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7fb3ff0823940a13bfedd82781af191c
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Text
FACULTÉ DE DROIT D'AIX
DROIT ROMAIN
DROIT
-
LA TRADITION
DE
DES DONS MANUELS
FRANÇAIS -
-~
'
f
THÈSE
POUR LE DOCTORAT EN DROIT
présentée et soutenue le 10 avril 1886
PAJ\
JEAN-JULES
PRADELLE
1
AVOC.LT A LA COUR D APPKL DB NDIJIS
--·
c '
NIMES
IMPRIMERIE
1fil\m\ÎÏIÏÎlllÏiiîii'fü'Il
100215456
GERVAIS-BEDOT
Pince de Io. Cathédrale
1886
�FACULTÉ DE DROIT D'AIX
MM. Alfred JOURDAN , doyen, pr ofesseur d'Économie politil{ue .
PISON , professeur de Droit Civil.
LAURIN, professeur de Droit commercial.
GAUTIER, professeur de Droit admini.stratif, chargé du cours
d' Histoirc du Droit pour le Doctorat.
BRY , professeur de Droit romain, chargé du cours de Pandectes.
De PITTI-FERRANDI , professeur de Législation criminelle ,
char gé d u cours d'Enregistrement et de Notariat.
Edouard JOURDAN , professeur de Droit civil, chargé du
cours de Droit constitutionnel.
VERMOND , professeur agrégé, chargé du cours de Droit romain .
MÉRIGNHAC , agrégé, chargé du cours de Code civil.
TIMBAL , agrégé, chargé du cours de Droit international privé.
BOUVIER-BANGILLON, ngrégé, chargé du cour s de Procédure
civile.
MOREAU , chargé du Cours de l'Histoire du Droit.
CARBONEL, () J. . licencié en droit , secrétaire .
CAPDENAT , () 0 , bibliothécaire.
SUFFRAGANTS
MM, Edouard JOURDAN , pr ésident.
De PITTI-FERRANDI
TIMBAL ,
VERMOND.
'l
asses1eura.
�DE LA TRADITION
C ll APITRE I.
INTRODUCTION
H1sTo n1QUE : La tradition ne fol pa s de tout temp
rnod e de lrans fcrt de la propriété.
un
CIIAPlTR!i: li .
CARACTÈRES ET ÉLÉMENTS
1° CARACTÈngs : La LradiLion e t un mode dérivé; la lradiLion e L un mode du droit des g ens.
·,
2° ÉLÉMEJ:\TS
:
1° Corpus. Définition . Traditio longa manu,
LradiLion symbo li que , con stitul po ssessoire, trarlitio breCJi manu.
2° Justa causa. Dé finition , conséquences :
app lica ti on à des hy pothèses par ticuli ères,
CHAPJTRE 111.
OBJET
RE s TR.\DITA. Doit N re :
l 0 ln commercio. Cc qui exclut les ressacrœ,
les res religiosœ et les res sanctœ.
2° Bes 11ec mrmcipi. Développement s au
uj cl de la divi sion des cho ses e u res m ancipi cl nec m rmcipi.
3° aes corporntis . E xception en cc qui concerne les scrYitud cs vers la fin du premi er
siècle.
�-2-
CHAPITRE IV.
CAPACITÉ
DES PARTIES
CONTR~CTANTES
-.
1° TRADENS. Il doit être :
1° Propriélai re ; excep ti 1ns ;
2° Capable d 'ali éner ; exceptions.
2° AccrPIEl'\S . Incapacités générales. cia les.
BIBLIOGRAPHIE
Accarias:
Précis de Droit romain.
Didier-Pailhé :
Cours élémentaire de Droit romain.
Incapacités spé-
APPENDlCE. Tradition par mandataire, tant pour acqu érir
que pour aliéne r.
Bouvier-Baugillon : De la Tradition ;considérée comme
mode translatif de P..ropriété. Paris,
1877.
CHAPITRE V.
EFFETS
LA
TRADITION TRANSFÈRE
Fr. de Raymond : De la Tradition : Toulouse, 1882.
LA
PROPRJ ÉTÉ
EXCEPTIONS : 1° Pour la tradition des res mancipi. Développements à ce s ujet.
2° Pour la cho e vendue . Explications et
exa men cle divers cas.
APPENDICE. De la Lraditio incerlœ personœ.
CHAPITRE VI.
MODALITÉS
00;\T LA 'rft.\D lTION
1° CONDITION ( a)
( b)
(a)
(b)
PEUT ÈTI\E
AFFECTÉE
suspensive;
résolutoire.
exlin ctif;
r ésolutoire.
r
�DROIT ROMAIN
L
DE J_JA TRADITION
CHAPITRE J
lntroduediou.
La tradition se pré e nte i1 nou s comm e le mode le plus
sim p le e t le plu s expéditif d e tran fé re r la prop1·ié té. Mai s
par cela m ê me, la tradition n e dut pa s de tout tc mp à
Rome ê tre cons idé r ée comm c telle . A l'origine la loi romain e
entourait d e sole nnit és fort rig oure u ses les tran action s
qui inte rvenaient e n! re citoyen s ; et encore ne sanctionnait-elle que les t ran sactions fait es par les citoyen s romains e ux-mê me .
Le n e.rnm , cc ty pe primi tif <l e contrat , put se ul, aux
pre mie r ~ te mps d e Rom e, c rYir ù tran sférer la propri é té .
L 'emploi de l'airain c l de la bal an ce, la présence de
té moin s, d es formules sacram ent e ll es, Yoilù cc qui caracté risait le 11exu m . San s dout e, le con entc me ot des parties
é tait 11écessaire pour op é re r le trao fcrt de propri été;
mais il n 'était point uffisant, c l l'on p eut m è me dire qu 'il
était en qu e lqu e sorte r e légu é au second plan . Si e n e ffe t,
cc con sc ntc1n cnl n e t'C\' Ùlail pas la forme qu e la loi imposait, il n 'étaiL point con idér 6 comm e obligatoire; cc consentem e nt <levai t, po ur a ins i <lire, Nrn coulé dans un
moule pour obtenir c fli cacité . - 11 est donc bien pe u
�-5-4-
1
1
probable qu'à l'époque ancienne oü l e formalisme romain r égnait dans toute a rigueur, la tradition ail pu
ôtrc considérée comme mode <le transfert de propriété .
La Lradilion n'élail cl o c pouvail êtr e qu e l'exécution m ê me
dn ne.x:um ; elle en élail, à proprc111cnl parler , la dernière
phase. Son domaine propre était la po ssession. Et encore
n'entendons-nous parl e r ici que de la possession matérielle, la détention : celle qui mcl la cho se vendue ou
donnée à la dispositi on de l'acqu é re ur ou du donataire.
Il en fut pour le transfert de la propt'iété comme pour
la création des obligation . Ces dernière .. , à l 'origine , n e
pouvaient prendre nai sanceq ue tout autant que les parties
contractantes avaient e mpl oyé des te rm es sacramente ls.
La formule : Spondesne Spondeo? qui seule réalisait l e
contrat de stipu lation , en gendrait se ule le droit du créan cier et l'obligation du débiteur. Si à ces termes rigoureusement exi.gés on en s ubstituait d 'autres, il n 'y avait
point de stipulation.
Quoi d'étonnant que la législation rom aine a it toujours
conservé le même ca ractèr e formali s te, dans cette m arche
parallèle des droits r ée l cl des droits pers onnels ? Dans
l es deux cas, en effet, cc s ont des droits qui s ont trans mis;
c'est à dire des droil qui passent d ' un patrimoine dans
un autre. Il n'y avait poiol de raison pour que l a loi
réservât ses faveurs aux premiers e t l es re fusât aux
seconds. De même donc qu e les expressions : Promittis
ne? Promitto, n'aurai ent point engendré une obligation ;
de mêm e l a simple ti·aditioo , mode dénué de Loul e solennité, ne dut pas servir à l'ori g ine :1transférer l a propriété .
Plu s lar<l , quand le co mm er ce c ul pris <lu <lévcloppcrnenl; quand Rome ayaul ageandi ses conquê tes, fut
1~ise en relatiou avec bon nombre de p euples, le formalisme primitif tomba qu elqu e p eu en désué tud e. Les transactions devenant plus fréquentes, non seul ement entre
c~toye.ns, mai s encore avec l es peuples du dehors il fallut
s11nphfler
toutes
les solen nités d' au t re101s;
" . et l a trad1l1on
, ..
.
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qui tout d abord ne pouvait transférer que l a
d d ,
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• nu a eeu /,S O,. scrnl :bo rd it l ransfé re r la possessio ciCJilis ad
usucapwnem
c l . frnal
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, c inenl la 1>ropriélé e 11 c-m vme.
11 est
oule101s Hen dt!T1cilc tl 'incli<ru er la date
p
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1 c1sc à 1aquelle
se fiircnt ces c hange ment s.
Remarquon
s cependant que la lé gis
. l at1on
. romarnc
. con.
serva
.
,· . lOllJOllrs les
. . vcsti
_- no-es du riorma l'1s mc antique.
Le
p1 rnc1pe
:
Tracl1tton1bus
et
usucanionib
.
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i . .
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us ' non nudts
paclts'
.
' . L (i omt
. Il w .rerum n on transt'Ferzu•t
• u1 . f u t lou1ours
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ne r evêtit J·amai ::.~ 1e caractère spin..
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partes
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. , nous allons examiner la trad't'
i ion comme mode.
tran sla tif de proprié té.
�-6-
-7-
CIL\PITRE Il
ment à quelqu'un qui ne l 'a reçu de personne et qui le
fit nailr e à son profil.
Cai•octèi•es et Élénacnts.
PRI)!CIPE DU TR.\ :-.JSFERT DE PROPRIÉTÉ
(lnst., li\'. Il, tit. l , § 40)
§ I. -
CA J'\.\CTÈl\ES.
Indépendamm ent de ses élémen t constitutifs que nou s
exam inerons tout à l'heu re, la tradition nous offre deux
caractères :
i 0 D'abord la tradition c ~t un mocle dérivé d'acquéri r
la propriété.
. .
Les modes d'acquisition de la propriété se d1nsent en
modes originaires et en modes dérivés . Les premiers
s'ap pliquent aux cho es qui n 'appartiennent à per sonn e,
aux res nullius. Les ccond s'a ppliquent aux choses dont
on acquier t la propriété qui appartenait déjà i1 un e aulrc
personne. 11 n'y a qu 'un mode originaire : c'est l'occupation. Tous les autres modes, p 1r co nséqu en t la tradition ,
sont des modes dériv és . Il est faci le de voir les différences ·
qui séparent ces deux catégori e de modes d'acquisition.
Dans l'une il y a créati on du droit de propriété; dan s l'au trc,
il y a transmission de ce droit. Dans la premièr e, i l n 'y a
qu'une per sonne en jeu , qui mani feste directement sa
yolonté; dans la seconde, il y en a clenx , dont les volontés
doivent concourir pour qu'il y ait tran sfert de propriété,
en d'au tres termes pour qu'il y ail contrat.
La distinction de ces deux catégo ries n 'est pas sa ns
intérêt. .\u point de vu e philo sophique cl au po int de vue
historique, l 'occu pal ion csl ant érie ure h Lous les au trcs
modes d'acquérir. F:n effet , co mm ent tran smettre un droit
de propriété, si déjà cc dro it de propri été n'existe pas?
en remontant la fili ère <le ce ux qui se so nt transmis s ur
une même chose le droit de propri été, on arrive forcé-
Mai s au point de vue juridique, le se ul qui nou s intér esse, il importe de di sling ucr l'occupation des au tres
modes. Dan s l'o ccu pation , celui qui devient propriélail'c
ne s uc cède à personne, puisque son droit porte s ur une
res rwllius, dans les autres , au contraire, nous succédons
naturellement à qu elqu 'un ; la con séquence, c'est que
dans le premier cas, nous acquérons la propriété franche
et libre de Loule charge; au contra ire, par les autres modes
nous n 'acquérons l 'obj et que grevé des droits réels qui
pèsent s ur lui et qui en restreig nent l'utilit é ; nu l, en
effet, ne peut transmettre plu s de droits qu'il n'en a luimême.
Les modes dérivés, à leur tour , se subdivisent en modes
volontaires el en modes non volontaires. Les modes
volontaires, man cipation, in jure cessio, tradition, sont
ceux qui sont l'exécution d'un contrat ; ils supposen t
nécessa irement l'accord de deux volontés ; et les formalités qu 'il s ex igent, il dépend de nous de l es accomplir.
Le au lrc modes : usucap ion, adjudicalion et la loi,
supposen t bien sans doute notre Yolonté; mais ils s'accomplissent dans des circon stances qui son t plus ou
moin indépendante de notre volonté: l'usucapion suppose la possession prolongée pendant un certain tcm p ;
l'adjud ication s uppose ordinairement un état d'indivision ;
el enfin la loi, en matière <le testament ou de nccession,
par exemple, s up pose le décès clu le taleur.
On voit toul de s t1ile pa r là que les modes Yolontaire
sont les plu s us uels c l ce ux qni constituent à proprement
parler les transactions; les autre n'o pèrent pas immédiatement.
2° La tradition est, co mm e l 'occupation , un mode du
droit des t>O"ens ) en d'autres termes, c'est un mode d'acqui-
�-8sitton accessible à toute per onnes, à la di[érenre des
autres modes qui ne peuvent être employé qu e par les
citoyens romains, les Latins on les pér égrins qui ont
obtenu le jus commercii.
Comme on le Yoit, c'est un mod e plus large que les
autres, et qui plus que le s autres f'a cilitc l es tran sactions .
La simplicit é de cc mod e le prédestinait à recevoir celle
large application ; c'est en qu e lqu e sorte un mode de
droit naturel.
Mais le jour oil l e droit de cit é romain e fut étendu , sou s
Caracalla, à tous les suj et de l'empire, ce lle division des
modes d'acquérir perdit tout à fait son importance.
§
JJ. -
ÉLÉMENTS
Quant aux éléments essent iels de la tradition , ils sont
au nombre de deux : le corpus et la Justa causa tradi-
tioni.s.
/\.
-
Co1ÏJll S
Le corpus es t la remi se matérielle de l'objet faite par le
tradens à l'accipiens. C'est l'élément physiqu e de la tradition , par opposition ~\ l'élément int ell ectuel , la jusla
causa traditionis, dont nou s nous entreti endrons tou t à
l'heure.
Le corpus, avons-nou s <lit , est la r emise matérielle de
l'obj et. 11 ne fa udrait cependant pas prend re ces mols à la
lettre , et croire par exe mpl e qu e si j e veux vo us tran sférer
la propriété d'un objet d'un poids énorm e, j e n e le pourrai pas, parce qne je ne pourrai pas réaliser Le corpus.
Aussi est-il plus exact de dire qu e le corpus est r éalisé
lorsque la chose est remi se il votre dis pos ition phys ique.
En d'a utres termes, le corplls, r'es t la pos ibilil é matérielle pour l'accipie11s de di s pose r de la chose à son g ré.
Les Rom ains ont fait app li ca tion de cc princip e à différentes hypothèses.
-9Par exemple , si j e vous conduis devant la chose afin
que .v.ou s puissiez en prendre Yons-m ~ m e possession, la
l~ad1~1~n sera consid 6rée comm e faite. lei la présence de
l acc1pte11s remplace le fait de l'app réhension manu elle .
Nou s tronvon s ce lle règle dans différents textes :
Loi 79, D., liv. XLV L, l. 3. - Pecuniam qllarn mihi
debe~ aut alimn rem si in conspectu meo p onere te jllbeam,
efficitur ut et lu statim libereris et mea esse incipiat, nam
tum quod a nullo corporaliter ejus rei possessio detineretur, adquisita mihi et quodommodo manu longa tradita
e.x;istimanda est.
Loi 1, § 21, D., liv. X LI , t. 2. - Si jussuim venditorem procuratori rem tradue, cum ea in prœsentia sil ,
videri mihi traditam Priscus ail, idemque esse si nummos
debitorem jusserim alii dare ; non enim c01p ore et tactu
necesse adprehendere possessionem, sed etiam oculis et
affectu .....
Dans ces di verses hy pothèses, la tradition ne s'op èr e
pas directement du trade11s à l'accip iens. Dans la première , l 'obj et de la trad ition es t seulement remis devant
moi ; dans la seconde, c'est un autre qui , en mon nom et
sur mon or d re, prend possession de la chose .
Les jurisconsult e appellent cette tradition : Traditio
longa manrt; les yeux font ici l'office de la main ; ils
sont en q uelqu e sorte la mai n allongée; le yeux all eig nent la chose, il s la louchent de loin.
On trouve encore clans d'autr es textes la consécration
de cette doctrine :
Loi 31, § 1, D. , li v. xxx1x, t. 5, pose l'exemple suiyant :
« Une m ère livre à son gendre, au nom <le sa fill e, des
esp èces extra dotem : la fille est supposée prœsens. Or,
au dire du juriscons ullc, c'es t la fill e qui a fait tradition à
son mari. C'est donc qu 'elle a r ec: u e ll e- m ~ m e lraclili on
pour pouvoir la fair e à son tour. C'est par sa présence
seule qu'elle a pri s part à ces deux opérations.
�-11-
-10-
vel~ti si 1:em qu~~ co'!2modavi aut locaCJi tibi apud te depo-
. 14 § 1 D. liv. xvm, t . 7, in fine, dit: Videriautem
L oi ' ' ' '
.
d
trabes traditas quas emptor signasset. .
' s t certainement pa dan le fait de mar~uer c.s
cc fait
·
C e n e~
pe ut cons i ter l'apprellensw ; m~ns
eut la présence de l'acheteur , e t c'est
.
poutres que
sui, vendidero tibit ; ltcet enim ex ea causa tibi non tradiderim , eo tamen quod patior eam ex causa emptionis apud
te esse, tuam efficio.
'
s uppose n éccssa1rcm
t"Luc l'a\)pr6h en s ion manuelle .
.
l " é ·1 l
cette présence qui cons t
cas où le corJ'JUS est r é a i s ; i c
.
.
T el est nu premier
de vous r emcLtre l a cho se chr ectel"
.
d
.
.
sera en core s1, au ie u
e ts l es clefs du local qm l a contie nt, c
.
d 1
m ent Je vou s r em
)Oll
façon, à ce que vous puissiez allor la prendre quan
l a propn é té se transférait san s tradition. C'est là un langage crr~né e t une idée conlraire aux principes romains,
et contraire, en oulrc, a ux textes : nou s lis ons, en effet,
dan s mainl Lexte :
vous semblera.
_
t
D .
.
.
L oi9 §6, ., 11v.xL1, . 1
Ju s lin~en el Gaius au ssi ont pré tendu que dan s ce cas
Loi_~, D_- , De ob lig. el ac t. 44, liv. xx, c. De pactis, 2-3. Traditwnibus et usucapionibus, non nudis pactis, dominia
rerum transfernntur.
.
.
Item si. quis merces m
.
.
horreo ~epositas vendidcrit, simul atque clav~s horrel tradiderit emptori transfert proprietatem mercium ad emptof
.
Certains auteurs ont vu dans la remise ~es cle s une
tradition symbol ique , l es clefs seraient le s1g n e, l e sym-
rem.
bole de l a p ossession.
Nous ne croyons pas cependant qu e cc ~o it l à l 'idée
En cœel s'il en 6Lail ainsi, la r em ise <les cl efs
·
'
11
romaine.
au rail <lù emporter tradition de la cho ~c, alors m ê~nc. qu~
cette remise eùl lien à une grande d1"tance dc_ l obJet a
livrer ; el cependant un texte de Papi ni('n 1.101 7 4, D"
t. 1 ) nou s prouve qu'il fallait que les clefs
.,
.
11'. XVII ,
fussen t remises apucl horrea , de telle façon que l'_accipiens, eûL réellement l'obj et à c;a d isposition physique.
La tradition est donc bien une tr adi tion réelle et non une
. .
tradition symboliqu e.
11 y aura encore r éa lisation <lu co1pus dans un lro1 s1è mc
cas. Primus, par exem ple , csLmon locataire ou mon commodataire ; je lui vends la chose l ouée. La tradition s era
réputée accompli e, c l 1'accipiens sera du m ême coup propriétaire.
Loi 9, §V, D., liv. x-v1, t . 1. -
.
Jnterdum etiam sine traditione nuda CJolrintas do mini sufficit ad rem transferendam;
Mais al ors, dira-l-on, il y a contradiction e ntre ces divers
textes, e t qu e l est des deux celui qu 'il faut adopter?
., ~e~ vé ritables prin cipes sont dans le dernier texte que
.1 a1 cité, c~ p_our p e n que l'on ré fl échisse, l'on verra qu e
la contrad 1ct1on entre l es deux textes est plu s appar ente
qu e réelle. - En elfe ~ , la loi 9 veut dire que dans l e cas
particulier qu 'elle cile, le transfert de propriété s'opèr e
e ou s uive
san s qu'il y ait une trad itio n qui accompao-n
0
.
immédiatemcnl l 'accord des parties, co mm e cela a lie u
dans l a plu part des cas; mais ce la ne veut pa dire que
l e transfcrl soit opéré en dehors de toute Lradition. La
tradition 6lail déja accomplie, il était inutile de la renouvel er; m ai s si déjà c lic n'avait pas été faite, la propriété
n 'aurait pas é té tran férée nuda c•oluntate. Ce qui vient
confirmer ce tt e interprétation, c'est la fin m êm e clu tex te:
Licet enim, etc ... Ces mol sign ifien t que la tradition n'esl
p as faite en exéc ution mè me de la vente, mais qu 'elle éLai L
d6jà faite à un autre titre ; mais c'est précisément parce
qu 'ello est d6jà faite , que la propriété est transférée: Tuam
efficio.
Du m ême coup , je réfute un autre système qui ve ut que
élans cette espèce, il y ait une traditio ficta ; la tradilion
�-
-12n 'a be oin ni n'ttrc n égligée , ni <l' être r é putée accomplie.
Elle aYait déjà été e ffectu ée ; e n présen ce de cc fait, y
a-t-il n écessité d e r eco uril' ~\ un e fic tion ?
Prenons maintenant l'hypothèse inYcrse . J e dé tiens une
chose comme proprié taire; je vo n s la vends ; puis j e la
crarde comme fermier ou comm e d é pos itaire. C' est le cons;itut p ossessoire. Ici en cor e i l n 'es t pas beso in d' une fi ction
pour e xpliqu er la r éali ation du corpu s. En eŒct , si l'on se
reporte à la dé finition que nou en avons donnée plu s haut ,
on voit tout d e suite qu e l e corp us e trouve r éalisé. Le corpus, aYons-nou s dit , c'est la possibilité matérielle pour
l'accipiens d'avoir la cho e à a dis position. Or, le vende ur
devenu fermier ou locataire a hi en la chose à sa dispo s ition ;
donc le corpus se tro uve r éalisé.
Ainsi dans l e diverse h y poth èses que nous venons d e
pucourir, le corpus a été r éa li sé.
11 est cep endant des cas où l'on r é pute accomplies plus ieurs remises matéri elles qui n 'ont pas é té réelle ment
faites. Exemple : vo ulant vou s prête r de l'argen t. je donne
ordre à mon d ébite ur de s e libér e r entre vos main s. On
s uppose i ci qu e la traditio n a d 'abord é té faite par mon
d ébiteur à mo i , pui par mo i ~l l' e mprunte ur. C'est ce
qu'Ulpien appelle la Lraditio breui manu. U lpi en , Tr . 15,
12, 1. D. Tr . 43, § 1, 23 , 3, D.
Remarquon s imm édiateme nt, avant d'aller plu s loin , qu e
celte hypothèse di[è re de celle que j'ai citée plus h aut :
l oi 1, § 21 }) ., liY. XLI , l. 2.
Dan s la p t·emiè re hy pothèse, la tradition faite pa r mon
d ébiteur à un ti er s sur m on ordre, est fai te en ma présen ce:
à prcu ve les mols: Cam ea in p rœsentia sil . 1c i , au cootrail'C ,
c'est l oin de moi qu e la tradition se fera ; au premie r cas,
c'élail l a traditio longa 11uu111 ; ici c'est la traditio breui manu.
-Mais i l faut n o ter qu e s i les tradition s interm édiaires n e
s'opèr ent pas, la dcrnU~ re, celle qui est fai te à l'accip ien&,
est r éelle; c'est en elle que se résu ment toutes l es a utres;
13-
. .
lication d
et l'on voit e n core là l'a)
.u ~rmcipe qu e nous
.
avons cilé : Traditionib 1 p
us et usucapionibus e tc
..
...
' temps
n 'cxi ta pas d e tout
manu
breui
tradtlto
La
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les
contre
éaction
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une
ut
f
principes du vieux droit romain
.
l
A l 'or· .
le fâ't1~~ne, nu ne pouvait acquérir un droit de créance pa~
u1~ c per s onne qu'on n 'avait pas s ou s s a uis
. i
Si .nous fai son s applicaliou. de cette r ègl e aux
. n'au r ai yp a
th escs qu e. nous avons citées .. d·ans un cas Je
d~nx :ne:~
l'emprunleu~
acqu~rir
;ait~
s
par le
une action contre
pu
e
mon d ébite ur ; dan le second cas la femme '
n aura pas pu
'
·
é
devenir
cr anc ièr e d e s on mari. Mais les nécessités de la
.
pratiq.u e. firent oublier tant de rigue ur.
. la, qu ' une déci ~ ion de
(Fr
Afr1cam
. . 34, pr . 17 ' i ) n e voit
.
pur~ b1e1.ive illa nce; Ulpi cn , au contraire, y voiL un )rocrrès
· .
I
"
Q
ion
avec préc1
.· U O l q ll ' 1l e n SOÎt, il e t difficile d''rn d iquer
~
<l
que lle dat e cc prog r ès
B. -
e serait r éalisé .
Justa causa.
. La jus.ta causa, c'est l' él ément int ellectuel d e la tradi ~1on . Mais s ur la qu es tion de s avoir oü r ésid e cet élé ment
mt cll cctue l , d e ux systèm es se trouvent en présen ce:
La jus ta causa est un contrat o u un fait
quelconqu e e ntra inant comm e con éque ncc la volonté de
tran sfér e r la propri é té e t de fa ire trad ition dan ce but.
D~n : c? ~ys tè1~ e, la tradition n 'est que l 'exéc ution d ' un
fait JUnd iq ue rndé pendan l d 'elle.
A l 'a ppui <le ce ll e opinion , on cite d eux tex tes.
Instù1~te~, ~iv . u , l. 1 , § 40, Gaius, Comm., n , § 20:
!taque si ttb1 uestem tradùlero , sifle ex flenditionis causa
siue e.r donationis' siue quauis alia ex causa' tu a fit
res .
Loi 31 , Pr. D. , li v. XLI , t. 1 : N11 11 quam irnda traditio
tran sfu t dnminium, sed si l'enditio rrut alia qua justa
causa prœcesserit, propter quam tradiJio sequeretur.
1or Sys tè me. -
e~
�-
-14.
que la traditiou à elle
uve nt b ien
. 11 ,
.
i
ces
textes
pro
.
proprié té, si e e n est
Ains '
.
à transfére1 1a
.
t impuissante
é . e ur ou conconulant
l
seu e es
. .
d' n contrat ant ri
as la réalisation u " ·t de 1)ropriété.
P
l . cc trans1e1
é
qui opère, U1,
.
.
t crén éral e m ent a do pt'.
C'est celui qui es o
d' i· é
t
.
.
r écipl'oque
a i n er c
2ma Système. est l'intention
- La Justa causa
l. c - contractantes.
l s de ux par l .,
.
d' e
d'acquérir , ch ez e
,. .
, t plus l'ex écution un
la tradtlion n c
f . . .
Dans ce systè me,
. 11 e~ t elle-même l e ait JUfl. antérieure, mais e e
convention
f l de proprié té.
.
ère tran s e r
.
clique qui op
l . t. fient cette théorie.
Des textes très form e ~ Jus_ i t 2 . De acq uirenda Ciel
. 5 et 33 , D. ' h v. XLl ' . .
Les lois
amittenda possessione.
é é . le ment un cr é ancier, se
lus cr n ra
P
Un acheteur ' ou
o
.
d e la ch ose duc sans
. ê 111e en possession
.
1
meltant de u1-m
d . t pas proprié taire .
.
r
n'en
evien
.
la volonté du d é b iteu '
es t extes. Qu'est-ce a
·
d n ée parc
,
Telle est la solution on
nfond pas avec le
l . ta causa ne se co
E
dire, sin~n qne ~ JUS . ndre la tradition obligato.ire ? • n
faü juridique qui peut r e
1 l vende ur est bien tenu
t par exemp e, e
1
effet, dans aven e,
.
. 1' hete ur prend posses.·
ependanl s1 ac
de faire tra d ilion i c
.
nte m e nt du tra·
sion de la res tradita san s avo ir 1c con~e .
. ,
as tran sfert d e propri é te.
dens , il n y aura p
1 textes eux-m êmes
r e ce sont es ,
Ce qui l e prouve en co '
è
Ces textes en c[et, en
é édent syst ' m e.
'
invoqués par 1e pr c
.
a prenne nt comme
voulant citer un exemple de 1ustc~ ca~sd.'
en somme, des
ensuels · c est a ire,
types des contrats cons
'
.
.
a r lui-môme ,
contrats où le consentement est obhgato.ire P• ~lais s i la
consenlement réciproqu e d es d eux. parêt1es. -0~1r,quoi l es
· l c f at·t J· u r"dique
lu1-m
i
.
.m e, P
trat s1.
J'usta causa était
.
·1
"té l a s tipulation, ce con
textes n'aura1cnt-i s pas ci
,· O'cait
.
.
d ousentcme nL, exlb
u sité à Rome, et qui , e n outr e u c
. obli.
t l es paroles qui
la solennité des parol es? Ici , ce so n
. ,
faire allugent. El c'est bien à ce contr at qu'il aurait fallu
15 -
sion, si vraiment la Justa causa était le fait juridique luimême.
Cette notion de la Justa causa une fois bien précisée,
voyons les conséquences qui en découlent :
1° Primus se cr9it tenu, en vertu d ' un legs , d' un e stipula lion , ou de toute autre cause, de livrer un e chose à
Secundus. Mais cc legs, cette stip ulation , ou plus général e ment cette cause d'obligation n 'exis te plus on n 'a jamais
existé. - Primus livre la chose à Secundus; la propriété
est-e lle Lra n férée? Oui. Ce quile prouve,c 'estq ue iPrimus
veut recouvrer la ch ose qu'il a livrée par e rreur, ce n'est
p:i.s par la revendication, par une action in rem qu'il pourra
procéder. Jl n 'aura contre Secundus qu 'un e action personnelle, la condictio indebiti(D. Liv. xu, t. 6.) C'est do n c que
Secundus es t devenu proprié taire . Il y a, e n effet, t radition
jointe à l'inte ntion réciproque d'aliéne r et d'acquérir. Cela
a s uffi à opérer le transfe rt de proprié té.
2° Prenon s un e autre hypothèse . La tradition intervien t
e n exécution d'un acte j uriclique existant en fait, mais nul
aux yeux d e la loi. Primus, par exemple, paie à Secundus
des intér ê ts u s uraire qu 'il lui a promis. La propriété a- telle été transférée? Oui , encore.Ce qui le dé montre péremptoirem e nt , c'est que le tradens n 'a , pour se faire r estituer, qu' une action per · onnelle, la condictio ob tempus Ciel
inJustam causam, au lie u de la revendication .
3° L'une d es parties livre e n vertu d 'une cause, l'autre
r eçoit en verl u d ' une aulrc cause. Y a-t-il tran lation de
propriété ?
Juli en po c à cc nj et l 'espèce suivante (L. 36, D., liv. XLI,
t. 1) : Le trarlens croi t ôlrc obligé à livrer la chose en vertu
d' un legs, l'accipie11s cro it la r ecevo ir en ver tu d'une stipula tion. La p rop riété <le l 'o bj et est-elle tran fé r ée ? Oui,
dil Julien. Il y a, eu effet, co1pus etjusta causa.
�-16Cette doctrine n'a cependant pa s été admise par tous les
jurisconsultes. Ulpien pense , au contra~re, que dans notre
espèce, il n'y a pas transfert de propnété.
L.18, pr. D. , liv. xn, t.1: Si ego pecuniamtibiquasidonaturus dedero, tu qnasi mutuam accipias, Julianus, scribit
donationem non esse, sedan 111 utua sit videl/(lwn . Et pu to
nec rnutuam esse, magisque 11unwws accipientis non fieri,
quum a lia opinione acceperit. Qu are, si eos co :tsumpserit,
licet condictione teneatar, tamen doli exceptione poterit
uti, quia secundum C
'olwitatem clantis nummi sunt con-
sumpti.
Remarquons d'abord qu'il ne sagit pas de savoir s'il y a
eu donation ou mutuum; il est cer tain qu'il n'y a ni l' un ni
l'autre, pui qu'il n'y a pa eu sm· re point concours des
volontés. r'està dire contrat. l\Iais comme il y a eu accord
réciproque surle Lran fert de propriété, il est évident que
ce transfert a élé opéré, puisque c'est lui seul qui s~1ffit à l'opérer. Ce qui le prouve, du res te, c'est un mot de ce passage : Licet condictione teneatur. quoiqu'il soit tenu d' une
action personnelle. 'esl-ce pas avouer qu'il y a eu trans·
fert de propriété, puisque le tradens n 'a plus à son service la revendication ?
Nous croyons donc la doctrine de Juli en plus conforme
que celle d' lpien aux princip es généraux et au génie
du droit romain.
En revanche, il est des cas oi1 le défaut de consentement empêchera le tran sfert de propriété de se r éaliser.
Le tradens a l'intention <le livrer la chose à litre de
dépôt ; l'accipiens La reçoit à Litre de mutaum, ou bien
réciproquement.
Dans ces cas, l'une des parti es a l 'intention d'alié ner ou
d'acquérir , mais chez l'a utre partie , il y a l 'in tention
contraire; il n'y a pas co ncours des volontés, donc pas
davantage transfert de propriété .
-
17 -
~e traclens crnit livrer le fonds Cornélien. l'ace . .
t
. J f
'
tptens
o1 r~ccvo 1 r' c _o n<l ~ Sempro11icn; il n'y a pas accord des
vo lonles s ur l . ohJCI ' clone irns
.
' <le trao
' Ccr t d e propriété.
Il peul . ar river que le tradens 11· v."c une cl1ose sur
laquelle il a 1111 clroil de j)ropl'iété qu ,.i 1 ignore.
.
Par
exemple • ' le traclens ' en nualité
de
t
t
·1
u eur ou de
mandaLa1rc, vend
. a. son
. une cho e cru 'i l cro·t
1 appartcmr
mandan
. '
,
. .t cl qu1 , en réalité ' lni 'appart1
' "en t a. l u1-mcmc
.
L acctpte11s
la
rcco
it
clans
l'inten
tion de 1a faire
· sienne.
·
,
.
.·
)' a- t-d l~an s fc rt de proprié té? L'affirmative n'c t pas
douteuse; il y a eu accord <les volontés ur ce point.
Cependant
Ulpi en (F r · ·33-4 L' L D ·) c n::.e1gne
~ ·
. .
que celle
lra<l1l1on ne transfère pas la propri été . Car, dit-il, la
volonl c' <lL1 l racf ens a é lé' cl élcrmiuée par
1' 1"0o- norancc <l c
'
so n droit.
11 est Haî qu 'o n a ci·u voir dan s 1111 texto de i\Iarcellus
la co nlradi<.:Lion flagrant e de la décision d'Ulpien.
.i\Ia'.·ccllm; (1<'1·. 4~)-17 , 1 D.) upposc que le propriétaire
p11lat1f a don116 lllandat au pl'Opriélairc vérilablc nons~ ul eme n l de l i\'1·cr, mais de \'Cndrc et livrer comme
sie nne la cho e qui appartient ll cc dernier. L'erren 1·
déro11Yerlc
· 1·.. . ' " L 1 1
.
, l e jll'OI> 11•· c.111e\c11a)cnepourrapasrcYend1q11e1· la cho se.
i\J ai~ les deux h y p othè~cs ont loin <le se res cmbler:
Si le tradens ne peul pa.; 1·e,·cndiquer, cc n'c t pa.:; qu'il
ait lransfé 1·éla prop ri été , 111aÏ$ c'est parce que ..;a <lcmancle
c ra repou séc par l'e xception de garnntic qui lui era
opposée e n ~a ciualilt' de Yend cur.
L"hypol ht"-t' d'l ïpic11 e..;l bi en différente. Ici, eu cITct,
~ e [> ropri_élaire Yérilablc n'es t point tenu cle la garantie ;
il 11 1 :~ point con tracté <l'ob liga tion personnell e, puisqu'il
ne lt\'l'C la cho se qu 'au nom <l' un autre. Il peul clone
revendiqu er de cc chef'.
Cl'
�-
La contradiction d e ces deux hypot~ è es est clone plus
éelle . el l 'on ne aura1L invoquer la doc'1 .
' l .
,
apparente que r
d U pieu.. -~ a Ls
pour co111ba ltrc celle
. c l l e ,,..ar"clln
.
~
,u
tnn
~ la de'cis ion d'U lp icn, quoiqu e con trechlc par
l
· ·
.
pour nou :s
·te
aucun t ex , n 'en es t 1)a mo in co ntraire a ux pnnc1pcs < c
la matièr e .
C HAPlTRE Ill
Objet
La res tradila doit l'éuni r tl'Ois condi tions. Elle doi t
ê tre :
1° Res in commercio;
2° Res nec mancipi;
3• Res corporalis .
1°
-19-
18-
l 'établissem ent propriétaire du meuble ou pour le rachat
d es cap tifs. (Ins l. , liv. li , t. I , § 8.)
( b) Res religiosœ. - Cc sont les choses consacr ées aux
dieu x-màu es, c'est-à-dire la sépullure d es morts. Ce n 'était
pas le terr a in to ut e nti er oü é tait enterré l e mort qui deven ait res religiosa, c'était se ule ment l a place qu'occupait le
tombea u.
Les res religiosœ n 'é taient susceptibles que d ' un droit
privé s p écial, l e jus sepulcliri, droit trans missible . S i c'est
l e sepulchrum hereclitarium, il est transmissible a ux h éritiers, qu'il s s oienL parents o u non ; s i c'est le sepulc!irum
(amiliare , il passait aux membr es d e la fami lle même non
h éritie r s.
(c) Res sanctœ. -
Ce sont les portes et les muraille
des c ité , parce q u'elles ont é té con sacrées aux die ux de la
pa tri e .
B. -
Res communes
L'air , l 'ea u co urante, la me r e t le rivage d e la m er. (Justinie n , Ins til., liv. U , lit. I, § 1.)
RES IN COM?.lERClO
C. - Res pu blicœ
Lares tradita doit èl rc s u ccpti l>l e d e propri été p ri vée.
Celle première r ègle exclut les choses dont l 'én um ération
suit :
A. -
Les res diCJùii juris
Les res diCJùii juris ont <le pln s ic urs sortes :
(a) Res sacrœ. - Cc sont le chose con sacrées aux
· ·
aux <l'1c11x d' e n bas , .les
dieux d'en haut, par oppo::,1l1on
die ux mànes. - A li tre d 'exe m ple, nous pouYon s ci ter
l es templ es et les objets d u culte.
Aprè l' établi ssement d u C hrist iani me, cc furent l es
ch oses consac rées au Die u <les chré tien s.
Cependant ces res sacrœ pouvai ent 6Lrc a liénées dans
des cas tout à fa it exceptionn e ls; pom payer l es <let les do
E lles forment l e domaine publi c du peuple romain : les
places publiques, l es rues, les ai· e naux, l es forleresse s 1
l es Lhéàtre c l le stade ~ .
Quant au te rritoire conqu is s ur l'enne mi, il apparti ent
bien aussi a u pe uple romain ; mai il fait partie de on
domaine privé c l, à ce titre , il est a liénable.
2° HEs
NEC MA~c1p1
L es choses i11 commercio se d ivisent en res ma11cipi c l
res nec 111rfl1<'1jJ i
Seu les, l es res nec mancipi peuvent ôlre ali énée ~ par
tradition ; l es res ma11c1jJi ne peuvent l'èlt'C qu e par un
mode spécial au d1·oit civil des Homains, la m an cipation .
�- 20 Gaius (Comm. II, §§ 15 e t 16) e t Ul pien (Règle s x 1x, § 1)
nous donnent l'é num ératio n ~les res 111rmcipi : Prœdia in
italico solo tam rusticn qualis /imdus qua111 urbrnw qua lis
dom us i jura prœdioru111 rusticoru111 servi el quadrupedes
quœ dorso collo<Je domantur: tœlerœ res nec m anripi su nt .
Celte divis ion des ch oses e n res mnncipi et res nec ma11 cipi est fort ancienne, pui squ 'o n la tro u ve dans la l oi .d e.s
XII Tables. Gains en faiL fo i (Co mm. 2, § l~7) : Mul1 ens
quœ in agnatoram tutela eral, res mancipi usucapi 11 0 11 poteran t,prœterquam si ab 1jJsa , tu tore auctore, tradiLœ essenl:
duodeci111 tabularw11 caut11 111.
id ita leae
0
Quelle est la rai on <l' N i·e <le cett e disti n c tio n ? San s
entrer à ce s uj e t dans des d é tai l , disons se ule m e nt qn' on
en a donné plus ieurs expl ica tion .
D 'après un premier systèm e, les res ma11 cipi étai ent des
choses plus préci e u es qu e le au tres ; d e là l'empl oi de
formes solennelles pour le ur alié nation . - Ce système
n 'est guère acceptable . U n b œuf ou un c h eval n e valent
certainement pas plus qu' un e s ta tu e d 'or ou d 'arge n t; ü
Rome m ê me , à co up sù r , on n e l'a j a mai pe n sé , et ce pe ndant la tradition aurait s uffi po ur le t rausfel't de propri é té
de la statue, et pour l'ali é n a tion du bœ uf ou du cheva l la
mancipation était absolum e nt n écessaire.
Un second sys tè m e Yoit clan s cette dis tin ction la trace
du caractère romain. L es Ro mains n 'étaie nt point com merçants , ils étaient ag ri c ulteurs ; les c h oses qui contribuaient le plu s à form e r les patrimoines étaien t don c d es
obj ets qui se r appor la ic nl il l'agri c11ltnrc : c'étaie n t les res
mancipi. - Mais cc point d e y1 1e n'es t guèr e plu s exact
que l e premie r , e t on n 'h ésite ra pas à le r é pudier, s i l 'o n
s onge que l es édifi ces n e son t pas to uj o urs d estinés à l ' agriculture, el que les esclaves n 'étaien t pa s tou s ni toujours employés aux travaux <l es champs .
D 'après un troisième système, la dis linclion d es re.s
- 21 ~wncip1: e l de s nec manc1jJi r emonte à la r évolution politi qu e opérée par Se rviu s Tulliu s. On sa it que cc roi divisa
l es citoyens e n cinq cla sses d'après le ur fo rtune individuelle. - :\lais comment établir cette fortune de chac un ?
S 'en r ap porter au serme nt éta it cho se peu sùre. Ne prendre
p ou r hase du calcu l que l es cho$cs facilemen t alié nables
c'e ùl. é lé s'exposer ~1 la fraude : une m ême somme d'argen~
aurait pu <!Lre prése n tée plu s ie urs foi s dans le m ê me jour
pat' cl ix c itoycn diffé rc n ts.
li fa llait do n c, pour é tab lir la capacité politiqu e, m esure r
la fort un e aux c h oo;e dont on pouYait éta blir d ' une faron
certaine la propr iété, don t o n pùt Yérifier l 'ide ntité et d~nt
la va le ur n e fi'it pa ~ ujcttc à d e trop brusques variation s.
Or, les res m anâpi ré pondaient parfaite ment à ces e xigences. La pro priété e n é tai t tra nsférée e t acq u ise par un
m od e so lenne l : la mancipation ; leur identité é tait fa cile
à vériû c 1'; le fon d s avai en t nn nom : Fundus Comelianus, clr ... Les esclave<> eux aussi étaie n t dénommés · et
'
q u a n l aux b è lc ' d e so m me , c'éta ient ~ n quel que sorte des
imm eub le" pa r d estination; le ur n ombre et leur ·vale ur
corres po ndai cn t i1 l'i m pol'tance du fonds auqu el elles étaient
alta ch ée .
,\in " i s'exp li que qu e la femme ait eu la capa cit é d 'ali é n er
les rec ner man tipi et n on celle cl'aliënc r l e res mancipi;
ca r Je.;; res nec mruu·1j;i n e con fëran t aucun privilège poli tique, il n' · arni l aucun dange r à cc qu'elle le fll 'ortir
d e s ou pat rim oine cl e n p rid l sa famille ou SC' héritiers.
Ai ns i s'exp liqu e e n cor e qu'on n e pùt point te te r sine
allctorital<' t11/or11111 : on ,·o ul ail aulant qnc pos iblc conse l'YCr da n .;; la fallli llc m a~c 11lin e le res mrmc1j1i, qni conféraien t d es préroga tive po litiqu es d 'une impor tance con id é rnblc.
Cc dcniicr "'Ysl<'me cs l le plu s accrédité. - Q Lt OÎ qu 'il
en soit , l es res 11uwc1j;i ne pournie n l èlre alié n ées que par
�-
-
22 -
moi. Ain i on a pplique le nom môm e de propri été à la
cho c c lic-m ôme, c l l'on dit: C'est ma propriété. Et la force
d e mcc urs est telle , que cette ano malie a passé dans la loi
e lle - môme.
la mancipation. Les res nec mancipi seul es pouvaient 6tre
aliéné es par tradilion.
Est-cc à dire que la tradition d ' une res mancipi res tât
sans effet? Nulle me nl; mais l'exam e n de cette quest ion
trouve ra sa place, quand nous parle rons d es effets d e la
tradition.
Justinien aboli t la di vis ion des res en res mancipi et res
nec mancipi; de sorle qne, à on é poque , Lou tes choses
pouvaient être alién ée par l radition.
3°
RES CORPORALI S.
La tradition étant le t1·an fcrt de la propri é té par le
moyen de la posses ion , n e p e ul évide mm e nt s'appliqu er
qu'aux choses qui sont s u sceptibles de po session , c'es t-àdire aux choses co rporelles. Cependant il faut croi re qu ' il
y avait une excep ti on po ur les servitude , bien incorpor el , puisqu' une loi Srribonia vinl e n prohibe r l 'usucapio n
(Fr . 4, § 29 , 41, 3 D. )
i\[ais depuis celle loi , Lou s le droits in corporels fure nt
ins u sceptibles de tradition. i\Jais, di ait-on , la propri é té
est bien un dro it inco rp or el , co mme du r este to ut droit,
qui n' est en somme qu' une con ccplion ab traite <le l'espr it
plutôt qu'une r éalité p hy iqu c; pourquoi pou mit-on tr a n mettre la propriété d' un e c hose par tradition , alors qu 'o n
ne pouvait pas trans mcllre le a ntres <lroi l incorporels ?
C'est là, il faul en conve n ir, une anomalie. - On a l' habitude d e cons idé r e r co mm e un bi en co rpo rel le cl r oil de
q ui a eu
proprié té, par une so rte d 'altéra tio n d e la1wao-c
b t>
idées.
es
l
dans
altérntion
une
pour con séquence
No us confondons en que lqn c orle la pro pri é té q ue nous
a-vous s ur un e chose a vec ce ll e cho se clle-rn ôm e · nou s n e
dis~ns point: J 'ai un droit d e proprié té s u r' cell'e cho se;
mais bien: Celte ch ose e s t ma propriété; celle chose es t à
23 -
r
Q uoi qu 'il en soit , seu le la propriété pouvai t se transmettre par tradi ti on; les autres droits incorporels, l es servitudes notamm ent, n e pou vai en t se con stituer qu e par
l es modes so lennel . Toute foi s, on tournait l a difficulté .
Celui qui voulait acquér ir une servitu de simpl ement, sans
e mpl oyer l e m odes olenncls, s tipulait de so n vendeur
un e certaine o mm c, pour l e cas oü il l'entraverait dans
l'exer c ice de son droit : c'éta it la cla u e pénale. Le vendeur
co ntrac tait a in i , v is -à-v is <le l'ac he te ur , une obligation
personnelle conditi o nn ell e : i l étai t tenu de laisser l'acqu éreur exer ce r son droit , ous peine de payer une ind e nrnit é.
V e r s la Gn du premier s iè cle, le préteur fit , au sujet
d es se rvitudes, un e im portante innovation: il admit que les
serv itudes se rai en t s u -cc ptibl c- de qua i-posses ion. Celle
quas i-po ses ion est aux scrYi tudcs cc que la po es ion
p l'Opremc nL dit e c' l au droil de propriété; du mème
co up , elles peuvent è tre trans mi es par qua i-Lradition.
A. -
Sen•iludes réelles.
En qnoi co n iste la quasi-pos ession ? S'agit-il de servitude - pos iti YC'? la quac;i- po . ses ion consi -te dans l 'accompli scrncn t de l'a cte con ·titutif de la crvitude ; par exem ple, le fait de pa -ser su r le fo nds voi in, ou de puiser de
'agit-il de serYitudes n égative ? la
l'eau i1 sa so u rce. qunsi-possc ion se caracté rise par l'abstentio n même du
proprié tai re d11 fo nd, as c n -i , mais il faut que celle abste ntio n tro u ve a raiso n d'èt1·c clans u n juste titre. JI n e faut
pa qu'elle soi t du e 1\ une s im ple tol éra nce de la part d u
pro pri é taire scrrnn l; c'c "l là un e pure qu estion de cir constances.
�B. -
- 25 -
24 -
s tipulation p é nale avaie nt pour e ffe t de cr ée r la servitude
le m6m e e ffet d evrait s'a tt ach e r t\ la s tipula tion qui a~
. u cl' une pe ine, a urai l pour objet direc t la sen ·itu<le e' llcl 1e
m ê m e.
Servitudes p ersonnelles .
Cc qui eut lie u pou r les scr\'iludc r 6cllc s'éle ndil aux
servitudes p er · onncll es; par exe mple, l ' us ufruil. Elles
pe uvent s'acqué rir par la pri se de pos cssion du h é n 6ficiaire; ou bien , s'il é tait déjà e n po s ess ion , par le se ul
effet de la convention .
Sous Justini e n , les pacte et les s tipula i ion s s uffi a ie nlils à établir les dro it r ée ls <le s e rvi tud es, ou bie n fall ai t-il
encore une quasi-tradit io n ?
1•r Systè me. - Les pac tes e t tipulations nffi s aic nt.
T émoin ce passage d e Ins titutes d e Ju.;;tinie n (li v. 11 ,
l. 3, § 4) : Si quis l'e lit 1•ici110 aliquod jus constiluere , paction ibus atque slipula tionibus id ef(i cere debet .
T émoin encore cet autre pas age (§ 1, liv. 11. lit. 1Y , l nst .) :
Sine testamento l'e/'O si qu ù CJelit 11sumfructw11 alii ranstituere, pactionibus et st1j}[(la/io11ib11s id ef(icere debel .
Du r este, d ès l 'é poqu e cla ssiqu e, l'hypo th è que po u va it
bie n se con titu e r par irnplc co1w cnti o n ; pourqu oi n 'e n
c ùt-il pas é L6 de 1n è n1 e cl cs a utres drnil r éels, princi pal ement des servitude s ~
Enfin , on sait qu e pour cons titu e r <les droits r éel s ur
l es fonds provinciaux, l es pactes s uffi saie nt ; or Ju lini e n
as -imila compl ètem ent les fo nd s provinc ia u x allx fo ncl .:; il aliques; d ès l ors, on pul trè bi e n , s ur c es d e rni e r s, con s titu er des droits r 6e ls a u moye n d e sim ple s s lipulatiou .
2'°0 Sys tè me. - ~1 6 m c o u s Ju tinie n , il fallu t , e n o ull'C
d e la stipulation, u ne qua s i-trad ition .
En effet, P a ul (1. 136, §X LV , t. 1) oppo s e la .:;er vitucl c
cons tituée à la sc rviLt1 cle c; tipul6c, e l il déc id e qt1 e da ns cc
d ernie r cas, s i le s tipulant vi e n l à ali é n e r so n fo nds, la
stipulalio n s>évano uit . - 0 11 'c n co nclu re , s inon qt1 e cette
stipulation , loin d e Cl'éc r un d roi l r ée l , n 'a pu cn ge ndl'e r
qu' une s imple obli g ation pen;o nn cll e, qlli ne pa sse pa s à
l 'ayant-cause à titre parlicu lie r .-Si les pac tes s ui vis <l' une
f
Co mm e nl s'cxp liq11 c al o r s l e paragraphe de Institutes?
L e Yoic i : .J11 s tinic n a ~implem c nt r e produit , sans ancune
: u c_ d e r é fol'm e, un pa s age de Gai us . -Ga iu s ( 1. u , § 31 )
md1qu e ro m· ue 111odcs <l 'établi s e mcnL d e
crvitude ur
les fond s ilaliquc s, la man c ipation e l l';n jure cessio, e t
pour l es fo nd s provin cia ux, le pac tes c l ti pu lation · .
Jus tini e n , e n reprod u i-anl cc pa s age , omet , bi e n e nte ndu ,
l a ~iancipaLi o n c l l'i11 jure cessio, qu' il ayait lui-m ême upprim ée , e t o e m en tionn e que l es pacte e l tipulation -,
m ais tel s q11 ' il - cxis la icnt avant lui , c'est-i1-dire u1n
d ' une qu asi-tra diti o n . M . . \ c uariu s fait rema rqu e r qu e cc
qui prouve que Ju s lini en n 'a po int Yotdu innoYe r , c'c L
qu 'il a mc utio oné ccpa age ans l'e nto u rer de a o lrnnité
ha bitu e lle, ro 1111n e il n 'c liL pas manqu é de le fo ire, -' il a,·a it
appor té rn èm c la moindre d érogaLio n aux prin cipe d éj à
r eçus.
C ll APITRE IV
C: a p a e 1 c é.
1°
ou TnAD ENS
De u x co nditi o ns so nt r equi se chez le trade11s: il fan l
qu' il so it Jll'Oj>l'Î é ta i1·c , c l q11ïl o il enpabl e d 'a lié n er.
A. -
f~/re propriétaire.
P o ur tra n sré rer la pl'Opri 6Lé à a nt rni, il faut d 'abol'd
l'avoil' soi-111 è 1n o ; c 'e L lit un JH'incip c évidcnl : Nemo dat
qzwd n o11 lwbet.
�-
26 -
d éfendit a u tutc nr d'ali én er l e- prœdilt rustica vel suburbana du pupille, sauf dan s des cas exceptionnel s. Constantin é tendit les d i po ilio n cl e cc sénatus-con sulte aux
prœclia urbana e t à certa ins meubles précieux qu 'il énum ère (1. 22, C., l iv . v., l. 37).
Mais ces alié na tions n e pe uvent j amais avoir lieu à titre
gralnit (l.. 22, D. , liv. xxv1, t. 7).
Cependant cc principe n'est pas san s comp orter quelque exception :
10 Le mandatai re peul ali én e r par t raditi on la ch ose du
mandant.-Cc point mé rite qu elq11 cs d éveloppements que
nou s donneron fl la fin d e cc chapitre.
2° L'esclave et le fils de famille pe uvent alién er la ch ose
du mailre et du p è re, i ceux- ci en ont donné le pouvoir.
- Cette Yolonlé pe ut N rc expresse; elle peut êtr e au i
tacite et résulter de la conccs ion d ' un péc ule avec faculté
1
~,
1
t
de l'adminis tre r li bre 111cnl.
Témoin la lo i 41, § l , D. , liv. vr , t. 1. -Si serCJus mihi
vel filius familias fwulum c1e11rlidit et tradidit, habens liberam peculii admi11istratio11em, in rem actione uti potero.
Sed el si volun tate domini tradat , idem erit dicendum.
:Mais il fau t remarquer qnïc i il n 'y a pa une véri table
exception com me dan s le pre mier cas; e n effet, le tradens
en droit cl l e trade11s en fail , n e sont pas, co mm e dans
l'hy pothèse précédente , d e ux p cr onn cs juridiques distincte . L'esclave o u Le fil - de famil le n e so n t considérés
e n q uelque sorte que co m111 c clcs ins trument de tran smi ion ; en sorte qu e c'e.:;l le v é ritable propri é taire qui
alièn e par la main d e on fi ls o u de so n esclave .
Remarquon ', en cco nd lieu, qu e celle co ncession d' un
pécule aYec libre adm in is tration n'e mporte point , pour l'esclave ou le fil s de fa mille, le pouvoir d'a ppauni1· l e m allrc
o u le père, c'e s t-à-di re de fai 1·e des ali énatio n s à titre g rntuif. El mè rn c Loule ali 6nali o n ~l titre on é re ux ne r en tre
pa n éccs airemenl dan cc mandal , s i n o u s en cr oyo ns
l a l oi 1, § 1, 1) ., LiY. xx, l. 3. Facû tamen erit quœstio,
si quœratur quousque iis p ermisswn C'Ù/eatw· p eculium
administrare. »
3° Les tuteur s c l cura tc urc; pe uve nt alié n er les ch oses
appartenant a ux pupille c l a ux 111in c 11rs .
Un sénatu s co ns ulte, pr0pos6 pal' l 'emp ere ur Sévère,
27 -
r
4° L e créan cier gagi Le (Inst., liv. 11, t. 8, § 1) et le créancier h ypo thécaire. (Fr. 8, § 3, De pign. act., C. 10, 8, 14.
De pig n. act.) pe uvent ali é ner la chose don née en gage ou
la chose hypoth équée, en cas de non payement à l'échéan ce.
Le pouvoir d 'alié ner ful toujours la conséquence de l'hypothèqu~, mais i l n 'en fu t pa de même du gage. A l' origine,
le droit de vendre d evait ôtre formellement concédé par
l e d ébiteur propriéta ire au créanc ier gagiste, ain i que
cela r és ulte du Comm., 11 , § 64 de Gaius : Voluntate debitoris inLelligitar pignus atienari, qui olim pactas est ut
liceret creclùori pignus vendere, si pecunia non solCJrttur.
Par l a s uite, ce po uvoir <le vendre fu t tacite, e t quant à la
claus e ne distraherrrtar, e lle n 'e ut d 'autre effet qu e d'obliger l e créa ncie r it fa ire troi ~ d6nonciations au débite ur
avant d 'exercer s on jus distralie11di.
5° (lnst., l iv. 11 , t. G, § 14). Le fi c vend une choc qui
appartient à autrui. Pendan t long temps celle vente irréguliè r e fut s o u mi ea u droil com mun .
Marc-Aurè le, le prcllli er , modifia ce tt e législation. L'acqu é r e ur , a u bou i de cinq a ns, fut à l'abri tle Ioule 1 cYcndicalion de la pa rt du 1•erus dominus. Zénon upprima cc
d élai de c inq ans; l'acqu é re ur, do nataire ou acheteur, fut
à l 'abri de tou te alle in lc, dès l 'in tan t même de la tradition. Enfin , Jus tinie n é te ndi t ces innontions aux aliénations con e nli es par sa mai on e l par celle de l' impé ratrice (Loi 3. C., liv. vu, l. 37 .)
�-28 B. -
l~trc capable cl'aliéner.
Une deuxième condition est ex ig6e c h ez l e Lradens : il
doit ê tre capable d'ali6n er.
Ainsi , nou Ye n on de voir qn c certa ines personnes ,
qu oiqu e non prop rié ta ire , pe uve nt a li é n e r ; à l 'inve r se ,
il e n est qui , quoique prop r i6Laires, n e pe uvent pas
aliéner.
1° L e pu p i lle. - I l fantcli s ling-ner e n lre l e pupille i11fa 11s
e t le pupille infantia major. Le pupille infa11s, 6ta nl d 6pourn1 de toul di ccrne1n en1 , n e peul faire au c 11n acte j uridique. Nam lwjus œtatis pupilli nullum lwbe11/ intcUectum , d il Gaiu<:., Co111111., 111 , § 109.
Quant au pupill e so rti de l'i11fa11tfr1, il peut fa ire se ul
tau~ les ac tes qui rende nt a con dition meilleu r e. i\Ia is il
n e pe11t fa ire sa n c; l'a11cloritas latorù le ac tes qui re ndent sa con ditio n pire, par exe mpl e, faire un e Lraclition.
(Jnst., liv. II , t. 8, § 2, Passim): ldeo si mulflalll pecu-
niam alieni sine lutoris · auloritate pttpiUus dederù, 1wn
contra hit obligat ionc/I/, qu ia pcru Ilia m 11011 f'acil accipientis.
Sed e.x dù erso pupil/i cet pupil!ru solPerc sine 1tllorc rwctore non possfllll, quia id, quod sol ou nt, tU)(I fit acrtiJie11 tis.
Quid, s i l e pupill e a liène san l'a uto1·isalion du t u teur?
Le Institutes nou e; fournissent la rl·po n sc (même pa sage):
ldeoque 1w111mi oindicari possu111 , sicabi e.rLeu t. Sed si
nummiquos mutao mi11or dederit , ab eo quiaccepil , bona
fide consu111ptisu11t, condfripossunt; si ma/a (ide , ad e.d1ibe11du111 de !tis agi potes/.
1
1
2° L e fou dan ·es 111 01nC'n tc:; non l11 (' iclc".-T>a11 ses moment n on lu c id e,;;, le (r1rios11s ma nqua n t abso lulll cnt <le
volonté, n e peut faire Ya lab lc 1n en t au c un acte j11 ricliq ue.
(ln st., li v. 111, t . LO, § 8): F11riosus 11ullum fl egoti"111 gerere potest, quia non Ïltlellig/t fJ" œ ag it.
Dan s ses inlc r va lles l1J cidcs, il e s t , au c onlrai1·e, pleinem ent capable.
-
29
(Loi 2. , C. liv . tv , l. 38) : lntermissioni'.s autem tempore furios os oc11ditio11es et alios quos libet contractas posse
fac ere non mnbigitur.
3° Le prod ig u e . - Le prod ig u e n 'a pas, co mm e le fou ,
une capacité e n que lqu e sor te int e rrnille nle. Son incapacit6 commence avec l 'inlc rdic lion prononcée p ar le magi s tr a l c l n e finit qu'avec e lle . Comme le pupille, il pe ut,
seul, r e ndre a conditi on meill e ure; i l ne p eul pas rendre
sa condi tio n pire. S i, e n fa it, i l aliè n e san s le consensus ou
curateur, il a, s ui va n t les ca , o u la r evend ication , ou la
condictio.
40 Le mine ur de v ingt-c in q an s aya nl un curateur pe rm an e nt. - Il p e u t, c ul , re nd re sa condition m ei lle u re; il
n e p e ul re n dre a co ndition p ire qu'avec l'as~i s lanc c ~le
son curateur. S'il n 'a pa de curateur, il a pl e111e capacité
pour Lou s aclcs, sa uf le b é néfice d e l'in integrum restit1~tio.
(L. 3. C., li v . 1t , l. 22) : Si curatorem habens muw~·
quinque et (ltgi11ti aunis post pupillarcm œtatem res oend~
derit flltn(' contractum se1wtri non oportet : quum non absi'
.
1nilis ei habeatur mùwr Cllratorem habens, cw a prœtore
curatore clato. bonis i11terdictw11 est. Si oero sine curatore
constitutus co 11 traclum /ecisti, implorare in integrum restitution.:m, si necdllln tcmpora prœfinita excesseri11t , causa
cognita non prohiberis.
5° Le mari r c la live me nl à l'imme uble dotal. - .\vant
11
Augus le, le ~ari , p ropriétai re d e la do~ , pouvait ali?1~er
tou s ]:)s bie n -. d otaux; il pouvait clone aliéner par traJ1t1ou
Lous lès fo nd s provinc iaux.
Sou s Auo· u s te, la loi Julia de _l dul!eriis el de F1u1do
dotali cléfc1~lil au rn ari d 'ali én e r le prœdium dotale, san s
l e conc.cnl e in c nt d e s a fcmrne; m ais celte prohibition .no
s'ap pliquait qu'aux rond s ital iques , 110 11 aux fo~cl..provm'
· · n (jlll· 6l e·nd'L
h' 1)rohil.H l10n aux
ciaux; Cc lut
Ju s l1111e
i
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èg·ne d e cet emp ofond s provmciaux. u 1 es e, so :;
�-
-30reur, la mancipation ayant dis paru , ce n 'est que par tradition que le mari aurait pu alié n er. C'est donc une incapacité
relalivement à la tradition que j e viens d e signaler e n
dernier lieu.
Ici encore la capacité d'acqu érir est la règle ; l'incapacité,
l'exception. Nous avonc à rech er ch er qu elles sont les
incapacités.
Ces incapacités sont g é nérale ou spéciales.
A. -
In capacités générales
1° Esclaves et fils d e famille sans pécule, ou pl us généralemen t personnes en puissan ce. - C'était un principe
à Rome que les escla vcs et les fil ~ de fami ll e n e pouvaie nt
rien acquérir pour c ux-m6mes; tout cc g u'ils acquéraient,
soit par leur travail , so it par donation, soit d e Loule autre
mani ère, appartenait en propre a u maitre ou au père de
famille; leur personnalité juridique é tait donc entièrement absorbée par celle d u maitre ou du père.
(a) Esclave - à quelles conditions acquérait-on par
lui ?
Esclave dont on a la pleine propri été. - I l acqui ert la
propriété au maitre ùwito et ignoranti ; mai s il n'en est
pas de même pour la posses ion , il ne la lui acquiert pas
ùzCJito et ignoranti, e t, par con éq ue nt, il n 'acquiert pa s la
propriété par tradition à o n mal tre ùwito et ignoranti.
Celle différence provient de cc qu e la possession exige
non-seulement le corpus, mais encore l'animus. Animo
utique nostro, disent les textes; tandi s que la p ropriété
est un dl'oit dont nous pouvons 6trc investis par la loi sans
notre consentement. De cc principe d éco ulent des conséquences importantes .
D'abord, c'est que pour acquérir la possession pa r un
r
31-
esclave, il faut posséder cet esclave et avoir l'animus
rem sibi habencli. Ensuite le maitre ne commence à po séder la cho ·e qu e le jour oü il connait l'appréhension
de la cho e par ~on esclave. 11 s uit de là que si l 'esclave
est possédé de bonne foi par un tiers, le domiuus n'acquiert pas par lui ; de m6me si l'esclave est donné en
gage (Loi 1, § 15, D. Liv. XLI, tit. 11) : Per serCJum corporaliter pignori datwn non adquirere nos possessionem
Julianus ait : ad uuanz enùn tantum causam CJideri eum a
debitore p ossideri ad usucapionem; nec creditori, quia
nec sLipulatione, nec ullo alio modo per eum adquiral,
quanwis eum possideat.
Si l'esclave par lequel on acquiert est seulement in
bouis, au lie u d'ètre in dominio, la propriété e t acqu ise
au maitre bonilaire. - Gaius, Comm. 11, § 88. Dum
tamen sciamus, si alterius in bonis sit serc1as, altcrius ex
jure quiritium, ex omnibus causis ei soli per eum adquiri,
cujus in bonis est.
Quid s i l'cscl'tlvc appartient en commun à plusieurs
maitres? En principe, l'esclave acquiert à chaque maitre
pro parle clominii. Par exception cependant, il n 'acq~ier~
que pou!' un seul d 'entre eux, si c'e t ce l~1i-là . e~1l qu1 lui
a donn é l'ord re d 'acqu é rir pour lui , ou b ien s1 l esclave a
manifes té l 'intention <le n 'acqu érir que pour lui, eu traitant
nomin ativement dans son intérêt.
Quid si l'esclave est 0O'revé <l'un droit d'usufruit . ou
<l ' usa TC? Dans cc cas pour qui acquiert-il ? Le dominus
n e p;ut pa acquérir pour lui , pui -qu'i l ne le po- è<lc
·
pas.
D'autre part , l 'us ufruitier ou l'usager: eu~ au i , ~e
poss<"• lc nl pas l'osclavc, co mm ent pourra1enl.- d..:i acquérir
par lui ? Au s- i Gaiu , Co mrn . II , § 9'1, p~-all-tl la ques·
Lion sans oser la r ésoudre : De illo quœntur an pa tum
serCJum j 11 quv usumji·ucl1w1 lwbemus .possidere aliquam
rem ..... possimus, quia ipsum no11. poss1.demus.
�-33 -
32 -
1\lais les juris cons ulte furent frapp és de ce fait , qu ,un
fll de famill e o 'e t pa · po sséd é par s on pèr e et que cependant il peut lui acqufrir par tradition ; les deux cas étant
analogues, on le ur donna la m ê me s olution: au ssi trouvon -nous un te xte qui dit : (Loi l § 8 D. Liv. XLI, t . 2. (
- Per eum in qu o nsum/ntclum habem us possidere possumus, sicut e.r op eris s uis acqu it· :·e n obis sole! ; n ec arl
rem pertinet qu ocl ipsum 11 0 11 possidem us; nam. nec
(ilium, e lc.
'Mai l'é tendue d e l'acqui ilio n n 'e s t pas la môme qne
pour l e dominus . L' u ufruiti e r n 'acquie rt que e,r; op eris
ser(Ji et ex re frn ctuà rii ; c'e l à dire il n ,acquiert qu e cc
que l'e claYe lu i rapport e directe ment par ses e rvi ce ;
mai · s i , par exemple, l'esclave est ins titu é l ég a taire dans
un testame nt, l e bén é fi ce d e celle in titution ne r eviendra
pas à l'us ufruitier.
Quant à l'u sag er, i l n'acquie rt, l ui , qu e ex re sua et par
le jus utendi.
Qu id de l'e sclave d'a11trui qui c t possédé d e bonne fo i
par qu elqu ' un ? Le po ssesse ur d e b onn e foi acquie rt-il ?
Il a cquie rt comm e 1\ 1· ufruiti c r ex re sua e t e.x:oper is serCJi.
Toute fois, il y a <l e difl"ércn ces cotre le possesse ur de
bonn e foi el l ' us ufrniti e r . P o ur l e pl'Cmier , s i sa bonn e
foi vi ent à di s par aitre, il n ,acquierl plu s ex operis ser11i;
tandi s qu e l 'usufruitier , tout le te mp s de so n u s ufruit ,
acquie rt des d e ux m aniè r es. - En second lie n , tandis qu e
le possesseur de bo nne fo i us uca pe, l'u s ufruiti er , lui ,
n ' u uca pe j amais.
En fin , s i un homm e libre est possédé de bonne foi
comm e esclave, le possesse ur acqni ert e:r re sua c l e.i:
op eris ejus ; tout le r esle apparLient li l'h o111111 e libr e.
Ains i, sa uf l es <lé rogalions qu e nous ven on s <le Yo ir r elativement à l' u sufruitie r e t à l' us age r, l e princ ipe es t : l g110 ranti possessio non adqniritur. Non- seulement l e dominus
r
doit posséder l 'e clave , mais encore il doit connaitre
l 'appréhension de la cho e par l 'e s clave, pour en devenir
proprié taire par tradition. La cr éation des péc ule vint
apporter d es m o<liflcalion à celte r èg le. Le maitre put
acqu é r ir à s on ins u la po session d ' une chos e que l 'esclave
a ppréhendai t e.x p eculiari caus(I. Dans ce cas, Panimus
du m all r c c t r emplacé par l'animus pers onnel de l ' e c lave (Loi 3, § 12, D. , liv. XL t , t. 2): Cœterum anima n ostro,
c01pore etimn alien o possidemus, sicut d i.xim us p er colonam et serCJ/lm . N ec moc)ere nos debet quod quasdam (res_,
eliam ignora n tes p osside111 us , id est, quas serCJipeculiariler
p araCJer u11t ; 1w m CJidemur eas eorumdem et an ima et corpore
p ossidere .
La r aiso n nou e n est donnée par P apinien; on n e Y O U ·
lait p as ob lige r l e ma ilre à d escendre à ch aque in tant
dan s les d éta il de l'admini s trati on des p éc ules (Lo i 44,
§ 1, n. l li Y . XLI) : . .. .... . ... . Di.x:i u tilitalis causa ju resin gulari recep tu m n e cogerentur domin i per momenta, species
et ca usa s p eculiorum in quirere.
Ain ~ i , c'es t pa r une rai son d e n écessité pratique qu e l'o n
admil ce ll e d érog ation a ux principes d'acquis ition par tradition .
(b) Les fil ~ d e famill e.-Loug le mp le principe qu e. les
fils de famill e acqui è re nt po ur le p è re r eç ut son app li cation it Ro me. ~lais :so us les e mpe r eu r , il ubit d'imp orlanlcs d é rogatio n s p ar la création des p écul e- castrense,
quasi ras/ rense el (f(/ioen tice.
L e p écul e tas/rense ap para it :sous .\ ugu · tc. Il comprenait to ut cc que Je !l is de fam ille ~1Yait pu gagn er clans les
cam ps, e n sa qualité <le 111ilitai rc,L. ll , D_., liY. XL I\., l. l ï~.
'
.. •
. b0 1u1/t\'
. cc>
. " . i•cl
pecu 1·Ill/// est quoc/ a p<11·e1111btt"
Caslrense
i:, 1 mililia (f'Yell li do natu111est 1 ciel quod 1pse fllws /a111tlias
..
b
in m ilitia adtjuisiit, quocl 11isi milita ret, acq111sllurus 110H.
3
�-34/ùisset. Le motif tic cette dt'rog1tion est faci l e à comprcndr~;
Je ... fatigue' que . . . ubi-...-ait le soldat, lc.o. <la~gcrs auxq u e l il
-..'cxpo,,ail. lrotn ait: nt Jan-.. la pk inc propnélé d e cc pécule
une trop ju-.tc l'Otllpcn-..ation.
Le péculo fJUnsi m.\lrc11s1, établi t11· l e motl è ~e du prét'édcnl. fut crcé par Con,tantin pour le fil <; de fanulle ,pala·
fini principi.s. C'étaient l e~ économie que cc d e rnie r
fai -aicnt ~ nr leur traitcmcnt,ou bien l e- do n qu'i l receYaienl du prince (C., liY . :-..11, t. 31.'. P lw lard, l e avoca ts,
et . ..-ous Ju.o.tiuicn, tou-; le fonctionnaires r é tribué par
l'Et1t purent a\·oir un pcculc quasi castrense.
Cou- Lantin créa au,si l e pécule adYentice. A l'origine, ce
pécule ne comprenait que les biens qu e l'enfant r ec ueil l ait en .::a qualité d'héritier h>~itimc ou testamentaire de sa
mèrc (L. 1, C .• liY. Yt, L. GO.). ~ou::. Ju s tinie n , il c mbra ail
Lou les biens qui n 'étaient ni rastrensia , ni quasi
castrensia, e t que le fil s <le fami lle te nait de Lout e a ut re
personn e que le pater familias. c ulcmenl, à la différ e n ce
de au tres pécules, le fil clc fa mille n 'avait que la nu-propriété du pécule ach-cnticc; l e père avait l ' u s ufruit.
Ain i fure nt é tabli es en fa,·c ur de.:; fil s de famille ce.
exceplion à l'in capaci té <l 'acquérir pour eux-m ê me . . Mais
celle incapacité frappa toujours l'e<:.claYe.
'c, La fe!nme in manu étant loro filiœ, acqniert pour so n
mari. - Elle peut ac<1u érir pour lui par tradition , quoique
n'etanl pa pos édée par l ui, par la m ême rai on qu e le fil s
de famille.
cl Enfin, l'homme libre acquis pal' mancipa tio n acquiert
au dominus tout rc qu' il re~·o il par tradition (Gai u s,
Comm., 11 , S§ 86, 90).
2° Le furiosus. - Le furiosus n e peul jamais, da n s une
tradition , jouer le r olc <l'a cctjJie11s (loi 1, § 3, D., liv. XLT ,
t. 2 .Furiosus et pupillus sine lutoris auctoritate non potest
incipere p ossidere , r;uia affectionem tenendi non habenl '
-
35
lice/ maxime c01pore suo rem conti11gant: siculi si quis
dormienli alifJu ùi in lll(lllll po11at.
3" Le pu p ill e. - Il f'aul di s ting ue r ici entre le pupille
in/ans c l le pupille sorli d e l'i11/a11tia.
L e pu pill e i11/r111s , étant incapab le d'avoi r un e vo lonté,
n e pe ul pa s avoir 1'm1ù11as domin i,qui est exigé polir acq uérir la pos es~io u cl , par con séquent , la propriété. 11 ne
l e pe u l pa , m ê me avec l'auctoritas de son tute ur ; celle-ci
n 'est <lonn éc que pour co mplé lc1· la ca pacité du pupille;
or, co mm en t comp léter un e capacité qui n 'exis te pa s? fJ
n e peul clon e acqu é l'ir en a uc11n c façon.
Ccpen<lanl, plu s lar<l , le jurisconsultes lu i pc rmil'ent
d'acgué ril' rrlililatis ca11sa,aYe<· l'a11ctoritas du tutcu r (F. :n,
§ 2, 41, 2, D.\ . !11/ans poss;dere l"('Cte polest, si lutvre au clore
cœpit; 11am juclicium i11/crnlis suppletur auctoritate tutvris;
utilitatis e11i111 causa hoc f'(:ceptum est, 1wm alioqai11 nullus
sens us sit i11 fan Lis acctjJiendi possessionem.
On a pré te ndu , e n se basant s ur une con s liluliou de
l'empereut· Dèce. (Consl. 3, Cod ., liv. \' JI , t. xxx11), q ue
l'infans pouvait acq u é l'Ît' par s imple appr éh ension co l'p orcllc et san s iolcn·cnli on du tute ur. Voici le tex te :
Donatarum rerum a quacumque p ersona ù1/èt11ti 11ac1w
p ossessio traclita c01pore quœritur. Quamvis enim sin l aile·
torum se11te11tiœ clissentie11tes, tameu consultius c·ùlelu r
interim , licet m1 im i plenus 1to11 /itisset a//èctus, possessivnem p er traditionem esse quœsilam , alioquùz (sicuti co11sultissimi c•iri Papi11irll/Î respo11so co11tinetw) n ec quidem
p er tutorem possessio i11/a111ipoterit acquiri.
Ainsi , à en el'Oirc le texte, le pupill e i11fa11s aurait
capacité s ufli s anlc po ur acquél'ir la po :::.:;c s ion par un e
simple app r éhensio n eo rp orclle cl san s l'inte r \'Cttlio n <lu
tuteur,
Nou s ne croyon s pas que ce texte ai l l e se n ~ alJ so lu
q u 'o n lui prê te. A noL1·c avis, cc texte, loin de sup primer
�-
-
36 -
l'inlcrn~ul io n du t uteu r . la ....o u .... - cu ten d . au conlrair e; -.;a
pcn . . t•c è "-t celle-ci : l'appn:hul'>ion co l'por c llc par le pu p ille 'Cra ... u11i --antc pou1· acquér i1· la po--~cs::-i on , lor :::qu c
J'aillcu rs l'a111m11s L \.i .... tc1 a chcl le tu leu r. Cc q ui le
pr ou' c, c'c .... t q ue l'ct11 pc l'c llr Déeiu dccla rc em p1·u nl c r
le mot if J e ::;il tlcc i::-ion ;1 une r é pon se d e Pa pini c n. O r,
cc molif csl préciscmcn l celui q ue l'o u LrouYc dans la
loi :t!. ~ :2, D., liY. H l . 1. 2.
an " Joule cc texte c .... l o rc.l inai 1·c m cn l p lacé -o u le
01..l!ll Je t>auL mai-. tl autn..... 111a11u-.crih le repr é-.c n tc nt
comme tiré du linc -..1. de.., Rtspo11sa Papinia11i. EL c·c t
celle JcrniLTt: inJicaliuu qni c -. l la p lu .,, probable .
D'aillcur". -.i c\"tait lit une Yéritü>le in noYaliou , nou
ne trouYc 1ion-. pa .... dan'- la compilation de Ju ;;ti nie n un e
con::-lilution Lieu po-.tc rieu re a celle de Déci u , laq uell e
-uppo-..e que l'i11/aus n e peut pa acquérir seul la pos::;c ~I
· 'Ill . l. .H.
. 11 . (L01. ">6
- • c . i IV.
10
Qua nt au pt!pillc so r ti <le l'i11(<mtia, non seule m e nt il
pe ut acquéri l' aYee l'aucloritas de son tu te ur. m ais e n core
il peul cul , an celle rwctoritas, jouer dan s la tradi tion
le role d'acripiens . On ait en cfl'ct qu e l e pupille pe ul,
seul. rendre sa condi tion meilleu r e; o r , acqué rir la pr opriele c'est faire sa co nclilion me ille u re.
~ous tro u vons d'aill c ur <le~ textes formels qui Yicnn cnl con firmer celle opiuion :
·. l u l o·
· )...LI, t . '))
_ ·. f Jup l·11us tamell sine
L01. 3·J_ , :i' ·J- , D ., i iv.
ri:; auctoritaLe pos:N:ssio11e111 naurisci potest.
Loi V, pr. D ., li,-. )...\ " · t. V : Vblif!,ari e.r 0111 11 i con tmclll
pupillus sine tuloris mtcluritale non potes/. rirquirere a uLem sibi slipulando <:l per traditione111 acctjJiendu etiam
sine tu loris auclorilate potes/.
Cc que je d i::. <lu pupille w(<mtia major s'appliq ue sans
d ifficulté a u prodigu e et au mine ur tlc 23 ans m uni d ' un
curateur.
13. -
lr
l
37 -
lncapacilés spéciales .
1° Les g o uve rn e u r de province ne peuvent pai:; acqu é rir les imm e u bl es d e le u r r cc:.c:.ort.
2° Le lu t ' Urs c l c ural c u rio; gonl frapp és d ' une inrapa·
cité péc ialc, re lative ment a ux b ien s de le u r pu pi ll e.
3~ Dan s le d <> rnic r é tal d u d roit , le s j uifs et les païe n s
n e pe u ven t pa acq u é rir la prop rié té d' un c clave chrétie n .
4° E nfin le conjointi:; n e pe u ven t pa se fa ir e e n tr e e ux
une do n ation .
Nou s v c non c:. d 'exam ine r le ca s oü le tradens c l l'arcip iens sont c u x-m ~ m c pr6sents dan s la tradi tion . 11 no u ·
r e le à e xa mi n e r le cas 011 ils se font r e présenl er l' un ou
l'a utre. ol.1 il agi. se nt par nrnnda tair e .
Il n e fa u t pa <:. co n fo nd re ce ll e hy pothèse avec celle oil
l'e scla ve, le fil s cl c f'a lll ill c, la fe mm e in manu , acquiè rcn l
au mallrc, nu pèr e ou au mn r i. - Ici, il sera it i n cxacl de
d ire qu'o n acq ui e r t ou q u 'on livre pa r l'intc rm 6di air c d' un
Lier s; on les con icl?·r c, en e ffe t, e n lanl qu 'il i:;'ng iL cle
re ndr e no tre co nd ition me ille ure, comm e faisant pa t't ic
d e nou c:.-111 ê m cs. « La Yo ix cl 11 fil i:;, dit Jus tini en , csl la voix
du pè i·c.» P hy<:.i qu c m enl il y a sa n s clo ute de ux per sonnes,
mais jul'icli qu cm c nl il n'y e n a qu' un e.
L 'hypolh c"<:.c q u e n o tl" :n·on s à voir c;; t celle où il y a ura
d e ux pc r~onne<:. ph.r,;iq ucmc11t e t juridiq uc1nenl dis tinctes, in clépcnclanlec:. l'un e de l'a utre, n'aya nt entre elle<:.
au c un li e n clc cl ro il , c l la q ues tion se pose alo rs en ces
te rm es : P e n l- on al ié n e r, pe ul-on acq ué rir par l'i n lc l'm édiaÎl'c d ' u n Lie rs?
Le p ri nc ip e d e la n on r c préio;cn lalion da ns les ac lcc:. j11 ridiqn cc:; fut lo ng te mp s acl lll is à Ro me. Cc pl'inci pc tro uve
sa fo r mn lc cl an s les ci e u x règles s uivant es:
Ins t. , l iv. 11 ., til 1x, § S: fi:t !toc est quod diritur, per
ex tra n eam p ersonam ni/ut adqu ir i posse.
�-
- 38 -
étonna nt qu 'on ait e u r eco urs à des étran gers pour acquéri r o u tra n smcll re d e!'I d roits.
Cependant ces prin cipes rigou reux fin i rent, avec l e
te m p , par s u bi r des dérogatio n s que nous allon étu-
In t . Jiv. 1v, 11t '\ : « ~ u l n e peut p la ider en j u lice
.
.
pour autrui. »
Les inconvéniont;:; de cc "-~""-tûme apparai.:..:;en t cla1remenl. "i jr charge quelqu'un d ' acquérir en mon no~n e t
pour compte la propriê lc d'une chose on u~ dro it d~
créance. mo n mandataire devra d 'al)01·d ac1p1éri r po u r llll
die r:
1° Du mandat cl'ncrjldrir par tradition.
celle propriété, cC'ttc c ré anc e, cl cn.:.uite me la tran s fé rer.
Or. si uu pareil "Y'*' mc , 'c..,t . ma lgré .:.es inconvé nie nt s,
lonO'tcmps perpé tu é ;\ Home , il <levait , à coup sùr, s'ap.
o
puye r sur de.:; rai"-o ns "-e rien:,.e que l'o n peul ramene r a
<leux :
D"ahortl une rai;:;on hi .;;Loriquc :
.\ucnne lcgi;:;lation ne fut pent- è tre, i\ son origiue, plu ·
form ali ... tc que la l t>gi -..lation ro maine. L es droi t de propriétc on autre" ne pre n aie nt u ai;:;;:;an cc, n e s'échangeai en t
qu·avcc un luxe de -.olcnnitc.:. c l d e formu l es d estin ée à
eo p e rp ét ue r l e ;:;ouvenir danc; la mé>mo ire d es a sistanl · ,
car la preuve par tf'moin.;; c'tait h Rome la preuve dc:<lroil
commun. Or, ce" formule"- présen taie n t cela de par t iculie r. qn'elles n e pouvaient ètrc prononcées que par ce ux- là
m ê me~ <JUÎ étaien t propriétaires du droit q u'ils transféraient, ou par ceux cp1i en deYenaicnt bénéficiaires.
Ce so lennités produi-..aienl des effets immédiat entre
Je· partie présentes :,.Cttle mc nl , ca r , seules, e lle- avaient
L a pre m ière dérogation con s is ta à permettre d 'acqué r ir
p ar a utru i l a pos cssion .
On put acq u 61·i1· la possession par le corpus d'a u tr ui
(Paul, liv . v Sent. , til. u , § 1). Mais l'anùnus, ch ez le
mandant, d eva it coïnci<lcr avec la p r ise <le possession du
mandataire. Cc n 'c l pas p6ci c;émcn l en cela que co n siste
la dérogati on, cae celle règle fu t ad mise de tout Lemps ;
mais ce fu t, en q uelq u e sorte, u n achem inement vers
l
pu le · accomplir. Or. quoi d 'é tonnant que le s cho.:;es e
soient continuées ain-.i par l'e ffe t de la routin e, m è m e
longtemps après <pt'cllc"- ne ré pondaie nt plus à <les besoi ns
reels ?
A cela vie nt ·'ajout e r une aul rc rai on :
L a r epré.;;enlal iou, it Home, n e r é p ondait pas à des n é cessité' pratiques. Outre que Le-; lran ;:;action" e ntre citoye ns
étaient peu nombre use-;, il y avait encor e pos::<ihilil é <l'acquérir, en cas <l'ab sence forcée, au moyen des esclaves, cl es
fils <le famille et <l e"' fc n1111c,, i11 ma11u. Il est donc p e u
39 -
l'cxecp lion.
En clfct , p lu s Lard , on ad mi t que l'animus du manda n t
p ùt précé de r le corpus du rnan <lala ire. Ainsi , au moment
o ü l 'acqui - it io n se faisait par le man d ataire, le mandant
n 'en avait n u ll clllcn l conn a issan ce, e l cependant il a cqll6rait celle posscs ion. L es tex te s nous d isent, e n c lîcl (Ju t. ,
liv. 11 , lil. 1x, § 5): Non so/11111 scie111ibus, sed etiam ;gnorantibus rulr1uit·i possessio11em. Cette innoya lion dnt se
produire vers la un <lu premier s iècle, car d ès le com m e n cem ent du second , ~éra l iu s nou s présen te cett e clo cll'inc
co m me 1\ peu prè unive rsellem e nt admise, quoiqu'e lle fùt
e n core controye 1·séc au te m p de Ga iu.:;. ~la i s e ll e fut
définitive m ent accep tée gràce à un r e c ri l de S cp lim e -
r
S év è re e l Ca ra ca lla.
Celle fac ul té <l'a cq u é rir la possessio n per e.rlrrweam
persona nt exerça fatal e m e nt une infl ue n ce sur l'acqui sitio n
de l a propl'ié té par la tradition . Quand la L1·a<lition é lai l
fai te par l e CJerus dominas a vec in tention d 'a li é n c1', qu e la
chose é ta it 1icc mm1cipi, forcé me n t le manda n t acquérait
la propriété, cl s i la ch o se é tait mancipi, il éta il in causa
usucapiendi.
�-
-
40 -
propriétaire, le mandant n ' u c; u cape que du jour oit la tradition est co nnu e de lui ; car pour us u capcr il faut la
bonne foi ; or, tan t qu e le mandant n 'a pa connais a n ec
d o la tradition, on n e sait pas s' il est <le bonne ou de
mauvaise foi. (Co d e, liv . n 1, l. xxx11 , con s . 1) : Per liberam
.\u si la "uite dn te xte que j'ai cité p lus h au t dit-elle
..... et per liane posstSsionem, etiam dominium, si dominus /itit qui tradid1t, l'e! usucapionBm aut longi temporis
pr"-scriptiont.:m. si clomir1us 11011 sil.
)l ai~ celle dérogation n e pu t s'app liquer qu'à la tradi-
tion; lec; a utres mode.;; .;;olcnnc ls d'acqui ilion , rnotl cs du
droit ciYiL n e purent pac; en bénéficie r . EL ce ne fut que
sou.;; Justinien, que la propri é té put 'acquérir par a utrui ,
par l es ancien.;; modes <lu droit ci,·il qui s urvéc ure nt.
n objecte cepen<lant à ce la l e Fr. 59, D., liv . XLI ,
tit. 11. De arlquire11do rerum dominio, ain i conç u : Res
e.r: mandato meo empla, non prias mea fiel, quam si
mihi tradidcrit, qui P.mil.
La chose achetee par mon mandataire ne devient mie nne
qu 'aprè.::; que cc mandataire m'en a transmis la propriété.
On cite encore au Code un passage qui reproduil la m ê m e
théorie .. \ in i, cc ne ..,crai t p lue; le mandant qui deviendrait immé<liatemcnt acquéreu r et prop ri étaire, il ne le
dt''·iendrait que pal' un nou\·cau tran c:ifc rt de propriété.
Comment donc concilier cec; textes avec la th éorie d e la
repré.;;entation ~ Celle objection n 'ec;t pas san s répon e; il
c.;;t <les cas oit le mandant a in t é r~t à c dissimul e r ; par
exemple s i, entre le lrrulens et l'arripie11s, il y a un e in capacité spéciale, le tranc;fcrt de propriélé n e pourra pas se
faire immédiatement; le meilleur moyen <l'élu der celle
di-.po ilion gènante ec;t cle faire acq u6rir la propriété- à un
lier" qui ne tombe <>011 le coup de l'incapacité, ni Yis-à-YÎ<>
<le l'une, ni Yi5-a-,-i .... de l'autre des parties. C'e~t à cc cac;
que font allus ion les textec; que l'on inYoqne; mais cc so nt
là dec; cas tout à fait exceptionn e ls; ils n e <lé trui se nt pas
la règle générale.
.\in ·i le mandant acquiert, m tmc à s.o n insu, du jour
même ou le mandataire appréhende la ch o e . - En m a tiè re
d'u-.ucapiou la rcglc c-;t différente; si le lradens n 'esl pac;
41-
r
p ersonam ignorrrn ti qnoque arquiri p ossessionem ; et poslquamscientia intervenerit usacapionis conditionem inclwari
passe, tam ratione utilitatis, qaam juris prudentia receptum est.
Suppo s ons maintenant le cas oü le mandataire serait
infidè le. Au li e u d 'ac qu é rir pour le mandant, il a l' inte ntion d 'acqu érir pour lui-m è!mc; dans ce cas, la propriété
est-elle tran sfér ée, c l au profit d e qui est-elle transférée?
Un premie r point certain , c'est qu 'elle n ' est pas transfér ée au m andataire ; ca r te ll e n 'a pa é té l 'intention <lu
tradens ; i l n 'y a pa eu e ntre cel ui-ci e l le ma nda ta ire
concours des vol on tés c'est-à-dire cont ra l, donc pas Lransfert de pro prié té; mais du moins la proprié té e s t-e lle
transférée au m an<lant ?
Jul ie n lie nt pour la n éga tive. (D., liv . xu , lit. 1 , loi 37,
§ 6) : Nam et si pro('l{ratori meo rem tradideris ut meam
faceres, is hac mente acciperit, ut suam /aceret; 11 ilât
agetar.
Ul pie u, a u contraire, adopte pl eine men t l'a ffirm a tive.
(D., liv. xxx1x, til. " • F r . 13): ... .Yam et si p rocuratori
meo !toc anim o rem tradideris ut mi/ii adquirat, ille quasi
sibi adquisilum acceperit; nihil agit in sua persona, sed
mihi adqu irit.
On a vaine me nt essayé de concilier ce s de ux textes
oppo sés. <Jucl lc es t doue <le ces <l e n x opinion <; la p1·éfér ablc ? A no tre h umb le avis, c'e l celle d ' Ulpicn . lei l 'inte ntion du m andataire do it ôtrc con sidé r ée comm e nulle,
�-
42-
-
à rai on môme tle "on caraclèrc frauduleux; du m omenL
q uc le mandai ai rc a .1cce plé le mandai, il n'a et ne peu l
avoil' Jan" l'affaire que La qualité de manda Laire; toute
aulle qualité doit ~Lrc t'ou - idcréc comme nulle et non
a \·0oue.
Parmi ceux g ui acquièrent pour autrui la possession el
la propriété. il t.11 c t un qui se rapproche beaucoup du
mandataire , c'e..;t le 111;gotiorum geslor. ~lais à quel moment le domùws cJe,·icu<lra-L-il proprictaire de la chose
livrée?
ur ce poinl, nou · Lrouvon de ' divergences parmi Ie juri,consultes. :\lai-t pour nou-., il u'e'l pa ' douteux que
le tlomùzu~ ue <le,·icnL propriétaire qu'au moment de la
rntil1calion.
En effeL, ici l'a11imus rem sibi habe11di n 'exis Le pas avant
l 'appréhen'iou de la chose par le negoliorum gestor; il n e
vienl gu'aprè , et c'e Lau moment oli il inLerYienl que l'on
renconlre les deux clémcnLc; n éce aire. pour l 'acqu isiLion de la po - c;el>c;ion cl parlant <le la propriété , je ve nx
dire le corpus el l'a11imu s. :'\011 · trouvons, du reste, la
conlirmalion de celle docLrinc dan des texle~ formel :
Paul., SenL. lib. 5, 1. 11, ~ 2. - Dig. , li Y. xu, t. 2, loi 42, l.
Enfin, parmi le-. rnandaLairc , il en esl qui Lienncn l
directemenl <le 1.1 loi le pouvoir d 'acquérir pour auLrui,
cc -..onl les a<lmini - traleur pour le ciLé-, les tuteur~ el
curaLeurs pour les i11f'r11Ues cl l e~ fou~. Loi 1,§ 22 cl 2, V.,
liv. XLI, t. 2. - Loi 7 ' § n D.. liv. x, L. 4. Loi 13,
~ 1, D., li,·. xu, L. 1. - Loi U, § 20, D. , liY. xL1, t. 2.)
s
2° Du mandat d'aliéner par lraditio11.
Le mêmes ioconyéolenL: cru e nou s a\·ons vus pour
!:ac.qui i.Lion par mandataire :-e présentaient auss i pour
1aliénat1on par mandataire. L'évolution s ui,·it éga lement
la même marche cl abouliL au même r ésultat.
43-
Jus tini e n con s Lale cc r é. ulLal (In Lit. , li v. u , L. 1, ~ 42) :
Quand il )' a mandat sp éeial , il n'y a pa d e dilTic ult6. i\Iai quiet du manda taire gén éral ? P e ul -il faire d es actes
d e di po s iti o n ?
L es lnstilutes (liv. LI , LiL. 1, § !13) adm e tt ent l 'a flirm alivc.
D'a utre part , on pe ut c iter en sc> ns contraire un te xte
du Digeste : (liv. rn, l. lll , loi GO e l 62. De procura/o-
ribus)
On a essayé d e con cili e r ces Lextes contradictoires ;
Pothier not am m e nt dis tin g u e e nLrc la libera administratio
e t la simpl e adrnini tration. La libera administratio comporLe l e pouvoir d 'a li én er, que n e co mporte pas la s imple
adminis tra tion. L e pa s age de Institutes veut pa rl e r d e la
libera administr atio ,· celui du Diaeste au co ntraire n e
0
'
l
conce rne que l'ad minis Lraliou impie.
CependanL nou trouvon s d 'aulre text es qui p erm e Lte nt a u mandataire m ô m e ~ imp lc ment général , des actes d e
disposition, p a r exemple, une nova tion.
D. , liv. XLV r , l. 2, loi 20 , § 1 : Pupill"s sine tatoris
auctoritate non potes! noCJare, tu/or potes/.. Si hoc pupilto
expédiat, item procu rator omnium bonornm.
D'a ut res Lextes (l o i 17, § 3, D ., liv. x11 , t. l e t lo i 12, D .,
liv. 11 , t. 14) lui permettent d e d é fé re r un serme nt, d e
plaider, m ê m e de co nsentir un pac te de 11011 petendo.
D 'a utre pari, l'e clavé el le fil d e famille, mis à la tè te
d ' un pécul e, ne peuvent jamais faire d es acte de di sposition ; e t cependant le ur si luaLion est sembla ble à celle du
manda taire gé n éral.
Que conclu re, si non que le p lu o u moins d'étendue
des pouvoirs d ' un mandatai re e t une impl e q uestion d e
fait cl d ' intention ?
Remarquo n s cepe ndant q u o le man<la taire gén éral , m ôme
cum Zibera admi11istratio11e ne pouna j am ais appauvrir
un patrimoine par dos lib é ralités.
�-
44-
En ce qui l'On rern c le neg(ltiorum gestor, l 'alié nation
par lui l'aile ne ::ocra \a lahle cl tlcfinitivc qu'aprè ratificaLion par le 111a1l1 c.
Enfin. il , a Je.., mandataire" gén éra ux ou spécia ux
qui tiennrn~ de la loi e llc-11H~tlle le pouvoil' d'alié n er. Cc
sont ecu-x donl nou" a' O tb tlonn é l'é num ération au chapitre Il. de la Capacité : créan cier gagisle, tute urs, c urateur , clc .....
ClJ.\PITRE Y
Effets.
La tradition tran.,,fère le domi11ium e.r jure Quiritium de
la cho"-e liYrce, a\·ec l'action e n 1·cyen<lication ; so u la
ré<;erYe, toulefoi.c;, de.:; charge.:; qui grcYaienl la cho se entre
le" mainsclutradens: Nemo plw:juris ru! atium trans/èrre
potes/ quam tiJse lwbet loi 20, § 1, D. , liv. XLI , Lit. 1. l1pien R., l. x 1x: , § 7 )
Toulefoi • , ayant ['<'poque de Ju .;, tini e n , i l y avail u ne
première exception pour les res 11wncipi.-"':'\ous ayons nt,
en cfft'.'t, que l'objet dan.;, 1.1 tradition doit être in commercio, corporel, cl llf'l' matu'lj)i. - li en résulte que la propri<·té d'une res ma11cipi n'c-.l pa.:; trnn.:;f"éréc par la tradition. E--t-<.e à <lire pourlant que la lra<lition mèrnc d'une
re:; 11rnw·ipi rc li'
effet? "':'\ullemcnt, e t cc sont ces
effeh que nou allon étu<lier.
li était d e prinripc i\ Rome qu e la propri6Lé ne pouvail
Hre lransférée que par le.;; mocks sole nne ls . - Si donc o n
linait par tradition une res manripi, le tradens rcslait propriélairc: il pournit clone revendiquer sa cho se enL1·c le
mains de l'acctjJiens.
"''lll"
-
45 -
Le m agi Irat f'ul frapp é de celle violation manifeste cle
la bonne fo i , c l peu ~1 p e u pril des mesure pou1· prot éger
contre l es caprice' du tradens celu i qui avait acquis par
des modes non ole nn c l . Pour cela, i l donna à cc d e rnier
l 'exception rei 'iJenclilœ et Lraditœ, donatœ et tradilœ, qu'il
pouvai t o pp ose r au r evendiquant. - Quand l 'a li 6natc11r
se présen tail e n justice cl demandait au magi trat de l u i
dé igner un juge, l e magis trat pcrmcttail au cl éf'cn<l e ur
d ' insérer dan la fo rmul e cc m ols : Nisi res 'iJe11dila et
tradita; nisi res clona la el tradita /iœrit . - Le j ugc ne
pouvait alor ordon ner la restitutio n de la chose q11e si
elle n'avait pa é lé livréc a u dél'endeur à titre de ven te ou
de douatio n .
J\.utre m es ure d u pré teur. - Si l'acquéreur perdait la
posse s ion de lacho c acquise, il n e pouvait revendiquer ,
puis qu'il n ' •tait point propri é laire. Le préteur lui donne
une aclion a na logue à la 1·even dicalion d u droi t civil: cc l'ut
l 'action p ubli cic unc, par laq u c ll c il p ou vaiLr écla m c 1· con l1'e
qui conque Je détenait, l'o bjet d u contra t, co mm e s'il e n
é tait d evenu pro prié taire pa r us ucapion , quasi res usucapla /uisset. Dès ce 111omcut, l'acqu éreu r d'u n e r ho c implemcnt livrée fut assimil é à un véritab le propriétaire; il
ne différait g uè re de celu i-c i que nominaleme nt : au l ieu
d 'être p rop riélaire quiritaire , il était propriétaire bonitaire ) il avait la chose in bonis . 11 e t cependant quelques
légères différences <le d élai! qui m éritent d'èlre signal ées:
l e p r oprié taire bonitairc ne pouvait l égue r per vindicat;onem lares 11uutrt'pi qu'il avail acquise par tradition; - s'il
s'agissait d'un e clave, i l ne pouvait, en l'affran chi sant,
le rendre ci toyen r omain ; - s i cet esclave affranchi é lail
impubè r e, l e propri 6taire bonitaire n'était pas appelé à
l a tut e lle l égitim e.
Sou s J us linie n , la dis tinctio n des res mancipi e t nec
mancipi ayant ùisp~ru , la simple tradition de tout objet
�-
-
46 -
put tran lërer la pr op rié tt', cl i l n \· eu t p l u cette premiè r e
C:'\ccplion que nou" n•noth tlc "ignalcr.
· ne -..cronde c'\ccplion au prin<'Îpc <lu tran -fcrt de la
propriétc c pn•-..1•nk en malicrc de YCnle. - Quan<l un e
' 'ente a de Ctilf· ,tu eompla n t cl q ue la ch o e a é té l ivr ée
en. ex~cuti0n ,Je ln \'Cnle, l'an'1j1ir11s n'en <lcYient pas propr1ela1rc. l:ln' •flll lt• prix n'a p·i-; etc payé. -C'est cc q u e
nou -. tli-,ent lt-.. l '1it11tcs de .luslinicn (liY. u , t. 1 , § 41):
l"e11d11<t· vcro rt.\ d trmlitw 11011 aliter emptori acquiru n tur,
quam si is ve11dituri pretium svl1•erit.
·ne semblable dérogation ,·explique faci l ement. Comme nou<= le Yerron-. tout à l'heure la traditio n à la
,
,
<l'
_1ITer~nce Je, f~<./us lrgitimi, n·cxclul nullement l'appo ilion ù uue con<l1t1on -..u<=pen<=iYc. Or, celte condition 80 .,.
~ens.iYe peul t~lr~ cxpr~...,.;;c ou tacite. Dan- nolrc espèce,
l.i 101 upplée al 10lcnl1on présumcc des parties, et sousen.tcnd dan Loule Yen le celte conditio n s u spensive : «si le
prn: est payé. »Cela est si YT"ai, q ue le vendeur peul retenir
s.a chose j uc:;qu'à parfait payement d u prix (loi 13, § 8. D.,
hv. XJ X, t. 1.)
47 -
rep ose s ur l'inlc rpré talio n p r ésum ée de la Yo lo n lé des
partie , e lle Oéchil ckrnnl une manifestat ion cont raire. Or ,
ce r ésullal se pré c ule d a n s de ux hypolh è es :
1° L e vende ur consen t à n 'avoir d'au tre ga i·an li e q ue
l'actio n p e r so nne lle n ée d e son con lrat. - Cccou sen tcme n l
p e u t ôlre exp rès o u tacit e ; comm e exemp le de con sentem e n t taci te, n ou s po uvo n s cite r l a concessi on <l'un Lerm e
fixe o u in déte rminé po ur le paye me n t d u prix . (Lo i 3 C,
I V 1 t. 54.)
2° Le ven <leur
liv .
'e l fai t con enlir <les sûretés per sonn elles o u réell es : une ca ution , ou bien u n gage o u une
h y p oth èqu e. (Loi 53, D., liv. xv 111 , t. 1.)
De la traditio incertœ personœ. - D'ordinaire, dans la
tr adition, l e lrrtdens cl l'ac('(j>iens se connais.:;cnl <'l jouent
l eur rôl e respectif e n m ème Lemps. 11 est cependa n t des
cas oü l e trade11s aba n don n e sa chose au profil d'u n
accipiens q u ' il n e connait pas e l dont i l ne peu l avoir
au c une i<l ée p récise.
Les Ins tilules n ous e n ci tent d e ux exempl es :
1° Inst., liv . u, L. 1, § 46. - Hoc amplius, interdum et in
Le vendeur ne lran -fère immédiatemen t es d r oits sur
la cho e Ycndne qu'en vue ùu prix. On lni suppose donc
lo~t naturellement l'intention de rc ter propriétaire jusqu au_ pa?'cmcnt; cc droil de propriété qu'il conserve l e
met am la l'abri de lïnsoh-abilité du débiteur.
incertam personam collata CJoluntas domini transfert rei
p roprietatem : ut ecce, prœtores et consules qui missilia
j actant in vulgus, ignorant quid eornm q1Lisq11e sil e.x:cepturus; et tamen quia CJolunt quod quisque exceperit, ejus
esse, statim eum dominum cf(iciunl.
Ce p r emier ras n'offre, à n o tre avis, aucune difficulté ,
Chez nou , au conl1·aire, la règle est que, même en cas
,
·é
1
de• non paYemenl
• a proprt lé n <'D est pas moins transféJ
rec. Celle di.fférence entre le<= deux légi''1alions vient de cc
,
, , d cur non payé a des suretés
que, en droit franrai" ' l e 'en
•
· de réso lu tion, p l'ivilèo-c)
et de ga ran t.tes (cl ro1l
que n'avait
n ous re trouvons ici to us l e él éments de la tradition :
D'ab or d, le rorpus, cela esl de Loule 6videncc; ces pièce
de monn aie que la main re n fe r me cl jette au milie u de la
fou le , voilà bie n la possessio n maté1 i1 Ile dont on se
d e .:; saisi l. Ouan <l à l'animas traclendi, il n'est pas plus
pas le vendeur romain.
d ou te ux chez l e trade11s q ue l'rwimus rem sibi habendi
chez l 'acripiens. L ' u n a l'int ention <le gratifier, l'autre a
l'intention <le profiter de de la gratification. Ces de ux
t>
en oil ' la r è g 1ce l que l e Yeudcur conserve
Quoi qu'il
.
1a propnété jusqu'au payemen t. ~lais comme celte rèale
0
volontés se rencon tren t à u n m o rnent donné.
�-48Il y a donc bien tradition. L e"- empereurs romains eur e nt
.,,ouYent recom' à cc moyen pour -'attirer l es faveurs
populaire .
2• Le second ca.,, e-l plu · douteux. C'e.:; t ce lui du § 4..7,
r.:orlem loco : Qua rntione 1 crius esse 1•idelur, si rem pro
1
dert'lit·to a domino habitam ocrupaC'erit quis, statim eu m
domitwm ef!iri. - Il 'agit ici <les r Ps derelictœ, <les chose$
abandonnée par leur proprictairc, et dont un tiers vient
plus lard s'emparer.
Y a-t-il ici traclitio i11certce perso1ue ? Y a- t-il occupation 1 En <l'autre:::. Lenne.,,, le trade11s reste- t-il proprié taire ju:::qu'à l'appréheo-;ion de la chose par l'accipiens?
ou bien ces,,e- t-il immè<liatemcnt d.êlre propriétaire.
La distinction n'est pa.., san ' inté rêt. 'i l y a occupation, l'inventeur acquiert le domi11ium e.r jure Qzârilium,
que la chose oit manc1jJi ou nec mancipi.
S'agit-il <le tradition. l'acqu éreur n 'en devient propriétaire que 'i la cho ' e e ' t nec mancipi. So u s Jus tinien , on
le ait, cet intérêt <le la <li tinclion disparut.
, \ un au tre point de \Tlte, il y a inté r êt à faire la dis tinction. S'il y a abandon immé diat de la proprié té , on ne
pourra pas Yoir un Yol dan l'appréhension d e l a res
derelicla ; au contraire, <>i l'accipiens ait, a u m o me nt de
l'appréhension de la cho e, que l e derelinquens a repris
l'animus domini, il commellra un vol e n appréh enda nt l a
chose.
Le Proculiens prétendaient que l e derelinquens restait
propriétaire ju.,,qu'au jour où la chose était appréh e ndée
par un tiers.
Les Sabiniens, au contraire, so utenaient que l e derelinquens cessait immédiatement d 'ê tre propriétair e .
Justinien adopta cc second ystème (Insl. , liv. n , t. 1,
§ 4..7) : Pro derelicLo au.tem habetur quod dom in us ea me11le
abjecerit, ut id rerum suarum esse nollet, ideoque statim
dominus esse desinit.
f
On a prélcOllu pourtant que J u:stinicu raltachail ce lt e
Lhéori c à la traditio ÏIU'('l'fœ personœ; on se hase s ur les
mol ' : Qua ratio11e {pour le m êm e motifs), qui sont c 11
tê te du ~ 0..7. JI ais la s uit e du texte m ê me s uffit ~\ d é truire
cel argument: e n e fl'c l le mot d 'occ upation y est e n to11t cs
l e ttres; c l cc qui le pl'ouv c encore, c'es t la fin m ême du
paragra phe : Jdeor;ue stalim do11ti111ts esse desinit.
~lai s alors, objcc le- l-on e nco re, i les tie rs acq11i è rent
par occ u palion, ce ux qui out <le::; droits r éel s s ur l'ol>j ct
ab ando nn é YOJ'\l • ubir un préjudice e n p erdant cc droits .
- ;\ ulle111e11l , car le domi11 11s, e n abandonnan t a chose,
n e p e ul du 111 <\mc coup ahan<lo nn e 1· qu e l e droit qu 'il a
sur cel le chose, non les droits qui appart ie nne nt à a utrui .
Dison · e n lc rn1ina11t lln .,,l., 48, li Y. JI , l. 1). q11 ' il ne faut
point assi111ile r aux res def'f'fi,.tœ l es objet ' pe l'du s cl ceux
je tés à la 111 e r d an s un e tc mpè le pour alléger le na vi re.
Ici. e n e ffe t, il n'y a pas abdication de l'animus do111ù1i.
s
C ll ,\PITHl~
VI
lllo•lalltés dont la t1•adition est. susee1•Hble
:'\ous allo n s examin e !' s uccessivem e nt la couclilion e t le
te rm e .
.\ . -
l>E L.\ CO:"iD l 'f l O~
La co n<lilion pe ul è lre s ns pens iYe ou r éso luto ire . S u sp e ns i,·c, e ll e n e re nd l'accipiens prorrié ta il'C que l e jour
oit ell e se réalise, mai s en ré ll'Oagissant au jo ui· tln contrat· ré s olutoire au co uL1·aire, ell e ann ule le d r o it d e pt'O '
,
prié té qui a é té cons titué le joui' in è me du co ntrat.
lt
�-
50 -
1" Dt ln c(111d1tion suspensfre.
Le" ac/us legitimi (la man ci pal ion, lïn jure cessio, l'adjudicatio), par le ur nalllt'l' mènH'. excl uent l'aµpo ilion
J 'u ne condition sn~tH.:n-..i,·c . En effet, leur caractè r e propre
e L Je rendre innnédialcmenl propriétaire celui a u profit
duquel il "'accompli ... -..enl. C'<'lait lit l'effet des o le nnil és
el des formules qui constituaient ces modes Je lran fort
<le la proprieté. \u ::.i le. partie qui rnulaient insérer
une conclilion dcYaient-ellcs recourir it un pacte joi nt i11
continenti, ùonl l'exécution e tait garantie par l'action
prœscriptis c•erbis.
La lradilion, .w contraire, e::.l parfaitement compatible
avec la condition. :\ou-.. ,n·ons nt, eu effe t, que le s Jeux
éléments <le la tradition ... onl le corpus el lajusla rcwsa.
Or, on peul hic et 11u11r réaliser le corpus, mais recu ler la
JUS/a causa à un autre moment; cellcjusla causa tradc11di,
cet accord des volonlc" n 'c · t soumis à aucune for m a lité,
il esl indépendant de Loule règle; il est donc loi iblc a u x
partie de le faire intervenir à telle époq ue plu lô l qu 'à
telle autre.
La condition c définit: un éYèncmcn t futur e l incerta in ,
de la réali -aliou duquel <lépen<l l'exis tence du droil de
propriété.
La condition u-.pcn::.i,·c peut ètre expresse ou tacite,
non pa en ce en~ qu'elle a été prén1e ou non prévue
par les partie". la condition rentre toujour dans l es prévision de partie . mai-.. Lien en ce ens qu' e lle a été ou
non l'objet d ' une clau::.e . pécialc dans le contrat. Si on la
présente in termiuis , e lle est expre ·se; s i ou l 'a prévue,
sans toutefoi - en faire mcnlion, e lle est tacite.
(a) Condition suspensiCle e.rpresse. - Quel csl l 'effet
d 'une pareille condili on?
Le jour ou e lle e réalise , le tl'ansfert de propriété aura
-
51 -
lieu de plein droit (D., liv. xxx1x, tit. Y, Fr. 2, § 5). Si
peclln iam mihi Titius dederit absque ulla stipulation e, ea
tame11 conditione, ut tu11c dem um mea fieret cum Seius
consul factus esseL, siPe furente co, si"c mortuo Seius consulatum adeptus fucrit, 111crt fiet .
Q u e lle e t la s itua tion d e l'rtc('ljJiens, p e11dn1te conditionc? Est-i l possc sc ur ad interclicta , ou bie n n'est-il
qu ' un s impl e déten te ur ?
U n a uteur a lle ma nd, Sell , pré te nd qu e 1'accipie11s n 'c t
qu' un s impl e d é tenteur. En e ffe t, dit-i l, d an la tradition,
la pos-;cs ion c l la propri é té se confond ent en que lqu e
so1·te ; l ' une es t la conséq uence de l'a utre. O r , ion soumet le tran s fert tic propriété à une condition u p c n i ve,
on y s o111nel du même roup la po session ; i donc I'accipie11s n 'c:;l pa e t n e penl pas è tre un posses cu l', fo r cém e nt il n 'est qu ' un impie <lé lcnl c ur.
L 'a uteur de cc ' )' tèllle se fo n de en oul re s ur un passage du Digeste, liv. xv1, Lit. 11 , Fr. 38, § l : Hoc ampli1ts
existimanda111 est possessio11es sub condilionc traclt: p osse,
sicut l'es sub condilione trarlunlur, 11eque aliter acc1jJientis fiu11t, qrwm conditio c.J::tilerit. Ce texte n 'assimile-L-il
pa d'u n e faron ab o lu c la lra cliti on de la propriété à la
tradition de la po ssession ?
Pour non , nou s ne croyons pas que cc lcxle a il le se ns
ab solu qu'on lui prèle. Il sign ifi e se ulem ent qu 'on peut
su s pendre l'acqui ition <le la possession , com lll c on
suspend l'acqu i ilion de la propriété ; c'c ' l·à-dirc qu e
l ' une comme l'autre sont u scc pliblcs des m è mcs m o dalités ; mais i l c s l loin de jus tifi e r la conclu ion qu'on en
t ire, il savoir que le sorl d e l 'un e csl fatalement lié a u o rt
d e l'autre.
Quant a u raiso nncmcnl <le Sell , quoique p lu s série ll x,
il n'es! pa s ccpen<lanl plu s déci sif. 11 est b ien v ra i qu'en
général, clan s la tradi tion, la po ssession c l la prop ri été
�-
53 -
;)2 -
. ., c trouvent unie -.. ; 11wi .. le contraire peul au~ i se proùuire: l'intention Je-.. pat li e-.. c:oulructanles e l -o uv e raine
à cet égard; celle intention pe ul bi e n èlr e aus ' Ï de distinguer la po es-.ion <le la propriNé e t <le tra n sfére r l' un e
.;;an tran:,.l'érer l'au11·c :\ou-< e n Lrouvon une preuve dan s
le paragraph e llI d es Fragmenta 1 aticana. - Un fu t ur
mari a r eçu ante 1111ptù1s la cho e d 'a utrui aYec es limalion.
L 'u-ucapion, Jit l e lex ie, qui , dan"- cc cas, n e p eu t procéd e r que t ~ emph>. ne lui -..,cra pa-. permi.;;c ava n t le mariage,
l,1 Ycntc étant :.u.;;pcntl uc jusqu'à a co nclusion .
Or, -ur c1uoi se fou<le cc refu.., tl"ttsucaper, e L- ce s ur
l'ab:.ence <le po.:;:,.e-..-...ion!:\ullemcnt,c'e t .:;ur l'ab e n ce de la
jus ta causa. Or, Je ce' <leux cau -.. es, l'une e t sa n s contredi t
plu:. imporlantc que l'autre; je ye ux parler de !'ab e n cc
cumplcte de po.--.c-..-.ion, cl "icelle eau c exi' Lail, le texte
n 'aurait pa ' manqué <le lïnyoquer. C'c t donc que pendente
cofl(/itione, l'accipù:us e-.L po-sse ' <:.e ur.
Cependant, il n e peul jamai , usuca per ; car la Justa
rausa usucapionis n' existera qu 'i1 l'aniYée de la co ndilion .
D., li\·. 18, t. 2, Fr. ~ , pr. : Ubi rullem condùionalis 1Je11ditio est, negat Pomponius llSU('(tpere eum posse, nec /i·uctus
ad eum pertinere.
Il résulle également de cc Lexie et <le · princip e gé n é raux que, pendente co11ditione, le trade11s reste propriétaire : il peut clone concéder de ' <l roil s réel ' , pendente
ro11ditione; quel el'a clone le "Ort de ce droit r éels, s i
la condition c réali~c ? Ce droit réels denonl éYide mment disparaitre, car le trade11s. cessa nt d 'être propriétaire, n 'a pas pu conférer à d 'autr es plus d e droits qu 'il
n'en a l ui-mcm c.
b.,, Condition suspensùie tacite. -
Il esl d es cas 0 11 la
condition u spen s i ve c nt rc s i n at ure lle m en t dan,-:; la prévis ion des parties , qu'elle n 'onl pas e u besoin de l 'insérer
dans le con trat.
~ou-. e n l t'Oll\'O tb un prC'mier exemple clans la consli-
t11Lion d e dot. Un fu tur mari reçoit tradition de la dot, le
Lransf'erl d e pro pr iété se fa it é ,•idem m cnL ic i sous la condition u p e nsive : si 11uptiœ sequallfur .
Un s con cl exe m ple se tro uve dans les Institutes, liv . 11 ,
ti t. 1, ~ 4 L. le i , il n o u ~ f'a ul di Linguer deux hypothèse :
1° Tradition faite en ex<"cu t ion d ' u ne vente au co mplan t.
L'accipiens, ain i qu e nons l'avon vu, n e devie nt pas
pl'Oprié laÎl'e Lant q11 ' il n 'a pa payé le prix; il a ang cloute
les inte rdi t., . auf cep e nda n t contre l e vende ur .
L e tradens reste proprié taire: i l p e ul donc revendicp1e1·;
mai~ nolon g qu e celle r evencli ca lion n 'a pas pour r ésultat
d 'an éan tir la venle, e lle ne fai t que remellre les partie
dans l'é tal 011 e lle étaient ayanl la trad ition. Pour résoudre
la vente, l e parties a maic nl <lù joindre au conlral un
pacte i11 ('011ti11enti, c'est la le.i; commissoria.
2° Tradi tion fait e e u ex6c ltt ion d ' une vente avec Le nn e
pou r l e payem e nt du prix .
L e vendeur ayant ici pleinem ent suivi la foi d e l' ach ete ur , celui-c i devient i111rnédiatemenL p ropriétaire.
San s <l oule ici, comme d a n s l'h y pothèse précédente, le
vcndem peul, pa1· nn pacte adjoint, se r éserve r le droit de
résoudre la vente , au cas de n o n p ayemen t au Le rm e
conve nu ; mais celle ré ~ olulion n e lui fa it pas nne situation mei lleure; e lle n e ln i confèr e, e n e!Tet, n i droit de
uilc, ni dro i t de p réfé re n ce. ll vient au marc le franc.
Le ve nd e ur a pou rtant u n 111oyen de parer it ces inconvén ieuls : il n 'a q u 'ù insér e r clans le conlract de vente le
pactu111 reserCJati clominii.
�54
-
2° Dt ln condition dsolutoire.
La eondilion r('-.olutoirc e t le co n traire de la condition
'u;;pcn iYc: elle n'empêche pas l e tran -fcrL immédiat de
la propriété ; mais clic ré"-OU t cc droit de prop1·ié té, le
jour oit elle s'accomp lit.
La nature mèmc <le cette con<lilion sem bl e nous in cliqncrqu 'elle était incompatible avec l es principes ro m ains.
:\011 :::-aYons, en effet, que la propriété à Rome élaiL pcr pdnelle, non pa·. <>an;; cloute, en cc en q u 'un propriétai1 c gardait à tout jamai la prop1·iété <l'une cho · e; maie;
il ne pouYail renoncer à cc droit q uc par un acte formel de
"" Yolonté et par l'accompl issement de-. -o lennité· requises: l'expiration d'un dclai ou un évènement quelconque
ne pouvaient jamai • lran-férer ou anéantir la propriété.
De là. la que Lion de avoir ... i à Rome le transfert de propriété sou condition ré olutoirc était valabl e.
D'après un premier ~ystème (:\Iayuz), ce transfer t n 'a
jamai été Yalablc.
Cn <>econd système (de \ \'angerow) prétend, au con·
traire, qnïl l'a toujours été.
Enfin, d'après un troisième yslèmc , i l faut dis tinguer
-uivant les époque . Dan l'ancien droit , l e transfer t de
propriété ou · condition résolutoire n'était pas possible ;
celle po-sibilité aurait élé reconnue à l' époque classique
par des juri · con ·ulle progres islcs el acceplée par J u tinien.
C'e · t ce dernier ystème qui, à notre avis, est le
lème préférable.
S)'S·
Xous trou von , en effet, des textes qui prouvent q uc la
propriété n'a pas pu ~lrc transférée de toul temps so us
con di tionrésoluloÏL'e !Fr. 39. D., li\'. xxx ix, til. VI).
.De même \§ 283, Fr. \'atic.:. ) : Si slipendiariomm prœ-
dwrum proprietatem clono dedisti, ita ut post mortem ejus
55 -
qui arccpit, ad te rediret; donatio irrita est, rum ad tempus proprietas trnnsferri nequiCJeril.
Co p ri ncipe, d u rc~ t e , est e n co n fo r mité avec la na ture
du ll ro it de p1·opril'.· Ié à Ro m e; <l'au tr e parl, la con di tion
résolutoire 1w poll\·ail r ésu lte r qu e d' u n parte; or, pactis
et sllj)f{latio11ibus do111i11ia rerwn non transferuntur.
Donc la pro p ri~ l é ne pouvait pas d e ple in droi t fa ire
r e to u r nu t1·ade11s.
~laie; :::i la. co ndi tion résolu toire n'affectait pa l a p r opriété, elle pourn it affecter le con trat. Le tmdens avai t
a lo rs une ac tion personn e lle, u ne condirtio pou r forcer
I'acc1jJie11s à lui rc tra n fércr la propl'iété.
Cc princi pe rcceva il surtou t on applicalion en matière
<le veu le; a u moyen cle la le.r commissoria, on arr ivait à
réso u d re la ven te; au moyen de l'i11 diem addictio, le ven·
dcur se réserve le droi t <le Yendre la chose à toute autre
personne qui , dan un cl6lai don né, lui offrirait des condition s meilleu res.
Le vcndc ul' avai t l 'artio oencliti ou l'actz'o prmsrriplis
oerbis. Ce la résu l te d'une con s lilu lio n d' Alexandre Sévère
(loi 2, C., liv. 1v, Li t. 54.). Celle con s lilution 111el fin à une
controverse e n tr e les Sabini ens cl les Procul icn , sui· l e
poin t de tiaYoir laci nclle des deux aclions compélail au
vendeur pour repre n d1·c sa cho c. La queslion ne se po·ait
évidemment que si le contrat de ven te avait rcçn son exécution; car si la tradition n'ava it pas é lé effectuée, de plein
droit les obl igations n ées du contrnt de veule 'éteignaient.
Les Sabinien accordaien l a u ven deur seulement l'aclio
CJenditi. Eu e ffet, tous l es pac tes adj oi n t. in contine111i à un
con lra t d e bon ne foi son t rtp u lés faire partie de ce co nt ra t, et le u r exéc u tio n est assu r ée cl garantie par l'action
m ême do cc co n tral. Gt si on obj ecte qu' une ve u le résolu e ne pe u l plu s servi r de s u pp or t à u n pacte, on r épond
�-
56 -
que l'intention des partie" c-..t ici «ouveraint>, et que "-Ï
clic-. YCnknt que, m.dgrc la resolution d e ce t·ont1·a1, le.-.;
oblirration"- qui en ... ont tH'l'"" ..;ulJ . . i-..tcnl e ncore , cli c ... k
pl'UYent sari... tlillkultt'.
Le-.. Proculicn~, au con lrairc, voyaient une anomalie
clan le fait de 'C .::.crvir de l'artio 1·ieJl(/iti, clans le but
de prouver qu'il n'y a pl u-. de vente. ~lai"- , cl i aien l-ils. il
,. a du moin~ un contrat innommé: do ut des·' c'e l don''"
J'artio /H'a.<~criptis 1•erbis qui l ui appartient.
c·c.-1 celle contro\·er.-e <{llC' trancha .\lexandre é\'èrc.
en ac<'orclanl au vendeur <'e" cieux action ".
Toutefois . ce" cieux adion-; él'lnl pcr,onnclles ne
garanli""aient que trL'"" imparfaitement l e vendeur. En
effet. ~i la choc avait étc vendue, il ne pouvait pa · la
reprendre entre le ... main.::; de.- lier<: acquéreur"; il n e
pournit pas da,·antagc faire tomber le.::; droils réels dont
elle aYail été grevée' depui" l'aliénation ; enfin , · i l'acheteur n'était pa.; . o lrnbl c, k INtde11s ~ubis·a it la loi d u
concour· cn l rc les créa ncier-;.
.
Les jnri con"ulte" réagirent contre l es dangers de celle
doctrine cl Yottlurcnl arriYcr it considérer comm e résolue
de plein droit la vente.
Deux <l'entre eu\: admirent celle lhéorie pour le ca
particulier de l'in diem addfrtio . . \in i .Jl arcelluc; loi ft,
S 3, D in diem addict. fait ce-;scr. par l'évé nemcnl de Ja
c l d ' hypothèc1ue concon<lition, lou les droit de oo-arre
•
b
!"Coli" par l'acheteur.
0
. ~·lpicn. reprenant celle idée pou1· la généra li ' Cr, l'e fuse
a 1 acheteur, une foi.., la ,·ente résolue, la reven<licalion
<rui lui apparlcnail ju«que-lb.
C'e<>t <lonc que <le plein droit la c hose rentre dans le
patrimoine <lu Yendeur, mai-; ell e )' 1·e ntre sans e ffe l
rétroactif. Si donc <le la traditio u a l' én~ n emenl de la
cond ition , il a alié ué la cho c ou con cnli des droit réels,
ces diver. acte ~ juridiques dcmcurenl san s effel.
-
57 -
Enfin, Justinien alla plus loin dan s ces r éformes cl
consacra l es aliénalions fa ile ad Lempus; el voici, comme
con séquence clc cett e cloctl'Ïne, que lle esl Ja ~ iluation des
parties.-Dè le débul, c'e'l comm e s'il y avait conlral pur
el si mple. Si la condilio n n e se réali e pa , il n'y a rien de
changé ; si e lle se r éa lise, le tradens redevient propriétair e : il p e ul clone revendiquer sa chose . (•:sl-ce à di re
pour cela qu'ou lui re lire les actions personnelle vendili
et prescriptis crerbis? Nu lle me nt, car il est des cas oli la
revendication ne pouvant pas è lre intentée par lui, il ne
pourra intenle1· que le ac tion personnelle .
1° S i, par exempl e, il a aliéné la chose d'autrui, il est
évident que la revendication ne se conçoit que loul aulanl
que le trade11s élail propri étaire au jour de la tradition,
la résolutio n ne pouva nt lui con férer des droits qu'il
n'avait pas.
2° La condictio servira e ncore au tradens pour la restitution des fruits , ca r il ne pe ut pas les revendiquer s'ils ont
é té consommés.
B. -
DU TER:'IŒ
11 en fut à Rome du term e, com me de la co ndition. A
l 'origine, il ne pu l pa s a ffec ter un contrat translatif de
propriété. Nous n e parlon s évidemment ici que du Lerme
extinclif, non du Lerm e s us pensif. Cc dernier, le dies a
quo, cadre parfaitemen t par sa nature même cl avec les
principes du vieux droit romain, e t avec l' inte n tion des
partie s; mais quan L au Lerme exlinctif, le dies ad quem,
il choqu ai t d ircctern e nl Je principe admis à Rome que la
propriél6 é tait perpétuelle.
Le terme extincLif s uivit la mêm e mar ch e que la condition : d 'abord proscri t de l'ancie n droit, il fut, sous les
em pere urs, timidement admis par quelques juriscon sultes
�-
58-
cl, finalem ent . rc~ut de Justinien droit de cité dans la
légi,lation .
Il ne faudrait pa.:; cro ire qu e celle innovation heurtât l e
principe traclitionibus. 11011 111ulis pactis, dominia rerum
tra11s/èrunlur: car le jour oi.1 il ful re~u qu' on pou vait
limiter la proprié té tian" a durée, dè ce jour, les parties
purent convenir qu'tt l'expira tion d' un d élai fixé, la propriété ces er ai l d'appartenir à l'accipiens ; à ce d élai, la
propriété, de plein <lroit, fai.:;ai t retour au tradens; l'accipi~ns ne contractait pas l'obligation de la rétrocéder ;
comment aurait-il pu c'lrc tenu <le r étrocéder une propriété dont il n 'étai t plu ~ investi ?
l
ETUDE
su n
LES DONS 11ANUELS
o'APnÈs
LE DROIT FRANÇAI S
!
�DES DONS MANUELS
CHAPITRE l.
INT RODUCTION
IMPORTANCE
OU
SUJET:
1° A ca u se de l'imporlance du don manuel , imporlanrc
duc l'acrroi e mcnt de la forlune mobi liè re, nolamm e nl ous la forme de Lilres au porteur.
r
2° A eau c de avantages que présen te on caraclère clandes tin; il permel d 'élude r les lois ur le rapporl, ur la
réduclion , s ur la ca pacité de dispose r cl de recevoir, le -ole nnil és gênanles d es donalion s authe ntiqu es, e tc .. ...
3° Parce que la juri s prudence a dû fair e, vis-à-vis du don
manuel , œuvre de vré leur; il n 'est point san s inLér êt de
dégager d es décision s isolées rendues par elles un co rps
de doctrine.
CHAPITRE II.
HISTORIQUE
Droit romain : Avant e l après la loi Cincia.
Ancien droit : l 0 A vanl l'ordonnance de 1731 ;
n
»
Droit ciCJlt :
»
"
2° Sous l'ordonnance d e 1731.
Quel csl le fonde men t juridique du don
manuel e n droil français?
Examen de divers systèmes à ce sujet.
�-
63 -
62 -2° Forme . -
CHAPITRE III.
PARALLÈLE des DONS MANUELS et des DONATIONS
ENTRE-Vll'S
A. -
RESSEMBLA~CES:
1° Intention réciproque d'aliéner et <l"acqztérir à titre gra tuit.-Olfre. - .lcceptation.-Le concours <les Yolontés
doit-il êlrc concomillanl à la lradition; ou bien peu-il
"-C produire indcpendamment d'elle ?
2~ Dessai.sissement irrùocable. - Dis tinguer l e don manuel des donation - à cause de morl.
3° Capacité. - 1° Personne<:. phy ique
2° Personne morales.
»
4° Don manuel fait m•ec charges.
onl-il de ple in d roit
5° Rapport. - Le~ don manuel
ou mi au rapport ou fau t-il une dispense
expre e?
Appendice. - Examen des pactes adj oints
aux don manuels.
6° Réduction. - Le dons manuels onl so umis à la réducLion .
Commenl déterminer l'ordre de l eur date
re peclive?
7° Révocation. -Les <lou manuels sonl révocables comme
les autre donations.
B. 1° Objet. -
DrFFÉHENCES:
Immeubles.
Meubles : corporels.
incorporel s: Nue-propriélé.
»
Usufruit.
Propriété littéraire .
Créances; titres au porteur.
Tradition :
Rôle de la tradition dans le don manuel.
Tradition d'effets mobilier s qu and l'étal
e timalif e l nul.
De quelle tta<lition s'agit il ?
Tradition par l ' inte rm édiaire d' un ti er s.
3° PreUCJe. - Preuve littéral e.
Preuve leslimonial e.
Présom ptions .
Aveu.
Serm ent.
4° Enregistrement. - Loi du 11 frim aire an VCI.
Loi du 18 mai 1850 :
Nature du droit.
Conditions requise pour
l'exigibilité du droit.
Payement du droit.
CHAPITRE IV.
LÉGISLATION COMPARÉE
1° L égislations q ui admellent l e don manuel.
2° L égislations qui le rejellent.
CHAPITRE V.
CONCLUSION
Y A- 1'-1L DES nÉFOfü\IES A lNTilODU 11\E DANS LA LÉG I SLA.T I ON
?
�13 lBLIOGRAPIII E
f
Jul es Claude:
Des Dons manuels. -Thèse pour
le Doctorat, 1885. Nancy.
Dubue:
Des dons manuels . Agen, 1883.
l\Iaurice Colins:
É tude sur les Dons manuel s. Paris, 1885.
P aul Bressolles :
Théorie et pratique des Dons manuels . Paris, 1885.
Dalloz, Alphabé tique : V0 Dis position en tr e-vifs .
Aubry et Rau :
Cou r de Droit civil.
Laurent:
Cour de Droit civil.
Garnier:
Répertoire de !'Enregistrement.
�DROIT FRANÇAIS
DES DONS MANUELS
CHAPITRE 1
lnti•otluetien.
La pratique des dons manu els a pris au co urs de cc
siècle une importanc e considérable . C'est là un fait dont
chacun a pu se co nvaincre par lui-même, et s' il en faut
un p1·cuvc décisiv e, on n 'a qu'à cons ult er la juris pruden ce
e t à voir les nombreuses décisions qui ont été rendues
par ell e à ce s uj et.
Ce lle importan ce, l e don manuel la doit à l 'accroissement de la fortune mobili ère qui s'est manifestée notamment so us la forme de Litres au porteur. Cc n 'est pa s,
comm e nous le verrons plu ha , que le titre au portc ul'
soit une créatio n récente, mais c'est à noll'C époqu e, seulement, qu 'il a reç u ce prodi g ieux développement qui lui
ass ure un e pla ce pre squ e da ns tout patrimoine, qui lui
permet même <le co nstituer la majeure partie de plus
d'une fort un e.
Ce fait n'a point lieu de nous étonner. Jadis, les sociétés se fo rm aient, intaitn personœ, entr e gens se connaissant, habitant la même ville; leur but élail limité; leur
champ d'acl.ion très r es treint. De nos jours, au co ntraire,
pour la r éalisation des grandes entreprises indus tridles
�-68ou commercial ec;, u c:in e , ch emin de fer, etc., l es sociétés se forment moins entre per<:onne" qu'entre capita ux.
Or, les capitaux, la plupart <lu temps, sont r epré enté
par <le" litres qui ne mentionnent pas le nom <le leur
propriétaire : cc .... ont le& titres au porteur. Sans doute, au
d ébut de la société, le.;:. actions ou obligations sont nominaliYes. mais quand cl ics sou l libérée' de la moitié de
leur Yaleur nominale , alors la loi permet de l es changer
en Litre au porteur, afin de faciliter le ur tran mission; cc
litre alor,;; augmente ou <liminuc de valeur, suiYanl que
l e:; <liYi<lende~ <le la :::.ociélé ont plu s ou moins forts.
ans doute. les chance-.. <le perle ou de vol s 'accroi "sent en rai · on même <le facilités qu'offre la po8sibililé
de les transmettre; mais i l'on ' ongc que cc sont de
objet· qne 1·aremenl l'on porte sur soi, et qu'en con séquence ce" chances de perle ou de vol ont relativemen t
a sez rare., on lrouYera que ces inconv éni ent s sont amplement compen "és par les avantages que présente leur
rapide négociation.
D'autre part, la loi de 1872 a permis d'allénuer dan s une
large me ' ure l es chance <le perte ou de vol, en édic tant
des mesures protectrices en faveur des l égitim es propriétaires.
On voit par là combien l'importance des dons manuel s
s'accroit aYec lïmporlan ce même des titres au porte ur ;
rarement on garde chez oi un numéraire con s idérabl e; on
se contente de ce qui suffit aux be oins journaliers; les
titre au porteur, au co ntraire, re "tenl e n portefeui lle et
sont constamment à la di "position de leur propriétaire.
De là une pl us grande facililé d'aliéner <les capitaux d'une
valeur considérable, non seule ment à titre onéreux m ais
encore à titre gratuit.
Ce n'est point là, <lu res te, l a seu le cau se de l ' impOI'tance des dons manuels.
-69Leur u sage fr équent est dû aussi en grande partio à
l e ur caraclè re clan des tin. Le don manuel s'accomplit sans
lai ser de trace; nul acte qui en révèle l'existence . D onc,
à cô té des dan gers qu'on ne saurait se dissimuler, la pratique d es d ons manuels présente des avantages si r éel s
qu e l ' u sage te nd chaque jour à s'en répandre.
Qu e de criLiqu es l'admini s lration d ' un patrimoino n'inspirc -t-ell e pas so il à des é trangers, soit à des proches qui
onl Jlespérancc de le recueillir un jour.
~Iais combien ces cri tiqu es deviennent plus amè r es et
plus viycs qua nd on se trouve en p r ésen ce de libéralités!
L es causes, la qualité, les conséquences des donations
son t l o in d 'ôtre à l'abri de toul soupçon . S'il s'agit d'enfants, ce té moignage d'une préférence qu'on ne dissimule
pa ne manque pas d 'exciter des jalousies, des h aines et
d 'entretenir l a division clans les membres d'une môme
fami ll e . Faite à des étrangers, la libéralité éveille encore
plus l es so up c:ons c l avive encore plus les rancunes.
~lai s Lou s ces inconvén ients dis paraissent quand on
em ploie, pour eITccluer des l ibé ralités, la forme du <lon
manu el. Ici la lihéralité échapp e au regard investigateur
de l'cntoura o-c · n on seul ement au moment même oü la
'
0
l ibéralité se fait, mais enco re pour l'avenir puisque le
don ne lai sse point de trace . Et quand mème le bénéficiaire étalerail publiquement !'enrichi semcnt <loul on l'a
gralifié, rien ne pourr ait en L1·ahir la provenance.
Cc n'esl pas tout.
Ici les r ègles s ur l ' incapacité de disposer et de recevoir
par donation se trouvent comp lè tement éludées. L e médecin l'enfant n a turel le tuteur peuvent recevoir au clcHt
'
'
d e ce qu e la loi l eur assign e; la difficulté qui s'allache à
l a preu ve d u <lon manu e l permet <l'échapper aux lois s u r
le rapport c l s ur la quotité disponibl e. Tel père de famille
qui voudra avantager un de ses en fants, au délrimen t des
�-70-
-71-
autreq, n'aura plus bc,.oin de recourir à des dis imulations
pour tcmoigner <>a préférence; par exe mple, il arriYe fréquemment qu'un père con~cnle ~1 · on l11 • une Yentc dont
il ne touche pa le prix, cl lui dclivrc une quittance
ficth·e. ous couleur <l'une Ycnlc, c'est eu réa lité une
véritable donation qui a été faite, mais le pl11s souvenl
l e· autres héritier n e manquent pas de faire tomber ces
actes frauduleux. Le don manue l permet d'échapper à tous
cc~ procè-. an· doute de ' préfél'ences ainsi témoignées
au détriment des autre· héritier n e ont pas à l 'ab ri de
tout reproche. Il c - t permi · aux partie lé ées de formu le r
<le réclamations; mai" que <le difficulté pour é tablir la
fraude; ici pa- d'acte que l'on ait en mains et dont on
pui-o:c prou>er le caractère men onger oil par la qual ité
m~me des partie - qui y ont concouru, soit par les circonstances dan- le quelle il a élé passé, soit par Ja vi l ité
du prix ignalé, soit enfin à l'aide m ê me de pré~ omptions
graves, préci es, concor<la nlc . Or, 'il e t un cas oü l es
p~ésompli~n- cloiYent aYoir cc caractè re, c'e t bien à co up
ur e n matière de don manuel. Ici il faut prouver plu s que
le car~ctèrc frauduleux d'un acle; il faut , a u moye n de présomptions prom·cr l'exi,tcncc môme de l 'acte et ensuite
démontrer les alleinte qu' il porte à la l oi.
r éfl échir avant de se d é pouiller. Mais cos formalités ne
so nl e n core rien auprès de la ta'.'Ce que la loi é tablit s ur
les donations. Il semble qu'elle ait ainsi vou lu r éserver
à l'Élal presque l e plus clair du don destin é au b én éfi-
Enfin au nombre de enlraYe<> légales que permet d 'élu der
la forme du don manuel , il faut citer e n core l e exiO'enccs
de la fi calité. Si la loi voit d'un d ' un bon œil l e: tran~aclion dan le quelles chaque parLie lrouve son intérôt
per-onnel ; elle e t au contraire l oin de favoriser les
libéralités, qui enri chi,.-enl l'une de parties au déLri· E• t 1· 1,on en excep te les
ment de l'autre cru·I ·appauvrit.
donations par conlrat de mariage, on Yerra que la loi
.
cl e t ou tes orles de formalités
cntraye le donal'o
s oleni n
~elles qui en assurenl la publicité, en rendent l 'exé<;ution
.
irréyocable et sans rc l our e t r101·cent l e donateur a. bien
•
ciai r e.
Or le don m anuel échappe par sa nàturc m ê m e à la taxe
d es donations. Eu effet, co mm e nous le verrons plu s bas,
sou s la l oi de frimaire, pour les mutations de meubles
entre vifs à titre g raluit, la loi fisca le frappe pl utôt l'acle
lui-m ôme que la mutation; or l e don manuel s'effectuant
sans acte, aucun droit n e pouvait être perçu à son occasion . Depuis la loi de 1850, les princip es ont changé. Mais
le caractè r e clandestin du don manuel l ui perme llra, dans
bien des cas, d'échap per aux droits don t il est frappé.
De pareils avan tages so nt bien de nature à assurer au
don manuel, un fréquent usage. Comment s'expliquer
alors que l e don manuel n 'ait pas été l'objet d'une régletive? On n e trouve dans le Code civil ,
m e ntation l écrisla
t>
rien qui de près ou de loin s'y rapporte. Le mot môme
de don m anue l n e s'y trouve nulle part écrit e t on n e
r encontr e clan s l es autres textes, même relatifs aux donations, aucune allus ion au don manuel.
Ce sil ence du légis lateur à l' égard du don manuel, n'est
cependant plus de nature à surpr endre, si l'on veut bien
se rendre c ompte du profond changement intervenu
•
t
dans l es conditions économiques .
En 1804. , à l'époque où ful prom ulgué le Code civil , la
fortune mobili ère n'avait pas, même en p erspective, l' im portance qu'elle a de no s jours. Le Yieux brocard l atin :
uilis mobilium possessio, si u s ité dans notre ancien droit ,
avait encore conscrv6 son antique v igueur au x ye ux des
jurisco n sultes comme dans la r éalité des faits; et il n 'y
avait guère que l es immeubles qui pussent constituer la
valeur d 'un patrimoi ne e t l ~i donner de l'importance. Cha-
�-72-
- 73-
que page du Code porte la trace de ce idées ; la loi réserve
toute sa faveur et toute ·:o protection au.· biens immobiliers et n'apporte aux bicnq mobiliers qu'une attention bien
légère : de minimis non rural prœlor.
Le législateur de 1 80~ n'a pa • été témo in du prodigieux
mouYemcnl de l'indu tric moderne qui a donné à la for .
lune mobilière une importance qu'elle n'avait jamais eue
jusqu'alors.
Son ~ilence n'a donc ri en qui nous étonne. S'il a cru
dernir tolérer le don manuel, il n'a pas cru qu'il méritàt
une réglementation spéciale ; cl dans a pensée, le don
manuel ne devait pa , dan la pluralité des cas, sen· iblement diiférer du cadeau ou de l'aumône. Et si parfoi , il
dernit être ·oumi au rapport ou a la réserve , ain · i que
l'indiquait le tribun Joubert, cc ne devait être que dans
des ca tout à fait exceptionne l . -L'ancien droi t léguait
le don manuel au droit nouYeau, mais tout en lui conservant · on caractère de minime importance, et de même que
l'ancien droit n'ava il pas eu à légiférer sur la matière , de
mème le droil nouveau u 'a édicté à ce sujet aucune dispo·
si tion spéciale.
étaient celles qui pouvaient, qui devaient m~me s'appli·
qu cr au don manuel , quelles étaient celles, au contraire,
qui répugnaient 1t la nature de ce dernier.
Ainsi s'est dévelo pp ée parallèlemont aux donations uno
institution qui s'est en racinée dans nos mœurs .
Le don manu el tantôt cadre parfaitement avec l es principes qui r égissent les donation s, tantôt, au co ntraire, il
y r ésis te. Pour n 'en citer qu'un trait , si qu elque chose est
de nature à assurer !'irrévocabilit é de la donation , c'est bien
la forme du don manuel. Je parle des cas où la révocation
est admise par exception : inexéculion de s charges, ing ratitude, survenance d'enfants. Eh bien! même dans ces cas,
le don manuel es t encore plus irrévocable que la donation
faite par acte auth entiq ue. En effet, les difficu ltés inh érentes à la preuve sont de telle sorte qu 'elles la r end ent à
peu près imposs ible . Je suppo e que le donat eur veuille
reprendre au donataire cc qu'il lui a donné pour un e des
trois ca uses qu e j 'ai citées plus haut : Qui ne voit que la
preu ve ne pourra pa s ven ir d u donateu r ? qu'elle ne pourra
venir que du donataire , de son aveu ; c'est dirn , en
d'a utres te rmes, que le donateur est compl ètement à la
merci du donataire ?
Ainsi s'acc usent du môm e coup une ressemblance c l une
différence de la donation ordinaire avec le <lon manuel. Le
grand principe de !'irrévocabilité des donations a plu s de
chances d'être rio·oureusement
observé avec le don mac
nu el qu'avec les donations ordinairns, puisque dans le cas
où celles-ci pourront ~tre r évoquées , le don man uel ne
pourra l 'ô Lre que difficilement. D'un autre cô té, les difficultés r elativ es à la preuve nou s révèlent tout de s uite la
différ ence q ui sé pare ces deux catégo ries de libéralités :
tandis que la donation ne se prouve et n'existe qu'au
moyen d'un acte authentique , c'cst-~t-dire par la preuve
écrite; au contraire, le don manuel exclut forcément celte
Laju~i prudence a donc eu à construire tout d'une pièce
la théone des don · manuel qu 'a ucun texte de loi po itivo
n 'ayait établie. Elle a eu à remplir , vis-à -vis du don manuel, un rule à peu prc's analogue à celui que jouait, à
Rome, le, prét~ur i1 l'encon tre du droit civil. Le pr6teur,
c.hargé d a~pliq~cr le jus ciiiile aux contestations particuhèrc , antt filll par ~uppl éer aux lacunes de celui-ci . Si
_un texte ne prévoyait pa~ l'cc:.pècc particulière qu'il devait
JUger, a_lors, s'inspirant de l'intention présumée du l égislateur, il la jugeait avec ses propres décisions, calquées
sur celles dujus ciCJt'/,e.
De même, chez nous, la j urisprudencc a eu à dé terminer ' parmi les règles des donations entre-vifs, quelles
•
�-75-
-74-
sinon ce dernier pouvait encor e l e re vendiquer au moyen
de l'interdit utrubi.
La loi Cincia, à son Lour, tomba on désuétude el ful
r emplacée par une ins tituti on nouvelle : l'iu inualion.
C'é tait l' inscription d es libé ralités ur un regi tr c publ ic.
Constance Chlore l' imp osa à toutes les lib éralités quel
qu 'en fùL l e taux e l cela à peine do n ullité ; plus Lard, on
en dis p e n sa l es donati on s inférie ures à deux cents solides;
enfin, Jus tinien en dispen sa les dona tion s inférieures à
500 solides. Les don s manue ls n e devenaient donc possibles que dans une m esure restreinte. Cependant, r e marquons que sou s J us lini cn il s du re nt prendre une extension plus grande , puisque c'est à cette é pque que disparut
l'antiqu e d ivision des choses en res mancipi e t en res nec
preuve; et si l'on excepte lec:. conve ntions qui accompagnent
le don manuel el qui .;e prouve nt conformément aux r ègles
ordinaires en matit'rc de donation , il n e r e te pour le
don manuel que l'aveu el le ::;ermcnl. - )[ais ce n'est là
qu' un eu l rapprochement; il e n e l ~'autre· qui m?ritent notre allcntiou. C'c"t ce parallèle int ér essant qm va
faire l'obj et de cette é tude.
ClL\PITRE Il
Disto1·ique
Le mot de don manuel n 'était pa connu en droit
romain , mais la ch o e existait. L e don manuel n'était
point un contrat particul ier, i l élait l 'application la plus
directe de · principes du droit en matière de donation .
La simpl e promesse de donner n'obligeait pas, ma is lorsque au con ·enlem en l venait se joindre l'exécution , le
contrat était parfait par l ui-même. L'obje t <lonné devait
être un res nec mancipi; i l'on uppose, en outre, qu 'ell e
était mobilière el que l e tran sfert de propriété se fai ail à
titre gratuit, on a là Loue; le é lément· <lu don manuel.
La loi Cinci:>. vint apporter quelque modification à ces
principe . D'abord, elle limita le taux des libéralités en
fi."\:anl une valeur qu'elle· ne pouvaient dépasser, sous
peine de nullité . )lai · l'appli cation que les jurisconsul tes
firent <le celle loi vin t que lque peu dénaturer le don
manuel. En effet, en cc qui concerne l a donation des
objets mobilie r , n on seul e me nt il fallait qu'il y cùt un
transfert de propriété cl de tradition , m ais enco re il fallai.L
que pendant l'ann ée de la donation, le d on ataire et'.tL possédé l'objet mobilier plu s longtemp s que le donateur;
mancipi.
-
...,
Notre an cie n d r oit admit l ui aussi la validité du don
manuel. Nou s e n trouvons la p re uve dan s maint passage
de nos vie ux auleur.s. Pour n e citer qne l es princi paux ,
Ricard n ous dit : Traité des Donations cot r e-vifs et des
testam en ts , 1 ro par ti e, ch. IV, Sat. 1, n° 890 : (( Il y a des
biens d'une certaine qualité à l'égard dcsquel la donation
peut se perfectionner san s écritu re el môme par la eulc
exécution pré ente, com me sont les deniers el les meubles qui n'onl pas d e s uite; telle ment qu'il sonl présumés ap pa rtenir à ce ux en l a possession <lesquels ils se
trouvent, si cc n 'est qu 'il soil justifié que le ur posscs ion
est furtive e t de mauvai e fo i.
» Nos co utu m es e t les ordonnances qui ont prescrit des
l ois pour les sole nnités des donations, n 'onl pas compris
ce tte espèce de biens, mais seulemenl ceux qui ne peuvent pas être Lransm is d' une personne à une au~re, sans
un titre par écrit, comme sou l les im meubles, à cause de
leur r éalité qui fait qu ' une pe rson ne qui y a eu une fo is
dro it, l e con serve, quoiqu'il en ait perdu la possession, à
�- 76-
-77-
moins qu 'il ne s'en soit dépouillé volontair ement par un
acte légitim e, ou qu e le noll veau possesseur ne l'ait prescrit par un temps suffi san t. E t po ur ce q ui est des meubles
qui ne sont pas sujets à cette s uite, rien n 'e mpêch e qu'il
ne se puissent transmettre soit à titre de vente , de
donr. tion, ou autrement sans co ntrat p ar écrit.
Ce qu e nou s venons de dire n 'a pourtant li eu que quand
la donation d'une cho e mobilièr e est exécutée présentement ; car si elle était faite d'une somm e de deniers à
prendre au décès d u donateur, il n 'y a point de doute qu 'un
écrit ne fut nécessaire . »
Ferrière est tout au ssi exp licite . (Coutum e de P aris . Des don ., tit. xm , p. 55.)
Une donation de meubles pe ul être faite sans acte soit
pardevant notaire ou so us sig nature privée, pourvu qu'elle
soit présentement el actuel/,ement exécutée, o u que les
meubles so ient transférés en la possession du donataire,
et si c'est de l 'argent, qu'il so it payé e t co mpt é acLuell ement et r éellement. - La raison es t qu e les me ubles
n'ont pas de suite par hy po th èq ue; au ssi ils pe uvent être
transférés hors la possession d u maitre d 'ice ux, par sa
seule volont é, san s qu e le dona taire en p uisse être po ursuivi, soit par le dona te ur, o u ses héri tiers, o u ses cr éancier s. »
défunt parce qu'il ne s'agissait que de sommes, de deniers dont il s'était dessaisi à mesure qu'il les avait employés. »
L e de uxiè me arr6t esLdu 4 aottt 1564. - Un particulier
avaiL été po urvu du prieuré de Saint-Pierre-le-Mou sti er, à
la charge de se îaire r elig ie ux dans l 'ordre de Saint-Benoit.
Ayant pronon cé ses vœ ux dans l'abbaye de Saint-Martin
d'Autun , il r éalisa pendant le temps de sa po ssession de
nombreu ses améliorations dans les bâtim ents du P rieuré;
il cons tr uisit un e bibliothèqu e et la garnit de livr es ; il
ach eta des o rnements pour l'église et fit me ubler le
prie uré.
Après sa mort, il y e ut con testation ; l'abb é d'Autun et
les relig ieux de la Congr égation de Sainl-1\laur pr étendir ent q ue Lous ces obj ets faisaient parti e du pécule du
défunt, qui le ur revenait à eux, puisqu'il avait fait profession dans cette abbaye .
Mais la Cour décida qu e ces obj ets demeureraient au
prie uré, à cause de leur destination.
Ainsi la doctrine et la j urisprudence s'accor daient à
r econnaitre la validité du don manu el. En 1731 survint la
fameuse ordonnance s ur les Donations, du e au chancelier
d'Aguesseau . Celle ordonnan ce assuj ettissait les donation s
à des fo rm es rigo ure u es, mais elle n 'atteignait pas le
don manuel. L'illu tre aute ur de cette ordonnance n 'hésite pas à l e déclarer lu i-même dans une lettre qu'il
écrivit au P arl ement de Bordeaux, qui seul avait fa it à ce
suj et q uelques r ern ontrances : «à l'égard d u don qui se
con somm er ait sans aclc par la tradition réelle d' un meuble
ou d' une som me modiqu e, l'art. 1er de l'ordonnance nouvelle, n e parlant q ue des acte portant donation, ~ ·a poin ~
d'applica tion à cc cas q ui n'a besoin d'aucune 101. Aussi
quoique la mèmo q uestion p uisse également se présenter
dans los différentes provinces du royaume, au cune autre
La jurispr udence, elle au s i , reconnai ssaiL la vali dité
des dons manuels, des dons de main-chaude comme on
les appelai t alors. 1 ou s cileron s no tamment deux arrêLs
du Parlement de Pa ris.
)
~e prem ier est de l'année 1607. - Un évêque d'A uxerre
avait employé un e so rn mc consid érable an bâLimen t d'un
collège dans celle ville, san s aucun aclc de clonaLion.
Après so.n décès, ses h ériLi crs préLendi renl q ue l es bâtiments fa Jts leur appartenaient . - Mais la Co ur j ugea q ue
le collège deme ureraiL à la ville s uivant l 'in tention d u
�-78-
-79-
Compagnie que la yôtre n'a été touchée de cet inconvénient. >>
C'était aussi l'interprétation qu 'en faisaient nos anciens
auteurs ; ainsi Furgole disait : « Il faut prendre garde que
notre article n e dit pas: toutes donation ~ entre-vifs, mais
simplement : tou s actes portant donation entre-vifs. Il en
r ésulte que si la donation était de meubles, dont la tradition eut été r éellement faite, elle ne serait pa s nulle,
comme elle ne l'était pas aoant la p résente ordonnance. »
Pothier partageait pleinem ent l'avis de F urgole. (( Les
donations de me ubles co rporel s, lorsqu 'il y a tradition
réelle, ne sont snj ettes à aucune form alité, puisqu'on p eut
même n 'en passer aucun acte. >>
Une derni èr e question se po se, i ci : Les dons manuels,
a-t-on dit, n'étaient valables dans l 'ancien droit que s 'ils
avaient pour objet des choses de vale ur modique, et l 'on
cite à l'appui de cette opinion une le ttre de d'Aguesscau.
En droit , nou s pensons que cette opinion est fa usse . En
effet, quel est le tex te de loi que l'on peut invoq uer pour justifier cette théo rie? Un pareil système n e pourrai t être exact,
au point de vue juridique, que si l 'on avait fixé un taux,
comme en droit romain le modus legis Cinciœ . Ce qui est
vrai, c'est que dans l'ancien droit les dons manuels n'eurent jamais en fa it g rande importance; l'argent était le
seul des objets mobilier s qui pût donner quelque vale ur
au don manuel. Mais l'histoire ne nous dit pas qu'il y ail
eu de fortes lib éralités de cette sorte. Lors que elles se
produisaient, c'étai t pour doler les enfants; e t -po ur peu
que la somm e eût quelqu e vale ur, il était dans l'u sage de
r édiger la donation, (No uveau DenisarL.)
De l'ancien droit, le don manuel a-t-il passé dans le
droit nouveau ?
suj et aucune disposition législative. Mais ce doute s'accentue enco re davantage lorsqu'on se met en présence de
l'article 893 code civil : « On n e pourra , dit cet article,
disposer de ses bi ens à titre gratuit que par donation
entre-vifs ou par t estament et dans les formes ci - ap rès
établies . Ce texte est on ne peut plus impératif. Il faut
donc nécessairement employer ces form es. En ce qui
concerne la donation entre-vifs qui nous in téresse plus
particulièr ement, ces form es sont l 'acte authentique, l 'acceptation expresse et solennelle, et lorsque la donation
porte sur des obJets mobiliers, un état l'estimatif.
Mais ces raisons s i puissantes soient -elles en apparence
ne doivent pas nous arrêter. Le code ciYil, dit-on , n e
parle en aucune façon du don manuel; mais y avait-il,
dans l'ancien droit un texte qui parlât du don manuel ?
Pas plu s l 'ordonnance de 1539 que celle de 1731 ne prononcent le mot, et nous ne le r en controns que da ns les
explication s détaillées q ue les commentateurs ont donn ées de ces ordonnances.
Ce n 'est que dans la doctrine et dans la jurisprudence
qu'on l e renco ntre, non dans un texte de loi positive. Et
cependant sa validité n e faisait aucun do ute pour personne.
Pourquoi en serait-il autrement so us le code civil ? L'histoire m ême du don manuel nous démontre, puisqu'il avait
é té toujours admis, la nécessité d'un texte formel, non
point pour l'admettre, mais bien, au contraire, pour l'ex-
On est tent é d'en douter si l'on songe que le code civil
n'en parle dans aucun article et qu'on n e rencontre à ce
clnre.
Du reste, de puis la loi de 1850, cet argumen t a perdu
toute sa valeur. En effet, cette loi dit expressément:
actes portant déclaration ou reconnaissance du
<( Tous
don manu el i>
Nou s venon s de dire qu'il faudrait un texte inhibitif;
or, n e serait-ce pas l 'ar ticle 893? Nullemen t. E n effet,
l 'arg ument tiré de l'article 893 est loin d'avoir la portée
�-80 qu'il semble avoir tout d'abord . Il dit bien , san s doute,
qu'il n'y a que deux façons de fa ire des libér ali tés; et
cependant il est des libérali tés , reconnues par le code luimême, q ui ne sont point du tout ass uj e tties aux formalités
rigo ureuses des donations entre-vifs ; telle es t, par exemple, la r emise de dette ; il n'y a là d'autre forme q ue la
remise même d u titre q ui con state l'obligation ; il n 'est
pas besoin qu 'il y ait un acte au lhen Liqu e . T elle es t en core
la stipulation pour au trui , aux ter mes de l'ar ticle 1121 ;
ici encore dans un acte sons-seing privé on peut faire
une donation ; il n'est donc pas rigour eusement n écessaire de recouri r à un acte authentique . Mais alor s comment expliquer l'article 893 du code civil ? L e voi ci : Cet
article a eu po ur but d'abroger les donations à caus e de
mort qui existaient en droit romain et dans notr e ancien
droit.
En effet, pour entraver le plus possible les libéralités ,
la loi a voul u l es déclarer irrévocabl es, de fa çon à obliger
l e donateur à bien r éOéc hir avant de se dépo uiller ; c'est
l 'application de la maxime fameuse : Donner et r etenir n e
vaut. Or , les donations à cau se de mort élu daient co mplètement cette r èg le fondamentale , à ca use du j us p œnitendi qui les caractérisait. - C'est pour les abolir que le
Code civil a édicté la disposition for melle de l'art. 893.
Le Code civil , en ne conservant plus que deux form es de
disposer de ses biens, a employé la forme exclusive. « On
ne pourra ... .... qu e par , etc ... »
Ainsi donc les raison s d'écarter le don manuel n 'étan t
pas décisives, l e don manuel e:x.iste ; mais quel en esL le
fondement j uridiquc ?
D'après un premier système, l e don manuel n e devrait
son existence qu'à ce lte maxime dont il serait l 'application: cc Il faut tolér er cc qu'on ne peut empêch er . » Ce
système , d'un pessimisme bien prononcé , a l e tort, à no lre
-
81 -
avis, de n'avoir aucun e vale ur au point de vue juridique .
En e ffet , i le don manuel n'e ntre point dans les vues d u
légis lateul' , po urquo i <l ire q u'il fa ul le tol érer ? - Si sa
mani fc ta lion e t une violation flag rante de la l oi, on n 'aura
qu'à l 'a nnuler com me on annule les actes fraud ule ux ; mnis
on n 'a point à les so111nettrc aux r ègles de fon d des libéral it6s e ntre-vi fs . Les actes fraudul eux, eux aussi , on ne
peut l es cm pèche r. Est-ce un e rai on de les tolérer ?
Un au tr e sy tème voit da ns le don manuel l'exécution
d'une obliga tio n 11alu rell c; une fo is la tradition faite, le
donaLCu r ne pe ut plu s rep rend re sa cho e, par application
de l 'article 1233 C. C. -Jlais on oublie de n ou dire quel
est le fo ndement de celle obliga tion naturelle. Et ce qui,
en o ut1·c, prouve l'in co nséque nce de ce sy-tèmc , c'est
qu 'on ne l'ap pli qu e pas à la trad ition d'immeuble faite
après une do natio n irrégulière; or, il y a dans co cas
comm 0 dao l'a utre, mê me raison d'appliquer la règle.
U n tl'ois iè mc ystè111 e trouYc le fo ndement juridique du
don manu el dans l'a rt icle 2279 : ((E n fait de meuble , possession Ya ut titre.» La po ~e s iou est, dit-ou , la meilleure
garan tie qu e p uisse avo ir le donataire pour le protége r
contre les ca pricie ux repentirs du do nateur. Quelles prcuYCS ce dern ier alll'a- t-il po ur établi r son prétendu droit de
propr iété cl lui reprend re ainsi les choses dont il l'aura
g ratifié? La tradit ion conso mme tout , et mieux que to ut
a utre moye n , as u1·c l'il' révocab ilit é du don. Toutefois ,
n ous n e no u ' rangeons pas darnntage à cc système. En
e ffe t, à n os ye ux, il expli que sur toullcscon équcnces du don
manuel, bien plus q 11'il ne no u en expose nettement le fondement jmicl iq uc. Il e t bie n Yt'ai qu'une fois la tradition
fai te, il se 1·a difficile au do nateur de reprendre 'a chose .
l\Iais s i le don ma nuel éta it con lraire à la loi, s'il con liluait un ac te frauduleux, on po urrait en prouYer l'existence
par tou s les moyen s po ssibles, môme par de simples pré6
�-82 somptions; et si ce preuves sont parfois matériellement
difficiles, elles ne son t pas pour cela juridiquement im possibles.
D'autre part, l'article 2279 a une portée tout autre que
celle qu'on lui assigne. Ce n 'est pas lorsque l e procès s'élève enlre donate ur e t donatail'e que cet article peut être
invoqué; dans ce cas, le fait de la possession met bien à
du demandeur , c'est-à-dire du donateur, la pre uve
l a charo-e
0
de l'obligation de rendre, mais n'exclut pas cette pre uve.
L'article 2279 ne doit ètre iuYoqué que lorsque l e procès
se passe entre le prop r iétaire e l un tiers délentenr; s i on
ne prouve pa la mauYaise foi de ce dernier , l e fait de sa
possession exclut toute preuve de propriété, cette pre uve
fut-elle certaine. L'a rtide 2279 a é té , en effet, édicté pour
protéger le possesseur ac.::tucl d'un meuble contre l es r evendications même légitimes d'un Liers propriétaire.
Exemple: Quelqu'un me vend ou me donne un meubl e,
survient uu tiers qui veut le repre n dre en tre mes mains
sous le pré texte que cet objet était s ien et qu'il ue se lro uvait qu'à titre de dépôt aux mains de celui qui me l'a vendu
ou donné. Sa prétention peut êtr e jusle i elle échouera
pourtant devant la maxi me: «En fait de meubles .... , >i que
j ' invoquerai pour ma défense. La prétention du réclamant
n e r é ussirait que s'il y avait eu perle ou vol. ~lais clans
l 'exemple que nous venons d e citer, il y a abus de confiance; donc la maxime: «En fait de meubles, posses ion
vaut titre >i recevra p lei n e ment son applicalion.
Cetle règle, qui de prime abord peul paraitre injuste, a
été édictée pour é laulir la sécu rité des transactions co mm erciales. Si l es tiers acquéreurs n 'étaient pas gara ntis
contre la revendication <lu propl'iélairc, jamais ils ue trait eraient. Il n 'en est pas de la ven te des m eubles comme
de la vente des imm e ubles. Dans ces dernières, l 'acq u é·
r eur demande toujou r s au vendeur ses Litres de propriété;
-83 mais la vente des meubles se faisant sans titre , il serait
difficile au vendeur de produire au nouvel acquéreur un
titre qu'il n 'a pas. Voilà pourquoi a été fait l 'art. 2279; il
supplée au défaut de titre.
Mais dans les rapports des parties entre elles ou de
l e urs héritie rs ou ayants cause à titre universel, la r ègle
n 'est plus la même . lei , l' une des parties, le prétendu donateur peut établir que l'objet n'était a ux mains de celui
qni le détient qu'à Litre de dépôt, par exemple, qu'en conséquence sa détention n 'était que précaire, et qu'il était
obligé de r estituer l 'objet. Ce n'est plus la reYendication
que le d emandeur intente; c·est une action personnelle
dérivant d'un contrat ; le défendeur ne serait donc pas
admis à exciper de l'article 2.279 qui n'est fait que pour
éviter les actions r éelles.
Ainsi donc l'arlide 2.279 n 'est pas le fondement juridique du do n rnannel.
On dit qu elquefois que l e don manuel est de droit natut'el. << C'est un acte sui genel'is qui ne relève que des
lois de la morale, de l 'uti lit é et de la raison qui sont les
seu l es bases fondamentales <ln droit des gens» . (Dalloz.
R épet'l. V 0 Disp. cnlre-Yifs, n° 1647). - Ou nous comprenons mal ces mols, ou ils signifie nt que le don manuel a
de tout temps existé; qu'impatient d'une discipline, il ne
tient que de lui- même ses propres règles el ne saurait
s'astreindre à une régl ementation po itive. - Cc y Lème,
qui contient une part de Yérilé, est cependant exagéré.
- Sans doute ) t)o-rùce à sa nature expéditive cl facile, le
don manu el a cxi.:; lé de tout temps ch ez les hommes; sans
cloute, l e don m an11c l produit en droit ch·il des cITcLs que
l e droit natmel reconnait. - filais cel a ccord de l'histoire
el du droit, celle concordance du droit naturel cl clu <lroit
positif ne font que mieux r es ortir encore la nécessité
d'une r églementation positiYo; s i le don manuel e t <l'u n
�-85-84tel usage parmi les homme , ~ 'i l est à ce point e ntré dan s
les mœurs, qui ne Yoit qu'il faudra as ~ urer à c hac un les
droits qui en <léco ul cron l el lui en garantit· le libre exercice, puisqu 'il les aura 16gilim ement acquis ? Ainsi le
droil naturel peut bi en inspirer ou aider le droit po sitif,
il ne saurait le suppl 6e r complèle ment.
Le fondemen t d u don manuel, selon nous, se trouve
dans l'hislorique et dans les trava ux p réparatoires . L'arLicle 931 C. C. est, en cfTct , la r e produclion lill é rale de
l'article 1er de l'ordonnan ce de 1731. Or, sous l 'empire <le
celle ordonnance, le don manuel é tait tenu pour va lable;
les rédacteurs du Code ont donc voulu reproduire l 'ancien droit , r elaLiYemenl aux donations, sans apporter
la moindre innovation ; il ont donc maintenu le don
manu el.
D'autre part, Joube rt , dans sou rapport a u Tribunat,
disait : «Les don s manu els ne sont susce ptibles d 'auc une
forme ; il n 'y a là d'a utre règle qu e la tradition, sau f néanmoins la réduction el le rappor t dans les cas d e droit ».
11 était donc bi en dans l'inte ntion du législate ur de 1804
de maintenir le don manuel.
Sa rnlidité une foi s reconnu e e t juridiqu e me nt é tablie,
entrons dans quelqu e d 6Lails et yoyon s e n quoi il ressemble à la donation entre-vifs, en quoi il e n diffère.
CHAPITRE III
Parallèle du don 1nanuel et des donations
ordinaires.
A. § 1. -
POINTS DE RESSEMBLA.N CE
Intention d'aliéner et d'acquérir.
Le do n manu el, é tant un contrat , exige ch ez l es d eux
parti e contractantes, l'intention réciproqu e d'alié ner e t
d 'acqu é rir à tit re gra tuit. La doctrine el la jnri prudence
sont d 'accor d ur cc point. Ce n'est là, du r e te, que
l'a pplication de principes en mati ère de conven tion ;
sans consentcn teme nt , pas de cont rats : qu'il 'agi c de
con trat à Litre oné:rc ux ou à titre g ratuit.
L'int e ntion d'a li éner au profit d 'une personne déte rminée c L soumi se aux règles gén érales de la pollicilation;
nota mm ent , lanl que l'o ffre n 'a pas été acceptée par le
donataire, elle peut èlre révoquée, à moins que le donateur
n'ait acco r <lé au d onataire un certain délai pour réfléchir .
E n econ d lie u, la pollicitation doit èt re acceptée du YiYant
du d o nateur , mè me ~ i l'offre se fait par l'intermédiaire
d ' un Lier ·. Cc dernier point a pourtant été contesté, et la
juris prude nce 11 0 11 présente, à cc s ujet, les dtci<>ions les
plu s op posées ; mais l'examen de cette question lro uYera
sa place a u chap itre de la tradition.
L'inte ntion d 'acqu é rÎI' de la pnrt du donataire ne doit
pas ôt re moin s ccrla ine q uc l'intenti on d'a li(·n cr chc1 le
donate u1·. On sait , d'a illeurs , qu 'en matière d e donation,
�-
86 -
l'acceptation est soumise à des r ègles fort rigoureuses;
ainsi, elle doit être so le nnell e et expr esse.
Mais en mati è re de don s manue l s, peul-on dire que
l'acceptation tombe sous l'application de l 'ar ticle 932? Je
ne le crois p as. L'a rticle 932, se r 6f6rant aux forma lités
des donations entr e-vif , ne sa urait se rapporter à nolre
esp èce, pui sque en dehors de la t radition, l e don manuel
n 'est soumis à aucu n e au tre forma lité. L 'inte ntion <l'acquérir à titre g r at uit doit cxi ter sans doute , mai s e lle n 'a
pas besoin d 'ê tre expressé me nt for mulée dans un acte
auth entiq ue, que cc soi t l 'ac te de donation lui-même ou
un acte isol é. L' existen ce de ce consentement n'e t donc
pas s ubordonn ée à l 'acco mplissem e nt d'une so lennit é; de
quelque façon qu'ell e soit constatée, elle produit son effet.
(Paris, 7 décembre 1852.)
. Ce tte intention d 'ali é n er c~ ez l ' un, chez l'au tre d'acq u é1
rir n est au tre chose que lajusta causa traderuli du droi t
ron~ain . Seulemen t, tan dis que e n droi t romain , la justa
c~usa tr~uvait sa raison d 'être dans un fai t ju ridique an téA
qui s'exécL1ta1·t 1)acr 1a t ra d't·
rieur
e, ou bien pouvait
1 ion mvm
,
a elle se~ le constit11cr un con Irat i solé , en droit fran ça is,
au contraire, elle <loi L nécessa irement être isolée ; elle est
un contrat par elle-même el n on poin t l 'exéc ution <l'un
contrat antérieur.
Le don manu el n 'es t, e n effet , soumis à auc une aut re
formali té que la tradition. Si donc l e consentement a été
donné
11e u1 ., on se t r ouvera en pré c nce
, un acte .an té,·
. dans
ou bien dune donat1on entre-vifs, s' il s'ao-it d 'u ne libéras'il s'ao-it de conlité, ou d ' un e vente ou <l ' un échan()'e
0
0
'
·
é
trats,. à Litre
. on , reux, mai s cc ne se l'a pa s le <lon manuel.
L mtcnt1on d al ié ner el d 'acquérir à titre g ratuit n 'est
pas nécessaire seu lemen t à l'ex istence dn don manuel;
elle, se rt aussi· a· l L11· d onner son carac tère de li!J6ralité.
A 8 en Lenir aux appar ences et aux formalit és , bien des
-
87 -
con tra ts r essembl ent au don manuel ; le prêt, notamment,
se forme par la remise de La chose : c'est un contr at réel;
l'obligation de restituer la chose ne prend naissance qu'au
m o ment m ôm e où la cho e est remise, au moment où
s'eITecLuc la tradition ; en ce qui concerne le don manuel,
la propr iété <le l 'objet esl aussi transmise sans doute par
l e gcul consenteme nt; mais co mme l e plus souvent la
tradi tio n l'acco mpag n e, c'est a u moment où l a tradition
s'accomplit que la propriété passe d' une tête sur une
aut re. Mais comment savoir s i c'est la propriété qui vient
de se transmcLLrc ou si c'est l 'obligation de restituer qui
a pris nais ancc avec les autres obligations que la loi
attache à ce contrat de prôt ? C'est l' intention, et l'intention seule des parties, qui pourra permettre de faire la
di stin c tion.
Ce que j'ai dit du prêt s'applique aussi bien au dépôt ou
au gage ; dans l ' un et l 'a utre cas, il faut qu'une partie
fasse à l'autre remise <le l'objet, cet objet est mobilier
comme dans l e cas <lu don manuel, et la partie qui le
reçoit contracte plu icurs obligations, entr'autres celle
de conserver la chose en bon pè re de famille, et celle de
restituer. Mais fi quoi rcconnaitra- t-o n que ce sont ces
obligations qui ont pris naissance plutôt que la propriété
qui a été lran férée, sinon à l'intention même des partie~?
L' importance de ce consentement fait tout de suite comprendre l'inLé r è Lqu'ont les parties à le bien établir. :'\lai ~
c 'e t là une que Lion d'une nature différente, qui Lrouyera
sa place , quand nous parlerons de la preuve.
A quel mome nt doit se produire l'accord des deux parties? 0/o us ayons vu que l'offre ell'acccptalion pouvaient se
faire simul1ané111c11 t ou bien e.ri11ten1al/o-ponrvu ùumoins
q ue l'acco rd tics parties se fit tlu YiYant de chacu n e d'elles.
Cc n'es t point li\ la question qu'il s'agit d'examiner ici. ll
faut savoir s i l'acco rd des volont6s doit être concomitant
�-88-
-
à la tradition de l'objet donné ou s'il peut se produire
in dépendamment de la tradition.
Celle question rcYient ~1 ce ll e de savoir s i en mat iè re de
don manud la tradition c t nécessaire au tran ferl <le la
propriété ou bien si ~l lui se ul le consentemen t des parlics
suffit pour opérer ce changement. Or, il im porle ici de
bien préciser la q uestion. To ut do n manu el cornportc
deux conditions au si nécc aires l' un e qu e l'autre : le
concours des volontés c l la t1·adition. Mais ces conditions
se trouvan t r éa li sée , quelle c t ce lle des deux qui j oue
un rôle prépondérant ? Ont .elles, au contraire , une égale
importance ? Pour nou s, la so lution de cette queslion ne
saurait Mrc douteu c, en regard des principes géné raux
de notre législation en mati ère de tran 'ferl de propriété ;
aujourd'hui , entre le partie conlrac;lantes du moin ~ , le
seul consentement suffit à o pérer le transfert de propriété ;
l'article 1138 e t, en effet, ain i con \ n : « L 'obligation de
livrer est pa rfaite par le seu l con ' cn temc nt <les parties. >i
EL l'article 988 au litre des donations : « La proprié té es t
transférée entre le donateur cl le donataire par le ' Cul
effet du co nsentement des parties et sans qu 'il soit besoin
d'autre tradition. »
Donc la seule intention réciproque d'aliéner ~t d'acquérir à titre grat uit s 11ffit pour opérer le tran fcrt de
propriété, soit que le don manuel emprunte ses règles
aux principes des contral , oit qu'i l les emprunte aux
règles particulières de la donation.
Il s'ensuit q11e le con entcment peut exister indé pen damment de la tradition , el l'éciproquement la traditio n
peut être ind épendante de l'intention des parti es contractantes . Toutefois ces deux ca ne sont pas an s différence;
t~n.di s ~uc le conscntem cn l t ran s fè rc la propri él6; la lrnd1t1on a ell e seule ne le ln1n sfèrern 1·amais · - le consen'
t emcnt constitue à lui seul le contrnt; la tradition n 'en
.
89-
est que l'exécution. A son tour, la tradition a sur le consentement l 'ava ntage de caractériser le don manuel; le
consentement est, en effet, aussi bi en de la donation proprement dite que du don man uel; mais tandis que pour
la donation , l e- forma lités exigées par la l oi sont nécessaires à so n ex istence; au con traire, le don manuel se
consomme se ul par la trad ition . Cette démonstralion se
complètera par les développements que nécessite le chapitre de la tradition.
§
II. -
Dessaisissement inùocab/,e.
L'inten tion de donner est un élément nécessaire du don
manu el, com me de Loute donation entre-vifs; mais ce n'est
pas un él ément suffi ant; il faut encore que le don soit
irrévocable. Donner et retenir ne Yaut, disait-on dans l'a ncien droil. Celle maxime qu i a pass é dans notre Code,
s'app lique à toute libéralité, qu elque forme qu'elle revête. La doctrine cl la juri prudence sont d'accord ur ce
point.
Cependant un auteur, l\I. J ules Claude (Thèse po ur le
doctorat, Nancy 1884), soutien t que théoriquement il est
bien douteux que la règle : donner et retenir ne vaut
s'applique anx dons manuel ; du moment, diL-il, qu'on
admet la Yalidi té de don manuels, on sou trait ce ' Orle
de lib éralit és f1 tout e les re trictions auxquelle le l égi -lateur a soumis l e donations entrc-Yif dan le article
932 et suivants; or, la règle de l'irréYocabilité constitue
une des plu - importante de ces restriction ; el on ne
voit pas en vertu de quelle idée on pe ul soumettre à celte
règle les dons manuels, alors qn 'il sonl affranchi - des
formes de la donation.
Nous ne pnrtagcon pas cette fac,·on de voir; eu effet,
Particlt 894 définit la donation un contrat par lequel le
�· -90donateur se dépouille actuellement et irrévocablement au
profit du donataire de la chose donnée; or, cette définition
est CYénérale dans es terme ; elle s'a ppliqu e donc à toute
0
donation quelle qu'elle soit, y compris l e don manuel. L'erreur de l'auteur que nous corn ballons consiste, selon nous,
à prendre !'irrévocabilité pour une règle de forme , alors
que de l'aveu de tous , elle est nn e r ègl e de fond ; or , on
sait que si le don manu e l est affranchi de toutes les règles
de forme des donations , en revanche il est de plein droit
soumis aux r ègles d e fond .
Le dessaisissement doit donc être irrévocable , mais
comment r econnaitre ce carac tèr e? L'inten tion des parties,
sans doute , sera ul\ des é léments d'appréciation pour
déterminer ce caractère n écessaire du don manue l ; mais
est-élle le seul é lément ; ou plutôt comment é tablir celte
intention? car il est évident que ce caractère d 'irrévocabilité ne peut découler qu e de Pintention des parties et
que la question ne se pose qu'a u point de vue de la
preuve. Ainsi un don manuel a été fait, doit-on en conclure imm éd iatement qn'il a é té fait avec un caractère
irrévo cabl e par application de la r ègle : Donner et retenir
ne vaut, ou bien, au contrai r e, pourrait-on déduire des
circonstances dan s lesq ue lles le don manuel a été fait
qu'il ne l'a été qu'avec l'intention de le reprendre à une
époque déterminée?
En d'autres termes, il importe de bien distinguer le don
manuel de la donation à cause de mort. La question n 'est
pas sans intérêt. Le don manuel entre-vifs est valable par
la seule tradition; la donation à cause de mort au contraire
est nulle, et doit pour être valab le, r ev êlir la forme du
testament .
La question 'est présentée plusieurs fois en i uris prudence .
Le don manuel fait par un donateur a ux approch es de
-91la mort a été considéré comme donation à cause de mort
et à ce titre a été annul é. Ainsi l'ont décidé des arrêts
dont les principaux sont, l' un de la Cour de Paris du
4 mai 1816, l 'autre de la Cour de Bordeaux du 8 août 1853.
Notons, en passant, que sous le droit coutumier, les
donations faite s in extremis étaient prés um ées faites à
cause de mort (Ricard).
L 'arr6t de Bordeaux me parait entièrement conforme
aux vra is principes juridiques : il porte s ur l'espèce suivante :
Un mourant avait fait un don manue l, sous la condition
que le donataire n e serait pas libre de di ~ po ser de l'objet
donn é avant l e décès du donateur et qu'il aerait te nu de
l e lui rendre, en cas de retour à la santé. La Cour de
Bordeaux a vu dans ce fait une donation à cause de mort
et l'a annulée.
Il r és ultait des faits e t circonstances de la cause que le
donateur avait impo sé au donataire l'obligation de ne pas
se servir d e l'objet donné avant son décès. La transmission de la proprié té é tait donc reportée, dans l'intention
des parties, au moment du décès de l' une d'elles; elle
n 'avait pas lieu actuellement; c'é tait donc un legs, non
une donation entre-vifs, et co mm e le legs n'était pas fait
suivant la forme tes tam entaire, ce ne pouvait être qu'une
donation à cau se de mort, donc la libéralité devait ê tre
déclarée nulle.
Mais la question s'était déjà présentée deYant la cour
de Paris dan une e pèce beaucoup plu s intéressante au
double point de vue du droit et du fait. Joseph Chénier
mourant avait remis e manuscrits à nne dame Le parda.
Celle-ci publie aprè la mort les œuvres de Jo eph Chéni er . Réclamation de la part des héritiers qui co nte~ tent
à la clame Le parcla la l égitime possession de ces pièces.
Celle-ci r épond qu 'e ll es lui ont é té livrées à titre de don
manuel. Réplique des h éritiers qui prétendent que les
�-
92 -
- 93 circonstances dans lesquelles ce don a été fait lui donnent
forc ément le caraclè re de donation à cause de mort, et
qu'à ce titre le don d oit ê tre annulé. Ju gement et appel.
La co ur de Paris décid e, en cffcl, qu 'à raison d es circonstances, le don de manu scrits ne pe ut ôtre consid6ré que
comme une donation à ca use de morl , e t nul à ce titre.
Cettejurisprude u cc n'est pas, à nolre avis,à l 'abri de toule
critique. Ce qui caract érise !'irrévocabilité de la donation
n'est-ce pas l'inte ntion du donate ur ? Et pour d é te rminer
ce caractère, sera-t-on obligé d'e mprunte r aux circonstances dans lesq u ell es ce don a é té fai t que lqu e chose
qui serve à le préciser ~ Dira-t-on que l es circonstances
ont précisément pour effet, inon pour but, d e r évéle r
quelle a été en définitive l'intention du donateur? Q u e si
le don manuel a été fai t par l e donale ur eu pleine sanlé,
en pleine posses io)1 de es facult és, c'est certain ement à
titre irréYocab le que le don a dù être l'a it ? .:\lai s que si,
au contraire, c'est un mourant qui a re mis l'objet a u donataire, en témo ignage de sa reconnaissance e t pour s 'acquitter en vers lui de dett es d 'affeclio n , il fa ul nécessairement voir dans cc fait une donation à cause de mort;
s urtout, si l'on con idèrc l'objet m ê me de la donation ;
les manuscrits son t le gagne pain d ' un au teur. 11 est
peu probable qu'il ail e u l'intention de s'en dessaisir irrévocablement et qu'il n e e soit pa s réser vé l e droi t de reprendre ses manu scril s' il revenait à la santé.
Si bonnes qu'elles a ient pu paraitre à la cour, ces raisons n e n ous paraissent pas décis ives.
Pour qu' une donation soit ré putée donalion à ca use <le
mort, il n e s uffit pa s qu 'e ll e ail été faite par son auteur·
en prévi ion d e la morl. 11 y a plus, l a lib é ralit é faite par
que lqu' un en danger de mort , propter mortis su spirionem, n'esl pas une donal ion à cause de mo rt si le donateur la subordonne à o n propre décès comme à une con-
dition s uspensi ve ou résolutoire. Les conditions casuelles
sont parfaitem e nt compalibles avec le principe : Donner
et re te nir n e vaul. Cc qui en ferait un e véritab le donation
à cause de mort , ce serait l'apposition d ' une présente
condition potestative; ce serait qu e le donate ur se fùt réservé le droit de r évoqu er la lib éralité jusqu'à son décès;
la clau se du jlls pœ11ite1idi exislait dans l 'espèce qu 'avait à juger la cour de Bordeaux; là, le donateur avait
imposé au donataire l'obligation de n e pas se dessai ir d e
l 'objet jusqu'à a mort, dan la pensée éYidenle <le r~pren
dre la chose donnée et de révoquer le don , s'il revenait à la
santé.
Voilà pourquoi la Cour a décidé que le décès du donateur o u son retour à la santé é tait un terme , ju qu'auquel
le donat e ur se r éserYait le droit <le r évo quer la donation.
Le principe : donner cl retenir ne va ut, élail donc violé
et d 'autre part le don n'était point un legs, puisqu 'il
n 'avait pas revêtu la forme du testanrnnl. Il devait donc
être n écessai re me nt annulé.
Mais ici cette nécessité de voir dans ce don un e donation à ea u c de morl ne 'imposait pas. Ce caractè re ne
r ésu lt ait point <le la d éclaration du donateur; e l , à d éfaut
d 'ayeu ou d 'acte form el, il ne fa llait point cherch er <lans
les circon lan ces de la cause les raisons <le dé terminer le
caractè re de l'acte. Pui que un dou peut aussi bien ê tre
une donation e ntre- vifs qu 'une donation à cause <le mort;
c'est à titre irrévocable que le <lon doit ê tre présumé fa it ;
le contraire doit donc ê tre é tabli par des preuves certain es e t ne doit pas s'in<luire d' une si tuation.
Il faut qu>ïl y ait une parole du donateur qui révè le son
intention d'en faire un legs. C'est ainsi que le tribunal
d e Saint-Omer, l e 4 juin 1857 , a jugé qu o la remise de
coupon s par un moribond, en cas de malheur , est une
donation à cause de mort.
�-
94 -
i\Iais ici, la question se r éduisait à l 'inte rpr é tation d e l a
pe n sée du te ta te ur, p ensée r évélée p ar d es exp ~essions
dont il fallait fix er le sen . Supposon s, au co ntraire, que
ces mots, en cas de malheur, n 'aient pas é té p roférés pa r
l e donateur mourant : le t r ibunal eùt-il ét é e n droit de
déclarer qu'il y avait là n écessairem ent une don a tion à
cause d e mort ? No us n e l e p enson s pas.
Ainsi l'a décidé la Cour de Ro uen ~J.o u en , 8 juillet 1874).
Elle a jugé qu e la r e mise à Litre g r atuit de t i tr es a u
p orte ur, plus d ' un mois avant le d écès du d isposant et
san s qu e la conditio n de son décès y soi t apposée, n'est
p as u ne don ation à cause de mort , mais un don manu el.
(Voir , en core e n ce sens, Toulou se, 11 juin 1882, D. P.
1852. 2.225.)
§ Ill. -
Capacité
En ce qui con cern e la ca pacité, nou s auron s à d istin guer entre les p e rsonnes physiqu es e t les personnes m orale s.
Personnes physiques. - Les r ègles ordinaires d e la
capacité en matière de do n ation s s'appliquent sans diffic ultés au don man u el.
Aux term es de l'article 901 , po ur fair e une donation
en tr e-vifs ou un testamen t, il fau t ê tre sain d 'esprit. Cet
ar ticle n e dit p as : pour faire u n acte de donation , mais
b ien pour fair e une don ation . La gén ér ali té môme de ses
termes permet d on c de comprendre dans la r ègl e qu'il
édicte les don s manu els.
Le m in eur d e m oin s <le se ize an s n e peu t au cunem ent
disposer, si ce n 'est da ns son con trat de mariage e t sous
les condi tions qu e la loi énum ère.
L'inte rdit n e peu t lui n on p l u s disposer en auc une
-
95 -
man ière. Il y a mê me en ce qui co ncerne les dispositions
à titre gratuit, une r ègle plu s sévèr e que pour les acles à
titre on érenx. T andis q ue ces de rniers ne peuvent être
annul és après la mor t de celui qui l es a passés, que si,
au m om en t où ils fu rent fa its, l'inter diction avai t déjà é té
p ro n on cée ou seu lem en t pr ovoq u ée , à moins qu e la
d é men ce ne r ésul te évidemment de l'acte lui-même ; pour
l es donalion s, au co nt rai re, non seulement on n'exige pas
qu'elle révèle par e lle-môme la démence du donateur, mais
e n core alors môme qu 'au moment de la donation, l 'interdiction du donateur n'aurait été ni p rononcée ni provoquée ,
on pourra pro uver par tous les moyens possibles l'incapacité du di posant pour insanité d'esprit.
Celte différence s'explique par la nature m ême des actes
à Litre oné reux ou des actes à titre gratuit. La donation
appauvrit u éce sai rcment notr e patrimoine; dans l'acte à
titre onéreux, au contraire, en échange de ce que nous
p er dons, nous augmenton s no tre patrimoine de quelque
chose : il y a une compensation. On comprend doue sans
peine que la loi soit plus d isposée à annuler les actes à
t i tre gratuit que les acles à tit re on éreux.
E n tr e époux, le don manuel est permis; mais comme
toutes les di position à titre grat uit , il est essentiellement révocable. (Bordeaux, 4 mars 1835, Sirey 1836, 2.
548.)
L a femme mariée, pour fai re ou pour recevoir un don
m anue l, doit-e ll e avoir l'autori ation maritale ?
L es termes concordants d es art. 217 et 934 commandent
l'affirmative.
Cependant, nous trouvons dans la jurisp1·udence un
arrôt ck la co ur d'Aix qui est loin d 'adopter celte façon de
voir. (Aix, 16 aoùl 1879.)
« Allen<lu , dit la Cour, que la nature du don manuel
répugne à une pareille cÀigence, puisque le don manuel
se con somme sans écrit. »
�-
-
96-
:\l'est-ce pas dire, en d'autres ter mes, que l'autorisation
maritale ne pouvant ètre donn ée qu e par écril, cc principe
n e peut évidemment pas r ecevo ir d 'application à notre
espèce?
« E t qu'on n e e prévale pas d e cette circonstance,
ajoute la cour, pour déclare r qu e la femm e mari ée ne
pourra jamais faire ou r ecevo ir de don ma nu el , car ce
serait créer un nouvea u cas d 'i i.ca pacité à côté d e ce ux
que la loi a é lablis, ce qui e L impossible. »
::\'o us n e nous r an geo n pas à ce t avis. En qu oi la n:llurc
du don manuel rép ug n e-t-e lle à la n écessit é de l 'au lo ri atiou ? C'est parce que, dit la Cour, l'a uto risalie n d oit êtr e
donn ée par écril ; or , ici, cela n 'est pas possible. l\lais
cette rai on e L fa us e, par ce qu 'elle est trop absol ue ;
d'abord, e n adm etlan t môme la n éces ité de l'a u torisatio n
écrite, celle-ci pourrait bien ê tre donnée par écrit séparé;
il n 'est pas n écessai re que l'au torisa lion mari tale in tervienne dans l'acte mème qu e passe la femm e . En second
lie u, il est fa ux qu e l'autori salion du mari doive ôlre
donnée par écril ; l'a utorisa ti on peut êlr e tacite et r ésulte r
des circonstances, e t la plus décisive d e toutes est le
con cou rs d u mari dans l'acte ; si, pa r exem ple, il a é té le
mandataire de sa fe mme, pour donne r ou r ecevoir le don
manuel ; ou bien, c'est seu le ment en sa pr ésence q ue le
don manu el s'est r éalisé; qu e, en cas de procès, celle
autorisation so it diffi cile à é tablir, nul n 'en disconv ien t;
m a~s il n e s'agit poin t ici d'un e q uestion d e pr euve, il s'agit
um quemen t d' un e qu estion de capacité.
Le. condamné à une pe ine affii clive pe r pétuell e, de puis
la 101 de 1854, n e pe ul r ie n do nne r n i rie n recevoir , si cc
~'est à tilre de dons ali men taires; ce n'est donc q u'à ce
titre que l e don manuel l ui es l pe rmis. Avan t celle loi, la
question était disc ulée.
Nous trouvons, en effet, un arrê t d e la Cour d e Mont·
97 -
pellier (Montpellier, 19 nov embre 1840, Dalloz, 1° Dr.
civil , n° 988, note 1) : « Attendu , dit l'arrêt, que le
conda mn é est capable d e tous les actes du droi t d es gens;
qu e le don mane l est de ce tte catégorie. » - No us savons
ce qu'il faut pe nser de ce tte opinion ; la question n'offrant ,
d u reste, qu ' un inté rê t ré tro s pectif, nous ne nous y arrête•
ron s pas davan tage .
Personnes morales ou ciCJiles. - Les articles 910 et 937
s'a p pliqu ent-ils aux dons manuels faits a ux per sonnes morales?
La n écessité d ' une a utorisation a é té contestée par un
arrê t de la Cour de Bo urges, 21 nov. 1831 :
Con sidérant , d it l'arrê t, q ue l'autorisation n'est exigée
qu e pour les legs et les d onations par acte, mais que les
dons manu els n e so n t soumis à d'a utres forma lités que
ce lles de la d élivrance d e l'objet. »
Cet arrêt est le seul que l'on pu isse ci te r dans ce sens.
Tou les les a utres déci sions de la j urisprudence s'accorden t
à r econnal lre la n écessité d e l'autor isation même en ce
qui con ce rne l es dons manu els .
Il par ai t diffici le de pe nser différe mment, s urto u t en
p résen ce d u texte fo rm e l des articles 910 et 937 :
L'article 9.fü d it d'abord : (( Les dispo i tions e n tre-vifs
ou par testame nt ..... » 11 ne dit pas : «Les actes de d isposit ion e ntre-vifo ou les tcslamen ls. » Donc la généralité
d es termes com pl'end le do n maoue l. - :\Iêmo raisonnem en t pou r l'a rticle 937 qui com me nce par ces mots : Les
donations, et n on pas : les actes de donation.
Sans doute, co mme le di t l'arrêt de la Cour de Bourges,
l es do ns manuels n e so nt soumis à d'antres formalités
que la t radition. l\Iais alors, il s'agi t de s'entendre su r le
mot fo rm alit és. Faut-il ente n dre par Hi môme les règles
qui con ce ene nt la capncilé des par ties? ou bien, fa ut-il
seulem ent e n r estreind re l'éten.due aux formes p ropi·e7
�-
98-
ment diLes qui caractérisent la donation ,l 'acte authentique,
l'acceptation expresse et solennelle ? etc . .... C'es t ,dans
ce dernier sens qu 'il faut comprendre l e mot formalités.
Ce qui distingue l e don manu el des autres donations,
c'est la form e ; mais les règles de fond sont le s mêmes ;
or les loi s de la capacité sont des r ègles de fond. (Paris,
22 janvier 1850.)
Donc Pautorisation est nécessaire. Mais à quel moment
doit-elle intervenir ? Faut-il qu 'elle précède la tradition
ou bien qu'elle l'accompagne ? Ou bien s uffit-il même
qu'elle soit donnée après l'acte?
La jurisprudence décide qu e l'autorisa tion pe ut intervenir valablement même après la tradition. L'a rticle 910
dispose, en effet, que les donations n'auront d'e ffet qu e
tout autant qu'elles au ront élé autorisées; mais sans préciser l'époqu e à laquelle celte autorisation devra intervenir.
Et un arrêt de la co ur de Paris du 7 déeembre 1852,
décide même qu e par sa nature le don manuel r ésiste à
l'obligation de faire précéder de l'autorisation l'accep tation de la chose donnée.
En eŒet, le don manu el se con somme instantanément,
sans acte écrit et par la se ule tradition ; l'a utori sation ne
peut donc être requise que po stérieurement à sa consommation réelle.
Mais celte jurispruden ce est à no s yeux contraire all
texte formel de l'article 987 : «Ap rès y avoir é té dûment
autorisées. »
On peut cependant la jus tifier. A vouloir user de rapprochement, l'a utorisa tion inte rvenant après co up ressemble assez à la ratifica tion donnée par un min eur
deve~u maj eur, à un acte passé pendant la période d 'incapacité, ou mie ux enoo 1·e à la r atification donnée par
une femm e mariée à un acte passé par son mari hors des
-99limites de ses pouvoirs. Cette ratificati~n équivaut au
mandat d'accepter : ratihabitio mandata œquiparatur.
L'a utorisation peut-elle intervenir même après la mort
du dona.teur ? Des arrêts sont allés jusque-là; mais nous
n e sau.nons p ar l.ag~r l'avis de cette jurisprudence qui est
contraire aux pnnc1p es généraux en matière de donation
et en matière de contrals. Un contrat ne peut se former
qu e du vivant des parties . Or, si un des éléments essentiels vient à manquer , le conlrat n e peut se form er. Parmi
les élé ments essentiels à la formation du contrat, se
trouve la ca pacité. Sans doute le défaut de capacité n'annule pas n écessairem ent le contrat, il n e fait que le rendre annu lable. Mais il n'est pas moins vrai aussi qu'une
per sonne incapable ne peut consentir. Elle a besoin pour
donner un consen lement valable d'ê tre r elev ée de son
in capacité par une autorisation léga le. Il faut donc aussi
qu e ce tte aut orisation intervienne avant la mort du donateur, afin qu 'il puisse y avoir concours de volont6s ' car 1
sans concours de voloulés, pas de contrat.
N'est-ce pas là, d'ailleurs, la prescription formelle de
l'article 932 ?
La don ation pourra être acceptée par acte séparé , du
vivant du donateur. Si donc on doit accepler du vivant du
donale ul' , il faut qu e le donataire so it autorisé avant le
décès du donate ur, puisqu e sa ns autorisatiou il est incapable d 'accepter .
La co nséqu ence de ces principes, c'es t que tant qu e le
don manu el n 'a pas élé accepté par une personne morale,
c'es t un e si mple pollicilation; l'offre peut donc être révo·
qu ée non seul emenl par le donateur, mais encore par ses
h éritiers. E n vain objecterait-on qu e la partie capabl e qui
a trait é avec un e pai·tie iucapable, ne peut pas se prévaloir de l'incapacité c.l e cett e derni ère pour fa ire r ésoudre
le co ntrat. 11 n'y a pa s eu du to ut un contrat de formé; il
�-
tOO -
n'y a donc pa à le réso udre. Il n 'y a qu'une pollicitation;
or, tant qu'elle n'a pa été acceptée ell e peut ê tre rétractée. C'est ce droit que les hé i·itier exercent , puis qu'il s
l'ont trouvé dans le patrimoine de celui à qui ils s ucçèdent.
L'autorisation n 'est point nécessa ir e pour l es dons minin_ies ; ainsi l'a décidé un arr6t de la Co ur de Paris; mai s
quand y a-t-il don minime ? C'es l un point qu e l a co ur ne
précise pas.
On est cependant <l'accord en ce qui con cerne l es aum on es, les quêtes fait e dans les temples ou l es ob lation s
faites dans les troncs des églises . Pour ceux-là l'autorisation n'es t point exigée.
§ IV. -
Donation a<Jec charges.
Le don manu el pe ul-il être fai t avec char oo·cs ) notamment avec la r éserve <l'u s ufruit ? En d'autres te rm es, l'a rticle 949 peut-il recevo ir so u application à notre matière ?
En faveur de l 'affirm ative , on peut argu er d'a bord de la
généralité même des term es de cet article : « Le donateur, y est-il dit , pe ut se r éserver l' us ufruit des biens
qu'il donne, me ubles et imm e ubl es .
D'a utre part, nous savons qu e les r ègles de fond des
donations s'ap pliquent <le plein droit aux dons manu els.
de
Or, la règle donner cl retenir ne va ut est une rèD'le
0
fond. ~lai s ce tte règle est parfaitcmenl cornpa lihl c avec la
réserve d'us ufruit; celle dernièr e ne choque en rien le
principe de l'irrévocabililé des donations. Le don manuel
qu i est so umis comme tou tes les donations à !'irrévocabilité est donc parfaitement co mpatible avec la r éserve <l'usufruit.
Ainsi l 'a décidé plusieurs fois la jurispruden ce (Bour-
-
101 -
ges, 21 nov. 1835). - D. A. Disp. entre-vifs, note 1631. (Pari s, 8 déc. 1851). - (Cass., 11 août 1880, 15 nov 1881). (Pari s, 30 déc. 1881).
Il es t cepe ndant un cas oü le don manuel ne pe ut être
fait avec c.: harges : c'e t lorsqu'il est fa it au profit de communes el d'établi sse ments r eligieux ou de bienfaisance.
Aux term es d'une juris prude nce cons tante du c?nseil
d'État, il est int erdit à ces per sonn es morales d'accepter
des don s man uels . On exige qu 'ils soi ent transform és en
donati on~ pub liques c'es t-à- dire cons tatés par acte notarié.
On a pen sé que dans celle hypothèse un acte authentique
seu l pouva it assu rer à perpéLuité l'exéc ution de la volonté
du disposa nt. (Déc is. minist. , 18 oct. 1862. S . 62, 2, 272).
La doctrine , au contrair e, n'admet pas qu 'on puisse se
r éserve r l'us ufruit.
En elîc t, fa ire un don manuel en se réservant l'usufruit,
qu 'es t-ce autre cho e, sinon transmettre au donataire la
nue-propri été de l'o bj et donn é?
Or, la nu e-pr op riété es t un bien incorporel, et la natu re de ce droit est inconciliable avec la transmission
manuell e; il faut nécessair ement un titre.
Le trans fert de propriét é ne peut avoir lieu qu'avec un
acte.
La trad ition n e peut pas transmettre un droit de celte
nature; l 'intenti on des parties ne peu t, en pareille occurrenc e, se constater qu'à l'aide d'un écri t.
On aj oute encore, quantl il 'agit de la pleine pro priété,
l 'abandon en csl plus facile, et la preuve r ésulte du fa it
m ôme de la possessi on qui est transmise. Cc fail physique
simple de la trans mission de la posscs ion se rapporte il
un fa it juridique $tmplc: le ll'ansf'crt de la propriété . . \u
contraire , dans le ra de r éscrYe d'usufruit. il y a une
dualit é de <lroil ayan t un mèmc objet , d'un co té la nucpropriélé d u donaLail'e, de l'autre l'usufrui t que s'es t
�-103 réservé le donateur. Or, si le fait de la possession peut
prouver ou tout au moins fait présumer le tran sfert de la
propriété, il n 'aura pas le mê me privi lège en ce qui concerne l'usufrui t el la nue-prnpri6té, ott la décomposition
de l a propriété. Ici il fa ut un e co nvention accompagnée de
preuve; il fau t un acte; nous retombons so us la n écessité
des précep tes légaux.
Enfin , disent encore les auteurs, ce qui prouve que la
r éserve de l'usufruit est incompatible avec l e don manuel ,
c'est l'impossibilité où l'o n sera de prouver l 'usufru it. Le
don manuel, en effet, e t excl usif de la preuve écrite; du
moment où il y aurait un acte, il n'y au rait plus don manuel. Or, comment en cas de déba t, le don ateur, qui n'a
pas de titre, sera-t-il à même de démontrer son droit?
Comment exigera-t-il du débiteur le paiement des intérêts
du dividende ? Au moyen de la preuve tes timoniale ? Ma is
ce mode de preuve se ra d'une app lication peu commode
et dans tous les cas fort r estr einte, puisque au -dess us de
150 franc s elle est irrecevabl e? Mais au-dessus de 150 fr.
la question renait, et alors comm en t la r ésoud re?
Ainsi la doctrine admet que le don manuel n 'est pas
susceptible de la rése rve de l' usufruit, parce que ce serait
tran smettre par voie de don manuel un bien incorporel ;
parce que le fait s imple de la remise corporelle ne peut
pas prouver une dualité de droits s ur un même objet,
enfin, parce qu'il est impossible de prouver l'usufruit.
Mais, à notre avi , la doct1·i ne se trompe. En effet on
dit d'abord permellre la réserve <le l'us ufruit, ce s:rait
pe.rmettre de transférer un bien incorporel , la nue-propri été, par don manuel. 'Mais la pleine propriété n 'est-e ll e
? as un bien incorporel ? Toul cc qui es l droit es t un b ien
m~o r,por el , c'est-à.·<lire bi ?n qui n'exis te que pour l'esprit,
~u1 na pas do réalité phystq uc. Or, la propri été est un bien
mcorporel et se transmet par don manuel ; pourquo i n'en
serait-il pas de même de ses démembrements. Ce qui est
vrai du tout est vrai de la partie.
Je sais bien que les auteurs ont l'habitude de qualifier
de bien co rporel le droit de propriété. .Mais ne sait-on
pas qu e c'csl par un abus de langage qu'on lui donn e cette
qualification. Et c'es t en vérit é un bien faible arO'ument
0
que cel ui qu i s'appuie sur une défectuosité de langage
pour justifier une th éorie. Quand on va au fond des choses
on est forcé de reconnaitre que la pleine propriété est un
bien incorporel. Or, si elle peut se transmettre par voie
de don manuel, il doiL en être de même de la n ue-propriété seulement ou de tout autre démembrement.
Mais, dit-on encore , le fait de la possession peut bien
prouver la propriété, mais non pas une dualité de droits
portant s ur un même objet. Ce raisonnement n'est pas
concl uant. Et d'abord, la possession ne prouve pas la propriété; elle n e fait qu e la faire présumer. E n second lieu,
il ne faut pas confondre la possibi lité d'établir sur un même
obj et deux droi ts différen ls, avec la faci li té plus ou moins
grande d 'en prouver l'existence , une fois qu'ils auront été
étab li s. Ce sont là deux que tion bien distinctes: l'une
est r elative à la nai ssance des droits et des obligations;
l'a utre est r elative aux modes de preuve; la première
repose sur le libre consen temen t des parties; l'autre suppose nécessairement une contestation, un débat survenu
entre les part ies et la nécessité pour elles de démo ntrer
aux juges l'existence et l'étendue de leurs droits. l\lais il
ne faut pa s faire reposer l'impossibilité légale de la premièr e sur les difficultés plus ou moins gra ndes de la
seconde.
11 est temps d'examiner quelles sont ces difficultés et de
répondr e ainsi i\ la tr oi -iè mc objection. La doctrine déclar e
même qu'il y a impossibilité absolue d'établir les deux
droits. Là est l'exag6ration, là est l'erreur. Qu'il y ait des
�-104difficultés, nul n'en disconvient; mais impo ssibilit é, non.
La preuve écrite est irrecevable. Sans do ute, la preuve testimoniale n'est ad mi s iblc que dans des limites fort é troites. l\Iais l'ave u ? Mai le serment? n e sont-il s pas des
preuves qui , à défaul d'autres, établiront valablement le
droil d'usufruit qu e s'est réservé le don ate ur. Sans doute ,
ces modes de pre uve laisse nt le demandeur complè te ment
à la merci du donataire; mais no us n'avons pas à envisager ici le côté pratique de la qu estion : nou s n e raisonnons qu'en théorie. Et du moment que ces de ux preuves
sont possibles, on n'a pas le d ro it de dire qu'on ne pourra
pas prouver le droit d'usufruit et qu e, par con séquent , le
don manuel n 'est pas s u ceptible de rése1:ves d'usufruit.
En r ésumé, le don manue l est parfaitement s usce ptibl e
de charges, notamm ent de la r ése rve de rus ufruit de la
chose donnée en faveur du donateur. Il est s usceptible
aussi de toute condition , pourvu qu e ce n e so it pas une
condition po testa tive , parce qu'elle se rait contraire à la
r ègle : Donner et r etenir n e vaut.
La qu estion de la valid ité d u don manu el avec charges
nous amène tout naturellement à étudier cell e de savoir
si le don manuel est s usce ptible de modalités, co mm e le
terme et la condition. A not r e connaissa nce, la ques lion ne
s'est point présentée dans la pratique; aussi ne lui con sacrerons-nous pas des déve loppe ments exagérés.
Les modalités suspensives sont parfa ite ment compatibles
avec le don manu el. Si je vou s fa is tradition d'un objet. nou s
pouvons bien convenir que le concou rs de vos vo lontés po ur
le transfert de la propriélé se ra s ubordonn é à tel o u Lei événement. Ce n'est là qu e l'a pp licalion du principe <le la liberté
des conventions. Et pourvu qu e ces modalités n 'offr ent pas
un caractère potesta tif, il n'y aura aucun e difficulté. - Il en
est de même pour la conditi on r ésolutoire; en principe ,
sans doute, elle s'alli e mal avec le caractère irrévocable
- to5de la donation; mais la condition r ésolutoire casuelle ne
dépendant point de la volonté du donateur , le principe :
Donne r et retenir ne vaut se trouve sauvegardé. Quant au
terme r ésolutoire, il choqu e trop directement l'irrévocabilité pour po uvoir étre admis.
Nous n'en diron s pas davantage à cet égard i et nou s terminerons cc chapilrc par une question qui a son importance pratiqu e: la donation avec charges r essemble beaucoup à la donation manuelle faite par l 'interméd iaire d'un
tiers . J e vous remets un objet ou une somme pour la distribu er aux pauvres ou à un donataire désigné, n'est-ce
pas la même chose que si je vous r endais d'abord, vous,
propriétaire à charge de transmettre cette pro priété à
d'autres?
En appar ence, ces deux opérati ons sont les mêmes; au
fond, elles diffèrent essenti ellemen t l'une de l'autre. Et
il n'est pas sa ns intér êt de montrer l'im portance de leur
di stinction.
S'agit-il d'un don avec charges, celles-ci doivent s'exécuter dans un délai, s'il en a été fixé; sinon à toute épo que , même ap rès la mor t du donateur ou son incapacité;
ou encore tant que le donate ur ou l es ayants-droit n'ont
pa s fait révoq uer la donation pour ce motif. - Que l'on
suppose, au contraire, le don manu el fa it à un donataire
par l 'interm édiai re d' un ti ers, l es so lu tion sont différ ent es: l e mandalaire devra effectuer la tradition avant la
mort o u l'incapacité du donateur; s i , en effet , le donataire n'a pas accepté avant ce mo ment·H\, il ne peut pas y
avoir contrat.
Comm ent donc déterminer quand il y aura don à un
tiers o u don avec charges? C'est là une que sti on d'intention des parti os, par conséquent une question de fait laissée
à la so uveraine appréciation des tribunaux.
�-106-
§ V. -
Rapport.
Que les don s manuels soient soumis au rapport, cela
ne fait l 'objet d'aucun doute. La doctrine et la jurisprudence sont unanimes à l e reconnai tre. Il serait difficile de
penser autrement en présence des paroles de Joub ert au
Tribunat, qui, parlant des dons manuels, disait: « Ils ne
sont soumis à d'autre s formes que la tradilion , sauf la
réduction et le rapport dans les cas de droit. » Ce qu'il
importe d'examiner ici, c'est la ques tion de savoir si les
dons manuels ne sont pas de plein droit disp ensés de rapport, en sorte que, pour y être soumis, il faudrait une disposition formelle du donateur.
On sait qu'il est des donations au sujet desquelles on
n'est pas d'accord sur le point de savo ir si elles sont de
plein droit ou non sou mi ses au rapport; ce sont les donations déguisées sous la forme de contrats à ti tre on 6reux.
Des auteurs pensent que ces donaLions sont, comme les
autres, sujettes à rapport; en so rle qu e, pour en être dispensées, elles ont besoin de l'être par le donateur luiméme. D'autres, au contraire , esLirn ent que l'int ention qu 'a
eue le donateur de dispenser du rapport ces donations
résulte de leur nature et de la forme dont il les a revê tues.
Quel peut être le but du donateur qui déguise la donation,
sinon celui de la soustraire à la nécessité du rapport?
Or, la mêm e question se pose pour les dons manu els,
et nous rencontrons dans la jurispruden ce la même divergence que nous venons de voir dans la doctrine.
Sans doute, la dis pense du rapport doit être faite expressément; mais comme il n'y a plu s chez nou s de formule
sacramentelle, l'intention du donaLeur n 'a pa s besoin de
termes précis; il suffit qu'elle soit ce rl aine , qu elle que
soit la façon dont on l'étab lit. Elle peut donc r ésulter des
-107 faits de la cause; par exemple, de l 'en semble des dispositions de l 'acte, ou de toute autre circonstance.
Or, si le seul fait de déguiser les donations sous la forme
d'actes à titre oné reux r évèle l'intention de dispenser du
rapport , combien l'argument gagne-t-il de valeur, quand
on e n fait l'applicaLion aux dons manuels qui, eux, se forment en dehors de tout acte et ne sont sou mis à d'autre
formalité que la tradiLion, qui ne laisse aucune trace.
Ici, il y a quelque chose de mieux qu'une donation
déguisée, c'est une donation clandestine; pas d'acte que
l'on puisse taxer de frauduleux; rien qui puisse donner
lieu à la critique (Bordeaux, 3mai1831; Sirey, 1831 , 2, 325;
Montpellier , 2 décembre 1858 ; Cassat. , 3 mai 1864 ;
Sirey, 1864, 1, 273.)
Pourtant, ce n'est point là le système auquel nous nous
rangeons. Pour nous , les dons manuels, comme toutes les
autres donations , qu elles qu 'e lles soien t, sont soumises
au rapport et ne peuvent en être disp ensées que par la
volonté expresse du donateur, manifestée par exemple ,
dans de s registres et papiers dom estiques.
Le texte de l'article 843 est on ne pe ut plus fo rmel dans
ce sens: l'héritier doit rapporter tout ce qu'il a reçu, soit
par donation entre-vifs, so it par Lestament. Il faut, pour
l'en dispense r, que le donateur ou le testateur ait expressément formulé sa volor.té.
Mais, dit-on, comme il n'y a plus chez nous de formule
sacramentelle, la volonté du donateur ou du testat eur peut
résulter des circon stan ces ; or, celle qui révèle le mieux
cette volonté, c'est l a forme du don manuel.
Sans doute, la forme du don manu el peut révéler chez
le donateu r la pensée de dispenser le donataire du rapport, mais ell e ne la r évèle pas nécessairemen t , on sorte
que celte forme cland es tine ne puisse s'expliquer que par
cette intention.
�-
108 -
-1og -
Et puis qu'importe l'intention du donateu: ; au-dessus
de cette intention , il y a la volonté toute pu issan te de la
loi. - Est-ce qu e la loi tient compte de l 'intention du testateur, lorsqu'elle soumet au rapport l es l egs qu 'il a fai_ts?
Certes, s'il est un cas où son intention unique et certamc
de dispenser du rapport les lib éralités se manifeste , c'est
bien dans le cas de testa ment , pui squ'il rompt lui-même
l'éO'alité
des parts de sa s ucession. - Et ce pendant mêm e
0
.
alors, la loi exige une déclaration expresse et n e ti en t pas
compte de cette vo lonté tacite qui est évide nte. Pourquo i
n'en serait-il donc pas de même en matière de do ns
manuels?
Si la form e du don manuel ne pouvait s'expliquer qu e de
cette fa çon, on aurait raison de dire que l e don manu el es t
de plein droit dispensé du rapport. i\1ais en dehors de cette
intention, bien d'autres motifs serYenl encor e à l'expliquer
et y su ffi sent, c'est d'abord le seul désir d'échapper aux
critiqu es que ne manqu e pas de so ulever un ac te , et en
particulier un ac te de donation. Que lui importe qu'ap r ès
sa mort, ces cr1l1qu es e soulèvent contre lui ; elles ne
pourront plu s l'a tteindr e.
De son vivant du moins, il les évitera , il évitera les
secr ètes méfiance s qu 'eô t s uscitées contre lui ce tte faço n
de disposer de sa fortune, l'animosité de ses autres héritiers ou parents qui n'au raient pas eu l eu r part dans cette
faveur . Bref, co mm e la propri été en train e avec elle un se ntiment d'indépendance qui nous engage à e n dispos e r à
notre gré, c'est surtout dan s la forme du don manu el que
ce sentim ent d'indépendance trouve un fac il e moyen de
s'exercer.
Mais ce n'est pas encor e là la se ule raison qui puisse
engager un donateur à don ner à ses lib éralités la fo rm e du
don manuel. 11 peul enco re avoir poul' dessein d'éviter les
frais que nécessiteraiL un acte authentique ; les frai s de
l'officier ministériel qui dresserait l'acte , mais ensuite et
s urtout les frais d'enregistrement qui . en mati ère de donation, sont exces ivemenl élevés. Sans doute, ce n'est pas
sur le donateur que ces dépenses retombent, mais bien sur
l e donataire. Mais le donateur peut bien, sur les instances
du donataire, éviter ces frais, ou même les éviter spo ntan ément, afin de pouvoir g ratifier d'autant le donataire ; le
sentiment d'affection o u de reconnaissance qui lui ins pire
cette g én éro sité le pousse éga lement à en augmenter autant
qu e possible la mesure.
Il y a donc <les raisons d 'adopter la forme du don Jllanuel au tres que celle de dispenser du rapport , et s'i l
n 'existe pas d'aut res circon stances qui révèlent manifest ement l'inten tion du donateu r , on n 'est pas fondé à l'induire de celle-là; il faudra donc chercher ailleurs, dans
un écrit ou dans de s parol es, la manifestation de cette
volont é; une nouvelle cir constance pourra donc dispenser
du rapport l e don manuel.
E n ce qui concerne le don manuel , la dispense de
r apport doit donc être expresse comme pour les autres
libéralités. l\lais en qu ell e forme doit-elle être faite? Un
simple écrit, une lettre missive, une déolaration recu eillie
par témoins peuvent-ils être cons idérés comme preuve
de cette dis pense? Ou bien faut-i l de toute nécessité un
acte authen tique?
Il semble qu e cette ques tion ne devrait être examinée
qu'au ch ap itre de la pre uve. Il ied cependant d'en touch er un mot ici-m ême, car elle se rattache à la qu es tion
plus gén6rale de savoir quelle est la valeur des pactes
joints au don manuel. Ces pactes ajoutent au don manuel
ou bie n e n retranchent ; mais doivent-ils bénéfi cier des
franchi ses d u don manu el qu'ils acco mpagnent, ou bien,
au conLraire , faut-il les considérer co mme des conventions
sp éciales entièrement distinctes de la libéralité qu'elles
.
�-
110 -
modifient, et ne leur reconuailre existence que tout autant qu'ils r evêtent la forme des actes authen.liqu es?
.
Sur celte ques tion on n e compte pas moms de trois
systèmes.
Le premier (c'est celui de la jurisprudence), reconnait
que ces pactes sonl par eux-m êmes pleinement valables,
et que, spécialement en ce qui concerne la dispense de
rapport, elle peut r ésulter de la \'olon té du donateur,
volonté manifes lée d' une façon qu elconque et dont l'appréciation est so umise aux juges. Ce sy tème n'est que
la consécration du principe de la liberté des convention s.
D'ailleurs, quand une convention même de lib éralité accompagne une au tre co nvention dont elle est une condilion ou une conséquence, il est de règle que la libéralité
revête la form e même de la convention principale, témoin
l'article 1121 au titre des stipulations et promesses pour
autrui: si je vous vends un bien en stipulant de vous que
vous donnerez le prix à Primus, il y a bien là une lib éralité
de ma part à Primus ; or , ce lte lib éralit é ne revêt pas
la forme authentique ; il n'est cependant douteux pour
personne qu'elle so it valable. Si nous faisons application
de ce principe au don manuel , nous voyons qn e les convention s de préciput on autres peuvent se faire sans écrit,
comme le don manuel lui-m ême.
Un second système, qui est celui d'un auteur fort distingué, ne reconnait validité et même exis tence aux pactes
accessoires que tout autant qu'ils r evêtent la forme d'actes
authentiques. Ici, en effet, dit-il, nous nous trouvons en
présence de conventions qui ne sont pas parties néces·
saires du don manuel; elle s pe uvent l'accompagn er, comme
elles peuvent au ssi ne pas s'y joind re; pourquoi donc les
faire bén éficier des franchises du don manuel ? Nous retombons ici dans le droit commun : il faut donc appliquer les règles ordinaires des libéralités, ou soumettre
ces c~nventiona à la nécessité d'un acte authentique.
l
-1H-
Enfin le troisième système, qui est dû à un éminent
profe sseur, M. Labbé, dénie toute efficacité aux pactes
accessoires j oints au don manuel. Pour lui , le don manu el
n 'a et ne peut avoir qu' un seul effel, celui de transmettre hic et nunc la propriété pleine et irrévocab le. La
nature même de cet acte se prête à une pareille interprét ation. Que r évèle , en effet, cette possession qui est
transmise par l e don manuel? Elle révèle la propriété
que l'on es t habitué à considérer comme un droit corporel; mai s rien de plus . Un titre pourra constater sur
l'objet donné d'autre s droits, comme par exemple l'u s ufruit , l'usage, une hypothèqu e, un droit de gage; or, l'absence mê me de toul écrit , qui caractérise le don manuel ,
n 'est-elle pas un indice qu'aucun de ces démembrements
de la propriété ou de ces droits r éels n e peut être constitu é?
D'autre part , il ne faut point oublier la place que le don
manuel occupe dans notre droit. Admis en quelque sorte
par simple tolérance il doit, pour r épondre à la pensée
du légis lateur, conse rver le caractère qu e lui avait donné
notre ancien droi t. Or, dans notre ancien droit, il ne portait qu e s ur des so mmes modiques, et dans les rares décisions qu 'à rendu es à son suj et la jurisp rud ence, on ne
r encontre pas trace de la moindre disposition qui ait imposé des charges au don manuel ou qui y ait ajouté des
avantages. Il doit donc de toute nécessité en être de même
dans uotre droit actuel.
Pour nous, nou s nou s rangeons au système de la jurisprudence, non seulemenl à cause des raisons s ur lesquelles ell e s'appuie, mais euco re parce que celles des
autres systè mes ne n ous paraissent pas co ncluantes.
Que dit, en effe t, le second système ?
Il dit que los clauses j ointes au don manuel ne participant pa s de la nature de la tradition qui s;accomplit sans
�-
112 -
acte, tombent fatalement sous l'application du droit commun et doivent conséquemment être rédigées par acte
authentique. Sans doute, ces clauses ne sont pas parties
n écessaires, puisqu'il dépend des parties de les y ajouter
ou non ; mais, une fois leur intention bien arrêtée del.es
y mettre , peut-on dire qu'elles sont complètement d~s
tinctes du don manuel? Je crois que c'est aller trop lom.
La rèo-le de l'indivisibilité des conl n ts veut que l'on voit
0
là un seul et même contrat, le don manuel, et non deux
contrats distincts: d'un côté le don manuel, de Lwtre des
conventions tout à fait spéciales. Les charges ou les avanta o-es du don manuel sont bien l a conséqu ence ou la
0
co ndition du don manuel lui-même. Si donc, il n'y a qu' un
contrat, la form e doit être de même nature pour toutes l es
parties de ce contrat.
Il est incontestable que s'il n'y a point d'écrit sou s
seing privé , le donateur ser a à la mer ci complète du
donataire; mais ceci est une question de preuve que nous
examinerons plus bas. No us ne considérons ici que la
question de validité des pactes joints au don manu el.
Donc , quand m ême l'écrit qui constaterait le pacte ne
serait pas passé en la forme authentiqu e, il ser ait valable.
Quant au troisième système qui refu se toute validité aux
pactes accessoires même r evêt us de la form e authentique , il
nous parait aussi empreint d'exagération . Il est ind éniable
qu e par sa nature même le don manu el s'a pproprie bien
mieux au simple transfert de propriété exempte de toute
complication qu'a toute autre combinaison; il est non
moins indéniable qu e l 'histoire du don manu el nou s l e
montre comme servant seulement à trans férer la propriété
sans aucune autr e complica tion .
Mais faut-il en conclure qu'il doit rester tel qu 'il était
ou pouvait être en 1804 ? Tout ce qui n 'est pas défendu
est permis ; or, quel texte de loi interdit des conventions
-
113 -
.
au don manuel · Qu'1 es t -ce qui. autorise
relativement
à
.
y
s'il
que
d1r~ qu e le don m ~nuel ne peut se comprendre
a tian sfert puf' .e l simple de la [)ropriété?. - N1e sc mbl c-t-1·1
pas, a~ c~ ~tra1re, r és ulter <les travaux préparatoires qu'il
peul s y J010dre autre chose? Le tribun Joubert d. . .
isait .
J' l'
Il '
« n y a a .c autre règle que la tradition , sauf le rapport
. le
et la rédnction dans .les cas de droit · )) s1· l ' on pr é voyait
rapport, ne prévoya it-on pas aussi du même cou la dispun pacte
.
pense de. 1·a p1)orl :>. O,' ' qu ' es t- ce autre chose sinon
l c p l us
.
acce ssoire au d on manu el ? Sans doute , 1·1 arrivera
s~uv e nt que le but ou don manuel sera de trans férer
été ., mais ce n'est pas l a' son b ut
la propri
simplement
.
.
L es
.
b u t or d.malt'e.
ire
nécessa
-'
. c l Ulllqu e : ce n'est que .,,on
.
donc
sont
mod1~ cat1 o n qu e les parti es rnudro nt y ajouter
parfait e me nt permi es et valables.
§ VT . -
Réduction.
. Les don s manuels son t, comme toules les autres libéralités'. soumis à la r éduction. Le s paroles du rapporteur
au tnbunat e n l'ont fo i co mm e pour le rapport.
. La r'é ervc e t, .du res te, comm e le rapport, un e in slitut10n ~ordre pubhc; ell e ne doit donc être entamée par
des lib éralit é d'au cun genre, pa s plus par des dons manu el ' qu e par d'autres di spo ilions .
Le don manuel ' ont donc on mis à la r éd uction·, et
comm e cc so nl de <lonati ons, i l <loi ,·ent subir la rélluction tlan ' l'o n \1·e de - da te auxquelle ils ont été faits
i\Iais co mm ent détermin er cet ordre? Il ne s'agit point ici
d 'établir l'ex is tence des don s rnannel s; celle exis tence,
an point <le v ue de la r éserve pe ut se prouver par tous
les moye ns po ssibl e ; ca r il fau L éluder une frau de à la
loi . i\lais une fois l 'exis tence <les dons manuels bien re,
8
�- 114 comment dé te rmine r l 'o rdre d e l eur ~ da les e l
t l'ord re d e le ur rédu ctio n ? Ici pas d ' acle
' ·
.
par consequen
auth entique qui fass e fo i d e a d ale pa r lni-m è mc . ~fat s
n e p e ul-on p as du mo ins a ppliqu e r }1 n o tre nrn.l1è r c,
Part. 1328 re latif aux aclcs o u seing -privé ? On .s a1l qu_c
ce s actes acquiè r ent <lale certaine à l'éga rd <l es tier s s o1l
lre mcnt , s o il pa r l 'ins c rli on dan s un a clc
Par l 'enre<ris
?
•
0
,
authentique, s oit pa r l e d écè <le l ' un e d e s ~arl1 e s .·
1er Système. _ L'articl e 1328 C. C. est rnap pl 1cabl e a
-
connue
not re matièr e .
En e[e t l 'article 1328 ne con ce rne q u e l e s ac tes s o u sseing priY~, i l n e sa urai t do nc e n p rincipe 'ap pliq u e r à
l a maliè rn des do nati on s qu i se fou l par acle a ulh e ntique.
E t no n-senle m enl l'acte authenti q ue s ert à p ro uver la
donatio n , mais en co l'e il es t n é cessai re à s on cxis le ncc ;
l'ac le s ou s -s eing privé n 'e s t a u cont raire q u' une pre uve.
Il y a donc entre ces d e ux acle s une d i ffé r en ce d e n al ure
e t de vale ur ; on n e sa ura it, e n con séq ue n ce, e m p rnnl e r
a ux uns le urs r èO'l es po tt r le a pp l iq ue r a ux au tres .
)
.
.
b
Au s urplu s, s i ce lle r èg le de l'a rlic le 1328 po uva tl s a p ~
plique r a ux acle s s ou s- seing pri vé c l à litre o n é r e u x q111
déguisent une don atio n ; i l n 'e n rcs ler ai t pa s moin in ap.plicab le aux don s ma nu els . Le d on manu e l e s l excl u 1[
de Lout acle éc rit, s o it a ulh cn liquc , s oit s ous sei ng -privé;
comment p ou r rait-on lui a pp liq ue r d es r èg les q ui on l 6Lé
faites p our l es ac te s?
E nfin, l 'article 1328 n '6di c lc <les r ègl es q u'à l 'égar d des
tier s · or ici c1ue le d éhal s'élè ve c nlrc l'h 6 ri lic r c l les
' ' '
ou b ien s e fasse de <lon alai re à ll ona laire ,
don ala rrcs
'
on n e s au rait don ner aux partie s en lili g e l a q uali té <le
ti e rs .
Supposon s d'abo r d qu e le <lé ba l s'él ève c nlre l 'h é ril i e r e t
l es don a taires .- Si l 'on vc ul d onner <lale ce r tain e a ux d i ve r -
r
H5 -
ses don ations qui ont é té faites par le d é funt a u moye n
de l 'a rticle 1328, il faut qu e la par tie qui ve ut faire s ubir
la r é du ction so il un Lie r s. Or , qn'est cette parli e? C 'es t
l ' h é rili e r , c'e l-à-Jire le re présentant du dé funt , celui
qui r ec u e ill e s o n pal ri mo inc e t continu e sa p er so ona lité;
il s e confon d avec l ui ; c'e s t l e d éfunl l ui-m ôme en qu e lque s o r te ; ma is e ntre les parties, les ac tes e t les conlrals
onl d ate c c r'Lain c du j o u r o ü il s ont été passé ; et pour
e ll e s , il n 'e l pa s bes oi n de r eco ur ir à l'article 1328, s i
ell e ve ul e n l do nn e r <la lc cerlaine a ux actes qu 'elles o nt
pass és .
S u p pos on rn ain lena n l qu e le déb at s 'él ève entre les
dona tai l'es . L ' h é r iti e r Yo ulan l fa ire ubi r la r é ductio n s'adre se it l'un d 'e ux; celu i-c i pe ul-il ré po ndre à l'h ér iti e r:
Fait es s n bi r la r édu ction ~1 te l a ul r e, pa rce q ue sa do nation
a e u cla le ce rt aine ava nl la 111i e une, pa r un e d es fo rma lit és d e l 'a rli cle 1328 ? O u b ie n mè me , aprè aYoir u ccomb é
dan s l e d éb a t avec l' hé r itier , p e ut-i l se r e lo urne r con tr e
un a u tr e d o na taire p o u1· s e fa ir e inde mn ise r d e la r éd uctio n qu ' il a ubi c s o u pré tex te qu e s a don a lio n a e u d ate
ce rla ine ava nt l 'au tre?
Non ; po ur qu e le don a taire e ù t ce d roit à l 'égar d d 'un
a utre do n a tai r e, il faudra it q u' il fu c o l des tier ; o r , les
d ive r s d ona tai 1·cs s o nl pl u s que de Lie rs, il s ont p enitus
e.x:tranei . Qu 'e nt e n d-o n , e n e ffe t, par Lie r s? C e s ont <'e ux
qui p r é le nclc ul nu m è me dro it s ur une m ôme ch o ~ e. Par
exe mpl e, u n p l'Op1·ié tai r e a lou é un im m e ub le à de ux pe rs o nn e s d iffé r cnlc c l a consent i u n b ail à chacu n ; quel
esl ce lu i qu i a u ra se ul l e droi t d 'occupe r l 'imme u b le ?
C e lui do nl le bai l a u ra le premie r acqu is da te ce rtain e au
lll oye n d e l ' un e d es fo rm a lités <le l'articl e 1328. Ici, l es
di ver s lo ca lni t'es o n l vrai m cul d es tie rs ; i ls pr6 Len<lcn t
un m 6m c d roi t, l e dro it <le bail , s ur une m ém o chos e,
l' imme u b le.
�-
116 -
Voilà ce que l 'on e nt end par tie r s; mai s l es dive r s donataires entre eux n e s ont pa d es tie r s, il s ont , sa n d o ut e,
u1· des choses difféchacun un droit d e propri été, ma i
ren tes, l' un sur une . omm c d 'arge nt , l'au t re s ur des
meubles, un troi s iè me s ur un imm e ub le; au c un s ur l a
même chose. Il s n e s onl clon e pas des Lie rs; i ls s ont donc
irrecevab les à se prévaloir de l'article 1328 , C. C.
Ce systèm e a élé adopt é par la Co ur de Caen , 28 mai 1879.
D'après un second ys tè mc, au co ntraire, l 'ar ticle J328
serait applicable aux don s manue l c l ser vira it à d éte rminer le urs date r es pecti ves c l, du m ê m e coup , l'o rdre
dans lequel il s ser ont so umi · à la réduction.
Et d'abord , qu' i l 'agi ~ e de l'h é ritier réservataire ou
des donataires enlre e ux, clans les d e ux ca , l ' article 1328
s'applique, car dan s le deux ca il y a <l es Liers.
Prenons d'abord l'hy pothèse oli l e d ébat s'élève entre
l' hé ritier et les dooalai rc s ; en tant que r éscrYata ire, l'hé ritier est un Liers; la doctrin e cl la juris pruden ce s ont
d'accord sur ce point ; il c L, du re Le, facile de s'en
convai ncre. De qui l'h é1·itic r i1 r é · c rve tie nt-il s on droit ?
De la loi , et de la loi ~ c ule . Cc n 'es t poin t le Yœ u du de
cujus qui lui tran fè r e cc d r o it , c' est , a u co ntra ire, un
droit que le de cujus n 'a pu e n aucune fac:on tra n sgr esser . C 'est un dro il qui g r l'-Ye e n quelqu e so rl e le pa t1·imoine du di sposant ; un e limite apportée à ses libéral ités
par une volonté s upéri e ur e, la vo lo nté d e la loi.
Si donc, cc n 'esl poin t du d éfunl q11e l' h é ritier r éscrYatri ce tient son <lro il d e rése ryc, cc n 'csl point l e défunt
qn' il r eprésente, qu a nd i l YeLlt 1·cco u\'l'Cr ce lte r ése rve; il
est un ti er s par r apport anx dona taires; que pr&Lcn den t-ils,
en e ITet , l' un c l l 'a ntr e ? Un d1·oil de propri été s ur une
mê me cho se: ce lle qui a é lé l 'objet <le la do n atio n. (Aubry
et Rau , Larombiè r e, l. 1v, arl. 1328, n° 3 1. - D e molo 111be,
-
117 -
t . XXlX , n° 524. - Cassat ., 31janvie r1837. D. A. Contrat d e
ma riage, n° li05).
Pre non maintenant la seconde hypothèse; l e d ébat
'é lève e nt rc les dona tai r e e ntre e ux. - Ces donataires,
cliL le sy Lè me précéd e nt , sont penitus e:rtranei; car c-e
n 'esl pa s s ur la m6me cho se qu 'il s prétenden t un droit ;
c'es l l à l 'e rreur. San dou te , ce n 'est peu t-6trc pas sur le
m ê me objet mal6ricl ; mai s i ls préte nde nt b ien un droit
s ur une m ê me pa rlie d ' un patrimoine, la partie Jisponible
q u i e t oppo ' éc à l a r é e rve. En ce sens , il est permis
d e dire qu e les d onc1t aire pré te n de nt un même droit sur
une mê me cho cet non des droits distincts sur des ch oses
essc ntie ll c me nl diffé re ntes. Jl5 sont clone des tier s.
Donc à un premier point de vue , au point de vue de la
qualit é dês parlic , l'article 1328 est applicable. R este
mainten ant la qu es tion de avo ir si cet ar ticle csl applicable à la nature mê me des dons m anuel s. Or, dit- on, l'article
1328 n e s'a ppliqu e qu 'a ux actes e t aux actes sous seing
pri vé ; clo ne, il e t inap plicab le aux donations, p uisqu e
celles-c i n e peu vcnl ~ c fai r e que par acte au the ntique cl
inapp li cab le aux don m:mu els, p uisque les dons manu els
se l'o nt sa n s act es .
Ce ll e obj ec tion n'e t pas san s r ép lique . En effet. s i
parmi les forma li té o u l e é ,·énem e nt ' qtti donne n t date
ce1·tain c a ux a cte-., il e n e::;L <] Ui ne peuvent s'appli<]LICr
<]t1 'i.l e ux, rolllme l'enregistre ment ; d'autres, au contraire,
sont par l eur n a ture co m patibles ayec les dons manuel~.
Prcnon:=., par exe mple , le décès de l'une <les partie ;
cet évén em e n t do nn e date ce rtaine au don manu el aussi
bie n qu 'i1 Lo ul autre acle eo tre-Yif· . 11 en e t de mème
pour l'in crlio n clan s nn acte authe ntiqu e, et Yoici dans
qu e lle hy poth èse ce la se prése nte : Le donat<'ttr a fail nn
don manu e l à un donatai r e qui Ya se marier. Le donataire,
dans le contrat d e mariage, <léclare apporter en dot telle
�-
118 -
somme qui lui a é té r emise manue lle m e nt par un tel , e t
le fait est rela té dan $ le co ntrat d e mariage ; ce lle in s ertion donne bien une date certain e a u d on m an u e l.
Si donc l'on excepte l 'e nrcgi ' lrcm c nt , l'articl e 1328 se
trouye ple ine m en t applicable aux dons manu e l s .
Un mot en cc gui con cerne l e d écès de l ' une d es p arties,
le décès du donateur p ar exemple. Ce l évén e m e nt donne
bie n date certa in e à to u s les do n manuels, mai s il le ur
donne la m è mc date à L o u ~, e t , dan s ce ca' , co m me nt
opé r e r la r é <lu c Lion ? Sa n doute, l es do n ation , au vœu
de l'a rticle 923 , u bi ' e nl la r é du c tion s u ccessiYe ; m ais
quand l'ordre ne pe ut pas être déterm in ée, quand on e t
obligé de recon naitre qu e to u s les dons ont été fait le
rnème jour, n 'est-ce pa ' la r éducti o n proportionne ll e qu ' il
faudra appliq u er? E\·id cm m e nl , ou i ; ca r la raison qui faiL
que les legs son t ré duit pro portionnelle ment, c'est qu ' il s
on t Lous date cert aine le mê m e j o ur, le jo ur du décè du
testateu r. Or , la m ê111e rai o n exi te pour l es d o n s m a nuels.
Ubi eadem ratio, ibi idem jus.
Sans donte , le donat a ire antérieu r se tro u vera l ésé e t
pour éYiler celle lésion, il scrn a dmi par tous les moye n s
à p1·ouyer la da te <le sa libérali té; lll ais s'il n 'y réus:Ü t
pas, il devra ubi r la réd u c tion prop orti o nn e lle. l)' a ulre
part, la r ègl e pro tect rice de l 'a 1·ti cl e 923 n 'a é t é faite qu'en
vue d es donaliou r égulières, c'eq ~1 dire des donation
failes par ac te au the n t ique. Q uan t au do n alai r c qui a
di s imulé sa libéralité ~0 11:: . la fo rlll e d ' un don manue l , il
n 'a qu'à s'en p r·encl rc il l t1i-111 è 111c d e la nature s11::;peclc de
son Litre ; il e l don c m a )yc nu à exci p e r de l a l és ion gu e
l ui ca use la réduction p r op or ti onnelle.
En r ésum é, l'a r· ticlc 1328 p e ul r cccvoil' so n a ppl ica tion
p o ur d é terminer la dat e d es <lo n s ma n ue ls, aussi b ie n
clans les r a pport des d o nat a ires c nt1·c e u x que cl an~ Je·
rapports d es d o na ta ire avec l'h é riti e l' r ése r vatair e. J'ajo ute
-
119 -
com ri1c conclu s ion qu'il s'agit ici d'éluder une fraude à la
l o i ; qu'en con séqu e n ce, non seulement r a rticle 1328 sera
appl ica bl e, mais on se ra aclmi à prouver par tous l es
m oyen pos iblcs l 'exi ten ce e t la date des dons m a nu~ls,
m è m e il l'a ide d e s imples p r é omplions . La qu estion
a é té tra n c h ée clan s ce sen s p a r les tr ibunaux de Vassy
e t <le Senli s a u s uje t de l'enregistrement. li s'agissait de
savo ir s i de dons m a nue ls é taient an té ri e urs à cette loi.
18 mai 1850. (Vassy, 30 mai 1855. G. R. P., art. 491. V assy, 9 janvier 1867 e l Senli s, 30 juillet 1857, G. R. P.,
art. 919.)
§ VIL -
RéCJocation pour ine:r:écution des charges,
ingratitudes., surCJenance d'en(an ts.
L es dons m anuel s ont s uj e ts à r érncation dan l es trois
cas exceptio nn el s p réYus pa r la loi.
Des tr ois causes d e révocation , deux con stituent des
conditions r é ol uloi r c ; une se ul e , l 'ingratitude, n 'a pas
ce ca rac tère. On sait les effets de toute cond ition résolu toire, qu'elle o il expr c-se ou tacite; elle elfacc rétrna:t ivemcnl Lou s les d r oits rée l con sentis par le do nataire
sur l'obj e t d e la dona tion, cl l'objet donné reto1_1rnc au
donateur franc e t quitte d e toutes charge ~ ; ma is c~ ce
qu i conceme les dons 111a n11e ls, bien de ob tacles op po ~e ronl.à l'cxe rcire de cc r eto ur.
.
San s parle r des difficulté gui 'élèYeronl au SUJel <le
· qu e le <lonaleur ·"'-C lroula preuve dn don, 1· 1 e l <'<'l' t arn
1
·
·b·1·1
,.
" ' i le . donav e r a dan l 11nposs1 1 1 c ce r cco11,'1'et' l'obJ'"t
taire l 'a a li é n é. L e L ie r~ délen tc u r opposera au reyenchquant
-'é tant arcom1c )) é'Il élî1C'e Cl C ]' aI' t.1t ·le ·)•)79
~
~"' • ·, h' prc~c1·iplion
p l ie imm (~ Ji ate mcnt ,\ "o n p rofit, il csl à l'abri de toute
évic t ion ; le dona te ur n 'aura qu'un recou rs en dommageinlértts contre l e donataire.
�-
120 -
Il ne peut être queslion ici que d e la prescription instanstanée de J'a rlicle 2279, car les dons m anu e ls n e
p eu,·ent avoir pour objet que des meubl e . Le tiers
dé tente ur se prévaudra don c loujo urs de cctl e dispo ilion
de la loi, pourvu , bien e nt e ndu, qu 'il )' ait bonne foi ; or,
la bonne foi se présume, cc ser ait clone au dona teur
r evendiquant à prou ver la mauvai e fo i du t iers dé tente ur > s'il voulait triompher dans sa con testation.
B. -
PO I NTS D E DIFFKRENC.I!:
§ I. -
Objet.
Il est deux circon stan ces qui, a u point de vue de l'obj e t,
disting uent le don manu e l des donation s o rdinaires. Tandis
que la donation p e ul avoir pour objet Ioul e ch ose gui est
dans le comm e rce, m e ubl e ou imm e uble, co rporelle ou
incorporelle; le don manuel n e co mp rend que les meubles corporels. - En secon d lie u , si la donation pe ut
e mbrasser une universa lité d e biens, ou des biens individuels; au contraire, le don manuel ne s'ap pliqu e qu 'à des
b ien s individuellement d é te rminé . - A près avoir posé
le principe, il sied cl'enlrer dans quelques délails, cl de
distinguer d'abord en tre les imme ubles e t les meub les .
1° Immeubles .
Les immeubles n e pouvant ôtre livr és de la rnarn à la
main n e peuvent être l'o bjel d ' un don manu e l.
En droit romain , la sim ple tradition animo donandi
pouvait comprendr e des immeubles; en effet, la principale
-
121 -
division des biens était celle des res mancipi et des res
nec mancipi; d 'a prùs leu r nalure, ces biens ne pouvaient
être a liénés et acqui que par des ci toyen romains el
suivant l es modes du droil civil; ou bien, au contraire,
ils éla ie nl acce si bles a ux pérégrins et n 'avaient besoin,
pour être a li6né , qu e d ' un mode du droit de gens.
La tradition donationis causa pouYait donc avoir pour
obj et des im me ubles, les res nec mancipi, c'e t à dire les
fonds cle terre b âtis ou n on bàtis sit ués clans les provinces,
dans l es colonies. Pour ces biens , la simple tradition
suffi.sait à en transfér er la propriété.
E n droit fran~ais, au contraire, le don manuel ne peul
avoir pour objet que des choses mobilières.
2° Meubles.
Il faut ici distinguer entre les meubles corporels et les
meubles incorporels.
Le meu ble doit ôtre corporel et individuel. Il n'y a pas
de don lllanuel d'universalité d e meubl es.
(a) Meubles corporels. - Il n e faut pas con fondre les
dons m anuels avec les imples cadeaux d'usage, tel que
l es é trenn es du jour de l'an et autre . San s doute, à prendre
les mots à la le llre, ces cadeaux sont de dons manuels,
e n ce sen s, qu 'il onl pour objets des cho e mobilières
et qu 'ils n 'onl be oi n , pour appartenir au donataire, <l'autre
forma li té que la traditi on. ~Jai ce n 'est pa ain i qnïl faut
entendre l e dons manuels; au sen juridique du mol, le dons manu els soul une remi e d 'objet mobiliers à titre
extraordinaire , cl sinon e n dehors de tout motif, cln moin
en dehors de Loul usage. Les cadeaux ne e prennent que
sur les r evenu s dont on a la libre disposition; le don
manuels, a11 co ntra i re, Re pren nent sur le capital cl offrent
par leur importance relative un grand inlérét. Enfin, Je ~
dons manue ls e t les si mple cadeaux diffèrent aussi par leur
�-
122 -
but : tous deux, san s doute. peuvent avoir pour obj ectif
la reconnai s ance de crvicc rendu ; mais l'importance
mê me de ce erYicc~ rendu s d é termin e ra la nalurc de la
reconnai-san ce; s'il n e 'agil qu e de ces services qu'a uto ri e ut el qu e commandent le rela tions du monde, le
bénéficiaire eu Lé moignc ra sa gra tilu de au moyen d 'un
simple cadeau ; uppo!".ez, au conlraire , qu 'il s'agisse _de
serYice tout à fail cxccplionne ls, le don manue l se rvira
de préfér en ce à récompenser les bon s offices.
Le sentim e nt s d'affection recherch ent aussi la voie des
don s manu el s pou1· 'exprim er et trouvent en e ux un facile
moyen de e témoigner. Cc era un obj et précieux dont
on tran me ltra la propriété e t donl on n e ferait pas remise
à de imples connaissances.
Ain i tandi s que les simples ca deaux n 'on t qu'une valeur
minime, les don manu e l onl en gén éral un e Yaleur plus
gra nde e l pe uYenl m ~ m e avoir un e n leur con sidérable.
La juri prndence aujourd'hui adm el la validité des dons
manue ls à quelq ue Lau x qu 'ils puissent s'é lever. C'es t là
une différen ce avec cc qui avait lie u sous l'e mpire d e
l'ordonnance de 173 l. Le chan celier d 'c\ gucs eau , le
célèb1·e a uteur d e ce lle ordo nna nce, inlcr rogé s ur celle-ci,
r é pondil qu'e n cc qui con cernait les do ns manuels, i l n'y
avait à leur égard d'a utre règle qu e la lradi tion , parce
qu e ces don s furent toujours modiqu e , parce que leur
minim e importa nce leur permella it de se soustraire san s
graYcs inconvénicnls a ux règle $ Ur l es donations. Cet te
opinion n 'était, en somme, qu e la mise en pralique du
brocal'd latin : De mini111is non curat prelol'.
De nos j ourc;, au conll'airc, la jlll'i prude n ce rcconnall
unanim e rn enl la validité des d ons manu els qu e lle qu'en
soit la val eur. (Vo ir no lamm c n l : Nan cy , 1873 , 26 déc. Cassal., 6 fév. 181i1i, 1). A. Di s p. e ntre-vifs , n° 1636. Rouen, 24 fév. 1845. Sirey, 1846, 2. 104.)
-
123 -
Il semble, de prime abord, que cette jurisprude nce
soit anti-juridique. En effet, nous avons v u que l'arlicle 931
C. C. n 'était qu e l'exacte reprodu ction in terminis de
l'arti cle 1cr de l'ordonnance de 1731 · i\Iais celle ordonnance, a u dire de so u célèbre auteur, n'admettait la validité
des don s manuel s que si les dons étaien t modiques; il
semble donc qu e s i le législateur d e 1804 a emp run té à
d 'Agu ess0a u les Lormes même de son ordonnance, il n 'a
point vou lu d é roger à on esprit, et cela est d'autant plus
vrai, qu'en 1804, comm e en L731, les condition s économiqu es cl la fortune mobiliè re avaient la même importance.
Le brocard latin : Vilis mobilium possessio était encore
vrai; la forlune mobilière n 'ava it pas encore atleint celte
importance consid érable qu'elle offre de nos jours, par
l 'a u t>0'111 e ntation c roi ante de tilres au porteu r .
Cependant la jurisprudence nou s para it bien fondée .
San clou te , l r condilion écono miq u es, depuis la rédaction du code civ il e t, à p lu s for te raison, de l'ordonnance
de 173 1, ont changé dans de notables proportio ns. i\Iais,
d 'a utre part, s i Je légi;:;Ja1cur reconnait implicitement les
d ons manuel s, e l qu 'i l n'en ai l pa fixé la me nrc d ' une
facon pr6cise, appa l'li cn L- il au juge de s u ppléer à celle
lacune? Obi le.r non dis1i11guit, nec nos distinguere debemus.
Si le cha nce lier d'.\ gucsseau ne regardait le dons
man uels que coo1 111 c ayanl peu d'importance , c'é.tai_L H~ l.c
f]llOcl plerllmquë fit , en fa it , rcla pournit ê tre; mais JllI'1d1·
qu cmen t, aucune me nre n 'élait fixée.
Reconnailrc au juge le droit de fixer Ja me ure des don
manuel , c'est 10111ber dans l'arbitraire ; il faut donc reconnailre le ur validil é, qu el qu 'e n , oit le Laux.
Les ch oses co q rnrellcs peuvent donc quelle qu'en. oit
l e u r va lcu l', faire l'objel cl ' nu do n manuel; on. pe ul citer,
à lit re d'exemple : un labl cau, un livre, 11n meuble meublant, un manuscrit.
�-124 (b) Meubles i11co1ïJorels. -
A la diffé r ence d es m e ubles
corpor els. les m e uble ~ inco t'po1e ls n e pe u vent faire l'obj et
d\m don manue l ; le ur nature m l\m e r é i ~te il ce mode de
tra ns missio n . Ce pe ndant , a u uj c t <le ce rtain s clrnits in corpor els, la juris prud e n ce présente d es divergen ces, e l il
n 'est pas san s intérêt d 'exam i ner i ci pour quelles rais ons
e t dan qu e ll e m esure ces dive rgen ces se s oul produites,
à propos d e ch ac un d e~ dro it in co rpo r el s .
1° Créance. - (Voir Cas al. 17 juin 1855 . Gren oble,
17 juille t 1868).
De ux hypoth èses : l 0 Re mi e par l e cr éan cier au d ébite ur lui-mê me; 2° R emi e à un Li e rs.
1°Un créan cier rem e t à on débite ur l e Litre d e cr éan ce,
peut-o n <lire qu 'il y a là un d o n ma nu el ? A s'en tenir aux
ap par en ces, on opin erai t po ur l 'affirm a tive; i l y a, en effet,
tradition d' un o bj e t m obili e r , l e Litre q ui co n sta te la
cr éance.
La qu e Lion s'est présentée e n juri prude n ce (P aris,
1•r mar s 1826) e t la Co ut' de Cassa Lio n a été a m e n ée à se
p rono ncer, il b on droit , elon n o u s. e n sen s contrai re.
Voi ci l 'esp èce: U n c réan cier, Youlanl qu'après a morl
son débite ur fu t d i pen é de payer , con fie à un e t ie r ce
per sonne le titre de créa nce acq u itté, pour le reme tt re a u
d ébiteu r a près le décèc; du di po a nl ; - La qu estion se
posait d e avoi r , -'i l y a\·ait là un do n manuel fai t pa r le
créan cier au déb ite ur, e n e n re lar cla n l l 'exécution à u ne
é poque <l é tc rrnin ée, le décès dn d i po an t, e l , pa r con éq uent, un ac te jurid iq u e valable; o u b ien, n ' e t-ce pas, au
con traire une s imple li b61'a lit6 qui , p o u r èl r e valable,
devai t ê tre so um ise a ux fo rm es du testa me nt o u de la
d on a tion ?
ll n 'y a pas don manu e l , il y :i lib é ralité. T o ut don
manue l esl b ie n un e libéralit é, mais Lo ule libé1'a li té n'es t
pas un don ma nu e l. La libé r alité csl le genre, l e don
-
125 -
manu el , l 'espèce. Le don manu e l est cette libér alité qui
trans m e t la pro pri été d' un obj e t cor porel que l'o n met à la
libre dis po ilio n d u do nata ire.
D an s l 'es pèce, la l ib é ra lité qui é tait faite c'était la remise
d e d e tte d e l 'article 1282 C . C. Elle devai t do nc po ur êtr e
valable ôlrc so umise au x fo rmes du testamen t.
Il si e d d e r emarqu er qu e s i l e créancier avait voul u
fair e imm édia te me nt la lib ér alit é, il n 'aurait eu qu'à
rem e ll re l e Litre a u d éb it e ur lu i-m ê me; il y aurait eu là
libératio n co m p lè te, e t 'il n'y avait pas eu do n ma n uel ,
il y au rai t e u a u m oins libéralité .
L a qu e t i o n 'est présen tée a ussi un e autre fois . (Ca ::;al.,
17 m ai 1855. S irey, l8;)G. l.1 56.) : Un sieur Col aYail souscrit à sa œur u n bi ll e t de 2.000 franc ; mai , à sa mort,
o n tro uya le billet clan s ses papiers. La créancière intente
un p rocès au x h é ri tiers de Cot, en payement dudit billet;
la pos ession du titre par le débi teur, ne prouvant r ien,
dis ai t-ell e; car o n n e po u\·ait pas fa ire don manue l d' u ne
cr éance. La Co m , se fon da nt s ur la libération de l'article 1282, r eje ta on pourvoi; mais, statua nt sur le moyen
du do n m anu e l invoq u é, elle dit <<qu'il y avait do n manuel,
n o n , sa n s d o ut e, de la c1·éance, mai de la omme prim iti veme n t n o m b r ée pa t' le créan cier au débiteur».
Il y a là, crnyons-nou , un e fa usse interprétation des
fai ts. En effet , le débi te ur é tait déjà propriétaire des
deniers par s uite <le l'e m pr un t; on ne pouYait do n c pa
lu i tran smettre une secon de fois une propriété qu'il avait
d éjà.
Le motif, à no tre avis, au r ait e u plus d'exactitude, 'il
s'agissai t d'un corps ce r tain remi s en dépôt ou en gage.
Le déposan t, pa r exe n1pl e, rend au dépo ilairc le reçu :
il le décharge, d u même co u p, de l'obligation <le re Lituer;
d u m 6me co up a u s i, ne l e re n d-i l pas propriétaire <le
l 'objet dép osé? O ui, évidemme nt. Or , la tradition, aya n t
�-
126 -
déjà été opérée, le concours des volontés Yicnt ~'y joindre . nous nous trouvons donc en prése nce d un don
'
manuel.
2~voi là pour la première hypothèse; voyon maintenant
la seconde, cell e où la re mise du litre de la cr6ance est
faite à un tie rs.
Ici, au lieu d'éteindre un droit, comme dan le cas de
remise au débiteur lui-m ême; on Lrall ~ porte , au contraire,
un droit dans le patrimoine d'autrui ; la qu es tion se po e
donc de savoir si la ces ion de créance peut vala!Jl e1 nenl
se faire par voie de don manu el.
On ne trouYe en ce sen s qu 'un e ul arrê t ; il est de la
Cour de Paris du 6 mars 1815 : Le don, avec tradition
d'obj ets mobiliers, dit l'.1rrêl, est di s pensé des forma lités
ordinaire des donation . Mai cet arrê t, évidemment,
confond l'obj et de la créa nce avec la créance ell e-m ême ,
c'est à dire les choses corporelles avec les choses incorporelles. Tout les autr es ar rê ts sont e n sen s contraire.
En effet, aux term es de l'arti cle 1689 C. C. , dan s le
transport d'un dro it de rréancc s ur un Lier s, la délivrance
se fait entre le cédant et le cess ionnaire par la r emis e du
titre .
Ce n'est donc qu e la délivrance qui s'exérute par la
tradi tion du titre; mais la déli vrance n'est a utre cho se
que l'exécution du lran fe rl ; elle n'est pas le tran fcrl
lui-m ême; elle s uit la cession, mai s elle ne se co nfond
pas avec e lle .
Quant au transfert lui-m ême, il ne pe ul se r éaliser que
par un acte écril.
EL, en effet, les titres mêmes qui constatent l'exis te nce
de la cr éance portent avec e ux-m èmes la d ésig nation de
la per sonne à laque ll e le droit appartient. Co mm en t un
ti er s porteur pourrait-il donc se prévalo ir de la po ssession du titre pour s'en attribuer la propri été , lorsque
-
127 -
le titr e lui-m ême démentirait sa prétention ? Les modes
de tran sfert <l es créances ont été régl és spécialement
par la loi; e l parmi ces mode s ne figure pas la tradition .
Cependant nou s lrouvon dans la jurisprudence quelqu es divergences au s ujet cl e créan ces ou e ffets de commerce, la le ttre <le change et le bille t à ordre. Sans
do ute ces Litres de créance pas plu s que l es autre,; n e
peuvent être tran smis par la voie du don manu el. Jl e
transmellenl par la voie commerciale, c'est à dire par l'endo ssement.
Mais i l est un e sorte d'endossement , l'endo sse ment en
blanc ou irrég uli e r , au s uj et duqu el la question 'est
po sée de savo ir, s'il ne co n ~ tiluait pas une impie tradition , trans féra nt la propri été du titre , et par conséqu ent,
constituant le don manuel.
Certa in s arrêts décid ent qu e l 'endosse ment en blanc
pe ut cons titu er une tradition et partan t un don manu e l.
En effet , l'endo ement Lran fère la propriété de ces
billets; ce qui révèle s urtout ce tte inten tion d'aliéner ,
lure de l'e ndos e ur au bas de l'endo c ment.
c'est la sio-ua
0
C'est co mm e un e sorte d'abandon fait sur la voie pub lique ; mais l'a cqu éreur n'e t point dé igné ici comme dans
l 'endosse ment régu lier; qu 'importe? X'e t-ce pa celle
circonstance qui prouve l'intention de tran férer la propriété au prem ier venu , au ti er s porteur? Dans ce ca , il
y aurait bien don manu el. Mai ce y tème qui a été adopté
par qu elques arrêts n'e· L pa s conform e aux principe
juridiques et se h eu rt e à un texte fo rm el. L'a rticle 138
C. de Corn. di t en effe t que l'endos eme nt en blanc ne
vant que co mm e procuration; quant à la pro priété d'une
l ettre cl c cha no·e ou d'un billet à ordre , ell e ne peut être
transfér ée qu~ par un endossement régulier . - Si donc
il n 'y a pas transfert cl c propri 6té., il n'y a pas non plus
don manuel.
�-
128-
On objecte l'intention d'aliéner qni se réYèle chez l'endo seur par sa ignature appo ée au ba de l'endossement.
Cet argument u 'est point déci if. Celte signature peut
aussi bien témoign er d'un mandat de loucher l'argent que
d'une intention de libéralité. Or, de ces deux intentions,
c'est la première que la loi pré ume, et q u 'ell e édicte
même d'une façon formelle. L'endossemen t irrégulier
d'un effet de commerce ne lr ·~c;fère donc pas la propriété de cet effet; il ne saurai t donc y a\·oir de celte faço n
don manuel.
Il e tune autre sorte d'endossement irrégulier au sujet
duquel la que~ lion 'e-t po ,ée de ayoir s'il constituait un
don manuel : c'e t l'euclo ement cau~é pour don et sans
indication de la valeur fournie. Deux fois , la jurisprudence a eu à statuer ::.ur celle hypothèse et deux fois, elle
a opiné pour l'affirmative.
(Cassat. 25 janvier 1832. Dalloz. Rép. 8°). Effels de commerce, 455, 3°.
(Paris, 18 mai 1867. Gazette des Tribunaux, 10 juillet 1867).
Nous ne saurions admettre cette jurisprudence ; en
effet, du moment qu 'il y eu endos'5emen t, cet endossement fût-i l irrégulier, il )'a bien acte écrit; cet écrit est
exclusif du don manuel.
Si enco re la juri prudence s'était contentée de voir
dan ce fait une libéralité; mais même dans ce cas, nous
n·hésilerion pa à la déclarer anti-juridiqu e. En effet, le
texte formel de l'a rt. 138 C. Com. n'accorde à l'endossement inégulier que le effet d'un mandat. En vain objecterait-on le respecl que l'on doit à la liberté des conYentions ; celle liberlé ne va pas jusqu 'à enfreindre les prescription s formelle et impérative de la loi (art. 6. C. C.).
- Si l'on Yeut transférer la propriété, qu'on se conforme
à la loi, qui exige l'indication de la valeur fournie. En
-
129 -
vain objecterait-on encore avec Vazeille que dans l'endosse ment ca usé pour don, il y a bien indication de la valeur
fourn ie; la ca use du transfert de propriété se trouve dans
l 'affection du donaleur pour le donataire, affection qui
n 'es t pas sa ns vale ur . Répo ndre ainsi, c'est jouer sur les
mots. Il n 'est douteux pour personne que lorsqu e le législateur a parlé de vale ur, il a entendu une valeur pécuniaire donnée eri échange et non point une valeur d'affection . Donc, il quelque point de vue qu'on se place, l'acte
doit ôlre ann ulé co mme don.
Ain i , en résumé, les titres de créance ne peuvent se
t ransmcllrc que par les moyens édictés par la loi: la cession et l 'endo s se Ill ent.
Mais celle règle ne concerne que les titres nominatif ,
créances ur les particuliers ou sur l'Etat, livret de
caisse d'épargne, etc... , il y a en elfet, une exception
pour les tilres au po rteur qui se transmettent par la
simple tradition. Leu r nature même se prête à ce gen re
de tran sfert.
Le litre au porte ur n'est pas de création moderne; il
remonte au moyen-âge. i\Tais il r épondait alors à d'autres
rlécessités qu'auj ourd'hui et n'avait pas la môme importance qu'à notre époque. Il fut imaginé par des praticiens
pour élud er les rigueurs d'une pro cédure formaliste qui
adm eltail clifficilemenl la représentation en justice ; il
fallait donc que celui qui intentait une action en justice
fùt directemen t int é ressé, fùt le créancier lui- même; la
clau se au porteu r in crite sui· le titre l'investissait d~ ce
d roil; et le por teur e présentant comme créancier aYait
par cela môme qua lit é pour agir . Telle était la eule destination de la clau se au porteur, elle inYestissait d'u n mandat
l e porteur du titre de créan ce. Ainsi, elle avait le môme
effet que pour l 'endo ssement irrégulier d'un effet de com0
�-
130 -
merce qui , aux termes de l'article 138 C. de Corn. ne vaut
.
que comme procuration (1).
Le jour où la r e prése ntation en jus ti ce fut ad mi se, l e
titre au porteur n e ré pondit p lu s à aucune nécess ité e t
tendit à disparaitre. Il se maintint pourtant par l'effe t d e la
routine ; mais il n'était en usage q ue chez les comm erçants
seuls; c'est alors que l'indu s trie moderne, a u commen cemen t de ce siècle, vint prendre le titre au porteur pour
l 'enlever dan s son prodi g ie ux essor.
Le titre au porteur a s ur les autres titres d e cr éanrc
l'avantage d e se transmettre de la main à la main san s
a utre formalit é. Ce mode de transmission est p lu s commode et plus pro mpt e ncore que l 'endossemenl d es effets
d e commerce. C'est à cette facilité qu e le Litre au porteur
doit la faveu r dont il jouit. Il n 'es t pas a ujourd'hui un e
indus trie quelque peu con s idérab le qui ne march e par
actions; l'a ssociation des ca pita ux est un des co tés ca ractéristiques de notre épo qu e . :Mais po ur e n faci liter le placement, en généra l q uand la moiti é de l 'action est ver sée,
on convertit l e titre nom in atif en litre au porteur; en sorte
qu'il n 'est presque pas de socié té qui n 'ai t des titres au
porte ur . - On compre nd tout de s ui te l'importan ce des
dons manu el s; cette importance correspond à la prodigieuse extension des titres a u porteur; tandis que dan s
l 'a ncien droit, les fo rtun e é taient presque toutes imm obilières·, de nos. .1· ou r s ' il en es t p lu s d ' une , même fort con s idérabl e, qui se compose uniq uemen t de vale urs mobilières , dans l 'anc ien droit, la monnaie é tait la se ul e vale ur
qui pût donner quelque i rn porlance aux dons manuels ;
mais e n core la monnaie n 'é tait pa s courante comme de no s
jours ; aujourd' hui , ce n 'es t pa s se ulement la monn aie, cc
sont les Litres a u p orle ur qu i rep r6senlent d es ca pitaux
qui peuvent e n core en être l 'ohjeL e t qui, somm e tou le , en
s ont l'obj e t principal. Il y a même pour eux un lexte spé-
-
131 -
cia l, l'a rticle 35, C. Corn. : le principe que la tradition s uffit , comm e formalilé, pour lrans fé r er la propriété est a ussi
vrai pour l es titres au porteur que pour les me ubles corporel s . E n effet, en ce qui concerne ces derniers, la tradi·
tioo n 'esl pa s un mod e d e transfert de proprié té; e ll e ne
fig-ure pas co mm e tel dans l'énum é ration des articl es 711
et 712 C. C. Dès lors, la tradition n 'est e t ne peut ôtre considérée que comm e l'exéc ution d ' un co ntrat antérieur ou
con co mitant qui opère l ui-même le Lransfert d e propriété:
vente, donat ion, e tc . .... Ce sera le seul consente men t des
parLics qui a ura opéré cette mutation de propriété.
Pour les titres au po rteur il e n est de mê me, il y a u n
texte s péc ia l , l'article 35 du Code Corn. qui dispense
de toute for ma lité la ces ion de créance. Sans doute,
il faut ici com me dan tout con trat , le consentement
des parties qui trai te nt , mais ce con sen tement joint
à la tradition cons titu e à lui seul un contrat à part, dont
la validité n e sa urait ôlr e con testée et qui n 'est point
l'exéc uti on d ' un a u tre contrat. Il y a mieux, la tradition se ule fait pré umer l 'in tention de trans férer la proprié té; en sorte que le tradens qui n'a urait entendu faire
qu ' un d é pôt ou un mandat devra prouYer l'exi te nre d e cc
conLraL à l'en contre de l'accipiens; la lradition ici fait donc
présumer la mutation de proprié té, non un mandat , ou un
dépot, ou tout autre contrat d 'une autre n a ture.
2° Propriété littéraire , artistique et industrielle.
Peut-elle ê tre tran sférée par la tradition du manuscrit ?
Auteurs affir. (Don cn lrc-vifs, l. 3, n°' 1053-1056; t. 20, n° 71) :
Dcmolornbc, Troplong.
n ég. Aubry cl Rau (L. 7 , § 619, p. 83, n° 23); Lauren t (l. 12, n° 283.)
J urisprudence: Affir. Bordeaux, 4mai 1843 , S. , 43, 2, 479;
Pari s, 4 mai 1816 (Aff. J. ChC:•nicr. )
Paris, 10 déc. 1850. S. , 1850, 2, 623
(Affaire Récamier.)
�-
132 -
Nous avons vu phr haut qu e la proprié té d'un manuscrit ou d'un tableau pouvait se transmettre manuellement.
En est-il de même de la propri été littéraire, artistique ou
industrielle? Cette propriété es t-elle trans mise en même
temps que la propriété du man uscrit, du tab leau ou du
brevet d'invention? Non ; et , en effet , cette propriété
étant un droit incorporel , n 'est pas susceptible de possession r éelle , comme un objet co rporel.
Et que l 'on n 'obj ecte pas que le transfert de la propriété
littéraire est une con équence naturelle de la transmission
de propriété du manu scrit, car c'est précisé ment l à ce qu'il
faut prouver. La r emi e du manuscrit ou du tablea u peut
être un témoignage d'affection que l'on donne à la personne que l'on gratifie; mais le fait même de la tr adition
ne déterminant pas l 'étendue de la lib ér alité, comment
peut-on prétendre que le droit de publier l'œuvre el de
s'en approprier les b énéfi ces est compri s dans cette lib ér alité? - On dira: l'intention des pa rties est souveraine
en matière de contral. Sans doute , mais encore faut-il que
celle intention so it co nnue, so it précise, de façon à ce que
aucun doute ne s'élève s ur son existence. Et puis, il es t
faux de dire que l'intention du donate ur même , cla il'Cm ent
manifestée, soit aussi souvera ine qu'on veut bien le dire .
Supposons, en effet, que deux parties veuillent faire une
donation par acte so us se ing privé, est -ce qu e leur seule
intention donnera à leur acte une vale ur que la loi 1ui
refuse catégorique ment ? De même l'intention du donateur suffit-elle pour valider le don d'une créance ? Non.
Au dessus de la vo lonté des parties , il y a la volon té de la
loi qui est plus s ouverai ne enco re. Et si la loi dé termine
le mode à employer, c'est en vain qu 'on vo udrai t s'en
affranchir en prétextant de l'intention des parties ; celte
intention est nécessaire , elle n'est pa s suffisante. L'inlen·
tion de transférer la propriété et le mode de transfert indi-
-
133 -
qué par la loi doivent se r éunir pour op érer complètement
ce tran sfert.
Ainsi la propri été litt éraire, artistique ou industrielle
n e peut pa s se tra nsmettre manuellement. (Cassat. (i;ffir .)
6 fév. 1844. , D . A. Disp. entre-vifs 1638. Dijon, 12 mai 1876.
Sirey, 1876,2. 300. Paris, 18fév.1778. Req. Rej. 5aoû t1878.
Sir. 1880, 1. 294. Angers, 27 mai 1880. D. P . 1882, 1. 67.
Civ. Cass ., 11 aoùt 1880. Sirey 1881, 1. 115.)
3° Usage, usufruit, nue-propriété.
No us avons vu plu s h:iut qu' un don manuel pouvait être
fait avec r éserrn d'usufruit. Ici, il s'agit de savoir s i on
peu t constitu er directement un droit d'usufruit par don
manuel. Je pre nds l'u - ufruit à titre d'exemple; mais la
question se pose à propos de to ut autre droit incorporel.
La jurisprudence est pa rtagée s ur ce point. La plupart
des arr ~t s déciden t que par sa natu re même un droit
in corpor el repousse ce mode de transfert qu'on nom me la
tradition.
Cependant un an 6t de la Cour de Paris de 1880 admet
la possibilit é cl'étab lii· un droit <l' usufruit pa r sim ple tradition.
Déjà dans un arrô t du 6 février 1844, la Cour de Cas atio n elle-môme avai t reco nnu la validité d'une di-position
de ce gen r e.
En effet, r econnailre qu e, conformément à l'article 849,
on peul fai re un don manuel en retenan t pour soi l 'usufruit , c'est bi en reco nnai tre impli citement qu 'on peul
consti tue r un droit d'u ufruit pa r la même voie.
Sans doute, l'us ufruit est un droit incorporel et, l\ ce
titre, n 'es t pas su cep tible d' une possession réelle, mais
s'en tenir à celle idée, c'est se fai re une idée incxaclo du
rôl e de la tradi tion dan le don manue l. En effet, notre
�134 législation spiritualiste accorde au co nse ntement des
parties le pouvoir de tran sfé rer la propri été; s i donc c,est
la rnlonté des parli e qui opère le changemenl d e propri élé, qu'imporle la nature du droit ? Le concours des
volontés est seul tout puis ant; que cc soi t un droit de
propriété ou un droit d'u sufruit , la chose importe peu.
Ce qu i importe c'cs l qu e l 'o bjet s ur lequel doit porter le
droit co n titué soit su sccplib le de tradilion r éelle et que
cette tradition so it effec tivement opér ée .
Il nous semble qu e la Cour de Paris ne ti e nt com ple ici
que d'un des éléme nts du don manue l , l 'intention des
parties; mais elle passe sous silence (et c'est là, elon
nou s, son erreur) le second élément, la tradition.
Sans doute , nou avons reconnu nous-m ême pl us haut ,
qu e le don manuel fai t avec résen·e d' us ufruil é tait pleinement valabl e; mai s ce fail n 'au to ri e poinl la concl usion
qu 'en Lire la Co ur de Pari s. En effet, que se pa sse ·L-il
dans le don manu el avec l'éserv e d'us ufruit ? Le donate nr
re met au donataire l 'objel de la do na li on: une so mm e d'argent , par exemple, avec l'in tention de l 'en r endre propriétaire. Voilà les de ux élémenls du don manue l r éal isés:
l'intention d'ali éner el la lradilion .
Puis au moyen d'un pacle acces oir e, le donalaire s'engage à servir au donateur les inlérêls de celte somm e. Or ,
nous savons qu e les pactes joints au don man uel sont pleinement valables , quelqu e forme qu 'ils revêtent. Donc la
r ésen e d'usufruit , qui en esl la conséque nce , est aussi
pleinement valable .
La Cour de Paris se mbl e suppo ser, au con traire, qu e le
<lon&leur ne se dépoui lle en aucune fa con· qu'il o-a rd e par
0
'
•
dever s lui l'objet dont il L1·ans met au donataire la nu epropri été.
Si les ch oses se pa s aient ai ns i , elle aurait raison
de dire que la nu e- propri 61é 6Lanl lrans mise par le don
manuel , tout aulre droit peul se Lransme ltre aussi de la
-
135-
même manièr e . Mais c'est là une erreur; dans celte hypothèse, en e [ et, le second él ément du don manuel , la traditio n, fai t absolum ent défaut; il se trouve. au contraire,
plein e me nt réa lis6, dans le cas où la réserve d'us ufruit est
la con sécru ence d'un pa<:Le accessoire.
En r és um é , un droit inco r porel ne peut pa s êtr e transmis par voie de don manuel , et il est inexact de dire que
dans Ï e cas de r·éserve d'usufruit, la nue-propri été se trouve
tran smise direc tement.
§
II. -
Forme : Tradition .
Le l égislateur a cherché à entourer de toutes sortes
d'entraves les donations entre-vifs, mobilières ou immobilières , parce qu'il les voit avec défaveur : nécessité
d'un ac te auth entiqu e, consentement exp ressément manife sté , des aisissem ent actu el et irrévocable, ca pacité
spéciale pour aliéner, respect de la réserve, son t au lant
de préca ution s, on pourrait même dire de mesures préventives destin ées à arrê ler l 'essor des lib éralités.
Ce n 'est pas san s raison qu e l e législate ur cher ch e à
enlraver l es largesses parfois témé raires et irréfl échies
auxquelles on peut se livrer : l'a ppauvrissement d'un
patrimoine au détrim ent de membres <l'une famille,
l 'enrichi ssement de personnes pa rfoi indig nes, l'encouragement au vice et à la ca ptation pour faire de rapides
forlunes tou ces mot ifs ont détermin é le législaleur li ne
' d ' un œil favorab le les donations : elles sont plus
point voir
souvent le prix de co mplai ance coupables que la r econnai ssan ce de services r endu s.
Sans doule, toute les pr6cau lions prises par le législate ur n 'arrMe ron t pas la fougue des pa sions; mais sans
discuter ici ur le ur effi cacité plu s ou moin s grande, nou
cons taton s celte inten tion bie n certaine de la loi i les
�-
-
i36 -
règle s qu'elle édicte au s uj e t de s libé ralités p e uve nt , du
mo ins, chez quelqu es- un s, p r oduire l es r ésulta ls h e ure u x
q ue l'on est en d r oil d'a lte n cl re.
Il n 'en est p as de m ém e e n ma Li è re d e don manu e l : Ici
l'intention d 'alién e r e t d 'acqn é rir es t n écessaire comm e
dans tout contrat; mais en de hors d e celte co ndition , on
n e r en contre d 'autre form alité q ue la tra dition ; ici, ni la
n écessité d' un co n sente me nt expressé me nt manifesté, ni
la n écessité d'un ac te auth e ntique, po ur do nn e r n a issan ce
à la do nation elle-m ê me : la tradit ion s uflit à l a pe rfection
d u contrat.
Nou s avon s vu pl us h aut q ue l'exis ten ce du d on m anu el
n 'était point du e à celte idée qu 'il fa ut tolérer ce qu 'on
n e p e ut empêch er ; mais que, au con lraire, le l égis late ur
ùu Code civil avait e u l'in le ntio n certaine de m aintenir
da ns le Code l e don manu e l e t qu 'il avait e nte ndu lui
con ser ver ses franchi es, à raiso n du p e u d 'impo rtan ce
qu'ava it alor s la fo rlune mobili è re .
C'est ici l e cas de bi en déle rmin e r l e r ôle d e la tradition
dans l e do n m anue l : Si le do n manue l es t affra n chi d e
to u tes fo rmalilés q ui garan tissen t le do n a te ur conLrc l es
dan gers de la cap talion , qu e lle e t , a u point de v u e ju r idique, la valeur de la tradition ? Es t-elle a u don manue l
ce que l'acte a uth e n tiq ue esl a ux donations ordinaires?
C'est à dir e est-elle une fo rmalité essen Lie ll e à l'exis te n ce
du don manu el ? ou bien, n 'est-elle q u e l'exéc utio n d'u n
contrat anté rieur exis tan t par l ui-mêm e par le seu l fai t du
concours des volontés ?
En un mot, dan s quell e catégo rie de con tra ts fa u t-il
r an ger le don manu e l ? Pa rmi le s contra ts réels con sen'
s ue ls ou sol en nels?
Les contrats r éels sonlce ux q ui se fo rm ent p ar l a r e mise
de la chose; tels sont l e prC:L, l e dépô l. L 'obli gation <le
ren dre ne prend nai ssan ce pour l'e mp r u n te u r ou l e d é positaire qu'à l' instant même oü i l reçoit la ch ose.
1
137 -
L e s contra ts consen s u els s ont ceu x qui se form ent pa r
l e seul consente m ent d es parties ; telle e L la vente e n ce
qui con cerne l e transfer t de propri é té.
L es contra ts sol e nn els sont ce ux qui n'exist e nt qu e tout
autant qu 'il y a u n acte n otarié de passé; tels so nt la
dona tion , l e cont rat de mariage, la cons titution d'h y pothèque.
Disons, to ut d e s uile, pour s implifier la question , qu e
les contra ts r éels e t l es contrats sol ennels, a u point de
v u e q u i n ou s occu pe, doivent ê tre mis s ur la m ê me li g n e .
En effe t , ch ez les un s com me ch ez les au tres, l e co nsent e m ent, à lui seul , est ine fficace p our op é re r le tra nsfert
d e propriété, so it qu 'on l e co n s idè r e co mm e in existant e n
l 'ab sen ce d e tout e so le nnit é, soit q u 'on lu i refu se tout
effe t , tan t qu 'il n 'y a pas e u re mise d e la ch ose.
Il s'ag it do n c de savoir s i no u s devons r anger le don
manu e l d a n l es ro nlra ts con sen s uels d 'un e parl o u bien
dans l es contra ts sole nne ls o u réels, d 'a utre part.
Pra tiqu e me n t, h â to n s-n o u s d e le dire , la q uestion n 'offr e
au cun inté r ê l, car n ous ad me tton s qu e l'int e ntion des
parties et l a traclilion sont les é lé men ts i ndi pensable du
d on m anu e l.
« R e marqu ez, d i t un aute ur, q ue ce n 'est pa la tradition
seul e q ui 1ra n sfère la pr opri été, mais la tradi tion accompagn ée d u co ntrat des vol ontés.» (1)
Pour no u , no u nous demandon s , au poin t de vue
théorique , une fois l e de ux é léments r éa lisé ~, i un eu l
d es d e u x a p u suffire à transfér e r la propr iété , on bien si
tous deux y conco ure n t pour une égale part.
U n aute u r for t d is ting ué (J\I. Pa ul Bresso lles, avocat,
Toulou se, Théorie et pratique des dons manuels, p. 104 e t
(1) Jules Claude, Des Dons manu.el&. Thèse pour le Doctorat,
p. 213.
�-138 suiv.) soutient que la tradition n 'intervie nt pas ici comme
exécution d'un tran fert de proprié té , mais qu'elle est
n écessaire au transfert de la propri 6lé; l a tradition est au
don manuel ce que l'acte authentique est à la donation
ordinaire: elle est n écessaire ad solem nitatem . Il s'appui e
sur ce princip e en matièr e d e libéralit és qu e l 'existence
mêm e de la do nation e t soum ise à <le s formal ités rigo u~
r e u es; l e l égisla te ur n 'a pa voulu donne r au s imple
consentement, quand il s'agit de dona ti ons, le m ê me effet
qu 'il lui reconnait dans l es a utres contrats; il faut à toute
donation une formalit é qui lui donne l e jour : forma dat
esse rei. O r, celle r ègle es t certainem ent un e r ègle de
fond , et l'on sait que de ple in droit l e s dons manue ls s'y
trouv ent soumis.
Et cela est si vrai , ajoute-t-on , qu'en l 'absence de tradition , le contrat re s te ra forcé ment l e ttre mo rte. Quelle
action aura, e n effet, le donataire ve rbal contre le donate ur
pour se faire me ttre en possession d e l 'objet donn é? Et
qu els moyen s de preuv e po urra-t-il faire valoir contre
lui , s'il n 'a pas à son service un ac te a uthen tique ? L es
s imples écrit , l es échanges <le correspondance o u de
paroles, en matièr e de don atio n , doivent être considérés
comm e non avenus. La s imple prom esse verbale de d on
manuel est donc de nul e ffe t sa ns la tradition. (Seine,
16 avril 1874. Gazette des Tribunaux, 6 ma i 1874. Remiremont, 9 juille t 1874. Ré p. p6r. Garnier n° 3953.)
Ainsi , d'après ce systè me, le don m anu e l se rai t un
contrat form ali s te, un contrat sole nnel.
Nous n e pen son s pa s ce pendant qu' il fa ill e r a nger l e
don manuel dans cette catégorie d e conlrals. En effet, ce
qui l e cara cté rise, c'est l 'affranchi sse ment d e toute sol ennité : « Il n 'y a là d 'a utre règl e qu e la tradi tion. » L e <lon
manuel n ' est point so umis à la formalit é de l' écr itu re po ur
prendre naissance. l\lais, dit-on , la tradi tion es t au don
-
139 -
manuel ce que l 'acte authentique est à la donation ordin aire. - C e tte ass imilation n e se justifie po in t ; en e ffet,
nou s n e trouvons null e part dans l e code civi l un te xte
qui fasse de la tradition un mode de transfe r t de la propriété . Vainem e nt on objecterait l 'ar ticle 1141 ; il est
facile d e d émontre r qu e cet article ne vise pas la traditio n
comme mode d e trans fert d e l a propri été, ni entre parties,
ni à l 'égard des tiers. Quelle es t, en effet, l 'h yp othèse
prévu e? Le propriéta ire d'un obje t mobilier en transfère
la proprié té à Primus, puis, ava nt de le lui avoi r livré le
'
donne et l e livre à Secundus; que l sera , à l'égard <les
tie r s, l e vrai propri étaire~ Ce se ra Secundus, dit l 'articl e .
Eh bie n , dit-o n , d 'où vie nt la dilforence e nlre l es deux
cas, n e vient-e lle pas de la tradition ? Si , e n effet, c'est le
seul con sen te me nt d es parties qui opè1·e le transfert de
proprié té, e n bonne règl e, c'est Primus qui doit l 'em p o rter
s nr Secandus; pourtan t , c'est Secllndus q ui devra ê tre
d é claré propriétaire ; n 'e t-ce pas p ar ce que l a tradi tion l 'a
rendu propri é taire? P o ur lui , co mm e pour Primus, il y a
eu la double inte n ti o n <l 'a lié n e r et d 'acqu é rir ; mai pour
Secundus, il y a e u qu elqu e cho se de plus que pour Primus,
la formalit é d e la tradition .
Nou s n e saurio n s acce pte r cette façon de vo ir. Ce n 'est
point à la traditio n qu 'il fa ut attribuer le tran fert de prop r i é té dan s l'esp èce d e ! 'article 1141, mais bien à la prescrip lion instantanée qui s'est opérée au p r ofit de Secwulus;
aux te rmes d e l 'a rticle 2279 C. C. , en fait de meubles,
po ssession va ut ti tre : c'est à <lire qu e des troi condi ti ons
exigées pou r pre c rire : l e temps, la pos ession el la
bonn e foi, la première n 'est p l us req uise; les deux autres
seules s ufü scul. Et cc qui prouve bie n que l 'article 1141
se r éfè re à l 'article 2279, c'est qu'il exige chez Secundus
l a bonn e fo i ; c'e L-à-<lire q ue Secundus, pour opposer son
droit a ux tiers, il Primus, excipera. de sa possession
�-140 d'abord, de sa bonne foi ensuite, bonne foi qui, du :~ste,
se présume . Ce so nL bien l es deux seules condit1o~s
exigées par le Code pour la presciption d~~ choses 1~oh1lières; c'est donc à la pr escription se ule qu il faut al tr1buer
le transfert de prop ri été vi s-à-vis des tier s . Et ce qui l e
prom·e encore d'une faço n p6remptoire, c'est qu e Prim.u s
aura un recours en dommages-intér êts contre le propri6taire pour inex6cution de l'obliga tion de délivr er . Donc,
le seul consentemen t au ra bien s uffi à tran sfér er la propriété entre parties du moins ; ce n 'est donc pas la trad~ti o n
q ui a été et qui peut être un mode de transfert de propriét6.
En résumé, l a tradition n e peut pas être aux dons manu els
ce que l'acte authentique e t aux donatio ns en tre-vifs
ordinaires, c'est à dir e q ue la tradition ne donn e pas l 'existence au trans fert de propriété.
On pourrait pourtant objecter e ncor e l'ar ticle 35 d u
Code de Commer ce r elali f aux litr es au port eur ; pour e ux,
dit ret article, la cession s'opère par la simple t radition
du titre . Mais cet article n e d6truit en aucun e faço n le
princip e q ue la prop riété se transmet de nos jo urs par le
seul consen tement ; la simpl e tradi tion do nt parle l'article
est ici en o pposition avec les fo1·malités de la cession de
créance <les articles 1689 el suiYa nl C. C. ; puisque le seul
fait de détenir un Litr e au porte ur vo ns donne le droi t
d'exiger le payement sans avoir à justifier de l'origine ni
de la légitimité d u Lit re, to utes les signi fications à fai re
au débiteu r ou son accep tati on dans un ac te authentique
deviennent d n même coup inutiles el ont rclllplar6es
par la simple traditi on du LiL1·e e ntre l es parties. Voilà,
évidemm ent, la sig nifi cation <le ces mols : L a cession
s'opère par la simple traditi on. Mais il n e fa ut pas l eur
donn er une port ée plus grande et cr oire q u e c'est la
tradition qui opère le transfert de pro pri6l é.
En résumé, le do n man uel n'est pas un co n trat solenn el
en ee sens que la tradition opè re le tran sfert de propriét6.
-
•
141 -
Est-ce un contrat consensuel ? L'affi rmative n'est poin t
dout e use : ell e est la con séquence même des développem ents q u i pr6cèdent ; le concou rs des vo lontés suffit à
tran sfér er la proprié té. Cependan t cette opinion est loin
d'ê tr e admise par to ut l e mon de. Supposez, dit-on , le con co urs des volonLés seul, san s que la tradition soit réali sée;
qu elle effi cacit6 aura ce consentemen t mu tuel des par ties ?
Comm ent l e donataire pourra-t-il fo rcer l e donateu r à
lui livrer l a chose dont il lui a transmis la propriété ?
Quelle action aura- t-il co ntre lui ? Il y a là sans doute une
diffic ulté q u'o n ne saura it méconnaitre ; mais il importe
aussi de ne point l 'exagérer. Remarquons d'abord que l'obj ection q u o l 'o n so ulève est r elative plutôt à une question
de p reuve qu'à une qnestio u de tr ansfert de propriété. Dans la Yen te , pa r exemple , c'est bien le consentement
mutuel des parties qu i opère le transfer t <le propriété; et
cependant tan t qu 'un écri t n'aura pas été rédigé (il s'agit
ici , bi en en tend u , d'une vente supérieure à 150 fran cs) ,
l 'ache te ur ne pou rra pas oblige r son vendeur à lui faire
livrai son de la chose ve nd ue. - Qui osera it po urtant sout enir que le con tr at de ven te consiste dans l'acte écrit? Il
en est de même pour le don manue l. De ce qu e le donataire esl sa ns action, il ne s'ensuit pas que ce soit la tradition qui transfère la propriété. Nous avons eu soin de dire
en com mençan t que la question ne se posait qu 'une fois
que les deux éléments du don manuel se trouvaient réalisés, et alors la répon se de la question posée dépend unique men t de la na ture m ~me des éléments du don manuel ,
et n on pl us de l'époque à laquelle ils ont pris naissance.
Car il fa u t bien l e r emarq uer, l'er reur du syst ème que nous
combatto ns consis te à refuser efficacité au co nsentemen t,
par ce que ce consente ment pr écède la tradition; mais sup·
p osez, au co ntrair e, q ue la trad ition ait déjà été effectuée,
que, par exemple, le futur donataire détienne déjà l'objet
�- 142 - de la donation , soit à titre de dépôt, soit à Litre de gage,
vient ensuite le consentement des parties, pour rendre le
détenteur propriétaire de l'objet, dans ce cas, ne sera-ce
pas le seul consentement des parties qui aura opéré le
transfert de propriété ? Ain si donc la valeur du consentement dépendrait de l'époque à laquelle il est intervenu ,
ce qui n'est point admissible.
D'après nous, au contraire, c'est le consentement seul
qui transfère la propriété. Quel est don<' le rôle de la tradition dans le don manuel ? La tradition ne s ert ni à transférer la propriété, et , d'autre part, ne peut pas être considérée comme une solennité. Cependant c'est elle qui caractérise le don manuel , non pas ell e se ule , mais elle jointe
à l'intention d'aliéner . En effet, l'intention d'aliéner el
d'acquérir prise isolément est nécessaire à tout con tr at
translatif de propri été , donation entre-vifs , vente ,
échange, etc ... ; la tradition , en d'a utres term es , la délivrance, la remise de la chose es t n écessaire elle auss i
'
'
dans les contrats translatifs de propriété, ou m ême dans
les contrats
les simples contrats cr éa te urs d'obliO'atiou.s
)
0
réels, le prêt, le dépôt , etc ...
Mais le simple consentem ent joint à la tradition sontles
conditions indispensable s en notre matière: leur réunion
est la caractéristique de tout don manuel.
La tradition est donc l'exéc ution du don m anuel mais
'
l'exécution inséparab le de son existence . Existence et exé
cution en notre matière se confondent. C'est en ce sens
seulement qu'il leur est permis de dire qu e la tradition
est une formalité s ubs tantiell e; mai s il serait étrange de
vouloir faire une solennité gônante de cette fo rmalité la
plus simple et la plus expéditive qui se puisse imaO'iner .
La tradition consomme le don manuel et s i elle est
'
nécessaire au transfert de propriété, cela tient à la nature
même des choses ; mais ce n'est point, comme pour les
-
143 -
donations ordinaires par acte authentiq ue, une conséquence
de la volont é de la loi .
De cette facon, il est permis de dire qu'il est un contrat
solennel. Il est non moin s douteux que le don manu el est
un contra t consens uel ; il participe don c de la nature de ces
deux catégori es de contrats ; mais on ne sau rait en aucune
mani ère le ranger au nombre des contrats réels.
On sait qu e les donations entre-vifs d'effets mobili ers
ne sont valables que tout autant qu 'un état estimatif, signé
du donate ur , a été annexé à la minute de la donation. Qw'd, s'il y avait eu livraiso n des objets mobiliers donnés,
sans qu 'il y ait en cet état estimatif de l'article 948 C . C.?
Il est hors de doute qu'une telle donation n'est pas valable
comme donation , c'est à dire comme libéralité con talée
par acte; la fa çon dont est conçu l'a rticle 948 prou ve que
l 'état estimatif est un e condition nécessaire de la validité
du con trat, e l la jurisprudence a décidé que la nullité r ésu 1tant du défaut d'é ta t estimatif était une nulli té absolue.
Mais n e peut-on pas voir dans ce fait un don manuel ? Les
deux éléments du don manuel se r encontr ent dans notre
espèce: l 'intention réciproque d'ali én er e t d'acquérir et la
tradition de l'objet.
D'apr ès un premier système, tout est nul ; car l 'état es timatif est un e fo rma lité substantielle de la donation d'effets
mobiliers; la fa çon même don t est conçu l'article 948 le
prouve péremptoirement: l'acte de donation ne sera valabl e q ue si, e tc ... C'e t la forme imp érative. Et que l'on n'obj ec te pas qu e les nullités ne se suppléent poiut et ne frappent les acte s qu'en vertu d'u n texte formel; car le texte
mêm e es t on ne peut plus formel : 8Î l'étal estimatif est
ab sol ument n éce sa ir e po ur la validité, ne s'en suit-il pas
que son absence r endra nulle la donation? Si le législateur n 1a pas cru devoir dfre qu 'il y aurait nullité, c'est que
cela é tait complètement inutile.
�-144Sans doute , l'absence d'état estimatif annule quelque
chose , mais quoi ? La donalion elle-m ême ? non; l 'acte de
donation seulement. Mais le don manuel est par nature
exclusif de tout acte; deux él éments suffisent à son existence : l'intention d'aliéner et la tradition. L'int ention n 'es t
pas douteuse; donc le moment où la tradition s'effectuera,
le don manu el sera parfait.
Un second système déclare aussi qu'il y a nullité , mais
pour des raison s différentes. Il s'appuie sur les travaux
préparatoires et la discussion qui se fit au Consei.l d'Etat:
Le projet primitif portail ces mots à la fin de l'article: <c a
moins qu'il n 'y e(tt tradition réelle. » Mais comme on voulai t pouvoir établir la l égitime des en fants, on reconnut la
nécessité d'un état est im atif. - On effaça donc du proj et
les mots de la fin: s'il n'y a tradition r éell e , et on les
remplaça par ceux-ci : Tout ac te de donation d'effets mobiliers ne sera valable qu e si .....
Voilà bien, dit-on, l'i ntention du législate ur qui n e
reconnait la validité des donations d'effets mobilier s que
s'il y a état estim atif ; la tradition ne s uffit donc pas à ell e
seule à valider la donation.
La conclusion n'est pas rigoureu sement exacte ; e u effe t,
si d'une part, le légi lateu r a vou lu que toute donation
d'effets mobiliers fùt accompagnée d'un état estimatif, dans
le but de pouvoir étab lir la légi time des enfants, il est
non moins certain, d'un autre côté, qu 'il a r econnu l'existence des dons manuels , pui sque l'a rticle 931 C. C.
reproduit in terminis l'arti cle 1 de l'ordonnance de 1731.
Or, ce tte intention de conserver les dons manu els se
r évèle dans le dernier état de la loi, dans sa rédaction d éfinitive. Donc , quelle qu'ait pu être à un mom ent donné
l'intention du législateur , c'est à son intention dernière
qu'il faut s'en rapporter. - En co nséquence, quand nous
no us trouvons en présence d' une tradilion d'objets mobiliers, avec intention de les aliéner, il y aura don manuel.
-
145 -
De quelles sortes de tradition s'agit-il ? De la tra·
dition r éelle, cela est <le toute évidence . Le résultat à
rechercher est la mise en possession effective du donataire, alors m ême que cette mise en po ssession s'effec·
tu erait po slérie urement à l'intenlion réciproque d'aliéner et d'acqu érir, ou même antérie urement , p eu importe,
pourvu qu'elle se r éa lise. La tradition que l 'ancien droit
appelait sy mbolique estau ssi po ssible . Les objets quel'on
ve ut donner se trouvant dans un imm e ~ble, on livr e la clef
de ce t imme uble au dona taire pour qu'il ait à sa disposition les objets mobi li ers. E n un mot, la possession effective peut se r éali ser de toutes les manières; mais il fau t
qu 'elle se r 6alise. On voit tout de suite par là que la simple convention par laquell e les parties décideraient que
la délivrance s'cffe cl ucra par le se ul effet du consentement n 'a point ici s on app lica tion (art. 1606 C. C., p. 3);
c'est la tradition fi ctive dont nous avons parlé en droit
rom ain.
La tradition peut être directe, c'est à dire se faire du
donate ur au donataire, ou s 'accomplir par l'interm édiaire
d'un tier s. A u nj ct de celte dernière, nous rencontrons
dans la jurisprudence les décisions les plus cont radictoires; la clo cl rine , au contraire, nous offre l'exemple du
plus parfait accord .
Quand le don man ue l se fait par l'entremise d' un tiers,
à quel moment y a-t-il dessaisissement actuel et irrévocable ? Le tiers peut-il remettre l'objet au donataire même
après la mort du donateur?
Première hypothèse. -
Destinataire connu et capable
ll fau t ici l'aire un e d is tinction : Le ti ers, aux ma ms
duquel l'obje t est remi s, est-il le mandataire du donataire,
la remise entre ses mains de l'objet opère aussitôt le des10
�-
146-
sai sissement actuel e t irrévocable. Le mandataire, en effet,
représente le mandant , en sorte que ce dernier e s t censé
accomplir lui-même ce qu e fait le mandataire; c'est donc
le donataire lui-même qui accepte et qui r eçoit par l 'intermédiaire du tier s.
Ce tiers, au contraire, n'est-il le mandataire que du donateur , il n'y a pas don manu el. En e ffet, le don manuel est
un contrat, c'est à dire un con cours de volontés. Or, t ant
qu 'il n'y a que r emi::>e aux mains du tier s, il n 'y a qu'un acte
unilatéral , il n 'y a .qu'une pollicitation. Le tier s détenant
l'objet , c'est com me si le donatem le détenait en core et
qu'il eùt promis de le livrer au dona tair e; tant qu e ce dernier n'a pas fait connaitre on acceptation, il n 'y a pas concours de volontés, il n'y a pas contrat, donc pas de don
man uel.
Jusq ue-là, il n 'y a de la part d u do.ualeur qu' un e simpl e
promesse qui peul être révoqu ée : donc il n'y a pas dessaisissement irrévocable, p uisqu e l e donateur est en core
libre de r epr endre l'obj et ; il ne p ourra plus le reprendre,
l e j our où il y au ra accept ation et tradition.
Mais à quel momen t doit intervenir cette acceptation et
doit s'effectuer la trad ition 1 Évidemme nt avant la mort ou
l 'interdiction d u donate ur, c'est à dire pendan t tout le
temps où le donateur est encor e capable de con sen tir et
n'a pas retiré son consen tement. Le mandat, en effet
(ar t. 2003) finit par la mort ou l'in terdic tion du mandant.
Le mandataire a donc, par l' un quelconque de ces événements, perdu les pouvoirs qu 'il tenait d u mandant ; celuici à son tour ne peut plus consentir ; donc le conco urs des
volontés devenant impo ssib le, le don man uel ne pe ut plus
se réaliser (Paris, 1or mars 1826. S. , 1827, 2. 200.-Douai ,
31 déc. 1834. S. , 35, 2. 215. - Pa ris, 14 mai 1853. D. P.,
1854, 2. 256. - Ca ss., 22 mai 1867. Sir., 1867, 1. 280.)
Cette théorie juridiqu e que l a docLrin e proclame unani-
-
147 -
mement n'a pas toujours trouvé un fidèle écho dans la
jurisprudence. San s dou te la p lupart des arrêts rendus
en cette matièr e la rappellent sans r éserve. (Cass., 11 janvier 1882 . - S. 1882, t. 129). Mais il en es t d'autres, au
contraire, qui la r epou ssent , notamment Besançon ,
12 déc. 1825 ; Lyon , 25 fév. 1835. S. 35, 2.424.
Ces arrêts décident que la r emise de l'ob jet aux mains
du tiers cons titue de la par t du donateur un dessaisissement irrévocab le. Son intention certaine est , en effet ,
disen t ces arrêts , de gratifier l e donataire. Mais , d'autre
part, ce tier s n'es t-il pas le gérant d'affaires du donataire?
à la place de ce dernier , il accepte l e don manuel fait en
son nom . A l'encontre du donateur , tout est donc irrévocablemen t termin é ; ce n'es t plus en quelqu e sorte qu'un
r èglement de compte entre le tiers et le destinataire de la
lib éralité.
Le raisonnement est inexact. En effet, le tier s n 'est pas
et ne peut pas ê tre un gérant d'affaires ; car pour être
g érant d 'affaires, il faut , c'est de toute évidence, qu'il y
ait une affaire à gérer ; or, ici il n'y a point d'affaires à
g érer , t ant qu e le donataire n 'a pas accep té; il n'a, en
effet , aucun droit, pas même un dro it éventu el ; le bien
n'étant pas dans son patrimoine, on ne peut pas l 'oblige r
en sa qualité de propr iétaire .
Le tiers n 'a qu 'une q uali té : il est mandataire du donat eur ; mais il n 'a pas plus de pouvoir qne ce dernier , et n e
peut pas, malg ré lui , rendre irrévocab le une donation qui
n 'est en tre ses mains qu'un mandat révocab le.
l\fais en ad mettant même avec la jurispru dence que le
tiers fù t l e gé rant d'affair es du donataire, encore fa udrait-il
qu e ce derni er rati fl àt.
San s doute ratitiabitio mandato œquiparatur, mais par
ce la même que cela devient un manda t, il s'ensuit que
cette ratification doit intervenÎl' du vivant d u donate ur ,
�-
148 -
sinon il n'y aurait pas concours de volontés, un des él éments essentiels du contrat.
Le donateur peut bien Yonloir que l'objet de l a donation ne soit remis qu'après sa mort au destinataire; le tiers
devient alors un exécuteur te stam entaire; mais la libéralité ne sera valable que si ell e con stitue un legs. En effet,
on ne peut disposer aujourd'hui que par donation entrevifs ou par testament. La donation entre-vifs ici n'existe
pas; d'autre part , s'il n'y avait que recommandation
verbale, il n'y aurait pas la forme testamentaire, et, à ce
titre la libéralité serait nulle.
2' hypothèse. -
Destinataire connu, mais incapable.
Ici, pas de difficullé po ssible : le don manuel est nul en
droit, il n 'est pas plus valable que si la donation eùt été
directe. Tel est le cas d' un don fait à une congrégation, à
une communauté non r econnu e, ou même reconnue, si
elle n 'est pas autorisée. A propo s de ce dernier cas, nou s
avons vu plus haut que l'autori sation adm inistrative pouvait intervenir après la tradition pourvu toutefois que ce
fut ava nt la mort du donateur. No us n'avons point à y
revenir.
3' hypothèse. -
Destinataire inconnu.
De prime abord, il semble que ce cas ne se présentera
jamais, car, enfin, quand on veut fai re une gratification, on
connait celui qu'on veut g ratifier. Cependant l 'hypothèse
n 'est pas chim érique comme on pourrait le croire. Nous
ne voulons point parler, en effet, du cas ol,1 l e donataire
remettrait un objet à un manda taire pour en g ratifier le
premier venu ; ce tte hypoth èse choque trop le bon sen s
pour mériter d'être prévue.
-
149 -
Mais n'y a·t-il pas destinataire inconnu dans le cas de
gratification aux pauvres, toujours par l'interm édiaire d'un
tiers ? Ici non plu s, nous ne so mm es pas dans celte hypothèse; car la personnalité morale des pauvres a son représentant dans le bureau de bienfaisance, et, d'autre part,
le gratifié es t faci lement déterminable s'il n'est pas actuellement dé te rminé.
Quid du cas où l'on stipule seulement du tier s qu'il
emploiera la somme donnée en bonnes œuvres, sans autre
détermination précise?
Ici, il semblerait plus vraisemblable que nous soyons
dans 1'hypothèse qu e nous venons d'indiquer; le destinataire est inconnu même du donateur.
Cependant, la jurisprudence dans ce cas tourne la difficulté. On considère qu 'il y a ici don manu el fait à un
individu dé terminé avec charges; or la validité d'un don
dan s des conditions pareilles ne fait l 'objet d'aucun
doute.
Mais l 'hypothèse la plus fr équente et la pl us réelle est
celle où le des tinataire est inconnu du public et des intéressés; il se peut qu e pour des raisons diver ses le donateur n 'ait pas voulu révéler l e nom du donataire et qu'il
ait exigé du tiers le secret.
(Voir , à ce s uj e L, Caen, 25 mai 1875. Sirey, 80, 2, 284,
en note , 28 mai 1879. Sirey, 82, 1, 129.)
Y a-t-il ici don à personne incertaine? Non ; car la
tradition effe ctuée a bien servi à déterminer d'une façon
précise la personn e du g ratifié.
Nou s savon ce pendant que la jurisprudence (Cassation,
13 janvier 1857. S. 57, 1. 180. Cassa l. 28 mars 1859, S. 60,
1, 346. Limoges, 13 mai .L 867, S. 67, 2, 314 . Cassat. ,
30 nov. 1869, S. 70, 11, 119) admet , en matière de legs,
une solution contraire à celle-là. Lorsque un testat e ur
nomme un exécuteur tes tamentaire avec charge de donner
�-150un legs à une personne qu'il ne désigne pas dans l'acte,
mais dont il lui a indiqué le nom verbalement, dans ce cas
la disposition est nulle ; ca r il y a lib éralité à per sonne
incertaine. Mais il ne sied pas de faire application de
cette jurisprudence à notre espèce. En effet, il n 'y a pas
de legs sans légataire; or, la per sonne du légataire doit
être désignée dan s l'acte même qui contient la disposition.
Si donc, cette désignation n'esl pas faite , la dispo sition
est nulle . Mais ici, l'acte même de disposiLion , c'est à dire
la tradition a bien déterminé la personne du o-ratifié ·
'
0
il n'y a donc pas lieu d'annuler la disposition pour ce
motif.
Mais alors quelle va être la s ituation des intéressés ?
Ces intéressés, ce sont les hér itiers ; mais il faut évidemment distinguer ici entre les h éritiers à réserve et les
simples h éritiers. Ces derniers ne peuvent se prévaloir
contre le mandataire de so n si lence comme d'une faute ·
car alors même que ce la serait (nous allons dans un instant examiner la question), il manquerail l'a utr e él ément
n écessa ire de toute action en dommages-intér êts, le pré judice.
Ceux-là, en effet, n 'ont de droit s ur la succession qu'au
moment où elle s'ouvre ; mais les acte s de libérali tés faits
par le de cujus de son vivant échappent complètement à
l eurs critiques.
Il en va différemment des héritiers à réserve. Le de cujus
n'a pas pu par de s libéralités entre-vifs ou testamentaires
entamer une partie de son patrimoine au détriment de
ces h éritiers que la loi proLège. Méme de son vivant ces
héritiers ont un certain droit s ur le patrimoine d~ de
cujus. Ceux-ci pourront donc éprouver un vé ritable
préjudice si la r éserve est entam ée ; mais ici se po se la
question que nou s avons renvoyée il n'y a qu 'un instan l :
faut-il voir dans le sil ence du mandataire une faute de sa
)
151 -
part qui puisse le soumettre à une action de dommagesintérêts?
De prim e abord, il se mble que la négative s'impose?
Ce tiers mandataire ne rempl it-il pas un devoir de conscience en, ne divulganl pas le nom du deslinataire, puisqu'il a promis l e secr et au mandant donateur ?
Faut-il donc voir une fa ule dans la fid6lité à sa parole ?
Ces raisons, décisi ves en apparence et de nature à égarer
des esprits pe u r éfl échis, n e doivent pas nous faire adopter ce système. En effeL, le mandataire n e doit jamais
refuser son témoignage à la justice et d'autre part, s'il a
conco uru à un acte qui est une véritable spoliation pour
l es héritiers à r ése rve , n 'a-t-il pas commis là une faute.
En vain objecterait-on qu'il est lié par sa parole. Cette
convention avec le donateur es l illicite (art. 6 C. C.). Elle
ne saurait dont être pour lui la cause d'une obligation
valable aux yeux de la loi.
En résumé, le don manuel fait à un inconnu est valable,
sauf pour le mandalaire l 'obligation d'indemniser les
h é ritiers réserva taires , si l e don manuel vient à être
r econnu constant et s>il porte alleinte à la réserve.
§ III. -
Preu'1e.
Le parall èle des donations entre- vifs et des dons manuels
vienl de nou s révéler une différence essentielle, caractéristique au point do vue de la fo rm e; tandis que l'exi tcnce
m ême des donalions entre-vifs est soumise à la n éccs ~ it é
d' un acte écrit, au contraire, le don manuel est ùispensé
de toute for malité et se consomm e par la tradition.
La diffé rence n 'es l pas moius caractéristique, ou cc qui
con cerne la preuve et ce lte aulre différence n'est, à vrai
dire, que la conséq uence naturelle de la prerH ière; pour
les donations entre-vifi, la preuve ne peut être que litté-
�-
152 -
raie, et l'acte écrit ne peut être qu'un acte authentique;
pour le don manu el , comme nous allons le voir, les autres
modes de preuve sont seuls adm issibles; la preuve littérale est forcément exclue; la nature même du don manuel
l'écarte absolument.
La différen ce entre les donations entre-vifs et les dons
manuels n'existe pas seulement au point de vue de la
nature de la preuve; elle exi ste encore au point de vue du
but que l'on poursuit.
En général, pour les donations entre-vifs, c'est le donataire qui revendique aux mains du donateur l'objet de la
donation ou poursuit l'exécution de la promesse.
Il n 'en est pas de même pour le don manuel ; en effet, si
le donateur avait seulement consenti au transfert de propriété, le donataire ne pourrait en poursuivre la r éalisation, faute de pouvoir prouver ce consentement. Ici, au
contraire, on administre la preuYe , pour établir l'exis tence
du don manuel une fois réalisé et en tirer des conséquences juridiques, par exemple, lui faire subir la réduction, le soumettre au rapport. C'est dire aussi que tandi s que
pour les donations entre-vifs, le d6bat s'engage d'ordinaire
entre les parties; en matière de don manuel, au contraire, ce n'est guère qu'entre les hér itiers entre e ux ou
entre les héritiers et les tiers qui ont été les bénéficiaires
de la libéralité. Pour le don manuel , l e débat ne s'e ngagera
entre les parties qu e dans les cas exceptionnels de révocation pour ingratitud e ou inexécution des conditions, ou
survenance d'enfants, ou pour le service des arré rages, si
le donateur s'est réservé l 'u s ufruit de la chose donnée ·l
mais même alors, ce no sera plus pour poursuivre la réali sation du don manue l, mais bien l'exéc ution d'a utres
promes ses accessoires qui sont la dépendance du don
manuel lui-m ême.
Ainsi, to.nt au point de vu e de la nature de la preuve
-153 que du but pour smv1, la différence se dessine entre les
dons manuels et les doualions entre-vifs. - Nous allons
voir quels son t les modes de preuve qui peuvent s'adapter
au don manuel.
1° Preuve littérale.
La preuve écrite est exclusive du don manuel. Je parle
bien entendu de l'acte au thentiqu e, puisque seul il peut
donner naissance à la donation. S'il s'agissa it de tout
autre écrit, non-seulemen t il ne servirait pas en t ant qu 'écrit comme pre uve du don manuel; mais il ne le pourrait
pas non pl us, parce qu'il ne serait pas un acte authentique.
Mais à défaut de preuve écrite, ne peut-on pas admettre
le commencement do pre uve par écrit, autorisant la preuve
testimoniale? Ce commencement de preuve par écrit pourra
être soit un e lettre émanée du donateur, rappelant le don
manuel qni a été eŒectué, soit un ac te de donation passé
so us-seing privé, soit même un acte authenLique qui n'aura
pas été accompagné d'état estimatif. Eh bien! tous ces
actes pourront-ils autoriser la preuve testimoniale?
Pour nou s, nou s n 'hés itons pas à admettre ce mode de
preuve. - Vainemen t on objecterait que le don manu el
est exclusif de tout acte écri t. En interprétant saioemenL
cette règl e, on voit qu'ell e ne r eçoit point son application
à notre esp èce. En e[et, quand on parle d'acte écrit , on
fait allusion à des pi èces écrites qui ont pour but unique
d'éprouv er directement le contrat, d'en précise r la nature,
d'en déterminer l'étendue, et d'indiquer à chacune dos
parties contractan tes los droits et l es obligations que pour
elles ce contrat ent1·1li110.
Mais le commencement de preuve par écrit n'est point
au contraire un écriL qui ne vise que le contrat ; d'ordi-
�-
155-
f54-
naire c'est une simple lettre, qui par hasard se rapporte
au fait juridique qu e l 'on veut élablir, il ne fait qu 'en rappeler l 'existence; ce sont des propo sitions relatives à un
arrangement, à un r èglement des conséquences de la convention; bref, le commencement de preuve par écrit n 'est
qu'une·allusion. Quelquefoi s, c'es t l'écrit lui-m ême qui se
rapporte directement au contrat, mais comme cet écrit n 'a
aux yeux de la loi aucune vale ur juridique, il ne prouve
pas directement la ·convention. Il autorise et nécessite
un complément d'inform ations, qui est la pre uve tes timoniale.
Donc, admettre le commencement de preuve par écrit
pour le compléter par la preuve testimoniale, ce n'est pas
du tout aller à l'encontre de ce principe que le don manuel
est exclusif de la preuve écrite; car ce t écrit n'a pas été
fait, comme on dit, pour les besoins de la cause; il ne
fait que rendre vra isemblabl e la prétention du demande ur ,
c'est à dire rendre probable l 'existence du don manuel
et, somme toute, ce n'est que la preuve testimoniale qui
établira le don manuel. Il nous res te donc à examiner si la
preuve testimoniale est admissible, et au cas d'affirmative,
dans quelle mesure ell0 l'est.
2° PreuCJe par témoins .
C'est un principe, en matière civile , qu'on est admis à
administrer la preuve par témoins d'un fait juridique,
toutes les fois qu'on n'a pas pu s'en procurer la preuve
écrite. Il suit de là qu e pour les Liers étrangers à un contrat, ou plu s généralement à un fait juridique intervenu
entre deux parti es, la preuve tes timoniale est touj ours
possible, Lel est le cas de l'article 1167 C. C. quand le s
créanciers subissent un préjudice de la part de leur dé bi teur par suite d' un contrat que celui-ci a formé avec une
J
autre personne ; ils sont admis, à prouver par tous
moyens, donc par la preuve testimoniale, l'existence de ce
contrat.
T el est encore le cas où un héri tier réservataire tient
à prouver l'existence d'un don manu el fait par le de cujus
à un étranger , don qui porte atteinte à la réserve. Nous
avons vu en e lîet , plus haut , que , en tant que réservataire l'h~ritier est un tiers, puisqu'il tient son droit de la
loi, directement et non du de cujus. Il y a donc, dans l'atteinte portée à sa réserve une fraude qu 'il est _admis à établir par tous les moyens possibles, y compris la preuve
testimoniale . Sur ce point, pas la moindre difficulté. .
Mais la question se pose de ~av~ir si entre le~ p~rti_es
la preuve testimoniale sera admissible pour établir 1 existence du don manuel.
Ici encore, il faut écarter du débat une hypothèse qui
lui est tout à fait étrangère. On sait que le.; h éritiers sont,
aux yeux de la loi , les con tinu ateur~ de ~a personne du
défunt, de telle sorte que les faits qui seraient oppo_sables
ou favorables à ce dernier, l e sont de la même ma m ère et
dans la même mes ure aux h ériti ers eux-mêmes. J 'ajo ute
que la juris prudence étend au l égataire unive rsel cett~
disposition de la loi à l'égard de s _héritie_rs. Cependant, s1
les héritiers pré tendent que certams objets de la su.c~es
sion ont été déto urnés par les domestiques ou les fam1he~s
du défunt, ils seront admis à établir par l~ preuve _testimoniale les détournements dont ils se plaignent ;_il y a
e à l'aide de simples
·
~
i·1 s pourront l e prouv e1' mAm
mieux:
présomptions; l a fraud e se prouve par tou s ~ e~ m~ye ns.
Ce n'est point là , du r este' une situation privil égiée et
exceptionnelle faile aux héritiers. Ce droit de ~r~uv er par
.
tous les moyens lo préJ. u d"ice qm· .le ur est lDJUStement
causé , ils l e tiennent de leur qualité même. de p~op~iét , l'aurait eu lui aues1: c est
·
.
.
en son vivan
le de cu;us,
taire;
�-157 -
156 la loi qui le confère aux uns comme aux autres. Les h éritiers ne le tiennent pas du défunt , quoi qu'ils lui s uccèdent.
Ce n'est don c pas quand il s'agira de fraude que la question de preuve testimoniale pourra se po ser: elle n e fait,
dans ce cas, l'obj et d'aucun doute.
Mais supposons qu'il s'agisse se ul em ent entre parties de
prouver l 'exis tence du don manuel ; j e pr ends un exemple : Le donate ur s'é tait ass uré, en fa isant le don manu el ,
l ' u~ufru it des obj ets donnés. Le donataire refu se de continuer à servir les intérêls d u donateur. P rocès . Comment
le donat eur établira-t-il son d roit en justice? Pas de preuve
écrite, b ien entend u . J e su ppose, en outre, q u'il n'y a
pas de comm en cemen t de preuYe par écrit , e t enfin , il
faut su pposer qu e le don manuel dépasse 150 francs, car
au-dessou s, la question ne se poserait pas. A ussi bien , dans
ce cas, le donate ur pourra-t-il adminis trer la preuve testimoniale?
Une jurispr udence presque unanim e décide la n égative (Gren., 20 janv. 1826; Paris, 10 mai 1840 ; Pau , 19 j anvier 1874.)
Le don manuel est un con tr at. Or , les contrat s n e se
prouvent pas par témoins, lorsque l 'in tér êt est supérieur
à 150 francs. Donc, pour le don manu el dépassan t 150 fr .,
la pr euve testimoniale n'est pas admi ss ibl e .
Cependant, M. l'a vocal général Douny, dans ses conclusions, s'ap pliq uait à d is linguer cl<:; ux choses da ns l e don
manuel : la tradilion et la volonté d'a liéner el d 'acqué rir;
la première, c'est le fait matériel de la remise, c'est là un
de ces faits pu rs et s imples q ui, comme tout f'ai t de p ossession , peut se prou ver par témoin s; mais la volon té de don n er es t un fait juridique qui , au-de là de 150 fran cs, n e pe ut
s'établir par la pre uve lestimoniale (Sic, Laurent , Dr .
civil.)
J
Mais quelle est la conclusion pratique à tirer de cette
remarque? E lle est la même que celle de la jurisprudence;
car prouver la lradition san s pouvoir prouver la volonté
d'aliéner et d'acquérir, c'est, en somme, n e rien prou ver
du tout ; le simple fa it de la tradition ne constitue pas un
contrat , n 'en est mê me pas un indice car actéristique ; à
quoi aboutirait le demande ur même en prouvant cette tradition ?
Ces de ux systèmes conclu ent don c à l'impossibililé de
prouver par témoin un don man uel au-dessus de 150 fr.
Cependan t, nous avons qu elq ue peine à nous ranger à
l 'avis de la jurisp ru dence. San s doute, le don manu el es t
un contral, et les contrats dont la val eur dépasse 150 fr.
ne se prouvent que par écrit. Mais si nous demandons
qu elle est la raison de ce tte prescription for melle de la loi,
nous voyo ns qu'ell e ne r eçoit pas d'ap plication à notre
esp èce. Au- dess us de 150 francs, l'intér êt devenant considérable aux ye ux de la loi , elle n'a pas voulu que l 'on
aban donnât aux incertitudes de la pr euve t estim oniale
l'exislcnce du co ntrat et des droits importanls qui peuvent
en déco ule r . De là , la n écessité d' un acte écri t. Peut-o n
dire que ce tte raison s'applique au don manu el ? Non, assur ém eut.
E n effe t, n ous avon s v u que le législat e ur de 1804 avait
ent en d u conserve r le don manu el avec toutes ses fra nchises : qu e, d'autre par t, aucune limitation n'a été apportée à ce co ntrat , c'esl à d ire q ue l a loi en r econnalt la
valid ité, qu el q ue so it l'intérêt en jeu, à la différence de
ce q ui avail lieu dans l'ancien droit où le don man uel de
so mm es m odiqu es était seul toléré . Or, ce q ui caractérise
l e don manu eL c'es t la dispense de t out acte écrit. Donc,
m ôme au-dess us de 150 fran cs, la loi n'a pas voulu ass uj ettir l e don manu el ~\ la nécessité d'un acte écri t pour ~n
démontrer ·l'existen ce. Or , dispenser de tout acte écrit ,
�-
-158n'est-ce pas par là même autoriser l'administration de la
preuve testimoniale ? Si la loi r efuse aux autres contrats
la preuve testimoniale au-dessu.s d~ ~50 francs, et. les soumet à la nécessité d'un acte écrit, ici, au contraire, elle
semble bien l'autoriser, puisqu e un acte écrit jure avec
la nature du don manuel. En vain objecterait-on qu'il faut
entre le fait matériel de la tradition et le fait
distinO'uer
0
juridique du con sentement des parties : décomposer l e
contrat en ses deux éléments, c'est le dénaturer; c'est leur
réunion nécessaire qui constitue le don manuel ; ln tradition ne va pas sans le consentement , ni le consentement
sans la tradition.
Comme conclusion, le don manuel peut être établi par
la preuve testimoniale, même au-dessus de 150 francs.
3° Des présomptions.
Des présomptions , je n'ai rien à dire, si ce n 'est qu'elles
sont recevables dans tous l es cas où la preuve testimoniale l'est elle-m ême. L'usage de ce mode de preuve se
présentera surtout quand des h éritiers voudront faire faire
le rapport à la succession par le urs autres cohéritiers de
sommes d'argent ou d'autres objets mobiliers dont l e
défunt aura clandestinement gratifié ces derniers. Et d'une
façon plus générale , il faudra dire que l es préso mptions
seront admissibles toutes les fois qu 'il s'agira d'établir la
fraude ou le dol.
Mais en dehors de ces cas exceptionnels, les présom plions ne sont point admises pour établir l'existence d'un
don manuel: ni l es présomptions léga les, ni les présom ptions du fait de l'homm e. Il semble cependant que les pl'ésom ptions devraient être adm ises dans tous les cas, puisque
nous avons conclu plus haut à l'admission de la preuve testimoniale même au-dessus de 150 francs, même .en dehors
j
159_-
de tout vol ou de toute fraude. Cependant nous n'irons pas
jusqu'à cetle co nclusion ; autre chose est la preuve testimoniale, preuve directe, autre chose, les présomptions,
pre uve tout à fait indirecte et qui n'offre jamais qu'une
certitude morale, mais non une certitude juridique, physique, en quelque sorte, si j 'ose dire.
4°
ÂCJeu.
L'aveu est, en matière de don manuel comme en toute
mati ère, la meilleure de toutes les preuves, non-seulement
parce q u'elle met fin à toute contestation , mais encore
parce qu'il es t possible même au-dessus de 150 francs.
Mais dans quel cas l'aveu interviendra-t-il utilement?
La po ssession étant une condition nécessaire du don manuel, c'est à ceux qui constatent la légitime possession de
la chose donn ée, à produire le urs dires et leurs allégations . Si la possession est conforme à l'article 2229 C. C.
le possesseur sera à l'abri de toute revendication en
s'abritant so us l 'article 2279. - Si la possession n'est pas
conforme aux prescriptions de l'article 2229, c'est encore
aux demandeurs à en prouver l'illégalité, l e possesse ur
n 'a qu'à attendre. Qu'aurait-il donc besoin de fa ire luimême un aveu , devancant
. ainsi les résultats d'une enquête
et accédant aux désirs de ses adversaires?
Le cas se présente surtout quand des h éritiers ont de
simples soupçon s ur la propri6té d'un objet qu'ils savent
avoir appartenu au de cujus el qui se trouve après son
décès entre les mains <l'une tierce personne. Y a-t-il un
don; y a-t-il un dé tournement?
Les h éritier s, il faut l e supposer, n'ont aucun moyen
de prouver le détournement ou le recel: .pas <le té~oins.
Ils ont donc recours à un interrogatoire sur faits et
articles.
�-
-
160 -
Le possesseur de l'objet peut être amené à faire des
déclarations contradictoires, se donner à lui-m ême un
propre démenti , d'où r ésulterait la preuve du .détournement ou du recel. - .Mais, dira-t-on, pour éviter ces
contradictions l e possesseur n'a qu'à ne point r é pondre
aux interrogations qui lui sont posées. - Vaine objection ; aux term es de l'article 330 du Code de procédure
civile, la partie qui a comparu est obligée de répondre,
sinon les faits allégués par l'adv er saire pourront être
tenus pour avérés. Cela du reste se comprend Lrès bien.
La fraude, c'est à dire le détournement, l e recel, se prouve
par tous les moyens, et même par de simples pr ésomptions . Or, n'est-ce pas une présom pli on très grave qu e le
silence gardé par l'intéressé si on lui po se cette ques tion :
D'où vous provient cet objet? Sans doute, ce n'es t point
une preuve directe; mai s jointe à d'autres cir constances
celle-là peut arriver à éclairer corn plèt ement l a r eligion
du juge et à le convaincre du détournement.
Le possesseur interrogé a donc tout intérêt à ré pondre
aux questions posées; c'est alors qu 'interviendra de sa
part un aveu ; sans doute, l'obj et a appartenu au de cujus ,
mais avant de mourir , il me l'a livré à titre de don manu el.
Or, l'aveu est indivisible (art. 1356), c'est à dire que les
héritiers n e peuvent pas r etenir seulement la première
déclaration qu e l'objet a appartenu au de cujus e t rejeter
la seconde d'après laquelle il y aurait un don manuel.
D'autre part cet aveu est définitif, l es héritier s ne seraien t
pas admis à prouver qu'il n'y a pa s don manuel , ni même
le recel ; nou s avons, en effet, s upp osé qu e la connaissance
de la détention était la conséquence de la seule déclaration du défende ur.
Voilà un cas où l 'aveu du défendeur interviendra comme
preuve. Autre cas. - Une contes tation s'élève entre coh éritiers au suj et d'un don manuel fait à l 'un d'eux sur le
J
161 -
point de savoir s'il y a eu ou non dispense de rapport.
L'h éritier bénéficiaire du don manuel , reconnait la gratification dont il a été l'objet, mais en même temps il déclare
qu e l e don manu el lui a été fait avec dispense de rapport.
- Aveu de sa part et aveu indivisible (art. 1356).
L 'aveu a s ur la preuve testimoniale l'avantage d'être
possibl e, même au-delà de 150 francs, il est donc une ressource pour les héritier s, quand le don manuel fait à un
tiers a une certaine importance. Mai s d'autre part, le
demandeur qui n 'a que celle ressource est complètement
à la m erci du défende ur ; l 'aveu, en effet, s'il est la meille ure des preuves, en est aussi la plus aléatoire, l a plu s
ince rtaine, il dé pend uniquement de la partie à laquelle
on le r éclame . D'un autre coté, il est in divisibl e, de telle
sorte qu e l es déclaration s favorables émises par le défendeur doive nt fa talement être tenues pour vraies; et le
plus souvent, le défende ur allèguera pour justifier sa
possession le don manu el. Il ne s'expose de cette façon
qu'à subir la r édu ction , s'il se trouve en face d'h éritiers
à r éserve. Et m ême pour éviter ce tt e réd uction , il n 'aura
qu 'à all éguer qu e le don manu el était d'un e valeur relativem ent modique ; comm e on le voit , les héritiers sont
donc en cor e complètement à la merci de l'adversaire. E t
même en l'absence de tout héritier r éservataire, l e possesse ur sera co mplètement maitre de sa déclar ation .
Or, en l'absence de tout héritier réservataire, on ne
pourra pas r éduire le don manu el à une certaine somm e
puisque sa validité est reconnu e par la loi, quel qu'en soit
le taux. Le possesse ur pourra don c par son aveu de don
manuel , gard er des va le urs qui auront été l'objet de
détournement , justifiant ainsi ces mols d'un au teur :
M. Laurent : «L'indivisibilit é de l'aveu n 'est que trop souvent une arm e de la mauvaise foi. »
Mais pour jouir de tous ces avantages l 'aveu doit être
11
�-
162 --
spontané et avoir au moins les apparences de la eincérité.
Il a été jugé, en effet, qu'un aveu intervenant tardivement,
au moment où le divertissement des objets allait être
prouvé devait être regardé comme non avenu et être
considéré comme fait uniquement dans le but d'éviter
l'administration de la preuve du recel (Amiens, 1879.
Recueil de la Cour d'Amiens, 1879).
5° Serment.
Aux termes de l'article 1358, le serment déciso ire peut
être déféré sur toute espèce de contes tation. Il est donc
possible, en matière de don manu el. l\Iais il ne peut être
déféré que sur un fait per sonnel au défendeur; il s 'ensuit
qu'on ne pourrait pas déférer le serment à un donataire
sur le point de sayoir s'il y a e u o u non dis pen se de rapport de la part du donateur; car c'est là un fait étranger
au donataire; il vient du donateur ; c'est au donataire à
en faire la preuve.
C'est là , comme on le voit, une différ e nce avec l 'aveu
qui est indivisible el qui peut embrasser l es deux fails
dont nou s venons de parl er .
§IV. - Le don manuel et l'Enregistrement.
L'économie de la loi de frimaire an VII , qui est la loi
lrement , n 'atteignait
fondam entale en matièr e d'e nreo-is
t>
pas le don manuel. Ce n'étai t point, en effet, un droit
d'acte qui pouvait le frapper, puisque c'est l'absence
mê~e de tout acte qui le caractérise; et d'autre part les
droits de mutation n 'atteignent que les transmissions
entre-vifs de propriété ou d'usufruit d 'immeubles .
L'administration ne faisai t nulle difficulté de la recon•
naitre dans une instruction ministérielle : « D'après les
-
163 -
articles 4, 20 et 23, loi 22 frimaire an VII et l'article 4, loi
27 ventôse an IX, les transmissions de bien immobiliers
fait es à titre onéreux ou à litre grat uit doivent être soumis
à l 'E nregi Lreinent; mais les ventes et les donations d'effe ts mobiliers faites verbalement ne sont assujetties à cette
formalit é par auc une disposition; les transmissions mobilières ne peuvent être passibles du droit d'enregistrement
qu e lorsqu'elles ~o nt constatées par écrit ou lorsqu'elles
s'opèrent par décès . Le don man uel ne peut avoir pour
objet que des vale urs mobilières et il se r éalise par la
simple tradition; il ne peut doue être question d'enregistre ment. »
Un par eil avantage était bien de nature à rendre plus
fr équent l' usage du don manuel; on s 'en servit même pour
dissimuler de vé1·itables donations.
11 arr ivait souve nt, en pratique, qu e de futurs époux,
dans le ur co ntrat <le mariage, au li eu d'exécuter une donation ordinair e, se b ornaient à déclarer qu'ils se constitu aient en dot une so mm e d'm·gent ou tel objet déter miné
qu'ils avaient re çu à litre de don manuel. Ain si, la donation étant antérieure au co ntrat de mariage et ayant été
faite manuellement, aucun droit de ce chef n e devait être
perçu : c'est le but que l 'on chet·chait à atteindre. Sans
doute, on y serait arrivé aus i en n 'indiquant pas la pro~
venance des apport ; mais cet te déclaration offrait cet
avantage de pouvoir soum ettre au rapport le donataire, le
cas échéant. Ce t aveu insér é par lui dans le contrat de
mariage co nstituait une preuve de la donation et les
cohé ritiers pouvaient s'en prévaloir pour en réclamer plus
tard le rapport.
de mettre un terme à ces combinais'cfforca
La r éo·ie
.
o
co1nme fraudul euses, en utilisant
considérait
sons qu'elle
les seules armes que lui donnait la législation existante .
Elle soutint qu'il y avait donation r éelle déguisée sous la
�-
-
164 -
reconnaissance de don manuel. Cette déclar ation faite par
le donataire en présence du donateur, qu i assistait à l'acte,
formait titre entre eux; la régie étendit mém c sa prétention au cas oil le donateur n 'intervenait à l'acte qu'en sa
qualité d'ascendant.
D'après elle, en matière de contrat de mariage, la déclaration faite par le donataire en présence du donateur
équivalait à une dona tion formelle; elle constituait un
titre entre l'un e t l'autre. La jurisprude nce avait plusieurs
fois sanctionné celte prélenlion. ( Cassat., 16 mars 1840,
S. 1840, 1, 354; 18 sepl. 1845, S. 45, 1, 815; 21 avril 1846,
S. 46, 1, 334.)
Mais bon nombre d'autres arrêts l'avaient r epo ussée
énergiquement et à bon droit, selon nous. En effet, pour
que la déclaration dans le contrat de mariage constituât
un titre, il aurait fallu que l'a scendant donateur füt partie
au contrat de mariage. Or, il est d e Loute évide nce que
l'ascendant donateur n'a pas cette qualité; s 'il intervient
pour donner son consen l ement, ce n 'est q u e honoris causâ,
c'est à ce titre seuleme nt que la loi requiert le consentement de l'ascendant; il n'y a de parties propre ment dites
dans le contrat de mariage que les futur s époux : s'ils son t
majeurs, ils ont de plein droil l'administration de leurs
biens, et s'ils sont mineurs, par cela seul qu'ils sont
habiles à contracter le mariage, ils sont aptes à r égler
comme il leur convient l eurs co nve ntions matrimoniales.
Quoiqu'il en soit, la jurisprude nce é tait , à ce sujet, fort
divisée et ses incertitudes é taient telles qu'il a fa llu une
loi pour y mettre un terme . La l oi du 18 mai 1850 dans
son article 6 pose le principe : « Les actes renferJJ1ant
soit la déclaration par le donataire ou ses repr6senl ants,
soi Lla reconnaissan ce judiciaire d'un don m anu e l, seront
sujets aux droits de donation. »
Ainsi, à la différence de ce que nou s venons d e voir, la
j
165 -
simple déclaration unilatérale contenue dans un acte suffit
à donner ouverture au droit de donation ; comme on le
voit, il n 'est plus n écessaire qu'elle soit faite en présence
de l'autre parti e el qu 'elle co ns titue un litre pour elles,
ou plutôt aux yeux de l'adminis tration, la simple déclaration constitue cc titre. Au sujet des rapports du don
manu el et de la loi fiscale, nous examinerons les trois
question su ivantes :
1° Nature du droit qui frappe le don manuel;
2° Conditions requises pour l'ouverture du droit;
3° Payement du droit.
1° Nature du droit qui frappe le don manuel.
Est-ce un droit de mutation ? Non, car le droit de mutation n e frappe que la transmissio n entre-vifs des biens
immobiliers.
Ce n 'est pas davantage un droit d'acte, car ce droit n e
frappe que l'6crit qui ser t de titre aux parties. Or ce n'est
certainement pas le cas, puisque la loi veut atteindre la
simple déclaration dans nn acte ou la reconnaissance .
C'est un d roiL sui generis; notons , en outre, que c'est
moins le don manuel lui-même qui est soumis à la taxe
qu e la décla ration ou la reconnais ance. Il s'ensuit que
1ant qu 'il n'y aura ni l'une ni l'autre, rien n e sera dû ; la
r égie elle-m ~ m e n e pourra é tablir l'existence <lu don
manuel par aucun moyen légal. ( Cassat., 28 nov. 1859,
Garnier, R. P., art. 1269.)
2° Conditions requises pour l'exigibilité du droit.
La premiè re, c'est que les espèces on objets aient é t6
r emis anima rlona11di, c'esl à dire avec l'inlenlion do grntifier celui qui les r ec:o il. Par suite, le droit ne saurait 6tre
exigé s'il était é tabli ou s'il résultait des circonstances
�-166 que les valeurs n 'ont été remises qu'à titre de dépôt, de
gage ou de nantissement.
La seconde, c'est que l'objet de la libéralité soit s usceptible d'être transmis manuellement; cc qui exclut l es
créances et les t itres nominaLifs en gén éral, sur l 'État
comme sur les particuliers, quoi qu'en ait dit un arrêt de
la Cour de Cassation , 15 fév. 1870, 1, 225.
Enfin la troisième condition , c'est la déclaration ou
la reconnaissance. Celle-ci exige quelques d éveloppements :
La déclaration doit être form ell e; sans doute, il n'y a
plus dans notre droit de termes acramentels, mais qu elles
que soient les expres ions employées par le déclarant , sa
déclaration doit être explicite, non équivoq ue.
Nous avons vu que depuis la loi de 1850, il n'était plus
n écessaire que l'acte contenant la déclaration ou la reco nnaissance con stitu àt un Litre entre les pat·ties. ll en r ésulte
que l e droi t pourrait être exigé alors même que l e nom
de l'auteur du don manuel ue serait pas indiqu é. Bien
plus . la loi tient si peu comp te du do nateu r que son affirmation à lui ne peul s uffire pour donner ouvertu re au
droit; elle n e considère que la déclaration éman ée du
donataire ou de ses représentants. Ces derniers pe uvent
être des mandatair es léga ux ou conventionnel s. Les mandatair es l égaux sont le tu te ur , si l e mandata ire est mineu r ,
ou enco re les héritiers du dona teur; ce ux-ci sont mieux
qu e les représentants, il s sont la contin uation même de
la per sonne du donataire; de môme , enfin , le mari à l 'éga rd
de sa femme dans l e cas, du moins, où il a l 'administr ation
de ses biens.
Enfin , la déclaration doit ôlre contenu e dans un ac l e.
La jurispruden ce a interprété cc Lerme dan s son sen s le
pl~~ absol~ ; c'.est ainsi qu '~ ll e a décidé à main les re pri ses
qu il y avait heu à percep tion s ur les déclarations co nte-
167 -
nues dan s un contrat de mariage, dans un inventaire, dans
une tran saction entre co héritiers, dans un procès-verbal
de non-conciliation et même dans un interrogatoire sur
fait s et article s.
Il r és ulte , du reste , des travaux préparatoires de la loi
du 6 mai 1850 , qu'il fauL donn er au mot acte son sen s le
plus lar ge ; peu importe clone que l'acte soit public ou
privé, qu 'il soit judiciaire ou extra judiciaire, pourvu quïl
soit so umis à l 'enregistrement. Quand même la déclaration du don manuel n'y fi g urel'ait qu'iociclemm cnt, le droit
n 'en serait pas moins exigible. L e l égislateur de 1850 a
voulu saisir l e don man uel par tout oü il se rencontre , en
raison même des facilités qu'il a de se dissimuler.
Dan s ces dernier s Lemp s cependant , il s'est élevé une
grande difficulté s ur le point de savoir si le mot ac le allait
jusqu'à corn prendre l es délibérations d'une Commis:}ion
administ1·a tive d'un hos pice, délibérations dans lesquelles
l es représentants de l 'ho spi ce acceptaient des dons manuels.
La question s'est présentée au suj et de l 'hospice d'Arras ,
et elle a donné lieu à nu e décision de la Cour s upr6mc , en
date du 1°r févri er l882 (Sirey, 1882, 1 , 228). Voici l'esp èce: Des do ns manuel d'une val eur de près de 80,000 fr.
ava ient élé faits par des anonymes à l'ho spic e d'Arras, en
titres au porteur dépo sés dans les troncs. La Commission
de l 'h ospice avait pri s une déli bération , aux termes <le
laquelle les clous avaie nt été acceptés; cl celle délibération ava it rc~~u l'a pprobation préfectorale. Fallait-il voir
dans celte délib ération dùment app rouvée un acte au sens
de l 'art. 6 de la loi de 1850 ?
La Co ur de Cassa tion appelée à se prononcer sur le cas
a opiné ponr l'affirmative el a vu dans ce cas particulier
une app lication des principes que nous ven on s d'exposer
plus haut. ·
�-
168 -
La déclaration du donataire suffit; peu importe le nom
du donateur ; pas n 'esl besoin que l'acte constitu e un titre
entre les parties . Or , loutes ces circon stances se trounient bien r éunies dans l'e'5pèce.
L'hospice d 'Arra ba sait sa r ésistance s ur ce que la d élibération de la Co mmission n 'était qu ' un r ègleme nt d 'adminis tration inté rie ure; c'est ain si , du res te, qu e l 'avait
consid éré la régie elle-mê me , e l il cilait e n ce se n s une
circulaire du Minis tre des finances, 13 d éc . 1858.
A celte obj ection , la r 6ponse é tait fa cile : Si c'était un
simple règle men t d 'adminis tration intéri eure , il n'e ut pas
été besoin d e reco urir à un e d é libéra tion ainsi q u'à l'autorisation préfectorale. Le r eceveu r des hos pices, conformément à la c irculaire s ur la co mp ta bilité p u bliqu e ,
15 nov. 1861, n 'avait qu 'à se faire d é livr er comm e titres d e
r ece ttes, des é tals certiG6s pa r le maire, co mm e l'on fai t
pour les simples a umôn es. On avai t doue vu dans le do n
effectu é plu s qu' une simple a um o n e , e t la d é libérat\on P'.i~e à ~e s uje t é lait pl us qu ' un s imple r ègle ment
d ad mm1 stration intérie ure.
Indépe ndam ment d e la <l6clara tion , il y a au ssi la reconc'es.t à dire la conslala tion faite par
le Juge . Nous disons du Jn gement cc q ue n ous avon s <lit
d~ l'ac~e :. quand b ien même il n 'a ura il pas po ur obj e t
d.1rect l existence d u don ma nu el ; cru an d b ien même celuic~ ne sera~t co1~staté que d' un e faço n inciden te, par exe mp e, au Suj et d une de ma nde en rapport o u e n r 6duclion
le droit de donal1·0
'
·
·
.
. '
n n en sera1l pas 1110 111 s du · car le léo1s0
lateur a voul u a ttei· n d t
'
re ou t acte constatant un do n manuel
~'une façon s uffisamment ce rtaine. La base d e la pc r ccptwn est: « le fait se ul qu e le do n man u el a é lé déclar6 e t
reconnu par le juge dans un e décision qui , san s produ ire
les effets légaux d '
l· ,
J
.
un rl1 e va1a)1e, s uffiL cependant pou r
é tablir au point d
d l 1 . fi
.
'
e vu e e a 0 1 1scalc e t a l'égard du d ou a-
na~ssance1 ju di c~ai re,
-t69 taire la transmission de la propriété mobilière.» (Cassat.,
2 août 1882; Garnie r , ré pertoire p ériodiq ue , n° 6,014).
Dan s l'e s pèce de cet arrêl , la constatation é tait sim plement contenue dans les motifs.
La jurisprudence va même plus loin: Elle adm et laperception d ans le cas môm e où le donataire n e figu re rait pas
au procès; par exemple, pour prouve r q u' un s uccessib l e
a fait adition d 'h é r édi té, on allè guera et on p ro uvera qu 'avec d es obj e ts J e la s uccession, il a fai t un don manu el à
tell e per sonne d 6te rminée . Mê me , dans ce cas, la jurisprude n ce d éclare le droit exig ible; h âtons-nous cependant de dire qu e ce tte jurispruden ce qu elq ue peu rigoureuse n 'a point obtenu l 'adh ésion d e tout le monde .
3° Pa y ement d u droit.
L e droit p er ç u s ur le don manu el est un dr oit proportionnel ; il est de 9 °/0 • Mais ce droi t, comme e n matiè re
de donation or dinaire, var ie avec le degré de paren té des
parti es. De plu s, les r éd uctions de tar if édictées en faveur
d e certains actes comm e les contrat s de mariage el les
donations conte nant pa rtage profitent aux déclarations
faites dan s ces actes e t re la tant d es dr oits manuels an térie urs.
Le droit est en principe à la ch ar ge d u do n ataire. Toutefois, a ux yeux d u fi sc, il n 'y a pas que le donata ire qui
soit r espo nsable d u droi t. E n effe t, il est de principe q~e
toutes les parties qui intervie nnen t dan s u n acte sont solidaireme nt responsables vis-à-vis d e l'ad mini strati on d es
droits a uxque ls cet ac te d onne o uvertu re. Si donc au moment où le don manu el est reconnu ou déclar é, le do n ataire est insolvab le , c'est sur le d on ateur q u e retombera
l'oblig ation de payer le tarif, sauf , bie n en tendu, son
r ecours contre le donataire .
�-170D'un autre côté, aux termes de l'article 29 de la loi de
frimaire an VII, les notaires son t tenus , vis à-vis du fisc,
des droits à percevoir sur les actes qu'ils passent. Faut-il
appliquer cette r ègle au don manuel déclar é dans un
acte notarié? Ce qui pourrait faire nattre le doute ,
c'est que l'acte n'a pas pour but do constater le don manuel lui-même; car ce serait là un non sen s ; l 'acte n e
peut donc le co nstater qu'incidemm en t. Cependant, l'affirmative, quelque rigoureuse qu'elle puisse paraitre, a été
con'3acrée par un arrêt de la Cour de Cassation, chambre
civile, du 10 déc . 1877 (Garnier, R. p. , 4,845).
Terminons en disant que ce droit est so umis à la prescription de deux ans, comme tous les droits que l'enregistrement peut réclamer.
CHAPITRE lV
Législation eomparée
Il est des pays oli le don manu el n 'est que l'applica tion
réguli ère des prin cipes relatifs à la mati ère des donations ;
dans ces pay8, les donations d'obj ets mobiliers son t affranchies de toute espèce de solennités; on n e réserve ces
dernières que pou r les donations d'imm e ubles.
Ainsi, en Ang leterre, la donation (cbattels personnel s)
peut êtr e faite ou par écrit ou par simple tradition de la
chose entre les mains du donataire. Il est à r emarquer
que primitivement la tradition réelle s uffi sait pour la
donation des terres aussi bien qu e pour celle des cho ses
mobilières.
En Pru sse, toutes les donations doivent, en principe,
être passées en justice. Toutefo is, lorsque la cho se mobi-
l
-
171 -
lière a été donnée et se trouve en la possession du donataire, on ne peut plu s la réclam er pour cause de défaut
d'observation des forme s du contrat judiciaire.
La Ru ssie dis pense également de toute so lennité la
donation de biens mobiliers corporels, la tradition suffit
pour en transférer la prop riété : les formalités ne sont
exigées que ponr les donati ons d'immeubles.
Le Fribourg, l e Valais, la Louisiane , la Hollande reconnaissen t exp ressément la validité du don manuel.
En Espagne, au-dessous de 500 maravédis d'or , toute
donation de meubl es est parfaite par la tradition.
Enfin , en Suède, le Code ne contien t aucune disposition
r elativement aux donations mobilières.
Dans d'au tres pays, au contrai re, dont la législation n e
diffère que p e u sens iblement de la nôtre, l e don manuel
con stitu e en quelq ue sorte un contrat innomm é, échappant, la plupart des cas, aux dispositions rigo ureuses de
la loi en matière de donations : tels sont l 'I talie et la
Belgique.
La Belgiqu e a spécialemen t légiféré au sujet des dons
manu el s faits aux personnes civil es; les dons manuel s,
dans ce cas, son l form ellement interdits ; aux termes d'une
circulaire du Mini Lre de la justice (10 anil 1849) l'auto risation nécessa ire aux établissements d'utilité publique
pour accepter une lib éralité ne se ra donnée que Lo ut auta nt
q ue la d ~)lla ti o n sera faite dan un acte en due forme. On
n'en except e que les offrandes déposées dans le troncs,
l e produit des qu êtes et les dons de somm e modiques.
Mais il est aisé de re marqu er qu e cette cir culaire n'obviera point aux abu s qu 'elle pr étend arrêter; en effet, les
offrandes d6posées dan s les troncs pourront être considér ables ; ell es seraient déposées par des personnes inconnues; qu i pourra dire alors si ces don s sont ou non des
sommes modiques.
�-
-
172 -
Bien des pays admettent, comme le droit romain, la
théorie de l'insinuation ; au-delà d'un certain taux, toute
donation mobilière devra être inscrile sur les r egist res
publics. En deçà, le don manuel est parfaitement valable.
Sans doute , on pe ut bien r e mettre de la main à la main
des sommes sup érieures <}u Laux indiqué, mais si le don
vient à être découvert, il ne sera valable que j usqu'à
concurrence du taux légal.
CHAPITRE V
Conclusion.
Quelle est la conclusion à tirer de l'étude que nous
venons de faire? Quelques réformes légis latives sont-elles
nécessaires en ce qui concerne le don manuel?
On a d'abord proposé J 'assimil er au déto urnement la
dissimulation de don manuel faite par un successible.
Le procès se passe entre cohéritier s; l'un d'eux a r eçu du
de cujus un don manuel qui porte atteinte à la réserve
des autres par exemple, ou qui même doit être soum is
au rapport. La difficulté pour les cohéritiers du gratifi é
consiste à prouver le don manuel; quant à celui-ci , son
intérêt lui conseill e une facile el proÎltable ina ction. Néanmoins on vient à prouver contre lui le don manuel; eh
bien! son silence qui a nécessité un procès, qui a toutes
les apparences de la mauvaise foi, n e doit-il pas être considéré comme une faute? N'est-il pas raisonnable de l 'assimiler au détournement el de l ui faire encourir l es
déchéances qui s'allachenl à cc dernier? c'es t-à-dire la
privation de droits s ur les objels recelés 1 Ici ce serait la
privation de tout droit sur l'objet du don.
_,,.,'"';l.!!.: ..A
173 -
Nous pensons qu'il y a là une réforme sérieuse et la
'
.
prév1s10n de la perte encourue arriverait souvent à provoquer un aveu que l'honnêteté commande. Le devoir à
accomplir se fortifierait de toute la puissance de l'intér~t
personnel.
Faut-il maintenant empr unter aux législations étrangères l e système tout romain de l'insinuation?
Le but de cette mesure serait de limiter à un certain
taux la possibilité juridique du don manuel. Mais autant
l 'intention de cc système peut êtr e bonne, autant son efficacité est douteuse en pratique; car s'il dépend du bon
vouloir des parties de faire la déclaration exigée par la
loi , qui ne voit qu'elles n e se soumettront que très rarement à cette nécessité gênante ? Mais, dira-t- on, si au-delà
du taux fixé la donation est complètement nulle, les fraudes et les dissimulations seront , par ce moyen, entravées.
- C'est là l'erreur, le don manuel se réalisera toujours
et com me le g ra tifié se trouvera en possession , ce sera au
demandeur à prouver que l'objet donn é a telle ou telle
provenance ; en un mot, on se h eurtera toujours à la
difficulté, disons même mieux, à l'impossibilité de la
preuve.
La preuve l Voilà pour nous toute la difficulté en matière
de dons manuels. Cependant, il importe ici de bien préciser, de poser nettement la question.
Si le litige s'élève entre le donateur et donataire, j 'estime
qu 'il n 'y a point ici de r éform e à faire. En elfet, le plus
so uvent le procès naitra de ce que le donateur, qui s'est
réservé le droit d 'usufruit sur les choses données, ne
pourra pas arriver à en profiter faute de pouvoir établir
l'obligation du donataire envers lui. Mais c'est affaire à
lui et il n'a qu'à s 'en prendre à lui-m ême d'avoir été trop
confiant et d'avoir s uivi la foi de son donataire ; il lui
était si facile en faisant le don manuel de se faire sous-
.
�-
174 - -
crire par le donataire un engagem~nt d'avoir à lui serv~r
les intérêts de la chose donnée, s1 ce t te chose e~t frug1fère, ou bien une somme qu elconque si elle ne l est pas.
Nous avons conclu plu s haut, au co urs de notre étude, à
la validité des pactes accessoires qui acc0t~pa~ne~t le don
manuel, quelque forme qu'ils revêtent.; 1 obhgat1on consentie par le donataire serait donc pleinement valable et
recevrait la sanction des tribunaux.
Mais, supposons au con traire que le pro cès s'eng~ge
entre les héritier s du donateur et le prétendu ùona la1re.
Les héritiers soupçonnent une p ersonne d'avoir opéré un
détournement dans l es objets de la succession; cette
personne avait avec le de cujus de fr équentes relations i
les héritiers n'ayant pas de preuve fo nt interroger sur
faits et articles la personn e soup çonnée; mais, celle-ci
déclar e aYoir reçu les obj ets à Litre de don manuel ; son
aveu, étant la seule pre uve, doit être tenu pour vrai; si
même l le donataire est un successibl e, il pourra ajouter
que le don lui a été fait avec dispense de rapport, et son
aveu étant indivisible doit être r econnu exact po ur le tout.
Or , n'y a-t-il pas là un véritable danger? Ici, les h éritiers
n'ont pas pris part à l 'acte, il s ne sont donc pas responsa•
bles, s'ils n'ont pas à le ur disposition la preuve écrite du
dépôt, du mandat, ou même simplement l a preuve testimo niale du détournement. Le donataire, lui, au contraire,
tient à sa disposition un moyen fort commode et qui peut
lui servir à déguiser ses manœuvres fraudule uses. Nous
pensons donc que, dans ce cas, ce devrait être au donataire à prouver le don manuel par un autre moyen que
son aveu.
Remarquons bien que si on était sur le p oint de prouver
le détournement, même au moyen de simples p r ésomptions, et que l e donataire vint à alléguer l e don manuel,
c'est de plein droit que la preuve lui incomberait par
-
-
175 -
application même des principes; c'est au demandeur
qu'incombe la pre uve. Or , en élevant une exception, le
défendeur devi ent demandeur. Reus ezcipiendo fit actor.
Ce n'est pas sur ce point que la r éforme est à fai re.
Nou s vo ulons parler du cas où le défendeur se prévaut
d e son seul ave u. « L'aveu, dit un auteur, M. Laurent,
n 'est que tr op souvent une arme entre les mains de la
mau vaise foi. » Nous pen sons qu'il ne faud rait pas consid ér er l'ave u comme une preuve, dans ce cas, et que l e
donataire au rait à établir so n droit par un autre moyen.
M . Claude, dans sa thèse de doctorat, propose comme
preuve un acte écrit même sous seing-privé, mais qui
serait nécessaire, non seulement ad probationem, mais
même ad solemnitatem. Pour nous, nous admettons le
dona taire à prouver le don manuel par toutes preuves,
même e t s urtout la preuve testimoniale, la seule possible, à
notre avis. Sans doute, elle offre ses dangers, elle n'est
pas sans inco nvénient s, mais l es tribunaux app récieront
la val eur des témoignages comm e la moralité des témoins ;
en so rt e qu e les dangers que l 'on prétend s'attacher à la
preuve testimoniale sont encore plus imaginaires que
r éels. Mais Pinnovation consistera à mettre la preuve du
don manuel à la charge du donataire afin d'éviter les dangers de l'aveu .
�l
--177 - POSITIONS
~·
DROIT ROMAIN
I.
L'impubère pouvait s'obliger jure naturali.
II.
Le pacte joint in continenti ad augendam obligationem à un contrat du droit strict ne produit pas
d'aclion.
Ill. -
L e fidéi-commis de la chose d'autrui ne disparait
pa s lorsque l e propriétair e refu se de livr er la
cho se ; on doit alors observer les règle du legs
per domnatio11em.
IV.
Les servitudes prédiales sont rurales ou urbaines,
suivant qu 'ell es existen t au profit de fonds non
bâtis ou bâtis.
DROI T CI VI L FRANÇAIS
1. -
La con stitution de dot faite par le père à sa fille ne
peut étre allaq uée par l es créanciers à l'en contre
du mari s'ils ne prouvent qu e le mari a été comp lice
de la fraude.
II. -
Les dix an s pendant lesquels un archilecle est
r esponsable des travaux faits par l ui courent du
moment do la r écep tion de ces travaux par le propri élaire lequel, après dix ans à compler de ce
jour n 'a plu s d 'action.
III.
Le mari et la femme co njointemenl ne peuvent
donner un immeuble de la communaut é.
12
�-178Le mandat donn é à une per sonne de faire une
donation à un tiers après l e décès du disposant
doit, pour être valable, être fait en la forme des
dispositions à titre gratuit.
IV. -
DROIT
CRIMINEL
L'homicide commis dans un du el est un assassinat.
DROIT COM;\lERC IAL
La majorité requise pour le vote du concordat est la
m~jorité des créanciers présents, non celle qes créanciers
qui se sont produits.
DROIT ADMINI STRA'}."IF
Le pouvoir judiciaire a le droit d'examiner un acte admi ..
nistratif et de statuer sur sa légalité.
ÉCONOMIE POLITIQUE
Le système du bimétallisme est irrationnel et dan ..
gereux.
Vu : Le professeur,
Président de la thèse,
EDOUARD JOURDAN .
Vu : Le Doyen,
ALFRED J OURDAN.
Vu et permis d' imprime~ 1
Le Recteur,
:
BELI N
Nimee. _:: Imprimerie Gervais-Bedot, place de la Cathédrale.
l
�
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Title
A name given to the resource
De la tradition en droit romain ; Des dons manuels en droit français : thèse présentée et soutenue le 10 avril 1886
Subject
The topic of the resource
Droit des successions
Droit romain
Successions et héritages
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Pradelle, Jean-Jules (Avocat)
Faculté de droit (Aix-en-Provence, Bouches-du-Rhône ; 1...-1896). Éditeur scientifique
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES-AIX-T-145
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Gervais-Bedot (Nimes)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1886
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/241566959
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-AIX-T-145_Pradelle_Tradition_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
178 p.
25 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/450
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Alternative Title
An alternative name for the resource. The distinction between titles and alternative titles is application-specific.
Des dons manuels : droit français (Publié avec)
Abstract
A summary of the resource.
Thèse : Thèse de doctorat : Droit : Faculté de droit d'Aix-Marseille : 1886
Cette thèse pour le doctorat en droit est constitué de deux études : la première, en droit romain, s’intéresse à la tradition comme mode le plus simple et le plus expéditif de transférer la propriété, consécutivement aux conquêtes qui favorisent les transactions entre différents peuples et exigent une simplification des solennités d’autrefois et, par suite, la tombée en désuétude du formalisme primitif. La seconde, en droit français, porte sur le don manuel, dont l’importance s’est accrue à la faveur de la fortune mobilière, notamment sous la forme de titres au porteur, et des avantages que peuvent présenter son caractère clandestin.
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Description
An account of the resource
A l'opposé du formalisme antique de la tradition romaine, les dons manuels, devenus très importants du fait de l'accroissement de la fortune mobilière, permettent de s'affranchir de bien des lois...
Dons manuels -- France -- 19e siècle -- Thèses et écrits académiques
Droit romain -- Thèses et écrits académiques
Successions et héritages -- France -- 19e siècle -- Thèses et écrits académiques
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https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/448/RES-AIX-T-142_Heimann_Organisation-travail.pdf
ada06a19cc23f3a5eea253e4c120d65f
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�L' homme ne peut pas vivre isolé. Il a besoin de ses
semblables pour se procurer tous les avantages de la vi e.
C' est de ce principe que sont nées les associations politiqu es ou religieuses.
Nous ne voulons pas dans cette étude rechercher la
légiLimilé du droit d' association en général, mais réduisant
un sujet si vaste, nous nous proposons d'examiner celle
question au point de vue particulier de l'organisation du
travail.
Le droit au travail est évidemmen t le droit primordial,
puisque G'est sur lui qutl repose le droi t de propriété.
Tout homme doit avoir la liberté du travail. Ce droit doit-il
êLre exercé isolément ou bien peut-il être exercé par une
collectivité? En d'autres termes, la liberté d'asssociation
est-elle légitime?
Poser la question, semble-t-il, c'est la résoudre. Comment, en eiîet, ce qui est licite pour un seul ne le serailil pas pour plusieurs? Il est certain que l'associalion entre
�-2travailleurs doit assurer à ceux-ci de grands avantages.« Un
ouvrier seul ne représente rien, il est sans force tant qu'il
est seul, par ce qu'il peut toujours être remplacé ~, dit
M. Jules Simon dans son Traité de lfl liberté civile, et il paraît
dès lors que rien ne saurait empêcher l'institution de ces
associations qui par leur nature doivent développer l'industrie et assurer une condition économique meilleure aux
ouvriers.
Cependant ce n'est qu'après de longs efforts, que nous
voyons enfin aujourd'hui la liberté d'association proclamée,
et c'était à notre siècle qu' il était réservé de comprendre
le rôle de l'association en matière de travail.
Nous voulons dans le cours de cette étude montrer les
entraves qui se sont dressées con tre cette institution. Nous
examinerons à Rome les collèges d'artisans d'abord prohibés sous la République à raison d'une confusion entre
l'association et la réunion. Puis nous verrons les empereurs enrégimen ter tous les ouvriers dans les collèges.
Dans l'histoire du Moyen-Age, nous trouverons les
corporations dans lesquelles l'artisan était forcément incorporé sans aucune liber té ni initiative.
La Révolution, éclairée par les abus et les inconvénients
des corps de métiers, supprimera la liberté d'association
et édictera des prohibitions pour empêcher la reconstitution
des maitrises et des jurandes.
Et enfin nous examinerons la loi du 21 mars 1884, admettant pour la première fois la conception de l'association
libre combinée avec la liberté de chacun des associés.
-3Nous nous demanderons dans quelles conditions doivent
s'établir les associations ouvrières, le rôle que le gouvernement doit jouer dans leur constitution.
Enfin nous rechercherons quelle est dans les autres nations la législation relative à ces matières et nous étu.dieron s le mouvement qui tend à créer partout les syndicats
professionnels dans lesquels on espère trouver le remède
à la crise actuelle.
�CHAPITRE 1.,.
Des collègc8 d 'artisans sous la royauté.
On s'est demandé si en Grèce les ouvriers ont jamais
formé entre eux des associations. Les documents à ce sujet
font absolument défaut. Les textes parlent d'une fête qui
se célébrait à Athènes et connue sous le nom de Chalkeia.
C'étaient les forgerons qui se réunissaient pour sacrifier
en l'honneur de Vol cain , mais cette seule indication ne
suffit pas pour établir la preuve de l'existence d'une corporation. D'autre part les inscriptions de l'Asie Mineure
mentionnent bien des communautés de boulangers, de
po.tiers , de corroyeurs et de tisserands à Hiérapolis, à
Laodicée, à Magnésie et à Smyrne. Mais comme ces inscriptions son t postérieures à la conquête romaine, on
croit avec juste raison que ces communautés ont été fondées à l'instar des collèges existant à Rome 1 .
l Saglio et Darembcrg, Dictionnaire des antiquités grecques
et romaines, v• A1·tifices.
�-6Nous devons donc, à défaut de renseignements précis,
nous borner à étudier le rôle de l'association dans l'organisation du travail dans la société romaine.
Dès les premières années de la création de Rome il est
certain que des associations se formèrent, tant l'idée d'association est naturelle à l'homme. En effet, les historiens
nous disent que Numa organisa les collèges d'artisans 1 •
Ce serait d'ailleurs d'après les commentateurs dans un but
éminemment politique que ce roi se serait ainsi préoccupé
de l'organisation du travail. li réu nit les ouvriers du même
métier en collège et leur donna une divinité commune pour
faire fon dre en une seule race le peuple Romain et le peuple Sabin , qui venaient de se réunir. Il avait compris
qu'entre des gens unis ensemble par le lien d'un intérêt
commun , d' une religion commune, des relations fréquentes d'amitié s'établiraien t qui suffiraient pour faire disparaître les ditlérences de race et les haines en résultan t.
Faut-il admettre cette raison poli tique pour supposer
que Numa créa complètement les collèges d'artisans? nous
ne le pensons pas et il semble plus rationnel et plus vraisemblable de croire que Numa ne fit que consacrer un
état de choses existant déjà en Etrurie. Les Romain s, en
effet devaient être moins civilisés que les Sabins et ne for maient qu'un peuple de pasteurs. Chez eux l'agriculture
était seule en honneur et l'industrie était fort dédaignée.
Ce fut là d'ailleurs une tendance qui ne fit que s'accentuer; et en effe t Cicéron ne s'érie-t-i l pas, dans son traité
-7De officiis : « Opifiœs omnes in sordida arte versantur nec
enim quidquam ingenuum potest habere officina 1• » D'autre
part Salluste met sur le même rang les artisans et les
esclaves : « Opifices et servitia ad Lentulum eripie-ndum
sollicitabant. » Ce dédain que les textes nous expriment
fut certainement une des causes du peu de splendeur des
collèges d'artisans, dont les résultats ne furent pas ceux
qui auraient dû être produits. Nous aurons d'ailleurs à
revenir sur ce point.
Quels furent les collèges d'artisans créés par Numa?
M. Dezobry en donne une longue énumération. D'après cet
auteur on aurait réuni suivant le genre d'industrie de chacun les ouvriers en collèges de musiciens, d'orfèvres, de
charpentiers, de teinturiers, de cordonniers, de tanneurs,
de forgerons, de potiers de terre, de foulons, de pêcheurs,
d'ouvriers en airain, etc ... 2 • Cette liste est certainement
un peu exagérée et la division du travail ne s'était pas encore vraisemblablement assez répartie pour que l'on put
compter dans la Rome naissante un nombre de corps de
métiers aussi considérable. La civilisation n'existait pas
encore et chacun pourvoyait lui-même à. ses propres besoins . C'était l'époque heureuse où les femmes pétrissaient,
faisaient cuire le pain et tissaient les étoffes pour les vêtements de la famille.
D'après Pline l'Ancien 3 , Numa Pompilius aurait constiDe officiis, 1-B.
Dezobry, Rome au. siècle d'Auguste, t. I, p. 24-1.
s Pline, IIist . naturel. l. 18, c. 11.
1
2
l
Plutarque, Vie de Numa .
�-8
tué les huit collèges des œrarii, des figuli, des tubicines, des
msrificines, des {abri tignarii, des linelores, des suiores et
des futwnes . Cette énumération plus restreinte est peutêtre plus exacte.
On voit par là qu e les métiers les plus anciens à Rome
sont ceux qui se rapportent au culte des dieux, tels que
les tubicines, les joueurs de flûte, dont la présence était
indispensable dans les cérémonies religieuses, et cenx qui
sont nécessaires ponr la guerre, tels les œrarii et les {abri
tignarii. Ces dernières professions étaient de beaucoup les
plus considérées; aussi Servius Tullius leur réserve-t-il
le premier rang d:rns l'institution de sa grande mobilisation
militaire. Les charpentiers et les forgerons étaien t rangés
dans la première classe du penple romain et votaient avec
les seniores. La raison de celte préférence s'explique aisément: il faot en efTet dans les armées des ouvriers pour
faire les armes et des ouvriers pour transporter les machines de guerre. C'est pourquoi Tite Live disait : « datum
munus ut in bello machinas facerent 1 • »
Qoaot aux autres ouvriers, ils furent confondus dans
l'organisation de Servius Tullius dans la dernière centurie
'
celle <les prolétaires qui ne portaient pas les armes.
Pendant toute cette période de la royauté, il est certain
que le droit d'association, et partant celui de réunion, furent
absolument libres. Aussi voyons-nous se former ces collèges particoliers de vicani et de pagani que nous retrouverons plus tard sous le nom de collegia compilalicia. Ces
-9unions fondées dans un but religieux commirent-elles des
excès? ou bien les colléges d'artisans, mécontents contre
Tarquin qui avait fait venir d'Etrurie des ouvriers pour la
constructions des grands travanx entrepris à Rome 1 , manifestèrent-Ils leur hostilité contre le dernier roi? C'est difficil e à préciser, mais ce que nous savons, c'est que ce
2
monarque supprima les collèges de vicani et de pagani •
C'est là la première restriction apportée à la liberté
d'association et encore ne fut-elle pas d'un grand elfot,
car il est vraisemblable que ces corporations ainsi supprimées ne furent jamais dissoutes et qu'en s'unissant les
unes avec les autres, elles furent la cause de la chute de
Tarquin.
Préciser exactement la constitution, la vie intérieure,
Je rôle juridique ou économique des collèges pendant cette
première période est chose absolument impossible.
D'ailleurs, au point de vue économique, il paraît hors
de doute que ces associations n'ont pas dû briller d'un
vif éclat, tant à cause de l'état primitif de civilisation dans
lequel se trouvait Rome, qu'à raison du discrédit et de la
déconsidération qu'entraînaient les profes. ions manu elles.
Nous avons déjà eu des preuves certaines de l'aversion des
Romains pour les artisans, et cette antipathie devait encore
s'augmenter du dédain d'un peuple belliq ueux pour ceux
qui ne pouvaient pas porter les armes,
Au point de vue juridique, nous verrons plus t~rd que
i
l
Tite Live, 1. I.
2
Ti10 Live, 1, 50.
Denys <l'Hal. 1. IV
�-10 -
toutes les fonctions de la vie, ainsi que l'exercice de tous
les droits étaient absolument interdits aux collèges.
Pendant toute cette période, les collèges ne pouvaient
pas en effet posséder un patrimoine, contracter des obligations ou ester en justice, à raison des empêchements
apportés par la théorie de la non représentation qui ne
doit disparaîlre de l:i. législaLion que sous Ju stinien. Comment dans ces conditions les associations auraient-elles pu
devenir assez puissantes pour arriver aux améliorations
que nous rêvons de leur voir accomplir ? Comment dès
lors auraient-elles pu donner un grand essor au mouvement
de civilisation qui commence à poindre dès cette époque?
CHAPITRE Il.
OC8 collège8 d'arti8ao8 8008 la R épublique
A la chute de Tarquin et à l'avènement de 1a République, les associations, - si tant est d'ailleurs que les mesures prohibitives du dernier roi les ait réellement diminuées, - se multiplient et prospèrent de plus en plus.
C'est ainsi que nous voyons à cette époque les municipes
se fonder, et dans chaque municipe se créent des corporations ouvrières. A côté des collèges d'artisans , nous trouvons les collèges sacrés des prêtres. Nous assistons à la
c.réation dans les classes hautes, chez les patriciens, de
confréries pieuses entretenant un culte particulier à côté
du culte public et général.
Ce devait être là. une occasion de réunion recherchée
entre personnes de même condition, de goûts semblables :
t: Je faisais des banquets avec mes sodales, dit Caton, à
très peu de frais d'ailleurs 1 • » Il s'établit entre les diJJéi
Cicéron, De Senectute. Xlll.
�-
12 -
rents membres de l'association un certain droit, le jus sodalitii. L'expression se trouve chez les anciens auteurs.
Ovide dit:
Propertius
Jure sodalitii qui mihi junctus erat 1•
Cicéron, plaidant pour Norbanus, dit qu'il devait le
considérer comme un fils parcequ'ils étaient unis par les
liens d'une sodalitas 2 • II était défendu à un sodalis de se
faire l'accusateur d' un de ses confrères dans un procès
politique 3 • Enfin la loi repetundarum lui interdisait d'accepter les fonction s d'avocat pour l'adversaire de son sodalis et le sodalis du demandeur ne pouvait pas être juge 4 •
A côté de ces asso~iatio n s d' un ordre relevé, apparaissent les collegia compitalicia , qui pareils aux collegia vicanorum et paganorum supprimés par Tarquin sont composés
des gens de la basse classe qui se réunissent à certains
jours autour d'un e statue grossièrement taillée à l'angle
d'une rue. On immolait des victimes et on fêtait par des
jeux - les ludi compitalicii, - le di eu qui servait de patron.
Il n'y a d'ailleurs dans ces sociétés à proprement parler que des faits de réunion. Les gens qui se grou pent
ainsi ne sont pas liés entre eux par des intérêts communs,
Tite Liv. II cl. 10, 1-5 el 46.
Cii;. De oratore, Il, 49.
3 Cie. Pro Cœtio, II, 26.
t
- 15 signe caractéristique, des véritables associations. Ces réunions devaient du reste commettre des excès tels qu'ils
entraîneront la perte du droit d'association.
Les associations ouvrières proprement dites constituées
par Numa, créées pour permettre aux associés de se concerter sur leurs intérêts communs, continuent à se développer concurremment avec les sociétés dont nous venons
d'examiner le caractère général.
A ce moment là. en effet les droits de réunion et d'association sont absolument libres et les réunions avaient
trouvé la véritable formule qui doit limiter la liberté pour
les hommes de s'unir les uns aux autres, pour faire ensemble ce qui est permis à chacun isolément : « His (sodalibus)
autem potestatem facit Lex , pactionem quam sibi ferre velinl,
dum ne quid ex publica lege corrumpant 1• 1> Les collèges
peuvent se donner tous les règlements qu'ils voudro~t
pourvu qu'ils ne portent pas atteinte à la liberté d'autru1.
Tel est le précepte édicté par la loi des Douze-Tables. C'~st
là nous l' avons dit la meilleure façon d'entenùre l'exercice
du droit d' associati on et les efforts de notre société moderne tendent vers ce but.
La République se montre dès l'origine très favo rable aux
associations ainsi libremen t formées . el c'est ainsi qu' une
des premières lois que fit voter Valerius Public?la fut un~
loi dégrevant \es artisans pauvres des lourds impôts qui
pesaient sur eux.
2
i
Mommsen de collegiis, p. 4.
i
Dig. l. XLVll, î:2, 1. L.
�- 14 Cette loi, dit Plutarque, contribua beaucoup au développement de l'industrie.
Nous arrivons d'ailleurs à la période où Je nombre des
corporations va en augmentant à raison des progrès de la
civilisation. C'est ainsi qu'apparaissent successivement les
collèges des barbiers et des boulangers.
Est-ce à dire que pendant la République les corporations jettent un écht plus considérable que sous la royauté
et que leur situation économique s'améliore ? en aucune
façon. La civilisation augmen te, il est vrai, avec les conquêtes de Rome, mais les artisans sont dans un état tout
aussi misérable que par le passé. Le dédain des citoyens
Romains pour le travail manuel ne devait jamais disparaître et suffisait pour maintenir à. un degré très inférieur
la condition des ouvriers.
D'ailleurs si Rome, par ses co nquêtes, devenait plus
riche, et si mise en contact avec des populations plus civilisées, la vieille cité prenait le goût des jouissances du corps
et de l'esprit, il se produisait dans son sein une révolution
de nature à faire sombrer l'industrie nationale. La so umission de la Sicile, de l'Espagne et de l'Afrique amena dans
la Ville une foule innombrable d'esclaves de tous genres.
Désormais les collèges d'artisans ont à. lutter contre une
c0ncurrence redoutable, le travail servile.
Comment s'organisa le travail des esclaves? Il est certain, tout en tenant compte d'ailleurs des exagérations des
historiens sur ce point, que, grâce à. la guerre, les esclaves
coûtaient très bon marché et que tous les riches citoyens
avaient des familles très nombreuses. C'est ainsi par exem-
-
i?S -
ple qu'on cite des familles d'esclaves s'élevant à. 400 personnes, comme celle de Pedanius Secundus 1 , et Pline
parle d'un certain Crecilius Claudius, qui tout en ayant
beaucoup perdu dans les guerres civiles, laissa à sa mort
entre autres richesses quatre mille cent seize esclaves 2 • Il
est bien évident que cette quantité d'hommes ne pouvait
pas travailler pour le maître seul, et que l'on songea vite à
\irer profit de leurs servie.es; c'est alors que l'on vit des
esclaves travailler pour le public au profil du maître qui
devenait entrepreneur de services, et ce fait nous est rév'3lé
par les actions exercitoria et institoria qui sont créées pour
permettre d'atteindre le maître derrière les esclaves qui
le représentaient.
D'autre part les textes nous signalent un contrat de
louage de service : les esclaves étaient employés par des
étrangers qu i payaient un salaire au patron. Ces ouvriers
esclaves devaient être préférés aux ouvriers libres, car ils
étaient plus dociles, le maître ayant sur eux droit de vie
et de mort, et d'au tre part ils coûtaien t moins cher. Aussi,
nous le répétons, la concurrence faite aux artisans libres
fut-elle redoutable el la condition de ceux-ci, de plus en
plus méprisée, devint fort misérable. D'autant que la même cause se produisant dans les provinces de tous les coins
de l'empire romain, tous les malheureux ouvriers attirés
par l'espoir de vivre plus facilement dans la grande ville
affluaient vers Rome. Dans de semblables conditions, le
l
2
Tac. Ann, XIV, 42.
Phne, XXXIIl, 1.7.
�-16travail devait forcément arriver à. manquer, et nous trouvons sur le Forum toute une populace nombreuse qui sera
un élémen t de trouhles le jour où, comme cela devait se
produire, elle sera endoctrinée et enregimentée par les
fauteurs de guerre civile.
Des associations nombreuses se forment à ce moment-là,
ou plutôt tous ces déclassés, tous ces prolétaires sans ressources, usent de leur droi t de réunion ; les collegia compitalicia sont fréquents et nombreux ; ils ne se composent
pas d'une seule catégorie d'ouvriers de la même profession,
comme les véritables collèges industriels, ils réunissent
tous les habitants d' un même quartier. Leur but primitif
avait été de fêter en commun les dieux , mai s les jeux dégénèrent vite et ne ne sont plus qu' un prétexte aux débauches les plus éhontées et aux excès les plus grands ; et en
l'an 586 le Sénat donna l'ordre aux consuls de dissoudre
le collège des Bacchanales.
Ces réuuions nombreuses de gens, sans élveu pour la
plupart, vivant con tinuellemen t sur le Forum, devaient
nécessairement jouer un rôle dans la vie politique, et nous
avons la preuve que ces réunions intervenaient souven t
dans les élections. Cicéron en écrivant à. son frère : «Tu
as pour toi les publicains, l'ordre équestre tout entier, un
grand nombre de municipes , beaucoup de gens de tout
rang que tu as défendus, et quelques collèges 1 >, indique
bien en effet que les collèges avaient une certaine influence
électorale. D'ailleurs la loi romaine suffit à démontrer
1
Cicer. De petitione consulatus .
- 17 comment les associations pouvaient se former pour faire
parvenir un ambitieux. La brigue étai t interdite au candidat sous la sanction de diverses peines, mais la loi ne punissait pas les complices. De sorte que des associations se
formai ent pour briguer en faveur d'un candidat.
A partir de ce moment, l'histoire du droit d'association
se confond avec l'histoire des troubles de Rome. Mariu s,
le premier, comprit de quelle utilité pouvaient être ces
réunions de factieux, et c'est sur elles qu'il s'appuya pour
entamer la lutte contre le Sénat.
Après son exil, le Sénat, elJrayé des dangers que loi
suscitait cette agglomération de prolétaires, que les lt1di
compitalicii réunissaient périodiquemen t, supprima par un
sénatus-consulte, rendu sous le consulat de Crecilius Metellus et Q. Marcius Rex, tous les collèges, "prœter pauca
atque certa quœ utililas civitalis desiraret ut {abroru.m lictorumque 1 . » La date de ce sénalus-consulte est contestée,
mais généralement on se plaît à croire qu'il fut rendu en
l'an 686 de Rome 2 • Il résulte de la citation d' Ascooius
que la mesure de rigueur du Sènat frappa surtout les
réunions des faubourgs, bruyantes et dangereuses, plutôt
que les collèges d'artisans, qui continuèrent d'exister.
Ce qui d'ailleurs confirme cette opinion, c'est la lutte que
ces réunions soutinren t pour le rétablissement de leurs
solennités. C'est ainsi que nous voyons, en 693, un tribun
l
Asconius in Pisonom, IV.
2
Mommsen.
2
�-
du peuple arrêté par Q. Crecilius Metellus Celer pour avoir
tenté de rétablir les jeux de carrefour.
Clodius dans sa lutte contre Cicéron, fut plus heureux, car il réussit, en 58, sous le consulat de Calpurnius
Piso Cresonius et de Gabinius, à faire célébrer les compitales par son sodalis Sextus Clodius, et fit rendre une loi réta1
blissant les collèges supprimés et les jeux compitaliciens •
Son triomphe, d'ailleurs, ne fut pas de longue durée.
Cicèron exilé revient à Rome, grâce à son ami le consul
Lentulus Spenther, et le jour même le Sénat décidait :
« Ut sodalt'tates decuriatique discederent ; lexque de iis ferretur, ut qui non discessisselit ea pœna quœ est de vi, tenerentur 2 • ])
Les collèges, malgré ce sénatus-consulte, ne disparaissent pas à Rome, et la preuve en est la loi votée sous le
consulat de Crassus et de Pompée, la loi Licinia de sodalitiis, en oo av. J.-C. Ils jouent encore un rôle dans la lutte
entre Pompée et César, et le jour où celui-ci s'empare du
pouvoir, il promulgue une loi supprimant toutes les associations : ([ Cunela collegia prœter antiquitus constituta dixtraxù a. l> Auguste renouvela la prohibition de se réunir
en collège.
La liberté d'association avait donc sombré, entrainée par
les excès des réunions constituées pour la brigue électorale.
Dion Cassius, 38, 13.
Ad Quint. fratrem, 2, 3.
3 Suétone, Cœsar, 42.
-
18 -
19 -
D'ailleurs, ainsi que nous l'avons. déjà remarqué, toutes
ces prohibitions n'atteignent pas les collèges d'artisans,
objet principal de notre étude. Il est certain que la plupart
des artisans faisaient partie des !'éunions contre lesquelles
des mesures restrictives et prohibitives étaient prises ; nous
avons déjà étudié les causes qui amenèrent ce résultat,
mais d'autre part il résulte de ce que nous avons vu, qoe
les corporations ouvrières continuèrent de subsister. Le
sénatus-consulte de 686 laisse subsister les collèges liclorum et fabrorum. Nous savons de plus par Cicéron, que les
collèges restaurés par Clod ius se recrutaient surtout par
des esclaves 1 ; or l'organisation du travail servile ne permet pas de supposer que les esclaves pouvaien t faire partie
des collèges d'artisans. Comment en efiet auraient-ils pu
payer leurs Qo tisations, et entrer dans une association ouvrière sans l'assentiment de leur maître? Enfin, la loi promulguée par César nous est la meilleure preuve de l'existence à ce moment-là de notre institution, car la loi excepte les collegia antiquitus constituta, et cette exception est
évidemment portée en faveur des associations dont on attribuait la création à Numa, c'est-à-dire aux associations
d'artisans.
Si d' un e part les membres de ces associations jouaient
un rôle dans les tristes périodes que nous venons d'examiner, en s'enregimentan t individuellement dans les réunions dont nous aYOns vu les agissements, il est certain
d'autre part que les associations en tant que collèges, no
l
2
l
Cie. Pro Sexto, 15 ; Pro Domo, 5.
�- 20 se départirent pas de leur but et qu'elles continuèrent à. se
préoccuper seulement des intérêts profess ionnels, et c'est
ce qui explique les exceptions faites en leur faveur.
Faut-il conclure de là. que la liberté pour les ouvriers
de s'associer ne subit pas le contre-coup des excès de la
liberté de réunion? Non, si les collèges ouvriers déjà exis-.
tants continuent d'exister, nous allons voir qu e la liberté
d' en créer de nouveaux est supprimée, les empereurs
pourront maintenant s' immiscer constamment dans les
affaires des collèges existants, et peu à peu ils finiront par
établir dans chaque corporation une règlementation si minutieuse, que l'industri e finira par décliner pour disparaître au moment des invai;ions barbares.
En résumé donc, sous la République, liberté absolue
pour les ouvriers de se réunir en corporations. Leur droit
n' est limité que par le respect qui est dû aux droits d'autrui. Puis à. raison des excès commis par des collèges entre les membres desquel' aucun lien d'association n'existe,
et avec lesquels on confond les véritables associations,
leur droit est restreint et finit par être supprimé.
Au point de vu e économique, les collèges d'artisans
auraient dû certainement jouer un rôle brillant, sous un
régime aussi libéral. lis auraient dù déterminer des progrès sensibles dans les dilTérentes industries et assurer
une condition heurense aux ouvriers. Nous nous sommes
rendu compte que le dédain des Romains à. l'endroit des
classes d'ouvriers et la concurrence du travail servile,
avaient eu pour effet d'empêcher ces résultats.
Pendant toute cette période de la République, il est
-
21 -
encore assez difficile de déterminer exactement comment
étaient constitués et fonctionnaient les collèges, les documents manquent à. peu près absolument, mais il est permis de croire que ces associations, qui au point de vue
juridique n'avaient aucune existence, dont la personnalité morale n'était pas encore créée, ne devaient avoir
qu'une constitution rudimentaire. S'il en eût été autrement, il eût été difficile que les progrès économiques
n'aient pas été plus appréciables.
Au point de vue juridique, les colléges n'avaient aucun
droit. La personnalité ne pouvait pas se constituer, car
elle n'apparaissait pas d'une faço n manifeste, las collèges
n'ayant pas besoin d'un e autorisation préalable. D'ailleurs
eut-on admis que ces collèges d'artisans étaient des personnes morales avec les rigueurs des principes de l'ancien
droit, ces personnes morales n'auraient pu exercer aucun
des droits juridiques. La représentation n'était en eITet
pas admi se et partan t il n'y aurait eu pour les collèges aucun moyen d'acquéri r aucun droit. Lorsqu'un coll ège
possédait une propriété quelconque, c'était seulement parce que les dilTérents associés s'étaient réunis pour l'acquérir, et la situation des biens était une indivision existant
entre tous. En un mot, le collège ne pouvait pas avoir un
patrimoine distinct de celui de ses affidés.
Nous verrons comment on arriva à. donner les fonctions
juridiques aux personn es morales.
�-
25 -
et nous avons vu que
parmi ces collèges autorisés doivent forcément être comprises les sociétés ouvrières. D'ailleurs les empereurs étaient
trop bons administrateurs pour se priver des services des
populations ouvrières.
Mais une fois posé ce principe de droit d'association
pour les ouvriers, il faut se demander dans quelles conditions ce droit s'exercera? Sera-t-il absolu comme pendant
les deux. périodes qu e nous venons d'examiner , ou bien
au contraire sera-t-il restreint par la volonté impériale?
La forme seule du gouvernement dictatorial suffit à indiquer que les empereurs ne pouvaient pas abandonner leur
droit à s'immiscer dans la constitution et l'existence des
corporations. Pour les collèges déjà existants, on les laisse
subsister tels qu'ils sont, en se rèservant de les dissoudre,
au cas où ils deviendraient des réunions illicites; pour ceux
qui se form eront dans l'avenir , l'autorisation du prince
deviendra absolument nécessaire.
L'historique du droit d'association que nous allons
faire durant cette dernière période nous révélera toute
une série de dispositions prises par le pouvoir législatif ,
tantôt pour supprimer et restreindre la liberté, tantôt pour
réglementer l' organisation des corporations.
Et d'abord il faut remarquer qu'en dehors de toutes
les constitutions, édits et mandements des empereurs,
un sénatus-consulte paraît dominer la matière et être en
quelque sorte la loi organique de la liberté d'association.
Quelle en est l'origine et la date? il serait difficile de l'établir, mais il es t cité par Marcien dans la loi 1 § 1, L. 47,
« prœt.er antiquitus constituta
CHAPITRE III.
Dc8 collègc!t d'aa•tl8ao8 80U8 l' Empire
SECTION
1.
ll is t or i que.
On dit généralement que sous l'empire Romain la
liberté d'association fut su pprimée. Il faut expliquer le
sens et la portée de cette propositi on.
Il est certain que les empereurs , instruits par l'expérience, essayéren t de se prémunir contre les associations
qui , sous prétexte de réunion, avaient joué un rôle si néfaste pendant la triste et sanglante histoire des tro ubles.
Aussi ces réunions furent-elles dissoutes et leur reconstitution sévèrement prohibée. Dorénavant les textes conti endront sournnt l' exprebsion de collegia iUegitima. Mais si
certains collèges sont illégitimes, il va de so i que certains
autres sont autorisés et continuent à subsister. Les term es
mêmes de la lex Julia prouvent bien qu' Auguste permet
1' existence de certaines association s, car tous sont dissous
~,
�-
24 -
t. ?l~. et dans une autre loi au même titre, la loi 5 § 1.
Souvent aussi dans les inscriptions où des associations
sont mentionnées, on rencontre ces mots : « Quibus ex S.
C. coïre licet 11, et c'est ainsi notamment que dans une
longue inscription, découverte à Lavinia en 1816, et intitulée : « lex collegii salutaris cultorurn Dianœ et Antinoï 1> ,
l'acte de société est précédé dans cette inscription par un
article d' un sénatus-consulte : « Caput ex S. C. P. R. 1>
Les termes mêmes de cet article, à raison de leur généralité, prouvent bien qu' il s'agit d'une loi applicable à
toutes l ~s associations. Il est permis de croire qn e ce sénatus-consulle avait été rendu pour Rome seule, et que la
plupart des rescrits des empereurs eurent pour but d' en
étendre l'application dans les prov inces.
Etablir la portée de celle loi est malheureusement impossible, puisqu'elle n'est co nnue que par un ex trait
assez court, mais il est vraisemblable qu'elle ne fait qu e
poser les principes qu e nous venons d' énoncer et que tout
dans la législation impériale confirme.
A cô té de cette loi générale, nous voyons chaque empereur, selon ses tendances plus ou moins libérales, promulguer un document législatif pour se prémunir contre
les associations.
Après Auguste, Claude, à son tour, les supprime. Mais
sa décision nous prouve une fo is de plus que la haine des
empereurs pour les associations venait de la crainte du
droit de réunion ; c'est ainsi que par la même décision on
ferme les cabarets où se réunissent les buveurs, on défend de vendre de la viande cuite, on châtie les oontreve-
- ~?S nants Ce qui du reste démontre que la mesure de Claude n'était pas dirigée contre les corporations ouvrières,
c'est la théorie émise par quelques auteurs soutenant qne
cet empereur n'avait voulu viser que les associations de
1•
juifs ~.
Néron continue le système d'interdiction de ses prédécesseurs et se mootre à son tour sévère envers les associa..
tions qu'il confond avec les réuuions. C'est ainsi que
Tacite nous racoote qu'à la suite d' uo affreux carnage entre les habitants de Nucérie et de Pompeï, « Collegiaque
quœ contra leges instituerant dissoluta 3 • >
Sous Trajan, un fait raconté par Pline, indique bien que
la crainte des empereurs était surtout de voir des hommes
se réunir et occasionner à on moment donné des émeutes
et des séditions. Un incendie avait éc.laté à Nicomëdie,
alors que Pline était go uverneur de Bythinie, et avait causé
de grands dégâts. Celui-ci, pour éviter de pareils accidents,
avait donné des seaux et des tuyaux à la ville et songea à.
organiser un corps de pompiers; mais auparavant il en référa à l'empereur , en lui indiquant qu' on pourrait réunir
cent cinquante ouvriers, qu'il serait facile de surveiller
à raison de leur petit nombre. Trajan refusa, parce qu'il
se souvenait que la provin ce avait été autrefois factieuse,
et qu' il était dangereux de constituer une corporation quelconque, si peu nombreuse fut-elle"·
Dion Cassius, Hist. Rom. 606.
l\Iomsen, De colleg. § 11 .
3 Tac. Ann. 14., 17.
.1 Pl. op. X, ti2 ot 43.
1
2
�- 26 En somme toutes les prohibitions ne touchent à proprement parler que les associations qui peuvent faire craindre pour la stabilité du gouvernement impérial, exposé
plus que tout autre à succomber devant une révolution de
la rue. Mais en revanche les collèges d'ouvriers ne sont pas
soumis à des difficultés rendant leur existence impossible.
S'ils sont surveillés et si on empêche les nouveaux collèges
de se constituer, les anciens continuent à subsister, et les
empereurs, même ceux qui redoutent le plus la liberté
d'association, leur accordent des faveurs, Claude concède
des privilèges aux naviculaires, - les marins transportant
le blé à Rome - ; ils ont droit à une prime en cas de
voyage heureux, et à une indemnité en cas de naufrage.
Trajan lui-même règlemente le corps des boulangers.
Sous le règne d'A drien, les corporations semblent fort
en faveur. Cet empereur s'occupe dans ses voyages d'embellir les villes et il est accompagné par des cohortes d'ouvriers divisés en centuries.
Marc-Aurèle et Septime Sévère n'accordent aux ouvriers l'autorisation de se réunir que dans des cas très
restreints : a: Paucis in causis concessa sunt corpora i. J> Et
cependant ce dernier au t•>rise les collèges à recevoir des
legs 2 et leur donne la potestas manu,mittendi.
Alexandre Sévère va encore plus avant dans cette voie
favorable aux ouvriers : il crée des fabriques à Rome, il
accorde de grands privilèges aux marchands qu'il veut
1
2
Dig. 1. III, t. 4, 1. 1. p.
Dig. l. XXXIV, lit. v, 1. 20.
27 attirer 1 , il organise en collèges presque tous les métiers.
C'est l'époque où nous voyons le plus grand nombre de
corporations. Les inscriptions révèlent que dans toutes les
provinces les collèges d'artisans sont en pleine vigueur, et
dans le triomphe de Gallien, après le massacre de Byzance,
les associations d'ouvriers, avec leurs bannières, viennent
immédiatement après l'armée.
Deux faits, se reliant d'ailleurs de très près, sont la
cause de ce regain de faveur dont jouirent les collèges d'artisans. Le premier, c'est la diminution du nombre des esclaves lorsque les guerres cessèrent; car ils ne furent plus
alors fournis que par la naissance, sans compter que la
tendance à aiTrancbir les esclaves devint telle que l'on fut
obligé de prendre des mesures restrictives pour empêcher
les affranchissements. C'est à cette époque que furent portées les lois !Elia Sentia et Juriia Norbana. Ces affranchissements euren t pour elîet de jeter dans les rangs des sociétés omTières un grand nombre de membres , ét de plus
d'augmenter considérablement le nombre des prolétaires
-
â Rome.
D'autre part, l' histoire nous apprend que l'on avait pris
l'habi tude de faire des distributions de vivres au peuple.
c'était là un des moyens de gouverner des empereurs. Rien
n'est plus aimable que le peuple quand il a mangé. Or depuis la fin de la République, les prolétaires s'étaient très
facilement accoütumès à vivre aux frais de l'Etat ; les empereurs durent con tinuer ce système de distributions qui,
i
Lamp. Alex. Sov. 22.
�-
-
28 -
d'abord intermittentes, dev:tient devenir régulières. A côté
de ces distributions, l'usfge introduit des largesses, on distribue à la plèbe des vins fin s. Tibère, pour célébrer son
triomphe sur les Germains, fait dresser mille tables en
plein air, chaque convive reçoit soixante-quinze francs.
Néron jette du haut de la basilique Julia des billets donnant droit à des animaux, à des esclaves ou à des bijoux.
On comprend sans peine que ce peuple ainsi gàté serait
devenu furieux si l'on avait négligé de lui servir ses repas;
aussi le gros souci des empereurs fut-il de songer constamment à l'approvisionnement de Rome. De là les faveurs
accordées aux corporations d'ouvriers destinées à faire cet
approvisionnement, et voilà le double fait qui nous fait
assister à cette nouvelle splendeur des colléges d'artisans.
D'ailleurs cette splendeur ne fut qu'apparente et de
courte durée, car il est des faveurs dont on meurt. L'immixtion des empereurs devait forcément amener la ruine
des corporations. Nous avons vu le pouvoir pendant un
temps obligé de se montrer généreux envers les collèges
dont les circonstances lui avai t démontré la nécessité ,
mais toujours poussé par sa hain e des réunions, il vou lut
éviter les révoltes populaires en enrégimentant tous les
ouvriers dans les corporations et en leur sup primant la
liberté individuelle.
A celle époque, en effet, l'ouvrier devient l'esclave de
son métier, et nous savons que l'artisan ne peut, dans aucun cas se soustraire aux rigueurs de son état. Si las de
son existence misérable, il cherche dans la fuite un moyen
de se soustraire à cet esclavage, il est poursuivi, traqué et
29 -
obligé de venir reprendre ses chaines. A ce point de vue
notamment, les ouvriers des fabriques impériales sont
dans une situation réellement attristante. De même qu'autrefois dans nos bagnes les forçats étaient marqués au fer
rouge, pour éviter leur évasion, de même les ouvriers de
l'Etat portent un signe distinctif, qui permet de les rejoindre dans leur fuite. Ils sont marqués au bras avec un fer
rouge 1, et comme Je vêtement pourrait dissimuler ce stigmate, on imagine dans la suite de leur imprimer le nom
de l'empereur sur la main 2 , Des amendes très fortes sont
prononcées contre ceux qui cachent dans leur maison des
ouvriers fugitifs.
Ces malheureux ouvriers n'avaient pas même la libertè
du mariage. Il leu r était interdit d'épouser des femmes
étrangères a leur fabrique, et de même il était interdit aux
filles des ouvriers d' un métier, d'épouser d'autres hommes
que ceux qui avaient la même profess ion que le père.
Si l'on examine la situation des ouvriers faisant partie
des corporations nécessaires à la subsistance du peuple,
on se convainct vite que la situation qui leur était faite
n'était pas de beaucoup préférable à celle des ouvriers impériaux. Il est certain que ces corporations étai~nt devenues si nécessaires à l' existence même de l'empire, que
les empereurs devaient se montrer fort tyranniques à leur
égard pour éviter leur disparition. C'est un fait à constater que plus un gouvernement s'ébranle, plus il devient
Coù. Theod. liv. X, t. xxu, l. 4-, ann. 388.
2 Cod. Just. , 1. VI, iil. XLll, 1. m.
1
�-
50 -
despotique. Comme les autres ouvriers, ils ét.aient les esclaves da métier.
D'abord, au poiot de vue du recrutement, les afTrancbis
possédant au moins trente livres étaien t forcés par une 101
de l'an ?S68 de faire partie du corps des chargeurs. Et ceux
qui avaient commis une faute légére étaient enregimentés
dans la corporation des boulangers 1• Le fils d'un boulanger était fatalement, par sa naissance, destiné à la même
profession que son père. Celui qui épousait la fille d'un
boulanger, devenait aussi membre de la corporation et
le divorce même ne lui rendait pas sa liberté.
D'autre part une foule de lois nous apprennent que les
artisans cherchaient, comme les ouvriers des fabriques, à
se débarraser de ces servitudes par la fuite, et les empereurs donnent les ordres les plus sévéres pour ramener
les naviculaires, les boulangers et les membres de toutes
les corporations de Rome.
Enfin il est certain que les mêmes mesures étaient prises contre les membres des collèges libres. Chacun dans
l'éta t romain avait son poste qu'il ne pouvait pas déserter.
L'ouvrier était donc privé de sa liberté individuelle dans
une association qui elle-même n'était pas libre. Que pouvaient donc produire comme résultats économiques des institutions aussi mal conditionnées? Rien de bon, sans doute.
Un développement de l'industrie, qm peut-être aurait
arrêté la décadence de l'empire Romain, sans cependant
pouvoir empêcher son anéantissement et sa ruine au mili eu
l
Cod. Theod . IX, LX, 1. 9, ann. 368.
- 3t des invasions, ne pouvait être produit par des corporations
à qui toute liberté d'initiative était interdite et qui étaient
condamnées, de par la force des règlementations, à suivre
les errements de la routine, avec la crainte de disparaitre
d'un jour à l'antre et de voir leurs capitaux confisqués par
l'Etat.
Au point de vue de l'amélioration de la situation des
ouvriers, on forçait les artisans à embrasser telle profession plntôt que tell e autre, et on ne leur permettait pas
d'en changer. Or les principes de l'économie politique
démontrent qu e chacun doit se livrer au travail pour lequel
il a le plus de disposition, c'est le moyen d'obtenir de bons
ouvriers , aimant leur métier et s'y consacrant volontiers.
D'ailleurs ce qui à Rome devait toujours con tribuer à rendre très dure la situation du travailleur, c'était ce mépris
profond du travail que nous avons constaté pendant les
premières périodes de son histoire et que nous retrouvons
encore à la fin de l'empire.
Enfin et pour achever d'énumérer toutes les causes qui
amenèrent la disparition complète des associations ouvrières dans la ruine de l' em pire, il nous faut encore mentionner les lourdes charges que l'impôt faisait peser sur la
classe laborieuse.
La conséqueor:e des générosités des empereurs et de
leurs distributions devait être une fiscalité exagérée. Pour
satisfaire à des dépenses aussi considérables, il fallai t beaucoup d'argent et l'on s'en procurait en créant le plus grand
nombre possible d'impôts. Caligula et Vespasien mirent
une taxe sur quelques professions. Alexandre Sévère
�- 351 l'étendit à toutes les professions : c'était l'aurum negociatorium. Constantin augmente la liste des professions soumises à. l' impôt et taxe même les filles publiques et les
mendiants. C'est sous son règne que cette contribution est
complétement modifiée 4uand à la perception et prend le
nom de chrysargire, ou celui d'or lustral parce qu'elle était
perçue chaque lustre.
Le chrysargire, à raison de son mode de perception, fut
on impôt des plus durs. A l'origine il devait être perçu
tous les cinq ans, à chaque nouveau lustre , comme l'indiqu e le nom d'or lustral, sous lequel il est quelquefois
désigné dans les textes, mais en réalité il était payé tous
les quatre ans. Dès qu'arrivait le commencement de la
quatrième année, l'empereur rendait un édit par lequel il
en ordonnait la perception ; des collecteurs, choisis parmi
les artisans, Je repartissaient d'une façon arbitraire sans
doute, entre les contribuables. On ne connaît pas la quotité de cet impôt, mais il est facile de comprendre qu'il
devait peser trés lourdement sur les malheureux ouvriers.
Il est certain que celoi qui gagne sa vie au jour le jour ne
peul pas arriver à réaliser des économies, à se constituer
une épargne. Si tou s les mois ou tous les ans il est obligé
de donner une somme modique à l'Etat, il pourra, à la
rigueur, à force de sacrifices, arriver à se la procurer, mais
si pendant quatre a~s on ne loi réclame rien, et que dans
Je courant de la qaatriëme année on exige de lui une somme qualre fois plus forte, et surtout s'il lui faut la verser
en une seule fois entrt3 les mains du fi sc. il lui sera matérIBllement impossible de faire face à semblable exigeance.
,.... 53 -
Il cherchera à gagner c\u temps, mais le fisc impérial ne se
paye pas avec de bom~es raisons, il poursuit rigoureusement les mauvais payeurs, et c'est ee qui noas explique
pourquoi tous les autenrs constatent que la levée du chrysargyre amenait une misère éponvantable dans toutes les
villes.
Il y avait là, on le conçoit sans peine, une cause de décadence et de ruine pour l'industrie. Ceue décadence se
manifeste de la façon la plus évideote à l'époque où nous
sommes arrivrs, c'est à dire au commencement des invasions, le goùt disparait complétemcnt, les monuments,
rares d'ailleurs , qui datent de oetle période, sont faits sans
le moindre sentiment artistique, et bien que les documents
soient peu nombreux, nous savons que dans certaines villes
ouvertes, on construit des remparts pour se protéger des
barbares, avec les matériaux provenant des démolitions
des édifices publics.
D'ailleurs ce qui mieox que toutes ces considérations
doit nous convaincre de la précarité de la situation dans
laquelle se trouvait la société romaine, c'est le fait économique qui nous est dévoilé par diverses inscriptions. Il
résulte en efiet d'une inscription découverte à Stratonicée
que Dioclétien rendit une ordonnance pour fixer Je prix
des différentes denrées et Je salaire des ouvriers. Cela nous
prouve que l'argent avait à ce momen t-là. acquis une valeur
considérable. Or l'argent n'étant qu'une marchandise
qu'on échange contre d'autres, si sa valeur augmente,
c'est que les autres marchandises sont en excès. Le tarif
�-
-
3.f.-
établi par Dioclétien était imposé à peine de mort pour
les contrevenants. Il y eut des nombreuses exécutions
qui ne produisirent qu'un seul résultat augmenter encore
la cherlé des denrées.
Les mesures qui furent prises à cette époque contre les
usuriers témoignent encore de l'augmentatlon de valeur de
.
l'argent.
Ce qui enfin devait porter le dernier coup aux ouvriers,
pour qui nous l'avons vu la corporation devient dans le
temps de misère une gêne et une prison en fai sant baiss~r
les salaires, c'était incontestablement la période d'anarchi e
que devait subir l'empire romain avant de disparaître. La
guerre civile éclatant partout devait forcément accentu er
la misère. La crainte des barbares fit le reste.
Les membres des corporations ouvrières, qui avaient
toujours essayé de se soustraire à l'asservissement croissant, abandonnèrent les cités et s'enfuirent dans les
champs. C'est en Yain qu' en 400 Honorius rappelle dans
les cités les fu gitifs. Les associations qui remontent à l'origine de Rome avaient cessé d'exister tout comme l'empire
Romain allait disparaitre elTondré au milieu des invasions.
55 -
SECTION
II.
Vie intérieure des collèges.
Après avoir érudiê les difTérentes phases par lesquelles
passèrent les collèges et les rôles qu'il s jouèrent dans la
vi e politique et économique de la société romaine, il est
intéressan t de rechercher la façon ùont ils se constituaient,
leu r mani ère d'être, les rapports existant en tre les divers
membres de l'association, en un mot d'étudier leur vie intérieure.
Au point de vu e de la constitu tion, il est utile tout
d'abord de remarqll er que les corporations ètaient organisées à l'instar des ci tés. Nous verrons en effet que de nombreuses analogies existent en tre l'admini stration municipale et celle des collèges. D'ai lleurs Gaius lui-même constate le fait: les associations sont constituées « ad exemplmn reipublicœ 1• Elles formaient ea. quelque sorte des entités parfaitement régulières dans l'entité de l'Etat.
1. - Comment se formaient les collèges?
Nous avo ns vu que la crainte des réunions nombreuses
et dangereuses avait amené les empereurs à ne laisser
l
LI, III, 4, D1g.
�-
-
56 -
subsister que les associations autorisées. Pour qu'un c0llège pùt se former, il fallait d'abord et avant tout l'autorisation impériale, qui n'était accordée que paitcis in causis .
Cette autorisation avait au reste un avantage: c'était en
quelque sorte l'acte de naissance révélant l'apparition ou
mieux la création d' une personne morale appelée à avoir c t
à exercer des droits, car nous verrons plustard que la conception des personnes morales avait enfin été comprise
par les Romaios et que les collèges étaient de véritables
personnes morales ayant une vie juridique.
Qui dit association, suppose au moins la réunion de
deux personnes. Pour une société c'est suffisant. Donner
le nom de corporation à. une semblable société semblerait
actuellement une extension trop excessive du sens attaché
au mot. Les Romains l'avaient bien compris, et alors que
deux personnes suffisaient pour constituer une société
civile, il en fallait au moins trois pour un collège : « Neratius Priscus tres facere collegium existimat ; et hoc maxime sequenduni 1• 1>
Pour obten ir l'autorisation impériale, on s'adressait dans
les provinces au go uverneur, qui en référait à. l' empereur;
l'exemple de Trajan, que nous avons cité, nous renseigne
sur cette procédure; à. Rome les d emand~s étaient présentées par le préfet de la vill e qu i les transmettait à l'empereur. Les associations étaien t au torisées tant par décrets
que par sénatus-consultes ou constitutions impériales.
Le collège une fois formé était libre de se donner sa loi
intérieure, et l'autorité administrative n'intervenait pas
dans la CO[lstitu tion de l'association, qui avait le droit
absolu de rédiger la charte de ses droi ts et de ses obligations. Cependant il est certain que ce droit si absolu
était limi té, comme il conv ient du reste, à la liberté d'autroi : « /lis autem potestatem facil lex pactionem quam velint
sibi ferre dum ne quid ex publica lege corrumpant 1 ]) ; tel est
le principe que nous avons déjà signalé.
Une difficulté s'est élevée relativement au point de savoir de quelle façon cette charte intérieure était votée.
Fallait-il le consentement unanime de tous les membres
de la corporation, ou bien au contraire snffisait-il d'une
simple majonté? Chacune des deux opinions est appuyée
sur des textes. Il y a même à. ce sujet quelques systèmes
mixtes. Les nns veulent que les règlements des collèges
n'aient pu être réd igés qu'à. l'unan imité des collegia ti, el a
preuve c'est que toutes les inscriptions portent C[ placuit
universis. >
D'abord on peut pour réfuter cette théorie faire remarquer que les inscriptions dont il s'agit se réfèrent presque toutes it des mesures qui devaient avoir été prises à
l'unanimité, à raison même de leur sujet. Elles s'appliquent
en effet pour la plupart à l'élévation de statues soit aux
dieux protecteur de collèges, soit aux patrons ou clefmsores dont nous verrons l' institution . D'ailleurs il se peut
1
1
L. 85, D. 50, 16.
57 -
Dig. L. IV, 1.7, :H.
�-
58 -
que justement cette unanimité ne se soit trouvée que sur
la pierre, car la raison indique très nettement que pour
peu que la corporation fut nombreuse, il est bien difficile
de pouvoir, pour tontes les décisions, réunir l'unanimité,
tant l'esprit de contradiction est naturel à l' homme.
D'autres interprètes ont voulo, par analogie avec les
décurions dans l'organisation municipale , croire qu' il
fallait la majorité des deux tiers des membres présents.
Rien ne permet celle assimilation un peu trop libre, d'autant que les décuri o11s étaient un pouvoir représentatif dans
une société ordonn ée. Qu elques-uns enco re ont voulu admettre que tantôt l' unanim ité élail nécessaire et tantôt la
majorité suffisait. Celle disLinction ne se justifie par aucnn
texte et doit être rejetée.
Quant à nous, nous reportant. au texte formel dn Digeste : « Refertur ad universos quod publice ftt per majorem
partem 1• -o Nons admeLLons que la majorité faisait la loi,
ce qui d'ailleurs est assez vraisemblable dans le pays où
nous avons puisé notre régime parlem entaire.
Les statuts devaient évidemment se préoccuper d'abord
du mode de recrutement du coll ège. Au point de vue des
conditions relati ves aux personnes, nous savons d' un e part
que pour appartenir à un collège il fallait ne faire partie
d'aucun autre 2 , et d'autre part que les esclaves ne pouvaient faire partie que des collèges tenuiorum et encore
devaient-ils rapporter l'autorisation de leurs maitres.
1
2
Dig.1. 160, 1. L. p.17.
C. Th ., X, '22.
-
59 -
Ceci nous prouve que la corporation ne se recrutait pas
seulement par l'origine et la naissance, nous savons en
effet que l'origo est le principal mode de recrutement du
collège. Etant donnée l'importance des corporations dans
l'économie de la société romaine et leur assimilation à de
véritables fonction s publiques, on comprend sans peine
que pour assurer le service de ces fonctions on enrégimentait de force les enfants des collegiati. li est certain d'autre
part qu e ces enfan ts commençaient très jeunes l'apprentissage du métier, Les tex tes nous parlent d'un jeun e esclave
de douze ans très expert et très habile dans l'art de la
joaillerie. Une fois l'apprentissage terminé, l'enfant faisait
partie du collège. Nous avons vu d'autre part, dans la
première parti~ de notre étude que l'origo ne résultait pas
seulement pour les coUegiati de la naissance, mais que
pour les bo ulangers notamment, le fait d'épouser la fi ll e
d' un boulanger suffisait pour être incorporé.
Quant aux modes de recrutement volontaire, les textes
sont muets à leur égard, mais il est vraisemblable que l' on
pouvait être admis en vertu d'une sorte d'allectio, vote du
collège. D'ail leurs, en examinant les divers magi trats qui
administraient les corporations, nous verrons qu e les fon ctions de curatores consistaient surtout à faire une enquête
pour savoir si les membres qui se présentaient à l' élection
étaient ou non membres d'un autre collège. Les curawres
devaient aussi obtenir l'autorisation des maîtres des esclaves. Cela prouve bien que des membres pouvaient se présenter pour faire partie des collèges.
Le pouvoir administratif pouvait aussi à. son gré ouvrir
�- 40 les rangs d'un collège à qui bon lui semblait. Livie oblige
Tibère à faire inscrire une de ses créatures 1• D'autre part
nous avons oot~ àt\ passage que pour certaines infractions
on rondamne les artisans à entl'ét dans la corporation des
pisiores.
Enfin , comme malgré toutes ces dispositions le recrutement était parfois difficile, on autorisait les collèges à s'adjoindre tous ceux qui étaienl vacui officio publico 2 •
II. - Comment s'administraient les coll~ges?
C'est surtout au point de vue de l'administration et des
charges de magistrature que se remarque la ressemblance
que nous avons signalées entre les collèges et les municipes. La raiso n en est faclle à comprendre et à trouver :
les corporations en eITet dont l'origine nous le savons es'
fort ancienne, ont dû forcément se modeler sur les seul es
personn es morales qu'elles voyaient autour d'elles, c'està-di re sur les cités. On peut aisément diviser le coll ège en
deux classes distinctes : l'ordo, comprenant les divers fon etionnaires, et la plebs.
L'ordo comp renait les administrateurs, et nous allons
voir que nous y retrou verons les mêmes dénominations
que parmi les magistrats mun icipattx.
D'abord une première ressemblance est à noter : les
magistrats des corporations étaient nommés par toute la
in Tibor. li.
2 Cod . Th. boi ô, ~ 39.
1 Suétone,
- 4i corporation réuni e ; nous savons même à cet égard que
le fils pouvait donner son suffrage à son père, et inversement. Or il est certain qu'à l'origine le peuple du muni-cipe nommait lui-mème se~ dignitaires. Que si plus tard
c'est la curie municipale qui a seule ce droit, cela tient ace
que les décurions acquirent dans l'ordre politique une influen ce que les décurions industriels ne purent jamais
obtenir.
Dans les collèges il y avait en effet des décurions. Dès
qu'une association devenait puissan te et nombreuse, elle
se subdivisait en un certain nombre de centuries et à la
tête de chacune se trouvait un décurion. Une inscription
en attribue douze au coll ège des {abri de Lorici 1 • Les collèges d' Apulum, de Sextium et de Salone avaien t leurs
décurions. Quelles étaient les fonctions de ces magistrats?
Il est vraisemblable que leurs attribu tions devaien t être les
mêmes que celles des décurions des villes, ils devaient surtout surveiller les finances de l'association et statu er sur
les comptes qui leur étaient soumis. Nous savons par
les iuscrîptions qu e leurs décisions portaient le nom de
décrets ci.
A côté des décurions on trouve quelquefois dans les inscrip tio ns le nom de principales. Etait-ce là une magistrature
particulière et fau t-il vo ir la les chefs de la corporation.
Cela se pourrait mais il semble plus vraisemblable de
croire que cette épi lhè.le servait à désigner les décurions
1
2
Orelli, 4·055.
Corp. Berol. Ill, 5659.
�-
42 -
par oppos1tion à la plebs. Notre opinion se fonde sur ce
que dans le droit municipal tous les textes relatifs aux
principales sont assez difficiles à expliqu ~r et qu'on admet
généralement aujourd'hui que les principales dans les municipes représentaient ce qu'on pourrait appeler les notables.
On rencontre aussi, tant dans les collèges que dans les
municipes des duumviri et des qttatuorviri, dont il est difficile de détermin er les attribu tions, des édil es â. qui vraisemblablement étai t réservée la garde des monuments appartenant à la corporation, des quinquennales, dont les fonctions correspondaien t à celles de censeurs, et qui évidemment devaient être les personnages les plus importants du
collège. On parle effectivement d'un certain Claudius Chresimus, quinquennalis de la corporation des dendrophores de
Rome, qui fit des largesses aux corporati ob honorem quinquennalitatis 1 • Et de plus, pendant toute la durée de sa
charge, le quinquennalis , qui prenait une part double dans
les distributions fa ites au collège, était immunis a sigillis,
exempt de tou te cotisation.
Les wratores étaient chargé:; de \'administration du patrimoin e du collège, tout comme les curatores reipublicœ,
avaient pour mission de placer les capitaux, de surveiller
les travaux des villr.s . D'ailleurs nous avons vu qu'ils
avaient un certain contrôle à exercer sur les admissions.
En étudiant le rôle juridique des collèges, nous verrons encore les actores et le syndicus.
Enfin les questeurs étaient chargés de faire rentrer les
1
Orolli, 4074.
45 -
cotisations et de garder les fonds de la caisse commune,
arca communis , d'où Je nom d'arcarii qu'on leur donne
souvent.
En dessous de ces fonctionnaires de l'ordre supérieur,
qui à eux tous réu nis composaient l'ordo, nous trouvons
des emplois subalternes. Toutes les corporations avaient
en effet des soribœ ou tabularii, qui rédigeaient les procèsverbaux et gardaient les archives.
Tels élaient les différenls magistrats qui se partageaient
l'admin istrati on des collèges. Pour être complet sur ce
point, il faut in diquer que les ouvriers des fabriques impériales avaient eux aussi une organisalion spéciale. Ils
étaient sous la direction d'un magistrat qn'on appelait
tan tôt prœfectus, tantô t magister , tantôt encore primicerius
ou secundicierus. Sous le Bas-Em pire il n'est pas rare de
trouver des chefs d'ateliers gralifi és du titre de comte.
Parallèlement avec ces magistratures, que nous pourrions qualifier administratives, on trouve une sorte de
magistrature judiciaire, sur laquelle les renseignements
sont peu nombreux et qu'il serait cependant intéressan t
d'étudier. Lampride raco nte qu'Al exandre Sévère donna
des juges aux corporation, qu'ils avait créées 1 . De plus,
un e co nstitution d' Anaslase défend aux artisans el aux
marchands de décl iner la compétence de ces juges particuliers : c ,td quos earnm professionmn seu negotialionum
cura pertinel. » Ne serait-ce pas là l'origine de nos tribunaux de commerce et des prud' hommies?
1
Lamp. in Alo>... Sov. c. 33.
�-
44
~
Il ne nous reste plus, pour en avoir fini avec l'administration des collèges, qu'à signaler la tendance qu'ils
avaient tous à se ranger sous la protection d'un homme
illustre qu'on appelait patronus. Cette habitude des collèges, d'ailleurs empruntée encore aux usages des ci tés et
même des simples particuliers, se conçoit et 8'explique
très facilement. L'histoire du droit nous montre en effet
la création des patronicia vicorum, destinées à protéger dans
les temps de troubles les faibles contre les forts. Le patronage des corpo rations a certainement une raison analogue.
Pour lutter efficacement con tre les rigueurs du pouvo ir cen tral, un e, ou quelquefois plusieurs corporations,
- les inscrip tions parlent en elîet d'un certain Méléagre
de Lyon, patron de tou tes les corporations 1, - se fai saient protéger par un homme puissant par sa fortune, son
talen t ou ses all iances. Le rô le de ces patrons, qui du
reste ne s' ingéraient jamais dans les détails de l'administration des collèges, consistaient uniquement adéfendre les
intérêts de la corporation et ses privilèges ; généralemen t
il faisait de grandes largesses en argent ou en nature, et
ces liens d'une clientèle de nouvelle forme rattachaient aux
ouvriers la famille tout entière du patron : on devenait
pater, mater, filia collegii. Les femmes elles-mêmes pouvaient être patronœ , et les résultats de ces liens de patronage étaien t tels que le pouvoir impérial, qui sévissait très
1
OrBll. 194, 4109 .
- 4?> fortement contre les patronicia viœrum, essaya, sans pouvoir y r.irriver, de réprimer les patronages des collège:; 1•
III. -
Quelle
~tait
la vie intérieure des coUèges?
Les collèges ne s'occupaient-ils que des intérêts généraux de la profession et avaient-ils pour but unique d'améliorer la condition des dilîérenls corporati? En un mot, les
liens qui unissaient les membres de ces associations
étaient-ils purement professionnels, ou bien au contraire
y avait-il des intérêts communs d'un autre genre? Nous
pouvons tout d'abord répondre à cette question qu'une
idée reli aieuse rattachait les uns aux autres tous les membres d'un même collège. Nous savons en eITet que toutes
les corporations avaient un culte pour une divinité particulière , et c'est ainsi par exemp le que les dendropbores
ou les coupeurs de bois s'étaient placés sous la protection
de Sylvain, dieu des forêts, et leur attachement à ce dieu
était tel qu'après l'établissement du christiaoisme, on
eut grand peine à les faire reooncer à leurs pratiques
païennes 2 •
A raison même de ces cultes spéciaux, nous savons que
les corporations se réunissaient pour offrir des sacrifices à
leurs divinités. Ces réunions avaient généralement lien
pour la fête du dieu; elles étaient précédées de jeux dont
on a gardé le souvenir grâce aux inscriplions ; les lttdi
l!)
l
L. '1, 2, C. Th. De navibus non
2
L. 20, C. Th. 16, 10.
excùsandi$.
�-
46 -
pisca1orii se faisaient chaqoe année avec une très grande
solenni té. Tous les ans les tubicincs se réunissaient dans le
temple de Jupiter Capitolin.
Ces fêtes religieuses étaient l'occasion de grands banquets qui dég~néraient toujours en orgies.
Il y avait d'autres or.casions de se réunir. Nous avons vu
défiler en elTet dans le co rtège qui attend Gallien, après
son expédition de Bizance, toutes les corporations avec
leurs bannières en tête. C'est donc qu'elles avaient l'habitude de se mêler aux manifestations de la vie publique.
Enfin réunis, les ouvriers avaient aussi au cœur le noble
culte des morts, qu'ils professaient tous isolément. A certaines époques déterminées, les collèges se rendaient
processionnellemen t sur les tombes des membres décédés
pour y déposer des fleurs, c'était la fête des rosalirz, pieux
et touchant usage qui s'est perpétué jusqn'à nos jours.
En ce qui co ncernait les intérêts mêmes de la société il
est évident que des réunions avaient lieu assez fréque~
m~nt'. a~ point même d'inspirer des craintes au po uvoir
qui limite ~ e nombre <les assemblées à douze par an,
une par mois 1 • Ces assemblées avaient lieu à jour fixe
dans u.n local spécialement aITecté à cet usage et qu'on
appelait .se.hala. Au point de vue des décisions à. prendre, il
semble ev1dcnt qu'elles devaient êtres prises à Ja majorité,
tout comme pour la nomination des dignitaires. Les scribes inscrivaient les délibérations qu'ils dataient par les
- 47 noms des consuls de l'année. Quelquefois les collèges formulaient des vœux qui étaient soumis à l'empereur qui
y faisait droit; c'est ainsi qu'on trouve des constitutions
rendues ad decretum naviculariorum.
Après avoir ainsi examiné l'organisation des collèges,
diverses questions se présentent à l'esprit.
Les corporations jouissaient-elles de monopoles, comme
devaient en avoir plus tard au Moyen-Age les maîtrises et
les jurandes? Rien ne permet de supposer un tel état de
choses. Il est bien évident que pour les professions relatives
à l'approvisionnement de Rome, il y avait en quelque
sorte un droit exclusif accordé aux collèges; c'est ainsi
que notamment nul ne pouvait se passer du ministère des
décbargeurs pour transporter ses denrées du port jusque
chez lui 1 • Mais c'était là. un privilège accordé pa.r les empereurs pour assurer Je recrutement d'une corporation
nécessaire, recrutement qui du reste était assez difficile,
puisque pour l'assurer les empereurs sont obligés d'inscrire d'office tous les a!Tranchis possédant au moins trente
livres 2 •
Quant aux professions libres, on ne trouve rien de emblable, et il était réservé à la féodalité de renc,;bérir encore
sur la fiscalité des empereurs Romains, qui n'avaient pas
songé à vendre à. prix d'or des monopoles qu' ils étaient
quelquefois obligés de concéder gracieusement.
D'ailleurs il faut rendre cette justice aux empereurs que,
Co<l. Thood. Liv. XIV, lit.XXI, l. •I, ann. 364.
2 Cod. Theod. Liv. XIV, tit. 11 , l. 9, ann. 368.
l
1
L. 1, D. 47, 22.
�-
48 -
soit dans un but intérossé pour attirer les 0uvriers, soit
au contrairt1 avec l'intention plus élevée d'encourager le
développement de l'industrie, ils ont prodigué les privilèges à la classe ouvrière,
Les membres des corporations étaient dispensées de la
tutelle, sauf pour les enfants de leurs collègues 1•
Arcadius et Honorius accordent l'immunitas a. tutela aux
naviculaires de Rome 2 , et une constitution de 554 étend
cette immunité aux naviculaires d'Orient. Les pistores
jouissaient de la même faveur et n'étaient même pas astreints à la tutelle des mineurs rle leur corporation 3 •
Dans certains cas le jus libtrorum était concédé aux corporations. Claude l'a,·ait accordé aux constructeurs de
navires 4, et étant donnée la facilité avec laquelle celte
faveur était accordée, il est vraisemblable de supposer
qu'elle fut étendue à d'autres collèges.
En matière judiciaire, les empereurs, par des rescrits,
autorisaient qu elquefois les plaideurs à. assigner leurs adversaires devant des juges qui n'étaient pas ceux de la
compétence du domicile. Constantin décida que pour juger
des contestations civiles contre les naviculaires, les juges
ordinaires seuls seraient compétents 5 • Cette f:tveur pour
les naviculaires s'explique très bien ; ils ne pouvaient pas,
Dig. ~7, XMVIL L
Cod. J. 24, V, 62.
3 D. 41, § 3, XXVII, 1.
1 Suet. in Claud. C. 18 ot ~ 9.
6 Cod. Th. 1, 1. 9, 1. ~.
l
2
- 49 eux dont la route était limitativemont tracée, se déplacer
et aller sonvent très loin pour faire juger leurs litiges.
D'ailleurs, cle toutes les corporations, à raison même
des services qu'ils rendaient à Rome en apportant le blé,
les naviculaires étaient les plus favorisés; c'est ainsi par
exemple qu'au cas où l' un des membres de celte profession
était poursuivi criminellement, il n'était pas soumis à la
torture.
Un des privilèges les plus appréciables pour les corporations était la dispense du service militaire. Cette dispense
fut établi e par une novelle de Théodose II et de Valenti·
nien III rendue en 440.
Enfin pour en termin er avec les privilèges accordés aux
collèges, il nous reste à ignaler l'i mmunité des fon ctions
municipales. On sait comb ien pénible était la charge des
décuri ons et combien diffici le était leur recrutement, pour
y parvenir on avait été oLligé d'y astreindre tous ceux qui
possédai ent une certain e fortune. Cependant on admit
hientôt l'immunité pour les naviculaires, et plus tard on
étendi t ce bénéfice à toutes les corporations. Seulement il
faut remarquer que la ~u alité de collegiatus ne procurai t
l'immunitas qne a munere uon suscepto 1 , et qu'une foi entré dans la curie on ne pourn1t pas en sortir par le fait de
l'incorporation à un collège . Comme ce bénéfice de l'immunité avait donné lieu à de nombreuses supercheries de
la part de personnes ri ches, qui se fais:iient admettre dans
l
D. L. 5, H, 1. 6.
�- 50 une corporatien uniquement dans le but de se décharger
des fonclions municipales, les empereurs eurent soin de
limiter le privilège à ceux qui faisaient réellement partie
de la corporation 1 •
Une autre question se pose. Les corporations avaientelles pressenti la force de l'association au point de vue des
institutions de bienfaisance? Aujourd'hui les corporations
ouvrières ont en effet compris tout le parti qu'elles peuvent tirer d'une sage administration de nombreuses co tisations : partout se forment des caisses de défense pour les
grèves, des caisses de secours, des caisses de retraite. En
un mot on cherche à retirer de la collectivité des avantages
pour chacun individuellement. Cette idée-là s'était-elle
développée à Rome? Au point de vue de la manifestation
extérieure et des form es de ces institutions, on peut hardiment répondre non. Cependant nous croyons que le germe
de ce progrès se trouve dans les collèges que nous venons
d'étudier. Nous avons vu que les corporations romaines
avaient un culte particulier pour leurs morts. Ce culte leur
avait inspiré l'idée d'acheter sur les fond s communs des
terrains pour la sépulture de leurs morts. Cette idée se
répandit vite et nous voyons des associations se fonder dans
1e but unique d'assurer une sépulture aux divers affi liés.
C'est so us la forme de semblables associations que les
premi ers chrétiens se réunirent pour détourner les soupçons des empereurs.
l
Dig. L. 5, 12, 1. 6.
-
~i -
Les corporations étaient-elles fermées et ne pouvaientelles recevoir que des membres exerçant la même pro.on ?. C' est l'a une question fort intéressante et que nous
f ess1
retrouverons dans l'étude du droit d'association dans notre
société moderne. Mais alors que nous déciderons que nous
croyons que les collèges ouvriers doirent être ouverts et ne
peuvent pas, à raiso n même de la difficullé de classer
les diverses professions dans des associations spéciales
être exclusifs d'une profession; il semble que dans les
collèges de la société romaine, la solution contraire était
seule admise. Cela se Cùnçoit d'ailleurs aisément dans
une société où chacun avait son rôle déterminé. Mais
si en fait chaque corpus ne comprenait que des membres d'une seule profession , en droit rien ne s'opposait à ce que diverses corporations se réunissent en une
seule. Des exemples nous so nt parvenus qui nous prouv~nt que ces associalions générales se produ isaient quelquefois et nous savons que dans certaines villes où les
collèges ne disposaient pas de ressources suffisantes, tous
les métiers relatifs à une même industrie se réunissaient
pour former un e seule. corporation puis3ante et riche.
C'est ainsi que dans divers cas tous les ouvriers du bâtiment constituaient une seule corporation .
IV. - Comment se dissolvaient les corporations?
La personne morale une fois établie vit d'une existence
distincle de chacun des membres qui la compose, et ceux-ci
venant à disparaître olle se reconstitue immédiatement
par des éléments nouv~ux, et comme elle a uo rôle assi-
�- !S2 gné dans l'organisme intérieur de la société, il semble
qu'elle doit se perpétuer toujours. Cette conséquence avait
été si bien comprise par l'esprit juridique des Romains,
que les jurisconsultes qui exigeaient l'existence de trois
personnes au moins, pour la constitution d'un collège,
reconnaissaient que la corporation continuait à subsister
tant qu'un seul de ses membres vivait.
Cependant, de même que les personnes morales ne
devaient leur existence qu'à. la vo lonté de l'autorité, de
même il devait suffire d'une volonté contraire pour les
faire disparaître. Les empereurs, dans leur absolutisme ,
supprimaient des cités et faisaient labourer le sol pour
qu'il n'en restâ.tancun vestige, à. plus forte raison pouvaientils anéantir un collège. D'ailleurs telle éventualité pouvait
se produire amenant la suppression d'un collège en faisant disparaître le but même du collège. Dans ce cas-là.
dans quelles conditions se liquidait l'actif social?
Un texte parle de distribution par part égale, entre tou s
les affiliés, du ca.pital au cas de dissolution d'un collège illicite. Cette décision s'étendait-elle à tous les collèges .
Nous ne le pensons pas. Il ne s'agit en effet dans l'espèce
visée qu e d'une société illicite dont l'existence n'a jamais
été reconnue et qui dès lors n'a jamais eu une personnalité distincte de cell e de ses membres. Quant aux collèges
autorisés, au contraire, ils ont eu une personnalité. Les
biens qui leur sont advenu s ne sont pas la propriété des
membres du collège, mais forment au contraire le patrimoine de la personne morale. Si cette personne morale
- ?S5 vient à. mourir, son patrimoine doit se transmettre suivant
les règles ordinaires de transmission des hérédi tés ; or aucune loi ne prévoit la dévolution de ce patrimoine aux
associés, il faut donc s'en rapporter au pripcipe général
qui régit la matière. Lorsqu'une personne meurt intestat,
sans hériti ers, la succession en desbérence appartient à.
l'Etat. Ici donc, puisque nous nous trouvons dans cette
situati on, c'est évidemment le fisc qui devient propriélaire
des biens délaissés par la personne morale.
Est-ce à dire que les corporations ne pouvaient pas
échapper à un résultat aussi fàcbeux qu'injuste? Non certes, à. notre avis du moins. Il y avait évidemment un moyen
pour l'éviter, c'était d'indiquer dans les statuts à qui devaient revenir les fonds de la corporation dissoute. Il est
certain que dans ce cas les biens revenaient alors à ceux des
affili és encore ex istants, et cette solution est bien plus rationnelle, puisque ceux-là qui avaient contribué à mettre
les biens dans le patrimoine de la société, pouvaient un
jour obtenir la restitution de ce qu'ils avaien t fourn i.
�-
54 -
SECTION
Ill.
Situation juridique des roUèges
Nous avons vu , en nous préoccupant de leur dissolution,
que les collèges avaient, sous l'Em pire, une personnalité
morale absolument disti ncte de la personnalité in dividuelle
de chacun de leurs membres. Si nous voulons expliquer cette
proposition, nous dirons que le collège avait des droi ts
séparés de ceux des individus qui le composaient; il avait
un patrimoine à lui propre qu'on ne devait pas regarder
comme indivis entre les membres. Il pouvai t être créancier et débiteur sans que les divers associés eussent le
droit de réclamer les créances, ou fussen t de rien tenus ;
bien plus, il se pouvait qu'il fut créancier ou débiteur personnel des affiliés. De cette façon nous com prenons sans
peine l'idée un peu abstraite de la perso nnalité morale.
Comme toutes les idées de ce genre, comme toutes les
conceptions de raison, il était impossible que le droit
Romain créât la théorie des personnes morales composée
de toutes pièces. D'ailleurs plus qu e dans aucune autre
législation naissante, l'espri t essentiellement matérialiste
des jurisconsultes Romains devait se refuser à. admettre
cette théorie. Comment en eITet aurait-on pu songer à
-
~ :>
-
accorder des droits à un être n'existant pas, ne pouvant
dès lors ni posséder ni être propriétaire, puisqu'il ne pouvait avoir l'animus possiàendi? Comment une entité morale
pouvait-elle, sous Je régime des actions de la loi, exercer
ses droits, puisqu'elle ne pouvait pas venir comparaitre
en perso nne devant le magistrat et prononcer les paroles
solennelles.
Cependant et dès l'origine nous trouvons une personne
morale : l'Etat. Dans une société organisée comme la
société romame, où l'on considérait l'Etat comme seul propriétaire des terres, il fallait évidemment admettre que le
patrimoine de l'Etat était distinct de celui des citoyens.
Aussi voyons-nous, dès la période la plus ancienne l' idée de
la représentation en justice de l'Etat admise, et c' est ainsi
qu' il était permis, sous le régime si rigoureux des actions
de la loi, d'agir pro populo.
Plus tard, et le besoin s'en faisant sentir, on finit par
étendre cette idée aux collèges. L'époque où ce progrès se
produisit est difficile à déterminer, mais il e~t vraisemblable que c'est sous l'Emp i r~ seulement. Nous examinerons
comment cette idée finit par triompher de la répugnance
du droit Romain contre la représentation.
C'est sous l'Empire en efiet que nous trouvons la néces·
sité d'une autorisation préalable pour l'existence des corporations. Cette autorisation, le jus weundi, entretenailelle forcément la personnalité juridique? Une discus ion
s'est élevée sur ce poin t et l'on a di t que ces deux droits,
évidemment distincts, ne devaient pas se confondre, et que
généralement lejiis corpus habere devait faire l'objet d'une
�-
-
56 -
décision séparée. Nous ne croyons pas qu'il en soit ai nsi
et nous estimons qu'en autorisan t la création des collèges
les empereurs leur acco rdaient en même temps l' exercice
des droits juridiques.
Quels étaient ces droils juridiques, c'est ce qui nous
reste à clétermi r.r.r ponr ache,•er cette étu de. D'abord il est
bien éviden t qu'il ne saurait être question des droits ùe
fam ille, et d'autre part, puisque la personnali té juridique
est une concession du pouvoir, cette concession peut êlre
limitée par le pouvoir. Les empereurs l'ont quelqucfoi
étendue, mais ne l'on t jamais réduite.
De la Propriét é.
Il est certain que le dro it prim ord ial qui devait être concédé aux collèges c'était le droit de propriété. Il faut donc se
demander commen t les personn es morales pouvaient acquérir ce droi t. Pour cela nous allons successivemen t examiner les divers modes d'acqu isition de la propriété.
1. - A/odes d'acquisition entre vifs.
Parmi les modes d'acquisition de la propriété entre vifs,
il en est trois qui reposent sur la possession , ce sont l'occu pation, l'usuca pion et la trad ition ; il faut don c, pour
savoir si les personnes morales peuvent acquérir par ces
modes, se deman der si la possession leur est accessiulc.
o7 -
La possession suppose la coexistence de deux éléments
essentiels, le corpus et l'animus , c'est-à-dire la détention
matérielle et la volonté d'acquérir. La personne morale ne
peut évidemment pas avoir l'animus et par conséquent,
dans la riguaur des prin cipes elle ne peut pas posséder.
Ces prin cipes devaient fléchir devant les nécessités de
la vie pratique et Paul rapporte une controverse entre
Nerva et d'autres jurisconsultes. Nerva soutenait qae les
cités acquéraien t la possession des choses que leurs esclaves
faisaient entrer dan s leur pécule 1 . Les autres soutenaient
avec beaucoup de logique que les cités ne pouYaieol posséder par leurs esclaves, puisqu'elles ne pouvaient pas
même posséder des esclaves. Cependant on finit par donner une entorse à la logique, el Ulpien, contrairement à
Paul, décide que : «Er pvssidere et usucapere possiut municipes ; idque eis et per servmn et per liberam personam adquiratur 2 • » Et ailleurs il ajoute que ce qui a été dit des
cités doit s'entendre oussi des collèges et des corporations:
3
e1. Idem et in collegiis ceterisque corporibus dicendum erit • »
Per servum, il entend que l'esclave, peculiari causa, peut
posséder pour la corporation, et per liberam personam, il
fait allusion au syndic, qui sans avoir reçu de mandat, peut
acquérir pour le compte de celui dont il est le mandataire.
Il est à remarquer d'ailleurs que celle théorie est comD. XLI. ~- 1. I, 22.
D. XLI ,~. l. 2.
:i L. 7, § :3, D. 10, \,.
1
2
�-
-
58 -
mune au tuteur et au mandataire. L'enfant, en eITet, ne
peut pas plus quo la personne morale manifester l'intention d'acquérir, et il faut bien que quelqu'un puisse avoir
pour lui la volonté de devenir propriétaire, et par l' e.fJet
du mandat donné, le mandant manifeste bien son animus.
Quant aux autres modes d'acquisition de la propriété,
la mancipation, l'in jure cessio et l'adjudicatio, ils ont complétement disparu à l'époque classique, mais il est certain
qu'ils devaient être absolument interdits aux personnes
morales.
L'injure cessio éLait en eJiet un procès fictif dans leq uel
quelqu'un réclamait devant le magistrat une propriété qui
n'était pas contestée par le cédant. Il fallait de tou te nécessité que le revendiquant fut présent devan t le magistrat.
Or les personnes morales ne pouvaien t pas remplir cette
conditi on.
De même l'adjud ication leur était impossible, puisque
ce mode d'a~quisitioo supposait un procès que le juge tranchait en accordant la propriété à l'une des parties.
Quant à la mancipation, elle consUai t en une vente
fictive et exigeait aussi la pré.ence de l'acquéreur. Il est
vrai que l'on admit que l'esclave pouvait acquérir pour son
maitre, mais alors nous nous heurtons à la même difficulté que plus hau t. Comment puisque la mancipatio étai t
interdite aux collèges, pouvaient-ils avoir acquis une res
mancipi comme l'était l'esclave?
Relativement aux divers modes d'acquisition, nous ne
nous sommes préoccupés que du droit de propriété; qu'en
étai t-il pour les démembrements do la propriété?
?$9 -
Pour les servitudes prédiales, il ne saurait y avoir
l'ombre d'un doute; comme elles ne se constituaient que
par l'in jure cessio et l'adjudication, ou bien encore par le
legs per vindicationem, elles ne pouvaient pas pendant lapériode de l'ancien droit être acquises aux corporations. li en
était de même pour les servitudes personnelles, telles que
l'usufruit, car la deductio, qui était un autre mode d'acquisition, n'était pas ouvert aux cor porations. Plus tard, lorsqu'avec les tempéraments apportés aux rigueurs de l'ancien droit, on put acquérir les servitudes par quasi possessio, la capacité des corporations devint plus considérable
et elles purent acquérir même l'usufruit.
D'autre part, comme les personnes morales ne meurent
pas et qu'on ne pouvait laisser se perpétuer indéfiniment
1
un droit.éminemment viager, on fixa la durée à cent a~s ,
et comme ce laps de temps parut encore trop considérable
lorsqu'il fallait comprendre un legs d'usufruit dans le cal2
cul de la quarte Falcid ie, on le réduisit à trente ans •
Il. - Hfodes d'acquisition à cause de mort.
Le droit de succession
suppose des liens de parenté, et dès lors il est impossible
que les collèges puissent recueillir des biens par ce mode
de transmission dtl proprièté.Aucun lien de paren té n'existe
entre l'association et les membres qui en font partie.
i° Sucrnss10N AB INTESTAT. -
i
~
L. 56, Dig. 7, il.
L. 68. Dig. 33, 2.
�- 60 D'autre part, au cas où la corporation vient à être dissoute,
nous avons vu que, sauf le cas prévu par les statuts, les
associés n'héritent pas et qu e les biens sont dévolus au
fisc à défaut d'héritiers.
A cette régie générale fort bien justifiée, le droit Romain
apporte une double exception.
D'abord nous savons qu e les rapports d'a.firanchi à patron créent une véritable succession ab inleslat, et qu'une
partie des biens de l'a!Tranchi, à. défaut d'héritiers, revient
au maître. Or celte situation pouvait se produire vis-à-vis des
personnes morales qui en effet pom•aient avoir des esclaves.
Cependant une distinction do it être établie. Tant que les
principes rigoureux de l'ancien droit sont en vigueur, la
liberté n'est concédée aux esclaves que par la vindicte, le
cens et la manumission, tous modes d'alTranchissements
qui sont interdits aux personn es morales, car ils exigent
l'intention d'affranchir chez le maître. Les collèges ne
faisaient donc jamais que des alTranchis Latins Juniens.
Lorsque ceux-ci mouraient, leurs biens revenaient aux
patrons non par jure patronatus, mais jure peculii.
Plus tard lorsqu'une loi vectibulici 1 eut concédé aux
municipes la pleine faculté d'a!Iranchir leurs esclaves et
que ce droit eu t été éten du aux collèges par Marc Aurèle 2 ,
un véritable droit de succession est élabli en faveu r des
corporations qui peuvent dès lors recueillir les biens de
leurs affranchis au cas où il$ ne laissen t pas d'enfants.
1
t
Cod. 1. 3, De servis Roipublicre manumütendis
'
Dig. 1. 1, De manum1ssioniLus tiu:.c servis.
-
61 -
La seconde exception apportée à l'incapacité pour les
collèges de recueillir par successioo , se trouve daos la préférence sur Je fisc qui est accordée à certain d'entre eux,
au cas où un de leurs membres vi ent à. décéder sans testament et sans héritier légitime. Cette faveur fut d'abord
accordée aux naviculaires, et puis plus tard aux curies et
aux ateliers des fabriqu es 1 • La raison de cette faveur se
comprend aisément comme le patrimoine de chaque associé est affecté au service de la corporation, on n'a pas voulu
priver celle-ci d'un patrimoine lui appartenant.
2° I NSTITUTION TESTAMENTAIRE. - Les collèges ne pouvaient pas être institués héritiers 2 • M. Gide en donne la
raison suivante : les Romains n'avaient accordé aux personnes morales qu e les droits indispensables à leur existence, et le droit d'être institué héritier n'est pas un droit
essentiel. Celle explication n'est pas satisfaisante, puisqu'elle ne tient pas compte de la formation progressive des
personne morales , et suppose au contraire que cei.le
théorie a été construite tout d'un coup par le législateur.
Ulpien donne une double rai~on; d'abord, dit-il , les collèges ne peuvi;nt ètre institués parce qu'ils sont des personœ incertœ, Ce n'est cependant pas là. la cause de l'interdiction prononcée à. l'encontre des corporation , car d'après
Ulpien lui-même les personœ incertœ sont celles dont on
ne peut pas se faire une idée déterminée , telle par
1
Cod. Do hrored. dec. lit. LXII.
2
Ulp. Reg. 22,
s 5.
�-
62 -
exemple la perso nne qui sera en tête du convoi du testateur.
Mais en ce qui concerne les associations, si au moment
de la confection dn testament le de cujus ne se souvient pas
exactement de toutes les personnes qui les composen t, il
se fait une idée parfaitement exacte de celle qu'il institue
en tant qu'universitas. Le véritable motif est donc seulement celui qu'Ulpien cite en seconde ligne, l'impossibili té
de faire adition. L'adi tion d'hérédité suppose en eliet so it
des paroles solennelles, soit un acte fait avec la ferme in tention de devenir héritier. Les paroles solennelles devaient forcément être prononcées par l'héritier, qui devait
aussi personnellement affirmer sa volon té, et à ce double
point de vue, l'incapacité des perso nnes morales était
absolue.
Cependant comme la capacité des personnes morales
dépend du pouvoir qui les a créées et qu'elle peu t être
étendue dans certains cas, nous savons que des mun icipes
avaient été formellement autorisés à être institués héritier :
Marseille, par exemple, jouissait de ce privilège 1. Il est
vraisemblable de supposer que, dans certains cas, ce privilège fut accordé à des collèges.
Une autre exception à cette incapacité résu lte aussi des
jura patronatus 2 • Ler corporations héritaient ab in testat
de leurs aITranchis et on permit à ceux-ci d'instituer les
collèges. C'était d'ailleurs le seul moyen de permettre aux
l
Tac. Ann. !*, 43.
2
L. 2, D. 40, 3.
65 affranchis de faire un testament valable. Si en eITet ils
avaient testé sans instituer les collèges, ceux-ci, en vertu
de leurs droits de succession auraient obtenu du préteur
une bonorum possessio contra tabulas qui aurait fait tomber
le testament. Que si d'autre part l'institution n'avait pas
été permise, dans aucun cas le testament n'aurait produit
-
un eliet.
Au point de vue de l'adition d'hérédité, l'introduction
par le préteur des bonorum possessiones n'étendit pas la
capacité, car elles ne s'appliquaient qu'au cas d'une hérédi té légalement acquise. Le seul avantage procuré aux
collèges par la législation prétorienne, c'est que leurs représentants pouvaient demander la bonorum possessio.
D'ailleurs ce qui en fait diminuait considérablement
l'incapacité testamentaire des personnes morales , c'est
l'institution des successions fidéicommissaires. Le Sénatusconsulte Apronien étendit en elîet aux municipes la faculté
d'être institués fideicommissairement 1 • Ce bénéfice accordé d'abord aux municipes doit forcément être étendu
aux collèges.
5° LEGS. - Le droit Romain accordait le droit aux
personnes morales de recueillir des legs. Et cela parce que,
d'après les Sabiniens, dont l'opinion parait avoir prévalu,
le legs est acquis au légataire sans qu'il ait rien à dire ou
rien à. faire. Il devient propriëtaire de la chose léguée par
le fait seul de l'om·erturo de la succession, même sans le
l
L. 26 Ad se îl'ib.
�-
savoir. Les Proculiens on t bien soutenu que c'était seulement du jour où le légataire voulait devenir propriétaire
que le legs prodnisait so n efJet. mais cette opinion n'a pas
triomphé.
D'ailleurs il faut bien reconnaître que si, en fait, rien ne
s'o pposait à ce qu e les coll èges pussent recevoir des hgs,
en droit , celte capacité ne leur fut accordée qu e par un
sénatus-consulte rendu par Marc-Aurèle 1•
Si l'on s'en Lient à la classification des legs telle qu'elle
était admise avan t Justinien, on est obligé de reconnaître
que le legs ad prœceptionem qu i suppose une institution
d'héritier ne pouvai t être valablement fait. Quant aux autres legs ils étaien t réguliers quelle qu'en fut la forme.
Pour les legs faits aux collèges reconnus, il n'était pas
besoin d'autori ation pour les recueilli r. Les legs faits aux
corporations non autorisées ne produisaient aucun efTet
. comme nous savons que dans ces collèges le patri-'
mais
moine était indi vis en tre les associés, le legs fait à tous les
membres inùividuellement était valable, la loi romaine
n'interdisan t pas le legs par personne déguisée 2 .
Les legs aux collèges étaient généralement faits sons
co ndition. Les inscriptions nous apprennen t que beaucoup
de testateurs indiquaient l'emploi des biens qu'ils laissaient: tantôt ils imposaient l'obligation de construire un
monument ou une stotue, tantôt ils consacraient leurs
dotations à des banquets annuels ou à dt!s jeux solennels.
1
2
L. 20, De robus <lubiis.
L. 20, D. 3/L 5.
-
64 -
6ts -
Lorsque l'emploi imposé à la ville ou au collège devient
impossible à raison de la diminuti on du legs par la quarte
Falcidie ou à cause d'une mesure d'ordre public prohibant
l'emploi désigné, le legs ne devient pas carluc et si les légataires ne peuvent pas s'entendre avec les héritiers pour
changer l'affectation édictée par le testament, l' empereur
consulté peut autoriser on changement 1•
Au cas où la condition imposée est résolutoire, si elle
est impossible elle est réputée non écrite 2 •
Nous ne trouvons aucun document duquel on puisse
induire que les collèges pouvaient recevoir des fidéicommis à titre particulier. Mais la ressemblance de ceux-ci
avec les legs fai t supposer qu'ils n'étaient pas interdilS.
D'autant que le sénatus-consulte Apronien autorisant les
fidéicommis universels, il n'y avait aucune raison pour les
prohiber.
Ill. -
Des obligations.
Les collèges ayant une personnalité juridique devaient
forcément avoir des droits et des obligations.
Les obligations naissent soit d'un fait licite, tel qu'un
contrat ou un quasi-con trat, soit au contraire d'un fait
délictueux, d'un délit ou d'un quasi-délit. Voyons lesquels
de ces procédés sont accessibles aux corporations.
1° Des
1
~
CONTRATS. -
L. 4., D. 50, 8.
L. z'I, § 3, D. 33 , 1.
En principe et à cause des
ri-
�-
-
66 -
gueurs du droit Romain, les collèges ne pouvaient pas
contracter. Le contrat exige en effet une volonté que la
personne morale ne peut pas manifester, et comme on
n'admettait pas la représentation, l'impossibilité était absolue pour les corporations qui ue pouvaient en aucun cas
acquérir des obligations ou êtl'C obligées. Plus tard et
utilita-tis causâ, on admet d'abord que l'esclave peut stipuler pour les collèges et on donne aux collèges l'action
directe ex stipulatu. Contre les personnes morales, on admettait pour les obligations contractées par l'esclave l'action de peculio et de in rem verso. Lorsque les actions exercitoires, instito ires, tributoi res et quod jussu eurent été
créées, on décida qu'elles ne pouvaient ètre donn ées contrf:\ les collèges, ces actions supposan t en effet un certain
dol et le collège étant doli incapax, on les accordait seul ement contre les représentants qui avaient préposé les esclaves aux différents co mmerces , ou en ver tu des ordres
d~ qui les esclaves avaient agi. Contre les personnes morales on donnait une sorte d'action utile quod jussu à raison
du bénéfice qu'elles avaient pu retirer.
Lorsque le préteur admit le principe des actions utiles,
la théorie de la représentation per personam extraneam
était créée dans la législation romaine.
On s'est demandé si les représentants pouvaient engager
indéfiniment les perso nnes morales par les emprunts qu'ils
contractaient pour elles. On décid e généralement que les
villes n'étaient tenues que dans la mesure du profit qu'ell es
avaient retiré. D'ailleurs, tout comme les pupilles , les per-
67 -
sonnes morales avaient l'action de in integrum restitutio
contre leurs représentants infidèles 1 •
Les administrateurs pouvaient, au nom des corporations, aliéner les biens de celles-ci; aucune loi en efTet
n'interdit ces aliénations et les collèges, nous l'avons vu,
étaient libres de prendre toutes déterminations qui leur
convenaient en vertu de Jeurs statuts. Placuit universis,
disent les inscriptions.
Cette faculté était-elle sans limite? Nous savons que les
curies ne pouvaient vendre leurs biens qu'avec on e autorisation préalable, et qu' en outre elles devaient remployer
le montant de l'aliénation , il est vraisemblable que cette
disposition devait s'étendre à. toutes les corporations dont
Je pztrimoine servait à l'exécuti on d' une fonction publique : telle est la corporation des pistores.
Il est évident que si les représentants avaient Je droit
d'aliéner, à plus forte raison avaient-ils le droit d'administrer le patrimoine. Ils pouvaieot louer les biens de la corporation. La forme la plus ordinaire du contrat de louage
était assurément l'empbythéose 2 • C'est là en effet, pour
ceux qui veulent, comme les personnes morales, s'assurer
longtemps le même revenu , le procédé le plus commode.
Une questi on reste à examin er. Au cas où le patrimoine
des collèges était insuffisant pour le paiement intégral de
ses dettes, les membres pouvaient-ils en être tenus? En
aucune faço n, et cela résulte de la définition que nous
1
2
L. 4 c. g., :2, [)/i..
lnsl. 3, 1. 3, t. 2~.
s
�-
avons donnée des personnes morales. Elles avaient leur
palrimoine dislinct d~ celui des membres, qui dès lors ne
pouvaient répondre des dettes de la corporation que dans
la limite de l'émolument qu'il s pouvaient retirer de
l'actif.
2° DES QUASI-CONTRATS. - Les corporations pouvaient
être tenues des obligations nées quasi ex contractu. C'est
ainsi que leurs représentants pouvaient devenir leurs
créanciers par le quasi-contrat de gestion d'affaires et exercer contre elles leurs droits.
5° DES DÉLITS ET QUAs1-otL1Ts. - Au point de vue
pénal. il est cerlain que les corporation s ne pouvaient dans
aucun cas être tenues des délits et des crimes de leurs
représentants. Décid er autrement c'eût été supprimer le
principe d'après lequel celui-là doit être puni qui a commis l'acte repréhensible et à. raison même de la personnalité de la peine, les Romains ne pouvaient pas prononcer
la responsabilité pénal e.
En matière civile il d ~vai t forcément en être de même.
Des obligations ne peuvent pas résulter pour la personne
morale de la fraud e de ses représentants. D'autant qu'ici
on ne peut pas, comme en matière de con trats, dire qu e
la personne morale a donné mandat à son représentant.
On ne donne pas en effet mandat de commettre un dol.
Dans ce cas c'étaient les représentants senls qui pouvaient
être poursuivis et tenus d~ l'action de dolo i.
t
L. 15 § 1, D. 4, 32.
-
68 -
69 -
11 va d'ailleurs sans ùire que la corporation, au cas où
elle était victime d'un délit, avait le droit d'exercer con tre
les auteurs de ce délit toutes les actions mises à sa disposition par la loi, et c'est ainsi par exemple qu'elle pouvait
intenter l'action furti.
Les corporations étaient-elles tenues des délits de leurs
esclaves? D'abord, au point de vue général, il est certain
qu'elles ne pouvaient pas s'enrichir par les délits de leurs
représentants et de leurs esclaves, et que dans la mesure
du profit qu'elles avaient retiré, elles étaient civilement
respon sables ; mais de plus, à raison de la règle générale
que le maître est responsable des faits de son esclave. elles
étaient tenues in inlegrum des agissemen ts des leurs, et
elles n'avaient pour dégager leur responsabilité que l'abandon noxal.
La conséquence des principes que nous venons de poser
c'e~t que l'action de dolo n'était pas donnée contre les collèges à l' encontre de qui on pouvait au contraire intenter
l'action quod metu causa, qui n'est pas pénale 1•
Ce que nous venons de dire des délits s'applique aussi
aux quasi-délits.
IV. - Des actions.
Le droit d'ester en justice est la con équence d~ la possession ù'un patrimoine. Dès l'instant qu'on pos ède un
droit il faut pouvoir l'exercer. Or suivant une définition
l
L. 9 3, D. 4.,
z.
�-
-
70
très exacte, l'action n'est que la mise en exercice d'un
droit. Les personnes morales devaient donc forcément
avoir le droit d'ester en justice. Comment l'exerçaientelles ?
Pendant toute la première période de la législation
rcimaine, tant qu e les actions de la loi restèrent en vigueur,
les collèges ne pouvaient certainement pas agir en justice.
Pendant celte période, en efiet, nemo alieno nomine agere
potest. Deux exceptions seules étaient admises à cette règle.
On pouvait plaider pro libertale et pro populo 1 • C'était
d'ailleurs grâce à cette derni ère action que l'Etat, seule
personne morale existant alors, pouvait plaider.
Lorsque la loi .1Ebwia vint remplacer le système des
actions de la loi par le système formulaire, les rigueurs de
de la rel'ancien formalisme furent adoucies et le réaime
l!>
présentation comm ença à s'établir. Deux moyens forent
alors offerts pour plaider an nom d'autrui : la constitution
d'un cognitor ou d' un procurator in rem suarn.
Ces deux modes de pl:iider étaient-ils accessibl es aux
collèges? En ce qui concerne le premier il ne sau rait y
avoir l'ombre d'un doute; il est certain , pu isque la datio
cognitoris exigeait des paroles solennelles, qu e les personnes morales ne pouvaient y reco urir. Quant au second,
la logique l'interdisai t aussi. Le procuralor fa it en effet
naître l'action judicali en sa personne et le mandan t est
~bligé po ur en retirer l'effet de poursuivre le procurator,
11 Ya donc un circuit d'actions et on ne faisa it que reculer
la difficulté pour les corporations. Cependant l'utilité fit
donner un e entorse à la logiq ue et bientôt l'on voit toutes
les corporations plaider par un actor ou un defensor 1•
A l'origine, ces actores ou defensores n'avaient de mandat
qu e pour un e seule affaire 2 , mais plus tard ils devinrent
les représentants de la personne morale dans tous les
procès.
Ces représentants difTèrent des procuratores in rem suam
en ce qu'ils ne sont pas tenus de fo urnir la cauti on de rato.
An cas où le procès exige la prestation d' un serment, ce
sont eux ou des ad mini lrateurs nommés spécialement qui
le prêtent.
La fo rmul e qu'on délivrait devait cependant, comme au
cas de co nstilution d'un procurator contenir dans l'intentio
le nom du collège, et dans la condemnatio le nom de
l'actor 3 .
L'action judicati n'était pas don née conlrel'actoret il n'en
était pas tenu .
Au cas où le collège n'avait pas constitué d'actor, le
proconsu l le représentai t, si aucun des membres ne voulait I ~ fa ire en fournissant la cau tion de rata 1 • La cause de
cette disposition se comprend par Je désir qu'on avait de
faire représenter les personn es morales.
L'actor pomait êlre révoqué pour les causes qui faisaient destituer le procuralor.
lL. 1 ,~ 1 ,D. l. Ill, t. l \' .
~ L. 6, O. l. Lli , t. lV.
3
i
Gaius, Comment. lV,
~
82.
71 -
1
Gaius, Comment, Il, § 87.
L. 1, § 3, D, 1. Ill , T. IV.
�- 72 Lorsque la corporation avait été condamnée, on pouvait
faire exécuter la sen tence sur ses biens personnels, soit par
un e saisie-arrêt 1 en tre les mains de ses débiteurs, soit par
l'envoi en possession qui permettait au créancier de faire
vendre.
DES C:ORPORA.TIONS.
Telles étaient les associations d'ouvriers dans la société
romaine. Nous allons les étudier pendant la période du
Moyen-Age, pour avoir une transition qui nou s permette
de suivre les conditior.s dans lesquelles le principe d'association a été admis jusqu'à uos jours.
1
L. 8, D. 1. Ill, T. IV.
(
~
1
Les invasions des Barbares avaient fait sombrer l'empire
Romain et avec lui avaient disparu la prospérité et la
civilisation.
Ce résultat de la tourmente était d'ailleurs forcé et inévitabl e, et en Gaule surtout, - la. seule province du vieil
empire dont nous devions nons occuper dans cette étude,
- il ne pouvait en être autrem ent.
C'était là en efTet qu e les Germains, attirés par la
richesse du pays, devaient faire le plus grand nombre d'in cursions, et lorsque les Francs se rureut définitivemen t
installés dans le pays, les rois forent obligés pour asseoir
leur conquête, de s'y livrer à des guerres continuelles
jusq u'à la féodal ité.
La dévastation était partout, le ruines remplaçaient le
monuments de la civilisation romaine • les campagne
étaient désertes et abandonnées; tous les ans et à chaque
nouvelle expédition, le villages étaient brûlés, les villes
détruites. Dans l'espace tle soixante-cinq ans Tréves fu t
�-
74 -
cinq fois saccagée, et de 447 à 7ts2 Orléans vit huit fois
l' ennemi camper au pied de ses murailles.
Dans de semblables conditions le commerce devenait
matériellement impossible, et l'activité humaine concentrée du côté de la guerre devait déserter l'industrie et les
arts. Les mœurs romaines tendent alors forcém ent à disparaître, sans cependant être complètement remplacée par
les mœurs des nouveaux conquérants.
conséq uence de cet effondrement !'>aénéral , il
Comme
.
dev1ent inutile d'indiquer que les associations ouvrières
ne pouvaient pas continuer à subsister. Cependant l'association est un phénomène social tellement naturel que nous
en remarquons la manifes tation chez les Germains. Il n'entre pas dans le cadre de ce travail d'examiner les ghildes
ger~ani4ues, mais nous sommes forcé d'en esquisser trèsrap1demen t le fonct ionnement, car quelques auteurs ont
prétendu Y trouver le germe des corporations ouvrières.
. Nou_s savons en cfTet par Tacite 1 que les Germains ,
qui avaient_une profonde horrenr du travai l manuel et qui
se pro_cura1ent tout ce dont ils avaient besoin par la guerre,
formaient entre eux d'étroites associations pour se défendr~ les uns les autres. C'est ainsi que se constituaient les
ghildes ou banquets à frais communs, dont las membres
s'appelaien t convives ou conjurés, et faisaient serment de
se défendre et protéger mutu ellement. Ils étaient tenus de
;enge'. le meurtre d'un des leurs, de procurer des secours
a celui d'entre eux qui étai t dans le danger. Si l'un d'eux
1
De mor. Germ., 7, 113, 14..
-
7?S -
était appelé en justice, tous les autres devaient l'escorter.
Enfin, en cas de maladie ils devaient se soigner mutuellement 1 •
Ces sociétés dont le besoin se faisait sentir à une époque où la loi du plus fort était seule en vigueur, contiennent évidemment Je principe des sociétés de secours, tout
comme les associations des premiers chrétiens. Peut-être
mème doit-on reconnaître qu'elles ont été l'origine des
confréries et des associations secrètes que nous rencontrons au .Moyen-Age, mais nous ne pensons pas qu'elles
aient donné naissance aux corporations d'ouvriers qni vont
se développer petit à petit. L'organisation seule du travail
pendant toute cette période de troubles et pendant les
premiers temps de la féodalité défend une pareille supposition.
Comment en effet et dans quelles conditions le travail
s'organise-t-il après la conquête des Germains?
Les Germains asservirent tous les esclaves romains qu'ils
trouvèrent et de plus ils réduisirent en esclavage tous les
artisans libres qui étaient dans les villes. D'autre part la
propriété foncière resta tout en tière entre les mains de
quelques privilégiés, el c'est ainsi que se formèrent ces
immenses domaines de l'Eglise et de la Noblesse. On sait
par exemple qu'au IX• siècle l'abbaye de Saint-Germain
possédait 221,187 hectares de terrain.
A ces vastes domaines étaient attachés des quantités
1
Aug. Thierr), Consid. sur l'histoire <le France, ch. V.
�-
76 -
considérables d'ouvri ers serfs qui travaillaient pour le
compte du maître. li y avait des ouvriers en tous genres
qui suffisaient à tous les besoins. Charlemagne, dans un de
ses capi tulaires, recommande qu' il y ait dans chacune de
ses fermes des forgerons, des orfèvres, des cordonniers,
des boulangers, des foulons et tous autres ouvriers qu'il
serai t trop long d'énumérer 1•
A côté des ateliers d'hommes on trouvai t les gynécées
ou ateliers de femmeb, à qui les travaux plus déli cats de
la filature, du tissage des éloffes étaient réservés . Ces
gynécées ont d'ai lleurs laissé un triste souven ir au point
de vue des mœurs, car au IX0 siècle ce mot de femm e de
gynécée était synonyme de courtisane, et l'attirail des dispositions prises pour e sayer de sauvegarder l'honn eur et
la dignité des ouvrières, prouve bien les débauches qui
s'y commettaient.
-
77 -
au contraire firen t reculer fort en arrière les arts et
l'industrie.
Dans de semblables conditions on comprend sans peine
qu'aucune association n'au rait pu se former entre ouvriers.
Celles-ci n'ont en efîet leur raison d'être que dans le désir
légitime des artisans de chercher à. améliorer leur situation. Semblable aspiration ne peut se rencontrer chez des
esclaves, ou du moins reste irréalisable, car leur condition
dépend uniquement de la volonté de leur propriétaire .
La lib erté est la condilion essentielle de l'association.
Il en est si bien ainsi que pendant tous les premiers
temps de la féodalité on ne rencontre aucune corporation
d'ouvriers. Les artisans étaient les vassaux des seigneurs,
des comtes et des évêques. Et c'est par exception que
quelques-uns obti ennent le droit de travailler. Ce droit leur
est en quelque so rte concéd é comme un fief. Et nous ci terons ici l'opi nion d'un économiste éminent: Le lief. ditil , est la concession d'un droit de propriété, de jouis ance
ou tout autre, à charge de prestations, de redevan ces d'un
ordre pins ou moj ns élevé. Cette propriété, ce droit, on Je
tient toujours de quelq u' un : point de terre, point de
droit, sans seigneur. Le régime féodal étend son réseau
sur tout et p:irtout, villes et campagnes : dan les villes on
est soumis au co mte ou à l'évêque; dans le campagnes on
est serf du mano ir ou du couvent. Tout est érigé en fief,
te droit de travaiUer au si. Des artisans obtiennent, à Litre
de fief, le droit exclusif ùe travai ller pour le seigneur qui,
pendant cc temps, leur paie une somme d'argent et leur
fourni t des sulJsistanccs déterminées par Je contrat. Nou
1(
fi s'était en somme produit un phénomène id entique
à celui que nous avon s étud ié à Rome après ses conquê-
tes. Le grand nombre d' esclaves avait annihilé complétement le travail li bre. Les esclave. travaillaient pour leurs
maitres et ce n'est qu'exceptionnellement et moyennant
des redevances très élevées qu'ils pouvaient livrer leur
travail aux parti culiers. D'aill eurs l'assimilation entre celle
époqu e et les co nquêtes romaines ne sanrait exister complétement, car à. Rome les co nquêtes furent la cause de
grands progrès dans la civilisa tion, tandis qu e les invasions
1
Ca p. de villis, ann . 800, ch. XLV .
�-
78 -
-
avons des actes ainsi con çus : ceci est le fief d'un tel, charpentier du seigneur évêque ou du seigneur comte 1• »
Cependant, dans certaines villes, notamment celles du
midi , qui avaient conservé plus longtemps les mœurs romaines, on trouve quelques traces des anciens collèges industriels. Les chartes municipales de Ravenne font mention, en 945, d'un collège de pêcheurs 2 • Mais ce furent
certainement des faits isolés qui ne contredisent point ce
que nous avançons plus haut, et il faut remonter jusqu'à
l'époque de l'affranchissement des communes pour voir
renaître le travail libre et les corporations qui en devinrent
bientôt le rempart.
Pendant le cours du X• et du XI• siècl e, le servage est
partout dans les domaines des seigneurs féodaux et dans
les villes. Il ne nous appartient pas d'examiner la situation
des serfs et de rappeler à quelles dures exactions ils étaient
soumis. La formul e qu'on empl oyait à leur égard dépeint
avec une concision remarquable leur triste condition : ils
étaient taillables et corvéables â. merci.
C'est d'ailleurs la violence même du servage qui explique
comment les populations devaient chercher à s'en aJTranchir. Lorsque les serfs curent acquis des sommes assez
fortes pour tenter les seigneurs, ils commencèrent à racheter leur liberté, et ce qui devait surtout terrasser et dé-
1
Alfred Jourdan, Conrs d'économie politique, p. 108.
2 Fa ntuzzi, .Mo11umenla Ravenn1lici, T. IV, p.
Aug. Thierry.
1 7~,
cito par
79 -
truire le servage, c'était la concession des chartes municipales et l affranchissement des communes.
C'es't surt~ut à partir de l'affranchissement des communes qu on voit les corporations prendre de l'extension et
se répandre .u~ peu partout. Dans toutes les villes les gens
~u mê~e m~t1e~ se' trouvaient group és dans le même quart1.er; c est am s1 qu on retrouve dans presque toutes les
villes et dans les vieux quartiers des rues portant le nom
d' un métier. Ces artisans, qui se voyaient journellement
qui avaient les mêmes occupations et partant les même~
intérêts, se réunissaient les uns avec les autres, se faisaient
des règlements qu'ils juraient d'observer. Bientôt ils considéraient leurs conventions comme des droits et s'efforçaient de les imposer soit aux officiers féodaux , soit aux
artisans forains. Mais pour arriver à ce résultat ils ttaient
obligés de s'adresser au seigoeur pour obtenir la sanction
de ces droits. Une fois Cfls chartes concédées, les corps de
métiers étaient fond és.
1
Le caractère particulier de toutes ces association s fut un
exclusivisme absolu et le monopole. Le droit au travail
était bien admi s, non pas d' une façon générale et indisti.nGte, mais au contraire d'une façon privilégiée : à l'origme, nous l'avons vu , c'est un fief. Comme justement
leurs droits leur étaient concédés d' une façon expresse,
elles voulaient, par égoisme, les réserver pour les seuls
membres qui les avaient obtenus ; de là les chiffres déter~inés pour le nombre des maîtres de chaque métier, de
la les mesures si rigoureuses à l'endroit des forains. Ces
vices originaires laisseront leur empreinte sur toute la
�-
80 -
durée des corporations et nous expliqueront ces querelles
et ces procès qui remplissent l'histoire des corporations
pendant tout le Moyen-Age.
. .
.
Les corporations une fois fon dèes se multtphent rap1~
dement et il serait trop long d'énumérer tou tes celles qui
se so nt constituées dès cette époque. C'est pendant cette
période qui s'écoule entre le X et le xm:. siècle ~ue nous
assistons à. une véritable renaissance de 1mdustne due en
grande partie à l'influence des Croisades. Aussi ce fut
peut-être le plus beau moment de l'histoire des corporations. Elles louent, avec l'appui de la royauté , contre
l'influence féodale, elles sont libres de mener leurs affaires
comme bon leur sembl e, elles font leurs statuts librement
et aucune autorité ne vient s' immiscer dans le règlement
du travai l.
On s'exp lique d'ailleurs très bien en l'état de la situati on
de la royauté cherchant à établ ir sa puissance en même
temps qu'à fonder l'unité du royaume, qu' il lui était alors
absolument impossible de songer même a intervenir pour
réglementer les corporations. D'autre part, il était évident
qu'elle ne pouvait pas, en présence de certaines crises et
de cert:lios phénomènes économiques, se borner à ce rôle
platoniquement contemplateur, et si les Capétiens, dans
un but politique, avaient laissé les corps de métiers dont
ils avaient besoin pour lutter contre la féodalité se développer librement, nous verrons les Valois au contraire chercher constamment à régenter le travail et partant les associations ouvrières.
Pour comp rendre et apprécier la portée des réformes
0
-
81 -
que les rois voulurent introduire dans les agissements des
corps de méti er il faut examiner rapidement le fonctionnement et la vie intérieure des corps de métiers.
Il va sans dire que les limites étroites qui nous sont
impos6es par notre sujet nous interdisent a· examiner dans
tous leurs détails les statuts des di!Térentes associations
qni couvraient la France à ce moment-là et que nous nous
bornerons à étudier eo quelque sorte le type général
auquel on peut les ramener toutes 1•
Le corps de métier était l'association formée entre les
artisans de même profession dans la même ville. On a
assim il é les collèges industriels de l'empire Romain aux
municipes et l'on peut aussi comparer les corps de .métiers
aux communes. En eITet on y trouve comme dans celles-ci
une adm in istration nommée à l'électi on de l'assemblée
générale; les magistrats qui sont ainsi nommés s'appell ent
généralement les syndics, les prud' hommes, les gardes du
méti er ou bien enco re les jurés. Ces chefs de la corporati on so nt chargés de faire respecter les privilèges et les
règlemen ts et ~ ·occupen t des intérêts de la communauté.
C'est ainsi que nous verrons les corporati ons ester en
justice par leurs syndics ou leurs gardes. A l'origine ces
magis trats sont nommés par l'assemblée gtinérale et pour
un certain temps, mais plus tarù le droit de rote est ré-
t Tous les rcnsei• noments sur le· corpo1·:i tion sont puisés .oit
Jnns I' ll1sloire d •sn classes ouvrie1·es do LeHLseur, ::oit dan le
Livre <Les Metiers !l ' Etionno Boi l<'a u, soi l dans !'Etude sur !'in
dustrfr de Fagnier..
6
1
�-
82 -
servê aune partie seulement des membres de la corporation aux mailres seuls.
Il y avait en eliet trois ordres de personnes dans le corps
de métier, les apprentis, les ouvriers et les maîtres.
Les apprentis ne faisaient pas à. proprement parler par·
tie de la corporation, ils aspiraient à y entrer. Leur nombre, d'ailleurs fort restreint , était déterminé par les règlements. Généralement un maître ne pouvait pas avoir plus
de denx apprentis. Certains statuts permettaient d'en avoir
trois, mais c'était l'exc~ption 1 • Le temps de l'apprentissage était aussi déterminé et il était fort long. li variait,
suivant les professions. entre cinq et douze ans, et les
corporations qui admettaient l' ouvrier sans un stage préalable de trois ans étaient rares. Cependant la durée de
l'épreuve imposée à l'ouvrier pouvait être rachetée et voici
comment : l'apprentissage en principe se payait au maître.
mais lorsqn'on traitait avec lui, si on s'engageait pour
douze ans, par exemple, on ï:onvenait qu'il ne lui serait dû
ancuoe rétribution. Que si, au contraire l'apprenti s'engageait pour un temps moindre, il devait payer une somme
qui était d'autant plus forte que la période de l' engagement devenait plus courte. Une exception était d'ailleurs
faite au profit des fils de maitres, qui quelque nombreux
t Livre aes Métiers de Boi leau. - Le~ statuts des orfèvr<'s ne
leur permettaient pas d'avoir plus d'un apprenti qui ne rut pas de
sa famil le. L'apprenti devait '"oi1· au moin di x ans. - Les cordiers peuvent rivoir auta11t d'ou\ riu1·:> qu' ils vo udront, mais ils ne
peuvent prend re qu' un soul appru11ti ot au moins pour q11at 1·u ans.
-
85 -
qu'ils fussent, avaient toujours le droit de se faire instruire dans le métier de leur père, et dans la plupart des
professions ne payaient aucune redevance.
Le contrat d'apprentissage se faisait devant témoins,
deux maitres dans certains cas et généralement devant le
maître du méti er. Il était, une fo is conclu , absolument
irrévocab le pour l'apprenti qui ne pouvait plus quitter son
maître. S'il prenait la fuite il était recherché et nul n'avait
le droit de lui donn er asile sans s'exposer à des peines
sévères. Il devenait en quelque sorte la chose de son
maître, qui avait le droit de le vendre 1•
En échange des services rendus par l'apprenti , le maitre
devait le loger, le vêtir et le nourrir pendant tou te la durée
de son engagement. Il devait surtout lui apprend re le
méti er. Cette dernière ob ligation a même servi de prétexte aux différents statuts pour colorer la dureté du règlement concernant les ap prentis. Leur nombre, disait-on,
est restreint, parce que le patron qui en aurait beaucoup
autour de lui ne pourrait pas s'occuper d'eux. suffisamment et serait obligé de les négliger. La vérité est que les
statuts étaien t faits dans un but de monopole et que Je,
difTérents membre. de corporations ne se souciaient pas
de voir surgir de nombreux concurrents, et que d'autre
part on craignait qu'un artisan ne prit de trop nombreux
apprentis pout· remplacer les ouvriers et produire ainsi on
travail à meill eur compte.
l
Uu bl.lt't-Vallel'oux, Corporations et syn<ticals .
�-
84 Lorsque le temps du stage était terminé, l'apprenti
devenait valet ou ouvrier. Certains statuts cependant exiaeaient de lui la confection d'un chef-d'œuvre pour montrer qu'il connaissait son métier, mais c'était là. une ex iaence fort rare d'ailleurs. En général il suffisait de prou::> •
ver par témoins ou par certificats que l'on avait accompli
le temps fixé par les règlements. Dans certaines villes,
les ouvriers qui v0ulaient s'embaucher devaient se rendre
à heure déterminée dans un endroit convenu qu'on appelait la place jurée, et c'était là qu'ils s'abouchaient avec les
patrons qui avaient besoin de leur service. Ce qui aujourd'hui encore s'est conservé comme une vieille tradition était
alors un règlement obligatoire.
!')
Avant de prendre un valet, le maitre était obligé de
s'assurer si celui-ci était li bre de tout engagement, s' il
éLait de bonne vie et mœurs, et enfin s' il avait des vêtements suHisants pour être touj ours mis décemment. Sur ce
point on trouve un détail qui montre jusq u'à qu el point
la règlementaüon des corporations était min1Jtieuse et autoritaire: il fallait dans certains métiers, chez les foulon s,
par exemple, que les ouvriers eussent au moins cinq robes,
pour que leur saleté n'éloignât pas les nobles gens, comtes,
barons et chevaliers qui quelqu efois venaient dans les
ateliers 1•
Le nombre des valets n'était pas déterminé par les règlements, la seule prescription existant ~\ ce suj et, c'est
1
Levasseur, Classes onVl'i~res.
-
85 -
qu'un maître ne pouvait pas avoir plus d'ouvriers que ne
le comportaient les besoins du travail. Les ouvriers étaient
loués au jour, à la semaine ou à l'année. lis ne pouvaient
s'engager que chez un maître de leur métier et ne pouvaient sous aucun prétexte aller travaill er chez un particulier. Ils étaient tenus de se rendre chez leur patron dès le
point du jour et devaient y res ter jusqu'à la nuit. Si Je travail pressai t, ils ne pouvaient se dispenser de travailler le
soir, mais cependant moyennant une augmentation de
salaire. Il ne leur étai t pas permis, sous peine d'amendes
sévères, de quitter lenrs maîtres avant l'expiration de leur
engagement, et d'ailleurs la réciproque à ce point de yue
leur était rendue, car le maîlre ne pouvait les congédier
que s'il avait des motifs érieux approuvés par les gard es
Ju mrtier. Il s avaient enfin un privi lège général ement
admis : les ouvriers d'un e ville étaient toujours et devaienr
toujou rs être préférés aux ouvri ers du dehors.
A cô té de ces deux classes de personnes que nous
voyons dans les corporations et dont la condition était en
somme assez dure, nous trouvons l'ordre des pri,·ilé11iés
0
'
c'est-à-dire des maîtres. Le nom qui leur avait été donné
a servi à dé igner qu elqu efoi les associations des corps
de métiers. C'est en effet de là qu'est venu le mot de
mailrise.
Cette classe était évidemment de beaucoup la moins
nombreuse. Nous savons d'aill eur et nous l'avons déjà vu
à propos des apprentis que les corporati on~ redoutaient
d' augmenter le nombre des concurren ts, c'est même la
cause que la plupart des règlements imposaient des condi-
�-
86 -
tions fort dures pour arriver ~t la maîtrise. L'esprit d'exclusivisme et de monopole se montre à cet égard dans
toute sa force et nous all ons voir combien il était difficile
pour l'ouvrier de franchir la distance qui le séparait des
maitres.
Pour obtenir la maîtrise il ne suffisait pas d'avoir été
apprenti et ouvrier, il fallait encore et surtout acquitter
différents droits fort coûteux soi t à la corporation soit au
roi qui, ainsi que nous l'a,·ons vu , vendait le métier. Il
fallait de plus subir l'épreuve du chef-d'œuvre. Si un ouvrier s'était avisé de s'installer pour so n compte sans s'être
conformé à cet usage, ses outils auraient été saisis avec ses
marchandises et il aurait été condamné à une forte
amende.
Le chef-d'œuvre est une institution trop importante de
l ' bistoir~ des co rporations ouvrières et a eu une trop
grande influence sur leur sort pour que nons puissions
ne pas en dire quelqu es mots. C'était en quelqu e sorte
l' examen que la ~o rpora tion faisait su bir à l'artisan qui
voulait ouvrir boutique. li va sans dirr, que ·le chef-d 'œuvre
variait selon le métier; il était généralemen t imposé par
les règlements 0u bien par les jurés du métier. Dans quelques professions cependant il était laissé au choix de l' ouvri er. Les règlemen ts déterminaient d'une façon exacte et
minutieuse dans quelles condi ti ons il devait être fait.
Généralement c'était dans la maiso n d'un des jurés ou du
moin s dans une maison dêsignée par eux qui~ l'ouvrier
devait confectionner l'objet qui lui étai t im posé : on voulait
éviter de cette façon qu'il ne put s' inspirer des co nseils ou
-
87 -
de l'aide d'an ami complaisant. Il travaillait seul, personne
ne pouvait pénétrer dans la salle qui lui servait d'atelier,
si ce n'est les jurés qui venaient de temps en temps le
surveiller. Le chef-d'œuvre terminé, il devait être agréé
par les jurés, après quoi l'aspirant était reçu maître et
jurait entre les mains du magistrat de se conformer aux
règlements du métier.
Les mémoires de l'époque prouvent que cette épreuve
entrainait souvent des fraudes. De plus, comme le jugement des jurés était par trop intéressé, il y avait souvent
des procès et les candidats en appelaient souvent de ces
décisions à des magistrats supérieurs qui étaient loin de
leur donner toujours raison 1•
On voit par tout ce qui précède combien difficile était
l'accès de la maitrise, sans compter qu'il fallait être très
riche pour tenter l'épreuve ùu chef-d'œuvre, car sans parler des droits multip les à acquitter à la corporation, il
fallait de plus payer les matières premières deslinées h la
confection de l'œuvre et avoir les moyens de vivre penùant
tout le temps nécessaire pour la mener à bonne fin.
l'on ajou te encore que, t0ujours sous l'influence de l'idée
de monopo le, certains règlements interdisaient le chefd'œune à tous ceux qui n'étaient pas fils ou gendres de
maitres, on se rend bi en compte qu'elTectivement dans la
corporation tous les privilèges étaien t pour la classe des
maîtres.
1
Levasseul'.
�- 88 Aussi, à raison même de celle situation voit-on bientôt
se créer, à côté des corps de métiers, des associations purement ouvrières destinées à protéger l'ouvrier, ce sont les
devoirs, les compagnonnages, la franc-maçonnerie. Ces
institutions sont curieuses à examiner au point de vue de
la manifestation du droit d'association. Les ouvriers, en
effet, repoussés de la maîtrise par les difficu ltés dont on
l'avait volontairement entourée, pauvres pour la plupart,
sont obligés de quitter les villes qu 'ils habitent pour ailer
chercher du travai l un peu IJartout, et en même temps
pour se perfectionner dans leur art. Ils commencent .:Jonc
à mener un e vie nomade et à faire ce qu'on a justement
appelé le Tour de France. Ils comprennent vile que l'individu isolé dans une ville qu'il ne connaît pas sera souvent
exposé à des mi sères très grandes el par l'association il s
cherchent à remédier à ces in convénien ts. Les ouvriers du
même métier se rénnissent non plus dan s un senl cenlre
mais au contraire ùan s tou t le pars. Partout il y a une mère
du métier qui héberge les compagnons lorsqu'i ls arriven t
el leur procure du travai!. De cette façon une vaste société
de secours mutuels se trouve formée, et tell e est l'origin e
des compagnonnages.
-
ciés se reconnlisscnt à première vue par des signes particuliers.
De toutes ces associations l'une d'entre elles a survécu
josqu·à ce jour et nou s a fourni l'occasion de les étudier
toutes d'une façon complète. Nous voulons parler de la
Franc - maçonnerie. Prenons-là. telle qu'ell e fonction~e
encore aujourd'hui. Dégageons-fa des formes étroites
qu'elle observe et qui aujourd'hui nous paraissent grotesques et surannées, et nous voyons de suite les services
immenses qu'elle peut ren dre. Un franc-maçon arrive-t-il
quelque part, on lui procurera des seco urs ; s'il est pauvre, on lui fera trouver du travail; au lieu d'être isolé, il
sera en touré d'amis ; s'il court un danger, il aura à côté
de lui un soutien : en un mot, les avantages dont il jouira
seront considérables. S'il en est encore ainsi aujourd'hoi
où les cond iti ons de la vie sont, par le fait d'institution ·
gouvernementales fonctionnant régu li èrement, ab solum ent
assurées, à plus forte raison en devait-il ètre ainsi à l'époque où la liberté individuell e n'exis tait pas et où l'arbitraire et le privilège r~gnaient complétement.
•
Ces sociétés cependant ne pou vaient pas s'établir d'une
façon ouverte et ostensible. Ell es avaient à lutter contre
l'influence des patrons et c'est secrètement qu'ell es se
développent en s'entou rant cle form es mystérieuses. C' es t
ainsi que l'affiliati on se fait avec des cérémonies bizarres
et syml>oliques, c'es t ainsi encore qu e les différents asso-
11
t
89 -
Aussi voit-on ces ociét6 ' se multiplier au Moyen-Age
avec toutes leur qualité et leurs avantages, mais aussi
avec leurs défau ts. li est certain en effet que la ociétê a
une tendance toujour. marquée à l'exclusivisme, et i l'on
se trouve à une époque où l'édoe<i tion n'est pa. encore
faite, cet e prit cl'cxclu. ivisme s'affirmera par de violences
et des excès. et c'est ai nsi que l'histoire nous a laissé Io
triste souvenir de ce rivalité, san glante~ qui se produi-
�-
90 -
saient journellement entre compagnons de deux devoirs
différents.
En même temps il se produisait dans une même société
de trop fréquentes occasions de réunions qui dégénéraient
trop volontiers en débauches : l'atelier était trop so uvent
déserté pour le cabaret; sans compter que dans ces fêtes
trop nombreuses les bénéfices dus aux tr!l.vail étaient vite
absorbés, de so rte que la condition SO(.;iale et économique
de l'ouvrier ne pouvait pas s'élever mais tendait au contraire à. baisser. Nous savons en eITet que lorsqu'un compagnon arrivait, on fèta1t sa bienvenue; s'il s'éloignai t,
c'était so n départ qu'on célébrait; tout en un mot était un
pré tex te à réuni on et à. orgie. Enfin , à. cause même de la
rivalité qui existait entre maitres et ouvriers, les associatious dont nous nous occupons faisaient so uvent naître des
grèves qui loin d'être fontlées sor l' intérêt des ouvriers
n'avaient d'au tre raison que la hain e du patron et qui
so uvent duraien t fort longtemps et occasion naient des
désordres profondément regrettables à tous égards.
Par cet exarr.en rapide que nous venons de faire des perso nn es qui faisa ien t partie des corporations , on voit facilement que l'association ne devait pas dans le Moyen-Age
produ ire des résu ltats autres qu'à Rome et ne pouvait pas
améliorer la situation des ouvriers ni facil iters le développement et le progrès des arts et de l'industrie.
Si maintenan t nous examinons les entraves qui étaient
mises à la liberté du travail par les diITérents règlements,
nous verrons dans quelle situati on désavantageuse se trouvait l'industrie, et oous comprendrons sans peine les efforts
-
91 -
qui furent faits par la royauté pour parer à ces inconvénients.
Oe même que tout ce qui concernait les personnes était
minutieusement prévu et prescrit par les statuts des différentes co rporations, de même en était-i l pour le travail.
Les règlements posaient en principe que toute marc.handise
doit être loyale et marchande, mais pour arriver à ce résultat ils indiquai1mt d'une façon précise la qualité el la
quantité de la matière première, Je poids, la forme et le mode de fabrication des [Jroduits. De plus, à côté de ces pre. criptions s'en trouvaien t d'autres qui marquaient une
grande défiance à l'endroi t de l'artisan qu'on soupçonnait
toujours de vouloir tromper l'acheteur. C'est ain i, par
exemple, qu'on défendait aux cou teliers de fabriquer des
manches de couteau couverts de soie ou de fils de fer, de
crainte que l'acheteur s'imaginât avoir un couteau précieux,
alors que le manche était seulement en bois blanc.
Le maître ùevait travailler :ivec ses ouvriers, mais cle plus
il devait exercer son métier à la vue du public, et c'est
ainsi que les serrurier et les orfèvre devaient avoir leur
établ i près ùes fenètres ùu rez-de-chaussée. C'est d'ailleurs
ce qui explique pourquoi, dans ces deux profc ion ,
l'u age 'est maintenn de faire du magasin l'atelier. Dans
certaines professions, le tra\'ail de nuit était interdit 1 •
Pour s'assurer de l'exécu tiou de ces disposition., les mai-
1 Nus 01fèvre ne 1mel 011t•rer de 111Lil , se ce 11 'est à (œrwn:
/on Ifoy , la lloyne, leurs r•nfctns, le11rs ,frères, et (J::vesq11e de
Paris. - E1ie11ne lloill'au, livre des l\Je11ers.
�-
92 -
tres du métier faisaient des visites domiciliaires confisquaient les marchandises défectueuses et imposaien t des
amendes aux délinquants. Les artisans ne pouvaient pas
appeler les chalands et leur faire des olTres de service.
Enfin dans chaqu e profession il était dans l'intérèt de la
conservation du monopole absolument interdit d'empiéter
su r les autres métiers.
Chacun sait à quels procès interminables ce règlement
donnaiL lieu. Tout le monde connait en effet ces rivalités
arden tes qui ont existé entre les fripiers et les tailleurs, et
les véritables poèmes tragi-com iques, qui on t été enfantés
µar les luttes des rô tisseurs et des marchands de volailles.
Nous n'insistons pas sur ce point. Ces querelles de métier
à métier, qui du re te troublaient profondément l'harmonie économique, n'étaien t que la conséq uence de l'idée de
monopole et de privilège. Mais nous retenons un point en
passant. car il a son importance au poin t de vue juridiqne,
c'est que les corporations avaient une perso nnalité morale
et pou,•aient plaider en justice par des mandataires qui les
représentaient. Ces mandataires étaient généralement les
syndics ou les jurés.
Quelle fut l'infl uence économique de ces divars règlements? Ce fu t évidemmen t de favoriser la routine au détriment du progrès par les en traves mises à \' initiative
privée et par le défau t de concurrence. Il y avait là un
résultat tell ement déplorable, au point de vue de notre
industrie nationale, ~u'il dut justement faire l'objet des
grandes préoccupations des rois qui, par diverses mesures
législatives essayèrent4 de réagir contre l'aulorité despotique
-
95 -
des corporations, sans avoir d'ailleurs jamais la force de
rompre complètement cet ordre de choses en supprimant
complétemen t ces associations.
En présence de semblables résultats, aggravés d'ailleurs
par les calamités qui affli gèrent si longtemps le pays, il e t
certain qu e le pouvoir législatif dut à. jnste titre se préo~
coper de l'organisation du travai l. Il nous reste donc à examiner les différentes mes ures qui furent prises soit pour
limiter, soit pour snpprimer le dro it d'association. Cette
étoùe historique qui part des premiers temps de notre
histoire se con tinu e jusqu'à nos jours.
Les Valois, nous l'avons vu, ne suivirent pas, à l'égard
des corporations, la même politique que le Capétiens.
Alors que ceux-ci s'étaient alliés à. la bourgeoisie pour
combattre l'influence de l'aristocratie, ceux-là, au contraire, trouvant l'influence des nobles moins redoutable
que celle de la bourgeoisie, essayèrent d'abattre celle-ci .
D'ailleurs on commence à comprendre les incoménient des
corps de métier. Lape te étant en effet venue décimer les
populations ouvrières, les prix de toutes choses avaient
augmenté et on attribuait ce renchérissement aux règlements sur le travail, et le roi Jean, par son ordonnance
de février f 561, es ayait de les opprimer. C'e t ainsi
qu'après avoir fixé le prix des différentes denrées, l'ordonnance ajoutait que dorénavant le nombre des ouvriers de
chaque métier ne pourrait plus être déterminé par les
règlements, mais devrait au co ntraire être libre; c'e t ainsi
encore qu'elle admet la liberté absolue pour tous en proclamant qu~ tout ouvrier pourra partout exercer son
�-
91,, -
métier à la cond ition que son œuvre soit loyale et bonne.
L' ordonnance ne fut d'ailleurs pas appliqu ée et resta
lettre morte. La royauté se trouvait alors trop de besogne
sur les bras pour so,oger à. faire respecter les lois qu'ell e
édictait. ll fallai t en effet continuer la guerre de cent ans,
il fallait trouver sans cesse des ressources financières nouvelles, et enfin il falltit lutter contre la bourgeoisie qui
voulait surveiller l'emp loi de son argent. C'était l'époque
oü les paysans se soulevaient contre les seigneurs, et où
Etienne Marcel, venu trop tôt dans un siècle trop jeune,
était le véritable roi de Paris : dans les campagn es , les
Jacques, à Paris, les Maillotins. Des émeutes chaque jonr;
enfin, pour mettre le comble aux malheurs publics, la
lutte des Armagnacs et des Bourguignons.
Comme dans toutes les périodes troublées, les corporations devaient jouer un rôle. Mais ce qu e nous avon s vu
se produire à. Rome avec Clodius se reproduit avec Etienne
Marcel et le duc de Bourgogne. Cc sont surtout les classe~
basses de la popu lace qui jouent un rôle dans les massacres des Armagnacs, et c'est, ainsi que nous l'avons déjà
fait remarquer, la conséquence du droit de réunion plutôt
que du droit d'association.
De toutes ces lultes la royauté sortit plus forte qu e par
le passé. Elle avait définitivement repoussé les prétentions
de la bourgeoisie qui voulait s'ingérer dans l'administration du royaume, et c'était elle qui au contraire allait faire
sentir aux corporations son pouvoir et sa force. Son intervention dans les affaires des corps et métiers allait devenir
incessante et continuelle et le prétexte qui permit cette
-
95 -
immixtion fut certai nement l'état dans lequel se trouvaient
le commerce et l'industrie à la fin de la guerre de cent ans.
Le travail avait en effet cessé partout et pour le faire reprendre les rois alléchèrent les artisans par l'appât du
monopole.
Charles VII, dès que le calme fut rétabli en France,
rendit de nombreuses ordonnances pour confirmer les
statuts des anciens corps de méti er, pour rétablir des règlements anciens, pour créer de nouvelles corporations.
Mais en même temps le roi se résen·ait une part des droits
et des amendes, d'autre part les corps de métier étaient
soumis à la surveillance des officiers royaux, et enfin le
rot avait le droit de délivrer, pour la naissance d'un prince
par exemple, des brevets de maitrise. Louis XI alla même
plus loin qu e son père et s'arrogea le droit de dispense r
certains ouvriers des épreuves de leur métier, mais bien
entendu moyennant paiement au fisc de sommes plus ou
moins fortes.
D'ailleurs le caractère de l'intervention royale fut surtout la fi scalité. Des besoins d'argent plus grands incombaient à la royauté au fur et à mesure de l'unification du
royaume et de l'extension de l'administration, aussi les rois
battaient-ils monnaie des privilèges qu'ils s'étaient arrogés.
Ils vendaient le métier, suivant l'expression consacrée et
exigeaient des redevances fort élevées de la part de tous
ceux qui voul:tient obtenir le titre de maitres. Les privilè·
ges se multipliaient à chaqu e nouveau besoin d'argent. On
inventait des sinécures et des charges grotesques, tels que
des conseillers du roi contrôleurs aux empilements de bois,
�-
96 -
des essayeurs de beurre salé. Ces extravagances, dit Vol·
Laire, font rire aujourd' hui , autrefois elles faisaient pl eurer. Le mot de Pontchartrain à Louis XIV dépeint bien les
mœurs de la royauté à cet égard : «Toutes les fois , di sailil, qu e Votre Majesté crée un office, Dieu crée un sot pour
l'acheter. »
Cependant, pour être juste, il nous faut énumérer toutes les réformes utiles au commerce et à la tlasse ouvrière
que les rois tentèrent de réaliser. C'est ai n ~ i que nous ne
pouvons pas passer sous sil ence l'ordonnance de François 1.. , rendue en 1540 , établissant par tout le royaume
une mesure unique. Il convient d'ajou ter que trois ans
après il dérogeait lui-même à so n ordonnance en perm ettant aux marchands drapiers de se servir de leurs aulnes
anciennes.
C'est a1u i à cette époque qu e se place l' institution des
tribu.oaux d ~ commerce : c'es t en eITet rn 1 !)!~9 que furent
fondes les tribunaux de Lyon, de Toulouse et de Nîmes et
'
en 1 055 celui de Paris.
Ces deux réformes prouvent bien dans quel état se trouvaien_t le commerce et l'industrie à celle époyne ; d' un e
part ~l e~t . certain que les marchand s trompaient l'achet~ur a 1aide de mesures mullipl es, et d'autre part les proces des corporations étaient si longs et si désastreux que la
nécessité
. d'une juridiction plus commod e et p1us rap1.de
,.
s 1mposa1t.
C'est encore dan s la situation écon1)m ique créée par les
..
qu'il faul rechercher la causo des prem1cres
corporations
h'b' .
pro t tt1ons empêchant l'entrée du royaume à. certain es
97 -
marchandises étrangères manufacturées et la sortie des
matières premières nécessaires à la confection des mêmes
marchandises. On voulait développer l'industrie nationale
qui déjà n'était plus à même de lutter contre la concurrence étrangère, et de là devait naitre le système protecteur.
Il faut d'ailleurs indiquer, pour être complet sur ce
point et bien comprendre la politique de Charles IX, qu' un
évènement économique important s'était alors produit,
nous vo ulons parler de l'inondation des métaux précieux
importés d'Espagne en France. Il est incontestable que
l'or affluant sur les marchés, il s'était produit une dépréciation considérable de la monnaie et partant un renchérissement très for t de toutes les marchandises. De tous
les coins du royaume sont formulées des plaintes sur le
prix excessif à quoi sont \'enues toute chose, et la royauté
imputant tout le mal aux corporations ouvrières fit tous
ses efforts pour règlementer les marchés, et par l'ordonnance de 1567, confirmée par celle de 1!)77, crut trouver un remède dans un tarif des denrées. A côté d'ailleurs
de celle mesure, qui ne devait avoir aucun e!Iet, nous
trouvons dans cas ordonnances une réforme très-sage, la
réunion de plusieurs corporations rivales en une seule.
On s'explique aisément que la royauté se soit trompée
sur la cause première de la crise que le pays traversai t à ce
moment. Les désordres et les troubles occasionnés par les
corporations étaient alors tels qu'on devait évidemment
croire que de fa naissait tout le mal. C' est ainsi qu'on comprend que les rois se soient efforcés de couper le mal dans
7
�-
98 -
la racine, et comme à leur sens c'était l'esprit de lurbulenc~ q~i ~e renc?ntrait surtout dans les confréries qu'i l
fallait repnmer, tls luttaient hardim ent contre cell es-ci.
L'Eglise avait donné Je signal de la lutte i.;ontre ces associations qui ne semblent être 1Uabties que pour favoriser les
monopoles et les crapules de lei débauclie, et avait lancé contre
elles ses anathèmes. Le Parlement, de so n côté, avait vo ul u
meure un frein à leurs excès et avait décrété l'empriso n~ement contre tous ceux qui assistaient à des banquets ou
a de~ ~s~emblées so us prétex te de confrairies. Mais ces
pr?h1b1t10ns étaien t restées sans eITet, et en 1 ?'.S39 Fran~01s I~' rendit une ordonnance par laq uelle furen t abattue~,
tnte~d'.tes et dé~en~ues toutes confrairies. Les exceptions que
': 1o1 autorisait rendirent vaines les prescriptions de
1ordonnance. Pendant tout le cours du XVI• siècle de
nombreuses ordonnances vinrent renouveler ces défe
nses,
et • t · .
c.es ~rns1 qu'on peut citer J'ordonnance de 156 1, cell e
de ~lou l ms de. 156 6' et enfin celle de Blois en 157 9.
, Enfin Henri .Ill voDlut, ap rès toutes ces ten tatives inf1 uctu eu~es, reformer compl étement l'o rganisati on des
. .
corporations. Son ordonnance de 1 xg1
supprimait com"
.
..
pletemen t les monopoles d
es maitrises et des jurandes or. .
gan1sa1t des corps. ~e métiers pour tou tes les professi~ns,
et _ces corp~ de metier élaien l corn plètemen t sous la sur.
d
ve11lance directe de l'au torité Cett
e or onnaoce, qm aurai t
•
,
cl' ·11
a1 eurs rendu de grands services à la classe des tra ·1
va1 .
. .
leurs, ne fut pas mise:
a execut1on a cause des troubles
.
. .
re'1g1eux qu i ensanglan taien t alors Je p ,
a)s .
a ·1
enr1 V, en H>97, confirma J'o rdonnance
de 1~ 8 1 ,
-
99 -
mais ne sut pas mieux l'appliquer que ses prédécesseurs.
Bien que toute sa politique ait eu pour but de favoriser
le commerce et l'industrie, nous savons par
l'aariculture,
!!>
les cahiers du Tiers-Etat, lors de la dernière réunion des
Etas-généraux, que les excès des corporations étaient tels
qu'on réclamait la suppression de toutes maitrises de métiers.
La royau té ne pouvait d'ailleurs pas renoncer à. une constitution qu i, au point de vue fiscal était si productive.
Richelieu, avec sa poli tique si autoritaire, ne songea jamais
à réaliser semblable entreprise et pendant tout son mini tère, au co ntraire , il concéda de nombreux privilèges aux
corporations dont il n'avait rien à redouter. La générosité
était d'aill eurs intéressée , car chacune de ses faveurs
était payée à prix d'or.
Colbert se propose pour but de multipli er les corporations, mais en les mettan t absolument sous la dépendance
de l'autorité royale ; c'est ainsi qu' il fut amené à. promul guer ses ordonnances de 1669, qui réglementaient d'une
façon minutieuse \' industrie des draps. JI commit, d'ailleurs,
dans l'intérêt de l' industri e, la faute d'impostlr des prescriptions trop rigoureuses aux artisans; c'est ainsi qu'en
décembre 1670 il lit rendre un arrêt par le Parlement, punissant du pilori toute infraction aux règlements. Loin
d'arrêter la fraude et de mettre un terme aux abus, cette
politique n'eut pour elTets que d'augmenter encore le- entraves apportées au commerce et à l'industrie et d'anéantir
complètement ce qui restait de la liberté du tra~ail.
En somme de tous ce efforts tentés par la royauté aucun n'eut pour résultat d'accorder au travail la protection
I'
~-"
, 1
L
-
l .
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100 -
qui lui est due et cela par une fausse conception de son
organisation. Celui-ci, en effet, ne doit être régi ni réglementé par des dispositions spéciales, et les corporations,
telles qu'elles étaient constituées au moyen-âge, n'étai ent
que des entraves inutiles qui arrêtent tout progrès en favorisant la routine. Le véritable moyen de donner de l'expansion aux arts et à l'industrie, c'est la liberté. Telle devait
être la solution à donner au problème qui s'était imposé à
l'esprit des législateurs.C'est à Turgo t que revi ent l'insigne
honneur d'avoir seul su trouver la clef de la situation et
d'avoir fait tous ces efforts pour réaliser cette grande réforme, supression des maîtrises et des j uran<les.
Turgot seul comp rit quelle entrave apportai t à la liberlé
du travail le privilège des corporations et dans son édi t de
février 1776, il les supprime, et voici en qu els term es :
([ Nous voul ons abroger ces institutions arbitraires qui ne
permettent pas à l' indigent de vivre de son travail, qui repoussent un sexe à qui sa faiblesse a don né plus de beso ins
et moins de ressources et qui sembl en t en le condamnan t 1
une misère inévitable seco nder la séduction et la débauche
qui éteignent l'ém ulation et l'industrie, et rend ent inutiles
les talents de ceux que les circonstances éloignent de l'entrée
d'une communauté, qui privent l'Etat et les arts de tou tes
les lumières que les étrange rs y appo rteraient, qu i retardent les progrès de ces arts .. . , qui enfin , par la facilité
qu'elles donnent aux membres des communautés de se
liguer entre eux, de forcer les membres les plus pauvres à
subir la loi des riches, deviennent un instrument de monopole et favorisent des manœuvres dont l'eITct est de hausser
-
101 -
au-d essus de leur proportion naturelle les denrées les plus
nécessaires à la subsistance du peuple. l>
Cet édit présenté en même temps que celui qui supprimait la corvée suscite un mouvement général parmi tous
les privilégiés. Pour faire enregistrer les édits le roi dut
tenir un lit de justice et l'avocat général Séguier prononça
un vrai réquisiloire contre la liberlé de l'industrie. ' La
suile inévitable de cette liberté sera l'anéantissement total
des arts, des artistes de la confiance et du commerce. .. .
La loi, sire, a créé des jurandes, a établi des règlements,
parce que l'indépendance est un vice de la constitution
politique .... Le but qu on prop-0se à Votre Majesté est d'étendre le commerce, en le déli vrant des gênes, des entraves .. .. Nous osons a·rnncer la proposition diamétralement
con traire; ce sont ces gênes, ces entraves, ces prohibitions,
qui font la gloi re, la sûreté, l'imm ensité du commerce de
la France.»
Malgré tout les édits furen t enregistrés. Mais dans celle
lulle sou tenue par Turgot, sa popularité avait. sombré.
Celui-ci s'en doutai t bien lorsqu 'il avait dit en arrivant au
pouvoir : ([Le peuple est si aisé~\ tromper que peut-être
j'encourrai sa haine par 1es mesures que je prendrai pour
le défendre contre les vexations.» Et Voltaire avait écrit:
([ M. Turgot fera tant de bien, qu'il finira par mettre tout
le monde contre lui . l> 1
L
.t.::s1;ui
s11 r
fr
111111 islèrl'
cfr
1'111
r1ot, par M. Fonein.
�-
102 -
Après la retraite de Malesherbes, le roi a.ccepta la ~émis
mission de Turgot le i 2 mai 1776, el un simple arret du
conseil rétab lit les corporations dès le mois d' Août suivant.
Heureusement la Révolution devait bientôt reprendre
l'œuvre de Turgot et la mener à bonne fin.
DES ASSOCU TIONS
dans le droit iutcrmédiah•c.
,
Le rn février 1791, le député d' Aliarde, an nom du
co mité de contributions publiques, déposait son rapport
sur l'abolition des corporations et l'Assembl ée nati onale
votait la loi du 2 mars, promulguée le 17 mars uirant,
supprimant toutes les maitrises et jurandes et proclamant la
liberté ah. olu e du travail. L'article 7 de la loi décidait qu'il
serait libre à tou te personn e de faire tel négoce ou d'exercer tels profession, arL ou métier qu' elle jugerait bon.
Mai le désir cl 'a seoir définitiv ement celle réforme et la
crainte de Yoir reparaître un e in stitution réprouvée par
tous. pou sèrent l'assemblée dan un e voie de réaction qui
devait avoir un ré ultal fàcheux. Le décret des 1'~ et 17
juin 1791, édi cté en vue ~ urtout de prohiber le rétabli, ement des maitrise et de jurandes upprimait le droit
d'association pour les Ollvrier .
L'article 1•r di posai t : « L'anéantis emcnl cle toutes les
espèces de corporations Jos citoyen du même état et pro-
�-
-
104 -
fession étant une des bases fondamentales de la constitution française, il est défendu de les rétablir de fait sous
quelque prétexte el sous quelque forme que ce so it. »
L'article 2 étail ainsi conçn : « Les citoyens d'un même
état ou profession, les entrepreneurs, ceux qui ont boutiqu ~ ouverte, les ouvriers et compagnons d'un art quelconque ne pourront, lorsqu'ils se trouveront ensemble, se
nommer ni présidents, ni secrétaires, ni syndics, tenir des
registres, prendre des arrêtés ou délibérations, former des
règlements sur leurs prétendus intérêts communs. l>
Le décret décidait ensuite que les municipalités et les
corps constitués ne devront tenir aucun compte des pétitions que les associations pourraient formuler relativement
à leurs prétendus intérêts communs et édictait des peines
sévères contre ceux qui pourraient ainsi se réunir.
Le décret supprimai t donc, et d'une façon absolue, le
droit d'association pour les classes ouvrières. So us aucu n
prét;xte il n'était plus permis de s'assembler pour délibérer
sar les intérêts communs. On suppose même qu' il ne peut
plus y avoir d'intérêts communs. Défense est faite d'i:lvoir
des règlements. Interdiction de nommer des présidents,
syndics ou secrétaires, inhibition formelle de se concerter.
D'ailleurs la Constituante n'avait pas cru, par ce décret,
porter atteinte à la li berté d'association. Le texte même de
l'article premier indique très nettement l'idée qui l'avait
inspirée, c'était uniqu ement la crainte de voir renaître les
privilèges et la règlementation des divers corps d'état qui
l'avait préoccupée.
A ce moment où pour la première fois le travailleur
1
to?> -
jouissait de la liberté tant individuelle que professionnelle,
on ne s'était pas rendu compte des avantages qui pourraient
résulter d'une association entre patrons et ouvriers. On
avait cru que par le fait seul de l'association les maitrises et les jurandes pourraient el devraient même renaître.
On n'avait pas fait la distmction de l'association fermée,
privilégiée et réglementée, avec l'association ouverte à tons
et librement formée. On connaissait les entraves apportées
au commerce et à l'industrie par ces institutions réprouvées
on ne soupçonnait pas les avantages qui pourraient résulter
des syndicats.
On savait qu'avec les maitrises et par le fait des privilèges le progrès de l'industrie était impossihle. Les maitres
n'y avaient pas intérêt, la concurrence n'existant pas et alors
même auraient-ils voulu le favoriser, les prohibitions et les
défenses qui pesaient sur eux les en auraient empêchés.
Pouvait-on supposer que grâce aux syndicats des centres
de renseignements précieux permettraient aux patrons,
d'ailleurs stimulés par la concurrence étrangère de s'emparer des perfectionnemen ts nouveaux et surtout de les rechercher!
La Constituante avait voulu assurer aux onvriers Je libre
exercice de leur travai l qui, avec les règlementations des
maîtrises était absolument impossible, mais elle n'avait pas
envisagé tons les bénéfices que les syndicats leur procureraient. On ne s'étai t pas imaginé qu e, par l'association,
les ouvriers pourraient librement discuter leurs droits sans
recourir aux grèves. On n'avait pas entrevu pour eux la
�-
106 -
possibilité de créer des écoles professionnelles, d'établir
des caisses de secours, des bureaux de placements.
En un mot on avait voulu faire disparaître à tout jamais
les abus engendrés par les maîtrises, et on ne s'était pas
aperçu qu' on faisait disparaitre un droit primordial, le
droit d'associat10n, si fécond en ntilités et en avantages.
Pour inaugurer un régime de liberté, on créait d'autres
entraves, et aux prohibitions de l'ancien état de choses succédaient de nouvelles pfClhibitions, et cela, d'ailleurs, d'une
façon inconsciente et certainement avec les meilleures intentions à l' endroit de ce ux envers qui on prenait les mesures sévères.
Il est juste de faire remarquer à propos de cette loi , que
des coalitions nombreuses et turbulentes descendaient chaque jour dans la ru e et que redoutant les réunions tapageuses, on a\•ait par cette loi proscrit la liberté d'association
en haine de la liberté de réun ion et que c'es t de là que part
la confosion que nous avons indiquée et qu e nous verrons
plus caractérisée de JOUr en jour.
C'est aussi sous l' impulsion de ce sentiment que la loi
uu 22 germinal an Xl fut édictée. Les émeutes dans les rues
devienn ent chaqu e jou r plu s fréqu entes, et pour y mettre un terme le législateu r déclare que la coalition est nn
délit et édicte des peines spéciales. Cependant la loi de
ge rminal ne punissait que les coalitions form ées entre les
ouHi ers et non celles que les patrons anraieot pu form er.
Qu elles ont été et qu ell es devaient être les di spositions
du régime impérial relativement à la liberté d'association?
Nous avons dit, en étudiant les collèges d'artisans à Rome,
-
107 -
que plus le gouvernement est absolu moins grande devient la liberté d'association. Napoléon, qui rêvait une règlementation générale, ne devait pas se montrer favorable à
l'expansion de cette liberté. Si nous nous plaçons à un point
de vue général et absolu nous trouvons, en efîet, dans le
Code pénal de 1810, l'article 291, qui interdit les associations de plus de vingt personnes.
Arrêtons-nous un peu à cette disposition, qui nous régit
encore et tout d'abord examinons les termes mêmes de
l'article. li est ainsi conçu : " Nulle association de pin s de
vingt personnes, dont le but sera de se réunir tous les
jours ou certains jours marqués, pour s'occuper d'objets
religieux, littéraires, politiques ou autres, ne pourra se
former qn 'avec l'agrément du gouvernement et sou les
conditions qu' il plaira à. l'autorité publique d'imposer à la
société. ])
La première réflexion qui se présente à l'esprit à la lecture de ce tex te de loi, c'est !"étrange confusion qui y règne
dans les termes. Le lég islateur emploie tour à tour les mots
association, se r~unir, soci~t~. Cette co nfusion des mots doit
forcém ent se retrouver et se reproduire dans les idée .
Nous voyons là de la faço n la plus évi dente le défaut de
distinction entre l'association proprement dite et la réuni on.
Une seule chose a préoccupé les rédacteurs de l'article : le
trouble qu ' un e réunion de plus de vingt personnes pourrait, ~t un moment donné, occasionner dans l'ordre social
et cette crainte, doublée par les préoccupations poli tique .
les a empêchés de discerner qu'il y avait une différence
dans Io fait du se réunir t)n commun pour penser, ce qui
�-
108 -
caractérise la réunion, et le fait de se réunir pour agir, ce
qui conslitue l'association.
Le législateur a donc apporté la même limite à l'exercice
d'un double droit et nous avions donc raison de signaler
cette confusion, qui s'est perpétuée jusqu'à notre époque
et qui d'ailleurs n'a pas disparu depuis bien longtemps,
car la loi sur la liberté de réunion qui depuis de longues
années était à l'ordre du jour de la Chambre, n'a été votée
que récemment.
f\lais nous n'avons pas à nous préoccu per ici de l'entrave
apportée par le Code à la plénitude du droit de réunion,
mais seulement des obstacles mis par l'empereur à l'exercice du droit d'association. Notre article 291 nous prouve
que , d'une façon générale, aucune association ne pouvait
librement se former puisqu'il fallait une autorisation préalable du gouvernement. Nous avons déjà vu qu'à ce point
de vue cette me3ure est sage, l'autorisation gouvernementale est en quelque sorte pour rappeler un e expression par
nous déjà employée, l'acte de naissance de la personne
morale. Nous ne saurions donc blàmer cette disposition,
mais ce que nous reprochons à l'article, c'est de laisser un
pouvoir arbitraire au gouvernement relativem ent aux conditions dans lesquelles la société devra se constituer. Une
association quelconque ne peut vivre et prospérer qu'à la
co ndition de pouvoir se form er libremen t, si donc le gouvernement est libre de déterminer les cond itions qu'il lui
plaira d' imposer il y a dès l'origine un vice qui entraînera
la chute de l'association. li ne peut y avoir d'autres limites
à. l' exercice de ce droit, que le droit des autres citoyens et
- 109 et l'on doit laisser la liberté absolue à ceux qm s'associent
dans un but déterminé.
.. 1 .
resprit de la 1eg1s
at1on
. Ainsi donc d'une façon générale
a cette époque est loin d'être favorable au d. 1oppement
eve
du droit d'association.
Voyo~s maintenant ce qui concerne plus spécialement
~otr.e su1et. Et demandons nous si celui qui a fait édicter
. .
1,article. 291 pouvait se montrer favorable aux· assoc1at10ns
Poser la question c'est la résoudre , et Napo1.eon
d ouvriers.
. .
q~1 avait une si grande peur de la foule turbulente, ne de-
vait pas montrer une grande sympathie pour cette classe de
la société, qui, il faut bien le reconnaitre n'est souvent que
.
d.
trop isp.osée a causer du dèsorclre. N'était-ce pas lui, en
effet, .qui sous le Consulat avait fait promulguer la loi de
Germmal ? Est-ce qu 'il n'avait pas déjà prouvé au moment
de la rèdaction du .Code civil qu'il estimai t mieux les pat~ons que les oumers, en décidant qu'au cas de contestation le maître est cru sur parole? Dès lors peut-on s'étonner de voir les articles 414, 4 1~ et 416, sur la coalition
des ouvriers? Evidemment non.
Nous .nou~ bornons en ce moment à une simple revue
de la .lég1slatwn et dès lors nou s ne pouvions pas ne pas
~enttonner cette disposition importante, sur notre mat:er~ ~ nous nous réservons d'en discuter la légitimité et
1utilité dans l'examen de la loi de 1884, et pour arriver à
c~tte partie de nôtre tâche il ne nous reste plus qu'à examiner les diverses transformations que la section dans
laq~elle se trouvent comprises ces articles à subi jusqu'à
OOSJOurs.
�-
110 -
Pour bien comprendre la portée de ces transformations
il nous faut d'abord examiner le texte et l'esprit de ces
articles.
Le Code de 18i0 disposait de la laçon suivante :
Article 4U. - Toute coalition entre ceux qui font travailler des ouvriers tendant à forcer injustement et abusivement l'abaissement des salaires, suivie d'une tentative ou
d'un commencement d'exécution sera punie d'un emprisonnement de six jours à un mois et d'une amende de
deux cents à trois mille francs.
Article 41 :S. - Toute coalition de la part des ouvriers
pour faire cesser le travail dans un atelier, empêcher de s'y
rendre et d'y rester avant ou après de certaines heures et
en général pour suspendre, empêcher, enchérir les travaux,
s'i l y a eu tentative de commencement d'exécution $Cra
punie d'un emprisonnemen t d'un mois au moins et de trois
au plus. - Les chefs ou moteurs seront punis d' un emprisonnement de deux à. cinq ans.
Article 4-i 6. - Seront punis de la peine portée par l'a rticle précédent, et d'après les mêmes distin ctions, les ouvriers qui auraient prononcé des amendes, des défenses,
des interdictions ou toutes proscriptions, sous le nom de
damnations et sous qu elque qualiti cation que ce puisse être
soit contre les directeurs d'ateliers et entrepreneurs t.l'ouvrages, soit les uns con tre Jes autres. - Dans le cas du
présent article et dans celui du précédent, les chefs ou moteurs dn délit pourront, après l'expiration de leur peine,
être mis sous la surveillance cle la haute police, pendant
deux ans au moins et cinq ans au plus.
- 111 Notons on passant que 1 C d
que la loi de Germinal e e o .e se montre plus rigoureux
ciation, puisqu'il répr(men lcel~bu1 concerne le droit d'assoa i erté que les
d
patrons avaient
.
e se con~erter et de s'a
ssocier C'es t d' 'li
a1 eurs évidem·
ment dans un but d'é 'té
tée. Il fallait après a q~1 que cette restriction a été porvoir protégé les p t
'
.
a rons contre les ou. .
vriers, assurer aussi à
ceux-ci une prot .
.
ectwn contre les
maitres. Le Code porte d
u reste en soi 1
a preuve de la
.'
sympathie que le législateu.
r avait pour ceLL 1
e casse, car on
ne peut s'empêcher de
remarquer que les .
. .
pem es corporel1es edictées à l'encontre d
es patrons sont pl lé .
us gere que
!es pénalités encourues p 1
.
ar e ouvriers A'
. Joutons encore
1· .
que les promoteurs des
coa itions ouvr·è
r res sont recherchés
et punis très sévèrement 1
i.
, a ors qu e la loi
d. .
ne ait aucune
.
istinction parmi les t
pa rons qui se ont coalisés
.
Mais là n ' est pas pour nous l'intérêt d 1 ·
e a discuss ion.
Nous nous placons à un point de v
..
ue general et nous ne
•
distinguons pas en tre 1
·
es maitres et les
ouvriers. Nous recherchons ce qu 'a ét. 1 d .
e e rort d'as · ·
so~1at1on jusqu 'à nos
. jours et nou s avons à nou - d
de 1810, l'exercice en éla·~ emander sr en l'état du Code
syndicats tels que no 1 ' on non pos ible? En un mot le
us es comprenons a . d'h .
. UJ~ur u1 et tels
.
que nous les voyons fonctio
. nu er pouvaient-lis se constituer
so us l'empire del d
. a octrme des articles 414, 4 1o et 416 ?
Pos 1
·
er a qucs twn c' 1 ·
es t a reso uûre. Il ne pourrait venir à
l'idée de .
que ni l per so~ne d~ so utenir l'affirmativ e et il e t cerLaiu
.
es ouvriers nr les patro
ns ne pouvaient s'associer
•
pour défendre 1 , .
~ur s mtérets communs. En effet les patron
à raison d'
. diminuant' le prix de
un e Cll'CO nsuance extérieure
�- tU . , vre voulaient-ils se concerter pour adopter
la mai~ d œu d' l . es l'article 414 se dressait menan abaissement e sa atr •
. . d ·
u
ê her Les ouvriers avaient-ils e 3ustes
çant. pour lesden em!r\a diminution des heures de travail
motifs po~r eman . li leur fallait exercer individuelleet \'élévation des prix.
,. , · ·ent ils commet·
ment leurs réclamations, car sils s um~sai
.
de
..
,
posaient
aux
pemes
.
l d Tt
de
coaht1on,
et s ex
.
ta1ent e e 1
.
laient constituer
1
l'article 4i 4, et si au cas de gr~ve l s vou
de l'arti. de réserve ils tombaient sous le coup
une caisse
L'
· f on était
cle 416. Ainsi donc de liberté, aucune. associa l
matériellement impossible.
.
l'b . l ne devait pas
Ce régime si rigoureux et s1 peu l era
.
et de nombreuses conêtre modifié par la restauration,
.
,
damnations furent prononcées contre les ouvriers e~ ,er~u
de ces dispositions. Le seul fait intéressan~, . au pornt tr:
vue de \'association, pendant toute cette per10~e. de no
d1fferentes du
histoire ' fut la tentati~e faite à deux reprises
·
d
rétablissement des maitrises et des 3uran es. Nous . nous.
exp liquons et nous comprenons très bien ces essais q~1\
·
·
1 er t'e du trava1
ne réussirent pomt.
La l'b
heureu~ement
~
·
ï pparte.t e'té proclamée par la Révolution française, l a
ava1
. 1 · l mentanait à la Restauration d'essayer de rétabltr. a re~ e
tion Cette entreprise échoua grâce à la délibération ded1.a
Cha~bre du commerce qui dans son rapport en 1 8~ 1 eclarait que : cc Nulle cause n'a contribué au perfect1~nne-.
·
ment des manufactures françaises,
autan t que la ltberte
· lies ' par \'aboendue à l'exercice des professions in dustne
r
• .
·
d'arts et
lition des jurandes, maitrises et corporations
métiers 1 • l>
1
Moniteur clo'~ 821, p. 398.
-
H3-
Après la Révol ution de Juillet la misère qui régnait dans
les classes ouvrières depuis longtemps déjà ne fit qu'augmenter dans de notables proportions. La lutte entre les
patrons et les ouvriers menaçait à chaque instant d' éclater.
C'est ainsi que nous voyons les ouvriers de Lyon réunis en
sociétés de secours mutuels, s'emparer de la ville par la
force el obliger les troupes envoyées contre eux à batlre en
retrai te. Les associations ouvrières poursuivies el condamnées devan t les trib unaux, changent de caractère el deviennent politiques et à la suite de troubles su rvenus dans Paris,
le gouvern ement propose et fait voter la loi de 1854, permettant d'atteindre les sections des sociétés secrètes dont les
ad hérents étaient en nombre inférieur à 20 et pendant toute
celte période de l'histoire nous voyons de r.ombreoses condamnations pron oncées contre les coal itions d'ouvrie1·s
(grève des charpentiers, en 1852, 1855 et 1845 grève des
mineurs) .
Un fait curieux à noter, c'es t l' importance que l'on commence à attacher au phénomène de l'association. A cette
époqu e n0us voyons, en efTet, tous ceux qui ~ e préoccupent de la question sociale. proposer comme remède à l'état
de misère qui règne partou t, l'association sous toutes ces
formes. Nous assistons d'abord au dévelo ppemen l du
Saint-Simonisme, et nous voyons à l'hôtel de Gèvres
d'abord, à Ménilmontant ensui te, les disciples de celle
nouvelle rel igion tenter leur utopique essai de la rie en
commun. Cette œuvre est reprise par les Fourriéristes, qui
foot eux aussi, un e vaine tentative de phalanstère. Tous
ceux à qui l'liistoire a réservé le nom de socialistes, rêvent
8
�-
114 -
une réorganisation de l'état social par des associations,. et
Louis Blanc cherche à instituer dans l' intérêt du prolétaire
des ateliers nationaux. En 1839, l'académie des sciences
morales propose comme sujet de c~nc? urs ,: « R~c~ercher
les applications les plus utiles du pr10c1pe d assoc1at1on volontaire et privée pour soulager la misère. »
A la suite de ce mouvement irrésistible de l'opinion en
faveur de la société, nous constatons d'abord la création de
quelques sociétés coopératives J'ouvri~rs (~sso~iati ons des
ouvriers bijoutiers de Paris, des ouvriers imprimeurs) ~l
ensuite de nombreuses sociétés de seco urs mutuels desl1nées adonner des soins et un salaire aux ouvriers malades.
Ces sociétés, d'abord assez mal vues par le gouvernement,
obtiennent cependant sa faveur sous le ministère de M. de
Rémusat 1. AMarseille une so rte de syndicat des sociétés de
secours se forme et il est dirigé par un grand conseil d'administration comp osé des présidents des différentes sociétés.
Nous n'avons d'ailleurs pas à nous occuper ici de l'association ouvrière sous ces deux. aspects, sociétés coopüatives et sociétés de secours. Ce sont des faces distinctes de
la question, prévues par des lois spéciales et nous n'avons
à nous inquiéter que des syndicats professionnels, qu.e
dès cette époq ue nous voyons apparaître, (chambres syndicales des charpen tiers, maçons, serruriers, couvreurs fumistts, peintres, imprimeurs lithographes). C'est, en eITet,
1 Circul. du 6 ao1'1t 184-0. Monit. cl e 184-0,
p. 1853.
- 11?> sous Je règne de Louis-Philippe que ces diverses associations prirent naissance à l'instigation des patrons de Paris.
Mais ces divers syndicats, à raison mème des articles 414
et 415 du Code pénal, n' étaient que tolérés et la précarité
de leur si tuation les empêchait d'atteindre le développement auquel ils devaient arriver plus tard.
La Révolution de 1848 ayant été faite par les ouvriers,
le Gouvernement provisoire et plus tard la République, devaient forcément s'occuper de toutes les questions intéressant les classes ouvrières. Au point de vue spécial que
nous traitons la Constituante fut saisie d'une proposition
de loi tendant à abroger le délit de coalition ou tout au
moins à ue punir les coalitions que dans les cas où « elles
emploient des moyens de violence ou des paroles d'intimidation . 1> La Constituan te se sépara sans s'être prononcée
à cet égard.
La proposition fut reproduite à l'Assemblée législati\·e
par M. Greppo le 25 juin 1849. Elle donna lieu a de longues discussions. Mais malgré le talent dont firent preuve
les adversaires du Code pénal après trois lectures la loi du
27 novembre 1849, fut votée.
Cette loi modifia ainsi qu'il suit, les articles 4t4, 1~1 ?>
et 416 :
Article 4 14 . - Sera punie d'un emprisonnement de six
jours à trois moi s et d'une amende de seize francs à trois
mille fran cs : 1° Toute coalition entre ceux qui font travailler des ouvriers tendant à forcer l'abaissement de salaires, s'il y a eu ten tative ou commencement d'exécution;
~ Toute coalition do la part des ouvriers pour faire cesser
0
�-
116 -
en même temps de travailler, interdire le travail dans un
atelier, empècher de s'y rendre avant ou après certaines
heures, el, en général pour suspendre, empêcher, enchérir les travaux, s' il y a eu tentative ou commencement
d'exécution. - Dans les cas prévus par les deux paragraphes précédents, les chefs ou moteurs seront punis d'on
emprisonnement de deux ans à cinq ans.
Article 41 5. - Seront aos i punis des pein es portées
dans l'article précédent et d'après les mêmes distincti ons,
les directeurs d'ateliers ou entrepreneurs d'ouvrages et les
ouvriers qui de concert auront prononcés des amend es au tres que celles qui ont pour obj et la disciplin e intérieure
de l'atelier, des défenses, des interdictions, ou toutes proscriptions sous le nom de damnations ou sous qu elque qualification que ce poisse être, soit de la part des directeurs
d'ateli er ou entrepreneurs contre les ouvriers, soit de la
part de ceux-ci contre les directeurs d'ateli ~ r ou entrepreneurs, soit les uns co ntre les autre -.
Article 416. - Dans les cas prévus par les deux articles
précédents, les chefs ou moteurs pourront ap rès l'expiration dr, leur peine, être mi sous la surveillance de la haute
police, pendant deux ans au moins et cinq ans au plus.
Quelle est l' éco nomi e app ortée par cette nouvell e loi au
Code de 18 1O? On la comp rend de suite a la lecture seule
des articles. Le législateur de 1849 a voulu établir une
égalité absolu e cotre les coaliti ons des ouvri ers et cell es des
patrons.
H7-
Si en théorie le projet était bon - et nous reconnaissons sans hésiter que la justice et la logique exigeaient l'assimilation des deux. délits similaires au point de vue de la
répression. - Il faut reconnaitre qu'en pratique la nouvelle loi ne devait pas produire de grands effets. Il est, en
effet, bien difficile de pouvoir atteindre la coalition des patrons. Le nombre restreint de ceux-ci leur permet, en
effet, de se concerter très facilement et le concert ne se révèlera pas co mme le co ncert des ouvriers, soit par des faits
extérieurs, soit par des violences commises envers ceux qui
ne voudrai ent pas en faire partie. Enfin , d'autre part, il
semble difficil e qu e les patrons poissen t imposer des damnations, so it envers les ouvriers, soit envers eux.
En somme la législation laisse sob ister avec une nuance
les principes établi s par Napoléon l" . Le fait eul de e
réuni r et de se co ncerter constituait pour la clas e ouvrière
un délil.
Cependant malgr6 cette menace perpétuellement suspendu e sur leurs têtes les yndicats co ntinu ent à se développer et à progres,er. On commence à apprécier leur services. Par leur -age méd iati on de graves difficultés sont
aplanies, des cen tres de renseignements sont créé . De
tous cô tés commencent à surgir des association professionnelle , ùont l'organisation e t calquée sur les trade union ,
fon ctionnant entre ouvriers en Angleterre.
Il appartenait au gouvernement de changer la tolérance
en on droit el d'assurer une exi tence moins précaire à ces
institu tions, dont les :ivaotages se faisaien t de jour en jour
sentir ùe plus en plus.
�-
-
tt8 -
les coalitions, elle est loin de favoriser les associations puisqu'elle interdit tout concert entre ouvriers.
L'empire fil voler la loi du 2~ mai 1864, abrogeant les
articles 414, 415 et 416 du Code pénal remaniés en 1849
et édictant ainsi qu'il suit :
Article 414. - Sera puni d'un emprisonnement de six
jours à trois ans et d'une amende de seize à trois mille
francs ou de l'une des deux peines seulement, quiconque,
à l'aide de violences, voies de faits, menaces ou manœuvres frauduleuses, aura amené ou maintenu, tenté d'amener ou maintenir une cessa tion concertée de travail dans le
but de forcer la hausse ou la baisse des salaires ou de porter atteinte au libre exercice de l'industrie ou du travail.
. Article 41 ~. - Lorsque les faits punis par l'article précedent auront été comm is par suite d'un plan concerté, les
coupables pourront être mis, par l'arrêt ou le juaement
sous la surveillance de la haute police pendant deuxl) ans a~
•
plus.
Article 416.- Seront punis d'un emprisonnement de six
jours à trois mois et d'une amende de seize francs à. 1rois cents
francs, ou de l' un e ou de l'autre de ces deux peines, seulem~n.t ~o~s ou,vriers, patrons et entrepreneurs d'ouvrage,
~u 1 a l aide d amend es, défenses, proscriptions, interdict1on.s prononcées par sui te d'un plan concerté, auront porté
attemte au libre exercice de l'industrie ou du travail.
Nous n'insisterons pas sur ce texte de loi qui est celui
qui nous régit encore et que nous allons avoir à di scuter
dans l'examen de la loi de 1884, mais nous remarquons
en passant que si la loi du 2;) mai 1864 , ne réprime plus
1t9 -
\
Mais malgré cette prohibition, la tendance marquée qui
avait poussé les ouvriers à constituer des chambres syndicales pour trancher am iablement les difficultés pouvant
s'élever avec les patrons, ne fait que s'accentuer de jour en
jour. Les services marqués dus aux associations professionnelles en développent le nombre, etc'estainsi qu'en 1884,
au moment de la promulgation de la nouvelle loi, on comptait 422 associations syndicales, dont 184 patronale et
258 chambres ouvrières .
Pouvait-on laisser subsister indéfiniment un semblable
état de choses? Toutes ces association s qui n'étaient que
tolérées se trouvaient dans une situation anormale, puisque d'un jour à l'autre elles pouvaient être poursuivies et
dissoutes. D'autre part, au point de vue juridique, elles
n'avaient aucun droit, n' étaien t soumises à aucune conditi on et par conséquent échappa ien t à. tout contrôle.
Une so lution à ces difficultés s'imposait an législateur.
Il fallait une loi proclaman t la légitimité du droit d'' sociati on et d'autre part règlemen tant l'ex ercice de ce dro1l.
Dès 1876, M. de larcère avait fait une première tentatirn
en faveu~ de ' yr:dicats ; en 187 , ~I. Lockroy fit à son
tour un e proposition à la Chambre dans le même sens, et
enfin en 1880, le gournrnemeot présenta un projet qni esl
devenu la loi du 21 mar 1884.
Nous allons maintenan t commenter cette disposition
�-
120 -
législative qui peut-être imparfaite encore au point de vue
des détails, marque cependant un grand pas dans la voie
de la civilisation et du progrès en reconnaissaut l'efficacité
de l'association· pour l'amélioration du sort des classes ouvrières.
LOI DlJ 21 ltl.UlS '1884.
Il nous reste maintenant pour achever notre étude sur
les syndicats professio nnels, à commenter la loi du 21
mars 1884.
Notre plan pour ce commentaire est des plus simples en
même temps des plus rationnels. Nou, examinerons la loi
arti cle par article. Nous avons en elTet la bonne fortune de
nous trouver en présence d'un document législatif qui dispose d'abord de l'existence des syndicats, de leur composition et de leur objet, des formalités imposées pour leur
création, ensuite de l'étendue de leurs droits et enfin des
sanctions.
ARTICLE PREMIER.
Sont abrogés, la loi d11 14-17 juin 1791. et l'article 416
du Code p~nal.
le~ articles
29 J, 29 :2. :295, .294 rl 11 Code péual et la loi du
�- 122 10 avril 1854 ne sont pas applicables aux SIJndicats pro{es-
-
siomiels .
L'article premi er est en quelque sorte une préface absolument indispensable à la loi.
Nous avons vu en effet dans l'ex posé historique que
nous avons fait de la matière, qu'en fait et malgré les prohibitions nombreuses qui existaient , un très grand nombre
de syndicats s'étaient constitués. Mais en som~e leu~
existence n'était qu e tolérée et partant très précaire et 11
fallait dès l'instant qu' une loi les reconnaissait, abroger
toutes les dispositions prohibitives qui les ccincernaient. 11
fallait, en effet, que les syndicats pussent être composés
d'ouvriers sérieux, s'occupant volontiers des choses de
leur métier et pour attirer cette catégorie de travailleurs il
était nécessaire de ne point laisser suspendues sur leur tête
des menaces pénales, sinon c' eut etélaisser le champ ouvert
anx discoureurs de clubs, aux parleurs de réuni ons publiques, aux adeptes des doctrines sociales, qui vol onti e~~
s'in titulent ouv riers sans travail et qui ne sont bons qu a
semer dans l'esprit de leurs camarades, des germes de ré·
volte et de fausses idées écono miques et philosophiques.
Le législateur a compris la nécessité qui s' imposait à lui,
il a commencé par abroger la loi des 1 ,~ et 17 juin 179 1.
No us avons vu dans quel esprit cette loi avait été votée. 11
s'agissait au lendemain du jour où les corporations avai e~t
été suprimées, d'éviter leur reconstitution . Il est certain
qu'au moment où l'Assemblée législative promulgua cette
l
125 -
loi elle ne s'était pas rendu un compte exact des bienfaits
que l'ouvrier trouverait dans l'association, c'est ce qui explique qu'elle soit allée jusqu'à nier l'existence d'intérêts
communs entre ouvriers de la même profession. Toujours
est-il qu e cette loi votée dans ces conditions, prohibait formellement toutes associations entre ouvriers. Cette loi qui
d'ailleurs en fait n'avait d'autre sancti on que la dissolution
des associations qui pouvaient se former entre ouvriers ne
pouvait plus subsister le jour où l' on reconnaissait que
dans la société actuelle, grâce aux conditions économiques
du travail, l'association entre ouvriers devait être permise.
Le législateur de 1884 a donc sagement agi en abrogeant
une loi dont le prin cipe était suranné.
L'article 1•• abroge encore l'article 416 du Code pénal.
Ce n'a pas été sans difficultés que cette disposition a été
inscrite dans la nouvelle loi. Si nous suivons pas à pas la
discussion devant la Chambre et au Sénat, nous voyons en
efTet qu e la Chambre abroge d'abord l'article 416. Le Sénat
le main ti ent en vigueur. Lorsque le projet de loi revien L
devant la Chambre celle-ci ne se déjuge pas et maintien t le
texte tel qu'elle l'avai t pri mitivement voté et enfin le Sénat
ne l'admit qu'a près une très vive discussion qui dura plusieurs jours et grüce surtou t aux énergiques efforts du r:ipporteur de la loi, l'honorable .M. Tolain.
Nous croyon que le législateur a sagement disposé
en décidan t ain i. Nous avons vu de quelles faço ns 1''1rti cle 4 1G du Code pénal avait été ucces ivemen t modifié depuis la rédaction du Code. L'empire libéral avait
vouJu avoir l'air de o mon trer généreux vis-à-vis des classes
�-
-
U4-
ouvrières en supprimant le délit de coalition , mais en réa~
lité si de nom le délit avait disparu , de fait le texte de la 101
du ~t) mai 1861., le laissait subsister, en efîet l'article M6
pun it l'atteinte portée au libre exerc~ce de . l'ind~strie par
suite d'un plan co ncerté. Or qui dit syndicat s occupant
des intérêts d'une profession, dit forcément plan concerté.
Il est bien évident, en effet, que ce ne sera jamais qu'à la
suite d'un accord intervenu entre les membres d' un syndidat qu'une grève sera déclarée, et d'autre part il ~st ~ertain
que le syndicat, s' il n'a pas pour seul but l'organ1sat1on d.e
la grève, devra dans certain cas y recourir. ~n se trouvait
donc en présence du dilemme suivant : ou bien ne pas a~
toriser les syndica ts, ou bien abroger l'article 416. La 10 1 a
pris ce second parti et nous le répétons, nous croyons
qu'elle a sagement agi.
Mais peut-on dire : pourquoi abroger comp lètement l'article 1.,16? On conçoit à la rignenr qu'i l ne soit pas applicable aux syndicats. Mais pourquoi décider qn e le plan concerté par qnelyues ouvriers, en dehors de tou te association
ofîranl plus ou moins de garanti es en vue d·une grève par
exemple, ne sera pas punissable? A cela nou s répondons,
que si d'une part on admet comme conséquence forcée du
syndicat le plan concert é, on ne peut pas le refu ser à un
aroupe déterminé d'ouvri ers non réuni en syndicat. D'ail~eurs à côté de cette distinction qu i pourrait devenir bien
souvent bysantine, il fau t faire remarquer qu'il serait bien
facile d'éluder les dispositions de l'article td6, en fon dant
un syndicat même pour un cas déterm iné, pour une seule
grève, pour reprendre l'exemple déjà donné. Il était don c
125 -
beaucoup plus sage de disposer d'une façon générale que
l'article 416 était abrogé.
Cette disposition aurait à notre avis du êlre plus générale encore et les articles 414 et 41 n auraient dû subir le
même sort que l'article 416. M. Allain Targé, dans la
séance du 17mai1881, avai t demand é leur abolition. Les
délits prévus dans ces articles, sont en eJTet des délits de
classe ({ qu e notre code égalitaire n'aurait pas dû recon naitre. » La Chambre ne se rangea pas à son avis et accueillit le main tien con formément à l'opinion de M. Ribot,
qui argum entait surtout des législations étrangères. li faut
espérer qu'a\•ant peu une réforme sera établie dans la loi
pour réparer cette omission, il est certain que le délits
ouvri ers ne devraient pas être prévus par loi pénale.
« Pourqnoi, dit M. Jules Simon, dans son traité de la
liberté civ ile, faire un code pénal contre les violences exercées par les ouvriers, quand tou tes le' violences, quels
qu'en soient les au teurs , sont prévues et punies par la loi
commune? 1 :o
Enfin il existait encore dans nos lois pénale des di positions absolument contraires avec la coo~litution des syndicats. Nous voulons parler des prohibitions portées par
les arti cles 29 l et suivants et par la loi du l 0 août 1831~,
contre les réunions de plus de vingt per·onoe ou des .ection de moins de vingt personnes d'une même association. Il était évident que toutes ce disposition ùevaicnt
1
Ln liborLé civilo, p. 231.
�-
-
U6-
être déclarées inapplica.bles aux syndicats ouvriers et c'est
ainsi qu'a disposé l'article I••.
Relativement à cette disposition il résulte très nettement
des débats auxquels ont donné lieu la loi de 1884, que
seuls doivent en bénéfir.ier les syndicats réellement professionnels. De sorte que si une société politique ou religieuse
se fondait sous Je nom de syndicat professionnel, il ne s'ensuivrait pas forcément que grâce à son étiquette elle pourrait se soustraire aux prohibitions du Code pénal. Les tribunaux auront dans ce cas le devoir et la missil)n de
s'assurer si la sociét9 poursuivie est oo non un syndicat
formé conformément à la loi nouvelle.
ARTICLE
2.
les syndicats oit associations professionnelles même de plus
de vingt personnes, exerçant la même profession, des métiers
similaires, ou des professions connexes, concourant à l'établissement de produits déterminés pourront se constituer librement
sans l'autorisation du gouvernement.
L'article 2 pose le principe de la liberté absolue des
syndicats. - Le syndica t peu l se former sans avoir besoin
au préalable de rapporter l'au torisation du gouvernement.
Étant donnée l'intention, chez le législateur, le désir de
dévdopper dans les classes ouvrières l'esprit d'association ,
li était de toute nécessité de supprimer la demande d'au-
t27 -
torisation qui à raisorr même de son aléa était de natnre à
empêcher la constitution d'un grand nombre de syndica.ts.
D'ailleurs les intérêts qui sont en jeu dans ces associations
étant des intérêts éminemment privés, quel intérêt y avaitil à admettre l'ingérence gouvernementale. Si l'article 2
n'avait pas disposé comme il l'a fait, la loi sur les syndicats, serait restée lettre morte.
Quelle est la condition primordiale exigée pour les syndicats? Il faut absolument que toutes les personnes qui en
font partie exercent la même profession, des métiers similaires ou des professions connexes.
A ce sujet un e première question se présente, qu e faut-il
en tend re par profession? La profession dans le sens usuel
des mots, s'entend de l'exercice habituel et régulier de certai ns travaux. L'avocat, le médecin , le militaire, exercent
des professions.
La loi établit-elle un e distinction entre les professions
au point de vue de la constitution des syndicats . En aucune
faço n et dès lors il sembl erait que toutes les professions
sont aptes à former des syndicats.
La Cour de cassation en a décidé autrement. Par son
arrêt en date du 27 juin 1885 1, la Chambre criminelle
refuse aux médecins le droit de former un e chambre syndicale : «Attendu, dit l'arrêt, que la loi sur les syndicats
professionnels n'a point été rendue applicable à toute les
professions; que les travaox préparatoires ont constamt
Gaz. du Pnl. 1885, 2• semestre, 188.
�-
128 -
ment afllrmé la volonté du législatem d'en restreindre les
e!Tets à ceux qui appartiennent, soit comme patrons, soit
comme salariés, à l'inùustrie, au comm erce et à l'agriculture, à l'exclusion de toutes autres personnes et de toutes
autres professions ; que la loi n'est pas mo ins abso lue dans
ses termes, puisque d'une part , dans l'article 6, elle réserve les droits qu'elle confère aux seuls syndicats de patrons et d'ouvriers; que d'autre part, dans l'arti cle 5, elle
limite l'objet de ces syndicats à l'étude. et à la défense des
intérêts économiques, industriels, commerciaux et agricoles, refusant ainsi le droit de former des syndicats à tous
ceux qui n'on t à défendre aucu n intérêt industriel, commercial ou agricole, ni par suite aucun intérêt i'conomique
se rattachant d'une faço n générale à l' un des intérêts précéden ts; qu'en déclarant, en conséquence, que les médecins, dont le nom n'a été prononcé ni dans la loi ni dans
la discussion de la loi du 11 mars 188/i., n'avaient pn régulièrement former un synd icat professionnel dans les termes
de ladite loi, l'arrêt attaqué en a justemen t in terprété les
dispositions.
l)
Nous n'acceptons pas, pour notre part, l'opinion de la
Cour suprême. No us ne voyons pas, en e!Tet, que le législateur ai t entendu restreindre exclusivemen t l'effet de la loi
à ceux qui apparti ennent, soit comme patrons, soit comme
ouvriers ou salariés à l'industrie, au commerce ou à l'agriculture. li a au contraire entendu parler de tontes les professions, si telle n'avait pas étê sa pensée il se serait servi
plotôt de l'expression de métiers, qui est applicable à
toutes les professions relatives au commerce, à l'ind ustrie
-
129 -
et à l'agriculture. Quant aux termes de l'article 6, on ne
saurai t y voir l'expression de la pensée dn législateu r. En
parlant de patrons et d'ouvriers il s'est préoccupé du quod
plerumque Îll et a supposé que la plupart des syndicats comprendraient des patrons ou des ouvriers. D'ailleurs l'article 6 se préoccupe de la personnalité civile des syndicats et
nous verrons en étudian t cet article qu'un lrnendemenl
avait.été dé~osé pour n'accorder la personnalité qu'aux
s!nd1cals m1xte.s de patrons et d'ouvri ers, de là les express10ns de cet article. De plus, dit l'arrêt, la loi ne permet
que les syndicats ayant pour objet exclusivement la défense
cl l'élud e des intérêts commerciaux, industriels ou aarizcoles ou des intérêts économiques se rattachant aux préi;éclen ts. Le mot exclusivemen t se trouve bien dans la loi
mai ~o.u s croyons qu'i l vise surtout les intérêts politique;
ou religieux et qu'i l n'a pas pour but de s'appliquer à une
catégorie de professions. Enfin la Cour de cassation suppose
que les syndica ts ne peuvent avoir pour objet que des intérêts économiques se rattachant seulement au x intérêt commerciaux, industriels et agricole . Pourquoi cetLe distinction que l:t loi n'a pas fa ite en mettant les quatre épithètes
sur la mème ligne. Ne peut-11 y avoir d'intérêt économi_
ques en dehors de ceux du commerce, de l'industrie et de
l'agriculture? Les médecins, par exemple, n'ont-ils pa
intérêt à rechercher quelles peuvent être les condition le plus avantageuses pour le ernce de la santé. N'y a-t-il pa
là, à proprement parler, un intérêt économique très important. Mais avec la théorie de la Cour de cas ation on
atLeindra un liut tou t oppo.é il celui qu'on poorsuivait.
9
�-
130 -
Nous voyons depuis fongtemps déjà. fonctionner des syndicats de journalistes et d'artistes. Dorénavant il faudra les
supprimer, car il s n'ont pas d'intérêts économiques se rapportant au commerce, à l'industrie ou à l'agriculture. Enfin
i nou recherchoos dans les travaux préparatoires voici ce
que disait M. Tolain , le rapporteur cle la loi au Sénat 1 :
«On a cru tout d'abord parce que la commission s'était
servie des mots, syndicats professionnels, qu'elle voulait
en restreindre, limiter et circonscrire l'application aux
seuls ouvriers qui travaillent manuellement, aux seuls ouvriers industriels. Jamais elle u'a eu une telle pensée, elle
espère bien, au contraire, que la loi qui vous est soumise
est une loi très large dont se serviront un très grand nombre de perso nnes auxquelles tou t d'abord on n'avait pas
pensé; les gens de bureau, par exemple, les comptables.
commis, employés de toute espèce.
En un mut toute personne qui exerce une profession
ainsi qu' il est dit dans la nouvelle loi, aura le dro it de se
servir de la nonvell e législation qne voo s al lez voter. »
Il nous semble qo e sembl abl e déclaration dans la bou che
du rapporteur de la loi est la négation dn prétendu sil ence
des travaux préparatoires dont :.trgue l'arrêt que nous étndions. Le mot de médecin n'a jamais été il est vrai pendant
le cours de la discussion , prononcé, mai s 011 a voulu entendre le mot profession dans le sens le plus large relativement à. l'applicati on de la nouvelle loi, et dès lors poor ..
1
Sénal , .Journ. off". 188 i , p. fi.:i 1
-
151 -
quoi refuser aux médecins les bénéfices qu'ils pourraient
retirer de la formation d' un syndicat.
Noos croyons donc que l'arrêt de la Cour de cassation a
mal interprêté la nouvelle loi et à cô té des considérations
que nous venons d'énumérer, nous en ajoutons une dernière. Comment et en quels termes le législateur s'occupet-il des médecins? Ne dit-il pas dans l'article J•r de la loi
organ ique des écol es de médecine du 19 ventôse an XI :
«Nul ne pourra exercer la profession de médecin.
Dès
lors si la loi reconnait l'exercice de la médecine comme un e
profession, pourquoi ne pas comprendre celte profes ion
dans les termes si généraox de l'article 2 de la loi sur les
syndicats 1 .
Une autre question peu t se présenter. Que faut-il entendre par profession similaires ou connexes? Le législateur pour éviter sur ce point tout équivoque a, sur le rapport de M. Tolain, tenu à ac.coupler les deux épithètes. Il
n'est pas nécessaire qu e tous les membres d' un syndicat
exercent le mème méti er. 1on, il fau t au contraire admettre qu'une associati on peul se former en tre ouHier exerçant des méti ers ayan t une certaine analogie . Ain i les tisseurs en soie pourront se yndiqu er arec les tisseur ' en
l)
J
1
Lo légi ·lateur so préoccupe ùcjà des inconvcnicnts de cette 1ur1sprudencc ot à la SL'anro du lnnùi zl juin 1886 , :\f. Colfa\rU ot
plu ·icur~ do se~ collcgues ont déposé sui· le bureau Je la Chambre
une proposit ion <le 101 ay:rn t pour objet <l'étendre à toutes les prufcssi?ll$, notamment au\ profc ·sions dites liberales, le béuélko de
la 101 du z1 nuws 188.i sur los S) nchcats profo siounels. - r. Jo11n1.
Off. Chambro, Oéb. parlomcnt. p. 1160.
�-
t32 -
coton. Mais \a loi va même plu loin et elle admet que des
syndicats pourront se former ent~e tous c~u~ qui' conc.ou~
rent à \a produl?.Lion ù'un produ it détermme. C est a1_ns1
par exemple qu'une association pourra relier toutes les 10dustries relatives au bâtiment ou bien encore tous les ouvriers travaillant à la confection d' un navire.
Nous n'avons pas besoin de légitimer cette disposi tion de
la \oi . Elle s'explique d'elle-même, il est certain qu'elle est
édictée dans \'intérêt de tons el qu'on comprend très bien
\a facu lté accordée par la loi . H est en effet très compréhensible que le syndicat ayant pour objet, ainsi que nous
le verrons bientôt, de s'occuper des intérêts généraux de
l' industrie, il eut été absurde d'empêcher des gens ayant en
somme des intérêts communs, ùe pouvoir se syndiquer
entre eux. N'y aurait-il qu'un intérêt d'économi e et d'ordre
privé, - les dépenses du syndi ca t devenant moindres _s i l e~
associés sont plus nombrenx - le législateur aurait du
dispose r ainsi qu'il l'a fait. Mais il y a plu s encore et. un
autre motif devait déterminer l'insertion à la nouvell e loi de
\'article 2, c'est la situation particulière des petites localités
où chaque corps de métier comprend un nombre d'ouvriers
trop restreint pour former une association.
Cette si tuati on avait d'ailleurs préoccupé la Chambre et
lors de la discussion en 1881, ~IM . Dautresme el Beau quier
avaient proposé chacu n un amend ement pour permellre
dans les centres de moins de ?W,000 âmes l'association
entre des profess ion s ni ·imilaires ni connexes. La Chambre avait repoussé ces amendemen ts, d'abord parce qu'il
était dangereux do créer deux législations différentes pour
-
155 -
le~ grandes villes et pour les petits cen tres; ensuite, parce
que la nouvelle loi permet l'union des synd icals, et enfin
parce qu'il est certain que l'association entre métiers con nexes permet imméd iatemmen t au syndicat d'avoir une
certaine surface.
Si, an point de vue de la connexité, on se demande
quell es sont les profess ions qui peuven t être considérées
comme connexes, il faut s'en référer à la circulaire du ministre de l'intérieur du 2J août 188?'.S, reconna issant que
les termes de l'article 2 étant très larges, il faut se montrer
très large dans l'application de la loi,
Ainsi donc la loi exige formellement pour la constitution
d'un syndicat, l'exercice d'une profession, mais là se bornent ses exigences. D'où il ressort qu'au cune condition de
lieu n'es t imposée et qu'un se ul syndicat pour une industrie déterminée pourrait se con tit11er dans toute la France,
reliant entr·e eux tous les ouvriers de la mème industrie
dans tontes les villes.
Relativement à la composilion du syndicat aucune restriction n'est apportée. C'est ai nsi que le femmes et mème
les enfant , n' étant pas frap pé d'aucune incapacité, peuvent parfaitement faire partie ù'une a~socia tion syndicale.
Pourquoi les excl urait-on en effe t et le priYerail-on des
bénéfices qui peuvent f'n résulter'? Il n'y a aucune rai on à
notre avis ùe les écarter, et ici encore nou ommes obligés d'appl auù ir à la nouvelle loi. Qu e lorsqu'il ,'agit de
l'administration ou de la ge tion , on impose aux admini tratcurs l'obligation d'être capable, rien de plus naturel. Il
serait en e!Tet bizarre que ceux qui n'ont pas la capacité
�-
t54 -
pour administrer leur propre patrimoine puissent administrer les affaire' d'un e association, mais lorsqu' il s'agit de
faire partie de l'association il ne doit pas y avoir d'exception. Tout le monde doit profiter de l'institution créée dans
l'intérêt de tous.
Aussi et malgré le silence de la loi ne faut-i l pas hésiter
à. accorder aux étrangers, admi s ou non au domicile en
France, le droit de faire partie d'un syndicat. La loi en
elTet ne fait de prohibitions que contre les immigrants dans
nos colonies. Nous retrouverons plus tard cette disposition
au sujet de laquelle nous nous expli querons.
On s'est demandé si les pa trons pouvaient fa ire partie
d'une association d'ouvriers. Nous répondrons sur ce point
avec M. Floq uet 1 : «La loi est conçue en tels termes que les
sy ndicats de patrons et d'ouvriers sont possibl es. »
Un dernier point reste maintenant à. examin er. Les syndicats peuvent-ils renfermer des membres honoraires?
Nous n' hésitons pas à répondre non. Les membres honoraires so nt, d'après le se ns usuel des mots, des person nalités
en dehors de la société à. qui à raison, soit de leu r situation, soit de leur générosité,· on con fère un titre pu remen t
honorifique. Dans les synd icats, peut-on se permettre la
distinction en tre les membres actifs et les membres honoraires, non parce que cela est contraire à la loi. Nous
avons vu en eITet que l'article 2 exige formellement l'exercice de la profession pour chaque associé. Dès lors si les
i
Ch. des Dép. 20 juin 188:.1 .
-
t55 -
membres honoraires exercent réellement la profession
comment établir une diITérence. Que si au contraire il s'agit
ainsi que c'est plus rationnel de le supposer de membres
qu i n' exercent pas la profession, on s'expose à introduire
dans le sein de la société des éléments étrangers qui, sous
couleur des intérêts de l' industrie s'occuperont d'intérêts
tout dilîé rents, la plupart du temps politiques et religieux,
et c'est là justement le danger ;l éviter avec les syndicats.
ARTICLE
5.
Les syudica ts professionnel.s ont exclusivement pour objet
l'étude et la défense des intérêts économiques, industriels, commerciaux et agricoles.
Cet article établit très nellement l'objet des syndicat
professionnels,
Nou l'avon étudié par an ticipation en cherchant à réfu ter l'argument que la Cour de ca sation a l1ré de sa rédaction . Cet article do it êtl'c comme. toute la loi, ù'aillems
interprêté ù' unc façon très large.
Les travaux prépara toires nous indiquent très nettement
à cc poi nt de vue la pen ée J u législateur.
Les syndicat peuvent s'occuper des intérêt économiquc·s, ind ustriels, commerciaux et agricole . Mais ils ne
peuvent pas ùépasser lour but et c'est pourquoi l'article
contien t le mot exclusiveml)I// . Le mot a été ajouté il la rè-
�-
-
156 -
daction primitive, sur la demande de l'honorable sénateur
M. Béranger, pour qu'il ne puisse pas y avoir d'équivoque et
que gràce à une fausse étiquette des sociétés religieuses ou
politiques ne puissent pas se fonder.
Que faut-il entendre par intérêts économiques? Faut-il
accepter la distinction établie par la Cour de cassation et
décider que les intérêts éco nomiques dont les syndicats
pourront s'occuper sont ceux-là seul ement qui se rapportent au commerce, à l'industrie ou à l'agricultu re? Nous ne
le pensons pas d'abord p:ir la raison que nous avons déjà
donnée, à savoir qu'il y a en dehors du commerce et de
l'agriculture, des intérêts économiques très respectables
et très dignes d'être étud iés et défendus, et ensuite parce
que d'après nous la distinction qu'on voudrait établir est
repoossèe par la contex ture de l'article qui met en tête do
ligne les inLérèls économiques.
Notons que lors de la rédacti on primitive la loi ne prévoyait qu e les syndicats ayan t pour objet les intérêts commerciaux et industri els el que le mot agricole a été ajouté
sur la proposition de M. Oud et, par le Sénat. Nons ne sauri ons trop approuver cette addition et nous avons constaté
avec plaisir que des syndicats agricoles s'étaient créés dans
les départements du No rd de la France depuis la promulguation de la loi du 2 1 mars 1884. Il y a nne tendance
qu'on doit développer et que l'administration doit encourager. L'agricullure subil en eJiet un e crise très grande el il
faut espérer que dans l'association on trouvera peut être
un remède à cette crise . Les agricnltenrs s'unissan t pour
l'achat de machines pour Je travail à faire en commun réa-
157 -
liseront en partie au moins la belle idée développée par
Edmond About Jans son admirabl e roman de Madelou. Ce
sera la mise en pratique de ce qu'on considérait jusqu'à ce
JOur comme une utopi e.
Le projet primitif de l'article 5 contenait l'énumération
des en treprises que pourraient tenter les syndicats, caisses
d'assurances, de retraites, etc .... L'article était assez confu s, on n'ind iquait pas si les syndicats étaient soumis aux
règles du droit commun relativement à ces élablissemenls
et celle partie de l'article a été supprimée
ARTICLE
4.
l es fondatettrs de tout syndicat devror•l déposer les statuts et
les noms de ceu.r qui a un titre que/couque seront chargés de
l' admiuistrat ion ou de la direction.
t:e dép6t aura lieu à la mairie de la localité oi1 le syndicat
est établi et à Pans à la préfecture de la Seù1e.
Ce dép6t sera renouvelé à chaque changement de la direction ou des statuts.
Comm uuication de tatw devra être donnée par le maire ou
par le préfet de la Seine au procureur de la République.
Les membres de tout syndicat professionnel chargés de l'administ rot ion 011 de la direction de ce syndical devront élre
français et jouir de leurs droits civils.
L'art icl e'~
én um ère Je, formalités nécessaire pour la
co nstitution ùu ~yntl i cal. Il a éte complété et ùeYait l'être
�-
158 -
par la circulaire ministérielle du 25 aoù t 1884. Le~ disposilions ùe cet article ont trait à deux objets bien distir. cls :
1° Dépôl des statuts; 2° Capacité des adminislrateurs.
Nous examinerons successivement chacune de ces parties
de l'article.
1° Dépôt des staluts.
Nous avons déjà. indiqué qn'il était nécessaire que la
naissance et la constitution des syndicats soienl manifestées
par un acte ex térieur. De même en effet que la loi donne
un état civil aux personnes, de même el à plus forte raison
doit-il en être ainsi lorsqu'il s'a~il d'une personne morale,
dont l'existence secrète et cachée pourrait devenir un danger. Le législateur pénétré de cette idée devait forcément
songer à organiser la publicité destinée à faire connaître les
syndicats. Tel est le but de l'article 4.
Le premier paragraphe dispose que les fondateurs de
tout syndical, doivent déposer les statuts et les noms des
admi ni strateurs. On avail d'abo rd dan s le projet primitif
de loi ex igé le nom de tous les membres du syndicat. Mais
on a vite compris les inconvénien ts qui pourraient résulter
de celte exigence et oo y a, avec juste raiso n, renoncé.
Comment en elîet déposer la liste, souvent lrès nombreuse,
de tous les membres d'une association syndicale et en admettant que cette liste pût être facilemen t établie, il aurait
fallu des modifi cations continuelles pour indiquer les retraites et les nouvelles adhésions. La loi en elTet dispose
1
-
139 -
dans le paragraphe 5 que le dépôt doit être renouvelé a
chaque changement de direction. Si donc on eut maintenu
le projet primitif il au rait fallu des dépôts continuels et
comme on devait tenir compte de l:l difficulté &t des ennuis
résultant de formalités officielles pour la classe ouvrière on
a sagement agi en réformant le projet de la commission.
D'autant plus qu'avec le texte actu el on obtient le résultat
souhaité. Par le dépôt des statuts on a connaissance du but
du syndicat et par le dépôt du nom des administrateurs on
sait au cas d'infra~tions à. la loi con tre qui on peu t agir.
Où doit étre fait le dépôt? Le dépôt est fait à la rpairie de
la localité ou le syndicat est établi el à Paris à la Préfecture
de la Seine.
On avait d'abord proposé, pour Paris, le dépôt à la Préfecture de police, seu lement on fit remarquer que, pour le·
classes ouvrières, la Préfecture de police était tenue en suspicion et qu'il ne fallai t pas décourager les fondateurs en
leur imposant Llnc démarche qui leur répugnerait peut-être
et on renonça à celle idée. En outre, en t 885. on aYait
songé à instituer au ministère du commerce une commission spéciale chargée de centraliser les ren ·eignements relatifs aux syndicats, et, en vue de faciliter la tâche de cette
commission, on avait exigé le dépôt , pour les syndicats ùe
Paris, au ministim: du commerce. Le ministre de l'intérieur s'oppo a à l'in titu tion de cette commi sien qui enlevai t à son déparlemen t la surveillance ùes yodicats, et la
Chambro lu i donna gain du cause. Dès lors, lo dépôt au
ministère du com werce ùevenait inu tile et fut supprim~.
�-
140 -
Au sujet de la mairie où le dépôt doit être elTectué, un
seu l ca peut se présenter otirant un e diffi culté. C'est celui
d"u o syndicat fonctionnant daos di,·erses localités à la fo is.
Nous avons vn, en effet, qu e la loi ne s'op posai t pas à la
constitution d' nneassociatioo syndicale dans ces conditions,
mais alors, dans ce cas, quelle sera la mairie compétente
pour recevoir la declaration ? La questi on, qui n'est prévue
ni par la loi , ni par la circulaire, ne s'es t pas présen tée en
pratique, mais elle peut être réso lu e par les principes généraux. Il est certain qu' il y au ra toujours nn endroit où se
trouvera la direction centrale. C'est là que sera le domicile
de l'association et c'est à la mairie de ce lieu que devra être
fait le dépôt 1•
Comment se fera le dépôt. Sur ce point la loi est muette
et il nous fau t nous adresser à la circulaire ministérielle du
25 août 1884 po ur être fixé sur les conditions pratiques
exigées pour le dépôt.
Le dépô t est fait conformément à la pratique du ministère de l'intérieur, à double exemplaire. li est, en effet,
utile de conserver dans les archives les statuts des syndicats
et l'on ne saurait trop prenùre de précautions pour assurer
cette conservation. Il n'est pas nécessaire que les exemplaires soient transcrits su r papier timbré. De même on
n'exige pas leur impression. En pratique cependant, il vaut
1
Commen tait'O de la loi du 2 1 mars 188.i.. Marcel Mongin ,
n• •12.
1
141 mi~ux qu' il en soit ainsi, car il est certain qu'il sera plus
facile pour les membres du syndicat de prendre connaissance des statuts s' ils sont imprimés.
Les statuts et la liste des administrateurs doivent être
certi fiés par le président et le secrétaire. Tout dépôt doit
être constaté par un récépissé du maire et du préfet de la
Seine. Ce récépissé est exigible immédiatement.
-
Dans chaque mairie il doit être tenu un registre , pécial
où seront mentionnés à leur date, le dépôt des statuts de
chaque syndicat, le nom des administrateurs ou directeurs,
la délivrance du récépissé. Ce registre fait foi de l'accomplissement des formal ités et permet de remédier à la perte
possibl e du récépissé de dépôt.
Telles sont les formalités exigées pour la constitution
d'u n syndicat et il n'y en a pas d'au tres. C'est ain i qu'on
s'était demandé s' il fallait, en même temps que le dépôt,
une déclaratio n spéciale, et la circulaire ministérielle répond négativement.
En résumé, la pub licité qui , d'après les termes mêmes
du ministre, est le corollaire essentiel de la liberté d'association, e t suffisamment assurée, et, pour répéter l'expression dont nous nous sommes déjà servi, l'état civil des
syndicats est créé.
De même, en elTet, que les actes de l'état civil, les statuts déposés ~l. la mairie sont à la disposition de tous ceux
qui veulent les consulter.
En assimilant le dépô t aux actes de l'état civil, nous
nous trouvon s on présence d'un e di position de l'article 4
�142 qui ordonne la communication au Procureur de la Répu-
blique.
Cet alinéa a été très vivement critiqué. Pourquoi, en
effet, ordonner la communication, disait-on, puisqu'elle es t
de droit ? Les statuts sont publics et dès lors le Parquet
peut en prendre connaissance. M. Marcel Barthe a, au
Sénat, très nettement expiiqué celte di sposition. La communication est de droit , en efîet, mais il importe que le
ministère public so it mis au courant de la constituti on . Si
donc, par le fa it de bureaux, la communication n'étai t pas
faite, il pourrait y avoir des incoménients. Dès lors, nous
sommes fü:és sur la portée de cette disposition, c'es t une
obligation imposée aux maires et au préfet de la ·seine, el,
au cas d'inobservation, la responsabilité du syndicat ne
saurait être engagée. Cette disposition est d'ailleurs en ellemême assez platonique, la loi n'indiqu e même pas de délai
pour cette commu nication.
L'intérêt n'est, en effet, pas très immédiat, car le ministère public n'a, relati\'ement à. la rédaction des statuts, aucun pouvoir. Son seul droit sera, lorsque la société fonctionnera, soit de la poursu ivre pour vio lation de la loi de
1884, soit an cas où l'objet du syndicat ne sera pas un objet économique de la poursuivre en vertu de l'article 291
du Code pénal.
Dans quel délai le dépàt doit-il étre fait'? Le projet de loi
portait que le dépôt devait être effectué qu inze jours avan t
le fonctionnement ; la commission de la chambre récluisit
- 145 le délai de quinze jours à. huit jours et enfin pendant le
~ours de la discussion cette men tion disparut complètemen_t. Q~e faut-il en conclure? c'est qu e le dépôt es t obliga~oire des q~e le syndi cat commence à. fonctionner. Sur ce
a posé au ministre M• TI'alde
pomt M. Tolarn
ck Rousseau,
n
.
une .qu es~1on pour savoir exactement à quel moment on
cons1déra1t le syndi cat comme foncti onnant et à la tribune
c?mme plus ta~d da~s. sa circulaire le ministre a répondu
~ un e '.açon tres prec1se : les syndicats fonctionn ent dès le
JOur ou
. les sta tuts sont devenus définitirs . On n'a po·10 t (\.
se preoccuper de la période d'élaboration et d'études
toute latitude doit être laissée aux syndicats pendant cetl~
période.
. Si ce dépôt n' est pas efTectué qu'adviendra-t-il ? le syndicat tombera sous le coup de la sanction de l'article 9
q~e nous étudierons pl us tard et le dépôt ultérieur ne saurait empêcher les poursuites.
. T~us les syndicats sont-ils soumis au cl~pôt ? A cette qncst1on 11 rau t sans hésiter répondre oui. Le texte est formel
et les travaux préparatoires ne lai sent aucun doute à ce
sujet. Cep1rndant pendant la discussion de la loi on avai t
vo~lu établir une ùistinclion. Seuls, disait-on, les syndicats
qui voudront jouir de la personnalité civile seront astreint
à cette forma lité. Cette distinction a été rejetée et c'e. t avec
brèche au
raison car on aurai t aio i OU\'ert une larae
juste
~
. .
principe de publici té tel qu'il avai t été admis.
Une autre qu e lion s'est po ée lors de la discus ion de la
loi· Les syndi~a ls cxistan t an térieurement deYront-il, dépo -
�-
144 -
ser leurs statuts et au cas où ils ne le feront pas seront-ils
poursuivis pour infraction h l'article 9 ou bien pour infraction a l'article 29 1 du Code pénal ? La discussion sur cette
qnestion n'a pas été très explici te mais cepêndant on pent
en dégager les concl usions suivantes :
Dès l'instant que la loi sur les syndicats professionnels à
été promulguée il ne peut y avoir deux sortes de syndicats
les uns astreints à. une formalité et les autres dispensés. Il
faut une égalité absolue entre ton et les syndicats prtlexistant à la loi ne sauraient trouver dans une si tuation précaire an térieure, le germe d'un préjudice. Il faut donc
décider que ces syndicats doivent déposer leurs statuts.
S'ils n'accomplissent pas celle formalité sous quelle
inculpation les poursuivra-t-on? Il nous semble qu'il ne
peut pas y avoir de difficu lté . On doit lellr app liquer la
sanction de l'article 9. Ils fonetionnen t comme syndicats
professionnels ils doivent exécu ter les prescriptions dt: l'article 4, s'ils ne le font pas ils ne peuvent pas arguer de
Jenr existence passée pour évi ter de tomber sous le coup
de l'article 9. D'ailleurs l'article 29 1 du Code pénal a été
abrogé en ce qui concerne les syndicats professionnels.
Dans les débats auxquels cette question a donné lieu
une déclaration importante est à. retenir c'est que le go uvernement a promis d'user d'un e tolérance très large vis-avis des syndicats déjà. existants.
-
u.~
-
2° Capacité des directeurs.
Nous avons vu dans l'article 2 que la loi absolument
g~nérale per~ellait aux étrangers de faire rarti e ''es syndicats profess10nnels. Le projet primitif excluait tous les
étran ger~. Sur la demande même des synd icats existan ts
cette prohibition fut supprimée. Elle aurait eu en efTet
d'augmenter l'animosité si rearettable
conséquence
pour
0
.
.
qui existe malheureusement si souvent entre nos nationaux
et les étrangers. Cependant le parlement n'a pas voulu
aller jn5qu'au bout dans celte voie de libérali me et sur les
instances de M. Pierre Legrand à la chambre et de M.
Barthe au Séuat on a exclu les étrangers de l'admin istration des yndicats. Cette dispositiou e t une innovation
facheuse dictée par un sentiment de patriotisme exagéré.
On a crain t d' une part que des syndicats étrangers n'acquièrent en France une trop grande puissance en disposant
d'hommes et d'argent, d'autre part on a voulu éviter la
concurrence étrangère. On n'a ra ougé qu e ce dangers
pouvaient se présenter el devenir même beaucoup plus sérieux grâce au foncliounemenl de société~ anonymes qui
n'excluent pa l e ~ étrangers et qui attirent à elles des capitaux beaucoup plu considérab les que n'en pourront jamais
réalise r les syndicat et on a porté tle cette façon une grave
atteinte ~t la liberté individuelle. Nous partageons ii ce
point de vuo l'opinion do MM. Worms et Ledrn ùans
rn
�-
146 -
-
leur commentaire sur la loi sur les synd icats et nous pensons que cette di position est fâcheuse. La loi tout au
moins aurait pu accorder au:\ étrangers admis à établir lenr
domicile en France la. faculté d'administrer les synd icats.
La commission de la chambre avait établi cette distinction
qui fut repoussée par le Sénal.
Il faut donc que les admini strateurs soient Français ; il
faut de plus qu'ils jouissant de leurs droits civils .
La loi, dans cette seconde partie de son article, était un
peu vague, mais la circulaire ministériell e complète ce qu' il
peut y avoir de donteu:\ dans ses termes . li faut, pour être
administrateur, 1ouir de l'intégralité de ses droits civils.
Une dernière question se présente relativement à cet article. La femme mariée peut faire partie d' un syndicat,
peut-elle l'administrer ? Avec l' autorisati on de son mari,
l'affirmative n'est pas douteuse. Mais pourrait-elle se passer de cette autorisalion ? Nous ne le pensons pas. En eITet,
la qualité de membre dn un reau d' un syndi cal ne saurait
êtr e assimilée à la qualité de marchande publiqu e, et dès
lors l'autorisati on doit être rapportée. La même solution
doit être admise po ur le mi neur .
ARTICLI~
!'J .
Les syndir:ats professionnels rég11li~remen t const iturs d' aprés
les prescriptions de la présente loi, pourront librPmenl se concerter pour l'étude et lei dé{w se de leurs intérêts éco11011dques, industri.els, commerriaux ct aqricolcs.
147 -
f:e.s unions devront faire connaitre . conformément au
deuxième paragraphe de l'article 4, les noms des syndicats qui
les composem.
Elles ne pourront posséder aucun immeuble ni esler en
justice.
l
•
L'article !'.> , en autorisant les uni ons de syndi cats, ne fait
qu e consacrer une pratique très ancienn e. Depuis lonotemps déj,à fon~ti~nnent des syndicats de chambres syndi~
les, et c est ainsi que l'on peul notamment citer à Paris
1' union nationale du commerce et de l'industrie, rondée en
18ts8, et comprenant 107 syndicats, en province l'union
synùicale de Bordeaux. et l'union syndicale de Marseille.
Malgré l'ancienneté de ce t état de choses et la tolérance
absolu e du gouvernement, cette disposition rencontra nne
très vive opposition au Sénat: deux fo is l'article !'.> fut
~~jeté et '.I n~ fu t vo té en troisième discussion que grâce à
l 10tervent1on 1nc1}ssante du ministre, M. Wald1ick Rousseau
et du rapporteur, M. Tolain.
Pourquoi, d1~ai ent les adrnrsaires de l'article alors
qu'on a mterJit la formation de syndicats entre méti~rs dirfére~ ts, admettre l' union des syndicats de toute' les professions. On formera ain.i une vaste a sociation ouvrière
qui comprendra tous les ouvriers ùe France et peu t-être
même de l'étranger, et cette armée, qui aura une direction
cen trale, obéira à un mot d'ordre et deviendra, en s'occupant de questions politiqu es et religieuses. un véritable
danger pour le go uvernement. Pour éviter ce danger, on
�- 148 interdit tout concert entre les conseils municipaux, les
conseils généraux, qui cependant sont des corps élus .. Dès
lors, pourquoi le faire nailre en autorisant les synd1cals,
œuvre spontanée et libre, à se rénnir les uns aux autres?
C'est le véritable moyen de faire renaître une nouvdle
associaiion de l'Internationale, c'est créer nne entrave absolne a la liberté individuelle des ouvriers qui ne feront pas
partie de l'union.
A quoi l'on répondait d'abord que le danger n'était pas
aussi grand qu' on semblait le craindre, puisque jusqu'à ce
jour il ne s'était pas produit sous le régime de la toléranc~ ,
et qu'aG ca8 où il se produirait, le go uvernement aurait
toujours contre les unions les mêmes moyens de réprimer
les excès que ceux qu'il avait contre les syndicats. La
crainte de voir un trop grand nombre d'adbérents à une
union est une crainte vaine, puisqu e ce danger peut se
produire pour les synd icats, le nombre des membres n'étant pas limité par la loi . O'ailleurs, il y a un très grand
intérêt à admettre ces unions : « C'est, en e!Tet. la diversité des métiers, disait le rapporteur, qui prémunira contre les crises dangereuses et les entraîn ements irréfléchis ;
c'est elle qui empêche les grèves d'éclater. Les observations
de tous les métiers non similaires et non connexes, mais
intéressés , prévienn ent so uvent des résolutions extrêmes.
l)
De plus, il est certain qu e des intérêts co mmuns existent
entre les diverses profossions, et l'union des syndicats
pourra utilement discuter sur la créati on des sociétés de
secours mutu els, des écoles d'apprentissage , sur les tarifs
-
l
U.9 -
de transport, de donane, sur les traités de commerce,
etc.. . ..
Enfin, on faisait remarquer que jusqu'à ce jour les
unions ne se sont jamais occupées de politique et que
notamment l'union des ouvriers, solli citée pour adhérer à
la ligue formée pour la révision de la constitution, s'y était
constamment refusée.
Ce sont ces considérations , aidées surtout des garanties
que la commission consentit à prendre contre les unions,
qui déterminèrent le vote de l'article.
Ces garanties consistent dans les formalités imposées et
dans certaines prohibitions.
Quelles sont les formaliMs. Le paragraphe 2 de l'article t>
exige comme publicité le dépôt dt! la liste des chambres
syndicales faisant partie de l'union . Il va sans dire qut> le
dépôt devra être renouvelé à chaqu e adhésion nouvell e. Ce
dépôt doit s'effectu er de la même manière que le dépôt
prescrit par l'artide 1.,.
L'union n'est-elle astreinte qu'au seul dépôt de la liste
des chambres qui la composent. ou bien, au contraire,
doit-elle aus i. co mme les autre syndicat' , déposer ~ es
statuts et la liste de ses administrateurs? Nous penso n. ,
d'accord sur ce point avec la circulaire ministérielle, que
l'article 4 doit être combiné avec l'articl e?>. Ce dernier
n'es t, en effet, qu'un supplément de publicité impo é aux
unions. Quell e raison y aurait-il eu de se montrer plus favorables pour les unions qui, nous venons de le voir, ont
rencontré une très vive opposition de la part <lu Sénat.
�HW D'ailleurs, si l'on n'admettait pas la combinaison des
deux articles, on serait amené à décider que les unions
peuvent être adminislrèes même par un ètranger, car l'article 5 ne dispose rien relativement à la capacité des administrateurs.
Cependant la qu estion a été discutée et M. Mongin estime
que la seule formalité imposée aux unions consiste dans le
dépôt de la liste des syndicats qui les composent. La loi
ti ent à cette formalité, parce qu' elle ne veut pas que des
syndicats irrégulièrement constitués, n'ayant pas effectué le
dépôt de leu rs statuts, puissent faire partie d'une union.
-
i\lais, d'autre part, cette formalité est la seule, et l'on ne
doit pas éleudre aux unions les dispositions de l'articl e 4,
car, au cas d'infraction à l'article 4-, on ne pourrait pas
appliquer des peines qui ne sont pas édi ctées en vue des
unions. Cette solution ne saurait, à notre avis, être admise.
car il y aurait alors, ainsi que le constate lui-même M. Mongin, un manque d'harmonie dans la loi.
A côté de ces formalités, la loi a prononcé des prohibitions contre les unions.
Elles ne peuvent posséder aucun immeuble ni ester en
justice. Le but de 1~etle disposition est èvidemment d'éviter
que, par la perso nnalité civile ou pal' la constituti on d'une
caisse, le danger prérn par les adversaires de l'article ne
puisse se réaliser. li n'est pas besoin d'indiquer cependant
que plusieurs syndicats ont le droit d'ûster collectivement
en justice ou d'être copropriétaires d' immeubles.
Enfin, comme su pplément de garantie, la loi a tenu à
-
1?H -
bien préciser l'objet des unions qui ne peut être différent
de l'objet des syndicats ordinaires.
ARTICLE
6
les syndicats professi.onnels de patrons ou d'ouvriers auront
le droit d'ester en justice .
Ils pourront employer les sommes provenant des cotisations.
Toutefois Us ne pourront aquérir d'autres immeuble.~ que
ceux qui seront nécessaires à leurs réunions, à leurs bibliotMques et à des cours d'instruction professionnelle.
Ils pourror.t, sans autorisation, mais en se conformant auJ'
autres dispositi.ons de la loi, constituer entre leurs memb1·es des
caisses spéciales de secours mutuels et de retraites
'
Ils pourront librement cr~er et administrer des offices de renseignements pour les offres et demandes de travail.
Ils pourront e'1re consultés sur tous les différends el towes /es
questions se rauachant à leur spérialité.
Dans les affaires contentieuses, les avis du syndicat eront
tenus à la disposition des parties qui pourront en prendre communication et copie .
L'article qu e nous allons étudier a une importance capitale. 11 établit les ùifféren ts droits des synù ical , et comm e
la rédaction n'en c. t pas absolument parfaite, de que lions très délicates pcu,•cn t être soulevées.
Qu'il nous soit permis, pui qu e nous avons <l'une façon
�-
152 -
générale indiqué que la rédaction n'était pas à l'abri de
toute critique, de rappeler que l'expression de syndicats
professionnels de patrons ou d'ouvriers nous paraît contraire à l'esprit de la loi. Nous avons déjà vu, en étudiant
l'arrêt de la Cour de cassation relativement aux syndicats
de médecins, l'argument qui avait été tiré de cet article
contre les associations formées pa1· les professions qui
n'ont pas à défendre des intérêts commerciaux, industri els
ou agricoles. Cette expression re. trictive a dû forcément
échapper au législateur qui n'a eu en vue, comme nou s
l'aYonsdéjà dit, que le quodplerumquefil, mais elle a eu pour
elTet de détP-rminer la jurisprudence que nous avons comballue et qui, pour les considérations qu e nous avons déjà
développées, nous parait diamétralement opposée à l'intention du législateur. Nous so uhaitons qu'au cas d'une révision de la loi, cette expression disparaisse pour ne plus
laisser place à. un doute.
Ceci dit, exam inons dans son ensemble l'article 6.
Sa disposition la plus importante est la création de la
personnalité civil e du syndicat. Nous avons vu, en analysant l'article 4, que. par le fait de la déclaration des statuts, tout syndicat acqui ert la perso nn alité civile. Nous rappelons, en effet, pour mémoire, la distinction qu'on voulait
faire pour la déclaration entre les syndicats désirant cette
personnalité et ceux qui ne vou laient pas l'acquérir. La loi
a rejeté cette distincti11n en établissant l'obli gation du dépôt pour tous les syndicats. Tons les syndicats on t donc la
personnalité civile.
Nous n'avons pas iri à étudier les caractères des persan-
-
155 -
nes morales, mais nous devons nous demander quelle est
l'étendue de la disposition nouvelle.
Des syndicats peuvent ester en justice. Nul ne peut, en
France, plaider par procu reur, tel est le grand principe qui
défend chez nous la représentation en justice. Ce principe,
venu du Droit romain, devait, dans notre Droit moderne en
présence de la création des syndicats, recevoir la même dérogation qu'à Rome. Il est certain qu'un syndicat formé
pour l' étude et la défen e d'intérêts professionnels, peut
être obligé de recou rir à la justice et, l'obliger à plaider par
chacun de ses membres, c'était le mettre en présence d'une
impossibilité. Dès lors on devait forcément l'autoriser à se
faire représenter soit par son président, soit par tel de se
admin istra teurs désigné dans les statuts. Ce n'est d'ailleurs
là que la conséquence de la jurisprudence unanimement
admise, reconnaissant que le président d' on cercle peut
valabl ement agir au nom du cercle lorsque les statuts lui
ont conféré ce pouvoir. Il y a, disent dans ce cas les tribunaux, mandat su ffi sant pour justifier la qualité.
Lorsque le sy ndicat sera poursuivi, l'assignation, conformément aux règle ordinaire de la compétence, devra être
Jonnée au siège de la société, et le tribunal compéten t devra être, en principe, celui de l'arrondi s.ement du lieu où
la déclaration aura été faite.
La seconde con équ ence de la perso nnalité civil e, c'e t
la possibilité d'avoir un patrimoine et de l'admini trer.
Celle facullé e t-elle illimitée. ou bien y a-t-il des restrictions soit quant à. la nature des biens, soi t quant aux
modes d'acquisition ?
�-
1~4
-
-
En ce qu i concerne 11 nature des biens, il ne peut y
avoir de difficullés. La loi a pris le soin de préciser quels
sont les biens que peuvent acquérir les syndicats. Les biens
mobiliers de quelqu e nature qu'i ls soient ; les immeubles
nécessaires aux réunions, aux bibliothèques ou à des cours
d' instrnction professionnelle. Ainsi donc , un syndicat
pourra, grâce à une administratio n économe et sage, réaliser un e véritable rortun e mobil ière, posséder des rentes ou
aes actions, mais il ne pou rra pa placer son argent en acqui, itions d' immeuble_ des linés à être loués. On comprend
ans peine quel a élé le but du législateur, il a \'Ou lu éviter
le rétab lis ement des biens de main-merle. l\Iais cependant
nous croyons que le législateur qu i accorde le droit sans
restrictions aux sociétés reconnu es de posséder un patrimoine, au rait pu se montrer aussi généreux pour les syndicats sans se laisser arrêter par une crainte qui n' est pas
bien sérieuse , puisqu 'avec les associations reconnu es, le
danger de la main-morte est évité, au mo ins en partie,
pour la perce ption des dro its de mutation. Si, en effet, un
syndicat co nsacrait ses écon omies à l'élablissement de cilés
ouvrières pour le logement <les sociétaires, n'y aurait-i l pas
une amélioration sensible dL1 sort des ouvriers. Ce rêve
qu i, au premier abord , peul paraître irréalisable, ne pourrait- il pas sorlir a eITet et, une fo is les dépenses faites, le
loyer ne serait-il pas supp rimé pour les ouvriers ?
Lorsque les synd icats, par un fonctio nn ement régulier,
auront fait disparaîlre les cl'aintcs et les préjugés du législateur contre eux, il l'au t espérer q11c l'on étendra les ter-
l
.!
15?5 -
mes de l'article 6, et qu'aucune prohibition ne sera plus
portée relativement à la nature des biens 1 •
En ce qui concerne los modes d'acquisition, il est certain
que tous les modes à titre onéreux sont libres aux syn dicats. Ils peuvent acheter et vendre, et, d'autre part, ils
pruvent faire tous les contrats du droi t commun . La loi est
sur ce poi nt rormell e: a lis peuvent employer les sommes
provenant des cotisati ons.
Peuvent-ils acquérir par légs ou donations ? La question
est délicate et demande i1 ètre examinée allentirnment.
Elle est, d'ailleurs, con troversée, et la négative est so utenue par M. Charle. Brunot, dans son commentaire de la
loi sur les syndi cats profession nels, tand is que M. \ longin
défend l'affirmative.
A l'appui du premier ystème, on fait Yaloir d'abord un
argument tiré des travaux préparatoires : LorsquP. le projet
de loi fut présenté à la Chambre, il n'accordait aux yndicats aucune personnali té civile; la commissio n créa cette
personnalité et le rapport indiquait qu'elle de\'ait ètre restreinte. Le texte de l'article 5, qu i <levait devenir l'article 6,
portait: <t Ils (les syndicats) pourront el.Ilployer et posEéùer
les sommes produi tes par leurs cotisations; ils pourront
posséder les immeubles, olc. , Le mot posséder fut , à la
suite de quelqu es observations, remplacé dao le premier
t La lhéorio que nous sonlenons n'est 1l'ailleurs pas neu1·e. En
Dancmarl, clos socit'tés sn sont r1ablics pour la t·on ·truction dr:.;
rités oui i·ièros ol proùuiscnl li o\1•ollcnts 1·ésulta1s. - \'oir Larollco,
Classes 01wrières c11 Huropc, t, l., p. H 5.
�-
membre de phrase par le mot acquérir qui , d'après M. Goblet, ne comprenait que les modes d'acquisition à titre
onéreux. Au Sénat, on ajoute à la loi un article interdisan t
les donations et les legs. Lorsqu e la loi revient devant la
Chambre, on supprime cette disposition, mais si le texte ne
parle plus de legs et de donations, c'est qu'on a voulu autoriser les dons manu els. On se sert encore comme d'un
argu ment de l'amendemen t déposé par MM. de Mun et de
La Bassetière, tendant à autoriser les syndicats mixtes à
r1!cevoir des legs et des dons même immobiliers.
Enfin, un dern ier argument est invoqu é en fêveur de ce
système. Il y a actu ellement en jurisprudence un principe
génëralement admis qui veut que les personnes morales
n'aient la capacité d'acqu érir à titre gratuit que lorsque un
lexte formel la leur a accordée.
On peut répondre, pour so utenir l'affirmative, que les
trava ux préparatoires ne so nt ni assez clairs, ni asi;ez précis
poor déterminer l'intention du législateur. Si, en effet,
pendant toute la première partie des débats, le texte de la
loi porte prohibition pour les syndi cats d'acquérir par legs
ou donations, cette disposition disparu t après la déclaration
que ~I. Lagrange fit à la Chambre au nom de la commission: e1. La commission n'a pas voulu enlever aux syndicats
la faculté de recevoir des dons. Il est à présumer que, dans
la pratique, les bibliothèqnes syndicales et les écoles professionnelles recevront de nombreux dons de livres, d'ou-
1
Rapport Lagrange, p.
/~0 ·1.
-
H;6 -
157 -
tils ou d'instruments. Il serait injuste de les obliger à dépenser, pour l'acquisiLion de ces objets, des fonds qui peuvent utilement grossir, les ressources des caisses de retraite
ou de secours 1 • » On peut donc dire, en somme, que le
législateur a voulu autoriser les syndicats à recevoir à titre
gratuit. Il est vrai que les exemples cités par le rapporteur
sont des exemples de dons manuels, et l'on dit que le législateur a seulement voulu au toriser ce genre de libéralités,
Pourquoi et à quoi bon au toriser les dons manuels qui, par
leur nature même, échappent à tout mode de contrôle?
N'est-il pas plus logique de supposer que le législateur a
voulu autoriser les modes d'acquisition à titre gracieux sans
autre restriction que celle relative aux immeubles.
Il n'y a donc pas là un argument suffi.ant pour admettre
un système plutôt que l'autre. li en est de même de l'argument tiré du rejet de l'amendement de MM. de Mun et de
La Bassetière. Si la proposi tion de ces Messieurs a été rejetée, c'est que le privilège qu'ils voulaient créer était réservé
à. des syndicats mixtes et que l'on a craint de favoriser le
rétablissement de véritables corporations.
Enfin, le principe de jurisprudence invoqué ne nous parait pas aussi général qu'il en a l'air, car un jugement du
tribunal de la Seine le repousse formellement 1 et se rapproche ainsi du principe édicté par l'article 902 du Code
civil.
La négative ne nous paraît donc pas su rnsamment éta-
1 Trib.
Soine, 30 mar$ 188 1. S. 8 1, 2. %4-9.
�-
-
158 -
blie; d'autre part, nous nous rangeons volontiers i1l'autre
opinion, d'abord à cause d'un argument de texte tiré de
l'article 8 de notre loi, qni sanctionne l'article 6 et dispose
qu'au cas d'infraction à cet article : a la nullité de l'acquisition ou de la libéralité pourra être demandée par le procureur de la République ou par les intéressés. l> L'article
se préoccupe du cas où un syndicat aurait acquis des immeubles autres que ceux prévus par l'article 6 et suppose
que des immeubles peuvent être advenus par libéralité.
C'est donc que les legs et les donati ons d'immeubles desti nés aux réunions ou aux bibliothèques peuvent faire l'objet
d'une libéralité.
D'ailleurs, à l'appui de ce tte opi nion, il y a encore un
argumen t dP. raison. Quel est le but du législateur en créant
les synd icats? Améliorer la si tuation des ouvriers. Eh bien!
pour arrirnr à ce résultat, il faut évidemmen t que le syndical ait des ressou rces suffi.saoteg pour entreprendre tou te
une série d'établissements utiles. Dès lors, pourquoi la priver d'un mode d'enrichi ssement tout naturel et lui imposer
l'obligation de restreindre son œuvre en restreignant ses
resso urces.
En somme, la question n'est pas tranchée. Elle se présentera certai nement dans la pratique et nous form ons le
vœu que les tribunaux la décident dans le sens le plus favo ble au développemen t de l'institution. Cette peur du rétablissement de la mai n-morte ne sau rait être assez forte
pour arrêter l'essor du principe d'association dont les con séquences doivent être fécondes en bienfaits.
Le jour où la question que nous venons d'examiner se
l
•
1?S9 -
prégentera, une au tre question subsidiaire surgira. Si l'on
aùmet en effet la validité des legs et des donations. les syndicats seront-ila soumis à l'autorisation administrative exigée par l'article 910 du Code civil pour les legs faits aux
établissements reconnu s d'utilité publique? Nous partageons à. cc point de vue l'opinion de M. Mongin et nou s
croyons que les termes cle l'article 910 sont limitatifs et ne
sauraient êlre étendus aux syndicats.
Les partisans de l'in ca pacité des syndicat. reconnaissant
que cette incapacité est illogique puisque les établis emenL
reconnus ont en somme la capacité en tière. se demandent
si le gouvernement ne pourrait pas relever les syndicats de
celle incapacité e.l les recon naissant comme d'utilité publique. Nous répondons sur ce point, non. très catégoriquemen t. D'abord parce qu e accorder au gouvernement le
droit de faire des di. tinctions entre les divers yndicats, cc
serai t détruire l'égalité absolue établi e par la loi et ensuite
parce que si la loi n'a acco rdé qu' une capacité restreinte,
un décret du go nvernement ne saurait pas modifier les di positions établies par le législateur.
Après avoir établi la person nalité civile des syndicat et
les droits en résultant, l'article G énumère les différentes
œuvres que le syndicat peut entreprendre. L'énumération
de l'article 6 n'est pas limitative et le texte même de l'lrticle précédent nous donne la preuve que le syndicat ne
son t pas exclu ivement réduits k1 ne créer que de caL es
de secour, et de retraites et de. offi~e de ren'eignements.
nous savons en eITet qu'ils peuvent organiser des cour. professionnels. Nous espérons que les yndicat développeront
�-
160 -
les associations coopératives, qu'ils créeront des banques
populaires de crédit, des caisses d'épargne et tous autres
établissements de ce genre.
La raison des dispositions de l'article 6 se trouve dans
les dérogations au droit commun qu'elles contiennent, examinons-les rapidement.
Les syndi cats peuven t consLituer des caisses de retraite
et de secours. - En principe une société de secours mutuels ne peut se créer qu'avec l'autorisation admin istrative.
La loi a supprimé celle autori ation, mais dans quelles
condi tions, elle ne le dit pas, et sur ce point encore la circulaire ministérielle supplée à son sil ence : « Les sociétés
syndicales de secours mutuels doivent posséder une individualité propre et avoir une administrati on et un e caisse
particulières. li en est de même des sociétés de retraite qui
peuvent bien se grelTer sur les sociétés de secours mutuels
et faire caisse commune avec ell es, mais don t le patrimoine
ne do it pas se c0nfondre avec celui du synd icat. li C'est
d'ailleurs fa une interprélaLion qu e l'article 7 justifie très
bien.
Les caisses de secours ainsi constituées seront-elles absolument libres ? En aucune façon ell es sont soumises à toutes les règles imposées par la loi aux autres sociétés du
même genre. Des diffi cultés peuvent s'élever à ce sujet, les
sociétés de secours sont régies par la 10 1 de 18!50 et le décret de 1852 et certaines prescriptions sont inapplicables aux
sociétés fondées par les syndi cats, ainsi la prés idence de la
société donnée aux maires, l'exclusion de certai ns membres
etc., etc. A ce point de vue la combinaison de la loi sur les
-
161 -
syndicats avec la loi organique sur les caisses de secours n'a
pas été suffisamment étudiée et il serait nécessaire qu'un
document législatif vint un peu élucider cette matière.
De plus les syndicats peuvent fonder librement des offices
de placement. - Les offices de ce genre doivent en droit
commun être autorisées, l'autorisation est supprimée pour
les syndicats. On s'est beaucoup effrayé de la conséquence
fâcheuse que cette disposition pourrait avoir pour les ouvriers indépendants. Ces offices, disai t-on, refuseront toujours de s'occuper de l'ouvrier étranger et dès lors que deviendra-t-il? A quoi l'on peut répondre qu'à côté de ces
offices ceux qui existent actuellement continueront à exister
et qu'en outre les syndicats de patrons installeront de leur
côté des offi ces où tous les ouvriers seront accueill is.
Enfin la loi dispose que les chambres syndi cal~s pou rront donner leur avis dans les questions contentieu es. Une
pratique assez ancienne existait dans certains tribunaux de
commerce. Dans les procès techniques on consultait volontiers les chambre syndicales qui pouvaient donner des
renseignements très utiles. En 1874, M. Tailhand, ministre
de la justice, mterdit par une circulaire de procéder de
cette faço n, contraire disait-il à. la loi, car les arbitres où
les experts aux termes de l'arti cle 429 du Code de procédure civile doivent être nommément désignés et doivent
prêter serment. Le parlement, dans la nouvelle loi, a sagement fait de rétablir cette pratique fort utile pour les justiciables. Il es t d'aill eurs bien entendu que les chambres dont
chacun des membres peut être individuellement choisi
comme expert nfl font lorsqu'elles sont ainsi consultées ni
li
�- t62 · m· un arb1'trage, elles fournissent seulement
une expertise
de simples renseignements.
.
..
En leur conférant ce pouvoir contentieux le leg1slateur
s'est surtout inspiré de la pensée qu e bien des procès et
bien des différends pourraient être évités par l'intervention
amiable des syndicats. Que de frais inutiles on évitera de
la sorte et il serait presque à souhaiter que les cbambres
syndicales puissent jouer en matière commerciale le rôle de
conciliateur du juge de paix en matière civile.
ARTICLE 7.
Tout membre d'uu syndicat professionnel peut se retirer à
tout instant de l'association nonobstant toute clause contraire,
niais sans préjudice da dl'oit pour le syndicat de réclamer la
cotisation de l' année courante.
Toute personne qui se retire d'un syndicat conserve le droit
d'être membre des sociétés de secours mutuels et de pensions de
r~traites pour la vieillesse, à l'actif desquelles elle a contribué
par des cotisations ou versements de fonds.
En thèse générale lorsq u'un contrat d'association est
formé entre diverses personnes, la convenüon des parties
peut fixer un laps de temps pendant lequel aucun des associés ne pourra se retirer. Le législateur voul ant sauvegarder
la liberté individuelle des ouvriers a cru devoir, avec JUSte
raison, apporter une dérogation à ce principe au poin t de
-
165 -
vue des syndicats. Il s'est en eflet préoccupé d'une hypothèse toute spéciale, celle des grèves. Il ne fallait pas qu'un
ouvrier fut obligé malgré sa volonté et par le fait de son
affiliation à un syndicat de continuer une grève fâcheuse
pour ses intérêts. Dès lors on devait lui assurer le droit de
se retirer du syndicat à son gré, tel est l'objet de l'article 7.
Cet article qui tout d'abord n'était qu'un paragraphe
additionnel de l'article 6 et qui a été confectionné par pièces et morceaux, dispose que tout membre du syndicat
peut à tout instant cesser d'en faire partie. Mais pour que
cette disposition ne restât pas lettre morte M. Trarieux
proposa et fit adopter un amendement qui ajoutait à l'article les mots Cl nonobstant toute clause contraire. l>
Les syndicats pouvaien t en effet chercher dans les statuts
un moyen de retenir les membres dissidents. C'est ainsi
par exemple que les statu ts auraient pu imposer l'obligation de ne se pas retirer pendant une période déterminée.
D'autre part on aurai t pu imposer une amende pour les
démissionnai res, ou bien encore faire déposer à tout adhérent un cautionnement devant rester à la caisse de la société au cas de retraite. Il est certain que tous ces moyens
eussent été de nature à paralyser le droit des sociétaire· .
Aussi le parlement a-t-il sagement fait d'introduire les
mots, nonobstant toute clause contraire, dans le texte de
la loi. De cette faço n en effet un terme ne peut pas être imposé. Ces amendes doiven t être déclarées nulles et les cautionnements qui seraient de natu re à empêcher un sociétaire de quitter le syndicat dans la crainte de perdre son
dépôt doiven t être annulés.
�-
164 -
Ainsi donc le droit individuel de chaque membre du syndicat est assuré, mais il fallait aussi sauvegarder les intérêts
de la société. li ne fallait donc pas qn' un membre put se
soustraire à ses obligations pécuniaires par une démission
et l'on a ajouté un membr~ de phrase pour assurer au syndicat le droit de poursuivre le paiement des cotisations arriérées et de la cotisation courante.
A ce point de vue la loi dispose que le syndicat peut réclamer la cotisation de l'année courante. Les termes de
l'article 7 doivent-ils être entepdus dans un sens restreint
ou au contraire d'une façon large? Nous pensons que le
législateur s'est surtout préoccupé de ce qui se passe généralement et il a parlé de l'année courante parce qu'il a
pensé que les cotisations se paieraient surtout par année.
Mais si les statuts d'un syndicat déclarent les cotisations
payables par semestre, par trimestre ou par mois, le membre démissionnaire ne devra sa cotisation que pour le semestre, le trimestre ou le mois courant.
Une dernière crainte s'est présentée à. l'esprit du législateur. Nous assurons bien, s'est-il dit, la liberté de l' ouvrier
contre les statuts du syndicat, mais comme les syndicats
peuvent former des caisses de secours et des caisses de
retraite, si nous ne réservons pas les droits des dissidents
dans ces caisses de secou rs que leurs versements ont constituées en grande partie au moins, nous réduisons les sociétaires à la double alternative d'abandonner leurs droits
acquis ou de rester indéfiniment liés à la société. A
quoi on répondait en disant : Le droit commun prévoit
cette situation et de même qu'un membre d'une société de
-
t6?S -
secours mutuels peut s'en retirer sans perdre ses droits à
l~ pension de retraite de même en sera-t-il pour les syndicats. Cependant pour ne pas laisser place à aucune équivoque on a ajouté un paragraphe complémentaire établissan t nettement le principe.
Ce paragraphe complémentaire nous fait comprendre
pourquoi la circulaire ministérielle exige une administration distincte pour le syndicat et pour la caisse de secours.
Si ces deux administrations étaient confondues il est certain
que le membre démissionnaire du syndicat ne pourrait pas
conserver ses droits dans la société de secours.
Du reste remarquons en pas ant que cette garantie des
droits du démissionnaire rP,sle bien illusoire, car en somme
il est certain que l'administration de la société de secours
et même des pensions de retraite sera touj ours moins favorable à celui-ci qu'aux membres actifs du syndicat.
Relativement aux autres rapport du syndicat et de ses
membres, la 101 resle muette. laissant les statuts règlementer ces diverses questions.
On s'e t demandé si au cas de retraite les membres
démissionnaires n'auraient aucun droit sur le fonds social
du syndicat.
A défaut de stipulation contraire dans les statuts nous
pensons qne celui qui e retire perd tou ce droits à l'actif. Les syndicats ne sont pas en effet fondés dans un but
de gain. D'ailleurs un des principaux effets de la personnalité morale est de distinguer le patrimoine du syndicat de
celui de ses membres et on comprendrait difficilement que
la retraite <le quelques membres fit cesser cette distinction.
�-
166 -
M. Brunot, dans son commentaire, fait encore valoir à
l'appui de cette thèse que les biens des syndicats sero nt
presque toujours peu considérables eu égard au nombre
des adhérents, qu'ils ne seront jamais liquidés tant que durera le syndicat, qu'enfin ces biens provenant des cotisations doivent suivre le sort de ces cotisations. Puisque la
loi impose aux membres sortant..c; l'obligation de payer
leurs cotisations ils ne peuvent pas réclamer les cotisations
antérieurement versées.
ARTICLE
8.
Lorsque les biens auront été acquis contraire-ment aux dispositions de l'article 6, la nullité de l'acquisition ou de la libéralitiJ
pourra ~tre demandée par le procureur d'l la République ou
par les intéressés.
Dans le cas d'acquisition c1 titre onéreux, les immeubles seront vendus et le prix en sera déposé à la caisse de l'association.
Dans f.e cas de libéralité les btens feront retonr aux disposants
ou à leurs hérilùm ou ayants cause.
L'article 8 contient la sanction civile de l'article -O. Au
cas où des immeubles seront acq uis ayant one autre destination que les réunions, les cours pro fession nels ou les
bibliothèques, l'acquisition pourra être annulée.
Quel est le caractère de cette nullité? Est-elle radicale
TJu relative? Les ter·mes mêmes de l'article répond ent à. la
- 167 question de nullité pourra être demandée. Il s'agit donc
d'une annullabilité et non d'une nullité absolue. Dès lors
tant que la null ité n'est pas prononcée l'acquisition est valable et si avant la nullité le syndicat transmet les immeubles par vente, échange ou tout autre mode, ces transmissions seron t valables aussi.
Quel sera l'e!Tet de la nullité prononcée? S'il s'agit d'un
immeuble acquis à. titre onéreux, il sera vendu et le prix
de vente déposé dans la caisse de la société. S'il s'agit
d'une acquisition à titre gratuit l'immeuble fera retour au
disposant on à. ses héritiers et ayants cause.
La disposition de la loi nous paraît incomplète en ce qui
concerne la sanction de l'acquisition à titre onéreux. L'immeuble sera vendu, mais dans quelles conditions. Tl ne
peut évidemment pas s'agir d'une vente volontaire et dès
lors on aurait dû préciser dans quelles formes se ferait la
la vente judiciaire, alors surtout que nous allons voir que
le poursuivant sera dans la plupart des ca le procureur de
la République. Or l'Etat ne plaide pas par procureur, et
comme dans les ventes judiciaires le ministère de l'avoué
est nécessaire, on peut se demander ce qui arrivera dans
le cas de nullité poursuivie par le ministère public.
Qui peut provoquer la nullité? D'abord les intéressés, et
sur ce point il ne peut y avoir de difficultés; ensuite le procureur de la République. Cette disposition est une dérogation absolue aux principes généraux. C'est le seul cas où
le ministère public peut sai ir directement la juridiction
civile. Car il est hor de doute que l'article 8 ne vise exclusivement que la sanction civile et la loi ne s'occupe en au-
�-
168 -
cune façon de la juridiction correclionnelle qui n'est visée
que par l'article 9.
ARTICLE 9.
Les infractions aiiœ dispositüms des articles 2, 3, 4, 5 et 6
de la présente loi seront poursuivies contre les directeurs ou administrateurs des syndicats et punies d'une amende de 16 a
200 f ra.ncs.
Les tribunaua; pourront en outre, it la diligence du procureur de la füpublique, prononcer la dissolution dn StJndicat et
la nullité des acquisitions d'immeubles {ailes en violation des
prescriptions de l'article 6.
Au cas de fausse déclaration relative aux statuts et aux noms
et qualités des adm·inistrateurs ou rlirecteurs, l' amrmde pourra
atre portée à cinq cellls francs .
L'article 9 contient la sanction pénale des ob ligations
prescrites par la loi. Sont punies d'un e amende invariable
de seize francs à deux cents francs toutes les infracti ons à
la présente loi, c'est-à-dire le fait pour un syndicat de comprendre des personnes de professions différentes, de s'occuper d'intérêts autres que ceux prévus par l'article ::>, de ne
pas faire les dépôts exigés par l'article 4 ou les renouvellements de dépôt, de nommer pour admin istrateurs des incapables, c'est-à-dire des étrangers, d'acquérir d'autres im·
meubles que ceux nécessaires aux réunions, aux bibliothè-
-
169 -
ques et aux cours professionnels, et pour les unions dt·
syndicats le fait de ne pas faire le dépôt prescrit ou bien
d'acquérir des immeubles.
Nous pensons qu'à raison même des termes de l'article 9
cette énumération est limitative. D'ailleurs nous sommes
sommes en présence d'un texte pénal qui forcément doit
être interprété limitativement. D'autre part nous croyons
que toutes les infractions que nous avons relevées peuvent
être poursuivies, un doute en effet peut se présenter relativement à l'article 4, le fait de nommer pour administrateur
un étranger est-il punissable et dans ce cas qui doit être
puni? Nous pensons en elîet à raison de la généralité des expressions employées que c'est-là une des infractions prévues
par l'article 9 et comme toutes les infractions ont poursuivies à l'encontre de administrateurs, la responsabilité
doit peser également sur l'administrateur étranger.
Le principe de responsabilité édicté contre les administrateurs est d'ailleurs éminemment rationnel. Il serait injuste en effet de poursuivre les membres de l'a ociation
pour des infractions à des obligations qui sont toutes à la
charge de ceux qui son t à la tête du syndicat.
Les disposition du paragraphe 2 nous emblent d'aillenr être en opposition formelle avec ce principe. Dans la
première partie la loi déclare en effet que les tribunaux
correct10 nn cls po urront pro noncer la dissolution.
Dans quel cas? La loi ne l'indique pas, elle laisse <lonc
le pouvoi1· d'appréciation aux juges et celle liberté d'appréciation ne va jamais sa ns un cerlam arbitraire qu'il e t fâcheux d'introd ui re surtout dans une loi nouvelle. Si les
�-
170 -
tribunaux prononcent la dissolution dans tous les cas des
infractions prévues au paragraphe premier, en somme on
frappe celui qui n'a pas commis la faute. Supposons par
exempl e que des membres de professions différentes aient
été admis par les administrateurs ou qu'un renouvell ement
de dépôt n'ait pas été fait si le syndicat est dissous il supporte la conséquence du défaut de vigilance de ses administrateurs.
D'ailleurs le paragraphe 2 tout entier nous parait pas
avoir été heureusement inspiré. La seconde partie nous
paraît en effet être une répétition de l'article 8 qui prévoit
les cas d'acquisitions contraires à. l'article 6. La peine édictée est la même dans les deux cas, nullité de l'acquisition.
Mais, dit-on, l'article 9 s'ex plique car les intéressés ne peuvent P,as saisir le tribunal correctionn el et que seul le ministère public peut suivre cette voie. Mais pourquoi puisqu e par une dérogation spéciale on a dêja reconnu au
procureur de la République le pouvoir de s'adresser à la
juridiction civil e lui accord er le droit de saisir la juridiction
correctionnelle? Pourquoi créer une nouvelle dérogation
aux principes généraux en accordant à la juridiction correctionnelle de prono ncer sur des intérêts absolum ent civils
tels que. la dissolution d' un syndicat ou la nullité d' une acquisition?
Notons en passant qu'au cas où la di ssolution sera prononcée l'actif du syndicat devra être partagé entre tous les
sociétaires, il y a bien distincti on de patrimoines à raiso n
de la personnalité morale, mais à côté de celle distinction
-
171 -
subsiste toujours la copropriété des différents membres de
l'association au cas où l'être moral vient à disparaître.
Enfin pour terminer le chapitre des infractions l'article 9
édicte une amende de 500 francs pour le cas de fausse déclaration. Il est certain que la fau sse déclaration suppose
un degré de criminalité plus grand que l'omission qui peut
même parfois être involontaire.
On s'est demandé si l'article 25 et 24 de la loi du
29 juillet 1881 sur la presse et relatifs à la provocation de
crimes ou délits peuvent être applicables aux syndicats. Les
travaux préparatoires nous prouvent que le parlement n'a
pas voulu admettre ce délit pour les syndicats en repoussant un amend ement proposé au Sénat, tendant à admettre
que ce délit commis dans les réunion pourrait être poursuivi . On a en effet jugé que les réunions de syndicats
avaient un caractère privé et que l'on ne pouvait pas se
préoccuper de ce qui s'y passait.
Une dernière question reste à examiner, c'est la combinaison des articles 1 et 9 de la loi. Dans quels cas se trouve-t-on en présence des syndicats qui restent sous le coup
des articles 291 et 292 du Code pénal ? Ou en d'autres
termes dans quels cas peut-on dire qu'il n'y a pas à pro prement parler de syndicats professionnels ? Le fait seul
d'avoir commis une des infractions prévues à l'article 9 ne
peut pas su(fire certainement pour changer le caractère du
syndicat. li y a donc une question de fait que les tribunaux
devront apprécier. Ils ùeVl'lrnt rechercher dans qu elles conditions l'association s'c t formée, quels sont ses agissements
habituels, en un mot s'entourer de toutes sortes de rensei-
�-
172 -
gnements moraux. Il est certain que de cette façon nous
retombons dans la théorie de l'arbitraire que nous combattons plus baut, mais c'est la théorie de la loi car on ne peut
pas admettre sur ce point l'opinion de M. Mongin qoi veut
qu'on ne puisse plus dans aucun cas faire l'application des
articles 291 et 292 do Code pénal.
ARTICLE
10 .
La présente loi est applicable à l'Algérie. Elle est également
applicable aua:; col-0nies de la Martinique, de la GuadekJUpe el
de la Réunion. Toutefois les travailleurs étrangers et engagés
sous le nom d'immigrants ne po11rront faire partie des syndicats.
La seule question soulevée par cette disposition additionnelle est relative aux immigrants français. Il a été formellement entendn que nos nationnaux et les in diens de Pondichéry qui sont électeurs pourraient invoquer le bénéfice de
la loi.
Alors qu'en France les étrangers peuvent faire partie
d'un syndicat, dans les colonies ce droit leur est enlevé.
Cette distinction ne s'explique guère et devient d'au tant
plus singu li ère qu'il ne leur est même pas permis dans ces
colonies d'adhérer à un syndicat ayant son siége en France.
Telle es t la loi organique des syndicats professionnels.
Elle est loin on le voit d'être à l'abri de toute critique,
-
173 -
mais le jour où les syndicats, qui ten den ~ de plus en plus à
se développer fo nctionnant régulièrement, auront produ it
les avantages qu'on attend d'eux, le jour où ils auront supprimé les grèves et amélioré le sort de la classe ouvrière
par la création des sociétés coopératives, des ateliers sociaux pour les ouvriers sans travail, des banques populaires,
des caisses de secours, le jour enfin où la pratique aura démontré les inconvénients et les vices de la loi actuelle, il
faut espérer que le législateur révisera une loi qui telle
qu'elle est fera faire a la question sociale un grand pas, car
nous sommes convaincus que le remède à la crise que nous
subissons se trouve dans le principe si puissant et si fécond
de l'association.
�-
175 -
Nous trouvons-là la division de ce chapitre. Nous examinerons d'abord la législation dans les Etats où les corporations se sont maintenues. Puis nous rechercherons dans
quelles conditions se créent les associations ouvrières dans
les pays où le droit individuel au travail est reconnu .
DROIT CO!tlP..lRÊ .
AUTRICHE.
Le mouvement qui s'est fait sentir en France en faveur
de l'association ouvrière s'est également produit dans toute
l'Europe. Dans tous les pays en elîet des associations s'établissent entre ouvriers, soit pour la création d'établissements de secours, soit pour le développement de l'industrie, soit encore pour la fond ation de sociétés coopératives
pour la production ou la consommation.
Il nous parait intéressant de rechercher la législation ouvrière dans les divers états Européens et cette étude no us
a semblé être Je complément nécessaire de nos recherches
sur le rôle de l'association dans l'organisation du travail.
Tout d'abord un premier fa it s'impose à notre obbervation. Dans certains Etats la liberté individuell e n'existe pas
encore et les corporations telles qu'elles avaient été constituées par le Moyen-Age continuent à subsister. Dans d'autres au contraire la situation est la même qu'en France,
les corps de métiers ont complètement disparu, soit qu'ils
aient été abrogés ou qu'ils soient tombés en désuétude. ·
Nous commencerons notre revue par l'Autriche.
En Autriche les corporations ne son t pas abolies et cependant la liberté ind ustrielle a été proclamée par la loi
de 18!S9, qu'on appelle généralemen t la Gewerbeordnung
ou Code industriel.
Comment concilier ces deux propositions qui chez nous
tout au moins semblen t être absolument contradictoires?
La réponse est bien faci le. La liberté de s'établir comme
commerçant et indu trie! est accordée à. la condition de
faire une déclaration spéciale et de $8 soumettre à certaine
prescri ptions de police. Une fois ces formalités accomplies
l'artisan doit faire partie de la corporation du métier. En
d'autres termes la loi de 1 8~9 a eu po ur effet de changer
le caractère des corporations. Alors qu'autrefois elles
étaient formées et ne se recrutaient que par leur choix elles
deviennent accessibles à tous sans condition de stage ou
d'examen.
Les corporations jouent un rôle identique à celui qu'on
veut fai re jouer à nos syndicats. Elles sont avant tout ociétés de secours, elles reçoivent les contrats d'apprentis-
�-
176 -
saae veillant à ~e qu'ils soient fidèlement exécutés, elles
~ '
servent d'offices de placement, s'occupent de l'instruction
professionnelle et lrancheot comme arbitres les différends
qui peuvent surgir.
Mais ce régime de liberté n'a point été accueilli favorablement et la loi de 18?>9 a sobi des modifications importantes en 1885. Les petits arti sans atteints par les progrès
de la grande industrie ont en effet attribué la crise qu'ils
subissaient à. la liberté du travai l et on t à diverses reprises
réclamé le rétablissement des anciennes corporations.
La loi du 25 mars 1885 a fait droit à ces réclamations,
en partie au moins.
Actuellement en Autriche les industries sont divisées en
trois catégories. - La première co mprend les industries
concédées par l'autorité administrative ; la seconde comprend les industries libres qui peuvent être exercées moyennant une simple déclaration préalable : - La troisième
classe es t dite : de métiers i> et comprend les professions
qui exigent un certificat d'apprentissage et nn e.xamen.
(l
En fait c'est là le rétablissement des corporations. Cependant en droit la loi nouvelle a cherché à raj eunir cette
institution surannée et à la mettre en rapport avec les tendances modernes. C'est ainsi que notamm ent les corporations
doivent, lorsqu'elles n'existent pas, organiser des caisses de
secours. Ces caisses sont formées par les cotisations forcées
des ouvriers (5 0/ 0 du salaire au plus). La qu otité des secours est fixée par la loi. L'administration de la caisse est
exercée par un conseil formé pour les deux tiers d'ouvriers.
- 177 Ce comité n'a d'ailleurs presque aucune initiative tou t
étant régi par la loi.
Les corporations doivent former des tribunaux arbitraux
qui ne sont obligatoires que s'ils sont acceptés par les deux
parties. Ces tribunaux sont composés moitié d'ouvriers
moitié de patrons.
J
Elles doivent veiller à l' établissement d'un système d'ap·
prentissage bien ordonné en se préoccupant de la proportion numérique des apprentis avec le chiffre des ouvriers.
Elles peuvent former des sociétés coopéralives.
Le caractère dominant de la loi de 1885 est tout entier
dans l'ingérance absolue de l'administration. Les lnnungen
ainsi restaurées relèvent entièrement de l'Etat Leurs statuts
doivent être approuvés par l'autorité supérieure. Leurs
assemblées ont lieu so us la présidence d'un fonctionnaire,
elles peuvent être dis outes par le pouvoir.
Cette loi n'a pas produit jusqu'à présent de très grands
résul tats, on demande sa révision et à notre avis au moins
elle n'est pas née viable. Les principes de l'assoc.iation s'accommodent mal avec une tutelle absolue du gouvernement.
Les associations ouvrières devront forcément en Autriche
comme partout ailleurs devenir absolument libres.
HONGRIE.
La situation ouvrière est en Hongrie assez semblable à
celle de l'Autriche. Los anciennes corporations ont continué
~2
�-
178 -
à. subsister avec leurs privilèges et leurs monopoles jus.
qu 'en 1872 ' époque où la liberté du travail a été proclamée.
Depuis lors est intervenue la loi du 21 mars 1884 qui est
.
en quelque sorte le Code industriel.
Un chapitre de celle loi a trait aux corporat10ns de métiers ..Les professions sont comme en Autriche divisées .en
trois classes. Dans toutes les villes renfermant au moms
cent industriels de la classe des métiers le gouvernement
doit créer sur la ùemande de la majorité de ces industriels
et avec l'avis de la chambre de commerce et l'autorisation
du municipe une corporation qui comprendra tous les corp~
de métier. Mais à l'exception tle la ville de Buda-Pesth, 11
n'y aura dans chaque ville qu'une seule corporation.
Lorsqu'une corporation est fondée, toutes les sociétés libres qui existaient entre les membres des professions de
métiers doivent se fondre dans la corporation
Ces corporations ont pour but de faire la police intérieure et assurer l'exécution des règlements sur le travail,
veiller aux relations entre patrons et ouvriers, faire des rèales pour l'apprentissage, établir des tribunaux d'arbitres.
Ces tribunaux sont composés moitié de patrons, moitié
d'ouvriers et présidés par un fon ctionnaire officiel. Toutes
leurs décisions sont susceptibles d'appel.
Les caisses de secours sont administrées par les patrons
et les ouvriers, mais Je président est toujours un patron .
Les caisses sont alimen tées par la retenue sur les salaires
et par des cotisations des patrons. Un ouvrier gréviste ne
peut recevoir aucun secours en cas de maladie.
-
179 -
ALLEMAGNE.
J
En Allemagne les corporations se soot maiotenues telles
qu'elles étaient autrefois, jusqu'en 1869. Mais la loi en les
abrogeant n'a fait que reconnaitre un état de chosi:s qui
s'imposait, car depuis longtemps déjà les corporations
étaient tombées en désuétude. Après la loi de 1869 , chacun
eut la liberté de travailler sans être astreint à faire parti e
d' une corporation et à produire un diplôme. Les corporations purent subsister comme sociétés libres ayant surtout
pour but l'administration des caisses de secours.
La loi de 1869 avait été faite avec des intentions hostil es
à la classe ouvrière, on e pérait qu e les corporations disparaitrai ent. Plus tard et pour protéger au contraire le co rporations sur les plaintes du parti des artisans et des industriels allemand s, M. de Bismarck présenta au Reichtag
on projet de loi pour le relèvement des anciennes corporation, projet qui est devenu la loi du 18 juillet 1881.
Cette loi d' une façon générale di po e ce qui suit : « Les
artisans ne sont pas for~é · de former d ~s corporations,
mais lorsque dans unP. localité il en existe une le ouHier~
pourront s'en faire recevoir s' il remplissent les conditions
exigées par les staLn Ls. Ces conditions con istent généralement en un examen ou bien en un certai n temp d'apprentissage. Ont le droit d'être admis ceux qui ont fait partie
d'une corpo1·ation dan une autre localité. L'autori té, lor qu'une corporation est formée pour une profession , n'au-
�-
-
180 -
torise pas la création d'une seconde corporation, ce qui
prouve son désir de n'établir qu'une seule corporation par
métier. La loi allemande plus large à. ce point de vue que
la loi française, autorise \'admission des membres honoraires et ne limite pas le patrimoine de la corporation. En fait
cependant cette liberté absolue d'acquérir est restremte,
car toute acquisition doit être approuvée par l'autorité.
Ces associations ainsi formées ont pour but aux termes
mêmes de la loi de maintenir et fortifier le sentiment de
l'honneur professionnel. Elles règlent les rapports entre
patrons et ouvriers, s'occupent du placement de ceux-ci,
tranchent les questions d'apprentissage, délivrent des diplômes professionnels. Elles peuvent de plus former des tribunaux d'arbitres composés comme en Autriche, moitié
d'ouvriers, moitié de patrons et présidés par un fonctionnaire. Elles ont le droit de fonder des caisses de secours et
peuvent organiser le travail en commun. c'est-a-dire fonder
des sociétés coopératives. Mais ces derniers établissements
ne doivent pas figurer dans les statuts des corporations. La
caisse de secours doit être administrée à part et ses fonds
ne se confondent pas avec ceux de la corporation. Cependant le membre de la corporation qui donne sa démission
perd tous ses droits sur le fond de la caisse de secours.
Tout comme en Autriche, l'autorité a un grand pouvoir
sur ces associations. Elle peut leur imposer des règlements.
Le fouctionnaire qui préside les asssemblées peut dissoudre
la corporation elle-même.
Cependant, tandis qu'en Autriche la corporation peut
recevoir des ouvriers de toutes professions, en Allemagne la
181 -
corporation ne comprend qu'un métier. La corporation, au
point de vue territorial, ne peut s'étendre que dans la ci!conscription administrative.
I
Enfin la loi allemande se rap proche de la loi française en
autorisant les unions de corporations. Cependant, d'autre
part, elle décide, et le point est à noter, qu e les corporations ne peuvent en aucune façon participer aux grêves.
Depuis la loi de 1881, le Reichstag a encore voté deux
lois importantes au point de vue des associations. Une première loi, promulguée en 1884, porte que nul patron qui
ne fait pas partie d'une corporation ne peut avoir d'apprentis. Une seconde loi, présentée par M. de Bismarck, règlemente les assurances contre les accidents. Pour que les
patrons ne soient pas exposés à une responsabi lité trop
lourde, ils penvent former entre eux des sociétés illimitées
quant à. la territorialité pour supporter la charge des acci dents.
D'ailleurs la liberté d'association est de droit commun
en Allemagne; il y a, à côté des corporations, de nombreuses associations ouvrières et nous devons notamment signaler des associations agricoles fondées en Westphalie et en
Bavière sous le nom de Bauernvereine, qui ont de véritables chambre syndicales. Elles s'occupent de. intérêt
généraux de l'agriculture, elle constituent des tribunaux.
d'arbitres et créent ùe institution de ecours. de crédit
et n'as man ces. C'est ain i qu'elles ont obtenu de conditions très avantageuses des compagnies d'assurance. et
qu'elles ont trouvé le moyen de faire emprunter sur hypo-
�-
-
182 -
qui sont un contre-sens dans notre civilisation moderne, on
voit actuellement se développer des institutions se rapprochant des syndicats. Les artels sont des associations librement formées entre to us ceux qui ne font pas partie des
tsecks. Elles comprenn ent généralement les domestiques, les
employés, les commis. Les associations s'occupent de placer leurs différents membres, ell es touchent leurs appointements et répondent vis-à-vis de leurs maîtres des détournements qu' ils pourraient commettre.
thèques sans courtage el à lrès bon marché. Ces associations n'onl d'ailleurs pas de personnalité morale.
Enfin , et comme conclusion , on peut dire qu e la liberté
d'association est de droit comm un en Allemagne. Mais,
comme c'est le pay, de l'Europe où Je socialisme a le plus
de racines et comme le parti socialiste s'est déclaré l'ennemi acharn é de M. de Bismarck, celui-ci a voulu se prémumr contre les excès qui pourraient ré ulter des associations ouvrières. Il a fail rnter la loi du 21 octobre 1878 ,
qui met enlre les main du gouvernement les droils les
plus étendus. Celu i-ci peut, en effe t, même arbitrairement ,
prononcer des interd icti ons con tre Lou le société suspecte.
Il n'y a aucun reco urs po ur ces interdictions. Les co ntrevenants sont punis de peines très sévères. Toute perso nne ne
résidan t pas depuis ix mois dans une localité peu t en être
expulsée sur un simple rapport de police, et enfln on peut
priver les imp rimeu rs, lib raires et les cabaretiers du droit
d'exercer leur pro fession.
185 -
;
Tels sont les dilTérents Etats de l'Europe où se sont perpétu ées les vieilles trad itions du Moyen-Age en matière
d'organisation du travail. Il nous reste maintenant a examiner quels sonl, au contraire, les pays qui permettent au
mouvement ouvrier de se développer par la création de
syndicats.
Hussm
En Ru ssie, les co rporati ons tell es qu' elles on t èté crées
pzr l' impératrice Catherine, continuent à subsister sous le
nom de tseclis. Dans chaque métier, nu I ne peut s' installer
s'il n'est maîlre, et on ne peut pas être reçu maître sans
avoir été apprenti et ouvrier.
Mais, à cô té de ces corp orations form ées et obligatoires,
ANGLETERRE
Nou s plaçons l'Angleterre en tête de la liste des pays où
les ouvriers peuvent librement 'associer pour se concerter
sur la défen se de leurs intérêts communs. Cependant, en
droi t, les corporations n'ont jamais été abolies, et si l'on
s'en tenait à la surface de chose . on pourrait croire
qu'ell es existent encore telles qu'au Moyen-Age. Ne voit-on
pas dans les cérémonies les douze corporations dites
�-
i84 -
honorables ~ de Londres, déployer au vent leurs bannières? N'ont-elles pas conservé le privilège de nommer le lord
maire? Enfin ne sait-on pas qu'elles ont conservé leurs
hall, leurs archives, leurs sceaux. Leurs hérauts sont encore
vêtus de costumes du xue siècle. Mais pour peu que l' on
étudie la société anglaise, on s'aperçoit vite qu'il n'y a là
que des vestiges surannés d'on état de choses tombé en désuétude. Ces anciennes corporations ressemblent fort à des
cercles où l'on reçoit toutes les classes de la société, mais
surtout les gens riches, car les cotisations y sont très élevées et ne servent qu'à offrir de somptueux repas aux personnes de distinction 1•
t
En réalité, les corporations ont complètement disparu,
et ce phénomène s'est accompli de très bonne heure à raison de la faço n libérale dont les magistrats anglais ont toujours interprété les chartes corporatives. Loin, en efJet,
d'étendre les privilèges des corporations, on les restreignait le plus possible.
D'autre part, la grand e industrie qui ne s'est nulle part
développée comme en Angleterre, a eu pour conséquence
la formation des sociétés ouvrières. Dès la fin du siècle dernier, des Trade unions se formèrent et cela d'un e façon légale et régulière, car le droit constitutionnel anglais a toujours reconnu le droit d'association.
Pendant la Révolution française , des troubles ayant
éclaté dans les classes ouvrières, le Parlement supprima le
1
Hubert-Valloroux, op. cil.
- 18!'.S droit d'association. Dès lors, les trade unions continuèrent
à subsister d' une façon secrète, et, comme le gouvernement reconnut alors qu'une société clandestine est plus
redoutable que celle qui ne craint pas le gran d jour, la
prohibition fut abrogée on 1821~. Depuis ces unions réglementées et autorisées n'ont pas cessé de fonctionner avec
autant de régularité que de sagesse.
Cependant, elles n'avaient point la personnalité civile.
En 1871, frappées de l'inconvénient qui pouvait résulter
pour elles de cette situation anti-j aridique, elles la sollicitèrent et l'ob tinrent par l'édit du 24 juin 1871.
Nous savons que, dans la loi anglaise, les grèves et les
mises à l'index d'an atelier sont permises. Mais si les
unions ont le droit de décréter la grève et de la soutenir
par des fonds de secours, les grévistes qui commettent un
acte de violence ou d'intimidation quelconque, soit vis-à-vis
d'un patron, soit vis-à-vis d'un de leurs camarades, sont
sévèrement punis.
Les trades unions obtiennent la personnalité civile lorsqu'elles comprennent au moins sept membres et qu'elles
font enregistrer leurs statuts.
L'enregistrement n'est pas , comme en France, la tran ·cription d' un acte sur nn registre. Cette formalité consiste,
au contraire, dans le dépôt des statuts entre les main d'un
magistrat spécial qui les examine et qui décide s'ils doivent
0 1J non être aci:eptés. Lo reg1strar est un fonctionnaire
d'un rang élevé choisi parmi les avocats ayant au moins
douze ans do postulation. On peut appeler de ses décisions
a la co ur du banc do la reine. Le registrar a le droit de su •
�-
f86 -
pendre ou de dissoudre les sociétés, Annuell ement le registrar fait paraitre un co mpte-rendu de l'état des sociétés
enregistrées et signale les réformes à effectuer dans la législation ouvrière.
A côté des associations enregistrées, il y a, en Angleterre, beaucoup d'associations libres. La question ouvrière
est une de celles dont on se préoccupe le plus. Tous les
ans des congrès se tiennent et forment des vœnx pour obtenir des lois favorables du Parlement, et on ne saurait trop
recommander aux classes laborieuses l'emploi d'un pareil
procédé pour améliorer leur situation.
Si maintenant nous recherchons rapidement les conditions dans lesquelles s'exerce le droit d'association pour
les ouvriers dans les autres états de l'Eu rope, nous verrons
qu'il s'exerce partout librement et nous nous rendrons facilement compte que l'association a surtout pour but l' institution d'établissements de prévoyance. - En Danemarck,
la liberté industri elle a été établie en 185ï, les langs ou
anciennes corporations obligatoires ont été abolies et transformées en sociétés de secours. - En Norwège, les guildes
aussi ont disparu et il ne reste plus que des soCiétés am icales entre ouvriers. Elles sont au nombre de soixante-dix
environ et ont toutes pour but la distribution de secours.
- En Suède, on trouve la li berté la plus absolue d'association . Aussi rencontre-t-on des sociétés sous to utes les
fo rmes. Sociétés de secours mutuels, unions de méti ers,
sociétés coopérati ves de co nsommation et de production.
Pour donner une idée de l'é tat de prospérité clans lequel
-
..;
187 -
se trouvent les sociétés de secours, nous indiquerons que
la société de Norrkoping a ouvert un théàtre réservé à ses
seuls sociétaires 1 • - En Suisse, la situation morale des
ouvriers est excellente, et ce résultat a été atteint par le
développement de l'esprit d'association. Nous trouvons là
un modèle type de l'association, c'est celle de Bâle, fondée
en 1777, par Isaac Iselin, elle comprend actuellement
1752 mem bres et a fo ndé cinquante-quatre institutions
pour les sociétaires, telles que caisses de secours aux ouvriers, aux malades, aux condamnés, écoles primaires, écoles professionnelles de dessin, de modelage, cours de chant,
bains publics, conférences populaires, etc.. . L'association
ouvri ère du can ton de Zurich a pour organe la Gazette des
Ouvriers 2 • - En Belgiq ue, le mouvemen t d'association
ouvrière est aussi très marqné. Très nombreu:es sont les
instituti ons aéées par ces associations, caisses d'épargne,
caisses de retraites, caisses de prévoyance et sociétés coopératives de consommation et de prod uction et banques populaires. Celle de Liège est notamment très florissante. En fi n, et pou r terminer cette revue rapide, signalons qu'en
Italie il existe 209 1 sociétés ouvrières de secours mutuels
et qu'au 3 1 décembre 18 5 il y avait 2?:S2 banques populaires, ayan t entre toutes un capital dépassant cinquante-cinq
millions.
1
Lavolléc, Les clcisscs ouvrières en Europe
1
hl.
�-
188 -
On voit, par ce qui se passe dans toute l'Europe, que
c'est dans l'association seule que l'ouvrier peut trouver une
amélioration ason élat social et dès lors la voie du législateur est toute tracée , il doit chercher a favoriser et à développer les sociétés ouvrières sous toutes leurs formes.
.1
POSITIONS
Brou Romain.
-
~ --
1. Les créanciers d' un défunt ayant demandé la sépara-
tion des patrimoines, peuvent, s'ils n'ont pas obtenu entier
paiement, poursuivre l'héritier.
Il. La servitude de passage légale au profit d'un fonds
enclavé existait à Rome.
III. Le simple consentement ne suffi t pas pour éteindre
les servitudes.
IV. Les fi lles de famille s'obligent valablement.
�-
190 -
-
191 -
Droit Chll.
Droit Constltotlonnel.
I. L'acceptation du remploi par la femme fait tomber
toutes les aliénations ou tous les droits réels consentis par
le mari depuis l'acquisition en remploi.
1. Un parlement doit se composer de deux chambres.
II. Les ministres seuls doivent être
II. La femme étrangère a hypothèque sur les immeubl es
de so n mari , situés en France, si sa loi lui reconnaît l'hypothèque légale.
Vu pm· le Professeur P1·ésident de la Thèse,
EDOUARD
JOURDA~.
Ill. L'enfant naturel reconnu peut être adop té par son
Yu
PAR LB DoYBN,
Ch evalier de la Légion d'!Ionneur,
père ou par sa mère.
ALFRED JOURDA\'.
IV. L'acte régulièrement fait par le tuteur avec les fo rmes prescrites est inattaquable.
Vu et permis d'imprime r .
LB R ECTBU R,
V. Les jugements rendu s par les tribunaux étrangers
ne sont exécutoires en France qu e ~'ils sont rendu s exécutoires par un tribunal français.
Droit Pénal.
1. Le verdict négatif du jury laisse subsister le fait matériel comme base possible d' une action civile en dommages-intérêts.
Il. On n'applique pas au complice l'aggravation de
peine tenant à une qualité personn elle de l'autenr prin-
cipal.
respo n sabl~s .
Chevalier de la Lé910n d' Ilonneur.
1
BELIN.
�TABLE
DES
'
MATIERES
INTRODUCTION . . . . . . . • . . . . . . . . . . . . . . . . . . • .. . . . . . .
page
Des collèges d'ar1 i am; it Home.
Chapitre f" . -
De collèges rl'arlisans sous la· royauté
Chapit1·1· Il. -
Des eollègc· cfarlisans :;ou" la République.
11
Chapi11·0 111. -
Deg «0111\:es <l'arti san sou l'empire.....
2z
~cc Lion 1n.
5
Hi ·torique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Scclion z. - Vic intûriourn Lie collège- . . . . . . . . . . . .
Section :3. - Situation ju1·iLlique <les collège · . .......
~H
H:)
Des corporation ~.....................................
i3
-
Ji
Des as·orialions dans IP droi1 in1ermécliaire . . ........... IOH
Loi du z l mai·~ 1884 ................................. l ~I
Légis lation 1·omp:11Pt'
.....•..•...................... lî\
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Monographie imprimée
Description
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Title
A name given to the resource
De l'organisation du travail : collèges d'artisans, corporations, syndicats professionnels : thèse présentée et soutenue devant la faculté de droit d'Aix
Subject
The topic of the resource
Droit du travail
Droit romain
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Heimann, Henri
Faculté de droit (Aix-en-Provence, Bouches-du-Rhône ; 1...-1896). Organisme de soutenance
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES-AIX-T-142
Publisher
An entity responsible for making the resource available
A. Makaire (Aix)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1886
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/241566444
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-AIX-T-142_Heimann_Organisation-travail_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
191 p.
23 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/448
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Abstract
A summary of the resource.
Partant de l’idée que l’homme ne peut vivre isolé et qu’il a besoin du secours de ses semblables, cette thèse s’intéresse à différentes formes d’organisation du travail, de l’Antiquité aux associations ouvrières de la fin du XIXe siècle.
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Description
An account of the resource
Des collèges d'artisans aux corporations, la liberté d'association en matière de travail a longtemps était entravée jusqu'à la loi du 21 mars 1884 (loi Waldeck-Rousseau) qui instaure la liberté syndicale
Associations professionnelles -- France -- 19e siècle -- Thèses et écrits académiques
Corporations -- France -- 19e siècle -- Thèses et écrits académiques
Droit du travail -- France -- 19e siècle -- Thèses et écrits académiques