que: u La connaissance de la possession des domaines ne demeure pas incertaine et que ceux qui viendront à contracter avec le donateur et ses héritiers ne voyant aucun changement dans la
posse sion de ce qui lui appartenait, ne se persuaden t pas
avoir leur sûreté sur ce qui ne lui apparrienl plus qu'en
apparence. ~ ( 1) Est-ce bien là l'explication qui convien t à
celte partie de la maxime? Il est permis d'en douter. Les
fraud es et les dissimulations que la tradition devait empêcher étaient aussi bien à craindre dans les donations en faveur du mariage que dans les li béralités ordinaires . li aurait donc fallu dans tons les cas exiger ~etle for malité et
cependant toutes le.s Coutumes et tous les jurisconsultes décident que la règle: Donner et retenir ne va nt. est inapplicable au x. donations faites par contrat de mariage. Quan t au
second motif tiré de l'intérêt des ti ers, il est certain qu 'il ne
dût pas ètre pris en considération par no , anciens auteurs, car l'usage des traditions feintes eut précisémen t
~our résul tat de rendre complf'temcnt illusoil'e~ les garantie~ que la tradition réell e devait accorder aux personnes
qu i contracteraient avec le donateur.
L'explication qui jouit c!e nos jours du plus de crédit es t
(1) Rica rd, n• 001.
-
10 ~
-
celle donnée par Ferrière dans son Commentaire sur la Coutume de Paris (art. 275, n• 8). Elle ressemble beaucoup à
celle de Potb ier, elle en dilJère cependant à un certain poi nt
de vu e. Comme Pothier, Ferrière estime que la règle: Donner el retenir ne vaut, fut introduite en fa"eur des héritiers
du donateur. mais seulement pour prévenir, en ce qui les
concernait, les fâcheux résnllats que prod uisait la difîérence
qui ex istait clans la plu part de nos Coutumes entre la quotité disponible par donation et la quotité disponible par testament. • Que si on avait permis aux particuliers de faire
donation de leurs biens présents et de retenir la faculté d'en
pouvoir disposer. on aurait ouvert un moyen facile de fru trer ses héritiers par des donations eotre-vifs, sans que les
donateurs en reçussent aucune incommodité et sans rien
diminuer des droits qu'avaient avant les donations et sans
se dépooiller eux-mêmes des c~oses données, contre la natu re et la ~ ub~t;ince des donations qu'ils leroienl el dans le
dessein seulement de fr ustrer leurs héritiers de leur biens:
c~r. comme il c t permis de di poser de tous ses biens par
donation entre-vif , ans di' linclion de propres el d'acquêts.
et q11 e la facu lté de dispo er des biens par dernière rnlonté
est restreinte el bornée par tou tes no Coutumes. quand on
vondroit dépouiller ses héritiers de tous ses biens. on choi·
siroit cette Yoye, par laquelle on éluùeroil la disposition de
la Cou tume faite en fa \'eur des héri tiers . - C'est pour celle
raison que nos Cou lomes y ont pourvu, ùont la. .plupart
permetten t de dispo er de Lous ses bien par donal1~n e~
tre-vifs, mais ell e ont vo ulu que les donateurs se depoulllasseot eux-mêmes par icelle tle la propriété des cho~e.
donnée . pool' ôter aux. héritiers toute occa ion de se plain-
�-
106 . -
dre . • Argoo reproduit ahsolumenl la même idée. M. Demolombe après avoir cité cc dernier auteur e ralli e à son
opinion que partagent également M.M . Batbie ( 1) et
Baoby (2) . Mal~ré la faveur dont jouit cc sy. tème, nou s ne
Cl't~yons pas cependaul devoir l'adopter el nous pensons qu 'il
ne nou fait pas connaitre la véritable ori gine de la maxime.
En e!Tet, i l'idée exprimée par Ferrière était juste, il foudrait en conclure, ain i que le fa!L remarquer avec beaucoup
ùe raison M. Desjardins, que la règlr. : Donner et retenir ne
,·aul, devait exi.ter dans tous les pays üù la qu otité clispon1ble par testament étail dilTëren t~ de la quotité disponible par
donation enlre-,·ifs el qu'au contrai re elle était inco onuodans
ceux où aucune di!Térence n'existait ertre ces deux modes
de di$position au point de \'UC de la quoti té disponible. Or.
il n'en est rien . Dans les Coutumes de Tourain e. d'Anjou,
Je Bourgogne réformée. qui ne limitaien t pas plus étroitement le droit de tester que celui de donner en tre-vifs, presque tous les commenta tour exigeaient. malgré le sil ence des
textes qui ne faisaient pa mention du principe de l'irré\'Ocabi lité. le dessaisissement irrévocable du donateur. Ch opin
notamment s'exprimait ainsi sur la Coutume d'Anjon (li'' . Il ,
chap, IV lit. lV in fine): « Il e l notoire qu e la donation et
rétention des choses donnée ne raut pas nos Cr>utumes . •
Ce sont là, on le voit, les mêmes exp1·cssions qu o l'on retroure dans la Coutume de Paris. Ri en pins. un certain
nombre de CouLumes qni laissa ient an testateDr la même latitude por.r disposer des b'
. fores 1ens qu 'au donateur avaient
me.llement consacré notre règle. Citons les Contnm es de
Reims (art.. 25 2 el 292) et de Chùloos (art. G5 el 70). Au
(1) Revue critique, T. 211, p. 137 CL 138
(~) Revue pratique, annl'!e 1862, p. 5. .
-
107 -
contraire, la Coutume de Lille, qui , à l'instar de celle do
Paris, avait limité dans une large mesure la quotité disponible par testament et lai3sé au donateur une liberté a peu
près complète de disposer de ces biens, excl uait d'une façon
expresse la maxime : Donner et retenir 1;e vauL. ll faut en
dire autant de la Coutume d'Am iens. Comment concilier toutes ces divergences avecle motif donné par Ferrière?
Ell es prou,·ent jusqu'à l'évidence qu'on ne saurait se conten ter de l'ex plica tion ùe cet auteur q'.l i ne 'applique, du
reste, qu 'à une partie ùe la règle. celle qui a traiL à l'irrérncabilité des donations, cc qui se comprend, car, du Lemps
de Ferrière. on amil déji\ une action en délivrance contre le
tlo11ateur et l:l ressource de traùitions feintes.
Quant à nous. uivant en cela l'opioioo de 1\1 . Albert
Desjardins, nous pensons que nos anciens auteurs ne
cherchaient pas exacteruent les !Jases de la règl e. lis considéraient comme essentiels à l'ex istence de la donation le
Lie saisissement actuel et irrévocable ùu donateur el pcn·
saient yn e l'ausence ù'un ùc ce deux caractères de"ail
entraiuer la nullité de la libéralité elle-même. Quant à l'idée
qui servait de fondement à celle théorie, ils la croyaient empruntée à la législation romaine en ce qui touche la nécessité de la tradition. D'après onx, notre droit Coutumier était
sui· ce point conforme au droit des Pandectes. • Ces usages
ùilîéren ts, d1 ait Ricard en parlant des différents modes
de tradition, sont tirés de la disposition dn droit écrit, s~1i
rnnt les di\'ers changements qui y sont arril'és dans la suite
des temps ; .e reconnaissant par la une rérité importante
que j'ai reniarquéc en µlu sieors occurrences, que notre
�-
108 -
droit françois , dans son origine, a été formé en qnelqucs
parties sur le droit romain. • ( 1)
La croyance générale étail que la loi Cincia avait tracé
la voie sur ce point en exigeant la tradilion . D'après
Golhofredus(Ad. leg. 4 C. Th eod. til. v111 li v. 12). l'exception introduite par celle loi en faveur ùes 11ersonœ exce;itœ,
consi tait précisémeot ence que, par rapport à ces personnes,
la donation était valable iodépendemmenl de tou te tradition.
L'idée que se faisaient nos anciens au tems de la loi Ciocia
étai t évidemment fausse. Les ùéreloppements que nous
arons co nsacrés dans la première partie de cette thèse
à l'étude de ce plébisci1e nous dispen ent d'insister là dessus. Bornons-nous enlement à fa ire remarquer que la
loi Cincia n'avait nullemen t pour objet de régler le transport de la propriété, mais seulement les conditions de valid ité auxquelles la donation était soum ise.
On arnit égalemen t cherché à. rattacher la !'ègle : Donner
et retenir ne va::it, au titre VIII. liv. XII du Coùe Théodosien
de Donat. Presque toutes les lois de ce titre rappellent la
oéce sité de la tradition. e11 ce qui concerne la donation
d'.une chose corporell e. Et corpomlis traditio subsequatur.
dit n.otamrnen.t Constantin dans la loi 1. Il n'y aurai t, par
consequeot. dit-on, rien d'étonnan t à ce qnc notre ancien
droit ait voulu reproduire les dispo iti on con tenues dans
ce ~it re. Celte supposition, an contra ire, est d'au tant plus
'~ra1sernblable que c'e t par le Code Théodo ien qne l'an~
c1enoe France a connu le droit Romain .
( 1)
Des TJ011ations, n• 905,
-
109 - ·
Une raison commune doit à. notre avis faire écarter toutes les expli cations qui donnen t ~'l notre règle une origine
romaine. 11 est éviden t, en t'.1et. que le droit romain n'a pu
aYoir au cune in!lu ence sur la maxime: Donner et retenir ne
vaut µui squ'clle n'avait pas été ad mise dans les pays de
droit Écrit qui suivaient cependant la législation romaine.
Si notre ancienne jurisprudence cherchait à rattacher.
pour lui donner. pins de force. la théorie du dessai issemeot actuel dn clonatenr à une cfo;position des lois en vigueur à Rome., il n'en était pas de même en ce qui con.cerne
le principe le l'irrérncabil ité. li était considéré comme
tellemen t certain, qu'on ne cherchait même pas à le démontrer. li étrtit ùu reste admis partou t. même dans les
pays de droit Écrit oü la maxime n'était cependant pas con nu e. C'est ce que constate d'Agucsseau lorsqu'il dit dans
sa lettre 286 que le pays de droit Coutumier et les pays
dû droit Écrit: " S'accordent parfaitement en ce qui co ncerne \'irrévocabilité des donations entre-Y ifs. • Aussi
l'ordonnance de 175 1 ne rencon tra-t-elle sur ce point
aucune ré'sislance dan le provinces dn ~lidi et le difficultés soulevées par quelques parlements ne portàrent-elles
qu e sur cer taines application et certaines conséquences
particulières du principe.
Quell e e t donc la véritable origine de la règle: Donner
et reten ir ne vaut? O'aprè· MM. Albert De.jardin~ et de ln
Ménardière ùont nous n'hè itons pas a partager l'opinion,
c'est dans notre ancienne hi ·taire qu'il faut aller la chercher.
Dan une ocieté barb3re, comme l'était la nôtrn à l'origine.
les donateurs se consid éraient difficilement comme dépon il1és de leurs biens. Ri ches cl puissants pour la plupart, ils
�-
110 -
~taienl
d'autant plu, portés il reprenrlrc ce qu'ils avaient
donné. que disposanl do la force ils étaien t assu rés de l'i mpunité la plus complète. Leu r, héritier snrtout se ré ignaient
avec peine a se roir privés des biens qu'il co mptaient retrournr un jour dans lenr patrimoines et n'éprouvaient
aucun scrup ul e à les enlever ~ ceux <J'.li en avaient été
gratifiés. • Il o'e t pas bien cutain , dit M. Ar thur Desjardins dans son Traité tir !'Aliénation et la Prescription
des biens de l'Etat, qu'à cette époque Jcs rois se regardassent comme encbaioés par les engagcmeo ls de leu rs prédécesseurs ou plulôt il est certain qu 'ils troun ient sonvent
commode de s'y soustrai re. • Il était donc clillicil e qu'i l
y eû t des acles irrévocable, clans nne société où la violence
pouvait tout. Ce qu i frappe ·t1rtout à cette période de
notre hi toire. c'est l'instabilité et la mu ltiplici té des donations. Aussi chercha-t-on de bonne heure à sanregard er
leu r irrérocabilité par tous les moyen s possibles. Nons
voyons dans les formu les de Marculf le donataire demander
aux héritiers du donateur , la confirmation de la libéralité
qui lüi :i été fai te. dans l'espoir que celte confi rma tion assurera lïoriolabilité de son droit ( 1). Les \'entes, les
échanges et tous les au tres con trats 1!taien t comme les donations également confirm ès par formules. Sou les Carlovingieos on ne se contentait même plus d'une simple
confirmation. Pour rendre les li béralités plus irrévocables
encore, le donateur invoquait le secours du roi et de l'é~
glise contre ceux qui voudraient détruire ce qu'il avait fa it.
Il les mena,.~
it des 1'oud
.,...
'
res de l'E•g11·se et les c.ondamna1t· ·a
( 1) nect1ei/ !)Pnéral de~ fi' 0 1 1
·é
M. de Rozièrc (forrn 1 5~ ~ : 11' tcs ~ si t es J?ns l 'crnpi r o des Francs por
•
•
1 0 1 " 5. p.
J i
IVJ, 197, 20t),
-
111 -
payer une amende considérable tant au donataire qu'au
fisc. • Qu'il soit chassé. disait une vieille formule, de la
rénnion de Lou, les chrét10.: 11s et de l'Église. qn'il n'ait d'au·
\re société que cell e de Judas qui trahit Notre-SeigneurJéslls-Chrisl, que de plus il paye au monastère ou aux
frères y résidant, ensemble au fü'c très sacré, associé dans
les actes et dans \a poursuite tan t de livres d'or. tant de
livres d'argent. el qu'il ne puisse même pas ain i revendiqu er ce qu 'il réclame. » Toutes le lois de celle époque
posaie nt ce principe que la donation ne pouvait pas être
révoquée par le disposant , qnanù ell e avait été exécutée.
Les Capi tulaire de Charlemagne et de Louis-le-Débonnaire étaient formels à cet égard, mais ils étaient impuissan ts à as, urer le re pecl de la règle qu'ils proclamaien t
Les donations étaient chaque jours mécon ~ues el violées.
Pendant les temps féodaux l'irrùrncabilité ne fllt guère
mienx. respeclée. Que de précautions prises en eITet pour
assurer la stabi lité des donations ! On faisait concourir à
la libéralité la femme, les enfants et les plu proches parents
du donatenr soiL com me témoins, oit comme héritiers
éventuels. A la mort du disposant on demandai t la confirmation :1·es héritiers, quoi qu'ils aient déjà signé l'acle de
donation ; on la demandait également aa P,igneur el à. ·e
enfa n t~ . Toutes ces adhésions et toutes ces cootirmalions
devaien t être <JChetées à pri:< d'or par ceux qui les réclamaient. Elles dimi nuaien t d'autant par conséquent l'émolu ment que le donataire retirait de la libéralité qu i lui
avait été fa ite, mais elles avaient tin moin l'avantage d~
rendre son droi t stable et délinitiL
�-
112 -
Lcselforts fait~ peodantsi longtemps pour rendre incommutable l'engagement du donateur finissent par être couronnés de succès. Le principe de l'irré\'Ol'abilité app:irait
au XII• siècle daos les Assises de Jérusalem et au XIIe
daos Beanmanoir. Celle règle de l' irrévot:abi li té Loute fois
n'était pas à l'origine spéciale aux d0nations ; elle était
commune à tons les contrats. Mais elle ent besoin d'être
consacrée d'une manière toute particuli ère à l'ég:i rd des li·
béralités qui étaient beanconp plu soment méconn ues que
les :iutres convention préci ément parce que le donateur
ne recevait en échange de ce qu'il ava it donné aucun
équivalen t pécuniai re. Un principe, dit M. Albert Desjard ins dans son remarquable travail sur !'Origine de la
Règle Donner et Retenir ne vaut. dont no us demandons la
permis ion de citer la conclu ion malgré sa longueur , qui
n'était exprimé qll 'a propos de la donation. finit par paraitre spécial à la donation. On s'est demand é en quoi il
consistait. et comme il était impossible de ne pas reconnaitre que les autres conven ti ons étaient irrévocables par
nature. non par essence. on s'est persuadé que ta donation l'était par essence. qu'aucun e clause ne devait être
admise qui porterait atteinte :1 celle essentielle irrévocabilité. Peu à peu te principe ancien dans ta forme , nouveau
par l'esprit se développe ; il parbt serYir &ffi cacement
l'intérêt des héritiers, en rendan t les donations d'autant
plus rares que te donateur ne pouvait se réserver ancu n
mo~en de les reprendre en tou t ou en partie; il étni t
vraunent utile dans les pays qui établissaient une différence pour la qnotité disponible, entre ta donation et le
testa ment ; il s'introdu isit dans un grand nombre de Cou4
-
113 -
turnes. surtout an moment de la deuxième rédaction , força
l'entrée de celles nù il n'était pas expressément admis ;
devint le droit commun de la France ; fit apparaître progressivement toutes les conséquences qu'il contenait ; inspi ra une grande partie de t'ordonance de 1751 et fut accept~ sa ns aucune contestation par les rédactenrs du Code
Napoléon. La donation devint . ~ i l'on ifeut s'exprimer ainsi.
1'3 plus irrévoca ble de tous les actes, précisément parce
que , durant plusieurs siècle., elte en avait été le moins
solide.
u Qnant à la tradition. exigée à l'origine pour la donation comme pour ton les actes translati( de propriété.
elle acqu it une importance particulière, à. cause des difficn lt é qu'eut l'irrévocabitité h se faire admettre. Pour que
te donateur et ses héritiers eussent perd u tout droit sur
l'objet de la donatio n. il fallait au moi ns qu'ils eussent
vou lu se riépouiller complètement. Ptus les conséquences
d'une convention sont graves, plus il faut se garder de les
attacher à un simple projet. L'esprit de. Normands. jadis
fertil e en ruses imagina des traditions apparentes qui
trompaien t tout le monde, même le donataire. Le donateur laissait un serviteur ou des meubl es sur le bien
donné. Les héritiers réclamaient eosuiLe, comme si ce
bien n'eût jamais été livré. Le juriscon ultes déclarèrent
que la tradition devait être complète pour être ré~lle: ~t~
assuraient )'irrévocabil ité en même temps que la smcente
de la donation ( t). »
(1) Revue crjliquo T . :cn1u. p . 333.
�-
114 -
CHAPITRE lV
De la Maxime : Donner et retenir ne vmit,
sons l'empire de I'Ordorrmmce de 1731
Des deux elîels juridiques produits it l'origin e par la
m:lXime, à. savoir le dépouillemenl de fail et le dépoui llement de droil, le dernier seu l subsiste sous l' empire
de l'ordonance de 175t . Celle-ci étend au royaume toul
en li ~r la règle: Donner et retenirne vaut. mais en tant
seu lement qu'elle assure !'irrévocabilité. L'article 5 cons:icrant déOnilivemenl un principe qu i n'avai l prévalu
qu'après certaines hésitations et cer taines résistances,
reconnait à la donation la force d'engager le donateur du
jour où elle aura été acceptée par le donataire. Ajoutons
cependant qne dans les pays de droit Coutumier. à la différence des pays de droil Écrit, la tradilion réelle ou
feinle continua a être indi pe u sab l ~ pour la perfecllOn de
la libéralité; elle dernil être faite du Yivant du donateur,
sinon la donalion restait complètement inefficace a l'e11c0nlre de ses héritiers. ( 1)
En ce qui concerne au contraire la seconde conséquence de la règle: Donner et retenir ne vaut. c'est-à.dire la tradition de droit. l'ordonnance de t 7iH repro( 1) F11q:olP, Cmm11e1ilairr rie l' 1Jrdm1t1a11re de 173 1. 11 1t . ·15,
-
11 5 -
duit dans toute leur sévérité les principales dispositions
tle nos Coutumes. Les donations sont nulles, dit l'article 16 , lorsqu'ell es sont faites sous Jes conditions dont
l'eKécu Lion dépend de la seule volonté du donateur. En
vertu de ce principe l'ordonnance prohibait:
I. - Les donations de bi ens à venir (art. 1~) . Cette
appl ication de la règle avait él~ acceptée difficilement
par le pays de droit Ecrit qui, obsen·ant la législation romaine dans son dernier élaL. permettaient la
donat1on universelle de biens à venir sous la condition
toutefois que le donateur ,e réser\'Crait une portion de
ses biens. ordinairement le ringtième, afin de pouvoir en
disposer par testamen t. De vives réclamalions et de nombre us~s r~ istances s'étaient même produiles à ce sujet
dans le sein de certains parl ements et il n'avait fallu rien
moins que l' habileté et la courtoisie du chancelier d'Aguesseau pour épargner au parlement de Toulouse des
lellres de jussion que ses remontrances persistantes auraient pu lui mériter.
Quand une donation comprenait a la fois des biens
présents et de, biens à Yeni r. elle étai t, contrairement à
l'opinion qui avait été enseignée par Cujas, déclarée
nulle mème en ce qui con cern ~ les biens présenls. Les
raisons qui avaient fail admettre celte règle sévère nous
sont indiquées par d'Aguesseau : «Quoique il y aiL des
raisons considérables de part et d'autre. écrivait-il au
parlement de Grenoble. on a cru néanmoins qu'il était
. au x principe:;
· - , d' une sa1·ne J·urisprudence de
contraire
diviser un acte en le faisant valoir pour une partie et en
�-
t 16 -
Je détruisant pour l'autre ; que les choses n'étanl plus
eolières lor qu'on fail cell e distinction, on ne pouvait
savoir précisément si elle n'était pas r,ontrairo à lïntenLiou du donateur ; qn'il pou\'ait en naitre souv ent des
questions embarrassantes par rapport aux charges el aux
conditions de la donation, et qu'ainsi la jurisprudence
qui favorisait la séparation des Liens présen ts et des biens
à rnnir. était une source de procès . direclemen t opposée
à l'intention dn roi, dont le principal objet es l de les
prévenir. » ( 1)
II. -- - Les donations faites:« A condition de payer les
dettes et charges de la succession du donateur , cm tout
ou en partie, ou autres delles et charges que celles qui
ex istaient lors de la donation ; même de payer. les légitimes des enfants du dona.teur, an delà de ce dont led it
donataire peut en être tenu de droit (art. 16). • On
s'était demandé à l'occasion de cet article si le donateur
pouvait imposer an donataire l'obliga tion d'exécuter le
testament qu'il pourra it faire par la suite, ainsi que le lui
permeltaient la Coutume d'Auv ergne el la plupart de nos
anciens auteurs. La négative était généralement admise.
• l'esprit de l'ordonnance étant celui de ne laisser absolument rien d'arbitraire au donateur, et de ne rien lui
permellre qui puisse donner la plus légP.re atteinte à la
donation. • (2)
( 1) Titre LX. lettre 2\8
(!) Oc I3out3rir, /~.1:p/i ;r1 tio,, •I• /'( '1-./1111 •111c1• de 173 1, arl. Ili. p. 7J.
-
1'17 -
III. - La donation par laquelle le donateur se serait
réservé la faculté de disposer d'un objet compris dans la
donation ou <l'une somme à prendre sur les biens donnés.
Dans ce cas " ledit elleL et ladite somme n'étaient point
censés compris dans la donation. encore que le donateur
fût mort sans en avoir disposé et appartenaient de plein
droit à ses héritiers nonobstant toutes clauses ou stipulations à ce con traires (art. 16). • La dernière partie de
cet article était contraire anx règ!es reçues dans les pays
de droit Ecrit qui admettaient sans difficulté la validité
d'une s~ipn lati on aux termes de laquelle les objets réservés auraient appartenu au donataire. dans le cas où le
donateur serait mort sao" en avoir disposé. Dans ces pays.
en effet. les donations n'étaient point considérées comme
irrévocables par essence, mais simpl ement par nature.
IV. - Enfin. quand une 1ibéralité portait sur des
objets mobiliers, l'ordonnance décidait qu'elle n'était Yalable qu'au tant qu'ell e était accompagnée de la tradi tion
réelle ou d'un inventaire de ohjets donnés, signé des
parties et annexé à la minute de racle de donation (art.
15). C'était la consécration du ystème enseigné dans
notrn droit Coutumier par Ricard eL Ferrière. Le Code
civil a reprod uit cette di po ilion. comme les précédentes du reste, en lni fai~ant cependant subir quelques
modifications qu e nous signaleron en expliquant l'arti cle 94.8.
Toutefois, a l'exemple de ce qui avait eu lieu dans notre
.
. .
ancienne
1unspruùence.
une exce plion :'1 toutes ces 1ègles
.
·
1
·1
·
n
·
Le
donat
10ns
1
1
a,·ait été :idmi, c pou1· certarne lera es. ·
�-
11 8 -
-
faites en faveur du mariage ne pou,·aient pas être <1 ttaquées pour défaut dïrrévocabililé. « Tou tes les rèales
0
'
disa it de Boutaric, cèden t à la faveur des contrats do mariage; on pe.ut pour une eau e aussi favorab le donner
généralement tons ses biens présents et à ve nir, et le
donateur peut imposer à la ùonation qu'il fait de ses
biens présents telles conditions que bon lui semble .• ( t)
Partant de cette idée l'orcloonance déciùait :
1° Que ces donations pouYaient comprendre des biens
à venir. Lorsqu'elles portaient à la fo is sur ùes biens
présents el des biens à ren ir, le ùonataire pouva it ou
accepter les biens tels qu'ils se trouvaient au momen t du
décès du donateur· en ~e chargean t de tou tes les dettes
ex istantes à celte époque, ou au con traire s'en tenir aux
biens pré. ents en se chargea al seulem ent des del tes et
charges qui ex istaient au moment de la ùonation. (art.17 ).
2° Qu'elles pouYaient être fai tes S(I US de!\ conditions
potestatives de la part du donateur, (a rt. t 8).
J" Que le donateur pouvail imposer au donataire
l'o bliga tion de payer les dettes qu'il contracterait par la
suite et d'acquitter les légitimes des enfants (art. 18).
40
Qu'il pou\'ait se résen·er le droit de disposer de
certains objets compris dans la donation ou d'une cer taine
somme à prendre sur ce~ olJjets. Dans cc cas , s'il mourait
sans en avoir dis ·
· ou cell
po.e, ces o1)jets
e somme étaien t
compris dans la donation et appartenaien t au donata ire
(art. 18).
(1) Explicatio11 de tnrr/om1a11rc rie /7.;/,
~rt.
17 et l!i, p . l'.L
1t9 -
Tels étaient llonc à la fin ùu XVIII• siècle le sens el la
portée de la règle : Donner et retenir ne vaut. Les Coutumes et !'Ordonnance de 1731 avaien t commencé à lui
faire subir nne transformation et à lui faire perdre la
significati on qu'elle ava it eue à l'origine, en accordant une
acti on an donataire contre lf'. l donateur, -indépendamment
de toute tradi lion . Nous allons voir cette transformation
s'achever sous notre Code civil et la maxime de,·enir uniqu ement dans notre droit actuel la formule de l'irrérncabi litê des donations entre·vifs.
�DROIT CIVIL
DE LA RÈGLE DONNER ET RETENIR NE VAUT
A la différence de beaucoup de dispositions de notre
droit Coutumier qui ont aujourd 'hui complètement disparu , la règle: Donner et retenir ne vaut, a passé dans
notre Code civil. li suffirait ponr s'en convaincre de jeter
nn coup d'œil snr l'article 891~ qui contient la définition
de donations entre-vifs : • La clooation entre-îirs est un
acte par lequel le donateur e dépouille actuellement et
irré\'Ocablemen t de la cho -~ donnée en faveur du donataire qui l'accepte. n ans examiner en détail chacune des
parties de cet artich~ qui a donné lieu à beaucoup de critiques de lt part de jurisconsu ltes modernes, il est bon
de remarquer que les rédacteurs du Code exigent le dessaisi sement actuel et irrevoca&le du donateur. Quel est
le sens de ces deux mots ? En les employant, le législateur
a-t-il entendu reproduire sous une forme plus brève et
plus concise la do~1ble règle contenue dans l'article 27 4
de la Coutume de Paris ? A-t-il voulu au contraire la
modilier ? C'est la première que Lion que nou avons à
�-
i22 -
nous poser au debut de celle par lie de notre étnde. Poul'
la résoudre, il nous parait nécessaire de revenir sur
chacune des deux expl'essions donl s'est servi l'article
894 et d'en rechercher la signification et la portée.
1. Ln Do11ateur dfJil se d11po11i/le,· actuellemen t de fa
clwse d-0n11 ~e. - Dans nolre ancienne jurisprudence, avons.
nous vu. la simple convention de i onner ne transmettai t
pas la propriété. Le biens compris d:i n la donation
continuaient d'appartenir au dispo'ant jusqu 'à la trad ition
qui seule pouvait rendre le donataire propriétaire. Ces
principes ont été abandonnés de no jours. Le législateur
de f 804 a en effet formu lé dans l'article 1 138 celle
grande règle qu e les conventions sont par elles-mêmes
translatives de propriété quand elles ont pour objet des
choses certaines et déterminées. Cette disposition applicable 3 tous les contrats a été spécialement étendue aux
donations par l'article 958 : • La donation rlûment acceptée sera parfaite par le seul consentement des parties ;
la propriété des objets donnés sera transférée au donataire,
sans qu'i l soit besoin d'autre tradi tion.•
La rédaction de cet article lais e à désirer. Il esl évident d'une part qu e la donation étant un co ntr:it so lennel,
ne peut devenir parfaite qu'aut:rnt qu'elle est entourée
de tou tes les formalités indispensables à son existence.
D'autre part, l'article 958 ne parlan t d'aucune trad ition.
ces dernier mots sa118 qtt11'l SOl·l /JCSO l/1
. .
..
d Clttlre lra<l1l1o n 5011 t
évidemment de trop. Cette dernicrc partie du tex te peut
cependan t s'expliquer avec le seco urs de l'histoircl. JI est
en effet probable qu'elle a été ajoutée afin de montrer
-
123 -
qu'il n'était même pas nécessaire aujourd'hui de recourir
pour transférer la propriété à un de ces modes de tradition feinte <]U i pouvaient dans la plupart de nos Coutumes
remp lacer la traditio11 réelle. Quoi qu'il en mil, il n'est
pas difficile. malgré la formule obscure et inexacte don t il
s'est servi; de découvrir l'innovation introduite par Je législateur . La trad ilion n'est pl us es~cntielle pour la perfection de la dooation ; celle-ci devient, au contraire. dès
qu'elle est dûment offerte et dûment acceptée tout à la
fois ob liga toi re et translative de propriété.
Mais si la lrad ition n'est plus nécessaire aujourd'hui
pour faire passer la propriété des objets donnés du patrimoine du disposant dan, celui du donataire, quel est
al ors le sens de cette formule de l'article 894: Il fau t que
le donateur se dépou ille actuell ement ? En l'employant, le
législateur a seulement voulu indiquer une des di!Térences
essen tielles qui séparen t la donation entre-vifs du tes·
Lament . Dans le testament, le testateur ne se dépouille
pas d'une façon actuelle puisqu'il ne ùispose que pour
le temps où il n'existera plus; le légataire n'a qu'une
espérance, un droit en expectative, ré\'ocable par son préùécès on par le repentir du disposant et qui ne produira
son e!Tct que '5 Î le te tateur mourant Je premier persévère
jusqu'à sa mort dan la volonté de donner. La donation.
au contraire. confère an donataire dès le moment de sa
formali on. un ùroi t actu ellement exi tant dan son patrimoin e, tran missible ~t ses héritiers on ayant causes et
qui ne dépend pl11s de la volonté ùu donateur . Il n'im.
· .01·l pu1, et s'1mple· à terme
por te d.aillenrs
que ce dro1t
. .
\ . L'appos1
·1·iun l J'un terme on d'une con·
ou cond1t1onne
�124 -
dition n'empêche p;is la libéralité d'être régulière rt
valable.
Il est évident tont <l'abord qu'un terme peut être ajouté
à la donation. Une parei ll e modalit é n'a point en cfTet
pour objet de suspendre l'existence de l'obligation ; elle
ne fait qu'en retard er l'exécution ou en limiter la durée.
Elle ne fait pas ob tacle. par conséquent. à. ce qu e dès la
fo rmation du contrat le douateur ne se soit effecti vement
dépouill é et à ce qu 'un droit n'ai t eté réellement tra nsmis
au donatai re .
La donation peut également être soumise à une condition suspeosiYe pourvu que l'exécution de celte condition nè dépende pas de la volonté Ju tlonaten r . Il es t en
effet impossible de ue pas reconnaître lltJ droit au donataire même 7Jendente co11 ditiu11e en présence des ar ticles
1179 et t 180. La loi, d'ailleurs. admet ell e-même la validité des donations condi tionn elle dans les articles 900 et
944. Dire en elTet qu'une libéralité e. t null e <]Uand elle
est faite son des conditions potestati ves de la part du
donateur, n'est-ce pas a con11·ario ind iquer qu'ell e est
valable, si elle est aITectée d'une condition casuell e? Ce
serait donc une erreur de croire que la réten ti on que le
donateur fait de la chose pendant la durée du terme 011
pendente conclitione constitue une \•iolalion d n principe de
l'actualilé des dona tions. Le vœu de la loi se trouve au
c~ntrairc suffi amrnen t rempli par cela seul qu'un droit est
lue et nunc transmis au donataire sur· les objt:ts Jonn és.
li. l e Donateur doit se dépouiller irré\'Ocablemen t de la
chose don née - Cette f
. .
1
·
ormu e poilrrart egalcmen t paraîlrn
-
125 -
amphiuologiquc an premier abord. Interprétée d'une
facon rigoureuse, elle signifierait, en effel. que la donation
ntl peut pas êLre faile sous t1 11e condition quelconque, potestative ou casuelle. L'étude que nous avons consacrée dans
notre ancien droit à la maxime: Donner el retenir ne vaut.
nous indique assE-z que ce n'esl point dans ce sons qu'ell e
doit être comprise. En po ant le principe de !'irrévocabilité, la loi a simplement voulu prohiber dans les libéralités les conditions dont l'exécution dépendrait de la
senle \'Olonlé du donateu r ; mais elle o'a pa entendu
parl er ù'u ne irrévocabilité tellemen t absolue que la donation ne pu isse jamais être révoquée pour quelque cause
que ce soi t. Comme Lous les autres contrats . les donations
peuvent ètre valablement fartes sous une condition casuelle résolutoire. fi en était déjà ainsi dans notre ancien
droit : u C:i. 1· qu oy qu'il soit, disait Ricarù, de la natu re
des donalion: en tre-vifs. qu'il ne soit pas au pournir du
donateur de la faire valoir, ou de la reudre sans effet,
cela n'empêche pas qu'il ne puisse pas èlre Lipulé qu'elle
sera valable, ou qu 'ell e ùemeurera ans exécution en un
certain cas. pourrn qu'il soi t défini , el <]u'il ne dépende
pas absolument Je la volonté Ju donateur ; car celle
donation qui est fai Le pour a voir on e!Tel en un cas, ne
laisse pas d'être pi\rfaite en sa di position dès l'ioslan t de
la donation , quoy que la condition ne soi t pas échue, de
sorte qu'il n'e t plus en la liberté do donateu r, de faire
que le don so it valable ou non ; mais il a sa subsisLaoce
néce saire. an cas de la cond ition; ce qui suffit pour l'essence de la donation en tre-vils, la .loy ne désirant autre
chose, sinon que la l'l"vocation ne dépenùe pas de la vo-
�l~G
lonlédu donateur. • ( 1) Le Code n'a fait su r ce point
que reproduire la doctrine de Ricard. Les articles 951
et 952 nous le prou,·ent ùe la mnnière la plus évidente.
Qu'est-ce en elJet que ce droit de retour que le donateur peut dans cerlaios cas stipu ler en sa faveur , sinon
une \'éritable condition résololoire qni affecte la libéralité qu'il a faite ?
Les explications dans lesquelles nous sommes entré
au sujet des deux mots : Actuellement et ir1·~1Jocable111ent
contenus dans l'article 8 94 nous permettent dès maintenant de déterminer d'une façon bien exacte ie sens qu'a
aardé' en IJassant dans notre Code civil, la maxime: Doat!>
ner et retenir ne ''aut. Une de ses applications a complètement disparn . La tradition des objets donnés o'est pins
exigée pour la perfection de la donation entre-vifs. Seul le
principe de !'irrévoca bilité subsiste. Nous ailons l'examiner en détail , rechercher quelles conséq uences le législateur en a tirées, voir enfin les exceptions qu'il y a apportées. Toutefois, avant d'aborder l'examen des dispositions qui doi,·ent faire le principal objet de notre étude,
il nons paraît util e de faire conoaîlre sommairement et
sans en trer dans des développemen ts qui nou s feraien t
sortir du cadre que nous nous sommés tracé quelles sont
les clauses que le législateur déclare compatibles avec la
règle : Donner et relenir ne vaut.
(1) Ricard , Des Donations, n . 10\li.
-
127 -
CIJAP ITRE
(er
Des clauses compatibles avec la maxime
Donner et retenir ne vant
Le Code indique deux clause:; qui peuvent êlre insérées
dans nne donation sans porter attei nte à la règle : Donner
et retenir ne vaut.
Ce sont :
t • La réserve de l'usufruit ùes choses données an profit du donateur ou au profit d'un tiers;
2° La sti pula tion du droit de retour.
SECTION Jre
DES DONATIONS AYEC RÉSERYE
o'usuFRU1T
D'apr·ès l'article 949 il est perm is au donateur de faire
la réserve a son profit ou de disposer au profit d'uo
autre de la jou issa nce ou do l'usufruit des biens meobl~s
ou immeubles donnés. Celte disposition nous est presentée par la loi com me n'ayant rien de contraire à la
règle: Donnr,r et retenir ne vaut. Cela est iocoo ttJstable et
~ ~e point de vue l'article 949 éLait bien in~tile dans
notre Code. • Il est bien évident , dit Marcade, que ce
· que d,c'·ous atlribuer la nuen'est pas donn er et retenir
�-
128 -
propriété de rna ferme, en me réservant l'usufruit on en
Je donnant ~ un autre. L'olijct donné. alors, ~e n'est pas
la fdrme c'est-à-dire la pleine propnété de cette ferme,
c'est seulement sa nue·propriété; or. il est clair que je
ne reti ens rien, que je ne me nonne aucun moyen de ri en
reprendre sur cet objet do11 né , sur celte nu e-pro priété,
en me conservant l'usufruit. " Cette observation est
d'autant plus juste que pre-que tou tes nos Coutnmes admettaient déjà la ralidité d'une donation avec réserve
d'usufruit. Il n'était donc pas nécessaire, ainsi que semble le prétendre M. Demolombe, que le Corle s'ex pliquât su r ce point qui ne pouvait faire de nos jours aucune difficullé, étant donnés d'ailleurs les principes posés
par les articles 1'158 et 958.
L'usufruit que la donateur a le droit de se réser ver ùu
doot il peut disposer au profit d'une autre perso nne es t
en principe soumis aux règles qui· régissent le droil
d'usufruit en général. Remarquons, cependant, que l'artir,Je 60 1 dispense le donateur de l'obliga tion de donner
caution. Cette dérogation. du reste, n'est introdui te qu'en
faveur de ce dernier et ne saurait par conséquent , à
moins d'une stipulation ex presse co ntenue dans l'acte,
être étendue aux tiers au profit desqu~ls la réserve d'usufru it autorisée par la loi aurai t été sti pulée.
Toutefois, il n'est pas défendu au donatem de se réserver un usufruit pins étendu que celui de la loi. Ce droit
lui est au contraire reconnu par le législateur , ainsi que
cela résulte des travaux préparatoires (Locré, tome IV p.
125). C'est ce qu'a décidé tout récemment encore la
chambre des requêtes par un arrêt du 11 février 1878
-
129 -
dans une 0)7.pèce où le donateur usufrnitier a\'ait sti ulé
le droit de gérer, d'administrer et d'exploiter les ~ens
donnés, de faire tous baux , toutes coupes de bois même
de futaie, toutes additions, réparations, changements et
modifications. en un mot de jouir comme pourrait le faire
le propriétaire lui-même. Ell e À reconnu que, malgré les
pouvoirs si étendus que s'était réservés Pusufruitier le
1
donataire avait cependant un droit certain , actuel et irrévocable, ce qui suffisait, d'après l'article 894, pour valider
la libéralité qui lui avait été fai te.
L'article 9 50 s'occupe pl us spécialement dn cas où la
donation a pour objet des eITets mobiliers et tranche les
diverses difficultés qui pourraient s'élever à l'expiration
de l'usllfruit entre le donateur ou ses héritiers d'une part
et le donataire de l'autre . " Lorsque la donation d'effets
mobil iers. dit-il, aura été faite avec réserve d'usufrui t
le donataire sera tenu. à l'expiration de l'usufruit, de pren-'
dre les effets donnés qui se t.rouveront en nature, dans
l'état où ils seront ; et il aura action contre le donateur
on ses héritiers, pour raison de- objets non existants
jusqu'à concurrence de la valeur qui leur aura èté donnée
dans l'état estimatif. »La première partie de ce texte. celle
qui prévoit l'hypothèse ou les objets donnés se retrouvent
en nature à l'expiration de l'usufruit n'est qu'une application des principes posés par la loi en matière d'usufruit.
En est-il de même de la seconde ? En d'autres termes le
donateur ou ses héritiers seront-ils dans tous les cas tenus
de payer la valeur qu 'avaient les objets donnés au moment de la donation , quaod ils ne pourront pa les représen ter en nature, ou an contraire pourront-ils s'af-
�-
150
franchir de cetle obligation en prouvant qn'ils on t péri
par cas fortuit on force majenre? C'est sans hésiter le
dernier terme de celle alLernative qu'il faut adopter. Sans
doute la formule de l'article 9 ~O est générale et absolue,
mais la règle que contien t ce te1 te est ùéja bien assez rigoureuse par elle-même sa ns venir encore en ~u ~me~ter
la rigueur. Rien dn reste dans la loi ne sa urait JUSt1fier
une pareille sévéri té. L'obligation de restituer est éteinte
par la perte fortnite de la chose (ar t. 1502). Pourquoi en
serait-il différemmen t ici et pour quelles ra isons le législateur se serait-il écarté en celle ma tière des principes
généraux qu'i l a au con traire consacrés dans la première
partie du tex te. fi fau t donc, à nù tre avis. sous-entendre
dans l'article 9 50 ces mots : Sans préjudice des cas fortuit1
qui seraient pro11vés 7>ar le donateur ou. ses hP.riliers .
SECTION II
DO DROIT DE RETOUR CONVENTIONNEL
Le donateur peut se résen·er le droit de reprendre les
objets donnés en cas de prédécès, so it du donataire seul
c'est-à-d ire ne laissant pas de descendan ts, soit du Jonataire
lors même qu'il laisserait des descendants, soi t du donataire et de ses descendan ts. Ce droi t, appelé droit de retuitr
conventionnel par oppüsition au droit de retour légal établi
par lf's articles55 1, 552 , 74.7 et 7G6, n'est pascon trai r~
aa principe de l'irrérncabil ilé puisqu e l'évènement qu 1
-
1;>1 -
amène la révocation de la donation est complètement indépendant <Je la volonté du donateur.
Il s'est élevé en pra ti que de nombreuses di fficul lés au
sujet de l'interpréta tion des différen tes clauses de retour.
Nous n'avons point à les examioer en détail . Bornons-nous
seulement à indiquer les solutions qui ont été données sur
les poin ts principaux. Quand Je droit de retour a été réservé pour le cas de préclécès du donataire, on décide généralement en se fondant sur l'intention présumée du disposant que cc droit s'ouvrira, même si celui-ci laisse des descendants. C'est également par une interprétation ele la volonté
Liu donateur qu e l'on admet que le prédécès du donataire
suffira pour donner ouverture au droit du donateur, quand
celui-ci aura stipu lé le retour à son profit sans rien ajouter
de plus. Enfin , lorsque le reto ur a été stipulé pour le cas
de prédécès du donataire sans enfants, le prédécès du donataire avec enfants éteint immédiatement ce droit qui ne
revinait point même si ces enfants venaient à mourir
avant le donateu r. fi eo serait ainsi d'ailleurs soit que
ces enfan ts aient ac.cepté la succession du donataire, s0it
même qu 'ils y aient renoncé.
Dans l'hypothèse où le droit de retour est stipulé pour le
cas de prédécès du donataire et de ses descendants, ce droit
ne s'ouvrira qu'a la mort du dernier des enfants ou des
descendants du donataire. Nous estimons même, suivant
en cela l'opinion qui parait avoir prévalu, que l'existence
d'un enfant natu rel reconnu ou adopté avant l'époque de
la donation, pourvu qu e le donateur fût à ce moment-là
instruit du fait de la reconnaissance ou de l'adoption ferait
1
obstacle à l'ouverture du droit de retour. A plus forte rai-
�-
t:52 -
son. l'enfant naturel dn donataire légitimé même après la
donation empêcherait ce droit ùe s'oll\'rir. l'ar ticle, 553 déclarant que les enfant · légitimés doivent avoir les mêmes
droits que les enfants légitimes.
Plus sévère qne notre ancien droit. le législateur du Code
civil déclare que le retour conventionnel ne pourra être
stipulé qu'au profit du donateur seu l. Si. malgré la prohibition de la loi, il étai t stipulé au profil de toute autre personne. soit au profit du donateur et de ses héritiers. soit a11
profit d'un tiers quelconque, il constilnerait alor:; ou une
clause illicite qui serait considérée comme non écrite en
rnrtu de l'article 9OO, ou une sn bstilu tion fideicommissaire
qui annulerait la disposition tont entière (art. 8%).
Il n'a lieu que lorsqu'il a été ex pressément stipu lé. Il
constitue. en e!Tet, une exception aux principes généraux et
un droit exorbi tant accordé au donateur . On ne doit par
conséquent pas le présumer et on ne pourrait l'induire de
conjectures plus 011 moins incertaines. C'est ainsi par exemple. qu'une donation en avancement d'hoirie ne peut pas, il
moins qu'il n'y ait dans l'acte cle libéralité une clause ex presse à cet égard, être réputée faite sous la réserrn du
droit de retour.
Le donateur peut renoncer au bénéfice do droit de retour, même avant qne celui-ci ne soit ouver t. Sa renonciation peu l être, du reste, expresse ou tacite; elle peut résu lter notamment de son concours a la Yente que fait Je donataire des biens donnés.
L'elJet da droit de retour , dit l'article 9ti~ , "est de résoud re toutes les aliénations des biens don nés et de fai re
revenir ces biens au donateur francs et quittes de tou tes
-
155 -
charges et hypothèques, sauf néanmoins l'hypothèque de la
dot et des conven tions matrimoniales, si les autres biens de
l'époux donataire ne suffisent pas, et dans le cas seulement
où la donation \ni aura été faite par le même contrat de mariage duquel résultent ces droits et bypotheques. • C'est là.,
on le voi t, l'effet rétroactif attaché a tou te condition résol u.
toire. La condition venant ase réaliser, les choses sont remises au même état qu'auparavant ; le droit résolu est censé
n'avoir jamais existé; tous les actes faits par le propriétaire
sous condition résolutoire sont anéan tis comme faits par une
personn e qui est répu tée n'avoir jamais été propriétaire.
sauf les actes d'administration qui ne sont pas atteints par
l'eITet rétroactif de la condi Lion.
Le donateur au profit duquel le droit de retour se sera
ouvert pourra avoir une double action pour réclamer et reprendre les objets donnés. Il anra une action personnelle
contre les héritiers du donataire ou de ses descendants et
une acti on réelle en revendication contre les tiers détenteurs . Ces deux actions se prescriront par nn délai de trente
ans qui courra pour la première du jour de l'ouverture
du droit de retour, pour l'autre du jour où les tiers seront
entrés en possession. Tou tefois, ces derniers pourront se
prévaloir de la prescription de dix à. vingt ans quand ils
possèderon t de bonne foi et en vertu d'un juste titre; ils
pourront même, s'il s'agit de meubles, s'abriter derrière la
règle : En (ait de mwbles possession vaut titre, pou nu
qu' ils se trouvent dans les conditions exigées par les articles 1141 et 2279.
La loi, faisant en faveur de la femme mariée une exception aux principes du Jroit commun su r l'effet des condi-
�r
-
154 -
tions résolutoires, décide qne les immeu bles donnés à son
mari par contrat de mariage demeureront afieclés à son
hypothèque légale quant à la dot et aux conventions matrimoniales en cas d'insuffisance des bi ens ùu mari. Cetlo
dérogation repose su r l'interprétation qu e le législateur fait
de la volonté du donateur. Il suppose que celni-ci ayant
fait une donation en faveur du mariage a vou:u que les biens
donnés garan tissent les droits et reprises de la femme résu].
tant de son contrat de mariage, si les biens du mari ne
suffisent pas pour cela. Rien ne s'oppose, tou tefois, à ce
que le disposant stipule le contraire et déclare. qu'en cas
de retou r, les immeubles don nés lui reviend ront francs et
quilles de toutes hypothèq ues. mème de celle de la fem me.
On doit également se ga rder d'éte11dre celle exception
an delà des limites qui 1ui sont assignées par la loi. La
femme n'aura donc aucune hypothèque pour la garan ti e des
créances qu'elle a acqu ises contre son mari pendant le mariage. De même. dans le cas d'une donalion mobilière, elle
ne pourra se prévaloir à l'encontre du donateur d'aucun
droit de préférence sur les meubles doun és. D'ailleurs, pour
que l'article 952 soit applicable, il fa ut : 1• que la donation
ait élé faite dar1s le contrat de mariage du donataire; 20 que
la femme ait par le même contrat constitué ooe dot ou sti·
pulé de son m:.ri certains avantages ; ;Jo qu e la restitution
de la dot et le paiem ent des aran tages sti pu lés soient insuffisammen t garantis par les biens pel'sonnels do mari. et que
celte insuffisance ne prov ienne p:is d'uu fait Je Ja femme.
c~mme par exemple de sa renonciation à son hypothèq ue
legale eo faveur <l'on rn~ancie r do mari
-
155 -
CHAPITRE li
Des clauses incompatibles avec la maxime
Donner et retenir ne vant
Nous avons vu par les explications qui précèdent que
les rédacteurs du Code avaient entendu maintenir , sans
cependant oser la formuler en termes formels, la maxime :
Donner et retenir ne vaut. Ils en ont fait plusieurs applications dans les articles 945. 944 , 945 , 946 et 948,
qu 'il nou s faut maintenant étudier. L'ordre des textes
nous amènerait à parler d"abord de l'article 943. Nous
croyons cependant préférable d'expliqner en premier lieu
l'article 94!.i., qu i n'e:>t que le développement de l'ancienn e
règle coutumière. Il nous paraît bon de bien faire connaitre
Je principe, avant de rechercher quelles conséquences le
législateur en a tirées.
SECTION I
DES DONATIONS FAITES SOUS DES CONDITIONS POTESTATIVES
DE
LA
P.~R'f
DU DO:'\ATEUR.
L'arti cle 944. est ainsi conçu : «Toute donation entrevifs. faite sous des conditions dont l'exécution dépend de la
seule volonté du donateur, sera n111le. •
Les conditions qui peuven t affecter une obligation sont
ou casuelles ou mixtes ou potestatives. La condition cam elle (art. 1169) est celle qui dépend du hasard et qui
�..
-
t56 -
n'est nullement au pouvoir de l'une des parties: ce qui
comprend évidemment celle qui dépendrait ùe la Yolonté
d'un tiers. La condition mixle (art. 1171) est celle qui
dépend tout à la fois de la volonté d'une rles parties et do
la volonté d'un tiers. La coadition polestative (art. 1170)
est celle qui fait dépendre l'exécution Je la conven tion
d'un évènement qu'il est au pouvoir ùe l' une des parties
contractantes de faire arriver ou d'empêcher.
Toutefois, la doctrine et la jurisprudence, d'accord en
cela avec les véritables principes ùu droit, ont toujours
distingué deux sortes de conditions potestatives : les
conditions purement potestatives (art. 117 4) et les
conditions simplement potestatives (art. 1170 ). Les
conditions pmwient potestatives son t celles qui consistent dans une simple manifestation de volonté (si voltœro), on dans un acte malériel si facile a accomplir
qu'en réalité il se rédllit à un simple acte de volonté (si j e
lève le bras, etc.). Les conditions simplement potestatives,
au contraire, dépendent tout à la fois de la rnlonté de l'une
des parties et du hasard. Telle est. par exemple, cette
condition : Je vous promels dix ndllc fran cs. si j e me
rends adjudicataire de lcl bien qui est mis en vente. Il es t
certain qu'une pareille cond ition est potestative, en ce sen
qu'il dépend de moi de mo porter ou non adjudicataire.
Mais elle dépend également dans une certaine mesure du
hasard ; mille circonstances peuvent , en effet, influ er sur
ma volonté et m'empêcher de me renùre acqu éreur.
Les condi tions simplement potestati ves ne vicient pas les
contrats à titre onéreux. Il n'en est pas de même pour les
conditions pu remen t polestati vos. L'existence de l'obligation étant alors suhorùonnée en tièrement à la volonté de
-
137 -
l'une des parties, il est certain qu'aucun lien <le droi t ne peut
se former. et qu'aucune obligation ne peut prendre naissance.
Nu.lia promissio potest consislere quœ ex volu11tate 7n·omitte11tis statumi cavit. (L. 108. de verb . Oblig.)
Doit-on appliquer aux donations les mêmes principes.
et faut-il décider qu'une libéralité ne sera nulle qDe lorsqu'elle sera faite sous un e condi tion purement potestalive
de la part du donateur ? Qaelques auteurs l'ont soulenu ( 1) .
Ils se fondent d'abord sur les termes mêmes de l'arti cle 944 qui prohibe les conditions dont l'exécution dépend de la seule volonté du donateur, et ensuite sur ce que
rien ne justifierai t sur ce poi nt une différence entre les
contrats ordinaires et les dispositions à titre gratuit.
Qu'une pareille différence n'ait pas de fondement rationnel !
C'est possible, nous n'avons pas à le reehercher. Mais cependant elle exi te, il est impossible de la nier. L'article 944 reproduit , en effet. tex tuellement l'article 16 de
l'ordonnance de 175 1, ainsi conçu : " Cette disposition (la
nullité de la donation) sera observée généralement à l'égard
de toutes les donations fait es sous des con di lions dont
l'exé~ulion dépenù de la seule volonté du donateur. • Or,
cet article était interprété en ce sens par Pothier que
toute clause qui laissait au donateur le pouvoir de détrnire ou d'altérer l'effet de sa donation la rendai t nulle ( l ).•
Ricard et Ferrière étaient tout aus i formels que Potbier el
prohibaient, comme lui , Lou le condition qui laissait dirçclement ou indirectement le sort de la donation entre les
mains du donateur . Il est donc certain que Je Code, ayant
consacré une disposition ùc notre ancien ùroit. a entendu
t!
( I l Vozeillc (orl. 9~4. n• 1); Coin- Delisle (ort. 91'>. 11° 1) .
( l) fntrod11ct1on au litre XI' dr la Coulttmr d' Orlêans, no 18.
�-
11
158
lui laisser la signification que lui atlrihuaient tous nos
''ieux auteurs. On pent également apporter à l'appui de
ce système d'autres arguments qui ne nous semblen t pas
sans ''aleur . Si l'article 944 ne prohibait que les condi tions
qui font dépendre la donation do caprice ou de la volonté
du donateur , il ne compor terait aucune exception, car la
règle qu'il consacrerait tiendrait tellement à l'es$ence même
des conventions qu'ell e ne sera it sust:eptible d'aucune dérogation 011 modification, et cependant l'article 94 7 déclare
l'article 94~ inapplicable anx donations entre époux et à
celles faites aux futu rs conjoints pa1· leurcontratde mariage.
D'ailleurs , l'article 1086, qui développe l'exception annoncée par l'article 947 , vient corriger ce qu'a. de défectueux la formule do l'article 911-4. JI parle, en effet, seulement des conditions do!lt l'ex écution dépend de la vo l ont~
dll donalenr. Enfin, ce serait rendre la disposition de l'article 944 presque inutile et illusoire que d'en restreindre
la portée, comme le fon t les partisans de l'opin ion adverse,
car il est bien difficile d'imaginer des conditions qui ne
dépendent absolument que de la volonté dn donateur, et
sur l'accomplissement desquelles le hasard ne puisse exercer aucune influence.
li faut dooc décider que le disposant ne peut. à peine de
nullité, subordonner la libéralité qu'i l fait à une condition, suspensive ou résolutoire, positi ve ou négative. qui
lui laisserait le pouvoir do la révoq uer. Mais il ne faudrait pas étendre au delà le champ d'a pplication de la
règle posée par le législateur et soutenir, ainsi que le fait
M. Laurent (tomè XII , n° 409 J. qu'elle prohi be également les cond iti ons mixtes, c'est-à·d ire cell es qui dépen-
-
159 -
dent tout à la fois de la volonté du donateur et de celle
d'un tiers ou du donatairn . Ce serait exagérer, à notre
avis, la portée de la maxime : Donner el retenir ne vaut.
« Une dona ti on ne serait pas moins valable, disait de
Boularic, pour avoir été faite sous des conditions casuelles
ou mixtes ( 1). » n eproduisant certainement la même doctrine. le Code ne défend que les donations faites sous des
conditions dont l'exécution dépend de la seule volonté du
donateur , mon trant par là qu 'il permet la condition qui.
en dépendan t aus i de la volonté d'un tiers, ne dépend pas
év idemment de la seul e volonté du disposant. Dans une
condition mixte. d'ailleurs, la liberté de celui-ci est gênée
et entravée dans son exe rcice. Il n'est pl us en son ~eul
pouvoir de donner elîet à la libéralité ou de l'anéantir. Cela
suffit pour qu e Je vœu de la loi soit rempli et Je print.:ipe
de !'irrévocabi lité sauvegardé . (Demolombe , tome xx .
n• 4 20 ; Labbe, Revue critique 188 2, page 5 50 ; Î l'O·
plong. des Donat., t. 111 . n• 1 ~ 11 ).
En résumé, la donation peut être faite sous une condition mixte ou casuelle; elle ne peut pas être faite sous
une condition potestative. Telle est la règle qui se dégage
de l'article 91,.1~ . Examinons maintenant quelques difficultés que la pratique a pu avoir à résoud re.
li faudra it en vertu de l'article 944. annuler une do'
na tion faite sous cette conditi on : Si je vais à tel endroit .
Sans doute, il peut survenir certains évènements. certai nes circonstances qui peuvent m'empêcher de réaliser
mon voyage, mais i! n'est pas moins vrai qu'une pareille
condi tion est potestative dans Io sen que la loi attache à
(1) Expli ca tion de l'ordonnance de lï31, erl.16 , p. H .
�-
·-
1k0 -
co mot. Il faudrait en dire autant de celte condition : Si
j'embrasse telle profession, si j'entre dans telw carriè1'e.
Ricard (n" 1038) nous rapporte que, dans notre ancienne
jurisprudence. nn arrêt du 5 septembl'e t 702 avait déclaré nulle une donation faite sous une condition semblable. C'est également ce qn'il faudrait décider encore sous
l'empire du Code civil. qui n'a fait que suivre sur ce
point la théorie de nos anciens auteurs.
La donation, qui est subordonnée à celte condition
suspensive: Si je me marie. est-elle nulle? La doctrin e
tout entière répond d'une façon affirm ative à cette question ( t). Pour soutenir le co ntraire, on pourrait dire cependant que le co nwurs rles volontés des deux époux
étant nécessaire pour la célébration du mariage. le donateur n'est pas entièrement le maître de faire arriver on
défaillir la condition, qui rentre par conséquent dans la
catégorie des conditions mixtes . Mais il ne faudrait pas
s'arrêter à une pareille objection. Il suffit, en elTet , pour
que la condition se réalise, que le donateur épouse une
personne quelconque de celles avec lesquelles la loi lui
permet de se marier. On doit reconnaître. par conséqu ent,
que Je mariage dépend de son uniq ne volonté. S'il n'épouse
pas l'une, il épousera l'autre, et il pourra toujours, en
contractant une union qu i n'est en rapport ni avec sa situa tion de famille, ni avec sa situation de for tu ne, en faisan t
en un mot ce qu'on appelle communémen t un mariage de
fantaisie, trouver le moyen de fa ire évanouir et de détruire sa libéralité (2).
( 1) Voir ceponctant Toullier (tome
11 1.
no• '17'2, '!73) .
en ~st de mCm e.<:videm111cnl cle la condition suspensive mais
n<:gal1ve : S11e 11e me mane pas. Une pa reille condition rendrait cerla1 neroeot nulle la llbéralil(:.
(t) .li
14t --
Il résulle. an contraire, de ces motifs que la condition
suspensive: Si j'épouse telle 71c1·so1ine déterminée , ne vicierait pas une donation. Le Jisposaot n'est pas libre de se
marier d'un e façon qu elconque ; il doit épouser la personne désignée dans l'acte de donation. La volonté de
celle-ci est absolument nécessaire pour que la condition
se réalise, et elle peut, en résistant, en refusant d'accepter
le donateur pour époux. empêcher le mariage de s'accomplir. La nullité édictée par l'article 944 ne s:rnrait donc
être encourue. En vain, dira-t-on. que si deux volontés
sont nécessaires pour que le mariage pu isse être célébré,
un e seule suffit pour faire obstacle à son accomplissement,
r.t que, par conséquent, la donation est eotièremen t révo vocable au gré du donateur. Cette manière de mir élargi rait d'une faço n considérable le cercie d'application de
l'article 944 . puisqu'elle aurait pour résullat d'y introdui re toutes les conditions mixtes positives, mais elle est
contraire au tex te de la loi, ain i que le fait fort judicieusemen t remarquer le savant profes eur de la, facult6
de Paris, M. Labbé. La loi an nulle les donations faite
sous une cond ition, dont l'e..cécution dépend de la seule volonté du donateu r. Ce ne serait pas l'observer que de traduire ainsi celle di position. Est nulle toute condition don t
l' inexécution dépend de la seule volonté du donateur ( 1).
La jurisprudence s'était d'abord prononcée en sens contraire. La cour d'Orléans, par un arrêt du 17 Jan, ier
1846, (Sir. '1846 , 2, 177.) avait déclaré nulle une libé(1) Quant à Io donation rnil<' ~ous celte condition résolutoire : Si
j'épouse telle porson11c clcten11inie, elle est ' 'alable d'après tous les auteurs, car hien 6v iclemmenl sa rë,·ocalion no Jépeod pas de la seule volo11t.! rln disposunl.
�-
142 -
ralilé faite par une personne au x enfants que son futur
conjoint avait bUS d'un précédent mariage. avec cel le
clause que c'était en vue de son mariage el à sa seule
considération qu'elle faisait cette libéralité. Elle s'était fondée sur ce motif qu'il était an rouvoir du donateur de
faire arriver la condition ou de l'empêcher rle se réaliser.
C'était évidemment là interpréter d'une façon beaucoup
trop rigoureuse la di position de l'article 944. Aussi la
cour de Cassltion devant laquelle nne espèce absolument
analogue vient de se présenter tout récemment n'a-t -elle
pas hésité à con acrer une soluti on tout à fait opposée (1).
• Attendu , dit-elle. que les expressions employées dans
l'article 944 visent sans aucun doute la condition potes tative et excluent non moins certainement la condition casuelle ; mais qu'elles excluent également la condition mixte. - Qu'une donation comme celle de l'espèce actuelle
faite dans un contrat de mariage par la future épouse aux:
enfants du futur éroux , el'L ala vérité consentie sous la
condition tacite que le mariage projeté s'accomplira ; mais
que cette cond ilton n'est pas de nature à vicier lad ite donation. puisque l'exécution , quoique dépendant en partie
de la donatri ce, ne dépendait pas moins de !a vol onté du
futur étranger à ladite Jonation, etc. »
La cour suprême a eu également à. statuer, il y a peu de
temps, sur une espèce fort curieuse et qui mérite d'être
rapportée. Une personne avait fait don à une autre personne de certaines indemnités à provenir d'une expropriation pour cause d'utilité publique, mais par une contre-let( 1) Cass. civ. 30 ao11t 1880. D. 18110, 1, 4G4.
-
145 -
tre elle avait déclaré que le montant de ces indemnités lui
appartiendrait s'il ét<iit fixé avant son décès et que ce
ne serait que dans le cas contraire qu'il deviend rai t la
propriété du donataire. Cette libéralité fut allaqu ée
pour violation de l'article 944. !I résultait, disait-on ,
des termes de la con tre-lettre qu 'une liquidation am iable avait aussi pour e[et d'attribuer au donateur Je
bénèfice de la créance . Celui-ci pouvait donc en acceptant les o!Tres dérisoires qui lui étaient faites et en traitant à vil prix avec la compagnie expropriante s'emparer
des indemnités. <.::e raisonnement ne fut pas pris en considération par la Chambre des Requêtes ( 1 1 févri er 187 8,
O. 78 , 1, 577 ,) qui , avec juste raison suivant nous.
maintint la donation comme faite sous une condirion mixte. Il est é\'ident qu'il ue dépendait pas de la seule volonté
du donateur que le chiffre des indemnités fût fixé à telle
ou telle époque, mais que cela dépendait tout à la fois
de la volonté de !'exproprié et de celle de l'expropriant. On aura it même pu. a notre avis, aller plus loin
encore et décider que la donation était faite sous une condition casuelle. Quel était , en eiTet, l'évènement qui
tenait en suspens son existence ? C'était la mort du donateur, c'est-à-dire un fait dépendant uniquement du hasard.
SECTION II
DES lJONATIONS DE BIEN
A VENIR
La première application que fait le Code du principe
tle !'irrévocabilité formulé dans l'article 944 se trouve
�-
-
144 -
contenue dans l'article 9/i-5 : « La donation entre-vi fs ne
pourra comprendre que les biens présents du donateur ;
si elle comprend des biens a venir, elle sera nulle à cet
égard. Le motif qu i a inspiré cette disposition est le même
que 1~elui qtre donnait déji1 Auroux. des Pommiers pour
justifier dans notre ancienne jurisprudence la prohibition
des donations de biens à venir. « La raison est, qu'à
l'égard des biens à venir. Je donateur ayant la li berté d'acquérir ou de ne pas acquérir. et, ayant acquis. dP, vendre
ou autrement consommer en dettes les acquisitions qu'il a
faites il est libre de rendre la donati on entièrement inu'
tile : ce qui est absolument opposé aux principes des donations entre-vifs qui doivent être irrévocables et composées de choses certaines ( 1). » A cette raison, pos anciens
au teurs en ajoutaient généralement une au tre tirée àe ce
que. par rapport aux biens à Yenir. la tradition de fa it exigée par nos Coutu mes était impossible. Mais ce motif ne
peut plus étre invoqué sous le Code civi l qui a supprimé la
nécessilé de la tradition et déclare les donations parfaites
dès qu'elles sont acceptée3 par le donataire.
L'article 945 contient deux règles bien distinctes qu e
nous allons pour plus de clarté étudier séparément :
f Le donateur ne peut donner que ses biens présents ;
les donations de biens à venir so nt prohibées.
0
(1) Sur la Coutume tl u Dourbonnais, arl. 210.
1/i.5 -
20 Quand une donation conLient tout à la fois des biens
présents et des biens à venir , elle est valable en ce qui concerne les biens présents , nulle a l'égard des biens à venir.
Que faut-il entendre par biens présents et par biens
à venir? L'article 945 ne répond pa.sà. cette question et oe
nous fourn it aucun élément pour la réso udre. Il est donc
nécessaire de recourir à la tradition pour déterminer le
sens de ces ùeux expressions employées par le législateur .
L'article 1 5 de !'Ordonnance de 1751 dont les rédacteurs
du Code ont certainement entendu reproduire les dispositions décidait que la donation ne pouvait comprendre que
1. -
les biens qiti appa7·tenaùmt au donate.nr lors de la donation . Et Furgole expliquait ainsi cette formule : u Pour ne
pas équivoqD er sur ce qui peut être considéré comme biens
0 11 comme biens présents. il faut user d'une disti r.ction qui , quoique subtile. est néanmoins très-vraie.
Lorsque les biens oe sont pas au pouvoir du donateur, et
qu'il n'a aucun droit , ni ancune action pure ou conditionnelle pour les prétendre ou les espérer, c'est le véritable
cas des biens à. venir, dont on ne peut faire des donations,
hors du contraLde mariage. Que s'il s'agit d'un droit acquis
au donateur , ou d'une action qui lui compète, ou qui
pourra lui compéter dans l'évènement de qi;elque condition, qui puisse avoir un effet rétroactif au jour de l'acte,
qui établit le droit ou !'.action, ce n'est point un bien à
venir ; et la donation, qui comprendrait une telle action
ou un tel droit, ne serait pas nnlle, comme faite d'un bien
à venir ; elle serait ù'un bien présent, c'est-à-d ire du droit
ou de l'action (1) . " li résulte de là., par conséquent , qu'il
à venir
( 1) Comme11ta i l'e cte l' Ordon1111nce de 173 J. article 15.
�-
146 -
faut consiùérer comme biens présent ' tons les objets. toutes les \'aleurs sut· le quelles lü donateur peut confêrer immédiatement nn droit cer tain . Il n'est pas nécessaire qne
ce objets soient actu ellement dam' son patrimoin e. qu'il
les ait en sa possession . qu 'ils ex istent même. Il suffit qu 'il
puisse transférer et qn'il transfère réellement sur eux un
droit quelconque pur et simple, à terme ou cond itionnel.
qu'il ne soit plus en rnn pouvoir d'anéan tir par la suite.
Par application àe ces principes , il faudrait annul er une
donation ainsi conçue : Je vous donne Lei objet que je me
propose d'acheter ou que l'on compte me donner, car je
pourrais très bien en refusant d'acheter. on en n'acceptant
pas la libéralité qu i m'est offertt.l , faire é"anouir tous les
droi ts de mon donataire et emp~ch e r ma donati on de sortir
à effet.
La donation qui purterait sur l'ensemble ùes biens
qu' une personne doit recueil lir dans une succession seraitell e valable ~ Cette question doit a notre avis être résolu e
par une distinction. Si la succe.sion n'est pas encorn ouverte, la donation est nulle en vertu de l'a rticle 11 50 qu i
prohibe Lous pactes sur ucœssion , futures. Si, au contraire, nous supposons le de cujus décédé el le donateur
saisi, la donation est valaul e pui sque Loute al iénation qu e
fai t no héri tier de ses droits success ifs emporte de sa part
acceptation tacite de l'hér~ù i lé qu i lui est déférée (art. 780).
Il en serait au lrem1rnt si la donation au lieu de porter
sur l'ensembl e des biens qui composent une succession,
portail sur 11n oujet détermi né co n1pris dans cette succession. La li béralité serait alo rs nulle. car le donateur con-
-
147 -
serverait toujonrs la facul té ùc renoncer et pourrait même
en acceptant s'arranger èe façon à ce qne l'objet donn é fût
compris dans le lot de ses cnhériLiers. JI faudrait enfin également annDler la donation qu 'une femme ferait de sa part
dans la communauté ; la facn lté de renonciati on que lui
accorde la loi lui permettrait en effet toujours de revenir
sur la libéralité qu'elle a faite.
A l'inverse. quand une personne déclare donner les
fruits à naître telle ann ée d'un champ dont ell e est actuellement propriétaire ou les bénéfices à retirer d'une société
dans laquelle elleesl déjà. entrée el don telle n'est pas libre de
e retirer quand bon lui semblera, ell e se trouve irrévocablement liée et la ùouation qu'elle vient de faire est parfaite•
ment valable. San. doute il pourra se faire que par suite
de circonstances fortu ites et accidentelles son champ
ne porte au cun fru it, qn e les opérations de la société ne
produisent aucun bénéfice, se soldent même par un dêficit.
Mais il n'est pas moins vrai que la libéralité est un e véritable donation de biens présents ; car, ca qui est donné,
ce ne sont pas les fruit 011 le bénéfices", r,'est le droit à ces
fruits on aces bénéflces c'e ·t-à.-dire un droit actuel que le
disposant ne peut plus enlever au donataire et qui permettra même à celui-ci de réclamer ùe dommages-intérêts . i
c'est par son fait ou par sa faute qnc le donateur ne pent
pas remplir ses obligations.
.
C'est en se fondant sur des motifs analogues que la JUrisprudence a validé la donation par laquelle le donateur,
toul en se réservant l'usufruit de l'objet donné. attribuait au
donataire les fermages perç.u pendant l'année de son décès
�-
14.S -
(Req. 14 rrorèal. an XI) oil les fruits recueillis dans le cours
de 1:1. ruêmean11éc (Req. "!.7 janrier 18 19).
Il . - - La seconde partiedo l'article 911-3 décide. avons-nous
cléjà Vil , que lorsq ue nno même donati on comprendra à la
fois de biens présents et des biens à ven ir, elle sera nulle
seu lement en ce qui concerne les biens aven ir. mais recevra,
au contraire. son exécution quant aux biens présenls. L'ordonnance de 175 1 avaitadopté une solution toute dillérente.
Consacrant l'opinion enseignéP par Ou\'a l dans no tre droit
Coutumier. elle prononçait la nullité com pl ète de la dona tion même en ce qui concerne les Liens pré en ls. Ses rédacteurs avaient été déterminés par cett e double considération
qu'il était contraire aux \'éritables principes de diviser un
acte qui avait été probablement nn dan ' la pensée des contractants et qu'il fallait préve nir les protès qu e pourrait
faire naître la question de savoir quelle avai t été la véri table intention dn donateur. En rejetant le système ùc l'ordon nance. le législal eur de 1 8 01~ nous p~ raît avoir été bien
inspiré. Pourquoi en effet anno ler uoe donation ùe biens
présents valable par elle-même par ce motif qu'elle es t faite
dans un acte qui contient en même temps une donation de
biens à venir ? Ne v:iot-il pas mieu x, ao contra ire, prendre
et envisager séparément chacune de3 partie.:; de la di, position et interpréter celle-ci plutôt dans le sens arec leq uel ell e
peo t aroir quelqoe elTet, que dans celni arec lequ el elle n'en
pourrait produire aucun ? (art. 11Ll7).
Toutefois, la règ!e posée par l'a rti cle 94-3 in fînc a. besoin d'être bien comprise. El le ne signilie point qu e toutes
les fois qoe l'on se trou\'Cra en prc'·~en ee d'nn e donati on
-
14~J
-
portant en même temps sur des biens présents el sur des
biens à venir, on devra n éces~a ir em ent eo prononcer la divis1on. Il est certain , au co ntraire, malgré b généralité do
texte da l'article 943 ciue. lorsqu e l' intention du donateur
cra bien éviden te, lorsqu'il sera ~ tab li qu'i l n'a donné les
biens présents qu'en vo e et en considération des biens à ''enir et que la donation a formé dans son esprit un toot indivisible. on devra annuler compl ètement la libéralité. L'article 943 n'a pas voulu poser une règle absolue; c;'est seulement un e présomption ciu'il a en tendu établir. Ceci résulte de la façon la plus formelle des paroles prononcées
par Bigot-Prèamonou dan, son Exposé des Motifs : • Il est
plus naturel cle1irésumer que le donateu r de biens prèsenls
et à venir n'a point \'intention de disposer d'une manière
indivi. ible; la donation ne sera nulle qu'à l'égard des biens
à venir. ,, ( Locré T. 5 p. 327) . Tou t se réd uit, par con·
séquent, à une question d'in te1·prétation de volonté. On pre·
sume que lb donateur n'a pas entendu lier tellemen t le sort
cl es deux libéralités qu'il a faites que la null ité de l'une doive
entraîner forcément celle de l'<\Utrt: . La donation sera donc
divisée en principe, sauf aox parties intéres:;èes à prou,·er
que telle n'était pas la rnlonté du disposant. ( La~ren t
t. Xll, n° 4 17 ; Demolombe, T. XX, 11° ~ 1 2 et SU I\'.).
L'application des principes posés pa1· l'arlide %::5 n'aurait
dû. r,e semble, soule,·er eo pratique aucune difficu lté. 1l
n'en a ri en été cependant. La doctrine et la juri. prudence
ont été pendant longtemps et sont encore de nos jour divisées sur un certai 11 nombre de points quo nous allons exa.
miner.
�-
150 -
1. D011atiou d'm1 e Somme cl'arycnt payable au Décès du
Do1ialeur. - Peut-on donner une somme d'argent ou une
quantité de choses fongibles payables dans un certain temps
el plus spécialement a la morl du donateur ? Au cun dou te
ne saurait s'élever sur la validité d'un e pareille donation,
si elle avait pour objet un corps certain, meuble ou immeo ble. Dans ce cas, le donata ire devient en elTeLpar le seul fa it
de son acceptation et de l'observation des formalités reqnises
par la loi, propriétaire de la chose donnée (a rt. 118 5); il
a un droit actuel el irrévocalJle (a rt. 894) que le donateur
ne peut plus lui enlever. Mais en es t-il de même quand la
donation a pour objet une somme d'argent ? Je vous donne
une somme de dix mille fr ancs qui ne ser:i payal>le qu'à
mon décès. Une pareille libéralité est- elle val:lble? Quatre
systèmes ont été soutenus sur cc point.
Premier Systèrne: Une première opin ion décide que la
donation est nulle dans tous les c.as. Le tex te et l'esprit de
la loi, dit-on, commanden t cette solution. l e texte de la loi:
l'article 894 exige que le donateur se dépouill e actuellement et irrévocablement de la chose donnée. Dans l'espèce,
le donateur a le pouvoir de rendre la donation inefficace en
dissipant tout son patrimoine. L'effet du contrat e,t ùonc
entièrement subordonné à sa volon té (art. 943). Son esprit: Le législateur veu t, pour éviter des donations téméraires. que le donateur supporte les conséq ueuces de J'acte
qu'il a fait et éprou"e d'une façon sensible l'appauvri ssement résultant de sa libéra lit é; or, celui qu i donne une
somme d'argent payable à son décès peut se faire illusion
sur la for tune qu'il laissera à cet te époque et ne pas com-
-- 151 --
prendre tonte la portée de J'acte qu'il Yicnt cle passer. (Demante. Revtie c1'itique, T. Ir p. 556; Championnière et Rigaud , des Droits d' Enreyistrement. tome rI n°• 1 :546
et 15!~7 .)
Les auteurs de ce !'ystème y apportent cependant un
tempéramen t qn'il est bon de fai re connaîlre. Ils en~eignent
qu'un résultat analogue à celui que l'on veut alteindre en
donnant une somme d'argent payable au décès du donateur , peut être obtenu au moyen de la donation actuelle de
cette somme avec réserve de J'usnfruit au profit du disposant.Celui-ci ne pourra alors donner, à peine de nullité,
que dans la mesure de ses hcultés actuelles (art. 943).
Nous ne saurions admettre cette opinion rigoureuse,
même aYec l'amendement qu'y apporlentses partisans. Elle
é1end beaucoup trop la portée de la règle : Donner et retenir
ne vau t, et repose sur un e confusion évidente. Ecart ons tout
d'abord l'argum en t (]Ue l'on tire de l'e$prit de la loi. il .au rait pour conséq uence d'en trainer la nullité de toutes les
donations à terme, même de cell es qui portent sur des
cor ps certains et que le législateur lient cependant pour valables. Quant. acelui tiré des tex tes de notre Code et notamment
de l'article 91•5 . il ne saurait non plus avoir une bien grande
valeor. La libéral ité n'a point en elTet pour objet les biens
dont se compose le patrimoin e du don ateur; elle consiste
en un droit de créance acq uis par le donataire. Le donateur est lié. irrévocablement lié, dès le moment de la formation du con tral. Il ne dépend pas de lni de cesser d'être
débitenr . En rli san t qu'il peut détrui re et altérer l'elTet de
sa donation en di$Sipant son patrimoin e. on confond l'exi tenœ du drnit qu'i l a créé avec son efficacité. En fait il peut
�-
15! -
-
se faire que le donataire ne retire aucun avan tage de sa
créance, mais en droit elle constitue toujours une valeur
actuelle et si stérile qu'elle puisse être en définitive. ce
n'en est pas moins un droit positif et susceptible de transmission, une charge certaine et irrévocable dont le donateur
a grevé ses biens et qui pèsera sur son hérédité.
Deuxième Système: Dans ce second gystème, on 'enseigne
que la libéralité nulle en principe deviendra cepenùan t valable dans le cas où l'exécution en era garantie par une hypothèque portant ur les biens du donateur. Cette a!Teclation hypothécaire an ra pour efTet de sauvegarder 1ï rrévocabililé de la donation ; en rendant les actes de disposition
ou d'aliéoation que pourrait faire Io douateur inefficaces à
l'eocootre du don:itairc , elle assurera ;1 ce dernier le paiement de la somme qni lui a élé donnée. A l'a ppui de cette
première considération, on iuvoque en outre la tradition.
Telle était, dit-on, dans notre ancien droit l'opi nion de Pothier qui exigeait pour la rnlidité de la uonation: u Une
clause de dessaisissemen t par laquelle le ùonateur se uessaisit envers le donataire de ses biens jusqu'à due concurrence, en les chargean t de celle uelte pour le donataire .•
Ricard rnulait également que •Les biens du donaleur soien t
affectés à la rente dès le moment où la donation a élé
faite. • ( 1) Ferrière demandait enfin qne l'acte de donation portât hypothèqu e sur les Liens que le donateur arait
lors de la donation. (2) Ce système soutenu par Grenier
(T. 1, n° 67) et Va zeille (a rt . 94,5) a été reproduit et
(!) 1'• partie,~.. 100L éL 1000.
(-) Comme11laire de la Coutume de Pari\ Tome 111 , p. 1t'l9,
""'
5 et 6.
"'
1 ~3
-
adopté par le savant professeur de la Fa~nlté de Gand,
M. Laurent qui l'a longuemeot dével0ppé dans son ouvrage
sur les Principes du Droit civil français (Tome XII , n° !~ f 9).
Nous n'hésitons pas cependant à repousser cette opinion.
11nous paraîl impossible qu'une disposition accessoire puisse
avoir pour effet de valider une disposition priacipale entachée de nullité. L'exi ten ce et la validité d'une créance ne
sauraient dépendre des sûretés qui l'accompagnent. Uoe
constitution d'hypothèque peut bien rendre un droit plus
efficace. mais elle ne le crée pas. Si la libéralité est viciée
dans son essence, les garanties destinées à en assurer l'exécutioo ne sauraient non pins ralablement exister. On insLte
pour tant et on ùil : La donation est nulle daos l'espéce parce qu'elle est contraire à la règle: Donner et retenir ne vaut.
Or. l'hypothèque en lève au donateur le droit d'aoéantir sa
libéra li té; elle écarte le vice de révocabilité dont celle-ci est
entachée, elle doit par ~onséquen t la reodre valable. Cette
réponse est loin d'être déterminaole et ne saurait détruire
la portée et la force de uotre objection. Sans don te l'hypothèque limite dans une certaine mesure le pouvoir absolu
qu'a le donatenr ~e rendre inutile sa dooatioo, mais elle ne
le supprime pas. Le disposant ne peut plus causer un préjudice à rnn donataire en contractant de nouvelles dettes el
en aliénan t les imm eubles hypothéqués, mais il peut détruire
ses biens, les détériorer de telle façon que la créaoce de celui-ci ne soit pins qu'imparfaitement garantie el ne pnisse
plus s'exercer d'une façon utile . Une aITectation hypothécaire ne suffirait donc pas ;i. rend re irrévocable la doontion
d'une somme payable au décès du donateur, j celle-ci péclrnit par le défaut d'irrévocabilité.
�-
151. -
Quanl allx anciens auleurs cilés par M. Laurent , ils
ont loin d'être au si formels que semble l'indiq Dcr le savanl pro fesseur. Leurs décisions sont en général assez
obscures. 11 esl difficile de bien dégager leur pensée, N les
formu les don l il s se servenl peurent se prêter a Jes interprétations difTérentes. C'esl ainsi qu o le même passage de
Pothier ( lntrod11clion cm tilrc xv de la Cout11me ct'Or/éa.u s)
a pu être invoqué par les partisans clc deux systèmes absolument oppo e:' (1) . D'aill eurs, Du moulin et Fnrgole
se prononçaien t d·une façon catégorique pour la va lidité
de la donalion d'une somme d'argent payable au décès du
donateur, sa n exiger que l'exécuti on de celle libéralilè
fût garantie par une affectation hypothécaire.
Un troisième système, soutenn
par Coin-Delisle (art. 945, n°• 8 à 12). mai à peu près
aband onné aojourd'hni , exige one donblc co ndilion pour
qoe la donalion soit valable. Il fa ut : 1° qne le dooaleur
possède actnellemenl la somme donnée on des biens d'une
valeur égale; 2° que les bi ens qu'il laissera en mourant
soient les mêmes que ceux qu'il avait dans son patrimoine lors de la dona lion.
TrfJisième Système . -
Cc système repose, comme le premier. sur une co nfusion que nou- arons déjà signalée. Le donateur n'a point
donné Lelles ou telles cbo es déterminées; il a donné une
om me d'argent ; il s'e t constitué débiteur vis-à-vis du
donat aire . Il n'est donc pas nèce~sa ire qu 'il ail , an momenl
de la rlooalioo, des valeurs snffisantes ponr acqu ille1·
l'obligation qu'il a crmLractéc. Il n'est pas nécessaire non
(1) Laurc11t (1. r11 . llo 409), Ocmo!ombc (l ~'· n o:!9i.).
-
15 5 -
plus que ces mêmes valeu rs se re~rouvent à son décès
dans sa succession. L'action du donataire n'est point, en
elîet, dans ce cas i::irconscrite sur les objets qui appartiennent actuellement au donateur; elle por le indistinctement
sur tous ses biens présents et à ven ir. Le patrimoine
Lout entier d'on débiteur est aITeclé à sa libération
(art. 2092) .
Quatrième Système. -- Reste enfin on quatrième sys-
tème auquel nous croyons devoir nous rall ier. Nous avons
déjà indiqué les raisons sur lesqu elles il s'appuie. en réfutant les Lrois sys tèmes précéden ts. Il ne nous reste plus,
par conséquent, qu 'à l'expo,er ommairemeot.
La donation d'une somm e d'argent payaule à Lerme et
plus spécialemenl à la mort ùo disposant est, en principe,
valable par ce molif qu'ell e donne naissance à un droit de
créance au profit dn dona taire. A la vérité, son exécntion
peu l devenir impo sibl c par suite ùe l'insolvabilité du débi teu r, mais le drniL n'en sub iste pas moins; il permet au
donatai re d'iolenter one aclion soit contre la succesjon
dn di·pos:int. soit même contre ses héritiers, s'ils n'ont
pas eu le soin d'accepter sous bénéfice d'in ventaire l"hérédité qui leur C' l déférée. C'étail ce que décirlait dans
notre ancienne jurisprudence, Dumoulin, l'or:icle du Droi t
Coutumier, comme l'appelle M. Laurent . Jn dispositione
sunt duo, clispositio et cxewtio; dispositio Vl'l'O statim ligut
nec suspemlitur, licet e.nculio lla&eat tractum cul mortem ( 1).
C'es l égalen1ent la solnlion qui découle des principes Lie
( t) Commenla1rc r/1• Ill Co11lu111r du Rourbonnai._
�156 -
notre Jroil. Esl-ce à dire • <JU'une opinion, qui est. en
harmonie a\'ec les principes. est en opposition avee la
règle de l'irrévocabililé » ( 1)~ Nous croyons avoir prouvé
le contraire dans le cours de la rlis1:ussion à laquelle nous
nous sommes li Hé. Nous ne reviendrons pas sur celte démonstration.
Ce dernier système est aujourd'hui adopté par la grande
majorité de' au teurs (Demolombe, l. xx. n··~92 elsuiv.;
Marcadé, art. 9·i3, 11; Troplong. des Do11a1ions. t. Ill ,
n• 1200; Duranlon. t. v111. n° 4:5 7 : Dalloz, Répertoire ,
Dispos . e:11lre-uif's, n•' 1;>45 et suiv. : Naquet, Droit cl'E11·
t·egistreinenl , L. 11 , n• 912) .
Il est également consacré par une jurisprudence constante (Paris, 27 décembre 1851· : Req. . 11 ùécembre 1844; Agen. 10 juin 18:>1; Tribunal de Chalellc·
rault. 25 août 1851: Cass. civ., 18 novembr8 ·1861;
Angers, 50 mai 18ï5 ; Cas.. , '19 juin '1876; Caen ,
5 mars 1879) .
Le donataire d'une somme d'argent , payable all .J écès
du donateur , est donc un réritable créancier à Lerme. De
ce principe découlent de nombreuses conséquences ;
signalons les principales.
..
A. le Donataire est 1in Créancier à Terme. - Par
conséquent : 1• il aura le droil de faire des actes conservatoires (art. t 1PO); 2° s'il a été p:iyé avant la mort du
donaleur, il ne pourra pas être contrainl de restituer ce
qu'il a reçu . en vertu de la règle de l'arLicle 1 18 6 : ce CJU i
(1) Lauren! , T. xu, n• 'ol9 .
-
157 -
a élé payé d'avance ne peut étre rëpélé ; 5° sa créance
Jeviendra exigible, si le donateur tombe en faillite ou en
déconfiture (arl. 1188); li.• 1n;1is il ne pourra pas, sui"ant
l'opinion générale du moins. exerce r les droits et actions
dn donateur et se prévaloir de l'itrlicle 1166 qui ne s'appli que qn'anx créanciers dont la créance est exigible .
-
B. le Douataire est Créancier per~onnel du Donateur.
1° li a 11n droit acluellement existant ùans so n patri-
moine : i1 le transmet à. •es héritiers; il peut en di sposer,
. le céder soit à Litr e gratuit, soit à titre onéreux; ce droit
forme le gage de es propres créanciers qui pourront,
substituant leur action à la sienne, faire tons les actes
qu'il .'.l urait pu faire lui-même (a rl. 1t66); 2• il pourra attaqner les acLes que le donateur aurait faits en !raude de
ses droils (arl. 1167), notamment les aliénali ons qu'il
anrait consen ties , et par là se trouve corrigé un des inconvén ients du syslème que nous avons adopté ; 5° à la
mort de son débiteur, il pourra se faire payer sur tous
les biens qui composent la succession , même sur ceux
acqnis postérieurement à la donation ; il aura même une
action contre les héritiers , si ceux- ci acceptent purement
et simplement la succession qui leur esL déférée ; 4° à
l'échéance du terme, il sera payé sur tous les biens du don:i.Leur par con tribution et au marc le franc avec tous ses
autres créanciers chirographaires , aussi bien avec ses
créanciers à Litre gratuit qn'a"ec ses créanciers à Lilre onéreux.
Celle dernière conséquence n'a pas été admise comme
les précédentes. La Cour de cassa tion déciùe au contr~ire
�-
'1
158 -
qo'ao cas où deux donalions de sommes d'argent payables
l'une et l'autre au ùécès du donateur ont été successivement fai tes an profit de deux perso nnes dilTérenles, si, au
décès du donateur, ses bi ens se tronven t insuffisants pour
faire face aux deux donations. il' doivent être appliqués ,
par préférence,- à. l'acquittement de la première , nlors
même que la seconde serait accompagnée d·une affectation
hypothécaire; cette aITectation n'ayan t pu avoir pour effet
d'annihiler le droit irré\'ocable du premier donataire (Cass.
Req . ï mars 1860; Journal du Palais, 1860, p, 555:
Voir également Nicias Gaillard , Revue critique . t. X\' J ,
p. 195: Aubry et Rau, t. \ ' li, §707),
La doctrine de la Cour suprême repose tout entière
sur un principe dont, à. notre avis, elle étend beaucoup
trop le champ d'application, le principe de !'irrévocabilité
des donations entre-vifs. Si les donations de sommes d'argent payables au décès du donateur ne devaient pas , dilelle. en cas d'iosufû~a nce des biens de ce dernier être
exécu tées suivant l'ordre de leurs dates , il dépendrait du
disposant de rendre illusoires les libéralités qu'il aurai t
précéàemment faites el ù'anéan tir ainsi des actes que la loi
déclare cependant irrévocables. A l'appui de cet argument
de principe, la Cour de cassa tion invoque deux arguments
de texte. Le premier e t tiré de l'article 923 qui veut que
la réduction des donations qui excèdent la quotité disponibl e s'opère en remon tant JP,s plus récen tes aux plus anciennes. «S' il est vrai de dire, dit M. Nicias-Gaillard, sous
la présidence duquel a été rend u l'arrêt du 7 mars 1860,
que cet article ne dispose, en termes exprès, que pour le
159 -
cas où il "a~i l de repren dre ce qui manque sur les libéralités fai te!' par le défuut , cette disposition n'est, en ce qui
se rapporte ;iux libéralités entre-vifs. qu'une conséq uence
de !'irrévocabilité des donations. principe qu'apparemment
on ne prétend pas renferm er dans celle un ique application .
Or, c'es t le principe qui importe beaucoup plus que les
co n sé~ u ences particu lières ( 1). • Les partisans de ce système se fondent en second lieu sur l'article 1085. An cas
d'une instituti on contractuelle. le donateur ne peut pins
disposer :i titre gr<i tu il rles biens qui on t fait l'objet de la
donation, si ce n'e L ponr des ommes mod iq ues ou à ti tre
de récompense . Et cependant, ajoute ~t. Nicias Gaillard.
• l'institution contractuell e n'e t pas absolument irrévocable, il s'en faut bien; celui qui ri'a disposé que cle cette
façoo. non seulement demeure libre d'ali éner et d'engager
ses biens à titre onérenx , mais il peut en disposer même à.
litre gratuit, du moins dans une certaine mesure. La donati on entre-rifs enlève. au co ntraire. au donateur tout pou voir
sur les biens donnés. Comment donc, des dispo itions
postérieures pon rraient-elle:; contre la donation r.ntre-v ifs
ce qn'clles ne pourra ient p'.\ ' contre l'institution contractu elle (2) . •
Quelque pu issante que parais e cette argumen tation. il
nous semble qu 'elle ne résiste pas à un examen sérieux.
D'abord, l'argument ti ré de la règle : Donner el retenir ne
vaut ne prouve rien précisémen t parce qu'il veu t trop
prouver. Si cette règle est ri olée, dans le ca où l'on admet à. concourir cotre eux deux donatai res de somme
( ll fien te en/11J11e, l.
\il Lor. cf/ .
\v1 ,
p . 190
�-
160 -
d'argent payables au décès du donatem , qu ell e doit en
être la conséquence? C'est la null iLé de la première libéralité elle-même. Le donateur oe s'est poin t, en effet, dé·
ponillé irrévocablement. puisqu'il reste le maîlre d'amoindrir l'importance de sa donation et d'en dim inu er le montant; le donataire ne saurait donc avoir aucun droit
(art. 945). Tel est le résult at auquel conduit forcément
le principe iu voqué par la Cour de cassation, et que celleci se refu se cependant à :idmellre. Elle reconnait, au
contraire, que le donataire est un véritable créancier. Mais
alors il devrait. à ce titre. renir par contribution et au
marc le franc ur le prix des bi ens de son débiteur . avec
tous ses autres créanciers soit à Litre onéreux, soit à titre
gratuit. à moins qu'une disposition fo rmelle ne lui accordât
sur eux un droit de préférence. Or. quel est le tex te où il
puiserait un privilège à. l'enco ntre du second donataire?
C'est d'abord et principalement , di t·On , l'article 92 5
qui n'est qu'une application spéciale au cas de réduction du principe de !'irrévocabili té. Il est facile de se
convaincre du contraire. L'article 925 repose si peu sur
le pri ncipe de !'irrévocabilité qu 'il s'applique même au do·
nations entre époux qui sont cepenuant essan tiellement
révocables. La raison de la règle qu'il con tient est donc
ailleurs. elle découle du pri ncipe de \'indisponibilité. Si les
donations dernières en date sont réduites avant les pre·
mières, c'est parce qu'elles sont faites par une personne qui
excéde le pouvoir de disposition que lui donne la loi.
Toutes les libéralités faites dans la limite de la quotité disponible sont irréprochables et ne peuvent pas être attaquées par l'héritier réservataire puisque son droit est resté
-
161 -
complètement intact; celles, au contraire, qui dépassent
celle lim1Le lui causent véri t.·'\L>lemeot un préjudice et entament sa réserve. li est juste, p:ir conséquent, qu'elles subissent la réduction avant les premières.
Quant à l'article 1085 que l'on invoqne en second
lieu il s'explique également pa1· un motif tout particuli er.
II assimile !'insti tué à un véritable héri tier ; il crée en sa
faveur un droit spécial, sui yeneri.s , une sorte de réserve
qni ne saura it être réclamée par un donataire •>rdinaire
(art. 94 1), et c'est pour cela qu'il défend à l'instituant de
disposer à titre gratuit au préjudice de !'institué des biens
compris dans la donatio n. .Mais il faudrait bien se l:>aarder
de rattacher au prin1;ipe dr. l'irrévocabilité. la prohibition
conten ue dans l'arti cle 1083. Ce principe aurait en elTet
pou r conséquence de fa ire tomber même les aliénations à
titre onéreux consenties par le di sposant, car ces aliénations lui permettraien t également de rendre inefficace la
libéralité qu'il a fai te. Or cela est inadmissible en présence
des dispositions formelles ùe l'article 1085.
Le système de la Cour de cassation ne peut donc s'appuyer sur aucune disposition de n0tre Code. Ajoutons. du
reste, qu'il entrainerai t des résultats véritablement ioaccep·
tables. Il créerait eo faveur du premier donataire d'une
somme d'argent payable au déeès du donateur un droit de
préférence d'au tant plus dangereux que rien ne révèlerait
son existence aux personnes intéressées à le connaitre. Il
condui rait en ou tre à des difficultés pratiques impossibles à
résoudre . Supposons. en eITet. deux donataires successifs
de sommes d':irgent payables au décès du donateur en
concours aYec un créancier à titre onérèux de celui-ci.
..
�- 162 Ces deux donataires doivent, chacun pris séparément.
venir par contributi on el au marc le franc avec cc créancier ; ils <le\'raient par conséquent avoir des ùroits égaux
l'nn envers l'autre. Les prin cipes posés par la Cour suprême amène11t cependant à cette conséq uen ce, qu e le
premier donataire. qui n'a pas la préférence sur le créancier à titre onéreux . est préférëau second donataire qui a
les mêmes droits qu e celui-ci. Les difficu ltés d'a pplication
que soulèverait ce système deviendraient encore beaucoup
plus grandes si nou nous plaço ns dans l'hypothèse sui·
vante : Le 1" janvier 1880 je donne à Paul une so mme
déterminée payable à mon décès ; le t • r janvier 188 1 je
fais une donation semblable à Pierre à qui JO co nfère
une hypothèque et qui prend inscripti on ; enfin le 1••janri er t 882 j'emprunte à Jacques à qui ·je concède également un e hypothèq ue sur mes bi ens. Si. à ma mort.
mon actif est insuffisant pour acqui tter toutes ces dettes,
comment règlera-t-on le conflit qui se produ ira entre mes
divers créanciers? A qui donoera-t-on la préférence? Pau l
doit-être colloq ué avan t Pierre, mai .5 Jacques du:t passer
avan t Paul et cependant l ' hypo th ~q ue consentie à Pierre
et dont Jacques a cer tainement ·~o nnu \'existence le place
avant celui-ci. On se trouverai t donc dans ce cas enfermé
cl ans un véritable cercle vicieux dont il serait impossible
de sortir .
Notre conclusion e t qu e la première donation ne
sera préférée à la seconde que si son exécution se
trouve garantie par une aflccta tion hypothécaire qui manqne à celle-ci ; dans le cas con traire. les deux donataires
-
165 -
vieudrofll au marc le franc. Nous pensons cependant que
le donataire antérieur aurait toujours le droit d'intenter
l'action Pau lienne et d'attaquer la seconde libéralité comme
faite en fraude de ses dro its. A ce point de vue même il
aurait pl us de chances de réus~ir dans sa demande si le
second donataire avait oùtenu des garan ties qui ne lui ont
pas été accordées. a Celle circonstance, en effet, fait re·
marquer avec infiniment de raison M. Labbé, fait présumer que le second donataire et partan t le donateur avaient
des doutes sur la possibilité de l'exécution intégrale des
deux libéralités ( l). "
Le système que nous avons développé semble cependant
bien que conforme aux véritables principes du droit, définitivement condamné aujourd'hu i par la jurisprudence. La
cour de Caen vient encore de se prononcer en sens contraire par un arrêt du 5 mars 1879 (Journal dit Palais
1879 p. 5 15) . C'est là, croyon5-nous, la dernière décision judiciaire qui :;oit intervenue sur cette question.
Il. Donation cl' tme somme cl' argent à prendre sttr les
biens que le donateur laissera à son de'cés. - Cette donation
ressemble beaucoup au premier abord, à celle que nous venon~ d'étudier. li impo1te cependant de bien distinguer ces
deux sortes de li béralités. Cr.lui qui donne une somme
d'argent payable à son décès entend se constituer irumédia·
temen t débiteur de so n donataire ; il se troUYe lié d'une
façon irrévocable sans qu'il so it en son pou voir de se soustraire à. l'exécu Lion ùe l'obligation qu'il a contractée. Celui
qui donne, au contraire, une somme déterminée à prendre
sur les biens qu'il laissera à. sa mort n'a voulu la plupart du
( 1) Journal du Palais, année 1860, p. 355.
�-
itH -
temps que conférer une créance évenluell e ·ur sa snccession. créance qu i no prendra nais ance que s'il laisse
des biens el jusqu'à co ncurrence de ces biens. Le ùrnit du
donataire est limilé dans ce cas ; il ne porte qu e sur les
objets qui se trouveront dans le patrimoine du disposant
à l'époque de sa mort ; il n'a aucune acti on contre les
héritiers. li dépend doue du donateur en dissipant toute sa
fortune de révoquer la donaLionqu'il a faite. Celle-ci est,
dès lors,conlraire à la maxime: Donner et retenir ne vau t,
et nulle par conséquent en vertu de l'article 943.
-
165 -
rita ble caractère de la di·po"ition qui leur est soumise. ils
devront sui vre la règle si age contenue dans l'article
11 57 et par conséqu ent lplutôl valider la donation qne
l'::i nnuler. La jurisprudence a. d'ailleurs, toujours usé très
largement dn pou,·oir d'appréciJtion qu i lui est accordé ;
c'est ce qui résulte de plusieurs décisions judiciaires et notamment d'un arrêt de rejet du 18 novembre 186 1 (O.
1861. 1, 4-Gfi) .
SECTION III
A\'ant de terminer cette importante matière il est nécessaire de faire une dernière remarque qui nous paraît essentielle. Nous ayons supposé jusqu'ici que celui qu i donnait une somme d'argen t payable à son décès avait voulu
transmettre à. son donataire un droit actuel et irrévocable
dont l'ex igibilité seule était retard ée, qu'à. l'i nverse celni
qui donnait une som me à prendre sur les biens de sa succession n'avai t entendu conférer qu 'u ne si mple espérance
qui s'évanouirait s'il mourait insolvable. Le contraire peut
cependant se présen ter. Aussi faut-il bien se garder de poser une règle générale et absolue et de faire loujours dépendre la nulli té ou la validi té de la donation de la formule employée par le disposant. Ce sera aux tribunaux
juges souverains des questions de fait à recherch er quelle
a été l'intention du donateur. Ils auront à ce point de vue
à teni r com pte des termes <le l'acte, des évènemen ts qui
l'auront précédé ou accompagné, en un mot de toutes les
circonstances de la 1:ause. Dans le dou te en ri n, si ces
di vers éléments ne leur permettent pas de distinguer le vé-
DES DONA'fIO:XS FAITES A LA CHARGE PAR LE DONATAIRE
D'ACQUITTER LES DE1'TES DU DONATEUR
Le ùonateur peut grever son donataire de certaines
charges et lui imposer l'obligation ù'acquitter certaines
dettes. Il étai t libre de ne pas donner, il est libre .
par conséquent, de soumettre la personne qu'il veut gratifier a telles obli~at i ons qo'il jugera convenables pourvu
qu'elles ne soient poin t prohibées par la loi_- Mai~ ~e. droit
qui lui appartient avait besoin d'être défi.111 et hm1te par
Je législateur. « Il n'y a rien. disait Ricard . de plus contraire à. l'irré11ocabilité et à la certitude nécessairement requises pour rendre valable une donation entre~Yif~, que
la liberté donnée au donateur ùe pouvoir la redu1re au
néant par la création d'autant de delles qu'il lui pl~ira .:
cette disposition e t plutôt du ressorl de la donation a
cause de mort dont la marque est lorsque le donateur no
veu t pas qui tter absolument la propriété de la chose don-
�- . 166 -
née. » ( 1) C'est pour ce motif quo l'article 16 de \'Ordonnance de 1751 a\·ait prononcé la nullilé des donations « Lorsqu'elles seraienl faite· à la condition de payer
les dettes et charges de la succession du donateur en tout
ou en partie, ou autres delles et charges que celles qui
existaient lors de la donation. même de payer la légitime
des enfants du donateur , au delà de ce dont ledit donataire peut en être tenu de droit. • L'article 945 a reproduit celte règle sous une forme plus laconique et qui
prête par conséquent :\plus d'équiYoque. « Elle (la donation) era pareillement nulle si elle a élé fai te sous la
condition d'acquiller d'autres dettes ou charges qu o celles
qui existaient à l'époqu e de la donation ou qui seraient
exprimées soi t dan l'acte de donation, soit dans l'élat
qui devrait y être an nexé. n
Avant d'étudier en détail la disposition de cet article il
nous paraît uti le d'examiner la question de savoir si les
donataires sont tenus de plein droit des detle.s du donateur à défaut de stipulation expresse dans J'acte de donation. On a l'habitude, en pratique, d'appliquer aux donations entre-vifs la division que l'article 1002 a fai le des
legs. Or les legs peuvent êlre universels, à titre universel ou à titre particul ier. Le legs universel est celu i
qui donn e vocation à la totalilé des biens que Je testateur
laissera au jour de son décès (art. 1003). l e legs à titre
universel est celui par lequel une personne lègue su it nno
quote-part des biens dont la loi lui permet de disposer,
soit tous ses immeubl es, soit tous ses meubles, soit nne
-
fraction de tous ses immeubles, soit une fract ion de Lous
ses meubles (art. 1010) . Le legs à titre particulier est
celo i qui ne rentre ni dans l'une ni dans l'autre de ces
deux catégori es . qu i n'est par conséquent ni universel ni
à. ti tre un iversel. De même on appelle très improprement.
selon nous. donations particulières. universelles, a Litre
universel. cell es qni correspondent pour leu r quantum ala
division légale des legs .
De quelle faç,on ces di vers donataires con tribueront-ils
au paiement des dettes du donateur? Le Code ne prévoit
nulle part cette question; il faut Jonc la résoudre d'après
les principes de notre droit.
.
Premier Système. - Dans un premier système on applique aux donataires la théori e du paiement des dettes par
\es légataires. On décide donc que les donalaires ~ tilre p~r
iiculier ne seront poi nt tenus des dettes, exceple lorsqu tls
auront reçu un immeuble aITecté par hypothèque à leur acqui Ltement et sauf dans ce cas leur recours contre le donateur ou ses héritiers. Quant aux. donataires universels ou à
tilre universel, ils contri bueront de plein droit au payement
des dettes soit pour le tout, si la dona tion comprend tous
les biens présents du dispo ant, soit pour une fraction correspondanle it la portion qui leur e~t donnée. si elle ne
les comprend pas tous. Ils recueillent en eff~t. c~mme I~
héritiers, les successeurs irréguliers . les legata1res u01versels ou a titre unirerscl, un ensemble de biens. Il faut
donc les soumollre aux mêmes obligations que ceux-ci et
leur fa ire application de la règle : Non dictmltir bona nisi
dedttrto œre alfon o.
(1)
Des Donations, ! •• porlic, page 102; .
t ()7 -
�-
168 . ..
C'était déjà ce quo décidaient plusieurs de no Coutumes dont les dispositions étaient form elles dans cc sens.
(Coutume de Normandie, art. 4· 17 ; Coutume du Bourbonnais, art. 209). La plupart de 11os anciens auteurs
partageaient cette façon de vo ir. Ricard, notamment (5"
partie, n° 1522) et Pothier pbçaieo t au même rang au
point de vue de l'obligation aux doues las donataires et
les légataires. Sans doule aucun texte du Code n'es t venu
reprodnire et consacrer formellement leur opinion, mais
rien non plus ne prouve que le législateur de 1~04 l'ait
repoussée. li résulte, au contraire. des travau:-. préparatoires qu'on a voulu sur ce poin t maintenir les anciens
principes. Voici. en effet. commen t s'exprimait le tri bun
Jaubert dans son rapport au Tribunat : • Les donations
comprennent ou la totalité des biens. ou une quotité de
biens, ou une espèce de biens, ou enfin une chose particulière.- Donatiou de tous les biens... il n'y a de biens
qu e ce qui reste. dédu ction fa ite des dettes. Conséq uemment le donataire de tous les biens est ten u de dr oit, et
sans qu'il soi t besoin de l'ex primer de toutes les dettes
et charges qui existent à l'époque de la donation. - Donation d'une quoti té de biens ..... Je donataire doit supporter les dettes et charges en proportion de son émolument. - Donation d'une f'Spèce de uiens. par exemple
d'nne uni versalité ou d'une quote-part des immeu bles
ou des meubles . . ... Dans le système de la loi, la disposition d'une espèce de biens est aussi à litre universel.
Le donataire d'une espèce de biens doit donc, comme Io
donataire d'une quote-part. supporter les dettes et charges,
en proportion de son émolument. - Donation d'un objet
-
169 -
déterminé... . . Le donataire n'est obligé de payer que les
dettes ou charges auxqu ellrs il s'est expressémen t soumis. •
(1) Ce passage du rapport dn tribun Jaubert prouve
bien que si les réùacteurs du Code n'ont point. ainsi qu~
le leur demandait la section de législation du Tribunat
(Locré T. XI p. 555) inséré dans la loi un article formel poul' consacrer l'obligation des donataire:; aux del tes,
c'est qu'ils ont pensé que cet article était inutile, étant
donnés les pri ncipes généraux de notre droit. Comment
du reste pourr:iit-il en être autrement ? Quand quelqu'un
donne immédiatement toute sa fortune présente, tous ses
biens présents, n'est-il pas éYideot que cela signifie tout
son actif moins son passif ? La fortune d'une personne
c'est ce qui reste déduction faite de ses dettes. Adm1:ttre, ajoute-t-on enfio , que les donataires universels ou à
titre universel ne doivent jamais con tribuer au paiement
des dettes du donateu1', serait fou rnir aux individus peu
scrupuleux un moyen faci le de se soustraire à l'exécution
des obli gations qu'ils ont con tractées et leur permettre
d'enl ever à leurs créanciers par des donations fictives le
gage su r lequel ceux-ci avaient dû légitimement compter. Ce serait encourager la fraude et la mauvaise foi
des débiteurs (Delvincourt. T. II. p. 276 ; l\Jarcadé, art.
612, n° 3; art. 1085, n• 5; Dalloz, Répertoire, Disposit.
entre-vifs n• 1717 ; Riom , 9 décembre 1809; Limoges,
29avril 1817; Toulouse 15avril 1821; Bordeaux , 23
marsi827 .).
( 1) Locr é.
Ugi~lallOll CIVIie'
T. X!. p. 459 ot rno.
�-
170 -
DcuxièmeSystème .-- Dans un second sy-tème plus g6110-
ralement sni vi etanq ucl nou croyons devoi mous rail ier, on
décide que les donlllires ne sont jamais tenus de p!eiu droit
des dettes tlu donateur; le:; .JJna Lai res de bi ens déterminés ,
puisque le légataire à titro particulier n'en est lui-même pas
ten u; les donataires de tout ou d'nne partie aliquote des
biens présents , parce qu 'ils ne sont qur. des successeurs à
titre parti!;ulier. Les successeurs universels ou à titre universel . en effet, so nt ceux qni ont droit à l'universalité du
patrimoine ou à une quote-part de celte universalité, c'est.
à-dire des biens q11e la perso une à laquelle ils succèdent
laissera dans sa succe sion. Or, le donataire que l'on appelle bien à tort donataire universel. n'a droit qu 'aux biens
présents du donateur, c'est-a -dire à de.s biens particuliers. Il
n'a aucune vocation sur les bi ens à venir: il ne peul même
en avoir aucune en vertu de l'article 9!~3. li en est de même
en ce qui concerne le donataire à titre universel. " Il est
impossible de dire pour quelle por tion ce donataire est successeur, puisque le donateur pouvant acquérir de nouveaux
biens et dissiper ceux qu'il n'a pas comp ris dans la donation, il n'y a aucun moyen de dâterminer quelle est cette
portion; or. le titre uni\'ersel fait connaître tout d'abord,
à la seule inspection de l'acte, la quoti té dont il se co mpose. - ( 1) On ne sa urait donc imposer à ces dona taires
l'obligation d'acquitter les dettes du disposant , à moins
qu'ils ne s·y soient engagés ou qu'ils n'aient reçu un immeuble aITeclé par hypothèqu e au paiement d'une dette et
sauf recours dans ce dernier cas.
(I J Duranlon T. VIT, n• \1!.
-
171 -
Ces principes étaient déjà. su ivis en droit romain (L. 12
C. de Donat. ) Un certain nombre de nos anciens auteurs les
avaiont égalemen t admis. C'es t ainsi que d'.-\rgentré (su r
l'Art. 2 19 del' ancienne Coutume de Bretayrie)enseignait que
les seuls donataires so nmis de plein droit aux dettes étaient
ceux <lorit la donation participait de la nature des donations
à. cause de mort , aul omnium bonorum , aul quotœ sic {acta
a morte donaloris vires ca1>ial, quolœ posl mortem 11erci7Jiendœ. Furgole (Comment. sur les Donations, p. 123 et
ul
l 24)soutenait une doctrine analogue. Ricard lui-même. tout
en admettant pour des motifs d'équité. une opinion différente.
r<Jconnaissait cependant que celle-ci était plus conforme aux
véritables principes du droil. • Je dis Llonc pour év iter tou t
embarras en m'attachant à la raison qui doit être le prin cipe
de toutes choses que les donations entre-vifs ne so nt pas
sujettes aux delles. La raison est que la donation pure entre-vifs ne pouvant comprendre que les biens présents. il es t
impossible qu'il se rencontre uo titre universel dans celle
espèce de donation, l'universali té comprenant l'avenir aussi
bien que le présent. » ( 1)
Le législateur du Code a-t-il \'Ou lu consacrer une doctrine
dilTérentb~ Evidemment non . Nous ne voyons. en eITet, aucun arLicle imposer aux donataires universels ou à titre
uni \'erse! l'obligation cl'acqu iller les delles c~u donateur. Les
Ti tres des successions et des donations ne parlen t que des
héri tiers, des successeurs irréguli ers, des légataire uniYersels el à titre uni,·ersel el des donataires de biens à.venir plr
contrat de mariage (art. 1084. 108 5). Cederniel' article nous
(~)
/Jcs J)o11atio11$
a·
portic, n• la'l1.
�-
-
172 -
fournil même un aq~umcnL ùe pins en faveur de notre orinion . li soumet Je ùonalnire de· biens présents et à venir au
paiement dos ùettes, disposition qui eût été bien inutile si
tout donataire eût été so umis h cette règle. Quand à l'opinion du tribun Jaubert invoquée par les partisans du système contraire, elle ne saurait avoir aucune autorité législnti,·e et n'a même qu 'un e valeur doctrinale bien restreinte,
car elle repose sur nne erreu r manifeste en consiùérant les
donations de tout ou de partie aliqu ote des biens présents
comme constituant un mode de transmission à titre universe l.
La conclusion de tout ceci. par conséq11ent, est que les
donataires de biens préseo~ ne sont pas tenus de pl ein
droit des det~es du donateur (Oemolombe T. XX , n°• 4.54 et
sui\' .; Laurent ,T. Xll , n°'5 99et suiv.; Aubry et Rau , T.VII
paragraphe 706 , note 2; Duran ton . T . Vm, nos 472,11-73;
Troplong. de ta Veute. n°• 449 et suiv. ; Montpellier, 8
avril t 855; Toulouse, 15juillet18 59 ; Cass .. 2 mars 1840;
Amiens. 6 juin 1840 ; Pau, 16juillet1 852; Montpel lier,
15 jan\•ier 18::i4; Chambéry, 25 janviel' ·186 1 ; Toulouse, 29 janvier i 872 ) .
Cette doctrine pourra parfois produire des rés ultats fâcheux . Assurémen t, il sera regrellable de voir <les débiteurs
obérés de dettes se soustraire. grâce à tles donations la plupart du temps fraudul euses, à l'action de leurs créanciers.
Ceux-ci tout~fois ne sont pas complètement désarm és. Ils
peuvent intenter l'acti on Paulienne et fairn rentrer ainsi
da11s le patrimoine de leur débiteur les biens qui en étaient
sortis en fraude de leurs droits. Mais nous n'admettons pas
a"ec M. Demolombe : 11 Que dans le cas même oü le do na-
175 -
taire n'aurait été so 11mi~ par aucune convention à l'obligation de payer les dettes, le donateur aurait en général le
droit de retenir sur les biens donnés une valeur soffisan te
pour les acquitter. n (1) Ce serait , en effet. ruiner lesys tème
que nous défendons, quelque distinction que l'on poisse
faire cotre l'obligation perso nnelle du donateur et la retenue des dettes exerr,ée par lui sur les biens donnés. Le disposant n'a qu'un seul moyen pour forcer la personne qu 'il a
gratifiée à contribuer au paiemen t de ses dettes, c'es t de lui
imposer cette obligation pa1· une con ,·enLion .
Cette convention peut être, d'ailleurs. tacite aussi bien
qu'expresse. Toute la difficulté consistera donc à recherr,her
dans quels cas il y aura consentement tacite du donataire à
payer les dettes du donateur. Ce sera là une question de
fait dont les tribunaux seront souverains appréciateurs
(Req. 13 novembre 1854, O. 1855, 1, 7).
L'article 94 5, don t il nous fant ruainteno.nt. étudier les
di spositions. s'occupe du cas où one clause spéciale insérée
dans l'acte de clonation e::t venue soumettre Je donataire au
paiement de certaines dettes du donateur. Deux hypothèses
distin ctes que nous allou · examiner séparément sont prévues par ce texte.
1° Le donataire est chargé d'acquitter les dettes présente~
du donateur ;
2° li est chargé d'acquitter des dettes futures.
A. Le Donataire est chargé cl'acqt1itler les Del/es pres;mtes
clu Donateur. -- Celle clause n'est point incom patible a"ec
la règle: Donner el retenir ne vaut. Tont est. enelTeL, certain
(1) Tome XX, n• >60.
�-
171~
-
et dëlerminé dès le momeol de la formation du contrat. Il
n'est plus au pouvoir du donalenr de revenir sur la libéralilé qu'il a faite. de l'altérer ou de la détrnire. Pour que
cette clause soit valable, il n'est même pas nécessaire que
les dettes soient ex primées ùans l'acte rle donation oa dans
un état aonexé à cet acte. L'article 91.5 ne l'exige pas . La
disjonctive ou qui sépare{ les deux parties de ce tex te indique bien que celte énuméra110n détaillée n'est requise que
pour les dettes futures. A quoi bon, d'ailleJJrs, exiger une
formalité qui n'a d'autre but que de sauvegarder le principe de !'irrévocabilité, puisque dans l'espèce la llonatiGo
est irrévocable. Toutefois. le donataire aura la plupart du
temps un grand intérêt a faire dresser nn état des dettes
mises à sa charge. fi ponrra ainsi se rendre un compte
plu~ exact de l'opération qu'il vien t de faire, juger par là
des bénéfices qu'il en relirera, voir enfin si la li bëralilé ne
cache pas en réalité un véritable contrat à titre onéreux.
Remarquons, du reste, qu'il ne sera jamais tenu que des dettes ayant date certain e au moment de la donation . li serait
autrement trop facile pour le disposant au moyen <l'antidates d'amoindrir l'importance de sa libéralité.
B. Le Donataire est charg~ cl'cicqtûlter des Delles (utnre:;
du Donateur. - En ce qui concerne celle seconde hypothèse, la formule trop laconique de l'article 945 pourrai t
donner lieu à certaines confusions qu'il importe de prévenir. Il est donc nécessaire de bi en préciser ce qui se trouve
contenu dans ce texte.
Si le donataire est soumis à l'obligation de payer d'une
façon indéterminée, toutes les dettes présentes et futures ùu
-
17 5 -
donateur , la donation est null e pour le tout. Cela ne saurait faire l'objet d'aucun donte et c'est à une pareille lt béra1ité que Ricard fa isait alln.ion lorsqu'il disait qlle rien n'était plus contraire au prin cipe de !'irrévocabilité. On ne
pourrait même pas dans ce cas tirer argument de l'article
945 el déclarer seulement sans efTet l'obligation imposée
an d1rnataire de payer les dettes futures tout en laissant subsister celle d'acquitter les detles présentes. Il est certain, en
e!Tet , que 1:\ clause apposée à la donation est indivisible et
qu'on ne aurait sans violer l'intention du donateur scinder
une pareille dispo iti on.
Si. an contraire. les detles el charges fu tures dont le don:i taire est tenu sont déterminées et indiquées soit dans
l'acte même de donation, , oit dans un état y annexé, la libéralité est valable (art. 945). Mais dans quelle mesure
est-elle valable? Une personne rt-çoit donationis causa unt:
somme de 1OO ,000 francs à la charge de contribuer au
paiement des dettes du donateur jusqu'à con current.:e d'un
chiffre déterminé. La donation vaudra-t-elle pour le tout,
c'est-à·dire jusqu'à concurrence de 100,000 francs ou au
con traire faudra-t-il en dériuire hic el mmc le montant des
dettes mises par le disposant à la charge dn donataire~
C'est dans ce dern ier ens qu'il faut sans hésiter se prononcer. " Si le donateur. disait Pothier, a limité jusqu'à
quelle quantité le dona taire en serait ten u, la donation ne
sera nulle que ju·qu'à concurrence de celte quantité, et
le sera quand même le donateur n'aurait pas usé de cette
fac ulté.• (1) Le disposan t s'est, en elîet, réservé le droit
( 1) lnh'o<luclion au tii1"e XI" <le la Co11 /1tme d' Ol'léa11s, n• 18.
�-
176 -
de révoquer el d'anéantir sa libéralité en cont ractant des
dettes jusqu'à coo curren ~e d'une certaine somme. Il importe peu qn'en fait il n'ait pas usé de ce droit. Il suffit
pour porte!' atteinte à la règle : Donner el retenir ne vaut,
qu'il ait en la faculté d'en user. La donation était révocable
à son aré
dans une certaine mesure, ell e doit être annulée
0
dans la même mesure.
Il nous est impossible ùo prévoir toutes les diUiculLés
d'application qui pourraient se présen ter en pratique relativement à l'article 945. Bornons-nous seul ement à signaler les principales.
On s'est demandé, par exem ple, si la donation qui imposait au donataire l'obligation d'exécuter le testament que
pourrait faire le donateur étai t valable. Nos anciens auteurs
tranchaient en général celte question dans le sens de l'affirmative en se fondant sur ce que le montant des legs était
facilement déterminable m·bitrio boni viri. L'Ordonn ance
de 175 1 avait déja repo ussé cette doctrine qui ne saurait
pas davantage être acceptée auj ourd'hui . li est absolument
nécessaire, eo effet. que dès le moment de la formation du
contrat les charges auxq uelles est soumis Je donataire
soient déterminées et évaluées d'une faço n précise et
exacte. Or rien ne serait plus arbitraire. plus con traire au
texte et à l'esprit de la loi que de laisser ad arbitriHm
boni viri le soin d'évaluer le montant des dispositions testamentaires que le donateur pourrait faire par la suite (Troplong. des Donations T. llI, n° 1 2~ 0 ; 0emolombe. T. XX.
n° 422; Duranton, T. Vlll. n° 485).
Jl faudrait admettre la même solution et annuler la libéralité même dans le cas où le testament que le donataire
-
177 -
serait chargé d'exécuter aurait déjà été fa it par le donateur.
C'est en vain qu e ponr souten ir la validité d' une pareille
disposition on prétendrai t que le montant des legs est
dès maintenan t déterminé et invariable. Cela ne saurait
suffire ponr un double motif : d'abord il fa ut, ainsi que
l'exige l'article 945 . que les dettes mises à la cbarge du
donataire soient exprimées ùaos l'acte de Jonation ou dans
un état y annexé; en second lieu. le sort de la libéralité
serait tout entier entre le mains du donateur qui pourrait soit cm révoquant le testament quïl a fait, soit en le
laissant subsister. donner effet à. sa donation Oil au contraire l'anéan tir (D1lloz, Disp. c11lre-vifs, n" 1574. Contra Demolombe T. XX. n° 445).
On devra it également et pollr des raisons analogues annlller la donation qDi soumettrait le donataire à l'obligation
d'acqui tter un e certaine caLégorie de legs tels par exemple
que les legs pienx ou rém1Joéraloires. Sans doute ces sortes de disposiLions ne dépassent pas en général un max imum qu'il esl facile de prévoir : mais il n'est pas moins
vrai qu'elles contiennent une charge indéfinie qui n·a d'autres limites que la volonté et le caprice du donateu r .
A l'inverse. tous les au teurs décident que la clause qui
imposerait au donataire l'ob ligation de payer les frais funérai res du disposant ne vicierait pas la donation. C'est là,
en effet, une charge qui a une mesure déterminée, fixée
d'une faço n presque inrnriable par les convenances sociales
et qD i s'apprécie tou jour en tenant compte de la fortune
du défu nt et de la situation qu'il occupait dans la société.
(Demolombe T. XX, n• 444. ; Laurent T. XII, n°457 ;
�-
178 -
Troplong t.111 , n° 1121; Dall oz. fl isp.entre-uifsn°1376.
Aubry el Rau T. Vil, p. 368).
Enfin, le donateur pourrait-i l chal'ger la personne qu'il
gratifie d'acquitter la réserve ùe ses héritiers? L'ordo nnance de 175 1 pr0hibl it formellement dans son article 16
une pareille clause. Elle fondait sa prohibition su r ce motif que le disposant resterait maîtr13 dans ce cas d'anéantir
sa libéralité par de3 libérali tés postérieures. puisq ue en
Yerlu de l'acte ùo don:ition la ré erre devait se prendre
noa point sur les dernières dispositions mais sur la pre·
mière. Fau t-il sous l'empire du Code civil adopter la même
solution? li serait téméraire, croyons-nou s, de poser à
cet égard une règle générale et ab oln e. Tout dépendra de
l'intention du donateur . Si, par la clause qu'il a insérée
dans l'ac te de donation, il a entendo déroger à la disposition de l'article 9 25 et décider qo e Je donataire serait
soumis à rédu ction avant les donataires postérieurs, la li·
béralité est nulle pour la raison que nous venons d'indiquer. Si. au contraire, il a voulu simplement dire que le
donataire ne contri buerait au payement de la résel've
qu'au lan t que sa libéralité l'entamel'ait, il faudra it sans
hésiter tenir la donation pour valable. Ce sera donc là one
question d'ioterprélalio11 que l'on devra toujours en cas de
doute résoudre dans le sens le pins favorabl e pour le donataire. (:11'l. 11 57).
-
17 9 -
SECTION IV
DRS DONA'l'10NS RAITES AVEC RESERVE POUR LE DONATEUR
DE DISPOSER DES OBJETS
CO~JPRIS
DA 'S LA LIBÉRALITÉ
OU D' UNE SOMME A PRENDRE SUR. CES OBJETS.
Une troisième conséquence de la règle: Donner et retenir ne vaut. se trouve con tenu P. dans l'article 946 ainsi
conçu : .. En cas que le donateur se; soit réserré la li berté
de disposer d'un r,ITet compris dans la donation , ou d'une
somme fixe sur les biens Jonnés. s'il meurt sans en avoir
disposé, ledit e!Tet ou ladite somme appartiendra aux héritiers du donatenr. nonob tan l toutes clauses et stipulations
kt ce contraires .• Quanu une person ne, en e!Iet, stipule le
droit de disposer ullérienromen t d'une partie de ce qu'elle
donne. il est certain qu'elle ne se dépouille pas irrévocablemen t de celte partie. Elle donne d'une main et elle
retient de l'autre. C'est donner et retenir. disait la Coutume
de Paris. quand le donateur s'est réservé la puissance de
disposer librement de la chose par lui donnée (art. 27 4).
Il résulte donc de cette disposili on qtJe, lorsque le donateur se sera réservé le pouvoir d'aliéner un bien quelconque compris dans la donation ou de disposer d'une
somme à prendre sur les objets donnés, la libéralité sera
nulle par rapport au bien ou à la somme sur les4uels portera la réserre. Elle sera nu lle pour le tout, si le disposant a stipulé un droi t de disposition il li mitée, la faculté,
par exemple, de disposer de ce qu'il jugera à propos, car
alors la donation tout entière cesserait d'être irrévocable.
�-
180 -
La nullité, d'aill eurs, serai t encourue même dans le cas où
le domteur n':1urail pas use du droit q11ïl ~·éta it ré ervé.
La impie stipulation sufHL rour en Lache1· la libéralité d'un
vice qui l'annulle. Les objets réservés n'ayant pas été valablement donné$ doiYen L con tinu er d'apparten ir au donateur . Toutefois, le législJteur consacre une règle analogue à
celle que nous avons d ~jà rencontrée dans l'a rticle 945 et
décide que la libérali té, nulle en ce qui concerne les biens
don t le donateur s'est résené le droit de disposer, sern valable pour le . urplu, . C'est li llne application de celte
maxime si .age qu'il ne faut lX\S ubordooner la vali di té
d'une rli position à cell e de l'un e de ses parties. Male, 'fttia
in do11atione jam illu.d est aûsol atwn et iterum sœpi us, 11tilem
7Jarlem donationis non vitiari per inutilem ( 1). c· es ten vertu
de ce principe que la juri prnd ence a décidé que la donation d'une maison el de tout le mobil ier qu i s'y trouvait,
avec faculté pour lü donateu r de disposer de cc mobilier,
devait être nulle: quan t au mobilier seulemen t (Cass. 50
juin 18 57).
Lorsque le dona teur meurt sans avoir disposé dé l'objet
ou de la somme auxq uels s'appliquait la réserve qu 'il arni l
stipu lée à son profit , cet oujet ou celle somme appar tiennent de plein droit à ses hériliers, nonobstant, dit l'articl e
946, toutes clauses et stipulations à ce co ntraires. Ces derniers mots de l'arti cle. ain i du reste que nous l'avo ns fait
remarquer sur l'article 1 G de l'Ordonna nce de 175 1. ont
eu. po.ur but de faire cesser la différen ce de législati on qui
ex1sLa1t sur ce point entre les pays de ùroit Cou tu mier el
(1) Cujas 1.
J.> C. rie no11nt .
-
181 -
les pays de droit Ecrit. Les premiers qui considéraient
l'irrêvocabilité comme l':i.me de la donation entre-vifs prohibaient formell ement toute stipulation par laquell e le donateur au rait décidé . • qu'en cas qu'tl mourût sans avoir
disposé de la somme réservée. il enleriùait qu'elle fil partie
ùe la donation ( 1). " ~lo i ns sévère$. les pays de droit
Ecrit admettaient la validité d'une parei lle clause parce
qu'ils regardaient les libéralités seulement comme irrévocables par nature. Le Code civil, en consacrant la maxime :
Donner et retenir ne vaut , était amené par cela même à reproduire les dispositions pre crites dans notre ancienne j nrisprudeoce pour en assurer l'obsenation . Aussi, a-t-il
dans la matière qui nous occupe aùopté la décision de nos
pays Coutumiers.
Relativement a l'article 9/i.6 on s'est posé la question de
savoir si la règle qu'il con tient est appli cable non seulement quand la résen e de disposer est pure et simple mais
encore lorsq u'elle est subordonnée à l'accomplissement
d'une condition pmement casuelle. Je vous donne ma maison et le mobi lier qu'elle renferme, mais je me résene le
droit d'aliéner mon rot•bilier si mon frère se marie. La donation du mobi lier doit-elle dès maint1mant être déclarée
nulle ou bien faut-il ponr se prononcer à cet égard attendre l'arri vée de la condition qui affecte mon droit de disposition ? Les cieux opinions on t été soutenues. D'après
~1M . Troplong (t. Jll , n°• 1225 et 1226). et Lauren t
(t. Xll . n• 1•42) la réserve de disposer entraine toujours la
nullité de la donation, en \1ertu de l'article 94G , qu'elle
( 1) Ricard des Donations,
1,
n• 1011.
�-
Il
i 82 -
soit pure et simple ou cond itionnelle. Il suffit, en effet, disent ces auLeurs, q ne la réroca tion de la libérali tédépende en
partie de la volonté du donateur pour qu'elle soit prohibée
par la loi. Nous ne croyons pas devoir adopter ce système.
Une donation n'est annulée lorsqu'elle est fa ite sous une
condition potestative de la part du disposant. Or. dans
l'espèce que nous arnns prise, de deux choses l'une; ou
la condition ne s'accomplit pas et alors je n'ai jamais eu le
pouvoir de dispo er de mon mr)bilier. la li béralité a étô irrévocable dès le moment de sa formation (art. t t 79); ou
bien, au contraire, la condition 'accomplit, dans ce cas j'ai
eu le droit d'aliéner el de vendre mon mobilier, je n'ai
pas élé liè, la donation que j'ai faite est nulle. En résumé,
dit Marcadé. u Qu:md je stip ule le droit de dispo er absolument et sans condition, je résous et brise à l'instant la donation. Mais si je ne stipule ce droit que sous une condition, je fais une dona tion résoluble sous cette même /condition. c'est-à-dire un e donati on sous cond ition résolutoire.
qui sera valable pou rv n que la condition ne dépende pas
de ma volonté. " (Demolombe t. XX , n° 470; Marcadé.
arl. 946 n• li ; Aubry el Rau t. VII. § 699 , p. 367 ;
Aix, 17 thermidor an XI!f .)
Il faudra éga lemen t appliqu er l'a rticl e 946 dans le cas
où le dona teur se serait réservé la facu lté de créer sur
les objets donnés une clu~rge que le donataire serait condamnd à subir, par exemple le droit ùo disposer d'une
rente viagère. Si l'annuité de la rente n'est pas fixée, la
donation devra t0mber pour le tout, car il dépendrai t
du dispo.}ant de créer une charge si forte qu 'en réalité
eJJc absorberait tout lu mon tant cle Ja libéralité. Si, au
-
185 -
contraire, les arrérages de la rente sont déterminé:; et si la
ersoone. à laquelle le donataire devra les servir dans le
p
.
é , es t
cas où le disposant userait dn droit qu··1
1 s' est reserv
désignée, la donation ne sera nulle qu'en partie jusqu'à
concurrence de la ren te, qui devra être payée. soit à la
personne désignée si le donateur en a effecti rnment disposé à son profit, soit au donateur lui-même dans l'l~y
pothèse con traire. Enfin si l'annuité de la rente est 10diquée et si l'acte de donation ne fa it pas connaitre la
personne au profit de laquelle le donateur se réserve le
droit d'en dispo·er, nous pensons avec M. Laurent(T. XII
11• 44.5) que la rente devra être servie au disposant luimême. Tous les objets, en elîet. :rnxquels s'applique la
réserve slipulre par le donateur sont censés ne pas être
sortis de son patrimoine. Or, ici c'est une rente dont il
s' est résen·é le droit de disposer; cette rente doit donc. en
vertu des principes mêmes que nous venons d'exposer.
lui appartenir.
SECTION V
DES DONATIONS MOBILIÈRES FAITES SANS ÉTAT ESTIMATIF.
L' irrévocabil ilé qui e t de l'essence de toutes les donations arnit besoin d'être garan tie d'une façon toute spéciale dans les douations mobilières. Il était facile en e!Tet
pou r on donateur de mauvai se fo i de garder et r~lenir.une
partie des meubles donnés, s'il s n'avaient pas eté deter-
�-
184 -
minés d'une façon bien exacte lors de la formation du
contrat, ou de leur snb' tituer des meubl es de même nature mais d'une valeur moindl'e, s'ils n'avaien t pas fait
l'objet d'une estimation détai1lée. C'es t pour prévenir tous
ces dangers qu e le législateur a exigé que les ac tes de
donations mobilières fusse nt a~compag oés d'un état énumératif et estimatif des obj ets sur lesquels elles por tcnL.
• Tout acte de donations d'ellets mobiliers, dit rarticle 948,
ne sera valable quo pour l e~ elTet' dont un état estimatif
signé du donateur et du donataire ou de ceux qui acceptent pour lui aura été annexé à la mi nute de la donation. » L'article 15 t.le !'Ordonnance t.le 175 1 ne demandait
qu'un inventaire des meubles donnés, sans e:-. iger qu'ils
fussent estimés. • Et si la donation renferme des meubles
ou effets mobiliers, dont la donation ne contienne pas une
tradition réelle, il en sera fait un état signé des pal'lies
qui demeurera annexé à la minute de la donation, fa ute
de quoi le donataire ne pourra prétendre aucun desdits
meubles on effets mobiliers, même contre le donateur ou
ses héritiers. "
L'étal estimatif requis par l'article 9 1~8 n'a pas seulement p0ur but de sauvegarder le principe de !'irrévocabilité des donations : il est égalemeut utile à d'autres
points de veu.
Il est utile :
Dans lt: cas oü la li béral ité se
trou ve résolue (art. 9 ~ 1 ) ou ré l'oquée eo rerlu d'une
des causes én umé1·~es dans lét section Il do c;hapilre
IV. il indique quels son t les objets qu i doiven t lui fa ire
retour ou la somme que ùcvra 1endrc le donalairc qu i a
t • Au Donateur.
-
t 85 -
fait périr par sa faute ou qui a aliéné les meubles qui lui
avaient été donnés·
2• A ses lfériticrs, soit pour fixer en cas de rapport ce
qui doit être déduit de la part du donataire héri~i er , soit
pour vérifier si la donation n'entame pas la reserve et
servir alors de base de calcul pour déterm iner la valeur
que peuvent avoir 1es elTets mo!:li li ers don oés au moment
dn décès du donateur.
50 A ses Creanciers auxquels il importe de savoir
quels sont les biens qui se trou vent dans le patri m oin~
de lenr débiteur ou qui doivent y rentrer dans le cas ou
ils aurnnt fait rescinder par l'action Paulienne la donation faite en fraude de leurs droits.
40 A i t Donataire liri-méme. pour détermi ner le montant des dommages-intérêts que lui devra le donateur
qui aura détruit on laissé périr par oégligen ~e 1 ~ meu.bles sur lesq uels il s'était réservé un droit d usufruit
(art. 949) ou qni les aura livrés à une aulr~ pe.rson ne
protégée par sa bonne foi contre la revend1c.at1on dn
donataire (art. 111~ 1) .
. ,
..
Toutefois la principale raison qui a détermine le leg1slateur à exiger la formalité de l'article 948 ~ été d'assurer l'observation de la règle: Donner et rete01r ne va~t.
Ce qui le prouve, c'est que celle formali~é n'.est pas r~qu 1s.e
dans le3 donations qui se fo nt de la main a la marn ou
elle serait cependan t si util e à d'antres points de vue, par·
ce que daos ce cas le donateur n'a plus au cun moyen de
revenir sur la libéralité qu'il a faite.
�-
186 -
~ous
allons examiner sur l'arti cle 948 les trois questions sui\'anles :
1o Dans qu elles ùonaLions l'étal estimatif est nécessaire.
2° Formes et çaraclères de l'état estimatif.
3° Sanction de l'article 948.
l. Pour qriel/es D011alio11s l'~tal estimatif est-il exige .9
L'article 948 répond lui-même à celle qu estion. To ul
acte de donation d'effets mobiliers, dit·il , ne sera valable
etc.
A. Il faut, donc en premier lieu, qu e la donation ait
pour objet des meubl.es , el il faut attribuer à ce mot meubles le sens que lui donne ordin airement la loi.
L't> tat estimatif n'est donc pas exigé ù a n~ les don:itions qui portent sur des choses attachées à un fond s à
perpetuelle demeure et considérées par la loi comme immeubles par destinati on. C'est ce qn'a décidé la Cour de
Riom (22 janrier 1825) en ce qui concerne les animaux et
les ustensiles aratoires servant à la culture el il l'exl'loitation d'un fo nds (voir éga lement. Aix. t 7 thermidor a 11
XIII ; Angers 8 av ril 1808). 'foutefo i., si ces objets venaient à être détachés Je lïmmeulJle anquel ils so nt incorporés, ils reprendraient leur natu re de meul.il es et
devraien t dès lors être <tcco mpagnés d'u n étal esti matif.
A l'iove1.. e, dès qu'un <1 cte de donation por te su r des
e!Tets m0biliers la formalité de l'état estimatif dev ien L
nécessail'e. L'article %8 s'appliquera donc aux donations
de meuble;; inc;rporcls ( Req 1 t avril l 8J4; D. 51., t ,
246) c·e~t-à-clire de valeurs mobilières, de créances, d'ac-
-
187 -
Lions ou d'obligations sur l'Etat et les compagnies financières. Duranton (t. VIII. n• 408) admet, il est vrai,
une opinion co ntraire. Mais l'erreur dans laquelle tombe
ce jurisconsulte vi ent de ce qu'il s'exprime en termes
beauco up trop absolus. Il est certain que si la libéralité
a pour objet une créance nnique suffisamment indiqu ée
dans l'acte de donatinn . l'état estimatif est complètement
inutile et ne saurait raisonnablement être exigé. Mais il
sera au contrnire nécessaire. quand la do nation portera
sur un certain nombre de créances désignées en bloc et
qui n'ont fa it l'obj et d'aucune détermination spéciale (Bordeaux. 6 août 1834). C'est ce qui résulte des termes
généraux de l'article 948.
Faut-il appliquer l'article 948 à la donation qui aurait
pour obj et les tlroits qui appartiennent à une personne
dans une succession ou dans une communauté non encore
liquidée? La ju rispru dence a varié sur ceLLe question. La
cour de Limoges (28 novembre 1826) s'est prononcée
dans le sens de l'affirm ative en se fondant sur la généralité ùes termes de l'article 948 qui ne conti ent aucune
distinc tio n ; or fa où le législateur ne distingue pas , l'i nterprète ne peul pa disti nguer davantage. La cour de
Cassation a admis, avec plus de raison sui,•aot no us, l'opinion con traire (Req. 11 aYril 1854). A raison même de
la nature des choses com prises dans la donation , la réJaction de l'état esti ma tif ne peut avoir lieu dans cet te hypothèse. Comment , en eliet , én nmérer et estim er des
droits dont l'élcnclne et le mon tant sont encore in·
connus? Exiger en parei l cas un état esti matif serait
rendre impossibles de· donati ons que le législateur cepen-
�-
188 -
dant n'a pa; nmln prohiue1·. On pent, do reste, ajoutrr
qoe le vœo de la l11i se Lro nve suffisamment rempli puisque les cho$es données sont immédiatement acquises an
Jonllaire, sans qu'il dépende du donateur tl e révoqn er
ou de diminuer sa libéralilè. (Oemolombe T. XX,n° 348;
Troplong. T. Ill , n• '1247 ; Laurent , T. XII. 0 ° 578) .
[l fau t également soumellre à la formalité de l'étal estimatif les donations qoi embrassent la totalité on une
quote-part du m•1 bilier actuel du donateur comme celles
qui n'ont pour objel que quelqu es meuble détermi nés.
Tel n'est pas cependant l'avis de Doranton (T. VIII,
no 4.12) qui <~nseigoe que « dans les donation s d'une
quotité de biens, l'état estimatif quoiqu e uLil e sans doute,
n'est néanmoins pas nécessaire. On ne peut vraisemblablemenl , ajoute-t-il. exi ger qu'un donateur fasse un in veoLaire de Lous ses meubles quelconques, dan s chacun
desquels le donatai re se trouve ainsi avoir on droit , et
qu'il présente ~ n quelq ne so rte son uil an . • Cet au teur
cite en outre à l'appui de sa doctrine l'opinion de O'Argentré (sur l"art. 2 19 de l'ancienne Coutume de Bretagne). Nou:; repous on· ce sy· tème pour un double mo tif. li établ it tout d'abord une distiocLion qui ne se trou\'e
point con tenu e dans l'ar ticle 911-8 clont les termes sont
généraux. En seco nd lieu, si l'état estimatif est nécessaire,
c'est principalemen t uans les donations qui ont pou r objet un e universalité de meubles ou une quote-part de
celle universalité. C'est surtout dans ce cas qn' il faut
a~snrer l'irrévocabilité de la disposition , car , les l.J icns
donnés n'étant p:i:; certains et clélermioé3 , le donateu r
peut beaucoup plus facilement di minuer el amoindrir
-
189 -
l'importance de rn libéralité. Furgole admettait déjà celte
opinion dans notre ancienne jurisprudence et enseignait
qu e l'article 1;) de l'Ordonnance de 1751 était applicable
• soit qne la donation contienne une universalité de
meubles ou des meubles d'une certaine espèce. • Quant
à D'Argentré, au contraire. il n'envisageait même pas la
qu estion et prévoyait one hypothèse t~ute di fféren te.
B. Pour qu e l'état estimatif soit nécessaire. il fanl en second lieu qn'il y ait un acte de donation. Il résulte de là
que celte formalité n'est pas req uise pour les dons manuels,
c'est-à-di re pour les dona tions qui se fo nt sans acte par la
remise matériell e de la chose de la main à la main.
Elle doit , an contraire, être exigée, toutes les fois qu'un acte
aora été dressé, quand bien même il y au rait eu tradition
réelle des objets don nés . Il est vrai que l'article 15 de !'Ordonnance de 173 1 en décidait au lremen t et ne voulait un inventaire: u Que si la donation ne contenait pas une tradition
réelle des meubles ou effets mobiliers. n Mais ces principe
on t été abandonnés par le législateur de 1804. ainsi que
cela re sort des travaux préparatoires. L'article 52 du pro_
jet du Code reprod uisait , en elîel. la disposition de !'Ordonnance et avai t ajou té au tex.te actuel de l'ar ticle 948 ces
mots : ~ S'il n'y lt 11oint tradition rùlle. o Or ce membre de
phra$e fu t supprimé sur celte observation de Tronchet :
• Que toutes les fois que la donation est fuite 1rnr tm ac le,
elle duit être accompagnée <l'un état, même qirnncl il y a tra » ( 1)
Quelques autenrs sont cependant d'un av is con traire et
dition nielle.
<l ) Fen el , T. XII, p 370 et 37:1.
�1~1 - ·
soutiennent que la tradition transformant la donation en
un don manuel doit par conséquent la rendre valable. (Lau.
rent, T. XII , n° 575; Marcadé, art . 948 n° 5 ; Duranton ,
T. VIII,§ 405) . Nous ne saurions admettre, en prin cipe
du moins, celte opinion . Qui dit don manuel suppose nécessairement une libéralité faite sans écrit. Ce n'est pas là
évidemment le cas dans l'hypothèse qui nous occupe. puisque ..:'e t en exécution d'un acte de donation que la tradition
a été faite. Or, celte exécution volontaire ne peut avoir
pour eITet de valider un e libéralité, qui entachée d'une nullité de forme absolue, n'est susceptible d'aucune confirmation soit expresse. soit tacite (art. 1559 ). Toutefois, sïl
résultait des circonstances de la cause que le disposant a entendu . en livrant les objets mobi liers compris dans la donation, non point exécuter celle-ci, mais faire un e nouvelle
libéralité, la tradition constitu erait alors un véritable don
manuel, une donation refait e. valable par conséquent,
mais qui ne produirait son 'effet que du jour où elle aurait
été réalisée. Ce sera aux tribunaux à rechercher qu elle a
été l'intention du donateur et à trancher toutes les difficultés qui pourront s( présenter à cet égard .
Dans notre ancien droit, quand la donation avait pour
obj et un e créance, on décidait que la signification de la
donation au débiteur cédé équivalait à la tradition de la
créance et tenait, par conséquent , lieu d'inventaire (Furgole
surl'Art. 15 de (Ordonnance de 1751) . Il n'en est plus de
même aujourd'hui , en vertu des principes que nous venons
~·ex~oser . L'état estimatif et la signification prescrite par
1article 1690 sont Lous deux nécessaires. le premier pour
l'existence même de la donation , la seconde pour sa validité à l'égard des tiers.
L'état estimatif est-il n.'· cessaire dans les donations faites
par contrat de mariage ? 11 faut en principe répondre d'une
façon affirmatire. L'article 911-7 dispense seulement ces libér;i lités de l'observ:ition des règles contenues dans les articles 943, 944, 94 5 et 94 6 et ne parltl point de l'article 948. Cel article doit donc être appli cable. Toutefois,
par la forc·e même des choses, il y a certaines donations
dans le.;qn elles il sera impo sible d'exiger un état es timatif.
Telles sont les donations de biens à venir ou institutions
contractuelles. On ne peut pa, , e11 eJTet, décrire et e limer
des biens à venir et d'a utre part à quoi servirait de dresser
un état des meubles présents, puisque le donateur conserve
le droit de les Yendre et d'en disposer à titre onéreux. Nou s
cr0yons. au contraire. quoiqu e cependant la question soit
discu tée, quï l faut appliquer l'article 948 aux donations
cnmulatives de biens présents et à venir. Le dooalaire, a en
efTet, le droit de s·en tenir aux biens présents du don ateur
et de répuù ier les biens à venir. Dans ce cas la donation se
tran5forme el devi ent nue li béralité ordinaire, par conséquent irrévocable. Il e l donc nécessaire pour a • urer
l'irré\'Ocabilité d'une pareille dispo ilion el pour connaî tre
qu els sont les objets sur lesquels porte le droit du donataire de dresser un état estimatif des meubles do nn és que
le disposant a actu ellement dans on patrimoine. En "ain
objecte-t-on que l'article 1085 n'ex ige. pour l'exercice du
droit d'option que la loi accord e au donataire. qu'un état
des dettes et charges existantes lors de b donation et ne
�-
192 -
parle en aucune façon de la forma lité exigée par l'article 948 . Cet argument ne saurait porter à notre avis. li
résulte, ainsi que nous l'avons déjà dit, ùe la comparaison
ùes articles 947 et 948 , que les dispositions de ce dernier
article doi,·ent être étendues anx libéralités faites par contrat de mariage. Il était donc complètement inutile que le
législateur s'expliquât sur ce point (Oemolombe T. XXIIJ,
no 565 . - Contra Laurent T. XV, n° 262; Troplong T.
IV, n• 2444).
L'article 948 est également applicable aux donations
d'elTels mobiliers que peuvent se faire les ép0ux pendant le
mariage. C'est ce qu'a décidé un arrêt de la cour de Cassation (Req. l(i juillet 1817) en donnant pour raison que
ces libéralités sont so umises à toutes les règles qui régissent les donations orùinaires sauf à celles dont le législateur les a formell ement di spensées. Sans doute l'article 1096
décide qu'elles sont essentiell ement révocables. Mais il peut
se faire que le donateur ne révoque pas, ce sera même là
l'hypothèse la plus fréquente: dans ce cas l'état estimatif
peut seul donner an donataire la certitude de recevoir la totalité des meubles compris dans la libéralité. Dans le cas
de révocation, au contraire, il empêchera la donataire de
mauvaise foi de retenir etde garder certains des objets qu'il
devait restituer au donateur .
Il. Fm·mes el Caracleres de l'Etat estimatif. - L'état des
meubles donnés doit être à la fois énumératif et estimatif. Il
doit énumérer et décrire chacun des objets compris dans la
donation el en déterminer la valeur . Le Code se montre à ce
point de vue plus exigeant que l'article 15 de !'Ordonnance
193 -
de 1731 qui voulait seulement que l'état contînt la description des objets donnés.
JI n'est pas nécessail'e que l'éta t estimatif soit fait en la
forme authentique; le Code ne l'exige pas. Il suffit pour sa
validité qu'il soit signo du donateur el du donataire ou de
ses représentants et qu'il soi t annexé à la minute de l'acte
de donation.
Le détail des meubles doit être accompagné de leur estimation. non pas en bloc, mais article par article (Bordeaux 3 juin 1840; Cas., 17 mai 1848). C'est ce qui
résulte de l'article 950. Ce tette donne. dans le cas de réserve d'usufruit , action con tre le donateur ou ses héritiers,
à raison des objets mobiliers non existants à. l'expiration de
l'usufruit , jusq u'à. concurrence de la valeur qui leur aura
été donnée dans l'état estimaliL li est évident que cette
disposition ne saurait se comprendresi chacun des meubles
contenus dans la donation n'avait pas dû faire l'objet d'une
estimation spéciale. Cette estimation détai llée serait même
nécessaire, à notreavis, dans les donations qui portent sur un
ensemble d'objets qui acquièrent par leur réunion et leur
nombre une valeur bien supérieure â celle qu'ils pourraient
avoir, s'ils étaient pris isolément, ~omme par exemple Jans
les donations d'une bibliothèque ou d'une collection.
L'état estimatif doit être ùressé en même temps que la
donatiou. S' il n'était rédigé que postérieurement, la libéralité serait, jusqu'à sa rédaction, à la merci du donateur
qui pourrait faci lement divertir une partie des meubles
donnés . Mais les parties pourraient-elles se dispenser de
dresser un élat estimatif et se référer à un acte authentique an térieurement rédigé, à un inventaire notarié, par
�-
19/i. -
exemple? Nou, le pen ons. Qu elques auleurs, cependant. et
quelques arrèLs on t admis la négaLire en se fondant sur la
leLLre de l'article 948 (Coin-Del isle, n° 19; Marcaclé. arl.
948, no 2; Riom. 1 :5 juillet 1820 et 22 janvi er 182~).
« La donation , dit Marcadé. est nn acte Je pur droit civi l
qui oe peu l avoir de fo rce que par l'accomplissemen t de
toutes les pre'cripLions légales; or, notre articl e ex ige formellemenè que l'état oi t annexé à l'acte de donation. On
ne peul pas plus se di pcnsP.r de celle annexe que de celle
de la procuration authen tique dans le ca d'accep tation faite
par mandataire. » La majorité des aute ur:' admet un système contraire. (Demolombe. T. XX. n° 562; Laurent ,
T. XII , n° 58~; Troplong. T.5, n° 1241 ; Aubry et Rau
T. VII . § 660 ; Limoges. 28 mai 1826 ; Req., 11 jnillet
183 1). Ce serait. en elTet. se montrer trop sé\·ère qne
d'ex iger un élat es timatif qu and l"intérêt des par ti es el les
priocipe-s so nt sauvegardés. L'irrévocabilité de la donation
se trouve suffisamment garantie dans ce cas puisq ~rn le donalaire n'a qu 'à se référer à ceLacte authentique pour co nnaître immédiatement toute l'étendu e de son droit. Dn reste
ne peut-on pas dire avec Trop long que le tex te de l'article 948 est respecté el que u L'ann exe existe tout au
moins per 1·elatione11i puisq 11e l'acte contien t en lui la désignation nécessaire po:}r arriver de la manière la plus précise
à la connaissaoce Je la consistance de la donation? "
III . Quelle est la Sanction de 1'1frticle 948? - C'est la
nullité de la donation ell e-même. Notre ancienne jurisprudence s'éLait montrée moins ri goureuse. Ell e se bornait à
refuser au donataire une action pour réclamer les obj ets
-
19 5 -
donnés, mais elle n'accordai t au disposant aucun moyen
de reprendre les meubles dont le donataire s'était mi s en
possession. On a soutenu que tel était le syslèmP, du Code
civil (Coin-Delisle, art . 94.8. n° 21) . Celte opinion nous
paraît inconeiliable avec les termes de l'arli(jle 948 . Dire,
en effet. qu'une donation mobilière ne sera valable que lorsqu e un état estimatif aura été dressé, n'est-ce pas reconnaitre a contmrio qu e la donation sera nu ll e quand cet état
fera défaut ? C'est là d'ail leurs ce qui résulte avec la dernière
évidence des travaux préparatoires (Fenet, T. XII , p. 570
et 575).
Toute la clifficullé consiste donc à savoir de qu elle nullité le législateur a entendu parler. Anotre avis il s'agit. ici
d'une nnllité ùe forme absolue (Oemolombe. t. XX, n°' 75
et 565; Aubry et Rau, t. Vil, § 660 : Dalloz, Dispos . entre-vifs. n° 1555 ; Mourlon , t. If , n° 677). Il est certaif!.
en e[et. que lorsque certai nes formalités son t exigées pour
la perfection d'un acte, cet acte doit être réputé inexistao t
s'il n'a pas été fait en la forme vou lue. L'article 948 n'est
donc qn'une appli ca ti on particulière ~es dispositions contenu es dans les articles 1559 et l 540. En d'autres termes
la donation est rad icalement nulle à l'égard du donateur ,
simplement an nul able par rapport à ses héritiers. Examinons les cooséquence.5 qui découlent de cette double idée:
A. A l'égard dt, Donalcw· : l La donation ne peut pas
fa ire l'objet d'une confirmation. Le néaot ne peut en e!Tet
pas plus être confirmé qu'il ne peut être détruit. Nulle. la
libéralité doit être refaite en la forme légale, c'est-à-dire
accompagnée d'un état estimatif; on oc pourrait même pas
la valider par la voie indirecte de l'exécution volontaire.
0
�-
1
1
196
Nous avons ni, toutefois, qne b tradition des ohjets clonn~s
pou\'ait quelquefois être considérée comme un e dona tion
nou"elle et inreslir rar conséquent le ùonataire de tous les
droits qui apparten:iient an disposan t sui· les meubles livrés.
2° Les biens compris clans Il donation sont censés ne
µas être sortis du patrimoin e du d1rnateur. Celui-ci a donc
pour les reprendre une action en rel'enùi cation, que n'attei nt pas la prescription tic l'arlicle 1304 qui ne protège
que les actes ~ ujets à. ratification, mais qui ·e prescrit, conformémen t an droit commun. par nn laps de temp de
tren te ans. Qu:rnt à la nullité de la donation il peut b
proposer en tous temps (Co11 tra , Bord eaux, 2G janvier
184 1).
5° La liLéralit é est non avenu e cr:;a 01mtc}· ; la nullité
peutdoncen être demandée par toute 'personne intéressée.
notamment par le donateur el ses créanciers san s qu 'il y
ail lieu de disti nguer en tre les créanciers antéricnrs et les
créanciers postérieurs à la donati on (arl. 11 GG).
B. Vis-à-vis des lférilicrs cl11 Donatear, au contraire, la
nullité change de c:iractère. L1 libéralité prend la nature
d'une convention simplem ent an nulabl e et devien t par co nséquen t susceptible de ratifica tion soit expre.se soit tacite.
L'action en rescision q~ i compète aux héritiers es t sujelle j
la pre cription de dix ans réglée par l'article 1504. Le
point de départ de cette prescription sera le déc~s du donateur püisquc c'est à ce moment-là seül emen t qu e ~·o uvre
au pl'Ofit des hériLi ers l'acti on nécessa ire pou r attnquer la
-
197 -
libéralité et puisq u'il y a\·:lit pour eux auparavant impossiliililé de r.onfirmcr el clc rrC$Crirc.
Faisons en terminan t une dernière remarq ue. La ùonalion oe sera nulle qu'en ce qni coricerne les meubles qui
n'auron t pas été estimés ni décri ts. L'article 911-8 est
formel sur ce point. Les travaux préparatoires ne laissent également aucnn douLe à ce sujet (Fenel T. XII . /oc .
cit.) . La li béralité ~er.i donc valable a l'égard des objets
par rapport auxquels on se sera conformé aux prescriptions de la loi.
CHAPITRE Ill
Des Exceptions ala règle : Donner et Retenir ne vant
Nous venons d'étud ier la maxime : Donner et retenir
ne vaut, dan s srn principe et dan ~es conséquences. Nous
avons vu ql!el ens les rédacteurs du Code attachaient à
cette ,:ègle, quelles applications ils en avaient faites. 11
nous reste ma intenant. ponr en connaître et en détermi ner exactemen t tonte la portée, à exa!lliner r:ipidement les
exceptions qui ont été admi es par le législateur.
La, ection II du ch:ipitre des Donations a pour titre :
De1> Exceptions à la rèyle de l'Jrrevocabilité des D01iatio11s
entre-vif$. Ces exceptions ·o nt én umérées par l'article 9 53
qu i porte: " La donation entre-vifs ne pourra être révoquée
qne pour inexécution des co1H.litions sous lesquelles elle
aura été fai te, pour ingrat itu ùe du donataire ou pour sur-
�-
198 -
venance d'enfanls. o Ces trois caoses de révocation con titoent-elles de véritables dérogations à la règle: Donner et
retenir ne raot ? La ncigative nous paraît incon testable.
En exigeant que les 1ibéralites eo tre-rifs soien t irrévocables,
le Code a voulu dire qu 'ell es ne devaient pas être faites
sous des conditions ùon t l'exécution dépendrait de la seule
volon té du donateur. Or dans les trnis cas prévus par l'article 9~5 la révocation ne dépentl en aucune façon de
cette seu le volon té. Les fa it qni la motivent sont subordonnés à l'accCJmplissement d'une condition casuelle ou
mixte. Cela est éviden t en ce qui concerne la révocatïon
pour inexécu tion des charges et pour ingratitude. Si la
donation tombe ùans ces deux hypothèses, c'est par la faute
et le fait du donataire. soit parce qu'il ne remplit pas les
obligations auxquelles il s'es t .0um is par son accepta tion,
soit parce qu'il méconnatt gravement les devo irs de reconnaissance qui lui incom bent vis·à-vis dE: la personne qu i l'a
gra ti fié. Mais la volon té du donateur n'y est ::ibsolument
pour rien ; il ne dépend pas de lui de faire tomber la libéralité qo 'il a faite .
On insiste cependant et on dit: L'inexécution des con ditions et l'ingratitude du donataire n'opèïent pas de plein
droit et par elles seules la ré\·ocatio:1 de la dona tion. Celleci n'a lieu , au con traire, que lorsqu 'elle a été demandée el
prononcée en jusrice. Elle dépend donc dans un e cerlaine
mesure de la volonté du di -posant , puisque celni-ci peut à
son gré, suivant qu 'il Corme on non ~a ùemânde en 1 évoca·
tion maintenir la donation 0 11 la !aire tomber (ValelLe ;
Mourlor, Répét. écrit. l. Il. n" 7 18). Ce raisonn ement
n'est que spécieux. En aùmellant même. en effet, qu e la
-
199 -
révocation de la donation dépende jusqu'à un certain point
dans ces deux cas de la volonlé dn donateur, du moins
peul-on dire qu'ell e ne dépend pas de sa seule volonlé,
ainsi que l'exige l'article 9Mi.. Il faut qu'au fait du donaLeur vienne se jointlre un fait du donataire ; il est nëces, aire qne celui-ci n'ait pas accompli les obligations et les
charges qui lni étaien t imposées ou 5e soit rentln coupable
d'ingratitude, sinon la demande du donateur est infaillible·
men t condam née à échouer. La condition est mixte par
conséquent et échappe comme telle a la prohibition édictée
par l'article 9Mi..
.
Nous ferons une remarque ana logue en ce q111 concerne
la révocation pour c:iu e de snrvenance d'enfants. Elle ne
constitue pas non plus. sui vaut nons , une exception au principe: Donner et retenir ne vaut. Sans entrer à cet égard
dans uüe discussion beaucou p trop délicate pour que nous
osions nous y engager, bornons-nous à constater que le
fait qui révoque la libéralité dans ce cas ne dépend pas
uniqnement de la volonté du donateur.
.
Nous n'avons donc pas à étudier ici les trois causes de
révocation don t il est question dans l'article 9 55. Cette
étude nous lerait sortir tlu cadre que nous nous sommes
tracé et nous entraînerait dans des développemen ls con~
plètemen t en dehors de notre sujet. Nou n'a~ons à. exa.m1ner que les véritables exceptions que la 101 apporte a la
rèale : Donner ot retenir ne vaut.
~a sen le déroaation à celle règle est celle qui se trouve
con;enue dans 1'a~'ticle 91~ 7 : •Les qnatre articles pré.cédenls
ne s'appliquent po int aux donations dont est . m.cnt'.0.11 aux
chapitres Vlll et lX du présenL titre. v Les hberahtes que
�-
200 -
de mariage et cell es que ceux-ci se font entre eux ne sont
pas soumises à l'application de la règle : Donner et reten ir
ne vaut .
SECTION I
DES DO~ATIONS
F.U TE
PA R
CONTRAT DE
i\l.\R fAGE AUX
FUTURS ÉPOUX ET AUX EXFANTS .\ NAITRE DU MARIAGE.
En ce qui concerne cès libéralités, le motif qu i a fait aJ:
mettre l'exception que nous venons de signaler est facile à
saisir. Le législateur a voulu encourager an mariage ; or,
c'est y encourager que de faci liter les donations faites dans
ce bu t en les so um ettant a des règles spéciales et en les affranchissan t de certaines formalités .e t de certaines en traves
dont la loi a entouré les donations ordinaires. En conséquence,les rédacteurs du Code ont déclaré : 1• qu e ces Jibé·
ralités son t dispensées de la olennité de l'acceptation (art.
1087); 2°qu'elles ne sont point révocables pour ca use d'ingratitude (art. 959) ; 3° qu'cllespeuyen t s'ad resser à des
personnes qui ne sont pas encore conçues, puisqu 'elles sont
censées laites aux épo ux et aux eu(ants à naitre du mariage
(art. 1082) ; IJ. 0 qu'elles sont caduques par le prédécès de
l'époux donataire et de sa postérité (art. 1089); 5° qn 'el·
les sont révoquées do plein droi t si le mariage ne s'accom plit pas (art. 1088). Mai-; la déroga tion la pin s importante
est r,elle qui dispense 1;el_: dor1ations de l'o lJ!'; ervat! on de Il
règle: Donner et reten ir ne vaut. Nous al lons nous borner
-
20 1 -
à indiquer en qnoi consiste cette dérogation ; il n'entre
· t en elîet , clans notre .suj.et d'entreprendre
une élude
pom.
. ..
com plète et détaillée des pr10c1pes qm reg1ssent les donati ons par contrat de mariage.
Les donations qui penvent être faites par des tiers aux
futurs épou x dans le contrat de mariage, se divise nt en
quatre classes : 1• donations de biens ~rése~ts ; . 2•
institutions contractuelles ou donati ons de bi ens a ven ir ;
5° donations cumu latives ùe biens présents et à venir ;
40 donations faites sous des couditions potestatives de
la part dn donateur . Parcourons chacune de ces quatre
catégories :
1. Donation de Biens Présents. - Cette donation est soumise en prin cipe il toutes les règles qui régis~ent I.e~ lib~
ralilés enlre-vifs ordinaires, sauf les part1cular1les signalées par les articles 1087 et 9 59 · ~n s'est de~aodé
si celle donation rentrai t dans l'exception formu lee par
l'arti cle 947 et si elle pouvait être accompagnée de deux
des clauses prev ne par l'él'l'ticle 1086 , c'est-à-dire si elle
pou\'ait être faite sous la conùitioo de payer. l~s dettes et ~h~~
ges du donateur ou sous cl'aulrcs cood1t1ons dont 1exe1;ution dépendrait de la ,·olou tû de celui-ci. Quelqu es auteurs on t soutenu la oégati\'c. Ils invoquent de ux arguments à l'appu i de leur système. L'article 1086 , di.~ ent
il s, n'autori e les dérogations anx articles 944 et 945 que
da ns les donations fait es par con trat de mar iage ~ux
f poux et aux enfant. à na ître clu. mariag.e; or, l'art1cle
108 1 décide qu e la donation de biens presents. ne peut
avoir lieu au profit des enfant , à naître du manage. Ce
�-
202 -
qui proul'e d'ai lleurs. ajoutent-i ls. que le législateur a
voulu soumeLLre celte dona tion à l'application des articles
944 et 945. c'e t qu'il a remplacé les mols : Donations de
biens prese111s qui se truuvaient Jans l'article 18 <le l 'Ordonnance de t 751 , dont il a reproduit la disposition, par
ceux-ci : Donations en (auwr des époux cl des en/(mls à
1wilrc rfa mariage. Nous ne saurions admettre cette opinion qui e, t du reste universellement repoussée aujourd'hui. L'article 91-7 <lécl:lre, en e!Tet. inapplicables aux
donations en fa1· etlr <lu mariage les règles co nten ues dans
le5 articles 944. !J45 et aH sa ns distioguel' entre les
donations de biens à venir et les donations de Liens présents. Sans dou te ces dern ieres sont en principe soumises à
toutes les règles des libérnl il és e11tre-vifs et notamment à
la règle: Donner et retenir ne vaut; mais à la dilTérenœ
de celles-ci ell es peuvent, sans cesser pour cela d'être valables. être accompagnées d'nne des clauses prohibées par
les articles 941• , 945 et 946. Ell es se tran sforment alors
en donations fai tes . ou des con ditions potestatives de la
part uu donateur. Quant à l'arg um ent ti ré de l'article
1086. il ne saurait avoir aucune 1·aleu r, car ce tex te. ainsi
que le fa it remarquer avec juste raiso n ~I. Demolornbe .
ne veut pas dire que la donation pour ra être fair e sous
des conditions potestatives quand elle s'adres::era aux
épuux et aux eufan ts à. naitre dn mariage mais an con, '
traire qu'elle pourra être faite au profil des éponx et Jes
enfan ts à naîlre. qu and ell e sera fai te sous des conditions
potestatives. H ne faut pas non plus allacher· d'imrortance
à la différence de rédaction qui ex iste entre l'article t 086
et 1'artid e 18 de l'Ordù nnanœ Lie l 7 51. Nous trouvons,
-
203 -
en e!Tet, les mots biens prJscnl3 dans la seconde partie de
notre tex te qui est comme la première applicable à toutes
les donations par co ntrat de mariage. Ce n'est là qu'une
imperfection de langage à laquelle on ne doit évidemment
pas s'arrêter.
IL Institution contractuelle ou donation de Bier1s à Venir. -- Cette libéralité a un double caractère :
1° Elle porte sur de br ens à venir. et c'est par là qu'elle
échappe plus parti culièreme nt à la règle: Donner et retenir
ne mut. A ce point de l'Ue elle peut être uni verselle ou à
titre unil'ersel, c'est-à-dire comprendre soit la totalité soit
•
une quote-part des biens que Je disposant laissera à son décès; elle peu t être également à litre particulier, r,'esl·àdire porter sur des objels cl élermieés ou sur une somme à
prendre sur les biens qui composeron t la succession du
donateur . Ceci cependant a été contesté par Duranloo
('f. lX, n° o7ô) et Delvinconrt (T. H, p. 42 1 et 422)
qu i enseignent que l'institution con tractuelle ne peut étre
qu 'univer ell e ou à titre universel. Leur ·opinion nous
paraît insoutenable en présence ùes dispojtions de l'article 1082 . Ce tex te déclare. en elîet, que le donateur
pourra. disposer de tout ou parti e des biens qu'il laissera
au jour de son décès. Or par ces mots partie des biens,
usuel du droit. non seulemen t
On de'sinne dans le lanoaae
0
une partie aliquote du patrimoine mais encore chacun des
biens déterminés don t il se 0ompose (Arg. art. 895).
2o L'in stitn lion 0ontractu elle assimil e en quelque sorte
te donataire a un héritier réservataire, lui confère non
puint un droit ;iclul'I , mai un ùrnit é\'entuel ùc suc"
l')
�204 -
cessio11 qui ne s'onvrara qu'au décès dn disposant et
sous la condi tion ùe survie dD donataire et de sa postérité et le soumet 3 robligation <l'acquitter les dettes
de la succession. absolument Jans les mème:i cas et de
la même manière qu e les légataires. Elle en lève au do11ateur le droit de disposer à titre gratuit des objets sur lesquels elle porte. si cc n'est pour de sommes modiques
ou à titre de récompen e. mai· elle lui laisse la facnl té
d'en disposer â titre onéreux. Hien ne s'oppose cependan t
à ce que l'instituant se résen•e le pouvoir de disposer même
à Litre gratuit de certains objets com pris dans l'institu tion
ou d'une somme fixe à prendre sur ces objets. Cette clau ~e
est formellement autorisée pnnr l'article 1086 . Sans dou Le
œ tex te ne parle cl ans a derni~re partie que de la dona·
Lion de biens présents mais nous ne voyons aucune raisuu
de ne pas appliquer ses dispositions à la donation ùe
biens~ veni r. Si le dona teur meurt sa ns avoi r dis posé
des objet:; ou de la somme rGservés. ces objets on celle
somme appartiendront à l'i11 ·titué ou à ses héritiers .
~ous allons du reste rc1·enir uientôt sur celle parti e de
l'article 108() .
Dans le cas où l'instituan t s'est réservé le µou1•oir de
disposer Je cer'lain:, des objeL do unés ou d'une son1me fixe
it preadre sui· ces objets, on s'est dema ndé comment il
fallait interpréter cette clause. Le donateur conserve-t-il
loujours la facul té J 'ali èner tous les biens co1upr1:: dans
l'institu tion ·oit à litre onérenx. so it :1 Litre gratuit Jans la
mesure autorisée par l'article 1085, ou. au cou traire. so n
JroiL de disposition se trouve+il lim ité aux ol.Jj cts ou 11 la
somme réservés~ Dans notre a11cie1llle jurisprudence, on
-
20S -
admellait que la. clanse était restrictive à l'égarù de=- dispo sitions à titre gratuit, mais qu'elle n'enlevait pas au dona teur la facu lté cle cfo;poser à litre onéreux. li faut décider rie
même sous J'empire du Codü en ce qoi concerne !a faculté
d'aliéner à titre onéreux; c'e, t fa un droit qui appartient
toujours à l'instil nant et dont celui-ci ne peut même pas
s'interdire le libre e'<crcice. Mais faut-il également adopter
la solution de notre ancien rlroit, en ce qui concerne la faculté de disposer à titre grat uit pour somme· modique· ou
à titre de récompen'e? La question est contro\'ersée. Nous
croyon , quant a nous. qu'il serai t téméraire de po cr à cet
éoard
une rèale
absolue. C'c· t fa, arnnt tonl. une question
<'>
<'>
d'interprPlat ion qu'il faut lai ser à l'appréciation des tribunaux.Ceux-ci auront à rechercber. d'après les circons tances
de la cause. quelle a été la commune intention des partie. ,
à voir si le donateur a voulu restreindre la faculté de disposition qui lui est accordée par la loi. ou l'étendre au contraire, de telle sorte qoe tout en pouYant ùisposer des objets ou de la somme ré ervés, il puisse faire encore des libéralités mod ique , en \'Orlu ùe l'artiele 1035 . ur les autres biens compri · ùan l'insliLu Lion.
Ill . Du11atio11 c1mwlativc de Biens Prescnts et à Venir -
Celle donation 1)!Tre ceci de parLi culier qu'elle permet :iu
Jo11alaire de recueillir tous les biens que le donateur lai ~e
h son Mcè., . ou la charge de payer toutes se dette,, nu
de s'en tenir seulement aux biens pré,ents ous la charge
ù':1cq ni ttcr les delle ex i ~ t& nles au moment de la formation
uu contrat. C'est, en résumé, 11ne donation de biens h \'enir,
avec faculté pour le dona lairc, de la tran,former lors du
�-
206 -
décès du disposa nL, en unr donation de biens présents. ( f )
Dans le premier cas, on se ll'ouve en pr~sence d'une véritable donati on de bi ens à venir régie par les articles 1082
et 108J; dans le second , au contrai re. la libéralité devient
une donation de bi ens présents, so umise en vertu de l'article 1081 3. toutes les règles des libéralités ord inaires et
notamment au principe de !'irrévocabilité.
Ce droit d'option accordé au donataire est subordon né à
une coodiLion. li faut qu'il soit an nexé à l'acte de donation
un étal des dettes dont le donateur c~ L tenu à cette époque
(art. ! 084 et 1085). Dans le cas où la libéralité comprendrait des objets mobiliers, il est également néces aire, ainsi
que nous l'a>ons indiqué, de dl'essel' un étal estimatif des
meubles présents du donateur sur lesquels porte la libéralité (art. 948).
IV . Donations /'ailes sous des Conditions- Potestatives de
C'esl surton t ùansl'artic le 10 86 .
que le législateur déroge à la règle : Donner et retenir ne
vaut. Ce texte permet. en e!Tet, d'insérer dans les libéralités
faites par contrat de mariage, les diverses clauses p:'évues et
prohibées par les articles 9/i-4, 945 cl 946. Il résu lte de
là que dans ces donations:
la part du Donateur. -
0
l Le donateur peut imposer à l'époux donataire l'obli gation de payér non seulement ses dettes présenLes, mais
encore celles qu'il pourra contracter par la suite. De même,
il peut le char~er, soi t d'acquitter une certain e catégorie
de legs, tels que les legs pieux et rém unératoires, soit
( 1) Mourlon, füJpétilion s écritts, T. li, n• 088.
-
207 -
d'exécnter le te, lament qu 'il a déjà fait ou celu i qn'il se propose de faire .
2° La donation peDt ètre faite sous des conditions
rl ont l'exéc11tion dëpend de la rolonté du disposant , sous
ces conditions. par exemple, si je vais à tel en droit, sifembrn:;se telle carrière, si j e me marie . On s'est demandé
si la donati on pouvait égalem ent être fa ite sons des con ditions purement pote tati ves de la part dn donateur . Les auteurs son l rlivisés sur ce point. D'après les uns, la donation erait null e $i elle était faite sous une condition su pensiYe purement potesta tive. parce qu'alor aucun lien de
droit n'est formé, la volonté de gratifi er le donataire n'ex iste
pas chez le donateur ; elle serait v:ilable, au con lraire, , i
ell e élait faite sous une condition résolutoire. car, dans ce
cas, la volonté de donner ex iste dès maintenant (Col met de
San terre. T. IV . n° 259 bis; Oemolombe. T. XXI.Il , n° 370).
No us ne partageo11s pas celle opin ion. Ce n'est point en
vertu de la maxime: Donner et retenir ne \'aut. que les con ditions purement potestalives sont prohibées dans les libér2liLés en tre-vifs. c'e t en vertu d'Dn principe plus général,
qu i régit tous le con trats, le principe de l'article 11 7 4.
Or il ré ulte des termes même:; de l'article 1086 que le lè'
gis\ateur n'a eu pour bu t de déroger en r.ette matière qu'à
la maxime el non point à la règle de l':irticle 117 4 qui
tient d'ail leurs tellement à l'es ence des conven tion . qu'elle
n'e~ t su ceptibl e d'aucune exception ou modification . L'arti cle 11 71~ doit donc recevoir ici son application el com me
il ne di tingue pas entre les conditions suspen ives et les
cond itions résolutoires, les unos ~t les autres doivent être
�-
208 -
également prohibées, quand elles sont purement potestative .
Dans ce' deu'< bypotbèses prévues par la premiüre partie
de l'article 1086 , le donataire peu t renoncer à la donation.
s'il la juge onéreuse el e soustraire ainsi à l'exécution des
conditions qui ont été mises à sa charge. C'est là une nouvelle dérogation au droit comm un qui se justifie facilement.
Il serait inju te qu'une libéralité qui es t faite en faveur du
mariage, fùt obligatoire pour celui auqoP.I elle est adressée
et pût ainsi tourner à son ùélrimenl. Il est plus ration nel
et plus équitable, au contraire. de lui donner le droit d'y
renoncer. surtout puisque le donateur conserve la facu lté
d'augmenter d'une mani ère indéfinie les charges qu'i l lui a
imposées.
50 Le donateur peut se réserver le droit de di sposer d'un
obj et compris dans la donation. ou d'une somme fi xe à
prendre sur les biens qui la composent . Dans ce cas. contrairement 3. ce que décide l'arti cle 94G. cet. objet ou ce lle
sommP., si le donateur meurt sans en avoir disposé, seront
compris dans ladonation et appartiendront. dit l'arti cle 1086,
att donataire ou à ses TuJritiers. Ces derniers mots ont
donné lieu à des difficultés entre le jurisconsultes. Comment , a-t-on dit. l'objet ou la somme réservé peuven t-il s appartenir aux héritiers du donataire. puisque l'article 108!}
déclare la libéralité cadoque par le prédécès de celui-ci? De
deux. choses l'une, en effet : ou le donataire survit au donateur. et alors l'objet ou la somme lui appartiennent et
passen t à son décès à ses héritiers, ce qui est tout nature]
et ce que la loi n'avait pas besoin de dire , car ce la résulte
des princi pes généraux du droit; ou, au contraire, le dona-
-
209 -·
taire prédécède, dans ce cas les objets réservés reviennen t
au donateur (art. 1089) a rnoius qu'il ne laisse des enfan ts qui recueilleront alors non point comme béritiers,
mais comme donataires. en vertu d'un droit qui leur est
propre. Ces mols ou à 1Se1S haritiers sont donc tou L à. la fois
inutiles et inexacts. S'ils se trouvent dans l'article 1086,
cela tient à ce que le législateur a i;opié trop servilement sur
ce point l'article 18 de l'Orc!onriance de 1751 dont la décision .e comprenait, parce que notre ancien droit n'admettait
pas, comme le Code civ il. la révocation des donations en
faveur du mariage par le prédécès du donataire.
An lieu de se rc~server la faculté de disposer de certains
objets ou d'une somme déterm inée, le donateur pourrait
stipuler le droit de créer une charge sur les biens donnés,
de les grever, par e'\emple, d'nu e rente viagère an profit
d'une personn e quelconque. Il faudrait , dans ce cas , appliquer le principe que nous venons d'exposer.
"' ECTIO~
DE
II
DO:\ \TION' ENTRE ÉPOUX
Les époux peuven t e faire des libéralités soiL par leur
contrat de mariage. soit pendant le mariage.
Les donations faite par l'un des futurs conjoints il l'autre
par con trat de mariage sont en principe oumises aux mômes
règles qu e celles faites par un ti ers. 11 est bon de remarquer
cependant : 1° qu'elles ne sont point révocable' pom cao.e
�-
'1 10 -
de survenance d't!nfants (art. 9GO); 2° que les donations de
bien · présents oesont point censées faites sous la co ndition
de survie du donataire (arl. 109 2); 3° que les donations
de biens à ven ir et l e~ donations cu mulati ves de biens présents et à venir de\' ienoen l caduques par le prédécès de
l'époux donataire et ne SDnL pas daos ce cas transmissibles
aux enfa nts issus du mariage (art. 1093) .
Les éponx peu\'enl également se faire des donation pendant le mariage. eul emen t la loi déclare ces libéralités
essentiellement révocables (art. 1096). L'o ri gine de celle
disposition est des plus curi euses à étudier.
A nome, les donations entre époux furent d'abord permises, mai- elles devai ent être bien rares. car les femmes
mariées étan t pour la plupart in 111an1t mariti n'avaient aucune fortnne personnell e et ne pouvaient non plus rien acquéri r pour el les-mômes. Ell e5 ne furent guère prohibées
que vers le règne d'Augu Le. Les motif~ de cette prohibition
nous sont donnés par les juri~co nsultes romains. llfori(ms
1'f'Ceplum est , ne inter virum et uXfJrem, donationcs vale·
rent. . . . . ne mult~o a more i11 vicem spoliarentur, donationibus non lemperanles, sc<l prof'nsa erg a se (acilitulc ( L. 1.
de Donal. inter vir. et ux.) ..... ncconcordia71retio co11 ciliar i
videretur, ncvc 111elior i11 paupertatcm incideret. dctcrior ditior fieret (L. 3, Cod. til. ). Par la so ite ces principes se
modifièrent encore. Reconnaissant qu'il était injuste d'in·
terdire d'une façon trop absolue des li béralités qui pou vaienl
da os certains cas parfaitement se j uslifier, Septime Sévère
et Antonin Caracalla apportèrent un tempérament à l'anli·
que prohibition el décidèrent par un sénatu con ulte connu
soas Je nom rl'Oratio A11to11ii1i qu e les donal10ns i11t1·r virnm
-
':211 -
rt uxorem deviendraient n iables à la mort du donateur ,
si celui-ci avait persévéré ju qu 'à cette époque daos la volonté de donn er ( L. 32. § 1 de Donat. inter vir. el ux).
Les provinces de droit Écrit suiviren t le dro it romain
dans ce derni er état. Quant à notre législation Coutumière.
elle était loin d'ètre uniforme sur ce poi nt. Sans faire connaître en détail tou tes les divergences qui s'étaieot produite , bornons-nous cependant à constater qu e la plupart des
Con tu mes défendaient entre éponx toutes sortes de libéralités, sauf le ùon mutuel, aussi bien les libéralités testamentaire que le libéralité· en tre- vi~ (Coutume de Paris. art.
282 ; d'Orléan . art. 280). Coquille ex pliquait cette prohib!Lion en disant qu e • Onrant le mariage, l'amitié se doit
entretenir et conserver par honneur et en l'intérieur des
cœurs et non par dons." ( 1) Mais la principale raison qui
avait fai t prohiber ces li béralités est certainement celle qui
nous est donnée par FPrri ère " La raison pour laquelle nos
Coutumes se ~ont écartées des lois romai nes, en défendant
aux conjoints par mariage Loute espèces d'avantages et de
donations. est fondée ur le soin et le désir de consen·er
les biens dans l e~ fam ille . • (2)
Le droit intermédiaire réagis'ant contre ces idées. autorisa d'une façon absolue les libéralités entre conjoints et
•ouvrit aux époux une carrière de bienfaisance san bornes. même pendant le cours du mariage• (5). (Loi du 17
Nivose, an XII . art. I li etG ·t .)
( 1) QufSI. 149.
(2) Gom111011l111:e l/e la <:m1tum.'' de l'm'is. nrt. 28~. n• 6.
(a) Vermeil, Code drs ,\11crts.~1011s.
�-
2 12 -
Le Code n'a reproduit ni les di ' po.itions du droit romain , ni celles de notre :lncienn c jn risprudence, ni celles
du droit intennèùiairc. Chacun de ces système· ava it ,
en effet. .es danger:; cl .es incon\' én ients. Prohiber les
donati ons en tre époux , c'était empècher ùes libérali tés
qui potn aienl ·ou\'ent être inspirèes par un motif très
légilime el très louable, et ciue le lêgi. lateur devrait,
tout au moins. respecter . Les permettre, au contraire,
sans restriction d'aucune ~;cirte, en les as.imi lant complètement a n~ libéralité' ord inaire·, c'ètait s'ex poser à re11clrr irréYocablc cl e donation qui pouva ient avoir été
faite sons l'empire ù'ent raincments irréfléchis ou ar rac h (·e~
par de~ obse sions el qui, par con.équent , ne co ntenaient
pas l'ex pression de la l1hre \'O lont è dn donateur . Le Code
a su éviter tous r,es da ngcrs en déclaran l révocabl e~, an
gré dn di. posan t, les avan tages qne les époux po11\'aien t
se faire pendan t le mariage. Tou tefois, lorsque ces a\'antages au ront élè ùégni sés so us la forme d'un contrat à Litre
onéreux ou faits par personnes in terposée3. iis seront
alors complètement nuls en vertu des dispositions de l'article 1099.
Les donations entre époux, pendant le n1ariage. peu·
ven l comprendre les mêmes biens qu& cell es failcs par
contrat de mariage, c'csl·il-d ire des bi ens présent . de.
biens à venir, des biens présunls et à. venir comulati\'e~ en t ; de même. elles ne sont pas so umises a l'appli cation des arti cles 911-4, D-15 el 91.1-G. Ceci ré ulte formellc~entj de l'article 911-ï. L'époux donateur peut révoq uer sa
l1~éralité, soil pa1· ac:tc authcntiqne . . oil par :ictc sous
·l mnmc
·
·
•~e 1 nn" ,,nrivr . s01
tac1Leme111
, en vendan t ou en don·
--- 2 1;) -
nant de nouveau les objc:ts compris dans la donation. La révocation pourra être faite par la femme. sans qu'elle soit
autorisée par so n mari ou par j ustic<l (arl. 1096) ; \'obliger.
en effet, a obtenir cett0 :iuLorisation. serait, en réalité.
l11i enlever le pournir de révocation que la loi lui accorde.
Di.>ons, on terminant, qu e la faculté de révoquer e t perso nn elle à l'époux donateur , el qu'elle ne pourrait être
exercêe Je son chef par ses créanciers (art. 1166) .
Qu elle esl la nature el le carac tère des donations entre
époux? Celte qoe lion e l encore discotée entre les jurisconsultes. La controver c qui les di,·ise prend sa sou rce
dans la disposition de l'article 1096 qui déclare ces libéralité révocable ao gré dn di. posant. C ~rta in . auteurs
prétenden t, en .r fondant nr cet article. que ce sont de
vér ilables libéralités testamentaires. Leor opinion es t trop
con traire aox textes de la loi pour pouvoir être admise.
L'ar ticle 1097 permet aox. conj oints de se faire des donations par actes entre-Yifs , et l'article 2 de la loi do
2 1 juin t 8'~3 soomeL ces libéralité· aux mêmes formes
que les libéralité entt'e-\'ifs, ce qui prouve bien qu'il les
range parmi celle -ci. D'après M. Troplong (T. 11-, n°26 '~0) ,
la donation entre époux ne peul pas ètre rapportée à on
type uniqu e; ce n'e t ni un e donation entre-Yifs, ni une
donation à. eau e de mort. c'esLLin mélange Je deux. Ce
y:;Lème doit être égalemenl rejeté. L'article 895 ne reconnait. en effet, que deux modes de disposer à titre gratuit ; la donation ent re-\' if· et le testamen t. Il faot donc
ranger la donation en tre eponx dans l'une ou l'autl'L' de
ces ùenx calêgories A notre av is, elle constitne une véri table donation enlrC·\·ifs; elle e Lsoumise aux mème forme ·
�-
214 -
el aux mêmes règles ; elle en renferme LOU"... les él emeots
·
·
comme celle-ci, elle exige le concours de deux volont .•
~·est en vain que l'on nous objecte ces mots de r:~
l1cle 1096 : Quoique qualifiées enl,.e·vi/'s, ce qui indiq
dit-on, qu'elles n'ont des donations oo tre-vifs que le ue ,
Il est facile de répondre à cette objection. L'article ~~:~
a eu ~our but de poser le principe de Ja révocabili té des
donations
entre époux
. En employ:rnt ces mot ~· .. Quoique
.
.
..
qualifiées entre·vi/s.
1
1
a
seulement
You
lu
dire
•
.
que 1es epoux
ne pourraient pas sou· traire une disposition à cette
révocabilité en lui donnant la qualification de donation
en tre-vils.
-
21 !j
-
CONCLUSïON
Le maintien dans le Code ciril de notre \'ieille règle
coutumière : Donnel' et retenir ne \'aut, a fait l'objet de
cri tiques de la part d'un certain nombre de jurisconsultes.
• Nous n'apercevons rien , dit ~I. Demolornbe, dans la
na ture des choses. ni dans les principes généraux du dl'uit,
qui fasse nécessairement obstacle à ce que la donation
entre-vifs pu isse être consen tie sous des conditions dont
l'exécution dépendrait plus ou moins de la volonté ulté·
rieure du donateur ; et la preuve en est que le légi lateur
lui-même a admis. à certains égards, ces sortes de conditi ons dans les donations par contrat de mariage ( 1) . •
Après avoir exprimé une idée analogue, M. Bathie ajoute:
« Ce qui avait sa rai on d'être dan la légi'lation Coutu·
mière n'en a plu, sous le Code Napoléon. Rien ne 'opposerai t plu donc au rétal.Jk semen t de la loi romaine
(relativement aux donation à eau e de mort) ou, tout au
moi ns. à la généra li aticn des dispositions exceptioooelle
qui ont été consacrées en faveur du mariage. Il e. t rrai
que le donataire a plu ' d'él\'antage 11 recevoir one ùonalion
il'ré\'ocal.Jle, cLqu e cette e·pèce ùe lil.Jëralité est plus favo(l)TomcX\'111, n i l\.
�-
2 16 -
rable à l'établis emen l d'un e famille qu'nn lilre fragile et
révocable. Mais le exigences de la loi. en cette mal ière,
éloignent de la donation Pt font préférer le te Lament.
Loin d'y gagner. le donatai re y perd , puisq ue l'impossibilité de faire un e donation révoca ble fai t que la libéralité
est renvoyée après le clécè'. Or, un e donation avec mise
en po~s"'on immédiate vaudrait mieux qu'un leg .
puis~e.fe :i taire y gagnerait la jouissance actuell e ( 1). •
O'autres al. ..Jurs ont essayé, au conlraire, de juslifier
les décision contenues dans les articles 9-'~;) et suivants.
D'après eux. ces di,po ilion, on tencorc,mèmcaujonrcl' hui.
une réell e ulilité. En forçant le dispo.ant à e dépouiller
à jamais de la chose donnée. biles lui font mienx comprendre toute l'importance de l'acte qu'il fait , toute
l'étendue de la perte à laquell e il consen t ; elles peuvent
lui inspirer des réJlexion salutaires , l11i permellre ùc ~e
dérober aux influences et aux ob~es io11s auxquelles il
peut être en butte ; elles mellen L sa volonté ùe donner à
une nouvelle épreuve destinée à en as, urer et à en garan tir
la libre expression. A un au tre point de vue , ellec: sont
utiles dans l'intérêt de la famille et de héri tiers du Jonateur . On est moins ùispo é à donner quand on sait que l'on
se prive soi-même et d'uue fa~·on irrévocable. Cette con idération peut arrèter le disposant, 1'empêcher de réalise r
la libéralité qu'i l complait faire, le détermine!' à co nserver
à ses enfants des biens qu'il aurait pcnl·être dissipés d'une
façon inavouable. L'irré\'ocauiliLé des donations est donc
toot à la fois une protection pour le donateur, une garanlie
pour sa ramille et ses héritier"
1 3~'. ) Uevu<·
tr1l1quP
lt61·1~1on
du Cod!' •Napoléon. l. X.À \ 'I JJ, p . 13i il
-·
217 -
Auquel de ces systèmes faut-il s'arrêter? Quelle est de
ces deux opinions celle qoi est préférable ? Nous n'avons
pas à le rechercher. Notre but a été d'étudier dans ch~- .
cune des périodes de notre droit la régie: Donner et retenir
ne vaot. Nous al'On examiné so os l'infio ence de quelle
itlée ell e avnit rris nai sance, comment elle s'était dé\'elop·
pée, quelles tra n forma tions su<:cessives lui
ien~ fa_it
snbir les siècles et le' progrès du droit. Ace. '? • 01ffic1lament à l'origine. elle a fini par . 'ancrer dan notre législation au poin l de rési ter à l'œu vre do temps et de nous
récrir encore. Nous avoo , fatl rnir quelles app!ication les
ré~acteurs do Code en ont faites, le' exception qu'ils Y
ont apportées. La s'arrête notre tàche. Nous avon montré
ce qu'avait été la règle : Don ner et reteuir ne vaut, dans le
passé, ce qu'elle es t clans le p1·èse11t; c'est au législateur et
non à n0us qu'il arpartienl de dire ce qu'elle sera da11s
l'avenir.
�-
219 -
POSITIONS
DROIT ROMAIN
Un droit réel d'usufruit ou de servitude ne peut
résulter des pactes et stipulations.
Il. - L'obligation du fidéjusseur contractée in durio·
rcui cat'-Sam est nulle pour le tout et non pas
seulement réductible dans la mesure de l'obligation principale.
Ill. - Le possesseur d'un bien revendiqué qui refuse
d'exécuter à l'ar/Jilrium judicis peut être contraint ma11 u militm·i à fournir la satisfaction
ordonnée par le juge.
IV. -- La défense faile au mari d'hypothéquer l'immeuble dotal, même avec le consentement de la
femme, ne découle pas de la loi Julia.
l. -
DROIT CIVIL
I. -
Le, constructions élevées par rusufruitier tombent so us l'application ùe l'article 599 et non
sous celle de l'article 5~5.
Il , - L'usufruitier n'a aucune action pour contrain/
�-
220 -
dre le nu-propriétaire il faire les grosses réparaLions.
1H . - Lo. eofan ls iocestuem nés hors mariage. de parcnl s ou al!iés on tro lesquels ex iste une prohibili ou de mariage susceptible d'être levée nu
moyeu Je dispenses , ne peuven t pa êtro légitimés par le 111ariage snb ·éqnen t que leurs pèro
et mère 1.:onlraclon t en vertu ùe ces dispenses.
IV. - L'article 1301.-contiont une règle de pre cripLion.
V - Dans le ca où la mère tutrice de ses enfanL se
remarie, an, e conform&r :rnx prescriptions de
l'a rticle 395 . le' alin éa, le mari cotuteur ùe
faiL n'c t rc ponsablo que de la gestion postéri eure au mariage.
DHOIT PENA L
1. -
IJ. -
L'action pub liq ue et l'action civile. ré ulta nt d'un
crime 0 11 d'1111 d1~ l i t , sont so umises à la même
prescription.
Le fai t de donner la :mort à une porsonno , u r
s0n ordre cnnstiluè un homicide volon taire.
'
OROIT MA RITIM E
I. ·-- La police d'assura nce 11'osl exigée qu'ad Jiro&ationem.
li. -
Les créanciers cll irographai rcs peuvon L fai rc as-
-- 22 1 -
surcr les na1•ires et le marcbandises de leur
débi teur .
111. -- En ca d'incendie le capitaine n'est poiot responsallle eo priücipe, vi ~ - à-vis des chargeurs, de la
pel'lCcl os marchandi5c à. lui confiées; c'est donc
h ceu~-c i li prou 1er qu'il y a eu faute de ~a part.
Vo
P.\R NOUS
Professeur, Président de la Thèse,
A. PISON.
Vu
ET PER~trs D L\IPRIMER:
0
Le Recteur de l'Académie.
BELIN.
�,
TABLE
De la Loi Cincia en Droit romain
l1 ages
Généralités sur la loi Cincia. . . . . . . . . . . . . . . .
PREMIERE PARTIE. -Etude du premier chef
de la loi Cincia. . . • . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
DEUXIÈME PARTIE . - Etude du second chef
de la loi Cincia.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Droit antérieur à la loi Cincia. . . . . . . . . . . . . . .
Econom ie du seconù chef de la loi Cincia. . . . . .
CHAPITRE l er. - Détermination des Donations sou.
mi~cs à la loi Cincia. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Seclion Jre. - Les Donations entre-vifs seules
sont soumises à 1~loi Cincia.. . . . . . . . . . . .
S ec/ion J/0 • - Certaines libéralités entre-vifs ne
sont pas soumises à la loi Gincia . . . . . . . . . .
§ I. - Des Donations faites infra modttm.. . . .
§IL - Des Donations ttllra modnm faites aux
personœ exceplœ.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
§III. - De quelques Donations particulieres ..
CttAPJ'l'RE II. - Fonctionnem ent de la loi Cincia
(De l'exeept1on /pgis Cinciœ). . . . . . . . . . . . .
S ection l'". - Fonctionnement de la loi Cincia.
§ I. - Donation pa1· voie de dation. . . . . . . . . .
§ II . - Donation par voie de promesse . . . . . . .
~ III. - Douation par \'Oie de délégation . . . . .
§ IV. - Donation par Yoie de remise de dette . .
Section Jl". De l'Exception legis Cmciœ. . . . . . . . .
APPENDICE. - But et Caractère de la loi Cincia. .
5
8
14
14
20
23
2-1
26
2ü
29
37
39
39
39
46
49
59
üO
73
De Ia règle: Donner et Retenir ne vant
Dans notre ancienne Jurisprudence et sous le Oode oivil
ANCIEN DROIT ... . .............. . . . . . . . . .
CHAPITRE I er. - De la Néces ité de la Tradition.
Cu \.PJTRE II. - De l' frrévoca.bilité de la Donation.
83
88
97
�-
224 -
CnAPTTRE III. - Origine de la règ:le : Donner et
retenir ne vaut.......................... .
CHAPITRE I V. - De ln ma\.ime: Donner et retcnil'
ne vaut sous l'empire de l'Ord0nnance de 17:31.
CODE CIVIL .. . ............ ... . .. .. . ..... .
C11APITHE I••. - Des Clauses compatibles avec la
ma'(ime : Donner et retenir ne \·aut ......... .
Section Jro. - Des Donations avec résen •e d'usufruit . . . . . . . . . . . . . . . . .... . . ..... . .. . .
Section l ! . - Du Droit de 1·etour conventionnel .
CHAPITRE II. - Des Clauses incompatibles avec
la maxime: Donner et retenir ne ''aut ... . ... .
Sectio11 Jrc. - De$ Donations faites sous J es
conditions potestatives de la part du donateur. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Section l !. - Des Donations de bien s à ' eui r.
Seâ ion II! . - Des Donations faites à la char~·e
par le donatairn d'acquitter les dettes du
donateur. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. .
Section 1 V. - Des Donations faite::; avec réserYe
pour le donateur de disposer des objets compris dans la libéralité ou d'une somme à
prendre sur ces objets ... .. .... .. ....... .
Section V. - Des Donation s mobilières faites
sans état estimatif ... . .. ... .. . ......... .
CH.\PITRE TIL - Des exceptions à la règle: Donnar
~t retenir ne vaut.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
.-:>ection f r•. - Des Donations faites par contrat
de matfage aux époux et aux enfants à naître
du mariage.. . ... .. . . .. . . ....... . . . . .
Section II. - Des Donations entre époux .... .
Co::çcLu rox . . .. ...... . .. .. ................ .
POSITIONS......... . . . . . . . . . . . ........... .
Aix. - Imprimerie J. NICOT, rue du Louvr<', 111. - 3399.
ERRATA
] 01
ll t
121
127
127
130
135
Page 12, nqte 2.
lellre XXI a<l Rufurn , au lien ùc
lettre I ad Rufum.
» 14, lig nr 11. telle(ul,au lieu de te/fut.
» 31,
» 2:2. j11sq11'a1t si.rième degré inc;/usitienicnl
et a1-' septième le sobrinn oatus. au
lieu cle ;11 q11'au septihne rlegrë.
» 33,
,>
lH. /,. 8 de Gond. causa dat., au lieu de
l. 8 de C'ond. causa.
))
»
6 . Xote par des con. tit11tions, au liE:u
de par les const it ut ions.
» :n,
8. interêts, au lieu d'intérêt.
)) 39, » 18. rlélégalio11, au lieu de sliputatio11.
l)
-±0, » ü. deuen11, au lieu de resté.
)) 42, »
7. à, l'égard de, au lieu de à l'r'gard des.
» 59,
»
l. di cussion, au lieu de discusion.
)) 76, »
1. r111 'ils étaient, au lieu de qu ·ils s'étaient.
)) 78, » 27. déterminer la i:aleur, au lieu <le la
rlétenni11er valew·
7U, )) 12. 11s11cupio11, au lieu de a ucapion.
))
))
85,
la lenure, au lieu ùe le tenure.
» 90, note !.
Comme11latre, au lieu de Co111111mtafre. .
98.
Notes ( I 1, au lieu de ( 2 ' .
r 2 1, au lieu de . .3 ).
» 91), }ig·ne 7. n e11.v COIL(Lll/ICS se11/e111e11l, au Ji eu Ùe
De1l.l' se11les coutumes.
» 101 ,
»
o. tous particuliers, au lieu clc tout par·
t ic11 /ier.~ .
1:3. ries traditions, au lieu de de t1·nclil1011s.
)) 107 '
\)
165
179
183
197
:200
:209
215
219
))
\)
))
�-
226 -
» 108, ligne 8. ù1dépe11dammer1t.. au lieu de indépen))
llO,
123,
144,
)) 160,
)) 180,
» 182.
\}
))
» 184,
))
\)
)) 199,
219, ))
demment.
))
16. cherchdt-011 .. au lieu de chercha-t-on.
» 27. ayants cause, au lieu de aym1t ca11scs.
>)
4. Fermer les guillemets après égard.
'> 21. aux donations, au lieu de au donatioris.
)}
13. itératum .. au lieu de iterum.
))
4. n'est anmdée que lorsqu'elle.. au lieu
de n'est annulée lorsqu'elle.
»
7. ils portent, au lieu de elles portent.
" 24. vue.. au lieu de veu .
))
30, les libéralités que les Liers font ai1.z;
futurs époux par contrat de mciriage..
au lieu de les libéralités que de
mariage.
» 10 . exécuter l'arbitrium,. au lieu de ea:écuter à l' ar bi tri u m .
11111111111111111111111111111
100215445
�
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Monographie imprimée
Description
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Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
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Title
A name given to the resource
De la loi "Cincia" en droit romain : De la règle "Donner et retenir ne vaut" dans notre ancienne jurisprudence et sous le code civil : thèse présentée et soutenue devant la faculté d'Aix
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Terris, Joseph de
Faculté de droit (Aix-en-Provence, Bouches-du-Rhône ; 1...-1896). Organisme de soutenance
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES-AIX-T-131
Publisher
An entity responsible for making the resource available
J. Nicot (Aix)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1883
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/240409795
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-AIX-T-131_Terris-Loi-Cincia_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
224 p.; 1 f. d'errata
24 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/395
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Alternative Title
An alternative name for the resource. The distinction between titles and alternative titles is application-specific.
De la règle "Donner et retenir ne vaut" dans notre ancienne jurisprudence et sous le code civil
Abstract
A summary of the resource.
Thèse : Thèse de doctorat : Droit : Aix : 1883
Etude de la Lex Cincia (~204 avant notre ère), loi interdisant le paiement d’un salaire à un avocat.
Etude de l’adage juridique « donner et retenir ne vaut » dans l’ancien droit et le droit français du XIXe siècle
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Subject
The topic of the resource
Droit civil
Droit romain
Description
An account of the resource
Etude de la Loi Cincia (~204 avant JC) qui interdit le paiement d’un salaire à un avocat et de l’adage juridique "Donner et retenir ne vaut" dans l’ancien droit et le droit français du 19e siècle
Corruption -- Rome -- Thèses et écrits académiques
Don -- France -- Thèses et écrits académiques
Droit -- Maximes -- France -- Thèses et écrits académiques
Refus -- France -- Thèses et écrits académiques
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/393/RES-AIX-T-127BIS_Cauvet_Gage.pdf
67f28dee560ae11900030bb5a37f6327
PDF Text
Text
FACULTÉ DE DROIT D'\IX
DU GAGE
EN
DROIT
ROMAIN
--c<i><I-
DU GAGE COMMERCIAL
EN
DROIT FRANÇAIS
THÈSE
POUR LE
DOCTORAT
Présentée par
CHARLES
CA UVET
AVOCAT
t\1.ARSEILLE
'l'YPOGRAP llIE
ET
LITUOGRAPITIE
3 . Quai de Hive-Nenve, :3
1883
·--
--
- --
-
H.
SERE.N
�DROIT
ROMAIN
pu f AcE
'
--
1
_.,._
. .
�DROIT ROMAIN
•
DU
GAGE
INTRODUCTION
Assurer le remboursemenl de sa créance en exigeant de
son débiteur cl en retenant pour le rc li tuer après paiement
un objet d'une valeur au moins égale, c'est là un moyen de
garantie loul élémen taire qui n'e· t certainement pa • une
imenlion romaine, et. qui se 1·clrouvc ou doit se retrouver
duns toutes les civilisations si rudiment aires qu'ell es soient.
Mais b mise en valeur de celle idée simple, on application
dan la pratique, son adap tation juridique, en un mot la
con truction de son mécanisme, toul cela devient l'affaire
du législateur cl par conséquent c t intimement lie au
ca raclèrc, à la con:.tilulion ociale cl politique du peuple
dont on éludie la législati on.
Le conlra l de gage e t un de crux qui, à Home, parYinrenLle plus tard à leur en tier dé\'Cloppcrnenl. La période de
format ion fut longue cl pénible. Il est pru de quc · Lions
où l'action lenlc et libérale du Préteur se manife · te a,·ec plu
de suite el de logique. A ce poiul de vue, l'bi'lorique du
gage en droil romain o[rc le plus haul inlé rèl et pcutserrir
à caracll'ri cr l'(J\olution pratique cl ~cientifiq u c de ce \Ïcux
quiri lairc étroiL cl solennel qui, sans ccou·sc et ans
révoluti on, dCYait aboutir à cc que l'on a siju~Lem ent appelé
la raison écrite.
�-
•
(}
-
Le droit romain ful Ion °t cmps san' admellre ce grand
principe qui domine aujourd'hui Loute la mali èrc des obligalions, à savoir, que le créancier a pour gage de sa créance
l"en -cmble du patrimoine de son débilenr. A l'origine de la
ociété romaine, ce n'est que par des moyens de coercition
exercés sur la per -onne que le créancier cherche à se faire
dé inlére -ser. Par la ma1ws injectio. Je débiteur tomb6
dan rc clavage du créancier élail \'endu trans Tiberim; s'il
aYait plu-ieurs créanciers, co n'é lail point ·e biens que ces
dernier- étaient autorisé à se partager, mais son cadane .
L1ü -toire ne dit pas ide pareilles atrocité' ont jamai été
pratiquées. Quoiqu'il en oit le droil du créancier ne sun ivait
pa- à cc- me ures (1).
L'ancien droil romain connut aus i une Yoie d'exécution
:i.m· les biens, mai elle étail exceptionnell e cl Loul à fail
inappli cable aux créances particulières, c'c L la pignoris
capio . EUe n'avait lieu qu·en certaines malièrcs de droil
public ou sacré limitalivcment déterminées (2). Le créancier
était autorisé à sai, ir lui-môme comm e gage des biens du
débiteur. On ne sait au juste qu els étaien t le effets ou les
con équences de cet te saisie.
Plus tard apparut la bonorum vendilio dont la création est
altfibuée à un préteur appelé Rulil ius (3), ver· le septième
ou huiti ème iècle de l'ère romaine. Le- créanciers avaien t
dès lor · la faculté de faire procéder à. la vente en mas e des
bien de leur débiteur, mais il ne pouvaient procéder à la
vente indi,•iduelle d'un ou de plusieurs biens, mèmc uffisan ts pour Je- dé-intéresser. Celle voie d'cxéculion avait
encore ce caractère pcr onnel qu'elle entraînai t lïnfamie du
débiteur. Ce n·e t que dan - le dernier élut du droit que la
bonorum vendùio fit place à la distractio bonol'um ; les
(1) Gaï11s IV. 21.
(2) Ga 1us IV, 26.
(~)
Gaius IV, 35.
7
biens ne sont plus vendus en ma ' C, mais seulement en
détai l, avec le mindèrc d'un curateur.
En somme, ces voies d'exécution n'offraient pas au créancier une garantie bien efficace et d'une réalisation facile el
rapide. On co nçoit que , dans ces conditions, les créanciers
cherchassent à se prémuni r contre lïnsolvabilit.é de leur
débiteur en exigeant des sûretés accessoire~. On comprendrait su rtout qu'ils eussent préféré cc genre de sûretés dites
sûretés 1·éelLes qui leur auraient évité la procédure compliquée de la bonorum venditio et a -uré ' ur les biens de leur
débi.teur un droit pécial. Cependant il e t un fait incontestable, c'e l que pendant longlemp les Romain eurent une
preférence marquée pour les sùrelés per-onnelles. L'adpromissio -ous ~ Cs formes multipl es con lituait la garantie par
excellence.
Les preuves de celle pr6férence si caractéristique abondent. Lorsque Je préteur conlraint rune des partie à
conlracler avec une au lrc une obligation pour la sûreté de
cell e-ci, il exige toujours une caution; el dans Lous le ca
où une caution était exigüe, il n'était pas loisible au débiteur
de fournir une sûreté réelle à la place. Le Lexte d'Ulpien le
dit fo1·mellement : Prœtoriœ sntisdationes per onas desiderant pro se intervenicnliwn; et neque pignoribu quis, 11eque
pecuniœ vel a11ri vel a1·.q enti depositione in vicem satisdationis (ungitur (1). Le gage réel au contraire était con i-
déré comme une sûreté pro\ i ' Oire en allcndanl une caution.
Les textes nou en fournis cnt de nombrem: exemple· .
Labéon (2) nous parle d'un propriétaire qui · c contente d'un
gngc en allendanl qu'il trouve un fidéjus-eur el Screvola (3)
d'un débiteur qui ayan l promis un sponsor prie · on créancier de vouloir bien e contenter d'une hypothèque. Dan '
son trnilé De re rustica, Calon donne un modèle ùe contrat
(1) D. XLV L 5, Ile stiptûut. prœlcl' .. 1. 7.
(2) O. XX, 6, Quibus mod . pion .. l l l.
(3) D. XX, 1, Oc pi91101·i/lus, l. 3•1§ l .
�- 8 par lequel un fermier confère au propriétaire une sûret6
réelle sur se capitaux d'exploitation ju qu'à cc qu'il ait pu
c procurer une caution.
Il reste à e'l'. pliquer ce Lte préférence i contraire à nos
idée cl à no· habitudes moderne . C'est dans l'éLat social eL
économique de la jeune SociéLé romaine qu'il faut chercher
cette cxplicaLion. L'organisa tion sociale du peuple romain
avec es liens étroits el multipliés de famille, de clientèle et
de caste , la gens avec ses nombreuses rami fications, permettait de trouYer des garants toute · Je.; fois qu 'on a1·ail besoin
de leur concours. D'autre part.si l'on considère qu'à l'origine
le peuple romain ne se compo ·c que de laboureurs el de
pa· teur . de quelques arti.:;ans cl d'un petit nombre de
famille · d'une opulence relali1e , qu'il csL dans un état de
guerre incessant, que les avances son t faites à des emprunteur· qui n'ont som cnl pas ùc sûretés rée ll es, sériruses à
offrir, on comprendra que l'accession des fid é,iu eurs est
une garantie meilleure que l'nffcclaLion de l'ou tillage misérable de l'artisan ou d'un champ ravagé par la guerre. ~fais
aYec le lcmp~, aYcc les progrès de la puis ancc romaine,
quand les trésors de peuples conquis commencèrent à
afflu er, quand d'autre parL les liens de la fami lle ou de la
gens erelâchèl'ent au disparurent, il de1•ait s'opérer et il
s'opéra en effet une réaction complète; les sûretés réelles
i néglig6es jusqu'alors vont se dé1cloppcr cl prendre la
place qui leur condent Yérilabl cmcnt. .\u IX0 siècle de
Rome le jufrconsulte Pomponiu::. C\prirn e hicn l'opinion
de es contemporains par la formule : Plus est cautionis in
re quarn in persona ( 1).
Le pi(Jnus devai t donc, par la force des choses, deYcnir un
acces oire d'autant plus indi ·pcnsaulc dans Ja praLiquc des
affaires que nous avon · sommairemeut énoncé quelles
étaient les difficultés qu'imposait au créanciel' la pl'océclurc
D.L. 17. De 1·ca. jur., 1. 25.
-
!) --
imparfaite de la bonorum venditio. A.u lieu d'une vente en
masse de tous les hicno:; , le créancirr gagiste peul faire vendre inclividucll cmrnl l'objet dn gage. Plus de partage a\'CC
Jes autres créanci e r~, mai s un droit de préférence ur le
prix; plus de ri ques à courir, la rélcnLion du gage le
garan tit des aliénations qui auraien t fait sortir la chose du
patrimoine du débiteur.
C'est là du moins le gage ùan.:; le ckrnicr clal du droil.
.\.van l de l'étudier en cl{•la il, il importe d'en rechercher
J"originc et d'en su ivre le dé,cloppcmcnl. Xous verron · au
rl éliul 'orgJniscr en droit ci1il l'aliénation fiduciaire; puis.
à cùté, naître et grandir sous lu protection du préteur. Je
véritable contrat de gage pour aboutir enfin par un dernier
perfect ionnement à la conslilulion de l'hypothèque. JI ne
faucl rnil cependant pa rni1· là lroi::; pcriodcs bien distinctes
el lrnis systèmes ::.uccessif- . Entre le gage proprement dit et
l'h) poLhèquc il ne peul ) arnü· aucun conflit. _\. nome, et de
nos jo urs surLouL, chacun de ses droils a sa fonction
déterminée et son ulililé pacticulièrc. Si l'hypothèque s'c::.L
dén:dopp6c en dernier lieu, clic n·e,i ·tait pas moins en
germe dans ccrlaincs inslilulion::. dr droit public cl dans le
pig11us lui-même si rudi111 enlairr qu'il fùt encore. Quant à
l'aliénation fiduciaire, clic n'a pas <"lé remplac('c:> tout d'une
pièce par une im ention juritliqnr duc ü quelque loi. Il est
crrlain qu'en fail cLùc tous lc•s len1p~. il a dù arri1crque,
sans fornrnliLés et pour des delle!:> de minime imporlanec
surtou t, le ddiitcur rrnwllait ü son cn·ancicr la détention
d'un ohjc l en garnnlic de sa crl'.·ancc; mais c'était là un fait
absolume nt ckpourrn de snnrl ion juriLliquc cl il eût suffi
au d(·IJileur de rcve11diquc1· ln chose pour enlcYer au créancier ladôlention clu gage qu'il n'avait aucun mo~cn l é~al de
retenir. C'esL qu'l1 celle c'poquC' it nr samait èlrc question
encore d'un droit rêp] clc possC'ssion di stinct ù'un droit de
prnpri élé..\ Hrnl que le lll't'lt•111· cùl or~ani~(· les moyens
j uridiques de faire valoi1· la po s~rs ion, l'aliénation fiduciaire
�-
}()
-
était le ::.eul moyen effi cace de con · tiln c1· au créancier une
, ùrelé réelle ur une chose. JI impor'lc clone de donner trn
aperçu de celle forme primilÏ\'C du contrnt qui fait l'objet de
notre étude.
L'aliénati on fiduciaire comprenait une double opération :
1•Une aliénation ;
2° Cn pacte spécial appelé (iclucia.
Par Ja ma11cipatio ou la cessio injure le créancier devenait
propriétaire du gage; par le pacte de fiducia il , 'engageait
à relran::.férer la propriété à on ùebileur lor·qu 'il serail
déjntéres ·é.
La ma11ci'patio ou la cessio in jure par leur:. form e rigourcu ·e el cle drniL tricl ne ·e prêtaient à aucune condition;
le pacte de fiducie intervenait alors pour déterminer entre
les parties le- obligations ·pécialcs qu'elle arnient en vue
de créer et, tout en s'appuyant ur la mancipation.con crvaiL
le caractère de contrat de bonne foi. C'es t ain i que le même
prncédé servait primitivement à con:.til11e1· lc com modat ou
le df,pôl. Dans ces deux cas encore il y arniL Iran fcrt de propriété dans les formes olennell cs cl pacte adj oint pour
ohli 0 cr l'œ:cipiens à relransforer la propriété dans le- couditions Lipulèes, variant selon la nature du co11lrat qu'il
s·agis ail de former. Cc n'était pas un mode -péc ial am.
chose ; nou le Yoyon- appliqué au' person nes elles-mêmes;
c'e l ain ·i qne le père emancipalcur 'assurait le droit de
·uccéder à ·on fil émancipé.
Quels étaient les e[ects de cel le double opération'?
Le créancier devenait propriétaire . .\. cc titre il arnit à
l'égard de Lous, la po ses:.ion, la joui ·:.ance el la <li ·po ·ition
de la chose. Con tre tou , conll'e le Mliiteul' lui-même il
'
aYait la rei vindicatio. Mai::. d'autre part le conlraL de fiducie
lui imposait l'obligation de con crvcr cl de rendre lors du
payenicnL.
Le débiteur perdait la propriété de lu chose cl acqu érait
-
Il-
un e action per~onn ell e pour e~ i gcr de on créancier Ja
resiiluli on de la chose.
Du pacte de fiduci e naissaient cleu"I; actions personnell es:
l'une au débiteur, l'actio (iduciœ dù·ecta, l'autre au créancier
J'actio jiduciœ c01t1rorio.
'
L'action fiduciaire ùirccle sanctionnait au profil du
déhitem:
_1 • L'obli gation pour le cr<~ancier de rctransfér<>r la propné'té du gage dès que la créance garanti e lui aurait élé
rem boursée;
2° Si la créance n'était pas payée à l'échéance cl i le
créancier aliénait le gage, !"obligation où était celui-ci de
tenir compte de l'excédant du pri"I; de YCnlc sur le mon tant
de sa créance ( J) ;
3° L'obligation <l'indcmni. er le débiteur de - dégrada lion
et détériorations que la cho e avait pu · ubir du fait du
créancier . Mais comme ici le créancier c· t propriétaire <lu
?age, à la différence de cc qnc nous vcrron • pour le pig11us,
t1 n'es t tenu que de la culpa lrvi~ in co11creto ;
0
f. L'obligation où était le créancier d'imputer le fruit ·
qu 'il percevait sur le intérèls de sa créance; d'imputer ur
le capital lcsaulre. acquisi tion s qu'il pouvait rt>ali·er à rocca ·ion de la cho c. Par c\ernplc, ~i r'r't un esclaYe, Je·
hérédités cl les legs recueillis par ·on intermédiaire (2).
'ou n ïnsislcrons pa • ur le- d<'tail - de ces divcr·es ohl igalion que nous l'etrouvcrons en nous occupant de l'actio
pigneratitia directa.
D'autre parl l'action fidu ciaire contraire permettait au
créancier de reco uvrer le - impcn -cs quïl a\ ail pu faire pour
la conservation de la cho ·c (3).
Le droil de vendre la ficluriC' faul<' ile paiement à
l'ée héance était donné au créancier par le pacte de fiù ucic.
(\ ) Patti, Sent. JI. 13. ~ l.
(2) Pnul. Sent. I l. 1 3.~2.
(3) Paul, ent. II. 13. ~ 7.
�-12Ce jus vendendi qui finit par deYenir de l'essence même du
contrat, devait à l'origine faire l'objet d'une clause spéciale;
Plus tard celle clause de vende11do, devenue de style, fut souseo tenduc et, plus lard encore , la clause contraire en arriva
à ne produire d'autre e[ et que d'imposer au créancier
l'obligation de dénoncer la vente au débiteur. Nous verrons
dure te avec plus de développement le m~me progrès se
réali 'er à propos du gage.
L'aliénation fiduciaire avait de sérieux avan tages. Elle
donnait au créancier une ùrelé complète, puisqu'elle lui
permettait de retenir la chose ju qu'à parfait paiement et de
la rcYendiquer au besoin contre les déllileurs et conlre le
Liers. Elle abouti sait aussi pour lui à un Yéri lable droit de
préference, pui·que. 'il vendait la chose à l'éch6ance, il ne
de, ait compte au débiteur que de l'e\cédanl du pri\ de
vente sur le montant de sa créance. Jrautrc parl , le débitem
troUYait le moyen d'augmenter son crédit, sans perdre sa
cho e d'une manière dcfinitive, et il avai t pour la recouYrer
une action d'un effet puissant par la note d'infam ie qu'elle
pomait entrainer et par son caractère clc bonne foi d'une
portée très générale.
Elle avait néanmoins de très graves inconvénients. Le
créancier tlevcnu propriétaire pou, ai t, au mépri · cle ses obl igations, abuser cle ::.a ·itualion cl vend1·c le gage, soit avant
l'échéance, soit rnème aprb le pairmenl. L'action de fülucie. es:::cnliellement personnelle, ne donnait au débiteur
aucun pou mir à J'efJeL de pour~uiHe le gage entre les mains
des ti ers. Que le créancier clc, int in ohahle le débiteur se
lrournit san recours pos·ible.
Celle situation fâcheuse élail en pal'lic allénuéc par celle
Ï? sli t.u lion si~gulièrc connue :.ou · Je nnm il '11sureceptio
fulucae. C'é tait pour le ùéhitrur la faculté, :,;'il rccomrait la
pos~cssi on de sa chose, d'en redevenir propl'iétairc par nsucap1on cl cela ans di::;Lingucr si la clctle éLaiL ou uon paj ée;
-
13 -
auquclca· l'usw·eceptio 6tait tlit eiucrativo. Gaïus (t ) nons
en signale les particularitc:; : ell e s'opère sans ju Le li tre ni
bonne foi, par le délai d'un an, qu'elle s'appl ique à un meubl e ou à un immc11blc. Si le débiteur détenait cependant la
chose à litre de bail ou de précaire le délai de l'usucapion
ne pourrait courir qnc du jour du paiement de la dette (1).
L'aliénation fidu ciaire avait encore cet inconvénient que
le débiteur usa it par cc mo) en et d'un seul coup tout le
crédit que la chose pouvait lui faire acquérir, quelle que fùt
la di[ércnce qui cxi · tùl entre ·a delle cl la valeur \'énale clu
12.agc . Pour conscrrcr au débiteur l'u age tlc sa chose la praLic1uc avait imaginé de laisser la cho.;c en mains du débiteur.
soit à litre de précaire, oi t à lilrc de bail, pour un prix non
sérieux , nummo ww (2). ~lais c'était là un palliatif insuffiant; le précaire 6lant révocable à la volonté du concédant
et le bail n'empêchant pas plus que le précaire de lran·férer
des droits réels sur la chose engagée, si elle c~L immolJili ère, puisque le propriétaire peul Ja mancip er ou la céder
in jw·e sans la déten ir.
« En somme, dit~ [. Jourdan , (3) l'instinct pratique aYail
amené un résul tat conlruire à la rigueur des principes. En
droit, le créancie1· clait propriétaire incommutable de la
(i,ducia, :. i bien que sa propridé n'(•lait pa· mème rcsoluc
par le paiement; mais en fait le débiteur ctait con ' idèré
comme reslanl propril'laire sous la condition résolutoire du
non payement il l'cchéancc; alors seulem ent , en effet, le
créancier, afin de se pa~ c1· sur la chose ou sur son prix,
cxer~ail effeclivcmcnl ::>on action en re' cnùication qui re~
scmblait sin gulièrement à une action h ·pothècaire. ,,
Telle fu l sous le nom d'aliénation fiduciaire la première
forme juridique du contrat de gage. Mais bicutùl, par ln
( 1) Ga"ins. li .~ U
(1) Gr11us, lf. GO.
(:2) Gai us, 1l. GO.
(3) Jour<lan, De l'hy))O/M1111r, p. 50
�-
1-! -
création des interdits pos · essoires, le droit de possession
commence à se dégager el à s' organiset', le viem droit quirilaire •'humanise sou - l'influence du préteur ; le formalisme
rigo ureux tend de jour en j our à di pa raitre, le JilH·e con·enLemenl des parties va produire des effets. Dans la prncéclurc. le ' )""Lème formulaire remplace les achon de la loi ;
au nr:xum uccède le mutuum, à la mancipation dans l'aliénati on judiciaire, uccèdc dans les conlral de commoùat
lle dépùt et de gage, la sih1ple remise matél'iellc de la chose:
puis celle de la po::; ession con · idérée comme clroil réel. Dès
lors l'aliénati on fiduciaire, sans disparaitre de' ien t de plus
en plu , rare; elle e·Lencore u iléc du temps de Gaïus el de
Paul; il n ·en est plus question sous Justini en.
)Jais celte transformaliou fut cel le du temps . Le a-ao-e
0 b
.
.
'
n arr1va pa- du premi er coup à èlre reconnu comme cont1·at
muni d'action· . « Qu'est-cc, au fond , que le contrnt de
gag.e. di l )I. Jow·llan, (1) si ce n'est une convention (acio ut
f:t~Ms?En l'absence d'un bien ob ligatoire reconnu par le droit
civd, quelle élail la positi on du créancier gagi te? Il était
C\po 1\ ans défense à la re\'Cntlicalion du débiteur ; mais de
bonn? heu:e le préteur lui donna une C:\ccp tion de dol, nist
~es pzgnoris_nor:ii~ie tradita (uPril. Plus anciennement, peulelre, cont:aignll-1l le débiteur à une lipulation pénale pour
le c.as ~ù il réclamerait an~ a\ oi1· pa)é. Enfin le préteur
arri rc a refuser la revendication cl à ne donner qu'une action
personnelle naissant du contrat el clan laquelle il était natu~c~leme~l le~u compte <le la delle pour laquelle le gage avait
elc ~cm1s, si pecunia soluta vr:l a/io modo satis(11ctwn
(1œ!'lt._Du _mème coup, il paml ju le de ne pas réduire le
~réa?cier _a de plll's 1110) ens <léfensifs, cl on lui accorda
1 ac,t1~n pzgnr:1·atitia contraria .» Dé Ol'mais Je gage fuL ran gé
pa1m1 le contrats reconnus par Je droit civil cl donn:\
naissance à des obli gations récip1·oques cnti·e Je::: pat'L ies .
(1) J11111·J 1n , lïlypoll1cqu~. p ti8.
Le piqnus 6lait inconte lablrment un progrè sur l'aliénation fiduciaire, mai il pré entait rncore de grands iaconYénients . La néces ité de rûmellre la chose engagés pour
con Liluer le gage pouvait 6l rc préjudiciable tout à la foi·
aux deus parties, à l'emprunlem et au prètcur. L'emprunteur en livrant sa chose. 6Lait obligé de renoncer à la jouissa nce, il ép uisait d'un coup son crédil. Le prèteur, de son
c!lté, était obligé de con erver la cho c <le son débiteur ce
qui était pour lui une source d'eniburra::;, par sui le des ~ins
qu'il était ten u d'y apporter. Dans la pratique. ile tuai,
ces incom énienls étaient allénués par les procédés que nou:>
avons déjù vu emploj cr pour l'aliénation fiduciaire, qui consistaient à rendre la chose au débiteur à Litre <le bail ou de
précaire. Encore ici . e helll'lail-on il une clifficullé . .\. la diffh·cnce de cc qui se passait pour l'aliénation fiduciaire. dans
Ir pi!Jmts le Mbileur conse1·vaiL la propriété de la cho ·e, il
fallait donc aclme llre qu'une pcr·o nne pûl recevoir à précaire lu chose dont ell e était propriélain'; c'élail contrafre
au.\ principe::; ingénieux clu droit rom:.iin, mais l'utilité pralique ûn iLpar prévaloir su r l'nnal) se :>cienli fique el l'on admi L
la validité dr cc précaire en considérant qu' il anüt pour
objet, non pas la propriété. mais la po· se ·:.ion de la chose.
Q1lltm possessionis rO.fJPlur precarium, non proprietatis et" t
l10'c sententia utilissimfl ( 1). Quoiqu'il en soit, cc n'était là
qu'un expèùien l; un nouveau pas rc ·Lait à faire, celui
li 'assurer le gage du créanciel' sans lui l ran~mcllrc la pos ·e:,sion de l'objet. Cc'fnt l'clJcl de l'liypotlii:que.
Il n'entre pas clan s le callrc restreint lle not re étude <le
rechercher J'originr cl <le suivl'c le développement de celle
nou,·clle et puissante forme de Ct'l'<lit. ~ lais pour compléler
n.0L1·e aperçu hi toriqec :-.1 11· le con ll'al de g-age, il imporlc tlt'
!)1g naler dès maintenant l'i nOu cncc qu'exerça la throrie ùe
l'hyvolhèque sm le gage JH'OJll'ûnlC nl ilit. l h~ sormais , par
{1) D. XL llT . :>o. rie
/l1' f'f'
1. () ~ "
�- 16 J'aclÏOD qua i-servienne, le Cl'éanciel' 0 agi ' le peul atteindre la
chose engagée dans les mains des Lier ·; Je jus pignoris
est complété; le contrat de gage peul fon ctionner en Loule
ùreté pour le cr6ancier, en loul aHmlage pour le débiteur.
.\yanl d'aborder l'élude de cc conlral clans le dernier élal
du droit, il convicnl d'en pl'éciser la portée cL de le dislingucnoio-neusement de l'hypotlièque avec lequel il. se confo nd soU\'ent daus les lextes sous le terme générique de
-
cr~ditori, maxime si mobitis sit (:3), et de même au Digeste :
Pignus appellatum a puqno, quia 1·es quœ pignori dantur
ma.nu traduntur; ~tnde etiam videri potest verum esse quod
qu~rlam.Putan~, pi,qnus proprie1·ei mobilis constitui(4.). Cc
qu expn me Gams dans cc passage <lu Digeste, c'est une vérité
de fai t cl non de droit.
CHAPITRE l"'
p1g1ms.
Che.<1 nou- le gage esl un contrat par lequel un débiteur
remet ù son créancier une chose molnliàre pour la garantie
de sa delle. L'hypothèque s'applique exclusi\•ement aux
imme11bles.
A n ome, le molpignus s'appliquait d'une manière générale à toutes les garanties réell es données par un débiteur à
son créancier. Il comprend alors, non sr ulemonl le gage,
mais l'hypothèque; quelquefois mèrnc pir;nus cl hypolheca
sont pris indilJéremmcnt l'un pour l'autre. Inter pignus
autem el l1ypothecam tontum nominis so1ws di!fert. ( J)
Mais à proprement parler cl en w cnanllcs mols dans leur
sen stricl, il ·y a pignus si le <léhileur s'c::;l dessaisi en faveur
du créancier de la chose mèruc qui fait J'ohj cl du gage el
liypotlieca, si le débiteur con ·en c la possession de la chose.
Proprie pzgnus dicimus quod ad Cl'f'ditorem lt'ansit, /, ypot/iecam q11wa non transit nec possessio ad creditotem (2).
Il s'ensu it que la dislioclion des choses C'n meubles el
immeubles imporle peu el que le gage de même que l'hypothèque prmenl indifféremment èlre conslitués sur les uns
cl sur les autre . CcpendanL la tendance nalurcllc de la pratique ful dans le se ns de celle division; cela ré!'.ulle de la
déGniLion donnée par les Inslilutcs. Piqnotis appeltatione
eam proprie rem contineri dicimus quœ sinud etiarn traditw·
p)2) O.0 . Xlll
XX I. de pign. l. 5.
7.
de pign. act. 1. O.
sl
17-
Formation du PIGNUS
J'
CARACTtIŒS GÉNÉR.\UX
En considéranlle gage dan Je dern ier élat du droit nous
définirons lepignus: l'a/Jeclation péciale d'une chose à la
garantie du paiement d'une delle délc1·minée, par la remi e
de la posses ion de celle cho eau.\'. main' du créancier, aYec
le d.roit pour celui-ci de la vend1·c pour employer Je prix à se
dé mtéresser, 'il n'est pa pa)é à l'éch6ance, cl à charge de
la vendre en nature avec es accessoire , si le débiteur
'acquitte envers lui au Lerme Û\é.
Le caraclèrc principal <lu gage, celui qui res' ort toul
d'abord de la clas -ificalion <les contrats dans !es Jn-tilutes
c'est qu'il apparlicnt à la catégorie de ceu\ (JUÎ e forment re'
c:es~-à-?ire qui ne peuYcnt e\ister 'qu'il la comlition qu'il~:
a1L11vrm 'On de la chose. Saw cloute cette liHai on doit être
accompagnée du con -enlcrncnt ùcs parties, mais Jeur inlenl i ~n commune de con Lilucr un gage ne pourrait à elle seule
faire naitre le contrat <le pignu~ ; nul ne peut èlrc tenu
comme gagiste tant qu'il n'a ricn rc~u, car l'élément vérilablemcnlobligaloire, la causa civilis, c'est la tradition.
(3) fnst. IV; G. De nl'/io111bus. ~ ï .
(.!) D. L. Ili. De verb. ~ia11. 1. :!:l::l § 2.
�-
lH -
La lradilion, la 1·es, est aussi 1'6lément es 'entiel de trois
autre' contral re de la même cla ·se: le mutlllon, le conu~10dat et le dépôt. Mai· ici elle alfecte un caractère L?~t pécial.
Ce n'est pas, comme dans le m utuum, une lrad1lion translative de propriété, cc n'est pas non plus, comme dans I.e
commodal et le dépôt, une nuda traditio, dans le ens élro1L
du mol. A la différence du commodataire cl du dépositaire
qui n'ont absolum ent que la détention d? la chose,. le
crèan'.:ier gagisle acquiert un véritable droit de posse~swn
qui lui assure le bénéfice des interdits; il a la possessw ad
ùiterdicta. Xons nous expliquerons plus lat'd sur le sens
e'uicl de celle expression.
l.'n econd caractère essentiel <lu ga 0 e, c'est qu'il e' l un
contrat accessoire, en d'autre termes, qu'il s'adjoint loujours
à un contrat principal pour garanlÎl' les droits qui en résultenl et qu'il e t subordonné à l'e:\il)lence de l'obligation dont
il garantit l'exécution. Toutefois il c L un cas où son intervention sera à l'égard de l'obligalion principale non pas
seulement une garantie accessoire d'e\.écuLion, ruais un
moyen de sanction civile pour le ch oit du créancier. c'est le
cas où il accède à une obligation naturelle (1). Sous ce
rapport la condition jmidique du pignus n·est pas différente
de celle de l'hypothèque, de l'adpromissio cl de la cLausula
-
lü -
gage se sera formé et prod uira entre les parties le rapports
obligatoires qui le caractérisent, notamment l'obligation de
restituer avec Ja sanction de la pigneratitio. Nou- trouvons
au Digeste ce tex te explicite : Si q1wsi daturus tibi pecuniam pignus accepero, nec dedero, pigneratitia actione
tenebm· (1).
Au point de vue de la nature des actions qui en naissent,
on peu Ldire encore que le gage est un contrat de bonne foi.
Il donne nais· ancc à deux actions bonœ (tdœi : l'action pigne1·atitia directa el l'action pig1wratitia contraria.
C'est un contrat à titre onéreux, car s'il donne au créancier
une ùrelé plus grande, il procu re , d'autre part, au débiteur
un plu· grand crédit Pignw; utriu.;que gratia, et dr>bitcris
quo magis pecunia ei crederetur, et creditoris quo maqis ei
in tuto sil creditum (2).
Enfin clans la terminalogie moderne il serait appelé
synallagmatique imparfait, parce que trictemcnt unilatéral
à l'origine , il peul dans la suite faire naître entre le créancier
et le débiteur des obligations réciproques qui ne ont pas
<le son e ·sen ce. Ce caractère rc 'Sort de J'e'\istencc des dem:
actions pigneratitia et de leur qualification de directa el
contraria.
pœna.
i le gage est constitué pour garantir une obligation
future, il n'existe que du jour où l'obligation principale
prend naissance (2). Cependant il importe de faire à
cc ujel une obscrrnlion. L'ex istence <l'une créance
principale C$l absol ument néce:;saire pour engend rer Je jus
pig110ris, mais i nonobstant une chose a été livrée, à Litre de
gage, pour une delle nulle on non encore existante, le droit
?·éel de gage ne prendra pas naissance, mais Je contrat de
(l ) D. XX. !. De piyn. et liyp. 1. 5 pr.
I'!) D. XX. 3. Qu<uis pign. l. 4.
II. DE
LA CAPA.CITÉ DE
PARTIES
Le deux partie · cloiYent aYoir la capacité générale de
s'obligc1·. Le trarlens doit a,·oir en outre la libre cli -po·ition
de l'objet donné en gage, pui ·que le contrat peul amener
6venluellcrnent, à défaut de paiemenL à l'echéance, l'aliénation définitive <ln gagC'.
Ain, i le gage pou mit êlre con tilué non culement par
le propri6Laire, mais encore par l 'cmphytéolc,le superfüiaire,
(\ l O. XII L 7. De piyn. act. J. 11. ~ .2.
(2) lnst. Ill. 14. § l.
�-
20 -
l'u ·ufruiîicr, dans la limilc cl pour la durée <le l e~ r.- clro'.Ls.
Le fils de famille el l'esclave, s'il onL la liln:e adm1?tslrat10n
de leur p6cule, peuvent au-si engager le bi_ens qm le composent pui ·que dans cc cas il s pcuvcnL en disposer (1) ..
11 en esl de même du tuteur cl du curateur pour les biens
quïls administrent (2). Plus Lard quand il leur fu~ ~éfendu
d'aliéuer, mèrnc à titre onéreux, les meubles pr_ec1~ux du
pupille, on exigea pour leur mise eu gage l'au~ori ·ay?n du
juge qui ne pouvait èlre donnée qu 'en cas de nccess!le. (3).
Un fond é de pourni1· or<linaire ne peut engage r ..valabl cmcut les choses appartenant ù · on mandant que sil a reçu
. . .
de lui un pournir spécial à ce l égard ( f) .
Le coprnpriétaire pouvait engager sa part rnd1_v1 se; le
droit de gage s'étendait forcément ü Loules le:; par~i es de la
chose commune. Mais comme le partage éla1L, a Rome.
tran · latif de proprieté, Lou tes les porti ons, après le partage,
re:.taicnl grer ées du droit réel de gage jusqu'à ?o ucurren~e
<le la part de prop1·iélé qui appartenait au déb1Leur constttuanL (3) .
Le gage no pouvait être con Lituü sur la chose d'autrui à
moins qu'il ne le fùL sous condition pour le cas où la chose
Yiendrait à entrer dan- le patrimoine de celui qui l'engage.
Si Je 0craue
0 avait été con stitué sur la chose cl'aulrni sans celle
condition et que plus Lard leconsliLuanl en fùL devenu propriétaire, le créancier gagiste avail une action util e pour
ewrcer son droit (U).
JI semLlerail que la même solution devrait être adoptée
~ans clifficullé dans le cas où c'est le véritable prnpriélaire
qui ~ uccMe au débiteur. Cependant il ) a sur cc point
divergence entre lcs jurisconsullcs. l'au! décicle que l'action
(l) D. ~ III. 7. De pig n. act. I. 18 § 4etl. Hl.
D. XIII. 7. De p1y11. act. 1. 16.
(il
(3 O. V. 37. Oe adm . tut. c. 22.
~) D. X X. O.:. Quidm_od. piun. nl hJ~JJ· 1. 7 § 4.
'>) n. xrrr. '·ne p1yn. act. 1. 11. ~ 7.
G) D. X III. 7. De r1iyn. act. 1. 41.
t
21
utile ne sera pas donnée au créancier ( 1). l\lodestin au
contraire la lu i accorde (2). Quels que soient les efforts faits
pour concilier les deux textes du Digeste, il faut se résoudre
à une antinomie et admettre une progression des idées des
juriscon ultes (3).
Le sénatus-consulte Vell 6ien édictait une incapacité
spéciale pour la femm e. Aux termes de ce sénatus-consulte
Ja femme ne pouvait intercéder pour autrui. Elle ne pouvait
donc donner un gage pour garantir la dette d'un tiers (i ).
Le fil s de famill e qui emprunte de l'argent au mépris du
sénatus-consulte Macédonien n'est point civilement obligé,
mais contracte eul emenL une obligation naturelle; il ne
pourra néanmoins con liluer un gage pour garantir cette
obligation. car sinon rien ne erait plus facil e que de tourner
la prohibition du sénatus-consultc.Mais si un Liers constiluai l
rail lieu d'appliquer
connaissance de cause, il vau
ce bcrao-e'cn
J
b '
par analogie la règle relative ù la fid éj ussion et en vertu de
laquelle celle-ci peut intervenir util emen t (5).
Ces divers cas examinés, il importe de faire d'une manière
générale une distincti on que nous avons déjà présentée
dans la section précédente cl dont no us trouvons ici une
application plu élcndue.
Le crage produit de droil réel- et de obligation· .
Pour donner nais-ancc au droit réel clc gage il faut,
nous l'a\'ons dit, que le lraden ·oil capable de s'obliger cl qu'il ait la libre dispositi on de la cho e. Pour
engendrer les obligations, c'es l-ù-dirc pour la forma tion du
contrat de gage, la capacité <le s'obliger e L une condition
néce sairc et uffisantc, aus·i bien pour le tradens que pour
l'accipiens. Elle est nécessaire. C'e. L ain-i que le pupille
(! ) D X II I. 7. De piun. ac/ . 1. Il.
(2) D. XX . 1. 1Je7l1g11.et liyp. 1. 22pr.
(3) J ourda n . De lï1ypolhequ11 p. 373.
(-1) D. X \'!. l. Acl srn . - con. l'e//. 1. ~ pr.
(5 )O. XX . 3. Que 1·cs pi(!. l. :2. - XI\' . (} .. i d . S. C. ,l laccd . l. 9 pr.
�-
22-
qui recevrait ou donnerait un gag.e san . l_'aut~ritas tu~oris
ne serait tenu ni de l'action p1gnerattlw d1recta, nt de
l'action pigneratitia contraria, car i 1 n'a pu rendre ~a c~n
dition pire el par con équ ent contracter aucune obltgat1on
sans cetLc auctoritas (1). Elle osL suffisant.c. Prenons le
cas où c'e ' t une res aliena qui a élo consliLu6c en gage.
an cloute le non dominus ne peut confél'Cl' au créancier
gaoütc le jus pignoris; la cho' e engagée restera ou mi e ù
la revendication ùu réritablo propriélail'e. Mais à l'égard de
l'accipiens, le tradens pourra ·c prévaloir du contrat de
gaO'c. 11 pourra lor:ique le créancier sera clé intéressé
exercer contre lui l'action pignrratitia directa . 11 existe un
texte formel en ce ·ens : fs quoque qui rem a/ienam,
pignori dedit soluta pecunin, potesl pigneratitia experil'i (1).
Il n'est mème pa nécessaire que le traden~ oil de bonne
foi; le voleur qui a engagé la chose vol ée peut au ' i, quand
il a payé, agir par la pigneratitia. De on côté l'accipiens,
par la pigneralitia contraria, pourra, so it oblcni,. un nouveau O'age, soit se faire indc1nniscr du préjudice que le
tradens lui a causé. C'c l précisémenl à propos de la co nsLituLion en gage d'une res aliena que la pigneratitia contraria trouve son emploi cl on ulilit6.
li y a un ca' préYu par les lc-xlc où la con lilution de
gage a non domino e, L un ob·laclc non eulemcnt à la
nai sance du droit réel, mai· encore à la formation mèmc
du contrat. C'c t lor·que l'accipiens lui-même Pst propriétaire de la chose enO'agéc. Neque pignus, neque depositum, neque precarium, neq1te locatio rei suCf' consistere
potest (3). Mai · il en ·eraiLautrement dan · celle même
hypothèse, si le tradens détenait l'obj et en vertu d'un titre
(1) O. X III. 7. De piun. a<:t. 1. 38.
(1) D. X II[. 7. lJe pign. ai·t. 1. H. ~ '1.
(2) D. XIH. 7. De piy11. w·t. 1. Ù . ~ ~.
(3) lJ . L. 17. !Je rcu. jum l. ·15.
-
~3-
opposab le au propriét:iif'c par e'l:cmplc en \Crtu d'une
co n ·tiluli on d'usufruit ou par ~uile cl 'un L>ail.
lll.
DE L'OBJET D\' G.\GE
Le conlral de gage peu l avoir pour objet toutes les cho es
sont dans Je commerce cl qui ::,onl pro:lfcs à fournir au
cr6ancicr unr sûr el6 pour a créance . .\in i sont C'\clus : le hommc libres, les res dfrim juris (sarrœ et reb(JiOs<l').
Cet objet peu l èLrc meuble ou immeuble, corporel ou
in corporel. Xous a\ ons vu que le droit romain ne foi.:;ait
pas la clislinclion du droit francai.;, que le gage cl ( liypotlièqu1> ne di[éraient poi nt, comme chez nous, par l'objet
au\qu cls elles ·'appliquaient. \'ou::. a von· 'u au·si que dans
la prati qu e l'obj et du gaO'c était le plus oment mobilier.
D'aprè les texte · rigourcu-x clu droit ciYil, le gage ne ·e
forma nt que par la tradition réelle de l'objet, les chose·
incorporelle n'é taient pa su ccptiblcs d'une mi e en gaO'e.
Mais, plu · tard, grà.cc à lïntcncntion du préteur, alors quïl
ful admis que Io scnitudcs pourl'aÎE'nt s'acquérir par la
qua· i-tradition, le gage pul ètl'e constitué sur le servitude
l'ûcllc cl pc1--onncllcs. Telle c· t Ja règle applicable à ru ufruit qu i peul être engagé, quant à on C.\ercice, de même
qu'il peul èlrc vendu dan" rctlc mesure; cl comme ce o'e"t
que la ·en·itudc pcr·onnrll c et non le droit lui-mème qui
sera ainsi donné en gagr, ec ~agr c::.l oumis au\ mèmc;:;
moclcs d'extinction que l'usufruit cl ne peul lui ·urYivre. Le
créancier gaai Le nani.i clc l'usufruit sera prolt'.>g6 par le
préLeur au mo~ en de l'c\ccption : i 11011 inter treditorem et
cw11 ad quem usu(rurtn~ pertinf'f co11vf'11cril ut uw(1'1iCl11s
pignori sit ( l ). Il eu crait au trement pour le· au très ::.CrYilucles pct"onnellrs, J'u-,agc cl l'habitation; ce~ droit·
i nlu~rcnl · à la personne du bén uficiairn ne pomenl faire
l'obj et d'un gage.
f( Ui
11) D. X X. 1. n e piyn. et hypot .. 1. 11. ~ :? •
�-
2..f -
Dan les sen'itudes, il y a une di' tinclion à faire. Les
servitudes prœdiorum urbn.norum ne peuven~ ètrc donn.ée
en gao-e (1). Au contraire le ·crvitud('S!Jrœdwrum 1·ustico1'1lm peuvent Mre engagoes (2). Lo déù1leur permeUra au
créancier gagiste, en supposant nécessairement qu.c ce
croancier ai t un fonds limitrophe, d'exercer la servlludc
tant que la dette n'aura pas été éteinte. Que si la delle n'e t
point payée à l'échéance, le créancier pourra vendre la
servitude au propriétaire d'un fonds Yoi ·in.
Pourquoi celle différence entre les deux classes de ervitudes? C'est que l'e:\ercice d'une sen·itu<le rurale peut
être utilement transporté à un autre fonds; le créancier
qui le mettra en vente trouvera facilement des acheteurs.
Au contraire, le tran ·port de la ervitudc urbaine d'un
immeuble à un autre serai l dépourvu de Lout e ulililo pratique et, par ui te, d'une réalisation impo siblc. Quoiqu 'il en
soil, celle distinction formelle e Létablie par les texte·.
On pourrait aussi engager le~ offices (ntilitiœ) , c'es t-à-dire
les fonctions publiques rétribuées qui étaient cessibles el
transmissibles aux héritiers.
Le pignus nomi11is soulève une questi on plu complexe
et plus délicate. San· doute dan le dernier étal du droit
romain classique, aprè · la création de la JHOcuratio in rem
suan1 , après surtout que le p1·ocw·ator ful muni d' une
aclion utile contre le <lébiteu1· cédl\ on pouvait a[ecler un e
créance en garanti e du paieruenl d'un.c delle : eo clecursum
est, ut cautiones quoqu,. debilorwn pignol'i datentur ( i) .
C'élail ce qu'on appelait le pignus no minis. Mais ·ous ce nom
générique de pignus, était-cc bien le contral de gage dans Je
sen spécial du mol? Comm ent y retrouver celle condition
essentielle à la constitution du gage, la res, la créance
(1J D. XX. l. ne piuit. et li ypot 1. 11 ~ :1.
(21 O. XX. 1. /Je piy11. et hypr1t. 1. 12
:31 C. !\. 311. De hered , vtl act . vc11cl1la, c. 7.
-
'.23 -
n'étant susceptible ni de tradition ni de quasi-tradition ? Il
faudrait aller, cho e inadm is ible, ju qu'à assimil erla remise
du tilre à une quasi-traditi on ; celle théorie a été soutenue
mais elle ne repose ·ur aucun principe et n'est formul ée'
rlans aucun texte, Le pignus nomi11is qui se forme sans la
1·es, par le seul con sentement des parties , est donc une lzypot/1èque et c'es t à ce Litre que i\l . .Jour<lan le fa it fi uurer dans
son trailé sur l'Ilypothèquc en droil romain. 11 fau t ajouter
cependant que c'e tune h3 pothèque s1ti fjf'n eris. pui qu'elle
ne donnait naissance qu 'à un<' simple action personnelle et
ne conférai t pa • au créancier Ir droit cle e errir de l'action in
rem quasi-sen ·ienne. Par <'\em ple, il e consti tuant cédait sa
créance et si le ce·sionnairc en rece\'ait le paiement, ou bien
si le con lituant la nornil , le créancier ne pouyait revendiquer la créance éteinte; il n'avait à son service aucun e action
in rem, mais seulement une ac tion personnelle, la pigneratitia contraria, pour recourir con tre .on débi teur.
Cc caractère j uridiquc du pignus nominis ain ' Ï déterminé.
VOJOn en peu de mots qu els en ont les effet . Le créancier
nanti, non pay6 à l'échéance de sa propre créance, e t imesti
d'u n droil <l 'option. Il peul ou hir n ve ndre la créance qui lui
a él6 donnée en gage, cl l'acheteur aura unr action utile
pour en exiger le mon tan t de la parl 1lu cl éhiteur, c'c:::.t Je jus
vendendi; ou bien forcer clirecle1mnt au paiement le clehileu r cédc, égnlem<' nt par une ac li•rn uti le, c'e.:;t le Ju~ e.zi.rrndi. .\Jor· .i l'obj et de la crcnncr l1ypotliéqué,. c t de
l'aro-cnl, le créancier qui ra rcru <loil l'impu ter sur ~a propre créance; : :. i l'objet de la créance e t autre chose que de
l'arge~ I , le crL1;mcicr qui l'a re~ u le garùe à titre de gage
et tlcv1en t créancier gagiste ( 1).
Le droit de gage lui-Ill ème rouvait Nrc en~ngt1 à . on tour
potu· sùre té d'unt' dette; c'es t le pÎ!JllllS pi!Jnori datum,
autrement dit secwulwn p ig11us cl quelcruefois subpig11us.
(2) D. XX. 1. Depia11. dliypot . l. 13. ~ :?.
�-
26 -
Quel élait au juste le carac l~re juridique de cc ll~ opératio_n?
Quel était J'objel même remis en gage? Et ait-ce le_ ;us
piqno1·is, le nomen dont dépendait le gage ou la 1·es p1gn~
rota elle-même? 11 craildifficile d'adopter une cle ces trois
solution , isolément el d'une manière absolue, par la rai son
qu'ell es conlienncnl chacune une part <le v6rité, ou plutôt
qu'elle· sont toutes troi· ' Taies. Ccpcndanl , il importe de
remarquer que dan· tous le· lcxlcs où il r st que li on de
l'cngao-cment <ln gage par le cr6ancicr ga 0 isle, ce que l'on
indique comme l'objet du suhpi!Jnlf , cc n'es l jamai le jus
pignori , c· e, l louj our:, la cho -e mèrnc qui 6lai l Mjà engagée, res pignorata, id quod pignori obligntum est. La conéquence de ce poinl de vue c·c~l que la possPssio ad interdictn de la cho e pa se a\ ec le jll' pitpwris au sPcunrlus
creditor (1). Dan · ces condi lions , à la difffrencr Ju 711',rpws
nominis pur el simple, le suhpignus con ·tilue un conlrat de
gage proprement dit.
ne question a 6Lé di culée cl ré ·olue en sens divers,
celle de savoir si le subpignus comprend tacilemenl un
pignus nomù1is. L'affirmalive ne nous paraîl poinl douleu e.
En effet, 'il en éLail autrement, si l'engagement de la res
pignorala n'entrainait pa - l'engagement tacilr de la créance
ell e-même, le econd créancier gagiste, ·e"unrlus creditor,
n'aurait aucune aclion directe contre le débiteur auquel
apparlienl lares pignorata; . on dl'oit e bornerai t à une
action con tre son propre débiteur avec la facu lté de fai re
vendre la res pignoratn , 'i l n'é>tait pas clési ntérr ·é à
l'rchéance. Or le textes lui reconnaissen t le droit d'allcindre même le débiteur propriétaire de la rcs pignorota par
une action utile (2). Et de même 11' clébitrur pa)ant en lre
le mains du secundus creditor aurait le droit de retirer la
cho 'e. 11 n'y aurai t plus de re1> pi9norata cnlrc les mains de
(1) O. XLl V. 3. De divers. temp. prœscr. 1. 11. ~ 3.
(2) r. VHI 2'J. , i piun. datum sit, c. 1.
'
-
27 -
ce créancier, alors même que la res soluta serait un corp
certain. Dans ce dernier cas le SPc1mrlus creditor aurait tout
au plus sur ell e un jus retentionis,mais non pas le j us piqnoris, car il n'exi· Lerail aucune relation juridique entre la res
pignorata et lares soluta. Mais i, au contraire, l'engagement de lares pignorala entraîne celui de la créance, le
st,cundus creditor ne fai t que changer de res pignorata, le
droit d'hypothèque ur la créance, nous l'arnns vu précédemm ent, e tran· formant en un droit de ~age ur la cho e
pa)éc. C'e t en efîet ce qui ressorl C'\plicitement de la Joi
suirante : Quum pignori rem pignora/am nccipi posse placuerit, quaLNWS utraque prcunia debetw·, pipnus secundo
creditori tenelur rl Lam e:rreptio quam actio utilis ei danda
est. Quod si do min us solverit prcwiinm, pignus quoque pNimilw'. Sed potest dubitari manrjltid creditori nummorum
solutorum nomine utilis actio dando sit, an non; quid enim
si res soluta (uerit? E t verum e ·t, q1wdPompo11ius iibro V!J
ad E dictum scribit, si quidem pecuninm debet is cujus
nomen pignori datum est, exacta ra creditorem secundum
pen aturum ; si vero corpus is df'buerit. et solverit, pignoris
loco (uturum opud secundum crPditorem (1). Ce lexte ·aincmenl in terprété conflrme notre a r·~umenlalion (2).
Le effets du subpignu · tloiveol èlre considéré à trois
poinl - de vue dilférenl ' .
A l\'gard du dominus, débitcm-proprit'laire de la cho,;e
engagée, le subpignus produi l cet elfcl que ce débiteur penl
le droi l de payer directement son propre créancier ga~isle
à partir de la demmtiatio ; mais il ))CUL libêrer -on gage
en
W V
payant enlrc les main du ~rru11d11s crerlitor.
Au point <le Yue du con lituanl, dcm: cfîcls spéciaux. Si le
domi1111s ne paie pa · cl que le secundus creditor fas -e
vendre la res pi911orata, deU\ crranciers priYilêgi6- sonl en
(1) D: XX. 1. De piy11. et hyp. 1. I:i ~ :2.
(2) Sic ,Jourdan, L'llypothèq11c. p. :2117.
�-
'2
-
-
20 - ·
concour· sur le pfrc Ici pa de pn'vile9i11m temporis. Le
·1·e pr6féré au premier ,
secundus ci·e ditor sera au con t r..~ 1
Considéré comme droit réel le pignus produil au profil du
créancier:
attendu qu'il a reçu le gage de cel ui~ci. D'un au_tre c~té, le
premier créancier gagiste ne peut dt po er de sa c1é.ance.
Sïl l'éteignait par un concer t fraudule~x avec ?n déb1te~r,
le secunaus creditor ne ernitpa· rédu1L à un e s1~ pl e a~ll on
personnelle contre les auten.r de la fraude , il aurait LOUJOUrs
la faculté de vrndre lares p19norata.
1° Un droit de rétention jusqu'à parfait paiement (jus retentionis);
2" Un droit de po ·session d' une nature spéciale (jus
possess;onis) garanli par le inlerdils possessoires e t par
une action in rem, la quasi-scrvicnne; en d'aulres termes,
un d?·oit de suite;
3° Le droit de Yendrc le gage 'il n 'e- t pa payé àl'échéancc
(jus vendendi ) et de e pa)Cr sui· le prix à l'exclu ion cles
aulres créa nciers; en d'auLrcs termes, un droit de préf érence .
En ce qui concerne plus particulièrem ent Io s~cundus
il ré ulle du caractère que nous ~vons allnbué au
subpi,qm1s, celui d'être un gage e.l non po11~t seul?men t u~e
hypothèque, que le créancier gag1·te a les inlerd1ls posse oire el l'action qua· i- enienne avant même l'é,chéance d.e
la delle. Du fait que le subpi(Jints implique le p1gnus nom111is il ré· ulte encore que le sec1mdus creditnr non payé à
l'échéance peut, à son choi'\ , faire vendre le nomm ou la
res pignorata.
cr~litor,
C'est pai· celle section que nous commenceron • l'étude
des e[ ets du gage.
J. Du
P JG
rus
CON IDÉRÉ COMME DROIT RtEL .
§ 1« J' us R etentlonl.s
CHAPITRE Il
Effets du PIGNUS
Xou avon déjà vu que le pigm1s peut ôlre envisagé ou·
une double face comme contrat et connnc droit réel .
Considéré comme contrat, il confère aU\ parties contractante . dan leurs rapport · réciproque , de droits purement
personnels. Au débiteur conslituanl, il donne le droit de
contraindre le créancier à veiller à la conservation de la
chose engagée et à la reslilucr après le paiement ; c'est
l'objet de l'action pigneratitia dirf'cta. Au créancier qui
reçoit le gage, il confère le droit de se faire remhour ·er ses
impense au moyen de l'action pi:;nel'atitia contraria.
Le <lroit es~ c n ti el du rréancier, celui qui con· tilue sa
û.1·elé, es t de retenir la cho ·c remi ·e en gaO'e ju qu'à cc
qu'il ait élé in tégralement clé ·inloressé. C'e l le ju · relenlionis.
Tan t que la ùelle pour la garantie de laquelle le ga<>'C a été
donné, n'a pas été acquillee en en lier, la clio ·e entière e ·t
ouligée.
Le gage, comme 111~ polhèquc, e!'>t indù,ùible. Cela ' eut
dire <leu\ choses :
1° Chaque partie du gage est affectée au paiement de la
delle cnlil•rc. Si, pal' C\ cmplc, le crèanc ier a reçu pltl'icurs
choses en gage el que l'une <l'cllc 'icnne à périr par cas
fortuit , les auLres choses qu'il ùèticnl pourront t?tre retenues par l e créancier jusqu'à compl et tlésinlè!'C ' 5emenl.
2° Chaque partie Ùl' la CL'L'irncc C!:>l garantie par le gage
�-
30 -
tout entier ..\.lors même qu'il ne rc ·lerait dû qu'une portion
insionifiante de celle créance, le gage pourrait Mre retenu
el i:ème vendu toul enlier par le Cl'eancier gagiste.
Ce· idee ont d'une applica tion nt ile et fr6quenlc lorsque
la divil>ion active ou passiYc de l'ulili gation principale
'opère à l'ouver'Lure de la ucces·ion dont celle obligation
fait partie. Ladivi· ion n'excrccaucune influcncesur le gage.
Que l'on suppose d'abord la mort du débiteur. Celui de se.s
héritiers qui aurail acquitté sa part ùe la 1letle ne pourrait
pa • réclamer une part prnporlionnelle du gage, car la morl
du debileur n'a pas pu nuire au cn'ancicr gag iste el re'trcindre on droit de rétention (1). Si c·e~t le créancier qui
meurt lai anl plu ieurs héritier;:;, chawn d'ell\ n'a d'aclion
per:.onnelle con tre ·on dcbiteur que pour a part, ruai pour
celle part il peul , 'il u·e~ L pa · pa~ c, rete nir cl vendre le
gage en tier. Jllamfe ti el ùu!ubitati juris est, de(uncto
creditore, rnultis ,.e/ictis /1ere1lib11s, ru:tio11em quirlnn 11erso11alem inter eos ex LPgr: XIl Talm/arum dii:ùli; piyuus vero
in soLidum unicuique tene1·i. (2) C'C"sL là du moins la solution qui finit par èLrc admi~c, mais le principe de l'indivisibilité n'était pa encol'e, à l'cpoquc classique, reconnu sans
conle talion. Le te\te suivant cl'Clpien nous montre un ::.~s
lème lran itoire qui n'était encore qu'un achcminemenl ï't
l'adoption du principe de l'incli\ i::.il.iililé. Si creditori plure
extilerù1t et 1uii ex ltis pars cjus wlvatur, 11011 dt•bt>nf cœ1f!l'i
liercdes crcditoris injuria a((ici, sf'<l pos~u11t totwn (unrlwn
venrlere obLato debi lo1·i eo r;11od rohNerli r•orwn WJ/vit ,· <jllfl.'
sP11tentia non est sine rotione (:!}.Si le gage élail ab~olurnent
indi\i ible. le::.hérili c1·s nou pa~és ne seraient pas ob ligés
pour pournir \ endrc loul le fo11ds d'offrir au déuileur cc
qu'il a déjà \'ers6 a leur cohérilicr (i ).
n. x m. 7. De pio11. ""' 1. 8. ~ i.
(2) C. VIII. 32. Si U1tUS.. , r. 1. ·
(3J D. X 11. 7. De pir111. 1trt. 1. 11 ~ •I.
( 1) Jom'<lno, De l'llypothéque, Ji. 2Ùù.
-
31 -
L'indiYi ibili lé n'était pa- de l'e.sence <lu gage; elle était
eulemcnl de a nature, c'esH1-dirc, qu'elle c t conforme
au but que e propose ordinairernr nt le créancier en eügeanl un gage, celui d'arnir une garantie au::.. i complète
que pos iblc. Une chose peul dune n'êt re engagée que pour
parti e <le la delle, de sorlc que le gage soit éteint quand
celle partie de la dette , era pa ée, pourvu hien entendu
qu'il soit certain que c'csl là la Yolonl6 des parties. Voluntate domini ind1 ci pi9m1ç ita posse ut in 1w1·tem ohLi9atam
1
sit (l ).
Quelle est l'étendue de cc droit de relention, ou, plu. exacte ment, quelles sont les obligation. garanties'? c·e·t d'abord
le delle principflLe el, en outre, les obliaations acct>ssoires
qui s rattachent.
Ces obligations peuvent èlrc de dem -orle. : le une - que
l'on peut considérer· comme Ùe\'anl naturellement entrer
dans les pré\ i~ion des par tie·, les autres qui constituent
une dette plus ou moins distincte qu i n 'e t pu nécessairement garantie par le gage.
La première catégorie comprend le - intérêts moratoire·
ou légau:i., les impcnsc::. faite:::. par Je créancier gao-i -te dans
la mesure uù elles doi\'cnl èlrc rembour::.ees par le debilem (2).
Dans la seconde doivent ètrc rangés le intérêt· conrnntionnels et la clause peuale (3). Il netail point néce --airc que
ces acccs~oire eussent fait l'objet d'une ::.tipulation. « l!n
' impie pacte de 1Hw is pl'ie,·tandis · uffi-.ait pour que le gage
consti Luo pour le capital pùl lem ètrc etcndu. mais encore
falla it-il que tell e cùt été l'int ention des partie-.. )lai il
n\'Lait pa · Lesoin pom cela 11 'une eom en lion e\prc::.se cl il
sulfüail que celui qui funrni ::.ait le gage, a)anl ù'ailleur::.
connaissance de la com euliun rclali\c aU\ interèts, eùl
1
)
0
(1)
( 1) D. ~X: 2. ln quibus Cill<SIS ... I. 5. ~ 1.
[:?J D. XIII. 7. {)1 Jll!ftl. art. 1. 8. ~ ;1.
(:3) lJ. XX. 1. l!e Jl1u11. cl hyp. 1.' 1:.l. ~ ü.
�- ...."'_
>-
déclaré obliger la chose in omne rlebitwn ( 1). u Il ne faudrait
pas cependant que les inl6rèt· fnssenl conrcnus aprè la
con lilulion du o-ao-e;
dans cc ca · , le droit de r6Lcnliou ne
0
le· garantirail pa~, car il csl bien cvidcol qu 'il n 'était point
dans l'intention des parties cl 'alfecler le gage à celte nouvelle obligation (2). Si les iol6rêLs 6laienL usura.ircs, le a.roit
de rélenlion ne 'exerçait pas pour tout cc qui excédait le
lau..'I: légal p ).
La conslilulion du gage peul avoir élé limitée cxpres ément à la dell e principale ou à l'une quelconque des obligations acce ·soircs. Dan · cc ca ' le droit de rétention era
re · trcinl dans la même mc ·ure. lm crsrmenl le gage peul
aroir élé affecté par la conventi on des partie à deux ou
plu ·ieurs obligations principales; le droit de rélen lion le·
garantira toutes.
Il est maintenant un ras Loul particulier qui 'impose à
nolre examen, c'est l'extension de la garantie <lu droit de
rétention à de simples créance chirographaires . rn rescrit
de l'empereur Gorùicn(i) décide que lorsque le créancier
gagde a plu ieurs créances contre le débiteur, il peul retenir le gage jusqu'à l'enlier acquilLem cnl de LouLes les créance el mème de celles au'\quclle les gage n'a pas él6 aO'eclo
!or de la constilulion. Le re':>cril impérial ne faisait aucune
di'linction, peu imporlaiL que les <Téances chi rngraphai rcs
fu ·sent an térieures ou posléricures à la consliluli on du
gage. qu'elle · fu·~en l pa~ables aYanl OU ap1·ès celle pour
laquelle le gage arni t ét6 ~pécialcmenl donné. Si a' anl
d'avoir acquillé loulcs ses <lrlles, le débiteur intentait l'action pi9nel'atitia, le créancier pouvait I<' repousser par l'exception de dol. At si in posst>s~io11e / ueris constitulus, nisi
ea quoque pecunia tibia rlebitore reddatur vel of!eratw·
(1 ) Jourd an. De /'I/ypolh~que. p. 23:J.
(2) r. 1\'. 32. De usul'i~. c. ,1.
(3) U. XIII. ï . D•· piy11 . 111·1. 1. li . ~3.
( 1) C'. VIII. 27. Etiam ob chtroy .
33 -
quœ sine pi9norf' debetur, earn 1·estiluere propter exceptionem doli mali 1111n rogeris. l i ~ a dol en effet de la parl de
celui qui, ayant payé la delle garanlic el se trouvant encore
d6bileUl' envers le même créancier d'une somm e actuellemen t c.\igible, prétend se faire restituer la chose engagée.
JI csljuslc d'exi ~er <le lui, avanl de lui rendre sa chose, le
paiem ent de la delle chirographaire elle-même.
Mais est-ce un gage tacite, implicite ou un simple droit
de rétention ? Celle dernie re solution ùecoule de· termes
mêmes de la concession légale. En effcl. il est certain que
le creancier ne peul opposer l'exception de dol qu'au débiteur ou à ses héritier · cl non à ceux qui onl acquis un droit
réel ·ur la cho ·e. Quorl in secundo ci·cditore locum non
liabet : nec emm nf'cessi tas impon itur c/1irograpliarium
etiam debitwn prio1·i creditori o/ft•rre J ). Le ·ecoml créancier à qui une hypo thèque a él6 concé<léc peul obtenir le
gage du premier gagiste en oCfranL de pa~ er à celui-ci Je
monlanLde la delle pour laquelle le gage lui a élé con·enli.
mais sans ~\\ oir be:;oin d'offrir le paiement de la delle chirographaire. Xou · voyons donc qu'en ce cas le creancier
gagiste, 'il aYaiL un droit de rétention, n'a\ ail plu - Je droit
de préférence. Le mode mème par lequel "e\erce le droit
ronfrré pa1· le rescrit , l\:\Ceplion de dol, montre encore
qu'il n'6 lait point muni Ll 'uu clroil de :.uilc. En résumé,
c'étai t un ·impi e d1·oil de rétention.
r a-L-il lieu de se prcoccuper de la eau e et ùe l'objet ùe
la creance'? )1. .J omdan pense quïl y a liru ùe faire une di ·tinclion, que la c·au:;c de la dette importe peu. mai:. quïl
faut que l'oLj et soit une somme d'argent ~u:;ceptihle de
co111pen::.ation immctl iuLe a' cc le s11Jie1fluu111 rt'sullanl dt• la
\ Cllle du gage.
~
2 . Jus P ossesslonla
A. l'origine, le droit de rétention 6tait ln senlt' g-araulie
(1) J ou rùan, Ve l' Jlin ,otlu!que. p . :il :?.
�-
34 -
réelle que le conlrat de gage a suràL au créancier. Il pouvail
détenir Je gage jusqu'à paiement. Son droit 'analysail donc
en une simple gène pour le débileur qui avait conserv6 la
pos e'sion et la propri6lé.
Un pareil droit ne donnait au créancier qu'une garantie
bi en insufü -ante. Aucune voie de droit ne la sanclionnail.
Le gage venait-il à sortir de ses main , il ne pouvait en
recouner la po session matérielle et perdait ainsi sa sûreté,
alors même qu'il eùt été tlesgaisi contre on gré, fût-ce par
une enlrepri 'e coupable du débiteur.
Dans ce- conditions, l'aliénation fiduciaire avai l sur le
pignus, -i imparfait el i rndimeulairc , cle· avan tages considérable qui la faisait emplo} cr pre que c:œlu iYemcnt dans
la pratique.
L'allribulion au créancier gagi-le des interdit, posses'Oires, lui permettant de con·ervcr la chose engagée cl de
la reprendre, ·'il en perdait la détention , inaugura pour le
contrat depignus une nouvelle période. La lran formation
du simple droit derélenlion en un ' éritablc droit de possesion constituait un progrès con idérab le qui dans la pratique créait pom ainsi dire une sûreté nouvelle, plus facile et
plus commode que l'aliénation fiduciaire. Cc fut l'œuvre du
Préteur.
Cc n·était pas la po' es ion proprement di Le qu'avait le
cré~ncier ?agisle, mais une pos· ession .sui generis el restrernle pu1 que le débiteur au i con ·en•ail une autre ::,orle
de posse · ion. Le créancier fut possessor ad interdicta cl le
déLileur posses;or ad usucapionem.
Celle dirisi~n ~e avantages de la possession sort un peu
des règle~ ordinaire . En général , les effets de la posse ' :-oion
ne se réalisent qu'au profil d'une seule personne. Ainsi dans
les cas d'un.bail, d'un commodal ou cl 'un dépùl, le fermier, le
~ommodata1.re et le dépo ilaire ne sont que de détenteur- ;
il~ sont les rnstruments de la possession du tradens ; ils
n ont que le corpus, c'c ·t dan la personne du propriétaire
-
35 -
que réside l'animus. Il semble que, rigoureusement, il en
devrait être de même pour le créancier gagiste, qui ne saurait avoir l'anirnus domini, san lequel Loule po session est
impo·sible. Et cependant aucun <loule ne peul exister, en
l 'éla~ des te~~es les pl.us formels. Le créancier gagde
posscde à la io1s pour lu1-m~me et pour autrui ; pour luimôm~, a~ interdicta; pour autrui , ad usucapionem (1).
Pour 3usl1fier celle distinction, l'on di·ait qu e si le constituant seul avais I'animus domini, le créancier a mit du moin ·
l'animus rem siôi lzabendi. Il nou · cmble que ce - c~plica
lion si subtiles· qu'elles oient e concilient difficilement
a\'cc la théorie de la posse ion, el ·ans chercher à le·
approfondir, nous cro)ons que celle division de- avantao-es
de la possc sion n'e t due qu'à des con iùéralion - praliq~es
plu ' puis antes que la logique inexorable de· principes
abs traits. Pour qu e le pignu constiluàl une sûreté efficace
il était de toute nécessité que le créancier eûl Je moyen d~
con er\'er et de recouvrer, au besoi n, la pos -e-sion malériPlle du gage; or, les inL1~rèL possessoires produi' aient
précisément ces e[eLs; on les lui donna. D'autre part, Je
créancier n'a\'ait aucun droit légitime à bénéficier de la
possession ad wucopionem; cc n'c t pas en c[et dans
l'inlenlion de devenir propriétaire qu'il a contracté; ou
lai ·a au débiteur la posse sio ad usucnpionem. Bien plu·,
il y a tout arnnlage pour le créancier que ce dernier ail la
possibilité ù'u-ucaper, pui que, s'il dc,icnt proprietaire, la
sùrelo du créancier n·en est que plus forte.
Le cr<~ancier pou mil ùonc emplo) cr, soit les inlerdib
rr>cupe1·and11• po sessioni.~ ca1w1, lorsqu'il •\\ail perùn la
p o~scssiou, ::,oil les interdits retinendœ possessio11is cau.~a,
101·squ'il ' cnait à èlre troubl6 ùans l'c\ercicc de son droit.
Les interdits ad1/Jiscf11dœ possessionis ne lui auraient él~
(1) D XLI. 3. lJc usw·op., l. l<i . -
1. 3G.
D.XLJ .~. ntau1.nlam.piss.,
�-
- :36 -
d'aucune utilité puisque le contraL de gage suppose dès sa
formation la mise. en possession du créancier gugi ·te.
L"objeldu gage éLail-il un immeuble, c'e L l'interdit uti
possedetis qui sera mis en jeu en cas de troub le 1 l'interdit
unde vi en cas de déposses ion violente. S'agiL-il d'un meuble, le créancier a l'in lerdil utr1tbi accordé à celui qui ava iL
pos,édé le plus longtemps dans l'année..
Ces interdits poU\aicnl ·enir tout il la fois, eL contre les
Liers détenteur · et contre le constituant qui aurait tenté de
reprendre d'une mani ère ill égiLimc la posse ion nalurell c
du gage. li en est au trement en matière de précaire ; le
prêcari:ote a bien le intcrclib possc :ooircs, mais à l'encontre
de- lier · seulem ent, il ne peul les C\C l'CC I' contre le concédant. Le ca· J e l'usufruitier est différent ; il po sèdc à la
foi pour lui-mème cl pour le nu-propriétaire; cc n 'e' l plus
un e :;c ule el mèmc possrs:oion qui suhcli' i ·c ses effet:;, cc
ont de_u\ possessions dislincles. L'u uf'ruilier h la quasipossesswn de son droit d'u ·ufruiL cl à son serYicc des
inlcr~il quasi-possessoires pout' le faire respecter ; d'autre
p~rl, tl p~ s:oède qu~nt à la nuc-propri6lé, pour le nu-propri6laire, mat ~ cc d~rmer seul a les interdits pos essoires proprement dits qui ne pa·sent pa · à l'usufruitier.
L'att~ibu_lion_ au créancier gagiste des interd it , posse · oires avait fait faire au contrat de gage un pas considérable .
un no?Yeau progrès rc:olaiL à r6ali cr, celui d'armer l ~
creanc1?1' d'une vi~rilabl c action in i 'Pnt qui pû l sau' e"'arder
· lrrd"t
· Le-~ m
ses droits
1 :.· ne 1m.
. à l'encontre de tow les Lier:..
~?nna1~nl qu'un~ ~ùrclé incomplète; c'c.:ot ain~i rruc si, par
~ I~Ler~1l unde Vl, il po,uv~iL arri\ CI' à recouuer le gage dont
i~ a\all élé ,.dep_os:.6Ù1', il n'avait de recours que contre
.
J rnshgaleu r ùc. ]a, iule.nec. une "cl·
1auteur ou
10 u 1 n rern
u
,
.
•
au contraire lui pcrmcUaiL <l 'aLLrin<lrc tout dAle l
\) n cur que1
.
'ï f(i C
qu 1 t; elle actwn réelle lui fu t enfin donnée.
. A cote du gage, l'hypothèque avait pris naissance. Par un
:otmplc pacte, le créancier 1wuva 1·1 s ·as:.urc•', pour garantir
3î -
a créance, un droit réel ur la cho -c.. li n'entre pas dans le
cadre de notre étud e de rechercher par quel enchaînement
le Préteur arriva à créer cl à organi:.cr le droit réel au moven
de l'actio servimw et quasi-~e,.,.irmrz; nous en conslal~n
l'cxislencc à un moment donn6 pour parler de l'ex.tension
qui en ful fai lc au con trat de gage. Cette extension était
logique. Le gage et l'hypothèque, avec le mt\me but, ne
différaient que par le mode de formati on. En cO'eL, tous
deux tendaient à donner une ·ùrclé réell e au créancier, L'un
par un contrat 1·r, l'au tre pl r un impie pacte. Quand Je
Pré leur euL donné au créancier h polhécaire un droit réel
opposable à Lous et énergiquement :oanctionné par l'action
qua ' Ï- · crvicnne pouvait-on aùmellre qu'un :.impie pacte eûl
plus de force qu'un cont1·at r<' '? \.us i de mème qu'il avait
allaché à l'hypothèque les effet· du contrat de 0 age lorsque
gràce à la quasi-sen icnnc le créancier avait acquis la po--es::-ion, de même le PréLcur allacha au gage le· effets de
l'hypoLllèque ; les deux institution · furent pour ainsi dire
fusionnées. En ' e pla.çanl au poin t de vue de raction in rem
Marcien a pu dire aYcc rai~ o n. ln!er pi,rpws el l1ypothecam
nom•ms f rmtum sonus di/fPrt 1 I ). Non,,, trouvon · au Di O'esle
pèlc-mèle le ' leüe · relatif· am dcu'I: in:;tilution · .
L'action quaçi-s1•,.1:irnnf>, appelée au:»i pù;neratitia in
rem, J, ypotlœcal'ia, rtai t. a' o ns -nou~ ùit, une action in 1·em.
En effet, le droit qu'ell e aH1il pour bul de "anctionner ètail
un droit dirrct sur la dtti-.c etlL•-mème. Elle pouvait ètre
intentée avec succès contre tout clètcntcur de la chose
engagée (2). Que :oi cc dctenlcur était un creancier qui avait
reç u sur la mèmc cho.;;e un droit ÙÏ1) polhèqu1' le créancier
gagi · tu triomphait. ruai "cnlement ù la cnnùition d'avoir un
rang pr(•fernblu ù celui tlu créancier h~ polhécaire ù"aprè' la
rtlgle : Prior tempore putior jure 13), la date ü considérer
11) n. '\~. l. D. p•u11. ri l1y11, 1 ~i.
(:.?) l >. X\.. 1. ne p1u11 1•/ hyp ., 1. 1 1.
(:l) D. X:\ 1. Ue Jli~111. cl lt!JJI , 1 l:.? .
�-
38 -
pour déterminer le rang du créancier gagi·te étant celle du
contrat et non celle de l'entrée en pos·ession.
Pour intenter la qua ·i- erviennc le cr6ancier avai l à prou1•er que le con tituant se ftl l trouvé en mesure d'exercer
lui-même la Publicienne (1). A la différence du créancier
hypothécaire. il n'avai t pas besoin d'attendre l'échéance pour
l'intenter, car en vertu du contrat de pi9nus le créancier qui
a la po session ab im"tio doit ôtre armé dès l'origine pour
défendre a po se ·ion.
La qua i-serYienne était une action arbitraire. Le judex
condamnait le détenteur à payer une somme déterminée, si
toutefoi celui-ci n'aimait mi eu\ e conformer à l'arbitrium
en abandonnant la cho e engagée. La condamna tion pécuniaire qu'obtenait le demandeur était réglée ur le montant
desondroit,idquodinterest. Cel in térê t variait; il était
égal à la dette principale augmentée des acce ·oires si
c'était le con lituant lui-même qui élait le d6fcndcur ; dans
les autre ca", l'intérêt était &gal à la valeur de lares pignorata, mai ' si cette valeur e.\cédai t le chilfre de la créance
le créancier gagiste était tenu de l'exc6danl vis-à-vis d~
débiteur (2).
La formule de l'action était rédigée in factum. Le texte
ne nous en e t pa parvenu ; mais on a pu, à l'aide de divers
fraO'ments du Dige Le, en reconstituer la r6daclion : Judex
Psto: S~ paret eam rem de qua agitur, ab eo cujus in bonis
tumfuit Auto .Agerio pignori h!JpotltPcœue obtigatam esse
propter pec11niam certam creditam, eamque peruniam neque
solu~~m 11eque eo nom_ine satis( aetum esse, nPque pr•r A ulum
Age1 ium stare quomznus so/vatur satisvefiat 11isi arbitra tu
tua N1~merus Negidius out 1'P1n Aulo Ageri; restituat aut
pecumam.s~lvat , quanti ea res est, tan.am pecuniam umerum Negidium Auto A.qerio, condemna; si non paret
absolve.
'
(]J D. ~X. l. De pign . et hyp., l 3, 15 et 18.
(t) D· XX. 1. lJc pt911. et l1yp , t. JGet 21.
-- 30 - -
L'attribution de l'action réelle au créancier gagi Le n·en
laisse pa moins subsi -ter l'utililé des interdi ts possessoires.
Sans doute ils deviennent moins indi pensables au créancier
gag i te, mais ils avaient un avantage sur l'action in rem.
Pour triompher dans le - interdit , il suffisait que le créancier gagiste prouvât sa posses ion ; au con traire pour exercer avec succès l'action in rem, le créancier était obligé de
prouver que le constituant a\•ail eu la propriété au moins
prétorienne de la cho e. rous voyon d'ailleurs que Je propriétaire qui peut agir par la rei vindicatio n'en a pas moins
à sa di -po ilion les interdit po . c ·oire·; les moyens pétitoires n'excluent pas les moyens seulement po ses ·oire .
Pour en finir avec l'aclion in rem conférée au créancier
gagiste, nous dirons quelque mot de la pre cription de
cette action.
rous n'avons pas à rechercher ici comment, à côlé de
l'usucapio du droit ci"il,prilnaissance et e se développa la
prœscriptio Longi tempori du droit prétorien, quelle était
au ju le la nature juridique de celle prœscriptio el quels
effets elle produisait entre le po ses eur el le propriétaire.
Il est certain que l'usucapion s'accompli ail, salvo jure
servitutis et hypothecœ . Quant à la pra:scriptio, on a outenu
qu'une fois acquise contre le propriétaire, elle était par cela
même invocablc, d'une manière générale, contre quiconque
prétendait un droit réel du chef de run <les précédent - propriétaires. à1M. Accarias et Jourdan enseignent au conlraire
que la pre criplion de la propriété cl celle de l'action
h •pothécairc ont deU\ chose - distincte · : qu ·elle 'accompli ssent en principe par le m~me lemp-, mai~ non pa néce airemcnt en m ~me temps, car le point de départ ou
les conditions de <lem: pre criplion · pcm cnl ~ Lre di.ffürenles. li peul arriver, par C\Cmplc, que le dNcnteur de la res
pignnrata cl le propri6lairc oient Lou dcm:: prœsente' tandis
que le créancier gagiste est obsms, que par • uile rune des
pre criplions 'accomplis c par di \ ans et l'autre par vingt
�-
.JO-
ans. li peut arri\ er encorl' que IC' délrnlc>m soil (ÎC bonne
foi quant à Ja propt·iélé cl cannai 'se d ·autre part Je droit
réel qui a[ecle la chose ou nice-vrna, auquel cas la prescription courrai t quand la propriclé san courir en cc qu i concerne
J'aclion hypothécaire.
La théorie de l'usucapion cl de la prescription ful entièrement remaniée par Justini en ( l). Les <leu\ in lilution
furcnl fondues en emhlC' cl notablement modifiées. Dé ormai· le délai de la pre.,;criplion pour le · meubles ne fut plu
que de trois ans, san' dblinclion entre p1·œse11tes ou absenfr>s.
Il c~t incontestable lou te fois que J nsl inicn conserva la lo11gi
temporis prœscriptio comme in ·tilulion distincte el indépendante de l'u ucapion, en lant qu'elle a pour objet ùe
procurer l'extinction des droits clr gage cl d11ypothèqtH';
m&is ici comme autrefois, pour que celle pre criplion de linée non pas à acquérir la propriété, mai à la compléter. fùl
pos ihle, il fallail que le pm--esseur, propriétai re ou non, eùL
ignoré l'existence du gage au moment de son entrée en po ::.ession (2).
Si le pos esseur élaiL de mauvaise foi il ne pouvai t invoqner aucune prescription, clu moins pcnclanl la période clas·ique. Une constitution cle Thc'·oclose le .Jeune (3) créa la
pre:.cripLion trcnlenairc à l' clîcl d'étci nrlrc Lou Le ~ ac Lion tant réelles que pcrsonnf'llc . Celle prc ·cription pouvait
être opposée par toul po es rur. même rle mauvaise foi,
lanl à l'action du proprictairc qu'à celle <lu Cl'l~ancicr
~agi ·te. Il su_bsi:-;tail toutefois une C\Ceplion : la prcscripl1on t~enlena1rc de 1 héudosc n'alle ignail pas l'action h) pothéca1re lorsqu'elle rlait intenléc contre le débiteur Inimêm.c ou ses h<'rilicrs ..Juslinirn ( i) (·lcnclil encore à cc
dernier cas le bénéfice de la prescripti on qui e).igeail alors
(li r. VIT . 31. De usw·. lrnnsf .
(2) Acca1ias. T. 1. p.5:'l5.
(3) C. \' II ..:30. De prtr'$rr· trio . t'rl quadr., <'. :1
( 1) C. VI 1. 30. De prœsir. t11u . tel 'Jllarfr. , c. 7
-
41 -
Je délai ùe quarante ans. \in .i, dans Ir dernier étal du droit
romain, il pouvait se faire que l'action principale dfrivanl
clc lu dette élan l etcinle par la prescription trentenaire,
l'action hypo thécaire subsistât pendant dix an
§ 3 . Jus V endendl .
Le jus possessio11is protégé par les interdits, sanctionné
par une aclion in rem, assurail au créancier la con ervalion
du gao-e; mais la restitution dr la rr•s pi91w1·atn n·e ·t point
le bul que poursuit le crt~<rncier; cc hul, c'est le paiement
de sa créance. rn délenanl Ir gagr. par la eêne qu'il imposait
au débiteur priYé de sa clwsc, i1 pom ait bi('n décider parfois
cc dernier à se libérer, mais il pomait arriYcr el il arrivait
en cfl'et bien souvent que le dt·bitcur ne voulùt ou ne pûl
pas payer à l'échéance; il fallait alor5. pour que le gage
a ~su1·àl au créancier unr garantie efficace, érieu ·c et pratique, qu'il pùl se pa1 er au mo~ en ùu gage lui- mèrnc qu ïl
détenait. De là pour le créancier un nouveau droit, le plu imporlant de Lous, le droit cs ·enliel dériYant du conlral de
gage, à savoir la faculté accordée au créancier de faire ,·e nùre le gage à défaut de paic>mcnt à l'éch éance, pour s'attribuer le mont;mt du pri\ jn,;qu'à concurrence de la créance.
JI n'en fnl pa - loujour ain i: le jus ve11dr>11di e L celui
de droit - engendré" par h' contrat de ~age qui arri\ a le
plus tard à son complet dc,cluppcment; aHrnt de ùcwnir
inhérent à l'e ·encc même du contrat, il pa.;;sa par une serie
de transformations cl de pcrfectionnerncnls qu'imposait la
pratique journalière cl qu'il n'est pa::. sans intérêt de ·ui ue
•n cc quelque ùelail.
On sai L qn 'à Home le créanciers chirographaire.,; non
pa) és à l'échéance 1~laient obligés rlc sai~ir et de \ endre en
masse Loulle patrimoine clC' h'ur ùcbileur par ln procédure
de la bonorum i•emlitio; quïb ne pouvaient. au 111oins ;nanl
.l ustinicn, prorédcr à la Yen le d'un ou de plu~ieurs biens de
leur dûbilcur, quand mi' me ces biens cussl'nt clé ::..uffisants
�-
12 -
pour les désintéresser. Comment le créancier en l'état de ce
:.yslème, pouvail-il arriver à ''endre la 1·es pignorata seule
pour se payer ur le pri\'. '?
La cho e élail facile quand le gage ·c réalil;ait au moyen
de !"aliénation fid uciai re. ous avons YU que dans ce système Je créancier devenait propriétaire de la 1·es pignorata,
aulrement dit de la fiducia ; qu e si, malg1·é celle qualité de
propri élai.re, il ne poUYail à l'origine du yslèmc ' endrr la
fiducie, c'était un effet du pacte de fidu cie; que cet effet
proJuit par unpacle pou,·ai l être an nul é par un autre pacte,
le pacle de vendendo; que plus larJ , cc pactr fut sousenlcndu. devint de la nature cl, en dernier lieu, de l'e ·sence
mème du pacle de fiducie. Le même progrès <levait se réaliser, la même filière dc,•ail être · uhic pour le pi911us, mais
non plu. au moyen du nième rai ·on ncmenl. Le contrat de
pignus ne donnant au créancier aucun droit de propri été,
commen t concevoir qu'il puis~e en lran férer la propriél6?
M. Jourdan estime que le pacte com mi - oi re ervil loul
d'abord à conférer au créa ncier un droit conditionnel relativement à lares pignorata. Cr pacte, connu sous le nom de
lexcommi.ssoria, était ce lui par lequel Je parti es comenaien l
que, fau te de paiement à l'échéance, le gage serait acquis
au créancier. li n'est pa douteux que cc pacte aiL élé en
usage trè ~nciennement. Le moyen n'é tait pas sans présenter des rnconvénient tel · qu 'ils onl ultérieuremement
motiv6 ·on in terdiction fo rmelle par une constitu tion de
Constantin. En eliet, le gage alanl le plu ourcnL une
':ale_ur up_érieure à la créance, le rr6ancicr qui ac'}uérail
1 obj et entier sans être tenu de re titucr l'c\cédant, réalisait
un bénéfice iJl égi time en drhors de sa créance.
Il élait facile de supprimer cet io coov6nie nt · il élait naturel q~e la.pratique en trouvât_ Je cor1·cr lif. Pa~ une simple
mod1fical10n_ de la convention , le créancier acquérait à
Mf~ut de paiement, no? plus la prupri él6 de l'objet Le] quel,
mais moyennant un pri:dh6 par experts. Cc n'était là qu 'une
-
43 -
vente conditionnelle. De là à admeltre que le créancier ptH
vendre lui-même, il n'y avait qu 'un degré qui fut vite franchi. En fait, on arriva à concéder au créancier par un pacte
adjoint, le pacte rte vendendo, Je droit de vendre faute de
paiement à l'échéance . .Mais il fallait que celle faculté eût
6té concédée expressément par une clause i:,péciale (1). Le
créancier qui dans le silence de la convention aurait vendu
l'objet était as· imilé au voleur (2).
Le pacte de vmdendo devint de plus en plus fréquent
dans la pratique; il en arriva à être une clause de tyle.
Dans ces conditions, il pouvait être sou -entendu; il était
de la nature du contrat; une clause contraire suffisait pour
en annuler l'effet. Enfin, par un dernier progrès, celle clause
accessoire, puis sous-entendue, finit par devenir de re sence même du conlral. A l'époque de Paul et d"Ulpien,
nous voyons que le pacte de non vende11do n'avait plus pour
e[ct d'empêcher la vente du gage, mai eulementde retarder l'exercice du droit du créancier en l'obligeant à faire
trois d6nonciation préalables au débiteur (3 ), alors qu"en
l'absence de la clause de non vendPndo, une seule dénonciation ellt suffit.
Qu'étaient-ce que ces denuntiationes? Il est probable qu"à
l'origine le créancier procédait à la Yente san aucune formaliLé. Plus lard on exigea que la vente fùL entourée cl"une
certaine publicité cleslinée à provoquer la concurrence de ·
acheteurs. Celle publicité se réali-<tit par l'appo ·ition cl"aIficbes (proscriptiones) et par une demmtiatio faite au débitC'ur (1). L' u' age de· proscriptiones n'exislail plus ou Ju -linien qui déclare ne le connaître que « tantum e.x librorum
recitatione » (5). Celui des demmtiationes avait persiste.
(1) Garns, Ill . G1.
(:?) D . XLV II. i. D1• f11rtis , 1. 73.
(3) D. XI I I. 7. /Je piu11. act .• 1. t ~ 5.
( IJ C. V II I. 28. De distrah. pian . . c. 4.
(5) C. Vil!. 34. Dcjurr dom. 1mp .. c. 3.
�-
41 -
Celte demmtiatio ful d'abord unique. Plus lard, à l'époque
où le pacte de non 1 endendo fut sou ·-enten<lu, Je créancier
était ·oumis à une triple denoncialion avanl de pouvoir
exercer son droit (1). On revint cn · uite à la dénonciation
unique, en ne con erYanl la triple dénonciation, ainsi que
nou l'avon~ vu. que pour Je cas où la clau e de non vendendo avait élé insérée dans le rontral.
On ne aitrien depr6ci ,quant àl'époqueàlaquelledevail
e faire la dénonciation unique , quant à l'intervalle qui
devait séparer le lroi · clénoncialions, ni quant au lemp qui
devait 'écouler entre la dernière dénonciation et la , en te.
M..Jourdan croit que c'était là une que~Lion de fait lai sée à
l'appréciation du juge, qui , en ca de con testation entre le
débiteur et le créancier, aYail à e\aminer i celui-ci s'était
conformé aux exi<Tence de la loi (2). Il était un ca . dan le
dernier état de la légi·!ation, où Je créancier était dispensé
de tout délai el de toute denonciation, c'était lorsque le
droit de vendre lui avait élé concédé c..,;pressémenl. En e[ el,
cc droit de vendre étant alors de l'essence même du contrat
celle clause n'aurait eu aucune util ité . i elle n'avait fait que
reproduire une exigence de la loi. On pré ·UJnaiL pour lui
donner un sen· que le débiteur a' ait \ Oui n di spen cr Je
créancier de · formaliLés usuelles . .Justinien sanction na
formellement cette interprétati on (:! ) .
La,dominii in_1pPll'Otio étail une> procédure péciale pour le
c:a · ou le créancier ne trou\ ail point cl' acheteur. Le crrancier
s'adrcs~ail à !'Empereur qui lui attribuait la cltose . .\. quel
l~Lre '?li e· t probable> qu'à l'époque clas ique celle allrihutwn ne conférait que la posst•ssio animu doniini menant à
i : usuc~pion. Ju · tinien r1\gle>mcnta cl compliqun à rc:\.cès
l e\erc1ce de ce droit. \.rnnt Loule clemanrle Je créancier
<le' ait faire une nouvelle ignifiration au débileur ; foule cle
1
(1) Paul. Sent., Jr . 5. ~ 1.
(~J Jou rdan. fJe l' llypoll11!q11e. p. 522.
(.1) !net. , II. 8. ~ 1. - r. \'Ill. :3 1. De jure dom. imp., c. !.
-
15 -
paiement sur celle ignificalion, ou dans le délai fixé par le
juge, l'Empereur accorùait au créancier la propriétc de la
chose, mais non pas encore à Liti·e <léfinitif. Le débiteur
avait pendant de ux ans encore un droit de retrait. 6iennium
tuitionis. Cc nouveau délai expiré, le creancicr devenait
propriétaire iocommuLablc, sauf toutefois e ' timation de la
chose (1).
Telles étaient les origines eL les formes de la distrac!io
pi9noris; il nous rc le à en expo cr les effets.
Le créancier aYait Yendu le aage; il se payait · ur le prix
à l'exclusion de Lous autres créanciers per onnnels du débiteur. C'était là le prhilége essentiel du créancier gagi le, le
droit de préférence qui con tiluail sa sûreté. Le prix pou mil
êlrc , upéricur ou inférieur au montant de la créance. Dan
le premier ca-, le débiteur a\'ail droit à l'excédant (2) ùan,
le seco nd cas il en devai Lchirographairement la différence t3).
Le créancier gagi'le est-il Len u de la garantie envers son
acheteur? La question n'esl pas cl ne peul èlrc di culée; la
olulion négative étant C\prcs·émcnl admise en principe.
El i is, qui leqe pig1101•is emit, ob evictionem rei redil'e ad
vendilorem non polest ... ( [) . Le créancier en e[el qui
' end le gage use d'un droit qui lui c l propre el d'une nature
toule spéciale; Yis-à-ris de l'acheteur, il ne se pre~cnle
point comme propriétaire, il ne peul garantir la qualite du
con:::liluant, il ne garanlil que la qualilé en laquelle il ' cnù
el a le droit de \ Cndn'; il n·c~t responsable que de :.on dol,
cl il) a dol: t• quanù il ail que le débiteur n'était pas
prnpriclaire; 2° quand il se donne connue propriétaire;
3° quantl il sail (ruïl est prime par un créancier b) polhécairc
d'un rang prerérable au ::.il'll p). Jruillcurs, quanù il n·c~l
(1) C. Vil!. 31. De;urr dom. imr.
(Zl D Xlll. 7. De 1•iu11. atl. 1. 2l. ~ 2.
Pl o. x.11.. [~. Jlcrc •.J. rml .. L :ZR. - XIII. î. De p1y11. ad. l. D.
(1) D. X'\. J. D~dt>ll'llh. /lit/IL, l. 1
(:'>) Jourdan , De l'hYJ1ull1t'r111t'. p. 53ti.
�-
46 -
pas garant, il doit céder à l'acheleur l'aclion pigne1·atitia
contraria qu'il avait contre le consliluanl pour oblcnir uue
indemnité ùe ce qu'i1n '6tai Lpas prnprirlaire. Celle indemnité
se re treindra d'ailleur'" au pl'Ï'\ de vente augrnenl6 de ses
int6rèl (1).
Le créancier gagil)te a le droil de vendre, mais il ne peut
y èlre contraint ; il a la facullé de ' e contenter <le la cho e
jusqu'à complet dé -intérc scmenl. Dans cc ca le débiteur
pourra vendre Jui-mèmc en ver anl le prix entre les mains
de ~ on créancierjusqu'à concurrencc <lu monlanl de la dette.
Le créancier esl mème forcé d'c\hibcr la chose à toute
réqui · ition, ~auf à èlrr indemni ·o du préj udice qui pourrait
en ré ulter pour lui (2).
Le créancier, au lieu de vendre le gage, peut-il e l 'approprier à Litre de datio in soLutum? A l'époque du droil
cla ·igue , il n'aurait pu le faire de a propre au lori té, mais
celle faculté pouvait lui être aGcordée par une clause
expresse connue sous Je nom de Lr.r commissoria . Celle
faculté élait la source de gra, es abu -; les d1' bileurs pressés
d'argent étaient complélement à la merci des créanciers qui
a' ant de prèter leur argenl leur impo aient trop fac ilement
celle clause en e"\igeanl nalurellcmen Lun gage d'une ' uleur
bien supérieure au monlan t de la delle . .\u ·si le législate ur
en arrivera- t-il à prohiber cett e clause en frappan t de nullité
non seulement la clau ·c cllc-m c~me, mai ~ encore le conll'al
donl elle dépendait ne con lilulion de Conslan lin déclare
qnc Je pacle commissoire cra nu l en donn an t mèmc à celle
nullité un effet rèlractif. Quonia1J1 inter alias captionrs
pr(J>czime commissoriœ pi911or1un legis crescit osperitns,
placet i11fi.r11za1•i eam, el i11 p osterum 01Jtnrm <'}Ifs memoriam
aboü·ri. Si quis igitl(I' ta/i conlrartu labo1•a/ , liac srmctione
1·espiret, qu;:e cum prœteriLis prœsentia quor;ue repellit, et
(1 ) D. XX.T. 2. De cdfrl . , 1. 38 et74
(2) D X IJI . 1 . /Je p1yn. at..I., 1. O.
-
47 -
futura prohibet. Creditores enim re amissa jubemus recuperare quod dedenmt ( l ).
Il faut bien se garder de confondre avec le pacle commissoire la clau e par laquelle, à défaut de paiement lors de
l'échéance, le cr6ancier 'allribuait la chose d'après une
estimation faite à l'échéance cl non au momenl du contrat,
avec celle condition que si le prix était supérieur au montant
de la dette, le surplus serait payé au débiteur. Celte clau·e
était valable el doit Mre con idérée comme une vente ~ous
condition. De là la con équence que Je créancier n'avait plus
à op Ler entre la cho e et la pour ·uite du pri'i: , qu'il elail définitivement lié comme acheleur, que l'option appartenait
plutôt au débiteur qui avait le choiî entre payer le prix
ou maintenir la vente (2).
Le créancier ne pouvait acheter la chose ou la faire acheter
par une personne inlcrpo ·éC' . ne vcnlc ainsi faite sans le
consentement du déhileur devait tfüe réputée nuUe (3). La
loi voulait ain i lai cr participer le débiteur au bénéfice
qui résulterait pour lui du concour des acquéreur·. Dan· le
ca où le débiteur co nsentait à la vente. on supposait qu'il
s'était a· uré un prix repré entant lu valeur de la chose
engagée (i).
JI. Du
PJ GNUS CONSIDÉRÉ AU POINT
RÉ CIPl\OQlE
or
YUE DE OBLIGATIOXS
QU'IL EXliEXDRE .
Xou venons d'étudier dans la ~eclio n précéden te le
pi:;nus con idér6 comme droit réel, c'est-à-dire :-:e effets à
l'égard de· Liers; il nous reste à l'étudier en tant que contrat,
au point ùe m e des obligations personncllt>s qu'il fait uatlre.
De la na Lure même du contrat, il rùsulle que les ·cul es obli( \ j C. VII I. 35. /Je pact. piy11., c . 3.
(2) D. XX. l . n eptyn. cthyp., 1. 16~H.
(3) <:'.Vil . 28. Dt d1struh
( l) D. X.X. 5. De dt$ll'<llc.
711y11.,
p1y11 ,
1. l O.
1. :?.
�-
48 -
-
O'endre 11h initio 'Onl celles à la charge du
0O'ation· quïl en (')
créancier O'agi'le. Les ohlignl ion · du con ~ Liluan t ne nai' enL
qu 'accidentellement , ex post facto: clic · ne son t rngendr6es
que par de:; fo il po s téri e ur~ à la formation ùu contrat,
plutùl à l'occasion du contrat qu'à raison du contrat lui même.
Les une , celle · du créancier, sont sanctionnées par
l'actio pigneratitia clirecta; le autres, cell e' du con liluant,
par l'actio pigneratitia contrarin. Ces dcu\ acliow onl
pour Lul clc faire 1·églcr d'après la bonn e fui la situation
<le5 parties qui ont con tilué Je contrul ùc gage. Ell es ne
on t pa· exclu iYes toulcfoi · d 'ac t ion~ spéciales plu · rigoureuses qui po urraient naître clu deli t de l'une <les partiL'S à
l'encontre de l'autre , à propo:. de la chose en gagée; c' c~ l
ain:.i notamment que si le gngi:.tc, qui U\ an l l'échéance n·a
qu'un droil de rétention ::.ur la cho:.e, s'en sert C'l commet
ce qu'on appelle un (utl11m 11sus, i 1 sera tenu de l'action (urti.
C'e:.l ain si que si l'esclave donn é en gage a causé un damm n11 au gagiste , celu i-ci peul agir noxa/iter contre le maiLre
de cel escla\'c.
§
1 er De la rtoue ratllla dlrccta.
L·aclion pirpiu alitia dù·ecla sanctionne au profit du débiteur: 1° l'obligation pour le créanc ier ùc rc· Lituer le p:ap;P,
aprl> ~ qu 'il a reçu sali:;faetion ; 2° l'obl igation pour le crcancicr <l1• veiller à la consen ati on du gage .
J• Onuc.u1u.Y Dr. nEsr1r1r n. C'es t l'oh ligalion principale,
fonclam cntale, que prod uit le contrat de gage.
.\ . - Sur q11ot porte r obli.'fr.tlùm de re~tillfet"?- Le créancier deLi Leur cl 'une cho:.e <.:l' rlai ne, la res pignol'flta, <loi t
restituer la chose rn ~m c qu'il a rt'çuc cl n con::.Liluanl. (J).
La restitution doi t comprc11dre la chose a' cc Lous ses
accroissement : par e\cmplt', les alluvions, l'usufrui t qui a
(1). D. X I II. 7. De Piy11 . act. , 1.40 §.i.
49 -
fail retour à la propri6lé pendant la durée du gage, la portion
du trésor trouvé ur le fonds engagé qui n'appartient pas à
l'inventeur, le produits de la res pignorata , les fruit s, et
généralement tous les profits réali é par le créancier au
moyen du gage ou à l'occasion du gage .
La restitution de fruits et profils ::.oulève quelques questions intéres antes.
En règle générale, le créancier perce\ ail les fruit ' pour
le compte du débiteur : il les imputait à . a décharge ·ur le
inlérèls a ·abord , sur le capital ensuite; l'excédant, sïl en
exi tait, élaiL resti tué au débiteur . i\Iais il pouvait e fai re.
qu'il n'en dùl nul compte, ce qui arrivait lorsque, entre les
partie , il avait élé conven u que l'u ·age cl la joui- ance de
la chose appartiendraient au créancier. (1). Cette comeotion
appelée anticltresis, élait mème sous-entendue, lor que le
cré:incier n'a, ail pas slipul6 dïn térèt (2). Le creancicr
gagiste, qui n'é ta it plus comptabl e de::. fru its, les fai ail iens
quelle qu e fùl leur vnlcur, mais n'ayait plus aucun droi t aux
inlérèls. A moins qu'il ne fùt clairement établi que le'
Parties avaient voulu éluder la loi sur ru · urc , il n\. a,·ait
pas à considérer le Lam. légal maximum des intérèt· (3 •.
Le créancier, par le mème procédé de l'irupulation. de, ait
Lcnir compte au débiteur <le Lous autres profil - qu ïl relirait
du pignus. C'es t ain..,i que si le gage lui a' ait été \ oie, le
créancier gagiste. i nlére~::.é à raison de on droit reel l'l <le
sa r espon ·abilitc était im c ti, de l'action / urti, concurcmmenl avec le dèl> iteur. Si celui-ci en u:;ait , il déo-agcait le
créancier de sa rcsponsaùililù, relati\·ement au furtum. ~fai
~ i le créancier l'c\ errail , il n'en retenait le béncfice <[Ue
jusqu'à concurrence clu montan t de sa crcancr et dc, ail
remellrc l'cxcüdanl au débiteur ( f). Que ::.i toulcfoi.; le
(1) O .~~· 1. Dt pi!J . tl hy 1i . 1. l i. ~ 1.
(~) D XX . :2. 111 q111/J l'CHIS. )Il~/ ·· 1. 8.
(3) C. 1Y. 33. De 11s11ri:;, !. l J ~ t 17.
( 1)
o. x m. î.
Vt1p1g11.act., 1. 2i! .
'
�- 50 -
,'il
débiteur était lui-même l'auteur ?u vol'.
a~ait co~~i~
un furtumpo s essionis, le créancier qui l aura1l poui u1v1
par l'action (urti gardait intég"alement le montant de la
condamnation (1).
Dans le cas où le créancier. non pay6 à 1'éch6ancc,
avait usé de la faculté qu 'il avait <le vendre le gage, etquaod
le produit de celle venle était supérieur au montat~t de la
creance garantie, le crfancier élait tenu de r estituer a~
débiteur l'excédant , rnperfluum ou ~typ:ro~ha. De plu~,
comme à défaut du pacte d'antichrèse, 11 n a':a1l pas le droit
de e enir de la chose, il était lrn u de resl1Luer même les
inlérèls du superfluum, ~'il l'a, ail empl oyé à on ~sage pe.~onnel ou ~ïl l'avait prèlé i\ intérèl. Il ne les devait pa5, s li
'élait contenté de le garder en dépô t, à main qu 'il ne fût
en demeure de restitue!' (2), auquel cas les intérêts motatoires commençaient à cour il'.
_ A quel moment La restitution peut-elle être e~igée ? ~
Omnis peczmia exsoluta esse debet, aut eo nomme satls/ actum , ut nnscatw· piqnel'aliti~ acti:J. Sat~sfactum.autnn
accipinws, quemadmodum volwt cred1tor, Ltcet non sll solutum : siue aliis pignol'ilms sibi ccwrri volait, ut ab lioc 1·ecedat, ~ive firlejussoribus, sivr• 1·1•0 rlato, sivr pretio afiquo, .vel
nwla conve11tio11t>, rirHcilur pi_q11f>1·rtlitia ffCLio. Et qenera!tter
diceurlam e1·i1, q1totiens rt>cedt•J'e voluit crwlitol' a pi91wre,
vidf'ri ei salisfaclum, si, ut ip1>e voluit, sibi cavit, licet in hoc
decrïJlus sit (J).
Ce Le\le repond P\plicilement à la question. En règle
o-(·nérale, le rréancier étai t lrnu de restituer quand il avai l
~t6 <lésinteressé ou du moins quand il avait reçu sotisfnrtion.
Celle formule comprenait tou:-; les macles <l'r'\lioction du
gage, par voie ùircctc ou par mie, de consé<tucnce, en lanl
fl'"
(1) D. X!JI. î. Deviu11 act .. l. 22
2) O. X III . 7. [)e ]JÎ(Jll. al't., 1. Get 7.
Pl o. x ur. 7. Depiyu, 11tt., 1. \J . :i.
s
-
31 -
que celte extinction ne s'opérait pas conlre la volonté du
créancier.
Ainsi la res liLulion ùu gage pomail être demandée en ca
de paiemenl. C'est Je cas Je plus fréquenL, celui qui est
spécialement mentionné dans le texte ci-dessus, en dehors
des cas de satis/action.
Ces divers cas comprenaient, avons-nous dit, les divers
mode d'extinction du gage acceptés par Je créancier, soit
par voie directe, oil par voie de conséquence.
La première calégol'ic, l'c:\linction par voie principale,
comprend la renonciation au gaac faite par le créancier, ou
Ja sub tilution d'une garantie à une autre, d'un fidéjus ·eur
au gage, par e'\emple. La renonciation peut être expresse
ou tacite. Le créancier qui adhérait, san résen•er on droil,
à la vente que le débiteur faisait du gage étail réputé y avoir
renonce (1). Quant an point tle savoir i le fait de recevoir
un fidéjusseur n'impliquait pa tle la part du créancier une
renonciation tacite, il est rosolu dans le sens de la négation
par un texte d' lpien (2), mais la ques tion a élé discutée
par les jurisconsultes.
L'extinction ùu gage par la perle ùe lares pignorata ne
serait pas un moùe tle utisfaction, car il -·opèrerait en
dehors de la volonté clu créancier: ·i dao · cc cas l'obligation
de rcsli tuer se trou \'e étein le, cc n'est plu~ par upplicalion de
lu formule ci-ùe~ us.
Par voie de ron equencc, le g·age se trouve libéré quand
l'oLligation pL'incipalc est cleinle par un moùe ùe liberalion
autre que le paiement. ln omnibus sperielms liberalionum
etiam accession es liberantul' .pu/a adpromissol'e~ ,liypot/1ecœ,
pifJllOl'rT (3).
Cel effet est opére par l'acccpt ilation , le pacte de tJ"Cunia
non petenda, la compensation, le serment, l'accomplis ' c(!)O. XX. û. V11ih. mocl.Jliun., 1. ·I ~ 1.
(2 D. XX ..->. Q1uf1. 111nrl Jll•Jll. , 1. Ci~:?.
13) D. XLYI. 3. De ~u/v. et /1bcr., 1. -43.
�-
53 -
52 -
ment d'une condition résolutoire ou la défaillan ce d'une
condition suspcn ive, la no,ation conventionnelle, etc.
Le même elfot ne scrail pa produit par la novation judiciaire ré ullanl de la litis conlestatio ou de la condermwtio;
en d'autre Lerme·, le drnit de rétention sub · i'Le malgré ces
deux év6nemenls( l ). Cc n'est là qu 'une app lication du principe général expo é dans le tc\'.lc précisé qui régit la matière.
A défaut de paiement, il faut, pouda)iberation du gage, que
le créancier ail obtenu atdaction, qu'i l ait eu cc qu'il a
voulu. Celle ati'faclion il la reçoit bi en dan le ca • de la
noYation conditionnell e, car c'est volon tairement qu'il a
agréé, au lieu de ce qui lui était dû, la ganrnti e d'une nouvelle créance. Il n'en csl plu de même dan · la no, alio n
judiciaire. La Litis contestatio ne peut évidemment donner
sati~faction au créancier. D'autre part, i l'action judicati qui
résulte de la sentence n'était plus garantie par le gage, Je
croancier e trouverait privé de la sûrnté qu 'il avait exigée
el à laquelle il n'a nullement rcnonco, au moment même où
celle sûreté aurait sa plus grande utili té à l'encontre d'un
débiteur qui a manqué a ces engage ments en n'acquitlanl
pa' la del~ à on écht\ance.
11 c·t ùrs cas où l'e\linction de l'obli gation principale
laisse ·ubsister un!' obligation naturelle. ~ous a\ on 'u
précMemmenl, en étudiant les carartèrc · générau\ du contrat ùe ~age, que le pirpw~ pouH\il acc6der à une obligalio11
nalurclle; la transfol'malion d'une ohligalion ci\'ile rn une
obligation naturelle, n'autorisera ùonc pas le ùébi teur à
exercer lapig1iemtitir1 (2). L'application la plus fréquente
de celle h~ pothèse se rencont1·era dans le cas de capitis
detnùwtio (3).
Il peul arriver que le créancier, sans avoir reçu ni paiement ni satisfaction, so il tenu par la pigneratitia de rcsli lu cr
(_1) D. ~IIT.7 . Depiun.art., l. li.-\'\.. \. I>c piyn .cthyp J. 13q,
(2 JJ.XX l . Dep1r1n. ethyp .. l. l t s 1.
'
s
(:3) D. I\' ü. fJCl'up. dcm ., l. 2 § l:
le gage. Il en sera ainsi : 1• quand le gage a été constitué
pour une obligation future qui ne s'est pas réalisée (1), ou
pour une obligati on qui n 'e:\i tait pa · (2); 2° quand il n ·a ét6
co.nstitué que sous une co ndilion ré oluloirc qui s'e t accomphe ou sous une condition uspensive qui e t défaillie·
3° quand il n'a ét6 donn é que ad tempus (3).
'
- Cas ou L' obLiga Lion de restituer est éteinte. - Le
créancier_ n'est plus tenu de l'obligation de restiluer quand
la res pi9norala a péri ou du moin a été tran formée
totalement. Par e~emple, si lares est une forêt, Je gage ne
porte plu ur le navire con lruit avec le bois pwrenanl de
celle forêt (4). i)lai une lran:>formation d'un caractère moins
grave ne porterait pas allein te au droit du gagi te. c·e._t
ain i que la 1·es pignerata élanl un terrain, i l'on \ient à
bâtir ou à planter sur ce terrain, le gaae uhsde et même
s'étend à la maison ou la plantation (3) . De même, la mai·on
reconstruite sur r emplacement de l'ancienne qui aYait brùlé
après avoir élé engagée continue à être affectée à la ûrelé
du créancier. (6). « La ubslance de l'obj et, au point de, ue
de l'hypothèque, clit M..Jourdan, - au point de vue du
pignus, dirons-nous. - c·c~l a \aleur venalc. i une cho e
e l détruite, le droit du créancier era Iran porté sur la
omme duc par celui qui l'a détruite (7). » .;\'oton· que si,
dans le cas de pe1·te du gage, le gagi ·te perd sa sùrelé réelle,
il n'en reste pa · moins créancier de l'obligation principale.
L'obligation cle re lilucr ccs-crail d'c"\i ' ter si l'action
pigneralitia directe élail prescrite, par l'rlîel de la prescription trentenaire qui fut créée, ou du moins genérali ée, par
Théodose le .Jeune.
(l ) O. XIII. 7. De piyn. al'/., 1. J \. ~:?.
(:2J D. XXI. Dep1an. cl llyp .• 1. 33. •
(3) D. ~X. Ci. ()wb. mod. piyn ., 1. G. pr.
(~) D. X}l!. 7. Jkp1u11ar'/ .,1. 1 8.~ 3.
(<>~ D. ~~. l. De piy11. et hyp., l. l!L pi-.
lû D. XX. 1 Ile 111011. et hyp., 1. :?<J § :? •
(7 Jo\lrdan, De l'llypothêque, p. G73.
�-
54 -
-
Cependant, si l'action pigneratitirt clirectc était é tcin~e par
la pre -cription tren tenaire. le constituant n'en re ' ta1 t pas
moins propriétaire et pouvait encore exercer contre Je créancier la rei vindica tio , car le créanrier n'a pu acquérir le gage
par une prescripti on acquis i t i vc p u isq~1 ïl n'ajarr:ai ' posséd6
qu'alieno nomine, cl que d'autre part 11 ne pouvait op?o s~r la
prescription e:üinctive de l'action réc it~ en revend1cal'.on.
En effet, si dopui s Constantin le actions r6ellcs étaient
pre' criptibles par trente an -, ce pri ncipe so uffrait une
exception en ce sen· que la prescription ne pouvait t! tre
invoquée par celui dont la pos·cssion a commcé au nom
d'autrui, au moins ris-à-vi · de la personn e au nom duquel
la po ·esion a commenc6 et de ses héritier -. La pre·cription
e"Xtinclire de l'action en rc\ endi cation ne pourrait donc être
opposée par le creancier que si celle ac tion était inten tée
par un lier ; en effet, le propri étaire in voquerait ici Yainemenl Ja règle : /\'emo sibi possr,ssionis causani mu tare p otest ,
car si le créancier gagi te a pos· édé pour autrui, c'est au
nom du con, tituant cl non pas au nom du propriétaire.
Quand au point du dopart de la prescription de l'action
rn/pieratitia, ce ne pouvait èl1·e qu e le jour où l'obligation ùe
re -liluer prenait nais ance, c·es l-à-dirc celui où le créancier
élaiL payé ou recevait satis(actio.
2° CasToDIA.-L'obligalion de veiller à la conservation de
la chose, la custodia, e:,t une conséquence même de l'obligation de restituer.
Le créancier gagisle e t responsable de la perle ou de la
détérioralion de la tes pignorato.
Quelle est l'étend ue de ce lle responsabilité? Il c Léviclent
que les cas fo rtuils et la force majeure nC' sonl pas à la
charge du créancier ; il est évi<lenL aussi que, nonobslanL
Loute convention contraire, le créancier c l re ponsable de
son dol. Quand à es fau tes, sa rc ponsabilil6 est des plus
rigoureuses; il esl tenu de sa faute légère. encore, faut-il la
55 -
con idérer in abstracto. En d'autrestermes, il ne doit pa. 5e
contenter de donner au gage les soins qu'il donne à ses
propres affaires, il doit~ apporter Px actam diliqentiam, les
soins du bonus pater f amilias idéal ( l ). Des tes les l'assimilent à cet égard au comm odatairc : Venit autem in hac
actione et do/us et culpa, ut in comm odato, venit et custodia.
Vis major n on venit (2).
Le con tituant pour ui t la réparation du préjudice que
la fau le du créancier lui aurait eau é au moyen de la pigneratitia directa . Le Préteur, pour sauvegarder plu entièrement les droit · du débiteur, perm ettait encore à ce dernier.
avant la re tilulion, d'e,iger la cautio de dolo. Par ce moyen,
le con tituanl acquérait un recours pour le ca· où le- détériorati ons du aage, di simulées frauduleu·ement par le
créancier au moment de la restitution, n'auraient apparu
que postérieurement, alor:, que l'action pigneratitia, la restitu tion faite, était éteinte. En vertu de la cautio de dolo, le
con lituant atteignait le créancier par une action ex stipulatu (3).
l.e créancier qui a la garde de la res pignorata n'a point
Je droiL de 'en erYir ; en en fai ·anL u aae il commellail
un (urtum usus qui engagcail ·a re pon abililé. Si pignore
creditor utatur (urti tenetur (4).
~
2 . De la Plgner atllla contrar ia.
\' ous savons quP le con lituanl clu gage peul èlre tenu de
certaine· oLligaLion · qui ne nai --enl pa ' le jour m~me du
con trat , mais de fait · accidenlelsel po' lerieur· . Ces obli aalions son t sanctionnées par l'action pigneratitia contraria
cl par un droit de réten tion sur le gage.
\ l '~ D. ~ I ll. 7. De piun. act., 1. !~ .
D. X I11. 7 . ne p1u11. act. . 1 13.
(3 D. XIII. 7. De 7J1u n. act., 1. 13.
( 1) U. Xl.\'ll. :? • /Je f11rt1s. I. 5 l.
l~
�-56 -
Le débiteur doit procurer au gagiste la sùrel6 que celuici comptait aYoir; à cel égard, il o·t L<'nu do on dol ~t de sa
faute; dans Je premier cas, indépendamment de la p1gne1·atitia le créancier a enc0rc à sa disposition une action d'une
'
auLrc nature , le crimen stellio11a1us ; dan l e secondca , c'c5L
lapigneratitia seule qui peu t l' Lrc e\e1·c60. 11 y aura dol si,
par exemple, le débiteur a donné du cuivre en affümant que
c'était de l'or (1), ou , i en connai sance de cause, il a, ans
avertir le créancier, constitué en gage 1·em atienam L•el alii
obliqatam (2). Par l'action contraria, Je créancier gagi le
pourrait demander , soit la constitution d'un autre gage, oit
des dommage intérèL . JI aurait ceile action alors même
que le débiteur erail ·olvahle aclucllcmcnl, car celle olvabilité pourrait ne plus e\i ter au mom ent de l' échéance. (3).
Le· vice · caché de la cho c non connu du c1·éancicr
gagiste engagent la respon·ahililé du co n liluant. Celle re· pon abilité era plu· ou moins étendu e selon que le cons liluanl aura été de bonne ou cle mamaisc foi. Ain ·i , un
esclaYe porté au 'ol a élé donnù en gage cl a e\erc6 son
indu ·trie au préjudice du créancier: le co n LiluanL de bonne
foi peul se libérer en faisant simpl<'m enl l'abandon no\al;
dans le ca conlraire, il doiL la réparation intégrale el eJJoctirn du préjudice eau 6 ( f).
_\'ous avons YU quo le cr6ancicr e l Lenu de :;a culpa lel'is
in abstracto; qu'en conséquence, il e L responsable de la
perle ou de la détérioration sun cnuo par sa négligence.
Au5·i, en rernnche, le débiteur doi t-il subir définiliYemcnL
les dépen es nérPsscâres foi Les pou1· la con:-en a lion de la
cho e; par exemple, les impenses eau ées par la maladie de
l'esclave ou cle l'animal donn6 en gage, celles faites pour
(1)
(2)
(3)
(4)
D. X Ill .
D. X JI I.
D. X lll.
D. XIII.
7. De p'ign. al't. , 1. 1. ~ 2.
7. De pi{jn. al'l., 1. ICî.
7. De piyn. ar:t., l. 22.
7. Dep1yn.. act. , 1.31. - XLVII. 2. Dc futlis. , 1. QI.
57 -
des réparation urgentes ( l). Quant am: dépense· utiles , le
débiteur esL trnu dan la mesure de la plus- value qui en
résulte pour la chose, aYec pom oir pour le juge d'apprécier
en Loute liberté la que lion d'opportunité et de bonne foi.
Lc5 textes citent, à litre d'e:\emple, le cas où le créancier
aurait fait instruire l'e clave (2). Les dépen es Yoluptuaire
ne doivent point rester à la char 00c du débiteur ; le créancier
peul eulemenL, conformément aux principes généraux, les
enlever.
La loi 22 De pi9n . act. ou)è, e encore et ré out, à propo
de lare pon·abilité du con ·tiluanl, une que lion d'un certain intérêt. Le créancie r qui Yencl le ga~e n'e ·Lpa:; tenu en
principe à la garantie en ca · d'é,•iclion; il n'e ·t donc point
tenu en principe de e lier par la promissio duplœ. )fai i
toutefoi , de ·on plein gr6, il l'a faite et que l'éviction e produise, pourra+il recouri1· contre le con liluant par l'action
contraria pour · e faire ind e mni~cr de tout ce qu'il a payé
on vertu de celle promissio '? L'affirmative et admi ·c dans
le texto precisé, mai à la conùition que le créancier n'ait
commis ni dol , ni faute; 'il n'avait tiré aucun avantage de
celle promissio duplœ, si par exC'mplc, elle ne lui a pa · fait
oblenirunprix supérieur à celui qu'il aurait eu san· celle
promesse, le créancier n'aura pa l'action pi9nPratitù1
contraJ"ia contre le con ·tiluanl, car alor · Je créancier a commi une véritable faute en ·c liant ·an · utilité par la promesse du double (3).
Toutes ce obligations ùu con"liluant ·ont encore O'aranlies
par Je droit de rétention que po~~ède le cn:•ancier. Cc droit
de rétention ne fait point double emploi avec l'action contraria. Il peut arri\ er par C'\emple que l'e chnc cnga""é el
pour la maladie duquel le créancier a fait de · ùopen es
(ll
D. XIII. 7 . n e piun act., l. s ~'"
(:2 D. XIII. 7. De piy11. act .,
1. !..5 .
(J) D. X!II. 7. Depiy11. acl . , 1. 22.
�-
58 -
vienne à mourir, que la mai·on qui formait la sûreté cl qu'il
avail réparée à se frai · , oil détruite par un incendie, dans
cc· ca· l'utilité de l'action contraria e L 6videnlc. Elle est
encore utile quand le con liluant, ayant gal'd6 la chose par
suite d'un précaire ou d'un louage, refuse de s'e n dessaisir
post distractwn pignus.
DROIT FRANÇAIS
)Ju fAcE poMMERCIAL
�DROIT FRANÇAIS
DU
GAGE
COMN.IERCIAL
INTRODUCTION
Nous venons de voir dao l'étude qui précède la genèse
du con trat de gage dans le droit romain; nou · en avons montre
rap idement les développements · ucce --ifs depui· la forme
ri o-ide el dan o-ereu e de ! 'aliénai ion fidu<'iaire j u ·qu·à l'oraanisaLion large et lib6rale ùu contrat de pi9nus. Dans le
dernier état de p erfccli onn~mcnl , la \'Olonté de con ·tituer
un gage jointe à la tradition de l'o bj et uffiL à ci·écr uP droit
r6cl muni de la plu énergique sanction, qui donne au
créancier une · ûreté pleine et entière. L'e·pri L i profondémenljuridique de· Homain · tnail créé un <le · plu· puis-.mt •
in tmment de crédit et leur ·cns pratique r a, ait peu à
peu débarra ·é de tout formali me qui cùt pu en entraver
le e[eL .
La théorie romaine du pi9nus e· Lpan enue ju qu'à nous,
clic a tromé ·a place dans no· coùes an· modifications
es enliclle·. L'importance de plus en plu- grande qu'a
prise la di\ ision de· choses en meuble· el immeuble - a
s~pa1·é plu nettement le gage llo l'h) pothèquc; l'acception
clonn6e à ces mot en dr0it romain s'est précisoc ou plutot
modifiée; le gage ne ·'e::.L plu· appliqué qu'au'\ chose
mob ilière , l'h) polhèquc au\ chose · immobilière ·. Si nous
:n ions à nous occuprr <le celte dernière forme de crédit
�-
û2 -
·
àc con 'n
immense
fut
rée l , nous aur1on
w L"r
" quel proc»rè
. .o
.
réalisé par l'oro-auisalion de sa p~bltc1L6 et. c~m b1 en ce
pointcapüal avait échappé au'\ lég1· te· romams. Pour le
gage proprement dit, qui faiL l'objeL de notre 6Lude, la. ~ule
innovation du droit ancien consacrée par le code c1v.d a
consisté à exiger pour la constilulion du gage ce~·larn es
conditions de forme destinées à prolég~r les d ro 1~s des
tiers. Sans doute, par le eul fait de la remise de l 1 obJe t du
gage Pn mains du créancier, condi tion de .l'e ~ence mèm.e
du contrat de gage, le droit co nféré au creanc1cr acqué.ra1l
une publicité uffi·ante, mai · cepenùant de~ fraudPS élaic.nl
encore pas ·ibles que le légi latcur a cru ultle de prév~mr.
Le débileur de mauvaise foi pour tromp er le créancier·,
pouvait siml1Jer de prétendus contrat · de nanli --emenl ou
substituer après coup des objet· plu · préciem à ceux précédemment engagés. Le légi lalcur eut donc à se préoccuper de faire conslaler d'une manière certaine el la date de
l'engagement et la nature de l'objet engagé.
C'est ainsi que le Code Michaud de 1629 exigeait un écriL
pour louL gage. L'Ordonnancc du Commerce de 1673 ( 1 ~ se
montra plu · rigoureuse; elle alla jusqu'à c1iger la rédacl10n
d'un acte notarié qui mentionnel'ait la somme prèlée et '.ci'
objets donnés en garantie, sous peine de la re ·titution du
gage. Si ces ohjet- ne pouvaient èlre e\primés dan · l'acte
notarié, il· devaient Mre énoncés dans un inventaire qui
eraiL Yisé dans l'acte. Dans la pratique celle ordonnance
ne ful pas observée dan Loule sa rigueur: on tenait com ple
des circon -tance , on di ·linguail entre le créancier de bonne
ou de mauvaise fo i. Dans cerlains cas la bonne fo i du
créancier élait présumée <le plein droi l; c'e'L ainsi que
Valin enseignait que lorsqu'il y avaiLexpé<liLion de place à
place de marchandises envoyées en con ignation , le privilège du créanciel' qui avait fait des avances pouvait résulter
(1) Ord. do 1 6~3. Tit. VI, Art. 8 et O.
-
()3 -
d'autre chose que de l'acte prescrit par !'Ordonnance de
1673 . En ce qui concerne les choses incorporelles, contrairement à l'opin ion de Pothier qui soutenait qu'elles ne
pouvaient tHre données en gage, un arrêt de la Cour des
aides de 1769 avait admis qu'elles pouvaient faire l'objet
d'un nantissement au moyen d'un acle nota rié signifié au
debiteur et accompagné de la remise des Litres en mains
du créancier.
Le Code civil n 'cul rien à innover en cette matière. Le ga~e,
du moins pour les créances excédant cent cinquante franc ·
y re ·te oumi· pour avoir on e[etàl'égardde Liers aux conditions de formes édictée' par !'Ordonnance de 1673, à celle
diITérence près, qu'un pacle nolal'ié n'e t plu · indi~pen able
et peut ètre suppléé par un acte 'OU ' eing priré dûment
enregi tré (art. 207i). n article pécial (arl. 2075 ) ·occupe
de la mise en gage des meubles incorporels el ajoule à ces
formalités celle que nous avons déjà vue introduite el consacrée par l'ancicnnejuri ·prudence, la signification du titre
au débiteur de la créance engagée.
Dans le syslème du Code ci\ il, le créancier non pa) é à
l'échéance, doil recourir à la justice pour réali ·er Je gage;
il n'e·t pa maître d'en disposer d'office; il ne peut que
'adres·er au juge el conclure, ou à ce que le ga~e lui
dcme11re en paicmentju qu'à duc concurrence d'aprè· une
e·Lirualion faile par e\pert-, ou à la vente ùe ce gaae aux
enchère· . Il appartient au juge de déterminer auquel de ce
deux partis il y a lieu de s'arrèlcr définitivement dan·
lïnt6rèl du ùébiteur. Ain ·i donc, formalilc · écl'ites pour la
conslitutiondu gage, interYcntion necessaire du jug0 pour
la conslilution du gage, intcncnlion néces ·aire du juge
pour sa réalisation, lclles étaient lL' · garanties au moyen
desquelles le Code civil <nail cru dc,oir ~am egarder les
droits de Liers au ·si bien quo les inlérèls des déùilcurs.
Le contrat de gage n'inten icnl qu'e'\ccptionnellemcnl
dans les transactions eiüles: aussi bien Je formalisme du
�-
61-
Code civil n'a-t-il en malièrc civile rien d 'e:\ce if et répondi\ au but que ·'esl propo·é le 1_6gislaleur. Il en e:t toul
aulrement en matière commercwl~ où le_ gage e L plus
fréquemment cl plu utilcmenl prallqu~ . Il imporLe au plu
baul degré, dans les affaire" d'6conom1 cr le Le:nps et les
frais accessoires ; la n6cc ilé d'un aclc cnreg1sLr6 e_L, du
recours à la justice répondait mal~ cc besoin de célén lo e:
de ·implicit6 qui 'impose chaque JOUr davantage avec le.
progrès de l'industrie moderne cl le développement de la
concurrence.
, .
Les légi'lateurs de 188i parai ·scn~ tout d 'abor~ _l a~o1r
. compris,
. pm· que un arlicle ·pécial du .Code c1v1\, 1arbien
ticle 208 f, porLe que Ir- di posilions du chapilr_~ 1••, Du nantissement, ne onl pa applicables am: ~11a l1crc de corn ·
merce à l'é o-ard de quelles ont sui t les lois cl règlements
qui les con~ernent. Celle l'étlaction emblait écarter du gage
commercial Loule les règles du Code de commerce. Cc code
promulgué en 1807 resta muet ·ur ce point-_ Fùl-ce ~a r
oubli, fût-ce ù des.ein, Je législaLcue de 1807 lrus a ce pomt
dans l'abandon le plus cornplcl.
Alors s'éleva une controverse ü laquelle c t resté allaché
smloul le nom de Troplong. J)an - le }" Lème de cc ju~i -
cou ulle. rarement consacré par la j urisprudence, l'art1rlc
208 i clc\'ail èlre pri s dan ::.on ons absolu ; les règle · du
gage civil n'étaient point applicablr>~ au gage com_mcrcial
lequel restait régi par le::. principes générau\ du drn1t commercial el pouvait ètre prom 6 par tou. le ' mo) cos <l e
preuve énumérés clans l'article 1O~ ùu Cuùe ÙP commerce.
L'opinion contraire était génôralcment cell e de la docl1'Înc
cl de la jurisprudence. llan:. le silC'ncc du Cocle de commerce, sur notrn rnalicrn, le Code civil était le droil-l oi.
Quelque incommodes rL onéreuses qur fnssc nL ses prescriptions, quant au gage commercial , clJns n'en restaient
pa:. n10in s obligatoires. - L'article 208 f ne s'appliquai l
qu'au\ ra· formellement ou i111plicite01cuL prévus par le-;
-
05 -
lois commerciales, r.'est-à-dire, au privilège établi par l'ancien art. 93 du Code de commerce pour les avances faites
sut· co nsignation de marchandises expédiée de place à
place et au nanlissemcnL des etrets négociables qui se conslituaiL, même à l'égard des tiers, par le moyen d'un simple
endossement, encore ce derni er point élail-il conlrover é.L'exposé des mo tifs de la loi du 23 mai 1863 constate et
consacre rétrospectivement celle doctrine. « 11 doit être
bien enten du que les principes du Code civil eo matière de
nanli sement sont applicable · au nantissement commercial,
toutes les fois qu'il n'y e l pas dérogé par la loi spéciale, et
c'esl ain ~i que le Code de commerce, dont nous ne faison,
que refaire un e page. a constamment procédé. Les auteurs
de ce code ont pri · , en Loule matière, com me base de leur
travail , sans qu 'il fùL même nécessaire d'y renrn~ er expre -sément, les principes cl les règles du Code ci,·il, -'attachant
seulement à les compléter cl à le modifier quand il était
n6cM·aire pour les be ·oin du commerce. »
Les besoins du co mme rce s'accomoclaient mal de cel état
de choses ; les réclamations étaient ince santcs. Derant les
nécessités de la pratique, quelques e\ceplions commencèrent à être introduites législati ' emen l. L' ne loi du 17 mai
183"1 (art. 3), complétée par l'Orùonnance du 15 juin de la
même année. di pen a la Danquc de France, pour les aYances qu'elle fait en recevant en gage des eil'ets public · , de
l'observation de articles 2083 el 207 8 du Code ciYil. D'une
pa1·t , la formalité de l'cnrcgdrement n'esl pl us nicrée; de
l'autre, la Danque, foule par l'emprunteur de pom·oir rembourser le lendemain de l'échéance, peul faire vendre à la
Ilourse, san aulorisalio n de j U$lÏce, par le mini·tère d'un
agcnL de change, tout ou partie des valeur:; engagée ·. La
loi de 1831 ne statuai t quo pour le ca - où le gage portait
sur des effets publics ; de loi posloricures ) assimilèrent
les actions et oLligalions du Chemin de for, de la Yi lie de
Paris cl du Crédit Foncier.
�-
66 - ·
Les décrets de 18i8 qui c1·éèrcnl les maga ins généraux
el les comploirs d'e·comptc élargirent la r~form_e dans. des
proportions con idérables. La loi du 28 _m~1 1858 repnl el
corrigea l'œuvre du Gouvernement prov1so1reet donna ~nfin
satisfaction aux réclamation du commerce en orgam anl
tout un système spécial de gage sur marchandise , admirablement approprié aux intérêts co mm c r~i aux. La _loi _d u .23
mai 1863 était une conséquence néces ·aire de 1 rns l1Lut10n
des magasins généra m.. Avec clle l'œU\'l'C législali_ve _ful
complète ; le gage commercial recevait une organisa ll on
di lincte qui Ya faire l'objet de notre étude.
Xou- diyi·eron - notre suj et en clem. partie· principales.
Dan la première nous lraileron du gage commercial en
général ; dans la seconde, du gage particulier ur les marchandises déposées dan · un magasi n général.
La première -era le commentaire de la loi du 23 mai 1863
ou plutôt des articles 91, 92 eL93 Ju Code de commerce
acluel. Le législateur en c[ eL a procédé par un r emaniement partiel du code lui-même. L'ancien TiLre VI, Des Commissionnaires a pris une nouvelle r ubrique : Du gage et des
commissionnaires en qém!ral; ainsi l'ordre et le nombre des
litre· n'ont poinl été changé·. Pour é\'iter de déranger la
érie des arLicle·, Je disposilion · relative aU\. commissionnaires formant cinq article de l'ancien Titre VI furentrefoulées el réunies dans deu \ articles seulement, les dc u ~
derniers du noU\eau tilre, 9 f et !l:> , avec une rubrique seclionnaire; les numéros 91 , 92 et HJ, laissé libres servirent
à conslituer la première seclion Du Gar;e el à conlen ir les
dispo ilions noU\ clics de la loi de 1863.
La econde partie lrailera de la loi du 28 mai 1858.
PUEMIÈRE PARTIE
DU GAGE COMMERCIAL EN GÉNÉRAL
1
QU.AND Y A-T-I L GAGE CO~UI ERC!A L ?
L'art 207 1 du Code ci\•il définit le nanli sement : un conlral par lequel un débiteur remcl une chose à son créancier
pour sùreté de sa delle.
Le nantis.semenL ~·une chose mobilière esl le gage propre~nen.L dit ; cel~1 . d'une chose immobilière 'appelle
antzcltrese. Celle d1 Lrncti:m n'a plus d'io lérèt en matière
commerciale,_ leoanLissemenL commercial oc pouYant porler sur des unmeublcs sans perdre par cela mème a
qualité.
La première question qui -c pose au débuL de notre chapi tre est la suirante : Quand r a- L-il gage commercial'?
Le gage e t un conlral acccs oirc; il suppose J'e.xislence
d'une obligation préc'l:i tante qui lui donn e ::.ou caraclûre.
S'il se raLLachc à un acle commercial, il ·era lui-même commercial. L'article 91, en c[eL, di spen e des forrualiLè du
dr?it commun le gage con Lilu(', -oil par un commerçant,
01_l pour un acte de commerce. L·as~imilation faite par cet
article e' t conforme am principes générau\ ; elle c t néann:oins C\prcssé mcnl formul ée parce qu'il y cul à celle occa1on cootrover c el cli scu~sio n au Corps h>gislalif. Le te.xlo
du projet de loi ne vi ait que le gage con ~titué par un commerçant, sans tenir compte de la commercialitti d'un acte
fait par un non-commerçant. Ce lC\Le fut amenda par· la
commission dans le sens oil il nous esl parvenu : la com-
�-ü -
-
mi ion avait pensé avec rai on que la distinction entre un
commerçant et un non -commerçant e· t parfois bien diffici!e àfaire et que dans la pratique, l'intérêt des créanciers
chirographaires oppos6 à celui du gagiste ne manquerait
pa de souleYer d'inces antes difficultés qu'il 6tait bon de
prévenir. La question donna lieu à un débat en éance
publique où U. Jules Favre s'6leva contre le projet amendé
par la commission ; en définitive la commis3ion eut gai n de
cause. Il en r6 ulte donc qu e pour apprécier, en matière de
gage. Je quelles de règle· civil es ou commerciale devront
être uivies, il faudra con idérer uniquement la nature de
l'opération principale à laquelle e rattache le contrat
accessoire du gage, el non pas culemenl la qualité du débiteur. Un débiteur commerçant qui fera une opérntion purement civile devra se oumellre au\ règles du Code civil, de
même que le débiteur non-comme1·çant, pour un :icle de
commerce accidentel, jouira des l'aveur du Code de commerce. Il existera culcment entre eux celle différence, que
dans le premiers cas la commercialité de l'acte est prés umée,
conformément à J'arl. 638 du Code de commerce, et que dans
dans le seco nd cas, celle commercialit6 devra être prouvée
pécialemenl.
Il
QLELLE EST LA CAPACITÉ REQUISE CllEZ LES PARTIES
?
Il faut pour le débiteur la capacité générale d'aliéner. La
con ' litulion de gage n'est pas, il e;:,t vrai , par elle-même une
~liénation pui,.;qur le d6Liteur con ·en e la propriété de l'objet engagé, mai il peul arriver, et il arrive sournnt, en
cCfcl. que par ,.;uite du cléfaut tlC' paiement à l'échéance, le
crfancicr, usaut de ~on droiL, fasse vendre l'objet dont il est
nanti ; cle là, une aliénation résultant indirectement du contrat de gage. (.)uant au créancier, qui 'oblige àla res titution
dP la eho::,e cl au so in ùe sa con 'enation , il cl oil naturell ement jouir de la ca1>11ci lé générale de s'obliger.
69 -
Que faut-i l décider dans le cas où le débiteur a donn é en
gage la chose d'aulrui '? En droit romain, Je propriétaire
conservait la libre revendication de la chose sans avoir à
tenir compte d'un contrat auquel il élaiL étranger. Aujourd'hui Je principe édicté par l'arli cle 2279 du Code civil implique une solu tion différente. Jl est admis par la juri·prudcmce que la ma:\ime : En fait de meubles, possession vaut
titre, s'applique au i bien nu ca de nanti - ement qu'au cad'aliénation. D'aprè J'expo é des motifs de la loi de 1863,
'' Je créancier légalement ai i d'un gage ne saurait craindre
l'intervention de per· onne · i ce n'e l celle des tier · qui
prouveraientquelemeuble donné engage leur a été dérobé.»
Il y aura donc lieu de di · tinguer _i le c1·éancier e t de bonne
ou de mauvai ·e foi. Dan le derni erca-. il reste ·oumi· à la
revendication du propriétaire; dan le premier cas le propriétaire ne pourra recouvrer a chose qu'en désintéressant le créancier, à moin qu'il ne fa ·e la preuYe qu'il avait
perdu la chose ou qu'elle lui avait été volée; encore faut-il
faire à ces dernière hypothèses dem nouvelle restrictions
à a voir : qu'il ne se soi Lpa ·écoulé trois an · à compter de la
perle ou du vol, ou bien encore que le débiteur n'ait pas
acheté la cho· e dans une foire, ou dan un marché, ou dans
une vente publique, ou d'un marchand ' endant de- chose
pareilles. (Art. 2280, Code ci,il. )
L'application de l'article 2280 a soulevé dan la pratique
quelques question - délicate·, notamment dan · le · cas Je ·
plu fréquents cle perte ou de \ Ol de titre · . De nombreu1
arrêts ont décidé que la boutique d'un changeur ne peul
être a similée pour l'achat des litres au porteur à aucun de ·
lieux déterminés par! 'article préci lé. (1 ) li ·uffit d ·ailleurs
que des valeurs volée· aient élo achetées ai lieur· qu'à ln
Doursc pour que la revendication contre l'acheteur soit
admise, quand même il ne serait pas établi quo celui-ci a com1 8~~). Paris, 10 nov. 1858, - 0 nov. 186 1, - 6 .iuio 166-l, - 2ü avril
�-
70 ·-
-
mi une imprudence en ne vérifianl pas l'origine de ces
valeur . Cett e dernière consid6l'ation élail surabondante (1).
ne loi du 15 juin 1872 'est occupée spécialement des
titres perdus ou volés. Aux termes de celle loi, le propriétaire originaire de ces titre peut en empôcber Loule vente
en faisant une opposi tion au . yndicat des Agents de change
de Paris et en requérant la publication des numéros des
titre da_ns un Bulletin quotidien. Tou le négociation ou
transmis -ion postérieure au jour où le Dullclin e-t parvenu
ou aurait dû parvenir, par la voie de la poslc, dans le lieu où
elle a été faite, re Le ans effets ,i --à-vi · de l'opposant.
Xou- reprodui· on ici une obsenation que nous avons
dejàfaite dan · l'étude qui précède. Quel · quesoientles droits
du propriétaire de la chose engagée à tort par le débiteur,
qu'il oil ou ne -oil pas dan le ca· d'agir à l'encontre <lu
gagi te pour revendiquer a cho e, il n'en est pas moins
vrai qu'entre les parties con lraclanles les obligations réciproques que produit Ir nanli ement naîtront dans Lous les
ca· . C'est en app liquant ces divers prin cipe · que nous détcemineron ·la iluation du gagi ·te qui a reçu de son débiteur
une chose que cc dernier po·séduil à litr\! de gage seulemrnt, hypothèse à laquelle nnus a von· vu les romani · tes
donner la qualification de subpir;11us. L'articl e 2279 régi t Je
ca,.; où le ccoud créancier ignorai t que lr premiern'avail sur
la cho e que le droits d'un gagiste. Don s Je ca conlraire
le - droit. du second créancier su r le gage ne sub isleronl que
tout autant que le débiteur originaire n'aura pa payé le
créancier intermédiaire. Pour prévenir la r6 olulion de on
droil le second créancier aura la res·ource de faire une
sai ie-arrêt en mainl> du débiteur qui a con lilué le premier
gage.
Les règles qui précèdent sont communes am: matières
civi les el commerrialcs. L'article 1 f6du Code de com1ucrcc
(1) Cus., 20ao1it 1872.
71-
édi cle une incapacité . péciale. Aux termes de cet article,
sont nuls et sans e[et relativement à la mas~e, lorsqu'ils
auront été fails par le débiteur depuis l'époque déterminée
par le Tribunal comme élant celle de la cessation du paiement, ou dans les dix jours qui auront précédé cette époque,
Lous droits d'antichrèse ou de nonLis cmeot constitué sur
les biens du débileUI', pour dellcs antériew·ement contractées. La loi frappe le nanli " ement intervenu dans ces condition d'une nullité ab~oluc. Que ile gage était con· Lilué
au moment ou naîl la delle, celle delle prenant elle-même
nois ·ance depui · la cc --ation du paiement, l'article 416 ce ·~erait d'être applicable, l'acte ne serait plus radicalement
nul , mais simplement annulable en cas de fraude el de préjudice causé à la ma · e de créanciers, conformément à
l'article H.7 (1 ). Celle di ·tinclion a été introduite par la loi
du 28 mai 1838, qui a réformé le litre De la faillite,
contrairement à l'ancien article 'i f3 qui annulait tout nantis emcnt in tervenu pendant la période su·pecte.
'o us aurons à \ Oir dans le · celions suivante · cliver e
qu estion qui se raLLachenL à cel article HG.
lH
QUELLES
cno
E PEt:YENT trnE DON;\'Ü
E~ G.lGE
'?
Toutes le. chose· mobilière u ceptibles d'ètre vendue ·
peuvent faire l'objet d'un conlral de gage.
Une omme d'aro-cnt même peul être affectée à Litre de
nan ti semenl. Polhicr nou en cile un ca~ de · plu· usuel',
celui de· bibliothèque' publique · qui ne délincnt les uuwages qu'on veut ) emprunter que sur le \erscmenl d'une
cerlaine somme pour sûreté de leur rc~Litulion. La Cour ùc
Cus ·alion Yoil un nanlis~cmcnl, el non un ca11lil11incnH'Ul,
dans le contrat formé rnlrc nn directeur de thè<\lrc et Je ·
Il) Cass, 4 janv. 18 17, - :! l juin l~ti8, -
30 dok. 1 '1-L
�-
72 -
ouvreuses qui remettent à celui-ci une somme d'argent pour
la garantie de leur ge lion (1).
Dans les choses corporel les mobilières les navires occupent un rang à part. En effet, à l'inverse des meubles ordinaire ·, ils · ont soumis au droit de suite ; bien plus, depuis
laloidu 10décembre J87f, il s peuvent faire l'objet d'une
hypothèque. Leur mise en gage a soul evé des difûcult6s
pratiques sur lesquelle· la juri prudence a eu maintes fois
à se prononcer el que nous aurons à examiner dans une
section suirante.
Les choses mobilières incorporelles peuvent Mre donn6es
en gage comme les meubles corporel-. Ce poi nt e t aujourd'hui hors de di eus ion (.:\.rt. 207 :> C. Civ., art. 91 C. Com.)
La condition essentielle pour qu 'un e chose incorporelle
pui se faire l'obj et d'un gage, c'e· t qu'elle soit ces ible, en
d'autres termes, usccep tible d'être vendue. Ain si ont
exclues comme incessibl e : les créances d'a liments dus en
vertu de la loi, les provi ions adjugées par laju tico, etc.
Le titres de rentes sur l'Etat ont in aisis able ; on
s'est demandé s'ils pouvaient être donnés en nantissemen t.
L'affirmation est adoptée par la jurisprudence. En effet si
les rente sur l'Etat ne peu vent êlre , ai ·i e , elles ne sont
point inces ibles et remplissent par cela môme les conditions exigées ; rien ne 'oppose à ce que le créancier nanti
les fasse Yendre à la Bour e pour se payer ur le prix (2).
De même , pour le- brevet· d'invention, la jnri prudence
décide aujourd'hui d'une manière con·Lanlr que leur mi e
en gage e Laus· i valable que celle de- aulres meubles in corporels. Le créancier nanti n'acqui ert point le droil de
l'e:\ploiter qui resle au titulaire; il peut seulement, s'il n'esL
(1) Cass., 29 nov. 11106.
(i) Troplo.ng. n'.107. -
Pont, Il . 1080 à l lol. -
JRQ6.- Paris, 17 Janv. 1868
CaSI!., 14
a"1 il
73 -
pas payé à l'échéance , faire vendre le brevet et se payer sur
le prix ( 1).
Pour le droit au bail la s0 lution dépend de celle donnée à
la vive controverse qui s'est élevée sur le caractère de ce
droi t. Cependant la majorité des auteurs et les déci"ions les
plu récentes et les plu nombreuse de la jurisprudence
considèrent le dl'O il du preneur comme mobilier ; il pourra
donc faire l'objet d'un contrat de gage (2).
L'opini on contraire prévaut cnj uri ·prudence relativement
au droit de l'emphythéote qui est con idér6 comme mobilier.
Cc point est très con te table et nous estimons plutôt que
l'emphytéose, sou, l'empire du Code civil, n'est qu'un bail à
long terme, et partant un droit purement mobilier.
Les œunes de l'e prit lor· qu'ell e· se réalisent par l'impression, la gravure ou par toute autre manière constituent
une propriété qui rentre tout à la foi· dans la clas e des droits
corporels et dans cell e de droits incorporels; à ce double
titre, elles peuvent fai re la matière d'un nantissem ent. La
cour de Paris l'a ain ijugé dans une espèce où il s'agi.sait
de planches et de pierres gravée· représentant des œuvres
musicales (3).
IV
CON TlîtTION Du G.\GE
La validité du conlrat de gage, entre les partie\ n'r t
ubordonnée, en matière ci' ile, à aucune forme parliculière;
la preuve peul en èlre failc conformément au'\ règle· O"énéralcs ur la preuve des contrats. Le gage commercial, à plu·
forte rai ·on, n'a jamais clé soumi', enlre le- partie- qu'à
la preuve commerciale. li n'en esl plus de même à l'égard
1
(1) Paris, 29 août 1863.
(2) Casg., û mars 1851. - Pari3, 11 onil et 5 mai 1 GG,
(3) Pa l'is, 13 jan1 i.-r )871.
�-
i4 -
des tiers. Nous avons vu que la loi civile, se préoccupant des
fraudes pos ibles qui pouvaienl léser le· droit des tiers, a
soumis le gage, pour produire son cJTel vis-à-vis de ces derniers, à de rigoureuses formalité .
Deux condition sont exigée· pour la con lilulion du gage
civil:
1° Rédaction et enregi tremenl d'un écrit;
2° Tradition de l'objet.
Celte dernière condition n'est poinl particulière au droit
ch·il ; elle est de l'c--encc môme du contrat de gage, nous
la retrouveron · cl l'é tudicron· plu · loin au point de vue
commercial ; Ja premi ère condition, au contrai re, a ét6
supprimée par !aloi de 1863.
1• Ses modes de preuve .
Le Code civil e1ige donc pour la validité du gage, à
l'égard des Liers, la rédaction d'un acte authentique ou sous
seing privé, cl dans cc dernier cas, oumi à l'enregistrement, contenant la déclaration de la somme duc, ain i que
l'e ·pèce et la nature de choses rem ises en gage, ou un étal
annexé de leur qualité, poid ' cl mesure. Par celle di ·position
la loi prétend écarter deu'\ genre cl c fraude : l'antidate de
l'acte de gage cl la ub ·titulion d'obj ets précieux à des
objets engagé· de moindre 'aleur.
Celle légblation 'appliquait aYanl la loi de 18 63 au gage
commercial, sauf toutefois une c\ception faite par l'ancien
article 93 en faveur du commi -sionnairc pour les avnncf' ·
par lui faites sur des marchanùi ·e, C\pédiécs d'une autre
place.
La paragraphe 1°' du nouvel article 01 fail di. paraîlrc
pour le gage commercial la nét<'Sb il6 des formalit és c1 ig6es
par l'article 21 H du Code civil. JI est ainsi conçu : 11 Le
gage constilu6 soit par un commerçanl oil par un indi ,idu
non commerçant, pour un acte de commerce se con talc à
'
75 -
l'égard des tiers, comme à l'égard des parties contractante ,
conformément à l'art. 109 du Code de commerce. »
Sans doute le motif qui avait déterminé le législateur à
édicter pour la constiluLion du gage civil le formalités de
l'art. 2074 méritait une éricusc considération. Mais d'autre
part les a[aires commerciales ayant surtout besoin de
célérité et toutes les fo rmnlites j uridiques constituant une
perle de temps et une augmen ta lion des frai s improductif-,
il importe de diminuer dan· toutes matières et dans la plus
large mesure le nombre de ces fo1·mal ités . .\ ce titre l'abrogation pour le gage commercial de l'art. 2071 du Gode ch il
'imposa it à l'attention dn l<'gislateur. )fai s i le crédit a
tout à gagner, la bonne foi n'a-t-elle rien à perdre à celle
simplificati on des pratiqu es'? C'c l là la question que se
pose, en y répondant ell c-mème, la commi ssion du Corp·
J&gislatif. « Entraver les conventions utiles el honnête· ùil
M. Ycrnier dans son rapport , pour empêcher le dol de' ·y
introduire n'e l plu s l'œuvre de notre temps. Donner à
l'honn/Heté toute sa carrière cl al teindre la fraude quand elle
se montre, son t les idées rraics qui -;ont destinée à pénétrer
de plus en plus dan nos lois. On potl\'ait encore répondre
que la fraude n'étai t pas plu" à craindre dan · les constitution·
du'.gage que dan le Yt>nte ·qui même à l'cgarJ <les tiers se
prouvent par les mod<'-; énum ct·l1 -; par l'article 109 du Code
de commerce. Il 11°) avai t donc pas de raison pour que Jeprcuve - commerciales uffbante-; pour établir la sincérilc et
la date de la \'ente, ainsi qnc son objet à l'cgard des tiers.
uffisantes pour pré\ enir la fraude, suffisante· pour que le
magi lrat puisse la reconnaitre el la supprimer, ne suffi enl
pa éga lement au même but , en cc qui concerne le gage.
Ainsi plus de di[èrcncc entre les parlit:'s contractante-;
cl les Liers, en rc qui louche la forme à donner au contrat de
gage. Dan - tous les en.:;, la pr<'m (' du contrai pourra se faire
par ces mo) rns clt' droit commun cl par l'l'U\ indiqué-; dan·
l'article 109 clu CuJe tic commerce, soit par actes public,
�-
76-77 -
_ par actes sous ignature priYée, - par bordereau ou
arrêté d'un agent do change ou courtier dûm ent signé par
Jes parties, - par un e facture acce?tée, - par la co rre~
pondance, - par les livres d_e· parl1 es 1 ~ar la preuve test1moniale , -parles prèsompL1on · des arltcle · 1319 et 1359
du Code civil, - par l'aveu, - par le serment.
Le principe général ain i po é au début, l'article 91 dans
les paragraphes suivants en précise l'application dans
certain cas péciaux qui avaient donné lieu à conlrover e:
une dérogation y e·t même faite par la disposition qui
maintient pour les créance· mobilière la néces ité de la
io-nification au débiteur édictée par l'art. 207 5 du Code civil
~~u allonsrep1endre ucce ivemcntle direrse· catégories
d'objet· mobiliers qui pcU\ ent Mre donnés en gage .
1° M ECDlES CORPORELS. - L'application du droit commun
ne soul ève aucune question de fol'm e; la tradition à tilre de
garantie suffit à con tilucr le gage.
2° .MerBLES 1.vcoIIPORElS. - La cla se des meubles incorporels comp orte plusieurs sou -di ·tinctions importantes.
Les créances peuvent affecter la forme ci Yi le ordinaires ou
certaines formes péciale ; dans cette dernière catégorie
rentrent les Yalcurs à ordre , les tilres nominatifs, le Litres
au porleur,
Créances ordinaires. -
Les règles du droit civil sont
expressément maintenues. « Il n'es t pas dérog6, dit l'a rticle 91 en son paragraphe ~,au\ di posilion de l'articl e 207 5
du Code civil, en cc qui concerne les créance mobilières donL
Je ces ionnaire ne peut êlrr aisi à l'ugard de· lier , que par
la ignification du lran port faite au débiteur. » D'autre part,
l'article 207 5 sus-visé s'exprime ainsi: « Lo privilégc
énoncé en l'article précédent ne s'établit ur les meubles
incorporels tels que les créances mohili ères que par acte
public ou sous seing privé, aussi cnrrgistré el signifié au
débiteur de Ja créance donnée en gage. »
Ainsi deux conditions de forme sont ici nécessaires :
1• La rédaction d'un acle 6crit et son enregistrement;
2• Ja signification dudit acte au débiteur de la créance
cédée. - Cette second e conrlition excl uant même la distinction faite par l'article 207 f du Code civil entre les matières
qui sont inférieures ou supérieures à 15 0 fr .
Cette re lri clion se ju· tifie ans difficulté. L'application
pure et simple du droit commun laisse rait le créancier an aucune garantie contre l'c\linction du gao-e qui pourrait
avoir lieu à son in u. Le débiteur cède en effet n'étant,
au\ termes de l'arti cle 1691 du Code civil, tenu de son obligation à l'égard duce· ionnairequ'à partir de la signification,
il 'en uivrait que s'il n'amit point ét6 averti de l'affectatio n
de ·a delle au gage, il pourrait valablemt'nt se libérer
entre le· mains de on créancier el faire di ·parailre ain i la
ùreLé constitu ée par ce dcmicl'. ll n'en sera il plus de même
si la créance affectait la form e commerciale. car dan · ce ca ·,
la libération du débiteur n'a jamais lieu , an - la remi se qui
lui c t faite du Litre , et le créancier gagiste n'a point à
craindre l'extinction, en dehors de lui , de l'obligation qu'il
renferme .
Le rapprochem ent des article· 2075 du Code ci,·il et 1i6
du Code de commerce a don no lieu à une quc·tion dh·er ·ement ré olue par la juri ·prudence. L'article fij déclare
nuls tou droits de nantis ·cment con::.titués sur les biens du
débiteur depuis 1'époql1e de Ja ces-alion des paiements el
dan · les dixjours qui précèùenl, lorsque l e nantissement
garantit une dette contractée anléricurcmcnl à celle période.
Que décider dan · le cas où l'acte de gage redigé avant la
pé!'io<le suspecte n'a ura olo · ig nifü~ qnc pcnùanc cette mèmc
période? L'article U 9 r ra-t-i l upplicaulc '? La Cour ùc
Montpellier clan · un arrêt du 13 jamier l 815 a rôpondu par
l'aftrrmalivc; cet a1Tèl con iùèrc ln signification comme une
formalité substantielle ùc l'acte, ::.au ' laquelle le pri\ilt'ge
�-
78 -
-
n'a point pfr nai sance, l'acle de nantissement restant
incomplet et n'ayanl pas acquis une exis tence légale.
L'opinion conlraire contenue clans un al'rèt de la Cour
suprème du .f janvier 1817, cassantl'arrèLprûcisé de la Cour
de Montpellier, nous paraît plus conforme à la ~cLlre. ?l à
l'e'prit du Code de commerce. En e[ et les d1 sposü10~s
riaoureuses et exceptionneJJes de l'arl . .f 16 sont de droit
éL~oil, il imporle donc de n'en point élenclre l'appli cation
en dehors de termes précis. L'arlicle ·i i6 ne range le
contrat de nanlis ·emenl dans la classe des acles nuls
qu'aulant qu'il a 6l6 constitué sur les biens du débileur,
aprè la ce·sation des paiemenls el dan - le- di'\ jours précédent -, pour delle anlérie uremenl con lractées. Ainsi il faut
deux conditions : 1° que le gage ait élé con-lilué pendanl la
période u peclc; 2° qu'il soit postérieur à la naissance cle
la créance. Or, l'espèce en question ne rentre pas dans
ce cas, pui ·que dans nol re hypolhèsc le gage a été contracté
a\'ant la période clouleusc; de plus il a acquis date certaine
par l'enregbtremenl. Serait-il cxacl de voir dans la signification une formalilé ubslanticllc clu conlral de gage sur une
créance, au point que ce contrat n'aurait aucune espèce
d'e\'.istence sans celle formalité, ou plutôt ne faul-il pa
considérer la significalion comme une formalité écli ct6e
principalement dans lïnlérêl de celui qui reçoit la croance,
afin d"éYiler que le paiemenl ne puisse èlre fait cnlre les
mains cl·un tiers? Le nantis ement constaté par un acle non
signifié e:rUc juricliquement, la sign ification lui donne un e
efficacité qui lui manquerait et 1:iauvrgardc son existence
ju qu\llorsprécairc. Quel est le huL dr l'article f16 , inon
d'empêcher un débiteur au\ abois de favoriser Lei ou tel
de se:> créanciers aux dopens <les autres en les munis:>a nt
après coup d'un privilége qui manquait à sa créance? Cela
e~L si Yrai qu'une cr6ance pri\ilrgi6c peut nallrc même
pendant la p6riode suspecte si la créance et le privilégo
naissent en même temps. Si donc nous supposons que le
79 -
gage eslcon-enli et con ·talé avant la périodesupecte nous ne
pouvons reprocher au débiteur J'acte proscrit par Ja loi . Que
si la signification n 'in Lcrvien l que postérieurement, ce n'est
point là, comme le remarque l'arrêt précisé de la Cour de
cas ation, le fa it du failli, mais bien le fait exclusif du créancier nanti.
Un puissant argu ment d'analogie nou est encore fourni
en ce sens par l'arti cle ·i f8 , qui permet de parfaire par une
inscription postérieure une hypothèque garanti 'Sanl une
delle valablement contracléc; or la ignification est dan~
une ccrlaine mesure pour le gage sur une créance, ce que
l'inscripti on est pour l'h) polhèquc (1).
Les dispo ili on de l'art. 207:> s'app liquent an difficulté
à la mi e en gage d'un bail à loyer, en admellant toulefoi ,
comme nou - l'avons fait, avec la jurisprudence la pluréccntc et la plu générale, que le droit du preneur est personnel et mobilier. La mise en gage d'un droit au bail era
parfaite dès qu'elle aura été cons talée par un acte public ou
sous-seing privé enregislr6 et signifié au propriétaire des
lieux loués (2).
Titres auporteur. -La loi de 1863 n'en fail point men-
tion, mai l'exposé des molif- C\'.plique ce silence en déclaranl que le- valeurs au porteur sonl, quant à la constilution
du gage, a similées au\. meubles corporels et que Je~ 1 de
l'article 91 leur est applicable. <1 Le gage peul être con 'ti tué
en litres au porteur, tel, qu 'cil'el public ·, action-, oblig-ation . Ce sorte de valeur · ·ont devenues aujourd·hui dan
la pratique des a[aires l'objet le plu~ babiluel ùcs opérations
de nanti ·sement. Aucuno di:>position spéciale n 'etait
n6cc--aire pour faire cesser Loule' les controver-c·, qui se
sont 6lcvées au sujet du nanli 'semenl des valeur- a) ant la
form e au porlcur, puisqu'il csl déclaro par Je projet, d'une
(llCass., 18 juln 1862. - Lyon. lôjuin1874.
(2 Pari$, 11 açril et 31 mai 1866.
�-
80 -
mam'è re gé nér ale , et par cons6quent applicable . à tous les
objets mobiliers quelconques, que l e gage constitué par un
aux
des Liers
. ,
. conform6ment
o
" 1t cà 1'6"'arcl
commerçan t S'ét"bl'
dispositions de l'article J 09. La propnél6 de t1 Lre:::. .au P?rleur est transmis ible ans endossement, sans n o t1fi c~ l~ o n
, cl par la seule
.t ., 5 ,.l 1 'agit d'obJio-ation
d' on
b"lrad1t1
0
au déb1eu1
ab olument comme la propri6l6 d'un lingot, d'un IJ OU, un
meuble. Le paragraphe 1., suffit donc à leur égard et lranche
toute controverse. Le gage con Litu6 par un co~ merçanl sur
des tilres au porteur 'établira à l'égard des t1er ~, comme
Je o-aae consenti sur une marchandise quelconque, sur un
lin~o~ conformément aux dispositions de l'article 109. »
t exposé qui précède fait allu · ion à la vive contr?verse
qui 'était élevée avant 1863 sur les fo rmes de. la m1 ~ ~n
aaae des titres au porleur. La Cour de cassa tion déc1d:ut
~u~ le nantissement sur les titre ~n porteur n_'é~anl y~s
réglé par le droit commercial, devatl lombel' s.ou::. 1 app hcalîon de l'article 207 5 du Code civil , que par suite la double
formalité de l'acte écrit etde la signification était nécessaire;
c'étaitl'assimilation complète avec les créances ordinaires.
Un second système en assimilant au contraire les titre~ au
porteur avec les meubl es corporels n'exigeait que l'appl1cation de l'article 207 f. Nous ne mentionnerons que pour
mémoire un troisième système qui prétendait que la tradition seule suffisait pour la mise en gage de ces valeurs.
Cette controverse n'a pas seulement un intérêt rétrospectif. Si depuis la loi de 1863 la mise en gage des titres au
porteur, pour une dette commerciale, ne peut plus d.onner matière à discussion, la même dirfümlt6 subsiste
si la delle garantie a le caractère ci,•il. Dans ce en , la
controverse reprend toute sa porl6e. li faut opter entre
le système ri gourfü\ de la Cour de Ca ·:::.alion C\igeanl l 'application cumulati'e des articles 207i él 207:> , cl le sy::. lème
plus rationnel qui ne demande que l'applicalion <le l'article
207 4 et que nous acceptons plus volontiers. En effet le légis-
-
81 -
lateur a as imilé. en raison ùe leur formr, les valeurs au
porteur au\ meubles corporel ; c'e l ainsi que pour la transmission de la proprii'Lé de cc- effet la seule tradition
manuelle nrfi L par dérogation à l'article 16nO el par application de l'article 2279. Le même motif doit entrainer l'application de l'arti cle 2071 pour leur mise en gage.
Valew·s àordre.- Lcs rnleurs su ·ceplible d'endossement
ont : la lellre de change, le billet à ordre. la lettre de voiture, le connai ·semenl, Je chôque, le "arrant, le récépissé,
Je · polices <l'a · urances, Je acl ion cl obligation - de compagnie de chemin de fer, le facturec; de marchandi:.c .
« Le gage à l'égard des rnleurs négociable , porte l'article
!l l § 2, peut au si être établi par un endo·semenl régulier
indiqu:mt que les valeurs ont cl(· remi e,)à litre de garantie.»
Sous l'empire de l'ancienne loi, de grave· dis·eatimcnl s'étaient produit à l'occa ion d'effets négociaules donnés
en gage par simple endo-~emenl. La question ul> i::.te
encore aujourd'hui, de même que pour les titre:, au porteur,
dans le cas où le litre à ordre garantit.une dellecirile.Avanl
18G3, pour le gage quel qu'il fù t, aujourd'hui pour Je gage
riYil. la mise en gage d' nne rnleur négociable peul-elle
valahlemenl s'effectuer par simple endos à titre de garantie'?
La Cour de Cas::;ation 'e ' l prononcée pour l'affirma tive. Celle
0Jution 1 i elle n'e ' t pa· rigoureusement conforme à la
lettre de la loi nous paraît llu moin entrer entièrement dan;;
on esprit. En e[el, qu'a \ OUiu le legi laleur ùan sa lbeorie
générale du gage formulée dan· le Code ci' il? Que le contrat
·oit con tat6 par écrit pour que la nature de la pos e -,,,ion
conférée au croancic rgagi Len•• pui::.se donn er lieu à aucune
éqnirnque ; que le contrat ail une date cerlainc pour être
opposable am Liers; que si l'objcl en ga"c c 1 une rreancl',
la mise en gage soit porlûc ù la connaissance du dél>i leur
céd6 pour lui enle\ cr ja focnll û de ::>e libén'r ù l'in u Liu
crèancicl' gaq'isle. Polll' arriver à l'es résultat" l'e l a\ cc
raison que le Code civil C\ige 1 cnregistremc11t d'un acll'
�-
82 -
pour les meubles corporels, el, s'il s'agit d'une créance, la
io-nificalion dcl'acle ùe oage; c'e ·t avec raison encore que
d'aprè le ystème que nou~ avon' aclopt6 la .m.ise en ga~e,
pour une delle ci, ile, d'un litre au porteurdu1Lelre ou m1 e
aux formalités ùeJ'at'Licle 2071. li n'en c t plus do mème
'il s'ao-it d·un litre susceptibl e d'cnclossement.- Quel elfct
produirait un acte de ga~c signifié que ne prnclu i ·e pa l'endos ·ement ù'une lûLLre clc change ou ù'un billeL à ordre,
puisque cel endossenH'nl sai il Je parleur, au i comp létement que peul le faire un acte ' épuré signifié au débiteur,
de la créance cédée ou ùonnéc en gage? La con · Lalation par
écrit e::l faite ~ ur l'obj et mèmr ùu gag1', clic le uit partout,
rien de moin· équi\O<[Ue [JOUI' les Liers; la dalc ùe rendossemenl fait foi par elle-mème, sans enregi tremenl, car
l'endossement est une forme pécialc , réglementée par Ja
loi commerciale el qui n ·a rien à emprunter à la loi civi le.
D'autre part, quel serait Je but de la signification au débiteur
cédé puisque ce dernier ne doit se libérer que sur la représentation du Litre qui sera tians les mains du gagi ·te el mentionnera de plus la cause de> la po --e--ion ùu porteur'?
Eüger pour la mi e en gage d'une 'al eur à ordre , les formalités des articles 20H el 20ï:) Ju Code civil serait une
complication puéri le sans ré ultat pratique ( 1).
Quoiqu'il en oil , la loi de 18G3 a tranche la controverse en
ce qui concerne le gao-p comincrcial. Le gage peul èlrc établi par un enclo~ ·emenl r1\g nli er il Litre clc garantie. L'endo :.ement règulier c ·t celui rr'tligé conf'ormement au\
di~positi on · <le l'article D7 llu Coùr de commerce. c'esl-àclire date, sign é, ronlPnanl l'enonciation de la \alcur fournie
cl du nom <le relui a l'unlre cluqurl il csl passé . Seulement curnmc un simple endossement lai · ·erait indécise la
qu e Lion de sa\'oir si c'est la propriété qu'on a \'Oulu transIl) Sir: Ma~s.:, IJroit 1·0111m . da11~ scs1'op11ort.1 aver· /e droit tfril. T . G,
etRni'".- Cas~ .. l8j111Jl . 18 18.-Ccnll'd: Douai , :2U 11111r~
11:! 1:3.- Paris. Jj fcvr1er 18·12.
11 .~2 1
-
83 -
mettre ou une garantie qu'on a voulu donner, l'endossement pourvaloir nantL sement, doit exprimer à cet égard la
olonlé des parties. La formu le pourra donc être conçu ainsi
qu'il suit: Payez à l'ordre de .M . ..... , à litre de garantie
de la somme de ....... , exigible le ....... , valeur reçue
comptant.- Mais en lranchantl 'ancienne question, l'article
91 en afoitnafüe une nouvelle. On discute ur lepoinlde savoir
sil 'article 91, dans :.e ~ 2 et 3 (Li Lrcs nominatif ) e Llimitatif, ou si, tout en aulori ' ant la con tilution de gage par Yoie
d'endossement (ou <le trau fert), il ne lai e pa • les parties
libres de l'effectuer en se er\'ant d'autres forme ·. La
question a été ,oulevée à propo de titre nominatif-, nous
J'examineron dan la section suinmte, la solution élanl la
même pour les valeurs à ordre et pour les titres nominatifs.
Till'es nominatifs. - Le 3 de l'article 91 déclare qu' « à
l'égard des action , des parts d'intérêts et des oblio-ation nominatfre des ociété • fina11cières, indu lrielle-, commerciales ou civile dont la Ll'aTl'mi - ion s'opère par un
tran · fcrt sur les registre ' de la ociéle, le gao-e peut également èlre établi par un transfert à litre de garantie Îfücril
ur lesdits regi ·tre '. »
Cet article tranche ain . i une difficulté identique à celle
dont nous Yen on de nou , occuper à propos <les ,-a leur · à
ordre. On e <lcmantlait avant 18G3 ::.i le-. titre · nominatif·
pouvaient être donné::. en gaf.)e au ffiO) en d'un lran-fert, ou
'il ne fallait pas, à dofaut de déroga tion formelle dan · les
lois, remplir le · formalité · de l'article 20ï5. La que · tion
s uu~i sle encore aujourd 'hui i la delle garan tie est J ·unc
nature civile. ?\ou · n'a\on · pa ici ù m0t1ifier notre apprerialion nous estimons que la mention tlu trnn ferl à litre Je
gm·anlie sur les registres de la sociclé répond au\ t'"'i:igencPs
de la loi civile qui \ eu t qui' le con trat soit prnmé par éc1·i1 ;
tJUC d'autre pari la -<ol'i0t1:• d1>bi11·ic1' détrnant clle-mème
l'iu ·trumcnt , un 11 ·a <lès 101·::. nul bl'::-uin dt' Je lui sipniller.
�-X I -
-
En cc qui touche le gage commercial, le nouvel arlicle 9.1
·e. l expres érueol prononce ; la conlro"ver·e ne aura1L
sub·isler.
Nous retrouvons ic.i la que · tion rt'.·s< n ôe plus haut, à avoir:
si,à défaut de lransfcrt (ou cl"cn dosscmr nl) à Lilre de garantie la mise en 0"ïl"C
t> cl 'un Litre nominal if (o u à ordre) peut êlre prouvée par d'autres mode· ùc prcmes.
li s'e l produil à cet égard trois op! nion différen te .
Dan - la première, l'arliclc 91 ~ 3 a unr portée absolument
limitative (Trih. de Corn. de Joi gn) , 2i oclohrc 1876).
D'après un second s~s lèmc. l'a rticle 91 3 n·cs t pas limitatif. mais si l<'s partit>s ne ' culent pa~ profiter de la facu lté
qu'elle leur donn e, elle., cloiYcnl rempli r le:. formalités
prr,.,critcs par !"article 20ï :i du Code ci' il.
Enfin, sui, ant une troi ièrn e cloctrine,a<lopt6e par la Cour
de Paris infirmanl le jugcmL nl précill• du TriLunal clc
comruerce dc .J oign . l'articlr 9J ~ :l 11 e clonne qu 'un e si mple
facullé dont le parlies pell\ cnl nr pas user; il leur csl donc
Joi:-.ible de con:.tilucrlc gag-1' conformcni enl au\ dispositi ons
de l'arlicle 109 du Code de commerce, auquel rem oie
l'articl 91 . 1 (1).
l\ous repous·ons les deux prl'mi ers S) lèmes, pour nous
rallier au lro i si~mr. L'arliclr 91 ~ :3 n'est pa· limitatif cl le
gage cornmercial à l'égard des Litres nominatifs pNll èlrc
cun lilué par la seule oliscl'\'alion rlr" cli::.posilions d1'
J'arti cle9 t .· L c'es l-a-tli rt' ùe l"artiC'I«' IO U.
Le premier sys tème :-.upporle di!fü:ilcmrnl la tli~cu ·sion.
Le te\lc de l"art ic:le UI .· :1 irnpliq t11' dain'1111•nl r1uïl y a une
au tre maniPJ-1• que cPIJP qu'il iurliqtH' de cuth lilucr en gage
un titre nominatif en clisanL c111c )P gag" peu l fqalenit•11t
ètrc ctabli par Ir lransfcrl. Gne con iLluralion pratique \ÎcnL
confirrucr celle solution d'unC> rnanièrc ù6cisi\ e. L'arl. 9 J ~ :1
1
l
s
1
(1) Ma~s.l. Droit commcl'cial, T . 4, n° 2t!09 . :!. J29, Mie.
Lyon-Caen S. l 87!J.
'
85 -
n'obl io-e pas les société à admettre sur leurs regi'tres les
lran ferls en garantie. i celle disposilion était limitative.
il serail impos ible de donner en gage drs litres nominatifs
d' nne sociélé qui n'admet ria · le "transfnL en garanli e, à
moins d'employe r le moyen détourné dont on u ail souH•nt
avanl la loi de 1863 qui consi lai t à opérer un tran ferl
ordinaire aYec ce lle co m rn lion adj ointe entre les parties
qu e le bénéfi ciaire n'aurait quo les droits d' un créancier
gagiste.
Le ·ccond . :- Lème r . . L ou Lenne par de· argument·
sérieux qui pcmenl se formulcra ini : Il n'ya pa·dan:-;
l'article 3J ~ :~ unc> disposition limi lati ,·c .• es parties peu' cnl . ~i bon leur se mble, rrcomir au droit commun. Or le
droil commun en mali ère cle gage est en quelque ·orle douIJle ; il y en a un pour les cho e· corporelles el un pour
les créances. Le droit commun pour le· crèance c'c t l'article 20ï 5 du Code civil, qu'il s'agisse d'un gage ciYil ou d"un
gagr commercial. Si clone l<'s parties ne veulent pas u cr
rl u bénéfice de l'article 9 L ~ 3 pour <les titre nominatifs,
di es pcll\ cnt le repons::.rr. mais alors elle:; doivent c c·nnform er au droit conunun, c'e·t-à-dirt• it l'article :!Oï:1 du
Code civi l.
Le te\ le mèmr clc l'arlicl0 !l l nou.;; parait cont1·edirr cc
dernier::.) ·tème. \ ou.:. r.,;timoth au contraire ;nec la Com
de Pari· que le gage comnwrcial a) ant pour objet de., litre.:;
nomi natif..; prnt t'lrc constilu!· par la :.cule ob ... erration de-.
di:-po...itions de l'arl. !) l ~ 1. Eu clfcl C<'l article pose dan-.
son prrmieralinéa unr r1'~ \ 1 gi•twrale, il n·~ fait une dl>rogn l ion que dan - ·on cpiat 1·irmr alin1•a ; l<' - paragraphe:, 2 et
3 n'étaient poinl n\1n~ssnirr.:;, ils n'ont Nt• in ·ore::- que pour
trancher ll's <'tmtrm cr;;r" qui tli\ i... aiL't1l rncore t•n cc moment
Ir· tiuteur rt lajurisprml1 1H'L' ..\ près avoir 1lil eu termt>-;
gh1orn11\ r1uc le gage t•ommrrcial iwut èlre pnnm.' à l't'.·~anl
de~ parties conl rad anlC'..,, conformt"·nh'nl à l'article 111!1 du
Cotlc de com111rrcc, l'articlL' !l J ajoute dans ·on second
1
�-
86 -
alinéa. qu'à l'égard de· valeur· nélgociables, le ~age peut
azni èlre établi au 1110) en d'un cndo semcnt régulier, c l
dans son troisième alinéa, qu'en cc qui louche le. Li tres
nominatif , le gage peul ôtre également 6labli par le lran fert. Le législateur a donc voul u simplcmcnL ouvrir aux
nantis ements commcrciam une fa cilité de plus cl plns
spécialement appropriée à la nature variabl e des valeur.
données en O'a ranlie. Il est nai que dans son quatrième
alinéa, l'arti cle 91 maintient les di po ili ons de 1'a1·Licle
2075 du Code ci,·il , mais les excep tion- sont de droit
étroit et doivent être rigourcu ernenL renfermées dan - le
termes même du texte qui le· établi ·sent. Quelle est donc
la portée de la re triclion fait e par l'article 91 § f dan - Jetermes suivants? « Il n'e· t pas dérogé aU'I: di po ilion s de
l'article 207 5 du Code ci,•il en ce qui concerne les créances
mobilières, dont le ces io11naire ne peut-tltre saisi à l'égard
df's tiers que par La signification dtt tramport (aite au
dé/Jiteur ». 11 nous paraît difficile ùc faire entrer dans celle
formule le valeurs à ordre ou le· litre · nominatifs . Le
légi lateur eût pu se borner à mai ntenir l'application de
l'article 207 5 aux créance mobilières; dans ce cas, le système que nous comballons srrait plus outcnabJe; mai le
légi lateur a fait plu · ; il a préci ·é la nature des créances
mobilière qui re lentsoumi ·e · au droit commun: ce sont
celles dont le transport ne 'opère à l'égard des tiers que
par les formalités édictée par l'arlide J ü90 du Code civil ,
c'e t-à-~ire, siO'nification au dohitcur cédé ou acceptation
authentique de ce dernier . u hi Ilet à ordre, un titre nominatif :)Ont-ils d'un ~ telle nature? Po ·cr la qur Lion, c'est la
ré,oudrc. La re~.tri~tion de l'article !l l ~ f ne porte que sur
les cr~a?ccs ordma1r.e~ affccta11l la forme que nous appr.llerons cn ile par oppo:.1l 1on aux formes spéciales du dro.iLcomllH'rcial. Dans ces condition , la rni ·e en gage des Yalcnrs à
ordre ou des litres nominatifs, rrslant oumisc au dl'Oi tcommun, à défaut d'endossemcnl ou de transfert prévu - par
-
87 -
91 § 2 cl :J. peul NrP élahlie par tous les modrs
de preu ve 6num tsrés par l'arti cle lO!l. Celte ~olu tion conforme au tex te de la loi répond égalem ent à on e prit. Le
rapport de la loi de 1863 di t en termes e\près que « Jr ~ 3
csLune fac ilité de plu. ajoutée à celles <le l'article 109 du
Code de comm erce. » Si c'e Lune facilité de plus. c'est que
les partie ont loujoUl'S le droit cl c rrrourir à l'article l O!l.
El d'ailleurs pou rquoi rnt ra,·er dans la pratique, par des formalités inutiles el surannées, les nan tissements dont le
titres commerciaux forment un des objet Je · plu u~uels "?
Pourquoi, lor qu'une loi péciale cherche avant.tout àdetruirr
cc entraves pour faciliter le commerce, ' ouloir mettre celle
loi en contradiction a\ cc elle-même el forcer ces terme~ pour
en fai re re. orlir le maintien de cc qu'elle entend upprimer ? Que, malgré Ir Jll'Încipe large el libéral in crit en tète
de l'article 91, une rest ricti on soit. faite pour les créances
ordinaire., c'e l chose ju. Le et logique, car le créancier nanti
n'aurait aucune sù rel6 ans la signification exigée ; élendre
celle restriction am créancrs à formes commerciale , erait
chose sa!)' aucune utili té pratique (1).
L'article 9 1 ' 3 énumère le- actions, obligation el part~
d'intérèts. Le projet de réùaclion de cel alinéa ne mentionnait pa~ les parts cl 'intérèh cl c'c ·t ur les ob~ervation-. ùu
Conse:il d'Etat qu'on les ) ajouta. La distinction entre le"
action - cl Je- part· d'inl é r~ b e t faite dan · le rapport ùe ~L
Yernier qui s'cÀprime ain::.i: « 11 r\i:~;te, en dehors des action"
cl ohlig-ations des cumptu;nic-., 111H' anln' espèce de litres
nom inatif:; apprlé:; genél'alcmenl.,; parb d'intérêt . Cc
, alcur on l Ion.; h•s carnd~re:- d'une ac lion: elle· en diff~renl
pourlanl rn ee sen-> <Jll e ll e~ representcnl une antre dhi-.ion
ùc l'intérê t ocial que et'1h~ qui e\i:.tr entre Je· actionnaire~.
1'iirlicle
(l ) La Cou1· de Ca~sation Ù'~t p1•onon<'~e dan~ le .nième sens quel~
Cour do PHis pn.1· 110 nr""t J,111.1 Clu1mbre tlt·-' 1.i11ut'tes eu dnte Ju \.!
rnari1 l ~î!l; il s·agi~<nit NI l\isp•••'•' 11'uu l'oc.:pissti. - ::>. 18,'0. l. 13,
Happort de fil. lti cunstiilt~r Tal11ndiu1·.
�-
88 -
C'e t la part d'inlérèt que les fondat eurs d'une Compagnie
··attribuent entre eux avant la mi se en actions. 1> Latran-mi " ion de ces parts d'intorèls c t oumi sc le plus souvent
par Io - statuts de la société à des règle- spécial es auxquell es
les parties doivent se conf1)rmer. 'i los statuts permettent
la tran·mis ion do la propriél6 d'une do cc· parts par voie
de transferL on pourra également les donner en nan tis emenl par le mème procédé.
Les statuts de la ociété peuvent ne point adm cltre le
tran -fert à titre de garanti e pour leur· titres nominatif· .
i\'.ous arnn indiqué plus haul commen t la difficulté pouvait
être tournée au moyen d'un transfert ordi naire qui rend le
créancier propriétaire apparent du litre et d·unc con trelcllre par laquelle le véritable caractèrn de l'opération e L
rétabli. Cettecomention adjointe pourra ètre prouvée conformément à l'article 109. L'inconvénient le plus grave de
ce mode de procéder, c·c.,l de grever le transfe rt du droit
de mulalion dont e:>L C\C mpt le lran sfe1·L à simple titre ùc
garantie. li est vrai que les li ers n'auron t aucun mo) en
pour conna1Lrc la véri table qualit 6 du créancier; que cc
dernier pourrait abu ·cr de sa ·i tuati on de propri6tairc apparent pour di-po ·er valablrmcnt ùr· tilres. jfai · d'autre pnrL
le gagisle ne peut-il point au · i vendre le meuble corporel
dont il est nanli à un acheteur de bonne foi'? Cela n'empêche point le nantis emcnL d'e'i ·ter valablemcnl dans cc
dernier cas.
2• De la mise en possession
Le contrat de gage c L un conlral rée l. La tradition dP
l'objet est de on e.sencc; il ne peut C\islcr ans ell e. Le
nouvel article 92 ne fait que reprodui re Ir principe consacré
par la légis lation civi le. Il csl ainsi conçu : c< Dan tons les
cas, le privilége ne subsiste sur le gage qu'autnnl qu e cc
gage a été mis et esl rcst6 en la possession du créancier ou
89 -
d'un Liers convenu entre le partie·. » Ce sont les Lerme
m~mes de l'article 2076 du Code civil. Le rapporteur de la loi
de 1863 explique cette redite : cc Le· principes de l 'articlc
2076 sont tellement dan- l'e scnce du gage qu'on aurait peutôtre pu éviter de le· rnpprlerdan le§ 2 de l'article 92: mais,
en Jes affirmant de nouveau d'un e manière prëci e, le
auteur du proj et on t eu la louable attention de le· mellrè
en regard de la pos·e ion fi cti\'e ou de comention, dont on
c ·t bien oblig6 de ·e contenter quand il s'agit d,~ marchandises volumineu C' ou encombrante·. dont le d&placemcn l
pourrait présenter de · difficulté m1térielle érieusc -, en
même temps que de fraisonéreu-;:. »
La loi en exigeant celle tradition de Ja chose a \'Oulu prévenÏJ' surtout Je· fraudes qui pourraient e produire, j le
débiteur demeurant en po - c -.ion du gage captait ainsi la
confiance du public par le · apparence· d"une olrnbilitémensongèrn. C'est dan · un intérêt ck publicité que cc condition ,
onL 6l6 édi c.Lées, aulrcmcn l dit clans lïntorèt des Liers. C'e t
pourquoi l'omi 'Sion de celle condition ·e traduira par de ,
conséquence · différente· suivant l[1t 'il s'agira de rapports
de partie entre elle· ou dl's rapport · a'cc les lier·. Le privil ège, c'est-il-dire l'cfficacit6 du droit de gaO'c Yis-à-,is des
tiers, n'e\i le que par la tradition de l'objet, mais entre le~
partie-, la conven tion fait la loi, cl le crl'antier gagiste qui
au ra prom6 l'c.\Ïstence de celle eom enlion pourra reclamcr cl obtenir juùiciairrmcnl la tradition de l'objet pour
a ·urer -on pri' ilègc. 'ious <non · YU la mème distinction
en droit romain au ~ujet ùc /'actio pi9neratitia.
Lo droit romain , moins rigouren'\ que notre ùroit, autori sai t le con~titu t po ·se " oirc. Le débiteur pouYail con sen er
pour le compte du créanl'ier la po""es ion de l'objet remis
en gage. JI n'e n pourrait plu · ètre ainsi aujo1ml'hui; la
poss1'ssion doit être rernisc, ·oit au crcnncier gagiste, soiL
encore ù un tirrs détenant pour le com pte du créancier.
Celle dernière facult é csl ù'unc utilité pratique inconlc la-
�-
90 -
ble ; le débiteur peut de celle fa~on donner la cho· e en gage
à plu ieurs personnes, ucce si,•emcnl pour Loul.c sa :ale:1r.
L'institution des rnaga ' in· généraux en est l apphcal10n
commerciale.
La pos·e sion du créancier gagisle doit, pour sauvegarder
son priYilèae, être continue et actuelle.
Le principe po é, il imporle d'en faire l'application am
diYerses catégories de chose qui penvcnl fai re l'obj et d\rn
""a""e
el d'examiner Je· difficul tés que cell e app lication peul
!:' c
ouleYer . JI y a lieu de di ·tinguer Je meubles corporel de
meubles incorporel· dont la poi> ession ne peul èlre évidemment de mème nature. \'ou · parlerons cnsuile du nantis ement des naYire· qui mérile, à rai on des difficultés
pratiques quïl enlrainc, un e élude Loule spéciale.
Meubles corporels. - « Quand le gage port e ur de marchandises, dit l'article 92 2, le créancier c· t répul6 avoir
les marchandise- en sa pos cssion, lorsqn'cll es sont à sa
dispo ilion dan ·es maga ins ou e naYire , à la douane
ou dan un dépo l publi c, ou i, ava nt qu'ell es soient arriYées, il en est sai ·i par un connai ·cmenl ou par une lellre
de voilure. »
Avant la loi de 186 3, les expre · ions limitatives de
l'ancien article 93 , avaicnl donné lieu il de conlroYcrses
que tranche la rédacli on nouve>llc de l'articlc 92. L'ancien
arlicle exigeant que la marchandi ·c fu l à la disposi tion
du commis·ionnaire dw is ses Ota(JGSÙt s ou dans un dépûl
public, on amit argument<' tle cc· C\prcssions puul'
co n te~ l er le pri\il è~e q:iand la marchaudisc était Mpo::.ér,
par c~emple. dan · le na' ire ou que le commi 'i> Ïonnaire en
éta it aisi par un lran fe rl en douane. La di sposition de
l'article 92 doit èlre entendu clans le sens le plus large. Pal'toul où la marchandise e ·t réc llcmc11t ù la disposition du
créancier, dans ses maga ins, clans ·e navire-, en douane
ou dans un clépùt public, le pri\ ilègc cloil e\istcr ( 1) .
s
(1 ) Expoaé d6s motifs .
-
91 -
L'énumérati on de la loi n'e t pas limilalirc.
Lorsque le marchandi ·es donn ées en gage sont restée dans les magasins du débiteur, la remise des clefs suffilelle pour constituer une mi e en possession au point de Yuc
du gage ? L'affirmalion c ·t généralement admise dan la
doctri ne el dan lajuri prudence. La plupart des auteurs
-ont d'avis que la remise de élefs du maga ·in oli sont contenues les marchandi ·es engagée procure au créancier un e
po -se· ion suffisanlc. En effet, pos édcr , c'est a,•oir Je choses à a di ·position ; or, le créancier qui a seul les clefs du
maga ·in peut di ·pose r de cc que le maga in renferme et
peul 'oppo cr à cc que tout aulre, le débiteur, par exemple,
en dispose.
D'aille ur , le lég i latcur s'esl C\pliqué en ce qui con Lilue
une mise en po~ses ·ion e l il a déciJ é que l'achclcur est en
po · cssion quand il a les clef- Llu magasin contenant la
marchandise vendue (arl. J606 Cod. Civ. ) Cel article doit
servir· à expliquer l'articl e 2076 , moin explici te. (! )La Cour
de la Martinique a adopté pourtan t l'opinion contraire dan ·
un arrèt a sez réce nt. L'arrèl eslirne que la condi tion e -- enti elle elon le venu de la loi étant que le gage sorte de la
pos· e ion du débiteur d'une façon patenté et Yi ·ible. ce but
n'c t pas alteint par la ·imp ie remise de· clef· (2\. }falgré
ces considérations cl 'une certaine portée, nou penson · qne
la rcmi e de clefs. qui au\ Lerme· tic l'article l 606 du Code
civil opère la tradition en malièrc ùe vente, c· t suffi ante
6ga lcmen l en mali ère de gag<'. Elle suffi rait alor- mèmc
que Je débiteur se crail o h fü~c à tlonner à la cbo"c c nga~éc
le::; oiw n écc~n\irc:. ù a ron ·c n alion cl que pour faciliter
ces oin les cl és auraient êlé quelquefui, remises au débiteur . La Cour de Ca " a lion ·'e · t prononcée eu cc sens dan'
(1) Troplnng, Gaur. nO :?DO,- Pont, Pr/. co11l., t. :!, p. 60î .- Aubry
et Rau, etc. - .\ h, 2 1 fJv. 18 IO.
(2) La. l\lal'tinic111e, 1 mat'>; 1 813~. - Labbtl, Hatan<I.
�-
02-
une e pèce où il 'agi- ail de pièces de Yin ( l ). Encore f~u l
il cependant que ces vin aient élô déposés ~an de celli ers
di tincts de cPux du d6bi teur ; qu'il ne s01cnt }Jas re tés
confondus avec ceux qui onl continué d'appartenir en pçopre au débiteur, car clan cc dernier ca l.es tiers p o~rrai~ nt
être induils en . erreur et la tlépo ses 10n ne cra1LpomL
suffisante (2).
Lor-que les marchandi es ont déjà arrivée dan les
ma""a in· du créancier, dans ses na' ire.;; , ou bien à ·a di position àla douane ou dans un dépôt public, la po · es. ion
est éYidcmment complète. ~fais l'arlicle 92 va plus loin : il
décitle qu'il en est encore ain i, quand mèmc le marchandise· ne sont pa· arri\'ées, si le créancier en csl saisi par un
connai·scment ou une lcllrc de 'oilure.
Le connaissement e·L un écril ùre·sé en quatre originau':
qui constate le charo-cmcnl ; c'csl une reco nnai · ancc des
marchandises que donne le capitaine du navire. L'un des
originaux e t envoyé à celui à qu i les marchandises sonl
adre· ées et sert de Litre à la livrni::wn; le capitaine ne peul
remellre les marchandi ·c qu'au porlem régu lier du connaissemcnL. La lctlre de voitlll'ejoue Ir mi' me rùlr pour les
marchandises lransporlécs par let'!'<'. Elle consiste en un écrit
omert, ·ou· forme de lellrc a<lrcssée au des li na la ire par
l'e:\.pédilcur , indiquant }cg co ndition s du conlral. Ell e peut
être faite simple ou double; dans ce dcrniet' cas un C\emplaire, comme pour le connai-:.semenl, csl cm oyû au de Lina taire. Le connai ·scmcnt cl la lellre de voilure pell\ cnt
êlreà pe1"onn c dénomm6e, au porleur ou à ordre.
Lcporlem <le ces litres c.;t donc saisi mème avant rl'avoir
pri livrai·on de la marchandise 1·eprésc11tée. par cela se ul
qu'il a le droit dr e faire rrrne ll1·c cell e mn.rchandise, mais
loutaulant qu'il aura le clroit.
(1) Pa1is, 7aoûl 18 11. - Rer1, JI uoùtl~l~.
(2) Paris, 2G marP 18 11 ,
-m ·Si le connai cmcr>t e t au porlcur, le droit de se faire
délivrer le marchandi se et <l'en donner décharge appartenan t en defini livc à cr lui qui, au moment de leur arrivée, c
Lrnuvcra léi:a itimc porteur du Litre qui lrs représente, il
suffi ra, pour- consli luer la mise eu possession qui doit donner nai sance au pri vil ège du gagiste, de la tradition pure et
simpl e du ti tre.
Lorsque le connaissement est à personne d6nommée, il
dé igne par on nom la p<ronne qui doit r ecevoir les marchandi es expédiées, nul autre qu 'elle ne peul le· rece,oir.
Si donc la personne dé ·ignèc clans le connais·emcnl remellail le Litre a un Liers, que celle remi~c lül en outre con·lalée soit par un ordre au dos de la pièce, oil par un acte
séparé, il ne s'en ·uivrail aucune mi e en po--es·ion suffianlc , car le porteur du litre n 'au rail aucuoe qualité pour ·r
faire cléliuer la marchandi ·c par le capitaine; ce tte màrchandise ne ·erail nullement à sa di-;posilion. JI faudrait en
pareil cas pour Lran ·mellre le connaissement, et par suite la
posses. ion. un acte parti cul ier signifié au délenleur tlc la
marchandise, comme lol'squ 'i l ·'agiL ùu nanlissemcnl d'une
créance conformémculà la règle générale posée par l'article
20ï3 du Code ci\ il et maintenue expressément par la loi de
1863 (1 ).
ne question beaucoup plu délicate et YÎ\ emenl ronLrove1"éc s'é lè\e dans le ca où le connai·->ement c l à
ordre. Le Lilrc en ce cas est lransmi · ~iblc par l'enùo ·ement. Que ccl cndo semenl soit rég-uliel' ou irré~ulier, il
n'en c t pas moins opposabl e au <lclcntcur de la marchandise, puisqn'il conslil11c loul au nwin:. tian· cc dernier l'as
un mandaLde receHli l'la marcha ntlisc; le capiîainc esl donc
tenu de la ùeli \l·crauporleur du Litre en ' erlu d'un cndo::.cmcnl 111 \) m c itTt•gulicr. Mai" au poinl ùc YllC du pri\ i(1 ) Ca~s .. 13 août 1879. - Aubry et Rau, Laurdnt, Pont, Massé, etc.
Co11trti: Dularnat·reet L~poittHin.
�- ù..t - -
lège du gao-i te, l'endos emenl irrégulier con fèrc-L-il à
l'endossataire une po e ion uffi. ·an le pour faire naître cc
privilège?
La difficullé rc ide dan la combinaison de l'article 92
avec les arlicles 137 el 138 du Coclc de commerce. L'article
137 exige pour la YalidiLo de l'cndo S<'mrnt des effeL cl e
commerce l'énonciation de la dalc, du nom de celui à l'ordre
de qui il esl pa "Sé, de la YUleur fourn ie; d'autre part, l"artidc
138. porle que l'endos emenLqui n'esLpa ·conforme à ces
pre~cription · ne vaut que comme procurai ion. Parmi ces troi ·
condition·. Je deU\ première · son t au si e scntiellc pourla
valiùi té ùc la mi c en gage que pour la transm is ·ion à filrc
de propr iélé. Quant h la troi::.ième l'ind ication de la rnlcur
fourni e. son absence empèchera-t-ell e le gao-i · te d'être valablement nanti de· marchandi c· forman t l'ohjeLdu con nni ernent? La juri prudence cl la doctrine ont for t divi éc .
Dans le y Lème de la Cour de Ca salion, le créancier
gagi le ne peut-êt re sai i qu e par un endo emenL r égulier
con forme am pro crip Lions de l'article 13 7. « Allcndu que
sui vant l'article 28 1 du Code de commerce le connai sement
peul ôlrc à ordre, ou au porteur ou à personne dénommée ;
attendu qu'il résulte des article 137 et 138 du même Code,
que lorsqu·un endossement n'exprime pas la \aleur fournie,
il n'opère pas le transport et n'e t qn' unc procura tion ;
allendu que ce · art icles po ·cnl des règles genérale , en
matière d·cndo ·semcnl. cl que ce règles s'appliquent
non- eulemcnl aux lettres de change cl billet:, à ordre, mais
à tous les autres actes faits it ordre el susceptible , dès Jor ',
de négociation cl de lran ·port par voie d'enclos ·emenl, lois
que polices d"a surancc, contrab à la gros e el connais cmenls (1). >> L'enclo scmcnt qui n·r,primc pa ln valeur roui·nie, ne vauL donc, d'aprè la Co ur de Cassation, que comme
procuration cl c rece voir les marchand ises ; car lr gage
(1) Cass., I" ma rs 18 13, \" mai, IHüO.
-
,
05 -
suppose une posse sion personnelle ayant toutes les apparences de la propriélé qu i nécessit e l'acco mplissemen t des
mêmes formalité·. Oc cc que l'cnclo scment Ju connaissemenLne va udrait que com me procuration, il résulleraitque
le créancier gagiste, comme le commissionnaire, seraiL
pass ible de toutes les excc plions auxquellc Je consti tuant
lui-même serait souini , tell es, par ex.cmp le, que la reYeodicalion du vendeur des marchandises non payées. D'autre
part, le mandat élanl lonj ours réYocablc les créanciers du
con liluant po urraienl en u ·an t de :.on droil de révocation
faire évanouir Je gage.
Malgr6 l'autorité de la Cour de Cassation, Je ' Jstème contraire est Je plus généralement adopté. li nou· parail aussi
conforme à la saine inlerprélation clcs règles du droit que
fa \·orablc à la pratique de affaire · qu'on ne doil point
jamais perdre de YU C dans uneapprécialion des controve1'"es
de droit commercial.
1
ous pe nsons que l'endos ernent du connais emenL qui
ne con lienL pas lï nclication de la rnleur fournie e L uffi·ant
pour saL ir le créancier gagi le qui en est porteur des mar·
chandiscs qui font l'ohjel du connai ·semcnl. - an· ùoulc,
Je · articles 137 cl 138 du Code ùc commerce exigent l'indication de la valeur fourn ie, mais ces di ·positions sont faites
pour le· effe t· u:.cepliulcs de transmis ion et de négociation, pour l'endossement qui doil protluire le lran::;port de
la créance con · Laléc par ces clfcb. Le rnnnai ·semcnt n·a
pas pour objet la cession de la propriété de la marchandise
qui) esl decritc, c'c· t uniquement un moyen de prcU\c de
l'e,pédilion el de l"obligalion conlra".: léc par le capitaine de
transporter la marchandi c et tic la livrer à une dt' slination
convenûc. Or, une Lcll<' obligation résiste ' irlucllcmcnl :\
loue né3ociahililt'. Tout r<' qu'elle comporte, c'est que
l'<'\éc ution en pru l être l'\ÎgL'C en ' crtu d'un mandat ::.oparc
eu d'un emlossl' mc11l ''alant manùalù 'e\igcr et tle rrcr\oi1·
la marchandise char~1'•e Pl d'en pa~ cr le frèl. LïrrégularilL'
�-
!)(j -
-
de l'endo~·ement ne change ra rien à l'obligation du capitaine qui ne era pas main tr nu <le déliHer la chose au
parleur du connais emenl irréguli èrement cndo sé. Matéricllrmcnl, le porteur du cannai scmrn l, crcancicr gagi"le
ou commissionnaire , aura la marchandise à sa clisposilion
exc'usi' e. Objcclc-l-on que le gage suppo e une passes ion
personnelle, une po· es. ion ayant lo us le· caractère de la
propriété cl que l'endos ement réguli er peul seul conférer?
1
ous répondron que i, d'une parl, le commis ionnaire ou
gagi-te, en Ycrlu de la procuration que lui a été rem ise,
po èdc pour le complc du cornmcllanl ou dobileur, d'autre
part, il po:,sède pour on propre complc, en vertu de
l'e'l:pédilion qui lui a été faite, des avances qu'il a fournies,
du prèl quïl a consenti. La procural ion, dan nolre h~po
thèse, n'e t pa de celles que le con lituant ou le commettant puis·e réYoquer à :,on gré; il n'a donné cel le proc uration qu'en exécution d'un e ohligalion, elle a élé la condition
d'un prêt, il est donc tenu de la rcspec.;ler, car elle existe
uniquement dans lïnlérèldu mandataire cl pour la garantie
de ses d1·oi1s ; en un mol le créancier gagi Le e· t procurator in rem suam; on mandat c l irrévocable, oppo ·able ü
tous les Liers (1).
La question que nous venons <l'e"'l:antiner à propo clu
connai::.~ement comporte en principe la mème sol ution pour
la lettre de ,·oilure, mai· en fait, lanclis que le connaisscmenl e~l lc plus souvent créé à ordre, la lellre cle voilure csl
toujours norninali\ e.
La remise d'un e facture énonçant les objets con ignés
a\'CC pouvoir de s'en senir meL encore la chose à Ja di po· ition du créancier gagiste. Elle peul tran smettre la propriété elconslaler une mise en gage, quand les marchancJ i(1) Douai, 11 ani l 1830, arrê t cassé par la Cour de Cassali.m. 7
mars 1843. - La Cour do Douai a persisté dans sa jurisprudence ;
arrl'!t, 5 janv. 1844. - Delamarreet Lepoitevin.
0î -
es onl orties des magasin.; du vendeur ou clu con ·li tuant
du gage. Les facture peu\'(ml èlrr nominative-, à ordre ou
au parleur.
Quant aux rëcépis ·os et aux litres équivalant à ceux dont
s'occupe l'article 92 , il faut que ces Litres rcprésr nLcn~ Lou ·
les caractères cL Luules lrs ;;arantie· <le la lettre cl' voilure.
Meubles i11corporr>ls. - La remise entre les mains du
créanciet· gagisle de l'objl'l rlonné en gage l'St nécc:n1Îre,
tout aussi hicn lor,;qu'il 'agi t <l'un mruble incorprirel fTUP.
lorsqu'il s'agiL ù'une d1o·e mobilit•re orùi nai re ; seulrmcnl
comme il n'est pas po-;::.ible clans cc cas de remettre la chose.
elle-mèmc. on remet le titre qui est la repré·enlation de la
cho"e. La signification de l'ade de gage au débiteur céclP ne
constituerait pas unr publicité uff!-::mte qui pùt répondre
au but de la loi, la rerni ·e du litre manifeste d'une manière
pl us apparen te le changement dr possessi.oo pui ·qu'elle
dessaisit ré)ll cmcnt le co nslituanL <le cc qui est entre <;C:S
mains le signe de gon clrnit cl le moyen de l'e"'l:crcer. cl en
im•eslit le créancier gag iste.
f.'p · Lpar une application rigoureuse dt' cc p;in ·ip.c qnïl a
élé dt'citl6 par divers nrTt\ls cl par la C.our de La::..'at1~111 .c~lr1111-.me que lrs créatw'scp1i TH' pcll\ ent ètrc d 1blic.; a 1a1<lc
d'un tilre ne :;on t pas !'>Usccplibles tl'1\lrc 1l11nnéc:-. en
gage ( 1\, par P\1't11plc. l'al'litrn en rqit'lilinn cl1'::. impcnSL'S
fai tes par le mari au\ i11rn1eul1le.,; de :.a femme :! ·
Le nanlis:;t'llll'lll qui a pour objet un bail .1 hi~ t'l' •::.l u11iqut•111ent ::.ubo1 donné il l.i rcmi,;c au cri·ancier !!:tt:i.,l1• tlu
litre constitutif tlu bail l'i a la ..;Î~ni!icaliun ùc l'adc Ju nantissement au haillt•t11'. ffa prè-, un arri"l de b Cuur tlc l.~on.
ces deu" co11dil ions 1H' scrai1•nl pas suflhantcs. il fawJi..1it
encore que le crétrnri e1· gagistL' cul pri · p11s,es.;i 1'.11 tl1:'
li c ~1 '( Jonés cl cl'la, pa1·la rai::ion !(lie si le tkhilcu1· conl mu:ul
1
(1) C11ss., llj uin 18 1t1.
('2J J.yon, :l i j 1•1\. 1tnD. ·-
1' .1ri~.
:11 air. lf:til.
�-
98 -
tiers ne seraient pas suffisamment
averlis que le droit au bail a ccs·é d'êlrc le gag e des créancier . En décid anl ain · i, la Cour de Lyon a ~crdu de '~e
quel e t en pareil cu • l'ohjcL du_ gage ; cc qui e· t. cngag~,
cc n'est pas le local, mai:. le dro1L du preneur, dro1L mobilier qui doit être soumi à la règle com mune. Au : i l'arrêt
de la Cour de Lyon a-l-il été cas 6 par la Cour suprcmc (J).
..lf!:.vires.- Les navires peuvent-ils ètre donnés en nantissement?
Les auleur et la jurisprudence 'accordent à ropondrc
afûrmali vcmenl en principe. Le · navi re· . ont des mcuùl es
(article 190 Cod. com. ) cl aucune <li~po~ ition légale nïnlcrdiL leur mise en gao-e. Toutcfoi -, dan · la pratique, l'e\éculion des prc·cription · légales rencon tre une difficulté clc::;
plus grave . li esl, en e!fel, facile <le co mprendre qu e le
débiteur qui veul donner on navire en gage ne peut pas en
abandonner la pos·e·::.ion san· éprnuver 11~ plus g rand dommage, tandis que le créancier, obligé ù des frai ' ùe garde cl
d'entretien coûLem, éprouve un sérieu'\ embarra · d'une
po • e ·ion dont il ne peul lirer aucun parti.
li imporlait cependant que le commerce maritime qui
exige l'emploi de capi Laux i 111porlanls pùl particip er a li'\
avaotao-es con~id érabl es que procure le cré<liL réel. En
J'ab ·ence d'une légi talion pccialc sur cc poinl, on avail
es::.a)é<liverses combinai -on cl nutamm1'nl une ré"ut'I'CClionde l'antique conlral de fiùu cic du tlroil romain . Auj omd'hui, la loi du 10 cléccmbrc l 871 csl YCnuc combler une
lacune juridique. Les na, ire· , su ·ccptiblc::; d'être h~po lhé
qués, peuvent êlre affeclé-s a la sûreté <l'un<' dette sans sorti1·
de la pos·ession du <léhit<'ur, les drnils <ln créancicl' étant
entièrement , auvegarMs. J11'pui s celle loi , lrs pr0c..:éùés
im agin és par la juri-spru<lcncc pour rraliscr une mi sl' en
gage, lt laquellc s' uppo~a it la nalurc ùc l'oJJj cl à engager,
99 -
à occuper les .•1·eux , le
(1 Cass , 1:3 a1-ril IK19. - Sir : Puri11, ! 1 avril l ~Gü.
ont perdu beaucoup de leur intérêt théorique. Cependant,
dan la pratique, il c l facil e tl c con Lalcr que la loi de 1871
n'a point donné les ré ·ullats qn'oncn altendait, qu'elle n'est
poinL cnLr6o dans nos rnœurs commerciales eLque les ex pédients destinés à réaliser un prétendu nantis emcnt sur
navire sont toujours usit é· , ain · i qu'il ressort de nouveaux
documents de juri prudence .
Examinons rapiclcmcnt les divers sy-lème proposé· ;
nous en di culeron· en ·uilc la valeur.
Comment lran ·mctlre au créancier la po·session d'un
navire san • lefrappcr dïndi ·ponibilil6? Tel était le problème
à ré oudre.
Pardcs · u • propo·ail le sy- Lème suivanl: Le créancier <loil
c faire remetlrc par li, débiteur le · pièce· qui coo~talenl la
propriété et qui rcpru ·cnleront cnlre ses mai n· le navire
que la nature de · choses cl l'inl6rèt c:Jmmun exio-ent de
lais cr voyager ; il se lrouve en quelque ·orte dan · la mèmc
position que s'il avail reçu en gage une créance ùonl le ·
litre· seul · peuvent lui èlrc déli vré. · . D6tenleur de ce · pièce , san laquelle · on ne peut valablement faire la ' enlc
d'un na\ ire, il requerra l'énonciation clc · on acle <le nanti s ·cmcnl · ur les rcgi lre maritime· cl fera oppo:>ilion :'1 c..:c
qu'on d6liHc à · on prejuclice <le · paçc-porL· à un acqucrcur qui aura il acl1clé le na\ ire ùu débileur par qui il a ele
donné en gage.
!ème que la juri · pruùencc
Ecarlon loul cl'aborù ce
n'a jamais ·anctionné. C'e ·l qu'en effet il e ~ t ab olumenl
inconciliable aYcc l'article 226 <lu Code de commerce au\
Lerme:. duquel le · pièce · qui conslalcnt la propriéle ùu
na vire doi' enl èlt'è à bord cl no peu VL'nl ain · i èl rc rcmi;,c:;,
ni u1·Loul 1·c::; tc1· cnlrc IL'$ main · tln prèll'ur. En fùt-il autrement ' tl'aill curs , il ri"cn ré::;ull\'raÎl null ement un pri\ilt'.•gl'
pour le cr6an cicr. "' il c~l Yrai qu·rn fai sant oppo-.ition à
la duli ffancc de::. p a--~c-p o rh à un aeq uéreur ù u u.n in' le
créancier gag-i::.lc cmpècht•rail le paic111cnt clu pri\ à son prt>'' 1
�-
100 -
judice. ou n'indique pas en verlu de quoi le Cl'éancier
pourra invoquer un privilèg' vi ·-à-vis de ses créanciers
n second y· Lornc c L celui que développe M. Dufour
dans on trailédc Dreil maritime cl que l'on rrtrouve tians
unjugemenL du Tribtuird tl c Com merce llc ~forseillc du 30
mai 1855. Ce système co nsiste ü remplacer la tradition
cfiectiYe de l'obj cl cnga 0 ·<" pal' la simpl e me.n i ion de l'aclr du
nantissement · ur le~ rcgisln''> de la clonanc, qui conscn ·c
dans ses archive · tout cr' qui concernr la prop riélé des navires. Quel e. t, se demande 'L Onfour. le but fonùamen lai de
la pos e·sion ùu ~.1.gc c\igèe par l'arti cle 2076, ~i cc ti'c:.L
d·cmpècherque les tiers ne ·oient Lrompé· sur le compte
de leur débiteur ou de cel ui qui Yale devenir, par les apparences d'une fortun e imaginaire? Pour le' meubles orùinaire·, la po~se ·· ion c t l'indice le plus énerg ique de la
propriéLé. Mais le na\ire · sonl clcs meubles d'une nature
Loule · péciale; il · ont en quelque 01·lc un élal civil cons Laté · ur les regdres public'> de l'allministration de douanes. Les tiers qui se fieraient seulement au fait de la pose ·ion du navire pour foire confiance il lenr <l éhilcu r
commctlraicnt une imprud ence inc\cu.,a bl c, pui :;quïJ ·
avaient un mo 'C n, en con.,nllanl h's arch ircs ùc ln douane.
de ·'assurer par r ux-mèmcs c11' la u!P11r ('ffrctin' de relte
pos e"sioo apparcnle. Lor~qu·unc cho~c n'C'st pas .;.,ti:,ccpliLled'appréhcn ' ion Mqiorcllc, <'Ile C'~l 1'•'111·1··senLée par Lons
le· titre-; qui consrrvent ou manircsle11L le ùroit du prupricLaire. Dans rcspèCC', c'P-.t lc rl'~i-.Lr' de la douane qui l'l'll1Jllit
celte fo nction à l'égard ùc:. Li1•r-; 1).
Le jugrmcnl du Tribunal dl' Jlar,,cilll' (2) se fonde cnco rr
sur une circonstance qui n'ajoulP rien a la 'alc11r de son
nrgumenlalion, à savoir rruc ln policl' cl 'assu l'an ce avait i"tù
rr·misc au cr6auci cr. La police. r11 effet , n'c:st pas la t'Pp1·e(1) Dufour. Dmit ]Jarilimf!, p. :i:n
f2) Marseille.
:m mai
1855.
-
'
101 -
sentation du navire. clic c-t tout à fail indépendante de
celui-ci el pourrait it elle seule Nredonnée en nantis ement;
le créancier qui \"aurait reçu<' à ce titre pourrait en ca cle
sinistre toucher le montant <le 1'i ndcmnilé r1).
Le -ystème que nous venons d'analyser el dont nou
nous réservons cl'appr&eier plus loin la valeur n·e~t pa celui
qui a prévalu dans la pratique. La presque unanimité de
déci -ions de" lribun au\, des cours d'appel et de la Cour de
ca sation a ~ancl ionné l'emploi d'un autre errement qui
eonsiste à cacher le contrat rle nanti ·::.eme nt ·ous les apparence d'une \'Cnlc. On est allé dans cel le Yoie ju qu'à juger
que la vente imuléc était le -.cul mode de nanti ·semenl
praticable à J'êgarcl des na\Îre· (2). Le debiteur \'end à son
créancier son na\'irc; puis une conlre-lellre intervient,
rélablissanl le vérilalJle caractère rlu contrat. Cette Yenle
doit éYidemmcnt, à peine <le nullité, ètre transcrite ·ur l'acte
de francisation (3) .
M. Dufour résume ce s~ ·Lème de la manière uivante .
" Ile L permis cle faire d'une maniè1·c indirecte ce que l'on
a le droil de faire directemen t; or, on peut donner un
oa\ ire à gage, puisque nulle part la loi ne le ùefend ; donc.
il est permis aux parties d 'adopler la forme qui leur plait
pour manife·tcr leur convention. )lailressc· du droit, ~lie·
Je sonl de la forme ..\. la' l'.· ritl', il en ::.crail au lremenl s1 le·
lier:. amquels on oppo c le contrat pcnlaienl. par la forme
adoptée, des tlroi t~ qu'il f ùl impo,..~ihlc il lcurdcbilcur de compromcllrc ; mais ccl ohslaclc ne peul pa c pn\ enter ici.
pui que le debi tcm pomanl ' cnclrc son na' ire. ·e· créanciC'r· 1ùml pas à SI' plain<lre de le \OÎ~ con::.tituer un droit
moin · élrndu qu'il ne parall ou pourrait l'1 1 lrc. >>
Mai s c-.L-c1' birn un contrat de naulissemenl qui interl i) ,\i~ . 7 lllnl lflCi().
. .
.
•.
(:.?) Rt' u_nt?>', :l\l d•:c. 1x.19.
r:l) LUn~w11s le., 7i/us rc1·c111ts. 1 r1b Je (\nn. :Mars.1lle, !l mai, 13
r11h11nal .l u llù'r<, I:? ni:ti IK71.- .\i'l, :?~
juin.~ 1111111 liiîli. fé1rie.r 18ï7 . - Cns!., :!:! rl:Hit•r 1~77.
�-
102 -·
-
vient ici, e produi ·anlavec tous se· effet:;; légaux, co nf~rant
au créancier une sùreté au ·si complète que possible.
?.
.
anctionnée par un droit r6el oppo able à tous 1es tiers
Sans doute, entre les parties, la con tre-lellre donne à l'opération le caractère d'un contrat de nanti ssemenl au point de
vue des obli o-ations personnell es respectives qui peuvent en
d
.
0
cette con lre-lelll'e n·existe pornt au
découler· mais
. regar
des tiers ; dès lors l'opération n 'e l plus, en ce qui les concerne, que la Yente pure et simple avec toutes les consé.
.
.
quences qu'elle entraîne.
En eO'el. le débiteur vend le naY1re à on créanci er et fait
réaulièrement enregi trer et tran crire sa vente en douane.
A~e moment ou pendant le premier voyage du navire les
autres créancier::; du débileu1· form ent l'opposition qui doit
con erver leurs droi ts conformément à l'article 193 du Code
de commerce. La contre-letl1·e ne leur e Lpas opposable :
il - sont en présence d'une vente d'un navire. S'il s'agissait
d'un meuble ordinaire qui n'e t point passible d'un droit de
suite, il importerait peu que les créanciers se trouvassent
en présence d'un contrat de nan tissement sous sa forme
ordinaire ou sous la forme d'une vente simulée. Il en est
tout autrement quand il s'agit d'un navire. Le navire quoiqu e
qualifié meuble par l'article 19 0 du Code de commerce est
cependant soumis au droit de suite, et, particu larité plus
remarquable encore , ce droit de suite n'appartient pas seulement aux créanciers privil égié , - nou ne parton · pas du
cas nouveau de· créanciers hypothéca ires, - mai encore
aux simple créanciers chirographaires. La vente du navire
ne pri,,e pas ces créanciers de leurs droit , tant que ces
droits n'auront pas été-éteints par le mode de purge de l'article 193 du Code de commerce. Les créanciers suivent dan s
les mains où il passe le navire qui continue d'ètre leur gage.
Dans ces conditions où est la sûrnté co nférée au gagiste?
Quel e~t le privilège qui peul résulter de l'opérati on? L'acquéreur, il est vrai, peul arrêter les poursui tes des créanciers
)
103 -
par la représentation du pri'::. mais du prix tout entier. Il ne
peut reten ir sa créance par voie de compensation puisque,
par l'elfet de la vente, tous les créanciers de soq vend eur ont
acquis un droi t direct sur la somme qui représente le navire
commeils en ont un s u~· le na,~re lui-même. Nous ne tro uvons
pas là les effets du contrat de nantissement.
Que si nous nous plaçons dans l'hypothèse où le créancier
gagiste propriétaire apparent fait accomplir un voyage,
sans que les créanciers du débiteur fas ent aucune opposition, nous voyons bien que l'acquéreur pourra écarter dorénavant ces créanciers , mais ce ne era point encore en se
prévalant de la qualité de créancier gagiste, mai de celle
d'acquéreur du navire ayant accompl i la purge prescrite.
Sans doute, dans ce cas l'opération aura procuré au créanoier prétendu gagiste une certaine sûreté, mais ce sera par
la néglig·ence de ses co-créanciers à faire valoir leurs droit
supériems ou au moins égaux aux siens. Sans doute, le même
créancier n'aura pas à s'inquiéter des nouveaux créancier
qui pourront survenir après l'opération ; mais ce qui lui
servira de garantie, ce ne era poin t Ja qualité de créancier
gagi Le , ce sera celle de propriétaire apparent.
Donc, dans tous le cas, le sy tème sanctionné par la
jurisprudence ne peut arriver à con tiluer un nanti ' ement.
JI confère bien au créancier une certaine ûreté, mai une
sûreté précaire. une sû1·eté relaiive, qui n'a aucun de · caractères du droit réel résultant du contrat de gage proprement
dit. En un mol, l'expédient U' ilé dans la pratique peut avoir
on utiHté dan certains cas, mais d'une manière générale,
juridiquement parlant , il ne peul donner nais·ance au privil ège du gagiste.
Commenl donc art·ivcr ü cr6er ce prÎ\'il ègc? Faudra-t-il
adopl cr le système de ~I. Dufour? Nous ne pen ons pa" que
cc syslèrne soit cfficnce. Nous allons plus loin : mèrne en
fai anL au créancier la remi se de la po· sc ·sion e[cclivc du
navire, nous cs rinions qu 'il n·y aurait pa ' création du privi-
�-
10·1 -
lège. En a·aulres term es, à notre avis, le nan lissernent ne
peut a\oir pom objet un navil'e. Les na,•ircs depuis 1874,
peuvent être h1poth6qués, mai il s ne peuvent et n'onl
jam ais pu èlre donnés en gage.
Quel est. en effet, le but du conlraldu gag·e, sinon d'assurer au créancier mis en possession de !"obje t engag6 le
droi t d'appliquer ce t obj et au paiement de s:i cr6a nce et de
primer tous les créanciers jusqu 'à concurr ence de la valeur
du gage ? Le créancier nanti . sauf le cas exccii Lionnel de la
reYendi ca tion du locateur privil6gi6, peul se considérer
comme muni d"une garantie d'une efficacité à peu près
absolue; il n'a poinl à se préoccuper des créanciers antérieurs ou postérieurs, quelle que soit leur qualité. Aucun
droil rival ne viendra détruire ou limilet· le sien. Lescréanciers ne peurenl pas plus cmpècher ou critiqu er la mise en
gage d'un meuble de leur débiteur que l'aliénation faite
·ans fraude du mème meuble. Ces considérati ons sont si
pui santes qu'elles n'ont point permi s d"assimiler le nantissement d'un imm euble, au nantissement des chose mobilières. Quoique compri s dans le mème Litre par le Code civil ,
mnlgré la qualificati on de nanlissement que lui donne
l'arti cle 272 ùu Co<le civil , J'anlichrèse est en réalité un contrat cl 'une nature péciale, produi sant des effels autres que
ceux du nantissement proprement diL. Le droit de J'antichré iste ne porle que sur les fruits de la chose engagée,
ans qu'il pui sse en ré ult cr aucun privilège sur le prix. C'est
la une conséquence logique du droit de suite auquel sont
oumis le immeubl es ; la mise en gage tl'un immeuble
ne doit pas nuire au'\ droits réel acquis aux créanciers privilégiés ou hypotliécnircs.
Mais, nous dira-l-on, les navires so nt des meubles · or
aucune di~pos ili on logislaLivC' n'in Lerdi:;aut leur mise' en'
gage, ils doircnt rentrer dans la règle commune. Ce syll ogi ·me juridique nous paraît pùcher par ses prémisses. - Les
navires sont des meubles,- sans doule , le mot est 6crit en
-
103 -
toutes lellres cl ans la première phrase de l'article 190 du
Code de commerce; mais la phrase qui suit vient modifier
con sidérablement la portée qu'il fall ait attribuer à ce mol.
Les navires sont meubles, mais ils sont soumis au droit
de suite. Et non-seulemenL cc droit de suite est atlribu6,
comme po ur les immeubles, aux créanciers privilégiés et
hypothécaires, mais il appar lient mèrue aux simples créanciers chirugraphaires .
San!' doule, les navires sont meubles dans le sens étymologiqu e du mot, res mobi/eç ; mais ils participent des
immeubles par certaine de leurs propriétés, celle d'être
hypothéqués et d'être soumi- au droit de suite . En réalité,
ils ne sont au poin t de vue juri<li que, ni me ubles, ni immeubles . ils forment une catégorie spéciale, régie par des Jois
spéciale . Tout ce qui les co ncerne, le modes d'acquisition,
les droits des ct·éanciers, la nalure el la classificalion des
privilèges, la manière don t s'accomplit la purge, tout a[ecle
un e physionomie spéciale. Dès lors, pourquoi s'en tenir
j udaïquemen t au mot meuble pour en Lire r une déduction
à laquell e répugne tell ement la nature des choses que les
auteu rs et la j urispru<le nce qui ont voulu lenter d'accorder
leur théorie avec la pratique ont dù recourir à des expédienls
sub tils, imparfa it , insuffisants'? Si les navi res ·ont ·usceptibles d'ètre mis en gage par cela seul qu'ils sont étiquetés par le législaleur sou· le vocable meuble, pourquoi celle
complication de vente imuléc, de con l!'e-lettre, ans arriver pour cela à munir le créancier de ce privilège si simple,
i énergique qui sanct ionne le nanlissemenl? L'impo·sibililé
pratique suffit à démontrer que les navires ne pemenl faire
l'obj et d'un gage .
Supposo ns le cas Je plus fa vorabl e ; le débiteur en vertu
d"tm contrat de nanti ·sement remet le naYire à son créancier, comme il remcllrait un che,·al ou un bijou. 1ousavon·
là les deux condit ions requises : l'in ten tion commune des
partie:s de faire un conlral de nantis·ement. la tradition de
�-
l OG -
l'objet enaagé. S'i l s'agi- ait d\ m meuble ordinaire, nous
1won- dit que le créancier aurait clè- ce moment un e garantie ab ·olue em ers et contre tous ; qu'il n'aurait à se préoccuper d'aucun de es cc-créanciers. En serait-il de même
pour la mise en gage d'un navire? Les créanciet·s hypothécaires con erve raient leu1·s hypothèque-, c'est indiscutable .
Les créanciers privilégiés conserveraient leurs privilèges.
Quant aux créanciers chi rngraphaire-, ne peu vent-ils pas
dire que pui-que après la ve"nte mèmc du navire, ap rès sa
re mise à un acquéreur. le navire 1·e- tr leur gage, qu'i ls ont
un droit sur le prix (art. 196 CJd. com. ), à plu fo rle raison,
ce droit oppo able à l'acquéreu r propriétaire doit J'ètre au
créanciergagi Le -i mpie po-sesseur. Le débiteur, qu i ne peut
dépo uiller e créanciers gagi ' Les en vendant directeme nt Je
navire, pourrait-il le faire en le donna nt en gage, c'est-àdire en l'aliénant plus ou main - indirectement? Alors quell e
e ·t celle ûrelé qui lais e le créancier gagiste exposé à tou tes
les revendi cations, à toutes les poursui tes? Encore une fois,
peut-on reconnaître là les caractères du privilège exclu, if
attribué a~ créancier gagiste? Le mêmes raisons qui empêchent la m1 ~ e en gage d'un imm euble au trement que so us
la forme affaiblie de l'antichrèse n'ont clics pas plus de force
encore quand il s'agit des navi res soumis à un droit de suite
absolument exceptionnel, autremen t étendu que celui qu i
affecte les immeubles ?
~é umons-nous. Sous quelque forme que ce soil, les
navires ne ? eu\'ent faire l'objet J 'un nanti· ement tel qu'il
e t ~ompn s et. réglé par nos loi' . Formant un e catégorie
spéciale les nanres sont régis par des lois spécial es dont
aucune ne parle du nanti ssement : le privilèges qui peuvent
les grever sont énumérés dans l'article 19 1 du Code de commerce, la manière de Je hypothéquer est réglée par la loi
du 22 décembre 1874 .
En form ulan t une opm10n
· ·
qui· paraît contraire aux
idées reçu es ou du mo·ing aux expression::; usitées, nous
-
...
107 -
restons dans le domaine de la théorie pure. Dans la pratique, quelle qu e soi t la solulion de la que-tion qui nous
occupe, ri en n'e t changé et ne peut ôlre changé au ystème
de la vente simulée. Le procédé i cher aux négociants
maritimes n'en produira pas moin tous les eITets qui clériventde la nature complexe des opérations qui le composen l.
La vente au regard des tiers produira les effets d'une vente;
ell e ne donnera au créancier qu'une sûreté ni plus ni moins
insuffisante que par le p.assé . La loi a mis à sa portée une
sûreté plus complète, l'hypothèque maritime; il est libre de
ne point en user. Mai , s'il ·agit. comme dans cette étude
d'apprécier la valeur j uridiquc d'un procédé, nous pouvon et
devons lui refuser une qualification qui ne peut lui être
attribuée. La vente simulée c:;t un expédient, mais n'est pas
autre chose. Quant à Lo us les autres -ystèmes, ils ne ont
point entrés dans la pratique par l'excellente raison qu'ils
ne po uvaient do nn er aucun résultat pratique. Avant la loi
de 1874 on eût pu di re qu'il)' avait dans la loi maritime une
lacune qu'il app artenait au 16gislatcm de faire di paraitre.
La création de l'hypothèque marilime est venue combl er
cette lacune ; désorma is le crédit mari lime e-t · organi· é,
l'assimilation des navire aux immeubles est encore plu complète, el les rai ons de nier la possibilité d'u!1 nantissement proprement dit plus nombreuse et plus puis -antes
encore.
Si la loi de 187 i , a des imperfections que nous n'arons
pas à rechercher el à signaler dans celle étude , ces imperfections peuve nt êlre corrigées par la Yoie légdatire. Dans
tou le cas, la que Lion qui Yientde nous occuper ne devrait
plus avoir qu'un inlérêtpurement rétrospectif.
Nous venons de Yoir par quels moyens ''opère la mise en
pos c.sion du créancier gagi Le, soit quï l s·agissc de meu bl es corporels, soit qu'il s'âgi se de meubles incorporel .
Nous en aurions fini avec les règles relali,·es à la deuxième
�-
condition de la conslitution du gage , :.;i nou n'avions à
dire un mot d'une question qui , c rattache au même ordre
d'idées.
Pour conserver son droit au gagr, le créancier gagi ste
doit o-a rder la possession de l'objet cng;-igé. En perdant la
posse~sion. il perd du mèmc coup son privilèg·c. ll en rés~lte
que si celle perte de la po session arrire à ~ 11 _moment ou le
gage ne pourrait èlre Yalaùlcmenl con slltnc, la perte dll
deYient défini tire.
nrivilèo·e
•
0
L'
Celte hypothèse se réaliserait dan' le ca oü Je _créan_cier
gagUe ,·iendrait à perdre la po ~e sion dans la pé:10de n s~e
par l'article } Hi du Code dr commerce, c'es t-à-~tre, depuis
l"époque déterminée par le Tribunal comm e étant celle ~e
la ces ation de. paiements de son déb iteur, ou dans les dt\'.
jours qui auraient précédé ce lle époque. En elîet, l~ const~
Lu lion d'un nomean gage erait frappée de la nulli té. radicale édictée par cet article.
biais la simple sub tition d"u n gage à un aulre opérée
depuis l'époque de la cessation des paiemrnl s équivau t-elle
par ell e-mème à la con tituLion d'un r~ouveau gage? La
néo-ative nous semble peu co nte table cl c'est dans ce sens
qu~ e ont prononcés le Tribunal de commerce de .Marseill e
etlaCourd'appel d'Aix (1).
L'article 146 édicte une mesure exceptionnelle. Il a voulu
empêcher que le créancier, qui a fait d'abord crédit au déb iteur, ne reçû t après coup une sûreté qu'il n'avait en aucune
façon le droit d'exiger et qui constituerait vis-à-vis de lui un
avanlagc purement gratuit au détrim ent de la ma sse. Mais,
dans nolre espèce, le nan lis::.emenl a Né fourni au mom ent
même de la naissance de la créancr ; il a été une des conditi ons essentielles du con trat; il ~ a échange de sûrel6s
plutù lquc noU\'eau gage. Les parti::.ans du sy::.tl'me contraire
objeclcnt les fraudes auxquell es celle substitution peut don(1) Aix. 17 janv. 1866.
-
108 -
10\) -
ner lieu, notamment en remplaçant l'objet eng-a 0 é par un
alltre d'une valeur bien upérieure. l\Iai s s'il élai t prouvé
qu'il y avait eu concert fraudul eux entre le créancier gagiste
el le débiteur, l'article H 7 du Code de r,ommerce laisserai t
toujours aux tribunaux. la faculté de prononcer la nullité de
l'opération. Il ne fau drnit pas cependant qu· au moment de
la concession du nou\'cau gage , le créancier se lromD.l
dessaisi du gage primitif. li y aurait dans ce cas tous les
éléments qui entra.tnent l'app lication rigoureuse de l'arlicle HG (1).
V
R ÉALISATION DU GâGE.
Le gage régulièrement con titué fait naitre entre les parties des droi ts et des obligations réciproques déterminés par
l'article 2079 du Code civil.
Rappel ions sommairement lu loi civile sur ce point:
Avant l'échéance de la créance , le créancier acquiert:
1° Le droit de rétention (art. 2082).
2° Le droit cle Loucher les inLérèt s de la créance donnée
en aa o·e à charo-c d'impu tation sur ceux qui lui sont dus ou
0
" b '
ur le capita l (art. 208 l ).
3° Le droit au gage tacite dans l'hypothèse ùe l'article
.
2082 ~ 2.
..\.prè ' l'échéance de la créance , le cr!' ancier a le ~ro1t :
1° n e répéter les impenses faites pour la conserrnl1on ou
pour !"amélioration ùu gage turt. 2080 ~ 2) et ùcs domm a~
ges-intùrèls pour lu perle que la détention du gage peut !U1
avoil' causée (arl. 20ï9 et 19 17).
2° De faire ordonner cnju:; Lice que le gage lni dememera
en pai emen t cl ju:>qu'à <lue concunencc d ' apr~s une es li~
malion failc par rxperls (arl. 20ï8 ).
( 1) Cass. , 20 mus !H65.
�-
-
110 -
3° De se faire autoriser par jus Lice à l'e[ et de vendre le
gage aux enchères publiques (arl. 2078).
t• De se payer par privilège sui· le prix pro venant de celle
venle (art. 2073).
D'aulre part, le créancier, conlracle les obligations
suivanles :
1° Il doit restituer le gage dès qu'il est payé (art. 2082),
sauf le cas prévu par le :::i 2 de ce m~me article 2082.
2° Il doit apporter à la conservation de l'objet engagé les
soins d'un bon père de famille (art. 2080 ).
3° Il ne peul di sposer de l'objet donné en gage, car il
n 'e:; t que dépositaire (art. 2079 et 19 30).
La loi de 1863 ne contien t pas une théorie complète du
contrat de gage ; elle se born e à modifier la loi civile sur
certains points et pour les surplus renvoie implicitement au
Code civil dont elle rappelle parfois cerlaines dispositions
dont le maintien aurait pu faire l'obj et d'une difficulté.
C'est ainsi que , dans la première parlic de celte étude,
nous avons vu la loi commerciale simplifier les modes de
con tilution du gage pour mellre ce contrat en harmonie
avec les formes rapides et économiques qu'exige toute opération commerciale. Les mêmes motifs d'éco nomie et de
célé1 ilé deYaient allirer l'attention du législateur sur les
formes de la réalisation du gage.
Les effets proprement dits du coulrat du gage ne sont
null ement modifiés au fond. Comme le gage civil , le gage
commercial est une garanlie donl l'efficacit6 consiste dans
le droiL réel conféré au créancier cl qui se résout final ement
par l'attribution par privilège à ce dernier du prix de l'obj et
engagé. Pour arri,·er à la r6alis!l lion de ce privilège en sauvegardant les droits des parties cl des ti ers, la loi civile a
jugé util e d'imposer les deux condiLions suivanlcs :
1° Autorisation cle justice à l'eLîeL de vendre le gage ;
2° Ycnlc aux enchères public1ucs.
(
111 -
De ces deux conditions, la loi commerciale supprime la
première et laisse subsister la seconde. « A d6faut du paiement à l'échéance, Je créancier peut, huit jours après une
simple signification [aile au débilcur el au Liers bailleur du
gag·e, s'il y en a un, fail'C procéder à la vente publique des
obj ets donn ès en gage. »
Le rapporteur de la commi ion du Corps légi latif justifie ainsi celte disposiLion. « L'arlicle 207 8 a voulu protéo-er le débiteur contre cc qu'on appelle le pacte commissoire.
~lais celle prolection, organisée avec tant de soin , qu i
place lajusLice enll'C le créancier et le débiteur au moment
où le gage doit èlrc réali:;é, n'a-t-elle pas dépassé un peu le
bul? Et i le gage a èté i peu praliqué dan le passé, ne
doit-on pas en voir jusqu 'à un certain point, la cause dans
la difficullé opposée au créancier par son remboursement ?
Sans doute, ce remboursement est assuré, pui qu'il est
garan lie par la valeur du gage ; mai l'époque où ce remboursemenl doit èlre fail e l souvent aussi importante pour
le prèleu r que le remboursement lui-même, et les relards
que peut, que doit y apporler unprncès nécessaire avec une
expertise étaient peu faits pour engager à prèler sur gage.
En voulant prntéger le débi teur, on a donc enchaîné le
créancier, el par suite condamné la convenlion ur gage à
un rôle Loul à foil secondaire daus lecrédil. >>
Du reste, le législateur de 1863 , n'inn ovait pas précisément. Déjà l'ordonnance du 15 juin 183j aYait a~1toris é la
Danque de France, foule par l'emprunteur cle sati.sf~1ire à
son engageme nt, à fa ire vendre àla Bourse. par lem1ni ' lère
d'un agent de change, tout ou partie de' effets re~~s en
nantissements savoir: 1° à ùéfaut cle couverture, lro1sjours
après une sim;le mise en demeure par acle e:d1:a-jud i~i~ir~;
2° à défaut ùc remboursement, dès le lendemam de 1tJChoance, sans qu'il soit beso in ùc mise en demeure ni d'aucune
autre formal ité. De:; faveurs analogues furent accordées aux
Comptoirs d'Escomiitc pur le:; décrels du 2i mars et du 23
�-
-
112 -
aoôt 18 i8. au Crédit Foncier de France par la loi du 19 juin
1857. Enfin, la loi du 28 mai 1857 , donl nous étudierons
plu - loin les disposition , aYail inauguré pour le gage portant sur les marchandises déposée- dan s les magasins généraux: un ystème que la loi de 1863 a étendu au gage
commercial en général.
.\.in, i, sous l'empire de la nouyelle loi, l'aulorisalion de
juslice néce-saire pour permellre au créancier de vendre le
gage e"t remplacée par une simple signification faite soiL au
débiteur, soi t au tiers bailleur <lu ia-ag.; s'il\.J en a un , afin
de les avertir de pa er dans le:> huitj ours, s'ils ne préfèrent
que la cho:>e soit vendue. Cette obligation d'une signification
est conforme aux principes généraux de nolre droi t qui ne
punit le retard dans le paiement et ne permet de passer
outre à une exécution qu'après une mise en demeure préalable. Une exception ex iste cependant en faveur de certain
établi sements de crédit, tels que la llanqne de France el
le Crédit Foncier qui sont dispensés môme de celte signification préalable et peuvent dès le lendemai n de l'échéance,
ainsi que nous l'avons vu , faire vendre le gage sans aucune
fonnali lé.
Le délai de huit j ours est laissé au débi teur pour lui
perm ettre de trouver des ressom ces el de dégager a chose
en payanl. )1. Dalloz. dans la discussion de la loi . avait propo-é
de le porter à un moi ·; sa propo:.ilion fut rcjelée par la raison
qu'elle auraitfait reYenit· au sy:;tl. rne <les lenleurs que l'on
ce
voulait 6riter. Les parties pourraient d'ail eurs all onuer
0
délai par une clause du contrat : car un Cl'éancicr a to uj ours
le clr·oit d'adoucir la situation <le son débiteur. Quant à la
re~ trcindre, on comprend que la convention des parties n'y
pu~sse prétendre, au mépris ù'une régie impérative, introdulLe par faveur pour les débiteurs, dan s un intérêt d'ordre
publi c. C'es t <l'ailleurs rc qui rusullc irnplicilement du dernier paragraphe de l'article 93 dont nous aurons à parler
plus loin.
u
1
l,.
)
11 3 -
Aux termes de l'article 2078 du Code civil , le créancier, ü
défaut de paiement, peut faire ordonner en justice que ce
gage lui demeurera en paiement etjusqu'à due concurrence,
d'après une estimation faite par experts ou qu'ils sera vendu
aux enchères. L'article 93 du Code de commerceasupprimé
la nécessité de l'auLori aLion de justice pour procéder à la
vente du gage, mais il garde le sil ence sur la première des
deux facultés ci-dessus conférées au créancier, à savoir ,
l'appropriation du gage après expertise. En l'état de ce
silence, la loi nouvelle laisse-t-ell e ubsisler pour le créancier gagiste Je droit de s'adresser à la justice pour se fairn
adju ger le gage? La négative nous emble préférable ( 1) .
En effet, le législateuc· avait à modifier l'article 2078 du
Code civil; dans la rédaction de ce t article, les deux faculté
conférées au créancier de s'attribuer ou de faire vendre le
gage après autorisation de justice ont comprises dans une
seule et même disposition condensée dans une phrase unique . En formulant le nouveau système de l'article 93, en
supprimant la néce si té de l'autorisation de justice pour la
vente du gage, le législateur de 1863 ne pouvait perdre de
vue le second cas pour lequel celte autofralion était néce-saire. L'article 93 1 est sub tilué en matière commerciale
du premier paragraphe de l'article 2078, et i le législateur
avait entendu conserver un débris du paragraphe mutilé, il
s'en erait certain ementexpliqué. Au contraire, le rapport de
la commi.sion déclare que « l'article 93 nouveau abrog-e
.... , en
ce qui louche le gage commercial, l'arlicle 2078 du Code
civil. » Celle oluli on e ju lifie par le but même que poursuit la loi de 1863, qui e t de vulgari er le nanti ·scmcnl
commercial en assurant au gagi'le •Je rembour:;ernen t
immédiat cl sans frai , et it l'emprunteur uu prêt facile et ü
bon marché. D'ailleurs, en présence de ' facilités C\trèmes
accordées pour arriver à la venle, le créancier aurait bi en
rarement un inlérèt sérieux à recourir à cc moyen.
(1) Toulouse, 27 juill . 187.:2.
�-
ll l -
La loi impose au créancier qui veut fa ire veod:e le gage
le délai de huitaine enlrc la ignification au débiteur et le
j our de la significalion au débiteur cl le :jour de la vent~. A
l'expiration de ce délai, le créancier e t-11 Lenu de proceder
à la ven te ou bien peut· il la reta rder à on gré? L'intérêt
pratique de la question se conçoit aisément si ~' on considèrn
les brusques variations amquellcs sont oum1ses les marchandises en général. Le débiteur peut-il rendre le créancier responsable d'une baisse importante qui serait survenu e après l'expiration du délai de huilaine, mais avant . la
, ente du gage? La loi qui a fixé un délai minimum n'a pomt
fixé de délai ma\'.imum. Le ca cle fraud e excepté, nous ne
connais ons aucun Lexle qui puisse nou - autoriser à altribuer
cc droit au débiteu r.
Le second paragraphe de l'article 93 règle la manière
dont la vente du gage doil être faite. «Le ventes, autre que
celles dont le agents de change peuvent seul être chargés,
ont faites par le mini ·tère des courti ers; toutefois ur la
requête des parties, le Pré ident du Tribunal de Commerce
peul désigner pour y procéder une autre classe d'ofûciers
publics. »
Une innovation de la loi de 1863 , en ce lle matière, est la
désignation pour présider à la vente d'une cla se de personnes, à savoir les courtiers, qui en matière civil e n'on t
aucune qualité pour cela. La co mpétence du courti er e· t la
règle géné rale; celle de l'age nt de chang•1 ou de tout aulre
officier public est c:-ccplionnell e. En cela, la loi poursuit
touj our le même bnl <le céléri l6 et d'économi e : en effe t
toute con 1estalion '~levant à propo d'une venle par devan t
courtiers crajugée avec les formes e\prù itives de la procédure commerciale : d'aull'C part , les émolumcnls des cour
tiers so nt de beauco up infi'• ricurs l1 cc n\ des co mmi ::>snircsprise urs chargés en princi pe de proc6cle 1· au\ vrn lcs
publiques. Cependant comm e il peul se foire , soit qnïl
n'r\ isle pas de courlirrs au li eu de la ven le, soiL que les
.
-
ll:) -
parties trouven t leur avantage dans l'emploi d·une aulrc
clas e d'officiers publics, la loi laisse au Tribunal de Commerce la liberté de <le igner pour prncéder à la renle ùes
comm i sa ires-pri eurs, notaires, greffiers<lcju· Lice de pai\,
huissiers ou autres. Mais Loul en accordant cette lalilude. le
législateur ne perd pas de vue l'objet principal de l'article 93. «Dan cc ca, l'officierpublic, quelquït oi t. chargéde
la vente, est so umi aux dispositions qui régi ·sent lest .. urtier;;, relativement aux formes, am tarifs el à la respon abililé. » El le paragraphe ·uivanl ajoute: " Les dispo,,ilions des articles 2 à 7 inclu i'ement de la loi du 28 mai
1858 sur le ventes publiques sont applicables am: r entes
prévue - par le paragraphe précedent. »
Si le courti er est, en principe, J'offfcier compétent, pour
procéder à la vente publique du gage, l'article 93 reserre
expres émen l le monopole de agent - de chanO'e pour les
ven les qui re orlen l de leur mini · tère. Ces rentes sont
celles des effets publics ou tl 'aut re~ valeurs cotées ou uscep liblesd'Mre cotées à la Bourse. Celle negociation répontl
à la con dition de publicilé exigée par l'article 93 · 1, car la
Dourse csl ouverte à Lous le acheteurs el le cour:. des elfel
public y est affiché quotidiennement.
L'article 91 ~ 5 conlicnl une tlispo ' ition ·pécialc qui a
lrail à la réali~alion du gaae: 11 Le · elfots ùc commerce
donné en gage. ~ont recom rables par le crt>ancicr luimèmc. >> C'csl là une dcrogalion au droit commun ; car en
vertu clc l'arlidc 20ï9 qui eon en c au tlebileur toute la
propriété de sa creancc, le crcancier ga 0 iste n·aurail pu
recouner les effets rn!!ag-c\:.. lh~:.ormai -. s'ils arri' cnl à
" '
échéance a' ant J'c\igihililé de la dette garantie, le creaneier
gagi ' le pouna en toucher le montant.
Celle faculté cloil-l'llc t'l rc clenùue par analog:Ïl' am
créanciers onli naircs? Il eut Nl' facile au k~islalt'Ul' lil'
unctionner l"al1irmatiYc, si telle cul ét~ -on iutl'ntion. Fn ne
menti onnan t qm' le~ clTct::; de cornmt•rcc, il semble pat· lit
�-
ll<i -
exclure implicilcmcnt les créances ordinaires. La raison de
la distinclion se con~oit aisémenl. Les eiîels de cornmeece
sont des créances d'une nature particulière, circubnt rapidement de mains en mains et soumises à des conditions
rigoureuses telles que la présenlation au jonr mème de
l'échéance et le p roLèL le lendemain ; il importe csse nli ell ement que le d6bileur pui5sc e libé1·er au jour fix6. Le
rccou\•remenl d'une créance ordinaire est une chose moins
urgente; ce n'est qu'un point à débattre entre créancier et
debileur, ans que des Liers , tels que les endosseurs, quand
il :. 'agit d"elfet - de commerce, s'y trouvent directement inléres ·és. D"ailleurs la loi, qui dan l'article 208 1 confère
?\p.re.ssémenl au créancier gagiste le droit de percevoir les
rnlerel.s , ~e la créance ne parl e point du capital. La loi suppose l e:mlence d'un mandat du débiteur au créancier de
loucher les intérèls; elle aura\L pu présumer ce mème mandat pour 1" capital, elle ne l'a pas fai t. Toutefois ce mandat
peul èlre donné par le débiteur par une clause 'au contrat
de gage ; mais encore faut-il que ce mandat soit r~ vocable
à la rnlonté du débiteur, si non cc serait un moyen indirecl
pour le créancier de s'approprier le gage .
La loi ne s'es t pas contenté de prescrire les mesures de
conlro~e q~e nous venons d'indiquer , pour empêcher le
l:réanc1er d abuser de la situation malheureuse du débi teur
à l'échéance. Elle a aus i prolégé le débiteur contre luimème au moment de la forma Lion du con trat. Dans Je seco nd
paragraph_e de ~ ·a rticl_c 2~78 du Code civil, elle décide que
toule clau:.e qu1 autoriserait le créancier à s'approprierle a-aue
ei o
d.
·
ou a :n ispo cr sans les formalités prescrites serait null e.
La 101de 1863 a reproduit dans l'a rticle 93 § 1 du Code <le
comm~r~e la dis~osi Lion de la loi civile. Le rapporteur de la
c?m m'.s~wn cxp_liquc le motif de ce tte règle. « C'est une
d1spos 1 L!o~ destméc ~ conserver à l'emprunteur sur gage
une dermère protccllon ... On a craint que Je cr éancier
n'abusât de la siluation besogneu se du débiteur , au moment
..
117 -
de la convention, pour lui imposer une Yérilable vente conditionnelle à vil prix, pour le cas où la dette contractée et
qui es t toujours inférieure à la valeur du gage, ne serait pas
payée à l'échéanue. n La prohibition du pacte commissoire
remonte à une constitution de Constantin, mais tandis qu'à
Rome l'existence du pacte anéantissait le contrat de nantissement tout entier, aujourd'hui la clause prohibée csL seule
annulée.
Quelle est exactement la portée de cette prohibition?
Aucune difficulté lorsque la clause est intervenue dans le
contrat même, in continenti. La prohibition sub iste-l-elle
dans le cas où la clause ne serait inlervenue qu'ex intervallo.
L'examen des travaux préparatoires de la loi de 1863 nou
révèle sur cc point la pensée du légi laleur, à savoir. que la
question ne doit point recevoir une solution théorique absolue, mais être lai:ss6e comme question de fait à l'appréciatio n du juge . Tous lisons en effr t ceci dans le rapport de
M. Vernier : «Sur Je paragraphe 4 i\J . ùlillet nous a pré·enté
l'amendement uivan L: Est nulle Lou le clause ou convention
qui , anlériem:cmcnl aux poursuites ou avantl"échéanccdc la
delle, auloriseraille cr6ancier à s·approprier le gage ou àen
di poser , sans Je· formalité ' ci-dessus prescrites. » M. Ycrnier approuve la pen ée de cette modification : « Quand
celle 6chéance csl arrivée, ou que les pour uile' ont commencées, pour arriver à la vente, on n ·a plus à redouter pour
l'emprunteur le cntrctîncmcnl de la faibles c el il deHail
être permi s de stipuler le droit pour le créancier de con erver le gage 011 d'en disposer sans les formalités requises. »
Jéanmoin', au nom de la commission, il rejette ccl amendement en 'appuyant sur ln cloclrinc, qui, loulcn partageant
l'op inion pr6cédcnlc, << r6~erYc cc>pcndanL pour les solutions
à donner l'examen des pièces où la que:;tion peul se prescnlcr . La commis ion a pen 6 que c'était là aus'i cc que la
loi a nit de 111icu.\ ù faire en laissant. à lu jurisprULlcnce le
soin d'in terpréte r ~on esprit sui\ anL le cas. »
�-
li
-
D'une manière générale l'article 93 en défendant au
créancier de di po-er du gage sans le formalilé , requises
prohibe Loute sLipulation qui aggraYeraiL la position du débiteur. Le rapporteur de la commission s'explique nettement
à cet égard. <s Fallait-il autoriser Je parties à modifier,
pour les accélérer ou les rendre plus faciles encore, les conditions daris lesquelles le créancier doit recevoir son paiPment sur le prix· du gage? Fallait- il par exemple permett1·e
d·6crire dans Je con Lrat que l'objet donné en gage 5erait
vendu dans un lieu plutôt que dan un autre; qu'i l pourrait
èlre mis en Yente, avant l'expiration des huit jours, après
la ·ignification ; qu 'il serait vendu par le ministère de tel
officier public plutôt que par celui de tel autre? Toules ces
question ont été agitées dans Je ein de la commission, et
toutes ces clau e ont été condamnées comme pouvant
mettre le débiteur à la merci du créancier. Toute ces clauses ont, d'ailleurs, une affinité très éloignée. mais enfin une
certaine affinité avec le pacte commissoire que toutes les
législations ont r epoussé. »
Pour éluder la prohibilion du pacte commissoire, les parti es peuvent déguiser la clau c sous la forme d'une vente à
reméré. Il apparLiendra au juge de recherch er la fraude et de
décider en fait si la prétendue vente à rem6ré a un caractère
sérieux; ils ont à cet égard un pouvoir discrétionnaire et
peuvent se baser sur de simples présomptions de l'homme
pour décider qu'il y a ·imulation.
Le pacte commi· soire proprement dit consi te à tipuler
que l'objet donné en gage de, iendra faute de paiement la
propriété du créancier, à Litre de datio in solutum. Qu 'en
serait-il de la clau-e qui pcrrnetll'ait au créancier de garder
la cho e moyennant un prix fh6 e.r; tune? Nous ne croyons
pas devoir faire pour celle h1pothèsc d'autre di stin ction
que celle que nous admeltonspour Ja clause commis oire
proprement dite , à savoil', que si la clause est. contemporaine de la constitution du gage, elle doit Mre annul6e,
-
110 -
car l'emprunteur n'oserait contredire l'esti.m.ation faite par
Je cr6ancier ; que si elle est intel'venue po· tcneuremcnt, le tribunaux décideront cl"après les circonslaoces de la cause.
Que si toutefois, lors de la constitution du .gage, il ava~ t
été convenu que faute de paiement le créancier acque:ra1t
l'obj et, non plus moyennant un r:ix. fixé ~· avan ce . mais à
fixer à l'échéance, celle convention serait Yalable. On n~
pourrait dire, en effet, que le déb iteur ~e. trouve à l~ merci
du créancier. Sur ce point, toutes lcsop1mons sonld accord.
�DE OX IÈME PARTIE
OU GAGE SPÉCIAL SUR LES MARCHANDISES DÉPOSÉES
DANS LES MAGASINS GÉNÉ RAUX
CHAPITRE 1..
Des Maga sins Généraux
J. lII STORIQUE
La marchandise peul êlre considérée, à raison de sa nature,
comme l'objet de gage par excellence. Elle représente, en
effet, une va leur Lrès facile à apprécier et à réaliser en espèces ; mais elle es t destinée à être vendue. Or, nous savon
que, pour que le gage soiL utilement constitué, il est nécessaire que la chose engagée oil remise entre les mains du
créancier gagiste. Celle remise de la chose empêchait plus
tard la vente de l'objet. Sans doute le débiteur gagiste conservait bien la propriété de sa marchandi e, mai · il en avait
perdu la possession effective et par uile la faculté de la
livrer. De plus, la tradition matérielle de la marchandise
occasionnait le pins ou vent des déplacement considérables. L'institution des magasins généraux et des warrants
fait disparaître ces graves inconvénients. Désormais la tradition de la marchandise pourra s'opérer sans aucun déplacement, par la seule remise du Litre ; et le propriétaire, tout
en s'engageant, con ervera non plus seulement la propri 6L6
de la chose, mais encore la faculté d'en opérer la tradition .
L'institution nous vient d'Angleterre où elle fonctionne
�-
122 -
depui le commencement de ce siècle. Le rapport de M.
Ancel au Corps législatif en analyse le mécanisme de la
manière suivante : « Un négociant qui a reçu de marchandi ses peut, en les consignant dans un magasin publi c, se
îlrocurer immédiatement de l'argen t sur ces marchandises,
en donnant sur gage à so n prètcur, qui cs l ordinairement
le courtier lui-m ême, le récépissé ou warrant délivré par
le maga in el qui constate ses droits ur la marchandise.
« Une sorte de complc courant, garanti par un ou plusieurs warrants, s'établit entre le négociant el son banquier:
si à l'échéance du warrant le banquier n'est pas remboursé.
el s'il n'est pas cer tain de la solvabilité de son débi teur, il
vend la marchandise aux enchères, sans formalités de justi ce el sans retard.
« Quand le négociant qui emprunte sur sa marchandise,
au moyen d'un warrant, veut néanmoin la vendre, il se fait
délivrer par le dock un e autre pièc~ appelée weight-note
(note de poids), qui indique le montant de l'avance dont la
marchandise est grevée. Il transfère ce wcight-note à l'acheteur, qui lui paie le surplu de la valeur de la marchandise
que le courtier-banquier· n'a pas avancée, et cet acheteur,
devenu propriétaire de la marchandise, reste obligé de rembourser au courtier le montant de son avance dans un délai
nommé prompt.
« Si à l'expiration de ce délai, ou même avant, l'acheteur
paie la somme du e au courtier, il se fait remettre le warrant,
el, porteur de ces deux pièces, il peul retirer la marchandise
du dock. Si le délai expire an que le courtier prôteur ait olé
remboursé, la marchandi eesl \endue.
<< Ainsi la marchandise qui est une valeur toujours certaine, mais souvent inerte dans les mains de son propriétaire,
parce qu'elle ne pourrait être vendue qu'au prix d' un sacrifice excessif, devient au moyen de cette inslilution don l le
mécanisme est si simple, une ressource toujours dispon ible
el réalisable ; elle circule sans déplacemcnl, et procure au
-
123 -
négociant, le crédit le plus facile, le plus sûr et par conséquent le moins coûteux. » (J).
L'indroduction en France d'une institution si utile au
commerce est duc au Gouvernement provisoire de 18 rn. On
traversait alors une terrible crise '.)Ommerciale d'où résultait l'encombrement des poeLefeuil lcs et des maga ins. Par
la chûte des principaux établisscmenls de crédit, les négociants et les induslriel 'étaient trourés subitement de LiLu6s des moyens de se procurer les capitaux qui leur étaient
nécessai res, en mème temps que l'amoindrissement de la
consommation le chargeait de marchandi-es imendues.
Préoccupé de celle double nécessité, le Gournrnement provisoire avait décrété l'établi semenldes comptoirs d'escompte
à Paris et dans Lou- le grand centre agricoles. industriels
et commerciaux ; il décréla l'é tabli sernent de magasins
généraux dont l'cITet devait être« d'anticiper surlacon ommation par la circulation. » (2)
Le décret du 11 mars 1818 fuL complété par un arrèt.6
du Ministre des finances du 26 mars 1848. qui fut lui-même
conûrmé par un décret du 28 aoûL de la même année.
La législation de 1848 avail eu le mérite d'importer en
France le principe d'une institution éminemment utile:
dans la pratique, l'in-titulion ne produisit pas Lous les résultats que l'on était en droil d'c pérer : la création du Gouvernement provisoire était incomplète et pré-cnlait de graves
lacune et des dtifaul qui ne Lardèrent pas à êtrn mi en
lumière. Les réclamation du commerce portaient principalement urles points suivants:
1° Il n'était mis à la di po-ilion du déposant qu'un titre
unique, le r6c6pis é. Le dépo anl pouvait bien, soit vendre,
soit engager la marchandi se, mais il ne pouvait faire cumulaLivement les deux opérations;
(1) Rappor t nu Co r ps Légi slatif. Loi du 28 mai 18:)8.
(:!) R,,1>port du r>l ini~ trs des finances, ~I. (i .~K.\lEl\-P,1G~s.
�-
12-1 -
2° L"obligation de faire transcrire sur le registre du dock
chaque endossement du récépi· é avait le double inconvénient de divulguer aux concurren ts du consignataire le
secret de ses opérations et de gêner la libre circulation du
récépissé;
3° L'obligation de faire procéder à une expertise afin de
constater la nleur vénale de la marchandise au jour de
dépôt, cell e d'obtenir l'autorisa tion du juge pour procéder à
la vente du gage , étaient autant de sources de frais et de
lenteurs;
4: La faculté accordée au porteur du récépissé, à défaut
de paiement à l'echéance, d'exercer son recours , à son choix,
soit contre les emprunteurs et les endosseurs, soit sur la
marchandise déposée, était inutile et nui ible.
Cette législation défectueu e appelait donc une réforme .
Après plusieurs années d'études, la loi du 28 mai 1858 el le
décret du 12 mars 1859 vinrent donner satisfaction au commerce. A la même dale du 28 mai 1858 était promulguée
une loi sur les ventes publiques de marchanJises en gros ;
dans la pensée des législateurs de 1858 ces deux lois se
comp}èlent l'une par l'autre et poursuivent le même buL.
Enfin une derni ère loi du 31 août 1870 a simpli fi é les
formalités exigées par la loi de 1858 po ur l'élablissemenl de
magasins généraux et complété celle loi sur certains points.
0
IJ.
ETA.BLISSSEM.ENT ET EX PLOITATION
1.- En Angleterre l'établis ement d'un dock est compléternent libre. Tout individu peul à ses risques et périls fonder un magasin général et délivrer des récépissés et des
\\arrants. Le législateur français en empruntant le principe
de l'institution n'a pas jugé celte liberté compatible avee
nos n:iœurs. L'6Lablissement des magasins gén6raux est
soumis chez nous à des formalilés qui out varié depuis
l'origine.
-
125 -
Avant la loi ùu 31 aoûl 1870 , l'ouverture d'un magasin
général étai t subordonnée à l'avis des Chambres de commerce , à l'avis des chambres consullalives des arls et manufactures, à l'avis duprèfc l. à l'avis desminisLres des finances
cl du commerce, à l'avis du Con cil d'Etat et enfin à un
d6cret du chef de l'Etat.
Aujourd'hui, d'après la loi du 31 août 1870 , article 1°', un
simple arrèlé pr6fcctora l pris, ap rès avis de la Chambre de
commerce, à son défaul, de la Chambre con ultative, et à
défaut de l'une ou de l'autre, du Tribun al de Commerce
suffit pour l'ouvcrlurc d'un maga in général. Cel a\•is devra
èlrc donné dans les hui t jours de la communication de la
demande- ; Lroisjours après l'expiration de ce délai, le préfel
doit statuer.
La loi de 1870, oulrc l 'aulori ation préfectorale, impose
au postulant une nouvelle obligation, celle de verser à la
Caisse des dapüts et des consignations un cautionnement
variant de 20.000 à 100.000 fran cs .
Aux termes du décret du 12 mars le cautionnement était
facultatif en cc sens que l'administration pouvait l'exiger ou
ne pas l'exiger. La loi de 1870 l'a rendu obligatoire.
L'autorisation préfectorale une fois accordée, peut êlre
révoquée en cas de conlravcn tion ou d'abus commis par le
exploitanls, de nature ù porlcr un grand préjudice au commerce. L'acte de révocation doit êlre rendu dans la mème
forme que l'autorisation , cl les partie entendue- .
En cas de cession, le cc sionnairc d'un magasin général
n'est pas tenu de se pourvoir d'une autori ation nouvelle.
La seule formali té requise en pareille hypothèse, depuis la
loi de 1870 , est une d6cla1·:.üion au préfet, dans laquelle le
cédant fait connailre son intention de céder l'établis emenl
et le nom du ces~ionnail'e.
Il.- Les exp loi tanlsde magasins généraux sont de véritables déposilaires, ils sont à ce titre soumis aux dispositions de droit commun qui régissent le dépol.
�-
12G -
De quell e faute eront-ils tenus? Quels soins doivent-ils
apporter dans la garde de la cho e? En r ègle général e, le
dépositaire n'est tenu d'apporter dans la garde de la cho e
déposée que le soins qu'il apporte dans la garde des choses
qui lui appal' tiennent. Mais ile dépôt n'est poi nt gratuit, si
le dépo itaire a lipu1 6 un salaire, a responsabi li té, aux termes de l'article 1928 du Code civil , doit ètrc plus rigoureuse ;
il e t tenu d'apporter à la garde des choses à lui confiées les
oins d'un bon père de famille, d'un bon administrateur;
c'est ce qne l'on exprime en disant qu'il est tenu de sa faute
in abstracto. Les exploitant de mao·asins généraux sont
éYidemment dans ce dernier ca·.
Leur respon abililé ce· erait ~ i la perte arrivait par force
majeure ou par cas fortu it, à moi n qu'il n'y ait eu mi :;e en
demeure de restituer la chose. La preuve de la force majeure
incombe à celui qui l'allègue.
Indépendamment des obli gations générales qui découlent
des règles de droit commun , les lois spéciales qui régissent
lamatière imposent aux exploitants <le docks certaines obligations nouvelles.
C'est ain i qu'ils sont lenus de mellre leurs maga ins,
san· préférence ni faveur à la disposilion de toute personne
comm erçante ou non commerçante qui veut opérer le magasinage·ou la vente de es marchand ises, dans les termes des
lois du 28 mai 1858. Ils ne pourraient refuser ou accorder
le dépôt, à leur gré, selon que les marchandises leur seraient
pJésentées par telle ou telle personne. (1)
. T~utefois comme la qualification de magasin général
implique seulement que le magasin doit être ouvert à tous
les déposants, mais non pas à toutes sortes de marchandises,
c~mme il peul être formé p6cialcment pour un e ou plusieurs espèces de marchandi ses, il fauL encore pour que le
{I) Aix, 19 mal's 1871.
-
12î -
magasin général soit tenu de la recevoir qu'elle figure sur
les tarif:; de l'élablissement.
Ces tarifs, établi s par J e~ exploitants, doivent être imprimés et communiqués, avant l'ouvc1'lure de l'établis emenl,
au Préfet et aux corps entendus sur la demande d'autorisation. De plus il s doivent afnchés à la porte et dans l'endroit
Je plus apparent de l'établissement.
Le décret du 12 mai·s 1859 oblige encore les exploitants
de maga~ins générnux à publier tou · changements apportés
aux tarifs, à communiquer leurs règlements, à Lran crire à
la réquisition de tout cessionnaire, sur les registres à souches dont ont extraits les récépissé el warrants l'endossement fait à son profit, à tenir un li vœ à ouche destiné à
constater les consignations qui peuvent leur être faites en
vertu des articles 6 et 8 de la loi de 1858.
Les magasins généraux sont soumis aux mesures générales de police concernant les lieux publics affectés au commerce, sans pr6j udice de droit· de l'administration de·
douanes lorsqu 'ils sont établi s dan des locaux placé sous
le régime de l'entrepôt réel ou lorsqu 'ils contiennent des
marchandises en cnlrcpùt fictif.
Les exploitan ts de maga ·in généraux peuvent, aux termes de l'article 4 du d6crct <lu 12 mars 1859, se charger des
opérations et formal ités de douane et d'octroi, déclaration
d'embarquement et ùe débarquement, etc. ; il peuvent en
outre ètrc autorisé · à se charger de toute opérations ayant
pour objet de faciliter le rapports de comm erce el de la navigation avec l'élabli sscmen l. Le sens de cet article est que
toutes les opérations qu'il menlionne sont permises de plein
droit aux dock~ ; landi que pourjouir de loul autre droits,
ils faut que les dorks en obtiennent la concession du Gouvernement.
Avant la loi du 31 aoùl 1870, on discutait vivement la
question de savoir si les e"Xp loilants ùe maga·ins généraux
pouvai ent ètrc autorisés par décrel à prNcr sm wananls. La
�•
-
128 - ·
question a élé tranchée par l'article 3 de la l.oi de 1870 qui
autorise formellement les exploitant à faire des prêts sur
nantissement et des négociation de \\ arranls .
L'article 4 du décret de 1859 contient une prohibi tion
d'une grande importance. Il interdit aux exp lo'. ta1~t - de magasin , généraux de se livrer , directemcnl ou 111d1r~ctem~nt ,
pour leur propre comp te ou pour le compte .cl autrui, à
aucun commerce ou péculation ayant pour objet les marchandises.
Celle interdiction, dans les termes ci-dessus relatés, comporle-l-elle pour le exp loitants cell e d'agir comme commi~
sionnaire ? La que Lion 'est posée de\'anLla Cour de Paris
qui l'a résolue dans le sens de la négatiYe . (1) L"arrêl porte
en substance que l'interdiction formul ée faite par l'article 4
du décret de 1859 découle de la nécessité de mettre les
a-rands dépôts à l'abri de toutes le clrnnces aléatoires et
b
l .
d'augmenter ainsi la sécuri Lé des déposants; que les exp 01LanLs des docks iraient co ntre le but de l'institution, s'ils
pouvaient, usant de la faculté que leur présentent leurs
relations avec les négociant el la connaissance qu'ils on t
forcément de l'abondance ou de la rareté des marchandi ses,
faire concurrence au commer~e qu'ils ont pour mission de
protéger ; que le mème motif de prohibition n'existe pas
pour le commis ionnaire dont le rôle n'a pas le caractère de
spéculation ; que refuser au ùépo itaire le droit d'agir pour
le compte du déposant pour tout ce qui concerne la marchandise déposée, ce serait entraver d'une manière regrettable les relations du commerce et le mouvement des
affaires.
En compensation de toutes ces obligations, les exploitants
de magasins généraux, ont le droit de retenir su i· le prix de
la vente, ce qui leur est dû d'après leur larif, pour frais de
garde, magasinage, etc., par préférence à la créance garan(1) Pal'Ï! , 17 déc. 1867.
-
129 -
tic , mais après la créance privil égiée des contributions indirecte , des taxes d'octroi etrles droil de douane dus par la
marchandise.
Jous aurons à parler plus en détails de ces privilèges
dans le chapitre suivant.
CHAPITRE II
Des récépissés et des warrants
l. Cnt.A.TLON .
Le dépôt des marchandi c · dans un maga in général est
const:üé par un litre délivré par l'exploitant. Dan, le -Y tème des décrets de 18 i8 , ce dépôt donnait lieu à la création
d'un titre unique, sou s le nom de récépissé, qui servait
indifféremment dïn trumcnt de vente ou d'emprunt. li y
avait là un défaut des plus graves qui pal'alysait en grande
partie l'institution nouvelle . En eITct, le propriétaire de la
marchandise n'aITectanL habituellement cell e-ci qu'à des
sommes inférieures il a valeur, ne pouvait tirer parti du
surplus puisqu'il n'avait plu ' enlrc les mains son titre de
propriété. La loi du 28 mai 1858 remédie à ce t inconYénieut
en créant, à l'imitation clu ys tème anglais. deux. litres différents: le récépissé, correspondant au veight-note anglais,e t
le bulletin de gage ou warrant.
Le récépissé r sl particulièrement destiné à servir d'in ·•
trumenl de vente el à tran férer la propriété de la marchandise, ou tout au moins le droit d'en disposer; le warmnt, à
servir d'instrument de crédi t, en plaçant la marchandise, à
titre de gage, entre les mains du prôleur.
Indiquons en quelques mols le mécanisme ingénieux de
la nouvelle in Litution.
�-
130 -
Un propriétaire dépo e es marchandi es dans un maga in
général ; il reçoit en échange un LilrP, Je réc~pi ssé-warran~ ,
comprenant les dcu\ pièces réunies, de mamère à pouvmr
être détachées facilement. Ainsi muni de ces titres, le déposant aura plusieurs partis qu'il pourra prendre à son gré: il
pourra , ou bien vendre sa marchandise, ou bien la mellre
d'abord en gage en se ré c1·vanlla faculté de la vendrn plus
lard.
Ou'il veuille transmcllre définitivement et sans réserve la
pr;priété de sa marchandi ·e, il lui suffira de remet~re à son
acquéreur ~ es deux titres, cc qu 'il pourra faire à l'aide d'un
simple endossement. Le déposant sera ain ·i dépossédé, et
l'ache teur deviendra propriétaire de la marchandise déposée,
vis-à-vis du maga ·in général, et vis-à-vis des tiers , par le
eu\ fait de l'endossement ; le cessionnaire se trouvera. en
ce qui touche la propriété de la marchandise, entièrement
sub · titué à son cédant, sans qu'aucun déplacement ait été
nécessaire.
Si le déposant ne veut pas ou ne peut pas vendre sur le
moment sa marchandise , il aura la faculté de la don ner en
gag·e. Pour ce faire, il lui suffira de détacher le warrant et de
le remettre en rendossant à son prèlcur . En cédant ainsi
son warrant pour con Liluer le gage, le déposant de la marchandise conserve le récépis é dont il pourra se servir i cela
lui convient pour opérer la vente.
Celte faculté accordée par la loi au déposant d'opérer le
nantis ement à l'aide d'un simple endossement n'est pas
une dérogation aux principes du gage que nou' avons
énoncé cl d'après lc::;quels la rcmi e de la chose esl nécessaire à la conslilulion du contrat. La remi se s'opère ici, mais
d'une manière ûclive. Le magasin général qui détenait
d'abord pour le compte du déposant détient à la suile de
l'endossement pour Je compte du cessionnaire. Cette possession fictive est parfaitement conforme aux principes qui
-
131 -
ont été consacrés par la nouvelle loi de 1863 sur la matière
du gage.
D'après l'article 1"' de la loi de 1858 les récépissés délivrés aux déposants « énoncen t leurs noms, profession et
domicile, ainsi que la nature de la marchandise déposée et
les indications propres à en établir l'identité et en déterminer la valeur.» L'arlicle 2 porte : « A chaque récépissé
de marchandises est annexé, sou la dénomination de
warrant, un bull etin de gage contenant les mêmes énonciations que le récépis é. » Le pl'Oj el de loi n'employait pas
l'expression de wanant pour désigner le second Litre à délivrer aux déposants. La commission a pen é qu'on pouvait
emprunter à l'Angleterre les termes d'un e légi lation dont
nous Jui empruntions la pratique et que le mot warrant , si
bien compris déjà par les hommes d'a[aires, pouvait êlre
in crit utilement dans notre notre vocabulaire commercial.
Parmi les énonciations exigées par l'article t •' précité,
celles des noms , proression , domicile des déposants, celle de
la nature des marchandises se justifient aisémenl ; mais que
faut-il entendre par les exp ressions, « in dications vropres à
établir l'idendité et déterminer la valeur de la marchandise'?»
La loi de 18:>8 ne s'est nullement expliquée; l'exposé des
motifs renvoie au règlement d'administnllion publique qui
devait suivre la loi le soin de préciser cl d'énumérer les indications en question. Ce règlemen t intervenu le 12 mars 1859 a
gardé le ilencc; la circulaire ministérielle du 12 anil suivant conclut de cc silence que l'adruinislralion du maga in
général peul donner aux registre , récépissés et warrants la
forme qui lui parait la plus convenable.
Toujours est-il qu e la loi de 1858 ne reproduit pas une disposition de l'arrêté du 26 mars 1818 qui exigeait qu'une
expertise déterminât au cours dujour du dépôt la valeur des
marchandises. Les cxperLs chargé de celle estimation
étaient choisis par la Chambre de commerce, le Con ' Cil muni-
�-
132 -
cipal ou la Chambre con ullalive de · A1'ls et Manufacture
parmi les négociants et a·sislés d'nn co lll'Lier de commerc~
ou d'uncommissai1·c-pl'isc ur. On a pensé avec raison que
celle form alité :.waiL pom effet d'c ntraine1· des perles de
temps et des frai ' . De plus, elle mettai t dans le secret des
affaires du déposant des ticr::;, des concm rents qui savaient
désormais que celui-ci éprouvail <les embarras . Enfin 1 clic
était inulile, qu'on l'en vi:;age, 'Oil au point de vue de la venLe
ultérieure des marcllandi:;e:; ü laquell e elle ne pourra scrvi1·
de hase, car rien n 'c· Lvariab le comm e le cours de certaines
marcha~1~i ses , soiL au point de vue de l'intérèL du prèlcu r
auque~ il nuporleseulemeot d'avoirla valèur approx imative
des obJels affectés à · a ùrelé et qui trouvera dans les indication du récépi ' é des ren ·eignements uffi ants.
To u le~oi ·, la fixation de la valeur par des experls ou par
u? ~ourl1 er. par cela mèmc qu'ell e peut favofrer la négociat10n des warrants ou la vente de la marchandise , e l
un moyen auquel les d6posanLs restent libres de recourir .
Pour que ce mod e de n,ation de la valeur soit plus accessible aux dépo~anl , le d~crc t <lu 12 111ars 1859 dispose que,
dans le cas ou un courl1er est requis pour l'eslimation des
marchandises, il n'a droit qu'à une vacaLion dont la quo Lité
esl fixée pour chaque place par Je Ministre de l'ag riculture et du commerce, aprè:; avis du Tribunal de r,ommerce.
Les réc~pissés clc ma1·cltandises el les warrant y annexés
sont exlra1ts d'un registre à souche, ainsi que le vent l'article
13 ~~ dé~ ~etdu ~ 2 mars 1859. Dans la pratique on a adopté
la d1~p~s.1l1on ~Ulvante : cbaquc page du regislre à souche
est ~1~1~~~ -en deux parlics , vis-à-vis de quelles se LrouvenL
le re~ep1 e el le \\arr~nL que l on détache el que l'on remet
a~ d~pos~nl. La première parlie à laquelle répond le récé pi s-e renferme:
1• Le numéro so us lequel le dépôt a lieu ;
2° Les noru, prénoms. profession et domicile du dépo1
~ao t ;
•
-
133 -
3° La provenance des marchandises , avec le nom du
navire ou de la voilure qui a e[ectué Je transport ;
4. 0 Le nombre, les e pèccs et les marques des marchandises ;
5° Leur nature el leur poids brut.
La seconde partie de la souche , en face de laquelle est Je
warrant, porle en titre ces mols : Transcription desendossemenls. Elle con lient les numéros d'ordre, le dates , les noms
des cessionnaires, les sommes avancées et les échéance· .
Nous verron plus tard que la transcription du premier
endossement est exigée par la loi : que celle des endossements subséquenls n·esl plu que facullive.
Dan s la pratique le récépi ssé porle encore une autre énonciation donl la loin 'a pa parlé : il indique i le warrant a été
négocié, pour quelle somm e et à quelle échéance. Celle
mention a pour but d'allirer l'a llenlion du ces ionnaire du
récépissé su r ce poinl et de prévenir une fraude qui 'é lait
produile plusieurs fois.
Le décrel de 1859 permet de fractionner la marchandise
déposée en aulanl de lols qu'il conviendra à son propriétaire el de remplacer le Lilrc primilif par autant de récépi·sés et de warrant quïl y aura de lot s. JI faut. en effel, que
le consignataire puisse vendt·c ou engage r une fraction
seulement des marchandises . Mais pour que celle facullé lui
soil accord6e, le d6cret c:-.igc que le déposant représente le
r6cépiss6 el Je warrant réuni pou r 6lnh!ir que la marchandi · e n'a point encore él6 ' enduc ou engagée .
A qui incombcrail la rc ponsabilité des faus ·es indication portées ur un "arranl ou un réc6pissé ? Le récépiss6
el le warrant dcvantcli spen c1· de l'examrn ou de la vérification de la marchandise pour cc qui concerne lïdentilt' et
la quantit é. il suit que l'c:\ploilanl tlu magasin général e:;t
rc~po n sablc, vi ·-à-vis de port eur des titres, drs ine,nctitudcs qui existeraien t dans les indications concern<ml la
nature ou la quanlilé tle la marchandise; mais encore faut-il
�- - 13-l --
que ces inexactitude· proviennent de son fait, en d'autres
termes, qu'il s'agisse de la qualité g·énérique extérieure et
apparente de la marchandi ' e el non de la qualité spécifique
intérieure et non apparente de la mèmc marchandise, enfermée, par exemple, dans des ballots ou fûts dont l'ouverture
n'est ni imposée ni perm ise aux magasins dépositaires. (1)
Le ca de perte du récépissé ou du ,warrant est prévu par
l'article 12 de la loi de 1858 : «Celui qui a perdu un recépissé ou un warrant peut demander el obtenir, par ordonnance du juge, enju· tifiant de sa propriété et en donnant
caution, un duplicata, 'il · ·auit d'un récépi sé, le paiement
de la créance garantie, 'il s'ag it du warrant.>> Le créancier
pourra faire la preUYe de on drnit par tous les moyens
admis par la loi. Le projet du Gouvern ement voulait que
cette ju·tification e fil par de livres. Cette di sposition ne
pouvait êlre maintenue : la Corn mi sion Ja repoussa par la
raison « que le litre perdu avaiL pu se trouver dans les mains
d'un capitali. le, non astrnint par la loi à une tenue de
liwes. » (2)
L'article 13 de la loi de 1858 soumet le récépissé el le warrant aux droit de timbre el d'enregi trement. Il est ain i
conçu: «Les récépissé ont timbré' ; ils ne donnent lieu
pour l'enregi'tremenl qu'à un droit ûxe de un franc. - Sont
applicable aux warrant , cndo--és séparément des récépi és, les dispo ilion du titre 1°' de la loi du 5 juin 1850
et J e l'article 59, § 2, n° 6 de la loi du 22 frimaire an VI I. »
Il ré'ulte de l'article ci-de u- que le warrant n'est soumis, soit au timbre, oit à l'enrcgi trcment, qu'après la séparalion du récépi s6, jusque là, il ne joue aucun rôl e el
pal'lage le sort de cc dernier.
(1) Cass ., 21 juillet 1860.- Lyon, 31 déc. 1868.- Trib . de Corn.
du Havre , 14 déc. 1861.
(2) Rapport de M. Ar.ce! an Corps Législatif.
-
135 -
Le récépi~sé esl soumis au timbre de dimension : il est
habituellement timbré d'avance sur le registre à souche des
magasins.
Le warran t endo sé séparément est soumis au timbre
proportionnel. Pour la facili t6 du com~ erce , .la l~i du 2
juillet 1862 a autori é pour les warrants 1 emploi de t1?1~res
mobiles que l'on appose au moment de l ~ur négoc~al10n.
Comme sanction de celte obligation, l'article 13 aJou le :
« L'endossement du warrant éparé du récépissé et. non
timbré ne peul être transcrit ou mentionné s~r ~es re.g1stres
du magasin gén6ral ous peine contre l'ad mm1~lrat1 o n du
magasin d'une amende égale au montant du dro1t.auqu~l le
warrant est suumi » Et comme nou ve1Ton que 1 endo::.semenl du warrant non lranscril n·e l pas opposable :rnx tiers,
cela aboutit en fai t ù la nullité de l'endo sement du warrant
non timbré.
Quant aux droits d'enregistrement, le récépi'sés el warrants, actes pri vé , n'y ont soumi , d'aprè~ l'article 23 ~u 22
frimaire an VU, que lorsque on veut en faire usage mt ~ar
a 'Le public soit en justice ou devant toute autre aulonlé
\,; titu6e '; en ce ca , les récép is 6 , tant qu "!
con
i s de~euren l
entre les main ' de · déposant et en lant que .cer.l1ficat. d.e
propriété. ne donnent ouverture, d'ap1~ès le · pnnc1p~~genesont
rau.,v de l'enreo·i
o · trcmen l, qu'à un droit
. . fixe . Lorsqu·ils
~
·
transférés el qu'il opèrent transmis-ion de pro~nel~, 11s
devraient, d'aprè les mème principes, don.ner heu u un
droit proportionnel de 2 0/0. Mais pour favon scr les op6~·a
tions sur les marchan di ·e dépo ·ées dan les maga-10·
généraux, la loi mainti en t en cc cas le droit fi~e ~e un fran~ .
Le, warrants endossés st'parément ont a , UJell1s au d.ro1 l
de O 50 cent. 0/ 0 élabli pa r l'art icle 69, S2, u• 6 de la 101 du
22 rr'imaire an Yll , pour les billels ù ordre et le effets négociables ou de commerce autre que le lettres de change.
Les conditions de formes des warrants el récëpi és une
�-
-
136 -
fois déterminées, il importe, avant de passer à l'étude de leur
tran mission, de déterminer leur nature juridique, en d 'autre· termes. de r echercher s'ils peuvent être classés parmi
les effets de commerce . La question tire son importance d'une
disposition de l'article 4A6 du Code de commerce d'après
lequel «sont nuls, !or qu'ils auront été fait:; par le débiteur
depuis l'époque déterminée par le Tribunal comme étant
celle de la cessation des paiements ou dans les dix jours qui
auront précédé celle époque, tou • paiements pour dettes
échue , fa it autrement qu'en e pèces ou effets de com-
merce. »
JI e t d'abord hor- de doute que l'article 446, par
dernières expression , a eu en vue exclusivement les effets
de commerce qui portent obligation en deniers , c'e t-àdire qui constituent purement el implement les sou scripteurs débiteur· d' une cer taine somme à pa rer à l'époque
fixée par le titre. C'est de tels e[ els seul ement qu' il est vrai
de dire qu'ils sont as imil6s à des e pèces monnayées el
acceptés comme tels dans les transactions commerciales: ce
qui aconduitlelégislateur à ne point di t.inguer les paiements e[ ecLués en de telles valeurs de ceux qui l'ont été en
deniers comptant . li faut donc co nsidérer , co mme ne rentrant pas dans la catégorie des e[ets commerciaux propres
am: paiemen ts nlidos p ar l'article 4 t6 3, ces titres qui,
bien que transmissible par voie d'endossement, n'ontcependant directement trait qu'au x droits du porteur sur des marchandi ·es, tels quel es connaissement , le lettres de voilure,
ou ne s'appliquent qu'à des parts d'i ntérèl dan des sociétés
de commerce, tels que les titres d'actions dans les dites
sociétés quand les tatuts en autorisent la transmission par
endossement.
Qu·en est-il · urce point des r6ccpissés et des warrants?
Han · aucu n cas le récépissé nepeulôlreconsidér6e comme
un eff~t de c.omi:ierce. En effet, dans la main du déposant le
r flcépissé fait fo1 de la propriété de lu marchandi · e dépos6c,
s
137 -
et par l'endossement qu'il en effectue au profil d'un tiers.
ce déposant transmet à celui-ci celle propriété. C'esl donc
en réalité une transmiss ion de marchandises qui s'opère par
la transmission du recépi sé : celte transmission faite à
titre de paiem ent, de datio in s0Lut1tm, tombe sous Je coup
de la nullité édictée par l'article 446 § 3 du Code de commerce .
Pour le warrant deux cas peuvent se pr0senter et entratner des solution s différentes.
Le warrant est endos é par le propriétaire de la marchandise. C'est une constitution de gage, et, à ce titre, sa validité
est régie par le§ 4 de l'article 446 : c'est-à-dire que si l'endossement du warrant est fait en garantie d'une delle antérieure à la période su pecle, il devra ètre déclaré nul ; qu'il
sera seulement annulable, s'il e t contemporain d'une dette
contractée pendant la même période.
Le warrant est donné en paiement par l' un des endossataires . Dans l'hypothèse de la faillite de cet endossataire,
l'endossem ent fait pendant la p6riode uspecte et qui aurait
lieu pour acquitter une delle échue co nstituerait un paiement valabl e; il ~' au rait en effet dans celle situation toutes
les conditions voulues par l'article HG pour la légitimité du
pai ement, puisque le warrant endo sé par le prêteur qui en
était saisi a transporté au bénéficiaire de cet endossement la
créance en deniers ur le dépo ant, créance garantie par le
warrant qui constate, en même temps, et Ja créance et l'obligation du débiteur de la payer à l'ordre du créancier à une
échéance déterminée, cl le gage affecté à cette créance.
C'est au warrant consiMr6 dan le rapport de la créance en
deniers sui· le dépo ant, céd6e pat· le bénéficiaire du warrant et n égociable pur voie d'endossement, que s'applique
l'arti cle 11 J e la loi du 28 mai J858 ain i conçu: « Les établissements publics de crédit pe uvent recevoir les warrants
comme effcls de commerce, avec dispense d'une des signatures exigées par le· tatuts. »
�-
138 -
Les documents de juri-prud ence sont relativement peu
nombreux sur cette question. Aucun arrêt ne formule explicitement la théorie complète de la matière. Un arrêt de la
Cour de Lyon du 21 mars 1865 'e Lprononcé en ce qui concerne les récépissés. (1) Aucun n'a eu à faire à propos des
warrants la distinction capitale exposée plus haut: en efJet
dans toutes les espèces sur lesquelles les Cours d'appel et la
Cour supprêmeont eu à e prononcer se rencontraitl'endossementsimullané du récépis é el du warrant: (2) la Cour de Grenoble avait considéré le paiement fait au moyen des deux
litres comme un paiement en et:rel de commerce ; la Cour
de Cassation par un arrêt fortement motivé du 7 mai 1866 a
cassé l'arrêt de la Cour de Grenoble et la Cour de Renn es,
dans une espèce identique, le 26 avril 1873 , s'es t prononcée
dans le même ens. - La Cour de Pal'is en décidant qu e Je
tiers porteur de bonne foi d'un récépi sé, n'est pas pa sible
de exceptions opposables à l'endo seur, n'infirme en ri en
l'opinion de la Cour de Cas ati on. En effet quoiqu'il en soit
des récépissés et des warrants, au point de vu e de l'article
446, les uns et le , autres sont des Litres Lrrrnsmissibl es par
voie d'endossement, et pour Lous les litres de ce genre , la
foi publique serait trompée si des exceptions inconnues des
porteurs, qui n'ont aucun moyen de les connaître , pouvaient
êlre invoquées contre eux.
lJ . ÎRANSi\llSSION
Les articles 3 et 4 de la loi de 1858 sont ain si conçu
Les récépissés et les warrants peuvent être transférés par
voie d'endossement, ensembl eou séparément. - L'endossement du warrant séparé du récépissé vaut nan Li semen t de
la marchandise au profit du cess ionnaire du warranL. L'en«
(1 ) Dar>s le même aens un arrêt r écent de la Cour de Cassation du
27 juin 1882.
(2) Sauf toutefois l' arrêt ci-dossns du 27 juin 1882 .
-
130 -
dossement du récépissé transmet au cessionnaire le droit
de disposer de la marchandise, à la charge par lui lorsque le
warrant n'est pas transféré avec le récépis é de payer la
créance garantie par Je warrant, ou d'en laisser payer le
monLant sur le prix de la vente de la marchandise. »
Il ressort des articles ci-dessus que l'endo ssement esl le
mode de transmission des warrants et récépissés. Ce mode
est-il exclusif de tout autre? En d'aulres termes, le nantissement ne peut-il pas ôtre réalisé par la transmission sans
endossement, soit du warrant, soit même du récépissé? Nous
avons rencontré et di culé dan la premi ère partie de celle
étude , à propos de la mise en gage des litres à ordre ou
nominatifs, une que Lion analogue. du moin en apparence.
Nous avons admi qne l'article 91 § 3 du Code de commerce
ne donne qu'une simple facul té dont les parties peuvent ne
pas user ; qu'il leur est loi ible de constitueren gage un titre
à ordre , conformément aux dispositi ons de l'article 109 du
Code de commerce, auquel Jenvoie \'article 91 s 2. La même
solution semblerait devoir s'imposer dans l'espèce. li n'en
est rien cependant, et nous admellons au contraire que la
détention matérielle de récépi é' ou de warranL appuyée
mêmed'uneconvention de gage ne confère au détenteur ni
privilège, ni droit de rétention d'a ucune sort e.
On pourrait dire que la loi de 1858 est une loi spéciale qui
indique d'une façon restrictive comment les marchandises
déposées dans les maga in généraux. peuvent être données
en gage ; qu'en adoptant une olution contraire, on arri,•erait à des contradiction choquan tes; qu'ain i la loi du 28
mai 1858, pre-crivant de transcrire sur les registre des
magasins généraux le premier endo ement du warrant et
ne disant rien de pareil pour l'endossement du récépi ·sé, le
directeur d'un ma boas in baé n6ral devrait donc se rcfu -er .ü
opérer la transcl'iplion dans cc derni er cas, et alors contra1remenl au vœu de la loi, la somme pour laquell e les mar-
�-
140 -
chandise ont été engagées ne serait pas portée àla connaisance du public.
l\lais il nous semble qu'en dehors de cet argument dont
le point de départ pourrait à la rigueur être contesté, la
même solution ressort pl us clairement des principes généraux de la matière. En e[ et, il faut pour la constitution d'un
gage deux conditions e sentielles : convention de gage el
remi e au créancier de la possession de l'objet du gage. En
admettant que la remise an endo ement d'un warrant ou
d'un récépissé fût accompagnée d'une convention de gage
dûmentjuslifiée, conformément à l'article 109 du Code de
commerce, il re lerait à examiner i l'opération satisfait à
la seconde condition : il faudrait encore que cette remise pût
mellre la marchandise à la di po ilion du créancier, en ce
ens que celui-ci pût en faire opérer la vente dans les forme prescrites par la loi. Or, il e·t certain que, vis-à-vis du
magasin général ou des tiers, le détenteur du récépissé ou
du warrant non endossé ne peul en fai re aucun usage, qu'il
ne peul ni transférer le titre ni s'en servir pour provoquer
la vente de la marchandi se, aûn d'aniver à la réalisation
privilégiée de sa créance; qu'en définitive , il n'a point celle
possession de l'objet du gage qui con Litue la condition
es· entielle de l'e.xi tence du privilège. Qu'arri\•erail-il avec
la . olution contraire? Un débileul' engagerait à son créancier a marchandise en lui transmettant le warran t ans
endossement avec pacte adjoint de gage ; postérieurement,
le même débiteur engagerait la même marchandise à un
second créancierpar la rem ise, à titre de gage, du récépis é .
Où serait la prétendue ûrelé conférée aux deux créanciers?
Lequel des deux serait sai i e[cctivement de la possession ?
En pareille matière , l'antériori té de la date peul-ellc produire
quelque eLfol utile ? De deux cho~cs l'une : ou le magasin
général se refu sera avec rai on à déli vrer la marchandise à
l' un quelconque des parleurs du récépissé ou du warrant , et
dans ce cas, la réalii;alion du gage ne pourra s'opérer ; ou
-
141 -
l'un des créanciers, le porteur du récépissé, par exemple, e
présentera le premier, obliendrq par impos iblela délivrance
de la marchandi ·e, la fera vendre pour e payer sur le pl'ix,
et laissera le porteur du warrant non endo sé et, par suite,
non transcrit en présence d'une marchandise disparue.
Il en est tout autrement des titres à ordre qui constituent
des créances, tels que des lellres de change, billets à ordre,
pour lesquels nous avons adm is une solution contraire; en
ce cas, le délenleul'du titre non endossé se trouve en passe ion de l'objet mème du gage , la créance représentée par
son titre ; par le fait eu! <le sa détention, il met le débiteur
dans l'impossibilité de e libérer valablement en main
d'autrui ; le gage ne peut donc lui échapper.
Il e t donc conforme à l'e 'prit et à la lettre de la loi de
1858, conforme aux principes de la matière du gage, d'admettre que l'endossement du warrant est le seul mode, par
lequel peul s'opérer la mise en gage de marchandises déposées dans un magasin qénéral.
Mais il imp orte ici de préciser rigoureusement la porL6e
de notre sol ution. 1 ou · ne prétendons nullement qu' un
warrant ne puisse faire l'objet d'un gage, :;'il n'est régulièr ement endossé. No us avons vu dans une question précédente que le warrant peut être considéré ü deux points de
vue fort di[érenls, selon qu'il est transmis par le déposant
de la marchandise ou par un endossataire. Dans le premier
cas. il est la représentation de la marchandise, à titre de
nantissement, et n'a de valeur en mains du cessionnaire que
'il est cédé conformémenl à la loi, c'est-à-dire endo"érégulièrement el transcrit sur le regi lre du maga iu général
destiné ù cet effet: dans le ccond cas, il est la représenlalion de la créance en deniers du prèteur sm le déposant,
un elîcl de commerce Loul comme la lettre de change ou le
billet à ordre. A. cc titre, no us pensons qu'une olulion Lout
autre s'impose et quo le tiers porteur du warrant peul donner ce warrant en gage à son prèleur sans user de l'endos-
�-
sement. Dans cette hypothèse, ce n'est pas la marchandise
que l'emprunteur engage, mais la créance en deni ers constatée par le warrant. San- doute le warrant cons tate enco re
que cette créance en deniers e t privilégiée sur une marchandise déterminée, mai tandis que la simpl e remise du
warrant sans endossement peut valablement engager la
créance, le privilège qui a[ecte celle même créance ne pourra
être valablement lransféré que par l'effet d'un endossement
régulier.
Nous avons souligné, dan s l'énoncé de l'arlicle4, les mols
par lesquel est caractéri é l'effet de la transmission du récépissé. La loi ne dit pa que cet endossement tran fère la
propriété de la marchandise; d'une manière plus gé nérale,
elle ne parle que du droit d'en dispo er. L'endossement, en
effet, peutêtre l'exécution de co ntrats divers : le récépi ssé
peut être tran féré à un autre litre que celui de vente, par
exemple, à titre de mandat pour vendre ou pour retirer la
marchandise. En d'autres termes l'endossement équivaut à
un ordre de livraison.
11 n'est point nécesaire que le titre mentionne les conditions que peul contenir le con trat dont l' endossemen t n'est
que l'exécution. Ces conditions n'importent qu'aux rapports
entre le cédant et le cessi:mnaire et seront prouvées, s'il y a
contestation , par les modes de droit commun en mali ère
commerciale.
Le titulaire du récépissé étant le propriétaire apparent de
la marchandise, l'endossement obtenu de ce titulaire par un
tiers de bonne foi transfère valablement la propriété. Cc
tiers n'est point passjble des exceptions qni pourraient êlre
opposées à son cédant. (1)
La mention de la date est la se ule formalité exigée par
(1)
Pari~,
31 déc. 1862.
-
142 -
143 --
l'article 5 pour l'endossement du récépissé (1). Celle mention a pour but de provenir les contestations qui pourraient
s'élernr sur ce point et retarder ainsi des opérations qui
requièrent célél'ilé. Elle permeLen outre d'apprécier immédiatement si les parties étaient capables ou non au moment
du contrat, si par exemple l'endossement n'aurait pas été
fait dans la période su pecte qui précède la déclaration de
failli te. La sanctio n de l'exactitude de la date se trouve dans
l'article 147 du Code Pénal qui punit des travaux forcés à
temps les faux en écriture de commerce.
La formule de l'endossement du récépissé era donc la
suivante: Livrez à l'ordre de X..... demeurant à .. ... .. Signatme et date.
Le tran fert du récépissé devait encore, aux termes du
décret de 1848 1 être transcrit sur les registres du magasin
général. Cette formalité inutile et gènante a été supprimée
par la loi de 1858. Aujour<l 'hui, le récépissé, que la marchandise soit warranléeou non, n'a nullement besoin d'être
transcrit.
Pour l'endossement du warrant séparé de la loi exige une
nouvelle condition. « L'e ndossemenldu warrant séparé du
récépissé doit en outre énoncer le montant intégral, en
capilal et intérêts de la créance garantie , la date de on
échèance et les noms, profession et domicile du créancier.»
Ce n'est que l'application du droit commun , c'est-à-dire,
l'énonciation de la cause de l'endossement. En effet, la
somme prêtée e t bien la valeur fournie en échange de la
concession du gage. Quant à la date de l'échéance, il importait qu'ell e figurât dans l'endos, afin de faire connailre au
porteur du warran t à quel moment il pourrait exiger le remboursement des sommes prôtécs.
Le second paragraphe de l'article 5 prescrit la mention du
nom, et en outre, de la profession et du domicile du créancier.
(2) Ai:t. 24 juillet 1867.
�-
144 -
Lïndication du nom e t évidemmentde toute néce sitéau 1
bien dans l'endos emenL du récépissé que dans celui du
warrant. Jou ne voyon pa" contre aucune raison déterminante pour l'indica tion de la profes' ion el du domicile que
l'article 137 du Code de commc1·ce n'exige pas en matière de
letlre de change.
La formule de l'endossement du warrant sera clone la suiYante, dans la pratique: Ilon pOUl' transfert du pt·ésent WUl'rant, à l'ordre de X... , demeurant ù ..... , pour garantie de
la somme de . .. . .. payable le ..... Signature et da le.
Toutes ces mention étant exigées dans l'intérêt des tier ,
Je défaut de l'une d'elles pOUl'l'a èlre invoquée par tonte personne intéressée.
En.fin, une dernière fo1·malilé e t exigée par l'article 5 :
« Le premier ce sionnaire du warrant doit immédiatement
faire transcrire l'er:do sement su1· les registres du magasin
avec les énonciations dont il est acco mpagné. Il est fait
mention de cette transcription ur le warrant. »
Si l'on se reporte ù l'exposé des motifs de la loi de 1858 on
trouve la justification de cette formalité basée uniquement
sur cette idée que l'cndossemen t du warrant valant nantissement, et l'acte con LatanL celui-ci devant être enregistré
aux terme de l'article 2074 du Code civil, ]a lranscriplion
sur les registres tiendrait lieu d'cnregi Lrement et produirait les mêmes effets. Mais depuis la loi de 18 63 qui a supprimé pour le gege commercial la nécessité de l 'enregis lrement, la formalité de la Lran cription du warrant e t-elle
encore exigée? Dan s le cas de l'affirmative comment peutelle être justifi ée au fond ?
La question s'est posée devan t la Cour de Paris en 18GG . ( 1)
Les Magasins Généraux de Paris soutenaient que la transcription du premier endossement du warrant n'était qu 'une
formal ité purement facultative et non une condition de
(1) Paris, 1" déc. 1!166. -
Trib. de Corn. de la Seine, 13 oct. 1881.
-
14:> -
l'exislence du privilège du nanlh;emenl accordé au ces ionnaire, et cela, même avanl la loi de 1863. lis p1·éLcndaienL
s'appuyer à cet effet sur l'article l li du docreLréglemenlaire
du 12 mars 1859, lequel dépose que tout cc ionnaire du
wanant peut exiger la Lranscl'i pLion; d'où il résulterait que
la transcription est facultalive à l'égard de tou· le cessionnaire', san distinction. Us ajoutaient que, dans Lou;; les ca· ,
en supposant que la loi de 18:i8 eût voul u rend re la Lr:tn cription obligalo ire poul' le premier cndo emenl , celle
lranscripLion n·aul'ait plus d'obj et depuis la loi de 186:3 .
Le premier argument ne peul ré· isler à un examen
sérieux. L'a1ticlc ;; de la loi de 1858 ùétermine sous une
forme impérative le- condit ion· que doit remplir l'cndo. ·ernent du warran t pour valoir nantissement. Aucune di stinction n'est 6Lablie entre le · di[él'enLes prescription· : elle·
ont faites dans le mème Lerme· et., par con· équenl. elle·
ont toutes le même caraclèrcel la m~meforce. En admettan t
même que k décl'ct de 1859 eûl donn é~tl' arti cl e ;)une autre
interp rétation, celle inlerprélalion CtTonée ne pourrai t
prévaloir con tre Ja loi elle-même. Mai le décret de 1859 ne
mérite en aucun e façon un reproche de cc genre. Tou t cc
qui concerne lu tran ·cription du premier endos-emcnt ·e
trouvait réglé pnr la loi : le décret n'avai t donc pa,; à 'en
occuper, cl il ne 'en c·t pa occupé. Toutefuis l'expérience
avait démontré que l<'S ce·sionnaires ultérieur · pournient
aus i amir intérêt à cc que leur droits fu ssent connu:. tlan ·
certain - ca ·, el c'c ·t ü cet inlérèt que l'art id e Hi clu décret
de 1859 a rnulu donner satisfa ction.
Sou l'empire de la loi de 1858, cl antérieurement ù la loi
tl c 1863, la transcription 'du premier endossement du warrant était don c une formalit é rigoureusement obligatoire.
Mais cette obligaliou sul>siste+elle eucorP depui - la loi de
1863? L'affirmative est admise générnlemcnl. L'arrèl précité de la Cour de Paris a décidé que la transcriplion étai t
néce snirc po ul' donner dnte cC'rtainc ù la première ec ~~ i on
IU
�-
l·IG -
ùu warranl que c'6tail une formal ité sub tan lielle el indispensable pour Yalider le nanLi ' cmcnt à l'égard des Liers el
que .i usqu·ù celle L1·an . c1·iption le s mm·chandises d6pos6cs
pourraient ètre l'obj et d'une saisie-arrèt de la part des créanciers du déposant. (1) C'es t qu'en effet la lranscrip lion n'a
pas pom unique obj et, comm e l'enregisL1·ement, de donner·
date certaine à l'acle de nantissement ; ell e est indispen able pour révéler aux administrateurs du magasin dépo ilaire
l'existence et l'importance de droit conférés par le dépo'anl sur la marchanùise. Elle a de plus un autre bul que
!"exposé de motifs aYait J ui-même sig nalé dans les Lerme
suivants: « La transc ription de cet endos ement aura d'ailJem" ce résultat utile qu"ell e pe rmellra à ceux qui y auraient
intérêt et droit de recourir au maga in pour connaître d'une
manière officielle et authentique quelle est l'imp ortance de
la créance dont la marchandi e e t g revée. » C'est la transcription qui permet au ce ionnaire du récépissé, acquéreur de lu marchandise, de se renseigner et de traiter en
connai-sance de cause avec son endos eur. C'est elle qui
permet au porteur du récépissé qui veut dégager la marchandi se, quand le porteur du warrant e ·t inco nnu. de Ir
fa ire, en lui donnant l'évaluation de uc qu'il doi t consig ner.
La tran cription a donc encore aujourd'hui sa raiso n d'être
et cela suffit pour que la dispo·ition qui la prescrit doive , il
défaut d'abrogation cxpre :>e. continuer à recevoir · on exécution.
La nécessité de la transcription n'ex iste que pour le premier endossement et non pour les endossements ultérieurs.
Tandi s que le premier endo ement constitue l'acte du nantissement, ceux qui sui vent ne sont plus que des transferts
du bénéfice de cet acte à de ces ionnaires successifs et,
rntre leurs mains, le warrant est une sorte d'e ffet de commerce , avec pri vi lègc sm crrtainrs valeurs, qni circule corn.me
(1) Rouen , 25 août 1874.
-
llî -
tout autre effet de commerce. Toutefoi le règlement du 12
mars 185 9, ain i que nous venons de le voir, laisse à tout
ce· sionnaire du r6c6pi sé ou du warrant la faculté d"exiger
la lranscription de l'endossement fait à son profit. Celle
transcription pourra en effet avoir son utilité dans les cas
pr.évus par les articles 6 § 1cr et 8 2 de la loi de 1858. c'eslà-dire ceux où le porteur du récépi sé voudra se libérer, soit
avant l'échéanuc , soit à 1'6chéancc, et CJUC: Je porteur du " arrant ne e présen lr pa ' .
s
11 l.
Hf:Al.ISATIO:X.
1• Du paiement volontaire
Le débiteur doit payer la delle garantie par Je "arranl au
moment de on échéance. Le paiement doit 1\tre fait au 1wrteur du \Yarranl.
L"article G dr la loi ùc 1858 conlienl une rkrngation ù ces
deux principes.
En-thèse générale, d'après l'article 11 8ï du CoLlc ci \'il, le
Lerme est pré umé stipul6 en faveur du débiteur, d"où il
résulte que le débiteur peul e libérer <n ant J"échéancr de
sa delle. Mais d'autre parl, en matière de lettres de changl'
et de bille ts à ordre, le débiteur ne peul contraindre le porteur il recevoir le paiement avant l'échéance. 1.\.rl. 1iG el
147 C. corn.) La loi de 1858, en ce qui concerne le-;
warran ts. a imaginé un ·y'lème qui permet au débiteur de se libérer par anlicipation , ' ans forcer le creancier à accepte r un paiement qui ne erait pas àsa conY nance .
L'intérèl du débiteur à~e libé t·er avant l"ëd1('<llll'.C est incunteslable en bien des eus, soit que la marchanù ise pui se ~t1·c
menacée d'avarie si ·on séjour dan le:; maga::.ins se prolonge, soit parce que Io cour~ ùu moment est favorable rl
que la vente n'est po-siblc qu'à la condition d'une linai:;un
immédiatr. L'article li dl' la loi dr 18ti8 pOI"le dune q111• 11 le
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1--18 -
porteur du récépissé sép:.wé du warrant peul, mème avant
l'échéance, pa) er la c1·éance garantie par le " arranl. »
Dan ce cas. deu\. h ~ polhèses peu veut e présenter, selon
que le porteur actuel clu \\ anant est connu ou inconnu de
l'emprunteur.
Leporleur du warrant est connu. lei ùeux. partis s 'oll'raien t
au légi laleur : ou forcer le prêteur à recevoir un vcT"scmenl
anticipé, en réglant les co nditions du paiement ; ou bien
laisser am parties le ~o in de s'entendre ~ ut· ces conditions
el, si elles ne tombent pas d'accord, tro uver un mode de li béralion qui sau\'cgardc égalc111enl les drnils cL la liberté
de chacune des part ies.
Dan' le -y:;tème des décret· de 1848, le rembomsemenL
anticipé ne pouvait èlrc refusé par le prèlcur , el il devait être
tenu compte à l'emprunteur de intérêts ü couri r ,iusqu 'à
l'échéance. sous la déduction d'un intérùt de dix j ours alloué
au prèleur comme indem nité pour le déplacement imprévu
de ses capitaux. r.ettc disposition qui figurait dans le projet
de loi présen té par le Gouve rnement i.l été abandonnée par
le Corp ~ législatif pat· le motif que si, contrairement au drnit
commun, on obligeait le prùteur à subir un remboursement
anticipé, onnc ferait que rendre Jcs pl'è.ts plus difficiles.
Dans le sy- Lème consacré par la loi <le 18 58, si le porteur
du warrant csl connu , le déposant peul s'entendre avec lni
pour le remboursement anticipé cl cmpècher ainsi, d'un
commun accord , les inlé rèb de coul'ir : le porteur du warrant examine s 'il ~ a a\trnlage pour lui à accepter cc r emboursement c l indique les condi tions aux.quelles il · ubordonne on con entcmcnL. Que i, au con trnire, le créancier
refuse d'èLre payé avant 1'6chéancc, l'article () de la loi de
1858 décide alol's que la somme duc, compri s les intéréls
.i usqu 'àl'échéancc, sera consignée àl'admit:.istralion du mao-asin générnl qui en demeurera l'Csponsahle, et celle con~i
gnation libérera la marchandise.
La même ·olutiou l'~ t app licabl1• au cas où le porteur du
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14!) -
"arranl est inconnu. « La nôce sité de consigner la totalité
de intérêts , dit le rapporteur de la commission, n'arrêtera
pas sérieusement le débiLeur qui voudra se libérer, car la
différence du taux. annuel de l'in térèt ne portera jamais que
sur une dur6e assez courte, et, réduite en chiffres, elle ne
saurait balancer l'avantage qu'il pourra avoir à recouvrer la
libre disposition de sa marchandise.» En tout cas, le porteur
du warrant peut, en renonçant aux intérèts non encore courus, se présenter à Loule époque au magasin général pour
se faire payer ur la somme con ignée, con tre remise du
warrant, Je reliquat dc,·anl ètrc restitué à l'emprunteur.
Le choix de l'Adm inï-tralion de magasins généram pour
recevoir la consignation du paiement 1.1 'a pa · été fait · ans
hésitation. li exi te , en effet, une institution spéciale chargée
de r ecevoir, sous la surveillance de l'Elal, les dépôts et Je·
consignations des particuli er , c'est la Cuis e des dépôL el
consignations . L'exposé de motifs de la loi de 1858 reconnaît que les règles imposées à cette Cai e, pour le paiement aux ayanls-droits de fond qui lui sont déposé ,
eussent été de nature à effl'a yer le commerce el ne s'expliqueraient pas pour lui dans un cas où il ne s'agit pas de
ommcs litigieuses débattues ent re plu ieurs ayants droit.
Le magasin général olîrc de· garantie · uffi antes, par on
cautionnement, par la , mveillancc dont il est l'objet de la
parL de l'ElaLel. urtout par son inlérèt qui lui commande
une crupuleu e fidélilé dan- le ervice de la consignation
des créances garanties .
.\.défau t de con ·ignal ion , ln rnarchandi ·c n'est pas libérée; en conséquemc l'e\ploilant du maga-in gé néral qui
s'en de saisit, ·an que la somm e ail été consignée, c L
respon sahlc du rnonlan t de la créance garantie et des intérèts de celle créance ,insgu'i\ l'échéance.
L'article 6 de la loi de 18:18 vi se le cas de la con ignation
intégrale: mai~ que décid er en l'a · de con ignalion partielle? Si la marc hancli c est divisible sans déprôcialion, le
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150 -
déposant ne pourra-l-il pa -, en consignant partie de la
somme, retirer partie de la marchandise? Le droit du porteur du warrant n·e-L-il pa sam egardé, s'il est garanti . et
par de marchandi~ es, cl par un e som me d'argent représentant une certaine quantité de ce marchandises? Le texte
<le l'article 7 ne prévoit que la consignation de la somme
entière ; sa solution ne doit pas ètre étendu e à la consignation partiell e. En décidant ain i nons reston dan !es principes qui régi sent le contrat du o-ao·r et nous nous conformons à l'intention même des parties. En effet le gage est de
sa nature indivi -ible; chaque partie de !"objet donné en
garantie répond de la totalité de la somme empruntée.
n·autre parl, le créancier , en accep tant le wanant à titre de
garantie, a formé un con trat qui ne peut être modifié en
ub -tituant à une certaine quantité de marchandise déposées une ·ornme d'argent. Lorsque ta somme entière
r~npr~ntée el le intérêts du - à l'échéance sont déposés, la
s1tuat10n du Cl'éancier n·est pas changée, il a à sa disposition
la somme prètée, 0'est tout cc quïJ peut ex iger ; il en serait
autrement s'il e trouvait en rrésencc d'une certaine somme
d"argcnt et d'une certaine quanlitô de marchandise . Comment estimer la valeur de marchandise retirées eu éo·ard
. 11
.
,
b
a ce ~s . qui demeureraient dans les magasins généraux ?
Les Irais et les lenteurs d'une expcrti e seraient manife lement contrai re au but que ·'c t constamment proposé le
léo-islateur. (1)
Le déposant pourra facilement éviter les inconvénients de
~otr~ sol ~ti on ; i.l n'aura qu'à u cr de la faculté que lui donne
1article 1J du decrct du 12 mars 1839, c'e t-à-dirc fracti onn~r son dépôt. exiger plusieurs warrants et plusieurs r écépi ssés. (2) Il lui sera possible alors de retirer en plusieurs
( I] Pa ris, 3 a~'t'. 1877. - Trib. dt> Com . Ma1·seill e . 20 oct. 188 1,
co nfi rmé par arrc•t de la Cour d' Aix dn t( févri er 1882
(2) Rouen. 7 juin 1873.
·
-
151 -
fois les marchandi:;e ùéposées, en consignant les sommes représentant celles port ées aux divers warrants.
En dehors du paiement, la delle garantie par le warrant
peut être éteinte par les autres modes du droit commun : la
novation , la remise volontaire, la compensation, la perle de
la chose due, la prescription. Certain de ces mode ne soulèvent aucune question particulière; il suffit de se reporter
aux princip es généraux du droit el à ceux plus ·pêciam qui
régissent le valeurs à orèk e. Ain i pour !a remise de la
dette. la compensation, la confu ·io n. Cer tains autres, au
contraire, demandent quelque mols d'explication .
A. défaut de paiement à l'échéance, le porteur du warrant et le débiteur peuvent convenir d'éteindre la delle
primitive et d'y ub. tituer une dette nouvelle : c'e ·t
r exLincLion par norntion, qui prend alors dans la pratique
commerciale Je nom de renouvellement. Le légi lateur ne
s·est point occupé de condi tions de ce renouvellemenl. On
procède dans la pratique de la manière suivan te : le prc'lenr
el l'emprunteur se rnntlent auprès du magasinier ; celuici, de leur con en Lemen t, annule rancien warrant el en
donne un nouveau en blanc au créancier, qui le fait remplir
par l'emprunteur, en ajou tanl i\ la créance les nouveau\
intér6ts qui seront dus à l"e\'.piraLion de la prolongation du
délai et indiquant la cause de la nouYelle créance. 11 est alor:remis au maga inie1· qui l'inscrit ·ur ·on regi'lre. le igue
et le remet au prêteur.
La perte de la cho e duc éteint la delle. I: artirle 10 de la
loi de 1838 conti ent à cc snj cl une dispo. ilion ·pëcia le qui
déroge au droit commun : « Le porteurs de récépi ·sé· cl
de warranlsonl su rie indcmnilo' d'a urances due., en Ca$
de sinistt·es, les mèmc dl'oils cl privil ège que sur la marchandi se a suroe. » 1l est admis généralement, en matiè1·c
hypolh6cairo, que le créancier n'? pa , en ca d'inc~ndic d~s
Mtimenls ur lesquels porta il on hypothèque , droit de pre-
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152 -
férence ur le · ind emnité· que l'as urance pourra procurer
à .on débitem ; ce qu·on explique en di ant que la som me
payée par l'assurance, ne représente pa la mai so n incendiée,
mais plutôt les primes pa~ ée par le propri étaire de l'a·sureur. Sans discuter la valeur de cetle raison, nous voyons
que dans lïntérèt du co mm ~rce le législateur de J838 a
édicté une di po ition toute péciaJc que la jurisprudence
interprète dan ' le sen · le plus restrictif. En e[et, la Cour de
Cassation a décidé que le droit du porteur du \rarrant ne
s'étendrait pas à l'indemnité accordée par une loi pourréparation du dommage résultant da l'incendie de· marchandises pendant une in · urreclion. ( 1)
La loi n·a prérn que le ca dC' de · truction par incend ie, de
la marchandi e déposée. Ell e n'a pa résolu la queslion de
aYoir pour le compte de qui périrait la omme dépo ée
conformément au'\ pre criplions de l'article 6, dans le cas
où le maga ·in dépositaire vena nt à tomber en faillite n'aurait
plus le moyen de rembon1"er. La solution de celte queslion
a été laissée à l'appréciation <l es tribunaux, c'e t ce que
déclare expressément le rapporteur de la loi de 1858.
Nous parlerons plu · Joincle · effet de la pre ·cription.
2• Du défaut de paie ment
Comme le parleur a·un billet à ordre, le porteur du "arranl doit se pré enter ù l'échéance ; à défaut de paiement. il
doit faire prote Ler Je \\ arrant. faire procéder en uile it la
vente des marchandi e ·. pour ·c payer par pri\'ilège sur le
prix en prorenanl. Si le prix ne suffit pas à le désintére . er,
il peut poursuivre prr onncll ement, soit Ir débitr m , sailles
rndos ·eurs.
'' A défaut dr paiement à l'échéance, diL l'a rticle 7 de la
loi. d~ 18 58, le pm·Leur du \\ arranl séparé dn r(•cépi sé peut ,
hu1 lJOu1·s après le prolèl, et sans aucune formalité de jus(! ) Cass.,2 aoùt 1880.
-
153 -
Lice, faire procéder à la venle publique, aux enchères et en
gro , de la marchandise engagée dans les formes el par les
officiers publics indiqué dans la loi du 28mars1858.
«Dans le ...:as où le souscripleur primilif du warranl l'a remboursé, il peul faire proc6der à la vente de la marchandi e
comme il est dit au paragraphe pl'éc6dent, contre le porteur'
du récépissé, huit jours après l'échéance. ans quïl soit
besoin d'aucune mise en demeure. »
La loi de L8:.i8 ne con tienl aucune disposition spéciale
relativement au protêt; les règle à · uivre seront celle du
droit commun.
liuitjours apl'ès l'acte de protêt, Je porteur du " arrant
peul faire procéder à la vente de la marchandise. La législation de 18 i8 avait déjà dispensé le porteur de faire ordonner par ju lice la vente du gage. mai · elle avait maintenu la
nécessité de recourir au Pr·é ident du Tribunal de commerce
qui , sur la simple production de l'acte du protêt. ordonnait
la vente de la marchandi e. Cette formalité était ans intérêt
sérieux ; la loi de 184 8 l'a supprimée . Donc, aujourd'hui ,
hui t jours après le prnlêt, ans autre sommation et ans formalité dej us lice, le porteur du warrant peut faire procéder
à la vente de la marchanrii e. Sur la présentation du warrant prote "Lé, !'Administration du maga in général, au'\
termes du décret de J 859, est tenue de donner au courtier
dé igné pour la vente toutes facil ité· pour y procéder ; elle
délivrera en uile la marchandi. e à l'acheteur sur le vu du
procès-verbal de la vente el moyennant: 1° la justification
du paiement de · droit cl frais privilégiés ain i que du
montant de la somme prètée sur le \\arrant ; 2° la con -ignaLio n de l'excédant. s'il en existe, revenant au porteur du
récépi sé, lorsque ce dernier ne e pré · ente pas au moment
de la YenLc.
L'article 7 ci-dess us rnpport6 prévoit, dans son second
paragraphe, le cas où le souscripteu t· primitif du warrant tt
remboursé i't l'éch6ancr la cré·ance au porteur actuel, le
�-
154 --
récépissé ayant élé par lui négocié : le souscripteur se trouvera subrogé aux droils du parleur, c'esl-à-dire qu'il pourra
dans les huit jours de l'échéance eL san - aucune mii:;c Pn
demeure, faire vendre la marchandi c comme aurail pu le
faire après le prolèt, le parleur du warrant non remboursé.
Il ne pourrait en Mrc autrement, car le parleur du récépis é
e-Linconnu; celui-ci d'ailleurs, en s'adre!:>sant au magasin
général, pourra se renseig ner sur l'échéance de la de lle
garantie par le warranl et co nnallrc ainsi lejour de la rente.
\.e cas avait échappé aux auteurs du projet de loi ; la commi sion répara l'omission en aj outant un second paragraphr
à l'arlicle ï.
Remarquons que si la prohibilion du pacle commissoire
· ubsiste en principe , puisque la loi de 1858 ne l'autorise
poinl expressément, il n'en est pas moins nai que dan:; la
pratique le parties auront un moyen parfaitcmcnllégal pour
éluder la prohibition . Il suffira, en eficl, an débiteur du
warrant d'endosser le r6cépiss6 au nom du porteur du ,qn·rant: celu i-ci, à défaut de paiement à l'échéance, n'a pas
besoin de faire vendre, puisqu'il a les deux titres el, par
uite, la pleine propriété de la marchandise .
La vente effectuée, le créancier porLem du warrant cs L
payé de sa créance sur le pri"< d'adjudicaLion, directemenL
cl sans formali Lé de justice, sans aulrc déducLion que
celle :
1• Des contributions indirecLc -, des la,es d'octroi el des
droits de douane dus par la marchandise;
2° Des frai s de vente, de magasinag<> el auLres faits pour
la conservation de la chose.
La provi ion du warrant peul touj ours èlre vérifiée. P our
donner toute facilité au porteu r du warrant <le se rendre un
compleexacldes frai s qui gr1\ven l la marchandise, l'article
17 llu décret de 1859 dispose que « à Loule époque, l'Admini~tralion du magasin général e:> Llenue sur la demande du
porteur du rècépissé ou du warranL ùc liquider les dettes et
-
155 -
les frais énumérés en l'arLicle 8 de la loi du 28 mai 18 58 sur
les négociation· de marchandises cl dont le privilège prime
celui de la créance garantie par le warrant. Le bordereau de
liquidation délivré par J'adm ini sLraLi on du magasin général
relate les nnm éros du recépiss6 el du warrant auxquels il e
réfère. »
Le privilège du parleur du warrant se présente donc dans
les conditions les plus favorable::;. JI n'est prim é que par les
deux catégories de créance énumérées ci-des us. Encore
pour la première la loi de 183 8 conlicnL-elle une dérogation
au droit commun dan~ l'inlérèl du commerce. Celle dérogation consisle en ce que la marchandise engagée est a[ranchie du privilège gén ~ral de la Douane et de la Régie · ur
effets mobiliers des redevable , en Lanl qu'il s'agit de droit ·
dus par le di po ·ant. Le privilège général aurait pu inqui éter les prèleurs, puisqu'il pouvait éventuellement absorber
la valeur entière de la ma1·chandisc .
Celle disposition peul-elle èlrc élenclue à toute marchandise donnée en gage? La .i urisprntlence 'csLtoujours prononcée dans le sens de la négative. La r0~ Lriction au privilège
de la Régie a été faite par une loi spéciale, dans le bul de
favori ser l'inslilulion clc magasins générau·c La loi générale de 18G3 ne l'a pas reproduite; or, en matière de privilège, on ne saurait raisonner par analogie ; lout esl de droit
étroit. D'ailleurs, les Lrn\'aux p1·6paratoires de la loi de 1 63
nous montrent qu'une pro po ·ition d'étendre la nou\'Clle
disposition à un ca plus général fut repou:> ' ée par la commi ·sion. (1)
Il arrivera le plus son vent que le prix provenant de la' ente
de la marchandise engagée era upérieur au monlanl
de la créance; dan s cc cas, le porteur du récépi' sé aura droit
à l'excédant. S'il esLpré ent i\ la vente. ceL excédant lui -era
(1) C11en, 15 janv. 1870.
•
�-
136 -
-
remis directement, sinon l'excédant devra être consigné à
l'admini· Lration du magasin général (art. 8 § 2).
Mais si la réali ation de la marchandi e ne suffit pas à
counir le montant de la créance warrantée, la loi accorde
au porteur un rccom s subsidiaire contre l'empru~te~r et
les endosseurs. L'article 9 de la Joi de 1858 règle arns1 les
conditions de ce reco urs : cc Le porteur du warrant n'a de
recour- contre l'emprunteur et les endosseurs qu'après avoir
exercé ses droits sur la marchandise, et en cas d'insuffisance.
Les délais fix és par les articles 165 et suivants du Code de
commerce, pour l'exercice du recours contre les endosseurs.
ne courent que du jour où la vente de la marchand ise est
réalisée.
cc Le porteur du "arrant perd en tous cas son recours
contre les endos·eur 'il n·a pa fai t procéder à la vente
dans le mois qui uiL la date du protêt. i>
Cet article modifie ur ce point la législation de 1848 .
D'après l'article 11 de l'arrêté du ministre des finances du
26 mai 1 848, le cessionnaire porteur du récépissé , titrn qui
:;erYait à la foi s dï11'lrumcnt de gage et d'instrnment de
crédit. pouvait, à son choix, exercer son recours contre les
emprunteur et les endosseurs ou sur la marchandise déposée. Le propriétaire engageait ainsi es marchandi ses sans
dégager so n crédit personnel. Cette facul té d'option avait
µrornqué le réclamations <lu comm erce qui déclarait ce
double recours inutile, c limant qu e les garanties résultan t
ùu warrant étaien t uffisante::,. La loi nouvell e n·a conser vé
le recou1" contre le- garants qu'à Litre subsidiaire pour le
cas ·eul ement ou la l'éalisation de Ja marchandise n'a pas
suffi à désintéresser le porteur du warran t.
Tou tefois celle règle n'est point d'ordre public. Le rapporteur de la comrn i ion a réset·vo expressémen t pour les
partie::. le droit d'y déroger par une convention exp resse.
« Votre commission , dit M. Anccl, n'a pas, du r este, entendu
infirmer le droit, qu'aul'aien t touj ours les parties, de stipuler
1:57 -
que la responsabilité personnelle pourra être réclamée,
avant même la garantie de la marchandise. »
Pour con erver so n recour contre les endosseurs, la loi
soumet le rapporteur du warrant à certaines obligations
pour lesquelles elle renvoie en principe aux dispositions du
Code de commerce concernant la lettre de change. C'e t
ainsi que le refus du paiement doit èlrr con talé par un
protêt fait le lendemain du jour de l'échéance; qu'en uite
du protêt les garant doive nt être cités en jugement dans un
délai de quinzaine. Mais le point de départ de ce délai e t
fi"Xé d'une manière pocialc par la loi de 1858 . En droit
commun le délai de quinzaine part du jour du protêt ; ce
dolai assez restreint c l uffisanl puisque. dès le lendemain
du protêt, la notification cl l"as ·i a-nati on en j u lice peuvent
être lancée ; mai , en la matière qui nous occupe, le recour·
éta nt sub idi aire, c'e t-à-dire ne pomant 'exercer qu'autant que la vente de marchandi ·es n·a pas suffi. à désintéresser le porteur du warrant, le délai Ol'tlinaire eut été trop
court ; la vente ncpouYant avoir lieu que huit jour après le
protêt et certaines mesure devant la précéder, les délai
IJ.US enl été expirés avant que le portcm du bulletin pùl
savoir i son recours élait ouYert. C'p ·t pourquoi la loi de
1858 ne fait courir le délai de quinzaine qu'à partir du jour
ou la vente e l réali ée.
i\Iais il importait que cc point de départ ne pût ètre indéfinimen t reculé par la négligence ou la mauvai ·e rnlonté du
porteur du warrant. Pour ' aU\'egarde1· les intérêts des
endos ·eur· , la loi a impo é au porteur l'obligation de réaliser la vente clan - le moi qui suit la date du protêt, à peine
de déchéance.
Cette déchéance ne vi, e que l'action contre les endo ·cur ; elle ne poul'rait être opposée par l'emprunteur, premier endo sseut', lequel n 'e Lpas , eulomenl tenu de a dette
sur la marchandi se, mai est engagé per--onn ellemenl au
remboursement du prêt. S'il en r lail autrement, l'emprun-
�-
158 -
leur se serai l enrichi ~ ans cause aux dépens du porteur.
pui ~ quï l aurait touché une omme upérieure au montant
de marchandises qu 'il aUl'ait livrées en gage. La situation
des endo seurs est tout autre ; ceux-ci ayant déj à fourni la
Yaleur à leur cédanl immédiat, n'opposent la déchéanceque
pour ne pa payer deux fois. Cependant, si l'emprunteur
pouvait établ ir que la marchandi e aurai télé d'une valeur suffisante pour payer la créance et le frais, si la vente avait été
faite dans le mois et que le retard que le porteur a mis à
poursuivre la vente e t la eau e de la dépréciation, le porlenr serait mal fondé à réclamer, pui qu'il devrai t s'imputer
à lui-même la perle qu'il subit. Celle olution correspond à
cell e de l'article 178 du Code de commerce qui affranchit le
tireur d'une letlre de change de tout recours du porteur,
lorsqu'il ra eu provi ~ion suffisante.
Le délai maximum d'un moi , impo é au porteur pour
réaliser la vente n'est point une di po ilion d'ordre public
à laquelle des convention particulières ne puissent déroger.
S'il ~e présentait des cas où l'ajournement cle la vente fü l
avantageux , les parties pourraient prendre entre elles, àcel
égard, telles décision qu i lem paraitraient convenables.
Nous déciderions lou l autrement s'il s'agi ssait d'abréger le
délai minimum de huit jours qui sépare l'échéance de la
vente. C'e t un délai introduit dans lïnlérêt du débiteur el
et les délais de cette nature ne peuvent être r estreint par
des convenlion où l'emprunleur ubit toujours plus ou
moins la loi du prêteur.
La loi de 1838 ne parle pas du recours de l'endosseur qui
a désintére é le porLeur. L'arLicle t 67 du Code de comm erce
est ici pleinement applicab le. L'endos'eur qui a payé esl
légalement subrogé aux droils du port eur : il a les mêmes
droits et les mêmes devoir que lui , seul ement les délais ne
courent conLre lui que du lendemain de la da le de la citation
en justice.
Que fau l-il décider en ce qui touche le point de déparL des
-
15!) -
délais, si l'endosseur a rembour é volontairement le porLeur
sans attendre des poursuites? Ni la loi de 1858. ni le Code
de commerce n'ont prévu le cas. La question a été controversée. Toutefo is .l'opini on presque générale est qu'il faudra
prendre pom poin l de départ des d6lais, le remboursement
volontaire dont la preuve pourra · e faire conformément à
l'arlicle 109 du Code de commerce.
La loi de 1858 ne contenait aucune disposition relalive à la
pre cripli on de action naissantdu warrant. Il faut se référer
l'article 189 du Code de commerce: « Toutes actions relatiYes aux lettres de change et à ceux des billets à ordrn souscrits par les négociants. marchands ou banquiers ou pour
fail~ de commerce, e pre cri vent par cinq ans. à compter du
jour du prolèt, ou de la dernière poursuite juridique, s'il
n'y a eu condamnation, ou si la delle n·a été reconn ue par
acte épar&.» Les mêmes raisons qui on l déterminé le légistem a abréger pour les lellre de change les délais de la prescrip tion du droit commun existent pour les warrants. JI
impor te, en elJet, au commerce que les négociants ne soient
pas trop long temps sous le coup des action qui peuvent
ré ulter des elJel sur le quels il ont apposé leur ignalure.
lln délai de cinq anse L bien suffisant; qnand on le laisse
pa er. on peul pr6 umer qu' il 1' a eu paiement. Le rnème
inlérêt du com merce exige en outre que des marchandi'e.
ne soient pas grevée d'un droit de gage pendant lrenlr
ans.
l\Iai ' quel 'Cra le point de départ rle celle pre cripLion ·?
L·article précité fixe à ce t effet le jour du protèl, en Yertu de
ce principe qu 'une action ne peul . e pre crire que du jour
où ell e est n6e, c'est-à-dire du jour où l'on peul l'intenter.
Par application du mème principe nous décidero n que, pour
la dette garantie pal' un warrant, les cinq an ne commencent à courir que du joui' de la vente de b marchandise ;
ce n'est, en effet, qu'à partir de celle époque que le porteur
�-
160 -
du \rnrranl peut exercer so n rcconrs contre l' emprunteur.
La p1·ésomption de paiement résultant de la prescription
quinquenale doit ètre appuyée, i le créancier le requiert,
du serment J!rèlé par le débiteur.
L'article 10 de la loi de 1858 apourbutdefacilileraux
porteurs de warrant l'accè des établissements publics de
crédit: Banque de France et Comptoirs d'escompte.
Aux termes de leurs sta tuts, ces établissemen ts ne peuvent escompter le efl'et de commerce que dan s certain es
conditions, notamment -i le· e[ et- sont revètus d'au mo in s
deux ou trois signatures notoirement solvable , selon qu'il
·agit de la Banque de France ou des Comptoirs d'escompte.
L'arrêt du 28 mars 18 f 8 autorisai t la Banque de France et
le Comptoirs d'e com pte à admettre les récépissés comme
troisième ou seconde ignalure, mais il fallait en ou tre
l'adjonction d'un hillelà ordre, car , ce que les établissements
escomptaient ce n 'étaicn t pas, à proprement parler, les récépissés, mais les billets auxquel::; ces récépissés adjoints
tenaient lieu d'une signature.
La loi de 1858, considérant le \\'Unants comme de vrai
effets de commerce a modifié la législ ation de 1848 , rnpprim é la formalité inutile du billet à ordre adjoint et autori é
les établi cment public de crédit à escompter directement
le warrants, a,·cc di pcn:;c de l'une de ignatures exigées
par leurs statut' . Par con ' équcn t ln llanque de Fran ce reçoit
aujourd'hui le- warrants revèlus de deux ignature , el les
Comptoir d'escompte les reçoivent revèlus d'une seul e
signature.
POSITIONS
l.
DROIT ROMAIN
I. - Le créancier gagi te, qu i use de son droit de vendre,
faute de paiement à l'échéance, agit proprio Jure et non
procuratorio 1wmi11e.
II. - L'interdit alYien, à l'époque du droit clas ique, ne
s'appliquait pas à i'hypothèque en général, mais était resté
p1·op r e au locator d'un fond cural.
III. - L e pign.us 1w1n.inis est moins un gage qu'une hypothèque d'une nature spéciale.
lY . - Le subpignus sous-eatend un 1ng;w.1' n.omùiis.
1J.
DROIT CIVIL ET COMMERCIAL
T. - L'enregi treme nt de l'acte constatant le gage n'est
exigé pa1· l'a1·ticle 2074 du Code civil que pou1· donner à. cet
acte date certaine à. l'égard des tiers; il peut donc être suppléé
conformément à. l'article 12:38 du Code civil.
I l. - Quand on constitue eo gage le droit à un bail, il n'est
pas nécessaire de mettre le créancier gagiste en possession
des lieux loués; il suffit <JUC le constituant lui remette le titre
constatant lo bail.
III. - Le droit de rétention est opposable aux tier .
IY. - Le 1·eport ne constitue pas un prèt sur nantis ement.
Y. - Le commissionnaire -acheteur n'a qu'un droit de
r étention.
Il L. Dnorr
CRJMllŒL
I. - L'agg·1•avatio u de peine r és ultant de la <J11ali tu de l'auteur
principal doit s'étendr e nu <on1pliec.
0
�II. -
lô2 -
Un individu po ur uivi p o ur crime et a cq uitté d evant
la Co ur d'assises peut ètre p ours niv i ,pour Je même fait , devant
le Tribunal correctio nn el.
l\' . DROIT
TABLE DES MATIÈRES
A D~llNl~T RATIF
DROIT
l. - La loi dn 23 mars 1855 n'a pas m odifié la l oi dn
3mai184 1, eu ce qui concerne l es effets de la t ranscr iptio n du
jugement d'expropriation.
il. - La question de savoir si le propriétaire d' un e usine à
laquelle !"eau d' un g ra nd cours d'eau est amené par un béal doit
~tre pré umé propri étair e de ce béai o u n 'a.voir sur lui qu' un
dr oit de ser,·it ude ne comporte pas une solution absol ue.
i ·u
w11·
le P résident cle l a t hëse,
A.. LAURIN .
\l n et permis dÏmpl"i mer :
L e R ecte111-,
BELIN.
ROMA I N
Int ro ductio n. . . .
CHAP. l °' - F o1·mation du pig1ius . . .
l. - Caract èr es gén éraux .
II. - De la capacité des part ies.
lll . - De l' obj e t du gage . . . .
CttAP . IL - Effets du pignus. . . . . . . .
1. - Du pignus cons idéré comme droit
réel . . . . . .
~ 1" - Ju~ rele1ilio1tù .
~ 2. - J us possessionù.
~ 3 . -- J us venderidi . .
11. - Du p(qnus considéré a u point de v ue
des obligat ions 1·éciproq ues qu'il
e ngend re . . . . . . . . .
~ 1°' - D e la pigneralitia direcla . .
~ 2. - De la pigneralitia contraria .
Pages
;-)
17
))
19
2.1
28
:29
)1
:.:13
41
·IÎ
18
jj
DROIT F R ANÇAI S
üL
1ntroduetion . . .
PREMIÈRE PARTIE
Du gage commercial en général
I. II. III.
Quan d y a - t-il gage commercial'?
Quelle est la capa c ité requise chez les parties?
Quelles ch oses peuvent être données en gage?
lV . 1°
2°
\' . -
Coustit ut iou du gage
Ses modes de p re uves .
D e la mis0 en possession .
Rénlisulio n du gagt'.
li7
6)
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ï;{
7-1
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10\:)
�-
lül -
FA CU LT (~ DE DHOIT D'AIX
ECONDE PARTIE
D u gage epèclal sur les marchandises dép osées
dans les magasins gènèr awc.
Pages
C11AP. l°' -
magasins gé uéraux.. . . . . . .
I. - UistOl'Ïll U C • • • • • • • • •
D ~s
ll. - Etablis e mc nt et exploita ti on.
De:; r écépissés et des warra nts .
J. - Créa li on . . .
JJ. - 'l'i'a nsmi ion. . . . .
III. - Réal isation . . . . . .
~ l cr Du paiement Yolontaire .
~ 2. Du défaut de paieme nt.
CuAP . JI. -
P osllions. .
120
.DE S
))
))
138
147
))
152
OBLIGATIONS NATURELLES
EN DROIT ROMAIN ET EN DROIT FRANÇAIS
101
.
THÈSE POUR LE DOCTORAT
PAR
_f RÉDÉlUC yEANSEL.M.E
AVOCAT
--'- - ~--
AIX
Impri 1u.or 1c Illy c:X J .
Ru e Mo.nu ol , 20
1 983
VMV~l1111UAJA...~EW~~r:ll
11111111111111111111111111111
100216460
Brun
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Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Du gage en droit romain; Du gage commercial en droit français : thèse pour le doctorat
Subject
The topic of the resource
Droit commercial
Droit romain
Description
An account of the resource
Etude du gage en droit romain et en droit commercial français du 19e siècle, notamment celui garanti par les marchandises déposées dans les magasins généraux avec le recours aux warrants
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Cauvet, Charles
Université d'Aix-Marseille (1409-1973). Organisme de soutenance
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES-AIX-T-117-Bis
Publisher
An entity responsible for making the resource available
H. Seren (Marseille)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1883
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/235250082
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-AIX-T-127BIS_Cauvet_Gage_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
Application/pdf
1 vol.
164 p.
23 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/393
Abstract
A summary of the resource.
Thèse : Thèse de doctorat : Droit : Aix-Marseille : 1883
Etude du gage en droit romain et en droit commercial français du 19e siècle à travers des thématiques différentes selon les époques
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Alternative Title
An alternative name for the resource. The distinction between titles and alternative titles is application-specific.
Du gage commercial en droit français
Droit commercial -- France -- 19e siècle -- Thèses et écrits académiques
Droit commercial (droit romain) -- Thèses et écrits académiques
Gage (droit romain) -- Thèses et écrits académiques
Gage (droit) -- France -- 19e siècle -- Thèses et écrits académiques
Sûretés (droit) -- France -- 19e siècle -- Thèses et écrits académiques
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/370/RES-AIX-T-125_Aicard_Louage.pdf
554fd6936321c0b4129568d2acaa820c
PDF Text
Text
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DU LOUAGE D'OUVRAGE ET DE SERVICES
EN DROIT ROMAIN
DES OBLIGATIONS ET DE LA RESPONSABlLITÉ
DES COMPAGNIES DE CHEMINS DE FER
DANS LES TRANSPORTS DE l\URCHANDISES
EN DROIT FRANÇAIS
THÈSE POUR LE DOCTORAT
P.\R
ALBERT AICARD
.\ \"OCAT A ) 1A ll$EILLE
•
MARSEILLE
TYP . ET LITH. BARLATIER- FEISSA T PÈRE ET F1LS
Rue
V e nture, 1 9
r883
�A
MON PÈRE
ALBERT AICARD
�DROIT ROMAil\
�DROIT ROMAIN
DU LOUAGE D'OUVRAGE ET DE SERVICES
INTRODUCTION
Le louage d'ouvrage est une institution du droit des gens. Il
répond ü une des conditions essentielles non seulement du développement, 111ais de l'existence rnème des sociétés. L'association
des fo rces et l'échange des services sont une loi supérieure, primordiale, nécessaire. Le traYail isolé ne peut être fécond, le concours
des aptitudes diverses, la division du travail perme ttent seules le
perfectionnement et la richesse. Aussi Yoyons-nous toutes les
législations admettre que le tra' ail de l'homme peut faire l'objet
d'un contrat.
A Rome, par s uite de l'instilution <le l'esclavage, le louage
rl'ouvrage et de services n'occupe dans la législation qu'une place
accessoire. Tant que le peuple roma in, poursuivant son but ùe
domination et de conquêtes, s'adonna exclusivement à la guerre et
à l'art militaire, le travail manuel, suivant les idées prônées par
les philosophes grecs, fut considéré comme indigne d' un homme
libre et abandonné aux esc laves. Dans un pareil état de l:hoses le
louage d'ouvrage ne devait pas rece\ oir un grand développement ,
�-
10 -
car il ne peut y avoir de con\'cntion en tre l'esclave, qui prnsque
seul travaille pour autrni , e t le maill'e qui l'e1r1ploie. Les idées
juridiques romaines vin rent e ncore t'estreindre la sphère d 'application de ce contral: les services qui sont tant soit t)ell du domaine
de l'esprit ne peu\•ent faire l'objet ti ' un louage. on leur app lique
les règles du mandat.
li n·y eùt vraiment place pou1· le contrat de louage qu 'après la
disparition de l'escJa,·age; et encore, par suite de l'organisation
des corporation -, aussi nombreuses da ns !"antiquité qu'au moyenàge , le travail ne fut j amais complè tement libre.
Dès le règne de ~ nnrn , des corporrilion OU\Tiè res recrutées
parmi les afTranchis ou les étrangers, s'é ta ien t constituées ayec des
chefs, des assemblées, des statuts .
ervius Tullius, com prenant la nécessité d 'a,·oir un peupl e de
trarnilleurs e t d'arti ans à cùté d'un peuple <l e g uerriers, admit
dans la premiè re classe de la s0ciélé romaine une centurie de
charpe ntiers, e t dans la seconde, deu x centuries de forgerons.
Supprimées par Tarqu i11 le uperbe, les corporations fure nt
rétablies par la loi des Douze tables; ma is la condition de leurs
membt·es était des plus misérables. Huinés par la conc urrence du
tra\'ail des escla,·es dont le nombl"e a ll a it toujours Cl'oissant, méprisés par une société qui refu ait de le ur faire µlace, les ouvriers
des corporations de,·aient fata lement for me r des centre d e
mécontents toujours disposés à pre ndre par t aux troubles et aux
déso1·dres.
Au moment de l'avéneme11t de l'empire, le nombre des corporations é tait considérable. A la fave ur des guerres ci\·i les, nn grand
nombre s 'étaie nt illégale ment constituées . Aug us te abolit toutes les
noU\·clles, laissant s ubsister seule ment les anciens collég-es, ant i<p1 it "·" co11stituta.
ous l'Empire , les corporn tio11s s ubi 1·en Lbien des \'ic issi Ludes.
Proscrites à différe ntes re pri-..es, leu1· s ituai iou fut préca ire jusque
vers le mi lie u du troisième siecle. Alors, sous l'inf1ucn ce des idées
chrétiennes, les a ffra nchisse men Ls se 1nulti plia ien l, les g ue rres et
l~s ,- i~toires n'a mena ient pins à Ho111e ces captifs cru'on vendai t il
v il prix. Lee: esclaves é ta ie nt deve nus 1·ares et c hers e l il falla it
recourir à l'industrie librr el pnr suite a u louage d 'ouvrnge.
-
11 -
Alexandre Sévère organisa lec:: corpora tions e t les plara sous
l'empire d'une légis la tion e t <l'une juridiction spécia les.
Il y eut à cette é poque trois classes d 'ouvriers : ceux des manufac tures de n ::tat, dont le !)l us grand nombre étaient esclaves,
ceux qui concouraie nt à l'alimentation publique, e t enfin , ceux
appa rtenan t à toutes les corporations de métiers libres.
Les ouvriers de l'lttat fa briquaient des armes, des machines de
g uerre, des monnaies; cons truisai ent et réparaient les édifice.:;
publics; travaillaient aux mines, a u x carrières, aux salines. Les
affranch is et les hornmes libres qui , pour échapper à la 111isf-1·e,
s'astreignaie nt Yo lontairemen l à ce tte serYitude, partageaient le
sort des esclaYes et des conda mnés aux peinec; infamantes. Liés
pour toujours envers l'État , ils é taien t exempts <le la milice,
exclus <les honneurs publics, et cessaient d'être citoyens. On les
marquait au bras avec un fer rouge, on graYait sur leur main le
no1n de l'empereur ' ils se mariaient , leurfemme devenait escla,·e
comme eux. S ïls n 'a,·aient pas d' enfants, la communauté héritait
de leurs bi ens.
Les ouvri ers qui pourvoyaient à l'alimentation publique se subdi visaien t en qua tre cl asse~: les houd1ers, les boulangers, les
navic ulai1·es, chargés de l ra nsporter le blé des provinces maritimes ü Ostie, el les caudicaires qui amenaient le b lé ll'O tie à
Rome. Tous ces ouvriers é taient liés a leur profe ion d"une
ma ni ère ind is oluble. Le fils atné était forcé <le succéder à son père.
S'ils se m ariaient hors de leur caste, la fe mme suivait leur condition et les bier\,5 de ceux qui mouraient san enfants re,·enaient à
la communauté. En revanche, ils jouissa ient lie certains pri,·ilégr":
ils avaien t le monopole exclu if de leur indu ' trie ; ils é taient adminis trés par des magis trats nommés pa r eux, el i l ~ é taie nt Oll\'ent
récompe11sés par des distinctions ltonorifique::.;.
Quant a ux autres ouw iers, bi en qnc plus indëpendants \"i:;;-i:t-Yis
de !'Étal, ils ne laissaient pa que d'ètre sonmis à une réglementation . évère. - Pour aYoir k 1l rnil d'exercer un métier il fa ut
a ppar tenir i:I la corpora tion qui en a le privi lége, et partout la CMporalion abso1·be la personnalité de l'ou\ï' icr. 011 entre dans la
co l'poration a1wès un long a pp rentis age e t moyennant le paiement
ù'une certaine s1 llnme. Une fois entl'é, il n'est plu pennic: ù
�-
12
-
fouvrier de rompre l'enguge ment. S'il p1·end la fu ite , les magis!rnt le poursuh·ent et sai issentses biens au prnnt de la communauté.
L'indushie agricole n'était guère plus fa\'01·is<~e : le colon, lui
aussi, était dans un état inter médiaire enLre la liberté et l'esclavage. Rivé à la terre même qu'il cultive, il no peut en être détaché.
Est- elle aliénée? il est compris dans ]>aliénation. D>autre part, il
est dans une position réglée et garantie. Il paie au propriétaire
une redevance, ne doit pas de services personnels, peut faire des
économies et a la propl'iété de son pécule. Le colon a une personnalité prnpre, il peut s'obliger, contracter en son nom personnel et
pour son compte, il peut enfin se marier.
Cette esquisse historique nous montre que la liberté du travai l
fut inconnue à Rome, et les documents jur idiques ne fourn issent
aucune trace cl'ou\Tiers libres travaillant en dehors des corporations. On pent croire cependant que vers la fi n de l'Empire ce type
n'est pas resté complètement inconnu, car une nove lle du Code
théodosien parle de marchands grecs comme de concurrents
sérieux ponr les marchands de Rome.
13 -
CHAPITRE PREMIER
llÈGLES GË.\ÉRALCS COlXCEllNANT LE LOL\GE D'OUVR.\GE Ol DE SEHVlCES
Le louage d'industrie e:;l un contrat par lequel une perso nne
s'engage envers une autre moyennant une somme d'argent convenue
à l'exécution d'un fait ; louage d'ouvrage (locatio conductio
ope1·i:s) quand il s'agit d'un tra\'ail à exécuter sur une chose dont on
reçoit la tradition, louage de servi ces(locatiocondt1ctiooperan1m)
quand il y a seulement promesse c\'nn acte à accompl ir ou de
se rviC'es à rendre pendanl un te1nps déterminé.
L'objet du contrat est le même dans les deux cas, c'est toujours
l'accomplissement cl'un certain trava il. Cl semble donc que dans
les deux cas, celui qui foumit sou travail est le locato1· ou bai lleur
et celui qu i paye le sa laire est le conductor ou preneur. :\lais par
une bizarrerie, qui est le résultat d'u ne subtilité d'analyse, dans
le louage d'ouvrage , celui qui exécute le traYail est appelé
rond 11cto1· ope1·is et celui qui le l'a il fa ire locator ope1·is. Dans le
louage de services, au contraire, celui qui les fournit se nomme
locator op era1'um et le maitre est le conduct01-.
Cette interversion de noms et de rôles vient de ce que le jurisconsultes romains, pre nant pour Lype le louage de choses, ont
voul u aulanl que possible rapp rocher et as<;i1niler le lo na~es de
cho5es el d'inclus lric pnur générali::.er l'nppl irn ti on des règles
nuxquelles est :;oumb Je premier de ce::. deux contra ts .
�-H-
1i)"
Dans le louage de choses, le propriétaire locafo,. qui donne sa
chose à bail , la livre au prellem co11d11cto1· qui en devient détentem . Dans la /ocat io opuùs, le mallre se dessaisit de la chose sur
laquell e le travail doit s'exécuter. Le faiL de celle t radition est
con ·idéré comme primordial et le maître est comparé au locato1·
1·ei. Le preneur, celui qui reç:oit la cl1 ose et donne son travail ,
prend le nom cle cond11c!or.
Si nous passons maintenant au louage de services; le maitre ne
se dessaisissant d'aucu n ol.Jjet, il est impossible de le comparer au
locato1· l'ei. Il devient alors le co11d11cto1· parce qu'à l'exemple du
co11ducto1· l'ei il reçoit quelque chose en échange de l'argent qu'il
donne.
En résumé, dil :\I. Accarias, le louage d'ounage est toujours
or"anisé sur le modèle du louage de choses, mais dans la locatio
"
opuis,
l'analogie dont on tient coinpte n'est qu'à la surface et n'a
que la Yaleur cl'un accident ; ta ndis que dans la locatio operal'um
elle est tirée du fond mérne des choses; elle ressort de ce fa it
que l'obligation de l'une des parties a pour objet invariable de
l'argent. Rationnellement il eùt fallu renverser la terminologie
qu 'une consid ération tout emp irique aYait illtroduite en matière de
Locatio operis.
1l résulte de la théori e romaine que le même fait peut donner
lieu tantôt à une locatio opel'is, tan tôt à une localio operor11111.
Ainsi, par exemple, un maitre donne un esclave en apprentissage
à un ouwier: il fa it avec lui une locatio 01ie1·is ( l \. Supposons, au
contraire. que c'est un père qui veut faire instruire son fils, le
louage quï l va conleacter est une locatio 011el'ai·111i1. Il est en eiîel
i111possible de dire qu'il fa it la trad ition de son fils.
La mème distinction se prése11le ü propos des tailleurs et des
autres ouvriers. 'ils trava illent chez Je ma itre à la journée ou ü la
Làche, il y a locatio opera1·un1 . li y aurait, a11 cont ra ire, locatio
011eris clans le cas, par exempl e, ou des vèternents seraient remis
chez un taill eur.
Ces principes connus, il convient de déterminer ces caractères
généraux du louage d'indus trie. Quatre êlén1ents sont essenliéls
pour la Yalidité du contrat: le consentement des parties conlracLantes, la ca pacité de c.:ontrac.:tcr, un objet qui forme la matière rie
l'engagement el une cause licite ùa ns l'obl igation, mais en outre
le louage ne peut exister que s'il con tien t la promesse d'un prix
par l'une des deux parties.
[. -
-
<.;ONSENTEi\I B::\T.
Le louage ainsi que la' enle est un contrat consensuel , il se
forme par cela seu l qu'i l ~· a eu acco rd des pa rties contractantes
sur l'objet de l'obligation et sur le prix. li n'e t besoin ni d'écrit ni
de paroles solenn elles, ni de la remise d'une chose, ni de la présence des parties (1).
C'était là dn moins l'éta t du droit avant .J ustinien . Le louage dont
probableinent à l'origine la formation était entourée comme celle
de la vente de rites et de form ules destinés à assurer plus énergiquement l'exécution cl n contrat par une sorte de consécration
religieuse, avai t dù se dégager de lJonne heure de ces formalités
et les jurisconsultes, entre autres le jurisconsulle Paul ('.?), le
représentent comme ré ultant d1 1 seu l consentement.
.Justin ien inno,·e. et si pour les \'entes que les parties ne se proposen t pas de contracter par écrit, il maintient les principes du
droit classique, par une constitution édictée au Code( loi Hi, IV,XXI)
il décille que, si les parties sont d'accord . le louage sfl·a pa&.-t\
par écrit, le contrat ne sera valable qu'au tant que l'écrit aura ét_é
rédigé et aura reçu la signature des parties, et lllème i l'on éla1t
convenu t1ue r acle serait pas é cleYant un tabellion ; qu'aulant
que celle formal iié aura été accomp lie.
Le consenternent tHmnait l\trc tacite. Cel:t 1·ésu1Le d°Lm texte de
P aul, la loi 5 Dig. De pnl'scriplis Yerbis XIX. 5. « fJ 1111m do utfacia.~
~i talc sit factum yuod loeari ~olet, 1iecu11ia data /ocatio e1·it. "
( 1) ,Ju::.t., l 11slil . I ll. /)<> r't>11sr'11'11 o/./tr/.
(1, Di;.: loi la 1( ::1, loi: crmrl. X J>... ~.
('2) l'uul. lui l , (;allls lui·~. Lli:,:. Io«. r•o11d1u 11.
>..!::-....
~
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LI) -
-
IJ. -
CAPAGITK DE CONTRACTER.
Pour la capacité des parties contrnctantes, le louage ne se distingue pas des autres contrats; les pl'incipes généraux du droit lui
sont applicable ·.
Le pere de famille a le droit de promettre les sel'vices de son
m ~ comme les siens propl'es el cle stipuler un sa laire.
Le fils de famille pouvant fait·c tous les actes qui rendent sa
condition meilleure, pourrn eugage r ses sernces pour acquérir
les salaires. Mais !"action en payement de son salaire ne lui appartient pas et ce qui lui est payé entre dans les biens du paLe1·
fa111ilias.
Le fils de famille louera valablement aussi les services d'autrui
commandera des ouvrages, et proniettra des prix, mais l'ouvrie:·
qui voudra, après avoir exécuté Je travail, poursu ivre le payement de son salairn, n'aura d'action que sut' le p6cule du ms
de famille par l'action de p ec11Lio. Quant à l'époque antérieul'e à
l'inst itution des pécules, aucune action n'était ouverte contre le
fil s de famille.
L~ pupil le d ~it se pourvoir de l'autorisation de son tuteur pour
avoir la capacité de s'obliger ; à défaut cl 'autorisation , les tiers
seuls seronl engagés envers eux .
Hl. -
1 E L.\ CAUSE E'r DU J>RIX.
D~ns les contrats synalla gmatiques l'obligation de l'une des
par l~es. est la cause de l'obli gation de l'autre; dans le louage, il
~st llldtspen~ab le ~ue .la promesse d'accomplir l'ouvrage ait pour
~ause. une rc_muneralton . Celte réniunéraLion, Lo merres ùoit
1
~1npltr certames condition s délenniuée:s par des règles invartablc::-;
17 -
1° La merces doit consister e11 argent.
La question s'était posée dans le droit classique de savoir s'il y
avait louage clans le fait d'une personne remettant sa chose à une
autre pour en user et jouir el réciproquement rece,·ant d'elle une
chose dans les mêmes cond itions.Deux voisins, disentLes l nstituLes
on t convenu que pour exécuter leurs travaux, ils se prêteront
alternativement leur bœuf pendant dix jours. De quelle action est
tenu celui qui n'exécute pas son engagement ?
Gaîus ne décidait pas la question. Au Digeste on trom·e des
textes contraires. Africain, dans la loi 35 § l loc. cond., donne
l'action locati conducti; Ulpien, dans la loi 23 comm. div. X. 3.,
et dans la loi 17 § 3. Prœscriptis verbis , accorde l'action
pt·œsc1·iptis verbis.
Justinien, par application des principes du droit, trou\'e, comme
Ulpien, qu'il n'y a pas lieu à l'action locati conducti, le prix n'étant
pas payable en argent, ni à l'action de commodat, puisque ce contrat est gratuit et comme le contrat doit s'analyser en un contrat
innommé, il donne l'action p rœscriptis verbis (1).
2° Le taux du prix doit èlre déterminé d'avance.
Le contrat serait nul si l'on convenait d'un salaire à faire fixer
par un tiers en général ; mais on peut stipuler cependant que la
fixation du prix sera remise à l'arbitrage d'un tiers désigné
d'avance. Dans ce cas Gaïus (2) et Justinien dans ses I 11stitufr.1S
décident que le louage est valab le sous cette condition : si le tiers
fait l'estimation du pri x. ile tiers ne veut ou ne peut dt!terminer
La me1·ces le contrat est nul tout comme si les parties n'avaient
jamais été d'accord sur le prix.
Qu'arrirnrait-il si deux parties, après avoir com·enu d'un tra\'ail
à exécuter, ont décidé que le pt'ix sera il débattu ultérieurement.
Les I nstitute1S, qui posent la question, donn ent l'exemple suivant :
Quelqu'un remet des vêtements à un dégrai seur pour les nettoyer et les soigner ou à un tai lleur pour les raccommoder, et cela
moyennant un salai re qui devra être fixé une fois l'ou\Tage
terminé. Y a-t-il louage dans ce cas? Il est bien certa in qu'il faut
(1) lnst. llI, XXIV De loc. cond.
(2) Dig. loi '?5 locati co11el11cti. l . X I~. 2.
�-
18 -
se placer dans l'hypothèse oil la conventio11 est devenue un contrat
par un commencement d'exécution, car .Jusque là elle n'est point
obligatoire pour les parties; c'est un point de doctrine incontesté.
Gaïus (1) présente la question comme indécise et ne la t ranche pas.
Justinien n'admet pas clans l'espèce en question, d'assimilation avec
le louage et il accorde l1action J)l'Ct'sc1·1'ptis verbis . La loi 22, au
Di9este, de pNescripiis verbis, parail aussi rlonner la mème
action, mais les qualre derniers mols (( id est prœscriptis
i•erbis » qui suiven t ceux-ci (( i11 /acf11m da11dw11 essej1tdici11m »
ont du être ajoutés, d'après l'opinion de ~I. Accarias, par Justinien,
qui voulait donner plu s d'autorité à sa rloctl'ine. Quant à Gaîus,
suirnnt sa doctrine ~mr les contrn ls i;rnommés, il de\'ait accorder
seulernent l'action in (aclu11i dans le cas qui nous occupe.
3• Le prix enfin doit èlre sérieux.
Le prix doit représenter l'équivalen l Olt la valeur vénale du
travail exécuté. Si le prix est fictif le louage est nul conm1e louage
el ne peut valoir que comme donation et par conséquent d'après les
règles qui sont applicables l\ la donation. Cependant, par dérogation aux principes, la nécessité pra tique o.vait fait allmetlre dans
certains cas la validité d'un louage fait nummo 1mo. Le mari qui ,
le diYorce sur,·enu, vet1t fa ire à sa femme la 1 estitulion de sa dot,
qui consiste, par exemp le, dans l'usufruil d'un fonds, pomra lui
constituer nwnmo uno le louage de l'usufrnit parce qu 'il esl de
principe que l'usufruit ne peut quiller le titulaire que pou r faire
retour à la nue propriété. Mais il n'ex iste pas d'exception de ce
genre en matière de louage d'in dustrie.
IV. -
OBJET DU UONTRA'J'.
L'objet du contrat de louage d'ouvrage ou de services doit être
une certaine somme de trava il ou d'activité. Mais toute espèce de
travail ne peut pas faire l'obj el du louage d'industrie, et il importe
(1) Institutes lII, § 143.
-
19 -
de déterminer le caractère des fa its susceptibles d'entrer dans un
contrat de louage.
Il faut d'abord que le fait n'a it rien de contraire aux lois et aux
bonnes mœurs. Cette règle est corn rnune à tous les contrats et ne
peut présenter de difficulté qu'en ce qui concerne la détermination
des faits qui doivent être considérés comme contrait'es aux bonnes
mœurs, cal' c'est une question d'appl'éciation pure.
Il est indispensable que l'objet du contrat soit un fait s'appliquant
ü une chose matérielle. Cette règle l'ésulte d'un texte d'Ulpien ( 1)
q11i décide qu'il n'y a pas louage dans le fait de promettre de faire
un voyage dans l'intérêt d'autrui 111oyennant une certaine somme.
Du reste, peu impol'te qu 'il s'agisse de modifier ou de transfor111e1·, 011 simple111enL de s occuper d'un o~jet corpornl; il y a louage
dam; tous les cas. Le fait de s'obliger au transport ou a la garde
d'une chose est un louage d'indu trie aussi bien que la promesse
de réparer une chose détériorée ou de faconner la matière qui
aura éLé renüse.
Comme conséquence de la règle que nous Yenons d'énoncer, on
décidait qu 'un fa it jur idique ne peut pas faire l'objet d'un louage.
L'affranchissemen t d'un esclave est au nombre de ces faits: Quod
~i tale est factum quod locw·i 11on potest, sive ut se1'v1w1 manu.
mittas, di t le jurisconsulte Paul (2). On peut encore citer la poursu ile d'un débiteur en paiem ent de sa dette . .Vam si conve11erit ut
tu a meo debito1·e Cai·thagine e:rignm, ego à tuo Romœ, ....... .
111andatum quodam modo i11terreni::1se videt111·1 sine g110 e..cigi
pecu nia aliel/o nom i11e 11011 potest (3 ).
Enfin, le fait qui fait l'objet du louage do it èlre susceptible de
·'apprécier pécuniairement. Bien que ce lle condition et la précédente paraissent cl'nne connexité complète, il faut cependant les
distinguer. El les te"Xtes nou citent le cas de J'agrimensor qui
reçoit un salaire pom procéder il Ulle mensuration, et qui, cependant, n'est pas considéré comme faisant un louage de 'en·ice t4).
Cette anomalie résu!Le du caractère sacré dont était investi J'agri(l)
(2)
(3)
(-i)
Di g. 1. 5, p. 'i. De concl. ca11~. dat. ca11s. non. sec ÀII. 4.
Dig. 1. 5 § 2. De p1·œ1:1,·1·1pt1s vcl'/m. XlX . 5.
Dig . 1, 5. § '1. De p1•œ$rripti,, i·in·bis. XIX. 5.
Dig, 1. 1, pr. si lllt'llS. /ni~. 1110<1 • XL 6.
�20 mensor. Ses fonctions étaient plutôt un service rel ig ieux qu·un
service se prètant à une estimation vénale. Son mandat, même
payé, reste toujours gratuit, par ce qu'il est de la part du mandataire, une preuve d'amitié. Ulpien s'exprime ains i, à cet éga rd :
Non credide1·unt veteres, inter talem personani locationem conductionem esse, sed magis operam bene(icii loco praebe1'i, et 1:d
quod datur ei ad renwnerandum dari et inde lwnora1·iwn appeilari.
Les t•ègles qui déterminent te caractère des faits susceptibles
d'entrer dans un contrat de louage, nous explique nt pourquoi un
grand nombre de sen·ices, ceux des p rofessions que nous appelons aujourd'hui libérales, comme ceux des a,·ocats, des médecins,
des notaires, des professeurs, ne peuvent faire l'objet d'un louage.
Le travail, dans ces diverses professions, ne s 'applique pas à
une chose corporelle, et s'il peut y avoir r émunération de la peine,
par le paiemen t d'honoraires, il est certain que le sef\'ice rendu
n'est pas appréciable en argent.
Certains commentateurs ont voulu voir dans la considération
dont les professions libérales étaient ento urées, la dislinction qu i
est faite entre l'exercice de ces professions e t le louage. L'avocat,
le médecin, le notaire, n'onl pas pour objectif le paie1nent d' un e
rémunération; leur but est plus nobl e, plus élevé, et bien qu'ils
puissent être récompensés de leurs soins par des honoraires, leur
profession conser ve toujours un caractère libéral.
« C'est à tort, dil M. Accarias, et plusieurs raisons le prouvent.
Et d'abord, il est bien connu que pendan l longtemps les professeurs et les médecins sorti rent exclu si\'ement des classes inférieures; ce furent surtout des Grecs et des afüancb is; et que sous ·
l'Empire, le barreau lui-même se recruta dans la plèbe, au moins
autant que dans le patriciat. (Juvéna l VIII, v. 47 et s.). En second
lieu, il y a des services p rofessionnels d 'un ordre tout-à-fait ''ulga ire, tels que ceux des nourrices et des libraires qui ne sont pas
non plus susceptibles d'être loués ( 1), tandis qu'un peintre, fût-il un
artiste du plus haut mérite, loue très-régulièrement les siens (2). »
(1) Dig. loi 1, § Get H De cxtr. ro9n, L. 13.
(2) Dig. loi fi, ~ 2. De prœsc. vc1·b. XI X. 5.
-
2! -
(< Enfin, ce qui est encore plus décisif, les soins du médecin et
les leçons du professeur font sa n$ difficulté l'objet d'un louage lorsque c'est un esclave qui les rec:oi t (1); et pourtant le talent de ces
personnes, pour être ainsi employé, ne perd rien de sa noblesse.»
Quoi qu'il en soit, les honorai res ne dépendent pas de Ja bonne
volonté ou de la déli catesse du mandant, et ils peuvent être réclamés en jus tice. Il n'existe pas, il est vrai, d'action spécia le, mais
on s'adresse au magistrat extraordinaire.
Par exception, les philosophes et les professeurs de droit sont
privés de toute action en paiement d'honoraires, inhoneste pehmtw·; les premiers, dit Ulpien (2), non pas que l'objet de leur
science ne soit pas aussi respectable, mais parce qu'ils doivent
avant tout faire profession de mépriser toute espèce de rémunération de leur travail; les seconds, non pas que la science du droit
ne soit Tes sanctissima, mais parce qu'elle est d'un prix inestimable, et qu'elle ne doit être mêlée à rien qui puisse la rabaisser.
Cependant le texte apporte un tempérament : ils peuvent tout au
moins dignement recevoir .
{J) Dig. loi 7, § 8. ad le9 . aquil. IX. 2 et loi 13 § 3, Lor . cond. XlX. 2.
(2) Dig. loi 1, § 5. De e..ct r. ro9r1. L. 13.
�-
22 -
-
CHAPITRE IT
Ci\RACTilRF.S DISTl~CTIFS DU J.OUAGE D'OU\'RAGE ET OF. SERVICES.
I. - DIST!XCTIO"' E~TRE LE 1.0 UAGE D'OUVRAGE
ET DE SER,'ICES ET LF. ll!ANDAT.
Les caractères constitutifs du louage d'ouvrage et de services
élant connus, il importe de préciser en quoi il diffè1·e de certains
contrats qui peuYent a voir avec lui des poinls d'affini Lé et de rapprochement. Prenons d'abord le mandat oü l'une des parties, co mme
dans le louage, fait quelque chose pour l'autre et met aussi son
travail au service de celle-ci.
A ne consulter que la lettre cl es textes la distinction parait facile à
établir. Les jurisconsultes s'accordent à dire que le pri x, qui est
un des éléments constitutifs du louage, et qui, au contrnire, est
essentiellement absen t du ma ndat, forme ce caractère distinctif. Il
n'y a pas plus de mandat salarié que ùe louage gratuit. Paul
ainsi• : rnandatu1n m".si gratu itu m 11 11Llum est1 in tus'exprime
•
ven1e1de pecinita, res ad locationem conduclionem 1·espicit ( l ). Les
l nstùuts de Gaïus et de Justi nien reprod uisent la mème opinion (2)
23 -
Mais cette théorie est loin d'ètre absolument exacte et surtout
loin d'être complète. , i parfois le louage et le mandat peuvent
s'appliquer aux. même faits, le domaine de ces deux contrats n'est
pas identique. Le mandat à l'encontre du louage s'applique à des
actes juridiques et à des actes qui ne s'exercent pas sur des choses
corpornll es; el l'intervention d'un salaire dans le mandat d'accompli r un acte juridique transformerait l'opération en un simple
pacte susceptible de devenir obligation à titre de contrat innomé.
Nous avons vu d'autre part que, sous le nom d'honoraires, que
les textes distinguent soigneusement de la merces, on avait fini par
reconnaitre que les services du mandataire peuvent être récompensés par une rémunération. Si 1·emune1·andi oratia honor
intervenerit e1·1t mandati actio (Ulpien) (1). C'est aussi la doctrine
de Papinien (2).
Il faut donc, pour trouver ces éléments distinctifs, se préoccuper
non seulement de la question des salaires, mais encore rechercher
si ce fait à accomplir est susceptible de faire l'objet d'un louage,et
pour cela il suffira de se rappeler les principes que nous avons
exposés précédemment. L'examen du contrat à ce double point de
vue est indispensable.
II. -
DISTINCTION ENTRB LE LOUAGB D'OUVRAGB ET DE SBRîWES
ET LA VBNTE.
Si nous passons à la vente, nous trou\·onsque le louage d'ouvrage
el de services a de grnndes analogies avec elle. Le louage, rlisent
les I nstitutes de Justinien . se rapproche de la vente et se forme
d'après les mêmes règles, car de mème que la vente est contractée
une fo is le prix convenu, de mème le louage est réputé contracté
lorsque Je salaire est ftxé; mais ers deux contrats n'ont pas le
même objet; il s'agit dans l'un de la transmission de la possession
paisible d'une chose, dans l'autre d'un travail à effectuer.
( \) Oig. loi 6 pr. Ma1td. vel ron t. XVll. 1
('2) Dig. loi 7 M<rnd. 1'<'1 f'ont. \.VII 1
( 1) Dig. loi 1. Mand. vel f'Ont. XV JT. l.
<2) Ga1u~. lnsl. III. ~ H>2 - .f usl ini,.11. Ins l. Ill, lit. XX VI. !:( 1:1.
,.
'
�-
:24 -
-
Cependant la question s'était posée de savoit' si le contrat devait
être réputé vente ou louage dans l'hypothèse suivante : Titius
convient avec un orfèvre que ce dernier emploiera son or à lui faire
des anneaux d'un certain poids et d'une certaine forme, et recevra,
par exemple, dix écus d'or. Y-a-t-il \'ente, louage, ou tout à la fois
vente et louage? une conlrovcrse s'était 6levée parmi Les jurisconsultes. Cassius disait que Le contrat élait complexe et contenait
à la fois vente et louage. Pornpon ius trouvait qu'il fall ai t repousser
l'idée de louage par celte cons itlé ra Lion que le maitre n'avait rien
fourni â l'orfèvre. La pensée sous une forme pl us ex.acte e t plus
précise est qu'il n'y a pas louage d'ouvrnge quand le travail s'inco rpore et s'absorbe dans une chose qui forme l'objet principal du
contrat, et que le contrat ne pourrait ètl'e considéré comme un
louage que si le travail const ituait par lui même la fourniture
principale et distincte.
Et généralement on décidait que celle <.:onvention constituait
une vente pure et simple ; il est bien diffic ile , en effet, d'apercevoir
une dif.l'érence entre un tel marché et celui qui consis te à acheter
un bijou tout façonné . C'est là la solution que donnent également
les I nstitutes deGaïus et celles de Jus tinien (1).
La question ne se présente pas toujours dans des termes a ussi
simples, et il peut a rriver que la ma tière so it fo urnie partie par le
mattre, partie par l'ouvrier. Dans ce cas il faut distinguer : si la
pa rtie principale est fournie par l'ouvrier, il y a vente, s i c'est pa r
le maitre, il y a louage. C'est ce qui résulte d'un texte de P omponius (2) : non posse ullam locationem esse ubi corpus 1'psum non
detur ab eo cui id fieret; alitu atque si ai·eam darem ubi
insulam œdificares, quoniam lune a 111e subslantia pi·ofisciscitu 1••
Il est parfois difficile de distinguer le principal de l'accessoire.
Paul (3) nous cite un cas pour lequel il donne La solution de la
question : un propriétaire charge un entrepreneur de cons trui re
un édifice s ur s on terrain , l'entrepreneur fournissant les ma tériaux, le sol est la chose principale et le contrat est un louage.
( 1) Gaïus, lfl, §Hi. - Juslinie11, Ill . li t. XX I V. ~
{'2) Dig. loi 20. De COlltl'. empt. xvm. 1.
•
(8) Oig. loi 22, ~ 2. Lornt i r·o11d 111·t i. X I i\. 2.
25 -
Superficies solo cedit, tel est le principe, telle et la raison de
décider.
Il peut arriver aussi que la matière soit fongib le el que le maitre
en transfère la propriété à l'ouvrier. Dans ce cas, le droit de propriété du maitre se transforme en un droit de créance, et l'ouvrie1·
débiteur d'un genre trava ille s ut· sa p ropre chose. On a contesté
l'existence d'un véritable louage dans cette hyrothèse; on a voulu
y voir un louage mélangé de mutuum. Cette manière d'analyser
le contrat n'est pas exacte: voir les éléments d'un mutuum, c'est
chercher une analogie à laquelle les parties n'ont pas songé.
S'il y a louage dans ce cas, que devient le principe que nous avons
vu poser, qu'il ne peut y avoir louage quand la matière est fournie
par l'ouvrier? Un texte d'Alfenus( 1) parait au premier abord la contradiction de cette théorie : rerwn locatorw11 duo genere esse, ut
aut idem redder-etw', sicuti quum vestùnenta (ulloni curanda
loca1·entur,aut ejusdem9eneris1·edde1·etur, veluti quum aJ·gentum
pusulatum /ab1·0 daretur ut vasa fierent aut au1·um ut annuli;
ex supe1·iore causa rem domini mane1·e, ex posteriore in creditum
iri. La contradiction n'est qu'apparente: bien que la chose tongil>le soit entrée da ns les b iens de l'ouvrier , le maitre la lui ayant
conférée en toute propriété, cependant comme la matière n'en a
pas moins été fo urnie, en définitive, par le mai tre, il y a louage.
On décide, par suite de la même idée, qu'il y a louage, lorsque la
chose avait été préalablement déposée par le maitre chez l'ouvrier.
Ill. -
DISTINCTION ENTRE LE LOUAGE D'OUVRAGE ET DB SERVICES
ET LES CO~ TRA TS U\NOMÉS.
Le louage peut devenir une vente lorsque l'ouvrier a fourni la
matière, de même il se transforme en un t:ontrat innomé lorsque
le salaire, au lieu d'être une somme d'argent, consiste dans une
dation, ou dans l'accomplissement d'un fait.
'1.
(1) Dig. loi :ll, \i '2. Lorat1 ron<lurt i. :-..I)... '.!.
�-
26 - -
Nous avons vu, on etreL, que l'un des éléments essentiels du
louage est un prix consistant en une somme d'argent. Sans ce prix
il ne peut y avoir de con1ratrevêlu d'une action civile, il n'y a qu' un
contrat innomé. Il est intéressont d'étudier les actions qui sont
accordées par les jurisconsulles pom assurer l'exécution des obligations résultant de ces con trats innomés.
On disti ngue trois cas qui , d'après les jurisconsultes, doi vent
donner lieu à des solutions difffrentes : dans le premier, do id
fac ias, le maitre donne à l'ouvrier quelque chose en échange du
travail qu'il attend de lui ; Jam; Je second, facio ut des, c'est
l'ou vrier qui fait d'abo1'd le travail, en considération d'une chose
que lui a promis le mattre; enfin Je trnisième cas, faào ut faci·as,
est un s imple échange de seryioes.
Le contrat do ut /'acias ne peut être un louage, le prix ne consistant pas en argent, mais il a a\'ec lui la pins g1•ande analogie, en
ce sens, que la dation du maitre précède le travail de l'ouvrier,
dont elle est la cause déterminante. Aussi Paul (1) accorde-Hl,
par assimilation avec Io louage, une action civi le. Lorsque je vous
donne, pour que vo us fassiez quelque chose pom moi, dit-il, si le
fait fait ordinairement l'ol>jel d' un Louage, comme la peinture d'un
tableau, une fois l'a1'gen t payé, il y a louage. Si j e donne autre chose
que de l'argent, ce ne sera pas un louage, mais cette convention
donne naissance, soit à une action civile lenclant à faire accorder
une indemnité, soit à une action en répétition de ce qui a été
donné. Le maitre a donc le choix enlre !'action p1'œscriptis verbis
pour obtenir des dommages-intérê ts à raison de l'inexécution du
contrat, id quod interest, el l'aclion de répétition : condictio ab rem
datair1 causa non secutn.
Paul , après a\·oir donné cette solution , en donne une toute différente, lorsque c'est le Lra"ail de l'ounicr qui précède le paiement
d'une dation en nature. Ainsi , par exemple, Titus s'oblige et est
autorisé à cultiver et a ensemencer le fonds cl'autrui sous condi' au moment
lion de perce\·oir une partie des fruits; le propriétaire,
de la récolte, refuse de laisser emporte!' les frui ts promis. Paul et
(1) Dig. loi 5. § 2, De prre,qrr. verb. XIX. 5.
(2) Dig. loi 16, ~ 1.
De prrP~rr.
1•erl1. X IX. 5.
-
27 -
Pomponins avec lui (2), refusent dans cc cas, l'action prœsc1·ipti.~
verbis. L'ouvrier devra recourir à l'action de dol contre le martre
qui veut profiter du travail sans en payer la rémunération. Quod si
faciam td des, et postea quam /eci cessa.s dare, rwlla erit civilis
actio et ideo de doto dabitur (1).
D'où vient cette différence? On l'explique par la finesse de l'esprit
d'analyse des j urisconsultes romains. Dans la formation du louage,
l'élément essentiel est pour eux la volonté du maitre de se procurer un travail ou un service. Dès que le mattre a manifesté cette
volonté, dès que le salaire a été reçu, le contrat existe, et la preu\'e
du consentement de l'ouvrier se trouve dans le fait même de cette
réception. Quant au travail de l'ouvrier, ils n'en font pas grand cas.
S'il ne s'est produit que contre la promesse expresse, ou tacite d'une
rémunération de la part du maître, c'est en raison de la violation
de l'engagement de la part clu martre que l'action de dol sera
accordée.
Raisonnablement, cette distinction est difficile à admettre. Qu'il
s'agisse de (acio id des ou de do us (acias, 1e negoti111u est toujours
le même. Et nous Yoyons, en effet, qu'à un moment donné, une
réaction s'opéra contre la théorie ancienne. Ulpien (2) accorde
l'action prœsc'r iptù; verbis pour un service dans le cas de /acio ut
des, à moins qu'on n'im pute quelque dol an défendeur, auquel cas,
l'action de dol compète également.
La loi 22, au Digeste de prœsc1·ipt?'s verbis, nous montre que la
doctrine de Paul est abandonnée, et que l'ouvrier dans la comention facio ut des à l'action p1·œscriptis verbi.-,, pour assurer l'exécution du contrat. (Galus).
Enfin, si nous examinons le cas d'un échange d'ounages ou de
services, facio ut facias, nous ne trom·ons presque plus d'analogie a\·ec le louage, puisqu'il n'y a pas de merces. pas de salaires:
c'est un simple échange. Paul est d'iwis que le contrat se rapproche plutùt d'un mandat que d'un louage, si toutefois le fait t>sl
susceptible de faire l'objet d'un mandat. Deux personnes, par
exemple, ont com·enu ensemble que l'une exigerait ce qui est dù à
(l) Dig . loi 5, ~ :l. D e pi·œsrr. vt>r/1. XI:-.... 5.
(2) Dig. loi 15. De p1·11•.«·r. rt>rb. \l\. 5.
�-
28 -
-
l'autre par un débiteur de Carthage, et l'autre exigerait ce qui es t
dû à la première à Rom e. Dans ce cas, Paul , après avoir indiqué
qu'il peut y avoir lieu à l'action de manda t : JV!andafom quodam
modo interve11isse t'idetur, décide qu' il vaut mieux employer
l'acti onprœscriptis ve1·bis. T 1ttius erit et in i"nsulis fab1·icandis
(si pacti s11mus tu in meo ego in foo solo œdifica1·e) et in débitoribus e..rci9endis prœsc1·iptis ve1'bis rla1·i actionem ; quœ actio similis et·it mandati quem admodum in supe1·io1·ibus casibus locationi
et emptioni (1).
29 -
CHAPITRE III
DE LA LOCATIO CONDl!CTIO OPERIS.
(1) Dig. loi 5, § 4. De prœsc1" verb. XI X. 5.
l. -
OBLI GATIONS DU CONDUCTOR OPERIS.
Nous savons que le louage d'ind us trie se d ivise en locatio conductio operis et locatio cond uctio operal' um , nous avons déterminé les caractères de ces deux contra ts, nous allons étudier
maintenant les obliga tio ns l'écipl'oques prod uites entre le locator
et le conducto1' 07>e1·is par le contrat synallagmatique qui les lie.
La première obligation clu cond uctor operis est d'exécuter
l'ouvrage dans le délai convenu.
L' ouvrier pourrait· il deman der au juge un délai pour le cas où
le temps fix é par le contrat aurait été insuffisant ? Labéon se
prononce très nettement pour l' affirmative: in ope?·is locatione
e1·at dictum ante quam diem elfici deberet, deinde, si ita factum
no11 esset quant i locato1·is intel' /uisset, lantam pecuniam conductor promiserat . E a tenus eam obligationem confrahi puto
<J tta fenus vi1· bonus de spatio tempo1·1·s œstimasset: quia id
actum appm·et esse ut eo spah·o absolve1·etur ; si 11e quo fie1'i non
possit (1). Pomponius e t Venulerus sont du mème ayis. Cette
( i ) Dig . l. 58, § 1. Loc:. cond. X.I}... '.!.
�-
30 -
décision est une conséquence du caradèrè de lionne foi du contrat
de louage.
Cependant la pl'olongalion de délai que le rnagislrnt a le pouvoir
de prononcer ne doit pas être assimi lée à un délai de grôce, et il
semble que l'esprit de la décision que nous a\·ons rapportée, soit
que la prolougation ne doit èlre prononcée que tout autant qu'il y
a impossibilité matérielle d'exécution dans le temps convenu.
L'obligation du co nducto1· ope1·is n'est réputée accomplie que
par l'approbation du maître. Pal' l'app,.obatio le maître reçoit
l'ouwage et reconnait qu'il est conforme à ce qni a été convenu.
Il peut aniver que pour un motif quelconque le maitre refuse son
approbation. Dans ce cas la discus-;io11 sera soumise à l'arbitrnge
d'un bonus vir. Les parties peuvent tnème désigner l'arbitre qui
sera chargé d'apprécier l'ouvrage en cas ùe désaccord. i l'arbitre
désigné ne peut cionner son aYis, Paul nous dit qu'on pourra
choisir ui1 autre arbitre. En eITel. le co11ducto1 · ope,.i'.s ne samait
ètre à la discrétion soit de l'arbitre, soit du maitre: nam (ldes bo11a
exi9it ut arbit1·ù111i tale }Jl'Ct>S/etul' quale vfro bono convenit (1).
Remarquons en passant la difl'érence qui e~isle entre l'arbilrc
désigné pom· approuver l'ouvrage et celui désigné pour la fixation
du prix, le premier peul èlre remplacé, l'intervenlion personnelle
du second est indispensable à la vali dité du contrat.
Nous
venons de dire que l'approbation du mailre déchar~e
en
.
.
0
pnnc1pe l'ouYrier de ses obligations ; il faut faire pour \'application
de cette règle une distinclion entre le tra\ ail entrepris en hluc el
celui entrepris à la mesme. Si le conduclor s'est chargé d'un
lra,·ail en bloc, sa rcsponsabililè n'est éteinte que par ta réception
~e l'ouvrage tout entier. Si, au contraire , ce t1·a,·ail lui a été donné
11 tant le pied ou la mesure, sa responsabililé sera restreinte aux
parties non mesurées (2 ).
Q~e ~écider si le maitre a payé le travail jour par jour ; sera-t-il
cons1deré ~omme l'ayant définilivemenl reçu el approuvé ou
couserve-t-il un recours si l'e11:3emble est défectueux? Javolenus
donne la solution suivante : si l'ouvrage a été donné à faire s ous la
(J) Dig. loi '24. Locati ronducti. XI}... 2.
('2) Dig. loi 36. Locati COrtducti xn~ . 2
-
:31 -
condilion que L'ouvl'ier serait tenu de justifier de sa bonté; malgré
La convention de le payer jour par jour, l'ouvrier n'en est pas moins
obligé envers le rnartre s i l'ouvrage esl vicieux. Il importe peu, en
etîet, que le salaire se donne en un seul payement ou pour chaque
portion de l'ouvrage, si l'ouvrier s'est chargé de le faire en entier.
On aura donc contre lui l'action locati si l'oU\·rage est défectueux.
Mais il il en serait autrement si on a,·ail coiwenu que Les payements se feraient ainsi pour chaque portion de l'ouvrage et que le
travail serait exécuté selon les instructions du maitre, car l'ouvrier
n'est pas censé alors avoir contracté J 'obligation pour la bonté
de l'ouvrage entier ( 1).
Il n\ a d'exception à la règle que l'approbation décharge
l'ouvrier de toute obligation el de toute responsabilité, que puur
les entrepreneurs de travaux publics. La loi 8 au code, <le Openbu.~
p11blicis déclare l'entrepreneur de constructions responsable pendant 15 ans à partir de l'achè,·emcnt de l'ouHage des ,·ices de
constructions et des matériaux.
Il arrive quelquefois que le cond ucfor ope1·is fournit une pa rtie
des matériaux sur lesquels il doit exécuter son ouvrage. Dans ce
cas il est tenu de Lt·ansférer au maitre la vacua possessio de ces
matériaux. Cette obligation est identique à celle du vendeur. Le
conductor operis est donc lenn de la garnntie en cas d'éviction et
des Yices cachés, et ce ma llre a contre lui l'action locati pour le
contraindre à rexécutio11 du contrat (2l.
Quand la cllose qui form e la matière 1ln travail a été fournie
par le maitre, le cor1d uclo1• 01ie1·is doit apporle1· à sa consel'\'alion
tous les soins d'un bon père de famille. 11 e l tenu non seulement
de son dol ou de sa faute lourde, 1nai mème de sa faute legère
considérée in abstracttim, et il ne sullirail pas qu'il eut apporté
le même soin que pour ses propres alîaires pom être à l'abri de
tout reproche ; qu'il l'audrail qu'il eùl agi comme le père tle famille
le plus diligent. C11lpa a11te111 abest si 011111ia /acta ~u111 qll(e diligen tissiows qllisq1œ obNcroatio·vs fuiss e!. On Yoit que le locato1· c~t
pllls sé,·èrcmenl traité que le dépositaire par e'emplc. Cest que le
(1) Oig. lùi 51, § 1. Lorat1 C"0>1rl11rti, \.1).. . '2
('2) Dig. loi 22 § 2 Loi:atl 1·011clt1rr1 XI:\. ~
�-
32 -
louage est un contrat a titre onéreux ; le co11d11cto1· recevant un
salaire est tenu à plus de surveillance el à de plus grands soins.
Le conductor a la faculté, à moins qu'il n'en ail été autrement
convenu, de substituer un tiers !Jo ur l'exécution du travail. Si ciâ
tocaverim ( aciendum qtwd ego cond11xe1·am constabit habere me
ex locato actionem (1). Le conducto1· operi's devient ainsi le locato1·
du sous entrepreneur. Il répond du fait de ce dernier vis à vis du
maitre co mme de ses propres fautes, sauf bien entendu son
recours contre le sous en lrepreneur.
Le conductor devra au contraire exécuter lui même le trava il
s'il lui a été donné en considération ue ses ta lents personnels.
Il. - OBLIGATIONS
DU LOCATOR OPÉlUS.
Le Locator operis doit fournir la matière de l'ouvrage. Il doit la
livrer sans retard et dans les cond itions voulues pour que le travail
de l'ouvrier ne soit par empêché ou r etardé. Si le maitre manq uait
à une de ces obliga tions il sera it passibl e cle dommages intérêts.
Le locato1' est tenu de déclarer les vices cachés ùe la ma tière
qu'il fournit. Il en répond alors même qu'il les a ignorés sauf le
cas où l'ouvrier a raison de sa profession a pu les r econnal tre.
Ulpien (2) nous cite un cas ou s'exerce cette responsabilité: si on
donne à un ouvrier une pierre pi·écieuse pour l'cnchàsser ou la
graYer, et qu'elle se brise, si l'accident est arrivé par un vice
propre de la chose, l'ouvrier ne sera pas soumis à l'aclion /ocati.
Il Y sera soumis si la pierre a élé brisée par sui te de son iO'norancc.
~ans ~e cas oü le vice aurai t étè de na ture à causer un pt~judice à
1ouv~1er, le maltre devrai t l'en indemniser et lui payer le prix du
travail.
~orsque l'ouvrage est terminé, le maitre est obligé de Je recevoir et de donner son approbatio. Nous avons vu précédemment
( I) Dig loi 18. locati conducti. X lX. 2.
('2) Dig. loi 13, § 5. Loccrti coMu.cli. XI>• . '..'.
-
:~:~
-
qu ell e esl l'i111 porta nce de l'(Jpproûatio ; JJuus a •:ons Yu qu'elle liLère
le conducto1· ope ris de ses obliga tio11s, et 111el à la charge du maitre
les risques de la chose. L'ouvrier ne peul dune rester a la merci
du maitre crui r efuse systématiquement de remplir son obligation,
et peul mème le mellre en demeure. A u point de vue des risques,
la tnise en demeurn équi va ut n la réception , et du jour où elle a eu
lieu , c'est sur le maitre que pèse la responsabil ité des cas fortu its,
Noc if111"1tlil localori .si 11e1· e111// islf'IPl' lt q1tomin11s opus ad;n·obet11r
rel ad111 etiat111· (F lo1·enti1111s) rt). On voit par là que deux choses
sont nécessaires: que le tr~wai l soi t birn conditionné et que le
r e fus de receYoir soit inj uste.
Il peul arriver que l'ounicr ait intérêt à contraindre le tocator
ü rece,·oir l'ou\Tage. Il aura recours a lors ü la décision d'un bonus
vil' qui jugera eJ' req110 el bo110 et dont la cl ècision tiendra lieu de
l'approba tion comme nous l'a' ons Yu précédemment.
L'obliga lio11 p1·incipale du locato1· est le pa iement de lu 111erce.<:,
le p t·i:x de l'ounage . Comme cette somme est dans la plupart des
cas é,·aluée d'm·a nce, elle présente un certain alea et peut ètre plus
ou moins ayantageuse pour r ounier . plus ou moins onéreuse pour
le malti'e. Le droit romain ne considère pas le prix fixé comme un
fo rfa it auquel les cl eux parties doi \•ent se remettre, et il est adm is
crue le juge peut èlre saisi d'une demande en modification du prix
et pour rectifier l'erreur si elle es t trop grossière. 1 11 conducto
/i111r/o si cond11ctol' suu opeNt atiq11id 11ecessario i·el 11tilite1·
rw.,.el'if cet œd1ficave1·it cet i111stiu1e1·1/ tp11w1 irl 11011 coueenis.~er
ad 1·ecipienda quœ i111pe11di,1 e.1· <'011d11cfo c11111 do111ù10 /1111d1
,. rpe1·iri 1Jotest (2 ).
Le Hla1trn peul récla mer tle<> domrnage..;-intérèt. in id '111od
i1ite1·est si un JH ix e\.ccssif a L'té si ipuk Cette décision est in 'pi rée
s urlout par la préoccupation qu'ont cuu ks juriscon<>11lte:-; romains
de proté!-{er les mai tres cunlre les incxaclilmles des dl' \ is des
en trep reneu rs. La 111è1 11c idée a fa it admettre en nialiere des traYa u:x el marchés, ttlll' déci'iinn singulièrcrnen l peu équitable et 1rue
l'on s'expliquerai t di flk ilcrncnl . si l'on ne ~~·l\ait combien à Home
( Il Di;:. loi :lü. l 011111 .. 111d 11.r \ ! \ ':'
('! i Dig l oi~,;, l.1w11f1•011tl111r \l\ ~
..,.,
�-
Je trarnil éta it peu crn1sidéré Un propri(·laire 1;\il cu11sLruire u1:c
maison par un entreprenem sur un tlevis et mo,) en nant un prix
convenu avec l'en trepreneur donl il pa~e la moitié. Au cours des
trarnux, le propriétail'e s'aperc,:o it que la dépense prévue est
dépassée. Il fait alors ùéfense à l'architecte de conLi uuer les Lruvaux, et celui-ci ne po11rra se faire payee par Je mallre que Jes
travaux nécessail'es qui Ollt déjü élé exoculès. Si la somme avancée
dépasse le montant de ces Lra,·aux, le prn priéLairc pourra récla mer
le s urplus. Si malgré la défense, l'architec; lc continue J'ouvrage,
le maitre aura con tre lui l'aclioll /orati pour te faire cundanmer il
rendre l'excédant ùu prix 1rui res tait e11lrt.i ses mains quanù l'a\ ertissement a élé donné. Quant aHx frais crue l'entrepreneur a pu
faire pour préparer l'exéculiun de l'ensemb le ùes travaux, lfLWlll
au bénéfice qu'il était en droit d'nllemlre, il 11'c11 est pas indc11tnisé (1). Le jurisconsulte en pareille circonsta nce part de cc poinl
de vue que l'entrepreneur a du scie111me11t dissimuler une parlic
des dépenses éventuelles de l'ouvrage.
Le parement du salaire était prnbablemcnl garanli par un
privilége, ce qui permet de le penser, c'est la lui 1 au D igeste de
quibus causis pignus vel hypotec. XX 2, qui accor de un p1'(Jnus
au prèleur de deniers qu i a fourni au ma i lre de quoi payer ::ies
ouvriers ou qui les paye sur son ordl'e.
Ill. -
DES MODES
., ..
:H -
D'EXTJ~CTION DE LA LOUA'fIO OPfüU t:l
ET DES U \ S l'ORTU lTS.
Comme tous les cuntrals, le louage d'ouvrage prend lin par Lous
les modes généraux d'ex.linclion : l'accc1>lalion la novation le
,
'
mutuel ùissentimenl, la confusion cl la perle ùe la l'hose c.luc.
Mais la locatio ope1·is s'éteint encore:
1° Par l'exécution d e l'ouvrage cl L'aJJpi·oûati(),
2• Par la mort du cond ucto 1· opei-i.~.
0 ) Dig. loi 60, § 4. Lo1·m 1 1·011tl ur·t 1. \1:-.. . 2
·).)
Il en serait di!Térc 1111ucnl si lu 11wll1·c n'avait pas eu en \' UC la
capacité personnellu de l 'uu vrier et si Lou le personne poU\·ait le
remplacer.
Quanc.l le louage s'1\leiut pat· la rnort du conductor, le mallre
doit payer à ses héritiers le prix. ùes ouvrages achevés sur les
bases fix ées par le contrat. E .r col/f/ucto artionem etiam ad heredem
fransire 1Ja lam est ( t J.
La mort du locato1· la isse subsis ter le contra t.
3• Par la perle de la matière lorscruïl y a cas fortuit.
Cc rnude d'exlinclion nous amèn e ü examiner à qui. dans le
louage , incombe la responsabilité des cas fortuits avant la réception
de l' Oll\ rage.
D'u11e parl. e 1 ce qui co tH'crne les matériaux fournis par 1ou\ rie r, les ri::iques sont it sa charge si l'uuYrage 1ù1 pas éte reçu . i
l'ouvn1ge a élé reru, la pe rle est pour le maitre qui n'en ùoit pal:>
rnoi 11s le prix convenu. Lrc 111uces esl dne également pour les
ott\Tages ou portions d'onvra gl' que le maitre était en demeure de
recerni r, ü moins qu'il ne p1·ou,·e que l'ouvrage était défectueux.
Si la 111atiè1·e a été fournie par le maitre, il faut distinguer si la
111atiere est une chose fongible ou un corps certain. Nons ayons
vu en e!Tet tl'a prt!s un Lex le d'Alfen11s (2) qu'il y a louage dans les
deux c;as bien que sui rn nl la n:-i tme cl e ln chose fournie il pui sse v
;woir lr:rns mission de propriété du 111a1lre ü l'ouHier. La distinction présente un e grande imp.11·tance a11 point de m e de ri ques.
Si la ma tière est un corps cerl·1i11, les risques ùu cas fortuit sont
pour le mnltre; par ln lratl ition qu'a fa it e le mai tre. l'ou\Tier n'e t
pns ùe\'e1n propriétaire, 1·es 11e1·1't do111i110. Cependant on peut
convenir que le ro11d11rto1· prend ü <:a ('l\nrge les ca~ fortuits: cette
co1wenlion n'a rien d'illicile (;l).
~ i la clwse est fongible, les i iS!fll l'S des rns fortuits sont à la
C'lla1·ge de l'ounie r ; !'ou' l'ier est 11c,·ent1 prop1iéla irc de la matière
il esL débiteur d'un genre, et le droit de créance du tna!lre su1·,it
ù la perle llc J'ohjcl
1
( 1) llig. lni 1!1, ~ ~. f ur.,ti r11111/11r·t. \ l \ ·'
c'!) ! Hg. loi :J I. L rwnt1 r·•i11rl11r·ti. \ l \ '
(:l\ Di "' loi 'lli. L or·crti r·1011rl 111·11 \ l \ ·~
�-
3l) -
Cependant un texte d'Alfenus (l), nous fournit l"exemp le
d'une espèce dans laquelle, bien que la chose soit fongible,
le conductor est libéré de ses obligations pa r le cas fo rtuit.
Plusieurs personnes onLchal'gé du blé sur un navire sans q ue le
blé de chacun soit séparé ou distingué . Le propl'iétai re du navi re
a pris l'obliga tion de transporler ce diargern ent e11 vrac ,
sui vanl l'expression moderne , et de le rlél h-rc1· aux cha rgeurs clans
des ports divers. Il est te11u de remettre à chacun une qnanlilé
équin\lente à celle qu'il a recue, car l' intention des parties n'est
pas que chaque expéditeur reçoiYe identilfllement le blé qu'il a
chargé. La marrhanrtise n'élan l point dèlenninée, le prin cipe en
pareille matière est qu'il ne saurait y m·oir libération par ca::;
fortuil. Cependant le jmisconsulte .\.lfenus, nous donne la ùédsio11
sui\·ante. Si le propriétaire du naYire a déli\'l'é à l'un des chargeurs
le blé luL reYenant en le prenant sui· le monceau cotnn11111 , el
qu'ensuite le bateau fasse naufrage, il n'est 1·esponsable que ùans
le cas où il y a de sa faulc. Les autres chargeurs 11 e sont pas
fondés à se plaindre de ce que le premier ail rei:u so n d1arge1neut,
parce que si les marchandises chargées sont toutes du 111 èllle
genre, la propriété en passe aussilüt au pa tron du navire, en ::;o rle
que le chargeur devient créancier et que s' il a l'avantage d'avoir
rei;u son blé, on ne peul pas dirn que le co11d11ctor soi t coupable
d'une faute.
.P?t.11· nous, il nous semble qu'il n'y a vraill\ent pas dans celle
dec1s1~n un.e contracliction avec Je principe que les risqttes sont
v.o~r 1ounter, quand l'objet du louage e::;l une chose fongible Car
s i 1on veut analyser exacte1nenl l'espècc que nous avons rapportée,
les cltargeurs restent propridaires par itHlÏ\ is du chargeme11l
total. Le patro.~ d'.1 na' ire 11 'esl pas, cotn1ne le <lit le juriscon::;ulle,
devenu prvpneta1re des 111·1rch:111dises crui lui son t re11ti::;e::; cl
déliite~r d'une chose in fp.;1te1·e. Cela est s i , rai <Jlte le..; des linalai;·c::;
pouna1ent se refuser a recevoir uu blé d'un antre na\'ire. Le
patro~1 est ~hargé seu lc1nenl d'o pérer le pëtt'la gc du geenicr tle blé
c~ont JI a pri s chat·gc, el hl déli ,·1·ancc des d iverse::; parties proport1unnellement au droil de chacu n.
(1) i>i ... lui .,J. Lu trfi
r·o11tl1u·r1. '.\J.:>.. L
-
37 -
Si le corps certain fourn i par le maitre vient à périr, l'onnier
ne peut rien réclamer pour son s:\laire, la perle ùe la chose
entral11anl fatalement la résolution du contrat dont elle renù
l'exécution impossible .
li y a cependant an Digeste un texte qui se111lJle contredire cette
solution et qui a donné lieu à de nombreuses controverses.
1'1/arcius dom znn /adendam a FLacco condu..cerat, dei1ide operi8
parte e/l'ecta te1Tre motu co11c11ssiu11 el'af œdificiurn; Jlassurius
Sabinus si vi natur·ali veluti te1·1·ce 1110!u hoc acciderit , Flacci e1Jse
pu icu/11111. (Javohnus) t l ).
Certains antems s'appuient sur ce texte pour penser que le ùroit
ro111ain, mème à la suite de la perte de la chose par cas fortuit,
obligeait le maitre à rétribner le traYail ùe l'ouvrier. Ils tradui ent
alors terne motu par trernble1nent de terre. Lorsque la maison
" ient i:t périr, disen t-ils, par l'elTel d'une force majeure com111e un
tremblement de terre, les risques son t à la charge du maître, qui,
par conséquent, deYra pa)·er le salaire. II est difficile d'admettre
ce lte inlerprétation , Si le jurisconsulte les aYait eus en Yue. il les
au1·ait désignés pa r ris l/(rt11rali8, rù; divi1w. ris ma911a comn .e
le;s autres textes du D i9e1>te clans lesr1uels il en Pst question , les
lois 2'•, § 3 et 4 de c!rl1J1110 i11(ecto XXX IX 2, loi 2 § l de periculo
et commodo 1·ei ce11ditrr• X\'Ill, 6, loi 78, § 3 de cont1·ahendn
e111ptio11e XVIII, 1, loi 2\ ~li loenti co11d11cti XIX. 2. Il est ùonc
certain quïl s'agit rl'nn affaissement lie terrnin, d'un vice ùu sol
clont le maitre est nécessairen1ent re ponsable. car le droit romain
ne distingue pas entre Je \'ice du sol et celui de la matière. Et ron
ne peut en tirer celle eo11sét1uence que l'ounier ne souffrira point
cle la fu1'Cc majeure el de' ra toujours être rétribué par le 111a1tre.
>:ons tronrn11s il l'appui de nntrc solution un texte tl'Ulpi en t 2)
qui Ill' lai"s' a11cu11 tlnnle sur l t>~ conséqnenn~s du cas fortuit pour
lt' crn1d11cto1': q1111111 fJ//Ïda111
11111/ 11rt
n<·cepeNd 1·epel c1·c1
11(we aJ11issn
re.~r1·i1 1t 11111 est
11011 in1111el'ito. p1·oc111·ato1·e111 Crr•sa1·is ci/1
1j1111111 1111111e1·e 1•elie11di /i111ct11 s
si mil 1(c1· oliserNc11rl 11111 Pst.
(l) Oig-. loi 5!1. Lw·at1 ,.,,,,
Dig. lui 1;, )( ti. /.o.,,, ;
c·n
i·ect111·a 11
eo
11011 .~it. f..) 11 nd
1111·/1 \I\ ~
, 1,,. 1 \1 \
q11a111 pru
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1·ect111•a111 1·epet1. 1·e
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n111Hib11s ptr~o11is
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3H -
Nous avons diL q11c si l'obje t dn l o11a~e est nn corps cerlain ,
c·cs t le /ocrüo1· qui i;Ouffrir:1 dl's cas f·1rl11ils. Voici cependant cc
que 1lit le jurisconsul te Florentinus ( 1): ()pus quod ave1·sio11c
locaf•11n est donec a1,1ir·obe/lt1· co11rlw·to1·i:s 1ie1·icu lo est. Q uod ve1•0
ita co11d•1cfum sit, ut in pedes mc11sura.y1·e pwostcl 111 · eale1111~
co11ductor·is J)ericulo est quale•1111<; admens10n non sil : et i11
ufraq11e causa 11ocit111•11n1 locato1·i, si pe1· e1011 .<Jteterit quoMinus
opus approbetu1· vel ad111etiat111·. Si lalile11 vi majore opus p1·ius
interciderit '}Uam app,.obarelu1· loNdoris ]Jl'r·iculo est, 11ù:i de
aliud actum sit 11011 enim amplius, 1n·œ~dari locato1·i opo1·teat
quam quod sua eu l'a atque opel'(l co11sec11tus e.<Jset.
Comment concilie\' les différnntes dispositions de cette loi, dont
le pai·agraphe premi e1· porte qu e si la chose périt pal" cas fortuit
a\•ant Ji\'raison , elle pé1·it polll' le cowl11cto1· et dont r~wa nt
dernier alinéa, dér,ide que si la chose PL'ril par force rnajeurf'
avant sa réception par le lllaitre, la perte est il la c_harge du
locator·.
On a qLlelquefois inte1·p1·été celle loi de la manière sui\·ante: la
perte est pour le conductor cruancl la chose a péri autreme11L que
par cas fortui t ; dans ce cas, la présomption de faute est contre
l'ouvrier. Au contraire, si la perte est le résnllaL d'un cas fortuit,
d'une force majeure, la régie est cell e que nous m·ons énonct'.•e, la
chose périt pour le locato1· à moins qu'elle ue soi t fongible ou
fournie par l'ounier.
Monsieur Labbé, dans son tra ité des R isq11es dans les contrat~
s.1Jnalla9111atiques, inter rrète de la manière suivante ces deux
dispositions en apparence contradictoires. En principe, les riscrues
sont à la charge de l'ouvrier comrne com;éc1ue11ce de la présomp li1m
de malfaçon qui pèse sur lni. Dès que l'ouvrier a détrnit cellr
présomption, soil en prouvant la force majeut"e, soit en clémontrant
qu'il s'ag it d'un cas fortui t qni ne peul lui être i~1putablc, l'l que
l'ouvrage élail bien conditionné, il est déchargé clc tonte n·sponsabilité: locatoris pe1·iculo est.
CeLte théorie trouve un argumen t en sa faveur dans le tex te'
( 1) Oig. loi 36. Lo,.ati f'011d11r·fi. X.I X. 2.
-
39 -
suivant de Labéon qui parait faire les mêmes distinctions (1): ,'fi
ri vu 111 quem /aciendu Ill co11d11.re1·as et (ecera8, antequam e111n
11robare.<;, labes "Or1·11m1Jit, fl1w11 peri'culwn est. P aulu.'J : ù110
s i soli 111'tio id accidit {ocat01·ù e1·1't per·iculum, si operis vitio
acciclil , tu11m er·i·, detrimentum.
Il est à remarquer que si l'ouvrier succombe à la présomption
ùe faute qui pèse .mr lui , il perdrn non seulement son travail el
les matériaux qu'il peut avoir fournis, mais il sera encore passible
de dommages-intérèts à l'égard dn maitre.
(1 ) Dig. loi 62.
lof•ati f'Q!l flUf'/ t .
XI\.. 2.
�-
1~0
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-
CHAPITRE IV
DE LA LOCi\TIO CO\DtrCTIO OPRn:\ n U.11.
1. - OBLIGA Til'J:\S Dl' LOCATOR OPRRARl'~I.
La local io concluctio ope1·a1·11 m élan L un conl rat synallagn1atique produiL des obligations 1·éci prnques pour c liacune cl es parties
contractantes,
L'obligation principale dn locrdo1· (Jpera1·11111 est de fournir ses
services pendant le temps convenu et sui ,·ant les condit ions fixée·
par le contrat. La durée du Le mps pour lequel l'ouni er engagea it
ses services pas plus que la liberté de détcl'miner la nature des
services ne paraissent avoir été limitées en d rn it rnmai11 . On 11·n
nul souci du principe de la liberté indh iduelle, et Paul nous dit
qu'un homme libre est maitre absolu de disposer cl c ses sel'vices:
H onio liber qui statum s11u111 in pote~tate ltabet et pejore111 eu111
et meLi01·e1n face1·e potes!, ntque i'deo ope1·as sun.~ rli111·11as 11oct11rnasque locari (1).
Cependan t Papinien n'admettait 1x1s la vaJicliLé d'un engagement.
contraire à la liberté. Pote.<;{ dici non eR.<;e locum ca11tio11i 1c1·
Id -
qua111 jus libertatis i11/r(rn,r;it111· (lJ, mais ce texte ne s'applique
qu'aux testaments et aux leg . Il Yise le cas oll un testateur
\'Oudrait imposer à son successeur ries conditions qui entravent
son indépenda11cc, coinme, par exemple, de ue pas se marier, de
ne pas quitter son tombeau, mais certaine.ment Papinien n'a\·ail
pas en vue le louage.
Il doit en être ainsi certainement pendant longtemps, l'homme
libre pou,·ant faire argent de sa liberté et devenir le nexus ou
l'adclictus d'un a utre.
Plus Lard, à l'époque rles j urisconsultes, il est probable qne la
liberté fuL un bien inalié11abte contre la âisposition duquel il ne
pournit yavoircle prescription, e t que l'engagetnen t pet·pëtuel pris
par un Locator devait faire assimiler le louage :linsi formé à un
contrat fait sous conditi on potestati,·e.
Il peut arriver qu'une personne, après avoir loué ses sen·ices à
un premier maitre, tentée par l'ofît'e d'un salaire plus élevé, s'engage vis-à-vis d'un second. On tlét:ide dans ce cas quel~ droit du
premier maitre est préférable à celui du second. I n operzs dtwb11s
si111ul locatis N)llvenit pi·iori conductori ante sat?'sfie1·i (2). Quant
au second conductor privt:: du bénéGcc de son contrat, il peut par
l'ac tio11 conducti obtenir des Jommages-intérèts.
Une seconde obliga tion du locato1· opera1'11m est celle d'exécuter
le travail confonné1nent aux conventions ex prtJsses ou tacites
interYenues entre lui et le cand11cto1'. Le louage étant un contt·at
de bonne foi le juge devra recherchet· cru'elle a été l'intention
commune des parties.
L'in exécution du contra t de louage de sen·ices se ré out toujour
en do 1n mages-inlét·,; ts. li est, en effet, de prinLipe en dr0it romain
qu'on ne peut contraindre par la force son débiteur à exécuter le
fait auquel il s'est ubl igé: 11emo 11otest cogi ad /accw11. Cepen~ant
certa ins commentateurs, s'appuyant sui· un texte ùu code, la 101 t:?,
§ D, liv. VIII. 10 de redificies p1·iNüis, pensen t que dans les ~e1·11ic1·s temps de l'e1npirc 0 11 pou\'ait contraind re par de perne
corpore lles les OU\Ticrs à exécuter lenr t·uizagements. Il est
1
(1) Panl. Se11tet1lio! lili. Il . tit. :\ \'111
( 1) Dig-. loi 71. !:i ~. l>t' 1•011,/. et dt•111. ::-...::-..:-.. V. l.
('2) llig-. loi '2ti. L1w11t 1 1·,,11rl111·11. \.l \.. '!
�probable que cette loi, édictée dans un inlét•è t de police municipale et de Yoirie, n'était ap plicab le qu·a1,1xouvrie1·s en bùtitne11t.
Pourlant les ouvriers ùe l'Etat et les ouniers e1nployés à l'alimentation publique étai en t soum is à des chàtiments corpords.
i le locato1· ope1'ai·11111 est tenu de faire son travai l ayec le soin
et l'e xactitude d'un bon père de famill e, il ne répond pas en général des résultats et de la bon lé de l'ounage. Toutefois il est
possible qu'un ouvrier payé à temps s'engage à fournir un ouvl'age
déterminé. Dans ce cas c'est l'inten tion des parties qui détermine
la responsabilité de l'ouvrier. Si l'on a eu en vue seulement
l'ouvrage consommé il y a Locatio co11d11ci io opel'is, si, au con tra ire,
c'est le tra,·ail lui même qui était le but du contrat , il y a Locatio
con.d uctfo ope1·a1·11 m.
Il. - OBLIGA TIONS Dl' CO:-<DUCTOR Ol'ERARUM.
Le co11riucto1· ope1·aru m a comme première obligation de payer
le prix convenu.
Lorsque, par su ite cl'nn cas fortui t ou de force majeure, il y aura
eu impossibilité d'exécuter le teavail convenu: quels seront les
droits de l'ouvrier. Pourra-L-il réclamer son salaire comme s'il
avait fourn i ses services? Nous avons vu la question se poser à
propos du louage d'ouvrage et nous avons su que dans ce cas
l'ouwier perd tout droit à une rémunération ; en est-i l de même
dans la locatio conductio operm·1u11. Paul (1) parait décider,
comme règle générale, que l'in exéc ution du contrat par suite de
force majeure laisse subsister pour le conducto1· l'obligation de
payer la totalité des salaires : qui ope1·as suas locavit totius temJJOris nierceden acâpe1·e debet si pe1· ewu non steterit quorninus
ope1·as prœstet.
Les commentateurs qui admettent cette interprétation soutiennent que les mots : se per ewn non steterit quom1·nus operas
p rcestet ont une portée générale et visent tout à la fois le cas où
(1) Oig. loi 38. p.1. Loraticonducti. XIX. 2.
·~3
--
les sc 1· vices ont été inlcrrnmpus par un fait pro,·e1rnnt du co11d11cto1· et lïnterl'llption provr nant <1·11 11 cas fo rtuit. Le jurisconsulte
Africa nus a e1 nployé les in~mes Lei·mes, disent-ils, dans une espèce
oü il s·agissail d'un fonds dont le louage avait été résolu par une
conflscation , fait éviden1111ent de fo rce maj eure ( l) si firnd11s q1u.:m
111ihi locave1·is publicrd us sit tene1·i te acf?"one e.c co11d11cto 1d
mihi (1·ui lieeat quamvis per· te non stet qw)lninus id prœstet .
On pomrait ajouter aussi que le paragraphe premier de la loi 3~,
qui dispose, comme conséquence du principe général, que les
avocats ne sont pas obligés de rendre les honoraires qu'ils ont
reçus quand il n'a pas tenu a eux de ne pas plaider, montre bien
qnc le paragraphe précédent vise le cas de force majeure
Cependant mèrne dans ce système la loi romaine apporte un
tempérament à la rigueur du principe. Ulp ien nous dit que,
conformément il un rescrit d'Antonin, on doit retrancher du salaire
dù au locato1· tout ce qu'il aura gagné avec un autre maitre pendant le temps con\'enu pour le premier contrat (2), et il nous
indique que Papini en professait la rnè1ne doctrine : diem /11t1 cto
Legato Ccesan·s sala1·i11111 Co111itib11t1 residui temporis prrcsta11dum modo si 11011 postea co111ites cum aliis eode11 i tempo1·e /uerimt.
Cette opinion a été contestée; l'interprétation qni est donnée <le
la loi 38 a été trouvée trop rigoureuse et contraire aux principes
du louage. Les anciens commentateurs et notamment Poët disti11guent trois so:·tes de forces majeure
cel le qui incombe au
conductor, celle qui incombe au locator, et celle qui ne pèse ni
sur l'un ni sur l'autre.
On devrait restrnindre, l'application du principe énoncé par Paul,
a u cas oü l'inexécution du contrat est le résultat d'un événement
fortuit ayant une cause contingente au maitre ; par exemple, un
homme ·dont la profession est d'écrire sou la dictée a loué ses
services à quelqu'un et le maitre qui les avait pris à loyer est
mott avant l'arrivée clu terme convenu. Dans ce cas el dan ce cas
seulement l'ouvri er a dro it à son salaire intégral. Et encore avons(1) Dig. loi 33. Locati ro11cl1trfi. , I X. 2.
('.l) Dig. loi l9, §!let 10. Lornti contlucti. X IX. 2.
�-
ous rn quïl faut déduire le sa laire gagné pendant le temps
convenu, chez un autre maitrn. Quant aux héritiers du conduclor"
défunt ils pourront ex iger la dette de se rvices que dernit le locator
à moins que l'ouvrier n'ait contracté a,·ec son maitre hituitu personro. E.r: conducto actionem ad heredem transfre palam est.
Si, au contra ire, la force majeure pèse snr l'ouvrier, par exemple, s'il meurt, avant l'expi rat ion dn temps fix é, ses héritiers n.e
pourrnnt réclamer le sa lairn complet Liu temps que ce contrat avait
pré\'U.
Enfin si l'évènement ne lient au fait ni de l'un ni de l'autre,
'
comme quand le mauvais temps s'oppose à l'accomplissement du
travail , l'ouvrier ne pouna exiger de sa laires qu·a11prnrata de la
durée ou de l'importance des se rvices qu'il aura rendus.
Toutefois, Paul parait décide1· q ne si la maladie a intenompu
quelque temps le trnvail de l'ouvrier, le maitre ne devra pas tenir
com pte de cette interruption dans le paiem ent (1) : .suvfre eni111
4:.i -
11
1wbis ;11/elliguntur etia111 eo.~ qu o.~ cu1·amus Cl[Jl'OS qui cupientes
servfre propte,. adve1·sa111 valetudinem i1111Jedi'zmtu1" Il ne s'agit
pas iri de lonage, le texte vise le cas où un maitre a d it: Je donne
la liberl è à mon esclave Slichius quand il sera resté pendan t un
an l'esclave de mon héritier. ' i pendant l'année l'esc lave est
malade, cette circonstance ne fai t point obs tacle à son aITranch issement. C'est clone à tol't qu'on \'Ouclrai t étendre l'application de
ce texte au locator operai·11n1. Aucune règle cte drnit n'oblige le
maitre à conipter des salaires à ses ou\'riers pom· le temps oü ils
ont été malades.
Le conductor op e1·m·1w1 a anss i comme ob ligati on, de veiller à
la sécurité de l'ouvrier. Il doit prendre toutes les mesures et Ioules
les précautions nécessaires pou r que l'on,•1·ier ne soit pas exposé à
des dangers, et répond à ce sujet, <le sa faute légère.
11) Dig. loi '1, ~ i'>. Oe <'-tatuli/Jel'i.<. XL . 7.
Ill. -
) LODES D'EX'J'INCTION DB L A LOCATIO CONDl:CTIO OPER_\RU~I.
La locatio conductio opera1·11m s'é leint par les mode'5 gé11éra ux
d'ex tinction des obligat ions que nous avons déjà cilés, mais encore :
t· Par l'expiration du terme co1wenu .
Lorsque la location rollditctio ope1·a1·um n'aura pas été conclue
pour un temps d0Lerrniné, mais à raison d'un prix anèlé d'ava1~ce
par jour ou par sem:.i ine, elle ùurera tant qu'aucune des parties
n·ama pas manifeslé l'in tention de faire cesser le conlrat. Ici le
mode d'extinction résnltera de la si1nple volonté de l'une lles
parties.
2· Par l'incapacité phyRique ou i11lellectuelle de l'oU\Tier.
Si lïmpossibi lilé d'exécution résu ltait de la faute de rune <les
parties, les obl igations nées du Jonage se résoudraient en domma ges in térêts que supportera il la partie responsable de lïnexécution.
3° Par la mort du Locato1· operai·11m.
Ce cas n'est au tre cl1ose qu'nn cas d'impossi bilité d'exécLJtion,
par force majeure. Cependant, s' il résulta it des ter mes du contrat,
que le fait pounait ètre exécuté par cliverses personnes,. et tiu.e
ce mode d'extinction dennit être ëcarlé, le louage subs1stera1t
malgré la mort du !oC'alor ope1·aru111.
4° Par la mort cln co11r111ctor opeNn·11m. lorsque l'engagement :\
été <.:ontraclé a\·ec lui i11tuit•1 J1e1·sonre.
�-
CHAPITH8 V
i\CTIOl\S .
4ï - -
Dans la procéd u re form ula ire, le mag istrat renvo ie les parties
devant unjude.c ou a rbill'e, en délenninan l la question àjuger.
Si la formul e es t conçue i,, jus, le juge n'a qu'un pouvoir d 'apprécia tion limité, e t qu'une ques tion de droit à r ésoudre d'après le
ri goris m e du droit civil el la lcllre du contrat. Il ne fa ud rait pas
cep endant a ller jusqu'à dire que le juge n·a pas à s 'occuper de la
bonne foi. Il pourra tenir compte de l'intention des parties, et s i ceLLe
intention n'es t pas nette, s'éclairer des usages de la localité. Mais
cette recherch e d e l'intention des parlies, ne pou rra ètre faite qu'en
examinant le fait s olennel qu i a donné lieu au con trat, e t les circonstances accessoir~s de la cau::;e ne peU\·ent modifie r la rig ueur
de la sentence.
Lors qu'au con traire, le magistl'llt ajoute ü lïntentio de la formule les wo ts e.1· hona (ide, le juge esL Ïtl\'esli d'un pournir
plus large, il dena décider d'après les régies du droit, mais il
peut avoir égard a des cons id ér a ti ons cl\~quité et se baser s ur ùe::;
circonstances accessoires pour ré primer le dol ou la rnau\'a ise fo i.
Toutes les acli ons rrui résullenl du contra t de louage de services
reçoive nt de droit l'adj onclÎOll des m ols e.1: bona fid e, OU d'autres
analogues.
Voici q uelles so nt les conséquences de ce car actère d'actions cle
b onnP. foi . L e juge p ourra se g uider d'ap rès l'usage ou la coutume,
p our détemüner les clroits respectifs des parties dans te cas oü
une convention ex presse ne serait pas intervenue entre elles:
Il nous resle a examiner les moyens que la loi met a u ser vice des
parties pour la mise en Yig ueur des droits qui découlen t <lu contrat de louage d'ouvrage e l de se rvices, et la sanction des obligations qui en résultent.
Ces moye ns so nt différents s u iva nt les é poques où nous nous
plaçons, ma is dans toutes les périodes de la procédure romain e,
nou Yo yons les obligations nées d u louage , appréciées e.v bo11a
(ide.
Sous le système des actions de la lo i, c'est selon l'éqnité e t la
bonne foi q ue dernient être a ppréciées lf's clauses du louage, cl
les parties a uront recours à l'aclion de la lo i 1i e1· judicis p o.<ttulalione111, po ur obtenir l'exécution du contrat. Le jude;r ou l'ai·bife1·
chargé de décider sur les prétentions des parlics, ne prendra pas
comme règ le les principes du dro it s tric t , il juge ra e:r requo et
Le juge, ayant p lein pournir d'apprécier s i un dol a été commis
par l'un e des parties, e t d'en tenir compte, il n'est pas néces-aire
que -l'exce p tion doli 111ali soit insér ée dans la form ul e judiciu111
bono.
bonœ fidei continet in se boni mali e:cceptionem .
Sous l'empi re du système formu laire, le louage donne lieu ü
deux ac lions, l'action locati et l'action conduct i, s ui va nt que c'est
l'un e ou l'autre des p a1·ties qui en poursuit l'exécution . Ces clenx
actions sont tou tes deu x des a ct ions de bonne foi , c'est-à-dire
qu'ell es la issent auj11de:r la la titude cles la tu er s uivan t des cons idérations d'équité. e t non s ui,•ant les principes r igonreux du droit
civ il ou le::; te rmes prëcb de la conYenlion.
11 n 'est pas nécessaire, pour fai re va.loir la compensation ,
d'opposer l'exception doli niah; le juge devra la prononcer d'o!lice
pout' les obliga tions réciproques provenant e.r eade111 cl1u1:1a: jud ici
compensatio11is 1·atio11e111 habe1·e ;01·11wlre ve1·bis p1·œc1)1it11r: :<ed
ea quo' su11t 11w1·is et co111:1uetudi11is in bonœ /idei judiciis debe11t
venire ( l ).
qu id i11 bonœ fideijudicio conce11ien<> viclet111·, id o/ficio ejus co11ti11eri c1·editur.
(1) Dig. loi 31, t(
·w. :-...::-..!. l. L>i: rt•cli/a. erlid.
�-
49
'i8 -
Du caractère de bon ne foi de l'aclion, ré:m lle l'insertion d'u11e
form ule i11 re/'f(T, el pat· s uite, le demandeur n'encomt p as la p lus
petit io i sa demande est exagérée.
L'obl igation pour le juge de te ni r comple ù11 dol e t d'avoir
éga rd a ux considérations d'équi lé, entraine comme con séquence
la val idité des pacles adjoints, c'est-à-d ire des comeutions accessoires du louage. Le pacte adjoint, qu'il ai t pour effet de rnoclifl r, r,
ù'augmente1· ou cle diminuer les obligalious des pa rties, est sanctionné par les actions mèrne du louage . Pc1cta co11ve11ta bonœ (i.dei
j11diciis immnt {l ), une restriction est cependant appor tée à ce
principe, et les parties ne doivent pas porter atteinte aux élémen ts
e sentiels du louage, 011 ne peul pas co1wen ir, par exemple, que le
maitre ne payera pas de sala ire. Les pa ctes doi,·en t ètre ajoutés a u
contrat au moment de sa forma tion, in continenti. Quant ü ceux
qui, faits après coup, e:c i nfen·allo, doivent interven ir avan t que
l'exécution du conlrnt n'ait commencé, 1·e non secuta, 11 faut distingue 1· entre les pactes qui mocli l1en t une partie essentielle du
contrat ,pacta cfrca -~·ubsta n tia, et ceu x qu l n'ont Lra i t qu'à une chose
accidentelle, pac/a ci1·ca ad111i11icula, telle serai t nne abrév iation
ou une prolongation de délai, convenue après coup . Les premie rs
sont cons idérés comme une véri table clause du contra t lui-même
ayanl la même effi ca cité, les aulres fournissent une exception au
débiteur.
En ce qui concerne les intérêts, ils cou rent à partir de la mise en
de111eure e t sont ajoutés au prinripal de la de lle : i11 bonœ fidei
contractib11s e.r nw1·a usw·œ debt>nl111· (2).
Le demandeul'. dans les actions de bonne foi, pourra, avec la
permission du juge, déférer le serment au défendeur : in bonœ
fidei judiciis in litem j11ral11J' (3). Le j11ra111enlw1 1 in litem ne
sera déféré qu'exceptionne\lement da ns les acti ons de droit s lri ct.
Enfin, c'est au 1nomenl de la re.s j11dicata que le juge do it se
placer pour évaluer le mon La nt de la condanmalion , tandis que
1lans les aclions de droit str ict, cette évaluation do it se reporter
)
a~ moment de la liti:s contestatio: reijuclicandœ tempus quarift 1·e.s
1:1tL obse1 ·vatv1· qua//lvi1S i11 ~fri"cli tit i.~ co11testatœ tempu1:1 specte-
tur (1).
Nous avons vu qu' il peut y avoir cloute s ur la qualité des conLractanLs, que s ui vant les c irconstances l'une des deux parties doil ètre
consiùérée ta ntôt co mm e locato1" ta ntôt comme coaductor'. Comme
du choix de l'ac tion ùépcn<l l'issue clu procès, au point de vue
ml}me du droit <.lu dema ndeur, l'appréciation de la qualité du
demandem a une grande importance. En cas de doute, Ulpien el
Papinie n conseillent au deman deur, s' il hésite entre les actions
locati et. cond11cti, et cra int que sun opinion ne soit pas partarrée
0
par 1e Juge, d'ag ir par l'actio n ci\·ilc in /act11111 ou p1·œ1:1criptis
ve1·bis, c'est-à-ùire par l'action qui $C borne à ex poser le fail ou
la convention (2) (3).
Sous Jus tinieu , la co911it io e.f't1·ao1·dinm·ia devi nt le système le
plus géné ralement e mployé . Dès lors, le magistrat, ayant tuul à la
fois le ju1S e t le judiciu111, il n'y cùt J>lus le mèrne intérêt à. disting uer les actions bo11re /ide1 e l les actions 1:1fricti j1ais.
(1) Dig. loi :J, ;:i '2. Co11111wdati v<'i conl 1·a. >. llI. li.
('2) Dig. loi l , § J. De p1'11•sc1·iptis cerbi.<. X.fa. S.
(3) Dig. loi 7,;:; 2. De pacf i<'. 11. 14.
(1) llig. loi î , ~ 5 el .'>L /Je pwtù<. I l. H .
{'2) Dig. loi :J2. §2. De ail11l'is. >-X I I. 1.
f:l) l>ig. loi 5. p. 2 et~ 4. De Ji11•1• .it11 ·1111d1,. ).Il. ·2.
4
�Dl:\OIT FRANÇAIS
�DROIT FRANÇAIS
DES OBLIGATIONS ET DE LA RESPONSABILITt
DES COMPAGNIES DE CHEMIN DE FER
EN MATIÈRE DE TRANSPORT DE MARCHANDISES
INTRODUCTION
l. - nm:; A '\'CTR'\'S :\IODES nE TRANSPORT
C'est un principe élémentaire cféconom ie p olitique que la Yalem
f' n éc liangr <l'tm objet esl rsscnlicllement relatirn, qu'l!llC :i.u~
mrnlc en raison clircrtc de la clcman<lc cl en ra ison inn~rsc de
l'ofTrc cl qu'elle dépend exactement de la quantité qui en exislesur
le marché.
Le p rodncte11rrpli, pour donner h sa march:mdisc son maximum
<k valrur, Ye ul la placer dans le lieu où clic sera le plu demanilt'c.
le consomma teur qui, pour oulcn ir :nrx plus bas prix possible lè.::
produits <111i lui sonl ni·ccssaires, 1lnit ~·adresser a u:-. stocks di..;p1)11ihlcs, Lo11s ont 11' plus grand i11lt1rd i\ ln rac ilil1; dl.'s Lr:i.11sporl .
J .c commerce, rel l'rl1:in~1' P•' rJH' LtH~I tk pro1htils cl'homnw :1
llnm nw. de na tion ;, 11:1lio11, a d1H\r pou r h:isr première. la l'i1·culaliun ; cl l'indus trie des transports 1'sl nnc de celles qui ren1knt
k s plus :.t1·nn1h-; SN\'ÎC'1's :'\ l l m111anil(·
�-MEl cependant, qucll r difîicttlll; ponr faire accep ter même par Ir
peuple , le pre mier inl1;rrsst', les progTè-> et le p erfectionncmcnt.
An 111oyen-ùge. des rnntcs d1lfo11cées e l p e u sù l'es sont les
seules Yoies de communirn linn , el le dos des bètes ch' so m me le
seul moyen de trnns port.
C'est se ulement dans le :\li!' s ièc le q u'on Yoil apparailrr le:;,
pre mières yoitures faisa nt de longs trajets. Cc son t les coehes des
inessage rs chargés <lu tl'am;port des h ardes et effe ts appar tenant
m1x escoliet·s d es ùive n;rs provinces ve nus il P aris pour étudier.
Par la suite, ces messager~ curent licen ce de LraYailler pour les
b ourgeois, e t Je privilége de l'uni\·crsilé fut con sacré pa1· des
o rùonnances royales. Le premier ti tre r ela tif à ces 111essageries
primiti,·es é m a né de Phi lippe le Be l, remonte à l'a nn ée t 2HO. En
1315 éta it ins tituée la con fré rie des messagers a\·ec approba tion
ro~·al e par Lo uis le IIutin.
Louis XI , voul an t r éunir e t con1enlrer d::ms sa main toutes les
forces dispersées de la royauté, c réa cl0!1niliYemenl les pos tes el
message1·ies par un éd it du I !) jui11 141H.
l\lais ces services (•la ient L'l'sen·Gs au ro i, il ses officiers, se<;
ambassadeurs ou ses délégués, on a ux p a rti cnliers qui ob te naient
la permission d'eu fait·c usage, cl le reste de la nation deYail toujourn aYoir recours aux YOi llll'es de l'uniYcrsité.
pressé par ùes besoins d'argent, refttsa de recon11a il1'C
Henri
~ l'nni\·e rsité le drnil ù1~ rness:i:.;erie, ;, 11wi11s c1u'elle nrprilel pa):'tt
licence, e l concéda ü nn de ses 111ig11011s le pri\'Hége du se\'\· ice des
Yoitures publiques entre Paris, Orléa ns , Tl'O yes, Runcn ri
Beauvais.
Sou<; l' inspiration de Sul ly, lh'11 ri 1\' institua un surintend:rnt
des carr osses publics pour o rgan iser des comlllunicalinns cnt1·e Il'"
différe ntes p ar ties de la Fr:uwe cl le P a rt e 111e nl s·ocrupa mè rn c de
fi xer le prix des plar,cs.
En 167G, Louis XTV o rclnnnn Ir racl1al de diYerses concessions
de m essageries faites j11squ'a lo1·s c l réunil il la fe rm e d es postes
le monopo le d es nicssagcriC's q u i clc\'ir11ucnt les messageries
roya les.
m.
U11 siècle ap1·i~s. sou~ l'i 11s pirali o11 clr Tn r~ot, 111 1 an1·I d11
conseil du î aoùl 1iî:l , r1'·1111iss:ii l rlll do11winr les c·1111ccssio11s p1·t'·-
céclemmen t faites, Mrlonnail le rachat ri e tous les baux, et créait
un service de voitures uniformes pom tout le royaume. Les messarreries r oyales sïnsla ll èrent me '\. - D.-des-Victoires. Les dili.
"'
ge11ces, les turgoti nes comme on les appelai t a lors, faisa ient un
service rég ulier l)arlant à jou rs el ü heures fixes et transportaient
\'nyage urs, üagages e t ma rchandises m oyennant des prix fixés par
arrê t du conseil dn r oi. li fut, e n C'onséquence interdit aux services
particul iers de m essageries de tra n-;porter sans une autor isation
du gouverne me nt les ,·oyageurs s ur toutes les rou tes oü fonctionnai t le serYice des rnessageries royales.
L es tnrgotines furent en gént'.·ral accueillies avec reconnaissance
par Je public : le seul reproche qui leur fut adressé fnt qu'elles
encourageaient l'athéïsrnc. En cfTel, dans les anciens cahiers des
charges etait insi:rile 1 obli gation. pour les YOi turiers, de donner
aux voyageurs la possibilité d'entendre la messe; et l'activité du
nou\'eau sen·ice n'a\'ait pas permis de maintenir celte clause.
i\ifalgré le progt·ès énonne réalisé par l'apparition de ces me sageries, certaines provinces n'en avaient pas apprécié l'importance c l l'ulililé, el l'on vo it dans bien des « cahiers » des états
généraux formu lé le vœu qu'on suppri111e le priùlége des messageries el qu'on Jiminue le no1nb r e des grandes roules. terres
enlevéesü l'agrirullnre.
i\Ialgré l'erreur econom ique ùe celle idée, il est certain que le
monopole de l\;tal. excellent au ùébut, <wait fini par soule\'er de
nombreuses réclamations
La loi des 2G- 29 aeoùl lï90. Yient abolir le d1·oit de permis et
rentlre aux partil'nlicrs le droit <l'entreprendre des tr::rnsport::; de
marchandises et <le ,.o,ageurs. La -;cule restriction apportée à la
liberté des transports élai t l'obli:.talion d'en faire la ùeclaralil)ll il
la municipalité dans les huil premiers jonrs de l'an et la défense
cl'a n11o nce1 les départs ü jonr et il henre fixes el d'établir lies
relais. Les a utl'es pri\'ilégcs de l'ëtnt étaient maintenus et il était
étab li une ferme générale des messageries pour l'exploitation dn
monopole.
La regic des incssagerics ftit snpp1·imée par la loi du 9 Vemlé
miaire, an VI, qui dé\'icla CJLÙl partir du l" niyù::;e sni\'ant, serait
seulewent p e1\·n, au prollt tlu Tn'sM public, un irnpùt du dixième
1\ n pri'\ des pla0t-'S d:rns ll•s lll!'"""~erir-.; partinilière~.
�-
En l'an XIII, d'après un décret <ln :IO fl oréal, toute no11vcll c
nntreprisc de messageries, cl ul se pourvoir au préa lab le de l'anlorisa tion dn gouYcrncrncn t
C'esl à cette époque que se fondèrent les message! ies qui, suivant la couleur de la politique, fu rent tour à tour roya les, nationales, impériales. E lles étab lirent un systèm e presque complet <IC'
commun ications entre Paris cl les diffél'cntes vill es de France cl
fon ctionnèrent aYCC un snr.cl\S CJt1r ln construr tiou des chemins rle
fer rlcvnit seule arrêter
II. - DH:'I <'llHMl:\S nr.: llHR
La France fül très-lent e i1 adopter ee 11011\·ca11 mode de locomotion: clic en était encore aux lùlonncmc11ts et anx hésilalions
r1uc cléjà l'Ang lelerrc et la Be lg ique rons lniisa ienl en hùte et parloul des voies ferrées.
Le p remier essai fü t l'ccuvrc de ln Colllpn g nic de Saint-Etienne à
Lyon, dirigée a lol's par M. Seguin , in ve nt eur de la chaudière tubulaire D'nbord desti n(· sculr mcnt nt1 transport ries c harbons et clrs
houilles, cc chem in de fer fut hicnlM transforn1é ponr srn·ir an
transport <les yoyageurs c l <les 111nrrhan<l isrs d ré nssit ad mirn-
h le mcnl
:\fais la nouvelle inveutioti, ind<· pc11da111tnc11 t cle la rés i~lan cc ri
de l'oppositinn <rn'ell e dcY:lil fa tale1nen l 1·e11contrcr parrni les
propriétaires rlc carreau x ou les enlrcp1·e nc11rs rie tran sporl , dans
lïndns lric ctcsqnels l'lh· apporlnil ltn lronblr profond, lrml\'nil
dans Ja chambre drs l'<'JWésc nt anl s d11 pnys ttn<' incompré hrnsihlc hosti lité.
Tn11di s qu'en Angletcri·c. il' ri 1er du 111i1iis ll: 1·c' ang lnis prcnail 1:1
parnle dans un lllCC' ling pou!' cl t" 111011lrr rq11 c· k pa)stlevail se 111\lPr
cl r ci rnslrni re des C"ltcmins ci l' ft•r r l t'·lah lir des ru mmunicnlions :1
ln vapcnr d 'un h onl à l'a11lrr du roya1 1111r, 11our conse r ver dans le
tn1HHl!' son rang et sa s upc'·l'inrilt'· , <' tt Franc<', ln Cha m!Jrc. npn"s
:ivoir nrror<ll' l'nnnrr pr1"r<' rl <'nl t' ;ino,ono f'ra11 rs ponr 1"t 11<1rs l'I
<'Xéculions de chemins dl' 1'1 •r , rl'l11 s;1il, Il' î 111;1i 1 ~:~~. de' volt•r
1
57 -
l 'établissemenl1'111médiat drs lignes de chemins de fer 'lue récla maient certains députés que l'on traitait clc témér aires
La même année, un homme <l'èlal fran çais déclarait que l es
r llemi ns de fer étaient bons à amuser les cl ésœuvrés rl\mc tapi t.ale
cl ajou tait : << il faut voir la 1·fo/i/é car, mèrne en ;o;upposan.t heancoup de succès aux che mi ns de fe r, le résultat ne serait pas cr
que l'on a\'ail espéré. ~i 011 venail rn 'assurer qu'en France on fera
cinq lieues de voie ferrée pa1· :innée, je 111e tiendrais pour fort
heureux. »
Le résultai de ve système rut rru\!11 l83ti, il \. a\'ait eu Fraucc
'142 kil. tle chemins <le fer en exploitntion , lanrli" que l'Angleterrr
en possédait 3,ü!i6.
Cependant l'indus lric )ll'ivéc de\'an<,:a le gouYernernent. Un
chemin de fer, autorisé pa r la loi <lu 9 jnin 1835, fut construit de
Paris à Saint-Germain et appril au:-.. Français que la tra\'Crsée
d'un tunnel n 'étai l pa<; nfress::i irement mortelle.
L'opinion pub li que finit par s'<~ rnou\'oir, les j ournaux, les industriels, les in génicut's eommencèr cnt à demander que la France se
mil enfin il cons truire, co rn me l'Angleterre, des \'Oies de con1111un1 cat.ion pour les tran s porlsil vape11r. « Al11rs, di t :\1. i\Jicl1el Chevalier, la honte d'dre ù la quPue de l'Europe, nous saisit à la gor~c>,
le pays s'impatienll' et fo1·ce le gnm·ernemenl il sortir de son
inac tion. 11 L e go uYernemenl pri t alors l ïn i t i atiq~ et lit cleposer Ir
13 févri er 1838, un projet de loi antnr isant la création de sPpt
lignes princi pales, relianl Paris ü la fnmlière belge. au lla\TC, a
:-.1antcs, à Bayo1J ne, ;1 T oulouse, il ~Iar eille par L\ on et il ::-itra.;;hourg pa r Nanc~, el de <leu:-.. lignes sccortllaire_, l'une de:\larseilll
ù Toulouse cl Horrlèaux, l'at1Lre de L~ 1111 ·1 He.;;.'\111,;on
L es cliscussions cnmrn encèrcnt 11011 plus s ur J'utitilt; dl's chemins rie fer, mais sur la 111alière et le de~1·é tl'intpn·e1lli1)n 1k
l'Etat dans le11r com;lrnction el km t"q1loita l io11 I.1's intl-1·1\ls
menacés ~'agi tèrent , la chan1l>1L' lt1l efTray('t' du p1oiel gra11d111st•
snr leqnel elle a\'ait vo lt~ el l'enscrnb lc 1k la loi fui l'L'ponss0 pat
19li ' ' oix con trr G\l ravi-il t8:l8.;
On dnt se borner il 1ks co 11ce:-;sio t1 s particuli\·rcs, des li~lh's, ou
pl ulùl des Ll\tes ùc lignes fttrent cont•étlét'~. mais l'n'l\\Tl' 1lcmcn1 a
incompll'le l'i incollérenlt•
�-
:i8 -
En 1812 le GonYcrnemenl s(' décirfa ;1 rcprenrlrl' l'appliralion
des i<ll'cs abandonnées depuis quatre :rns. Reslail à li111iler le l'CilC'
de l'Etat en présence ùes deux systèmes opposés, l'nn voulant
conlîer à l'industl'ie pt'iYéc la co11s truclion ùu réseau projeté ,
l'autre voulan l le l'éservc1· à !'Etal.
La loi du 11 juin 1812., qni est en quelque sorte le Code des rhe111ins de fer français, fùt une transaction entre les cr eux systèmes.
L'Etat d~vait se chnrger iles lrnvaux d'art el de tenasse111ent el
payer un tiers dn prix des terrains, les <!eux autres tiers restant à la charge des départem ents cl des eommunes.
L'exploitation des lignes devait èlre clonl1l··e it bail ü des co1npagnies obligées de fa ire ;1 leurs frai s la pose des rails, la fourniture
du matt~ riel et de pour\'oir à l'en lrelie11 et à la réparation du chemin et du matériel.
Un cahier des charges cle' ait régler les rapports de l'Etat aYec
les Compagnies concessionnaires, la clurt•e du bail, et le tarif des
droits h percernir. A l'expiration <lu Lern1c lix(·, l'Etat deYait re mbourser aux Compagnies la ' a leur de la Yoie cl du lllatériel à des
prix à établir par experts.
Le Gournrnement a cependant la fa culté de concéder la construction de c~rtaines lignes, en lotalilé ot1 <
· n pa rtie, à l'industrie
pri,·ée, en vertu des lois spécia les, e t les Compagnies ont fini par
se charger de tous les frais cl arq11isition, de terrains cl d'établi·sc111 ent de la Yuie fetT1;c. Dans qt1e lrp1es circo11slanccs, l'Etat s'est
ltlè1ne fait rembourser par les Conlpagnies concessionnaires, les
rlèpenses donl il :\\'ait fait J'a,·ance en vertu de la lei de 1 8~2.
C'rst seul ement pour quelques ligne-; secondaires que le Gon\'cr1H'ment s·engag<' it ro1wonrir il lïnslallalio11 de la ,·oie dans les
proportions fi xées par ce lle loi. La n"glc généra le aujomcl'hui est
que les Compagnies soient s ubstituées it l'Etat pom toutes les
dépenses.
De puis 1842, la conslrnclion des vo ies ferrées n pris des propcwtions que l'un n'aurait osé esp(·rrr, toutes les pré\·is ions ont t\t~
dépassées; la cous trn clion dc>s l ignc's cln grn nrl résea11 é ta it évaJwlc
PO 18:lR a 800 111i!liOllS. les dépCll SCS d'inslalla tiOll clos lignes
exploitées se sout élev(•es à plus clt' huit milliards.
Un a:.{iotage efTréné viul a l'origine clonncl' u11 pui ssa nt t•ssor i1
l'inrlusti·ip nom·Pll e
1
!')9 -
Les Compagnies qni se constituaient il un capital quelconqu<>.
émettaient des nclio ns dont la spéculation s'emparait pour lin•1·
profil des fluctuations do cours ffn'elle prornquait e lle-mc11w. On
jouait sur les promesses ü'actions: la Bourse était devenue la succm·sale de la rue Quinca1upoix. Tousceuxqui a,·aien t une influence
quelconque l'emplo)ait ü ob ten il' des concessions 11ou\·elles, et les
capi taux aflluaienl. Aussi co111menra-t-011 il construire les ,·oies
fenées avec antan! de lièvre qu'on avait mis de lenteur jadis ü
accepter.
Le résulta t de cette activité fut rie doter la France de nombreuses lignes et aujourd'hui elle possède plus de 28,000 kil. de voies
ferrées.
La fortune des Compagn ies de chemins de fer n'a pas été sans
t1·avcrser des moments diffici les, leur crédit, un moment ébranlé
en 1848, ne fut définiti ,·erncnt assis que dans les premières années
de l'ewpire.
Le Gouvernement songea a lors a réorganiser les Compagnies
en les fusionnant pour former de grands réseaux. La nou,·rlle organisation en rliminuant les l"ra.is d'e-.:ploitation et en donnan t aux
Compagnies nouvelles clc plus puissants moyens d'action, de\ ait
permettre ü !'Ela l cl'a bord d 'uni lier les tarifs mais aussi dïmposer
aux. Co1npagnies, comn1e cond ition Je son approbation. des traités
dr fusion et de cession: et de la snppt'ession cle toute concurrence.
la c.:onstrnction des prt iles lignes secondaires. Bien ùes localités
ont pu êll'C' ainsi dessen·ies par des \'Oie.:; ferrées clunt l'entrepI ÏSL'
nurai t été trop coùleuse el trop peu prudnctiYe pour être an eptée
par ti cs Compagnies isolées.
Le p rojet a ré11ssi el de ~rands ré<>eaux se sont fortnL~c;. ronstruil<>
cl l'Xploités p.i r de ~ r:rndes l'Olllpagnies tJni exécutent le programme d11 GoU\·erne rnc11l.
Ill. -
Dt
R \\.,'li \T D E~ CIIF.\11'\S DE FER.
En l877 , t:rnd is C(llt' proc;p(·rai1•11t IL'S grandes CL1mpa~nies . di'
Corn pagnit'S tir l'ln>t11i11s ti c ft'r S('l'll1l dai1·es, soit 1lïnt t.>n~ l ~t'.-11érnl,
�-
60 -
.:;o it d'intérêt loca l, St' trmwa icnt en détresse, les unes é la iPnl
tombées en fa illite, les aut res ne pou\'aient ach ever la cons tructi on
des lignes concédées d'a u tres enfin pa rve na ient à pe ine il con\' rir
les fra is cl'cxploita lion avec leurs re,·e11 us.
Le Gouvernement du t se préocc uper de p1·é,·enir une in terruption de ser,·ice. Une pre m ière cou\'e ntion passée a ,·ec la Compagnie rl 'Orleans pour les lignes ctu S11 d- Onest ne fut pas ra tifiée
pa 1· la Cha mbre. De n nu n' l l e~ 11égocia t ions n'ahonlirent pas cl la
l1)i du 18 ma i 18î8 opéra le rachat 11<' :>,li 1 ~'k il omè tres a pparl<• na nt
aux Co1npagn ies en détresse l'l l'l 1n rg-Pa Je m inis trr des Tr:na n~
pub lics d'en assure r l'cx ploita lio11 .
Au point de vue con11 nercia l, l' Etat esl soumis à la mème r esponsabil ité que les Compagnie.:; concessionna ires. L'E tat n'a 1>oint
ic i cette liberté absolue qu' il s'esl ar rogée rlans le service des
Postcset des Télégra phes l'art icle '!2 ue la loi du 13juillet 1845 a
<lis posé que l'Eta t, si 11' cli emi 11 de fo r est cxpl oilè à ses l'rn is et
pour :;on compte, est responsabh' eu,·crs les particul iers du dommage causé p a r les a<lmiu istra tcm s, d irectems ou employés il nn
filrc que lconque.; en oulre le décret rlu 2;, 111ai 18ï 8, qu i organisr
le fonct ionn ement du résea11 rncheLé, n ùécid é que l'ex ploitation
scr nil régie par l<' ca hi er di>s charges des che111ins de fe r d 'inl(•rêt
généra l concédé par la loi du t• décembre 18/.).
L'exp loitntion cles C' lt em ins de fe r tl l' l'E tat n'a été organisée qu'it
f ilrc p rov isoire, le Lex te 111è1 ne d e la loi ra presc rit. Ma is, s i il cettr
i'poque, l'Eta t, en \'uc· cl"aclll'vcr la 1·nns ln wtion dn septi ème g rand
réseau que des ci1·co11sla nces malheureuses avaien t rend u matf>ricllemen t nécessaire. a opé rP lt• rnr· li a t rlP certaines lig-11cs; depuis
l'Elnt a été soll icit[· de racltetPJ' les c1H1 t·essions des gra ndes C:01npngnies, une camp;1g11c a élc" cntam<'•c el rdLP q11estio11 cln racha t
drs chemins dr fer a vi\'cmrn t prC-nccnp1" l'op inion p nhliqur et
l<'s C:Jrninhrrs.
C'est une rrucsli on cl 1'S pl11:-; 1·0111plcws rl1 1nt l'or i ~ in e prc rn i1"r<' t'Sl
la <fneslion des ta rifs. AVl'r Il' ~ysl\• 1 nc· aclu l'l, lïnli'·r1;l p11hl ic, <' li
op111Nilion aV<'<' rr lni ti rs Co1np:ig11ics, PSI, d it-on, i1 la merl' i d<' 1·1·s
rl rrn ii•1·Ps. l .ï 11 tPn·r11 tiu11 dr l'Eta t po11 r lë•l:-i l1lissr 11w11 l drs 1:-iril'.s
rpti 111· srra plus 1·1J11ri(• ft des s1J<• it'• tt'·s pri ,·0cs, po111T'1 scnlP n1r llrr
lin a c·c co11flil rv~rcf ta J i l c. Et p:i r 1111L·sing11l i1"rr :1110111a lic, l<•s p;1r-
-
61 -
tisans de deux doctrines économ iques adverses se son t trouws
d'acord pour récla rne r le rachat .
Les uns poursui ,·aient le relèvement des ta rifs et ce sonl les plus
nombreux.
li est facile d 'ape rcevoi r da ns le rappull préseuté ü la Cham!Jrc,
et qui concluait a u rach at du réseau <l'Orléans. derr ière des accusations peu fondées, des as pirati ons dissi 11lUlées ,·ers des iclees
protectionn is tes.
D'autres considéraient celle opéra tion co1u me 1me mesure fa\·urable à l'intérèt publi c el ro r11111e llll Uloyen ùe libre échange.
La Yoic ferrée, disait-on, n'est qu' une rou te plus parfai te Le·
,·oies d f' co1111 11unicatio11s :;ont essenliell emenl d u domaine public
el c'est l)at' J'i111pôt, par une taxe s ur la 1· i1Tu lati11n rru'il fout puur\'Oir a ux dépen ses q11'elles néressitent.
L'exploita ti1111 des Yoies ferrées ne doit pas <légénerer en une
source de hénéfi ces. L"Etat doit du11c. par le rHGllal des cuuGe~
sions, se n1ettre 1•11 llle!>ure Jl' rt>~ til 11 e r am.. \'Oies ferrées leur
véritable c;aractèrc e l les tari fs doivent être rarnenés au pri:'.\. tic
reY ien t du sen·k e partiGtd ier q11c l'Etat rend a n public s ur ks
lignes: le l rausporl.
Que lqne -;étl uisa 11le q ue puisst:' parai tre au preu tier alJo t<l celle
<lern ière lhéurie, il est l'acik d t> dé11w11trl'I' q11e dans l"èta t actuel
des choses, le rncliat about irait it un rfsultat ùiarnè tralemeut
opposé à celui ljlli l'::>t pours uivi elle repu e. curnrne tou" les
autres arguments en l'avc11r du racha t. -..ur une 1·onnais<:anct::
inexai;te des co11Ye11l11>us q 111 lie11t l'E tat L'l les C11mpagn1es. lie la
législa lio11 des tarifs, el des pri11dpe:; (·c011ullliLillCS qui gouvernen t l'industrie des r bemi11s tk fe1 .
L'Etat n'est pas désar111c e11 malit!re ùe tarifs et les Colllpagnies
ne son t nullement maitresses de les etal>lir ü leur guise.
Elles <loivenl Lout d 'al>ord du1111er avis de leurs projets de tarifs
au 111inis tre lles Travaux publics, a ux préfets et aux inspecteurs
chargés du cunlrùle de l'e:-.ploilatiou.
Les taxes proj etées sunl cumlllmliquées par les Préfels au:'.\.
Chambres de commerce, cl port(·cs par ùes atlichcs i.t la counaissance du public.
Les taxes ùuivl'nt èlre homologul'es par ads du Comitè con:sul-
�-
62 -
ta til des chemin::; de fer, lequel csl néccssaircrnent consullé, et un
delai cl 'un mois doil s'écoul er en tre l'afllchagr et l'arplicalion .
Enlin le ministre a toujours le dl'oit de retirer l'horno loga lion s1
le tarif approuvé cond ui t à des conséquences facheuses où s'i l
'ient à reconnaître qu'une erreur a été co11Jm ise.
Les Compagnies par l'homologa tion L"elèvent clone du min istre
et le ministre des Chambres. On \ ' Oil donc, avec un Gouvernement
parlementaire 0(1 la voie cles interpellalions esl toujours ouverte,
quelles garanties offre au public la né1·essilé de l'homologalion.
Cependant il est certai11 que le ministre n'a aucun droil d'iniliatiYe formelle pom la ilxation des tarifs; il ne pourra il mème
pas imposer ùes modifications ü reux qui lui sonl présentés. Le
cahier des charges forme la loi du contrai ü laquelle l'Etat ne peut
se soustraire. Il a concede au"\ Corn pagu ies, en échange de certain::; trn,·aux qu'il leur a i1npos1;s, la fal'.ullé de perce\ oir d1•::;
taxes pour lesquelles il a Jb..é le 11rnxi111111n , elles ont donc, tant que
le maximlu11 !l'est pas atteint, la liberté de 111oclinet· les tarifs sous
l'ésc1·ve c!e l'approbétlion administrntive.
Celte liberté ainsi rcsll'eintc laissée ail\ Co1npagnies, n'est pas
rle nature à l'aire craindre tfu'clles ne sacrilient les in tére ls des
contribuables: ca1· si 1'011 se rend bien compte des principes éconornir1ues, on Yoil qu'il~ a la plus pa rt'aile har1nonie entre l'intérêt
<les Compagnies el celui du pub lic.
Elles son t tenues par la force <les clloses, par les obligations
qu'elles ont contractées de rénliser des recettes. e l dans cc hui
doiYenl s'ingénier à faciliter les tran sactions el ù multiplier le!'!
trnnsports. Les taxes doi\ ent de\eni r pat· la force même des choses,
par l'e uchamement logique des faits <les taxes non d'inlérêl pri\ é,
mais cl 'intél'ê l général.
Enfin et à cùlé de la question théorique il raut, 101·sq u'une
question pratique de celte importa11C'e se présente, tenir co111ptc
des faits accomplis. Il a J'all u pour construire les chemins de fe r
tl'irnrnenses capitaux dont le toncoms n 'a pu l'tre obtenu que par
la perspccti\ c de bénéfices, et sans les concessions particulières, il
est probnble que l'E tat eù t reculé devanl une entreprise aussi
1 ulussale el qut: les fi11auccs publiqul's aurtticnl pu ne pas rüsister
a i:cll< 1;pre11vv. Le:- 1 liclllin ~ tic fer so11t dnnc concé<lé::.;. Pout
reprendre les coneessiuns, J'Etal deHail. aux ternies ùu cahier <los
charges, payer non-seulement uuc a nnuité égale à celle dont les
Co111pagnies onl bénéfi1;ié clans la dernière am1ée de leur exploitation; mais, en outre, le prix de leur uiatériel roulant. Quanl aux
lignes concédées depuis moins <le quinze ans. elles devraient êlre
rachetées sur le pied du pri:-, de revient quand même elles ne donnernienl pas un produit rémunérateur.
Le premier effet du rachat s1•t·ait ùe g1·ever l'Etat de charge::,
nouvelles car l'annuité duc rar les rlteinins de fer rachetés serait
tout d'abord , et sans réduction, plus élevée que le produit net ùc
l'exp loitation .
Mais en outre, le rachat par J"Etat conduit inévitablement à
l'exploitalion par l'Etat , car 1 opération ne pourrait ètre rnbe a la
charge d'une Comragnie 11011\·elle q11'en l'exonérant d'une pat lie
des annuités il servir.
Or le but suprème du rachat, la raisou même du change1uc11t
èlant ù'abaisser le prix de transport et d'opérer un dégrè\'ement
au profit de l'industrie el de ' particuliers, et tout abaisselllent ùe
tarif, devant être considéré l'Onnuc un <légrè\'en1ent d'impôt, la
perle pour l'Etat serait encore plu:- élevée. Comment l'Etat pourrait-il aggr aYer les rhargcs du L'achat par une réduction quelconque des tarifs.
L'équilibre du budget est une nécessité fatale à laquelle on ne
peut se som~traire. Il faudrait l)ll releYer les tarifs oit njourner des
dégrèvements attendus, ou retr1111Yer dans d'autres i111pots Je ·
ressources qui sernient absorbéi:.., pa1 cette exploitation C'est
clone en Lléflni tire le contribuablt' qui fl'rait les frai::. d une op1;rnLion financièrement el éconornique1t1l'11t détestable.
L'opinion puhliq lll' s'est e1tnu.>, aprb a\•oir espéré un mt11nent
que du inouvemenl conlrt' les Co111pagnics sortiraient des reforu1es utiles, elle a compris lJlll' lïnll•n'l général etait gnn·ement
1ncnact'• el les réclau1ali1111s les plus t.'.· nergiques se st_111l élcYét•s
contre les conclusions ùe la commissio11 parlementaire des chemins de fer favorables au rachat.
Les Chambres de commerce ont protesté Lie toute::, parts. Bordeaux , ~anq, Ln HochcllL·, Ly1111 , Elbt·ur. Houbaix "t-Quen1in.
etc , ont adrc::.::,c Hll \Ii111sln· de.., TraYallx publics des Wl'll'\ tcu-
�-
64 -
ùant à ce que les proje ts ùe rachat de ch e111 ius de fer par l'Etat a
litre pa rtiel ou général fussent formelle ment repo ussés par le
Gouvemement.
Les Gunclusious ùe la Chaml.>re <le commerce de Lyon sont
l>arti(juJièrernent intéressa11les. « L n thèse du rachat ùes chemius
ùe fer est née tlïd ées lliéo ricrues; ell e est l'ex pression cl'uu système
et non la résultante 111è111 e d es faits: et derrière son a pplicaliun,
c;umpliquée ùe la reron le e11Liè1·e des n:·seaux el Lle lïn lcrventiuu
des Compagn ies fermiè res, peuvent se l:acher des préoccupations
tic s péculatiun, d'agiotage <1 lt 'il est i111 pos::;il de de ne pas soupc:onu er. ,,
« ;.Jotre co111 merce n~Jlll gne a couru celte U\ e11lure, défa ire cc
<{ui existe, 11•J ll pas élu 1w111 du lra\'a il t:b re, 111ai::; nu nolll de
l'Elal 4ui s'y sn bsliluerai t, cela se111blt: i1tcompréhcnsibl e da 11s
u11e socié té dém ocra tique co 111111c la notre "
cc On au rail comprisü la rig ueur, sans soul1ai tcr des cllange1neuls
daus l'organisation de nolre réseau ferré, que de::; aspi ra tio11s vers
u11 régi me se rapprol'l 1a11 l da 1'<.llltugc clc celui Lle l'Anglelerrc el des
Etats- Unis se l"ussen t l'ail jour, 111ais rève r de constituer u1 1 monopole comme il n'en exis te null e part, cx!' iter !'E t.a l il sortir de sa
fonc tion naturell e, qui est d1' gouve rner et. d'adm inistrer, pour se
faire cornuierr.a11t l;[ indus triel, l' ll vé rité, c'est le prngrèsü rehour::; :
cl cc n'est pas notre Cha 111!Jre qui voudra s'a::;socier ü ile telles
tendances. Les Lratlition::; cou 1111c les intérêts qu'elle représente le
lui défenùenl »
Toutes ces 111a11ifestalions de 1 ovi niou publique ont eu leur ré:;ultal. Les projets <le racha t se trouYe11t 1HoJJ1eutanén1enl abandonnés.
-
..
6,J
-
CHAPITRE PREMIER
DES TARIFS
L'entreprise de transport est l!ne opération commerciale consistant dans le fait habituel de traiter à forfa it aYec des particuliers
pour le transport des \'Oyageurs ou des marchandises.
Le-; co mpagnies de ch erni us de fer sont des eutreprises constituées sous la fo r me de socié tés commerciales anonymes pour
l'exploitation des concessions faites par l'Etat; elles sont soumises,
en leur qualité d'entrepreneurs de transport·, aux prescriptions ùu
Code t ivi l et du Code de commerce concernant le Yoiturier. Elle
sont liées em·ers l'Etat par un contrat de louage de ser\'ices.
L 'Etat leur a imposé l'obl igation d'établir de voies fenées. de
faire construire un matcirie l el d'organiser le mou,·e111ent ùes
chemins de fer, mais il leur a cuucéJé, par contre. le Llroit de perccYoir certaines taxes détenninéc"i pour le transport Je::; voya•reurs el lies marcliandises ::;nr les lignes ainsi exploitées
" i la concurrence e:-..istai t en ce tte matière. elle maintien d rail
.
le::; prix de transport dans des proportions toujours rai onnables :
111ais les coinpugnies son t 1n\cstie~ tl'nn monopole. Elles auraient
le pouvoi r, s' il leur éta it pcrnii::. de lher à leur gré les moJalités
d'un contrat de lrnuspnrl de ruiner certaines inJ ustries, d'rn favoriser cl'aulres, d'éGrnser les Go 1n paguie rirn les. el de déplaœr
ainsi arbitrairc11H'nl l'équil ibre co1111ncrcial.
C'est pour pré\ cnir ces abus crue l'Etat dans le cahit>r des
l'lw rgcs de chaque co11cL's::;it111, t'I que le législalem dans la loi
·,
�-
hli --
funùauicnlak du l ~> juil k t 18 i:>. 1.:0111plêléc pa r 1·ordo11n ance du
, i o•
G o11t 1·.-•uh11c11le
ln liberté cl'acLion des Cornpa0 1 ,
"t> "
1o- 110 \'Clll b l'U
gn ies dans l'exploilali on C:OllllllC l'Ciale des chemins ti c fer.
.
~ A cùté du monopole, comme correctif c l comme garantie,
existe l'interYcntion de l'aulorilé admi nistrati ve en i_na tièr~ de
lhalion des Laejf::; et. l'o!Jligalion pour les co1up<igmes, d une
part, ù'appliquer les taxes inùislin cle111enl el_ sans r~ve ~1 r , ~ L
d'autre part, ùe porter à la connaissance ùu public les Lanfs elabhs
et les projets ùe mollilications.
.
_ .
.
Homologation, égalilé, publicité, lels ~onl les l1·01s pnnc1pcs c1u1
regissent la matière des laril's.
1
1. - HOMOLOG..\TlON
Le compagnies ne peuvent pcrce\'Oir aucune taxe sans l'autorisation du Gouvernemen t.
Celle autorisation est un fail com ple xe co mprcnanl deux caléoories
de mesures émanant les unes du pouvoi1· législa tif ou
0
exécutif, les autres du ministre des trnvaux publ ics ou des pn~fets, et ayant pour but de donner à la co111pagnie, les unes: le <lroil
de percevoir les taxes, les autres l'exercice de ce droit.
Les compagnies sont investies de l'aptilucle légale à la perception par le cahier des charges annexé à la concession. Sous le régi me
de la l1>i du 3 mai 1841, les concessions de c.:helllins de fer faisaient
l'objet tl'une loi. Le sénatus-consulte dt1 23 décelllbl'C 1802, transférait l'empereur le pou,·oir de concéder ùes c.:11c111ins cle fer pnr
un déeret rendu en forme de règlc111ent cl 'adtni11 istration publitpte.
Depuis la loi du 27 juillet 1870, c'est au pouvoi1· législatif qu'appartie11nent les concessions des lignes aya nt plus de 20 kilornèlres.
Quant au:-.: chemins de for <.l'intérêt local, aux tertnes de la loi
du 12 juillet 1856, ils sont i.;oucéclés pa r un tlroil i·enLl u sous fol'llw
<le règlc111cnt d'adn1inistralion pnblique.
Une fo is le prix max i1nu111 fixé par le cal1ie1· des cliarges, que
les ~om 1)agnies veuille11L adoptur les ta xes du ta rif u11 des lar ifs
pins rérl uils, elles sont tenues de les somueltrc a l'homologation
-
67 -
du miilis lrc ries u·a,·aux publics ou du préfc.t, s uivant quïl
s·agil d'un chemin de fer d'intérèt général ou d'un chemin de fer
d'intérêt local.
Aucune taxe de quelque nature qu'elle soit, <liL l'article 44 de
l'ordonnance du 15 novembre HH6, ne pourra être perçue par ht
compagnie qu'en vertu Ll'unc homologation du ministre des Trnvaux publics.
La compagnie, pour' obten ir l'hornologalion, doit dresser un
tableau des prix qu'elle a l'inLention de percevoir et en transmettre en rnè1nc temps des expéditions au ministre des Tra,·aux
publics, aux préfets des dépa 1·tements tra,•ersés par les chemins
Lle fer et aux inspecteurs de !'Exp loitation communale des clteHtins de fer (at·t. 45, ol'donnancc du 15 novembre 1845).
Les préfets doivent à leur tour faire part <les propositions des
compagnies aux Chambres de commerce de leur département
(circulaires ministérielles des 15 février 1862, 23 aoùt 1875).
Les Chambres de comn 1erce sont tenues de transmellrc au
ministre Jeui;s obse rvations dans le délai d' nn mois à partir <le
l'affichage (circulaire minis lériell e cl u l J septembre 1875 ).
Les Cllambl'es Lle Commerce sont mè111e invitées, pour éviter tout
retard, à adresser d irectemcnt leurs observations au ministre
(circulaire ministérielle cl u 2 l ina i 1878).
Le délai d'un mois d'affichage passé, l'Atlministration s t.'.l.tue, et
le ministre, après avoi r reçu l'aYis des préfets et celui du contrôle,
rend son arrêté cl'ltomologation (circulaires ministérielles des
23 aoùt 1850 e t 3 1 octobre 18:>:> ).
On s'est demandé quelle élait ln por lée de l'homologation el
quelle élait l'étendue du droit du lllinistrc en c.:elte matière!
Cerlains a uteurs unl soutenu que li.; minis tre n'a qu'un droit,
c.:elui de vérifier s i les taxes proposées n'excèdent pas le maximum Hxé, el s i les condilions de cel'taines ta xes ne sont pas de
nature à favoriser cerlai us expéditeul'S au détriment des autres,
et que ces points vét·i11és, il doit l10mologuet purement et simplement. Celle opinion se fond e s ur le tex te même de 1'01·donnancc
de 184G .
L'article rn qui traite des cha11ge1nenls ü apporter ü Lles tarifs
déj à cxis lanls, ex igu l'apprubal1u11 du 1niu istre ; ùuns l'art . 'il, nu
�1
1
-
û8 -
contraire, à propos du premier étab lisse1 ue1)t des taxes il 11 'est
question que lie l'homologation.
Il est naturel de penser q ue la législation ayant employé deux
mo ts difîérents, dont l' un é,·eille l' idée de discussion et d'ap p réciation, l'a utre de s imple for malité de visa, a vou lu exprimer des
idées différentes .
On comprend, du reste, for t bien la raison d e d is ting uer. Pou rquoi , lorsque la compagnie propose pour la p rem ière fois des
taxes dans la limite fixée par le cahier des charges, donner au
ministre un pouvoir plus large que celui de ,·érification. Le cah ier
des charges, qui forme la loi clu contrat , donne aux compagnies la
liberté de se conforme r a u tarif maximum on de l'aba isser.
Lorsque, au contra ire , il s'agi c de modifier un tarif dùm ent
homologué qui est devenu la loi du public et conune une sorte de
droit acquis, il est nécessaire que le minis tre ait la faculté de
repousser la proposi tion ou de ne l'admettre qu'avec des modifications. Les partisans de ce systè 1ne reconnaissent pourtan t que le
m inistre aurait le droit de ne d onner qu' une hon10logation proYisoire essentiellement r évocab le (circulaire minis térie lle du 3 l octobre 1853J Paris, 26 n ovembre 1858).
D'autres au teurs estimen t, a u contraire, que les expr essio ns des
rle11x articles 4'l et 49 son t synonyui es. A quoi bo n, disent-ils,
faire précéder l'homologation de l'avis ùu P ré fe t e t des inspecteurs du controle et des obser va tions ù eR Chambres de co mmerce.
s i l'inte r vention du Ministre doi t se borner à une vérification et à
un s imple enregislrem ent.
L ' homologa tion m inis térielle doit être fonne lle, les compagnies
ne pourraient im·oquer' une ap p roba tion tacite. ( Cassation t!) juin
1850.)
Quant a ux m odifications de la:-..es, les cu111pag nies sont assuj etties aux m êm es formalités que pour la prelllière homologalio11,
mais
elles n'ont pas pour le:-; propositions de clla n(Yement
une
.
b
libe rté absolue. Une lrop g rande m obilité dans les pi·ix de Lranspo rt serait préjudiciab le a u comme 1·ce.
Les taxes abaissées d'après l'article 48 du cahier des c harges,
ne peuvent ê tre re levées <1u'a près un clélai de trois Illois au moins
pour les Yoyageurs el d'un a 11 fJOlll' les 111archnndises. Toute lati-
-
G9 -
tude est ainsi laissée aux compagnies pom· les abaissements de
tarifs, qn i sont un a \·antage pour le public, e t le délai qui le ur est
imposé, est une garant ie que les taxes ne seront pas réduites a la
légère et da ns u n b u t de concun ence seulemen t.
Il existe trois exceptions aux règles que nous venons d'exposer,
elles concernent les tarifs de transi t, d'exportation, et les t arifs
su r les céréales.
Les tarifs de transit appliqués aux marcha ndises qui tra,·ersent
la France sous plombs de douane d'une frontièr e à l'autre sont
établis pour permettre aux chemins de fer français, de ' lutter
contre les chemins de fer éteangers .
Or, les compagnies é tra ngères ont pour la p lupart, la faculté de
modifier leurs tarifs à votonlé ; les compagnies françaises ne peu\'ent soutenir la concurrence qu'avec la même fac ulté. Un décret
du 26 avril 1862 a décidé que pour le transport des marchandises
en transit, le Ministre peut, sur la demande des compagnies, les
autoriser à percevoir le prix et à appliquer les conditions qu'elles
jugeront les plus propres à coml.Jattre la concurrence qui leur est
faite par les lign es é trangères. Il n'y a plus ni délai, ni formalités.
ni homologatio n, mais le Ministre peut aussi à toute époque interdire l'application de ces tarifs .
Pour les tarifs d'exportation destinés à faciliter aux produits
français l'arrivée à la frontière, le même décret de 1862 a décidé
que toute proposition d'un sen1bla b le tarif doit être soumise au
Ministre . Si clans les cinq jou rs le Ministre n'a pas signifié son
opposition et s i le tarif prnposé cons titue un tarif nouveau ou un
abais ement de taxe, le tarif peut ê tre appliqué à titre provisoire.
Pour i'e lever un ta,rif d'exportation les formalités ordinai res
cloi,•ent ètre r e mplies.
La d urée d\m larif d'exporta tion ne peut être moindre de trois
mois.
Enfi n, les mauvaises 1·écolLes de l'année 1873 ont donné naissance au décre t du 14 septemb re 1873, qui pe rmet au Go uvernerne n t de demander a ux compagnies des réductions de larifs sans
que le sacrifice qu'ell es s'imposent so it trop onéreux. u Les compagnies Lie ch emins dP fer , dit l'a rticle !".qui abaisseront leur-.
�-
70 -
tarifs pour le transport des blés, farine de from ent et de seigle,
riz, sarrazins et seigles, avant le L.. octobl'C 1873, amont la faculté
de le releYer dans la lim ite du maximum autorisé par le cahie1· des
charges sans attendre l'expirnlion du délai légal d'une année.
Toutefois la d urée des t'.lrifs ainsi abaissés ne pourra ètre infér ieure ù trois tnois à dater du J•• octobre.
A cùté des prix de transport, les frais accessoires de p esage, li e
chargement et de déchargement sont également soumis à l'homologation ministérielle. L'article 51 du callier des charges et l'article
47 de l'ordonnance de 1846, décident que le Laux de ces fra is doit
être fixé annuellement par le Ministre des Travaux pub lics sur
les propositions qui doivent lui être faites par les compagnies.
Pour ces taxes, le pouvoir <lu ministre est plus étendu qu'à
l'égard des tarifs en général ; les propositons des compagnies ne
sont que des avis qu'il peut modifier. Tan t que de nouveaux. prix
n·ont pas été arrêtés, les anciens tarifs continuent à être percus.
Les opérations de rée:xpéclition, de factage, de camionnage du
domicile de l'expédi tcur à la gare de départ, ne sont j ama is obligatoires. Le factage et le camionnage à l'arriv6e ne le sonl qne
dans certains cas.
Cependant les taxes, même celles cles opérations facultatives.
sont soumises à l'homologation. Cetle obligation est inscrite dans
le paragraphe 3 de l'article 52 du cahier rles charges; elle résulte
aussi de la généralité des termes de l'article 14 de l'ordonnance du
15 novembre 1846.
L'omission des formalités qui sont essentielles à la valid ité dn
tarif, donne ouverture à deux acti ons contre la compagnie qui a
perçu une taxe irrégulièrr. La première est l'action correctionnelle,
1lonl la base se trouve dans l'article 21 clc la loi du 1:; juillet 181•:) :
Loule contra\'ention aux ordonnances royal es portant reglernen t
rl'administra tion publique sur l'exploitation de chemins de fel'
sera punie etc. Les tribunaux el la Cour de Cassation n'onl pas
hésité ~l appliquer cet article aux perceptions de tarifs non llornologués. (Cassation 28 j uin 1851 ( 1) cl 3 février 1855)(2).
(1) Sirry, 1852. 1.150.
(2) Hirey, 1855. 1 .231.
-
7f -
Tonte· partie lésée par ln perception d' une tax e illégale ou irrégulière, à en outre le droit, en vertu de l'article 1382 du Code civil ,
de poursuivre la réparation du préjurlice qn'elle a subi. Le fa il de
la compagnie constituan t une infract ion à la loi et par conséquent
une faute , elle sera ten ue d'indemniser les tiers du dommage
qu'ell e pourra leur causer sans qu' il y a it à recherc.h er s'il y a eu
de sa part inten tion malvei ll ante ou coupable. (Cassa tion 7 juillet
1852) (1).
Les tarifs une fois llon1ologués deviennent la loi des partirs
contractantes et le public n i les compagnies ne peuvent y déroger
par des conventions particulières . La jurisprudence est unanitne
pom refuser toute force ohl igatoire et toute sanction à l'ohl igation
prise par une compagn ie rl'èffcctuer des transports à des prix
moindres que ceux des tarifs. (Cassation 1!) janvier 1870) (2). De
mème , un expédi teur ne pourra invoquer des diminutions rlc taxes
arcorrlées à certains expéditeurs pour se soustraire à l'application
c;t ri clc d' nn tarif. (Cassation 2G jnillet 1871 (3). Tou te erreur coinrnise dans la perception de la taxe du tarif doit ètl'e réparée: les
compagnies ne pell\·ent, dans cc cas, refuser le remboursement
des excédants de taxe, ma is cli cs ont d'au tre part le droil indiscutable d'obl iger les destinataires à en payer le complément. (Cassation 13 fé\Tier 1867 (4).
Tel est le principe absolu qnand il s'agit d'une simple erreur de
r alcul, et qui a donné rnalière à de nombreuses discussions Jorsqnï l s'agit d'appliquer la fin de non recevoir de l'article '105 du
Cod e de commerce à une action en 1·éparation d'erreur commise
dans l'application des tarifs.
"Nous avons vu que l'homologation des tarif est un acte administratif. Il est intéressan t de rechercher, étant donné dans notre
législa tion, le principe de la séparation des pouvoirs administratif et judiciaire, quell e sera la limite du pouvoir judiciaire en
matière de tarifs.
(1) 8ircy, 1852. 1.713.
(2) Si l'CY. !R70. J. 171.
(:!) Ualloz. 1871. 1. 231,.
(\) 8ircv. 1867. 1. 211.
�-
ï2 -
Tout d'abord, les t:011tcstations qnc fait naîlr-e entre compag nies e t particuliers l'applica tion ou l'interprétation du cahier des
charges sont du domaine des tribunaux ord inai res.
Le cahier des c harges csL l'annexe de la loi de concession, il
est lui-même une loi, il ne saurait ressortir de la juridiction administrative . 'agit-il , au contraire, d'un tarif, il peut y avoir soi l à
rechercher si le tarif esl régulier, soi t à appliquer seulement un
tarif r égulier.
Les tribunaux co mpêlents pour juge r de la régularité d'un tarif
sont les tribunau x ordinait·es. La régularité d'un tarif dépend de
sa conformité au cahie r des charges qu i est ûn acte légis latif. Les
tribunaux ont donc le clroiL et le de,·oir d'examiner s i les tarifs ont
é té faits, publiés e l homologués conformément aux dispositions du
cahier des charges. ( Cas ation 31 clécembrc 1866j ( 1) .
C'est donc de,·ant les trilJunaux ordinaires que cleYront ètre
J)Ortées aussi bien les actions en restitution de prix que les actions
en dom1J1ages inté rêts intentées par ceux q11·a urnit lésés l'application d'un tarif irrégulier.
Le tribuna l n'empiète pas sur le dornaine de l'auto1·ité admi nistl'ative, car un tarif irrégulier n 'a aucune forc e légale, il est comme
non e:dstant et ne peut par conséquenl constituer un acte administratif. (Cassation, 21 j anvier 185'7) (2).
S i le tarif est régulier, toutes les presc1·iptions de l'on.lonnance de
1846 et du cahier des charges ayanl été obsel'vées, les contestations relatives à l'application pure et s impl e du tarif seront de la
compétence des tribunaux ordinaires. L'autorité judiciaire nP
touche pas à un acte adm inis tratif, ell e n'inter\'Ïent pas pour en
apprécier le sens et la portée, elle en assure s implem ent rexécu tion.
S' il s'agit dïnterpréler un larif, s i le ùébat porte exclusiven1enl
sur le sens et la portée <le l'arrêté minis tériel , l'autol'ilé judiciaire
do it surseoir à statue1· jusqu'à cc que l'autorité administra tive
exclus ivement compétente ai l ùéc iùé de l'interprétation en prëcisant le sens d e l'arrêté d'homologation.
(1) üalloz. 1867. l.5G.
(2) JJalloz. 18;,7. 1. lü9
-
73 -
Il est entîn interdit aux. tribunaux. de critiquer les décisions <le
l'administratio n en malièrn de tarifs et d'en paralyser l'exécution .
Les tarifs approuvés et publiés dans la forme léga le devienneut
obligatoires pour et contre les compagnies au rnême titre crue les
cahiers des charges. (Cour de Paris. 29février 1860) (1).
li en résulte que les tribunaux ordinaires ne seraient pas compétents pour connattre d'une demande en dommages intérêts
intentée à une compag nie de chemins de fer par une entreprise de
transport qui se prétendrait lésée par la réducli on clùrnent
approuvée des tarifs de cette com pagnie. (Conseil d'Etat, 21 avril
1853.) (2)
Pen imporlerait même que le ministre eut réservé les clrnits des
tiers dans son arrêté d ·apprnba lion. Les droits des tiers sont
évidemment réservés de,·ant l'autorité compétente, qui est la juridiction admi nistra tive; et ce tiers que pourrait léser ou que
lèserait un tarif doiYent s'adresser au ministre.
Cependant le tribnnal des ~onüi ts, dam; une décision rendue le
3 jan vie r 1851 (affa ire de la Compagnie du chemin de fer cl'A111iens
à Boulogne contre l'ancienne Compagnie du Norù), s'est prononcé
dans l'h yp othèse qui nous occupe p our la compétence judiciaire.
li est bon d'ajouter en terminant qu'il sera souYent très-rlifficile
de distinguer s' il s'agit de l'interprétation ou de l'applicalion d'tm
tarif : aussi la question de compétence se décidera-t-elle niYant
les circon stances.
li. -
°liGALITÉ DRS TARIFS.
Le principe de l'égalité des tarifs est le second correctif au monopole des chemins de fer. 1< La perception des ta,es, dit l'art. 48
du cahier d es charges, doit se faire indistinc tement el sans aucune
faveur. » Ce principe se trouve cgalement il l'art. ~10 ùe l'ordon-
(l) Da llo7.. 1860. ~.71
(2) Si rev, 185 11 2. 66.
�-
74 -
nancc du 15 novembre 1846 aux tem1es duquel la compagnir est
tenue d'etTectnel' sans tonr de faveur et da ns l'orckc des inscriptions les transports des objets de toute nature qui lui sont confiés.
~ i l es compagnies arnient pu à leur gl'é créer des situations
pri\'ilégiées à certains expéditeurs, elles seraient devenues maitresses de la fortun e ou lle la ruine des commerçants : l'inlérèl
général commande que toute fiw eur soil rigoureusement prohibée.
Nous verrons cependant qu'il existe sous Io nom de tarifs
spéciaux, une catégorie de tarifs qui, pour le transport de certaines
marchandises, é tablissent des prix rédnits 0 11 des conditions dilTérentes. Ces ta rifs ne Yi olen l pas le principe de l'éga lité dans la
perception des taxes, car ils sont a pplicables à tous ceux qui se
trouvent dans les conditions qui pcnncttent de les revendiquer
Un des effets les plus importants de cc principe d'égalité a é té
la suppression des traités particuliers. Ces traités avaient pour
cITet de rédu ire les pri x de transport a11 profit des pal'liculiers qui
consentaient à les conclme, e t moyennant certaines cond itions
telles que d'employer par exemple exclush·em ent la voie ferrée
pour le transport cle tous leurs prorlu ils ou <le confler chaque
année il la con1pag11ie une qua ntité dé terminée de marchandises .
Les anciens cahiers d es charges antérieurs à 1857 contenaient
la rlisposition suivante : cla ns le cas oü la Compag nie 1nrail
accordé à un on plnsieur~ ex pédi teurs une réduction snr l'un cles
prix portés au tarif, ayant cle le mettre à exécution, elle dena en
donner connaissance à l'Aclrninistralion el celle-ci aura le clroit de
J éclarer la réduction une fois consentie obligatoire Yis - à - vis de
tous les expéd iteurs.
Tout expédite11r pouvail n"clarner l'application d'un traité pa rticuli er passé ayec un autre ex péd iteur cl ès l'ins ta nt qu'il offrai t
cl'en remplir les conditions.
C'était là un point de jurisprudence constante qu'nn arrêté
ministériel du premier j uille t J 8::i'2 étai! venu consacrer formellement.
Dans quelques ci rcons La uces, des expéditeurs réclam èrent l'application de trai tés pa rticuliers, en écartant quelq ues- unes des
clauses qu i y figuraient.
Les tribunaux résistèrent nvec raison, rnais le min istre, par une
sorte d'abus de pouvoir contre lequel ne s'éleYèrent pas les compagnies, décida qne le bénéfice ùcs traités parLiculiern appartiendra it à tous les ex péditeurs sans condi tions .
Cependant ces traités soulevèrent de très \·ives réclainalion~
bien q u' ils dussen t l;tre communiqués à toute personne qui en
faisait la demande, ils n 'étaient pas comme les tarifs spéciaux
rendus publics par des affiches et pou vaient rester inconnus des
expéditeurs qui auraient eu intérèt à en r éclamer l'application.
On leur reprochait donc de porter 11ne grave atteinte au principe cle l'égalité des tarifs et en pratique de prod uire toutes sortes
<'l'abus. En 1857 une comm ission fut nommée pour se lh·rer à une
e nquê te spéciale et conclut à leur a bolition.
L e Ministre des Travaux Publics ad ressa le 26 septembre 185î
une circulaire aux compagnies pour leur signifier qu'il ne serait
plus admis d e tra ités particu liers à dater du 1.. janvier 1858. C'est
à la suite de celle décision qn 'a été insérée rlans les cahiers des
charges posté rieurs au l " janvier 1858, à la suite de l'art. 48, la
clause suivante. <t Tout traité particulier qui aurait pour elfot
d'accorder à un ou plusieurs ex péd iteurs une réduction sur les
tarifs approuvés, demeu re formellement interdit ,,
Il se produ isit rn êmc un fait assez sing ulier à propos de celte
supp ression pour les traités en Yigueur. La circulaire ministérielle disait ceci: << Quant aux traités aujourd'hui en viguem sur
votre réseau, j'ai décidé que, quel que soit le terme de leur
6ch éance, ils cesseraient ég·alcmen t cle rcceYoir leur exécution il
parti r du i ·· janvier procha in, faute de quoije déclarerais les t'éductions de prix consenties par ces traités applicables à tous les
cx.péditeurs sa ns cornlilions, usant en cela clu droit que me conférc votre cah ier des charges et dont je me su is réserYé l'exercice
en vous accusant r éception des traité~ que je Yic ns de rappeler. "
L es compagnies, inrnquanl la circulaire, déclarèrent aux signala ires que les traités particu liers cesseraient dorénavant de recevoir
leur application, mais les bénl>ficiaires des tn'lités résistèrent et
soutinrent que la résiliation n'était pas ~nffisammcnt moti,·ce par
la circulaire minist6riclle. La question fut portée deYanl les tribunaux ; par un arrêt du 15 f6v1·icr 1859, la Cour de Cassation
décida que << si la décision ministérielle ùu '26 sept0mbre IH5ï
�-
7G -
rendait moins arnntage usc et pen t- ètre mè rne dommagea ble
pour la compagnie l'exécution cle la conventio n intervenue entre
elle e t l'expéd iteur, elle ne renda it cependant pas cette exécu tion
impossible et ne cons ti tuait pas dès lors le cas de force m aj eure
prévu par l'a rticle 1148 d u code civil. » Les com pagni es se trouvèrent donc placées dans cette alternative ou dcse refuser à r exécution des traités e t d'être conda mn ées vis-à-vis des signataires,
ou de les exécuter e t de subir alors ce préjudice d e voit· le hénéfice des traites par ticuliers profiter à tous les ex péditeurs sans
conditions.
Le mo tif sur lequel s'e t app uyée la Cour de Cassa tion est r igoureusement j urid ique, mais on ne peut s'empêch er de penser devant
une pareille décision au vieux d icton lat in : 1>1111111m111jus summa
ù~j111·ia.
Les traités particuliers étant abso lumen t interd its, quelle serait
lare ponsabilité d'une compagnie pour avoir consenti malg ré la
prohibition du Minis tre, ou, cc qui revien t a u 1nème, pour avoi r
acco rdé par Yoie de ciétaxe une réduction s11r les tarifs a ppro uvés?
La compagnie encou rrait-elle l'appl ica tion de l'a t'l. 2 l de la loi
du 25 juillet 1845 qui prescrit to ute contraventi on aux ordonnances
sur l'exploitation du chemin de fer ; encourrait- ell e m0me une
responsabi lité ?
La Cour de Cassation s'est prononcée pour la négative da ns
deux arrê ts des 21 avril1 868 et 17no\·ernbre 18G9 (1).
Voici les moti fs d u premier de ces a r rêts, qui se trouvent du
reste reproduits p resque tex tuellemen t dans le secon d:
« Le seul fait retenu par l'arn:·t attaqué comme base des dommages intérêts quïl p1·ononce est celu i de la détaxe accordée
clandestinement à la fin de chaque an née à X ... sm des perceptions qu i d 'a illeurs avaient été opé rées réguliè rem en t. Le fa it
a ins i spécifié, s'il constitue une fau te, ne tom be sous l'application
du texte d'aucune loi péna le ni de l'ar t. 2 1 de la loi du 15 juill et
1845 placé sous la r ubriq ue: des mesures relatives ü la slir et é de la
circula tion sur les cllern ins de fer , n i de l'art. 44 de l'ordonna nce
du 15 novemb re 1846 qui défend la pe rception d'a uc un e taxe qui
(1) üallo1.. 186ll. 1. 'i:lO. -
JHïl. 1. J 111.
ïl
• n'a urai t pas été a pprouvée par le Ministre, ni enfin l'a rt. 1'; 1 ~ 13
du code pé na l évidemme nt étra nger à la protection du comme rce
dans ses rapports avec les chemins lie fer ».
Mais la concession d 'un ava ntage quelconque à un ex péditeur
donne au x concur re nts de cet ex péd ite ur une action en dommages
inté rêts contre la cou1 pagnie : ces concurren ts ne pourron t pas
obteni r que la compagn ie soit tenue de ramener la taxe de leurs
di verses ex péd itions a u ta ux exceptionnelle ment a ppliqué (Cassation, 3 février 1860) ( l), mais il devront être inde mnisés du préjudice qui le u r a ura été causé par la faveur accordée à certains
ex pédite urs pr ivilégiés.
Ains i, par exemple, le commerçant dépossédé de ses rela tions
com mercia les par sui te d u fonctionnement d'un abaissement de
tarif p ourra se fa ire indemniser de ce chef pa r la compagnie qu i
l'a consenti (Cassation 15 OO\'entbre 187 1) (:?).
' i u ne compagn ie de chem in ùe fer consentait à un ind ustriel
un traité de fave ur non pas ü titre gra tuit, mais en éch ange d'un
service réel qu'elle reçoit, ce traité ne tomberait pas sous la prohib ition de la loi. Qua nd un ss>rvice rendu est r éel il engeüdrc
une delle sérieuse et certain e, et il importe peu que la compagnie
s'acquitte pa r un pa iement d irect ou par une réduction de tarifs.
Il n'y a poin t eu de fave u r 1li de situation privilégiée.
C'est pour assurer l'égalité de traitement à tous les expéditeurs
que l'art. 50 du cah ier des cha1·ges et les arrêtés ministériels des
1;; avr il 1866 e t l :J ma rs l8î7 ont déterminé d'une manière précise
les déla is pendant lesf( uels les trans ports doi\'en t être e!Tectuês.
llf. -
PL' BL!C:ITK DES T.\RH .
La publ icité des tarifs es t le complément néces aire du principe
de l'égalité. Elle est ind ispe11sal.Jle pour perlllettre au publ ic de se
rense iguer s ur les tarifs e u vigueur cl d'a pprécier sïl doit rêelle(1) Dalloz l86!l . 1. :~7 1.
('!) Da lloz 1 '7 t. l. :!9h
�-
78 -
mcnl les la\.es t{UÎ lui sont réda1uées. Elle esl une garanti•' c l une •
sauvegarde lorsque des projcls d'é lablissemen l ou de modificati on
de taxes sont soumis au l'Vlinis lrc. La nécessité de l'homologation
serait leLtrc mo1·te si les inté l'essés n'ét,1 ient pas mis à même
d'adresser au Ministrn leurs obsel'\·ations et leurs réclamations.
La publicité des tarifs en vigueur fai t l'obj et de l'article 48 de
l'ordonnance <lu l:> n0Ye111bre 1816 a insi conçu : Les tableaux des
Laxes el des fra is accessoires approuvés seront cons tamment afüchés dnus les lieux les plus appa rents des ga res et stations de
chemins de fer.
En prntique la cl ispos ili1>n de l'art. 't8 sernit irréalisab le , le
nombre des tarifa esl tellement considérable que l'affichage en
serait impossible On y s upplée de la rnanière suivante . les tarifs
sont consignés dans des registres déposés aux ùureaux des compagnies, et ces recueils sont à la dbposition de tou t expéditeur
qui en demande communication .
Quant à la publicité des propositions de tarifs, ell e est éd ictée
par l'art. -i9 ùe l'ordonnance du 15 novembre 1846 : le public sera
en même temps informé par des amches des changements soumis
à l'approbation du Ministre. A l'expir a Lion du mois, à partir de la
date de l'affiche, les diles taxes pounonl ètre perçues, s i daus cet
intervalle, le Ministre des Travaux publics les a bomoluguées. Si
des inodiûcations à quelques-uns des prix alllchés étaient prescrites par le Minis tre, les prix mo<liflés devront èlre affichés de
nouveau, el ne pourront être ll1is . en perception qu' un mois après
la date de ces affiches
Le second paragrapllc de l'at·l i 8 du cah ier des charges porte
eu outre : Loule modilication de tarifs proposée pal' la com pagnie
sera annoncée un tnois d'a\ ance par des a ffiches.
Bien t1ue ces dispositions ne \'isent que les proj eb de cha11gc111ents et ne parlent pas de taxes nouvell es qu'il s'agit de faire
homologuer pom la première fois, il faut décider que les taxes
uouvelles comme les taxes à modifier son t soumises à la for mali lé
de l'affichage, le p ublic ayant le 111ème intérêt à connaitre les unes
cl les autres.
~~ns la prnlique, il sernil difficile cl'aftichcr les propos itions de
lards a cause de letll étendue. Les affic hes rJLli sont ap posdcs
-
ï!J -
da ns les ga res w11tiunuc11l si 111plc1n e11L l'a\' Îs 11ue tell e 1nod ific:llio11
de ta rif a é l6 soumise au mini s tre e l que les tarifs proposés sont
inscrits sur des li vrets déposés dans les gares et stations ou le
public pe11t les cons ulter et J e~ étudier. La tégularité de cc procédé a été consacré par la ju rispl'llclence. (Cassation , 31 décembre
1866 ( 1), et Cour de Bordeaux, :22 janvier 1868 (2).
Mais il a élé décidé que tout autre mode de publ icité sans aucun
affichage et, par exemple, lïnsci·tion des tarifs dans un j ouma l de
la localité, ne saurait fonn er une publicité légale, comme n 'a ~ant
aucun caractère d'authenticité et ne pouvant constituer une publication régulière, et tenir lieu des afliches prescrites par l'ordo11nance de rn-iG (Cour ùc Colniar, adécemb re 186:2 (3)
D'autre part, les compagnies ne se bornent pas aux mesures de
publicité prescrites par la loi el qui peuvent ètre ins uffisantes dans
bien cles circons tances. Une c irculaire ministérielle du J 5 féwie1
186'2 a prescrit aux préfets, lorsque ùes prnpositions de tarifs leur
son t a dressées par des compagnies, de ·les communiquer aux
Chambres de commerce dans le cas oü ces propositions intéressent des indus triels ou n égocianls des loca li tés s ituées clans le
ressort des Chambres.
Les taxes nouvelles ne peuvent ètre pe rcues arnnt l'ex piraliun
clu délai d'un mois à pa:·Lir de la date de l'a tlicliage, peu irn porlc
rrue l'homologation min istérielle intervienne aqrnt l'expiratiun
de ce déla i.
Le point de départ du mois est la date de 1 affichage et non
point la date de l'at'liche comme le porlc le tex te cle l'a rt. Hl Le
dou te n'est pas pcr1His 1 le vœu de la loi est que le tarir snit porte il
la counaissancc du public. Ocux cirrulai res minis térielles des 31
octobre 1835 cl 17 ~n-ril l K18 unt précisé !"obligat ion impost·e :Hl"compag ni es; il ra ul !jtte J"al'ficltagl' pendall( tl ll Illois soit l'egufit'.•l'Clllent cons taté.
Toute motlincalion a pportée p:it· le i\1i11ist1·e aux propositions de
tarifs, dit l'art. 19, doit è lre allicllée tic 1wuveau et ne peul ètrc
tn ise en perccpliuu qu'un mois aprù8 la date ùe l'afnc!Jage Que
(1) Dalloz, l867. J.j[i
(21 oÎre\' l 8fi~. -2. Hit\.
(:l Da llu1.. 186J. ".'. 'IJ.
�-
80 -
faut-il ùécider lu1·st1ue le 111inis lrc homul ogue purcme11L el si~n
plement le projet présen té par les compagnies . .Celte homologation
doit-elle ètre portée à la connaissance du public d~ns les mêmes
formes. Les compag nies,sc fondant s nr le texte de l·ordonnance de
l ~46 avaient soutenu qu'elles n' étaient pas lenues de faire a fficher
cette homologation.
,
.
~
La Cour de Dijon s'esl pro noncée contr e cette pret~nt1 on (1.'
mars 1863) (1). Une pal'eille prétention au rait v our r esulta t, dit
rarrèt de faire que l'acte que le pnblic à le plus d 'inté rêt à connaitre 'd emeurerait ignoré des populations aba ndonnées à la seule
affirmation des agents el qu'ains i, par u:1e sorte de présomption
lécrale
d'approbation Lies nouveaux larifs, la demand e affichée
0
ùe viendrnit la loi commune, a lors mème q11e l'hom ologation
demandée ne serait pas intervenue dans le mois ainsi que le porte
l'ordonnance. D'ailleurs a ucun aclc n'est d is pensé de la promulgation ou d' une forme équi\·a lcnle cle publicité qu i le po rte a la
Gonnaissance du public..
r ous retrournns en 1nalière de publicité les exceptions que nous
avons rencontrées en matiè re (l'homologalion et qui concernent
les tarifs de travail d'exportation et les t arifü su r les céréales. Les
molifs que nous avons a lors donnés pour ju<> tifler la première
dérogation aux principes se représen tent ic i.
Les tarifs de transit et ü'exporlation ne so nt soumi s ü aucune
condition de délai quant à l'a rfichage. Le décret du ~6 a \Til 1862
autorise la mise en vigueur de ces Lar ifs imméclialemen t ap rès
<Ju' ils ont été portés à la conna issa uce ùu public. Ce tte mesure
était indispensable en prése nce de la <.:o ncune nc.:e d es Compagnies
étrangères; q ui sont libres <le mod ifie r leurs tarifs à leur g ré.
Pour les t arifs sur les céréa les, le dét: ret du 14 septembre 1873
a dispensé les compag nies de toute obligation d'affi chage. Les
compagnies, dit l'a rt. ~. ne seronl astrein tes à aucune formalitv
d'affichage préalable, pour l'applicalion des taxes réduites, niais
elles devront préve nir le public pai· cles afnclieshu il j om s d 'avance,
lorsqu'elles vo udront les rele1·c r a près le délai Jh.é à l'art. 1, trois
mois à partir du 1" octobre 187:!
(1) Oallo1.. 181i\. l ~!1ti.
-
8:1 -
IV. - DIVERSES ESPÈCES DE TARIFS.
Il ne peut pas ren trer clans le cadre de cette étude de donner,
avec leurs diJiérenles conrlitions d'application, l'énumération de
tous les tarifs en vigueur . Un pareil travail, lout d'utilité pratique,
ne saurait avoir d'in térê t doctrinal. Nous étudierons, plus tard. en
examinant la responsabilité des compagnies, certaines clauses des
tarifs spéciaux r estrictives de la responsabi lité des transporteurs,
qui ont donné lieu a d 'intéressantes discussions au point de yue
juridique.
ous nous bornerons ici à indiquer les principes qui ont
présidé à la création ùes tarifs, et à en définir les di!Térenles
catégor ies.
La législa tion fran çaise r econna it trois g randes classes de tarifs
au point de vue des conditions seulement : le tarif maximum,
les tarifs géné raux et les tarifs spéciaux.
Le tarif maximum est celui qui est établi par l'acte même de
"Oncession, il fig ure à l'a rt. 42 du cahier des charges. En principe,
aucune compagn ie n 'impose le tarif maximum, il n'est ordinairem ent appliqué qu'aux voyageurs et a ux marchandises sur les
petits parcours, mais il contient les principes qui régissent la
matière des tarifs. Ce tarif divise les marchandises en quatre
classes et établit en principe la taxe proportionnellement au
nombre de kilomè tres parcourus. li est évident que le cahier des
charges n'a pas pu énumérer tous les genres de marchandises qui
peuvent être transportées. Quand il s'agi ra de lb:er la taxe d'une
marchandise non dénommée, il faudra procéder par assiu1ilation .
Les obj ets non désignés au larif, seront rangés, dit l'art. 45 du
cahier des charges,pour les droits à perceYoir,dans les classes ayee
lesquelles ils a uro11 t le plus d'analogie sans q~e jamais, sauf
exception spécialem ent pré1'tle , aucune marchandise non dénommée puisse ètre soumise à une la-; e s upérieure a celle de la première classe des tarifs.
6
�-
82 -
C classement par assimilation ressort de la compétence <les
ordinaires et tombe sous le contrôle de la Cour suprême
(Cassation 18 juillet 1870) (1).
Le tarif général est celui qui, infé rieur ou mème ég.al au
tarif maximum, est applicable ü Lous les voyageurs ou expédll.eurs
sans autres conditions que celles du cahier des charges.
Le ta rif général constitue le droit commun, la règle génér~ le.
d'où il suit que lorsque un expédi teur n'a fa it aucu~e revendtcation particulière de tarif, c'est le tarif qui lui est apphqué.
Les tarifs spéciaux sont des tarifs à prix réduits concéd~s par
les Compagnies à la charge pour les expé~ileurs de. remphr .certaines conditions indiquées par ces tarifs ou d accorder a la
Compagnie soit des délais supplémentaires pour le transport, soit
une diminution de responsabilité.
trib~naux
n se forme donc en tre la compagnie el l'expéditeur une conven tion accessoire du contrat de transport, convention qui ex ige le
consentement formel des deux parties.
Ce principe est formulé sons forme d'avis dans tous les tarifs
spéciaux: les prix du présent tarif ne seront applicables qu'autant
que l'expéditeur en aura fait la demande expresse sur sa déclaration d·expédition. A défaut de cette demande préalable, l'expédition sera taxée de droit a ux prix e l condiLi ons du tarif général de
la Compagnie.
La jurisprudence n'a pas a dmis la validilé d'une convention par
laquelle un expéd iteur aurai t stipulé d'avance que toutes les
expéditions faites par lui voyageraient sous l'empire d'un tarif
spécial. La Cour de Cassation a maintenu la nécessité d'une
demande formelle sur la déclaration d'expédition. (Cassation, 15
mars 1869.) (2)
Cette convention , dit le dernier arrêt, serait en opposition directe
avec tous les principes qui régissent la matière, eLne tendrait à
rien rnoins qu'a annuler les garanties réciproques énoncées, sous
l'approbation de l'autorité publique, dans les tarifs spéciaux en vue
( 1) Dalloz 1870 l . 406 .
(2) Sirey, 1869 1. 158
-
83 -
d'assurer aux gares de départ et d'arr ivée le bon ordre et la régularité des expéditions.
L'application des tarifs spéciaux est d'aileurs soumise aux conditions d 'applications du tarif général rles compagnies en tout ce
qui n 'est pas contraire aux dispositions particulières qui y sont
énoncées.
Les tarifs spéciaux sont proportionnels ou diffé rentiels .
Le tarif est proportionnel quand, étant donné une marchandise
à transporter, la taxe à percevoir varie en raison de la distance
parcourue.
L es tarifs différentiels sont de trois classes : tarifs différentiels :
1' en raison du poids des marchandises, 2• en raison de la dis-
tance; 3° en raison du sens dans lequel le transport s'effectue.
Le tarif différentiel en raison du poids est un tarif dans lequel
la base diminue à mesure que le poids des marchandises remises
par un seul et même expéditeur a ugmente.
Le tal'if différentiel en raison de la distance est un tarif dans
lequel les bases kilométriques diminuent à mesure que la distance
à parcourir augmente.
La légalité des tarifs di1Iérentiels e11 raison de la distance a été
discutée. Ces tarifs violent, dit-on, le principe de l'égalité des
tarifs, ils permettent, e n ou tre, à certains industriels ou commerçants de faire, g râce à cette faveur, une concurrence ruineuse, sur
les marchés où ils enverront leurs marchandises, aux produits
même du pays, et ils arriveront à tarir bien des sources de production e t de richesse. i parfois, il est vrai que certains intérêts
particuliers souffriront de ces tarifs, en réal
,.. ité ils actiYent la vie
commerciale et la production, ils arri rent à équilibrer parloul le
prix des choses, résultat précieux quand il s'agit des objets indispensables à l'alimentation publique ou des matières de première
nécessilé, ils font pénétrer partout les ressources el le bien-ètre
en supprimant les dis tances et 8ont môme un obstacle ü ce que
certains industriels ne se rendent maitres absolus de prix et ne
créent un monopole à leur profit.
D'autre part, cette diminution de taxe est parfaitementjustifiée,
car le prix des tarifs comprend non seulement le remboUl'sement
�-
84 -
tles frais s péciaux au transport, mais encore l'amor~issement des
frais générau x qui grèvent dans de moindres proporhons les expéditions à grandes distance.
.
.
.
Enfm , ces tarifs sont toujours combinés de manière que JaIUa1s
le prix total du transport ne soit plus élevé pour les parcours peu
étendus que pour les trajets plus considérables.
Les tarifs différentiels en raison du sens dans lequel le trans port s'e!Iectue, sont ceux ùans lesquels le prix .de transpor t po ~r
aller d'un lieu dans un autre est diliérent de celm fixé pour reYe111r
du lieu d'arriYée au point de départ.
Les compagnies les établissent quand le mouvement comme rcial entre deux centres est moins importan t dans un sens que da ns
l'autre; elles font des concessions pour utiliser un matériel qui
reviendrait à vide .
Les seuls tarifs différentiels qui aient une dénomination propre
sont : les ta rifs communs, les tarifs internationaux, les tarifs d'exportation, les tarifs de transit et les tarifs de détournement.
Les tarifs communs sont les tarifs que créent cieux ou plus ieurs
Compagnies, combinant en un seul deux ou plusieurs tarifs spéciaux, deux ou plusieurs tarifs di1Térentiels.
Quand parmi les compagnies se tro uve une compagnie étrangère le tarif combiné est alors un tarif internationa l.
Les tarifs d'ex portation ont pour objet de facil iter a ux produits
fran çais l'arri \'ée à la frontière pour qu'ils puissent lutter avec
plus d'a\·antages contre ceux de fabri cation étrangère.
On a vivement critiqué les tar ifs de transit applicables au x
marchandises qui traversent la France sous plombs de douane
d' une frontière à. l'autre, auxquels on a r eproché de favoriser le
commerce étranger au détriment du com10er ce français ; ma is
ces tarifs, destinés en général à décider les produits étrangers
auxquels plusieurs Yoies sont ouvertes , à. choisir le tra nsit par le
France, loin de créer une concurrence qui ex isterait sans eu x
sont une source de profil, non seulement pour les compagnies
dont elles utilisent Je matériel en leur fournissant un aliment,
mais pour le commerce tout entier auquel elles apportent les
diverses opéra tions de transit et pour la marin e à laquelle elles
procurent un fret de sortie.
-
85 -
Enfin, et pour terminer cette rapide énuméra tion, les tarifs de
détournement établis pour le parcours entre deux villes non reliées par un chemin de fer di rect, sont des tarifs dont les prix
sont basés sur la dis tance à vol d'oiseau, et q ui font a ins i, bénéficier les points qu' ils rapprochent fi ctivement, d'une partie des
avantages que leur procurerait un chemin de fer direct.
�-
86 -
CHAPITRE II
PRINCIPRS GÉNÉRAUX. - FOIŒATION Dll CONTRAT llE TRANSPORT.
l. - CARACTÈRES DU CONTRAT DE TRANSPORT.
Le contrat de transport est une convention par laquelle une
personne s'engage à transporter pour un pt' ix déterminé des personnes, marchandises ou objets quelconques d'un li eu dans un
autre.
C'est un contrat synallagmatique parfait produisant des obl igations réciproques entre les contractants dès le moment même de
sa formation , à titre onéreux , et du droit des gens.
Le contrat de transport participe à. la fois du lou age de service et du dépôt et l'on s'est demandé s'il devait ètre rangé dans
la classe des contrats consensuels ou des contrats réels .
Pour certaines personnes, le contrat est purement consensuel el
formé par le seul fait que les volontés des parties sont d'accord.
En effet, soit qu'il s'applique aux personnes, soit qu'il s'applique
aux choses, le contra t est consensuel en ce sens qu'aucune forme
spéciale n'est requise, pour la manifesta lion de la volonté des
parties. L'art. 101 du Code de Commerce porte bien que la lettre
de voiture forme contrat entre l'expéd iteur et le voiturier, ou
entre l'expéditeur, le commissionnaire et le voiturier mais on n'a
.
'
Jamais mis en doute que le mot forme n'ai t le sens du mot
constate.
-
87 -
Pour d'autres auteurs l'immixtion du dépôt amène cette conséquence, que le contrat n'existe à proprement parler qu'autant que
la remise des objets à transporter a eu lieu. Jus que là il n'y a
qu'une simp le promesse de transport.
Si le voiturier, avant la réception des colis, refuse de se charger
des colis qu' il s'était engagé à transporter, il est responsable en ce
cas parce que toute obligation de faire se résout en dommages
intérêts en cas d'inex6cution de la part du débiteur, mais il n'est
pas responsable comme voiturier.
En réalité, le contrat de transport est d'une nature mixte. Il est
réel en ce sens qu'on ne peut pas le co ncevoir quand le voiturier
n'est pas en possession d'un objet ü transporter ; et l'art. 1782 ùu
code civil renYoie au litre de dépùt pour fa ire connaitre les oLligations qui pèsent sur le voiturier au sujel de la garde et de la conserva lion des obj ets qui lui sont confiés.
Le projet du code civil contenait [même un article portant que
le marché fait avec des voituriers par terre et par eaux est un contrat mix te qui participe de la na ture du contrat de louage et de
celui du dépôt.
D'un autre côté, il n'est ni littéral ni so lennel el se forme sans
qu' il soit besoin de recourir à un écrit ou à une forme spéciale.
Le contrat de transport est soumis aux conditions générales de
valitlité des contrats en ce qui a trait: soit à la nécessité du
consentement (art. 1109 et suivants du code civil), soit à la capacité
ues parties (art. 1123 et s uivants), soit à l'existence d'un objet qui
puisse faire la matière d'un contrat (art. L126 et s ui vants), soit
enfin à celle d'un e cause licite (art. 1131 et su iYants du code civil).
Lorsque la personne qui se charge dn transport doit l'effectuer
par elle-même ou par ses préposés, on la nomme ,·oiturier ou entrepreneur de transports; lorsqu'au contraire elle ne 'est engagée
qu'à faire opérer le trallsporl el qu'elle en charge un ou plusieur.
voituriers on la nomme commissionnaire de transport.
C'est e1~trc l'expéditeur et le voiturier ou entre l'expéditeur le
commissionnaire el le voiturier que le contrat se forme.
Si les obje ts à lcnr arriYée ne doivent pns dre remis à l'e-xpéditcu1· lui-1uênw une tierce personne peul se Lrouver intéressée:
'
.
c'est le des tinataire.
Le con tra t se forme toujours entre le vo1-
�-
turier et l'expéditeur; mais celui-ci stipule alors non-seulement
dans son intérèt, mais aussi dans l'intérèt du destinataire; et le
destinataire peut réclamer directement l'exécution du contrat au
Yoiturier et le poursuivre en dommages intérêts en cas d'inexécution.
Quatre conditions essentielles doivent dont se trouve1· réunies
pour que le contrat de transport puisse exister : Il faut :
Un
Un
Un
Un
-
88 -
objet à transporter ,
expéditeur,
voiturier,
prix pour le transport.
Il importe peu qu'il y ait un destinataire distinct de l'expédi teur;
l'existence du destinataire n'est pas de l'essence mème du contrat. Il est aussi indiliérent que l'expéditeur ait traité directement
avec le voiturier ou par l'entremise d'un commissionnaire.
En pratique, le commissionnaire est presque toujours en mème
temps voiturier, ou bien il réclame pour Je transport un prix supérieur à celui qu'il a payé lui-même.
En eliet, les expéditeurs, soit pour éviter que les commissionnaires et ~es voit.uri ers ne s'entendent à leur détrimen t, soit pour
ê tr~ fi xés i11:méd!ateme~t sur le prix total du transport, préfèrent
toujours traiter a forfait avec les commissionnaires au lien de
leur rembourser le prix. qu' ils auron t eux-mêmes payé pour le
transp?rt. aug~enté d'une commission. En droit, par conséquent, le
comm1ss10nna1re est un Yéritable entrepreneur de transport. Il en
e.st résulté que dans la langue du commerce ces deux dénomination~ sont p r~ses indiITérement l'une pour l'autre et sont rarement
app.hq~ées d une man i~re exacte. Ainsi on appelle dans le langage
ordinaire, les compagnies de chemins de fer des entrepreneurs de
transports et cependant les compagnies sont ou voituriers seulemen ~ q.uand .la marchandise ne doit pas sortir d'un réseau, ou
comm1ss10nnaires
. .
. . quand la marchandise doit emp 1oyer pour parvenir a d.est111at10~ I.e rés~au d'autres compagnies. Cependant la
compagnie comrrnss1onna1re ne perçoit par de commission .
Il. -
89 -
DE LA LETTRE DE VOITURE.
Nous savons que le contrat de transport se forme par le seul
consentement des parties, et sans qu' il y ai t besoin d\m acte
écrit passé entre Je voituriet' et l'expéditeur.
Comment pourra-t-on prouver dans ce cas l'existence et les conditions du contrat pour une valeur supérieure à 150 francs.
Tout d'abord si c'est le voiturier qui invoque le contrat, il le
prou ,·era par la détention même des objets qu'il aura transportés,
et s i le débat porte sur le prix du transport, il l'établira contre un
commerçant par tous les moyens cl e preuves énoncés à l'art. L09
du code de commerce ; contre un non commerçant, par les usages
du commerce p our les transports effectués dans des condi tions
semblables.
Quand c'est contre le voitmier que l'exécution du contrat est
poursuivie: s'il est commerçant, l'art. 109 apporte au demandeur la
ressource de tous ses moyens tic preuve. Lorsque le voiturier n'est
pas commen;ant, ce qui arrivera dans des cas excessivement
rares, l'expéditeur pourra encore prouver contre lui les conditions
du transport par la preuve testin1oniale.
Il résulte, en efTet, de l'art. l 782 que les voituri ers sont assimilés
aux auberg is tes pour les obligations qu'ils ont à remplir.
Il est certain que l'assimilation doit ètre faite également en ce
qui touche les tùo)·ens de preuve. La discussion qui eût lieu au
conseil d'Etat à propos de cet article ne laisse pas place au moindre doute.
La prem·e par té1noins pourra Llo nc être reçue mème pour une
valeur au dessus de 1;:,o francs. (Art. t3'18 et 1950 du code ciYil.)
Dans l'usage du commerce, on constate le contrat de transport
par un acte qu'on appelle lettre de voiture.
Avant l'établissement des chemins de fer, l'expédi teur, en même
temps quïl confiait au YoiLuriel' l'obj et à transporter, lui remettait
une leltre p our le destinataire llans laquelle se trouvaient inscrites
les conditions du transport.
�- 90 Elle était généralement conçue dans les termes suivants : à la
garde de Dieu et Je (X) voiturier, vons recevrez (telle march andise)
marquée comme en marge, laquelle devra vous être r endue
(à Lelle date) à peine de perte pour le voiturier de ( telle portion)
des frais de transport et vo us payerez la somme de ( tant de)
francs.
C'est cette lettre de voilure dont l'art. 102 du code de commerce
nous dit : elle doit t'tre datée, elle doit exprimer la nature e l le
poids des objets à transporter, le délai dans lequel le transport
doit être elTectué; elle indique le nom et le domicile du r,omm issionnaire par l'entremise d uquel le transport s'opère, s'il y en a
un. le nom de ~elui à qui la marclrnndise est adressée, le nom
et le domicile du voiturier; elle énonce le prix de la \'Oiture, l'indemnité due pour cause de retard, elle est signée par l'expéd ileur
ou le commissionnaire , elle présente en marge les marques et
numéros des objets à lransporter; la lettre de voitu re esl
copiée par le commissionnaire s ur un reg is tre co té e l paraphé
sans intervalle et sans s uite.
La lettre de voiture é tail réd igée en cieux exempla ires dont l'un
était remis au voiturier el l'au tre restait entre les mains de l'expéditeur pour la sa uYegarcle de ses droits.
Cette rédaction de la lettre de voiture à double o rigina l n'est
pas nécessaire pour qu'elle puisse èlre ad mise comme preuve du
con~ra t de transport: l'art. 1325 du code n'est pas applicable a ux
matières commerciales.
. L' ar t· .~ O·2 du Corte de commerce ne porte pas que les énonciations qu il énumére doi\·ent se trouver à peine de nnllilé dans la
lettre de voiture. La lettre de voilure n'étant qu'un moyen de
const~ter le contrat et n'étant pas ei:;sen tiellc à sa validité, il est
~ertam que le défaut de certaines mentions ne peut avo ir une
influence q uelconque, puisque le défaut de la lettre de ,·oi lure n'en
a pa~. Le moyen de preuve sera pent-ètre incotn plet mais les
,
,
.
.
parties auront la fac ull"'<.; d e 1ecour1r
à d autres moyens pour
•
établir leur convention.
.
. t10ns
.
· l es enon
Pourrait-on prouver con ·tre
de la lettre de voic1a
tctu·r~, par exemple, au moyen
de la p1·euve testimon ia le? Il faul
ec1der que non car l'a rt · 13t.11 , qui. porte qu 'i l n'es t r eçu a ucune
-
91 -
pre~ve par témoins contre et outre le contenu aux actes, s'applique
aussi bien en matière commercia le qu'en matière civile.
Il faut cependant faire exception pour le cas où la partie contre
laquelle serait invoquée la lettr e de voiture soutiendra it qu'il y a
dol ou fraud e.
Lorsque dan s un contrat de t rnnsport l'expéditeur ne fait pas
l'envo i àsa propre adresse, i.I est intéressan t de r echercher quel
est pour le des tina ta ir e le bénéfice de celte s tipulation. Doit-on
considérer le transporteur simplem ent comme le mandatair e de
l'expéditeur, obligé, par conséquen t, de s ui vre en toutes circons tances ses instructions ; et, par exemple, l'expéditeur aurai t-il le
droit de révoquer le mandat de transp ort, de changer le destinataire ou d'ordonner que les marchandises soient retenues jusqu'à
nouvel avis ou lui soient restituées. Celt1' indication d'un destinataire, dans une lettre de \'Oilure, a-t- elle, au contraire, tous les
eITets <le la stipulation pour autrui dont parle l'art. 11 21 du Code
civil, stipula tion i rrévocable si le tiers a déclaré \'Ouloil· en profiter.
On a so utenu que l'expéditem qui fait un envoi à un desti natair e
stipule pour ce lui-ci, et stipule très-valablement puisqu'il est
intéressé personnellement à ce que le transport s'accomplisse et
que telle est la condition de son contra t. Le deslinataire est sans
doute, dit-on, sans a ucun droil a u moment même du transport, el
la conven tion est sans effet \'is- à-,·is de lui ; elle ne l'oblige pas
en,·ers le voi turie r à recevoir la marchandise et à en payer le
prix. Mais dès qu'il déclare vouloir profiter du contrat il est
imm éd iatem ent obligé; on peut i1woquer contre lu i toutes les
clauses et toutes les conditions qu i y sont stipulées.
H.éciproquement, à partir de sa déclaration, le bénéfice du
con trat lui est assuré, il en acquiert immtidiatement toutes lP
actions; il sufül de la simple manifestation de sa \'olonti,\ pour
qu'il entre tou t-à-fa it clans le contra t de trausport et se substitue
quelquefois complètement à \'expédi teur. Le \'Oiturier doit donc,
dès le moment ùu contr at, se regarder comme obligé non-seulem ent envers l'ex p édileur mais e ncor e vis-à-vis du destinataire.
L'expéditeur n e peul pas cx.igel' de lui qu'il lui remette les marchandises, car la slipula lion p oetr q u'elles seront remises au
destinataire, et le voiturier ne doit pas ad me ttre facilement que
�-
l'expéditeur le délie de ses obligations, car il sait que le destinataire a pu, par une s imple manifestation de Yolonté, acquérir le
droil à la linaison des marchandises et que l'expéditeur n·a pas
le potffoir de préjudicier à cc clrnil acqui pnr le deslinntaire.
i donc rexpécliteur vien t lui demander de lui remettre les
marchandises, le voiturier dena exiger tle lui une preuve trèsformelle que le des ti nataire n'a pas encore manifesté l'intention
de profiter du contral de transport ou qu'il a r enoncé à se prévaloir de la stipulation faite pour lui.
Le résultat de cette théorie serait que l'expéd iteur, rnème encore
nanti de la lettre de voiture, qu'il offrirait de restituer au voitmier.
ne pourrait pas obliger le YOilmier à modifier ce contrat en
ofirant seulement de rendre le litre encore entre ses mains.
ous ne pensons pas qu'il y ait réellement dans le fait de l'indication d'un destinataire une stipulation pour autrui. Le trnnsporteur n'est qu'un simple ioandataire de l'expédi teur, le fait de
la destination ne peut impliqu er l'indication d'un droit de propriété
au profit du destinataire ; ce n'est que la détermination nécessaire
d'une condition du contrat de transport. Si l'expéditeur veut
changer le mandat du transporteur el s ubstituer un nouveau destinataire à l'ancien, le voiturier ne pourra se refuser à exécuter les
nouvelles instructions, avec celle restriction cependant que l'expéditeur soit encore nan ti de la lettre de voiture q ui lui aura été
délivrée lors de la prise en charge des colis. Cette lettre de voiture,
en effet, entre les mains du destinataire crée à s on profit un
titre contre le transporteur. Tant que ce titre n'est pas r estitué
le voiturier a le droit de considérer le premier mandat comme
irrévocable.
Ou si l'on veut considérer qu'il y a dans ce cas une s tipulation
pour autrui, il faudra admettre que le destinataire n'est autorisé
à s'en prévaloir, qu'à la condition d'avoir entreses mains la lettre
de YOiture.
Cette manière de voir a été consacrée par un arrêt de la Cour
de Cassation du 5 aoùt 1878 (1). li s'agissait da ns l'espèce d'un
récépissé ~·e~péditi?n délivré par la compagnie d'Orléans et que
la Cour assimile entièrement à une lettre de voiture.
(t ) Dalloz, 1878. 1.4M..
-
92 -
93 -
ALtendu,y est-il dit, en droit, que le récépissé d'expédition délivré par une compagnie de chemins de fer chargée de transporter
desmarcbandises,tient lieu de lettre de voiture et représente l'obligation de la compagnie vis-à-vis de l'expéditeur et vis-à- vis du
destinataire, q ui n'a point été partie au contrat. Que la désignation
du destinataire ne peu l impliquer par elle-même aux yeux du
transporteur un e ind ica tion de la propriété et n'est pour lui que
la détermination nécessaire d'une condition du contrat de transsport. Que si le destinataire est autorisé à se prévaloir de cette
désignalion pour se fa ire remettre les marchandises expédiées,
c'est à la condition d'être nanti du récépissé délivré par la compagnie ; qu'au contraire, tant que ce litre n 'est pas sorti des mains de
péditeur, le contrat inter\'enu entre lui et la compagnie peut-être
rompu avant toute exécution, par suite de l'accord en vertu duquel
les marchandises sont retirées par l'expéditeur et .le récépissé est
restitué à la compagnie. »
Il en résultera que si les créanciers du destinataire, exeri:ant, en
vertu de l'article 1166 du Code civil, tous les droits de leur débiteur,
et notamment ceux résultan t du contra t de transport, onl saisiarrêté en cours de t ransport les marchandises adressées à leur
débiteur, le transporteur n'aura pas besoin de demander que la
mainlevée de l'opposition soit rapportée pour faire suiYre à la
marchandise une destina tion différente si l'expédi teur restitue tous
les Litres délivrés par la compagnie qu'il a conservés entre les
mains. C'est ce qui a été décidé par un arrêt de la Cour de Paris
du 30 décembre 187 1 ( 1). « Attendu , que le transporteur, simple
mandataire de l'expéditeur, n'avaitpas à s'enquérir du propriétaire
<le la chose transportée e t devait, à moins de retrait de la marchandise par l'expéditeur qui la lui avait confiée, exécuter strictement le transport objet du mandat, que le fa it de la destination
ne peut impliquer par lui-même a ux yeux du transporteur une
indication q uelconque de la propriété, et n'est pour lui que la
détermination nécessaire d'une cond ition du contrat de transport;
que Loule autre solution jetterait un e p erturbation dans le com1nercc et l'industrie dans l'administ rntion des chemins de fer ,
'
et dans tous les intérêts liés à la ma tiùrc des transports. »
L<
(1) Dalioz, 1873. 2. 28.
�-
94 -
Une autre conséquence, c'esl que le commissionnaire qui a fait
<les avances sur une marchandise en coun; de voyage, n'est pas
réputé en possession et n'a, par conséquent, aucun privilége aux
termes de t'arl. 92 du Cod e de Commerce, tant qu'il n'es: pas
nanti de la lettre de voiture, lors m~me qu' il s'agirait d'une lettre
de voiture dans laquelle il a urait été nommément désigné comme
destinataire.
Disons en passant que lorsque l'expéd iteur d'une marchandise
veut suspendre la livraison au destinataire, il doit, s i le transport
s'effectue sur plusieurs 1·éseaux, s'adresser à la Compag nie ùe
départ, et non à la r.ompagnie <l'arrivée, t:ar il n 'existe aucun
lien de droit entre lui et cette dernière.
La compagnie qui a consenti le contrat doit ètre avisée du
changement apporlé aux conditions stipulées et c'est à elle à
transmettre ces instructions nouvelles aux Compagnies intermédiaires et à la compagnie ù'atTi,·ée.
On ne saurait, dit un jugement du Tl'ibunal de Commerce de l:.i
eine du 30 décembre l872 (1), imposer aux agents de la compagnie, dans les gares intermédiaires et les gares de destination,
de s'anèter sans autre avis à de s imples ins tructions particul ières
qui pourraient leur èlre adressées même par des expéditeurs ou
Lous autres intéressés. Ces agen ts ne connaissent et ne doi vent
en principe connaître que leur administration centrale, ou le
bureau expéditeur lui mèrne. auquel il appal'tient à l'expéclileur
de s'adresser pour faire transmettre les nouYelles instructions ou
tout au moins pour les faire confirmer.
Il nous reste maintenant à examiner si la lettre d e voilure
comme les eJiets de commerce, peulèlre mise en circulation c'est~
'
à-dire transmise par la voie cle l'endossement.
La lettre de voiture est à ordre ou à personne dénommée.
Dans le premier cas, tout le monde esLd'accord pour reconnaitre que l'endossement esl valable, mais cette solution n'a pas une
grande importance pratique, car il esl d' un usage constant cl
général dans le commerce de créer des lettres de voilures dans
lesquelles ne se rencontre pas la formule à ordre .
(1) Lamée-Fleury, 1873, p. Ci'I.
-
95 -
Dans ce cas les opinions sonl divisées en ce qui concerne la
transmission par l'endossemenL.
Pour soute!'lir la validité ùe ce trans fert on se fonde sur l'usaO'e
du commerce: les lettres de voiture, dit-on, ne sont presque jama~s
à ordre et cependa nt 011 les tra11smel par voie d'endossement sur le
duplicata expédié au destinataire. Le code est muet sur la manière
dont peuvent se transm ettre les lettres de voiture on doit donc
'
. '
pm squ on se trouve en matière commerciale, recourir aux usages
dans ce silence de la loi.
La question a surtout un grand intérèt lol'sque le tiers porteur
de la lettre de voiture ama fait des avances sur les marchandises
et voudra exercer sur elles son priYilége, en prétendant qu'il en a
été saisi aux termes de l'art. 92 d11 Code de commerce par la lettre
de voiture.
La Cour de Cassation a décidé, dans un arrêt du 12 jam·ier L847 (1),
que les lett!'es de voi ture ne peuvent être régulièrement négociées
par voie d'endossement que lorsqu'elles sont à ordre el que hors
ce cas la transmission qui en est faite ne constitue qu'un transport
ordinaire quine produit pas les eŒets attachés par la loi à l' endoss.ement. Cette solution est malheureusement la seule juridique;
1usage du commerce ne peul prévaloir contre les dispositions de
la loi. Il est de principe en droit commercial qu'on ne peut transmetlre par endossement que les Litres dans lesquels on a stipulé
•
ce mode particulier de trnnsmission.
à ordre: si par
voiture
de
lettres
des
faire
de
interdit
pas
Il n'est
conséquent l'expéditeur veut que sa lettre soit négociée par voie
d'endossement, il lui est permis de donner cette faculté au destinataire en créant la lettre de voilure à snn ordre. Quand, au contraire,
la lettre est à personne dénommée, l'expéditeur ou ses ayant,
droit sont fondés à refuser au porteur de la lettl'e de voiture, par
endossement mème régulier, ln qualité de tiers porteur. Le cessionnaire n'a pas plus de ùroils que n'en avait son cédant, le seul
moyen pour lui d 'ètre saisi serai t un transfert par acte signilie à
l'expéditeur.
)
(1) Journal du Palais, 18ff 1.13(1.
�-
96 -
Ill. - OKS RÉCÉPISSÉS.
En malière de transports par ch emin de fer, les expéclitems y euYent exiger des compagnies la rédaction d'une .le ttre de voitu '.·e,
celte facullé leur est expressément résen ·ée par l a rt. 4\l du cahier
<le charaes : toute expédition de marchandises sera conslatée,
si r ex péditeur le demande, par une leltre de Yoiture dont un _exemplaire restera aux mains de la compagnie et l'autre aux mams de
.
l'expéditeur.
La forme de ces lettres de voiture est conforme aux énonc1aions indiquées dans l'art L0'2 du Code de .commerce, sa~f sur un.
point, c'est que les compagnies se sont tOUJOurs refusées a énonce1
dans le lellre de Yoiture l'indemnité éventuell e à payer pour cause
de retard. Ce refus a soulevé de nombreuses discussions.
Les expéditeurs p1·ét endaient que les compagnies é taient.obligées par leurs cahiers des charges à rédiger une lettre de vo1 tur~,
Cette lettre de voiture ne pouvait être que celle prévue par la 101,
c'est-à-dire parl'art. 102 du Code de coru me rce, et devait renfermer
par conséquent toutes les énoncia tions prescrites par cet ar ticle .
Les compagnies soutenaient que l'énonciation de l'indem nité
pour cause de reLard n'est pas un e <les cond itio ns essentielles de
la lettre de voiture, qu'aucun règlement ne prescrit cette é nonciation et qu'à défaut de règlement les compagnies ne peuvent ê tre
liées que par leurs conventions librement débattues.
La Cour de Cassation , par trois arrèls du 27 j anvier 1862 (l ),
cassant trois décisions de cours,a définitivement déb ou lé les expéditeurs de leurs prétentions.
Aujourd'hui,dans la pratique constan te des chemin s de fer, on ne
rédige plus de lettres de voiture. Depuis 1862, c'est-à-dire depuis
que la Cour de Cassation a décidé que les compagnies avaient le
droit de ne pas accepter la clause devenue de s Lyle par laquelle on
stipulait en cas de retard l'abandon d'une partie des frais de trans(l) Dalloz 1862. 1. 67.
!)ï -
port, la principale util ité de la lellre rie voilure a disparu. On a
recours au second mode de cons tater le contrai prérn par l'ordonnance de L846 e t le cahier des charges : cc Dans le cas où l'expéditeur n e demander ait pas de lettre de YOiture, la compagoie sera
tenue de lui déli\·rer un récépissé qui énoncera la nature et le
poids du colis, le pl'ix tota l rl 11 Lra11sport et le délai clans lequel ce
transport devra être effeclué. »
Cette n écessité de la délivrance d" un récépisst'• à défaut de lettre
de voitu re a été consacrée pa r la loi du t3 mai 1863 portant fixation du b udge t de 1864 ,qui porte que le récépissé deYra être reYèlu
d'un ti mbre de 20 centim es (70 depuis la loi des 30 mars et 4 avril
1872), e t rédigé en deux exemplaires, ùont l'un pour l'expéditeur
et l'autre destiné à accompagne1· l'expéd iti on et à être remis au
destinataire.
La forme de ces r écépissés a été déterminée par une circulaire
ministérielle du 26 février 1861 .
Ils sont dé tachés d' un registre dont la souche tien t lieu du registre
que l'art. 1875, C. civ., exige du vo iturier .
L'expéditeur remet aux compagnies en même temps que sa marchandise une déclara tion d'expédition ou note de remise contenant
toutes les conditions de l'envoi qu'i l se propose de faire, et la
compagnie délivre u11 récépissé qui doit eu reproduire Lo~tes. l~s
mentions. Ce récépissé constitue un Yéritable ti tre pour 1exped1teur et le destinataire, et ses énoncia tions ont la même force probante que la lettre de voi ture dont il tient la place. La déli~ra1~ce
du récépissé ne crée un lien de droit e t ne constitue une obhgallor.
qu'envers l'expédi teur.La compagnie pourra dc1nc Yalablementsur
sa demande changer la destination des marcha ndises san que le
destina taire puisse se préYalo ir vis-à-Yis d'elle du récépissé oü il
étail dès igné. En effel, le récépissé n 'esl qu'un simple reçu <le . la
marchandise délivrée à l'expéditeur; et d'après l'art. 49 Liu caluer
!les charges, il n'é tait nullement q uestion du destinataire. Le nom
de celui-ci doit y être indiqué depuis la lo i du 13 mai 1863, arl. lO,
2' alinéa, mais le destinataire n'est nullement parlie au contrat et
l'iudication dont i 1 est l'obj et ne peul pas èlre considérée com1~e ~n_e
stipulation en sa tave ur. Quant au récépissé qui lui est destrne, il
acco mpagn e l'expédition, il ne lui est remis qu'au moment de l:i
7
�-
98 -
livraison des marchandises à l'arrivée et il ne pe ut cuns titue l'
d'avance un droit pour le destinataire à l'encontre de La compag nie.
.
Une question intéressante, an.a log ue à 1.:elle que no~s ~v,ons d1~
cutée à propos des lettres lie voLture,es t celle de s avoir s11 expéditeur peut en en\•oyant son récé pissé a u des ti 11ataire, co ns titue r à
celui-ci un droit à l'encontre ùe la compagn ie. Fa udra+il a dme ttre
que la remise du récépissé a nra les mêmes eITets que ceux que
nous avons reconnus à la re mise de la le ttre de voiture, c'est-à-d ire
de transme ttre la possession de la marchandise en cours de
voyage.
· · · · dél'1v1·é a· l' ex p e-·
·
La raison de doute r c ·est que, par le rncep1sse
diteul', la compagnie s'engage e nvers lui seul e t nullemen t envers
Je destinata ire, a uquel la loi destine un Litre s pécial, le récépissé
à remettre au destinata ire.
Le récépissé créé pour l'ex péd iteu r ne peu t conférer de drnits à
celui pour lequel la loi a fa it prépare r un a utre ti tre tout d iITérent.
On p eut ajouter que l'a na lyse de l'orig ine des récépissés condu it
au même résulta t. Et enfin les raisons de d roit qui pe r mette nt de
ùécider que la remise de la lellre de voiture a n destinata ire crée
à :;on profit un d r 0it irl'évoca lJle conlre le tra nsporteur ma nquenL
ici. L'art. 576, 2' alinéa, du Coùe de co mmerce , fai t cesser, le droiL
de revendication qua nd les ma rchandises expéd iées a u failli ont été
reve ndues sur factures el connaisse ments ou lettl'es de voilu re
s ignées pa r l'expéditeur . L'art. \12, 2· a li néa, du même Code, dispose que le créancier est réputé avoir les marcha ndises en sa p ossession, si avant qu'elles soient a lTivées il en est saisi par un connaissement ou par lettre de voi ture. Les textes qui permettent de
reconnait rn des ùro its au dastinata ire na nti de la lettre de vo iture
sont muets sur les récépissés, el cependa nt l'art. 92, introduit da ns
le Code de commerce par la loidu 23 mai 1866 , a rr ivait à une époque
où les i·écépissés e xistaient depui s longteinps, el quelques jour.
après la loi qui les soumetta it an droit de t imb re de 20 centimess
Ce silence est significatif.
'
Ces raisons peuvent être séri euses, ma is elles ne s ont pas décisives . Le silence des art. 92 et 576 d u Code de commerce, ne peut
fournir d'argument car ces arLicles contiennent des applications de
cette règle que lé code n'a pas jugé nécessaire d'exprimer formel,•
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99 -
lement, q ue le destinatail'e u ne fo is e n possession du conna issement ou de la lettre de voiture où il est désigné a un droi t absolu et
irrévocable à l'encontre du voiturier.
L'existence de deu x doubles des 1·écé pissés ne peut p as non
plus être in voquée ca r p our le conna iss ement nous vo yons qu'il
<l oit y a\' Oir qua tre orig inaux : un pour le cha l'geur et un pour le
réceptionnaire et cela n'empêche pas que le chargeur ne pui::;se
envo ye r son con na issement à un ùestinata ire en mème te111ps q ue
l'exempla ire créé pour ce de rnie r , e t lui confére r, pa r cette rem ise,
la possession an ticipée des ma 1·cha nd ise- .
Mais,en outre, il y a des tex tes cle lois très formels qui ass imilent
complètement dans leurs e!Tets les récépissés aux le ttres de voiture
L'art. 49 du cahier des c ha rges donne le ch oix entre les deux
modes de cons ta ta tion du contrat de tra nsport. L'art. 10 de la loi
de !inances du 13 ma i J1:163 , en décidant que le récépissé doit è tre
fait à double e t do it ind ique r le nom du destinataire, a eu pour
but d'assurer plus de facilité a u commerce dans ses rappor ts avec
les co1npa gn ies et de donner aux récépissés les mêmes ava ntages
qu'à la lettre de voi ture. Ce but est clairement indiq ué dans le
rap port de la commission e t les Le rmes de la discussion au rnoment
du vote de li:\ loi ne la issen t aucun doute. 11 demeure donc bien
entendu, dit un d éputé, que le récépissé a ura identiquemenL les
mêmes eliets que la le ttce de voiture, sauf la fi xa tion du chiffre de
l'indemnité, il est bon que le public soit fixé sur les nouveaux
droits que lu i con fère le récépissé.
Enfin la loi du 30 mars et du -1avri l1 872 complète l'assimila tion
j uriù ique du récépissé à la lettre de voiture.Cette loi qui, par mesu r~
fisca le, soume t les récépis5é::; a u mê me Limbre de ï O centimes que
les le ttres de voilure, supprime la dernière ù ifîérence réser vée en
1863, c'est-à-dire la spécia lité des récépissés a ux transports pa r
cheü1in de fe r . L 'a rt. 1 porte à cet égard: Ces récépissés pour ront
serYi1· de le ttre de vo iture pourles tra nsports qui,indépenda mment
des voies fe r rées,emprnn teronl les ro ules, canaux et rivières.
Ces pri ncipes out é té consacrés par la j uris prudence, el ùe ux
arrMs de cassationdu 9décembrc J873 (l)et du 5aoù t 1878(2), on t
(1J Da lloz, H!7!L l .l10!l.
(2) Oalloi;, Hli8. 1. 16\.
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JOO -
formellement reconn u que la remise du récépissé a u des ti nata ire
lui confère un droit incommutable à r encontt·e de la compagnie .
ous a\'Ol1' vu en matière de lettres de voilui·e, les conséque nces
qu i ré ultent de cette app réciation lorsq ue des saisies-arrêts ont
été pratiquées par les créanciers du destinataire et les obllgaLions
qui pèsent en pareil cas sur les compagnies: nous n'y rev iendrons
donc pas.
Mais en matière de trans port pa r chem i11 de fer il existe certains
contrats particuliers qui, à propos des oppositions des créanciers
du destinataire,ont soulevé des diflîcultés, je veux parler des transports contre rnmboursement.
L'expédition contre remboursement est le contrat par lequel une
compagnie de che111in de îer s'oblige à transpor ter nne marchandise dans un lieu déterminé, mais à ne la 1ivrer au destina ta ire que
contre payement d'une certaine som1ne qu'elle recoune po ut· le
compte de l'expéditeur.
On a prétendu que le transpo1·t contre rem boursement présente
ceLLe particularité,quï l fait connaitre à la co111pagnie la natu re des
rapports qui existent en tre l'expédi teur et le desti natai re. La compagnie sait que la marchand ise a ppar tien t à l'e xpéditeur j usq u'au
moment où le destina ta ire a re mboursé. Par cela seul qu'un ex péditeur inscrit sm sa déclaration d'expédition une somm e à percevoir à tit re de remboursement , la corn pagnie est info rmée que
l'expéditeur reste propriétaire tant que le prop riétaire n'au ra pas
payé, la Compagnie serait donc responsable si, en présence d 'une
opposition formée par les créanciers du destinataire, elle méconnaissait le droit de propriété de l'expéd ileur et refusait de lui 1·estituer ses marchandisesjusq u'i1 la lllai11 levée de l'opposition.
Cette théorie est celle du tribuna l de commerce de la Seine. E lle
se trouve dans un jugement du 1:1 jatwiel' 1870 ( 1),oü il est dit : <<q ue
les marchandises expédiées contre rc111boursemen t n'avaient pas
ces~é d'èlee la propriété de l'expéditeu r tant que le destiunlai rc ne
s'en était pas livré contre remboursement, et que la Compagniej
sans s'arrêter à l'opposition pra tiquP,e entr e ses mains par les
créanciers du dest inataire sur toutes les marchandises pouvant
(1 ) Dalloz, 1870, 3.56.
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'101 -
arriver à son adresse, de~ i t resti tuer les colis à l'expéditeur e t à
défaut être conda mn ée à en payer la valeur .»
Cette manière de voir est inexacte, ell e repose s ur une fausse
apprécia tion clu transpo rt contre l'emboursement. La théorie du
tribunal de commel'ce ùe la Seine ne serait wa ie à la rigueur que
si le remboursemen t grévant l'ex pédition •se trouvait être le montant du prix de la 1na rc handise, mais il peut parfailemenl arri ver
que Je rem bou rsemen t n e soi t q u'une partie de ce prix ou mème ne
représente que ùes débours élevés.
Il est possib le a ussi que la ma rchandise soit livrable en gare de
départ et, clans ce cas, il est bien certain que la ma rchand ise est
devenu e la propriété de l'acheteul', qu'elle voJ·age à ses risques et
périls, et que, s i elle pé1·it en cours de transport, le vendeur conser vera néanmoins le dro it de lui réclamer le paiement du prix.
Enfin le destinataire peut a"oir déjà fait des arnnces et avoir
acquis des d roits sur la marchand ise dont le solde de prix doit être
acq uitté au moyen du remboursement.
La compagnie ne trouve donc pas da ns l'existence d\m remboursemen t lïncl ica tion que la tra nsmission de propriété est suspendue.
D'autre part, les créa nciers du destina taire peuvent avoir intérêt
en l'état, par exetn ple, d'une ha us e surven ue depuis l'expédition,
à usel' du droit q ue leur confère l'art. l l G6 du code ci,·il et demander, à retirer eu x-mêmes la marchandise en payant le remboursement.
Pour les compagn ies pa r conséquent étrangères au contrat inter venu entre l'ex péclitelll' e t le desti11ataire,la clause du remboursement est une conditi on suspensive de la li\'raison et non pa de
la trans mission même ùe propriété. Cette interprétation se trom·e
consacrée da ns deux jugements du tribunal de cmnmerce de :Vlarseil leùes 9 a\'ri l 1880 (affaire Paul A1niel et Compagnie con tre cheinin cle fer P. -L.-M. ) el 4 aoùt 1881 (a!Taire Arnaud contre chemin
de fer el Lombard). « Allentlu, est-il-d it dans la première de ces
décis ions, qu'Amiel et Compagnie ont expéd ié au s ieur LecomteChoubrac, à la da te du 17 novembre dern ier, la quantité de cent
balles de har icots contl'C remboursemen t lie la somme de 3. 075 fr.
que le 5 décembre un créancier du s ieur Leco1n te-Chonbrac a fai t
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102 -
saisir-arr~tcr à l'encontre de ce dernier cette marchandise ~n
mainsùe la Compagnie du Nord, que d'a ntre part, le s ieur Leco111teChoubrac a déclaré quïl lai sa iL pour compte. les cent balles de
harièots comme n'étant pas conformes aux accords; qu'a vis du
lai ·sé pour compte a été don né aux sieur Paul Amie 1et Corn pagnie,
el que reux-ci, à la date dtt 13 décem bre,on l donné ordre à la Compagni e, dans le cas oü le s ieu1· LeconHe Choubrac,persisterait cl a ns
sa prt>tention, de déposer les dites cen t balles dans les magasins
généraux; qu 'en fait la Compag11ie du Nord a efl'e<.:tué ce dépôt le
9 jai1\·ier 1880 dès que mainlevée de la sais ie pratiquée en ses
mains lui a été donnée, que Paul Am iel et Compagnie prétenden t
a,·oir été lésés par ce retard d:rns l'exécution de lenrs ord res et
demandent le rembour.:;ement des frais perçus pour magasinage et
des dommages-intérèts; quïls sontiennent qu'en l'étal de la clause
de remboursement, tant que celle condition n'éta it pas remplie pa r
l'acheteur, ils étaient rlemeurés prnpriétaires de la marchandise
expédiée par eux, el que par suite la CDmpagnie au l'ait dû obtempérer a leurs ordres; que la clause du remboursement ne peut
avoir qu'un effet à savoir de suspendre la livraison,soit l'exécution
matérielle de la vente, mais ne peut ètre considér ée comme une
clause suspensive d'une vente même, que l'acheteu r est réellement propriétaire de la marchandise, qu'elle voyage à ses risques
et périls, et que c'est pour lui qu'elle périt en cours de voyage et
non pour le vendeur qui se tronve dessaisi cle la propriété; que
Paul Amie! et Compagnie n'avaient donc aucu n droit à donner des
ord res et à disposer de cette marchandise tant que la vente tenait
en tre eux et Lecomte Choubrac; que celui-ci, bien qu'il eùt manifesté la volonté de laisser pour compte, Amie! et Comp<1gnie
n'avaient point à la date du 13 décembre 1879 accepté ce laissé pour
compte, et que d'ailleurs lasais ie-arrèt p1·éexislait, so it à la dëclaration de laissé pour compte, soit aux ordres cond itionnels d'Amiel
et Compagn ie, que la Compagnie du Nol'd, en mains de qui pesait
cette saisie- arrêt, ne pouvailètre tenue et n'avait pas qual ité pour
en.apprécier le mérite et pour se fai re juge d'une question de propriété entre Lecom te Choubl'ac ou soit pour lui le créancier saisissant et Paul Amie! et Compagnie, qu'elle le pouvait d'autan t moins
que nonobstant la clause de remboursement, elle était étrangère à
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!03 -
ta vente entre Amiel et C" et Lecomte-Choubrac ; qu'elle ignorait
donc quel avait pu ètre le pl'ix convenu en tre eux; qu'elle ne connaissait pas la va leur de la marchandise et que conséquemment
elle ne pou va il savoir s i en dehors de 3, 175 francs dont le remboursement était indiqué, Lecomte Choubrac avait ou non payé une
commission qnelconque sur celle marchandise à lui expédiée; que
la Compagnie des chemins de fer du Nord en faisant le dépôt à
elle présenté aussitôt le soulèvement de la saisie-arrêt obtenu
a agi sans perte de temps à elle imputable et n'a encouru aucune
responsabi li té, Le trib1111al déboute Paul Amiel et C·· de leur demande
et les condamne aux dépens. »
En somme , en supposant même que l'expédition contre remboursement soitfaite par un vendeuràson acheteur et quece remboursemen• soi t le prix même de la marchandise Yenclue, le contrat donne
seulement ma lldat à la compagnie d'encaisser de l'acheteur le prix
de la \'ente au tnornent de l'en lèvement des colis, qui pourra très
bien ne pas être celui de la liYrai son, et faute par le des tinataire
rl'exécuter son obligation, le contrat n'est pas résolu de plein droit.
La clause de r emboursement est une condition résolutoire mais
rlnns les termes de \!article 1184 du code civil, et la résolution doit
(ltre demandée en justice.
Les compagnies de chemins de fer , lorsqu'une expédition aura
été faite contre remboursement et que l'expéditeur ne pourra plus
représenter le récépissé qui lui aura été déli\Té et se fondera uniqueme nt sur le non paiement du remboursement pour demander
de les fa ire adres er à un second destina taire, auront donc tort de
se conformer à ces instructions et devront attendre que les tribunaux aient statué a\·ant de se dessaisir des marchandises.
�-
CHAPITRE III
EXÉCUTION OU CO~THAT DE TR.\XSPORT.
I. -
-
!Il i -
Dl' TR.~C\Sl'ORT ODLIGATOIRE.
Le monopole concédé aux Compagnies de chemins de fer
aurait pu produire dans la pl'at ique rles ab us si elles avaient jou i
da ns leurs rapports avec le public de la n1ê rne liberté d'action
qu'un voiturier ordinaire: une sitnation privilégiée demande une
législation exceptionnelle. Nous avons cléji1 vu naitre comme
conséqmmce de Ct> monopole la règle ùe l'homologation, de l'égalité et de la publicité des tarifa ; il fallait pour compléter ce système
de garanties que la législation sur les chem ins de fer a voulu
assurer au public, proclamer le transport obl igatoire.
Cette règle est inscrite dans l'article 50 de l'ordonnance de 1846
et dans l'article 4\l du cahier des charges. Les Compagnies n'ont
pas la faculté d'accepter t1U de refuser à leur gré les colis qui
leur sont oŒerts, leurs sen·ices appartiennen t sans distinction ni
préférnnce à tous les expéditeurs qui leur remettent des urnrchandises à transporter.
La Compagnie sera tenue, disent les deux articles que nous
a\'Ons
cités, d'effectuer cons tamment avec soin , exactitude el célé.
nté et sans tour de faveur, le transport des voyageHl's, bestiaux,
denrées, marchandises et objets quelconques qui lui seron•
confiés.
iO;j -
Cependant cette règle de transport ob li gatoire n'est pas sans
comporter quelques exceptions dont vo ici l'énumération limita tive.
Les compagnies peuvent refuser de se charger des objets
dont la dimension dépasse cell e de leur ma tériel, dont admin istrati vement du r este la longueur a été fixée à six mèt1es cinquante
et la largeur à trois mètres.
L'article 46 § 3 du cahier des charges leur pennet également de
refuser le transport des marchand ises formant une masse indivisible de 5,000 kilog. , en ajoutant que si une compagnie venait
à accepter le transport de masses de cette nature elle serait tenue
de le faire pendant une périoùe de trois mois. La Cour de Cassation (1), par un arrêt du 31 déceml>re 1873, a déterminé ce qu'il
fallait entendre par une masse indivisible : c'est non seulement
une chose indiYisible par sa natnre même, mais tout colis formé
de la réunion de plusieurs objets que le transporteur ne doit pas
diviser. En fait, les compagnies n'usent pas de celte faculté, elles
se chargent, aux termes de l'a1'licle l'2, des conditions d'application
des tarifs généraux de petite vites e, cl es masses indiYisibles lorsqu'elles ne pèsent pas plus de 10,000 kilos.
Lorsque les marchandises ü transporter sont de n ulle ,·aleur 011
sujettes à une détérioration rapide, elles peuYent obliger l'expéditeur à en faire l'expédition e11 port payé et les refuser si celuici veut user du droit, accordé en princi pe, de laisser les frais de
transports à la charge dn destinataire.
La quatrième exception a pour objet les mal'Chantlises passibles
<le droits de douane ou soumise aux con l ributions in<lirectes; pour
le cas où l'expéclitem ne remettrait pas les pièces régulières el
nécessaires à une libre circulation. Les Compagnies ne peuYenl
pas être contraintes de s'exposer à une cuntraYention.
Anx termes de l'article 8 des tarifs g~néraux de la grande
vitesse, lts compagnies ne so nt pas tenues d'accepter non emballées les marchandises que le commerce est dans l'usage
d'emballer. Il en est de même des marchandises dont remballage
est défectueux ou qui présentent ùcs traces ma11ifestes de délè(1) Dalloz. 187!1. 1. '2'1'2.
�-
rioration. Cependant. quand !"expéditeur consent à remettre aux
Compagnies un bi llet de ga rantie, les compagnies effectuent en
général le transport. L'e1Tet de la garan tie est de faire dis paraitre
la présomption légale que les transporteurs ont reçu les colis en
bon état et qu'ils sont responsables des détériorations ou avaries
qui sont constatées à l'arrivée. Si des avaries se produisent en
cours de route, ce sera au destinataire qui réclame à p rouver une
faute à la charge des compagnies pour faire retenir l eur responsabilité.
Une exception qui a donné lieu à certaines controverses est
relative aux expéditions grevées de remboursement. Les compagnies ne sont pas tenues de prendre l'engagement de ne livrer
les colis que contre paiement d'une som1oe déterminée, qui représen te le plus souvent le prix même de la marchandise, et de
faire parvenir ensuite cette somme à l'expéditeur. Ce second
mandat•sort des limites des obl igati ons que la qualité de transporteur leur impose. (Tribunal de Commerce de Marseille, 12
aoùl 1863) ( 1). On a critiqué celte décision ; les usages commerciaux et les principes en matière de transports par chemin de
fer interdisent, dit-on , aux compagnies de se charger du remboursement pour certaines expéditions et de la refuser pour
d'autres. Elles porternient atteinte, en agissant a utrement, au
principe de l'égalité rrui doit protéger tous les expédi teurs.
Cette solution est cependant la seule juridique, la seule conform e aux dispositions du cahier <les r ha rges. En pratique, il est
rare que les compagnies usent de la faculté de refuser les transports qui résulte indiscutablement pour elles de la législa tion à
laquelle elles sont soumises; elles y trouvent leur avantage en
percevant la taxe pour le retour de l'argent, bien qu'en fa it
l'argent ne voyage pas, et en bénéficiant des intérêts du remboursement entre l'encaissement et le paiement à l'expéditeur.
li ne faut pas confondre le remboursement avec les débours qui
représentent tantôt les menues dépenses occasionnées par toute
expédi tion par voie ferrée comme l'emballage ou Je camionnage
au départ, tantôt le prix d'un transport antérieur.
(!) Dalloz, 1864. 3. 23.
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Les compagnies sont obligées d'accepter les colis grevés de
débours et son t tenues, ~près encaissement à destination, d'en
couvrir l'expéditeur sans avoir droit à aucun e taxe de transport.
Les compagnies dans l' usage en font l'avance, bien que cette
avance ne soit obl igatoire que de compagnie à compagnie à la
transmission èl 'un réseau su r l'autre.
Cepenclant lorsque les compagnies ont accepté sans réserves
des marchandises qu' une cla use spéciale de lelll· cahier des charges leur permettait de refuser, elles sont tenues d'en efiectuer le
transport dans les délais ordinaires et elles ne sauraient pour
s'exonérer de la responsabilité du retard cons taté, im·oquer la
nature exceptionnelle des objets transportés.
En principe, l'encombrement des gares et l'insuffisance du
matériel n'autorisent pas les compagnies à refuser le transport
d'une marchandise qui leur est présentée. Elles doivent toujours
être en mesure de satisfaire aux demandes du commerce et
prendre le urs d ispos i tians pour que l'accroissement du ma lé riel et
l'agrandissemen l des gares correspondent à l'accroissement des
besoins. (Cour de Paris , Hl novembre l853) ( l ). Cependant si l'impossibilité du trans port clans ce cas résultait de circonstances imprévues, d 'inonda tion, de transpo rt cle troupes ou de matériel de guene,
d'une invasion de l'ennemi, en un mot, d'un fait d'une force majeure, les compagnies ne sauraient être déclarées responsables
de l' inexécution de leurs obligations. (Cassation, 5 mars et 24
décembre 1873.) (2)
Certains trans ports exigent un matériel particulier ; celui des
chernux, par exemple, pou r lesquels sont dis posés des wagons
écurie!'. II est certain qu'on ne pourrait obliger les compagnies à
avoir dans tontes leurs gares, mêmes les moins import.antes, un
matériel s pécial d'u n emploi forcément restreint; et les expéditeurs devront toujours accorder aux compagnies le temp~ nécessaire pour faire arriver les wagons spéciaux.
La dernière question qui se présente en matière de transport
obligatoire est celle du transport des marchandises à destination
(1) Dalloz, 1855. 2.310.
(2) Dalloz, 1873. 1. 230 . -
1875, l.36.
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JU8 -
d'un lieu qui ne se Lrou\le pas sur le réseau cle la compagnie à qui
elles sont présentées.
L'article 5'l du cahier des charges porte que le factage et le
camionnage n'est point obligatoire pour les gares qui dessel'\·ent
un centre de population situé à plus de cinq kilomètres de la gare
du cbemin de fer. Donc pas de difficulté, quancl il s'agit d'un
point qui n'est desser"i par aucune gare ; la compagnie est un
voiturier non un comm issionnaire , elle ne peut êlre responsable
des transports qu'elle effectue ou qu'elle fai t etîectuel' par des
Yoituriers, qu'à la condition d'avoir choisi elle-même ses préposés.
i la compagnie n'a pas de conespondant à l'endroit indiqué, ello
pourra refuser de se charger du transport au-delà de la voie
ferrée.
Mais que décider, si le !ieu de destination, quoique en dehors
du réseau de la compagnie de départ, se trouve desservi par
une autre compagnie? Si l'on consultait les principes du droit
commun , on de\lrait décider qu' une compagnie est absol um ent
libre d'accepter ou de refuser les obligations de commis ·ionnairechargeur et, par conséquent, la responsabilité des fautes que les
compagnies suivantes pourron t commettre. D'autre pal't, s i lel;
expéditeurs aYaient à s'assurer à l'extrémité de chacun des réseau x
à traverser, avant d'arriver à destina tion, d'un commission naire
de transit chargé de la réexpéclilion, il en r ésulterait des frais et
<les lenteurs très préjudiciables.
Pour résoudre la question dans le sens fa\'orable au co111mercr,
on invoque d'abord le cahier des charges. L'article 61 impose aux
compagnies l'obligation de s'arranger en tre elles de manière que
le transport ne soit jamais interrompu aux points de jondion de
diverses lignes. L'a rticle 9 de l'arrêté ministériel <.ln 12 juin 18Uli,
qui détermine les délais de transmission d'un réseau sm un autre,
ne parait pas supposer que cetle tra ns mission soit f.tGullali,·e.
E t enfin la circulaire minis térielle du 28 mai 1867, est encore plus
explicite : " L'Adminislration a eu à s'occuper dans ces derniers
temps, dit le ministre, de la question de sa\'o ir s i deux i Li 111"raires
étan t donnés, soit sur un seul et m èlllc réseau, soit s ur des réseaux
différents, l'expérliteur avai t le droit de choisir l'un 011 l'a ull'e de
ces itinéraires. - Cette question a été soumise a u comité cons ultatif des chemins de fer, et le comilé a été d'avis que les expédi-
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109 -
teursont un ùroil absolu de choisir l'itinéraire qui devra être suivi
par leurs marchandises, à la colld ition de payer le tarif qui s'applique à cet itinéraire. Je n'ai pu moi-même, après examen,
qu'adopter cet avis et je J'ai e11 conséquence apprnu"é par un e
décision de ce j our. »C'est dans ce sens que s'est prononcée la
Cour de Cassation dans un arrr1;t du '2'1 février 1875 (1 ), où nous
lisons l'attendu suivant : (< Consicléranl que, comme le dit l'arrêt
attaqué, l'obliga tion pour la compagnie demanderesse de recevoir
sur la ligne de Belfort-Bourg el d'expédier les marchandises
adressées à Lyon -Crnix-Rousse par le chemin de fer des Dombes,
si elle ne résulte pas des art. 4() et 50. résulte de l'art. 61 du cahier
des charges; qu'en elTet, il est dit an paragraphe 5 de cet art. 61
que les compagnies ùont les lignes se joignent, sont tenues de
s·anangel' entre ell es de manière que le service des transports ne
soitjamais interrompu au point de jonction, et qu'évidemmen l
l'interruption aurnit lieu, s i au poinl de jonction devait se trouver
un destinataire charg~ de rece\'oir la marchandise et de réexpédier imméd iatement. 11
On pourrait cependant fa ire à cette théorie une objection: l'article 52 d u cahier des cha rges: nous l'a\'ons vu, lorsqu'une compagnie doit se s ubstituer une compagnie sui vante pour l'exécution
du cont rnt de tl'ansport, l'autorise à exiger d'elle, au moment de
la transmission, l'avance des fra is et déboursés dont se trouve
grevée la marcha ndi'le. Comment concilier le droit donné aux
con1pagnies de refuser un crédit à une compagnie cessionnaire
aYec l'obligation pour elles d'encourir toutes les conséquences qui
ponnaient résu lter des fautes des s ui,·autes en cas d'avarie, ùe
retard on de perle des ro lis. Au si a-t-on admis, et c'est ce qui
parait résulter de l'arrêt de cassation dont nous Yenons de parler,
qu'une compagnie obligée d'accepter cles colis à destination d'une
gare si tuée hors de son réseau, peut exiger qu'on la décharge de
l'obligation de garantir l'exL'culio11 du transport par les colllpagnies qu'elle doit forcémen t se s ubsti tuer. et est exonérée de toute
responsabilité quand cli c a dans les délais réglementaires transmis
le colis en hon état.
(1) Dallo;:,1876. l. 'W .
�-
Il. -
liO -
ODLIGATIONS DES EXPBDITBURS.
La première obligation des expéditeurs est d e fa~re apporter
leurs marchandises à la gare de départ. Les compag mes ne sont
tenues pa r aucune cla use de leur cahier des charges, ni par aucun
règlement de foire prend re les colis a u domicile des ex pédi teurs ,
elles ne sont tenues de recevoit· que ceux qu'0n \'ient leur re me llre.
La Cour Je Cassation,appelée à juger la question, s'est p rononcée
dans ce sens dans un a rr~t du 15 juillet l874 (l ).
Cependa nt il est fait exception pour les p rop riétai res de mines
ou d'usi nes par l'art. 62 du cahie1· des charges: la compagnie sera
tenue d'envoyer des wago ns sur tous les embra nch e me nts a utorisés destin és à fa ire communiquer des embrancheme nts de mines
ou d'usines avec la ligne pr incipale du che min de fer . La Compagnie amènera ses wagons a l'entrée des embra nch emen ts. L es
expéditeurs ou destina taires fero nt conduire les wagons dans leurs
établissements pour les cha rger ou décha rge r, e t les ramèneront
au point de jonction avec la ligne principale, le tout à leurs fra is .
Les wagons ne pourron t d'ai lleurs ê tre e mployés q u'au transport
d'objets et marcha ndises destinés à la principa le ligne de chemin
de fer.
L'article 62 du cahier des cha rges réglemente la construc tion,
l'entretien et l'ex ploitation des embra nchements particuliers et ses
disposiliuns fo r ment le Code comple t des rapports entre.tes compagnies et les propriétaires de mi nes ou d' usines qui ont obtenu
de se relier à la voie ferrée par un e mbranchement, toutes les dilficultés y sont prévues el r églées.
Les compagnies ont assez générale ment établi dans l'intérieur
des villes, des locaux particuliers pour la réception des ma rchandises : elles se cha rgent même pa rfo is, moyenna nt sala ire, du camionnage des colis du do micile des expéditeurs à la gare de départ.
Elles év itent ainsi a u co mmerce le déplacement qu'entra rne le
(l ) llall o~,
1875. 1. 171.
-Ht.trans port da ns les ga res s ituées le plus souvent à l'extrémité des
villes. Nous verro ns , e n traita nt des tra ns por ts en dehors des voies
ferrées, les -d ilfic ultés qu 'a soulevées !'établissement de ces services de fac tage e t de camionnage.
L'expéditeur doit a1,;compagne r la remise de sa ma rcha ndise
d'une déclaration d'expédition. Cette obliga tion ne résulte d'aucune disposition expresse de l'ordonnance de 1846 ou du cahier
des charges, ma is implicitement de l'a rticle 50 de l'ordonnance e t
de l'a r t. 49 du cahie1· des ch arges qui veulent que le récépissé
énonce la na ture des colis, et fo rme llement de l'article 49 des conditions d'application des tarifs géné ra ux. Aux termes de cette
dernière disposition , la déclaration ne peul pas être purement verbale, elle doit ê tre datée et signée <le l'expéditeur. Les compagnies
mettent à la disposition du public des exemplai res de déclaration
dont le modèle varie suivant qu'i l s'agit de transport, de grande
ou de petite vitesse.
La décla ra tion contient :
1° Le nom et l'adresse de l'expéditeur et du destinataire.
La co mpagnie ne pour ra it être responsa ble du retard ou des
frais qu i résul teraient de l'inexactitude ou clu défaut de l'adresse
du ùestina tai re. D'autre part, e lle ùoit en cou rs de transport aviser
l'expéditeur ùe toutes les difficultés qui surgissent et le consulter
sur les mesures à prendre.
2' Le nomb re, le poids et la na tu1·e des objets à expédier, leurs
numé ros, ma rques et ad resses.
Les expéditeurs feron t b ien d'i ndiquer si les colis renfermen t
des obj ets de natu re différente, et lorsque ces objets seront .:: lassés
dans des séries différen tes des tarifs, ùe faire connaitre exactement
dans quelle pt·oportion, car à défaut, en \'ertu de !"article 6 des
tai·ifs généraux, l'expéditi0n serait taxée an prix de la série la plus
élevée.
3• Les mots à domieile ou en gare suivant que la marcha11ù ise
doit ou non être camionnée au ùomicile du destinatai re. En !"absence de toute men tio n, la marchandise est adressee en gare pour
un tra nsport à peti te vitesse; en grande vitesse, a u cont\'aire, l'expédition esL1,;onsidéréc comme livrable ü domicile dans les gares
oü il existe un sen •ice de factaqc. (Conditions d'application des
tarifs gé nëra ux grande vitesse art. '19.)
�-- 11:2 1· La mention en po rt dù ou en port payé.
L' indication en toutes le ttres tic la somme à faire s ui vre en
débours ou en remboursement.
5• Com me nous r avo ns Yu, la date et la s igna ture de l"expéd ileur.
La da te est indispensable polll' le ealcul des délais ; en gra nde
vitesse, il est mème nécessaire d 'indiquer l'heure de la remise.
G· L'indica tion du tarif que l'ex péditeur entend revendiquer. A
défauLùe m.ention, c'est le tarif gêné.rai, le tarif de droit commun
qui doit ê tre a ppliqué. Il n'y a pas de form ule obligatoire pour
revend iquer les tarif' péciaux qui ne sont applicables q ue sut· la
demaude expresse de l'expéditeur. Bien qu 'ils soient désig11és par
des numéro d'o rdre et rie · le tt res, en pra tique cependant, les
expéditeurs se con tentent de stipuler sui· la lettre ùe voiture:
tarif spécial, sans garanLie, sans responsab ili té, tarif réduit. ta rif
le plus réduit. La j urisprudence a admis que ces mentions qu i
désignent les tarifs par une de leurs cond itions particulières sont
suffisantes.(Cassation 3 t mars 1874) ( l).
' il s'agit de colis soumis a ux. contributions indirectes ou à la
douane, l'expéditeur doit indiquer les nu111éros des acquits ou
congés qui les acco mpagnent, et fo urn ir à la compagn ie toutes les
pièces et renseignements util es pour que le transport et la traosrnission des marchandises ne subissent au1.:1111 retarrl.Si un chefde gare
était l'objet d"un procès-verbal el d'une poursuite correctionnelle
à raison de l'irrégularité des picces tle régie on de doua11e, !"expé diteur pomrait, en cas Je responsabilit1\ personnelle. L'lrc at:lionné
en Jonn nages-intérèls. Ail point de YU(' tles obligations des co111pagnies on distingue les forma lités ùe régie et celles de douane;
elles sont tenues d'accomplir sans n;tribulion les pretnières qui
rentren t tians l'obli~ation du tran~por t ; pour les formalités de
doua ne, au contraire, la rétribution est fixée par nn tarif spécial.
Enfit1 dans le ras oü une 1narchancli se peut parveni1· à destination par deux itiu éra ires différents, l'cxpérlilcu r a Je droit de déJ
signer celu i des de u:x qu'il entend faire sui\Te il sa mard1anJisc.
Quant aux. compagnies , lorsqu'ell es aurout à décide r elles-1nGn1cs
dans le silence des expéditeurs, elles dc\To11t rechen;lwr leurs
( 1) lhilloz. l8'ill. l.'254.
-
i1 3 -
intentions e t sans qu'on puisse cependant poser aucune r.i!gle
absolue, cboisir plutùt la vo ie la plus courte pour les marchandises
en grande vitesse e t la plus économique pour celles qui voyagent
en petite vitesse, assurant ainsi dans un cas la rapidité, et dans
l'autre le bas p rix. du t ra nsport.
C'est avec toutes les indications contenues dans la déclaralion
d'expédition que les Compagnies rédigent le récépissé qu'elles
remettent à l'ex péditeur et celui qui, voyageant avec la marchandise, esl créé pour le des tinataire.
Parmi les men tions que doit contenir la déclaration d'expédition,
celle de la nature et du poids des objets à transporter a la plus
grande impor tance, car c'est celle qui détermine le prix du contrat
de transport.
Les compagnies, aux termes de la ci rculaire ministérielle du Ji
sep tembre 186 1 (articles 50 des transpor ts à grande Yilesse et 42
des lransports à petite Yitesse), ont le dro it d'oU\Tir les colis, généralement emballés dans des caisses ou sous toile et d'en Yérifier
le contenu pour applique1· la tax.e. La rapidi té des opérations de
transport et la difficulté de refaire l'emballage dans de bonnes conditions, fon t qu'en pratique les compagnies n'usent pas de ce droi t
et s'en remettent à la déclaration de l'expéditeur. Aussi, arrive-t-il
quelquefois que des expéditems, abusa nt de ce mode d'opérer,
trompent les compagnies sur la nature ou la valeur de leurs marchandises. Tantôt on dissimule la Yaleur de la marchandise pour
la faire bénéficier d'un tarif réduit ou d'une série inférieure, tantôt
on fait passer comme marchandises ordina ires des finances, des
Yaleurs, des matières précieuses que l'on soustrait ainsi au paiement de la surtaxe, ou l'on n e déclare qu'une partie de la somme
ou de la valeur. La fausse clèclaration est facile dans ce cas, car un
arrêté ministél'iel du 3 avril 1862, prescrit que les finances notamment ne seront acceptées par les compagnies qu'enfermées dans
des sacs, sacoches ou groups, hottes, caisses ou barils bien ficelés
et cachetés et la taxe est calculée ad valorem.
La compagnie, après avoir fait constater la fraude, aura droit
non seulement ü la cliffét'ence de prix de transport dont on voulait
la fruslt'er, mais, en outre, par applicn tion de l'article 1382 du Code
llÎ\ il, à des dommages-iulérèts. Pour le::: fixer, les trl'bunaux recber-
�-
114 -
par le même expéd
ie1ieron l les ex[)éùl.t'tons t':iiLes précédemment
.
,
rnnt
pn
se
))l'Odu1re
les
mêmes
fausses
déteur d ans lesque lies au
. .
clarations; il recourront à tous les éléments d'appréciation .même
est
en de 110rs de la cause et Je T ribunal de commerce ùe la Seme
.
.
allé jusqu'à ordonner qu'une maison de b_an~ue commw11quera1t
ses livres à un arbitre pour évaluer Je préjudice caus~ par toutes
les fausses déclarations antérieurement faites. 19 fév: 1er· 1.873. (1).
Comme complément de dommages-intérêts, certains tribunaux
ont ordonné l'insertion dans les journaux et l'affichage dan~ les
aares dt!s j uaements rendus en matières de fausses déclarations.
Cour d'A~x notamment. dans un anèt du 24 mars 1860, confil'manl un jugement du Tribunal de commerce de M~rseille (2),
décidait que s'il était douteux que la disposition de l'article 1036 du
code de procédure civile, permettant aux. tribunaux d'ordonner
dans certains cas l'affichage de leurs jugements, fùt applicable en
l'espèce, les t1·ibunaux avaient àu moins raison de voir dans la
publication demandée une rnesurn utile aux intérêts de la compagn ie lésée et un mode de réparation approprié à la nature du
préjudicesoufîert.
La Cour est revenue sur sa jurisprudence et, par arrêt du 29
novembre 1869 (3), a décidé que les lrib nnaux ne pouvaient ordonner cette publication, à moins que les contraventions n'eussent été
entourées de publicité; et c'est là, croyons nous, la solution conforme aux principes. Quand une Compagnie réclame des dommagesintérèts poul' une fausse déclaration. il est impossible de considérer
la publicité du jugement de condamna lion comme une réparation
du préjudice causé : le préjudice est pécuniaire, la réparation doit
l'ètre a ussi. Il est ce l'tain que celte publicité sera de nature à retenir
et à effrayer certains expéditeurs peu scrupuleux qui auraient pu
être ten tés de commettre de pareilles dissimulations et à empêcher
l'habitude de la fraude de se répandre, mais le caractère de peine
exemplaire n'appartient qu'à celles prononcées par la loi pénale el
un jugement rendu en matière Ci\•ile ne doit pas aYoir pour objet
de faire l'éducalion du public.
La
(1) Lamée Fleury, 1873, p. 70.
(2) Dalloz, 1860. 2.132.
(3) Dalloz, 1870. 2. 133.
-
115 --
En dehors de cetle répa1·a lion civile, c'est une question trèscontroversée en doctrine et en jurisprudence, que celle de savoir
si la fausse déclaration peut donner lieu à une réparalion
pénale ?
Certains auteurs ont soulenu que la fausse déclaration constituait le dél it d'escroquerie tombant sous l'application de l'article 405 du Code pénal. Ils ont considéré qne le fait de dissimuler
la nature de la marchandise pour la faire bénéficier d'un tarif
inférieu1· à celui réellement applicable, constituait des manœuvres
fraudul~uses pour se faire remettre le montant de la différence
entre les deux, et le Tribunal de la eine, le 13 aoùt 1862 (1 ) adoptait celte théorie.
Cependant, il est difficile de trouver dans la fausse déclaration,
les caractères du délit d'escroquerie dont l'article 405 du Code
pénal nous donne la définition suivante : un ensemble de manœuvres frauduleuses deslinées à persuader l'existence de fausses
entreprises, d'un pouyoir ou d'un crédit imaginaire, ou à faire
naître l'espérance ou la crainte d 'un succès, d'un accident ou
tout autre événement chimérique pour arriver à se faire remettre
ou délivrer des fonds, etc. Quelque coupable que soit la fausse
déclaration, il est impossible d'y Yoir les manœuvres frauduleuses
destinées à faire croire à un crédit imaginaire ou à m{ é\·énement
chimérique. D'autre part, les manœuvres frauduleuses ne sont
constituées que par d es actes de nature il mettre la prudence en
défaut; or la compagnie n'a qu'à procëder à une simple Yérification, qu'elle a le droit de faire, pour se prémunir contre les
fausses déclarations. Aussi Je Tribunal de la Seine est- il reYenu
sur sa première jurisprudence dans un jugement du 1-f juillet
1863, confirmé pal' arrèt <le la Cour ùe Paris, du 12 décembre
1863 (2).
C'est dans ce sens que la jurisprudence est définiliYement
fixée. Cependant s i la fausse déclaralion se produisait dans des
circonstances où les manœmTes frauùuleuses seraient bien
caractérisées, elle pourra il constiluel' une escroquerie.
(1) Lamée F leury, Code 011r101l:, p, 21·~.
(2) Sirey, 186'1. 2.71.
�-
C'est ainsi que la Cout· de Cas ation l'a jugé pom un expéditeur qui avait indiqué d'une manière inexacte s ur la lettre cle
Yoiture le poids des colis reconnu au pesage, par suite d'une
entente a\•ec Les employés (Cassa tion, 28 mars 1867) ( l), ou qui,
crràce au même concerL frauduleux, aYait fait voyager gratui te~1ent comme bagages de voyageurs transportés en franchise
jusqu'à concurrence de 30 kilos , des marchandises que le destinataire retirait an moyen du bulletin de bagages envoyé par la poste.
(Paris, 24 février 1873) (2).
Mais s i la fausse déclaration ne tombe pas s ous la qualification
légale d'escroquerie, elle ne reste pas sans sanction pénale et elle
constitue tout au moins une contraYention à l'article 21 dela loi du
15 juillet 1845, qui punit toute contravention aux ordonnances portant règlement d'administra tion publique s ur l'exploitation du
chemin de fer. L'article 50 de l'ordonnance de 18!16 disposant que
les compagnies délivreront aux expéditeurs un récépissé désignant
la nature de la marchand ise, suppose nécessairement une déclaration d'expédition et en fait, par suite, une obligation pour l'expéditeur. Celui qui fait une fausse déclaration viole donc les règlements et doit être passible des peines portées en l'article 21
ci-dessus, comme le dispose au s urplus surabondamment l'article
79 de cette même ordonnance de 1846. Telle est la théorie de la
Cour de Cassation, que nous trouvons dans un arrêt du 23 j uillet
186-'.i (3), et la jurisprudence s'est généralement prononcée dans le
même sens .
La qualité de l'expéd iteur peut avoir dans certaines circonstances une influence sur les conditions du contrat de transport par
chemin de fer. D'après les articles 1, 5 et 37 des tarifs généraux,
les taxes de petite vitesse sont calculées par fractio n indivisible
de 10 kilos et sur un mininum de 50 kilos. Si l'expédition se
compose de plusieurs colis, on ne Lient compte que du poids total
à moins qu'il ne s'agisse de marchandises distinctes et taxées à
des séries diITérentes. On comprend tout le parti que peuven t
( 1) Dalloz, 1867. UJO.
(2) Dalloz, 187~. 5.79.
(3) Dalluz, ltl!H. UOO.
-
i16 -
U7 -
tirer les commissionnaires de transport du groupage de colis destinés à u ne localité. Les commissionnaires les adresseront en bloc
;\un correspondant chal'gé d'en faire la distrib ution aux destinataires et ils réaliseront ainsi une économie qui pourra, dans
certains cas, leur permettre de n'exiger des destinataires qu'une
taxe iuférieure à celle qu'aurait perçue la compagnie.
Les compagnies ne pouvaient évidemment pas favoriser ces
industries, qui vi,rent d'une partie de leurs bénéfices, et en matière
de groupage il faut d istinguer si l'expédition est faite par un
expéditeur véritable à son destinataire, ou de commissionnaire à
commissionnaire. C'est dans le premier cas seulement que le
groupage fictif en vue du poids to ta l est admis et que la taxe
est calculée sur l'ensemble, aux termes de l'article 47 § 5 du cahier
des charges. Dans l'expédition fai te par un commissionnaire, le
groupage doit être réel, fa it sous une mème enveloppe, caisse, sac
ou filet, sinon chaque colis sera taxé séparément; el il a même été
jugé par le TL'ibunal de Commerce de la Seine, le 7 j uillet 1858 ( l )
que le gro upage ne pouvait pas ètre fa it au moyen d'une simple
corde,les col is courant le risque de se détacher facilement en route.
III. -
ODLIGATJONS DES COllPAGNIES.
Nous avons déjà vu que les compagnies de chemins de fer sont
tenues en principe de se charger du transport de tous les colis qui
leur sont présentés et soit dû dél iner aux expéditeurs un récépissé,
soit de rédiger une lettre de voiture.
Les compagnies,en leur qualité de voituriers et de commissionnaires de transport, sont soumises aux dispositions des articles
1785 dur.ode civil, et 96 du Code de commerce concernant l'obligation de tenit' des livres. L'article 50 'de l'ordonnance du 13
novem bre 1846, a spécialement imposé am co mpagnies la double
obliga tion de tenir un livre journa l des enregistrements et
(1) °l'<'ul<'l el C::u nherlin , n· '25'Hl.
�-H8 d'inscrire sur ce registre to utes les marchandises qui devront
être transportées.
Cet enregistrement a non-seulement pour but,comme en matière
de transports ordinai1·es, de permettre aux expéditeurs et aux
destinataires, en cas de perte, d'avarie ou de retard, de constater la
remise des colis, mais encore d'assurer que les expéditions auron t
lieu sans tour de faveur et dans l'ordre des remises ; aussi l'ordonnance de '1846 et le cah ier des charges (article 49) exigent-ils
que l'enregistrement des colis ait lieu au fur et à mesure de leur
arriYée en gare et immédiatement après leur réception . Les
registres doivent êt re constamment à la disposition du personnel
du contrôle.
Le défaut d'enregistrement ne peut avoir aucune influence sur
le contrat de transport, mais il expose les compagn ies, outre
les conséquences de leur responsabil ité civile, à l'application de
l'article 21 de la loi de 1845, sur les contraventions en matière de
chemins de fer .
Les compagnies ont aussi l'obligation d'enregistrer les colis à
rarri vée. Cette formalité est prescri te par l'article 49 du cah ier des
charges ainsi conçu : « les colis, bestiaux et objets quelconques
seront inscrits à la gare d'où ils partent et à la gare où ils arrivent au fur et à mesure de leur récep tion. >) La pratique démontre
l'utilité de l'enregistrement à l'arrivée, car il permet de surveiller
les arrivages, de con trôler les délais et d'empêcher les to urs de
faveur dans la liYTaison.
Les compagnies sont autorisées à percevoir un droit de dix
centimes pour chaque enregistremant au départ: ~elui de l'arrivée
n'entraine aucune espèce de taxe.
'
La présomption qui pèse sur les transporteurs qu'ils ont reçn
des colis en bon état et conformes à la déclaration d·expédition,
autorise les compagnies à vérifier le conditionnement des objets
qui leur sont remis, à reconnaitre leur nature et leur valeur .
Elles ont donc le droit de faire procéder soit au départ, soit à
l' arrivée, en présence de l'expéditeur ou du destinataire, ou à
leur défaut du commissionnaire de surveillance, à l'ouverture des
colis qu'elles transportent.
Les colis une fois vérifiés et em egistrés, les compagn ies, a ux
H9 termes des articles 50 de l'ordonnance de 1846 et 49 du cahier dt!s
charges, doivent efrecluee les transpoets sans tour de faveur et les
marchandises ayant une même destination doivent être expédiées
suivant l'ordre de leurs inscr iptions. Cependant cette règle comporte quelques exceptions. Un arrêté du 25 septembre 1871 donne
un rang de priori té aux tra nsports de poudre faits par le ministère
de la guerre. Un autre an-êté du 29 décembre 187 1, rendu à titre
provisoire, dispose que,en cas d'insuffisance du matériel la priori té
d'expédition dans chaque gare, pourra être donnée par les compagnies,aux marchandises ci-après désignées : les houilles, cokes,
minerais, blés, seigles et fari nes, pommes de terre, sels et les
marchandises remises aux compagnies pour être livrées aux
embranchements particuliers et magasins publics reliés par voie
ferrée.
Les délais dans lesquels doivent être effectués l'expédition, le
transport et la livraison des marchandises ont été déterminés
d'une manière précise par l'arrêté ministériel du 12 juin 1866 pour
la grande et petite vitesse.
En grande vitesse, a ux termes de l'article 2, les animaux, denrées, marchandises et objets quelconques sont expédiés par le premier train de voyageurs comprenant des voitures de toutes classes
et correspondant avec leur destination pourvu qu'ils aient été présentés à l'enregis trement trois heures avant l'heure réglementaire
du départ du train, faute de quoi, ils seront remis au départ suivant. Les Compagnies peU\·ent être autorisées, sur leur demande, à
admettre les petits colis dans les trains express ou poste, sauf à
appliquer le même traitement à tous les expéditeurs placés dans
les mêmes conditions.
Le délai de transmission (article 3) pour les animaux, denrées,
marchandises et objets quelconques passant d'un réseau sur un
autre sans solution de continuité, est de trois heures à compter de
l'arrivée du train qui les aura apportés au point de jonction; et
l'expédition ,à partir de ce point,doit avoir lieu par le premier train
de voyageurs comprenan t des voitures de toutes classes dont le
départ suivra l'expiration de ce délai.
Le délai de transmission en tre les réseaux qui aboutissant dans
une même localité, n'auraient pas de gare commune, est porté à
�-
120 -
huit heures, non compris le temps pendant lequel les ga res son
fermées.
Ce déla i a été réduit à six heures par un arrèt é mi nistériel du
3 novembre 1879.Si les compagnies propriétaires des deux réseaux
qui se rejoignent au poinl de transmission, avaient fait entre elles
des conventions pour fa ire passer les marchandises sans transbordement et éviter ainsi un encombrement, les destinataires n'auraient pas le droit de se prévaloir de cette s ituation pour demander
la suppression des délais de trans mission. Les termes de l'arrêté
ministériel sont absolus et ne font a ncune distinction entre la
transmission réelle et la transmission fic live. C'est la jurisprudence
de laCour de Cassation, arrêt du29 anil 1873. ( 1).
Le délai du transport est fixé par la marche mè me des trains et
par le sei·\·ice de correspondance organisé entre les divers réseaux
que traversent les colis.
Les expéditions sont mises à la disposition des destinataires deux
heures après l'arrivée du train utile. Celles arrivant de nui t n e le
sont que deux heures après l'ouverture de la gare.
Les gares sont ouvertes pour la réception et la livraison des marchandises à grande vitesse de s ix hemes du matin à huit heures du
soir, du 1" octobre au 31 mars. .
Une exception est faite en faveur du lait, des fruits, de la vola ille ,
de la marée et autres denrées destinées à l'a pprovisionnement des
marchés de Paris.Ces colis sont mis à disposition des destinataires,
de nuit comme de jour, dans les deux heures de l'arrivée du train
utile.
Une discussion s'est éle\·ée s ur le point de savoir si le délai de
deux heures com·t à partir de l'arrivée réelle ou de l'arrivée réglementaire du train. La question ne nous parait pas pouvoir faire
doute, ni présenter un grand intérêt, car il est certain que les
compagnies sont responsables des conséquences qui peuvent résulter de l'arrivée d'un train après l'heure r églementait'e. Aussi est-ce
avec raison que le tribunal de commerce de la Seine, pat' un jugement en date du 25 novembre 1858, confirmé par un a rrêt de la
( l) Lainée Fleury . 1813, p, 122.
-
121 -
Cour de Paris du 23 mars 1860 ( 1), a décidé que la livraison d 'une
marchand ise expédiée en grande vitesse deva it avo ir lieu dans les
deux heures de l'arrivée réglementaire du train et que, passé ce
délai, les compagnies étaient passibles de dommages-intérêts pour
retard.
Les expédi tions, dit l'article 4, doivent être mises à la dispos ition des des tinataires. On a vou lu soutenir que ces mols, mises à
disposition, voulaient dire, remises à domicile. La Cour de Cassation a repoussé forme llement cette interprétation par des arrêts
des 28 février, 16 mars et 30 novembre 1869. (2). Ces mots in diquent simplement que la compagnie doit être en mesure de faire
la livraison en gare.
L'arrêté de 1866 ne s'est occupé que des colis livrables en gare;
quanl aux colis liYrables à domicile, le déla i n'est pas déterminé;
on décide généralement que les compagnies doivent effectuer le
transport des colis dans un délai moral suffisant, qui commence à
courir à l'expiration des deux heures écoulées depuis l'arrivée du
train . (Cassation 22 aoùt 18i0) (3).
Les compagnies concessionnaires ayant la faculté d'user ou de ne
pas user des délais •IUi leur sont accordés par les tarifs, la jurisprudence a quelquefo is admis, mais à tort, qu'elles peuvent prendre
envers un expéd iteu r l'engagement de ne pas user des délais
réglementaires pout' \' U que l'ex pédition ait lieu par un train ordinaire, sans dimi nu tion de prix ni lom de faveur; mais l'abréviation
des délais, qui est permise dans ces circonstances, suppose le consentement forrnel de la compagn ie. Cependant à défaut d'un enga_
gement forme l les Tribunaux de commerce admettent souvent
l'existence d'un contrat tacite résultant, soit de ce que la compagnie, n'use pas d'ordinaire des délais r églementaires em·ers tous
les expéditeurs, soit de ce qu'elle n'en a pas usé dans les transports
précédents envers l'expéditeur qui réclame. Cette décision e t toutes
les décisions ana logues sont constamment cassées par la Cour de
Cassation (Hl janvier 1858, 8 avril el 31 juillet l86î). (4).
( l) Ga;;ctlc des T1 ·ib1rnau.c, du 2ü tn:lrs 1860.
(2) Dnllo:i:, 1869. l. 235 c l '!'12, - 18i0, l .~'l.
(3) S irey, J8î1. t.:>9.
(4l Dall oz. t 58. l. u'? . - t Rü;. 1. ; t '.! ..1 3 u .
�-
122 -
Les Tribunaux de commerce s'étaient basés sur ce que les rompagnies ayant l'habitude vis-à-vis des expéditeurs de ne pas user
des délais réglementaires, avaient fait novation à leurs statuts et
contracté vis-à- vis des commerçants un engagement particulier el
sans réserves auquel elles ne pouvaienL manquer.La Cour suprême
a décidé que l'usage m ême constant ne créait pas une obligation et
ne faisait pas présumer une renonciation aux délais impartis par les
tarifs; et par applica tion du principe de l'égalité des tarifs, elle n 'a
pas admis, et avec raison,qu'un expéditeur eùt le droit de se prévaloir de concessions de délais qui lui amaienl été faites ou promises par des préposés de la compagnie (Cassation 12 juin 1872) (1).
Une pareille convention est illicite comme cons tituant un traité
particulier et doit être con sidé rée, corn me non écrite; les corn pagn ies
ont le droit absolu d'user des délais réglemen taires.
Dans le même ordre d'idées, il a été jugé que le fait d'exp édier
par un train non obligatoire, n'entrainait et ne pouvait entraîner
de la part d'une compagnie de chemin de fer aucune dérogation
au droit qui lui appartient de se prévaloir des délais fixés par les
arrêtés ministériels; qu'en conséquence la compagnie qui a chargé
des marchandises expédiées en grande vitesse sm un train partan t moins de trois heures après leur remise à la gare de départ,
n'encourt aucune responsabilité pour n'avoir pas livré les dites
marchandises à destination, dans les deux heures de l'arrivée de
ée train, et qu'il suffit que la livraison ait eu lieu dans le même
délai calculé à partir de l'arrivée du train suivant (Cassation, 31
décembre 1879 (2).
En petite vitesse (arrêté ministériel du 12 juin 1866, article 6),
les animaux, denrées, marchandises et obj ets quelconques sont
expédiés dans le jour qui suivra celui de la remise.
Toujours comme conséquence du principe de l'égalité qui régit
les transports par chemin de fer, il faut décider que la convention
par laquelle une compagnie s'est engagée envers un expéditeur
à opérerle transport de ses marchandises aussitôt qu'elles seraient
remises en gare, même sans tom de faveur, est illicite et non
obligatoire. (Cassation, 5 mai et 16 juin 1869) (3).
( 1) Dalloz, 18ï2. 1. 231.
('2) Dalloz, 1880. I. 6~.
(3) Dalloz, 1869. I. 2i 4 el 30'1.
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123 -
Les gares sont ouvertes à la réception des marchandises de six
heures du mali n à dix heures clu soir du 1•• avril au 1" octobre et
de sept heures du matin à c inq h eures du soir du l " octobre' au
1" avril, elles sont fermées les diinancbes et jours fériés après
midi.
La durée du trajet (article 7) pour les t ransports à petite vitesse
sera calculée à raison de 24 heures par fraction de 125 kilomètres;
ne sont pas comptés les excédants de distance jusques et y compris 25 kilomètres. Sur certaines lignes ou sections de réseaux
désignées par l'article 8 de l'arrèté ministériel, dans les deux sens,
dit cet article, tant pour les parcours partiels que pour le parcours total, la durée du trajet sera réduite à 24 heures par fraction
indivisible de 200 kilomètres pour les animaux ainsi que pour
les marchandises taxées aux prix de la première et de la deuxième
série des tarifs généraux de chaque compagnie, et en général pour
toutes les marchandises, denrées et objets quelconques qui, rangés
dans les séries inférieures seraient taxés au prix de la deuxième
série sur la demande des expéditeurs.
Pour les animaux et marchandises qui emprunteraient successivement des lignes sur lesquelles ils auraient droit à l'accélération
de vitesse et d'autres sur lesquelles ils n'y auraient pas droit, le
délai to tal du transport serait calculé en additionnant les délais
partiels afférents à chacune des lignes de régime difîérent sans
que toutefois le délai total pût dépasser le délai fixé par l'article 7
de l'arrêté.
Un arrêté ministériel du 15 mars 1877 a étendu l'application de
cette accélération de vitesse à un grand nombre de réseaux.
Enfin, certains tarifs spéciaux stipulent en échange d'une
réduction sur le prix de h·ansport une augmentation de délai.
Il faudra donc pour les marchandises voyageant sous l'empire de
ces tarifs ajouter au délai calculé comme il est prescrit par l'at'rêté
ministériel de 1860, Je délai supplémentaire concédé à la compagnie. C'est la mise en pratique des dispositions de l'article 12 de
l'arrêté ministériel du 12 juin 1866 aiosi conçu:« La fixati on des
d6lais ci- dessus dé termin és pour les transports à petite 'itesse
effectués aux prix e t conditions des tarifs généraux, ne fai t point
obstacle à la fixation des délais plus longs dans les tarifs spéciaux
�-
121- -
ou communs oil ils onL été ou seraien t ul térieurement introduits
ayec l'approbation de l'acltninistration s upéri eure, com me compensalion d"nne réduction de prix. »
•
L'application de ces tarifs spéciaux a soulevé certaines questions
intéressantes dans le cas oü les rn a rcliaudises doi\·e1lt emprunter
les réseaux de compagnies différentes.
JI est de principe d"abo rd qu·uu exp éd item qui revend ique les
condilions d"tm tra nsport à prix réduit. pour des colis desti nés à
voyager sur des réseaux différents est censé avoi r accepté les conditions des tarifs spéciaux des com pagnies qui seront substituées à
celle qui a pris charge des colis, et par suite l'augrnenta li on de
délai impartie par ces tarifs. filais dans ce cas, la marchandise
avant
yovaaé
successi,·ement sur deux r éseaux aux conditions de
•
J 0
deux tarifs spéciaux qui accordent chacun un supplément de
délai de cinq jours, dena-t-on additionner les deux délais s upplémentaires, ou bien les compagnies ne j ouiront-elles à elles deux
que d'un seul délai supplémentaire de cinq jours. La Cour de Cassation a décidé avec raison, clans un a tTètdu 21 décembre 1868(1),
que les délais établis par l'arrèté minis tériel de 1866, pour le tra nsport .à petite vitesse des objets qui y sont dés ignés, sont propres à
chacune des com pag nies de cll emins de fer qui coopèren t au transport sui· des r éseaux différen ts, qu'il en es t de même de l'au gmentation facultalive de délai que les compagnies sont autor isées à
se réserver dans leurs tarifs s péciaux; et que, dans le cas de transmission d'une ligne à l'autre, les deux augmentations n e doivent
pas se confondre en une seul e pour toute la distance à parco urir.
Chaque délai supplémentaire représente l'équivalent d'une con cession fa ite par chacune des compagnies, il ser ait arbitraire
d"attribuer le supplémen t de délai à une compagnie plutùt qu'à un e
autre; la compagnie substituée peut en user directement a lors
même que la compagnie expéditl'ic:e en amait déjà usé s ur son
propre réseau.
Si deux compagnies, au contraire, s'étaient r éser \'ées une augmentation de déla i dans un tarif eomrn un , comme il n'y a urai t
dans l'espèce qu'un seul tarif s tipulant un déla i s upplémentaire,
( 1) Sire'' . lttfi!l. l. 11 1-i
les desti11alaires ne dC\'J'aient supporter qu'une fois l"a ugrnentation , même pour les tran s ports tnt\'ersant les deux résc·aux. Les
tarifs communs, en efiet, ét::iblis::;cnl une sorte de fus ion entre deux
chernins de fer, sauf la répétition du prix du transport des marchandises . Chacune des corn pagnies, d"après ces tarifs, use cl u
chem in de l'autre comme s i ce ch emin faisait partie de celui qui
lui appart ient, et le LrnnsporL doit ê tre considéré à cet égard
comme fait sur un seul r ésea u.
Si nous supposons maintena nt que l'ex pédition soit faite dans
des condi ti ons telles que la marchandise doi,·e d'abord tra,·erse r
un premier r éseau so us l'empire d'un tarif spécial comportant un
délai suppl ém en ta ire, et voyage ensuite pour arriYer à destination
sur un réseau aux cond itions d\m tarif général, et que la première
des deux compagnies n'ait usé qu 'en partie du délai supplémentaire, le destinataire aura-t-il le droit de refuser à la seconde le
bénéfice d'ajouter le complément à ses délais ordinaires ?
On peut sou tenir dans le sens de l'affirmatiYe que la facu lté des
délais supplémentaires n'a été accordée à la première des compagnies que com me l'équivalent d'une dimin ut ion dans le prix de
transport, et que la seconde ne peut avoir a ucun droit, lors mème
que le supplément n'a été épuisé qu'en partie.
Il es t plus juridique de décider que l'expéditeur ne peut scinder
ainsi l'exécution du transport. Il n'y a qu'u n seul et même contrat
pour la tota lité du par cours. Et le délai d'exécution, le seul règle~
men taire, dont l'expéditeur doit s ubir l'application sans avoir à
rechercbel' q uelle est celle des compagn ies qui en bénéficie, c'est
le délai total calcul é en ajoutant aux délais ordinaires des deux
compagnies le supplément prérn par le tarif spécial de la première. Telle est la doctrine consacrée par un arrèt de la Com•
de cassation du 24 juin 18ï:! ( 1).
Dans le cas oü les animaux, denrées, marchandises et objets
quelconques passent d' un réseau s ur un autre sans solution de
continuité, le déla i cl'expéditiun n'es t compté qu'à la gare originaire et une seule fois (an élé d u 12 juin 1866, article 9), mais il
(1) IJallot.. lSi·~. I. -:>·! 'i.
�-
-
J26 -
~st accordé un jour de délai pou1· la transmission d' un réseau il
l'autre.
A Paris, pour la transmission d'une gare à l'autre par le ch emin de fer de ceintu re, le délai est <le deux j ours, m ais il comprend la durée du traj et sur ce chemin. Enfl n, le délai de transmission entre les réseaux qui aboutissant da ns une même localilé
n'ont pas de gare commune est por té à l1'ois j ours. L 'arrêté m inistériel du 3 novembre 1879 a fi:{é à deux jours le délai de transmission entre les réseaux abou tissant à une mème localité da ns
deux gares dis tinctes en communication par rails.
Lorsque les compagnies sont chargées de remplir les formalités de douane, tous les délais, aux termes de l'ar ticle 14 de
l'anêté de 1866, sont augmentés de ,lou l le temps nécessaire pour
remplir ces formalités.
~ous a\·ons YU que les événements de force majeure pouvaient
autoriser les compagnies il refuser de se charger du transport des
marchandises; mais il peut arriver que les formalités d'expédition
se trouvan t remplies, et la compagnie ayan t pt' is charge des colis,
il survienne un événement de force majeure, une inondation, la
rupture d'un pont, une invasion enneniie, qui re tarde l'expédilion
ou qui arrête la marchandise en cours de rou te. Quelles seront
en pareille circonstance les obligations de la compagnie?
Pollr déterminer le parti à prendre, et sans qu'on puisse à cet
égar~ poset' une règle absolue, la compagnie devra s' inspirer tout
il la fois des nécessités de la sitnatioo et de l'intérêt de l'expéditeur
dont elle est le gérant obligé. En principe elle est obligée de consulter son mandant sur la direction à donner aux marchandises
dont un fait de force majeure empêche d 'opérer le transpo rt à
destination . Avant d'employer une voie différente de celle qui
avait été primitivement convenue avec l'expéditeur, la compagnie
doit l'avertir et lui demander des instructions, ou s'adresser au
deslinataire. Si de son autorité pri\'ée, la compagnie dirige les
colis par une voie au tre que la voie convenue, elle le fait à ses
frais et risques. La voie nouvelle peul êlre plus longue, le coût
du transport plus élevé, la compagnie ne peut exiger de supplément de prix, elle ne sauraiL prétendre avoi l' pris les mesures que
les intéressés auraient prises eux-mêmes; elle n'est pas libre
127 -
<l'appo rte~ à l'un des élémenLs du contr·at une modification qui
ne pouvait résulter que du concours de la volonté des deux
partis.
Si, au contraire, il Y a eu impossib ilité absolue de p révenir l'expéditeur, s i les exigen ces du service, si les événements, si l'imminence du péril ne permettent pas de demander ou d'attendre des
instr~ctions, la compagn~~ doit prendre toutes les mes ures qui lui
paraissent conformes à l m tér êt de la ma rchandise. Il serait souvent imprudent de perdre un temps précieux au point où les communications sont interce ptées; il pourrait en résulter un encombrement et des désordres q ui désorganiseraient le service. Il n'y a
donc que deux partis à prendr e : faire revenir la marchandise à la
gare de départ ou la diriger sur la destination par les voies restées
praticables. En règle générale, une compagnie devra de préférence faire suivre a ux marchandises la voie détournée, quoique
plus longue, par laquelle elles pourront parvenir à destination·
.
'
c est ce qui parait le p lus conforme a ux inten tions de l'expéditeur.
Mais, quelle que soit la mes ure prise par la compagnie, que la
marchandise soit arrètée d'une manière absolue, qu'elle pa rvienne
par un dé tour au destina taire, qu'elle revienne à l'expéditeur,
celui-ci devra toujours payer les prix correspondants aux parcours
réellement effectués.
C'est ains i q n'il a été jugé à propos des événements de 18ï0,
qu'une compagnie qui, par suite de la guerre, n'avait pu faire parvenir les marchandises au lieu de destination, pouvait exiger le
prix du transport jusqu'au lieu où les marchandises avaient pu
ètre conduites (Cour de Lyon, 11 janvier 1872) (1), et qu'une compagnie qui avait. dù ramener les colis au point de départ, aYait
droit au prix des deux. voyages entre le point de départ et le point
extrême du transport (Cour de Montpellier, 30 juin 1871) (2). Il est
certain, dans ce dernier cas, que le trans porteur n'aurait droit à
percevoir la taxe que d' un seul parcours, s'il n'avait fait revenir
la marchandise qu'en vue de la préservation de son matt!riel
qu'il désirait sous traire au danger d'une destruction de la part de
l'ennemi.
.
(1) Dalloz, 1875. J.1 5.
(2) Dalloz, 187 t. 2.154.
�-
128 -
Les perceptions des compagnies pour les parco~rs supplémentaires qu'elles ont dù faire sui\Te aux m~rchand1ses_ ont s.oule~é
des difficultés quanù les expéditeurs avaient rnvend1qué l application d'un tarif différen tiel ; d'un <le ces tarifs, par exemple,appelés
tarifs à talions dénommées, qui établissent un prix ferme pour le
transport entre deux villes désignées, et entre toutes les stations
intennédiaires et les points extrèmes, en faisant payer, dans ce
dernier cas la taxe pour la distance entière. On s'est demandé si
les expédit~urs deYaient payer le prix du tarif diO:'érentiel ~ug
menté du tarif général pour l'allongement du parcours, ou St les
marchandises devaient être taxées comme ayant voyagé a ux conditions du tarif général'! La question pour nous ne parait pas faire
doute. Les tarifs différentiels établissent un itinéraire déterminé
et précis, lorsque la marchandise n'a pu, par suite de force majeure,
voyager dans les condHions du tarif, c'est le tarif général qui doit
être appliqué à tout parcours e!Yectif. Deux arrêts de la Cour de
Cassation du 5 mai 18ï4 sont venus consacrer cette opinion. (1).
Enfin les compagnies, sous l'empire d'une nécessité absolue,
pourraient même provoquer la Yen te de la marchandise, sur ordonnance du Président du Tribunal de commerce ou du juge de paix.
Un anèt de la Cour de Montpellier du 30 juin 18î l (2), qui r econnait à la compagnie la liberté absolue dans le choix de ses moyens,
décide qu'il n'est pas nécessaire, pour la validilé de ces ventes, que
l'expéditeur ait été mis en demeure ou a it reçu notification de
l'ordonnance. Cependant c'est là une mesure exorbitante à laquelle
on ne peut recourir que dans des cas tout à fait exceptionnels.
Les marchandises une fois parvenues à destination, les compagnies doivent en opérer la livraison.
Lorsque les colis sont livrables à domicile, l'anété rninislél'iel
n'a pas déterminé le délai de livraison; ils sont transportés par les
soins de la compagnie ou de ses intermédiaires dans les
délais déterminés par les tarifs de factage ou de camionnage; et
la présentation des colis à domicile peut ayoil· lieu mème un
dimanche.
('!) Dalloz. 1876. 1.249.
f'!) Laniee Fleury, 1871. p. !<:1!>1
-
129 -
. Quanù les c~ lis .s~nt livra?les en gare, les expéditions, dit l'article 10 de 1 arrete de 1866, son t mises a la disposition des destinataires dans le jour qui s uit celui de leur arrivée effective
en gare.
Si nous supposons que les marchandises se trouvent efîectivement en gare d 'arrivée avant l'expiration des délais réalementaires
les destinataires auront-ils le droit d'exiger la re~ise de leur~
colis le jour suiyant, et pourront-ils soutenir que les compagnies
sont en faute et commettent un retard en n'en opérant la livraison
qu'à l'expira ~ion_ des délais réglementaires. A ne consulter que les
termes de 1 art1cle 10, ce droit serait indiscutable. Cependant
l'article 11 du même arrêté porte que le délai total résultant des
articles 6, 7, 8, 9 et 10 sera sen! obligatoire. Il y a donc contradiction entre ces deux articles, et il faut décider que les mots arrivée
effective, sont synonymes d'anivée réglementaire . n n'y~ pas, en
eITet, de motif pour déroger à la règle générale et absolue de
l'article 11 ; les destinataires n'ont pas à s'immiscer dans le
service intérieur des compagnies et à rechercher de quelle manière
elles usent des délais qui leur ~ont accordés pour les diJiérentes
opérations. Il est certain que pas un seul train de marchandises ne
marche à la vi tesse réglementaire de 123 ou 200 kilomètres par
jour. Les divers arrètés ministériels ont fix:é les délais de manière
à permettre aux compagnies de faire face à toutes les opérations
de leur tranc, et s'il peut leur convenir d' utiliser les hangars ou
les voies disponibles d'une gare d'anivée pour y faire séjourner
les marchandises ou les wagons, les destinataires ne peuvent les
obliger à prncéder ayant. l'expiration des délais, soit au déchargement des wagons, soit à la confeclion des écritures nécessaires à la
linaison.
Les compagnies, par l'obligation de mettre ces marchandises à la
disposition des destinataires, ne sont pas tenues de les li rre1· à une
heure de la journée telle qu'il soit encore possible au destinatairn
de les enlever avant la fermelure de la gare; un pareil système,
pour des expéditions importantes, aniverait à priver les compagiües d'une partie notable à u délai qui lclll' est accordé.
Deux jugements du Tribunal de commerce de l\IIarseille, du
19 février 1879 (Tardif el C" conlrc chemin de fer Paris-L~ron
n
�-
-
130 -
Méditerranée), et du 20 décembre 1880 (Espinasscl contre chemin
de fer Paris-Lyon-).féditerranée),ont décidé qne les obligations des
compagnies ne devaient pas aller au delà: et qu'un destinataire
n'avait aucune faute à leur repi·ocher quand il avait pu le jour de
la mise à disposition retirer la lettre de voiture des mai ns de l'employé chargé de la leur rem.ettre et être ainsi en mesure de procéder à l'enlèvement de ses marchandises, lors même que
l'heure avancée de la journée ne lui aurait pas permis de l'eŒectuer.
Les compagnies de chemins de fer, en se chargeant d'un transport, prennent l"obliga tion de veiller à la garde et à la conservation
ùes choses qui leur sont confiées, depuis le moment de la remise
faite jusqu'à la livraison au destinataire; elles perçoivent pour ces
frais de garde, de transport et de manutention, les frais de transport proprement dits préYus par les tarifs. Inrlépenclamment de ces
droits, il est perçu à titre de droits accessoires d'autres droits, dits
de magasinage, pour la rémunération des soins donnés aux marchandises qui ne sont pas enle,·ées dès leur arrivée. L'article lG des
conditions d'application des tarifs générnux règ le de la manière
suivante la perception de ces droits: (( 1l est perçu pour le magasinage des marchandises adressées en gare et qui n e sont pas
immédiatement enlevées pour quelque cause que ce soit, dans les
quarante-hnit heures de la mise à la poste de la lettre d'avis adressée par la compagnie au destinataire, les droits suivants .... » Les
termes absolus dans lesquels est conçue cette disposition, la forme
de sa rédaction, déterminent exactement le caractère des droits de
magasinage; le droit perçu est la rétribution du service rendu par
la compagnie, rétribution qui ne figure pas dans le tarif des frais
de transport. Et cette rétribution est due quelle que soit la cause
qui empêche le destinataire de prendre linaison, fût-ce même
un cas de force majeure; car il ne s'agit pas ici d'une pénalité
édictée con tre la nég ligence ou la faute pour le retard qu'il met à
se présenter. C'est une convention forrnelle, écrite dans les règlements pour rémunérer un serv ie~, c'est la loi des parties.
Par application de ce principe, il a été décidé que les clroils de
magasinage sont dus aux compagnies de chemins de fer lorsque
les marchandises n'ont pas été enlevées dans le délai fix(pae les
)
1
i3! -
règlements à partir de la mise à la poste de la lettre d'avis,
lors même que cette lettre d"avis aurait été mise à la poste
a un moment de la journée où il ne devait plus y avoir de
distribution (Cassation, 29 décembre 1874) (1), lors mème que Je
destinataire n'aurait pu empêcher le magasinage et invoquerait un
cas de force majeure (Cassation 13 mai 1874 (2), et enfin quand les
compagnies n'ayant pu, par suite de la guerre, faire parvenir
lés march andises expédiées au lieu de destination, l'expéditeur a
été averti de leur dépôt dans les gares sur lesquelles elles ont été
dirigées ( Lyon 11 janvier 1872) (3).
Cependant dans un arrêt visant une espèce semblable. la Cour
suprême a décidé que les droits de magasinage ne seraient pas
dus pour les marchandises arrêtées en cours de voyage dans une
gare intermédiaire par un cas de force majeure; l'article 16 des
conditions d'application des tarifs généraux disposant que les
droits de magasinage ne sont dus que si la marchandise transportée est parvenue à la gare oü elle doit è tre remise au destinataire (Cassation, 3 juillet 1878) (4).
Nous venons de voir l'utilité d'une lettre d'avis pour les compagnies. Le destinataire mis en demeure conformément à l'article
1146 du Code civil bien qu'il soit réputé connaître les délais de
transport et par suite, le jour oü il devrait se présenter en gare,
est tenu de payer le magasinage passé le délai de quarante- huit
heures après la mise à la poste de l'aYis. Dans la pratique les
compagnies avisent toujours; et le défaut d' une lettre d'avis est
dans la plupart des cas le résultat d'une omission.
L'envoi d'une lettre d'avis au destinataire lorsque les colis sont
livrables en gare, peut-il être à l'inverse considéré comme une
obligation pour les compagnies? On a, dans le sens de l'affirmative,
inyoqué l'application des règ les du droit commun. Les compagnies,
en avisant les destinataires, ne font, a-t-on dit, que remplir un
devoir inhéren t à la nature du contrat de transport et se conformer
(J) Dalloz, 1875. t. 383.
(2) Dalloz, 1875, l. ~66.
(3) Dalloz, 1875, I. 15.
(\) Lamée Fleury, 1878, p. 181.
�-
132 -
à un usage constant. C'est une obligation imposée en pareille ci rconstance à tout Yoilurier, et imposée aux compagnies par les
règlements spéciaux qui les régissent el qui ont prévu 1'e1woi de
cette lettre en lui conférant mème une portée toute par ticuli ère.
~lettre à disposition n'est autre chose que meure le destinataire à
mème de savoir que sa marchandise est en gare d'arrivée et qu'il
peut la retirer. Et l'on a été jusqu'à prélendre même par celte interprétation inexacte des termes de l'al'ticle 10 de l'arrêté ministériel dn 12 juin 18()6, que l'envo i de la lettre d'avis deva it
suivre immédiatement l'arrivée effective des marchandises en
gare.
Certains Tri bunaux de commerce, et même un arrèt de Cassation
du 13 mai 186 1 ( L), ont décidé que les compagnies de chemins de
fer sont tenues d'aviser les destinataires de l'arrivée de leurs
marchandises livrables en gare, et que le défaut d'avis, non seulement les prive du droit de réclamer aucun magasinage, mais
même les rend passibles de dommages-intérêts.
Ces décisions reposent sur une appréciation inexacte des cond itions dans lesquelles s'exerce l'exploitation commerciale des chemins de fer. Il n'entre pas d'abord dans la nature du contrat de
transpor t, que le destinatai re soit av isé de l'arrivée de ses marcllandises : c'est plutùl à l'expéditeur qu'au voit urier d'aviser le
destinataire. Ensuite, en parei lle matière, tout esl de droit strict.
Les devoirs des compagnies comme les droits des destinataires ne
peuvent résulter que des dispositions des lois et règlements qui
les régissent, et un usage constant ne saurait lier une compagnie
de chemins de fer. Du reste, à proprement parler, cet usage constant n·est que l'exercice constant du droit conféré aux compagnies
de faire courir le magasinage contre les destinataires
L"argument tiré des termes de l'article 10 de l'arrêté ministériel
n'est que spécieux : cet article résiste à l'interprétation qu'on lui a
donnée . Il signifie seulemen t, comme nous l'avons vu, que la compagnie doit être prête à livrer les marchand ises au destina taire s'il
se présente. Les co1npagnies, s'il en était autrement, ne parviendraient que difficilement à rempli 1· leurs obligations. Dans la plu(!) !';irey, 1861.1. 975.
-
133 -
part des cas, la lettre d'avis mise à la poste dès l'arri \·ée des marchandises ne parviendrait pas au destinataire le lendemain . Et
comment pour les expéditions de grande vi tesse où l'article 4 de
l'arrêté ministériel impose la mise à disposition dans les deux
heures de l'arri vée réglementaire du train, les compagnies pourraient-elles êlre tenues d'aviser le destinataire dans ces deux
heures? Aussi la jurisprudence de la Cout· de Cassation s'est-elle
modiflée, et décide+elle d'une manière constante que r envoi de
la lettre d'avis n'est point obligatoire (Cassa tion 2 décembre 1873
'
26 juin 1879, H janvier L880 et 23 février 1881) {J ).
On s'est demandé si les compagnies avaient le droit d'envoyer
une lettre d'avis et de faire courir les droits de magasinage avant
l'expiration des délais réglementaires, dés l'arrivée des marchandises en gare? Les termes de l'article 1G des conditions d'application des tarifs généraux ne nous paraissent pas permettre de
doutet' qu'il faille répondre affirmati\'ement à cette question.
Le destinataire ne peut prétendre que, n'ayant pu compter sur
sa marchandise avant l'expiration des délais, il n'est pas en mesure
de la recevoir ou qu'elle ne lui est pas encore nécessaire. Il
faut reconn aîtrn que les délais étant fixés dans l'intérêt des compagnies, elles peuvent y r enoncer et ne font qu'user d'un droit
indiscutable écrit dans les articles 1187 et 1258 4' du Code civil.
Il est très importan t enfi n d'éviler l'encombrement des aares · les
'
b
convenances des deslinataires doiven t s'incliner devant cet intérêt
d'ordre public. Les pri ncipes généraux du droit, en dehors de
l'arrêté ministériel, conduisent donc à la même solution. Un
jugement du Tribunal de commerce de Clermont-l'Hérault du
12 décembre1876 (2) l'a jugé implicitemen t dans ses motifs.
Le destinataire avisé de l'anivée de ses marchandises en gare
ne peut se refuser au paiement de l'affrancbissement de la lettre
d'avis. On ne peut souten ir que la perception du prix du timbreposte n'est autor isée par aucun tari f homologué et que les compagnies ne doivent percevoir aucune taxe sa ns autorisation. L'encaissement du prix de l'affranchissement n'est pas une perception,
(1) Dall oz. 18711. L 63: 187!'1. I . 371: JStsO. I. l{;O r l 1881. !. 178.
(2) Lamér F leury, 18îi, p. 3i.
�-
i34 -
la compagnie rentre dans les débours qu'elle a faits pour le compte
du destinataire. (Cassation 13 mai 1861.) (1).
n n'y a pas lieu de distinguer pour le timbre de la lettre d'avis
si elle a été lancée avant l'expiration des délais réglementaires.
Dans ce cas-là, a-t-on dit, l'équité veut que l'affranchissement de la
lettre d'avis reste à la charge de la compagnie, s i l'enlèvement des
colis a lieu dans le délai de quarante-h uit heures accordé pour y
procéder, car, dans ce cas, l'avis intervient exclusivement dans
l'intérêt de la compagnie. Cette tbéorie est contraire à l'immutabilité du règlement, qui s'applique non-seulement aux conditions
générales du transport, mais même aux frais accessoires. Etant
admis que les corn pagnies ont le droit de lancer une lettre d'avis
et detaire courir le magasinage même avan t l'expiration <les délais
réglementaires de transport, le timbre d"affranchissement est
dans tous les cas à la charge du destinataire.
Pour se soustraire au paiement de cet afirancbissement qui peut,
pour les commissionnaires de transit recevant chaque année un
nombre considérable d'expéd itions, s'élever à des sommes relativement importantes, certai ns destinataires ont voulu exiger que
les compagn ies s'abstinssent de leur adresser des lettres d'avis,
tout en déclarant qu'ils consentaient à payer le magasinage à partir
du lendemain de l'arri\·ée des marchandises, ou qu'ils autorisaient
les compagnies à camionner d'office leurs marchand ises à domicile
à partir de la même époque. Cette prétention a été repoussée par
arrêt de la Cour de Cassation du 31 mai 'l870 (2). En fait, on ne
saurait exiger qu'un chef de gare put, à l'arrivée de chaque colis,
à moins d'un sen·ice spécial organisé dans ce but, vérifier si le
desti nataire s'était ou non opposé à l'envoi de l'avis. En droit, le
destinataire ne peut obliger une compagnie à modifier le mode
d'avertissement fLxé par l'autorité publique qui constitue une condition d'application des tarifs qui forment la loi non-seulement des
compagnies mais des expéditeurs et des destinataires. En pratique,
cependant, il est d'un usage à peu près constant, au moins dans
certaines grandes gares, que les compagnies acceptent ces dis(\) Dalloz, 1861. 1. 325.
(2) Dalloz, 1870. l .362.
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i35 -
penses d'avis con tre l'engagement pris par les destinataires de
payer Je magasi nage en acceptant comme date de la lettre d'avis
l'arrivée effective des marchandises en gare. Une telle convention
n'a, croyons-nous, rien d'illicite, car elle ne donne pas aux droits
de magasinage un point de départ autre que celui des arrêtés
ministériels; les compagnies étant, à partir de ce moment, libres
de mettre à la pos te la lettre d'avis.
Dans le cas d'une expédition composée de plusieurs colis, il peut
arriver qu'une p ar tie d'entr'eux parvienne avant l'autre à destination. Si les délais n'étaient pas expirés et que la compagnie, sans
atlendre l'arriYée complète de l'expédition, mit le destinataire, par
lettre, en demeure de re tirer les colis déjà parvenus, elle ne serait
fondée ni à se faire rembourser le port d'alTranchissement ni à
percevoir un magasinage. Le tarif, en parlant de l'avis d'arrivée,
a voulu entendre l'arrivée de la chose mème qui avait fait l'objet
du contrat de transport, et par suite de la totalité des colis composant l'expédition (Tribunal de Commerce de la Seine, 15 novemhre
1878). Il faudrait décider de même en supposant que les délais
réglementaires fussent épuisés; une compagnie délivrant des colis
dont elle a pris charge ne peut obliger le destinataire à accepter
qu'elle se libère partiellement.
Lorsque les compagnies opèrent la livraison des marchandises
en gare, il est certain que les destinataires ne viennent pas en personne, dans la plupart des cas, recevoir et retirer les marchandises
à leur adresse; elles ont donc à opérer la remise entre les mains
de leurs mandataires et à s'assurer qu'ils sont autorisés il prendre
les colis et à en donner décharge.
L'intérêt des compagnies exige que le mandat donné par le destinataire à son fondé de pouvoirs soit prouvé de manière à mettre
leur responsabilité à comert. L'article Hl85 du Code civil n'a pas
déterminé les formes dans lesqueUes le mandat peut être donné, et il
est difficile de fixer une règle pratique. Le mandat peut être donné
par acte authentique, sous signature privée et même par lettre. A
l'égard du mandat confié dans cette dernière forme, la loi n'exige,
par aucune de ses ùispositions, que la signature du mandant soit
légalisée . Donc, à moins de circonstances particulières autorisant
les compagnies à éprouver des doutes sérieux sur les s ignatures
�-
136 -
qui leur son't produites, elles ne sauraient exiger que la signature
du des tinataire soit légalisée . (Cassation, 8janvier1863) (1).
La lettre d'aYis offre, d'après la jurisprudence, un moyen d'établir Je mandat du camionneur qui se présente a u nom du destinataire. Les lettres d'avis portent à leur sui te la formule suivante:
a: Bon à livrer au porteur de la p résente ; signé: le destinatair e. ii
Il a été décidé avec raison que les compagnies livrent valablement
au portenr de la lettre d'avis revNue de la s ignature du destinat aire ;
le timbre de la Pos te dont les lettres retournent revêtues ne pouvan t
laisser aucun doute qu'elles ne soient parvenues à leur adresse.
S'il y a eu détournement de la lettre, si la signature est fausse, les
compagnies ne peuvent s'imputer aucune faute ou négligence; elles
sont définitivement libérées et ne peuvent plus être recherchées.
Le destinataire doit se reprocher d'ayoir commis l'imprudence
de laisser soustraire les lettres que le service si exact et si scrupuleux de la Poste a apportées à son domicile (Tribunal de Commerce
de :Marseille, 5 mai 1879. Girodroux contre P.-L.-M.; - 3 mars
1880, Molinari contre P. - L.-M. ). Il en serait autrement si la lettre
d'avis ne portait pas la signature du destinataire, on si Je nom du
destinataire étant conforme, l'adresse inexacte avait causé une
confusion.
Le portem du récépissé déliv ré à l'expéditeur par la gare de
départ ne saurait avoir le droit d'exiger la remise de la marchandise, lorsqu'il n'a pas été clans la déclaration d'expédition indiqué
comme destinataire. Nous avons vu qu'il n'en est pas pour les
transports par chemins de fer comme pour les expéditions maritimes, où les marchandises sont livrées contre la remise du connaissement ; l'envoi à personne dénommée et connue d'avance a
seul été prévu par les règlements. Dans l'usage du commerce
cependant, la remise du récépissé est considérée comme transférant un droit à la délivrance des marchandises. Le destina taire qui a
reçu le récépissé à remettre à l'expéditeur acquiert vis-à-vis de ce
dernier et par conséquent d'une manière a bsolue la possession de
la marchandise. Mais les Liers à qui ce destina taire, à son to ur ,
vendra les marchandises en cours de r oute en leur délivrant ce
( 1) Lamée Fleur)', Cotie annoté p. 351.
-
137 -
récépissé, ne pourront prend1·e li \Taison des marchandises qu'en
étant munis d 'un pouvoir du des tinataire. Les tiers ne pourront
être garantis contre la révocation de ce mandat, s'ils ne veulent
faire confiance à la bonne foi du destinataire, toujours libre de
prendre livraison dc:s marchandises à l'anivée, qu'en faisant signL
fier aux compagnies, conformément à l'article 1690 du Code civil,
la cession qui leur a été consentie des marchandises en cours de
voyage.
Au moment de la livraison, les compagnies sont obligées à la
délinance d'un récépissé au destinataire. L'article 10 de la loi ùu
13 mai 1863 est fo rmel : «un double du récapissé accompagnera
l'expédition et sera remis au destinataire. >i Ce récépissé permet
au destinataire de se rendre compte que toutes les conditions du
contrat de transport on t été remplies et en même temps d'avoir une
preuve écrite du contrat.
Lorsque la marchandise a été expédiée en port dù et que le destinataire doit acquitter les frais de transport, le récépissé porte la
quittance de ces fra is et il est, par conséquent, soumis au timbre de
dix centimes créé par l'a rticle 18 de la loi du 23 août 1871. Le destinataire a-t-il le droit, pour s·exonérer du paiement de cet impôt,
de se refuser à retirer le récépissé des mains de la compagn ie?
D'une part, la déli vrance du récépissé est oblig·atoire pour les
compagnies. Une circulaire ministérielle du 14 juin 1865 rappelle
au contrôle des compagnies que le récépissé doi t ètre délivré
d'office, alors même que le public, ignorant le plus souYent ses
droits, ne le demande pas, et prescrit que toute négligence des
compagnies à cet égard soit cons ta tée par procès-Yerbal et déférée
aux tribunaux.
La Cour de Rennes, dans un at'rèl du '27 janvie r 18ï3 (1), se fondant sur ce que la remise au des tinataire du récépissé \'Oyageant
avec la marchandise est irnpérati,•c1nen t et obligatoirement pres crite aux compagnies de ch emins de fer par l"al'ticle 10 de la loi du
13 mai 1863, en déùuit J'oblig-a tion pour le destina taire de se nantir
dn récépissé e t décide que tou t au moins le paiement du timbre de
qui tlance est obi iga toirc pour Jui. Les préposés de l'enregistrement
( l) Sirey, l~ll:l. 1. 2;iï.
�-
138 -
sont au torisés. aux termes de ce même art~c l e 10, à prendre ?ommunication du registre à souche des récépissés, la compa~rne est
donc fondée à exiger du destinataire le paiement des droits donl
elle est responsable vis-à- vis du fisc, car il ne pe~t in terv.eni ~· en
matière de transport par chemins de fer de convention particulière
pour que Je paiement s'eITectue sans qu'il soit donn~ quittance ..
Un jugement du Tribunal de Commerce de la Serne .du 27 Janvier 1873 (1) a fait application du principe qu'u n débiteur ~ toujours la faculté de ne pas retirer des mains de son c.réanc1er l.a
preuve de sa libération et que rien ne donne à ce dermer le droit
de te contraindre à la recevoir. Le débiteur est libre de payer à
ses risques et périls les sommes qu'il doit sans en demande~. quittance. Or, comme la loi du 23 aoüt 1871 ne porte p as que l 1mpùt
du timbre de quittance est exigible toutes les fois qu'il y a libération
1nais seulement quand il y a un titre qu i emporte libération, le
Tribunal a décidé que le destinataire pouvait se refuser au paiement des dix centimes du timbre de quittance apposés sur les récépissés qu'il ne réclamait pas .
Une circulaire ministérielle du J6 mai J87'1 est venue mettre fi n
à ces divergeuces de la jurisprudence, en distinguant soignellsement le double effet que peut a\' Oir la délivrance du récépissé au
destinataire. La loi du 10 mai 1863 antérieure à la loi de finances
de 1871 a prescrit celte remise pour fournir au réceptionna ire une
preuve écrite du contrat de transport. C'est seulement en vertu de
la décharge inscrite sur le récépissé par les employés de chemin
de fer que celle pièce vaudra quittance. Et la circu laire autorise
les compagnies à délivrer aux destinataires des récépissés non
revêtus de timbres de quittances a la condition que ces récépissés
ne porteront pas les mots potir acquit el la s ignature des chefs de
gare ou de tous autres préposés. Les compagnies satisferont ainsi
aux prescriptions de la loi de 1863 sur la remise obligatoire des
récépissés et désormais les destinataires seront libres de n e pas
retirer de preuve de leur libéralion et d'éviter le paiement du
timbre.
En cas de refus de la part du destinataire d~ prendre livraison
(1) Lamée Fleury, 1873, p . 111.
-
i39 -
ou lorsqu'avisé, il ne se sera pas présenté pour prendre livraison,
ou enfin quand devant receYoir des colis livrables à domicile, il
n'aura pas été rencontré, examinons les divers partis que peuvent
prendre les compagnies.
Aux termes de l'a rticle 106 du Code de commerce, en cas de
refus ou contesta tion pour la r éception des obj ets transport és, leur
état est vérifié et consta té par des experts nommés par le Président
du Tribunal de Commerce, ou à son défaut par le Juge de paix ;
le dépôt ou séquestre et ensuite le transport dans un dépôt public
peut en être ordonné. La vente peut en être ordonnée en faveur
du voiturier j usqu'à concur rence du prix de la lellre de voiture.
Pour assurer la régularité du service des transports par chemin
de fer et aussi pour prévenir l'encombrement des gares qui pourraient dans certaines circonstances entraver l'exploitation et causer
des lenteurs préjudiciables aux compagnies et au public, les arrêtés ministériels ont <ijouLé aux dispositions de l'article 106 et
donné aux compagnies le moyen de procéder avec toute la rapidité
désirable.
L'arrêté ministériel du 12 janvier 1872 autorise les compagnies
à fa ire camionner d'office soit au domicile du destinataire, soit
dans un magasin public toutes les march andises qui, adressées en
gare sur un point quelconque de leurs réseaux, ne seraient pas enlevées dans la journée du lendemain de la mise à la poste de la
lettre d'avis écrite par la compagnie au destinataire, les frais
de ce camionnage étant r,a lculés d'après ces tarifs homologués.
Les frais d'entrepôt peuvent être plus ou moins éleYés que les
droits de magasinage. Ces droits étan t la rémunération du service
rendu p ar la compagnie, on a soutenu que les compagnies, lorsqu'elles ne conservent pas les marchandises dans leurs gares,
rentrent dans le droit commun el ne doivent percevoir que les frais
d'entrepôt sur le pied des tarifs des magasins oü les marchandises
ont été camionnées. C'est là, a-t-on dit, une solution conforme à
l'équité el à l'esprit du tarif sur le magasinage. C'est l'application
de la lettre du tarif qui, après avoir visé les marchandises adressées en gare qui n'ont pas été enlevées dans les 48 heures de .la
mise à la poste de la lettre d'avis, dispose ensuite que les droits
sont applicables aux expéditions adressées à domicile quand le
�-
i r~o
destinataire est absent ou inconnu ou refuse d~ prendre, livraison,
. à la
et que, dans ce ca , les frais de rclom des colis à la gaie sont
char O'e de 1a marClla nd ise ' ce qui indique que la perception des.
· e qu'à la souffrance en gare. Enfin, le, tarif
• b
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ne s• app1iqu
droits
11
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. .
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dispose que les chiens do nt il n 'est pas pr is hvrmson ~l arnv e,
seront mis en founière, les gares n'ayant p~s de. chenils, et que
les frais de fourrière seront acqui ttés sur jus t1flcat1on des clé~enses
(Tribunal de commerce de Rouen, 24 octobr e 1873.) (1). (Tribunal
de commerce de Lyon, 8 aoùl 18ïG} (2).
Cette théorie repose sur une appréciat ion inexacte ?e la p.ortée
de l'arrêté du 12 janvier sur le cam i01111age d'office, édicté umquement dans un but d'intérêt général, pour prévenir l'encombrement
des ()'ares. Le destinataire sera tenn dans le cas d'un camionnage
d'otflce de supporter les fra is d'une opération imprévue en dehors
du magasinage, mais le lieu de séjour est s i1 11ple~11ent déplacé, et
la compagnie reste responsable de tous les n sques ~ue peut
courir la marchandise dans le magasin qu'elle s'est substitué pour
leur garde et leur conservation, sauf son recours contr e qui de d roi.t.
II est donc juste qu'elle perço ive le prix du tarif, puisque ses obligations, sa responsabilité restent les mêmes. La disposition relati\·e aux frais de fourrière des chiens qui ne sont pas r eçus à
l'arrivée, frais qu'il n'était pas possible d'évaluer, puisqu'ils comprennent la nourrilurn de ces animaux, \'ise un cas particulier et
exceptionnel en matière de tarifs. C'est dans ce sens que s'est pr~
noncée la Cour de Cassation, Chambre des requêtes, dans un arret
du 27 mars 1878 (3). Un arrêt de la Cour de Pau du 14 juin 1870 (-i),
dans le cas d'une consignation plus coùteuse qu'un magasinage,
a\'ait décidé que ces frais seraient laissés à la charge ùe la compagnie, qui n'éta it autorisée qu'à pcrceYOir le prix du tarif.
La compagnie pourrait cependant se li bérer par la mise à
l'entrep6l d'office ell observant les forma lités de l'article 106 du
(!)
('l)
(3)
(4)
Lamée F leury, 18ïG, p. 13'1.
Lamée F leury, 18i8, p. 92.
Larn~e F leury, 18i8, p. 95.
La1nl>e Flru1·\·, l8i 1, p. 190.
- 141 -
-
Code de Commerce. Elle n'aurait qu'à fa ire constater par expel'ls
régufü:rewen t nornmés et à en fai l'c ordonner ensuite le dépôt
dans un magasin public spécialement désigné par le Président du
Tribunal de commerce ou le Juge de paix. L'entrepositail'e deviendrait alors un véritable séquestre judiciaire possédant pour le
compte de l'expéditeur ou du destinataire. La compagnie cesserait
alors d'ètrc responsable de la marchandise, mais, par contre, elle
ne pourrait exiger le magasinage que j usqu'au dépôt. Les intéressés n'auraient à supporter, à partir de ce moment, que les frais
portés sur le tari f du magasin gcnéral qu'ils pourraient poursuivre
directement.
Les compagn ies, nous l'avons vu, peuvent garder les marchandises en gare en percevant un magasiuage; ces droits commencent à courir 48 heures après la mise à la poste de la lettre d'a, is
au destinataire, pour les marchandises livrables en gare. Les
droits sont également applicables, aux termes de l'article 16 des
cond itions d'application cles tarifs généraux, aux marchandises
adressées à do micile et dont le destinataire esL absent ou
inconnu, ou refuse de prendre livraison, à l a condition qn'avis de
ces circonstances soit immédiatement adressé par La compagnie à
l'expéditem ou au céda nt.
Les frais de magasinage sonl de cinq centimes par jour pour les
trois premiers jours et de dix centimes pour les jours suiYants par
fraction indivisible de 100 kilos; et ce taux est invariable pour
une durée illimitée· les termes du tarif sont ab'Solus. En l'état de
'
celte disposition se présente la question de savoir si les compagnies
pourraient laisser séjourner indéfiniment ces marchandises en gare, alors que les droits de magasinage prennent des prnportions
relafü·emen t énor mes et arriYent rapidement pour les marchandises pauvres à dépasser leur valeur.
Les Tribunaux de commerce, pour échapper aux conséquences
onérenses du tarif de magasinage, 011t essayé d'apporter des distinctions clans l'application qui lloil en être faite. Les uns (Tribnnal de com merce de Nevers, 5 jand er 1874) (1) ont clédllé
que, dans le cas d'une contestation entre un expédi teur et un des(l) Lul!léc Fleu1·y, 1876. p, H17.
�-
-1H -
142 -
tinataire prétendant n'a\'oîr pas fait .de co1~1mande, la ~~mpag.n~e
de,·enait le negotorium gestor de 1expéditeur et de' ait ~ho1~1r
entre les mesures mises à sa disposition, par l'arrêté du Janvier
1872 et par rarticle 106 du Code de commerce, . ce~l ~ qm, ~auve
gardant ses propres intérêts, était le moins pr~Jud1ciable a ceux
du propriétaire de la marchandise; qu'il y ~va.il faute ~e sa ~art,
dans l'espèce, à n'avoir pas fait la constatation et le d~pôt p1 évu
par l'artil:le 106 du Code de commerce, et que le magasinage pouvait être réduit au temps qui lui aurait été nécessaire pour l'acornplissement de ces formalités.
Le~ autres (Tribunal de Commerce de Narbonne, 15 mars 1875,
cassé par arrêt de la Cour de Cassation, du 29 mai 1.877) .(1) ont
jugé qu'en cas de litige entre expéditeur et destmatatre,. les
compagnies de chemms de fer doivent consigner les marchandtses
chez w1 tiers consignataire qui leur paye les frais de transport et
les frais de magasinage dus jusqu'au jour de la consignation ; et
dans le cas où elles ()'ardent volontairement les marchandises en
gare, ils ont considéré les compagnies comme des séquestres
soumis à la taxe des Tribunaux et non à celle de l'application des
tarifs de magasinage.
Ces appréciations des Tribunanx sont contraires au cahier
des charges des compagnies, et aux tarifs dùment homologués qui
sont obligatoires pour et contre elles. Aucune disposition légale
n'oblige les compagnies à déposer chez un tiers au lieu de les garder
dans les aares les marchandises refusées par les destinataires;
t:>
'
les termes de l'arrêté ministériel du 12 janvier 18ï2, ne comportant ni distinction, ni tempérament.
Enfin, on a voulu, en vertu des dispositions du décret du 13 aoùt
1810, déclaré applicable aux compagnies ùe chemins de fer par un
arrêté ministériel du 20 avril 1863, restreinùre dans tous les cas la
durée d'application du tarif de magasinage à une période de six
mois. Aux termes de l'article l " du décret, les ballots, caisses,
malles, paquets et tous autres objets qui auraient été confiés pour
être transportés dans l'intérieur de la France à des entrepreneurs
soit de roulage, soit de messagerie par terre ou par mer, lorsqu'ils
1?
(1) Lamée Fleury, 1877, p. 139.
n'auront pas été réclamés dans le délai de six mois à compter du
jour de l'arrivée au lieu de destination, seront remis à l'administration du Domaine, à la diligence duquel ils devront être vendus.
Un anêt de la Cour de Paris, du 5 mai 1865 (l), a décidé qu'une
compagnie de chemin de fer désintéressée dans le litige soulevé
par la qualité défectueuse de la marchandise, devait, à partir de
l'expiration de six mois, se pourvoir judiciairement ou administrativement pour la faire enlever et qu'ell e ne pouvait prétendre à
un droit de magasinage au-delà de celte échéance. La Cour considère les marchandises dont la livraison n'a pas été opérée dans le
délai de six mois, comme des marchandises abandonnées aux
termes du décret de 1810; la compagnie les détient alors pour le
compte de l'Etat à qui appartiennent les choses sans maitre et ne
peut réclamer de magasinage.
Cette théorie ainsi énoncée nous parait trop absolue. Le décret
de 1810 n'est applicable que lorsqu'il est permis de supposer que
l'o~jet est abandonné; quand il n'est pas réclamé, tels sont les
termes de l'article l". Or, qu'il y ait procès entre l'expéditeur et le
destinataire, que la compagnie soit étrangère aux débats soulevés
ou qu'elle soit directement mise en cause et poursuivie en paiement
de la valeur d'une marchandise dont on lui demande le laissé pour
compte, si par suite des lenteurs de la procédure ou pour taule
autre cause le magasinage a duré plus de six mois, il sera dû en
entier.
Toutefois la Cour de Cassation, dans un arrêt du 3 avril 1878 (2),
ne parait pas avoir fait ces distinctions. Voici les motifs de l'arrèt:
" Al tendu qu'il résulte des termes du décret de 1810 qu'on ne saurait en restreindre l'application aux colis égarés dont l'expéditeur
ne serait pas connu: qu'il comprend tous les colis confiés à un
voiturier pour être transportès en France et qui n·ont pas été réclamés dans le délai de six mois pom quelque cause que ce soit; que
si, dans un cas de refus ou ùc contestation pour la réception des
marchandises transportées, l'article l OG du Code de commerce
autorise le voiturier à en faire vérifier l'étal et à en provoquer la
(1) Lamêe li'lcury, 1876, p. 176.
(2) Lamée Eleul'y, H>78, il· 184.
�-
J4.4 -
.
t ·e el la Yente jusqu'à concurrence dn prix de la
nuse sou sé~ue .1 . ·est pas obliaé d'user de la faculté qui lui est
Yoiture le vo1tur1e1 n
•
o
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1
b. t
.'
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lo ·squ'il conserve en sa possess10n es o Je s
accordee e que r
·
d dé et du
' . 1·1 d 01·t se conformer aux prescripltons u
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transportes,
13 aoùt 1810. ))
.
rr •
Mais l'arrêt él2it r endu dans une espèc~ ou . la ~o~upa~me
charrrée de remettre la marchand ise au destmataire, ~mit va~ne.
.
men to signale
la sou rr·
i anc e des colis et demandé
.
. des rnstruct10ns
t de déci.
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u111quemen
an:-t compacrnies ce an es, e ou
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cl'
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a,·ai
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eu
tort
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considérer
la
marcllan
der• s1. cetteb compagme
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• •
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d1se
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. et de la remettre à l' Ad m1mstra t10n es
comme
aban donnee
Domaines.
. bl à d · ·1e
'
Nous avons vu q tle Po ur les marchandises hvra . es< om1c1
. l' ,
les compacrnies
faisaient courir les frais de magasm~ge pa1 a\ is
0
sont-elles
de la soutîrance envoyée a• l • expe·d·t
1 eut.. Les compaames
b
,
tenues dans ce cas d'a\'iser l'expéditeur de la sou[rance, et dune
manière aénérale ont-elles l'obligation de l'informer de. la nonlinaison; ·ous nous trouvons ici en présence d'une q~estio~ ~na
loaue à celle que nous avons discutée à propos de 1 envoi d une
le~re d'avis au destinataire; mais nous ne rencontreron~ p lus
J'araument tiré de l'article 10 de l'arrêté du 12 juin 1866, qm parle
de mise a disposition des rnarcbandises et que l'on a voulu considérer à tort comme comportant implicitement la nécess1·t·e d' un
ta
avis.
.
,
éd· t .
Pour décider que les compagnies doi\·ent aviser l exp 1 e~i ,
. ·
l es compa t>0 nies
on a soutenu que, par le fait de la non-11vra1son,
deviennent le negotiorum oesto1· de l'expéditeur, et que, sauf les
cas d'uraence
dans lesquels il fa ut a\'ant tout vendre la marchan0
dise pou r en éviter la perle, la première mesure à prend_re dans
l'intérêt de l'expéditeur est de le prévenir pour le mettre a même
de faire cesser la souffrance.
Les compagnies, ajoute-t-on, reconna issent elles-m ên:es .que
cette obligation est une conséquence na turelle des ob l!galions
résultant du contra t de transport puisqu'il est d'un usage cons tant
qu'elles avisent l'expéditeur.
. . .
Les motifs qui nous ont coucluits à écarter l obl1gat10n de
l'envoi d' une lellre d'av is au destinatai re doiyent ici nous amener
-
145 -
à la même soluti on pour l'avis del~ souITrance. Si, dans l'usage,
les compagnies font connaitre à l'expéditeur que le des tinataire des
marchandises adressées à domicile n'en a pas pris livraison, c'est
que celte formali té leur est imposée par les règlements pour la
perception du magasinage. Si elles signalent de même que les
marchandises livrables en gare n'ont pas été retirées, c'est pour
avoir contre l'expéditeur une ac tion en paiement des droits de
magasinage qu'elles ne pourraien t, sans cela, réclamer qu'au destinataire et qu'il vau t mieux avoir, indépendamment du privilége
sur la marchandise, deux débiteurs qu' un seul. Mais cet usage ne
peut être transformé en une obligation s tricte.
D'autre pa rt, les compagnies, par sui te du refus du destinataire,
ne deviennent pas le negotio1·um oestor de l'expéditeur , car
la gestion d'affaires comme tous les quasi-contrats, est essentiellement volontaire. Les compagnies liées par un contrat de louage
de services, contrat dont les conditions sont impérieusement prérues et arrêtées par les lois et règlements qui rég issent la ma tière
des chemins de fer, sont tenues seulement de transporter les marchandises du lieu de d estination au lieu d'arrivée; elles sont dépositaires par la nature même du contrat; si la livraison n'a pas lieu ,
elles restent dépositai res par la force même des choses, avec la
faculté de s e faire r émunérer du nouveau service qu'elles rendent
en gardant la marchandise. Il n'est pas permis de créer aux compagnies des obligations qui ne se trouvent pas dans leur cahier des
charges. Aucun tex te ne prescrit au voiturier ou au commissionnaire de transport de rendre compte à l'expéditeur de la souffrance
ùes obj ets transportés. C'est ü l'expéditeur, s'i l est soucieux de ses
intérèts, à prévenir son destina taire de r envoi quïl lui fait et à
s'assurer qu'il en a pris livraison.
On a prétendu qu'en cas ùe non-livraison au destinataire, les
Compagnies devaient réex1)éd ier la marchandise à l'expéditeur.
Cette théorie a été repoussée par un arrè t de Cassation du 21 mars
1848. « Le commissionnaire ou voitul"ier doit, dit la Cour, lorsque
le destinataire n'a pas é té trou\·é, garder par devers lui l'objet qu'il
avaiL été chargé <le tran sporter, ou le déposer dans le lieu indiqué
Par la Justice; il a le cho ix libre en tre ces cieux rnesures, les seules
qui soient altem a tive ment imposées; le mandat commercial ne
10
�-
-
446 -
prescrit point le devoir de renvoyer cel objet à l'expéditeur, une
semblable obligation ne résulte d'aucun texte de loi et même est
formellement con traire à la disposition cle l'article l" du décret du
13 août 1810 rendu pour l'exécution ùes articles 106 et suivants du
Code de commerce, disposition qui est évidemment exclusive de
l'obligation de réexpédier à l'expéditeur puisqu'elle ordonne que,
après six mois, les objets non réclamés seront vendus aux enchères
publiques. »
Le dernier parti qui s'oŒre aux compagnies lorsque les expéditions n'ont pas été reçues à l'arrivée est la vente de la marchandise
conformément à l'article 106 du Code de commerce. Une requète
est présentée au Président d u Tribunal de Commerce ou au Juge
de paix qui ordonne la vente des objets transportés par ordonnance mise au bas de cette requête. II n'est besoin ni de mise en
demeure, ni de signification. Le Juge, en ordonnant la vente, doit
prescrire que le produit en restera déposé, soit entre les mains de
l'officier ministériel qui aura p rocédé à la vente, soit dans un dépôt
public pour être ensuite remis à qui par justice il sera ordonné.
Lorsque les colis refusés contiennent du lait, du beur re, des fruits
et d'autres marchandises sujettes à une détérioration rapide, il faut
même décider que l'ordonnance n'est pas nécessaire. Les compagnies, en les faisant vendre sans délai après le refus du destinataire ou faute de retirement et quarante-lrnit heures après l'envoi
d'une leth·e d'avis, agissent au mieux des intérêts des propriétaires;
on ne saurait leur faire de reproche.
Les compagnies sont libres également d'agir conformément au
droit commun et d'assigner expéditeur et destinataire en enlèvement de la marchandise et en paiement des frais de transport et de
magasinage.
. La dernière questio:i qui se présente,à propos de l'exécution par
les compagnies du contrat de transport, est l'ela ti ve aux droits
d'octroi. Quand les marchandises sonl livrables à domicile, la
compagnie qui effectue le factage ou le camionnage doit acquitter
les droits d'octroi et peut on réclamer le remboursement soil au
destinataire, soit, en cas de refus <le sa parl, il l'expéditeur, car les
conditions stipulées par lui impliquent nécessairement le
manùal de payer le~ dro its d'octroi pour que le transport jus-
147 -
qu'à domicile puisse avoir lieu (Cour de Cassation 19 décembre
'
1866) ( 1).
Si~ au con~raire, les colis sont livrables en gare et que, par suite
des mstruct~o.ns du destinataire, la compagnie se charge du camionnage à domicile, elle est bien autorisée à faire l'avance des droits
d'octroi, r_nais ~ans ce cas l'expéditeur ne saurait être poursuivi. La
com~agn~~ fait al~r~ confiance au destinataire et ne serait pas
fondee, s il devenait msolvable, à répéter le montant des droits
contre l'expéd iteur, car elle aurait dépassé les termes du contrat
primitif el ne saurait rendre celui-ci responsable d'une convention à laquelle il est demeuré étranger.
IV. -
OBLIGATIONS DBS DJJSTINATAlRBS.
La première obligation qui incombe au destinataire est de
retirer les marchandises quand elles sont livrables en gare· il
s'expose,. comme nous l'avons vu, en tardant à se présenter ap~ès
la .récep~10n de la lettre d'avis, soit à payer les frais de magasinage,
soit à von· la compagnie faire camionner d'office les marchandises
à son domicile, conformément à l'arrêté min is tériel du 12 janvier
1872.
. Lorsque les colis sont livrables à domicile, le destinataire peut11 prescrire à la compagnie de s'abstenir du transport j usqu'à son
d?micile et d'attendre, malgré les stipulations de l'expéditeur, qu'il
a1ll.e lui-même en prendre livraison en gare, ou qu'il les fasse
retirer par son camionneur; a-t-il le droit de modifier dinsi les
conditions du contrat de transport ? Une controverse s'est élevée à
cet égard.
On a prétendu que le destinataire qui n'a pas été partie au contrat de transport, doil, lorsqu'il veut profiter de la stipulation de
l'expéditeu r en sa faveur, l'accepte1' dans les termes mêmes oü
elle a été faite et par conséquent se soumettre à toutes les condi(J ) Dalloz, 1867. I. 13.
�-
i48 -
tians dont elle a été accompagnée. Il ne peut déclarer vouloir en
bénéficier pour une partie et la rejeter pour une autre. Du reste,
a- t-on dit encore, l'expéditeur qui envoie la marchandise représente suffisamment le destinataire, quant au x conventions relatives
au mode et aux prix de transport, il est présumé avoir exécuté les
ordres reçus; le destinata ire esldonc lenu de les exécuter . Et même
en admettant que l'expéditeur ne puisse ètre considéré comme le
mandataire du destinataire, il n'en est pas moins évident que le
contrat qui se forme au moment du départ, donne non seulement
à la compagnie le droit d'en exiger l'exécution mais même lui en
impose le devoir, ou tout au moins lui assure le prix convenu
pour le transport. Il est vrai qu'aux termes de l'article 52 du cahier
des charges, l'expéditeur et le destinataire conservent le droit de
faire opérer à leurs frais jusqu'à domicile, le camionnage des
marchandises arriYées en gare, mais il ne leur est pas interdit de
déroger à cette faculté par des conventions particulières et de stipuler que le camionnage sera eITectué par les soins de la compagnie. Lorsque le transport d'une marchandise livrable à domicile
aura lieu en pqrt payé et que les frais de camionnage auront été
perçus au départ en même temps que ceux de transport, le destinataire n'aura pas le droit de se substituer à la compagnie pour
le camionnage et d'exiger qu'elle lui rembourse le montant des
frais de cette opération. Tel a été le système adopté d'abord par la
Cour de Cassation da11s un arrêt de la Chambre des requêtes du
13 juille t 1859. (!).
Il n'était cependant pas possible de concilier l'article 5'2 du
cahier des charges, qui proclame d'une manière formelle le principe que les expéditeurs et les destinataires resteront libres de faire
eux-mêmes et à leurs frais le factage et le camionnage des marchandises, et qui crée ainsi un droit distincl et absolu au proftl
ùes destinataires, avec cette théorie ; elle a été abandonnée. La
Cour de Cassa tion est revenue sur sa première jurisprudence, et
par deux arrêts de la Charnbre civile, du 17 juillet 18G I (2), elle a
consacré le droit du destinataire de prendre livraison en gare des
marchandises qui lui sont adressées à domicile.
(1) Dalloz, 185\J. l. 394.
(2) Dalloz. 18Gl. l. 317.
-149La C~ur parait pourtant fa ire une restriction; elle admet dans
t'des
les motifs
. arrêts que si l'expéditeur a été autorisé par le d est
.
nataire, ou s1 1e lr~ns.port est à sa charge, ou sïl est par quelque
autr~ cause en droit d en régler les conditions, il peut traiter du
cam10nn~ge avec la compagnie du chemin de fer, mais que la
coropagme, pour se prévaloir d'une manière absolue de cett
e
1
.
convent10n contr~ e destinataire, doit, à défaut de son approbation
expresse ou tacite, prouver que l'expéditeur avait le droit de
l'engager. Hors ces cas exceptionn els, en l'absence de toute
con~entio.n particulière ou de toute reconnaissance de la par l du
destinataire procédant d'un fai t d'exécution ou de toute autre
cause, il n'y a pas lieu de régler la question par les dispositions
de l'article 101 du Code de commerce. La mention de la livraison
à. domicile faite s.nr 1.es feuil.les d'expédition par la. compagnie
1
d accord avec 1 expéditeur, n est alors qu'une simple indication
de la volonté présumée du destinataire, indication qui autorise
la ~ompagnie à présenter la marchandise à domicile, mais qui
devient sans effet par la manifestation de la volonté contraire
lorsque le destinataire a fait connaitre en temps opportun so~
intention de recevoir ou de faire recevoir la marchandise à la
gare ; l'article 52 du cahier des charges recouvre alors toute son
autorité.
Il nous semble qu'il faut aller plus loin que la Cour de Cassation
et admettre d'une manière absolue le droit du destinataire. Les
termes de l'article 52 du cahier des charges résistent à tou te espèce
de dislinction.
Lors mème que l'expéditeur aurait reçu mandat du destinataire
à l'efîet de règler les conditions du transport, il ne saurait faire
perdre le bénéfice de cette disposition réglementaire: obligatoire
dans tous les cas pour les compagnies. Il serait, en outre, bien dan
gereux de donner au transporteur le droit de s' immiscer da ns les
rapports entre expéditeurs et destinataires; il n'a pas à savoir
pour comple de qui voyage la march3ndise.
Mais s i en pratique, les restrictions formulées par la Cour de
Cassation devraient abou tir à des conséquences inadmissibles, en
droil, elles ne sauraient se jus tiOer.
L'expéditeur conser\'e loujours la faculté de révoquer le mandat
�- .uso donné aux compagnies, à cette condition, que nous avons démontrée précédemment, d'être encore nanti de tous les titres délivrés
par la compagnie ; il demeure libre, pour une marchandise
expédiée en port payé jusqu'à domicile, de demander à faire le
camionnage à l'arrivée. Lorsque le destinataire devient partie au
contrat de transport, il peut, comme l'expédi teur dont il acquiert
tous les droits, en exiger l'exécution partielle ou totale, et arrêter
les marchandises en cours de route, sans avoir à supporter autre
chose que les frais du transpor t effectué. S'il importe à l'expéditeur que sa marchandise arrive jusqu'à la destination qu' il a
indiquée, il doit subir les conséquences du choix qu'il a fait de
ce destinataire ; la compagnie est tenue de recevoir les instmclions de ce dernier, elle est libérée en s'y conformant.
Ces principes·nous conduisent à la solution d'une question qui
se présente quand le destinataire demande à recevoir en gare des
marchandises dont l'expéditeur a payé le transport j usqu'à domicile; à qui la compagnie doit-elle tenir compte du coùt de ce camionnage qu'elle ne fait pas? li paraitrait équitable que ce fut à
l'expéditeur qui a fait les déboursés. Celui-ci est peut-être propriétaire de la marchandise qu'il a expédiée à un commissionnaire
vendeur; les tarifs de camionnage n'ont donc plus lieu de servir
au règlement de ses comptes s i la livraison a eu lieu en gare, et il
a intérêtà connaltre ce qui se passe à l'arrivée. C'est à lui du reste
qui a payé,qu'appartient l'action en r estitution de l'indu. Quoi qu' il
en soit, le destinataire ayant toutes les actions nées du contrat de
transport, les compagnies ne peuvent lui refuser le remboursement du camionnage qu'elles n'efTectuent pas.
Lorsque le destinataire prend livra ison des colis, il doit émarger
les registres de la compagnie; ces registres portent le nom de
r egistres d'arrivage quand les marchandises sont prises à la gare,
registres de factage ou de cam ionnage quand elles sont remises à
domicile.
La compagnie, par cet émargement, acquiert le moyen d'établir
~u'elle est dé~har~ée des colis et qu'elle a accompli ses obligat'.ons ; ~e destmataire ne peut lui refuser ce titre qui constate sa
hb~ratwn . E.n principe, de même que tou t créuncier qui retire une
qulltance doit en s upporter les frais, les ~ompagnies devraient
-
HH -
garder à leur charge le timbre de 10 centimes imposé par les articles Hl et 20 de . la loi du 23 août 187 l . Il en a été ainsi J·usqu'a u x
lois. des 28 février 1872 et 30 n:ars 1872. Elles ont décidé que le
droit d e déchar~e de 10 c:nllmes créé par la loi de 187 1 pour
const~ter la remise des obj ets serait réuni à la taxe due pour les
récé~1ssé~ et leltres de voiture et le font ainsi supporter par les
destma ta1res.
Enfin le. dest.in~taire doit, avant do prendre livraison, que la
marchandise soit livrable en gare ou à domicile, payer le montant
des frais de transport ou autres dont elle est grevée . Ces frais
comprennent le prix du transport sur le chemin de fer les frais
accessoires d'enregis trement, de manutention, de pesacr~ et s'il
·
d e factage, de camionnage ou de" réexpédi'
Y
a r1eu, de magasrnage,
tion, les droits d'octroi. s'il en a été avancé, les droits de Limbre
du récépissé ou de la lettre de voiture et les sommes qui ont suivi
en débours . ou en remboursement. L'expéditeur peut au départ
payer le prix du transport à l'avance ou le mettre à la charge du
destinataire, mais il en reste toujours personnellement débiteur
dans le cas où le destinataire serait insolvable ou refuserait d~
payer ; les compagnies ont con tre chacun d'eux une action solida ire.
Le paiement des frais de transport éteint les droits nés du
contrat de transport au profit des compagnies, de même que la
livraison des marchandises au destinataire met fin à leurs obligations. Mais il peut arriver, étant donné la multiplicité, la mobilité
etla complication des tarifs, qu'une erreur , a it été commise dans
la fixation ou dans la perception du prix du transport. Du caractère obligatoire des tarifs, qui est, comme nous l'avons vu en
traitant des principe:::; généraux qui les régissent, la conséquence
nécessaire de l'homologation, il résulte que toute erreur d'applica tion, soit au préjudice des compagnies, soit au préjudice des expéditeurs ou destinataires, rloit être réparée. Que l'erreur provienne
d'une faute de calcul ou de la perception du prix d'un tarif inapplicable à la marchandise, il y a ouverture au profit des deux parties de l'action en répétition de l'ind ex.
Cependant tout en r econnaissan t aux compagnies le droit de
réclamer des suppléments de taxe, quelques tribunaux ont essayé
�-
i 52 -
de paralyser leur droit en les condamnant, par. application de l'article 138'2 du Code civil à des dommages-intérêts. Quand une
compagnie de chemin de fer, disent l e~ ju g~ments, a ~ndiqué. à ut~
commerçant w1 prix pour le transport mférieur à celui du tanf qui
devait être appliqué à la marchandise, celui-ci a pu croire que ce prix
était réellement celui qu'il aurait à payer et a dû nécessairement
eu tenir compte pour opérel' ses achats ou Yen tes. La compagnie
en l'induisant en errem lui a causé un préjudice, et en répara tion
doit être tenue de lui payer à titre de tlommages-intérèts, le supplément de taxe qu'elle est en droit de lui réclamer. La Cour do
cassation n'a pas admis cette doctrine. Nul n'est censé ignorer
la loi et les tarifs sont la loi du public. Ils sont soumis à une
publicité permanente dans les gares qui permet au .public, de les
connaitre aussi bien que les employés tles compagmes. L erreur,
si elle a été commise, est commune aux expéd iteurs et aux agents
et ne peut entrainer aucune responsabilité (Cour de Cassation,
15 juin 1875.) (1 ).
La question ne fait pas doute non plus pour l'action en détaxe
intentée contre Les compagnies, quanti l'erreur a été r econnue
avant que le destinataire ait pris livraison. Quand, au contraire, il
y a eu tout a la fois réception des objets transportés et paiement
du prix de la voiture, L'article 105 du Code cle commerce déclare
éteinte toute action contre le voiturier. Nous fixerons nu chapitre
sur les prescriptions et ûnsde non recevoir, la parlée de cet article,
quand il est oppos0 à une demande en rectification de taxe. Si la
marchandise avait voyagé en port payé, l'action en détaxe appartiendrait à la fois à l'expéditeur et au tlestinatail'e et pourrait être
exercée par l'un ou par l'autre indifféremment.
Y. -
PRI\ ILHCiB Dl!S C:Oi\ll'AG NIES
La loi s'est préoccupée clc protéger l'industrie des transpor ts si
nécessaire au commerce cl si indispem;ahlc à la richesse p11bl iq11e,
et pour assu rer au voiturier le paiement du prix du transport et
(1) Ualloz lb7G T 314
-
H>3 -
lui garantir la rémunération de ses services et de sa responsabilité, l'article 2102 du Code civil lui reconnait un privilége sur les
objets qu'il a transportés. « les créances privilégiées sur certains
meubles sont : 6' les frais de voiture et les dépenses accessoires
sur la chose voiturée. » Pour exercer son privilége, le voiturier
a un droit de rétention sur les objets transportés. C'est ce qui
résulte de l'article 106 du Code de Commerce: « La vente des objets
transportés peut ètre ordonnée en fa\'(~ur des voituriers jusqu'à
concurrence des prix de la voiture . »
De ce qu'il existe un cirait de rétention, faut-il conclure que le
privilége n'existe que lorsque le voiturier est encore en possession
des objets Yoiturés ·~ Cette question a été Yivement discutée en
doctrine, elle se réduit à examiner si le privilége est fondé sur
une idée de plus-value ou de constitution tacite du gage
Pour décider que le privilége subsiste après la linaison et peut
encore être exercé, lorsque les circonstances permettent df'
retrouver la marchandise, on soutient qu'un priYilége est accordé
au voiturier comme reprc'.!sentation cle la plus-Yalue quïl a donnée
aux marchandises en Les amenant dans un lieu où elles se Yendront
plus cher que dans le pays de production ou cl'entrepùt. Il en est
tellement ainsi, qu':rnx termes des articles 306 et 307 du Code de
commerce, le capi taine conscn·e pendant quinze jour::; son priYilége sur les marchandises qu'i l a lh rées, si elles n'ont pas passe
en mains tierces. Il est certni11 que si le pri\'ilége du trnnsporteur
avait sa source dans un nantissement présumé, l'ordonnance cle
marine dont le Code de co1nmercc n·est que la reproduction. 1i'eùt
pas fait survi\Te le pri\'ilégc a la possession des marchandises
Telle est l'op inion de Troplong, Pnuiléye1> et hy11othèfJucs, T. I.
n· 207 et de Pardessus, D1·ott commercial, T IV, n• 1207. u Le
voiturier, dit ce dernier auteur, ne perd pas son priYilége par le
seul fait qu ïl se serait dessaisi, s'il :l a~i pour la conservation dl•
son droi t tians le bref délai que l'usage seul peut déterminer,
selon la nature <les chose-; transportées. On ne peul , en cfîel,
exige r qu'il réclame a lïnstaut son paiement et le frapper de
déchéance pour œ tte omission: les con\'enances lui commandent
quelques égards, les circonstances c:-.igent quelques délais, et la
nécessité des Yfrif1catio11s ne permet pas 11u'on Le pa1i; ;l l'ins-
�-
-
(54 -
ffit seulement de faire observer que s i déjà une partie de
tant · 11 su
· d déb't
la chose frappée de ce gage était sortie des mams u
1 eur, .ce
ui en resterait répondrail de la totalité de la dette. » Potl'uer
~dmettait aussi que le priviloge clu ,·oiturier existe enc~re après la
th-raison, tout en le faisant primer dans ce cas par celm du. maitre
ct'hùtel: « Les voituriers qui ont voituré des marc~1and1ses ont
pour ce qui leur est dù un privilége sur ces marchandises p~ndant
le temps que dure leur travail, mais Jorsqne les marchandises ne
s en leur possession ou qu'elles se trouvent être dans la
w nt Plu
'd
maison de leur débiteur, leur privilége ne va qu'après celui u
maitre d'hôtel. l) P rocédur·e ci 1nïe Partie IV. Cha p Il. Article 7,
§ 2.
.
.
.
Cette solution, selon nous, ne doit pas être admise. Il n est pas
exact de dire que la marchandise acquiert dans tous l ~ cas une
plus-value par suite du transport, le contraire peut ~rnver : ~t en
admettant cette plus-value, ou trouve-t-on dans la 101 le pnv1lége
établi pour les frais d'amélioration d'une chose mobilière? Les
frais faits pour la conservation sont seuls privilégiés. Le privilége résulte donc d'une constitution de gage et ne dure qu'autant
que le voiturier demeure en possession des objets. La disposition
de l'article 307 est une faveur toute spéciale au capitaine de
navire, c'est une exception à la règle générale de l'article 2076 du
Code civil, destinée à assurer en matière de transports par mer le
prompt déchargement des navires . Le capitaine ne peut faute de
paiement de son fret reteni r la marchandise. JI fallait à côté de
cette dépossession lui assurer l'exercice de son pri vilége pendant
ce délai modéré, que la loi du reste limite à la quinzaine après la
délivrance. Aucune limitation de ce genre n'exis te pour le privilége du voiturier, il faudrait donc ou le restreindre arbitrairement,
ou décider qu' il durerait trente ans, ce qui sera it une anomalie. Le
voiturier jouit d'un droit de rétention sur les colis qu'il a transportés. Sïl les remet au deslinatai re, il fait confiance personnelle
à ce dernier , il r enonce à la garantie que la loi lui donne et se
trouve dans la situation d'un créancior ordinaire. Telle est la
décision d'une juris prudence constante.
Le voiturier n'a de privilége s ur la chose qu'il transporte que
pour le prix du transport même de cette chose; il ne pourrait donc
USts -
exiger d'être payé s ur les derniers objets voiturés du prix de
transports antérieurs qui lui seraient dus pour des marchandises
précédemment livrées au mrme destinataire.
Mais il peut arriver qu'un voiturier s'engage à faire tous les
transports d'un expéditeur pendant une certaine période. Faut-il
considérer tous ces transports successifs comme l'exécution d' un
seul et même contra t et non comme des opérations distinctes, et
décider qu'à un moment don né le voiturier pourra exercer son privilége pour toute l'opération sans faire de distinction entre les
frais concernant les marchandises déjà livrées et celles dont le
voiturier est encore nanti ? La Cour de Cassation s'est nettement
prononcée pour la négative dans un arrêt du 3 février 1849 (1) qui
inaugure une jurisprudence nouvelle mais conforme aux principes . En matière de priviléges, la volonté des parties est impuissante a créer ou à éteindre des priviléges; ils sont de droit étroit
et la loi seule peut les établir. Peu importe dès lors que dans
l'intention des parties les transports ne soient que le fractionnement
d'une opération unique; le privilége ne s'étend pas à tous les frais
du transport. La natut'C du pri\•ilége du voiturier répugne à ce
caractère de générali té, il résulte d' un fait prévu par la loi, le fait
du transport est clone seul à considérer .
(t) Dalloz, 1849. l. 156.
�-
Hl6 -
CHAPITRE IV
TfiA~SPORTS EN mmoRS DE LI\ VOIE FERRÉE.
-
Toutefois les expéditeurs el destinataires resteront liures ù~
faire eux-mêmes et :1 leurs frais le factage et le camionnage des
marchandises. n
Le factage est le transport <les marchandises expédiées en
grande vitesse cntrn une gal'e et uu lieu ùe deslination situé ùans 1~
rayon da l'oclroi d'une ville, ou ùans une ville de plus de 5000 habitants dis tan le de la ga l'C de moins de 5 kilomètres. Ce transport
prend le nom de cam ionnage quand il s'agit de marchandil;es
expédiées en petite vitesse.
Le transport en dehors des limites fixées par l'article 52 prend
le nom de réexpédition.
1. -
Les obligations des compagnies de chemins de fer s'étendent
dans certains cas au transport des marchandises en dehors de la
voie ferrée. Les gares sont situées en gén6ral à une certaine distance des domiciles des exp6dilours ou des destinataires, l'autoril6 publique s'est occupée de régler les rapports des compagnies
et du public en ce qui concerne les transports accessoires du
voyage, au delà des points oü la voie ferrée commence et finit.
Le factage et Je camionnage font l'objet de l'article 52 du cahier
des charges ainsi conçu :
u La compagnie sera tenue de faire, soit par elle-même, soit
par un intermédiaire dont elle répondra, le factage et le camionna"'e
au domicile des destinataires de toutes les marchandises qui
0
lui sont confiées.
Lefactage et le camionnagcnescronl point obligatoiresen dehors
du rayon de l'octroi , non plus que pour les gares qui desserviraient
une population agglomérée de 5000 habitants, soit un centre de
population de 5000 habitants situé à plus de cinq l<ilomètrcs de ln
gare du chemin de fer.
Les tarifs à percevoir seront fi xés par !'Administration sur la
proposition de la compagnie. Ils seront applicables à tout le monde
sans distinction .
H>7 -
DU F \ C'l'AGE ET DU CA:UIONXAGE.
L'enlèvement des colis au domicile des expéditeurs est entièrement facultatif pour les compagnies. Le cahier des charges est
absolument muet sur cc point; les expéditeurs sont donc tenus en
principe de faire porter leurs marchandises à la gare de départ .
La question ne pouvait faire doute el la jurisprudence s'est nettement prononcée clans ce sens (Cassation, 15 juillet 18ï4) (1).
Cependant partout oü est organisé un service de factage ou ùe
carnionnage, les mat'Chandises, sur la demande de! 'expéditeur, sont
prises à dom icile. Les tarifs ùe camionnage fixent les delais supplémentaires à accorder aux compagnies pour ie camionnage des
marchandises à prendre à domicile Les compagnies établissent
aussi quelquefois dans l'intérieur cles yiJles des bureaux particuliers pour la rt:!ceplion et l'expédition des marchandises Ces
bureaux sont des succursales des gares, ils opèrent comme
elles, et les délais réglementaires pour les diverses opfrations
préliminaires du transpMt. sont ceux de la gare mème.
Il n'est pas possible d'accorder au:-. compagnies un dt:!lai üe
camionnage pour les mal'chandises déposées dans lcul' bureau de
(1) Lamée l~leurv. 1871. p 'tl5
�-
t58 -
ville, qui ne peuvent à aucun point de vue être assimilés aux
domiciles des expéditeurs. Les délais sont prévus pour un cas
déterminé; en pareille matière tout esl de droit étroit, et il
ne peuvent ètre étendus par analogie. (Cassation, 24 mai
1869) (1).
On a contesté aux compagnies de chemins de fer le dro it d'organiser pour l'enlèvement des marchandises au domicile des
expéditeurs des services de factage et de camionnage et d'établir
dans l'intérieur des villes, des bureaux d'expédition. Mais rien ne
saurait justifier cette prétention. Le monopole des compagnies
pour l'exploitation de la YOie de fer ne fait pas obstacle à ce
qu'elles se livrent à tout autre trafic en dehors de cette voie. La
liberté du commerce est d'ordre public et aucune disposition de
la loi n'interdit aux compagnies de j ouir du droit commun. Aussi
la jurisprudence s'est- elle prononcée pour la légalité de la
création de ces services et de ces bureaux de ville. (C. Amiens, 21
janvier 1853). (2)
Le factage et le camionnage au déparl constituant des entreprises
libres, il semblerait que les compagnies sont libres de se passer
de l'homologation ministérielle et de discuter les prix avec les
expéditeurs. Cependant, et avec raison, la Cour de Cassation
(arrêt du 20 mai 1865) (3), a consacré le droit de l'administration
à fixer les tarifs des frais de faclage el de camionnage, que ces
opérations soient facultatiYes ou obligatoires.
L'obligation pour les compagnies de faire approuver ces tarifs
resso1·t non seulement des termes généraux et formels de l'article
44, du règlement de 1846 : u aucune taxe de quelque nature
qu'elle soit ne pourra être perçue par la compagnie qu'en vertu
d'une homologation du ministre des travaux publics » ; mais
aussi de l'article 52 § 2 du cahier des charges. La nécessité de
l'homologation ministérielle r ésulte de la nature même de l'exploitation confiée aux compagnies, car les compagnies avec lu
faculté de hausser ou de baisser à leur gré les tarifs des services
facultatifs, pourraient, par un abaissement de tarifs, ruiner la
concurrence et revenil' ensuite à des tarifs élevés au préjudice des
intérêts du commerce.
Quant au factage et au camionnage de la gare d'arrivée au
domicile du destinataire, il résulte de l'article 52 du cahier des
charges, qu' ils sont, dans certaines limites et pour certaines localités, obligaloires pour les compagnies.
D'autre part le mème article porte que les expéditeurs et les
destinataires peuvent faire eux-mêmes le factage et le camionnage
de leurs marchandises et qu'ils ne sont pas obligés de les laisser
faire par les compagnies de chemins de fer.
Comment concilier ces deux principes en l'absence de toute
menlion de livraison en gare ou à domicile sur la tléclaratiou
d'expédition ? Quelle est de ces deux dispositions absolues celle
qu'il faut considérer comme établissant une règle générale. Les
compagnies doivent-elles transporter ces marchandises à domicile, à moins que l'expéditeur n'ait expressément stipulé la
li vraison en gare, ou au contraire les garder en gare dans le
silence du contrat à cel égard '? La Cour de Cassation, dans u11
arrêt du 27 juillet t852 (1), avait admis que la li\Traison en gare
est la règle el la livraison à domicile l'exception; la li\Taison
devait donc avoir li eu en gare toutes les fois que l'expéditeur
n'avait pas demandé qu'elle fùt faite à domicile.
Aujourd'llui celte question ne peut plus être discutée en présence des ùisposiLions des tarifs généraux qui décident que la
déclaration d'expé<lition ùoil toujours porter la mention liHable
a domicile ou en gare et qu'en l'ahsence ùe cette mention, la marchandise sera portée ü Jolllicile si elle a été expédiée en grande
vitesse et sera gardée en gare si elle a été expédiée en petite
vitesse.
La combinaison ùe 0es deux dispositions ùe l'article 5~ du
callier <les charges a ùonnè lieu à tles ùifficultds quan<l la uiarchandise ayant été expédiée à domicile, le destinataire signille a
la compagnie qu'il veul retirer ses marchandises à la gare. ous
(1) Dalloz, 1869. 1. 275.
(2) Dalloz, 1854. 2. 2'21.
(3) Lamée-Fleury, Codi; annot e p. 341.
i59 -
(1) IJnlloz, Jlij':!, l '!26.
�- rno ne reviendrons pas sut· cette question crue nous ayons tra itée à
propos des obl igations des des tinataires.
Quand les compagnies de chemins de fer ont orgnnisé un service
de camionnage soit pour exécuter les prescriptions du cabiel' des
charges, soit pour étendre ou développer leurs opérations de transport, il est naturel qu'elles cherchent à prendre des mesures pour
favoriser leur exploitation pe1·sounelle au préjudice des en treprises Lie mème naturn qui leur font concurrence. En général, les camionneurs des compagnies sont a utol'isés à entrer
dans les garns, soit avant, soit après les heures réglementaires de
formeture : il en résulte que les marchandises confiées à ces
camionneurs sont expéd iées plus rapidement, et arrivent plus lùt
en ville et sur les marchés que celles apportées par les camionneurs étrangers. Il peut en résul Ler pour ceux-ci une source de
préjudice et les Tribunaux ont eu à maintes reprises l'occasion de
se prononcer sur des demandes en dommages-intérêts dirigées
contre des compagnies de chemins de fer à raison de faveurs consenties à leurs camionneurs particuliers.
Certains Tribunaux de commerce, el en particulier le Tribunal
de commerce de la Seine, décident <l'une manière absolue que les
compagnies ne pem' ent déroger aux principes d'égalité qu'ell es
sont tenues d'appliquer et qu'elles sont passibles de dommagesintérèts toutes les fois qu'elles n'adme ltenL pas les camionncul's
étrangers clans les gares, aux mêmes heures que leurs propres
camionneurs (Tribunal de commerce ùe la Seine, 1 juin 1870.) (1).
La jurisprudence des cours d'appel et de la Cour de Cassation,
Lrès juridique et très juste, fait une distinction en tre le factage au
départ et à l'arrivée, dis tinction basée sur le caractère facu ltatif ou
obligatoire de ces deux services.
Quand les compagnies fon t camionner moyennant les taxes d'un
tarifsomnis à l'homologation ministérielle, soit par les agents, soit
par des intermédiaires dont elles sont garantes, les marchandises
de la gare d'arrivée au domicile des destinataires elles exécu' charges, et
lent les prescriptions impératives, de leur cahier des
ne peuvent être assimil ées aux camionneurs ordina ires auxquels
(1) Dalloz
-
i61 -
11' incombe~1t pas les cllarges d'un service public. Les compagnies
sont so ~m1ses à la dou~le obligation de satisfaire aux exigences
~u servie~ quels que s.01t le nombre et l'importance des expéditions, ~t cl autr~ part cl obser ver les clauses du tarif, quelque onéreuses quelles puissent Ctre dans certaines circonstances. Elles remplissent donc leurs obligations de compagnies de chemins de fer
el elles doivent pouvo ir se prévaloir des priviléges de leur monopole puisqu'elles en subissent les conditions. Elles sont donc libres
d'ouvrir à toute heure leurs gares à leur camionneurs alors
~u'el_' es ap~liqu~nt aux entreprises libres les prescriptions de
1arrelé m1mslénel sur les heures de fermeture et d'ouverture des
gares.
On peut aussi invoquer cet argument que les délais de camionnage s'ajoutent aux délais de transport, et que le délai total est
seul ob ligato iee. La cou1pagnie en retard pour le transport sur la
voie ferrée doit avoir la faculté d'effectuer rapidement son camionnage pour effectuer la livraison tians les délais réglementaires.
Lorsque les compagnies, au contraire, camionnent les marchandises ùu domicile <le l'cxpéù iteur à la gar e de départ, elles agissent
en qualité d'entreprises particulières, puisque ce service est eu
dehors des obligations qui leur sont imposées par le cahier des
charges. Ellesnesauraienl donc consentir des faveurs qui auraient
pour résul tat d'anëantir la libre concurrence du camionnage. Les
compagnies en aùu1ettant les camionneurs dans les gares avant les
heures réglementaires se lrou\'eraient accorder un tour de faveur
aux marchandises apportées par eux, puisque les expéditions sont
faites Jans les Jeux j ours qui suivent la remise en (Tare et d'après
t>
l'
ordre des numéros d'enregistrement, et violeraient ainsi le principe de l'égalité des tarifs. (Cour de Montpellier, 11 a\•ril 1862, et
Cassation 30 mars 18.ô3.) ( 1).
(1) Oalloz ltl63. I. 171>.
llrn. 'l. 7:J
JI
�-
II. -
-
162 -
RKEXPÉDITIO~.
La réexpédition, nous l"avons Jit, est le transport des marchandises en dehors des limites du factage et du camionnage, elle
n'est jamais obligatoire pour les compagnies de chemins de
fer.
Cependant les compagnies organisent d'ordinaire un service de
correspondance ou de réexpédition pour l'enlèvement des marchandises au domicile de l'expéditeur, et pour la remise des marchandises au domicile du destinataire. Elles eŒectuent ces opérations elles-mêmes en passant des traités avec des entrepreneurs.
Dès que le service est organisé, le transport au domicile du destinataire des colis livrables à domicile de\"ient obligatoil'e pour la
compagnie.
Ici se présente la question que nous a\'ons déjà discutée à propos du factage et du camionnage. Une compagnie qui a passé un
trailé, dûment homologué, avec un entrepreneur, ou qui fait ellemême le service de la réexpédition reçoit des marchandises adressées au domicile du deslinataire; celui-ci aura-t-il le droit de les
retirer à la gare et de signiûer à la compagnie qu'elle ait à s'abstenir du transport en dehors de son réseau.
Nous ne rencontrons pas ici de texte; l'article 52 du cahier des
charges qui nous avait permis de trancher la difficulté est spécial
au factage et au camionnage, aussi certains auteurs n'hésitent-ils
pas à refuser au destinataire le droit de retirer ses marchandises
en gare, par application des règles du droit comu1un. Le destinataire est lié par la co1wention passée enlre l'expéditeur et la compagnie et ne peut la modifier ou en supprimer une clause. (Duverdy,
Traitédel'application des tarifs n· 279) .
La Cour de Cassa lion s'est prononcée pour l'opinion contraire en
étendant à la rtexpédition l'article 52 ùu cahier des cbarges.
L'article dit en termes fonncls que les desLinataires resteront
libres de faire eux-mê1nes Je l'aclagc cl le camio1rnagc de leurs
marchandises: cette disposiLion, d'après la Cour supreme, est
f63 -
générale et ex.clusive de toute distinction soit quant à la nature du
service qui serait chargé du transport, soit quant à Ja distance à
parcourir. Elle doit être entendue en ce sens avec d'autant plus
de raison que l'on ne saurait admettre que les destinataires ayant
droit de retirer leurs marchandises de la gare, quand le camionnage est obligatoire pour la compagnie, perdissent ce droit quand
le camionnage de la compagnie est purement facultatif. (Cassation.
26 mars 1866). (1).
Les trailés que les compagnies peuvent faire avec des entrepreneurs pour la réexpédition des marcllandises sont soumis à l'homologation ministérielle et régis par les dispositions de l'article 53
du cahier des charges. A moins d'une autorisation spéciale de
l'administration, il est interdit aux compagnies de faire directement ou indirectement a\'eC des entreprises de transport de
voyageurs ou de marchandises par tene el par eau, sous quelque
dénomination ou forme que cc puisse être, des arrangements qui
ne seraient pas consentis en faveur de toutes les entreprises desservant les mêmes voies de communication.
Les compagnies en principe doivent assurer les mêmes avantages et le mème trnitement à Lous les entrepreneurs desservant la
même route. Par conséquent, s'il n'existe pas de traité particulier,
les compagnies ne peuvent, à moins que la route ne soit desservie
par une seule entreprise de transport, remettre les marchandises
livrables à domicile à un entreprenem· plutùt qu'à w1 autre. Si
l'expéditeur n'a pas inJiqué lui-même l'entrepreneur, les compagnies doivent envoyer une lellre d'avis au destinataire pour le
mettrn en demeure de ùésigner l'entrepreneur qu'il \•eut cllarger
de la réexpédition.
Si elles veulent, au contraire, accorder ü un seul le bénétice d'un
traité de réexpédition, elles doi\•ent ol>teuir l'homologation ministérielle. Celte approbation ùoit être préalable et formelle, il ne
suffirait pas d'un simple communiqué et le caractère délictueux de
l'exécution anlicipéc ne serait pas effacé par une autorisation Jannée après coup. Dès que le traill: a été passé el revêtu de l'approbation administrative, l'enlrcprcncur signataire a seul droit au
(1) Dalloz, 1866. I. U9.
�-
16i - ·
bénéfice de ce traité el les compagnies sonl tenues de ne reme tlre
qu'àeux les colis qui son l expédiés livrables à domici le. Mais il est
interdit aux compagnies de consentir à leurs entrepreneu rs polll'
lesmarcbandises qu'ils transportent, des réductions de larif sui·
le parcours de la voie ferrée. Elles violeraient le principe de
l'égalité des taxes et les entreprises de transport riva les seraient
fondées à se plaindre mème d'un trait6 de réexpédition revêtu
de l'homologation ministérielle.
Quand la compagnie admet tous les entrepreneurs de transport
au bénéfice du traité passé avec l'un d'eux, elle n'est pas oLligéc
de faire approuver ce traité par le Ministre , elle peut se contenter
Je le communiquer . Certaines décisions de jurisprudence, qui nous
paraissent excessh'es et contraires aux textes qui régissent les
transports par chemin de fer, ont décidé que dans ce cas les compagnies devraient non-seulement accorder l'admission anx entrepreneurs, mais même leur faire connaitre les conditions des traités
pour l es mettre en mesure d'en bénéficier. On a redouté que la loi
ne pùt être facilement éludée et on a voulu protéger l'industrie
contre des arrangements qu'elle pouvait ignorer.
Qu'est-ce que les entreprises de lransporls par terre et par
eau? Certains commissionnaires de transport avaient revendiqué
le bénéfice des dispositions de l'article 53 du Cahier des Charges.
Leur prétention a été condamnée, le texte et l'esprit dn Cah ier des
Charges répugnent à cette exlension. Les entreprises ùe transport
proprement dites, qu'elles fonctionnent sur les routes de terre, les
neuves ou les canaux, ont seules le droit d'e:...cipcr de ces dispositions (Cour de Paris, 20 décembre l868) (1).
L'interprétation des ternies de !'articles 53, «mêmes Yoies de
communicalion, » a donné lieu à des con testations nombreuses. Il
faut décider, avec la Cour de Cassation (28 juin 1851) (2), que les
r:tlOlsn'tèmes voies de communication doivents'entendre des mêmes
aboutissants du chemin de fer. Les entreprises desservant la
même roule seront donc celles faisant le sen·ice entre une même
Jocalilé voisine et la i.nème station de cl1cmin de for . Peu impor(1) Dalloz, 1871. J. J 111
(2) Dalloz. 1851. 1. 329
-
i65 -
tarait que l'une des deux enlreprises fût en même temps entrepreneur de transports à partir d'une localité plus éloignée située
sur la voie ferrée. n faudrait faire abstraction de celte partie du
transport effectuée par les 10oyens de la compagnie bien que
l'entrepreneur en demeure personnellement responsable, c'est le
trajet sur la voie de ter re qu'il faut seul considérer (Orléans, 22
décembre 185 1) (l ).
La question s'était présentée sous l'empire de la loi du 15 juillet
1845. L'article 14, dont l'article 53 du Cahier des charges n'es t que
la reproduction, portait les mots: «mêmes routes, » qui se trouvent
remplacés dans l'article 53 par les mots « mêmes voies de communication » mais celle substitution n'a été qu'une correction
grammaLicale, car les mots routes faisant partie du texte qui Yise
les entrepreneurs de transport par terre et par eau ayaient légalement Je même sens que l'expression du Cahier des charges.
ï deux entreprises de transport ont pour point de départ une
même station, mais que l'une s'arrête clans une ville Yoisine,
tandis que l'autre poursuit ses transports au- delà, il faut décider
qu'elles ne desservent pas la même route au sens de la loi (Tribunal de la Seine, 16 févl'ier J853). (2) Il n ·~· a pas non plus identi té de routes si deux en trepreneurs partant d'une mème localité
arrivent à deux stations différentes de la même ligne de chemin
de fer (Cour de Rouen, 3 mars 1853) (3).
L'application des principes de l'article 53 dans une espèce où il
s'agissait de réexpédition par \'Oie de mer et du privilége réclamé
par des étrangers, a soulevé des discussions très intéressantes.
Voici les faits : La compagnie du Midi, prenant charge à Cette des
marchandises pro\ enant de la Méditerranée et à destination tle
l'Angleterre, an1it pas~é ayec un sieur Lindrny un traité pour la
réexpédi tion de marchnnclises de Bordeaux à Londres et réciproquement. Un sieur Hohinson , nrmatcnr anglais et son représentant à Bordeaux, un sieur Albrccht: de nntionalité saxonne, tous
deux entrepreneurs de Londres à Bordeaux, sans domicile auto(1) Dal! oz, 1854. 5 . 51(1
(2) l e nroit HIS:l. '\• ~~
(:1) Le D,.ott 18:>3. '\ tiO
�-
risé en France, n'ayant pas élé admis par la compagnie du Midi
aux bénéfices du traité accordé à leur concurrent, intentèrent à la
compagnie du Midi une aclion en clommages-inlérêts en invoquant
l'article 53 du Gabier des charges.
li s'agissait de décider si la disposition de l'article 53 découle du
droit des gens et si des étrangers peuvent s'en prévaloir et ensuite,
si cette prescription n'a pas le caractère d'une loi de polic;e obligeant et protégeant indistinctement tous ceux qui habitent le territoire. Un arrêt de la Cour de Bordeaux du 28 juillet 18G3, réformant un jugement du Tribunal de commerce de cette ville du 1!l
février 1863, avait admis que l'article 53 procédait uniquement de
la loi civile ayant pour but la protection de l'industrie nationale, et
que les entreprises étrangères devaient être exclues des avantages qu'une compagnie française n'avait cru devoir accorder qu'à
l'une d'elles. La Cour reconnaissait bien que cette disposition
ayant une sanction pénale, conlenait une prescription de police,
mais une prescription de police ayant pour objet un droit qui
dérive du droit civil. L'action civile qui nait de son infraction devait
donc être subordonnée aux conditions exigées par la loi à l'égard
des étrangers. Cette théorie n'était pas nouvelle. Les articles 5 et 6
de la loi du 23 juin 1857 ont dù consacrer formellement le droit
pour les étrangers de poursuivre les fabricants français qui usurperaient leurs inarques de fabrique ou leurs noms sur des produits industriels et avant celte loi on leur refusait le droit d'agir.
La Cour Suprême (3 juillet 1865) (1) a cassé l'arrêt de la Cour
de Bordeaux. Elle décide que les entrepreneurs de nationalité
étrangère sont en droit, comme les Français, d'invoquer le bénéfice et la protection par l'article 53 du Cahier des charges. Cette
disposition n'est que la conséquence du principe qui, relativement au privilége accordé aux chemins de fer, interdit toutes
mesures spéciales de nature à porter préjudice au commerce en
supprimant la concurrence et en opérant par là-même la hausse
ou la baisse des marchandises.
Cette disposition n'ayant en vue que l'intél'êt publiccommerc ial,
est, par suite des princ.ipes clu clroil des gens qui établissent la
lillerté du commerce, applicable aux étrangers.
(IJ Dalloz, 1865. /. 3'17
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{66 -
167 -
L'affaire revint rl cvan l la Cour de Cassation aprl'>s poun·oi
contre l'arrè t du la Cour de renvoi. La compagni e rlu l\Jidi soutenait alors que les disposiLions de l'article 53 ne pouvaient être étendues aux entreprises de transport par mer, car la mer n est pas
une voie de communication, ni à la ~oncurrence qui se pratique
au moyen de navires étrangers, el qui se réalise en pays étranger.
L'arrêt du 27 no,·embre 1867 (1) a tranché toutes ces questions
contre la compagnie. En parlant de transport par eau, dit-elle, le
Cahier des charges entend donner à ces mots le sens le !plus
large et le plus étendu et désigne même les transports par mer.
L'atteinte à la concurrence qni s'exerce même à l'étranger
réagit sur le marché français et du reste la contravention a été
commise sur le territoire français.
Enfin, il n'y a pas à tenir compte de la nationalité des navires,
le Cahier des charges, pas plus 'Jlle l'article 14 de la loi du 15
juillet 1845, ne s'étant préoccupé de cette question, implicitement
résolue, si l'on admet que ce sont des règles du droit des gens, qui
sont ici applica]Jles.
La sanction du principe de l'égalité des services de correspondance ou de réexpédition se trouve dans cette loi de 1845, art. 14,
c't~st la pénalité de l'art. 419 rlu Code pénal. Les traités illégalernent conclus avec des entrepreneurs de transport sont assimilés à
des manœuvres frauduleuses pour opérer la hausse ou la baisse
des denrées ou marchandises au-dessus ou au-dessous des prix
qu'aurait délcrminés la concunencc naturelle et libre du
commerce.
(1) Dalloz. 1869. l. 5'25
�-
i68 -
CHAPITRE Y
DE LA RESPONSABILITÉ DES COUPJ\ONJES.
l. -
DB LA RllSPONS.\DILITft BN GÉNÉRAL .
· Les compagnies doivent veiller à la conser vation des marchandises qu'elles sont chargées de transporter et les livrer en bon
état.
Cette obligation commune aux compagnies de chemins de fer et
ü tous les entrepreneurs de transport est inscrite dans les articles
1782 et 1784 du Code civi l dont l'article 108 du Code de commerce
reproduit les dispositions: « le voiturier est garant de la perte des
objets à transporter hors les cas ùe force majeure, il est garant des
avaries autres que celles qui vien nent du Yice propre de la chose
ou de la force majeure. » Les compagnies sont tenues également de
livrer les marchandises dans les délais impartis par les règlements.
La responsabilité ri es compagnies est engagée dans trois cas .
En cas de retard dans la remise au destina taire
En cas d'avarie.
En cas de perte des objets transportés.
Toujours bien entendu sauf les cas fortuits ou de vice propre, ou
de force majeure, légalemen t constatés.
Tout événement qu'on ne peut ni prévoir, ni cmpècher, est un
cas fortuit ou d·~ force majeu11e.
-
{69 -
Le cas fortuit procède du hasard, la force majeure implique le
fait de l'homme, mais cette difîérence est sans importance au point
de vne juridique et ces deux expressions sont prises indiITéremment l'une pour l'autre Il faut cependant noter que la distinction
pourrait présenter un certain intérêt en ce qui touche la responsabilité du négociant dont les marchandises ont péri.S'il s'agit d'u11
vice propre de la marchandise, le propriétaire répondra des dommages que ce transporteur peut avoir éprouvés par suite de cette
perte, par exemple, en cas de combustion spontanée de coton gras
inexactement déclarés, il pourra être tenu de rembourser Je montant de la valeur du wagon incendié (Cassation, 12 juin 1882j (1).
L'invasion du territoire ou le pillage par l'ennemi, le \'Ol à main
armée ou avec violence, lïnsumsance <le matériel résultant de
réquisitions militaires sont des cas de force majeure. L'inondation
des gares et de la Yoie ferrée, les déraillements causés par la
tempête, l'incendie, la gelée sonl des cas fortuits.
Les compagnies pem·ent étre tenues même du cas fortuit ou de
la force majeure quanù l'accident a été précédé d'une faute qui
leur était imputable. Les voituriers ou commissionnaires, d it un
arrètde la Cour de Metz, dn lOjanvier 1815, sont dans la rnème
classe et catégorie que les dépositaires forcés ou salariés IJUi ne
peuvent exciper du cas fortuit ou de la force majeure qn·autan l
qu'ils justifient qu'il n') a eu ni i111prndence ni négligence ou
inertie de leur part. Les cornpaguies seraient encore respon"ablcs
si après l'événement les secours n·a,•aient été ni assez prompts ni
assez bien organisés.
Lïncendie ne constitue une force 111ajeure que sïl a étè occasionné par un événement purement fortuit, indépendant de toute
faute, de toute imprudence, de toute négligence et qui ne pou\'ait
être ni prévu, ni empêché, c'est à la compagnie quïncombe la
charge de prouver à quelle cause est dû l'incendie, ou tout nu
moins d'établir qu'il est impossible que l'incenùic ait eu pour cause
une faute, une in.1prudence ou une nég ligence ùe sa part 1Cassalion 3juin 1871) (~)
(1) Lamf>e Ii'lcury, ltiSJ, l' 1.\0.
(2) Oalloz. l876. J 37 1
�-
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i70 -
La gelée n'est pas à proprement parler un cas fortuit ou de force
majeure. On peut par <les soins el des précaulions empêcher la
congélation des liquides, mais les soins auxquels peut être tenu
un voiturier, doivent pouvoir se concilier avec l'exercice de son
industrie. Les compagnies pounont être tenues à l'époque des
froids de transporter les marchandises dans des wagons fermés
cl couYer ts, Jeurs obligations ne peuvent aller au delà. L'e1péditeur de son côté doit, dans la saison des froids, prévoir l'abaissement de la température et s'il expédie des marchandises les
protéger par un emballage spécial.
Le vice propre de la chose dégage la responsabilité des compagnies. Il en est de même du défaut, de l'insuffisance ou du mauvais
conditionnement des emball ages.
Le mode spécial de transport choisi par l'expéd ileur, le fait
mëme du transport accompli dans les conditions ordinaires pourront être, pour certaines marchandises, une cause inévitable de
déperdition ou de délérioralion dont ne répond pas le transporleur. Les Tribunaux ont en cette matière un pouvoir souverain
d'appréciation.
En principe,l'insuflisance du matériel ne constitue pas un cas de
force majeure exonérant les compagnies de toute responsabilité en
cas de retard , elles doivent avoir un matériel suffisant pour l'exploitation et répondent de l'encombrement qui pourrait r ésulter d'une
insuffisance de matériel. Cependant si l'événement qui a causé
cette insuffisance était tellement imprévu et accidentel qu'il était
impossible raisonnablement d'y pourvoir a l'avance, ou si la compagnie prouvait qu'elle avait fait toutes diligences pour se mettre
en mesure de faire face aux nécessités des circonstances, elle ne
rlevrail pas être déclarée responsable.
Lorsqu'une compagnie exci pe du vice propre ou de la force
majeure, c'est à elle à en faire la preuve, car l'article 103 du Code
de commerce présume la faute du transporteur. Quant à la preuve
elle pourra être faite par tous les moyens possibles; aucun texte
de loi n'a prescrit de mod e spécial el exclusif ou de délai; il suffit
que le vo iturier fasse la preuve de son exception au moment où il
comparait en justice sur l'action dirigée contre lui.
C'est d'après les principes généraux du doit que se fera l'éva-
i7i -
Juation du dommage causé par perle, avarie ou retard ; l'indemnité représentera donc le préjudice souliert et Le bénéfice manqué.
Il y a retard dans le transport d'une marchandise toutes les fois
que les délais impartis aux compagnies par les arrêtés ministériels sont dépassés. Il n'est pas besoin d'une mise en demeure 1 du
moins pour Les colis livrables à domicile.
Quant aux colis livrables en gare, si l'on admet, aYec la Cour de
Cassation, que les compagnies ne sont pas tenues d'envoyer de
lettres d'avis et doivent seulement les tenir à la disposition des
destinataires, ceux-ci, pour avoir droit à des dommages-intérêts,
devront établir qu'ils se son t présentés en gare pour retirer leurs
marchandises et qu'elles n'ont pu leur être délivrées
Le seul fail du retard ne donne pas droit à des dommages-intérêts indépendamment de tout préjudice causé : il est, en effet, de
principe que toute indernnité suppose un dommage.
Certains tribunaux ont cependant condamné les compagnies
même en l'absence de toute justillcation de dommage; leurs décisions sont constam111ent cassées par la Cour suprême, qui fait
observer, avec raison, que ni les lois générales relaliYes au contrat
de transport, ni les dispositions particulières des lois relath·es
aux chemins de fer, ne portent que le simple retard dans le transport devra entratner, indépendammen t de tqut préjudice souffert,
soit la réduction du prix <l e transport, soit des dommages-intérêts
contre les compagnies (Cassation 8 aoùt 186î). (1)
Quand il s'agit de décider s i la preuve du préjudice est suffisamment rapportée el ùe fixer le quanfom des dommages-intérêts, les tribunaux ont un pouvoir souverain d'appréciation.
Le laissé pour compte peut-il être prononce en cas de retard?
C'est là une mesure exorbitante,el, du reste, en principe, toute obligation de faire se résout en dommages-intérêts, en cas d'inexécution de la part du débiteur. Il y aurait un inconvénient considcrable à obliger les compagnies de se charger de marchandises ùe
toutes sortes qui encombreraient leurs gares et dont elles ne parviendraient i1 se défaire qu"à vil prix. Aussi les décisions Je justice qui ordonnent le laissé pour compte se basent-elles sur ce
(!) Dalloz. 1868. 1. ~u
�-
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i72 -
que, par suite du re tard généralement excessif el des circonstances
particulièr es où ce retard s'était p roduit, la ma rchand ise n'avait
plus aucune valeur pou r le destina taire, ou ne pouvait plus être
utilisée par lui.
En cas de perte, la compagn ie reconnue responsable devra
payer la -raleur de la marchandise perdue et le montan t du gain
qu'elle aurait pu rapporter a ux expéd iteu rs ou destinataires. Mais
cette r ègle de l'article 1140 du code civil se trouYe précisée et
res treinte par les articles 1150 et 1151, aux termes desquels le débiteur n'est tenu que des dommages-intérê ts préY us au moment
du contrat lorsque ce n'est point par son dol que l'obligation n'est
pas exécutée, et même en cas de dol ne peut-il être tenu au delà
de ce qui est la suite directe et imU1édiatc de l'inexécution de la
c01wention.
i l'expéditeur a dissimu lé la nature véritable de son envoi il
ne lui sera dù que la valeur déclarée. La 1compagnie n'a connu
l'étendue de ses risques et de sa respo nsabilité que par la déclaration ; préYenue elle aura it pu prendre des précautions parlicu·lières pour la garde ou la consen·alion des obj ets trausportés.
De même, si la valeur de la marchandise a été indiquée au
départ, la com pagnie sera responsab le de la valeur déclarée à
moins toutefois qu'elle pu isse prouYer que la déclaration de
l'expéditeur était mensongère et que le colis n'a pas la valeur qui
lui a été attribuée par l'expéditeur .
Il y a avarie toutes les fo is que les marchandises ont éprouvé
un ùommage et r.e sont pas livrées au destinataire dans l'état ou
elles ont été remises. Les compagnies, comme nous l'avons vu,
sont présumées les avoir reçues en bon état; cette présomption est
la conséquence du droit qu'elles on t de procéder à la vérification
el il la reconnaissance des colis dont clics prennent charg·e. Elles
pourraient cependant établir que ces détériorations dont se plaint
le destina taire existaient lors de la remise cl s'exonérer de toute
rcsponsabil ilé.
Les destinataires ont aussi le droit cle vérifier les colis à l'arrivée avant d'en prendre li \Taison . Si les compagnies s'opposaien t
à la vérification, elles perdraient le bénéfice de l'article 105 du
code de commerce c1ui déclare éLeinLe toute action contre Je voi·
turier, après la réception cl le paiement de la lettre cle voiture
173 -
présu1nan t que la rnarchanùise est ani\'ée en bon élat lorsqu'aucune réclama tion ne s'est produite antérieurement (Cassation 5 fevrier 1856 (1 ).
La ' 'érificalion préa lable et amiable <1ue peut.faire le destinataire
ne doit pas ètre confondue aYec la vérification par experts de l'article 106 du Code de commerce el les compagnies ne sauraient
s'opposer à celle vérification sous prétexte que la loi décide qu·ên
cas de r efus ou de contestation pour la réception des objets transportés, leur état est Yérifié par experts.
La vérification amiable a pour Lut de reconnaitre s'il y a lieu
d'expertiser. L'interdire au destinataire serait lui imposer pour la
plupart des trans 1JOrts les frais ù'une procédure applicalJle seulement aux cas de contestation. La Cour de Cassation a consacré par
une j urispruùence constante ce droit du de::;tinalaire (Arrê~ <le la
chambre civile ùu lGjanYier 186 1, et du l4 aoùt 1861) (2'
Et il n'y a pas à distinguer entre la Yérification extérieure el la
vérification intérieure llescolis, car l'article 105 s'applique, ù'apn:s
unej urisprudence conslante, aussi bien aux avaries intérieures
qu'aux avaries extérieures.
Les avaries on manquants, une fo is constatés l'évaluation du
dommage esL fai te dans le rapport d'experts qui est soumis au
Tribunal comme élément ù'aPIÙ'éciation.
En principe, l'avarie n'autorise pas le laissé pour co111pte. Les
Tribunaux sont souYerains pour ùéciùe1 en fait si la marchandise
doil être re~ue moyennant indemnité, ou si elle est deY1muc tout à
fait impropre à l'usage auquel elle était primith·ement ùesti11ee.
Il. -
DES CL .\l'SES RP.STRIC'TIYE~ DE L \ RBSPO~SADILITB .
Il n'est pas permis en principe à une compagnie ùe chemin dtl
fer tle stipuler ù 'unc lll::ulièrc absolue qu'elle sera exonérée ùe
tou te responsabilité ft raison Lies transports LJu'elk efTecluc, une
pareille clause Sûrail contraire à l'ordre public.
(Il 'ircy, 185(). l ()1(7
(~) ::lirtJv, l!!lil. l i.> l et lMi2. l. '15
�-
tH-
CependanL si la décharge de garantie csl exigée s ur le vu d'un
emballage ou d·un conditionnement paraissant défectueux ou
insuffisant, les Tribunaux ne doivent pas en cas d'avaries, condamner le transporteur à moins que le destinataire ne puisse
pl'ouver que les avaries ne peuvent être attribuées aux causes
cons tatées au départ.
'Un g1·and nomb re de tarifs spécia ux en échaoge d'une diminution sur les prix de trans port ou de facilités faites aux expéditeurs
e t destinataires pour opérer eu>..-mêmes le chargement ou le
déchargement des wagons con tiennent des cla uses de non garantie,
généralement ainsi conçues : la compagnie ne répond pas des
déchets et avaries de rou te. Des discussions se sont élevées sur le
sens et la portée de cette clause.
Décider que les compagnies sont à l'abri de toute responsabilité
mème lorsque les a,·aries proviennent de leur faute, de leur négligence ou de leur défaut de précaution serait donner à cette clause
une portée contraire au principe inscrit dans l'article 1328 du Code
ci,·il que chacun est responsable de son fait ou de sa faute.
D'autre part, en restreindre les eŒets aux avaries et déchets de
route causés par le mauvais état préexistant des colis, l'absence ou
l'insufilsance d'emballage ou par le mode de transport choisi par
l'expéditeur, si, par exemple, le transpor t a lieu par wagon découvert ou en vrac, serait rendre celte stipulation tout-à-fail inutile.
En eaet, les compagnies, aux termes du droit cowmun, ne pourraient
pas en pareilles circonstances être déclarées responsables, l'avarie
provenant <l'un vice propre.
Entre ces deux systèmes également inadmissibles ayant pour
efîet de rendre cette clause soit illicite, soit inutile, la Cour de
Cassation s'est prononcée pour une interprétation qui donne à la
stipulation <le non garantie une véritable valeur et assure aux
compagnies un avantage en retour de ceux qu'elles concèdent au
commerce.
Les avaries sont présumées provenir soit du mode de transport
employé,soit d'une cause qui aurait pu motiver de la part de l'expéditeur la signature d'un billet de garantie, billet que la clause <lu
tarif dispense La compagnie de se faire délivrer. L'expéditeur devra
donc faire la preuve <le la faute imputée au transporteur et celui-cl
-
f75 -
sera présumé irresponsable tant que sa faute n'aura pas été
prouvée.
Telle est la jurisprudence constante de la Cour de Cassation.
(Arrêts du 10 décem bre 1878, 5 janvier 1881, 23 août 1881, 8 et 28
février 1882 (1).
Il est possible qu'à l'origine les compagnies et le ministre, en
insérant dans les tarifs réduits la clause d'irresponsabilité, n'aient
pas songé à régler une question de preuve. Aujourd'hui que la
solulion de la Cour suprême est ven ue préciser la portée de cette
clause, il est certain qne les parties seront fixées sur les con~é
quences du contrat qui intervient en tre elles,l'expéditeur en revendiquant un tarif spécia l saura qu'il admet en principe que <les
avaries peuvent se produire et qu'il en exonère la compagnie, à
moins de faire la preu'e <l'une faule à la charge de la compagnie
Il existe encore dans les tarifs spéciaux des clauses dïrrespuusabilité encore plus absolues. Le tarif dit des emballages ,·ides en
retour, lequel admet pour tous les transports le retour gratuit à
l'expéditeur des sacs, cadres, emballages vides dans un certain
délai, stipule qne la compagnie ne répond pas de la perle ou de
l'avarie de ces objets.
La Cour de Cassation a encore admis ici que le tarü aYait pour
eITet d'opérer un déplacemcnl de preuYes et c'est, en effet, la seule
interprétation juriùique qni puisse en ètre donnée. Cet argumenl: que l'expéditeur n'a aucun moyen possible de surveiller se:;
marchandises el de les suine en g-are et en cours de route, ne
saurait prévaloir contre la reconnaissance formelle émanée de lui
que le transport gratuit allait se faire dans de telles conditions et
pour <le telles marcltanclises que le fait seul du transport peut
amener soit l'avarie, soit la perte <les colis. Il serait en outre
souverainement initfuc de placer les compagnies dans les mème~
conditions de responsauilitc que l'expéditeur paie ou ne paie pa::.
de prix de transport.
Certains tribuuaux se son t refusés à aùlllettre la Yalidite Je
cette clause. La gratuité n'esl qu apparente ont dit les uus; l'e'.'>.pétlileur paie le retour <les cmllallages ,·ides en payant les frais ùc
(l) Dalloz, l879. 1 ~a, l~l , I. b:>. li>llZ , 1. lll6, ~l l Il~. I. ~15
�f7G transport ùe l'expéùilion . La réponse esl fa cile, el il suffit de
rappeler que le tarif <lu retour gratnil des cmlwllages csl une
faveur 110 u,·clle faite par les compagnies à Lous les expéditeurs
poslérieuremenL à l'homologa tion des tarifs ordinaires et sans 11ue
les prix anciens, qui s'app liquaient aux trans porls sans retour
d'emballage, ait été modifiés.
D'autres \'Oient dans ce fait seul de Ja perle l'existence d'une
faute à la charge cles compagnies ùispensa nt les expéditeurs de
toute preuve.
Leurs décisions ont été constamment cassées par la Cour de
Cassation, qui décide que les compagnies ne peuvent encourir de
responsabilité qu'il raison d'une faute précisée et déterminée dans
le jugement de condamnation.
Nous avons vu, en parlant de la lellre de voilure, que les expéditeurs avaient longtemps eu la prétention d'obliger les compagnies à insérer dans les lettrns de Yoilure ou récépissés l'inclem11ilé à payer en cas de retard, el que la Cour de Cassation avait
résolu souverainernenl la question clans un sens con traire aux
prétentions des expédi leurs.
l\1ais certains tarifs spéciaux applicables au transport de denrées
destinées aux balles et de bestiaux destinés aux marchés, s tipulent l'indemnité en cas de 1·e tarcl sous forme de retenue fixée ou
graduée sur le prix du transport.
En cas de retard, dit le tarif spécia l pour le transport de la
ùière en fùts, la compagnie n'est responsable du préjudice
éprouvé par les expéditeurs ou <leslinataires que jusqu'à concurrence de deux cinquièmes du prix de transport et les retenues sont
calculées de la manière ci-après : il esl fait nne réduction d'un
dixième pour un retard de plus d'un j our, de deux dixièmes pour
un retard de plus de deux jours, de trois dixièmes pour un retard
de plus de trois jours, de quatre dixiè1nes pour un relarcl de plus
de quatre jours , néanmoins les droits des expéditeurssonl réservés,
et ils peuœnt exercer lout recours contre la compagnie dans le
cas où le retard dans l'arrivée dépasserait cinq jours. D'autres fois
les tarifs pro1nettent une quo li lé de la lettre de voiture, un dixièu1c,
uu tiers en cas de retard .
-
i77 -
Enfin, pour le cas ùl! perle,les compagnies, dans des tarifs à prix
ré<luits, limitent leur responsabilité à une somme délerminée.C'esl
là une clause pénale dans le sens de l'article 1132 du Code civil
licite, par conséquen t, et les tribunaux ne pouvant allouer à l'expé-'
diteur des dommages-inlérèls ni moindres ni plus élevés.
ll est, en eŒet, toujours possible par la revendication du tarif
générnl de soumettre les compagnies à la responsabilité du droit
commun.
�-
t78 -
CllAPlTHE VI
DES ACTIONS li~ llESPONSABILITÉ.
I. -
EXERCICE DE L'.\CTION.
L'expéditeur aussi bien que le destinataire peul actionner le
voiturier en dommages-intérêts à raison de l'inexécution du contrat; ils ont tous ùeux un droit propre et distinct, mais dès que l'un
a arri l'autre est non recevable à poursuivre.
b'
d .
Lorsque la marchandise voyage aux risques c l périls du estlnataire (art. LOO Code de comu1ercc) 1 il semble que l'expéditeur
n'ayant aucun inlérèt à l'arrivée de la marchandise, l'action doit
lui être refusée.
Son droit est cependant incontestable.
La compagnie est étrangère aux conventions passées entre l'expéd iteur et le destinataire, elle n'est liée que par le contra t de
transport ; on ne peut donc soutenir que l'expéditeur, qui est une
des parties contractantes, n'a pas le droit de réclamer l'exécution
de l'engagement.
L'expéditeur est recevable à actionner le voiturier en vertu même
du contrat de transport; Je destinata ire en vertu des dispositions de
l'arlicle 1121 du Code civil qui lui asl:> ure le bénéfice des stipulations
de ce contrat.
Lorsque l'expéditeur, au lieu de traiter directement avec la Cou1pagnie, a eu recoun; à un commissionnaire qui s'e1'L chargé de
-
i79 -
conclure le contrat, ses drnits ne sont pas modifiés par cette inter,·enlion d'un interm édiaire.
Il peut sembler qu'il y a dans ce cas deux contrats dislincts, l'un
entre l'expéditeur el le commissionnaire, l'autre entre Je commissionnaire et le voiturier, el que l'expéditeur ne peut agir contre Ja
compagnie qu'en vertu des dispositions de l'article t l GG du Code
civil, qui permetten t au créancier d'exercer toutes les actions de
son débiteur.
Mais il fau t aller plus loin et accorder à l'expéditeur une action
directe contre la compagn ie. C'est li.t d'abord l'application de l'article l99l du Code civil: le mandant a une action directe contre le mandataire substitué. Et l'article 101 du Code de commerce:, qui n'est
qu'une conséquence de ce même principe, porte que la lettre de
voiture forme un con trat entre l'expéditeur, le commissionnaire et le
voiturier. Il n'y a donc, à proprement parler, qu'un seul et même
contrat faisant naitre entre l'expéditeur et la compagnie de transport des obligations el des actions directes.
Il arri\'e qu elquefois que le destinataire indiqué sur la lettre de
voilure n'est qu'un simple intermédiaire, un mandataire indiqué à
l'efiet de retirer la marchandise et de la faire parvenir au destinataire défi nitif.
Ce sera ta ntôt un simple commissionnaire de transports chargé
de faire la li\Ta ison à domicile des marchandises qu'il retirera
en gare, tantot un commissionnaire de transit qu i en fera la
réexpédition. i rien dans la déclaration d'expédition ou dans la
lettre de voiture n'indique cet te situation particulière à la compagnie, il est certain qu'elle n'a aucun droit de s'immiscer dans les
rapports particuliers ùes parties.
Mais que décider quan<l, après aYoir indiqué le nom du destinnlaire, l'expéd iteur ajou te cette mention: «pour réexpédier ou pour
faire pan·enir à X, destinataire dêllnitif, demeurant il. . . n
Faut-il acco rder l'excrt:ice des actions à intenter contre la compagnie à raison de l'ine:-;.écution du contrat au propriétaire réel,
connu ùu transporteur, ou nu commissionnaire intermédiaire. Le
premier n'est-il pas seul à souffl'ir du retard, tle l'aYarie; n'est-i l
pas seul à avoil' à l'accomplissernenl des olJliga tions du lran:sporleur cet intérèt qui est la mesure ùcs actions dans notre droit?
�-
-
HW-
Peut-on <lire, du r~sle, que ce n'est pas en sa faveu r et u nil1ucment en sa fa\'eur que sont !'ailes les stipulations du contrat.
Le commissionnaire de transit n'inte1·Yienl que pour assurer
l'achèœment d'un transport interrompu t\ la fin de la \'Oie fe rrée
par la situalion particulière des compagnies que 1'on ne peul obliger
à sortir de leur réseau. Ce sera même sou ,·en t un simple tra ns porteur, une compagnie de lJateanx à Yapeur, un voiturier qui sera
destinataire à l'égard de la Compagnie avec mission de réexpédier .
Le contrat doit donc èlre considéré comme fait au bénéfice du
ùestinataire définitif.
Le commissionnaire intermédiai l'e n'est chargé que d'un mandat
limité, reslreinl ; il n'est pas possible de dire que le mandat d'agir
en justice est implicitement contenu dans ce mandat de réexpédition· et l'on connait la maxime de notre ùroit: nul ne plaide, en
' par procureur.
France,
Enfin, en pratique. lui permettre d'aclionner la Compagnie, de
<lemander, par exemple, des dommages-intérêts en cas de retard,
serait lui donner le moye n de se faire a llouer des indemnités dont
il ue tiendra pas compte au destinataire définitif dans bien des cas.
Cette théorie, qui nous parait la seule juridique et èquilable, a.
élé consacrée par deux jngemen ls clu Tribun al de commerce de
Marseille, rw1 du 8 février 18:>5 (1) el l'autre du 18 mai l873 (2).
Depuis 187G la jurisprudence s'esl modifiée et a consacré définiti\·ement les droits du commissiunnaire de transit.
L'expéditeur, dit- on, stipule certainement polll' lui en ce qui
touche la livraison de la marchan<lise, le <leslinalaire réel n'aurait
pas le droit d'exiger que la compagnie lui reulit directement les
marchandises dont il est propriétaire, l'interméd iaire, en vertu du
contrat, a le droit exclusif de les retirer. A l'égard du chemin de
fer, le contrat de transport prend fm au lieu où est opérée la remise
des marchandises, et celui qui a ùes actions en délivrance de la
marchandise et en exécution du contrat de transport doit avoi r
aussi toutes celles en dommages-in térêts pour inexécution. 11
n'agira pas en jus tice comme u1andalaire du destinatail'e réel,
( 1) Journal de j u l'ii;pn1clerice 'orn me1·ciale et maritime, 1855, 1. 60
{2) Journal de ju1·i~1nudence commer•ciale et maritime. t8n 1.'!12
j
i81 -
il agira en son propre nom comme destinataire \·is-à-•is de la
c?m~agnie qui n'avait pas à s'inquiéter de la réexpédition et qui
n ama pas à se demander davantage à qui resteront les dornma()'esintérèLs s'il en est accordé (Tribunal de commerce de Marselllc
18 mai 1871 (1) el 9 juin 1880) (2).
'
Lorsque plusieurs compagnies ont concouru à l'exécution d'un
n:ê~1e c01~trat de transport, l'action en responsabilité peut être
d11:1gé~ so.1t cont~e la compagnie de départ, soit contre la compagn_1e d arrivée, ~o!l c~nt re les compagnies intermédiaires. La prém1ère compagme qui s est chargée de faire transporter à destination des marchandises moyennant un prix déterminé et applicable
à la totalité du transport est le mandataire direct de l'expéditeur
les compagnies su iYantes sont ü l'égard de ce dernier dans l~
situation de mandataires substitués. Or le mandant peut exercer
directement contre les 1nanclalaires substitués une action identique à celle qui lui est conférée contre le mandataire primordial.
L·exercice de son action se légitime par l'exécution même de
l'oLligation contractée.
On s'est demandé si l'action s'exercerait dans les mêmes conditions qu'elle fu t dirigée contre la compagnie cle départ ou contre
l'une des compagnies s11ivan les.
Une première opinion soutien t qne l'action peut être dirinée
ind istinctemenL contre L'une quelconque des compagnies, ~ns
qu'il soit besoin de prouYer autre chose que leur participation au
transport, mème contre cell es aYec qui l'expéditeur n'a pas traité.
La première compagnie est, dit-on, aux termes de l'article 99 du
Code de commerce, garante en principe des fait <les compagniec;
auxquelles elle transmet la marchandise, chaque compagnie cédante
jouant à l'éganl lies autres le l'llle tle commissionnaire. L'article 101
du Code de commerce pone crue le contrat de transport se forme
entre l'expétlileur, le commissionnaire cl le Yoiturier, et pa1 consér1uent ici entre l\•xpéllileur cl toute compagnie prenant part
au transport.
D'aulre part l'artick !il du cahier des chnrgcs oblige les com-
1
(1) Jow·nal rie J1111~prwl<"11r<' ro111111,•1·cia/L' l'l mcffitiiue 1 iü, l 1 9
.!1>111·11111 t/(' ju1 °l.</ll ucfr111·(' 1'11 1/1111('1• "'"'cl lll«l'll/111(. 1 xo. 1 ~:~~-
nl
�-
i82 -
pagnies ~ effectuer les transports sans rompre charge au point de
jonction des réseaux; il n'y a donc par cc fait qu'un seul et même
contrat du point de départ au point d 'arrivée. A la transmission, la
compagnie qui se charge du transport se substitue purement et
simplement à la compagnie expéditrice et en accepte toutes les
obligations.
Toutes les compagnies sont donc tenues solidairemen t de l'exécution du ~ontrat et l'expéditeur n'aura pas à se préoccuper de
savoir sur qui pèse la responsabilité du fait dont il se plaint, et
pour exercer son action contre une compagnie substit uée, à établir
que c'est cette dernière qui est en faute. La confirmation de celle
théorie est fournie par l'article 10 de l'arrêté ministériel du 16
juin 1866 aux termes duquel, bien que ces délais soient déterminés
séparément pour chaque résea u, le délai total est seul obligato ire;
de telle sorte qu'une compagnie qui aurait un retard à se reprocher pourrait bénéficier du l'avance prise par une autre. Il en serait
autrement s i les droits de l'expéditeur deYaient se régler contre
chacune des compagnies par le ur participation particulière et
isolée à l'exécution du contrat.
Pour nous, nous pensons qu'il faut distinguer au point de vue de
l'action en responsabilité entre le voiturier originaire ou commis sionna ire et les autres voituriers ou comm issionnaires intermédiaires. L'article 61 du Cahier des charges a tout a u plus pour but
de rendre obligatoire pour les compagnies leur concoms aux transports qui arrivent sur leurs 1·éseaux, mais ne modifient en rien les
obligations qui pèsent sur elles aux lermes du droit commun.
Quant à la disposition de l'arlicle 10 de l'arrêté de 1866, édictée en
principe pour interdire au public le droit de s'immiscer dans les
opérations du service intérieur des compagnies, elle pourra bien
avoir pour efîet d'exonérer dans certains cas parliculiers une compagnie des conséquences d'uu retard; wais on peut dire que dans
le cas où une compagnie l>énéficie de l'avance prise par une autre,
il n'y a pas en réalité ouverture à une ac tion en dommages-intérêts au profit de l'expéditeur, dont les droits doivent touj ours être
limités en définitive par le contrat originaire qui fixe un délai total
de transport. Il ne peut rien réclamer si ce délai n'a pas été
dépassé.
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)
183 -
Le voi turier originaire ou commissionnaire-chargeur est présumé avoir reçu les colis en bon étal; sï l y a relard , avarie ou
perle, il est responsable à moins qu' il ne prouve que ce dommage
arrivé à la marchandise ou le relard ne proviennent du vice propre
de la cl1ose ou d'un événement de force majeure. Les commissionnaires ou voilut·iers intermédiaires, a u contraire, ainsi que le dernie r transporteur ne répondent que des fautes quïls ont commises,
et l'expéditeur ou le destinataire qui actionne une compagnie intermédiaire doit prouver que le retard, la perte ou les avaries sont
imputables à cette compagnie.
Il n'y a pas à distinguer, comme l'a dit la Cour de Cassation dans
un arrêt du HJ aoùl 18G8 ( 1), enlre le cas où le commissionnaire
intermédia ire est recherché par le commissionnaire-chargeur ou
par un autre comm issionnaire intermédiaire el le cas où il est
actionné en responsabilité par le destinataire ou l 'expéditeur de la
marchandise; le motif qui l'affranchit de la responsabilité générale de l'article 98 du Code de commerce s applique aussi bien au
second cas qu'au premier et la solution doit être la mêrne dans les
deux cas. On obj ecterait vainement que les commissionnaires
intermédiaires sont les représentan ts du commissionnaire originaire, qu'ils sont substitués à ses obligations et à ses droits et que
par suite ils doivent être tenus comme lui de la garantie déterminée par l'article 98 du Code de commerce, toutes les fois que
cette garantie est réclamée par le destinataire étranger aux transbordements que la marchandise peut subir ayant de lui être
remise. On n'est en principe responsable que de sa fante; pour le
devenir de celle d'autrui, il faut que cela résulte de la convention
ou de la loi; or, ici, la convention et la loi sont muettes.
Il y a pourtan t une exception; en cas d'ayaries apparentes aux
objets transportés el à moins d'iwoir fait des résen·es au moment
de la trans111ission, la compagnie intermédiaire ayan t dù apercevoir les avaries au moment <le sa prise en charge, est tenue <le
prouver que ces avaries proviennent du fait d'autrui, sinon il est
à présumer qu'elles sont s mvenucs pendant le cours du transport
qu'elle a effectué.
(1) Dalloz, 1868 l.437.
�-
i8/~
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Quant aux avaries intérieures, la présomption de faute n 'existe
plus . La compagnie expéditrice, qui seule a la possibilité de vérifier le contenu des colis, est seule réputée les avoir reçus en bon
é tat, les compa gnies cédantes sont dans une situation Loute différente: à la transmission e ntre deux réseaux, il n'est pas d 'usage
de procéder à une vérification intérieure.
n y a donc tout inlérèt pour l'expéditeur ou le des tinalait'e à
attaquer la compagnie de départ,qu'ils peuvent obliger à rappo rter
la preuYe de son irresponsabililé, ou à rechercher celle des compagnies suivan tes qui est responsable. En s'adressant à la compagnie d'arrivée, ils sont tenus d'établir qu el est l'auteur clu fait
dommageable et celle preuve sera la plupart du Lemps très difficile pour ne pas dire impossible.
Co1T1me il est plus commode pour le clcslinata irc d'actionner la
compagnie d·arrivée que la compagnie de départ, on a essayé de
tourne1· la difficulté e t de lui donner contre l'une et l'autre des
deux compagnies une action identique. La Cour de Cassation a
décidé (6 mai L8î2) ( 1) et 6 janvier 18î4 (2) que, quand la compagnie d'arrivée réclame la totali té du transport, c'est-à-dire le prix
du transpor t depuis le lieu d'expédition jusqu'a u lieu de destin::ition, elle se met à la place de toutes les compagnies qui ont pris
part au transport, elle est leur rcp1·ésenlan t, leur gérant d'affaires
et fait sienne leur propre affaire et par conséquent leur propre
faute. Et si nous supposons une expêdition de marchandises en
port dû où Je prix de transport csl payé à destination, le clestinataire qui l'a acquillé pouna ind iITéremment actionner à son choix
la compagnie de déparl el la compagnie d'arrivée. Cc système
n'est qu'une subtilité juridique, car celle dernière compagnie ne
j oue le rùle que d' un s imple agent de recou \'remenl.
(1) Dalloz. 1872 t !Gi.
('2) Dalloz, 1875. 5.81.
-
f85 -
fI. - DE LA COMPÉTENCE
De\·anl quels tribunau x les actions en responsabilité doivent-elles
être portées?
Les ?ompagnies de chemins de fer constituent des entreprises
essen tielle ment commerciales, mais les expéditeurs el les destinataires ne_sont pas to~1jours commerçants, el le contrat de transport
ne constitue pas toujours, pour eux, un acte de commerce. Si cc
contrat est d'une nature commerciale cles deux côtés, c'est Ja juricliclion consulaire qui sera seule compétente; mais, si Je demandeur n'est pas commerrant, il a le droit d'assigner la Compagnie
soit devant la juridiction commerciale, soit deYant la juridictio~
ci\'ile. S'il se décide pour la demière, le J uge de paix sera compétent sans appel j usqu'ù la valeur de J OO francs, et à charge d'appel
jusqu'à 200 francs.
Si la juriùiction co11rn1erciale est sa isie, la compétence se règlera
d'après l'a rticle 't20 du Code de procédure ch·ile ainsi conçu: o. Le
demandem pourra assigner ü son choix: 1· de\'ant le Tribunal du
domicile du défendeur ; 2• de Yan l celui dans l'arrondissement
duquel la promesse a été failC et la m:m;handise Ji\'fée; :l• rlCYanl
celui dans l'arrondissement duquel le paiement dernit ètreetiectué.
Le domic ile d'une compagnie de chemin de fer est-il seulement
au lieu où se trou,·e fixé pa r les Statuts le ~iégesocial ùe la 'oeiett'•'1
On a soutenu que Je domicile d'une compagnie est sntlisamment
déterminé par !"art. 102 du Code ch·iJ et qu'elle ne doit ayoir qu'un
seul domicile au lieu de son principal établissement.
La Cour de cassation s'est quelquefois prononcée dans ce sens,
notamment dans les arrêt~ des ~ mars 1815, 2G mai l1.:5ï el 5 a' rit
1859 (l). 11 C'est, cl i t l'anèt clu 'i mars 1S45 , deyant les juges du 1icu
désigné par les Statuts, lieu clu domicile cle la Compagnie, quelle
doil èlre assignée, et c'est il lorl que !"on soutiendrait qu'une compagnie doit avoir a ut an t tic domiciles commerciaux que d'établis(1) !:>ircy. 1:>'1j. l , "!7;J, l 1'!°1t\, 1 ~ti3, lt-159 l ,ti/J.
�-
i86 -
seroent ; une société est un être moral dont la condition, sous le
rapport du domicile, est déterminée par Les articles 102 et suivants
tlu Colle ci,il.
Il faut admettre que le domicile des compagnies est partout où
elles ont un principal établissement et a ppliquer les règles de compétence de l'arlicle 59 du Code de prncédure civile.
En matière de société, 1e défendeur sera assigné devant le Tribunal
du lieu où elle est établie. Et une même société peul avoir plusieurs
maisons situées en divers lieux , et, par conséquent, plusieurs domiciles. L'article 42 du Code de commerce a prévu cetle pluralité
d'établissements principaux lorsqu'il a prescrit la publication des
actes de société dans chacun des arrondissemen ts oü la société
possèderait des succursales (Cassation, 4 mars 1857) (1).
Les anciens cahie rs des charges ava ient désigné les villes dans
lesquelles les compagnies faisaient élection cle dom icile et nommaient un préposé judiciaire. Depuis 1859 la claùse a disparu dans
le modèle du cahier des charges.
Il est admis qu'une compagnie a son domicile partout où ell e
possède une gare assez importante pour qu'on puisse la considérer
comme établissement principal.
On s'est demand é s i le second paragraphe de l'article 420, visant
le Tribuna l du lieu oü la promesse a été faite et la marchandise
livrée était applicable à l'indus trie des chemins de fer. La jurisprudence, après quelques hésitations, s'est prononcée pour l'affirmatiYe. Il ne saurait être douteux que le mol marchandise, qui
s'applique à tout ce qui peul faire l'objet d'un trafic ou d'un négoce,
comprenne le transport, qui est une b1 anche considér able du commerce.
Le lieu où la promesse est faite est celui où le transport se conclut.
Le tribunal du lieu d'expéd ition remplit donc une des deux conditions de compétence.
Mais, que faut- il entendre par le lieu oü la marchandise est
livrée?
La compagnie ne prome t pas seulemenL de se charger <lu Lransport des colis; elle promet de l'effecluer, e l la livraison de l'objel
(3) Sirey, 1858. 1.264.
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i87 -
de son obligation a li eu, non pas par la prise et charge des colis
mais par le ur mise à disposition du destinataire en gare d'arri"ée:
La compagnie 1 obligée envers l'expéditeur et le destinataire
n'c~t libé~ée à leur ~gard que par sa complète exécution. L'appli~
cation stncte des prmcipes devrait donc amener à décider que le
Trib unal du lieu de départ n'est pas compétent pour statuer sur
une demande de l'expéditeur contre La compagnie.
Pour éviter cette conséquence, la j urisprudence décide que le
lieu où la marchandise est livrée est le lieu ou Je voiturier reçoit
les colis de l'expédition et les met en wagon. Dans une obligation
de donne r, a -t-on dit, ce qui fait l'objet de l'obligation, c'est la
chose qui doit être donnée, tandis que dans une obligation de faire
l'objet, c'est l'exécution du fait promis. Le voiturier exécute ce qu;
forme la na ture de son engagement lorsqu'il reçoit de l'expéditeur les choses qu'il doit transporter et les charge. On donne ainsi
la connaissance de toutes les actions entre l'expéditeur et la compagnie au tribunal du lieu de départ.
Quant au lieu de paiement dans Je contrat de transport, c'est le
lieu de départ quand la ma rcltandise voyage en port payé et le
lieu d'arri,·ée quand elle voyage en port dù. Le mot paiement dans
l'arLicle 420 n'a pas le sens géné ral qu'on lui donne ordinairement
dans le langage juridique, il ne vise pas à l'extinction de l'obliga tion par l'exécution, mais s implement la prestation du prix.
Dans le cas où la marchandise voyageant en port dû viendrait a
ètre refusée par le destinataire, Je tribunal du lieu d'arriYée ne
cesserait pas pour cela d'être compétent, car l'article 420 ne parle
pas du lieu oü le pri x de transport a été payé mais du lieu ou il devai t être payé par le contrat.
Les règles de compétence que nous Yenons d'énoncer sont applicables aux actions des compagnies contre les expéditeurs et les
destinataires en enlè' emenl de la marchandise et en paiement du
prix de la leltrc de voiture
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i SS -
Ul. _ DE L'BXTINCTfON DE L'ACTION BN RESPONSABILITÉ .
Toute action contre Je voiturier est éteinte aux tcrme_s de l'article 105 du Code de commerce par la réception des obJels Lranspot'tés el le paiement du prix de ~a vo~l ure, el aux termes de
l'arlicle 108 par la prescri ption de six mois.
Exatninons successivement ces deux modes d'extinction :
1 De la fi11 de 11011-1·ecevoir de l'nrticlc 105.
La fin de non-receYoir de l'article 105 repose sui' celte présomption: que le destinataire qui paie le prix dn transport et accepte les
colis sans protestation ni réserves reconnail implici lemenl que les
co lis qu'il a la faculté de vérifier sont en bon ét3L, et renonce à
Loute réclamation contre le voiturier i1 raison de l'exécution du
transport.
La réunion des deux condi tions de la réception de la marchandise el du pa iement du prix est indispensable pour l'appl icalion
de l'article 105.
Lorsque l'expédition a été fai le en 11orl payé et que le paie_m~n l
a eu lieu avant le transport, la fin de non-rece,·oir, dit la JUl' LSprudence, ne peul plus ètrc opposée au deslinalaire après. la récep·
lion, parce que le paiement opéré a près le transport 1mphquc seul
de celui-ci une renonciation tacile au droit qui lui aurait appartenu de réclamer une ind emnité aux compagnies. (Cassation, 4
décembre 18ï 1 ( l).
On fait remarquer que dan~ ce ras Je paiement fait par l'expéditeur, pas plus que le paiement fail par un Liers a la compagnie
a l'insu du destinataire ne saurail nuire ü celui-ci. Cependant
cette théorie bien qu'adinise par une jurisprudence unanime, esl
critiquable . En elTet, le destinataire auquel la marchandise est
(l) l)alloz
nm. 5.8!1.
-
189 -
uJTerte n'ignore pas qu'elle a voyagé e11 port payé et s'il re<'o1t
sans prute!:> lation , il sait parfaitement que la récepliou a lieu a'ec
acquit du port.
Peu importe, e11 effet, l'ordre dans lequel les deux faits <le li\ raison el de paiement se présentent, comme cela a été jugé par la
Cour de Cassa Lion ( 13 jam ier 1875) ( 1) qui exige cependant que
ces faits concourent. La réceplion de\'l'ait, en cas d'expédition en
port payé, faüe encourir au destinataire la fin lie non-recevoir,
d'autant plus que la compagnie n'aurn aucun moyen de se déch~u·
ger de la responsabi lité d'une 111archandise dont elle se dessaisit
et qu'elle ue peul plus surveiller.
li est indispensable rrue le destinataire ait eu la faculté de ,.érilier
a\•ant la réception cl le paiement l'état tan t extérieur quïntérieur
du colis. L'inspection extérieure sera facile, quant à la vérification
intérieure, il pourra etre sou' era inement décidé par les juge:;
qu'en fait ell e a été rendue impossible soit par le refus des agents
de la compagnie cl'y laisser procéder. soit par la difüculté de
déballer dans un espace trop restreint il raison de rencombre111ent
de la gare (Cassalion, 25 aoùl 1873 el 4 fénier 1874) (2).
Dès que les tribuuaux reconnaltrunt que la vérification a étë
possible, ils devront admettre la fin de non-rece\'Oir, mème pour
avaries intérieures eL cachées.
Il faut pour que l'article 1Oj soit applicable, que la réception et
le paiement nient été effectués pal' le destinataire lui-rnème uu
par son mandatafre.
Les commissionnaires qui ont mandat de prendre lin-aison eu
gare sont implicitement charges de les Yérifier. La réception par
leur intermédiaire est ùunG parfaite. ?\lais il faut que la réception
so it réelle, soit elîecti\ c, pour décharger la co111pagnie ; le bon ùe
li\l'aisun sur lé 'u duquel le tle!:>tinalaire est rnis en posse&;ion de
ses colis ne su!fit pas. il foul l'enlèvement qui sera conslatë par
l'acrruit 1lonné au bas du bon ü ùéli\'rer
Par réception il faut e11 te111lre la réception des colis mêmes
qui ont été expédi1"s. Si le destinataire U\'ait recu par ~mite ll\me
(1) Dalll>Z, lôi5. l.;li!l.
(2) Lamé Flcun·, 1~7J p. ~'15 l'i !Ji i. p. ~~l.
�-
erreur un colis autre que celui qni lui était adressé, la réception
aux termes de l'article 105 n'aura il pas eu lieu puisqu'il serait lenu
de restituer le colis livré à tort.
L'article 105 cesse d'être applicable en cas de fraude ou de vol,
que la fraude ait eu pour rés ultat le dé tournemen l d'une partie
des objets transportés ou la dissimulation d' une avarie ou d'une
soustraction; (ra1'-S omnfo cor·ru mpil.
On a essayé de soutenir que dans ce cas les compagnies n'encouraient aucune res ponsabilité e t qu'il fallait agir contre l'auteur
du Yol et de la fraude . Ce système est inadmissible , les compagnies sont civilement responsables des faits de leurs employés
dans l'exercice des fonctions auxquelles ils sont préposés et du
reste à proprement parler ce n'est pas l'action en responsabilité née
du contrat de transport qui sera intentée contre la compagnie,
mais l'action en responsabilité de l'article 1384 du code c ivil.
L'article 105 n'es t pas app licable entre compagni es. Il n'y a
réception des objets transportés, comme l'a jugé la Cour de Cassation (21noYembre 18'i l) (1) et paiement du prix de transport que
lorsque le voyage est terminé. Mais, d'autre part, il ne peu t être
question que du voyage en vue duque l le contrat de transport a é té
formé.
Il importe peu, une foi s la livraison efiectuée au destinataire
indiqué par la lettre de Yoiture, que le colis ne soit pas enlevé et
soit réexpédié sue une nou,·elle destination ( Cassation 24 novembre 18ï4) (2).
La fin de non-recevoir s'a pplique non seulement aux actions
dirigées contre la compagnie par le destinataire mais encore à
celles intentées par l'e:'l. péditeur, les termes généraux de l'article
ne comportent aucune dis linction.
Cependant si lors ùe la réception des colis le destinalaire avait
ignoré les conventions intel'\'enues entre l'expéditeur el le voiturier el qu'il résultat ries faits de la cause que celte ignorance provenait du fait du voiturier lui-même, la réception e t le paiemen t
(1) Dalloz, 18îl. J.295.
(2) lJalloz, 18i6. 1,388.
-
i90 --
191. -
ne sauraient être opposés aux actions de l'expéditeur (Cassation
22 mai 1865)( l).
d e commerce est
de l'article 105 du "ode
La fin de. non-recevoir
,
.
une exceptwn p ere111ptoire du fond qui peut êt re proposé en tout
· d 'y
en appel · Il est permi·s au x compagnies
état de cause même
.
d
faculté
la
touJ·ours
ayant
débiteur
le
renoncer,
e renoncer a· une
. .
.
·
pas
veut
ne
il
dont
et
favorable
est
lui
qui
exception
u s er a· moms
. .
,
quelle ne soit d ordre public.
La
. renonciation ne peul intervenir que quand la fin d e non-recev~i~· est encourue ; il est, en efiet, de principe (3rtic1e 2220 du Code
civil) que_ la r~nonciation à une prescriplion non acquise est nulle
et le destmat~ire ne serait pas protégé par l'engagement pris par
une compagnie de ne p oint opposer l'article 105 si cet enaaae1nent n'es t pas postérieur à la réception de la marchandise ~t au
paiement du prix du transport.
Cette re nonciation peut ê tre expresse ou tacite. Elle sera expresse_ lors~ue la compagn ie aura accepté les r ésen·es faites par
le destmata1re au momen t de la réception ùe la marchandise.
La compagnie ne saurai t ètre contra inte à accepter des réserves
et lorsque le dcs linataire, ne voulanl accepter la liYraison que
sous '.'ésen ·es, n'offre pas une \ériftca tion immédiate, la compagnie
a droll de refuser la li\Taison (Cassation 30 janvier 187'2) (2).
La renonciation tacite résultera d' un fail qui suppose l'abandon
de l'exception.
Le destinataire, par exemple, après réception des colis et paiement du port, s'aperçoit d'une avarie aùres:::.e une réelamatiou
~la compagnie, e t celle-ci fait procéder par un de ses employés
a la vérification des a\·aries el reconmut par son intermédiaire le
bien fondé <le la réclamation. Ma is il ne faudrait pas \'Oir une
renonciation tacite <lans le fait seul ù'eny0yer un emplo~ é an
ùonticile du destinatai re pom constater les avaries ùout il se
pl~inl; Les compagnies ne sachant pas si celu i-ci nïnYoque pas uu
f~tl de fraude ou ne se pré,·aul pas <l'un empêchement ùe ' 'érillGaLion du fait de ses p réposés lors ùe la réception.
0
( 1) ïrcy, ll'.165. l.'i.Sl.
<2) üallo:.:, um. 1.:m.
�-
192 -
L'arlicle l Oj Jëclarc l:tcinlc loulc acliou contre le 'oituricr,
c'csL-à-tlirc Loute action naissant ùc difficultés relati\·cs a l'exécut ion du contrat Lie transport, mais n'empêche pas le rcdresscrnenl des encurs matérielles qui ont Llù se produire lors du
paienient.
Il y a lieu à répélilion de l'i ndu lorsqu'aucune discussion ne
s'élève sur l'exéculion du contrat réalisé.
Donc, pas de difficulté, 11uand les parties reconnaissent quel est
le tarif d'après lequel la taxe do il ètre calculée, ou quand il
n'existe qu'un seul tarif app licable à la marchandise. En pareille
circonstance les erreurs qui ont élé commises dans la liquidation
des taxes ne peuvent èlre que des erreurs de calcul et doivent
toujours être réparées.
l\fais que décider lorsque 1 action se présentant sous la forme
<l'une action en détaxe, la clifl1culté porte non pas sur l'application, sur lïnterprétalion du tarif, mais sm la détennination du
tarif qui était applicable à l'expédition. Dans la plupart ùes cas,
en erret, il existe pour un même trans port deux ou p lusieurs
tarifs ègalement applicables avec des conditions de délai el de
responsabilité el des prix ùifiérents, ou mème il existe deux
trajets diliérenls par lesquels la marchan dise peul êlre dirigée.
Dans ce cas, en adrnellan t qu'une erreur ait été commise par
la compagnie, il n'y a 11as violation des tarifs réglementaires.
L'expéditeur ayant à faire un choix entre plusieurs tarifs, le
prix se trouve déterminé non point par un texte ayant force
obliga toire, mais par les termes mèmes de la convention formée
au départ. Cette convention peul è lre obscure, la déclaration de
l'expéditeur peul n e pas e-xprimer nellement une volonté dont la
compagnie aura à rechercher l'interprétation. Si la taxe appliquée soulève une difficnllé, le délai portera s ur l'appréciation
même des clauses tlu contrat. L 'eneur, en admettant qu'une
erreur ai t été commise dans l'application cl es tarifs, ne constituera
qu'une infraction aux conùiliuns <lu transport, car dans le sens
le plus juridique du mol, prendre pour base un tarif au lieu d'un
autre, n'es t pas cornmellre une erreur de calcul.
Le destinataire qui auru, ::.ami protctitatiun ni rése rves, reçu les
-
H13-
colis transportés et payé le prix d'un tarif applicable, sera donc
non recevable, en Yertu des dispositions de l'article 105 · d
_
eruan
d er d,e' Labl'ir que c .est par eneur qu'i l a acquitté ,laa somme
réclamée. L e destinataire
·
.
. a le pouvoir, en efiet , de ra t'fi
i er 1e ch oix
que la com~)agn 1 e .a fait. entre les tarifs par interpréta lion de la
volonté
. de l expéditeur
.
' d est mème libre , d'acco r d avec 1a compagnie, de modifier les stipulations de l'ex1Jéditeur et de
l'
J' .
reven 1
qu~r app 1c~Lton <l 'un tarif qui doit lui assurer la responsabilité
pie me. e t entièr~ du transporteur ou le transport, soit par une voie
P.lus d_irecle, soit da.ns des délais plus brefs. Lors donc que le dest11~atall'e paye l.e pnx ù~ transport , il est à présumer qu'il a pa~·é
a' e~ un~ parfaite_ conna1ss_ance soit des stipulations de l'expéùit~m, soit des dn·ers tanfs applicables, et qu' il a renoncé à
l'eclamer contre ce mode d'exécution ùu contrat s uivi par la
compagnie.
a·-
Notre opinion est conforme non-seulement au texte mais
même ~ l'esprit de l'article 105 du Code de commerce, ~ar s'il
est vrai que cet artic le n'a pu viser les actions en détaxe,
nées .avec les transports par voie ferrée, il n'en est pas moins
certa1~1 que le l ~gislateur a voulu assurer le règlement rapide
des différents qm peuvent surg ir à l'occasion des opérations de
transport.
Telle estla doctrine que la Cour de Cassation a formulée dans ses
arrêts des 25 avril 1877 (l), 2 juillet 18î9 ('2), '25 mars 1880 et
16 novembre 188 l (3 ).
·
On a essayé de souLenir que cc systeme donne à l'articlë
105 une portée qu'il n'a pas, que la fin de non-rece,·oir ne doit
ètre appliquée qu'en cas ùe perle tl'aYarie on de retard des marchandises conformément à la pensée du législateur.
tes tr~Yaux préparatoires, dit-on, sont muet sur la question,
et ~es raisons qui ont fait édicter l'article 105 à une époque ou le
paiement de la le ttre ùc voiture n'avait lieu que Yingt-quatre
heures après la livraison, sont de nature à indiquer que l'article
(l) Lamé F lomi·. 1877. p. 1~.
(2) Da lloz, 1879. 1 :n'.!.
(3) Dalloz, J&îU. I. ~12 cl J~8~. 1 ~U7
13
�-
LU4 -
est reste certainement e tl'::mgcr aux L!Ucslions que peut soulever le
prix de la ,·oiture.
.
.
.
La nn de non-recevoir frappe bien. aioute-t-on,toutes les act10ns
·
de transport, mais l'action
qui on t leur fondem ent clans le contrnt
..
..
· b'
en détaxe est une action e11 répét1l1on de l indu qui 1en que
découlant directement du contrat de tra nsport, a son. fond~m.en~
en réalité dans un quasi contrat que la 10 1 su ppose s ètre iounc
entre les parties au moment du pa iement, et aux ter mes duquel le
voiturier s'est engagé !:l rcslilucr ce qu'il aurait indûment pcrç~.
Il est ùonc toujoms permis de revenir mèiue avec une compagnie
sur le règlement de ce qui n'étai t pas dù.
.
Ces raisons ne sauraien t prévaloir, car dans l'bypothèse de fait
où nous nous plaçons cl oü il n'est question que d'une simple
infraction au contrat de transport, l'article 105 crée celle présomptionju ris et deJureque le tleslinalaire. a r:noncé a, é~ever
aucune réclamation contre Je transporteur a raison de 1exécution du contrnt et par conséquent des conditions soit de Lemps,
soit de pl'ix dans lcsquclles le lra11sporLa été effectué.
. .
Quelle différence, du reste, y a-t-il quant à la nature de 1action
entre la réclamatio11 d'un destinataire se plaignant que la marchandise est en retard parce qu'un tarif spécial a été appliqu~ ,
alors qu'il soutient que l'envoi était l'ait aux. co nditi~ns du lartf
général , et l'action en détaxe fondée ::;ur ce que le prix de transport a été perçu par application du tarif généra l alor.s .qL'.e
le cleslinalaire prétend que c·esl le tarif spécial qui eta1l
npplicable.
. .
Cependant la Cour tle Cassation pa rait ùans un arret recenl du
'lî novembre 1882 (1 ). revenir sm sa jurisprudence constante et
décider que la règle édictée par l'a rticle 105 <lu Coùe de. co1~11nerce
ne s'étend point au cas d'erreur rom mise dans \'application des
tarifs de che1nins de fer; cl que ces tal'ifs ayant force de loi pour
les cornpagnies comme pour le p111Jlic, tout~ fausse application
qui eu est faite au détrimen t de l'une de::; pa1·ties constitue non pas
l'inexécution d'une c01l\'entio11, ::;usceplible d'ètre couver te par la
réception des 111archandises et le paiement ùu prix du transport,
( 1J Laillé Fleury, 1802 p. 269.
-
t 9o -
1~1ais un ~aiement sans cauf;e légale donnant ouverture a répétition. Mais la Cour dans les motifs de l'arrêt admet qu'il est constant que le tarif à prix réduit était applicable d'office el que c'est
d'après ce tarif que le port <levait être compté. Elle ne relève de
ce chef aucun~ cont~stalion cle la part de la compagnie. JI n'y a"ait
donc pas de d1scuss1on sur le principe rnéme de la perception , pas
<le désaccord sur les bases du contrat. C'était une simple el'reur
tle calcul, et l'action eu détaxe ne pouvait ètre repoussée an moyen
de l'ar ticle 105 du Code de commerce.
Lorsque l'action en détaxe est fondée sur ce qu' un itinéraire
moins coùteux aurait pu ê tre suivi, la Cour suprême ùêcide que la
fausse direction donnée ü l'expédition constitue une faute dans
l'inexécution du contrat de transport couverte par Ja livraison el le
paiement sans protestation ni résel'\·es (Cassation, 27> an il l 87î ( l)
19juillet 1881 (2).
'
Aux termes de l'article 108 clu Code de commerce, toutes actions
en responsabilité contre les commissionnaires et \'Oituriers à raison
rl.e la p~rte ou de l'avarie ùcs marchandises sont prescrites après
six mois pour les expéditions faites dans l'intérieur tle la France
et après un an pour celle::; faites ü l'étranger.
Ce délai pai't, pum les cas de perte, ùu jour oü Je transport des
~narchandises aurait dû être effectué, et pour les cas tl'aYarie, ùu
Jour où la remise aura été faitt' sans préjudice des cas de fraude
ou d'infidélité.
La loi Jl'a pas YOUlu laisser les \'Oilut·iers exposés pendant trente
ans aux réclamations que peut faire 11ailre l'exécution du tran port,
el dans le but <l'atténuer les conséquences ùe la responsabilité qui
~èse_sur eux, a fix.et· un délai spécial ùe très-courte duree par rextinct1on des actions.
. Le mot marchanù ises, se trouvant plusieurs fois répété dans l'article 108, 011 s'est demandé s'il est opposable seulement aux com(J) Lamé F lc u l'y, 18ï7, p. J3G.
('l) Dalloz, J8lH. 1.179.
�-
196 -
iner~ants ou à toute personne commen;anle ou non. hlar_clrni:d iscs.'
dit-on, ne peut s'entendre que <le cho~es aùressé~s d~ negociants ~
négociants, et non expédiées par de sunples part1cuhers. Cette raison n'est pas décisive.
La prescription de l'article 108 est commandée p~ r l'_intérèt du
commerce des transports, et les termes du Code md1quent qne
cette disposition a une portée absolument générale. Aussi faut- il
admettre, malgré la Cour de cassa tion (arrêt du 4 juillet 181G) (1),
que le commissionnaire de transporls el le :·oilurier. ~ourr?nt ~e
prernloir de cette prescription quelle que soit la quahte de 1 expediteur.
Le texte de l'article 108 ne Yise que les actions à raison <le la
perte ou de l'avarie, celles à ra ison du retard ~on t pa~sées ~ous
silence. Bien 'Tnïl soit impossible de décounir la ra1son dune
pareille distinction, et que les traYaux préparatoires du Code semblent indiquer que c'est par suite d'un oubli que le législateur a
omis de parler du retard, cependant comme les prescriptions et les
déchéances sont de droit étroit, il est impossible de les étendre
par voie d'analogie. Les aclions à intenter contre les compagnies
a raison du r etard ne sont soumises qu'à la prescription tren tenaire.
Le point de départ de la prescription ne saurait soulever de
difficultés· la loi l'a suffisamment défini pour qu'il soit très aisé
'
. ferree,
'
de le déterminer en mati~re de transports par vo1e
On calculera pour le cas de perte les délais réglementaires
du transport d'après les arrêtés ministériels, le délai de six
mois ou d'un an courra à partir ùu jour ou la marcllandise
aurait dù arriver à destination.
Lorsque par efiet de circonstances de force majeure les com~
pagnies son t afîrant:bies des <lélais de transports réglementaires,
il appartient aux juges de paix de fi xer le délai moral pendant
lequel le transport aurait dù l~ tre eITectué et à l'expiration du~
quel commence la prescription.
.
Quand plusieurs compagnies ont successivement coopéré a
un transport, la questio11 s'est élevée de savoir si l'article 108
(1) Sirey, 1817. 1.300.
-
i97 -
est opposable entre ces compagnies, et si le point de départ
de la prescription des actions récursoires que les compagnies
peuvent exercer entre elles est le même que celui de la prescription de l'action principale de l'expéditeur ou du destinataire.
On comprend tout l'intérêt de la question lorcrue l'action n'esl
engagée contre une des compagnies que dans les dern iers jours
du délai de la prescription. Cette compagnie peut se trouver
forclose dans son recours en garantie par la force même des
choses si l'on admet que la même prescription est opposable aux
deux actions principales el récursoires.
Cependant la Cour de Cassation s'est prononcée dans le sens
de la forclus ion en s'en tenant à la lettre de l'article 10'
qui frappe toutes actions indistinctement contre le commis
sionnaire et le voiturier (Cassa tion 11 noYembre 1872) (1). 0 1
jus tifie cette doctrine en disa nt que l'action en garantie de
transporteurs est de la même nature que l'action de l'expé
diteur ou du destinalaire, qu'elle a pour base les mêmes faits
qu'elle doi t donc être soumise aux mêmes règles et, par conséquent, à la même prescription.
Pour évitet· les conséquences d'une pareille solution, la Cour de
Cassation, dans un anêl de 1829, avait admis que l'interruption dl
la prescription vis-à-vis clu premier Yoitmier a\·ait le même effet
à l'égard de tous les autres voituriers qui av:iient participé à l'exécution du contrat. J\llais celle théol'ie suppose qu'il y a solidaritc
entre les voilmiers s uccessif·, et rien dans la loi n'autorise à la
présumer.
Le système actuel de la Cour Suprême a le tort de confondre les
actions que l'expéditeur peut intenter contre les diverses compagnies qui ont concouru au transport et qui sont soumises à des
regles communes avec le recours en garantie des compagnies les
unes contre les autres. Dans leur rapport entre elles au point <le
vue de la responsabilité, les compagnies doivent être considcrées
comme des cautions. 01', pour qu'i l puisse être prescrit, il faut que
le drnit de recours ex is le, et il ne prend na issance que le j our oü
la demande principale est fo rmée par l'expéditeur ou le destina(1) D a lloz.
tsn. 1 .li:l3.
�-
198 -
taire, il dépend de l'exercice de cette action, il est conditionnel. li
faut donc, par application des principes de l'article 2257 du Code
civil, aux termes duquel la prescription ne court à l'égard d'un
droit conditionnel que du jour où la condition a rrive, décide r que
la prescription de six mois ou d'un an ne commence à courir
contre l'action en garantie q ue du jour oü a été intentée l'action
principale.
Comme toutes les prescriplions, celle de L'article 108 du Code
de Commerce peut être interrompue par lout acte de nature à
faire disparaître la présomption que le destinataire, e n laissant
passer le délai de six mois sans agir, a renoncé à toute réclamation. Tels seraient un acte de mise en demeure, une correspondance échangée avec la compagnie.
POSITIONS
DROIT ROMAIN.
1. - Pour qu'il y ait locatio ope1•is, il faut que la matière sur
laquelle doit s'exercer le tta\·ail de l'ouvrier, ou tout au moins la
partie principa le de la matière, soit fournie par l'ouvrier.
II. - L 'exclusion du louage lorsqu'il s'agit de services professionnels comme ceux du médecin, de l'avocat, ne tient pas au
caractère libéral de ces professions.
III. - La respousabilité du conductor operis en ce qui touche
les cas fort uits est fondée sur une présomption de mal façon.
IV. S i l'ouvrage vient à périr pa r cas fortuits avant d'avoir
été reçu et a pprouvé, le locator operis perd la matière qn'il a fournie, mais n'a pas de salaires à payer à l'ouvrier.
V. - Si le louage de services a été interrompu par un cas de
force majeure étrangère au maitre ou par la maladie de l'ouvrier,
celui-ci n'a droit à ses salaires que proportionnellement au temps
pendant lequel il a travaillé.
DROIT CIVTL .
1. - Les compagnies de chemins de fer, ont un droit réel sur le
chemin dont elles sont concessionnaires.
II. - Le seul fait du dépôt d'une marchandise dans une gare
ne suffi t pas pour rendre la compagnie responsable, s i ce fait ne se
complique pas de celui rte la remise à un agent de cette compagnie .
�-
200 -
- 201 -
m. -
La présomption de faute de l'arlicle 178'l est conforme a u
droit corn mun et elle s'applique a~1x transports de Yoyageurs comme
aux transports des marchandises.
IV. - Le voilurier ne peut exercer son pri\'ilége qu' autant qu'il
est nanti des objets qu'il a transportés.
DROIT A DllllNISTRATIF.
V. - Le droit au transport e n franchise de 30 kilos de bagages
n'est pas cessible.
I. - L'interdiction faite a ux concessionnaires d'une mine de continuer leur exploita tion dans un périmètre voisin d'un tunnel de
chemin de fer cons titue un simple dommage que le conseil de préfecture es t compétent pour apprécier .
Dno1r Co.mrnnc1AL.
JI. - Le Ministre sa is i d'une proposition d'homologation de
tarif, peut l'approuver ou la rejeter, il ne peut pas la modifier.
1. - Les compagnies ne sont pas tenues d'aviser les expéditeurs
de la souffrance des colis refusés par les destinataires.
Vu par r1ous, 71ro{esse10-, p1·éside11l de la Thèse,
II. - Le seul fait du retard ind épendam ment de tout préjudice
ne peut justifier une demande en indemnité.
m. - L'article 105 du C. de corn . ne déroge pas à la règle posée
par l'article 1235 C. civ.
IV. - En cas de faillite d'une compagnie, les portems d'obligations ne peuvent pas produire pom• la valeur nominale de leur
titre.
PnoCÉDURE CmLE.
1. - Les compagnies de chemins de fer peuvent être assignées
partout où existe une ga re principale.
IL - Le voyageur peut, dans les cas préYus par la loi de 1838,
poursuivr e le voiturier soit en jus tice de paix, soit devant le Tribunal de commerce.
D ROIT
Cnorn.ŒL.
I. - Les r ègles de la complicité ne sont pas a pplicables a ux contraventions qui tombenl sous le coup de l'article 21 de la loi du
15 juillet 1845.
Il. - L'intérieur d'un wagon est un lieu public, même pendant
que le train do nt il lait partie est en marche.
A. L.\URlN.
vu :
Le Doye11, A. JOllRDA N.
\'U ET P ER~IS D'I:l.IPRnrnn:
Le Recteu r, BELrN.
�TABLE DES MATIÈRES
DROIT ROMAIN
Page•
INTRODUCTION. . . . • . . . . . . . . • • . . • . . . . , • .
Cm~PITRE I
.
!)
0
Règles générales concernant le louage d'ouvrage
ou de services. . . . . . . . .
I. - Consentement . . . . .
II. - Capacité de contracter .
III. - De la cause et du prix .
IV. - Objet du contrat. . . .
CHA.PITRE II. - Caractèrns distinctifs du louage d'ouvrage et de
services. . . . . . . . . . . . . . . . .
I. - Distinction entre le louage d'ouvrage et
de services et le mandat . . . . . . .
II. - Distinction entre le louage d'ouvrage et
de services et la vente. . . . . . . • .
III. - Distinction eotre le louage d'ouvrage et
de sei·vices et les contrats in només .
CI-IAPITRE III. - De la locatio cooductio opéris . . . . . .
I. - Obligations du conductor operis . . .
II. - Obligations du locator operis . . . . .
III. - Des modes d'extinction de la locatio
operis et des cas for tuits . . .
CHAPITRE IV. - De la locatio conductio operarum . . . .
I. - Obligations du locator operarum
II. - Obligations du conductor operarum.
III. - Modes d 'extinction de la localio conductio operar um.
CHAPITRE V. - Actions . . . . . . . . . .
'
-
13
15
16
16
48
22
22
23
'25
29
29
32
34
40
40
52
45
46
DROIT FRANÇAIS
I NTRODUCTION. .
Des anciens modes de transport.
Des cllemins de fer . . . . . .
III. - Du rachat des chemins de fer. .
1. Il. -
53
53
56
59
�CDAPITRE I·· -
CHt\PITRE II. -
204 -
•
Des tari[s. . . . . . . . .
I. - Homologation . .
II. - Egalité des tarifs.
III. - Publicité des tarifs.
JY. - Diverses espèces de tarifs.
Principes généraux. - For mation du con tra t de
transport. . . . . . . . . . . . . . . .
I. - Caractères du contrat de transport
II. - De la lettre de voiture . .
III. - Des récépissés . . . . . .
CHAPITRE III. - Exécution du contrat de transport.
I. - Du transport obligatoire .
II. - Obligations des expédi teurs.
III. - Obligations des compagnies.
IV. - Obligations des destinataires .
Y. - Privilège des compagnies . . .
CHAPITRE I V. - Transports en dehors de !a voie ferrée.
I. - Du factage et du camionnage .
IL - Réexpédition . . . . . . . . .
CHAPITRE V. -
De la responsabilité des compagnies . .
I. - De la responsab il ité en généra l .
II. - Des c lauses restrictives de la responsabilité. . . . . . .
Pasc•
65
66
73
77
81
86
86
89
96
·J0/1
10!1
110
1 lï
147
15'2
156
157
i.62
168
·168
173
•J78
CHAPITRE VI. - Des actions en responsabilité
I. - Exercice de l'action
II. - De la compétence. .
III. - De l'exti nction de l'action en responsabilité . . . . . . . . . . . . . . . .
1' De la fin de non-recevoir de l'art. 105
2' De la prescription .
·195
POSITTO~S . . . . . . . .
199
iï8
185
188
i 88
..
�
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Du louage d’ouvrage et de services en droit romain. Des obligations et de la responsabilité des compagnies de chemins de fer dans les transports de marchandises en droit français
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Aicard, Albert
Faculté de droit (Aix-en-Provence, Bouches-du-Rhône ; 1...-1896). Organisme de soutenance
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES-AIX-T-125
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Barlatier (Marseille)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1883
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/234813938
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-AIX-T-125_Aicard_Louage_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
204 p.
in-8
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/370
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Alternative Title
An alternative name for the resource. The distinction between titles and alternative titles is application-specific.
Du louage d'ouvrages et de services : Droit romain ; Des obligations et de la responsabilité des compagnies de chemins de fer en matière de marchandises : Droit français
Abstract
A summary of the resource.
Thèse : Thèse : Droit : Aix : 1883
Etude de la locatio operis faciendi et de la locatio operarum en droit romain, ainsi que du droit ferroviaire du XIXe siècle concernant le transport des marchandises et la responsabilité.
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Subject
The topic of the resource
Droit romain
Droit commercial
Description
An account of the resource
Deux textes distincts traitant, d'une part, du contrat de travail présupposant la liberté du travail et, d'autre part, de la responsabilité du transport ferroviaire des marchandises, essentiel à l'essor du commerce
Compagnies de chemin de fer -- Thèses et écrits académiques
Contrat de travail -- Thèses et écrits académiques
Responsabilité civile -- France -- Thèses et écrits académiques
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/3/664/BUSC-MS-03-2_Vayssiere_Expedition_Talisman.pdf
73102c167782a7e669d970c09c8bde66
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Manuscrits
Description
An account of the resource
Plusieurs dizaines de manuscrits des 16e-18e siècles, principalement juridiques, conservés dans les réserves des BU de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Expédition du "Talisman" 1883
Subject
The topic of the resource
Zoologie
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Vayssière, Albert (1854-1942). Auteur
Source
A related resource from which the described resource is derived
BU Saint Charles - Sciences, Lettres et Sciences Humaines.(Marseille), cote MS 3/2
Publisher
An entity responsible for making the resource available
s.l. (s.n.)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1883
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/252909488
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/BUSC-MS-03-2_Vayssiere_Expedition_Talisman_vignette.jpg
pas de notice calames
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
3 pl. ill.
cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
manuscrit
manuscript
dessin
drawing
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/664
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Atlantique (océan). 18 ..
Méditerranée (mer). 18..
Abstract
A summary of the resource.
Le <em>Talisman</em> était un aviso de la marine nationale française chargé de l'exploration géologique, biologique et hydrologique, dans l'Atlantique et en Méditerranée, à la fin du XIXe siècle. Construit au Havre en 1862, il sert tout d'abord comme éclaireur d'escadre. C'est un voilier mixte à une hélice entraînée par une machine à vapeur.<br /><br /><a href="https://odyssee.univ-amu.fr/files/thumbnails/Talisman.1.jpg" target="_blank" rel="noopener" title="Talisman"><img src=" https://odyssee.univ-amu.fr/files/thumbnails/Talisman.1.jpg" alt="Talisman" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></a>
<p><em>The Talisman, used in the 1883 explorations, was a 75 m long steamer equipped with a full complement of sails. Drawing by Henri Folin. Ref. <a href="http://gallery.obs-vlfr.fr/gallery2/v/Aquaparadox/TravailleurTalisman" target="_blank" rel="noopener" title="Expéditions du Travailleur et du Talisman">http://gallery.obs-vlfr.fr/gallery2/v/Aquaparadox/TravailleurTalisman</a></em><br /><br />Voir également : <a href="https://tos.org/oceanography/article/the-origins-of-oceanography-in-france-the-scientific-expeditions-of-travailleur-and-talisman-18801883" target="_blank" rel="noopener" title="Les débuts de l'océanographie en France">https://tos.org/oceanography/article/the-origins-of-oceanography-in-france-the-scientific-expeditions-of-travailleur-and-talisman-18801883</a><br /><br />Il est mis à la disposition en 1883 d'une commission dirigée par le professeur Alphonse Milne-Edwards pour diverses expéditions scientifiques. Il était équipé d'un treuil de draguage d'une force de 20 tonnes. Il a été aménagé pour recevoir 7 scientifiques, et un laboratoire installé sur le pont (source : <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Talisman_(navire_oc%C3%A9anographe)" target="_blank" rel="noopener" title="Navire Le Talisman (Wikipédia)">https://fr.wikipedia.org/wiki/Talisman_(navire_oc%C3%A9anographe</a>).<br /><br /><img src="https://odyssee.univ-amu.fr/files/thumbnails/FMIB_46914_Carte_du_voyage_du_Talisman_en_1883.jpg" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /><br /> <em>Carte du voyage du Talisman en 1883</em><br /><br />Le Talisman sera à l'origine de la description de 176 nouvelles espèces (toujours valides aujourd'hui) et la publication de plus d'une centaine de publications scientifiques.<br /><br />Albert Vayssière, zoologue, enseignant à la Faculté des sciences de Marseille et conservateur du Musée d'histoire naturelle de Marseille, est un spécialiste des mollusques, en particiler des nudibranches (mollusques gastéropodes marins). Il a décrit et dessiné nombre de ces espèces, certaines en portent le nom, tels la <i>Discodoris edwardsi</i> Vayssière, 1902 et le <i>Phyllidiopsis berghi</i> Vayssière, 1902.<br /><br />A la fin du 19e siècle, il rédige également les rapports annuels (année scolaire) sur le fonctionnement du<em> Laboratoire de Zoologie Agricole</em> de la Faculté des Sciences de Marseille qui sont publiés dans les Annales de la Faculté des sciences.</p>
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
BU Saint Charles - Sciences, Lettres et Sciences Humaines (Marseille)
Description
An account of the resource
Embarqué à bord du navire le "Talisman" parti en expédition scientifique, Albert Vayssière rapporte des limaces de mer et des escargots tropicaux terrestres qu'il est le premier à décrire, dessiner et à qui il donnera son nom
Expéditions scientifiques -- 19e siècle
Gastéropodes marins -- 19e siècle
Gasteropodes terrestres -- 19e sicèle
Opisthobranches -- 19e siècle
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/789/RES-17021_Fournier-Flaix_Independance-Egypte.pdf
16866cf3ee3967f5de99d321bad975cc
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
indépendance de l'Égypte (L') et le régime international du Canal de Suez
Subject
The topic of the resource
Transports aériens, maritimes et terrestres
Droit colonial
Commerce maritime
Économie coloniale
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Fournier de Flaix, Ernest (1824-1904). Auteur
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES 17021
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Guillaumin : Pedone-Lauriel (1883)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1883
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/256034028
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-17021_Fournier-Flaix_Independance-Egypte_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
215 p.
18 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/789
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Suez, Isthme de (Égypte). 18..
Suez, Canal de (Égypte). 18..
Suez, Canal de (Égypte). 19..
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Description
An account of the resource
L'occupation de l'Égypte par les Anglais en 1882 signe la perte de l'influence de la France sur le pays : les Français s'inquiètent de l'avenir du Canal de Suez dont la réussite technique et économique leur revient entièrement
Abstract
A summary of the resource.
Au cours du 19e siècle, la France, rivale de l'Angleterre, tente de maintenir son influence sur l'Égypte : la construction du Canal de Suez lui offre l'occasion exceptionnelle de montrer au monde entier son avancée dans de nombreux domaines.<br /><br />
<div><img src="https://odyssee.univ-amu.fr/files/thumbnails/Occupation-britannique_Egypte.jpg" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></div>
<div style="text-align: center;"><em>L'occupation anglaise de l'Egype en 1882 (1)</em></div>
<br />Mais si le percement du Canal est techniquement une réussite incontestable, il se révèle désastreux au niveau financier. Le déficit public explose en raison du service de la dette liée aux emprunts massifs contractés à l'étranger, et le roi finit par céder les parts détenues par l'Égypte aux Britanniques (2). Les Français perdent le contrôle du Canal l'année même ou les progrès du trafic dépassent toutes les prévisions : de 1879 à 1882, le fret a doublé, un accroissement des volumes et des recettes dûs au développement des relations commerciales entre l'Europe, l'Orient et l'Océanie ainsi que la transformation de la marine à voiles en marine à vapeur.<br /><br />
<div><img src="https://odyssee.univ-amu.fr/files/thumbnails/Suez-inauguration_Retronews.jpg" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></div>
<div style="text-align: center;"><em>Inauguré en 1869, le Canal de Suez passe sous contrôle britannique en 1882 (3)</em></div>
<br />Malgré la fin du protectorat britannique en 1922, l'Égypte, pourtant devenue indépendante, restera sous la domination des Britanniques, notamment en matière économique. Les Anglais conserveront en particulier le contrôle du Canal de Suez jusqu'en 1952, année du renversement du roi Farouk par le mouvement des officiers libres (Abdel Nasser) suivie en 1953 par la proclamation de la République et la nationalisation du Canal en 1956.<br /><br />Réfs<br />1. Guerre anglo-égyptienne (1882) - in <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_anglo-%C3%A9gyptienne_(1882)" target="_blank" rel="noopener" title="Occupation britannique de l'Eypte (1882)"><em>Wikipédia</em></a><br />2. L'armée anglaise débarque en Égypte - in <a href="https://www.herodote.net/2_aout_1882-evenement-18820802.php" target="_blank" rel="noopener" title="Débarquement anglais en Egypte"><em>Hérodote</em></a><br />3. L'inauguration du Canal de Suez - in <a href="https://www.retronews.fr/diplomatie-commerce-transport/long-format/2018/03/26/linauguration-du-canal-de-suez-en-1869" target="_blank" rel="noopener" title="Inauguration du Canal de Suez - 1869"><em>Retronews</em></a>
Spatial Coverage
Spatial characteristics of the resource.
indépendance de l'Égypte (L') et le régime international du Canal de Suez <br />Feuille <i>Suez</i> ; 83/I-VII S.E. ; 1911 ; 2nd Edition 1911 ; Survey Department. Surveyed in 1910 <br />- Lien sur la page : <a href="http://www.cartomundi.fr/site/E01.aspx?FC=1085" target="_blank" rel="noopener">http://www.cartomundi.fr/site/E01.aspx?FC=1085</a>
Égypte -- 1882-1936 (Occupation britannique)
Suez, Canal de (Égypte) -- Neutralité -- 19e siècle
Suez, Canal de (Égypte) -- Neutralité -- 20e siècle
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/1032/BUSC-5630_Marion_Progres-sciences-naturelles.pdf
edab6e6dad1c718da7de6f7e5c79da10
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Sur les progrès récents des sciences naturelles : Discours prononcé le 5 décembre 1882, dans la Séance solennelle de rentrée des Facultés de l'Académie d'Aix
Subject
The topic of the resource
Sciences naturelles
Botanique
Géologie
Zoologie
Histoire de l'université
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Marion, Antoine-Fortuné (1846-1900). Auteur
Source
A related resource from which the described resource is derived
BU Saint Charles - Sciences, Lettres et Sciences Humaines.(Marseille), cote BUSC 5630 (Réserve - Fonds local)
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Impr. de Cayer (Marseille)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1883
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : https://www.sudoc.fr/021245053
vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/BUSC-5630_Marion_Progres-sc-nat_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
28 p.
24 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/1032
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Marseille. 18..
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
BU Saint Charles - Sciences, Lettres et Sciences Humaines (Marseille)
Abstract
A summary of the resource.
À l'occasion de la rentrée universitaire de 1883-1884, Antoine-Fortuné Marion dresse une sorte d'état de l'art des sciences naturelles. Les connaissances dans ces domaines ne cessent d'augmenter, aiguillonnées par une forte demande sociale : l'industrie et le commerce ne cessent de solliciter les zoologistes, les botanistes et les géologues. Devant un parterre aussi académique, Marion prend ses distances avec ce qu'on appellerait de nos jours <em>la recherche appliquée</em> et affirme vouloir s'en tenir à la science pure.<br /><br />Difficile exercice, A.-M. Marion est certes professeur à la Faculté de sciences mais c'est d'abord un spécialiste de zoologie : il n'est pas encore directeur de la Station Marine d'Endoume qui ne sera inaugurée que trois ans plus tard, et depuis 1872, il dirige le <em>Laboratoire de Zoologie de Marseille</em> créé en 1869.<br /><br />Un zoologiste pur et dur ? Pas totalement : ses premiers travaux portent très précisément sur la faune en Provence à l'ère quaternaire. Et ce n'est pas un hasard s'il montre ses premiers échantillons à Gaston de Saporta, botaniste connu pour ses recherches sur les plantes fossiles. Alors quand un paléozoologiste rencontre un paléobotaniste, de quoi parlent-ils ? De géologie, bien sûr. Car voilà le pivot commun aux sciences naturelles : la science commune qui s'intéresse au passé de la Terre. Donc pas surprenant que Marion commence son panorama en évoquant les récentes études d'Oswald Heer, géologue et naturaliste suisse considéré comme l'un des pionniers de la paléobotanique (le botaniste suisse décèdera peu après, le 27 septembre 1883).<br /><br />
<div><img src="https://odyssee.univ-amu.fr/files/thumbnails/Heer_Oswald_1809-1883.jpg" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></div>
<div style="text-align: center;"><em>Oswald Heer, géologue et naturaliste suisse (1809-1883)</em></div>
<br />En insistant sur ce que les explorations géologiques ont apporté aux études botaniques, Marion rappelle qu'elles "<em>n'ont pas été moins profitables aux travaux des zoologistes</em>". Travers courant à son époque, Marion ne tombe pas dans le piège de la fierté nationale (voire patriotique, la Guerre de 1870-1871 est encore dans toutes les têtes) et célèbre les travaux américains autant qu'anglais : Darwin ne vient-il pas, au prix de critiques virulentes, de publier <em>L'origine des espèces</em> (publiée en 1859, la thèse sur l'évolution aura un grand retentissement) et de démontrer au monde la plasticité des espèces jusque-là enfermées dans le carcan de classifications rigides (séquelle du fixisme).<br /><br />
<div style="text-align: center;"><img src="https://odyssee.univ-amu.fr/files/thumbnails/Station_Roscoff_vivier_1872.jpg" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /><em>La station biologique de Roscoff et son vivier (1872)</em></div>
<br />Si la science n'est pas encore internationale au sens contemporain du terme, elle est au moins mondiale. Il est évident qu'on ne saurait soupçonner Marion de voir midi à sa porte et de se cloisonner dans sa spécialité mais il ne résiste pas à terminer son discours sur les avancées des sciences dans son propre domaine de recherche : "<em>Plus encore que les sommets des hautes montagnes, les fonds de la mer sont demeurés longtemps inaccessibles aux naturalistes</em>". Lui-même engagé dans cette grande aventure, il témoigne à sa façon que plus on en sait, plus il reste à découvrir et plus le monde des possibles s'agrandit. Il était alors admis que l'absence totale de vie animale était atteinte à partir de 500 brasses (env. 900 m avec les mesures en usage fin 20e siècle). Les campagnes en eaux profondes démontrent qu'il n'en est rien (Marion a profité de campagnes de dragage à - 5 000 m) et ce constat vaut pour toutes les mers (3) : comme en géologie pour les ères les plus reculées, on ne connaît pas grand-chose de la vie marine. Pour tenter de mieux la comprendre, diverses stations biologiques ont été construites sur les côtes, comme celle de Roscoff (et dans d'autres pays comme en Italie, par ex. Naples en 1872; on notera que Marion ne cite pas celle de Concarneau pourtant créée en 1859, la plus ancienne au monde toujours en activité au début du 21e siècle). <br /><br />Et de conclure sur ce propos un peu prémonitoire "<em>Le zoologiste à qui l'accès des rivages serait interdit, ne pourrait arriver qu'à une bien vague conception du règne animal, et ses travaux n'auraient qu'un faible retentissement sur les progrès de la science</em>". Si l'affirmation devenue si triviale selon laquelle on connaît mieux la surface martienne que le fonds des océans est vraie, alors on peut douter que Marion ait été entendu, et encore moins compris.<br />
<p>1. <span class="mw-page-title-main">Oswald Heer. - <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Oswald_Heer" target="_blank" rel="noopener"><em>Wikipédia</em></a><br />2. </span><span class="mw-page-title-main">Station biologique de Roscoff. - <em><a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Station_biologique_de_Roscoff" target="_blank" rel="noopener">Wikipédia</a><br /></em>3. A l'époque de la publication de <em>Vingt Mille Lieues sous les mers</em>, roman paru en 1869-1870, la question d'une vie marine en eau profonde n'est pas totalement tranchée mais la présence de mollusques fixés sur des câbles sous-marins posés au début des années 1860 fait naître de sérieux soupçons.</span></p>
Description
An account of the resource
Dans quel domaine des sciences naturelles peut-on observer les plus grand progrès ? En botanique, en zoologie ou en géologie ? Un peu dans chaque mais le plus important de tous, c'est dans leur rapprochement et leurs échanges
Table Of Contents
A list of subunits of the resource.
Vingt Mille Lieues sous les mers
Botanique -- Étude et enseignement -- 19e siècle
Géologie -- Étude et enseignement -- 19e siècle
Sciences naturelles -- 19e siècle
Zoologie -- Étude et enseignement -- 19e siècle
Zoologie marine -- France -- Provence (France) -- 19e siècle
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https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/631/FR_MMSH_MDQ_HPE_BR_034_03.pdf
1dfeaf114d4996d1d3a25ff8b0665810
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Vicomtes de Marseille descendent d'Arlulfe, seigneur de Trets (Les) : Lettre à M. le Mis de Forbin d'Oppède
Subject
The topic of the resource
Histoire de la Provence
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Forbin, Michel-Palamède de (1816-1900). Auteur
Blancard, Louis (1831-1902). Éditeur scientifique
Source
A related resource from which the described resource is derived
Médiathèque de la Maison méditerranéenne des sciences de l'homme (Aix-en-Provence), cote CESM 1561 / 3Ec
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Barlatier-Feissat père et fils (Marseille)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1883
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/252783921
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/FR_MMSH_MDQ_HPE_BR_034_03_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
4 p.
23 cm.
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/631
https://emediatheque.mmsh.univ-aix.fr/emedpub/Imprimes_espeut/FR_MMSH_MDQ_HPE_BR_34-03/index.html
Description
An account of the resource
En 950, le roi Conrad III de Bourgogne donne à l'un de ses fidèles, Arlulfe, le domaine dont Trets est le chef-lieu. Par une charte datée de 1040, ce domaine fut légué à Guillaume 1er, son héritier et tout premier des vicomtes de Marseille
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Marseille. 9..
Marseille. 10..
Trets. 9..
Trets. 10..
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Maison méditerranéenne des sciences de l'homme (MMSH Aix-en-Provence)
Abstract
A summary of the resource.
En 950, le roi Conrad III de Bourgogne donne à l'un de ses fidèles, Arlulfe, le domaine dont Trets est le chef-lieu. Par une charte datée de 1040, ce domaine fut légué à Guillaume 1er, son héritier et tout premier des vicomtes de Marseille.
Provenance : Fonds de brochures Espeut : Histoire sociale et religieuse de Provence, E-médiathèque MMSH Aix-en-Provence
Spatial Coverage
Spatial characteristics of the resource.
Vicomtes de Marseille descendent d'Arlulfe, seigneur de Trets (Les) : Lettre à M. le Mis de Forbin d'Oppède <br />- Feuille <i>Draguignan</i> ; 236 ; 1870 ; Dépôt de la Guerre (France) ; Lebel (graveur)/Lepage (graveur)/Hacq (graveur)/Pierron (graveur), ISBN : F802361870. <br />- Lien vers la page : <a href="http://www.cartomundi.fr/site/E01.aspx?FC=27421" target="_blank" rel="noopener">http://www.cartomundi.fr/site/E01.aspx?FC=27421</a>
Arlulfe (????-965)
Marseille (Bouches-du-Rhône) -- 10e siècle
Trets (Bouches-du-Rhône) -- 10e siècle
Vicomtés -- France -- Marseille (Bouches-du-Rhône)