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1t-f,Q
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FACULTÉ
DROIT D'AIX
DE
R 'OMAIN
DROIT
DU PR]jjT A LA GROSSE AVENTURE
DROIT
FRANÇAIS
DES CAS DE NlJLLITÉ
DANS LES ASSURANCES MARITIMES
THÈSE
POUR LE DOCTORAT
PAR
ÉMILE DEPIEDS
AVOCAT .
AIX
TYPOGHAPHIE J.
REMONDET-A fJ BlN
COURS MIRABEAU,
188 5
53
��A
MES
A
PARENTS
MES
AMIS
��DROIT· ROMAIN
'
DU PRÊT A LA GROSSE AVENTUR~
. JNTRODUCTION HISTORIQUE.
Le nauticum fœnus remonte à la plus haute antiquité.
Destiné à favoriser la navigation et à développer les rapports que le commerce maritime crée entre les nations,
ce contrat rentre, en quelque sorte, dans le droit commun des peuples, et est soumis partout à des règles semblables.
« Si les lois civiles, dit M. Pardessus (Collection des
Lois maritimes, tome 1), sont intimeme.nt liées à la nature du gouvernement, aux usages et aux mœurs nationales, il n'en est point ainsi des lois du commerce maritime. Produites en tous pays par des besoins semblables,
elles tiennent de cette circonstance un caractère d'universalité. "
Chez tous les peuples autrefois célèbres par leurs entreprises maritimes ou leur génie commercial, il a été l' objet d'une. réglementation particulière.
On ne possède que quelques rares vestiges des monu-
�-6~
ments législatifs des anciens peuples cle l'Orient; il est
certain cependant que déjà au XII• et au XIII• siècle,
avant notre ère, les lndous connaissaient et pratiquaient
le prêt à. la grosse. Les lois de Manou en font foi. Les
Phéniciens et les Carthaginois, peuples navigateurs entre
tou&; ne nous ont transmis rien de précis relativement à
leur droit. Aussi, il est difficile, sinon impossible, de
porter un jugement sur tout ce qui se rattache à leur législation. On pense qu'ils n'ont jamais eu de lois écrites
sur tout ce qui avait trait aux opérations maritimes et
que, dans les différends entre parties, ils s'en rapportaient aux usages.
Les lois Rhodiennes sont, de l'aveu de tous les a.uteurs,
et de tous les historiens, les premières lois connues.
Rhodes fut, en même temps, un grand centre commer·
cial, et le berceau de la législation maritime. Quelques
débris de ces lois, dont Cicéron vante la sagesse dans son
discours pro lege Manilia, se trouvent au Digeste (de
lege Rhodia de jactu).
Dans un étude, longue et détaillée, sur cette matière,
un auteur -allemand, M. Mayer, cherche à. démontrer
que chez les Rhodiens toutes les opérations étaient réglées par des coutumes que les juges corrigeaient et développaient sans cesse de façon à les tenir toujours en
harmonie avec les besoins de\' époque.
Après lui plusieurs auteurs, parmi lesquels figure
M." Pardessus, ont pensé que ce prétendu droit était apocryphe; il ne serait à leurs yeux qu'un recueil ~'usages
nautiques réd~gé sous le bas Empire, et qu'on aurait
voulu couvrir du· prestige dont jouissait. l'ancienne légis-
�- 7-
lation Rhodienne. Celle opinion a été fortement combàttue.
Il 'est, en effet, assez peu admissible que le titre du
Digeste qui a pour rubrique " de lege Rhodia de jactu }>
ne fasse que reproduire d'anciennes coutumes; il nous
paraît plus rationnel de rechercher l'origine de ces textes
dans les répon'ses et les commentaires que faisaient les
jurisconsultes romains sur la loi maritime de Rhodes, ce
qui implique l'existence d'une législation écrite, connue
des commentateurs.
A l'appui de celte opinion on peut invoquer le mot
c< lex }) : Ce mot est seul emp loyé dans le Digeste: << de
lege Rhodia, )) cc loge Rhodia cavetur. » L'empereur Antonin se sert du mot cc vop.oç » qui a en grec la même
signification.
Si des textes nous passons aux écrivains, aux orateurs,
nous voyons qne Strabon attribue aux Rhodiens une
législation admirable, que Cicéron parlant de leur droit
maritime emploie le mot« disciplina JJ qui signifie l'ensemble d'une législ ation, et que, dans une autre passage,
cet orateur s'exprime en ces termes: )) non erat alia !ex
Romre, non alia Athenis. ,,
Le titre YII, livre 11, du jurisconsulte Paul connu sous
le nom de c< Pauli receptarum sententiarnm )) est intitulé: "ad legem Rhodiam de nauticis. »
Nous trouvons au Digeste une preuve encore plus
concluante: cc Eudemont de Nicomédie, à '1a suite d'un
naufrage sur les côtes d'Italie, adresse une requête à
l'empereur Antonin dans laquelle il expose: · qu'il a
été pillé ' lui et ses compagnons ' par les publicains
�-~-
des Cyclades. 11 L'Empereur lui répond: u qu'il est
le. maître du monde, mais qne la mer est soumise à.
dès lois, et que, dans les conteslations relatives au commerce maritime, c'est à la loi Rhodienne qu'il faut se
rapp·orter loutes les fois qu'elle ne contient aucune disposition con traire au; lois romaines. )) On peut donc
admettre avec quelque raison que les Romains s'approprièrent la législation maritime des Rhodiens après leur
avoir emprunté l'usage du nauticum fœnus.
Les Grecs, qui nous ont laissé tant de monuments de
leur génie, ne nous ont légué que quelques vestiges de
leur législation maritime. On trouve cependant des renseignements prùcieux sur le prêt à la grosse dans les
plaidoyers de,,. Lysias et de Démosthène. Nous avons
même la teneur complète d'un contrat de ce genre
où nous reconnaissons les caractères et presque tous les
effets que le distinguent encore aujourd'hui.
«Androclès de Sphette et Nausicrate de Caryste ont
prêté à Artémon 'et à. Appollodore de Phasélis trois, mille
drachmes d'argent sur des effets à transporter d'Athènes
à Mende, O·U à Scyone, de là. dans le Bosphore, et s'ils le
veulent, à la côte gauche jusqu'au Borysthime pour revenir h Athènes.
Les emprunteurs paieront l'intérêt à. raison de 225
par 1000 ; mais s'ils ne passent du Pont au Temple
(des Argonautes) qu'après le coucher de l'Arcture, ils
paieront 300 d'intérêt pour 1000. Ils engagent pour la
somme prêtée 3,000 amphores de vin de .Mende qu'ils
transporteront de Mende ou de Scyone, sur un navire à.
~O rames, dont Hiblésius est armateur. lis ne doivent
�- \)
èt n'emprunteront
a personne
sur le vin affecté à ce
prêt.
Ils rapporternnt à Athènes sur le même navire les
objets qu'ils auront achet.és avec le prix de ce vi n, et,
lorsqu'ils seront arrivés, ils paieront, en vertu du présent acte, aux prêteurs, la somme convenue, dans les
vingt jours à compter de celui où ils seront entrés dans
le port d'Athènes, sans autre déduction que les pertes
ou sacrifices consentis par Je commun accord des passagers, ou celles qu'ils auraient essuyées de la part des
ennemis ; sauf cette seule exception, ils paieront la
totalité et livreront sans aucune charge aux créanciers
les objets affectés, jusqu'à ce qu'ils aient payé intégralement l'intérêt et le principal convenus par le présent
acte,
Si cette somme n'est pas payée dans le temps marqué,
les créanciers pourront faire vendre .ces objets; et s'ils
n'en tirent pas l'argent qui leur est promis pat· le présent acte, ils pourront exiger le reste d'Artémon et
d'Apolloclore, on de l'un d'eux, ou de tous les deux en
.même temps, saisir leurs biens sur terre et sur mer, en
quelque lieu qu'ils soient, comme ~'ils eus$ent été condamnés, et qu'il s'agît de l'exécution d'une sentence des
tribunaux. '
Si les emprunteurs ne chargent point de retour dans
le Pont, ou que, · restant dans l'Héllespont dix jours
après la canicule, ils déchargent leurs marchandises dans
un pays o.i1 les Athéniens ne peuvent poursuivre la vente
de leurs gages, rev-enus à Athènes, ils paieront l'intérêt
d.e leur dette au taux de l'année précédentei
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�-
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S'il arrive quelque accident considérable au navire
sur lequel seront chargées les marchandises, le droit des
créanciers sera limité aux effets qui auront échap,pé.
Pour toutes ces conventions, rien ne pourra infirmer le
présent acte. ))
En analysant, comme l'a fait M. Pardessus ( Collec~
tion des Lois Aforitimes, t. 1, p. 46): le contrat qne
nous venons de citer, nous voyons qu'il est soumis aux .
conditions suivantes :
1° Le navire . est désigné par ce qui peut en faire
reconnaître l'indentilé et éclairer le prêteur sur ses
chances ;
'.,2° Le navire suivra la route convenue dans le
contrat sans pouvoir débarquer. ailleurs qu'au lieu déterminé;
3° On placera sur le navire des marchandises affectées
au prêt, qui, en c.as·de déchargement, seront rempl~cées
par d'autres;
4° En cas de force majeure . _ les droits des créanciers
se réduiront aux marchandises sauvées, et la contribution, aux avaries commnnes, telles que jet ou rachat
payé, sera déduite des sommes payées par l'emprunteur;
5° Un profit maritime sera payé au prêteur pour l'indemniser des chances qu'il a courues;
6° L'argent prêté sera remboursable après l'arrivée;
7° A défaut de paiement, le prêteur aura le droit cle
faire vendre les marchandises affectéès, et, s'il n'est pas
pleinement remboursé par leur prix, il aura un recours
sur les autres biens du débiteur ;
8° Tontes ces clai1ses sont de rigueur, et, pour sûreté
�~
1.·J -
de leur exécution, le débiteur oblige ses biens, tant meu •
b]es. qu'·immeubles, comme s'il y avait été condamné p:a~
jugement. ·
Les Grecs, déjà si puissants par leur commerce sur
les côtes de la Méditerranée , trouvaient dans le nauticum Fœnus un procédé excellent pour augipenter
leurs capitaux , Comme le dit Nieburh : « La v.ie
maritime fut toujours la vocation des Grecs et elle
contribna puissamment à leur richesse et à leur prospérité. >J
Au milieu de tous ces peuples corpmerçants et navigateurs, les Romains semblaient appelés à une autre
destinée. Ils considéraient le commerce comme indigne d'un homme libre; Rome était entourée de populations hostiles , · pour conquérir son ind épendance et
étendre plus tard ses conquêtes, elle voulait un peuple
d.e laboureurs et de soldats. Le rude labeur des champs,
en développant les forces physiques, devait re.ndre les
citoyens plus aptes au métier des armes. Denys d'Halicarnasse (livr. Ill, cbap. 17), nous apprend que sou s
les premiers rois de Rome, l'agriculture seule était en
honneur et seule méritait la sol.licittide des lois.
Le commerce n'était permis qu'aux escla.ves. « La
guerre seule, dit M. Pard essus (Collection des Lois
Maritimes, t. J), semble avoir donné aux Romains
l'idée d'une marine ; ils ne sentirent la nécessité .de
construire des navires qu'au moment où il ne leur· fut
plus possible de conquérir sans traverser les mers. ))
Ils comprirent alors combien u~e marin e leur serait;
nécessair e pour transporter a,u loin \eurs légion s, et ceHe
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nêcessité leur parut encore plus impérieuse ië jeur où
l'invasion des Carthaginois vint exposer Rome à de si
grands périls. A la suite de ces guerres lointaines, l'habitude des transactions, des échanges, du commerce en
un mot, finit par pénétrer peu à peu dans les mœurs et
par triompher du mépris des citoyens pour tout ce qui
ne se rattachait pas à l'agriculture ou au métier des
armes.
C'est aux Grecs et surtout aux Rhodiens que les Romains e~pruntèrent le prêt à la grosse et les règles auxquelles il est soumis.
La date précise de son introduction en Italie n'est pas
connue. Il faut probablement la faire remonter au temps
de la République. On trouve, en effet, au nombre des
jurisconsultes dont les noms figurent au digeste (De lege
Rhodia de jactu) celui d'Alfenus Varus qui était Je contemporain de Cicéron.
Dans ses tables chrotlQlogiques, Haubold place l'adoption du droit Rhodien par les Romains vers l'an 700 de
Rome, c'est-à-dire vers l'an 50 avant notre ère.
Avant 'd'entrer dans l' ex~meri des règles spéoiales
au nauticum famus, il nous paraît utile d'étudier la nature
,
de ce contrat et les actions qui en découlent.
Cette étude sera le sujet du chapitre premier: Dans le
second chapitre, nous traiterons des risqu~s et du profit
maritime.
Enfin nous indiquerons dans Je troisième et dernier
chapitre les garànties que la loi accordait au prêteur à la
grtisse et celles qu'il pouvait stipuler dans le ~ontrat.
�CHAPITRE 1
.Nature .du nauticum famlls et action• .qui eil
découlent.
SECTiON I
Nature de ce contrat.
Le mot cc prêt à la grosse)) n'a pas de synonyme en
latin. Les jurisconsultes romains appelaient cc trajectitia
pecunia )) l'argent destiné à être transporté outre mer et
cc nauticum fœnns ' l'intérêt sli pu lé en faveur d.u prêteur.
Ils appelaient le prêteur u creditor •> et le preneur
fœnerator ».
Papinien a donné du prêt à la grosse l'explication suivante qui met bien en lumière les éléments essentiels de
ce contrat et les conditions auxquelles il est soumis :
u Trajectitia ea pecunia est, qnre trans mare vehitut ;
cœterum si eodem loci consumatur, non erit trajectitia.
Sed videndum, an merces ex ea p·ecunia comparatre
in ea causa habeantur ? Et interest, utrum etiam ipse
pericnlo creditoris navigent : tune enim trajectitia pecunia fit » (loi 1. tit. De nan lico fœnore). Dans ce texte, on
appelle cc trajectitia pecunia » l'argent prêté en vue d'une
opération maritime, alors même qu'il ne serait pas aux
risques d.u prêteur: mais ce n'est plus alors qu'un prêt
�- H-
ala grosse imparfait : le nom reste le même, mais ce pr~t
se confond avec le mutüum·.
Il ressort de l'analyse de ce texte que le « nauticum
fœnus " ne peut exister qu'à une double condition :
·l L'argent prêté doit être transpGrté outre mer;
2° Le transport doit s'effectuer aux risques du prêteur,
d'où il résultè que ce dernier perdra tout recours contre
l'emprunteur, si le navire vient à périr.
C'est une première différence entre le mutuum et le
prêt à la grosse.
Dans ie nauticum fœnus, les risques sont à la charge
· dn prêteur, non pas, il est vrai, pendant toute la durée
du prêt, mais seulement du jour oil la traversée commence jusqu'au moment où elle s'achève. C'est-là une
dérogati9n notable aux prin~ipes généraux des obligations.
Il est, en effet, de règle que la perte de sa fortune ne
libère pas un débiteur (loi x1 . . C., Si certnm petat) et
spécialement en matière de mutuum, l'emprunteur devenu propriétaire des écus n'en est pas moins tenu de les
rendre dans le temps et au lieu convenus, qnelsquesoient
les accidents qui aient pu survenir pendant le voyage.
Ce déplacement des risques s'explique tout naturellement. La navigation exige des capitaux considérables et
présente de grands danger . Ceux qui entreprenaient de
faire des voyages maritimes ne possédaient la plupart du
temps pour l.oute fortune ,que leur navire et sa cargaison,
gage bien fragile si l'on songe à tous les dangers auxquels ces objets sont sans cesse exposés: On comprend
que les capitalistes se souciaient peu de pr€:ter leurs capi0
�-
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taux, moyennant l'intérêt ordinaite; à des .personnes qui
leur offraient si peu de garantie pour le remboursement.. ·
Pour favoriser le commerce et attirer les capitaux, on ima·gina de bonne heure de mettre à leur charge le risque de
l'argent prêté en leur promettant comme compensation
de stipuler, comme prix des risques, un intérêt supé rieur au taux légal.
L'argent est employé tantôt à acheter des marchandises, tantôt .à armer et à réparer le navire. Dans ces différentes hypothèses, il y a prêt a la grosse 1 pourvu toute;fois que l'argent ne soit pas consommé sur place. << Cre, terum si eodern loci consurnatur, non erit trajectitia ».
« Ce contrat, dit Pothier (contrat d'assurance maritime) peut être susceptible de toutes les choses dont l'est
Je c.ontrat de « rnl!tuum >>, c'est-à-dire de toutes celles
<c qure pondère, numero et mensura constant et qure usu
consumuntur >>,
Le prêteur joue .Je rôle d'un véritable assureur, il garantit l'heureuse arrivée des sommes prêtées, . si elles
doivent être transportées outre mer, ou des marchandises qu'elles ont servi à acheter. Ces marchandises doi~
vent avoir une valeur au moins égale à la somme empruntée, car, n'était cette règle, si le navire ou les marchandises venaient à périr, l'emprunteur réali~erait un
bénéfice illicite en conservant la différence di3 valeur entre les marchandises embarquées et le capital reçu.
Nous savons, d'après un plaidoyer de Démosthène ,
qu'en Grèce la chose achetée devait généralement a'Volr
une valeur double de la s'omme prêtée (plaidoyer de
Démosthène contre Lacritos). Il faut ad mettre • bien
0
�-
16 -
qu'àUCtln tèxte né nous lè dise expressément, qu'à Rorne
l'emprunt devait sé faire sur des choses d'une valeur
supérieure à celle de la somme prêtée, ce qui don:..
·nait a:u prêteur un gage plus riche, et l'assurait que le
pteneur veillerait avec plus de soin à. la conservation des
choses achetées.
Quelle est la nature du prêt à. la grosse? A quelle classe
de contrat appartient-il?
La loi est muette sur ce point, aussi la ·question a+
elle été diversement résolue par les auteurs.
Si ['on analyse les éléments divers qui constituent ce
contrat, on lui trouve des ressemblances avec le mutuum,
le contrat de bonne foi et la société qui est elle-m ême un
contrat de bonne foi .
. Comme le mutuum, il se forme par la remise d'llne
chose. Comme dans le contrat de société, on laisse une
part considérable au hasard, aux cas imprévus, à ce que
les Romains désignaient sous le nom d' « alëa )). Comme
dans les contrats de bonne foi, un simple pacte suffit
pour faire courir les intérêts.
Cujas (de nautico fœnorc, t. vrn, p. 862), après avoir
. comparé successivemeut ce contrat au louage et à la société, se demande dans quell e classe on pet!t le faire ren·
lrer. « Sed qurero, fœnus, quale sit negotium )),
Est-il une· locatio cond uctio? Mais le locataire doit
rendre la chose louée dans l'état où il l'a reçue, il répond
de plus des détériorations. Ici, il n'y a pas simple usage,
la propriété elle-même est transrérée : ce ne sont pas les
mêm es choses que l'on doit rendre, mais de.s choses
�-
~.
17' _.
d'égale valeur. Il n'y a donc entre ces deux contrats
,qu'une ressemblance apparente.
Est-il une société? pas davantage, car, entre ces deux
contrats l,es différences sont enc;ore plus saillantes.
L'argent piiêté à la grosse est devenu la propriété d·e
l'emprunteur et, dans aucun cas, les profils retirés de l;i.
navigation ne seront partagés entre les parties contractantes.
Dans toute société, ies bénéfices et les pertes se divisent par égales parts entre les parties. Ici tout change :
les bénéfices appartiennent à l'emprunteur, les risques
sont à la charge exclusive du prêteur.
Es-il un mutuum? Moins encore, puisque le mutuu~
est essentiellement gratuit.
Après avoir procédé ainsi par voie d'élimination, l'au ·
leur trouve dans le nauticum fœnus un contrat sui generis, une opérc.. tion à double face. Considérée au point de
vue de la somme principale, cette opération serait un
mutuum, puisque la propriété de l'argent passait du ,.prêteur à l'emprunteur et que ce n'étaient pas les mêmes
écus, mais une même valeur qui devait être r'endue :
considérée au point de vue de la somme due en sus du
capital, l'opération ne pourrait être un mutuum, puisque
ce contrat était essentiellement gratuit ; elle aurait constitué un contrat innommé.
M. de Savigny enseigne que !"opération tout entièr~ est
un contrat innommé s'éloignant du mutuum aussi hien
pour le capital que pour les intérêts. Cette. question es,t
émise d'une façon incidente et sans aucune espèce de
développement par ce jurisconsulte. cc Dans ce éontrat,
�-
f8 -
dit-il, la forme du prêt n'est qu'une apparence extérieure; en réalité on donnait une somme avec chances de
perte, et l'autre partie promettait une somme supérieure
dans le cas où la perle n'aurait pas lieu: celte conventiou
rentrait donc dans la classe des contrats innommés (De
Savigny, Système, tît. VI, S268).
Il suffit de passer en revue les éléments du muluum
pour voir les points de ressemblance qui le rattachent
au prêt à la grosse. Ces éléments sont les suivants : ·1° il
faut une aliénation faite par le prêteur: 2° une obligation
c0ntraclée par l'emprunteur ; 3° !es choses dues par
l'emprunteur doivent avoir la même valeur que celles
prêtées.
Ces trois éléments se retrouvent dans le nauticum fœnus à côté d'autres règles qui en modifient sensiblement
la nature, mais qui ne sauraient empêcher le fond d'être
le même. Ces règlès qui sont spéciales au nauticum fœnus sont-relatives au pacte d'intérêt et aux risques.
Nous ferons à l'opinion de M. de Savigny l'objection suivante : le prêt à la grosse a une dénomination
spéciale dans les textes; il est connu sous le nom de cc mutua pecunia » (loi 6, de naulico fœnore; liv. IV, Code).
Enfin, il est admis par tous les auteurs que le prêteur
exerce ici, comme dans le mutuum, une action de droit
strict (loi 2, § 8, liv. 7, pr. de eo quod certo loco, XIII);
or, nous savons que l'action prrescriptis verbis par laquelle on sanctionne les contrats innommés est une action de bonne foi.
Un autre auteur, Voët, voit dans le nauticum fœnus un
�-!~-
simple mutuum soumis à quefques règles particulières.
Nous nous rangeons à cette dernière opinion.
En effet, si l'on fait abstraction un instant des quel, ques particularités qui sont le signe distinctif du nauticum
fœnus,, on trouve dans ce contrat tous les caractères du
prêt de consommation.
Ces particnlari tés sont au nombre de trois :
'1° Les risques sont ala charge du prêteur: « Substanlia fœnoris nautici in eo consistit, quod·pecunia credita
non debitoris, seu mutuantarii,
sed creditoris seu mu.
1
tuantis peric"Ulo sit. » (Voët, ad Pandect., t. 1, p. 769) ;
2° Nous allons voir plus loin qu'un simple pacte suffit
pour faire courir les intérêts dans le nauticum fœnus et
que ces intérêts ont été longtemps illimités;
3° Le prêt à la grosse pouvait être susceptible des cho·
ses« quœ nurrrero, pondere, et mensura constant, et
quœ usu consumuntur, )>puisqu'il n'était qu'une variété
du mutuum, mais dans la pratique il portait toujours SLlr
une somme d'argent.
A part ces particularités, le nauticum fœnus peut parfaitement se classer à côté du mutuurn. Nous trouvons
d'ail_leurs au Digeste et an Code plusieurs textes qui vien~
nent nous confirmer dans celle opinion. « Fœnerator pecuniam usuris qu re maritirnis muLuam dando . » (Liv.
XV[, Digeste). '
« Trajectitire quidem pecuniœ qmè pericnlo creditoris
mutuo dantnr. » (Loi IV, Code) .
Screvola emploie la même expression : «. Callimachus
mut~am pecuniam nauticam accepit. a Sticho , servo
Seii . >>
�-
20 -
L'opinion de Voët a le mérite d'être en conformité
parfaite avec les textes du Digeste et de faire bien ressortir la nature et les caractères de ce contrat.
SECTION II
Actions résultant du nauticum fœnus.
Quelles sont les actions qui naissent du prêt à la
grosse?
Les textes sont muets sur ce point. On voit, en con'
que l'on est en désaccord
sullant les principaux auteurs,
sur celte question comme on l'est sur la nature juridique
de ce contrat.
Si l'on décompose le prêt à la grosse en deux contrats,
un mutuum pour le capital et ,un contrat innommé pour
les intérêts, ce contrat est muni de deux actions, la condictio cerli puur le capital et l'action prrescriplis verbis
pour les intérêts.
M. de Savigny, qui ne voit dans le nautic1~m fœnus.
qu'un simple contrat innommé, donne dans tous les cas
l'action prrescriptis verbis.
On peut faire à cette opinion l'objection suivante. Le
prêteur pouvait intenter dans certains cas l'action de eo
q,uod certo loco, qui ne se rencontrait jamais dans les
bonre fidrei j udicia (loi 7, Dig. de eo quod certo loco).
Or, l'action prrescriptis verbis qui sanctionnait les contrats innommés était une action de bonne foi ; elle fut
l'œuvre des Procufiens et probablement de Labéon, le
�• -
21 -
chef et _le fondateur de cette école. Ce jurisconsult~ vivait
à l'époque d'Auguste, et nous savons que déjà sous la
République, Caton pratiquait Je prêt à la grosse et Je recommandait à son fils comme un placement excellent
(Plutarque, Marcus Calo, S 4o). Il est donc de toute
évidence que ce contrat était muni d'une autre action à
J' époque où fut créée l'action prœscriptis verbis.
Celle action devait être celle du mutuum, à qui notre
contrat a emprunté son nom. Comme Je mutuum, le
nauticum fœnus devait donner naissance à une condictio
certi ou incerti, suivant que la somme .à restituer s'élevait à un chiffre fixe, déterminé pour tout le temps du
voyage ou variable d'après la durée plus ou moins longue
de la traversée.
Nous arrivons ici à une hypothèse particulière dans
· l:l.quelle Je prêteur avait à son service l'action exercitoria.
Les Romains, nous l'avons déjà dit, dédaignèrent pendant longtemps le commerce. « Le génie des Romains,
nons dit Emérigon (Contrat à la grosse, tome I), leur
amour pour la gloire, leur éducation militaire, leur forme
de gouvernement, tout les éloignait dn commm;e. S'ils
l'exerçaient, c'était sous le nom et par le ministère de
lears esclaves ou de leurs affranchis ; leur préposé au
commerce de terre était appelé institor et leur préposé
au commerce de mer · s'appelait maître et quelquefois
m_archand. Le propriétaire· du navire ou celui qui I.e
louait en entier pour le faire naviguer à son profit était
appelé exercitor, parce qu'il exerçait cette espèce de
commerce. »
�- 22 -
A Rome, les principes du droit civil s'opposèrent
longtemps à ce que le tiers qui contv;ictait avec un
mandataire pût exercer directement une action contre le
mandant. Ces conventions étaient par rapport à celui-ci
cc res inter alios acta n. C'P.tait le mandataire lui-même qui
était obligé, et c'était contre lui que le tiers avait l'action
née ùu contrat, sauf, bien entendu, au mancl:rtaire, à se
faire indemniser par le mandant :au moyen de l'action
mandati contraria. L'influence du droit prétorien vint
modifier profondément ce rigorisme de la loi qui s'accordait si mal avec les besoins du commerce maritime.
Les Romains, en effet, avaient l'habitude de préposer
à leur commerce ou à la direction de leurs navires des
esclaves ou des ·affranchis. Quelquefois Je préposé était
un fils de famille.
La loi 1 (§§ 7 et 8. Dig. De exercit act.) autorisait
dans certains cas le magister navis à emprunter pour son
maître les fonds dont il pouvait avoir besoin pour réparer son navire ou pour nourrir les matelots pendant la
traversée. On comprend que les capitalistes se seraient
bien peu souciés de prêter leurs capitaux à de simples
préposés, fils de famille ou esclaves, s'ils n'avaient eu
d'antres recours que leur action contre ces personnes qui
ne pouvaient présenter aucune garantie .
Pour favoriser le commerce et attirer les capitaux, il
fallait faire disparaître le rigorisme de l'ancien droit et
augmenter les sûretés des créanciers .
C'est ce que fit le prêteur.
Aux termes de l'édit prétorien, lorsque le préposé
contractait avec les tiers, ses obligations devaient réflé-
�-
23 -
chir contre le préposant lui-même et le soumettre à l'action exercitoria, si elles étaient l'œuvre du c< magister
navis >i ·à l'action institoria, si elles étaient l'œuvre d'un
institor. L'innovatfon n'était pas complète, mais le principe de la représentation était posé. c< Eadem ratione
comparavit duas alias actiones, exercitoriam et institoriam. Tune autem exercitoria locum habet, cum pater
dominusve filium servumve magistrum navi prœposuerit,
et qnidcum eo, ejus rei gratia cui prrepositus fuit, negotium gestum erit; quin etiam, licet extraneum qui~quam
magistrum navi prœposuerit, sive servum sive liberum,
tamen ea prretoria actio in eum redditur. ldeo autem
exercitoria actio appellatur, quia exercitor vocatur is ad
quem cottidianus navis qurestus pervenit » (Gaius, inst.
comment. 1v. 71). Il faut remarquer ici que l'action
exercitoria, malgré la dénomination spéciale qu'on lui
donne dans les textes, n'est au fond qu'une qualité,
qu'un attribut de l'action civile à laquelle on fait subir
la modification nécessaire pour produire le même résultat que l'action directe. Les commenlateurs la désignent ·
sous le nom de<( actio adjectitire qualitatis n.
'foutes les fois que le tiers pouvait exercer cette action, il 'avait le choix entre l'action civile et l'action exercitoire, mais l'option une fois faite était définitive. "Est
autem nabis electio utrnm exercitorem an magistrum
convenire velimus )) (loi 1. § 17. Digeste. De exerc. act.)
<< Et ideo si cum utro eorum actum est, cum altero agi
non potest » (eod. titulo).
Lorsque, pendant la navigation, le magister navis ne
pouvait pas remplir ses fonctions, il pouvait mettre
�à sa place une personne dont leg actes liaient l'armateur, comme si .celui-ci avait approuvé form~llement
la substitution.» Magistrum autem aocipimus non so...,
lum, .quem exetc.itor prreposuit, sed et eum, quem magister, etc . . )) (liv. x1v, tit. 1, loi 1, § 5, Ulpien,. Dig.).
L'action institoria reposait sur les mêmes principes.
Il s'agit encore ici d'une personne libre ou d'lrn esclave
qu'on prépose à un commerce quelconque; peu importe,
dit Ulpien, qu'on le charge de tenir une boutique, d'achetey ou de vendre des marchandises, de diriger un
comptoir de banque (Dig. liv. xcv, tit. 3, loi 5, §§ 1 à
10. Ulpien).
Lorsqu'on confiait un commerce à un esclave, il était
présumé instilor, et le maître, répondait des obligations
contractées pour ce commerce ; s'il voulait éviter cela, il
devait afficher: «ne cum eo contrahatur ».Cette affiche,
dit Ulpien, doit être faite en caractères capables de frap·
per tout le monde. <c Proscribere palam, sic accipimus,
claris litteris, unde de plano legi recte possit, ante tabernam scilicet, vel ante eum locum in quo -negotiatio
exerceretur >> (Dig. liv. x1v, tit. 3, loi H, § 4. De institoria actione, Ulpien).
Nous venons de voir que le <c magister · navis JJ qui
s'engageait avec un tiers obligeait directement l'exercitor.
Il importe peu de savoir quel était celui des deux qui
devait payer à l'échéance, parce que, dans les deux cas,
l'obligation était éteinte par le paiement, en vertu de
cette règle qu'un tiers peut toujours payer la dette d'autrui. « Sed si quid sit solutum, si quidem a magistro, pro
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25 -
jure minuitur obligatio: sed et si ab exercitore. sive suo
nomine solverit, minuetur obligatio : quoniam et alios
pro me solvendo me liberat » (loi 1, § 24, Dig. De exercit, act.).
La loi 1, § 19 au Digeste (De exerc. act.) nous fait
connaître l'étendue de l'obligation de l'exercitor.
Le recours du tie1·s contre le préposant n'était possible
que lorsque le magister navis avait agi dans l'exercice de
ses fonctions et conformément aux instructions qu'il
avait reçues.« In eum in cujus potestate is erit, qui navem exercuerit, judicium habet, etc . )) Mais il fallait concilier les :pouvoirs du magister navis avec les besoins de
la navigation. Comme il était impossible de prévoir toutes
les circonstances qui pourraient se produire en cours de
voyage, le préposant devait laisser au magister une certaine liberté d'action et regarder comme valables les engagements contractés par son préposé pour les besoins
du navire. ((Nam interdum locus, tempos non palitur
plenius delibenmdi consilium )J (loi 1, tit. 1, liv. x1v,
Digeste).
Ainsi que le dit ce texte, les tiers ne pouvaient pas
toujours s'enquérir de la qualité et de la solvabilit.é des
personnes avec lesquelles ils traitaient, aussi fallait-il
leur permettre, quand il n'y avait aucune faute de leur
part, de poursuivre le préposant toutes les fois que les
engagements. du magister navis se rapportaient à ses
fonctions.
Dans certains cas, le créancier pouvait se trouver aux
prises avec des d~fficultés sérieuses. Ainsi lorsque les
partie~ éJ.Vai~nt spécifi.é l'endroit où s'effec~u~rait le rem,
'
�-
26 -
boursemeut, Je créancier ne pouvait poursuivre l'emprunteur que devant le magistrat du lieu indiqué. Une
poursuite intentée devant un autre magistrat aurait entraîné la déchéance absolue du droit porté en justice.
Il y avait alors plus petitio non pas pour inobservation
des règles sur la compétence, mais pour violation de la
loi du contrat.
On comprend combien cette règle devait être préjudiciable aux intérêts du commerce.
Pour obvier à cet inconvénient, le prêteur créa l'action
« de eo quod certo loco >> action arbitraire qui permettait an créancier d'agir devant un des juges compétents
d'après Je droit commun. Si Je défendeur refusait de
payer, le juge devait le condamner en prenant en considération la différence de lieu. « Interdurn jndex, qui ex
bac actione cognoscit, quum sit arbitraria, absolvere
eum debet cautione ab eo exacta de pecuni:i ibi solvenda,
ubi prornissa est>> (De eo quod certo loco, loi q., § 1, liv.
XIII, tit. IV).
�CHAPITRE Il
Eft'ets du nautlcum fümus .
SECTION I
Des risques.
Nous avons vu, en étudiant les caractères et la nature
du nauticum famus, que les accidents et les' risques
étaient mis à la charge du prêteur . Cette dérogation aux
règles du mutuum ne peut s'expliquer que par les dangers de toute. nature auxquels s'exposaient_ volontairement les citoyens qui se livraient à la navigation.
Les commerçants qui couraient les mers pour aller
vendre leurs produits ou leurs marchandises dans quelque colonie tributaire de Rome 1 ne pouvaient presque
toujours donner aux créanciers que des garanties insuffisantes. Le navire et les marchandises étaient généralement toute leur fortune.
Dans des c'.>nditions aussi défavorables, les créanciers
n'auraient pas voulu exposer leurs capitaux sans la certitude d'obtenir en retour des avantages en rapport avec les
risques qu'ils prenaient à leur charge.
Le moyen le plus sûr de favoriser les emprunts était
d'associer \~s capitalistes au succès des o~éraHon~. Le
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28 -
prêteur participait aux mauvaises fortunes du navire dans
la mesure de la somme prêtée, mais il devait aussi profi- .
ter dans une certaine proportion des bénéfices réalisés
p~ndant Je voyage.
L'obligation pour le creditor de prendre à sa charge
les risques est considérée par les jurisconsultes romains
comme une des conditions essentielles du contrat: "trajectitire quidem pecunire qure periculo creditoris mutuo
datur, casus, antequam ad destinatum locnm navis perveniat, ad debitorem non pertinet. Sine hujus modi vel'ù
conventione, infortunio naufragii debitor non liberatur.»
(Loi IV, de naut. fcen. Code). Si les parties ne déclarent
pas d'une façon claire et précise que les risques sont à la
charge du prêteur, le trajectitia pecunia perd son caractère propre pour redevenir un simple mutnum. C'est une
dérogation nouvelle aux règles générales de ~e dernier
contrat.
Dans .le [prét de consommation, l'accipiens devenu
propriétaire est, dans tons les cas, tenu de rendre ce qui
a été l'objet de la prestation.
Dans le nauticum fœnus, l'obligation de rendre est
subordonnée aux éventnalitP.s qui se produiront pendant
le cours d~ la navigation. Le débiteur qui est affranchi de
toute obligation, si le navire vient à périr, doit rembourser avec le capital reçu une somme qui représente le
prix des risques, si le voyage s'effectue heureusement.
Cette règle est une des plus importantes du prêt à la
grosse. « Et interest utrum ipsre etiam periculo creditoris
navigent, tune enim trajectitia pecunia fit. •> (Loi I, Moçlestin). 0µ nous parle dans un autre t()?'te d'un prêteur
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29 -
qui a déclaré ne pas vouloir se charger des risques « cum
dicas Le pecuniam ea lege declisse, ut in sacra orbe tibi
restitueretur, nec incertum periculum, quod ex navigatione maris. metui solet, ad te pertinuisse profitearis, non
est dubium, pecunire crediLre ultra licitum modum te
usuras exigere non passe. "
Il est évident, disent l'es empereurs Dioclétien et Maximien, qu'il n'y a pas eu de prêt à la grosse et que, par
su ite, le prêteur n'a pu prétendre aux intérêts maritimes.
Il ne pourra y avoir prêt à la grosse que lorsque l'argent·
prêté ou les marchandises achetées voyageront anx risques du prêteur.
Le creditor prend sous sa responsabilité tous les dangers, tous les accid~nts qui peuvent se produire sur mer,
tels que tempête, naufrage, échouement, en un mot, tous
les cas de for~e majeure . Mais .ce serait étendre sa responsabilité au-delà de ses limites que de lui faire supporter les -pertes imputables à la faute de l'emprunteur
ou au vice de la chose : «vis divina qure prœcaveri et cui
resisli non possit. » Il en sera de mème lorsque le f œnerator aura trompé le prêteur snr la destination du navire
ou aura abordé dans un port infesté par des pirates.
La loi 3 an Code nous montre un emprunteur en faute;
(( perque vitium debitoris ,, il a acheté et chargé sur son
navire des marchandises prohibées que le fisc a confisquées,« il~icitis comparatis merci bus, fiscum occupasse;»
la loi déclare formellement que cette perle qui provient
((ex prrecipiti avaritia et incivili debitoris audacia ))restera
à sa charge. Les jurisconsultes vont même jusqu'à rendre l'emprunteur responsable de sa simple négli~ence .
�-
30 -
C'est l'opinion qu'émet Modestin en parlant de l'époque
où les navires doivent tenir la mer, cc navem navigare
conveniat, >> etc. (Loi 3, Code, de naut. farn.). Cette
expression n'indiqne-t-elle pas clairement que les risques ne sont plus à la charge du prêteur, si l'emprunteur
a été imprudent, s'il a, par exemP,le, commencé son
voyage pendant cette époque dangereuse comprise entre .
le 5 des ides de novembre et le 6 des ides de mars, durant laquelle les marins conduisaient leur navire dans
quelque port abrité.
Les textes ne nous disent pas si les parties pouvaient
modifier les risques; nous croyons, cependant, que le
prêteur pouvait limiter sa responsabilité et stipul er, par
exemple. que l'emprunteur serait tenu enver~ lui au cas
où le navire serait pillé par des pirates ou détruit par un
incendie.
Le prêteur était de plein droit responsable de Lous les
cas de force majeure, mais aucune loi ne lui défendait de
stipuler que tel ou tel risque déterminé ne libérerait pas
l'emprunteur de ses obligations.
Le prêteur devait-il contribuer aux avaries communes?
Et d'abord, que faut-il entendre par avaries communes?
On entend par avaries communes les dommages ?Ollf-ferts volontairement et les dP.penst:s faites pendant la traversée pour le salut commun du navire et des marchandises; par opposition aux avaries communes, on appelle
avaries particulières les dommages qui arrivent à la marchandise seule ou au navire seul.
La législation maritime de Rhodes quj fut plus tard
�adoptée par les Romains avait réglementé la contribution
pour avaries communes. On trouve la solution d~ toutes
ces questions an Digeste, de lege Rhodia (liv. XIV, tit. n,
lois 3 et 4.). :c Quum arbor, aut aliud navis instrumentum removendi communis periculi causa dejectnm est
contributio debetur, » et plus loin : << tempestate gravi
orta necessaria jactura facta erit. >> (Loi 2, § 2). Nous
voyons dans ces deux textes quelles étaient ies conditions
nécessaires pour qu'il y eût contribution. Il fallait que le
péril fût imminent et menaçât à. la fois les marchandises
et le navire.
Nous lisons au même titre : ''sires quai jactai stint
apparuerint, exoneratur collatio ; qued si jam contributio facta sit, tune ex conducto experiatur et quod exigerit
reddatnr. »
Si l'on n'avait éprouvé au.cun dommage, on ne pouvait réclamer aucune in_demnité. Pas d'intérêt, pas d'action.
S'il n'y avait qu'une avarie particulière, si les marchandises, par exemple, n'avaient pas été sacrifiées pour
sauver le navire et sa cargaison, il n'y avait pas li-eu a
contribution << si conservatis mercibus deterior facta sit
navis, aut earum rerum causa sit, quai navis gratia parentur et earum pro quihns mercedem aliquis acceperit,
nam et si faber incudem aut malleum fregerit, non
imputaretur ei, 'qui locaverit opus ; secl si voluntatem
. vectorum, vel, propter aliqucm metum id detrimentum
factum sit, hoc j,psnm sarciri oportet. >>
La loi Rhodienne répartit ensuite la perte occasionnée
par le jet entre les intéressé~ èl'après µne proportion
�- 32 -
établie entre les objets sauvés et les marchandises 'sàcrifiées pour le salut commun. « Lege Rhodia cavetur •. ut,
si. levandre navis gratia jactas mercinm factus est omnium
contributione sarciatur, quod pro omnibus datum est. ii
(Sentences de Paul, 1. If, t. III,§ 3). Dans le contrat à
la grosse dont le texte est arrivé jusqu'à nous (plaidoyer
de Demosthène contre Lacritos), nous lisons le passage
suivant: "Ils paieront aux prêteurs la somme convenue
dans les vingt jours à compter de celui où ils seront en.·.trés dans le port d'Athènes, sans autres déductions que
les pertes ou s.acrifices consentis par le commun accord
des passagers. » Nous voyons par là que les prêteurs
1contribuaient aux avaries commune~ comme les autres
intéressés.
Quelle règle suivait-on en droit romain ?
Les auteurs qui rangent le prêteur au nombre des
personnes contribuant aux avaries communes invoquent
le texte de Paul dans lequel on ne fait aucune distinction; .
ils invoquent aussi le principe d'équité qui en matière
· de contribution doit servir de règle. Dans one autre
opinion, soutenue par .M. Pardessus, le prêteur à la
grosse ne contribuait pas aux avaries communes. {(A
l'argument d'équité, dit M. Parde ~ sus (Collection des
Lois .Maritimes, t. 1), on peut répondre que nous
sommes en matière de droit strict.
Quant à la. teneur dn contrat à la grosse que nous
venons de citer, rien n'indique si c'est en vertu de la loi
ou en vertu de la convention que la contribution est
due; il n'aurait, en tout cas, d'autorité que comme
e:xemple ; d'iiillenrs le § 2 de la loi Il, (dés. de le$e
�-
33 -
Rhodia),semble être favorable à la sol1,1tion que nous pro·
posons. i>
Il fallait être propriétaire pour contribuer aux avaries
communes, or le prêteur ne l'était pas.
Nous pensons avec cet auteqr qu'il faudrait une loi
formelle pour mettre le prêteur au nombre des personnes
qui devaient contribuer aux avaries communes. La situation, il est vrai, n'était pas égale pour tous; mais dans
la pratique les parties devaient suppléer le silence de la
loi en stipulant que le prêteur serait tenu comme les autres hi téressés.
Qaelle. est létendue des risques ?
La volonté des parties est ici souveraine. Si l'on a
indiqué quelle serait la du~ée des risques, on s'en tiendra
aux ternies de la convention: si les parties ont voulu
s'en rapporter aux usages, lef' risques sont à la charge
des créanciers depuis ,le moment où le navire met à la
voile jusqu'à celui où il arrive au port de destination.
Cette règle nous est indiquée par Modes tin (loi 3, de
nautica fœnore, Dig.). « In nautica pecunia ex ea die
periculum spectat creditorem ex quo navigare conveniat JJ - (loi 1 et IV, Code de nautica fœnore, Dig.).
cc Quamdiu navis ad porturn adpulerit, » « trajectitic.e
quidem pecunic.e casus antequam ad destinatum locum
navis parveniat ad debitorem non pertinet. » Les parties
peuvent resteindre la durée des risques par l'apposition
d'nn terme ou d'une condition, ou stipuler, par exemple,
que le prêt durera pendant tout Je temps du voyage, aller
et retoar.
Lorsque le contrat est définitivement formé, si, l'em-
�-
34. -
prunteur, négligent ou infidèle à ses engagements,
chang.e de route ou dirige mal Je navire, la responsabilité do « creditor )) prend fin avant l'époque déterminée
par. la convention. Il en est de même lorsque l'emprunteur, tout en faisant le voyage conven~, ne · suit pas la
voie la plus directe et la plus sûre, rétrograde, par
exemple, ou s'arrête dans des ports intermédiaires sans
y être contraint.
Cette règle nous est donnée par Démosthènes: c< Dionysiodore a emprunté à la grosse à Darios 300 drachmes
sur ~on navire pour un voyage avec retour à Athènes. Au
lieu de cela, il a, au retour, diri gé le navire sur Rhodes;
il a détourné le cbàrgement vers une destination nouvelle et l'a vendu contrairement aux lois et aux termes
du contrat. ))
Il était d'usage cbe.z les Rom~ins de mettre l'emprunteur en demeure de fixer lui-même le jour où il s'embarquerait, de façon à ce que le navire pût être de retour
avant la saison d'hiver.
Les parties pou.vaient prolonger la durée des risques
et stipuler que le contrat serait valable pendant tout Je
cours du voyage : par cette convention, le contrat ne
prenait fin qu'au moment où le navire revenait au port
d'où il était parti.
Nous trouvons dans Je plaidoyer·de Déroosthènes contre Lacritos une convention dans laquelle l'emprunteur
stipule le droit de prolonger le voyage, s'il le juge à propos, en pron;iettam de payer des intérêts plus élevés, s'il
n'est pas de retour à l'époque indiquée.
cc Les emprunteurs paieront l'intérêt à raison de 225
�-
:3 5 -
pour 1000 ; mais s'ils ne passent du Pont au · Temple(des Argonautes) qu'après le coucher de l'Arcture, ils'
paieront 300 pour 1000. JJ
Cette convention est sûrement plus ingénieuse que
les précédentes; l'emprunteur peut, en supportant c·ette
augmentation d'intérêts, passer d'une mer dans une
antre, charger et décharger en route, faire en un mot tout
ce que nécessitera son commerce. Si les charges · deviennent plus fortes, il conserve au moins toute sa liberté
d'àction.
Nous trouvons au digeste une autre convention dans
laquelle les parties ont 'tracé à l'avance l'itinéraire du
voyage. Le jurisconsulte Scœvola nous montre.les effets
que produisent ces changements à. la durée des risques
(loi CXXII, liv. XLV,§, Dig. de verb. oblig.).
Malheureusement ce texte a soulevé des difficultés
d'interprétation qui ont donné naissance aux solutions .
les pins diverses.
Posons d'abord l'espèce: Callimaque a reçu à Béryte,
vi~le de Syrie cc pecuniam nauticam )) de Slich~s, esclave .
de Seins, pour un voyage' de Béryte à Brindes,. Le prêt a
été fait pour tout le temps de la navigation, fixé à deux
cents jour·s, et le preneur a lupothéqué à. sa dette les
marchandises qu'il a achetées à. Béryte pour les transporter à Brindes, et celles qu'il doit acheter à Brindes
pour Jes rapporter à. Béryte. Il a été convenu entre les
parties que lorsque Callimaque serait arrivé à Brindes,
il en repartirait avant les prochaines ides de septembre,
après avoir acheté de nouvelles marchandises et les avoir
chargées sur son navire, et. qu'il reviendrait en Syrie .,
�-
36 -
M;ais que s'il n'avait pas acheté des marchandises et
quitté Brindes au jour fixé, il devrait rendre $ans délai la
somme entière dans ce port, comme si le voyage était terminé, el tenir com.pte en outre de ioules les dépenses
des gens chargés de recevoir cet argent et de le rapporter à Rome. :3ur !'interrogation de Stichus, esclave .ae
Lucius Ti,tius, Callimaque a pr:omis d'exécuter fidèlement Je contrat. Avant les 'ides de septembre« cum ante
idus » Callimaque chargea, suivant la convention, des
marchandises sur un navire, et, accompagné d'Héros
« conservo Stichi »,il mit à la voile cc quasi in provinciam Syriam perventurus enavigavit.ll. Le navire périt.
Qui de~ait supporter la perte ? Callimaque, répond
Scœvola.
Il est évident que Callimaque ·n'a pas exécuté la convention. car, autrement il n'y aurait pas lieu de se
préoccuper de la valeur à accorder au consentement
donné par l'esclave Héros.
Mais ce texte ne paraît contenir aucune dérngation
aux clauses dù contrat. .Callimaque a rempli ses engagements: puisque l'argent a été emprunté pour toute la
durée de la navigation et que le navire a péri pendant la
traversée, il semble que le prêteur devrait supporter la
perte. Cep~ndant Scœvola résout la question comme si le
prêt avait.été fait seulement pour le voyage de Béryte à
-Brindes.
Duaren, pour expliquer ce texte, en a modifié la
teneur : à ces mots cc merces Beryto perferendas in navem
misissetJJ il substitue ceux-ci ccmerces perferens in navem
mansisset eo tempore ». Après celle correction, l'inter-
�-
37 -
prétation du texte devient facile. Callimaque a chairgé
les marchandises sur son navire à l'époque convenue,
mais il ne s'est embarqué qu'après les ides de septembre.
Robertus et Cujas (receptarum sententiarum) donnent
une autre explication qui a au moins le mérite de respecter le texte. Callimaque est parti de Brindes avant les
ides ~le septembre, mais, au lieu de retourner à Béryttl,
il a suivi une autre direction.
Po.or arriver à cette solution, il faut forcer le sens des
mols et traduire ainsi la phrase suivante : «Quasi in
provinciam Syriam perventurus »il mit à la voile comme
s'il se rendait effectivement en Syrie.
ce· changement de route l'a rendu responsable de la
perte de son navire. Il paraît peu probable que Scœvola
ait voulu don~er au mot « quasi )) la significatign un
peu forcée que lui attribuent ces deux au teurs. Dans
cette opinion, on fait reposer la solution de la question
sur un mot auq1rnl on donne trne signification douteuse:
d'ailleurs si l'on continue la lecture du texte, on voit que
cette explication nê concorde pas a\7ec le reste de· la loi.
Plus loin, nous lisons que Callimaque a chargé les marchandises à une époque où il aurait déjà dû rembourser
à Brindes le cap ital reçu. Ce n'est donc point par ce
changement de route que l'emprunteur a manqué à son
engagement, puisque ùéja à l"épuque où il chargeait les
marchandises, il n'avait pas respecté les clauses du contrat.
Alciat et Pothier (contrat d'assurance maritime.) 0nt
trouvé une explication fort ingénieuse, mais qui a le tort
3
�..... 38 -
de remanier le texte d'nne façon trop .arbitraire. A.u lieu
de ces mots cc cum · et.ante» ils lisent cc cum non ante
id us suprascriptas secondum conventionem )) . Ca.Jliroaque n'étant pas parti à l'époque convenue, l'argent est
devenu exigible. à Brindes.
Nous adoptons cette dernière opinion. « Cette explication., dit Emérigon (prêt à la grosse, tome 1), · peut
paraître arbitraire) cependant, il faut convenir que c'est
la seule qui soit en harmonie avec la suite du texte,
notamment avec le passage que l'explication de Cujas et
ùe Robertus ont laissé complètement dans l'obscurité».
Ce texte, malgré les difficultés qu'a soulevées son
interprétation, a cependant sa signification. On y voit
que le créancier qui a pris les risques à sa charge ·pour
l'aller et le retour, doit les supporter, à la condition que
de.soo côté l'emprunteur retourne à l'époque convenue.
On y voit enfin que le contrat passé entre l'esclave du
créancier et l'emprunteur pendant le cours du voyage ne
peut pas enlever à ce créancier le bénéfice d'un droit
acquis. L'esclave, qui n'avait reçu aucun mandat à ce
sujet, ne pouvait pas donner un consentement valable.
SECTION 11
bu profit maritime.
Des intérêts dus en vertu du nauticum fœnus.
Nous allons rencontrer ici plusieurs dérogations nouvelles-aux règles du mutuum.
�- 39 -
Dans le prêt de consommation la quantité due se mesur.e exactement à la quantité reçue; il y a une corrélation étroite entre ces deux termes.
Cette quantité peut-elle être augmentée ou diminuée ?
Il faut distinguer :
La quantité de choses que doit rendre l'empruntem;
est-elle inférienre à celle qu'il a reçue; a-t-il été convenu, par exemple, qu'il ne rembourserait que neuf
sous d'or au lieu de dix, la convention sera valable. On
supposera que l'accipiens a reçu neuf sons d'or comme
emprunteur et nn sou d'or comme donataire.
A-t-il été convenu, au contraire, qu'il paierait des intérêts, _la convention sera nulle parce que, la dation étant
la cause du contrat, il ne peut être dû-plus qu'il n'a été
compté. Le mutuum, en d'autres termes, est essentiellement gratuit. Mais cela ne signifie point que la loi prohibe les stipu lations d'intérêt. cc La gratuité du mutuum,
dit M. Accarias (tome n, page q_.16), n'a d'autre signification que celle-ci: les intérêts du capital ne courent ni en
l'absence de convention, ni même en vertu .d'un simple
pacte; ils ·'ne peuvent être clos qu'en vertu d'une stipula-'
.
tion.
cc Cette règle rigourense subsista: de tout temps quant
à l'argent monnayé, mais à. l'égard des denrées, il est
douteux qu'elle ait jamais été admise. Les Romains ex ~
pliquent cètte diITérence par une idée tout à fait· fausse,
à savoir que la valeur des monnaies es~ absolument fixe ~
au lieu qùe celle des denrées se prête à des variations
nombreuses. » Cette constatation est corroboréé par
deux textes . « Frumenti vel hordei mutuo dati acèessîo
'
�etiam ex nud·o pacto p.rœstanda est )) (loi 12, Code, de
usuris. » - « Oleo quidem vel quibuscumque fructibus
mutuo datis incerti pretii ratio addimenta usurarum ej usdem materire suasit admittit. )) (loi 23. De usuris. Code.).
On apporta plusieurs autres exceptions à cette règle.
Dès l'époque classique, un pacte suffisait pour faire courir les intérêts dans les prêts faits par les cités: 11 Etiam
ex nu do pacto de ben tur ·civi ta:tibus usurre crnditarum ab
eis pecuniarum )) (loi 3, dig. liv. xxn, lit. de usuris).
Justinien les fit courir de plein droit au profit des banquiers (Novelle 106).
Dans le nauticum fœnus un simple pacte suffit toujours pciur faire courir les intérêts.
Cette règle est écrite au Digeste (de nautico fœnore,
loi 5 § 1, et loi 7, au même titre).
« In quibusdam con tracti bus etiam usu rre de ben tur,
quemadmodum per stipulationem. Nam si dedero decem, trajectitia, ut salva nave sortem cum usnris recipere. »
Nous trouvons une différence nouvelle entre le mutunm et le nauticum fœnus dans le taux des intérêts.
Dans le mutuum, .les intérêts stipulés par le créancier
sont limités par la loi; dans le prêt à la grosse, le taux
·des intérêts n'a pas d'autres limites que la volonté des
parties. Il faut que celui qui prête ses capitaux puisse
estimer librement le prix du service qu'il rend et des ris,ques auxquels j] s'expose. Or, comme ces risques peuvent varier à l'infini, c'est à lui seul et non à une loi fixe
et immuable à indiquer le '' periculi pretium » en pre-
�-
4.1 -
n:i:nt pour base de soa appréciation le temps et 'les liemx.
de la navigation.
Il y a là un calcul de probabilité qui 'échappe à toutes
les règles.
cc La grandeur de l'usure maritime, a dit Montesquieu (Esprit des lois, liv. xxn, chap. 19 et20), est fondée sur deux choses: le pérH de la mer qui fait qu'on ne
s'expose à prêter son argent que pour en avoir beaucoup
davantage et la facilité que le commerce donne à l'emprunteur de faire de grandes affaires et en grand 1rnmbre; an lien que les usures de terre n'étant fondées sur
aucune de ces deux raisons, sont ou proscrites par le
législateur, ou, ce qui est plus sensé, réduites à de justes
bornes. n
Dans le mutunm, les intérêts représentent la privation
de jouissance du capital: dans le nauticnm fœnus, les
intérêts sont aussi l'équivalent. des avantages que l'emprunteur retire de la possession du capital, mais ils sont
encore et surtout le prix des risques courus par le prêteur. Ce sont même ces risques qui ont fait donner à ce
contrat le nom de prêt à la grosse aventure.
« Il ne peut y avoir de prêt à la grosse, dit Pothier,
(contrat d'assurance maritime), s'il n'.y .a un profit maritime ou quelque chose que l'emprunteur s'oblige à payer
au prêteur, outre la somme prêtée, pour les r,isqnes dont
.
ils'estchargé. ))
Comme le dit cet auteur, la liberté illimitée de l'intérêt
est le prix de la responsabilité que conrl le pirêlenr,. Le
lien étroit qui unit ces deux idèes nous amène à conclure
que les iüt~rMs mL1ritirne~ pe ·peuvent courir que peu-
�dant la durée dn voyage, c'est-à-dire pendant Loule Jâ durée des risques. Sil' emprunteur ne s'es~ engagé à payer les
intérêts que pendant un certain temps oti jusqu'à J'accom:
plissement d'un événement futur, l'arrivée du terme et
l'accomplisssement de l'événement produiront le même
effet que le retour du navire.
Nons allons étudier maintenant le taux de l'intérêt
anx diverses époques de l'histoire romaine.
Quel étail Je tallx de l'intérêt à Rome ?
Avant la loi des 1:2 tables, le taux de l'intérêt était illimité. Les historiens romains racontent que celle liberté
eut des conséquences funest0s. La rar_eté de l'argent fit
monter l'usure à un taux énorme et mil les débiteurs à
merci des créanciers .
.Les mesures extrêmes que les prêteurs pouvaient
prendre contre les débiteurs insolvables firent éclater
des séditions sanglantes qui, à plusieurs reprises, furent
assez violentes pour menacer jusqu'à la sécurité de
l'Etat.
C'est la loi des 1:2 tables qui la premiére limita le
taux de l'intérê.t. cc Primo tabulis xn sanctum est ne quis
unciario fœnore amplius exel'ceret. n
L'unciarium fœnus était donc la limite extrême en
matière d'intérêt.
. .Mais que valait Cl l'unciarium fœnus? ))
Saumaise, Dumoulin (de usuris n° 98) et Pothier, (contrat d'assurance maritime) l'ont fait varier entre 1 pour
1 OO et 1OO pour 1OO par an.
Les auteurs modernes ont créé trois hypothèses pour
expliqu~r cet qnc1ariqm fœnus ;
�-
13 -
,t Dans les ouvrnges des auteurs classiques el des
jurisconsultes, on compt.:tit l'intérêt par mois et l'on
,appelait « centesim re usurre n 1 pour 1OO par mois ;
2° D'autres autenrs . rapportent le mot cc un_cia >> au
capital et non point aux intérêts. << L'uncia n · serait un
douzième du capital par mois · on douze douzièmes par
an, c'est-à-dire 100 pour 1OO. Cette solution n'est confirmée par aucun texte.
3° (Nieburh). L'uncia serait une fraction du capital:
on compterait par an et non par mois. Le 1.J.ux -aurait èté
un douzième du .capital, c'est-à-dire 8 113 pour 1°00.
Nieburh croit que le taux ne s'appliquait originairement
qu'~ l'ancienne année romaine de 10 mois, de sorte que
ponr l'année de 12 mois, il fallait ajouter un cinquième.
ce qui donnait 10 pour· 1oo·.
Le créancier qui, au mépris des lois, exigeait un taux
supérieur devait restituer au quadruple la portion des
intérêts qui excédait ce taux.
Le maximum fixé ne satisfit ni les créanciers ni les débiteurs. Les créanciers l'éluclérent par des moyens usuraires ; les plébéiens se révoltèrent de nouveau et le
forum les vit tour à tour victorieux et vaincus.
En l'an 4..08 de la fonaation de Rome, ·les tribuns du
peuple firent diminuer l'intérêt de moitié cc ad semiunciarnm fœnns reda~tum est n (Tile-Live, lir.7, chap. 27).
Vers l'an 4..13, un nouveau plébis_cite connu sous le
nom de !ex Genucia interdit d'une façon absolue le prêt
à intérêt; mais Tite-Live et Tacite nous racontent que
celte loi était sans cesse violée.
A. l'époque de Cicéron , les expressions chan~ent-,
0
1
�-
4.4. -
L'unciarium fœnus est remplace par les «le~itimre usurre 1).
Le ,taux c0rrespondant à ces expressi·ons nouvelles est
sanctionné par plusieurs édits et un sénatusconsulte.
Quelle est la valeur de « l'usura legitima on centesima ? » C'est un centième du capital, mais la difficulté
est de savoir si c'est un centième par an ou par moi~.
Tput porte à croire que .c'était un centième par mois,
-'
soit 12pour100.
On peut invoquer en faveur de cette opinion _l'usage
qu'avaient les débiteurs de servir les intérêts aux calendes de chaque ' mois. Les écrivains romains, les poètes
font souvent allusion dans leurs écrits à ces terribles
calendes, l'effroi des débiteurs .
. . . . .Tristes misera venere Kalendœ (Horace. satire
3, liv. 17). Sous le règne de Claude, l'intérêt moyen est
de 6 pour 100. A cette époque., la P.eine du quadruple
tombe en désuétude, et les intérêts qui dépassent le taux
légal s'imputent sur le capital.
Cette peine est rétablie plus Lard sous les empereurs
Valentinien et Théodose II.
Les règles que mous venons d'exposer ne s'appliquent
pas au nauticum fœnus: c'est ce qui ressort d'un texte
de Paul. u Trajectitia pecunia propler periculum creditoris quamdiu navigat navis, infinilas usurns recipere
possit ''.
L'Empereur Jus.tinien fait allusion à celte liberté illimitée dans la loi 26 au Code (de usuris) « li cet veteribus legibus, hoc era.t conr.essum. "
Le créancier demandait quelquefois comme intérêt
un~ somm~ fixe do11t le chiffr~ variait suivant la 1.on~ueur
'
'
�- A5 -
et les da?gers du voyage. La loi 122 (digeste, de verb.
oblig.j prévoit c.ette hypothèse . .
Souvent auss~ le créancier stipulait des intérêts à. tant
pour cent par mois ou même par jour.
Une période nouvelle commence sous Justinien. Dans
une constitution qui forme a-q. Code la loi 26 (de usuris)
~e prince fait table rase de la législation antérieure et
remanie complètement les lois relatives au taux de l'intérêt. L.'Empereur espérait que ces lois nouvelles adouciraient le sort des débiteurs et allégeraient le dur et
pesant fardeau des intérêts: (( Super usurarum vero
quantitate etiam generalem sanctionem facere necessarium esse duximus, veterem duram, et gr~vissimam
earum molem ad mediocritalem deducentes >>.
· Pour arriver à ce but, il abaisse le taux de l'intérêt et
le fixe à un chiffre plus ou moins élevé suivant la quçilité
et le rang des créanciers.
C'est dans celle Constitution qu'on trouve la première
distinction entre l~s prêts civils et les prêts commerciaux,
distinction qui a été reproduite dans le droit français par
la loi de 1807.
Pour les eersonnes illustr~s, l'intérêt ne -peut excéder
le tiers de la « centesima " ; pour les personnes corn- .·
merçantes, le taux. sera des deux tiers de la centesima :
pour les personnes ordinaires, l'intérêt ne peut pas dépasser la moitié de ce taux ; enfin .dans le nauticum
fœnus, la centesinfa sera l'extrême limite. Il faut classer
dans celte dernière catégorie les intérêts des sommes
dues par le fisc et les villes.
En résumé, le taux légal est fixé par Justinien à 4 Ü\0
�-
46 -
pour les personnes illustres ; ~1 8 OtO pour les commerçants;
OïÜ pour les autres per.sonnes et enfin à 12 OtO
pour les prêteurs à la grosse.
Cette constitution était imparfaite. Pour réprimer les
abus et adoucir le sort des débiteurs, il aurait fallu
n'appliqner la réforme qu'au prêt de consommation. En
·étendant la loi nouvelle au prêt à. la grosse, on s'expo-:
sait à. une résistance évi.dente et on poussait les creanciers à user d'artifice pour déguiser leurs prétentions:
Nous allons voir bientôt quelles furent les conséquences
de ces innovations et par quels moyens les prêteurs éludèrent la loi.
Ces dispositions étaient si contraires à la natnre du
prêt à la grosse que deux auteurs, Dumoulin et Emérigon, .
ont cru pouvoir en restreindre l'application à certains
cas p'articuliers.
Suivant Dumoulin, la loi 26 ne viserait que la navigation sur les côtes que nous désignons sons le nom de
petit cabotage, tandis que la loi 1) (pericnli pretium, de
nautico fœnore) s'appliquerait à la grande navigation.
Emérigon (contrats à la grosse, chap. 1, sect. 1) a
donné une autre explication qui n'est pas plus heureurn
que la · précédente. Nous la reproduisons en partie. «Il
me semble, dit-il, qu'il n'est ·pas plus aisé de dire que la
loi de Justinien n'était applicable qu'à l'argent trajectice
dont les risques n'étaient pas à la charge du créancier,
ce qui se réfère à la loi 4 au digeste, <t de nautico
fœnore ".
Les termes clairs et précis de la loi '.26 résistent à ces
deux interprétations. Ces deux systèmes sont ~lutôt une
à.?
�-
47 -
critique de la loi qu'une:interprétation sérieuse. Il se,rait
d'ailleurs bien difficile de les concilier avec les rédamations générales que souleva celte _innovation. Pour échapper à une situation aussi désastreuse, les commerçants,
les banquiers cherchaient à violer ces dispositions par
tous les moyens qui étaient en leur pouvoir.
, L'opinion univerHellement admise est que l'Empereur
voulut établir un taux maximuœ en matière de prêt à la
grosse: ce taux était le(< centesima usura. »
Cette loi nouvelle ne fut jamais rigoureusement appliquée. Les mœurs furent ·plus fortes que la loi et les
créanciers finirent par stipuler comme par le passé des
intérêts supérieurs au taux légal.
Nous trouvons dans la novelle .106 le résultat d'une
enquête ordonnée dans les circonstances suivantes :
Deux prêteurs à la grosse adressent à l'empereur Jus. tinien une requête dans laquelle ils le prient de leur
faire connaître quels rnnt les droits des créanciers dans
le prêt maritime. L'empereur charge le préfet du prétoire de faire une enquête. Celui-ci réunit un certain
nombre Je négociants qui avaient l'habitude de prêter
à la grosse et leur demande quels sont les usages maritimes: « convocasse naucleros, quibus hcec mutua curœ
sunt el interrogasse qmB aliquando antiqua consuetudo
ftlerit. »
li résulte de celte enquête que l'on transgressa-il la loi
de deux manières :
On percevait dix solides pour chaque cent solides, et,
de plus, on chargeait sur le navire autant de mesùres
d'orge ou du froment qu'on avait prêté de solides. (( ln
�-
48 -
sin.gulis solidis pecuniarum quas dederint, unum tritici
modum aut hordei imponere quœ mercedem publicis
prœberent pro eis telonariis. »
« Cette charge, dit Cujas, élevait Je profit maritime au
delà de la « centesima usura. >)
La novelle 106 nous fait connaître un autre procédé
employé plos spécialement dans la petite navigation :
« Si vero non banc viam cr~ditores, octavam partem
percipere pro singulis solidis nomine usurarum, non in
lempus aliquod certum numerandum, ·sed done.c naves
revertantur salvœ. n
Le prêteur percevait le huitième de chaque rnlide,
c'est-à-dire trois siliq1jes par chaque solide, ce qui
donnait un taux de 12112 010. Le résultat ainsi obtenu
était illicite. Comme le taux était fixé non pas à raison
de tant par mois, mais à raison de tant par voyage, le
prêteur finissait par avoir des intérêts biens supérieurs à.
ceux autorisés par la loi.
Ces intérêts pouvaient même être deux fois supérieurs
au taux légal : c'est ce qui arrivait lorsque le voyage ne
durait que, six mois.
A la suite de cette enquête, Justinien abrogea .les dispositions du Code (loi '.26, de usuris) et donna force de
loi à ces usages.
Mais les prêteurs ne jouirent pas longtemps de celte
liberté, car, peu de temps après, l'Empereur .vint remetire en vigueur la loi '.26 avec toutes les distinctions
que nous avons établies. cc Plusieurs réclamations nous
ayant été faites, nous nous sommes aperçu que cette loi
n'est pas bonne ~t qu'on désire dans votre forum qu'elle
�-
49-
soit révoquée : nous l'àbrogeons d'onc ~n entier, et
nous ordonnons que si elle a été insinuée dans les provinces, elle n'y ait aucune force et qu'elle y soit sans
vigueur. ))
C'est la dernière loi connue sur le taux de l'intérêt.
A quel moment le remboursement avait-il lieu ?
Le remboursement devait s'effectuer à l'expiration du
voyage. Par exception à cette règle, lorsque, après le
voyage, une tempête ne permettait pas au navire de reprendre la mer, il était d'usage d'accorder au débiteur un
délai de trente jours pour payer et de n'exiger aucun
intérêt tant que les marchandises n'étaient pas vendues.
Si le navire reprenait immédiatement la mer, les parties ponvaient faire une convention nouvelle dans laquelle
elles confirmaient ou modifiaient, suivant les circonstances, les clauses du premier contrat. « Si tamen post reversionem navis salvœ et antequam navigare propter
tempus valentes revertantur triginta $0\um dierum inducias dari a creditoribus deb itoribus, et nihil pro debitia
usurarum cansa exigere, donec vendi contigat onus. )>
Nous allons étndiër maintenant les intérêts qni pouvaient être dus en dehors du nauticum fœnus.
On peut poser comme une des règles essentielles du
prêt à la grosse que !'emprunteur. doit remboursél' la
somme qu'il a empruntée, dès que les risques cessent
d'être à la charge du créancier, c'est-à-dire, .à la fin du
voyage ou à l'époque convenue. A ce moment Je créancier peut agir contre l'emprunteur pour lui réclamer ce.
qui lui est dû, capital et intérêts. Toile est la règle qui
�- 50 -
était appliquée à Rome en dehors des cas exceptionnels.
où l'on accordait au débiteur un déla-i de trente jours.
Lorsque Je nauticu ·n fœnus était con tracté pour toute
la durée du voyage, il était d'usage, pour obliger l'emprunteur à payer, de stipuler une pœna, c'est-à-dire
une clause pénale qui faisait courir les intérêts moratoires.
Cette garantie triomphait généralement du mauvais
vouloir ou de la négligence du débiteur, car, s'il ne remplissait pas ses engagements en temps et lien, il devait
payer, avec le capital et les intérêts maritimes, . de nouveaux intérêts pour chaque jour de retard.
Le textes mentionnent un autre usage auquel on recourait souvent dans les prêts à la grosse faits pour l'aller
seulement ou pour un laps de temps déterminé. Le
créancier, qui d'habitude était loin de l'endroit où le
remboursement devait s'effectuer, embarquait sur le
navire un esclave dont la mission consistait à le remplacer
et à recevoir en son nom le capital et les intérêts maritimes. L'esclave jouait un autre rôle. Il surveillait la marche du navire et le chargement qui devait servir de gage
au créancier. Il devait empêcher certaines fraudes qui se
pratiquaient en Grèce, ainsi que nous l'apprend Démosthènes, telles que des pertes simulées ou des naufrages
combinés par un emprunteur qui n'avait fait qu'un chargement insignifiant.
Si Je créancier n'était pas désintéressé au moment dè
l'arrivée du navire, l'emprunteur devait payer, avec les
intérêts moratoires, une somme d'argent qni représen~
fait la privation des services de l'esclave.
�-
51 -
Cette somme d'argent se confondait-elle avec la pœna?
Plusieurs textesreprésentent la pœna comme l'équivalent
des services de \'esclave dont le créancier était privé pendant la durée du voyage : cc pro operis servi trajectitire
pecunire gratia secuti (loi 4, § 1, de naur. fœn.) ; « ab
operis ejus qui eam pécuniam peteret >; (loi '.23, Dig. de
oblig. et acL). La raison que nous donnent les textes
nous semble plus apparente qne réelle, car, nous voyons
qu'on prend ici comme base d'évaluation de ces services
les inté~êts des capitaux empruntés, ce qui porte les
intérêts à un chiffre plus ou moins élevé, suivant le
montant de ces capitaux. Il résulte de là que Je chiffre de
l'indemnité variait non pas avec l'habileté de l'esclave
et le produit de son travail, mais avec les intérêts maritimes.
Ces deux textes n'ont pas la portée que quelques auteurs ont voulu leur donner; on trouve d'ailleurs d'autres
lois qui parlent de la pœna d'une façon générale .sans
spécifier qu'elle représentait plus particulièrement les
services de l'esclave.
Ainsi, nous lisuns dans un texte de Papinien que le
créancier, lorsque les intérêts moratoires étaient inférieurs au taux légal, pouvait parfaire cette somme par
une seconde stipulation fondée sur la privation d~s services de l'esclave.
Dans l'hypothèse que prévoit ce jurisconsulte, la privation de ces services n'est que le complément des intérêts cl us pour le retard"
La peine, dit Emérigon, se confondait alors avec l'in ...
térêt terrestre au-delà duquel il n'était permis de rien
exiger.
�- 52 -
Nous allons abo~der maintenant l' étl)de des djverses
questions qui ont été soulevées à propos de cette ïndemnité.
La pœna pouvait-elle être due en vertu d'un simple
pacte comme les intérêts maritimes? Nous ne le pensons
pas.
Le prêt à. la grosse ne conserve son caractère propre
que pendant la durée des risques; le voyage une fois terminé, il redevient un prêt ordinaire, un mutuum.
La pœna, au contraire, n'est due qu'à partir du moment où le créancier peut exiger le rembonrsement de
son ca~ital accru .des intérêls maritimes.
C'est une obligation conditionnelle dont l'existence
est subordonnée au retard, à la négligence du débiteur et
dont la naissance coïncide avec l'extinction du contrat
principal. Si t.el est Je caractère de cette indemnité, on
est 0bligé de décjder sans hésiter qu'elle est soumise aux
règles générales en ma:tière d'intérêt et, par suite, qu'elle
ne peut être due qu'en vertu d'une stipulation. Cette solution est l~ seule qui soit en harmonie avec les termes
de la loi.
Dans tous les textes qui s'occupent de la pœna le mot
cc stipulatio est » seul observé.
« Stipulationem operarum servi (loi 4, S 1, Dig. de
naut. fœn.); pœna in stipulationem deducta ,, (loi 33,
Dig. de oblig. et act.).
Puisque la pœna ne peut être due qu ~ en vertu d'une
stipulation, on lui ·appliquera les règles relatives au taux
de l'intét·êt: «pro operis servi trajectitiœ pecuniœ gratia
�-Msecuti, quod in singulos dies in 'stipulatione deductum,
ad finem centesimre, non ultra duplum debetur. >>
Lïntér.êt stipulé pour les services de l'esclave et la
pœna ne peuvent excéder le montant de la somme prêtée ; en d'autres termes, si le capital est doublé par
l'accumulation des intérêts, ceux-ci cessent de courir
" supra duplum autem usurre nec in stipulalione deduci, nec exigi possunt ; et-solutre reperuntur >> (loi ~6,
de condict. indeb.).
Dans cette computatio dupli faut-il tenir compte du
capital augmenté des intérêts maritimes ou du capital
seulement?
Dans une pn~mière opinion on considère les intérêts
moins- comme des intéri1ts ordinaires que comme une
indemnité qui doit se confondre avec le capital. Mais
alors comment se calcule le double? Doit-on faire entrer
en ligne de compte tous les intérêts moratoirés ou seulement les intérêts encore dus? Jusqu'à Justinien, on ne
comprend dans le calcul du double que les intérêts
dus ;.les paiements partiels servent à la décharge du débiteur. Une constitution de cet empeceur décide qu'à
l'avenir tous les intérêts seront comptés dans cette corn_,.
putatio dupli. Cette constitution avait pour but d'empêche1· la mine du débiteur par l'accumnlation indéfinie
des intérêts.
Il n'y avait d'exception à celle règle qu'en faveur des
villes. On ne pouvait même pas 0luder cette disposition
en donnant des gages aux créanciers« nec si pignora ....
data sunt, quarum occasione quredam veteres leges et
ultra duplum usoras ·exigi permittebant. n
�-
54 -
Dan'S une autre opinion, on ne comptait que le capital
dans le calcul du double, parce .que, disait-on, la considération des risques ne peut pas enlever aux intérêts
leur caractère distinctif.
-. Le chiffre plus ou moins élevé des intérêts ne prouve
qu'une chose, à savoir que dans les opérations maritimes
le créancier est plus exposé à perdre ses capitaux. On
disait enfin que l'assimilation <les intérêts au capital était
une violation des lois qui, dep1üs l'époque de Cicéron,
prohibaient l'anatocisme.
Justinien fil cesser cette controverse en déclarant que
les intérêts maritimes seraient confondus a·vec le capital.
Dans notre législation, les intérêts moratoires ne commencent à courir qu'à dater de la mise en demeure du
débiteur.Quelle règle suivait-on en droit romain ?Etaie11tils dus cc ipso jure)) à partir de l'échéance de la delle ou
fallait-il une sommation pour les faire courir? Ici encore
il y avait controverse entre les Sabiniens el les Prnculiens.
D'après les Proculiens, les intérêts moratoires ne commençaient à courir qu'à partir du moment où le débiteur avait été mis en demeure.
11 Labeo ait : si nemo sit, qui a parte promissoris interpellari traj ectitire pew nire possi t id ipsum testation e
complecti debere, ut pro petitiorie id cederet » (loi 2,
Dig. liv. XXII, de naut. fœn.). Si cependant le débiteur
était mort sans h~ritiers au moment où ce remboursement d_evait être effectué .. l'attestation devant témoins
tenait lieu de sommation, cc si trajectitire pecunire pœna,
uti solet. promissa est: quamvis eo cli~, qui· eam pecu-
�-
~5 -
'niam deberet, 'tamen perinde committi pœna potest, ac
si foisset heres debitoris. >>
Dans l'opinion des Sabiniens, on enseignait que les
intéréts moratoires devaient courir de plein droit au moment de l'exigibilité de la créance, « usurarum stipulatio,
quamvis debitor non conveniatur, committitur >> (Pomponius, loi 9, § 1, Jiv. XXII, tit. 1 ).
Africain déclare que l'interpellation est inutile, «consnltus respondit, ejus' quoque temporis, quo interpeIJa·tus non esset, pœnam peti posse : amplius etiam si
ornnino interpellatus non esset. .... Alioquin ·dicendum
est, si is qui i·nterpellari cœpisset, valetudine impeditus,
interpellari dedisset; pœnam non committi >> (loi ~3.
Dig. de oblig. et act.). «S'il en était autrement, dit Scœvola, il faudrait décider que la peine ne serait pis encouroe, si une maladie empêchait Je créancier de faire l'ince qui est inadmissible. >>
terpellaHon,
'
1
Nous terminerons en disant que Justinien consacra
l'opinion des Sabiniens dans une constitution qui forme
au code la loi 12 (de contrah, et commit, stipnlatione
VIII, 38) cc Sciat minime se posse debitor ad evitandam
' pœnam adjicere quod nemo éum adinonnit. ... quum ea,
qme promisit, ipse in memoria sua servare, non ab aliis
sibi maoifestari debeat poscere. >> Le débiteur ne peut
pas alléguer qu'on ne lui a fait aucune sommation, parce
qu'il doit avoir toujours la mémoire de ses cleLLes.
L'opinion de Ju::;tinien est la plus juridique: en effet,
la stipulation de la pœna est pour le débiteur une obligation conditionnelle qui se transforme en une obligation
pure et' simpl e par le défaut de paiement an j'our de
J'échéance.
�-
Gfi -
Si le créancier s'est opposé lui-même au payement,
le débiteur est libéré de toute obligation . . '' Servius ait
pecunire lrajectitire pœnam peti non passe, si per creditorem stetisset, quo minus eam inlra certnm tempus
prrestitutum accipiat )) - (( si ta men post mortem creclitoris nemo fuit cui pecunia solver.etur ejns temporis ihculpatam esse moram constitit. )) (loi ~3 dig. de oblig. et act.).
Les régies que nous venons d'exppser en étudiant les
intérêts maritimes étaient-elles particulières au nauticum
fœnus? Ne faut-il pas, au contraire, les étendre à toutes
les opérations, même non maritimes, dans lesqneHes le
prêteur prenait à sa charge les pertes et les détériorations
dues à des cas de forœ majeure? En faveur de celle
solution on peut invoquer un e loi de Screvola (loi 5 dig.
iiv: XXII, tit. 1·1).
Malheureusement cette loi, qui ne nous est pas parvenue dans sa pureté primitive, a soulevé de grandes
difficultés d'interprétation. Nous allons la reproduire :
cc periculi pretium est, et si conditione, quamvis pœnali
non existente, recépturus sis, quod dederis, et insuper
aliquid prœter pecuniam, si modo in alere speciem non
cadat, velu Li, ea, ex qnibus conditiones nasci soient, ut:
si manumiltas, si non illnd facias) si non convaluero, et
cœtera. Nec dubitabis si piscatori erogaturo in appara·
tum plurimum pecuni re dederim ut, si cepisset, redderet § 1. In his omnibus et pactum sine stipulatione ad
augendam obligationem prodest. ))
Les règles posées dans ce texte, ld qu'il est arrivé
�-
57 -
jusqu'à nous, sont absolument contraires à celles que
nous avons énonèées. Le j uriconsulte Scœvola semble ·
dire que le prêteur peut recevoir q'uelque chose outrê le
capital en l'absence même de toute condition pénale, si
la convention ne dégénère pas en une sorte de pari.
Interprétée littéralement, cette règle est la condamnation
du prêt a la grosse lui-m ême, puisque J'alea est la base
de ce contrat.
Ce texte ne peut donc être traduit sans correction.
Don eau, pourtant, a essayé de l'expliquer sans le corriger.
"On peut, dit-il, sans clause pénale exprimée, réclamer
le capiLal, plus une indemniLé représentant le prix des
risques couros, toutes les fois que la restitution de l'argent prêLé est subordonnée à une condition, sauf le cas
où le contrat dégénère en une convention de jeu. Pour
qne la convention soit val~ble, il faut que la condition
naisse de la nature du contrat, comme on peut lé vo.ir
par les exemples donnés an texte; dans ces h·ypoLhèses,
la condition s'indnit des faits habituels de la.vie, bien que
la rfalisation dépende du hasard. >> Comme conclusion
il faut ajouter qu'on ne peut exiger le prix des risques
toutes les fois que la base dn contrat est un simple cas
fortuit.
Cette interprétation ne tranche pas la difficulté; voici
l'opinion de M. Pardessus.
« Quelle est, de l'aveu unanime des interprétes, l'in ·tention du jurisconsulte Scœvola , auteur de ce fragment?
De prouver quïl peut y avoir des négociations autres que
les prêts maritimes réglés par des principes analogues à
éeux du prêt à la ~rosse, c'est ce que Pothier a soin de
�-
58 -
faire remarquer. Dans ces ·sortes de prêts, dit Soœvola,
on considère comme prix du risque· dont se charge le
prêteur,ce qu'il« stipule insuper, prœter pecuniamu. Mais
il ne faut pas s'y méprendre: s'il -est vrai qu'on puisse
stipuler quelque chose cc insuper pecuniam » lorsqu'on
stipule par clause pénale qu'à défaut de payement au jour
fixé, le débiteur payera une somme quelconque outre le
principal, c'est à titre d'indemnité, et non cc ut periculi
pretium". Pour qu'il y ait prix du risque, il ne suffit pas
que le droit dù créancier dépende d'une sorte d'incertitude, cc cadat in aleœ speciem )), telles que sont les conventions d'où naissent lr~s conditions, soit purement
casuelles, cc si non convaluero ))' soit dépendantes de la
volonté du débiteur qui s'oblige à. payer au cas où il ne
fera pas une chose, "si manumittas, si non illud facjas »,
car, il n'y a pas là un prix du risque, cc periculi pretium».
Mais ce risque existe «nec dubitabis n lorsqu'on prête
une somme à un pêcheur _qui ne rendra rien s'il ne prend
pas de poissôn, et qui, s'il en prend, rendra le capital et
insuper aliquid. Cet cc fosuper aliquid »est évidemment
l'indemnité du risque qu'a couru le prêteur de ne rien
recevoir, et, par conséquent, c'est le « periculi pretium».
Emérigon passe à côté de la difficulté. <<La loi Periculi pretium, dit-il, est très obsure. Cependant on doit
en inférer qu'en matière de contrats aléatoires, ce qu'on
reçoit au-delà du principal est le prix du ·péril qu'oB a
couru, cc pretium periculi est». Ce qu'on reçoit an-delà
du capital est moins un intérêt qu'un accroissement de
l'obligation. Et, comme dit Dumoulin, dans l'explication
qu'il qonne de cette loi,<~ valet sine s~ipulatione, nec sµb
�-5!1 -
est taxationi usurarnm, quia augmenlnm sortis non est
usura, sed perict1li pretium ,, .
Nous nous rallions à une dernière explication, celle
de Cujas, le seul commentateur qui, à notre av is, ait
véritablement interpr~!té la lo i de Sc~evola ou ait permis
·au moins de la comprend l'e en la corrigeant.
. Son interprétation est cl.aire et logique.
Au lieu de cc el si conditione, quamvis pœnali non
existente.,, il faut lire cc et si c.onditione quamvis non
pœnali existen te 11.
Après cette première correction, la loi devient facilè
à commenter.
Le texte peut se traduire ainsi : La condition réalisée,
le prêteur peut toujours recevoir quelqu e chose en outre
du capital, bien qu'il ne l'ait pas stipulcl comme une
clause pénale, car ce qu'il reçoit est le prix des risques.
Cujas propose une autre correction; au lieu de : cc si
modo in aleœ speciem n-on cadat >>il dit: «in aliam speciem n. Enfin, il remplace cc conditione ,, par le mot
11 condictiones >>.
Après toutes ces correction s, la pen sée de Scœvola se
dégage facilement de la loi.
Dans toutes les hypothèses où le prêteur s'est exposé
à perdre sa créance, il peut obtenir outre le capital "insuper aliquid n, comme prix des risques. Cette indemnité ,ne peut être due qne clans les conventions aléatoires, et Scœvola nous cite le cas où une somme était
prêtée à un pêcheur pour acheter des engins de pêche
cc piscalori er'ogaturo in apparatum n, à condition qu'il
ne rendrait la somme prêtée que s'il faisait bonne pêche,
�- 60-
et le cas où l'on aurait prêté de l'argent à un athlète pour
s'équiper, a condition qu'il ne serait tenu de restituer
l'argent que s'il était vainqueur.
Mais il ne faut pas confondre avec ces opérations les
dations conditionnelles dans lequelles on ne peut répéter
par la condictio ob rem dati que.la res prresti la.
Avec les corrections proposées par Cujas, acceptées
par Pothier et un grand nombre d'auteurs, la· question
de la loi 5 est réso)ue.
On peut assimiler au prêt à la grnsse tontes les conventions dans lesquelles le créancier s'expose à perdre les
capitaux qu'il a prêtés. Dans tous ces contrats aléatoires,
Je prêtenr peut stipuler cr aliquid pnBler pecuniam )) et
un simp le pacte suffit pour faire courir les intérêts.
cc In his omnibus et paclum sine stipulatione ad augendam obligationem prodest )) .
.·
. ~~··" '
�CHAPITRE lll
Sû1•etés acco1•dées au prêieu1• à la g1•osse.
SECTION I
-.
Süretés légales.
Les jurisconsultes romains avaient accordé un « privilégium ii anx prêteurs à la grosse dans l'espérance d'attirer les capitaux et d'encourager les expéditious mariti. . mes qui intéressaient au plus haut point la prospérité de
la république. «Qui in navem exlruendam, vel instruendam credidit vel etiam emendam, privilegium habet. ,,
(Loi 26 de reb, auct. jud. XLII, 5.)
Il est encore parlé de ce << privilegium " dans la loi 34
au même titre« Quod quis navis fabricand re vel emendre,
vel armandre, vel instruendre causa, vel quoqno modo
1
crediderit vel ob navem venditum, petat, habe t privilegium post fiscum. ))
Les mêmes dispositions se retrouvent chez les Athéniens. A l'arrivée du navire, le créancier pouvait poursuivre le paiement de ce qui lui était dù snr tout ce qui
formait son gage, et cette poursuite s'ex~r~ait par voie de
saisie et de vente forcée.
Les marchandises chargées sur le navire étaient affecté,es à la dette (Demosthènes contre Lacritos).
�-
62 -
JI ne fan t pas donner an mot privilège, en droit romain,
la signification qu'il a dans notre droit français. A Rome,
en effet, le privilège est un simple droit de préférence
résultant de la qualité du créancier ou de la cause de la
créance et opposable seulement aux créanciers chirographaires. Il ne comporte ni droit de suite, _ni droit de
vente. Entre les divers privilèges, les rangs s'étâb li ssaien~
d'après la seule qualité des créanciers et sans aucun bgard
à l'an cienneté; il en résultait que tous ceux qui devaient
leur privilège à une cause de même nature conco uraient
entre enx (1. 7, § 3. dig. depo$. XYI, 3; 1. 3~ de reb.
anet: J ud.)
Les Romains finirent par créer une garantie semblab le
à notre privilège; ce fut l'hypothèque privilég:ée. Cette
hypothèque primait toutes les autres cré:i.nces hypothécaires, même antérieurns, comme le simple privilège primait les créances ch irographaires.
Le privilège accordé au prêteur 8t1it appe lé (( privilegium inter personales action8s )),
Le prêteur à la grosse avait clone une situation intermédiaire entre les créanciers chirographaires et les
créanciers hypothécaires: il primait les uns et était primé
à son tour par les autres .
Certains auteurs enseignent cependant que le prêtem· '
avait une véritable hypothèque. La loi 1 au digeste (in
quibns caus. pign. vel hyp.) accorde une hypothèque
à celui qni a prêté de l'argent pour la reconslrnction d'un
édifice. « Senritus consulto quod sub Marco imperatore
factum est, pignns insnlre creditori datnm, qui pecuniam
ob restitutio nern œdificii extruendi niutuam dedit, ad
�-63 -
eum ,quoque pertinebit, qui redempLori, domino mandante nummos ministravit. ))
Pourquoi ne pas étendre cette règle au cas où l'argent
prêt.é à la grosse a servi à acheter on à équiper un navire.
Celle règle n'est pas écrite dans la loi, mais elle ressort
de son esprit.
Cette. opinion a été soutenue par Accurse, Kuricke et
plusieurs savants de l'éco.le Je Bologne.
Nous pensons qu'il faut s'en tenir à la règle générale,
parce que la loi 1 au digeste n·a élé écrite qne pour protéger les créanciers qui avaient prêté de l'argent pour la
réparation des édifices. Les lois romaines ont toujours
été favorables }1 la conservation et à la réparation des monnmen ts cc ne urbs ruinis deformelur. ))
La loi I, emploie Je mot " pignus n, mais quel est Je
sens exact de ce mot ? Pour Accurse et Kuricke « p1gnus >> signifierait une hypothèque privilégiée. Cette interprétation est universellement rejetée. JI est admis par
tous les auteurs que le prêteur à la grosse n'avait qu'un
simple privilège qui le plaçait immédiatement au-dessous
des créanciers hypothécaires. On peut invoquer en faveur
de celle opinion plusieurs textes dans lesquels le mot
(( privilegium J) est seul employé (loi 24 S 1 dig. livr.
4:2, lit. V) cc creditor qui ob restitutionem redificiorum
crecliderit i11 pecunia quœ credita est, privilegium exigendi habebit. ,, (loi 25, ùe rebus creditis.) - (Loi I,
de cessione bon.)
•
On a voulu tirer une objection de la loi 34 au digeste.
Celle loi, dit-on, donne au prêteur nn privilège qui ne
peut être primé que par celui du fisc, cc habet privileginm
�-
6/1 -
post fiscum >J; on a rapproché ce texte d'on autre passage du même jurisconsulte - « privilegium fisci est
inter omnes creditores primum locum habere 1) et on en
a conclu que le privilège du prêteur passai.t après celui
du fisc, avant celui de tous les autres créanciers.
Cet argument n'estau fond qu'une pétition de principe.
En classant le privilège du prêteur immédiatement après
celui du fisc, la loi 34 n'indique pas quels sont les créanci-ers auxquels le fisc est préfMé. S'agit-il des créanciers
hypothécaires ou des créanciers chirographaires? Voilà
ce qu'il faudrait commencer par établir.
Il faut-cherc!rnr ailleurs la solution de la question (loi
8, dig. qui potiores - loi 2, code de privilegio fisci
VII). On voit que dans ces lois le fisc n'a qu'un simple
privilège qui ne lui donne le pas que sur les créanciers
chirographaires.
Dans la loi 10 au digeste, (de pactis) Ulpien nous apprend qu'en dehors des cas tout à fait exceptionnels où
il a une hypothèque, le fisc est dans la même situation
que les créanciers à qui la loi donne un privilège " fiscum
quoque, in his casibus, in quibus ijypothecam non habet
et cœteros, privilegiarios, etc. >J
Les deux textes que l'on invoqµe dans la première
solution signifient seulement que le fisc est préféré aux
créanciers chirographaires, qu'il est un créancier chirographaire privilégié et qne, s'il y a concours entre le pri·
vilège du prêteur et celui du fisc, c'est celui-ci qui l'em~
porte,
�-
65 -
SECTION II
Sûretés résultant de la convention.
En d~hors de la garantie spéciale que les textes accordent au prêteur li la grosse, celui-ci peut stipuler, comme
tout créancier, les sûretés qu'il juge convenables, telles
qu'une hypothèque ou l'adjonction d'un fidéjusseur. Si
la loi doit respecter la convention des parties et leur
accorder une liberté illimitée, c'est surtout dans les opérations dont le succès dépend de mille événements imprévus. Le prêt à la grosse peut se placer au nombre de
ces opérations.
Les textes ne font aucune all~sion à l'adjonction d'un
fidéjusseur, mais cette garantie qui n'est ni illicite, ni
immorale, .devait être autorisée au -même titre que l'hy-.
pothèque et le gage.
En parlant des garanties légales accordées au prêteur,
nous avons vu que Je privilège n'appartenait qu'à celui
qui prêtait de l'argent pour la construction, l'achat ou
l'équipement d'un navire. Si l'argent servait à acheter
des marchandises, le prêteur n'avait aucune sûreté.
·Cette distinction n'.a plus sa raison d'être en matière
de sûretés conventionnelles.
En Grèce, l'emprunteur peut· affect.er tous ses biens à
la garantie de sa delle, (Démosthènes contre Lacritos). A
Rome, le débiteur peut donner hypothèque sur le navire,
sur les marchandises, même sur celles qui sont chargées
�-
56 -
sur d'autres navire et qui ne voyagent.pas aux risques du
prêteur. Nous trouvons un exervple de celte convention
dans la loi 6 au digeste (de nautico fœnore) cc fœnerator
pecuniam usuris maritimis mutuam dando quasdam
merces in nave pignore accepit; ex quibus si non potuisset
totum debitum exsolvi, aliaram mercium aliis navibus
impositarum, propriisque freneratoribus obligatorum, si
quid, superfuisset, pignori accepit. )) Dans cette hypothèse, le prêteur peut se trouver en concours avec d'autres
créanciers hypothécaires. Si le navire vient à périr, perdra-t-il tous ses droits ou pourra-t.-il se faire payer sur
le prix des marchandises chargres sur d'autres navires,
lorsqu'on aura désintéressé les créanci.ers qui avaient une
hypothèque sur ces marchandises?
Le prête_ur perd tous ses droits. L'hypothèque ne peut
exister indépendamment du droit qu'elle garantit; or, le
droit principal, la créance n'existe plus, puisque le navire
a péri pendant la traversée.
à Interrogé sur cette question, j.'ai répondu, dit le
jurisconsulte Paul, que la perte du gage était ordinairement à la charge du débiteur, et non du créancier, mais
qne l'argent prêté à la grosse aventure ne pouvait être
répété par Je créancier que lorsque le navire arrivait à
destination à l'époque convenue; què l'obligation du débiteur, si la condition ne s'accompli.ssait pas, était éteinte
et avec elle toute action sur les gages, même sur ceux qui
n'avaient point péri . .
Mais alors ,quand le créancier pourra-t-il faire valoir
son hypothèque sur les gages supplé'mentaires?
Il le pourra quand la condition de l'obligation se se~a
�-
67 -
réalisée ou quand le premier gage aura péri dans un événement do.nt le prêteur avait déclaré ne pas vouloir assumer la responsabilité. Il en sera de même si les marchandises hypothéquées ont été vendues à vil prix ou si 'la
perle du navire n'est arrivée qu'après le temps des
•
risques.
Si le débiteur n'acquitte pas sa dette à l'échéance, Je
créancier pourra saisir les marchandises hypothéquées
à sa créance, les fairè vendre, et retenir sur Je prix le
capital qui lui est dû, les intérêts et la pœna, si celle-ci
toutefois n'excède pas le taux légal, cc nec pig_nore, nec
hypotheca titulo majoris usurœ ten ebuntu r. » (Loi 4,dig.
de nau t fœnore.)
Nous voyons clans la loi 18 au digeste (livr.e XX, tit.
IV) et dans la loi 20 (livre XIII, titre 7) comment se
régie le concours entre les créanciers à qui on a donné
les mêmes garanties'.
Deux hypothèses peuvent se présenter:
1° Les hypothèques n'ont pas pris naissance à laméme
date «Lucius Titius pecuniam mutuam dedit sub usuris,
acceptis pignoribus, eidemque debitori Mœvius sub iisdem
pignoribus pecuniam dedit; quœro, an Titius non tantum
:sortis et earum usurarum nomine, quœ accesserunt antequam Mœvius crederet, sed etiam earum qure poslea
accessernnt, poliorem esset? Resp,ondit Lucium Titium
in omne quod ei debetur potiorem esse. >>
On applique dans ce premier cas la règle c~ prior tempore, potior jure •1 .La préférence s'établit d'après la date
des hypothèques en commençant par la plus ancienne,
quelle que soit d'ailleurs la date .de la créance.
�-
68 -
Cette règle est toujours subordonnée, pour ce qui
concerne le prêt a la grosse, à la condition què le voyage
s'effectuera dans les conditions normales .
0 Les hypothèc{ues ont été consenties à la même date
• ·~
«si pluribus res simul pignori detur, req ualis omnium
causa est >1 (Loi 20, liv. XIII, tit. 17). Lorsque les hypothèques ont été consenties à i'a même date, les créanciers viennent au même rang.
Le prêteur qui a obtenu une hypothèque aura le droit
de suite, le droit de rétention, le droit de vente èt le
droit de préféreuce; comme la plupart du temps il arrive
au premier rang pour les marchandises chargées sur le
navire, il aura à lui seul toute l'efficacité de l'hypothèque.
Lorsque l'emprunteur a donné une hypothèque spéciale sur des objets mobiliers, il lui est défendu de les
aliéner sous peine de commettre un furtum.
Il y avait quelques exceptions 1:1 cette règle. Ainsi dans
le prêt à la grosse, l'emprunteur conservait le droit de
vendre les marchandises, si Je prêt avait été fait pour
l'aller el Je retour. Mais ce n'était pas là une exception
à proprement parler, car, à l'arrivée du navire, les marchandises chargées pour le retour étaient subrogées aux
premières et frappées comme elles d'une hypothèque.
On conciliait ainsi les droits du créancier avec les besoins
du commerce.
Les Romains, nous l'avons déjà dit, créèrent des
hypothèques privilégiées au profit qes créanciers qui
avaient fait des dépenses pour conserver la chose hypothéquée ou dans l'intérêt commun cles autres créanciers.
�-
69
~
Comment se classaient ces hypothèques privilégiées?
Les textes nous donnent deux exemples, (loi 7, Code,
liv. VIII, tit. XVIII)'.
(( Licet iisdem pignoribus multis creditoribus diversis
temporibus datis, priores habeantur potiores : tamen
eum .cujus pecunia prœdium comparatum probatur, quod
ei pignori esse specialiter obligatum statim convénit ;
omnibus anteferri juris-auctoritate declaratur. l>
La première hypothèse est celle où l'argent prêté a
servi à acquérir une chose grévée d'hypothèque. Le prêteur primera les autres créanciers de l'acheteur.
Il ne s'agit nullement ici d' une hypothèque légale. La
loi nous dit seulement que si le créancier obtient une
hypothèque sur la chose achetée, cette hypothèque sera
privilégiée.
Le prêteur a encore une hypothèque privilégiée lorsque
l'argent qu'il a avancé a servi à réparer la chose hypothéquée.
u lnterdum posterior potior est priori : ut puta, si in
rem istam conservandam impensum esf, quod sequens
credidit ; veluti si navis fuit obligata, et ad armandam
eam rem vel reficiendam ego credidero, (lois 5 et 6,
Dig. liv. ~O. tit. qui potioresin pignore).
c< Hujus enim pecunia salvam fecit totius pignoris
causam. Quod poterit quis admittere, et si in cibaria
nautarum fuerit creditum, sine quibus navis salva perveniri non poterat. - Item si quis in merces (sibi) obligatas crediderit, vel ut salvre fiant, vel ut naulum exsolvatur potentior erit, licet posterior sit : nam et ipsum
nau.lum potentius est. )>
�-
"Io -
. Dans ces deux dernières hypothèses, l'hypothèque du
prêteur était un véritable privilège qui passait avant toutes les autres hypothèques.
- - -..... 1•,,..___ __
.
_,
...
~·
.-·. . .
-
�DROIT FRANÇAIS
IDES CAS DE NULLITÉ DANS LES ASSURANCES
MARITIMES
Le prêt à la grosse et le contrat d'assurance occupent
un·e large place dans \'histoire des législations maritimes.
Ils ont été créés pour des besoins semblables, mais le
prêt à la grosse a perdu irne grande partie de son importance. << Ce sont deux frères jumeaux, dil Emérigon,
mais cela qui est vrai au point de vue philisophique ne
l'est pas au point de vue historique. )) (Traité des assurances, chap. 1.)
Le prêt à la grosse qui est le plus ancien est relégué
au second plan. Cette infériorité s'explique naturellement
si l'on compare ces deux contrats et leur degré d'utilité.
« Le contrat de grosse a cet avantage de procurer des
fonds a.Ùx armateurs au moyen d'un prêt aléatoire où la
chance de pèrdre se réalisant dispensera du remboursement.
Mais combien cet avantage est acheté chèrement par
l'armateur !
�-
72 -
En cas d'heureuse arrivée, il devra. outre le principal,
payer un change ou intér~t nautique.
Or cet intérêt n'est pas, comme pour le prêt ordinaire,
la simple indemnité, pour le prêteur, de la privation de
l'usage de ses fonds, mais l'équivalent de cette chance
qu'il court de ne recevoir, ni son principal, ni les intérêts,
ni un prix quelconque du danger qu'il a couru!
Une telle chance doit rendre le prêteur exigeant, et
faire porter le qhange ~ qn ta\nç onéreux pour l'emprunteur. L'assurance, il est vrai, ne donne pas immédiatement
des fonds à l'armateur, il faut qu'il les ait devant lui, ou
se les procure par une autre voie de crédit. Mais il y
trouve la garantie que, si les fonds par lui exposés périssent, en tout ou en flartie, il en sera remboursé par ses
assureurs. ,. (Cresp, Droit mar. tome 3, page 30).
Une que,stion intéressante est celle de savoir si les
Romains connai:;saient l'a~surance maritime, contrat par
lequel l'un des contractants prend à sa qharge, moyennant un prix, les risques de mer auxque,ls la chose
d'autrui est ou sera exposée et s'engage à indeqlniseJ;'
l'autre contractant de la perle ou des dommages résultant d'événements fortuits on de force majeure.
Si l'on ne retrouve pas l'in~titu t.ion organisée, on en
rencontre cependant quelques traces dans l'histoire, romaine.
Tite-Live nous raconte qu(il pendqnt la s~conde gu(ilrte
punique, des entrepreneurs cnargés de faire transporter
en Espagne des munitions de guerre et de bouche avaie,nt
stipulé que l!i république serait garante des pertes qui,
dans le cours du voyage, seraient occasionné.es par l'en ~
nemi ou par la tempête (Tite-Live, liv. 23 n° 49).
�-
73 -
·Quelques anaées après, Gn fit 1e precès à des traitrat1ts
qui, s'étant chargés de faire povter les provisio:ns nécessaires aux armées a:rnient sup(il@Sé de faux naufrages. Ji,a
République avait !ilris pour son compte les perte& qui
arri·veraient par la vi0lence des tempêtes. <• Pwblioum
periculum erat a vi tempestatis, in iis quœ por.tabun- .
twt ad eœercitus. >> (Tite-Live, Iiv. 2o, n° 3).
On peut citer encore une lettre de CicérH au proqnesteur Caninius Sail us-te lui. anm0nçant qu'i:\i 1J:herch:era des
~épondants pour les demers cq,u'H veut envo)ler à Rome·.
Laodicœ me prœdes accepturum arbvtror omnis
pecuniœ publicœ, ut et rnihi et> populo cautùm sit
sine vecturœ pericu.lo. >>
cc
On trouve enfin au Digeste plusieurs
allusion àr .ce déplacement des visques.
te~t'es
qui font
Si gemma includenda aut incu·lpenda data sit,
eaque frac ta sit, s·1: quidem vit1:0 materi.œ, f acium sit,
non erit eœ locato &ctio, si irnperitia /acientis, erit.
Huic sententiœ addendum est, nisi pericu·lum quoque
in se a;r.tifeœ recepera·t; tnnc enirn, etsi viiio materiœ
id evenit; erit eœ locatio actio. >l (Loi 13, § 5, Jiv.
XIX, tit. 11, Dig.).
cc
On voit par ce tex.te que l'ouvrier _qui entrep~enait de
monter des pi,erres précieuses polilvaiit prendre à sa charge
la perte des o.bj,ets (i)Ui lui étaient confiés.
Le Digeste, liv. XVI, tit. III, nou·s fournit un autre
exemple. Sœpe evenit u·t res deposit<11 vel nummi
pe-riculo s.i nt ejus, apud quem deponuntur, utputa
si hoc nominatim convenit. » D'après cette loi, les
parties stipulaient quelquefois que les objets cléposés
seraient aux risques du dépositaire 1
,
�-
74 -
· Nous ·ponvo:ns citer plusieurs autres textes qui permel'taient de se décharger sur autrui de l'incertitude de certains.
èvénements (L. 13, § t:i, lgcati. L. 1, § 3t:i, dépositi. L.
1, code. eod. L. 7, § 15, de pactis) . On trouve bien là
les règles fondamentales de l'assurance, à savoir des ob.;
jets exposés à des risques et une garantie ; ·mais il faut
remarquer que, dans ces exemples , la convention de
garantie n'est qu'une partie accessoire, une simple clause
du contrat principal. Il faut .remarquer aussi que ces
conventions ne présentent aucun caractère de généralité.
cc C'était assurément être arrivé aussi près que possible
d'u contrat d'assurance tel qu'il est connu. Cependant on
ne peut se dissimuler que ces textes ne parlent point
d'une convention principale par laquelle un des contractants; au moyen d'une prime, .periculi pretium, qui lui
est donhée ou promise par l'autre contractant, s'oblige à
réparer le dommage que des événements de fovce majeure
occasionne.nt à la propriété de ce dernier.»
On p~ut donc avancer que si les Romains ne pratiquèrent pas le contrat d'assurance comme le cc le nauticum
fœnus, )) ils durent connaître au moins comme convention accessoire d'un autre contrat celle qui a pour objet
de se décharger sur autrui de l'incertitude des événements.« C'était un sauvq.geon non encore cultivé auquel
l'esprit de commerce a donné le développement etïa
consistance · dont il jouit aujourd'hui. •) (Emérigon ,
Traité des assurances maritimes, tome 1, page 2) ;
A quelle époque apparaît réellement le contrat d'assurance?
· Çertains bjs~oriens ont voulu chercher ~pn origine che~
.
'
�-
75 -
les Juifs: chassés de France sous le règne de PhilippeAuguste en 1121, ils auraient eu les premiers l'idée de
recourir à des personnes qui, moyennant une somµie
convenue, leur garantissait le transport de leurs biens
dans les villes où ils émigraient. Ils auraient appris cette
pratique aux Italiens chez qui ils s'étaient réfugiés el plus
~ard ceux-ci divisés en factions, Guelfes et Gibelins, forcés
alterna~vement de ~·expatrier, auraient porté et répandu
ées pratiques dans le reste de l'Europe.
Dans une autre opinion qui est généralement acceptée,
il faut placer le berceau des assurances, comme celui des
lettres de change, au midi de l'Europe et surtout en ·
Italie.
Cette origine est indiquée par le vocabulaire même de
l'assurance et du change ; tous les mots techniques qui
le composent sont évidemment d'origine italienne; et au
surplus, dans nul pays du monde, on n'a mieux connu
et appliqué les principes el les règles propres à ces con trats que ne l'ont fait les jurisconsultes el les tribunaux
italiens.
D'après la croyance commune, ce contrat n'a commencé d'être en usage, n'a été admis et pratiqué dans le
commerce que vers le XV• siècle. Il paraît du moins
certain qu'il n'a fixé qu'à cette époque l'attention des
législateurs : i> (Cresp, Droit marit. tome 3, page 22).
Les principaux recueils de droit maritime qui aient
paru avant l'ordonnance de la marine de 1681 sont: le
. Consulat de la Mer, les Rôles d'Oléron, les Ordonnances de Wisbuy et le Gùidon de la Mer.
Ce dernier ouvr;ige est le seul qui s' Qçcupe des quesijons que Qpus allons étµdier ,
�-
76 -
Le rédacteur du Guidon de la Mer a conç-u et exécuté
le projet de réun ir en un corps de doctrine les règles de
droit maritime connues de son temps'. Il s"est occupé surtout du contrat d'assmance maritime dont l'usage, beaucoup plus moderne que celui des autres contrats maritimes, méritait effectivement une att.ention spéciale.
Cet ouvrage qui a été publié à Rouen renferme un
exposé clair et précis des règles du contrat d'assurance.
Les règlès des art. 347, 348, 358 et 359 qui· feront ·
l.'objet principal de ceHe étude y sont tracées avec beaucoup de netteté (Guidon de la Mer, art. VU, art. XVI,
chap. III, art. III).
Mais le plns beau monument de lègislation maritime
est l'ordonnancede la marine promulguée sous Louis XIV,
en 1681. C'est le seul ensemble de lois qui ait survécu à
la Révolution et aux travaux législatifs qui ont abouti à
la formation de nos Codes, sous le Consulat et sous l'Empire.
L'ordonnance de la marine a passé tout entière dans
le Code de commerce, sauf quelques changements de
rédaction et quelques innovations de détail. Nous en parlerons plus longuement en étudiant les différents articles
qui ont trait aux assurances maritimes et nous y
retrouverons maintenues la plupart de ces dispositions.
Le législateur de 1807 a·r&glementé toutes les questio.ns qui se rattachent aux assurances maritimes dans le
livre Il du Code de commerce.
Plusieurs des dispositions qui règlent · cette· matière
sont depuis plusieurs années l'objet des plus vives attaqu.es. Déjà en 1865, on a proposé de réformer le livre li;
ce projet n'a pas abouti :
�- 77 -
Une loi du 28. juillet, en aboli~sant la surtaxe de
pavillon, établit comme mesure de proteclion, qu'il sera
procédé par Je gouvernement à l'élude des moyens les
plus efficaces de venir en aide à la marine marchande et
d'assurer sa propérilé.
Une des réformes les plus réclamées est la suppression
de l'article 347, qui énumère les choses ne pouvant
pas faire l'objet d'un contrat d'assurance.
Dans la séance du 8 février 1877., le Sénat votait une
1
proposition qui permettait 1 assuran9e du fret à faire et
du bénéfice esp.éré en effaçant, sauf sur un point, l'arti347 du Code de c0mrnerce.
Ce projet de réforme depuis longtemps réclamé par
les commerçants et plusieurs chambres de commerce
vient de recevoir une solution définitive au moment où
nous terminons cette étude. 11 ·a été adopté par le Sénat,
amendé par la Chambre des ùéputés, modifié par le
Sénat et voté avec modification par la Chambre des dé·
putés, le 10juillet1885.
La loi nouvelle abroge l'article 347 eL ne laisse plus
subsister de ces dispositions que la prohibition de
l'assurance des sommes empruntées à la grosse. On
verra par la suite que cette abrogation est absolument
justifiée. Nous ne nous occuperons ici que des nullités
dans les assurances maritimes, car, les questions qui se
rattachent à cet orJre d'idées nous ont paru particu,lière·
ment intéressantes à raison de l'importance pratique
qu'elles présentent et des modifications qu'elles étaient à
la veille de recevoir quand nous nous soQlmes mis à
l'œuvr~.
�-
78 -
· L'assurance maritime doit réunir, ·comme toutes les
conventions, les conditions exigées pour la validité des
contrats.
Ces conditions sont au nombre de quatre (art. '1108):
Le conser:itement de la partie 4ui s'oblige;
La capacité de contracter ;
Un objet certain qui forme la matière de l'engagement;
Un.e cause licite dans l'obligation.
Conformément à cette rè~le, on exigera le consentement des parties contracta~tes sur toutes les clauses
substantielles du contrat. Ce consentement devra être
donné par des personnes ayant capacité et qualité pour
agir, soit en leur nom, soit au nom d'autrui. Il faudra,
de plus, que le contrat ait un objet certain et licite, et
enfin que la cause réunisse les conditions voulues, conditions qui,ainsi qu'on le verra, revêtent ici un caractère
spécial.
A côté de ces quatre conditions gé nérales, l'assurance
maritime, qui est un contrat sui generis, offre certaines
dérogations an droit commun des conve~tions, dérogations tenant soit à son caractère de contrat aléatoire, soit
à ce principe que nous retrouverons plus tard, à. savoir
que la bonne foi doit y être absolument prédominante.
De cette double idée jailliront des particularités que
nous essaierons de mettre en lumière à propos de chacune des quatre conditions de l'article 1108.
En ce qui concerne la deuxième condition, la capacité,
l'assurance maritime ne présente aucune règle spéciale.
Il faudra appliquer les principes de droit commun : la
capacité sera la règle et l'incapacité l'exception, et celui
�-
79 -
qoi .aHèguera l'inca.pacité de l'un des c'onlrC1clants devra
en fournir la preuve . ·
Nous renvoyons donc de ce -chef aux principes généraux· des conventions.
Nou~ allons voir, au contraire, que le législateur a
édicté des règles particulières et dérogatoires au droit
commun en ce qui ·concerne les trois autres éléments de
l'assurance. ·
Pour le consentement, nous savons que quatre vices
peuvent rendre le contrat annulable, savoir: la lésion, ·
l'erreur, la violence et le dol.
Relativement à la lésion, il faudra appliquer à la matière qui nous occupe les règles générales:
A l'égard des majeurs, elle n'est pas une cause de rescision, car, on sait.que seuls, la vente el le partage peuvent y donnèr lieu le cas échéant. On a pensé que la lé- ·
sion ne viciait pas le consentement ou ne le viciait pas ;
du contrat.
pour entraîner la. nuHité
assez profondément
.
.
A l'égard des minenrs, la lésion donne en principe
ouverture à la rescision pour toutes les conventions.
Nous ferons observer que cette dernière règle ne trouve
pas ici généralement son application, parce que le mineur
qui sera amené à souscrire nne assurance aura été autorisé en pratique à faire le commerce .et devra, p.ar suite,
de ce chef être considéré comme majeur.
Pour la violence, il faudra appliquer les règles généra- ·
les indiquées dans les articles 1111 et suivants.
L'erreur n'est une cause de nullité de la convention
que lorsqu'elle tombe sur la.substance même de la chose
qui en ~st l'objet, Elle ~st indifférente au point de vue ·
�-
80 -
· de la validité ~u ç,ontrat dans les cas où elle porte sur la
qualité de la cho,se.
L'assurance mai:itime présente ici uae partieularilé
que nous mettrons en lumière dans le chapi.tre qui va·
suivre. Lorsque l'assuré f par err.eur, c'est-à-dire sans
dol ni fraude, fait assurer ses marehan-dises pour 1rne
somme excédant leur valeu11 réelle, le co.ntrat est annulé
dans la mesure de cet excédant. La bonne foi qui doit
exister entrn.les parties· et q,1ü a sa- place marquée 11>al'Ciculièrement dans . le corntrnt à'as-sura·ace ex!i>lique· cetbe·
dérogation an droit commun. Nous verrnas l.'applioati©n
de cette règle dans l'avticle 308.
Mais c'est surtout à propos du dol li)JUe no-us (\tirons à
insister plus longuement à raison d.e cette idée que l'assurance est un contrat de bonne foi entre l:es contrats de
bon ne foi . Cette idée nous amèn,era à étu,cl·ier l' a·11Licle 3~8
relatif à la .réticence et aux fausses déclarati@ti.ls de l'as·suré, l'article 3o7 relatif au cas où, par à©;lr ern' fraude,
l'assuré a consenti une assurance pour 1me somme .excédant la valeur des effets chargés, et enfin· leS' articles 3fü),
366, 367 et 36-8 qui visent l'hypothèse où l'assu·rance a
été contractée apr.ès l'arriv,ée du navire QU des marchandises,, quand il y a. fraude de la part de l'une des parties.
Si nous arr.ivons à la troisième des confilitions de l'article 1108 relative à l'objet, nous verrons q.ue la loi a
édicté des règles spécial:es. Ces règles son.t trae.ées dans
l'article 3~1 aujourd'hui ai!>rogé, sauf en un point spécial.
Enfin·, en ce qui concevne la cause, nous verrons avec
l'avticle 3~9 une bypotllèsé spéciale où la loi admet la
�- 81 -
nullité pour défaut de ce quatrième élément; nous étu-.
dierons ensuite une application J!lar,ticul_ière des articles
365, 366 .et 367, celle où les parties ignoraient la perte
du navire ou l'arrivée des marchandises au moment de
signer la police. Nous justifierons, le moment venu,
comment noqs estimons que l'on peut voir en ce cas un
défaut de cause.
Ces idées générales nous ont amené à étudier dans trois
chapitres différents les causes de nullité tenant à un vice
du consentement, à l'objet et au défaut de cause ,
�:
'
CHAPITRE L
Nullltés tenant à on Tlce du consentemeni.
..
SECTION I
De l'erreur.
L'erreur est la fausse notion de la vérité. En droit
commun, l'erreur, dont l'une des parties contractantes a
été victime, exerce sur son consentement une influence
plus ou moins délétère suivant les circonstances. Dans
certains cas, elle est exclusive d.u consentement ; alors
le contrat ne se forme pas, parce qn'il manque d'un des
éléments essentiels à son existence. Dans d'autres cas,
l'erreur sans faire disparaître le consentement, le vicie
d'une manière grave ; elle est alors une cause de nullité
du consentement et par suite du contrat lui-même·. Dans
d'autres cas, enfin, l'erreur est sans inflnence sur la validité du contrat, parce qu'elle n'altère pas assez profondément le consentement.
Ces règles trouvent ici leur application comme dans
les autres conventions, mais quèlques-unes y sont sanctionnées avec plus de rigueur à raison du caractère de
l'assurance maritime, contrat qui doit ~tre de bonne foi
entre les contrats de bonne foi à raison des risques énor·
�- . 83 -
mes que court l'assureur. C'est ainsi que le .législateur
décide dans l'article 34.8 que toute différenc·e entre le
wntrat d'assurance ·et le CQnnaissement, qui diminuerait l'opinion du risque ou en changerait le sujet, annule
!'assurance.
La plus parfaite conformité doit exister entre la police
et le connaissement; ces deux pièces doivent concorder
strictement l'une avec l'autre. La moindre différence en tre ces deux actes, qui .serait, dit la loi, de nature à. diminuer l'opinion du risque ou à en changer le sujet annule le contrat; il n'est même pas nécessaire, suivant ce
texte, que cette différence influe sur le dommage ou la
perte de l'objet assuré. Le risque est de la substance de
l'assurance; l'erreur sur la substance de la chose annule
Je consentement.
De quelle erreur s'agit-il dans cette hypothèse? Quelques auteurs pensent qu'il ne s'agit que de l'erreur portant sur l'identité de l'objet assuré. cc Nous croyons, dit
avec raison M. Laurio (tome m, page 216), que c'est
entendre la disposition d'une façon trop étroite·et Je risque dont l'objet se trouverait modifié par la différence
existant entre l'assurance et le connaissement, a une
portée et un sens plus larges. C'est celui que Casarégis
avait résumé d'un mot en disant qu'il gisait tout enlier
dans l'intérêt quel' assuré devait avoir au contrat: cc risi-
cum seu interesse assecutorum. ))
Cette différence entre la police et le connaissement
peut se manifester de diverses façons: tantôt, il y a défaut
d'identité entre l'objet assuré et celui indiqué au connaissement, tantôt le risque réel ne concorde pas avec le
�- S4 -
risque contractuel, c'est-:i.-dire assumé par l'assureur.
Nous verrons plus loin, en é.Ludiant l'art. 348, les différençes qui existent entre cette hypothèse et celles prévues
par les deux premiers paragraphes de cet article.
Nous trouvons une dérogation nouvelle aux règles générales sur l'erreur dans les art. 358 et 359 du Code de
commerce. En règle générale, l'erreur sur la valeur d'une
chose n'empêche pas le contrat d'être valable; une semblable erreur se confond c.vec la lésion qui, en principe,
n'est pas une cause de nullité des eontrats.
Dans les assurances maritimes, l'erreur exerce une
influence plus ou moins décisive sur le sort du contrat,
suivant qu'elle est volontaire ou involontaire.
La première hypothèse est l'objet de l'art. 357 que
nous étudierons dans la section fI de ce chapitre. Restreignons-nous ici à la seconde hypothèse, ~ celle où, en
raison de la bonne foi de l'assuré, le contrat est simplement réduit, c'est-a-dire ramené à la valeur exacte de
l'objet mis en risque.
C'est le cas prévu par l'art. 358.
S'il n'existe qu'une seule et même police, la réduction
profite indistinctement à tous les assureurs. Ainsi si
l'assuré souscrit une assurance pour une somme de
100,000 fr., alors que la valeur exacte des effets assurés
n'est que de 75,000, chaque assureur ne peut être poursuivi que pour les trois quarts de la somme assurée.
Il faudra appliquer la même solution à la réassurance.
On entend par réassurance le transfert que l'assureur
fait en faveur d'un autre des droits et obligations qu'il
avait acquis et contractés lu.i-même eh souscrivant la
1
police d assurance .
�- 85 Les règles relatives à la réduction de l'assurance ou d'e
la réassurance se compliquent lorsqu'il y a plusieurs polices souscrites successivement et à des dates différentès.
«Pour qu'il y ait lieu à contribution entre les assureurs,
dit Valin (sur l'art. '.20 de J'ordonnance de la marine), il
faut, aux termes de notre article, que toutes les assurances
soient faites par une seule et même po.Jice ; car, s'il y en
a plusieurs, ce sera de l'ordre de leur date que dépendra
le sort des ass·ureurs; c'est-à-dire que toutes les assurances qui se trouveront avoir été faites avant que la valeur
des effets ait été épuisée, seront regardées comme non
avenues, étant caduques et frustratoires. »
Pour faire une juste application de cette ·règle, il faut
tenir compte de la date, parce que les polices souscrites
au même moment ne forment qu'un seul et même contrat.
Si donc là même police contient plusieurs signatures
qui ne soient pas à la même date, !l y a autant de contrats
que de dates différentes.
Comment s'opère la réduction?
La réduction · ne porte pas sur tout~s les assurances,
mais seulement sur celles qui ne sont pas alimentées~
en remontant, par ordre de date, des dernières polices
1
aux premières. Un exemple fera mieux saisir l'application de cette règle.
Primus veut faire assurer une 'somme de 3o',OOO fr.
sur les facultés de son navire ; il se met en 'quête, d'assureurs et souscrit plusieurs assurances' à des dates différentes. Un premier assure pour ·10,000 fr., un secoI_ld
ponr 8, 000 fr., un troisième pour 7, 0'00 fr. et un quatrième pour .J ,000 fr. Les marchandises une fois chargées
6
�t
-1:16 -
à bord, on constate que l'intérêt de l'assuré ne · s'élève
'
'
qu'à 25,000 fr., il y a exagération de la valeur des marchandises. Par appli.cation de l'art. 358, la réduction ne
profite pas à tous les assureurs, mais au dernier seulement qui n'a assuré que l'excédant de valeur. Si l'on.
suppose maintenant que l'intérêt de l'assuré ne s'élève
qu'à 20;000 fr., la troisième assurance n'étant alimentée
qu'en partie subira une réduction égale an chiffre qui
excède la valeur des effets assurés. La réduction ainsi
'
opérée, les deux premières assurances resteront intactes,
la troisième sera réduite à deux mille francs et la quatrième annulée. Les denx derniers assureurs auront droit
à titre d'indemnité au demi pour cent de la somme sur
laquelle a porté la réduction.
La règle de l'art. 358 est générale et absolue. Elle
reçoit son, application dans •toutes les hypothèses où
plusieurs assurances ont été souscrites, sans fraude sur
le même chargement, pour une valeur supérieure à celle
des marchandises. On s'est demandé cependant s'il ne
faudrait pas faire exception à cette règle au cas où l'on
aurait en présence une police générale et une police spéciale? Nous pensons qu'il y a lieu d'appliquer ici la même
règle. D'après la jurisprudence, lorsqu'une assurance
garantit la valeur des effets assurés, toute assurance postérieure, générale ou spéciale, fait double emploi avec
la première et doit être ristournée, si elle n'est pas alimentée. En souscrivant la première assurance, les parties
ont voulu couvrir toutes les marchandises sans distinction
aucune. La police une fois signée, l'assuré ne peut pas,
sans le consentement de l'assureur, modifier le contrat
�..... 87 _.
en souscrivant une autre ·assurance particulière â. une
catégorie d'objets ou à certaines marchandises nommément désignées.
· La solution est la même au cas où l'assuré a signé une
police flottante c'est-à-dire une police destinée à couvrir
. les marchandises à charger dans un délai déterminé. La
date du contrat sera celle de la police flottante et toùtes les
marchandises embarquées depuis la rédaction de la police
seront couvertes par l'assurance comme si elles avaient
.
été chargées le même jour.
Si la police çi été souscrite pour le compte de qui il
appartiendra par un commissionnaire on un agent de
transport, le contrat portera la date du chargement ou de
la consignation. Nous ferons observer que cette assurance
a un caractère éventuel et conditionel, car il peut arriver
qu'au moment du chargement, les marchandises aient été
valablement assurées ailleurs par les soins du propriétaire .•
Le contrat passé par l'agent de transport ne devient donc
définitif que le jour où le chargeur vient accéder lui-même
à la police ouverte c'est-à-dire le jour où les marchandises
sont transportées sur le navire.
Si Je chargeur a déjà fait assurer ses marchandises,
celle assurance doit primer l'autre comme étant antérieure en date et comme ayant éLé contractée par le véritabl.e ayant cause (Jugement rendu le .17 juillet 1877.
Journal de Marseille, 1877, 1, 300).
Dans la pratique, Je chargeur s'en rapporte à l'agent
de transport. Cet agent contracte une assurance générale
qui est destinée à couvrir tout ce qui sera chargé sur ses
navires et c'est lui··même qui paie la prime. cc Il annonce
�- 88 -
à· sa clienlè\e1 dans ses circulaires, il répète dans ses
lettres die voitures1ou c'e>nnai:ssement~ ·que ' t0t1res les m:ari
chandises qu'on lui donne à transporter son·t assurées
ipso facto, sans qne les clients aient à. s'embarrà'sser des
assurances.
Quelle est la date de cette.assurance? Pour !'·entrepreneur, c'est bien \a1date de la police d'abonnement; pour
chaque client qui en profite, pour chaque chargeur ce ne
peut être que la date du chargement ·; s'i1 s'agit d'un
chargement isolé ou s'il s'agit d'un trai~é de transport, la
date de ce traité. 11 (De Courcy. Questions de droit maritime, tome 1, page 575).
Le tribunal de commerce •dé Mars'eille a décidé qu'à la
différence des polices in·quovis dont le caractère essentiel est de s'appliquer, par le seul fait 1du ·chargement, à
toutes les mar.chandises chargées 1 dans •les c©n:clitions
prévoes, les polices que font souscrire certaines campagnies de transports maritimes ne s'appli•quent 1 aux marchandises chargées que par stiite de 1la déclaratio1i faite
par le.chargeur sur le co-n,naissement qu'·il ·entend profiler
do bénéfice de cette assurance (2~ mars 1832. Journal
de Marseille, t. 13, 1:· 91).
En conséquence, c'est à la date du connai'ssèment et
noa de la police qu'il faut se reporter ent pareil cas pour
savoir si l'assurance est primée 1 ou non par une,. autre
assurance souscrite pai1~ un interessé.
Le commissionnaire, l'agent de transport qui fait
assurer·pour le- compte de qui il appartiendira 1toutes
les marchandises chargées sur un navire dans un laps de
temps déterminé) doit-il être considéré comme un véritable mandataire?
1
1
�- ' 89 -
La question ,pr~sente_surtout de l'intéi;êt d-ans ' ! ~ hypo
thèse où '1e propriétaire a souscrit lui-même une 'ass,eranee
_ pq~térieqre en da,~e, parce'.:rtne, · su~vanit la,solution. que
ljop adopte,.;I ..doit s:,aar,esser>aux1assur,euns ·d.u eommissionn;\ire ou ,aux ,siens.
u On voit sm les mêmes choses, 1dit.M..d,e .Qourcy,, des
11ss.uraµces doub,les,pu multiples, eon\ractées à ·des dates
1différeµtes et par .des personn..es différentes ;sans a,ucune
,(r;md.e e,t . .j :ajou,~e,i;ai sa11s aucune erreur. à rproprement
rpar.lef'., ,car' J' e:x;péditeur' le destinatuine, l'associé, ·l'acheteur ,.Je banquier on.t 1pu .avoi.r -u.n ie;térêt )patticnlière_ment légitime à {ai.r,e assui:er. J.l est ce.penda-nt certain
qu'e.n cas de sinistre, .les assmeurs ne ·paieron1t qH'•une
,fols. Mais qui pa.iera? Qp.esH@·n .e;xcessivemea!t lHigieuse .
.C'est p.r.~.tendreJa .r.ésoudre tri01p ites·tement ·q'l!le de citer
_l'art. 359 du Cocle de c@.rpmerce et .de dire qu'il n'y ama
qu'une vérification de dates à faire.,.... Le texte de
l'ant. 3:59 ,ne dispense pils de vérifier, e,n ou·tre de la date,
la validité et la portée du premier contrat. >> '(Be C1i>.urc~,
questio.ns de droit maritime, tome 1).
~·arl. 359 vise une tout autre hypothèse, celle où
!e chargepr a soqscrit lui-même plusieurs contrats d'as. s,urance st;ir le m ~ me chargement. Mais l'agent de transport est-il un n:iandataire? Dis~ns d'abord qu'il n'es.t pas
nécessairy ·que l'Çtffréteur ait donné un mandat formel à
çet ageot pour .que les ;issure.urs choisis par celui-ci
soient tenus d'indemniser l'assuré ; les usages coiprnerciaux s.e conter:ite.nt d'un i;r:iaQ.dat tacite, d'l)n intêrêt
~v,entuel ou indirect..
~ais peut-o.n cfüe s~rieu~emen.t que ce ma~dat e~ist~
�- 90 -
lorsque le chargeur souscrit loi-même une ou plusieurs
assurances? ·
En recourant à d'autres assureurs, celui-ci prouve
. d'une façon indiscutable qu'il ne veut accepter à aqcun
prix les assurances souscrites à une ,date antérieure par
d'autres personnes que lui;
Le tribunal de commerce de Marseille a décidé à la
date '.23 septembre 18~3 que " le commissionnâire qui a
fait assurer en l'absence d'instructions positives doit
être considéré comme ayant agi, ainsi que son de·voir de
mandataire et la 'prudence le lui prescrivaient, dans l'intérêt de son commettant; qu'en conséquence si, postérieurement à cette assurance et dans l'ignorance de son
exist~nce, le propriétaire en a fait souscrire une seconde
sur le même chargement, c'est la police souscrite par
le commissionnaire qui doit sortir à effet comme première en date. )>
Ce jugement fait, à notre avis, une fausse application
de l'art. 359.
Cet article dit, il 'est vrai, que le premier contrat doit
seul subsister lorsqu'il assure l'entière valeur des mar,
chandises, mais l'hypothèse qu'il prévoit s'écarte sensiblement de celle qui fait l'objet de cette question . L'articlé 359 vise spécialement l'hypothèse où un chargeur
souscrit lui-même plusiei;irs assurances sur un même
chargement et pour une somme supérieure à sa valeur
réelle·.
Dans l'espèce qui nous occupe, il y a plusieurs assurances ; mais elles sont souscrite_s par des persoppes qui
p'oni !peut-être pas ma.n4at qe se représenter ,
•
•
�91 -
-
Le commissionnaire, en faisant assurer les marchan~
dises, a agi~comme gérant d'affaires ; il n'a pu, ~n cette
qualité, se substituer entièrement au chargeur et s'imposer à lui. Les assurances qu'il a souscrites étaient
subordonnées à la ratification formelle ou tacite de celui
qu'il représentait. On objectera peut-être que la gestion
d'affaires fait naître entre les parties des obligations
analogues à celles qui résultent d'un contrat de mandat.
Mais quand y· a-t-il gestion d'affaire ?
Il y a gestion d'affaire quand un tiers, sans avoir reçu
mandat à cet effet, prend en mains les intérêts d'une
personne absente ou impuissante à agir.
Est-ce .bien notre cas? Non. - Le chargeur pouvait
agir lui-même, ses inlérèts n'étaient nullement en souffrance. Il a vonl u, en souscrivant lui-même une assurance,
mettre fin à ce mandat tacite, désapprouver les actes
faits par le commissionnaire et, par suite, annuler
l'assurance souscrite au nom de l'assuré.
L'article 359 ne parle que des contrats d'assurance
faits sans fraude sur le même chargement.
L'article 24. de J'ordonnance de la m·arine est· rédigé
de la même façon. Que décider s'il y a plusieurs contrats
d'assurance faits sans fraude sur le même navire?Faut-il
réduire toutes les assurances ou ne déclarer valables que
celles qui sout alimentées ?
D'après M. de Courcy, c'ést intentionnellement que
le législateur a omis de parler du navire dans l'article 359.
cc Voilà, un cas où il y a lieu de ristourner un trop assuré
sur un navire, par exemple 20,000 fr. sur une évaluation de 100,000 fr. Si l'assurance des to0,000 fr. a été
ç
•
'
•
'
1
�- 92 -
faite à une seule date, point de .doute; la ristourne
(;'opère proportionnellement, .la souscription de. chaque
assureur est réduite au cinqiaième; mais s'il y a des dates
différentes, si 20,000 fr. se trouvent assurés à des dates
diffêrentes, l'assureur de ces 20,000 fr. demandera la
ristourne totale de sa souscription et ne m~nquera pas
d'invoquer le principe de l'ordre des ,dates de l'article 359.
Cette prétention est-elle légitime? Ce n'est pas mon ·
avis. Relisez l'article 359. Pour l'invoquer, il faut que
vous le supposiez s'appliquant, dans la pensêe du législateur, aux navires comme aux chargements. Le premier
contrat n'a pas assuré l'entière valeur du navire, il n'en
a garanti que les 4/5, et l'appui d'un texte fait défaut à
votre prétention. )) .(De Cour0y, questions de droit maritime"t. 1, page 395).
Nous aµmettons avec la majorité qes auteurs que l'article 359 n'a pas été écrit spécialement en vue des assurances sur facultés. Le législateur n'a' parlé que du char~
gement, parce qu'il y avait lieu de craindre ici plus
particulièrement une exagération de valeur. Si l'assureur
peut facilement _se rendre compte de la ,valeur d'un navire, il lui est beaucoup plus difficile d'estimer la valeur
du chargement, surtout quand il n'y a ni factures ni
livres de commerce.
grand jour
ne '•s'étalent pas au
Les marchandises
'
'
.
ou augcomme le navire i leur valeur pèut diminuer·
•
1 fi
infél'autre,
à
jour
d'un
menter rapidement et devenir,
rieure ou supérieure au chiffre indiqué au contrat.
'J
~ans la première hypo~Mse, i'assqr\lnce couvre l~
'
J
'
1
�-
93 -
chargement en entier; dans la seconde, on pouv.ait se
demander si toutes les assurances sGbiraient la m~me
réduction ou si on les annulerait par ,or,dre de ,date en
remontant des dernières jusqu'à celles qui étaient alimentées.
En adoptant cette dernière solution; on a·voulu établir
une règle générale.
L'article 359 ne parle que des effets chargés, parce
qu'il statue sur un cas qui devait se puésenter plus souvent dans la pratiq.ue.
Il ne vise que l'hypothèse la plus fréquente . .Aussi
nous pensons, malgré la rédaction de cet article, qu'il
faut assimiler les assurances sur corps aux assurances
sur facultés et soumettre à une règle unique l'exagération
de valeur, soit qu'elle porte sur le navire, soit qu'elle
porte sur les effets chargés.
L'article 3[)9 suppose pour son application que les
différents contrats ont été faits sans fraude et n'admet la
ristourne graduelle ou successive que dans l'hypothèse
en
où J' assuré est de bonne fo.i. Mais on se demande
.
quoi la fraude avérée ou justifiée de celui-ci changerait la
la situation, car, d'une part, en ce qui concerne les poli~es complètement alimentées, 1.a fraude n'_a ,pu se -produire, et pour celles qui ne le sont 1pas, eJles ,n',ajoute.nt
un cas ' comme
rien à l'effet établi par la loi. C'est dans
' ( •
q
dans l'autre la nullité qui s'en suit.
' L'objection _cepend,ant n'est p~s Î\réfutàble.
«Il est évident, en premier li~u, dit M. L3iu~ip, qu'entre les' polices qui s,ont cqm,p!ètement alime1~tées et celles
qui ne le sont pa~ dq ~out, il y a ou il peut y avoir c~.11,~s
Il
1
(
�-
9/l -
qui n'ont qu'un aliment insuffisant; c'est, quant à celleci, que la fraude pourra produire son effet spécial et
entraîner la nullité du contrat. Mais il y a plus; et s'il
apparaissait que c'est dans une pensée frauduleuse que
l'assuré a ainsi divisé se1; risques entre plusieurs polices,
à l'effet d'éviter la ristourne totale de l'article 357, je
pense que la nullité de tontes les polices, même de celles
alimentées, devrait être prononcée. » (Droit maritime,
tome III, page 164).
Nous pensons avec l'éminent jurisconsulte que l'article 359 ne déroge en aucune façon à l'arti~le 357. Le
législateur l'a dit implicitement en n'appliquant Ja diRpOSÎtion de l'article 358 qu'aux assurances faites sans fraude
sur le même chargement. Il résulte clairement de là qu'on
ne peut recourir à l'application de ce dernir article dans
toutes les hypothèses où la multiplicité des polices est
l'exécution d'une pensée de dol ou de fraude.
SECTION II
Du dol.
Nous étudierons dans deux paragraphes différents les
règles relatives au dol et à la fraude.
Nous examinerons dans le paragraphe premier les articles 348 et 3iJ7 et dans le paragraphe second les articles 365, 366, 567 et 368, en nous restreignant au cas
et les parties ont connu l'arrivée ou la perle du navire
ou des marchandises au ·mom.~'!ll de la passi!-~ion du cqq-
trat,
•
�-
.
95 -
. .. ....,
§ I.
RéticeI)ce.
Fausse déclaration. - Exagération frauduleuse
sommes indiquées dans la police.
~es
Nous n'étadierons, en parlant de l'article 348 que les
deax premiers ·paragraphes de cet article, c'est-à-_dire la
·réticence et la fausse déclaration. Noas avons déjà exa- .
miné clans la section précédente les conséquences de
l'Ùreur résultant de la différence entre le contrat d'assurance et le connaissement.
Avant d'arriver à la réticence et à la fausse déclaration, il est atile, indispensable même, pour comprendre
ce qai va saivre, de poser et d'éclaircir une règle importante qai découle des caractères essentiels de l'assurance.
On distinguait , en droit romain , les contrats de
droit strict et les Gontrats de bonne foi. Cette distinction disparaît de nos jours en présence de l'articlè 1134. Toutefois on peat reprendre cette distinc~
tion en ce qai concerne le contrat d'assurance ou
tout au moins se demander si l'épithète de ·contrat de
bonne foi ne doit pas lui être spécialement appliqaée à
raison de la loyauté absolue qui doit toajoars régner et
qui est poussée à l'extrême dans les rapports des contractants.
Or, on a dit qae l'assurance ressemble tantôt à un
contrat de droit . strict, tantôt à un contrat de bonne foi.
'~ LéJ. panne foi, dit M. Bo!Jl;i.y-Paty, g9it régner daus
•
•
'
'
••
1
�- 96 -
le contrat d'assurance; on .doit en écarter toute.s.les subtilités pour s'en tenir à l'équité, qui est l'â~e du commerce. Il est de la plus grande importance de maintenir
les conventions, et celles ·sur les assurances·surtout doivent être sacrées.» (Drqit maritime, tome III, page 2&.-2).
Pour cet auteur, l'assurance doit être considérée tàntôt
comme qn COl)tr~t qe qroit s\rict, tan,l~t qqwme u.11 .contrat ,de bonne f9i ; c:est-à-dire ci.ne, si d'un.~ fpar.t il faut
s'en teni,r s.crµpu,l.euseme~t aux termes d~s ,polic,es, .si ce~
derniers forrp~.9t .l_fl. lo.! . ~~s p~r.ties, çl'qu~re ;P~t(t aussi,
il faut écar~er de ce contrat .les subtilités du droit 1pour
s'en tenir à l'équité, aux usage:; et à l'inte,n,t~on commune
des ,partie~. ,Pothier exprin;ie .1~ p,:iê\Ue opi.ni9n (vriir ~mé
rigon, tome 1, pages 16 et ·17). « 1Le ~iei;i,x, dit M. Cresp,
eût été de renoncer à une division d'actions et de contrats, née d\l systè~e :i9,tlqu,e de~ · .form.91.es, e,t depuis
longtemps tombée en désuétude, inapplicable au droit
,mod~rn.e. ~> (D,Goit ma.rJ,t,\r;ne, .~olfle ,p, P?.~W 1 :~~1· .
c·~st _ce qu~ le Ço?~ civil ;i b.i~R ~xprip}ê en 9ïsàn.t, de
toutes les co,9ve~tion,s i.n9,i,stin,ctement, qf elles tieqnent
lieu de lois ~u:c- pa~t.ie.s, qu'elle,s doiyent ,être ,exécutées
~e b.o.nn~ foi (art. J~~&.. r,réci,té), ,qu'elles ol;>ligent non
e à _toutes
s.eul~n,ient . à ce .qui y est expri,ipé, ~.ais enc.or_
les suit_e? que l'équité, ,rusa1ge ou l~ loj do1:rnen,t à. l'obligatiOI) d'ap.~~s s~ ,nature ,(113q) ,i ,q,u'on .~oit ici rech~r
ch,er <!~~lie~ été }.il com,r,r,i,un~ ;.n1ten,tion ,dç~ p,~rties, plutôt ·
que de s'arrêter au sens littéral des termes (art. 1' 56).
1.1 s,ui_t .~e ces ,~tsp.osJ.ti.ops combinées ~u'aujour.d'hui
il 9'y a ,P.\us lieu, co_m~e ,_n9,~s l'avons .9it, de partag~r 1.~~
coqtra_ts _en deux cl.asses dis~i.nctes 1 les 1rns d(~ dfpi~ &trict,
les au(res dti bonne foi 1
.,
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1
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97 -
Tous ils sqnt de a·roit ·strict, en ce sens" que, quand
1
l'acte est conçu en' termés clairs et précis, les parties
sont rigouréusemerù asrreilites à,.celt'e Idi qu'elles se sont ·
faites, et il n'y a pour le juge rien à înterpréter, rien à
modifier ou à éténdre.
·Tous ils sont de bonne foi en ce sens qué 'si les pâroles de l'acte ont quelque chose d''obscur ou d'équïvoque,
on doit y suppléer par l'équité, l'us'age, la nat'ure du
contrat, l'intention ·commune des pàrties ; -voilà ce qui,
dans ce cas, est laissé, d'après les cfrconsiances:_à la dé'terminatîon d& 'juge.
On peut affirmer, en se plaçant à ce point de vue, que
le contrat ·d'assurance est' éminemment un contrat de
bonne foi en ce sens que chacune des pa'rties est' obligée
de ne rien dissimule{à l'autre' dé ce qu'ellê sait concernant les chose·s qùi en font l'objet. ,
ne dissimulation · est un dol qui rend le contrat nu.
contre celui quï est l'auteui"de' la frkudé.
On appelle dol: dans le droit commun, toûte espèce
d'artifice dont on se sert ' pour troinpér'aut'rui (PÔthier,
oblig. n°28) :
cc On a ~istingué, dit M. Cresp, un dol positif et un
dol négatif: le premïer, lorsqu'on affirme ·ou !'on fait 'entendre des choses contraires à la vérité; le seco'nd, lors~
qu'on omet de déclarer' lorsqu'on 'dissim'ure 'cè qU:til im·
portéra'it à l'autre partie de connaître. )) (Droit"'maHiime, tome m, page 192).
1
On distingue aussi le doi rêet où rit ïpsa· dtl dol"bèrsonnel. Le dol réel n'est au fond qu ·une omission involontaire. La loi romaine avait fait dé cette omission un e
ce
�~
98 -
espèce de dol, appelé dol réel, 'comme prov~na,nt plus
particulièrement de la chose que du fait de la personne.
<{ On pourrait même 'ajouter, dit M. Laurin 1 que la
loi n'admet plus .aujourd'hui Je doli~s re ipsa, que l'as- .
suré, en taisant même involontaïrement une circonstance essentielle du risque, a déterminé chez l'assureur
une erreur sur la substance de nature à entraîner la nullité du contrat, par application de l'article 1110 du
Code civil. >> (Droit maritime, tome 111, page :205).
A côté de ce dol, il y avait le dol personnel qui impliquai.t chez l'u~e des parties l'intention de tromper, d'induire en erreur l'autre partie.
Dans les · deux cas, le dol était une cause de nullité.
On a distingué enfin le dol déterminant (causam dano
contractui), celui sans lequel la partie trompée n'eût pas
contracté, ët le dol incident on accidentel, (incidens in
contracturn), celui où la 'tromperie porte sur quelque
accessoire ou accident du contrat, mais non sm· ce qui
en fait l'objet.
Toutes.ces espèces de_dol étaient également réprouvées par la loi romaine; voyons ce que décide le droit
moderne. Aux termes de l'article 1116: « le dol est une
cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres ·
pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manœuvres, l'autre partie n'aurait pas
contracté. Il ne se présume pas et doit être prouvé. >>
Il résulte de cet article que le contràt ne peut être annulé qu'à une double condition :
.,
1• Il faut que l'une des parties ait cherché' à tromper
l au~re par des manœuvres dolosives ;
1
',;.
1•
..
.
.
~
'
.
�- 99 ~·
Il faut . enfin que ces manœuvres aient déterminé
l'1:1ne ·des parties à contracter. En conséquence, le dol
ne peut faire annuler le contrat que lorsqu'il.est tout à.
fois positif 1 intentionnel et déterminant.
Tout au tre dol peut donner lieu à des dommages et
intérêts, mais non à la rescision du contrat.
Ces règles sont applicables à tous les contraLs en géné·
rai. Mais il y a certains contrats qui, par leur nature
même, commandent plus de sévérité contre le dol, quelle
qu'en soit l'espèce, et nous avons vu qu'au nombre de
ces contrats, on doit ranger l'assurance maritime .
Le contrat d'assurance est pour l'assureur une source
de dangers: il l'expose à la fraude, à des actes dolosifs
toujours difficiles à découvrir. L'assuré a une connaissance parfaite et entière d.es choses qui font la matière
du co~trat d'assurance; c'est lui qui donne la spécification de l'effet assuré et des risques auxquels il est exposé, .
et qui, par là, détermine la volonté de l'assureur.
Le lègislateur devait donc réglementer cette situation
d'une façon toute particulière et protéger l'assureur contre la mauvaise foi del' assuré.
Il faut que, dans le contrat d'assurance, la bonne foi
la pln:s gr:rnde règne entre les parties. "Dans ce contrat,
dit M. Cresp, il ne peut suffire, pour être de bonne foi,
de ne rien déclarer de faux, il faut de plus ne rien déguiser, ne rien cèler, ne rien taire de ce .qui est, de ce qu'on
sait exister. Là, garder le silence, c'est mentir. >1 (Droit
maritime, tome 111, page 195) .
L'ordonnance de la marine ne contient aucunè dis"'
position analogue à celle de l'article 348, mais la pratique avait suppléé à son silence .
j
�-
100 -
D'après Emérigon; (<la bonne foi doit régner . dans le
contrat d'ass'ùrance et on doit en écarter les subtilités
du droit pour s'en tenir à l'équité, qui est l'âme du commerce. )) (Trailé des assorances, tome 1, page 69). Casarégis exprime la ·même idée. << lste contractits assecu-
rationis est bonœ fidœi : et ideo requiritur in illo
bona fides, non dolus, non fraus ,, sed solum 'œquitas
quœ est anima commereii et praticandus non est cum
juris appicibus et rigoribus. »(Dise. 1, n° '.2) . .
D'après Valin, «l'assuré doit déclarer à l'assureur Lous
les faits que celui-ci est intéressé à connaître. Il importe
que l'assureu~ sache si le vaisseau est armé ou non, par
exemple, parce que pendant la durée d'une guerre, la
prime est plus élevée si le navire part sans escorte ou s'il
est mal armé. La déclaration de l'assuré doit être conforme à la vérité sous peine de nullité de l'assuq.nce
suivant les circonstances,)) (Commentaires sur l'article 7
del' ordon~an'ce de 1681) .
. Les commentateurs de l'ordonnance nous enseignent
que les juges pouvaient faire annuler rassurance, mais
que le contrat n'était pas nul de plein droit. On appiiquait à. l'assurance la règle générale en matière d'obligation, ·à savoir que l'erreur sur la substance de la ehose
vicie le consentement et annule le contrat.
c Le juge rendrait une sentence évidemment injuste,
si, laissant subsister le contrat reconnu vicieux, il se bornait à y appliquer une modifi'cation aussi contraire au
pacte stipulé qu'impuissante à remplir l'intér'êt légitime
de la partie lésée. •> (Emétigon, tome 1, ) .
L'article '548 prononcé ègalement la nullité de l'assu ..
rance.
�...... 101 ......
Dès que l'une des parties a usé de dal ou d'artifice,
omis de faire une déclaration que l'assureur aivai<t iflltérêt
à connaître,. la moindre peine qu'elle puisse encotirir,
c'est que l'assurance soit nulle à son égard.
Voici en quels termes s'exprimait M. Corvetto~ l'orateur du gouvernement, au moment des travaux préparatoires de la rédaction du Code :
cc L' expérieh·ce a prouvé que cet article, par la disposition de son second paragraphe, pouvait prévenir des discussions spécieuses qui ont quelquefois retenti dans les
tribunaux .de commerce.
L'assureur a le droit de connaître tout~ l'ëtendue du
risque dont on lui propose de se charger. Lui dissimuler
quelque circonstance qui pourrait changer le sujet de ce
risque, ou en diminuer l'opinion, ce serait lui faire supporter des chances dont il Be voulait peut-être pas se
charger ou dont il ne serait chargé qu'à des conditions
différentes; ce serait, en un mot, le trOmJ.!ler.
Dès lors, le consentement i'éC'i'J.!lroque qui seul pè'ut
animer un contr-at viendrait à rna·fuq'tier.
La seconde partie de la disposition décoole nécessai•re·
ment de ces principes. Le contrat i:l"ayan1t ~'asï exls'lé, aucune conséquence, a1ucun effet n'ont pu en résm !ter. Dés•
lors, il est indiffereril à J'è·gar.d d·e l'assurelJlr que' le' na:vire périsse ou rn: périsse pas1, 01Jii qu'il périsse p'ar· uné
chance su1F la·quelle la réti1Cllnge cm la fau1ss1e déclaration
n'anra-it ~ais i-nflaé: l'assareur seiva:it. t'ouj:ours att1t0ri·sé1à
répondre qu'il a assué uu tel. risque, et qŒe cei ri1sqùe'
n'a pas existé. >) (Procès-verba.J die: la•séanice· di1111:1 dôût
1
1807).
7
�On voit par cette décl&ration que \'assureur peut toujours faire annuler l'assUl'ance, quand il n'â pas connu la
vérité exacte. En établissant qu'il y a eu fraude ou sim·
plement réticence, il n'est pas obligé de prouver la mauvaise foi de l'assuré; il lui suffit d.e montrer que la
fraude résulte de la déclaration, re ipsa, peu importe
qu'elle ait été commise sciemment ou non, par calcul ou
par inadvertance. Par cela seul que la déclaration de l'assuré a diminué l'opiriion du risque on en a changé le
sujet, le contrat doit être annulP. .
Ne faisait-on pas dans l'ancien droit une d.istinction
·entre la réticence volontaire et la réticence frauduleuse?
Les auteurs étaient divisés sur cette question.
D'après Pothier, il faudrait appliquer à l'assurance les
règles générales en matière d'obligation, comme si l'assurance, à raison de son caractère spécial et des dangers
qu'elle présente pour l'assureur, ne doit pasêtresoumise
à des règles particulières.
{( Il n'y · a lieu à restitution dans le for extérieur,
dit-il, qu'en cas · de fausses déclarations. Si l'assuré
trompe l'assureur dans ses déclarations en affirmant que
le navire est armé a.lors qu'il ne l'est pas, chargé alors
qu'il est vide, on peut faire annuler le contrat. Il en sera
de même si la fausse déclaration a été faite de bonne
foi par l'assuré, parce qu'il est coupable de n'avoir pas
eu une parfaite connaissance de l'objet du (jontrat, l'assurance devant se conclure sur son exposé, sur la spécification de la chose. » (Oblig, n° 30).
Et il ajoute à propos de la réticence :
« Il y a cette différence dans tous les contrats inté·
�..,_ 103 _.
resses entre le cas auquel l'une des parties ne dit par ce
qui est et le cas auquel elle dit ce qui n'est pas : dans le
premier cas, elle. n'est p~s tenue de ne l'avoir pas dit, si
elle ne le savait pas, et si elle ne !!avait pas malicieusement dissilJlulé; mais dans le second cas, elle est tenue,
si ce qu'elle dit ne se trouve pas véritable et a induit
l'autre partie en erreur: clebet prœstare rem ita esse ut
affirmavit. »
Cette clistinqtiou ne peut, croyons-nous, s'appliquer à
un contrat de bonne foi dans lequel se glisse si facilement la fraude. Va lin, après avoir dit que tout ce qui
tend à augmr,nter le risque doit êt.re déclaré par l'assuré
dans la police cc sous peine de nullité de l'assurance,
suivant les circonstances, )) ajoute : cc le moins qu'il
arriverait, ce serait d'assujétir l'assuré à une augmentation de prime proportionnée aux risques qu'il aurait fait
couri1• \de plus à l'assureur, en lui diminuant l'objet par
sa fausse déclaration. >>
Celte opinion ne sauvegarde pas assez les intérêts de
l'assureur; elle laisse subsister un · contrat entaché de
dol moyennant une augmentation ·de prime, ce qui est
un n'i_sultat injuste et absolument contraire au droit de
l'une des parties.
Nous ferons remarquer ici que l'assurance est nulle,
mê·me dans l'hypothèse où la réti.cence ou la faussé déclaration n'aurait pas influé sur le dommage ou la perte
de l'objet assuré.
Cette disposition a pour base un principe qui tanche
à l'essence même des contrats, la néce'ssité du consentement. Le risque est un des éléments essentiels de l'assu-
�'- 104 rance, . 1erreu r sur cet élément vicie le CQhsentement et
annule le contrat. L'assureur qui souscrit une assurance
sans être renseigné sur ·toutes les circons.iances de nature
à modifier \'opinion du risque ne connaît pas l'objet du
contrat ; son consentement est surpris et est réputé nul
à l'égard de l'assuré. En tout ·cas, que l'assuré soit de
bonne ou de mauvaise foi, le contrat est nul parce qu'il y
a erreur sur la substance du contrat. En ce sens la cour
de Bordeaux a pu dire avec. raison « qu'il n'était pas nécessaire qu'il y eût mauvaise foi de la par~ de l'assuré
pour faire annuler le contrat dans Je cas de réticence,
qu'il suffisait que les faits dont la connaissance n'avait
pas été.donnée à l'assureur fûssent de nature h influer sur
l'opinion du risque et .à n'en pas faire connaître toute
l'étendue. (7 avril 1835).
Il suffit donc pour qu·e Je contrat puisse être annulé,
que la réticence, frauduleuse ou non, ait influé sur l'opinion du risque. La non révélation à l'assureur de la circonstance qu'au moment de l'assurance Je navire porteur des facultés assurées était parti depuis longtemps et
que son retard donnait de vives inquiétudes, constitue
une réticence de nature à influer sur l'9pinion du risque
et à motiver l'annulation <l6 l'assurance.
On peut considérer comme réticence de nalure à faire
annuler le contrat le silence gardé par l'assuré sur des
bruits même vagues, parvenus à sa connaissance et
annonçant la perte du · navire on sur un simple retard
décelant une traversée plus longue que d'habitude.
(Rouen, 27 décembre 1348, Aix, 14 avril 1818, 13 _novembre 1822, 17_jufllet1829.
1
;i
�i..
..... 105 -
En jurisprudence, est-il dit dans ce dernier arrêt, on
entend par un navire en retard celui qui a déjà dépassé
d'un cer~ain temps la durée ordinaire du voyage qu'il
effectuait. ·
Dans un autre arrêt de la cour d'Aix à la date du 16
avril 1839, il a été jugé que cc pour que la réticence pût
être opposée, il était nécessaire de justifier que l'assuré
avait ccmnaissance du fait non déclaré de nature à influer
sur l'opinion que l'assureur pouvait se faire du risque.»
(Dalloz, rép. 1, 1491).
En ce sens est intervenu un jugement du tribunal de
comrnercè de"'Marseille ~la date du 10janvier185'..2 dans
les cireonstances suivantes (J. M. t. XXXI, p. 65).
Le 4 janvier 1851, les sieurs Giran et C•, négociants
à Toulon, donnent. ordre à Marseille de faire assurer
pour leur compte jusqu'à concurrence de 4,000 fr.,
·une partie du blé chargé sur le navire Eléonore, capitaine
Gain, pour le voyage de la Nouvelle-Calédonie à Toulon.
Le 6 janvier, celle assurance est prise à Marseille par le
sieur P. Carle en sa qualité d'agent du bureau central
d'assurances. Le 18juillet1851, délaissement est signifié par les sieurs Giran et C" ·au sieur Carle qui, en sa
qualité d'agent'est assigné, le 10 janvier 185~, devant le
tribunal ·de commerce de Marseille e·n paiement de la
somme assurée.
L'assureur résiste à cette demande à laq·u·elle il opriose
l'exception de réticence résultant des circonstanees
énoncées dan:s le jugement ci-;rprès : " attendu que
l'article 348 du Code de commerce dispose que toute
réticence qui diminuerait l'opinion du risque annule
�-
106 -
l'assurance ; qu'en fait, lorsque Giran et C• ont donné
Je 4 janvier 185~ l'ordre de faire l'assurance dont il
s'agit au procès, ils savaient que la marchandise était
chargée depuis le 25 novembre ; qu'ils connaissaient
-une série de faits mentionnés dans leur correspondance
d'où résultait pour eux la conviction qu'ils exprimaient
Je 27 dP.cembre que le navire était parti depuis longtemps;· que par l'arrivée de plusieurs navires venus de
la Nouvelle à Toulon, dans 24 heures, ils étaient certains
que le navire assuré avait éprouvé dans sa traversée des
retards capables de leur donner de vives inquiétudes ;
Qne ces faits qui ont été cachés aux assureurs étaient
capables de diminper pour eux l'opinion du risque et de
les porter certainement à les refnser ;
Que tels sont les caractères de la réticence qui, anx
termes de l'article précité, annule l'assurance ; »
Dans c~ ju gement, on s'est attaché uniquement, on le·
voit, aux coilséquences que les faits passés sous silence
ont pu avoir sur l'opinion du risque, sans prendre en
consjdération le dommage souffert, les avaries du navire
et des marchandises.
Celse règle cependant ne doit pas être exageree.
La réticence et la fause déclaration ne peuvent influer
sur le sort du contrat qu'en tant qu'elles ont diminué
l'opinion du risque ou en ont changé le sujet. En dehors
.de ces cas, on doit les regarder comme de simples inexactitudes sans importance.
L'assureur qui veut exciper de l'article 348 pour .
demander la nullité du contrat doit se reporter an mo.ment de la signatqre de la police et se demander si la
�-
107 -
réticence a pu produire une erreur suffisante pour ,vicier
son consentement. Si l'assuré a caché certain~ faits
qu'il aurait pu fournir, le contrat doit être annulé; on
ne peut même pas dissimuler un danger sous prétexte
qu'il est incertain ou douteux, parce que tel qu'il est ce
danger peut modifier 1:opinion du risque et permettre à
l'assureur d'exiger une prime plus forte.
Nous venons de voir que les réticences qui pouvaient
annuler l'assurance étaient celles qui étaient contemporaines du contrat. Faut-il soumettre à: la même régie
les réticences qui se rattacheraient à des faits posté- .
rieurs ?
La cour de cassation a admis que la nullité devait être
prononcée dans les deux cas, parce que l'article ne distingue pas entre les réticencés qui accompagnent le
contrat et celles qui lui sont postérieures. On considère
l'assurance comme un contrat continu sur les effets et la
portée duquel les assureurs ont besoin d'être complètement éclairés pendant toute la durée des risques.
On peut citer à l'appui de cette jurisprudence un arrêt
de la cour de cassation à la date du 13 juillet 18.'..H,
d'après lequel l'article 348 s'applique à toutes les réticences qui interviennent pendant la durée des risques
jusqu'à la consommation des effets de l'assurance. (J. P.
54, 1, 135).
Cette jurisprudence mqnque, suivant nous, d'exactituda. L'assureur, qui excipe de l'article 348 pour
demander la nullité de l'assurance, doit établir que l'assuré a fait des déclarations inexactes ou incomplètes au
moment où il ~ignait la polic11, i,'assuré &-~-il déclaré à
�- ·108 -
. ce· moment tout ce qu'il savait du risque, on ne peut lui
-imputer aucune 11éticence e·t de ce chef le contrat est
valable. Si le risque s'est aggravé plus tard à la suite
d'événements que rien ne faisait pressentir, l'assurem
ne sera {!las admis à se prévaloir de l'artic.le 348, parce
que, au moment où le contrat ~·est formé, il n'a pu
relever aucune r.éticence à l'encontre de rassuré.
Il ne fau~ pas eonfondre la réticence avec le fait on la
faute de l'une des .parties. Ainsi lorsque l'aggravation du
risque est due an fait de l'assuré, le contrat est annulé
non pour cause cle réticence, mais parce que 'dans un
contrat quelco.nqne, l'une des parties ne peut empirer la
position de l'autre partie sans que celle-ci_ait accepté ce
changement.
Pour repousser l'exception de réticence, l'assuré
devra prouver par écrit que l'assureur a été ins,trui.t des faits non cléclarés. Il lui sera facile de se réserver cette preuve en faisant cette déclaration dans la
police pu en exigeant qu'elle soit reconnue par écrit. Il
ne sera jamais admis à invoquer la preuve testimoniale
on de simples prés0mptions.
C'est ce qui a été jugé par le tribunal de commerce de
Marseille, le 4 avril 1856.
. L,e 30 janvier 1850, les sieurs Desgrancl père et fils
font assurer par l'entremise de Locard, courtier en assuraqçe, de. ~e.rtje de H0ng-l\oçg à Shangaï la somme de
42,000 francs, valeur convenue de trois caisses eontenant 6,000 pi;astres carolus, chargées snr le navire Nympha à voiles ou à vapeur, moyenriant la prime de 1 0/0
poQr navire à vapeur ~t de ~ 0/0 pour navire à voiles.
�-
109 -
Desgrana père et fils Jonnent coi:rnaissance à léllr assureur d'une lettre du 11 avril suivant des sieurs Dent
etc• de Hong-Kong, leur annonçant qu'on n'avait plus
aucun espoir de recevoir des nouvelles dn navire . Nympha. Le 1'.7 octoqre, il forme une demande en délaissement pour défaut de nouvelles.
L'assureur demande la nullité dn contrat pour cause
de réticence, se fondant sur ce que l'assuré aurait mégligé
de leür faire connaître le retard prolongé qu'avait ép!'ouvé
la navigation de .la Nympha au morne-nt où l'assurang·e
avait été couverte, retard connu de Des·grand père et fils.
Comme au.moment de J' assurance faite rapidement après
avoir reçu la lettre, Desgrand, malgré son assertion, n'a
donné connaissance par écrit ni du retard connu, ni de
la lettre de pent, le tribunal a prononcé la nullité du
contrat (J. M. 1856, page 116).
Parmi les cas de réticence; on peut compter celu-i où
l'assuré, par d'autres assurances qt1'il aurait fait souscrire, se trouverait placé dans une situation telle qu'il
serait intéressé à la pèrte du navire et où il dissimulerait
soit cet intérêt, soit les faits qui !'auraient fait naitre.
Le tribunal de commerce de Paris, . la cour d'appel de
la Seine et la cour de cassation ont annulé une assuraJ:Jce
faite sur corps en faveur d'un armateur qni avait ensuite
fait contracter dee assl'Jrances pol'lr des sommes considérab les sur le fret et la bonne arrivée dtJ navire. li a été
· jugé qLie, par ces dernières assurances, l'arrivée du navire
au,rait été un désastre pour l'armateur et sa perle un
véritable bénéfice; que si les assureurs Sl!lr corps en
;lvaiept étë infonnés 1 ils auraient conçu une opinion
�-
1'10 -
différente du risque ; que peu importait que les assurances à déclarer fussent postérieures à l'asrnrance sur
corps; que c'est pendant toute la durée du risque que la
loi a. voulu prévenir les fausses déclarations (23 juillet 1849. - 29 juillet 18[5'1. -15 juillet 1852).
L'article 348 assimile la fausse déclaration à la réticence.
Toute fausse déclaration, celle· là même qui porterait
sur des faits que l'assuré n'était pas obligé de déClarer,
annule l'assurance dans l'intérêt de l'assureur, si elle a
pu diminnerTopinion du risque ou en changer le sujet.
Ici, moins encore que dans les cas de réticence, il n'y
aura lieu de . distinguer entre l'assuré de bonne foi et
l'assuré qui , sciemment, aura fait des déclarations
inexactes pour souscrire la police à des conditions plus
avantageuses. Il vaut mieux taire ce qui est que déclarer
ce qui n'est pas.
Sur toutes ces questions, les tribunaux ont un pouvoir
d'appréciation absolu.
A qnels signes reconnaîtront-ils que les déclarations
sont inexactes~ Ce sont là des questions de fait. Voici ce
que dit M. de Courcy au sujet des déclarations que doit
faire l'assuré qui soupç0nne quelque événement désastreux.
cr Ce qui rend, en effet, particulièrement délicate l'appréciation de ces questions, c'est qu'elles se posent.dans
le for intérieur.
cc Elles sont des cas de conscience, avant d'être des
cas juridiques; or, il y a des consciences bien diversement timorées ..J'essaierai de tracer à la conscience quel-
�-
111 -
ques règles qui me paraissent devoir être aussi celles de
la décision des tribunaux. La principale règle est celleci : quand un souci par,Liculier quel qu'il soit, est Je motif déterminant qui fait rechercher une assurance ou une
réassurance, oui, je n'hésite pas, la probité commande
la déclaration de ce souci. )) (Questions de Droit maritime, t. 1, p. 307).
Le troisième cas de nullité esL la différence entre la police et Je connaissement dont nous avons parlé à propos
de l'erreur. Cette différence peut se manifester de diverses façons : elle portera tan tôt sur.la chose assurée, tantôt sur le voyage, tantôt sur les deux choses réunies.
La c:rnstruction de l'article 348 semble indiquer que
le législateur a voulu soumettre tous les cas qu'il prévoit
à une règle unique. JI faut cependant faire une distinction. Lorsqu'il y a réticence ou fausse déclaration, l'assureur seul peut demander la nullité du contrat.
La règle n'est plus la même dans la dernière hypothèse
prévue par l'article 348.
Lorsque les déclarations de l'assuré ne concordent pas
avec les énonciations contenues dans le connaissement,
la nullité est absolue. Le consentement des parties ne
s'étant pas rencontré sur le même objet, le contrat est
nul conformément à l'article 1110 du Code civil , et
cette nullité peut être invoquée par l'assuré comme par
l'assureur.
L'assurance souscrite par un commissionnaire est
soumise aux mê.mes règles. La personne ùu commissionnaire se confond avec celle du commettant.
L,'assuré est-jl de bonne foi, il est responsable du
�-
'112-
·mauvais choix qu'il a fait; a-t-il dissimulé sciemment
certains faits, l'ignorance et la bonne foi du commissionnaire ne font aucun obstacle à ce que l'assurance soit
annulée. Le commissionnaire ne doit pas ignorer les faits
que connaît le commettant'. Comme le dol n.e se présume
pas, l'assureur qui demande la nullité du contrat, doit
établir par témoins ou par de simples présomptions que
l'assuré a déguisé la vérité ou fait des déclarations mensongères (art. 1348). L'assuré, au contraire, est obligé
de recourir à la preuve par écrit pour prouver que l'assureur a été instruit du fait qu'il déclare avofr ignoré. La
loi s~est montrée plus sèvère a l'encontre de l'assuré afin
de prémunir l'assureur contre une foule de faits frauduleux qui sont toujours difficiles a établir . .
Ce n'est là d'ailleurs que l'application du droit commun en matière de preuves.
Dans toutes les hypothèses où l'article 348 reç.oit _son
application et sauf le cas oü il y a défaut de concordance
entre la police et le connaissement, l'assureur reste le
maître du contrat et peut, suivant son intérêt, maintenir
l'assurance ou en demander la nullité.
En aucun cas, l'assuré ne peut exciper de sa faute ou
de son dol pour se dispenser de payer la prime : on ne
peut pas invoquer sa propre faute pour se dégager de ses
obligatil'ms. Nemo auditw turpitudinem suam alle-
gans.
Mais, dira-t-on, l'article 34.8 .n'annule pas l'assurance
dans l'intérêt de l'asstneur; elle prononce la nullité sans
distinction.
Si l'or} s'aHachait trop à la leHre et~ l'articlei il faqdrait
�....... 1'13 ....
en conclure qu'en cas de réticence ou de fa~1sse déclaration, la nullité serait absolue à l'égard d·e toutes les parties et ·pour l'assureur comme pour i'assuré. Ce mode
d'interprétation serait d'autant plus excusa.hie que nous
verrons ci-après à l'article 357 que dans le cas d'une ·assurance frauduleuse, excéd_ant la valeur de l'objet assuré,
les auteurs du Code, en prononçant la nullité, ne la prononcent qu'à l'égard dè l'assuré seulement.
Néanmoins il est évident et par la nature dès choses
et par l'esprit de la disposition qui résulte de l'exposé
de:; rr,iotifs que la nullité ne peut être appliquée qu'à
l'assUré coupable de réticenoe ou de fausse déclaration.
Lui seul a tort, il doit donc seul supporter la consëq uence
de sa faute, et s'il avait le droit de s'en prévaloir pour
priver l'assureur de la prime promise au moyen de la
nullité du contrat, la loi produirait un effet contraire au
but qu'elle s'est proposée; la négligence ou la faute obtiendrait une récompense au lieu de la puniüon qui leur
est due.
· L'assuré n'est pas tenu de payer la prime lorsque 'l'assurance est annul~e; il a même une action en répétition
contr~ l'assureur, si elle a déjà été payée.
L'assureur a-t-il droit an demi polilr cent de la somme
assurée? On entend par demi pour cent une somme qui
est allouée à l'assureur à titre d'indemnité.
La question est con~roversée. Dans une pr:emière opi~
nion, l'indemnité du demi pour cent n'est due. que dans
le cas où l'assurance est annulée dans l'intérêt des deux
parties.
Si la cause de la nullité est telle qu'elle ne puisse être
.)
�...... i'llt. -
invoquée que par l'assureur, ce dernier est trop heureux
. d'avoir en sa faveur la chance de gagner la pri.me; s'il y
a heureux retour, et de ne point perdre son capital en
cas de sinistre.
Nous 'pensons que l'indemnité du demi pour cent eEt
due dans tous les cas. En faveur de cette opinion, on
peut invoquer par analogie l'article 358 qui accorde cette
indemnité à l'assureur, lorsque l'assurance est réduite·
pour cause d'exagération. La similitude des sitnations
permet de supposer que dans la pensée du législateur la
même solution doit s'appliquer au cas où le contrat est
annulé pour réticence ou fansse déclaration.
Le contrat d'assurance doit être maintenu lorsque le
fait non déclaré était ignoré des deux parties au moment
de la signature de la police. Dans ce cas, la situation des
parties étant la même, le fait inconnu rentre dans les
chances aléatoires du contrat.
L'article 3~8 ne signale, camme annulant l'assurance,
que la réticence ou fausse déclaration de la part de l'assuré, et l'orateur du gouvernement, M. Corvetto, n'en parle
également que dans ce sens.
Faut-il en conclure que la dissimulation de la p~rt de
l'assureur n'exerce aucune influence sur le sort du contrat?
« Ce)a serait contraire, dit M. Cresp, à toute raison et
à toute justice. Le sort des parties doit être le même ;
elles doivent en savoir autant l'une que l'autre sur le
risqu13 et ses circonstances. Il y a identité de motifs
pour exiger des deux parts même bonne foi 1 même
loyauté; et c'est d'ailleurs ce que les docteurs et les
..
4
•
~
�- 115 -
textes s'acc0rdent à commander. >i (Cresp, Droit maritime, tome III, page 202).
Si la loi n'a parlé que des assurés, c'est qu'en fait il
était bien difficile que l'assureur puisse induire en erreur
l'ass uré. Cette sévérité de la loi s'adresse spécialement à
celui-ci, parce que c'est lùi qui a une connai~sance parfaite et entière des choses qui font la matière du contrat
d'assurance; c'est lui qui iodique la nature, la valeur des
effets assurés et des risques auxquels il est exposé, et qui,
par là détermine la vol on té de ]'assureur.
Néanmoins, la chose n'est pç1s impossible. Les auteurs
en prévoient la possibilité. Tel serait le cas où l'assureur,
sachant que la paix vient d'être signée, recevrait de l'assuré encore ignorant de ce fait, une prime basée sur
l'état de guerre. Tel est encore le cas où, au moment
de la signature, l'assurnur saurait qu'une parlie du risque
est consommée par l'entrée du navire dans un port intermédiaire.
Nous pensons avec cet auteur que les mêmes règles
doivent s'appliquer indifféremment à l'assureur et à l'assuré, parce que toùs les·deux ont droit· à la même protection de la loi, ·et que si le législateur n'a parlé que de
l'assuré dans l'article 348, c'est que, dans la plupart des
cas, c'est lui qui sera l'auteur de la réticence ou des
fausses déclarations.
Avec l'article 357 nous allons maintenant ét.udier un
cas particulier de fausse déclaration, celui où l'assuré a
souscrit un contra't d'assuranc~ ou de réassurance pour
une somme excédant la valeur des effets chargés. La loi,
dans ce dernier article, permet à l'assureur de faire an~
�-
'116-
nulerle contrat, toutes les fois que l'assuré indique c1àns
la police une somme supérieure à la \'aleur réell.e des
marchandises chargées sur le navire.
L'assureur peut faire procéder à la vérification et a
l'estimation des marchandises poilr établir la fraude, la
supposition ou la falsification des objets assurés. Celte
preuve une fois établie, \'assurànce est nulle, mais à l'égard de l'assuré seulement.
Sous l'empire de l'ordonnance de la marine, le dol et
la fraude étaient frappés de peines plus sévères ;Jexagération dolosive ou frauduleuse annulait le contrat et entraînait la confiscation .des marchandises. L'article 23
portait « défense de faire assurer ou réassurer des effets
au-delà de leur valeur, par une ou plusieurs polices, à
peine de nullité de l'assurance et de confiscation des
marchandises. ))
Valin nous dit à ce sujet «que celui qui se fait assurer
en fraude ne subira la peine de son crime qu'autant que
toutes les ·assurances auront été faites µa une seule et
même police. Mais si les assurances sont faites par plu- ·
sieurs polices, la confiscation n'alilra pour objet que les
marchandises qu'on avait encore droit de faire assurer et
dont l'assurance se trouvera nulle, comme étant faite
dans une seconde ou troisième police où la valeur restante des effets aura été plus qu'absorbée.» (Ordonnance
de la marine, commentaire sur l'art. 22).
Le Code a supprimé la confiscation des marchandises.
La disposition de l'article 22 de l'ordonnance dépassait le but, car, si cet .excès de sévérité était de nature à
empêcher les exagérations, elle portait en même temps
\
, r•
�-H7-
atteihte à l'assurem: en 18 privant du gage de la prime et
aux créanciers de l'assuré, qui voyaient ainsi disparaître
leurs sûretés.
Le dol et la. fraude ne se présumant pa's, l'assureur
doit prouver quë l'exagération n'est pas le résultat d'une
erreur, mais un calcul de la part de l'assuré; il peut prouver le dol par tous les moyens possibles, par la preuve
testimoniale comme par de simples présomptions, confqrmément au droit commun (art. 134-8).
L'assureur qui veut prouver le dol ou la fraude a une
double preuve à faire. Il doit établir que la somme indiquée dans la police ne correspond pas à la valeur des
marchandises et il doit prouver que l'assuré est de mauvaise foi.
La preuve de l'exagération résultera de la différence
entre la déclaration de l'assuré el la valeur exacte de la
chose. li sera plus difficile de prouver la mauvaise foi,
parce que la preuve du dol et de la fraude doit être établie
assez clairement pour ne laisser planer aucun doute sur
l'intention de l'assuré .
On pourra établir le dol et la fraude en prouvant par
témoins que l'assuré connaissait la valeur exacte du chargement au moment de la signature du contrat.
L'exagération el le dol une fois établis, l'assureur est
le maître du contrat. Il peut le maintenir ou le faire annuler, suivant son intérêt, à moins que l'on·admette avec
certains auteu~s que la nullité existe de plein droit. Nous
reverrons plus loin cette question.
Doit-on tenir compte des circonstances qui ont ;iccompagné la perte du navire?
8
�- H8 -
Nous rapp-ortons un arrêt de la com d'Aix qui déclare
yalable une assuranc-e souscrite pour une somme supérieure à la valeur des marchandises, parce que le navi're
avait péri dans des circomtances qui ne laissaient aucun
doute sur les oauS'es de l'événement :
cc Attendu, dit la Cour, que l'assurance a été exagérée
au point de dégénérer. en espérance de bénéfice par la
perte dtJ navi re, m<l.Îs que, la perle étant arrivée dans des
circonstances qu'i n'ont pas fait naître 'de ·soupçons sur
les causes d'e l'événemeIDt, il y a lieu S'eulemenl àe réùuire l'assurance, etc. 11 (J. M. 1877, 1, 2, 3).
Il faut voir dans cé jugement une viiolation ·manifeste
· de l'article 357.
Il importe peu, en effet, que les circonstances qui ont
accompagné la perte du J.ilavire n'aient laissé planier aucun
sou,i;içoR sur les causes de l'év·énement. L'inc'ertit0de naturelle dans laquelle on s-e trouve à ce sujet ne fait pas
disparaître la pensèe première qui a riu décider l'assuré
'à escompter à. l'avance la probabilité d'un sinistre.
L'article 357 n'impose aucune pre\llve partieuliére. Il
pose seulement en principe que les tribunaux doivent
annuler l'assurance toutes les fois que la fraud e et le dol
ont été clairement établis. Si dans ~ertains cas les cir-:constanees au milieu desqueHes le navire a péri re'11dent
la ma.uvais.e foi évide1rite, cette pré'somption n'excl•at pas
les al!ltres preuves, el les j-mges deiivent dédarer le contra~
nul à l'égard ide l'.ass uré filtès qu'i1l est suffisamment
prouvé qu'un naufrage .aurait été pou1r l·mri une oause
d'e,nrichissement et l'ar,rivée du navire une perte.
La nullité de l'article 357 ex.iste+elle de plein dr:oit?
1
1
1
1
�-
119 -
Cette question divise les auteurs.
Dans le sens de l'affirmative', on dit que la loi prononce elle-même· la nullité.
L'article 316, qui pr'évoit une hypothèse absolument
semblable à celle que nous étudions, porte que« le contrat peut être déclaré nul, à la demande do prêteur, s'il
est prouvé qu'il y a fraude de la part de l'emprunteur. »
La rédaction cle l'article 355 n'est pas la même; il n'y
est pas dit ((le-contrat peu't être annulé r mais (( le contrat est nul à l'égard de l'assuré seulement, s'il est prouvé
qu!il y a dol .ou fraude de sa part J>. Pour expliquer cette
différence de rédaction, on di_t que l'assureur a tous les
avantages, qu'il a droit à la prime dans tous les cas , tandis
que le prêteur a tout intérêt a ne pas attaquer Je c.ontrat
lorsque le voyage s'effectue heureusement (Bédarrlde,
Droi't maritime, L'orne IV, page 112. - Boulay-Paty,
Droit maritime, tome IV, page 111).
Dans une au tre opinion, on enseigne qu'il ne faut
tenir aucun eompte de cette différence de rédaction, il
s'agit dans les deux cas d'pn contrat aléatoire dont la
validité est subordonnée à l'existence d'un risque à la
charge de l'assureur et le prêteur à la grosse joue le rô\.e
d'on assureur. Pourquoi alors appliquer des règ_les différe11les ù deux hypothèses qui sont absolument les rnême·s?
Mais, d-ira+ôn, l'assürem· n'a pas â. se plaindre pnisqu'iÏ
conserve son droit à la prime comme si Je corllrat était
déolaré valable :
A cela on peut répondre que celle nullité cle l'arli-ole 3a7 sert à sauvegarder les droits de l'assureur et
qu'en matière d'assurance comme en toute autre matière,
�-
i 20 -
celle des parties a qui la loi accorde lJOe faveur est toujours libre d'y renoncer.
Dans cette circonstance, \'assureur se laissera guider
par les évènements et par les nouvelles, bonnes ou mau vaises, qu'il recevra. Son intérêt personnel \'engagera à
faire annuler le contrat en cas de sinistre ou à le respecter s'il n'est pas obligé d'indemniser l'assuré.
Dans les deux opinions, l'assuré convaincu de dol ou de
fraude, est à la merci de \'assureur; c'est-à-dire que si
le navire périt, il ne pourra pas demander à ses assureurs
la restitution de la prime: personne n'est r~cevable à se
faire un titre de sa propre turpitude.
Le contrat d'assurance ou de réassurance consenti
pour une somme excédant la valeur des effets chargés ne
peut être ann?lé qne lorsque le dol est évident et
parfaitement établi ; s'il y a le moindre doute sur les
intentions de l'assuré, on doit admettre que c'est par
erreur ou inadvertance que le chiffre fixé dans la police
est supérieur à celui qui représente la valeur des marchandises. Les assureurs doivent contrôler eux-mêmes
et estimer la valeur des marchandises afin d'avoir en
main la preuve que cette valeur est inférieure à celle qui
est indiquée dans la police. Si cette indication n'a pas
été fournie, l'assuré est obligé de produire ses factures
d'achat ou ses livres de ·commerce et même de faire dési gner par le juge des experts qui seront chargés de fixer le
prix d'après le cours de la place où la marchandise doit
être chargée.
Que décider au cas où il y a dol ou fraude de la part
•
de l'assuré et de l'a8sureur?
�- m. · Le fait se présentera rarement dans /a pratique ; il
n'est pas cependant impossible. Le désir de gagner une
prime plus forte peut déterminer l'assureur à accepter
sciemment un chiffre supérieur à la valeur des effets
assurés.
Cette hypothèse doit être régie par les articles 1965 et
'1967 du Code civil. Aux termes de ces articles, on
n'accorde aucune ·action pour une dette de jeu et, dans
l'espèce, il s'agit d'un véritable pari. Le contrat ne peut
donc produire aucun effet.
L'assureur ne sera pas recevable à exiger la prime et
l'assuré de soq côté ne pourra pas la réclamer si elle a
été payée.
Lorsque l'assureur demande la nullité de l'assurance
pour dol ou fraude, le contrat est-il nul erga omnes ou
à l'égard .de l'assuré seulement?
Dans un premier système on sou~ient que la nullité de
l'article 357 fait disparaître le contrat en son entier et à.
l'égard des deux parties. « On ne comprendrait pas, dit
M.Laurin, qu'une nullité une fois pronoocé~ n'opérât pas
erga omnes et qu'on scindât en quelque sorte les effets
de la convention; le législateur, en disposant comme il
l'a fait, a voulu trancher certaines difficultés qu'avait fait
naître le texte correspondant de l'ordonnance qui prononçait la nullité d'uue façon absolue et semblait dès
lors donner aux deux parties le droit d'exciper du vice
du contrat. Mais c'est tout, et l'intention du législateur
n'a pas été de créer, entre les deux cas, une distinction
qui ne se justifierait ni en logique ni en é.quiié. n ' (Droit
maritime, tome 3, page 16~) ,
�-
122 -
Dans un autre système on enseigne que \'exagération
dolosive ou fraudulense laisse l'assuré saus recours possible contre les assureurs, et que la police continue à
valoir en faveur de ceux-ci, recevables el fondés à lui
donner tous ses effets el à. se faire payer la prime
entière. Le législateur, tout en consacrant Je principe de
la nullite de la police, a voulu seulement en réduire les
effets en ce qui concerne l'assuré.
Cette question en a fait naître une autre dont la solution est étroitement liée à la solution de celle qui précède.
Lorsque la nullité a été prononcée, \'a~sureur a-t-il
droit à la totalité de la prime ou au demi· pour cent?
Les auteurs qui se prononcent pour la nu Hi té à. l'égard
Jes deux parties disent que l'assureur a droit. au demi
pour cent et non à la tolalilé de la prime, et que ce demi
ponr cenl lui est accordé non plus comme prime, mais à
titre de dommages et ' intérêts. Un contrat nul à. l'égard
des deux parties ne peut évidemment donner naissance à
au.cune obligation.
On applique ici par analogie le paragraphe 3 de I' ar ·
ticle 358.
Nous penso.ns que l'assuré est toujours débiteur de la
prime, parce que l'article 357 ne prononce la nullité qu'à
l'égard de l'assuré seulement. On a voulu simplement, en
prononçant la nullité du contrat, en réduire les effets à
l'égard de celle des parties qui était convaincue de fraude
et de dol. Si dans l'hypothè.se prévue par l'article suivant,
on oblige seulement l'assuré à payer le demi. pour cent,
.c'est parce que l'exagération est le résultat d'une erreur:
jnvolontaire,
�§ II.
De l':issurance fllite ap,rè's la.perte ou l'arrivée 4es objets assl.!rés.
Il nous reste à examiner une d@rnière hypothèse dans
laquelle le dol et la fra\,de peuvent êtFe potir l'une ou
l'autre des parties une SO\l{Ce de dangers tré~ sérieQx.
Cette hypothèse est celle 01) les choses assurées ont déjà.
péri eu sont hors de danger le jour où le contrat se
forme.
Il y a·ici deux cas bien distincts qne nous étudier0ns
dans deux c~apitres différents afin de ne pas Flous écarter
de la division que nous avoBs établie en Qommençant.
Ces deux cas sont prévus par les articles 36,5, 366 ,
367, 368 du Code de commerce.
Le premier, par leq1,iel nous terminerons le chapitre
relatif à l'erreur et au dol, est celui où l'assureur ou l'assuré connaissait au moment du contrat l'arrivée ou la
perte du navire et des marchandises , Le second, que nous
étudierons dans le Chapitre JJJ, est ce.lui où les parties
croyaient à l'existence du risqug en signant la police.
L'ensemble de ces dispositions a été emprnFJté à !"ancien droit.
L'article 365 rappelle en effet~ par ses termes, l'article 58 de l'ordonnance de 1681. Tous les deux déclarent nulles les assurances faites. après la perte ou l'avrivée
des choses as~qrées, si l'as~uré en connais3aiL la perlé ou
l'assureur l'arrivée, avant la signature de la police. ·
L'article 348 protège l'assqreur contre la réticence
�- 1~4 -
ou les fa~1sses déclarations. L'article 368 vient compléter
l'article précédent. ll prévoit une situation plus dangereuse, et par suite, établit contre la partie convâincuè
de mauvaise foi une sanction plus sévère. Il permet, à la
fois, à celle des parties qui fait annuler le contrat,
a· exiger une somme s'élevant au double de la prime et
d'intenter une poursuite correctionn8lle.
L'auteur de la fraude peut être l'assureur aussi bien
que l'assuré. Aussi le légi_slateur a-t-il décidé que chaque
partie pourrait faire .annuler l'assorance en prouvant que
l'autre partie connaissait l'événement au moment de
signer la police; et comme il était difficile, sinon impossible, d'établir directement cette preuve, on a créé ici
une présomption légale. L'assurance est nulle si l'assureur ou l'assuré a connu ou pu connaître la perte ou
l'arrivée des objets assurés le jour où le contrat s'est
formé. La présomption que la connaissance de l'événement a pu arriver jusqu'aux parties tient lieu de preuves
positives.
C'est une présomption juris de jure.
On suppose que le fait était connu de l'assureur ou de
l•assuré lorsque la distance entre le lieu où la police a été
signée et celui de l'événement ou du premier port de
terre ferme où la nouvelle est arrivée . ne d~passe pas
trois quarts de myriamètre (lieue el demie) pour chaque
heure écoulée depuis ·le moment où le contrat s'est
formé.
L'ordonnance de la marine avait établi .la même présomption .
· Quel est le point qe O.épart du Cf\lcul des qistances?
et
�-
125 -
L'article 21 du règlement d'Amsterdam et le cha..:''
pitre 4. d.n Guidon de la mer comptaient la lie~e et demie
par heure de l'endroit même où le sinistre était arrivé . ·
Sous l'empire de l'ordonnance de 168·1, on calculait
la lieue et demie du point où le navire avait abordé ou
péri (artic~e 39). « L'assuré sera présumé avoir su la
perte, et l'assureur l'arrivée, s'il se trouve que de l'endroit de la perte ou de l'arrivée du vaisseau, la nouvelle
en ait pu être portée dans ·1e lieu où l'assurance a été
passée, en comptant une liene et demie par heure. >>
Malgré le texte de l'ordonnance, la jurisprudence
avait admis que ·la lieue et demie devait toujours se
compter depuis le premier port de terre ferme où la nouvelle avait été apportée .
. L'article 366 du Code de commerce fait courir les
trois quarts de myriamètre par heure cc de l'endroit .de
l'arrivée ou de la .perte du vaisseau, ou du lieu où la première nouvelle en est arr.ivée. n
Sui\'ant l'opinion de M. Estraogin (sur Pothier) cc on
compte la lieue et demie par l'heure, non du lieu et de
l'instant de l'événement en mer, mais depuis que la
nouvelle de l'événement est arrivée en un lieu de terre
ferme.
C'est cette opinion que le législateur a suiv_ïe.
On ne peut pas, en effet, établir de présomption sur le
temps qu'il fauçlra pour qu'un événement en mer puisse
être connu.» (Traité des assurances ·maritimes, n° 22).
Cette opinion ne s'accorde pas exactement avec le texte
de rarticle 366.
Le législateur a fixé deux points de départ pour Je
�-:- 12,6 -
caJct.11 _des h~ares. : le Jiea du sinistre ou de l'arr:ivée
du navire et le lieu de, terre ferme où la nouvelle s'est
répandue. ·
Aux .termes de cet article, l'assqrance est nu1le toutes
les fois que les parties ont pu connaître l'arrivée c•u la
perle des objets assurés, et celle connaissapce est présumée certaine si, en parcourant une lieue et demie par
heure, la nouvelle a pn <\rrivcr ·dn lieu du sinistre QU du
premier port où ces fai.ls ont. été connus an . lieu où se
trouvaient l'assurenr et l'assuré avant la signature de la
police,
Pour faire ce calcul de la lieue et demie par beme;
l'assureur choisira comme point de départ le premier
port où la. nouvelle est arrivée, lor3que personne ne
c.onnaîlra le moment et le lieu de l'événement; il optera,
au contraire, pour le lieu du sinistre, quand Je lieu de
la formation du contrat se confondra avec celni où La
nouvelle s'est d'abord répandue.
Cette présomption sera soavent une source de difficultés, car, dans une foule d'hypothèses, la signature de
la police remontera seulement à quelques heures avant
le moment où la nouvelle de la perle ou de l'arrivée du
navire a pu être connue de l'une ou de l'autre des
parties.
Ce~ difficultéS n.e se seraient jamais présentées dam; la
pratique, si, au nombre des énonciations que doit contenir la police, on avait exigé l'indication de l'heure à.
laquelle s'est formé le contrat. Malheureusement cette
énonciation est purement facultative. L'article 332
exige seulement que l'on déclare si «l'assurance a été
:ouscrite avant on après midi. >~
�-
127 -
Si la police contient seulement l'indiçatioi;i du 1'our.
sans dire si c'j:}s~ avant ou après iniçli, la preuve t.estimoniate que la police a été signée à telle heure . ne nous
semble ·pas admissible, parce que cet acte ne contenant .
pas les énonciations exigées par l'article 332, les parties
ont à s'imputer de n'avoir été pas pins exactes.
Si les parties ont énoncé que la police avait été signée
avant ou aprés midi, une diffioulté n_ou,velle se présente.
Faut-il présumer qu'elle a été signée au moment de l'ouverture des bureaux ou au dernier moment de. la partie
du jour qui est indiquée?
L'intérêt de la question est considérable, car, dans la
plupart des cas, la police sera val?ble ou nulle selon
qu'on âdopte l'une·ou l'autre solution.
Le choix aura donc une véritable importance.
Quelle solution faut-il adopter?
Les aviH sont partagés. M. Pardessus est d'avis que ,
lorsque la police n'énonce pas l'he~1re, mais seulement
la partie du jour, avant ou après midi, «on doit présumer qu'elle a été signée à la dernière heure de cette partie
du jour, c'est-à-dire à midi, 'Si la pohce est datée avant
midi. Si elle' est datée d'après midi ou ~i elle n'indique.
. qne le jour, l'heure du coucher du solei.l nous semble
devoir être préférée à toute autre, parce que l'usagf\ ne_
consacre pas les heures c;le la nuit à de~ signatures de
contrats, et que, dans le donte, c'est l'usage qui doi.t
servir de base.)) (T., II, B 0 785). (Bédarride, droit 1,I1aritime, t. 4, p.183).
Dan.s une autre opinion, on enseigne q1,1'iJ faut t9ujours compter à -partir de l'heure à laquelle le$ assureul'~
(
1
�-
128 -
ont coutume d'ouvrir leurs bureaux, le contrat ayant pu
être passé a~ssitôt après l'ouverture de ces bureaux (Boulay-Paty, t. 4, p. 193). (Pothier, traité qes assurances,
· Il 0
'.22).
Il faut choisir entre les deux opinions que nous venons d'indiquer, car il n'y a pas de juste milieu possible.
Dans cette nécessité, nous acceptons de prêférence · 1a
dernière opinion par la raison que, si dans une convention quelconque,· la bonne foi des parties doit se présumer, il faut accepter la solution la plus favorable à
celui des contractants dont la mauvaise foi est mise en
jeu.
La présomption de l'article 356 est une présomption
jiirù et de jure qui dispense de tonte preuve celui au
profit de qui elle existe. < Les p1·ésomptions juris et de
jure, dit Polhier> ne peuvent être détruites et la partie
contre qui elles militent n'est pas admise à prouver le
contraire. l> (Traité des obligations, n°• 840 et 841 ).
La' loi n'ayant pas réservé ici la preuve contraire, l'assuré ou l'assureur ne pourra invoquer aucun moyeQ de
défense, tels .que la difficulté des moyens de communication ou l'<1bsence d'un service régulier.
L'article366ajoute: ·<sans préjudice des autres pren- .
ves. 1>
L'assm·em· est toujours reçu a prouver que l'assuré
savait la perte au moment de la signature du contrat et
l'assuré que l'assureur savait l'heureuse arrivée. 11. esl
permis à. l'assureur et à l'assuré d'abandonner la présomption légale, quand elle leur est acquise, pour convaincre la partie adverse de fraude et obtenir conlrf:l 'elle
1
�-
129 -
l'indemnité de la loi, indépendamment de ia nuHité du
contrat.
Les parties peuvent même renoncer formellement à
cette présomption en insérant . dans la police la clause
que l'assurance est faite sur b.onnes ou mauvaises nouvelles.
C'est l'bypothése prévue par l'article 368.
L'article 40 de l'ordonnance de la marine, conforme
au règlement d'Amsterdam, portait: « Si toutefois l'assurance est faite sur bonnes ou mauvaises nouv.elles,
elle subsistera, s'il n'est vérifié par autre preuve que celle
de la lieue et demie par heure que l'assuré savait la perte
ou l'assureur l'arrivée du vaisseau avant la signature de
la police: >>
L'insertion de cette clause dans la police fait tomber
la présomption légale, et par suite, oblige celle des parties
qui demande la nullité clu contrat à invoquer des preuves
directes et positives. Cette clause est devenue d'µne application très fréquente, elle est insérée aujourd'hui
dans presque toutes les polices.
Ainsi que nous l'avons dit plus haut, on pourra invoquer comme moyen de preuve la connais~ance que
toute une ville avait de la perte ou de l'arrivée do' navire et des marchandises; mais cette preuve ne sera
qu'une présomption ordinaire que les juges auront à
apprécier. ((En règle générale, dit Emérigon, celui qui
fait assurer une chose déjà perdue, ou celui qui assure
une chose déjà arrivée sont également présumés de bonne
foi, jusqu'à ce que le contraire soit prouvé. On admettra,
suivant les circonstances, les indices et les présomptions
�-
130 -
de fraude; mais s'il n'y a point de fraude, la moind-rê
incertitude de l'événement heureux oo malheureux suffit
pour valider l'assurance. )) (Traité des as-surances
marit1:mes, tome u, page 135).
Valin émet la même opinion: « autr~ chose, dit-il, est
de savoir la perte d'un navire, et autre chose est 'd'avoir
lieu, et même juste sujet de crainte. )) (Sor l'art. 40 de
l'ordonnance).
Au premier cas, l'assurance est nulle; au second eas,
elle est valable, s'il n'y a ni dol ni dissimulation ou fausse
déclaration. La prime est alors stipulée relativement à
l'idée plus ou moins grande du bon ou du mauvais succès. Ainsi ont peut faire assurer un navire qui a disparu
depuis plusieurs années en déclar.ant dans la police
qu'on n'a plus reçu de nouvelles depuis telle époque.
Lorsque l'une des parties, l'assureur, par exemple, ne
peut pas étàblir que' l'assuré .était personnellement instruit de la perte du navire, la loi l'autorise à demander
la 'Ilullité de l'assu~ance pour réticence ou fausse déclaration. L'assureur est toujours recevable à dire à l'assuré:
vous étiez sans nouvelles et vous ne m'avez pas fait part
de v9s craintes sur le sort du navire. Si j'avais eu connaissance de ce fait, je n'aurais pas consenti à souscrire
l'assurance ou j'aurais exigé une prime plos forte. A ce
point de vue, l'assuré a •toujours la ressource de l'arti-
·de 348 ..
L'assureur ou l'assuré qui veut faire annnier l1assu..
rance peut toujours obliger l'autre partie à affirmer sur
serment qu'elle n'avait reçu aucune nouvelle du navire
avant.de signer la police. Le serment aura la même f.orce
que la présomption lêgale de l'article 366.
�-
Hi -
Cependant ce poi·nt a été contesté.
M. Pard essus enseigne que i'u'l1le des pa'rties ne peut
déférer le sermént à l'autre «parce que, dit-il, il 'n'est
pas convenable que qu·elqu'01\ soit placé entre sa conscience et · la. crainte d'une condamnation correctionnelle qui imprime une sorte de déshonne'Ur. » (Tome u;
page 331).
Cette raison est peu concluante, car; en matière d'assurance comme en tout autre màtière, celui à qui on
dl:lfére le serment est toujours placé entre sa conscience
.
et la crainte de pB'rdre son procès.
On arrive ainsi à supprimer une preuve que la 10'i
donne comme dernière ressollrce 'à ceJl·e des parti'es qiù
ne peut établir autrement les faits ·qui font l'objet de sa
demande.
Nous pensons avec Potbier cc que lorsque l'assureur
a déféré le serment à 'l'assuré et que celui-ci a refusé de
le rendre, il faut voir dans ce refus la preuve certaine et
irréfutable que l'assuré connaissait l'événement au moment où il signait la police. " (Traité des ·assurances,
n°· 16).
Les articles 366, 367 et 368 s'appliquent à l'assu~
rance souscrite par un ·commissionnaire?
L'assurance est nulle lorsque Je commissionnaire avaît
connaissance cle l'évènement au moment où il si~nait la
police. La bvnne foi de l'assuré ne peut suffire.
La solution est la même au cas où l"assurè, instruit~
temps de l'évènement, n'a pas averti son commissionnaire.
sanction de toutes ces disposiüons est écrite dans
1
La
�-
1'l'.'2 -
l'article ::l68. Aux termes de cet article, l'assur.eur ou
l'assuré qui est convaincu d'avoir connu l'événement est
passible d'une poursuite correctionnelle et doit payer
une somme double de la prime convenue.
L'article 41 de l'ordonnance ne parlait pas de pour·
suites correctionnell~s; il prononçait seulement la peine
de la double prime. Le règlement de Rotterdam cité par
Valin punissait comme faussaire celui qui était coupable
de crime. Emérigon lui aussi considérait la condamnation à la double p.rime comme un prime trop légère.
Sous l'empire de notre législation maritime, la partie
qui a eu connaissance de la perte ou de l'arrivée dn navire est condamnée à payer la double prime et devient en
même temps passible des peines réservées au vol el à
l'escroquerie. L'article 4.07 du Code pénal exige, il est vrai,
qu'on ait employé des manœuvres frauduleuses, ce qui
semblerait impliquer des faits positifs, ayant un caractère
de réalité. Nous pensons cependant que les manœuvres
frauduleuses peuvent consister dans une réticence aussi
bien que dans une dP.claration mensongère. Il es.t bien
vrai que, puisque Je législateur n'indique pas quel est le
sens exact de c.e mot, on doit lui donner l'interpretation
la plus étroite, s'agissant de pénalités. Mais on a fait
remarquer avec raison qu'il y a ~n l'espè~e un motif particulier pour entendre la loi dans urr sens large, c'est
celui fourni par l'article 348 qui, dans notre matière
même, met sur Je même pied la réticence et la fausse
dêclaration, et en fait deux manifestations distinctes,
mais équipollentes entre elles, du dol. « La disposition
est, il est vrai, d'ordre civil, étrangère par conséquent
�-
133 -
(ce semble du moins) à la que_sHon ; la pensée de la loi
est évidente néanmoins et résiste de ce chef à toute distinction. )) (M. Laurin, Couts de droit maritime, tome
III, page 179.)
ta partie 'poursuivante peut-elle saisit à son choix le
·tribunal correctionnel ou le tribunal de commerce? Les
auteurs ne sont pas d'accord sur cette question. Dans un
un premier système on dit que le tribunal correctionnel
est seul compétent.
« Par ces expressious de la loi houvelle, celui de l'as·
suré ou de l'assureur contre qui la preuve est faite est
poursuivi correclionnellement, il n'y a pas de doute que
l 'inten lion du législateur a été que l'action fût -portée
devant le tribunal correctionnel. Si les affaires d'assurances sont placées par l'article 633 dans les attributions
des juges de commerce, ce n'est qùe dans le cas où elles
conser'veront le caractère de contestations purement
civiles; comme dans le cas de la présomption legale où
' la nullité est seulement prononcée ; mais toutes_les fois
q11'une affaire de la compétence des tribunaux dé .commerce prend Je caractère d'accusation, ceux-ci sont obligés de la renvoyer devant les tribunaux ordinaires.
Ainsi quand la partie trompée, abandonnant la présomption légale ou y ayant renoncê, veut recourir aux preuves
positives pour démontrer la fraude de l'autre partie, cette
action est essentiellement une accusation d'escroquerie,
dont la connaissance appartient, comme délit, aux tribunaux correctionnels ,, (Boulay-Paty, tom. 4, pag. ~09,
Pardessus).
Nous ne partageons pas cette opinion et nous pensons
9
�-
f 3!1 -
que la .partie lésée peut toujours demander aux juges
consulaires l'exécution d'un contrat essentiellement commercial. La partie qui poursuit la nullité du contrat
pourra, il est vrai, sai~ir le tribunal correctionnel et demander à titre de répaiations civiles, la· double prime qui
lui est due, mais elle devra alors fournir des preuves caractéristiques de la mauvaise foi et du dol.
On comprend très bien qu'une preuve suffisante pour
faire annuler l'assurance' et prononcer des dommages et
intérêts ne .Je soit plus quand il sagit de flétrir un homme
du nom d'escroc et de lui infliger une ·peine correctionnelle. Le demandeur d'ailleurs arrivera plu!'\ facilement
à .ses fins en saisissant le tribunal de commerce.
La nullité une fois prononcée conformément à l'article
. 367, le ministère public pourra poursuivre directement
celle des parties contre qui on a prono1Jcé la nullité ,
s'il estime que les preuves qui ont été fournies devant le
tribunal de commerce établissent suffisamment l' escroqnerie.
�CHAPITRE Il
Nullité tics assu1•ances po111• vice tenant
i't l'objet.
On peut concevoir deux .systèmes d'assurance: un
premier dans lequel l'assuré obtient les avantages auxquels il aurait eu droit, si le voyage s'était 'effectué heu.:
reusemerit, c'est-à-dire la valeur des effets assurés et le
profit qu'il aurait pu réaliser, et un autre qui se propose de mettre l'assuré dans la situation oil il était avant
le départ dn navire. Dans ce dernier cas, l'indemnité à
laquelle a droit l'assuré se mesure à la valeur des marchandises au moment de la signature de la police.
C'est ce second système qui a été adopté. On a consi-·
déré les choses non pas comme si l'opération n'avait pas
réussi, mais comme si elle n'avait pas eu lieu.
Il en résulte que toutes les personnes qui exposent
qnelqu.e chose à la mer peuvent faire assurer ce qu'elles
çourent le risque de perdre e~ non ce qu'elles manquent
de gagner.
Par application de ce principe le législateur du Code
de commerce a prohibé les assurances qui ont pour objet
des valeul's incertaines et aléatoires. Cette prohibition
�-
136 ......
déroge à l'article 1130 aux termes duquel « les choses
futures peuvent être l'objet d'une obligation. )) Et pourtant il semble bien que la règle de l'article 1130 aurait
dû s"appliquer à }!assurance qui est par excellence un
contrat aléatoire. L'article 347 qui est le siège de la matière dispose que cc le contrat d'assurance est nul, s'il a
pour objet :
1° Le fret des marchandises existantes à. bord du navire;
~· Le profit espéré des marchandises ;
3° Les loyers des gens de mer ;
4" Les sommes empruntées à la grosse;
5° Les profits maritimes des sommes prêtées à la
grosse.
Les prohibitions portées dans cet article existaient déjà.
sous l'empire de l'ordonnance de 1681. Nous verrons
bientôt en les étudiant que sur ce point on n'a fait que
reproduire l'ancien droit.
Quelle raison peut-on invoquer en faveur de ces prohibitions et spécialement en ce qui concerne les deux
premières? Elles sont au nombre de trois. L'une est une
raison d'utilité publique : on a voulu que l'assuré fût
lui-même intéressé à la conservation du navire et apportât à. son entretien tous les soins nécessaires. On a
pensé qu'on ne pourrait plus exiger de lui le même dévouement et le même courage le jour où les assureurs
seraient obligés de payer avec la valeur du navire et des
marèhandises le fret espéré. On n'affronte pas le danger,
on n'expose pas sa vie inutilement.
L'autre raison est celle-ci : l'assurance est un contrat
�-
137 -
d'indemnité qui ne doit jamais procurer un bénéfice à
l'assuré; or,, l'armateur réaliserait un gain s'il était i·ndemnisé de la valeur du navire et GUI fret.
Nous savons eiue le fret est une oréance conditionnellë
dont l'existence est subordc>nnée à l'arrivée du navire et
qui ne devient exigible que le jour où les marchandises sont débarquées à l'endroit et au moment convenus.
Notre contrat ne peut donc pas s'étend11e à une valeur
incertaine, aléatoire, ql!li existera peu1t-être, mais qui
n'existe pas encore, et qui, par conséquent, n'est pas
exposée aux dangers de la mer.
A cela on peut répondre que si le fret est une créance
conditionnelle, il est en même temps le prix d'un service
qu'il est facile d'estimer et sm lequal on peut légitimement compter. Le fret reii>résente pour J' armateur le prix.
de tous les dai;iger.s auxquels son navire est sans cesse ·
exposé, sa dépréciation par l'usure et toHs les frais connus 'so us le nom de mises hors. S.'il est vrai que le paiement du fret est subordonné à un événemelilt futur et
incertain, il est vrai aussi ql:1'en souscrivant cette assu
rance, l'armateur fait essentiellement un acte conservat0ire ; or, le créancier condi1tionnel peut, aux termes de.
l'article 1180, exercer . tous les actes conservatoires. de
so11 droit avaat l'acc0mplissement de la cond:ütion.
Et d'ailleurs 'peut-on soutenir sérieusement que le fü:et
n'est pas exposé aux risques. de la navigation. Cela ae se
peut pas et à bon droit. L'affréteur fait assurer ·1es marchandises, parce qu'elles peuven.t se· dëtériorer ou être
jetées à la mer i l'annateur devrait po.u1v0ir faire assurer
�-
138 -
le fret, parce que cette créance est attachée aux flancs du
navire comme le profit que le chargeur espère réaliser,
comme les marchandises elles-mêmes. « A ce compte il
faudrait, dit M. Laurin, en matière d'assurance terrestre,
prohiber l'assurance des récoltes contre la grêle et autres fléaux· de la nature, car la récolte, jusqu'à sa maturité
et même à sa perception, est chose incertaine et aléatoire.
Le contraire se pratique cependant tous les jours. Or
pourquoi ne ferait-on pas pour le fret, fruit civil du navire, ce qu'on fait pour la récolte, fruit naturel de l'immeuble? >) (Droit maritime, t. m, p. 451 :.
Cette .assurance est d'autant plus utile que le navire
représente toujours une valeur considérable, quelquefois
même la plus grande partie de la fortune de l'armateur.
Les deux premières raisons ne sonl pas concluantes,
mais on' en a produit une trnisième qui a plus de poids.
On a dit: si Je capitaine qui réunit souvent à cette
qualité celle de copropriétaire du navire peut faire assurer
le fret espéré, on ne pourra plus attendre de lui la même
énergie et le même courage: l'as~urance devant l'indemùiser de toutes les pertes qu'il peut éprouver: il sera plus
facilement porté à faire prononcer l'innavigabilité du
navire. Voilà un danger contre lequel les assureurs ne
peuvent pas toujours se prémunir,
Cette raison est fa seule qu'on puisse sérieusement
invoquer en faveur de cette prohibition et encore n'estelle pas de nature à faire maintenir la prohibition de la
loi, car ce n'est qu'une simple considération utilitaire.
· On invoque les motifs ci-dessus indiqués a propos de
l'assurance du rrofit espéré des !Ililrchandises, des loyers
�-
139 --
des gens de mer et des sommes prêtées à la grosse. La
réfutation est donc la même, de façon qu'en définitive
l'assurance des sommes empruntées à. la grosse devrait
seule subsister, parce que l'emprunteur est libéré de
· toute obligation envers le prêteur lorsque le navire vient
à périr. Aussi pour les motifs indiqués plus haut l'article
347 est depuis une vingtaine d'années l'objet des plus
vives attaques. Les prohibitions qu'il contient ne se rencontrent que dans notre législation maritime. Ainsi, ,de
nos jours, aucune loi ne proscrit en Angleterre l'assurance dn fret à faire; il en est de même aux Etats-Unis·,
en H?llande (Code hollandais, art. 593), en Portugal
(Code portugais, art. ·1700), en Prusse (Code prussien,
art. 1980). Dans ces mêmes contrées, il est permis de
fair~ assurer le profit espéré des marchandises et les profils maritimes des sommes prêtées à la grosse.
Ces différentes législations ont cependant prohibé l'assurance des loyers de gens de mer pour des raisons que
nous exposerons plus loin en étudiant le paragraphe 3 de
ce chapitre.
Chez nous, au contraire, le contrat d'assurance ne
peut couvri~ que les droits acquis et certains au moment
où il est souscrit.
Il serait à désiser que sur cette matière la France
adoptât la règle qu'i a toujours été admise chez nos voisins. << Pourquoi, dit un éminent auteur,'tant de retards à
là mise de la question de l'ordre du jour de la Chambre?
Je crois Je savoir. ·
Les motifs du retard sont étrangers à la question elleJTiême. ·
�-
140 -
La proposition votée par le Sénat contient une autre
réforme que ne demandent pas les armateurs français,
celle qui les rend débiteurs des gages des hommes·
d'équipage malgré la perte du navire. Pµis, ce qu'ils
demandent surtout, ce qu'ils implorent en étalant leur
détresse, . résultat de la liberté des pavillons, c'est la
f~veur des subventions del' Etat, et il y a aussi des propo·
sitions faites à cet égard. C'est une question financière,
d'économie p.olitique et µiême de politique d'qne haute
importance, devant laquelle pâlit bien celle de la réforme
de l'article 357. )) (De Courcy, Question de droit mar.
t. ,~. p. 390).
Depuis la loi votée le 10 jn,illet 1885 et dont nous
ç.vons _parlé dans l'introd,uction de cette étude, les questions que nous allons étudier ne présentent guère plus
qu'un intérêt retrosp.ectif. Cependant, l'étude de l'àrticle 3&, 7 présente encore un intérêt actuel, en permettant
pe régler les q-qestions transitoires nombreuses qui s' élèveront à propos des assurances souscrites avant la promulgation de la loi.
§ 1.
De la nullité tenant au fret des marchandises existaµt à bord du
navire et au profit espéré des march:mdises.
Nous réi,missons ~ous le même numéro ces deux pro,hibitions, parce qu'elles se rattachent au même çirdre d'idées. En effet, le fret ou profit du navire et le pr.oijt des,
marchaQdises son,t égal~Jil~nt iQcertaips.
Le fret n'est dù que si le navire arrive heure1;1~ement
�-
1ld -
(art. 30'.2) ; le profit des marchandises dépend de mille
hasards.
Nous retrouvons déjà ces prohibitions dans Je Guidon
de la mer. Cleirac, dans son commentaire sur cet ouvrage~, explique cette prohibition de la façon suivante :·
cc Le fret, dit-il, assez privilégié d'ailleurs, ne peut être
assLiré: quia duœ specialiter non possimt concurrerc
circa idem; et d'abondant pour rendre le màître plus
soigneux de la conservation du navire et de la marchandi~e qu'il pourrait négliger, s'il était assuré: ne detur
occasio ad delinquendum. )) (Cleirac, Guidon de la
mer, chap. 15, p. 317).
L'ordonnance de la marine défendait aux propriétaires
et maîtres de navires de faire assurer le fret à faire de
leurs bâtiments. <1 Les propriétaires des navires ni les
maîtres ne pourront faire assurer le fret à faire de leurs
bâtiments , les marchands, le profit. espéré de leurs marchandises, ni les gens de mer Jeurs loyers (art. '15,
tit. 6).
Pothier commente ainsi cette disposition. cc Ce fret à
faire, dit-il, ce profit à esp érer des marchandises, ces
l.oyers sont des gains qu e les armateurs manquent de
faire, si le vaisseau ou les marchandises périssent plutôt
qu'une perte qu'ils courent risque de faire» (Pothier,
Traité des assur. marit. n° 56).
Les anciens usages maritimes voulaient même qu'il y
eùt dans tous les cas un découvert pour que lassure restât son propre assureur pour une part qui était généralement du dixième.
L'article 15 de l'ordonnance a passé en entier dans
notre législation .
�-
1'12 -
La prohibition de l'article 347 s'applique, on le sait,
également au profit espéré des marchandises.
Ce profit espéré dont le chiffre ne sera connu que le
jour où ces marchandises seront débarquées. est, comme
le fret, une valeur incertaine.
Mais ici ce caractère ·d'incertitude est encore plus saillant, car, si l'on peut établir d'une façon in,variable le
chiffre auquel s'élèvera le fret, on ne peut savoir dès à
présent quel sera le profit des marchandises. Leur valeur
dépend de \'appréciation du chargeur qui calcule à l'avance le profit qu'il espère réaliser.
Cette prohibition est loin d'être absolue: elle sera,
suivant les circonstances, au-dessus ou au-dessous de la
vérité.
La prohibition de l'assurance de ce profit existait sous
l'empire de l'ordonnance de 1681. L'article 15 de cette
ordonnance ne faisait lui-même que reproduire une décision de la loi '.2, § 4 (de lege Rhodia, liv. XIV, tit. 11,
Dig.), (( detrimenti non lucri fit prœstatio. »
Il résulte de celle loi que l'on prend comme base d'estimation non le gain que l'on aurait pu réaliser, mais la
perte que l'on a éprouvée, ce qui revient à dire que l'indemnité peut servir à réparer le dommage, mais qu'elle
ne peut en aucnn cas devenir un prnfit éventuel pour
l'assuré:
Cette règle domine tout le contrat d'assura~ce. Lorsqu'elle a été faite sur facultés, c'est.-à-'dire sur les marchandises, on ne tient compte que de la valeur des effets
assuré$ au moment du départ. On n'assure pas le profit,
�-
143 -
parce sa réalisation dépend d'une foule de circonstances
qu'il est presque impossible de prévoir. ((Ce profit, dit
Emérigon, est un être moral qui ne se trouve point dans
le.navire et qtli partant ne peut pas être assuré (Traité
des assurances, t. I, p. 232).
Ce que la loi prohibe c'est uniquement l'assurance soit
du fret à faire, soit du bénéfice espéré ; mais quant au
fret ou profit acquis, ils peuvent incontestablement être
assurés , car ils constituent des choses acquises, des
biens existant réellement dans notre patrimoine lors de
la ~ignature du contrat.
Que faut-il entendre par fret acquis ou fret à faire?
Le fret acquis est celui qui a été payé à l'avance et ·dé. clâré non restituable en cas d'accidents, perté, bris de
navire, etc.
Le fret à faire est le prix ou la valeur que les chargeurs
ont promis de payer pour le transport de leurs marchandises au lieu convenu; c'est un gain possible, éventuel,
incertain, qui existera peut-être, qui n'existe pas encore.
Ce fret est subordonné, quant au paiement, à l'arrivée
et à la remise des marchandises au lieu fixé dans Je contrat. Emérigon le définit cc un profit incertain : il sera Je
prix de la navigation heureuse et le fruit _civil du navire.
Il ne l'est pas encore, il ne peut donc devenir une matière d'assurance.)) (T. I, p. 22a.).
Cette .distinction entre le fret acquis et le fret à faire
est traditionnelle: elle remonte à une déclaration du 17
août 1779, et il n'est pas douteux que le Code ne s'y
soit rallié, malgré la généralité de ses termes, car, il n'y
�-1411-
a pas pour prohiber le fret acquis les raisons qui ont fait
prohiber le fret à faire et d'autre part la réglementation
générale de la déclaration précitée a passé tout entière
dans la loi moderne.
cc L'ordonnance de la marine, dit Pothier, ne parle
que du fret à faire, c'est-à-dire de celui qui n'est pas
encore dû au propri_étaire du navire et qni ne lui sera
dû qu'à l'arrivée du vaisseau: à l'égard du fret acqu·is,
c'est-à-dire de r.elui qui, aux termes de la convention
entre le propriétaire du navire et le marchand doit lui ·
être payé à tout évènement dans le cas de la perte du
vaisseau et des marchandises, comme dans celu i de
l'heureuse arrivée, il est évident qu'il ne peut pas être
matière d'assurance de la part du propriétaire du navire, .
puisqu'il ne court aucun risque par rapport à ce fret,
mais il peut être une matière d'assurance de la part du
marchand qui fait assurer son chargement, ce fret faisant
partie des dépenses que ce marchand court risque de
perdre en cas de perte du chargement. )) (Traité des
assurances, n° 36).
La déclaration du 17 août 1779 n'est pas moins formelle. cc Le fret acquis pourra être assuré et ne pourra
faire partie du délaissement du navire, s'il n'est expressement compris dans la police d'assurance n Seulement
étant donné que la distinction du fret acquis et du fret à
faire est traditionnelle et aJmise aujourd'hui, la difficulté
est de savoir comment un fret acquis peut être susceptible d'assurance. Le fret·, en effet,tnous l'avons dit,
est payé par anticipation et n'est pas restituable en cas
�- 145 -
d'accident; quel intérêt aura-t-on dès lors à le faire assurer et, d'autre part, comment l'assurance sera-t-elle
légale puisqu'il n'y a plus de risque de navigation? La
difficulté n'est pas nouve!le. « Ce fret acquis, dit Emèrigcrn, susceptible d'être assuré, a beaucoup exercé l'es négociants et les jurisconsultes de Marseille. J'ai tourné en
toute manière l'article ci-dessus, je ne me flatte pas <l'en .
avoir pénétré le sens. >) (Traité des assurances, tome 1,
ch. 8, sect. 8). Cet auteur, cherchant le mot de l'énigme,
avait fini par avouer qu'il y avait·1à une vérilable gageure
sous forme d'assurance, permise par la loi pour le bien
du commerce; et si peu satisfaisant'e que soit la solution,
ou est bien obligé de reconnaître qu'elle est forcée.
On a essayé cependant d'une autre et voici l'expédient
·que la pratique a imaginé et abrité sous la désignation
d'assurance du fret acquis pour en sauver la légalité:
L'armateur qui est obligé de faire des dépenses considérables stipule que le chargeur lui paiera une partie du
fret avant le départ du navire et que ce fret ne sera pas
restituable en cas d'accident. Le chargeur fait assurer ce
fret accessoirement à la marchandise, et comme en définitive c'est dans l'intérêt du capitaine que tout cela est
pratiqué, puisqu'il aurait suffi au chargeur de rester
sous l'empire de l'article 30:2 pour sauvegarder sa situation, on convient que c'est lui qui paiera la prime.
Y a-l-il là l'assurance du f rel acquis, et, par conséquent, Ia ·convention est-elle valable?
cc On l'a soutenu et décidé ainsi, dit M. Laurio, par la
double raison que le fret n'étant pas restituable en cas
d'accident, était véritablement acquis, et d'autre part,
�-
1lt6 -
parce que l'assurance n'était plus pratiquée par le capitaine ou l'armateur, mais par le chargeur, ce qui de
toute façon doit rendre la disposition de l'article 54. 7
inapplicable. - Ce sont là de pures subtilités imaginées
à l'effet d'échapper à la prohibition de la loi, et de transformer l'assurance du fret à faire en assurance du fretacquis. Toute la question est de savoir dans l'intérêt de
qui, et, par suite, par qui l'assurance est faite; or, le
seul fait que la capitaine paie la prime est déjà par luimême suffisamment sigrlificatif; car on ne comprendrait
pas que le capitaine payât la prime si !'assurance lui était
étrangère. Mais ne voit-on pas, de plus, que le chargeur n'est ici qu'un prête-nom, et que le biais n'a été
imaginé qu'à l'effet de tourner la loi, et d'arriver au
même résultat que celui qui serait atteint par une assurance directement contractée par le capitaine? Quelle
différence y a-t-il, en effet, quant au ~ésultat, entre l'assurance di~·ecte et brutale do fret par le capitaine et:
1° la stipulation de non-restitution du fret en cas d'accident; 2° l'assuraace de ce fre.t par le chargeur; 3° le
paiement de la prime par le capitaine? Le chemin de
traverse a-t-il menéà un autre point que la ligne directe?
La combinaison dont s'agit arrive donc finalement à la
violation de l'article 347, et il a fallu le mouvement
d'opinion qui s'est déterminé contre cette règle, pour
que les tribunaux arrivassent à valider un pareil expédient. )) (Cours de droit commercial, page 946).
Cette pratique à laquelle les armateurs ont recouru
jusqu'à ce jour à l'effet de violer la disposition prohibitive de l'arti.cle 347 disparaît depuis le vote de la loi non-
�-
147 -
velle. L'assurance peut aujourd'hui avoir pour objet le
fret, le profit espéré des marchandises, les loyers des
gens de mer et le profit maritime des sommes prêtées à
la grosse.
Les sommes empruntées à la grosse continuent seules
à ne pas pouvoir faire l'objet d'un contrat d'assurance.
Nous examinerons plus loin les motifs de cette prohibition. Mais en nous supposant toujours sous l'empire de
la loi ancienne, faut-il considérer comme fret acquis le
fret que l'armateur a reçu clans le cours du voyage?
Emérigon enseigne que ce fret se confond avec le fret
acquis: pourquoi, en effet, distinguer entre le fret payé
d'avance et stipulé non restituable et le fret acquis pendant la traversée ?
Cette solution n'est pas celle du Code.
En parlant du fret acquis dans l'article 386, le législateur s'est servi i;, ?essein du mot cc payé d'avance ''. Le
Code ne s'explique pas, il est vrai, sur le sens du mot
fret acquis, mais on peut dire qu'il s'est approprié par
son silence la distinction de l'ancien droit.
'
Lorsque le voyage est terminé, ll:l chargeur paie Je fret
qui est dû a l'armateur pour le transporL des marchandises. Si le capitaine est obligé par le mauvais temps ou les
avaries qu'a subies le navire de débarquer les marchandises dans un port de relâche, le chargeur ne doit à
l'armateur qu'une part!e du fret proportionnée à la longueur du voyage .
. Le fret acquis devra·t-il s'imputer sur ce prorata?
Le tribunal de commerce de Marseille a jugé que le
fret des marchandises sauvées faisait partie du délaisse-
�- 148 -
ment du navire et appartenait aux assureurs sur corps au
cas même où il était payé d'avance. Les assureurs du fret
acquis à qui le délaissement est signifié à la suite de l'innavigabilita du navire, déclarée en cours de voyage, ne
peuvent pas, en exerçant les droits de leur assuré, compenser les avances sur le fret avec le fret dû à proportion
de l'avancement du voyage.
En ce sens un jugement du tribunal de commerce de
Marseille, 18 décembre 1857. - Arrêt confirmatif de la
cour d'Aix, 7 juin 1858 (J. M. 36. 1. 284); autre jugement de ce même tribunal H novembre, 1858. (Journal
de jurisprudence corn. et maritimé, t. XXXVI, pag.
381).
Voici le cas sur lequel ce tribunal avait à statuer. Un
chargeur, Hilarion Gauloffret, aiirète le navire, la Perle,
pour un voyage de Marseille à Sierra Leone, aller et re- .
tour, avec l'engagement de faire des avances au capitaine
et de les foire assurer lui-même, la prime étant à la
charge du capitaine. Arrivé à Sierra Leone, Gauloffert
avance 3,462 fr. sans faire assurer.
Au retour, le navire arrive à Gibraltar en état d'avarie
et est déclaré innavigable. Le capitaine fait délaissement
aux assureurs sur corps du navire ainsi que des avances
et du fret proportionnellement acquis pendant la traversée. Gauloffret prétend qu'il y a lieu de déduire sur
Je fret la somme due. Le tribunal considérant que Gauloffert est lui-même son propre assureur et que l' obligation prise par lui relativement aux avances qu'il devait
faire, équivalait à Jà stipulation qu'elles ne lui seraient
pas remboursée en cas de perte du navire, décide que le
~
fret sera dû totalement.
�-
149 -
La jurisprudence est aujourd'hui constante sur ce
point.
L'assurance ne peut pas s'étendre au fret à faire.
Dans la pratique, les armateurs· et les assureurs emploient un moyen qui leur permet d'éluder la disposiqon
de l'article 347. Ils recourent aux polices d'honneur
(ainsi appelées parce que les parties se fient à leur loyauté
et prud'hommie réciproques).
«On entend dire communément, dit M. de Courcy, que
la loi française prohibe l'assurance du fret. C'est une
erreur. La loi ne prohibe pas plus les assurances sur le
fret que les paris, les jeux de hasard et les marchés de
bourse. Elle leur refuse seulement la sanction légale et
les recours aux tribunaux, elle abandonne à l'honneur
des parties l'exécution de ces conventions dont elle ne
veut pas consacrer les liens, )) (de Courcy," questions de
dr. mar. t. 2. p. 40q,).
C'est là une exagération, une erreur évidente.
Les conventions que la loi déclare nulles ne peuvent
même pas faire naître une obligation naturelle.
Si l'on appliquait à la lettre la théorie de M. de Courcy,
il faudrait décider que la loi ne prohibe que les conventions qui tombent sous l'application du Code pénal.
Dans ces polices d'honneur, les assureurs restreignent
la portée du contrat en limitant au 60 0/0 du fret total
l'assurance du fret à faire.
Le fret que perçoit l'armateur ou le capitaine en son
nom ne représente pas un bénéfice net; une partie de
ce fret. sert à l'indemniser des avances qu'il a faites pour
10
�-
'150 -
les frais de mises hoi·s. C'est cette portion de frais évaluée
aux trois cinquièmes dn. fret total qu'on a voulu assurer.
Au moyen de cette assurance, si le fret est perdu, l'armateur. est indemnisé au moins des avances qu'il~ faites
avant de prendre la mer.
Mais il faudrait aller plus loin et permettre même l'assurance du fret entier. «Si, dit M. de Courcy, les assurances mentionnées par l'article 347 étaient toujours, ce
qu'elles sont quelquefois, des jeux ou des paris, elles
demeureraient donc, à ce titre, des contrats alfatoires,
non prohibés, dépourvus de l'action légale et n'obligeant
que la conscience, des obligations morales. Mais ces assurances peuvent être, suivant les circonstances, bien autre
chose qu·e des jeux et des paris. Elles peuvent être de
véritables assurances, des contrats d'indemnité, protégeant des intérêts très légitimes.
«Je me suppose appelé à la tutelle de mineurs dont le
père, armateur et négociant, vient de mourir . .Je m'empr.esserai de prendre connaissance de l' état des affaires
qui auront pu être négligées pendant la maladie de leur
père. Je découvre qu'il y a en mer un navire, assuré
pour une somme que j'estime insuffisante et inférieure à
sa valeur. Ce navire gagne un fret brut de 100,000 fr.,
qui, charges déduites, produira on fret net de 60,000 fr.
si le na vire arrive à bon port.
Voilà donc, pour mes pupilles, un intérêt démontré,
constaté, de 160,000 fr. exposé aux périls de la mer.
Cette somme de 160,000 fr. pourra étre toute la
fortune de mes pupilles.
Et ma sollicitude commettrait un acte prohibé, un acte
�- 151 -
immoral en recherchant ·pour un intérêt aussi légitime
une protection contre les pé.r11s de la mer? Non, c'est
en n~gligeant de la rechercher que ma sollicitude serait
en défaut, que je manquerais à mon devoir. >> (de Courcy,
questions de droit marit. m· série, page 100).
On pourrait citer une foule d'antres exemples dans
lesquels l'assurance du fret paraît très légitime et, loin de
dégénérer en jeu et en pari, représente seulement pour
l'assuré une indemnité égale à l'intérêt qu'il veut sauvegarder .
.Si du fret nous passons au profit espéré des marchandises, nous voyons qu'il faut égalemeut distinguer entre
le profit acquis et le profit espéré. Le profit acquis est
celui qui s'est réalisé, qui existe au moment de la convention. J'achète une certaine quantité de marchandises
et, quelques jours avant de les charger sur le navire,
j'apprends que leur prix a augmenté.Je puis faire assurer
ce profit parce qu'il représente pour moi une valeur définitivement acquise. Le profit espéré est celui que j'espère
réaliser sur un marché. Ce profit n'existe pas encore, si
ce n'est dans mes prévisions. Comme il n'est encore
qu'une simple probabilité et.que, comme tel, il n'est .pas
exposé, il échappe à toute convention d'assurance.
Pothier nous don.ne une exemple d.e profit acquis.
cc Un marchand fait assurer pour le voyage, aller et
retour, une cargaison de valeur de 50,000 livres qu'il a
sur na vire destiné ponr le cap Saint-Domingue. Il apprend .
.que ses marchandises, arrivées au cap, ont été vendues
a.vec un bénéfice considérable et que ce qui en est provenu,chargé en retour, est de valeur de 100,000 livres ;
�-
15;2 -
il peut faire assurer les 50,000 livre? qu'il a d'augmentation, car, c'est un profit ..acquis. » (Pothier, traité des
assurances, n° 37).
Les marchandises chargées en retour seraient subro- .
gées aux premiéres et comme elles assurées. Il ne faut
pas voir là un profit acquis.
Lorsque les marchandises ont été vendues, la première
assurance a disparu: les objets chargés en retour font
l'objet d'une nouvelle assurance. JI ne peut donc être
question de profit acquis. L'exemple que donne Pothier
va à Fencontre de cette règle que, pour qu'il y ait profit
acquis, il faut que ce profit existe réellement au moment
de la convention.
Ici se présente une question qui à été très discutée.
Lorsque dans une assurance sur facultés, c'est-à-dire sur
marchandises, les choses assurées n'ont pas été estimées
dans le contrat, faut-il tenir compte de leur valeur au
moment du chargement ou au moment de l'achat? Fautil, en d'autres termes, prendre en considération l'augmentation de valeur survenue dans le lieu même entre
l'achat et le chargement? Dans une première opinion, la
valeur des marchandises doit s'apprécier d'après le prix
courant du jour et non d'après la facture (Bédarride,
tome 3, page 330).
Voici les arguments que l'on fovoque à l'appui de
cette théorie . .
Pour que le principe de l'indemnité soit parfait, il faut
que la somme assurée soit égale à l'intérêt réel du propriétaire. Pour connaître cet intérêt, on ne doit pas
s'arrêter à la valeur de la chose au moment de l'achat,
�-
'15::l -
parce que cette valeur est subordonnée à des changements
résultant du temps, des lieux, 'des circonstances et peut
sur la place même éprouver des variations nombreuses.
L'assurance d'ailleurs est un contrat d'indemnité et
c'est un principe dé notrè droit que l'indemnité pour être
compléte doit comprendre, oulre la perte qu'on éprouve,
le gain dont on est privé.
Or, pour le négociant~ la valeur de la marchandise
est celle qu'elle peut avoir un jour sur tel ou tel marché:
ce sont ces différences de prix qui lui permettent ·de
réaliser un bénéfice. Que veut !'affréteur? Etre dans la
situation où il serait si les marchandises n'avaient pas
péri. Comment arriver à ce résultat si l'on ne tient
compte comme base d'évaluation que des livres ou des
factures?
« La valeur d'une mo.rchandise au lieu de d~part, dit
Beneck, est le prix auquel elle peut y être vendue. Telle
est au moins la définition applicable à tout article courant. Pour établir cette valeur, c'est donc au prix courant et non au prix .primitif de l'article qu'il faut avoir
égard. Si le prix courant excède le tout, c'est la valeur de
ce prix courant qui doit être assurée, car, le propriétaire
qui peut en retirer ce prix sur le marché même perdrait
Je profit qu'il peut déj ~faire, si, en cas de perte, il n'était
remboursé que du coût primitif. Si, au contraire, l'article est tombé à on prix inférieur à celui auquel il a été
acheté, c'est ce prix actuel que l'assurance doit couvrir,
car le propriétaire, si la marchandise périt, ne perd réellement que cette valeur réduite. Dire que les marchandises doivent être i:lSSurées à leur coût primitif, parce
�-
154 ~
que le propriétaire est libre de les garder jusqu'à ce
qu'elles vaillent encore ce prix, ce serait un faux raisonnement, car, elles ne peuvent plus être un objet de spéculation au lieu de départ du m.oment qu'elles sont
envoyées sur un autre marché. Si elles promettent un
accroissement de valeur à ce lien de destination, la
somme qu'elles peuvent produire en dessus du prix courant et des frais est un profit espéré que le propriétaire
peut faire assurer en plus, mais sous cette dénomination.
Si, au contraire, il n'en attend aucun bénéfice, il est
clair qu'en assurant plus que la valeur courante, une portion de la prime est sans objet. >> (Traité des principes
d'indemnité en matière d'assurance, tome 1, page 352.)
Les fluctuations parfois . rapides du cours des marchandises donnent à la question un intérêt tout parti·
culier.
L'opinion qu'a soutenue M. Beneck est très rationnelle.
Le législateur doit faciliter dans toute la mesure du
possible les opérations commerciales et faire fléchir la
rigueur de la loi devant la volonté des parties. Il faut,
pour obtenir ce résultat, que l'assurance se mesure à
l'intérêt de Jrassuré, au profit qu'il espère réaliser.
Malheureusement ce système a contre lui une règle
formelle, celle de l'article 339. Aussi croyons-nous devoir
le repousser. Aux termes de cet article, la valeur des
marchandises, si elle n'est pas estimée dans le contrat,
doit être justifiée par les l.ivres et factures, c'est-à-dire
par l'écrit constatant le prix d'achat.
Les effets assurés ne s'estiment suivant l~ur valeur au
�-
'155 -
moment du chargement que dans un seul cas, celui où
ces livres et factures ne contiennent aucune indication.
Hormis ce dernier cas, la somme indiquée dans la
police doit correspondre à la valeur des marchandises au
jour de la convention. Toute assurance souscrite pour
une somme supérieure à celle qui représente la valeur
des marchandises à ce mvment et qui, par suite, indique
la plus-value, rentre dans le profit espéré et comme telle
tombe sous. l'application de l'article 347.
Dans la pratique, les négociants et les assureurs échappent encore ici aux rigueurs de !J. loi en recourant aux
polices d'honneur.
On augmente dans la convention la valeur primitive
des rr archandises en fixant au 10 0/0 le profit espéré. Ce
chiffre est généralement inférieur à celui qui est réalisé
sur les marchés, mais on évite ainsi des exagérations, des
abus scandaleux qui auraient pu entraver les rapports des
assureurs et deE assurés.
(< Ces questions, dit M. de ·Courcy, ne se présentent
jamais devant les tribunaux lorsqu'il n'y a pas d'exagération de valeurs vraies d'abord à cause de l'usage des
polices d'honneur dont la connaissance leur échappe,
ensuite parce que les assureurs respectent toujours les
évaluations qo'ils ont sciemment agréées. C'est seulement
quand ils découvrent des exagérations scandaleuses qui
leur ont été surprises, qui confinent à la fraude ou donnent des soupçons de fraude qu'on les voit réclauier, et
alors le débat porte sur l'exagération elle-même. » (De
Courcy, questions de droit maritime, t. 2, p. 406).
Dans la police fran çaise crassurar:ice maritime aujour~
�-
156 -
d'hui adoptée et mise en pratique par les assureurs des
grandes villes maritimes, l'article[) de la police sur marchandises porte que 1c nonobstant toutes valeurs agréées
les assureurs peuvent, lors d'une réclamation de pertes
ou d'avaries, demander la justification des valeurs réelles
et réduire, én cas d'exagération, la somme assurée au prix
coûtant, augmenté de 10 0/0, à moins qu'ils n'aient expressément agréé une surélévation supérieure d'une quotité déterminée. ))
On voit par là que les assureur.s ne songent pas à
invoqner la nullité de l'article 347. Ils demandent une
seule chose, qu'on ne surprenne pas à leur ignorance des
évaluations exagérées, qu'on les avertisse des motifs que
l'on a d'augmenter de plus de 10 0/0 le prix coûtant,
afin qu'ils n'agréent que sciemment cette augmentation.
D'après M. de Courcy, cc cette coutume des polices
d'honneur devrait être respectée par les tribunaux, en
cas de conflit entre les assureurs et les assurés, parce
qu'ici, pour éviter de faire assurer un profit incertain et
aléatoire, on a Qonvenu d'un prix inférieur au prix réel. ))
(Questions de droit maritime, t. 2, p. 406).
M. de Courcy ajoute que cette disposition de l'article
347 a été abrogée par la désuétude.
En ces termes absolus, cette doctrine n'est guère soutenable. Une loi prohibitive comme celle de l'article 347
ne peut pas être abrogée par l'usage, par la pratique
commerciale ; une loi ne peut être abrogée que par une
loi nouvelle.
Depuis la loi du 10 juillet 1885, les chargeurs et les
armateurs ne se verront plus obligés de recourir aux
�-
•157 -
polices d'honneur, garantie insuffisante puisqu'elle ne
leur procurait qu'une faible partie du fret et du profit
espéré.
Ils pourront à l'avenir faire assurer directement ce fret
et ce profit espéré. Cette réforme réclamée instamment
depuis plusieurs années répond à un besoin sérieux. Elle
permet d'indemniser l'armateur de toutes les dépenses
faites avant le départ du navire et autorise le commerçant à faire assurer ses marchandises pour leur valeur au
moment où le navire va prendre la mer, c'est-à-dire pour
une somme qui re.prés.ente son intérêt -à ce que ces
marchandises arrivent à destiuation .
§ II.
Les loyers des gens de mer.
D'après le Code de commerce comme d'après les principes de l'ancien droit, les matelots, en cas de prise, bris
et naufrage, ne peuvent se faire p11yer leurs loyers que
sur le fret et les débris du narive.
Les loyers qu'ils touchent avant de s'embarquer leur
appartiennent définitivement.
L'article 3/i.7 prohibe l'assurance des loyers des gens
de mer. Cette règle serait très rationnelle si elle ne s'appliquait qu'à la partie du voyage qui n'est pas encore
effectuée. Cette portion du loyer ne forme pas un objet
physique, un objet ayant un càractère de réalité. 'Mais
l'article 347 ne'distingne pas ; la prohibition s'applique
à tous les loyers indistinctement.
�-
158 -
Comment expliquer cette prohibition?
On s'est dit que les marins étaient en général des gens
. intéressés qui n'exposeraient plus leur vie avec le même
dévouement le jour où ils auraient la certitude de toucher leurs salaires. On a voulu les intéresser. à la conservation du bâtiment et faire de leur succès dans la lutte
à soutenir contre les éléments la condition du paiement
de ces salaires.
L'assurance de ces loyers était déjà prohibée par l'ordonnance de la maritime (Art. 15).
Les loyers, dit Pothier, sont des gains, que les gens de
mer manquent de faire, si le vaisseau périt, plutôt qu'une
perte à laquelle ils s'exposent (Traité des assurances,
p. 59j.
Valin nous apprend qu'il était d'usage de déroger à
l'ordonnance dans le3 polices d'assurance; mais Pothier
fait observer que cet usage était devenu un abus.
Emérigon rapporte une déci sion de l'amirauté de Marseille sur une question assez singulière qui se présenta
devant elle en 1757. - Un nommé Jean Marie Amiel
s'était embarqué en qualité de nocher sur le navire la
Vestale, capitaine Brunet, aux salaires de 60 fr. par mois.
Le navire se trouvant dans un port de relâche, Amie!
refusait de continuer sa route, à moins qu'on ne lui assu·
rât ses salaires gagnés. - Le capitaine Brunet lui fit une
déclaration en ces termes : j'assure à Jean-Marie Amiel
les salaires qui lui sont dus jm;qu'à présent....:_ Le navire
remit à la voile et fnt pris par les Anglais. Amie! présenta
requête contre le capitaine en paiement ·de ~20 fr. pour
salaires acquis et assurés ,
�-
'159 -
Le capitaine répondit qu'il n'avait fait celte prétendue
assurance que pour prévenir la désertion du nocher ;
qu'une pareille assurance était prohibée par l' ordonnance, puisqu'il s'agissait des salaires du voyage actuel
et non encore gagnés ; que les salaires étaient. dus à la
condition que le navire arriverait à bon: port. Dans sa
sentence du ~O mars 1757, l'amirauté de Marsei!Ie
débouta Amie! de sa reyuête.
L'article 547 reproduit textuellement l'article 15 de
l'ordonnance.
Le projet de loi de 1865 supprimait le paragraphe 3
de cet article. On rendait l'armateur débiteur personnel
des loyers dus jusqu'au moment du naufrage et on per-:
mettait aux marins de les faire assurer. cc C'est bien
assez, dit M. de Courcy, que la loi nouvelle garantisse ·
les loyers échus dont elle rend débiteurs les armateurs ,
et pour la sécurité de la navigation c'est déjà un danger .
Je l'accepte, au nom d'un principe supérieur de justice et
d'humanité. Oui, il est trop dur q·ue par l'effet d'un naufrage les matelots perdent leurs loyers échus, les salaires
des labeurs accompli s. Il n'est pas souhaitable d'aller plus
loin, et de leur assurer en outre les salaires des labeurs
qu'ils n'accompliront pas. » (De Courcy, t. n, p. 396) .
Malgré l'action que l'article 359 donne aux marins
sur les débris du navire et des marchandises pour le
paiement de leurs loyers, ce recours contre l'armateur et
le droit de faire assurer leurs salaires présentaient pour
eux de très grands avantages en leur permettant de
s'adresser directement à lui, pour ne pas attendre indéfiniment la liquidation du sauvetage, souvent très longue,
et de toucher ainsi la totalité des loyers .
�-
'160 -
Au premier cas, ils évit::iient toutes ces lenteurs; au
second cas, ils n'avaient plus à redouter l'insolvabilité de
leur débiteur.
L'assurance leur garantissait le paiement de leurs
loyers.
L'armateur obligé de faire ces avances pouvait se re- ·
tourner contre ses assureurs en les subrogeant au droit
réel qu'avaient dû lui céder les gens de mer indemnisés. Il
y avait là un délaissement avec tous s·es effets.
M. Grivart, dans son rapport sur le projet de loi
(1873). supposait « que les gens de mer feront assurer
non pas seulement les salaires échus au jour de la perte
du navire, mais même la totalité des salaires du voyage
pour lequel ils étaient engagés. )) Il pensait ql!e cela serait
· 1icite et même digne d'encouragement.
Le projet fut vivement critiqué. Il ne pouva.it être
question tout d'abord d'assurer les loyers correspondants aux services rendus, c'est-à-dire les loyers · dus
jusqu'au jour de la perte du navire, puisqu'ils n'étaient
plus exposés à être perdus en cas de naufrage, sauf dans
le cas d'engagement au profit. (L'engagement est dit au
profit lorsque le salaire des matelots consiste dans une
participation au profit qui sera réalisé pendant le
voyage) .L'assurance pour les matelo.ts engagés au voyage
ou au mois ne pouvait avoir pour but que de leur garantir les loyers qu'ils auraient gagnés par la continuation
du voyage.
Mais ce loyer était un .droit futur qui pouvait être dû,
qui cependant ne l'était pas encore, et qui, par 3uite,
échappait à l'assurance ,
�-
16i -
Ce contrat ne pouvant servir qu'à indemniser l'assuré,
on se demande où aurait été le préjudic~ , si Je na, vire
avait péri quelques jours seulement après le départ. C'était un bénéfice qui aurait été réalisé.
Ce projet de loi présentait un autre inconvénient au
point de vue pratique. Si l'on avait au~orisé l'assurance
de tous les salaires, comment les marins auraient-ils pu
avancer la prime dont le taux est généralement élevé?
Les assureurs auraient difficilement fait crédit à des gens
qui étaient à la veille de prendre la mer.
Une des considérations qui ont fait repousser ce projet est celle que nous avons indiquée tout à l'heure.
Lorsque l'assurance garantira la totalité des salaires,
les marins seront moins portés à agir énergiquement et à
exposer leur vie.
« Puis on ne réfléchit pas ~u taux de la prime. Pour,
une année de navigation, la moyenne n'est pas moindre de 7 0/0, souvent supérieure pour les navigations
dangereuses. C'est 15 0/0 pour deux ans, et sur un capital de 1000 fr. 225 fr. de prime. Les assureurs ne seront
pas si insensés que de faire crédit à un matelot qui est en
mer. Il faut donc se représentr,r un matelot déboursant
au moment de son départ 225 fr. en prime d'assurance,
et un capitaine déboursant 1080 fr. pour une somme de
7200 fr.
Disons la vérité : il n'y aura ni assurés ni assureurs
pour ces opérations. Lorsque )es gens de mers seront
assez prévoyants pour les rechercher, ils seront plus prévoyants encore, ils renonceront à la mer.)) (Questions :
de droit maritime, t. II, p. 395, de Courcy).
�-
Hi2-
La loi du 10 juillet ·1880 autorise l'assurance des
loyers échus et des loyers à échoir.
§ III
Sommes empruntées à la grosse.
L'assurance des sommes empruntées à la gro:;se est
prohibée par la loi, parce que l'emprunteur est libéré de
toute obligation, lorsque le navire périt pendant le cours
du voyage. Ce contrat ne peut s'appliquer qu'aux objets
exposés aux dangers de la mer. Autoriser cette assurance,
ce serait permettre à \'assuré qui est déchargé de ses
obligations, au cas où le navire disparaît, de réclamer
aux assureurs la somme par lui empruntée.
La loi ne pouvait pas sanctionner un résullat aussi inj as te.
L'ordonnance de la marine était sur ce point plua sévère que notre droit maritime. L'article XV était ainsi
. conçu : «Faisons défense à ceux qui prendront deniers à
la grosse de les faire assurer, à peine de nullité de l'assurance et de punition corporelle. n
•
1
« Il y a une raison, dit Pothier, pour laquelle l'ordonnance défend à celui . qui a emprunté une somme à la
grosse aventure de la faire assurer; c'est qu!en la faisant
assurer il serait de son intérét que le vaisseau périt ou frit ·
pris; ce qui pourrait donner lieu d~ sa part à des fraudes
et à des manœuvres pour le faire prendre. )> (Traité des
assurances maritimes, p. 39, n° 31 ).
�-
163 -
La loi nouvelle a respecté la prohibition de cette as-'
surance qui est désormais la seule contenue d&ns l'article 547.
§IV
Les profits maritimes des sommes prêtées à la grosse.
L'assurance du profit marit!me des sommes prêtées à
· la grosse était déjà prohibée dans l'ancien droit. L'arli·
cle XVII de l'ordonnance de la marine portait: <c Défendons aussi sous pareille peine de nullité aux durn eursà
la grosse de faire assurer le profit des sommes qu'ils auront données. »
Celte prohibition se fonde sur ce principe que l'assurance ne peut s'étendre qu'aux objets qui sont exposés à
un danger quelconque. Le profit maritime que le prêteur
a stipulé dans le contrat est un gain qui lui échappe, si le
vaisseau périt, plutôt qu' une perte véritable . Dans la
pratique, les parties, assureurs et assurés, recourent aux ·
polices d'honneur comme cela est d'usage pour le fret et
le prûfit des marchandises.
Il ne s'est jamais élevé entre eux de difficultés à ce
sujet. Sur ce point nous renvoyons à nos explications
antérieures.
L'assurance du profi~ maritime n'est nulle qu'en ce qui
concerne le profit lui-même; l'assurance du capital est
parfaitement valable .
« Il en est à cet égard, dit Valin, comme d'une dona·
�-
164 -
tion qui excède ce que la loi permet de donner : la donation n'est pas nulle, mais elle est réductib le simplement
à la portion dont la disposition est libre et licite)) (Commentaire sur l'ordonnance de la marine, art. XVII,
p. 38).
D'après M. Alauzet cc les considérations qui ont fait
proscrire par beaucoup de législations l'assurance du
profit maritime de~ sommes prêtées 11 la grosse sont toutà-fait étrangères aux principes du contrat d'assurance ;
car, il est certain que c'est un profit acquis et soumis
seulement aux risques maritimes; mais on a craint que
les prêts à la grosse ne vinssent à dégénérer en usures,
si d'autres ·principes étaient suivis. ))
Cela nous paraît inexaet. Le profit maritime n'est pas
encore acquis au moment où l'assuré signe la police;
c'est un profit probable qui est, comme le profit espéré
des marchandises, subordonné, quant à son existence, à
l'heureuse arrivée du navire.
L'assurance de ce profit maritime présente de très
grands avantages pour le commerce et pour le crédit.
· cc L'intérêt manifeste, du commerce dit M. de Courcy,
maritime est qu'il se rencontre des pr~teurs en concurrence aux conditions les moins onéreuses. Toute gêne,
toute entrave se traduira nécessairement en augmentation
d'exigences. Il est bien clair que si le prêteur ne peut pas
faire assurer, pour une navigation dangereuse,_ le profit
qu'il espère, il s'abstiendra d'apporter son argent, ou il
stipulera une somme énorme. Il ne la modèrera qu'en
pouvant la faire assurer. Si le législateur n'a pas vu cela,
il a été bien myope. Si, le voyant, il a résolu de frapper
�- 165 -
de défaveur assurance de la prime de grosse, il a été
bien inconsidéré. Il a gra.vement offensé les intérêts du
commerce maritime, en s'imaginant les servir. Mais le
profit maritime est un profit. Je qrois que les rédacteurs
de 1' article 34 7 n'ont pas vu au Lre chose et ont été séduits par la symétri"e )) (Questions de droit marit., 3• sé
rie, p. 96, de Courcy).
La prohibition de l'assurance des sommes prêtées à la
grosse disparaît avec la loi nouvelle comme celle de l'assuran.ce du fret et du profit espéré des march(\ndises.
�CHAPITRE lII
De la nullité t.e uan.t an ·défaut de can•e .
La cause est le but direct et immédiat que les parties
ont en vue en co ntractant: elle est un élément essentiel
à l'existence de toute obligation. « L'obligation sans
cause", ou sur fausse cause, ou sur une cause illi'cite ne
peut avoir aucun effet» (art. 1131 ). Cette règle trouve
son application dans les assurances maritimes. « Il y a
·dans tout contrat d'assurance, dit Pothier, cette condition tacite, si les assureurs courent les risques >1 (Traité
des assurances maritimes, n• 176). Ce risque est la con- ·
dition tacite, lègale et nécessaire de ce contrat, condition
à laquelle les parties sont présumées avoir subordonné
leurs obligations réciproques.
Le mot condition ne doit pas être pris ici dans le sens
d'événement futur et incertain auquel serait subordonnée
l'assurance. Il faut entendre par ce mot un élément
essentiel, absolument nécessaire pour la validité Je ce
contrat. Sans le risque, il manque à l'assurance quelque
chose d'indispensable, de façon que l'on peut affirmer,
croyons··nous, que le risque est véritablement la cause
de l'assurance, cause successive dont la durée se mesure
à celle de .l'assurance elle-même .
1
�-
167 -
Si donc le risque ~fait défaut, il n'y a pas de cause; il
·faut alors appliquer cette ~ègle primordiale des obligations suivant laquelle une obligation sans cause ne peut
avoir aucun effet.
Le législateur a fait l'application de cette règle dans
l'article 349 qui annule l'assurance lorsque " Je voyage
est rompu avant le départ du vaisseau, même par Je fait
de l'assuré:>>
Gette disposition contient deux dérogations remarqua·
bles aux principes du droit civil.
Il déroge à l'article 117 4, ainsi conçu : ((Toute obligation est nulle si elle est contractée sous une condition
potestative .de la part de celui qui s'oblige. ''
Il déroge encore à l'article 1178 qui considère (( la
condition comme accomplie, quand c'est le débiteur qui
en empêche l'accomplissement. ,,
Cette dérogation ne peut s'expliquer que par l'idée
que nous venons d'exprimer, à savoir que le risque peut
être considéré comme la cause du contrat.
Les auteurs italiens ont appliqué ces règles à l'assurance au cas où l'expédition manquait par lè fait de l'assuré.
La ruplnre volontaire, enseigne notamment Casarégis, loin de contraindre l'assureur à restituer la prime
qu'il a reçue, l'autorise à demander le paiement de celle
qui avait été convenue.
Cet auteur rapporte un jugement de la Rote de Gênes
rendu dans les circonstances suivantes : une assurance
avait été faite ponr un voyage de Gênes à Hicant avec
retour à Gênes. Le navire, au lien de prendre ses expé-
�.... 168 -
dltions pour llicant, les prit pour Barcelone. L'arrivée du
navire dans ce port affranchit les assureurs de l'obligation de payer la perte, quoi°que le navire eût été pris
intra limites itineris dest?:nati, parce que le voyage
avait été rompu.
Le législateur français permet à l'assuré de rompre le
voyage avant le départ du navire, à condition de payer
à l'assureur l'indemnitê du demi pour cent de la somme
àssurée. Cette dérogation s'explique par la raison que
donne Pothier. On acco1·de cette faveur à l'assuré parce
que l'engagement qu'i_I prend envers l'assureur est soumis à cette condition tacite que la chose assuréè sera exposée aux risques convenus.
Il reste le maître d'exécuter ses obligations ou de s'en
affranchir.
Il y a dans ce dernier cas, il est vrai, inexécution d'un
contrat regulièrement formé, mais on a cru que l'intérêt
du commerce nécessitait cette exception aux règles générales qui régissent les conventions. On a pensé que cette
liberté pour l'assuré de dissoudre le contrat sans le consentement êle l'assureur était indispensable. Dans les
opérations commerciales, opérations essentiellement
variables, le commerçant est souvent obligé de renoncer
à un projet sur lequel il fondait de grandes espérances;
tantôt les marchandises qu'il voulait. expédier sur irn
marché étranger ont subi une baisse très forte, tantôt
les nouvelles qu'il reçoit de ses' correspondants l'engagent à tourner les yeux d'un autre côté.
Obliger le négociant a remplir ses obligations dans
des conditions aussi déplorables, c'était le condamner à
�-
'169 -
payer inutilement une prime souvent très élevée ou l'exposer à donner suite à un projet auquel la prudence lui
conseillait de renoncer.
On ne pouvait même pas, sans porter atteinte à son
crédit, l'obliger à faire connaître les motifs qui le détermjnaient à abanclo·nner une expédition pour laquelle il
avait peut-être avancé des capitaux considérables. On a
pensé avec juste raison qu~ son intérêt garantissait suffisamment l'assureur contre toute renonciation arbitraire.
Tout autre est la situation de l'assureur.
li ne perd que la perspective d'une prime plus ou
moins forte et il trouve d'ailleurs dans l'indemnité du
demi pour cent une compensation largement suffisante.
A quel titre lui accorde-t-on Je demi pour cent de la
somme assurée? Ce demi pour cent lui est accordé moins
à titre de dommages et intérêts que comme une indemnité qui le couvre de ses frais, de ses peines et soins.
· Cette indemnité est vivement critiquée par les armateurs: elle s'élève souvent à un chiffre qui dépasse le
montant de la prime. Dans la pratique les assureurs
réclament une somme moins forte, souvent même ils
ne demandent rien.
Doit-en appliquer l'article 349 lorsque les risques ont
commencé avant le départ du navire? Sous l'empire de
l'ordonnance de la marine, les risqu13s étaient à la charge
des assureurs dès que les marchandises étaient chargées
sur des allèges pour être renversées à bord du navire .
Valin nous apprend que c'était la jurisprudence cons tante de l'amirauté de Marseille. « Il me paraît, dit-il,
~ ue ce~ article, en parlant' du départ du vaisseau, suppose
�-
170 -
que les risques pour l'assureur n'ont dû commence1'
qu'au moment où le navire aura mis à la voile. Si donc
ils ont commencé plus tôt, c'est tout comme si le voyage
fût commencé. 1> (Valin, sur l'art. 38 des Ass. mar.
Emérigon, tome II, page 15&,).
Nous adoptons cette solution, parce qu'elle a sa base
dans un principe incontestable, à savoir que la prime
est acquise à l'assureur dès que les risques ont commencé à courir. A l'appui de celle opinioll, nous invo.querons l'article 328.
Cet arli'cle porte que: « A l'égard des marchandises,
le temps des risques court du jour qu'elles ont été chargées dans le navire ou dans les gabarres pour les y
porter. 1>
.
L'article 4 de la police française d'assurance maritime
sur marchandises est conçu dans le même sens. Les
risques courent à partir du moment où la marchandise
quitte la terre pour être embarquée et finiss·ent au moment de sa mise à terre au point de destination, tous
risques d'allèges pour transport immédiat de bord à terre
el de terre à bord étant à la charge des assureurs. "
Cette solution s'impose au cas où il a été convenu entre les parties que le risque commencerait à courir à.
partir de la signature du contrat.
Faut-il assimiler au fait de l'assuré les cas de force
majeure?
Les auteurs sont ùivisés sur cette question.
Dans une première opinion, on enseigne que l'article
34.9 ne fait aucune distinction. L'expression qui est employée da,ps ce.t article cc 1n~rne par le faii de l'assuré >l
(1
�-
111 -
prouve que la 1·ègle est gt3n·érale el que dans tous les cas
le demi pour cent est dû à l'assureur. Si l'assuré peut
volontairement rompre son engagement et annuler l'a~
surance sans le ~o nsen tement de lassureur, a fortiori
doit-il en être de même lorsque le fait du prince ou une
interdiction de commerce vient rendre impossible le
départ du navire (Pouget, Assur. marit. tome I, page
1
183. - Boulay-Paty, tome IV, page 5. - Pardessus,
tome III, page 455).
Dans une autre opinion, l'assureur n'a pas droit à
l'indemnité rlu deGli pour cent de la somme assurée
lorsqu'il y a arrêt du prince ou interdiction de commerce,
On s'appuie sur l'article '.276 aux termes duquel cc si,
avant le départ du n~vire, il y a interdiction de commerce avec le pays pour lequel il est destiné, les
conventions sont résolues sans dommages et intérêts de
part ni d'autre. »
Cette. solution nous paraît préférable, car, il y a les
mêmes motifs de décider pour l'assurance : dans un
cas comme dans l'autre, on ne peut punir celui qui
obéit aux lois de son pays.
D'après M. Pardessus, l'articl.e 349 cesse de recevoir
son application lorsqu'il est établi que l'assuré est de
mauvaise foi. cc Celui, dit-il, qui fait assurer des choses
dans un lieu fort éloigné peut craindre de bonne foi que
l'expédition s'effectuera telle qu'il l'a annoncée à l'assureur, et doit, même après l'événement, être admis à
exciper du ristourne; au contraire, celui qui, demeurant à Bordeaux, y ferait assurer des marchandises sur
µn navire oi~ il 11'aqraH aucun iptérêti _1ou qui l'expédie.,..
�:__ 172 -
rait pour un autre voyage ei n'exciperait du ristourne
qu'après l'heureu-se arrivée pour se dispenser de payer
la prime entière ou pour en réclamer la restitution, d-evrait être déclaré non recevable.
Ainsi l'assuré qui, dans la police, a déclaré avoir luimême chargé . les marchandises, serait de ce chef non
recevable à soutenir qu'il n'a rien chargé. 11 (Droit maritime, t. 3, p. M'.>9).
M. Boulay-Paty fait la même distinclio11°entre la bonne
foi et la mauvaise foi de l'assuré.
Celte opinion est en désaccord avec une des règles
essentielles du contrat d'assurance aux termes de laquelle
la prime représente le prix des risques auxquels est exposé le navire ou la marchandise,
Si le capitaine retarde son voyage ou prend ses expéditions pour un autre lieu, si le chargeur laisse à. terre
ses marchandises, l'assurance est annulée faute d'aliment. Il ne s'agit pas ici d'une nullit'é relative, mais
d'une nullité absolue qui peul être invoquée par l'assureur comme par l'assuré.
A la rupture proprement dite, il faut assimuler Je
changement de destinaüon. L'assureur établira ce chan·
gement de route en montrant que les lieux désignés dans
l'expédition diffèrent de ceux qui sont indiqués dans la
police.
Il faudra cependant faire exception à cette 1·ègle lorsque l'assuré, qui a stipulé le droit de faire échelle, aura
pris ses expéditions pour un port intermédiaire entre le
lieu de départ et celui d'arrivée. Cette différence entre
·1a police et J'expédi(ion s'explique .Par \a n~ce~sité où ~e
�- 113 _..
twuv,e le capitaine qui fait le petit cabotage de prendre
de nouvelles expéditions dans tous les ports où il s'ar..:
rête.
L'assureur qui veut savoir s'il y a changement de
destination n'a qu'à examiner la première expédition et
la dernière, celles qui indiquent, par conséquent, les
deux points extrêmes du voyage.
L'article 3t9 est, nous l'avons dit, l'application pure
et simple de cette règle qu'une obligation sans cause ne peut avoir aucun effet. Nous allons mainteffant étudier
une dérogation remarquable à cette règle fondamentale
du droit civil avec les articles 36n, 366 et 367. Malgré
l'absence du . rique qui est une condition essentielle du
contrat d'assurance maritime, les articles précités admettent celle qui est faite sur des effets perdus ou arrivés à
bon port au moment de la signature de la police, en con·
sidèration de la bonne foi des parties.
Celles-ci ont cru que ces risques n'avaient pas cessé
de courir et cette croyance a paru suffisante pour permettre au législateur de valider le contrat.
Ces risques donnent à l'assurance tous les caractères
d'un contrat sous condition suspensive. « Ce.pendant, dit
Pothier, pour qu'il y ait condition, il faut que ce soit la
condition d'une chose future : une obligation contractée
sous la condition d'une chose passée ou présente, quoique ignorée des contractants, n'est pas proprement une
obligation conditionnelle. )) (Pothier, traité des obligations, n" 20~). Valin convient qu' cc il n'y a de véritable
condition que celle qui regarde le temps à venir et que la
çondition qui regarde le temps présept QU le te!Dps passé
�-1711-
n'est pas une condition proprement dite.» Mais il ajoute
avec Cujas que, dans certains cas, on appelle con'dition
celle qui regarde le temps passé ou le temps p~ésent.
«C'est là, <lit-il, une condition impropre. Ilia quœ
confertur in prœsens, vel prœteritum, dicitur quasi
conditio vel conclitionalis stipulatio. ,, (Cujas, sur la
loi 39, de reb. cred. 1. D. Papinien).
Celle condition impropre n'est admise que lorsque
celui qui l'a stipulée ignorait l'événement. Ce défaut de
connaissance opère alors le même effet que si la chose
déjà arrivée était encore future ... Quoniam prœsentia
quœ nesàebat, videtur habuisse pro /uturis. )J Plusieurs auteur~ enseignaient avec Cujas qu'il fallait assimiler à une véritable condition celle qui se rapp0rtait au
temps passé, gi les parties toutefois ignoraient lors du
contrat l'arrivée ou la perte du navire et des marchandises. Le législateur a adopté l'opinion de Cujas.
Aux termes de l'article 1181 <' l'obligation contractée
sous une condition suspensive est celle qui dépend ou
d'une événement futur et incertain, ou d'un événement
aétuellement arrivé, mais encore inconnu des parties. ii
Par application de ce principe, l'article 36;) porte que
le contrat est valable si les parties ignoraient la perte du
navire et des marchandises ou leur arrivée au moment de
la signature de la police. Comme l'ignorance était possible, probable même dans la plupart des cas, si l'on tient
compte de ce fait que la nouvelle de l'arrivée <lu navire
ou de sa perle pouvait s'être répandue après la formation du contrat, on a donné une existence légale à une
chose déjà périe 1 On a pensé que lorsque les parties,
�-
•
175 -
assureur et assuré, ignoraient cet événement, l'assurance
était aussi valable et aussi légitime que celle qui était
souscrite avant le départ du navire. On a mis, en d'autres
termes, sur la même ligne le risque putatif et le risque
réel.
''L'opinion sur la chose, objet d'un contrat, dit Emérigon, · est poùr sa validité à l'égal de la vérité, parce
qu'elle est toujours pour la plus grande partie des hommes presque la seule mesure des choses. » (Traité des
assurances, tome 1, page 2~0).
Mais pour cela, il faut, comme le dit l'article 4 du règlement d'Anvers<• que la souscription ne soit pas entachée de dol. ))
La régie de l'article 36.J repose donc sur cette idée
qu'il n'existe aucune différence entre un événement
accompli mais inconnu 'des parties et un événement futur .
L'actualilé du fait ne peut changer en rien la position
des parties. Un armateur fait assurer un navire qui_'est en
pleine mer depuis un mois: que le navire ait péri ou
qu'il soit arrivé à destination, la situation est la même
que si le navire ne partait qu'après la signature du contrat, car, puisque l'assuré n'a reçu aucune nouvelle,
l'assureur a droit à la prime si le voyage s'est effectué
heureusement ou doit indemniser l'assuré f'i an moment
du contrat le navire a déjà péri.« La loi civile, comme
le fait remarquer Pothier, fait subsister le contrat, en
supposant par une fiction de droit)) que le vaisseau
n'est arrivé à. bon port et que les risques ne sont cessés
que du jour de la nouvelle qu'on en a eue. J> (Traité des
assurances maritimes; n° 24, page 19). Au moment de
�-
176 -
la rëdaction du Code de commerce maritime cette dispo- ·
sition s'expliquait facilement par cette considération que
la nouvelle du sinistre pouvait s'être répandue longtemps
après la signature de la police. Dans l'intérêt des armements maritimes, le législateur devait respecter le contrat, malgré le défaut absolu de risques. Cette raison a
perdu une partie de sa valeur depuis que les distances
disparaissent grâce à la rapidité des moyens de commun,ication. Cependant cette disposition peut encore s'expliquer par le caractère aléatoire de l'assurance. C'est ce .
ca~actère et la faveur dont on a voulu en touret' ce contrat
qU'i ont fait déroger au droitcommun ainsi qu'au principe
de la nécessité d'un risque. Saris cette disposition. \'assurance n'aurait pu ètre so_uscrite qu'avant le départ ou Je
retour du navire, et presque jamais pendant le voyage.
Nous nous sommes placés ici dans.l'hyhothèse spéciale
où les deux parties sont de bonne foi. Si l'une d'elles,
assureur ou assuré, a connu la perte ou l'arrivée du
navire, la loi déclare l'assurance radicalement nulle. La
cennaissance Je cet événement est non seulement contraire à l'égalité 'qui d~ns to~t contrat doit régner entre
les parties; mais encore au caraclére propre de l'assurance
qui est toujours souscrite en prévision d'un danger futur
et incertain.
�POSPfIONS
DBOIT BOMAIN
J. -
·~
--
La Publicienne compète au véritable proprié-
taire;
II. - L'in(antia du pupille va jusqu'à 7 ,ans;
III. - Le mariage se forme solo consensu pourvu
que la femme soit mise à la disposition du mari ;
JV. - Le fidéjusseur qui s'oblige- pour une .somme
supérieure à celle qui est due par le débiteur principal
n'est pas oblige ;
V. - On peut adjoindre un pacte aux obligations
même ad augendam obligationem ou seulement ad
m1:nuendam.
DROIT CIVIi.
I. - Pour que le propriétaire d'un fonds inférieur
acquière par prescription le droit de se servir. des eaux
d'une source, dans le cas de l'article 64'.2, il faut que les
ouvrages apparents aient été faits sûr le fonds servant;
II. - L'article 1561, du Code civil, s'applique à
l'usucapion qui pourrait avoir été commencée par un tiers
relativement au fonds dotal pendant le mariage ;
III. - La dot mobilière est aliénable aux· mains du
mari et indisponible pour la femme ;
IV. - Le système de la subrogation réelle ne ~aurait
être admis dans l'application de l'article 747 ;
V. - L'article 2101 du Code civil, par ces expreS•
�178 -
-
sions « frais de la dernière maladie >> entend parler
des frais faits pendant la maladie dont le débiteur est
mort.
DB.OIT ADMINISTRATII'
Le lit des petites rivières non navigables ni flottables est. une res nullius ;
IL - Le ministre est le juge de dr9it commun en
matière administrative ;
III. - En cas de désaccord entre deux communes
au sujet des biens indivis entre ell es, l'une d'elles peutelle actionner l'autre en partage de ces biens? Oui.
I.
HISTOIRE DU DB.OIT
1. - L'origine de la communauté remonte aux lois
germaniques.
Vu par le professeur, président de la thèse,
A. LAURIN.
VU RT AUTORISÉ :
Le doyen de la Faculté de droit d'Aix,
Chevalier de la Légion d'honneur,
Alfred JOURDAN.
VU RT PRRntlS D'UIPRIMER :
Le Recteur de l'Académie d'Aix,
Chevali'er de la Légion d'honneur,
BELIN .
�TABLE DES MATIÈRES
Pag•1
NTRODUCTION HISTORIQUE .............. ·.....
5
DROIT ROMAIN
CHAPITRE I. - Nature du nauticum fœnus et actions
qui en découlent .... ,..... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
SECTION 1. - Nature de ce contrat. . . • . . . . . . . . . . . . . .
SECTION II. - Actions résultant du nauticum fœnus....
CHAPITRE II. - Effets du nauticum fœnus..........
SECTION I. - Des risques . . . . . . . . . . • . . . . . . . . . . . . . . .
SEcTioN II. - Du profit maritime...................
CHAPITRE III. - Sûretés accordées au prêteur à la
grosse ................., . . . . . . • . . . . . . . . . . . . . . . .
SECTION I. - Sû.retés légales. . . . ... . . . . . • . . . . . . . . . . .
SECTION II. - Sûretés résultant do la convention.... . . .
13
id.
20 ,
27 .
id.
38
61
id.
6::S
DROIT FRANÇAIS
71
Des cas de nullités dans les assurances maritimes . . . . . .
CHAPITRE I. -- Nullités tenant à un vice du consente82
ment............................ ... ..........
id.
SECTION 1. - De lerreur. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
94
SECTION II. - Du dol .... : . • • . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
§ I. - Réticence. - Fausse déclaration. - Exagération
95
frauduleuse des sommes indiquées dans la police. . . . . .
§ II. - De l'assurance après la perte ou l'arrivée des objets assurés. . . . . . . . . . . . . . . . . . . ... . . . . . . • . . . . . . . . 1-23
CHAPITRE II. - Nullité des assurances pour vice tenant
à l'objet.,... . .... . . . ......... ... ........... . .. f3ü .
I
�-
1$0 ....
§ 1. - L'assurance e&t nulle si elle a pour objet le fret des
..._
marchandises ou le profit espéré de6 marchandises. . . . .
§ II. - Les loyers des gens de mer. . . . . . . . . . . . . . . . • . .
§III. - Les sommes empruntées à la grosse..........
§ IV. - Les profits maritimes des sommes prêtées à la
grosse .. "......... . . . . . . . . • . . . . . . . . . . . . . . . . . . . •
CHAPITRE III. - De la nullité tenant au défaut de
cause.......................... . ............. .
-140
~ 57
162
163
.166
�ERRATA
Page 18, au lieu de : c< Enfin, il est admis par tous
les auteurs\ >) lisez: «Ensuite, il est admis par tous les
autf;urs. ,,
Page 21, au lieu de : « Le nauticum fœnus devait
donner naissance à une condictio certi ou incerti, etc. >>
tisez: « Le naulicum fœnus devait donder naissance à
1me condiclio cer~i, soit que la somme à restituer s'éle'vât
à un chiffre fixe, déterminé pour tout le temps du voyage,
soit qu'elle se mesurât à la durée plus ou moins longue
de la navigation. »
Page ~4, au lieu de:« Lorsqu'on confiait un coinmerce
à un esclave, )) tisez: «L'esclave à qui on confiait un
commerce _était présumé institor. >>
Page 82, au lieu de : « .Mais quelques-unes y sont
sanctionnées avec plus de rigueur à raison du caractère
de l'assurance maritime, contrat qui doit être de bonne
foi entre les contrats de bonne foi, à raison àes risques
énorme.s que conrt l'assureur, >) ti'sez : « Mais quelquesunes y sont sanctionnées.avec plus de rigueur, parce que
· )'assurance maritime_. à raison des risques énormes que
court l'assureur, est un contrat de bonne foi entre les
contrats de bonne foi.»
Page 84, au lieu de : « S'i l n'existe· qu'une seule et
même police, >> lisez: «S'il n'existe qu'un seul et même
contrat. >J
Page 88, au lieu de : cc Le missjonnaire, l'agent de_
transport, >) hsez: « L'agent de transport. n
Page 91, au !ieo de ; cc Le commissionnaire, en fai-
�sant asrnrer ... » lisez : '' L'agent de transport en faisant assurer.» .
Page 99, au lieu de: "En conséquence, le dol ne peut
faire annuler le contrat que lorsqu'il est tout .à. la fois
positif, intentionnel et déterminant, ,, lisez : En conséquence, le dol ne peul faire annuler le contrat que
lorsqu'il est à. la fois intentionnel el clétermin?nt. »
Page 103, au lieu de : « Cette distinction ne peut,
croyons-nons, s'appliquer à. un contrat de bonne foi, ))
lisez: «Cette distinction ne peut s'appliquer, etc. "
Page 132, au · 1ieu de : << Le règlement de Rotterdam
cité par Valin punissait comme faussaire celui qui était
coupable de crime, )) lisez: " Le règlement de Rotterdam cité par Valin punissait comme faussaire celui qui
était coupable de réticence.))
Pa~e 132, au lien de : cc Emérigon lui aussi considérait
la condamnation à la double prime comme une prime trop
légére, )) lisez : cc Emérigon à son tour ~onsidérait la
condamnation à la double prime comme une peine trop
légère. ))
Droit Rorna1:n, V, au lieu de : " On
POSITIONS. peut adjoindre un pacte aux obligations même ad augençlam obligalionem ou seulement ad minuendum, )) lisez:
cc On peut adjoindre un pacte aux obligations même ad
augendam obligationem et non seulement ad minuen·
dam. n
Droit Civil, I, au lieu de : cc Il faut que les ouvrages
apparents aient été faits sur le fonds servant,,, lise!Z:
·" Il faut que les ouvrages apparents aient été faits sur le,
ronds dominant.))
i(
�
Dublin Core
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A name given to the resource
Monographie imprimée
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Title
A name given to the resource
Du prêt à la grosse aventure en droit romain ; Des cas de nullité dans les assurances maritimes en droit français : thèse présentée et soutenue devant la faculté de droit d'Aix
Subject
The topic of the resource
Droit maritime
Droit romain
Description
An account of the resource
Etude du prêt à la grosse aventure, convention qui favorise la navigation et le commerce maritime entre les nations et les cas de nullité dans les contrats d'assurance maritime en droit français
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Depieds, Émile
Faculté de droit (Aix-en-Provence, Bouches-du-Rhône ; 1...-1896). Organisme de soutenance
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES-AIX-T-139
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Remondet-Aubin (Aix)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1885
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/241243858
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-AIX-T-139_Depieds_Pret-grosse_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
182 p.
23 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/426
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Alternative Title
An alternative name for the resource. The distinction between titles and alternative titles is application-specific.
Des cas de nullité dans les assurances maritimes en droit français (Publié avec)
Abstract
A summary of the resource.
Thèse : Thèse de doctorat : Droit : Aix : 1884-1885
Cette étude porte dans un premier temps sur le nauticum fœnus, convention analogue à ce que nous connaissons comme le prêt à la grosse aventure. Remontant à la plus haute antiquité, il est destiné à favoriser la navigation et à développer les rapports que le commerce maritime crée entre les nations. Dans un second temps, l’étude porte sur les cas de nullité dans les assurances maritimes en droit français.
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Assurances maritimes -- France -- 19e siècle -- Thèses et écrits académiques
Assurances maritimes -- Rome -- Thèses et écrits académiques
Prêts à la grosse et grosse sur facultés -- Rome -- Thèses et écrits académiques
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/428/RES-AIX-T-140_Garnot_Etrangers.pdf
3b74606e113b402781568b296ff4a568
PDF Text
Text
FAOULTÉ DE DROIT D'AIX
APERÇU
SUR LA
CONDITION DES ÉTUANGEBS A. ROME
ET
CONDITION DE L'ÉTRANGER SOUS LE DROIT PUBLIC FRANCAIS
~
THÈSE POUR LE DOCTORAT
PRfSENTtE ET SOUTENUE PAR
XAVIER GARNOT
PARIS
LIBRAIRIE NOUVELLE DE DROIT ET DE JURISPRUDENCE
ARTHUR ROUSSEAU, ÉDITEUR
H,
RUE SOUFFLOT , ET RUE TOULLIER,
ti85
1m1 ïfüîï1ï'liï11If1füTiï'11
100215452
f3
�APERÇU
DE LA
CONDITION DES ÉTRANGERS A ROME
CHAPITRE PREMIER
L'~TRANGER DANS LA LMISLATION ROMAINE
Tandis que la conquête moderne s'efforce d'assujétir les
populations conquises à la législation du pays, vainqueur,
malgré leur invincible répugnance pour le régime imposé ;
la conquête romaine procèdait différemment, elle maintenait
leurs propres lois amr vaincus, et c.'. est comme une favtmr que
ceux-ci sollicitaient le Droit de la Cité.
Ce n'est qu'à son corps défendant que Rome cédera la
jouissance du jus civitatis. C'est un signe général des peuples
primitifs, ils conservent pour eux-mêmes et jalousement,
comme chose sacro-sainte, leurs institutions. La nécessité battra en brèche cet esprit de privatisme. Dans la suite un revirement s'opère et Rome jette au contraire à profusion son cb·oit
de cité, elle n'en a plus que faire, elle r offre à qui le désire ,
le hochet de l'enfance do la puissance romaine, dédaigné par
la Rome universellement triomphante, passe aux mains des
peuples subjugués.
i
�2
•
CONDITION DES ÈTRANGERS A ROME
Les habitudes séparatistes des petites agglomérations devaient
disparaitre dans une société qui allait grandir et dominer le
monde. La société des peuples italiens ne ponvait comporter
longtemps de profondes différences dans son état juridique et
de bonne heure on voit s'établir des législations mixtes, comme
le jus latii, le jus italicum, qui se rapprochent plus ou moins
du jus civitatis, jusqu'au jour où toute l'Italie jouira de la
Cité Romaine.
Dans ses rapports avec les étrangers, Rome ne s'élève pas aux
conceptions humanitaires du droit International moderne.
Dans le domaine du droit privé, son jus gentium n'a jamais
été qu'une déférence à la nécessité, à la logique, à la brutalité
des situations ; dans le domaine du droit public, et de la diplomatie, l'art de jouer ses adversaires ou ses alliés par les dispositions fallacieuses des traités préparés par les Féciaux.
Le privatisme du droit qui caractérise toute la société antique devait être plus absolu à Rome qu'ailleurs. Peuple
d'agriculteurs et de guerriers, les Romains devaient porter la
marque commune de ces deux conditions : l'âpreté dans la
rétention des biens et des avantages quelconques, conséquence
d'un labeur pénible, d'une lutte perpétuelle pour vivre, contre
la terre et contre les hommes.
La possession du sol romain, comme l'usage des moyens
de défendre son droit, ne devait nécessairement n'être con'Cédé qu'à grand'peine à quiconque était étranger.
Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que l'agrandissement incessant de la République crée une activité économique et implique des relations étroites avec les voisins conquis, il devient donc impossible de ne pas se départir de l'exclusivisme
de la législation, et force est de reconnaître une valeur et une
sanction à une première catégorie d'actes juridiques tels que
les contrats de vente, puis à une seco nde catégorie d'actes tels
que le mariage, la :filiation, etc: Cette dernière, devait être
1
L ÉTRANGER DANS LA LKGISLATION ROMAINE
admise plus tardivement, car elle se rattache aux mœurs et
celles-ci se prêtent moins aux changements que les rapports
économiques. Enfin, une cause importante, le besoin incessant d'agrandir la surface du recrutement militaira, fit aussi
consentir aux étrangers l'accès de la Cité Romaine ; c'était le
service militaire acheté contre la concession et la jouissance
de droits civils jusque-là exclusivement propres au civù Romanus.
Malheureusement les documents sur le mouvement économique de Rome sont rares et il est difficile de suivre pas à pas,
en le prenant pour guide, la conquête des droits divers de
l'étranger d'après le jus gent ium. En général on attribue au
rôle militaire et conquérant de Rome une importance trop absolue ; la vie commerciale doit entrer pour une large part dans
le développement de ce d1·oit des nations. La chronologie des
droits consentis est néanmoins assez significative, vers la
fin de la République et au commencement de l'empire.
Du jus gentium.
Le jus qentium a été l'objet d'innombrables dissertations chez
les anciens comme chez les modernes ; il semble qu'on lui a
donné un caractère philosophique, métaphysique, dirions-nous
presque, qui était bien loin de la pensée de ceux qui l'appliquèrent au début, c'est-à-dire les premiers préteurs. Avec Cicéron
et les commentateurs on épilogue sur la portée de ces mots jus
gentium. Ulpien se lance dans une distinction fort confuse du
jus gentium et du jus naturale: Caïus et Justinien expriment
simplement que ces expressions ont lP. mème sens : Ce sont
manières de parler différentes à des époques écartées, pour
désigner la même chose.
Qu'est-ce donc que ce jus gentium dont l'extension devien-
�CONDITION DES ÉTRANGERS A ROME
dra si grande, qu'en réalitéilsupplanteral'ancien droit. -Jlsuffit de traduire naturellement jus gentium, le droit des nations, le
droit dont se servent communément les divers groupes sociaux
qui entourent Rome, et avec lesquels elle est en contact. Ce sont
les Institutes qui le définissent et le désignent parmiles sources
du Droit <c •• quod vero naturalis ratio inter omnes homines
co11stituit, id est apud omnes populos pe1·œque custoditur, vocaturque jus gentium, quasi quo jure omnes gentes utuntu1·. Et
populus itaque 1·omanus partim suo proprio, partim communi
omnium hominum jure utitur 1 » •
Lorsque les relations avec les étrangers exigèrent l'intervention de formes juridiques, ce ne fut pas au Droit Civil que l'on
empruntât ses règles, mais ont eut recours aux usages qu'on
voyait en vigueur chez les étrangers, et puisque ces formes
suffisaient à les obliger chez eux, on conçoit que les romains
ne fissent pas de difficulté pour se les approprier. Ils conservaient pour leurs rapports personnels les règles ex jure quiritium. t< Par conséquent, le jus gentium fut la collection des
règles et des principes que l'obsarvation signalait comme
commune aux institutions quî régissaient les divèrses tribus
italiennes 2 1>.
C'est à la faveur de cette législation du dehors que le préteur ne cessait d'étudier que les étrangers accédèrent, à Rome,
à la vie juridique: cette législation plus souple, se pliant si
bien à toutes les exigences de la vie sociale de plus en plus
compliquée fit que le discrédit allait s'attacher aux vieilles
formes du Droil des douze Tables, et que le jus gentium prenant le nom de jus natw·ale, allait devenir, sous cette appellation nouvelle, l'idéal juridique. C'est l'épanouissement de la
juridiction d'équité du préteur. - L'influence de la philosophie grecque se faisait aussi sentir dans le Droit et servait à le
t
L'ÉTRANGER DANS LA LÉGISLATION ROMAINE
spiritualiser. D'après Justinien c'est au droit des gens, c'est-àdire au droit naturel, qu'on est redevable de presque tous les
phénomènes juridiques. « Ex hoc jure qenlium omnes pœne
contractus introduct? sunt, ut emptio, venditio, locatio, conductio societas, depositum, mutuum et alii innumerabiles. 11 11
eut été peut-être plus exact de dire que le temps et les nécessités avaient amené à ne plus faire attention à la qualité
sociale des personnes contractantes et à unifier les procédés
juridiques dont on faisait usage.
Ce n'est pas d'ailleurs à Justinien qu'il faut s'adresser pour
avoir une idée nette du droit des gens et du droit naturel, sa
compilation est des plus maladroites à ce sujet. Le passage que
nous signalons, rapproché du § 2, éclate en contradictions. Il
y a là une reproduction des systèmes èe Gaïus et d'Ulpien
coulée dans la même suite de définitions et de divisions qui
fait la plus grande confusion. - Gaïus invoque la naturalis
ratio, c'est l'école g recque qui remonte aux causes, à une
sorte d'inneïté des principes du droit. - Ulpien se rapproche
plus de la vérité, malgré des erreurs et l'expression choquante, u quod natura omnia animalia docuit 1 » dit-il, en
parlant du droit naturel. .Mais il voit bien que l'homme est,
à l'origine, àans un état de nature anti-social : seulement ce
droit naturnl qu'il suppose n'est autre que celui d'exister,
aussi bien pour les animaux que pour l'homme. Peut-être est
ce là son droit commun aux hommes et aux animaux. Il est
cependant frappé de l'état de lutte perpétuelle qui divise l'humanité; si l'observation est juste, l'erreur est de faire de
cette époque un âge d'or. -llétait inutile d'imaginer une seconùe phase de l'humanité, celle de la constitution en société et ù'où dériverait tout le mal, les guerres, l'esclavage
et tous les privilèges~.
Juat. lnst. t. II, i.
• Sumner :&laine. - L'ancien Droit.
1
~
L. 4. If. tl. de Just. et jure. Ulp .
L. 5. If. Juetit. ot jure, Ulp.
�6
CONDITION DBS ÊTRANGBRS A ROM E
Les nations une Cois formées, les besoins dictent les lois
ainsi que le jus proprium : cette observation est exacte, ell e
correspond à la réalité des choses. C'est la doctrine de l'utilité, c'est topportunisme dans le Droit. Mais, la divergence
des législations et leurs nombreuses transformations ne sontelles pas un indice assez significatif ? Et est-il possible d' attribuer un autre fondement au Droit. Si les anciens se sont un
pou égarés sur les questions de philosophie du Droit, la
science contemporaine restitue aux phénonèmes leur véritable genèse et c'est là le point important.
Aux environs de la première g uerre P unique, Rome commerçait activement avec la Grèce, Carthage et la côte Méditerranéenne, le préteur de la ville ne suffisant plus à connaitre
des contestations multiples qui naissaient entre étranger ou
entre étrangers et romains, un magistrat spécial fut institué,
le Prœtor Pet'egrùms (507).
GHAPTTRE II
PRE111IERS l\APPORTS EXTÉRIEURS DE ROi\tE
Quand Rome n 'est qu'une bourgade, l'individu étranger à la
tribu de Romulus n'a droit à aucune protection, etles rapports
de tribu à tribu sont assez semblables à ceux dont les peuplades à demi civilisées, encore de nos jours, offrent le spectacle : c'est la r éduction er. l'esclavage ou !'application aux:
travaux communs de l'étranger ·tombé aux mains de la tribu,
toujo urs g uerroyante pour le prétexte le plus futile. - La
g uerr e incessante des romains avec leurs voisins, l'esprit militaire de Rome, à travers les âges, est un fait presque unique dans l'histoire des nations. La cause en parait néanmoins
saisissable si l'indication des historiens est exacte. Qui sont les
compagnons de Romulus? Un groupe d'expulsés, do bannis, de
malfaiteurs repoussés des régions environnantes déjà parvenues
L'Étruriij notamment,
à un cortain degré do civilisation . à en juger par les documents artistiques retrouvés contemporains de la fo ndation de Home, qui témoignont <le mœurs
pacifiées et commerçantes. - Quelle région los abrite '? los
plis do terrain formés par plusieurs collines, uue contrée
plutôt malsaine, saus doute à peu près déserte. La r6pulation
des habitants dti Latiu\n devait être déplorable, particulière ·
•
�8
9
CONDITION DES É'fRANGl!:RS A ROME
PREMIER!! RAPPORTS EXTÉRIEURS DE ROME
celle des hôtes de l'Asyle du Capitol1'n · - 0 n se soument
.
v1en~ que tous ceux qui venaientlà chercher refuge devenaient
.
deva1ent
. .
auss1tôtmembresdelatl'ibu
tenir à
· - Lesci'tés vo1smes
.
obtinrent ce droit avantl'empire, cependant Tite Live, XXV, 3,
rappelle qu'ils auraient eu le droit de voter avec l'une des
distances ~e population disposée à l'ex0gamie ; lutter fut donc
.
une cond1t10n d'existence pour cette poignée d' bomm
. es qui,
·b
·
msens1 lement, s'e.xerr.èrent à dominer tout le monde con l
i u.
hi
F
ranc, sso~s cette période sans intérêt, pour arriver, à l'époque ou la cité grandie a étendu son activité sur res u
P q e
toute l'Italie.
L'~trang~r. est appelé Pereqrinus, terme générique opposé à
celui de Cwzs. Mais parmi les percg1·ini on comp renait des
catégorie~ très-diverses d'étrangers.
C'est ainsi qu'on distingue.
..
- Une comm unau t e' d e race et un vo1s1111J.ge
plus
.
. Les, latini.
1mmed1at les unissait aux Romains.
L~s socii ~omini latmi. - Alliés de Rome auxquels on concédait certarns droits.
Les Peregrini dediticii. - Ennemis de Rome qui, s'étant
rendus, avaient été entièremenl subj ugués.
Les Barbari. - Peuples avec lesquels les relations étaient
plus rares, en tout cas hostiles, appartenant généralement à une
race différente.
Examinons la condition de chacune de ces classes.
Latini Veteres. - Habitants du Latium en conflit avec la Cité
naissante, leur identité d'origine avec le groupe r.omain renùait
une assimilation nécessaire : aussi, les voit-on de bonne heure
en ~ossession de certains droits, tel que le jus commcrcii; c'est
t~UJOUrs le premier réclamé, puisqu'il règle la possession des
biens et les transac tions diverses. Les Latins voulaient davantage , principalement le ùroit d'accès aux magistratures, le ;us
honorum : ne ~e considéraient-ils pas comme les égaux des
Romains? leur titre étaient les longs combats sou tenus a voc
Rome contre les ennemis communs. Il est peu probable qu'ils
tribus lorsqu'ils se trouvaient à Rome.
Il est ?robable que le jus connubii devait leur être accordé,
il existait certainement au temps des rois, la sœur d'Ilorace
était la fiancée de Curiace qui était Albain. Tarquin le Superbe marie &a fille à un Latin, Mamilius Tusculanus . Toutefois,
après cette époque, il est permis de douter, car au lieu d'une
seule alliance formée avec tous les peuples latins, Rome impose
à chacun d'eux des traites séparés et très-divers. D'ailleurs un
texte de Tite Live, LVIll, 14, parlant de l'issue de ces guerres, reconnait que certaines distinctions furent opérées entre les peuples qui, restés fidèles à Rome, n 'avaient point participé au
commune cum aliis latinis crimen. Enfin Ulpien, V. 4, dit qu'il
fallait pour le connubium une concession expresse. « Connu-
bium habeat civis Romani cum civibus romanis; c um Latinis
autem et pereg1·inis ita si concessum ait. » (U6 U. C.) Toutefois il est plus probable que le connubium persiste, il semble
qu'il devait découler de la communauté de . race et de culte,
le connubium ayant un caractère religieux et ancestrale ; enfin de l'extrême facilité donnée au latin pour devenir citoyen
romain. Les traités imposés aux latini devaient avoir plutôt
un caractère exclusivement militaire, car il s'agissait de dissoudre, par une politique nouvelle, une ligue dont Rome avait
eu à souffrir. Quant aux relations privées avec chaque peuplade il n'y avait pas lieu de les modifier.
Gaïus I, 96 , indique les conditions à remplir pour l'acquisition du droit de Cité. Tels sont l'établissement du latin à
Rome, les fonctions publiques remplies dans le Latium, la
condamnation obtenue contre un magistrat romain sur une
accusation de concusions d'après la lex Servilia Repetunda-
mm (Cit. pro Balbo, 24.).
Latini Colonarii. - Rome, presque au début de la Républi-
�tO
H
CONDITION DES ÉTRANGERS A ROME
PREMIERS RAPPORTS EXTÉRIEURS DE ROME
que, expédiait au dehors des colonies chargées de la défense
des territoires extrêmes, aussi comme propres à former des
sortes de comptoirs commerciaux.. Tant que ces colonies furent
exclusivement composées de citoyens Romains., elles prenaient
le nom de coloniœ togat<e. Dans la suite ce furent les éléments
tirés des pays latins qui les constituèrent. La condition des
habitants de ces colonies était meilleure que celle des pérégrins
ordinaires ; ils avaient la jouissance et l'exercice de certains
droits, dont l'ensemble fut plus tard assez bien défini pour
être désigné sous le nom de jus Latii.
Après la seconde guerre punique, on compte environ trente
colonies établies en Italie et investies du jus Latii. Le jus
commercii en fait certainement partie intégrante, quant au
commbium les raisons qui permettent de supposer qu'il était
accordé aux Latii veteres, n'existent pas à l'égard de cette autre
classe de latini. Ces derniers ont leurs mœurs, leurs usages, ils
demeurent loin de Rome et les avantages qu'ils pourraient retirer
duconnubium se comprennent moins. De plus le citoyen Romain,
qui était envoyé aux colonies, subissait une capitis deminutio,
ce qui prouverait que, ces colonies ayant une autonomie, la
condition de leurs habitants, au point de vue romain, était juridiquement inférieure, (G. 11, 31, III, 56).
Cette législation spéciale tiendrait donc le milieu entre l'état
juridique des pérégrins ordinaires et le jus civitatis. Elle
était un acheminement vers le Droit de Cité, et Rome s'en
montrait assez avare. Cependant, en récompense de leur
fid élité, des villes entières, ou seulement les magistrats de ces
villes se virent concéder ce jus Latii. li se maintiendra longtemps; on le voit étudié par les j urisconsulles de l'époque clas·
sique. Mais nous en reparl"rons plus loin avec quelque détail.
Ces latins cotonm·ii semblent disparaître du sol italique aYcc
la concession de la Cité à toute l'Italie, par l' elfct do la loi
Julia de civita!e, mais ils se mainlien<lrout dans les colonies
d'Afrique, d'Asie, d'Espagne, des Gaules. Vespasien déclarait
latins colonarii tous les habitants de l'Espagne.
Populi Socii. - En parlant des latini veteres, nous avons
compris quelques•uns des socii de Rome, mais l'empire Romain, englobant successivement tous les groupes ethniques
du monde connu, les civilisations les plus variées, les nations
pacifiques ou belliqueuses, il devait successivement réserver
à chaque peuple des traitements distincts, appropriés à leurs
facultés . On exigeait ainsi des tributs et presque toujours des
contingents militaires, ces traités étaient élaborés par les spé·
cialistes qui composaient le collége des Féciaux.
On distinguait donc les Cités (œderatœ, liherœ, stipendiat'iœ. Dans les provinces, les habitants appelés peregrini provinciales étaient placés sous la dépendance assez étroite du
gouverneur, dont les pouvoirs étaient réglés par un senatusconsulte.
Quand l'instinct de défense et de suspicion contre tout être
du dehors est insuffisant pour expliquer une loi d'exception
toujours armée, on ne peut rattacher la persistance des institutions qu'à l'empire de l'habitude. Rome présente cet exemple, et on le retrouve d~ns notre législation française, au sein
d'un peuple d'un esprit cepenùant mobile et bien peu conser·
vateur. Nos lois à l' égard de l'étranger attendent encore de
nombreuses améliorations.
Rome à l'époque où nous nous plaçons va créer le Prœlor
pereqrinus, magistrat chargé d'appliquer une législation mixte
aux étrangers, dans laquelle le droit civil et sa procédure d'abord réservés au civis 1·omanus s'étendrqnt peu à peu à l'étranger pérégrin.
Le pereqrinus devra porter son droit devant un tribunal
constilué à son usage, devant la juridiction des recuperatores.
�!2
CONDITION DES ÉTRANGERS A ROME
Avant d'entrer dans les détails de 1a mise
. en action
. du d .
que. peut invoquer un pér égrin
' occupons-nous de l . ro1t
.
cation de ce terme et des qualités de la
.
a s1g01figrinus.
personne du Pere-
CHAPITRE III
CARACTERE J\lRIDIQUE DU PEREGRINUS
On naît péréq1·ùi ou on le devient. - Le jus connubii propre
au citoyen romain avait, au point de vue des enfants à naitre
de cette alliance, un effet analogue au mariage chez nous. ll
donnait à l'enfant la légitimité et les droits qui en dérivent
dans les sociétés organisées. Il rattache l'enfant à une nationalité déterminée . - Nous avons continué le système des Romains qui jugèrent qu'il était plus rationnel d'attribuer à l'enfant la nationalité des parents sans se préoccuper du lieu de
sa naissance. L'histoire des luttes de Rome impliquait d'ailleurs
une telle solution. Nous avons seulement introduit quelques
tempéraments. (art. 9 du C. Civil.)
L'enfant né de deux pbrégrins naît donc pérégrin.
Quid au cas où le père est citoyen romain et la mère pé·
r égrine? ou inversement. Ainsi posée la question est incomplète, et il faut aussi considérer un autre élément; l'instant
où commence la vie juridique de l'enfant. Doit-on envisager
le moment de la conception ou le temps de la naissan~e ?
Caïus I, § 90 fournit la réponse en faisant une distinction ;
l'enfant a-t-il été conçu ex justis nuptiis, il naîtra civis romanus, sa mère fut-elle devenue pérégrine à l'instant de l'accou-
�CONDITION DES ÉTRANGERS A ROME
CARA CTÈRE JUR1DIQUE DU PEREGRINUS
chement ; a-t-il été conçu v ulgo il naît , , .
de l'union dépendra la qual1"té d, l' f peregrm. De la nature
..
e en ant .
Gaïus nous apprend encore I § 92
.
grine et qu'elle concoive vulrr , . qu_e s1 ~a m ère est péré•
, , •
•
:J o, neanmoms s1 ell
d .
mame a 1 epoque de 1,
h
e ev1ent roaccouc ement l'enf t
•
romain. Toutefois la conception est- u' l a~ naitra citoyen
a
·
·
e e a suite d'u
·
vecun perégrin et conforme aux r ,
.
n manag e
l'enfant naît pérégrin à
.
egles usitées entre P4r égrins
,
moins que le p '
,
'
droit de Cite. C'est ce q
di
ere n eut obtenu le
ue spose un s
t
drien .
ena us-consulte d'Ha-
ville étrangère . Enfin, revêtaient encore la qualité de pérégrin, les citoyens qu'atteig nait toute media capitis diminutio
provenant d'autres causes q ue celles que nous rappelons.
11 suit de là, que 1es Justes
.
noces em
le plus favorable S'"l ,
.
portent toujours l'effet
1 n Y a pomt de ·
•
t
suit la condition de l
,
.
JUS es noces, l'enfant
a mere mais
'd '
mère à l'instant de l'a
h'
cons1 ere la qualité de la
ccouc ement
En principe les justéE nuptûe ne.
.
citoyens romains To t
peuvent avoir lieu qu'entre
.
.
u 6J01s il ne faudrait
;ustéE nuptûe fussent ,
.
pas croire que les
.
necessau es pou r d
citoyen romain à l' f t , .
onn er la qualité de
.
en an . L union r é lt
,
nium ou du concubinatu aura le
su ant d un contuberra teurs sont citoyens
.
même résultat, si l es généromams La pos51"b 1'l"té
1 du connubium
est suffisante.
·
Ç'
•
•
remarquer qu ' une 101. Mens·
d Faisons
, .
.
,
e leg1slatîon que me ï
ia avait precédé l'état
.
n tonne Gaïus au § 92
p1en §" 8. T. v. dit
· - En effet, UJ.
.
, par1ant des enfants
.
connubw matris cond .t . .
· «. • • Non znlerveniente
.
z zom accedunt
gnno et cive Romana
.
' accepta eo, qui ex pere.
nascu ur · nam ·
.
quonia.m Lex Mensia
'
zs peregnnus n ascitzt1·
ex a1terutro
·
'
parentis conditionem
. .
pei·egnno natum deteriori
On d .
sequz 1ubet. ,,
evzent p érégrin. - L .
sou s I'"inil uence d~ ce t . a cité romaine pou vait
· se perdre
r a1ns acte . .d"
caractère de peine t 1
. s Jan iques ayant souvent un
.
' e que 1'1nterd· ·
•
ict10n de l'eau et du feu ou
b rnn encore par le si J
mp e fai t tout
1
,
vo ontaire et sans caractère pénal d' un chan
g.ement de cité, de l'h abitation dans une
Dr oit de famille du pêrêgrin.
En principe le P érégrin est régi par son statut local, et à
Rom e il ne peut faire valoir aucun droit d'agnation , de tutelle
légitime, etc . Toutefois, à propos de la validité de son mariage
et de ses droits de puissance paternelle, il est une remarque à
faire. Soit que le mélange des romains et latins fut extrême et
que des confusions d'origines faciles en r ésultassent, au point
de donner lieu à la législation de l'erroris causa probatio , ou
bien que l'erroris p robatio fût un artifice ingénieux. pour faci liler l'accès de le Cité, t out e n entourant cette admission de
formalités qui rehaussaient la faveur accordée, quoiqu'il en
soit, on voit par cette procédure que le mariage du pérégrin
était reconnu à Rome pour produire l'effet puissant de la présomption, pater is est quem nuptùe demonstrant, et cel ui plus
g rave eneore de fonder la patria potestas dans certains cas .
- Gaïus, l, 68, rap pelle le r ésultat de l' erroris probatio et
m ontre un pérégrin parvenant au droit de cité, jouissant des
conséquences de ce droit à l'égard de son fils, incipit filù1s in
potestate patris esse. Espèce spécialement prévue par la loi
Elia Sentia. La femme romaine avait l'initiative de l'en oris
p robatio : elle établissait que sou m ariage avec u n pérégrin
ou un latin était le r ésultat d' une erreur, qu'elle avait cru son
mari romain. 11 y avait alors comme un connubiwn post facto.
La putria potestas n'ét ait cependant acquise qu'au pérégrin
parvenu à la cité dans ces circonstances spéciales. Devenu ci-
�CONDITION DES ÈTRANGERS A ROME
toyen romain dans des conditions dilférentes, une formalité
particulière était nécessaire. En effet, Gaïus, I, 93, • Si perigrinus cum liberis jam natis civitate romana donatus sit, non
aliter filii i"n potestate ejus fiunt, quam si imperator eos in po-
testatem redigerü; quod ita domum ù f acit si causa cognita
aJstimaverit hoc filiis expedire .. . ,, V. G. I, 94, 95.
CHAPITRE IV
LE PRJETOR PEREGRil'iUS. SON OEUVRE
-
Son institution se place environ vers l'an 507 de Rome : sa
situation est semblable à celle du Pnetor Urbanus, comme celui-ci, il est élu dans les comices en centuries (Tit. Liv. 7.
L ) Bien que leur dignilé fût égale et que souvent ils se suppléassent l'un l'autre, néan moins il samble que l'opinion attachait une plus grande considération aux fonctions du Prœto1·
Urbanus.
Son œuvre est un travail de fusion et de conciliation Ju
Droit Civil ~omain avec les législations propres aux étrangers :
elle porte sur la matière du Droit de propriété et de succession, du Droit d'action .
Au point de vue territorial de la compétence du Pr.:etor Pe1·egrinus on peut dire que le principe actor sequitur forum 1·P.i
domine trop toutes les législations, pour qu'on s'en départît à
l'occasion du pérégrin. Le P1·œtor Pe?·egrinus connaissait des
affaires, lorsque le défenseur pérégrin résidait à Rome; à plus
forte raison si ce défendenr était citoyen romain. li est assez
présumable qu'un ordre du Sénat pouvait l'envoyer rendre la
justice en Italie. Mais le plus souvent, en dehors du territoire
de Rome, c'était encore le principe act01· sequitur qui ét11it ap·
2
�CONDITION DES ÈTRANGERS A ROME
iS
pliqué et le pérégrin défendait devant son juge local .
Il est düficile de séparer l'étude des droits dll pérégrin de
celle des actions qui lui compètent. En effet, rigoureusement,
le pérégrin n'ayant pas la jouissance du Droit à Rome, ses.
différentes transa~tions n'eussent point été respectées sans le
système des actions qui venait les défendre. On peut dire, en
conséquence, malgré la bizarrerie apparente du raisonnement,
que le droit du pérégrin s'établissait au fur et à mesure des
actions diverses que le Prœtor Pet·eg1'inus lui concédait, - que
la faculté d'exercer certaine action était comme la génératrice
du droit.
Nous parcourerons ainsi quelques espèces.
Droit du pérégrin en matière de res mancipi.
L'acquisition de la propriété était entourée de formalités rigoureuses, variables suivant le degré d'importance attachée
aux objets susceptibles d'acquisition. Les divers modes d'acquérir les choses mancipi, par voie de mancipation d'in jure
cessio, etc., à raison de leur caractère purement civil, mettaient ces choses hors de Ja portée des pérégrins. Cependant
un pérégrin ne pouvait-il acheter valablement, d'un citoyen,
un esclave, un hœuf,etc.? Dans la négative la vie économique
eût été impossible.
Il est incontestable d'abord que le pérégrin peut être reconnu propriétaire d'objets de ce genre, d'après le droit des
gens. G. l, 52. Quand à l'acquisition qu'il en fera en traitant
avec un citoyen romain, il la fera non par les modes ci-dessus, mais par l'effet de la tradition qui est de droit des gens.
- Toutefois cette possibilité de la tradition impliquait-elle
quelque garantie aux mains du pérégrin acquéreur, c'est là le
LE PRAl.TOR PEREGRINUS. SON ŒUVRE
point essentiel et tou!e la question. - Il est probable que la
faculté de posséder in bonis appartenait au pérégrin.
Examinons ce point avec détail. - A considérer l'opér!ltion réalisée entre citoyens romains, nul· doute qu'elle ait
pour résultat de constituer in bonis la chose vendue: au bout
d'un certain temps, par l'ell'et de l' usucapion, elle tombera
réellement dans le domaine quiritaire de l'acquéreur qui
sera à l' abri de toulo rei vendicatio. S'agit-il d'un citoyen et
d'un pérégrin, les choses ne se passeront pas de la même façon, quant à l'acquisition quiritaire, puisqu'elle est spéciale au
citoyen romain, mais le pérégrin verra-t-il la chose tomber
in bonis dans son patrimoine? - Il n'usucapera certainement
pas, l'usucapion est interdite au pérégrin. Mais encore une
fois la chose mancipi dont il lui aura été fait tradition tombera-t-elle in bonis ? - La question est discutée.
Dans le sens de la négative on opposera Je texte I, §. 40 de
Gaïus: c1 apud peregrinos quidem unum esse dominium. ,,
Les pérégrins ont un dominium qui n'est pas le quiritaire et le texte ne dit pas que le bonitaire s'y réfère. - La
règle d'Ulpien, 1. 16, ne vise qu'une hypothèse où des citoyens seuls sont en présence, il n'y a pas à en tirer argument.
Pour l'affirmative, nous invoquerions d'abord la nécessité
de faire des transactions suivies d'effet certain sur les choses
mancipi ; puis, les arguments suivants. La possibilité au cas
de procès : - 1° de la rédaction d'une formule in fa ctum qui
contiendrait une oxceplion rei venditœ et traditée. 2° d'une action fictice (admettons que ce point no soit pas controversé).
Dès lors à quoi servirait do considérer le pérégrin ~ommo citoyen si implicitement I_o préteur ne considérait pas la res
rnancipi litigieuse comme étant déjà in bonis dans la propriété du pérégrin. Cette raison paraît topique. - Enfin,
�20
CONDITION DES ÉTRANGERS A ROl\IE
puisque c'est la question da domaine bouitaire qui est en discussion, il ne faut pas oublier que le pérégrin a la Publicienne, action défensive du domaine bonitaire : il a cette action lorsqu'il a reçu a non domino , il est en pareil cas in
causa lonqo tempore p rœscribendi (1. 1.2, §. 2. Dr. VI. 2. ) Ne nous préoccupons pas si, dans cette hypothèse, la 1·es livrée
a non domino est mancipi ou non, ce n'est pas de cela qu'il
s'agit, mais bien encore une fois de l'existence de la propriété
in bonis; or, l'octroi de la Publicienne dans un cas déterminé
est significative.
Concluons donc que le pérégrin peut recevoir une 1·es mancipi par tradition, et voir son acquisition aussi énergiquement
protégée, mais par un moyen différent, que s'il était citoyen
romain ; que son droit de propriété, ce droit nouveau est reconnu, grâce à l'action prétorienne qui lui appartient.
La discussion qui précède aura du même coup tranché le
problèm.e de la pro·priété in bonis, r elativement au pérégrin, et
la question d'acquisition de 1·es mancipi.
LE PRJETOR PEREGRINUS. SON ŒUVRE
2{
ticipé à la conquête, ou aux descendants des premiers conquérants, mais jamais pareille faveur ne pouvait être consentie à l'étranger. - Dans la suite, la mème idée sert à décorer
d'un prétexte raisonnable la différence de traitement, quant
aux contributions entre l'Italie et les Provinces. Tandis que le
sol italique sera affranchi d'impôt, le sol provincial supportera seul les charges ùe l'empire. L'Etat par cette perception
affirmait la théorie de sa propri/ité résultant du droit de conquête. Il en résultait , au point de vue de l'aliénation du
sol provincial, que les procédés d'acquisition ne conféraient jamais un dominium ex j ure quiritium, un citoyen romain mf:me voulùt-il se porter acquéreur :
les seuls modes du droit des gens étaient usités, la tradilion par exemple. D'où, le pérégrin acquérait naturellement
et valablement ces biens par l'effet de la tradition, il obtenait la jouissance, la proprietas. Cette propriété, le pérégrin
pouvait la défendre à l'imitation du citoyen qui défendrait sa
propriété quiritaire, le Préteur donnait au pérégrin une 1·ei
vendicatio utilis.
Droit de propriété du pêr égrin en matière de res
mancipi immobilières.
. Le sol italique a été distingué du sol provincial. Le sol italique n'était transmissible qu'entre citoyens romains que par
les modes du droit civil, et la seule propriété dont il ,fùt susceptible était donc toujours la propriété quiritaire. C'est dire
que. les. pérégrins ne puren t Jamais
·
. parvemr
. à la propriété du
sol
italique
La
rai
d
.
,
.
·
son e cette exclusion est la suivante : Dans
l esprit ·de la société romame
·
1a propriété
.
foncière privée
émane .de 1a propri·ét é publique, c'est-à-dire, n'est qu'une'
concession
de l'Etat · Dès 1ors 1e sol du• à la conquête pouvait
.
bien être attribué en P1em
· dominium
· .
à ceux qui avaient par-
Mentionnons que la concession du jus italicum à certain.es
provinces les relevait d~ cette situation, et assimilait le fond
provincial à la terre italique et en permettait alors aux. citoyens
romains la propriété quiritaire . La concession du jus ilalicum
à certaines provinces coïncidait souvent et c'était là l'utilité de
la concession avec l'octroi de la civitas aux habitants d'une
partie de la province. Ce jus italicum qui a principalement un
caractère réel (Accarias, note 1., p. 464, T. 1, 2° édit.) ne pouvait devenir utile qu'à des individus pouvant échanger leur
proprietas contre un dominium ex jure quiritium.
�T
CONDlTION DES ÉTRANGERS A ROME
Droit de propriété du pérégrin en matière de res nec
mancipi.
Les choses nec mancipi sont toutes celles non comprises par
les auteurs, soit Ulpien req. XLV§. i, soit Gaïus II, 15, parmi
l'énumération des 1·es mancipi.
Elles sont susceptibles de propriété dans lés conditions du
droit des gens, par l'effet de la tradition et par l'occupation.
Les res nec mancipi sont corporelles ou incorporelles.
Acquisition de res nec mancipi incorporelle.
Par une exception toute particulière les servitudes qui sont
choses incorporelles (G. JI. t4.) ont été classées parmi les res
mancipi. Les servitudes urbaines ne s'établissaient que par
in jure cessio et les rurales par la mancipation.
Quant aux servitudes sur les fonds provinciaux, à une première époque, il ne peut en être question, d'une part puisque
les formes d'acquérir du droit civil sont inapplicables au fond
lui-même et que d'autre part les choses incorporelles sont insusceptibles de tradition (G. Il , 28.). Plus loin Gaïus, au § 31,
indique cependant la possibilité d'établir des servitudes sur
ces fonds, grâce aux pactes et stipulations ..... alioquin in provincialibus pr<.ediis sive quis usu/ructum, sive jus eundi ... cœteraque szmilia iura constituere velit, pactionibus et stipulationtbus id e/ficere poiest. Une question se poserait, il est vrai,
celle de savoir si le pacte ou la stipulation donnerait naissance
au droit réel de servitude ou bien s'il n'aurait pour résultat que
de créer une obligation sanctionnée par l'action ex stipulatu .
Le texte dit bien cependant constituere. La controverse est sou-·
lenable dans les deux sens. (V. Accarias, p. 635, T. 1. )
Il fa:it aussi songer que du jour, où pou de temps après
LE PR..ETOR PEREGRINUS. SON ŒUVR.E
23
Gaïus, la quasi-possession fut admise en matière de servitudes
la quasi tradition qui en est comme le corollaire vint encore
permettre au pérégrin d'acquérir ces servitudes par le mode
familier du droit des gens. L'action confessoria utilis (1. 16
Si serv . vind.), fut la sanction de cette acquisition ainsi que les
interdits quasi-possessoires, tel que l'interdit uti possidetis utilis,
si la possession n'avait pas été suffisante pour conduire déjà à
la. propriété.
Ajoutons que l'adjudicatio pouvait être un moyen do reconnaitre une servitude au profit d'un pérégrin.
Pour qu'une servitude établie par adjudication soit reconnue
valable par le droit civil, il faut que l' adjudicatio résulte d'un
judicium legitimum, à défaut de celte condition le droit prétorien la garantit cependant et c'est ainsi que le pérégrin en
peut bénéficier.
Droit de propriété du pêrégrin en matière successorale et
de legs.
Succession ab intestat. - L'agnation n'étant point reconnue
à l'égard des pérégrins, point de succession ab intestat d'après
la loi romaine. La vocation de cognats aux successions dans le
pur droit civil, conduisit le préteur à appliquer aux pérégrins
les principes de successions qui régissaient les cognats. De là
le sy5tème do la bonorum possessio unde cognati qui na se
préoccupait pas d'un lien de famille civil tel que l'agnation.
Succession testame1ltaire. - Point de testamenti factio pour
les pérégrins, d'où l'incapacité d'être institué héritier et ùo recueillir au même titro (('r. I. 25, Pap. 1. 3. D. ~8. 1.) Mais le
testament dans les formes usitées dans la conlrée à laquelle
ils appartenaient fut reconnu valable par la législation prétorienne (Ulp. XX. 14.. )
Gaïus rappelle cependant qu~, par dérogation, les militaires
�2i
CONDITION DES ÉTl\ANGBRS A RO:IŒ
avaient le droit d'instituer des pérégrins et de leur léguer,(G.U.
tJ O.) - Sous Aug uste et jusqu'à Hadrien les pérégrins purent
disposer et recevoir par fidéicommis. G. II, 285. - Les fidéi.
commis furent même presque créés pour les pérégrins. _
Sous Adrien ils s'en virent dépouillés et les biens ainsi transmis furent attribués au fi:s: .
lJes legs. - Le legs per vindicationem qui ouvre au bénéficiaire la rei vindicatio ne pouvait n écessairement profiter au
pérégrin, puisqu'il suppose le transfert d'une propriété quiritairo. Quid à l'égard des autres genres de legs? le texte de Gaïus
est formel ,Il,2i8 : «tune autem vitia persorue legatum nonvalere cum ei legatum sit, cui nullo modo legari possit velut
PEREGRINO cum quo testamenti f actio non sit. »
Droit des pérégrins en matière d'obligations.
Le § 96,IIl,de Gaïus,bien qu'incomplet,fait voir que les pérégrins pouvaient user valablemeut de leur droit local en mati ère
d~obligation. La forme habiluelle aux romai ns était la stipulation, sorte de moule à contrat dans lequel on jetait les conventions les plus diverses ; cette stipulation est propre aux
citoyens romains : mafa, à côté et calqué~s sur la formule. dm·i
;sp~ndes, s~ondeo, les formules dahis? dabo; promittis? promitt~; Fid.epromittis? fidepromitto ; fidejuhes? fidejubeo ;
Facies? (aczam, sont, dit Gaïus, considérées comme du droitdes
gens el dès lors accessibles aux pérégrins. Ces formes d'engagement verbal sont d'une extrême commodité et comportent
de~ modalités et obligations accessoires aussi diverses que beeom.
Le
. litteris parai•t
. contrat
mams ' mais la valid'l t e· des
.
roe• tre reste. propre aux. citoyens
·
!.
c uro;;rapltéB et syngraphœ, quoct
LE PRJETOR PEREGRINUS. SON ŒUVRE
r
2:S
genus obliqationis proprium peregrinorum est, G. III, i34, suppléait à l'obligation litteris.
Le contrat litte1·is reproduirait assez bien les jeux d'écriture
de crédit et de débit de nos négociants, avec cet effet en plus
que la mention au compte créditeur obligerait en justice,
comme aussi les indications du compte débiteur étaient suffisantes pour faire preuve de la réalité de la créance. Sur toutes
ces mentions planerait un consentement tacite des débiteurs
et créanciers, et de là la force obligatoire de ces inscriptions.
D'après Gaïus, on hésitait sur le point de savoir si le pérégrin était obligé par une transcriptio a persona in personam;
et en effet cette transcription n 'est que le transport sur la tête
du pérégrin d'une obligation contractée par une autre personne. On était plutôt d'accord sur la force obligatoire d'une
transcriptio a re in personam, qui, elle, opérait la substitution
d'une obligation litteris à une obligation préexistante sans
que le débiteur changeât, autrement dit cette transcription
ne créait pas d'obligation nouvelle, elle modifiait simplement
la forme de l'obligation primitive.
Les m·cm·ia nomina, sorte de livret domestique, n'établissaient pas d'oQligation comme le contrat litteris inscrit au
codex, mais servait à fournir la preuve d'une obligation préexistante, résultant d'une numération d'espèces. G. III, l3L
Quant à la classe des contrats re et con.sensu, il va de soi
qu'ils appartiennent au droit des gens, ils sont le mode rudimen.taire des transactions dans la vie économique, et identique chez tous les peuples.
�1
DROIT D ACTION DU PÉRÉGRIN
d'années, on conçoit que cette lég islation soumise comme à la
pierre de touche de la pratique et toujours au niveau des besoins juridiques, méritât d'ètre reconnue comme une des
sources du Droit et acquît une autorité ab solue. Elle allait
distancer l'an cien droit , aux principes rigides et in variables,
l'edictum novum opposait sa souplesse et son adéquation aux
nécessités de plus en plus complexes de la civilisation ro-
CHAPlTHE V
maine .
A partir d'Hadrien, les édits prétoriens sont réunis en un
Code par les soins du juriscon.sulte Julien, leur texte devient
loi e t les préteurs n'ont plus qu'un jus edicendi assez restreint, ils appliquent surtout l' edictum pe-rpetuum. Dans les
provinces, le même jus edicendi appar tient aux Préesides.
1
DROIT D ACTION DU PÊRÊGRIN
Juridiction. - Nous avons dit qu'un préteur spécial avait
été créé pour faire face au nombre croissant des besoins judiciaires de la population pérégrine dans les murs de Rom e.
Le Préteur Pérégrin avait dans son imperium une double
juridiction. Le jus edicendi et le jus dicendi. Le jus edicendi
n'était autre que celui d'arrêter des règlements, de publier des
édits qui comprenaient u ne sorte de législation toute personnelle au préteur en charge, législation supplétive du droit civil pur . Les justiciables étaient airisi informés de la jurisprudence du préteur, presque àl'avance, par l'edictumperpetuum,
c'est-à-dire,applicable pendant l'année entière de sa magistrature. Si des espèces imprévues se présentaient il statuait par
des repentina . 11 lui était interdit de toucher à son édit au cours
de l'année, afin d'éviter toutes décisions complaisantes (Lex
Cornelia, 687, R. C.). Son successeur entrant en fonction pouvait répudier tout le système juridique qui venait d'être appliqué et pouvait à son tour publier son edictum. Dans la pratique cèpendant, le nouveau préteur continuait les errements
de son prédécesseur, ne faisant que les amender au besoin, sui yant les prog rès et .perfectivement du droit. Après une suite
27
\
(G . 1, 6),
L e jus dicendi. -La pr océdure formulairé est contemporaine
de l'institution du préteur pérégrin, les actions de la loi disparaissaient, leur formalisme était une gêne considérable.
Le Préteur, après l'exposition du différ ent qui divisait les
· parties, edebat actionem, c'est-à-dire , qu'il précisait le point de
droit. Il renvoyait ensuite les plaideurs soit devant le judex,
soit devant les recuperatores. Cette décision du préteur rece·
vait son effet définitif dans l'année, de là vient l'expression de
judicium imperio continens, c'est-à-dire, pen dant le pouvoir
annal du préteur. Il faut distinguer le judicium legitimum,
c'est-à-dire renùu, entre citoyens romains et dans u n périmètre d'un mille de Rome, <l u judicium propre au pérégrin.
Nous avons parlé déjà de la plupart des actions qui compétaient au pérégrin. Il semble résulter d'un texte de Sénèque,
que la procédure devant les recuperato1·es, tribunal à l'origine
spécialement réservé aux pérégrins, était fort rapide « recu pe1'ato1·es dare ut quam p1·ùnwn res judicaretur. » - Ils
n'avaient à statuer que sur la question de fait posée dans la
formule, et siégeaient au nombre de trois ou de cintJ· Leur re-.
�28
CONDITION DES ÉTRANGERS A ROME
crutement se faisait aussi bien parmi les citoyens que parmi
les pérégrins. Le juge, au contraire, appartenait toujours à une
catégorie de l'une des classes de sénateurs, de chevaliers ou de
tribuns, dans la suite, sous Auguste, des censitaires même modestes purent être choisis pour juges.
En. dehors de Rome, la justice était rendue par les duumviri
ou quatuorviri, magistrats locaux des municipes ou des colonies.
CHAPITRE VI
1
EFFET DE LA CONSTITUTION DE CARACALLA A L ÉGARD DES
Pf;RÉGl\INS
Cette constitution accorde le droit de cité à tous les citoyens
de l'empire. Pour apprécier sa portée à l'égard des individus,
il faut surtout se rendre compte de l'esprit qui dictait cette
mesure. C'était un acte politique, cela va de soi : les pures
questions de droit et les difficultés qui naissaient de la distinction d'un droit civil romain et d' uu droit applîcable aux
étrangers n'élaient point un souci impérial. La mesure était,
avant tout, un acte fiscal, et politique, par voie de conséquence.
L'impôt qui frappait les mutations par décès avait été déjà
porté à un taux excessif par les empereurs précédents, il
s'élevait au vingtième de la valeur des sucçessions et libéralités de dernière volonté. Caracalla estima qu'on le pouvait porter au dixième, et qu'en rendant tous ses sujets citoyens romains, il augmentait la surface de perception; c'est ce qu'il fit.
Dès lors, il est probable que la cité ne dérivait point de l'effet d'une sorte de loi organique de l'empire romain, et ne
s'appliquait qu'aux seuls individus pouvant devenir cit oyens
romains; les peuples conquis depuis ne devenaient pas né-
�30
CONDITION DES ÉTRANGERS A ROME
DROIT FRANÇAIS
cessairement citoyens. Les peregrini se rencontrent dans les
textes d'Ulpien et de tous les jurisconsultes postérieurs à la
Constitution. li faut aussi ranger parmi les peregrini ceux
qui se voyaient privés de la cité par_suite de condamnations
criminelles. Mais l'effet indirect de la constitution fut de mettre ùn peu d'uniformité dans le Droit civil, en rendant applicable les formes restées jusque là exclusivement propres aux
citoyens, à une masse plus considérable de sujets de l'empire .
Epoque de Justinien. - A ce moment la distinction des
peregrini est effacée, l'empire ne compte plus que des cives
ou des barbari. Dans la pratique, le droit s'était unifié considérablement, l'usucapio avait disparu, remplacée par la prescription longi temporis. La mancipatio et l'in jure cessio était
remplacés par la tradition et la quasi-tradition. Quant aux
CHAPITRE PREMIER
GARANTIE DE LA LIBERTÉ l~DlVIDUELLE DE L ÉTRANGER
1
EN FRANCE
PREMIÈRE PARTIE
Extradition de l'étranger.
SECTION 1
§ 1. -
successions, nous avons vu le préteur accorder la bonorum
possessio aux cognats, Justinien en n'admettant que la parenté
consanguine ne fait que consacrer la pratique .
LÉGISLATION POSITIVE ET JURISPRUDENCE
Le plan d~ cette étude ne permet pas d'examiner la matière
de l'extradition sous tous ses aspects. On se bornera à indiquer:
i 0 Les garanties de droit public qui protègent en France
l'étranger sous le coup d'une demande d'extradition .
2° Les effets de l'extradition à l'égard de l'étranger déféré
à l'autorité judiciaire française.
Dans cette première partie, on ne fera qu'exposer l'état de
la législation et de la jurisprudence: l'examen des questions
théoriques fera l'objet de la deuxième partie du chapi-
tre.
.,
'
Notions générales. -
L'extradition est la remise à un État
requérant d'un in1Hvi1l11 n<'rn"-é on rt'conn u coupable. réfugié
sur le territoire de 1' b.La~ 11.:LJ. u1~ . L.oltL remise a pour but de
permettre aux États d'assurer l'exécution de leurs lois pénales.
Le droit d'extradition est r églé par des traités internationaux, mais il arrive souvent qu'en dehors de tout traité,
�DE LA LlRF.RTÉ INDIVIDUELLE DE I.'ÉTRANGER EN FRANCE
DROIT FRANÇAIS
32
les États se consentent mutuellement la remise des malfaiteurs.
L'extradition est un acte de souveraineté, elle n'est qu'un
effet du bon vouloir des États, en conséquencer toutes les négociations et procédures d'extradition se traitent par la voie
diplomatique.
L'extradition étant alors considérée comme un acte de haute
administration, les tribunaux sont incompétents pour connaître des incidents de la remise du prévenu, apprécier la légalité de l'acte administratif: ils n 'ont point à tenir compte des
protestations que le prévenu éléverait à cet égard .
Des traités. - Des traités d'extradition existent aujourd'hui
avec presque toutes les nations. La matière abandonnée au
régime conventionnel présente nécessairement un défaut
d'unité. Autant de conventions, c'est-à-dire de contrats, autant de dispositions diverses variables, suivant le tempérament
des nations contractantes, quelque fois simplement suivant
l'humeur des négociateurs. - Les traités ne procèdent point
méthodiquement à la classification des causes d'extradition,
ils renferment une nomenclature arbitraire de délits et de
crimes. Le progrès lent de l'idée d'extradition n'a permis que
peu à peu l'inscription, dans les conventions, d'abord des crimes
les plus graves, puis des délits considérables, et enfin de ceux
de moindre importance.
On remarque que les traités sont d'autant plus complets,
prévoient des cas de criminalité plus variés, en raison de
la vicinité des États, de l'étenùue de leurs rapports commerciaux, de la facilité de communication, de la similitude générale de leurs institutions politiques.
Le traité que l'on peul proposer comme type le plus satisfaisant et le plus compréhensif, est celui intervenu entre la France
et la Belgique, à la date du 1.5 avril 1.874 1 • L'art. 2 de cette
1
Voir le texte à l'appendice.
::J3
convention ne comprend pas moins de 37 prévisions de crimos
et délits. Il vise non-seulement les actes accomplis mais même
la simple tentative. Le traité avec l'Angleterre énumère uue
grande variété d'infraclions. On peut citer encore les conventions avec la Suisse (i870), avec l'Italie (t870), etc.
La série des faits qui donnent lieu à l'extradition ne peut
donc être connue que par l'étude fastidieuse des nomenclatures. Les pays dont le système pénal est à peu près identique
pourraient, pour plus de facilité, se référer à des catégories
de délits et crimes correspondants à la nature des peines '.
Les énonciations des traités ne sont point limitatives, du
moins est-ce là une opinion qui dérive de l'idée qne l'extradition est un acte de pure souveraineté. Toutefois, comme le
fait observer M. Billot, le traité d'extradition étant le plus
souvent soumis à l'approbation du pouvoir législatif, il devient une loi dont les dispositions ne sont plus susceptibles
d'extension, par l'effet du simple accord du pouvoir exécutif
2
des États • - De t8o2 à 1.870, le chef de l'État jouissait en
France de la faculté d'interpréter extensivement les termes
du traité .
§. IJ. -
ARRESTATION DE L'ÉTRANGER RÉCLAMÉ
Lorsqu'une demande d'extradition parvient au ministère
des affaires étrangères, le gouvernement fran çais examine s'il
existe un traité avec la puissance requérante.
S'il n'existe point de traité, le gouvernement est libre
d'opposer un refus, au cas contraire, il est en présence d'uu
1
P. Fiore, Dr. Pén. Intern. p. 579.
llillot-Extradit, p. 120. - V. l'intéressant appendice au chap. 111, de l'ou·
vrage de M. Fiore di). il M. Ch. Antoine sur « les relations d'extradition entre
Ill France et les Étals élrnngers au xvmo siècle et à nolre époque . ., - Quant
a~x traités conclus entre la France' et les Etats éLrnngers, actuelleweut eu
vigueur, ils sont tous consignés il ln fin de l'ouvrage de J\l. P. Fiore. - V.
aussi, L'extradition, Recueil renfermant in extenso tous les traités conclus
jusqu'au l •r Janvier 1883, ealre lee ualions civilisées par F . J. Kirchner.
1
3
�DE LA LIBERT!~ IN1'1.VlDUELLE DE r,'ÉTRANGER EN FRANCE
DROIT FRANÇAIS
contrat qu'il doit exécuter. Il fera donc arrêter l'individu
réclamé. Le Droit Public qui protège énergiquement la liberté
individuelle du national, abandonne presque l'élra_!lger à l'arbitraire du Pouvoir.
La loi française ne contient rien de précis ni de formel sur
le droit d'arrestation de l' ~tranger, qui ne s'est livré dans le
pays à aucune infraction aux lois de police et de sûreté. On
invoque, H est vrai, un décret du 23 octobre i8H, ainsi conçu :
- Art. i. « Toute demande d'extradition faite par un gouvernement étranger, contre un de nos sujets prévenu d'avoir
commis un crime contre des étrangers sur le territoire de ce
gouvernement, nous sera soumise par notre grand juge,
ministre de la Justice, pour y être statué ainsi qu'il appartienArt. 2. A cet effet, ladite demande, appuyée des
pièces justificatives, sera adressée à notre ministre des affaires
dra: -
des relations extérieures, lequel la transmettra avec son avis à
notre grand juge, ministre de lo. Justice. »
Comme on le voit, ce décret ne vise que les nationaux, les
francais il ne concerne point l'étranger, cependant la jurispruden:e l'a étendu à celui-ci. - On cite encore la 1.oi du
3 déc. !849, mais cette loi n'autorise que la conduite de
l'étranger à la frontière, elle vise l'expulsion pure et simple
35
l'extradition. C'est d'ailleurs, une matière spéciale que nous
retrouverons plus loin.
Il s'est créé eu l'absence de texte de loi une pratique el une
jurisprudence de la procédure d'extradition.
Le premier acte de la procédure est l'arrestation provisoire
du prévenu sur le territoire français. L'arrestation est requise
par la voie diplomatique. En principe, l'intervention directe
du pouvoir judiciaire est écarléo, pu:squ'il s'agit de rapports
de gouvernement à gouvernement. Ce n'est donc point sur la
requête d~s tribunaux ou de l'action publique, que le malfaiteur sera arrêté, puis livré, bien qu'une telle méthode soit
infiniment plus rapide et très-propre à prévenir la fuite des
prévenus. Néanmoins certaines conventions, que nous allons
rappeler, renferment une dérogation au principe.
La convention franco-italienne porte que la demande
d'arrestation peut être adressée à l'autorité judiciaire, sans
passer par le ministère des Affaires étrangères: mais en ce
cas, l'arrestation provisoire n'est pas obligatoire pour la France.
Elle ne l'est que si la demande est parvenue par la voie diplomatique. Il est dit, art. 5: u L'individu devra être arrêté préven-
du territoire et non la remise, la tradition de l'étranger a une
autorité quelconque. On a tiré argument de ce texte dans le
tivement 1 • »
En France, depuis i854, l'arrestation provisoire est possible
avant la production des documents judiciaires sur le simple
avis de leur existence. Antérieurement, la production du
mandat d'arrêt était nécessaire. Le simple avis de l'existence
du mandat, ne rend pas l'arrestation provisoire obligatofrc
pour l'État requis, du moins en est-il ainsi dans la plupart des
conventions signées depuis 1854, jusqu'au traité de 1876
,a effet' l'arrestation des prévenus.
(art. 6), avec la Grande-Bretagne.
Plusieurs traités disposent, depuis 1868, que outre l'arrestation provisoire obligatoire, si le mandat d'arrêt a été transmis par la voie diplomatique, ou si la notification de son
sens de l'arrestation de l'étranger. Enfin, on dit enco~c ~ue
, 1
eut faire apphcahoa
les traités sont des lois, que des ors, on P
.
de l'axiome et dire, nul n'étant censé ignorer la 101 et l~s
. . rquent pour sortir
traités étant connus des étrangers, 11s imp l
,
.
.
· 1 s crimes
ou
Le gouvernement a le devoir d'exaromer s1 e
. t n
.
d
able n' ont po1n u
délits dont l'étranger se serait ren u coup .
. . t .
1
t adxn1s en droit in er
caractère politique. Il est généra emen
t as lieu à
tt
ture ne donnen P
national que les actes de ce e na
1
P. Fiore, loc. ciL. p.
n5 et 416,
note 1.
�36
DROIT FRANÇAIS
existence a été tl'ansmise par la poste ou le télégraphe, " il
est établi une arrestation provisoire facultative pour les autorités administratives ou judiciaires d'un des pays contractants,
gui ont été informés directement de l'existence du mandat
d'arrêt. ,,
Les avantages que présentent pour les malfaiteurs le voisinage de la Belgique et de ses ports d'embarquement, ont fait
décider l'adoption de mesures rapides. Dans ce sens, une instruction du 9 octobre 1876, émanant du garde des sceaux,
rappelle la tolérance déjà usit6o depuis la circulaire du 22 février 1.875, entre les chefs des parquets français et belges.
.. Les chefs de parquets de Belgique étaient autorisés à provoquer, sur la demande directe des autorités judiciaires françaises, l'arrestation provisoire des malfaiteurs étrangers signalés par télégrammes, comme ayant pris la direction de la
Belgique, pour s'embarquer dans l'un des ports ou pour traverser le territoire de ce pays. La mème tolérance a continué
après la promulgation de la nouvelle convention, etc. n Dans
une circulaire du 14 avril 1875, le garde des sceaux reconnait,
toutefois, que cette pratique est contraire à la disposition de
l'art. 6 de la convention de 1.874.
Dans le projet de loi Dufauro, du 2 mai 1878, sur l'extradition, adopté au Sénat en deuxième lecture et amendé, on
lit ce qui suit: Art. 16. «En cas d'urgence et sur la demande
directe des autorités judiciaires du pays requ~raut, les procureurs de la République pourront, sur un simple avis transmis
soit par la poste soit par le t élégraphe do l'une des pi~ces
indiquées par l'art. 7, ordonner l'arrestation provisoire de
l'étranger. Un avis régulier de la demande devra être transmis
en même temps par voie diplomatique , par la poste ou le télégraphe, au Ministre des Affaires étrangères.
Les procureurs de la République devront donner avis de cette
arrestation au Ministre de la Justice et au procureur général. »
7
DE LA LIBERTÉ INDMDUELLE DE L ÉTJ\ANGER EN FRANCE
37
Le projet de loi s'occupant de restreindre autant que possible, mais dans une mesure conciliable avec l'accomplissement
de la justice, la durée de l'arrestation provisoire dit, art. t ï :
u L'étranger arrêté provisoirement dans les conditions prévues
par l'art. 16, sera, à moins qu'il n'y ait lieu de lui faire application des art. 7, 8, et 9 de la loi du 3 dér.. 184.9, mis en
liberté si, dans le dPlai de 20 j ours a dater de son arrestation,
lorsqu 'elle aura été opérée à la demande du gouvernement
d' un pays limitrophe, le gouvernement français ne reçoit
l'un des documents mentionnés à l'art. 7 .
Ce délai pourra être portè à un mois si le territoire du pays
requérant est non limitrophe, et jusqu'à trois mois si ce territoire est hors d'Europe.
Sur requête adressée à la Chambre des mises en accusation,
l'étranger pourra obtenir sa liberté provisoire dans les même·
conditions que si la pourmite était exercée en France. 11
Les inconvénients d'une procedure uni quement fondée sur
des traditions de bureaux: et sur l'usage se sont \'Îvement fait
sentir. La circulaire du 12 octobre 1875 de M. Dufaure, garde
des sceaux, après nYoir indiqué combien est prérfrab\i> le
système suivi par la Belgique et les Pays-Ba , taut dan-; l'mtérêt de l'individu réclamé que do l'Etat requérant pre::.l'rit
la conduite ù tenir. o •.• Aprh m'ètro concertê lavcc .1. le ~i
nistr~ ùe l'Intériour et des .\ffatres Etraugère", j'ai decidé qu'à
l'avenir aucun dècret auto1i aut l'extradition d'un ~tranëer.
ne serait propo~é à la signature de ~I. lo Prt• iùeut ùo la Republiquo, avant que cet iudh idu n'ait été arrêté . La demande
d'ex:lradilion sera examint!o au .Miubtèro de la Ju~tice ; 'i elle
mo parait régnlil•ro, je transmettrai à M. le ~Iinbtie do l'lnlcrieur, le mandat d'arrêt on le jugement Jo condamnntioo.
ainsi que toutos les pi~c~ 11ui m'auront t'.•té l'Ommuniqul•b
par le Ministl•re des Affaires etraugt.·rÛ!'. ~Ion C(1lll·guo ùe l'intérieur prescrira les me::-uro::- n~eo ~:lires pour rarrostatiou lie
�1
DE L! LIBERTÉ I NDlVIDUl!LLE DE L ÉTRANGER EK FRANCE
38
DROIT FRA NÇAIS
l'individu recherché. Cette arrestation opérée, l'étranger sera
immédi~toment conduit devant le Procureur de la République
do l'arrondissement où elle aura lieu. Ce magistrat recevra,
en même temps, communication de toutes les pièces jointes à
la demande d'extradition, il procèdera à l'interrogatoire de
l'individu arrêté et en dressera procès-verbal ; si cet individu
prétend qu'il appartient à la nationalité française, ou que la
demande d'extradition s'applique à un autre individu , s'il allègue un fait qui serait de nature à établir son innocence , ou
enfin s'il demande à prouver que l'infraction dont il s'est
rendu coupable ne rentre pas dans les termes du traité, le Procureur de la République devra vérifier, par tous les moyens
qui sont à sa disposition, l'exactitude de ces allégations. Dans
' le cas où l'individu arrêté réclamerait le secours d'un interprète ou les conseils d'un défenseur, le Procureur de la Répu··
biique lui accordera toutes les facilités nécessaires, et au besoin, désignera lui-même un interprète, dont les honoraires
seront payés comme frais urgent de police criminelle. Pendant le temps qu'exigera cette enquête sommaire, l'étranger
ne sera pas placé sous mandat de dépôt, mais restera consigné
à la disposition de l'administration. Le Procureur de la Répu blique vous transmettra : i • le mandat d'arrêt ou le jugement de condamnation et les documents joints; '.:. 0 lïnlerrogatoire; 3• les r enseignements qu'il aura recueillis; 4° son
avis motivé; vous y jomdrez votre appréciation et m'adresser ez le tout dans le plus bref délai. Sur le vu de ces pièces, je
proposerai, s'il y a lieu, à M. le President de la République,
d'autoriser l'extradition. »
Le reste de la circulaire a trait aux individus arrêtés qui déclarent consentit' à être livrés sans aucune formalité au gouvernement qui les réclame, comme, aussi, aux individus arrêtés à la suite d'une condamnation par défaut ou par con tumace, auxquels les mêmes mesures sont déclarées applicables.
39
On retrouve dans l'art. iO du projet de M. Dufaure une disposition analogue.
Constatation d'identité du sujet réclamé. - Peu de traités
se préoccupent de la constatation d'identité du suj et réclamé,
et cela se conçoit, l'Etat r equérant fournira naturellement les
pièces utiles et l'Etat requis, qui a tout intérêt à ne point
commettre d'erreur, s'entourera des renseignements nécessaires ; il réclamera la communication du signalement,
d'épreuves photographiques, au besoin n exigera qu'un témoin ou une personne connaissant le prévenu vienne le reconnaître positivement.
Conduite de l'ext1·adé. - La circulaire du garde des scèaux
que nous avons citée rappelle que l'extradition s'accomplit
par l'effet du décret rendu par le Président de la République.
Dès cet instant la conduite de l'étranger à la frontière rentre dans les attributions du ministre de l'Intérieur. Elle est
faite par la police française. Les agents de l'autorité étrangère n'auraient aucune qualité pour y procéder sur notre territoire .
En Angleterre et ùans d'autres Etats, comme les Etats-Vnis,
la remise du prévenu est faite aux agents de l'Etat requérant
dans l'intérieur même du Royaume ou des Etats de l'Union.
Toutefois le traité franco-anglais oblige le gouvernement britannique à reconduire !'extradé jusqu'à. notre frontière.
Autorités intervenant dans la procédure d'extradition. On a vu que dans la procédure faite chez nous contre le prevenu étranger le rôle prépondérant appartient a.u ministre de
la Justice et à l'autorité judiciaire. Toutefois, ln justice française n'intervieut pas de la m ômb façon qu'en Angleterre où
le juge décide do l'extràdilion et prononce un véritable juge~
ment en toulo indépendance du pouvoir cx~culif. - Chez
nous il n'y n point de jngemont, mais une enquète admlniss· l . sultat
.
trativo faite par le Prowreur de la Repub1ique. l o re
�1
DRO IT FRANÇAlS
40
de cette enquête est négatif, l'agent diplomatique étranger
en est informé par le ministre des Affaires Etrangères qui est
l'intermédiaire naturel.
On a fait remarquer qu'il ne fallait pas moins du concours
de trois ministres et do celui du chef du pouvoir exécutif pour
arriver à la remise d'un étranger réclamé par son gouvernoment. Il n'est pas démontré que lo prévenu y trouve un surcroit de garantie de sa liberté individuelle, ni qu'il puisse se
défendre bien efficacement contre une remise arbitraire.
Ailleurs cette liberté est mieux garantie, en Angleterre ot en
Belgique, pour ne r.iter que ces deux pays.
SEC'l'ION II
Situation de l'étranger devant l 'autorité judiciaire après
sa remise au gouvernement français.
L'étranger devant l'autorité judiciaire ne comparaît pas autrement que s'il s'agissait d'un français dont le gouvernement
aurait obtenu l'extradition, la situation des ex tradés, quelle que
soit leur nationalité, ne présente pas de différence. Le développement qui suit ne fera donc que rappeler les principales
garanties dont jouissent les pré venus 1 •
§ 1. -
ll"COMPÉTI!NCE Dl!S TRIBUNAUX POUR DISCUTER LE l\JÉIUTI!
Dl! L'EXTRADITION
En application du principe qui soustrait à la compétence
des tribunaux ordinaires, les actes de l'ad ministration,
toute interprétation des traités échappe a ux magistrats. Ils
n'ont point qualité pour accueillir les moyens d'un prévenu
étranger traduit à leur barre, fond és uniquement sui· la légitimité de l'extradition dont il a été l'objet.
1
Pour les détails, voir les excellcnto ouvrages de ;\[. Billot, Pascal Fiore,
Paul Bernard.
DE LA LIBERTÉ INDIVIDUELLE DE L ÉT!l.ANGER EN FRANCE
4{
La Cour de Cassation a formulé sa jurisprudence dans un
arrêt qu'il convient de rapporter:
« Attendu que le droit d'extradition est un droit que le
gouvernement puise dans sa propre souveraineté et non dans
les traités qu'il a pu conclure avec la puissance à laquelle appartient le réfugié : que les conventions de cette sorte obligent sans doute los Etats qui les ont consenties à se livrer r éciproquement leurs nationaux, poursuivis pour crime sur leur
territoire respectif, dans les cas qu'elles déterminent, mais
qu'elles ne peuvent faire obstacle à ce que l'extradition soit
accordée dans d'autres cas et pour d'autres crimes que ceux
qui sont spécifiés : que ces actes de haute administration, généralement motivés sur les nécessités ou même de simples
convenances internationales, échappent à toute appréciation
et à tout contrôle de l'autorité judiciaire qui n'a pas à s'enquérir des motifs qui ont déterminé l'extradition. Que !'extradé, livré soit en vertu de ces mêmes traités, soit spontanément en vertu d'un acte du gouvernement sur le territoire
duquel il s'était réfugié, n 'a aucun titre pour réclamer contre
cette extradition; que sa fuite, pour se soustraire à la justice de son pays, ne lui crée aucun droit; que l'Etat
étranger auquel il demande asile est toujours m aître de le lui
refuser .
« Attendu qu e si les lois relatives à l'organisation des pouvoirs publics en France exigent que les traités d'extradition
80ient, pour leur ratification, approuvés par le pouvoir législatif, elles no portent cependant aucune atteinte à ces principes ; qu'elles ne rf'streignent en rien ce droit de souveraineté qui appartieut à chaque Etat, d'expulser de son territoire le malfaite ur qui s'y est réfugié et de le faire conduire à
la fronti ère du pays dont il est originaire : d'où il suit
qu'en déclarant qu'il n'y avait pas lieu de faire droit aux conclusio ns de Bath, tendant à ce qu'il fut déclaré par la Cour
•
�1
F" DE - LA LIBERTÉ rnDIVIDUELLE DE L ÉTRANGER EN FRANCE
DROIT FRANÇAIS
42
d'Assises que son extradition était contraire au texte des conventions passées entre la France et l'Allemagne et ordonné
qu'il serait reconduit à la frontière, cette Cour, loin de violer
les conventions des 21 juin et H décembre 1871,s'est conformé
aux principes du droit international. (Ch. cr., i3 avril
1.876 .)
Le ministre de la Justice rappelait dans une circulaire du
30 juillet 1872 ce principe et cetle obligation : « Les r ègles
en cette matière sont du domaine du droit international et
échappent entièrement au contrôle de l'autorité judiciaire, qui
puise dans la seule r emise de l'inculpé les pouvoirs nécessaires pour le juger, sauf les réserves consenties par le
gouvernement français envers Io gouvernement étranger. »
Les cours et les tribunaux, dans leurs attributions de juridiction et toutes les autorités de l'Etat, dans la sphère de
leur compétence exécutive, doivent concourir à l'application
des traités . En ce sens de nomhreux: arrêts de cassation 1 •
Objet du jugement; des délits 1·éservés. - L'étranger extradé, remis au pouvoir de la justice, ne reparaît pas toujours
devant elle dans la même situation que s'il ne s'était pas enfui et n'avait pas touché pour un moment le sol d'une autre
Muveraineté. Quelques-uns des cllefs d'accusation qui pèsent
sur lui cesseront peut-être de fairo l'objet de la poursuite du
ministère public.
Il arrive parfois que l'Etat requis ne livre le prévenu que
sous la condition qu'il ne sera jugé que sur certains points
déterminés. L'accord intervenu ontre les deux Etats suspend,
paralyse l'action de la justice fran çaise : obstaclo que la Cour
de Cassation respect~ en considérant la nécessité de s'incliner
devant un acte de gouvernement.
Il n'est pas tout à fait exact de diro que la justice ne statuo
pas sur les infractions réservées dans la uégocialion diploma1
Cass, 2t j uin 1871. S. 47, 1, 677; 1840, S. -~o. 1, 781.
-
-
43
tique. Une instruction commencée suivra son cours, poursuivie contre absent, et l'affaire appelée, on statuera sur les crimes et délits r éservés, mais par un jugement de contumace
ou de défaut 1 • (Cass . 5 déc. 1845, Grandvaux.) La Chambre des mises en accusation qui n'a point à se préoccuper de
l'absence ou de la présence du prévenu, prononce son renvoi
devant la Cour d' Assises sur l'inspection de la procédure et
d'après les éléments dont elle dispose, les conventions diplomatiques lui sont indifférentes. La procédure étant faite contre un individu fictivement absent, les magistrats instructeurs
s'abstiendront de tous interrogatoires et confrontations. Ce serait ne pas se conformer à l'esprit des traités que de ne suspendre que les effets de la peine. La convention diplomatique
n'interdit pas seulement l'exécution d~ la peine, elle interdit
le jugement à raison des faits qui ne motivent pas l'ex.tradition, dit 1\1. Faustin Hélie.
Voici à cet égard les termes d'un arrêt de la Cour de Paris
du 21~ mai 1867 (Faw·e de ll!ontginot) . « L'extradition
n'ayant été accordée que pour le cr ime de banqueroute frauduleuse, l'inculpé ne peut être jugé dans l'état où il se trouve,
sur les délils d'escroquerie et d'ablis de confiance qui lui sont
reprochés, sauf à procéder contre lui par défaut ou autrement,
s'il y a lieu 9 • n
Toutefois !'extradé, qui croirait avoir intérêt à se laisser juger sur tous les points incriminés et relevés contre lui, peut,
'Billot. Extrndition, p. 3 L3.
En 1875, un conflit reslé célèbre s'est ~levé entre l'Angleterre el les EtalsUnis à propos d'un nomm~ Lnwrence. Les Etats-Unis nvaient obtenu son
ex:tradilion mais il fu t mis en accusation sur des faits dilférents de ceux
qui nvaien; fait l'objet des conventions d'extradition et qui avaient été signalés au gouvernement Anglnis. - Protestation de l' Angleterre qni in,•oqua
«la loi d'exlradition commune à tous les pays. » Les Etats-Unis ne donnant
point satisfa::tion à l' Anglelerre,tles exlrnditions furent suspendues entre les
deux pays pendant quelque temps. L'accord revint dans ln suite, l'un et
l'autre pays ayant abandonntl des prétentions trop absolue•.
t
t
�DE LA LIBERTÉ INDIVIDU.ELLE DE t'ÉTRlNGER EN FRANCE
DROIT FRANÇAIS
il renoncer au bénéfice des réserves faites par l'Etat requis,
et consentir à sa mise en jugement sur les délits réservés?
On s'accorde à reconnaître qu'il ne peut invoquer un droit :
les conventions d'extradition sont des actes négociés hors de
son intervention, sans que son intérêt soit consulté, dans la
plénitude de l 'exercice du Droit de souveraineté des parties
contractantes. Si l'extradé ne peut exiger, comme étant son
droit, d'être jug1) sur les points r éservés, néanmoins on admet que son consentement relève l'Etat requér ant do son
obligation vis-à-vis de l'Etat requis.
C'est en ce sens que s'est fixée la jurisprudence française.
Cette jurisprudence ne paraît pas fondP,e en bonne logique, les
tribunaux et la chancellerie ne s'y sont ralliés que récemment. On estimait autrefois que la convention internationa]P,, comme les réserves qu'elle contenait, étaient de droit
strict. Cette théorie fut encore rappelée dans un discours de
•
M. 1' avocat général Moulineau, le 4 nov. 1879 devant la Cour
de Caen 1 •
Quoiqu'il en soit, si la jurisprudence nouvelle est un peu
moins logique, elle est certainement plus large et plus intelligente. te système qu'elle c1pplique est exprimé dans une circulaire du ministre de la Justice (affaire Lamirande) . Le ministre rappelle au respect des dispositions des traités, mais il
estime qu'on n'en violerait pas l'esprit en passant au jugement, si l'accusé accepte volontairement la décision du jury sur
les points réservés. - La même opinion est admise en Belgique. - Mais les traités franco-néerlandais, franco-bel ge f"t
d'autres encore mentionnent que lP. gouvernement requis sera
en tout cas avisé du co11sentement donné par l'accusé, do su bir le jugement sur les cbefs d'accusatiou résorvés dans la
négociation de son extradition.
Les traités franco-suisse (i870), franco-italien (i870) com1
Discours cité par li!. P. Bernard, Traité de l'Extraditioo p. 500.
•
\
45
portent non seulement la nécessité de l'avertissement, mais
encore l'assentiment de l'Etat requis et de plus la condition
que le délit, qui fera l'objet du jugement, soit prévu dans les
traités d'extradition.
En général, ces réserves tendent à protéger les extradés contre la mise en jugement pour faits politiques .
Bien qu'ici nous nous préoccupions surtout des questions
telles qu'elles sont résolues chaque jour dans la pratique,
nous signalerons la tendance du projet de loi sur l'extradition dont le Sénat est saisi. Aux termes de l'article 4: « L'extradition ne sera demandée ou accordée qu'à la condition que
l'individu extradé ne sera ni poursuivi ni jugé pour une infraction autre que celle ayant motivé l'extradition, à moins
qu'un consentement spécial donné dans les termes du traité
par le gouvernement requis ... •> Art. i5 : « Dans le cas où le
gouvernement requérant demandera pour une infraction antérieure à l'extradition, mais découverte postérieurement, l'autorisation de poursuivre l'individu livré, l'avis de la Cllambre
des mises en accusation devant laquelle l'inculpé avait comparu pourra être formulé sur la seule production des pièces
transmises à l'appui de la seconde demande. Seront également transmises par le gouvernem~nt étranger, et soumises à
la Chambre des mises en accusation, les pièces contenant les
observations de l'individu livré ou la déclaration qu'il n'entend en présenter aucune. L'extension de l'extradition ne
pourra être autorisée que par décret. >>
Telles sont les dispositions qui, dans uu avenir prochain,
règleront la question des délits et crimes réservés. On se
préoccupe grandement, cela est visible, de sauvegarder la liberté de l'extradé par un extrême respecl des exceptions formnlées par l'Etat requis 1 • En ceci l'intérêt de la répression
1 Cette question parait avoir élé mieux réglée encore dans le traité de
1871, entro la Delgique et les Pays-Bas.-V. P. Bernard,Trailé de l'Extrad. p. 505.
�1
DE LA LIDERTÉ INDIVIDUELLE DE L ÉTRANGP.R EN FRANCE
47
DROIT FRANÇAIS
4,6
parait un peu négligé et l'on verra tout à l'heure les critiques
que l'on peut faire au système des restrictions.
Si les faits réservés ne sont point connexes au délit qui
donne lieu à l'extradition, rien de plus aisé que de les laisser
dans l'ombre au cours de la procédure. Au cas de connexité
on peut avoir quelque peine à délimiter le terrain de l'ins-
truction comme celui du débat.
L'étranger sera-t-il fondé à se réclamer de la convention
d'extradition si, par exemple, après avoir été extradé à raison
d'un fait qualifié crime, la qualification vient à changer ; si
par suite du rejet de circonstances aggravantes l'infraction
devient purement correctionnelle ? Les circonstances qui donnaient au fait délictueux un caractère particulier de gravité,
ou qui le faisaient rentrer dans la catégorie des délits entraînant extradition, ont pu déterminer l'État requis à consentir
l'extradition, alors qu'il l'aurait refusée s'il se fùt agi d'un
délit plus simple ou non prévu par le traité. En pareil cas,
nous pensons, comme M. Billot, que le tribunal doit s'abstenir.
Cependant M. Faustin Hélie estime que la qualification doit
être abandonnée à l'appréciation du juge, mais ne saurait modifier à l'égard de l'extradé les effets du jugement.
SECTION III
Extradition en matière de crimes et d élits politiques.
§. i. -
CE QU'ON DOIT 1ENTENDRE PAR CRIME OU DÉLIT POLIT IQUE
En droit pénal privé, dans les Etats assez heureux pour n'avoir
point d'histoire, dès leur première heure nés à la liberté
comme dans ceux qui touchent à l'affranchissement politique, l'expression de crime politique paraît incompréhensible,
Dans ces États les violences contre les personnes, la propriété,
les meurtres, les attentats à la vie des chefs de gouvernement
ne sauraient se colorer d'un prétexte politique et sont toujours
des crimes communs.
Quand la manifestation de la volonté populaire est libre et
peut se traduire par un effet util~, les procédés violents, tendant à la substitution de tout autre r égime par la suppression
des personnes, sont irrationnels et par suite criminels.
En possession de la forme gouvernementale la plus parfaite
qu'il soit possible d'atteindre, qui laisse libre toute les initiatives dans la limite des droits individuels, les hommes, fauteurs
de troubles, sont inexcusables et leurs agissements ne méritent
,
pas l'honneur d'une appellation spéciale.
En droit pénal int ernational, la distinction en crimes politiques et crimes communs se fonde uniquement sur la dissemblance des constitutions.
A notre époque, les crimes et délits politiques ne donnent
plus lieu à l'extradition : c'est un point acquis en droit conventionnel.
On a cherché à expliquer cet accord des États . Pour quelques auteurs il est injustifiable. Les uns y voient un encouragement à toutes les r évoltes, les autres, comme M. Renault,
disent 1 : « Un État républicain, comme un Élat monarchique,
peut trouver criminelle toute tentative faite pour renverser
violemment la constitution d'un pays, et il ue répugnerait pas
aux idées de droit de l'un ou de l'autre de contribuer au châ·
timent d'individus qui auraient amené la guerre civile dans
leur patrie, que les institutions de celle-ci fussent monarchiques ou républicaines.» - M. Bernard espère qu'un temps
viendra où la répression des attentats contre uu gouverne·
ment sera moins terrible qu'elle ne l'est aujourd'hui et qu'alors
on pourra, sans pêcher contre la justice, livrer les auteurs de
1
L. Renault. - Des crimes politiques en matière d'extradition.
�48
DROIT FRANÇAIS
crimes contre lesquels l'humanité proteste, bien qu'ils se parent
d'idées généreuses d'affranchissement social et de liberté •. .M . Martens, l'éminent professeur russe, s'est prononcé rér.emment pour l'extradition des auteur! de crime d'assassinat, malgré que le motif et le but fussent politiques.
Rien ne s'opère aisément, la liberté comme toute autre création est enfantée dans les douleurs, l'état despotique étant la
forme naturelle et primitive de l'org anisation politique, s'imaginer que les monarchies, même constitutionnelles, abandonneront volontiers leurs prérogatives, pour s'acheminer vers la
liberté démocratique à laquelle tendent les peuples, est pur
rêve. Croire que la transition à la forme républicaine, forme
d'organisation finale, nécessaire, se fera insensiblement et sans
secousses, c'est imaginêr la politique idyllique.
La vérité est que les monarchies défendent le principe dynastique, elles luttent pour l'existence contre l'idée r épublicain e ;
pour elles les révolutionnaires sont bien de véritables ennemis
et non des égarés d'un moment : la lutte ost nécessairement
implacable.
Si les Etats monarchiques, ayant des constitutions identiques,
se refusent,entre eux, l'extradition des réfugiés politiques, c'est
que ces Etats ne doutent point que la répression ne soit violente,
qu'elle ne dépasse la mesure, que le châtiment ne soit la persécution. C'est l'opini on publique, plus forte ici que le prin cipe monarchiqu e, qui lui impose silence, lui interdit des revendications de cette nature, quels que soient les adversaires ,
quel qu'ait été le caractère de la lutte, qu'on ait assisté au
combat d'une dynastie contre une autre dynastie, ou de
l'idée républicaine contre l'idée monarchique.
Certaine école, animée sans doute des meill eures intentions, méconnait profondément l'observation historique en
croyant à la possibilité, dans l'ordre politique, d'une réfor·
1
Bernard. Traité de l'Exlradition, t. li, p. 253.
DE LA LIBERTÉ INDIVIDUELLE DB L 1 ÉTRANGER E N F RANCE
49
mation progressive tout en demeurant pacifique. Dans l'ordre
écon.omique, où le progr ès se lie aux mœurs intimes du pays,
la violence ne sert de rien, mais en politique il est une période
à traverser où les r éformes ne s'obtiennent que par des coups
de force .
Le régicide est-il un crime commun ? - Cette période ou ère
politique doit être envisagé par le jurisconsulte principale
1,.
ment dans la question du régicide. Les solutions en cette matière r esteront, il est vrai, dans le domaine du Droit philosophique, plus qu'elles ne deviendrontd'uneapplication pratique.
L'auteur d'un régicide doit-il être extradé? son acte est·il un
crime ordinaire, passible de la répression de droit commun ,
ou doit-on le qualifier crime politique ne donnant pas lieu à
l'extradition .
A vouloir apprécier cet homicide en soi, on risque de faire
fausse route ; à r aison de la personne exceptionelle qui en est
la victime, c'est d'une manièr e toute exceptionnelle aussi qu'il
le faut envisager. Le titre de roi n'efface pas la personnalité humaine, dira-t-on, sans doute, mais la personnalité humaine ne revèt pas non plus nécessairement le titre de
roi. Toutes les fois que ce titre, avec le système gouvernemental qu'il implique, n'est pas l'expression d'une volonté
populaire spontanément et expressément déclarée, il est une
anomalie, une exception.
Nous touchons au criterium qui fera reconnaitre le caract ère politique ou non politique du régicide. Ce criterium ri>side
dans la manifestation du suffrage populaire.
Et de fait, aux Etats Unis, l'attentat contre le Président de
l'Union est un crime commun. - En France, nul ne soutiendra que les art. 86 et 87 du C. Pénal soient applicables au Président ùe la République. Ces chefs de gouvernement, considérés dans leur personne, ne personnifient pas une idée politique,
leur magist1·ature n'est que la conséquence d'une forme poliq_
�DE LA LlBERTt: l NDlVIDUELJ.E DE r.' éTRANGER E:S l~RA NCE
DROIT FRANCAIS
50
mis contre la souveraineté populaire don t le droit est universel, mais contre la souveraineté monarchique dont le droit est
tiqu e spontanément et expressément acceptée par le peu ple .
11 est deux h ypothèses qui n 'offrent poin t de difficulté . Un
monarque est tué en temps de sédition à la tête des troupes
qu'il commande, le meurtre est politiqu e, c'est la lutte avec
ses chances néfastes égales de part et d'autre. S'agit -il
d' une ven geance personnelle, le crime est alors crime commun .
Mais, l'attent at a -t-il lieu en plein calme politique, du moins
dans le repos de la rue ? comment apprécier l'attentat ? Qui
sera l'appréciateur ? La difficulté est certaine, mais n on sans
solu1ion. On devra considérer si !'fre politique est ouverte on
n on. L'attentat de Lou vel con tre le duc de Berry r entre don c
local 1 . »
Le gouvernement Suisse n'a point imité les autres États il a
'
eu garde dans ses con ventions d'insérer une clause quelcon que
d'exception relative aux attaques dirigées contre un souverain .
Il invoque la di ITérence de principes sur lesquels peut reposer
l'organisation politique de deux pays . Dans un message qui
accompagnait la présentation d' un traité r écent , il était dit.
1c La Confédération saura remplir loyalemen t ses devoirs vis-àvis d' un État voisi n e t ami. Elle entend se ulement se réserver
le droit plein et enlier d'examiner, pour le cas d'attentat contre le souverain comme pour les cas or dinaires, si le fait a un
dans la catégorie des crimes communs.
Suivant le cas, le régicide, sera ou n e sera pas crime politique. Quand les aspiro.tions du peuple sont manifestes ; lorsque surtou t le sang des martyrs de la liberté aura coulé, il
sera impossible de se méprendre, l'ère politique, l'ère de combat est ouverte, la conduite d'u n Etat républicain, requis d'ex.
trader l'auteur du régicide est toute tracée.
L'État qui livre un in dividu, qui l'extrade, solidarise sa
cause, ses intérêts avec ceux de l'État r equérant.
On a vu que cette solidarité d' intérêts, dans la répress ion du
crime et du Jélit commun, éta it sinon le fo ndement même du
'
moins de la nature de l'extradition.
Entre États régis par ùes principes différents et en matière
politique cette solidarité disparaît, l'extradition d' un régicide
ne serait qu' une œuvre de passiun ou bien une contradiction
flagrante .
M. Mailfer a précisé la même idP.e avec une sing uliè re énergiP: • L'extrarlition, dit-il, doi t être arco rdée en droit d1~ m o
erali0p1e, "'si cllH LW l' •st pa~ e11ro:-e, c't>~ l q11e le droil démocratiq11e n'est pas encore uniformément ado pté; c'est que les
1
crimes politiques pour lesquels l'extradition est un animell\ent
refusée ~ ar les États de l'Europe, ne sont pas des crimes corn-
:a
caractèr e politique ou n on . J>
On sait que dans les n égociations d' un t raité récent entre la
Suisse et l'Espagne, ce premier Etat s'est refusé à reconnaître
comme crime commun l'acte de r égicide.
D'ailleurs, l'éminent M. Broch er, rapporteur devan t l'institut
de Droit international, session de Paris, s'élevait avec for ce
contre la théorie de la loi convention nelle Franco-Belge qui déclare crime commun l'atten tat à la vie du souverain, et contre
l'opinion de la com mission anglaise de i 877. Pour !U. Broch er
tous les crimes politiques, et par consé iuent les attentats contre les fonctionnaires et les m onar q ues, «ne sont pas n écessairement contraires ni à la morale ni aux principes absolus de
•
•
l'ordre social. »
La clause belge doit son origine à la tentative Jacquin. En
1856 un individu de ce nom avait disposé sur le chemin de
fer du Nor d une machine infernale destinée à tuer l'empereur
Napoléon III , la tentative échoua, Jacquin se réfugia en Belgique. Arrêté provisoir ement, la chambre du Conseil du tribuMailfer. - u De la démocralie dans s~e rapports avec le droit international. 1>
1
�DROIT FRANÇAIS
na! de t'" instance de Bruxelles délibéra et trouva qu'il n'y
avait pas crime politique. - La Chambre des mises en accusation estima que l'acte de Jacquin avait un caractère purement politique et ordonna la mise en liberté . - Cet arrêt fut
cassé : la Cour de Liège devant qui fut renvoyée l'affaire jugea égalemsnt qu'il n'y avait qu'un crime politique. La situation était embarrassante pour l e gouvernement belge et
le gouvernement français: ce dernier retira la demande de
poursuite.
Peu après cet incident une convention additionnelle au
traité d'extradition existant eut pour effet d'insérer dans la catégorie des crimes communs l'assassinat et la tentative sur la
personne du Souverain. Depuis cette époque, la même disposition n'a cessé de figurer dans les conventions avec la Belgique, elle a été introduite, en outre, dans un grand nombre
de traités conclus par la France, à une époque toute récente
encore. Cette clause cependant n'existe point dans les traités
avec le Pérou, l'Angleterre, l'Espagne.
§. Il. -
CONNEXITÉ DE DÉLIT COMMUN
De graves difficultés surgissent lorsqu'au crime ou délit
politique se joint une infraction de droit commun, quand en
un mot il y a connexité de délits . 1\1. Renault, dans son
excellente étude, propose la règle suivante: « Tout ce qui s'explique par l'insurrection et en est une cause directe revêt le
\!aractère de celle--ci au point de vue de l'extradition. » La destruction des propriétés publiques ou privées, pour garder son
caractère politique, doit se rattacher à lutte, s'expliquer par
les nécessités de l'attaque ou de la défense. Ces distinctions
nous paraissent très-rationnelles. Dans ce système l'incendie
du Louvre el du Luxembourg, les mines disposées sous le Panthéon pendant la Commune de Paris sont des crimes communs.
1
DE LA LIBERTÉ INDIVIDUELLE DE L ÉTRANGER EN FRANCE
53
Ils en sont certes d'autant plus odieux qu'ils sont sans signification. Ils sont la spoliation de la richesse artistique de la nation et de l'humanité intelligente : s'il eût été possible de
reconnaître les auteurs de ces actes de banditisme, la Bel1
gique ou tout autre État eut pu les extrader sans scrupules •
Mais à notre avis il n'aurait pas fallu étendre cette idée aux
actes de destructions des propriétés privées, car là se trouve
précisément la caractéristique de la politique de la Commune:
les propriétés particulières saccagées, incendiées, ne l'ont pas
été, le plus souvent du moins, dans une idée d'appropriation
systématique des biens, mais par suite d'un systf>me de terrorisation inauguré contre une classe de la société ; ici, on est
en présence du crime politique pur.
Les auteurs se sont eCforcés de trouver une formule qui fixât
les caractères du crime et du délit politique. Parmi ces définitions générales, il n'en est guère qui soient satisfaisantes.
D'après M. Fiore. « Les délits politiques sont reux: qui troublent l'ordre déterminé par les lois fondam entales de l'Etat, la
distribution des pouvoirs, les limites de l'autorité de chaque
citoyen, l'ordre social, les droits et les devoirs qui en dérivent t.,, Nous ne cilerons que celle énonciation qui parmi
3
d'autres est une des plus concises et des plus compréhensives •
M. Fiore convient « qu'en théorie l'idée juridique du délit politique n'est pas déterminée avec précision ». Il estime que
ce qu'il y a de mieux à faire c'est de laisser aux magistrats
le soin de décider du caractère politique des infractions ' .
' La distinction entre les crimes politiques et les crimes communs P11 rul
trop difficile à démêler, et les Chambres Belges rerusèreut de livrer les individus de la Commune. - Cu. lies Députés, du 31 mai iSlL
' P. Fiore. - Dr. pénal internat. p. 592.
'V. Ortolan, n• 116. 'frébutien. - liaus, Principes du Dr. pénal Belge,
t. 1, p. l!43, n• 329 el suiv. 2m• Mit. - Teiclunann in Rev. du Dr. internat. et
de Dr. comparé, 1879, p. 475.
' P. Fiore, loc. cit.
�DE LA LIBERTB INDIVIDUELLE DE L'(nRA.NGER EN FRANCE
UROlT F RA NÇAIS
D'une formule précise dépend la garantie de la liberté du
fugitif politique. S'il est difficile de trouv er une définition applicable à tous les États , quelle que soit leur constitution , au
moins peut-on s'efforcer , en r.e qui concerne la France républicaine, de recher cher une r ègle pratique satisfaisante
§ III. -
1
•
L'ÉTAT REQUIS APPRÉCIE L A NATURE DU DÈLlT
Le droit conventionnel s'accorde à laisser l 'appréciation du
crime ou délit politique à l'État r equis. C'est la une donnée
constante dans le problèm e à r ésoudre 2 • Un g ouvernement
1 Rapport de la Commission anglaise sur l'extradition. - Report or the
Commissioners, London, i87R, p. 7 et suiv. - " Tl est vrai qu'il est de l'intér êt de chaque nation de maintenir la paix et l'ordre intérieure, en assurant
la soumission de ses sujets au gouvernement établi. On ne peut g uère dire
cependant qu'une nation quelconque à un tel intérêt à conser ver une for me
spécial de gouvern ement ou une dynastie déterminée, q u"elle doive fair e
ca~s~ commune e vec ce ll e forme ou cette dynastie contre les délinquants
poli tiques. Le rebelle qui trouble la tranquillité de son pays, qui provoque des
désordres dans des vues intéressées et sans s'iuquiéler des malheurs qu'ils
e~lra!nent, est sans do ute fort odieux; l'histoire et l'expérience oous en seignent cepe~da~t q u'il y a des cas exceptionnels où les motifs les plus noLies pe uvent mspirer la résistance à l'usurpation el à ln tyrannie où l'insur"é
0
même s'il succombe, échappe à t oute condamnation et comma~de même
sym~alhi~. Il doit toujours être d iffici le à un pays de prononcer entre les
partis qui sont mêlés aux dissensions politi'Iues d'un autre pays. JI y a plus
· . .11 peut ee produire des vues divergentes•
· 1a d"1scorde c1vlle,
là mêm
. e ou' surgit
au 8 ~Jet d~ la justice ou de l'iojuatice de la cause. Peut-être est-ce à ces
co~idératlons que le sentiment générol de l'hum anité est con traire ô. l'idée de
punir ~e la peine ou de toute autre peine grave l'exilé politiqu e. Ce n'est pas
une mmce pe~ le , ce n'est pas une légère punition pour un tel homme que de
perdre lo patrie pour loquell e il a risqué sa vie et l 'on peut parfaitement
' où il a cherché un refuge.
1 s é"
tolérer q~'1
Journe tranquillement dans la con trée
1 ~ faudrait donc conse rver le prin cipe jusqu'ici adopté d'exclure de l'extradi•
t ion les délits qui ont un caractère polili'lue. »
.
'La discussion la plue ré cent e sur 1n question
se Lro uve duns l'ouvrage de
M. Bernard
• .t · .Il • p · 270 e t sui· vantes . L•auteur conclut en exprimaa l le vœu
,
1
que appré~iation du déli t oppartienne à l'État requ éran t ; mais c'est là précisf>ment la difficulté.
.
de cette 1·dé e, que les nalloas,
M. Bernard part
après avoir rédig6 chacune
.
.
pour e Ile sa hale de d élit~· port•
afin de ne consentir
1 1quce, s 'entendraient
1:
r épublicain libre dans son appréciation pourra don c considérer
la demande d'extradition comme visant un fait politique, lors
que l'individu réclam é excipant d' une intention politique, il sera
m anifeste que la pensée politique de cet injividu n'aurait pu
se r éaliser légaleme nt d'aucune façon ou qu'il n'avait point la
facult é d'user d'autres procédés que ceux dont il s'est servi.
L'autorité chargée d'apprécierl'acte du sujet réclamé , est amen ée ainsi à considérer la constitution de l'État r éclam ant ; cet
ex amen , b.i en entend u , n'implique au cune appréciation sur
la legitimini ou l'illégitimit é de la consti tution de l' État étranger.
Evidemment c'est adme ttre le pr incipe que toute manifestation de la pensée politique est libre; c'est un droit de l' homme
que cette pen sée se fasse j our, n ulle entrave ne la peut r~ten ir.
Cette théor ie, nous en convenons, n'est admissible q ue dans un
État r épublicain .
Lorsque des particuliers auront été occasionn ellement lésés
dans leurs biens, leu r per sonn e, par l'actè qui motive la dem ande d'ex tradition , il n'y aur a pas à se demander si le délit
commun est principal ou secondai re, en d'autre terme s' il prime
ou non le délit politique, cette distinction ne conduil à aucuue
solution : suivant le syst ème que nous exposions, au cas de
connexité, l e re rus cl' extradilion dépen dra u niquement de
l'impossibilité où se trouvait le sujet r éclamé de traduire diftoutes extraditions, sauf celles visant des faits exceptés dans le répertoire des
délits politiques de l'Etat requérant, ou bieu encore des faits qui flgurer ait:ot
comm e po liliqu es dans le répertoire de l'Etat requis, alors mêmu que l'Etat
r equéraat les coosidérerait comme faits communs. Si nou;; a'"ons bien saiei
&on système, cela nous parait bien de la complication pour arriver il peu
près au résultat de ln pratique eu vigueur.
Dans ce sy~lème, il fout admettre la poseibilité d'arrêter on e liete des crimes
et délits politiques ; c'est mécoo nultre le caractère protéiforme de ces délits ;
c'est supposer l'immuabilitè des princi pes de gou'l"'ernemenl, immuo.b1hlé qui,
si ell e existait, serait fatale au progr\.ls.
A la vérité ce ne pi?ut ~tre que l'État requi~ qui, en matière politique, bien
enlcnduau seul point de vue de l'e:i: lradition, peut apprécier le car11ctère du Mlit.
Jamais l'opinion n'accepternque l'appréciation du déli t dépende de l'Elatinlére1~è.
�56
DROIT FRANÇAIS
féremment sa pensée et de la conduire à réalisation. La manifestation de la pensée politique «par le fait i> peut ainsi, suivant le cas, donner lieu ou ne pas donner lieu à l'extradition.
Disons que si l'acte n'a été commis que dans l'intérêt d'une
politique personnelle, égoïste, exclusive, point de doute que
son auteur puisse être livré. En effet, dès qu'un tel individu
n'aura pas introduit une idée politique, différente de celle qui
soutient le gouvernement qu'il attaque, cet individu n'aura
simplement cherché qu'à substituer son propre despotisme à
l'autorité existante, rnns avantage pour les libertiis publiques.
En pareil cas, seuls les intérêts lésés et communs devront être
considérés, et l'auteur d'un coup d'État, pour l'appeler par
son nom, sera livré comme un vulgaire malfaiteur 1 •
Quant à ces faits qui ont récemment ému les pays d'Europe,
soit une tentative de déraillement d'un train oû périssent des per1
Fera-t-on une objection tirée de la conduite du prince Bonaparte au 2 dé-
ce~ra? Si les événements avait tournédiliéremm&nt, si les actes du prince n'avaient réussi à le faire s'emparer du gouvernement ; en cas de fuite à l'étran~er, ~n extradition de vait être 11ccordée. Pense-t-on qu'il eut pu arguer de ao n
1
nt.ention de restaurer la liberté, en restituant à la nation le suffrage universel
qu une assemblée maladroite et impolitique venait de retirer. N'élail-il donc
pas possible de rendre à la France Je vote universel sans corrompre les
troupes, sans les ruer sur la peuple el sans mort d'hommes. De tels actes
au.tori~aient l'extradition . li n'est pas de douta que le but politique que le
prrnce n'eùt pas manqué d'invoquer pouvait être atteint par d'autres voiet>.
Sous le Consulat, un individu dispose une machine infernale formée d'un
baril de poudre destiné à faire explosion au passage de Bonaparte, premier
consul, se rendant à !'Opéra : l'appareil est trainé par une femme qui ignore
le danger qu'elle court. L'explosion la tue. Considérera-t-on l'homicide de
cette .femme ou le crime politiqu e. Dans le systèwe que nous indiquions, c'est
cert8.!nem ent l'homicide vulgaire qui esl à consid érer, car il y a là une existen ce étrangère au dessein politique froidem ent sacrifiée · en cas de fuite du
meurtrier, l'extrad ition s'imposait. L'explosion du palais d~ Tzar en Russie>
lue ~e nombreuses personnes, l'empereur échappe par hasard : ici l'intention
· ·d ea est complexe, il vise principalecnent J'r mpede 1auteur de tant d 'h om1c1
reor, mais aussi l'entourage qui eoutient une polilique détestée; il faut épou·
· ·
· el les v1ct1mes
vanter la troupe. même q11·l garde 1e pu 1ais,
paruu· cli c
faites
ser~~nt le des~ern poursuivi. Le crime ai atroce qu'il soit, demeure purement
pohl!que, et n'autoriserait pas l'edradilion.
1
DE LA LIBERTÉ INDIVIDUELLE DE L ÉTRANGER EN FRANCK
57
sonnes inùifferentes, contre lesquelles l'action homicide n'est
point dirigée, l'auteur de l'acte ne pourra soutenir qur~ lui
était impossible d'atteindre autrement la personne umque
qu'il visait. S'agit-il d'une accumulation de matières explosives et d'explosions comme celles qui terrifièrent l'Angleterre
dernièrement : ici la pensée politique vise une société entière
et le but poursuivi, avoué par les auteurs de ce~ actes, n'est
pas réalisable d'autre façon que par des procédés de terrorisalion, leur action demeure purement politique et ne saurait
donner lieu à l' extradition. Il est vrai que M. Francis Wharton ~st bien loin de notre opinion : << On doit écarter, dit-il, de
l'application du terme politique, l'assassinat ou la transmission
de dynamite dans le but do produire des explosions devant
être fatales à la vie humaine.» (Journ . de Dr. iutern. privé,
i883, N° VII-VIH, p. 375).
Toutefois, s'il est démontré qu'une association éversive de
forganisation actuelle de la société étend son action sur tous
les Etats et que ses membres coopèrent à une œuvre unique,
la question change d'aspect.L'objet de r.es actes est au-dessus
des formes du gouvernement, il n'y a pas lutte politique proprement dite, mais guerre ouverte, avec des troupes antagonistes en position vis-à-vis l'une de l'autre; c'est le conflit de
deux pensées sociales, le terrain de la lutte est la surface même
occupée par la société . L'extradition est dès lors une arme
de guerre entre les mains des autorités actuellement déléguées
au pouvoir, mais n'a poiut de fondement juridique.
Si l'on reprochait au système qui vient d'être exposé de ne
tenir aucun compte d'une philosophie fondée sur la morale;
on répondrait par ces paroles de M. Guizot: a L'immoralité
de ces délits (les délits politiques) n'est ni aussi claire ni aussi
immuable que celles des autres ; elle est sans cesse travestie
ou obscurcie par los vicissitudes des choses humaines, elle varie selon les temps, les événements, les droits et les mérites du
�1
58
DE LA LIBERTÉ I NDIVIDUELLE DE L ÉTRANGER El' FRANCE
DROIT FRANÇAIS
!)9
Pouvoir ; elle chancelle à chaque instant sous les coups de la
contracté une obligation de service p ersonnel qu'il ne lui est
force 1 • »
p as possible de r acheter . "
M. Sappey s'élève avec non m oins de force contre l'extradition qu'il qualifie de • droit cruel, usage barbare que nos
m œurs adoucies ont restreint dans les ~plus étroites limites.
L'extr adition ne s'accorde plus g uère aujourd'hui que lors-
SECTION IV .
E xamen théorique de l'extradition .
§. 1. -
qu'il s'agit de ces crimes qui offensent l'hum anité et dont la
r épr ession importe à tous les peuples. Des t raités conclus par
CONDITION DB L'ÉTRANGER AU P OI NT DE VUE PÉN.U
la Frence avec plusieurs nations de l'Eur ope en ont assuré la
r estriction salutaire ; on ne la demande qu'avec répugnance,
on ne l'accorde qu'Avec regret, et l'Europe, que les commotions successives dont elle a été le théâtre ont rendue tolé-
La situation juridique du m alfai teur étran ger devan t les
tribunaux r épressifs n'offre rien de particulier : procédure,
instruction, jugement ne diffè rent point do ce qui se passer ait
s' il s'agissait d'un national. Le co upable est arrêté , condamné,
r ante, l'a, d'un accord à peu près unanime, proscrite en matière politique . Disparaîtra-t-elle complètement un jour? Au
m ois de juin t83 1, il avait été déclaré, au nom de la Fran ce,
puni dans les mêmes conditions qu'un régnicole.
Si au contraire le malfaiteur s'est dérobé par la fuite à la
répression qu'il doit subir , et a cherché iefuge à l'étran ger,
son extradition donne lieu à des questions intér essantes au
point de vue spécul atif, et c' est à ce point de v ue que nous
allons nous placer ici.
§. JI. -
FONDEMENT ET LÉG lT IMITÉ DE L'EXTRADITION
Le droit sur lequel repose les mesures qui nous occupent, a
r
qu'elle ne demanderait ni n'accorderait jamais plus l'extradition. Pourquoi a-t-on été infidèle à ce principe? Pourquoi la
t~rre de France ne sauve-t-elle pas le suppliant, comme elle
affranchit l'esclave qui la touche. Serait-il donc si regrettable
que le territoire de chaque nation, devenu sacré, fut un asile
dans l'antique et r eligieuse acception de ce mot? S'il faut nn
châtiment, n'ost-ce rien que l'exil? Les anciens le permettaient
connues et voici quelques passages 1 les plus saillants, t irés
des ouvrages des publicistes.
à l'accusé qui désespérait de sa cause, et la patrie croyait
1
avoir assoz puni le coupable qui ne devait plus la revoir l> •
La théorie de M. Sappey et Pinheiro-Ferreira diffère peu dans
ses conclusions de celle de!' partisans de l'exterritorialité de la
loi pénale, parmi ceux-ci M. Brouchanù t ~ui, considérant le
M. Pinheir o-Ferreira t; r ésume ainsi son sentiment " ... D'a-
malfaiteur comme justiciable de tous les tribunaux du monde,
été différ emment apprécif, il a ses détracteu rs violents comme
de chauds partisans. Les opinio ns extrêm es m éritent d'être
~rès ~e .que n ous venons de dire, il est facile de conclure q ue
Jamais Il ne peut Y avoir li eu à extradition, si ce n'est da ns
. volon tai. rement
· cu d , avoir
le cas où le défenseur sera'1t convam
Guizot, Discours sur la peine de mort, i 821.
'Revue Etrangère, t. 1, p. 65 .
t
j uge l'extradition inutilo.
L'extradition se pri'sente sous un double aspect juridique
qu'il faut disting uer, le droit de l'État requérant de r éclamer
1
Condition des élrnngers en Frnnce, 3m• partie, p. 306.
1
De l'exlradllion, p.
3~.
�DE LA LIBERTÉ INDIVIDUELLE DE L'ÉTRANGER EN FRANCE
60
que le caprice seul des gouvernants suffirait à r endre valable
DROIT FRANÇAIS
un individu, et le droit d'obligation de l'lttat requis de déférer
à la demande qui lui est faite.
Les auteurs dont nous venons de parler nient l'un et l'autre
droit, un plus grand nombre s'entendent bien sur le droit de
l'État requérant, mais différent de sentiment sur l'obligation
de l'État requis. - Dallo:;. Rep . T1·aité, N° 270. « Le m ême
intérêt général doit déterminer le souverain d'un État à abandonner un coupable dans l'intérêt de la sécurité de son voisin
il Y a un second intérêt non moins évident, c'est celui del~
r éciprocité. » Fœlix, dit que l'Axtradition est subordonnée à
des considé rations de convenances et d'utilité réciproques.
1
Warthun et Baus ne voient que l'utilité qui r essort de l'extr~dition, ils la trouvent par là-même assez légitime pour la
faire demander et consentir entre États .
. M. Ph~limore, l'auteur d' un traité des plus complets de droit
mternat1onal s, considère l'extradition comme un acte de bon
procédé, de nation à nation, de pure courtoisie m ais il semble
'
lui dénier un fondement juridique.
D'autres écrivains, Martens, Hefter, et Philimore se préoccupant surtout de l'obligalion de l'État r equis, Ja font dériver
uniquement de la iettre des traités. La convention d'extradi- tion
• l'acco r d d e vo 1onté de deux pays su r un
. ,
. est, un contrat
ObJet determm e, le lien de droit est formé, il fait naître l'obligation de livrer le coupable. Il nous paraît di fficile de voir là
un fondement juridique de l'obligatio~ de livrer . il no nou s
est. pas d~montré en effet que l'obj et du contra; soit licite .
pas • l'ob'Je t d u contrat ici, c'est la remise
Qu
• on. ne. 1.oublie
d un ~ndlVld~, malfaiteur ou supposé tel, soit, mais d'un ê tre
~umam. O_u est-ce don c qui l égitime un tel m arché? Est-ce
.a convention par sa seule vertu ? il faudrait alors admettre
1
1
Dr. Criminel, n• 7l6.
Jnltrnational Law.
61
1
toute espèce d'accords •
Grotius avait dit : « Le droit qu'a l'État de punir le coupable
ne doit pas être entravé par l'autre État, sur le territoire duquel réside l'inculpé : au contraire, il doit le punir ou le livrer
au pays qui le réclame pour le punir n. Cette proposition
exprime la v érité, elle se fonde sur la légitimité du droit de
réprimer, droit que rien ne doit venir entraver, qu'on invoque la justice universelle, oomme l'a fait si éloquemment
M. Faustin Hélie, ou simplement l'intér êt de la défe nse sociale.
u Le Pouvoir social, dit M. Faustin Hélie, dans le sein de chaque société , a le droit de joindre son action, dans certaines limites, à l'aclion de la justice étrangère, soit pour aider dans
un intérêt génér al à l'application des r ègles de la justice universelle, soit pour maintenir l'ordre et la j ustice de son propre
pays ; ce devoir lui est à la fois imposé et par la loi morale
1 Fiore fait voir combien d'ailleurs, est dangereuse en pratique la théorie
qui foit dépendre le principe de l'extradition, uniquement du traité. li cite
une décision du Conseil pri,·é en Angleterre. « Un chinois, réfugié à HongKong (colon ie anglaise), et accusé d'avoir assassiné en pleine mer, le capitaine
d'un n avire fran çais, était réclamé par la Chine au gouvernement anglais. La
demande ayant été soumise au Conseil privé, il fut décidé qu'on ne devait
point accorder l'extradition. Cette décision fut basée sur le traité d'extradition
existant entre la Chine et l'Angleterre. On lit dans ce traité : « Seront livré•
par l'Angleterre, les chinois réfugiés à Hong-Kong et accusés de crimes ou
de délits contre les lois de la Chine. " Le Conseil, se fondant sur la lettre de
la convention, en déduisit qu'on devait entendre comme prévus par celle-ci,
lee crimes et délits ordinaires commis par un chinois en Chine, et réprimés
par la loi chinoise, mais non point ceux qui étaient prévus par les lois élraogères. D'apr ès lui, l'assassinat ayant été commis en pleine mer sur un navire
français, constituait un crime contre les lois françai8es et non pas contre
celles de la Cbine. Comme conclusion , l'extradition fut refusée, bien qu'en
fait, le chinois contre lequel elle était demandée par son propre gouvernement eùt été l'instigateur d' une sédition de trois cent dix coolies chinois a
borù du navire français la Nouvelle Pi!11élope, et que les rebelles eussent massacré le capitaine et une partie de l'équipage, se fussent emparés de la caisse
et eussent jeté sur la côte et abandonné ensuite le navire. Il est véritablement
déplorable que la lettre morte d'un traité, ail été le motif d'un refus d'extradition dans des circonstances graves. »
�1
62
llROIT FRANÇAIS
et par l'intérêt de sa conservation. Voilà le fondement de l'extradition. » - L'idée spiritualiste qui domine l'œuvre entière
de notre plus grand criminaliste explique cette théorie de la
justice universelle 1 • Elle est cependant trop étroite, et ne per' Pour ceux qui conçoivent plue aisément un système pénal, uniquement
fondé snr l'intér êt tangible de la défense des Sociélés, ignorent les mystères
de l'activité morale de l'homme, et ne peuYcnt voir en lui q u'un être utile ou
nuisible à la collectivité, pour ceu.:t-là, la seule doctrine utilitaire offre un
guide toujours sfir. Cette théorie que noue adoptons, d'après Helvétius, Bentham et Com te, est incessamment justifiée par l'observation. La divergence
des systèmes de Droit Pénal, la variélé des législations criminelles, prouvent
bien que celle théorie est en harmonie avec des besoins différents en chaque
endroit, qu'elle est moulée sur les néceseitée, qu'elle satisfait à l'utile, tel que
chaque groupe social le comprend. Noue som mes trop séduit par les termes
excellents dans lesquels M. Ch. Antoine, l'annotateur de Fiore, défend la
doctrine utilitaire du reproche d'être anti-juridique, pour ne pas citer en
entier l' une de ses notes. " Si, en efl'et, la loi émanait d'une autorité supérieure et infaillible, ou bien si elle sortait toute armée, immuable et éternelle
de la raison humaine, comment se ferait-il qu'elle aille se modifiant et se
perfectionnant sans cease? Dans le système utilitaire au contraire rien de
p~us simple que de rendre compte de cette évolulion: A l'origine,' l'homme
vit d'une vie nationale restreint e, n'a qu'une culture intellectuelle peu développée, el ne voit rien au-delà des intérêts de sa tribu ou de sa nation . De
là, so~ peu de souci des intérêts des étrangers, qui lui paraissen t oppo~és
aux siens propres. De plus, les classes aristocrutiques et les autorités religi~uses, primant le reste des me:nbres de ln société, dont elles sont la base,
voient dans leurs propres intérêts la chose la plus précieuse à sauvegarder et
fon t consacrer juridiquement leurs priTilèges. Mais à mesure que lea rapports
de l'homme s'étendent, que les peuples ont des relations plue étendues hors
de leurs fronti ères, que les cla~ses aristocratiques disparaissent, et qu'à l'intolérance succèdent la tolérance et la liberté religieuse la loi elle aussi se
'
'
tous' les
également
1 e, sauvegarde les intérêts des étrangers et protège
n:io dïi
citoyens, sans distinction de classes.
Dans la doctrine utilitaire, l'acte devient répréhensible, quand il est de
éd'1atement ou par voie de conséquence, aux individus
·
· 1mm
nature à n u1re
composant la nation. Autrement dit, le fait est jugé d'après ses elrets. Ce fait
• t de l' empêcher de se r eproduire, en
· d re, ces
étant donné, le bu t à atte1n
délou~nant, par l'exemple du châtiment du coupable, les autres m embrea do
.
la. société de le . commettre, ce 1a d ans 1a mesure du nécessaire,
en proporchâtiment doit
ce
plus
De
délit.
du
celle
à
peine
la
de
tionnant la gravité
' aflo de le ùt!tour-'
· pour but d'amender le coupable,
autant que possible , avoir
ner de nuire de nouveau aux personnes qui lont partie ùu groupe social.
Comment, dès lors, les parliso.ns de celle thcorrn seraient ils awcucs à. pré
DE LA LIBERTÉ INDIVIDUELLE DB L ÉTUNGER EN Pl.ANCE
63
mettrait pas d'extrader les auteurs de bien des actes qui compromettent la sécurité de certaines sociétés.
tendre qu'il soit indifférent de voir se réfugier dans leur pays des homicides,
des voleurs, des banqueroutiers ou des individus coupables de viols ou
d'uttentats à la pudeur. Ces individus apporteront peut-être leurs capitaux
et leur industrie ; mais aussi, ils y -viendront avec leurs habitudes criminelles.
Par conséquent, ils pourront d'autant mieux se rendre de nouveau coupables
dans Je paya où ils se sont réfugiés, des crimes qu'ils ont déjà commis à.
l'étranger, qu'ils y seront encouragés par l'impunité assurée à leurs premiers
méfaits. De plus, le seul spectacle de leur impunité deviendra un mauvais
exemple permanent pour les citoyens, qui espéreront pouvoir, comme eux
échapper par la fuite au juste chdliment de leurs délits. Du reste, il va de
soi, que le pays qui accueillerait ainsi en aveugle des malfaiteurs, s'exposerait à les voir tous accourir sur son territoire et à multiplier ainsi les bons
résultats qui seraient la conséquence naturelle de leur présence. Singulier
utilitarisme, en somme, que celui d'un Etat, ouvrant une telle école de vertu
et faisant un calcul aussi clairvoyant de ses intérêts. "
Non seulement la théorie utilitaire n'est point anti-juridique, maie si l'on
envisage les rapports de la société avec quelques· uns de ses membres, il est
impossible de se rallier, avec conviction, à la doctrine d' une prétendue justice universelle, s' exerçant au nom du bien et du mal. Dans cette société
spiritualiste, on ramasse au coin des rues des hommes, des femmes, dea
enfants morts de faim, morts de froid, morts de maladie.
Ose-t-on prononcer l es mots de manquement à la loi morale, de la part de
ces pauvres hères, qui constituent la classe des matraiteurs. La leur a-t-on
fait connattro, la leur a-t-on montrée quelque part, cette loi? Quelle notion
veut -on qu'en ait l'homme, poussé daos les bas fonds sociaux, grandi dans
des conditions d'éducation déplorable, el quelle langue vient-on lui parler.
S'il a originairement la notion de l'idée morale, elle est Tite faussée, pertur
bée, troublée, anéantie dans un milieu de misère et de débauche et c'est alors
la société qui est criminelle, de frapper cet homme, au nom d'une loi morale
qu'il ignore, ou qu'il n'est plus capable de comprendre.
Cette terminologie prétentieuse doit s'effacer, déjà elle disparait. La loi du
châtiment devient loi de préservation, de conservation sociale. Loi rigoureuse,
iniq ue elle aussi d'une autre façon, maie indispensable. La loi répressive est
le ciment des aB&ociations humaines, en dehors d'elle, la désagrégation est
imminente, elle puise donc sa légitimité dans sa nécessité inéluctable.
Enfin, peut-on ne pas songer combien la scien ce devient circonspecte, dans
l'appréciation de la responsabilité. Est·ce de"aut le problème de la pleine
conscience des actes, ou devant cet autre, de la résistance de la volonté au.:t
impulsions 1, que l'on pourra parler d'observance ou de méconnaissance de
la loi morale. Il faudrait au moins, avoir une mesure dynomométrique de la
1'olonté, pour se prononcer sur la responsabilité. La volonté a ses maladies
l, Maudsley. Le Crime et la F oliü.
�DROIT FRANÇAIS
Quand il s'est agi de caractériser le prindpe de l'extradition
à l'une des récentes r éunions de l'i nstitut de Droit Internatio nal, la première formule proposée par M. Renault, au nom de
la commission et votée à Bruxelles, était ainsi conçue ; << L'obligation d'extrader repose sur l'intérêt commun des É tats et sur
les exigences d'une bonne administration . » La seconde formule était ainsi r édigée: cc L'extradition est une opér ation conforme à la justice et à l'intérêt des États, puisqu'elle tend à
prévenir et à réprimer efficacement los infractions de la loi
pénale. » Celle-ci fut admise par l'Institut . Comme le fait remarquer M. Bernard, cette formule est générale et n'est point
exclusive des infractions qui peuvent être spéciales à cer taines
comme tout autre centre d'activité cérébrale et une ataxie particulièr e peut
troubler nos actions. Dans quel trouble et quelle perplexité les faits récemment démo ntrés de la suggestion mentale, n e doivent-ils pas jeter l'esprit
du criminaliste, nous parlons de celui qui déserte une psychologie sentimentale et littéraire, pour la physiologie et la science positive. Jusqu'ici, la
connaissance de la responsabilité humaine, échappe au législateur.
Il est plus modeste et plus exact de dire, que la loi pénale n'est faite qu'en
vue de la conservation de la Société, et non de son amendement; - et, dr.ns
la réalité des choses, autant de pays, autant de législations pénales. Tel acte
est ici puni ou nép;ligé, suivant qu'il nuit ou ne n uit pas à l'organisation particulière d'un groupe humain. Qua.nd les sociétés étaient théocratiques, on
imhginllit des crimes contre la divinité, c'était le moyen de défense personnelle
du prêtre, quand la société était fond ée sur des distinctions de classes, les
atteint~s à la classe privilégiée étaient plus sévèrement réprimées. Lorsque
le progrès dans sa marche eut balayé et la eociété religieuse et la société de
caste, la loi pénale est devenue égale pour tous. Mais l'ignorance, cause des
précédentes erreurs, n'est pas entièrement dissipée, les erreurs actuelles sont
seulement d'un autre genre. On peut espérer que la science positive envahissant tous les domaines, même celui du Droit; à des institutions empiriques
ou mystiques, substituera des institutions rationnelles. La loi ne frappera
plus, par exemple, de peineJ afDictives et inramantes, les acteurs des drames
de la jalousie ou de l'amour dédaigné, malades fr~ppés d'affections de l'encéphale. Si les explosions de sensibilité de ces malades, autorisent la société à
s'en garer, la société n'est point autorisée à leur faire subir de déchéances
dans Io. vie civile, ni à les mo.rquer d'infamie. La loi ne punira plus de mort
l'infanticide, comprenant enfin, l'énorme disproportion entre la r épression
et le préjudice souffert par la société; crime, d'ailleurs, dont la société e&t la
première complice.
DE LÂ LillERTÉ l NDIVtDUELLE llE !.'ÉTRANGER EN FR ANCE
65
nations t . C'est là un point intéressant à noter qui montre la
préoccupation de satisfaire à des nécessités impérieuses, mais
essentiellement variables suivant l'état politique.
A l'égard de l'État requérant, l'extradition se légitime donc
par la nécessité de faire respecter la loi pénale, la loi de
conservation. A l'égard de l'État r equis, le fondement de son
droit de livrer r éside dans la solidarité et dans la communauté d'intérêt qui unit les nations civilisées.
§. Ill. -
L'EXTRADITION EST IND~PENDANTE DES TRAITÉS
Le traité n'est donc point de l'essence de l'extradition. Il ne
faut voir dans le traité que le 11 r èglement du devoir juridique et réciproque existant entre les États. »
Sans dou te, hors d'un traité, il ne saurait y avoir de moyen
de contrainte contr e u n État qui se refuserait à livrer un individu r éclamé, mais là n'est pas la question, il suffit d'établir
qu'en dehors d'une convention, rien ne s'appose à la r emise
d'un malfaiteur dont les habitudes sont un danger permanent
pour l'État dont il est hôte. Le gouvernement qui extr ade fait
un acte de souverain eté, et l'homme qui s'est mis en guerre
ouverte avec la société ne peut invoquer aucun droit, élever
aucuM juste réclamation, à propos des mesures de précaution dont il est l'objet. Par cela même qu'il est reconnu coupable ou simplement accusé, il est suffisamment suspect:
l'extradition est légitime. En vain prétendra-t-il n'avoir point
offensé les lois du pays de refuge, il constitue un danger , il
)
doit être éliminé.
En étudiant plus loin la matière de l'expulsion nous verrons
combien est différente la condition de l'homme qui p.borde la
frontière d'un pays, pur de toute accusation, se conforme
aux lois de l'État, de celui signalé dangereux. Celui-là a un
1
Bernard. Trait é de !'Extradition, t. II, p. 23.
�DE LA UBERTÉ INL>IVIDUELl,E DE L'f:TRANGER EN FRAl'iTP.
DROIT FRANÇAIS
66
ce que c'est là et non ailleurs que les hommes !'ont contraints
de léser un particulier, pour prévenir une atteinte à l'ordre
public. » - En cette matière, il faut aussi se garder de tomber
dans une autre erreur, celle des auteurs qui voient dans la
loi pénale une sorte de statut personnel qui suit le citoyen
en quelque lieu qu'il aille, et le rend justiciable de ses actes
devant les tribunaux de son pays. Disons que cette opinion
est incompatible avec l'indépendance <le la personne humaine.
A propos des actes de la vie civile, que le national résidant
au dehors, soit tenu d'observer certaines formes, rien <le plus
naturel, car à son retour il importe de connaître sa qualité ju_
ridique ; mais, il conserve sa pleine indépe11dance dans les
actes qui n 'affectent en rien les rapports qu'il aura plus tard,
dans sa patrie, avec ses concitoyens. A plus forte raison,
l'étranger qui aurait commis, hors de France, des actes criminels ne tombera sous le coup de nos lois répressives qu'autant
qu'il aura porté atteinte aux personnes que nos lois protègent,
ou que ses menées auron t été préjudiciables à l'État luimême.
droit imprescriptible au séjour qu'il choisit car, avant d'appartenir à un groupe social quelconque, le sol est à l'homme.
. §.lv
DES CIRCONSTANCES DE LIEU QUI PLACENT L'ÉTRANGER
SOUS LE COUP DE LA RÉPRESSI ON
Le théâtre des infractions à la loi pénale est plus souvent le
territoire de l'État requé.rant. D'autres fois le crime ou délitest
commis au dehors sur nos nationaux, ou bien des machinations sont dirigées de l'extérieur contre la sûreté de l'État.
Dans ces dernières hypothèses, quelle est l 'étendue d'action de
la loi pénale ?
11 faut de suite distinguer la juridiction pénale d'une part,
c'est-à-dire la mise en pratique de la loi pénale, d'autre part,
l'empire de cette loi. - A la frontière expire la souveraineté
de l'État et le droit de juridicti0n, mais l'empire de la loi pénale s'étend au delà. L'action de la loi pénale, s'exer~.ant dans
les limites des frontières de l'État, a fait dire qu e celte loi est
territoriale. Ce point a été l'obj et d'une g rande controverse
qui n'est pas vidée à l'heure qu'il est , et qui ne le sera jamais
tant qu'il y aura deux systèmes pbilosophiques, faisant l' un
de la loi pénale une émanation de la loi morale, l'autre considérant la loi répressive comme un instrument de sécurité
sans origine extra-humai ne 1 • - On a dit, le malfaiteur est
passible de tous les tribunaux .du monde, il peut et il doit être
jugé là où il est pri s. Des auteurs considérables ont soutenu
celte théorie. Mais, c'est bien à tort qu 'on a voulu invoquer en
ce sens l'opinion de Beccaria. « La rertitnd e, dit-il , pour les
mallaiteurs, de ne pas trouver un po 11rl' de terre assuran t l'impunité aux véritables délits, serait uue manière très-efficace
de les prévenir. » Il ne faut pas tronquer les textes , plus loin
Beccaria ajoute : << Le lieu de la peine est le lieu du délit, par1
V. f . Fiore, ch.
111
où cette matière eat longuement traitée.
(jj
§. V. -
>
1
DE L IDÉE DE RÉCIPROCITR DANS LES TRAITÉS D'EXTRAD ITION
Il est de principe dans les conventions, de ne consentir
l'extradition qu'au tant que le fait, pour lequel elle est demandée, est également puni par les lois de l'État requis. Les traités, le plus souvent, contiennent l'énumération des délits donnant lieu à une répression à peu près semblable dans les deux
pays. La clause suivante est presque une clause de style.
Art. 2, in fine du traité Franco-Italien. « Dans tous los ras,
crimes ou délits, l' extradition ne pourra avoir lieu que lorsque
le fait similaire sera punissable d'après la législation du
pays à qui la demande est adressée. »
Ce principe est difficilement conciliable avec l'idée de de-
�DROIT Fl\ANÇAlS
68
fense qui est fondamentale du droit d'extrader. 1\1. Billot reconnait que la théorie par laquelle il demontre la légitimité
de l'extradition, implique la répression du délit dan~ la législation des dèux États. " L'intervention d'un État, pour assurer
la répression du délit commis sur le territoire d' un autre État,
n'est juste qul3 si ce délit tombe sous le coup de la loi pénale
commune aux deux puissances . Si cette condition n'était pas
remplie, l'intervention ne serait pas justifiée, et par suite l'État
1
requis serait •sans droit • n
Nous n'adoptons pas cette manière de voir. S'il fallait rechercher l'origine de ce prétendu axiôme du Droit d'extradition,
on pourrait peut-être la déduire de cette idée inexacte, que
l'État qui extrade fait acte d~ juridiction. Si l'État requis
fait acte de juridiction il faut, de toute n écessité, que dans ses
lois se trouve un texte sur lequel il puisse fonder son action.
Nous concèderons ceci: c'est qu'en livrant le malfaiteur, par
extension de langage, on peut dire que l'État requis fait acte
de j.m'iâiction, qu'il concourt à la répression. Mais, il ne
f~ut pas s'abuser sur le sens des mots, l'État livre le malfaiteur, parce qu'il n'a aucune raison de le garder, que celuici lui est suspect, et qu'on n'en veut pas tolérer la présence
sur le territoire.
L'État requis ne fait nullement œuvre de juridiction. D'une
part, le droit de punir étant fondé sur l' utile, l'État ·n'a pas à
se préoccuper de~ dispositions pénales r econnues utiles dans le
pays voisin; d' autre part, il n'agit pas au nom d'un texte existant rbez lui, puisqu'on peut toujours supposer le cas où
l'accusé n'a pas encore enfreint une seule loi du pays de refuge, or, là où il n'y a pas délit, il ne peut y avoir acte de juridiction. A quel titre juridique aurait-on prise sur le s uj e t réclamé? L'État requis n'accomplit qu'uno mesure pr~venti ve
.:iui intéresse sa propre sûreté.
1
Billot. Exlradition, p. 26 et 130.
1
DE LA LIBERTÉ INDIVIDUELLE DE L ÉTRANGBR EN FRANCK
69
On comprendrait que s'il s'agissait d'une loi morale trans·
gressée, au nom de cette loi morale universelle , l'État fasse
acte de juridiction en livrant l'individu coupable ou accusé,
mais tel n'est pas le véritable point de vue.
Lorsque le Droit d'asyle était le correctif naturel et néres·
saire de la barbarie des mœurs et des peines, on s'explique le
mot de juridiction. Si l'État requis extradait, il privait du droit
d'asile le réfugié, il l'en jugeait indigne, il le punissait véritablement. Mais aujourd' hui le mot d'asile ne se conçoit plus' ;
partout, le refuge inviolable qu'offrait l'asile ne peut plus
être invoqué et opposé au pouvoir souverain de l'État requis.
Un État ne pourrait se refuser à une extradition, sous prétexte que le crime ou délit poursuivi lui est indifférent, n'étant
pas prévu dans sa législation, car pour être conséquent, cet
État devra consentir à ce que ses nationaux ne soient point
protégés au dehors contre ces mêmes crimes et délits commis par les nationaux de l'État requérant. Personne n'ira
jusque là, et ce système serait contraire à la pratique élémentaire du droit des gens.
Si, comme on croit l'avoir établi, l'État requis, qui extrade,
ne fait pas acte de juridiction, qu'importe alors, pour qu'il acquiesce à une demande d'extradition, que le délit poursuivi soit
prévu ou non dans la législation del'l~lal. La théorie qui conduit
à n'admetlrn l'extradition qu'autant qu€ les délits sont réciproquement prévus dans les deux Etats, est donc peu justifiable,
de plus, elle énerve la répression.
L'opinion de M. Fiore, sur une question qui ne manque pas
d'analogie avec celle qui précède, viont à l'appui de notre système. « Au sujet rie l'application du traité, ou peut facile1 Le régime conventionnel implique, il est vrai, la survivance du droit
d'n8ile, mnis la tendance est à ln substitution du râgiwe judiciaire , au régime
diplomatique. L'extradition sera un jour réglée par la loi intérieure dci chaque pays et entrera dans le cadre des Codes répressifs.
�Dil LA LIBERTÉ INDIVIDUELLE DE L' (nRANGER EN F RA NCE
DROIT l'RANÇAIS
ment être amené à se demander, si la nature du délit doit
être déterminée, d'après la loi du pays où le délit a été commis, ou d'après celle de l'Etat requis. Rationnellement, on est
forcé de reconnaître que ce n'est pas la loi de l'Etat, auquel
est adressée la demande, qui doit être consultée. En effet,
cette loi n'est d'aucune valeur, pour servir à indiquer dans
quelle mesure doivent être réprimés les faits délictueux, commis à l'étranger. On devrait, au contraire, consulter la loi du
pays où a été commis le délit, pour en déterminer la nature.
Cette doctrine fut affirmée par le Conseil d'Etat italien, dans
son avis du 8 août 1874, à propos d'une demande d'extradition faite par le gouvernement Austro-Hongrois . ., (P. FioreJ.
Dans le cas ci-dessus, le délit est prévu, il est vrai, dans
la convention, ce n'est que la qualification, et la peine qui en
sera la conséquence, qui provoque la difficulté. Mais la difficulté est tranchée par le criminaliste Italien, dans un sens
conforme au système que nous exprimions, à savoir, que
l'Etat requis ne peut être constitué juge de l'utilité que retirerc1. l'Etat requérant, de la répression du délit.
§. VJ. -
DES DÉLITS EXCBPTÉ S LORS DE LA REMISE DU SUJET
RÉCLAMÉ
Il a été déjà question, au chapitre 1°', des réserves faites
dans les conventions, quant à la mise en jugement de !'extradé, sur certains chefs d'accusation.
Ces réserves ne nous paraissent justifiables, que si elles ont
pour but d'éviter que !'extradé ne soit jugé pour faits politiques. Mais, tel n'est pas toujours le motif de l'exception, et
les jurisconsultes ont manifesté de singuliers scrupules. Certains répugnent à la pensée d'un jugement, qui porterait sur
des délits déjà. éloignés, non découverts à l'instant de la demande d'extradition. Il leur paraît également contraire à la
71
dignité du pays extradant, que celui-ci ne soit pas appelé à
apprécier le nouveau chef d'accusation .
De tels sentiments ne peuvent se fonder que sur la théorie
surannée du droit d'asile, ou sur un amour-propre national,
peu raisonnable. M. Fiore cite la ·convention entre les EtatsUnis et l'Espagn e, du 5 juin '1877, qui laisse l'Etat requérant
libre de juger l' extradé, sur tous les chefs relevés à sa charge .
Afin de parer au jugement pour cause politique, la pratique
diplomatique des Etats-Unis décide que l'Etat requis ne se
désintéressera pas de la procédure et des débats judiciaires,
1
poursuivis dans l'Etat requér an t •
Cette inquisition sur les actes de 1' autorité judiciaire étrangère, ne nous paraît pas très acceptable. ~e serait-il pas
préférable de stipuler dans le traité, que l'extradé, mis en jugement, aura un ùroit d'obser vali on envers l'Etat qui l'aura
livré. On pourrait obliger le tribunal à rappeler à l'accusé son
droit de protester contre toute poursuite nouvelle qui lui paraîtrait se rapporter à un délit politique. Ces observatio ns se raient transmises par la voie diplomatique.
Les Etats qui tiennent à honneur de respecter la liberté individuelle, co nsentiront, sans pei ne, à une stipulatio n de ce
genre : leur protection s'étendra alors, aussi com plètemen t
que possible, sur l'ac1msé, sans compromettre cependant, par
des réserves injustifiables, la sécurité générale.
Il paraîtrait qu'une commission, nommée par le gouvernement anglais, s'es.t, dans un rapport snr la qne lion, beaucon p
éloig née des vues trad ilionnolles dn gouvernement Britannique. Elle ne rcconuatt aucu ne raison, pour qne le coupable
demenre impuni ; faisant e~n·ption pour les cri mes politiques
et les infractions à des lois d'intérèt local.
1
Fiore.
�72
DROIT FRANÇAIS
DK LA LIBERTÉ INDIVIDUELLE DE L'ÉTRANGER EN FRANCK
7ij
répr ession. - Mais est-ce l à un r aisonnement bien exact, et
faut-il associer, dans une ùépendance anstii étroite, la q ueslion
Je prescription de la poiue ou de l'action, au priucipe mème
§. VII. -
de l'extraditi on, pour r ertaines infraclio.o.s .
DE LA PRESCRIPTION
n nous reste un mot à
dire sur la prescription de l'extradia défendu précédemment est
qu'on
tion. - Si le système
exaet, d'après lequel l'Etat requérant devrait avoir seul l'appréciation de la nature du crime ou délit qui motive la demande d'extradition, les délais de prescription qu'on devra
considérer seront ceux institués dans la législation de ce
même Etat. - Il s'en faut qu'une telle solution r ésulte jus·
qu'ici des dispositions conventionnelles.
Tantôt il semble que la prescription à envisager soit facultativement celle de l'un ou de l'autre Etat - C'est ce qui
ressort des termes employés dans diverses convention!, par
exemple, entre la France et la Suisse, (9 juillet f 869), art. 9. « L'extradition pour·ra être refusée, si la prescription
de la peine ou de l'action est acquise d'après les lois du pays
où le prévenu s'est réfug ié. » Le trihunal fédéral suisse, dans
une décision du 2 aoùt 1875 , invoquait précisém ent ce
texte.
Tantôt on considèr e la prescription dans la législation de
l'État requis, c'est ai nsi qu'un grand nombre de traités, conclus par la France, portent qu e la prescription in voca ble sera
celle de l' Etat où le suj et réclam é se ser a r éfugié.
Cette dernière solution , il est vrai, est en harmonie appa rente avec le principe général des conve ntions qu e laisse
l'Etat r equis, libre de n'accorder l'extradition, que si l'infraction est punissable dans sa propre législation. En effet, la
prescription semble ne se lier qu'accessoireme nt au droit de
En admettant celte étroite dépendance , on serait for cément
amené à conclure qu e l'Etat requis décidera qu e les délais de
prescription qu'il a admis, pour des r aisons d'o rù re pu blic indispensables au maintien de sa constitution sociale, sont pareillemeut adP.quats et su ffisants, ponr mesurer Je tem ps de
la prescription, dl\ns tout autre Etat. Cette conclusion absurde
se réfute elle -même . L'o rganisation de la vie sociale des
Etats contemporains e~ t loin d'avoir une lelle si mili Lude qu'on
puisse prétendre à l'existence a bstraile d'un ordre public absolu et partout identique.
Quoiqu'il en soit, c'est une r ègle à peu près constante qu e
l'Etat r equis ne livrera pas un individu réclamé, s'il est couvert par la prescription dans la loi locale. Une anomalie j uridique déro ule de cette doctrine, au cas où l'infraction porte
une qualification différ ente dans deux Elals. C' est ainsi qu'un
individu r éclamé , pour fait qualifié r rime, bén éficiera de la
prescription attach ée au m èm e fait qualifié délit dans l'Etat
requis.
§. Vlll. -
OB U
SU BSTITUTION DU RÉGIME DE LA LOI A
L' ACTE GO UVEH NEMENTAL
L'extradition est un acte de gouvernement. Pascal Fiore
s'élève contre cetlo faculté de pou voir, si dépourvu de garan-
�73
74
DROIT FRANÇAIS
DE LA LIBERTÉ INDIVIDUELLK DE L' ÉTRANGER EN FRANCE
ties juridiques... Eu eCfet, ùit-il, ùonner aux agents du pouvoir exécutif, lo pouvoir d'apprécier la valeu r de la demande
faite pa1· un gouvernement étranger, les autoriser à ordonner
l'arrestation de l'individu requis et à le remettre entre les mains
de la justice étrangère, c'est faire la plus grande co nfusion
des droits et des devoirs do la Souvoraine lé, et c'est alltlr à
tend à prévaloir dans les institutions actuelles, de réduire, autant que possible, les actes du gouvernement. La Constitution
de 1848 disait expr essément : << Aucun traité n'est définitif,
qu'après avoir été approuvé par l'Assemblée Nationale. » Le
texte de la Constitution de 1875 permet de douter, en ce qu'il
e!!t moins explicite, mais ce n'est là qu'une négligence de
la violation la plus manifeste de la lib erté de l'homme. >1 Pour
juger un systèmtl, il faut voir ses conséquences pratiques.
Qu'arrive-t-il si l'ex tradition est un acle purement gouverne meutal ; c'est que le prévenu ue pent élever aucune protestation, soit co ntre les form es de la procédure suivie, soi t contre
la li'gitimité de la mesure dont il est l'obj et. La just~sse des
rédaction. Art. 8, Cons~it. de i875 : " Le Président de la République négocie et ratifie les traités. Il en donne connaissance
aux Chambres, aussitôt que l'intérêt et la sûreté de l'Etat le
permettent. Les traités de paix, de commerce, les traités qui
engagent les finan ces de l'Etat, ceux qui sont relatifs à l'état
des personnes et au droit de propriété du Français à l'étranger, ne sont définitifs, qu'après avoir Pté votés par les deux.
Chambres. Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de ter-
bis
réclamations ne sera accueillie, quo si tel est le bon plaisir
du gouvernement requérant. Or, il est douteux que l'Etat,
après avoir réclam.> l'indiYidu , pour une cause ou une
autre, se préoccupe de la légalité de la remise au fond et dans
la forme.
L'honneur d'un Etat exige qu'une loi intérieure, ayant presque un caractère const itutionnel po se, d'une façon précise,
les principes de l'extradition et les form es de lt1. procédure.
Plusieurs Etats possèdent cell e loi. Les traités, Jès lors, n'ont
plus, pour objet, qu'une simple promesse de livret• le malfaiteur réclam1\ à tel ou tel Etat r eq uéraut, si les co nditions de
la loi sont réalisées.
En France, l'action gouvernementale e t le riSgime conven lionoel sont. mitigés pa r lïnterveution du pouvoir législatif,
qui donne son approbation aux traités.
La nécessit? de - soumettre les1 traités aux Chambros françaiscs est contestée, e l la controverse est 0uverte. A notre
avis, il faut interpréter exteusivemeut les disposilions do l'art.
8 de la Coo stitulion do l 875 ; l'·Ps l ~e conformer à l'osprit du
texte. D'ailleurs, cela c~t en h anno11ie avec le système qui
ritoire ne peut avoir lieu qu'en vertu d'une loi. »
Depuis la mise en vigueur de cette Constitution, le Ministre
des Affaires Etrangères a toujours soumis aux Chambres les
lra~tés
d'extradition.
La négociation d'une extradition individuelle devrait être
toujours soumise au Parlement, car elle n'est qu'un traité
r estreint.
Telle qu'ello se pratique, l'intervention ùu pouvoir législatiî est certainement uue garantie, mais plus apparente que
r éelle, car les traités soumis aux Chambres ne comportent pas
la r églementation des ùétails de procédure, et celle-ci demeure, en France, purement adminislralive. Les Chambres
valident un accord international, elles prennent connaissance des délits énumérés et ne permetlraienL pas que
des délits politiques . par exemple, donnassent lieu à l'extradition. Mais, encore une fois, la procédur e purement admin\strative subsislo, e t l'on pourrait concovoir telle hypothèse,
où lo gouvernement surprendrait la remise d'un individu,
�74
bit
DROIT FRA NÇAI S
prévenu d'un crime ou délit commun, a lors, qu'en réalité, ce
délit aurait un caractère polilique. L'individu ainsi livré ne
pourrait, en France, protester devant aucuue juridiction .
§. JX. -
LÉGISLATION COlllPARÈR
La Belgique jouit, en quelques matières, d'institutions plus
libérales que n ous n'en jouissons nous-mêmes, en dépit
d'une constitution républicaine. Ses lois, dans la matière qui
nous occupe, présentent des gara nties remarquables ; et, la
prudence de cet Etal est si grande, qu'il refusa, en 1871, de
livrer à la France les individus de la Commune, prévenus
d'infractions de droit commun.
Depds 1833, la législation intérieure traçait au gouvernement les limites de son pouvoir, dans la négociation des traités. Le dernier progrès de la législation belge se trouve réalisé par la loi du 15 mars 187 4, il est difficile d'atteindre plus
de perfection , et r.ette loi mérite d'être cilée. Voici les termes
des art. 3 et 5 qui sont remarquables : « L'extradition sera
accordée sur la production, soit du jugement ou de l'arrêt de
condamnation, soit de l'ordonnance de la Chambre des mises
en accusation, ou de l'acte de procédure criminelle émané du
'
.
JUg~ compétent, décrétant formellement ou opérant, de plein
d~01t, l~ renv~~ du prévenu ou de l'accusé devant la juridiction
repress1ve, dehvrés en orig inal ou en expédition authentique .
Elle sera également accordée sur la production du mandat
d'arrêt ou de tout autre acte ayant mê me force décerné par
l'autorité étrangère compétente, pourvu que ce; actes renferment l'indication précise Ju fait pour lequel ils sont délivrés
et qu'ils soient rendus exécutoires par la Chambre du Consei;
D! LA LIBERTÉ INDIVIDUELLE DB L'ÉTRANGER BN FRA NCE
75
du tribunal de première instance, du lieu de la résidence de
l'étranger en Belgique ou du lieu où il pourra être trouvé.
Aussitôt que l'étranger aura été écroué, en exécution de l'un
des actes ci-dessus mentionnés , qui lui sera dûment signifié,
le gouvernement prendra l'avis de la Chambre des mises en
accusation de la Cour d'Appel, dans le ressort de laquelle
l'étranger aura été arrèté. L'audience serâ publique , à moins
que l'étranger ne réclame le huis-clos. Le ministère public et
l'étranger seront entendus. Celui-ci pourra se faire assister
d'un conseil. Dans la quinzaine, à dater de la réception des
pièces, elles seront r envoyées, avec avis motivé, au Ministre
de la justice.
La loi de 187& abrogeait les dispositions antérieures, à
l'exception de l'art. 6 de la loi de 1833, ainsi conçu : • Art. 6.
Il sera expressément stipulé, dans ces traités, que l'étranger
ne pourra être poursuivi ou puni, pour aucun délit politique,
antérieur à l'extradition , ni pour aucun fait connexe à un sem' blabla délit, ni pour a ucun des crimes ou délits, non prévus
par la présente loi, sinon toute extradition, toute arrestation
1
provisoire sont interdites. »
DEUXIÈME PARTlE
Expulsion de• Étrangers.
L'extradition des étrangers offre une série de problèmes
. qui se posent à peu près identiques dans tous les pays, toujours avec un caractère juridique permettant de les traiter d'une
façon abstraite et d'aboutir à des conclusions presque unaniment approuvées. L'expulsion des étrangers est un sujet
�1
DE LA LIBERTÉ INDIVIDUELLE DE L ÉTIUNGER EN l•'RANCK
76
DROIT FRANÇAIS
d'étude autrement complexe et difficile, bien qu'on en limite
l'étendue aux questions qui intéressent uniquement la France.
Ces questions s'éloignent à tout moment des régions sereines du Droit pour surgir dans la pratique de la conduite politique, économique, administrative . Or, est-il un. seul de ces
objets, économie politique, administration politique, que l' éducation n'accoutume à envisager sous un jour différent, qui ne
soit l'occasion de conflits d'intérêts les plus di vers? Parlant, estil possible d'espérer con clure en réunissant tous les suffrages
sur cette mesu re de l'expulsion, qui a un égal retentissement
dans le domaine économique, politique, administratif? Nous n'y comptons pas, mais il nous suffira d'avoir éveillé
l'attention sur des questions qui, à l'heure contemporaine, ont
pour notre pays un intérêt saisissant.
SECTION I
§. !. -
CARACTÈRE DE L'EXPULSION
L'expulsion est un acte de la puissance publique par lequel
- un individu étranger est contraint de sorlir à bref délai du
territoire d'un pays. En France c'est un acte de gouvernement. Aucune loi ne fait mention de l'expulsion à titre de
peine principale, et on chercherait inulilement un texte qui
joignit même accessoirement l'expulsion à une peine princi
pale.
L'article 272 du C. Pénal dit bien : «Les individus déclarés
vagabonds par jugement pourront, s'ils sont étrangers, être
conduits par les ordres du gouvernement hors du territoire. 11
Mais, comme on le voit, c'est une pure faculté laissée au pôuvoir. A interpréter étroitement les textes, on pourrail croire
que la décision du gouvernement, pour facultative qu'elle soi t
77
ne peut s'exercer qu'autant que certaines conditions so~t satisfaites. La rédaction de l'article désigne une calégone de
ersonnes, les vagabonds et subordonne la faculté de les ex-
:ulser au prononcé d'un jugement, qui établit une situ~tio~
juridique déterminée. Prenant à la lettre les termes de l ~rti
cle, quelques auteurs limitent à ce cas seulement la faculle du
nt D'après eu x 1 l'art 272 prescrit l'intervention
•
gouvern eme ·
préalable d'une décision judiciaire.
Mais puisque le caractère do peine fait défaut à l'expulsion,
il n'est pas exact d'inft>rer de l'art. 272 qu' une décision jud iciaire préalable est indispensable. La loi offre la facullé, la
possibilité au gouvernement de prendre une mesure, elle l'autorise à user de ratte mesure en dehors de toute intervention
du juge. Tonte mesure qui n'est point une peine, un châtiment,
peut èlre valablement prise par la puiss::mce publique, si toutefois elle n'est pas inconstitutionnelle, et si au cune loi ne la
prohibe. La liberté individuelle doit être sauvegardée, sans
doute, mais seulement dans les limites de la loi.
La loi de 1849 qui permet au Ministre de l'intérieur d'enjoindre à tout étranger voyageant ou résidant en France, de
sortir immédiatement du territoire français, n'est donc pas
la violation d'un principe de droit supérieur qu'on pourrait
imaginer, tel que celui qui veut que toute peine dérive de la
loi , et que cette peine naisse d'un délit.
L'expulsion bien qu'émanant de la libre initiative du gouvernement se justifie donc en droit pur. Toutefois, si le renvoi
d'un étran ger, du sol français, est au point de vue envisagé
jusqu'ici un acte inattaquable, nous faisons des réserves sur
}es conditions extrinsèques qui peuvent accompagner l'acte du
gouvernement.
L'expulsion est un acte de haute police dont la légalité est
incontestable, on vient de le voir : mais est-ce à dire que l'usage qui en est fait est toujow·s légitime ?
�78
DE LA LIBERTÉ IMDIVIDUELLE DE L'ÉTRANüER EN FRANCE
DROIT FRANÇAIS
Le caractère d'une mesure de police est souvent d'être arbitraire, de dépendre, non de la prescription d'un texte, mais
de l'appréciation essentiellement subjective d'un agent exécutif. Des circonstances passagères, l'inquiétude du moment,
le courant de l'opinion publique sont souvent les facteurs de la
décision à intervenir . Une mesure de police peut être équitable ou souverainement injuste. Elle peut dériver d'un caprice
ou d' une sage réflexion. Ces brèves indications mettent l'esprit en défiance contre les actes de cette nature, et il est
difficile de soutenir qu'un peuple vraiment libre en doive tolérer l'application au delà de limites bien étroites, et seulement dans ces hypothèses particulières qu'une législation, si
parfaite qu'elle soit, ne peut prévoir .
La contingence des mesures de haute police permet d'assigner leur portée sous chaque régime de gouvQrnement. Il
est aisé de discerner si elles sont prises contre les libertés publiques ou en vue de l'intérêt général ; telle mesure explicable sous un gouvernement monarchique devient intolérable
sous un régime démocratique.
L'expulsion rentre dans la catégorie de ces actes, mais
l'usage qui en est fait, comme son opportunité dans des cir.
constances données, . tombent sous le jugement de l'opinion.
Si par suite d'une lacune dans la loi , un fait estimé dangereux par la société, ne peut être réprimé doit-on rester
'
'
désarmé? Evidemment non. Supposons un malfaiteur notoirement connu pour ses méfaits commis, hors du territoire de
refuge, l'offre d'extradition n'a point abouti, raisonnablement
on ne peut exiger du pays de refuge de conserver sur son
s~I un pareil élément de trouble, il faut recourir à l'expuls10n.
Nombreuses et passionnées, sont les opinions qui se sont
faitjour sur la légitimité d11 droit d'expulser. - En certaines
79
mains, ce droit peut devenir un expédient politique. - En
dehors de toute question politique, le prindpe de la liberté individuelle n'est-il pas en jeu, et sur ce point de droit, n'est-on
pas excusable d'apporter quelque chaleur dans la controverse?
On a cherché à concilier le droit avec les exigences de la
politique et les nécessités administratives, sans doute pour rendre hommage à cette remarque de Cicéron sur la solidarité des
sciences morales et politiques. " Etenim omnes artes quœ ad
humanitatem pertinent, habent quoddam commune vincutum,
et quasi coqnatione quadam inter se continentur. » (pro Archia.) - Conciliation bien difficile dans l' état rudimentaire de
la science sociale !
§. II. -
DE L'INTERDICTION DU TEl\RITOIIŒ
Avant de discuter le droit d'expulsion, il n'est pas inutile de
s'entendre sur le droil d' un Etat d'interdire l'accès de son territoire à l' étranger.
L'État, disait-on autrefois, octroie aux citoyens la jouissance
du sol et des droits, dans la réalité la propriété du sol lui appartient au même titre qu'il dispose des citoyens. C'est sans doute
de cette idée que dérive l'opinion de M. Martens, quand il s'exprime ainsi : << Le droit exclusif de chaque nation sur son territoire l'autoriserait à en fermer aux étran ~ers r entrée, tant
par terre que par mer : par conséquent aussi à n'accorder l'entrée, le passage, le séjour qu'à ceux qui en auraient obtenu
la permission s péciale '. » Complétant cos énonciations le
0
d't~xiger
mêmo auteur reconnaît aux puissances le droit : i
de l'étranger ses noms et qualités et d'en faire la preuve au
t
Martens, ch.
111,
liv. III, §. 8•.
�80
DROIT FRANÇAIS
moyen·de passeport ; - 2° de défendre l'entrée des suspects
ou de les faire sortir ; - 3° d'excepter des classes détermi·
nées d'étrangers de cette liberté générale, soit en défendant
pour toujours, ou pour le présent, l'entréé sans permission
spéciale, soit en 11'accordant qu'un séjour limité. - M. Pinbeiro Ferreira, le libéral ardent, l'idéaliste du droit international, critique vivement Martens, il trouve qu'un gouvernement
est bien faible, bien énervé, s'il ne peut surveiller un étranger réfugié. La police préventive est commode, mais contraire à Ja liberté naturelle. D'après lui, l'étranger ne peut
ètre repoussé qu'au cas où son séjour blesse nos intérêts.
L'homme indul'-trieux doit être accueilli ; le vagabond est sous
le coup des lois, quant à l'assassin, il est averti de ce qui l'attend s'il commet des crimes. En Amérique, ajoute-t-il, où nulle
formalité n'esl exigée des étrangers, les crimes 'sont rares.
Vattel admet aussi que le seigneur du territoire peut en
défendre l'entrée quand il le juge à propos; il est maitre des
conditions auxquelles il veut le permettre. Pinbeiro Ferreira
trouve ces assertions triviales. « Non, dit-il, le droit de refuser
l'entrée aux étrangers n'est pas arbitraire. Pour l'exercer, le
gouvernement doit pouvoir alléguer des raisons conformes
au principe du juste; el il faut les alléguer devant le pouvoir
judiciaire. Le gouvernement n'est pas seigneur et maître; il
n'est que le mandataire de la Nation, chargé de faire exécuter
les lois. Or, du moment où l'étranger arrivé dans le pays, et se
reconnaissant par ce seul fait j ustir.iable des autorités locales,
invoquera leur assistance au nom des lois et nommément de la
loi des lois: le respect de la liberté de l'homme, il a ce droit de
ne pas être empêché de faire ce qui ne nuit à personne, si,
attaqué dans ce droit par les agents du po uvoir exécutif du
pays, l'étranger en appelle au jury dÙ pays, comment ces
agents pourraient-ils se soustraire au devoir de répondre de
leur conduite? Et si nulle raison d'incompatibilité avec le bien
DE LA LIBERTf: INDlVIDUEl.LE DE I. ÉTRANGER EN FRANCE
r
8t
général n'est alléguée par eux, pour justifier l'exclusion de
l'étranger, qu'est-ce qui à pu mettre à néant le droit de celuici?-:- Ce n'est donc que par une flagrante violation des droits
imprescriptibles de l'homme que le législateur du pays confère au gouvernement le pouvoir discrétionnaire et sans contrôle de renvoyer du pays l'étranger, ou de lui en défendre
l'entrée. En votant une telle loi, le législateur a abusé de
son mandat, qui lui enjoignait de défendre et de protéger les
droits naturels de l'homme devenu membre de la société, autant que l'usage en sera compatible avec les droits de tous,
Le lien de la cité est la volonté expresse ou tacite de se soumettre à cette seule condition, et cetle volonté, l'étranger la
manifeste d'une manière encore moins douteuse que la majorité des habitants nés et domiciliés dans le pays. Nulle différence donc entre eux, quant à la jouissance et à l'exercice des
droits civils, qui ne sont autre chose que les trois droits naturels d~ la sûreté, de la liberté el de la propriété garanties par
la loi du pays ; car là où il y a iJ.entité de raisons il faut, qu'il
y ait identité de situation. n (Note sur le § t OO.)
Sur un ton plus calme, M. Bluntschli, dit, (Code international codifié, art. 381) : << Aucun Etat n'a le droit d'interdire
d'une façon absolue aux étrangers l'entrée sur le territoire et
de fermer le pays au commerce général. >> Cette proposition
est l'expression de la nécessité même et de l'intérêt bien entendu des Sociétés : ce n'est point par des considérations philanthropiques seules qu'il faut justifier le libre accès des étrangers dans un pays, mais par un intérêt matériel évident et
commun, sainement dégagé. Le professeur allemand commente ainsi sa pensée : .. Le droit international civilisé a le
devoir de protéger los relations pacifiques des hommes e ntro
eux. Les anciens publicistes, parlant du principe de la sonvoraineté absolue do l'Etat,on déduisaient le droit de chaque Etat
de se fermer aux étrangers. Mais les Etats sont membres de
()
�DE U
DROIT FRANÇAIS
82
l'humanité, ils sont tenus de respecter les liens qui rénnissent
les nations entre elles; leur souveraineté n'est pas un droit absolu, elle est limitée par le droit international.
Quelques Etats ont essayé, à dilférentes époques, de s'isoler
complétement, ainsi l'Egypte dans l'antiquité, le ~apon, le
Paraguay, dans les temps modernes, mais le droit internatio·
nal ne tolère plus cel exclusivisme.
Prenons à M. Pinheiro-Ferreira sa conclusion, sans adopter
tous ses motifs, et acceptons ceux de M. Bluntschli. Ajoutons que la nature physique de l'homme l'invite à se déplacer, à croiser ses races, et que l'industrie humaine profite des arts et des méthodes propres que l'étranger colporte
avec lui. L'échange do nationaux qui s'opère naturellement
de pays à pays propage la civilisation, effaçant les préjugés de
nationalités, de religions: il n'est plus d'Etat civilisé qui refuse l'accès de son territoire, sous prétexte que l'étranger apporte un culte différent, comme on le vit au .Maroc et à Bouckara.
Le droit de traverser les frontières de quelque pays que
ce soit est un droit de l'homme ; c'est un postulat qui parait
généralement admis, puisque aucune nation n'ose interdire
formellement l'émigration de ses sujets.
L'homme peut-il aussi invoquer le droit au séjour, et les
nations doivent-elles subir la présence Je tous individus étrangers sans distinction? L'expulsion est-elle un droit qu'un pays
peut légitimement exercer ? Une théorie générale, absolue,
partout applicable semble impossible à formuler.
Restreinte à la France seulement, cette théorie soulève de
nombreuses difficultés. En e[et le principe de l'expulsion admis ; le sera- t-H d'une façon absolue et sans réserve? Quelle
autorité en devra faire l'apP,liration, sera-ce le go uverne·
ment ? l'autorité judiciaire? Quelles catégories tracera-t-on
parmi les résidants étrangers répandus dans le pays à des ti-
1.
LIBERTÉ INDIVIDUELLE DE L'KTRANGER EN FRANCE
83
tt·es si divers, si variés? La France peut-elle s'isoler, pour
règler, sans s'inquiéter des nations voisines, le sort de leurs
sujets? Une loi fixe les cas d'expulsion, l'appliquera-t-on toujours en dehors des considérations qu'éveillera à ce moment
la situation économique du pays, ou l'état de ses relations politiques avec les puissances étrangères, ou encore l'état de sa
politique intérieure?
Si l'usage du droit d'expulser est remis à l'arbitraire d'un
ministre ou d'un cabinet, n'y a-t-il pas à craindre qu'un Gouvernement de fortune, ne représentant pas l'opinion du pays,
ou simplement mal inspiré mésuse de ce droit, qu'il ne violente les sentiments les plus chers de la majorité, en éloignant
de notre patrie des étrangers qu'elle doit s'honorer de recevoir, surtoutlorsque l'accueil qu'elle leur fait est la glorification même de son régime politique?
Le premier devoir de l'étranger est certainement de se conformer aux lois du pays où il réside. Tant qu'il ne les a pas
violées, ou qu'il n'est pas notoirement connu pour un être
malfaisant au sein des sociétés, le repousserons-nous?
On verra, dans la suite, la valeur des motifs invoqués en
faveur de l'expulsion, au nom de la politique et du maintien
des bonnes relations internationales.
Le fondement du droit d'expulser un étranger, c'est la nécessité d'assurer la sécurité de l'Etat. Mais, les auteurs qui
voient dans l'exercice de ce droit le salut de l'Etat proposent
en même temps des tempéraments .
M.. Bluntschli s'exprime ainsi, (Code lntern. codifié art. 383 :)
« Chaque Etat est autorisé à expulser, pour des motifs d'ordre
public, les étrangers qui r ésident temporairement sur le territoire. S'ils y ont établi un domicile fixe, ils ont droit à la protection des lois au même tilre que les nationaux. »
<1 Le droit d'expulser les étrangers, dit-il, n'est pas un droit
absolu de l'Etat; l'admettre serait de nouveau porter atteinte
�DE LA LIBERTÉ INDIVIDUELLE DE L'ÉTRANGER EN FRANCE
DROIT FRANÇAIS
à la liberté des relations internationales. L'Etat n'est le maî-
tre absolu ni du territoire, ni des habitants. L'expulsion arbL
traire peut amener des r eprésentations diplomatiques ; la partie lésée a toujours le droit de demander aide et protection à
son consul ou de provoquer l'intervention de 1' envoyé de son
pays. » Comme on le voit, les réserves de M. Bluntschli ont
une certaine gravité. Un pays étranger a le droit de s'émou·
voir d' un acte de brutalité commis à l'encontre d'un de ses
sujets. Mais seulement lorsque cet acte est arbitraire et non
quant il résulte de l'application d'une loi. En adoptant le point
de vue de l'auteur , nous n'irions pas jusqu'à juger que
l'heure soit venue de prendre des engagements avec !'Etranger en matière d'expulsion. En effet, la France marche à peu
près seule dans la voie de l'émancipation politique, elle a pour
voisin l'Empire d'Allemagne dont le régime parlementaire
déguise mal une autocratie, presque aussi forte que le pouvoir des Tzars. La politique <l'outre-Rhin a fait de la nation.
allemande, une troupe sous les armes, moins destinée à. servir des intentions belliqueuses qu'à comprimer l'expansion li·
bérale en Allemagne, et qu'à l'intimider ch ez nous en maintenant l'inquiétude dans les esprits. Dans la pensée des hommes
d'Etat allemand~ la vigueur croissante de l'idée républicaine
parmi les pays latins porte autrement ombrage à leur politique, à la constitution aristocratique de la nation que ne le ferait notre puissance militaire si bien organisée qu'on la sup·
pose. Le dissolvant de la puissance militaire allemande sera
l'idée de la liberté pénétrant au cœur de la Germanie. Si la
France poursuit sa magnifique politique d'émancipation elle
ne pourra manquer d'ê tre considérée par les démocraties étran·
gères comme un guide qu'il est bon de suivre. Il est donc une
réforme pressante, celle de notre législation administrative et
politique sur les étrangers ; et, pour expliquer toute notre
pe~sé.,, _ous dirons qu'à notre avis l'expulsion des étrangers
85
est une question qui n'appartient pas au droit international
externe, mais plutôt au droit public interne. Des engagements
internationaux en matière d'expulsion pourraient entraîner, à
l'heure présente, à des compromissions pénibles pour notre politique libérale.
SECTION Il
§. J. -
LÉGISLATION
SUR LES
ÉT~ANGERS DEPUIS LA RÉV OLUTION
JUSQU'A LA LOI DU
3
DÉ CEMBRE
1849
Le moyen âge, qui traitait fort mal l' étranger, n'avait que
faire d'expulser l'aubain : celui-ci était dépouillé de ses biens
et réduit en servage 1 •
Durant les guerres perpétuelles de la royauté, l'étranger
soupçonné d'espionnage était simplement mis à l'ûmbre au
moyen d'une lettre de cachet , ou bien il était plus ou moins
discrètement assassiné. Au revers des pages brillantes du règne de Louis XIV et Louis XV, s'accumulent les plus atroces
souillures, les atteintes les plus sanglantes au qroit dt1s gens et
à l'humanité ; l'arbitraire le plus féroce menaçait l'étranger.
La formule saint1 et précise de la police ne se r encontre
pour la première fois que dans le Code des Délits et des Peines du 3 brumaire, an IV : << La police est instituée pour
maintenir l'ordre public , la liberté, la propriété, la sùreté individuelle. Son caractère principal est la vigilauce. La société
1 Dans l'an et j our passé dans le domaine d'un seigneur, l'aubain tombait
11ous la seigneurie du maltre. A partir de si Louis, le seigneur n'en prenait
plus possession, il a ppartenait au roi.
Cout. de Champaigne, art. 58 : - " Quan t aucuns albnins vient ùemourez
dans la j ustice d'aucuns seigneurs et li s ire dessous qu'il \'ient en prenù le
servi ce dedans l'an el jour , si les gens du roi le savent, ils en pr eoneol le
service et est acquis ait roi. ..
V. lnslit. Coulum. de Loysel et L!lurières, liv. 1, ~9.
�86
1
DE LA. LIBERTÉ INDIVIDUBLLE DE L ÉTRANGER EN FRANCE
DROIT FRANÇAIS
La révolution ne s'est point occupé de ces individus, les mesures qu'elle édir.tait contre les étnrngers etaienl j)•ll tl lllt:lll
politiques, légitim es malgré leur extrême rigneur , l"O •lltniiPdéAs par une situation exc~pli onnelle . La loi dn 21:! V1· udt>miaire an VI, participait du mème esprit et des mêmes inquié tudes ; mais depuis cette époque, le phénomène connu de la
survivance d'une institution aux: causes qui l'ont fait naître,
s'est produit à l'occasion de notre législation sur les étrangers.
Toutes les lois sur la matière émanent de cette dernière
loi, les législateurs en ont reproduit, sinon l'esprit, du moins
la lettre, si bien qu'il est fait de la loi de l849 une applicatiou
considérée en masse est l'objet de sa sollicitude. » (Art. f6 et
t7.) Ce n'est que lorsqu'on est parvenu à la conception nette
de la police et de son usage qu~ des polices spéciales peuvent
être efficacement créées. Aussi n'est-ce que de la Révolution
que datent des mesures réfléchies contre les étrangers, et présentant quelque valeur théorique.
La République est aux prises avec des difficultés militaires
s'àccroissant toujours, de nombreux espions r épandus sur le
territoire de la France aggravent le danger, la .Sonvention
consulte les Comités de Salut Public et de la Sûreté Générale et prend un décret aux termes duquel : « Tous les étrangers nés dans les pays avec lesquels la République est en
guerre, venus en France depuis le 1 •r janvier 1792, sont tenus d'en sortir . .,
Les principes de la Révolution tendaient à une fusion des
peuples, et cependant jamais on n'avait vu d'exemple d'une
plus stricte interdiction du territoire faite aux étrangers. Tou·
tefois, la contradiction n'est qu'apparente, et de l'enseignement des événements, il faut déduire le véritable caractère
des mesures dont l'étranger peut être l'objet. Ce n'est qu'autant qu'il est un danger public qu'il le faut écarter. Le danger
est manifeste lorsqu'un conflit s'élève entre deux pays. Les
étrangers qui y résident et appartiennent aux nations belligérantes sont nécessairement disposés à desservir la nation
qui leur donne l'hospitalité. En pareil cas, le droit de la guerre
autorise aussi bien l'expulsion collective qu'individuelle. On
s'accorde généralement sur ce point.
87
L
qu'eût désavouée la Révolution.
Il est indispensable de jeter un coup d'œil sur les discussions
qui ont précédé la promulgation des lois récentes sur les étrangers. Les débats de la loi de !832 concernant les réfugiés politiques font voir combien c'est à regret et sous la pression des
circonstances,qu'on allait rappeler les dispositions de la loi de
Vendémiaire: le véritable sentiment du pays se révèle bien
plus daus la discussion que dans le texte définitif qui devait la conclure. D'ailleurs, et surtout en matière d~ Droit
public ou politique le texte n'est-il pas le plus souvent la
pensée d'un jour, et faut-il donc avoir toujours les yeux
fixés sur lui? C'est dans l'horizon sans ces~e grandissant de
chaque nouveau débat :.qu'il faut considérer les tendances d~
l'esprit de liberté.
Parmi les lois de la Révolution sur les étrangers, celle de
vendémiaire an VI, m érite de retenir l'attention, en !832 on
se demandait si elle é lai.t encore en vigueur. Il y avait des
raisons de douter, les dispositions qu'elle contenait avaient
cessé d'ètre observées depuis longtemps . La loi de vendémiaire
obligeait tout individu français ou étranger, voyageant en
France, ou changeant simpl •ment de localité, à protluire un
passeport. Elle pla~ait en outre tous les étrangers sous la sur-
En temps de paix l'appréciation du danger que fait courir
la présence d' ~n étranger est plus délicate. A l'égard d'une
classe d'étrangers malfaiteurs, ou repris de justice, les scrupules disparaissent quand on r éfléchit que notre pays n ' hésite
pas à rejeter de son territoire et du sein ùe la société normale,
ceux de ses nationaux de même catégorie.
L
�88
IHtolT FRANÇAIS
veillance du Directoire exécutif. Art. 7: « Tous étrtmgers voyageant à l'intérieur de la République et y résidant sans avoir
une mission des puissances neutres et amies reconnues du gouvernement Français, ou sans y avoir acquis le titre de citoyen,
sont mis sous la surveillance spéciale du directoire exécutif, qui
pourra retirer ltmrs passeports, et leur enjoindre de sorlir du
territoire français, s'il juge leur présence susceptible de troubler l'ordre et la tranquillité publique.» Chacun sentait combien était attentatoire à la liberté une semblable mesure ,
combien elle s'écartait de l'esprit de la révolution, mais il était
difficile de se garder différemment des espions étrangers. Jean
Debry s'écriait: « Avons-nous oublié que le ministre d'Angleterre s'est vanté en plein parlement d'avoir participé à tous
nos troubles intérieurs. Mais la liberté indivividuelle. Ah ! je
vous entends l vous réclamez le droit de renouveler nos cala~t6s, les lois de police et de' sûreté vous fatiguent, comme la
gendarmerie paraît aux brigands attentatoire à la liberté des
grands chemins. >> Le sentiment de la fraternité des peuples ne
s'était pas éteint, malgré que les peuples fussent armés contre
nous, c'est la gloiro de la Révolution de n'avoir pas gardé rancune à ceux dont elle avait eu à souffrir ; elle s'est défendue,
rarement elle s'est vengée. La révolution était fière d'ouvrir
aux autres nations un pays libre. Au conseil des Cinq-Cents
on disait: t< Nous recevrons donc avec transport nos amis étrangers qui, venant respirer l'air pur de la liberté et renouer avec
nou~ ces relations commerciales qui font la prospérité des
empires, respectent les droits et les lois d'une nation qui les ac'
· nous n •accorderons
cueille et les protège • n'"1ais
pas une pa· nous donnerons au gouverreille protection à nos en nem1s,
.
.
•
·
nement les moyens ne'cessaires
qu'ils
les espions
pour arreter
salarient dans l'intérieur de la République, et forcer les Ptran~ers s.uspects à évacuer le territoire français. » Cette législation rigoureuse était d'ailleurs caractérisée au Conseil des an-
DE LA LIBERTÉ INDIVIDUELLE DE
Ù~TRANGER
EN FRANCE
89
ciens dans la séance du vole: " au surplus, dit-on, la résolution
n'est qu'une mesure de circonstance qui ne devra durer qu'autaot que les circonstances la rendent nécessaire. »
On se tromperait étrangement si l'on croyait qu'en des
temps plus calmes on soit revenu à une législation moins exceptionnelle : au contraire, la réaction de la restauration, bien
que tranformée et passée à d'autres bénéficiaires, sous LouisPhilippe, allait renchérir sur la législation de Vendémiaire en
édictant la loi du 10 avril i832, sur les réfugiés.
La brièveté de la révolution de juillet et la tournure des événements permettait de croire le Peuple désireux de faire triompher les idées ; émancipatrices de la grande Révolution, et le
Pouvoir soucieux de conduire la France dans les voies où une
explosion de son génie venait de la remettre: de fait, les espérances étaient immenses. Il était dit que ces espérances devaient être assombries et d'aussi peu de durée qu'avaient été
brillantes et courtes les journées dont le nouveau règne était
issu.
On sait quels étaient nos rapports avec les gouvernements
étrangers au commencement de i832. La politique du roi
Louis Philippe avait eu pour premier objet de rassurer les
Cours effrayées, par la spontanéité du r éveil de la révolution en
France et la contagiosité de l'exemple qui se communiquait
à l'Espagne, à la Belgique, à l'Italie, à la Pologne. La France
en se soumettant encore à l'essai d'une monarchie héréditaire
devait voir cette monarchie s'efforcer de se faire pardonner son
origine auprès des autres royaumes, et recourir dans ce but à
toutes les compromissions capables d'affermir la dynastie. En
cela la monarchie était dans son rôle. Au point de vue des intérêts matériels de la Franco, cette politique devait être funeste,
elle aboutissait à tolérer la disparition d'un empire qui maintenait en r espect les Puissances de l'Est, à laisser triompher
l'influence Anglaise en Ilelgique en repoussant le peuple Belge
�1
90
DE LA LIBERTÉ JNDIVIDUELLE DE L ÉTRANGER EN FRANCE
DROIT FRANÇAIS
che que l'on tenait à se garder: on redoutait aussi une propagande à l'intérieur 1 La plaisanterie était de mauvaise grâce,
quoi 1 c'est chez le peuple qui avait fait la révolution ùe Juillet
qu'on pouvait craindre une propagande faite par des étrangers,
comme si la propagande de la liberté ne s'était pas toujours
envolée de France, bien loin d'être importée de l'extérieur.
qui sedonnait à la France, à permettre à l'Autriche de faire une
sanglante marche militaireen Italie; tout cela pour montrer que
la nouvelle royauté était bien fille de l'Église, pour témoigner
que si l'une des branches de l'arbre royal était tombée, l'autre
du moins promettait de porter les mêmes fruits que par le passé.
C'est après ces beaux r ésultats qu'apparaissait la loi de 1832,
loi détestable et repoussée avec indignation, comme on le verra
tout à l'heure, par les représentants les plus honorables de
Le texte de la loi du 21. Avril i832 est ainsi conçu - art t.
Le gouvernement est autorisé à réunir dans une ou plusieurs
villes qu'il désignera les étrangers réfugiés qui r ésideront en
France. - Art. 2. Le gouvernement pourra les astreindre à se
rendre dans celle de ces villes qui leur sera indiquée, il pourra
leur enjoindre de sortir du royaume s'ils ne se rendent pas à
cette destination, ou s'il juge leur présence susceptible de trou-
l'opposition. Mais ne fallait-il pas couvrir les fautes lourdes
que l'on avait commises, et maintenir par un acte équivoque
les gages de mauvaise foi que l'on avait donnés aux libéraux
étrangers. C'était le digne couronnement de la politique suivie
à l'égard des libéraux espagnols, à l'égard de la Belgique
émancipée, de la Pologne disputant ses derniers jours au des-
bler l'ordre ou la tranqullité publique. -Art. 3. La présente loi
ne pourra être appliyuée qu'en vertu d'un ordre signé par un
potisme. Enfin le vote de la loi était pour le gouvernement une
victoire qui devait souffler le découragement au cœur de
républicains par le spectacle de représailles, s'exerçant sur des
victimes innocentes, bien étrangères aux agitations de notre
politique intérieure.
Ministre.
M. Odillon Barrot n'eût pas de peine à démontrer combien
il était inexact de présenter la loi comme un adoucissement à
la législation de vendémiaire. La loi de l'an VI n e comportait
que des m esures individuelles impliquant la responsabilité de
celui qui l'ordonnait et visant uniquement l'auteur du trouble
apporté à l'ordre public; mais, la loi nouvelle frappe de suspi-
Que prescrivait donc cette loi? - L'internement des téros
de la Pologne, de l'Espagne et de l'Italie, comme s'il se fût agi
de malfaiteurs ou de pestiférés : glorieux débris, épaves de la
liberté. « Loi anti-nationale·, disait M. Odillon Barrot, qui sort
cion tous les étrangers, et, en leur assignant une résidence,
elle les pla~ait en outre sous la surveillance de la police, et
permettait l'expulsion.
M. Teste n'admottait la désignation d'une résidence que pour
les r éfugiés qui recevraiont un secours, afin de faciliter les
entièrement Je nos idées et qui compromet l'honneur du pays. »
- Du côté du Gouvernement on osait invoquer la loi de Vendémiaire, et comparer les situations. M. Guizot démasquait
toute la pensée de la monarchie 1 ces étrangers sans ressources
versements de l'État, mais là s'arrêtait le droit du gouvernement .
au milieu de nous sont un danger public, disait-il, mais surtout, « nous ne voulons pas faire de propagande au dehors et
contre nos voisins, et nous ne voulons pas non plus qu'on on fasse
chez nous." - (Séance du 9 avril i 832). - Recevoir avec humanité les réfugiés, dans l'esprit timoré du ministère Guizot,
c'était faire de la propagande à l'étranger et c'est de ce repro-
9t
,
On ne put décider au jus te si la loi de Vendémiaire était
abt'ogée ou si elle subsistait, ou si la loi proposée existerait
·parallèlement et à titre complémentaire. Le garde des sceaux
estimait que la loi on discussion trancherait la question. A la
�92
DROIT FRANÇAIS
1
DE LA LIBERTÉ INDIVIDUELLE DE L ÉTRANGER EN FRANCE
93
Cour des Pairs, M. de Broglie soutint que la loi de Vendémiaire
continuait à ètre en vigueur, que le texte nouveau visait une
situation nouvelle et comp 1était avec la loi. de l'an VI les
moyens de défense du gouvernement. Ce débat était peu intéressant, ce qui est évident c'est que la loi proposée était une
contradiction, elle allait au rebours du mouvement qui avait
porté Louis Philippe au trône. Le général Lamarque le fit toucher du doigt en disant : « Les retranchements de Praga et de
Varsovie n'étaient qu'une barricade de juillet. »
Le gouvernement n'osa pas pNposer d'appliquer la loi au
delà d' un an (Art. 4). Elle devait être prorogée successivement
jusqu'au 24. juillet 1839, puis toujours par une série de prorogations jusqu'à la fin de 1850. - En i 834, la loi de prorogation ajoute une sanction à celle de 1832 : cc Tout réfugié
étranger qui n'obéira pas à l'ordre qu'il aura reçu de sortir dn
royaume, conformément à l'article 2 de la dite loi (1832), ou
qui, ayant été expulsé r entrera sans autorisation sera puni
d'un emprisonnement d'un mois à six mois ... u (Loi 1834,
art. 2). 1 11- peine était prononcée par le tribunal correctionnel.
Cette pénalité ne s'appliquait pas aux étrangers visés par
l'article 272 du C. Pénal, ni aux étrangers voyageant en France,
mais aux seuls réfug iés .
En i839, on permit aux étrangers réfugiés qui avaient demeuré en France ou servi sous le drapeau pendant ~ ans, de
changer de résidence sans l'autorisation du gouvernement, sur
simple avis du chan gement donné au Préfet du département.
L'autorisation fut nécessaire pour résider dans le département de la Seine et à moins de i6 myriamètres des Pyrénées.
rables allaient arriver : le chapitre du bud get des secours fut
porté à trois millions. Les chambres se montra~ent généreuses
et en 1836, on avait dépensé de ce chef, depuis i830 , plus de
Des crédits avaient été ouverts pour subvenir aux réfugiés
en i830, mais les événements de Pologne a ugmentèrent ltiur
nombre et l'on comptait, en i 832, plus de 7800 étrangers de
cette catégorie, des avis annonçaient que des bandes considé-
sentaient pas, il s'en faut de beaucoup, le même intérêt que
les malheureux réfugiés de Pologne ou d'Italie.
Sans doute les députations d'Anglais, d'Irlandais, de Norvégiens, de Hongrois et des nationaux d'autres pays au gou-
vingt millions.
En application de la loi du 21 avril 18:32, des dépots furent
établis dans diverses villes de France, Agen, Avjgnon, Châlonssur-Saône, Bar-le-Duc: le séjour des grandes villes et de Paris
fut interdit aux réfugiés, sauf quelques exceptions.
Les secours alloués furent successivement réduits, mais il
est juste de reconnaître que le gouvernem ent fit tous ses effor ts
pour assurer des ressources aux étrangers, m~ttant à l~ur
disposition des livres, des instruments de travail, des outils.
Des allocations furent accordées pour frais d'étude, d'apprentissage.
La légion étrangère qui venait d' être créée reçut un assez
grand nombre de réfugiés, notamment des Polonais, qui formèrent une compagnie, néanmoins le nombre des officiers dépassait de beaucou p les emplois disponibles et l'on ne put en
admettre qu'un nombre relativement restreint.
Dans les hôpitaux les réfugiés bénéficièrent de journées reduites, et :iuelques départements les acceptèrent gratuite ment.
Telles sont les mesures auxquelles fu rent soumis les étrangers dans cette seconde phase de la législation politique qui
les concerne .
.La part incontestable que prirent certains étrangers à la ré·
volution de 1. 848, devait provoquer l'intervention du législateur. La situation n'était plus celle de 1.830, et les étrangers
qui s'immiscèrent alors dans nos di~sentions politiques ne pré-
�DROIT FRANÇAIS
vernement provisoire, pour lui présenter des adresses de félicitation, sont des incidents singulièrement flatteurs et qui ont
un grand prix. Mais, on ne peut se défendre d'un certain ressentiment contre les étrangers dont l'intervention dans la rue
ne fait qu'augmenter le trouble d'une émeute. Dans ces luttes
entre citoyens, toute prise de parti de la part d'un étranger
est criminelle. Toutefois ce n'était pas une raison pour qu'à la
suite d'un incident politique transitoire on confiât au gouvernement, d'une façon permanente, un pouvoir excessif et sans
contrôle.
§. II. -
LOI DU
3 DEC. 18-19
Dans la séance du 8 nov. 1849, à la Chambre des députés,
MM. de Vatiménil et Lefebvre-Duruflé, déposaient un projet
de loi qui réglait un double objet : la naturalisation des étrangers et la police des étrangers séjournant en France.
La proposition n'était point libérale dans son ensemble : en
matière de naturalisation on en revenait au principe de la loi
de f 809 et i8i4, réagissant ainsi contre le décret du gouver~ement provisoire du 28 mars i848 : sur la question de pohce on n'innovait rien.
Voici le texte de cette loi : art. 7. << Le ministre de l'intérieur pourra, par mesure de police, enjoindre à tout étranger
voyageant ou résidant en France, de sortir immédiatement
du territoire français, et le faire conduire à la frontière. Il
·
d de l' etranger
'
aura le même droit à l' egar
qm. aura obtenu
. après un
· -1e en Fi rance · mais
l'autorisation d'établll'' so n d om1c1
. ' effet s1. l'autodélai de deux mois, cett e mesure cessera d'avoir
.
·
n'a pas été r'evoq uée smvant
risation
dans
la forme .rnd1quée
, .
l article 3. - Dans les départements frontières, le préfet aura
le même droit à l'égard de l'étrangér non résidant à la charge
d'en référer immédiatement au ministre de l'lnté;ieur. »
DR LA UBl!RTÉ INDIVIDUELLE DE L'ÉTRANGER l!.N PRàNCI!.
95
Aujourd'hui ces dispositions, loin de fortifier le pouvoir,
l'exposent aux attaques, aux interpellations des dépulés, si d'aventure uue expulsion vient atteindre un étranger ayant quelque notoriété politique. Le pouvoir arbitraire laissé au Ministre conduit celui-ci à prendre en matière d'expulsion des arrêtés purement préventifs, alors que l'attitude de l'étranger n'a
encore donné lieu à aucune plainte. Or, nos idées répugnent,
en dehors d'une n écessité absolue, aux mesures préventives.
On se souvient de l'incident parlementaire survenu à l'occasion
de l'expulsion du nihiliste Lawrofî, la stabilité du ministère
faillit être compromise. D'ailleurs M. Vivien, dans ses études
administratives, (t. I. p. 49,) développe cette idée. « Il n'y a
pas, dit-il, pour l'autorité publique, de plus grande cause de
faiblesse que l'exercice du régime préventif. Elle devient responsable da toute~ choses où elle a mis la main, des autorisations qu'elle accorde ou de celles qu'elle refuse. Elle est le point
de mire de toutes les plaintes et la cause supposée de toutes
les souffrances. La difficulté est de déterminer le point où la
sûreté publique est compromise, et d'en déterminer les exigences. »
Le vice radical de la loi de i849, est de ne faire aucune
distinction parmi les étrangers et de donner un champ d'action trop large au pouvoir de Police. Les mesures d'exécution
snr la personne ne doivent résulter autant que possible que
d'un texte ou de la décision d'un tribunal. Dans quelques rares
hypothèses nous admettrons une artion purement administrative.
L'esprit qui dicte la loi de i849, et qui s'écarte complétement d'une saine conception polilique est plus fâcheux encore
que la lacune qu'on vient de signaler. En effet, la loi da i849,
met le gouvernement français à la merci des cabiuets étrangers, le subordonne aux fluctuations de la politique intérieure
des Êtats environnants.
�DE LA LIBBRTÈ INDIVIDUELLE DK L'ÉTRANGER EN FRANCE
96
97
DROIT FRANÇAIS
On peut raisonnablement admettre telles conjonctures où
pour ne point faire naître de difGcultés diplomatiques, ou pour
éviter des représailles, le ministre de l'intérieur, instamment
sollicité d'expulser un étranger , y consentira . Son r efus serait
considéré comme un acte de mauvaise volonté puisqu'il a la
faculté d'user sans contrôle du droit d'expulsion. Cédez, dira
le gouvernement étranger, aucune loi ne vous retient.
La situation s'est présentée tout dernièrement et le ministre confessait que les instances étaient pressantes, c'est du
moins ce qu'il déclara à la tribune, pour justifier une expulsion qui avait soulevé l'opinion .
Or, une telle position est-elle digne d'un pays souverain ?
Elle l'est d'autant moins quand la France n'a aucun motif
pour repousser un étranger, ,dont le seul tort est de professer les mêmes opinions politiques que celles qui font la
force et l'honneur de notre pays.
Cette considération humiliante n'est pas la seulo qu'éveillo
la loi de i 849. Si on la corn pare avec les lois similaires de
certains. pays, on est confus de voir combien plusieurs monarchies se sont montrées plus libérales. La Hollande notamment
a réglé ces difficultés avec une extrême sagesse, et sa législation mérite. d'être r apportée avec quelques détails. - Et
d'abord l'article 8 du Code Néerlandais reconnaît une catégorie d'étrangers complètement assimilés aux nationaux, à ceuxlà la loi du 13 août i 84 7 ne s'applique pas, pas plus qu'à
ceux désignés dans l'art. 1.9 de la loi, qui, domiciliés dans
l'État, ont épousé une néerlandaise et en ont eu des enfants.
- Voilà donc une catégorie d'individus que l'expulsion ne
peut atteindre ; quant aux autres, voici les garanties qui protègent leur liberté.
Art. 10. « Les étrange rs admis ne peuvent être envoyés à la
fronti ère que sur l'ordre du ju ge cantonal du lieu où ils séjournent ou que par notre ordonnance. » - Le juge ne peut
ordonner l'expulsion que lorsque les conditions exigées pour
l'admission sur le territoire n'ont pas été satisfaites, et qu'après qu'il a entendu l'étranger 1 • Les art. 1.2 et 20, ouvrent un
recours dans les quatre jours contre la décision du juge cantonal ou contre l'ordonnance royale, c'est là une immense garantie.
l
JI y a loin de ce système à celui en usage chez nous,
par lequel l'étranger est contraint de vider le territoire, sans
avertissement préalable, sans être enten!lu, sans recours possible et quelquefois, sans aucun délai. Sous la législation
Hollandaise, un incident du genre de celui signalé ces jours
derniers, dans la presse, ne peut se produire. Un nommé Gil·
lebert, faïencier à Carentan, est expulsé de France, comme citoyen Belge ~ sur les conseils du Ministre des Affaires Etran·
gères de Belgique, il viole l'arrêté d'expulsion, rentre en
France, revendiquant énergiquement la qualité de Français,
dont il avait d'ailleurs excipé, au moment de l'expulsion. Gillebert invoquait les dispositions de la loi de !851, et se prétendait français comme né d'un étranger né lui-même en
France, le père de Gillebert était originaire d'une des provinces Belges qui avaient fait partie intégrante du territoire
de la première république.
Condamné à 24 heures de prison à raison de l'infraction
à l'arrêté d'ex.pulsion Gillebert fit appel. La Cour de Paris
dans un arrêt du 11 juin 1.883, confirma la décision des premi ers juges'. La Cour estimait qu'il 1ui appartenait bien de
se prononcer sur la question de nationalité et tranchait ainsi
la question de compétence ; m ais, statuant au food , la Cour
admettait que par l'effet d'une sorte de posttiminium les habitants des territoires annexés à la France, puis distraits par
1
1
V. Bernard. Extradit. p. 629.
V. Dalloz, 1883. 1. 209.
7
�DB LA LIBERTÉ INDIVIDUELLE DE L'ÉTRANGER EN PflANCE
DROIT FRANÇAIS
98
99
France.
Cet arrêt fut infirmé par la Cour de Cassation, et 1' affaire
renvoyée devant la Cour de Rouen. - Tel est l'état d_es choses
que depuis plus de cinq ans, et qui a continué d'y résider d'une
façon permanente, l'individu né en Belgique d'un étranger
qui y résitle lorsqu'il se trouve dans le délai d'option prévu
par l'art. 9 du C. Civil. M. Desjardins fait remarquer toutefois
que ces lois sont voté13s toujours pour un temps très-court,
afin de permettre au besoin de restreindre celte large hospita-
à l'heure où nous écrivons.
lité .
On se demande sur quel texte l'administration pouvait se
fonder pour se constituer juge d'une question de nationalité
et déclarer Gillebert sujet Beige. L'autorité judiciaire, cela est
indiscutable, était seule compétente. Si réellement Gillebert
est Français, la procédure suivie est une flagrante atteinte à la
liberté individuelle, une violation de droit, qui semble placer ses auteurs, ministres et agents, dans un.e situation juridique fort délicate, bien qu'on ne discerne pas très bien la
La Constitution Fédérale Suisse revue et approuvée du 30
janvier i874 dispose, art. 70. «La Confédération a le droit de
renvoyer de son territoire les étrangers qui compromettent la
sùreté intérieure de la Suisse. » L'article 10 du C. Pénal de
Genève porte : « Dans les cas où les lois prononcent la peine
de l'emprisonnement, le juge peut, en ce qui concerne les
étrangers, convertir cette peine en une expulsion du canton
d'une durée triple. D'après une communication de M. Brocher,
membre de la Cour de Cassation de Genève, citée par Fiore 1 •
« La liberté originaire a été modifiée dans une certaine mesure, tout au moins dans un nombre considérable de traités
de libre établissement et d' amitié contractés avec les nations
étrangères, traités qui ont pour conséquence de rendre compte
des motifs justifiant le renvoi d'un étranger appartenant à
l'une des parties contractantes. Ce renvoi est généralement
moins libre que celui des personnes faisant partie d'autres
États. »
les traités de t8i.5 étaient redevenus absolument étrangers
et ne ponvaient être assimilés à des étrangers nés en
sanction applicable.
§. III. -
LÉGISLATION COMPARÉE
En Belgique l'expulsion ne peut être décrétée aux termes de
la loi du i "' juillet i880, que contre un individu qui est poursuivi, ou qui est condamné, ou qui compromet la tranquillité
publique. Comme en Hollande, l'étranger marié à une femme
belge et en ayant eu des enfants ne peut être expulsé. Compromettre la tranquillité publique est une expression fort
élastique, mais ce n'est qu'en Conseil des Ministres que
l'expulsion peut être décidée: c'est une garantie. Citons d'après
M. Desjardins, divers étrangers qui ne peuvent être expulsés du territoire Belge 1 • L'étranger décoré de la croix de fer'
l' étranger marié à une femme belge, fixé ou résidant en Belgi1 V. Revue d~s Deux Mondes, i882,
gers. n
i••
avril . -
" L'expulsion des étran·
•
Nous citons ce passage, car les errements qu'il révèle ne
tendent à rien moins qu'à faire de l'expulsion une question
purement internationale.
(
En Italie, il n'existe pas de loi spéciale relative à l'expulsion
des étrangers, mais le Code P énal italien, comme le Code Pénal
français prévoit le cas des étrangers vagabonds jugés et con1
Dr. pénal international. Fiore, p. iOS.
�DROIT FRANÇAIS
100
damnés comme te!s, ceux-là sont expulsés du royaume à
l'expiration de leur peine, et punis jusqu'à un an de prison
D! LA LJBERTÉ INDIVIDUELLE DE L' ÉTUNGER EN FRANCE
toi
s'ils violent l'arrêté d'expulsion.
Le projet de Code Pénal, livre 1, art. 26, présenté par
M. Mancini, dispose que les étrangers condamnés à des peines
criminelles ou correctionnelles, entrainant, aux termes de la
loi, surveillance de la haute police, peuvent en outre être
expulsés du royaume
1
duelle.
On a vu plus haut, dans quelle dépendance la loi de 1849
plaçait le gouvernement vis-à-vis des cabinets étrangers.
Quant au pouvoir des préfets d'expulser les é~rangers suspects
et dangereux, il en est surtout fait usage au cas de l'art. 272
du C. Pénal. Les arrêtés préfectoraux d'expulsion n'interviennent généralement sur avis du Parquet, et n e concernent
guère que des étrangers qui ont été l'objet d'une condamnation.
Il reste à examiner les critiques d'ordre juridique que comporte la législation de i 84 9.
P. Fiore, p. i03
S· J. -
DES PERSONNES PASSIBLES D'EXPULSION
•
Ce rapide aperçu de législation comparée n'est point en faveur de notre pays. En i849, on tomba une fois de plus dans
l'erreur, souvent commise, de croire qu'il suffit d'armer le
gouvernement d'un pouvoir discrétionnaire pour défendre
l'État de certains dangers éventuels. Or, l'application de notre
loi et ses résultats sont loin de compenser la situation fâcheuse
qui résulte d'une menace perpétuellle de la liberté indivi-
1
SECTION III
L'expulsion, aux termes de la loi du 3 décembre i 849
'
atteint sans distinction tout étranger, le simple particulier,
comme le commerçant, l'industriel, ou les vagabonds et les
malfaiteurs. La loi ne fai.t aucune différence entre l'étranger
qui a obtenu du g ouvernement l'autorisation de fixer son domicile en France et l'étranger ordinaire.
Une r ègle si générale est irrationnelle et des distinctions s'imposent. Le but poursuivi par le législateur est la sûreté de
l'État. Mais, tantôt la sécurité seule du citoyen est inquiétée
par les actes de l'étranger, tantôt c'est l'État représentant
des intérêts collectifs qui a lieu de redouter ses menées . Suivant l'hypothèse, la conduite de la Puissance publique sera
différente, de là le besoin d'établir diverses catégories d'étrangers, soumises chacune à une r églementation particulière.
a) Étrangers non domiciliés. - La propriété et les personnes sont directement m enacées par les gens sans ;veu,
vagabonds, mendiants de profession, etc. Incapables d'entrer dans l'État à titre d'éléments utiles ces individ us
doiven.t de toute nécesssité être éliminés. Les échanges
d~ n~t1onaux sont aujourd'hui trop importants, les commumcations trop rapides pour songer à recourir à un
moyen préventif, comme l'obligation de produire aux
frontières un passeport règulier. Formalité vaine en ellemême et d'une pratique impossible.
�DE LA LIBERTÉ INDIVIDUELLE DE L'ÉTRANGER EN FRANCE
t02
DROIT FRANÇAIS
Comme conséquence de l'admission sans réserve de tous
les étrangers sur le territoire, le droit d'expulser ceux de la
catégorie qui nous ocèupo est évident. L'État exerce
dans ce cas un droit de légitime défense, contre des individus
manifestement dangereux.
L'article 272 du C. Pénal donne au gouvernement le pouvoir d'expulser les étrangers déclarés vagabonds par juge~
ment correctionnel. On ne voit pas pourquoi le tribunal ne
prononcerait pas lui-même l'expulsion à titre de peine, elle aurait ainsi un caractère répressif très-légitime. Il faudrait aussi
étendre cette disposition à tous les cas où un étranger aurait
subi une ou deux condamnations pour certaines infractions à dé·
terminer. Les parquets, nous l'avons dit, signalent biôn à l'administration préfectorale les individus condamnés et reconnus
dangereux, il est alors pris contre eux un arrêté d'expulsion,
exécutoire à l'expiration de la peine, mais le -nombre des
expulsions est malheureusement insignifiant, si on le rapproche de celui des étrangers ayant encouru des condamnations.
Al' égard des étrasgers qui résidant en France, vivent de
leur fortune personnelle ou des r essources de leur industrie,
de leur art, de leur profession, il n'y a pas à craindre que le
pouvoir discrétionnaire, conféré au Ministre 'Par la loi de i849,
s'e~erce d'une façon intempestive. Des expulsions injustifiables provoqueraient infailliblement, des représentations
diplomatiques et la juste indignation de l'opinion. li ne parait
donc pas nécessaire de supprimer, àl'égard des étrangers non
domiciliés, le droit de police du Ministre. Un séjour prolongé
dans l'observance de nos lois ne saurait créer un titre à une
protection particulière. Lo respect des lois n'est que le devoir
strict commandé par l'hospitalité reçue. On opposerail, sans
raison, la contribution aux charges publiques: racquiltemcnt
de l'impôt n'est que l'équivalent, la contre-valeur des nvan-
l
i 03
·re l'étranger des services publics sous leur formes
tages queretl
. ,
multiples.
Il est, toutefois, certains étrangers dont la personnahte attire l'attention. On se souvient de l'émotion produite par
l'expulsion de MM. Hartmann et Lavroff, etc. Le Ministre fut
interpellé et la question fut jugée assez sérieuse pour que le
gouvernement se défendit, en proposant une réforme de la
législation. Placé entre la ligne de conduite imposée par
une Constitution républicaine et la possibilité de complications diplomatiques, le gouvernement est plutôt embarrassé que servi par la faculté que lui laisse la loi de
rn49.
Quelle doit être son attitude vis-à-vis des réfugiés politiques?
Spécifier les cas où les étrangers compromettent la sûreté de
l'État est chose impossible, les circonstances sont infiniment
variables. Nul ne songera certainement à refuser au ministre le
droit d'expulser, sans contrôle, les individus coupables d'avoir
fomenté, des troubles à l'intérieur et perturbé 1' ordre établi. Mais, à l'égard de tout autre réfugié politique, dont
l'expulsion serait réclamée par une puissance étrangère, que
fera le gouvernement? - Est-il plausible que des complications vraiment g raves surgissent de la présence d'un étranger sur le sol français? - Que le gouvernement français,
donnant satisfaction à une Puissance étrangère1 écarte d'une
frontière, par exemple, un étranger, lui assig ne une résidence
même, si ses agissements sont manifestes, c'est là son devoir.
Devra-t-il aller jusqu'à l'expulsion? nous ne le pensons pas.
C'est une question de dignité nationale et de logique. La th~o
rie des cr\mos et délits politiques est encore trop incertaine
pour autoriser des mesures de rigueur. Devant l'attitude ferme
d'un cabinet, un État cessera ses sollicilalions. Mais le Gouvernement sera certainement plus fort encore, s'il peut opposer une loi formelle.
�DROIT FRANÇAIS
En retour d'une aussi énergique protection, le réfugié serait contraint de s'abstenir de toutes manœuvres.
Cette loi, d'un caractère presque constitutionnel, la France
républicaine la réclame et les raisons précédemment développées, en traitant de l'extradition, nous paraissent concluantes.
b) Des étranqers domiciliés. - Des publicistes ont proposé
de faire une distinction entre les étrangers domiciliés et ceux
qui n'ont pas cette qualité. M. Bernard, dans son traité récent de l'extradition, consacre quelques lignes à la matière
de l'expulsion. Il propose de laisser à des magistrats le soin
de statuer sur l'expulsion des étrangers. « Sans doute,
dit-il, il ne faut pas déférer l'étranger suspect à une juridiction criminelle, ni lui faire subir des débats publics.
Mais ce que nous sollicitons pour lui, c'est un pouvoir disciplinaire exercé par des magistrats inamovibles, étrangers
aux passions politiques et capables de résister à des actes de
despotisme. li faut donc organiser une procédure judiciaire
sommaire.>) Ce système offrirait certainement une garantie
plus grande que l'arbitraire d'un acte ministériel, en tout cas
une décision plus calme : mais confier à des magistrats la faculté de prononcer l'expulsion autrement qu'à titre de peine
entrainerait, à notre avis, une confusion d'attributions. L'ex·
pulsion, qui en certains cas, ne saurait perdre son caractère
de mesure de haute police, doit nécessairement rester dans les
attributions du pouvoir exécutif.
Un système mixte nous paraît préférable dans lequel le pouvoir judiciaire et le gouvernement auraient chacun leur
rôle.
Pour exposer notre pensée il est indispensable d'envisager,
un moment la condition civile de l'étranger et de préciser les
0
idées. f sur les effets de l'autorisation de domicile. 2° sur la
situation juridique de l'étranger non domicilié.
DE LA LIBERTÉ INDIVIDUELLE DE L'ÉTRANGER EN FRANCE
f 0~
Et d'abord l'étranger peut acquérir en France un véritable
domicile : Cela résulte de la définition du domicile de l'art.
102 du C. Civ. qui se rapporte au plerumque fit, et comme
il n'est nulle part donné une autre définition du domicile
applicable à l'étranger, celle-ci le concerne.
Quant à l'autorisation de l'art. f3 elle a une double utilité.
i • Celle de servir de terme a quo pour le délai de séjour exigé
pour parvenir à la naturalisation; 2° celle de faire bénéficier
sans réserve l'étranger de tous les droits civils accordés au
citoyen français.
Cette dernière utilité est bien secondaire si l'on adopte la
doctrine qui attribue aux étrangers ordinaires tous les droits
qui ne leur sont pas expressément déniés. - Justifions ce
système. - M. Valette disait: « Exception faite, de l'époque
très-ancienne, on reconnait facilement que le droit non politique (droit privé) a été dans l'origine appliqué à tous les
nationaux ou étrangers sans distinction subtile de telle ou
telle règle juri~ique. » La valeur historique de cette affirmation a été contestée peut-être avec raison, mais ee qui
est hors de doute c'est la tendance des législations contemporainos à s'ouvrir de plus en plus aux étrangers. Pour restreindre les droits de l'étranger on invoque le rapprochement,
et la conciliation des art. 8, H, 13 du C. Civ., de la loi du
H juillet i8i9, qui conduisent au principe de l'incapacité
générale, mais, cette argumentation se fonde sur la lecture
étroite et stricte du texte, et n'est que scholastique pure. Ji
faut éclairer la doctrine par une vue sur la société vivante et
ses besoins : la société moderne vit de la pénétration mutuelle
des éléments des diverses nations et s'efforce de faire la place
à l'Mranger dans la législation privée.
Au contraire le système de la capacité des étrangers non
autorisés sous réserve des droits explicitement déniés, est
pleinement justifié par l'argument tiré de l'art 90?> du C. de
�(06
DROIT FRANÇAIS
DE LA LIBERTÉ INDIVIDUELLE DE L'ÉTRANGER EN FRANCE
Pr. C. Civ. Il faut bien considérer que l'art. H n'est qu'une
réaction fâcheuse contre le système de l'Assemblée Constituante sur les droits des étrangers. D'après le projet primitif
de i80i : «Les étrangers jouissent en France de tous les avantages du droit naturel, du droit des gens, du droit civil proprement dit, sauf les modifications établies par les lois politiques qui les concernent. " Si la loi du 14 juillet i8i9 abrogeant les art. 726 et 9f2 n'a point touché à l'art. H, néanmoins elle en a ruiné l'esprit, ces deux arlicles n'étant que
l'application de ce même article 1 i.
Alors que les art. 726 et 9i2 étaient en vigueur, on conçoit
qu'il était nécessaire de s'expliquer sur les droits civils dont
jouirait l'étranger, de plus la rig ueur du code pendant le
stage exigé de dix ans de séjour eut rebuté l'étranger qui recherchait la naturalisation française: u L'art. i3, dit M. Demolombe, a eu principalement pour but de faciliter cette espèce
de stage politique, par la concession des droits civils en France
pendant sa durée. n
Il faut donc reconnaitre qu'aujourd'hui l'autorisation de
l'art. i3 a perdu de son importance, elle ne sert plus qu'à
fixer l'initium d'un délai dans la procédure de naturalisation.
Quelle est maintenant la conséquence de ce système au
point de vue du Droit Public? C'est que l'étranger, qui réclame l'autorisation de résider en France, manifeste uniquement l'intention de parvenir à la naturalisation, il se soumet
simplement à une formalité qui n'a d'autre but que de lui
permettre de devenir français,
le consentement que donnera le gouvernement est un acquiescement de principe. Cette
autorisation au domicile une fois donnée est un titre qui ne
peut être arbitrairement détruit.
el
Objectera-t-on que l'autorisation de domicile spontanément
1
i 07
accordée par le Gouvernement pourra de même être spontanément retirée: <<Vous.n'êtes plus digne, dit le Gouvernement:
de la faveur de jouir de nos lois, nous vous retirons la facu~te
d'en profiter, et rien n'est plus naturel.,» Mais en~ore, une f01s,
pour jouir des droits civils, l'étranger n ~~as besom d ~~e autorisation, elle n'est pour lui que la condition de sa légitime espéran~e à devenir citoyen fran çais, et en la lui accordant, le
gouvernement s'est moralement engagé. L_'élra~~er ~ nat~
rellement la j ouissance et l'exercice des droits civils, l autorisation lni donne une vocation à la qualité de français , elle lui
concède donc un droit qu'une mesure arbitraire ne pourra
lui faire perdre, qu'une décision rendue contradictoirement
aura seule la force d'effacer. L'étranger autorisé est donc
presque français , il jouit des droits civils seulemeat il n'a pas
le plein exercice de tous les droits publics que la naturalisation
seule lui confèrera.
C'est en vain que l'on objectera que l'expulsion est sans influence au point de vue de la naturalisation puisque d'après
l'art. 7 de la loi de i849 si l'autorisation de domicile n'est pas
retirée, dans les deux mois, l'expulsion cessera d'avoir effet.
Cetle remarque n'est point concluante, car il est clair que
l'étranger autorisé qui est expulsé subit une grave violence.
Et, nous venons de dire que le droit public doit le protéger
au mème titre qu'un fran çais . Tant que subsiste l'autorisation
de domicile, son état juridique est tel, qu'à son encontre
un acte do la puissance publique comme l'expulsio n est
illégal.
Ainsi donc, et c'est là l'intérèt de cette longue discussion, l'arbitraire gouvernemental ne pourra se traduire par
une mesure d'expulsion avant que l'étranger n'ait été averti
<tu sort qui l'attend, par le retrait de son autorisation de domicile, et qu'il ait pu faire valoir ses moyens de défense et expliqué sa conduite.
�0
DE LA LIBERTÉ INDIVIDUELLE DE L ÉTRANG!R EN FRANCE
f08
f09
DROIT FUNÇAIS
M. Clovis Hugues, dans la séance du 24 février 1882, à la
Chambre des Députés,apostrophait M. le ministre de l'lntérieur
dans une forme un peu dramatique, mais en tout cas le
fond de sa pensée est juste à l'égard des étrangers domiciliés.
L'expulsion est non seulement la violation de l'hospitalité,
mais encore une violation de droit; il est étrange que cette
violation soit possible sous notre régime politique.
On a vu que M. Bernard, que nous citions plus haut, proposait de déférer l'expulsion aux magistrats de la Cour d'Appel,
siégeant en chambre du Conseil et statuant ùisciplinairement.
D'après ce que nous avons dit, c'est sur le retrait d'autorisation de domicile que la Cour devrait se prononcer. L' expulsion, qui dépendra de la décision rendue, resterait ainsi ce
qu'elle est, et doit être, en principe, une mesure de police,
que le Gouvernement prendra si bon lui semble contre l'étranger redevenu étranger ordinaire.
Nous aimerions mieux voir le Conseil d'État saisi de la
question. Le Conseil d'État est un tribunal qui réfléte les
tendances gouvernementales, sans cependant participer aux
sentiments plus mobiles d'un cabinet ou d'un ministre. Plus
en contact avec la vie politique que la magistrature qui devrait l'ignorer, le Conseil d'Etat appréciera mieux l'opportunité du retrait d'autorisation de domicile.
Une telle décision touche toujours par quelque côté la politique, elle tend à effacer un état de droit qui prépare à la naturalisation, or la naturalisation qui fait entrer un étranger au
nombre des citoyens, est un acte politique.
SECTION IV
D'une police internationale des Étrangers.
Dans les sociétés fondées sur le principe rle la liberté, il faut
une très-nette perception de l'ordre ; c'est sans doute ce que
Montesquieu appelle la vertu nécessaire aux États populaires.
Le gouvernement républi cain laissant aux individus le maximum d'initiative, réduit d'autant les attribution:; de l'État,
qui conserve ses seules fouctions rationnelles, le soin de la
sécurité à l'extérieur et de la police générale à l'intérieur.
Plus la liberté est développée et plus les atteintes qu'elle peut
ressentir sont subites et délicates.
Les atteintes à la propri été et aux personnes sont les plus
flagrantes violations de la lilJerté. L'énergie et le temps dépensé par le citoyen a pourvoir à sa sûreté comme à celle de
8es biens menacés par les entreprises des malfaiteurs sont une
déperdition de forces. Aussi est-ce dans .l'État le plus libre,
quand l'activité de l'homme peut produire tout son effet utile,
que la police doit être la plus rigoureuse.
Cette police comprend une action judiciaire rapide, un système répressif efficace. Nous n'entendons parler ici que de la
police dans son sens élevé, c'est-à-dire, d'une partie de la législation ayant sa valeur juridique, et non de ces mesures arbitraires visant aussi un but de police et dont il a été parlé précédemment.
La loi sur les récidivistes qui, il faut l'espérer, sera bientôt
voté répond à des préoccupations de cet ordre. - La société
terrasse un adversaire dont elle a eu le torl de ne pas avoir
�uo
DROIT FRANÇAIS
su prévenir la croissance ; mais elle doit vaincre à l'état
l'adulte ou se résigner a en être la victime. Peu importe les
imperfections .de la loi et si elle pêche contre certains principes du droit pénal.
L'école primaire est en train d'apprendre à tout citoyen
français son devoir et sa conduite. Le temps est proche
où une prévoyance intelligente le soutiendra aux heures
de maladie et de chômage. La prison résignera enfin ce caractère hybride de maison de correction et d'éducation.
L'opinion est faite sur ce singulier système de défense sociale, qui réunit en conférence les pires ennemis de la
société et se flatte de les convertir aux devoirs civiques et
sociaux. A chaque institution sa fonction spéciale. Un régime pénitentiaire rigoureux, dès la première infraction,
ramènera certains malfaiteurs à la vie normale, quant aux incorrigibles et aux malheureuses victimes d'une nature rebelle
à l'adaptation, on en débarrassera le corps sodal comme on
fait d'un parasite. La société une fois préservée d'êtres malfaisants, les sentiments d'humanité s'exerceront à l'égard des
irresponsables en leur assurant au loin une existence suppor·
table.
Les idées qui précèdent dictent le syst ème qui devra
protéger les citoyens français contre la criminalité étrangère.
Une présomption de nocuité s'élève contre tout individu
dépourvu de moyens d'existence ; celui-là, il faut le restituer
à sa patrie qui doit pourvoir à ses besoins ou le contraindre
au travail. Osant aux délits que l'étranger commet sur notre
territoire, le plus sûr moyen d'en diminuer le nombre est
d'opérer une sélection parmi les étrangers et d'assurer l'observation des mesures d'expulsion, qui sont incessamment
et impunément violées , grâce à la difficullé d'établir l'identité
des étrangers.
1
DE LA LIBERTÉ INDIVIDU.RLtE DE L ÉTRANGER EN FRANCE
iii
On a proposé de garder la frontière et de rétablir les passeports 1. C'est se faire illusion sur l'efficacité du procédé. Les
mœurs économiques se refusent à revenir à un système délaissé successivement par l'Allemagne, l'Angleterre, la Ilollande, la Belgique, l'Espagne, l'Union-Américaine et par presque toute l'Europe~. Il n'est pas de mesure administrative plus
vaine et plus vexatoire. Un édit du 3 mars i 791, abolissait l' obli·
gation du passeport. Des causes politiques et transitoires le
firent rétablir, puis supprimer encore jusqu'à la législation du
iO Vendémiaire, an IV. Aujourd'hui et dans la pratiqne les
passeports sont tout au plus exigés de quelques pauvres
hères, et encore ne servent-ils souvent qu'à contrôler la comptâbilité des secours de route délivrés aux indigents.
Forcer d'une façon pratique à justifier de leur identité les
nombreux immigrants qui envahissent les départements frontières, voilà le problème.
Ferons-nous remarquer qu'un intérêt international invite
les Etats à se concerter dans ces moyens .de préservation.
Presque tous se réserv~nt le droit d'expulser certaine catégorie d'étrangers, une entente serait, semble-t- il, facile à établir sur les bases suivantes.
I. Chaque Etat a le droit d'exiger de l'étranger la justification de son lieu d'origine.
Il. Le défaut de justification est une contravention à la
loi internationale. - La dissimulation reconnue est un
délit.
III. La condamnation à certains délits entraîne à l'expira1
Bernard. ~tradition, p. 624, t. II. V. le projet proposé par cet auteur.
'La formalité du passeport n été e:ipressément supprimée entre la France
e~ les États-Unis en 1874, suppression étendue aux émigrants en i 879. Circ. lot. bull. olî. int. i879, p. 38. - Même abrogation de cette formalité
enire l'Angleterre et la France. i860.
�H2
' FRANÇAIS
DROIT
DR LA LIBERTÉ INDIVIDUELLE DE L'ÉTRANGER !N FRANCE
tion de la peine principale la peine accessoire de l'expulsion,
sans qu'elle puisse jamais en être séparée par le bénéfice des
circonstances atténuantes.
IV. L'effet de l'expulsion est temporaire ou perpétuel, suivant les cas déterminés.
v. La réintégration du territoire pendant la durée de la
peine de l'expulsion est punie d'une peine correctionnelle avec
exclusion perpétuelle du territoire à l'expiration de la
{ 13
moyens d'existence réguliers, il sera conduit devant le Procureur de la République du chef-lieu d'arrondissement, qui vérifiera la sincérité des déclarations, si elles sont reconnues
mensongères, l'étranger sera immédiatement déféré au tribunal, à l'audience des flagrants délits, et condamné pour dissimulation d'origine. A l'expiration d~ la peine, l'expulsion
sera prononcée si l'individu n'a pas, dans l'intervalle, justifié
de son origine. Si l'on venait à découvrir des condamnations
antérieures, l'expulsion sera toujours prononcée. On pourrait
n'appliquer, dans l'hypothèse qu'on vient d'examiner, que le
minimum de la durée de l'expulsion.
La carte d'identité devra être présentée à toute réquisition
des autorités chargées de la police : ell~ servira de passe-port
à l'intérieur, et sera visée pour départ, en cas d'un changement définilif de résidence. La police municipale qui s'apercevra d'un départ clandestin, avisera aussitôt le Procureur
de la République du chef-lieu, qui joindra l'avis au casier.
peine.
VI. La récidive de la violation du jugement d'expulsion entraine la relégation ou la transportation aux lieux fixés par les
lois, excepté au cas où l'expulsion aurait une cause politique.
La mise en pratique de ces dispositions reposerait sur le
double concours de l'autorité municipale dans chaque commune et des bureaux du casier central.
Dans chaque commune, tout étranger dont la présence est
constatée depuis quelque temps, sera invité à se rendre devant
l'autorité municipale. Il devra être porteur d'un certifLcat d'origine émanant de l'autorité de sa localité, sous peine d' être traduit en simple police. Il lui sera en tout cas enjoint de déclarer: i • son lieu d'origine - 2° ses noms et prénoms, ceux
de ses père et mère - 3° s'il n'a point subi de condamnations
en France ou à l'étranger. Il indiquera ses moyens d'existence, la durée approximative de son séjour dans la commune
et le département. Il sera averti de la peine qu'il encourt en
cas de fausse déclaration d'origine.
Une carte d'identité contenant ces diverses indications et un
signalement exact, sera remis à l'étranger qui la signera,
s'il ne sait, mention en sera faite. Un double sera adressé au
Procureur de la République du chef-lieu de département. Une
minute restera à la commune. Dans les quinze jours qui sui·
vront les, formalités, si cet étranger ne parait pas avoir ~e
En cas de changement de résidence, dans un m ême département, il suffira d'un visa d'arrivée, donné par le maire ou
le commissaire de police, qui a visera le Procureur de la République. Si le changement de résidence a lieu hors du département, à l'arrivée dans la localité, l'étranger fera viser sa
carte d'identité, renouvellera la déclaration du séjour qu'il
compte faire dans la commune. Une copie de sa carte sera
adress~e au Procureur de la République, une antre demeurera
à la mairie. On établira de la sorte un casier de surveillance
au chef-lieu de chaque .département. Les recherches judiciai~
res seraient ainsi singulièrement facilitées et l'on verrait diminuer le nombre des affaires poursuivies contre inconnus. Les
porteurs de cartes irrégulières seront en contravention.
. li fa~t, en droit pénal international, poser comme un principe primordial, le constat d'identité. Ensuite, l'efficacité du
\
8
�it4
DROIT F RANÇAIS
système dépendra entièrement de la sévérité de la peine appl11.i uée à ta tl1:,, imulation de l'identité.
Une extrême sévérité qui, à priori, paraît en contradiction
avec la faible importance du délit choquera certainement les
criminalistes, qui prenMnt pour mesure de la peine l'immoralité du délit ou la perversité du coupable. Mais ce sont là des
choses en dehors de l'appréciation humaine et sans portée
pratique. La philosophie spiritualiste qui a rendu de merveilleux services au droit pénal et fait franchir, en cent -cinquante
ans, un pas immense aux mœurs judiciaires, doit aujourd'hui
former un document historique du droit pénal à classer aux
archives de la science : une autre phase de l'évolution succède, la préservation doit se faire énergique et se mesurer sur la
grandeur du danger.
En droit international, ce sont les conclusions pratiques qui
doivent prévaloir, et le droit pénal international est moins du
droiL pur que de l'économie sociale.
Los sociétés modernes ont un profond besoin de sécurité,
besoin qui est, à la fois, une conséquence de leur progrès
économique, comme la condition des progrès ultérieurs.
L'identité est le pivot de toute action judiciaire, aussi ne
faut-il pas que, sur le territoire des Etats, il puisse se trouver
un seul individu dont l'identité soit douteuse. La cu1rnaisnaissance de l'identité, rapide et sùre, de tout étranger, est
l'unique moyen de prévenir les nombreuses violations d'arrêtés d'expulsion. On ignore trop que la plupart des individus, frappés d'expulsion, r éintègrent le territoire qui les a
renvoyés, dans la quinzaine qui suit leur sortie. Cette proportion représente 84 / iOO des affaires de flagrants délits. (Journal Offic., 1.6 août 1882, p. ft558). Ces étrangers reviennent
sous des noms supposés, sous une identité de fantaisie.
Rien n'est plus aisé que d'être porteur d'un certificat d'origine qui n'a pas besoin d'être renouvelé à tout instant. L'indi..
DE LA LIBERTÉ INDIVInUELLB DB L'~TRANGER EN FRAl'fCE
1 f?S
vidu n'est point soumis à une police tracassière et humiliante,
sa liberté qui dépend uniquement de la sincérité de ses décla_
rations, lui donne le sentiment de sa responsabilité.
Notre système, moins vexatoire que celui des passe-ports,
ne gêne ni un intérêt matériel, ni la célérité des déplacements, si imprévu que soit un départ, puisque les formalités
ne .s'accomplissent qu'au lieu d'arrivée et dans un délai suffisant. Plus libéral que tout autre système de surveillance, puisqu'il ne dépend pas de l'administration du pays étranger, de
retenir un do ses nationaux, par le refus d'un passeport. En
droit, si le passeport ne peut être refusé à quiconque n'est
pas sous le coup d'une poursuite criminelle, en fait, il peut
l'être par le mauvais vouloir d'une administration. Le réfugié
politique pourra accéder à notre territoire, sans produire un
passe-port qu'il serait naïf de lui demander : la carte d'identité ne le compromet en rien. Elle ne devient nuisible qu'à
l'individu qui se place sous le coup des lois : elle n'est obligatoire d'ailleurs, que pour ces étrangers, que tout Etat civilisé
est en droit de suspecter et de redouter.
,,.,
�DROIT DES ÉTRANGERS D'ESTER EN JUSTICE
CHAPITRE 11
DROIT DES ÉTRANGERS D'ESTER EN JUSTICE DEVANT LES TRIBUNAUX· FRANÇAIS
Etranger demandeur contre un Français. - Le principe,
actor sequitur forum rei, donne naturellement le droit à
l'étranger de citer devant les tribunaux français, le Français avec qui il a contracté. (Art. i5, C. Civ. ) Toutefois,
en matière civile, l'étranger qui n'aurait pas en France
de biens immobiliers doit fournir une caution. (Art. i6, C.
Civ.) La caution judicatum solvi, exigée de l' étranger assure
au défendeur français, s'il gagne le procès, l'exécution de la
sentence.
Etranger défendeur contre un Français. - S'agit-il, au contraire, d'un étranger actionné par un Français, il ne peut se
soustraire à la juridiction française qui sanctionnera les obligations contractées par lui, qu'elles l'aient été on France ou à
!'Étranger, ou même que le contrat, qui fait l'objet du litige,
ait reçu son exécution à l'étranger. C'est là une dérogation sans doute au principe qu'on rappelait plus haut,
mais qui est nécessaire pour sauvegarder l'intérêt des nationaux: qui auront souvent avantage à citer l'étranger de-
{{
7
vant la justice française. Il sera toujours loisible au Français
d'observer le principe et de déférer son litige à la juridiction
étrangère, car ce n'est qu'une faculté qu'énonce la loi. u L'étranger pourra être cité ... » Art. i4. C. Civ.
C'est non seulement à l'occasion d'obligations contractées,
que l'étranger pourra être cité en France, mais encore à l'occasion d'obligations nées d'un quasi-contrat, d'un délit
ou d'un quasi-délit. Il ne faut pas perdre de vue l'origine
de la théorie des obligations, elles ont été considérées dès le
droit romain comme se rattachant au ùroit des gens (Instit. de
Oblig. § 2). La jurisprudence a adopté unanimement cette
théorie.
Etmnger demandeur con.tre un autre étranger. - La difficulté natt lorsque la contestation surgit entre étrangers. Notre
Droit public a-t-il entendu protéger les étrangers à l égal des
nationaux, et la justice Française est-elle appelée à connaitre
d'intérêts purement étrangers? C'est là une question pendante,
la jurisprudence, par des solutions contraires, montre son hésitation, les auteurs n'ont pas davantage adopté une théorie
définitive.
Aucun texte ne défend à nos tribunaux: de retenir un
litige né entre étrangers : le silence des Coùes prête donc
à deux interprétations. Mais, envisageant la nature du
service judiciaire, ne voit-on pas que c'est un service économique au même titre que les divers services public ,
tels que ceux qui assurent la viabilité des routes, la transmission des correspondanees etc., rémunérés tous par l'impôt. Or, les taxes ot les impositions frappent en principe
l'étranger comme le national, il n'y a donc pas à faire
une distinction arbitraire entre le service judiciaire et tout
autre rendu par l'État, et ce n'est donc point une faveur
que les étrangers sollicitent, quant ils demandent à nos
tribunaux, do juger leurs contestations, mais un véritable
�H8
DROIT FliNÇ!IS
droit qu'ils pourraient exiger. C'est un service dont ils acquittent la rémunération.
Nous verrons plus loin que ce point de vue renferme les
éléments d'une situation juridique très-précise, quant à l'e.tercice du droit d'ester.
En matière immobitiè7·e, le Code Civil est formel, les immeubles, sis en France, sont régis par la loi française, quelle, que
soit la nationalité des propriétaires. (C. Civ. art. 3, al. 2).
L' article du Code Civ. qui soumet expressément l'étranger
aux lois de police et de sûreté fournit un argument à contrario
à l'opinion qui exclut la compétence des tribunaux en matière
purement personnelle . Cette argumentation est peu concluante.
Lors de la discussion du Code, le Consul Cambacérès prévoyant le cas où des étrangers consentiraient à plaider devant les tribunaux français, jugeait nécessaire d'introduire
une disposition spéciale. Tronchet rappelait le principe de
la compétence du juge naturel du défendeur, mais en ajoutant que si la juridiction n'était point déclinée par le défendeur, les tribunaux auraient le droit de juger.
Actuellement la jurisprudence r éserve aux tribunaux la faculté de ne pas entendre les parties, sans que lour abstention puisse être considP,rée comme un déni de justice. La doctrine produit des arguments d'une grande force dans le
sens de la compétence nécessaire des tribunaux, les idées
chaque jour plus favorables à l 'étranger les feront adopter par
la jurisprudence. M. Laurent, (Principe de Dr. civil Français,
1. N° 430) s'exprime ainsi : cc Celui qui est capable d'exercer
un droit, doit aussi avoir la capacité d'en poursuivre 1' exécution forcée, car que seraient les droits s'ils n'avaient pas de
sanction . » Dans le même sens Massé. Le droit commercial
dans ses rapports avec le droit des gens et le Droit civil t. II·
f 67, Fœlix, i 21 et suivant.)
DROIT DRS ÉTRANGERS D'ESTER EN JUSTICE
1.19
En matière commerciale, la jurisprudence est fixée dans le
sens de ia compétence nécessaire. Déjà les ordonnances de
!673 et {68i, reconnaissaient l'obligation pour le juge français de statuer sur les contestations commerciales des étrangers. M. P ardessus dit même ' <c que c'est là en quelque sorte une
loi de police à laquelle les étrangers n 'ont pas le droit de se
soustraire. » Arrêt de Cass. 22 nov. i 815, Ch. r eq,; cet arrêt
décide qu'il y a m ême lieu d'observer, quant à la citation, les
dispositions de l'art. 420 du C. de Procédure. Dans le même
sens, l'art. 63f du Code de Comm. ne fait point de distinction entre les justiciables des tribunaux de commerce . (Nouvel
arrêtdui9 déc. i88l. Ch.req. )
On ne voit pas pour quel motif l'accès de la juridiction civile serait moins d'orJre public que l'accès de la j uridiction
commerciale. Dira-t-ou, que le droit d'obtenir justice au civil
est un droit qui ne saurait ùécouler de l'établissem ent d'un
domicile de fait, que ce domicile ne donne pas la jouissance
des droits civils au nombre desquels se trouve compris
le droit d'êlre jugé. C'est le système de la juri::.prudence. Cass.
5 mai 1875, S. 75. L 4.09 . 289.
Paris 13 mars, 1. 879 . S. 79. 2.
Nous nous rangerons à la théorie de la Cour de Bruxelles . .. Le droit d'ester en justice n 'est pas un de ces droits
civils, uniquement attachés à la qualité de Belge, mais plulüt
un de ces droits qui, comme le droit d'acheter ou <le se mari0r, doit être rangé dans la catégorie des droits appartenant
aiusi que le dit Portalis, bien plus au droit des gens qu'au
droit civil, et dont l'exercice n e pourrait être intorrompu saus
porter atteinte aux diverses r elations qui exislent outre les
peuples. )> Arrêt du 28 mai i867 , (Pasicrisie 1867, II.
p. 294.
L'opinion adoptée plus haut sur la situation de l'étranger uu
point de vue civil milite en faveur d'un système différent de ce-
�i20
DROIT FJ\ANÇAIS
lui de la jurisprudence française, et nous pensons que non
seulement les tribunaux saisis d'une contestation entre étrangers peuvent statuer, mais encore qu'ils le doivent. C'est
moins de l'art. 11, du Code Civ., qu'il s'agit ici, que des dispositions de notre Droit public qui soumettent l'étranger à des contributions P.écuniaires diverses: or, celles-ci sont une spoliation si elles ne reçoivent pas de compensation de la part de
l'État.
Les art. 0 du Code Civ. et 59 du Code de Procédure,
combinés avee l'impôt, constituent les éléments d'une situation
juridique telle qu'elle entraîne la compétence absolue et nécessaire des tribunaux dans le cas qui nous occupe.
Le domicile s'établit par un fait, l'art. 13 du Cod, Civ. le
constate seulement d'une façon officielle, plus exactement il
le revêt d'un caractère particulier. Lorsque la loi traite des
ajournements et des citations et qu'elle parle du domicile, elle
entend se servir d'une expression large, puisqu'à défaut de domicile elle autorise la citation au lieu de la résidence: à plus
forte raison ne se préoccupe-t-elle pas d'un domicile qui pourràit résulter d'une autorisatiou spéciale, qui aurait ainsi une
qualité accidentelle. Ce que la loi exige, c'est que Ja partie
défenderesse ait un domicile , ou une résidence de fait, lorsqu'elle l'a,elle peut être actionnée à l'occasion de toutes matières
civiles personnelles. (Art. 59 C. de Pr. 1, (Contra jurisprudence, 2 avril 1873, S. 331. 435). Les deux plaideurs étant domiciliés ou simples résidants le défendeur proposera inutilement
l'exception d'incompétence tirée de son extranéité, car le tribunal ne saurait y accéder sans frustror le demandeur d'une
j ustir.e, dont celui-ci assure le service par les co ntributions qu'il
paie à l'Etat. D'autre part si le défendeur ne soulève pas l'incompétence, à fortiori, le tribuual ne peut refuser de statuer, la
situation du défendeur étant la même que colle du deman·
deur.
DROIT DES ÉTRANGERS D'ESTJU\ EN JUSTICE
121.
Au contraire le tribunal devra se déclare rincompétent pour
juger des plaideurs qui ne seraient ni l'un ni l'autre domiciliés
ou résidents, ear alors l'État qui n'est point indemnisé ne peut
occuper ses magistrats à des intérêts étrangers qui ne touchent
point à l'ordre public ou à la police du Pays. Mais ne voit-on
pas que cette abstention du service judiciaire concorde précisément avec les dispositions de l'art. 59 du Code de Procédure
à défaut de résidence ou de domicile en France, le défendeur
étranger ne peùt ê tre cité devant aucun tribunal français en
matière personnelle, et dès lors l'action du demandeur ne pourra
s'engager en France.
La jurisprudence est en contradiction avec elle-même quand
elle permet l'intervention d'un étranger au cours d'un procès
Lyon, 21juin187i S. 72. 2. 20i); à quoi servirait en effet l'inte~vention si le jugem ent ne devait point avoir d'effet à l'égard des intervenants .
S'il est possible de citer un étranger domicilié ou non , lorsque la demande viso en même temps un fra nçais, c'est dans
un but de protection favorable au plaideur en France.
L'article 59 permet aussi do citer un étranger au cas où la
demande est formée contre plusieurs défendeurs et où l'un
d'eux aurait domicile en France : le procès peut donc s'agiter
uniquement, entre étrangers, mais il sera nécessaire que l'un
d'eux soit plus que résidant, mais bien domicilié en France,
le texte est précis.
En matière mixte, il suffira que le défendeur étranger ait
son domicile en France, (art. 59 al. 4). Le tribunal pourra
avoir quelque peine à se prononcer en présence d'accords formés d'après les lois étrangères, mais ce n 'est quo de
la partie de l'instance purement personnelle que le tribunal,
connaîtra. Il ne peut rien décider à l'égard d'immeubles situes
en dehors de la souveraineté de l'État français .
�122
DROIT FRANÇAIS
En matière de délits et de crimes, l'é~ranger même non do.
micilié ni résidant pourra obtenir des réparations civiles, à la
condition que l'action civile fùt jointe à l'action pénale et qu'il
y fùt statué par le tribunal repressif. Le Code d'instruction
criminelle établit un lien si intime en tre les deux actions
(art. 3, 627, 638, 640) que les mag istrats pourraient diffi.
cilement se refuser à juger, en invoquant l'extranéité du
demandeur et du défendeur. Cette solution n'est pas tout
à fait en harmonie, il est vrai, avec la corrélation nécessaire
que nous établissons entre le service judiciaire et l'acquiltement de l'impôt. Mais la réparation civile n'est, en par~il
cas, qu'une extension de la condamnation pénale, une sorte
de composition. De plus l'instruction du procès civil est
menée de front avec l'instruction de l'action publique, il n'en
résulte ni perte de temps ni surcroît d'occupatiÔn pour les magistrats au détriment du service qu'ils doivent aux nationaux,
quant à l'assignation pour le procès ci vil, si l'étranger pour·
suivi est détenu,elle peut être faite à la maison d'arrêt qui pour
lui est le lieu de résidence. Au cas de disjonction des deux
actions, et si la demande en réparation est portée devant Je
tribunal c1v1,
· ·1 1·1 Y a une double raison
·
pour que ce tribunal se
déclare incompétent. En effet, à l'égard du défendeur, l'art. 59
~u Code de Procédure est applicable, l'assignation ne pouvant
etre donnée devant aucun tribunal, à l't>gard du demandeur,
également
non dom1c1
· ·1·1e' lll· résidant, les tribunaux
, .
n'ont point
a Juger par application du système que nous proposons.
Le système de l · ·
a Jurisprudence l'a conduit à donner une
portée et UOB extension considél'able à l'art. 3 du C. Ci·
vil : et l'interprétation de l'expression lois de police est de·
'
'
venue d' une élast1· 'té ·
c1 s1 grande que le sens juridique en est
presque indéfinissable. C'est ainsi que les tribunaux prescrivent
une
. . et privé,
.
. série de mesures d"m té r êt civil
d'ordre conserva·
toire, provisoire ou urgent, qu'ils ordonnent le service d'une
DROIT DES ÉTRANGERS D'ES'fER EN JUSTICE
i23
pension alimentaire (Trib. civ. 3 Mai, 1879 Frengs-Mathysens)
qu'ils autorisent une femme à quitter le domicile conjugal en
attendant l'issue d' une demande en séparation ou en divorce
introduite devant la juridiction étrangère. (Paris, 9 août 1878).
En matière de société, une loi du 30 Mai 1857 autorise les
sociélé:i légalement constitu ées en Belgique à ester en justice
devant les tribunaux français; le bénéfice de cette disposition
pouvait être étendu par décret à d'autres États. C'est là une
loi offrant des avantases pratiques rl'ordre économique qui
la dispense d'un fondement théorique. Les tribunaux français
devront donc, en pareil cas, connaître de tous les incidents qui
surviendront, par exemple à l'occasion du partage, action
en rérision du partage, action en garantie (art. 822, i 872 C.
Civ - f>9 C. Pr.)
En matière de (ai/lite, les tribunaux français seront compétents pour prononcer toutes déchéances de droit contre un étranger. Celui-ci se plaçant dans la situation du commerçant se soumet forcément à toutes les lois spéciales qui régissent les individus investis de cette qualité. Le Code de Commerce n'avail donc
point à s'occuper spécialement de l'étranger dans l'art. 437 et
5on silence s'interprète tout naturellement dans le sens qu'on
vient d'indiquer.
Certains États, comme la Suisse, (traité avec la France du
i5 Juin 1879) ont r églé la juridiction à laquelle seraient soumis leurs nationaux. En pareil cas, c'est à la loi conventionnelle que les tribunaux devront se référer. La volonté des
parties ne saurait couvrir l'incompé tence des tribunaux dans
les matières non prévues au traité, et d'office les juges devront se dessaisir. (Paris, du 8 juillet 1870. S. 7t. 2. 77.)
�LES ÉTHANGRR~ ET LBS CULTES
125
en vigueur, ne sont pas sans inconvénients à l'égard des
étrangers qui résident sur le sol français, ou qui y font un séjour momentané.
CHAPITRE III
LES eTRANGERS ET LES CULTES
§. J· -
RESTRICTION A LA LIBERTÉ DES CULTES
Les principes libéraux que la Révolution avaient proclamés
en matière religieuse et de culte, devaient subir au bout de
peu de temps d'importantes r estrictions .
L'Empire et la Restauration valaient à la France le Concordat et les Gultes officiels : une religion de majorité substituée à
la religion d'Etat, la différence était dans les mots , elle n'était
guère daus les choses. Ne voit-on pas, à l'occasion ùes prières
publiq ues que la Constitution de 1815 a cru devoir maintenir,
les convocations officielles des foncliounaires se faire dans les
églises catholiques 1 •
. Cette polilique d'ailleurs devait engen,drer l'indill'érence religleuse; les choses de la religion que l'esprit de liberté n'avait
pas vivifiées ne préoccupent sérieusem1mt l' esl-lrit de personne
en France.
Les disposi· t'ions legales,
'
en matière de culte actuellement
1
révision
·reLa
t
1
récent
· .
I! qui vient d'être faite de la Cooslilulion de 1875, .ma.
· é
1 erté en mallère
l'ab e e. progrès de J11 rb
religieuse le congrès a déc1d
D1 "
rogatto.11 dea prièrea officielles.
,
A première vue, on est frappé du désaccord des lois et usages anciens avec les besoins nouveaux. Les merveilleux
échanges de populations facilités par les moyens de transports,
font que t ous les cultes du monde ont aujourd'hui des adeptes
en France. Or, il s'en faut beaucoup que chaque étranger
puisse exercer les rites de sa croyance. A cet égard les pays
d'Orient, plus libéraux que le nôtre, supportent toutesles manifestations extérieures des cultes européens.
Examiner l~ situation faite à l'étranger en matière de culte
par notre Droit Public, c'est envisager la question de la liberté des Cultes.
Depuis la Révolution, la liberté de conscience est absolue,
nul ne peut être inquiété pour les sentiments qui l'animent
dans son for intérieur. Mais s'agit-il de la manifestation publique, ex.terne, de ces sentiments de leur traduction par des
ritos, des paroles, des cérémonies, les obstacles légaux se
dressent, en sorte que la libertt> n'est qu'apparente car en matière de culte tout est extérieur. C'est le propre des cultes de
s'affirmer à la face de tous 1 les religions n'ayant pu s'affranchir d'un apparat extérieur : jusqu'ici elles ne se sont point
assez spiritualisées pour se débarrasser de pratiques matérielles
et se contenter du domaine intime.
Qu'a-t-on donc à objecter à la liberté des cultes? L'E tat, dit-on, doit surveiller lès mœurs ; sous prétexte de
culte, des idées éversives d'ordre, des pratiques malsaines
peuvent surgir, il importe de les prévenir. Sans doute l'Etat
a droit de surveillance ot de haute police sur ce qui se passe
:hez lui , qui donc y contredit? Mais cette police qu'a-t-elle
a voir avec la reconnaissance de trois cultes, ni plus ni m oins,
ou le salariat des ministres des cultes. A cette époque peu s'en
�LES ÈTnANGERS ET LBS CULTES
DROIT FRANÇA..IS
fallut qu'on ne reconnût que deux cultes, le judaïque faillit rester à l'écart 1 ; on n'avait, en effet, rien à en redouter
les Israëlites numériquement étai ent sans importance pour
offrir un élément hostile ou favorable au pouvoir. Quant au
protestantisme il sortait d'une phase de longues persécutions,
un mouvement d'opinion obligeait à le reconnaitre et à lui faire
profiter de ce qu'on estimait alors les avantages r éservés au
catholicisme '.
Sans le concordat, il est difficile d'affirmer les résultats qu'aurait amenés la liberté des cultes telle que la Révolution l'avait
faite, mais on peut conj ecturer avec quelque vraisemblance que,
les folies du premier moment dissipées, on eùt assisté au spectacle d'une organisation naturelle des trois g rands cultes avec
des sectes dissidentes tant catholiques que protestantes. Au
lieu d'un parti catholique fortifié, g randi à l'ombre du trône,
s'élevant au rôle de parti politique, on eût vu des églises diverses se fonder et rivaliser entre elles, mais uniquement dans
le domaine des idées religieuses. Ainsi circonscrite leur agitation pouvait être négligée dans la conduite de la politique générale.
)
Bonaparte préféra diriger cette organisation des clergés; sa
conduite répondait peut-être au sentiment général d'alors, on
éprouvait un besoin d'ordre et de règle en toutes choses, on
négligeait de s'occuper des conséquences ultimes de la réglementation. Le procédé tout naturel était de salarier les cultes,
mais les payer en cet instant c'était leur donner la vie. Ce pre·
mier pas fait, la nécessité de les reconnaître de leur accorder
'
une protection spéciale, une série d'immunités s'.imposait.
Disons-le de suite, c'était la main mise sur le clergé catholi·
i27
que afin de l'asservir à un dessein despotique. C'était aussi le
pacte de deux despotismes; Rome et Nap oléo n, trop puissants
pour vivr e en lutte et se mesurer sans cesse, préféraient faire
alliance. Le premier Consul prévoyait sans doute en faisan t le
Concordat tous les avantages que Napoléo n en r etir er ait 1 •
Quelle que soit l'opinion qu'on ait sur ce point , le Concordat n'en est pas moins demeuré un instrument de subordination merveilleux.
La Constitution de l'an Ill avait dégagé la formule vr aie et
libérale applicable aux cultes, art. 354 : « Nul ne peut être
empêché d'oxercer , en se conformant aux lois, le culte qu 'il
a choisi, nul ne peut être forcé de contribuer aux dépenses
d'aucun culte. La République n 'en salarie aucun . » Le décret
du 7 vendémiaire, an IV, est la mise en œuvre de cette disposition et s'occupe de la police extérieure des cultes. Voici les
articles qu'il convient de r etenir. Art. i •• : Tout r assemblement pour l'exercice d'un culte quelconq ue est soumis à la
surveillance des autorités constituées. Cette surveillance se
1
On sait à quel point le clergé fut asservi et l'on connaît le fameux catéchisme, reçu dans les églises sous le règne. Nous en citons ce passage,
page 5!1.
Demande. - Quels sont les devoirs des chrétiens, à l'égard des princes qui
les gouvernent et quels sont en particulier, nos devoirs envers Napoléon I•r
'
notre empereur ?
Réponse. - Les chrétiens doivent aux princes oui les gouvernent et nous
devons en particulier à Napoléon I••, nolre emper eur, l'amour le respect etc.
'
1
llonorer et, seruir no.re
mdme.
empereur, est donc ho1101·er et serc1r Dieu
'
i 831.
D. - N Y a-t-il pas des motifs particuliers qui doivent plus fortement
nous attacher à Napoléon I••, notre empereur?
· dans les drcoustances diffi. R. - Oui : car il est ce! nt· que n·1eu a suscllé,
ciles, pour rétablir le culte public de la religion sainte de nos père11 et pour
'
,
. ·
d
Il
en être le protecteur
···· · est cvonu 1oint du :Seigneur, par la consécration
u'il
q a reçue du Souverain Pontife cb ef de l'Eglise universelle.
t· - Que doit-on penser de ceux qui manqueraient à leurs devoirs envers
D
ll0 re empereur ?
'
La l~i du i 8 germinal an V, fut cependant trouvée t rop peu libérale eL
donna lieu aux réclrunalione des pasteurs protestants.
:· - Selon l'apôtre saint PQul, ils résisteraient à l'ordre établi de Dieu
m me, et se rendraient dignes de la damnation éternelle.
1
2
Bien que reconnu, ce culte n'a été salarié qu'à dater de la loi du 8 février
�128
DROIT FRANÇAIS
renferme dans des mesures de police et de sûreté publique. »
Art. i 7: «L'enceinte choisie pour l'exercice d'un culte sera
indiquée et déclarée à l'adjoint municipal.-.. Il est défendu à
tous individus d'user de ladite enceinte avant d'avoir rempli
cette formalité. »
La surveillance organisée par ce décret est pleinement légitime, et elle respecte en même temps le libre exercice du
culte. Ce n'est pas une autorisation qui est demandée, c'est
une simple déclaration d'ouverture de culte qui est faite à
l'autorité compéten~e. Il est nécessaire que l'autorité connaisse le temps et le lieu où s'exercera le culte, mais cela
suffit. C'est avec plus d'esprit que de justesse et d'impartialité que M. Helo disait: « ... Voilà toute la recette pour fonder une religion. Vous déclarez à la mairie que vous descendez du ciel avec une mission divine, et le secrétaire vous délivre un brevet d'apôtre.. . allez, vous pouvez enseigner le
monde 1 • »
Le Code Pénal devait meidifier profondément ce régime libéral par les dispositions de l'art. 291. : Les pratiques des cultes se faisant d'ordinaire en commun, on atteignait la liberté des cultes en soumettant les réunions à une autorisation du Gouvernement. Art. 291. : «Nulle association de plus
de vingt personnes dont le _b ut sera de se r éunir tous les
jours ou à certains jours marqués, pour s'occuper d'objets religieux ou autres, ne pourra se former qu'avec l'agrément
du Gouvernement et sous les conditions qu'il plaira à l' auto~
rité publique d'imposer à la société.
Que les associations religieuses aient été l'objet de mesures
particulières cela se comprend encore, alors m ême qu'elles se
formeraient pour l'exercice d'un culte déjà reconnu': on
Helo, Régime Constitutionnel, t. I, p. i55.
V. Journal Offic. du s mars :1880. Discoura de M. Waldeck-Rousseau, au
Sénat, sur les congrégations.
J
1
LES ÉTRANGERS ET LES CULTES
i29
conçoit l'intervention du Gouvernement, c'est là une question
d~ police. A fortiori le droit de dissoudre, de disperser de
telles associations est-il manifeste, lorsqu'elles ne sont point
reconnues, et autorisées ainsi qu'il fut fait à l'égard de certaines congrégations religieuses par le décret du 29 mars
1.880.
Ce n'est point là violer la liberté des cultes. Mais où commence la violation, c'est lorsque l'autorisation du Gouvernement est nécessaire pour ouvrir un temple, un prêche, car
peut-on qualifier d'association la réunion essentiellement
temporaire de citoyens dans une mosquée, un temple, un oratoire 1 •
A quel titre le Gouvernement interviendra-t-il? lui demander une autorisation d'ouverture de culte n'est-ce-pas le
mettre dans une situation embarrassante. Est-ce le ministre
qui jugera seul la question? Le Conseil des Ministres ? Mais
d'abord sur quoi statueront ces personnages ? sur la partie
philosophique, sur la dogmatique de la religion nouvelle ?
Sur le.caractère moral du nouveau culte, sa compatibilité avec
l'état de nos mœurs? Voilà nos ministres passés archanges,
gardiens des vertus nationales, il faudrait décla rer celles-ci obligatoires. Un débat parlementaire sur ce point ne laisserait
pas que d'être piquant.
Que redoute-t-on donc de la liberté des cultes : « Mais, dites-vous, sous prétexte de religion, on prêchera des dogmes
nuisibles, destructifs de la société, contraires à la saine morale? Jamais : ·Jà où plusieurs religions se surveillent, toutes
s'épurent. Ce sont des rivales qui ne se pardonnent rien. On
ne peut craindre la corruption que d'une religion dominante,
qui n'a rien à redouter. On ne peut prêcher des doctrines licencieuses qu'en secret, elles n'oseront jamais affronter la
1 Dans notre sens, les paroles du Garde des sceaux, lors de la <liscuesion de
la loi du iO avril i83•.
9
�Dl\OIT FRA.NÇ.AIS
130
L!S fTRANGBRS ET LES CULTES
ic PoUl' rendre les mystères de la Bonne
censure d u Publ ·
· ocenls , 1·1 n'eùt fallu que détruire le mystère et dé·
0 eesse rnn
chirer le voile qui les dérobait à l'inspection sévère de la sociaé. » Il faut citer l\lirabeau, cette magnifique apostrophe à
Une protection de ce genre est attentatoire à la liberté de penser et d'écrire, elle a donné lieu, à certaines époques, à des
décisions monstrueuses 1 •
la Constituante répond à l'objection.
Encore une fois, la liberté des cultes n'exclut pas la police
des cultes'; qu'on n'en doute pas, les infractions an Code pénal, qui pourraient se commettre au nom d'un culte, seront
toujours relevées avec sévérité par les magistrats. Sous la qualification <l'outrage~ au:! mœurs, ils atteindront les Apôtres
dont les doctrines seraient d'une fantaisie dangereuse pour la
§. Il. -
morale publique.
Le régime préventif actuel doit donc être repoussé comme
antagoniste de toute liberté, le régime répressif seul est rationnel, autant qu'il estlégilime 1 • La nécessité d'une police des
cultes est indéniable et elle implique la création de délits spéciaux : comme celui de trouble apporté à l'exercice d'un culte,
soit au cours d'une cérémonie, soit envers un individu isolé,
se livrant aux actes de sa religion, dans un lieu spécialement
affecté à son culte. La répression, en pareil cas , n'est que la
garantie de la liberté.
Mais il n'y a aucun motif pour faire du ministre du culte
un fonctionnaire exceptionnellement protégé par les lois, l'outrage dont il pourrait être l'objet, t ombe simplement sous l'application du droit commun, comme offensant un citoyen. Cette
manière de voir entralne l'abrogation des art. 262, 263 du
Code Pénal.
La police des cultes ne saurait s'étendre à la protection d~s
dogmes, qu'il appartient à tout le monde de discuter, et qu il
est presque grot~s4ue de voir soutenir et défondre par l'Etat.
1
1
.
V. Sorrigny.
V. Vivien, Etudes administ. t. Il , p. 237 ot smv. -
l'organisation des cuit.es.
sur
.
.
8
Portalis, Discour
t3l
•
ÉTRANGERS ADMIS AU MINISTÈRE BCCLÉSIASTIQUB
Culte catholique. - La convention du 26 Messidor, an IX,
dispose, art. i6, que l'on ne pourra être nommé évêque avant
l'âge de trente ans, et si l'on n'est originaire français. Les vicaires généraux. devront nécessairement être Français. En
effet, art. 21 : «Chaque évêque pourra nommer deux vicaires généraux et chaque archevêque pourra en nommer trois,
ils les choisiront parmi les prêtres ayant les qualités requises
pour être évêque. »
En ce qui concerne les fonctions de curé, ni la loi du 23
Ventôse an XII, ni les décrets des 30 septembre 1.807 et 9 avril
1809 sur les séminaires, n'exigent la qualité de Français
comme condition d'admission aux ordres.
Les articles organiques réservent l'autorisaliou du gouvernement, art. 32 : « Aucun étranger ne pourra être employé
dans les fonctions du ministère ecclésiastique, sans la permission du gon.vernement. n A la faveur de ce texte, un assez
grand nombre ùe desservants et de curés étrangers exercent en
France leur ministère et sont rétribués sur les fonds du budget:
c'est une dérogation au principe, que les fonctionnaires doiveut appartenir à la nation qu'ils servent.
Culte protestant. - 11 est curieux de remarquer que la
même faculté n'a pas été réservée aux autres cultes : on s'est
montré plus rigoureux pour les protestants et les israélites.
L'article 1. ùe la loi de Germiual, an X, organique pour toutes les communions protestantes, est ainsi conçu : « Nul ne
1 Case., Sirey, i826, t, 338. Caes. i8l1, t, 2117.
Rejet d'ua arrêt de la Cour de Colmar. -
�132
DROIT FRANÇAIS
pourra exercer les fonctions du culte, s'il n'est français. » A
une époque toute récente, la loi du i • r aoùt 1879 qui réorganise le culte protestant de la confession d'Augsbourg, et dont
le siège était à Strasbourg, s'exprime ainsi, Art. 3: « Pour
être nommé pasteur, il faut remplir les conditions suivantes :
i • être Français ou d' origine fran çaise ; 2° être âgé de 25 ans ;
3° être pourvu du diplôme de bachelier en théologie, délivré
par une faculté française, et d'un acte :le consécration. »
Culte is1·aélite. - L'article 20 du règlement du iO décemhl'e i806 : « Aucun rabbin ne pourra être élu, s'il n'est natif ou naturalisé français. » L'ordonnance du 25 mai 1844,
art. 50, exige la qualité de Français, pour être électeur et
participer à l'élection des membres des Consistoires. La mêma
ordonnance rappelle la nécessité d'Hre Français, pour être
rabbin communal ou ministre officiant. Le décret du H nov.5 déc. i870, modificatif de celui du 29 août i862 décide, que
pour l'élection des membres laïques du Consistoire départemental, du membre laïque du consistoire central, et des
deux délégués du consistoire central pour l'élection du
grand rabbin du consistoire central seront admis : <t. •• 8°
les étrangers résidant dans la circonscription, depuis trois ans
et compris dans l'une des catégories ci-dessus, sans.que, toutefois, la qualité d'électeur leur confère l'éligibilité. ''
Cultes divers. - Le gouvernement a toléré l'exercice de
certains cultes, comme celui des mennonites en Alsace, quakers ou anabaptistes français. Il est, en outre, accordé un certain nombre d'autorisations, notamment à Paris, pour l'érection ou l'installation de chapelles et d'édifices consacrés à quelques sectes ou cultes particuliers.
Enfin, les ministres publics, ambassadeurs etc. peuvent
exercer Jeurs cultes dans l'hôtel de !'Ambassade, même si cos
cultes ne sont pas reconnus ou tolérés par l'Etat. Leurs nationaux peuvent être admis à assister aux cérémonies célébrées
LES ÉTRANGERS ET LES CULTES
t33
dans ces conditions. Mais, <t c'est là, dit P. Fiore, un droit de
l'homme et non un privilège du diplomate. » (T. II, p. 600) .
L'administration a laissé s'ouvrir, à Paris,sept chapelles auglaises, américaines, écossaises, où le culte est régulièrement
célébré chaque dimanche en langue anglaise. Il faut ajouter
encore cinq chapelles méthodistes et baptistes, où le service se
fait en français. Enfin l'église vaudoise, l'église russe.
•
�NATl.iRALlSATlON DES ÉTRANGEUS
135
étranger devient citoyen français lorsque, ap rès avoir atteint
l'âge de vingt et un an accomplis, et avoir déclaré l'intenti on de se fixer en France, il y a résidé dix années consécutives. " L'emper eur accordait le droit de r ésider en
France, puis il conférait lui-même par décret la naturalisation. (Décret du i 7 Mars i.809).
CHAPITRE IV
Cette admission de l' étranger au rang de citoyen français
est un acte de la souveraineté : la naturalisation peut être
accordée dans des circonstances exceptionelles et en dehors
des cas prévus par les lois. IL a été fait application de cette
idée dans les Sénalus-Consultes du 26 vendémiaire, an XI, et
1
i9 février t.808 , et l'ordonnance du 4 juin t8i4 •
SECTION I
De la naturalisation des étrangers dans ses rapports avec
les lois sur le recrutement de l'armée et les règlements
d'admission aux écoles du gouvernement.
Le siège de la matière est dans les dispositions de l'art . 9 du
Code Civil, et de la loi du 29 juin i 867 , combinées avec ce
principe encore rappelé dans l~ loi organique du 27 juillet
1872. u Nul n'est admis dans les troupes françaises, s'il n'est
français.»
La naturalisation est l'investissement de la qualité de Francais
. ' par un ·m d'iv1'du que les conditions de sa naissance font
dépendre d'un groupe politique différent de celui qui constitue la nation française. L'étranger naturalisé est membre de
l'association politique de la France et participe à toutes les
charges et prérogatives des membres de l'association.
e t de privatisme qui caractérise les
· ·
d'excl us1v1sme
.
L'esprit
sociétés antérieurement à la Révolution, environnait la naturali·
sation de difficultés considérables. L'eflprit moderne tend à
faire disparaltre ces obstacles au grand avantage des États,
favorisant ainsi la fusion des nationalités et la civilis9.tion générale.
Aux termes de la loi du 22 frimaire, an VIII, art. 3. u Un
•
.·
On avait distingué longtemps la naturalisation ordinaire
de la grande naturalisation, la loi de 1849, dont tous les
articles étaient en vigueur jusqu'en i867, paraissait maintenir cette distin cti on , alinéa 2e art. t. : « L'étranger naturalisé ne jouira du droit d'éligibilité à l'assemblée nationale qu' en vertu d'une loi. Cette disposition induisait à croire
que la naturalisation, dans les formes indiquées par l'aliuéa
prér,édent, ne conférait pas le plenum jus du citoyen français.
Mais cet alinéa avait un caractère exceptionnel et qui s'explique par les graves abus survenus à la suile du Décret rendu
le 28 m ars i 848 par le gouvernement provisoire. On est
fondé à croire que, lors de la rédaction de la loi ùu :? nov. t 8i9,
on s'efforça d'interdire l'accès des assemblées politiques, aux
étrangers naturalisés sous le régime du décret du 28 mars do
l'année précédente .
Sous la législation de 1849, les enfants nés depnil' la
1 Ordonnance du ~juin i81~. " Conformément nux anciennes constitutions
françaises, aucun étran ger n e p ourra siéger , à compter de ce jour, ni do.os
la chl\mbre des pairs, ni dans celle des députés, à moins que, par d'importnnts ser vices rendus 1l. !"Etat, il n 'ait obtenu de nous des lettr es de naturali-
sation ,.érifiéee p ar les deux Chambres. "
�186
DROIT FRANÇAIS
naturalisation de leurs parents, devenaient seuls Français,
les autres, nés antérieurement, qu'ils fussent majeurs ou mineurs, restaient étrangers : il en résultait qu'une famille se
trouvait mi-partie française, mi-partie étrangère.
La loi du 7 février 1851, art. 2, corrigea cette anomalie en
rendant applicable à ces enfants la disposition de l'art. 9 du
Code Civil. cc L'article 9 du Code Civil est applicable aux enfants
de l'étranger naturalisé quoique nés en pays étranger, s'ils
étaient mineurs lors de la naturalisation . A l'égard des enfants nés en France ou à l'étranger, qui étaient majeurs à
cette époque, l'art. 9 du C. Civ. leur est applicable dans l'année qui suivra celle de cette naturalisation. »
La loi de 1849 avait conservé l'obligalion d'un délai de dix
ans de résidence, reproduisant en cela la procédure de la loi
de Frimaire: et la loi du 29 juin 1867 a réduit trois ann ées
la durée du stage 1 • Ce délai est plus conforme aux besoins
nouveaux.
Occupons-nous de l'effet de ces diverses législations, au
point de vue du recrutement militaire .
Sous l'empire du Code, los enfants qui, nés en France d'un
Cette loi est encore appli~able et nous la reproduisons :
u Art. L L'étranger qui , après !'Age de 21 nns accomplis, a conformément à
l'art, f3, du C. Napoléon, obtenu l'autorisation d'établir son domicile en
France et y a résidé pendant trois années, peul être admis à jouir de tous
les droits du citoyen français. Les trois années cou rent à partir du jour où
la demande d'autorieatioo aura été enregistrre au ministère de la justice. Est
assimilé à la résidence en France le séjour en pays étranger pour l'exercice
d'une fonction conférée par le gouvernement fran çais. li est statué sur la
demande en naturalieatioo, après enq uête sur la moralité de l'l:tranger, par
un décret de l'empereur rendu sur le rapport du ministre de la justice, le
Conseil d'État entendu.
1
Art. 2. Le délai ~e trois nos, Oxé par l'article précédent, pourra être réduit
à une seule onnée en faveur des étrangers qui auront introduit en France
ilOit une industrie, •oit des inventions utiles, qui y auront apporté des talents
distingués, qui y aorunL formé de grands étnblissemeLJls ou créé de graoJea
exploitations agricoles. 10 l'article 5, de la loi du 3 décembre t 849, est
abrogé."
NATURALISATION DES ÉTRANGERS
t37
étranger, ne réclamaient pas, à leur majorité, la qualité de
françai~ , restaient étrangers, et comme tels ne participaient
point au service militaire. Dans nos départements fronti ères
on pouvait rencontrer des individus habitant, de génrration
en génération, le territoiro français, évitant toujours la conscription, bien qu'ils ne se soumissent à aucune obligalion de
service dans leur patrie ; si toutefois, ils avaient encore une patrie après une absence aussi prolongée ; on ne les considérait plus comme déserteurs. (Heimatbloos) Cette situation
se prolongea jusqu'à la loi du 7 février f85i, complétée par
la loi du 16 décembre f874..
La loi du 7 février i85f, renversait la présomption établie
par le Code Civil et déclarait français le fils d'un étranger qui
lui-même était né en France, à moins qu'à sa majorité il ne
réclama la qualité d'étranger. Toute une catégorie d'étrangers qui échappaient au service militaire allaient s'y trouver
soumis. Nous avons vu plus haut que cette loi, facilitait l'obtention de la qualité de français aux enfants de l'étranger
naturalisé, nés hors de France et antérieurement à la naturalisation de leur père, fussent-ils majeurs à ce moment.
Un nouveau progrès qu'on vorra plus loin, fut apporté par
la loi du iO février i882, modifiant l'article 2 de la loi du
7 février 1801.
L'effet de la loi de f851 n'était pas atteint entièrement, et
quelques enfants d'é trangers répudiaient la qualité de français à leur majorité afin de se soustraire au service. De là, la
nécessité de la loi du 16 décembre 1874, qui ajoute aux disposiLions ùe la loi de 185 i de la manière suivante : « Art. 1. L'article i de la !oi du 7 février f 851 est ainsi modifié. Est
Français, tout individu né en France d'un étrang~r qui luimème y est né, à moins que, dans l'année qui suivra l'époque
de sa majorité, telle qu'elle est fixée par la loi française, il ne
�DROIT FRANÇAIS
NATOR.UISATION DES ETRANGERS
réclame la qualité d'étranger par une déclaration faite, soit
devant l'autorité municipale du lieu de sa résidence, soit
devant les agents diplomatiques et consulaires de France
à l'étranger, et qu'il ne justifie avoir conservé sa nationalité
Quand fut proposée la loi du t6 décembre 1874, 1\1. Méline,
député des Vosges, aujourd'hui .Ministre de !'Agriculture, appela le premier l'attention sur ce point et présenta un amendement tendant à assimiler les enfants de l'étranger naturalisé à ceux nés de parents étrangers eux-mêmes nés en France.
Assez mal à propos, cet amendement fut rejeté ainsi que celui de M. Langlois qui différait de celui de M. Méline, en ce
qu'il laissait à ces fils d'étrangers, la faculté de réclamer la na-
138
d'origine, par une attestation en due forme de son gouvernement, laquelle demeurera annexée à la déclaration. Cette déclaration pourra être faite par procuration spéciale et authenti·
que.»
On établissait ainsi un contrôle de la nationalité des fils
d'étrangers, et à défaut de titre prouvant qu'ils sont encore
sujets de leur pays, ils sont valablement soumis au tirage au '
sort:
Il eùt été préférable, sans do11te, de s'assurer qu'ils avaient
satisfait à l'obligation militaire dans leur pays, on eut d'abord
l'idée d'insérer dans la loi cotte condition, mais, on s'arr êt-a devant cette objection, à savoir que la non-satisfaction au
service militaire ne faisait point perdre la nationalité, qu'on
ne pouvait, dès lors, imposer en pareille conjoncture une naturalisation obligatoire.
11 arrive ainsi qu'un assez grand nombre d'individus échappent encore à tout service militaire . Il faut espérer que cette
législation recevra encore de nouveaux perfectionnements,
notamment en ce qui concerne les étrangers fixés en Algérie.
Comme on l'aura remarqué, sous le régime de la loi de
1851 , et même sous celui de ls. loi du iO décembre 1874, il
fallait que le fils de l'étranger naturalisé, né antérieurement
à la naturalisation, attendît l'~poque de sa majorité pour manifester son intention d'opter pour la qualité de Franç.ais. Or,
cette situation avait l'inconvénient de retarder la naturalisat;on
chez ceux qui avaient le désir de devenir Français, elle les em~
pêchait également de profiter des avantages du service conditionnel d'un an, comme aussi elle leur fermait l'accès des
f;coles du Gouvernement.
tionalité française à l'âge de 18 ans.
L'idée des représentants qu'on vient de nommer, fut reprise
en i882 , sous la forme d'une proposition de loi, qui parvint à
triompher et forma la loi du i6 février i882. Celle-ci ne contient qu' une addition à l'article 2 de la loi du 7 février i85L
Après avoir rappelé l'article et l'alinéa 2, la nouvelle loi
ajoute : « Les enfants mineurs, même ceux nés à l'étranger
avant la naturalisation des parents, peuvent soit s'engager
volontairement dans les armées de terre et de mer, soit contracter l'engagement conditionnel d' un an, conformément à
la loi du 27 juillet i872, titre IV, 3° section, soit entrer dans
les Ecoles du Gouvernement à l'âge fixé par les lois et règlement, en déclarant qu'ils renoncent à la qualité d'étrangers
et adoptentla nationalité française. Cette déclaration ne peut
être faite qu'avec le consenlemént exprès et spécial du père,
à défaut du père, de la mère, et à défaut du père et de la mère,
avec l'autorisation de la famille, conformément aux statuts
personnels. Elle ne doit être reçue qu'après les examens
d'admission et s'ils sont favorables. » (Loi du i 4 février
i882.)
Le reste de la loi vise la condition des enfants mineurs d'un
1
Français qui aurait perdu la qualité de Français •
Déjà l'article 2 de la loi do i874 , accordait aux enfants nés
en France d'étrangers qui, eux-mêmes y étaient nés, la fa1
V. Circul. Mio. de la Guerre du 30 déc. iSS2. Cette circulaire ee r6!ère aux
�NATURALISATION DES ÉTRANGERS
uo
Hi
DROIT FRANÇAIS
cuité de devancer l'époque do la majorité indiquée par la loi
i85t pour l'option de la qualité d'étranger, afin que renonçant à leur droit d'option, ils se décidassent pour la nalionalilé
fran çaise et pussent contracter, soit l'engagement conditionnel, soit se présenter aux Ecoles du Gouvernement.
Ces dispositions relatives aux. mineurs sont assez remarquables, et constituent une originalité de la législation ; elles
autorisent, en effet, un mineur à disposer de son État . .Mais il
était impossible de résoudre différemment le problème
posé.
Il a surgi de ces lois quelques questions d'intérêt théori·
que qui prêtent à la discussion : bien que la pratique les
ait tranchées définitivement, nous les rappellerons néanmoins.
De quelle majorité le Code et les lois de recrutement entendent·ils parler? Est-ce de la majorité telle qu'elle est fixée
dans le pays d'origine de l'étranger ou de la majorité fran·
çaise?
On sait combien sont rigoureuses, les incapacités qui découlent du statut personnel: ainsi l'obligation par l'étranger d'avoir
atteint la majorité de son pays pour obtenir en France le prononcé de son mariage ; les incapacités relatives à la faculté
de tester, etc. Les auteurs qui ont écrit sur le droit international, maintiennent comme un principe la soumission
des étrangers, dans chaque pays, à leur statut personnel (Fœlix.J
prescriptions de la loi de i 882, pui~ le Ministre ajoute: « Après avoir con·
&ulté M. le garde des sceaux, j'ai décidé que le bénéfice des dispositions cld~uus, serait également accordé par extension aux fils d'Alsaciens-Lor raios,
dont le père aurait été réintégré dans la qualité de Français, en vertu de
l'art. 18, du C. civ., mais sous la condition qu'ils justifieront d'un permis
d'émigration régulier, délivré par le gouvernement Allemand et de l'ampliation du décret accordant à leur père la réintégration d1tns lll qualité de
fraoçais, ,.
Nous adoptons leur opinion et voudrions seulement voir ce
principe largement admis, et effacer de nos lois la prohibition de procéder au second mariage en France d'un étranger déjà marié chez lui, bien que non divorcé ou séparé, si la
polygamie est admise dans son pays.
Quelques auteurs et des plus éminents ont fait remarque
que l'étranger, dans l'hypothèse de l'article 9 du C. Civil, avant
sa déclaration , est entièrement soumis à son statut personnel ;
or,si ce statut fixe la majorité à 25 ans, c'est à cet instant seulement qu'il pourra faire sa déclaration. Ponr M. Valette la déchéance qui suit l'année de la majorité doit se compter à partir
de la majorité étrangère, si la majorité française se trouve en
tout cas dépassée : Ce système respecte et le statut étranger et
l'intention du législateur qui lui a fait fü:er, pour une raison
qu'il estime d'ordre public, la majorité du Français à l'âge de
2i ans. (Explic. somm. du liv . I du C. Civ. p. 12.)
M. Demolombe dans le même sens s'attache à prouver que
l'argument qu'on s'efforce de tirer de l'article 3 de la Constitution du 22 frimaire an VIII est sans valeur. (Dem. t. I p. i92,
n• 16;>, 2• édit.) Cet article fixait à 21 ans l'âge de la majorité
pour le Français, comme pour l'étranger qui voulait faire la
déclaration nécessaire pour devenir citoyen . L'âge de 21 ans
n'était pas une date fatale, impérative, mais, dit-il, elle ouvrait une faculté dont l'exercice n 'était limité par aucun terme,
l'étranger pouvait donc attendre qu'il ~ût l'âge requis par les
lois de son pays.
L'argumanlation ci-dessus ne nous parait pas convaincante ;
sans doute il faut faire respecter l'observance du statut personnel et c'est une règle d'intérêt international, mais ici est -ce
le cas d'apporter la préoccupation du statut personnel. 11 s'agit
d'un individu qui veut se soustraire précisément à l'empire de
son statut personnel en changeant de nationalité, dès lors
qu'impol'te qu'il viole co statut en faisant un acte dont il n'au-
�DROIT FRANÇAIS
NATURALISATION DES ÉTRANGERS
rait pas la capacité au point de vue étranger, pourvu que pour
revèlir la nouvelle capacité il remplisse la condition d'âge déterminée par le législateur français . 11 est inutile d'ajouter
qu'au point de vue de l'admission aux écoles du gouvernement, avant les lois de t874 et i882 déj à citées, il y aurait
eu des inconvénients graves à attendre la majorité étran-
rité, s'ils n'ont pas rempli les formalités qui leur assurent le
bénéfice de l'extra néité• . Ils ne sont assuj ettis qu'aux obligations
de la classe à laquelle ils appartiennent par leur âge. (Art. 9,
loi du 27 juillet i872).
gère .
renonciation que rlans les cas limitativement déterminés par
la loi , soit en vue :
02
! 43
Quant aux jeunes gens qui renoncent avant leur majorité
à la faculté d'option de nationalité, ils ne peuvent faire cette
i • de l'engagement conditionnel d'un an,
Du recensement et du tirage au sort des fils d'étrangers.
2° de l'engagement de cinq ans dans les armées de terre
et de mer .
3° de l'admission aux Ecoles du Gouvernement .
En application de la loi dont il vient d'être question, devront
donc concourir au tirag e auquel tout Français est astreint les
jeunes fils d'étrangers dans les conditions suivantes :
f 0 Les jeunes g ens nés en France de parents étrangers qui euxmêmes y sont n és, qui, dans l'année de leur majorité, n'auront
pas réclamé la qualité d'étranger. (Loi !851) - ni justifié de
la conservation de leur nati0nalité (art. 1.. 0 ' loi de 1..6 déc. 1.874).
2° Les jeunes gens fils d'étrangers qui sont n és en France,
après la naturalisation de leur père.
3° Les jeunes gens fils d'étrang ers naturalisés, nés à f étrari·
qer avant la naturalisation de leur père. - Ceux qui étant mineurs à cette époque feront à leur majorité la déclaration de
l'art. 9 du C. Civ. ; ceux qui étant maj eurs feront la déclaration de l'art. 9 du C. Civ., dans l'année qui suivra la na·
turalisation de leur père . (Loi i851.)
4° Les jeunes gens nés e n France de parents étrangers qui
di>s l'année de leur majorité feront la déclaration de l'art. 9 du
C. Civ.
Ces jeunés gens concourent au tirage dans les cantons où
ils sont domiciliés, dans l'année qui suit celle de leur majo-
Ainsi , on ne pourrait admettre un jeune homme à déclarer
qu 'il renonce à répudier, à ~a majorité, la nationalité française,
pour obtenir son inscri ption sur les listes de tirage avant qu'il
n'ait attoint l'âge de ving t-deux ans, ainsi que le prescrit
d'ailleurs l'art. 9 de la loi du 27 juillet 1872 . 1> (Circ. !\fin. de
la guerre du 1. 6 fév. 1875). - C'est qu'en e ffet on n e saurait
étendre une dérogation aux principes g énéraux sur l'état des
personnes et l'incapacité des mineurs, - et, ce n 'est que dans
les trois r.as spécifiés par la loi que les mineurs seron t admis à
modifier leur état.
L'inscription sur les listes de tirage perturberait tout e l'opération, si plus tard l'individu revenait sur la volonté qu'il au1
Un e Convention Consulaire intervenue entre la France et l'Espagne, le
7 janvier t 862, promulguée le 18 mars t 862, a quelque analogie avec la loi de
1874. Il y était dit, que les Espagnols nés en France, ayant atteint l'êge de
!10 ans, qui seraient compris su r les listes de recru tement, feraient valable ·
ment partie du contingent militaire, à moins qu'ils ne produisent devant les
autorités civiles o u militaires, un certificat en due rorme qu'ils o nt tiré au
sort en Espagne. Cette Convention ost encore en vigueur ainsi qu'il résulte
d'une lettre du m inistre des Aff. Etrangères, en date d u 10 avril 1873. (Cons.
d'Etat, 8 juin i817, Lebon).
�lU
DROIT FRANÇAIS
NATURALISATION DES ÉTRANGERS
rait manifesté de servir en France à sa majorité, et, il le pour· ement, puisque l'inscription sur la liste n 'est pas
. cer t am
rait
un mode d'acquérir la qualité de Français ; il devrait même, s'il
avait été inscrit, être exclu du tirage, puisqu'il n'aurait au-
NATIONALITÉS
cun.a qualité pour y participer.
SECTION II
Algérie. Naturalisation des étrangers.
Des facilités exceptionnelles ont été accordées aux étrangers
résidents en Algérie. C'est ainsi qu'il y a lieu de leur faire
l'application d'un Sénatus-Consulte du 14 juillot 1865, art.
2: <c r étranger qui justifie de trois année de résidence en Al_
gérie peut être admis à jouir de tous les droits du citoyen
franc.ais. »
L~ preuve de la résidence est faite par des actes officiels et
publics ou ayaut date certaine, et à défaut par un acte de. notoriété dressé sur l'affirmation de quatre témoins par le JUge
de paix du lieu.
Le droit de sceau et d'enregistrement est fixé à un franc
(même décret).
Depuis la promulgation de ce décretjusqu'au premier octobre 1881. la qual~té de citoyen français a été accordée à 5722
étrangers, ces demandes tendent sensiblement à augmen,
ter.
Parmi le nombre des natiouaux étrangers qui ont échange
leur qualité contre celle de Français, nous citerons les chiffres
U5
Italiens .
1242
Allemands .
1217
Espagnols
830
Marocains
251
Tunisiens
176
Suisses
i62
Belges
161
Polonais-Russes
44
Le territoire de l'Algérie comprenait deux classes d'individus qui, bien que français, ne jouissaient pas des droits du
citoyen français : les Musulmans indigènes et les Israëlites. Ces
derniers furent naturalisés collectivement, par décret du 24
octobre 1870. Quant aux indigènes Musulmans ils sont soumis à la loi Musulmane, à moins qu'ils ne demandent à jouir
des droits du citoyen français. {Déc. du f 4 juillet 1865 et déc.
du 24 octobre 1872).
1
Aux termes d une convention consulaire du 7 janvier f 862,
intervenue entre la France et l'Espag ne, les sujets Espagnols
sont naturalisés français de plm:w, lorsqu'ils optent pour le
service militaire en Algérie. On comptait pour l'année ·1880
soixante-treize naturalisations de ce genre 1 •
1
"Etat de l'Algérie ,, d'après dee documents officiols, publiés par ordre de
At L. Tirman, gouverneur général de l'Algérie. Algèr f 881.
suivants qui ont quelque intérêt.
10
�DES IMPOTS
i47
seil général de chaque Département, dans les limites, m1mmum et maximum, de fr . 0, 50. à fr . i , 50, sera donc toujours comprise entre le prix de fr. l. 50, et fr. 4. 50.
La taxe mobilière, r éunie à la taxe personnelle, en i 832,
frappe aussi l'étranger. La loi du 2i avril 1832, dispose: cc La
contribution perso nnelle et mobilière est due par chaque habitant fran çais, et par chaque ét?·anqer de t out sexe, j ouissant
de ses droits et n on réputé indigent 1 ». La taxe personnelle
n'est due toutefois que dans la commune du domicile réel '·
(Art. 1.3) - La taxe mobilière est due pour toute habitation
meublée située en France : elle r epose sur la valeur locative de l'immeuble.
CHAPITRE V
DES IMPOTS
Sera donc imposé, l'étranger qui occupait, au 1•• janvier , un
appartement meublé dans lequel il a résidé pendant une année
environ 3 •
Des impôts directs.
En principe, l'étranger comme le national est soumis au~
impôts, cette règle de notre droit public se justifie ~ar la raison que l'étranger profite, au même titre que le nat10nal, des
avantages procurés par les grands services publics. Sa personn~,
ses biens, sont sous la protection des lois et de la justice,; il
jouit, s'il exerce un commerce ou une industrie, de tout 1ou·
tillage national, routes, canaux, postes et t élégraphes, etc.
N'est·il que simple voyageur, résidant temporairement en
France, il profite encore de ces m êmes avantages.
Les quatre contributions l'atteignent donc, sauf les exceptions qu'on verra plus loin.
La contribution foncière et celle des portes et fenêtres, é:ant
une charge de l'immeuble, abstraction faite du détenteur, li~
pôt sera dans tous les cas recouvré quelle que soit la nationalité
d
.
dn propriétaire.
La contribution personnelle s'étend sur tout habitant u
· ée Par le proterritoire français. La taxe personnelle, dé termin
. dont le taux es t ftx e' Parle Conduit de trois journées de travail
L'exercice d'un commerce, d'une industrie, soumet à l'impôt
celui qui s'y livre, sans qu'il soit tenu compte de sa nationalité.
(Art. i, loi du 2tî avril 1.844) . - L'imposition qui frappe l'activité de l'homme est la contribution des patentes, contribution
de quotité variable suivant l'importance du commerce, de l'industrie ou de la profession .
Des décisions du Conseil d'État ont déclaré imposables
certaines personnes étrangères à propos desquelles on pouvait
hésiter. Ainsi :
\
'O
Les associés dé maison de commerce, située à l'étranger , et
résidant en France.
1
L'indigence !égo.le résulte de l'inscription d'un individu o.u bureau de
hienftilsance, ou d'une délibéra.lion prise à cet égard par le Conseil l\Iuoicipal.
' li ne faut pas prendre en matière fiscale ce terme do.os le sellil lég11l que
lui donne le Code civil.
3
{1875, iOO. A. n• 2511 ).
�148
DROIT FRANÇAIS
Les CommissionnaÙ'es etreprésentants.
DES IMPOTS
Les agents d'affaires, alors que l'objet de l'industrie, mines
de cuivre, de charbon , serait situé à !'Étranger et que les contrats qu'ils préparent ne soient définitifs qu' après avoir été
sanctionnés au siège de la compagnie 1 •
Celui qui gère la succursale d'un sollicitor
2
pour les rendre réguliers
224
»
126
»
( Ordonn ance royale
(du 5 juin 1839.
Espagne. .
32 50
Hollande .
(Arl. 22 du traité
de commerce et de
oni 0atioo du 7 juillet
OBSERVATIONS
Pour le voyageur représeatant
un seul commerçant ou fabricant.
- Ajouter i t 2 francs pour chaque
maison représentée en sus de la
première.
Si le voyageur s'occupe de la
venle de pierres fines, des mont res en or ou en argent, le droit
sera de H51 f r. 80 ceat.
1800).
•
Russie .. . .
(Règlement du
51 60
9
février 1865. Ar t l ·I,
29, 56, 58/.
Su ède . . . . .
(Loi du 17 oclobro
1873. Ar t. 16).
Commis-voyaqeurs étmnqers. - Ils sont imposables lorsqu'ils sont nationaux de pays qui imposent les voyageurs francais. C'est là ce que décide l'art-. 24 de la loi du 15 juillet 1880 ,
~'est une application de l'idée de réciprocité. Le principe est
l'exemption de patente, lorsque le commis-voyageur ne fait
qu'offrir des marchandises sur échantillons et prendre des
commandes. Voici le tableau que l'administration a fait dresser;
les voyageurs des nations qui n'y figurent pas sont affranchis
1 (t860, i!>t. A. n° 9H).
' (1869, 240 . A. no 2t78).
a (t814, 269. A. 2458).
20 fr. »
Daaemark. .
Les étrangers imposables ainsi à la patente , le sont au liau
du domicile en France, au lieu ·de la maison de commerce,
au lieu où est le siège de l'établissement.
de tout droit de patente
Commis·Voyag.
Belgique . •
•
Un avocat des États-Unis, tenant en France un cabinèt ouvert au public et qui, ne se bornant pas à donner des consultations sur le Droit américain, reçoit des mandats pour suivre
des affaires aux États-Unis, opère des recouvrements dans ce
pays, et rédige enfin des actes, ou projets d' actes, tels que :
procurations, testaments, contrats de mariage destinés à être
revêtus, par des officiers ministériels, des formalités nécessaires
3
Droit à exiger
des
NATIONS
149
653
20
Le droit &era établi comme
suit : pour les trois premiers mois
de séjour, 142 fr.; pour chacun
des trois autres mois, 56 fr., 80 c.
Les droits portés dans la colonne 2 du tableau ci-dessus sont
imposés pour leur chiffre intégral, dans toute l'étendue de la
France, quelle que soit la population et le nombre des centimes additionnels de la commune où la patente est délivrée. 11
(Inst. générale sur les patentes i 88i ).
<c
,..
Les maires et commissaires de police sont teuus de se faire
exhiber les patentes des commis-voyageu rs étrangers qui leur
sont signalés par les registres des hôtels et auberges.
Réclamation au contentieux. - La jurisprudence du Conseil d'Ihat a décidé que l'étranger , bien que nou domirilié on
France, est soumis aux mêmes déchéances en matière de contribution que les contribuables domiciliés. Un sujet Sarde do micilié à Nice avait vendu , à Nice, des bois dont il s'était rendu
�DES IMPOTS
DROIT FRANÇAIS
HSO
adjudicataire dans une forêt appartenant 6. une commune française et à une commune piémontaise. Il est imposé deux années pour ce fait à la patente de marchand de bois, une réclamation portée devant le Conseil de préfecture du Var est repoussée comme tardive et pour n'avoir pas été accompagnée de
la quittance des termes échus. Sur l'appel, le Conseil d'État:
cc Considérant qu'l\ux termes de l'art. 28de la loi du 21 avril
i832, tout contribuable qui se croit surtaxé, doit joindre
à sa réclamation la quittance des termes échus de sa cotisation ; que cette disposition est applicable à tout individu porté sur le rôle, sans distinguer s'il est français ou étranger : Considérant qu'il résulte de l'instruction que Gotusso n'a
pas joint, à ses réclamations, la quittance des termes échus de
la patente à laquelle il était imposé, que dès lors, c'est avec
raison que le Conseil de préfecture du Var a rejeté lesdites
réclamations. Arrête : la requête de Gotusso est rejetée. »
(Cons. d'État, 1.8 fév. i8M. Lebon i8M, p. 129.)
Etrangers non imposés.
Certains étrangers échappent au paiement des impôts lorsqu'ils ont un caractère public comme les agents diplomatiques
et les consuls. On explique d'ordinaire cette exception en la
considérant comme un acte de courtoisie internationale et de
bon procédé. ~e serait-il pas plus exact de dire que le séjour
de l'agent diplomatique à l'étranger est indépendant de sa
volonté, qu'il obéit à un ordre et que dès lors, il est naturel
de l'exempter de la contribution. D'ailleurs sa mission n'est·
elle pas aussi utile à l'État chez lequel il se trouve qu'à so n
propre pays : elle offre, aux deux États, un intérêt commun qui
compense la perte fiscale et légitime l'exemption. On pour·
rait, pu cette explication, écarter le motif tiré de la récipro·
cité de traitement.
i5l
Des textes formels règlent ces questions dans la plupart des
conventions internationales; dans les cas douteux, la jurisprudence est complètement fixée dans le sens de l'exonération des
diverses taxes. Voici, notamment, les principaux passages des
circulaires qui précisent la situation des ag€Dts diplomatiques,
en France, au point de vue de l'impôt.
Lettre du H juin i866 de M. Drouyn de Luys au Préfet de
la Seine. - « Monsieur le Préfet et cher collègue. Vous me
faites l'honneur de me demander quels sont les agents politiques et consulaires qui, d'après les traités, ont le droit à l'affranchissement de la contribution personnelle et mobilière, et
jusqu'où s'étend, parmi les officiers des Ambassades et les
employés des consulats, ce droit à l'exemption. J'ai l'honneur
de vous rappeler, ainsi qu'un de mes prédécesseurs a eu l'occasion de vous l'écrire, que cette exception est acquise de plano
aux agents politiques , chez tous les peuples, qui échangent entre eux des missions diplomatiques. L'hôtel du chef de la mission n'est pas touj ours le lieu de résidence des secrétaires officiels de cette mission. Ces derniers jouissent dès lors de l'exemption en dehors du siège de l'ambassade, aussi bien que leurs
chefs. Cette règle de droit coutumier a la même force que des
articles de traité. Il n'en est plus de mème pom· les consuls et
les agents consulaires. Cependant, depuis une vingtaine
d'années, l'exemption tend à se génér aliser en faveur des
agents commerciaux, soit par des dispositions formelles
des traités, soit par dos con ventions tacites do 'ré ci procilé·
Il ne reste que l'Angleterre qui ne soit pas entrée
dans cette voio. Pour assurer à son consul , à Paris , l'ox:emption qu'elle refuse à uos consuls, qui ne sont que des offi ciers
pursment commerçiaux, sans aucun rang diplomatique, allo en
afait unsecrétaired'Ambassade, et son titre consula ire est primé
par son rang politique. Il est toutefois à obserYer que lo d~oit
à l'exemption n'a été accordé aux consuls qu'à certaines con-
�f 52
DROIT FRANÇAIS
ditions. Ils jouissent, disent les conventions de l'éxemption, des
logements militaires, des contributions directes personnelles,
mobilières, somptuaires, imposées par l'État ou par les Communes, à moins qu'ils ne possèdent des biens immeubles, qu'ils
ne fassent le commerce ou qu'ils n'exercent quelque industrie,
dans lesquels cas ils sont soumis aux m êmes taxes, charges
et impositions que les autres particuliers. Ces dispositions
sont appliquées aux consuls généraux, consuls, vice-consuls,
et agents consulaires. Les simples employés de chancellerie
ne participent pas à l'exemption. »
Un Jugement du Tribunal de la Seine, en date du 3f juillet
1878 (Jour . de Dr. Int. privé f878, p. ?50), ayant décidé que les
attachés militaires sont agents diplomatiques, il s'en suit qu'ils
jouissent du privilège <l'exterritorialité et en conséquence au
point de vue de l'impôt, il est rationel de les comprendre dans
l'exemption de taxes.
Une circulaire du directeur général des Contributions directes du 9 janvier, 1875, n•, 044, rappelle que l'exemption
ne s'applique pas aux agents et consuls anglais : « il convient
de remarquer quë les ouvertures des appartements occupés par
les consuls étrangers doivent continuer à être imposées au nom
du propriétaire de l'immeuble ; seulement, lorsque la contribution afférente à ces ouvertures n'a pas été laissée à la charge du
propriétaire par une clause du bail, le dégrèvement doit en
être prononcé à titre de remise imputable sur le fond de non
valeurs. •
Une autre circulaire du 2 avril i 878 signale comme devant
être exemptés, les agents consulaires des États-Unis, quel le que
soit leur nationalité, à moins, cependant, qu'ils ne soient citoyens français . Il faut, en ell'et, remarquer qu'en droit fiscal,
l'immunité dérive m,oins de la fonction consulaire de la nationalité étrangère de l'agent. Tout français représentant un pnys
étranger demeure donc _astreint à l'acquittement des impôts.
DES IMPOTS
Est-ce absolument logique? il est permis de se
Des arrêtés récents du Conseil de préfecture de
déchargé de l'impôt des portes et fenêtres qu'ils
exiger de leurs locataires 1 , des propriétaires
loués à des Ambassades.
le demander.
la Seine ont
ne pouvaient
d'immeubles
Chevaux et voitures. Les agents diplomatiques, ambassadeurs envoyés etc. sont pareillement affranchis des taxes assimilées. Voici à ce égard les te.rmes d'une
circulaire du :12 janvier i86 3, n°4f9, sur l'exécution de la loi
du 2 juillet i862 . « Les r eprésentants, des puissances étrangères, à moins qu'ils ne soient des citoyens nés ou naturalisés fran çais, étant censés résider toujours sur la terre nationale, leurs chevaux, et leurs voitures doivent être consid?.rés
comme n'existant pas en France. Ces représentants, dès lors,
ne sont pas plus passibles de la contribution sur les voitures et
les chevaux qu'ils ne le sont de contribution personnelle mobilière. »
TAXES ASSIMCLÉES.
-
Impôts indirects.
Em·egistrement.
L'impôt de l'enregistrement est un impôt indirect et il est
ainsi classé au budget, il n'atteint, en effet, que des personnes
indétsrminécs et au fur et à mesure de l'accomplissement de
certains actes, mutations entre vifs ou par décès.
De même que l'impôt direct, il subvient à l'alimentation des
services publi cs dont l'étranger profite : celui-ci doit donc
subir l'impôt indirect . Mais ici, les principes de perception
sont différents. Des distinctions ont été faites à raison de la
nature des oLjets soumis à mutation. On a distingué les im1
i3 aoM 1818. Uamillon; 26 sept. i87S. Brelay, par Spagnoli, in J urisprud.
des Conseils de Préfecture, Garnier, i 878, p. 2S-i.
�DROIT FRANÇAIS
DES IMPOTS
meubles des meubles ; et, parmi les meubles, les objets mobiliers proprement dits des créances, titres, obligations, etc.
On a également considéré le lieu d'ouverture des successions.
francs ; et ensuite à raison de vingt francs par chaque somme
ou valeur de vingt mille francs ou fraction de vingt mille
francs. Si les sommes ou valeurs ne sont pas déterminées
dans l'acte, il y sera suppléé conformément à l'art. 'J6 de la
Enfin il fallait tenir compte de la situation des biens de
l'étranger, afin de soustraire à l'impôt ceux de ces biens qui seraient en dehors des limites de la protection nationale ;
ceux situés à. l'étranger é tant en principe affranchis de
droits .
loi du 22 frimaire, an VII. "
On ne peut dire <l'une façon absolue que la loi fiscale soit
territoriale et constitue un statut réel : ce qu'on peut dire,
c'est qu'elle est plutôt territoriale, le but de l'impôt lui-même
implique cette solution.
Mutations entre vifs à titre onéreux ét à titre gratuit.
A. - Mutations immobilières. -
Immeubles fran çais.
Quand la mutation d'un immeuble en France vient à s'opérer, elle donne lieu à l'impôt proportionnel, et le rend exigible encore que la mutation s'opère entre étrangers.
Immeubles étrangers. - Les actes translatifs de propriété,
d'usufruit, de jouissauce d'immeubles situés à l'étranger
étaient soumis par la loi du i6 juin i824 , art. 4, à la perception d'un simple droit fixe dei Ofrancs.Depuis la loi du 26 février
i872quiabrogel'art.4delaloide 1824 ce droit fixe est devenu
'
gradué. Voici le taux du droit tel qu'il est fixé par l'art. 2. « A
cinq francs pour les sommes ou valeurs de cinq mille francs ot
en dessous, et pour les actes ne contenant aucune énonciation de
sommes ou valeurs, ni dispositions susceptibles d'~valuations:
à dix francs pour les sommes ou valeurs sup~rieures à cinq
mille francs, mais n'excédant pas dix mille francs: à vingt
francs pour les sommes ou valeurs supérieures à dix mille
On ne se préoccupe pas quant à la quotité du droit de la
nature de la mutation, peu importe que la transmission so it
à titre gratuit ou à tilre onéreux.
Le paragrapho qui suit fera comprendre les hypothèses où
la mutation d'un immeuble étranger donnera lieu en France
à la perception des droits.
B. - /Jlutations mobilières et contrats en matière mobilière.
Le développement qui suit ne concerne pas spécialement
l'étranger, toutefois comme il se réfère à des situations juridiques dans lesquelles l'étranger résidant en France se trouvera fréquemment impliqué, nous ne croyons pas inutile de
rappeler avec précision cette partie de notre législation fiscale.
Les étrangers en France, contractant entre eux: ou avec un
francais
. , ont besoin de recourir à la formalité de l'enregistrement, i 0 pour donner date certaine à l'acte qui ~onstate leurs
accords, 2° pour être admis à faire usage de cet acte devant
les tribunaux français, ou pour le produire dans un acte public.
Des difficultés graves se sont produites s!lr la nature du
droit imposable,suivant la situation des objets mobiliers sujets
à mutation ou selon le lieu d'exécution du contrat. Est-ce le
droit proportionnel ou simplement le droit fixe qui doit être
perçu?
Sous l'empire de la loi du 22 frimaire, an VII, art 22, 23,
�DJ!S IMPOTS
DROIT FRANÇAlS
24, les actes rédigés en France ou à l'étranger et concernant
des meubles étrangers étaient soumis aux: mêmes règles que
les actes concernant des valeurs françaises. Toutefois à la différence des actes concernant des immeubles, il n'existait pas,
en matière mobilière, de délai de rigueur pour présenter
l'acte à l'enregistrement, il suffisait qu'il le fût à l'instant
où l'on se proposait d'en faire usa~e.
Peu après la mise en vigueur de la loi, un avis interprétatif du Conseil d'Etat du 6 vendémiaire et 10 brumaire, an
XIV, décidait que les actes passés à l'étranqer et contenant
transmission d'immeubles situés à l'étranger échapperaient en
France à l'application du droit proportionnel.
Il n'était rien dit pour les meubles qui restaient ams1 sou·
mis au droit proportionnel. En i 806 un nouvel avis du Conseil d'lttat des 15 novembre et 1.2 décembre disposait, que les
actes passés en la forme authentique à l'étranger, contenant
obligation ou mutation d'objets mobiliers, lorsque l'objet du
contrat porterait sur des objets meubles du pays étranger, seraient affranchis du droit proportionnel.
Cet avis dispensait aussi de ce droit les immeuLles étrangers si l'acte qui les concernait était passé en France.
Les actes passés en France ou passés à l' étranqer, m ais en la
forme sous seing privé, concernant des valeurs mobilières,
demeuraient comme antérieurement soumis au droit proportionnel.
La loi du 28 avril i 826, art. 58, modifia cette législation en
disposant qu'il ne pouvait être fait usage en justice ou dans
un acte public «d'aucun acte passé en pays étranger qui n'ait
acquitté les mêmes droits que s'il avait été souscrit en France
et pour des biens situés dans le royaume . »
Une loi du H juillet l824 vint rétablir la législation des
avis du Conseil d'Etat, et décidait que (( les actes translatifs do
propriété, usufruit ou de jouissance de biens immeubles si-
tués en pays étranger ne seraient soumis à raison de cette
transmission qu'au droit fixe de iO francs. »
C'est ce droit fixe qui a été transformé par la loi du 23
août 1.87 i en un droit gradué dont le taux a été indiqué plus haut.
Voici quel est aujourd' hui le dernier état du droit : les actes,
mutation ou obligation, passés à l'étranger, concernant des valeurs mobilières situées à l'étranger, sont soumis aux mêmes droits _que s'il s'agissait de valeurs françaises : il en
est de même si l'acte est passé an France. C'est l'art. 58 de
la loi du 28 avril 1826 qui est applicable, sauf le cas où il y
aurait lieu d'observer l'avis du Conseil d'Etat du i5 nov. i2
déc. 1806 qui subsiste touj ours.
Les difficultés sur la nature du droit imposable provinrent
pendant longtemps de la jurisprudence inaugurle par la Cour
de Cassation dans un arrêt du 21 avril i828. Cet arrêt faisant assimilation des m eubles avec les immeubles le:; atrranchissait des droits, altérant ainsi le texte si clair de l'art. 4
de la loi de 1824. Une évolution aussi heureuse que brusque
de la jurisprudence de la Cour suprême se produisit plus
tard dans deux arrêts rendus en 1.81)8. On revenait à la
saine entente de la loi de t 824 et l'on cessait de dispenser
'
.
du droit proportionnel les actes et obligations concernant les
valeurs mobilières étrangères.
Ces deux arrêts rapportés dans Dalloz, i.869, 1.233, C' 0 Transatlantique contre Enregistrement. Dalloz, 1869, i, 23(). Chem.
de fer, nord de l'Espagne contre Enregistrement, se réfèrent
l'un et l'autre aux droits à percevoir sur des marchés passés à l'étranger et ayant r eçu leur exécution hors de France.
Dépdts de valeu1·s étrangères faits en France par des ét1·arigers.
La loi du iO mars 1872, art. 2, exige que les titres étrangers qui n'auraient pas été admis à la cote soient timbrés au
�DES IMPOTS
DROIT FRANÇAIS
droit de i 0/0 du capital nominal s'ils doivent être négociés,
exposés en vente ou énoncés dans des actes de prêt, de dépôt, de nantissement. Cette disposition a motivé des explications de la part de la Direction de l'Enregistremeut en ce
qui concerne le dépôt et le retrait de ces titres étrangers.
<c Il arrive parfois que des étrangers résidant en France sont
porteurs de titres qu'ils déposent dans des maisons de banque
uniquement pour en assurer la conservation. Le même fait
se produit pour des Français qui, voulant se soustraire aux
risques de perte, de vol, ou d'incendie, déposent également
leurs titres dans des maisons spéciales qui se chargent de
leur garde moyennant un droit modique. Ces dépôts sont cons·
tatés par correspondance, soit par récépissé ou certificat. Il a
été entendu que pour opérer ces sortes de dépôt, ainsi que
les retraits qui en sont la conséquence, il ne serait pas nécessaire que les titres étrangers fussent préalablement timbrés,
car le dépôt, dans ces conditions, ne constitue pas à proprement parler, un usage des titres, mais une substitution à des
titres multiples d'un titre collectif qui n'en est que la représentation sans novation d'aucune sorle, sans avantage ni profit. >> lnstruct. de l'enregistr. du 24 mai i872. N° 2440, §. 2.
Les titres, qu'un étranger déposerait à la Banque de France,
rentreraient dans cette exception et le retrait qui serait effectué par le propriétaire ou son héritier, ne donnerait pas lieu à
la perception du droit. Ce cas spécial s'est présenté récemment et il a été tranché dans le sens que nous indiquons.( Décision du Ministre des Finances du 8 septembre i882
2
).
Succession de l'étranger en France.
Droits de mutation.
La mutation par décès des biens appartenant à des français
t
V. J. Dr. intern. privé, 1883, p. 27!1.
159
ou à des étrangers ne donne ouverture aux droits imposables
que si la succession dont ces biens dépendent est régie par la
loi française.
La succession de l'étranger ne sera réglée par la loi
française que si elle s'ouvre en France, c'est-à-dire, 1. 0 lorsque le défunt était domicilié en France, conformément à
l'art. i3 du O. Civ. 2° Lorsqu'il avait en France un simple
domicile de fait.
Il est incontestable que le domicile de fait suffit à rendre
exigible la perception de l'impôt, mais il ne faut pas confondre
ce domicile avec la simple résidence aecidentelle . Voici comment s'tlxprime, à ce sujet, la commission du budget dans la
discussion de la loi du 27 août i87L « S'il s'agissait d'un
étranger voyageant en France, qui y décéderait pendant une
résidence accidentelle et passagère, sa succession ne serait pas
réglée par la loi française. » En effet, le fait de la mort ne
peut soustraire aux règles de la loi élrangère l'étranger qui
n'avait pas de <lomici le acquis. Il en est encol'e ainsi, alors
même que la résidence aurait été assez prolongée, comme ctille
de ces étrangers qui viennent en France, louent des habitations
à bail, à Paris ou dans les villes de saison, pour leur plaisir ou
leur santé; ce n'est là qu'un séjour temporaire et non un domicile de fait.
Valeurs mobilières.
La loi du 23 août i 871., tranche catégoriquement la difficulté qu'on éprouvait sous l'empire de la loi de i850, de savoir
quand il y avait domicile acquis. D'après la nouvelle loi, art. 4.
Sont assujettis aux droits de mutation par décès les fonds publics, actions, obligations , part d'intérêts, créances et généralement toutes les valeurs mobilières étrangères de 1.1uelque natare qu'elles Stlient, dépendant de la succession d'un étranger
�160
DROIT FRANÇAIS
domicilié en France avec ou sans autorisation. Il en sera de
même des transmissions entre vifs à titre gratuit ou onéreux
de ces mêmes valeurs lorsqu'elles s'opérer0nt en France. ,,
Ce n'est que très graduellement que les droits de mutation sont venus frapper les valeurs mobilières étrangères.
La loi du 22 frimaire, an VII, ne soumettait pas les meubles
étrangers à l'impôt. Mais successivement, la loi du 1.5 mai
i8i>O, art. 7, atteignit les fonds publics et de Compagnies
étrangères; celle du 1.3 mai !863, art. H, les obligations des
Compagnies ou Sociétés d'industrie et de finances étrangères:
enfin, la loi de i87 t atteint toutes les valeurs mobiliè·
DES JMl'OTS
i6i
tration,. V: Sol. i9 juin i875; i9 829). Il y a là une légère
contradiction avec le principe, généralement admis, que nous
posions au commoncerdent, à savoir que les lois d'enregistrement sont un statut réel. Le Droit fiscal repousse l'argument
a contrario ti:é de l'art. 3 d1:1 C. Civ., pour établir que les
meubles étrangers sont régis par la loi étrangère (Zaccarire,
Valette, Duranlon. Arrèts). Il rejette également le système
fondé sur la réciprocité de traitement dans les deux législations, et considère les meubles comme soumis dans tous les
cas à la loi francaise
. .
res.
L'exposé des motifs de la loi justifie cette extension. « En
principe, les valeurs mobilières incorporelles n'ont point, par
leur nature, de situalion absolue: elles sont, pour ainsi dire,
inhérentes à la personne du créancier, elles se meuvent avec
lui et font partie d~ patrimoine de ce créancier en quelque
lieu qu'il se trouve. Ces valeurs ne pourraient donc échapper
aux taxes fiscales sans que le principe d'égale répartition de
l'impôt ne fût violé. » En s'exprimant ainsi, le législateur
songeait principalement aux possesseurs français de ces valeurs étrangères .
Aux meubles incorporels, il faut ajouter et assimiler les
meublt1s corporels pareillement soumis aux droits ae mutation.
Le numéraire sera astreint à l'impôt, en application de l'art.
3 de la loi de t87L
Quant aux meubles ordinaires, il faut remarquer qu'ils sont
soumis au droit de mutation comme il vient d'être dit, alors
m ême qn'ils auraient une situation matérielle à l'étranger.
(Dict. des Rédact. de l'Enregist. - Etranger 3i5; - V. lnstr.
2433, chap. I", § i, n° 2. - Tendance contraire de l'adminis~
Valew·s immobilières.
Les immeubles fran çais, dépendants de la succession d'un
étranger décédé en France, sont régis par le statut réel, (art.
3 du C. Civ.), et soumis aux droits proportionnels de mutation, alors mème que la transmission s'opérera au profit
d'un étranger.
Les immeubles étrangers dont la transmission viendrait à
s'etfec~uer dans les conditions que l'on vient d'indiquer, seront
soumis à l'impôt, mais il n'y aura lieu qu'à la per!!eption du
droit fixe gradué, (al. 2, loi du 28 fév. i872), et qu'autant
qu'il aura été fait mention de ces immeubles dans un acte de
li 'd .
qm ation dressé en France, ou q ue leur descriplion en sera
fai't6 dans un act-e public quelconque.
Bien entendu, la simple note remise au recevoir de l'enregistrement, pour servir de déclaration <l'importance de la
succession, ne pourrait sorvir de titre à la perception du droit.
Matières diverses concernant les étrangers et soumises
à fimpôt.
Auton'sation de domicile. - L'article i 7 de la Joi du 7 noù t
f.S50 dispose: <<L'autorisation d'établir son domicile en France
H
�DROIT FRANÇAIS
162
ément à l'art. i3 duc. Civ., donne lieu à la
fi ' é
.
.
fit ù l'Élat des 1ni~mes droits qm sont x s
.
.
.
'
e
percept10n au pro
Le ,.,.ouvernem ent peul faire remise
. t'
o
our la natura11sa 10n.
t' lle de ces droits i . » (Ins tr. Génér. i864).
p
totale ou par 1e
l a naturalisation donne ouverture à un
. .
,
f
ac~ordee con orm
Naturalzsatwn. -
fixé à iOO francs (1. 28 avril i8t6, art. 55). Le
.
. . , à 20 0/ 0 soit 20 francs. (Même
droit de sceau
'
droit d'enregistrement liquide.
CHAPITRE VI-
.
lei.)
Ces deux droi Lc; peuvent être rédmts.
DES AMBASSADEURS. AGEi\"TS DIPLOllATIQUES
.l être faite au l\\inislre de la Justice, sur
. .
•
de l'étranner li y est sta·
.
La demande d autorisal1on doi
o •
nuée de l'acte de n aissance
s'élève à la somme de
o·ts
d
d
accompn.,
timbré,
papier
ement total e ces r 1
L
d 1 référendaire ùonl l'office esl exigé.
.
tué par décret. e versh
'
i72 francs, à raison des ouora1res t
1
Les auteurs qui traitent du Droit International se son t longuement occupés de la situa tion juridique de certaines personnes étrangèr es, résidant à titre officiel dans les divers
États.
En France, quelle est la condition faite par notre Droit public
à ces personnes comprises sous la dénomination gén~rique
d'agents diplomatiques?
Les textes organiques des Jécisions du congrès de Vienne,
(i9 mars t8i 5) et d'Aix-la-Chapelle, distinguent plusieurs
catégories.
Une premièr e classification comprenait :
0
i « Les ambassadeurs , parmi lesquels les légats du pape on
nonces :
2° << Les envoyés minis tres ou au tres accrédités auprès des
souverains :
3° « Les ministres résiùenls accrédités a uprès des souverains.
Enfin le congrès d'Aix:.-la-Chapelle ajouta:
0
!~ Les 1cbargés d'a(faires accréùilés auprès des ministres
chargés du départemeul des affaires étrangères. 11
�DES AMBASSADEURS. AGENTS DIPLOMATIQUES
DROIT l'RANC,.A lS
Des Ambassrzdeurs. - Ces personnes onl un caractère représentatif, c'est-à-dire qu'elles sont dans le pays de résidence
une émanation de leur souverain ; elles affirment la dignité
de la nation qui les a déléguées, et ont droit à des honneurs
exceptionnels. l\lais si haut que soit leur titre, il est de courtoisie internationale de présenter à L'aqréation les futurs ambassadeurs 1 ; et c'est ainsi que le sentiment du Gouvernement
Français sera pressenti sur le cboix de la personne que se propose d'envoyer l'État Étranger. L'instant ùe Droit où !'Ambassadeur Etranger est aùmis à jouir des prérogatives de son
titre est celui où sa Jésignation est officiellement connue du
Gouvernement Français. Le caractère de la mission qu'il vient
remplir est défini déjà par l'accord des Cbefs d'Êtat : l'usage veut cependant qu' à l'arrivée en France l'Ambassadeur adresse, au Ministre des affaires étrangères, une copie de
ses lettres de créance : il demande en m ême temps une audience au Président de la. République. C'est généralement en
audience privée que la lettre de créance est officiellement
remise aux mains du Président de la République. S'agit-il
d'un légat du Saint-Siège, il devra préalablement se conformer
à l'art. 2 de l'arrêté du t 8 germinal au X. « La bulle du pape,
contenant les pouvoirs du cardinal légat, sera transcrite en
latin et en français sur les registres du Conseil d'État. Elle
sera insérée au Bulletin des lois' . » Le nonce présente ensuite
cette bulle au Président.
Les préséances ont été réglées par le congrès de Vienne.
En France, le nonce apostolique a la préséance sur les autres agents diplomatiques en France.
Les honneurs civils et militaires ont élé réglés par les
1 L'Angleterre se refuse, en principe, a soumettre sei; agents à l'ngréation,
mais &Ile si: conforrue i1 l'usage dnos la pratique.
t Il s'a.gissait des formalité~ ù remplir par le Cartli oal Caprara, légat a later·e.
Celle disposilion est toujours en vigueur.
165
décrets du 24 Messidor an Xlf d G Frimaire an XIII 1 Disons
que les ambassadeurs pc11 vcn l. plùcer l ~s ar ines de leur pays
sur leur hôtel, arborer les couleurs ualiouales i.
Inviolabilité des ambassadeurs et immunité de juridiction.
Le principe de l'inviolabilité des ambassadeurs est fort ancien
il s'impose de toute nécessité. On sait le caractère sacré de~
légats dans l'antiquité et chez la plupart des peuples. ci Sancti
habentw· legati. >> (L. 17, Dig. de feg ationibus.)
Cicéron dit aussi : « Legatorum jus divino humanoque vallatum est prœsidio cujus tum sanctum ut venerabile nomen esse
debet ut non m odo inter sociorum jura sed et hostium tela incolume versetur. ,. Il n'est pas nécessaire de beaucoup insister
sur cette inviolabilité du représentant d'une nation souveraine.
Les rapports internationaux: deviëndraient impossibles, si ce
principe n'était reconnu. On conçoit doue qu'un intérêt politique s'attache à la création de délits spéciaux : l'ambassadeUl' ne peut être inquiété, violenté.
L'outrage commis publiquemenl envers les ambassadeurs et ministres
plenipotenliaires envoyé11, chargés d'affaires et autres agents diplomatique~, accrédités près du Gouvernement de la Rép1:1blique, sera puni
d'un emprisonnemenl de buil jours à un an, el d'une amende de 50,
«
1
Décret de Messidor an XII. " Il ne sera sous aucun prélexte rendu
aucune espèce d'honneurs militaires à un ambassadeur rraoçais 11u étranger,
aaos l'ordre form el du Ministère de la guerre.
Art. 2. " Le Mioistre des relations extérieures, se con.:ertera avel! le Minis·
t?e de la guerre pour les honneurs à rendre aux ambassadeurs français ou
étrangers. Le Ministre de la guerre donnera des ordres pour leur réceplion. "
Art. 3. " 1l en sera des honneur5 civils pour les ombussadeurs français ou
étrangers ainsi qu'il est <lil ci-J essus pour les honneurs militaires. "
Déc. de Frimaire,an XllI. Mêmes dispositions prohibitives dnos los porls et
arsenaux de la marine, saur autorisation formelle du J\Iiuistre de la marine.
1
V. Déc. 5 juillet i192, art. 16.
�DES AMBASSADEURS. AGENTS nlPL<lMATIQUES
166
à 2000, francs ou <le l'u thl dû Cûs deux peines seulement. (Loi sur la
Presse, 1881, art. 36) 1 •
La liberté, garantie à l'ambassadeur, l'autorise à correspondre avec l'État qu'il représente sans qu'il soit soumis à aucun contrôle. Il peut correspondre secrètement ou ouvertement . La convention télégraphique de 1.865 lui réserve l'u·
sage du chiffre interdit aux simples particuliers.
Rien ne doit entraver sa missi9n politique.
Doit-oo lui accor der le bénéfice de la fiction d'exterrito rialité? Fiction par laquelle il est censé habiter le territoire même
de son pays el faut-il qualifier de t erre étr angère l'hôtel de
l' Ambassade?
La question est fortcontroversée. Les fictions juridiques doivent être écartées, semble-t-il, ce sont là des artifices employés
lorsque la science juridique est encore rudimentaire, q ue le
Droit n'a point acquis asséz de souplesse pour s'adapter à
toutes les situations qui naissent de la vie sociale. On peut,
aujourd'hui, donner un fondement scientifique aux privilèges,
qui accompagnent certaines fonctions, c'est le car actère de
nécessité même de ces privilèges sans lesquels la fonction
ne pourrait être rom plie. Les anciens ne paraissent pas avoir
distingué le rôle politique du rôle privé ; l' un r essort du droit des
gens , l'autre de la législation interne du piiys. « Non datur
actio (adversus leqatum) ne ab officio suscep to legationis avo·
cetur, ne impediatur legatio. » (Dig . de judicis liv. xxrv. § 2. )
C'est trop absolu .
Dominés par le souvenir du Droit romain les législateurs
du Code Civil avaient inséré dans la rédaction du proj et un
art. 3, ainsi conçu. " Les étrangers revêtus d' un caractère représentatif de leur nation, en qualité d'Ambassadeurs, de mi-
nistres, d'envoyés, . ou :-; nus rp1clq11e outre dénomination que
ce soit , ne seront point traduits ni en matière civile ni en matière
criminelle devant les tribunaux français. n Celte disposition fut
écartée du texte définitif. Mais un décret du i3 Ventôse, an JI
subsiste. « La Convention nationale interdit à toute autorité
constituée d'attenter en aucune manière à la personne des envoyés des gouvernements étrangers, les réclamations, qui pourraient s'élever co ntre eux, seront portées au Comité de Salut Public. » Ce décret est invoqué daus un arrèt de la Cour de Paris, du
i 2 juillet :t. 867. (Tchitcherine, C. Pinet. lnr.ompét. du trib. de
Corn. Dalloz 1867. 2. i2i.) - C'est le reflet de l'opinion des
auteurs du siècle précédent. «Il est aisé, dit Vattel, de comprendre que l'indépendance de la juridiction doit être l'un de
ces privilèges. Sans elle la sùreté si nécessaire au ministre
public ne sera que précaire, ... il importe qu'il n'ait point de
juges à redou ter , qu'il ne puisse être distrait de ses fonctions
par aucune chicane 1 • Montesquieu admet aussi la même immunité 2 • (< Le droit des gens a voulu que les princes s'envoyassent
des ambassadeurs, et la raison, tirée rie la nature des choses,
n'a pas permis que ces ambassadeurs dépendissent du souverain chez qui ils sont envoyés, ni de ses tribunaux. Ils sont la
parole du prince qui les envoie, et cette parole doit être libre,
aucun obstacle ne doit les empêcher d'agir, ... que s'ils abusent de leur être représentatif, ou le fait cesser en les renvoyant
chez eux; on peut même les accuser devant leur maître qui
devient , par là, leur juge ou leur complice. » A notre avis,
c'est là une confusion entre l'inviolabilité el l'immunité de juridiction. D'autres auteurs suspendent le privilège de l'immunité en cas d'at teinte à la sûreté de l'État et les lois du pays reprenent alors tout leur empire. Enfin , dit-on encore, l'immunilé
1
Loi sur la presse. La loi du 26 mai 181.9, arl. 5 : " la poursuite n'aur a
lieu que sur la plainte de la partie qui se pr étendra lésée. "
1
167
DROIT FRANÇAIS
2
Dr. des gena, liv. IV, chap. 7.
Esprit des lois, 1. XXVI, ch. XXI.
�168
DES AMBASSADEURS. AGENTS DIPLOMATIQUES
DROIT FRANÇAIS
de juridiction ne peut prévaloir contre le Droit, c'est-à-dire
contre Je manquement aux lois.
Le décret, rapporté plus haut, était-il attributif de juridiction au comité de salut public, ou bien ce comité n'était-il
saisi de l'affaire, que pour la poursuivre par la voie diplomatique? La question a peu d'intérêt aujourd'hui. Il suffit d'avoir rappelé que le décret était récemment invoqué par nos
tribunaux . L'immunité s'étend donc aux ambassadeurs ou ministres, à leurs agents subordonnés qui ont qualité diplomatique, comme les secrétaires d'ambassade, drogmans attachés;
les attachés militaires, les conseillers d'ambassade. Le personnel des domestiques est exclu, lorsque l'ambassadeur l'abandonne à la juridiction française. (Aff. Salvatori, Cass. l 1 juin
1852). Mais les membres de la famille de l'ambassadeur, sa
femme, ses enfants jouissent du privilège. (Cour de Paris, 2l
août 1841, - Papenheim, Dalloz , Ag. dipl. 157 et la
note).
Pour éviter des difficultés, la liste des personnes composant
la légation est adressée au Ministre des Affaires Etrangères.
Il semble qu'on doive, en principe, repousser la doctrine
de l'immunité et de l'exterritorialité , comme contraire à la
souveraineté nationale. Tous les faits qui troublent la sécurité et l'ordre public d'un pays devant tomber sous l'application des lois locales.
(A). Publicistes, jurisconsultes, législateurs proclament le
principe de l'inviolahilité et de l'immunité de juridiction, et
cependant ils font tous leurs efforts pour en limiter l'application'. Singulier principe que celui qu'on s'épuise à atténuer,
à peine est-il reconnu.
Il Y a dans les fonctions <l'ambassadeur, de ministres, une
activité spéciale qui doit s'épanouir en toute liberté, et ne
1
F. Hélie, Jnst. crim. t. Il, p. 108, no 641 ;
2D10
édit.
169
souffrir aucune contrainte. Elle se meut, s'agite dans une
sphère purement politique, et dans ces limites, elle ne peut
donner lieu à aucune molestation à l'encontre de l'agent diplomatique.
En matière civile, on ne voit pas bien le trouble, l'impedimentum qui paralyserait les offices du représentant, alors
qu'il serait appelé à comparaître devant un tribunal ; que
craint-on du jugement à intervenir depuis que l'exécution sur la personne a disparu de nos lois. Avanl la loi
du 22 juillet 1867, on aurait compris que l'on différât le
jugement ou l'exécution par corps. Redoute-t-on des pour~
suites vexatoires contre les agents diplomatiques? Une telle
hypothèse ne mérite pas qu'on s'y arrête. - En matière criminelle, si l'on craignait que le gouvernement étranger
maintlnt son ministre en fonctions , on pourrait, à la rigueur, instruire d'ores et déjà une procédure contre absent,
et à la cessation des fonctions, ·a ppréhender le coupable.
En conséquence, ce n'est plus l'immunité qui do_it être le
principe et il n 'y a pas lieu de déroger en faveur des ambassadeurs, à l'application des lois <le police et de sûreté. Il faut
simplement reconnaître comme règle du droit des gens, qu'un
Etat ne peut arrêter l'action diplomatique du ministre étranger, et que la nation étrangère peut et doit compter sur l'indépendance de cette action, pendant une durée de temps
qu'elle seule peut interrompre. La mission terminée, cessante
causa cessat e!fectus, l'ambassadeur redevient simple étranger,
responsable de ses crimes et délits. Le passage suivant d'un
mémoire du duc d'Aig uillon en :t. 772, rapporté par M.F. Bélie, renferme la formule vraie. (< . . . Il est constant qu'un ministre perd son immunité et se rend sujet à la juridiction locale lorsqu'il se livre à des manœuvres qui peuvent être regardées commo crime d'Etat ou qui troublent la sécurité
publique ; que l'immunité ne peut avoir d'autre effet que d'é-
�170
DROIT FRANÇ-AIS
DES AMBASSADEURS . AGENTS Oll'f.OMATIQUES
carter tout ce qui pourrait empP.cher le ministère publlc de
vaquer à ses fonctions 1 • i1
M. F. Hélie parait admettre que l'immunité couvrira sans
inconvénient les faits médiocrement graves : c'est une concession que rien ne nécessite; car dans les cas peu graves, la
suspension momentau ée da la condamnation présenterait
ticulier, mais il faut écarlcr Loule idée d'asile, qu'on a si lougtemps et si fau ssement allarhée à la demeure do l'ambassa-
d'autant moins d'inconvénie nt.
(B). - Rien n'empêcherait d'assimiler l'immunité diplomatique à l'immunité parlemen taire. L'action , dans ce cas, est
suspendue, mais virtuellement, le représentant demeure sous
ger est rl' observer la plus slriclo n Putralité, toutefois, Les étrangers do sa nation trouveront auprès de lui une protection
tonte naturelle et inviolable. Quid à l'égard des Français qui
la puissance de la loi .
Il est fait une objection ,plus spécieuse que fondée, du système
qui vient d'être proposé. On invoque la récipro cité de traitement, pour dire que c'est là une considération qui lie les
nations : partout, l'immunité étant admise. Si le principe
de réciprocité, qui règle les rapports internationaux, a été
fort utile, en présen ce des immenses écarts qui séparaient
encore, au dernier siècle, les mœurs juridiques des na·
tious; il nous semble qu'aujourd'hui ce principe, comme la
méthode des r étorsions, ne peut plus rendre les mêmes services ; c'est une manière surannée ; ainsi ce qui fut un progrès
devient un obstacle à un progrès nouveau.
Avec M. Fiore, nous admettrons le droit qu'a la justice, de
procéder à une visite domiciliaire, dans l'hôtel de l'ambassade,
bien entendu, cette visite sera précédée d'un avis donné au
Résident, par le Ministre des Affaires Etrangères. Il n'est pas
soutenable que la justice française ne puisse vérifier la présence ou l'absence d'un malfaileur réfugié dans l'hôtel de
l'Ambassade, comme aussi constater les infractions à nos lois,
qui auraient pu y être commises. Les autorités locales ont le
devoir de protéger le seuil del' Ambassade, avec une sollicitude
plus grande que s'il s'agissait de l'habitation d'un simple par' F. Hélie, lnttr. crim. t. li, p.
deur.
En cas de trou bles politi ques, l'attitude du ministre étran-
se réfugieraien t dans l'hôlel de l'Ambassade? L'ambassadeur
pourrait leur en interdi re l'entrée, mais si, cédant à un senti ·
ment d'humanité, il recevait des individ us ino ffensifs, comme
des femmes et des enfants ou des infirmes, et voulùt les couvrir de sa protection, il le pourrait certainement. Non qu'il
puisse invoquer l'exterritorialité de l'hôtel de l' AmbassadP.,
mais parce que la protestation qu'il ferait entendre doit être
respectée des insurgés ,111 du gouvernement insurrectionnel.La
méconnaissance do sa protestation soro.it une insulte grave,
faite à lui-même comme à la nation qu'il représente, et de nature à amener un conflit. C'est en vain qu'un· gouvernement
insurrect ionnel se prétenJrait un pouvoir régulier, comm e
c'est il'ailleurs sa préten tion habituelle, il faut eurore que c•'
gouvernemen t soil né ù la ' ic ùiplomatique, lJu'il soit reconnu
tacitement ou ex pressémeut des puissances étrangère:>. Le Ré·
sident ne connaît de gouverneme11t légal que celui auprès duquel il est accrédité.
...
'
.,1
�DROIT l"RANÇAl S
Des Consuls. - Les fon ctions consulaires sont restreintes,
en_général , à la défense des intérêts pr ivés des sujets étrangers. Les consuls n'ont pas un caractère politique comme les
ambassadeurs, ministres, etc., ils sonl uni qu ement des médiateurs, dans les difficultés qui surviennent à leurs nationaux, ) es surveillants des droi ts et privil èges commerciaux,
accordés aux marchands et n avigateurs de leur pays. Dans
cette sphère d'action , les consuls n'ont de relations qu'avec
les grands servi"es de l'Etat, les autorités locales et, ils ne communiqu ent avec le gouvernement, que par l'intermédiaire du
chef de la légation.
En France, on ne reconnait pas aux consuls le privilège de
l'immunité diplomatique, c'est rationnel, pui squ'ils n 'ont pas
de caractère politique, n e sont pas accrédités , ils sont donc
régis par l'art. 3 du C. Civil. Mais si c'est là une r ègle générale, il faut se hâter d'ajouter que les consuls n 'étant jamais admis sur le territoire des Etats, qu'en vertu de conventions, les traités peu vent renfermer des dispositions de faveur, et c'est presque une clause de style dans les conventions
consul aires d'accorder l'immunité persouoelle, à l'exception
du cas de crime. M. Faustin Hélie voudrait qu'fü fussent garantis, par exemple, de la délentiou préalable. Ils n'échapperont <l0nc pas à la responsabilité de leurs actes en matière ci ·
vile et, ava nt la loi de i.867 , ils étaient contraignables par
corps.
La reconnaissance offici elle de leur caractère résulte de
l'exequatur accordée par dér.rel présidentiel, et dont lecture
est fait e par le greffier du tribunal ùe commt}rce, du lieu de
leur résidence.
DES AMBA.SSADRURS . AGENTS lllrLOMATIQUKS
1.'i'i hr
La compétence des consuls en France dérive principalement des traités, mais le développement de cette matière ne
rentre pas dans le cadrè réduit de cette étude. Disons, cependant, qu'ils peuvent requérir la police française pour les arrestations et le maintien de l'ordre à bord des navires de
leur nation . Mais peuvent-ils requérir l'incarcération de leur
national dans nos prisons ? M. Faustin liélie estime qu'il est
difficile de reconnaître et d'appliquer un tel droit.
�DES MARINS ET PtCHKURS ÉTRANGERS
t73
ports français est exclusivement réservé anx navires natio-
CHAPITRE VII
DES MARINS ET PtCHEURS ~TRANGERS
SECTION 1
§. J. -
INDUSTRIE DU TRANSPORT MARITIME
Il importe de distinguer l'indnstri e du transport maritime
du louage de service des gens de mer.
Les étrangers sont admis à affréter leurs navires pour la
navigation au long cours, aux commerçants français de la
métropole et des colon ies 1 • L'entrepl'Îse du tra nsport maritime est donc libre et peut être exercée chez nous par les bâtiments de toutes nations 2 , mais toutefois dans les limites que
voici : Dans la direction du Sud, au delà du 30° latitude Nord ;
dans celle du Nord au delà du 72° latitude Nord; et dans celle
de l'Est au delà du 44° longitude.
Au?contraire le commerce intérieur qui s'effectue dans la
même mer ou entre l'Océan et la Méditerranée toujours entre
Jusqu'à la loi du 8 juin 1.561., lee ~trangers n'étaient pas admis à transporter les marchandises entre les colonies et la Métropole.
' Art. 371, C. Com. loi du U juin i854.
1
l
naux 1 •
Dans le but de protéger l'industrie des transports maritimes,
on n'a pas voulu suivre l'exemple de 1'Angleterre et d'autres
pays qui ont concédé la faculté du cabotage aux étrangers.
Cette navigation spéciale, par une dérogation unique, fut
permise longtemps aux: bâtiments espagnols en vertu du traité
connu sous le nom de Pacte de Famille de i 768, renouvelé
parla convention du Ujuillet 18!4, (V. cir. Min . iO janv.
i827), mais ce régime d'exception a pris fin par la conclusion
de la conventidn franco espagnole du 8 décembre 1877, promulguée par décret du 28 mars !878.
Une loi du 10 mai t866, art. 9 in fine , relative aux possessions de l'Algérie, maintient les dispositions de l'ordonnance
du 28 février 1837 : le cabotage peut se faire par navires
étrangers 5Ur la côte algérienne sous réserve de l'autorisation
du gouverneur général. - Un décret du 9 juillet t874 fixe
les limites du petit cabotage dans la région africaine'.
§. 11. -
LOUAGE DE SERVlCES
Capitaines étrangers. - Exceptionnellement et sans que le
navire cesse d'être réputé français, les capitaines étrangers,
pourvu qu'ils soient munis d'un diplôme étranger valable ou
délivré par une commission particulière locale, peuvent commander les navires admis à la francisation algérienne
1
1
.-
Un décret du i3 fâv. i863, fix e pour les Colonies les limites du grand
~~otage.
Une franciaation spéciale ou plutôt une licence spéciale de pt1villon 8
6l6 créée par décret du 7 septembre 1. 876, pour les navires étrangeN, de
80 lonnenux et au-dessoua. Ces navires son t ndmis à naviguer dans les ~aux
de l'Algérie, sous pavillon français et en trancbise de di·oit, soue certaine•
conditions. » Becquet, Rép. de Or. adm. (Algérie.)
1
Décret du 7 sept. 1856.
1
«
�174
DROIT FRÀNÇAIB
Les marins étrangers jYslifiau t de connaissances pratiques sont
également aptes à exercei· le commandement au petit cabotage africain. Mais un décret du 2t aoùt t 882 ne permet pas
aux marins étrangers, bien qu'ils soient admis à domicile en
France, de subir les examens de capitaine au long cours, le
même décret les exclut de la direction de la machine.
Matelots ét1·anqers, - Les matelots à quelque nationalité
qu'ils appartiennent ont la faculté de louer leurs services en
France. Le nombre des marins étrangers embarqués au
commerce est limité par la loi du 21 septembre t 793, art. 2.
(cir. Min. du 1.4 févr. t854), il ne doit pas dépasser le quart
de l'équipage, non compris le capitaine et les officiers pour fa
navigation au long cours, le maître pour la navigation au cabotage et le patron pour celle au bornage.
Le marin étranger est soumis à toutes les dispositions du
décret loi du 24 mars i 852. Ce décret établit des juridictions
spéciales et des pénalilés exceptionnelles applicables à tous les
marins embarqués sur des bâtiments français, quelle que soit
leur nationalité par le seul fait qu'ils figurent au rôle d'~qui
page.
Le louage du service nautique entraîne certains rapports
entre l'Etat et le marin, compris dans les obligations réciproques qui naissent de l'inscription maritime.
Le marin est, en effet, placé sous une surveillance administrative établie aussi bien dans son intérêt que dans celui de la
police de l'Etat 1 • Inscrit sur le rôle d'équipage par les soinsde
l'administration de la marine 2 , son identité est fixée, et les recherches dont il pourra être l'objet par les autorités de son
pays sont ainsi facilitées. Le règlement de son salaire
t V. Uécret, i9 mars 1852, art. '· 5. Sanction de l'obligalioo de l'ioscription
au rôle d'équipage de tout individu embarqué.
2 Le rôle d'équipage est pré•cuté au visa de l'admioislralion de la Marine,
dans tous les porta où résident aes agents.
DES MARINS ET P~CBRURS ÉTRANGERS
175
lui est aussi garanti, puisque ce règlement ne pouvant se faire
que devant les agents spéciaux ou délégués de l'administration de la marine.
Un arrêté du t4 fructidor an VIII , soumettait à l'inscription
maritime certains marins étrangers.« Toutmarinétranger habitant en France et qui a épousé une française est tenu de sefaire
inscrire à l'inscriplion maritime et peut être appelé au service
de l'Etat. S'i.l ne se fait inscrire, il peut être inscrit d'office.»
Ce texte est fort critiquable. En cas de conflit armé la disposition de la loi place le marin étranger dans l'alternative ou
de prendre les armes contre sa patrie, ou s' il se soustrait au
service militaire d'ètredéclaré déserteur.
Il somble que ce soit là une loi <l'expédient, un procédé de
recrutement qui pouvait avoir sa raison politique à l'époque
de la promulgation , mais que les inœurs actuelles condamnent.
Le département de la marine avait été frappé depuis
longtemps dt3s inconvénients qu'entraîne l'arrêté des Consuls
et sensible aux. critiques,dirigées contre ce point de la législation, il fut décidé, par une circulaire du 19mai1876, que l'on
maintiendrait les inscriptions effectuées en vertu de cet acte,
mais qu'à l'avenir il n'en serait plus faites de nouvelles:
D'ailleurs il y avait eu une extension des dispositions de la loi
à des marins étrangers même non mariP.s. - Le Ministre cons· t à l'obliaation de
o
tatait que les marins étrangers éc happa1en
ant leur extranéité,
·
.
.
servir en temps de guerre s01t en mvoqu
'à l'âge
· l
soit en ne demand1mt à être portés surles matncu es q u
de quarante ans. Des difficultés s'étaient produites notam. é t d la guerre coutre
.
ment lors de la guerre de Cnm e e e
l'Autriche et les Consuls étrangers ne s'étaient pas !~it
faute de soutenir les exceptions opposées par leur n~llo
~aux. - Dès 1838 .M. Darthe , alors ministre de la manne,
• 1.. lé des Consuls. 11 Cet
assignait son véritable caractère à 1 arrt;
�177
DES MARINS ET P:tCHBURS ÉTRANGERS
t76
DROIT FRAN ÇAI S
arrêté, disait-il, a été inspiré moins dans l'intérêt des marins
étrangers que dans celui de la marine française, ce n'est pas
un droit qu'il accorde à ces marins, mai5 une obligation qu'il
leur impose. >>
§. lII. -
CONSIDÉRATIONS ÉCONOMIQUES SO R LA LIMITATION DE
L 'EMBARQUEMENT DES
ÉTRANGERS
Les dispositions restrictives dont il était parlé plus haut méritent un examen particulier. La restriction apportée à l'embarquement des étrangers dans la navigation au cabotage
s'explique assez facilement et peut même paraître légitime, mais en est-il de même de l'idée protectionniste
qui fait maintenir pour la navigation au long cours la loi
du 22 septembre 1793 et qui dicte la circulaire du 14 février
t 854? - Notre navigation à voile n'offre qu'un fret très peu
rémunérateur et positivement dérisoire, or, la limitation du
nombre des matelots étrangers embarqués est une obligation
fort onéreuse pour l'armateur et dont l'utilité a été vivement
contestée. Elle est en même temps préjudiciable au commerce
de la Méditerranée et dans une certaine mesure au trafic des
longs courriers dans les pays du Sud et d'Orient. On ne saurait
pe rdre de vue l'énorme différence de frais d'entretien que comporte un équipage français ou un équipage d'une n ationalité
quelconque du bassin de la Méditerranée. La perle n'est point
Jans l'écart des loyers ou salaires des hommes qui sont à peu
près uniformes, mais dans les dépenses de vivres, perte représentant aisément pour l'armateur un franc par j our et par
homme. C'est la proportion du tiers, sinon davantage. En pareille condition la concurrence est difficile à soutenir contre
l'Italie, l'Espagne, la Grèce.
Est-ce à dire que le point de vue mercantile doit être le seul
auquel il convient de se placer dans l'examen de la question.
Elle comporte, en effet, un côté militaire qui intéresse la destinée de nos forces maritimes, et l'on ne saurait oublier que
derrière le matelot du commerce on retrouve un marin qui
doit son aptitude nautique au service de la patrie.
Par des raisons inhérentes à la nature des choses, l'industrie maritime est soumise à des charges propres, et dès lors,
le libre jeu de l'offre et de la demande du service maritime
est entravé par cet élément particulier dont on ne peut faire
abstraction, l'obligation militaire qui pèse sur l'homme de
mer, jusqu'à l'âge de 40 ans.
On demande aux matelots de profession d'assurer l'armement de la flotte, et la population maritime, qui tend malheureusement à se réduire de plus en plÙs, supporte seule cette lonrde
charge. Il faut une compensation, on le conçoit, or, on concède à ce personnel, dont on exige tant, le faible monopole de
la navigation et de la pêche.
En d6couragean t le louage du service nautique de nos na.
tionaux par l 'autorisation donnée à l'armateur de composer
à sa guise l'équipage de ses navires, on tarirait la source du
recrutement. Il faut donc que la navigation au commerce
continue à former nos m atelots, la constitution sérieuse, l'édu·
cation nautique dès longtemps préparée des équipages de
la flotte l'exige. En ce sens M. le commissaire général Four·
nier, dans son remarquable cours d'administration de la Marine
s'exprime ainsi : << La nature des choses vout que la nationalité
du capitaine suive celle du propriétaire, et que la nationalité
de l'équipage, suive celle du capitaine. Il faut entre les artisans hiérarchisés de la même opération la communauté de
nationalité de langue, de mœurs, de régime légal pour qu'il
y ait dans la conduite de l'œuvre entente, discipline et finalement succès. En fait, les équipages mosaïques que l'on paraît
regretter de ne pouvoir former à bord de nos bâtiments et que
la loi anglaise, la loi hollandaise, la loi norwégienne tolèrent,
12
�f 78
DROJT FRANÇAIS
n 'existent nulle part qu'à l'état d'accident et ce n'est pas avec
eux que la navigation est lucrative. L'État rend donc service
à la marine marchande lorsque, malgré elle, il défend et lui
conserve son personnel national. »
Tels sont les arguments que l'on invoque de part et d'autre,
Les considérations militaires paraissent avoir un poids considérable dans l'état politique actuel et devoir l'emporter sur le
principe la liberté des conventions en matière de louage du
service nautique et des opérations maritimes . En effet, n'au·
rait-on pas à craindre aussi en temps de guerre le mauvais
vouloir d'équipages recrutés avant les hostilités parmi les sujets d'une nation alors amie et depuis devenue belligérante.
Que l'on songe combien il serait facile pour ces équipages de
faire tomber nos bâtiments aux mains des croiseurs ou de les
conduire aux ports ennemis.
Enfin il est des cas où la loi doit se montrer préventive;
il n'est guère douteux que la composition des équipages au
commerce, abandonnée au régime de la pleine liberté, ne renferm erait que le rebut des m arines étrangères, la discipline
serait difficilement maintenue et les crimes contre les personnes,
les actes de baraterie, rares actuellement, se produiraient sans
doute avec plus de fréquence .
Si l'on voulait invoquer la législation suivie en divers pays
étrangers qui n'imposent aucune condition de nationalité, il
conviendrait de faire remarquer que l'intérêt privé est sauvegardé d'une autre façon. En Angleterre et en Norwège la propriété du navire doit être entre les mains des nationaux, tandis que dans notre législation la moitié du navire français
peut appartenir à des étrangers. Enfin, il faut considérer les
choses en fait plutôt qu'en théorie et, dans les pays que nous
citions, l'équipage est presque toujours de la nationalité du pavillon. La France n'est pas le seul pays qui surveille la composition des équipages. En Autriche on n'admet qu'un tiers
DES MARINS ET P~CBEURS ÉTRANGERS
179
d'étrangers, et ainsi en Espagne, en Italie, aux Etats-Unis, au
Mexique, La Grèce, le Portugal, le Chili, les trois quarts comme
en France. - Le Danemarck exige la totalité. - La Russie le
quart. - Haïti et Paragay la moitié.
Ifxception sur les navires investis de la francisation alg érienne. - Les étrangers peuvent être admis sur les navires
bénéficiant de la francisation algérienne dans la proportion de
moitié de l'équipage, et en cas d'insuffisance le Commandant
de la marine en Algérie à droit de modifier encore la composition de l'équipage.
L'embarquement de matelots étrangers se livrant à la pêche
a été admis dans une proportion différente de celle que nous
avons vu précédemment, et cela en faveur de l'armement à
Ja grande pêche. C'est ainsi que l'art. H, 2° de la loi du 22
juillet 1851, dispose. cc Pour avoir droit à la prime l'équipage
mixte ne pourra être composé en étrangers que du tiers des
officiers, harponneurs et patrons sans que le nombre puisse
excéder, deux pour la pêche du sud et cinq pour la pêche du
nord. 3° Les armateurs de navires destinés à la pèche, à la
baleine et au cachalot seront tenus, alors même qu'ils renon'
ceraient à la prime, de confier moitié au moins des emplois
d'officiers de chefs d'embarcation et harponneurs à des ma'
rins français, sous peine d'être privés de la jouissance des avantages attachés à la navigation nationale. »
SECTION II.
Pêcheurs étrangers.
Par un privilège propre aux inscrits maritimes, la pêétranche côtière leur est exclusivement réservée et les
indus_
gers ne sauraient venir sur nos côtes exercer cette
�i80
DROIT FRANÇ.AIS
DES MARINS ET P!CBEURS ÉTRANGERS
trie : nous ne connaissons qu'une exception, faite en faveur des pêcheurs catalans. Une loi du 8-i 2 Déc. i 790 rappelle
cette fa culté octroyée par d'anciens traités pour soumettre ces
pêcheurs à la production de leur rôle d'équipage, les obliger à la
contribution dite de demi part 1 , lorsqu'ils viendront apporter
leur poisson sur les marchés français. Il était également permis
aux Catalans domiciliés à Marseille d'étendre leurs fi.lets sur les
terrains appartenant aux: communautés, sans doute à l'endroit
encore appelé auj ourd'hui « Les Catalans 1> . En ~859 on n'a
point réglé à nouveau ces droits qui n'ont pris fin que par l'effet de la convention entre la France et l'Espagne signée le 8
déc. i877 et promulguée le 28 mars suivant. L'art. 9 de cétte
convention a abrogé, en ce qui concerne le commerce et la navigation, les traités antérieurement conclus entre les deux: pays.
Les droits des pêcheurs espagnols sont donc déchus. La loi du
i2 déc. i790, ainsi qu'il résulte de ses termes, n'avait été r endue que pour l' application de conventions alors existantes entre la France et l'Espagne ; or, ce sont toutes ces conventions
qui aujourd'hui ont été abrogées et remplacées. L'intention
d'exclure les pêcheurs espagnols parait définitivement arrêtée
car une commission étudie actuellement un projet de convention analogue à celle conclue entre la Fr ance et l'Angleterre en
i. 843, réservant aux pêch eurs de chaque nation le droit exclusif de pêche dans les eaux territoriales ; ce projet est actuellement soumis pour observations aux agents de la marine des
différents quartiers. Toutefois il convient d'ajouter qu'à part
un règlemeut spécial régissant la Bidassoa il n'est point de dispositions qui permettent aux agents chargés de la police de la
pêche de dresser des contraventions pouvant être sanctionnées
d'une façon quelconque.
Faisons ici remarquer qu'alors que le pacte de Famille réPrestation due à la communauté des pêcheurs. Les communautés furent
réorganisée dans la Méditerranée, par un décret du i9 nov. 1859.
1
1.8i
servait certains droits aux Espagnols, les Italiens purent réclamer les m êmes privilèges en vertu de leur traité de commerce et de navigation de i 863 qui leur garantissait chez
nous le traitement de la nation le plus favorisée. La convention du 8 déc. 1877 avec l'Espagne abrogeait implicitement le
régime de faveur dont avaient joui les pêcheurs italiens. Cependant, en fait,leur présence est encore tolérée sur certains points,
mais ce n'est point un droit qu'ils peuvent invoquer. Dans
l'intér êt de notre population maritime si intéressante, on pourrait souhaiter qu'un règlement vînt fixer sur la côte Est l'exercice du droit exclusif de pêche dans les eaux territoriales.
Pêche au co1·ail. - Depuis une époque reculée, la France
et l'Italie exploitent la pêche au corail sur le littoral de l'Algérie. En 1832, le Bey de Tunis eédait à la France l'exploitation de cette pêche sur la côte de la Régence, sauf à tenir
compte des précédentes conventions internationales. Le dernier texte sur la matière est un décret en date du i9 déc. i.876,
qui distingue deux catégories de pêcheurs, les français ou indigènes, et les étrangers. Ces derniers demeurant astreints au
droit de patente déjà fixé à 800 francs, par le décret de t 864;
les français et indigènes sont affranchis de tout droit. Le décret de 1876 donna lieu à quelques difficultés entre la France
et l'Italie, qui d'un commun accord décidèrent d'en différer
l'application aux pêcheurs italiens. Une annexe au traité de
commerce Franco-Italien, du 3 nov. i 88!, et promulgué le
U -i 5 mai i 882, comprend un échange de lettres entre le
chargé d'affaires d'Italie et le ministre des affaires étrangères
tendan t i à obtenir le maintien du statl.e quo de fait peu'
dant le délai stip ulé pour la négociation d'une nouvelle convention de navigation . 2° (( à ce qu'il soit entendu, que pendant toute la durée du traité de commerce, le traitemont de
la nation la plus fa voriséc sera, en toute hypothèse, également
assuré, de part et d'autre, eu matière de navigation et que les
0
�•
f 82
DROIT FRANÇAIS
pêcheurs italiens sur les côtes françaises et algériennes de la
Méditerranée de mème que les pêcheurs français sur les côtes
italiennes, jouiront pour la pèche du poisson du traitement de
la nation la plus favorisée vis-à-vis de tout autre pavillon
quelconque. »
Pêche internationale 1 •
La pêche du poisson dans la
Manche, exploitée par un grand nombre de pêcheurs anglais
et français a nécessité des règlements très-complets. Nous rappellerons les dispositions concernant les pêcheurs étrangers.
La convention entre la France et l'Ang leterre du fer août
t839 interdit aux pêcheurs anglais la pêche aux huîtres sur
la côte française, mais l'art. 9, d'une façon générale, leur
prescrit de se tenir à une distance de 3 milles, le long de
l'étendue des côtes françaises. Si les embarcations, pour une
cause ou pour une autre, viennent à franchir cette limite, elles
devront signaler leur présence par un pavillon spécial. Les
commandants des croiseurs et gardes-pêche investis d'un pouvoir discrétionnaire pourront apprécier les motifs de l'infraction au règlement.
-
L'art. 7 accorde un abri aux îles Chausey, en cas de mauvais
temps ou pour cause d'avaries.
Une seconde convention du 24 mai t843, et réglementée
par l'ordonnance du 23 juin 1846, exige une autorisation
émanée du commandant de la station anglaise permettant le
ref~ge aux îles Chausey: le commandant droit prévenir les
croiseurs français des autorisations accordées.
Les causes qui peuvent moliver l'approche de la côte française sont énoncées limitativement par l'art. 85. - Les dispositions sont communes a ux, pec
• 1ieurs f rançais
. qm. voudraient
.
gagner la côte britannique.
1 Nous empruntons cette pa li
. à l'ouvrage fort complet
d M
p
r e d e notre travail
8 .• _
l ocque, .s~r la législation des eaux . - A Plocque. De la mer et de la
navigation maritime. p. 245 et suiv.
DES MARINS ET P!CHEURS ÉTRANGERS
183
Un décret du i 0 mai i862 rappelle les prescriptions antérieures concernant la police spéciale de la pêche; notamment
les obligations résultant des art. 6, iO , i4, 15 de l'ord. de
1846 sur le signalement des embarcations, la possession d' un
rôle d'équipage, (art. 12, l3} et et son exhibition aux croiseurs
des deux pays chargés de la surveillance.
La sanction des dispositions de la convention de 1843, bien
qu'arrêtée en principe, n'était d'une application possible qu'autant qu'en France et en Angleterre les pouvoirs législatifs seraient intervenus. Ce n'est que plus tard que le bill du 22
juin 1844 et ia loi du 22 juin i846 donnèrent effet légal aux
pénalités. La compétence du tribunal, juge des infractions, fut
réglée suivant la maxime. « Actor sequitur forum 1·ei n, c'està-dire le tribunal d'arrondissement du port d'attache tl.u bateau délinquant. Pour les contestations purement civiles, entre pêcheurs fran çais et anglais, les juges de paix furent déclarés compétents quelle que soit l'imp"Ortance de la àemande,
(art. 10) aôn de se rapprocher de la loi anglaise qui attribue
compétence au juge de paix du ressort du port ou aura été conduit le délinquant.
Devant le tribunal correctionnel, le ministère public ne
peut saisir le tribunal que sur la plainte du commissaire de
l'inscription maritime ou de l'agent consulaire anglais ; au
cas de désistement de la plainte, la poursuite doit cesser · La
procédure est faite sur papier libre. Les actes de procédures
sont enregistrés sans frais . (Instruc. de la régie, i 0 sept. i 841_)·
Une convention internationale du 6 mai 1.882, approuvee
par la loi du 15-17 janvier \884 règle la police de la pêche
dans la mer du Nord en dehors des eaux territoriales des parties con tractantes. Cette convention est passée entre la France,
l'Allemagne, la Belg ique, le Danemarck, la Graude-B.retagne:
il est dit en l'article 2 : « Les pêcheurs nationaux jou1ront du
droit ox.clusif do pèche dans lo rayon de 3 milles, à partir de
�'
!84
DROIT FRANÇAIS
DES MARINS ET PiCB&URS ÉTRANGERS
la laisse de hasse mer, le long de toute l'étendue des côtes de
leurs pays respectifs ainsi que des îles et des bancs qui en dépendent. Pour les baies le rayon de trois milles sera mesuré à
partir d'une ligne droite, tirée en travers de la baie, dans la
partie la plus rapprochée de l'entrée au premier point où l'ouverture n'excède pas iO milles.
M. Ortolan, dans sa Diplomatie de la Mer, explique l'utilité
d'unelégislation dérogatoire aux principes admis ordinairement
en matière de désertion, exceptionnelle quant à l'objet et
quant à la procédure . « Si, dit-il, l'on consiclère d'une part, la
nécessité de faire rentrer immédiatement à bord des navires,
les hommes qui en composent l'équipage, qui y sont indispensables pour le service, et dont la désertion pourrait même
mettre le navire hors d'état de naviguer: d'autre part, l'impossibilité de recourir au gouvernement, souvent fort éloigné; enfin, la propension à la désertion que l'amour du changement inspire, surtout en temps de paix, au matelot de toutes
les nations, on concevra que l'observation des formes ordinaires, et des lenteurs inévitables de ces formes ait dù faire
place à des mesures plus directes et plus expéditives. Tout
service serait impossible s'il en était autrement. »
Les consuls généraux, vice-consuls, agents consulaires
étrangers ont qualité, pour requérir les autorités française, de
les aidër dans la recherche et la poursuite de leurs nationaux.
C'est ainsi que dans les ports de France, les marins étrangers
sous le coup de poursuites peuvent être emprisonnés, à la ~a
mande de leur consul sur un simple billet d'écrou du comm1ssaire de l'inscriplion maritime. L'art. 9 de la convention de
' les à smvre
·
pour la renavigation Franco-Belge trace les reg
·
dTts
mise des marins déserteurs inculpés ou non de crimes,
e1
.
·
de guerre ou de commerce. Les
ou contraventions,
des navll'es
déserteurs resteront à la disposition des consuls, vice-consuls,
.
•
être gardés dans les .pri •
agents l:o nsula1res
et pourron t meme
Le présent article ne porte aucune atteinte à la circulation
reconnue aux bateaux de pêche naviguant ou surveillant dans
les eaux territoriales, à la charge pour eux de se conformer
aux règles spéciales de police édictées par les puissancas riveraines.
SECTION III
§.
1. -
MARINS ÉTRANGERS DÉSERTEURS.
La désertion des marins s'étend aussi bien de l'abandon du
bord d'un navire de guerre que d'un navire de commerce: En
France, il y a désertion lorsque le matelot n'a pas reparu pendant une durée de 3 fois 24 heures après s'être absenté sans
permission, ou bien encore si l'inscrit maritime ne r épond pas
à l'appel en cas d'armement extraordinaire sur décret spécial:
Des conditions à peu près semblables constituaient en état de
désertion les matelots étrangers, mais depuis que ]a marine a
renoncé à inscrire ceux-ci et à les envoyer au service, ils ne
peuvent plus être considérés en désertion à la suite de la publication d'un ordre de levée.
Les nations s'accordent entre elles pour différer· sans difficulté l'extradition des déserteurs de la marine: le plus souvent, les formes de cette remise sont indiquées dans les conventions consulaires, ou dans les traités de commerce ou les
conventions de navigation.
sons du pays, à la réquisition et aux frais des agents précités.
Le rapatriement par voie de terre se fera sous l'escorte de la
force publique.
Le traité passé avec la Russie, le 20 juin 1874, comprend 1es
•
.
..
•
l e trai't e' Franco-Italien du 26
memes
d1spos1t1,0ns.
De meme,
juillet 1862, confirmé efprécisé par la déclaration du 8 nov.
�f86
DROIT FRANÇAIS
DBS MA.RINS ET P~CHBURS ÉTRANGERS
t872. La loi Hollandaise sur l'extradition autorise en tout
de droit créé par la législation, ne pouvait qu'être maintenue. Aussi ces étrangers demeurent-ils astreints à la levée et
à la prestation au profit de la Caisse des Invalides. Ils peuvent
être maintenus dans la partie obligatoirement française des
bâtiments de commerce, et sont proposés pour la demi solde
lorsqu'ils réunissent l'âge el les services exigés.
A l'égard des mineurs étrangers admis à l'inscription provisoire, sous condition qu'ils deviennent français à leur majorité la situation est celle-ci : étant inscrits, ils figurent dans la
'
portion fran çaise de l'équipage, ils versent la contribution
et le temps de navigation au commerce leur sera compté pour
la pension de r etraite, si se faisant naturaliser ils complèt~nt
comme inscrits 25 ans de navigation . Optent-ils pour la nattonalité étrangère, tous les effets indiqués ci-dessus cessent à
la majorité et ces marins ne naviguent plus qu'au titre étran-
cas l'extradition des marins déserteurs. Disons, pour abréger,
que presque toutes les nations ont avec la France des conventions identiques sur ce point.
§.
JI. -
EFFETS DE L'INSCRIPTION MARITIME
On sait quels sont les avantages que procure l'inscription
maritime et qui peuvent la faire solliciter par les marins
étrangers. Parmi les plus saillants, le droit pour l'inscrit
d'occuper temporairement une portion de plage, ainsi que
pour sa veuve et ses enfants mineurs, à titre gratuit, alors
que cette occupation ne peut être exercée qu'à titre onéreux
par toutes autres personnes. - L'instruction gratuite dans
les écoles d'hydrographie, en vue de l'obtention des brevets
de capitaine au long cours, maître au cabotage. - L'admission aux hopitaux militaires si l'inscrit était embarqué au
commerce. Le droit à une pension de retraite.
En ce qui concerne ce droit, la loi du i i avril i 88i sur les
pensions dites de demi-solde contient deux articles 5 et
9, desquels il résulte que tout le personnel n'appartenant pas
à l'inscription maritime, se trouve exclu du bénéfice de la peneion de demi-solde. (Cir. l\1in. de la Mar. t8 avril i88L
Bull. off. de la mar. T, I, p. ~28.) « La caisse des Invalides sera
désormais privée de la retenue de 3/ 00 ou de la taxe imposée aux étrangers embarqués sur les bâtiments du commerce
français . >>
Dans une nouvelle circulaire, en date du 27 Oct. i 88L (Bull.
off. T . 2. p. 9~2), le ministreenvisage les difficultés qui peuvent
naître de l'application de la loi du H Avril 188L La situation
des étrangers inscrits avant la circ. du 19 Mai 1876, soit en
vertu de l'arrêté des Consuls, soit en vertu de la jurisprudence d'extension qui s'était établie , dérivaient d'un état
ger.
.
A l' égard des majeurs étrangers, il Caut considérer la situation de ceux ayant sollicité la naturalisa~ion et qui sont dans
la période d'admission au domicile. Il est clair que durant ce
' d'étranger les exclut de l'inscription .sur les
temps 1eur qual·t
1 e
matricules et qu'ils ne peuvent figurer au titre français dans
·
les équipages du pont ou de la mach'me. Mais
au J·our
. de la. naturalisation si le marin étranger continue à naviguer, il est
inscrit défi~itivemen.t s'il a rempli les r.onditions e~igées par la
loi de brumaire an IV. La pension de demi solde lm ser~ comp.
ssi le temps d embartée après 25 ans de prestation, comme au
e
quem ent au titre étranger vaudra dans le calcul du temps d
l
navigation.
.
ui ne
1er q
fois
les
dispositions
qu'on
vient
de
rappe
Toute
'
ôl d'équipermettaient plus à l'étranger que de figurer au r e
page que comme agent civil non inscrit, cuisine et.office, pro~
voq uèrent de nombreuses réclamations et elles auraient eu podu
les marins étrangers e
effet, en se protégeant, de d étourner
..
�DES MÀRINS ET PiCHEURS ÉTRANGERS
i88
DROlT FRANÇAlS
solliciter la naturalisation française. Il arrivait, en effet, que
la possibilité même d'embarquer et d'exercer leur profession
leur était retirée, leurs consuls respectifs refusant de délivrer
le permis d'embarquement sans lequel l'étranger ne pouvait
être admis sur bâtiment français.
Le traité avec l'Italie est plus favorable aux marins, les
secours sont dus non seulement en pays tiers et dans les oolonies du pays dont le navire porte le pavillon, mais dans la
métropole de ce pays même. Le principe de l'assistan~ ~st
donc admis, dans ce traité, sur tous les points du terr1to1re
national.
Pour parer à ces inconvénients, par une circulaire en date
du 8 nov. !883, M. le ministre de la marine décida que les
étrangers admis au domicile pourraient embarquer au titre
étranger sur nos bâtiments de commerce sur la simple présentation d'un permis délivré par l'autorité maritime. M. le
ministre recommande de prendre l'avis du consul étranger,
mais il fait remarquer que c'est là suivre la tradition el un
usage qui ne repose snr aucune convention internationale, et
qni ne saurait obliger l'administration de la marine.
§. III. -
ASSISTANCE .iUX MARINS ÉTRANGERS
Le droit conventionnel s'est occupé de la situation du marin délaissé, et la France a condu avec l'Angleterre, l'Allemagne, l'Italie, · divers traités en vue d'assurer le rapatriement des nationaux respectifs, embarqués sous le pavillon des
nations contractantes et abandonnés sur certains points de leur
territoire.
La convention franco-anglaise, :S nov. f 879, prévoit l'assistance et le rapatriement, au cas où le délaissement aurait eu
lieu soit dans un pays tiers ou dans ses colonies, soit dans les
colonies de l'Etat dont le navire portait le pavillon. Le dénuement devra être la conséquence nat11rell.e du débarquement,
et il y aura déchéance du droit si le marin a été débarqué du
navire pour crime ou délit, s'il a déserté ou contracté une
infirmité résultant de sa propre faute .
Mêmes dispositions dans la convention franco-allemande du
rn mai f880.
i89
-
�ENSEIGNBM:INT PUBLIC ET PRIVÉ
i9i
qu'ils aient produit une autorisation de domicile. Ils sont cependant, comme les autres membres de l'enseignement, nommés par le ministre et participent aux avantages de leur fonc-
j
CHAPITRE VIII
ENSEIGNEMENT PUBLl C ET PRIVE.
, ÉQUIVALENCE DE DIPLOMES
ÉTRANGERS
Des étrangers admis à l'enseignement.
L'Etat ne peut se dé · t •
gers qui
sm eresser de la surveillance des étranse proposen t d'ouvrir
F
d'instruction . il
.
' en rance, des établissements
. est plemement dans son rôle lorsqu'il exerce
sa tutelle sur l'enseignement de l .
partient en
,
a Jeunesse. Celle-ci lui ap.
ce sens que l Etat a le droit de
du savoir comme de ,
.
se rendre compte
1 esprit des futurs citoyens Dans une
cert .
ame mesure,
il doit diriger l'un et l'autre.
.
.
Del' enseignement bl'
"
public est un f
. pu zc. - La carnere de l'enseignement
e onct10n à ce seul t't
1 re e1le n'est accessible
qu'aux Fr
.
'
ançatS ou naturalisés francais en
des droits à la retraite et d.
. '
outre, elle ouvre
15pense de certaines charges civi·
·
ques. (Art. 7, déc. 5 nov. t85L)
Une exception a été faite en f
gers chargés de l'
.
aveur des professeurs étranenseignement des langues vivantes
·
ces ét
· souvent
rangers sont admis à pro fesser dans les Lycées
,
sans
tion.
De l' mseignement privé. - L'enseignement privé, primaire et secondaire, est resté jusqu'à ce jour sous la législation du règlement arrêté en application de l'art. 78 de la loi
du i5 mars 1850. Décret du 15 novembre l850, art. i: «Pour
ouvrir et diriger une école primaire ou secondaire libre, tout
étranger admis à jouir des droits civils en France est soumis
aux mêmes obligations que les nationaux. Il devra en outre
avoir préalablement obtenu et produire une autorisation spé·
ciale du ministre de l'instruction publique accordée après
avis du Conseil supérieur.
Cette dernière condition est imposée à tout étranger appelé
à remplir, dans un établissement d'instruction primaire ou secondaire libre, une fonction de surveillance ou d'enseignement. L'autorisation accordée par le ministre , après avis du
Conseil supérieur, pourra toujours être retirée dans les mêmes
formes. » Art. 2: « Dans le cas particulier d'écoles primaires
ou d'établissements secondaires spécialement autorisés, conformément à l'article précédent et uniquement destinés à des
enfants étrangers résidant en France, des dispenses de brevet
de capacité ou de grade pourront être accordées par le ministre de !'Instruction publique après avis du Conseil Supérieur. D
Art. 3. « Le Ministre de l'instruction publique pourra, après
avoir pris l'avis du Conseil Supérieur, déclarer équivalents aux
brevets ou diplômes nalionaux exigés par la loi, tous brevets
et grades obtenus par l 'étranger des autorités scolaires de son
pays. »
Art. 4. « Pounont être également accordés par le Ministre en
Conseil Supérieur des dispenses de brevets et de grades aux
étrangers qui se seraient faits connaitre par des ouvrages
�192
DROIT FRANÇAIS
dont le mérite aurait été reconnu par le Conseil de l'instruction publique. »
Les mèsures disciplinaires sont prévues par une circ. minist.
du i7 fév. t85t qui autorise les recteurs en cas d'urgence à
suspendre provisoirement les chefs d'établissements étrangers
où des désordres graves se seraient produits.
CHAPITRE IX
I
I
I
I
ME DECINS ETRANGERS. ALIENES ET ASSISTANCE PUBLIQUE
Médecins ét rangers.
On conçoit aisément que l'Etat surveill e l'exercice de
la profession de m édecin, les nationaux français n'obtenant leurs diplôm es qu'après un temps d'études déterminé et des examens subis devant dos jurys dont la co::nposition est une g arantie, il n'est que juste d'exiger de l'étranger, qui veut exercer l'art de la médecine en France, des
1
. l.
preuves de capaçité.
S'il existe d'illustres médeci ns dans les diverses nations
d'Europe el d'Amérique, il s'en faut cependant que les études
méèicales présentent par tout les mêmes garanties qu'en
France . Aussi l'équivalence des diplômes est-elle repoussée en
principe. Ce pendant la loi du 19 ventôse, an XI, art . 4 décide
que : « Le Gouvernement pourra, s'il le juge convenable, accorder à un médecin ou à un chirurgien étranger et gradué
dans les universités étran gères , le droit d'exercer la médecine ou la chirurg ie sur lo territoire du royaume. »
Sur cette loi, voici comment s'exprime .M. le docteur L. Le·
fort qui fut chargé par la Faculté de Medecine de faire un
13
�MÉDRCINS ÉTRANGERS. ALIÉNÉS F.T ASSISTANCE PUBLIQUE
194
195
DROIT FRAN ÇAIS
rapport sur la valeur des titres m édicaux délivrés à l'Etranger 1 : " L'organisation actuelle de la médecine dans plusieurs
Etats de l'Europe rendrait dangereuse l'application stricte de
la loi prise dans la lettre et non dans son esprit,puisqu'elle donnerait au gouv ernement la faculté de concéder le droit de pratiquer en France à des grndu~s d'Universités étrangères,
n'ayant pas le droit de p ratiquer la m édecine même dans le
pays auquel appartient l'université qui leur a conféra le titre. » (Belgique, Allemagne, Hollande , Suisse allemande).
D'après M. L. Lefort, le Gouvernement français aurait parfois cédé à des sollicitatio us instantes de la part des ambassadeurs de certaines Puissances et admis quelques protégés, à
l' exercice de la m édecine en France.
Le titre de docteur en médecine, dont se parent certains
praticiens, peut induire en erreur le malade et l' auteur q ue
nous citions ajoute qu'il serait souhaitable que la loi français e inlerdît de prendre publiquement et dans l'exercice de
la profession médicale le titre de docteur, toutes les fo is qu e
2
ce titre n'a pas été obtenu devant une Faculté française • "
1 " Elude sur l'organisation de la médecine en France et à l'étranger. »
Doc. Léon Lefort, Paris, Germer Baillère, i 814.
• Tl nous paralt intéressant de rapporter ici le passage suivant de l'ouvrage
de M. Lefort. u Les titres donnant droit à l'exercice légal et pouvant être
acceptés par la Faculté Je Médecine, comme équivalent de nos quatre années
L'antre texte sur la mati ère ne comprend que quelques
dispositions sur les frais de diplômes, c'est un décret du 22
août 1854, art. 5 : " Les gradués des Universités étrang~res
ne peuvent jouir du bénéfice de la décision qui déclarerait
leurs grades équival ents aux grades français corresponda nts,
sans avoir acquitté intégralemen t, au compte du service spécial des Etablissements d'enseignement supérieur, les frais
d'i nscription, d'examen, de cerlificat d'aptitude et de diplôme
qu 'auraient payés les nationaux art. 6 : » Des remises ou
modérations de ces droits peuvent êlre accord~ Ps aux gradués
étrangers.
Signalons enfin une convention franco-belge du 12 janvier
1881, aux termes de laquelle sont admis réciproquement à
l'exercice de leur art, les m édecins, ch irmgiens, accoucheurs,
sages-femmes, vétérinaires dans les communes frontières des
deu x Etats.
Les personnes ci-dessus autoriséos devront se conformer à
la législation en' vig ueur dans le pays où elles feront usage
de l'auto risation.
Les médecins, chirurgiens, accoucheurs figurant sur les listes échangées annuellement par les deux Etats pourront aussi
délivrer des remèdes dans les communes limitrophes, si déjà
ils sont autorisés à en délivrer dans leur propre pays et s'il n 'y
réside aucun pharmacien.
d'étude, sont :
Pour la Btlgique, le docteur Mgal, litre obtenu devant les jurys combinés.
Pour la Hollande, le titre de docteur des Univer sités de Leyde, Utrect,
Grooingen, accompagné du dipl ôme co nféré par l'exameo d'Elat et le litre
de Arts.
Pour lo. Ba vière, le titre de docteur des Universités de Wurtzbourg, Erlan·
ger , Munich .
Pour I'Em pire d'Allemo.gne, (sauf la Bavière), le Litre d'Artz , donné par
l'examen d'Elnt.
Pour l' Aufdçhe, le titre des Uoiversilé&de Vienne, Prague, Gratz, Inepruck,
Cracovie.
Pour te Danemarck, les litres de candidat et docteur en médecine.
Pour lt Portugal, lea titres de docteur de l'Université de Cotmbre el celui
de médecin-chirurgien J es écoles de Lisbon ne et Porto.
Pour t'Espag,.e, le titre de docteur.
Pour J' Italie, le litre de docteur.
Pour la Suisse, le titre donné par l'examen d'Etat devant les facultés de
}jerne, Juricb, Dâle , (mais oon le simpl e titre de docteur donoé par ces
Universités).
Russie, les titres de médecins (lickar) et de docteur.
Bré$il, le titre de docteur.
�f.96
DROIT FRANÇAIS
MÉDECINS ÉTRANGERS. ALIÉNÉS ET ASSISTANCE PUBLIQUE
Aliénés étrangers .
On a d'ailleurs constatiS que les sacrifices des deux Etats
s'équilibraient presque, puisque le nombre des Suis~es en
France et des Français en Suisse est à peu près égal, 52000
contre 53000.
E nf ants-assistés étrangers. - Celte matière est régie principalement par des traditions de bureaux et des circulaires ministérielles.
Jusqu'ici il n'existe point de législation sp éciale concernant les étrangers infirmes et nécessiteux qni peuvent se
trouver sur le territoire français. Ils sont en cas d'urgence
recueillis dans les hôpitaux comme les nationaux.
A l'égard des aliénés, quelques Etats rapatrient leurs nationaux et indemnisent le Gouvernement français des frais
de maladie et de traitem~nt, ainsi font la Russie, le Luxembourg, la Suisse: l'Autriche paie, si les familles peuven t rembourser les frais au gouvernement autrichien.
· Le duché de Bade paie la somme de i fr. 60 par jour pendant trois mois et rapatrie pendant ce délai.
L'Allemagne rapatrie ses malades frappés d'aliénation mentale, mais elle ne paie point les frais de traitement 1 •
Toutefois la demande en rapatriement des suj ets allemands
doit être accompagnée d'un bulletin médical détaillé,
spécifiant l'état mental de l'individu et le traitement suivi.
C'est qu 'en ce cas, l'adminislration allemande fait diriger
ses nationaux sur des établissements particuliers affectés au
traitement des différ entes formes de l'aliénation mentale (lnstruct. minis. du i6 mars 1881.)
D'ailleurs une entente diplomatique intervient souvent à
propos des sujets étrangers signalés à leurs gouvernements
respectifs.
Lorsqu'un en fant né de parents étrangers est abandonné en
France, le Pr éfet du Département où l'abandon s'est produit, adresse au m inistre de l'intérieur une demande en rapatriement qui est ensuite transmise par le ministre des affaires
étrangères, au représentant du gouvernement du pays auquel l'enfant appartient.
Ces demandes en rapatriement sont presque toujours accueillies favorablement.
Le principe est celui de la réciprocité d'usages et d'accords,
pour le paiement des frais ou la gratuité.
D'après un traité franco -suisse du 27 septembre t882, promulgué le 7 août 1883, il est dit que les enfants abandonnés
et les aliénés indigents seront traités comme les nationaux
dans chaque Etat, jusqu'à ce que leur rapatriement puisse
s'opérer sans danger.
t
i 97
Journal de Dr. intem. privé, t876, p. 17.
1,
�1
RAPPORT DE L'ÉTllANGER AVEC LA COMMUN!!
199
nées la jurispruden ce excluait l'étranger el parmi de nombreux
arrêts, on peut citer celui de la Cour de Colmar du 20 janvier
t84L Cet arrêt excluait même l'étranger domicilié conrortnément à l'art. f 3 du C. Civil. Mais des décisions multiples,
considérant la lettre du C. Forestier , admettaient également
CHAPITRE X
1
RAPPORT DE L ÉTRANGER AVl!:C LA
comrn.tŒ
Cette matière se rattache plutôt à la condition civile de
l'étranger, puisque l'autonomie de la Commune n'est pas
telle qu'il en découle une législation originale et particulière,
distincte en certains cas du Droit Civil des Français. On ne signalera donc les principaux traits de la matière que pour
préciser une situation qui n'est pas id.;ntique dans plusieurs
Etats étrangers.
Affouage. - Antérieurement à 1874 la raison de douter de
l'admissibilité de l'étranger au partage de l'affouage provenait: f 0 des termes de l'art. 1, sect. i, de la loi du iO juin
f793, reproduits comme suit par le C. Civil, art. M2: " Les
biens communaux sont ceux à la propriété ou au produit desquels les habitants d'une ou plusieurs communes ont un droit
acquis. » 2• de la définition de l'b&hitant, art. 3, sect. 8, de
la loi du iO juin 1793: u Sera réputé habitant tout citoyen
francais
· ·11·'e dans la commune. » 3° de ce que Io Code
. do m1c1
Forestier n'introduisait aucune définition nouvelle de l'habitant, bien qu'il s'exprima ainsi, art. 105: «S'il n'y a titre ou
usage ,contrai.re, le partage des bois d'affouage 11e fera par
feu, c est-à-dire par chef de famille ou de maison ayant domicile réel et fixe dans la commune. » Partant de ces don-
l'étran ger au partage ùcs coupes aŒouagères.
La loi du 25 juin 1.874 a tranché la difficulté, elle forme aujourd'hui le nouvel article i05 du C. Forestier ainsi rédigé :
« S'il n'y a titre ou usage contraire, le partage des bois d'affouage se fera par feu, c'est-à-dire par chef de famille ou de
maison ayant domicile réel et fixe dans la commune. L'étranger qui remplira ces condition'> ne pourra être appelé au partage qu'après avoir été autorisé conform ém ent à l'art. 1.3 du
Code Civil à établir son domicile en France. » Ce nouveau
texte fut décid ~ principalement pour donner satisfaction aux
plaintes de quelques communes frontières qui se plaignaient
d'être envahies par des sujets étrangers qui venaient profiter
de la richesse forestière 1 • La loi nouvelle ne nous parait pas
heureusement conçue: en effet, l'autorisation de domicile
dans la doctrine el la j urisprudence actuelle n'étant pas nécessaire à l'étranger pour qu'il jouisse des droits civils, la rédaetion du texte trouble une théorie désormais définitiv e. En
outre, l'instruction d'une demande d'autorisation de domicile
est confiée aux m aires des communes et ceux-ci sont int éressés à lui donner un s~ns défavorable.
Lots vacants. - La règle indiquée par la loi précitée parait
devoir s'étendre aux autres jouissances communal es. C'est, au
moins, la doctrine émise par le Comité Consultatif qui inspira la publicalion intitul ée: « l'Ecole des communes 1> en ce
1
qui concerne l'attribution des lots de pâturages vacants •
1
V. Rapport de M. Maierau. Annexe de la séance du 24 mars t874. io
J. Officiel, du <\ mai 1874.
' V. «Ecole des Communes, » l.871, p. L08-i09.
�200
DROIT FRANÇAIS
Dépaissance, paccage, usufruit d'une carrière communale
etc., etc. - Nous n'avons pas trouvé de décisions récentes su;
~es matières, mais nous pensons que l'étranger ne saurait
etre
, exclus
. .de ces divers droils , qui • en de'fin1·t1've , n'·lmpl'1quent
qn une JOtnssance de bieus : le délai de do m1c1
. ·1e communal
nous paraît ~a seule co11dition nécessaire à remplir . La loi de
i 87 4 dont ~ous réprouvons le système, qui constitue presque
une. exception, ne doit en tout cas pas être étendue pa r ana1ogie.
POSITIONS
DROIT RmtAIN
1. -
La Constitution de Caracalla ne s'appliquait qu'aux
ingénus.
II. - Le nudum pactum engendre une obligation naturelle.
III. - Les chy1·ographa des pérégrins n'engendre.n t pas
l'obligation litteris et n'étaient que des écrits probatoires.
DROIT CIVIL
1. - L'étranger non admis au domicile jouit de tous les
droits civils qui ne lui sont pas expressément déniés par un
texte.
Il. -
Le mariage contracté à l'étranger par un Français
n'est pas nul pour défaut de publication en France.
lII. - La femme à la dissolution de la communauté exerce
ses reprises à titre de propriétaire et non de créancière.
IV. - Lorsqu'un testateur exhér ède un certain nombre
d'héritiers naturels, les autr es héritiers viendront ab intestat
recueillir la portion devenue libre, et non pas par l'effet du
testament.
�202
203
POSITIONS
POSITIOMS
Il. _ Une libéralité ne devant sortir à effet qu'autant que
HISTOIRE DU DROIT
l'établissement auquel elle est faite sera reconnue d'utilité publique n'est pas valable.
1. - Les antrustions étaient des individus rattachés à lapersonne royale par une recommandation immédiate.
II. - Sous le régime féodal le droit public n'existe pas
comme droit distinct et se confond avec le droit privé.
Vu par nous président de la Thèse :
A.
Vu par le doyen de la Faculté:
AL1'RED JouRDAN.
DROIT CRIMINEL
Vu et permis <!imprimer:
1. - L'action civile se prescrit par le même délai que l'action publique.
II. - L'étranger qui a été jugé dans son pays pour un
crime qu'il a commis en France peut être poursuivi devant les
tribunaux français s'il revient en France.
ECONOJ\fIE POLITIQUE
1. - L'effet protecteur d'un droit d'entrée ne peut être efficace qu'autant que le prix, du produit à protéger, se rapproche très-sensiblement de la marchandise étrangère concurrente, sinon ce n'est plus un droit protecteur mais un droit
fiscal.
li. - La consommation règle la production, mais ne l'alimente pas.
DROIT ADMINISTRATil.1'
l. - Un conseil de préfecture saisi d'une demande d'expertise dans une question de dommages, suite de travaux publics ,
peut se refuser à l'expertise qui lui serait formellement demandée.
GAUTIER .
Le Recteur:
BELIN.
�TABLE DES MATIÈRES
DROIT ROMAIN
Pageo.
CRAPITRE I. - Généralités historiques • • • , ,
Du jus gentium • . . . , • . . . • •
CHAPITRE II. - Premiers rapports extérieurs de Rome.
Classification des pérégrins
••
Latini veteres • •
Latini colonarii. • • • . • .
Populi socii • . • • • • . .
CHAPITRE III. - Caractère juridique du pérégri11us .
Droits de famille du pérégrin . . . . . . •
CHAPITRE IV. - Pretor peregrinus. - En donnant le droit d'action, il fonda la capaeité juridique • • . • •
Droil de propriété du Pérégr in en matière de res mancipi .•
«
«
immobilières .
«
«
res nec man cipi.
«
"
successorales .
Droit du pérégrin en matière d'obligatio ns , • • • • . .
CHAPITRE V. - Droit d'action du pé1'égrin. - Jurid iction du préteur. - Jutlex. - H.ecuperatores. - Jus dicendi.
- Jus edicendi • • . . • . . . • • . • • • .
CHAPITRE VI - Effet de la Constitution de Caracalla à l'égard des
pérégrins • • • . • . . • . , . • . • • • . .
i
3
7
8
8
9
H
i3
15
17
18
20
22
23
24
26
29
DROIT FRANÇAIS
CHAPITRE I. - Garantie de la liberté individuelle de L'étranger e1~
France . . . . · • • · • • • • · · • · • · ·
31
PREM l ~RE PARTIE
E:s:tradUion d e l'étranger.
SECTION l
§
1.
Lée;islalion positive et jurisprudence . • •
Notions générales •
• • •
• • • •
Des traités . • • , • • . • · • • • • • •
31
31
32
�206
§ II. Arrestation de l'ét ran ger réclamé . •
Conslalalion d'idenlité du sujet réclamé .
Conrluile de l'estradé . • . • . • . • • .
•
Autorités intervenant dans la procédure d'extradition •
33
39
39
SECTION Ill
101
Des personnes passibles d1 ex pulsion .
a ) Étrangers non domiciliés' .•
b) Étrangers dom ici! iés . . • . • • .
§ 1.
39
SECTION Il
iOi
104
SECTION I V
Situation de l'étranger devant l'auloritë judiciaire après
sa remise au gouvernemeGt frauçais . • . . . . . .
§ I. Incompétence des tribunaux pour discuter le mérite de
l'extradition . • . . . . • . • . • .
• • • .
Objet du jugement ; des délits réservés • • • . • . , •
40
40
42
SECTION Ill
Extradition en matière de crimes el délits politiques. .
~ I. Ce qu'on doit entendre par crime ou délit politique . •
Le régicide est-il crime commun ? - Législation comparée . . • • • • . . • • • • • • , .
§ II. Connexité dt: délit commun . • • . . • .
§ Ill. L'Etat requis apprécie la nature du délit.
46
46
D'un e police internationale des étrangers - proj et de
109
loi . • • . . . • · · · · • • · • · •
116
CBAPlTRE Il. - Droit des étrangers d'ester en justice •
124
CHAPITRE Ill. - Les étrangers et les cultes. . . . • .
124
§ I.
Restriction à la_liberl é_d~s cul1cs . : • . .
131
§ II. Étrangers admis au mrn1stère ecclésiastir1ue
CHAPITRE
134
IV - · • · • • · • · · · - · · • · . . • '
SECTION
Naluralisalion des étrnngers dans ses rapports avec les
lois de rec rutement militaire el les règlements d'admission aux écoles du gouvernement . • . • . · 134
49
52
54
SECTION IV
SECTION 11
Examen théorique de l'Exlradi tio n .•
58
Condition de l'étran ger au point de vu e pénal .•
~ I·
58
§ II. Fondement et légitimité de l'extradition . • . .
58
§ III. L'extradition est indépendante des traités . • • • • •
65
§ IV. Des circonstances de lieu qui plal)ent l'étran ger sous
le coup de la répression • • • . • . • . • . • .
66
§ V. De l'idée de réci procité daos les traités rl'extradilion . 67
§ VI. Des délits exceptés lors de la remise du sujet ré - .
clamé . • • . . . • • • • . • • . . . . • . •
70
§ VII. De la Prescription . . . . • • . . . . • . . . • .
72
§ VIII. De la substitution du régime de la loi à Pacte gouvernemental . . . . • . • .
73
§ IX. Législation c~mparée . • • . . • . • •• • .• •• 74 bis
DEUXIBMI!: P ARTIB
Expulsion des Étrangers.
144
Algérie. - Naluralisation .
CHAPITRE V. -
i46
154
i 55
Des impôts.
a ) Direcls. . •
b) Indirects . •
CHAPITRE VI. - Des ambassadeurs. -
Agents diplomatiques. Consuls . • . . · • • · • ·
CHAPITRE VII. - Marins et p~cheurs étrangers · . . .
.....
163
1i2
Sl!CTION I
Industrie du transport maritime.
Louage de services. · • • • · •
a) Capilaines étrangers . .• • ·
b) Matelots • • • • · · • • • • • : '. · . • · • , · ·
§ Ill. Considérations économiques sur la hm1tallon de 1embarquement des étran gers.
· · · · · · · ·
§ I.
§ li.
172
173
173
174.
176
SECTION Il
SECTION l
§ I.
§ li.
207
TABLE DES MATIÈRES
TABLB DES MATIÈRBS
Caractère de l'expul sion . • •
De l'inlerdiclion du territoire .
179
76
79
Pêcheurs ét rangers. · ·
a) Pêche au corail . · · · ·
b) Pêche intorualionale. · ·
85
94
Marins étrange rs el déserteurs. · · · · · · · · ' '
ElTets de l'inscriplion marit ime à l'égard de l'étran- 186
'
ger. . . . . . . . . . . . . . . . '
188
SECTION Il
181
182
SECTION Ill
§ 1.
Législation sur les étrangers depuis la Révolution jusqu 'à la loi du 3 Déc. 1849 . . • , . • . • • . • .
§ II. Loi du 3 Déc. 1849 . .
~ III. Législation comparée. • • ,
. ..
98
§ l.
§ li.
§ Ill. AssisLance aux n1arins étrangers.
184
.. . .
, , ' , , ,
�!08
TAllLE DES MATIÈRES
CHAPITRE VIII. - E11seig11ement public et privé.
190
190
Équivalence des diplômes étrangers .
CHAPITRE IX. - Médecins étrangers , • • • . • • •
Aliénés el assislaoce publique . . . • .
i93
196
CHAPITRE X. - Rapports de l'étranger avec la commune .
POSITIONS • . • . . • , . . • . . . • • • . . • •
198
201
Imprimerie de DESTENA Y, Sainl-Amand (Cher}.
�
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Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Aperçu sur la condition des étrangers à Rome, et condition de l'étranger sous le droit public français : thèse présentée et soutenue devant la faculté de droit d'Aix
Subject
The topic of the resource
Droit civil
Droit romain
Droit public
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Garnot, Xavier
Faculté de droit (Aix-en-Provence, Bouches-du-Rhône ; 1...-1896). Organisme de soutenance
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES-AIX-T-140
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Arthur Rousseau (Paris)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1885
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/241244676
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-AIX-T-140_Garnot_Etrangers_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol
208 p.
In-8
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/428
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Abstract
A summary of the resource.
Thèse : Thèse de doctorat : Droit : Aix : 1884-1885
La première partie de cette thèse étudie le statut juridique des étrangers durant l’antiquité romaine. Elle explique l’évolution du Droit romain des étrangers ou ius gentium (littéralement : droit des gens ou plutôt droit des nations selon l’auteur). Elle est fonction de plusieurs facteurs qui sont : la croissance économique et les transactions commerciales mais aussi les campagnes militaires, qui amènent les romains à interagir davantage avec les autres peuples italiens et les autres pays voisins.
De plus, l’auteur retrace l’évolution institutionnelle en la matière et rapporte la création, tout comme l’œuvre, du pretor peregrinus : magistrat romain en charge du droit des étrangers. Selon cette étude, le principal effet de cette institutionnalisation progressive est la portée de la constitution de Caracalla à l’égard des pérégrins (étrangers) qui consiste à étendre le droit de cité ou ius civuitas (droit applicable aux citoyens inscrits dans les tribus de la ville de Rome) à tous les citoyens de l’empire. Cette mesure est considérée par l’auteur comme purement politique et à finalité fiscale.
La seconde partie aborde également le droit des étrangers mais dans un contexte différent, car l’époque est contemporaine à celle de l’auteur : le XIXe siècle. Il questionne le droit français de son époque sur certains droits des personnes étrangères qui ont trouvé réponse aujourd'hui, mais qui peuvent toujours être appelés à évoluer comme la garantie des libertés individuelles des étrangers, leur droit d’ester en justice, leur naturalisation, ou leur système d’imposition. Il s’est aussi posé des questions originales, de son temps, comme les étrangers face au droit des cultes, et de la rigueur du Concordat de 1801 face à l’accès aux fonctions ecclésiales pour ceux-ci.
Résumé Liantsoa Noronavalona
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Description
An account of the resource
Tous les aspects du droit des étrangers : de la liberté individuelle à la naturalisation, des impôts aux droits au niveau communal, sans oublier l'équivalence des diplômes et le droit des travailleurs étrangers, marins, pêcheurs ou médecins
Étrangers (droit romain) -- Thèses et écrits académiques
Étrangers (droit) -- France -- 19e siècle -- Thèses et écrits académiques
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/438/FR_MMSH_MDQ_DRMUS_MG_039.pdf
1b8d026dd0559c33f695783c63706271
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Algérie. 18..
Tunisie. 18..
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Dain, Alfred (1851-1892)
Lavergne, René de
France de Tersant, R. de
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1885
Description
An account of the resource
La législation immobilière et la loi foncière issu du système Torrens instaurées en Tunisie sont applicables en Algérie ?
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
136 p.
25 cm
Language
A language of the resource
fre
Publisher
An entity responsible for making the resource available
A. Jourdan (Alger)
Société du recueil général des lois et des arrêts (Paris)
Germain et G. Grassin (Angers)
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/006409458
Notice du catalogue : https://cinumed.mmsh.univ-aix.fr/idurl/1/16797
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/FR_MMSH_MDQ_DRMUS_MG_039_vignette.jpg
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Source
A related resource from which the described resource is derived
Médiathèque de la Maison méditerranéenne des sciences de l'homme (Aix-en-Provence), cote 8-186
Title
A name given to the resource
Système Torrens (Le). De son application en Tunisie et en Algérie. Rapport à M. Tirman gouverneur général de l'Algérie suivi d'une traduction de l'acte Torrens et de la loi foncière tunisienne du 5 juillet 1885.
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/438
https://cinumed.mmsh.univ-aix.fr/idurl/1/16797
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Maison méditerranéenne des sciences de l'homme (MMSH Aix-en-Provence)
Subject
The topic of the resource
Droit colonial
Droit foncier
Abstract
A summary of the resource.
Est un extrait ou un tiré à part de : Revue algérienne et tunisienne de législation et de jurisprudence.
La législation immobilière et la loi foncière issu du système Torrens instaurées en Tunisie sont applicables en Algérie ?
Spatial Coverage
Spatial characteristics of the resource.
Le Système Torrens. De son application en Tunisie et en Algérie. Rapport à M. Tirman gouverneur général de l'Algérie suivi d'une traduction de l'acte Torrens et de la loi foncière tunisienne du 5 juillet 1885. <br />- Feuille Bizerte ; II ; 1887 ; France. Service géographique de l'armée, ISBN : ]A73_02_1887a. Levés de 1881 à 1887 - Carte de reconnaissance<br />- Lien vers la page : <a href="http://www.cartomundi.fr/site/E01.aspx?FC=43100" target="_blank" rel="noopener">http://www.cartomundi.fr/site/E01.aspx?FC=43100</a>
Hypothèques -- Algérie (Période coloniale) -- 19e siècle
Propriété foncière -- 19e siècle
Propriété foncière -- Algérie (Période coloniale) -- 19e siècle
Propriété foncière -- Tunisie -- 19e siècle
Torrens, Robert (1780-1864)
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/447/RES-AIX-T-141_Cabassol_Usucapion.pdf
1eaa736d3ca9c8cb6ed58a0eebbc1d46
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Text
FACULTÉ DE DROIT D'A I X
DR O IT ROMA I N
De !'Usucapion.
DROIT C IV IL FRANÇAI S
Origine, sen s et applications de la Règle « En fait de
m eubles possession vaut titre "
( Art. 227~-2280)
THÈSE
POUR
LE DOCTORAT
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JO SEPH
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1885
li li
llll llll l li Ill Ill/ 11 11111
094 085610 2
�A MON ONCLE
M.
CARLES
Doyen honoraire de la Faculté de Droit d'Aix,
Chevalier do la Légion d'Bonncur
�INTRODUCTION
'
...'
La possession étant la base soi t de l'usuca pion ou prescription acquisitive, soit et spécialement de l'art. 2279 que
nous avons à commenter, il faut commencer par la définir:
La possession est la puissance que nous avons sui· une
chose, le pouvoir d'en user et jouir, de la retenir à l'exclusion de toute autre personne, d'opérer enfin sur elle à
plaisir et volonté. L'étymologie du mot indique déjà cela,
possidere est l'augmen tatif ùe passe, c'est la puissance à l'état
complet el continu.
Quand celle puissance est jointe au droit, elle constitue
la propriété qui est en effet le droit de faire tout cc que
nou s venons de dire dan les limites permises par la loi :
Jus ULendi, frn endi et abutendi qua tenus juris ratio patilur.
La propriété es t donc le droit et la possession le fait. Elles
sont jointes ordinairement et doivent l'être, sans quoi la
propriété séparée de la pos.ession ne figurerait que comme
une abstraction jurid ique et serait privée de tous les avantages qu' elle doit procurer à l'homme.
La possession au contraire. si ell e e l seul e à son tour
ou du moins co mm ence par être seule, peut produire Jes
effets importants par elle-même el ce la dans plusieurs ca. :
C'es t ce qni arri,·e d'abord quand elle porte sur de bien,
qui n'appartienn ent il pcr' onn e, res u11l/i11s. Elle allire alors
la propriété à ollc immédiatement ; le possesseur de\'ient
�Il
propriétaire aux yeux mêmes do la loi dès l' instant qu'il
s'est emparé de la chose. C'est co qu'on appelle Je dro it du
premier occupant, prima occupatio, et c'est par là, a dit
Pascal, que la propriété a comm encé sur la terre.
En second lieu, la possession peut ex ister senle parce
que le propriétaire aura été dépouillé. Ell e est alors sur
une tête, la propriété sur une autre, et cela peut arriver
assez fréquemment. En cet état, la possession produit deux
efiets, l' un provisoire l'autre défi nitif.
Provisoirement, le possesseur est présumé propriétaire
jusqu'à preuve contraire. Si une demande judiciaire est
intentée contre lui, il a le rôle le plus facile à. remplir, celui
de défendeur ; c'est au demandeur à faire la preuve de sa
propriété, sinon il succombera. Si, au con tra ire, le possesseur, au lieu d'être attaqué en justice est troublé en fai t ou
dépossédé par violence, il a alors une action qu i lui est
propre pour faire cesser le trouble ou pour se fai re rendre
la chose enlevée. Cette actio n appelée en droit français
complainte ou réintégrande est donnée contre l'auteur du
trouble ou de l'enlèvement, qu el qu'il soit, fut-vc même le
vrai propriétaire de la chose qui a eu le tort d'employer de
pareils moyens. Ceci form e la classe des actions di tes
possessoires, qui ressemblen t plus on moi ns à cc que les
Romains nommaient Intcrclicta 710 sessoria et qui ne s'exercent il est vrai chez nous que pour les immeubles.
Notre thèse doit rester étrangère à ces premières manifestations et conséquences de la possession. Elle s' occupc
seulement du résullat que nous avons appelé définitif et qui
provient d'une possession ordinairement prolongée.
Ill
Après qu'elle a duré en effet plus ou moins longtemps,
le moment vient où pou r que les droits de chacun ne soient
pas indéfin iment suspendus, la loi anéantit la propriété de
l'ancien maître et la fait passer au possesseur. Le fait devient
alors le droit et la possession est transformée. Ce mode
d'acquérir par une possessio n plu s ou moins longue, appelée
prescription, présente des hyp othèses nombreuses et diverses :
Si elle a duré trente ans, ell e s'appliqu e à tous les biens
meubles ou immeubles, en droit français du moins, quoique
le possesseur ait su qu' il détenait le bien d'autrui , quoiqu'il
ait été de mauvaise fo i selon l'expression usi tée. De hautes
raisons d' utilité publique ont fait admettre ce résultat qui
semblerait à première vu e froisser l'équité naturelle.
Si, au contraire, le possesseur est de bonne foi, dix ou
vingt ans suffisent pour lui assurer la prop riété en droit
romain et en droit français à l'égard des immeubles. Mais
s' il s'agit de meubles, une différence profonde sépare les
deux législations : le droit romain exigea d'abord un an
puis trois sous Justinien ; le droi t français , par une
décision hardie et accep tée lentement dans la pratique judiciaire, a affranchi la prescri ption des meubles de Lou te
durée. Il suffi t que l'acheteur ait reçu la chose de bonne foi
pour que cette possession in tantanée l'ait rendu aussitôt
propriétaire, comme s'il s'agissai t d' une chose n'appartenan t
à personne. C'est le sens de la maxime: En ;ait de meubles
vosscssion vaut titre.
Nous ne fa isons qu' in diquer ici Je terrain sur lequel portera notre travail. Le développement deHa tout expliquer,
�IV
entr'autres commen t cette règle, qui à première vue étonne,
a été inspirée par de puissants motifs et est au ssi sage
qu'utile en la restreignant dans le cercle des choses pour
lesquelles elle a été faite.
Encore un mot: la possession à fin de prescrire doit être
une possession vraie et complète, c'est-à-dire réun ir le fait
et l' intention ; le fait, d'avoir une chose sous sa puissance,
l'intention d'en être le maître , de l'avoir r.n un mot
comme propriétaire. C'est ce que les Romains appelaient
posidere corpore et animo,
Dans beaucoup <le circo nstance, de la vie civile, on
pourra détenir la chose d'atJtrui en sachant qu 'elle est à
autrui et vou lant qu'elle lui res te , par exemple , dans le
prêt à commodat, le louage, le gage, ele. Il n'y a pas ici
une naie possession mais un e simple détention , nuda detenlio, ou comme disaient encore les jurisconsultes romains,
cc n'est pas la possidere S<'d tanlmn esse in possessioue. Nous
<liso ns nous ordinairement c'es t une p o~sess i o n ou détention à titre précaire, l'appelant ainsi parce que souvent on
a reçu la chose par complaisance du maitre, sur la demanüe
ou prière qu'on lui en a fa ite, precario nomine.
Le détenteur précaire a si peu la possession juridique
que c'est le prop riétai re qui co ntinue à posséder par ses
mains, Io considérant avec raison comme so n rep résentant.
Le détenteur n'a d'autres droits qu e ceux qui résullent pour
lui du contrat intervenu : prêt, louage, gage, etc., cc dont
nous n'avons pas h nous occ uper.
DROIT
ROMAIN
�DROIT ROMAIN
DE
L'USUCAPION
, Oig l.il"l'tl XLI . Tilre Ill
l
~-
•
L' usucapion est un IDl'ycn .d'acquérir la propriété par
une possession prolongée et revêtue de certaines condiLions.
C'est ainsi que la défi nit Modestin : Usucapio est adjectio
dominii per contirwationem po scssio1tis tcmporis lege definiti.
Cicéron, pour exprimer la même idée se sert du mot usus:iuctorilas 1 , V sus desigoan t la possession et auctaritas le
caractère dont la loi la recouvre en la tr:insforman t en pro• Top . 4 ; pro cœcina,
m.
�-2priété. En d'autres termes, l' usage de la chose pendant une
certaine durée, assure par elle-même au possesseur un e
propriété légitime.
C'est là une institution tle Droit Civi l qui au premier abord
paraît contraire au droit des gens entendu clans le sens romain et d'après lequ el la propriété ne doit pouvoir s'acquérir
· que par la tradition émanée du propriétaire, de celu i qui seul
a la liberté d'en disposer. Elle sembl e aussi en co ntradi ction
avec l'équité qui défend que l' un s'enrich isse du bien de
l'autre à son insu et malgré lui. Pourtant on la tro uve établie dès les temps les plus reculés dans la législation des
peuples. C'est que le bien public exigeait que la propriété
ne restât pas trop longtemps incertaine : Ne scilicet fere semper incerta dominia essent, et qu'on fixâ t un terme après
lequel les possesseurs ne pourraien t plus être inqu i1Hés en
déclarant désormais de nul eITe t les droits restés jusqu'alors
sans exercice. Sans cela, il serai t arrivé souvent qu'u n
acquéreur de bonne foi aurait été évincé après un e longue
et paisible possession et que celui -là même qu i avai t acquis
du véritable prop ri étaire, perdant accidentell ement son titre,
se serait vu lui aussi dépouillé. D'ailleurs, une pareill e institution est d'autant moins inj uste que la loi laisse aux propriétaires tout le temps suffisant pour la recherche et la
revendication de leurs droits et qu'en somme l' usucapion
ne frappe que des négligents: Vix est ut non videatur alienare
qui patit.ur usucapi (L. 28. Dig. lit. XVI, Liv. L, de verb.
sign.) Aussi fut-elle appelée Patrotia generis Jiumani; tous
les jurisconsultes vantèrent son étab lissemen t et les empereurs l'entourèrent d' une protection très efficace.
-
3 -
L'usucapion a traversé à Rome trois périodes successives:
le droit classique , la législation prétorienne et celle de
Jnstinien :
La loi des XII tables est le premier mon ument législatif
qui la mentionn e. Aux termes de cette loi , l' usucapion
accomplie avait les mêmes elTets que la mancipatio c'est-àdire elle transférai t le plenum jus quiritium. Or, le territoire
rnmain étai t à celle époque renfermé dans des limites
étroites et même un petf plus tard c'est au fond italique
seu l que l' usucapion eut lieu de s'appliquer. Mais quand
Rome eû t po rté au lo in la gloire de ses armes, il semble
qu'elle aurait dù donner à ses possessions nouvelles la même pro tection et les mêmes droits qu'à son sol primitif.
L'e$prit romain s'y refusa soit par une sorte de fierté nationale soi t parce que les biens de la conquête étant censés
apparten ir au peu ple ou à l'empereur, ils ne pouvaient faire
l'ol.Jjel que d'une simple concession ; ou disait que le possesseur les avai t in bonis el il payait pour cela un tribut annuel.
Au surp lus, le délai de l' usucapion étant fort court, il él:lil
difficile de l'appliquer à des biens situés à des distances
très éloignés de lacapitale.
On comprit cependant qu'il importait à la tranqnililé
publique que celui qu i pendant un certain temps avait
possédé un fonds provin cial fut couvert d'une protection
d'autant plus rationelle que son droit ne dilTerait cruère
de la propriété véritable, que par le nom qu'il lui ;:.donnait ; dans ce but, le préteur créa en sa faveur le droit ,
après un délai de 10 ou 20 ans, de se main tenir dans sa
possession par la prescriptio lo11gi temporis. Cette expression
�-4nouvelle venait de ce que au moment où le préteur allait
délivrer la formule au demandeur, si l'adversaire voulait se
défendre par la possession longi temporis, il obtenait du
magistrat que mention fut faite de ce moyen en tête de la
formule. De la vint le mot de prœ-scriptum, écrit en tête
ou avant.
Laprescriptio longi temporis eût néanmoins sur l'usucapion
ce désavantage qu'elle n'était , à l'origine, qu'un moyen de
défense, une exception pour repousser l'action du ti ers
qui se serait affirmé concessionnaire et non pas un mod e
d'acquérir transformant en propriété civile le simple fait
de la possession. Il en résultait dans la rigueur du droi t,
que si Je possesseur perdait la chose, il ne poUYait plus la
revendiquer. La pratique chercha de plus en plus à assimiler cette institution nouvelle à l' usucapion ancienne,
d'autant plus qu'elle ne reposait pas sur une loi positive,
et le préteur finit par admettre la poss ibilité d'une revendication utile 1 • Mais la prescripli o avait, d'un au tre côté,
un résultat que l' usucapio ne pouvait produire : c'est que
lorsqu'elle était acquise, l' immeuble restait au possesseur ,
li bre de toutes les charges an téri eures. Aussi finit-on par
admettre qu e les immeubles italiques eux-mêm es pourraient bénéficier de la prescription (LL. 5 et 9 Dig. til. 3,
liv. /~4, de divers temp. prroscript.) - Quand aux meu-
t Cette modification fut failo sans doute bien avant Justm1011 ,
car cel empereu1· dit lui- mème en la mentionnant : Hoc wim et
veteres leges sanciebanL (L. 8, pr. in line. C. do prrescr. xxx vol
xi. annorum).
-
5 -
bles, ils étaient susceptibles d'usucapion, aussi bien en
province qu'en Italie, par la raison qu'ils n'ont pas de situation et suivent la personne.
Justinien confondit l'usucapio et la prescriptio l-Ongi
temporis en une seule et même institution. Il supprima
toute différence entre les fonds italiques et provinciaux,
accorda aux uns et aux autres le même droit et établit un
délai uniforme de trois ans pour les meubles, dix et vingt
ans pour les immeubles.
L' usucapion avait pour but de remplir t1ne double
fonction :
1° Transformer en domaine quiritaire la simple propriété bonitaJre d'une res mancipi qui n'a été mise au pouvoir de l'acquéreur que par la tradition. Les Romains distinguaient en effet deux sortes de biens, les choses man cipi
et les choses nec mancipi : Afancipi sunt prœdia in l talico
solo tam rustica quam urbana ; item servi et quadrupedes
quœ dorso collove dornantur. Ces biens étaient ainsi appelés
quod quasi mann caperentur, et parce qu'ils ne passaient
en la puissance de l'acquéreur qu'au moyen de l'aliénation
qui s'en faisait par l'antique solennité per œs Pt libram appelée mancipatio. La simple tradilion n'en transmettait
donc pas le plenum jus Quiritium, mai seulement nne
propriété imparfaite qui ne donnait pas les zctions directes
et légales du droit civil. C'est dans cette dernière hypothèse
que la loi venait au secours du possesseur en lui permettant d'acquérir le dominium plenum par l' usucapion.
2° L'u ucapion change aussi en propriété q.uiritaire la
simple possession juridique, lorsqu'une chose mancipi ou
�-6non a été livrée ex justd causâ par un tiers qui n'en était
pas le propriétaire. S1 le possesseur l'a reçue de bonne
fo i et continue à la posséder il en dev iendra propriétaire
d'après le droit civil.
Cette seconde application de l' usucap ion subsista seule
lorsque Justinien fusionna la propriété quiritaire avec la
propriélé bonitaire, et que la ùi stinclion entre les fonds
italiques et provinciaux disparut.
.Mais pour pouvoir in\'oquer cc mode particulier d'acquisition et s'en prévaloir, il était nécessaire cle réunir
certaines conditions relatives soi t à la pc1sonn c qui usucapc, soit à la chose qui est usucapée, soit au mode
d'usucapion.
CHAPITRE l..
Personnes
caa•ablcs cl'u s 11capc1•.
L'usucapion appartenait an droit civil. Il en résultait
nécessairement qu'elle ne pouvait avoir lieu qu'entre
citoyens romains ; elle fut plus lard permi e aux latins,
mais l'étranger ne pût jamais s'en fai re un titre : Adversus
hostem œterna auctoritas esto disait la loi des Douze Tables :
hustis était synonyme de peregrim1s. Pour lui , la po;session
si longue fut-elle ne lui donnait pas le dominium ex jure
Quiritium et le propriétaire avait toujours le dro it de rovenùiquer à so n encontre. Pour qu'il en fut autrement,
-7 il aurait fallu que le peregrin obtint le bénéfice spécial du
commercium. C'était là évidemment une lacune qui se
comprenait à. l'origine de Rome où les sujets pérégrins
étaient fort peu nombreux, mais que le préteur combla
plus tard en leur applicant la prescriptio longi temporis,
c'est-à-dire en maintenant dans leur possession les pérégrins eux-mêmes au moyen d'une exœptio opposable à
toute revend ication.
Les esclaves ne ponvaient pas davantage usucaper pour
eux; ils acquéraient seulement pour leur maître , car
ils ne constituaient pas une personne civile : servus personnam non habet. Le fils de famille leur était sur ce point
assimilé et ne formait pas non plus une personnalité distincte de celle du paterramilias. Il se distinguait toutefois
de l' esclave dans l'an1:ien droit, en ce qoe il pouvait usucaper son pécule castrense et quasi castrense, et sous Justin ien, par un pouvoir encore plus étendu , il put usucaper
tout ce qui ne lui provenait pas des deniers de son père.
Un pupille peut us11caper lorsqu'il a commencé sa possession avec l'autorisation de son tuteur , ou s'il a pu avoir
lui-même l'intention réfléchie de posséder. De là il semble
découler que celui qui est infans ne pourra jamais acquérir
par usucapion, car s'il peut en quelque sorte appréhender
matériellement la chose, il ne pourra pas avoir de volonté,
et comme il est de règle que l'autorisation du tuteur complète mais ne remplace pa l'incapacité du pupille, l'usucap ion deviendra impossible. Les jurisconsultes abandonnèrent dans ce cas spécial la logique rigoureu e de· prin~ipcs et aùmirenL que le tuteur non-seulemen t compléte-
�-8rait mais remplacerait la volonté de l'infans . J11dici111n infantis supplettir auctoritate Llltoris.
Enfin, le furieux peut continu er la possession qu'il a
commencée avant sa folie, mais il faut évidemment pour
cela qu'il possède à. un titre qui donne lieu à l'usucapion 1• An contraire, celui qui devient prisonnier des ennemis ne peut pas non seulement commencer une possession mais encore continuer cell e qui déjà était en train de
s'accomplir, parce que en devenant prisonnier de l' enn emi
il a perdu le droit de cité. Bien plus, si un jour il recouvre
sa liberté, il n'aura pas le droit d'inYoq uer le temps d' usucapion couru antérieurement à sa ca ptivité, en se fondant
sur le jus post liminii, parce que c'es t là une ficlion qui
ne s'applique point aux choses de fait et que la po~sessi o o
est considérée comme telle 2 • Mais ses héritiers du moin s
ne pourront-ils pas s'en prévaloir dans le cas où il est
mort chez l'ennemi? Paul soutient l'affirmative (Dig.
L. 1 ~ de Usucap.) et en donne celle raison tout à. fait conforme aux principes : Que le prisonnier étant mort chez
l'ennemi , il est, d'a près la loi Cornelia, censé mort du
jour de sa captivité n'ayant pas cessé de son vivant de posséder utilement.
Il est des cas où le citoyen romain acqui ert par au trui :
Adquiritur autem nobis ctia111 per eas person11as q11as in potestate, manu, mancipiove habemus. » par ses fil s, ses esclaves~ l'esclave d'autrui, par l' homme li ure qu 'il possède de
' L. 4, § 3. Dig. hoc tilulo.
L. rn, Dig. c~ quibus causis, tit VI, liv. IV.
i
-9bonne foi. En principe, la possession peut s'acquérir corpore alieno, c'est-à-dire par l'appréhension physique d'autrui. Mais il faut que le maitre ait un annimus personnel,
une volonté consciente. Par exception, les personnes placées sous sa puissance, si elles se trouvent à la tête d'un
pécule, lui acquièrent la possession même à son insu lorsqu'elles appréhendent une chose ex peculiarii causâ. Par
conséquent, le captif pourra obtenir le bénéfice de l'usucapion, si l'acquisition provient des deniers de ce pécule
et s'il meurt chez l'ennemi, en raison encore de la fi ction
ùe la loi Cornelia, r,omme il est supposé mort du jour où
il a été fait prisonnier, c'est son fils qui bénéficiera de
l' usucapion depuis son origine. Le fariosus pourra de la
même façon acquérir par son esclave. - Le jurisconsulte
Pedius sou tenait au contrai re que celui qui ne peut pas
prescrire par lui-même ne peut pas non plus prescrire par
son esclave 1 •
Une constitution de Sévère et Antonin alla jusqu'à autoriser l' usncapion par procureur, à condition qu'au moment où elle commence, celui pour le cc1mpte de qui elle
a lieu sache bien que la chose a été mis~ dans les main s
de ce procureur. Cela tient à ce que l'u -ucapion nécessite
la bonne foi dès le premier in tant de possession et que le
mandant ne pent avoi r cette bonne foi qu'autant qu'il
connaît le fait de la possession.
Enfin, suivant le droit commun, une succession vacante
1
L. 8,
s 1, Di g. hoc iitulo.
�-
10 -
ne peul pas acquérir par usucapion, et si l'esclave héréditaire commençait à posséder une chose avant l'additioc1
d'hérédité, l'usucapion ne pourrait couri r que du jour de
cette addition 1• Quand à celle que le défnnt lui-même
aurait commencée, elle s'accomplira avant l'addition,
si le délai voulu par la loi est à ce moment entièrement
achevé. C'est là une conséquence da principe admis en
Droit Romain que Je défunt vit encore par sa succession :
De{uncti hereditas personum sustinet.
Remarquons ici d'une façon générale que si la chose
usucapée était antérieurement grevée de droits réels, l'usu~pien s ne l'acquiert pas libre de toute charge mais au
con traire cum sua causa, c'est-à-dire grevée des droits antérieurs, parce que l'usucapion n'est pas un mode originaire
d'acquisition . Celui qui a usucapé n'a fait qa'afTermir une
possession vici euse et il ne peut pas être mieux traité qu e
s' il avai t reçu la chose, selon les règles du droit civil , des
mains du véritable propriétaire lui-même 2 • A l'époque
de Justinien il n'en est plus ainsi et avant lui déjà la prescriptio prétorienne anéantissait d' une façon définitive toutes les charges antérieures (L. 5, § 1, et L. 12 Dig. tit. 5,
liv. 44, de divers. temp. presc.).
Un cas particulier sembl e pourtant exister même sous
l'ancien droit dans lequel l'usucapiens acquerra l'immeuble lib re de servitude : c'est lorsque celle servitude est un
usufruit. En eflet la perte de l'usufruit par le non usage
1
L. 4,5, § 4, J)ig. de Usurp.
• Machelar<l. Explical. des teAtOs sn1· los h) potli.
- 11 se renferme toujours dans un délai de deux ans, biennio,
or c'est là précisément le délai même de l'usucapion. Est-ce
à dire qu'on ne peut concilier les actes de possession émanés
de J' usucapiens avec le mainti en de l'usufruit au profit
d'un Liers ? L'objection n' est pas irréfutable. Il est certain
que si l'usufruit existait déjà quand l'usucapion a commencé et n'a pas éLé mis depuis en exercice, si son existence ne s'est manifestée d'aucune façon, ce résultat est
inévitable. Mais il peut se faire aussi que l'usufruit ait été
cons titué par le propriétaire alors que le possesseur était
déjà. en voie d'usucaper et cela soit par legs soit par in jure
cessio, ou bien encore il est possible qu'il fut suspendu
par une condition, qu'il eut été constitué ex die. Dans tous
ces cas, l'inertie fo rcée de l'usufruitier ne saurait amener
la perte de son droit et n'empêche cependant pas la possess ion ad usucapionem. Dans ce cas particulier. l'usu capiens, bien qu'il possède sans connaître l'usufru it, n'acquerra pas l'immeuble libre de tou te charge.
CHAPITRE IL
Cho ses qui p e uvent èta•e osocapées.
En règle générale, toute choses qui son t dan le commerce so nt res habiles c'est-a-dire pcuvenL être acquises
par usucapion. Par exception, il en est qui n'en sont pas
�- i2 susceptibles : les unes d'une façon perpétuelle et absolu e,
certaines autres à. raison seulement de la personne qui les
possède; plusieurs enfin parce qu'elles sont entachées
de vices.
1. Sont insusceptibles d'usucapion d'une façon absolue
el perpétuelle les choses hors du commerce :
l'homme libre. La liberté était considérée comme uu
bien inaliénable, et les Romains qui faisaient de leurs
captifs des esclaves n'en proclamaient pas moins que l'esclavage est une violation de la nature.
Les clwses sacr~es, saintes ou religieuses. On appeléiit
choses sacrées, celles o: qure Diis superis consecratro sunt.~
Ce caractère leur était imprimé par une dedicatio solennelle émanée des pontifes. Depuis le triomphe du christianisme on donna ce nom aux objets que l'autorité ecclésiastique avait désignés pour servir au culte divin . L'aliénation en fut cependant quelqu efois permise par exception, notamment pour racheter les captifs. - Les choses
saintes étaient les portes et murs d'enceinte d'une ville,
et cela provenait des cérémonies qui se célébraient toujours au moment de sa fondation. Justini en, en établissant une division nouvelle entre res in patrimonio et ex tra
patrimonium, mit les res sanctro au nombre ùe ces dernières. - Les choses religieuses étai ent dans l'ancien
droit, celles o: Quro diis manibus relictro sunt ». Les dieux
mânes étaient les âmes des morts et c'était la portion de
-
t5 -
terrain ou reposaient leurs restes qui devenait religieux
et insusceptible d'usucapion. Les Romains ne distingaient
pas sur ce point entre les citoyens et leurs esclaves, et la
sépulture d'un ennemi seule restait profane. Dans le droit
de Justinien, cette définition subsista tout entière, car le
christianisme, en detrônant les divinités païennes conserva Je culte des tombeaux.
L'usucapion est inapplicable en troisième lieu, au choses
qui appartiennent au peuple ou à. des corporations, aux res
communes ou publicœ. Res communes sont celles qui
échappent à. toute appropriation privée et dont l'usage est
à tous, comme la mer et ses rivages. Res publicœ sont celles
qui ont l'État pour maître, en tant que celui-ci les affectera
à l'usage public, comme les rues et places d'une ville.
Les choses incorporelles sont aussi insusceptibles d' usucapion parce que la possession est la base même de ce mode
d'acquérir et que les choses incorporelles sont des abstractions qui ne peuvent être possédées. On admit pourtant à
l'origine l'usucapion des servitudes; mais en l'an 720 de
Rome une loi Scribonia la prohiba en tant que mode
d'acquisition et la laisse subsister comme mode de libération 1 • Plus tard, le préteur revenant à l'idée primitive,
donna dans certaines hypothèses des actions utiles, des
interdits à ceux qui depuis longtemps jouissaient des servitudes particulières et les empereurs confirmèrent, dan s
leurs constitutions, cette décision nouvelle. C'est ainsi que
les servitudes urbaines, c'est-à-dire celles dont la conception
• L. 4 § 29, hoc titulo.
�-
i4 -
se lie dans l'esprit à une idée de cons lruction ayan t un
caractère continu, pouvaient en général être acquises par un
long usage; mais, il n'en était plus de même des serviludes
rurales, si ce n'est par exception et dans l'intérêt de l'agriculture pour les droits de passage et de prise d'eau (LL. t>.
§ 5. Dig. XLIIl, 19 et L. 10 pr. VIII, 5.)
Justinien, allant plus loin que le préteur, elîaca toutes
ces distinctions et accorda le bénéfice de la prescription
prétorienne à. toute servi tude quelle qu' elle fut et même à
un droit d'usufruit qui jusque là n'était pas susceptible
d'acquisition par l'usage 1•
Échappent aussi à l'usucapion proprement dite, les fonds
provinciaux et pour combler cette lacune le préteur créa,
ainsi que nous l'avons dit déjà, la possessio longi temporis,
II. Il est en second lieu, des choses qui échap pent à l' usu·
capion à cause de la personnali té de ceux qui les possèdent
et tant qu'elles sont en leur pouvoir.
La loi des Xll tables rangeait dans cette e<.tégorie les
choses mancipi appartenant à une femme en tutelle. Elles
n'étaient susceptibles d'usucapion que lorsque elles avaien t
été livrées par la femme ayant obtenu à cet effet l'auctoritas
de son tuteur {Gaïus. § 47). Si quelqu'un en effet achetait
de cette femme une chose mancipi en sachant que le tuteur
n'a pas donné son consentement à la vente, il aurait reçu
d' un tradens qui n'av.ait pas la capacité d'aliéner et ne
" L. 12, Cod. VII 33.
- 15 pourrait en conséquence invoquer aucune juste cause de sa
possession l'aliénation ayant été nulle, l'usucapion ne peul
pas devenir valable. Toutefois si l'accipiens ayant conservé
la possession de la chose et a perçu les fruits, ce dernier fait
s'accomplira de par la volonté de la femme puisque les
fruits ne sont pas choses mancipi et qu'elle aurait pu les
aliéner sans recourir à l'autorisation de personne, l'accipiens
pourra donc les gagner et les faire siens. C'est l'opinion
que Cassius et Proculus ont soutenu. Julien ajoutait à. ce
sujet que si l'acheteur avait payé son prix il pouvait usucaper mais qu e la femme avait toujours le moyen de l'en
empêcher en lui offrant la restitution de ce qu'il avait
débo ursé. (Frag. Vatic. § 1, Ex empto et vendito).
La tutelle des femmes pubères qui à. l'origine était
vraiment sérieuse en cc que le tuteur gérait et autorisait
tout à la foi s, perdit de son importance sous Gaïus; à cette
époque le tuteur ne gérait plus et si son autorisation était
encore nécessa ire dans certaines opérations comme l'aliénation d'une res man cipi, le préteur pouvait toujours le
co ntraindre à la donner. Seule la tutell e des patrons et des
ascendants resta toujours indépendan te.
Les fonds dotaux sont , de par la loi Julia de fund o do·
tali , inaliénables par le mari qui n'a pas le consentement de
sa femme, et sous Justinien même avec ce consentemen t.
Ils sont par là. même imprescriptibles, car l'usucapion n'est
qu'une aliénation indirecte (L· 28. D. tit XVI. Liv. L. de
verbor. signif.) Si donc, le mari ne revendique pa contre
un tiers même de bonne foi qui a acquis à non domino
l'immeuble qui lui avait été remis à. lui à titre de dot il ne
�-16mettra pas pour cela ce tiers dans la possibilité d'usucaper.
Cependant, si la prescription avait commencé avant le mariage elle continuerait même après et la dépossession seule
pourrait l'interrompre. La dot reste inaliénable soit directement soit indirectement même après la dissolution du
mariage tant qu'elle n'a pas été restituée, que la femme
n'est. pas redevenue maitresse de ses droits. Par fonds
dotal, on entend les fonds urbains comme les fonds ruraux;
mais on se demandait à l'époque de Gaïus, si \'inaliénabilité
s'étendait aux fonds provinciaux aussi bien qu'aux fonds
italiques. Justinien trancha la question affirmativement.
Il est toutefois des cas où par exception la possession du
fonds dotal et par suite l' usucapion est permise. C'est, par
exemple, sous la législation prétorienne, lorsque le mari
ayant refusé de fournir la cautio damni infecti au propriétaire voisin du fonds dotal, celui-ci se fait envoyer en
possession à l'effet d'acquérir la propriété bonitaire et plus
tard à l'aide de l'usucapion le dominium plenum . Sous
Justini en, où cette distinction avait été effacée, pareil cas
ne pouvait plus se présenter.
Quand aux biens des mineurs, ils pouvaient à l'origine
être prescrits, mais Dioclétien et Maximien firent à leur
profit l'application de la restitutio in integrum 1, c'est-à-dire
de cette voie de droit qui se fondant sur l'équité, rétablissait dans l'état de choses primitif Je mineur qui , selon la
rigueur des principes généraux, avait souITert un dommage .
Justinien décida qu'à l'avenir fa. prescription ne courrait
-
plus contre eux. au moins pour l'usucapion ordinaire et
dans le cas où l'ancien droit décidait qu'ils pourraient être
restitués : 1'/ elius est intacra eorum jura servai'i quam post
causam vulneratam remedium quœrere (L. 5. Cod. II, 41) 1
Pour les biens des pupilles, on peut affirmer que depuis
le règne d'Honorius et Théodose, ils échappaient à toute
espèce de prescriptions soit perpétuelles ou temporaires
soit à la prescriptio longi temporis. Cela résulte de la loi 5,
Livre XVIl, 59, au code de prescrip. XXX vel, XL ann. :
Non sexus fragilitate...• sed pupillari tantum œtate. .Mais il
faut se demander s' il en était ainsi dans l'ancien droit? La
loi 7 § 5, XLI, 4 pro Emptore, dispose que les choses
volées et vendues par un tuteur au préjudice de son pupille
pourront être usucapées lorsqu' un e fois elles seront revenues aux mains de cc dernier: Si tulor rem pupilli subri1i•writ el vendiderit usucapio non ro1ttingit priusquam res ùi
pupilli protestat~m reddeat. . ... Il semble rësulter de re texte
que l'obstacle à l' usucapion provient non point de ce que
les biens d'un pupille sont en principe soustraits à ce mode
d'acq uisition, mais de cc qu'il y a chose furtive. D'un autre
côté il résul te très catégoriquement d'un fragment de Paul
que la chose du pupille n'est pas susceptible d'usucapion.
On lit en effet dans la loi 1O pr. Dig. ti tre VI. livre YIII ,
quemad. serr. am. : ({Si communem fundmn ego et puplllus
haberemus, licet uterque 11on uteretur, tamm propter pupillwn
et ego viam retiaeo J>. Si le droit du pupille ne peut pas se
1
• L. I Cod. JI, 36.
~~
. 4 1.t.
p
~
•
-
·
V. auss.i. L. 3 Code Quib. non ob31c. long. temp. liv. VII, 1i-
1ro 35.
...
-
- -
·
-
.
..
-
• •
f7 -
�-
18 -
perdre non ittendo il faut en conclure naturellemen t que
l'usucapion ne s'appliquera jamais aux biens de ce pupille.
Comment donc concilier ces deux tex tes contradictoires?
Il suffit de se rappeler le principe d'après lequel une chose
qui n'est aliénable qu'avec l'emploi de certain es formalités
est imprescriptible. Or, il étai t une catégorie de biens du
pupille, les prœdia rustica ou suburbana qui ne pouvaient
être aliénés qu'en vertu d'un décret du ma~i s trat. Ce son t
ceux-là que l'u!'ucapion ne pouvait pas atteindre; mais en
reYan che tous les au tres en étaien t susceptibles, sauf le
bénéfice pou r l'impubère de la restitutio in integrum.
La législation de Ju stinien ne nous indique pas si les
biens de ceux qui sont soumis à un e curatelle, les prodigues
et les individus en état d'imbécillité ou de démence peuvent
ou non être usucapés. Mais depu is l'ora tio divi Severi il
était admis qu e les immeubles de toute personn e en curatelle ne pouvaient être aliéné$ sans un décret do préteur ;
dès lors, il semble qu e leur inaliénabilité devait les soustraire aussi à l' usucapion, en vertu de ce principe qu e nous
rappelions tantô t au sujet des pupilles (L. 1, § 2, Dig. de
rcb. titre IX, li vre 27, Eor. qui subtntelâ) .
Quan t aux enfants qu i sont encorr. so ns la puissance
paternelle, s'ils possèdent des biens adven tices c'est-à-dire
des Li ens qu'ils ont recueillis dans la succession de leur
mère, aucune nsucapion ne pourra les atteindre tant qu e
dore la puissa nce patern elle. Et encore au moment où
celle-ci sera dissoute ce n' est pas la prescripti on ordinaire
qu i pourra cou rir contre enx mais seul ement la prescription de trente an s. Si donc quelqu'un ac.quiert du père de
-
19 -
famille les biens adventices des enfants sans puissance :
Nullam poterit prœscriptiouem opponere filiis quandocumque
rem suam vindicantibus. (C. L. 1, livre G, titre GO, de bonis
maternis et novelle 22, chap. XXIV).
Les clloses litigieuses ne peuvent pas être aliénées tant
que le procès est encore pendant (L. 2, titre 57, livre 8,
1. 4, C. de Litig). Elles ne peuvent donc pas dans le même
délai être usucapées.
Les biens du fisc ne sont pas davantage susceptibles
J'usucapion. Il faut remarquer toutefois à ce sujet que Papinien et après lui l\Iodestin enseignèrent que les biens
vacants d'nne succession en déshérence n'appartiendraient
do plein droit au fisc que lorsque ses agents les auraient
dénoncés. Jusque là l'usucapion pouvait s'accomplir au
profit de l'acheteur. Le fi cavait d'aill eurs un délai de quatre ans pour réclamer les biens sans maître.
Enfin on n'u sucape pas une universitas rerum en ce sens
qu e lorsqu'il s'agi t d'un ensemble de choses si les diliérents
objets qui forment cet ensemble ont chacun une existence
séparée , les conditions requises pour l'usucapion doivent
être accompl ies à l'égard de chacun d'eux. Par contre, si
l'acqui 'ilion po rte sur un ensemble de choses indissolublement unies Corpus connexmn comme dit Pomponius, c'e t
le tout qui est appréhendé et c'est à ce point de vue que doit
être envisagée l'usucapion. Cependant si, avant que celle-ci
soit acco mplie, l'un des objets qui font partie de ce tout
venait à en être détaché, celui qui le posséderait commencerait à son égard une possession nou\'elle (L. 23, § 2. D.
Hoc titulo) .
�-
20 -
Il est en dernier lieu une catégorie de choses qu i ne
peuvent pas être usucapées parcequ' elles sont entachées de
certains vi ces: le vol et la violence (Gaïus, § 45, li).
La loi des Douze Tables est le premier acte législatif qui
considère Je vol comme un empêchement à l' usucapion
« Res furtiva vitiosa est ». Cetle prohibition ne s'applique
pas évidemment au voleur lui-même qui manque déjà des
premières conditions nécessaires pour usuca per, la bonne
fo i et la juste cause ; mais ell e concerne les acquéreurs de
bonne foi à qui la chose aurait été transmise par le voleur
lui-même ou ul térieurement par un tiers.
La Lex Attin ia reprodu isit cette défense (a n 557 de R.)
Quod subreplum erit ejus rei œtem a aworilas esta 1 •
Elle décida de plus que l' usucapion deviendra it possiulc
dès que la chose s~rait revenue dans la puissance du maî tn:,
à co ndition que celui-ci la recouvrerait de faço n ~L ce que
elle ne puisse lui être ôtée et avec la pensée qu'il rentre
ùans un droit qui a toujou rs été le sien. Le vi ce de vol ne
serait do nc pas purgé si la chose re ntrait dans les mains du
propriétaire à titre précaire.
La loi ALLioia ne réglai t que l'hypo thèse du vol, elle ne
s'appli quai t do nc qu'aux meubles, mais les lois Julia et
Plautia (an 665 de R.,l , prévoyant le cas spécial de violence,
prohibèren t l'usucapion des immeubles ainsi envahis. EnJî n
'
une loi Julia de vi sous Auguste, renouvela cette dernière
disposi Li on.
1
Aull. Gell., noct. att. VII, 7.
-
2t -
Si la chose volée n'est pas susceptible d'usucapion, il
semble qu' il n'y aura jamais de meubles usocapés, parce
que le meuble livré a non domi no sera touj ours alTecté du
vice de vol, étant ùon né su rtout qu'en Droit Romain ce mot
avait un sens beaucoup moins restreint qoe dans le droit
moderne. Les institutes le définissaient : Contrectatio rei
{rauduwsa , vel ipsius rei . t•r.l etia,m usus ejus possl'ssionis ve.
Ain si le dé posi taire qni se serait servi de la chos.e à lui
co nfiée, aurait commis un fo rtum us us et si un débiteur,
après avoir rem is à son créancier un objet en gage, le lui
avait repris, il se serait rendu coupable d'on fortum possessionis. L'esclave fugi ti( lui-même étai t mis au nombre des
choses volées parce qu'i l était censé se voler à son maître :
Sui f urtmn facere intl'lligitur.
Si l'usucapio n des meubles est plus rare, 11 e~ t nai, que
celle des immeubles, elle n'est pas cependan t impossible e l
Ga'ius qui a prévu l'objection a su en même temps la ré oudre. En eliet. un élémen t essentiel du furtu m , c'est 1'a11imus fitrandi c'est-à-tlire l'intention frauduleuse. Or, il peut
se présenter de ca' où cette inten tion n'existe pas et où par
conséquen t il n'y a p:is cle furtum. Ainsi: un héntier lroine
dan la succession de ~on auteur un objet que, de bonne
foi. il croyait a\'oir t'té la propriété de ce dernier; dans
celle croyance, il le nmd à un acheteur qui est, lui an si,
de bonne foi, il n'a éntlemment pas commis de fllrtum,
donc l'acq uéreur nouveau ponrt".\ usncaper. Il en sera cle
mènie si un tiel's PO fa"cur duqu el nn premier te tunen l
avait été fait, ignore q11'unt1 seconde (fo~po ilion C$l venn r.
révoquer ses Llrnits el livl'0 un objet d0 l'héré11il6 a un
�-
~2
-
acquéreur de bonne foi. D'ailleurs nous avons vu que dans
le droit classique l'usucapion était applicable lorsqu'i l s'agissait d'un meuble mancipi sim plement livré par Je propriétaire. C'était là surtout la très fréquente et grande application de l'ancienne usucapio civilis.
Nous disions tanlôt que l'usucapion redevient possible
dès que la chose a fai~ retour dans les mains du propriétaire. Si celui-ci était un furiosus ou un impubère, il suffirait, pou r que pareil e[et se produisit que la chose rev int
au tuteur ou au curateur : cr Qui tutelam gerit transigere
cmn {ure potest et si in potestatem suam redegerit rem furtivam
desinit {urtiva esse quia tutor dornini habetur, sed et circa curatorem furiosi eadem diœnda sunt. (L. 08 § 1,. p. de fu rt.)
Supposons maintenant qu'au lieu d'un furtum ipsius
rei, il s'agisse seulement d'un fu rtum U$ US vel possessionis; dans les mains de qui la chose devra-t-elle revenir
pour que l' usucapion soit de nouveau possible? La loi 4
§ 6 Dig. à notre titre répond : dans cell es du propriétaire
lui-même: In domini potestatem debeat reverti; c'est-à-dire,
si une chose remise en gage à un créancier ou prêtée à
un commodataire vien t b1 lui être volée, elle ne sera pas
purgée du vice de vol par sa rentrée aux mai ns ùu gaCTiste
ou du dépositaire et devra pour cela revenir en la ;uissance du propriétaire. Ce sentiment n' était pas celui de
t~us les juri~consu l tes et plusieurs textes soutiennent l'opinion con traire, entre autres une loi 1,.g à notre titre empruntée à Paul, lequ el supposant qu' un débi teur a ' so ustr~i_t à son cré~ncier la chose qu' il lui a donnée en gage,
dec1de que le vice de vol ne disparait que par le retour
J
-
23 -
de la chose aux mains du créancier. (V. aussi L. 6 Cod.
de usuc. pro emptore, XLI , 4).
Au surplus, le fait par le pro priétaire de reprendre sa
chose n'était pas le seul moyen de purger le vice attaché
au vol, et il en aurait été tout aussi bien par la remise de
l'objet chez une personne désignée par le dominus, ou par
la vente faite au voleur en connaissance de cause. On admettait même qu e lorsque ayant pu revendiquer la chose,
le propriétaire ne l'avait pas fai t, il était censé avoir fai t
abandon de son droi t et celle chose cessait d'être furtive,
un simp le fai t de négLigence ne pouvan t lui laisser éler11ellement ce caractère (L. ~ 1 ~ Dig. L. L. tit. XVI de verb.
syn.).
La loi 4 § 8 hoc titulo suppose qu'un esclave, après
avoir volé un objet à son maître le remet en sa place et
ùécide que cet objet pourra être usucapé si le maitre qui
ignore la resti tution, a également ignoré le vol. Au cas
contraire, il faudra it pour qu e la chose cessât d'être fu rtive, qu'il connut aussi la resti tu tion. Enû n au§ 7 de la
même loi, Labéon enseigne que si une chose faisant parti e
du pécule d'un esclave a été volée à l'insu du maitre et recouvrée ensuite par l'e clave, elle est censée par ce fait
revenue dans les mai ns du maitre et a cessé d' être fu rtive.
i\fai ici encore si le maitre a connu la sou traction, il faut
qu' il sache que l' objet reYient dans le pécule de l'esclave,
et qu'en ou tre il consen te à l'y la1$ser.
Puisqnc tout vol comp orte l'iùéc d'un e sou traction,
ll" un dérlaccmcnt. il :;nit que le' immeubles ne pcuYcnt
pas faire l'objet u'u n vol, mais le proprietaire peut en être
�-
24 -
dépossédé par violence : « Abolita est enim quorundam veterittn sententia cxistimantiurn etiam {undi loci ve {ttrturn
fi,eri. J> (L. 58 hoc tit.). C'est donc seulement quand ils
ont été appréhendés violemment res vi possessœ qu e les
immeubles ne peuvent pas être usucapés. Remar1p10ns
à. ce sujet que pour qu'un fonds soit vi possessus, il
faut non-seulement que le possesseur soit ex pulsé, mais
encore que la possession soit prise par celui-là même qo i
a exercé la violence (Lois 4 § 22, et 53 § 2, hoc tit.)
Le vice de violence est d'ailleurs suscep tible d'être pu rgé de la même façon qu e lorsqu'il s'agit d'un meuble volé,
c'est-à-dire par le retonr de l'immeuble au propriétaire
Qnstit. L. li, lit. 6, § 8). Toutefois, si ce dernier se faisant lui-même justice, reprenait violemment son bien,
il élait exposé à. se voir de nouveau contraint à le restituer
par l'interdit unde vi et dans ce cas le vice originaire n'avait pas été purgé par ce retour imparfait de la chose entre
ses mains (L. 4 § 26, hoc titulo).
Puisque les immeubles ne peuvent pas faire l'objet
ù'un vol, si quelqu'un s'est emparé d'un fond s sans violence et le vend à. un tiers de bonn e foi, ce fonds n'étant
pas furtif pourra donc être nsucapé. Ju stinien modifia cet
état de choses et par la novelle CIXX chap. 7 décida que
le possesseur de bonne foi lu i-même, s'il avait acq ui s d'un
tiers de mauvaise foi et à l'insu du propriétaire, ne serait
plus in caus.:î. usucapicndi et n'aurait d'au tre rrssonrc~
que la prescription trentenaire. C'était bouleverser les
théo ries jusqu'alors admises et supprimer 1t peu près
l' usucapion ordinaire qui ne pouva it plus s'appliquer que
-
25 -
daus le cas où il s'agissait d'un sous-acquéreur de bonne
foi ayant recu d'un premier acquéreur qui était lni-même
de bonne foi.
En l'an 695 de Rome, Jules César avait prohibé par une
loi Julia repetendarum toute donation en faveur des gou''erneurs de province. Il avai l voulu en cela réprimer les
nombreux abus de fon ctionnaires qui profilaient de leur
situation pour s'enrichir aux dépens de leurs administrés
el pour mieux assurer l'exécution de cette défense, il
décida qu e l'usucapion elle-même ne pourrait pas faire
acquérir la propriété des choses obtenues au mépris de
cette règle. Toutefois, par application du principe que nous
avons posé tantôt, l'usucap ion redevenait possible par le
retour de la chose dans les mai11s du donateur.
CHAPITRE ll1
Des conc1Uloo8 requises pont• l'mn1caplon
En définis·ant l'usueapion nous avons dit que la base
première de cc mode d'acqui.ition étai t la pos ~ession. Or,
celle possession doit réunir plusieurs qualités . Elle do~l
avoir une durée déterminée et non interrompue, avoir
cemmencé de bonne foi et élre fondée sur un juste titre.
Il est~\ peine besoin de faire remarquer qu e la possc·sion dont il s'agit ici est la pos cssion juridique, c'est-à-
�-
'l6 -
dire exercée à titre de prnpriëtaire. Ceux qui ne font que
détenir pour autnn no peuvent pas usucaper pour euxmêmes mais seulement pour celui qu'ils représentent et
dont ils reconnaissent les droils.
§ i ••. -
Durée de la possession.
Dans l'anci en ùroit et d'après la loi des Douze Tables,
le délai de l' usucapion était fi xé à deux ans pou r ce qu'on
appelait le fundus, et pour les cœlerro res à un an. A s'en
tenir à la rigueur des mots, les maisons auraient dû être
comprises dans la catégorie des cœterro res, mais dans la
pratique on les assimila au fundus.
Le délai ainsi requis quoiqu e paraissant fort court, ëlai t
pourtant suffisant à un e époqu e comme celle dont nous
parlons où la société étai t encore fort reslreinte et les relations faciles. Mais plus tard le préleur statuant pour lés
fonds provinciaux et ne faisant plus de distinction entre
les meubles et les immeubles, fixa uniformément la durée
de la prescriptio longi temporis à dix ans entre présents et
vi ngts ans entre absents. Enfi n Justinien don t tous les
sujets étaient désormais citoyens et personnellement capabl~s ~· usucaper, fusionna l'usucapion ancienn e cl la prescr1pt10 prétorienne. Il établit une durée nouvelle de trois
ans pour les meubles, et pour les immeubl es conserva le
délai prétorien, c'est-a-d ire di x ans entre présents et vingt
ans entre absents.
- 27 On dit que la prescription court entre présents, lorsque le possesseur et le propriétaire babiten~ la même province, entre absents dans le cas contraire ; on ne se
préoccupait donc pas comme aujourd'hui de la situ~tion
ùe l'immeuble. Il peut se faire que pendant les délais de
l'usucapion, les parties aient été tantôt présentes et tantôt
absentes : on fait alors un calcul mixte en donnant aux
années de présence la valeur de deux années d'absence.
D'un autre côté, on ne considère pas dans la prescription les moments et les heures : de momento ad tnomentum.
Cc mode de calcul eut donné lieu à_ toutes sortes d'entraves, vu les difficultés qu' il y aurait eu de connaître bien
exactement l'instant même où la possession a commencé.
Les Romains comptaient de die ad diem en faisant abstraction du jour dans lequel ava it eu lieu la prise de possession. Quant au dernier jour, il suffisait au contraire
qu 'il fùt commencé ponr qu' il fut mis en compte : in usucapionibus non a momento ad momentum sed totwm po tremum diem computamus . (L. 6 et 7 Dig. de usurp et us. L. rn, de divers. temp .). D'autres textes paraissant au
premier abord en contradicti on avec celui-ci, exigent que
le dernier jour soit achevé : « ln omnibus temporalibus actionibus nisi novissimus totus dies compleatttr non fi.nire
obligationem (L. 6 D. de oblig. el act.). Mais il est à remarquer que rette dernière décision ne ~'applique que dans
Je cas de prescri pti ons non favorables, c'est-à-dire dans la
prescription des actions temporaires et la raison en est
qu' elle n'a été établi e que pour pun ir un créancier trop
�-
28 -
négligent, non pour favoriser un débiLeur qui reste de
mauvaise foi.
D'ailleurs, pour que l'asucapi ùn s'accomplisse il n'est
pas nécessaire qne la même personne ait possédé pendant
toute la durée du temps requi s. Il est permis à celui qui
possède de joindre à sa possession celle de son auteur ;
c'est ce qu'on appelle : L'accessio temporum ou possessionis.
Cette réunion s'opère toutefois de façons diliérentes ,
suivant qu'il s'agit de successeurs universels ou seul ement
à titre particulier. On dit dans le premier cas qu'il y a
continuation de possession et jonction seulement dans le
second.
L'héritier universel en effet continue la personne du défont , et il s'identifie avec lui de tel le fa çon qu'il a les mêmes droits et les mêmes obligations. li en résulte que si,
à l'origine, la possession du défunt était de bonne foi
'
l'héritier même de mauvaise foi la continuera avec le même
caractère qu'elle a eu du chef de son auteur, parce que la
mauvaise foi qui survient .'.lu cours de la possession n' empêche pas l'usucapion de s'accomplir. Il est vrai, qu 'à
l'inverse, l'bérilier de bonne foi ne pou rra jamais usucaper lorsque son auteur aura commencé par être de mauvaise fo i, ou s'il a possédé à titre de précaire. Si le vice au
lieu de provenir du chef du prem ier possesseu r résidait
dans la nature de la chose elle-même, l'héritier· pourrait
commencer nnc posse. sion 11Lile du jour seul ement oü cc
v! ce aurait. disparu. 11 n'c t pas nécessaire enfi n que l'héri tier connaisse exactement en \'Crtu de quelle cause son
auteur avait pris possession : ci Si de{unctus emil, /uns au-
-
~9
-
tem putal eum ex donationi.s causa possedisse : usu eum capturum Julianus afl. (L. 31 § 6 Dig. hoc titulo).
Les successeurs à titre particulier peuvent aussi unir à
leur possession celle de leur auteur, mais ils se distinguent
des successeurs universels en ce que ils peuvent toujours
commencer de leur chef une possession parliculière et
usucaper alors même que leur prédécesseur ne l'aurait
pas pu à raison d'un vice personnel. li y a donc dans ce
second cas deux possessions bien distinctes que le possesseur peut ou non joindre ensemble suivant qu'elles son t
ou ne sont pas utiles pour l' usucapion. Il doit d'ailleurs
dans tous les cas être lui-même de bonne foi, parce qu'il
ne représente pas comme l'hèritier universel celui dont il
tient la chose.
L'accessio possessionis avait été d'abord admise dans deux
institutions prétoriennes : l'interdictum utrubi et la prescriptio longi temporis. Ce n'est que plus tard qu'elle fut appliquée à l'usucapion. Un re~crit de Sévère et d'Antonin
disposa qu'entre le vendeur et l'acheteur il pouvait y avoir
jonction de possession, et le droit qui n' était ainsi accorùé
à l'origine qu'aux successeurs particuliers à titre onéreux,
fut étendu par Justini en aux successeurs à titre gratuit.
Dans tous les cas, pour que la possession puisse conduire
à l'usucapion il faut qu'elle ait été continue c'est-à-dire
qu'elle n'ait pas été interrompue un seul instant.
L'interruption est appelée dans les textes d Usurpat\o •
et elle rend inutile tout le temps qui a pré~édé.
On distingue l'interruption naturelle et l'interruption
civile. La première existe lorsque la possession :i cessé pen-
�-
50 -
dant un certain temps par la faute du possesseur ou de
tout autre façon, par Io fait du propriétaire ou de quelque
autre personne que ce soit. La seule condition est donc que
la possession de celui qui est en voie d'usucaper cesse.
Pourtant, on ne pourrait pas dire qu'il y a interruption
naturelle si l'esclave du possesseur cachai t ou distrayait la
chose que son maître usucape, car dans ce cas, celui-ci
continuerait à posséder par l'intermédiaire de son esclave ;
de même, une succession peut rester jacente pendant un
certain temps sans que la possession soit interrompue :
Quia possessio defuncti, quasi juncta descendit ad heredem
(L. 50. D. Ex quib. causis).
Enfin, si le possesseur livre la chose à titre de nantissement ou de dépôt à une person ne autre que le véritable
propriétaire, il n'en continuera pas moin s à la posséder par
l'intermédiaire de cette personne qui détient pour lui et ne
peut pas posséder pour elle-même. Mais si le propriétaire
donnait à bail l'hérita ge qu'il est en voie d'usucaper aceluilà même qui en est le propriétaire, l'usucapion serai t interrompue parce que nul ne peut être fermier de sa propre
chose et le propriétaire ne peut pas la tenir de ce lui qui n'en
est que le possesseur (L. 21. Dig. Hoc titulo).
La possession serait encore interrompue si le possesseur
tombait au pouvoir de l'ennemi et même si plus tard il
revenait à Rome il ne pourrait pas se prévaloir du temps
antérieurement écoulé. 11 est vrai qu e par la fiction du Jus
poslliminii il n'a pas perdu la cité romaine, mais nous
avons VL1 que ce droit ne s'appliquait pas aux choses de (ail
comme est la possession ([ Causa facti non continetur postli-
..- 51 -
minio l>. U recouvrera donc tous les droits qui étaient les
siens le jour où il est tombé aux mains des ennemis mais
l'usucapion ne lui aura point acquis un droit nouveau.
L'interruption naturelle existait seule dans le droit classique. A cette époque, la revendication formée par le propropriétaire contre l'usucapiens, en d'autres termes, la
citation en justice, et même la litis contestatio, c'est-à-dire
la délivrance de la formule par le magistrat qui engage ainsi
définitivement l'instance, n'interrompait pas l'usucapion
parce que rien n'avait établi le bien fo nd é de la demande.
Il fallait donc attendre la sentence de condamnation et jusqu e là le défenùeur pouvait usucaper etiam pende111e lite.
Avec la prescriptio longi temporis prétorienne qui était un
moyen a opposer à. l' ac tion, la demande intentée interrompait au contraire la possession utile dès qu'il y avait litis
contestatio, et sous Justinien qui fondit en une seule institution \'usucapion et la prescriptio longi temporis, cette pres·
crip tion se trouva interrompue non plus seulement à partir
de la litis contestatio qui a été supprimée dans la procédure
nouvelle mais dès les premières poursuites. Si le propriétaire
ou le créancier hypothécaire ne peuvent pas agir contre le
possesseur parce qu'il e t absen t, infans, ou dément sans
tuteur ni curateur, ils pourront sauvegarder leurs droit ~ et
interrompre civilement la prescription en présentant une
requête au présiùent, à l' évêque ou au defensor civitatis et
à leur défaut, en affichant ce libelle, signé d'un tabellion
ou de trois témoins, au domicile du possesseur.
Il résulte de ce qui précède que si par quelque évènement
le pos esseur perùait la possession avant que l'usuc.'lpion ou
�-
52 -
la prescription fu ssent accomplies, la perte était pour lui
irréparable. Le préteur Publicius corrigea cet état de choses
en créant une action qu'on appela publicienne et à l'aide de
laquelle Je possesseur pouvait réclamer la chose comme si
déjà il l'eùt acquise par usucapion. En principe cette action
n'appartient qu 'à ceux qu i se trouvant in causâ usttca7Jiendi
ont perdu la possession avant l'achèvement du délai légal.
lis doivent donc tout d'abord établir ce fait et c'es t ensui te
au défendeur à prouver qu e quelque chose s'oppose à l'usuca.pion, par exemple la mauvaise foi ou le vice de la chose.
La publicienne pouvait d'ailleurs profiter au propriétaire
Ex jure quiritium lui-même car elle n'exige pas la preuve de
Il propriété mais seulement cell e de la possession et on
comprend que souvent il devait être difficile au dominos de
justifi er du droit de ses auteurs. Enfin celle action peut
s' intenler contre toute personn e et même contre Je vrai
propriétaire qui toujours anra la ressource de faire ajouter
à la formule une exception justi dominü avec laq uelle il
triomphera dn demandeur si celui-ci, à son tour, n'en détruit l'effet par une réplique.
Enfi n, on ne possèderait pas davantage utilement si le
titre de possess ion se tro uvait suspendu par une condition.
L'acheteur mis en possession d' une chose qui a été venùue
sous co ndition ne pourra donc commencar à usucaper que
lorsque la condition se sera accomplie. Si, en fait, ell e
l'était déjà. au moment de la tradition et que l'acheteur ne
le sut point, l' usucapion courrait alors à son insu car, ainsi
qu e le dit Sabinus, la réalité des faits l'emporte sur l' opinion des parties.
..
-
§ 2. -
55 -
Juste titre.
L'existence d' un juste titre est la seconde condilion
reqo ise pour pouvoir usncaper, condition tellement rigoureuse qu'elle ne se présume poin t et que le possesseur doit
la prouver.
Posséder ex justa caus~. ex justo titulo, c'est posséder
en vertu d'un acte susceptible de transférer la propriété.
Lorsque cet acte émane du maître lui même, il transfere le
domaine et rend la prescription inutile et s'il provient ùe
quelqu' un qu i, n'ayant pas la propriété, ne peut pas la
transférer, il met l'acquéreur ùe bonne foi à même de
prescri re à raison de la tradition qui lui a été faite. En
d'autres termes, le titulus nécessaire pour l'usucapion est la
cause par laquelle on peut cro ire être légalement autorisé à
se mettre en possession avec animus domini.
Il importe peu d'ailleurs, que le titre soit lucratif ou à •
titre onéreux, il suffit qu'il soit de nature à transférer la ·
propriété: on ne pourrait donc pa prescrire en vertu d'un
contrat de bail, de dépôt ou de gage parce que ces divers
titres excluent par eux-mêmes l'animus domini.
Il y a autant de justes titres d'u uca.pion qu'il y a d'actes
juridiques à la suite desquels la prise de po session peut
faire acquérir la propriété de la chose appréhendée.
Les Pandectes citent en première ligne la po session Pro
emptore, c'est-à-dire la possession en vertu d'un contrat de
3
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54 -
vente. Si l'acheteur a reçu d'un tiers qui n'6tait pas propriétaire ou incapable d'aliéner il aura besoi n, pour acquérir la propriété, du secours de l' usucap ion et c'est lorsque
elle sera accomplie qu'on dira qu'il a usucapé pro emptore.
Au reste, on peut comprendre aussi sous cette expression,
la datio in solutum car dare in solutum est vendere, et
même y comprendre le paiement de la chose réclamée en
justice (li lis restimatio) lorsque le défendeur, condamné à
restiluer la chose, s'est trouvé au cas d'en payer la valeur.
En thèse générale l'usucapio pro emplore exige que l'acheteur ait payé le prix d'achat car sans cela, il ne peut se
croire propriétaire.
Celui qui a reçu en vertu d' un contrat de donation, une
chose qui n'appartenait pas au donataire, usucape pro donato
mais il faut pour cela qu'il puisse recevoir à. titre de donation l'objet qu'il veut usucaper. Ainsi ce genre d' usucapion
ne peut pas avoir lieu entre époux. Toutefois, remarqu ons
que les donations entre époux n' étaient prohibées qu'autant
qu'elles enrichissaient le donataire aux dépens du donateur,
si donc ce dernier donnait à son conjoint une chose qui
ne lui appartenait pas, il !ni rournissait une justa causa
usucapionis.
Si un mari reçoit en dot des choses qui n'étaient pas la
propriété du constituant, il les usucape pro dote. Mais il va
sans dire qu'il ne le pourrait plus si le mariage était annulé,
car il n'y a dot que s'il y a mari age 1 •
' L. 1, § 3. XLI, 9.
-
5!:S -
Le légataire, en vertu d'un testament, d' une chose qui
n'était pas la propriété du dérunt, l'usucape pro legato. Peu
importe d'ailleurs que la chose ait été remise au léoataire
l!l
par celui qui était chargé d'acquitter le legs ou que luimème se soit mis en possession pourvu qu'il ne l'ait pas
fait d'une façon illicite.
Nous avons vu que l'héritier étant mis au lieu el place
du défunt continue la possession telle que celui-ci l'avait
commencée ; si donc elle étai t vicieuse à l' origine, l'héritier
ne pourra lui même jamais usucaper ; et de même si le
défunt possédait déjà ad 11sucapionem, l'héritier pourra
bien accomplir l'usucapion et acquérir la propriété, mais
ce ne sera point pro herede . En elîet, ne faisant que continuer la possession de son auteur, so n acqu isition doit se
faire au même titre: pro emplore, pro soluto ou tout autre.
Nous aurons un peu plus loin l'occasion de dire dans quel
cas particuli er l'héritier pourr:i. usucaper pro herede.
Une personne usucape pro dereliclo lorsque elle s'est mise
en possession d'une chose abandonnée par un tiers qui
était en train de la posséder mais qui n'en était pas le vériLable maître. Cet abandon volontaire ne procure pas immédiatement la propriété :i celui qui trouve la chose, au premier occupant, car n'ayant pas été délaissée par le dominos
lui-même celui-ci n'a pas cessé d'en garder la propriété et
elle n'est pas devenue res nullws, mais il con tilue tout au
moins un juste titre qui donnera prise à l' usucapion.
On possède Pro suo, quand on possède animo domini
c'est-a-dire en vertu d'un litre translatif de propriété (L. 1.
XLI. 10). C' est là. en quelque sorte une expression géné-
�-
56 -
rale qui vise tout aussi bien les titres précédents et tous
ceux ayant une dénon.ciation parti culière que ceux qui n'ont
pas une signification déterminée mais c'est à ces deroiel's
plus spécialement qu'elle s'applique. Ainsi, si une femme
esclave est volée à son maître et vendue ensuite à un tiers
celui-ci ne l' usucapera pas parcequ'elle est res furtiva,
mais si elle met au monde un enfant , cet enfant n'ayant été
ni volé ni acheté, le maître actuel de la mère l' usucapera
Pro Suo. (L. 48, § !5. O. de furtis) . Celui qui achète un
fonds de quelqu' un qu i n'est pas propriétaire possède le
fonds pro emplore, mais quanù aux fruits qu' il perçoit il
usucape pro suo car on ne peut pas dire qu'il les a achetés
(L. 2. XLI. 10).
Lorsqu'un débiteur dans le but de se libérer, livre à so n
créancier une chose qui ne lui appar tient pas , celui- ci possède et usucupera Pro Soluto, le paiement étant un juste
titre.
Celui fa aussi a une juste cause d' usucapi on qui possède
en vertu de l'autorité du magistrat « Juste poss idet qui
auctore prœtore possidet » .(L. Il. rle arlq. vel. amitt. pos.)
Oe même co esl-il pour· celu i qui a été mis en possession
par suite d'un jugement défini tif, en exécution d'une
transaction ou par tou te autre cause analogue.
Enfin, c'était à Rome une question controversée de
savo ir i Li croyance à un Litre qu i n'ex iste pas, si le titre
putati f en un mol peut don ner naissance à l' usucapi on.
Justinien dans ses Institu tes a tranché la co ntroverse: Erro1·
57 falsœ causœ usur:apione1n non parit. Œ: Il. de usucap.) 1•
Donc en principe, cette croyance ne peut suppléer à une
juste cause, mais le Digeste a conservé plusieurs fragments
qni semblent apporter 3. cette règle des excep tions. Ainsi, les
Jurisconsultes avaient admi s que toutes les fo is que l'erreur
serait excusable et qu'aucun e faute ne pourrait être reprochée acelui qui l'a commise, le juste titre serait supposé.
Si par exemple, j'ai chargé un esclave bien famé de m'acheter un objet déterminé, s' il revien t en me l'apportant et
disant qu'o n le 11,; i a livré et qu'rl l'a payé, mon erreur sera
plausible (probabil is) et je pourrai usucaper 2 • C[ Quia i1l
alieni facti ignorantia, tolerabilis error est. , ce sera d'ail leurs au possesseur à prouver, devant la revendication du
propriétaire, qu'il a été malgrë lui amené à croire à l'exislence d' une justa causa.
Bien en tendu, ce que nous "enon de ùire se rapporte
seulemen t à. l'erreur de fa it ; quan t à l'erreur de droit, nul
ne peut s'en prévaloir: J11ris error uulli prodest (L. 2. §. 1 :).
-
XLI .
t~.)
§ 3. -
La bonne foi.
La bonne foi est la tro1 1eme condition e~ ·entwlle de
l'usucapion. Elle co n,· i. Le da us l'i~ooranct} ùu droit d'autrui
' L. 2, pro lcg<110. - L. 1 pro donalù - contra.
XLl , L
L. 5, § t, XLI. 1O.
2 L. .t, X.Ll, \., -
L. 1 § U ,
�- 58 sur ce que l'on possède. C'est-à-dire que le possesseur doit
avoir eu, au moment où il a pris possession, la conviction
intime que la chose appartenait réellemen l à celui qui la
lui a livrée et qu e dès lors il en a acquis lui même la propriété pleine et entière; s'il doute de son droit, il ne pourra
pas usucaper. Ici encore, il fau t d in~ quE' l'erreur de fait
n'empêche pas l'usucapion d'avoir lieu à moins qu'el le ne
provienne d'une négligence coupable, tandis qu e l'erreu r
de droit y apporte un obstacle absolu cl o 'est jamais excusable. Ainsi, celui qui achète d' un pup ille qu'il croit pubère
aura une bonne foi suffisante pour prescrire; si, au contraire, il croyait l' impu bère c:ipahle en droi t d'agir seul et
sans son tuteur, il ne pourrait pas usucaper.
On a longuement discuté la qu estion de savoir si !ajusta
causa n' éU1it qu'un élément do la bonne foi. Cc sont pou rtant choses parfaitement distinctes et il su ffit de se reporter
aux défin itions ùonn éos par les tex tos pour s'en convaincre.
Le juste titre, c'est l' existence d' un fait générateu r de
droit, d'un fait qu i impli que chez le précédent propriétaire
la volonté de transférer la propriété; la bonne foi, c'est la
croyance que celui dont on a reçu la chose était véritablement , propriétaire : « Jure civili constiwwm fuerat ut qui
bona ~de ab eo qui dominus non erat cum crediderit ewn dominum esse, rem emerit vel ex du11atio11e aliave qua vis jusra causa
acceperi< (princip . de usucap. Institutes).
L'intérêt de la distin ction est que la jusla causa ne so
présume pas et que c'est à l'us ucar1ens d'en rapporter la
preuve tandis que la bonne foi est toujours présumée et la
preuve du contraire appartient au revendiquant. li n'en est
-
59 -
pas moins vrai que le juste titre et la possession sont intimement liés, le titre étant l'acte extérieur qui motive la
bonne foi.
Il est indispensable, pour que l'usucapion s'accomplisse,
que cette bonne foi existe au moment même où la possession
a commencé, c'est-à-dire au moment de la tradition. Peu
importe, en règle générale, qu'elle n'existe pas au moment
du cont rat ayant motivé la tradition. Si donc, j'ai stipulé
sciemment la chose d'autrui, il suffit qu'au jour de la tradi tion je crois le promettant devenu propriétaire.
Par exception, la bonne foi est nécessaire aux deux
époques en matière de vente. La Loi 2 pro emptore l'exige
expressément : i sciens stipuler r~m alienam , 11sucapiam, si,
cum tradilur mihi existimen illius esse ; at ia emptione et i/Jud
tempus inspicitur quo contrahitu1·.
Il serait difficile de donner un motif rationnel de cotte
disposition positive. C'est une anomalie qui ne peut s'expliqu er qu'à cause de la rédaction même de la loi des Douze
Tables .. . Si quis ùona /ide emerit. .. d'où on a conclu qu'il
fallait être de bonne foi au moment de l'achat. Les expro sions employées par la loi des Douze Tables ne se referaient
pourLant qu'au ca de la mancipation . Si le mancipant était
propriétaire c'est au moment du contrat que se tran férait
la propriété, c'est à. ce moment que l' acquéreur deYait être
de bonne foi; pour respecter le texte de la loi, les Jurisconsu ltes ont étendu cette appl ication à la vente. (Demangeat :
1. page 549).
Lorsqu' on objet est possédé par un fils de famill e ou un
esclave, la bonne foi doit exister tant du côté du paterfa-
�-
40 -
milias que de celui du fils ou de l'esclave. Le pater ne
pourrait donc pas malgré sa bonne foi , u ucaper la
chose que son fils ou son esclave a achetée en sachant bien
qu'elle n' était pas la propnNé uu vendeur, et réciproquement, l'usucapion n'aura pas lien si le fils achetan t de
bonne foi, le pater savait, que le vendeur n'était pas propriétaire.
Enfi n, lorsqu'une personne acquiert la possession par
l'intermédiaire d'un représentant, homme libre, c'est elle
qui doit avoir la bonne foi parce que c'est ell e qui usucape.
Par ceb même, l' usucapion ne commencera à courir quP,
du jour où le mandant au ra eu connaissance de la prise de
possession, mais il faut pour cela que Je mandataire ne se
soit pas fait remettre la chose en so n nom personnel car il
usucaperait dans ce cas pour son propre romp te et le mandant ne pourrait à son tour co mmcn c~ r l' usucapion qu'a u
moment où la possession lui aurait été remise par le
mandataire.
D'ailleurs, si la bonne fo i doit exister au moment où la
possession comm ence, il n'est pas nécessaire qu'elle se
continue pendant Lout le temps requ is pLiur l'usucapion .
« Alala (ides supervenieus non impedit usucapionem . ~ Cela
s'expl ique parce que, en retour de la translation de propriété qu' il a cru lui être faite. le possesseur a donn é le
plus souvent quelque chose on pris un engagement. Ce
motif avait amené quelques jnrisco nsnltes à exclnre de
l'application de cette règle l'usucapion pro donMo, q11 i
ne fait qu'enrichir le possesseur et ne le dépou il k de
-
41 -
rien 1 • Dans tous les cas, la mauvaise foi rend l'acquisition des frnils désormais impossible, et à l'inverse celle
acquisition pourrait très bien avoir lieu et l'usucapion de
la chose principale ne pas naitre si le possesseur étant de
bonne foi , la chose était furtive.
Il faut donc en principe qne la bonne fo i concorde avec
l'initi-um possessionis. Mais il existait plusieurs cas où. l'usucapion était possible, bieu qne le possesseur n' ent pas été à.
l'origine de bonne foi, et ne l' eu t même jamais été. C'était
ce que !°on appelait l'usumpio lucratii;a et l'usureceplio.
L'ancienne jurisprudence romai ne avait admis que lorsqu' un tiers s'est emparé des biens d' une successio n dont
l'héritier n'a pas pris encore possession el à laquelle le
ti ers sait bien n'avoir aucun droit, s'il possède ces biens
pendant un an il pourra en acquérir la propriété, quoique
n'ayan t ni juste titre, ni bonne fo i. et soit qu' il s'agisse
de meubles ou d'immeubles (Gaïus, II, ~ 2- !S7) . C'est la
première phase de l'usucapio pro herede.
Cette insti tution fo rt curieuse avait pour but d'assurer
un double intérêt : encourager l'héritier à appréhender
le plus tôt possible la succession ùe façon à ce que les
sacra privuta du défunt, c'est- à-dire le r,ulte domestique,
ne soit pas interrompu, et ensuite permettre aux créanciers hérédi taires, qtli il défant d'héritiers ne savaient
comment obtenir ce qui leur était dù , de faire valoir leurs
droits contre quelqu' un . Toutefois ceux. qui antérieurement à l'ouverture do la succession auraient eu déjà la
1
L. II § 3, tle pub. m rem acl.
�-
42 -
détention à titre précaire des objels héréditaires, n'auraient pas pu malgré leur intention en devenir propriétaire,
parce qu'ils ne pouvaient se changer à. eux-mêmes la cause
de leur possession.
Dans l'histoire ùe cett e usucap io particulière, il convient
de distinguer trois périod es :
A l'origine, elle fait acquérir l' hérédité elle-même, de
telle façon que le tiers qui a possédé pendant un an acquiert même les choses dont il n'a pas eu la possession,
pourvu que personne autre ne les ait usucapées 1 ; il acquiert même les créances du de cuj us, bien qu'elles ne
soient pas susceptibles <l'une véritable possession, et il est
en échange obl igé aux dettes. La loi des Douze Tables en
effet, n'avait exigé deux ans de possession que pour les
fon ds de terre considérés isolémen t ; pour tontes les autres
choses une année suffisait; or l'hérédité, chose incorporell e
rentrait forcément dans cette deroièrn catégorie. Il n'en
est pas moins vrai qu'il y avait là quelque chose de contraire au principe d'après lequ el les cl1oses incorporelles
sont insusceptibles d'usucapion. (L, 45, 1 Dig. de acqu.
rer. dom.),
L'usucapio lucrativa ou improba, comme l'appelle trèsjustement Gaïus, u'eut plus sa raison d'être le jour ou
les sacra privata perdiren t de leur importance, et oli le
préteur autori5a les créanciers d' un débiteur défunt, dont
personne ne réclamait la succession, à vendre son patri1
l'if. Accarias, I, n• 24.S.
-
45 -
moine (Gaïus Ill, § 18) . Elle ne fit néanmoins que se modifier. Cc ne fut plus en général le titre d'héritier luimême qui pût s'usucaper, mais seulement la propriété
des choses corporelles héréditaires que l'usucapiens avait
possédées. li resta ceci de particulier que l'usucapion
n'exigeait ni juste titre, ni bonne foi et s'accomplissait par
le laps d' un an, même al'égard des immeubles (Gaïus, Il,
55). Certaines conditions demeuraient aussi nécessaires :
Et d'abord il doit s'agir de choses héréditaires, c'est-à-dire
1
des biens d'un homme dont la mort est certaine . li faut
en second lieu, que celui qui s'est emparé de lares bereditaria n'ait pas commis de furtum, en d'autres termes,
qu'il ne l'ait pas soustraite à quelqu'un qui déjà l'avait
détenue depuis le décès du de cujus. Il faut enfin qu'il ait
la factio testamenti, et cette règle toute naturelle à. l'époque
où l'usucapion devait faire de lui un héritier avait été
conservée sans doute par la routine dans cette seconde
période (Dig. L. 4, XLI, 5).
Dans sa troisième phase, l'usucapion pro herede n'enrichit plus le possesseur d'une façon définitive. En e[et,
un sénatu -consulte d' Adri en décida que les héritiers
légitimes ou prétoriens pourraient toujours revendiquer
par pétition d'hérédité les chose, acquise de cette facon
avec ou sans bonne foi (Gaïus, Il, 57). Cependant une
distinction était faite à ce dernier pornt de vue : Le pos e·seur de bonne foi ne restituait que cc dont il ·'était en-
1
L. 1, Dig. XLI, 5
�-
44 -
ricl1i, et celui de mauvaise foi devait même ce dont il aurait dû s'enrichir.
Enfin , Marc-Aurèle abrogea deûaitivement l'i1suca1>io
lucrativa pro herede en créant cc qu'o n appela le judicium
criminis e.xpilarœ lwreditati.s, c'est-à-dire en autorisant une
poursuite criminelle contre quico nque s' emparait sans
droit el en connaissance de cause d'une chose héréditaire
qui n'a pas été encore appréhendée par l'héritier. (LL. 1
el 2, XLVII , 19).
C'est le moment de se demander dans quel cas il pouvaiL y avoir enco re lieu depuis celle époque et sous Justinien a l' usucapion pro herede '? Cc sera seul ement lorsque
l'héritier ayant trouvé dans la maison du défunt un objet,
il le possèdera avec la croyance qu' il fait partie de la succession, alors qu'en réalité il en est autrement. Dans cc
cas on ne peut pas di re qu e l' llériticr continue la possession de son auteu r, puisqu e celui-ci ne possédait pas, il
pourra donc usucaper la chose à titre d' hériti er (L. 5, XLI,
5) . Juli en prévoyant une seconde hypothèse, enseigne que
celui qui se met en possession d' une succession à laquelle
il se croit appelé, usucapc au ssi pro herede. (L. 53, § 1 hoc
tilulo).
L'ancien droit nous présente une autre sorte d' usucapio n excepti onnelle, cell e-là aussi rationnelle et aussi murale que la précéùcnte l'était peu. On l'appelait us11receptio
parce qu'elle con ·istc dan la reprise de la propriété d'une
chose par celui qu i déj:t en a élé le maitre. Gaïus en signale
trois applicati ons: - Dans certaines circontaoces, celui fJUI
vo ulait remettre sa chose moLllièrc ou immobilière à titre
-
45 -
de dépôt ou de gage chez son ami ou son créancier lui
en transférait le dominium, en l'accompagnant d'un contrat de fidu cie. Par ce contrat, le dépositaire ou le créancier ga~istc s'engageait à retransférer la propriété au déposant dès qu'il viendrait réclamer sa chose ou payer sa
dette. Mais ce dernier n'ava}t alors pour usucaper qu'à
rentrer en possession et de s'y maintenir pendant une
année, sans avoir besoin de l'acquérir de nouveau par
mancipation ou rétrocession. Si dans le cas de gage,
l'usureceptio a lieu sans que le débiteur ait payé, l'uso receptio est dite encore lucrativa, p~rce qu'elle enrichit ce
dernier au détriment du créancier qu'elle prive d'one sûreté qui lui était encore nécessaire . Le débiteur qui recouvre sa chose ne peut toutefois l' usucaper qu'autant
qu e le créancier ne la lui a pas remise pour la détenir à
titre de location ou de précaire.
Ces deux premiers cas de l' usureceptio disparurent le
jour où l'aliénation à titre de dépôt ou de gage ne fut plus
accompagnée d' un con trat de fiducie.
La troisième application de l' Gsureceptio était appelée
gx prœdiatura. Pour qu'elle puisse se pro duire, il faut
supposer que Je fisc fait vendre une chose qu i lui a été affectée à titre de gage. On appell e prrediator celui qui se
rend acheteur; or, s' il néglige de se mettre en possession
de l' objet acheté et si le débiteur le retient. il pourra l'usucaper par un an de possession si c'est un meuble, et par
deux ans si c'est un immeuble : on pouvait supposer que
le débiteur après la vente avai t payé sa delle ou désintéressé le prœdiator (L. 9 D. de rcsciod. vend.).
�-
46 -
On ne sait pas au jusle a quelle époque disparut celle
usurecep tio.
Dans le droit de Justinien, il existe encore une hypothèse où l'on peut acquérir par usucapion sans bonne foi :
c'est au cas d'abandon noxal, lorsque le propriétaire d'un
esclave qui a commis un dêlit l'abandonne à celui qui a
souffert le préjudice pour ne pas être obligé de payer
lui-même. S'il le lui abandonnait spontanément, de gré à.
gré et par contrat pour ainsi dire, il ferait une datio in
solutum, mais nous supposons ici que le maître refuse
de se présenter devant le préteur, et que sur l'ordre de
ce dernier l'esclave est emmené par la victime du délit.
Par cela seul, le tiers ne reçoit pas la propriété de l'esclave, mais il peut l' usucaper a: Quamvis sciens al:ienmn
possideat., Et c'est justice, car, si le maître de l'e$clave
se refuse à réparer le dommage, il faut bien que celui qui
l'a subi en trouve d'autre part la réparation. (L 26 § G, D.
de noxal. act.. - L. 1, § 2, O. si ex causa nox. agat).
No us devons ajouter en finissant, que d'après un é constitution de Marc-Aurelle (L. 5 Cod, si adv. fi sc.), si qu elqu'un achetait du fi sc une chose appartenant à au trui , il
avait le droit, après cinq ans écoulés depuis la vente, de
repousser par voie d'exception le propriétaire revendiquant. Cette décision ne pouvait guère avoir d'utilité pour
Je possesseur que dans le cas où il n'aurait pas pu usucaper déjà par un délai plus court ; par exemple quand il
n'y avait pas bonne foi, lorsqu'il s'agissait de choses fur-
-
47 -
tives ou d'immeubles occupés par violence. Aussi l'empereur Zénon crut-il devoir garantir complètement ceux
qui recevaient quelque chose du fisc, en décidant (L. 2,
Cod. de quad. prescrip.), qu'ils en auraient, dès l'instant
de la tradition, la pleine propriété; un recours de quatre
années était laissé à ceux qui croyaient avoir des droits
sur la chose pour se retourn er contre le fisc. - Justinien
étendit l'effet de cette constitution aux aliénations consenties par la maiso n de l'empereur on de l'impératrice. (Inst.
L. II, 14).
APPENDICE
On serait étonné si avant de termmer cette étude sur
l'usucapion, nous ne disions un mot de la prescription de
trente ans que les interprètes ont appelé extraordinaria ou
longissimi temporis, et qui joue un si grand rôle dans la
législation moderne.
La prescription de trente ans avait lieu toutes les fois
que l'usucapion ordinaire ne pouvait pas être invoquée
�- 48 parce qu'ell e ne réunissait pas les conditions légales.
D'après Cujas, elle doit son origine au grand Théodose, mais
nous ne connaissons pas la constitution qui l'établit ; il
ne nous reste que celle de Théodose le Jeune et Honorius.
(Cod. C. 5, VII, 59). On sait qu'elle eut pour but de réduire à trente ans toutes les actions qui jusqu e-là étaient
perpétuelles et qui ont continué ~i être ainsi appelées
depuis.
li suit de là que cette prescriptio n'étant destinée ~t
l'origine qu'à produire un e!Tet extinctif, ne procurait au
possesseur qu' un simple moyen de défense opposable au
propriétaire exerçant contre lu i l'action en revenditation.
Si par conséquent, il venait à perdre lui-même la possession, il n'avait pas d'action pour reprendre la chose entre
les mains du tiers, et le propriétaire dont le droit n'avait
été que momentanément paralysé, pouvait exercer util ement la revendication contre ce nouveau possesse ur.
La prescription de trente ans n'avait donc à cette époque qu'un eITet puremeut extinctif. Mais par une consti tution 8 au Code de prescript. XXX vel XL annorum ,
Justinien établi t à. ce suj et une distinction entre le possesseur de bonne et celui de mauvaise foi. Ce dernier n'avait
bien connu à l'origine qu'un moyen de défense, mais le
premier aa contraire obtenait une véritable prescription
acquisitive qui l'au torisait à. recouvrer par action réelle la
chose dont il venait à perdre la possession. Dans tous les
cas, elle courrait con tre toutes personnes e~cepté les pupill es et s'appliquait à toutes choses si cc n'es t les biens
-
/f9 -
hors ùu commerce, les biens dotaux d'une femme mariée
et ceux des impulJères (L. SO Cod. de Jure dot. et J .., i),
VII, 59).
La pre3cription ùe quarante ans a été insti tuée par
l' empereur Anastase an profit ùes fundi patrimoniales ùe
l'empereur. (L. 14 Cod. de funù. patr.). Justinien J'é.tenclit aux biens ùcs élal>lissemcns pieux et con•rréaation~cli_gicuses (Novcll c 1;) l, chap. G). Spécialemen~ p~ur le:
cgltses, le délai avait été jusque là de cent ans 1 .
~I
établit en second lieu dans l'intérêt des plaideurs,
qui sou,·ent se trouvaien t déchus de leurs droi ts, :i raison
des délais forts courts de k procédure, qu'une action
déùnite en justice ne serait périmée qu'après un délai de
quarante ans à partir du dernier acte judiciaire. (L. 9, CoJ.
\li, 39).
Enfin une dernière prescri ption de quarante ans est
celle qu e le déb itenr peut opposer i1 l'action hypothécaire
clu créanci er. Elle fut creée par l'empereur Justin et on
l'explique en disant que la creance et l'action personnelle
_( L.. 23, Co1L <lo Sact'l)S Eccles). SmJas raconte 11uc ccllt:
consutu11on fut obtenue <lo Justinien par un certain Priscu,;, a<lnunislrateur <le l'Eglise <l'Emèse. Celle-ci a\aÏI éte institue' héritièrtl
depuis plus de trente ans par un palricieu uommé lfamianus. Pour
éviter qu'on ne. lui opposai la prc~1·riplion, Priscus acheta <le l'empereur la constitution <[ui fhait le 1hibi ù cent :ins.
1
�-
50 -
une fois éteinte par la prescription de trente ans, il n'en
restait pas moins à. la charge du débiteur une obligation
naturelle qui suffisait a conserver l'hypothèque pendant
dix ans encore (L. 7, Cod. VII, ;>9).
DROIT
FRANÇAIS
�DROIT
DE
~ RANÇAIS
LA
1
'
REGLE
EN FAIT DE MEUBLES POSSESSION VAUT TITRE
( Art. 2279-2280 C. C.)
Notre étude sur le droit Romain s'est terminée par la
prescription de trente ou quarante ans que nous avons dit
être appelée avec raison longissima ; Le droit français va
nous offrir, par un contraste remarquable, la propriété
acquise en certains ca par une posse. sion instantanée, tmo
momento ; c'est cc qu'indique l'article 2279. Mai pour
savoir ce que renferme dans ses termes cette maxime i
�-
~4
-
-
concise, il faut rechercher : 1° Son origme ; 2° le sens
qu'elle comporte ; 5° ses divers cas d'application.
CHAPITRE t··
Origine de la R ègle
La règle tt En fait do meubles, possession vaut ti tre,
ëtait incon nue à Rome. Nous avons vu que le Droit Romain
ex igeait pour l'acquisition des meubles livrës à non domino
une possession de bonne foi prolongée pendant un an
dans la lëgislation primi tive et trois ans sous Justinien.
Toutefois le vo l, était un obstacle absolu à l' usucapion et
Justinien fut le premier aadmettre que l'action du propriétaire injustement dépouillé pou rrait être repoussëe après
une prnscription de trente ans.
Le Droit Germani que se préoccupa lui aussi de cette
question. et aùmit que le propriétaire dépouillé malgré lui
peut toujours revendiquer le meuble sorti de sa saisine.
1\Jais quant à celui dont il s' est volontairemeut déssaisi il n'a
contre celui-là. même à qu i il l'a co nfié qu'une action personnelle et ne peut jamais le réclamer à l'encon tre du tiers
qui l'aurait acquis de ce premier détenteur. VoiH1 donc
mise en vigueur pour la première fo is cette règle que le
lëgislateur fran Çdis consacra vin gt siècles plus tard et qu i
pendan t un certain temps disparut sous l' influ ence domi-
~)?) -
nante du Droit Romain. - Pareille solution se conçoit
facilement à une époque comme celle dont nous parlons.
La terre seule avait alors une importance véritable et les
meubles n'étaient guère qu'une valeur accessoire à laquelle
les Germains attachaient peu de prix. « Quand la personnalité humaine, dit M. Renaud , se fut dégagée davantage
et constituée en dehors de la propriété, les meubles furent
traités comme un accessoire de la personne, le dessaisi ne
pouvait les suivre. 1 ]) c'est ce qui résulte d' une façon indire~te du titre XXXIX de la loi salique (V• siècle) qui en
indiquant les choses volées comme po uvant seules être
revendiquées suppose par la même en règle générale la non
revendication des meubles. C'est ce qui est écrit aussi dans
la loi ripuaire titre XXXIIl (VI• siècle), dans celle des
Wisigoths Liv. VII titre II ; Et aux Capitulaires de Charlemagne L. V -CXC ll.
L'acheteur de bonne foi doit par exception seulement
restituer au propriétaire dépouillé par un vol, l'objet qu' il
a acquis. Il faut remarquer ici que les Germains faisaient
une distinction entre le vol proprement dit : raub et la
rétention frauduleuse. Le vol était pu ni d' une peine corporelle qui n'était rien moins que la peine capitale et la rétention frauduleuse n'entrainait qu' une amende; d'autre part,
les choses proprement volées étaient seules susceptibles de
revendication. Peu à peu cependant cette exception s'étendit
à des choses qui quoiques sorties de la saisine du proprié-
1
H.onaud Lrauuil par Chauffour, He' ue de Législat. 1843.
�-
5G -
taire sans sa volonlé, n'avaient pas été volées, comme les
objets emportés par l' inondation ou pris par erreur. On
arrive ainsi à admettre la possibilité de la revendication
pour les choses perdues parce qu'on assimilait ~l un voleur
celui qui , après avoir trouvé une chose, ne faisait pas les
diligences nécessaires pou r en connaîlro le propriétaire et la
lui restituer: Si quis cuballum, hominem , vel quarnlibet rem
in vià propiseril, aut e11111 sernws f11erit, per tres marcas e1tm
osteudat et sic pustea [Jer n:gis stapl111n ducat; sin aute111 aliter
egeril fur judicandus est.
Les mêmes principes et leurs exceptions ont élé reproduits plus tard par les Etablissemenlil de St-Louis, L. li, Ch.
17 : Se aucune per:;owie suit aucune chose gui li a esté emùlée,
et il la requiert comme emblée, il doit mellre quatre démers seur
la chose, et dire en tète ma 11 iére à la justice: sire, cette chose m'a
esttJ embltJe et sui prest de je/lrer sur sains que je 11e fis oncqucs
chose de quoi je en deusse perdre la sesine .
Les Assises de Jérusalem nous fou rni ssent des textos tou t
aussi précis (Cap. 13 l et le (;rand Couswmier qui fut rédigé
à la fin du XIV siècle, sous le règne de Charles VI, co ntient
los mêmes errements, Li1•. Ill, Ch. Liil).
Notre vieux Jroit coutumier se préoccupa aussi do celle
lJUestion fort importante, mais sur cc point comme s1Jr tan t
d'autres, les couturn('s u'a<.loptèrent pas un principe uni forme . Celles des pay" du mir\i de la France, qu'on appela
plus tard pays de droit écra, Loo t imprérnées encore de la
législation que les Romains ava ient apportée <.lans les G:rnlcs,
admettaient l'usucapion des meubles, t,rnclis que ks pays
de coutume rnirnient la tradition gt•rmaniquo. Pourtant, it
-
57 -
partir Llu xn· siècle, l' étnde des lois romaines joui t en
France d' un tel engouement et d'une telle influence qu'un
moment vint où le principe germanique avait à. peu près
disparu. C'est l'époque oü Loysel écrivait : Pour simples
meubles on ne peut intenter complainte ; mais en iceux échet
aveti et contre aveu , c'est-à-dire qu' ils peuvent être reven·
diqués, et oü Domat ajoutait plus explicitement encore : Si
apr~s la mort du d1>positaire, son héritier ignoraat le dépôt,
vencl la chose déposée, le propriétaire consen:e toujours son
droit de vendiqucr la chose entre les mains de celui qui en serait
saisi. Ce ne sera donc que par l'usucapion que le possesscnr pourra échapper à la revendication du propriétaire.
Mais pendan t combien de temps la reYendication restera·
t-elle possihle? La diYersitè des usages élait sur cc point
infinie. La coutume de Bretagne (art. 28!•) disait : Le
meubles se prescrivent par cinq ans, sauf s'il y a obligation, lettre ou promesse par écrit; celle de Valenciennes
lixait une durée de dix ans; dans le Berri et la coutume
d'Oudenarde on s'était rallié à la prescription trentenaire ;
c'était aussi l'opinion consacrée par les parlements de
Bordeaux et de Tou Io use et professée par certains jor isconsultes qui soutenaient que pour les meubles et les
immeubles il n'y arnit qn'une seule prescription, celle de
30 ans. Enfin, cette opinion fut admi~e par le parlement <le
Paris le 11 juillet 1i;)8.
Jla1s le principe dominanl fut Cl·lui de la prescriplion
triennale accompagnée de juste titre et bonne foi. Il en était
ainsi clans les coutumes d' .\mi~n::;, de Clermont, du ~bine,
de Bourgogne, etc. Dan3 nos pays de Provence. cc fut la
�-
58 -
règle admise ainsi que cela résulte des lettres patentes de
François I••, 19 mai 15 17, confirmant un établissement
des États de Provence: L'exception de prescription, dans
l'avenir, aura lieu selon la forme et disposition du droit écrit
selon lequel ledit pays est régi et gouverné.
Enfi n de nombreux au teurs enseignèrent cette solution :
Dunod, dans le traité de la prescription où il a recueilli
principalement la jurisprudence du comté de Bourgogne,
s'exprime de la faç.on sui vante : l es mettbles se prescrivent par
trois ans avec titre et bonne foi selon ce qui est communément
recti dar1s le royaume . Pocquet de Limonières, sur la coutume d'Angers, disait aussi : De droit commun les meubles se
prescrivent par une possession publique el paisible de trois ans .
Il ne fau t pas oublier pourtan t qu'il était encore quelques
coutumes et quelques jurisconsul tes restés fidèles au vieux
principe germanique. Voët, le jurisconsulle Hollandais, en
es t la preuve lorsqu'il dit: Sed cum nunc usu frequ<mtata sit
parœmia secundurn quam m.obilia non habent sequelam. Un
peu plus tard , Bourjon était plus exp licite encore dans son
traité sur le droit commun de la France : Exiger la prescription, dit- il , pour l'acquisilion d'111i meuble possedé par autrui,
c'est aller contre la trariquillité et le bieu du commerce. Et plus
loin : la prescription n'est d' auwnc considération , elle ne pelll
être d'aucun usaye quant aux nwubles puisque par rupport à
de tels biens, la simple possessio11 produit tout l'eflet d'un titre
parfait. Telle était aussi suiranl lu i, la jurisprudence constante du Châtelet de Paris, et il combat l'o pinion de qu elques-uns de ses con temporains qu i avaien t adopté le système opposé : Duples:;is r•stime r1n'avec bo111te foi, il faut trois
- 59 aus pour prescrire la propriété d'un meuble et trente ans lorsqu'il n'y a pas bonne foi. Brodeau est de même sentiment. J'ai
toujours vtt celle opinion rejetée au Chatelet où l'on tient pour
maxime qi'' en matière de meubles la possession vaut titre de
propriété. On a opposé quelqu efois à. cette affirmation le
passage suivant du traité de la prescrip tion de Denizard,
qui avait été procureur au Châtelet même : I\'ous tenons au,
Châtelet pour maxime certaiue, dit-il, que celui qui est en
possession de meubles, bijoux et argent comptant, en est répute
]Jropriétaire s'il n'y ci titre c<mtraire. Admettre ainsi que le
tiers acquéreur possesseur d'un meuble eo est seulement
réputé propriétaire c'est loin d'admettre qu'il l'ait acquis
par prescription. D'ailleu rs, avec ce sy tème quelle dilîéreoce y aurait-il entre les meubles et les immeubles puisque
pour les immeubles il est certain aussi que celui qui possède depuis un :10 ûSl présumé propriétaire jusqu'à preuve
contraire '? Cela seul suffirait pour nous faire préférer
l'assertion de Bourjon à celle de Denizard si ce dernier ne
no us rournissait en outre lui-même la preuve du peu de
confiance que méritent quelquefois ses afiirmations; ainsi il
ajoute : La coutume de Paris n'a pas réglé et je n'en connais
pas, qui {i:re le temps pendant lequel il faut posséder des meubles
pour en acquérir la propriété. Nous Yenons de voir au contraire qu e de très nombreuses coutumes enseignaient la
prescription triennale ou trenten:i.ire.
Le sentiment de Bourjon se confirme el se complète enfin
par la lecture de Pothier sur la coutume d'Orl~ans : le
fJOssesscw· d'un 111euble e.~t parmi uow; pn•;:;11111é proprit'ta1re
sans qu'il soit besoù1 de recuurù· a 1<1 pre11criptio11, a moillli que
�-
60 -
celui qui le réclame '/le justifie qn'il en a perdit la possession
par quelque accident comme par vol (Titre XIV, n° 4). En résumé, dans ce dernier système, dès que l'acquéreur de
bonne foi est possesseur d' un meuble qui n'a pas été volé
ou pris par violence le propriétaire ne peut plus exercer
à. son encontre de revendication. Deux motifs expliquent la
règle: c'est d'abord qu'il serait ordinairement très difficile
de contrôler les titres de propriété de celui dont on est
l'ayant cause; c'est sans doute aussi no souvenir du vieil
adage : Vilis rnobilium possessio.
Disons en finissant, qu'à côté de cette divergence d'opinions relativement au délai de la prescription il était un
point sur lequel les coutumes ét:iient généralement d'accord pour déroger à la tradition du Droit Romain : c'était
pour refuser e::. matière de meubles toute action pos5esso ire ; c'est-à-dire : au cas ou l'on pouvait revendiquer un
meuble on ne pouvait pas intenter une action distincte de
la propriété.
Seule la coutume de Normandie admit (art. 55) que Je
propriétaire dépouillé pouvait réclamer verbalement et en
public ; c'est ce qu'on appelait : La clameur de haro.
Tels étaient les précédents juridiques à l'heure ou la
France s'apprêtait à renouveler la face de ses institutions.
Le législateur moderne ap pelé ase prononcer sur les idées
qui nous occupent n'hesita point à consacrer la maxim e de
Bourjon et copia la phrase même qui résumait 5a doctrin e:
([ E1i fait de meubles possession vaut titre » .
Pour rendre complet cet exposé, en quelque so rte prél iminaire do notre questi on il faut ajou ter que la plupart des
- 61 Etats européens qui ont été appelés, dans ce dernier siècle,
a modifier leur législation et codifier leurs lois ont adopté
sur ce point un système opposé à. celui de la législation française dont ils ont pourtant adopté un grand nombre de dispositions. Dans la Saxe, par exemple, on exige que la possession se soit continuée pendant un an, six semaines et trois
jours (de St Joseph). En Bavière, on suit la prescription
triennale du Droit Romain. En Autriche, oo exige un délai
ùe six ans, si le possesseur a reçu le meubl e d'un inconnu
ou d'un homme de mauvaise foi. En Portugal, il faut trente
ans. Seuls, les codes Sarde et des deux Siciles ont aùopté
sans modification la règle qu'en fait de meubles possession
vaut titre.
CHAPITRE Il.
Sens de la Règle
Il est difficile d'élablir aYec certitude qu'elle a été la
pensée du législateur en éùictant l'article ~2ï9_ ùont
l'importance apparait de plus en plus à mesure qu'on l'étudie. Aussi, cet article a-t-il subi des interp rétations nombreuses et aujourd'hui encore la contrn,erse n'est pas
éteinte. Cela vient évidemment do ce que les rédacteurs du
Code n'ont fait que reproduire purement et simplement
dans sa formule trop concise et par là même obscure un
adage déjà. ancien, laissant ainsi un champ libre à toutes les
appréciations :
�-
62 -
Toullier, l'un <les premiers commentateurs du code civil,
a soutenu 1 que notre article signifie seulement que le possesseur d'un meuble, quoique le détenant sans titre, peut
le prescrire par trois ans. En d'autres termes, il écarte en
matière mobilière la nécessité du titre que la loi exige
pour la prescription des immeubles; il suffit, d'après lui ,
que le possesseur ai t la bonne foi et qu' il jouisse pendant
trois années ; de sorte que si un mari, par exemple,
vend à un acqu éreur de bonne foi les diamants que sa
femme s'est constitués en dot, celle-ci aura , à la dissolution
du mariage trois ans pour les revend iquer 1 • - C'est la
reproduction litLérale de la vieille doctrine des pays de
droit écrit et Toullier se fonde sur ce que notre arlide ne
dit pas que le possesseur d'un meuble en devien t immédiatement propriétaire mais que sa possession équivaut à
un titre. Pour se convaincre de la fausseté de cette explication que Troplong a longuement réfutée, Il suffit de
comparer les deux alinéas qui composen t l'arti cle 2279 ;
on voit que ce n'est que par exception, dans le cas de
choses volées ou perdues, quo la loi accorde expressémen t
au propriétaire un délai de trois ans pour les revend iquer.
T. u, 11·· 1o~à 1 19.
Dalloz, t. 36, n• '.26;j. - Pot hier ava il émis celle <loctri ne
dan~ UT~ tr:aité. des donntions entre mari et femme, Joctrino qui
consistai t a dire lJlle nonobstanl le~ rè·glc~ de !'Ordonnance de
~tou li n~ (1566), le possesseur ~·un meublu de bonne foi, n'a p;1s
a. fournir la preuve de son t1Lre pour in voquer la presc1·iption
L;1enna le.
1
~
-
65 -
Si d'ailleurs, le seul e!Tet de la possession du meuble
élait de faire présumer 1jusqu'à preuve contraire le possesseur propriétaire, il n'eut pas été nécessaire de faire
un article spécial à. ce sujet puisque déjà. l'article 151?> avait
établi que la présomption est toujours en faveur de celui
qui a l'exercice du droit.
Duranton enseigne une opinion tout à. fait opposée et
donne à l'art. 2279 un sens véritablement exorbitant.
D'après lui, dès que le meuble est sorti des main:; du véritable propriétaire et pourvu qu'il n'ait été ni volé ni perdu
il n'est plus susceptible d'être réclamé ; le nouveau possesseur est armé envers et contre tous, d'une présomption
insurmontable jnris et de jure, de légitime propriété. C'est
là assurément méconnaître l'esprit de la loi et en forcer la
lettre. La jurisprudence a, pourtant, adopté quelquefois
cette interprétation que, pour notre part, nous ne pouvon
pas accepter parce qu'alors il faudrait aller jusqu'à. dire
que le possesseur de mauvaise foi et le détenteur précaire
pourront se retrancher derrière cette barrière infranchi ' sable et que le propriétaire dont ils ont à. l'origine reconnu
les droits ne pourra pas prouver contre eux la nature de
leur pos ession ; dans ses derniers arrèts la jurisprudence
semble vouloir abandonner ce système et proclame que
l'art. 2279 n'établit en faveur du possesseur qu'une simple
présomption qui peut être ùétruite soit par la preuve testi_
moniale soit par lles présomptions con traires qui réunissent un caractère de précision et de gravité •usceptible <le
les faire prévaloir.
~Iarcadé a. proposé à son tour une nouvelle explication.
�-
GI~
-
Il soutient que l'article 2279 ne fait que consacrer une
prescription d'une nature particulière, une prescription
instaotannée, et se fond e pour cell sur ce que notre article
est placé au titre même des prescripti ons acquisitiYes . Ce
~ystème est adopté encore par d'autres jurisconsultes entre
autres par M. Demol ombe 1 ; mais l'opinion ùn plus grand
nombre est encore qu'il n'est pas beso in pour expliquer
notre règle de recourir ~1 la prescription. Si la possession
vaut titre, disent ils, elle est plus qu'un e prescription ;
d'un autre côté, pour qu'il y est prescription, il faut
comme base première un laps de temps déterminé (art.
2219 c'est même fa son caractère essentiel, or, la possession des meubles en est précisément dispensée. Enfi n, il
faut se souvenir que la disposition du Code est empruntée
à l'ancien Droit et nous a'Toos vu déja que Pothier traitant
de la fin de non recevoir qui resulte de la possession d' un
meuble ne lui donne pas pour base la prescription. Ainsi
raisonnent ces auteurs ; on ''erra qu'après avoir étudié les
diverses applications de l'art. 2279, il est possible ùe
concilier ces deux opinions diverses ; si d'ailleurs, elles
diITèrent dans la manière de caractériser notre règle, elles
sont d'accord sur les résullats qu'ell e produit.
Mais quelle est la raison d'être Je celte règle et n' est-il
pas de l'essence même de la propriété que Je propriétaire
puisse, dans tous les cas, maintenir son droit à l' égard ùc
qui que ce soit? Il est bi0n sur qu' en édictant l'article
1
De la proprirtr N <le l'usufruit, T. I p. 532.
-
6?S -
2279, le législateur était dominé par le souvenir du droit
ancien dont Bourjon et Pothier avaient conservé la tradition dans leurs ouvrages, et Bigot-Préameneu, dans l'exposé des motifs, n'a pu s'empêcher de dire : Qu'on maintenait la règle : En fait de meubles, possession vaut titre.
- Mais cette règle se justifie encore par des raisons de la
plus haute gravité. Que serait-il advenu en effet, si le propriétaire d'un meuble qui en a perdu la possession pouvait
dans tous les cas le r~vendiquer? Les acquéreurs eussent
été exposés à. des recours sans fin et le commerce eut élé
par fa-même entravé. En effet, quan1l il s'agit d'immeubles, il est facile de constater l'origine de la propriété
parce qu'ils ne se transmettent jamais sans qu'un acte
vienne constater cette mutation, mais les meubles passent
de main en main avec uo e célérité extrême et on n'a pas
d'autre titre à. leur égard , d'autre moyen de contrôle que
la possession elle-même. Il est donc impossible de suivre
un meuble dans la circulation rapide dont il peut être
l'objet et si des lors le vrai propriétaire pouvait le revendiquer, l'acheteur qui a été dans une erreur invincible
et que ri en ne pouvait éclairer sur l'origine du bien qu'il
a acquis serait victime de sa bonne foi. C'est à. cette injustice que pare l' article 2279, sans porter atteinte aux intérêts du propriétaire qui est en faute d'avoir suivi trop légèrement la foi de celui qui l'a trompé et de lui avoir
confié imprudemment son meuble à titre de mandat, de
dépôt ou de gage.
Nous devons terminer ces considérations par un rapprochement. Aux termes de l'article 2119, les meubles
5
�-
66 -
ne peuvent pas donner naissance à un droit de suite au
profit des créanciers hypothécaires. Dès lors, il fallait
pour être logique écarter aussi l'action en revendication,
qui n'est de la part da propriétaire qu'une manifestation
de ce droit de suite, et ne laisser à ce dernier d'autre recours qu'une action personnelle contre son mandataire.
§ 2.
Le tiers détenteur qui n'a pas directement contracté
avec le propriétaire, peut donc opposer à la revendication
de ce dernier les termes de l'article 2279 . .Mais ce droit
existe-t-il dans tous les cas, n'est-il pas soumis à certaines
conditions, et les juges peuvent-ils d'office l'appliquer?
Deux conditions sont indispensables pour pouvoir invoquer le bénéfice de notre règle. En premier lieu , c'es t
d'être de bonne foi. La loi peut en efîet excuser l'erreur
'
mais non pas protéger la fraud e. On a essayé 1 pourtant
de contester cette vérité en disant: L'art. 2279 n'exige
pa) la bonne foi d'une façon textuelle, et quand la loi pose
une condition elle s'en expl iqu e toujours expressément.
Ainsi en est-il dans les articles ?S49 et 226?>. Le sil ence du
texte ici est donc très significatif.
Pour répondre à cntte première objection, il suffit de
remonter aux origines de la loi. Il est écrit eu effet dans
1
Aubry et Rau, t. 2, § ~ 83, n• 26 .
-
67 -
Bourjon que la possession produil. tout l'effet d'un titre parfait dans le cas de bonne foi. Or, nous savons que c'est là
l'opinion que le Code a voulu consacrer. D'un autre côté
l'article 1141 qui n'est vraiment qu' une application particulière de notre article, prévoyant le cas d'une aliénation
de chose mobilière consentie par la même personne à deux.
acheteurs dilTérents, déclare que si le dernier a été mis en
possession il sera préféré et restera propriétaire pourvu
q1t'il soit de bonne foi. Enfin, le souvenir des motifs qui ont
servi de base à notre maxime démontrerait encore au
besoin la nécessité de cette première condit:on. Ces motifs,
avons-nous <lit, sont la rapide et facile transmission des
meubles en même Lemps que l' ignorance dans laquelle
\'acquéreur est supposé être de leur origine. Mais si on
ad met que cet acq uéreur esl de mauvaise foi, on admet
par là même qu'il ne peul plus se faire une arme de son
ignorance.
On a fait une seco nde objection en disant que le législateur a laissé subsister pour le transfert de la propriété
des meubles la nécessité de la tradition , que dès lors peu
importe la bonne foi, car si le vendeur reste propriétaire
jusqu'au moment de la livraison de l'objet, il ~ -pu v~a
blement le vendre à un second acheteur sans qu 11 puisse
être question de bonne ou de mauvaise foi. Ce systè~e , e
base sur les anciens principes du Droit Romain qui ont
élé entièrement modifiés par les articles 7t t et t 138 dn
Code civil, aux termes desquels la propriété se transfère
désormais par le simple consentement. Il n'est pas pos-
�-
68 -
sible que le législateur, dans l'article 1141 ait voulu contredire ce qu'il avait édiclé 'dans l'article 1158.
D'ailleurs pour établir une distinction entre les meubles
et les immeubles, il faudrait un texte formel. Or, nonseulement il n'en existe pas en l'espèce, mais encore l'article
1141 exige d'une façon très explici te la bon ne foi. Rappelons d'ailleurs en un seul mot que celle-ci se présume
toujours (art. 1116 et 2268).
Heste à se demander à quel moment la ponne foi doit
exister chez l'acquéreur? Suffit-elle au moment du contrat
ou est-elle nécessaire encore au moment de la tradition?
1\1. Larombière (sur l'article 1 J41 n.. 6 et 16) soutient
la première opinion en se fondant sur l'article 2269, aux
termes duquel la bonne foi suffit au moment de l'acquisition. Nous n'adoptons pas ce système. D'abord parce
que c'est à la possession qu e les articles 2279 et 1141 attachent l'effe t qu'ils consacrent, que dès lors c'est au moment où elle commence qu'il faut se placer pour examiner
si les co nditions légales existent ou non; que d'ailleurs
l'article 2269 placé au litre de la prescription par dix et
vingt ans ne régit que J'hypothè e où il s'agit d' immeubles.
La bonne foi est donc nécessaire, mais elle n'est pas
suffisante ; il faut enco re un jusle titre. Le mot titre n'est
pas p~is· ici dans le sens d'écrit, instrumentum probationis,
Il désigne Lout fait juridique qui considéré en lui-même
était susceptible uetransférer la propriété et qui n'a manqué de produire cet e[~t que parceque celui de qui Ja
t.:hose est venue n'était pas le véritable propriétaire. Il ne
- @faut donc pas que le possesseur soit obligé personnellement
à la restitution. Cette formule repousse d'une !açon générale tous ceux dont le titre est la négation même de l'animus domini. Nous ne faisons pas de ceci une troisième
condition comme l'enseigne l'auteur que nous avons tous
eu en tre les mains, Mourlon. Toutes les fois en effet que
l'acquéreur sera obligé de restituer la c~ose pour une caus.e
quelconque, il sera dans la position d un détenteur pre.
. .
caire.
Le successeur universel d'un détenteur precaire qui
dont était tenu son auteur , ne peut pas
ianore l'ob\iaation
0
I!>
davantage opposer au propriétaire revend'1quant l'. e~c~p tion de l'article 2279' parce que Je débiteur origma1~e
dont il représente la personne n'aurait pas pu. s'en pre~·
valoir' et qu'il ne fait que conli nuer sa possession avec le;:.
mêmes vices dont elle a été entachée dès le début. I~ en
serait encore ainsi it fortiori si \'obligati;m de restituer
résultait d'un délit ou d'un quasi-délit.
Enfin il va sans dire que celui à qui nous donnons
l'hospita{ité ne pourrait s'autoriser de l'article 2279 . pour
prétendre siens les meubles mis à son usage. C'est la une
détention précaire par excellence et nous n'en _parlons. que
pour examiner si la même solution doit s'appliquer n gou_reusement an domestique habi tant la mai on de_ son mat·
tre. Peut-il ré ulter des circonstances, qu' il ait da~~ la
maison la posse ion exclu ive de certains elîet mob1_l1er:
lui permettant d'invoquer le bénéfice de notre article.
C'est dans ce sens qne la Cour de cassation (1 ~ . févrie1:
t 839) ' a rejeté la prétention de certains bént1ers qui
�-
70 -
rnulaient exiger du domestique de leur auteur la preuve
que des sommes trouvées dans un meuble aJTe~té à son
usage personnel étaient bien sa propriété. Par contre si
le~ o~jets dont il est tromé détenteur avaient été la pro~néte du maitre d'uno façon cerlaiue, ce serait au domestique qui prétend que ces objets mobiliers lui on t été rem1.s à titre de don manuel, à prouver la mutation de propriété.
' Il f~ut donc que le possesseur ait reçu la chose en vertu
~un ~1~re qu.i l'eut ~ ussitôt rendu maître absolu , si celui
a\'a1t été le légitime propriétaire. 01· , s··1
ue• qui il la tient
1
.
na pas acqms par l'un des modes légaux. c'est-a-dire de
ve~.te ~u de donation, etc ... il ne pourra pas se croire propnelall'ea· et. posséder de Lonne roi. C'est dire que la secon d
.e con it1on se rattache intimément à la première : c Ln
titre et la bonne foi sont deux correlatif:s , dit Dunod E t
. s -ce
'
,·
• d·
a ire qu ils. se. confonden t ? non ' et il ..,ux1"ste me·me en tre
eux cette .d1fierencc '.'CmarquaLlt~ que la bonne foi se présume lOUJOurs,tand1s que le juste litre doit être. prouvé.
. N.e ~e~ble-t-il pas cependant étrange qu e la loi e:xiae
.. . ~
a1ns1 l existence réelle d'un juste litre aloi s
prec1sement
qu' Il d"
e e it que la possession Yaut titre et le rempla c?
Il '.~ut se garder ici d·une confusion de mols. Le L'tre cte;
dans les term es de l'article• 2"'79
qu ,.li est, entendu
" , ce' 1u.1
.
<~u J1• s agit de remplacer et dont la possession devient
1 éqm:alent, c'est le titre efficace qui confère efiectivement
. titre indispensable
le droit de propriét'>e, tan d'is que le ;usie
pour que ce dernier etTet se produise • c'est celrn. qui. est
-
71 -
émané d'un autre que du vrai propriétaire et qui n'a donné lieu qu'à. une acquisition de fait.
Pour compléter nolr~ pensée, nous dirons : un titre impuissant suffit pour l'application de l'article 2279, mais
il en faut un. Nous n'admettons donc pas que la croyance
à l' existence d'un titre, quand il n'y en a point, opinio
justi tituli puisse sulfire. Rappelons l'exemple vulgairement
cité : un mandataire que j'ai chargé de m'acheter tel meuble m'écrit qu'il l'a acheté en e!Iet, quoique cela ne soit
pas; puis il parvient, n'importe comment, mais sans qu'il
y ait vol, à se mettre en possession de ce meuble en mon
nom ou à m'y mettre personnellement à l'insu du maiLre.
Serai-je devenu propriétaire en vertu de ma possession
instantanée et de ma bonne foi?
Nous ne le pensons pas. Il est vrai que le possesseur
dans cette hypothèse, a été de bonne foi, et nous avons vu
que plusieurs jurisconsultes romains avaient admis en pareil cas l'usucapion. Mais en Droit Romain, le propriétaire
dépossédé avait un an, et même trois sous Justinien, pour
réclamer; chez nous, il n'aurait pas même un iour , pas
une heure. Ce serait le rendre victime de la fraude d'un
mandataire dont le mandant n'a pas été complice sans
doute dès l'origine, mais il a commis au moins la faute
d'avoir placé sa confiance dans un homme qui en a abusé.
li ne faut pas qu'il lui soit permis de profiter après coup
de cette fraude.
Plusieurs arrêts, il est vrai, sont contraires à cette doctrine. lis ont admis qu'il suflisait dans tous les cas au possesseur de se croire propriétaire, pourvu qu'il fut de
�-
72 -
bonne foi. Exiger davantage, c'est, dit-on, ajouter à. l'article. Mais ii cette jurisprudence nous opposons l'autorilé
des auteurs qui ont le mieux traité la question, et cette
phrase surtou t de Bigot-Préameneu qui nous semble devoir être décisive ayant été prononcée lors de l'adoption
de l'article 2279 : c Nul ne peut croire de bonne foi qu'il
possède comme prop11étaire s'il n'a pas un juste titre qui soit
de sa nature translatif de propriété et qui soit d'ailleurs
valable. »
La possession dont s'agit doil être au surplus une possession réelle et effective, c'est-à-dire certaine, non équi''oque, révélée aux tiers par un fait matériel. L'article
t 141 le démontre suffisamment : de deux acquéreurs
successifs, le premier a bien reçu la propriété, mais le second est préféré parce qu'il a été mis en possession, pourvu
qu'il ait été de bonne foi.
Ainsi, si l'on suppose qu' un acheteur est convenu avec
son vendeur que celui-ci gardera quelque tamps encore
la chose vendue à titre de dépôt ou de prèl, sa possession
ne sera pas assez extérieure et sensible à l'égard des tiers
pour qu'il puisse s'en prévaloir. Quel sera donc le critérium de cet acte palpable pour ainsi dire, qui constituera
la possession réelle? C'est là une question de fait sur
laquelle les juges auront à exercer, eu égard aux circonstances, leur droit <l'apprécialion. Prenons qu elqu es exemples : nou s con sidéreron~ comme pri e de possession
su.ffisante la re~ise manuell e â quelque litre que ce oit,
~ eme de donation, car il n'est pas contesté que la donation manuell e qu'on appelait dans l'ancien droit de moiu
-
'15 -
chaude est dispensée des formalités de l'article 93t. Le
fait de la part de l'acquéreur qui ne peut appréhender
lui-même, de préposer quelqu'un à. la garde de l'objet
mobilier, ou l'ordre par lui donné de l'apporter dans
ses magasins si cet ordre a reçu un commencement d'exécution, révèlent aussi suffisamment le fait de la transmission. En Droit Romain déja les jurisconsultes Javolenus
et Celsus avaient soutenu cette opinion (L. ~H D. de acq.
vel amit. possess. - L. 18, § ~ eodem).
Au contraire, la remise des titres seuls ne suffira pas
à notre avis pour transmettre la possess ion réelle qu'exige
l'article i1 4i, parceque ce n' est qu'une tradition symbolique qui ne met dans les mains de l'acquéreur qu'une
représentation de la chose elle-même et qui à l'égard de
tiers n'est pas suffisamment notoire et caractérisée.
Quant à la remise des clefs qui servent à. ouvrir le meuble dont s'agit, certains auteurs ont prélendu devoir
1
l'assimiler ala remise des titres. M. de Folleville soutient
que la remise des clefs ne constitue pas une prise de possession assez évidente et réelle pour être opposable aux
tiers. Et la preuve, c'est qu'en Droit Romain cette remise
devait nécessairement avoir lieu in re prœsenli, apuà lwrrea,
~t que l'article 1606 du Code civil n'exige rien de pareil,
de façon que les clefs pourraient être remises dans un lieu
très éloigné de celui où se tronve la chose el au même instant celle-ci être livrée à un tiers acquéreur de bonne foi.
C'est là. en effet uno hypothèse qui pourra bien se prêsen' Revue pratique rie droit,
t.
'26, p. 5 l'l.
�- 74 ter dans la pratique, mais elle ne permet pas de généraliser et de poser une règle. Nous pensons en conséquence,
avec la plupart des auteurs 1 , que la délivrance des clefs
n'est pas seulement un symbole mais est tout aussi réelle
que la délivrance manuelle, puisqu'elle donne à l'acquéreur Je moyen bien évident d'appréhender la chose et de
s'en servir quand bon lui semblera. D'ailleurs, ainsi que
nous l'avons dit déjà, les tribunaux restent souverains
appréciateurs de Il question de fait.
L'objet du contrat peut consister en plusieurs choses
spécialement déterminées. En pareil cas, si ces objets sont
bien distincts les uns des autres, il est certain que la
prise de possession réelle de l'un ne présuppose pas celle
de l'autre, mais il peut se faire aussi qu'ils soient tous
confondus ayant éte vendus in globo. M. Demolombe 2 et
après lui M. Larombière 3 prévoient à ce sujet l'hypothèse
où une coupe de bois ayant été vendue à non domino,
\'acquéreur a déjà abattu une partie des arbres et mis la
forêt en exploitation , lorsque le vrai propriétaire se
présente. Les arbres déjà coupés sont meubles, cela est
certain, et comme tels tombent sous l'application de l'article 2279. Mais l'acquéreur peut-il soutenir qu'en ayant
fait abattre une certame partie de la forêt, il a par là même
pris possession de cell e qui reste debout? Le savant professeur estime que ce commencement d'exécution constitue
1
Dalloz, Rép. n• 36, 269.
' T. 24, n• 483 .
3
Oblig. T. 1, arl. H t 1, n• 1'.2.
-
75 -
une main mise suffisante et que la coupe doit être considérée comme un tout indivisible. li nous semble difficile
d'adopter ce sentiment, car si la coupe peut en effet être
considérée comme un tout indivisible vis-à-vis du vendeur
et de l'acquéreur , il ne peut plus en être ainsi vis-à-vis du
propriétaire. De même si les arbres non coupés sont censés meubles, ce n' est qu e par une fiction valable entre les
co ntractants, mais vi s-à-vis du propriétaire ils restent,
selon la règle générale, partie intégrante de son immeuble.
La délivrance entre vendeur el acheteur pent résulter quelqu efoi s du simple consentement des pélrties contractantes,
lorsque le transport ne peut pas s'en foire à l'in5lant même,
par exemple si la chose étant éloignée, le vendeur se contente de donn er l'ordre de la livrer ; ou bien encore lorsque
l'acheteur convient avec le vendeur que celui-ci gardera la
chose à titre de dépositaire ou de locataire; ou enfin si l'on
suppose qu e l'acquéreur détenait déjà la chose a un autre
titre que celui de propriétaire, par exemple d'emprunteur.
Dans ces diverses hypothèses en aura-t-il une possession
suffisante pour appliquer l'article 2279?
Dans la première, on ne pent pas dire que l'acheteur est
définitivement saisi envers les tiers, parce que s'il peut
repousser le vendeur en lui exhibant l'ordre de délivrance
par lui donné, à l' égard de ceux-ci sa possession n'est pas
co mplète : et la preuve c'est qu' on second acheteur ~eut
encore être mis en possession de la chose. Les articles
:>76, -77, -7 8 du Code de Commerce vienn ent à l'appui de
cette solution en décidant ùans une es pèce particulière que
pour qu' il y est marchandise livrée, il ne suffit pas que la.
�-
76 -
facture ait êté reçue par l'acheteur il faut encore que la
chose soit sortie des magasins du vendeur.
Dans le second cas, si le non dominus qui vend le
meuble le conserve à litre de louage par exemple ou de
dépôt, il n'y aura pas davantage tradition suffisante à
l'égard des Liers parce que cette façon clandestine de transporter la propriété à autrui ne serait dans la plupart é!es
cas qu'une fraude que la loi ne doit pas protéger ; c'était
dans l'ancien Droit déjà l'opinion de Bourjon : « La vente
des meubles faite sans déplacement est nulie à l'égard des créaitciers du vendeur. De là ii suit que les créanciers de celui qui a
fait une telle vente peuvent nonobstant icelle, les faire saisir et
vendre sur leur débiteur qui en est resté en possesion. ~ (T. 1
p . 146 n• 11).
Dans la troisième hypothèse au contraire, si on suppose
que l'acquéreur était déjà en possession à titre de locataire,
de fermier ..... etc. de la chose qui lui a été vendue,
il nous semble qu'il y a possession suffisamment réelle pour
pomoir repousser la revendication du véritable propriétaire, parce que s'il n'y a pas eu tradition il y a du moins
possession réelle telle que l'exige l'article 1t41.
La règle générale est donc qu'en notre matière la délivrance ne peut pas résulter du seul consentement des
parties comme aux termes de l'article 1606 relalivemen t
à la vente. Cette différence s'explique aisément : J'arliclc
f 606 ne règlemente que les elfot' de la transmi ssion entre
parties contractantes: landi que l'article 2279 a pour but
de sauvegarder l'intérêt des tiers vis-à-vis desquels le contrat intervenu est res inter alios acta.
-
1i -
Enfin, à cette possession réelle il faut que l'acheteur
joigne l'intention bien arrêtée d'avoir telle chose spécialement déterminée, c'est-à-dire, il ne doit pas y avoir
erreur sur l'identité de l'objet : Le meuble qui a été livré
doit bien être celui que l'acquéreur a l'intention de posséder. Celui qui après avoir acheté un meuble en recevrait
un autre quoique semblable n'aurait pas l'intention requise
et ne pourrait pas se prévaloir de la présomption qu'en fait
de meubles possession vaut titre.
Aux termes de l'article ~223, les juges ne peuvent pas
suppléer d'office le moyen résultant de la prescription :
c'est à celui au profit duquel cette prescription s'est
accomplie à en•réclamer l'application. Or, peut on adopter
la mème solution en ce qui concerne l'articlP, 2279 ? Nous
le croyons, parce que si une considération d'intérêt public
a fait édicter la règle qu'il consacre, il n'en est pas moins
vrai que la protection dont le possesseur est par elle couvert, peut ne consacrer parfois qu'une injustice et préjudicier à un propriétaire dont les droits son t certains. Si
ùonc la conscience et de justes scrupules ne permettent
pas à l'acheteur de garder pour lui les profits résultant de
cette sorte de spoliation, de quel droit viendrait-on le
forcer à se servir de moyens qu'il réprouve? La loi a créé
pour lui un droit et non pas une obligation.
Toutefois remarquons que c'est un de ces droits qui ne
sont pas attachés exclusivement à. la personne et que les
créanciers de l'acheteur pourraient, suivant l'opinion universellement admise, s'en prévaloir s'il négligeait lui-même
de le faire. Par r~ciprocité, il est éviden t que les créanciers
�-
78 -
resteraient toujours soumis aux exceptions qui étaient
opposables au débiteur.
Mais ce dernier ne pourrait-il pas, en prenant J'initiali\•e
â'une renonciation an bénéfice de notre article, empêcher
ses créanciers d' exercer les droits que leur confère l'article
i t.66 ? li semble au premier abord que si le débiteur
reconnait que sa posse~sion est illégitime et qu'il ne doit pas
se prévaloir d'une présomption injuste , ses créanciers ne
pourront pas le forl!er à agir d'autre façon. Cependant
n'est-il pas certain qu'il serait trop facile à un débiteur d'être
scrupuleux et honnête lorsqu'il le serait aux dépens de ses
créanciers et n'est-il pas plus logique d'admetlre en inYoquant par analogie l'article 222~ que les créanciers qui ont
intérêt à re que la prescription soit acquise veuvent l'opposer
encore que le débiteur y renonce ?
Mais qu'auront-ils à faire pour annuler la renonciati.rn
tacite de leur débiteur? Devront-ils, suivant l'article 1167,
prouver qu'elle a été frauduleuse? Cette preuve serait la
plupart dn temps impossible parce que le débiteur dira
toujours qu'il n'a agi que dans un but louable, pour obéir
à sa conscience. lis n'auront clone, croyons-nous, qu'à
démontrer le préjudice. L'article 2~25 que nous rappelions
tout à l'heure n'exige pas d'autre condition et les divers
textes dans lesquels il est question aussi de renonciation ne
se préoccupent pas davantage de l'intention fraudul euse :
articles 622, 788, i 053. C'est dire que nous sommes ici
en présence d'une exception aux conditions que l'article
1167 exige en général de$ créanciers qnand ils veulent
-19 faire annuler, en vertu de cet article, les actes faits par leur
débiteur.
Que décider d'autre part, si après avoir vendu un objet
mobilier et ne l'ayant pas encore livré à l'acheteur les
créanciers du vendeur viennent pratiquer sur ce me~ble
une saisie-exécution ? L'acheteur pourra-t-il, par une
demande en distraction telle qu'elle est prévue en l'article
608 du code de procédure, se le faire attribuer sans avoir
à craindre le concours des créanciers saissisants? On l'a
contesté en disant: le débiteur a bien vendu le meuble mais
il esl demeuré en possession ; or en fait de meubles possession vaut titre, donc le vendeur est demeuré propriétaire,
par suite la saisie est valable. C'était fa, dans l'ancien droit
l'argumentation de Bourjon. Mais il ne faut pas oublier
qu'à cette époqus la propriété n'était transférée que par la
tradition tandis qu'aujourd'hui elle l'est par le seul effet du
contrat et l'article 2279 n'a certainement pas voulu porter
atteinte à ce principe. Si donc, l'acheteur est devenu immédiatement propriétaire, il peut demander la distraction du
meuble qui a été à tort englobé dans la saisie. Cette solution
est d'autant plas équ itable que les créanciers avaient la
possibilité d'exiger un nantissement et celle de pratiquer
plus tôt leur saisie ; s'ils ne l'ont pas fait, ils ont commis
une négligence dont ils doivent supporter les suites. Mais il
faut pour cela que l'acheteur fasse sans délai sa demande en
distraction car s'il laissait les créanciers procéder à la vente
et à l'adjudication il serait déchu de son droit par application de l'article t Ui dont nous avons déjà parlé.
Pour en finir sur ce point, il faut remarquer que lare-
�-
30 -
vendication du propriét.aire peut être repoussée en vertu
de l'article 2279 non pas seulement par celui qui possède
en vertu d'un contrat onéreux mais aussi par un donataire
et un légataire. Dire en effet que le propriétaire certat de
damno vitand-0 tandis que le donataire certat de lucro captan<ÙJ, formule qui a sa raiso n d'être dans l'action paulienne de l'article 1167 , est ici un motif d'équité qui ne
saurait prévaloir devant la généralité du texte.
Il nous reste à indiquer quels sont les meubles dont
entend parler l'article ~279.
§ 5.
Sans doute , nous ne pouvons pas conserver ici a ce mol
le sens restreint qui lui a été donné dans l'article t>55 ; ce
serait soustraire à l'application de notre règle une infinité
de choses pour lesqu elles elle a été faite, mais n'admet-elle
pas cependant certaines restrictions ?
Il suffit pour répondre à cette qu estion de rappeler les
motifs pour lesquels l'article.2279 a été édicté. C'est, avons
nous dit, d'abord parce que la plupart du temps il est
impossible à l'acquéreur de connai tre avec certitude les
droits de celui qui lui a vendu la chose, ces droits n'étant
pas constatés par écrit, de telle sorte qu'il est obligé de
s'en rapporter à sa déclaration. En second lieu, les meubles
passant rapidement de main en main ce serait donner
-
81 -
naiss1nce il toutes sortes de procès dont les frais dépasseraient souvent la valeur de l'objet en litige que d'en autoriser la revendication. S'il en est ainsi, nous pouvons dire
d'une façon générale que les meubles dont la transmission
ne serait pas purement manuelle seront soustraits à l'application de la règle :
1°Y sont soustraits conséquemmen t les navires qui d'après
leur nature sont meubles 1 et dont pourtant la propriété ne
peut reposer que su r un titre. Cela résulte de leur importance d'abord et ensuite des termes formels de l'article 195
du code de commerce, comme aussi de l'article 226 d'après
lequel l'acte de propriété doit être mis au nombre des
pièces de bord que le navire emporte avec lui dans ses
voyages.
M. Laurio, dans le premier volume de son commentaire
sur le Droit Maritime'.!, cite deux arrêts qui rendus contrairement à cette solution ont été réformés par la Cour suprême. D'ailleurs, ainsi que le dit Je savant professeur, la
question n'est plus aujourd'hui susceptible de controverse
en l'état de la loi sur l'hypothèque maritime, (to décembre
1874). On peut dire que d'après cette loi les narires sont
immeubles a plusieurs points de vue et dès lors ne tombent
pas sous l'application de notre article.
Cet article s'appliquera au contraire, selon nous du
moins, à certains autres meubles quoiqu'ils aient élé immobilisés aussi ; ce sont ceux que la. volonté du propriétaire a
attachés à. un immeuble à perpétuelle demeure et qu'on
1
t
Art. 53 1 Co<l. civ. ; ·190 Cod. comm.
Page 218 ot suiv,
6
�- 82 appelle immeubles par destination, tels sont les instrumen ts
aratoires, les semences, etc. Le tiers qui deviendra acquéreur
de ces divers objets pourra certainement repousser en vertu
de notre article 2~79 toute sorte de revendication. Et en
ellet ces choses ne sont immeubles que dans les rapports du
propriétaire avec son fermier ou son acheteur, mais elles
cessent de l'être dès qu'on les détache du fond s et l'acquéreur est en droit de croire qu'elles appartiennent à. celui
qui les lui vend ainsi séparées.
Si maintenant nous supposons que le meuble n'est pas
réclamé d'une manière principale mai~ seulement à ti tre
d'accessoire d'un immeuble revendiqué, il est régi par le
pl'incipe: Accessorium sequitur principale, et ne peut plus
tomber sous l'application de notre article. Cependant l'article ?549 dispose que le possesseur de bonne foi conserve
même à l'encontre du propriétaire revendiquant les fruits
détachés de l'immeuble. Le Droit Civil ne distingue même
pas sur ce point, comme faisait le Droi t Romain, entre fruils
consommés et fruits encore existants. Pour expliquer cette
anomalie apparen te, M. Bravard 1 a simplement invoqué
t'article 2.279 et Marcadé a reprod uit ce système que nous
ne croyons pas fondé, parce que pour être logique il faudrait
aller jusqu'à dire que les produits, qu i ne sont pas fruits,
seront eux aussi attribués au possesseur de bonne foi qui
les a déjà touchés, et on se trouverait alors en contradiction
avec la distinction que consacre l'article ?>98. Au surplus
1
Etude du Droit Romain, p. 302.
- 85 l'ancien droit avait adopté déjà. la théorie de l'article 549
alors que la règle c En fait de meubles possession vaut
titre" n'était pas admise partout. La vraie raison réside
dans le fait même de la production des fruits par le possesseur. Ils sont le résultat dt3 son travail, ils ont augmenté la
richesse publique et le législateur a pensé avec juste raison
qu'il fallait attacher à cela un avantage spécial, d'autant plus
équitable que dans la plupart des cas les fruits perçus auront
été consommés lautius vivendo, et qu'une demande en restitution pourrait causer au possesseur un très grave embarras.
2° li est admis aussi d'une façon à peu près générale que
les meubles incorporels tels que les rentes et les créances
ne tombent pas sous l'application de l'article 2279. Déjà.,
dans l'ancien droit, Bourj on, que le législateur a copié sur
cette matière,. avait dit : Par rapport aux droits inccrporel.s
la simple pussession du titre ne suffit pas. C'est qu'en e[et dans
ce cas les moti fs qui ont fait édicter l'article précité ne se
conçoivent plus. D'une part, la circulation des meubles
incorporels n'est pas aussi rapide ni aussi répétée que celle
des autres; et en outre, il est toujours facile de constater si celui duquel on tient la créance en est le véritable
propriétaire. L'acquéreur n'a qu'à exiger que son vendeur
lui remette le titre et à voir s'il est conçu en son nom. S'il
en est autrement, c'est que ce dernier n'est pas propriétaire
ou peut-être qu'il possède la créance à titre de cessionnaire,
de légataire ou d'héritier. Mais dans ce dernier cas encore
on n'a qu'à se faire exhiber l'acte de cession, ou le testament,
ou la preuve que le vendeur a succédé ab intestat au ~éfunt.
�-
84 -
Si la contestation s'èlèvo entre deux cessionnaires de
la même crèance, il ne peut plus être question de l'arlicle
2279, car le législateur a pris soin d'établir par des règles
toutes spéciales la transmission des créances à l' égard des
tiers. (articles t 690 et suiv.).
Il existe une e:œeption au principe que la simple possession de bonne foi des meubles incorporels ne vaut pas
titre, c'est lorsqu' il s'agit de titres au porteur ou d'eITets
à ordre transmis par endossement en blanc. Nous lisons
dans l'exposé des motifs de la loi du 23 mai 1865 sur le
gage commercial : o:. La propriété des titres au porteur est
transmissible sans endossement, sans nolifu;ation au débiteur
s'il s'agit d' obligalions et par la seule tradition, absolument
comme la propriété d'un lingot. d'un bijou, d'un meuble. »
Cependant une action au porteur n'est pas un bien corporel et le petit morceau de papier qui représente pou r
celui qui le détient une somme plus ou moins considërable, n'est que le signe, l'expression matérielle de cette
action. Il en est de même pour les billets de banque. li
semble donc que l'un et l'autre ne devraient pas bénéfier
de notre règle. Ils tombent cependant sous son appli cation
précisément parce que, à l'imitation des meubles corporels, ils se transmettent de mains en mains avec une ext1ême facilité, sans qu'o n ait besoin de dresser acte de leur
transmission. C'est même là l'unique avantage pour lequel
ils ont été institués. Par contre les valeurs nominatives
échappent au principe, parce qu'elles sont la propriété
d'une personne déterminée et ne peuvent passer dans le
85 -
domaine d'une aulre qu'après l'accomplissement de certaines formalités.
5° Il faut excepter de l'article 2279, les universalités
de meubles de qu elqu e nature qu'elles soient, car ainsi
que le dit M. Delvincourt, il s'agit moins dans ce cas des
choses qui composent la succession que du droit même
de succession, c'est - à - dire en somme , d' une chose
incorporelle. Au surplus, il ex iste toujours, à l' égard des
univer alités, des titres qui perm ettent de constater avec
certitude leur origine. Les_tiers._seront dès lors dûment
avertis. Celui, par exemple, qui achètera une succession
mob ilière ne manquera jamais, s'il est prudent, de se
fai re rep résenter l'acte testamentaire ou les titres de famille
qui établissent les droits de l'héritier.
Déjà clans l'ancien droi t, les universalités ou quotesparts d'universalités tan t mobilières qu'immobilières n'étaient soumises qu'à la prescription trentenaire et BigotPréameneu disait, encore à. ce sujet, au Corps législatif:
S'il s'agit d'une w1iversalit~ de meubles telle qu'elle échoit à iui
héritier , le titre iiniversel se conserve par les actions qui lui
sont propres . »
Enfin , il est en dernier lieu, des choses qui sont tout
à la fo is corporelles et in corporelles, et on s'est demandé
s'il fallait les comprendre dans les termes de l' article
2279?
La question 'est po -ée relati•emen t aux lettres mis' i-
ves , aux manu crits, ala propriété artistique, industrielle
et littéraire. Sur tous ces poi nts une distinction doit êlre
faite.
�I
-
86 -
Ordinairement une lettre missive porte une suscription
qui permet de connaître celui à qui elle est adressée. C'est
donc celui-là qui doit tout d'abord en être présumé le
propriétaire, et le tiers qui la détiendrait dans ces conditions, au lieu et préjudice dn destinataire véritable, manquerait de la bonne foi nécessaire pour pouvoir se mettre
à l'abri de la maxime : En fait de meubles ... etc... Si au
contraire, nous supposons que cette lettre est tombée dans
le commerce, qu'elle est deven ue objet précieux et par
conséquent un meuble ordinaire, si c'est par exemple un
fragment de la correspondance d'un personnage célèbre,
un. autographe en un mot qui déjà. a passé dans la propriété de diliérents amateurs, il est évident que l'acquéreur de bonne foi pourra repousser la revendication
du véritable propriétaire.
La solution est à peu près la même relativement à la
propriété littéraire, in dustrielle ou artistique.
~'écrivain, l'artiste, l'omi rier créateur ne pourront jamais se voir dépouillé même par un possesseur de bonne
foi de ce qui est le fruit de leur pensée, l'invention de leur
génie . .Po~r eux, la valeur ùe I' œuvre ne réside pas dans
la réalisat10n matérielle qu'elle a reçue. Mais lorsque le manuscrit, le tableau ou la statue sont tombés da ns le commerc~, si celui qui le revendiqu e est un tiers qui les a
achetes de ses propres deniers, l'arti cle 2279 produit ses
efTe~s et la bonne foi est suffisante pour en faire acquérir
au tiers-possesseur la propriété.
, Il importe de remarquer que le simple fait de posséder
n emporte pas présomption du droit de publication ou
87 -
de reproduction. Ce droit n'appartient qu'à l'auteur luimême ou à ses héritiers, et ne peut être transmis que par
une convention particulière 1• Nous sommes donc tout à. fait
en dehors de l'article 2279.
4° Ajoutons en terminant que par un tout autre motif que
ceux jusqu'à présent développés notre article ne sera pas
applicable non plus aux objets qui, quoique transmissibles
facilement de main en main, sont insusceptibles de propriété
privée : ce sont ceux qui font partie du domaine public et
sont par cela même inaliénables et imprescriptibles . En
conséquence, celui qui de bonne foi aurait acquis une chose
de cette nature faisant partie par exemple d'une bibliothèque
nationale ou d'un musée ne pourrait pas, en invoquant
l'article 2279, repousser la revendication de l'État. L'espèce
s'estprésentéedevant la Cour de Cassation . D. P, 52. 2. 96.
§ 4.
Le législateur moderne a apporté deux exceptions à la
règle que les meubles ne peuvent être revendiqués : c'est
lorsqu'il s'agi t de choses volées ou perdues. Le deuxième
alinéa de l'article 2279 est en effet ainsi conçu : ~ Néanmoins, celui qui a perdu ou auquel il a été volé nne chose
peut la revendiquer pendant trois ans à. compter du jour
de la perte ou du vol, contre celui dans les mains duquel
Seine, 20 juin
1 Cnssat. 1O ùéc. 1850. Deville. ·1850 1 2, 265. 1883. Gaz. Palais, 1883, 2 163. - Lois du 19 juillet n93 - 5
juillet 1844. (brovets ù'invontion). - H juitlet 1866 (droits d'autour).
�-
88 -
il la trouve. .. » C'était, nous l'avons vu, le système du
très ancien droit coutumier, tandis que Bourjou n'aùm cttait qu'une seule exception, le vol. Quand à Pothier, il
considérait ce correcti f à la règle générale comme absolument arbitraire. (Prescription , n° 240).
Les deux exceptions aujourd'hui consacrées recoivent
application au cas où la chose se trouve entre les. mains
d' un tiers de bonne fo i qui l'a acqu ise du voleur ou de
l'inventeur même. Quand à ceux-ci, ils ne peuve nt prescrire que par trente ans, parce qu'ils n' ont ni juste tilre,
ni la croyance de bonne fo i à lem droit de propriété. lis
sont obligés de restituer à raison soit du vol, sait de
l'invention et l'action qui naît d'une obligation dore tren te
ans. - Mais ne semble-t-il pas y avoir en cela quelque
chose d'anormal ?
En effet, lorsqu'un délit est commis, il est de principe
que l'action civile ne peut pl us être intentée dès que
l'action publique est éteinte. Or, celle-ci est soumise à une
prescription de dix aùs, trois ans ou un an, suivant qu'il
s'agit d'un crime, d'un délit ou d'une contravention. Si
donc le voleur ne peu t jamais plus être poursuivi publiquement après dix années, comm ent pourrait-il l' être
civilement ? Cette objection n'est pas fondée, car il ne
faut pas confond re l'ac tion en revend ication avec l'action
civile en réparation du dommage causé. La première a sa
so urce dans le droit même de propriété, la seconde ne
naît qu'à raison du délit et à condition de prouver le vo l
qui l'a fait naître ; elle a pour bu t la condam nation ~l tics
dommages intérêts dont la restitution de l'objet n'est que
-
89 -
)a première application. Elles sont donc tout-à-fait indépendantes l'une de l'autre, et si après dix ans le voleur ne
peut plus être poursuivi comme voleur , rien ne peut empêcher le propriétaire do le poursuivre pendant trente années par actioo réelle et comme détenteur du meuble reYcndiqué . La raison d'être de cette dilîérence se conçoit
aisément. Lorsque le demandeur intente l'action civile
ex delicto, il tend à. fa ire établir \'existence d'un fait crim1nel et il ne pourra le plus souvent y arriver qu'en faisant
appel à d P,S témoignages. Or, après une cerlaioe durée,
les souvenirs s'effacent, \es témoins disparaissent et il de·
vient plus difficile ùc connaître la vérité. L'ordre public
exigeait donc que le législateut évitât de raviver la pensée
d'un crime impossible à démontrer. Quand le demandeur
exerce au contraire \a revendication, il n'a ças besoin de
faire all usion ~t la faute commise, il lui suffit de prouver
que Je po.sesseur illégitime savait que Je meuble était la
propriété du revendiquant.
Le véritable propnétaire poDrra revendiquer pendant
trois ans \a chose qui lui a été volée ou qu'il a perdue et
qui est aujourd'hui dans les mains d'un possesseur de
bonne foi . Cela se conçoit puisque ayant été nctime ù'un
vol ou ù'un cas fortuit, il a ~ubi one force majeure. l\ n'en
est pas moin~ vrai qu' 11 fal\:.lit nn tex te formel pour .ét:iblir que dans ce cas spécial, le possesgeur de bonne foi ne
· · 1e de l'arllcle 9-.~0 79.
· \e genera
pourrait pas imoquer la reg
et prolonger ainsi la protc1,;tion acconlûc à la pro1~11~tl'.
Le Code a toutdo1:, re::.treint consitlérab\cment le delai de
b. revendication dt! meuble H 1lé, qui était berucoup plus
�-
90 -
long dans notre ancien droit ; c'est Je souvenir de
la prescription ordinaire sous Justinien qui a fait choisir
celui de trois ans. Après cet espace de temps, le propriétaire est dune déchu du privilège que lui accorde l'article
2279-2°, et tombant dans le dro it commun il ne peut
plus agir contre le possesseur que s'il prouve que ce dernier, étant de mauvaise foi, ne peut prescrire que par trente
ans.
Ajoutons que le laps de trois ans dont s'agit n'est pas
un délai de prescription acquisitive puisque la loi n'exige
pas la continuité de possession chez le tiers acquéreur, et
n'envisage qu e la durée'de la dépossession du propriétaire;
c'est un délai de déchéance.
Nous devons rappeler ici que le Droit Français s'est
écarté en deux points du Droit Germanique : en comprenant dans le cas de vol les soustractions commises par des
domestiques, et d'autre part en retirant de cette catégori e,
celles dont se sont rendus coupables des époux, descendants ou ascendants (art. 580-586 C. P.).
A quel genre de meubles s'applique l'exception de l'article 2279?
elle-même s'ils
A tous ceux qui tomberaient sous la rèole
0
n'étaient volés ou perd us. Les titres au porteur qui auront l'un de ces deux caractères pourront donc être revendiqués pendant trois ans. La loi du 5 juillet 1872 dispose à ce sujet que le propriétaire dépoui llé de son titre
peut en réclamer un nouveau à la compagnie q1.1i a émis
le premier. La Cour de Rouen a jugé (14 janvi er 1820) en
vertu du même principe que lorsque une lettre de change
-
9t -
portant un endossement en blanc a été volée, celui à qui
le voleur l'a transmise peut être tenu pendant trois ans,
envers le propriétaire, à sa restitution : c'est dire que l'ex·
ception de vol s'applique aux effets de commerce comme
aux meubles corporels.
S'applique-t-elle aussi aux billets de banque? non, ils
sont assimilés en tous points à la monnaie d'or et d'argent
et si le voleur peut et doit être poursuivi, ceux qui les ont
reçus de bonne foi ne peuvent pas êlre contraints à les restituer, il leur aurait été trop difficile, impossible même
le plus soment, de s'assurer si celui de qui ils les tiennent
avait le droit d'en disposer.
Que faut-il dire des coupons d'action ou d'obligation
détachés de leur titre ? La jurisprudence, après les avoir
d'abord assimilés aux billets de banque dont elle déclarait
la transmission inattaquable, a fini avec raison par adopter
la solution inverse, c'est-à-dire qu'elle considère les coupons volés ou perdus comme sujets à revendicati~n , même
entre les mains d'un acquéreur de bonne foi pendant
trois ans. En e!Tet, si la négociation et la circulation des
coupons peut s'accomplir comme celle des billets de
banque avec une extrême facilité , il existe entre les deux
des di!Térences caractéristiques : les billets de banqne,
narticulier
at cun siane
•
.
.
r
~
monnaie conventionne11 e , n on1 1
qui établisse leur individualité , ils sont en outre remboursables à. toute époque; au contraire, les coupons
portent un numéro d'ordre qui permet de les rapprocher
de leur souche pou r les contrôler, et ils ne sont le plus
souvent détach6s du titre qu'au moment de l'échéance.
�-
9~
-
-
Cela suffit pour nous permettre de dire que les coupons
comme les actions elles-mêmes doivent entrer dans l'exception de l'article 2279 relative aux choses volées, d'autant
plus qu'il n'existe aucun texte autorisant à croire que la
loi n'a pas voulu les classer dans la catcgorie des meubles ordinaires.
Que faut-il entendre en notr~ matière, par choses volées ou perdues?
li sera souvent bien difficile <l'établir si une chose trouvée a été perdue ou seulement abandonnée volontairement
par son propriétaire. La distinction a cependant une
grande importance, puisque clans le premier cas seulement l'exception de l'article 2279 'applique, tandis que
dans le second la cbose étant devenue res nullius appartient légitimement au premier occupant. C'est là. évidemment un point ùe fait que les juges auront à apprécier en
se fondant sur des présomptions diverses. Ainsi, si l'objeL trouvé n'est que d'une très petite Yaleur, il est probable que le propriétaire s'en es t sciemment dessaisi,
tandis qu'on croira plus aisémen t qu'il l'a perdu si la valeur
est considérable.
On donne le nom générique d'épa\'es à toute chose dont
le propriétaire est inconnu. Dans l'ancienn e jurisprudence,
les épaves non réclamées étaient attribuées au seigneur
haut-justicier; aujourd'hui il n'y a pas de rènle uniforme
a t:e sujet, mais il existe quelques dispositions particuliè:es, .des. règlemen ts qui fixent dans certaines hypothèses
a qui doit appartenir l'objet perdu.
L'article 717 du Coùe civil dispose que Jes effets jetés
•
•
è')
95 -
à la mer ou rejetés par (:lie sont soumis à des lois spé-
ciales. Cet article fait allusion al'ordonnance de la ·Marine
ùe 1681, titre 8 et!>, L. IV, - a l'arrêté du 18 thermidor an X, - et au décret du 12 dér,embre 1806. Ceux
qui trouvent dans la mer ou sur ses rivages des objets qui
proviennent d'un naufrage, doiv~nt en avertir l'autorité
maritime qui les fait déposer en un lieu sûr, et après l'an
et jour, si personne ne les a réclamés, ils sont attribués
pour les 2/5 à l'Etat et pour l'autre tiers à l'inventeur.
L'ordonnance des eauK et forêts de l 669 et une loi du
15 avril 1829 disposent que les épaves trouvées dans les
neuves deviennent la propriété Je l'Etat, qui peut les
vendre après un mois, lai.sant au propriétaire un mois
encore pour en réclamer la raleur.
Un décret du 13 août 1810 attribue aussi à l'Etat les
objets perdus dans les bureaux <le messageries ou chez les
entrepreneurs de voitures publiques et la vente peut en
être faite six mois après la perte.
Un autre décret du 18 juin 181 t (art. 39) décideque les
bestiaux trouvés errants et sans maître seront mis en fourrière et vendus huit jours plus tard au bénéfice du trésor
public.
Enfin une loi du 31 janvier t 853 reconnait appartenir
à. l'Etat les sommes confiées à la poste, si elles ne sont
réclamées dan s les huit années du dépôt.
En dehors <le ces cas spécialement prévus par la loi•
la propriété définitive d'un objet perdu doit être attribuée
al'inventeur . .Mais au bout de combien de temps ? Quelques auteurs, s'en tenant rigoureu ement à la lettre
�-
94 -
de l'article 2279 ont dit : au bout de trois ans. Nous ne
le croyons pas, car ce texte ne reçoit d'application que
lorsque le possesst>ur est de bonne foi, et celui qui a
trouvé un objet sait au contraire à. n'en pas douter qu'il
appartient à autrui. Bien plus il doit faire des recherches
à ce sujet, aller faire sa déclaration au commissaire de police ou au greffe ùu tribunal, de peur que sa conduite
ne puisse être considérée comme une dissimulation frauduleuse, assimilable au vol. Il faut donc appliquer le droit
commun de l'artiele 2262, et dire que l'inventeur ne sera
propriétaire incommutable qu'au bout de trente ans.
L'article 579 du Code Pénal définit le vol : une soustraction frauduleuse de la chose d'autrui. Le Droit Romain
moins restrictif considérait comme tel tout maniement
fraud uleux du bien d'autrui, de telle sorte que le dépositaire ou le créancier gagiste qm non-seulement vendait,
mais même se servait de la chose dont il n'était que nanti
se rendait coupab le aux yeux de la loi . Le Droit cou tumier
n'admit pas une pareille extension et Bourjon disait :
« L'effet mobilier furtif peut être rev.mdiqué même des mains
de l'acquéreur de bonne foi pourvu que I.e furte soit constaté. ])
Il ne fau t donc pas, comme certains auteurs et plusieurs
Cours d'appel l'ont fait 1 , assimiler au vol l'escroquerie et
l'ab~s de co~fi.ance, délits auxquels la loi donne une qualificat10n spéciale et qu'elle punit de peines particulières.
Toullier 0-IV, n• ~ 18) - Troplong (II. 1069). - Lyon, 28
i
nov. 56 (D. P. 57, 2, 136). - Bordeaux 3 1·anv 1;9 (D p 1· 9 "~
'
)
~ 64),
V
'
'
\)
)
95 -
Ce qm constitue le vol, c'est l'enlèvement, l'appréhension
de la chose à l'insu et contre le gré de celui qui la possède.
Ce qui au contraire constitue l'abus de confiance, c'est le
détournement d'un objet par celui-là même qui déjà. le détient au su et au gré du possesseur. De même en est-il
pour l'escroquerie : ce n'est pas le coupable qui vient
lui-même s'emparer par ruse ou violence de l' objet
dont il convoite la possession, c'est le propriétaire luimême qui trompé dans sa confiance au moyen d'intrigues
et de circonstances frauduleusement amenées, prend l'initiative de remettre l' eliet mobilier aux mains de l'escroc.
Or, ce fait de la part du propriétaire de se dessaisir volontairement lui ôte le droit d'invoquer le bénéfice de l'article
2279, et de revendiquer sa chose aux mains de celui qui
depuis lors l'a acquise de bonne foi. Bien plus, il a été
jugé que si ap rès avoir été victime d'un abus de confiance
le propriétaire opérait entre les mains du tiers détenteur
de bonne foi une saisie revendication et lui causait ainsi nn
préj udice, il lui en devrait réparation (Paris, 1anYier 1.851.
Sirey, 52, 2, 58. -- Tnb . de la Seine, 12 janvier 1882,
Gaz. du Palais, 82, 2, 77). Et en e[et, si une fraude a
été commise, il n'en est pas moins vrai qu'il y a eu dessaisissement volontaire et nous ne sommes plus dès lors
dans l'exception : Exceplio11.es sunt striclissimœ interpre-
talionis .
Il n'est pas besoin de se préoccuper des conséquences
pénales qne doit entrainer le vol pour donner au propriétaire l'exercice de son action en revendication. Ainsi, si ~i
raison de son âge l'auteur de la soustraction n'est pas
�-
96 -
punissable, l' arLicle .2270 n'en reçoi t pas moins son application, puisqu'il n'y co a pas moins eu enlèvement de
la chose contre le gré du propriétaire, et que c'est là ce
qui constitue le fai t sinon la culpabilité du vol, donnant h
l' objet dont il s'agit la qualité de chose volée et au torisant
la revendication.
Reste à. se demander si la revend ication serai t encor
possible dans le cas où s'agissant de choses fongibles,
l'acheteur les aurait consommées. - La restitution de la
chose el\e-mème n'est é\ idemment plus possible puisqu'elle n'existe plus, mais du moins le propriétaire ne
pourra-t-il pas ùemander des dommages-intérêts?
Distinguons : si l'ache•eur a été de mauvaise foi en
consommant, il est certain qu'on peut dire qu' il y a délit
ou quasi-délit donnant lieu à l'application des articles
1582, 1385, mais s'il a été de bon ne foi, on ne peut plus
l'accuser de faute et il ne peut être tenu que dans la mesure de son enrichissement, q11ate11i1s locupletior (accus est.
De mème si la chose a péri fû t-ce par la négligence de
l'acqnéreur, il est à. l'abri de toute poursuite: Nulli querelœ
subjectus esse potest qui rem quasi suam negla.rit. ,,
L'exception de l'article 2279 reçoit elle-même une restriction dans les termes de l'article 2280 :
Lorsque le possesseur a acheté la chose perdue ou yolée
dans une foire ou un marché, dans une vente publique, ou
d'un marchand Yenùant des choses pareilles, si le propriétaire veut se la faire restituer, il doit d'abord oITri r au
possesseur le prix que celui-ci a déboursé. La raison d'être
ùe cette décision se conço it facilement . En effet, si dans les
-
97 -
cas ordinaires, l'acheteur qui est obligé de restituer la chose
volée ou perùu e, et qui veut exerser son recours comme de
droit Cù nlre Je vendeur, trouve celui-ci insolvable, il doit
s'imputer à lui-même de ne s'être pas mieux enquis
de la moralité de cc dernier. Mais, dans les cas spéciaux
de l'article 2280, l'erreur du possesseur est aussi légitime
que sa bonne foi est évid ente, et il serait iuj uste de le dépouiller de la chose en lui faisant perdre en outre le prix
qu' il en a payé . D'ailleurs l'intérêt public lui-même exige
qu' il en soit autrement , car si l'on ne donne point de sécurité à de pareils acheteurs, le commerce devient impossible, - Ce n'est là bien enten du qu' une exception et
comme telle elle doit être restreinte dans ses limites ricrou1!>
reuses.
Le pro priétaire qui rembourse au possesseur évincé le
prix qn'il a ùéboursé n'est pas obligé de lui tenir compte
des intérêts de ce prix parce que la jouissance qu'il a eue
ùe la chose lui en a tenu lieu. O'un au tre côté si le possesseu r avai t fa,it pou r la conservation de cette chose des
dépenses nécessaires ou tout au moins utiles, le propriétaire
en serait débiteur pour le tout dans le premier cas, et
jusqu'à concurrence de l'augmentation de Yaleur dans le
seconù , par application de celle règle d'équité que nul ne
doit s'enrichir aux dépens ù'autrui . Bien plus, le pc1sse seur aurait le droit de retenir la chose tant qu'il ne ,erait
pas désintéressé. Quanù aux dépenses voluptuaires qu'il
aurait faites pour sa satisfaction personnelle, elles restent
entièrement à sa charge 1•
1 Il faut ajouter qno Io propriétaire doit en outre du prix. le·
frais et lo)aux co1\ts du contrat. 1< M. do Lamoignon, dit Troplong,
lo décidaiL ainsi et celle opinion est trop équitable pour être rejetêo. »
7
�-
-
98 -
Après avoir ainsi remboursé au possesseur ce qu' il lui
doit, le propriétaire conserve un recou rs contre celui par
le fait duquel il a élé injustement dépouillé, c'est-à-dire
contre le voleur ou l' inventeur de mauvaise foi . Ces
derniers ne doivent pas en effet s'enrichir aux dépens
d'autrui et comme ils sont personnellement tenus à 18. restitution de la cbose, ils doiven t ~l défaut , des dommagesinLérêLs.
Remarquons en dernier lieu que si l'acquisition de la
chose par le possesseur au lieu de provenir d'on acte à titre
onéreux, comme une vente ou un échange, résultait d'un
acte à titre gratuit , d'une donation ou d' un legs, il ne
pourrait pas être question de remboursement puisqu' il n'y
aurait pas eu de prix payé. Le tiers acquéreur aurait seulemen t le pouvoir d'user du dro it de rétention concédé par
l'article 2280 si à l'occasion de la chose 11 avait fait des
impenses nécessaires ou utiles .
Aux termes de l'article 2280 pour que le possesseur
puisse exiger le remb oursement du prix qu'i l a payé , il
faut que la chose ait été achetée par lui dans une foire, un
marché, une vente publique 0 1.1 d'un marchand vendant
des choses pareilles. Cette condition indispensable a donné
naissance à quelques difficultés.
Oo s'est demandé d'abord si les Monts de piété et en
général les maisons de prêt sur gage autorisées qu i reço ivent en dépôt des objets volés ou perdu s doivent êLre régis
par l'article 2280. En principe, il faut répondre affirmativement, à raison de lois et règlements par ticuliers sur la
99 -
matière , mais à. la condition que les formalités prévues et
imposées par lesdits règlements auront été suivies. Si, par
e:<emple, le dépôLa été fait par \jne personne qui n'était ni
connue ni domiciliée dans la localité, sur laqaelle le directeur de l'établissement devait avoir de justes soupcons, si
de toutes autres circonstances il ressort que la provenance
des objets déposés devait nécessairement lui paraître douteuse, il est sur que le propriétaire pourrait être autorisé à
reprendre son bien sans être pour cela obligé à rembourser
les avances faites au déposant 2 • 11 y a fa une question d'appréciati on qu'il appartiendra aux juges de trancher. C'est
là une décision fort sage qui sauvegarde tout à la fois et
l'intérêt des Monts-de-piété qui, obligés à. une extrème
discrétion ne peuvent pas évidement s' enquérir avec une
complète certitude de tous ceux qui viennent faire des
dépôts, et l' intérêt du propriétaire qui peut établir qu'on
n'a pris à. ce sujet ni ménagement ni précaution d'aucune
sorte.
On s'est posé aussi la question de savoir si celui qui
achète dans le comptoir d'un changeur un effet au porteur
volé peut, en vertu de l'article 2280, exiger aussi du propriétaire légitime le remboursement du pris. quïl a payé.
Nous le pensons ainsi, parce que les changeurs sont dans
l'usage d'acheter et vendre des valeurs, leur comptoir est
1
' Règ\oment du 8 thermidor an XUI, - Lettre du ministre de
la justice, 26 septombro 1836. - Circulaire ministériello du 30
mai 1861.
2
Cassation, 28 nov. 183':2.
�-
100 -
un endroit pnblic on chacun peut Yenir traiter ; ils
doivent en conséquence être placés dans la catégorie de
ceux que l'arücle appelle des marchands vendant des choses pareilles.
Toutefois, ces derniers mots doivent être pris dans un
sens essentiellement restreint et il ne faudrait pas aller jusqu'à penser avec Troploog que pour que l'article devienne
applicable, il suffit que l'acquéreur ait eu quelque sujet de
croire que son vendeur était véritablement marchand de
profession : Cette simple croyance ne suffira it pas. En conséq uence, si un tiers achète ùu premier venu se donnant
une qualité qu'il n'a p:is, une action, une obligation, une
valeur au porteur qu elconque qui a été volée ou perdue, il
subira la revendication du propriétaire san pt>uvoir deman·
der le remboursement dn prix par lui payé.
li en serai t tout autrement s' il avait acheté en Bourse.
Les Bourses sont en e!Tet considérées comme des marchés
publics qui rendent au commerce d' immenses avantages et
comme tels sont compris clans les term es de l'article 2280.
Cependant , dans un but de protection pour les propriétaires facilement dépouillés, une loi du 15 jnin 1872 autori:;e ces derniers, moyennant cert ai nes co nditions énumérées
dans son article 2, a former opposition au près du syndicat
des agents de change do Paris, par ooti fü;ation d'h uissier ;
h requérir ensuite pour préYeni r la négociation ou la transmi ssion des titres dont il a été dëpossédé, Ja publication des
numéros de ses titres (art. 11). Cette publication empêche
toute négociation postérieure an jour où le Lulletin a pu
parvenir dans Je lieu oil elle a él6 faite et conserve au
-
j
101 -
propriétaire le droit de réclamer sans être tenu de remhourser à. l'acheteur son prix d'achat.
Quand il s'agit de titres nominatifs, les formalités sont
plus simples et cela se conçoit car il est très difficile à celui
qui les délient de les négocier: le propriétaire n'a qu'à
signaler le fait de la perte ou du vol à la Compagnie qui a
émis le titre, an moyen d'un acte extraj udiciaire, et il s'en
fait délivrer un duplicata.
Dans tous les cas, le propriétaire dépouillé n'aura-t-il pas
contre l'agent de change ou le changeur qui a servi d'intermédiaire une action naissan t de la responsaLilité professionnelle de ces derniers? La qu estion a été prévue par la
doctnne et s' est présen téc en jurisprudence. On a plusieurs
fois décid é que les agents de change devaient garantir
l'iù cntité de ceux qui viennent les prier de Yendre des
valeurs pour leur compte. En d'autres term es, on a étendu
~\ leurs opérati ons, les dispos1t1ons de la loi du 21 mai
1791 et dn décret dn 19 brn m:iire An YI qui imposent aux
marchands d'or et d'argent l'obli gation de n'acheter qne de
personnes à eln connues. Pour cela on s'est basé sur un
arrêté du 2î prairial An X qui ùéclare les agent de change
rt->spon'abl es de la dernière signature apposée snr l' effet
qu'ils négocient. Une pareille argumentation Ct'ntenait une
erreur que la. Cour ile Cas-ation a relevée par un arrêt dn
'2 1 no,'embre 18 1-'5 tl:in, leqnel elle démontre que cette
disposition légi:;bti rn llû s'applique qu'aux. titres nomina·
ti fs puisq ue les lilr<'!\ :tn portcnr ne supportent aucune
signature . Les agenls de c11ange n•ont donc q··'1·:," certilîer la
sin cérité ùu titre, à justifier de l'ordre de vente par eu'\
�-
- 102 reçu et exécuté et de l'inscri ption de ces opérations sur
leurs registres commerciaux. Ils ne so nt en un mo t responsables que dans la mesure du droit commun , c'est-à-dire
dans le ClS de faute ét suivant les articles 1582 et 1585 .
C'est an tribunal qu'est laissée l'appréciation de savoir s' il
y a eu on non faute commi e.
Enfin, nous devons indi quer que sous notre législation
ainsi qu'en Droit Romaiu, le vice de perte ou de vol est
susceptible d'être purgé par le retour de l'effet mobilier
dans les mains du véritable propriétaire, et à condition qu e
celui-ci aura conscience qu'il reprend un droit dont il avait
été injustement dépouillé. Si donc il achetai t la chose icruoo
rant qu'elle était à. lui, et si plus tard elle passait sans son
fait à un second acquéreur même de bonne fo i, le retour
opéré un instan t dans ses mai ns ne ferai t pas disparaître le
vice de la chose autrefois volée, cl n'enlèverait pas à ce propriétaire le droit de revendiquer utilement, po urvu qu'il
fut encore dans les délais.
CHAPITRE
Nouveau x
ca~
Ill
d'applicac.iou de la règle
« Eu iaU de meubles po ssession vaut titr e
))
.
Nous avons vu déjà au cours do cette élude di verses
applications de l'article 2270 , en cc qui concerne la propriété pleine et entière des choses mobilières. Qu'en serait-
105 -
il d'un simple démembrement: droit d'usufruit ou droit
de gage?
Si quelqu'un reçoit à non domino un meuble pour en
avoir l'usufruit pourra-l-1\ opposer à. la revendication du
propriétaire l'article 2279 el soutenir qn'il a le droit d'en
conserver la jouissance? L'affirmative na saurait faire doute.
Il existe en l' espèce un argnmenl à fortiori de ce que nous
avons dit relativement à la propriété; à la charge toujours
de remplir les mêmes conditions.
Quand au droit de gage il peut être conventionnel ou
tacite et il bénéficie, dans les deux cas, de la règle : Eri fait
de meubles possession vaut titre. C'est surtol1t au point de vue
du gage tacite que nous avons à. examiner la question, le
législateur ayant établi dans cette partie des rêgles que
nous aurons à appliquer au gage conventionnel. On voit que
nous visons l'article 2102 du cod~ civil où, sous le nom
de certains privilèges sur les meubles, nous allons rencontrer de véritables gages tacites. Mais avant de montrer ce
que ceux-ci ont de corrélatif à. notre matière, rappelons en
peu de mots ce que l'article 2102 contient à. leur égard, en
commençant par le privilège du locateur d'immeubles qui y
est le plus développé.
On sait que le Droit Romain accordait au locateur une
hypo thèque snr le" eJTets mobiliers de son locataire. Mais il
fesait une di tiocti on en décidant que le propriétaire d'un
fonds urbain avait de plein droit l'action servienne, soit hypothécaire, sur les meubles apportés dans son bâtiment et
ce en vertu d'une con,·enlion tacite toujourssous entendue;
tandis que le maitre d'un rond rural n'avait ce même droit
�-
104 -
qu'en vertu d'une convention expresse : Eo jure utimur ut
quœ in prœdia ·urbana inducta, illata s11nt, pignori esse credantur, quasi id tacite convenerit ; i11 rusticis prodüs contra observatur. L. / V. Dig. pr . in quib. caus. pign.
Cette distinction était, diso ns-le, peu rationnell e et notre
législation ne l'a jamais admise. L'article 21 02, rep rod msant en cela le droit ancien, déclare que l·~ propriétaire
locateur acquiert un privil ège sur les meubles qui garn issent sa maison ou sa ferme.
Les mots qui garnissent, sont plus précis que ne l'avait
été l'article 171 de la Coutume de Paris, lequel semb lait
comprendre dans le privilège tous les meubles apportés
dans la maison, ou comme s'exprime cet article : Toi;s les
meubles t:tant dans ladüe maison. Ceux-là seuls au contraire
la garnissent qui y on t été apportés à perpétuelle demeure,
ceux sans lesquels les füvers appartements de la maison ne
paraîlraient pas complets: tels sont les meubles meublants,
les marchandises d'un magasin , les livres que con tient un
cabinet d'études, etc. , etc. Sont exclnes au contraire du
privilège les choses qui ne sont déposées que momentanément, comme l'argent qui est fait pour être dépensé el les
valeurs dont Potbier a très bi en dit : ([ Quro in solo jure
consistunt et nullo circumscribuntur loco » (Louage. n°148) .
.Maintenant, et c'est ici que nous rentrons sur le terrai n
de notre article 2279, si le locataire ap portait dans \a
maison ou dans la ferme des meubles qui ne lui appartien nent pas, ceux-ci tomberaient-il s sous le privi lège?
Oui sans doute, la loi ne <li~ Lin gue ras eL ne doi t pas di stinguer. De même que celui qui achète un meuLte n'appar-
-
105 -
tenant pas ason vendeur en acquiert la propriété par la
possession, de même et a fortiori le locateur acquiert sur
les meubles apportés par le locataire qui n'en est pas le
maître, le droit de gage légal, simple démembrement de la
propriété. La possession qu'ils reçoivent a non domino les
investit tous deux et par elle seule du droit qu'ils ont entendu acquérir; pour eux la possession vaut titre.
li est vrai que le maitre des objets apportés pourra de
cette façon devenir victime de la confiance qu'il avait mise
dans le Jccataire, mais il doit s'imputer à lui-même de
l'avoir si mal placée. Bien plus digne de faveur est le propriétaire locateur, qui ayant reçu des meubles dans sa maison
a du croire qu'ils appartenaient à celui qui \es y a mis. 11
ne doit pas être victime ù'une erreur de sa part ioc',·i table.
D'a illeurs, le maître des meubles peut toujours sauvegarder
ses intérêts en fesanl signifier au locateur, lors de l'apport,
que lesdits meubles n'app.ir tiennenl pas au locataire. C'est
dans ce sen timent que l'article 181 5 dispose que lorsque le
cheptel est confi é au fermier par un tiers, celui-ci doit en
faire la notification au pt'Opriétaire ùe la ferme, sans quoi
ce dernier pourra sai ir et faire vendre les téles de bétail
pour se payer de ce que lui doit son fermier.
Pour que le locateur pui se exercer son pri\'i\ège, il fau t
qu' il ait été <le bonne foi, c'e t-à-dire qu'il ait pu croire que
les meubles apportés dans la maison par le lo~ataire étaient
bien sa propriété. Mais ici comme en règle générale, la
mauvaise foi ne se pré urne pas et ce serait au propriét.:iire
des meubles à. la prou,·cr. Il est toutefois certaines choses
que le localeur n'a pas pu un ~eul inctant consitlérer
�-
-
106 -
comme appartenant à son preneur, sur lesquelles par conséquent il n'a pas du compter; par exemple si celui-ci est
horloger ou relieur, les montres et les livres qui ont été mi s
chez lui en reparation.
Il ne rentre pas dans le cadre de cette étude de nous
étendre sur le point de savoir quelles sont les créances du
locateur ainsi garanties par l'article 2102. Disons en un
senl mot que ce sont les loyers et fermages et tout ce qui
touche à l'exé.cution du bail.
L'exception de l'article 2279 trouve elle aussi , dans
l'espèce, son application. Il est incontestable que si les
meubles qui sont déposés chez le l ocata~re étaient des objets
vol és ou perdus, le locateur ne pourrait pas exercer sur eux
son privilège et le prnpriétaire pou rrait les revendiquer
pendant trois ans.
Il ressort des explications qui précèdent que pour que le
privilège puisse être exercé il fant qu'il y ait possession.
En conséquence si les meubl es sont déplacés avec le
consentement du bailleur , celui-ci perd son privilège; par
contra, s'ils l'ont été malgré lui, il conserve son privilège
et pourra les saisir en quelques mains qu'il les retrouve,
en exerçant la revendication, dans les 1 ~ j o urs s' il s'agit
d'une maison, dans les /i-0 jours s'il s'agit d'une ferme. Cette
différence dans les déle.is provient de ce que le locateur sera
pl us facilemen t et plus tût averti dans le premier cas qu e
dans le second, du détournement commis.
Cependant si quelques meubles ayant été déplacés par le
locataire, il en restait encore une quantité suffisante pour
garantir le paiement des loyers, le bailleur ne pourrait pas,
107 -
croyons-nous, empêcher d'une façon arbitraire el absolue
le déplacement partiel, il pourra avoir recours à la saisiecraaerie saufau locataire à la faire invalider en justice. C'est
l!>
ce qui résulte implicitement des termes de l'article 17~2
d'après lequel le locataire ne peut être expulsé que s'il ne
garnit pas la maison de meubles suffisants.
Revendiquer signifie ici reprendre non la propriété mais
la possession. Et le privilège donne naissance à. un droit de
suit6 qui en est Je complément et la sanction .
Le fait de la part du locataire de déplacer le meuble sans
le consentement du locateur constitue en quelque sorte un
vol du droit de gage. Or, l'article 2279 déclare précisement,
dans sa dernière partie, que la revendication est possible
toutes les fois qu' il y a vol de la chose. De même donc que le
propriétaire volé peut reprendre son meuble là où il le
trouve, de même Je locateur peut reprendre son ga.ge ent~e
les mains du tiers qui l'aurait acheté quoique de bonne foi,
avec celte différence pourtant qu'au lieu de 5 ans le locateur n'a que 1t> ou t~O jours pour exercer l'action en reven·
dication. Après ce délai, cette action ne serait plus recevable à moins que le tiers acquéreur n'eut été de mauvaise
foi , auquel cas il ne peut être à l'abri de poursuites qu'a<!)
.
près 50 ans.
Il ne résulte pas de ces observations, remarquons-le bien,
que ce gage so it un e hypothèque sur meubles comme e?
Droit Romain ; dans cette législation, en elîet, le droit
suivait la chose alors même qu'elle était aliénée avec le
consentement du propriétaire locateur, chez nous au contraire, en pareil cas, le gage serait éteint.
�-
-
108 -
Le co nsentement nécessaire pour que Je locateur no
puisse plus exercer son droit de sui te n'a pas toujours
besoin d'être exprès. Il suffira par exemple qu' il ne s'oppose pas à ce que son locataire continue la vente habituelle
des marchandises qui sont déposées dans ses magasins.
Celles-ci, en effet, étant destinées à être vendues, le locateur est censé avoir co nsenti dûs le p1·incipe à ce qu'elles
puissent être enlevées sans autorisation spéciale, il y serai t
même obligé, car ça été fa une clause tacite du bail. Le locatenr ne pourrait arrêter les opérations de son locataire marchand. que_ s'il n'était pas payé de ses loyers, auquel cas il
devrait agir par une saisie gagerie, sauf à la faire valider
ensu ite par 1 ~ !ribonal et à procéder à Ja vente publique
des effets sa1s1s selon l'arlicle 821~ du code de procédure.
Enfin, si les meubles enlevés par Io locataire de la maison
ou de la ferme du locateur et sans le consentement de ce
dern ier avaient été vendus à un tiers de bonne foi par un
marchand vendan t des choses parei lles, on par tonte antre
personne dans une vente publique ou un marché, l'article
2280 recevrait aussi son application et le locateur ne
pourrai t utilemen t revendiquer qu'en remboursant au
possesseur le prix qu e celui·ci avait débo1trsé.
Tout ce que nous avons dit du propriélaire localcur doiL
par
el a plus forte raison <lu créancier Drrao-iste
être dit aussi
~
.
contrat, puisque le premier n'a qu'un droit de gage tacite
et le second on droit formol. Si donc, son débiteur lui
remet en nantissement une chose qui n'est pas sienne, il
él.Cquerra aussitôt sur ce meuble un droit de 0(Jagc en vertu
Jo l'article 2279 ; c'est l'opinion coscignûo par tous los
l
,
109 -
au teurs 1• De même, il pourra revendiquer dan les mains
de qui que ce soit la chose à loi engagée, s'il l'a perdue ou
si elle lui a été volée. Toutefois, le ùélai dans lequel il
pourra exercer son él.Ction ne sera plus le même que pour
le propriétaire locateur , car la loi n'a pas établi à. son égard
de disposition spéciale. Il faudra suivre dès lors la règle
habituelle de l'article 2279 qui donne trois ans pour revendiquer le meuble vo lé ou perdu 2 • Tout en ad mettant cette
solution imposée par le texte, noas ne pournns pas nous
empêcher de remarquer qu'en pareille hypothèse le délai
de trois ans est quelque peu exagéré, car il n'est véritablement pas possible que le créancier gagiste ait !aissé s'écouler un temps si long sans s'apercevoir qu'on lui a volé la
chose dont il était nanti. S'il a gardé le silence jusqu'alors,
le tribunal pourrait selon les circonstances voir dans cette
inaction un abandon tacite du gage et l'on sait qu'il est souverain appréciateur ùes faits.
Ici encore, il va sans dire que si le possesseur actuel avait
acquis do bonne foi la chose dans une des circonstances
prévues par l'article 2280, Io c1'éancier gagiste devrait lui
rembourser son prix.
Les mêmes explications s'imposent relativement au privilège qui est donné a l'~ubergiste : (art. 2102 - 5°) pour le
paiement de ses fournitures sur les effets que les roya.geurs
apportent dans son auberge, alors même qu'ils appartiennent à autrui et poorrn qu'il ait été de bonne foi. C'est
Duran100. t. 48, n• 533.
t Delvincourt, 1. 3, p. 668. - Bugn0t sur Pot hier, t. :>.
~ Valette.
�-
110 -
encor là l'application de l'article 22i9 . Il n'y a rien d'ailleurs que de très équitable, car l'aubergiste ne peut guère
apprécier la solvabilité des personnes reçues chez lui que
par les effets qu'elles apportent. Ne pas considérer ces
objets comme une garantie des paiements qui lui sont dus
serait le rendre bieo souvent victime de sa confiance.
Ce privilège, comme celui du locateur, est fondé sur
une idée tacite de gage et partant est subordonné à la
conservation de la possession. Il s'en suit que si le voyageur a fait dans un voyage précédent des dépenses qui
n'ont pas encore été soldées, l'aubergiste ne pourra pas
à leur occasion exercer son droit sur les meubles actuellement apportés chez lui, parce qu'en ayant perdu la possession en temps opportun, il est censé avoir renon cé
à son privilége. li peut toutefois revendiquer lui aussi les
objets qui ont été enlevés de son auberge d'une façon
abusive et à son insu.
On s'est demandé relativement au privilège que l'article
2102 6° accorde au voituri er sur la chose transportée à.
l'occasion des frais de voiture et dépenses accessoires, s'il
repose lui aussi sur une idée de gage ou sur celle de plus
value ? La question est importante, car dans le premier
cas seulement, le voiturier perdra son droit dès qu'il se
sera dessaisi et le tiers acquéreur de bonne foi pourra lui
opposer la règle : « En fait de meubles, possession vaut titre. D En revanche, il acquéra sur les objets voiturés un
droit de gage, même fussent-ils à. autrui, et au besoin un
droit de revendication. C'est la pt·0mière opinion que
nous croyons devoir admettre avec le plus grand nombre
- Ht d'auteurs, par la raison que le privilège ne s'éteint pas
si l'on transporte l'objet d'un lieu, où il est coté à. un
prix très élévé, clans un autre où il aurait uoe moindre
valeur.
Le 4° de l'article 2102 en doonant au vendeur des meubles un privilège sur la chose vendue et non payée, nous
présente encore de nombreuses applications de l'article
2279 et même une extension nouvelle qu'on n'aperçoit pas
tout d'abord. Il faut pour ce motif analyser à fond cette
partie.
L'article di t : Le prix d'effets mobiliets sera payé de pré{érence s'ils sont encore 1m la possession de l'acheteur. D
A première vue, cela n'offre auclllle difficulté et semble
signifier que le privilège existe tant que le meuble n'a pas
été revendu, que l'acheteur en a gardé la propriété, et
qu'il s'e.!Tace au contraire par la reYente, en vertu de ce
principe que si les charges nées du chef des précédens
propriétaires passen t sur les nouveaux, lorsqu' il s'agit
d'immeubles, il n'en est pas de même pour les meubles.
C'est ce qu'on exprime par cet ancien adage : «Les meubles
n'ont pas de suite par hypoth~fJ.tte . D
Faut-il prendre le mot de vossesswn employé par l'article
dans le sens de propriété? Et comme d'après une grande
de notre droit nouveau la propriété se transmet par
rè<Yle
0
le seul consentement, faut-il dire que même au cas où le
premier acheteur aurait gardé b possession du meuble,
ayant été autorisu ~t ne le livrer au second qu'à un terme
convenu , le privilège du vtmùeur primitif est éteint?
Cc serait fa changer pleinement le mot de l'article et
C(
�-
112 -
c'est néanmoins l'opinion adoptée par quelques auteurs,
notamment par f\larcadé qui raisonne de la manière suivante :
Il faut, dit-il, saisir la pensée du législateur même sous
Je terme impropre dont il s'est servi. Le mot de possession
es t un souvenir de l'ancien droit suivant lequel la propriété n'était transférée qu e par la tradition. Tant qu e
celle-ci n'avait pas été faite Io vendeur restait propriétaire,
et il était alors exact de dire que tant qu'il conservait la
possession et la propriété réunies, le privilège du premier
vendeur devait continuer à grever le meuble. :Mais aujourd'hui que la propriété se transmet solo consensu, avant tou te
remise de possession, il faut dire que le privilège du premi er Yendeur s'est éteint en même temps ; le fait qui a
Llépbcé la propriété a dû l'anéantir, sinon vous livrez les
meubles au droit de suite.
Cette opini on de Marcadé a été rejetée par la plupart
des auteurs : Troplong, Zachari::c, Valette, Paul Pont, etc.
etc...
Nous sommes de leur avis.
li ne faut pas changer facilement un mot employé par la
loi ; on ne peut se le permettre guo lorsqu'il est impossible de lui donner un sens rationnel. Or, le mot de possession écrit dans l'article 2'102 a sa raison d'être et c'est
ici que nous allons rencontrer une appl ication nouvelle de
l'article 227!>.
Tant que le premi er acheteur garde entre ses mains le
meuble non payé, so n vendeur es t autori sé à croire qn'il
en est demeuré propriétaire et it agir en conséquence;
-
113 -
sinon, il serait trop aisé de le dépouiller de son droit. Il
faut un fait public, patent, pour l'avertir que ce droit va
s'éteindre; or, ce fait public est, pour les meubles, la
possession. Inutile quand il s'agit d'en transférer la propriété cotre les parties contractantes, c'est elle qui désigne
aux tiers le propriétaire, et la publicité qu'elle produit est
surtout nécessaire quand il faut savoir si des droits antérieurement acquis sur ces meubles sont conservés ou perdus.
Pour mieux expliquer notre pensée faisons un rapprochement : nous prendrons comme exemple la vente faite
par un autre que le propriétaire de la chose, la vente à
non domino. Si le tiers chez qui j'avais déposé un meuble
ou à qui je l'avais prêté, trahissant ma confiance le vend à
mon insu, l'acheteur, quoiqu' il soit parfaitement de bonne
foi, nou s le supposons, n'aura pas acquis le meuble par Je
seul eiTet de ce contrat; il devra attendre qu e remise lui
en soit faite et pourra alors invoquer la règle possession vaut
titre. Cette possession me dépouillera en même temps,
faisant en un instant ce qui exigeait autrefois un an ou
même trois ans. Mais il faut qu' elle existe, que le fait public qui la constitue ait eu lieu en réalité; la volonté intime
des parties n'aurait pas suffi. Si elle suffit quand le droit
sur lequel on traite apparLieut à celui des contractants qui
veut le céder, elle ne peut et ne doit pas suffîre quand
c'est le droit d'un autre qui est en jeu. C'est déjà beaucoup que la mise en possession, cette exécution publique
du contrat, éteigne le droit d'autrui par elle seule et on un
instant, n'allons pas jusqu'à l'éteindre par anticipation.
8
�-
114 -
De même donc que la vente faite par le non domirms
laisse la propriété à l'ancien et vrai maître tant que l'acquéreur de bonne foi n'a pas reçu la possession, de même
le vendeur d'un meuble non payé garde son privilège tant
que son acheteur bien qu'ayant revendu n'a pas fait livraison, en un mot tant qu'il est resté en possession. Cela explique et justifie pleinement le mot employé par l'article
21 02, il faut prendre ce mot à la lettre.
Il est facile de voir maintenant en quoi cette théorie de
r article 2102 touche à l'article 2279. L'un et l'autre ont
eu le même objectif: la possession. L'article 2279 s'était
occupé surtout de procurer à l'acquéreur de bonne foi un
droit nouveau par la possession, il lui assure la propriété.
L'article 2102 pourvoit à. ce que les droits antérieurement
acquis sur !~meuble soient conservés, tant que la pos session en est restée à. l'ancien maitre, et bien qu'il en ait
perdu la propriété.
Ce dernier article donn e donc une extension nouvell e
au premier, ainsi que nous l'avions annoncé.
La théorie que nous venons de développer facilitera
l 'ex pli~tion de ce qui nous reste à dire sur l'article 2102.
Les mots : « tant que le premier acheteur sera resté en
possession )>, auront le même sens qu e ci-dessus, lorsqu'il s'agira du second droit accordé au vendeur, savoir la
revendication dans la huitaine de la livraison.
La revendication ... de quoi? Une grande controverse a
eu lieu à. ce sujet. Revendiquer indique ordinairement la
réclamation que le propriétaire fait de sa chose entre les
mains d'u n tiers. Est-ce dans co sens que le mot est pris
-
H?S -
ici ; le vendeur a-t-il le droit de réclamer dans la huitaine la
propriété du meuble non payé? - Il l'avait en Droit Romain, mais il ne l'a plus aujourd'hui. La revendication que
l'article 2102 autorise n'est que la reprise de ce qu'on a
appelé le droit de rétention.
Dans le Droit Romain, quand la vente était faite sans
terme, la tradition ne transférait pas la propriété tout de
suite, si le prix n'était payé en mème temps. Le vendeur était censé avoir fai t de ce paiement une sorte de
condition qui suspendait le transfert. Tant que la condition
n'avait pas été accomplie, le vendeur demeurait propriétaire de la chose comme si la vente n'avait pas eu lieu : res
erat inempta. Il suit de là. qu'il pouvait la reprendre entre
les mains de l'acheteur comme il l'eut fait à l'encontre de
tout tiers qui aurait détenu la chose sans droit. C'était une
véritable revendication : le mot gardai t son sens propre.
No tre droit ancien ne l'avait pas entendu ainsi. L'article
176 de la coûtume de P:i.ris disait : Qui vend aucune chose
mobilière sans jour ni terme. espérant etre payé promptement,
il peut sa chose poursuivre en quelque lieu qu'elle soit transportae, vour ètre payé du pria; qii'il l'a vendue; et Dumoulin dans
ses notes ad consuetudines Gallicas expliquait mieux encore
la disposition, en disant : « pour recouvrer la chose et en
demeurer saisi jusqu'à ce qit' il ~oit payé. > En d'autres termes,
la reprise était faite à. titre de gage ; l ~ vendeur n'entendait
pas recouvrer la propriété comme s'il n'y avait pas eu vente,
il voulait au contraire maintenir le contrat et rentrait seulement en possession de l'objet vendu pour assurer le paiement du prix.
�,..
-
116 -
Le Code Civil a adopté cette manière de voir. L'article
1612 permet d'abord au vendeur de ne pas délivrer la
chose s'il n'est pas payé du prix; et si lrop confiant il l'a
livrée et que l'acheteur trompe son espérance, l'article 2102
l'autorise à reprendre la possession qu'il aurait pu garder,
mais ce n'est jamais qu'à. titre de gage ; il ne s'agit pas
d'anéantir la vente faite.
Voilà le sens du ~ot revendication dans notre article. Il
faut convenir qu'il était amphybologique et semblait indiquer la reprise de la propriété. Aussi beauco~p d'auteurs
s'y étaient trompés ; Duranton, Troplong avaient vu dans
l'article 2102 un retour au Droit Romain. On sait qu e l'explication que nous venons de reproduire a été donnée pour
la première fois par M. le Professeur Vuatrin et elle a fermé,
croyons-nous, la porte à. l:l. controverse.
La reprise de son gage n'est permise au vendeur qu'a
trois conditions, c'est d'abord, qu'elle ait lieu dans un
temps fort court: huit jours depuis la livraison, c'est-a-dire
depu is qu'il s'est dessaisi et non depuis la vente. Cette
reprise ùe la possession qui anéantit retroaclivement la délivrance consentie, doit avoir lieu au pins-tôt, dans l'intérêt
des contractants et dans un intérêt général. - Une seconde
condition est que la chose vendue n'ai t pas souliert de
changements tels qu'on ne puisse plus en reconnaître
l' identité; et une dernière, c'est qu'elle soit encore en la
possession du premier acheteur.
Nous n'avons pas à. nous expliquer sur la seconde de ces
conditions et nous avons développé la troisième dans les
pages précédentes, lorsqu'il s'agissait du privilège propre·
-
H7 -
ment dit du vendeur. Ajoutons seulement que tou te cette
économie de l'article 2102 ne s'applique qu'au cas où le
vendeur n'a pas accordé terme a l'acheteur. La distinction
étail déjà. faite dans le Droit Romain, de même en est-il
chez nous. Quand le vendeur s'est obligé à livrer et livre en
e[ et la chose en co nsentant a n' être payé que pins tard, il
abandonne son droit de rétention de l'article 1612 et perù
par celà.même le droit de le reprendre d'après l'article 2102.
Il perd en d'autres termes son droit de revendication dans
la huitain e, mt is il ne perd pas son privilège.
Ceci nou s ramène 11 l'article 2279 veri lable objet de cc
travail ; d'ailleurs, si nous avons donné sur l'article 2102
une explication forcéme nt un peu longue, c'est que tout ce
qu e nous en avons dit était indispensable pour ce qui suit :
Le privilège ùu vendeur se présente donc sous deux formes : ou il e t accompagné de la rétention matérielle du
meuble, soi t que le vent.leur ai l refusé de le livrer en vertu
de l'articl e 161 2, soit qu'il l'ai t repris en vertu de l'article
2 102 ; ou bien il s'est dessaisi du meuble et l'a livré à.
l'acheteur ayant confiance en lui. Au premier cas, c.'est un
gage parfait, qu'est-ce en effet que le gage si ce n'est la
réun ion de ces <leux éléments : détention matérielle d'un
meuble par le créancier, droit pour lui d'être payé de préférence sur le prix ? au second cas, la détention manquant,
ce n'est plus le gage véritable mais un privilège sui generis
créé par la loi.
Les conséquences seront di fférentes au point de Yuc de
l'article 2279, selon que le privilège du vendeu\' se présentera sous l' une ou l'autre de ces deux formes.
�-
118 -
i 0 Si le vendeur est privé malgré lui du meuble qu'il
retenait, soit qu'on le lui vole ou qu'il l'ait perdu casu fortuito, l'acquisition de bonne foi par un tiers aura-t-elle
éteint le privilège du vendeur au moment de la mise en
possession en vertu de l'article 2279? Non ... Il faudra
pour cela attendre trois ans, car le droit qui résullait pour
le premier vendeur de sa possession, droit dont il a été dépouillé involontairement est comme une chose volée ou
perdue qui ne permet l'application que du second paragraphe dudit article. Le premier vendeur est alors dans la
même situation que le gagiste conventionn el.
2° Si le premier vendeur a. livré la chose vendue à l'acheteur et si celui-ci la revend à un tiers de bonne foi, qu'en
est-il du privilège? - Il faut dédoubler la question : ou le
second acheteur a payé son prix ou il le doit encor lui aussi.
S'il a payé le prix en recevant la chose, le privilège du vendeur primitif es t à. coup sùr éteint. En efiet, le second
acheteur a cru le meuble fran c de toute charge, il a été de
bonne foi, sa possession doit effacer Je droit de privilège
qui grevait le meuble comme elle aurait eiTacé la propriété
même s' il y avait eu vente a non domino : possession vau t
titre. - Si au contraire, le prix de la seco nde vente n'a pas
plus été payé que celu i de la première, s'il y a eu même
plusieurs ventes successives sans qu'aucun prix ait jamais
été payé, on a soutenu 1 que le privilège du premier ve~de ur
élait toujours conservé et pourrait être exercé sur le prix
1
Paul Ponl
-
11 9 -
distribué tôt ou tard ùe la dernière vente, pour nombreuses
qu'elles aient été.
Nous ne croyons pas devoir adopter celle opinion quoiqu'elle s'appuie sur un e haute autorité. Dés que le second
acheteur (et ce que nous disons de lui doit s'appliquer à
tous les autres) a reçu le meuble, ignorant qu'il fut grevé
d'un privilège ou de toote autre charge, il l'a reçu franc et
libre ; tout droit qui grevait à. un degré quelconque le
meuble s'eiTace par su ite de sa bonne foi : possession lui
vaut titre.
Cette solution s'appuie encor sur cette autre règle : les
meubles n'ont pas de suite par hypothèque. Ce qui ne veut
pas dire qu'ils ne sont jamais soumis à. aucun droit de suite,
nous avons vu en eITet qu'ils le sont au cas de gage conventionnel, du gage légal du propriétaire locateur et de quelques
aotres ; mais cet axiome signifie que lorsqu'on acquiert un
meuble ne connaissant point les charges qui pèsent sur lui,
elles s'eITacent au profit de l'acquéreur, à la différence des
immeubles qui frappés d'une hypothèque continuent à. en
être grevés, quoique l'acheteur en ait complètement ignoré
l'existence.
Nous avons raisonné jusqu'ici en s1Jpposant que les
acquisitions successives du meuble avaient eu lieu de bonne
foi . S'il en était autrement, si le second acheteur en le prenant pour exemple, avait su que le prix n'était pas payé, le
pri' ilège du vendeur ne serait pas éteint, pas plus que dans
une vente a non domino, le vrai propriétaire n'aurait perèu
ses droits. L'article 2279 ne protège que la bonne foi .
Ceci fait naître uno ùernière question qui se rattache aux
�-
-
120 -
articles 2102 et 2279: Pour que le second acheteur soit de
mauvaise foi suffit-il qu'il ait su que le prix reste dû ?
On aurait pu en douter à première vue et dire: sa mauvaise foi n'existera que si le débiteur est insolvable, sinon
ceux qui ont traité avec lui ont pu croire qu'il payerait. Il
devrait en être, cc semble, comme dans l'action paulienne
(art. 1167) où la doctrine juridique exigeant pour qu' il y
ait fraude le doubl e élément du préjudice et de la connaissance qu'on en a, décide qu' il n' y a préjudice pour le
créancier que si l'acte attaqué a produit ou augmenté
l'insolrnbilitè dn débiteur.
Cette assimilation ne serait pas exacte, le texte et la raison
la repoussent. En elîet, l'article 2102, mettant le privilège
du vendeur en concurrence avec celui du locateur d' immeubles, donne la priorité à ce dernier dans le cas seulement
où il a ignoré que le meuble apporté dans sa maison ou sa
ferme n'avait pas été payé; ce qui implique que s'il l'a sn
il est déchu de sa priorité. Cette disposition doit s'appli qncr
évidemment à. tous les cas ana!ogues. Or l'article a parfaitement raison. Si, dan<; le cas de l'actio~ paulienn e, il faut
que le débiteur soit insolvable pour que le tiers soit déclaré
de mauvaise foi, c'est que les créanciers n'ayant pas de
droit sur tel bien plutôt que sur d'autres, il leur est indifférent que certains soient sortis de son patrimoine pourvu
qu'il en reste assez pour les payer. Dans notre matière au
contraire, le privilége constitu ant nne garantie spéciale sur
tel bien déterm iné, si cc droit ''icnt à être perdu il y a par
cela seul préjudice causé au créancier. Il sui t de là que si le
tiers acquéreur du meuble a agi connaissant cc préjudice, i1
12i -
y a dès lors contre lui le double élément qui constitue la
fraude: Eventus damni, consilium fraudis. li est dès lors,
de mauvaise foi.
On voit par tout ce qui précède combien l'article 2 t 02
est lié à l'article 2279 auquel nous avions joint déjà. l'article
1141. Ces trois textes se complètent l'un par l'autre et c'est
sur eux qu'est assise toute notre théorie. On voi l en même
temps combien l' article 2279 , si court dans sa première
formule, est puissant et fécond en applications dans notre
droit. Il y a J'autres applications encor que nous pou rrion~
rencontrer dans tout le parcours du Code Civil , mais on
trouvera, nous l'espérons, que nous en avons assez ana-
..
•
lysées.
Nous ponvons maintenant mieux caractériser la formule
de l'article 2279, et concilier par là peut ètre les opinions
diverses des jurisconsultes, dont les uns n'y ont vu qu'une
très ancienne disposition exhumée du droit germanique, les
autres qu' un changement apporté aux règles de la prescription. .. . Après avoir montré d' une part que l'article 2279
fait acquérir un e propriété nouvelle par une possession instantanée, modifiant profondément en cela sans doute la
prescription des meubles;
Et, d'autre part , comment en se complèlant par l'article
2102, il conserve des droits anciens sur un meuble dont
la propriété a passé à un antre, le premier maître n'en
ayant plus qu e la possession ;
Ayant mis ainsi on reli crles deux grand cITets de celle
�- t 22 théorie dont l' un s'applique à l'avenir, l'autre au passé,
nous dirons :
C'est là. une vieille règle que la loi moderne a conservée
par des motifs nouveaux ou mieux compris, et à laquelle
elle a fait produire des résultats complexes, les uns anciens, les autres nouveaux aussi ; le tout en vertu de la
possession ; et cela, so it pour faciliter la circulation des
meubles et le mouvement commercial, soit pour sauvegarder
des droits acquis.
En voyant comment la possession opère ici d' une manière exceptionnelle et remarquable, on reconnait la justesse de cette ancienne maxime de Loysel dans ses institutes
coutumières :
La possession est de grande dignité au Palais.
POSITIONS
,
Droit Romain
I. Le mineu r de 2?S ans qui a obtenu la restitutio in integrum contre une obligation par lui contractée, reste tenu
d' une obligation naturelle.
II. La dot mobilière est, à. toutes les époques du Droit
Romain, aliénable dans les mains du mari.
Ill. Dans le cas de traditio incertœ personnre, le droit du
derelinquens subsiste jusqu'à. l'oc:cupation de la chose par
un tiers.
IV. Un fideicommis peut être reçu et restitué per pro-
curatoreni.
V. La datio in solutum produit, comme le paiement,
l'extinction de la dette ipso jure .
oroU Civil .
1. Le propriétaire ne peut pas conserver' sans
ind~moilé,
les constructions faites par l'usufruitier sur le terram soumis à. l' usufruit.
�-
124- -
Il. Le mari ne peut pas avoir recours à la force publique
pour amener sa femme à réintégrer le domicile conjugal.
III. Les formalités et conditions prescrites par les articles
769 et suivants aux enfants naturels, au conjoint ou à
l'État, qui demandent à ·être envoyés en possession d'une
succession, ne sont imposées ni aux père et mère, ni aux
frères et sœurs qui demandent à être envoyés en possession
de la succession de leur enfant ou frère naturel décédé.
-
125 -
Droit maritime .
..
1. Dans le cas d'incendie sur un navire, on présume
qu e le sinistre a en lieu par fortune de ~er: et c'est à. l'~s
sureur à. établir on qu'il y a eu faute (s 11 n a pas garanti la
baraterie du patron) ou qu'il y a vice propre.
li. La signature de l'assuré n' est pas in?i~p.ensa~le,
lorsqu e la police est souscrite par l'intermed1a1re d un
IV. Les juges ont un pouvoir souverain pour apprécier si
les fai ts reconnus constants par un jugement de séparation
de corps, présentent une gravité suffisante pour justifier une
demande de conversion dudit jugement en jugement de
divorce. (Loi du 29 juillet 188/i).
courtier.
Le Professeur, Présidem de la Thèse,
G. BRY .
Droit Pénal.
L B DoYBN :
ALFRED JOURDA ,
Chevalier cle la Légion d' Honneur·
l. Dans le cas de complicité par recel, la prescription
commence à courir du jour ou l'action est exercée con tre
l'auteur du vol, et non pas seulement du jour où le recéleur
s'est dessaisi de l'objet.
II. La prescription en matière criminelle peut être
1nvoquée en tout état de cause, même après la déclaration
du jury, et les juges doivent la prononcer d'office si le prévenu ne l'o ppose pas.
vu et permb d' imprimer ·
Pour le Recteur,
L' Inspecteur d' Académie délégué,
G R A ' ET.
Chevalier de la Légion d'ho 1me11r.
m. Les experts nommés par un tribunal
ne peuven t être
considérés comme citoyens investi d'un service publ ic :
en conséquence le délit de diffamation qui les atteint en
leur qualité, est de la compétence des tribunaux correctionnels. (Loi dn 29 juillet 1881).
Vu,
i
�THÈSE POUR LE DOCTORAT
�
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The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
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Title
A name given to the resource
De l'usucapion en droit romain ; Origine, sens et application de la règle "En fait de meubles, possession vaut titre", Art. 2279-2280, en droit civil français : thèse présentée et soutenue devant la faculté de droit d'Aix
Subject
The topic of the resource
Droit civil
Droit romain
Description
An account of the resource
Etude de l’usucapion, fait d’acquérir juridiquement un droit réel que l’on exerce sans en posséder le titre, après l’écoulement d’un délai de prescription pendant lequel toute personne peut le contester ou le revendiquer
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Cabassol, Joseph (Avocat)
Faculté de droit (Aix-en-Provence, Bouches-du-Rhône ; 1...-1896). Organisme de soutenance
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES-AIX-T-141
Publisher
An entity responsible for making the resource available
A. Makaire (Aix)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1885
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/241566290
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-AIX-T-141_Cabassol_Usucapion_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
IV-125 p.
23 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/447
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Alternative Title
An alternative name for the resource. The distinction between titles and alternative titles is application-specific.
Origine, sens et application de la règle "En fait de meubles, possession vaut titre" (Art. 2279-2280). - droit civil français (Publié avec)
Abstract
A summary of the resource.
Thèse : Thèse de doctorat : Droit : Aix : 1885
Cette thèse porte sur la notion d’usucapion, ou prescription acquisitive, qui consiste dans le fait d’acquérir la propriété d’un bien par celui qui le possède, après l’écoulement d’un délai de prescription pendant lequel le propriétaire non possédant peut le revendiquer. La seconde thèse porte également sur la possession, et plus particulièrement les articles 2279 et 2280 du Code civil, disposant qu’« en fait de meubles possession vaut titre ».
Résumé Luc Bouchinet
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Biens (droit romain) -- Thèses et écrits académiques
Biens (droit) -- France -- 19e siècle -- Thèses et écrits académiques
Prescription (droit) -- France -- 19e siècle -- Thèses et écrits académiques
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/449/RES-AIX-T-143_Le-Coz_Administration-financiere.pdf
0aca4850cc774241561efa34010fec16
PDF Text
Text
UNlVERSITÉ DE FRANC~
::0 Fl.Ol:T
FACULTÉ DE DROIT D'AIX
RO:r.!!:Al:N
'
ADMINISTRATION FINANCIERE
::OFl.Ol:T
FRANÇAl:S
PRINLIPES DE LOMPTABILITE PUBLI~UE
THÈSE POUR LE DOCTORAT
soutenue devant Za Fa culté de ©rait d' A i;x:
P AR ARMAND
LE COZ
AVOCAT A LA COUR D'APPEL
SECRÉTAIRE DE LA FACULT~ DE DROIT DE BORDEAUX
POU RVU DU CERTIFICAT D'APTITUDE A L' INSPECTION PRIMAIRE, OFl'ICIER D'ACADEMIE.
Optima lex qu:e minimum
relinquit arbitrio judicis.
(BACON.)
(::-....'
1 --
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,,
BORDEAUX
IMPRIMERIE V• CADORET
17 -
.
RUE MONTMl:.JAN -
17
\
(
---
- -
.
....
-
�FACULTÉ DE DROIT D'AIX
.Mi\!. ALFRED JOURDAN,
*, Q r.,
doyen, professeur d'Écotiomie politique.
PISON, U I., professeur de Droit Civil, chargé du cours d'Histoire
du Dt·oit.
A M. ALFRED JOURDAN (*· Q L)
Doyen de la Faculté de Droit d'Aix.
Q r., professeur de Droit commercial.
GAOTIER, Q r., professeur de Droit administl'atif, chargé du
LAURll'I,
cours d'Histoire du Dt·oit pou1· le Doctorat.
l:lRY, O O., professeur de D1·oit i·omain, chargé du cours de
Pandectes.
A M. ALFRED GAUTIER (O. !.)
Maire de la \'ille d'Aix, professeur de droit adm inistratif à la Faculté de Droit.
DE PlTTT-FERRANDI, Q O .. professeur de Législation criminelle.
chargé du cour:; d'En1·cgistrement et de Notariat.
JOURDAN, Q O., professeur de Droit civil, chargé du
cours de Droit constitutionnel.
EDOUARD
A M. JARRY (*·
~
1.)
Rec teur de l' Ac a d t!m i e de R ennes.
BOUYIER-BANGILLON, professeur agrégé, chngé du cours de
Droit romain .
JAY, agrégé, chargé du cou1·s de Code civil .
TI:M BA L, agrégé , chargé du cours de Droit interna(ional priv ~.
M ÉRrGNHAC, agrégé, chargé du cours de P rocédure civile.
A M. BOURGET C
*· 0
r. )
Recteur de l'Académie de Clermont, précédemment Recteur de l'Académie d'Aix.
CARBONEL, 0 I., licencié en drnit, secrétaire.
CAPDENAT , Q O. , bibliothJcaire.
Respectueux homma.(e de vive reconnaùsance et de sù1cère affection.
�PHÉFACE
De tout temps et chez tous les peuples on a reconnu la
nécessité d 'une administration financière sérieusement
organisée. P artout et toujours on a voulu garantir la sincérité de la comptabilité, et rarement on a réussi à prévenir les malversatious et les fraudes. Malg ré les précautions du pouvoir législatif , le contrôle du pouvoir exécutif
et l'intervention du pouvoir judiciaire, les a bus se sont
continuellement propagés et multipliés. L' imperfectibilité
huma ine s'est manifestée à cet égard dans toute la hiérarchie administrative ; et malheureusement les progrès de la
civilisation n'ont pas encore rectifié l'erreur grossière qui
consiste à penser que « voler l'État n'est pas un vol. )>
Toutefois on est heureux de remarquer , à notre époque,
la révolution qui s'opère rapidement dans les idées, et qui
se révèle également dans les mœurs, sous l'impulsion
d'un gouvernement honnête, dig ne et libéral.
DROIT ROMAIN
Pour étudier l'administration financière à Rome, j 'ai
adopté les divisions indiquées par l'histoire, c'est- à-dire la
période royale, la période républicaine et la période impcriale. Et pour suivre les prog rès lc:mtement accomplis, ou
pour les faire ressortir, j'ai considéré sous chacune de ces
périodes :
1° Le personnel des finances ;
�-6-
La situation du Trésor ;
3° Le fonctionnement de l'administration.
Cette division, encore confuse sous les Rois, s'accentue
davantage sous la République. Elle existe également sous
l'Empire, mais ici, pour éviter les répétitions, j'ai cru
devoir mener de front le personnel des finances et la situa tion du Trésor (des Trésors, puisqu'il y en avait trois) .
J'ai donc ouvert toutes les caisses publiques, contemplé
les richesses de l'Etat, cherché la source des impositions
et déterminé l'emploi des revenus. J'ai voulu conna ître
tous les degrés de la hiérarchie administrative , voir à
l'œuvre tous les agents du Trésor et attribuer à chacun
son rôle. Puis, j'ai essay é de fa ire mouvoir « les rouages
» de cette machine qui constituait à R ome le système
» financier . )> Enfin , pour donner à ma thèse une a llure
plus dégagée, je l'ai dépouillée des détails encombrants
et des subtilités inutiles.
20
DROIT FRANÇAIS
P our la thèse française, au contraire, je suis entré dans
quelques dé,·eloppements. J'ai suivi depuis l'orig ine la formation de notre législation actuelle. Je me suis appuyé
sur les expédients de la pratique pour constater les lacunes de la loi ou pour critiquer ses dispositions ; et sans
présomption ni faiblesse, j'ai blâ mé les irrégularités et les
a bus en choisissant de préférence mes arg uments dans la
réalité des faits. Du reste, pour résoudre les questions discutées, j'ai recherché la volonté du législateur en m 'inspirant de la vérité historique; et quand j'ai établi la
situation financière aux dates ·les plus importantes de
notre histoire, j'ai toujours eu soin d'indiquer les chiffres
officiels.
D ROI T
ROM AI N
AD MINISTRATION FINAN CIÈHE
�PÉRI ODE R OY ALE
Dès les premiers temps de Rome, il y eut un Trésor
affecté aux besoins de l'Etat. Il était employé aux frais du
culte et de la g uerre.
Le roi en était le chef; il en avait la clef; et, seul, il
pouvait l'ouvrir ( r ).
Rome possédait aussi un domaine public. Il était divisé
en trois parts :
1° L'une affectée à l'entretien du roi et au service du
culte;
2° La seconde, au pâturage en commun ;
30 La troisième seule était divisée entre les curies.
Les revenus de l'Etat se corn posaient du produit de ce
domaine, des contributions payées par les citoyens et du
butin fa it à la guerre (2).
« Les citoyens, dit Mommsen (3) supportaient des cor» vées pour la culture des domaines royaux, pour la cons» truction des éd ifices publics; et, notamment, la corvée
» relative à l'édification des murs de la Yille était telle» ment lourde que le nom de ceux-ci est devenu synonyme
» de prestations (mœm'a). Quant aux impôts directs il n'en
» exista it pas plus qu'il n 'y ava it de budget direct des
» dépenses. Ils n'étaient point nécessaires pour défrayer
( 1) Mommsen, Hist. rom., tom. 1, p. 88.
(2) Tit.-Liv., !, 35.
(3) Mommsen, His/. rom., tom. 1, p. 103.
�-
IO -
les charges publiques, l'Etat n'ayant à payer ni l'armée,
'> ni les corvées, ni les services publics, en généra l. Q ue
" si parfois une indemnité pouvait être accordée, le con>' tribuable la receYait soit du quartier qui profitait de la
» prestation, soit du citoyen qui ne pouvait ou ne voulait
» y satisfaire . Les victimes destinées aux sacrifices étaient
» achetées au moyen d'une taxe sur les procès. Q uiconque
» succombait en justice réglée remettait à l'Etat , à titre
'> d'amende, du bétail d'une valeur proportionnelle à l'objet
» du litige (sacramentum).
'> Les citoyens n'avaient ni présents ni liste civi le à
'> fournir au roi ; quant aux ùzcolœ non citoyens (œrarù') , ils
» lui payaient une rente de protectorat. Il recevait aussi le
» produit des douanes maritimes, celui des domain es
)) publics, notamment la taxe payée pour les bestiaux
» conduits sur le pâturage commun (scriptura) et la part
» de fruits (vertigalùz) versés à titre de fermage par les
» admon iateurs des terres de l'Etat. Enfin, da ns les cas
» urgents, il était frappé sur les ci toyens une contribution
» (tri'butum) ayant le caractère d'un emprunt forcé, et
» remboursable en des temps plus favorab les . Celle-ci
» était-elle imposée à la fois sur tous les habitants,
)> citoyens ou non, ou sur les citoyens seuls? C'est ce que
» nous ne pouyons dire; probablement ces derniers y
» étaient seuls tenus. »
Cette organisation fut modifiée sous Servius Tullius.
Ce roi voulut proportionner le tribut et le vote de chaque
citoyen à l'importance de son avoi r. A cet effet , il projeta
une réforme. li ordonna que tout chef de fami lle se fit
inscrire sur un tableau (census), en indiquant, sous la foi
du ser ment, le nombre des personnes qui composaient sa
famille, et ses biens de toute nature fidè lement estimés,
sous peine de confiscation pour ceux qu'il aurait ortiis (1).
(1) Ortolan, Hist. de
ta l<!g ist. rom., p. 57.
-
II -
Le serment était prèté devant un pontife et celui qui le
violait était noté d'infamie.
Quant au tableau (census), qui com prenait un registre
assez volumineux, il etait éta bli tous les cinq a ns. Il faisait donc connaître à des époques périodiques la population des Romains e t leurs fortunes respectives.
C'est ce qui permit à Servius Tullius de diviser le peuple en cinq classes :
La 1•r classe comprenait les citoyens qui possédaient
100, 000 as;
La 2 6 classe, les citoyens qui possédaient 75 ,000 as;
La 3° classe, les citoyens qui possédaient 50,000 as;
La 4• classe, les citoyens qui possédaient 25,000 as;
La se classe, les citoyens qui possédaient II ,ooo as i
En général, l'impôt proportionnel (trilmtum) était d 'un
as par mille du capital recensé.
Les veuves et les filles szti furzs payaient un impôt spécial de 2,000 as pour l'entretien de la cavalerie (œs hordeari'um).
Les œrarù~ et probablement avec eux les ouvriers non
compris dans le classement, supportaient une capitation
(tributzmz pro capite).
Outre ces impôts, l'accroissement de l'ager publù:us par
la conquête fit ajouter au vectigal le produit de la mise en
ferme d 'une partie des biens mesurés et mis en culture
(a(J'er 11ectzgalù), celui de la dime des terres vaines et
la~des concédées à des p;'lrticuliers et du ci nquième sur le
produit des arbres à fruits des mêmes terres, enfin la
valeur de certaines a mendes ( 1).
On ne connaît pas le montant des recettes ordinaires
auxquelles venaient s'ajouter le prix des ventes du butin
(1) Dict. d~s 1111tiquités gr. et rom., tom. 1, p. 110.
-
.
-·
..
--- --
..
-
�-
12 -
fait sur les ennemis , et le prix des agri quœstorù~ portions
de terrains limités de l'ager pubh cus .
Il est encore plus difficile de déterminer le montant des
dépenses annuelles. O n peut seulement remarquer que la
plus grande partie des fra is d 'armement de l'armée éta it
alors supportée par les censita ires, et , en l'absen ce d 'une
armée permanente et soldée, les dépenses de g uerre
devaient être essentiellement varia bl es .
Il n'y avait pas plus de régularité dans les dépenses
relatives aux travaux publics.
Le roi rég lait à sa volonté toutes les dépenses : car T iteLive ( 1) nou s montre Numa a ffectant les revenus à des fondations religieuses ou au traitement de certains prêtres ;
Ancus et T arquin l'Ancien , ordonna nt la construction
de divers édifices ; Servius faisant consacrer 10 , 000 as
ex p ublico, à l'achat de chevaux , et reculant l'enceinte
de R ome; enfin T arquin le S uperbe présidant à des ouvrages dignes de la R ome fu ture .
D 'ailleurs, ni le Sénat ni les maO'istrats
en bO'énéral '
b
,
ne recevaient de traitement.
Non-seulement le roi employait la pecwzùz publica, ma is
il contraigna it aussi les pl ébéiens à des trava ux d'utilité
générale (2) .
L 'administration financière lui éta it confiée.
Il est facile de concevoir qu'i l ne p ouvait rempl ir lui mème toutes les fonctions. Deux questeurs durent donc être
nommés pour le recouvrement des impôts. « On les appela
~> quœstores, parce qu'ils devaient rechercher et recueillir
» les deniers publics (quz' pecunt'œ prœessent), comme on
(1) Tit .-Liv., 1, 33, J S, 35, 43, ~4. SS·
(z) T it.-Liv., 1, s6.
-
13 -
» avait nommé quœstores parrù:idù' ceux qui devaient
» rechercher les preuves des crimes capitaux ( 1) » .
O n a parfois confondu ces deux catégories de quœstores
qui existaient à l'époque royale (2).
« La ressemblance des noms, dit M . Humbert, explique
» la confusion fai te par pl usieurs historiens modernes entre
» les quœstores œrarù et les quœstores parricidiz'. Cette
» confusio n ne peut résister au témo ig nage formel de
» deux auteurs anciens qui ont écrit sur l'histoire des magis» tratures » . (Pomponius, fr . 2 , § 22 ; D ig . De orig. juris
1 , 2 ; J. Lydus, D e magist . 1, 26.)
Les questeurs du Trésor étaient choisis par le roi. C 'est
du moins ce qu 'on peut conj ecturer d 'après certains passagesde P lutarque (3) et de Tite-Li ve(4); et de ce fait que leur
élection fut ensuite confiée d'abord aux consuls, qui succédèrent à la plupart des attributions de la royauté, puis
bientôt par une loi aux comices (S) .
Les questeurs étaient secondés dans la leYée du tri'bu tum résultant du cens par les curatores des tribus; chacun
de ceux-ci présidait une des tribus locales instituées par
Servius Tullius .
Mommsen a fort ingénieusement établi que ces curatores correspondaient aux tnoum· œrarù, dont l'institution
apparut sous la R épublique . Les curatores enfin deyaient
être assistés des magùtrz- pagomm également établis par
S ervius Tull ius pour les tri bus de la campagne, et qui
a vaient entre les ma ins les états des propriétaires censitaires, comme les curatores avaient les rôles des contribuables de la ville .
(1) Ortolan, His/. de l.t l1'gis/. rom., p . 91
(2) Dict. des au/. gr. el rom., tom . 1, p. 110
(3) Plutarque , Poplico/.,, 22.
(4) Tit .-Liv. 1, 3J, 35, 36, -13. -1-l, SS
(S) Dig. De offir. quœslor. 1, 13
-
-
-
-
-
-
-
-
-
...
4
�-qLe roi était-il tenu par des règles ou par des coutumes
dans l'administration de la fortune de la cité?
•< Nous ne saurions ni l'affirm er ni retracer ces règles,
,, dit Mommsen ( 1); mais les temps postérieurs nous
" apprennent, qu 'à cet égard, le peuple n: fut j~mais
'> appelé à voter; tandis qu'il paraît au co ntraire a voir ~té
\) d'usage de prendre l'avis du Sénat ta nt sur la questio~
)' du tribut à imposer que sur le partage des terres conqu1)> ses. '>
(1) Mommsen. Hist. rom., tom. 1, p. 88.
PÉRIODE RÉP UBLICAINE
C H A P 1 T R E l "'
PERSONNEL
Sous la R épublique (509-168 av. J .-C.), le Trésor fut,
ainsi que le domaine, la propriété exclusive del 'Etat.
Un édifice public et sacré, le temple de Saturne, reçut
le dépôt de l'œrariztm, placé sous la surveillance des consuls et plus spécialement de deux questeurs nommés par
les curies.
D ans ce temple, qui contenait aussi les archives de
l'Etat! (tabttlarium), était placé le registre où l'on consignait l'état des recettes et des dépenses, celui des créances
et des dettes du Trésor.
A côté de l'œrarùrm Satumi~ trésor ordinaire de la
R épublique, il y eut un œrarùtm sanctius, réserve sacrée,
où l'on mettait en dépôt, pour les cas de nécessités extraordinaires, l'or des affranchissements, que les consuls ne
pouvaient employer sans l'ordre du Sénat (aurum vù:est·marium).
On distinguait aussi un trésor de Cérès, œrarium Cererù,
où les édiles déposaient le produit de leurs amendes et la
caisse spéciale confiée a ux questeurs militaires.
A cette époque, l'administration financière était encore
dans un état tout à fait rudimentaire . Ce qui le prouve,
c'est que la monnaie romaine proprement dite n'est pas
antérieure à l'époque des Décemvirs (45 r av. J .-C.) (1). Le
(1) l\lommsen, Hisf. de la
-
.
-
11w111111ie
rom., trad. Blacaset, tom. l, p. 179.
-- -
~
~
�-
16 -
Trésor de l'Etat ne contena it donc que des lingot~ de
métaux , prOduit du butin versé par les généraux v1ctorieux : il se trouvait, dès le comm encement de l_a Ré?ubl .ique, sous la bO'arde de deux questeurs, fonctionnaires
subalternes des consuls, par qui ils étaient n ommés.
C'est dire que l'administration financière co mpétait aux
consuls, comme sous les rois elle faisait partie intégrante
des attributions royales ( I) .
Mais peu à peu le Sénat s'ingéra dans l'administration
des finances. Toutefois, il faut remarquer que pendant le
fer siècle de la R épublique, la gestion des consuls était
soustraite à la surveillance de cette assemblée. Cependant
comme le Sénat devait être consulté more majormn sur
toutes les affaires importantes, les consuls avaient l 'obliO'ation morale de lui soumettre toute dépense extraordina ire,
.
b
par exemple l'achat de froment à vendre aux citoyens à
prix réduit ( 2).
Mais le dictateur avait-il, comme les consuls, le droit
de disposer des ressources de l'Etat sans autorisation
préalable du Sénat ?
L'affirmative me paraît devoir être adoptée. Car l'imperiwn dictatorial était supérieur à l' ùnperium consulaire (3) .
D 'autre part, la guerre était le motif ordinaire de la
nomination d'un dictateur (4) . Et précisément, à cette
époque comme aujourd 'hui , l'argent était le nerf de la
guerre. D 'ailleurs, si le dictateur n'avait pu puiser dans le
Trésorpublicsansunmandat duSénat, il eûtdépendu néces_
sairement de celui-ci; il eût été paralysé dans ses moyens
d'action ; il n'eût pu remplir la mission difficile qui lui était
confiée; bref si le dictateur avait dépendu du Sénat, la
-
r7 -
di ctature n'eût plus eu sa raison d'être . Mais il est certain
que le dictateur ne dépendait point du Sénat. Polybe
l'atteste formell ement.
« Le dictateur, dit-il, est un général qui ne dépend que
» de lui-même ( 1 ), tandis que les consuls pour réussir
)) dans leurs expéditions militaires ont besoin du Sénat en
» beaucoup de choses. » Les vivres, dit-il ailleurs, les
» habillements et l'argent, dont les consuls en campagne
» réclament l'envoi de R ome, ne peuvent leur être envoyés
»sans une décision du Sénat (2).~>
Cette opinion est brilla mment soutenue par M. \Villems
dans son ouvrage intitulé : Le Sénat de la R épubhque
Romaine, p. 331 et s .
Quoi qu'il en soit , la puissance du S énat s'accrut rapidement, et l'histoire enseig ne qu'il veillait lui-même au
sa lut de la patrie quand elle était menacée.
Ainsi en 21 1 , quand H anniba l était aux portes de
Rome, le Sénat sans ordonner la nomination d 'un dictateur,
se chargea lui-même de défendre la R épublique. Par des
mesures promptes et énergiques , et sans rappeler même de
nombreuses troupes au secours de la capitale menacée, il
conjura le danger en investissant du commandement mili taire à Rome les Sénateurs qui avaient été dictateurs, consuls ou censeurs. Cependant cette omnipotence du Sénat dut
trouver un contrepoids dans les em piétements du peuple
sur l'administration financière. l\Iais ces empiétements ne
devinrent réels que da ns les derniers siècles de la R épublique (3 ).
Ainsi donc le contrôle supérieur des finances a ppartenait au Sénat. Il exerçait une surveillance générale sur
( 1) Dig. Il , 126.
(2 M. Willems, Le Séuni de la Républ. rom., p. 331.
(3) Tit. Li v., II , i8, V I, 38; Vlll , 3.
(4) Tit-Liv., IV, 56 1 58 i VI, ;J8.
( 1) Polybe, Ill , 87
(2) Polybe, V I, 15
(3) M. Willems, Le S~11ni de ln Répub/, rom. p. 334.
-
-
-
-
-
.....
..
4
�18 -
les revenus publics, aussi bien à Rome que dans les
provinces, et décidait mê me en partie de leur emploi.
Il possédait aussi le droit d'ouvrir des crédits.
Mais le Sénat ne pouvait pas entrer dans les détails de
l'administration proprement dite .
A côté de lui et sous sa surveillance, il y avait tout un
personnel chargé de l'admini stration de l'œrari·u m. Ce
personnel était composé des censeurs, des questeurs et des
scribœ ab œrario.
Les censeurs étaient nommés pour cinq ans. Le soin du
domaine leur était confié. li s étaient chargés de réunir les
données statistiques servant de base à l'établissement des
impôts (census) .
Quelquefois ils créaient de nouvelles ressources fin ancières, ou les réorganisaient (par exemple lorsqu 'il s'agissait de monopoles). Il va sans dire qu 'alors leurs actes
étaient soumis a u contrôle et à l'approbation du Sénat et
du peupl e.
Enfin ils déterminaient l'emploi des ressources mises à
leur disposition. Naturellement ils avaient le devoir d 'agir
sagement et de se conformer aux nécessités . Cette obligation s'imposait d'auta nt plus impérieusement à leur cons cience que les fraudes éta ient plus faciles, attendu
qu'aucune évaluation budgéta ire n 'était fa ite de leur
gestion. Ce n'est pas à dire cependant qu'ils fussent dispensés de tout contrôle. Leurs actes étaient vérifiés par
le Sénat et par le peuple. Ma is, cette vérification s'appliquait plutôt à des faits isolés qu'à la gestion entière. Ca r
on ne trouve nulle part aucune indication a u sujet de
l 'évaluation budgétaire pendant la période de cinq ans
pour laquelle ils étaient nommés.
Cadministrati on de la caisse et la co mpta bilité étaient
confiées a ux questeurs (quœstores œrarù", appelés aussi
urbani) .
-
19 -
Ils étaient nomm és pour un an par les Comices curies,
en vertu d'une loi de V alérius Publi cola, qui ne voulut
pas conserver aux consuls la charge et la responsab ilité
de ce choix) jadis attribué à la royauté ( 1 ) . Il est facile
de comprendre que le plus souvent les questeurs manquaient d 'expérience. On conçoit également qu'avec le
développement et la compli cation de la comptabil ité, ils
n' ava ient pas les connaissances et l'indépendance nécessaires pour contrôler leurs subordonnés et pour mai ntenir
l'ordre et la régularité dans les comptes : pour dissiper
toute espèce de doute à ce sujet, il suffit de fa ire remarquer
que leur magistrature était annuelle.
Du reste, les efforts faits par Caton d'Utique pour
remédier à ces inconvénients prouvent surabondamment
que la situation la issait beaucoup à désirer. Et en cela rien
ne do it étonner , puisque, d 'ailleurs, on ne trouve aucune
indication sur la reddition des comptes et leur révision.
En 421 av . J.-C ., le nombre des questeurs fut doublé,
c'est-à-dire porté à quatre. D eux d'entre eux furent désig nés pour suivre les consuls à la g uerre avec le soin de
la caisse mil itaire. Les deux autres conservèrent le nom
de quœstores urbani ou œrarù.
Notons qu 'à partir de la même époque les questeurs
purent êt re choisis parmi les plébéiens.
A leur entrée en fonctions, ils devaient prêter serment
dans le tem ple de Saturne de remplir fidelement leurs
devoirs de trésorier.
Ces magistrats étaient placés sous la dépendance des
consuls et du Sénat pour la fixation des recettes à opérer,
la détermination des crédits, l'emploi des fonds et l'ordonna ncement des paiements.
Au contraire, les questeurs provinciaux ou classiez) qui
(1) Die/. des a11fiql4il<'s ll'"· el rom.,
p.
1 12.
�-
20 -
devaient accompagner en province les généraux ou les
gouverneurs, ou gouverner eux-mêmes, pro p rœt ore, recevaient de l'œmrium les sommes destinées au service mili taire. A l'expiration de leurs fonctions, ils devaient rendre
compte aux questeurs urbains et dé poser leurs registres
à l'œrarium, sous la surveillance du S énat( 1) .
A côté des questeurs se trouvaient des employés, appelés scribœ ab œrario. Ils forma ient un collége ou corporation avec un ra ng honorable (2). Ils étaient chargés de la
tenue des reaistres
des archives et des diverses opéra tions
I::>
de détail de la questure. Choisis par le questeur et soumis à sa surveillance disciplinaire, ils étaient divisés en
trois décuries assez no mbreuses apparem ment à la tête
desquelles se trouYaient des chefs nommés sexprinii entre
qui se partageaient la direction et le trava il des bureaux.
En principe, ils ét aient nommés pour trois ans; ma is en
réalité ils se perpétuaie nt dans leur em ploi ou ils étaient
les véritables g uides des questeurs . On peut même a ffirmer que les plus instruits d'entre eux éta ient indispensables à l'expéditi on des affaires de la République . Car
l'inexpérience des questeurs e ntretenue par leur renouvellement annuel, leur insuffisance , souvent le ur je unesse et
quelquefois aussi leur oisiveté, contribua ient à donner au
personnel des scribes une importance plus réelle que
légale.
Il est permis de croire aussi que des servt· publtà étaient
chargés de certains services de détail .
La loi sur les appariteurs mentionne encore les vzatores :
c'étaient de simples messagers .
En outre, les questeurs employaient des hérauts ou prœcones, nota mm ent dans les adjudi cations. Ils étaient au
nombre de quatre, suivant la loi de scn'bis et viatort'bus.
(1) M. Laboulaye, Essai sur les lois crim. des Rom., p. 46 et s.
J , 141 39·
(2) Cicéron, Verr., 1, 13, 14 j Il,
-
21 -
CHAPITRE II
SITUATION DU TRÉSOR
§ I. D épenses.
Nous avons ainsi une idée de la composition du personnel chargé à Rome de l'administration des fin ances.
Voyons maintenant quelles étaient les dépenses et les
recettes de l'Etat.
Il n'est pas superflu de remarquer tout d 'abord que la
détermination des dépenses doit précéder le règlement des
recettes; car un État ne crée les impôts qu'autant qu'ils
sont nécessaires. C'est donc la nécessité reconnue des
dé penses qui pousse tout g ouvernement à établir ou à
aug menter les impôts.
A l'époque royale nous avons énuméré les charges qui
pesa ient sur les citoyens .
Sous la R épublique les dépenses de l'État se répartissaient entre (1) :
1° Le culte;
2 ° Les travaux publics;
3° L'administration civi le;
4° La défense nationale;
50 Il ne faut pas oubl ie r celles qui étaient faites en Yue
de procurer au peuple, à prix réduit, les denrées de première nécessité (annona) .
J e ne parle ici que des dépenses ordinaires, celles qu 'il
était possible de fixer a pproximativement et par avance .
Mais il est évident qu'i l y avait aussi des dépenses extraordinaires, par exemp le celles qui étaient fa ites pour l'en( ' ) Madvig, l 'Etat rom., sa ronslilitlüm el son 11dm.1 tom. 1Y, p. 6.
�-
22 -
voi de députations romaines à l'étranger , pour la réception
de députations étrangères à Rome, pour les cadeaux
offerts aux princes étrangers amis des R omains, et pour
leur séjour en Italie, etc.
1. CULTE. - Les dépenses pour le culte étaient t rès restreintes . Car cell es relatives à l'établissement ou à l'entretien des temples, des édifices et des lieux sacrés rent raient plutôt dans le chapitre des travaux publics.
Et d'ailleurs, les fonctions sacerdotales étaient purement
honorifiques. ·Seules les Vestales recevaient des honoraires
(stipendia ex publico) dont le montant n'est pas connu.
Il ne restait donc g uère qu'à pourvoir aux fourn itures
et aux préparatifs nécessaires à la célébration des actes
religieux et des fêtes, à l'acquisition des victimes pour les
sacrifices, des ustensiles ou objets sacrés, à l'entretien du
personnel subalterne (popœ victimarii) et des gardiens des
temples (œditttt), etc.
Il est vrai de dire que d'autres dépenses importantes
étaient faites pour les jeux (ludi) célébrés à l'occasion de
certaines fêtes. Mais le Trésor public n 'en supportait
qu'une faible part. A partir d'une certaine époque surtout,
les largesses des magistrats chargés de la direction de ces
jeux dépassa tellement toute mesure (1), que l'État n'avait
plus à supporter les charges entraînées par ces réjouissances.
II. TRAVAUX PUBLICS. - Les travaux publics à Rome
entraînaient les plus g randes dépenses. Ce chapitre comprenait toutes les sommes affectées a la construction, à la
décoration et à l'entretien des temp les, des monuments
d'agrément ou d 'utilité publique (bastlicœ portt"ws), des
ponts, des digues, des forts du Tibre et d'Ostie , des bO'randes
chaussées milita ires qui sillonnaient toute l' Ita lie, etc. En
(1) Tit.-Liv., VII, 2.
-
23 -
un mot, l'entretien de toutes les propriétés de l'Etat incombait au Trésor ( r) .
III. L'ADMINISTRATION CIVI LE. - Dans l'administration
civile les fonctionnaires ne recevaient aucun traitement.
Il n'y avait pas de budget de dotation. Les citoyens ne
touchaient aucune indemnité pour veni r voter, et la dignité
de sénateur était gratuite.
L'Etat n'avait donc rien à dépenser de ce chef. T outefois il devait fournir aux magistrats l'équipement, les frais
de déplacement et de séjour.
En revanche, le personnel inférieur, à partir des scribœ,
était salarié. Et de plus, l'acquisition du mobilier et les
fournitures de bureau étaient à la charge de l'Etat.
IV. DËFENSE NATIONALE. - A l'époque royale, la
défense nationa le n'entraînait pas de grandes dépenses
pour les troupes elles-mêmes. Car l'infanterie servait sans
solde et fournissait elle-même ses armes : seule la cavalerie recevait des subsides (ces equestre hordearium).
Mais après la prise de Veïes les soldats et les sousofficiers touchaient une solde, et toutes les troupes, officiers, sous-officiers et soldats, étaient entretenues aux frais
de l'Etat.
Le Trésor supportait en outre les dépenses faites pour
l'acquisition des tentes et des machines de guerre, la construction et l'équipement des vaisseaux de guerre et de
transport.
Ces dépenses variaient suivant la force des armées,
l'éloignement du théâtre de la guerre et le genre de
combat.
Les frais de voyage et d'entretien des commandants en
chef et des officiers supérieurs, le sala ire du personnel
subalterne, la solde, et, au dernier siècle de la République,
(1) Madvig, Ouvrage cité, p. 10.
�-
:q-
la nourriture des soldats citoyens romains, l'entretien des
a lliés, la solde de certaines catégories d'auxilia ires, les
fournitures militaires de toutes sortes, voilà les éléments essentiels du budget des dépenses de la défense
nationale.
V. ANNONA . - L'institution de l'assistance publique
des pauvres sous la direction de l'Etat était inconnue dans
l'antiquité . Cependant dès les temps les plus reculés on
peut constater les efforts faits par les gouvernements pour
procurer au peuple le blé nécessaire à sa subsistance dans
les années de disette.
Ainsi à Rome, sous les auspices de l 'État, le peup le
était assuré de trouver un approvisionnement suffisant , à
prix réduit, et les marchands étaient obligés de baisser leurs
prix ou de conserver le blé qu'ils avaient accaparé ( 1).
Les approvisionnements de blé faits sous la surveilla nce
et aux frais de l'État entrèrent tell ement dans les mœurs
romaines qu'en 440 un prœfectus a1mo1tœ fut nomm é pour
diriger cette opération .
P eu à peu l'initiative de l'État s'accentua davantage et
se traduisit par les leges frumentari'œ .
A part ir des Gracques, on voulut, non plus procurer
au peuple du blé à bas prix , ma is à un prix inférieur à
celui du marché.
Gracchus, en prenant son tribunat, proposa la première
loi frumentaire, la lex semproma, à l'effet de fournir tous
les mois à chaque citoyen roma in habitant la capitale une
ration déterminée de blé, à un prix très minime. Ce prix
allait se réduisant toujours, et partant les charges de l'Etat
s'accroissaient rapidement. En l'an 58 le tribun C lodius
proposa et fit adopter une loi aux termes de laquelle le blé
devait être distribué tout à fa it gratuitement. A partir de
(1) Tit.- Liv., Il, 34.
- 25 cette époque l'institution prit un caractère d'une_ assistan~e
accordée non seulement aux pau vres de la capitale, mais
à toute la populace. Toutefois il est permis de supposer
que la distribution fut quelque peu réglementée. Ce qu'on
peut affirmer, c'est qu'en 56 Cn. Pom~ée éta~t prœfectus
an1lonœ fit dresser une li ste de ceux qm recevaient du blé,
et cela, ajouta-t-on, dans le but d'apporter de l'ordre d.ans
la répartition, « attendu que beaucoup d'esclaves étaient
affranchis dans l'espoir d'obtenir une part (1) » .
Tl faut cependant arriver à Jules César pour trouver une
réglementation sérieuse.
. .
. .
En 46 1 en effet, on procéda à une rév1s1on des part1c1pants et le nom bre en fut réduit de ~20 , 0~0 .~ .1 ?o,_ooo ..
De cette initiative de l'Etat substituée a 1m1ttat1ve pri vée, se dégage un enseignement utile : la populace s'habit ua peu à peu à compter sur la sollicitude de l'Etat et se
laissa aller à l' oisiveté. Ses exigences devinrent de plus
en plus grandes jusqu'au jour où elle abdiqua toute dig ni_té
et où elle réclama avec insistance, et comme un droit,
« panem et et'rcenses (2). ~>
§ II. Recettes.
P our couvrir ces dépenses, l'Etat romain devait se procurer des ressources.
Les revenus du Trésor public comprenaien t :
1° Le produit des domaines;
2 ° Les contributions des citoyens, des a lliés et des provmc1aux;
.
°
Les
co
ntributions
de
guerre
et
le
produit
du
butin
i
3
40 Les recettes diverses, amendes, dons, legs, ~te.
.
I. PROD UIT DES DOMAINES. - Les propri~tés 1mmob1(1) Madvig, Ouvrage cité, tom. IV, p. 17.
.
(2) M. G.lrcon, it son cours de Doctorat, Dou:u, 1S..<l2
�-
26 -
lières de l'Etat se composaien t de terres publiques (ager
publicus) en Ita lie et en p rovince, des mines et salin es, des
bâtime nts publics, des aqueducs à R o me, des ch a ussées,
des carrières et mines e n Ita lie et en prov ince, des ports,
des lacs e t des fleu ves, etc. ( 1 ) .
Dès les tem ps les plus a nciens une certa ine parti e de
territoire a ppa rtena nt a u peupl e était mise à part comme
propriété de ! 'Etat et affectée soit a ux besoins d u c ulte ,
soit à l'entretien du roi (agrt· arvi et arbusti et pascui lati
atque uberes dejimebantur quz" essent regù). C e d oma ine
s'aug men ta rapidement par suite des g uerres et des conquêtes. U ne pa rtie restait la propriété de l 'E tat, l'autre
partie était attribuée à des particuliers par voie de vente
ou de partage (vendiùo assignatto) et le pr ix était versé a u
Trésor.
A l'origine, on ne considérait comm e suscep tibles de
pa rtage que les terres déjà cultivées et qui se trouvaient à
l'abri des attaques de l'enne mi . Les b ois e t les pàtu raO"es
b
.
continuaient donc à faire partie d u do ma ine pu b lic. L ' usage
de ces pâturages était concédé à des particuliers moyennant
u ne redevance (scrtj;tura) calcul ée d'après le nom bre de
têtes de bétail. Ces concessions étaient une source assez
importante de revenus pour la caisse de l'Etat. C'est ce
qui ressort des té moignages d e Cicéron et de Pline :
tabulis censoriis pascua d icuntur
» omnia ex quibus populus reditus h a bet, qu ia diu hoc
» solum vectiga l fuerat (2) ».
« Etiam nunc in
Par mi les terres qui ne pouvaien t être im médiatement
~istrib~ées ou vendues, il en éta it beau coup qui pou vaien t
etre mises en cul ture, ma is seulement par des gens riches,
possédant un g ra nd n om b re d 'esclaves et qui n 'étaien t
( r)
(2)
Willems, Dri11°l public des Rom., p. 347 .
Cie., De t.,ge egrar, 1, n; Pline. l!isf. 11nf., XVII 1, 1 .
-
27 -
pas pressés d 'en retir.er un revenu . ( 1) Ces ric~es propri~
ta ires payaien t à l'Etat une redevance modique: Ma1.s
peu à peu ils s'affranchirent de. ce paie~ent, et, ms~ns1 blement, les p ropriétés de l'Etat devinrent propriétés
privées, transm issibles de main en main. D e nombreuses
tentat ives furent bien faites pour empêcher cet escamotage;
malheureusemen t la plèbe avait à lutter contre une pui~
sante aristocratie. En droit pourtant la question n'était
pas discutable, car l'ager public1ts était i.mpresc~'.ptible.
Néan moins après une lutte qui dura plusieurs .s~ecles la
redevance fut s upprimée et l'ager publicus définitive~ent
attrib ué aux possesseurs : « Sp. Tlwrius agrum publicum
» vz'tiosa et ùwtile lege vectigali levavit (2) . )>
Le produ it des mines et salines était assez considérable.
L'exploitation en éta it affermée et réglementée. On pe~t
citer les mines de l'ile d 'Elbe, les mines d'or de Verceil
(Vercellœ) dans la haute Italie, enfin les riches mines de
.
pl omb , d 'argent et de mercure d 'Espagne (3).
roRépublique
La
DIVERSES.
CONTRIBUTIONS
II.
ma ine ne pratiqua qu'une seule forme de contribution
directe: c'était l'impôt sur la fo rtune. Il était payé par
ch acun , p roportionnellement à la somme à laquelle ses
biens étaient évalués dans les listes du cens.
L'exemption de l'impôt foncier en Italie est indiquée
.
.
par Cicéron: Ad att., II, i6.
contnbut1on
une
pas
n'était
fortune
la
sur
L'impôt
ordinaire et pe rmanente. Il n'était préleYé que selon le.s
besoins avec une affectation spéciale. On commençait
. .
'
par fixer la somme à percevoir et on la. répartissait entre
tous les citoyens, à raison d e tant par mille as de fortune.
(i) llladvig, tom. 1V, p. 26 : lorsque le pays ètJit soumis à l'impôt foncier.
l'État lui·mème av"it tout "vantage à ce ddrichement.
(2) Ciceron, Brutus, JO. - Cie., Ad nllzr., Il, 16.
(J) M. Valla~, à son cou~ de doctomt, Douai, 18$2 .
�-
-
28 -
Ce~ impôt n'étant pas permanent, il n'était jamais
question de sa suppression. Cependant on sait qu'il était
perç~ à des intervalles éloignés. Depuis l'année 167, après
tr'.omphe de Pa ul Emi le jusqu'en 43 av . J.-C , il ne fut
J~ ma1s perçu. Mais après la mort de César il fallut improvise: les moyens de soutenir la guerre contre Antoine, et
cet impôt dut de nouveau être exigé. Sous les triumvirs
on se retrouva dans la même nécessité.
!e
~es all_iés latins et italiques ne payaient pas de contrib~tions d1~ectes à 1'Etat romain. Mais en 2 o4 av . J. -C, le
Senat punit douze colonies latines qui avaient refusé en
~09 de fournir I~ contingent réglementaire de troupes, en
imposant aux citoyens de ces colonies un trzbutum ex
cens1t annuel d'un as pour mille.
Quant aux états proYinciaux, les uns devaient au
T~ésor romain une .som.m e fixe (vectigal certum stipendzum) i les autres étaient imposés pour une part déterminée
~e leur récolte en nature. Le premier mode de contributi on pré~omi nait en Espagne, en Afrique et dans la Gaule
et en
tra~salpme; le second en Sicile, en Sardaiane
0
As1e (1).
En ce qui concerne les contributions indirectes, les
citoyens avaient à payer :
Des droits de douane qui étaient prélevés à l'entrée
des ma rchandises dans les ports .
20 Un vingtième sur les succe;sions .
Io
. 3• Un impôt sur certaines mutati;ns de propriété à
titre. onéreux, telles que la taxe perçue sur les ventes
publiques aux enchères (rwctùmes), relie du centième sur
~es ~hoses vénales (centesùna rertt11t venalz'mn) et celle
etablie sur la vente des esclaves; (2).
40 Un vingtième sur les affranchissements;
50 Et un impôt sur les mines, les carrières et le sel (1) .
III. CON TRIBUTIONS DE GUERRE ET PRODUI T DU BUTIN.
- Les contributions de guerre et le produit du butin
étaient pour le Trésor une source abondante de revenus.
Les généraux romains n'accordaient de trève à l'ennemi
que moyennant certaines conditions, telles que la fourni ture d 'une quantité déterminée de vivres ou d 'habillements,
ou le paiement d'une certaine somm e d'argent. Ils en
arri vèrent même à rapporter des régions les plus loin taines et les plus opulentes des sommes énormes en
espèces sonnantes, en barres d'or et d'argent, en vases et
en objets de prix de tout genre, en pierres précieuses :
ces richesses, promenées ensuite en triomphe, étaient
versées au Trésor, après deduction de la part à distribuer
aux soldats ou de cel le que préleva it le général pour
l'érection de temples ou pour la célébration de jeux
publics .
Il y avait en outre le produit des annexions violentes ou
des confiscations de pays entiers, comme Chypre. Souvent aussi les généraux vainqueurs imposaient aux peuples vaincus des contributions énormes. Ainsi Auguste
rapporta d'Egypte des sommes considérables qui ne provenaient pas exclusivement des trésors royaux, mais aussi
d'impositions très lourdes extorquées aux ha bitants.
L'État romain trouvait encore dans les amendes, les
dons et les legs une source de revenus .
On peut citer enfin les confiscations de biens. Ces
confiscations étaient la conséquence ordinaire de la condamnation à une peine capitale ou à l'exi l.
(1) M. Naquet, Des imptits i11d,
1 , § 13 .
(2 M. N;1quet, Des impofs i11d.
(l) Cie., Verr., I,
r/1ee
p
les Rom
•1
10<)
•
e
t
S.
29 -
cl1c11 les
Rom., p. 133 et 137.
�-
30 -
-
CHAPITRE II I
FONCTIONNEMENT DE L'ADMINISTRATION
Nous connaissons ainsi le personnel des finances, les
ressources et les charges de l'État. Nous devons maintenant étudier le fonctionnement de l'administration .
Et d'abord, remarquons que da ns le service administratif, lorsque tout est réglé dans un État, il faut percevoir
avant de dépenser. Cependant j'ai dit plus haut que les
recettes ne deva ient être décidées qu'autant que les dépenses s'imposaient j mais les recettes et les dépenses une
fois fixées , il est cla ir qu 'il faut tenir d'abord l'arg ent
avant de le donner en pa iement . C 'est donc par les recettes que je commencerai dans le fonctionnement de l'administration. Puis, lorsque j'aurai exa miné la perception des
recettes , je me demandera i quel emploi on en fai sait et
comment les dépenses étaient engagées .
.
§ I. R ecettes.
Les recettes de
I. P RODUIT DU DOMAINE PUBLIC. l'État (vectigalt'a publz'ca) étaient recouvrées par perception directe ou par adjudication publique.
Le mode de perception éta it éta bli par la loi ou par un
sénatusconsulte, et il pouvait être modifié par un sénatusconsulte s'il avait été réglé par un sénatusconsulte ou par
la loi.
L 'adjudication publique était e n usage de temps imm émoria l pour les principaux revenus du domaine public, y
compris les portoria.
Le droit de procéder à ces adjudications compéta it aux
censeurs. Partant, elles avaient lieu généralement de cinq
ans en cinq ans .
31 -
Il ne semble pas que l'autorisat\on du Sénat fût néces~
saire pour chaque adjudication.
L'adjudication se faisait publiquement et pa~ l_ot pou_r la
durée d'un lustrum, conformément aux conditions stipulées par les censeurs dans le cahier des charges (leges
location is). Le lot était adjugé en règle générale au dernier enchérisseur. Toutefois les censeurs avaient sous ce
rapport une entière liberté . Il importait, en effet, qu'ils
pussent écarter de l'adjudication les personnes ou les
sociétés dont ils suspectaient l'honorabilité.
Le prix con venu devait être versé annuellement au
Trésor pendant la durée de la location.
Mais il pouvait arriver qu'il y eût vacance dans la censure . Si cette vacance se prol ongeait exceptionnellement
au-delà de l'intervalle normal , le S énat chargeait des
magistrats ordinaires du soin de présider aux locations
censoriennes.
En ce qui concerne la location des dîmes siciliennes, _le
S énat pouvait en tout temps transférer à d'autres magistrats Je droit de présider à l'adjudication. Ainsi en 75 il
permit aux consuls de mettre en location, à Rom~ mê~e,
les dîmes des vig nobles, des oliviers, etc., qui étaient
d'ordinaire affermées en S icile par les deux questeurs de
. .
la province :
ut
perm1s1t
senatus
consulibus
« L. Octavio et C . C ott<e
'> vini et olei decumas et frugum minutarum quas ante te
» qu<estores in Sicilia vendere consuessent, R om<e ven» d erent ( I ) . »
En réalité, le Senat exerçait un droit de contrôle e~ de
surveillance très étendu sur toute adjudication publique
de recettes, qu'ell e eût lieu par le ministère des censeurs
ou par celui d'autres magistrats .
(1) Cie., Vm"., Il , 3 1 7 1
§ 18.
�-
32 -
-
Il connaissait des récla mations qui étaient faites avant
l'adjudication au sujet des conditions inscrites au cahier
des charges, et, s'il y avait lieu, il ordonnait de modifier
les conditions (1).
Tout pour\'oi contre une adjudication qui a été faite
est introduit auprès du Sénat qui pouvait résilier le contrat
(inducere locatùme111) et ordonner aux magistrats de procéder à une nouvelle adj udication (de integro locare).
Cette mesure fut décrétée par le Sénat à l'égard des censeurs de r 84.
Après adjudication définitive , le S énat pouvait venir en
aide, en raison de circonstances spécia les, aux adjudicataires, en réduisant la somme à payer ou en prolongeant
le terme du versement.
Les procès qui s'éleva ient, soit entre les adjudicataires
et l'Etat , soit entre les adjudicataires et ceux qui devaient
le vectigal , étaient jugés, en province, par les gouverneurs, à Rome et en Italie, dans le principe par les censeurs et au dernier siècle de la République par les consuls
ou le préteur.
Mais quand le procès impliquait la décision d'une
question de principe sur l'assiette de l'impôt, Je juge en
référait généralement au Sénat. D e même les adjudicata~res adressaient au Sénat les plaintes qu 'ils avaient à
faire contre les gouverneurs de la province de perception.
Ordina irement les réclamants ou leurs mandataires étaient
même autorisés à venir exposer au Sénat l'o bjet de leur
requête.
Mais vers la fin de la R épublique, on voyait une sorte
de tendance du peupl e à empiéter sur les pouvoirs du
~én~t. Ainsi e~ 169, sur la demande de publicains qui
s étaient en vam adressés au Sénat, un tribun promulgua
(i) Cie., Verr., Il, 2, 6o,
S 147, 8, § 19. -Tit.-Liv., X LIII,
16 § 16').
1
33 -
un projet de loi qui prescrivait aux censeurs de cette
année de nouvelles locations et qui leur ordonnait d'admettre tous les postulants à l'adj udication (ut omni.bus redime11ti et ,;onducendi promi'scue jus esset) (r). Cette rogatio
n'eut pourtant pas de suite. Mais en 59 le consul César
octroya à des publi cains une réduction de prix que le
Sénat leur ava it préalablem ent refusée.
JI. CONTRIBUTION DES CITOYENS, DES LATINS ET DES
PROVINCIAUX. - Les contributions des citoyens comprenaient le tributttm ex cens1t et les impôts spéciaux.
Le tributwn ex censu éta it 1'impôt sur la fortune, qui
éta it acquitté par chacun proportionnellement à la somme
à laquelle ses biens étaient évalués dans la liste du cens.
Les censeurs dressaient donc pour un terme de cinq ans
les roles des contribuables et arretaient le capital imposable de chacun.
Le droit d'ordonner la perception annuelle appartenait
aux consuls et aux magistrats extraordinaires qui les remplaçaient comme chefs suprèmes de l'État. Ils ne devaient
pas à cet effet être autorisés par le Sénat. Cependant
M. Madvig , tom. 4 1 p. 47 1 pense qu'un sénatusconsulte
était nécessaire pour ordonner la levée du tribut. Pour
cela il se réfère à Tit.-Li,·., IV, 60. Mais le même passage
est invoqué aussi par M. 'Villems pour démontrer que les
ne
d'ordonner la perception annuelle
consuls charaés
.
b
deva ient pas être autorisés par le Sénat et ne pou\'a1ent rencontrer d'autre obstacle que l'intercession tribunirienne ( '.! ) .
Le texte en main je n 'hésite pas à me rallier à l'opinion de
.
M. Madvig .
Le Sénat n'intervenait pas non plus, du moins à l'on gine ni dans le mode de recouvrement ni dans la desti-
(1) Tit.-Liv., XLlll , 16.
(2) l\I. Willems, Le S~11al de Id Rc'publ rom., p. 357·
J
�-
3~
-
nation des produi ts. Le recou vrement était imposé aux
tribzmi œmrù~ c 'est-à -dire aux citoyens de la seconde
classe du cens, à charge par eux d 'acquitter la solde des
légionnaires ( 1).
A quelles condirions deva it être fait ce recouvrement ?
Etait-ce on forfai t? ou bien le Trésor public s uppléaitil au déficit et profitait-il du boni ?
C'est ce qu'il n 'est pas possible de préciser. Mais on
peut affirmer que ce mode de recouvrement fut modifié
dans la suite. Ainsi le tn!mtum ex censtt éta it versé directement au T rés or public à l'époque de la seconde guerre
punique (2) et le paiement de la solde des légionnaires
incombait a lors à l'État.
Notons que cette contribution éta it quelquefois exigée
deux foi s en une seule année. Il fa lla it a lors l 'autorisation
du Sénat: <.;. Senatus decrevit ut quo eo a nno dup lex tri » butum imperaretur, simplex confestim exigeretur ex eo
» quo stipendium préesens omnibus mi litibus daretur (3) » .
E n revanche, il arrivait souvent qu 'on ne la percevait
qu 'à des intervalles éloig nés. O n sait, par exemp le,
qu'après le triomphe remporté en Macedoine par Paul
Emile en l'an 167 jusqu'en 43 av. J .-C. , les citoyens
romains n'eurent plus à payer l'impôt sur la fortune. On
Y recourut de nouveau à la mort de César pour soutenir la
guerre contre Antoine. Sous les triumv irs la même
'
nécessité s'imposa.
Ma lheureusement depuis long tem ps il n'y avait pas eu
de recensement. Les dernières données étaient considérées
com me surannées. Et c'est pourquoi le tn!mtum ex censu
à:;.
.
Wil.lerns, Le Sénat de tn Rt!publ. rom ., p.
(1)
357
. .
.
b
t
(2) I 1t.-L1v. XXXIII 42 (ig6) . < q
• < uœs ores a augunbus pontific1busque ...
•
'
.
.
st1pend1um ... petebant ».
(3) T it,·Liv. XX JIJ , 31.
- 35 -
fut considéré co mme vexatoire. On dut prendre pour base
d'évaluation des fortunes certains éléments ou objets qui
pouvaient faire présumer le chiffre des ressources dont
chacun disposait.
Ainsi, d'après Dion Cassius (XLV I, 3 1), on imposa en
l'an 43 à t ous les citoyens l'obligation de payer 4 °/o de
leur fo rtune . Les sénateurs durent en outre verser 4 oboles
pour chaque tuile recouvrant la maison habitée par eux à
R ome, et il y eut encore d'autres prestations plus ou
moins spontanées. Appien (Bell. civ. IV, 32, 34) dit
qu'on paya comme impôt 2 °/0 plus le re\•enu d'une
année. Dion Cassius parle ai lleurs (XLV II , 14) d'une
contribut ion qui fut prélevée sur la base d'un loyer d 'un
an et de la moitié du revenu immobilier. Le même auteur
signale (L. 10), un impôt spéc ial sur les affranchis et
Appien (Bell. civ. IV, 5) en signale un autre sur les femmes p).
D 'ailleurs, les censeurs avaient le · droit d'établi r des
impôts spéciaux de diverse nature, par exemple un impôt
sur le céli bat (œs uxorium) qui fut créé par les censeurs de
403 (2), un im pôt somptuaire sur les meubles de luxe
établ i par les censeu rs de 184 :
<( Ornamenta et vestem mul iebrem et vehicula quée
» pluris quam quindecim milium éeris essent (deciens
» pluris) (3) in censum referre jura tores jussit i item man» cipia minora annis viginti quée post proximum lustrum
» decem mili bus éeris aut eo pluris Yenissent , uti ea quoque
» deciens tanto pluris quem quanti essent éestimarentur,
.
(1) M. Madvig, Ouvrage cité, tom. .j, p . -18.
<' (2) 1Era prenre nomine eos qui ad senectutem cœliber pen•ener~nt, m. ~rapepend1sse d1c1tur
· 1J , 9, § 1 )• - Uxorium
•
•
•
" .. x.
( \' a J. 'I
deferre iusserunt
» num
)) quid quod uxore m non habuerit, res (ou plutôt œs) populo dedit. \'
(3) Les motsdrcie11s pl11risnesc trou\'ent pas dans Tit.-Liv., mais la s~ite du texte
ne pe rmet aucun doute à ce sujet : < uti e:1 quoqut: deciens t:into pluns ... 'l<
�-
36 -
» et his rebus omnibus terni in milia ~ri s attribuerentur . »
(T it.-Liv., XXXIX, 44.)
Cet impôt de trois pour mill e sur les objets de luxe,
estimés au décuple de leur valeur , est évidemment distinct et indépendant ud tnlmtum ex censu, qùi était d'un
pour mill e.
Mais ces actes des censeurs n 'ét aient vala bles que jusqu'à l'entrée en charge des censeurs suivan ts .
Pour rendre permanents les impôts éta blis par eux , il
fa llait la décision du Sénat ou du peuple .
Le seul impôt qui fût véritabl ement permanent pendant
la R épublique, la vzcesima JJlaJlltl7lzSSZ01tutn, fut établi par
voie législative, par la loi Manlia de 357: (Tit .-Liv ., VII ,
16; - XXVII , 10).
La perception de cet impôt se faisait par voie d 'adjudication publique, et le montant en était déposé à la caisse
du Trésor comme fonds de réserve.
Quant aux alliés latins, ils ne paya ient à Rome ni
impôts directs ni impôts indirects . Aux termes des traités J
il s devaient seulement fournir des soldats et des vaisseaux
de guerre dans des circonstances déter minées .
En revanche, les provinces étaient mises fortement à
contribution. Les unes payaient au peuple romain une
somme fi xe, les autres payaient un im pôt en nature, par
exemple le dixième .
. L~ règlement de ces contri butions dépenda it de l'orgarn s~t1o n donnée par l'Etat roma in à chaque province. E n
droit. l'organi~ati on .provinciale était de la compétence
du S~nat. Mais en frut les gouverneurs s' immisçaient dans
tous les détails de l'administration; et leurs actes éta ient
toujours ratifi és par le Sénat, aussi bien en ce qui concerne les contributions que pour les autres parties du
service.
En principe, la perception se faisait directement par le
-
37 -
ministère des g ouverneurs de provinces pour les impôts
en nature et pour le vectigal certmn.
Toutefois la perception des impôts vari ables était donnée à ferme par l'Etat roma in , mais l 'adjudication ne se
faisait pas partout de la même manière : P our la plupart
des provinces, elle avait lieu à Ro me sous l'autorité des
censeurs, et dans ce cas elle éta it donnée exclusivement à
des publicains romains . Ce n'est que par exception qu'elle
a vait lieu dans les pro vinces, et alors les provinciaux pouvaient y prendre part . Quelquefois les co mmunes s'entendaient pour se charger elles-mêmes de la ferme.
Le paiement de la somme stipulée pouvait être effectué
soit en espèces soit en blé, suivant les conditions du cahier
des charges .
Les recettes en espèces perçues par les gom·erneurs
provinciaux et les sommes dues par les sociétés adjudicataires étaient transmises aux questeurs urbains, ou transportées à R ome. Aux derniers siècles de la R épublique
on recourait quelquefois à des <' accréditifs » sur des banquiers de la capitale.
Mais quelquefois, outre la dime, on imposait extraordinairement b fourniture d'une certaine quantité de blé exigée des provi nces pour l'approvisionnement de la capitale.
Ce blé était payé à un prix fixé par les R omains.
Le gouverneur et son questeur veillaient à la livraison
et au paiement.
E n ce qui concerne l'Asie, nous possédons d'intéressants
détails sur le régime des impôts. Une !ex sempronz'a avait
prescri t de mettre en adjudication à R ome la ferme de
l'impôt foncier de cette province. Or , Sylla rem plaça cette
contribution variable par une taxe fixe que les différentes
villes répartissaient elles-mêmes. Mais peu après, en 70,
le système du fermage fut rétabli au profit des publicains
romains . D'après Appien et Dion Cassius, César autorisa
�-
38 -
de nouveau la province d'Asie à percevoir elle-même l'impôt et cela contre paiement aux Romains d'une somme fixe.
Quant à la Gaule, César lui imposa une contribution
fixe et annuelle de quarante millions de sesterces.
Bref, lors de la soumission d 'une province, Rome lui
dictait ses conditions. Et les contributions une fois fixées
devaient être payées sous la surveillance du gouverneur
qui pouvait, au besoin, prendre des mesures de coercition .
En fait de contributions indirectes, les provinces étaient
soumises à des droits de douane. Ces droits étaient dus à
la sortie et à l' entrée. Le plus souvent la perception en
était affermée à des publicains romains.
Dans un passage relatif à l'Asie, Cicéron indique et
résume comme suit les principaux revenus des provinces
dont la perception éta it confiée à des fermiers :
« Neque ex portu neque ex decumis neque ex scriptura
» vectigal conserva ri potest » .
Outre les contributions régulières, les provinces étaient
quelquefois extraordinairement imposées, dans des circonstances exceptionnelles, par exemple, pour l'équipement
de flottilles contre les pirates ou la construction de routes
reconnues nécessaires .
. Ce~ contributions étaient parfois employées pour l'améhorat1on de la province même ou pour les besoins de
l'Etat romain.
Mais, jamais, Rome ne venait en a ide a ux provinces
par des allocations quelconques du Trésor public.
Ill. CONTRIBUTIONS DE GUERRE. - Les co ntributions
de guerre étaient fixées par un sénatusconsulte soumis
ensuite à la ratification du peuple. Le Sénat déc idait si
ces contr,ibut.io~s d~vaient être extraordinaires ou permanentes, c est-a-dlfe s1 ell es devaient ètre payées en une fois
ou en un certain nombre d'a nnuités·1 ou bien si ell es
devaient constituer un tri but annuel el permanent.
-
39 -
Le produit de ces contributions était versé par les
députés des peuples tributaires entre les mains des quest eurs urbains : « qurestores urbani stipendium (antiochi) ...
» acceperunt ( I). »
Le Sénat veilla it à ce que les versements se fissent
et aux termes fixés : « Ad Pineum quoque
intéo-ralement
b
» regem in lllyrios legati missi ad stipendium cujus dies
» exierat poscendum , aut , si diem proferre vellet , obsides
» accipiendos )>. (Tit.-Liv. , XXll, 33.)
« (Carthagenienses) stipendium quod pluribus pensio-
» nibus in multos annos deberent, prresens omne daturos
» (polliciti sunt) ... de pecunia . .. responsum nullarn ante
diern accepturos . )> (Tit.-Liv., XXXV I, 4. )
t< In senatum introduc tus ... regem excusa vit quod sti» pendium serius quam ad diem prrestaret » . (Tit.-Liv.
>>
XLII, 6).
Quelquefois le S énat accordait des délais de paiement,
des remises partielles ou totales.
Il faut remarquer que le général en chef disposait de la
partie mobilière du butin , c'est-à-dire des valeurs mobilières, des prisonniers de g uerre, des métaux précieux , des
objets de luxe, etc. Mais il ne pouvait en aucun cas
employer ces richesses dans son intérêt personnel.
Il pouva it donc, a u moyen de ces valeurs et sans de\•oir
en référer au S énat, accorder à ses soldats des décorations
milita ires ou des grati fications en argent. Il lui était également permis de donner des jeux publics au peuple , de
faire des dons aux dieux, de bâtir des temples ou d'exécuter d'autres travaux publics (2 ). En principe, il pouvait
même disposer du produit tota l du butin ; mais en réa lité il
laissait à l'État la disposition de la majeure partie. Le plus
(1) T it -Lh•. , X LV, 18.
(2) ~I. Willems, Le Sém1I de /,1 Rep11bliq11e r"mait1~, p. :J(iS.
�-
40 -
-
souvent il remettait aux questeurs urbains le num éraire
pour le verser au Trésor.
Au moment où le général en chef se dessaisissa it du
butin en faveur de l' État, la disposition en appa rtenait à
l'autorité compétente, c'est-à-dire au Sénat; m ais avant
ce transfert, qui se faisait par la libre volonté du général,
le Sénat n'avait aucun droit sur ces richesses.
Cependant, il ne faudrait pas croire que le g énéra l était
irresponsable au sujet de l'empl oi des contributions qu 'il
imposait à l'ennemi avant la paix. Car il ne pouvait ni
s'attribuer personnellement ces ressources ni en user dans
son intérêt personnel, sans se rendre coupable du vol de
deniers publics ou du crt'men peculatus. Le Sénat , autorité suprême en matière fina ncière, pouvait lui demander
compte de l'emploi qu 'il en avait fait et vérifier qu'il n'y
avait pas eu de péculat ( 1 ).
Si, malg ré toute surveillance, il y avait lieu à une poursuite, du chef de péculat, elle se jugeait devant l'autorité
compétente qui fut d'a bord le peuple et plus tard la quœstio de peculatu.
L'histoire rapporte que Ca mille fut poursuivi et condam né « quod <erata ostia (provenant du butin) ha bere in
» domo ». De même « Li,·ius Sa linator , peculatus reus .. .
» condem natus a populo quod prreda m non equa liter divi» serat militibus (2) ». Mais il est évident que le chef d 'accusation a dû être libellé autrement. L 'auteur n'a sa ns
doute relevé que le fait brutal, sans essayer de le co mmenter au point de vue juridique .
IV · R ECETTES DIVERSES ,
AMENDES, DONS ET LEGS. -
A
Rome, il y avait deux catégories d'amendes : les amendes
arbitraires prononcées par les magistrats en vertu du jus
(1 ) M. Willems, Le Sé11at de ln Rép. rfJm., p.
(z) Frontin , Stmt., IV, 1 , §-ts.
41 -
dictionis ou par le peuple sur la poursuite d'un
magistrat (multa inrogata) et les a mendes éta?l.ies par ?e.s
lois pour des infractions à ces lois et poursu1v1es au c1v1l
11 ittltœ
devant le préteur ( J ) •
Le produit en ét ait perçu par les questeurs .urba~n.s et
versé par eux au Trésor. Le Sénat en avait la d1spo~1t1on.
T outefois, le produ it de certa ines a mendes avait u~e
affectation spéciale. Ainsi le sacranientmn de la partie
perdante, dans la procédure per sacramentmn, était réservé
à certaines dépenses du culte. De même les amendes
prononcées par le peuple sur l'accusation des édiles .alimentaient les caisses spéciales de ces magistrats et étaient
empl oyées à des jeux publics, à des travau~ publics ?u à
l'achat d'objets mobiliers destinés à des édifices publics.
L'emploi de ces ressources était donc soustrait au contrôle du Sénat.
Quant aux dons et legs offerts au peuple rom~in .ou
légués par testament , le Sénat décidait s'il y avait li eu
d'accepter ou de refuser la donation , le legs ou la sucoession. En cas d 'acceptation, il déterminait l'emploi de ces
libéralités.
A côté de la caisse générale du Trésor public, il y avait
certaines caisses réservées, alimentées, en vertu de la
tradition ou d'une loi, par ces ressources spéciales et desti nées à des emplois spéciaux. Ainsi une caisse spéciale
administrée proba blement par les pontifes, recevait le
produit du sacrameJ1tum et desservait certaines dépenses
du culte. Le produit de la vicesùna manumissùmum constituait un fonds de réser ve pour le département de la
.
guerre (œmr iw-n sa netius).
D'après ce qui précède, il sembl e qu'il eût été possible
de dresser a nnuellement un projet de budget de recettes.
J<>J.
\1) M. Willems, Ouvr,\ge cité, p. J70.
�-
.f2 -
Mais les magistrats se seraient difficilem ent pliés à soumettre au Sénat un ra pport annuel sur ! 'évaluation totale
des ressources pré vues. Ils auraient cru entra ver leur
administration. Et certes l'aristocratie romaine se serait
crue humiliée pa r cette exigence qui lui eût paru tout à la
fois tracassière et empreinte de méfi ance. Elle eût vu là
une limitation à son autorité, Or, il est fa cile de remarquer que cette autorité était énorme . Ainsi les recettes les
plus importantes, celles gui étaient dues pa r les a djudicata ires des vectigaEa, éta ient fixées par le contrat d'adjudicati on pour un terme moyen de cinq ans, c'est-à-dire
pour une période correspondante a u pouvoir des censeurs.
Il est vrai que le Sénat exerçait un contrôle sur la gestion de ces magistrats, mais, comm e je l'ai déjà dit, ce
contrôle ne s'étendait pas à la gestion entière, il se bornait à la vérification d 'actes isolés . Et d 'aill eurs, le paiement des impôts tantôt en nature, tantôt en numéraire,
les prestations parfois uniques et pa rfois répétées, la mu ltiplicité des opérations, leur groupement et la manière
sommaire de les traduire ( 1), rendait toute vérification
sinon illusoire du moins peu effi cace.
C 'est sans doute ce qui a permis à M. Humbert de
sig na ler « l'absence d'un contrôle judiciaire assez puis» sant pour prévenir ou réprimer les a bus de l' adminis» tration fina ncière dans les ma ins d 'une aristocratie sans
» scrupules, et pour remédi er soit aux vices de l'organi» sation toute municipale de la constitution de Rome,
)> soit aux excès de la souverainetc directement exercée
» par des comices fact ieux ou corrompus. » (M. Humbert:
<, les Fù1m1ces et la comptabzlt"té pubhque de l'Em}Ù'e
romaùz », article publi é dans le compte-rendu des sciences
morales et politiques, livra ison de décembre 1884.)
(1) Cie., Vur., II , 1.1, §36.
-· .+3 -
§ II. Dépenses.
Les dépenses se divisaient en deux g randes catégories :
les dépenses de l'ùnperùon domi" et les dépenses de
l'ùJ1perùmt militiœ.
.
La première catégorie com prenait les dép~ nses afférentes à l'administration municipa le, celles relatives au culte,
à l'administration ciyile et aux travaux publics à R ome. i
j'ajouterai les travaux publics exécutés en Italie .aux frais
du Trésor romain, bien que ces dépenses rentraient no:malement dans le ressort de l'ùnperùnn militiœ. Mais
elles dé pendaient du ministère des censeurs, et c'est pourquoi elles étaient décrétées et exécutées d'après les mên:es
règles que les dépenses nécess itées par les travaux publics
.
de la ca pita le.
ordiD ans la seconde catégorie, je place les dépenses
na ires et extraordina ires du département de la guerre, de
l 'administration de l 'Ita lie et des provinces et des relations internationales ( 1).
.
.
L'intérêt de cette di vision est double:
ro Les dépenses les plus importa ntes de l 'zmperw.m
domi étaient quinquennales. A chaque l~strum les censeurs ét ab lissaient par adjud ication publique l~ mont.ant
de ces dépenses, tandis que les dépenses de l'zmperzum
mihtiœ étaient annuelles et votées séparément par le
.
.
Sénat.
2 • L'ordonnance des dépenses de l 'ùnperùun domz éta~t
de la co mpétence des censeurs, tandis que le Sénat Yotait
.
celles relatives à l 'z mperùtm mzütiœ.
rentraient
ne
·
·
.
Les dépenses diverses ou extraord maires qui
ni dans les budgets des censeurs ni dans les budgets des
commandants militaires étaient votées par des sénatuscon(1) Villems, le Si11<1t de 11 R. pub/. rom., P· -133·
�-
44 -
suites spéciaux : ces décisions a ll ouaient les fonds nécessaires et désig naient l'autorité exécutive.
Ces remarques fa ites, nous devons exam iner le fonctionnement de 1' administration en ce qui concerne les dépenses.
La garde du Trésor public appartenait a ux deux questeurs urbains. Ils ava ient les cl efs du T résor et faisaient
les paiements .
Ils n'éta ient poi nt les subordonnés du Senat ; ils dépendaient des chefs du pouvoir exécut if c'est-à -dire des
consuls, et, penda nt l'absence de ceux-ci, du préteur
urbain.
En conséquence, lorsque le Sénat décrét ait une a ll ocation de fonds publi cs, il ne s'adressait pas di rectement
aux questeurs; mais il invita it les chefs du pouvoir
exécutif à ordonner aux questeurs urbains le pa iement de
la somme allouée.
P assons ma intenant en revue les divers cha pitres de
dépenses : te culte, tes travaux p ubtù:s, t'admùnstration
civile, ta défense natÙJ/late.
I. CuLTE. - Les dépenses du culte peuvent se diviser
en trois catégories :
1° Les dépenses résultant du culte desservi par des
prêtres (f1amù1es) ou des collèges de prètres ;
2• Celles nécessitées par la construction, l'entretien et
la garde des édifices relig ieux.
3° Celles faites pour les cérémonies a nnuelles ordinaires
et les cérémonies extraordinaires auxquelles présidaient
des mag istrats .
Les dig nités relig ieuses étaient g ratuites. Toutefois
Mommsen pense que les vestales et les curions receva ient
au moment de leur nomination un stipendimn du Trésor.
Seuls les np pari teurs et les esclaves publics étaient
entretenus par l'Eta t, de telle sorte que de ce chef les
dépenses étaient presque insignifi antes.
- 45 Plus considérables étaient cel les fa ites pour les solennités religieuses, mais elles étaient à la charge de caisses
spéciales dont la principale était l'arca pontijicunz. Ces
caisses recevaient des dotations spéciales des collèges de
prêtres, le produit de certains revenus et notamment le
sacrarnentum . Elles étaient probablement administrées
par les collèges de prêtres. L'intervention du Sénat était
ici sans importance
Les frais d'entretien et de garde des édifices du culte
faisaient partie du budget quinquennal des censeurs; et la
construction de nouveaux temples concernait le département des travaux publ ics dont je m'occuperai plus tard.
Quant aux dépenses des cérémonies présidées par les
magistrats, il y a lieu de distinguer entre les cérémonies
annuelles ordinaires et les cérémonies extraordinaires.
Dans les prem ières, la participation du Trésor était réglée
par la loi ou par un sénatusconsulte. Le Sénat déterminait
chaque année les sommes nécessaires pour les cérémonies
et désig nait les objets en nature qui devaient être mis à la
disposition des magistrats, ainsi que le nombre et le genre
des victimes pour les sacrifices, les chevaux et les décorations scéniques, etc., pour les jeux publics.
1
La fourni ture de ces objets était mise en adjudication
par lès censeurs. Elle faisait donc partie du budget quinquennal .
Il arrivait souvent que le Sénat décrétait des fètes , des
sacrifices, des jeux publics extraordinaires. Le sénatusconsulte qui réglait ces réjouissances déterminait en mêm.e
temps les dépenses à faire. lei donc le Sénat intervenait
toujours.
Si des cérémonies quelconques étaient célébrées sur
l'initiative des particuliers, les dépenses n'incombaient pas
à l'Etat. Toutefois le Sénat pouvait :décider de mettre à
la charge du Trésor une partie de ces dépenses.
�-
46 -
Il. TRAVAUX PUBLICS. - Les travaux publics étàient à
Rome une source de grosses dépenses pour le Trésor.
On disting uait les dépenses ordinaires nécessitées par la
garde et l'entretien des bâtiments de l'État , des édifices
civils, des temples, du cu lte, des aq ueducs, des cloaques,
des places publiques, des ponts et chaussées, des canaux,
des rivières, des ports, des dig ues, en un mot de toutes
les propriétés de l'État.
T outes ces dépenses et celles résul tant des fo urnitures
à faire pour les différents départements de l'ùnpen'um
domi étaient mises en adjudication publique par les 'censeurs . Les fournitures et les travaux à exécuter étaient
affermés généralement au plus bas soumissionna ire, conformément aux clauses du cahier des charges arrêté par les
censeurs.
L'adj udicataire recevait annuellement du Trésor , sur
l'o rdre des chefs du po uvoir exécuti f et pa r l 'office des
questeurs urbains, la so mme qui lui avait été a llouée pour
son entreprise.
Les attributions du Sénat sur ce point étaient très restreintes . Il pouvait toutefois a nnuler les adjudications faites; mais il usait rarement de ce pouvo ir. Généralement
il se borna it à autoriser les chefs du pouvoir exécutif à
fai re payer par les questeurs les dépenses déterminées par
le contrat .
Mais il y avait quelquefois un inter valle assez prolongé
ent~e d~ux censures. Dans ce cas le Sénat jugeait s' il y
avait lieu de renou\•eler l'adjudication, et il déléguait la
charge aux magistrats ordinaires, c'est-à-dire aux co nsuls.
Ainsi en 75 la tocatio des œdes sacrœ fut faite ex senatusconsulto par les consuls (Cicéron, Verr. , II, 1 , 50 ).
Le contrôle de l'exécution du contrat se fa isait à la fin
du lustrum par les censeurs sui vants .
S'ils ne pouvaient pas terminer ce travail pendant leur
-
47 -
magistrature, le Sénat leur conférait généralement les
pouvoirs nécessaires pour achever le contrôle après leur
sortie de charge ( 1). Quelquefois aussi cette charge était
déléguée à des magistrats en fo nctions, aux édiles et
même aux questeurs.
De même, quand l'adjudication se faisait extraordinairement par les consuls et qu'ils ne pouvaient vérifier l'exécution de l'adjudi cation précédente, le Sénat attribuait ce
soin à d'autres magistrats, par exemple à des préteurs, et
en cas de nécessité, à leurs successeurs.
Quant a ux dépenses extraordinaires relatives aux travaux publics, elles étaient nécessitées par les grosses réparations à faire ou par les constructions nouvelles à exécuter aux fra is du T résor.
P our l'exécution de ces travaux, le Sénat ouvrait tous
les cinq ans à chaque collège de censeurs un crédit déterminé. Ce crédit était fixé suivant la situation du Trésor,
par exemple une so mme égale au rendement annuel des
revenus a ffermés ou seulement une partie de cette somme.
Ma is le Sénat n'intervenait pas dans la désignation des
travaux à executer. Il laissait aux censeurs toute latitude
sous ce ra pport,
Ces operœ pubhcœ étaient mises en adjudication publique par les censeurs, et l'adjudicataire ltait généralement
le plus bas soumissionnaire conformément au cahier des
charges .
Les questeurs urbains pay..lient directement au nom des
censeurs la somme déterminée par le contrat conformément à la décision du Sénat.
li convient d'ajouter qu'une partie de la somme de l'entreprise n'était payée qu'après l'exécution et l'acceptation
de l'ouvrage. Ainsi une lex parùtt' facùmdo de Puteoli
( 1) M. W illems,
u
Sb1ai de la Rép.
T<J11t. 1
p. 395 et s.
�-
48 -
décidait que la moitié de la somme convenue ne serait
payée qu'après la réalisation des cautionnements ou gages
souscrits, l'autre moitié , après la vérification des travaux
« opere effecto probatoque ( I ). »
Certaines précautions étaient donc prises à cet égard.
ExceptionneJlement, et en cas de vacance dans la censure, le Sénat décrétait d 'urgence de grosses réparations
ou l'exécution de travaux publics . Il déterminait alors
dans la même décision le chiffre de la dépense, et désignait l'autorité qui deva it procéder à l'adjudicati on
publique.
Généralement le Sénat déléguait l'adj udication à des
magistrats en fonctions, aux consuls ou à un préteur.
Ainsi en 160 le dessèchement des marais pontins fut
confié à un consul. En 144 le préteur pérégrin Q. Mar·
cius Rex fut chargé de la réparation des aqueducs exis·
tants et de la construction d'un aqueduc nouveau ; et en
57 un sénatusconsulte invita les co ns uls à mettre en
adjudication publique la reconstruction du portique de
Catulus (2).
Le droit de vérifier les travaux exécutés et d'en pronon·
cer l'acceptation (opera publica probare) a ppartenait à
l'autorité qui avait présidé à l'adjudication.
Mais il ne faut point perdre de vue que le Sénat a\'ait
ici le même droit que sur les adjudications publiques des
recettes : il pouva it annuler l'adjudication et obliger les
magistrats à procéder à une adjudication nouveJle. Il
pouvait également, le cas échéant, alléger les obligations
imposées par le contrat aux fournisseurs ou aux entrepre·
neurs : hâtons-nous de dire qu 'il dut user assez rarement
de ce droit, car l'histoire ne mentionne aucun exemple.
(1) M. Humbert, Origi1les de la compt. d1e3 les Rom. , p. u 3.
(2) M. Willems, Le Sénat de la Rép. rom., p. 400 et s.
-
49-
Comme pour les recettes, les actes frauduleux pouvant
être assimilés aux vols de deniers publics, étaient dénoncés
au Sénat et poursuivis deva nt le peuple, et plus tard la
quœstzo perpetua de peculatu.
III. ADMINISTRATION CIVILE. - D ans les administra·
tions civi les les fonction nai res ne percevaient aucun traitement. L'Etat n 'ava it donc ri en à dépenser de ce chef.
En revanche il devait leur fournir l'équipement, l'entretien
et les frais de dépl acement lorsqu'i ls étaient appelés hors
de R ome . Ces fournitures leur étaient données en nature,
ou bien ils en recevaient le prix en numéraire, ou encore
on leur conféra it un droit de réquisition.
Il en était de même pour les gouverneurs de province
et pour leurs officiers supérieurs (questores et legatz).
Quant a u personnel inférieur des bureaux, à partir des
scrz'bœ, il recevait en Italie un salaire et dans les provin·
ces une indemnité de subsistance payable à R ome au
Trésor, en province à la caisse du questeur.
IV. DÉFENSE NATIONALE. - A la tête de chaque corps
d'armée il y avait un commandant en chef, magistrat ou
promagistrat, assisté d'un questeur ou proquesteur, d'un
ou plusieurs légats, de six tribuns militaires par légion et
plus tard de prœfectifabrum.
Aucun de ces officiers supérieurs ne jouissait d'un traitement fixe. Mais ils recevaient tous aux frais du Trésor les
objets nécessaires d'équipement, des cheYaux, des mulets,
des tentes, des tapis, des vètements. Et le Sénat inscrivait
au budget de chaque commandant militaire une somme
déterminée pour les frais de voyage (<1Ùztù:um) et d'entretien du commandant en chef (ci'baria) et de chacun des
officiers supérieurs qui constituaient en quelque sorte son
état-major.
Les objets d'équipement étaient fournis, avant le départ,
par voie d 'adjudication et payés par les questeurs urbains
.j
�- 50 sur le Trésor public. Au contraire, les fra is de voyage
étaient portés en compte pour chaque officier supérieur et
payés par le questeur de l'armée sur le crédit a lloué à cet
effet ( 1).
Le commandant avait en outre à son service un personnel suba lterne (coltors prœtorùz) dont les membres recevaient un salaire proporti onné à l ' i~porta nce de leur
emploi. Ce salaire était acquitté par le questeur de l'armée.
De plus les cavaliers recevaient, à leur entrée au service,
une certaine somme destinée à l'achat de chevaux « ad
» equos emendos clona milia éeris ex publico data. )> (Tit. bv., I, 43, S 9.) Ils touchaient en outre une somme
annuelle pour l'entretien de leurs chevaux (œs hordùzrium).
Il est certain du moins qu'ils ont touché cette a ll ocation à
partir de 403 , car à cette date fut rétab li l'i mpôt des veuves et des orphelins et le produit en fut affecté à l'œs hor-
diarù1m.
Quant aux so ldats, ils n'étaient point payés da ns le
Jcr siècle de la République. Ils s'équipaient et se nourrissaient à leurs propres frais. Mais, d'après la tradition, la
solde militaire fut introduite en 406 par une décision du
S énat. « U t ... decerneret S enatus ut stipendium miles de
» publico acci peret, cum a nte id tempus de suo quisque
» functus eo munere esset. » (Tit. -Liv., IV, 59, § 11 .) En
établissant la solde, le Sénat en fi xa le taux. A l'époque
de Polybe, chaque soldat recevait 1/3 denarÙLS et chaque
centurion 2/3 denarius.
César doubla la solde militaire. Cependant le Sénat et
le peuple étaient seuls compétents pour voter une aug mentation de ce genre . C'est pourquoi on est réduit à penser
que César aura employé les ressources du butin, comme il
( 1) Cie., Verr . 1, 13,
§ 36.
- 51 en avait le droit, à doubler la solde de ses légionnaires, et
que plus tard, après la guerre civi le, il aura usé de son pouvoir di ctatorial pour confirmer sa réforme et pour la rendre
générale pour toutes les arm ées romaines.
Il convient de remarquer que la solde était payée en une
fois pour toute une cam pagne de six mois ou d'une année.
A l'orig ine elle était payée par les tribwn· œrarù' et plus
tard par les questeurs de l'armée.
Les questeurs fournissaient aussi aux soldats les objets
nécessaires d'équipement , de nourriture et de vêtements;
mais ces fournitures n'étaient faites que contre paiement.
Les soldats payaient directement au questeur, ou bien
celui-ci décomptait sur leur solde les avances qu'il leur
faisait en fournitures militaires.
Encore, au commencement de l'Empire, les frais d'habillement et d'armement étaient retenus sur la solde ( 1).
Le questeur de l'armée administrait donc l'intendance
militaire et payait la solde. Il veillait à l'achat du froment (2), des habi llements et des armes. Et il faisait sur sa
caisse militaire les avances nécessaires à ces achat s. Mais
il est faci le de supposer que le Sénat, pouYoir central,
dirigeait l'intendance générale des armées et prenait les
mesures réclamées par les circonstances . Par exemple,
quand les armées romaines opéraient en pays ennemi, où
les choses les plus nécessaires pouvaient leur manquer, le
Sénat vei llait à ce que les troupes, à leur départ de Rome,
fussent bien équipées, pourvues de vivres, d'habillements,
etc. Quelquefois des provisions éta ient envoyées pendant
la cam pagne, quand les circonstances le commandaient.
Ainsi le consul Marcius écrivit de l\Iacédoine au Sénat :
« Vestimenta militibus ab Roma mittenda esse. Equis
» ducentis ferme opus esse, maxime Numidis; nec sibi in
(1) T acite, A1111., XI, 22.
(2) Cie., Ver-r, 11, 11 14, § 36.
�-
52 -
)) his locis ulla m copiam esse. Senatusconsultum ut et
» omnia ex literis consulis fierent factum est ( 1). »
Les fournitures d'habillements, d 'armes, de chevaux,
etc., se faisaient selon la décision du Sénat par adjudication publique. Et Tite-Live nous apprend qu'en 2 1 5 une
livraison de froment nécessa ire à l'armée fut effectuée de
cette faço n. Le préteur urbain, qui était, en l'absence des
consuls, le chef du pouvoir exécutif, fut chargé de présider
à l'opération (2).
Les envois étaient faits avec un soin minutieux : tantôt
le transport était compris dans les conditions d'achat ou
d'adjudication publique, tantôt le gouverneur de la province qui fournissait les objets était chargé par le Sénat
de veiller au transport, tantôt aussi le Sénat décrétait le
transport par une flotte spéciale (3).
En 215 , quand le préteur fut invité par le S énat à
mettre en adjudication la fourniture des vêtements, du
froment, etc. , pour les a rmées d'Espagne, les sociétés qui
offraient de s'en charger demandèrent et obtinrent que le
transport .eût lieu aux risques et périls de l'Etat : « Ut
» qure in naves imposuissent a b hostium tempestatisque
» vi publico periculo essent (4) . »
Le prix des fournitures achetées ou mises en ferme en
vertu d 'un sénatusconsulte spécial était payé directement par le Trésor central de Rome aux vendeurs ou aux
adjudicataires (5).
Généralement le Sénat décrétait (attribuz't), pour chaque
commandant militaire au commencement de l'année 1 les
dépenses nécessaires pour toute une année. L' importance de
(1) Sail., Hist., II,§ 6.
(2) Tit.-Liv. , XXIII,
- 53 ces dépenses dépendait évidemment de l'effectif de l'armée,
du lieu de ses opérations et des difficultés à vaincre.
En décrétant le budget de chaque commandant, le
Sénat indiquait également le procédé de liquidation. Le
plus souvent les sommes étaient prises sur le Trésor
public et remises par les questeurs urbai ns au questeur
militaire au moment de son départ. Si le questeur n'était
pas à Rome, le Sénat chargeait un magistrat ou un légat
d'apporter cette somme au questeur militaire.
Vers la fin de la République, le Sénat déli vrait au
gouverneur de province des lettres de crédits (publica
permutatt'o), payables par les banquiers établis dans la
province (1) . P arfois aussi, le Sénat prescrivait à des
sociétés de publicains adjudicataires de vectigalia en pro vince, de payer directement au gouverneur, et alors celuici remettait la somme indiquée au questeur militaire ,
R arement il arriva que le budget ordinaire du département de la guerre fût insuffisant; car les armes de Rome
étaient généralement victorieuses et constituaient un rude
percepteur de finances. Cependant, à côté d'éclatants
triomphes, il y eut des revers pénibles. Et alors les dépenses ordinaires ne pouvaient plus suffire à toutes les nécessités. Dans ces moments diffici les, il fa llait des ressources
extraordinaires : toutes devaient être autorisées par le
Sénat. T elles étaient les sommes votées par les sénatusconsultes pour le rachat des prisonniers ou des esclaves
à enrôler dans l'armée; telles aussi, les dépenses extraordinaires faites en 180 pour le transport et pour l'entretien
de 40 1000 Ligures dans le Samnium.
P our se procurer ces ressources extraordinaires, le
Sénat dut recourir quelquefois ( 2) :
48, 49.
(3) Tit.- Liv., XLIV, 16.
(4) Tit.-Liv., X III, 49.
(5) M. Willems, le St11at de la Rép. rom., p. 4 13.
( 1) M. Humbert , Oricines de la eompt. à Rome, p. 47·
(2) M. Willems, le Shiat dt la Républ. rom, p. 448 et s.
�-
- 55 -
S.+ -
A l'emploi des fonds de réserve;
2° A la vente des propriétés immobilières et mobilières de l'Etat.
3° A la réduction des poids des monnaies ;
4° Au crédit: ainsi, en 22 4, du froment fut acheté au
roi Hiéron pour la guerre co ntre les Gaulois, à relie condition que le prix serait payé après la g uerre;
5° A l 'emprunt public. C'est a insi qu'en 390 le Sénat
ordonna u.n emprunt général pour payer la ra nçon due
aux Gaulois après la prise de Rome . - En 2 4 3 un autre
emprunt fut ordonné pour la création d'une flotte. Cet
em.prunt devait être remboursé quand le Trésor le permettrait. - En 210 le Sénat prit l'initiative d 'un autre
e~prunt et. Tite-Live, (XX IX, 16,) rapporte que tous les
citoyens mirent à la disposition de l'Etat non-seulement
le .~uméraire, mais encore les objets en or ou en argent
qu ils possédaient.
1°
Quoi qu'i l en soit, il est indubita ble que la dette publique, durant la R épublique roma ine, Ctait un fait exceptionnel, car nulle . part on ne trouve trace de règles pour
l'amortissement, m la mention d 'intérêts payés par l'Etat
à ses créanciers.
Ce pendant, puisqu'il y a eu des emprunts, nous devons
rechercher sous quelle forme ils étaient effectués. Les empr~nts aux sociétés de publica ins consistaient dans le
p~1e~ent par anticipation de so mmes dues pa r les sociétés.
C éta it la forme la plus généra lement employée.
.
Mais il importe de r cmarquer que 1es ressources ordinaires suffisaient en règle générale, car une série ininterrompue de conquêtes fit affluer à Rome des richesses de
.
, Il
.
toutes sortes et• en si grande quant't
1 e qu e es permirent
au ? énat d~ f~ire f~ce aux circonstances même les plus
pénibles. Ainsi ce n est que très exceptionnel lement qu'il
fallut recourir à des ressources extraordinaires.
L'approvisionnement de la capitale
V. ANNONA. était, nous l'avons dit, une autre cause de dépenses pour
le Trésor. V oici comment il se faisait :
L'achat du froment était confié aux gouverneurs dans
les provinces romaines et spécialement en Si cile, conformément aux condit ions prescrites par la loi gui régissait
les frum entations ordinaires ou par le sénatusconsulte
qui réglementait la frum entation extraordinaire.
Ainsi en vertu de la loi Terentia Cassia frumentaria,
Verrès fut chargé d 'acheter du froment en Sicile ( 1): « fru )> mentum emere in Sici lia debuit Verres ex S . C . et ex
» lege T erentia C assia frumentari a ( 2) )) .
Le Sénat lui attribua un crédit annuel de 32,000 HS
pour le triticum imperatum et d'environ 90,000 HS pour
les alterœ decuniœ (3). Nous savons même que Verrès
avait perç't sur ces achats des droits d'écriture, car, à ce
propos, Ci céron l'apostropha en ces termes : « Quis Tibi
)> hoc concessit ? qu;;e lex ? qu;;e senatus auctoritas ? »
(Verr. , II , 3 , 78, § 18.)
Les sommes a llouées par le Sénat pour l'achat du froment ét aient, selon sa décision , payables par le Trésor
central, ou bien ell es étaient prclevées sur les redevances
annuelles des sociétés financières qui avaient en ferme des
vectigaha de la province où l'achat se faisait, et, dans ce
cas, res sommes étaient payées au gouverneur directement
par la société
Nous avons la preuve d'un achat extraordinaire de froment fait en 103 par l'inscription suivante des pièces de
monnaie fra ppées cette année (4) : K Ad fru(mentum)
emu(ndum) ex S. C . »
(1) Cie., Vt!rt'., li , 3 1 70, § 163.
(2) Cie., Verr., II , 74 1 § 172.
(3) Cie., Verr., 11, 3, 70, ~ 163.
(4) Mommse n, Hist. de fa 11w1111., 11, 385, n° i9:i.
�-56 Bien plus, en 57, le Sénat contraint par la populace
im·ita les consuls à proposer ex S. C. un projet de loi :
<' qua Pompeius per quinquennium omnis potestas rei
frum entariée toto orbe terrarum daretur (1). »
Ce ·projet de loi fut adopté. li ne la issait absolument au
Sénat que le vote des crédits mis à la disposition de Pompée, ce qui était un amoindrissement considérable de ses
pouvoirs .
Nous avons maintenant une idée du fonctionnement de
l'administration financière.
Si nous voulons examiner de près les institutions , nous
remarquerons que toutes les affaires à R ome se traitaient
par intermédiaire. L'État donnait l'exemple en a bandonnant à des capitalistes ou à des associations de capitalistes, moyennant som me ferm e à payer ou à recevoir, tout le
système si com pliqué de ses recettes, toutes les fournitures, tous les payements, toutes les constructions, etc. Les
particuliers, de leur côté, donna ient à l'entreprise tout ce
qui pouvait être exécuté de cette sorte : leurs constructions, la rentrée des récoltes, la li quidat ion des successions et des banqueroutes. Ici l'entrepreneur, d'ordinaire
le banquier, encaissait l'actif, s'engageant à payer tout le
passif, suivant les cas, ou seulement un tant pour cent,
ou encore à verser un excédant s'i l y avait lieu (2).
Mais il ne suffit pas. d'examiner les institutions, il faut
aussi et surtout étudier les règles de la comptabilité.
Dans la comptabi lité romaine, il n'y avait aucun ordre,
aucun équilibre, aucune concordance : tout était laissé à
l'imprévu. Si l'actif et le passif se balançaient, c'était un
pur effet du hasard . Il n'existait même pas à Rome un
état d'ensemble des dépenses publiques : « Il n'existait
(1) Cicéron, Ad Alt., IV, 1, ~7·
(2) Mommsen, Hist. rom, p. 133.
-
57 -
pas , dit M. Humbert, sous la R épublique, un budg.et
complet et unitaire ni surtout un budget de dépenses distribué par sections et voté a nnuellement par le Sénat. » ( 1)
On pourrait en dire autant du budget des recettes.
Ainsi donc l'équilibre ou la balance des dépenses et
des recettes était inconnu en droi.t romain. Presque toujours le Trésor avait contenu des sommes bien supérieures
aux nécessités des divers ser vices. Et lorsque, par suite
de revers, la caisse se trouvait être en déficit, on avait
recours aux ressources extraordinaires : à l'emploi des
fonds de réserve, au crédit, à l'emprunt, à la vente des
propriétés de l'Etat et parfois même à la réduction du
poids des monna ies.
Les questeurs, avons-nous dit, étaient chargés de toutes
les écritures. Ils étaient secondés par un personnel que
nous connaissons déjà. La comptabilité était tenue sous
leur responsabilité par les scribœ œrarù, par doit et avoir,
au moyen des codÙ;es accepti et depensi'.
Les mêmes obligations étaient imposées aux questeurs
classiez' qui avaient le maniement des fonds. Ces questeurs
devaient accompagner en province les généraux ou gouverneurs, ou gouverner eux-mêmes des provinces pro
prœtore. Ils recevaient de l'œrarùmz les sommes desti nées au service militaire. Et , à l'expiration de leurs
fonctions, ils devaient rendre compte aux questeurs urbains de toutes les opérations qu'ils avaient effectuées.
Ils devaient aussi déposer leurs registres à l'œrarium aYec
un état de situation de leur caisse et du reliquat de leurs
comptes (2).
Les paiements du Trésor pouvaient ètre contrôlés par
les ordres de paiement donnés par les consuls ou les ma-
(1) M. Humbert, Origines d1 Ji romplabilil~ <hea les Rom., P· 22, 23.
(2) Laboulaye, Essni sur les lois rrim . des Rom .. p. 46, 47 ·
�- 58 gistrats exceptionnellement autorisés par le Sénat. Les
registres de ces magistrats devaient , en effet, mentionnner
la délivrance de ces ordres.
De même, à l'armée , le g énéra l et son questeur tenaient
chacun un compte séparé de la caisse mi litaire (1).
Il semble donc que le principe de la séparation des
pouvoirs d'ordonnateur et de comptable ex istait chez les
Romains, et était un précieux moyen de contrôle pour le
Sénat, qui a \·a it la haute surveilla nce sur l'administration
financière.
Mais, comme j'ai déjà eu l'occasion de le faire remarquer, on ne trouve nulle part d 'indication au sujet d'une
vérification d'ensemble. Au contraire, t out laisse supposer que le contrôle ne s'exerça it que sur des opérations
isolées , celles seulement qui étaient importa ntes.
Ainsi, les poursuites menti onnées pour détournement
sont toutes relatives à des artes isolés et non à une gestion entière. Cela se conçoit, car la vérifi cation intégrale
d'une gestion eût été très long ue et très compliquée, tandis
qu'il était plus facile de juger une opération unique. Si
donc il était difficile de vérifier t oute une bcrestion 1 on peut
bien supposer que le contrôle général de toutes les administrations de l'Etat était à peu près impraticable.
(1) Cie., Verr,, li , 1, 39.
ÉPOQUE IMPÉRTALE
Au moment même où s 'opérait la transition de la République à l' Empire tout esprit clai rvoyant pouvait constater
la nécessité d 'une administration financière plus probe,
plus active et mieux co ntrôlée. Mclis rien de cela _ne fut
sérieusement et directement poursuivi. Au contraire les
guerres ci vil es, les profusions de Jules César et des triun:ivirs aux vétérans, après avoir épuisé le Trésor public
amenèrent la spoliation en masse des plus riches contrées
et même des temples, au profit des colons militaires.
Cependant, et malgré tout, il fallait bien trouver de
nouvelles ressources et pour cela organi ser un meilleur
.
système financier.
Jules César projeta une réforme administrative; mais
elle ne fut réalisé que par Auguste. Cette réforme s'étendit aux finances en pa rticulier.
L'empereur, qui avait décrété et fait exécuter la levée
géométrique du plan de l'E mpire et le recensement géné~al
des habitants et des fortunes, voulut introduire l'unité
d'impôts et la régularité dans la perception aussi bien que
l'ordre dans les dépenses.
Deux sortes d 'impositions continuèrent à peser sur la
population de l'Empire.
1° Les contributions directes ou indirectes payées par les
citoyens ;
�-
60 -
Les charges que supporta ient les provinces .
A ce propos il importe de rema rquer l'immunité dont
l'Italie jouissait déjà depuis quelque temps : le tribut levé
sur la fortune des citoyens romains, s upprimé après la
bataille de Pydna, rétabli à différentes reprises, entre la
mort de César et le triomphe d'O ctave , continuaient
d 'exister en droit. Ma is en fait ce n'était pas un impôt
régulier. La levée en dépendait uniquement de la situation
du Trésor ou des nécessités militaires. L'opération qui en
précédait toujours la levée, le recens~m ent des biens et
des personnes, se continua en Ita li e pendant tout le premier siècle . Elle était faite au nom de l'empereur par des
légats.
2°
D'ailleurs il fallut recourir à de nouvelles ressources.
En l'an 6 Aug uste établit un impôt d 'un vingtième sur
les successions et les donations. Ce n'était pas à proprement parl er une innovation : César avait songé à imposer
les héritages; les triumvirs l'avaient fait en 39 et il est
proba ble que la loi triumvirale ne fit que renouvel er d'anciennes lois tom bées en désuétude (1).
En l'an 9 la !ex Juha et f>appia Poppœa fut définitivement appliquée. Cette loi, comme l'impôt sur les successions, était destinée dans la pensée d'Auguste et à accroître
la population libre de l'Ita lie et à empêcher la formation
de trop g randes fortunes : car ces dispositions n'atteignaient pas les pl us proches parents (2).
Après l'incendie de R ome, Néron exigea de fortes
contributions des particuliers. Caligula établit une taxe sur
les portefaix, les courtisanes et les entremetteurs; l'or
coronaire fut exigé des municipes et des colonies; des
taxes d'un pour cent furent mises sur les ventes à l'encan,
(1) M. J ullian, Tra1tsfomuilio11s pol. de l'llali1 sous les Emp., p. 68.
(2) M. J ull ian, Tra11sformatio11s pol. de l'Italie sous les Emp., p. 68.
-
(
61 -
de vingt-cinq pour cent sur la vente des esclaves, de
deux et demi pour cent sur les sommes en litige dans
tous les procès.
Dans les provinces l'impôt foncier fut maintenu, ainsi
que l'impôt personnel (tributum capitù) ( 1). Du reste,
)'assimilation des provinces à l'Italie, que Dion Cassius
appelait une nécessité, se réalisait peu à peu. Cette assimilation entrait dans le dessein des empereurs, ainsi que
cela ressort de leur prog ramme (2 ), qui fut rédigé par Dion
Cassius à plus de deux cents ans de distance (3).
Quant au siège du Trésor, il ne fut point changé .
L'œrarùtnz demeura au temple de S aturne, et continua
d'être considéré comme la propriété de l'Etat , confiée, pour
la forme du moins, à la haute surveillance du Sénat.
CHAPITRE 1er
PERSONNEL ET SITUATION DU TRÉSOR
Mais il y eut des innovations importantes :
1° Le personnel de l'œrarùmz fut modifié ;
2° Un Trésor spécial de l'armée fut créé (œrarium mili-
tare) ;
3° Enfin un Trésor particulier de l'empereur fut organisé (fi scus).
Nous allons étudier successivement chacune de ces
modifications.
1. La direction de la caisse fut enlevée par Auguste aux
(1) M. Jullian, Ouvrage cité, p. 70.
(2) M. Jullian, Ouvrage cité, p. 40.
(3) M. Jullian, Ouvrage cité, p. 42.
�-
62 -
questeurs et confié à deux prœfecti œrarù~ que le Sénat dut
choisir parmi les préteurs sortant de charge.
L'empereur Claude rendit à deux questeurs la garde de
l'œrarium Saturni, et fixa à trois ans la durée de leur
charge. Mais comme on pouvait a lors être questeur à
l'âge de 25 ans (1), on reconnut qu'à cet âge plusieurs
questeurs n'avaient pas l'expérience nécessaire pour ces
délicates fonctions qui furent restituées , sous Néron,
d'abord aux anciens préteurs, puis, sous Vespasien, à deux
préteurs en charge, et, sous Trajan, à deux Préfets (2).
<i. La mission de ces Préfets du Trésor , dit M. Hum)> bert (3) 1 peut être assimilé à celle de caissier central de
» notre Trésor public. Ils avaient pour correspondants et
)> subordonnés les questeurs des provinces du Sénat, qu'on
» peut comparer à nos trésoriers généraux. Il appartenait
» aux Préfets de l'œrarùwz de poursui vre la rentrée et
» d'effectuer la perception des recettes ou créances de ce
» Trésor , comme aussi d'opérer les paiements entre les
» mains des créanciers, sous les conditions prescrites par
» les lois et les règlements . )>
Momm sen leur reconnaît mê me le droit de passer les
baux des biens du Trésor public.
S'il y avait bail des revenus du domaine ou des revenus
indirects, ils devaient veiller à l'exécution des conditions
du contrat et, le cas échéant, poursuivre les adjudicataires,
leurs cauti.ons ou les détenteurs d'immeubles engagés ,
P?ur se faire envoyer par le préteur en possession des
biens des dcbiteurs du Trésor.
Cependant, sous Adrien et Sévère, il y avait encore des
- 63 -
quœstores ou viri quœstoriiab œran'o Satumi ( 1). Ces fonctions durèrent même jusq u'au IV siècle.
Il y eut toujours des scribœ, des prœcones et des viatores.
De plusdans les provinces du Sénat, dont la distinction
subsista jusqu'au Ille siècle, des questeurs étaient
envoyés auprès des proconsuls, et, dans les provinces
de César , il y avait un procurator Cœsarù ou ratz'onahs
pour remplir les fonctions financi ères auprès des prœszdes
ou legati Cœsarù. Ces prowratores n'eurent d'abord
aucune juridiction contentieuse en matière financière; elle
ne leur fut concédée que sous Claude (z). Ils avaient à
leur service des scribœ, viatores et prœcones, comme les
préteurs et les préfets de l'œrarium .
Le Sénat conserva, en principe, la suryeillance de
l'œrarium Satttnu' et l' ordonnancem ent des dépenses. Il
donnait des avis sur les questions contentieuses. Mais son
pouvoir s'amoindrit peu à peu : il n'existait plus qu'en
apparence au IIIe siècle.
Un procurator en fut cha rgé. Il avait comme principaux
subordonnés les prœfecti œrarù'.
L'empereur délivra dès lors les ordonnances de payement, sans doute par l'intermédiaire de sa chancellerie.
Les quœstores des provinces du Sénat furent partout remplacés par des procuratoresCœsaris ou ratùmalis, comme
il y en avait déjà dans les provinces de l'empereur. Mais,
après une long ue lutte au sujet des droits du prince et
ceux du Sénat, la distinction s'effaçait graduellement
entre les provinces sén:.ltoriales et les proyinces impériales,
entre l'œrarù11n et le fisc. Et le pouvoir de l'em pereur
croissait toujours avec celui des nouveaux fonctionnaires
qu'il avait créés.
0
(1) Tacite, A1111al. XIII, 29.
(2) Parde ssus, De l'age dans la lt!g. rom. p. 60 .
(3) l\~. Humbert, Les Fi11L111ces de l'Empire rom., compte-rendu de l'Académie
des Sciences morales et politiques, livraison d'avril 1885, p. 465.
(!)Dictionnaire des Antiq. gr. et rom. au mot CNari11m.
(2) Tacit., A1111al. XII, 6o.
�- 65 On peut donc dire que l'empereur s'arrogea peu à peu
les droits du Sénat, et fini t même par se les attribuer
complètement. Ainsi a u troisième siècle, le prince disposait également de l'œrarùmz, du tresor militaire et du fisc .
II. Le trésor militaire fut institué par Aug uste, en l'an
6, après J.-C . C'était la première atteinte portée à l'unité
du Trésor public.
L'Empire avait besoin d 'une armée permanente : il l'organisa . La durée du service milita ire fut fixée à 16 ans
pour les prétoriens et à 20 ans pour les légionnaires. En
habile poli tique, Auguste comprit qu'il devait s'attacher
les soldats . Dans ce dessein , il manifesta son intention de
récompenser les vétérans. Et c'est pourquoi, il créa en
leur faveur 1'œrarium mihtare.
L'œrarùmz nulitare fut donc tout d'abord une sorte de
caisse de retraite pour les vieux so ldats. Plus tard , il fut en
outre destiné à pourvoir aux dépenses du ser vice militaire (1), à l'entret ien des troupes et aux récompenses qui
leur étaient accordées.
Il fut alimenté par divers impôts de nouvelle création :
tels que le vingtième sur les hérédités et les legs, lorsque
le défunt était citoyen romain , le droit sur le produit des
ventes aux enchères publiques, le ci nquant ième sur le prix
de vente des esclaves, et enfin le butin fait à la g uerre.
L'adm inistration de l'œrarium militaire fut confiée à
t rois Prœfec.ti' œrarii mzlitarù qui ava ient reçu de l'empereur le droit suprême de commandement sur l'armée.
~ett~ att~i?ution pro~ve que l'empereur s'était em paré de
a d1spos1t1on exclusive de ce nouveau Trésor « insuffi» sant~ d'ail~~ur~, pour supporter le surplus des ~harges du
» service militaire qui demeurèrent imposées au fisc et, au
(1) M. Naquet, Des Impôts indirects chea lis Rom., p.
So et ss.
» besoin, au Trésor du peuple, désormais appelé œrarium
» Satitrni' ( 1) . »
Le régime des comptables du Trésor militaire dut être, à
l'origine, semblable à celui de I'œrarùtm Saturni, dont il
fut d'abord considéré com me une annexe . Mais l'empereur eut toujours une influence exclusive sur cette caisse.
Il avait fourni le capital de fondation et y avait fait
verser le produit de la concession des biens de l'exilé
Agrippa P ostumius.
L'empereur était donc l'ordonnateur relativement au
Trésor militaire, et les préfets remplissaient le rôle de trésoriers comptables.
III . Quant au fiscus ou Trésor particulier de l'empereur, les origines en sont assez obscures.
Dans le principe on entendait par fisci les grandes corbeilles où se plaçaient les deniers versés par les contribuables. Ces cor beilles deyaient être transmises à Rome
ou remises à la caisse centrale de la province.
Le mot jiscus désig nait ensuite les caisses provinciales
elles-mêmes. Ce n 'est que sous T ibère qu'il fut employé
pour indiquer l'ensemble du Trésor de l'empereur.
« Voici, dit M. Humbert (2) 1 sur la formation de cette
» caisse les données les plus vraisemblables. Dès l'organi » sation du principat) le prince dut conserver un domaine
» privé, comprenant ses biens héréditaires et ceux prove)) nant d'institutions d'héritier ou de legs souYent consi» dérabl es adressés à sa personne et grossis par l'exploi» tation de ses capitaux ou par l'épargne de ses revenus.
)) On y assimila it déjà sous Auguste la meilleure partie
)> du produit de certaines provinces annexées telles que
(1) M. Humbert, Fiuanus de l'E111pir11 romai11, compte-rendu de l'Academie des
Sciences morales et politique~, livraison de dècembn: t!lS.i, P· 71)8.
(2) M. Humbert, les Fi11aures del empire rom., comp.·r. des se. morales et pol.,
livraison de décembre 188+, p. 71)8 et s.
s
�-
66 -
» l'Egypte, dont le prince était réputé le maître absolu
» comme successeur des a nciens rois. Bientôt après la
» division des provinces, celles réservées au prince durent
» ve~ser à son Trésor et entre les mains de ses agents, le
» fruit de leurs tributs. En vertu de la délégation de la
» souveraineté sur ce sol tributaire, on tendit à l'en répu» ter propriétaire, comme le peuple romain à l'égard du
» sol des provinces du Sénat, et cette double fiction était
» enseig née par le jurisconsulte Gaïus ( 1), dès le second
» siècle comme un principe de droit. Ainsi sur ces nom» breuses contrées soumises à l 'ùnperi'um du prince,
» exe:c~ par ses lieutenants (legati· pro prœtore), ils ont le
» dro1t .mcontestable de régler ou de modifier l'impôt, de
» le faire percevoir et d'en disposer à son g ré. Sous ce
» rapport, on fut porté à assimiler les biens du fisc (fisca » les) au patrimoi ne ou domaine pri vé de l'empereur, en
» les c?nfondant sous la dénomination générale de patri)1) momum principù ou res privatœ. Néanmoins la force
» des c~oses amena la distinction en fait des biens privés
» du pnnce et ~e ceux qui étaient attribués à l'empereur,
» en cette qualité, c'est-à-dire, au fond , à la couronne.
» ~'ad ministrati on en fut d'abord séparée, puis elle devint
» md:pendante en droit, et reçut, sous Septime Sévère,
» ancien avocat du fisc et jurisconsulte habile autant
» qu'administrateur de premier ordre, une consécration
» légale, av_ec des dénominations techniques pour la ratio
» ou res privata prùzcipiS. »
En .thèse générale, le Trésor de l'em pereur tendit sans
cesse a se t ransformer en Trésor principal. Jusqu'au règne
de Claude, le prince sembla s'en réserver la haute direction . Mais, sous le fameux P allas, une administration
centrale apparut avec un intendant général.
(1) Gaius, II, 21.
-
67 -
L'histoire mentionne la lutte entre le pouvoir du Sénat
et celui du prince ainsi que l'antagonisme de l'œrarium et
dujiscus. Et elle enseig ne la victoire définitive du prince et
de son Trésor. L'œrarùtm disparut vers la fin du III• siècle, ou du moins « il n'apparut plus que réduit aux pro)> portions de la caisse de la ville, sous l'influence de ses
» Préfets et du Sénat ramené à peu près au rôle de conseil
» municipal de R ome.)> (M. Humbert).
Les ressources du fisc se composèrent donc d'abord du
domaine privé de l'empereur, des legs souvent considérables faits·à sa personne, de l'exploitation de ses capitaux
et du produit de ses épargnes. Bientôt les impôts des
provinàœ CœsariS y furent ajoutés. Plus tard , T ibère et ses
successeurs détournèrent les impôts indirects et le profit
des amendes prononcées par les magistrats du peuple
romain. Il faut y compter encore les profits des dispositions caducaires établies par les lois Julia et Pappia
Poppœa; puis le produit des droits de doua ne ou de
péage exercés aux frontières non-seulement de l'Empire,
mais même de certaines provinces.
Quant à l'adm inistration, des esclaves remplissaient à
R ome les fonctions de caissiers,soit pour les biens héréditaires, soit pour les biens fiscaux. En province ce soin
était confié à un procurator. Il était entouré de collaborateurs nombreux . Ainsi on comptait un sous-directeur,
des chefs de bureau, des comptables ou teneurs de livres
(la plupart affranchis), des aides et des caissiers (la
plupart esclaves).
Comme on peut le voir, cette organisation était complète
et elle révèle l'habileté des fondateurs. Car il est faci le de
remarquer que le maniement des deniers confié à des esclaves était une garantie de fidélité. En effet les esclaYes ne
pouvaient rien acquérir pour eux-mêmes. Ils n'a,·aient
donc aucun intérêt à commettre des malœrsations, car
�-
-69-
68 -
tout détournement fait par eux eût profité à leur maître,
c'est-à-dire à l'empereur lui-même, ou bien à l'Etat, si les
esclaves étaient servi publiez".
L'expose historique qui précède faci lite la solution
d'une question controversée au sujet du fisc us :
Les valeurs fiscal es provena nt de sources publiques
devaient-elles être comprises dans la succession de l'empereur? En d'autres termes, le domaine du fisc appartenaitil à l'empereur et était-il transmissible par voie de succession?
Il semble au premier a bord que la question doive être
résolue négativement par les règles les plus élémentaires
de l'équité. Qu'à l'origine on ait pu confondre le fisc avec
le patrimoine privé de l'empereur, cela se conçoit. On
peut donc comprendre jusqu'à un certain point l'opinion
exprimée par Gaïus en ce sens. Mais, en réalité, il
me paraît évident qu 'il faut distinguer ici le pouvo ir de
gérer qui compète au prince et le droit de propriété qui
appartient à l'Etat. Cette distinction s'impose de plus en
plus, à mesure que le fisc a bsorbe peu à peu l'œrarùtnz,
jusqu'au point de le remplacer com plètement. Incontestablement l'empereur avait la haute surveillance sur le fisc.
Il exerçait tous les pouvoirs confiés autrefo is au Sénat
dans l'administration des finances. Il était le mandataire
de la nation. Il dirigeait les affaires de l'Etat. Mais il ne
faut point confondre ce pouvoir avec le droit de propriété :
ce serait une erreur très grave.
. M. Humbert a du reste soutenu cette opinion avec son
1mme.nse talent. Voici sa démonstration juridique : « En
» droit, la succession testamentaire ne saurait comprendre
» que les biens qui feraient partie d'une hérédité ab intes» tat, et qui com me tels auraient, à défaut de testament,
» dû p.asser aux héritiers siens (suz"), aux agnats ou aux
» gentzles. Or, il faudrait admettre, dans le système de
en une legitime, une pétition d'hérédité,
. .
M • Mom ms ,
provmc1aux, etc., au
fonds
des
partage
en
ande
· d'
» une d em
ire que
vaudrait
Autant
f
intestat
ab
héritiers
des
d' .
)) profit
· romain lui-même eût été héré 1taire. »
,
l
..
,. 1 empire
avons ainsi étudié la composition du personne
N ous
Il
d T .
.
.
des fi nances souS l'Empire et la s1tuat1on . u resor.
nous rest e m a ·intenant à examiner le fonctionnement de
)>
l'administration.
CHAPITRE Il
FONCTIONNEMENT DE L'ADMINISTRATION
Au début, le prince respectait encore, avec une habile
réserve les pouvoirs financiers du Sénat .
C'èt~it donc toujours le Sénat qui a~êta_it le~ dé~ens:s
et déterminait l'em ploi des recettes. C était lu~ qui arretait le contrôle législatif du domaine de l'Etat et des
déf t
l
impôts.
au ,
On confiait également aux censeurs, et, à eur
aux consuls, les crédits nécessaires pour les travaux
publics. Ces travaux étaient toujours exécutés par .des
' par les encheres
entrepreneurs moyenn a nt un prix fixé
. .
publiques.
Le pouvoir du S énat s'étendait aussi bien aux dépenses
Bref ' le Sénat
·
. supp lé ment aires.
ordinaires qu'aux crédits
des
· 1a nat u re et l'étendue
.
votait encore 1'1mpot 1 fi xa1t
créles
ouvrait
et
é
T
d
.
les dépenses u r sor
recettes réala1t
0
'
dits. Les censeurs et le p1us souvent les consuls et les, préteurs en présence des questeurs ou des préfets de 1 œra· uennal des recettes
.
. ' 1U1. présentaient
le bud get qu1nq
rzum
. . que 1e pro duit mo)·en des por'
du peuple ams1
du Trésor
•
•
A
�-
-
70 -
.
toria. Ils dressaient le cahier des charges t d'
hè e a 3u.gea1ent les
fournitures ou entreprises aux
enc res publ
'
.
r~ais,
comme ils adjugeaient les
vectigali~qu:: e\au
o rant en présence des questeurs ou préfets du T é p us
Le~ mandats de paiement devaient émaner de; so~.
memes
f
autorités. Mais des curateurs . é .
substitués aux magistrats sé t1m~ n aux urent peu à peu
na onaux .
« Après la répartition des provinces entre l '
· · conserva 1 d · d · . empereur
» et le Sénat , ce Ju1-c1
e ro1t e dmger 1
d
f
. . a ge~
» io~ es provinces sénatoriales di tes sti'
. :pendtaires, mais
» tou3ours sous l'a t 'té
·
proconsulaire d
u on
. u pnnce. Les
d
» proconsuls ou O'Ouverne
'fi
urs e ces réO"JO
o
ques y
ns pac1
» prescrivaient Je recouvrement d es coo t .b
.
et les
» faisaient verser chez
1eurs questeurs oun n utions,
receveurs géné» raux ; en outre ils procéd .
. aient, en leur présence, au bail
» des revenus du d
omame ou des tax . d'
es m irectes. Plus
.
» tard, à la suite de l'a
·
ccro1ssement des d
.
omames du fisc
» impérial, les intendants
(procuratores Augustt) apparte» nant à l'ordre é
.
·
questre, durent ~ t
» dans ces provinces . ·1 fi . e re mlrodmts même
ou 1 s mrent
1
par remp acer les
» questeurs au III• siècle ( ). »
1
Dans les provinces .im pén.a 1es o t ·b ·
u n utalfes, le gouvervemeur ou lieutenant d l'
e empereur éta·t
1 d · ·
a mm1strateur
.
et ordonnateur En tt
·
·
ce e quali té il p
·
ouva1t a volf des ordres à donner aux . .
ca1ss1ers et aux p
rocuratores Cœsarz's
des registres à ten· t
'
ir e un contrôle à
exercer. Il avait le
pouvoir d'édicter Je
.
recouvrement des
. recettes. Le service
de la perception était fait ar
l~s mtendants de l 'empep
reur. Ils avaient recou
rs aux ad d. f10
ns, comme sous
JU ica
la R épublique Ma·
·. .
is, pour les dé
·
penses mil1talfes, l'em.
pereur seul qui
. . les légions, se
recrutait ou rtcencia1t
'
(1) M. Humbert, Compte·rendu de l 'J\cad. des L'e
v · moral. et pot., avril 1885,
· 2 e t s.
P 47
71 -
réservait de délivrer des congés aux vétérans et de liquider les récompenses à eux dues par le Trésor militaire.
En ce qui concerne les provinces de l'empereur, on voit
peu d'exemples de contributions créées ou accrues par le
Sénat. Cependant il faut remarquer que le prince n'osait
pas pratiquer seul ces innovations. Il préférait user de son
droit d'initiative et couvrir sa responsabilité par des sénatusconsultes.
Tibère consultait même le S énat sur les impôts, les
monopoles, la construction ou la réparation des bâtiments,
et, ce qui était plus habile de sa part, sur les affaires
étrangères et sur celles dt la défense nationale. Mais les
empereurs s'affranchirent bientôt de cette apparence de
soumission. A partir de la réorganisation de l'administration de l'œrarùtm par Néron , le vote du Sénat ne fut plus
qu'une formalité qui ne subsista guère que jusqu'au Ill"
siècle. En réalité l'empire s'arrogea d'abord les pouvoirs
du Sénat plutôt en fait qu'en droit. Son autorité se mani festa dès lors en toutes circonstances. Il ne recula même
pas devant la composition d'un Sénat docile à ses desseins.
Ainsi les progrès du régime impérial s'accentuèrent rapidement jusqu'à l'absorption complète de l'œrarium par le
fisc qui devint l 'unique Trésor de l'Etat.
« Des princes tels que Caligula, D omitien, Commode
)>ou Caracalla, qu'aucun crime n'arrêtait pour amasser
)) l'or nécessaire à leurs passions insensées, n'eurent pas
)> le scrupule constitutionnel de consulter le Sénat à l'effet
)) d'imposer les taxes les plus lourdes , les plus odieuses
)> ou les plus étranges ou de doubler les impôts existants. '>
(M. Humbert. )
Caracalla notamment, <( après s'être ingénié à inventer
)> de nouvelles charges, après avoir doublé l'impôt sur les
)> affranchissements, sur les legs et sur les successions,
)> songea, pour augmenter le produit de cet impôt, qui ne
�-
-
72 -
» se percernit que sur les citoyens, à généraliser cette
» qualité de citoyen (1) ». On peut remarquer l'habileté
avec laquelle il dissimula cette mesure fisca le. 11 affecta
une très grande générosité, tandis qu'en réalité il n'avait
en vue que les intérêts de son fi sc. Car la concession du
droit de cité impliquait le paiement de taxes onéreuses
de telle sorte que la prétendue sollicitude du prince du~
être chèrement achetée par les citoyens qui n'eurent même
pas la liberté de la refuser.
Cependant M. Jullian (2), dans un ouvrage plein d'érudition, apprécie ainsi la réforme de Caracalla :
« Le peu de retentissement que semble avoir eu un fait
» de cett: importance, l'ignorance où l'on était, moins de
» deux siècles après, au sujet de l'auteur de la réform e la
» p~us grande et « la plus humaine » qui ait signalé l'Em» p1re,. montr~nt q~ ' il n'y eut pas là une mesure brusque,
» une mnovat1on mouïe, mais que ce fut seulement la
» conclusi.on, le couronnement des concessions faites pen» dant trois cents ans aux villes et aux provi nces » .
. On peut répondre à cet érudit : Oui , au point de vue
idéal, la concession du droit de cité à tous les habitants
é~ait la réfo~me « la plus humaine » qui eût sig nalé J'Emp1re . ~u pomt de vue des pri viléges, c'était une mesure
essentiellement égalitaire. Au point de vue des conséquences, c'était une réforme politique.
Mais il ne faut point oublier que Caracalla s'était inspiré
. « ses
surtout
. de. la détresse du Trésor . Pour sat·1s fa1re
passions insensées », il avait puisé dans la caisse de l'Etat
Il lui fall ait donc combler les vides qu'il avait faits. E~
conséquenc~, sa réforme était une nécessité politique. Quant au silence des historiens sur « un fait de cette im(l ) Ortolan, Hist. de la législat. rom., p. 324 .
(2 ) M. Jullian, Transformat1011 polit · de l'ifa 1e sous l es emp. rom ., p. i86
z·
73 -
e » il s'explique logiquement et historiquement
.
.
.
portanc ,
la qualité de citoyen . avait.
que
considération
tte
par ce
perdu tout son prix (1) sous l'Empire. ~t .cela.est s1 : rai
s la R épublique tous les écn vams enuméra1ent
.
.
'
que sou
les plus petits bourgs auxquels on accordait le droit de
f ·
cité.
« Du peu de retentissement que semble avoi~ eu .~n ait
de cette importance », il n'est donc pas permis d inférer
u'il n'y eut pas dans la réforme de Caracalla « u~e
~esure brusque, une innovation inowe. » Au contr~1re
cette mesure fut brusque au point de vue de la fiscal_1té.
Elle fut brusque, car personne ne l'attendait d'une ~am~.re
aussi absolument générale. Elle fut également mou1e,
parce qu'elle dissimul ait des char~e? i.mmenses sous le
.
.
masque d'une générosité de mauvais alo1.
D'ailleurs, la qualité de citoyen devait être cons1déree
comme une bien faible « concession )> par des hommes
.
qui ne l'appréciaient plus.
Aussi
Quoi qu'il en soit l'actif du fisc était devenu énorme.
sa transformation complète en Trésor public ne tarda-t-elle
pas à se réaliser. E n examinant de près les évén~men~s'.
on peut remarquer que cette transformation avait suiv i
l'accroissement progressif de l'autorité de l' empereur.
Destiné primitivement à réco mpenser les vieux soldats,
le fisc avait pris à sa charge, dès l'origine, toutes les autres
dépenses de l'armée de terre et de mer (2), celles des provinces patrimoniales, comme l'Egypte et plus tard_ le
Noricum, et des États annexés ou provinciœ procuratorue,
sans compter les frais de la cour, du prince et de ses commensaux J affranchis ou esclaves de plus en plus• nombreux.
• •
•
Le ser vice de la poste officielle, qui incombait pnmitive-
(1) Ortolan , Hist. de la lêgislnf. rom., p. 325 .
Droit pllblil' rom., p. 495 et s.
(2) 111. W illems,
u
�-
74-
ment aux localités, fut mis à sa charge dès le second siècle.
Ainsi le prince finit par régler la totalité du budget
des dépenses de l'administration de la guerre et de la
marine. 11 fixait de même celles de l'administration des
provinces. Et peu à peu il parvint à déterminer aussi celles
des a utres services publics.
En additionnant toutes ces charges, il put enfin avoir
une sorte de budget des dépenses du Trésor.
Ce budget des dépenses était accompagné d'un état
indicatif de l'encaisse du fisc, du produit annuel de la
ferme des vectigaha, du montant des tributs (stipendia) et
des autres impositions. Toutes ces indications étaient contenues dans un tableau nommé Ratùmarù11n ou B réviarium
lmpe1'Ù.
Pendant quelque temps, l'empereur avait communiqué
ce tableau au Sénat. Mais il est superflu de dire que cette
communication fut de courte durée.
Quant à l'équilibre des fina nces, il n'était garanti ni par
les discussions du Sénat, ni par la publi cité même des
documents financiers. Les déficits naissaient soit de la pro·
digalité de certains princes, soit de l'accroissement des
dépenses de g uerre ou d'administration.
Les frais de la cour du prince, très modestes sous
Auguste ou sous Tibère, devinrent énormes sous Caligula,
Néron, Vitellius, Domitien, Commode, Caracalla, Heliogabale, etc. (M. Humbert). L 'ordre ne reparut plus que
momentanément et notam ment sous Di oclétien . La situa·
tion était donc devenue difficile et elle se précipitait toujours.
Elle finit même par se disloquer complètement, et alors
on vit l'Empire ruiné par les tyrans, par les g uerres civiles et par les invasions. C 'est pourquoi, il me paraît inutile
de sui vre plus longtem ps ces péripéties et j'estim e que le
moment est venu d'abandonner l'empire à sa tri ste destinée
- 75 et de le laisser s'agiter encore dans sa décadence et dans
ses dernières convulsions.
CePendant ' avant de terminer, il est intéressant .d'exami. 1l
les principales questions contentieuses ou cnmme es
d fi
·
ner
qui pouvaient se présenter dans l'administrat10n es nan·
d'.
ces.
Le domaine de l'Etat, géré dans les con it1~ns que
nous avons déterminées, était à l' abri des usurpatio~s des
particuliers par son caractère imprescript~ble . Mais,_ e.n
fait, il donnait lieu à de nom breuses questions de délimi.
tation ou de propriété.
Sous la R épublique, les censeurs, les consuls ou , a
leur défaut, les préteurs étaient compétents pour les résoudre toutes.
Cette juridiction fut attribuée par l'empereur à ~es
curateurs choisis par le Sénat (curatores locorttm pu~lzco·
rum judi'candorum) . Plus tard, l'empere~r l~i-même mter·
vint dans les procès, soit par appel, s01t d!fectement sur
requête ou d'office. Il tranchait également les . co~testa
tions au sujet des limites entre l'Etat et les particuliers et
entre les communes en Italie.
En province le gouverneur était compétent pour les
procès entre deux communes o u entre une commune et
un particulier.
En ce qui concerne les impôts, il faut distinguer entre
ceux qui étaient affermés et ceux directement payés au
Trésor.
relatifs
foule de. litiO'es
't
f . ·
.
t>.
Les premiers a1sa1ent nai re une
à l'interprétation des t arifs, aux perception.s indument
faites, aux confiscations de marchandises prohibées ou non
déclarées. Ces difficultés étaient d'abord tranchées par les
censeurs ou les consuls. Mais, dès l'année 58 de J.-C. ,
elles furent soumises à Rome au préteur et en proYince,
A
�-
76 -
au gouverneur. Quant aux impôts non affermés, les censeurs et les consuls connurent primitivement à Rome des
questions litig ieuses . En province, elles étaient soumises
au gouverneur, sauf appel au Sénat.
Il est à peine besoin d'ajouter que, comme dans toutes
les affaires publiques, l'autorité impériale s'imposa ici peu
à peu et finit par devenir souveraine.
Le Gouvernement veillait donc à la bonne gestion des
finances publiques. Il avait même organisé, à côté du
contrôle administratif, l'intervention du pouvoir judiciaire.
Ainsi les abus, les malversations et les fraudes étaient
sévèrement réprimés. La loi Julza d' Auguste, qui était
une codification des lois précédentes, avait prévu le fait de
tout fonctionnaire en particulier qui aurait fraudul eusement
détourné et empl oyé à son profit une valeur appartenant
aux Trésors public, militai.re et fiscal ou à une c:iisse
communale. Le coupable devait une réparation pécuniaire
(la restitution au quadruple), et de plus, il subissait une
sorte de flétrissure, car cette loi était à la fois civile et
criminelle. Elle interdisait d 'une manière générale toute
espèce de concussions. Elle réglait également les droits et
les devoirs des gouverneurs de province, et elle exigeait la
remise des comptes en double exemplaire, indépendamment du 3• original qui devait être déposé à R ome entre
les mains des questeurs de l'œrarùmi.
Ces dispositions furent complétées par la loi de altertÏS
consilùs rejù:iendù qui déterminait le nom bre de personnes
dont pouvait se faire acco mpagner l'accusateur, quand il
a llait dans les pro vinces réunir les documents nécessaires
pour instruire le procès. (Laboulaye, Essai· sur les loù
crùn. des Rom., p. 196 et s. -422 et 425 et s. -M. Humbert, Compte-rendu des se. morales et pol., avril 1885 .)
D ROI T
FRANÇAIS
PRINCIPES DE COMPTABILITÉ PUBLIQTIE
�DROIT FRANÇAIS
PRINCIPES DE COMPTABILITÉ PUBLIQUE
HIST ORI QUE
A l'origine de la monarchie franque, on retrouve la
plupart des impôts romains. Les rouages administratifs
sont aussi à peu près les mêmes.
« Le roi Chilpéric, dit Grégoire de Tours, fit faire de
» nouveaux recensements, et de très-durs dans toute
)> l'étendue de son royaume. C'est pourquoi plusieurs aban)> donnèrent les villes qui lui appartenaient, et même leurs
)> propriétés, pour se retirer dans le royaume de ses frères ,
» aimant mieux errer à l'aventure dans les pays étrangers
:t que d'être exposés à un pareil tourment ( I). »
Mais les derniers vestiges romains durent disparaître
bientôt. Car l'histoire enseigne que les finances mérovingiennes étaient livrées à l'arbitraire et à la plus complète
anarchie.
Sous la deuxième race, il n'y avait pas non plus de
(1) Grégoire de Tours, Histuiro cks Francs, liv. V, ch. 29.
�-
- 80 -
régime financier bien défini. Les revenus des rois consistaient dans les produits de leurs domaines 1 les redevances
des serfs, et quelques dons gratuits des grands et des
comtes (D . A. V0 • Trésor publi c). Les sommes provenant
de ces revenus étaient déposées dans l 'ancien palais bâti par
Clovis; et ce trésor était confié à la garde d'un majordomus : le système de la thésaurisation était donc pratiqué.
Cet état de choses fut naturellement modifié par l'éta·
blissement du régime féodal. Ainsi les revenus des rois
étaient les mêmes que ceux des seigneurs dans leurs
domaines. Ils étaient appliqués, non pas aux dépenses du
royaume, mais aux dépenses du fief.
Hugues Capet ne levait donc de subsi des que dans le
duché de France.
On comprend aisément que tout impôt général était
impossible, car chaque seigneur se prétendait souverain
dans son domaine et ne se croyait obligé envers le roi
qu'à certains services personnels.
Néanmoins les revenus de la couronne étaient encore
assez importants; ils comprenaient :
Les droits de transit et de circulation sur les blés, le fer 1
les toiles, les laines, le cuir, les bestiaux, le sel, etc. ; les
droits d'étalage et de pesage sur les marchés; les droits
sur les étaux des marchands ; les amendes de la haute,
moyenne et basse justice; les bénéfices réalisés sur la
fabrication des monnaies; les sceaux et les tabellionna·
ges, les halles, le mesurage public 1 la bana lité des fours et
des pressoirs, et, plus tard , celle des moulins; le droit de
prise qui donnait aux pourvoyeurs de la maison du roi la
faculté de prendre chez les marchands 1 gratuitement
d'abord et plus tard aux prix qu'ils faisaient eux-mêmes,
les denrées et marchandises à leur convenance·J le droit
de gîte> c'est-à-dire le droit de visiter une fois dans l'année
chacune des villes, bourgades et abbayes situées dans les
81 -
fiefs royaux 1 de s'y fa ire héberger 1 ou d'y percevoir une
somme d'argent équivalente aux frais que le séjour aurait
1
occasionnés; les reliefs payés par la transmission ou 1 investiture des fiefs ; les taxes sur les Juifs; le formariage
levé sur les serfs pour les autoriser à se marier ; la régale
ou perception des revenus des évêchés pendant une année;
l'aubaine 1 qui attribuait au suzerain l'héritage des étrangers morts sur ses terres; le droit de dépouille, qui lui
attribuait l'héritage mobilier des évêques; la vente des
offices 1 qui paraît dès le temps de saint Louis; les épaves 1
les trésors dont le hasard procurait la découverte; les 'Cens,
rentes annuelles et fonci ères; les tailles levées sur les roturiers; les droits féodaux proprement dits qui consistaient
en prélèvements en nature sur les produits du sol o~ ~e
l'industrie, les revenus des forêts 1 des étangs, des nv1e·
res 1 etc .
Les ressources du domaine étaient donc nombreuses et
variées. Elles s'élevaient en r238 à 235 ,286 livres> soit
approximativement à r4 millions en monnaie moderne :
c'ètait assez pour un grand fieC c'était trop peu pour le
royaume (Charles Louandre).
L'administration des finances royales étaient représentée
par deux officiers, le bouteiller et le chambrier, chargés à
l'origine de services dom~sti.ques . Sous l~urs o~dres~ l.es
prévôts et les vicomtes fa1sa1ent les fonctions d admm1strateurs et de receveurs particuliers.
Cette organisation se développa a\'eC le pom·oir royal.
Ainsi Philippe-Auguste adjoignit aux préYôts et aux
vicomtes les baillis et les sénéchaux.
Ces agents étaient à la fois ordonnateurs, receyeurs>
payeurs et juges du contentieux ( I ).
(1) Dareste de la Chavanne, /lisl11ire d4 l'admi11istratum '" Fr.ince, t. I,
p. 332,
6
�-
82 -
A cette époque les rois s'ingénièrent surtout à établir
de nouvelles taxes ou à augmenter celles qui existaient
déjà. Ainsi, en 1149, un impôt général fut levé par
Louis VfI à l'occasion de la deuxième croisade. Cet
impôt, connu sous le nom de 20°, consistait en une taxe
proportionnelle sur le revenu .
Quarante ans plus tard, Philippe-Auguste leva, sous le
nom de dîme saladine, un nouvel impôt général pour les
expéditions en T erre Sainte. Il en leva un second en
1191 pour la défense du royaume .
L'impulsion était donnée : à dater de ce règne, les impôts d'Etat, qui avaient disparu au milieu du morcellement
féodal, tendirent à se reconstituer ( 1).
Ainsi saint Louis fit demander à un g rand nombre de
villes l'argent dont il avait beso in pour la paix d 'Angleterre (1259), c'est-à-dire pour le paiement de l'indem nité
pécuniaire stipulée au profit de Henri III par le traité de
I 258, en compensation de l'a bandon de ses droits sur la
Normandie, l'Anjou, la Touraine et le P oitou. Les vill es
répondirent avec empressement à l'appel du roi.
Comme on le voit, le royaume grandissait toujours et,
partant, les dépenses all aient en augmentant. Il fallait
donc accroître aussi les ressources dans les mêmes proportions. Ce n'est pourtant pas ce que fit d'abord Philippe le
Bel. Au contraire, il commença par emprunter des sommes
considérables à des marchands de Florence, et pour les
rembourser il leur délégua le recouvrement des impôts
dans plusieurs provinces. Mais il com prit bientôt qu'il
fallait changer de système. Il réso lut de ne pas reculer
devant les mesures fiscales les plus arbitraires, telles que :
l'altération des monnaies et les confiscations les plus
( i ) Charles Louandre, introduction à l'Histoirc fi11a11dere de /,1 France, par
Alexis ~lonteil.
-
83 -
violentes. Mais tout d'abord il tenta d'établir définitivement les impôts généraux : cette innovation était assurément difficile à réaliser, car les revenus de la couronne
conservaient encore leur caractère féodal.
La féodalité avait, il est vrai, réservé aux seigneurs le
moyen de se procurer des subsides extraordinaires. Ainsi
l'aide féodale restreinte d'abord à trois cas, puis étendue
aux voyages et aux expéditions en T erre Sainte, tendait
à s'appliquer d'une manière générale à toute espè~e ~e
guerres. Mais le principe que l'ùnpôt est la contribution
exi<rée de chaque citoyen pour sa part dans les dépenses
publiques n'était pas encore admis en France. D'ailleurs,
le moment n' était pas opportun pour le proclamer. Il
fallait donc chercher dans l'extension de l'aide féodale le
moyen d'établir indirectement le système des contributions
publiques. Pour réussir dans cette tentatiYe, Philippe le
Bel ménagea les transitions. Il commença par récl~n:er
des subsides dans une forme différente de celle de 1 aide
féodale : il ordonna la perception d'un denier par li vre
sur la vente de toutes les marchandises. Cette perception
était malheureusement d'une pratique difficile, surtout
pour les ventes effectuées dans les maisons, les boutiques
et les fabriques. Cependant, comme il s'agissai.t d'uneta~e
de g uerre, la mesure fut acceptée. Elle suscita toutefois
dans certaines provinces un très vif mécontentement...Le
roi dut même revenir à une ancienne forme de 1 aide
féodale à celle qui en faisait une sorte de capitation prod
..
'
portionnelle aux fortunes. Il établit une imposition u
centième de la valeur des biens. P eu à peu il augmenta
cette contribution suivant les besoins du royaume. Et en
toute occasion il eut soin de s'assurer le consentement
parfois de les
•
·
des nobles et du clergé. Il a ffectait meme
fav oriser pour les décider plus facilement à .se soumettre
aux mesures fiscales que la situation réclamait.
�-
84 -
Mais il s'aperçut qu'il ne fallait pas trop exiger de ce
chef. Et c'est pourquoi il résolut d'exploiter les Juifs et les
Lombards qui avaient amassé des richesses considérables.
Les Juifs étaient restés dans un véritable servage malgré la propension qui se manifestait depuis longtemps en
faveur de la liberté humaine. Ils étaient la propriété du
roi ou desseigneurs. Philippe le Bel, estimant qu'ils étaient
pour son domaine une possession fructueuse, les protégeait contre les persécutions de l'Eglise ; mais c'était
dans l'unique but de confisquer leur fortune ou de la soumettre à des redevances énormes.
Ainsi en 1292 et en 1 295, ils furent arrêtés et une
partie de leurs biens fut saisie. En 1299 et en 1303, ils
furent encore soumis à la taille. Enfin et 1306 Philippe
le Bel les bannit tous et s'empara violemment de leurs
biens meubles et immeubles qui furent vendus aux enchères au profit du Trésor royal. S'ils furent autorisés plus
tard à rentrer en France, ce fut uniquement dans un
intérêt fiscal.
Pendant que les Juifs étaient ainsi protégés ou dépouillés, suivant les besoins du Trésor, les Lombards s'étaient
établis en France et se livraient aussi à des opérations de
banque et de commerce. Leurs opérations étaient taxées
au profit du fisc. Malgré cela ils réalisaient de gros bénéfices qui croissaient à mesure que la concurrence des
Juifs diminuait. Philippe le Bel ne manqua pas l'occasion
de leur imposer de lourdes charges. En 131 1 ils furent
même banni s comme les Juifs. Ils rentrèrent en 131 S
pour reprendre leur trafic, et le roi participa de nouveau
à leurs bénéfices.
Ce n'est pas tout.
Jusqu'à Philippe le Bel l'imposition de décimes sur les
biens de l'Eglise avait toujours été demandée par le Roi
85 -
au Pape, qui l'accordait ou qui. du moins l'autorisait. Ce
rince crut pouvoir s'adresser directement au clergé fran~ais. Et malgré quelques protestations isolées, il réussit à
btenir directement ce que ses prédécesseurs n'avaient
~btenu que par l'intermédiaire du Saint-Siège.' Enhardi
ar ce succès, il voulut lever de nouveaux subsides. Mais
rencontra cette fois une résistance qui aboutit à l'excommunication tout à la fois de ceux qui percevaient les décimes et de ceux qui les payaient. Cependant le Pape ne
voulut pas rompre définitivement avec la France. Et c e~t
pourquoi il finit par autoriser la levé~ de no~vea~x décimes et même par reconnaître au rot le droit d imposer
l'Eglise, en cas~ de nécessité absolue, avec le seul conse~
tement du clergé. Philippe le Bel sut profiter de ce droit
ui ne tarda pas du reste à être contesté. Le nouveau
d
.
é
l
q
pape Boniface VIII exprima, en effet, . a pr tentton e
placer la puissance spirituelle du Pontife au-dess~s. du
pouvoir temporel du prince. Pour toute réponse Philippe
le Bel s'empressa de réunir les Etats généraux et d~ provoquer habilement dans cette assemblée une manifestation contre les prétentions du Pape. Il fut encore excommunié. Mais cela ne l'empêcha pas de réclamer aux
prélats français la levée d'un décime dans leurs. diocèse~,
après le désastre de Courtrai ( 1302 ). Bien plus, il répondit
à l'excommunication en interdisant au clergé de payer les
impositions levées par les nonces de la cour d: Rom~. li
prétendit que les ressources du clergé français devaient
être réservées aux besoins de la France. Il alla même
jusqu'à interpeller le Saint-Siège de faire. connaitre ses
intentions. Après quelques pourparlers, et tout. en sauv~nt
les apparences, le Pape s'entendit avec le R oi pour faire
payer à l' Eglise trois décimes , dont deux pour la c~ur de
1 A nsi l'Eglise fut
France et un pour la cour de R orne. 1
« tondue '> d'une part et ,< écorchée '> de l'autre, suivant
fi
1
l 'expression d'un chroniqueur de l'époque.
�-
-
86 -
Philippe le Bel réalisa donc des réformes financières
très importantes. Il augmenta considérablement les ressources de l'Etat en donnant à l'impôt un caractère de
généralité inconnu jusque-là .
Les baillis et les sénéchaux restaient ses délégués pour
la per ception des recettes et le paiement des dépenses. Ils
devaient rendre leurs comptes à la date fixée par la chambre des comptes.
La chambre des comptes fut en effet, sinon instituée du
moins organisée sous ce règne. Vers le milieu du
siècle, quelques membres de la section judiciaire de
l'ancienne cour du roi avaient été plus spécialement chargés de vérifier les comptes. Ils étaient désignés sous le
nom de 111agistri' compotorum . P eu d 'années après ils
formèrent un corps spécial et distinct sous le nom de
Chambre des comptes : cette qualification leur fut attribuée par !'Ordonnance du 13 avril 1309. La chambre des
comptes était composée indifféremment de gens d'éCYlise
'
b
de ? arons, de courtisans, de chevaliers, de bourgeois et de
lég~stes. Chargée de vérifier et de juger les comptes, elle
était aussi le conseil du roi en matière de finances. Et en
v.ertu d~ délégations du prince, elle prenait part à l'exercice actif du pouvoir administratif. A partir de ce moment
elle s'organisa plus complètement. Une Ordonnance du
3 janvier 1320 fixa définitivement ses attributions son
travail intérieur et sa procédure. Son influence alla' donc
en augmentant. Les comptes devaient lui être présentés
t ous les ans, et elle punissait les sénéchaux les baillis et
.
·
les
pas à 'cette prescrip. receveurs qui ne s e con forma1ent
. xrne
tion de !'Ordonnance du 18 juillet 1318.
· s1· 1es
furent d'abord s.'.lns appel · T ou t e fois
.
·
plaignaient de ses Jugements,
e lie devait
le concours de
,
nom·eau les comptes avec
quatre membres du Parlement.
Ses décisions
. . . b1es se
JUSt1c1a
.
de
examiner
.
deux trois ou
'
87 -
A côté de la chambre des comptes il convient de signaler l'institution des Trésoriers de France, qui faisaient de
continuelles tentatives pour attirer à eux l'administration
générale des finances. Cette tendance devint si marquée
qu'elle provoqua un conflit d'attributions entre eux et la
chambre des comptes.
Ce conflit se termina à leur désavantage. Ils durent
borner leur mission à effectuer les recettes et les paiements . Mais cela ne les empêcha pas de poursuivre leur
but. Ils surent, sous le règne suivant, reconquérir leur
ancienne influence et peu à peu ils devinrent même les
chefs réels de l'administration.
Une Ordonnance de 1323 constate en effet que ce sont
eux qui traitaient toutes les affaires financières et leur prescrit de se concerter avec la chambre des comptes. Toutefois ils ne cessèrent pas d'être comptables. Et à ce titre ils
restèrent justiciables de la chambre des comptes.
Ainsi se form a insensiblement une sorte d'administration
centrale des finances qui avait pour chef l'un des trésoriers . Ce chef des trésoriers verra augmenter son autorité
et ses pouvoirs et deviendra plus tard le surintendant
général, puis le contrôleur général des finances.
Comme on le voit, les transformations opérées par
Philippe le Bel étaient très importantes. Le roi faisait
argent de tout. Après avoir dépouillé les Juifs et les Lombards, il dépouilla aussi les Templiers. Malheureusement le
plus grand désordre existait en comptabilité et cela s'explique, car le roi favorisait lui-même la confusion par
l'altération des monnaies dont il augmentait la valeur
.
quand il devait payer et la diminuait s'il avait à r.ecevoir.
Philippe le Long voulut améliorer. A cet effet , il généralisa la mise en ferme des impôts existants. Malheureuse~
ment l'adjudication était souyent faite à des Italiens qui
pressuraient le peuple pour réaliser de gros bénéfices.
)
�-
-88-
Il convient de signaler sous son règne les Ordonnances
de 1318 et 1323 1 qui consacrèrent la séparation de la comptabilité de l'administration proprement dite . Mais, malgré
cette séparation, et malg ré les dispositions disciplinaires
édictées contre les agents de l'ordre financier par les
Ordonnances de février 133+, 28 janvier et 4 mars 1348 1
14 juillet 13491 les abus se perpétuaient et se multipliaient
toujours ( 1).
Cependant les Etats-Généraux de 1338 et de 1355 1
déclarèrent que le consentement des trois ordres serait
désormais nécessaire pour la levée des impôts. C 'était une
excellente mesure.
Charles V eut le tort de ne pas l'observer et de pratiquer
les erreurs du passé.
P ar les Ordonnances du 17 avril 1364 et du 22 février
I 367, il rédui sit le nombre des généraux de finances et
consacra leur double attribution d 'ordonnateurs et de juges
pour les recettes extraordinaires.
En 1373, deux élus furent établis dans chaque ville pour
mettre en adjudication les droits à affermer.
Le système des fermes était plus particulièrement appliqué aux impôts indirects. li était déjà pratiqué sous les
Mérovingiens, comme on le voit par un édit de Clotaire,
en date de 561. Il permettait au Gouverneur de réaliser
immédiatement les fonds dont il avait besoin, au moyen
des avances que lui faisaient les fermiers; mais il donnait
lieu aux plus graves a bus. E n effet, les fermiers , à l'aide
de pots de vin, obtenaient, sur le prix des baux, des rabais
considérables. De g rands personnages s'intéressaient dans
l'affaire et les couvraient de leur protection.
Mais il importe de remarquer le mécanisme de cette
comptabilité. Pour plus de clarté, je prendrai un exempl e:
(1) Dareste de la Chavanne, t. J, p. 335 .
89 -
osons tels impôts affermés 6 ,ooo fr. à Primus qui
upi~nt ad]. udicata ire pour un an. Au bout de 4 mois, le
· d'
ev
· de la durée du bail toute personne peut devenir a JU.
'
tiers
dicataire à sa pl ace en faisant un tiercement, c'est-à-dire
offrant de donner le tiers en sus, ou 9 ,000 fr. D e même,
·i h
en
au bout de six mois, la moitié de la durée du bai , c acun
peut également devenir adjudicataire en faisant le doublernent c'est-à-dire en offrant de donner le double en sus .
Tout~fois le premier fermier peut rester adjudic~tair~. en
couvrant le tiercement ou Je double·m ent par l addition
d'une somme appelée enchère et fixée par les élus:
Le dernier adjudicataire force le receveur à lui prendre
pour comptant les sommes qu'ont versées ou qu'ont dû
verser les fermi ers précédents. Et ces sommes ne peuvent
pas être dissimulées, car les quittances délivrées pa.r les
fermiers ne deviennent pièces comptables que lorsqu elles
ont été vérifiées à époques fixes par les officiers contrô-
S
d
.
leurs (Monteil).
Quelque ingénieuse que puisse paraître cette comptabilité, les garanties qu'elle offre sont plus apparent~s ~ue
réelles. En effet on voit les règles continuellement v10lees,
les concussions extraordinairement nombreuses et le désordre répandu pa rtout. " La multiplicité de~. impôts
,. · 1·t · de la répart1t1on par
.
.
» généraux et 1ocaux, l mega 1 e
» suite des privilèges des castes, des provmces et .d:s m» dividus la vénalité des charges de finances qui mtro)> <luisait dans l'administration des fonctionnaires incapables
· e aux crrands personna· .
,.
.
••
t> <
>> et ignorants, 11mpumte acquis
· d ·moraliser l'adm101s.
» cres tout concourait à entraver, a e
b. et de mettre
·
'.
t>
•
» trat1on, et les Ordonnances qui ont pour o J
meme
nombre
leur
par
attestent
abus
aux
terme
)> un
· · tants " (Ch Louandre.)
. .ent pers1::.
» corn b .1en ces a b us cta1
Quoi qu'il en soit, nous devons constater .que les rest ·ours msuffisantes.
.
sources du Trésor étaient presque OUJ
L
•
•
�-
90 -
Elles le devinrent surtout pendant les guerres qui troublèren~ les règnes de Charles V, Charles VI, Charles VII
· ·
et Louis XI. 11 fallut même recourir au crédit · C'est ainsi
que ' Charles VI fit à l'abbaye de St-Denis un emprunt
de 20,000 livres moyennant une rente de 2,500 livres
» à prendre sur la bouchetie de Beauvais et sur la boîte
» aux poissons de Paris. »
De son côté Charles VII dut augmenter les taxes. li
décla~a l'impôt de la taille perpétuel, sans le consente.
men: ~réalabl e des Etats généraux. A ce propos il me
parait _mt~r~ssant de consulter de Tocqueville (r) « Quand
» le roi, dit-il , entreprit pour la première fois de lever des
» taxes de sa propre autorité, il comprit qu'il fallait d'a» bord en choisir une qui ne parût pas frapper directe» ment sur les nobles; car ceux-ci, qui formaient alors
» ~ our _la royauté la classe rivale et dangereuse, n'eussent
» 1~rr:a1s souffert une nouveauté qui leur eût été si préju» diciable. Il fit donc choix d'un impôt dont ils furent
» exempts : il prit la tai lle. »
D'ailleurs, Commines disait déjà que « Charles VII qui
.
. d'.imposer la taille
»gag
à son plaisir, sans le
. na ce point
» consentement des Etats, chargea fort son âme et celle
» de ses succes_seurs et fit à son royaume une plaie qui
» longtemps saignera. »
Et, en effet, ses successeurs profitèrent largement de ce
précédent. Tout d'abord Louis XI, sans recourir aux
.
.
Etats généraux , éleva 1e c h"ff
de 700 ooo li1 re d e 1a taille
'
.
.
E
vres à. 5 millions · n augmentant ams1 les charges des
.
. d 'amél10rer
·
contribuables
1e bon espnt
, il eu t d u moins
.
.. pour les remettre
règles d e la comptab1ltté
les anciennes
.
en ~1gueur (O rdonnances de 1443 et 1454j. Il confirma
.
· ·d·1ct1on
aussi les élus dans leur JUfl
de première instance,
(1) l"a11cie11 Rég-ime et la Rèvo/11/ion, p. 149.
-91 -
sauf appel aux Trésoriers généraux constit~és _e n Cour d~s
aides (Ordonnance du 25 août i452). Puis 11 les astreignit à faire à ces derniers des rapports annuels sur le
nombre de feux et les facultés de chaque élection (Ordonnance 1or janvier 1459). D'après ces rapports les Trésoriers généraux faisaient eux-mêmes des propositions au
roi pour qu'il répartît équitablement la taille sur chaque
pays et élection. (D . A. V 0 Tr. publ. § 22~ . Cep~ndant l.e
Tiers-Etat , qui était taillable et corvéable a merci, se plaignait amèrement : il voulai~ que la nat~o~ fût app~lée à
voter l'impôt; et il demandait que les cred1ts . fixés_ a _l avance ne fussent jamais dépassés, que des comm1ssa1res
choisis parmi les représentants du pays soumissent les
1
.
.
dépenses à un contrôle sévère.
~tat_s
des
réumon
chaque
à
répétaient
se
doléances
Ces
généraux. Mais Jacques Bonhomme avait_ beau cr'.e~, il
payait toujours, car, malgré les transformations du reg1me
financier, les abus se perpétuaient et les revenus devenaient de plus en plus insuffisants.
Louis XII fut obligé de recourir aux emprunts, en
créant, à diverses reprises , des rentes sur l'hôtel de
ville de Paris, et d 'étendre le déplorable système de la
. .
vénalité des charges.
~ulh~n
I
de
était
Trésor
du
revenu
le
règne
Sous son
800 000 lines, outre les 600,000 livres de rente mscnts
1
sur le domaine. C 'était énorme ! Et pourtant la situation
. 1er l
a
se compliqua encore. En effet, à dater de François
fiscalité prit un grand développement. Les dépenses fu'.ent
augmentées non seulement par les luttes contre la maison
. 1· é d' e cour
.
un
d'Autriche, mais surtout par les pro d 1ga 1t s
galante, avide de fêtes et de plaisirs , par la concus~i~n
des grands personnages et par les désordres de l'~d_mmis
tration. Une foule d'impôts nouveaux furent étaohs: les
anciens Eurent doublés, et, malgré tout, il fall ut encore
�-
- 92 -
· des
François {or eng loutit
Car
recourir
.
.
.aux emprunts.
. .
de la
.
nulhons a Fontainebleau pour satisfaire les capnces
.
duchesse
. ' Henri II fit bâtir A ne t pour Diane
C
· · d'Etampes·
.
de ·P 01t1ers i athenne de Médicis sema l'o r a. p 1emes
mains pour ga?ner les chefs du pa rti ou payer les é orgd
geurs de la n u1l du 24 août. Elle donnait des d'
mers e
·11 ·
à Chenonceaux
cent· mt e . livres
' · Et H enn. III d épensa
.
plusieurs
r 1 millions pour célébrer par des fest"ms pantagrué1ques es noces du duc d'Epernon !
, 1a guerre
o
ï 1 part, les agitations de la Licrue
· D'autre
h
c1v1 e, es désordres qui avaient en vahi toutes les b
ranc es
.
de l' d · ·
. a mm1stratl0n avaient réduit les fi nances
au plus
tnste état.
En 1595, Henri IV chargea Sully de dresser le bilan
des dettes du royaume. Et la situation fut relevée dans le
tableau suivant :
DETTES DE LA FRANCE EN 1595
A dla reine d'An g le t erre, pour argent prêté solde
es troupes e~ des \'aisseaux auxiliaires ......'... . . F
·
Aux cantons suisses
Aux. princes
d'Alle~~·~~~: ..~~·~~·.~~ ·~;~~~: ·~~·ld~· ··d~~
7 .370.800
2
35.8 3477
reitres et lansquenets . ........ . ·· · ·· . ................... ···· 14.689.834
Aux Provinces U ·
.nies, solde des troupes auxiliaires
•. .
'
' a '. s,.eaux fournis à la France
9.275.400
····· ·· ···· · ·· ·· ··· ·
Pensions aux gentî h
t s ornmes, chefs de troupes et
soldats
..
........................................
sornrnes dues
aux villes pour p 't d' . ..... .... ... .. .
6.547 .ooo
re s argent; gages
d fi
des offi .
Constitut·Clersd e nances ' d e po J'ice et de judicature. 28.450.360
tons e rentes
150.000.000
REeliquat des dettes du ·;~~~~· d~· 'ii~~~i
.. ............ 12.236.000
.
ngagem~nts contracté
ÎÎÎ.... ··.. ·..... ·
soumission ùu royaum:
pour la
.~~~.~ ..l~s......ligueurs
........ .. ..........
ToTAL . . ..
32.227.252
F. 296.620.381
93 -
Soit la somme ronde de trois cents millions de livres.
Pour faire face à ce passif exorbitant on avait seulement
7 millions ! car les recettes annuelles ne s'élevaient qu'à
23 millions et les charges atteignaient 16 millions : différence, 7 millions.
Cependant Sully se mit résolument à l'œuvre. Il commença par signaler les abus. Et , par un important édit
de 1600, H enri IV fit connaître quelles étaient ses idées
au sujet des exemptions, l 'une des plaies les plus graves
de notre ancien système financier . Il énumère ces exceptions qu'il trouve multipliées à l'excès. Non-seulement
elles sont accordées à la noblesse et au clergé, mais encore
à tous ceux qui entretiennent quelques relations avec ces
classes, et à tant d'autres qui « se prévalent de l'appuy de
quelques gentilshommes. ))
Après 15 ans de labeur et d'économie, les choses avaient
complètement changé. Les mesures qui assurèrent ce résultat furent poursuivies avec persévérance. Sully fit établir :
1° Le montant des impôts qui pesaient sur la France;
2° La part qui entrait définitivement dans les caisses de
• l'État;
3° Le tableau de toutes les charges et offices, avec les
motifs de leur maintien ou de leur suppression.
En même temps, il cassa toutes les fermes et sous-fermes des impôts publics, et, par des adjudications nouvelles, il doubla les revenus de l'État sans augmenter les
charges du peuple .
De plus, la dette publique fut vérifiée et réduite ; les rentes furent déclarées rachetables au pair; quelques-unes
furent même supprimées comme frauduleuses.
Aussi des 300 millions dus en 1595 1 la France ne
devait-elle plus que 100 millions en 1610.
Au surplus 45 millions formaient la plus forte réserve
que le T résor eût possédée jusque-là.
�- 95 -
94 -
Malheureusement le désordre reparut à la mort
d'Henri IV. Concini, de Luynes et les autres favoris mirent
les finances au pillage. Déjà en I 6 I 4 1 il ne restait plus
un écu des 45 mill ions mis en réserve. P ourtant les
impôts furent augmentés. Mais Richelieu fit des dépenses
considérables, et Mazarin acheva de ruiner le pays par
un gaspillage effréné: il vola, pour sa part, i oo millions,
et ses agents , les surintendants d'Emery et Fouquet ne
suivirent que trop son exemple.
Voici quelle était la situation en I 66 I lorsque Colbert
fut appelé au ministère :
La dette publique s'élevait à 545 millions.
Les revenus étaient de 84 millions.
Les frais de recettes de 52 millions.
Le reste, 32 mi llions seulement, entraient dans les
coffres de l'Etat.
A :ô.té de ces 32 mi llions de revenus nets, il y avait
53 millions de dépenses : le déficit était donc de 21 millions.
C'est da~s ces conditions que Colbert entreprit l'œuvre
de réparation . Il voulut tout examiner et tout surveiller
l~i - même: Aussi les financiers durent-ils, après vérificatio~, restituer une somme de 1 10 millions qu'ils s'étaient
attribuée a~ détriment de l'Etat. Après 6 ans d'efforts, le
reven.u était de 95 millions sur lesquels 63 millions
e~tr~1ent au Trésor. Les dépenses étaient réduites à 33
n:i 1ll1ons. En conséquence, il y avait un excédent de recettes. de 3~ millions. Et cependant les tailles et les gabelles
qui pesaient sur la classe la borieuse furent diminuées.
« Mais, dit Vo ltaire (Siècle de Louis XIV, ch. 30),
.
· faire,
ne fit pas t out ce qu ,.11 pouvait
» Colbert
encore
.
L
·
l
» moms ce qu 'ï1 vou ait. es hommes n 'étaient pas alors
1
.
» assez éclairés , et d ans
un gran d royaume .il y a touJours
» de grands abus. La taille arbitraire, la multiplicité des
» droits de douanes de province à province qui rendent
» une partie de la France étrangère à l'autre, vingt autres
» maladies du corps social ne purent être guéries. Sully
»enrichit l'État par une économie que secondait un roi
»aussi parcim onieux que vaillant, un roi soldat à la tête
» de son armée et père de fam ille avec son peuple; Col>> bert soutint l'Etat malgré le luxe d'un maître fastueux,
» gui prodiguait tout pour rendre son règne éclatant. >>
Les résultats obtenus par Colbert n'empêchèrent pas sa
disgrâce. Louis X IV lui fit l'injure de le soupçonner au
sujet de la dépense faite pour la grille de Versailles. Cette
disgrâce fut le signal d'une décadence marquée par les
crisE!s financières les plus graves. Pourtant les impôts
furent augmentés : ils atteignirent partout le maximum.
A ce propos il est intéressant de lire dans les auteurs le
tableau navrant de la situation ( r ) . Le peuple était accablé, aigri , découragé. Il payait encore, mais plutôt par
habitude que par volonté. R éduit à l'état de machine, il
ne conservait plus d 'espoir. Sur le fruit de son travail il
lui restait non pas assez pour vivre, mais pour ne pas
mourir (2) si tant est qu'it tînt encore beaucoup à la vie.
Tout l'or du royaume rayonnait de toutes parts vers le
trône : c'est peut-être tout cet or qui fit briller Louis XIV
comme un soleil !
Pour faire face à cette triste situation aggravée encore
par des guerres continuelles et de nombreux désastres, il
fallut exagérer les créations et les ventes d'offices; bien
plus, on dut contracter des emprunts fort onéreux . Et
(1) La Bruyère i:crivait : <. .... j'estime que le tiers du peuple (six millions) a
pèri de misère et de faim ! '>
(2) \\ Jeme trouve en ce moment en Touraine, dans mes terres. J e n'y vois
qu'une misère effroyable; ce n'est plus le ,entiment triste de la misère, c'est le
désespoir qui possède les pauvres habitants : ils ne souhaitent que ln mort et
évitent de peuple r .... ., (Lettrê de Massillon à Fleury en 1740).
�-
-
96 -
malgré tout, le roi , à bout de ressources, fut obligé d'enyoyer à la Monnaie les meubles en argent de Versailles,
tels que les toilettes, les fauteuils, les ba lustrades de lit
les caisses d'oranges et la statue équestre de Louis X II I. '
Il ne faut plus s'étonner dès lors de ce que, le l 5 septembre 1715, ~a d~tte publique s'élevait à 3 mill iards ! (i)
Quelques h1ston ens prétendent même quelle dépassait
ce chiffre fabuleux. Quoi qu'il en soit, il est certain qu'il
eût fa~lu , au moins, les revenus de dix-huit années pour
amortir la dette! Car les recettes nettes n'étaient que de
165 millions par an.
~ussi la question de la banqueroute se posa-t-elle
sén eusement à la mort du g rand roi ! Il va sans dire qu'dle
fut écartée com me indig ne de la France.
Cependant la situation était tellement o-rave que le
Régent s'empressa de convoquer un conseil de finances.
On ouvrit une enquête sur l'état du T résor : il est inutile
d'ajouter qu'elle révéla de nombreux abus.
~es :éformes furent indiquées et une chambre de justi ce
fut mst1tuée pour rechercher les malversations. Plus de
4 ,000 personnes furent condam nées à rest ituer des sommes dérobées par suite de marchés fraudul eux et de
falsifi cations d 'écritures. Le chiffre tota l des restitutions
·
· 70 m1.1lions
s'élevait à 2 2 0 m·111·ions ,. mais
seulement
rentrèrent dans les caisses, car le R éo-ent eut la faiblesse
·
d'accorder des
. lettres de g race que bles personnes mfluentes vendaient aux fonctionna ires condamnés.
· .ions en
On allait donc de c omp l'1ca t'tons en complicat
favorisant en quelque sorte les abus.
Bref on était aux a bois !
Les systèmes les plus téméraires, les plus faux, mats
apparemment les plus séduisants tro uvèrent momentanéA
(t) M. Gorges, H isioire de la renie frnnçaisc, p. 75 et s.
97 -
ment un crédit immense. Les idées fausses d'un aventurier écossais captivèrent le R égent, et la fameuse banque
de Law fut créée. Elle prit deux ans après le nom de banque royale. Elleémitdes billets et des actions en quantité.
La direction des fermes lui fut confiée et lui donnait de
beaux bénéfices, ce qui lui permit de distribuer aux actionnaires de gros dividendes : c'est ainsi que les actions
émises à 1 ,ooo livres s'élevèrent progressivement jusqu'à
livres .
A chaque nouvelle hausse la banque émettait de nouvelles actions et de nouveaux billets.
Par ce moyen on put rembourser des rentes sur l'Etat.
Au bout de deux ans , les billets et les actions s'élevaient
à 3 milliards! Cette somme fa buleuse n'était garantie que
par une encaisse méta llique très minime ! Aussi l'éveil futil bientôt donné. Alors les porteurs de billets réclamèrent
en masse le remboursement en espèces. Mais les caisses
étaient à peu près v ides . On fut obligé de fermer la banque, et les créanciers furent sacrifiés ! La responsabilité de
cette banqueroute fut rejetée sur La w et son système. Et
cependant le R égent avait remboursé, par ce moyen,
un milliard et dem i des dettes de Louis XIV.
29, 000
C' est ainsi que l'équilibre put être maintenu, à quelques
millions près, sous le ministère du cardinal de Fleury .
Mais les gouffres des défi cits furent de nouveau ouverts
par les guerres et les dilapidations de la cour . Mme de
Pompadour coûta 36 millions au budget. La Du Barry
coûta plus cher encore. Brd les maîtresses du roi et leurs
créatures puisaient à pleines ma ins dans les caisses. On
ne vit jamais de cynisme plus éhonté !
L'abbé T erray fut éleyé aux fonctions de contrôleur
général. Il mit la main s ur les ton tines et sur la caisse
d'amortissement. Il révoqua les remboursements des alié7
�-
- 98 -
nations des domaines. Et néanmoins il ne parvint à liquider
qu'une très faible partie de la dette publique.
Louis XVI trouva donc une situation financière des
plus critiques. Il semblait comprendre la gravité de cette
situation en renonçant au droit de joyeux avénement.
Il appela Turgot au contrôle général.
Ce grand ministre réalisa des réformes importantes.
Il mit un terme aux fraudes et aux gaspillages .
Dans une lettre au roi, il manifesta son intention de
répudier la banqueroute, les em prunts et les augmentations d 'impôts. li voulait la réduction de la dépense audessous de la recette; et, dans ces conditions, il trouva
encore
. moyen de disposer d 'un reliquat de 39 millions , de
mai I 774 au mois d'août 1 776. Avec cette somme 1 il
diminua les déficits imputés par anticipation sur les
budg~ts des années suivantes, et, à force d'économie, il
réussit à réduire la dette de 66 millions. Ma is les abus
qu'il réprima lui suscitèrent des ennemis irréconci liables.
Il fut sacrifié.
De Clugny le remplaça et se signala pa r son incapacité.
Le désordre recommença donc bientôt, et la situation ne
· ·
tarda
C'est alors que, pour la première
. pas a· se pré c1p1ter.
fois, fut posée ouvertement la vente des biens de la couronne e.t du clergé . Mais cette grave question provoqua
une résistance aussi puissante que résolue.
Cependant les caisses étaient vides 1 les dettes énormes
le crédit. ébranlé. La misère publique était à son com ble'.
Les espnts étaient aigris. Les passions s'entrechoquaient.
Partout régnait une effervescence extraordinaire.
C'est dans ces conditions que Necker arriva aux affaires. Il. e~~ay.a vainement de conjurer la crise. Son intelligente .mitiati ve, sa probité et ses ta lents financi ers pro·
·
mettaient
lorsque la g uerre
importantes
. des am él'1orat1ons
'ces espérances. Il
·
d'Aménque'. vint b rusquement d.1ss1per
99 -
fallut de nouveau recourir aux emprunts. Et Necker dut,
comme Turgot, se retirer devant des intrigues de cour,
De Calonne le remplaça. Il réussit à tromper indignement
le roi et le pays en contractant en secret d'énormes em..
.
prunts.
En 1784, il y avait un déficit de 80 m1ll1ons ! Et cependant depuis huit ans on avait emprunté plus d'un milliard.
Enfin en 1787 les choses en étaient arrivées à un tel
point, qu'il devenait impossible de cacher plus longtemps
la vérité.
Louis XVI convoqua donc les notables et avoua la
situation. Cet aveu dissipa les dernières illusions et causa
une émotion profonde.
La dette s'élevait à plus de 3 milliards! Il était impossible, sans de nou veaux emprunts et de nouveaux impôts,
d'en servir les intérêts.
Les États généraux durent être co nvoqués. C'est alors
que Necker établit le bilan de l'ancien régime.
Les recettes s'élevaient à 47 5 millions,
à 53 1 millions ,
Les dépenses
Soit un déficit de 56 millions sur le budget ordinaire.
D'ailleurs la dette équivalait à plus de six années de
revenus!
Voilà, dégagée de toute phraséologie , l'esquisse du
régime financier de l' ancienne monarchie.
Il est intéressant de relever les abus qui ont conduit à
cette situation, et d'examiner, après les résultats constatés, les institutions elles-mêmes .
Les principaux abus étaient :
I • L'omission de recettes ;
2° La rétention, qui consistait à retenir les fonds :i.u prêjudice de parties prenantes ;
30 La fausse reprise, qui consistait à déduire d'un
�-
100 -
compte courant des crêances que le comptable prétendait
avoir d'après ses comptes précédents;
4° Le faux emploi~ qui consistait en un paiement fait
sans pièces justificatives .
50 Le double emploi·, qui consistait à porter deux fois la
même dépense en deux endroits difièrents.
6° Le bù capz't) qui se commettait en ordonnançant ou
en payant deux fois la même dé pense (H. de Swarte) .
Ces abus étaient fréquents. Ils étaient d'une pratique
facile, puisque les fonctions d'ordonnateur et de payeur
étaient confondues. Cette confusion était regrettable à
tous égards, car elle rendait tout contrôle difficile . C'est
donc justement que Callery estime qu'elle était une source
de désordres .
« De là, dit-il , ces abus de paieme nt, ces atermoiements
» si nombreux 1 ces erreurs volontaires, ces fraudes si
» faciles à dissimuler et qui se commettaient presque
» impunément, malgré le contrôle de l'administration et
» de la chambre des comptes. »
L'administration exerçait en effet un contrôle.
Sous Charlemag ne, il était confié aux missi· domùiici.
Plus tard, on vit d'autres agents financiers de l'autorité
royale, les prévôts, placés dans les localités pour admi~istrer le domaine, percevoir les revenus et rendre la justice dans les cours ordinaires.
Ces prévots étaient les ferm iers des revenus royaux. Ils
veillaient à tout ce qui concernait l'administration du
do.maine. Ils assuraient le paiement des dépenses nécessa1res en prélevant le montant sur leurs recettes . Ils étaient
placés sous la surveillance et l 'autorité de l'un des g rands
officiers de la couronne) du grand Sénéchal. Aux termes
d'une Ordonnance d'août 1 204 1 cet officier était chargé
de percevoir les revenus du roi. li devait visiter chaque
année les prévôtés, et la dé pense de sa tournée était cou-
-
101 -
e redevance que la plupart des prévôts étaient
verte par Un
tenus de lui payer ( I ).
Cette organisation administrative fut ~uffisante so~s les
Capétiens M ais bientôt l' autorité royale pnt un
·
·
premiers
essor remarquable sous Louis VI et sous son fils, par l~s
soins de Suger. Ell e dut alors, pour exercer comme dit
Guizot, une sorte de justice de paix universelle (2), s'entourer d'agents plus considérables que les prévôts. Elle
.
institua les baillis .
La date de l'établissement des baillis ne peut être précisée. On sait cependant qu'en 1 r90, Philippe-Auguste,
avant de partir pour la Palestine, fit un règlement sur l:administration du royaume, où il déclara que, dans certaines
provinces, il avait établi des baillis qui devaient tenir leurs
assises une fois par mois.
Ils étaient co mptables, receveurs et payeurs. Ils centralisaient toutes les recettes, le produit des prévôtées affermées et toutes les autres perceptions non comprises dans
. . . .
le bail des prévôtées (3).
Ils durent tenir des assises et exercer une 1und1ctton au
nom du roi. D ans l'ordre administratif et financier, ils
étaient les supérieurs des prévôts. Cette\ dernière ~tt~ibu
tion substituait le ur autorité à celle du grand S enechal
dont les fonctions furent supprimées .
Ainsi les sénéchaux les baillis, les prévôts et les agents
.
'
forest.te rs , etc ·' formaient
.
.
mfén eurs 1 tels que 1es ser<Yents
.
b
fi n ancière · Ils étaient
t.
· ·
•
1 d
ion
dans chaque provmce l a mm1stra
é t · t se- Ordonnances
· .
::.
les représentants du roi ; 11s ex cu a1en
.
et commandaient les forces militaires.
· ' o<Yèrent habi·
Plus tard apparurent les trésoriers q uis arr o
5
(1) Brunel, Traité de l'11sage des fiefs, t. 1, p. 5o8 et ·
(2) Hi.st. de la ci-vili.salio11 1 t. l\' , p. 486.
l:J) Vuitry, Rétrime ji11n11rin de ln Fr·11Ue, p. 486.
�-
ro3 -
102 -
·
lement un pouvoir énorme. Ils voulurent -même ant·1c1per
sur les droits de la Chambre des comptes . Cette tendance
provoqua un conflit d'attributions qui se termina à leur
désavantage. Ils durent se borner à effectuer les recettes
et les paiements. Du reste, ils s'acquittaient de ces fonctions avec "une arrogance insupporta ble.
Les receveurs des tailles, des gabelles et des aides, les
contrôleurs provinciaux et les contrôleurs généraux n'étaient pas moins fa meux par un génie fi scal aussi étrange
qu'ar bitraire !
li ne faut pas oublier les receveurs généraux des finances
car c'ét~ient ceux qui dirigeaient « ce fleuve d'or qui n'es~
» prodmt que par trois ou quatre impôts, qui n'a que trois
» ou. q~a~re sources et qui a mille embouchures, qui arrose,
» qui v1v 1fi~ toutes les parties de l'ordre social » (Monteil).
~l y avait un. re~eveur général à la tête de chaque généralité .. ~es génerahtés étaient de g randes circonscri ptions
financ1eres auxquelles était attaché un bureau de finances.
~e bureau centralisait les recettes. Le nombre des généralités al.la toujours en augmentant. Il fut porté à I 6 par
Franço1~ 1er. Il était de 32 en 1789. Il en fut de même
des fermiers généraux, dont le nombre était de 40 en 1780.
Cette auamentaf
ion s 'exp1·1que par l'accroissement des
o
revenus publics.
. L'administration centrale était dirigée par le surintendant
genéral et plus tard par le contrôleur général. Sous Louis
}_(IV, Colbert fut chargé des affaires de !'Intérieur avec le
titre ~e contrôleur général des finances.
Mais il convient de remarquer que 1e g ran d roi se
réserva la sig nature.
. donc que le contrôle administratif des
fi Il sembl erait
~ances ~ût d'une application faci le. Malheureusement
c est un fa. it avéré
. que 1es p 1us hauts fonct1.onna1.res chargés
de 1a vén ficat1on des é en·t ures et d es caisses
.
se rendaient
souvent complices des mal versations et étaient généralement les plus grands coupables.
Quant au contrôle judiciaire, il était confié à la Chambre des comptes. Elle avait pour mission :
° D'assig ner les comptables à produire leur compte;
1
D'examiner les opérations;
3° De corriger les écritures;
o De juger les comptables, s'il y avait lieu .
4
Les décisions étaient des arrêts de décharge ou des
2
•
arrêts de condamnation.
« Mais au fond, dit M. Dareste ( 1), les Chambres des
» comptes n'exerçaient qu'un contrôle moral, elles
» n'avaient que peu de moyens de s'assurer de la fidélité
)> des rapports et des livres qui leur étaient remis. Le vol
)> était organisé à tous les degrés de la hiérarchie. Sully
)) prouva d'une manière manifeste les concussions des
)> cours souveraines et des contrôleurs généraux. »
D onc les abus étaient partout répandus. Mazarin luimême vola 100 millions au Trésor; et le roi distribuait,
suivant son b on plaisir, des gratifications et des dons.
Mais comment ces abus ont-ils pu se perpétuer pendant
si longtemps?
Cela est tout simple. L'arbitraire était complet dans les
premiers temps de la monarchie .
Sous la féodalité, le roi ne pouvait et ne devait même
pas rendre de compte aux seigneurs ses rivamc Il devait
encore moins en rendre à ses vassaux, car cette pratique
eût été incompatible avec la hiérarchie féodale.
A partir du moment où la royauté devi nt plus puissa.nte,
et surtout lorsque le monarque s'identifia avec l'Etat,
aucun contrôle ne pouvait être utilement exercé. En effet,
l'emploi des deniers de la France était fait suivant les
(1) Histoire de l'admi11istralio11 m Fra11re.
�-
-
10 .f -
caprices du roi. Et si l'on avait demandé à Louis XIV de
justifier les dépenses de l'État, il n' eût pas manqué de
répondre : l'Etat, c'est moi ! »
C 'est ainsi que certaines dépenses éta ient arbitrairement
réputées régulières moyennant la sig nature du roi précédée
des mots : « J e sais l'emploi de cette so mme ! ( 1 ) )>
Aussi M. Maurice Block apprécie-t-il justement cette
pratique dans son Dictz'o11naz're de la P oli'tt'que, p. 43 2 :
« L'ancienne monarchie, dit-il , chercha à organiser le
» contrôle des finances publiques. Ma is ce contrôle sern» blait contraire à son principe même qui plaçait l'arbitraire
» de la volonté royale au-dessus de tous les faits aussi bien
» financiers que politiques, de sorte qu' il n'y avait dans le
» pouvoir ni régulateur, ni contre-poids. Ce qui manquait
» surtout , c'était la publicité des co mptes. »
Mais il eût été difficile de les publier, car on ne les
connaissait même pas !
En effet, la discussion bien co nnue entre Necker et de
Calonne prouve trop manifestement que les ministres euxmêmes ignoraient la situation.
« Le déficit s'est accru de r 776 à 178 r , disait Necker; »
et de Calonne soutenait le contraire avec véhémence.
Necker continuait : « T ous les registres et les comptes
» du trésor royal où l'on devrait naturellement trouver le
» détail exact de l'universalité de nos recettes et de nos
» dépens~s, ne présentent, à cet égard, que des connais» sances 1~suffisa.ntes et des renseig nements incomplets.
» Une partie des impositions n'y est ni versée ni connue.
» Il n'existe aucune t race des dépenses acquittées par le
» Trésor. »
Cette peinture officielle de la co mptabilité centra le est
remarquable. E lle jette de sing uliers doutes sur l'exacti-
IOS -
Ces états att vrai étaient les
.
.
relevés des recettes et dépenses des exercices pénmés,
préparés par le contrôleur général et approuvés par le
ts au vrai' ·
tude des éta
.
.
conseil ( I).
Ils étaient très difficiles à établir par sU1te du nor~bre
arties hétérogènes dont ils étaient composés, l enf .
des P
chevêtrement des différents exercices, la con us10n provees prélèvements locaux sur les recouvrements plus
.
.
nant d
ou moins retardés, le rejet des valeurs et assignations
reportées d'une année sur l'autre, enfi n le mélange presque inévitable de l'arriéré, du courant, du fixe et de
, .
l'éventuel ( 2) .
D 'ailleurs, l'état au vrai de 178 1 n était pas enc~re
arrêté en Conseil de finances, à l 'époque où Calonne l invoquait. 11 ne le fut jamais, car l'ancien régime en resta
à l'année 1780. Les états de 1776, 1777, ~ 778, q 79,
1780 ne reçurent qu'en 1788 le visa du conseil : le retard
.
était donc de dix à douze années.
sa~:
effec:ifs,
comptes
de
mots
grands
les
En réalité
cesse dans la bouche de Calonne ne s'appliquaient qu ~
des simulacres de comptes remplis par des données aussi
. .
incertaines que fantaisistes .
Le désordre était donc absolument indescnpt1ble.
Mais où trouver le remède à ce mal invétéré 7
Dans la proscription des abus.
bl' des nota•
» Oui, messieurs, dit Calonne, à l assem ee
» bles réunie en 1787 c'est dans les abus mêmes que se
l'Et t a droit de récla'. h
a
» trouve un fonds de ne esses que
. . é bl' l' dre · C'est dans
.
.
)> mer et qu i do ivent servir a r ta ir or
1 seul mo)•en de
. ·
des a b us que r é s1·d e e
)> la proscription
» subvenir à tous les besoins. C'est du sein même du
.
. .
(1) M. René Stourm, Les fi11n111:es de l'1weie11 r••gtn>e
p. 186.
(1) M. de Swarte, Traité de "1 comptabilité ort:rtlfe,
p. XV.
(2) Discours du 22 fëvrier 1787, de Calonne lui·même .
t
1 de ta Rkol1"io111 t. 11,
�-
-
ro6 -
» désordre que doit jaillir une source féconde qui fertili~> sera toutes les sources de la monarchie. »
Ces déclarations traduisa ient et justifiaient une opinion
depuis longtemps répandue. Mais il ne suffisait pas de
signaler le mal. Il fallait l 'extirper; et c'était difficile à
cause de la résistance qu'opposait le Parlement à toutes
les réformes justes et équitables.
Calonne faisait surtout allusion aux privilèges de toutes
sortes. Ces privilèges étaient en effet iniques! On devait
même s'étonner de les trouver dans un pays civilisé; car,
pour entretenir la seule pensée de les justifier, il fallait
s'oublier au point de méco;-inaître tous les principes
d'équité naturelle.
Personnellement Louis XV I était loin de réclamer leur
maintien. Il était même animé des meilleures intentions :
il eût désiré des réformes utiles mais limitées. Précisément
par ces dispositions, il heurta it d'une part les obsessions
d'une cour hostile à toute concession et d'autre part
l'opinion qui le pressait.
On lui réclamait des mesures immédiates. Elles s'imposaient d 'ailleurs d'elles-m êmes. Et néanmoins tous les
projets proposés venaient invaria blement échouer devant
le P arlement : voilà l'histoire .
li y a donc lieu de s'étonner des efforts faits par M. René
Stourm pour essayer d 'attribuer à l'ancien régime le
mérite des réformes qu'il n'a pu réaliser et qu'il proposait
d'ailleurs bien à reg ret ! Ce mérite tient évidemment plus
de place dans l'imagination de l'auteur que dans la vérité
historique.
Cependant la théorie de M . René Stourm a été prônée
par M. Keller dans un article du journal Le Monde, n° du
21 avri l 1885.
Ma is nous devons passer légèrement sur ces raisonnements a privori qui tendraient à nier les faits les plus
ro7 -
éclatants et à désavouer \es déclarations faites par les
.
.
mTnistres mêmes de Louis XVI.
Toutefois , si ces deux hommes éminents conservaient
quelque doute à cet égard , je les engager~is à relire ce
passage du discours prononcé par Calonne a l Assemblée
1
des notables réunie en 1787 :
« Les abus qu'il s'agit aujourd'hui d'anéantir pour le
» salut public, dit-il , ce sont les plus considérables, les
» plus protégés, ceux qui ont les racines les plus profon» des et les branches les plus étendues.
» Tels sont les abus dont l'existence pèse sur la classe
» productive et laborieuse ; le~ abus des privilège~ pécu» niaires, les exceptions à la 101 commune et tant d e~emp
» tions injustes, qui ne peuvent affranchir une partie des
.
» contribuables qu'en aggravant le sort des autres.
» L'inégalité généra le dans la répartition des subs1de.s
)> et l'énorme disproportion qui se trouve entre les contn» butions des différentes provinces et ent re les charges des
.
.
» sujets d' un même souverain;
i
taille
la
de
perception
la
de
» La ri<Yueur et l'arbitraire
)> la crai~e, la gêne et presque le déshonneur imprimé au
.
)) commerce des premières productions;
» Les bureaux de traites intérieures et ces barrières qui
)> rendent les diverses parties du royaume étrangères les
» unes aux autres ;
\) Les droits qui découragent l'industrie, ceux dont le
)> recouvrement exige des frais excessifs et des préposés
· l contre· ·
·
» innombrables· ceux qui semblent mv1ter a a
d
1r
'
les a ns font sacrifier des mi iers e
~ bande et qui tous
» citoyens ;
)> Le dépérissement du domaine de la couronne
et le
)> peu d'utilité que produisent ses faibles reste~;
leur
» La dé<Yradation des forèts du roi et les ''1ces de
b
)>
administration.
�-
-
ro8 -
Enfin tout ce qui altère les produits tout
ce qui
'
ff ·
') a aiblit .les ressources du crédit, tout ce qui rend les
revenus insuffisants et toutes les dépenses superflues ui
q
>' les absorbent.
» ~i ta~t d'abus, sujets d'une éternelle censure, ont
» résisté. 1usqu'à présent à l'opinion publique, qui les a
» p~oscnts ~t au~ efforts des administrateurs qui ont tenté'
: ~y rem éd'.er, c est q~'on a voulu faire par des opéra~ tions ~art1 elles ce qui ne pouvait réussir que par une
» opération général e ; c'est qu'on a cru pouvoir réprisans en extirper le germe., c'est qu' on
» mer le désordre
.
» a en~repns de perfectionner le régi me de l'Etat sans en
)> corr~ger ~es discordances , sans ramener au principe
» d'umfo~m1té qui peut seul écarter toutes les difficultés
» de détail, et revivifier le corps entier de la monarchie. »
Les notables accueillirent avec une tristesse silencieuse
c~s déclarations inattendues. Ils se séparèrent sans avoir
~ien . conclu, parce que la banqueroute leur paraissait
mévttab le !
N'est-ce pas trop concluant ! ! !
·
Quoi
royauté, secouée dans
. qu'il en soit , l' anr1enne
sa faiblesse, plongée dans la confusion et le désordre
~
débordée par les ab us, bl amée
de toutes parts disparut'
'
.
de la plus terrible
·
enfin dans les co nvu 1s1ons
révolution.
>)
Au milieu de ce chaos immense, l'Assemblée constituante se mit résolument à l'œuvre. Elle posa comme
principes fondamentaux :
I 0 L' b0)' .
a ition des privilèges en matière d'impôt·
. des représentants' de la
20
. Le consentemen t n écessa1re
· · exiO'ible.
nation pour rendre t out e contribution
30 La ~roscription de toute idée de ban~uer~ute.
. de fina nces composé de
En meme temps , un comité
109 -
6 membres fut organisé pour préparer les lois et règle4
ments et pour surveiller les caisses.
Mais il était impossible de liquider la dette publique.
Après beaucoup d'hésitat~ons et de perplexités, on crut résoudre la difficulté par un décret du 2-4 novembre 1789 1 qui
décida la mise sous la main de la nation des biens du
clergé estimés à 5 milliards .
Ce décret ordonna la vente des biens de la couronne et
du clergé jusqu'à concurrence de 400 millions, et créa
00 millions d'assignats de I ,ooo livres admissibles dans
4
toutes les caisses en paiement des biens nationaux .
On put ainsi parer aux difficultés du moment.
L'ancienne Chambre des comptes fut supprimée (Décret
du 17 juillet 1790). Un comité de liquidation des créances
de l'Etat fut créé. Il avait pour mission d'examiner toute
créance ou demande sur le Trésor susceptible de contestations ou de difficultés.
L'institution de la ferme générale fut abolie. L'impôt
sur les facultés individuelles disparut. Le fisc ne constata
plus que les signes extérieurs du revenu . 11 choisit parmi
eux les valeurs locatives pour base de la contribution
personnelle et mobilière. (Loi du 13 janviér-18 février
1791.)
Et la création d'un bureau de comptabilité tendit à centraliser les écritures des agents du Trésor et à donner aux
vérifications l'unité qui leur manquait . (Loi 17-29 septembre 1791.)
Les patentes atteig nirent pour la première fois les commerçants les fabricants et les néO'ociants. Les corporab
'
tions furent supprimées et la liberté des opérations fut
proclamée. (Loi 2- 17 mars q9i.)
Les barrières intérieures disparurent. Les douanes furent
reportées aux frontières. (Lois 3 I janvier l I er février ' 2
mars, 15 mars 179i.)
�-
-
110 -
Ainsi, grâce à l'intelligente initiative de la constituante 1
les injustices les plus invétérées se trouvaient réparées.
Mais restait toujours la liquidation de la dette.
Les droits des créanciers furent respectés. L'administration des finances fut modifiée. On créa une Trésorerie
nationale composée de 6 commissaires indépendants des
ministres et du roi lui-mème, mais soumis à la surveillance
de l'assemblée et aux ordres de son comité de finances .
(Décrets 18-30 mars 1791 , 5-20 avril 1791 1 27 avril et
25 mai 179r.)
Les commissaires entrèrent en fonctions en juillet 1791.
Trois députés furent investis du droit d 'assister aux délibérations, de compulser les registres de vérifier les caisses et
de convoquer, le cas échéant: les commissaires par une
réquisition spéciale (art. 19 du décret du 30 mars 1791).
Le décret du 18 février 1 79 l, art. z, disposait :
« Le comité de l'inspection présentera à l'assemblée les
» moyens de fournir au Trésor public, en 1791 : 524 millions, 750 mille livres.
C'est en ces termes vagues et insignifiants que se trouvait réduit le seul document qu'on pût encore qualifier de
budget.
Les deniers une fois versés par les percepteurs dans
les caisses des receveurs de distri ct y étaient exclusivement à la disposition des commissaires de la Trésorerie qui
devaient pourvoir à toutes les dépenses générales, conformément au budget législatif dont ils étaient les gardiens
sous leur responsabi lité personnelle. (M. R ené Stourm,
t. Il, p. 285.)
Il Y eut donc désormais trois services financiers séparés
de l'administration centrale :
l • La Trésorerie·1
2• Le Bureau de com ptabilité;
3° La Direction générale de liquidation de la dette
111 -
publique constituée par le décret du 17-22 sept~mbre 1790.
Telle fut l'œuvre qui recommandera tou1ours devant
l'histoire la mémorable Assemblée de la Constituante. ~Ile
·t donc déclarer sa mission terminée et décider
pouva1
de ses membres ne ferait partie de l'assemblée
'
qu aucun
, .
qui allait lui succéder: .
Cette dernière déc1s1on n eta1t-elle pas le pl~s n~ble
'Ï fût possible de donner aux réactionnaires
.
.
exemp1e qui
qui se
puissance,
de
et
loire
g
de
avides
és
·
·
·1
·
. crampnvi egi ,
11
ponnaient encore aux derniers lambeaux du pouvoir1 roya .
Mais nous avons le regret de constater que. 1 assemblée constituante commit deux fautes énormes : .
0 Elle supprima les contributions indirectes assises sur
1
.
les consommations en général ;
2• Elle laissa aux administrations municipales le ~om
de faire elles-mêmes les rôles de la contribution foncière
.
et des autres contributions directes.
La première entraîna la perte pour le Trés.or du tiers
de ses revenus. La seconde entrava la percept10n d~s .contributions courantes parce qu'elle laissait les administrations locales s'imposer en quelque sorte elles-mêmes'. en
dressant elles-mêmes les rôles qu'elles n'achevaient
· t
.
1amais.
De cette façon les contributions directes n'étaient pom
1
perçues.
Et cependant les nécessités devenaient de plus en p us
e la France eut à sou. d l
.
urgentes par suite e a guerre qu
tenir contre la Prusse et 1' Autriche. Il fallait im.m~diatet comme il était impos.
.
.
. ,
ment improviser des ressources, e
. a·1res qui n auraient
d
. •
sible de recourir à des emprunts or m
menter les impots
'
d
d .
aug
point trouvé de preneurs, ou
d andait la ré uct1on,
..
.
em
en
quand la nation tout ent1ere
eprises sur les assil ·
.
le gouvernement se re1eta à p us1eurs r
gnats.
�-
-
rr 2 -
Il décréta, en outre, un emprunt forcé de I milliard à
tous les citoyens riches (Décret des 20-25 mai I 793.)
De même il décida :
1° Que le mouvement des recettes et des dépenses
publiques serait centralisé à la Trésorerie nationale sous
la gestion d'agents responsables ;
2 ° Que les comptes de ces agents seraient rendus
annuellement à des Commissaires nommés par le pouvoir
législatif ;
30 Que les comptes seraient arrêtés par ce même
pouvoir.
Mais l'emprunt forcé ne produisit aucun résultat satisfaisant. Les assignats étaient déjà dépréciés . Et les créanciers de l'Etat étaient très inquiets. C' est alors que le
député Ca mbon proposa « d'uniformiser et de républicaniser la dette . »
Il s'ag issait :
1° D'inscrire toutes les créances sur le grand-livre de
la dette publique;
2° De payer à chaque créancier, à époque fixe, les
intérêts de sa créance·,
3o De décider le transfert légal et sans frais de ces
créances.
Cette proposition fut adoptée.
La situation était donc bien simplifiée, car les nouvel~es r: ntes .n'~taient point inscrites en capital, mais en
mtérets. A1~s1 un particulier n 'avait plus 10,000 livres
ou 50,000 li vres placés sur l'Etat : il avait 500 li vres ou
2,500 livres de rentes perpétuelles . (Décret 2 4 août 1793.)
La valeur de ces rentes était dès lors déterminée par le
cours du marché . S eulement il était entendu qu'en cas de
re mb~ur~ement, l'Etat devait payer un capital correspondant a l'intérêt inscrit à 5 o/o.
Cette mesure éminemment économique avait des consé-
ll3 -
uences polit iques considérables, car elle intéressait, même
~algré eux , les créanciers de 11Etat au succès de la Révolution.
Mais encore fall ait -il payer les dettes ainsi simplifiées.
Malheureusement la situation se compliqua par une émission excessive d'assignats. En 1794, ce papier-monnaie
atteignit le chiffre énorme de 5 m~lliards et .demi. Ce
n'est pas sans effroi qu' on lit à ce sui et le chapitre émouvant de M. T aine dans l'ouvrage intitulé : Origùzes de la
France co11temporai11e, 3• vol., La Révolution.
Le système de crédit développé par cet érudit fut tout
éphémère. Car le décret qui avait eu pour objet la vente
des biens nationaux avait été suspendu. Par suite une
masse d'assig nats fort dépréciés restait en circulation. Et
1
les contribuables s 1empressaient de s en débarrasser pour
payer leurs cont ributions. En réalité, l'Etat ne percevait
.
ainsi qu'une partie des impôts.
Aussi dut-on , pour combler de noU\·eaux déficits, augmenter les émi ssions . E lles se succédèrent en de telles
proportions qu'en 1796 elles a vaient atteint le chiffre fa~
buleux de 4 5 milliards! Toul le monde connaît le désarroi
causé par ce détestable expédient ( I ) .
.
.
Vainement la Convention appliqua-t -elle:
1° Le vote annuel de l'impôt par le pouvoir législatif i
Sa proportionnalité ;
3° La publ icité des comptes, des recettes et des dé-
20
penses .
finances
d
· ·
Vainement attribua-t-elle au ministre es
l 1exécution des lois sur les contributions et sur toutes les
entreprises intéressant le Trésor.
L 1 agitation avait gagné tous les esprits i la défiance
t le projet relatif à la
li
emen ësperons que ce pro(t ) Une commission de 11 membres étudie actue
' . 1
création d'assignats pour le de\'eloppement de 1 agn~u t~re.
jet sera écarté. (Voir journal Ui Fr.mu, n• du 15 mat iSS5.)
8
�-
114 -
était à son comble. Et le cours forcé des assignats ne
réussit qu'à exaspérer les populations.
Les digues de la R évolution étaient ouvertes.
Les agioteurs se donnaient libre carrière dans le désarro1.
Les compta bles eux-mêmes spécula ient! A la place de
l'argent qu'ils recevaient d'une partie des contribua-hies,
ils versaient au pair, dans les caisses de l'Etat, le papier
qu'ils avaient acquis au plus vil prix . Aussi fort peu de
gens payaient-ils leurs contributions en numéraire. Il y
avait trop d'avantages à les acquitter en papier . De la
sorte, le Trésor ne recevait presque pas de valeurs et sa
détresse s'augmentait chaque jour .
Il fa llut recourir à de nouveaux emprunts . Le public
souscrivait avec empressement parce qu'il y avait profit à
échanger des assig nats sa ns valeur contre des titres de
rente. C'est pourquoi le Gouvernement fut obligé d'arrêter
dans son principe une opération si funeste.
Commen~ fa ire pourtant?
Il eût été prudent d'écarter toute es pèce de monnaie
fiduciaire. Et, néanmoins, le Directoire inventa encore les
mandats territoriaux, qui durent échouer comme les assignats, car ils étaient garant is par les biens nationaux, et
ces biens avaient été évalués en co mparaison avec l'argent. Or, l'argent avait atteint une valeur démesurée. Il
en résulta que les mandats territoriaux ne purent supporter la comparaison de ce numéraire qui reparaissait de
toutes parts .
Le Directoi re dut alors recourir à 1'emprunt forcé :
c'était ce qu'on appelait l'impôt sur les riches. Cet impôt
était proportionné non pas à l'ctendue des propriétés
immobilières , mais à la rich esse supposée des particuliers.
Il était impraticable. Car au milieu des désordres du temps
« le jury taxateur était une espèce de comité révolutionnaire
-
IIS -
imposant capricieusement la richesse ~u la. pauvret~, au
ré de ses passions, et ne passant 1ama1s pour 1uste 1
~ême quand il l' était)> (Thiers). On n'avait pas osé présenter cette mesure sous la forme pure et simple d'un impôt :
on l'avait dissimulé sous le nom d'emprunt forcé, remboursable, disait-on, en biens nationaux et devant être
réparti suivant les facultés su pposées de chacun, par un
jury taxateur. Il avait eu des conséquences. funestes :
« L'emprunt forcé, dit Carré, a anéanti les ressources
» de l'Etat, arrêté les opérations commerciales. Le négo)> ciant, Je manufacturier , le fabricant, l'artiste, l'agricul}> teur, tous ont redouté l'âme et conscience d'un jury
>> n'ayant rien à perdre. D ès ce moment tout s'est arrêté.
» Le numéraire s'est enfui et partant les bras sont devenus
» oisifs . »
Enfin le Gouvernement com prit qu'il fallait aux grands
maux de g rands remèdes.
Il ordonna la réduction de la dette à ce qu'on appelle
le tiers consolidé.
Mais en quoi consistait cette mesure? On inscri vit sur
Je grand livre le tiers ( 1) des rentes dues à cha~un des
créanciers et l'on remboursa les deux autres t iers. en
valeurs fictives : en bons échangeables contre des biens
nationaux (art. 98 de la loi du 9 vendémiaire an VI).
C'était la solution depuis longtemps cherchée. Elle ~er
mettait d'équilibrer les recettes et les dépen.ses au chiffre
616 millions .
Il y eut pourtant un déficit. Le Gouvernement .essaya
de le combler p ar le remaniement et \'aug~e~tation des
impôts. C'est a insi qu'en i 798 la loi du ~ fn~aire an. VI~
codifia les règlements relatifs à la contribution foncière'
. d ' ) . t de,•enu l'origine de la dette pu·
om de dette
E
(1) C'est ce premier tiers (tiers consoh t! qui es
· • 1 de \' tat sous 1e n
blique :ictuelle in~critc en tête du budge t genera
consolidée ou inscrite.
�-
116 -
que celle du 22 frim aire an VII restaura les droits d'enregistrement, et celle du 6 vendémiaire an VII, les droits de
timbre; que la contribution mobilière et les patentes prirent une forme rationnelle et productive (loi des 3 nivôse
et J "' brumaire a n V II). En mf: me temps apparut la cont ribution des portes et fenêtres (loi des 4 frimaire an V II).
Les tabacs non encore monopolisés furent assujettis à un
droit de fabrication (l oi du 22 frimaire a n V II).
Malgré ces derniers efforts, nous sommes encore loin
des règles précises édictées plus tard sur la comptabilité.
Jusqu'ici les réformes ont été nombreuses, parfois détestables , trop souvent ruineuses .
« L'esprit financier des Jacobins, dit M . René Stourm
l
.
.
» consista en ceci : épuiser à outrance le présent en sacri» fiant l'av:nir. Le lendema in ne compta jamais pour eux.
» Les affaires furent menées chaque jour comme s'il
» s'agissait du dernier. Les assig nats, t ant qu'i ls valurent
» quel q~e chose, si peu que ce fût, inondèrent le pays en
» q~a~t1té~ sans cesse progressives. La perspective de la
» fa1ll1te n arrêta pas un seul instant les émissions. Elles
» ne cessèrent que sur le refus a bsolu du public d'accepter
· n ,.importe quelle sorte de papier-mon-'
)> même à v1ï pnx,
» nai·e. »
Les m~ndats territoriaux qui avaient re mplacé les assignats disparurent aussi. Il fallait cependant donner
quel~ue chose aux fonctionnaires, aux rentiers et aux
pensionnaires de l'Etat. On leur déli vrait des bons d'arré~
· a• etre
·
rages dont l'unique va Jeur cons1sta1t
reçus com me
arge.nt dans le paiement des contribut ions. « On n'acquit· ce que les
· on payait
» t ait pas la solde , d"t
1 Th.iers, mais
» armées prenaient sur les lieux, pour vivre en bons de
» ~équùitùm, recevables éga lement en acq~ittement des
» impôts. »
·
:1itions
Enfin des rescrzr
sur les biens nationaux, receva-
117 -
bles en paiement de ces biens, étaient un dernier papier
ajouté à tous ceux que nous venons d'énumérer , et contribuèrent au plus affreux agiotage .
Ces valeurs, en effet, n'avaient pas cours forcé, comme
autrefois les assignats; mais jetées dans la circulation,
sans cesse ach etées et vendues sur la place de P aris,
s'élevant ou s'abaissant au moindre souffle d'une nouvelle heureuse ou malh eureuse, elles étaient le sujet d'une
ruineuse spéculation pour l'Etat et d'une affreuse démoralisation pour le public. Les gens d'affaires, dépositaires
de tout le numéraire, pouvaient se les procurer à fort
bon marché. Ils les rachetaient des mains des rentiers et
autres détenteurs au taux le plus bas, les faisaient ensuite
présenter au Trésor en paiement des contributions, et versaient pour 100 fr . ce qui leur en avait coûté 80, et
quelquefois 60 ou 50. Les comptables spéculaient euxmêmes : avec l 'argent qu'ils recevaient, ils achetaient un
papier déprécié et le versaient au pair dans les caisses
de l'État.
D'ailleurs, la com ptabilité était obscure. Les contributions étaient extraordinairement arriérées . Il y avait eu
des débets pour l'an V , l'an V I et l'an V II. Les rôles
pour l'an VI n'étaient pas achevés; pour l'an V II , il en
restait encore un tiers à terminer, et pour l'an Vlll, ils
étaient à peine commencés.
Ainsi le com ptable qui n'avait pas versé au Trésor
le retard dans la confection des rôles. .et
pouvait alléauer
b
la détresse des contribuables; il pouvait, en outre, d1ss1muler ses recettes, grâce au défaut de clarté dans la description des opérations. Le Gouvernement ne saYait pas,
comme aujourd'hui , ce qui se passe chaque jour dans les
quelques mille caisses, grandes ou petites, composant la
caisse générale de l'Etat.
Le cadastre, ouvrage de +o années écoulées, était à
�-
II8 -
peine commencé. Il y avait d'anciens livres terriers dans
quelques communes, et un état général des propriétés,
entrepris sous la Constituante . Ces données, fort peu
exactes, étaient cependant mises à profit.
On comprit enfin « que dans tout pays où il existe des
» contributions sur les propriétés et les personnes, ce que
» nous nommons en France contributions directes, il
» faut un état des propriétés avec évaluation de leurs
» facultés pécuniaires ;
» Il faut tous les ans modifier ces états suivant \a
» translation des propriétés de main en main, suivant la
» naissance, la mort, le déplacement des personnes;
» .Il faut ensuite répartir tous les ans, entre les pro» pnétés et les personnes, la somme d'impôts qui a été
» décrétée ;
» Il faut enfin une perception tout à la fois exacte et
» prudente : exacte pour assurer les rentrées , prudente
)> po.ur ménager les contribuables . )> (Thiers .)
Rien de tout cela n'existait en 1799.
Lorsque Gaudin, duc de Gaëte, fut appelé au ministère
par le premier consul, il ne trouva dans l'encaisse du Trésor , pour assurer le paiement des dépenses de l'Etat, que
300,0?0 fr. en espèces qui avaient été empruntés la veille.
Mais des mesures répara trices furent immédiatement
adoptées. Ainsi, au lieu de 5 1 000 commissaires cantonaux
réduits à solliciter auprès des communes la confection des
rôles, on devait avoir 99 directeurs, 99 inspecteurs et
840 contrôleurs exécutant eux-mêmes le travail et coûtant
à l'Etat 3 mill~o~s au. lieu de 5. On espér ait qu'en 6 semaine7 cette admm1s~rat1on serait com pl ètement organisée, et
qu en deux ou trois mois elle a urait achevé le tiers restant
à faire des rôles de l'an VII, tous ceux de l'an VIII, enfin
tous ceux de l'an IX.
. ble.
· msens1
D'ailleurs ' le S)'Stème qui· nous a con d Utts
-
119 -
ment à l'organisation actuelle fut mis en pratique. Les
receveurs généraux, vrais banquiers du Trésor, devaient
souscrire des obligations , échéant mois par mois, pour
toute la valeur des contributions directes , c'est-à-dire pour
millions sur 500 composant alors le budget de l'Etat.
300Ces obligations à leur échéance étaient payables à la
caisse du receveur général. Pour représenter le retard
apporté par le contribuable .à verser son i1:1pôt, ~n supposait chaque douzième acquitté quatre mois environ après
l'époque où il était dû. Ainsi les o~ligations pour 1~ dou_zième échu au 31 janvier devaient être souscrites a
échéance du 3 1 mai, de façon que le receveur général,
ayant devant lui un terme de qu~tre mois, avait à. la fois
le moyen de ménager le contribuable et un stimulant
pour faire rentrer l'impôt, car s'il le faisait .ren~:er e~ deux
mois au lieu de quatre il gagnait deux mois d mtéret.
Cette combinaison, outre l'avantage de ménager le contribuable et d 'intéresser le comptable à la rentrée de l'impôt, avait Je mérite d'interdire aux recev~urs générau.x. les
retards de versement, car le Trésor avait sur leur caisse
des lettres de change à échéance fixe qu'ils étaient forcés
. .
d'acquitter sous peine de protêt.
Ce système avait l'avantage de mettre le pr~~1er 1our
de l'année à la disposition du Trésor les 300 millions des
contributions directes en lettres de change d'un compte sûr
et facile.
Pour donner crédit à ce papier monnaie destiné à ~emplir l'office que les bons d u Trésor remplissent. au1our~
d'hui on créa la caisse d 'amortissement. Cette caisse, qui
devait recevoir bientôt toutes les attributions relatives à la
dette publique, n'eut d'autre objet à ce premier moment
d s receveurs créné·
b\'
·
.
b
que celm de soutemr les o 1gat1ons e
raux .
Voici ce que l'on imagina :
�-
-
120-
Les comptabl~, pour garantie de leurs opérations, ne
fournissaient alors qu'un cautionnement, en immeuble.
Ce genre de cautionnement, exposant l'Etat aux difficultés d'une expropriation forcée, quand il avait à exercer
des rec?ur~ , .ne re 1~1plissa it pas suffisamment l'objet
de son mstitu.tion. C est pourquoi on exigea des comptables un cautionnement en argent. Ils faisaient tous alors
d'assez gros bénéfices, par suite de l 'agiotage établi sur
l'impôt même, pour se soumettre volontiers à une telle
condition plutôt que de résig ner leurs charges .
Ces cautionnements versés à la caisse d 'amortissement
étaient destinés à servir de garantie aux obligations. Toute
obligation à son échéance devait être payée à la caisse du
receveur général ou, à défaut, à la caisse d'amortissement
qui devait acquitter à l'instant même l'effet protesté sur I~
cautionnement du compta ble . Une portion de ces cautionnements devait d'aill eurs suffire pour soutenir le crédit des
obligations, car peu de receveurs généraux seraient tentés
de laisser protester leur papier. Le surplus restait dès lors
à la ~ispositio~ du Trésor qui en pouvait tenir compte à
la caisse en 1U1 cédant des immeubles ou des re ntes.
On avait donc par cette institution l'avantage de donner ~ours assuré aux obligations et de se procurer une
ce~am~ so~me en ~uméraire réalisable sur-le-champ, ce
qm éta it tres appréciable à ce moment.
·
T el fut le système de perception
et de versement qui.
ramena en peu de temps l'aisance au Trésor.
En ce qui concerne les contributions indirectes les
receveurs généraux devaient, a près la recette faite env~yer
' qui. ne
.
des '·o1zs a· vue sur 1eur caisse,
a u Trésor
valeur
. . tu
.
dev~natt ainsi disponible qu'après que le comptable en
.
. qui. la1.ssa1t
. d u service
avait reçu le montant · Cctt e partie
. .ssances de
aux receveurs généraux de t rop grandes 1ou1
fonds fut perfectionné plus tard .
121 -
A ces moyens, on joignit d'autres mesures qui avaie~t
toutes leur importance . Le général Bonaparte compnt
'il ne suffisa it pas de faire des règlements, mais qu'il
~lait aussi les appliquer. Chaque semaine il se faisait
a orter par les divers ministres l' état de leurs dépenses
n~~essaires. Il le plaçait en regard de l'état des recettes
robables fourni es par le Trésor et faisait en proportion des
~esoins de chacun la distribution des ressources réelles.
Le plus difficile était fait. li ne s'agissait plus que de
perfectionner avec prudence et fermeté.
Les recettes n'étaient insuffisantes que par rapport aux
dépenses de la guerre, et cela n'avait rien de bien extraordinaire, car il en est ai nsi partout. En effet, on ne peut
jamais, en aucun pays, soutenir la guerre. avec les r~venus
ordinaires de la paix. Si on le pouvait, ce serait une
preuve qu'en temps de paix les impôts auraient été inutile. .
ment augmentés.
Le budget de l'an r 8oo fut évalué à 600 m1lhons en
dépenses et en recettes .
M. Gaudin travaillait sans relâche à augmenter le crédit et à faciliter la perception des impôts. Il etait toujours
secondé par Bonaparte.
La Banque de France fut instituée à la faveur du Gouvernement.
Puis on créa des receveurs particuliers d'arrondissement
dépendant de l'État. Cette création augmentait les ca~
tionnements et partant le numéraire immédiatement disl
'
'
ponible; elle facilitait ainsi la connaissance de l'état des
recettes.
Les préfets et sous- prefets avaient ordre de se rendre
eux-mêmes auprès des receveurs et de Yeiller, par l 'in~pe~
tion des li vres l à l'exactitude des versements. 11 ex1sta1t
donc déjà un contrnle sérieux des opérations financiè~es.
La compta bilité était devenue plus simple et plus claire.
�-
122 -
Nous avons vu le budget voté et vérifié par le Corps
législatif, les recettes et les dépenses examinées par les
représentants de l'État : il ne restait plus qu'à organiser
un contrôle judiciaire.
Ce contrôle fut l'objet du Décret du 11 janvier 1806qui
chargea le Conseil d'État de prononcer sur toutes les décisions relatives à la compta bilité nationale .
L'année suivante parut le Décret du 16 décembre 1807
qui , obéissant au principe de centralisation et d 'unité de
la France, organisa la Cour des comptes et lui confia l'examen et le jugement de la gestion de tous les compta bles
publics.
La Cour des comptes n 'est, à vrai dire, qu'un tribunal
administratif chargé d'appliquer les lois et les règlements
de la matière.
Quels sont ces lois et règlements ?
1° La loi du 25 mars 1817 (titre 12);
2° L'ordonnance du 14 septembre 1822;
3° L 'ordonnance du 30 mai 1838;
4° Le décret du 31 mai 1862;
5° Le décret du 18 novembre 1882.
Mais cette législation a été péniblement élaborée.
Le baron Louis fut le créateur de la plus grande mesure
financière qui ait été prise de notre siècle. li nationalisa
la rente, en la transportant dans les départements. « Plus
» nombreux disait-il, seront les créanciers du Gouverne» ment, plus nombreux seront les individus disposés à
» soutenir l'édifice social. »
-
123 -
»percevaient l'impôt. ~ne c~nco~dance absolue, complète,
lation intime vmt her et rattacher tous les
» une Corré c
~> actes intéressant la fortune publique à un ensemble
de comptes-rendus auquel rien n'échappait, et qui venait
.
»
»se soumettre au contrôle des Chambres et au 1ugement
» de la Cour de com ptes. »
« La durée des exer cices budgét aires était indefinie. On
>> visait, revisait, modifiait indéfiniment un exerci~e tant
» qu'il y avait quelque chose à paye~ o~ à rec.evo1r. pour
»son compte . A partir de i 822 1 la limite est mvanable.
» Elle est de vingt-quatre mois. Au bout de ce ter:1ps,
» tout ce qui est fait est apuré . Ce qui n'est pas fait se
» reporte à l'exercice sui vant. »
Enfin , le marquis d'Audiffret colligea dans un ~r?re
clair et méthodique toutes les règles de notre comptabilité.
li est l'auteur des ordo nnances du 30 mai 1838 et du
Décret du 3 1 ma i i 862 .
Son travail paraissait si complet et si précis qu'il a
servi de modèle à tous les gouvernements civilisés de
l'Europe.
Le décret du 31 ma i 1862 est diYisé en six titres:
- Le titre I : Dispositions générales applicables aux
divers services est précédé de la définition des deniers
. De son côté, le comte de Villèle dota la France, par
1 ordonnance du 14 septembre 1822, d'une comptabilité
sérieuse.
publics .
- Les deniers publics comprennent les deniers de l'Etat,
des départements, des communes, des etablisse_ments ~e
bienfaisance et d 'utilité publique. Ce titre établit ensuite
les principes génèraux de l' exercice budgHaire, de .b ~es
tion, du ma niement de tous les deniers publics, et indique
les conditions essentielles des fonctions d'administrateur
« A partir de ce moment en effet , dit Charles Louan» dre,. la _clarté, l'uniformité, le contrôle furent partout,
» aussi bien chez ceux qui dépensaient que chez ceux qui
et de comptable.
relatives à la comptabilité
- Le titre Il énum~re les rèales
t>
législative. Le régime in:rnguré en 1870 a entraine dan'
�-
125 -
12 4 -
ce titre plusieurs modifications nécessitées par les formes
constitutionnelles.
- Le titre III est relatif à la comptabilité administrafIVe.
Il détermine les obligations et la responsabilité personnelle des ordo n~ateurs et des comptables . Puis il indique
les r~gles pre~c ntes pour la te nue des livres , pour les
e.nvo1~ pén od1ques des états de situation et des pièces justificatives, pour les contrôles successifs et pour les comptes à rendre.
- Le titre IV s'occupe de la comptabilité judiciaire. Il
fixe la compétence des tribunaux administratifs, leur mode
de délibération, leur procédure et les formes de leurs
jugements.
- Le titre V comprend tous les services publics qui sont
régis par une législation particulière et qui ne sont exclusivement soumis ni à l'action immédia te ni au vote de la
législature. Ces services sont cependant placés sous l'impulsion et la surveillance de l'autorité supérieure. La forme
des écritures, les justifications et les contrôles sont les
mêmes que celles de la comptabilité de l 'État. Enfin les
préposés comptables sont, com me ceux du Trésor public,
justiciables de la cour des comptes et des conseils de
Préfecture. Ce titre se divise en plusieurs chapitres savoir:
1° le service spécial des départements; '.20 des communes,
3° des établissements de bienfaisa nce et particulièrement
de l'assistance publique, des maisons d 'aliénés, des dépôts
de mendicité et des Monts de Piété; 4° de l'Algérie et des
C?lonies; 50des Lycées et des Ecoles normales primaires.
Viennent ensuite les services spéc iaux rattachés pour
ord.re au budget de l'Etat : Légion d'honneur, Imprimerie
nationale, Chancell erie, Monna ies et Médai lles, caisse
des Inval ides de la Marine. Puis suivent les attributions
de la Ca isse des dépôts et consignations et de la Caisse
d'amortissement.
_ Enfin le titre V I traite de la com ptabilité des matières appartenant à l'État.
On voit combien est vaste le domaine de la comptabilité publique. Il fall ait, en effet, tout prévoir et tout régler
afin d'éviter les t âtonnements. Il fallait tout réglementer,
car aucuné latitude ne devait être laissée à l'initiative
privée. Il fallait de l 'unifor~ité, de la mét~ode , de la
fixité : c'est le but que s'était proposé le législateur dans
le décret du 3 1 mai 1862 .
Ainsi s'est formée, après bien des péripéties, des crises
nombreuses et parfois aiguës, notre comptabilité actuelle.
On doit se féliciter des progrès accomplis dans cette
matière périlleuse, car si la comptabilité n'est pas une
garantie d'économie, elle est du moins ~ne garantie d'ordre
et de moralité : ordre dans les choses 1 puisque par elle on est
certain de la somme que les peuples payent pour l'affermissement , la puissance et la gloire du pays i moralité
chez les personnes , car la surveilla nce active, le contrôle
sévère du comptable sont un moyen puissant d'assurer la
fidélité . (Maurice Black .)
Mais il est impossible de se laisser gagner par un
enthousiasme exagéré et de tenir pour idéale une législation encore imparfaite. Je répudie donc, pour ma part,
l'opinion exprimée par M . Maurice Block ~a.ns son excellent Dictionna1:re de la Poliûque, p. -t-32 (édit10n de i873).
« La comptabilité, dit-il , est arrivée eri ~rance à un tel
» degré de perfectionnement qu'on pourrait presque corn}> parer sa marche à celle des planètes qui gravitent dans
» leur orbite uniforme avec une précision toute mathéma}> tique. »
on plus partacrée par
' t
· ·
t>
Du reste cette opm10n n es pas n
dé et du i8 novembre
·
. .
,
le P arlement lu1-meme, qui , par un cr
1882, a aboli formellement les articles 68 à 8 i du décre~ du
31 mai 1862 et a édicté des règles nouvelles relatives
�-
-
127 -
126 -
aux adjudications et marchés passés au nom de l'Êtat.
J'espère ferm ement que l'on ne s'arrêtera pas là, et que
l'on améliorera encore, sans pour cela atteindre à une
prétendue perfection.
Mais que faut-il entendre par comptabi lité publique?
La comptabilité publique est la description des opérations relatives aux recettes et aux dépenses de l'Etat, des
départements, des communes et des établissements
publics.
Je m'occuperai spécialement de la comptabilité de
l'Etat.
Elle se divise en trois branches :
1 ° La comptabilité législative;
2 ° La comptabilité administrative;
3° La comptabilit~ judiciaire.
Chacune de ces divisions em brasse des opérations
diverses.
Si dans ces opérations cl ai res et précises, aucune fraude
n'est possible, si aucune malversation ne reste impunie,
si aucun abus n'est com mis sans être réprimé, si aucune
erreur volontaire ne peut être faite , si toutes les écritures
traduisent parfaitement tous les actes, si toutes les pièces
comptables sont absolum ent réelles, si elles ne contiennent aucune indication fictive , si, en un mot, la forme
c?ncorde en tous points avec le fo nd , alors on pourra
dire avec M. Maurice Black que « le perfectionnement de
» notre comptabilité est com parable à la marche uniforme
» des planètes. »
Malheureusement, il n'en est point ainsi. Et c'est une
vé~ité d ':xpéri~nce que, dans l'état actuel de notre législ ~t10n, d est impossible de prévenir bien des irrégularité. Les unes sont même tolérées pa r les rèalements ou
cons.acr~e~ par l'usage; les autres tiennent à u~e pratique
que 1e cnt1querai plus tard; quelques-unes proviennent de
ce que le contrôle laisse à désirer , sans qu'il y ait faute
imputable à personne.
Que l'on ne m'objecte pas que ces irrégularités condamnent plutôt la pratique que la loi elle-même , car il me
sera facile de répondre qu'une loi est loin d'être parfaite,
si elle peut être impunément violée.
Du reste, en comptabilité tout doit être formellement
prévu. Toutes les opérations doivent être drconscrites,
limitées et contrôlées. La loi doit prescrire seulement des
actes indispensables, nécessaires ou utiles. En aucun cas,
les finances publiques ne doivent être employées au gré
des particuliers.
J'ai dit que la comptabilité est la description des opérations relatives aux recettes et aux dépenses de l'E tat. 11
faut donc, avant tout, déterminer ces recettes et ces
dépenses.
A ce sujet, il importe de remarquer que les particuliers
règlent d'abord leurs revenus et ensuite leurs dépenses.
Dans l' Etat on fait absolument l'inverse : on règle
d'abord les dépenses et on y proportionne les revenus.
Voici donc le tableau récapitul atif des dépenses publiques:
l.
DETTE PUBLIQUE. -
DOTATION. -
DÉPENSES DES
1
POUVOIRS LÉGISLATIFS
Dette publique.- La dette publique comprend :
1° la dette consolidée;
20 les capitaux remboursables à divers tdres (intérê~s
et amortissement d'emprunts divers. Annuités au crédit
foncier pour le remboursement des avances faites à l'État.
Intérêts de cautionnements en numéraire. Intérêts de la
dette flottante. Intérêts au chemin de fer de l'Est pour la
partie de son réseau cédé à 1' Allemagne. Indemnités aux
�-
départements, villes et communes pour faits de guerre.
Annuités diverses).
3° Dette viagère (rentes viagères d'ancienne origine.
R entes viagères pour la vieillesse. P ensions des grands
fonctionnaires (loi du 17 juillet 1856). P ensions de la pairie
et de l'ancien Sénat. P ensions civiles . P ensions à tit'fe
de récompense nationale . Pensions militaires. P ensions
ecclésiastiques . P ensions de donataires dépossédés. Pensions et indemnités viagères aux employés de l'ancienne
liste civile).
Dotations . - Elles comprennent:
1° Le traitement du Président de la République;
2 ° Les frai s de sa maison ;
3• Ses frais de voyage;
4° Supplément à la dotation de la Légion d 'honneur ;
5° Subvention à la caisse des Invalides de la marine.
Dépenses des ponvoirs légùlatijs. - Ce sont :
1° Les dépenses administratives du Sénat et les indemnités aux Sénateurs ;
2 ° Les dépenses administratives de la chambre des
Députés et les indemnités aux Députés.
Il.
SERVICES DES M INISTÈRES
Ministère de la Justice et des Cultes ;
2° Ministère des Affaires étrangères ;
3° Ministère de !'Intérieur et de l'AIO'érie ·
'
t>
4° Ministère des Finances.1
5° Ministère de la Guerre 1·
6° Ministère de la Marine et des Colonies·
M~n~stère de l'Instruction Publique et de~ Beaux-Arts;
8 Mm1stère de !'Agriculture;
90 Ministère du Commerce 1·
1°
7:
129 -
128 -
Ministère des Travaux Publics;
T élégraphes.
11 ° Ministère des Postes et
10 •
Ill.
FRAIS DE RÉGIE ET DE PERCEPTION DES IMPOTS
ET REVENUS PUBLICS.
Ces dépenses comprennent :
° Contribut ions directes (remises aux percepteurs,
1
indemnités aux porteurs de contraintes et frais judiciaires,
service de la perception des amendes et condamnations
pécuniaires, secours aux percepteurs réformés, aux veuves
et aux orphelins des percepteurs);
2° Enregistrement, timbre et domaines;
3° Douanes;
40 Contributions indirectes;
5° Manufactures de l'État.
IV.
REMBOURSEMENTS ET RESTITUTIONS,
NON· VALEURS
ET PRIMES.
Ce sont les dégrèvements et non-valeurs sur les taxes
perçues en vertu des rôles ; les remboursements sur les
produits indirects et divers; la répartition des produits
d'amendes, saisies et confiscations attribuées à divers ;
les primes à l 'exportation de marchandises; les remboursements au département de l'Oise (article 3 de la loi du 28
mars 1874).
Il faut pourvoir à ces dépenses au moyen des ressources ordinaires et extraordinaires.
Voici le tableau récapitulatif des ressources et revenus
de l'Etat:
9
�-
l.
130 -
R ESSOURCES ORD 1 NAI RES
Elles comprennent :
1° Les revenus du Domaine public et des Forêts;
2° Les Contributions di rectes (foncière , personnelle, mobilière, portes et fenêtres, patentes) ;
3° Les taxes spéciales assimilées aux contributions directes;
4° Les droits d'enregistrement , de g reffe, d'hypothèque,
de sceau, de transmission des titres des sociétés françaises
et étrangères ;
5° Les Contributions indirectes (boissons, sels, sucres,
allumettes chimiques, chi corée, droit de garantie, taxes
sur les voitures publiques, etc.);
6° Les monopoles (tabacs, poudres à feu, monnaies et
médailles, postes et télégraphes) ;
7° Les produits et revenus divers (produits universitaires,
impôt de 3 °/0 sur le revenu des valeurs mobilières, produits et revenus de l'Algérie, recettes effe ctuées pour l~
service des pensions civiles , amendes et conda mnations
pécuniaires, brevets d'invention, prix de vente des cartes
et plans, recouvrements sur prèts au commerce et à l'industrie, débets des comptables, revenus d'établ issements
spéciaux, produits du volontariat, bénéfices réalisés par la
caisse des dépôts et consig nations .
Il .
R ESSOURCES EXTRAORDINAIRES
Ces ressources proviennent des. em prunts contractés
dans les circonstances difficiles.
Il faut donc déterminer d'abord les besoins de l'État,
c'est-à-dire fixer les dépenses.
Cette fixation, une fois faite, précise les recettes nécessaires, c'est-à-dire les impôts à répartir entre les contri-
131
buables , car il faut qu'il y ait au moins égalité entre les
recettes et les dépenses.
Mais ces prévisions peuvent être inexactes en définitive. En d 'autres termes, il est possible que les recettes
présumées soient insuffisantes, suffisantes ou exagérées.
Si elles sont insuffisantes, il faudra établir de nouvelles
impositions au courant de l'année ;
Si elles sont suffisantes, sans être exagérées, elles balanceront exactement les dépenses ;
Si elles sont exagérées, les sommes restées disponibles
seront transportées à l'exercice suivant, ou appliquées au
rachat de certaines portions de la dette consolidée ( 1).
(1) Depuis 187 1, le rachat s'est opëré sans doute dans des proportions insigni·
fiantes. Ma is, pour le com prendre, il suffit de se rappeler: d'une part, les sacrifices
énormes imposés à la France par la dernière guerre, et, d'autre part. les allègements d'impôts réclamés et en pa rtie réalisés par la mise en pratique d'un système
nouveau, a ppelé politique de dégrèvement. G râce à cette politique, les charges
des contribuables ont été successivement diminuées de plus de cent millions par
les lois des 26 mars 1875, 26 décembre 1876, 21°mars 1878, 26 mars 1878, 6 avril 1878,
'22 décembre 1878 1 18 mars 188o1 16 juill et 188o1 19 juillet 18So.
Les diminutions ont porté p rincipalement sur les taxes qui sont de nature à
entraver le travail, à gèner la c irculation et à restreindre la consommation.
Or, c'est une vé rité d'expérience que les diminutions d'impôt produisent une
augmentation de l'épargne, de la consommation ou de l'échange.
Et tout le monde sait q ue le mécanisme de nos lois fiscales est tel que l'accroissement de l'épargne, le développement de la consommation, l'augmentation des
affaires se t raduisent par une él~vation des recettes du Trésor.
Si je m'arrete à cette sim ple remarque, c'est pour réfuter la critique acerbe
dirigee contre le Gouvernement par certains publicistes, assuremeot plus instruits
que sincères. La réfutation sera sans doute mieux apprèciee quand j'aurai dit que
cette politique de dégrèvement tend à augmenter le bien-~tre du peuple, ~t que
cette tendance doit ètre la préoccupation constante de tout gouvernement hbér:il.
Voici du reste le relevé des dégrèvements depuis 1872 :
1872 ... ... ... ... ....... :. ... .......... ....
7.000.<XJO
1873....... ......... .................. ..... 33.272.000
1875 ···· ·· ··················· ·············
2 1.200.c:xx:>
7.448.00o
1876....... . ... ... .. ........ ............ .•.
1878 ... ... . ··· ·· ... ....... ······· .. .. .. ... 48.975.000
1879.... .•. . . .. . . . . .. .. . . .. . . .. . . . ...... .. . 53.350.989
188o ........... ·· ·· ······ ·· ·· ···········-· 134.736.215
1881 · ·········· ·············· ·············
1885 .... . ......... .......... •...... ........
7.::110.000
3.310.000
�-
-
132 -
La détermination des besoins et des ressources de ! 'Etat
est faite tous les ans au ministère des finances , et les
comptes généraux ainsi établis constituent le projet de
budget.
Il faut distinguer le budget des recettes et celui des
dépenses.
Le premier est divisé par branches de revenu ; le second
est divisé par ministère.
J e crois utile de donner ici un aperçu du budget ordi naire de l'exercice 1885 :
DÉPENSES
RECETTES
Impôts directs ........ F.
431.431.864
Produits domaniaux....
58.036.034
Impôts indirects ........ .
Enregistrement . . .. .. .. . .
548.27 1.000
Timbre .. ...................
158.479.000
Douanes....................
325.144.000
Contributions indi~. ... 1.171.588.000
Postes et télégraphes . .
169.901.ooo
Divers revenus ... .. . ... . .
8+-409·Ô97
Produits divers... ........
57 .23o.908
Prélèvement sur les recettes de la dotation
de l'armee ............. .
Dette publique et dotation .................. F. 1.325.2o8.717
84.565.763
Ministère de la justice.
affaires étran»
13.955.900
gères........
Intérieur ......
))
68.381.41 1
Finances ... ...
19.036.470
»
Postes et télé·
»
graphes .....
2.130.684
Guerre . ........ 582.636.984
»
Marine et co11
lonies .......
lnst•n pub!. et
:>
Bx arts .....
Come• et agri»
41.112.ogo
culture ..... .
Trav. pub!. .. 152.940.032
»
Finances et affaix
o
res étrangères ..
;::
..., Postes et télégracc
phes ..... ... ... . .. . 133.557.844
16.134.203
~ Agriculture ....... .
va·
non
et
Rembl6
~
cc
leu rs ............ .
......
......
...
TOTAL .... F. 3.022.385.377
T OTAL ... F. 3.022.385.377
133 -
Mais le budget ordinaire n'est pas le seul dont nous
ayons à nous occuper.
La comptabilité publique embrasse aussi:
Le budget extraordinaire i
2 0 Le budget des dépenses sur ressources spéciales ;
1°
3° Les budgets spéciaux rattachés pour ordre au budget
général de l'État.
Le budget extraordinaire établi pour la première fois
par la loi du 2 juillet 1862, avait cessé d'exister à partir
de 1872. Il avait été remplacé de 1872 à 1878 par le
compte de liquidation destiné à pourvoir à la reconstitution de notre matériel de guerre et de notre matériel naval.
Depuis 1878 le budget extraordinaire a été rétabli et a
remplacé le compte de liquidation.
Il y a une grande différence entre ces deux dénominations.
T outes deux, il est vrai , indiquent des dépenses
exceptionnelles. Mais tandis que le budget extraordinaire
est annuel, le compte de liquidation formait un compte
toujours ouvert et susceptible de recevoir indéfiniment
l'imputation de nouvelles dépenses.
Le budget sur ressources spéciales est un budget d'ordre.
Il a principalement pour objet les servicesdes départements
et des communes. Les Conseils généraux et municipaux
sont en effet autorisés à voter des centimes additionnels
aux contributions directes pour pourvoir à des dépenses
locales. Le budget des dépenses sur ressources spéciales
ne modifie en rien le budget général de l'Etat, car ses
dépenses et ses recettes s'cquilibrent toujours.
Quant aux budgets spéciaux rattachés pour ordre au
budget de l'État, ils concernent des institutions qui possèdent des ressources propres dont la gestion est confiée à
�-
13~
135 -
-
des comptables particuliers justiciables de la Cour des
comptes.
Ces institutions restent toutefois à la charge de l'État
qui leur accorde, s'il y a lieu, des subventions ou des
compléments de dotations. Ce sont !'Imprimerie nationale
la Légion d'honneur, la F abrication des monnaies e~
médaill es, la caisse des Invalides de la marine1 !'École
centrale des Arts et Manufactures, les Chemins de fer de
l'Etat et la Caisse nationale d'épargne.
L'étude du budget comprend :
La préparation ;
Le vote;
L'exécution ;
Le contrôle;
La préparation appartient naturellement au pouvmr
exécutif.
L~ v~te ~evient de droit au pouvoir législatif.
L execution est encore du ressort du pouvoir exécutif.
~nfin le :ontrôle est exercé concurremment par le pouvoir exécuti~, le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire.
Préparation du budget. - Chaque ministre prépare
1
d abor~ son budget particulier en prenant pour base les
allocations antérieures et e n tenant compte des besoins et
d~s . services nouveaux. Il se conc:erte ensuite avec le
mm1~tre. des finances qui centrali se ces di vers projets et
les reumt dans un travail d'ensemble pour en former le
budget des dépenses.
. Le budget des recettes est également préparé au mm1stere d~s finances. Les évaluations sont indiquées par les
produits de l'avant-dernier exercice écoulé.
Après avoir ainsi établi les dépenses et les recettes
présumées, le. ministre des finances soumet le projet de
budget à la signature du Président de la R épublique et
le dépose ensuite sur le bureau de la charn bre des Dépu-
tés (art. 25 de la loi constitutionnelle du 25 février
1875).
La Chambre nomme alors la commission du budget
composée de 33 députés pour examiner la nécessité des
crédits demandés et les causes des modifications proposées dans les recettes et les dépenses.
La comm ission vérifie tous les articles du projet et discute individuellement, avec le ministre ou les agents principaux des ministères, les réductions ou les suppléments
qui peuvent être demandés. Ell e fait un rapport motivé
et soumet à la Chambre le budget ainsi modifié.
Mais il convient de remarquer que l a commission du
budget ne peut pas vérifier dans tous les détails certaines
parties des comptes qui lui sont soumis par suite du groupement de services similaires. C'est unfaitavéréqu'elleaccorde
parfois des crédits supérieurs aux besoins réels des services publics. En conséquence des sommes assez importantes restent disponibles à la fin' de chaque exercice. Ces
sommes permetten t de distribuer des gratifications dans les
différents ministèr es. E lles viennent s'ajouter au crédit
inscrit pour encourager tell e ou telle catégorie de fonctionnaires. Assurément je suis loin de me rallier aux critiques acerbes et réitérées de la presse au sujet de ces gratifications. Je sais trop bien qu'elles constituent souvent
des compléments nécessaires à des traitements modiques.
Mais évidemment elles sont une dérogation : 1° à la loi
de finances; ~· à la prohibition d'engager aucune dépense
sans le consentement du législateur ; 3° à cet autre principe
que l'impôt doit être strictement limité aux besoins de
l'État ; 4° à un troisième principe qui consiste à dire que
le budget est une prévision , que si cette prévision est
supérieure aux dépenses réelles, le surplus doit être réservé
pour l'exercice suivant.
Il est vrai qu'elles pourraient ètre justifiées par ce motif
�-
-
136 -
que le législateur les a tacitement consenties pour rémunérer des travaux extraordinaires. Malheureusement, en
supposant même qu'il )' a it eu des travaux ext raordinaires ,
il est difficile de défendre une législation financière qui
procède du silence du lég islateur. Mieux vaudrait incontestablement des lois for melles dont t outes les dispositions
s'imposeraient a bsolument, sans la isser aucune place au
moindre alea, sans autoriser l'emploi de crédits, sui vant
la volonté des adm inistrateurs, car en comptabilité tout
doit être réglé d'avance. T oute initiative pri vée doit être
rigoureusement écartée .
. D 'ailleurs, il est démontré, dit M. P aul Leroy Beaulieu, « qu'un crédit voté, même lorsqu'il est trop consi » dérable, est presque toujours dépensé, les ministres et
» leurs subordonnés éprouvant une tendance naturelle à
)) accroître des dépenses qui augmentent leur importance
» personnelle et qui sont souvent pour eux des moyens
» d'influence (1). »
Quoi qu'il en soit, la commission du budget se livre tous
le~ ans à un .travail pénible et comp liqué. Le projet examiné et modifié par elle est ensuite discuté par la chambre des Députés.
. Mais .avant d'aller plus loin , il n'est peut-être pas inutile de 1eter un coup d'œi l rapide sur les méthodes des
autres pays.
En Ang l.eterre, la Chambre examine le budget dans des
s~ances. qm ont un caractère fam il ier, intime. La discussion a. heu sur le_ ton de la conversation, sans a pparat ,
san.s discours. T ous les membres de la Cha mbre peuvent
assister à ces séances. Ma is, il va sans dire que seuls les
hommes compétents prennent part à la discussion. De
cette fa çon, aucun membre expérimenté n'est exclu : c'est
1 37
-
là précisément que la méthode anglaise est supérieure
l
· · l b
·
· l
par
à la nôtre. D 'ailleurs, une fois e pro1et ams1 é ~ oré, es
débats publics à la Chambre ~ont très courts, .puisque chacun a déjà eu l'occasion de foire ses observ~tions dans les
séances du com ité. En France, au contraire, ces débats
t très longs et donnent lieu à de nombreux discours.
.
~n
En Amérique ( I) on a adopté le système des commissions closes et des commissions permanentes. Ces _commissions délibèrent en comité. Elles donnent leur avis sur
toutes les propositions financi ères déposées pendant la
session. U n détail qui mérite d'être remarqué, c'est que l~
loi fixe une limite de trente jours pour faire les propositions budgétaires. De plus , les règlements défendent la
réunion des corn missions permanentes pendant les heures
de la Chambre.
Vote dtt budget. - Le budget étant préparé, comm~
nous venons de l'indiquer, les chambres sont appelées a
le voter.
« Les pouvoirs des deux chambres sur ce point ont
>> varié beaucoup suivant les divers gouvernements et les
» ph ases historiques par lesquelles la France a passé. Sous
)> la R estauration, on corn mença par donner aux chambres
» le droit de voter par ministère ; c'est ce qui résulte de la
» loi du 2 5 mars 1817. D e cette façon 1 le gouvernement
)) n'était lié que par le chiffre alloué pour chaq~e .départe» ment ministériel , mais il pouvait, dans la hm1te de ce
» département, faire au moyen de virements, passer une
>> somme affectée à une certaine dépense à des dépenses
» d'un autre ordre. Plus tard, une Ordonnance du
t ar ministère le
·
)> 1" septembre 1827 substitua au vo e P'
réunit ensemble
l'
d.
•
·
» vote par section, c est-à· ire que on
.
(1) Sur le vote du budget en Anglell"CTe et en A menque,
..
du
.
(1) M. Paul Leroy Beaulien, t. 11' p · 37 T1·n1'f"c dA• t:a science
fi nnnces.
.
"
t
·•
soc1~té de leg1slation comparée, annee 1877 , p. d7 e sui~.,
Louis.
V"Oir le bu \letin de la
G
article de 11 1• eorge>
�-
-
138 -
des services ayant entre eux une certaine affinité, et le
» législateur eut à se prononcer sur chacune de ces sections. Son pouvoir de contrôle était ainsi considérable}~ ment aug menté. Enfin en 1830 le vote par section fit
» place au vote par chapitre, les chapitres comprenant
» un groupe de service du même ordre. A partir de 1852
» la France fut ramenée subitement , au point de vue
» financier, à la si tuation créée par la loi de 1817 1 le vote
» ne put avoir lieu que par ministère. Puis le second
>> Em~ire _sui vi.t prog ressivement le même chemin que
>> celui qui avait été parcouru j'usqu'en 1830. Un sénatus» cons~lte du 3 1 décembre 1869 prescrivit le vote par
» chapitres, et après la chute du second Empire une loi du
» 16 septembre 1871 consacra définitivement ce dernier
>> système.
» Dans ce débat continuellement agité, on le voit,
>> entre le pouvoir exécutif et les chambres législatives
» on a fait valoir de part et d'autre des ara um ents d'ordre
b
.
» financier et d'ordre politique. Ainsi le pouvoir exécutif
» a soutenu qu'il était diffi cile à un gouvernement d'avoir
» les mains liées par le pouvoir législatif; il se peut, en
» effet_, que, au cours d'un exercice, on s'aperçoive qu'un
» service a reçu une dotation insuffi sante, tandis que, sur
» tel autre service, des économies auront été réalisées.
» P ourquoi dès lors ne pas permettre au pouvoir exécutif
» de transporter une som me d'un service à un autre, de
» c?mbler des ~éficits avec les excédents dont on peut
» di.s~ose:? Mais d'autre part les raisons les plus sérieuses
» mil itent .en faveur de la spéciali té des crédits. Il faut que
» le controle exercé par le léaislateur en matière finan>> cière soit ~n contrô!e sérieux~ et il ne peut pas dépendre
» du pouvoi r exécutif de réaliser des économies sur cer.
» tains chap itres , de Jes reporter sur d' autres services
au
» gré des capri ces d'un ministre ou de la faveur dont peut
139 -
·r tel ou tel fonctionnaire. Du reste dans une question de ce genre, à côté des arguments d'ordre financier
: il ne faut point se dissimuler que les considérations poli» ues sont surtout déterminantes. Suivant que le pouvoir
» ~xécutif se sera attribué la prépondérance dans la ges» tion des affaires publiques, ou que la nation aura repris
» l'influence qui lui appartient dans la direction de ses
» destinées, on verra le principe de la spécialité des crédits
» être admis ou repoussé en matière budgétaire; mais,
» comme dans ce conflit entre les deux pouvoirs, c'est le
» pouvoir législatif qui doit a voi~ la ~ré~ondérance , on
» peut dire que nous sommes au1ourd hm revenus sur ce
» point aux véritables principes ( 1 ) . »
Cette dernière opinion est certainement la meilleure.
Car en matière financière, chaque année apportant une
expérience nouvell e, il est facile de tout prévoir et ?~tout
ordonner. Et j'estime que la latitude laissée aux ministres
dans la limite d'un chapitre est plutôt exagéré qu'insuffisante. Il suffit, en effet, d'examiner le groupement des
dépenses composant un même chapitre pour être persuadé
·
>> JOU1
.
que cette latitude est très grande.
Du reste tous les hommes d'expérience qui placent la
réalité des faits avant les conceptions imaginaires se prononcent unanimement en faveur de la spécialité des
crédits.
d. t. et voté
.
Lorsque le budget a été pub l1quement 1scu e
en du
· ' 1'
·
par la chambre des Députés, 11 est soumis a exam
Sénat. Cette assemblée nomme une commission de finances qui remplit le mème rôle que la commission du budget
à la chambre des D éputés.
Sur le rapport de cette commission, le Sénat discute à
1\1 G iutier professe11r de droit
(l) J'ai emprunte ce remarqua ble par 1gr .. phe
. . a. ·J . t ·t ' ellement pdrce que
administratif a la Fa.culte de Droit d'Aix. Jt: 1 u re pro Ull ex u
à mon avis, il est impossible de mieux dire en moins de mot> .
�-
qo -
-
son tour le budget, le modifie par son vote , s'·l
1 Y a 1·1eu
l a Ré pu-'
de
Président
du
nature
sig
la
et . le soumet enfin à
bl 1que .
Le budget est touj ours précédé d'une loi appelée loi de
finances.
Elle comprend :
1 ° Les crédits accordés .
'
2 ° Les impôts a utorisés;
3° L 'éval~ation des voies et moyens.
~ pr_:mière de ces di visions indique les sommes ui
.
doi vent etre. ,affectées à. tel ou tel ordre de d epenses
; q
La deux1eme mentionne les impôts à percevoir confor'
mément aux lois existant es .
'
~nfin l 'év~l uation des voies et moyens contient les indi.
détaillées du rendement de chaque 1mpot.
cations
P our
1 ·
es i mp~ts. de répartition , les somm es indiquées rentreront
nécessairement dans les caisses de l'Eta t . E n ce qui. conA
A
~erne les autres impôts, la loi ne contient qu 'une éva luation approximat'
ive, obtenue en fai.sant la moyenne des
.
perceptions des années antéri eures.
·
P ar l 'additio n d e ces· d'ivers impôts
on obtient le ch'fft
1 re
.
.
total d
es recettes, qui doit, pour équilibrer les finan ces
't
'
e re exactem
ent éga 1 au c h.iffre des crédits accordés.
.
S a 101 de fi nances ,·otée par la chambre des Députés et
L
Ie énat
.
de la R épubli, est prom u1g ué e par le Président
.
·
d.
J
d
qui
elle
est
C
que.
ren es 1spos1t1ons du budget exécut .
OJres. sur toute l'étendue du territoire français
·
pour le vote et la· promulga. rc he a· suivre
d la ma
t' V oilà
ton e 1a 101 de finances.
.
Mais il se peut que le S énat modifie
le budget voté
par 1a chambre des Dé t. D
pu es. ans ce cas, cette dernière
.
asse mblé d .
.fi ~ oit se li vrer à une nou vell e discussion sur les
Smocl1 cations prop os ées. s·1 e li e se met d'accord avec le
énat, t out est terminé : la loi pourra être promulguée.
141 -
Si, au contraire, elle mainti ent son premier vote, il y
aura conflit entre les deux chambres, et alors les deux
assemblées règlèront en commun la difficulté.
En réalité, les pouvoirs publics évitent ce conflit par
des concessions réciproques.
A propos du v ote de la loi des finances, je dois examiner certaines questions controversées .
Tout d'abord , doit-on voter annuellement' toutes les
dépenses ?
Je n'hésite pas à opiner pour la négative, car il y a
des dépenses , telle que la dette publ ique, qui constituent
un devoir sacré . Il est don c inadmissible que le P arlement
s'attarde à exami ner ou à discute r des crédits qu' il est
impossible de réduire.
D'autre part, il est peu digne de mettre tous les ans en
discussion la dotation du P résident de la R épublique.
En ce qui concerne l'administration de la guerre, les
discussions annuelles sont tellement délicates, qu'il est
désirable de voter les crédits pour une période quinquennale ou décennale, sauE bien entendu les années signalées
par des désastres. P eut-être serait -il préférable de voter à
huis-clos les dépenses relatives à l'armée et d'exiger le
secret le plus absolu de tous les membres du Parle~e~t,
au sujet des sacrifices fai ts pour une amélioration militaire
plus puissante .
C'est évidemment en s'inspirant des considérations de
cette nature que l' Allemagne vote pour une .péri~~e. de
plusieurs années les dépenses relatives à l'effectif m1hta1re.
Ce fait mérite d'être médité.
En Angleterre aussi, toute une catégorie de dépenses
est soustra ite au vote annuel des chambres : ce sont celles
qui ne pourraient être refusées sans porter atteinte au. crédit ou à l'organisation politique du pays, tels que les intérêts de la dette , la liste civile, les émoluments des cours
�-
143 -
142 -
de justice et des corps diplomatiques, les pensions conférées à titre national et les traitements de quelques fonctionnaires. T outes ces dépenses ne peuvent être supprimees 1
aug mentées ou diminuées que par une loi ( 1 ) .
. J 'arrive ainsi à une autre quest ion qui soulève de graves
mtér~ts. et qui touche même à l'ordre public. Il s'agit de
sa:roir s1 la c h a~1 bre des Députés a seule le droit de supprimer des crédits affectés au traitement de certains fonctionnaires institués par des lois? La négative n'est pas
douteuse.
En effet, l 'art. 8 de la loi du 25 février 1875 1 dispose
que: « Le Sénat a, concurremment avec la chambre des
» Députés, l'initiative et la confection des lois.» U ne seule
exception est consacrée en ces termes par ce texte : « Tou» tefois , les lois de finances doivent être, en premier lieu,
» présentées à la cha mbre des Députés. » La chambre des
Députés a donc l'initiative des lois de finances. Mais ce n'est
pas à dire qu'elle ait seule le pouvoir de les voter car le Sénat
aussi discute et vote le budget. Or, le droit d~ discuter et
de voter implique le pouvoir de modifier. S i donc le Sénat
peut modifier le budget voté par la chambre des Députés
· '
·
· de supprimer
celle-ci n'a pas seule 1e pouvoir
les tra1temen~s de fonctionnaires institués par des lois; car, en
mod'.fian:, le Sénat.peut diminuer, aug menter suppri mer
ou retabhr des crédits. Son droit de modificatio n n'est en
effet limité par aucune loi.
. En présence de ce silence des textes, ne peut-on pas
dire que la loi du budget est annuelle qu'un crédit ne
pe~t. être ouvert que par chacune des Chambres et que le
11\tnistre ne peut disposer que de la somme la moins élevée sur laquelle les deux Chambres seraient d'accord ?
(1) Bulletin de la Société de législation comp arée p 227 et s. Etude de
' ·
M. Georges Louis.
M. Paul Leroy Beaulieu estime que « le droit de la
» chambre des Députés de refuser des crédits est absolu.
» Mais, dit-il , il importerait que les institutions pré» voyantes y apportassent des limites, pour prévenir, dans
» certains cas, la désorganisation possible de services
» essentiels. On pourrait éta.b lir dans la constitution que
» les crédits pour la dette publ ique, pour l'armée, pour la
» marine , pour la magistrature ne pourront être réduits que
» par le concours des deux Chambres.
» Ces exceptions, qui devraient ne porter que sur les
» services les plus essentiels, ne modifieraient pas subs» tantiellement la règle que la chambre des Députés a
» seule qualité pour accorder des crédits au Gouvernement
» et pour mettre des impôts sur le pays. )>
Il est facile de réfuter ce système. En effet, la règle
générale est que les lois sont votées par les deux Chambres. Si le droit de la chambre des Députés de refuser des
crédits est absolu, la loi des finances conslitue en sa
faveur une exception. Or, cette exception ne doit pas être
étendue, et il ne faut pas, en tous cas, qu'elle puisse
détruire la règle générale. Pour qu'elle ne détruise pas la
règle générale, qui consacre le pouvoir des deux Chambres de voter les l ois, il ne faut pas que seule la Chambre
des Députés puisse indirectement abroger les lois qui ont
été faites concurremment par les deux Chambres.
Dira-t-on qu'en théorie pure, les lois ne sont pas abrogées, que les traitements sont simplement supprimées. Ce
serait étrange ! car la suppression des traitem~nts r~nd les
les lois inapplicables. Or, qu'est-ce qu'une 101 ap~hca~le?
Ce n'est certes pas une loi en désuétude, car on dit qu une
loi est tombée en désuetude quand les intéressés ne récla· · l · téressés ne deman. ·
ment plus son apphcatwn; or, 1c1 es m
.
.
dent pas mieux que de jouir de leur traitement.
1 r·1ncipale dispos1bl
.
.
Du reste, 11 est mcontesta e que a P
�,
-
144 -
tion de la loi est abrogée : celle qui supprime les traite1
ments, car je ne pense pas qu il soit possible d'établir ici
une différence entre supprimer et a broger.
En effet, une disposition de la loi en question fixe le
chiffre des traitements. Est-il donc admissible que la loi
de finances supprime ces traitements sans a broger le
texte législatif qui les a établis? Certainement non.
Donc à quelque point de vue que je me place, je ne
vois pas que la question puisse être résolue légalement
en faveur du pouvoir exorbitant de la chambre des
Députés. Donc le système de M . P aul Leroy Beaulieu
n'est pas soutenable en droit.
J e crois donc qu'en bonne législation , il conviendrait de
supprimer les fonctions avant de refuser valablement les
traitements aux fonctionnaires. S 'il n'en était pas ainsi ,
la chambre des Députés aurait à elle seule le pouvoir
1
d'anéantir, en fait, le rôle du Sénat, puisqu elle pourrait
supprimer à elle seule toutes les fonctions publiques, par
les seules dispositions de la loi de finances. O r en supprimant les fonctions publiques elle entraverait les services
publics et, partant, elle légiférerait seule, à sa guise et
sans frein, sans que sa vol onté toute puissante pût être
contrebalancée par le Sénat qui verrait alors ses attributions indirectement réduites à une pure fiction.
E xécution du budget. - Voilà donc Je budget préparé,
voté et promulgué . Il s'agit maintenant de l'exécuter
conformément aux lois et aux règlements.
Cette tâche incombe au pouvoir exécutif.
Sous l'autorité du ministre des finances sont placées
deux catégories distinctes d'agents.
Les uns sont chargés de prési der à l'assiette des Contributions directes.
Ils forment l'administration des Contributions directes,
et leur hiérarchie comprend, au-dessous du directeur
-
145 -
général, les directeurs de département, les inspecteurs et
les contrôleurs.
Les autres sont chargés de procéder au recouvrement.
Ils constituent une agence de perception hiérarchiquement
composée des trésoriers généraux de département, des
receveurs particuliers d'arrondissement et des percepteurs.
Les receveurs particuliers sont responsables vis-à-vis du
Trésor de la gestion des percepteurs ; les trésoriers généraux répondent tout à la fois de la gestion des percepteurs
et de celle des receveurs particuliers.
Les rôles préparés par l'administration des Contributions directes sont rendus exécutoires par les préfets et
transmis aux agents du recouvrement. Ils sont établis
pour toute l'année. Néanmoins le paiement n'est exigible
que par douzième.
Le contribuable qui n'a pas acquitté au 1er du mois le
douzième échu pour le mois précédent est dans le cas
d'être poursuivi. Le percepteur ne peut commencer les
poursuites qu 1 après avoir prévenu l'intéressé par une sommation sans frais. En outre, aucune poursuite avec frais ne
1
peut être exercée dans une commune qu en vertu d'une
contrainte délivrée par le receveur particulier et visée par
le sous-préfet.
Les poursuites comportent quatre degrés :
Io Une sommation, avec frais, huit jours après la som.
mation gratis ;
2° Un commandement, trois jours après la sommat10n
avec frais ;
3° Une saisie de meubles trois jours après le commandement ;
40 La vente de ces meubles huit jours après la clôture
du procès-verbal de saisie.
11 existe au profit du Trésor un privilège qui s'exerce :
10
�-
Pour l'année échue et l'année courante de la contribution foncière sur les récoltes, fruits, loyers et revenus
des biens immeubles sujets à la contribution ;
2° Pour l'année échue et l'année courante des autres
contributions sur tous les meubles et effets mobiliers appartenant aux contribuables. (Loi du 12 novembre 1808.)
Ainsi c'est au 1°• février seulement que le contribuable
devra Je douzième échu des impositions j le I or mars, il
devra de même le douzième échu de février et ainsi de
suite pour les autres douzièmes.
Mais il est facile de voir que les nécessités des différents services peuvent se fa ire sentir dès le com mencement
de l'année. Il faut donc se procurer de l' argent aux premiers jours même de l'exercice. A cet effet, la loi de
finances qui détermine les vo ies et moyens, autorise le
ministre à créer, pour le service de la Trésorerie, des bons
à courte échéance sur le Trésor et jusqu'à concurrence
d'une somrpe déterminée. Les bons du Trésor constituent
un placement commode pour les personnes qui n'ont besoin de leurs capitaux que dans un délai de trois mois,
six mois, un an .
D'ailleurs, les fonds déposés dans les Caisses d'épargne
fournissent des ressources au T résor et voici corn'
ment:
L'argent versé dans les Caisses d'épargne produit un
intérêt au profit des déposants. En conséquence les Caisses d'épargne sont obligées de faire valoir les dépôts. Elles
les remettent donc à la Caisse des dépôts et consignations,
qui leur en sert un intérêt. C'est sur cet intérêt que les
Caisses d'épargne prélèvent leurs frais et servent à leur
tour, avec le surplus, un intérêt à leurs déposants.
La Caisse des dépôts et consignations, de son côté,
pour payer des intérêts, est bien obligé d'en faire produire
aux fonds qu'elle a entre les mains. Elle a deux moyens à
1°
147 -
sa disposition : elle verse de l'argent en compte courant
au Trésor puis elle achete de la rente.
D'autre part, les comptables eux-mêmes sont portés à
faire des avances au Trésor puisque l'argent versé par
anticipation produit un intérêt à l: ur profit.
Ainsi le service de la Trésorerie est assuré dés le commencement de l'année. Et les créanciers sont sûrs d'être
.
payés à époque fi xe.
sans
fonctionner
donc
peuvent
Les administrations
interruption, car les dépenses prévues au budget peuvent
être engagées, dans la mesure nécessaire, le premier jour
même de l'exercice.
L'art. 6 du Décret du 31 mai 1862 dispose que les services faits et les droits constatés du r er janvier au 31 décembre sont seuls considérés comme appartenant à un
exercice.
L'exercice est la période d'exécution du budget.
11 commence au Ier janvier et se prolonge :
1° Jusqu'au I er février de la seconde ann~e pour ache~~r,
dans la limite des crédits ouverts, les services du matenel
dont l'exécution commencée n'aurait pu être terminée au
31 décembre pour des causes de force majeure ou d'intérêt
.
.
public;
20 Jusqu'au 30 juin pour compléter les opérations relatives au recouvrement des droits et produits constatés pendant l'année précédente;
30 Jusqu'au 31 juillet pour la liquidation et l'ordonnancement des sommes dues aux créanciers i
4° Jusqu'au 3 l août pour le paiement des dépens:s .
A cette dernière date l'exercice est clos, c'est-à-dire que
toutes les ordonnances et tous les mandats de paiement
non payés alors <loi vent être renouvelés sur l'exercice suivant .
Ces dépenses non pay ées figurent au budget de l'année
�-
-
149 -
148 -
suivante à un chapitre spécial appelé : Dépenses sur exer-
cices clos.
Ce chapitre n'est mentionné que pour mémoire dans la
loi de finances. Si les dépenses sur exercice clos ont été
payées, ce paiement devra figurer au chapitre correspondant de la loi des comptes. Si au contraire elles
n'ont pas été soldées elles peuvent être transportées d'un
budget à l'autre pendant un délai de cinq années (ce délai
est de six ans pour les créanciers résidant hors d'Europe).
Les créanciers de l'Etat peuvent donc obtenir le paiement de leurs créances pendant une période de cinq ans, à
partir du I er janvier de l'année dans laquelle leurs créances ont pris naissance.
Mais supposons une créance née le 31 décembre 1885.
La prescription de cinq ans commencera à courir contre le
créancier le 1er janvier de cette même année. De telle
sorte que, contrairement aux principes du droit civil, la
prescription commence avant la naissance même de la
créance.
Il peut arriver aussi qu'une créance soit payée lorsque
le délai de cinq ans dont nous venons de parler, sera
expiré. Il y a en effet, certaines causes de retard qui ne
sont pas imputables au créancier; par exemple si la
créance est à terme ou conditionnelle , ou si la créance
elle-même est l'objet d'un procès entre l'adm inistration et
le particulier. C'est pourquoi on trouve dans chaque
budget, à côté du chapitre relatif aux exercices clos, un
autre chapitre intitulé : D épenses des exercù:es périmés,
sur lequel s'impute le paiement des créances appartenant à
des exercices remontant au delà de cinq ans.
Maintenant que nous connaissons les délais dans lesquels doivent être effectuées et payées les dépenses, il nous
reste à voir comment elles doivent être acquittées.
A ce sujet il y a lieu de distinguer :
La liquidation ;
2 o L'ordonnancement;
o Le paiement.
3
Liquider c'est déterminer avec précision les droits
d'un créancier après vérification de ses titres et des pièces
1o
justifi cati ves.
.
. .
Aucune créance ne peut être liquidée a la charge du
Trésor que par l'un des ministres ou par ses délégués.
Chaque ministre, en effet, engage ses dépenses dans la
limite des crédits votés pour chacun des chapitres de son
département. P ersonnellement ou par ses subordonnés, il
décide les travaux et autorise les fournitures. Lorsque le
service est fait , il liquide la dépense et donne les ordres
nécessaires pour quelle soit payée.
A cet effet, il dél ivre au nom des créanciers des ordonnances de paiement. Ces ordonnances sont de deux sortes :
directes ou de délégatio11 .
Les premières sont délivrées par le ministre lui-même;
les secondes, par ses délégués qui sont : les ingénieurs
des P onts-et-Chaussées, les intendants ou sous-intendants
militaires, les conservateurs des forêts, les directeurs des
Contributions directes, des Douanes, des Contributions
indirectes , del'Enregistrement, du Timbre et des Domaines,
et les Préfets pour les services où il o'existe pas de directeur en titre.
Ces divers fo nctionnaires sont des ordonnateurs secondaires; ils sont investis par les Ordonnances ministérielles
du droit d'affecter à leur destination les crédits qu'elles
contiennent jusqu'à concurrence des sommes prévues au
budget.
Ils délivrent, en conséquence, sur les Caisses publiques,
des mandats de paiement au profit des créanciers de l'Etat
dont ils ont constaté les droits.
Les caisses sont tenues par des fonctionnaires spéciaux.
�-
150 -
La comptabilité publique a donc polll' base la séparation absolue de l'ordonnateur et du comptable à tous les
degrés de la hiérarchie (art. 15 du Décret du 31 mai
1862. )
Ainsi l'ordonnateur prescrit les paiements et le comptable les effectue. De cette façon la même opération est
constatée deux fois par deux fonctionnaires différents . Et
par suite, le contrôle est plus facile, càr les écritures de
l'un permettent de vérifier celles de l'autre et réciproquement.
La mission du comptable ne se borne pas à l'opération
matérielle du paiement. Elle s'étend aussi à la vérification
des ordonnancements et des dépenses. C'est en effet, le
comptable et non l'ordonnateur qui est responsable des
paiements effectués. Il doit donc s'assurer :
1° Que la dette est régulière;
2° Que les piéces justificatives sont complètes;
30 Que la dépense porte sur les Ordonnances ministérielles qu'il a reçues ;
4° Que le montant de ces Ordonnances n'est pas dépassé.
En cas de refus de paiement, l'ordonnateur peut obliger,
sous sa responsabilité, le payeur à passer outre. Dans ce
cas, la déclaration motivée du refus du payeur ainsi que
la réquisition de l'ordonnateur doivent être écrites et annexées à !'Ordonnance ou au mandat
Le paiement des dépenses publiques s'effectue à Paris
et dans les départements, par les soins de la Direction du
mouvement général des fonds a u ministère des finances
laquelle a pour mission de veill er à l'application des recet~
tes aux dépenses publiques dans toute l'étendue du territoire.
Les principaux agents du paiement sont : à P aris le
c.aissier payeur central ; et dans les départements, les t résori ers payeurs généraux pour la généralité des dépenses des
151 -
ministères; les receveurs de l'Enregistrement et des Domai nes, les receveurs des Douanes , les receveurs des Contributions indirectes, et les d\recteurs des Postes et Télégraphes pour les dépens~s de leurs services respectifs.
On s'aperçoit souvent au cours d'un exercice que les
recettes prévues a u budget sont insuffisantes pour assurer
certains services. Cela tient à ce qu'il y a deux sortes de
dépenses : les Ùnes fixes, telles que les traitements des
fonctionnaires qui sont facilement appréciables; les autres
éventuelles telles que l'entretien des troupes et l'achat des
fourrages.
Si ces dernières dépenses dépassent les sommes inscrites au budget , il y a lieu de recourir à des crédits supplémentaires.
De même quelques g rands faits tout exceptionnels, par
exemple, des menaces de guerre, la nécessité immédiate
d'accroître les armements, peuvent aussi entraîner à des
dépenses qui n'ont pu être prévues par la loi de finances :
il sera nécessaire alors de demander des crédits extraordina1:res.
Ainsi les crédits sont dits supplémentaires lorsqu'ils ont
pour objet d'ajouter certaines sommes à celles qui ont déjà
été votées au budget.
On appelle extraordinaires les crédits qui sont demandés pour des besoins non prévus par la loi de finances.
Les crédits supplémentaires et extraordinaires ne peuvent être accordés que par une loi. T outefois, si l'on se
trouve da ns l'inter valle des sessions législatives, ils pourront être accordés, pour certai ns services, par un décret en
conseil d'État J sauf au Gouvernement à solliciter plus tard
du législateur l'approbation de cette décision (1).
(t) Depuis le 13 juin i 878, les services publics pour lesquels des cr.\dits su~ple·
mentaires peuvent être d emandés •ont dètermines chaque année par les lois de
finances.
�-
152 -
Ces crédits sont un obstacle à la bonne gestion des
finances.
Ils sont contraires à toutes les règ les de l'économie
parce qu'ils encouragent trop souvent le gaspi llage.
En principe ces dépenses supplémentaires ou extraordinaires devraient être compensées, en fin d'exercice, par
l'annulation de crédits votés, mais non employés, ou par
la réduction des crédits dont on n'a usé que partiellement.
Mais cela n'arrive jamais en pratique : les comptes de
finances en font foi.
Quel serait donc le meilleur moyen à employer pour
prévenir ces inconvénients ? Pour résoudre cette question,
il importe de faire ressortir les intérêts qui se trouvent en
présence:
1° L'intérêt politique qui demande que le régime parlementaire soit sincèrement pratiqué; que le vote des chambres sur les dépenses soit effectif et que l'arbitraire des
ministres ne puisse violer presque subrepticement la volonté
exprimée dans la loi de finances ;
2 ° L'intérêt purement financier qui consiste à prévenir
les entraînements de dépenses, à maintenir l'équilibre du
budget, à conserver un caractère sérieux aux budgets de
prévision;
3° L'intérêt administratif qui veut que des dépenses
urgentes, mais imprévues, ne soient pas retardées.
Depuis longtemps, on essaye de concilier ces intérêts et
de mettre une barrière à l'aug mentation toujours croissante des crédits supplémentaires et extraordinaires .
A cet effet, on s'est demandé quel était le mei lleur
moyen à emp loyer ? J'estime qu'il convient de diviser la
question :
En ce qui concerne les crédits extraordinaires , il me
semb~e qu'on peut toujours attendre l'année suivante pour
les discuter, sauf quelques cas très ra res. Evidemment
-
153 -
aucun délai ne serait possible en cas de guerre. Mais la
plupart des dépens~s non prévues au bu~get pourraient
être certainement différées de quelques mois.
Quant aux crédits supplémentair:es, il est évident qu'ils
peuvent être considérablement réduits. En effet il est
facile de déterminer d 'une manière très approximative
les dépenses annuelles d'un exercice, d'après le relevé
moyen des exercices précédents. Cela est bien certain. Et
c'est pourquoi une loi de 1834 décida que les crédits supplémentaires ne pourraient plus être accordés que pour
des services expressément indiqués. Malheureusement
cette loi ne produisit pas les résultats espérés, parce que
le pouvoir chargé de l'appliquer ne surveilla pas ass:z
scrupuleusement l'application . De telle sorte que le législateur lui-même finit par déroger par des lois spéciales aux
dispositions généra les de la loi de 1834, en accordant des
crédits supplémenta ires prohibés.
Quoi qu' il en soit, il n'est pas douteux que le plus
grand écueil est dans l'entraînement aux dépenses. C'~t,
en effet, une vérité d 'expérience qui=! les deniers de l'Etat
sont engagés avec une prodigalité démesurée. Les esprits
clairvoyants le constatent et cependa nt tous les efforts sont
impuissants pour arrêter le courant.
Mais je ne me bornerai pas à me soulever c~ntre l~s
credits supplémentaires et extraordinaires. Je crois devoir
aller plus loin et protester contre les idées fausses de certains fonctionnaires qui prétendent aYoir bien administ~é
quand ils ont épuisé tous les crédits affectés à leurs ser:1ces. Ils ig norent proba blement ce principe élémentaire
que pour qu'une dépense soit régulière il faut avant tout
qu'elle soit nécessaire .
Bien plus, il est des administrateurs qui croient que
l'administration supérieure voit d 'un mauvais œil (exp~es
sion consacrée) des crédits restés disponibles . lis oublient
�-
-
154 -
ainsi que le budget est une limite qu'il ne faut pas dépasser et une prévision qui peut ne se réaliser qu'en partie.
Ce n'est pas tout encore; il arrive fréquemment que des
dépenses sont faites au coura nt d 'un exercice pour être
payées sur l'exercice suivant : c'est un arrangement
secret entre les administrations et les fournisseurs. Cette
pratique est d'autant plus regretta ble que les chefs de service sont informés chaque année qu'ils ne doivent en aucun
cas dépasser les crédits mis à leur disposition, sous peine
d'engager leur responsabilité pour les excédents de
dépenses.
Dans ces conditions 1 j'estime donc que toutes les fournitures restant à payer en fin d'exercice, constitueraient, en
réalité, une dette à la charge de ceux qui ont engagé les
dépenses. Cependant, dans la rig ueur des principes, les
fournisseurs n'auraient-il s pas un recours contre l'État?
n'ont-ils pas, en effet, suivi plutôt sa foi que celle des particuliers ? Quelle que soit la réponse à cette question , il est
évident que le Trésor aura it un recours contre les chefs
imprudents qui aura ient outrepassé les ordres de l'administration supérieure.
Cependant en pratique l'Etat excuse et paye touj ours.
Dès lors, faut-il s'étonner des précautions prises par
divers ministères pour assurer la régularité des dépenses
dans les limites des créd its accordés? Evidemment non ,
car les pratiques dénoncées dans diverses circulaires
ministérielles et notamment dans la circulaire de M. le
ministre de l'instruction publique du 29 décembre 1875 1
prouvent qu'il faut constamment tenir la main à l'exécution fidèle des règlements en vigueur.
Cette circulaire ( 1) résume les principa les dispositions
du règlement général de la comptabilité du 16 octobre
( 1) M. Marais de Beauchamps, Rcmeil des lois cl Règlemc11ts sur l'c11seig11eme11t
supéri1ur, p. 111, tome Il l•.
155 -
86?. Elle trace avec pr~cision les obli.gatio~s d~s chefs
1
de service. P armi les articles énoncés, 1e relevera1 seulement ceux qui sont le plus souvent violés.
« Art. 8. Les titres produits en justification des
» dépenses, notamment les m érn?ir~s des entrepreneur: et
» fournisseurs, doivent toujours md1quer la date précise,
» soit de l'exécution des services ou des travaux, soit de la
» livraison des fournitures. »
En conséquence, il faut éviter de postdater les pièces,
.
ce q ui arrive forcément cependant quand les fournitures
faites au cours d'un exercice sont payées sur l'exercice
suivant.
S'il ne faut pas postdater les pièces il ne faut pas non
.
plus les antidater , car l'art. 10 et ainsi conçu :
a
appartenant
comme
« Art. 1o. Sont seuls considérés
» un exercice les services faits et les droits acquis du
» 1 •r janvier au 31 décern bre de l'année qui donne son
» nom à cet exercice. »
« Art. 9. La partie prenante dénommée dans .un o~don
)> nancement ou dans un mandat de paiement doit tou1ours
» être le créancier réel , c'est-à-dire la personne qui a '.ait
et qui a
» le service effectué les fournitures ou travaux
•
J
)> un droit à exercer contre le Trésor pubhc. )>
Il n'est donc pas permis d'après ce dernier texte de
produire des factures fictives, d 'en faire mandater le mo.ntant au n om d'un créancier nominal et d'en payer ensuite
· té aucun
la somme au créancier réel, qui· n ' a presen
mémoire de dépense, mais qui a fait les fournitures. c:tte
t d crédits et tout v1re·
.
.
. .
prat1que exige du reste un v1remen e
.
autonse.
préalablement
être
doit
ment de crédits
De même lorsque dans le cours d'un exercice les
' ues au budget n ·on t pas été intéaralement
.
o
prév
allocations
pas
peu,·ent
e
'hl
.
· ,
employées, les sommes restées d 1sponi es n .
fictives · c est
d ·è
.
·
être dépensées sur la production e pi ces
�-
157 -
r56 -
·
là un principe d'honnêteté, d'ailleurs consacré par la l01.
Remarquons , du reste, que si ces principes n'étaient
pas observés par tous ceux qui engagent les dépenses de
l'Etat, on arrivera it vite à des tripotages détestables. Les
d_eniers publics pourraient être détournés de leur destination normale et la volonté du législateur serait méconnue.
D'autre part, « si l'on réfléchit au g rand nombre des
» agents préposés aux dépenses, on ne peut qu'être
'> effrayé de la pensée que, dans cette vaste opération
» effectuée ~ar tant de coopérateurs, la plus légère erreur,
1> la plus fa ible malversation,
la plus légère fraude dans
et mille fois répétées,
mille
particulier,
compte
)> chaque
» peuvent enlever des sommes immenses à l'Etat et
» aggra_ver ainsi le fardeau déjà si lourd qui pèse sur les
» c~~~'.1 b~ables ». (Maurice Black .)
S1 J ms1ste quelque peu sur ce point, c'est que je suis
persuadé que l'écueil est plutôt dans la liquidation des
dépenses que dans la perception des recettes.
~'est a.u:si l'opinion des hommes expérimentés qui ont
~refér~ ~enfie'. que supposer les faits accomplis. Du reste,
J aurai 1 occas10n de le démontrer plus clairement en m'occupant du contrôle des finances.
DU CONTROLE DES FI NANCES
« Pour avoir de bonnes finances , dit M . p au1 L eroyB
» . eaulieu, il ne s~ffit pas qu'un budget soit préparé avec
» n.gueur et exactitude, qu'il soit voté avec attention et
» d1~cernement : il ne suffit pas non plus que les assem » bl ee~ et le Gouvernement soient en garde contre les
» crédit~ supplémentaires et extraordinaires . Certes' ce
· .11 y a encore beaucoup
· t si mais
» sont
pom
..
, la de grands
» d autres cond1t1ons nécessaires à de bonnes finances. Il
» faut que l'ord re pré si·d e à toutes les dépenses, que le
»
»
»
»
»
contrôle s'étende à tous les comptes, que la gestion
financière soit autant que possible simple et méthoclique. Or ce n' est pas là une petite ni une facile besogne. On ne peut dire qne l'on soit arrivé dès maintenant
à la perfection sous ce rapport, et cependant l'on a fait
) de considérables progrès. »
Il faut donc :
Que l'ordre préside à t outes les dépenses ;
o Que le contrôle s'étende à tous les comptes ;
2
• Que la gestion financière soit simple et méthodique.
3
Voilà, en effet, trois propositions connexes, qui tendent
aux mêmes fins en se complétant l'une l' autre.
Elles doivent coexister, car leur concours est nécessaire
pour la clarté, la vérification et la sincérité des comptes
1
•
spéciaux et généraux.
C'est en vue de cette clarté et de cette simplicité qu' a
été établie la comptabilité en partie double.
C'est également pour assurer la sincérité qu'a été organisé un triple contrôle dans les finances publiques .
Le contrôle législatif ;
2° Le contrôle administratif ;
3° Le contrôle judiciaire.
1o
CONTRÔLE LÉGISLATIF
Le législateur intervient d'abord pour voter les dépenses
nécessaires et les impôts dus par chaque citoyen. Il prescrit l'affectation des revenus à des services déterminés. De
cette manière , aucune opération ne peut se faire sur toute
l'étendue du territoire sans que le P arlement en ait pris
l'initiative.
Le rôle de l'administration consistera à exécuter ces
prescriptions.
Et , plus tard , lorsque toutes les opérations auront été
�-
-
158 -
effectuées, le législateur interviendra de nouveau pour
s'assurer que les recettes et les dépenses auront été faites
conformément à la loi de finances.
L'administration devra donc s'inspirer t oujours des
dispositions de cette loi; et son cont rôle devra avoir pour
effet :
1° De permettre aux ministres ordonnateurs de former
le compte de leur département ;
2° De permettre au ministre des finances de sui vre la
consommation des crédits, l'état des recettes et des dépenses et la situation des caisses ;
3° D 'assurer l'exactitude des comptes que rendent les
ministres au pouvoir législatif en établissant qu'il se sont
conformés aux dispositions du budget et des lois de
finances.
Ces résultats sont obtenus par la tenue uniforme des
éc.ri~ures , par la centralisation de tous les comptes au
m1mstère des fina nces, et au moyen des inspections faites
inopinément sur les lieux mêmes .
1.1 existe dans chaque ministère une comptabilité particulière qui centralise les diverses opérations relatives à
l'e~écution des dépenses , à l'ouverture des crédits législatifs, à la liquidation des services faits à la délivrance
des Ordonnances et des mandats, à l~ réalisation des
paiements .
· ces opérations sont développées par cha• T ous 1es mois
1
pitre. Dun premier coup d 'œil on voit le montant des
dépenses et en regard le total des recettes. Et par la ba· en cours d'exécuon connaît pour c baque exercice
lance
.
t ion, la situation des services.
Chaque ministre transmet l'état de cette situation à la
.
· publique
Direction générale de 1a co mpta b"I1 ité
au ministère des finances qui les centralise.
Ces états présentent par chapitre du budget :
t59 -
Le montant des crédits de délégation ;
faits ;
2 o Les droits constatés sur les services
o Le montant des mandats délivrés ;
3
40 Le montant des paiements effectués.
A ces documents sont annexés les bordereaux sommai res des trésoriers payeurs généraux où se trouvent mentionnés , par exercice et par service, tous les paiements faits
pour le compte de chaque ministère .
De leur côté les divers comptables ressortissant directement au ministère des finances (trésoriers payeurs généraux, receveurs des Douanes, de ! 'Enregistrement , des Contributions indirectes, etc.) adressent aussi mensuellement
le résumé de leurs o pérations du mois écoulé, avec les
pièces et les documents à l 'appui. Les bureaux chargés de
ce service après avo ir véréfi é les pièces de recettes et de
dépenses réunissent en un seul total les 83 sommes appartenant à un même chapitre et provenant de chacun des
83 départements de la France. Les mêmes opérations sont
1o
..
faites pour l'Algérie et les colonies.
L'addition des comptes ainsi t ransmis mensuellement
par les agents des 83 départements et par les agents des
colonies doit égaler , à la fin de l 'année, le total par
chapitre des divers comptes ministériels.
Les écritures du bureau central de la comptabilité
publique sont alors complètes pour la gestion , et le ministre des finances est en état de publier le compte général de l'année.
Ce compte généra l est donc le résumé de toutes les
opérations de l'exercice. Il présente tous les éléments du
règlement définitif du budget.
La direction de la comptabilité publique au ministère
des finances exerce donc un contrôle permanent sur la
gestion des ordonnateurs et des comptables.
�-
160 -
CONTROLE ADMINISTRATIF
Il y a en outre un contrôle administratif qui s'exerce
de deux manières :
1° Chaque année les comptes des ministres pour l'exercice expiré sont soumis à une commission spéciale composée
de membres choisis dans le sein du Sénat, de la chambre
des Députés, du conseil d'Etat et de la Cour des comptes:
c'est là un contrôle qui porte sur les ordonnateurs (P aul
Leroy-Beaulieu).
2° Un autre contrôle est exercé par les inspecteurs de
finances. Il porte uniquement sur les comptables. La
France est divisée en zones dont chacune est parcourue
par un inspecteur général et des inspecteurs de finances,
qui vérifient les caisses et les écritures. Il y a un troisième
contrôle, celui de la Cour des comptes qui vérifie toutes
les opérations. .
Mais avant de passer à la comptabi lité judiciaire il est
intéressant d'examiner de près les diverses vérifications et
de se demander si elles s'étendent aussi bien aux dépenses
qu'aux recettes .
A mon avis quelle que soit la vigilance des inspections,
quels que soient les efforts déployés dans tous les contrôles, le zèle est insuffisant pour prévenir les erreurs, les
malversations et les fraudes.
Car dans l'état actuel de notre législation, les vérifications portent surtout sur la situation des caisses et sur les
opérations de recettes. En ce qui concerne les dépenses,
l'inspection s'arrête à la forme, le fond échappe à son
examen. En d'autres termes les écritures seules sont vérifiées i les actes sont seulement constatés mais ~on examiminés.
En effet, on ne recherche pas si les pièces sont sincères :
-
16 1 -
on examine seulement si elles sont faites dans la forme
réglementaire.
Ainsi les factures des fournisseurs sont approuvées si
ell es sont revêtues des formalités légales; la dépense est
ordonnancée ou mandatée sans que l'on se soit demandé
si tous les détails sont sincères.
La loi n'exige pas expressément que l'on compare les
actes accomplis avec les pièces produites. Elle semble
supposer ces actes sincères s'ils sont relatés dans des documents réguliers en la forme.
En bonne législation c'est le principe contraire qui
devrait dominer : on deYrait vérifier d 'abord le fond c'està-dire la sincérité des indications contenues dans les
pièces justificatives, et voir ensuite si toutes les formalités
ont été observées.
Il est vrai que la signature des chefs de service est
exigée sur les pièces de dépense. Mais qui ne voit qu'il
s'agirait précisément de contrôler la gestion de ces fonctionnaires, de vérifier si les justifications qu'ils produisent
concordent avec la réalité des faits et ne violent aucune
disposition des lois budgétaires?
Pour plus de clarté, je prends un exemple :
Le chef de service engage la dépense : il produit les
factures des fournisseurs. Et bien on ne vérifie pas si ces
factures sont réelles ou fictives; on en mandate le montant sans difficulté.
Bien plus, si les prix portés sur ces factures sont exagérés peu importe, il suffit que la forme soit obsen·ée.
Et chacun sait pourtant que ces prix sont souvent exorbitants.
Evidemment aucune fraude n'est possible pour les
dépenses faites par voie d'adjudication publique.
Mais que de petites dépenses, payées sur simple facture,
qui additionnées ensemble font des millions et qui sont
11
�-
162 -
cependant engagées sans toutes les précautions désirables.
Il est donc certain qu'il y a là un écueil immense.
Ce n'est pas tout.
Il est aussi certains crédits qui sont employés sans
qu'aucune vérifi cation soit possi hie. J e ne citerai qu'un
exemple entre mille :
Les sommes affectées à des frais de tournées sont
dépensées sans qu'il soit possible d'affirmer que les pièces
produites sont sincères, car rien ne prouve que les tournées aient été faites , mais elles figurent dans des écritures
régulières en la forme et c'est assez !
Dira-t-on que ce serait témoigner de la défiance aux
fonctionnaires que d'exiger d'eux la preuve de la dépense?
Le contraire est évident.
Du reste certains inspecteurs sont astreints à fourn ir ces
preuves, et ils ne sont nullement humiliés par ce procédé
administratif.
Est-ce à dire que ces fraudes soient fréquentes?
Je ne le crois pas pour ma part, mais il est certain
qu'elles sont d'une pratique faci le, et c'est pourquoi il
serait à désirer que l'on a méliorâ t sur ces points les règles
de notre comptabilité. Car en matière financière tout doit
être clair et précis, sincère et absolu.
Nous pouvons maintenant nous dema nder si nous ne
sommes pas quelque peu éloignés de cette prétendue perfection sig nalée par M. Maurice Block quand il compare
« la marche de notre comptabilité à cell e des planètes qui
gravitent dans leur orbite uniforme a vec une précision
toute mathématique. »
A ce sujet aucune discu ssion n'est posssible, car l'évidence s'impose. S'il y avait toutefoi s place à un doute,
on pourrait le dissiper en étudiant la question suivante :
Les chefs d'administration sont secondés par un personnel nombreux. Parmi leurs subordonnés il y a des
-
163 -
garçons de bureaux payés par l'Etat. Ces serviteurs ont
une besogne toute tracée. Or il arrive quelquefois qu'ils
sont malencontreusement dispensés de leurs occupations
normales pour être employés au service personnel du
chef d'administration et de sa famille .
Il y a là évidemment une irrégularité et même un abus.
Car en fait cette pratique se traduit par une suppression
d'emploi et un détournement de fonds. En effet, ces garçons de bureaux, retenus a illeurs , ne font pas le travail
pour lequel ils sont payés : il y a donc en fait suppression
d'emploi . Ils font un service a bsolument étranger à l 'administration et néanmoins ils émargent au budget : il y a
donc détournement de fonds. Car il est évident que la loi
de finances est violée puisque, en réalité, des allocations
affectées à un ser vice public sont détournées de leur
destination pour être employées au ser vice des particuliers.
Voilà donc des dépenses qui figurent en comptabilité,
qui sont plusieurs foi s vérifiées et touj ours approuvées :
pourquoi? parce qu 'elles sont mentionnées dans des états
réguliers en la forme !
Mais, remarquons que cette détestable pratique, blâmée
par des circula ires de plusieurs ministères, est de nature à
porter atteinte à la considération de tout le monde :
d'abord des directeurs eux-mêmes et ensuite de leurs subordonnés directs qui sont a insi réduits à se livrer à une
besogne humiliante: celle qui incombe régulièrement aux
garçons de bureau .
Il me tarde de dire que ces abus naguère répandus tendent à disparaître partout. Cette tendance fait honneur à
l'esprit de loyale équité qui anime les fonctionnaires. Elle
est aussi la manifestation d'une impulsion digne et honnête imprimée aujourd 'hui à toutes les administrations
publiques.
Mais on pourra m'obj ecter que ces critiques s'adressent
�-
164 -
plutôt à des artifices qu 1 aux dispositions mê~es ~e la loi.
La réponse est facile et simple. Toute 101 qui prête à
des artifices laisse à désirer , car pour être bonne elle doit
être tout d'abord d'une application facile; or une application facile implique une sanction efficace. Et c'est précisément cette sanction qui fait défaut en cette matière.
Il ne suffit donc pas de prescrire, il faut aussi assurer
l'exécution des prescriptions.
Une loi qui peut être impunément violée est loin d'être
parfaite. Quelle valeur ont, en effet, des dispositions légales qui peuvent être observées ou transgressées, au gré des
particuliers?
Il suffit de remarquer maintenant que les dispositions
critiquées sont précisément relatives aux dépenses.
L'écueil annoncé existe donc.
Mais pourrait-il être évité? Certainement oui, en améliorant la loi. Car quoi de plus simple que de surveiller
les dépenses avec la même sollicitude que les recettes?
N'y a-t-il pas lieu , en effet, de s'étonner de voir les
crédits livrés, sans contrôle, à la discrétion des administrateurs?
Il importerait même de surveiller plus scrupuleusement
les dépenses que les recettes. En effet, dans les recettes
tout est clair. La moindre irrégularité est généralement
d 1une constatation facile; tandis que pour les dépenses la
situation est toute différente.
Quelles erreurs peut-on commettre dans la perception
des impôts de répartition, par exemple? Aucune évidemment. Je sais bien qu 1il n'en est pas de même pour
les impôts indirects, pour les droits de douane, etc . En ce
qui concerne ces impositions, la pratique revèle des fraudes diverses : c 1est un fait indéniable.
Il y a donc là un autre écueil, parce que précisément
le contrôle est aussi plus difficile et moins efficace.
-
165 -
En conséquence, je puis établir ces propositions, que le
contrôle est sérieux là où aucune erreur n'est possible,
u,il est au contraire inefficace là où les irrégularités peuq
. l'
vent être mult1p 1ées.
Mais le contrôle judiciaire peut-il remédier aux inconvénients signalés? malheureusement non; et c'est ce que
je vais maintenant démontrer.
CONTROLE JUDICIAIRE
La comptabilité judiciaire est confiée à la Cour des
comptes.
La Cour des comptes est une vraie cour de justice.
Divisée en trois Chambres et un Parquet, elle se compose ainsi qu' il suit :
r Premier président qui a la haute direction des travaux
de la Cour, ainsi que la police et la surveillance générale. Il peut présider chacune des chambres;
3 Présidents de chambre;
18 Conseillers-maîtres;
26 Conseillers référendaires de 1re classe;
60 Conseillers référendaires de 2• classe;
2 Auditeurs dont 1 5 de 1 r• classe et IO de 2' classe.
Le P arquet se compose de:
1 Procureur général ;
1 Avocat général (ces fonctions sont remplies parun conseiller référendaire de 1•0 classe, décret du 17juillet 188o).
1 Substitut du procureur général (le décret du 17 juil~et
I 880 a chargé de ces fonctions un conseiller référendaire
de 2 ° classe).
On compte en outre:
1 Greffier en chef;
5 Commis-greffiers;
1 Secrétaire de la première présidence i
s
�-
166 -
Secrétaire du P arquet .
Les présidents, conseillers-maîtres et référendaires jouissent seuls du privilège de l'inamovibilité, et ils sont nommés par décret sur la proposition du ministre des
finances.
Lorsque les comptes sont remis à la Cour, le premier
président les distribue aux référendaires qui doivent alors
remplir une triple mission :
1° Refaire eux-mêmes toutes les opérations a rithmétiques
des comptes;
2° Vérifier si le comptable s'est conformé aux lois
'
règlements et circulaires;
3° Comparer les recettes et les dépenses d'après les lois
qui autorisent les crédits.
. Les r~férendaires font ensuite un rapport dans lequel
ils consignent les observations suggérées par l'examen
des comptes.
Ce travail de vérification, une fois terminé, est soumis
à la cham bre com pétente qui désig ne un conseiller-maître
pour en faire la révision détaillée.
-~uant au procureur général, il ne peut exercer son
mm1stère que par voie de réquisition ou de conclusions.
Il est le re_p :ésentant du pouvoir exécutif, chargé d'assurer la .redd1t1on des comptes et de requérir )'application
des pe1~es ou amendes contre les comptables en retard.
I~ doit pr.e~dre communication de tous les comptes s'i l
croit son mm1stère nécessaire ou utile· et la chambre peut
'
même l'ordonner d'office.
1
De plus, son ministère est légalement requis :
1 • Pour toutes les demandes en main levée réduction
ou translation d 'hypothèque (art. 40, décret du 28 septembre 1807).
20
P our toute prévention de faux ou de concussion élevée contre le com ptable.
•
-
167 -
La Cour des comptes exerce tantôt une véritable juridiction et rend des jugements, tantôt au contraire, elle
n'exerce qu'un simple contrôle et n'agit que comme conseil chargé de donner des a vis.
Il faut donc distinguer ses attributions de juridiction et
ses atributions de contrôle.
Ses attributions de juridiction s'exercent sur tous les comptables de droit et de fait, mais non sur les ordonnateurs
ni sur les co mptables en matière.
Les comptables de droit sont énumérés dans l'article
37 5 du décret du 3 1 mai 1862 . Il importe de remarquer
que les receveurs particuliers et les percepteurs ne sont
pas compris dans cette énumération. Ceux-ci rendent leurs
comptes à leurs supérieurs hiérarchiques.
Ils ne relèvent donc pas directement de la cour.
P armi les comptables de droit soumis à la juridiction
de la Cour des comptes, il faut citer :
Les receveurs des communes, hospices et établissements
de bienfaisan ce, dont les r evenus dépassent 30,000 fr. (en
Algérie 50, ooo) ;
Les économes des lycées;
L1 économe de !'Ecole normale supérieure;
Le caissier de l' imprimerie nationale;
Le caissier centra l de la Caisse des dépôts et consignations i
Les agents comptables des transferts et mutations de la
dette publique à Paris;
Les agents comptables des transferts et mutations dans
les départements ;
Le trésorier O"énéra l des Invalides de la marine ;
L'agent com~table special des chancelleries consula~res i
Le directeur de la fabr ication des monnaies et médailles.
Quant aux comptables de fait , ce sont ceux ~ui, s~ns
caractère officiel, s'immiscent, par f.rreur ou par intention
�-
168 -
frauduleuse, dans le maniement des deniers publics: par
exemple lorsqu'un maire em piète sur les fonctions d'un
receveur municipal, lorsqu'un desservant recueille une
souscription pour une Eg lise appartenant à la commune .
L'intrusion des personnes non comptables dans le
maniement des deniers publics s'opère de diverses façons .
Elle constitue toujours une gestion occulte quelle que soit
la forme sous laquelle elle se réalise. Car d 'une manière
générale, on peut appeler comptabilité occulte toute com ptabilité soustraite directement ou indirectement aux contrôles établis par la loi. Peu importe que l 'impossibilité de
vérifitation provienne du fait d'un comptable ou du fait
d'un particulier non comptable.
Mais le plus souvent la comptabilité occulte consiste en
une dissimulation de recettes. Elle se manifeste alors par la
création de caisses particulières, a ppelées caisses noires:( 1 ),
au moyen de ressources cachées dont l'emploi échappe
à tout contrôle extérieur. Très fréquem ment a ussi elle se
traduit par des mandats fictifs. « Un mandat fictif 1 en
» langage de comptabilité, est un mandat parfaitement
» régulier en apparence, qui est présenté à une caisse publi» que appuyé de justifi cations faussement établies, c'est-à1
» dire de mémoires s appliquan t à des dépenses simulées,
» de quittances supposées d'attestat ions et de déclarations
» mensongères. Les pièces produites étant régulières dans
» la forme, le payeur n'en peut refuser le payement et 11au» torité judiciaire ne peut reconnaître la fraude ou l'irrégu(1) Les caisses noires tendent à disparaitre partout. Cependant, il en existe
encore d'après les rapports de l'inspection des fina nces, et le discours prononcé le
3 novembre 1877 par M. Petitjean, procureur g6néral près la Cour des comptes. De
son côté, M. de Swarte dans son traité de la comptabilité occulte, p. 1oetsuivantes
signale aussi l'existence de certaines caisses de cette nature. li est intéressant de
consulter à cet égard les arrêts les plus récents de la Cour des comptes et notamment les arrêts des 11 juillet 1878 1 11 juin 188o, 17 m i\TS 1874, 26 mai 1874, 14 lévrier
1876.
-
r6g -
» Iarité, à moins d 'indices particuliers ou de circonstances
» fortuites qui viennent la lui révéler (1). »
Il est rare qu'une com ptabi lité occulte soit l'œuvre
d'une seule volonté. Le plus souvent la coopération de
diverses personnes est nécessaire. Pour les mandats fictifs
notamment, il faut généra lement le concours des chefs de
service, employés, entrepreneurs ou fournisseurs, etc. Tous
ces complice sont également assimilés à l'auteur de la ges'tion occulte. Ils ont une responsabilité commune (2) qui
peut même devenir solidaire (3) si la nature des faits rend
la responsabilité indivisible.
Ainsi donc le mandat fictif se traduit toujours en comptabilité par des indications mensongères qui ont généralement pour effet de faire concorder chaque article du
compte d'administration avec chaque article du budget.
En d'autres term es, il cache un virement de crédits
opéré en fait mais non exprimé en écriture. En réalité les
sommes portées au budget servent donc au paiement de
dépenses non prévues ou de dépenses dépassant les crédits ouverts ; et cependant le compte administratif et_ les
piéces justificatives à l'appui concordent en tous points
avec les indications du budget : ce qui revient à dire que
la comptabilité, irrégulière au fond, est à l'abri de tout
reproche quant à la forme.
.
On voit que ce procédé ne manque pas d'une certaine
habileté. Il consiste à délivrer un mandat pour une dépense
qui n'a pas été fa ite ou pour une dépense autre ~ue_ celle
. .
ou
qui a été effectuée. Il suppose un créancier 1magm~lf.e .
. compla isant
·
un créancier
qu1· 1 assoc1·an t sa complicité a
celle de l'ordonnateur ou du chef de service, consent à
(r) Discours de rentrée de la Cour des comptes du 3 novem bre 1877, par M. le
procureur général Petitjean.
(2) Arrêt de la Cour des comptes du 23 juin 1882.
(J) Arrêt de la Cour d es comptes des 18 et :?o fèvrier 1873.
�-
170 -
exaO'érer une facture ou même à la dénaturer ( 1). Et
b
ce qui fait précisément qu'il est impossible de découvrir
cette fraude ou plutôt cette irrégularité, c'est que le mandat
fictif est parfaitement régulier en apparence, c'est que dans
la forme il ne diffère en rien du mandat ordinaire. Mais
tandis que celui-ci est accompagné de pièces justificatives
réelles et sincèrement établies, celui-là est « appuyé de
)) fausses justifications c'est-à-dire de mémo ires s'appli» quant à des dépenses simulées, de quittances supposées,
» d'attestations et de déclarations mensongères .»
Comment se fait-il donc que la loi ne contienne aucune
disposition propre à empêcher le succès de cette pratique?
Il semble que le législateur soit impuissant contre les agissements des adm inistrateurs!
Le règlement du 29 décembre 187 5 ( 2) contient pourtant
certaines prescriptions qui, si ell es étaient sagement exécutées, seraient de nature à prévenir ces fraudes . En effet,
si le chef de service devait communiquer à son supérieur
hiérarchique les bons ou commandes adressés aux fournisseurs, si, de son côté, l'inspection des finances exerçait
un contrôle sérieux, si à son tour l 'administration tenait
la main à la stricte observation des règlements, il serait
impossible de commettre ces irrégularités. Car toutes les
factures, attestations et déclarations seraient contrôlées
par les bons ou commandes avec lesquels elles devraient
absolument concorder . Ces bons ou commandes serviraient donc de moyen de vérification puisque en demandant des fournitures, les administrateurs produiraient les
éléments nécessaires pour contrôler leur gestion. Malheu( 1)
Circulaire du ministre de l' intérieur du 25 mars 1872.
(2) M. Marais de Beauchamps : Recueil des lais 6 t nlglements sur l'enseig11411umt
supérieur, p. 111 , ce règlement est intitulé : Instruclio11 relative à la tenue régulière de la comptabilité de$ d«penses d1t matériel dans les élablisstJ11U11zts d'mseig11e·
mnil suplrieur.
-
171 -
reusement le R èglement de 187 5 est déjà lettre morte.
Je puis même ajouter que je ne l'ai jamais vu appliquer
avec intelligence.
Mais les sommes mandatées sur la production de pièces
fi ctives peuvent être affectées à des services publics ou
bien elles peuvent être détournées au profit des particuliers.
Dans le prem ier cas, il n'y a ni crime ni délit : le comptable occulte est justiciable de la Cour des comptes; dans
le second cas, au contraire, il y a lieu à l'applicatio~ des
articles 169 et suivants du code pénal.
Les comptables de droit et les comptables occultes
sont donc soumis à la juridiction de la Cour des comptes.
Leurs actes sont également vérifiés et jugés.
S 'il s'agit d'un comptable en recettes, la Cour recherche
s'il a fait rentrer la totalité des sommes dues à l'Etat.
S'il s'agit d'un comptable en dépenses, elle décide
s'il est quitte, en retard ou en avance. Elle vérifie aussi
s'il y a eu ou non des dil ap idations et le cas échéant elle
dénonce les coupables à la juridiction pénale.
La Cour juge sur pièces écrites, et les comptables ne
sont admis à discuter, ni en personne ni par ministère
d'av'ocat, les articles de leurs comptes.
De ce qu'il n'existe pas de débat contradictoire, il
résulte que le premier arrêt rendu est provisoire. Le
comptable est donc invité à produire les justifications
nécessaires et s'il n'a pas satisfait, dans un délai de deux
mois aux réclamations de la Cour, il est définitivement
condamné à solder son débet.
T outefois il peut exercer un recours en révùi'on en cas
d'errew', d'omiss1'on, de faux ou double emploi· reconnus
postérieurement, ou mème un recour en cassation pour
cause d'imcompétence, d'euès de pouvoir, ou de <1tolatio11
des formes de la loi.
�-
172 -
Plusieurs conditions sont nécessaires pour que la révision soit possible :
1° Il faut qu'il y ait eu erreur matérielle, omission 1 faux
ou double emploi ;
2 ° Que l'arrêt attaqué soit définitif;
3° Que la Cour ad mette la révision sur la demande de
l'intéressé ou sur la réquisition du procure ur général.
Il eût été injuste de fixer un délai spécial de prescription pourle recours en révision , car les pièces justificatives
peuvent n 'être découvertes que long temps a près le premier
arrêt. C 'est pourquoi la prescription de trente ans est
seule opposable .
Quant au recours en cassation, il est porté devant le
conseil d'Etat dans les trois mois à dater de la notification
de l'arrêt, sous peine de déchéance.
Le recours en cassation peut-être intenté par la partie
intéressée ou par le ministre sur l'autorisation préalable
du Président de la R épublique. Si le conseil d'Etat prononce la cassation de l' arrêt, le jugement de la question
est renvoyé à la cour, non pas à la même chambre, mais
à une chambre restée étrangère à l'affaire.
Le plus souvent la C our des comptes juge en premier
et en dernier ressort. Quelquefois cependant elle est aussi
tribunal d'appel. « En effet, les compta bles, les adminis·
» trations locales, les associations syndicales les receveurs
» municipaux des communes d'un revenu inférieur à
» 30,000 fr. , les hospices et éta blissements de bienfaisance,
» ainsi que les ministres de l'intérieur et des finances
» peuvent se pourvoir par a ppel devant la Cour des
» comptes contre tout arrêté de compte définitif rendu par
» les conseils de préfecture ( 1). »
( 1) M. Josat , Le miuistèrc des ji11a11ces , p. 93.
173-
Cet appel doit être interjeté dans le délai de trois mois
à partir de la notification de l'arrêté.
« Quant aux arrêtés rendus par la Cour des comptes
» sur les appels , pourvois ou révisions, ils sont toujours
» au nombre de deux : par le prem ier elle statue seule» ment sur la recevabilité de la requête, par le second,
» elle juge le fond même de l'affaire. » (M. Josat :
ouvrage cité, p . 93).
Mais la Cour des comptes n'est pas seulement une cour
de justice rendant des arrêts. « Elle est aussi une sorte de
» consei l de censure émettant sur la gestion générale des
» finances des déclarations et un ra pport qui n'ont d'autre
» autorité que celle que les pouvoirs publics et l'opinion
» leur prêtent et qui peuvent provoquer des réformes et
)> des mesures législatives. )> (Paul Leroy-Beaulieu. )
La Cour ne peut ap précier la comptabilité générale de
l'Etat qu'en exerçant un contrôle sur tous les services
publics. C 'est pourquoi le législateur a aussi soumis à sa
vérification les comptes eu 1natière, tels que le matériel
de la guerre et de la marine, ainsi que certains services
ressortissant au ministère de l'agriculture et du commerce
(écoles des arts et métiers, écoles vétérinaires , établissements thermaux, etc.) La Cour procède à l'examen des
comptes individuels de matières dans les formes déterminées pour les comptes-deniers. Mais c'est un contrôle qui
se borne à la régularité mat€-rielle des écritures ; les faits
réels sont abandonnés à la surveillance de l'administration.
Et encore faut-il remarquer que les administrateurs du
matériel de la g uerre et de la marine ne sont soumis ni à
la juridiction de la Cour des comptes, ni à l'inspection des
finances. Ils ont en fait une indépendance absolue et ne
relèvent que de leurs ministres respectifs ! Ils font bien des
écritures méthodiques sur les entrées, sur les sorties et
· ·t ures peuvent
· ces ecn
· mais
sur les provisions en magas10
1
�-
-
174 -
contenir les indications les plus fantaisistes sans qu'il soit
possible de les vérifier.
Il est donc évident qu'ici le rôle de la Cour des comptes est réduit à constater si les opérations sont bien faites,
si les tableaux sont bien dressés, et si les chiffres sont
bien alig nés. Ce contrôle est illusoire, sinon dérisoire.
C'est à se demander si un législateur sérieux a pu édicter
des dispositions aussi futil es.
« Le contrôle de la Cour des comptes sur les finances
» de l'Etat se traduit encore par des déclarations de confor» mité. Com me la Cour a entre les mains tous les comptes
» tenus par les comptables, elle peut vérifier s'il y a
» accord entre les résultats de ses arrêts et les résumés
» généraux qui sont dressés au ministère des fin ances par
)) nature de comptabilité et par branche de service. T outes
)> les années, la Cour doit, en a udience solennelle et
» publique, prononcer sa déclaration générale de confor» mité et cette formalité doit être acco mp lie avant le
» 1•r septembre de l'année qui suit celle de la cl ôture de
» l'exercice expiré. Ainsi, pour l'exercice 1884 qui est clos
» le 3 1 août 1885, la déclaration de conformité devra
>> avoir lieu le I cr septembre 1886 . S 'il y avait désaccord
)) e~tre les résultats des travaux de la Cour et les comptes
» genérau_x dressés dans les ministères, les pouvoirs publi cs
» en seraient solennellement avertis et devraient recher» cher à quel événement il faudrait en faire remonter la
» cause.
« Enfin la Cour des comptes doit, chaque année, rédiger
» u~ rap_port annuel sur les résultats généraux de l'admi» ms~rat10n financière et sur les améliorations qu'il paraî» t~a1t opportun à la Cour d'introduire dans cette organisa» t1on. ~e rapport sera rédigé par une réunion composée
» des d'.vers présidents, du procureur général et de trois
» conseillers-maîtres délégués par chaque Chambre et il
175 -
» sera adressé au chef du pouvoir exécutif. » (M. Gautier).
Dans son T raité du, mùzistère des .finances, M. Josat a
donné , à ce suj et , des détails aussi précis que possible,
p. 93 et s11ivantes.
J'ai ainsi étudié le triple contrôle établi sur l'administration des fina nces :
10 Le contrôle législatif, qui vote les budgets, c'est-àdire qui accorde les crédits, et qui s'assure que les comptes présentés par les ministres concordent avec les prescriptions budgétaires. Il porte sur les ordonnateurs et non
sur les compta bles. Il ne s'applique qu'aux faits avoués
par les ministres et ne peut vérifier l'existence des faits
J
réels ;
2 0 Le contrôle administratif qui s'étend aux ordonnateurs et aux com ptables, mais qui est inefficace, puisqu'il
s'arrête à la forme c'est-à-dire aux écritures, sans s'appliquer aux actes et aux faits réels ;
3° Le contrôle judiciaire qui se borne également aux
écritures sans s'étendre a ux faits eux-mêmes.
Que faut-il donc penser de cette législation qui a trouvé
tant d'admirateurs?
J'ai le regret de dire qu 'elle est loin d'être parfaite.
C'est même a vec un étonnemunt mêlé d'une pénible surprise que j'ai constaté les deniers de l'Etat abandonnés au
gaspillage, livrés à la discrétion de tous et laissés sans
surveillance efficace.
Quand on s'arrête aux apparences, quand on ne considère que la forme, quand on ne voit que des chiffres alignés, quand on vérifie des opérations bien faites sur des
nombres bien ordonnés , tout peut sans doute paraître
parfait.
Mais quelle désillusion si l 'on examine de plus près les
défauts ou les lacunes de la loi et si l'on descend dans le
domaine des faits réels! Quelle déception si on compare
�-
176 -
les actes avec les écritures, et si on passe des apparences
aux réalités !
Nous avons pourtant subi de dures épreuves, et notre
situation financière est encore assez difficile pour qu'il y
ait lieu de se préoccuper de l'améliorer.
Le Gouvernement l'a, du reste , fort bien compris, puisque par un décret du 31 janvier 1878, il a nommé une
commission pour procéder à la révision du décret du
31 mai l 862; puisque d'autre part, par un récent décret
du 18 novembre 1882, il a déjà édicté des règles nouvelles 11
pour les adjudications et marchés passés au nom de l' Etat. ~
li reste encore beaucoup à faire.
Il faut que les dispositions relatives au contrôle soient
radicalement transformées; il faut que les inspections
pui ssent garantir la sincérité des actes; il faut qu'elles
puissent surveiller tous les administrateurs; il faut que
l'emploi de tous les crédits soit véréfié et qu'en aucun cas
il ne soit a bandonné à la discrétion ou aux caprices des
particuliers; il faut, en un mot , qu'une législation sérieuse,
soit substituée à des règlements insuffisants pour réprimer
les abus.
J e dis les abus, et M. d'Audiffret P asquier (1) m'autorise à employer cette expression :
« Il peut arriver dit-i l, qu'un agent, dans un moment
'> de défaillance, commette un acte délictueux. » Et il
ajoute que le contrôle de la Cour des comptes, après toutes
les inspections possibles est insuffisant pour réprimer le
délit et pour prévenir d'autres fraudes.
« J e pourrais vous citer continue M. d 'Audiffret, à l 'ap>> pui de mes assertions, bien des faits qui sont relevés par
» la Cour des comptes dans son rapport sur l'exercice
» l 870. »
(1) Discours prononcé au Sénat le 16 novembre 1876.
-
177 -
Il en cite plusieurs, en effet, et il prouve que tous les
contrôles s'arrêtent à la forme .
Puis il term ine en ces termes :
« Ainsi , vous le voyez, Messieurs, il importe que les
» pièces sur lesquelles la Cour des comptes jugera soient
» sincères; mais ai -je besoin de rappeler à vos souvenirs
» la fameuse affaire des mandats fictifs?
» Est-ce que la Cour des comptes a pu soupçonner en
» voyant un mandat régulier appuyé de pièces réglemen» taires, qu'un agent-voyer et un Préfet avaient mandaté
» 10,ooofr. decaillouxalorsqueces 10,ooofr. avaientété
» réellement employés en dépenses de fêtes pour l'installa» tion d'un pont?.. . La Cour ne peut être juge de la
» sincérité de la valeur de certaines pièces.
» Bien plus, dans quelques cas elle ne reçoit communi-
» cation que de pièces rédigées après coup et spéciale» ment pour lui être soumises. Ce fait s'est présenté pour
» la liquidation des dépenses de la guerre de 1870. »
M. d'Audiffret aurait pu ajouter que les contrôles législatifs et administratifs sont également insuffisants, puisque
la vérification de la Cour des comptes s'exerce après les
autres inspections. Car, pour admettre que les fraudes
échappent à la Cour, il faut admettre aussi qu'elles ont
déjà échappé à tous les contrôles précédents, puisque les
contrôles divers s'appliquent aux mêmes comptes et que
la vérification de la Cour s'cxerc-e en dernier lieu.
Donc la critique de M. d' Audiffret s'adresse à l'inspection des finances en général.
Donc j'avais raison de dire qu'il est impossi~le, en
comptabilité publique, de prévenir de nombreuses irrégularités.
Donc notre législation actuelle est loin d'être parfait~.
Donc je ne devais pas me rallier à l'opinion des pubh1z
�-
178 -
cistes qui comparent le perfectionnement de notre comptabilité à la marche uniforme des planètes.
Mais, pour arriver à cette conclusion, j'ai discuté sur
des dépenses de dét ail, sur des sommes modiques. J'ai
puisé mes exemples dans les administrations de province.
En procédant a insi, je voulais établir que , par suite
des nombreux agents préposés aux recettes et a ux dépenses, les moindres abus mille et mille fois répétés peuvent
en]e,·er des sommes immenses au Trésor.
Il m'eût été faci le d 'invoquer des considérations d'un
autre ordre. Je les aurais trouvées partout et notamment
dans un article de M. Ch. Louandre publié en 1874.
« La confiance, dit-il , qui vit souvent d 'illusions, fut
» grande au début du règne, (il s'agit du second Empire) .
» Mais les esprits positifs s'effrayaient du prodigieux ac» croissement des dépenses, des virements qui jetaient le
>) désordre dans la comptabilité, des dettes contractées
» par les villes, des équilibres fictifs du budget, d'un pou» voir sans contre-poids qui la issait à Napoléon le droit
» absolu de paix et de guerre, d'un esprit d'aventure qui
» transportait dans la politique les réminiscences de Bou» logne et de Strasbourg; on se demandait quel profit la
» France avait tiré des guerres de Crimée et d 'Italie. On
» s'effrayait en lisant le budget de 186+, d'y trouver une
>) dette de 465,378,859 francs de rentes annuelles, soit
» 230 millions de plus qu'en 1849. Les ministres répétaient
» à la tribune que les expéditions de Crimée, d'Italie, de
» Chine, de Cochinchine, du Mexique, n'avaient altéré en
» rien aucun des éléments de la richesse et de la puissance
>) nationale; les journaux officieux et officiels le pro» clamaient à l'envi . Les gens naïfs le pensaient.
>) Mais le réveil fut terribl e, et la g uerre de Prusse dé» ch ira tous les voiles. Notre a rmée qu'on croyait pourvue
» de tout, manquait de tout; le favoritisme avait placé sous
-
1 79
-
» d'autres nom s T allard, Marsin et Soubise à la tête de
» nos troupes; et aujourd'hui quand nous aurons payé
» l'indemnité de guerre, notre dette s'élèvera à
21 mil-
» liards cinq cents millions.
« Nous aurons à solder 1 milliard cent millions de ren» tes annuelles , et après avoir changé vingt fois de gou» vernement a près l'Assemblée nationale, l'Assemblée
» constituante, la Convention, le Directoire, le Consulat,
» le premier Empire, les Cent-J ours , la Restauration , le
» gouvernement de Juillet, la République de 1848 1 la
» Présidence, le second Empire, la R épublique du
-+ 4 Septembre, nous nous retrouverons au même point
>> que dans les plus tristes a nnées de la monarchie, lors» que les intérêts de la dette absorbaient la moitié des re» venus disponibl es, lorsque le gouvernement transfor» ma it tout en ma tière imposable, et qu'il ne lui restait
» plus pour dernière ressource, comme l'a dit Bussy» Ra butin, qu'à mettre une taxe sur les gueux pour leur
>> laisser le droit de se chauffer au soleil. »
Il se dégage de cet exposé trop de vérités cruelles qui
ne laissent aucune place au doute sur les expédients les
plus abom ina bles.
Mais, écoutons encore M. Thiers (i ).
« Notre budget, qui, en moyenne, était de 1 milliard 500
» millions en 18+8, tous les sen'ices compris, la dette,
» l'amortissement , les ministères, les travaux extraordi» naires, les frais de perception, le ser vice départemental,
» était · arrivé en r 870 à un tota l de 2 milli:.lrds 1oo à
» 200 millions.
» Avec une augmentation pareill e, deux services capi» taux étaient déplora bl ement négligés : l'amortissement
» et l'armée . Il n 'y avait pas d'a mortissement, ou si peu
(1) Message de M. Thiers à J'Assemblee nationale le 7 dtccmbre 1871.
�-
180 -
, qu'il était dérisoire ; et, quant à l'armée, le matériel
» était à la fois insuffisant et arriéré, l'artillerie au-des)> sous de toutes les proportions généralement usitées, et
)) l'effectif de nos régiments d'infanterie rarement au-des)) sus de 11 à 1200 hommes, ce qui explique comment,
» après la déclaration de g uerre la plus téméraire , nous
» n'avions pas à l'ouverture du feu plus de 200, 000 hom» mes, à présenter à l'ennemi , qui s'avançait avec 4 00, 000
» hommes, soutenus par 3 00,00 0 autres. T elle était la
)> situation de nos principaux services, a vec un budget de
» 2 milliards I oo ou 200 millions. Depuis, la g uerre nous
» a coûté 3 milliards environ ; l'indemnité convenue avec
» les Allemands, nous en coûtera 5, que nous ne payerons
» que successivement, mais dont nous supportons déjà le
)> fardeau, puisque, dès aujourd'hui , nous en payons
-
r8 1 -
que tous les commentaires seraient imperflus ! Du reste
M. Ch. Louandre aggrave encore toutes les explications
que j'ai fournies jusqu'ici avec la plus grande circonspection .
Il parle en effet « du prodigieux accroissement des
» dépenses, des virements qui jetaient le désordre dans
» la co mptabi lité, des équilibres fictifs du budget, des
» déclarations fausses des ministres et des croyances des
» gens naïfs, des taxes à mettre sur les gueux pour
» leur laisser le droit de se chauffer au soleil. ))
Il confirme d'ailleurs tout ce qu'avait dénoncé M. Thiers
et il renchérit sur tous les détails donnés dans le message
révélés.
Il ressort d'abord de ce message que les crédits budgétaires étaient largement accordés pour un matériel de
guerre excellent et pour des régiments compl ets. Or, l'il lustre homme d'Etat déclare ce matériel « insuffisant et
arriéré )> et les régiments « de 1 1 oo à 1200 hommes seule-
du 7 décembre 187 I.
« Notre armée, dit-il, qu'on croyait pourvue de tout
)) manquait de tout. »
Il ne recherche pas quel emploi avait été fait des allocations énormes accordées au ministère de la guerre. Il
signale seulement les faits, et il laisse pressentir qu'il lui
répugne d'apprécier les expédients.
Pour ma part, je me bornerai à remarquer que ces
expédients ont été approuvés sous le couvert de pièces ficti ves, mais régulières en la forme !
Et maintenant, n'est-il pas per mis de se demander ce
que doivent penser de leur mission les hauts fonctionnaires chargés, à un titre quelconque, du contrôle des
ment. »
Il est donc évident que des sommes immenses ont été
ou gaspillées ou détournees de leur destination légale, car
tous les crédits budgétaires ont été employés. Et il va
sans dire, cependant , que les pièces justificatives des dépenses faites étaient régulières en la form e ; qu'elles ont
été soumises à un triple degré de contrôle , et qu'elles ont
finances ?
Croient-ils réaliser le rêve de M. de l\Iontéloux ( I)
quand il disait : <' ce qu'il importe le plus, c'est d'assurer
» le bon emp loi des revenus ... Il ne suffit pas que le Tré)> sor se remplisse et se remplisse aisément, il faut encore
» qu'une com ptabilité simple, régulière et complète, per» mette d'apprécier la mesure exacte des ressources du
l'intérêt >> .
Le message de M. Thiers mériterait d'être reproduit
intégralement. Mais je ne veux pas abuser des citations .
Ce qu'il importe surtout c'est de rechercher les abus
)>
été touj ours approuvées !
Je me borne à constater les faits, car il me semble
(1) M. de Monteloux, ne la ro111pt<1oililr p110liq11e m Fra11u. Paris, 18-to.
�-
183 -
182 -
pays, et garantisse à tous qu'aucune portion des sacrifi>' ces demandés à chacun n 'ira se perdre dans des dé pe n·
» ses inutiles. »
Il importe non-seulement de prévenir les dépenses inutiles, mais aussi et surtout les abus.
Il faut donc que la législation financière soit suffi samment parfaite pour être un frein à la dila pidation des fonctionnaires et du Gouvernement lui-même. Car la loi doit
être faite pour tout le monde, et il convient que le pouvoir
chargé de l'appliquer prêche lui-même d 'exemple.
Mais dans ces conditions, que faut-i l penser de notre
situation finan cière ?
Elle n'est certainement pas désespérée. Comparée à cell es
des autres nations civilisées, elle est même relativement
bonne. Car aucun autre pays ne jouit du crédit illimité
accordé à la France ; aucune autre nation ne jouit d'un
prestige aussi éclatant.
Ce n'est point seulement chez nous q ue la confiance en
l'avenir dissipe les inquiétudes du présent. Toute l'Europe
partage notre confiance; et la presse étrangère elle-même
en donne un témoignage public.
En effet, en 1872, la F rance dut faire a ppel au crédit
pour un emprunt de 3 milliards.
- En deux jours 4+ millia rds furent souscrits.
Ce fut un succès fabuleux pour la R épublique française.
Et à cette occasion, voici un écho des articles enthousiastes
qui remplissaient alors tous les journaux.
La 11ouvelle P resse libre de Vt'enne, dit : « Les résultats
>> vraiment inconcevables que le gouvernement fra nçais a
» obtenus par son a ppel au crédit euro péen réd uisent à néant
>> toutes les prédi ctions. Nous sommes en présence d'un fa it
» que chacun peut interpreter ici co mme il le voudra, mais
>> d'où il ressort clairement que la force productive du
» capital et du crédit européens défie tous les calculs , et
» que la France possède un crédit comme peut-être aucun
» autre Etat au m onde .. . >>
Le Wanderer dit à son tour:
« La France demande 3 milliards, on lui en offre 40.
>> Pour un pays dont un vainqueur outrecuidant annonçait
» naguère la ruine, il y a là un vote de confiance sans
» précédent da ns l 'hi stoire des peuples. La confiance de
» l'Europe da ns la régénération de la France et dans sa
» mission civilisatrice s'est affirmée à coups de milliards.
>> Elle les avance à la France, à ce pays prodigieux qui ,
>> par l'effet d'une force magique, renaît de ses cendres
» comme un glorieux phénix; au pays des ressources inépui» sables, de l'activité infatigable, de la production inces>>
sante. »
J e devais arrêter là cette étude. Mais on m'a engagé à
conduire jusqu'en 1886 1 les finances de la France. Je me
suis donc fait un devoir de vérifier les théories financières
que jai vu exposer à l 'occasion des dernières élections.
Tout d 'abord , j'ai co nstaté avec une émotion mêlée
d'une pénible surprise que la vérité a été généralement
travestie. Pour ne citer qu'un exemple entre mille quelques hommes politiques en vue d'augmenter à leur gré les
dettes de la France n 'ont pas craint de compter deux fois
certaines dé penses : une première fois comme capitaux
amortissa bl es et une seconde fois comme annuités d'amortissement. Trop évidemment , ils ont fait preuve ou d'une
mauvaise fo i détestable ou d'une ignorance inexcusable.
Il va sans dire d 'ailleurs que toutes les dépenses départementales et communales , ont été également ajoutées à la
dette de l'Etat, et pourtant ch\cun sait qu'elles ne figurent
que pour ordre a u budget général et qu'elles sont toujours
équilibrées par des recettes équivalentes.
J e dois donc chercher ailleurs les bases d'une appre-
�-
-
r8..J. -
ciation véritable. Il semble qu'on doive les trouver avec
précision dans les débats parlementaires. Et cependant, là
encore, il ne faudrait pas tout accepter sans contrôle. Du
reste, pour apprécier les finances d 'une nation, il faut
exa miner les résultats de plusieurs a nnées. Car mentionner un budget maximum ou un budget minimum ,
c'est vérifier un seul exercice. Et il est clair que cette
vérification ne peut avoir aucune portée générale.
C'est pourquoi j'a i voulu comparer les résultats obtenus
par les divers gouvernements qui se sont succédé en
France depuis 1814. Mais avant d'exposer ces résultats, il
importe d'examiner la situation financière à cette époque.
Or, c'est dans l'histoire qu'i l faut chercher cette situation,
et c'est présisément l'histoire qui permet d'affirmer que le
peuple français supporte depuis longtemps de très lourdes
charges.
Sous Louis X IV, pour ne pas remonter plus haut, la
France était tellement ruinée qu'i l eût fallu les revenus de
di x-huit années consécutives pour a mortir la dette qui
l'écrasait (voir p . 96). Sous Louis XV, la situation ne fut
guère modifiée bien que la banqueroute de Law eût permis
de payer ur: milliard et demi de la dette publique ( 1).
(voir p. 97.)
Nous avons étudié les expédients inouïs pratiqués sous
Louis XVI, nous avons esquissé le spectacle donné par
Calonne à l'Assemblée des nota bles de 1787. Faut-il ajouter que cette assemblée se sépara sans avoir rien conclu (2),
parce que la banqueroute lui paraissait inév itable (3) !
Faut-il considérer encore le chaos immense dans lequel les
finances furent eng louties par les J aco bins? Non, non.
Détournons les yeux de ces scènes pénibles et suivons
(1) M. Gorges: La dette pubUquc, lzistoirc de la rm/e frattçaisc, p. 81.
(2) Monteit, Hist. fin. de la France, p. 302.
(3) M. Gorges, ouvrage cité, p. 94.
j
Napoléon Jar dans ses efforts enthousiastes. Il commence
par dissi per les confusions. li organise. Il ordonne. Il
dirige. T out est surveillé et vérifié par lui. L'ordre est
rétabli. Les dangers sont écartés. Et la tâche est rendue
relative ment faci le . L' armée est sans doute décimée ! La
France est lasse de g uerres ! Mais les finances ne sont pas
excessivement obérées. On peut même dire que Napoléon Jer est resté fidèle à son principe « la guerre doit
suffire à la guerre. » Cependant il ne faut pas se dissimuler que la France a subi de terribles défaites et qu'il faut
réorganiser complètement bien des services essentiels
voilà l'histoire.
Voyons maintenant les résultats annoncés plus haut :
1
Dette publique annuelle .
Budgets moyens.
Epoques.
..
185 -
I 815-1829.... ......
1830-18-1-7 ... .......
18..J.8 -1 85 r. ...... ..
1852-1 869 ..........
1870-1875 ...... ... .
1876-1880....... ...
1880-1 886...... ....
I.003. 064.3..J. l
1.020-462.8..J.9
t. 276.813.361
2.089.528.707
3. q8.532.223
3.316.258.209
3.200.000.000 (1)
582.335 .890
58-1-476.-to6
687. 679 .697
918.063.-1-68
l .48..J..936.7-t..J.
1.666.4,fo.32 I
1.325.178.244
Voyons en core le mouve ment progressif de la dette
consolidée :
Rentes ins crites
Années
63.307.637 :
1•r janvier 1830
l
163.7é2.368 :
i.029.237 :
39.810.144 :
T ota l : 204.6<)5.459
q6. 749.591 :
1.026.6oo :
.375 :
26.507
1•r ja nvier 1848
65.525.399 :
capiJal au pair
Taux:
5 o!o
5 o/o
=
1.266.152. 740
=
4 112 o/o ==
3 o.o =
=
5 o/o
=
4 1/2 0/0
4 o/o
=
=
3 o/o =
Total : 240.~.955
(1) Voir journal officiel d es 29 1 30 et JI juillet 1885.
3.2nq1
soo
~.871 . 933
1.327.~.Soo
Total : 4.627.018.293
2.934.991 .820
22 .813.llJ
662.684 375
2.217.513.300
Total : 5.838.002.828
�Annüs
capital au pair
832.127.3n
11.152.400
10.673.189.500
Taux
Rmles 5 o/o
37.4-15.729: 4 1/2 o/o :-=
446 095 ' 4 o/o
·
320. 195.685 : 3 o/o =
\
=
1" janvier 1&]0
1
1•• janvier 1875
-
186 -
Total : 358.o87.510
J 45. 756.055 : 50/0
37-450-476 : 4 1/2 o/o
446.og6: 4 o/o =
=
364.752.344 : 3 0/0
T otal : 11.516.469.211
6.915. 121. 100
832.232.Soo
11. 152.400
12. 158.411 -466
=
=
T ot al : 19.916.917.766
Total : 748.404.971
344.996.919 :
37.442.436 :
446.og6:
1•r janvier 188o
363.039.904 :
5 o/o =
4 1/2 o/o
4 o/o =
3 o/o =
T otal : 19.844 -4(18.JSo
Total : 745.925.155
340.845.836 :
37-433·505 :
446.og6:
1er janvier 1883
363.047.685:
5 1.943.815 :
Total : 745.925. 155 :
6.899.938.38o
832.054. 133
11 .1 52-409
12. 10 1.323.467
=
5 o/o
=
4 1/2 o/o =
4 o/o
3 o/o =
3 o/o ••trllu•~l•
6.816 .916.720
831.855.6oo
11.152.400
12.10 1.589.500
=
=
1.731.400.500
T otal : 21.492.974.720 (1)
Il est intéressant aussi de comparer la dette publiq ue a nnuelle
et la rente inscrite :
Aimées
1830.... ....
1848.. ......
186g... .. ...
1875 .... ....
188o........
1883 ........
1884..... .. .
1885..... :..
Dette p11bl. aim ,
582.335.Sgo
687.679.697
918.o63.468
1.484.936.741
1.666.440.321
1.3 19.002.445
1.300.882.162
1.325. 178.244
R e11tes inscrites
204.6g6.459 240.8o8.955 358.o87.510 748.404.971 745 .925.1 55 745.925. 155 705.976.g83 7o6.11 f.685 -
Dijfére11ces
377.639.431
446.870.732
559.975.958
736.53 1.773
920.515. 166
57J.67p 90
654.905.18o
619.06 1.559
Nous connaissons ainsi le ca pital représenté par les
rentes inscrites. Nous savons qu'il s'élève actuellement à
2 I milliards r /2.
Nous connaissons également les différences entre les
rentes inscrites et la dette publ ique annuelle . Il ne faudrait
(1) M. Gorges : ouvrage cite depuis 1883, la dette tend à diminuer.
187 -
pas croire que ces différences représentent aussi des capitaux calculables suivant un taux quelconque, car elles
comprennent tout à la foi s des capitaux remboursables à
di vers titres , des annuités d 'amortissement, des rentes viagères, des dotations et les dépenses des pouvoirs législatifs.
Ainsi donc ce n'est pas la dette consolidée qui a seule
augmenté. D 'une manière générale, la dette publique a
pris des proportions énormes !
Mais pour tout esprit perspicace, pour tout observateur
consciencieux , elle a cha ngé d 'expression.
Autrefoi s elle n'avait pas de valeur correspondante: elle
était une lourde cha rge pour de fai bles compensations.
Aujourd 'hui, elle représente des capitaux.
En effet, sans compter les dépenses fabuleuses de la
guerre évaluées à 3 mil liards par M . Thiers (1)! sans
compter les ravages faits en 1870 et 187 r et en partie
réparés! sans co mpter l'indemnité de guerre de 5 milliards
payée à la Prusse ! on a reconstitué le matériel militaire,
exécuté des travaux publics, construit des chemins de fer
et des chemins vicinaux, créé des écoles, des lycées et des
collèges, etc. (2).
C'étaient là des dépenses de première nécessité dans un
Etat dém ocratique, et ce sont là des capitaux dont le
peuple profite.
Malheureusement cette œ uvre de réparation n 'a pas été
à l'abri des critiques. Mais, en définitive, la banqueroute
n'est plus à redouter comme autrefois! Si quelques fautes
ont été commises, elles ne font que justifier ces lignes
adressées en 1760 par Voltaire à Mme Dudeffand :
» J' aime mieux avoir des rentes sur la France que sur
}> la P russe. Notre destinée est de faire toujours des sot-
( 1) Message de 1\1. T hiers du 7 décembre 1871.
(2) Journal ofjirùl du 29 juillet 1885, p. <)66.
�-
188 -
tises et de nous en relever. Nous ne manquons jamais
' une occasion de nous ruiner et de nous faire battre ; mais
au bout de quelques années, il n 'y paraît plus. »
Toutefois, on ne peut se dissimuler que ce résultat est
subordonné au maintien d'un état de paix sans complication intérieure ou extérieure; que le succès pouvait être
compromis par toute mesure trop hâtive et que la prudence
la plus élémentaire exige du moins qu'avant d'autoriser
les dépenses, les voies et moyens soient assurés à l'avance.
POSITIONS
DROIT ROMAIN
I. - La publicienne x·n factum avait sa raison d'être en
droit romain.
Elle ne pouvait être toujours suppléée par la prœscnptio
long1: temporis.
..
Il. - D ans la théorie d'Ulpien, l' arriv ée de la condition résolutoire dans la vente conditionnelle opérait retour
rétroactif de la propri été de la chose vendue à l'acheteur.
Et les règles de la logique conduisent à décider que cette
propriété devait être simplement bonitaire.
III. - La théorie de Cujas sur les risques dans la vente
n'est pas soutenable en droit.
IV. - La règle catonienne n'avait pas été inspirée
par l'intérêt de l' héritier ni pour donner satisfaction à la
volonté présumée du défunt.
DROIT FRANÇAIS
I. -
Pour a cquérir par prescription le droit de recevoir
quand elles sont utiles, les eaux d'une source située da_ns
un fonds supérieur il n 'est pas nécessaire que le propriétaire du fonds inférieur construise des travaux apparents
sur le fonds supérieur.
II. - La règle quœ tem,poralia ad agendu~z perpetua
ad excipidltln ne s'applique pas dans notre droit.
III. - Le légataire à titre universel de mème qu'un
�-
190 -
légataire particulier n'a droit aux fruits qu'à compter du
jour de sa demande en délivra nce du legs.
IV. - Le légataire uni verse!, qui ne vient pas en concours avec des héritiers réservataires, ne représente pas le
TABLE DES MATIÈRES
defunt.
DROIT COMMERCIAL
I. - En cas de faillite du tireur, si le tiré n'a pas fait
acceptation, la propriété de la lettre de change appartient
au porteur.
DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ
II. - Les tribunaux français sont compétents pour
juger les contestations entre étrangers .
III. - Les étrangers jouissent en France de tous les
droits civils qui ne leur sont pas refusés par un texte
spécial.
DROIT ROMAIN
Pagea
Préface........ ..... ... .. ..... ................................................................. .....
Époque roya l e.................................................................................
Période r épublicaine, personnel................... .. ................... .... ....... ....
Dépenses................... . . .. . . .. . . . . . . .. .. . . .. . .. . .. . . . . . .. .. .. ... .. . .. .. . . .... .. ...... .. .... ...
Recettes .. .. . . . ... . . .. . .. .. . ... . . . .. . . . . .. . . ... . .. .. . . . . . .. ...... .. .. ... ... .. ... ... .. . ... . .. . ... ..
Fonctionnement de l'administration ... ............ ................ . ......... ........... ·
Époque impérial e.......... ... .... .. ...... ..................................... ..........
Personnel et situation du Trésor................... ...... . .. ..............................
Fonctionnement de l'administration............................ ...........................
Réforme de Caracalla....... ............................................................... · ·
Fixation du budget par l'empereur .............................................. ······ ·· ··
Intervention du pouvoir judiciaire ................................ ...................... ···
7
9
15
21
25
30
59
61
6g
72
74
75
HISTOIRE DU DROIT
DROIT FRANÇAIS
IV. - L'impôt foncier, dans les provinces romaines,
conserva longtemps le caractère d'une redevance.
Vu par nous, prof1:sseur président de la thèse,
ALFRED GA UTIER.
Vu:
Pour le Doyen, en mission,
Le Professeur le plus ancien,
A. PISON.
Vu et permis d'imprimer :
Le Recteur,
BELIN.
Historique .. .................................... ...................................................
Ressources de l'État sous la Féodalité....................................................
Agents du Trésor .................................... ........................................... ..
Réformes de Philippe le Bel. ..... ................ ........... ...... ·..... ·· ....... ·· ·· ... ·· ··
Système des Fermes ................................ ...................... ...... ........... ···
Louis XI déclare la taille perpétuelle ..................... .. ............. ............. ..
79
8o
Dettes de la France en 1595.................... ·· ····· ········· ··· ............... ········ ·
Situation sous Louis XI V.. .. .............................. ·............. ··· ...... ···· ·· ..
Dette énorme en 1715................ .. .. . •••· •••· . ...... ...... .... .......................
Banqueroute et ga~pillage effrtnè ............................. · ............ · ...... ··
Situation sous Louis XV I. ................................................................. .
Institutions financières sous l'ancien régime ............................... ········· · .. . 99
10
5
Les abus révélés par C.1lonne........................................ ...................... ·
1o.S
Rèlormes opérées par la Constituante .................... · ·· · · · ... ·· ·· ···· ........ ··· · ··
1
Vente des biens du clergé et les assignats .............................................. · 09
112
Proposition de Cambon........ ........... . ....... .. ......... .... ........ ·.. · ····· ·· ······· · ··· ·
11
4
Spéculation des comptables ........................................... · ...... ··· · ·· .... ·· ....
116
Mandats territoriaux et rescriptions .. ...................................................... .
118
Organisation par Bonaparte ................................... ·········· ..... " .............. .
�-
192 Pngea
Formation de la législation actuelle............ ... .............. ..... .....................
Règlement des dépenses et des recettes .............................. ··..................
Fom1e du budget .. ...................................................... · .. · .. · ·.... ·.... ·......
Sa préparation ................. .. .................... ........................ ... · ·.. ... .. .. . .... .
Son vote . ..... ....................................................... ·.... .... ...... · ....... · .. ·.....
Son exécution............................................................. ............. .. . ........
Crédits supplémentaires et extraordinaires........................... ............... .....
Contrôle législatif. .................... . .................. .... ... ...................... .. ... .. .. ·
Contrôle administratif................ ..... . ............... . .... .. .. .. . ... ...... ..... .. . ... .....
Contrôle judiciaire .. .. .. .. .... . .. .. .... . .. .. . .. .... ..... .. . .. . .. .. .. .. ... .. .. ... . ..... ... .... .. .
Caisses noires et mandats fictifs.. .. ............................... .. ......... .. . .. ... .......
Impossibilité de prévenir les abus............ . .. .... ............. .... ..... .... . ............
Message de Thiers ....... .. .. ...................... ,.... ....... ..... .. .. .. ... . ........ .. .. .....
Situation financière en 1872 .. .... . ... .. ... .. ... .. .. .... ... .... . . .. .. .. ... .. .. .. ..... .. .. . .. .
Sit11ation actuelle et budgets moyens, depuis 1814 jusqu'à nos jours... .........
Positions...... ....... .. .................. ....... .. ................. . ...... ... ........ ... .. .... . .... ..
/~~
-
\~~:-\
l
---
\
/
9772. - Dordeaux, \'• Carlorct, impl'., rue .Montméjan, 11.
122
127
132
134
137
144
151
r57
100
165
168
177
179
182
185
18g
�
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Droit romain : administration financière ; Droit français : principes de comptabilité publique : Thèse pour le doctorat...
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Le Coz, Armand
Faculté de droit (Aix-en-Provence, Bouches-du-Rhône ; 1...-1896). Organisme de soutenance
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES-AIX-T-143
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Impr. de Vve Cadoret (Bordeaux)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1885
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/241566665
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-AIX-T-143_Le-Coz_Administration-financiere_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
192 p.
In-8°
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/449
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Alternative Title
An alternative name for the resource. The distinction between titles and alternative titles is application-specific.
Droit français : principes de comptabilité publique (Autre(s) titre(s))
Abstract
A summary of the resource.
De tous temps et chez tous les peuples, assure l’auteur, on a reconnu la nécessité d’une administration financière organisée et on a tenté de se prémunir contre les malversations et les fraudes qui n’ont pas manqué de survenir. L’auteur dégage les évolutions de l’administration financière romaine tout au long de son histoire, avant de s’intéresser à la formation de la législation moderne en matière de comptabilité publique.
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Subject
The topic of the resource
Finances publiques
Droit fiscal
Droit romain
Description
An account of the resource
Les finances publiques ont toujours été entachées de malversations et de fraudes que seuls des contrôles stricts de toute nature peuvent et doivent tenter de contenir
Finances publiques -- Comptabilité -- Droit -- France -- 19e siècle -- Thèses et écrits académiques
Finances publiques -- Comptabilité -- France -- 19e siècle -- Thèses et écrits académiques
Finances publiques -- Rome -- Thèses et écrits académiques
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/1007/BUSC-5648_Gautier_Rapport-transfert_Marseille.pdf
1b746ecf79b8f0a1cf645e94ef7c6264
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Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
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Title
A name given to the resource
Rapport contre le transfert à Marseille des facultés de Droit et des Lettres d'Aix, présenté par M. Gautier, maire d'Aix au conseil municipal dans sa séance du 11 juin 1885...
Subject
The topic of the resource
Histoire de l'université
Enseignement supérieur
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Gautier, Alfred (1844-1897 ; juriste).. Auteur
Source
A related resource from which the described resource is derived
BU Saint Charles - Sciences, Lettres et Sciences Humaines.(Marseille), cote BUSC 5648 (Réserve)
Publisher
An entity responsible for making the resource available
A. Makaire (Aix)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1885
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : https://www.sudoc.fr/091355206
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/BUSC-5648_Gautier_Rapport-transfert_Marseille_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
19 p.
In-4°
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/1007
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Aix-en-Provence. 18..
Marseille. 18..
Abstract
A summary of the resource.
On peut être très bien par soi-même, donc rien de plus normal que le Maire d'Aix soit l'auteur du rapport qu'il soumet à son Conseil municipal. Premier magistrat de la ville du 3 juin 1884 au 15 décembre 1885, il démissionnera rapidement pour raison de santé, mais réélu le 16 janvier 1886, il n'acceptera cependant qu'un poste de conseiller municipal (ce n'était pas du chiquet, il décèdera l'année suivante).<br /><br />Pourquoi Alfred Gautier est le mieux placé pour défendre ce dossier ? Parce qu'il connaît bien la maison et plaide pour sa propre paroisse : licencié en droit à Aix en 1866, docteur en 1868, professeur agrégé à la Faculté de Grenoble en 1871, puis à la Faculté de droit d'Aix de 1872-1876 où il devient titulaire de la chaire de droit administratif de 1876-1893 et y enseigne également l'histoire du droit, à partir de 1879. Il se mettra en congé de la faculté à partir de 1893.<br /><br />Être juriste (et politique...) n'oblige pas à recourir à des arguments spécieux. Si on regarde la chronologie sous le seul angle institutionnel et administratif, les choses semblent assez équilibrées :<br />
<ul>
<li>1808, création de l'université impériale, à Aix, l'École de droit devient une Faculté</li>
<li>1809, toujours à Aix, la Faculté de théologie est rétablie. Elle sera supprimée en 1885 (mesure nationale de suppression des crédits à toute les Facultés catholiques)</li>
<li>1818, une Ecole de médecine est fondée à Marseille (pas une Faculté)</li>
<li>1854, la cité phocéenne est dotée d'une Faculté des sciences</li>
<li>1856, la Faculté des lettres est créée à Aix</li>
</ul>
Après la réforme de 1885, la carte universitaire paraît équitable. A ceci près que l'évolution démographique des deux villes au cours du 19e siècle a suivi deux voies très différentes, voire opposées. En 1790, les statistiques officielles du Département des Bouches-du-Rhône comptabilisent 106 000 habitants à Marseille contre 27 000 à Aix. Près d'un siècle plus tard, en 1886, période du rapport municipal, la population de Marseille est passée à 375 000 et celle d'Aix à 29 000 (en 1905, Marseille franchira la barre des 550 000 habitants, alors qu'en 1906, Aix atteindra péniblement les 30 000 (chiffres du Ministère de la Culture). Pour les experts, le bilan démographique est sans nuance : la population aixoise a stagné durant tout le 19e siècle alors que celle de Marseille a plus que triplé. Si cette blance n'est pas le seul facteur explicatif, elle constitue au moins une source de frustration. Ainsi, entre la fin du 18e et le début du 20e siècle, le rapport proportionnel Marseille/Aix passe de 4 à 13, une disproportion qui pourrait justifier un cliché : l'ancienne capitale provençale traditionnelle, bourgeoise, rentière et frileuse tourne le dos à sa bruyante voisine portuaire dynamique, cosmopolite et populaire. Un avant-goût moins littéraire de deux mondes qui s'opposent, Giono vs Pagnol.<br /><br />
<div><img src="https://odyssee.univ-amu.fr/files/fullsize/Rapport_Dieulafait_1855.jpg" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></div>
<div style="text-align: center;"><em>Rapport sur la Faculté des sciences : la petite phrase qui fâche... (Dieulafait, 1885)</em></div>
<br />Et Aix fait tout pour cela avec une première justification d'ordre historique : en raison de leur ancienneté, le transfert des Facultés serait injuste (on était là les premiers). La seconde justification est d'ordre géographique : l'avenir de Marseille n'est pas intellectuel mais économique et commercial avec les transports maritimes méditerranéens et coloniaux (à chacun sa place). La troisième justification est culturelle : Aix est un centre de ressources, avec sa magnifique bibliothèque Méjanes, notamment (on a le patrimoine). La quatrième justification est financière : Aix s'est endettée pour entretenir les infrastructures universitaires, elle en attend un juste retour sur investissements (justificatifs de dépenses à l'appui).<br /><br />S'il insiste peu sur cet aspect (une citation minimale en bas de page), le rapport est une réaction d'urgence au projet présenté par Louis Dieulafait, professeur de géologie à la Faculté des Sciences et membre du conseil municipal de Marseille, projet qui ne vise rien d'autre que de <em>rassembler toutes les Facultés en un seul grand centre universitaire</em> (4).<br /><br />Le plaidoyer de Gautier sera repris deux ans plus tard par ses anciens collègues (qui abandonneront les statistiques des effectifs étudiants des grandes villes françaises glissées en fin de rapport, statistiques mollement convaincantes) : peu imaginatifs, ils répèteront les mêmes arguments alors qu'au cours du 20e siècle, Marseille ne renoncera jamais totalement à certaines revendications...<br /><br />______________<br />1. Statistique du département des Bouches-du-Rhône, avec Atlas. Dédiée au Roi Par M. Le Comte de Villeneuve, Maitre des requêtes, préfet des Bouches-du-Rhône, membre de l'Académie royale de Marseille, de la société d'Agriculture, Sciences et Arts d'Agen, de la Société royale des Antiquaires de France, de la Société des Amis des sciences, des Lettres, de l'Aggriculture, des Arts, séant a Aix, correspondant de l'Académie royale de Turin. Publiée d'après le voeu du Conseil général du département - Tome 3, Livre 5, ère section Etat civil, Chapitre 1 Population - <em>Odyssée</em><br />2. Archives départementales, 1886 - Recensement de la population - <a href="https://www.archives13.fr/archive/recherche/recensement2/n:45" target="_blank" rel="noopener"><em>AD BdR</em></a><br />3. Charbrier, Cabassol et Baron. - Mémoire en défense de la ville d'Aix, dans la question du transfert des Facultés, 19?? - <em><a href="https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/1003" target="_blank" rel="noopener">Odyssée</a><br /></em>4. Dieulafait, Louis. - Rapport sur la Faculté des sciences et l'enseignement supérieur... (mise en ligne prochainement sur Odyssée<em>).</em> Polémique maudite ? Un an après la publication du rapport de Gautier, Louis Dieulafait décèdera.<em><br /></em>
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
BU Saint Charles - Sciences, Lettres et Sciences Humaines (Marseille)
Description
An account of the resource
L'appétit vient-il en mangeant ? C'est ce que doit méditer la ville d'Aix-en-Provence en matière universitaire devant la gourmandise de Marseille : après les Sciences et la Médecine, pourquoi en rester là. Et le Droit et les Lettres ?
Droit -- Étude et enseignement -- France -- Marseille (Bouches-du-Rhône) -- 20e siècle
Écoles privées -- Marseille (Bouches-du-Rhône) -- 20e siècle
Enseignement supérieur -- Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) -- 20e siècle
Enseignement supérieur -- Marseille (Bouches-du-Rhône) -- 20e siècle
Faculté de droit -- France -- Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) -- 19e siècle
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/1012/BUSC-11376_Dieulafait_Rapport-Faculte-Sc.pdf
74bbe1d58da1af3f812b0c2b6c8cb884
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Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
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Title
A name given to the resource
Rapport sur la Faculté des sciences et l'enseignement supérieur présenté au Conseil municipal dans la séance du 18 mai 1885
Subject
The topic of the resource
Histoire de l'université
Enseignement supérieur
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Dieulafait, Louis (1830-1886). Auteur
Source
A related resource from which the described resource is derived
BU Saint Charles - Sciences, Lettres et Sciences Humaines.(Marseille), cote BUSC 11376 (Réserve)
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Imprimerie du port (Marseille)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1885
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : https://www.sudoc.fr/091263530
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/BUSC-11376_Dieulafait_Rapport-Faculte-Sc_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
16 p.
in-8°
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/1012
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Marseille. 18..
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
BU Saint Charles - Sciences, Lettres et Sciences Humaines (Marseille)
Abstract
A summary of the resource.
Ex-dono manuscrit "<em>A la bibliothèque de la Faculté des Sciences, don de l'auteur</em>".<br /><br />Mention en page de titre "<em>Monsieur Dieulafait, Conseiller rapporteur, professeur à la Faculté des Sciences</em>".<br /><br />Nous sommes à la fin du 19e siècle et il faut regarder les choses en face : Marseille a assez perdu de temps dans les dossiers de création des Facultés. Puisque tout le monde est d'accord (1), il faut juste entrer en négociation avec le Ministre de l'Instruction publique pour l'installation de la nouvelle Université sur les terrains de l'ancien cimetière Saint-Charles. La place ne manque pas, facile à vérifier.<br /><br />
<div><img src="https://odyssee.univ-amu.fr/files/fullsize/Cimetiere-St-Charles_St-Martin-Marseille_1896.jpg" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></div>
<div style="text-align: center;"><em>Les cimetières St Charles et St Martin (Cliché Marseille-Provence, 1896)</em></div>
<br />Bien sûr, il reste quelques détails à régler : il n'y a pas encore de Faculté de médecine à Marseille, seulement une <span class="detail_value"><span>É</span>cole de médecine de plein exercice tout juste créée 10 ans plus tôt, mais il s'agit d'une question purement administrative et le projet est déjà dans l'air du temps. Il y aussi l'aspect politique de l'affaire, un peu plus délicat : il faudra évidemment <em>transférer</em> les Facultés de Droit et des Lettres </span>d'Aix à Marseille. On pourra regretter qu'Aix, assez susceptible, trop sûre de ses privilèges et trop enfermée dans le passé, y soit hostile et en fasse une question de principe (2).<br /><br />Dans cette polémique assez surprenante et peu connue, l'argumentaire de la ville de Marseille a toutes les apparences de la bonne foi : il faut être lucide, le monde a effectivement changé. Le centre de gravité de la région a quitté l'ancienne Provence politique, traditionnelle et rurale pour gagner le rivage de la Méditerranée, zone où se font les croissances économiques et démographiques. Depuis le milieu du 19e siècle, la France s'industrialise, le rôle du politique est de favoriser l'économie et le facteur déterminant de ces échanges sont les moyens de communication. L'ancienne capitale du Comté ne semble pas avoir compris que Marseille, stimulée par la concurrence des grands ports méditerranéens et atlantiques et dopée par le commerce colonial, s'était lancée dans une course aux voies et aux moyens de transports maritimes, fluviaux, routiers et ferroviaires et prenait une place centrale dans les stratégies d'aménagement du territoire et le choix des grandes infrastructures de portée nationale. Une tendance qui ne fera que s'amplifier à la suite des conflits mondiaux du 20e siècle.<br /><br />
<div><img src="https://odyssee.univ-amu.fr/files/thumbnails/Pharo-siege-Aix-Marseille-universite.jpg" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></div>
<div style="text-align: center;"><em>Le Palais du Pharo, siège d'Aix-Marseille Université (2012)</em></div>
<br />Alors, une péripétie de plus dans le rapport de force qu'entretiennent les deux villes qui revendiquent la légitimité de certains dossiers* ? Certainement, un désaccord d'abord attisé par l'attitude inflexible d'Aix, sûre et certaine de son bon droit et sourde à toutes les demandes de Marseille : au 19e siècle, la seconde ville de France n'aura obtenu que la création d'une Faculté des Sciences, très chichement lotie, ce qui justifiera le présent rapport. Une faiblesse que dénoncera Aix dans un contre-rapport comme l'exemple de l'incompétence de la ville portuaire et qui raillera les tentatives de créer une université municipale (3), oubliant les cours du soir et l'éducation populaire financés sur le budget de la ville (Marseille n'a cependant pas toujours été très rigoureuse avec certaines subventions de l'État). Une mésentente entretenue par un redoutable mille-feuille administratif qui multiplie les strates décisionnaires (jusqu'à 12 instances pour certains équipements régionaux, à la fin du 20e siècle), atténuée aujourd'hui par des structures, élues ou nommées, plus collaboratives.<br /><br />Alors, un remake du combat de David contre Goliath ? Certainement pas : moyennant une certaine mixité bilatérale des sites universitaires, Aix ne cèdera jamais le siège de ses deux Facultés historiques (Droit et Lettres) et imaginera même, au début du 21e siècle, devenir le futur siège d'une possible université unique. Mais elle sous-estimera le poids économique et le lobbying politique de l'agglomération portuaire. Un dernier round ? En intégrant en 2012 une aile du Palais du Pharo (ancienne Faculté de Médecine et de Pharmacie) qui encadre l'entrée du Vieux Port avec le Fort Saint-Jean, gardien de la passe, le siège de la nouvelle université (ré)unifiée s'est résolument tourné vers la Méditerranée.<br />__________<br />1. Borrely, A. (fils). - Mémoire adressé au Conseil municipal de la ville de Marseille, 1884. - <a href="https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/1008" target="_blank" rel="noopener"><em>Odyssée</em></a><br />2. Gautier, Alfred. - Rapport contre le transfert à Marseille des facultés de Droit et des Lettres d'Aix, présenté par M. Gautier, maire d'Aix au conseil municipal dans sa séance du 11 juin 1885... - <a href="https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/1007." target="_blank" rel="noopener"><em>Odyssée</em></a><br />* on remarquera que les textes très polémiques cités ici, sont parfois tenus par des universitaires et sont tous débattus dans le cadre des Conseils municipaux des deux villes et pas dans celui des Conseils de Faculté.<br />3. Charbrier, Cabassol & Baron. - Mémoire en défense de la ville d'Aix, dans la question du transfert des Facultés, 1884. - <em><a href="”https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/1003" target="_blank" rel="noopener">Odyssée</a></em>
Description
An account of the resource
Affaire conclue : dès que l'Etat est d'accord, on construit l'Université de Provence à St Charles avec ses quatre Facultés. En attendant la Médecine, le Droit et les Lettres, on commence tout de suite par la Faculté des Sciences !
École de médecine et de pharmacie (Marseille, 1818-1929)
Enseignement supérieur -- Marseille (Bouches-du-Rhône) -- 20e siècle
Faculté des sciences -- France -- Marseille (Bouches-du-Rhône) -- 19e siècle