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ANNALES
DE
DE MARSEILLE
S A . Z & )
publiées sous la direction de
M.
le
P ro fesseur
E douard
H ECK EL
Première Série, Prem ière Année, Premier Volume (1893)
( P r e m ie r m é m o ir e . — Sur
le s K olas a f r ic a in s a u point, d e v u e
b o ta n iq u e , c h im iq u e , p h y s io lo g iq u e , t h é r a p e u tiq u e , b r o m a t o l o g i q u ^ \ 4 K Tj
<s>, O
et pharmacologique, par le professeur Edouard HECKEL.
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I> e u x ié in e>m é m o ir e . — Sur le beurre et le pain d’O’DiKA du Gabohp %yç><* >:
et sur les végétaux qui le produisent, comparaison a veefe,
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o rh>a
Congo et
beurre de C a y --CC a y de Cochinchine et les végétaux qui le donnent1^ O y ^
par le professeur É d o u a r d HECKEL.
T r o i s i è m e m é m o ir e . — Sur le Quassia africana Haillon et sur le
Pancovia Heckelî Claudel, du Gabon-Congo, par M. CLAUDEL,
préparateur de la chaire de botanique à la Faculté des Sciences de
Marseille.. {Ce -mémoire paraîtra en un fascicule séparéJ.
Siructunffiy
suum
PARIS
SOCIÉTÉ D’ÉDITIONS SCIENTIFIQUES
A,
P lace de l ’E cole de M édecine
R U E A N T O IN E -D U B O IS ,
1893
A
��A M. ETIENNE
Député, ancien Sous-Secrétaire d’E tat aux Colonies,
Y ice-Président de la Chambre des députés.
M on
cher am i ,
Permetiez-moi, comme témoignage de profonde gratitude
pour votre bienveillance, d'inscrire votre nom en tète de cette
étude et de vous en offrir la dédicace.
Sans votre concours éclairé, ni ce modeste travail, ni quelquesunes des monographies que j aipu récemment publier sur certaines
plantes utiles des colonies françaises, n eussent jamais vu le jour.
Si la plupart des produits importants du vaste domaine colonial
placé naguère sous votre administration sont restés trop long
temps inconnus en France, ou n’y arrivaient q u à titre de
simple curiosité, c'est que les régions productrices restaient
fermées aux investigations des savants. Vous en avez largement
ouvert l’accès aux chercheurs français, et, pour faciliter leur
tâche, vous n’avez pas hésité, sur ma demande, à faire sillonner nos
colonies par des missions scientifiques chargées d'aller recueillir
des matériaux d’étude capablejs d’enrichir un jour tout à la fois
la science et Vindustrie métropolitaines. En les faisant mieux
connaître, ces recherches auront pour résultat de faire aussi,
mieux apprécier et de rendre plus chères à la patrie les riches
possessions que Vadministration des colonies ajoute chaque jour
à la France d ’outre-mer. Tout nous promet, dans un avenir
prochain, grâce à votre louable intervention, une ample récolte
de faits nouveaux dont l’ensemble formera un faisceau compacte
de conquêtes utiles, pacifiquement réalisées. Ce sont les seules
�ÉDOUARD HECKEL
durables, les seules qu’un peuple civilisé doive légitimement
ambitionner, les seules capables d’assurer la véritable assimilation
du sol conquis par les armes.
G'est dans cet esprit que votre digne successeur au S. Secrétariat
des Colonies, M. Jamais, continuant des traditions heureuses,
a décidé, de concert avec M. le Ministre de l’instruction publique,
et à mon instigation, la création d ’un Musée colonial et d’un
Institut de recherches coloniales à Marseille. Je m’honore d ’en être
le premier directeur et ferai tous mes efforts pour que les
travaux sortis de ce laboratoire spécial justifient, par leur
valeur, leur nombre et leur portée utilitaire, l'estime dont l’admi
nistration coloniale m’a donné une nouvelle preuve en me confiant
cette organisation et cette direction laborieuses.
Je vous apporte aujourd’hui la première gerbe de cette
moisson de l’avenir, le premier travail précurseur de ceux qui
naîtront dans ce laboratoire .N e mesurez pas ma reconnaissance
à Vimportance de cette étude. Mon unique but, en vous l’offrant,
est de rendre un public hommage à la protection bienveillante
et éclairée que vous avez accordée aux recherches de votre ami
bien dévoué, qui, comme vous, aime avec passion les colonies.
Dr E. H eckel.
25 Février 1893.
�TRAVAUX DU MÊME AUTEUR
Sur la Flore coloniale utile ou nouvelle
MONOGRAPHIES
de plantes utiles des Colonies Françaises tropicales :
(en collaboration avec le prof. Schlagdenhauffen).
1. Sur l’huile et la résine de T amanou ( Calophyllum inophyllum L.)
(Journal de thérapeutique de Gubler, 1876).
2. Sur le M’boundou ou Icaja , poison d’épreuve des Gabonais.
Etude chimique et physiologique (Journal d’anatomie et de phy
siologie, 1876).
3 . Sur le Mancenillier et son latex toxique (Bulletin de la Société
de Pharmacie des Bouches-du-Rhône, 1880).
4. Sur les K olas A fricains (lmp. Marpon et Flammarion, rue
Racine, Paris). — Mémoire couronné par l’Institut (Académie
des sciences) et par l’Association scientifique des Pharmaciens
de France.
5. Du bois piquant (Xanthoxylum Perrotetii d . c .) de la Guyane
et de ses principes actifs (Comptes-rendus de l’Académie des
sciences, août 1884).
6. Sur une nouvelle source de Gutta et sur un arbre à beurre
(Butyrospernum Parkii Kotschy) (Journal « La Nature » de G.
Tissandier, i 885.)
7. Nouvelles recherches sur les gratines de YHydnocarpus Wightiana
Roxb., succédané de celles de Chaulmoogra (Journal de Phar
macie et de Chimie ; Juillet 1880).
8. Du Téli ( Erythrophlœum Guineense Rich.), poison d’épreuve
de Sénégambie (Journal « Les Nouveaux Remèdes, » i 8r Oc
tobre i 885).
9. Nouvelles recherches sur les Bonducs et leur graines fébrifuges
(Journal « Les Nouveaux Remèdes, » 1886.)
10. Du D oundaké ( Sarcocephalus esculentus Don), et de son écorce
dite « Quinquina africain, » au point de vue botanique, chimique
�12
ÉDOUARD HECKEL
et thérapeutique (mémoire couronné par l’Institut : prix Barbier)
(Archives de médecine navale, 1886).
11. Sur le D anais iragans Connu., Racine dite Liane-Bœuf des
Mascareignes ; étude de matière médicale et chimique (Journal
« Les Nouveaux Remèdes, » 1886).
12. Sur la galle de 1’Acacia spirorbis, L. de Nouvelle-Calédonie
(Bulletin de la Société do Pharmacie de Bordeaux, mai 1887).
13 . Sur le M’bentamaré ou F édégosa ( Cassia occidentalis L.), étude
de botanique, de matière médicale et de thérapeutique (Ar
chives de médecine navale, 1887).
14. Nouvelles recherches sur le vrai et le faux Jéquirity (Journal
« Le Progrès de Genève, » 1887).
15 . Sur le Beurre de K an y a , fourni par le Pentadesma butyracea
Don (Répertoire de pharmacie, mai 1887).
1G. Recherches sur les G utta -Perchas fournies par les Mimusops
et les Payena (Journal de Pharmacie de Lorraine, 1888).
17. Sur la racine de B a t j in j t j o r ( Vernonia Nigritiana 01 . et Hirn.)
de l ’Afrique tropicale, nouveau poison du cœur (Archives de
Physiologie, i 5 août 1888).
18. Sur le C ourbaril et sa résine (Hymœnea Gourbaril L.) (Journal
le « Naturaliste, » 1888).
19. Sur le Baobab (Nouvelles recherches botaniques, chimiques et
thérapeutiques) (Journal «Les Nouveaux Remèdes,» 1888).
20. Sur le Beurre de Maloukang ou Ankalaki ( Polygaia butyracea
Heckel) (Bulletin de la Société de Géographie de Marseille, 1889).
21. Sur le G ærtnera vaginata Poir, et sur ses graines, considérées
à tort comme un vrai café (Répertoire de Pharmacie, avril et
mai 1890).
22. Sur les deux variétés de Detarium Senegalense Gmélin, à fruit
comestible et à fruit amer (au point de vue botanique, chimique
et toxicologique. (Journal dp Pharmacie et de Chimie, 1890).
28. Sur remploi des feuilles de C ombretum
R aimbaulti Heckel,
contre la lièvre bilieuse hématurique (Journal « Les Nouveaux
Remèdes, » et Répertoire de pharmacie, 1890).
24. Sur les A raucarias et leurs produits de sécrétion gommo-résineuse (Académie des sciences de Paris, 1890).
24bis Sur le Néré ou Nété du Soudan ( Parkia biglobosa Benth.) et la
puissance alimentaire de ses graines employées au Soudan
(Journal de Pharmacie et de Chimie, i 5 juin 1887, et Bulletin de
la Soc. de Géographie de Marseille, 1887).
�TRAVAUX DU MÊME AUTEUR
13
M onographies de plantes colon iales utiles.
(Travaux propres à M. Heckel).
20. Sur le B et-y -D jan ( Solarium Dachartrei Heckel) du Sénégal
(Revue Générale de Botanique, 1890, p l . xi).
26. Sur le F ontaine a Pancheri Heckel, de la Nouvelle-Calédonie,
élude au point de vue botanique, chimique et thérapeutique,
août 1870. Montpellier, Boelim, éditeur.
27. Sur l’huile de B ankoul ( Aleurites triloba Forster) (Journal de
pharmacie et de chimie, 1875).
28. Sur la P otalie amère ( Potalia amara Aubl.), en collaboration
avec M. Haller, de Nancy (Journal de Pharmacie et de Chimie,
1876).
29. Sur l’action du K ola , à propos des effets de la caféine (Bulletin
général thérapeutique, 3o avril 1890).
30. Expériences comparatives concernant les actions du Kola et de
la Caféine sur la fatigue et l’essoufflement déterminés par les
grandes marches (Marseille-Médical, 1890).
3 1. Sur le D adigogo ou B alancounfa ( Ceratanthera Beaumetzi
Heckel), plante tænifuge de la Sénégambie et du Soudan (An
nales de la Faculté des sciences de Marseille, 1891, i cr fascicule).
32 . Sur le Bunya -Bunya ( Araucaria Bidwilli Hook), son utilité et
son acclimatation en Algérie et dans nos colonies françaises
(Bulletin de la Société nationale d’acclimatation de France,
20 août 1891).
33. Sur l’action physiologique des sucs des Euphorbiacées indigènes
et exotiques employées comme poison des flèches pour la guerre
ou pour la pèche (Communication faite en collaboration avec le
professeur Boinet à VAssociation scientifique pour L’avancement
des sciences ; Marseille, 1891).
34. Sur les tubercules féculents de Pembarogué ( Tacca involucrata)
et ceux du Dioscorea bulbifera du Gabon-Congo et du Soudan
et des autres colonies françaises. Leurs qualités nutritives et
leur toxicité ( Bulletin de la Société d’acclimatation de ‘France,
5 mars et 5 avril 1891).
35. Sur la graine d’OwALA ( Pentachletra macrophylla Benth. (Réper
toire de pharmacie, août 1892).
36. Sur la F lore générale et utilitaire ou Prony (Nouvelle-Calé
donie) (Annales de la Faculté des Sciences de Marseille, 1892).
�14
ÉDOUARD HECKEL
37. Sur l’A raucaria brasiliensis Rich, son rendement et son accli
matation en France et en Algérie (Bulletin de la Société d’accli
matation de France, 5 août 1892).
38. Sur le C aroubier et sur son fruit (Répertoire de pharmacie,
décembre 1892).
EN COURS DE PUBLICATION :
(avec la collaboration de M. Schlagdenhauffen).
•f
39. Sur le Sangol, le Bakxs du Sénégal et le G ulancha des Indes.
40. Sur le C opaifeua C ornui Heckel, plante donnant une graine à
Koumarine, sur la côte Occidentale d’Afrique (Pays sousous).
4 1. Sur le Beurre
de
de
C a y -C a y
D javé et de N ounnegou, du Gabon-Congo.
D ik a (Irvingia gabonensis) et le Beurre
(Irvingia Oliveri), le premier du Gabon-Congo et
42. Sur le Beurre
de
le second de Cochinchine ; de leur comparaison, de leur histoire
et de leur composition chimique.
43. Sur la graine du T richolobus africanus Heckel, employée
comme tænifuge chez les populations Sousous de la côte
occidentale d’Afrique.
�INTRODUCTION
Bien que connu, depuis la plus haute antiquité, des
populations nègres de l’Afrique équatoriale qui en font le
plus fructueux usage, le Kola est resté ' à peine soupçonné
dans sa haute valeur et inconnu à l’Europe savante jusqu’à
l’année 1883, époque où je fis paraître une première mono
graphie sur les_ Kolas Africains (1), en collaboration avec
mon savant ami, le professeur Schlagdenhauffen. Dans ce
mémoire, j’ai dû donner la première place à l’histoire
naturelle, aussi complète que possible, de ce végétal, et à
son examen chimique détaillé ; mais toute la partie théra
peutique et l’emploi stratégique qui découle de mes recherches
postérieures à 1884 (et qui se sont continuées jusqu’à ce
jour) n’avaient pu y trouver place ; elles n’étaient pas nées
encore. Depuis cette époque, le cycle de nos connaissances
sur l’aire de dispersion du Kola, sur les variétés multiples
que ce végétal a formées dans l’immense étendue de son
terrain natal africain, sur la valeur relative des graines de
ces variétés ou des espèces voisines, sur la constitution
chimique de ces graines, sur le rôle considérable que joue
le Kola soit comme aliment d’épargne dans l’Afrique tropi
cale, soit comme objet de commerce et de transaction, soit
enfin comme matière tinctoriale dans ce vaste continent,
(1) S ur les Kolas A fricains (Journal de Pharmacie et de Chimie, Juillet,
Août et Septembre 1885;, mémoire couronné par l’Institut (Académie des Sciences,
prix Barbier) et par FAssociation générale des Pharmaciens de France (prix unique
Bussy).
�EDOUARD HECKEL
s’est peu à peu éclairci. Ce n’est certainement pas là le
côté le moins intéressant de l’étude de ce singulier produit ;
mais ce qui domine pourtant dans la caractéristique de
cette graine, c’est assurément l’emploi qu’on en a fait, dans
ces dernières années, en thérapeutique, et avec grand succès,
contre une série d'affections relevant ou de l’épuisement
neuro-musculaire, ou de l’altération de la nutrition, ou du
manque de tonicité des organes. Ces recherches ont fait, à
bon droit, de ce produit, une des matières actuellement les
plus appréciées dans l’art de guérir. De là, sont nés, sur
cette graine, une foule de travaux de valeur diverse et de
portée dissemblable. Il fallait les faire connaître.
C’est en raison de cette situation spéciale, et notamment
des rapides mais légitimes progrès qu’a faits ce produit dans
la confiance des médecins, des résultats avantageux qu’en
retire chaque jour la pratique médicale et l’alimentation
publique, que j ’ai jugé le moment venu de présenter, dans
une large monographie, le tableau complet des connaissances
acquises en huit années d’études ininterrompues sur un produit
qui, en 1884, était inconnu avant mes travaux, ou à peine
indiqué, sans caractère précis, par quelques rares explorateurs
africains. En un mot, le Kola était resté, depuis le siècle
dernier, à la période légendaire ; à mon instigation, quelques
années ont suffi aux chercheurs pour mettre au jour toute
l’étendue de sa valeur. Aujourd’hui, en effet, grâce aux
formes multiples que la spécialité pharmaceutique a su lui
donner plus ou moins heureusement, il a pris dans la médecine
officielle une place qui semble bien et définitivement acquise,
la prééminence sur ses congénères caféiques s’accusant et se
justifiant de jour en jour davantage, comme je le prouverai.
.l’ai tenu, en outre, à démontrer que cette faveur ainsi
que je l’avais prévu et annoncé dès le début de mes études
�INTRODUCTION
sur cette graine, est pleinement justifiée, quelle n’a rien
d’éphémère, et que le Kola, contrairement à ce qu’en ont pu
dire certains pseudo-savants, plus enclins à la critique aisée que
soucieux des vérités scientifiques démontrées, est un produit
doué d’une caractéristique propre, tant au point de vue de
son histoire naturelle et de sa composition chimique que
comme agent physiologique.
C’est là le but multiple de cette étude que j’ai la conviction
de produire à son heure, c’est-à-dire sans hâte ni précipitation.
Le temps a fait oeuvre lente mais sûre.
Le moment est venu, en effet, pour tous ceux qui
emploient le Kola (et ils sont nombreux), de savoir enfin trèsexactement ce qu’ils ont à attendre de ce produit, dont des
discussions malencontreuses ou des travaux mal conduits ont
obscurci les véritables propriétés. Il importait aussi, au plus
haut degré, que les médecins qui prescrivent et surtout les
chimistes qui préparent les formes pharmaceutiques les plus
diverses données à cet agent médicamenteux, connussent
bien comment ils arriveront : 1° à assurer à leurs prescriptions
ou à leurs spécialités toute la perfection désirable ; 2° à
n’employer que le Kola officinal, et 3° à ne jamais introduire
dans leurs mixtures à base de cette graine des substances
incompatibles qui en annihilent les propriétés, comme cela se
pratique trop souvent aujourd’hui. Il y avait véritablement
à légiférer en pareille matière et à établir définitivement les
bases de cette législation sur la constitution chimique de ce
produit. C’est ce que j’ai fait en fixant les doses.
Un chapitre spécial attirera enfin l’attention de tou's ceux
que préoccupe justement la prépondérance de nos armes :
c’est l’application du Kola à la stratégie militaire, comme
agent de reconstitution des forces épuisées ou comme aliment
de résistance à la fatigue et à l’essoufflement déterminés par
�,
ÉDOUARD HECKEL
les grandes marches ou les grands efforts musculaires. J’ai
cru devoir donner, à cette partie de mon travail, tout le
développement rendu possible par l’étude spéciale que j’ai
faite de cette importante application dont je revendique hau
tement la priorité. Les hommes techniques auxquels ce
chapitre s’adresse tout particulièrement, auront, après cet
exposé, le droit et le devoir de conclure. Il ne me reste
plus à souhaiter, en terminant cette introduction, que de voir
leurs yeux, fermés jusqu’ici à la lumière, s’ouvrir enfin, dans
l’intérêt du Pays, à ce qui est devenu aujourd’hui une
grande vérité pour tous les esprits non prévenus. Le silence
sur ce point, n’était plus permis en raison même de l’indiffé
rence persévérante (pour ne pas dire plus) qui a accueilli, dans
certains milieux, mes travaux sur cetfe application primordiale
des propriétés du Kola.
Marseille, le 1er Janvier 1893.
E douard
HECKEL
�LES KOLAS AFRICAINS
Monographie botanique,
chimique, thérapeutique, physiologique et pharmaceutique.
(Emploi stratégique et alimentaire)
« L’Afrique, disait Aristote, il y
» a plus de vingt siècles, a toujours
» quelque chose de ueuf à montrer.
» C’est encore vrai maintenant. »
SCHNVEINFURTH.
PREMIERE PARTIE
I . — BOTANIQUE, MATIÈRE MÉDICALE, PRODUCTION, RÉCOLTE,
COMMERCE, USAGE, SYMBOLES.
•
Historique. — Parmi les produits végétaux dont l’antique et
mystérieux sol africain, jusqu'ici avare de ses richesses botaniques
envers la vieille Europe civilisée, nous promet une conquête et une
assimilation complètes, il n’en est peut-être pas de plus intéres
sant et de plus précieux, nous espérons bien le prouver dans ce
travail, que celui qui, sous les noms divers de Kola, Gourou; Ombéné,
Nangoué, Kokkorokou, Ourou (1), etc., est consommé dans toute l’éten(1) Dans certains ouvrages classiques, comme le formulaire de Dorvault, par
exemple, on trouve une appellation de plus accordée au Kola, c’est celle de Café
du Soudan. Cette dénomination consacre une erreur. Sous ce dernier nom, on
désigne la graine de Parkia biglobosa Bentham, légumineuse africaine dont les
�ÉDOUARD HECKEL
due de l’Afrique tropicale et équatoriale, à l’égal du thé, du café,
du maté et de la coca, dont il tient la place auprès des peuplades
indigènes de ce continent, mais avec des propriétés bien supérieures
à celles qui caractérisent ses congénères caféiques.
Sous la forme de graines usitées probablement de temps immé
morial chez ces peuples, ce produit d’origine botanique inconstante
avait rarement pénétré en Europe (1) avant 1883. — Aussi l’his
toire, qui, au commencement de ce siècle, en fut grossièrement
tracée (2), n’a-t-elle guère été acceptée que comme une légende,
tant certains points, mal établis du reste et absolument embellis
par le merveilleux, paraissaient être du domaine surnaturel. Il ne
nous a fallu rien moins que les grands voyages géographiques
récemment entrepris sur ce continent, dont la connaissance fait
l’objet actuel de nos plus légitimes convoitises, et les relations com
merciales mieux établies dans ces derniers temps avec les divers
points du littoral Africain, pour ouvrir à ce produit un accès dans
nos ports, non plus sous forme d’échantillons scientifiques, mais
comme objet d’un véritable commerce. Avidement recherché par
les peuplades indigènes, il paraissait ne devoir jamais sortir du sol
privilégié qui le fait naître. Cependant, grâce à ces voyages et grâce
semences rôties ont. été employées pour remplacer le café, et qu’on a cru longtemps
être le végétal producteur.du Kola. — En collaboration avec M. Schlagdenhauffen
j’ai, du reste, publié, en 1887(Journal de Pharm. et de Chimie, 15 juin), un travail
sur ce produit fort intéressant, qui joue un rôle important dans l’alimentation afri
caine. Il résulte de ces recherches que ces graines de la Partie biglobuleuse ne
renferment aucun principe actif (caféine, théobromine, etc.), qui puisse permettre
de la classer parmi les aliments d’épargne. Il en est de môme du Mbenlamaré ou
Fédéqosa (Cassia Occidentales L.) dont la graine a été, de ma part, l’objet d’une
étude complète (Arch. de M éd.\avale, 1887), en collaboration avecM. Schlagdenhaüfïen, et d’où il résulte que cette semence,très usitée aujourd’hui en Europe sous
le nom de Cafta, et mêlée souvent au véritable café, est un excellent fébrifuge, mais,
à aucun point de vue, un aliment d’épargne. On l'appelle aussi Café du Soudan.
(1) Avant l’envoi que je leur en ai fait à cette époque, nos principaux établisse
ments scientifiques en étaient complètement dépourvus, et, à l’Exposition perma
nente des Colonies, à Paris même, c’est à peine si on en voyait une gousse, en 1884.
Cependant les graines de Kola sont connues de nom depuis fort longtemps.
Barboza Lopez et Philippe Pigafetta en font mention, dès le XVIe siècle, dans leurs
récits d’exploration sur la côte occidentale d’Afrique. Clusius, en 1591, les désignait
sous le nom de Cotes, mais ce n'est guère que du commencement de ce siècle que
date la connaissance un peu précise de la plante qui les produit: on en doit, en effet,
au botaniste Palisot de Beauvois, une première description, publiée dans sa flore
d'Owarq et de Bénin.
(2) Virey, Journal de pharm ., 1832, p. 702,
�LES KOLAS AFRICAINS
21
surtout au concours intelligent de quelques négociants amis des
sciences, en tête desquels je dois placer feu les frères Gailhard et
M. Bolrn, directeur de la Cie française du Sénégal, qui a son siège à
Marseille, j’ai, dès 1883, pu refaire à peu près dans ses points prin
cipaux l’histoire du produit, en révéler les origines les plus essen
tielles, dégager le merveilleux ou l’erreur qui en obscurcissait la
connaissance, en faire pressentir l’immense valeur réelle, esquisser
enfin les précieuses applications dont il est ou dont il peut devenir
l’objet. Cette première ébauche peut être complétée aujourd’hui, et
c’est ce que je fais avec l’espoir de présenter une étude sinon défini
tive et close à jamais, du moins capable de satisfaire les exigences
actuelles des nombreux curieux que cette question peut intéresser.
Botanique. — Nous venons de voir que le produit dont il s’agit, et
que nous désignerons sous son nom le plus général de Kola (les divers
synonymes que nous avons donnés étant spéciaux à certaines con
trées africaines), est constitué par une graine. Cette semence, d’ori
gine et d’aspect fort différents, est fournie par deux familles de végé
taux: celle de S terculiacées d’abord pour le Kola le plus répandu, le
vrai Kola, désigné encore par certains indigènes sous le même nom de
Kola femelle, et celle des Guttifères ensuite, pour la graine fort
employée aussi quoique sans valeur, que nous appelons faux Kola,
et que les nègres nomment, par opposition au précédent, Kola mâle
(voir planche I).
~
Avant mes recherches on ne connaissait que le Kola vrai ou
femelle, et on savait parfaitement une de ses origines, celle qui est
la plus connue, c’est-à-dire le Sterculia acuminata Palissot de
JBeauv., ou Cola acuminata Rob. Brown. Nous avons ajouté à cette
connaissance, d’abord celle de l’origine du Kola mâle inconnue
avant nous, puis cette notion que diverses autres plantes du genre
Cola donnent des graines de Kola employées par les nègres. Nous
nous occuperons d’abord du Cola acuminata R. Brown, qui donne
la graine de Kola type (officinal), pour en faire l’histoire complète,
et nous passerons ensuite à l’examen détaillé et à l’étude-spéciale
du produit qu’il fournit : la connaissance profonde de cette graine
constitue, en effet, le principal intérêt pratique de la question.
Le Cola acuminata Robert Brown (Plant. Jav. rar. 237), dont
la synonymie botanique est Sterculia acuminata Pal. Beauv. (Flor.
Üicar, et Bénin, I, 41, t. 24) ; Siphoniopsis monoica Karst. (Flor.
�EDOUARD HECKEL
Columb., 139, t. 69) ; Sterculia verticillata Shum. et Thônn.
(Pl. Guin, 240) ; St. macrocarpa Don (Gen. syst., I, 513),
St. nitida Yent. (Malmaison, II, 92), est un bel arbre de 10
à 20 mètres de haut, ayant le port et l’aspect de notre châ
taignier, dont il dépasse de beaucoup la taille (voir fig. 1).
Son tronc est cylindrique (1), droit, à écorce épaisse, grisâtre,
Fig. I. — Groupe de Kolas (Colaacuminatct) à Konakry
(Côte occidentale d’Afrique-Guinée).
(1)
Son bois est léger, blanchâtre et poreux : il imite assez celui du peuplier,
mais il offre plus de solidité et son grain est plus fin, les insectes l’attaquent
plus difficilement. Excellent pour la charpente et la menuiserie, on l’emploie aussi
quelquefois pour les constructions navales. Les nègres l’utilisent pour la cons
truction des plats et autres ustensiles d’économie domestique. (Les Bois indus
triels indigènes et exotiques, par J.Grisard et M. Vanden-Bergue, 1892 Bull. soc.
d’acclimatation de France).
�LES KOLAS AFRICAINS
23
fendillée quand le végétal est adulte. Ses rameaux sont serrés,
cylindriques, lisses et pendants au point de toucher jusqu’à terre,
ce qui facilite beaucoup la récolte des fruits. Les feuilles, d’une
largeur de 7 à 8 centimètres et d’une longueur variable entre 20 et
30 centimètres (dont un pétiole de 8 à 9 centimètres), ont un limbe
vert, coriace, à nervations pennées ne se terminant pas, sur le bord
du limbe, autrement qu’en courbure (fig. 2, A). Ce limbe manifeste
ment bordé par un repli, est glabre sur les deux faces, à nervures très
marquées à la face inférieure. Dans le jeune âge, ces feuilles pubescentes sont couvertes, sur le trajet des nervures surtout, de poils
nombreux stelliformes et disposés en îlots. Ces poils sont entre
mêlés de nombreuses glandes sphériques non pédiculées. Les deux
premières nervures, naissant sur les côtés du sommet du pétiole
et se dirigeant ensuite à droite et à gauche du limbe, vont renforcer
la marge de cette feuille en lui donnant un caractère spécial. Elles
ne sauraient, en effet, se confondre avec les nervures suivantes,
qui, toutes moins inclinées sur la côte ou nervure médiane, s’en
détachent presque à angle droit ou forment un angle moins aigu. —
La forme des feuilles adultes est ovale acuminée (à limbe terminé
au sommet par un mucro) et très atténuée à la base. Il arrive quel
quefois que ces feuilles, généralement entières, deviennent trilobées
aux extrémités des rameaux et près des inflorescences (1).
Les fleurs, très nombreuses et polygames, sont portées sur
des cymes paniculées terminales et axillaires (fig. 2, A). Toute l’inflo
rescence définie, comme toutes les parties de la fleur, sont
couvertes de poils stelliformes' qui demeurent persistants et non
pas caducs comme le sont ceux des feuilles. Pédoncules
floraux (15 millimètres de long) très courts et faisant suite
sans distinction au calice. Les boutons floraux sont subglobu(1) La structure anatomique de cette feuille mérite d’être signalée. Au-dessous
de l’épiderme supérieur, on trouve une rangée de lacunes qui sont vraisemblable
ment des glandes à essence, vides, entremêlées aux cellules en palissade,disposées
sur deux rangs. Au-dessous viennent les cellules rameuses aboutissant à l’épi
derme inférieur qui est percé de stomates. Les deux épidermes portent pendant
leur jeune âge des poils stelliformes qui tombent de bonne heure et des glandes
sphériques à plusieurs cellules sans pédicule et également caduques. En somme,
la feuille adulte rappelle beaucoup la constitution de celle du Peumus Boldus
Molina (Monimiacées) ou Boldo ou de celle du Laurus Camphora, L. et plus
encore, par les glandes et les poils, celles de YAdansonia digitata L.
��LIiS KOLAS AFRICAINS
leux, quelquefois complètement sphériques, à estivation valvaire.
Les fleurs, à légère odeur de vanille, dépourvues de bractées,
régulières, apétales, sout articulées sur le pédoncule qu elles
terminent. Le calice est cupuliforme, mesurant un centimètre
de diamètre, jaune verdâtre ou blanc marqué de pourpre sur
le limbe qui peut atteindre quatre centimètres d'un rayon à
l’autre de ses divisions. Celles-ci, au nombre de cinq ou six,
cunéiformes, lobées lancéolées, finalement étalées, sont entiè
rement couvertes de poils stellés qui régnent même sur les
bords des sépales et leur donnent un aspect fimbrié : ces fleurs
exhalent en séchant une douce odeur d’abricot et prennent une
couleur rouillée (voir fig. 2, A).
Fleur mâle. — Plus petite que la fleur femelle en général,
elle présente ses étamines réunies en colonne centrale plus
courte que le calice portant les loges de l’anthère super
posées et renfermant un pollen elliptique, granuleux, à trois
bandes, sans pores ni épines (fig. 2, F).
Fleur hermaphrodite. — Plus grande que la précédente (fig. 2, G),
elle présente à son centre un ovaire entouré à sa base d’un
cercle d’étamines sessiles à -sacs anthériques superposés ruais
plus petits que dans la fleur mâle et pourvus d’un pollen
souvent avorté. L’ovaire est entièrement couvert de poils
étoilés, quinque ou sex-lobé et à cinq ou six loges. Les styles
sont nuis et les stigmates glanduleux sont au nombre de cinq
ou de. six, subulés et réfléchis. Les ovules en nombre considé
rable sont en double série attachés à l’angle interne de la
loge (anatropes) et à la face ventrale, par conséquent, de chaque
follicule (fig. 2, E).
A cet ovaire succède un fruit composé généralement d’un
nombre de follicules moindre que celui des loges ovariennes.
Chacun de ces follicules est sessile, oblong, obtus ou rostré,
coriace, semi-ligneux, bosselé à l’extérieur, de couleur* brun
chocolat à la maturité, parfaitement lisse, de grandeur inégale
à celle du voisin, d’une longueur de 8 à 16 centimètres et
d’une largeur de 6 à 7 centimètres (fig. 2, Det B); il renferme de qua
tre à seize semences oblongues, obtuses, subtétragones, à testa mem
braneux lâche, faisant suite à un trophosperme de même nature
�EDOUARD HECKEL
(pl. I, fig. 4, f.). Cotylédons, 2, 3, 4 et même 3 et 6, épais, durs,
apprimés, plans, rouges ou jaunes, à radicule dirigée vers
le hile (1). (Pl. I, fig. 1, 2, 3). Un rameau floral a été figuré
dans « Flor’Owariensis » par Palisot de Beauvois et un autre
dans l’Histoire des plantes de Bâillon, à qui nous empruntons
la fig. 2 en partie, c’est-à-dire A, B, C.
Oliver (Flor. of tropical Af. I. p. 220-221) indique deux variétés
de cette plante. La première répondant à la description ci-des
sus et la deuxième (variété p) qui, pourvue de feuilles plus
larges, munies de pétioles plus courts que dans le type, aurait
des fleurs de dimension double. Cette variété a été indiquée par
Hooker f. dans Flor. nigrit., p. 233, pour certaines contrées de
l’Afrique Occidentale. Comme on le voit, l’importance de la
variation semblerait médiocre, et il n’y aurait pas lieu de tenir
grand compte de cette distinction (2), si, comme nous le mon
trerons, il ne s’y ajoutait des caractères méconnus qui nous
permettent largement de faire de cette variété de Hooker f. une
espèce bien légitime, comme l’a reconnu, le premier, Mr M. Cornu.
Habitat. — Le vrai Kola, tel que je viens de le décrire
botaniquement, en tenant compte de toutes les variétés qu’il
produit, existe à l’état spontané du cultivé sur toute la côte
Occidentale d’Afrique comprise entre le 10° Lat. N. et le 3°
(1) Il m’a paru indispensable, en lace cle la multiplicité des erreurs accumu
lées dans la description de cette plante faite par les divers auteurs qui l’ont
nommée, de la reprendre en entier en ne tenant compte que de mes observations
sur le sec et sur le frais, les échantillons de l’une et l’autre catégorie ayant été
entre nos mains. C’est ainsi que, si l’on consulte les auteurs, on constate que la
lleur est purpurine, jaune, verdâtre et blanche.
(2) Nous signalons ici, pour mémoire, que les seules localités assignées à la
variété p par Oliver sont : Sierra-Leone (Afzelius), St-Thomas (Don), FernandoPo (Mann, Vogel), Guinée inférieure ou Congo (Smith), où naturellement elle se
trouve mêlée au type qui domine sur toute la côte occidentale d’Afrique.— Le pro
fesseur Oliver ajoute, à propos du Cola acuminata : « Cet arbre produit la
» noix de Kola, qui est très appréciée par les indigènes à cause de son goût amer,
» et qui, comme on le prétend, relève la saveur de tout ce qu’on mange après son
» emploi. Il varie considérablement comme dimensions et formes des feuilles,
» comme aspect extérieur des étamines, couleur des graines et même par la pré» sence de 2 à o cotylédons séparés. Il est difficile de décider si ces variations dépen» dent de l’art cultural ou non ; en tout cas, on peut suivre les nombreuses varia» tion^ des formes différentes. Barter dit que les noix à quatre cotylédons n’ont pas
» autant de valeur sur les marchés indigènes que celles qui en ont deux. »
�LES KOLAS AFRICAINS
27
Lat. S., autrement dit sur toute la côte comprise entre le
Rio-Nunez et le Congo ou Guinée inférieure, au moins d’après
nos connaissances actuelles. Comme nous le verrons ultérieu
rement, la graine de Kola de Rio-Nunez et surtout de RioPongo jouit d’une grande réputation et ce végétal est abondant
dans cette partie si fertile de la côte Occidentale d’Afrique.
Toutefois, des renseignements récents dus aux explorations si
fructueuses du capitaine Brosselard-Faidherbe (Rapport à M. le
Sous-Secrétaire d’Etat aux Colonies : Journal Officiel du 27
juillet 1891, p. 3796) établissent que cet arbre précieux est
très répandu dans la Mellacorée. Voici comment s’exprime cet
éminent explorateur : « Certains de ces villages (du Moréah),
» 9° Lat. N. et 15° Long. E. (méridien de Paris), sont très
» peuplés ; ils sont ombragés par des bosquets d’arbres frui» tiers et on y rencontre en abondance les Kolatiers qui attei» gnent dans cette région des dimensions inconnues partout
» ailleurs. Ces arbres précieux donnent chaque année deux
» récoltés d’un fruit (c’est une graine) qui se vend 5000 fr. la
» tonne, soit 5 fr. le kilo, et certains de ces arbres dans le
» Moréah fournissent annuellement jusqu’à 100 kilos de ces
» fruits précieux (une récolte de 500 fr.). La population qui
» habite le Bennah est comme celle du Moréah très civilisée
» et très adonnée au commerce, toutefois à mesure qu’on
» s’éloigne de la côte, la production agricole se restreint, à
» cause de l’impossibilité d’envoyer économiquement le produit
» aux escales. Les Kolatiers sont partout très abondants, ils
» forment parfois de véritables petits bois autour des villages
» qui sont ensevelis sous le berceau de verdure des mango» tiers, des orangers, des citronniers, des bananiers, etc., etc., et
» enveloppés d’une ceinture d’arbres archiséculaires... Les pays
» dont je viens de donner une description sommaire sont
» habités par les Sousous... Le Sousou a un caractère doux
» et réfléchi... La base de sa nourriture est le riz. — Dans le
» village, on rencontre en quantité les mangotiers qui fournis» sent un précieux ombrage, les orangers qui atteignent dans
» le voisinage de la côte des dimensions surprenantes, les
» citronniers, les bananiers, les papayers, les avocatiers, les
�EDOUARD HECKEL
» ananas qui bordent les chemins, enfin les Colatiers, partout
» très abondants (1). »
Dans l’intérieur des terres, à partir de cette côte, le Kola
acuminata s’avance, au moins dans l’hémisphère Nord, jusqu’à
150 et 200 lieues anglaises (720 à 800 kilomètres) du littoral
où il paraît suivre les limites du palmier. Grâce aux voyages
exécutés dans ces dernières années au Soudan, dans le bassin
du haut Niger et du Niger au Golfe de Guinée (Binger), de
Dibowsky et Fondére au Congo et dans l’Oubanghi, il nous sera
possible de suivre l’aire de dispersion de ce végétal sur une
grande profondeur du Continent Africain.
Nous savons que Rohlfs parlant de Kouka (12° 54’ Lat. N.
et 13° 24’ Long. E. de Greenwich), à quelques kilomètres à
l’ouest du Lac Tchad, s’exprime ainsi qu’il suit : « Le café et
le thé sont ici inutiles, car les habitants les remplacent par
la noix de Goro qu’ils mâchent toute la journée. » Le même
auteur parle de Goudja ou Goudjba, et l’indique dans la région
qu’il signale comme produisant les meilleures noix de Kola.
Cette localité se trouve près de la limite entre le bassin du
Tchad et celui du Niger, par environ 11° 1/2 Lat. N. et 11° 40’
(1) D’autre part M. Rivierre qui revient (25 janvier 1892) d’un voyage d’explo
ration dans le Bena et le Tamisso (avec retour par le Foutah-Djalon) m’affirme
que, dans ces deux contrées de la Mellacorée, l’arbre à Kola est particulièrement
abondant, et qu'on l’y rencontre partout à l’état spontané ou cultivé et toujours très
prospère (109 degré de Lat. N. et 14e degré de Long. O.) On ne trouve là que le
Kola à graine rouge. Les nègres le plantent beaucoup dans le Béné et le Timéné. 11
en existe beaucoup encore dans le Soumboya, sur les petites hauteurs et dans les
terrains rocailleux. On en trouve aussi et abondamment sur tout le parcours de la
grande Scarcie (rivière qui prend sa source dans le Foutah-Djalon), mais il est
surtout très commun sur la rive gauche (anglaise) de ce cours d’eau. — Le RioDubreka en est également très riche.
En ce qui concerne le Rio-Pongo, voici ce qu’en dit M. Boul, commandant de
cercle, dans son article intitulé: Les dépendances du Sénégal (Revue maritime et
coloniale t. LXXXV, 1885, p. 42, 55 et 56): « Le colatier que les Sousous appellent
» l’Arbre d'or est l’arbre sacré et vénéré. Les lois du pays punissent de mort tout
» individu qui ferait subir une détérioration à un de ces arbres. Tous les colatiers
» sont chargés de gris-gris (amulettes), bien en vue, pour en éloigner les malinten» tionnés. Ils sont assez rares au Rio-Pongo mais ils se trouvent en quantité considé» rable dans le Koba et le Lakata. Ils y donnent ordinairement deux récoltes par
» année. La production annuelle moyenne de ces deux pays peut être estimée à 600
» tonneaux de noix de Kola qui approvisionnent les marchés de Freetown et de
» Boulam directement. Le marché de St Louis (Sénégal) n’est approvisionné que
» par ces deux intermédiaires. »
�LES KOLAS AFRICAINS
29
Long. E. (Greenwich), à 500 mètres d’altitude daus le Bornou
Méridional. « Il est même à remarquer, dit cet auteur, que
» dans plusieurs Etats de ce pays, un des premiers dignitaires
» porte le titre de Kola-mai, ne serait-il pas chargé, comme
» l’est en Indo-Chine le porteur de la boîte à bétel, de pré» senter incessamment une nouvelle chique à son souverain ? »
En raison de la latitude élevée de ces régions il est fort
probable que l’arbre à Kola n’y est pas spontané et que ces
graines précieuses y arrivent par caravanes comme elles
pénètrent dans toute la partie de l’intérieur du Soudan situé
au dessus du 7° et 8° de iat. N., seule région où les arbres
à Kola soient féconds, d’après des documents que je vais bien
tôt passer en revue. Le voyage récent du commandant Monteil
dans la région parcourue par Rohlfs, nous renseignera sur ce
point et j’espère pouvoir en donner, plus loin, un extrait dans
ce livre même, pour ce qui a trait au Kola. Le rapport du com
mandant Monteil n’a pas encore été publié en fin février 1893.
Plus loin, Rohlfs, au sujet d’une station qu’il fit dans les
collines au sud d’Hori, faite de partage des eaux entre le Niger
et les tributaires de la lagune de Lagos (par 8° lat. N. et 4°
long. E. Greenwich), dit : « Pendant la route, un habitant d’Emono
» m’offrit quelques noix de Goto qui, d’après lui, seraient des
» produits de cette localité (située dans la vallée supérieure de
)) l’Àsoun). C’est possible, mais elles étaient très mauvaises ;
» comme je l’ai déjà dit, les noix de Goro ne réussissent pas
» partout ; les meilleures sont recueillies à Goudja ; elles ont
» la dimension d’une grosse châtaigne; l’extérieur est brun foncé
» rougeâtre; quand on les coupe, elles sont rouges. Il y a deux
» espèces que l’on peut distinguer en les coupant ; l’une, la
» véritable, a un goût amer agréable, sans mucilage ; l’autre
» est aussi rouge à l’intérieur, mais renferme beaucoup de mu» cilage. Cette dernière, parce que d’ailleurs elle est moins
» amère, se vend bien meilleur marché ! Enfin, on a encore la
» noix de Goro blanche qu’on ne rencontre que près de la côte
» et n’est pas recherchée, parce quelle est encore moins amère. »
Cette dernière est probablement celle du Kola mâle (Garcina
Kola Heckel).
Ces assertions semblent confirmées pour ce qui a trait à la
�30
ÉDOUARD HECKEL
présence de l’arbre à Kola au 8° L. N, par ce que va nous
apprendre le capitaine Binger durant son remarquable voyage de
Bamakou à Grand’Bassam, en passant par le pays de Kong et
le Mossi (1). Les faits relevés par cet éminent explorateur, en
ce qui touche à l’aire d’extension du Kola, méritent d’être
rapportés tout au long, car nul n’a mieux élucidé ce point
important de l’histoire du végétal qui nous occupe :
« Le Kola existe à l’état spontané sur toute la côte Occi» dentale d’Afrique, on le trouve jusque par 10° de Lat. N. ;
» mais il reste stérile par cette latitude (2). Son véritable habitat
» est compris entre 6° et 7°30’ de latitude pour les régions
» qui nous occupent.
» Vers Sierra-Leone et le Ouorocoro, le Kola stérile est
» signalé par 10°, tandis que dans les régions que j’ai visi» tées, j’ai rencontré le premier arbre à Kola stérile dans le
» Coranza, près de Kimtampo, par 8°5’, et près de Groumania,
» dans l’Anno (8° Lat. N.) (3).
» Les premiers arbres en rapport se trouvent à Kamelinso
» (près Groumania, par 7°50) et les derniers près l’Attakrou
» par 7°. La zone où l’arbre est en plein rapport semble
» donc être très limitée et comprise entre le 7° et le 8° par
» l’Anno et le Ouorodougou.
» Bien que je n’aie pas visité ces derniers pays, il m’a
» été donné de calculer assez facilement par quelle latitude se
» trouvait le Kola. De Tengréla partent des itinéraires, bien
» connus des marchands, sur Touté, Siana, Keni et Sakhala.
» Les deux premières localités se trouvent, d’après les indi(1) Binger: Du Niger au golfe de Guinée par le Mossi el le pays de Kong.
Paris, Hachette, 1892.
(2) Ce fait n’est pas rigoureusement exact, au moins pour ce qui a trait aux
régions littorales del’Afrique tropicale occidentale, car il arrive de fort belles graines
de Kola du Rio-Pongo et du Rio-Nunez qui sont par le 10e parallèle Nord et même au
dessus pour Rio-Nunez. Du reste tous les voyageurs qui ont visité les terres avoi
sinant ces deux rivières du Sud affirment que ces végétaux y produisent abondam
ment. Ce que nous avons dit précédemment, sur le témoignage de M. Boul, nous
dispense d’insister sur ce point.
(3) II n’est pas douteux que le Kola fécond s’avance, sur la côte, bien plus haut vers
le Nord que dans 1’intérieur du Continent africain. On trouve, en effet, des arbres
producteurs de belles graines jusqu'au dessus du Rio-Numez, c’est-à-dire par 11° de
Lat. Nord.
�LES KOLAS AFRICAINS
31
» gènes voyageant avec des ânes chargés (faisant 16 kil. par
» jour en moyenne) à 25 jours de marche, à peu près 350 kil.
» dans une direction S. O., ce qui place les marchés à 7°40’
» de Lat. N., Sakala, d’après les mêmes calculs, se trouverait
» à 7°20\ Mais nous savons que les marchés sont situés à une
» trentaine de kil. au N. des pays de production ; nous pou» vons donc en inférer que les Kolas se trouvent par 7°15’.
» Dans l’Achanti, l’habitat est sensiblement le même ; les
» missionnaires de Bâle et le Dr Mâhly, qui ont exploré la
» basse Yolta, signalent le Kola dans l’Akam et l’Okouawou ;
» or ces deux régions se trouvent précisément entre 6°30’ et
» 7°30’ ; on peut donc en déduire que le Kola se trouve en
» plein rapport dansune zone comprise entre 6°30’ et 7°30’, et
)) par extension, danscertaines régions du 6° au 8° ; qu’à l’état
» isolé et stérile, il est rencontré jusque par 10° de Lat. N.
» Sur le marché de Kong, on en voit deux espèces : le
» Kola blanc de l’Anno (Sterculia macrocarpa) (1) et le Kola
» rouge de l'Achanti (Ster. acuminata). Le Kola blanc de l’Anno
» est de deux variétés : l’une d’un blanc jaune pâle analogue à
» la couleur du Kola de Sakhala ou Ouorodougou, mais plus
» petite que ce dernier ; l’autre, de la même grosseur, ne
» diffère que par sa teinte d’un rose si pâle qu’il n’est pas
» classé dans le Kola rouge par les indigènes ; on le vend
» mélangé aux blancs sans différence de prix, ce qui n’aurait
» pas lieu s’il était plus foncé ; car le Kola rouge est toujours
» plus cher que le Kola blanc de même grosseur (2).
» Le goût du Kola de l’Anno est bien moins accusé que
» celui du Kola rouge, mais il renferme une teinture rouge qui
» est usitée par les indigènes en concurrence avec celle du Kola
(1) Le Sterculia macrocarpa dont parle Binger n’est évidemment pas une
espèce nouvelle ; ce ne peut être qu’une variété de Sterculia, acuminata P. de
Beauvois : ce nom spécifique de macrocarpa avait du reste été donné par G. Don
au Kola ordinaire (voir la synonymie au début de cette étude).
(2) Ce passage semblerait infirmé par l’observation suivante que je relève
dans le voyage du Dr Crozat au Mossi (août 1891). « De Bobo-Dioulasou à Ouo~
» roukoy. — Bobo-Dioulasou est un centre important. Les caravanes du Sud y
» apportent des Kolas.... Ceux-ci appartiennent a la variété rouge. Ils vien» nent surtout du pays des Achantis et de l’Anno et vont, dans le N. Ils
» valent à Bobo-Dioulasou 20 à 2b cauries l’un. »
�32
ÉDOUARD HECKEL
)» rouge. Comme teinture, le Kola blanc de l’Anno a donc les
» mêmes qualités que le Kola rouge de l’Achanti (1). »
Avant de passer au Kola de l’hémisphère sud Africain, il
convient de dire un mot de ce végétal dans le delta du Niger
et du produit qu’il y donne, suivant un document que je traduis
du journal The Chimist and Druggist (de Londres), du 28 jan
vier 1893 (pp. 456 et 157), dans un article non signé, intitulé:
Five hundred Miles up the Niger (Cinq cent milles sur le Niger).
« Dans le bas Niger, où j’ai surtout cantonné, il n’y a pas
» de Kola. Cependant les indigènes en sont très friands et en
» consomment de grandes quantités qu’ils se procurent sur
» tout le parcours de la route de Sierra-Leone au Niger, soit
» en suivant la côte, soit tout le long du fleuve. Le prix du Kola,
» dans le delta du Niger, est plus élevé qu’en Europe, car les
» natifs paient une gousse la valeur de 0 fr. 50 et elle ne contient
» habituellement guère plus de 4 à 5 grains de Kola, quelquefois,
» accidentellement, il s’en trouve jusqu’à neuf.
» On voit de grandes quantités d’arbres de Kola à 200 mille
» environ (80 lieues françaises), dans le haut du fleuve, dans
» une localité appelée Lokoja. A 70 milles environ (28 lieues
» françaises), au dessous de Lokoja, les arbres à Kola cessent
» et on peut descendre en droite ligne jusqu’à la côte sans
» en rencontrer un seul.
» Au dessus de la côte, dans l’intérieur, quelques arbres
» ont été plantés et fleurissent, bien qu’ils soient de très lente
» croissance et d’un bois dur à grains serrés. A l’âge de 5 ans,
» les arbres commencent à produire, mais sans donner une
» grande quantité de fruits. Dans chaque localité, tout notable
» ou chef de famille est obligé maintenant de planter un certain
» nombre de pieds de Kola; leur nombre deviendra donc, ce
» n’est pas douteux, graduellement plus considérable dans le
» district du Niger. Le Kola mûrit toute l’année, mais la princi» pale récolte est en octobre. Les indigènes ne consomment
» que le Kola frais, ils ne veulent pas en user de sec et ils
(1) Il est aussi, comme propriétés physiologiques, absolument semblable, à
l’intensité près, au Kola rouge, et il a la même composition chimique qualitative
sinon «quantitative, la matière colorante seule diffère un peu. Nous reviendrons
sur ce point.
�LES KOLAS AFRICAINS
33
)) font en sorte d’en avoir constamment à l’état frais une provision,
» malgré la lenteur des communications avec les contrées pro» ductrices, en les conservant avec soin dans des pots en terre.
» La ligne de partage entre les populations payennes et musul» mânes de l’ouest africain traverse les territoires de la Cie
» du Niger, j’ai donc eu des facilités spéciales pour observer
» les caractères particuliers à chaque peuplade. Les populations
» qui sont le plus adonnées à l’usage du Kola sont celles du
» Haoussa, essentiellement mahométanes : elles appellent cette
» graine du nom de Gourou. Un visiteur arrive-t-il dans le
» Haoussa (vers 10° lat. N. et 9° long. E), le premier soin de l’hôte
» sera d’apporter deux Kolas dans une calebasse et de les lui
» offrir comme un gage de paix, L’étranger doit prendre une
» des semences, en manger la moitié et passer le reste à son
» hôt: Houssa. Le mot Kola signifie aussi présent, et quand un
» indigène adresse au visiteur cette phrase « donne-moi du
» Kola » il ne s’attend pas à ce qu’on prenne sa demande au
» pied de la lettre.
» Dans les rivières à huile de palme, le Kola n’est pas du
» tout un article européen destiné pour le commerce, mais
» les indigènes le recherchent beaucoup. »
Passant de l’hémisphère nord à l’hémisphère sud, nous
allons poursuivre l’aire d’extension du Kola depuis la côte
jusqu’à une certaine profondeur du pays, en commençant
d’abord par les Colonies Françaises (1), mais en faisant bien
remarquer qu’il s’agit, le plus souvent, d’un autre Kola domi
nant, fourni par le Kola Ballayi Cornu mss.
Le regretté M. Pierre, mort récemment directeur du Jardin
d’Essai de Libreville (Gabon), m’a fourni, dans sa correspondance,
d’importantes données sur l’habitat du Kola du Gabon tout à
fait différent, je le répète, comme origine botanique, du Kola
des rivières du Sud.
(1) Le lecteur ne devra pas perdre de vue que tout cet historique quoique
confondant, sous le titre de dispersion géographique du Kola, en un tout, les arbres
producteurs de cette graine dans l’un et l’autre hémisphère, laisse cependant
subsister ce fait important que le végétal spontané dominant au Gabon-Congo et
dans tout Fhémisphère Sud, s’éloigne si sensiblement de celui de l'hémisphère Nord
et du Soudan, qu'il a été élevé au rang d’espèce sous le nom de Kola Ballayi
Cornu mss. Nous reviendrons longuement sur ce point.
�EDOUARD HECKEL
« Vous me demandez, dit-il, si l’on trouve du Kola partout
» dans le Congo Français ; oui, il y en a partout et les indi» gènes ne s’en servent que comme aliment. A la récolte, ils
» mettent les graines en terre soit dans une caisse, soit dans
» une maison, et les prennent au fur et à mesure de leurs
» besoins. Mais dans ces pays-ci on n’en fait pas la consom» mation que l’on en fait au Sénégal. Il y a, je le répète, des Kola» tiers spontanés partout : à Bata, dans l’Ougoué, à Loango, dans
» les possessions portugaises de Landana, sur le Congo, jusqu’aux
» Falls, dans l’Oubanghi. J ’ai vu des Kolatiers à Loango et
» M. Augouard, que j’ai rencontré dernièrement, m’assurait qu’il
» existait dans l’intérieur. Le Kolatier est ici un arbre à crois» sance assez lente, de 12 à 15 m. de haut, 20 m. au plus,
» recherchant surtout les endroits humides. On le rencontre
» sur le borddes fossés d’eau courante et quelquefois dans
» l’eau. — Il se multiplie par marcottes. — On trouve aussi
» le Kola à l’ile St-Thomé, suivant un Français habitant cette
» île. M. Fourneau, qui a échappé au désastre de la mission
» Crampell et qui s’est avancé jusqu’à 8° lat. N., m’affirmait
» en avoir rencontré partout aussi dans ces régions éloignées
» où il est d’un usage constant.
» La question de l’aire du Kola est donc facile à résoudre
» pour le Congo ; le Kolatier se trouve dans tous les points
» du Congo Français (1). On le rencontre aussi sur les terres du
» Congo Belge ; dans le pays Botéké entre autres, les Kolas
(1) Cette appréciation se trouve corroborée par les passages suivants que
j’extrais du Bulletin de la Société de Géographie de Paris. On lit en effet dans cette
publication, 7e série 1889, p. 285, à l’article anonyme intitulé Première exploration,
de la Vallée de VOgooué « Le rivage de la mer et les bords des rivières sont cou» verts de palétuviers, de pandanus, de bananiers, etc... A côté, se balancent de
» magnifiques Sterculigs qui ne sont pas exploités et qui pourraient donner en
» très grande quantité de cette noix de Gourou ou Kolat si recherchée et payée
» si cher par les caravanes de la Sénégambie et du Soudan. » En 1891, 1er trimes
tre, p. 213, on lit, dans un article de M. Fourneau intitulé De l'Ogooué au Campo
(voyage exécuté entre 0° et 2° de Lat. Sud, et 9“o et 8°9 de Long. E.) les lignes
suivantes: «Les essences forestières sont magnifiques et puissantes... Les arbres
') produisant YAlbamé, le N’Koula et le Kola abondent. Il ne faut pas confondre
» la noix de N'Koula ou noix de brousse avec le fruit du Kola, dont les propriétés
« nourrissantes et fébrifuges sont si fort estimées. » Nous verrons du reste, que
les espaces du Congo diffèrent tout-à-fait du Kola acuminata soit spécifiquement,
soit comme valeur de la graine.
�LES KOLAS AFRICAINS
35
» blancs et rouges servent d’échange d’amitié ou de guerre....
» J’ai vu, comme vous, des graines rouges et blanches dans
» la même gousse, mais jamais parfaitement blanches ; elles
» sont jaunâtres. La question des races, des espèces et des
» variétés dans les Kolatiers du Congo me paraît assez em» brouillée.
» Je crains que de longtemps on ne puisse émettre une
» opinion certaine sur ce sujet. Je ne crois qu’à une seule
» espèce de Kola, du moins parmi ceux que j’ai vus dans cette
» région équatoriale, savoir : Kola de Loango, Kola de Vile
n St-Thomé et du Gabon. Cette espèce a évidemment créé des
» races et des variétés qui ne peuvent être reconnues que
» par la sélection, la culture, la récolte et la comparaison
» des fruits obtenus de sujets provenant d’origines bien con» nues. Or, tout cela est à faire. Dans l’Ogooué, il y a, m’a» t on dit (mais je fais des réserves sur ces renseignements),
» trois formes de Kola, connues des noirs sous les noms
» d'Oivanga, Toute (celui-ci serait un peu jaune) et Ombéné.
» Sont-ce là des noms appliqués à des variétés ou des races
» différentes, ou bien les dénominations diverses appliquées
» par différentes tribus au même objet? Je n’ose vous l’affirmer,
» mais je ne crois qu’à une seule espèce. M. Max. Cornu,
» prof, au Muséum, a reçu, de moi, un échantillon dans l’al» cool du Kola de St-Thomas (île portugaise située à 160 mil» les à l’Ouest du Gabon). Il y a là un fait curieux, c’est la
» similitude des deux flores insulaire et de la terre ferme.
» Le Kola du Congo n’a cependant jamais été introduit à l’île
» St Thomas, que je sache. Les Kolatiers du Congo recher» chent les terres humides, même le bord des courants, ou
» le voisinage des eaux stagnantes. Le Kolatier est un arbre
» qui fleurit au Gabon en juin, et donne de grandes récoltes
» en novembre, décembre, janvier et février. Il fleurit presque
» continuellement, mais en très petites quantités. Le Kolatier
» que j’ai vu à St-Thomas se rapporte exactement à celui
» du Loango, qui a la graine plus plate que celui de Libre» ville.
Voici encore M. Delavoipière, agent colonial à Lopé (Gabon),
poste situé sur le cours de TOgooué, qui nous dit : « J’ai ren-
�ÉDOUARD HECKEL
» contré peu d’arbres d’Ombéné, mais j’ai constaté qu’ils y
» étaient de belle venue__ J’ai remarqué le Kola aussi bien
» dans les bas fonds marécageux que sur les hauteurs. Ainsi,
» au village de Zoundji, qui est bâti au sommet d’un mamelon,
» j’ai vu ces arbres avec une végétation très-exubérante. Le
» fruit est employé par les indigènes comme astringent et
» ils le consomment surtout pour calmer la faim. A mon avis,
» il n’y a qu’une seule espèce de Kola, et c’est la rivière
» Tngounié qui en fournit la plus grande quantité dans le bas» sin de l’Ogooué. »
D’autre part, M. Goujon, chef de bureau de la Direction
de l’intérieur, qui s’occupe avec succès des questions de bota
nique tropicale, me transmet sur la région du Gabon (environs
de Libreville), les renseignements suivants concernant le Kola
dans cette zone :
« Les indigènes des environs de Libreville désignent sous
» le nom commun d’Ombéné (1) des plantes qui sont peut-être
» des espèces différentes, mais qui, dans tous les cas, consti» tuent certainement, tout au moins, des variétés très tranchées,
» différenciées par la forme et la couleur de l’enveloppe du
» fruit, par la grosseur de l’amande, par le constant avorte» ment d’une partie du bouquet floral ou la constante fructi» fication de la totalité de ce bouquet. Ces variétés paraissent
» régionales. Dans les environs de Libreville, on trouve sur» tout une variété de petits fruits ne renfermant chacun que
» deux ou trois graines mais dont toutes les fleurs nouent et
» arrivent à maturité. Dans l’Ogooué, au contraire, ce serait
» une variété à gros fruit, renfermant douze ou quinze aman» des, mais dont une seule fleur (quelquefois deux) noue et
» mûrit, qui dominerait. Autour de Libreville (bois de Sibang)
» se trouve aussi une variété à coque épineuse et rouge, à
» laquelle les indigènes donnent le même nom et emploient
» au même usage, mais qui est peut-être une espèce difîé' (1) D’après M. Jobet, représentant de la maison Conquy aîné, au Gabon, on y
connaîtrait deux variétés de Kola qui produisent deux graines de grandeur sinon
de propriétés différentes. L'arbre qui produirait la plus grosse graine aurait nom
Ibangcit et celui qui produirait la plus petite s’appellerait Ombéné. Nous revien
drons plus loin sur la question botanique du Kola du Gabon.
�LES KOLAS AFRICAINS
37
» rente (1). VOmbéné mûrit ses fruits à l’approche de la
» petite saison sèche (janvier, février). Sa principale récolte
» dure trois ou quatre mois, mais les indigènes en apportent
» à Libreville toute l’année, par très petites quantités, il est
» vrai. L'arbre n’est cultivé nulle part, sauf un pied planté
» dans la propriété Georcji aux environs de Libreville... Les
» quelques arbres que j’ai vus avaient tous le pied dans l’eau;
» c’étaient d’assez gros arbres, ayant le tronc de la taille du
» corps d’un homme et 7 à 8 mètres de hauteur à la cime.
» Je n’en n’ai vu qu’un seul qui fut jeune et, par exception,
» il avait été planté de mains d’homme près d’une case de
» nègre congo à Libreville ; il avait 4 ans, le tronc était de
» la taille de la cuisse, l’arbre pouvait avoir de 4 à 5 mètres
» de haut, à la cime ; il ne produisait pas encore, et, chose re» marquable, ses feuilles étaient trois ou quatre fois plus grandes
» que celles des arbres adultes. La culture du Kola serait
» facile pour un homme intelligent et surtout pas pressé de
» jouir, ce qui est rare à la côte.
En dehors des possessions françaises, le livre de Stanley
« Dans les ténèbres de VAfrique » (Lib. Hachette, Paris, 1890.
T. IL p. 102), par 1° 4’ de lat. S, près du lac Edouard Nianza,
contient ce passage très significatif qui met en cause le cœur
même du continent africain : « Nous mâchions jusqu’à la noix
» de Kola, bien plus, il faut l’avouer, pour la santé de nos
» bronches que pour calmer les tourments de l’estomac ». Il
est évident que ce voyageur trouvait le Kola sur sa route ; il
ne l’avait pas emporté avec lui à un moment où tout lui
manquait. Mais à quelle espèce de Kola a-t-il eu affaire ?
assurément pas au vrai Kola, qui eut tout au moins apaisé
les angoisses de sa troupe affamée, mais à quelque espèce dont
les graines sont très riches en mucilage comme Cola digitata,
par exemple, dont nous nous occuperons plus loin.
(1) Nous verrons qu’en effet c’est là une espèce différente (Cola digilata Mast.)
et qui, quoique employée dans ses graines, comme le dit M. Goujon, aux mêmes
usages que VOmbéné par les indigènes du Gabon, n’en a aucune des propriétés
caractéristiques. Ce n’est pas un aliment d’épargne. Les Paliouins le nomment
Ombéné ni-Polo. L’espèce des environs de Libreville (bois de Sibang) est le
Cola gaüonensis Mast.
�EDOUARD HECKEL
Cependant le Cola Ballayi, dont les graines, nous le verrons,
se rapprochent de celles du Cola acuminata, est excessivement
abondant dans la région qu’a parcourue Stanley. Voici, en
effet, les renseignements que me transmettent, sur ce point,
MM. Dibowsky et Pondère, célèbres explorateurs français de la
région du haut Oubanghi. Je donne tout d’abord l’opinion de
M. Dibowsky (in litteris).
« J’ai trouvé le Kola à l’état disséminé dans la forêt de
» Mayombé, entre le Loango et Loudima. Les arbres n’étaient
» en ce moment ni en floraison ni en fructification. Cependant,
» les caractères végétatifs semblent indiquer qu’on a affaire au
» Ster. acuminata (1). Les indigènes y sont peu avides de ces
» graines.
» Les Kolas sont extrêmement abondants dans tout le moyen
» Oubanghi. Mes Sinagarais pouvaient, pour une barette (0 fr. 15),
» s’en procurer une douzaine de gousses que les Boujos venaient
» vendre. Les représentants de cette plante se rapportent à
» l’espèce que M. Cornu a désignée sous le nom de C. Ballayi.
» Les graines sont d’un rose souvent assez vif.
» Avec la grande forêt équatoriale qui cesse vers 4° Lat. N.,
» les Kolas disparaissent. D’ailleurs, la végétation entière subit
» dès lors des modifications profondes et prend quelque analogie
y» avec celle du Sénégal. Les Tamarins, les Bassia et les Parkia
» apparaissent. Sur les bords du Thari, j’ai trouvé enfin une
» végétation toute spéciale caractérisée par des Bambous, des
» Encephalartos et pas un seul Kola. »
Voici maintenant les renseignements verbaux que je tiens
de M. Fondère sur la même région du Congo et du haut
Oubanghi. On remarquera leur absolue concordance avec ceux
de M. Dibowsky :
« Sur la route de Loango à Brazzaville, on trouve dans la
(1) Je ne partage pas absolument, à ce sujet, l’opinion de M. Jean Dibowsky:
la description delà graine de la forêt de Mayombé, telle que me l’a faite M. Fondère
verbalement, semble me prouver que le Cola acuminata n’existe pas plus au Congo
qu’au Gabon, où je suis absolument sûr qu’il n’existe pas spontané. L’Ombéné qui
est 1e Kola (graine masticatoire) des Gabonais est la graine du Cola Ballayi et on
n’en trouve pas d’autre au Gabon : sa forme est caractéristique et ne permet pas de
la confondre avec la graine du Cola acuminata. J’insisterai sur ce point dans la
partie descriptive de l’espèce du Gabon-Congo.
�LES KOLAS AFRICAINS
39
» forèl de Mayombé des pieds de Kola en abondance mais pas
» tassés en groupes compacts ; ils y sont disséminés à des
» distances assez rapprochées du reste. La graine de ce Kola
» n’y est pas l’objet d’un commerce étendu ; les indigènes se
» contentent de recueillir une certaine quantité de la récolte
» pour l’échanger contre du poisson avec les nègres qui habitent
» sur le bord de la mer à 20 kilomètres de là et où il n’y a pas
» d’arbre à Kola. La graine est appréciée dans toute la région:
» on la consomme à l’état frais et par mastication comme dans
» la Gambie et les Rivières du Sud.
» On trouve le Kola spontané plus haut sur le cours du Congo
» jusqu’à Loudima (sur la rivière Niari-Killiou), mais dans tout
» le Congo il est planté autour des, villages.
» De Brazzaville jusqu’à l’embouchure de 1’Oubanghi, on le
» trouve spontané et sporadiquement disséminé mais en quantité
» moindre que dans la forêt de Mayombé.
n Sur les bords de la rivière de VQubanghi, à partir de 1° de
» Lat. N. jusqu’aux rapides de cette rivière, on le retrouve en
» forêts et en grande quantité : dans les clairières de la Sylve
» (de Stanley), on le voit aussi, mais planté, autour des habita'» tions des nègres. Là, il n’est l’objet d’aucun commerce d’échange,
» mais les indigènes le consomment. »
Sur la côte orientale d’Afrique, ce végétal semble parfai
tement inconnu dans les lieux où il n’a pas été introduit
par les Anglais ; toutefois on peut élever des doutes à cet
égard quand on lit dans les voyages du Dr Schweinfurth, Au
cœur de l'Afrique (Paris, Hachette, t., 1, ch. XI, p. 345, trad.
Mme H. Loreau), que parmi les formes imposantes de la végé
tation dominait un Sterculia du genre Cola et qui est
appelé Kokkorokou dans le pays (chez les Nyams-Nyams, près
du lac Nyanza). Et plus loin (ch. XIV, page 46, t. II) chez le
roi des Mamboutous, par 24° long. E. et 3° lat. N., je- relève la
conversation suivante qui ne semble pas laisser de doute sur
la présence du Kola à l’Orient Africain : « Je demandai au roi
» si je pouvais avoir une noix de Kola et le roi répondit à
» mon désir en me passant un fruit à l’enveloppe rosée. Me
» tournant alors vers Abdès-Samatte, je lui exprimai l'éton-
�40
ÉDOUARD HECKEL
» nement que j’éprouvais en voyant le fruit de l’ouest dans le
» pays de Momboutous__ »
» J’espérais ainsi l’amener à me donner quelques détails ;
» mais j’eus beau faire, je ne pus entamer avec lui la discus» sion géographique que j’aurais voulu engager. J’appris seu
il lement qu’on trouvait la noix de Kola dans le pays à l’état
» sauvage, que les indigènes l’appelaient Nangoué et qu’ils en
» mâchaient des tranches pendant qu’ils fumaient. »
Karsten, dans sa Flore de Colombie (loc. cit.), a décrit ce
végétal comme spontané dans cette contrée du centre Amé
rique : « Dans les forêts humides et chaudes, près de la côte
» septentrionale du Venezuela, sur le versant oriental du mont
» Naignata, auprès de la ville de Curiepe, les indigènes l’ap» pellent Ecla. » Il n’est pas douteux pour moi que Karsten
a été abusé par une introduction du végétal en Amérique. La
situation du pied ou des pieds observés par ce botaniste
auprès de la ville de Curiepe, me confirme dans cette apprécia
tion. C’est probablement vers la même époque que le Kola
fut introduit dans une de nos colonies d’Amérique (la Martini
que), ainsi que me l’indiqua M. Thierry, alors directeur du Jardin
des Plantes de St-Pierre (1), dans une lettre datant de 1882.
Cette introduction en Amérique, commencée vraisemblable
ment avec le siècle, constitue un mouvement qui, depuis, ne
s’est pas interrompu un seul instant, et il n’est pas douteux
que les nègres Africains, dans leurs migrations volontaires ou
forcées vers l’Amérique, ont emporté avec eux cette graine
précieuse et l’ont semée dans leurs nouvelles patries pour s’en
(1) Je copie textuellement ici le passage d’une lettre de M. Thierry, ayant trait
à cette iutroduction : « Nous n’avons à St-Pierre qu’un pied de St. acuminata,
encore est-il à l’ombre et mal placé, si bien que les gousses mûrissent mal et que
la récolte est médiocre, Autrefois il en existait un autre, paraît-il, dans un endroit
plus ensoleillé ; il produisait plus abondamment et plus régulièrement, on l’a
abattu depuis longtemps. C’était, m’a-t-oa dit, au temps de l’esclavage. Ces deux
pieds de Kola avaient été introduits par le premier Directeur du Jardin, qui les
tenait d’un sien ami chargé du service des transports au Sénégal. Je m'étonne
beaucoup de voir le pied que je possède ne pas être plus gros étant arrivé à cet âge
avancé; il ne mesure en effet pas plus de 0,25 cent, de diamètre à la base, et
cependant il pousse vigoureusement. Il donne deux fructifications par an, l’une au
commencement de la saison sèche, l’autre au commencement de l’hivernage : la
première est peu importante. » (Voir fîg. 3).
��ÉDOUARD HECIiEL
assurer le perpétuel usage. Ils ont fait de même pour d’autres Colas et
entre autres pour le C. cordifolia R. Brown., dont le fruit fait l’objet
des délices des Africains et que l’on trouve introduit sur les bords
du Maroni (Guyane française) (1). D’autre part, notre végétal (Cola
acuminata) a été introduit avec succès par les Anglais (2)
dans les Indes Occidentales, aux Seychelles, dans l’Océan
indien, à Calcutta, Cambridge (Etats-Unis), Ceylan, Demerara
et Dominique (pour l ’Amérique), Maurice, Zanzibar, enlin dans
le Nord de l’Australie. Dans le Indisch Mercuur publié à
Amsterdam (29 nov. 1890), nous trouvons : « Le Kola est indi» gène de l’Afrique tropicale occidentale, de la Guinée supérieure
» jusqu’au Congo; mais on s’occupe actuellement de l’importer
» dans la plupart des pays tropicaux, et est transplanté dans
» les îles des Indes Occidentales et dans certaines parties de
» l’Amérique tropicale. » Dans le rapport du Directeur des Jardins
et Plantations publics à la Jamaïque (année 1883), nous lisons
encore ceci, à propos du végétal qui nous occupe : « Ces
» plantes intéressantes sont très répandues dans l’île, et on
» continue à les cultiver, dans l’espoir qu’à la fin elles
» seront reconnues comme article de commerce. L’arbre est
» rustique et très facile à planter ; il ne serait pas difficile de
» livrer annuellement de grandes quantités de noix qui pour» raient être expédiées continuellement de la Jamaïque, Gre» nade et d’autres endroits des Indes Occidentales; la seule
» difficulté a été jusqu’à présent le bas prix qu’on offre ici
» de ce produit. » Et plus loin : « Cet arbre qui a attiré
» l’attention, ces derniers temps, est connu dans différentes par(1) Bâillon (Eludes sur l'herbier du Gabon. Adansonia, X, 1871-73, p. 168 et
suiv.).
Le Cola cordifolia R. Brown., dont je n’ai pu me procurer les graines pour
l’analyse, est un grand et bel arbre commun dans les forêts du Cayor, des Sérères,
du Bip et de la Casamance, à feuilles alternes, dures, coriaces, argentées en des- t
sous. La portion comestible des graines est leur arille dont la saveur sucrée est
fort agréable : c’est là le N’taba des indigènes du Soudan où il est si commun. Les
graines de ce Kola ne sont pas utilisées par les nègres comme celle du Gourou;
il y a donc lieu de croire qu’elles ne renferment pas de caféine. Le bois de ce
Cola est employé comme celui du vrai Kola. Cet arbre est le Ndimb des Yolofïs,
le Dau la des Mandingues et le Tabackle du Cayor.
(â) Report of the Progress of Kiew, année 1880, p. 14.
�LES KOLAS AFRICAINS
43
» lies de File sous le nom cle Byssi et peut produire une
» grande quantité de graines. »
J’ajoute enfin que, par mes soins et par mon initiative,
elle a été introduite aux Antilles Françaises (Guadeloupe et
Martinique), à Cayenne, en Cochiuchine, à la Réunion et à
Madagascar.
A la Réunion, voici comment se comporte l’acclimatation
de cette espèce, d’après les renseignements transmis en sep
tembre 1891, par le regretté M. Potier (Directeur du Jardin
Colonial, de St-Denis), mon zélé et savant correspondant dans
cette île, récemment décédé, et à la méinoirede qui je me
plais à rendre ici un hommage public:
« 240 plants environ ont été distribués, dit M. Potier ; à
» la Providence (Succursale du Jardin Colonial) quelques-uns
» ont atteint trois mètres de hauteur, après quatre ans de
» plantation ; à Ste Suzanne, située à deux cents mètres de la
» mer, ils ont près de quatre mètres de haut, toujours après
» le même nombre d’années. L’acclimatation commence à se
» faire. Quant aux derniers reçus (nov. J 890), ils sont en
» pépinière en ce moment et ont bel aspect. Ils atteignent
» une hauteur de cinquante centimètres en moyenne, et seront
» distribués en novembre à des personnes déjà inscrites et
» sur lesquelles on pourra compter pour les soins à donner.
» On pourrait trouver actuellement l’emploi de 10,000 Kolas,
» à la Réunion, tant les propriétaires sont désireux de repro» duire ce précieux végétal. »
Le 12 juillet 1892, M. Potier m’écrivait : « Nos Kolas, dans
» certaines localités, sont quasi stationnaires, dans d’autres ils
» mesurent trois mètres à trois mètres quatre-vingt-dix de
» haut. Ils se font bien mais lentement au pays. » 11 est
douteux qu’ils fleurissent et fructifient dans cette île, à raison
de sa latitude (20°) élevée dans l’hémisphère Sud qui est, on le sait,
plus froid que l’hémisphère Nord, à latitude égale.
De Cochiuchine, M. Brousmiche, alors Directeur du Jardin
d’Acclimatation, m’écrivait en novembre 1888 : « Lorsque j’ai
» pris la direction du Jardin botanique de Saigon, j’ai trouvé
» vos pieds de Kola dans un état déplorable. Il m’a fallu les
» mettre en pépinière et je me suis empressé de distribuer
�/
m
EDOUARD HECKEL
» les plus valides aux administrateurs et aux colons qui cher» client à acclimater les plantes iles. Partout, sauf à Hatien» et à Soctrang, les pieds plantés sont en excellent état.
» Ceux du Jardin ont repris de la vigueur et ne demandent
» qu’à prospérer. »
Je ne doute pas d’autre part, que les nombreuses tentatives
d’introduction faites, soit par mes soins, soit par d’autres, à la
Guyane et aux Antilles, n’aient le même succès d’acclimatation
qu’à la Réunion et en Cochinchine, car déjà, pour les Antilles
tout au moins, nous savons qu’au Jardin botanique de St-Pierre
(Martinique), ce végétal existe et y produit régulièrement des
graines (1). Nous savons, en effet, que ce végétal vit, lleurit et fruc(1) Au dernier moment j’apprends que M. Nollet, Directeur du Jardin botanique
de St-Pierre (Martinique) et ses prédécesseurs dans ce poste, ont fait distribuer
aux divers colons de cette île 500 pieds de Kola venus en pépinière au jardin,
et qu’ils sont dans une situation prospère.
Voici la situation exacte de la distribution des Kolas faite aux colons de l’île
de la Martinique par les soins des divers Directeurs du Jardin botanique qui se sont
rapidement succédé à la tête de cet établissement et auxquels j’avais recommandé
la propagation de ce végétal précieux :
En 1888 19 sept. 4 pieds à M. E. Reynal, à St-Pierre
14 nov. 4
Massias de Bonne, à Fontaine-Chaude
17 — 1 — — Fa ring, à Morne rouge
26 oct. 1 —
— Thoré, à Vauclin
23 juil. 6 — — Dumeix, à Port-de-France
15 sept. 10 — — Guérin, à Usine St-Pierre
15 — 2 — — Boyer, à Lamentin
16 5 — — Bardary, à Habitation Parnasse (près Le Carbet)
27 — 4 — — Lemaistre, à Habitation Montagne
—
8 — 6 — — Dr Thaly, à Gros-Morne
En 1891 27 janv. 2 — — Brunet, à St-Pierre
17 fév. 4 — — Brunet, à Habitation tricolore
17 — 4 — — St-Fêlix, à Fort-de-France
26 — 3 — — Sevère, à Case Pilote
3 avr. 4 — — Aug. Gottralt, à St-Pierre
18 déc. 6 — — Jardin hôp. militaire à Fort-de-France
23 sept. 10 . — — Osnat, à Case Pilote
15 juin 75 — — Dr Thaly, à Gros-Morne
Le docteur Thaly en a reçu 100 pieds en 1885, et en 1892 (janvier) 100 autres
pieds.
11 existe au Jardin botanique de St-Pierre (Martinique), à ce jour, un pied de Kola
ancien (fig. 3) très éprouvé par le dernier cyclone, un arbre plus petit qui n’a pas
souffert du cyclone d’août 1891, il ne donne pas encore de fruits, plus trois petits
arbres plantés en 1889 ayant 55 centimètres de haut en moyenne. Enfin la pépi
nière contient 249 plants à distribuer.
�LES KOLAS AFRICAINS
45
tifie sinon luxurieusement du moins suffisamment au Jardin bota
nique de St-Pierre (Martinique). Le Kola a été sans doute répandu
dans des colonies anglaises autres que celles dont j’ai donné le
nom ci-dessus si j’en juge par le passage suivant tiré de Ylndisch
mercuur (Amsterdam, 29 nov. 1890) : « M. Salmon, qui était
» autrefois administrateur gérant de la Côte-d’Or, et, plus tard,
» commissaire en chef aux îles Seychelles, démontrait que la
» noix de Kola pourrait être cultivée dans les pays de l’Orient
» (Keio Report, 1881). A partir de 1880, ce végétal était multi» plié à Kew et distribué aux jardins botaniques dans toutes
» les parties de l’Empire où sa culture pouvait avoir de bons
» résultats (1). »
Je ne puis terminer cet exposé sans faire connaître que
j’ai adressé, et que le Muséum de Paris a expédié aussi, des
plants et des graines de Kola au Jardin botanique de Buitenzorg (1888) pour que la plante soit propagée dans cette
belle colonie hollandaise de Java, où certainement elle doit
prospérer, grâce aux bons soins de l’éminent directeur de ce
jardin botanique, M. Melchior Treub. Enfin, fait plus capital, une
compagnie allemande a expédié l’an dernier en Nouvelle
Guinée (où elle a des comptoirs), une quantité considérable
de graines de Cola acuminata, pour assurer l’introduction de
ce végétal dans cette vaste possession allemande située entre
le 4e et le 9e degré de Lat. S. Dans ces conditions, tout fait
supposer que l’introduction de ce végétal s’y fera sans diffi
culté : ces efforts établissent bien que l’exportation en Kola de
sa colonie africaine de Cameroun ne suffit plus à l’Allemagne.
C ’e s t
un
p o in t
im p o r t a n t
a
noter
au
pa ssa g e.
Voici, d’après M. le D1'Thaly, quel est l’état de sa plantation de
(1) C’est sans doute à ce mouvement parti de la métropole qu’il faut attribuer
la richesse actuelle en pieds de Kolas de certaines îles anglaises des Antilles,
notamment à la Grenade, où de vastes pépinières ont été fondées. Les Anglais de
Demarara (Guyane anglaise) se livrent aussi* activement à la propagation de ce végé
tal sur la partie continentale du nouveau monde tropical. Je ne sache pas que
malgré mes envois réitérés de graines, il y ait en ce moment dans notre Guyane
française un seul pied en bon état de Cola acuminata, sauf les deux spéci
mens que M. Geofïioy a apportés à Kourou du jardin botanique de St-Pierre (Mar
tinique) en 1891, lorsque ce pharmacien des Colonies est allé remplir, sur ma
demande à la Guyane, son importante et fructueuse mission scientifique.
�EDOUARD HECKEL
Kolas, dans sa propriété du Gros Morne (lettre du 10 mars
1892) : « J ’ai commencé ma plantation en 1886 ; mes premiers
» élèves ont donc en ce moment un peu plus de cinq ans.
» Leur croissance ne laisse rien à désirer ; quelques-uns ont
» déjà de cinq à six mètres de hauteur ; ils se développent
» avec force, le sol et le climat leur paraissent favorables.
)> Les plus grands comme les plus jeunes ont parfaitement
» réussi et supporté les violentes secousses du cyclone du
» 18 août dernier ; toutes les feuilles ont été emportées, mais
» les branches formées d’un ligneux solide ont résisté victo» rieusement. En ce moment, nos arbres se sont recouverts
» de feuilles nouvelles, on n’y voit plus trace de la nuit
» funeste pendant laquelle ce malheureux pays a été brisé et
» ruiné. J’attends les premières fleurs, j’espère les voir bientôt
» et vous en signalerai la venue. »
On ne pouvait espérer mieux de l’acclimatation de ce végétal
à la Martinique, si l’on en juge par les observations si
importantes du Dr Thaly qui ont porté sur une plantation de
206 pieds de Kola en six ans. Tout fait donc espérer, comme
on devait le prévoir d’après les succès obtenus depuis long
temps au jardin botanique de St-Pierre, que le Kola acuniinata réussira pleinement dans notre colonie des Antilles, bien
qu’elle soit, placée dans l’hémisphère nord, sur un parallèle
(exactement 14° 23’ 42”) que ce végétal n’atteint pas spontané
ment dans la zone africaine, d’.ôù il est originaire ; à la
Trinidad il existe des pieds nombreux de ce végétal ; à Grenade
(petites Antilles), le Directeur du Jardin des plantes en a fait
d’importants envois aux colonies voisines, de ses pépinières.
Contrées, lieux, nature du sol. — Dans toutes les stations
naturelles que nous venons d’énumérer, le Cola acuminata recher
che les terrains humides situés au niveau de la mer ou à peu
près. Le Kola du Gabon (Cola Ballayi) recherche meme les bords
des cours d’eau, comme nous l’avons vu. Sur la côte de SierraLeone, on rencontre encore de très beaux arbres de Cola acuminata,
à 200 et 300 mètres d’altitude, mais au-dessus, de 350 à 400
mètres, on n’en trouve plus. C’est probablement pour avoir
méconnu ces préférences que la culture de ce précieux végétal a
�LES KOLAS AFRICAINS
47
été inutilement tentée au Fouta Djallon (1) dont le climat se rap
proche cependant beaucoup, dans certains points, de celui de
Sierra-Leone, bien que ce royaume important soit situé un peu
au-delà du 10° latitude Nord, au-dessus duquel nous avons indiqué
que le Kola ne croissait pas normalement. En dehors de ce paral
lèle cependant, il vient facilement et naturellement au RioNunez par 10°, 5’ (2).
À partir de cette rivière, l’arbre devient plus rare et cesse
complètement de se montrer dans le Boulam, l’archipel des
Bissagos, Rio-Grande, etc. Les contrées de l’Afrique occidentale
dans lesquelles ce végétal est le plus abondant, sont le pays des
Lokkos et de Timné, du côté de Port-Lokko et le territoire de
Bambals, sans oublier la Mellacorée et le Rio-Pongo. Mais, certai
nement, la situation qui convient le mieux au Kola est celle dans
laquelle se trouve le district de Zoong et de Massimerat. A la limite
inférieure de son aire d’extension, c’est-à-dire au Congo, il ne nous
est pas possible de fixer les zones exactes de végétation de cette
plante, mais il en existe des forêts entières dans ce pays, comme
nous l’avons vu déjà, en nous occupant de l’aire de végétation du
Kola spécial à cette région (Cola Bàllayi).
Production, récolte. — Sur la côte occidentale d’Afrique, le Cola
acuminata commence à donner une récolte vers l’âge de quatre à
(1) M. l’administrateur colonial Noirot, dont l’attention est éveillée du côté des
cultures et des plantes spontanées utilisables dans les pays qu'il administre, me
confirmait récemment (aoîit 1892) cette donnée, en m’affirmant avoir vu au FoutahDjallon de beaux pieds de Kola, mais incapables de donner des graines. Ce n’est
donc, dans ce pays montagneux, qu’un arbre d’ornement. Cette appréciation est
confirmée par le haut témoignage de M. le Dr Jean Bayol, ancien gouverneur des
possessions du Bénin, bien connu par son exploration au Foutah-Djallon. J’inscris
ici la note qu’il a bien voulu me transmettre sur ce point: « A Donhol-Fella, rési» dence de l’almamy Ibrahim Sarg ; à Lokan, dans l’Est de Timbo, il y avait deux
» Kolatiers. Il en existe encore un à Dara, près Timbo (au Sud-Ouest), résidencede
» l’almamy Ahmadou. En résumé, il y a peu de Kolatiers dans le Foutah-Djallon
n et ils sont tous du côté de la Mellacorée. »
(2) Corre, Flore du Rio-Nunez (Archives de Méid. navale, t. XXVI, page 27),
affirme que les Kolas les plus estimés à Gorée et à St-Louis sont ceux du Rio-Nunez.
Mais c’est une opinion combattue par divers observateurs (comme nous l’avons vu
déjà) et notamment parM. C. Sambuc, qui s’est occupé spécialement et sur les lieux
mêmes de cette question (Contribution a Vétude de la Flore et de la matière
médicale de la Sénégambie, 1887. Thèse de l’école supérieure de pharmacie de
Montpellier, p. 95-96).
�EDOUARD IIEGKEL
cinq ans, mais elle est peu abondante. C’est seulement vers dix ans
que l’arbre est en plein rapport. Alors, un seul pied peut donner,
dans une année, une moyenne de 120 livres anglaises (44.760 gram
mes) de graines par récolte. Il y a deux récoltes et une floraison à
peu près continuelle à partir de l’âge adulte (dix ans), si bien que
ce grand arbre donne en môme temps des fleurs et des fruits. La
floraison de juin porte ses gousses en octobre et novembre, celle
de novembre et décembre, aux mois de mai et juin (1). Quand les
fruits sont murs, ils prennent une couleur jaune et brunâtre. A cet
état, ils commencentà s’ôuvrir sur leur suture ventrale et montrent
leurs graines rouges ou blanches dans la même coque. C’est alors
que commence la récolte. M. Fauwcet R. L. S. (Indische Mercuur,
Amsterdam, 29 novembre 1890), parlant de ses observations à la
Jamaïque dit : « L’arbre à Kola se reproduit par les graines et
» commence à produire des fruits à l’âge de 4 ou 5 ans. Il y a des
» arbres de Kola dans le jardin botanique de Castleton, qui sont
» plantés là il y a plus de 50 ans et qui portent régulièrement des
» fruits. Ces arbres doivent être plantés à une distance de 20 pieds
» l’un de l’autre, ce qui fait un nombre de 108 arbres par acre. Ces
» arbres atteignent une hauteur d’environ 40 pieds. Ceux de
» Castleton produisent, à chaque récolte, 500 à 600 gousses. Si
» chaque gousse, en calculant sans exagération, contient 4 graines
» et nous calculons par « quart » ; un arbre de800 gousses produira
» alors 50 quarts de noix par récolte, ce qui fait 100 quarts par
» arbre pendant une année. Un quart de noix sèches aura à peu
» près un poids de 1/4 de livre, ce qui donne 125 livres par arbre. »
La production à la Jamaïque est donc comparable à celle de la côte
occidentale d’Afrique, ce qui n’a rien de surprenant, les climats de
ces deux régions étant comparables.
M. Heudelot, dans une note, manuscrite (2), dit qu’il existe
deux variétés de Kola, l’une donnant des semences rouges
exclusivement et l’autre des graines blanches. Il ne semble pas
(1) Ces indications sont spéciales à la côte occidentale d’Afrique désignée sous
le nom de Rivières du Sud où se trouve la plus grande quantité de Kola ; mais nous
avons vu précédemment, d’après les indications de Binger, que les époques de
floraison varient un peu dans le Soudan.
(2) Signalé dans Bâillon : « Études sur l’herbier du Gabon ». (Adansonia
X. 1871-73, p. 168 et suiv.).
�LES KOLAS AFRICAINS
49
qu’il en soit ainsi généralement pour l’espèce type du Kola,
sur la côte occidentale d’Afrique, où, connue je l’ai vu, sur de
nombreux échantillons, une môme gousse renfermant jusqu’à
quinze graines de grosseur fort dissemblable, en présente de
rouges et de blanches entremêlées, sans que les blanches puis
sent être considérées comme moins mures que les rouges. Par
contre, Binger et d’autres voyageurs confirment le dire d’Heudelot.
11 y aurait donc une variété de Kola ne donnant que des graines
blanches et une autre ne donnant que des graines rouges. Les
arbres donnant des graines rouges et des blanches dans le même
fruit seraient-ils un métis de ces deux variétés? Binger nous
apprend, en outre(DuNiger au golfe de Gainée, T. I., p. 109), que
le Kola blanc de l’Anno est récolté en février, en juin et en octo
bre, que les graines de février se gâteut assez rapidement, tandis
que les récoltes de juin et octobre se couserveraient plus facile
ment (1). Ce dernier Kola cependant ne peut supporter de bien
longs trajets ; il se conserve, au maximum et avec des soins, pen
dant 50 à 60 jours.
Je dois au R. P. Sutter, missionnaire apostolique au RioPungo (Bofïa), les renseignements suivauts sur les arbres à
Kola (Cola acuminata), dans cette partie des Rivières du Sud
de la côte occidentale d’Afrique, région privilégiée au point de
vue de la production de cette graine.
« Il y a des Kolatiers qui ne donnent que des graines blan» ches: ils sont rares. D’autres ne donnent également que du
» Kola rouge; ils sont également en petit nombre. En général,
» le même arbre donne des graines rouges et des graines
» blanches : les Kolas blancs et rouges y sont indifféremment
» renfermés dans les mêmes gousses. C’est là la généralité, et
» ceci est de notoriété générale. Il y a des Kolatiers jusqu’à
» Timbo, mais ils sont rares. La région nord de Foutah-Djallon
» n’en produit pas: arrivé à une certaine altitude, le Kolatier
» est stérile. Bien plus, des gens du Rio-Pungo ont essayé de
» planter cet arbre à Boulam (capitale des îles Bissagos), et,
(1) Ce fait est confirmé par l’article de YInclische Mercuur (Amsterdam,
novembre 1890), qui dit : « Les noix pour semences doivent être recueillies de juin
à septembre, et, quand elles sont destinées à être embarquées, elles doivent, être
mises, en terre. »
�EDOUARD HECKEL
» malgré tous les soins, ils ont péri dès qu’ils sont arrivés à
» une certaine hauteur (1). »
Les graines de Kola mettent, dans leur pays natal, environ
trois semaines pour germer. En France, pendant l’hiver, en serre
chaude, ou sur couches et sous haches, durant l’été, elles ne lèvent
qu’après 2 mois 1/2 ou 3 mois environ. Il est remarquable de
voir que ces semences, qu’elles appartiennent à la couleur jaune
blanchâtre ou à la couleur rouge, verdissent pendant la germi
nation, qui demande dans l’un et l’autre cas le même temps.
La jeune plantule reste attachée à ses cotylédons souter
rains pendant très longtemps et jusqu’à ce que la trame
cotylédonaire ait pourri tout entière. J’ai démontré, en collabo
ration avec M. Schlagdenhauffen, que, dans ces cotylédons,
durant la période germinative, la Caféine et la Théobromine qui
y sont contenues, se transforment et donnent, par un phémonène
de nitrification assez commun dans la nature (comme l’a établi
M. Berthelot), en dernière analyse, du nitrate de potasse qui est
sans doute utilisé par la jeune plante pour sa nutrition, puisque
ce sel finit par disparaître entièrement dans les cotylédons (2).
En dehors des introductions faites, dans leurs colonies, récemment
par les Anglais et par la France depuis 1883, le Kola est aussi,
quoiqu’on ait dit, de la part des indigènes, l’objet de quelque
culture. Les renseignements que donne, sur ce point, le capitaine
Binger (Du Niger au golfe de Guinée, T. II, p. 244), sont fort
intéressants, car ils font disparaître tout le doute qui existait
(1) J’ai déjà fourni, à ce sujet, les observations de MM. Noirot et J. Bayol qui se
trouvent aussi confirmées par celles du R. P. Sulter. C’est ce qui m’a incité à
reproduire ce fait important. D’autre part, l’observation du R. P. Sutter touchant la
généralité de la coexistence des graines blanches et rouges dans la même gousse,
s’ajoute au témoignage de Binger pour établir définitivement le fait que j'avais
avancé depuis 1883 mais qui avait été contesté. Bien plus, le même fait de l'exis
tence cumulative de graines blanches et de graines rouges dans la même gousse
se retrouve dans le Kola du Gabon et du Congo, ainsi que le prouve d’une part
l’assertion déjà relatée de feu Pierre, directeur du Jardin d’Essai de Libreville, et
le document suivant que je dois à la bienveillance de M. Dibowsky (in lilteris) :
« Le Kolatier du Congo donne des graines rouges et des graines blanches ; les
)) premières ne semblent en aucun cas constituer une variété. On trouve les deux
» couleurs de graine dans le même fruit ; ceux qui ne sont pas mûrs en contien» çent un plus grand nonbre que ceux qui sont parvenus à maturité.
(2) Comptes rendus de l’Académie des Sciences— 1890.
�LES KOLAS AFRICAINS
51
sur cette question controversée, de la culture des Kolas par les
noirs :
« Je trouve, en quittant Nouroudougou, dit Binger, en tra» versant de grandes oasis, de temps en temps, une échappée
» laissant entrevoir des forêts de bananiers, des fouillis d’ananas
» ou encore une plantation de Kolas. Après Babraso, nous ren» controns aussi de splendides plantations de Kola dont les
n arbres, disposés en quinconce, alternent avec des palmiers à
» huile. Cette variété de Sterculia produit le Kola blanc et le Kola
)) rose (1). Le tronc ressemble un peu, comme écorce, à notre
» hêtre; et la feuille, à celle du Ficus ; mais ce qui m’a frappé,
» c’est qu’à un mètre de terre, tous les troncs se bifurquent.
» Les branches ne sont pas émondées quand elles sont jeunes,
» de sorte que, dès que l’arbre commence à prendre de la vigueur,
» les indigènes sont forcés d’étayer les brandies pour les
» empêcher de se briser.
» J’ai vraiment éprouvé un sensible plaisir en voyant le
» nègre se livrer à une culture dont le rendement n’est pas
» immédiat. Hélas ! partout où j’ai passé, j’ai trouvé les noirs
» si indolents, si peu prévoyants ! C’est à peine s’ils plantent
» de temps à autre un Bombax sur la place du marché, ils
» n’ont pas encore eu l’idée de multiplier l’arbre à Cé (2),
» et le Néré (3), qui sont cependant, d’un bon rapport, môme
» dans les pays d’origine (4). Les quatre indigènes qui me
» restaient et auxquels je faisais remarquer que les Gan-ne
» étaient plus prévoyants qu’eux, se promirent bien de les
» imiter en rentrant, et de planter des Cé et des Néré. Ceux de
» Treich rapportaient même des graines de quelques arbres de
(1) Cette variété se rapporte évidemment à celle que j’ai reçue des Rivières du
Sud et dont chaque gousse renferme, mêlées étroitement, des graines roses et des
graines blanc jaunâtre.
(2) Bassin Parlai, Ivotschy (Voir mon travail sur ce précieux végétal dans
La Nature de G. Tissandier, 1885).
(3) Parkia biglobosa, Uenlh. (Voir mon travail sur ce végétal dans 1eJuurn. de
Pharmacie et Chimie, 15 juin 1887, et Bull, de la Soc. de Ge'ogr. de Marseille,
1887).
(4) Nous avons vu déjà, en parlant du Kola dans les Rivières du Sud. notam
ment en pays Sousou, que les indigènes, là plus prévoyants et plus laborieux
qu’ailleurs,y plantentet y cultivent ce végétal précieux. La même observation a été
faite, en cequitoucheàtoutleCongo,par M. Fondère. (Voir pages 28,32,37,39,note 1).
�OZ
EDOUARD HECKEL
» la zone Kong, tellement ils étaient pleins de zèle. Ils n’en
» feront rien, je les connais ; un
tam-tam dans leur village
» leur aura fait tout oublier. Le noir est enfant ; il le res» tera encore longtemps. »
Enfin comme on le verra plus loin d’après une note d’origine
anglaise, la culture du Kola acuminata aurait été introduite avec
succès dans le Nord de l’Australie.
Conservation, commerce, emploi indigène de la graine. —
J ’ai dit que la récolte du Kola se faisait deux fois chaque
année. Cette opération se pratique avec de grandes précautions
de la part des traitants ou mieux des traitantes, car ce sont
les femmes surtout qui, sur toute la côte Occidentale d’Afri
que, se livrent à ce genre de commerce. On enlève les grai
nes à leurs gousses et on les dépouille de leur épisperme,
ce, qui est facile. Ces graines obtenues, il importe, pour leur
conserver toute leur valeur commerciale auprès des nègres
africains, seuls consommateurs jusqu’ici du moius (1), de cette
graine fraîche, de la maintenir quand même à l’état frais.
L’unique procédé de conservation qui soit lisité le plus généra
lement, consiste à faire un assortiment soigneux de ces graines en
rejetant tous les Kolas endommagés ou piqués par les vers, puis à
les placer dans de grands paniers spéciaux au pays, faits d’écorces
d’arbres, et tapissés à l’intérieur avec des feuilles fraîches de Bal
(Stercnlia cordifolia Cav. ou Cola heterophijlla Beauv. ?) (2) ; on fait
déborder les Kolas en un dôme au dessus du panier ainsi
parfaitement rempli, et on recouvre le tout de la même feuille
Bal, qui, par son épaisseur, sa résistance et ses dimensions,
ne contribue pas peu à cette conservation en préservant les
noix de Kola fraîches du contact de l’air sec. Dans cet état,
on peut expédier les paniers très loin. Le Kola y supporte
fort bien, sans se moisir, des voyages durant lesquels il n’est
(1) Il commence à arriver à Marseille assez régulièrement du Kola frais pour
les usages pharmaceutiques et pour les besoins des vélocipédistes et alpinistes
qui le consomment sous forme d’extrait : ces graines y parviennent en parfait état.
(2) L’examen anatomique de la feuille de l’arbre Bal m’a prouvé par la conconcordance de sa composition avec celle du Cola acuminata, que j’avais bien
affaire à une espèce du genre Cola, c’était le seul moyen de déterminer approxima
tivement la plante qui fournit cette feuille, n’ayant jamais eu à ma disposition ni
les fleurs ni les fruits de ce végétal.
�LES KOLAS AFRICAINS
53
pas nécessaire de le soumettre à une manipulation, quelle
qu’elle soit. Pour le conserver frais, il suffit de maintenir la
feuille de Bal à l’état humide. C’est ainsi que j’ai pu recevoir,
venant de Serra-Leone, des paniers de Kola parfaitement
frais et destinés à être expédiés pour semences dans nos colo
nies françaises tropicales ; ces graines peuvent même arriver
dans cet état jusqu’en Angleterre (1). La feuille de Bal usitée
sur la côte occidentale d’Afrique, n’est sans doute pas celle qui
est utilisée, pour le même objet (emballage du Kola) au Soudan.
Binger (2), sur ce point, s’exprime ainsi qu’il suit : « A Kintampo,
» après un trajet de deux bonnes heures, on arrive sur les bords
» d’un joli ruisseau auprès duquel nous apercevons, pour la
» première fois, les feuilles servant à emballer les Kolas. Cette
» feuille, de la largeur de deux mains, se distingue de la fausse
» feuille (qu’il faut faire bouillir avant de l’employer et qui se
» trouve un peu partout dans le Soudan), par une bordure de
» 2 centimètres de largeur d’un vert plus foncé. Cette bordure,
(1) Thomas Christy (New commercial Plants, n° 3, Londres 1880), s’exprime
ainsi : « Les indigènes savent conserver pendant quatre mois les graines de Kola
en les enveloppant dans une espèce particulière de feuille qu’on conserve humide.
Celles que j’ai reçues récemment me sont arrivées aussi fraîches que si elles
venaient d’être cueillies. Quelques-unes m’avaient été envoyées dans des feuilles et
d’autres enfoncées dans la terre glaise. Le premier procédé est le meilleur.
D'après le R. P. Sutter, supérieur de la mission BoCfa au Rio-Pungo (in litteris) :
« Un fait à noter, c’est que le Kola, récolté le long du littoral, est plus gros et plus
» beau que celui de l’intérieur des terres, mais ce dernier a l'avantage sur le
» premier d’être plus fort et de pouvoir être conservé plus longtemps. »
M. Goujon, sur ce point de la conservation du Kola, s’exprime ainsi qu'il suit (in
litteris) au sujet de la graine de YOmbéné (Cola Ballayi) du Gabon :
« Les noirs du Gabon ne cultivent pas le Kola; il y en a plus dans la forêt qu’il
» ne leur en faut pour leur consommation, et, jusqu’à présent, c’est-à-dire jusqu’à
». l'année dernière, personne n’en achetait. Tout au plus quelques individus, plus
» friands de ce fruit que les autres, en tenaient-ils une petite provision pour leur
» usage personnel. D’après ce que m’a dit la vieille Marie N’dar, le Kola épluché et
» terré dans un endroit pas trop humide se conserverait comestible d’une année à
» l’autre. Elle prétend en avoir fait l’expérience. C’est douteux. On pourrait jpour» tant essayer d’envoyer des graines stratifiées en Europe ; comme il n’y a qu’un
» mois de traversée par les paquebots on aurait plus de chance de les y voir arri» ver en bon état qu’en les envoyant en gousse. J ’ai à deux ou trois reprises essayé
» d’en conserver sous cette dernière forme (en le terrant) et j’y ai renoncé parce
» qu’elles étaient moisies et immangeables au bout de quinze jours.»
(2) Capitaine Binger [Du Niger au golfe de Guinée, Paris. Hachette, 1892. T. II,
p. 135).
�EDOUARD HECKEL
» peu apparente lorsqu’on examine la feuille à l’endroit, est
» visible à l’envers ; elle n’existe que sur le côté gauche de la
» feuille, tenue par le petiole et examinée à l’envers, la bordure
» se trouve à droite. »
Quand le Kola doit être conservé plus d’un mois, il faut,
tous les trente jours au moins, que la manipulation de l’assor
timent se fasse à nouveau. On lave alors les graines dans l’eau
fraîche, on remplace les premières feuilles de Bal par de
nouvelles, et on procède, comme ci-dessus, pour la réfection
du panier, dont la contenance habituelle est de 3 mesures, soit
trois fois 112 livres anglaises (132 kilog.). Ainsi emballés, les
Kolas sont expédiés en Gambie et à Gorée, où se fait le com
merce principal de ces graines. En Gambie, les traitants les
montent dans le haut de la rivière et les vendent, autant que
possible, à l’état frais, aux caravanes qui descendent de l’inté
rieur chargées de produits. Dès que les Kolas, ainsi vendus,
commencent à se rider et à se dessécher, les marchands de la
caravane en achèvent la dessiccation au soleil et les réduisent
par mouture eu une poudre fine qui est encore très recherchée
par les peuplades de l’intérieur. Celles-ci, après l’avoir mêlée
au lait et au miel, en forment un breuvage alimentaire et
excitant très-agréable. C’est sous cet état de poudre que le Kola
continue généralement son voyage au cœur de l’Afrique. Cepen
dant, il arrive le plus souvent encore à l’état frais à Sokota et à
Kouka (près du lac Tchad) et même à Tombouctou, où se
tiennent de grands marchés de cette graine (1).
(1) D’après des renseignements récents qu’a bien voulu me transmettre verbale
ment M.Godel, administrateur colonial au Congo,qui a longtemps séjourné dans les
Rivières du Sud, le meilleur Kola de cette dernière région serait celui du SamOj
pays voisin de la Mellacorée: « Par un procédé qui leur est spécial, les indigènes
» de ce pays savent conserver, me dit cet administrateur dont je traduis ici la
» pensée, les graines de Kola à l’état frais pendant une année durant. Pour y
» parvenir, ils lavent cette semence au moment où elle vient d’être cueillie, dans une
» eau chargée par macération des principes d’une plante dont ils utilisent la racine
» pilée fraîche. Cette plante aurait pour action d’empêcher le développement d’une
» larve qui, sans ce traitement, dévore en tout sens le parenchyme de la graine et
» la rend inutilisable.’ Les noirs appellent ce ver du nom indigène de Tembouc. »
M. Godel n’a pu, malgré son insistance, se procurer ni le nom de la plante utilisée
poyr cette conservation du Kola, ni même un fragment de la racine, tant les
nègres tiennent cette pratique secrète. — Au sujet de la conservation du Kola dans
�LES KOLAS AFRICAINS
De Sokota et de Kouka (1), les caravanes le dirigent ensuite sur
la région du Delta du Niger, voici ce que je relève dans un article du journal
Chimist and Druggist (de Londres) du 28 janvier 1898, pp. 157, intitulé : Vive
hundred Miles up tlie Niger. « Les indigènes empaquettent uniformément les
» graines fraîches dans des paniers spéciaux qu’ils transportent sur la tète (lig. 4),
» les paniers sont fortement entortillés avec de puissants liens fibreux, et le Kola
» qui y est contenu est enveloppé dans des lambeaux de toile grossière. Ils contienn nent exactement 50 livres anglaises (22 k. 677) de Kolas et toules les semences
» sont soigneusement entourées de feuilles moisies et décomposées.- Dans ces
» conditions le Kola peut être transporté d’Afrique en Europe sans détérioration.
» La poignée en anse qui couronne le panier est faite en écorce de Calamus Draco,
» appelé ta'i-taï par les indigènes.
Kig. 4. — Panier indigène pour le transport du Kola dans le Niger,
le Soudan, la Gambie, etc.
» Le Kola à deux cotylédons non divisés profondément à la base est plus
» apprécié que la variété à cotylédons si profondément divisés qu’ils semblent être
» au nombre de quatre : de même les Kolas rouges sont tenus en plus grande
» estime que les Kolas blancs qui ont en réalité, à l’état frais, une couleur jaune
» pâle. Certains négociants de Londres ont des collecteurs de Kola dans presque
» toutes les régions tropicales et notamment dans les parties Nord de l’Australie,
» où un grand nombre de planteurs se livrent à la culture du Kola ».
Ces observations propres au delta du Niger sont, comme on le verra plus loin,
entièrement confirmées par celles du Dr Rançon au Soudan français et en HauteGambie : c’est bien le même panier et le même procédé de transport.
L’appréciation sur la valeur des Kolas blancs et rouges est absolument l’opposé de
celle qui a cours dans la Sénégambie et'le Soudan Français, nous l’avons déjà dit,
mais nous reviendrons sur ce point important dans la partie chimique de cette étude.
(1) Ce produit est frappé malheureusement, dans toute l’étendue du Soudan,
d’impôts si exorbitants, qu’à mesure qu’il progresse vers l’intérieur il devient d’un
�56
ÉDOUARD HECI1EL
Tripoli où il est vendu, le plus souvent, à l’état sec et très
cher. De Tombouctou enfin, il est importé, en remontant par
le Niger (Djoliba), jusque dans le Maroc, à Fez et à Méquinez.
Au sujet de la graine du Cola acuminata sur la côte occidentale
d’Afrique et notamment au Rio-Pongo, où cette matière est l’objet
d’une production abondante et d’un trafic d’une certaine impor
tance, voici les renseignements intéressants que nous empruntons
à un article déjà cité (p. 28 note 1) et intitulé: « Les dépendances
du Sénégal. » (Revue Marit. et Col., 1885, p, 42, 55 et 56), dû à
M. Boul, commandant du cercle du Rio-Pongo:
« Le plus grand plaisir que l’on puisse faire à un chef nègre,
» c’est de lui offrir des noix de Kola. La couleur des noix offertes
» a, pour lui, une signification. Les Kolas blancs signifient, amitié
» ou sympathie; les rouges, aversion ou antipathie.
» Entre rois de la côte d’Afrique, la réception d’un Kola rouge
» équivaut à une déclaration de guerre de la part de l’envoyeur.
» Le Koba, état placé sur le littoral maritime entre le Rio» Pongo et le Bramaya, est tributaire de ce dernier état qui a été
» annexé à la France par convention du 14 juin 1883: le Koba est
» donc placé sous la domination française. C’est le pays producteur
» par excellence des noix de Kola, si recherchées qiaintenant par
» toutes les populations africaines.
» Tous les ans, au mois de décembre et au mois de mars, à
» l’époque des récoltes du Kola, le Koba est envahi par un grand
» nombre de traitants étrangers des colonies portugaise et anglaise
» qui enlèvent la presque totalité de ces produits.
» Ces étrangers n’ayant pas, comme leurs confrères du Rioprix inabordable. Le commandant Monteil, dans sa récente conférence à la Sor
bonne, où il a rapidement esquissé son voyage au lac Tchad, nous en a donné une
idée en indiquant les prix que le Kola atteint à Kano et à Kouka, capitale du Bornou. Je le cite textuellement d’après un article de la Politique Coloniale du 31
janvier 1893: « Veut-on avoir une idée des péages que ces populations exigent des
» caravanes? Kano et Kouka échangent avec les villes du Dahomey et du pays de
» Kong le sel et la noix de Kola. Or, la noix de Kola qui vaut -3 cauris à Kong en
» vaut loO à Kano, les caravanes devant céder plus des déux tiers de leurs mar» cliandises aux habitants de la région de Kabbi qui vivent de ces déprédations, n
Nous verrons bientôt ce témoignage du commandant Monteil être corroboré par
celui du docteur Rançon. Cet explorateur a vu les mômes faits déplorables se
produire tout près de la côte, en plein Soudan français, dans la haute Gambie et
dans le Foutah-Djallon.
�57
LES KOLAS AFRICAINS
» Pongo, des Irais d’établissement, de location et autres, offrent
» aux indigènes un prix plus rémunérateur; ils accaparent ainsi
n toute la production au détriment du commerce du Rio-Pongo,
» auxquels les Kolas sont nécessaires pour traiter avec les
« caravanes.
» Grâce à la configuration géographique du Delta du Rio-Pongo,
» les navires qui fréquentent le Iioba peuvent entrer et sortir sans
» être vus de Boffa (capitale du Rio-Pongo). Pendant la campagne
» de 1882-1883, le Koba a été visité par 12 goélettes portugaises
» d’une capacité moyenne dé 25 tonnes, ce qui représente une
» exportation de 300 tonneaux de noix de Kolas pour une seule
» campagne.
» Le Lakata est un pays riche et peuplé, situé sur le bord de
n la mer, entre le Rio-Nunez et le Rio-Pongo: il est acquis à la
» France depuis la convention du 26 janvier 1884. Ce pays fournit
» abondamment des noix de Kola, des amandes de palmes, du
» caoutchouc, etc., etc. Achetés presque pour rien dans le Koba
» et dans le Lakata, les Kolas atteignent une grande valeur dans
n les pays un peu éloignés de la côte. Une seule de ces graines est
» vendue jusqu’à 0 fr. 50 dans certaines contrées de l’intérieur ; ce
» prix est inférieur de plus de moitié sur les marchés de Freetown,
» de Roulam et de St-Louis. Le commerce des Kolas a pris, depuis
n quelques années, une certaine importance dans les colonies de
» Sierra-Leone et de Bissagos. Sur les principaux marchés de la
» colonie du Sénégal, le monopole du commerce des Kolas est
» entre les mains des sujets anglais de Sierra-Leone. »
Au centre de l’Afrique, ce sont surtout les peuplades rive
raines du Niger qui le consomment à l’état sec et en poudre,
en particulier (vers Messina), les tribus situées aux confins
de la Salana : les Burnous, les Honsas, etc.
Voici, au point de vue du commerce du Kola et de sa
valeur vénale dans les régions parcourues par Binger, com
ment s’exprime cet éminent explorateur. Il est nécessaire de
reproduire cet exposé relatif au Kola blanc de l’Ânno, malgré le
long développement que lui a donné Binger, et cela à cause de
l’intérêt que présente le sujet de cette étude dans, uue région
devenue française et jusqu’ici inconnue (1) : « A Groumania,
(1) Binger. Du Niger au Golfe de Gïiinée (L 1, p. 309 et suiv.).
4
�08
EDOUARD HECKEL
» un Ourou fié (calebasse de Kola, 200 graines) coûte 200 cauries
» (10 fr.); à Kong, un fruit se vend 2, 3, 4 et jusqu’à 12 cauries,
» suivant la grosseur. A Djenné, cette variété n’est pas beaucoup
» goûtée par les indigènes, de sorte que son prix n’en est jamais
» assez élevé pour qu’il y ait avantage à le transporter au loin ;
» aussi ce fruit ne dépasse-t-il guère Bobodioulassou, Lera, Nielé,
» Oua et Bouna. Il est vendu contre des cauries, avec lesquelles
» les marchands de Kong se procurent surtout du coton en
» vrac, de l’indigo, du piment rouge ; c’est le Kola de la
» vente au détail, celui dont le prix est abordable par la
» classe moyenne de la population.
» Ce Kola de l’Anno va aussi beaucoup à Salaga. Ce marché
» n’est pas du tout bien alimenté de Kola de l’Achanti et les
» gens de Kong trouvent toujours à y écouler le Kola du
» Mango.
» Les missionnaires de Bâle et le Dr Mæhly prétendent
» qu’une charge de Kola de YOkouawou vaut à Salaga de 37
» à 38 francs ; c’est une grosse erreur. Une charge de Kola
» (2500 graines) vaut bien davantage ; à Salaga, le Kola le
n meilleur marché coûte 40 cauries, et une charge coûte
» 100,000 cauries, qui représentent 120 francs.
» A Sakhala, sur la limite des pays de production, la
» meme charge de Kola coûte 8 kokotla de sel, dont le prix
» de revient est de 8/12e d’une charge de 55 francs, soit
» 36 fr. 64 ; à Tengréla la charge vaut déjà de 80 à 100
» francs (1).
» On peut dire que Kong, Kintampo et Groumania sont les
» marchés où le Kola se paye le plus bas prix.
» Partout, le Kola rouge de l’Achanti atteint le prix le plus
n élevé : 2,400 Kolas coûtent à Kintampo 12,000 cauries, c’est» à-dire 5 cauries pièce.
» Il est, à ce propos, intéressant de se rendre compte des
(1) Voici comment s’exprime sur cet approvisionnement en Kola à Tengréla, le
colonel Galliéni (Mission dans le haut Niger et à Ségou. — Bulletin de la Société
de Géographie de Paris. T série, T. IV, 1884, p. 607) : «Un grand nombre de Dioulas
» continuent ensuite leur route sur Tangréla pour y acheter des Kolas à bon
» compte, puis ils reviennent par Dialakaro, le Bouré et le Bamboucli, où ils
»,échangent avantageusement leurs Kolas contre de l’or. D’autres, enfin, gagnent
» Ségou, Djenné ou Tombouctou par divers itinéraires. »
�LÉS KOLAS AFRICAINS
59
» bénéfices que peut réaliser un couple, homme et femme,
» se livrant à ce commerce. Le ménage quittant Kong avec
» une pacotille, ferronnerie ou étoffe, d’une valeur locale de
» 20 francs, se procure à Kintampo ou Boudoukou environ
» 5,000 Kolas, qu’il revendra à Bobodioulassou. Avec le
» produit de la vente de ces Kolas, il achète 2 barres de
» sel. Il emportera 1 barre 1/2 seulement à Kong; l’autre
» demi-barre servant à acheter quelques cadeaux à rapporter
» au pays et à subvenir à ses besoins en vivres pendant la
» route.
» Le trajet de Kong à Kintampo et de Kintampo à Bobo» dioulassou et retour à Kong, aura duré cent jours environ.
» La barre et demie de sel rendue à Kong représentant une
» valeur de 240 francs, le couple aura gagné une valeur de
» 220 francs, c’est-à-dire 2 fr. 20 par jour ou 1 fr. 10 par jour
» et par personne, tous frais payés.
» Il faut envisager l’existence que mènent ces gens-là. Ils
» marchent chargés chacun de 30 à 40 kilogrammes et cela
» pendant la plus grande partie de la journée ; arrivés à
» l’étape, il faut piler et préparer les aliments, couper du
» bois, chercher de l’eau, souvent à plusieurs kilomètres de
» distance; s’il y a un enfant dans le ménage, la femme le
» porte sur le dos ; ils vivent sans feu ni lieu. Surpris pai'
» les pluies, ils voyagent quand môme, supportant toutes les
» intempéries sans se plaindre.....
» Voici le meme calcul pour un marchand de Kola allant
» de Bamako dans le Ouoroudougou avec une barre de sel.
» Il achète une barre de sel à Bamako pour 55 à 60 francs ;
» il vit sur son sel pendant cinq semaines que dure sa
» marche pour aller. Il dépense ainsi, y compris l’achat d’un
» panier de nattes de feuilles à emballer et droit de passe,
» environ 3 à 4 kokotla ; il lui en reste 8 à échanger et je
» suppose qu’il prenne à Kani ou Touté des Kolas de gro'sseur
» moyenne et qu’on lui en donne 350 par kototla, il aura
» donc échangé sa barre de sel contre 2,800 Kolas. Pendant le
» voyage de retour, il achète sa nourriture et paye son hôte et
» les droits de passe en Kola ; il en pourrit également une
» certaine quantité en route ; les Dioula m’ont affirmé qu’il
�EDOUARD HECKEL
» était difficile d’en rapporter à Bammako,plus de 2.000
» (Bafoula Kémé dourou). Les Kolas de cette variété se vendent
» en général au détail deux par kémé (25 centimes), ce qui
» met le cent à 12 fr. 50 et porte sa charge totale à 250 francs.
» Gomme pour les vendre ce prix, il lui faut d’un mois à
» six semaines, il mange une partie de son bénéfice ; on peut
» dire que, l’opération terminée, il lui restera 180 francs, soit
» 120 francs de bénéfices pourquatre mois
de travail de
» porteur ou devie de privations. Quelquefois, il perd tout
» quand les Kolas se gâtent ou qu’il est pillé.
» Un grand facteur de la conservation du Kola est son
» mode d’emballage. Faute de précautions (1), il se gâte ou se
» raccornit et dessèche, et par cela môme, perd toute sa
» valeur. La feuille dans laquelle on emballe le Kola est à
» peu près semblable à celle de YArum, mais plus ouverte et
» d’un vert plus accusé (2). Elle est supportée par une tige
(1) Cependant, malgré tous les soins assidus dont elles sont l’objet, beaucoup
de semences contractent, durant le transport, des maladies parasitaires auxquelles
on ne peut apporter aucun remède et qui causent aux commerçants des pertes
inappréciables. Le Dr Nacbtigall a décrit ces maladies en détail et nous en a même
donné le nom en langage du Bornou, dans son livre Sahara et Soudan (1881),
C’est dire assez quelle importance on attache dans le pays à la conservation de ce
produit à l'état frais. — La première de ces maladies, nommée II illé, transforme
peu à peu la semence en une masse pulvérulente blanchâtre. Tout d’abord localisée
on peut l’enrayer en coupant la partie malade. Si la noix est entièrement attaquée,
il faut la jeter, car elle a perdu toute saveur. MM. Chodat et Chuit (Etude sur les
noix de Kola, Archives de physique de Genève, 1888, p. 300), ont déterminé la
cause de cette maladie qui est due à des colonies microbiennes. Ces bactéries se
présentent sous forme de : 1° Microccoccus ordinairement tout à fait sphériques,
excessivement petits, souvent agglutinés en zooglées et zooglées sarciniformes ; 2U
de bacterium ou bacilles ordinairement isolés.
Ces organismes détruisent tout d’adord la substance colorante et le tannin qui
imprègnent les parois cellulaires des cotylédons. Ces dernières deviennent ainsi
parfaitement blanches. Mais si l’action des bactéries continue, la paroi cellulaire
est atlaquée, détruite, et l’amidon contenu dans la cellule devient libre : c’est alors
seulement que l’amidon commence à être plus ou moins corrodé. Cependant
l’amidon parait doué d’une résistance plus grande que la paroi cellulaire.
Une seconde maladie, nommée Dasemséra, peut se produire quand les noix
fraîches sont exposées à une trop grande humidité. L’intérieur devient dur et
cassant, et à l’extérieur, il se forme des plaques foncées.
D’autres fois les noix sont réduites en poudre noire par un champignon qui
s’étend de plus en plus dans leur profondeur. Enfin, les vers peuvent leur causer
un grand dommage.
(1) On connaît plusieurs procédés d’emballage du Kola frais en vue d’en assurer
la longue conservation, comme il existe plusieurs plantes donnant des feuilles
�LES KOLAS AFRICAINS
61
» très fme, d’enViron 40 à 50 centimètres de hauteur ; ou la
» trouve généralement dans les endroits humides et ombragés.
» La vraie feuille, vue à l’envers, porte sur la partie
» gauche une bordure d’un centimètre de largeur, d’un vert
» plus foncé que le reste de la feuille; le vert est assez accentué
» pour qu’on puisse le reconnaître à un simple examen,
» surtout quand on la tourne vers le soleil ou vers un
» endroit éclairé.
» Il existe beaucoup de feuilles analogues comme struc» ture et l’on s’y trompe facilement quand on n’est pas initié
» à la façon de les reconnaître. Les fausses feuilles ne sont
» pas employées vertes ; pour les utiliser, il faut les faire
» bouillir très longtemps et les faire bien sécher avant de
» s’en servir; faute de cetteprécaution, au lieu d’être pro» pices à la conservation du Kola, elles hâtent au contraire
» la pourriture du fruit et en développent les moisissures.
» Elles ne sont employées qu’à défaut de la vraie feuille qui
» ne se trouve pas sous certaines latitudes.
)) Jusqu’à présent, les expériences faites en France sur
» l’emploi du Kola ont donné peu de résultats ; cela tient à
» ce que l’on se sert du Kola desséché.' Il serait cependant
» bien facile d’en faire venir de frais, en se servant de l’em» hallage en feuilles dont je viens de parler (1).
utilisées pour cet emballage. Nous avons déjà examiné certains de ces procédés
(variables avec les régions) et indiqué quelques-unes de ces feuilles les plus com
munément employées, en voici encore un autre. — Les commerçants indigènes les
mettent dans de grandes corbeilles qui doivent être préalablemeut rembourrées
d’une épaisse couche de grosses feuilles humectées nommées Fetta au Bornou
Chaque noix, de même, est entourée de ces feuilles, puis on serre le tout fortement
au moyen de cordes qui sont tendues dans toutes les directions de façon à diminuer
es intervalles qui faciliteraient la transpiration. Plus la quantité de graines est
grande, et plus le danger de dessiccation ou de maladie est diminué. Pendant la
saison des pluies, on peut laisser ainsi les corbeilles pendant un mois et demi, mais
si le transport se fait pendant un temps sec, il faut ouvrir les corbeilles plusieurs
fois par semaine, étendre les noix, les laisser à l’air pendant un temps plus ou
moins prolongé et les asperger avec un peu d'eau. Si quelques noix se fanent, es
trafiquants se contentent de les mettre pendant quelque temps dans l’eau, ce qui
leur rend leur turgescence primitive.
(1) ,M. Binger fait évidemment ici erreur. Il n’est pas admissible que le Kola
frais ait des propriétés que ne possède pas le Kola sec. Du reste, ce dernier a fait
ses preuves comme médicament et comme aliment d'épargne, à l’état sec, en
Europe, et ses propriétés ont été mises à jour dans ces dernières années, depuis
�62
ÉDOUARD HECKEL
» Les Kolas arrivent frais à Tombouctou et à Kauo, ce qui
» leur fait uu voyage minimum de trois mois. Nous sommes donc
» (en France) plus près du Kola que nous le pensons, puisque
» de l’Anno à Grand’Bassam, il y a à peine un mois de
» voyage, ce qui le met à six semaines de France et même
» un mois, si l’on veut sérieusement s’en occuper (1).
.» Les Lô (2), outre les relations qu’ils entretiennent avec les
» gens du Ouoroudougou, font aussi des achats à un peuple
» qui habite près de la mer (les Jack-Jack, fort probablement).
» Le Ouoroudougou (pays des Kolas) et le Ouorocoro (pays
» à côté des Kolas) ne sont pas des pays de production du
» Kola, comme le fait supposer l’étymologie de leur nom. Ces
» deux pays ne se trouvent que sur. les confins des pays à
» Kola; ainsi: à Karoudougou, dans le Ouorocoro, il y a un
» arbre à Kola ; à Sakhala, Kané, Siana et Bouté, il n'y a
» encore qu’un, deux ou trois arbres au maximum. Dans
» quelques autres villages également, on en trouve un ou
» deux (Je tiens le renseignement d’un Dioula ruiné, nommé
» Iiéléba, que j’ai engagé à Médine, comme ânier; il est ori» ginaire de Toumbougou (Ouorodougou) et il a été élevé à
» Sakhala).
» Un de mes captifs libérés, né à Ouorocoro, et mon pale» frenier, Monça-Diavvara, ont été deux fois à Kani et à
» Sakhala y acheter des Kolas. Comme ils étaient trop pau» vres pour travailler à leur propre compte, ils gardaient
» les ânes pendant la route, et, le voyage terminé, on les a
» payés avec quelques centaines de Kolas. Voici comment se
» fait, d’après eux, le commerce des Kolas, dans cette région:
n Arrivés à Tiong-I, Tengréla, Maniniam, Sambatiguela, que
mes travaux, sans qu'on puisse établir de différence à cet égard avec le produit
frais; ce dernier ne renferme que l’eau en plus et un peu d’huile essentielle;
c’est la seule dissemblance qui sépare le Kola sec du Kola frais. — Nous y
reviendrons plus en détail dans la partie chimique de cette étude.
(1) Il arrive, du reste, je l’ai dit déjà et il faut le répéter, de la côte occidentale
d’Afrique et notamment de Sierra-Leone, du Kola très frais, jusqu’à Marseille, et
cela par gros paniers de 122 livres anglaises entourés de feuilles immenses de
Sterculia cordifolia. J’en ai fait venir sans difficulté un panier, quand j’ai dû en
faire des semis pour les expédier dans nos colonies françaises.
I
(2) Les Lô occupent La région confinée au Sud par le Souamlé et le Tiassalé.
�LES KOLAS AFRICAINS
63
n j’appellerai marchés à Kolas de la première zone, les marchands
» font scier leur barre de sel en 12 morceaux de 3 doigts de
» largeur que l’on nomme Kokotla. Cette opération terminée,
» on achète les paniers et les nattes à l’aide desquelles on doit
» emballer les Kolas; tout ceci est payé en sel. Là, les cara» vanes s’informent du cours des Kolas, et, si leurs ressources
j>ou l’état de leurs animaux le leur permettent, elles poussent
» plus au sud pour se procurer ce fruit à meilleur compte.
» Arrivés sur les marchés de la deuxième zone (zone plus
«proche des pays de production) à Odjounjé, Touté, Kam,
» Siana ou Sakhala, les marchands du nord s’adressent aux
« indigènes, qui font tous le métier de courtier. Ce sont ou
» des Siene-ré ou des Mandé-Dioula ; les premiers paraissent
» être les autochtones, les seconds n’y sont venus qu’à une
» époque relativement récente, mais leur autorité s’est affirmée
» au point que ce sont eux les maîtres réels du pays ; c’est
» du reste ce qui se passe dans toutes les régions où le Mandé» Dioula s’infiltre.
» Les courtiers conviennent avec les marchands du prix du
» sel et fixent la quantité de Kolas qu’ils recevront en échange
» d’un Kokotla (cette fraction de barre de sel étant devenue
» depuis Tengréla l’unité d’échange). Le prix du Kola varie
« naturellement avec la variété, la grosseur et surtout la pro» venance de la graine.
» Le Kola de Sakhala est le plus gros que l’on connaisse,
» il est toujours blanc, se conserve très-longtemps et, de pré» férence, est porté à Djenné et à Tombouctou. Ce Kola est
» aussi le plus cher.
» Le Kola d’une grosseur moyenne, rouge ou blanc, se
» trouve surtout à Kani, Siana et Touté; il est également
» recherché, particulièrement le rouge.
» Enfin, il existe une autre variété qui s’achète en ma» jeure partie à Djenné et à Tiomakhandougou ; elle est rouge
» et très petite ; on la connaît dans cette partie du Soudan
» sous le nom de Maniniam-ourou (Kola de Maniniam) parce
» qu’on en trouve beaucoup sur ce marché. Le prix du Kola,
» sur ces marchés, varie entre 200 et 600 graines pour un
» kokotla ; ce qu’il y a fie curieux dans cette partie du Soudan,
�EDOUARD HECKEL
»
»
»
»
»
»
c’est que dès qu’il s’agit de Kolas, la première grosse unité
est 100, tandis que partout, dans les États de Samory, elle
n’est que de 80 ; ces deux nombres portant le môme nom,
on fait précéder la dénomination commune du mot de Kémé
par le mot Ourou (Kola), quand il s’agit de Kola, de sorte
qu’on dit 100 Kolas : Ourou Kémé.
» Généralement il y a assez de Kolas en réserve dans les
» marchés pour contenter les acheteurs, mais il arrive quel» quefois que, pour des raisons multiples : guerre, pillage,
n mauvaise saison, il vient une trop grande quantité d’ache» teurs à la fois. Alors, il se passe le fait suivant : le prix
» convenu, les acheteurs remettent leurs kokotla aux courtiers,
» les femmes de tout le village (les femmes seulement) partent
» au moment où le soleil disparaît de l’horizon, sous la con» duite de deux ou trois hommes du village préposés à cet
» effet, et vont chercher plus au Sud la quantité de ces
» graines nécessaires. Ces femmes ne reviennent que le surlen» demain à la nuit tombante.
» En admettant qu’elles marchent 12 heures sur les 48
» qu’elles mettent à faire le trajet, elles parcourent environ
» 60 km. ; donc, c’est, au maximum, à 30 km. au sud de ces
» marchés que se trouvent les lieux d’échange entre les femmes
» des courtiers et les habitants des lieux de production.
» Kéléba-Diara, mon Dioula ânier, me dit que les Lô appor» tent les Kolas en des lieux d’échange situés en pleine brousse.
» Jamais, lui qui est resté à Sakhala jusqu’à l’âge de 23 ans.
» environ, n’a pu en savoir plus long : « J’étais bien marabout,
» mais cela ne suffit pas, il faut faire partie de cette confrérie
» et je n’ai jamais été initié; je n’ai jamais cherché à en savoir
» davantage, ni à m’aventurer par là : mon affaire eut été
» réglée, on vous coupe tout bonnement le cou. »
» Ces Dioula trouvent, dans ce courtage, une source de
«richesse qu’ils tiennent à garder; c’est la raison qui a pro» voqué l’organisation de cette sorte de Société secrète dont
» m’ont parlé mes hommes. Le même fait n’existe-t-il pas un
» peu plus au sud, pour les transactions entre les Lô ou leurs
» voisins, avec les comptoirs de la côte de l’or et des graines? »
— Enfin, Binger résume ainsi ses observations sur les mar
chands de Kola au Soudan :
�LES KOLAS AFRICAINS
6d
« Les marchands du Soudan peuvent se diviser en plusieurs
» catégories : 1° le marchand momentané, nègre de n’importe
» quelle race, qui borne son commerce de sel de Guinée ou de
» Kola à deux ou trois voyages ; 2° les Kokoroko : ce sont
'i généralement des Noinou (forgerons) de Ouassoulou ou du
» Ouorokoro. Ils commencent par fabriquer de la poterie, des
» objets en bois ou en fer, de la vannerie, qu’ils vendent
» contre des kauris ; lorsqu’ils ont un lot de quelques milliers
» de cauris, .ils s’en vont sur les marchés à Kolas,
» achètent une petite charge de ces fruits, et vont à 3 ou
» 400 kilomètres plus au Nord, généralement à Ouolosrsébougou,
» Ténétou,
Kangaréou Kona, l’échanger
contre du sel avecun
# modeste
bénéfice.Le sel est importé
à son tour sur la tête
» jusqu’aux marchés à Kola les plus éloignés, tels que Sakhala,
» Kani ou Toute. Là, ils ont le Kola un peu meilleur marché,
» puis ils
reviennent et font ce métier d’échange du sel etdu
» Kola jusqu’à ce qu’ils aient gagné un certain nombre de
» captifs leur permettant de se livrer à un commerce plus
•» lucratif ».
— Mais le Kola n’est pas seulement consommé en Afrique.
Quelques maisons de commerce l’exportent directement au Brésil,
soit de certains ports du Dahomey dans lesquels l’exportation
n’est pas interdite par le roi du pays (1) comme Porto-Novo,
par exemple, soit du Congo français ou de la Guinée inférieure
et particulièrement d’Ambrisette. On ne connaît pas exactement
le chiffre de cette dernière exportation, mais il doit être fort
peu élevé, si l’on n’oublie pas qu’elle repose presque uniquement
sur la satisfaction des besoins propres aux Nègres Africains,
qui, transportés par l’émigration sur le sol américain, n’y ont
pas renoncé à leurs habitudes les plus chères, devenues de
véritables besoins, comme la mastication du Kola.
D’autre part, il ne faut pas oublier que le Kola est fortetement consommé au Brésil, ainsi que l’indique le docu-ment
suivant tiré de « Indische Mercuur » (Amsterdam, 29 nov. 1890):
(1) Sur certains points delà côte et en particulier du royaume du Dahomey, il
était, avant la défaite de Béhanzin par les armes françaises, absolument interdit
aux commerçants Européens délaisser sortir le Kola du pays, tant cette graine est
considérée comme de première utilité pour les Africains.
�EDOUARD HECKEL
« L'observation suivante fut faite dans un discours de sir Alfred
» Maloney K. G. M. G, Gouverneur de Lagos, à l’occasion de l’ou» verture de la navigation à vapeur avec le Brésil, le 13 août
» dernier : Considérant la rapide traversée qui peut être effectuée
» à présent, comparée aux voyages des voiliers, le commerce
» du Kola peut s’étendre considérablement, surtout quand on
» sait qu’il y a une forte demande au Brésil pour cette graine,
» et que tout ce qui coûte ici 5 s. (>cl, obtient là-bas le prix de 6 s. »
Beproduisons, en outre, en raison de son importance, la
lettre suivante du consul Stevens, à Bahia, au « Foreign office »
à Londres, constatant l’existence réelle de ce commerce :
« Bahia, le 6 septembre 1890.
n Mylord,
» J’ai l’honneur d’attirer l’attention de Votre Excellence sur
» la force des nègres de l’Afrique Occidentale ; ils peuvent tra» vailler très-longtemps, soulever des objets très lourds et les
» transporter à de grandes distances ; on dit que la forte
» consommation qu’ils font des noix de Kola en est la cause,
» suivant l’opinion et l’observation personnelle des commerçants
» de l’Afrique Occidentale. J’apprends que la noix de Kola sera
» employée dans l’armée française, d’après des expériences
» faites à Marseille, par M. le Docteur Heckel, professeur à
» l’Ecole de Médecine de cette ville.
» Dans notre port, les portefaix de l’Afrique Occidentale qui
» mangent du Kola, et portent sur eux la fève enveloppée
» dans des feuilles de banane, sont physiquement considérés
» comme des hommes moins bien bâtis que les nègres Brési» liens, et pourtant, en mâchant sans cesse du Kola, l’Africain
» peut faire un travail et supporter une grande fatigue, ce
» dont un portefaix brésilien n’est pas capable. Là où, par
» exemple, on a besoin de 8 nègres brésiliens pour porter un
» fardeau avec beaucoup de peine, ce même fardeau est enlevé
» facilement par 4 portefaix Africains, qui chantent en mar» chant, même quand ils montent une colline, mais toujours
» avec un morceau de Kola dans la bouche.
. » Comme on paie ordinairement le débarquement au poids,
» les escouades africaines, qui sont composées d’un plus petit
�LES KOLAS AFRICAINS
» nombre d’hommes, gagnent le double, et tandis qu’elles épargnen
» l’argent, le nègre brésilien vit au jour le jour, boit du rhum
» croyant que cela le fortifie, dépensant trois fois ce que pai
» l’Africain quotidiennement pour les noix de Kola. Celles-c
» ne donnent pas d’ivresse, sont très nourrissantes, bonnes poui
» la soif, pas excitantes, et procurent de la force et de b
» fraîcheur.
» Il m’est arrivé qu’un sac de sucre, pesant 80 kilog.
» après avoir été refusé par un nègre portefaix bien portant
» jeune et bien bâti, qui ne pouvait pas le déplacer, étai
» facilement emporté par un nègre africain âgé, qui, aprèi
» avoir pris un morceau de noix de Kola dans la bouche, 1<
» transportait pendant une distance de quatre lieues en cint
» quarts d’heure, sans l’enlever une seule fois de la tête. J<
» pourrais rapporter encore beaucoup de cas pareils.
» Le Kola arrive ici de Lagos, et n’est jamais très-frais. I
n est meilleur pendant la récolte ou peu de temps après
» chaque fève est vendue de 2 d. à 3 d., cela dépend de
» fraîcheur.
» Ün petit morceau de la noix est mis dans la bouche et
» mâché, jusqu’à ce qu’il soit peu à peu avalé. Je ne doute
» pas que cette noix de Kola soit bien connue du Gouverne» ment de Sa Majesté, mais ayant souvent démontré leur utilité
» dans ma correspondance particulière à M. Wyndham, de
» Rio-Janeiro, Son Excellence me conseillait de rapporter les
» faits à Votre Excellence, pour les faire parvenir au Minis» tère de la Guerre.Ci-joint,,
je vous envoie une douzaine
» de noix de Kola, prises d’une balle qui vient d’être importée
» par un négrier de Lagos.
» Signé : Geo.-Alex. S teven s , consul. »
Quant au commerce d’importation en Europe, il va crois
sant rapidement depuis une vingtaine d’années, si l’on en juge
par le tableau suivant extrait du Report of the progress *and
conditions of the Royal Gardens at Kew (année 1880, p. 14)
Livres anglaises
En 1860l’importation futd’environ : 150,000 =
En 1870
—
—
— 416,000 =
En 1879
—
—
— 743,000 =
55,960 k
145,168 k
378,625 k
�68
ÉDOUARD HECKEL
Voici sur le Kola exporté du Gabon, la statistique pour la
récolte de janvier et février 1891 :
Poste de Lambaréné (Ogooué). — Janvier = 1432 k.
Février = 500 k.
D’autre part, M. Goujon me donne sur cette exportation
de Libreville (Gabon) les renseignements suivants : « La quan» tité de Kola qui se trouve dans le pays a de beaucoup
» dépassé les besoins des indigènes ; depuis un an environ,
» certaines factoreries en ont un peu acheté, particulièrement
» la maison Woermann et C°, de Hambourg, qui en a expédié de
» 6 à 700 k. pendant le 3e trimestre 1890 (renseignement fourni
» par le service des Douanes dans le bulletin trimestriel de
» commerce, qui a été transmis au Ministère en février 1891) (1).
Le Kola s’achète par mesure à Sierra-Leone, qui est le
véritable marché de cette denrée sur le littoral. Chaque me
sure pèse environ 45 k. et se paie, selon la saison et la
disposition du marchand, depuis 50 fr. jusqu’à 150 fr. (2).
Arrivé à l’état frais dans la Gambie et à Gorée, le Kola
augmente de 45 p. 100 de sa valeur, et la même mesure
vaut de 100 à 250 fr. selon le prix d’achat à Sierra-Leone.
Une seule graine vaut à Gorée de 0 fr. 30 à 0 fr. 50 la pièce
selon la saison. Dans la capitale de notre colonie du Sénégal,
à St-Louis, où il s’en fait un commerce très important, elles
se vendent à 0 fr. 15 et 0 fr. 50 pièce, suivant la grosseur.
Je suis heureux de pouvoir transcrire ici en détail les
observations de M. le Dr Rançon, médecin de l re classe des
colonies, relatives au commerce du Kola dans le Soudau fran
çais, telles que les a rédigées à mon intention cet intrépide
(1) Dans le Journal officiel du Congo du 20 novembre 1891, on lit dans un article
intitulé : Renseignements commerciaux sur les produits de l’Ogowé, le passage
suivant. : « Noix de Kola (Terre Oyouga-Batéké). Production médiocre, pourrait se
h développer dans une large mesure. On en trouve aussi, mais en petite quantilé,
» dans les forêts habitées par les Obambas, sur la route de Franceville à Diélé. »
(2) D’après Virey (Sur la noix de Goura ou de Gourou. — Journal de Phar
macie, 1832, p. 702 ) : « Les Maures du Fezzan et de Tripoli payaient à cette époque
» deux piastres (11 francs), vingt de ces noix, ce qui fait 0,75 la pièce ». Le même
fait de pénétration du Kola, parles caravanes, jusqu’au Maroc, est confirmé dans
Report of the progress and conditions of the Royal Gardois at Kew (année
1880,p. 14), où on lit : « Le commerce du Kola s’est aussi répandu du centre de
l’Afrique jusque dans les ports africains de la Méditerranée. »
�LES KOLAS AFRICAINS
explorateur dès son retour de la mission qu’il vient ré
cemment de remplir dans la haute Gambie et dans le Sou
dan. Ces détails, qui empruntent une haute autorité à leur
auteur, ont trait à une région du Soudan toute différente de
celle qu’a parcourue le capitaine Binger, c’est-à-dire la haute
Gambie à peu près inconnue avant les voyages d’exploiration
de M. Rançon et la partie du Soudan français comprise entre
la Gambie, Kayes et Bammakou. Ils ont un grand intérêt puis
qu’ils touchent à une région française dont la conquête semble
complètement assurée depuis longtemps.
« Le commerce de Kolas qui se fait au Soudan français est
» des plus actifs. Nous pourrions même dire que c’est le seul
» produit qui fasse l’objet de transactions suivies et impor)) tantes ; à ce point de vue nous sommes absolument tribu)> taires des colonies anglaises de Sierra-Leone et de Ste-Marie
» de Bathurst. Le Kola pénètre dans notre colonie par plusieurs
» voies, mais les quantités qui nous viennent par la voie
» anglaise sont de beaucoup les plus considérables. Saint-Louis,
» qui, lui-même, le reçoit de la Gambie et de Sierra Leone,
» n’en exporte au Soudan par Bakel et Médine que dans de
» très faibles proportions. C’est surtout par Mac-Carthy que se
a fait l’importation pour tous les pays situés au Nord de la
» Gambie : Ouli, Kalon Kadougou, Sandougou, Bondou, Bam» boucle, etc.
» Nous avons pu, pendant notre séjour à Mac-Carthy, nous
)) convaincre de l’importance de ce commerce. Mais nous avons
» été heureux de constater qu’il était là tout entier entre les
» mains du négoce français que la Compagnie Française de la
» côte occidentale d’Afrique représente si avantageusement et
)) si dignement dans toutes ces régions. Les Kolas qu’elle
» importe lui viennent de Sierra-Leone par Bathurst ; c’est par
» balles du poids de 25, 50 et 100 kilogrammes qu’elle les
)> livre à ses clients de l’intérieur. Ils sont surtout échangés
» contre des produits en nature : arachides, cire, ivoire, caout» chouc.
» La seconde voie importante par laquelle le Kola pénètre
» au Soudan Français est celle du Fouta-Djallo. La ville où
» se pratiquent le plus les transactions commerciales concer-
�70
ÉDOUARD HËCKEL
» uant ce produit, le plus grand entrepôt est Kédougou dans
» Niocolo. De tous les points des régions situées entre le Niger
» et la Falémé, les Dioulas affluent et vont y faire leurs
» achats. C’est surtout du mois de novembre au mois de
» juin que les transactions sont les plus actives. Elles
» seraient encore bien plus considérables, si les almamys du
» Fouta-Djallo n’avaient pas frappé ce produit d’une taxe
» exorbitante. Ainsi, tout Dioula qui exporte le Kola, soit de
» Kédougou, soit d’un point quelconque du Fouta-Djallo ou de
» ses provinces tributaires, doit payer à la sortie une pièce
» de Guinée, ou sa valeur par charge d’àne (50 kilogrammes),
» et une demi-pièce ou sa valeur par charge d’homme (25 kilo» grammes). Cet impôt est énorme surtout si l’on songe que
» dans ces régions une pièce de guinée vaut de 18 à 25 fr.
» A Kédougou, tout le commerce des Kolas est entre les
» mains des Sarracolés et nous en avons vu qui opéraient sur
» de grandes quantités en réalisant de beaux bénéfices. Les
» Kolas leur sont apportés du sud par des Dioulas, Peulhs
» et Malinkés surtout. Les achats se payent en étoffes, sel,
» verroterie, poudre et principalement captifs.
» Le Kola jouit à Damantan (Haute-Gambie) et dans le . pays
» des Coniaguiés (contrefort du Fouta-Djallo), où j’ai pénétré en
» 1891, un des premiers non sans danger, de la même faveur que
» dans tout le reste du Soudan. Les Coniaguiés en sont
» particulièrement friands. J ’ai pu le constater à l’empres» sement avec lequel ils acceptaient les cadeaux que je leur
» faisais de cette graine. Par contre, ils trouvent difficilement à
» satisfaire leur gourmandise, car le Kola y est très rare.
» Bien que Damantan et le Coniaguié soient relativement peu
» éloignés de Kédougou (grand marché à Kolas du Nicolo),
» ils en reçoivent fort peu par cette voie. La plus grande
» partie de ce qu’ils consomment leur vient de Labé et surtout
» de Mac-Carthy : elle leur est apportée par les rares Dioulas
» qui sont assez hardis pour s’aventurer dans leur pays sau» vage fermé à tout étranger. Aussi, le prix en est-il exces» sivement élevé, si exorbitant même, que le Kola est consi» déré dans les régions comme une marchandise de luxe et
» qu’il y fait l’objet d’un commerce insignifiant. L’arbre à
�LES KOLAS AFRICAINS
71
» Kola est absolument inconnu dans les deux régions, mais
» j’ai la conviction qu’il y viendrait bien en raison de la
» nature du sol et du climat.
» Une autre voie de pénétration est celle du Diallon-Kadou» gou et du Dialloungala. Nous n’avons que des données très
» vagues sur son importance, n’ayant pas visité ces régions ;
» mais nous pouvons affirmer avoir souvent rencontré, dans
» nos voyages à travers le Bambouck, des Dioulas qui s’y
» rendaient pour y faire leurs achats.
» La plus grande partie des Kolas qui se comsomment sur
» les bords du Niger vient du Sud et de l’Est par les marchés
» de Tengréla, Kankan et par la voie du Fouta^Djallo (par
» Timbo et Dinguiray).
» On ne saurait s’imaginer l’importance de ce commerce
» dans les régions comprises dans la boucle du Niger, et
» dans les régions situées au Sud. Il n’y a qu’à lire l’ouvrage
» de Binger pour s’en rendre un compte exact. En parlant
» du commerce de l’importante ville de Kong, Binger dit :
» Les filles de l’âge de six ou sept ans vendent et colportent
» dans la ville des Kolas. » Et plus loin ; « Les femmes des
» petits marchands, qui sont forcés de passer au loin une
» partie de l’année, vivent pendant l’absence de leurs maris en
» vendant des Kolas, etc. » Nous relevons dans le passage où
» il décrit l’important marché de Bobodioulasou :
» Les Haoussas sont très nombreux ici, ils apportent tous
» du sel sur leurs ânes pour emporter des Kolas. » A propos
» du gros village de Ouakara, il nous dit que l’élément Peulh
» n’y est représenté que par quatre familles et que ce village
» fait un gros trafic de sel et de Kolas. » Plus loin il nous
» apprend que les caravanes qui se rendent du Sud vers le
» Haoussas « sont surtout chargées de Kolas. » Takla, dit-il
» plus loin, est un village fort prospère. « Les habitants
» s’occupent activement du commerce du Kola et bon nombre
» de gens de Kong et de Boualé viennent y faire provision de
» ce produit. » Ces quelques citations sont amplement suffi» santés pour montrer toute l’importance de ce produit au
» Soudan.
» Les Kolas qui parviennent à Bakel et Mac-Carthy sont
�EDOUARD HECKEL
» emballés dans de grands paniers à l’aide des feuilles très
n grandes d’un autre végétal congénère. Ces paniers pèsent de
» 25 à 100 kilogs environ. Ainsi préparée la graine se garde
» longtemps intacte et peut impunément se transporter. Mais
» dans l’intérieur, ce procédé n’est pas pratiqué. De sembla» blés charges sont trop lourdes et trop encombrantes pour
» les moyens de transport dont disposent les Dioulas. Tout,
» en effet, est porté dans ces régions sur la tète ou à charge
» d’âne, aussi l’emballage est-il tout différent. Les Kolas sont
» toujours enveloppés dans une grande quantité de larges
» feuilles d’un arbre congénère ou à défaut, de paille de
» fonio légèrement humide. Le panier, au lieu d’être rond,
» à une forme elliptique (l). Il est tressé à l’aide de jeunes
» tiges d’arbres et à mailles assez larges pour pouvoir assurer
» une bonne aération afin d’éviter probablement la fermentation
» des graines. Ils sont portés à tète d’homme et deux cordes
» fixées à sa partie antérieure permettent au captif de maintenir
» l’équilibre sans trop de fatique. Les charges des ânes sont le
)) plus souvent emballées dans de vieilles toiles ou des pagnes
» hors de service et solidement ficelées à l’aide de cordes de
» bambous ou faites avec des fibres de Baobab. C’est ainsi que
» les Kolas arrivent sur nos marchés de Bakel, Kayes, Médine,
» Bafoulabé, Kita, etc., etc.
» Le commerce de détail est des plus répandus. On peut
» dire que, dans tout le Soudan Français, il n’y a pas de
» village de quelque importance qui n’ait ses marchands de
» Kolas. Dans les centres importants, c’est au marché que se
» tiennent les trafiquants ; dans les petits villages c’est dans les
» cases mêmes qu’ils installent leurs produits. En tout lieu,
» ils ont rapidement écoulé leur marchandise.
» Les prix en sont excessivement variables. Ils dépendent
» surtout du plus ou moins grand éloignement des centres de
» production et de la plus ou moins grande abondance des
» arrivages. Dans certains villages du Bambouck, nous les
» avons vu vendre couramment dix centimes l’un. A Bakel, à
» Kayes et à Médine, ils sont un peu moins chers, et, à
, (1) Voir page 55, fig. 4,1a figure de ce panier, qui est, à peu de chose près,
semblable à celui qu’on emploie dans le delta du Niger.
�LES KOLAS AFRICAINS
73
» Bammako, il nous est arrivé de les payer en moyenne 15
« à 20 centimes la pièce. 11 faut dire aussi que, là, ils sont
« beaucoup plus volumineux que dans les régions situées
» plus à l’Est. En général, le Kola blanc est bien plus estimé
» que le Kola rouge (1). Aussi se vend-il plus cher partout;
» mais, en général, les deux variétés rouge et blanche sont
» mélangées à peu près en parties égales dans les achats.
» Nous ne saurions évaluer en argent l’importance de ce
» commerce, mais nous pouvons affirmer qu’il est très consi» dérable et doit donner lieu à un chiffre important d’alïaires.»
Sur les bords du Niger, les tribus de l’intérieur paient le
Kola (tant ils lui accordent de prix), jusqu’à 5 fr. la graine,
et dès‘qu’elle-y devient un peu rare, par manque d’arrivage
des caravanes, la môme graine y est estimée à la valeur d’un
esclave. Enfin, il n’est pas rare qu’auprès de certaines tribus
très éloignées de la mer, les marchands mahométans arrivent
à échanger leur poudre de Kola sec, contre l’équivalent en
poudre d’or. En tenant compte de cette progression croissante
des prix depuis la côte jusqu’à l’intérieur, on comprend aisé
ment l'importance qu’attachent les tribus à la possession de
cette graine, en raison des bénéfices qu’elle leur procure, et
on le comprendra mieux encore si l’on veut bien tenir compte
du rôle que joue cette graine, non seulement au point de vue
alimentaire auprès des diverses populations africaines, mais
encore dans la vie sociale et politique de ces peuplades, ainsi
que je vais le dire.
Il résulte, en effet, de cette multiple utilisation, que le Kola
n’est pas seulement une matière commerciale, mais encore une
substance capable de faciliter le négoce en disposant favora'(1) Le R. P. Sutter (de Bofla, Rio-Pongoj, m'écrit à ce sujet : « De plus, d’après
» tous les indigènes de ce pays, le Kola blanc est beaucoup plus actif que le Kola
» rouge. Pour bien faire saisir la différence qui existe à ce point de vue eatre ces
» graines, voici la comparaison qu’ils établissent. Si l’on mange un Kola blanc
» vers 10 b. du matin, on ne pourra pas dormir durant la nuit qui suit, tandis
» que pour obtenir le même effet sur un Kola rouge, il faudra le manger à 3 h.
» du soir. » Ainsi s’expliquerait la préférence des nègres pour le Kola blanc.
Nous reviendrons sur ce point important, dans la partie chimique de cette
étude.
�ÉDOUARD HECKEL
blement les vendeurs envers les acheteurs, qui se présentent
à eux, ce présent à la main (1).
Le prix du Kola s’est élevé considérablement dans ces der
nières années et notamment en 1890, après la publication de
mes travaux et les discussions dont les résultats ont été
l’objet à l’Académie de Médecine de Paris. Les deux principaux
marchés de ces produits sont : Bordeaux et Marseille, pour la
France ; et Liverpool, pour l’Angleterre.
Dans notre pays, en 1890, le prix du kilogramme de noix
de Kola sèches de la côte d’Afrique (rivières du Sud) s’est
élevé jusqu’à 8 et 10 fr., en droguerie. Mais ces prix ont
baissé depuis ce premier engouement et ont repris leurs cours
normaux de 1 et 3 fr. le kilo, qui sont rémunérateurs pour
le négociant et abordables pour le consommateur. Nous pou
vons suivre, du reste, les fluctuations de cette hausse de prix
pour 1890 dans le Indische Mercuur (1890, 29 nov.) Amster
dam), où nous lisons: « Pendant ces dernières années on a
» demandé à la côte d’Afrique des noix de Kola pour faire
» des expériences et pour en faire une préparation semblable
» au chocolat et au cacao. Suivant un correspondant dans la
» City, il y a eu cette année une grande augmentation du
» prix des noix de Kola, je crois d’environ 4 d. la livre,
(1) Nous trouvons dans Binger (Du Niger au Golfe de Guinée) plusieurs exemples
du rôle social que joue le Kola chez les peuples Africains qu’il a visités:
Ouahabou (11°6- lat. N. cl 5° long. E .).— Quelques musulmans du village vien
nent à leur Boukary et lui offrent des Kolas en lots de 5 à 20 fruits, mais toujours
présentés dans un coin de leur boubou (p. 34, Tour du Monde, 1891).
Salaga.— Pour me conduire à Kong, il me confia au fils d’un Haoussa qui
faisait retour avec du sel vers ce marché et lui adjoigni t un de ses propres captifs,
auquel je promis de donner une charge de Kola à son arrivée (p. 82, Tour du
Monde, 1891).
Kintampo.— Mon hôte Sâadou, prévenu la veille de mon arrivée dans la ville,
envoya un vieillard au devant de moi pour m'offrir, de sa part, 10 beaux Kolas
rouges, ..... Je fus admirablement reçu par Sâadou qui m'envoya de beaux
cadeaux en vivres, etc., et beaucoup de Kolas (p. 87, Tour du Monde, 1891).
Kintampo — Pour voir le principal trafic, il faut vivre de la vie des habitants,
passer des heures à siester en compagnie des diatigués, en mâchant force Kola
(p. 90, Tour du Monde, 1891).
Salaga.— Leroi de Pambi a pour titre Ouroupé, titre qui a dû lui être donné
par les Mandé, quand, jadis, il percevait 100 Kolas par charge... (p. 76, Tour du
blonde, 1891).
�LES KOLAS AFRICAINS
7o
» jusqu’à 2 s. et 2 s. 6 d. (3 fr. 20) la livre anglaise; et
» cette augmentation est due à un acheteur qui a pris tout
» ce qu’il a pu trouver pour en faire des préparations de
» Kola. Les prix actuels, excessivement élevés, encourageront
» sans doute les expéditions de tous les points de production
» et le marché sera tellement abondant que les prix bais» seront (1). Des rapports commerciaux du Ckemist and Druggist,
» on voit que la situation des noix de Kola est comme ci-après :
» 18 octobre 1890 : « Les noix de Kola sont en hausse cette
» semaine et nous croyons qu’à Liverpool on côte 2 s. 9 d.
» (3 fr. 40) la livre de graines bien séchées (442 gr.), quoiqu’on
» ait appris un arrivage d’environ 50 balles. A l’enchère d’au» jourd’hui on a vendu un fût de Kola et cette semaine on a
» payé pour des graines bien séchées 2 s. 2 d. à 2 s. 3 d. la livre
» (2 fr. 70 et 2 fr. 80).
Emploi, Usage, Vertus, Symbole. — Le Kola est l’excitant par
excellence chez les nègres africains, et à ce titre, comme le café chez
les Orientaux (2), il est servi à tout propos et hors de propos.
Dans les tribus où le Kola n’est pas spontané, aucune tram
saction de quelque nature qu’elle soit ne peut se faire sans
que ces graines interviennent soit comme cadeau, soit pour
être mâchées séance tenante. S’agit-il d’une alliance entre tri
bus, les chefs échangent des Kolas, mais alors des Kolas blancs,
cette couleur étant chez les Africains, comme au milieu des
peuples civilisés, le signe de la paix et de la bienvenue. Au
contraire, faut-il déclarer la guerre, on envoie à l’ennemi des
Kolas rouges. Toute demande de mariage est accompagnée
d’un Kola blanc offert par le prétendant à la mère de la jeune
(1) C’est, en effet, ce qui s’est produit dès les débuts de l’année 1890.
(2) Voici sur ce point un témoignage qui s’impose à notre attention, c’est celui
du Dr Nacktigall dans son Sahara et Soudan (1881) : « La noix de Gourou, dit-il,
» est devenue pour les gens du Bornou et Haoussa, un aliment tout aussi indispen» sable que le café et le thé le sont pour d’autres peuples, et quand une mauvaise
» récolte ou la guerre en diminuent l’importation, cet état est considéré comme une
» calamité générale.On fait les plus grands sacrifices pour s’assurer cette jouissance
» quand on en a été privé pendant longtemps, et le Kanouri n’bésite pas à vendre
» dans ce but, son cheval, son plus grand bien dans ce monde. L'offre d’une noix
» de Gourou est toujours considérée comme un signe d’amitié spécial. »
�! 'IT
EDOUARD HEGKËL
ii Ile (1). Si la réponse est envoyée sous la forme d’un Kola
de la même couleur, c’est que la jeune fille est libre ; si le Kola est
rouge, c’est le refus. Lorsque le mariage doit se consommer, une
abondante provision de Kola est de rigueur, sous peine de
rupture, dans les cadeaux de noce faits par le fiancé. Parfois
même, s’il faut en croire René Caillé, cette précieuse noix sert à
ramener la paix dans les ménages troublés, comme celui de
son guide Kai-mou, qu’une noix de Kola partagée avec sa
femme réconcilia avec cette dernière qu’il avait rouée de coups
quelque temps auparavant.
Telle est la valeur accordée à ce produit que, dans l’inté
rieur, l’offre de quelques-unes de ces noix, et même d’une
seule, est considérée comme une grande politesse, qui, lorsqu’elle
vient d’un chef à un voyageur blanc, prend le caractère
d’une assurance de bienvenue, d’amitié et de protection, à la
condition toutefois que la couleur de la graine soit blanche (2).
(4) Voici comment s’exprime sur ce point le colonel Galliéni dans son rapport
sur Sa m ission dans le haut Niger et a Ségou (Bullet. de la Soc. de Géographie
de Paris, 7e série, T. IV — 1883). « Quand un Bambara on un Malinké veut épouser
» une jeune fille, il envoie au père un cadeau de 10 Kolas blancs. Le père, s’il ac« cepte, répond par un cadeau semblable ; en cas de refus, il envoie un Kola
» rouge. Le demandeur, s’il est agréé, ajoute un cadeau de Cauris et de poulets des» tinés au repas du mariage. Il peut ensuite emmener sa femme, mais le père
» réclame aussitôt la dot fixée généralement à 30 ou 40,000 Cauris. Puis une petite
« fête avec accompagnement de chants et de danse, finit cette simple cérémonie, n
(2) Je relève les passages suivants très significatifs dans « Voyage aux
sources du Niger n par MM. Zweifel et Mouslier (Bulletin de la Société de
Géographie de Marseille, 7e série, année 1881, p. 128): « ....... Pewa, roi des
» Limbahs, nous donna des Kolalis blancs, en signe d’amitié, et un anneau d'or.
» Je ne dois pas passer sous silence la description du Kolah, qui fait partie des
» usages quotidiens des noirs de la côte occidentale et qui est intimement lié à leurs
» mœurs. Le Kolah est un Iruit qui ressemble beaucoup au marron sauvage.L’arbre
« qui le porte a les dimensions d’un noyer. La gousse qui,recouvre le Kolah est
» grosse comme un gros concombre et en a presque la forme. Elle contient dans ses
» cellules dix à quinze de ces fruits, qui sont fort amers. Ils laissent pourtant un
» arrière-goût douceâtre. 11 y a des Kolabs rouges et des Kolahs blancs. L’arbre qui
» produit ces fruits se trouve depuis la côte jusqu’aux plateaux de l’intérieur, où on
h le perd de vue. L'achat et la vente de ces fruits font l’objet d’un commerce très
» important dans lout le ncrd et l’ouest, de l'Afrique ; on le paye parfois jusqu’à
» 100 francs les 30 kilog. On attribue à ce fruit la vertu de conjurer la faim et de
« rendre potable l’eau saumâtre ou stagnante. Aussi, quand ils doivent faire un
voyage de quelque durée, les noirs se munissent-ils de Kolahs.
« On envoie des Kolahs rouges à ses ennemis pour leur déclarer la guerre. Au
�LES KOLAS AFRICAINS
77
Binger, au sujet des emplois superstitieux du Kola, raconte le
fait suivant :
« Ouolosébougou — (11° 9’ lat. N. — 10° 1 long. E). Depuis
» une huitaine de jours nous avions un nouveau voisin. C’était
» un noumou (forgeron) du Ouassoulou, qui était Kokoroko (1) et
» qui exerçait aussi le métier de Kéniélala (de prédire l’avenir,
» sorcier). Cet homme vint me voir plusieurs fois dans la même
» journée. Intrigué de ces fréquentes visites, je pensai qu’il avait.
» probablement à me parler. Pour ne pas l’interroger brusque» ment, je me décidai à aller lui demander la bonne aventure.
» J’entrai donc dans sa case, dont il referma soigneusement
» la porte. Après quelques mots échangés, il me pria d’aller
» chercher mon fusil et d’apporter huit Kolas rouges et huit
» Kolas blancs. Dans sa case, il avait un petit tas de sable
» fin ; d’un seul coup, avec un petit balai, il l’étendit devant
» lui en forme d’éventail. Alors, après m’avoir fait promettre
» de taire ce que le sable (kénié) m’apprendrait, il plaça le fusil le
» long du diamètre de la figure et traça rapidement dans le
» sable, avec le doigt, des signes cabalistiques ; puis il me
» fit tenir un demi Kola rouge et un demi Kola blanc au
» dessus du sable. Pendant une minute environ il marmota
» quelques paroles ; à partir de ce moment mon rôle était à
» peu près terminé, je n’avais plus qu’à manger, séance
» tenante, les deux moitiés de Kola et à étendre les mains
» au-dessus du kénié pendant les trois opérations suivantes :
» un Kola rouge entier est placé au centre, les sept Kolas
» blancs sont rangés en demi-cercle et relevés dans l’ordre
» inverse, puis la même chose est faite avec les Kolas rouges.
» lieu de lever la main droite, on jure sur le Kolali et on en mange. Quand un noir
» voulant absolument faire un présent n’a que des Kolalis rouges, il a bien soin en
» les offrant de dire : a Si j’avais pu les rendre blancs je l’aurais fait », afin d’aller
)>au devant d’une impression défavorable. »
Le IY Crozat, (Voyage au Mossi, août 1891) donne l’indication suivante : « à Oua» guudoufjou chez le Naba : « J ’allais me retirer pensant avoir déplu lorsque le
» Naba revint apportant des Kolas ».
(1) Le nom de Kokoroko, comme nous l’avons vu, est donné au Kola dans la
région de l’Ouest africain (d’après ScbveinfurLh : Au pagscles Niams-Niams, voir
ici même- la page 39) peut-être en souvenir de la caste qui en a monopolisé la
vente et le commerce au Soudan.
�78
ÉDOUARD HECKEL
» Cela terminé, on peut demander an devin tout ce que l’on
» veut, sauf de rendre les Kolas qui sont pour lui ; ils consti» tuent ses petits bénéfices. »
Dans l’ordre religieux et judiciaire, l’importance du rôle
du Kola n’est pas moindre. Tous les serments se prêtent sur
ces graines et de la manière suivante : le nègre étend la
main sur ces semences, jure et les mange ensuite (1). A la
mort d’un ami, l’ami place pieusement quelques Kolas sur son
corps pour lui permettre sans doute de faire le grand voyage,
aucune route un peu longue n’étant entreprise par un Africain
sans une provision de ces graines, qui peuvent, par leur
vertu, dispenser le voyageur de toute autre nourriture. Enfin
les Mahométans n’hésitent pas à affirmer aux croyants que
c’est un fruit d’origine divine apporté par le prophète en
personne.
Au sujet du rôle que joue le Kola dans la vie des indi
gènes au Soudan français, je suis heureux de pouvoir placer,
à côté des observations du capitaine Binger, celles non moins
importantes du docteur Rançon, médecin de l re classe des
Colonies, l’éminent explorateur de la Haute-Gambie et du Sou
dan, qui, comme on le verra dans un autre chapitre (Emploi
stratégique du Kola), a fait sur lui-même et sur les animaux
qui raccompagnaient, l’emploi méthodique de cette graine durant
une mission scientifique récente qu’il vient d’achever en fin
1892, dans ces régions de l’Afrique tropicale. Je lui cède la
parole d’autant plus volontiers qu’il a bien voulu, sur ma
demande, rédiger les notes suivantes dans le but unique d’en
faire profiter les lecteurs de ce livre :
« Le Kola joue, au Soudan français, un rôle important dans
» la vie des indigènes. Il suffit, pour s’en convaincre, de lire
» les relations des voyages faits dans ce pays par les différents
» explorateurs qui l’ont visité. Il a fallu que les noirs trouvent
(1) Voici un passage du Dr Crozat (Voyage au Mossi, août 1891), qui montre
bien l’importance de ce serment : « a Ourokoy — Les Bobos sont sans pudeur,
» mais cependant ils ne dévalisent jamais les voyageurs dans leur village... A
» Fakémas (chez les Bobos), un de mes hommes se plaignit à moi qu’on lui avait
‘ » volé trois pagnes neufs de li valeur de 2,o(J0 cauries. 11 accusait son hôte : celui» ci, pour se disculper, dut faire, devant le village assemblé, le serment du Kola. »
�LES KOLAS AFRICAINS
» au Kola des propriétés bien salutaires pour qu’ils le tiennent
» en si haute estime. Dans presque toutes les circonstances de
» leur vie sociale, on les voit utiliser cette graine. Ainsi, chez
» les Bambaras et les Malinkés, s’agit-il d’un serment, c’est
» sur le Kola qu’ils jurent. Voici comment on procède à cette
» cérémonie. Une contestation s’élève-t-elle entre deux noirs,
» un homme en accuse-t-il un autre, les anciens et les notables
» devant lesquels est portée l’affaire font comparaître l’accusé.
» S’il nie ce qu’on lui reproche, on lui fait prêter serment
» sur le Kola. Pour cela, le forgeron principal ( il ne faut
» pas oublier que les forgerons sont les prêtres dans les pays
» Malinkés, Mandingues et Bambaras) prend un Kola bien sa,in.
» Il fait placer devant lui l’homme qui va jurer, puis, allu» niant un petit feu de paille, y flambe le Kola, sans doute
n pour le purifier. Le prenant ensuite de la main gauche, il
» le pique en maints endroits avec la pointe de son couteau
» en prononçant la formule du serment. Ces piqûres sont
» faites pour bien montrer que le Kola est sain. Voici la for» mule la plus ordinaire de ce serment : « Je jure que je n’ai
» pas fait ce dont on m’accuse ; si je mens, je ceux que ce Kola
» que je vais manger m’empoisonne dans tant de jours. » Cette
» formule est répétée mot par mot par l’accusé, au fur et à
» mesure que le forgeron la prononce. Ceci fait, le Kola est
» immédiatement mangé en entier et celui qui vient de jurer
» est tenu de boire une calebasse d’eau pourbien prouver
» qu’il ne triche pas. Ce serment est le plus terrible qu’un
» Malinké ou un Bambara puisse prononcer : il est bien rare
» qu’il l’accepte s’il se sent coupable. Sans doute, il pourrait
» aussi bien jurer sur le kouskouss, le poulet, la viande ;
» mais, aux yeux de tous, les serments ainsi prononcés ne
» valent pas ceux qui sont prononcés sur le Kola.
» Autre fait. Il me souvient avoir lu quelque part, et dans
» je ne sais plus quel récit de voyage, que lorsqu’un Malinké
» ou un Bambara voulait demander une jeune fille en mariage,
» il envoyait au père huit Kolas blancs. Si celui-là acquiesçait
» à la demande, il renvoyait au prétendant deux Kolas blancs;
» dans le cas contraire, il lui faisait parvenir un Kola rouge.
» Dans les offrandes que les Bambaras et les Malinkés font
�80
ÉDOUARD HECKEL
» à leurs divinités, ce sont toujours les Kolas qui sont en plus
» grand nombre. Je n’ai pas besoin de dire que, seuls, les
» forgerons en profitent. De même, ils déposent des Kolas sur
» la sépulture de leurs parents et de leurs amis les plus chers.
» Si on vent faire grand honneur à un chef, on lui offrira
» toujours des Kolas et de préférence des Kolas blancs. Tous
» ceux qui ont vécu au Soudan en ont reçu et donné bien des
» fois durant le cours de leurs voyages dans cette région.
» Enfin, si On mange un Kola, la plus grande faveur que l’on
» puisse faire à un noir est de partager avec lui. Dans ce cas» là, on doit détacher les deux cotylédons qui sont unis entre
» eux et en offrir un à son convive. Nous pourrions multi» plier à l’infini les exemples et les faits de ce genre. Ceux
» que nous venons de citer suffisent amplement, croyous-nous,
» pour démontrer combien le Kola jouit d’une haute estime
» chez les peuples du Soudan.
» Il y a longtemps que le noir a reconnu combien cette
» graine précieuse avait sur son organisme une heureuse action.
» Il lui attribue toutes sortes de vertus curatives. Il l’emploie
» couramment contre les migraines, céphalalgie, diarrhées,
» dysenteries, et surtout contre l’impuissance. Mais c’est prin» cipalement quand le noir a une longue course à faire qu’il
» s’en sert de préférence. Il dit que le Kola le fait marcher
n plus vite, calme 1# soif, empêche la fièvre, fait trouver l’eau
» la plus mauvaise excellente, et. enfin remplace la viande.
» Le Kola les fait-il marcher plus vite ? Nous ne croyons pas
» que cette accélération de la marche soit exacte. Disons plutôt
» que son emploi rend la fatigue moins sensible et permet de
» marcher plus longtemps. A ce sujet, il me revient en
» mémoire, un fait que je tiens à relater ici et qui me semble
» probant. En 1888, lorsque j’étais commandant du cercle de
» Koundou, je reçus un jour un pli de M. le commandant
» supérieur du Soudan, avec ordre de le faire parvenir au
» plus tôt à M. le commandant du cercle de Bammako. Je fis
n immédiatement appeler le courrier habituel du poste,
» Ahmady-Silla, et lui donnai la consigne de se rendre dans
» le plus bref délai à Bammako. Je lui demandai ce qu’il
» désirait comme vivres de route : « du sucre, répondit-il, du
�LES KOLAS AFRICAINS
81
» biscuit et des Kolas. » Avec ce simple viatique, il s’engageait
» à être le lendemain rendu à destination. Je lui fis donner
» immédiatement ce qu’il demandait et il se mit en route
» aussitôt.
Le lendemain, à une heure de l’après-midi, je
)> recevais une dépêche deM. le commandant de Bammako
» m’accusant réception du pli. Mon homme était parti à dix
» heures du matin ; il avait donc mis 26 heures pour faire
w les 136 kilomètres qui séparent Koundou de Bammako. Il
» fit le trajet de retour sans désemparer, en un laps de temps
» aussi court, et quand je lui demandai s’il était fatigué, il
» me répondit : « non, pas beaucoup mais un peu, parce qu’il
» y en a bien bouffé gourou (Kola), (sic) ». Ce fait n’a pas
» besoin de commentaires.
» Le Kola calme la soif et fait trouver excellente l’eau la
» plus mauvaise. Comme preuve à l’appui de cette opinion
» des noirs, nous pourrions citer les noms de bien des
)) officiers qui, comme nous, ont fait, au Soudan, un usage
)) fréquent du Kola. Nous nous contenterons d’affirmer le fait,
» pensant bien qu’une expérience de près de cinq années, sur
» laquelle repose notre assertion, suffira pour convaincre les
» plus incrédules.
» Les noirs remplacent volontiers la viande par le Kola.
» Chacun sait que l’usage de la viande est très restreint dans
» les villages du Soudan. Il faut une circonstance grave pour
)) qu’on immole un bœuf. Aussi, les noirs mangent-ils souvent
» beaucoup de Kolas, et ils prétendent que cette graine peut
» remplacer la viande. Nous ne saurions dire jusqu’à quel
)) point ce fait est exact. Il me souvient qu’à Mac-Carthy,
» pendant le séjour que nous y fîmes en 1891, la plupart de
» mes hommes furent atteints par la fièvre, et de plus la
» viande manquait souvent. Aussi, leur donnais-je fréquemment
» des Kolas et ils ne s’en plaignaient pas, bien au contraire.
)) Les. noirs regardent encore le Kola comme un puissant
» aphrodisiaque. On sait combien les peuples primitifs
» tiennent à conserver le plus longtemps possible leur vigueur
» génésique. Aussi, les peuples du Soudan font-ils, dans ce
» but, une ample consommation de Kola. Jeunes, les hommes
a en mangent pour augmenter leur virilité ; vieux, pour la voir
�EDOUARD HECKEL
))
»
»
»
»
»
»
»
»
»
»
reparaître s’ils l’ont perdue, et il n ’est pas rare de voir des
vieillards réduire en poudre le Kola, à l’aide d’une râpe
qu’ils confectionnent avec de vieilles boites à sardines.
N’ayant plus de dents, ils sont obligés de le pulvériser pour
pouvoir l’avaler et l’absorber. Nous ne saurions dire si le
Kola possède réellement cette vertu si appréciée des noirs.
Tout ce que nous pouvons affirmer, c’est qu’il jouit universellement, au Soudan, de cette réputation, et qu’il donne
surtout aux jeunes gens une excitation assez durable et
génésiquement utilisable, si je puis parler ainsi. Je doute
qu’il agisse de môme sur les vieillards épuisés.
» Les indigènes ne se servent pas seulement du Kola dans
» l’alimentation et comme médicament. Ils s’en servent aussi
» comme teinture. Le Kola possède une matière colorante
» rouge dont ils se servent pour teindre leurs fils, et même,
» dans certaines régions, pour se teindre la barbe.
» Nous empruntons ces détails à l’excellent livre du capitaine
» Binger. Il dit, en effet, en parlant de Bobodioulassou : « On
» y trouve aussi des bandes de coton de Tagouara, des fibres
» d’ananas écrues, rougies au Kola ou teintes à l’indigo pour
)) broder les vêtements. » Plus loin, à propos des femmes de
Kong : « Les femmes s’occupent beaucoup d’utiliser les feuilles
)) d’ananas, en confectionnant du fil avec leurs fibres. Mis en
» écheveaux, ce fil est vendu écru ou teint en rouge minium, à
» l’aide du Kola, ou en bleu avec l’indigo, ou en jaune avec le
)) Souaran. »
« Nous ne croyons pas que, à part les régions visitées par
» Binger, le Kola jouisse au Soudan français d’une grande
)) faveur comme substance colorante.
» Nous terminons ce chapitre par quelques dernières cita)) tions destinées à bien montrer toute l’importance que le noir
» attache au Kola. Dans la relation de son voyage, Mage
)) rapporte le fait suivant : « Le 8 juillet J865, à 3 heures 10
)) minutes, Ahmadou se mit en marche ; en même temps, il m’en)) voyait 100 gourous par Samba N'Diaye, qui, comme un vrai
)) roué, au lieu de m’en dire le nombre, me dit : « Je t ’apporte
» des gourous. » Et il ni en donna quelques poignées, puis affecta
)) de chercher dans son guiba (poche sur le devant de la poitrine),
�LES KOLAS AFRICAINS
» de sorte que, croyant qu’il n’en avait plus que quelques-uns, je
v lui dis : « Si tu en as encore, garde-les pour toi. » Il ne m’en
)) avait donné que 32 et en avait encore 48, car les gourous se
» comptent, comme les cauris, 80 pour J00. Le soir, je le sus et
v lui en réclamai quelques-uns, et, bien qu’il dit les avoir tous
v mangés ou donnés, je lui en fis rendre 10 ou 15. C’était en ce
v moment une marchandise précieuse, car il allait falloir se
» tenir éveillé (1). » Plus loin, lors du siège de Sansandig, les
» habitants, pour narguer l’armée d’Ahmadou, leur criaient du
v haut des murs de la ville : « Allons donc, Fouta N’Ké (hommes
» du Fouta), venez donc au moins attaquer, il ne manque rien
» ici, voici des gourous. » Et, pour compléter l’ironie, ils leur
» lançaient des poignées de K olas. .
» Ces deux faits suffisent pour établir ce que nous voulions
» prouver et n’ont pas besoin de- commentaires. »
Le Kola, quel que soit le symbole qu’il représente, est em
ployé à titre d’excitant de deux manières différentes, selon
qu’il est sec ou frais. En général, à l’état frais, il est usité
comme masticatoire ; à l’état sec, comme aliment. Cependant,
dans les contrées du centre, les naturels mâchent la poudre
de Kola sèche comme d’autres mâchent du tabac. La saveur
de la graine fraîche est d’abord sucrée, puis astringente et enfin
amère. Ces diverses sensations produites par le Kola, s’expli
quent facilement en se rapportant à sa composition chimique,
telle que je l’indiquerai au Chap. II (glucose provenant du dédou
blement du rouge de Kola, tannin et enfin caféine et théobromine). Quand la graine devient sèche, l’amertume s’atténue et
fait place à une saveur plus douce (2). C’est probablement à
(1) A propos de ce passage du célèbre explorateur Mage, je ne puis ro’empêcher de rappeler ici que lorsque j’appelai l’attention du Ministère de la guerre
français sur les propriétés, jusque-là ignorées, du Kola et leur importante application
à la défense nationale, j insistai tout particulièrement sur l’utilité de son emploi
par les factionnaires et les hommes de grand'garde qui, dans les longues
campagnes, éprouvent souvent la plus grande difficulté à se tenir éveillés à un
moment où le sort d'une bataille dépend de leur vigilance. Le Kola chasse
le sommeil et ne laisse après son emploi aucune fatigue, je l’ai souvent
expérimenté moi-même et fait constater par mes amis.
(2) En faisant tremper dans l’eau pure pendant deux jours seulement les graines
ainsi desséchées et devenues moins amère's, on les voit reprendre à peu près toute
leur amertume primitive,
�EDOUARD HECKEL
cause de ce fait, que les indigènes, bientôt blasés sur l'amer
tume par l’abus du Kola, recherchent avidement la graine à
l’état frais. Ils donnent la préférence pour la mastication
aux semences qui ne présentent que deux fentes aux cotylé
dons (pour le Cola acuminata), prétendant qu’elles sont moins
âpres que les congénères à 4, 5 et 6 segments cotylédonaires.
Leur opinion à cet égard (l’analyse ne l’a pas justifiée que je
sache, jusqu’ici) est si bien arrêtée, que le prix de ces diverses
graines est fort différent, les premières étant mieux cotées que
les secondes. Cette mastication qui s’opère toujours en avalant
la salive, loin d’attaquer l’émail des dents, comme le fait le
bétel, contribue à raffermir les gencives et à tonifier les voies
digestives (1). Elle aurait de plus, selon l’appréciation, non
seulement des nègres, mais encore des innombrables Européens
qui, vivant dans ces régions, -ont eu le bon esprit d’imiter cette
coutume indigène, la propriété de rendre agréable et fraîche
l’eau la plus ensoleillée et la plus saumâtre, telle qu’elle
abonde dans ces régions torrides. Les mets les plus fades et les
plus ordinaires deviendraient eux-mêmes appétissants et délicieux
après l’usage du Kola. Une propriété bien connue et très appréciée
des indigènes et qui ne saurait être discutée, en tenant compte
de l’action physiologique de la caféine et du rouge de Kola,
principes actifs du kola, est celle de satisfaire, même pendant
longtemps, les exigences de la faim et de rendre ceux qui en
font usage, comme aliment ou comme masticatoire, propres à
supporter sans fatigues les travaux les plus prolongés. En
s’appuyant sur ces derniers faits, on a voulu dire que le Kola
remplit dans l’Afrique le même rôle que YErythoxtjlon Coca
dans l’Amérique du Sud, mais ce rapprochement est inexact,
car l’action physiologique de la cocaïne ne ressemble en rien à
celle du Kola. Il y a plus, tous les nègres savent fort bien que
(1) Dans la Colonie allemande de Cameronn, les soldats en font un grand
comme tonique et réconfortant (Schorer’s Famil. Blatt. 1888, n0 11, Dr
Wattsons). D’autre part,; voici l’appréciation du Dr Nachtigall (Sahara et Soudan)
sur ce point : « Les étrangers s’y accoutument très bien ; je me serais au besoin
plutôt passé de calé et de tabac que des noix de Kola et jamais je n’observai que ma
digestion ou mon système nerveux en aient souffert.» Burdo (Sénégambie et Niger)
dit que les noix fraîches sont fort appréciées des Européens et des Arabes qui sé
journent sur la côte occidentale d’Afrique et dans le royaume de Bornqu,
usage
�LES KOLAS AFRICAINS
cette graine, surtout quand elle est avalée en entier après avoir été
mâchée, ou quand elle est absorbée en poudre desséchée, a pour
eux l'inappréciable avantage de les garantir contre les flux
intestinaux, si communs dans les régions où la différence de
température nycthémérale, se joignant au manque de ressources
pour lutter contre ces influences atmosphériques, les expose à
de graves troubles fonctionnels (1).
Voici, d’après le célèbre explorateur Dibowski, le rôle com
mercial, social et économique du Kola au Congo (C. Ballayi) :
« Les populations fétichistes qui occupent seules les terrin toires compris entre le Loango, l’Oubanghi et jusqu’à 8° lat.
» N„ ne semblent nulle part attribuer au Kola autant de vertu
» que le font les Musulmans. Généralement, cette graine ne
)) fait même pas partie des cadeaux de bienvenue que présente
» le chef du village. Toutefois, dans la forêt de Mayombé,
a j’ai vu un chef de village voisin, lequel venait me prier de
» camper chez lui, m’apporter du Kola et se prosterner devant
» moi pour me l’offrir. Ce n’était pas cependant en cet endroit
» une denrée rare et, pour qu’il mit un tel cérémonial à
» présenter son offrande, il fallait qu’il attachât de l’impor» tance au fruit. Dans une séance de fétichisme à laquelle
» j’assistais, chez les Bakouniés, le sorcier avait, entre autres
» reliques, de vieux fruits de Kola desséchés.
» Les tirailleurs sénégalais qui formaient mon escorte
» étaient très avides du Kola, cependant, nulle part ils ne le
» payaient bien cher. Un fruit renfermant de 5 à 9 graines, se
a payait avec quelques clous dorés ou quelques perles. Dans
» l’Oubanghi, chez les Bonjos anthropophages, la valeur de ce
» produit était moindre encore. Je crois avoir dit que pour un
» müciho (barette de laiton de 0 m. 30 de long, valant 0 fr. 15),
» on avait presque autant de fruits qu’on en voulait. Les
» indigènes, voyant que nous les recherchions, allaient les
» cueillir sous bois et nous les apportaient parfois même un
(1)
Cette graine, connue de Clusius (Ch. de VEcluse], qui La décrite sous le
nom de Colle, lui avait été indiquée comme bonne pour l’estomac. 11 savait aussi
qu’après en avoir mangé on trouvait les boissons plus agréables : « Quamlibet
potum magis sapidum fieri prœmanso coles îructu. » (Dict. des Sciences natu
relles, t. X, 1818, Paris, Levrault, art. signé de Jussieu.)
�EDOUARD HECKEL
» peu pourris. Eux-mêmes mangent cependant cette graine ;
» ils la mâchent longtemps et se frottent ensuite les bras et
» le torse avec la pulpe rouge brun, qui résulte de cette
» mastication prolongée. Je les ai vus aussi insuffler de cette
» pâte sur l’épaule ou sur la poitrine d’un de leurs compagnons.
» C’était, me disaient-ils, pour les guérir de douleurs et
» leur donner de la force. Je n’ai nulle part remarqué qu’au
» Congo les indigènes fissent la moindre différence entre les
» Kolas rouges et les Kolas blancs.
» Dans l’Oubanghi, les arbres à Kola sont toujours respectés
» dans le débroussement, mais peut-être est-ce seulement à cause
» de l’ombre épaisse qu’ils donnent.» (Communications in litteris).
D’autre part, il est certain que ces graines, en exerçant leur
action bienfaisante sur l’estomac, ont un retentissement favorable
sur le foie ; une petite quantité mâchée avant les repas, de l’avis
de tous les blancs ayant habité ces régions, excite la digestion,
et leur usage continuel prévient les altérations constitutionnelles
qui engendrent, par défaut de nutrition, des maladies du foie,
auxquelles les nègres sont particulièrement sujets. Le Dr Daniell
(De la valeur nutritive du Kola) déclare qu’ayant souffert d’une
forme particulière de diarrhée atonique à laquelle les Européens
sont sujets, et qui ne reconnaît pour cause que le relâchement de
la muqueuse intestinale, il fut remis en mâchant du Kola. Je puis
ajouter des témoignages plus récents confirmatifs de cette asser
tion. Feu le Dr Delessard, médecin distingué de la marine, quia
séjourné longtemps à Médine et à Baltel, où le Kola est apporté
par les noirs du Bambouck et du Bondou, m’écrivait : « J’ai eu l’oc» casion d’apprécier par moi-même ses bienfaisants effets. Un jour
» que la fièvre, la diarrhée et la fatigue s’unissaient pour m’acca» bler après une journée de marche au soleil, je pus repartir à
» cheval le soir même après en avoir mâché et avalé seulement
» une noix. »
Pour ce qui concerne la noix de Kola du Gabon, [C. Ballayi
Cornu (Ombéné)] qui, comme nous le savons, est moins active
que celle des rivières du Sud, voici ce que dit M. Goujon,
de son emploi :
« Les Gabonais (Boulou, M’pongoué ou Pahouin) le man» gent tel quel comme aphrodisiaque, et aussi, disent-ils, pour
�LES KOLAS AFRICAINS
Si
)) donner bon goût à l’eau. Ils le recherchent moins que les
» Sénégalais qui en sont plus friands. Ils le mangent cru ou
» frais. Ils lui attribuent des propriétés aphrodisiaques, mais le
» regardent surtout comme lin aliment qui répare les forces.
» D’après Biram Lissé, chef sénégalais, interné à Libreville,
» qui a une réputation de vigoureux cavalier, le fruit de VOm» béné est bon en expédition et en station : en expédition,
» parce qu’il supprime la fatigue, fait supporter la soif et la
» faim ; en station, parce qu’il porte aux plaisirs du harem et
» entretient la vigueur virile. A sa recommandation, j’ai usé
» de Yombéné à la suite de fièvres qui m’avaient fort abattu et
» ruiné l’estomac. Je crois que son usage a ôté pour quelque
» chose dans mon rétablissement., et, depuis, j’en mange
» volontiers à la dose d’un tiers ou de la moitié d’une
» amende moyenne. Je me sens plus fort et plus reposé
» lorsque j’en ai fait usage et particulièrement je n ’éprouve
h jamais, après en avoir mangé, les lourdeurs d’estomac si
» fréquentes au Gabon. En revanche, il ne m’a pas semblé
» que, malgré sa réputation, l’usage de Yombéné fît supporter
» la soif, et j’ai, au contraire, généralement éprouvé le besoin
» de boire lorque j’en ai mâché. Je dois faire observer que je
n conserve longtemps dans la bouche le fragment que je
» ronge peu à peu et que je n’avale que par très-petits
» morceaux, par miettes, pour ainsi dire. »
Donnons maintenant l’appréciation de Binger (1) touchant les
emplois de cette graine, au Soudan : « Un des principaux articles
» d’échanges à Kong est la noix de Kola (Ourou en Mandé), qui
» constitue dans tout le Soudan un article de luxe et donne,
» par cela même, lieu à de très-importantes transactions. Les
» Soudanais lui attribuent les mêmes qualités que nous accor» dons au café. Pour l’indigène, le fruit mâché constitue un
» remède à bien des maux. A-t-il besoin de sommeil? Le Kola
» est un soporifique. Doit-il veiller ? c’est le Kola qui l’empêclie
» de dormir ! II calme la faim et la soif, et a, en outre, chez
» les noirs, la réputation d’être un aphrodisiaque incontesté.
(1) Bu Niger au Golfe de Guinée, 1892. Paris, Hachette, T. 1, p. 309 et suiv»
�88
ÉDOUARD HECKEL
» J’en ai usé le plus souvent possible pendant mon voyage ; chez
» moi, son action se traduisait surtout sur les nerfs ; il me
» semblait qu’il augmentait, dans certaines circonstances, ma force
)) de résistance et qu'il me permettait plus, facilement d’endurer
» les fatigues. Je l’appréciais surtout quand je n’avais à boire
» que de l’eau croupie ou chargée de substances organiques,
» sont goût étant excessivement amer, l’eau la plus mau« vaise paraît bonne à boire, après son emploi, et fait oublier
» l’odeur fade de la boisson qu’on vient d'avaler. Mais là où
» j’ai surtout apprécié le Kola, c’est par les services qu’il m’a
» rendus en me permettant d’en distribuer aux nombreux
» visiteurs que je recevais, c’est une politesse facile à faire,
» et, quoique le prix du Kola soit très-élevé dans certaines
» régions, mon approvisionnement en marchandises me per» mettait de faire des achats fréquents de Kola et de vivre
» en grand seigneur en en faisant de nombreuses distributions.
* » C’est avec le Kola que je me faisais des amis, et que je
» déliais la langue des noirs qui daignaient me rendre visite,
n Combien d’itinéraires et de renseignements portés sur ma
» carte et dans la présente relation ne sont-ils pas dus à l’àn propos avec lequel je distribuais cette consommation de
» luxe. Le Kola était donc pour moi un auxiliaire.
» Pour bien définir les propriétés du Kola, il faudrait en
» faire de minutieuses analyses et surtout pouvoir employer
>i en France le fruit frais et non desséché (1). Je le crois
» appelé à rendre de réels services. Pour l’Européen qui en use
)) au Sénégal, son bienfait est indéniable. Tous ceux qui s’ha» bituent à en mâcher s’en sont bien trouvés et ont été moins
» éprouvés par les fièvres. Pour moi, je crois que l’usage de
» ce fruit supprime l’essoufflement, prolonge le travail musculaire
» et calme assurément la faim. C’est un tonique par excellence.
» Je l’ai essayé dans une fièvre bilieuse hématurique ; mais
(1) J ’ai déjà dit antérieurement que cette appréciation ne repose sur aucune
donnée scientifique, elle est au contraire opposée à tout ce qui est connu touchant
l’action des principes fixes contenus dans les plantes. La graine fraîche ne diffère
comme action physiologique delà graine sècheque par ses propriétés aphrodisiaques
çlues à la présence d’une plus grande quantité A’huile essentielle.Celle-ci disparait
en grande partie par la dessiccation de la graine.
�LES KOLAS AFRICAINS
» les effets ne m’ont, pas paru d’une action diurétique (1) bien
» marquée ; il m’a pourtant semblé au moment où l’absorption
» immodérée de quinine m’avait donné des palpitations de
» cœur, que le Kola m’a tait uo bien réel.
» Je l’ai employé avec succès contre une diarrhée rebelle,
» mais je n’ai observé aucune action aphrodisiaque. Ce qui est
» acquis, c’est qu’il est excitant et produit sur certaines personnes
» l'elïet du café très fort. C’est uu médicament d’épargne ; il
» est probable, q u ’a v a n t p e u , o n s a u r a t i r e r p a r t i cle c e t t e p r é » cie u se p l a n t e e t de
» seron t
»
in tro d u its
destinées
se s
a lca lo ïd es
dans
certa in e s
a l ’homme
et
au
et.
que
b ien tô t
préparations
cheval en campagne .
le s
p rin cip es
alimentaires
»
Toutes ces propriétés justifient largement la préférence
accordée par les nègres d’Afrique à ces graines sur celles du
café, qui, cependant, croît à l’état sauvage dans ce continent,
y est de qualité supérieure (ttio-Nunez, par exemple), et
néanmoins resterait sur pied sans être consommé s’il n’était
enlevé pour les besoins de l’exportation. C’est encore ce qui
justifie l’engouement des Allemands, des Anglais et des Por
tugais pour cette graine, à l'exclusion de toute autre substance
de nature excitante, dès qu’ils ont vaincu les premières répu
gnances causées au début par l’astringence et l’amertume de
ses cotylédons charnus (2).
Il me reste à parler maintenant de deux propriétés qui,
d’un caractère plus douteux, ou tout au moins discutable,
méritent cependant d’être signalées, ne serait-ce que dans un
intérêt de curiosité et pour compléter autant qu’il est possible
l’histoire vraie de ce produit important. Nous touchons ici au
côté merveilleux de l’emploi de cette substance, nous le dis
cuterons. Non seulement les graines de Kola, après mastica(1) Cette observation est très juste, car il n’y a pas de principe réellement diuré
tique dans le Kola, sauf la théobromine dont l’action uropoiétique est aujourd’hui
indiscutable, mais la quantité de ce principe qui est renfermée dans le Kola est
vraiment insignifiante.
(2) Le l)r Daniell l'elate (lor.. ait.), à propos de l’influence heureuse du Kola sur
les fonctions stomacales, dont l’irrégularité et le trouble ont pour résullat fréquent,
on le sait, d’engendrer l’hypochondrie, que l’usage de cette graine réussit à mettre
un terme à une manie épidémique de suicide qui menaçait de dépeupler rapidement
la tribu dans laquelle elle était née.
fi
�EDOUARD HECKEL
tion, auraient, comme je l’ai dit, le pouvoir de permettre
impunément l’absorption d’une eau impure, mais encore, pro
jetées sous forme de poudre (graine sèche), ou de pulpe
(graine fraîche), elles rendraient limpide, en la clarifiant, l’eau
la plus trouble. Cette propriété pourrait s’expliquer par la
formation, au sein de la masse liquide dans laquelle la matière
végétale est projetée, d’une sorte de mucilage qui, agissant à
la façon du papier-filtre ou du blanc d’œuf, précipite avec
lui les impuretés que cette masse renferme. C'est du moins
ce qui nous a semblé se produire dans une expérience que
nous avons tentée pour éclaircir ce point, laissé obscur ou
douteux par beaucoup d’auteurs. Ce mucilage est abondant dans
la graine et plus encore dans le fruit du Kola : certaines
espèces de Cola eu sont plus pourvues encore que Cola
acuminata.
Enfin, de nombreux témoignages, tous plus probants les
uns que les autres, attribuent aux graines fraîches de Kola
des propriétés aphrodisiaques : les nègres, libidineux par nature,
les rechercheraient, moins pour les bons- effets qu’elles produi
raient sur leur santé, que pour l’excitation génésique qu’elles
engendreraient. C’est là une croyance très ancienne et répandue
sur toute la côte. Des documents provenant du Sénégal, de
Corée, de Sierra-Leone, de Wydah, du Gabon et de la Marti
nique (1) nous confirment cette donnée, due aux auteurs les
plus anciens (Bauhin et J. Virey) (2). Il serait fort difficile de se
(]) Voici ce que nous écrivait à ce sujet, en 1883, M. Thierry, alors Directeur
du Jardin botanique de Saint-Pierre (Martinique) : nous relatons spécialement ce
témoignage parce qu'il établit la confirmation d’un fait considéré comme exact
sur la côte occidentale d’Afrique : « Les nègres africains employés au Jardin
» recherchent ces graines avec avidité; c'est pour eux une sorte d’aphrodisiaque,
n Au Sénégal, il en est de même, et les graines de Kola ont une grande valeur
n pour les personnes qui recourrent à ces moyens. Cette propriété vraie ou
» fausse (aucune autre n’étant reconnue ici à ces graines) est la raison qui m’a
» empêché de propager jusqu’ici ce beau végétal. » A ce moment, qu’on veuille
bien le remarquer, je n’avais encore rien publié sur le Kola et ses propriétés
étaient inconnues; de là le langage de M, Thierry.
(2) Dans certains points de la côte, le Kola symbolise, paraît-il, la luxure. Un
correspondant très digne de foi nous écrit de Wydah (Dahomey), que lorsqu’une
négresse a laissé tomber ses regards sur un nègre, elle lui adresse comme témoi
gnage de ses sentiments tendres un cadeau composé de douze Kolas mâles et de
douze Kolas femelle. La réponse ainsi préparée ne doit pas se faire attendre. Au
�LES KOLAS AFRICAINS
91
prononcer d’une façon absolue sur ce point. Nos expériences
personnelles sont.fort contradictoires. Certaines personnes ayant
bien voulu tenter l’essai ont éprouvé manifestement ces effets,
d’autres y sont restées insensibles. Nous verrons ultérieurement
que les propriétés aphrodisiaques de cette graine résident dans
une huile essentielle qui y est contenue en faible quantité.
L’histoire des Kolas fournis par le genre Cola sera fort
avancée, si j’ajoute, comme le font remarquer Compiègne et
Marche (Voyages dans VAfrique centrale, Paris, 1875; et Oliver,
Flora of tropical Africa, I, p. 220), que le meme nom de Kola est
indifféremment appliqué à plusieurs graines de Sterculiacées
autres que celles des deux variétés (rouge et blanche) du Cola
acumincita. Ces dernières sont cependant, et avec raison on le
verra, les mieux cotées sur les marchés indigènes. 11 est très
probable, si l’on s’en rapporte aux données fournies sur les
espèces connues du genre Cola par M. Bâillon (Etude sur
Vherbier du Gabon, déjà citée), que les plantes africaines
capables de donner des graines similaires de celles du vrai
Kola sont : Cola Duparquetiana Bâillon, du Gabon ; Cola ficifolia (dont l’embryon charnu à cotylédons épais, obovales,
comprimés, remplit toute la graine) Mast. ; C. heAerophylla Mast.;
C. cordifolia R. Brown., etc. (1);peut-être Sterculia tomenlosa
Heudelot (2). Il est douteux cependant que les graines de ces
Kolas renferment de la caféine, car elles seraient probablement,
au cas de l’affirmative, aussi recherchées que celles du vrai Kola.
Nous avons fait, comme nous le montrerons bientôt, des recherches
sur la composition chimique de quelques graines du genre Cola,
Gabon, nous écrit M. Jobet (représentant de la maison Conquy aîné), quand les
femmes trouvent que leurs maris manquent de vigueur, elles vont aux planta
tions leur chercher des noix de Kola, dont les vertus mettent généralement la
paix dans le ménage pendant quelques jours.
(1) Malte-Brun (Géog. Univ. 6e édition, T. V, p. 621) dit que dans le district de
Si erra-Léo ne, l’écorce de Cola paraît être un quinquina. Ce renseignement est tiré
de Curry, Voyage a Sierra-Leone. Il nous a été impossible de nous procurer sous
ce nom d’autre écorce que celle du Cola dcuifiinata et du Garcinia kola, qui,
comme nous l’indiquerons dans nos recherches chimiques relatives à ce dernier
végétal, ne renferme aucun principe amer.
(2) Cette dernière espèce est vraisemblablement, ainsi que me l’écrit le célèbre
professeur Schweinfurtli, celle dont cet explorateur a constaté l’existence au pays
des Monboutous et des Nyams-Nyams (Voir pages 39 et 40).
�EDOUARD HECKEL
et la plupart d’entre elles ne renferment pas trace de prin
cipes excitants neuro-musculaires.
Le Cola acuminata, d’après Corre (loc. cit.) est encore employé
par les indigènes comme matière tinctoriale. Ses graines réduites
en pâte servent à donner aux étoffes de coton une couleur jaune
rouille. Sur ce point, voici ce que dit Binger(l): «à Groumania, les
» femmes s’occupent beaucoup d’utiliser les feuilles d’ananas et
» confectionnent du fil avec leurs fibres; mis en écheveau, ce fil est
» vendu écru ou teint en rouge minium à l’aide du Kola, ou en bleu
» avec l’indigo ou encore en jaune avec le souaran. »
« Le roi de l’Anno porte une barbe blanche à peine cultivée, dont
» l’extrémité (la barbiche) est teinte en rouge au Henné ou avec du
» jus de Kola. » Cette application est sans importance et permise
seulement à des personnages très riches, comme les têtes couron
nées du pays africain.
Matière médicale. — La seule partie de la plante qui nous
intéresse au point de vue bromatologique ou thérapeutique
est la graine : nous allons nous en occuper. Cinq à quinze
graines de Cola acuminata, avons-nous dit, peuvent être
renfermées dans chacun des 5 à 6 carpelles mûrs résultant
d’une fleur unique (2). Mais ce chiffre n’a rien de constant, et
il peut s’abaisser encore ; nous avons vu, en effet, des gousses
ne contenant qu’une seule semence. Il est donc bien loin d’avoir
la moindre fixité comme ont voulu le prétendre certains
auteurs (3).
Ces graines, quel qu’en soit le nombre dans une gousse,
sont fixées à l’endocarpe (lui-même constitué par un tissu
lâche et spongieux), qui, s’étalant sur leur surface, y fait naître
(1) Binger : Un Niger au Golfe de Guinée (Tour du monde) 22 août 1891, p . 116
et 122.
(2) Ces carpelles mesurent de 6 à 9 cent, de longueur sur 3 à 3 d’épaisseur, mais
ces dimensions sont très variables. L’épaisseur des parois du péricarpe spongieux
est de 2 à 3
environ. (Voir fig. 2, B et C, page 24).
(3) Grillon du Bellay, cité par Bâillon (Herbier du Gabon, Adansonia X 1871-73,
p. 169) s’exprime ainsi qu’il suit concernant le fruit et la graine du Kola du Gabon:
« 11 y a 5 graines pesant 5 gr. par chaque valve, et ces graines renferment 4 coty
lédons roses d’abord puis d’un rouge vineux. » Cette fixité dans le nombre des
graines et dans le nombre des cotylédons n’est pas plus rigoureuse pour le Cola
acuminata que pour le Cola Ballayi Cornu.
�LES KOLAS AFRICAINS
un empâtement basilaire régnant sur toute la région hilaire
(PI. I, ûg. 4). Cet empâtement forme ainsi un funicule très large
en cupule, rappelant tout à fait celui du marronnier d’Inde.
L’embryon homotrope (succédant à un ovule anatrope) qui
constitue en réalité toute la graine dépourvue d’endosperme,
a sa radicule tournée du côté du hile (PL I, fig. 4 et 2).
Constituées uniquement par des cotylédons charnus, les graines
sont dans chaque gousse au nombre de 4, 5 et jusqu’à 8,
variant de couleur dans le même follicule ou suivant la
variété qui les fournit, depuis le jaune clair (PL I, fig. 3)
jusqu’au rouge rosé (PI I, fig. 1 et 2). Ces cotylédons sont plus
ou moins distincts les uns des autres. La masse cotylédonaire,
en effet, le plus souvent divisée en deux parties seulement
par des fentes qui, de la base, s’étendent jusqu’à la gemmule
(PL I /', f fig. 2, 3) est parfois aussi partagée en quatre segments
absolument distincts et rattachés alors à l’embryon par un
support commun qui est toujours double. C’est un véritable
pédicule qui donne attache aux réserves cotylédonaires. Ces
segments cotylédonaires sont très multipliés surtout dans le
Kola du Gabon (Cola Ballayi M. Cornu) où on peut en trouver
jusqu’à 6 ou 7, la section qui les forme ne régnant pas de
la base au sommet de la graine comme cela arrive toujours
dans le Cola acuminata à cotylédons divisés. Les bords des
masses ou segments cotylédonaires sont toujours à leur point
de contact, quand la graine est fraîche (et ce caractère s’accentue
à mesure que la graine se dessèche à l’air), marqués par une
ligne plus foncée (PL I, fig. 3). Ces graines fraîches, dépouillées
de leur enveloppe, peuvent, suivant leur développement, atteindre
un poids qui varie entre 5 et 28 grammes. Quant à leur forme,
elle est très variable suivant la situation qu’elles occupent
dans la gousse, et rien dans cette forme ne peut fournir
d’indication précise ni sur le lieu de provenance, ni sur la
variété ou l’espèce qui l’a fournie. Toutefois, la graine de Kola
du Gabon est toujours plus petite que celle du Cola acuminata.
Ce caractère se joint à la multiplicité des segments cotylédouaires pour permettre de reconnaître l’origine de cette dernière
graine, même quand elle est sèche, et nous verrons que cette
diagnose a une grande importance au point de vue thérapeutique.
�94
ÉDOUARD HECKEL
La constitution anatomique de ces graines présente seule
une constance suffisante pour servir de véritable critérium de
détermination. Je veux la donner avec quelques détails en
raison de son importance comme moyen assuré de reconnaître
la substance malgré les nombreuses sophistications dont elle
est l’objet.
L’épiderme des cotylédons (PL I, fig. 5 et 7) est formé par
une couche unique ou double de cellules qui sont le lieu
d'accumulation principale des matières colorantes, que la graine
appartienne à la variété rouge ou à la variété jaune. Ces matières
colorantes se retrouvent du reste dans le suc cellulaire des
nombreuses cellules du parenchyme sous-jacent à l’épiderme ;
mais à mesure qu’on s’éloigne de l’épiderme pour atteindre au
centre, cette matière colorante devient de plus en plus faible (1).
Cet épiderme est à parois un peu épaisses, renforcées par un
enduit de cutine sur les graines très adultes, un peu vieillies
dans la gousse, mais rien de semblable dans les jeunes
graines. Au dessous de l’épiderme, quelques cellules du paren
chyme sont dépourvues de tout contenu autre que le suc coloré
et quelques albumines granuleuses. Mais avant d’abandonner
cet épiderme nous devons dire qu’il porte sur toute son étendue
des stomates (PL I, fig. 5) qui existent, en nombre restreint
très petits, autant sur la face convexe externe de la graine
que sur la face commissurale plane où cependant ils ne
paraissent remplir aucun rôle utile.
Le parenchyme cotylédonaire est formé par un amas de cel
lules dépourvues de méats intercellulaires ou à peu près, et
gorgées de grains d’amidon volumineux (0mm 024 de long sur
0 mm 016 de large) rappelant, sauf la position et la forme
du hile, les grains de la pomme de terre. (PL I, fig. 6).
Les parois de ces cellules amylifères sont minces. Si l’on laisse
séjourner, d’après MM. Chodat et Chuit (Loc. cit. p. 507) les
coupes dans de la potasse caustique, on peut, après disparition
de l’amidon, constater la présence d’un dépôt cristallin en
aiguilles, dépôt qui est formé par les alcaloïdes (théobromine
et caféine) propres à cette semence. Sur cette même coupe on
* (1) Dans la partie chimique de cette étude, nous nous occuperons spécialement
de cette matière colorante, employée par les nègres comme substance tinctoriale.
�—
LES KOLAS AFRICAINS
peut constater que les cotylédons sont traversés par des fais
ceaux très minces à parois peu épaisses et à cellules (sur la
coupe transversale) beaucoup plus petites que le reste du tissu.
La cellulose du parenchyme n’est pas du tout lignifiée, elle ne
donne pas du tout la caractéristique des membranes lignifiées
avec la phloroglucine et l’acide chlorhydrique.
Ces observations microscopiques montrent que la semence
de Kola a une caractéristique spéciale, résultant de sa très
grande simplicité de constitution, et qu’elle est formée par 1°
l’amidon, 2° les matières protéiques, 3° les matières colorantes,
4° les alcaloïdes, ce que confirmera l’analyse chimique. Il est bon
de noter en passant que nous trouvons par les faits que nous
révéle l’analyse microscopique, dans cette graine, tous les élé
ments constitutifs d’un aliment complet (sauf les corps gras qui
y existent du reste, mais en très faible quantité et pas à
l’état figuré) et très assimilable, la cellulose n’étant pas lignifiée.
Quand ‘les graines de Kola se dessèchent, qu’elles soient
de la variété jaune ou rouge, elles prennent uniformément la
même couleur rouge rouille (1) et perdent de 30 à 40 °/0 d’eau
par cette opération réalisée à l’ombre ou au soleil. Elles sont
alors sèches et dures comme du bois, difficilement attaquables
à la dent, lourdes. MM. Chodat et Ghuit (Loc. cit. p. 499) disent
qu’en se desséchant les graines de Kola prennent une odeur
nauséabonde, un goût âcre, et qu’elles perdent ainsi les qua
lités qui les font apprécier quand elles sont fraîches. Je n’ai
jamais rien constaté de semblable : les graines ont une odeur
assez franche au contraire et leur saveur n’a rien d’âcre. Tout
me fait supposer dès lors que les graines dont ont pu disposer
ces auteurs avaient subi un mouvement de fermentation. Eu
effet, les graines mal séchées et altérées seules prennent cette
odeur désagréable et jamais leur saveur n’est, âcre quand elles
n’ont pas subi un commencement de fermentation. Elles ne
doivent jamais être de couleur grise et friables à la surface,
car c’est l’indice de maladies parasitaires qui en altèrent la
valeur. Parfois, elles nous arrivent même noirâtres et friables par
plaques, comme charbonnées : nous avons déjà vu, d’après les
(1) Dans cet état, il est absolument impossible de reconnaître si la graine a
appartenu primitivement à la couleur rouge ou à la couleur blanc jaunâtre.
�EDOUARD HECKEL
indications de Nachtigall et les études de MM. Cliodat et Cliuit,
les causes de ces, altérations qui doivent en faire repousser
l’emploi (Voir page 60, note 1). Enfin elles peuvent être piquées
par les insectes, c’est un vice rédhibitoire. Nous avons vu,
page 54, note 1, comment, d’après M. Grodel, les indigènes du
Samo préservent les graines fraîches de Kola contre la piqûre
des vers (1).
Ordinairement, pour expédier les graines de Kola en Europe,
on se contente, dans les pays de production, de les faire
dessécher au grand air; mais, très souvent, les comptoirs de la
côte dirigent uniquement sur l’Europe des graines qui, en
raison de leurs faibles dimensions ou de la rapidité de leur
dessiccation ou de leur altération, ne pourraient supporter, à
l’état frais, un long voyage dans l’intérieur de l’Afrique. Aussi
arrive-t-il en Europe beaucoup de petites graines de Kola pesant
à peine 4 à 5 grammes. Si elles sont parfaitement saines,
il ne faut pas les rejeter, car leur richesse en • principes
actifs est aussi accentuée que celle des grosses graines.
Ces petites semences n’ont qu’un seul inconvénient, c'est celui-ci:
comme l’acheteur en ignore le plus souvent la provenance, on
peut leur substituer celles du Kola du Gabon, qui sont tou
jours de petite dimension, mais qui, du reste, se reconnaissent
aisément, pour un œil un peu exercé, à la multiplicité de leurs
segments cotylédonaires. Ces dernières graines ont moitié moins
de caféine et de théobromine (1 gr. 05 au lieu de 2 gr. 32 c/0),
moitié moins de rouge de Kola (Kolanine) 0,52 °/°, deux fois
plus de matière grasse (1 gr. 75 au lieu de 0 gr. 585 %) et
moitié moins de principes albuminoïdes tant solubles qu’inso
lubles (3,578 au lieu 6,761 %). La valeur de ce dernier Kola
du Gabon est, donc moitié moindre de celui du Kola des
Rivières du Sud (Cola acuminata). Voici du reste, par anticipa
tion, l’analyse complète du Kola du Gabon (Cola Ballayi Cornu)
due à M. Schlagdenhaufîen : elle a été faite par les procédés
(1) Les graines sèches piquées par les insectes coléoptères ne sont pas rares
dans les envois que lait Sierra-Leone en France ou en Angleterre : on reconnaît
facilement cette altération aux galeries qu’y ont creusées ces animaux. 11 faut
, les rejeter impitoyablement, car ces graines ont ainsi perdu une grande partie de
leurs principes actifs et notanimenl du rouge de Kola.
�97'
LES KOLAS AFRICAINS
qui seront ultérieurement indiqués à propos de la composition
chimique du Kola vrai. Elles renferment pour 100 :
jAmidon..................
Matière grasse.........1.75
Sucre, gomme, ma-J
Cendres....................
Matières ( sol... 0.844 ) «70 tièrea colorantes, r protéiques) insol. 2.734 î 'J' ,) L traces de tannin, t '• 4o Eau.........................
(Cellulose et ligneux.
Gaféineetthéobromine 1.05 Rouge de K ola... }
31.65
2.25
13.75
3S. 52
Ces graines du Kola du Gabon présentent à peu près la
même constitution histologique que celles du Cola acuminata,
aussi doit-on, pour les reconnaître, recourir à leurs caractères
extérieurs, et si on le peut à leur examen chimique. Il faut
le faire avec la même précaution et le même soin que l’on
Fig. 5. — Graine sèche du
Kola du Gabon (Cola
B allayi).
Fig. 6. — Graine sèche du
Kola vrai (Cola acu
minata) vue par sa
pointe inférieure (radi
culaire).
Fig. 7.— Graine sèche du
Kola vrai (Cola acuminala) vue par sa
face interne (commissurale).
apporterait à distinguer du Kola vrai une graine inerte de
Kola ou de toute autre plante, parce que l’emploi du Kola du
Gabon aux lieu et place de celui du Soudan (Cola acuminata)
donnerait des résultats tels, que l’attente du médecin ou du
consommateur pourrait être absolument déçue (1), à moins
d’en doubler les doses. Il faut, en effet, une dose deux
fois plus considérable de la première graine que de la
seconde pour obtenir une action physiologique équivalente.
(1)L’infériorité du Kola du Gabon est bien nettement établie par sa faible valeur
vénale sur les marchés Européens. Je lis en effet, dans les renseignements commer
ciaux du Journal officiel du Congo français (n° du 20 décembre 1891), que cette
graine est cotée, comme prix moyen de vente en Europe, à 0 fr. 40 cent, le kilo. Le
Kola de la côte occidentale d’Afrique (Rivières du Sud) ne descend pas, par contre,
au-dessous de 1 fr. à 2 fr. le kilo actuellement (Mars 1S93).
�98
ÉDOUARD HECKEL
Cette graine se reconnaît donc en somme assez aisément :
1° à ses faibles dimensions et à son poids très restreint ;
2° à la multiplicité de ses segments cotylédonaires (fîg. 5) au
nombre de 6 ou de 7, état qui est en opposition manifeste avec
la manière d’être des cotylédons indivis du Cola acuminata
(fig. 6 et. fig. 7), qui présentent chacune seulement deux
fentes transversales (fig. 7, f) perpendiculaires à la ligne de sépa
ration des cotylédons (fig. 6), et se réunissant au point radicu
laire; 3° à la couleur généralement plus foncée, noire et non
couleur brun marron. Nous reviendrons du reste sur le végétal
qui donne ces graines, dans l’énumération des plantes capables
de fournir des graines substituées ou mêlées au Kola. Si nous
en avons parlé si longuement ici, c’est uniquement pour montrer
que le Kola du Gabon doit être surveillé attentivement, parce
qu’il se mêle très souvent au Kola du Soudan (des Rivières du
Sud) sans qu’il soit bien facile de reconnaître le mélange, et il
fallait insister sur ce point (1).
Arrivés à l’examen, des différentes formes que peut revêtir
le vrai Kola sec, MM. Chodat et Chuit, dans leur étude sur le
Kola (2) ont établi en se basant, non sur les origines botaniques
mais sur les provenances, trois variétés commerciales de Kola
vrai, ainsi qu’il suit :
« 1° La variété (lenticuïaris) qui arrive de Londres, avec ses
» deux cotylédons fortement aplatis parallèlement à leur face
» commissurale ou inégalement renflés et obliques. Cette variété
» est généralement petite, d’une longueur maximum de 3-2 centi» mètres et d’une couleur grisâtre à l’extérieur.
» 2° Variété (ovoidea) provenant des colonies allemandes
» (Cameroun) : celle-ci se distingue de la précédente par ses
(1) Il ne faut pas oublier aussi que très souvent, et c’est probablement à cette
pratique qu’est due la couleur foncée de cette graine, le Kola dit du Gabon a subi
l’opération du terrage, comme nous l’avons vu page 53, note 1. Il en résulte que
la graine prend une odeur de moisi très désagréable et un goût particulier un peu
âcre dû sans doute à la fermentation de ses éléments composants. C’est encore
un caractère, mais qui n'a rien de spécial, car le Kola vrai, mal desséché pendant
les pluies, prend aussi ce goût de moisi, quelquefois il le perd par la torréfaction.
(2) Elude sur la noix de Kola (Archives des Sciences physiques eL naturelles
de Genève, 1888, p. 505).
�LES KOLAS AFRICAINS
■ieur
» cotylédons plus bombés, plus réguliers. La couleur
» est plus foncée, d’un brun rougeâtre. Leur poids n’est pas
» constant, il varie de 6 à 25 grammes. Quelques échantillons
» présentent trois cotylédons et, disent MM. Chodat et Cliuit,
» nous n’avons jamais rencontré cette anomalie dans la première
» variété.
» 3° Variété (Senegambica). Elle nous arrive par la France.
» Généralement encore fraîche, elle est d’une belle couleur rouge
» lie-de-vin. Quand on la brise, le tissu intérieur est d’un gris
» rougeâtre violacé. Le suc qu’elle contient semble un peu laiteux
» et il nous paraît probable que c’est à l’oxydation de ce suc
» que les semences sèches et les noix de Kola, en général, doivent
» le goût âcre et nauséabond qui se développe pendant la dessic» cation. »
Cette classification ne saurait subsister à l’heure actuelle.
D’abord, je l’ai déjà dit, la forme des graines est très variable
selon la position qu’elles peuvent occuper dans la meme gousse,
et si celles qui sont situées (voir fig. 2, B, C, E.) à l’extrémité
effilée de la loge capsulaire sont coniques et ovoïdes, les inter
médiaires prennent forcément une forme aplatie. Ensuite, il
faut remarquer que les variétés lenticularis et Senegambica qui
proviennent l’une de Londres et l’autre de France, ont absolument
la môme origine vraie. Elles viennent les unes et les autres de
Sierra-Leone, où se trouve le marché de cette denrée : c’est vers
cette ville anglaise que convergent, en effet, toutes les graines ou à
peu près qui, émanées des Rivières du Sud, de la côte des
Esclaves, du Dahomey, etc., sont exportées en Europe. De là, les
navires anglais les conduisent à Londres ou à Liverpool (qui sont,
comme nous l’avons dit, les ‘marchés anglais du Kola), et les
bâtiments français les apportent à Marseille ou à Bordeaux.
Or, toutes ces graines sont fournies par les variétés connues
du Cola acuminata. Le nom de variété Senegambica ne peut donc
pas plus subsister que celui de ovoidea, puisque le premier consacre
une erreur d’origine, et le second établit une caractéristique tirée
de la forme qui est sans valeur.
En outre, en ce qui touche la 3e variété (ovoidea) qui vient du
Cameroun, si je tiens compte : lo de ce fait que cette colonie
allemande est limitrophe de notre colonie du Gabon, 2° de la forme
�EDOUARD HECKEL
indiquée par MM. Chodat et Chuit, de la couleur foncée des graines,
et enfin de la multiplicité des cotylédons, je serai tenté de croire
que ce Kola de Cameroun se rattache à la forme spécifique Cola
Ballayi qui domine dans notre Congo, et donne la seule graine
capable d’entrer en parallèle avec celle du Cola acuminata.
N’est-ce pas le produit (1) d’un croisement de ces deux espèces?
Quant aux caractères indiqués par les auteurs de cette classifi
cation, comme tirés de la couleur des graines (grisâtre ou rouge lie
de vin), on ne doit pas oublier qu’elle tient le plus souvent à la
manière plus ou moins heureuse dont a été pratiquée l’opération
de la dessiccation ou encore à la couleur primitive rouge ou
blanche du Kola frais qui les fournit. On ne peut donc en tenir
grand compte.
Il résulte de cette discussion que toute classification du Kola est
inutile et on ne doit chercher à bien établir que l’origine botanique:
elle en dira beaucoup plus que la forme. Toutefois, il importe
comme nous l’avons vu de tenir compte de la multiplicité des
cotylédons, car c’est, là, avec la couleur noire, une preuve sensible
de l’infériorité du Kola. Par ailleurs, pour être sur d’avoir un boa
Kola, il convient d’y rechercher les qualités suivantes :
1° Odeur nulle et jamais nauséabonde; 2° Saveur astringente
et légèrement amère, puis sucrée ; 3° Couleur rouge de rouille
ou marron sur la face externe et un peu plus claire sur la
face commissurale ; 4° Pas de taches blanches pulvérulentes
ou noires par plaques, ni sur l’une ni sur l’autre face; 5° Tissu
résistant à la dent, cassant et sec, mais non spongieux et se
déprimant sous la dent sans se rompre ; 6° Pas de piqûres
d’insectes. Mais le caractère le plus important est tiré de
l’analyse, car ici, comme pour l’opium, ni les apparences ni
l’origine (sauf les réserves, ci-dessus indiquées), ue peuvent
suffire à donner des indications certaines. Il faut exiger d’un
bon Kola 2 gr. 33 environ de Caféine et Théobromine totalisées et
1 gr. 30 de Rouge de Kola (Kolanine de Knébel) o/o.
(1) Je n’hésiterais pas à admettre l’identification de ce Kola (variété ovoiclea de
MM. Chodat et Chuit) avec celui du Gabon, si l’analyse chimique qu’ils en donnent
ne comportait une teneur alcaloïdique de 2 gr. 34 % qui ne se retrouve jamais
, dans la graine du Kola Ballayi. Les analyses multiples que nous avons faites ou fait
faire de cette graine du Gabon, ont donné toujours le même résultat, soit 1. gr. 05%.
�LES KOLAS AFRICAINS
MM. Cliodat et Ghuit indiquent que, dans leurs analyses, ils ont
trouvé de 0 gr. 85 minimum d’alcaloïdes (Caféine) à 2 gr. 34 maxi
mum. En ce qui nous concerne (et nos résultats étaient déjà publiés
cinq années avant les leurs), nous avons trouvé constamment dans
le bon Kola de la côte occidentale d’Afrique (Rivières du Sud) une
teneur approximative de 2 gr. 35. Nos chiffres se confondent donc
avec ceux de MM. Cliodat et Chuit, ce qui confirme nos apprécia
tions au moins pour le maximum alcaloïdique indiqué par ces au
teurs. Mais nous n’avons jamais trouvé de chiffre égal à leur mini
mum d’alcaloïdes que dans le Kola du Gabon, ce qui nous inciterait
à admettre que leur analyse a porté sur des Kolas de cette espèce,
bien qu’ils ne citent pas cette provenance. Très probablement leur
Kola de Binué (affluent du Niger) qui est coté à 1 gr.,69 d’alcaloïde,
bien qu’il ne soit pas décrit par ces auteurs, appartient à cette
catégorie. Je suis conduit à l’admettre, en raison même de sa pau
vreté en caféine et du voisinage relatif de la Bénoué et du Gabon. Il
est fort probable, en effet, que le Kola Ballayi doit se trouver aussi
bien dans le Gabon-Congo qu’au Niger.
K ola
du
G abon
(Cola Ballayi Cornu
m ss.)
Après avoir examiné, dans les pages précédentes, le Kola
du Gabon au point de vue de la matière médicale et de sa
dispersion géographique, il convient de l’étudier ici au point
de vue de la botanique pure. Il importe, en effet, de justifier
la dénomination spécifique nouvelle que j’ai adoptée et de
montrer les différences morphologiques qui séparent cette plante
de celle qui donne le vrai Kola (Cola acuminala) avec laquelle
on l’a confondue jusqu’ici.
La seule description qui nous soit parvenue du Kola du
Gabon, observé dans son pays d’origine, est due à M. Griffon
du Bellay. Voici dans quels termes M. Bâillon la relate dans
son article Herbier du Gabon (Adansonia, T. X, p. 169), mais
sans attribuer à cette plante qu’il rapproche du Cola acuminata
la valeur d’une espèce :
« Griffon du Bellay a pris sur le vivant une description
» de cette espèce très commune, dit-il, surtout au bord des
» eaux et dans tous les lieux humides. Là (au Gabon), elle
�102
ÉDOUARD HECIiEL
» atteint 6 à 8 mètres seulement. C’est un arbre peu ramifié,
» à branches tl’un vert clair, très glabres, luisantes. Les fleurs
» sont disposées en inflorescences définies, simulant des grappes
» dont chaque division ne porte guère que trois fleurs avec des
» bractées et des bractéoles en forme de cupules brunes,
» scarieuses. Le calice à 5 ou 6 parties est d’un blanc jaunà» tre, épais, tomenteux ; il prend en séchant une teinte de
» rouille et exhale une odeur douce analogue à celle de l’abri» cot. Lors de l’an thèse, les divisions s’étalent en étoiles, on
» voit alors qu’elles sont teintées en dedans, à leur base, de
» plaques de rose vif.
» Dans les fleurs mâles, le gynécée stérile est jaune et il
» est entouré d’une dizaine d’anthères sessiles disposées circu» lairement, à deux loges superposées, verticales, introrses, avec
» la face dorsale rouge. Le fruit est formé de 5 à 6 carpelles
» disposés en étoile et supportés sur un pédoncule commun
» long de 3 à o cm., épais d’un centim. ou plus. Sa couleur
» de rouille tranche avec la teinte vert clair des rameaux. Les
» carpelles sont verts d’abord, puis jaunes, à la maturité. Ils out
» de 8 à 10 cm. de longueur, sur o à 7 de large, 4 à 5
» d’épaisseur. Ils s’ouvrent longitudinalement suivant leur bord
» interne ou supérieur. L’épaisseur du péricarpe est de 2m/m
» environ, il est doublé d’un endocarpe blanc qui, se prolongeant
n sur les graines, forme leur épiderme. Il y a 4 à 5 graines
» par chaque valve et elles lui adhèrent par une large surface
» (rappelant la cicatrice ombilicale de la graine de marron d’Inde),
» Dans celles de ces graines qu’a étudiées M. Griffon du
» Bellay, il y avait un embryon renversé à 4 cotylédons, roses
» d’abord puis d’un rouge vineux, bordés d’une ligne plus foncée,
» presque noire aux lignes de contact. Chaque graine de forme
» variable comme les marrons, par suite de leur pression réci» proque, pouvait atteindre 3 centim. dans ses trois dimérisions
» et quelquefois plus. Ces graines sont très recherchées sur
» toute la côte comme aphrodisiaques ou au moins, comme
» antihypnotiques et employées quelquefois comme antidysen» tériques. Elles se vendent, dans certaines localités, jusqu’à
» to centimes la pièce ».
On comprend très bien que cette description n’ait pas fait
�LES KOLAS AFRICAINS
naître le besoin de créer pour le Kola du Gabon une sectiou
spécifique nouvelle : les caractères diüerèutiels qui l’éloignent
Fig. 10.
Feuille du C o la a c u m i n a t a R. Brown,
d’après une photographie de M. Cornu.
Fig. 9. — Feuille du C o la B a l l a y i Cornu,
d'après une photographie de M. Cornu.
�104
ÉDOUARD HECKEL
du Cola de Guinée et des rivières du Sud n’y sont pas suffi
samment mis en évidence. Ces différences sont cependant bien
saillantes et elles u’ont pas échappé dans leur ensemble à la
sagacité de M. Cornu, dès qu’il a pu obtenir dans les serres
du Jardin des plantes de Paris, un représentant de cette forme
spécifique, dont nous donnons PL II une reproduction photo
graphique que nous devons à la bienveillance du savant pro
fesseur de culture du Muséum. Nous verrons, en effet, dans la
description de cette espèce, que les feuilles, ainsi que l’indique
la photographie ci-dessus, due encore à M. Cornu, sont tout à
fait différentes, comme forme et comme disposition, dans Cola
Ballayi et C. âcuminata. D’autre part, d’après les observations
de M. Cornu, la forme et la germination des graines propres
à ces deux espèces sont tout à fait distinctes, elles deviennent
caractéristiques pour C. Ballayi. Tandis, en elîet, que dans
C. acuminata les cotylédons restent soudés, la gemmule sortant
par les côtés, chez le C. Ballayi les cotylédons s’entr’ouvrent
pour laisser passer la jeune tige et simulent par leur
écartement une sorte de collerette qui entoure la plantule.
Les observations de M. Cornu ont porté sur un grand nombre
de graines (15 à 20) de cette dernière espèce, où il a toujours
vu la même disposition caractéristique (in litteris). De même, la
graine de Cola acuminata a toujours montré l’autre manière de
germer. D’autres caractères différentiels résident dans les fleurs,
le fruit et la graine, comme ou va le voir dans ma description
suivante :
Cola B allayi Cornu (voir PI. II, fig. S, fig. 9 et fig. de 17 à 24)
Grand arbre de 15 à 18 mètres de haut, à rameaux cylindriques et lisses.
Feuilles (lig. 8, 9 et 21) verticillées à l’état jeunes et alternes à l’état adulte,
ovales, arrondies ou très peu atténuées à la base, entières, lisses, acuminées
au sommet qui porte un long mucro, nervation arquée. Ces feuilles plus
longues et plus larges que celles du C. a c u m i n a t a sont portées par un pétiole
également plus long mesurant 5 cm. au plus et non pourvu d’un épaississe
ment au point d’insertion avec le limbe comme cela se produit dans C. acu
m i n a t a . Les jeunes feuilles sont recouvertes d’un feutrage de poils stelliformes qui tombent de bonne heure. Fleurs en cimes terminales ou axillaires
(fig. 21), pauciflores, polygames, de couleur blanc verdâtre. Pédoncules
floraux de 1 cm. de long, cylindriques, plus courts que les pétioles foliaires,
couverts comme le calice et les organes reproducteurs de poils stellaires brun
marron. Boutons floraux presque globuleux. Calice cupuliforme, mesurant
�LES KOLAS AFRICAINS
105
2 cm. de diamètre et 1 cm. de hauteur, pourvu d’une nervation très apparente
sur la face interne, à 5 ou 6 divisions profondes dont.les lobes sont ovales
aigus (fig. 12 et 13).
Fleur mâle (PL III). — Colonne staminale très courte, peu apparente au
fond du calice (fig. 12), portant à son sommet évasé en coupe dix anthères
à loges jaunes, divergentes et superposées. On trouve quelquefois au centre
des fleurs mâles, dans la cupule formée par le cercle slaminal, les vestiges d'un
appareil femelle qui avorte ne laissant que la trace de cinq petits carpelles
peu apparents. Floraison sur les branches ayant trois périodes de végéta
tion (Dibowsky).
Fleur hermaphrodite (fig. 13 et 14, PI. III). — Ovaire formé de cinq
carpelles très velus sur toutes leurs parties, terminés supérieurement par
cinq stigmates charnus et dorsaux (lig. 14), recouvrant largement le sommet
de l’ovaire; à la base de ce dernier organe, on voit dix étamines en couronne
à deux loges divergentes et superposées, jaunes. Chaque carpelle renferme, sur
la suture ventrale, deux rangées verticales d’ovules anatropes (fig. 15 et 16) : cinq
styles carénés, charnus et réfléchis. A la maturité, quelques carpelles avortent,
il s’en développe deux ou trois qui deviennent des follicules à péricarpe
ligneux et très mucilagiueux, supportés par des pédoncules très épais et
terminés à leur partie supérieure par un rostre très accusé (fig. 22 et 23).
Chaque fruit contient une seule série de graines pourvues d’un testa dur, épais
et parcheminé, attaché à un funicule cupuliforme. Au-dessous de ce testa très
fibreux on trouve des cotylédons, au moins au nombre de quatre, et présentant
des incisions qui, partant du point radiculaire, sont très prononcées et
s’étendent jusqu’au milieu au moins de la longueur des cotylédons (fig. 24).
Le Cola Ballayi qui, par sa structure florale, se rapproche du
C. acuminata R. Brown, espèce avec laquelle les auteurs l’ont
confondu jusqu’ici sous le nom de variété p (d’après Masters, in
Flora o/ trop. Af. d’Oliver, T. I, p. 221), est la forme qui domine au
Gabon, au Congo, à St-Thomas, etc., et qui y fournit, par ses
graines, la noix de Kola du Gabon-Congo. Il est fort peu probable
que le C. acuminata soit spontané dans ces régions où je l’ai vaine
ment fait rechercher. Je serais porté à considérer le C. acuminata
comme propre à l’hémisphère Nord de l’Afrique chaude et le
Cola Ballayi comme spécial à l’hémisphère Sud du même continent.
Mais, outre cette localisation géographique pour chaque espèce,"il
existe entre ces deux formes des caractères suffisants pour justifier
une distinction spécifique : dans la fleur du Cola Ballayi, les dimen
sions et les couleurs du calice, l’état du stigmate bien distinct;
dans le fruit, l’état très rostré du follicule, le testa dur et carthacé
des graines, la division des cotylédons, enfin l’épaisseur considé
rable et la longueur du pédoncule; dans lés feuilles de Cola acu7
�106
EDOUARD IIEUKEL
minuta, le mucro moi us développé, les dimensions moins considé
rables de la feuille et surtout du pétiole, le limbe moins atténué à la
base. Tous ces caractères, joints aux faibles dimensions des graines
et à leur pauvreté en principes actifs : caféine et rouge de Kola
(Kolanine), saus oublier le mode de germination si différent dans
les deux graines et la disposition des feuilles, d’après les observa
tions de M .Cornu, me portent à admettre comme légitime l’espèce
créée mais non décrite jusqu’ici par le savant professeur du Muséum
qui l’a dédiée à M. Bàllay, gouverneur de la Guinée française,
premier introducteur de ce végétal en France (Serres du Muséum
de Paris).
II. — G r a i n e s
s u b s t it u é e s ou m ê l é e s a c e ll e s d u k o l a .
Plusieurs graines sont employées par les nègres aux lieu et
place du Kola vrai ou substituées par les indigènes au vrai
Kola dans le but de l’adultérer. Nous venons de voir déjà que
plusieurs de ces graines proviennent de végétaux du genre Cola.
Mais il en est quelques autres qui n’appartiennent même pas à la
famille des Sterculiacées, telles sont celles du Kola mâle ou Kola
biller et du Kanya. La première est employée aux lieu et place
du vrai Kola par les nègres, la seconde n’est qu’un objet de
fraude sans valeur : elles appartiennent aux Guttifères.
Depuis, en elïet, que les graines de Kola sont devenues l’objet
d’un commerce sérieux d’importation en Europe, elle arrivent dans
nos ports mêlées le plus souvent à un certain nombre de ces
semences sans valeur qui constituent une véritable adultération
de la marchandise. Il est donc de la plus haute importance de
les connaître à fond; et j’ai cru devoir en donner l’histoire aussj
complète que possible afin d’en rendre la reconnaissance facile.
Ce chapitre est, du reste, entièrement nouveau et résulte de
mes travaux en collaboration avec M. Schlagdenhauiïen sur un
sujet qui n’a jamais été traité jusqu’ici.
1 . K o l a m a l e ou. K o l a ' b it t e r (Garcinia Kola Iteckel). — A coté
du Kola vrai dont l’étude historique vient d’être longuement
tracée, nous devons donc placer au premier rang celle non moins
intéressante du Kola biller ou [aux Kola ou Kola mâle, dont
l’origine et l’histoire n’ont été connues d’une manière complète
�LES KOLAS AFRICAINS
107
que par nos travaux (I). Nous-môme, dans notre communication
à l’Académie des sciences du 20 mars, trompés par de fausses
indications et des échantillons botaniques incomplets, l'avions
attribué d’abord à un Sterculia. C’est une erreur sur laquelle je
suis revenu déjà dans les Kolas africains (1884, p. 24).
Habitat. — La seule indication, bien que très vague,
fournie par les traités spéciaux sur le Kola mâle est la sui
vante due à Oliver ; elle termine (loc. oit.) sa description du
Cola acuminata : « Le Kola-bitter de Fernanclo-Po est le produit
de quelques arbres appartenant aux Guttifères. » Sur cette
donnée, j’ai demandé sur plusieurs points de la Côte Occiden
tale africaine, la plante du Kola-bitter, et je n’ai pu jusqu’ici
obtenir que des spécimens de tiges, feuilles et fruits, avec
une quantité suffisante de graines pour en permettre une
analyse complète. Ces échantillons bien étudiés m’ont conduit
à une certitude absolue sur l’origine vraie de ces semences,
qui remplacent souvent auprès des nègres celles du vrai Kola. La
lleur, il est vrai, m’a fait défaut jusqu’ici, mais je puis aisé
ment suppléer aux données que son examen pourrait me
fournir. Tous les spécimens qui me sont venus de la côte,
depuis Sierra-Leonc jusqu’à Whyd'ab, se ressemblent absolument,
ce qui me porte à admettre que le végétal qui fournit ces
graines est partout le même et ne se rapporte pas, comme le
veut Oliver, à plusieurs arbres de la famille des Guttifères. Je
vais donner la description de ce végétal, d’après les feuilles et
les fruits.
Description. — C’est, un grand arbre de taille variable (de 3
à 6 mètres de haut), ayant, à la base des rameaux, des
feuilles très développées et très réduites à l’extrémité des
mêmes rameaux. Le limbe des grandes feuilles mesure 0m3ü
de long sur 0m17 de large, le pétiole relativement court, n’a
que 0m03 ; dans les feuilles de l’extrémité des rameaux, ce
même pétiole mesure 0m15 et le limbe 0m125 de long sur
0m0îj de large. Ce limbe est ovale, dilaté un peu vers la base
et terminé au sommet par un macro très accusé. La nervure
médiane très apparente à la face inférieure de la feuille donne
�EDOUARD HEGKEL
à droite et à gauche des nervures latérales qui s’eu détachent
à angle ouvert (presque droit) et en disposition pennée. Ces
feuilles d’un vert très accusé à la face supérieure et grisâtre
à la face inférieure, sont recouvertes par un épiderme très lisse
luisant, portant lui-même sur les deux faces des glandes plu
ricellulaires d’un aspect fort ornemental. Ces feuilles sont
opposées, privées de stipules. Les fleurs mâles et femelles me
sont inconnues. Le fruit est une baie du volume d’une petite
pomme, à épiderme rugueux recouvert complètement sur toute
sa surface de poils âpres, à parois cellulosiques fortement cuticularisées, très résistants, aigus et de forme variable. Il offre de trois
à quatre loges, à cloisons non apparentes, contenant chacune une
graine volumineuse, ovale, cunéiforme, dont la face externe
est arrondie et la face interne anguleuse. (PL I, lig. 9 et 10). Cette
graine est recouverte d’une pulpe très abondante d’une couleur
jaunâtre, de saveur aigrelette, qui est un véritable arille très
adhérent au péricarpe et aux enveloppes séminales de la graine.
Cet arille est formé de poils longs hyalins et portant des ma
cules jaunes, réunis en masse; ils forment l’ensemble de la
pulpe. Le fruit porte sur ses deux pôles : 1° à la base, le calice
persistant encore adhérent au pédoncule et formé de quatre
sépales en croix dont deux externes plus grands et deux inter
nes plus petits, les uns et les autres couverts de poils sem
blables à ceux de l’épicarpe.
On trouve souvent la corolle persistante aussi et formée de
quatre pièces pétaliques en croix, plus longues que celles du
calice, mais aussi plus étroites, et non pourvues de poils durs
et acérés ; 2U au sommet, le stigmate persistant aussi, divisé
en quatres lobes et ombiliqué au centre : sa surface supérieure
est couverte non de tubercules ou de poils âpres, mais de
papilles bien développées. Ce végétal, d’après les renseigne
ments de M. Yohsen, représentant de la Compagnie Occiden
tale d’Afrique et du Sénégal (déjà cité), se trouve, sur toute la
côte, mêlé au Cola acuminata, dont il partage les conditions
d’existence; seulement il y est moins répandu. Je propose de
le nommer Gard nia Kola, en raison de l’application spéciale de
ses graines en Afrique, où elles sont employées de la même
façon cpie celles du Cola acuminata. Par ses caractères connus,
�LES KOLAS AFRICAINS
109
ce végétal se rapproche beaucoup du Garcinia Morella Desr.,
qui, comme ou le sait, est essentiellement asiatique.
Matière médicale. — La seule partie de la plante qui nous
intéresse est la graine. Celle-ci, dégagée de son arille, nous
présente trois faces dont une convexe (PL I, fig. 9) et deux
autres planes (PL I, fig. 10); la première regarde l’extérieur du
fruit, les deux autres l’intérieur de la loge ; sur la ligue d’inter
section de leur plan se présente le point hilaire. Un épisperme
jaune abricot recouvre cette graine, il est formé de deux enve
loppes dont l’externe est sillonnée de faisceaux fibro-vasculaires très apparents. Au dessous, on trouve un gros embryon
macropode (caractère du groupe) dépourvu de cotylédons, qui
constitue la matière médicamenteuse et bromatologique. Cet
embryon est d’une couleur blanc jaunâtre (1). Il offre sur toute
sa surface des dépressions multiples (PL I, fig. 9), son tissu
est dense et serré, plus encore que celui du vrai Kola ; il cro
que sous la dent. Il est constitué par une masse compacte
d’un tissu cellulaire très homogène, interrompu de distance en
distance par des poches sécrétrices gorgées de résine, qui en
remplissent ou non tout le calibre (PL I, fig. 11 mr). Ces vais
seaux résineux ont du reste des dimensions très diverses dans
les différents points de cet embryon. Les cellules qui compo
sent l’embryon sont pleines de grains de fécule de dimen
sions plus considérables que ceux du vrai Kola (0mm,28 de long
sur 0mm,17 de large), mais déformé à peu près semblable (PL I,
fig. 8). Quant à l’épiderme dépourvu entièrement de stomates,
comme ou devait s’y attendre en raison de la nature même de
l’embryon macropode, il n’offre rien qui mérite d’être signalé.
Lorsqu’on mâche les graines de Kola-bitter, on perçoit une
saveur fortement amère, astringente et aromatique tout à fa fois,
mais qui est bien différente de celle du vrai Kola : par son goût,
aromatique, cette saveur se rapproche un peu de celle du café vert.
C’est ce goût que recherchent les nègres dans le Kola mâle, quand
ils se livrent à la mastication de cette drogue, et il est digne de
remarque que, son usage n’étant suivi d’aucune excitation notable
(1) Quand ces graines ont séché, elles deviennent dures et résistantes comme du
bois : aussi est-ce toujours à l’état frais qu’elles sont consommées, soit comme médi
cament, soit comme masticatoire agréable.
�110
ÉDOUARD HECKEL
ni d’aucune anti-déperdition de force, ils n’en arrivent pas moins à
trouver le Kola-bitter aussi agréable que le vrai Kola et le paient un
prix à peu près égal sur toute la côte occidentale. Partout ailleurs,
c’est-à-dire dans le centre du Continent, où il ne pousse pas plus que
le vrai Kola, il est, dit-on inconnu, et l’importation ne l’y introduit
jamais. Je dois cependant à la bienveillance de M. G. Ad. Krauss,
intrépide voyageur et naturaliste allemand, qui a exploré le Niger
(1884-mars), des renseignements qui contredisent cette opinion. Je
les transmets ici textuellement, en raison de leur authenticité et de
leur valeur : « On trouve presque toujours à Tripoli des Kolas mâles
» (Namisin r/oro en Haoussâ) dont le prix est, si ma mémoire ue
» me trompe pas, de 10 centimes la pièce environ. On trouve, en
)> outre, de vrais Kolas séchés et coupés en deux. On ne vend pas de
» vrais Kolas frais; je n’eu ai reçu qu’une fois en présent après
» l’arrivée d’une caravane de l’intérieur. Tous les négociants du
» Sahara et du Tripoli, qui vont directement dans le centre de
» l’Afrique, ont adopté l’habitude de mâcher des Kolas. Pour les
» conserver frais, on les met généralement dans une boite de fer
» blanc, remplie de sable, qu’on a soin de tenir humide. Maintes
a foison a tenté de planter des Kolas dans le Haoussâ, mais les
» jeunes arbres meurent ou arrivent rarement à la hauteur d’un
» homme. On trouve dans i’Adamaoua un Kola, dont le fruit est de
» beaucoup inférieur à celui du nord d’Asanta (Achanti). Parmi les
» nègres, règne cette opinion, que le premier renferme deux graines
»• et le second cinq. »
Nous verrons bientôt, dans la deuxième partie de ce travail,
que cette graine de Kola mâle doit ses propriétés à la résine,
qui, renfermée dans les poches sécrétrices, donne à la semence
des vertus légèrement excitantes. Cela suffit à tromper les
Africains sur sa véritable valeur. Elles passent aussi pour être
aphrodisiaques, mais cette vertu est plus que discutable. Enfin
sa principale application consisterait, sous forme de mastica
toire, à triompher toujours victorieusement des rhumes qui,
évidemment, doivent être relativement bénins dans cette région
torride. Voici ce que m’écrit M. Vohsen (1)' à ce sujet : « Cette
(1 ) M.Volisen, pendant la durée de scs fonctions d’agent général de la C‘e française
de la Cùle Occidentale d’Afrique, à Sierra-Leone, a bien voulu me transmettre, à la
sollicitation de M. Bohn, directeur de cette G1', des renseignements utiles sur le
�LES KOLAS AFRICAINS
111
» graine est très appréciée dans le pays (Sierra-Leone) contre
» les rhumes, et moi-môme j’ai pu me convaincre de ses effets
» bienfaisants presque instantanés. J’ai vu récemment un homme
» enrhumé au point de ne pouvoir prononcer deux mots, être
» guéri en vingt-quatre heures par les graines du Kola-bitter.
» Il lui suffit d’en mâcher 4 ou 5 et d’en avaler un peu. »
En dehors de cette utilisation, le Kola-bitter n’est qu’un trompel’œil, on le mâche, pour le plaisir de mâcher, aux lieu et place
du vrai Kola.
Graine de K anya — 2. Parmi les graines qui se mêlent le
plus fréquemment à celles du Kola expédié en France, la plus
difficile à reconnaître est certainement celle du Kanya (Penladesma
butyracea Don) dont nous allons faire l’examen détaillé : nous ne
l’avons jamais trouvée que dans le Kola de Sierra-Leone.
Botanique. — Le Pentadesma butyracea Don (Gen. syst., I,
019), a été décrit par Oliver, dans sa Flora of tropical Africa
(t. I. p. 014), de la manière suivante : « Feuilles coriaces (ou
submembraneuses sur les rameaux avortés), brillantes, oblongues-elliptiques, quelquefois oblougues allongées ou oblonguesoblancéolées, légèrement acuminées ou un peu obtuses, arrondies
ou en coin à la base avec de nombreuses nervures parallèles
s’insérant obliquement sur la côte ou nervure médiane avec
des veinules intramarginales ; elles mesurent de 0m12S à 0m150
de long et 0m03 à 0m0G de large ; les pétioles ont de 0™0012
à 0m0014. Fleurs grandes, terminales et solitaires. Sépales inté
rieurs, 0m037 à 0m0o0 de long, coriaces, persistants. Phalanges
staminales persistantes. Fruit irrégulièrement ovoïde, de 0m100
à 0ra125 de long sur 0m075 à 0m10 de diamètre, à 3 ou 5
semences ; péricarpe de 0m012 d’épaisseur, légèrement rugueux,
pourvu d’un abondant liquide graisseux jaune, qui s’en écoule
par incision ; semences de 0mQ37 â 0m030 de long sur 0m02o à
0m037 de large. — Guinée supérieure, Sierra-Leone (Don ?
Dr Kirk ?) — Rivière Nau, Afrique tropicale occidentale (Mann)
— Niger, les feuilles seulement, d’après Barter. C’est Varbre à
beurre et à suif de l’Afrique occidentale. »
et le K o l a H i t l e r , je tiens à l’en remercier ici publiquement, ainsi que
M. Bohn, dont la bienveillance ne m’a jamais fait défaut.
K ola v r a i
�112
ÉDOUARD HEGKEL
Nous avons pu nous procurer des fruits murs de ce végétal,
ainsi que des rameaux adultes et des feuilles, le tout prove
nant des environs de Sierra-Leone (île de Rotombo), et il
nous est permis, d’après ces échantillons que nous avons reçus
en très grand nombre et en très bon état, de rectifier ou de
compléter, dans quelques-uns de ses points, la diagnose cidessus, qui est incomplète et erronée tout à la fois. Nous
avons souligné dans cette diagnose d’Oliver, intentionnellement,
les points qui sont certainement entachés d’inexactitude. Nous
allons donc reprendre, en la rectifiant et en la complétant,
cette description du botaniste anglais, dans laquelle les erreurs
ne lui sont pas absolument attribuables en propre, puisque,
comme on va le voir, elles ne sont que la production de celles
qu’on trouve dans la description primitive de Don, que nous
croyons devoir traduire ici en entier :
« Pentadesma butyracea (Hort. Trans. Lond. vol. V, p. 457).-—
» Plante originaire de Sierra-Leone, dans les régions basses.
» Cet arbre atteint la taille de 40 à 50 pieds (10 à 12 mètres),
» mais il fleurit dès qu’il a 20 pieds de haut. Les feuilles en
» sont entières lancéolées, coriaces, lisses, brillantes. Les fruits
» ont à peu près la dimension du fruit de Mammea (1) ; leur
» forme est celle d’une poire renversée avec une pointe au som» met ; ils contiennent de 3 à 5 semences, grandes, anguleuses
» et de couleur brune ; l’écorce du fruit est rude, grossière et
» d’une couleur brun foncé. Le suc jaune graisseux, auquel ces
» arbres ont emprunté leur nom vernaculaire, découle en abon» dance de l’incision ou de la rupture du fruit. Les indigènes
> de Sierra-Leone le mêlent à leur nourriture, mais les colons
» n’en usent point à cause de la forte odeur de térébenthine qui
» le caractérise ; nous pensons que ce suc est celui qui cons» titue le beurre indigène vendu sur les marchés de Freetown. Les
» fleurs de ce végétal sont très grandes, brillantes et proba» blement rouges. »
« Arbre à beurre et à suif (Flor. janv. Cit., 1822). Arbre de
(1) C’est du fruit vulgairement appelé Abricotier des Antilles qu’il s’agit ici, c’està-dire du Mammea americana L. ; toutefois, il faut remarquer que ce dernier
fruit est toujours plus gros que celui du Pentadesma, la comparaison est donc
inexacte.'
�LES KOLAS AFRICAINS
113
» 60 pieds, cultivé. Cet arbre est très difficile à transplanter, à
» cause de sa longue racine pivotante, qui, une fois brisée ou
» coupée, entraîne sa mort. La racine doit avoir à sa disposi» tion suffisamment de profondeur de terrain pour lui permet» tre de descendre; c’est une condition de vie ou de mort. Il
» demande une forte chaleur humide pour fleurir.
» Un mélange de compost et de tourbe lui convient bien,
;» et des boutures bien aoûtées avec leurs feuilles adultes doi» vent probablement donner des racines dans le sable, sous
» cloche, à la chaleur humide. » Ces deux descriptions ont besoin
d’être complétées et rectifiées comme il suit.
Ce grand végétal de 10 à 12 mètres de haut, croît sur toute la
côte Occidentale N. de l’Afrique chaude; aux environs de SierraLeone,' il fleurit dans les mois d’avril et de mars et donne sur
un fort pied de forts rameaux, qui laissent suinter par inci
sion de leur écorce une matière résineuse peu abondante, jaunerougeâtre, demeurant assez peu consistante après exposition à
l’air. Cette résine se colle facilement aux doigts ; elle est pois
seuse, sans goût et sans saveur ni odeur particulière. Cette
résine découle des nombreux canaux secréteurs qui se trouvent
dans l’écorce. Si on pratique, en effet, la coupe transversale
d’un rameau, on constate que ces canaux gorgés de résine jau
nâtre, sont disséminés dans toute la région corticale (c c’ c”,
fig. 29 a ), mais deviennent plus particulièrement abondants dans
la zone libérienne où, du reste, leurs dimensions sont moin
dres. Ces canaux sont bordés de cellules secrétantes et souvent
entourés d’une masse de cellules remplies d’un contenu solide
formé par des cristaux d’oxalate de chaux. Ces canaux, du
reste, ne sont pas le propre de cette plante, on les rencontre
dans tous les représentants de la famille des Guttifères, à
laquelle appartient Penladesma hutyracea.
Nous verrons bientôt que ces canaux se retrouvent dans le
péricarpe du fruit, mais ils n’existent pas dans la graine qui
est, par ce fait, complètement dépourvue de résine; il n’en est
pas ainsi dans la graine de Kola mâle dont nous avons parlé
antérieurement et dessiné les poches sécrétrices ni, dans une
autre plante de la même famille, le Calophyllum inophyllum L.
(Tamanou, en canaque néo-calédonien ; Caï-meuou, en langue
�EDOUARD IIECKEL
annamite), où nous avons fait connaître l’existence de ces poches
sécrétrices résineuses, dans notre travail sur l’huile et la résine
de cette plante (1). La fleur, qui laisse des traces dans le fruit
mûr par la persistance de ses éléments constituants (fig. 25 c,
p, e), est grande, terminale, solitaire, brillante et à pétales
rouges; les pièces calicinales sont vertes. Nous allons y revenir
Fig. 2.">. — Fruit mûr du Penladesma bulyracea, Don (1/2 gr. miLl
eu détail. Quant aux feuilles, elles sont vertes, lisses et ver
nies sur la l'ace supérieure, où l’on aperçoit à peine trace des
nervures, avec une côte médiane peu accusée, peu saillante. A
la face inférieure, des nervures fines distantes de 2 millimètres
(1) De l’huile et de la résine de Calophyllnm inophyllum L. (Journal de thé
rapeutique de Guider, 1876).
�LES KOLAS AFRICAINS
115
l’une de l’autre et rectilignes, se détachent obliquement de la
côte très saillante et se rendent jusqu’au bord en se redressant
et formant une courbe légère à leur extrémité marginale. Là,
elles se joignent à la nervure suivante, et cette dernière courbe,
dans son ensemble, forme une ligne bordant de très près le
bord du limbe foliaire. Ce dernier se termine au sommet par
une pointe ou par une légère dépression (fig. 28).
Le pétiole, assez court, mesure 2 centimètres ; le limbe entier,
de 12 à 13 cent, de long et 4 à 5 cent, de large. Il est à remarquer
que le limbe foliaire ne s’arrête pas brusquement au pétiole, mais
est décurrent sur cet organe (fig. 28), qu’il borde de deux ailes peu
Pc n tildes ma b n ty niera
(1 /± grand, nal.)
Graine recouverte
de son spermoderme.
Graine dépouillée
do son spermoderme.
accusées. Le calice est formé de 5 sépales ovales, imbriqués, ver
dâtres, dont 3 internes sont plus longs que les externes (fig. 25, c).
Entre les pétales et le verticille suivant (staminal), se trouvent
alternant avec les faisceaux staminaux, qu’ils séparent, des nec
taires, qui prennent un grand développement et finissent, quand le
fruit est arrivé à maturité, par se subérifier; ils sont alors de la
forme et du volume d’un pois, rouges et durs ; ces organes caracté
ristiques par leur volume, leur situation et leur consistance, ne
paraissent pas avoir été signalés jusqu’ici par les auteurs, malgré
l’intérêt qu’ils présentent. Les étamines (fig.25, c), longues et nom-
�.
EDOUARD HECKEL
breuses, sont réunies en cinq phalanges, courtes, légèrement aplaties. Les filets, longs et rougeâtres, sont terminés par des anthères
jaunes, longues, filiformes et qui en sont le prolongement. Tous ces
Fig. 28. — Feuille de P e n ta d e s m a
b u ty r a r .e a
(2/3 gr. nat.)
organes ; calice, corolle et étamines, sont persistants et se retrou
vent desséchés à la base du fruit mûr (fig. 25 c , p, e ) . Ce dernier suc-
�LES KOLAS AFRICAINS
117
cède à un ovaire pyriiorme à cinq loges pluriovulées; cet organe est
terminé à son sommet pointu par un style long, divisé à son extré
mité en deux lobes stigmatiques linéaires : le style et les stigmates
sont caducs, ils ne persistent pas à la maturité.
Le fruit est une capsule (et non une baie) pourvue d’un
péricarpe dur, très résistant à maturité et parcouru dans
toute son épaisseur de nombreux canaux sécréteurs résineux,
qui laissent transsuder, par les ruptures accidentelles de l’épi
derme, une résine rougeâtre, abondante surtout autour du point
d’insertion du fruit sur le pédoncule épaissi (1). Cette résine
Fig. 29. — Pentadesma butyracea.
A
Coupe radiale de l’écorce.
Coupe radiale du fruit.
(1) Si on fait une coupe de ce péricarpe, on trouve (fig. 29 B) qu’il
est constitué d’abord par zone de cellules un peu épaisses, mais sans espaces
intercellulaires, et interrompues par de nombreuses cellules fibreuses isolées
ou groupées par deux ou trois ; dans cette zone se trouvent des canaux
résineux (cr, cr’, fig. 29 B) en grand nombre, assez volumineux, bordés de
cellules sécrétantes. Au-dessous, et formant la paroi interne du péricarpe, on
voit une zone,-moins épaisse, composée de cellules collenchimateuses, sans con
tenu spécial, et interrompue également par des cellules plus développées
cL remplies de résine (cr, cr’, cr”, fig. 29 B), quelques fibres se voient dans
cette zone, mais en bien plus petit nombre que dans la prédédente : elles sont
plus grosses.
Cette constitution peut être rapprochée de celle des .rameaux, où abondent
aussi les canaux résineux. Si on pratique une coupe dans un de ces rameaux
anciens, on trouve une zone corticale épaisse (ec, fig. 29 A) interrompue par
deux cercles concentriques de gros canaux résineux comparables à ceux de
la partie extérieure du péricarpe (fig. 29 A, c \ c"). Cette zone comporte, à
�EDOUARD IIEUIv EU
provient de nombreux canaux sécréteurs dont le péricarpe est
parcouru dans toute son épaisseur. C’est sans doute l'épanche
ment de ce liquide résineux résultant d’une incision des parois
du fruit, qui a pu laisser croire, comme l’affirment les descrip
teurs (Don, Oliver), à l’existence d’un suc jaune, graisseux.
Nous verrons dans la partie chimique de cette étude que l’ana
lyse la plus minutieuse n’a pu révéler la moindre trace de
corps gras dans les parois dures du fruit. Cette capsule ren
ferme, groupée au centre, une masse compacte réunie par les
placentaires et contenant non pas de 3 à 5 graines, mais de
puis 3 jusqu’à 9 et 10 semences parfaitement développées. Ces
semences sont enveloppées d’un tegmen qui fait suite au pla
centa (fig. 26). Dépouillées de cette tunique lâche et peu résis
tante, elles mesurent de 4 à 4 centimètres et demi de long sur
1 à 2 centimètres de large (fig. 27). Leur couleur est brun-cho
colat, leur surface est rugueuse ; elles sont dures et formées
par un embryon macropode dépourvu d’albumen et de cotylé
dons. Leur constitution est graisseuse (1).
Ces graines sont particulièrement intéressantes, en ce qu’elles
renferment dans leurs tissus la matière grasse nommée Beurre
de Kanya par les auteurs, et que, d’autre part, elles servent
depuis quelque temps à sophistiquer le Kola. Elles revêtent
en effet, par leur forme et leur couleur, l’apparence d’une
graine de Kola desséchée : leur constitution graisseuse peut
seule mettre sur la trace de la fraude, à moins qu'un œil
son extrémité interne, des faisceaux de libres ligneuses (fig. 29 A, fl ). Le
liber épais et parcouru par les prolongements très apparents des rayons
médullaires, comporte aussi deux cercles concentriques de canaux résineux
très rapprochés ; ceux de la première rangée, plus développés que ceux de
la deuxième (la plus interne) alternent avec les derniers. Ils sont., les uns et les
autres, bordés par des cellules sécrétantes.
(1) Quant à l’aire de dispersion du Pentadesma butyracea, il serait difficile
de la fixer avec nos connaissances actuelles. Il est très probable néanmoins
qu’en dehors des localités (Guinée Inférieure) indiquées par Oliver dans sa « Flore,
de l’Afrique tropicale », il existe sur un grand parcours de toute-la cote Occi
dentale d’Afrique et jusqu’au Gabon, où le produit graisseux de ces graines, comme
nous allons le voir, serait connu et utilisé. Ce végétal existe même vraisemblable
ment sur la côte Orientale du même Continent africain, puisque l’échantillon de
graisse de ce nom, existant à la Faculté de rftédecine de Lyon, est indiqué comme
originaire de Zanzibar. (Cauvet, Nouveaux éléments de matière médicale, T. II,
Paris 1SS7.
�LUS KOLAS AFRICAINS
119
exercé ne la reconnaisse au caractère suivant : les graines de
Pentadesma forment une masse entière sans solution de conti
nuité, tandis que les semences de Kola, même sèches, conser
vent autour du point radiculaire, très facile à déterminer, un
rayonnement, constitué par trois à cinq lignes, dont deux plus
longues forment la commissure des cotylédons. Elles sont la
trace de trois à cinq incisions que portent les cotylédons à
leur base, c’est-à-dire à leur point d’insertion, sur le corps
embryonnaire.
Graine de Pentadesma buUjracca . — A Coupc transversale traitée par l’éther ;
B Cellule grasse isolée.
L’histologie va nous permettre aussi de reconnaître aisémeut ces graines et de les différencier nettement de celles du
Cola acuminata. Si ou fait une coupe à travers la graine
de Pentadesma (tig. 30 A), on trouve qu’elle est constituée par
un tissu assez uniforme de cellules, d’abord petites à la péri
phérie, puis de plus eu plus allongées transversalement, et enfin
plus petites au centre. Ce tissu est interrompu par des faisceaux
fibrovasculaires (fig.30,A, /b), mais il manque absolument de canaux
résineux. Le contenu cellulaire est entièrement graisseux,
et les corpuscules gras y sont assez peu développés (fig. 30, B).
Ce corps gras forme le beurre de Kanya, nommé aussi, d’après
G. Pennetier (Leçons sur les matières premières organiques, p. 75G,
1881), Oddjendjé, au Gabon (1).
(1) Au sujet de l'emploi de celte matière grasse par les indigènes du Gabon, feu
M. Pierre, directeur du Jardin d’essai de Libreville, mon regretté correspondant,
m'écrivait, il y a six mois, ce qui suit : « L’Oddjendjé est peu, si ce n'est point
du tout employé en ce moment par les indigènes. 11 y a bien d’autres corps gras
dans le-Congo français. »
�EDOUARD RECREE
Ce beurre de Kanya n’est guère couuu que par ce qu'eu dit
Cauvet (Nouveaux éléments de matière médicale, t. II, p. 275; Paris,
1887), qui l’a décrit d’après un échantillon existant dans le droguier
de la Faculté de Médecine de Lyon et provenant d’Angleterre, par
l’intermédiaire de M. Chantre. Celui-ci, probablement, le tenait de
Holmes. Ce qu’il y a de certain, c’est que, jusqu’ici, aucun traité
didactique de matière médicale n’en a parlé en dehors de Cauvet et
de Pennetier qui, tous deux, l’attrihuent au Pentadesma butyracea.
Nous n’avons pu, jusqu’ici, nous procurer ni de Sierra-Leone ni
du Gabon le beurre de Ivanya en pain, nous ne pouvons donc ni
continuer ni infirmer la description qu’en donne Cauvet, d’après
l’échantillon dont il a pu se servir et qui avait été envoyé au Muséum
de Kew par le D1'Kirk. Mais nous avons eu en main une assez grande
quantité de graines de ce Pentadesma, pour pouvoir en extraire le
corps gras et en faire une analyse complète. Elle était nécessaire,
car quelques erreurs se sont glissées dans l’examen analytique de
ce produit fait par MM. Jacquet et Barbarin, élèves de feu le profes
seur Cauvet, de Lyon, les seuls auteurs qui se soient occupés de la
constitution chimique de ce corps gras. Nous pourrons donner
aussi une analyse élémentaire de la graine et du fruit de Pentadesma
butyracea.
Nous avons le regret de ne pouvoir fournir aucun rensei
gnement sur le procédé qu’emploient les nègres africains pour
extraire ce corps gras de la graine, seul organe de la plante
qui le contienne. Mais il est fort présumable que pour ces
semences, comme pour celles du Butyrospermum Parlai (arbre
à Karité), qui donne le beurre de Galam, le moyen d’obtention,
fort simple, consiste à piler les graines et à les faire bouillir
dans l’eau. On recueille ensuite le corps gras, qui nage à la
surface du liquide chaud ou froid (1).
Partie chimique. —
A. Graines. — Le poids des graines est de 9 à 14 grammes,
soit en moyenne 11 gr. 50.
1. Dessiccation. — Soumise à l’étuve, à la température de
(1) A çe sujet, voir dans La Nature (de Tissandier), mon article intitulé : « Le
Bassia Pavkii et ses produits », a 0 des 24 oct. et 28 nov. 1885.
�LES KOLAS AFRICAINS
121
105 degrés, la graine perd 5 gr. 242 de son poids. Cette différence
tient à l’eau hygrométrique.
2.
Traitement au chloroforme. — Le traitement des graines
pulvérisées par le chloroforme, dans un appareil à déplacement
continu, fournit un liquide légèrement jaune qui, soumis à l’évapo
ration, présente l’aspect et les caractères d’un corps gras.
La matière, débarrassée de son dissolvant par distillation,
est blanc-jaunâtre. Le microscope permet de reconnaître un
enchevêtrement de cristaux fins.
Le composé se ramollit entre les doigts. Il commence à
fondre à 36 degrés, mais la fusion n’est complète qu’à 4b degrés.
Il se dissout totalement dans 100 volumes d’alcool à 95
degrés. Le liquide se trouble de nouveau à froid et laisse
déposer des cristaux aiguillés, dont le point de fusion est le
même que celui du corps gras primitif. La solution alcoolique
est fortement acide au papier de tournesol, ce qui indique,
contrairement à ce qui se passe dans beaucoup d’autres corps
gras naturels fraîchement extraits, la présence d’un acide libre.
Cet acide, ainsi que nous nous en sommes assurés, est de
l’acide stéarique.
L’action de la potasse ou de la soude caustique à l’ébul
lition, fournit un savon qui, décomposé par l’acide chlorhy
drique, donne 71 pour 100 d’acide gras. La masse blanche
solide, qui surnage sur l’eau, lavée, complètement desséchée,
puis reprise par l’alcool, fournit des cristaux aiguillés, qui,
après plusieurs cristallisations, présentent tous les caractères
de l’acide stéarique, même aspect cristallin et même point de
fusion à 69°1.
Les eaux mères fournissent, après concentration, une seconde
portion de cristaux, facile à purifier comme les premiers.
Les dernières liqueurs qui ne cristallisent plus sont saturées
par le carbonate de soude sec. On évapore à siccité et l’on
reprend par l’alcool. Le liquide alcoolique est évaporé à son
tour, puis repris par l’eau. Ce nouveau savon à réaction alca
line est traité par l’acétate de plomb légèrement acidifié par
l’acide acétique. On obtient un savon plombique qu’on lave,
dessèche et reprend ensuite par l’éther bouillant qui dissout
l’oléate de plomb et laisse le stéarate insoluble.
8
�122
Éd o u a r d
iie c k e l
Sur 39,30 d’acide gras mis eu expérience, ou retire 10,23
d’oléate de plomb, soit 23,80 pour 100. Or, comme 10 grammes
d’oléate correspondent à 7,343 d’acide oléique, il s’ensuit que
jes 23 gr. 80 d’oléate indiquent 18 gr.
33 d’acideoléique dans
le mélange; le poids de l’acide stéarique est donc de 81 gr. 63
pour 100.
La composition du corps gras du Pentadesma peut donc être
représentée par :
Acide oléique......................................
Acide stéarique........................................
18,3d pour 100
81,65
—
Le corps gras ne renferme donc pas de palmitine, puisque
les acides gras cristallisés, obtenus par décomposition du savon
potassique ou sodique à la suite d’opérations partielles, n’ont jamais
fourni de produits dont le point de fusion fût supérieur à 69°,1.
Le corps gras brut tel qu’il résulte de l’épuisement par le
chloroforme a été traité par l’eau bouillante, puis par l’eau
acidulée par l’acide chlorhydrique. Les liquides dans, l’un et
l’autre cas ont été évaporés à siccité, puis le résidu soumis à
l’action de l’eau de chlore et de l’ammoniaque, de.l’acide azotique
et de l’ammoniaque, de l’eau bromée et de l’ammoniaque. Le
produit d’évaporation dans chacun de ces cas n’a pas fourni
trace de coloration rose ou violacée, ce qui nous permet d’affirmer
l’absence de caféine. Le Kola vrai dans les mêmes conditions
se comporte d'une manière entièrement différente, car l’épuise
ment par le chloroforme fournit une cristallisation abondante
de caféine qu’on obtient à l’état de pureté à la suite d’une recris
tallisation dans l’eau’ bouillante. Les graines du Pentadesma
b-utyracea examinées au point de vue chimique ne sauraient
donc être confondues avec celles du Cola acuminata.
3.
Traitement à l’alcool. — En épuisant la poudre, prove
nant'de la première opération, par de l’alcool, on obtient un
liquide rouge qui, après évaporation à siccité, constitue un
extrait dont le poids est représenté par 7,803 pour 100. Cet
extrait, repris par l’eau, ne se dissout pas entièrement. La solu
tion aqueuse est d’une astringence excessive mêlée à un arrièregoût amer, et fournit au contact du chlorure ferrique une colo
ration verte très foncée. La solution chaude additionnée d’eau
froide laisse précipiter une matière brune, qui n’est autre chose
�LES KOLAS AFRICAINS
123
qu’un produit d’oxydation du tanuiu et constitue, d’après Dragendorff, un phlobaphène.
Ce dépôt fortement coloré dont le poids s’élève à 6,705 pour
100 est donc constitué presque uniquement par du tannin
altéré. Les eaux mères, quoique contenant encore un peu de
tannin en dissolution, renferment 1 gr. 10 pour 100 de glucose,
ainsi que l’atteste le dosage au moyen de la liqueur de Barreswil.
4.
Traitement à l’eau. — Le résidu de l’opération précédente
traité par l’eau bouillante fournit un extrait aqueux dont le
poids = 12,415. En reprenant cet extrait par l’eau et l’essayant
à la solution cupro-potassique, on obtient 3,407 de glucose.
L’extrait évaporé et calciné fournit 0 gr. 139 de sels. La diffé
rence entre la somme de ces deux nombres et le poids total
de l’extrait, c’est;à-dire 12,415 — 3,546 = 8,869, constitue un
mélange de matières gommeuses, tanniques, colorantes et albu
minoïdes. Il est facile de déceler la présence de ces divers prin
cipes à l’aide des réactifs appropriés, mais nous n’avons pas
jugé à propos d’en faire la détermination quantitative.
L’extrait aqueux provenant d’une opération de 400 grammes
de graines pulvérisées a été traité par la chaux, puis évaporé
à siccité. Le magma calcaire a été repris par de l’alcool bouillant
en vue d’y chercher la présence d’un alcaloïde. Un autre extrait
aqueux provenant de 200 grammes de matière a été traité par
l’acétate de plomb; après élimination de l’excès de métal par
l’hydrogène sulfuré et reprise du liquide filtré, on a procédé
également à la recherche d’un alcaloïde. Mais, dans l’un et
l’autre cas, les résultats ont été négatifs. Deux opérations entière
ment semblables, effectuées avec l’extrait alcoolique de l’opéra
tion (3), ont fourni le même insuccès au point de vue de la
présence d’une base. Nous en concluons donc que la graine de
ce faux Kola ne renferme pas d’alcaloïde.
5.
Incinération — 100 grammes de graines incinérées nous
donnent un poids de cendres de 2 gr. 70. Si nous retranchons
ce nombre du poids total des matières extraites par les dis
solvants, nous obtenons, défalcation faite de 0,139 de sel trouvé
dans l’opération, le nombre 40,477 pour 100 pour poids du
ligneux de la cellulose et des matières albuminoïdes insolu-
�m
ÉDOUARD HECKEL
blés et 1,561 pour 100 de sel contenus dans ces matières.
D’après cela nous pouvons fixer comme suit la composition
de la graine de Pentadesmci butyracea.
Eau hygrométrique.
Trait, au chloroforme
Traitement à l’alcool
Traitement à l’eau
5,242
32,500
I
y’ D 1
l
1
Eau.........
Corps gras
Glucose.........................
Tannin et phlobaphène
Glucose ....................................
Tannin, matière album, et ma-
3,242
32,500
1,100
6,705
3,407
8,869
0,139
Ligneux, cellulose,mat. album.
40,477
1,561
Total
100,000
Remarques. — 1. La graine ne renferme pas de matière amy
lacée, Elle contient une faible quantité de matières albumi
noïdes, ainsi que l’atteste la réaction du bleu de Prusse fourni
par le produit du traitement par l’eau ; la partie insoluble
dans ce véhicule est constituée principalement par du ligneux
et de la cellulose.
2.
Les cendres provenant de l’incinération de la graine,
renferment de la chaux, de la potasse, de la soude, de l’acide
pliosphorique, de l’acide sulfurique et de l’acide carbonique. Ce
dernier provient évidemment de la présence d’acides organi
ques décomposés par la chaleur.
Sur 2g. 70 pour 100 de cendres, le tiers est insoluble, les
deux tiers, solubles. Parmi les derniers, les sulfates alcalins
prédominent en môme temps que les chlorures ; ils sont mêlés
à des traces de phosphates, mais ne contiennent pas de chaux'.
La partie insoluble dans l’eau ne contient pas traces de sulfates ;
elle est constituée uniquement par du carbonate et du phosphate
de chaux.
Il résulte de ces recherches dont la partie chimique est due
à M. Schlagdenhaufïen :
1° Que le beurre de Kanya est bien le produit des graines et non
du péricarpe du Pentadesma butyracea Don; que le corps gras
analysé par les élèves de Cauvet et le nôtre présentent bien les
mômes propriétés physiques et la même apparence extérieure ;
�LES KOLAS AFRICAINS
125
2° Que ces graines ne sauraient être substituées à celles du Kola
(comme on tend à le pratiquer de plus en plus), sans de graves
inconvénients, non qu’elles présentent le moindre degré de toxicité,
mais en raison de ce qu’elles ne renferment aucun des principes
du médicament précieux fourni par les semences du Cola acuminata
R. Brown.
3° Que, partant, la sophistication par le Kanya doit être sur
veillée avec le plus grand soin par le médecin et le pharmacien.
J’ai insisté très longuement sur ce faux Kola, parce qu’il
était peu connu à tous égards (botaniquement et chimiquement),
et surtout parce que la multiplicité des documents que j’ai pu
donner sur sü origines, sa forme et sa constitution chimique
formeront (en les opposant aux mêmes notions que nous
donnons sur le vrai Kola), autant d’éléments permettant de
reconnaître une falsification très-commune aujourd’hui et difficile
à reconnaître. J’ose dire que c’est la plus difficile d’entre celles
qui se pratiquent couramment.
III. — G r a i n e s d ’h e r i t i e r a l i t t o r a l i s . — Depuis quelque temps,
une nouvelle substitution s’est produite dans des Kolas frais
provenant de la côte de Zanzibar, où le Cola acuminata a été
introduit depuis vingt années avec succès. Nous trouvâmes
mélangées à des semences fraîches de la variété blanche de
Kola d’autres graines fraîches blanches, ayant un aspect sem
blable, un volume un peu plus considérable et surtout une forme
géométrique un peu différente. Les graines de kola sont un peu
anguleuses, celles-ci étaient orbiculaires. Nous soupçonnâmes une
supercherie ou une erreur, qu’un examen attentif nous permit
ensuite de reconnaître. Des graines mondées d’Heritiera littoralis
Ait. avaient été mêlées aux graines de Kola. Cette substitu
tion, outre l’intérêt qu’elle présentait en elle-même, soulevait
dans notre esprit cette question, à savoir que Heritiera littoralis,
appartenant à la même famille (Sterculiacées), et cette graine
étant manifestement indiquée comme ayant été utilisée dans"
l’Inde pour l’alimentation (1), il pouvait se faire que, sans qu’on
(1). Bâillon dit (Histoire des plantes, t. IV, p. 113) : « On assure que dans
l’Inde, le fruit d ’Heritiera littoralis est récolté comme comestible.» Le major
Drury, dans Useful plants of India, ne parle point de cette Sterculiacée.
�EDOUARD HECKEL
Je sût, elle jouît des mêmes propriétés anlidéperdilives que le
Kola et, dès lors, la sophisticatiou n’existait plus, et la substi
tution se trouvait justifiée par des connaissances nouvelles.
Ces conditions nous portèrent à faire avec M. Schlagdenliaufïen
l’étude complète de cette graine comme nous avons fait celle
du vrai Kola et ce sont les résultats de ces recherches que
nous consignons ici.
1.
Botanique. — Heritiera littoralis est un grand arbre à feuilles
entières propre à l’Inde, aux îles de la Sonde, aux Philippines,
aux Moluques et à toutes les îles de la côte orientale d’Afri
que ; on le trouve également dans le pays d’Annam, dans la
région chaude de l’Australie, en Cochinchine eP de l’Océanie
Fig. 31. — Fruit, mûr cl'Heritiera littoralis entier.
(Nouvelle-Calédonie). Les feuilles sont ovales, grandes, entières,
acuminées, cordiformes à la hase, pennïnerviées, à pétioles assez
développés.Cette espèce se rencontre particulièrement sur les bords
peu élevés du littoral et même dans les terrains saumâtres. (1).
(1) Son bois, do couleur gris-brun, est d’une texture compacte, Fine et serrée ; ses
qualités de solidité, de résistance eL de durabilité en font un excellent bois de char
pente et de construction. — L’écorce est employée dans la teinture ; sa graine est
réputée tonique dans l’Inde et l’huile qu’on en extrait sert aux Indiens en frictions
contre leh rhumatismes. (Grisard et Van den Berghe. Les bois industriels, etc.—
Bull, delà Soc. d’acclimatation de France, 1892).
�LES KOLAS AFRICAINS
Les fleurs unisexuées sont assemblées clans une inflores
cence axillaire très développée et disposée eu thyrse. Les
Ileurs mâles sont constituées par un unique périanthe gamophylle, campanulé, à cinq divisions aiguës. Au centre de cette
enveloppe se dresse une colonne au sommet de laquelle sont
insérées une douzaine d’étamines sessiles et réduites à l'an
thère qui s’ouvre verticalement ; les loges anlhériques sont
parallèles. Dans la fleur femelle, le fond de la cupule formée
par le périanthe est occupé par un réceptable qui porte cinq
carpelles indépendants, lagéniformes, à sommet recourbé en
dehors, et en pointe. Ces carpelles sont uni ou rarement biovulés ; à maturité, ils donnent naissance à un fruit qui est
un akène ligneux et subéreux, caréné sur le dos suivant sa
longueur.
Fig. U2. — Grai no. <17/0 r Hier a liltoralia vue par sa face concave el, dépouillée
de son spermoderme.
Si on brise ce fruit, on trouve une graine recouverte d’un
épisperme papyracé couleur marron. Cette enveloppe disparue, la
graine est blanche, aplatie, orbiculaire, à bords sinueux sur
quelques points. Elle représente un disque d’une épaisseur de
0m,010à 0m,015 et d’un diamètre de 0m,(M environ. Les deux faces
de ce disque sont inégales ; l’une est concave (fig. 31) et l’autre con
vexe. Sur la face concave, on voit la réunion des deux cotylédons
inégaux (c et c’) qui forment la graine. L’un des cotylédons c’ n’a
guère que la moitié de la dimension de l’autre qui semble le
recevoir tout entier dans sa substance. Chacun de ces cotylédons
est très épais et charnu. La radicule (r, fig. 32) se trouve placée sur
�128
ÉDOUARD HECKEL
la ligne inférieure de conlluence des cotylédons ; on la voit sous la
forme d’une proéminence ovalo-acuminée.
2° Matière médicale. — La seule partie qui nous intéresse est la
graine (1) dont nous venons de donner une description botanique
sur laquelle nous ne reviendrons pas, si ce n’est pour dire que les
semences ont un poids oscillant entre 20 et 25 grammes, ce qui
correspond à peu près au poids moyen des graines de Kola fraîches,
et que leur couleur blanc-jaunâtre est tout à fait celle qui carac
térise les Kolas blancs ; que mâchée, enfin, la masse cotylédonaire
a une saveur d’abord astringente, comme celle des Kolas, puis
légèrement douceâtre, et enfin un peu amère. Sous ce rapport, il
y aurait certainement illusion possible entre le vrai Kola et
l’Heritiera littoralis, si l’astringence et l’amertume étaient un peu
plus prononcées, et la saveur sucrée un peu moins accusée, chez
ce dernier.
c
b
Fig. 33. — a, Iissu des cotylédons; b, cellules de a avec leur contenu amylacé;
c, grain de fécule de h très grossi.
Examinée au microscope, une coupe des cotylédons nous pré
sente un tissu cellulaire homogène dont les éléments sont formés
de parois cellulosiques assez épaisses (fig. 33 a). Ces cellules sont
gorgées de grains d’amidon très petits (fig 33 b) qui la remplissent
presque en totalité. Ces grains de fécule sont polygonaux, pourvus
d’un bile rayonné et mesurent, dans leur plus grande dimension,
0mm008 de millimètre (fig. 33 c). Comme on le voit, si la constitution
(I) Nous trouvons, en ce qui concerne les Colonies de Nouvelle-Calédonie et de
Cochinchine, dans les Plantes utiles des Colonies françaises de de Lanessan,
l'indication et l'utilisalion du bois d’Heritiera littoralis, pour l’ébénisterie et la
menuiserie?. Il n’y est pas question de l’emploi des graines.
�LES
KOLAS AFRICAINS
129
tissulaire des graines d'Ileritiera littoralis rappelle de loiu celle
des graines de Kola, le contenu cellulaire, bien qu’amylacé des
deux parts, permettra de reconnaître par la forme et les dimensions
du grain de fécule, ce qui appartient à l’uue ou à l’autre de ces
Sterculiacêes. La différence est si profonde, en ce qui touche à
l’amidon, qu’il serait facile de reconnaître le mélange du faux Kola,
même dans des semences réduites en poudre. Nous rappelons,
en effet, que l’amidon des graines de Cola acuminata, PL 1, fig. 6,
est franchement ovoïde avec un hile cruciforme et que chaque
grain mesure de 16 à 24 millièmes de millimètre, tandis que le
grain de fécule d7Initiera littoralis compte à peine 8 millièmes
de millimètre dans sa plus grande longueur. Dans ces conditions,
en tenant compte de la forme spéciale que revêt la graine mondée
d'Heritiera littoralis, et des détails structuraux que nous venons de
mettre à jour dans les cotylédons de cette semence, il sera toujours
facile, dans tous les cas, d’en reconnaître le mélange au milieu
des graines de vrai Kola, soit entières, soit concassées ou moulues.
Étude chimique. — Après ces constatations, les caractères diffé
rentiels du vrai et du faux Kola devenaient faciles à établir, mais il
restait un point important à élucider. La graine d'Heritiera litto
ralis, en raison de ses affinités botaniques avec Cola acuminata,
à cause de ses qualités gustatives si rapprochées de celles du
Kola, ne serait-elle pas, comme ce dernier, pourvue de principes
excitants (caféine, théobromine) qui permettraient de la ranger dans
la classe des médicaments antidéperditifs ? L’analyse chimique seule
pouvait nous permettre de répondre à cette question et nous y
avons procédé de la manière suivante.
Pour arriver à un résultat prompt et certain, nous n’avions qu’à
suivre les méthodes d’extraction de la caféine déjà employées dans
l’analyse de la noix de Kola.
Nous allons indiquer brièvement les diverses opérations qui ont
été faites en vue d’obtenir cette base organique, en admettant sa
présence dans cette graine soit à l’état libre soit sous forme de
combinaison.
A. — Traitement au chloroforme'. — La graine mondée, préalable
ment desséchée à l’étuve à 100° et réduite en poudre grossière est
traitée dans un appareil à déplacement continu par le chloroforme
à chaud.
�EDOUARD IIECKEL
Au bout de trois heures on arrête l’opération. On distille le chlo
roforme et l’on évapore le liquide en bain-marie. L’extrait jaune
pâle est repris par l’eau et la solution aqueuse est abandonnée sous
la cloche à acide sulfurique. Au bout de plusieurs jours, le résidu
sec est examiné au microscope et par voie chimique.
L’absence complète de cristaux aiguillés soyeux nous porte à
croire que l’extrait ne contient pas de caféine, résultat confirmé
d’ailleurs par l'absence de coloration violette à la suite de l’emploi
successif du chlore et de l’ammoniaque.
Nous concluons donc de là que la matière ne renferme pas de
caféine libre.
Ce premier résultat négatif n’exclut cependant pas la possibilité
de trouver l’alcaloïde sous une forme différente, à l’état de sel, de
tannate, de sulfate ou de toute autre combinaison insoluble dans le
premier véhicule : c’est dans le but de l’isoler que nous avons pro
cédé à son extraction en suivant deux méthodes différentes.
B. — Traitement à la chaux. —Une nouvelle quantité de matière
égale à celle déjà mise en œuvre la première fois, soit 50 grammes,
a été traitée par la chaux fraîchement délitée. Le magma calcaire
évaporé à siccité a été épuisé par l’alcool dans l’appareil à extrac
tion continue. La solution alcoolique provenant de ce traitement a
été distillée, puis évaporée sur des verres de montre. Les divers
résidus n’ont pas révélé trace de cristaux à l’examen microscopique
ni de coloration particulière après l’emploi de chlore et d’ammouiaque; donc, même résultat négatif que ci-dessus, c’est-à-dire absence
complète de caféine.
G. — Traitement à l'acide sulfurique. — Nous avons traité
50 grammes de poudre par une eau légèrement acidifiée à
l’acide sulfurique. Après trois heures de macération au bainmarie, nous avons décanté les liqueurs et repris les résidus une
seconde fois dans les mêmes conditions. Les liquides mélangés,
convenablement réduits, ont été additionnés de chaux hydratée
en excès, le magna calcaire a été desséché à l’étuve et épuisé
ensuite par l’alcool bouillant. *
La solution alcoolique, préalablement distillée, puis concentrée
dans une capsule, a laissé un résidu jaune dans lequel on n’a pu
constater, comme ci-dessus, ni cristaux aiguillés, ni coloration
�LES KOLAS AFRICAINS
131
rouge violacée en évaporant d’abord avec du chlore ou du brome et
traitant le produit de la réaction par de l’ammoniaque.
Les résultats fournis par nos trois opérations successives nous
autorisent donc à conclure à l’absence de la caféine libre ou com
binée dans la graine d’Heritiera littoralis.
3.
Quoique nos suppositions relatives à la présence de cette
base dans cette graine, et par conséquent à l’analogie au point de
vue chimique des deux graines (Kola et Heritiera) ne se fussent
pas vérifiées, nous nous sommes néanmoins donné comme tâche
de rechercher la nature des principes immédiats contenus dans le
nouveau produit. Cette analyse a été effectuée d’après la méthode
généralement suivie.
Nous ne nous arrêterons pas à la description de la forme et de la
grandeur de la graine dont il a été question plus haut ; nous ajou
terons seulement, comme complément, que 10 noix prises au hasard
pèsent 282 gr., soit 28 gr. 2 en moyenne.
Eu pesant isolément le fruit et l’embryon mondé, nous avons
obtenu des nombres variant du simple au double comme on peut le
voir ci-dessous.
Noix entière.
C o ty lé d o n s .
F r u it.
(fruit et graine réunis
12 gr.
»
15
n
14
50
30
50
45
19
40
28
70
48
10 gr.
22
»
))
22 gr.
37
))
))
))
10
Il faut défalquer du poids des cotylédons celui d’une enveloppe
brun clair très lâche qui se déchire souvent quand on ouvre la.
noix et dont l’épaisseur varie de 0mm, 1 à 0mm, 5. Cette enve
loppe (tégument), ne pèse pas au delà de 0 gr. 50 à 1 gr. 20. On
peut également détacher de la gousse, quoique avec assez de diffi
culté, sa couche interne endocarpique, d’une épaisseur de 0mm,8 à
lmm,2 et dont le poids varie entre 2 gr. 20 et 3 gr. 60.
GRAINES MONDÉES
A. — 3 grammes de cotylédons mondés coupés en tranches fines
sont desséchés à l’étuve à 105°.
Ils perdent 0,345 de leur poids.
Après incinération, ils laissent 0 gr. 088 de cendres dont la perte
de poids constitue le poids des matières organiques.
�EDOUARD HECKEL
Les premières données nécessaires à l’analyse sont donc les
suivantes:
Eau hygrométrique.......................... 0.345 soit 11.500
Total des matières organiques . . . 2.567
89.567
Cendres............................................... 0.088
2.933
3.000
100.000
B. — Traitement à l'éther de pétrole. — Nous employons 100
grammes de poudre de cotylédons préalablement séchés à l’étuve à
105° et nous les épuisons par de l’éther de pétrole dans un appareil
à déplacement continu à chaud. L’opération nous fournit un liquide
jaune pale qui, après évaporation et concentration, se présente sous
forme d’une huile dont le rendement est de 6,95 0/0.
Cette huile ne se colore pas au contact de l’acide chlorhydrique
et change à peine après addition d’acide azotique. L’acide sulfurique
le colore eu jaune et meme brun foncé. L’addition d’une trace de
chlorure ferrique fait apparaître une coloration violette que le
chloroforme rend plus évidente.
Ces réactions de couleur appartiennent à la cholestérine et
permettent delà caractériser dans un mélange. Mais pour démontrer
sa présence avec certitude, il nous manque, dans le cas particulier,
ses caractères cristallographiques que nous n’avons pu mettre en
relief à cause de la trop faible portion de matière que nous avions à
notre disposition.
L’huile se dissout en partie dans l’alcool ; sa partie soluble
évaporée au bain-marie, puis incinérée avec du nitre, fournit un
résidu qui présente les caractères des phosphates. Un dosage
effectué avec la solution titrée d’urane, nous a permis d’y constater
0 gr. 1143 0/0 d’acide phosphorique anhydre. Nous rapportons
l’origine de cet acide à la lécithine, c’est-à-dire au seul composé
phosphoré actuellement connu qui jouisse de la propriété d’être
soluble dans l’alcool, les corps gras et l’éther de pétrole.
Comme dernière réaction de l’huile, nous dirons encore qu’en
la faisant bouillir avec de l’eau et filtrant on n’obtient pas,
dans le résidu du liquide évaporé, la moindre trace de cristaux
aiguillés, résultat qu’il était du reste facile de prévoir d’après
nos essais préliminaires et qui concorde avec ceux que nous avons
cités plus haut relativement à l’absence de caféine.
4
�LES KOLAS AFRICAINS
133
C. Traitement au chloroforme. — Quand l’extraction à l’éther
de pétrole a été laite dans de bonnes conditions, c’est-à-dire
quand l’opération a été prolongée suffisamment longtemps, le
chloroforme n’enlève plus rien à la matière ; mais dans le cas
contraire on obtient encore une certaine quantité d’huile qui
jouit des propriétés que nous veuons de mentionner.
D. Traitement à l'alcool. — En opérant l’épuisement au
moyeu de l’alcool bouillant, on obtient un liquide rouge et
une masse poisseuse de même couleur. L’appareil étant refroidi
on peut décanter le liquide sans entraîner le dépôt. Ce dernier
se dissout en totalité dans l’eau.
L’évaporation des divers liquides alcooliques et aqueux
fournit un extrait rouge-brun foncé, très astringent, précipi
tant abondamment les sels de fer, réduisant la liqueur Bareswill
et incomplètement soluble dans l’eau. Les flocons bruns qui se
forment à la surface aussitôt qu’on traite cet extrait par l’eau,
ne constituent, sans aucun doute, pas autre chose qu’un produit
d’oxydation du tannin. Ils présentent les mêmes propriétés que
celles que nous avons déjà signalées à propos du rouge de
Kola ou d’un autre produit mieux connu, du rouge cinchonique. La substance desséchée prend un aspect brillant ; elle se
dissout dans un certain nombre de véhicules, entre autres
dans la potasse caustique, et se précipite de ses dissolutions
après addition d’un acide.
Lorsqu’après avoir jeté sur filtre le dépôt floconneux prove
nant d’une première opération, on vieut à concentrer une
seconde fois le liquide qui passe et qu’on évapore à siccité, il
arrive que le résidu ne se dissout plus en totalité et fournit
après traitement par l’eau froide, un précipité floconneux de
même couleur, presque aussi abondant que celui de la pre
mière opération. Ces dépôts se reforment même au bout de
cinq ou six traitements successifs. Il importe donc, pour le
dosage de ce composé insoluble, auquel Dragendorfï donne le
nom de phlobaphène, de jeter constamment sur filtre les dépôts
qui se produisent après chaque évaporation ; à un moment
donné, l’eau froide ne provoquant plus de précipité floconneux,
on peut considérer l’opération comme terminée. Le liquide,
�EDOUARD IIECKEL
fortement coloré, présente alors une saveur franchement sucrée
et devient visqueux au bout de quelque temps. Après l’avoir
évaporé à siccité, on reconnaît dans le résidu des cristaux
cubiques qui ne sont autre chose que du chlorure de sodium.
E. Traitement à l’acide sulfurique dilué. — La poudre épui
sée par les dissolvants a servi ensuite au dosage des matières
amylacées et albuminoïdes.
Une partie, chauffée avec l’acide sulfurique dilué, fournit de
la glucose aux dépens des matières amylacée et cellulosique.
Une autre, calcinée avec de la chaux sodée, dégage de
l’ammoniaque que l’on reçoit dans un appareil à boules dans
de l’acide sulfurique titré et qui sert à calculer la quantité
d’azote et partant, la proportion de matières albuminoïdes.
Enfin, avec Je poids des éléments précédents et la totalité
des matières organiques, on obtient par différence celui du
ligneux.
F. Composition de, la graine. — Les nombres trouvés par
l’analyse immédiate, rapportés à la somme des matières orga
niques contenues dans 100 grammes de substance, c’est-à-dire
85,567, servent ensuite à calculer la composition en centièmes.
Ces calculs nous conduisent de la sorte aux résultats suivants:
Huile...................................
4.366
Tannin et matièrescolorantes 4.983
Sucre...................................
5.738
Chlorure so d iq u e ..............
0.288
Cellulose et amidon . . . .
55.987
Matières albuminoïdes. . . 13.537
Ligneux....................................12.367
Sels fixes............................
2.645
Perte...................................
0.089
Total..............
100.000
Les cendres sont presque entièrement blanches; elles renferment
néanmoins un peu de fer et de manganèse. On n’y trouve pas trace
de chlorures, mais presque uniquement des phosphates et sulfates
de chaux, de potasse et de soude. Le spectroscope n’y révèle pas
de lithine.
�LES KOLAS AFRICAINS
135
En rapprochant la composition de cette graine de celle de la
noix de Kola, on voit donc qu’il n’existe aucune analogie entre
elles; ici, tout d’abord, pas de trace de caféine, c’est le premier et
principal caractère.
Dans Hcritiera littoralis, nous trouvons à peu près 5 % d’un
tannin analogue au point de vue de sa solubilité dans l’eau et dans
les divers véhicules, à celui de la noix de Kola ; mais dans cette
dernière graine le tannin n’est contenu que pour la moitié de cette
quantité environ.
La proportion de corps gras y est presque dix fois plus consi
dérable ; celle des matières albuminoïdes et du sucre, environ le
double. Enfin, en faisant la somme des matières cellulosiques,
amylacée et ligueuse, on obtient à peu près le même résultat dans
les deux cas.
En résumé, il existe une différence complète entre les deux
graines au point de vue de leur composition chimique, et la substi
tution de la graine d’Hèritiera à celle du Cola acuminata ne saurait
être tolérée, elle constitue une fraude fort repréhensible, quoique
non dangereuse. Si j’ai longuement insisté ici sur ce cas de
substitution, c’est que tout semble faire prévoir que la graine
à’Heritiera littoralis jouera, vis-à-vis du Kola blanc frais, qui
arrive maintenant en France assez couramment, le rôle que
joue le Pentadesma butyracca comme élément de substitution au
Kola sec des Rivières du Sud. 11 importe donc, dans cette pré
vision, de pouvoir, par tous les moyens possibles, reconnaître
cette fraude, d’autant que le Kola blanc a une valeur supérieure à
celle du rouge, nous la trouverons dans letude chimique.
— En dehors des trois graines principales dont je viens de m’oc
cuper longuement en raison de leur prédominance comme substances
de substitution au vrai Kola, on peut trouver encore accidentelle
ment mêlées aux graines sèches, les graines ou fruits suivants :
1. — Fèves de Calabar (Physostygma venenosum Balf.)
2. — Quelques fruits de Cocos de petite taille.
Celles-ci ne sauraient échapper à un triage (même grossièrement
fait) auquel il convient de soumettre rigoureusement toute acquisi
tion de Kola en graines sèches. Leur forme jure trop avec celles des
semences du Cola acuminata pour qu’une erreur puisse jamais
se produire. Il importe du reste qu’il en soit ainsi, car, on le sait, la
�EDOUARD HECKE]
lève de Calabar est un poison redoutable. Quant aux divers fruits
de Cocos de cette région chaude, ils sont aussi très facilement
reconnaissables. Il suffit donc de signaler ce mélange tout à fait
involontaire qui se produit quelquefois, pour qu’il y soit porté
remède sans la moindre difficulté de diagnose. On n’a, du reste,
jamais constaté le moindre symptôme d’empoisonnement par le
Fig. 34 — Graine entière du Cola digilala Mast.
Fig. 35. — Graine ouvet'le du Cola digilala Mast.
Kola, ce qui indique bien que tous ceux qui l’emploient savent
en éloigner la fève de Calabar, quand elle se mélange acciden
tellement à ces graines.
Graines de Colas inertes, qu'on trouve rarement mêlées à celles du
vrai Kola. — Il existe certainement une.grande quantité de graines
�LES KOLAS AFRICAINS
137
de divers Cola et Sterculia qui, par leur forme, pourraient être
confondues avec celles du vrai Kola, et qui n’ont cependant aucune
valeur ni thérapeutique ni bromatologique. A ce point de vue, mes
connaissances sont encore peu avancées; néanmoins, il m’est permis
Cola digilata Mast.
Fig. 3G. — Fruit entier.
Fig. 37.
Fruit ouvert longitudinalement pour
montrer les graines pourvues de
leur arille blanc, éburné, brillant.
de donner quelques notions utiles sur certaines de ces graines qu
ne paraissent du reste point partager, et c’est justice, avec la
graine du vrai Kola (Gourou, Ombéné), la faveur des nègres de
�EDOUARD HECKEL
la côte d’Afrique, au moins au Gabon-Congo. Je veux parler
cl’abord des semences du Cola cUgitala Mast., nommé Ombéné
Nipolo par les Pahouins, à Libreville et au Gabon-Congo. Nous
allons nous en occuper, ne fût-ce que pour apprendre à les
connaître si elles se mêlaient (comme cela arrive quelquefois,
paraît-il) aux graines de Kola du Gabon. (Cola Ballayi).
Cette espèce est un arbre peu répandu croissant sur le versant
des hauteurs et jamais en groupes. 11 n’existe pas aux environs de
Libreville, à moins cle’Sà 10 kilomètres de cette ville. Sa taille peu
élevée atteint à la hauteur de 5 à 6 mètres au plus; il est remar
quable par ses feuilles déjetées et peu nombreuses.
Le nom de Ombéné Nipolo appopo veut dire Kola gros blanc
en Pahouin.
La partie comestible du fruit est le testa très développé qui
enveloppe la graine ; il est de couleur blanche, et un peu sucré;
les indigènes seuls s’en nourrissent et encore rarement : de là le nom
de Kola gros blanc donné à cet arbre par les Pabouins. Voici dans
quels termes Masters qui a nommé cette espèce, la décrit dans
Flora of tropical cifrica d’Oliver, T. I, p. 224 :
« Petit arbre de 12 à 15 pieds (3m65 à 4"'57) de haut, pourvu de fortes branches
cylindriques. Pétioles étalés plus ou moins horizontalement, mesurant de 0n,30
à 0m45 de long, cylindrique, feuilles déjetées, avec 7 ou S folioles chacune, aussi
longues ou plus longues que le support commun, subcoriaces, glabres, elliptiques
acuminées, atténuées à la base et légèrement décurrentes sur le côté du pétiole
secondaire, de 0’"05 à 0075 de long, entières ou fendues, irrégulièrement
pinnées au moins en ce qui touche le pétiole central, lobes acuminés.
» Pleurs en petites grappes denses, émergeant des branches un peu au dessus
» de l’aisselle de la feuille (pédoncules de 0m012 de long), couvertes d’un duvet
» rougeâtre. Boutons floraux globuleux ou quelque peu létragonaux. Galice cam» panulé, coriace)à 5 lobes arrondis valvaires, striés à l’intérieur". Fleur mâle........
» Fleur hermaphrodite : anthères nombreuses, chacune pourvue de deux lobes
» parallèles linéaires, irrégulières dans leurs dimensions et disposées en un cercle
» autour de la base de 5 carpelles petits, duveteux et unicellulaires, surmontés
» chacun par un stigmate large, charnu et arrondi. Pédoncules du fruit épaissis,
» de 0“ 025 de long. Carpelles mûrs, 2 par avortement des trois autres, mesurant
)) de Om 05 a Om01 de long, oblongs, acuminés, ventrus, terminés à la base par un
O support pointu à peine plus court que les carpelles, complètement déhiscents le
» long de la suture venLrale ou placentale, de manière à devenir en définitive à peu
» près plats et à exposer au dehors le brillant cramoisi de leur surface interne
» Semences de 4 à 6 clans chaque carpelle, oblongues obtuses, un peu comprimées
o üm01 de long; testa noir brillant d’aspect parcheminé, quand il est sec. Albumen
a nul, cotylédons 2, épais, plats, brunâtres, radicule dirigée directement vers le
» hile. ,
» G uinée suprc.— Ile du Prince '(Bar ter] MannlJ.— Afrique occidentale (Capitaine
»
»
»
»
»
»
�LES KOLAS AFRICAINS
139
» BabinglonJ. Le feuillage splendide et, la brillante couleur cramoisie que présente
» le fruit ouvert, font de cette plante une espèce dont l’introduction est à désirer.
» Dans les premiers moments de la déhiscence du fruit, elle rappelle l’espèce de la
» section Firmiana, mais cette espècé s'en distingue par des follicules épais,
» coriaces et presque ligneux. »
Voici au sujet de ce végétal les renseignements, datés de
Libreville, que j’ai reçus le 18 mars 1891 de M. A. Jolly, agent du
Congo français, qui fut attaché durant 10 années au laboratoire de
botanique de la Faculté de médecine de Paris. Ils
■%ont trait à un spécimen croissant à une certaine distance de Libreville(Gabon français) :
« Arbrisseau d’environ 3 mètres de haut; tige simple, écorce
» grise,feuilles alternes avec pétiole de 10 à 25 centimètres de long.
» Fruit 0.20 de long sur 6 de large. J ’ai trouvé sur cet arbre deux
» grappes de chacune cinq fruits, dans un entrenoeud à environ l m25
» du sol. Ce fruit est d’un beau rouge carmin, velu; de plus il est
» recouvert d’une broderie grise. A l’état frais, l’intérieur est complè» tement rempli d’un testa corné, les graines sont rouge violet au
» centre. Dans ce môme état, quand on déchire l’écorce, il en sort une
» grande quantité de petites gouttelettes visqueuses. » (mucilage).
Les abondants matériaux frais et dans l’alcool que j’ai reçus du
Gabon par mes zélés correspondants MM. Pierre et Autran, en ce
qui concernecetteespèce, me permettent de contrôler et de compléter
la description insuffisante et môme erronée en certains points de
Masters. Nous avons déjà vu que M. A. Jolly n’est pas d’accord
avec le savant botaniste anglais en ce qui touche aux dimensions du
fruit et au nombre des carpelles verticillés qui parviennent à matu
rité. J’ai souligné ces deux contradictions et, je dois le dire, tous
les envois que j’ai reçus me permettent d’affirmer que le plus
souvent les 5 carpelles mûrissent et parviennent à des dimensions
beaucoup plus considérables que celles qui sont indiquées par
Masters. Néanmoins on peut trouver tous les états intermédiaires
entre ceux qu’indique cet auteur et qui constituent certainement un
minimum.
J’estime que c’est le plus gros fruit de Kola que l’on con
naisse (fig. 36 et 37) et les graines elles-mêmes affectent des tailles
géantes, car dépouillées de leur testa corné, très épais, blanc
brillant, quelque peu translucide et non noir et brillant comme
le dit Masters, qui a dû observer des spécimens depuis long-
�EDOUARD HECKEL
temps desséchés, elles pèsent encore jusqu’à 100 gr. en moyenne
(voir fig. 34 et 35). Ces mêmes graines d’une belle couleur
amarante, sont remarquables par la forme de leurs cotylédons
apprimés et rapprochés en coquilles d’huîtres. On voit à leur
surface extérieure une nervation très accentuée et les bords
des cotylédons souvent repliés au dehors (fig. 34). Mais leur
face interne, outre la nervation plus apparente encore qu’elle
présente sous forme de sinuosités profondes, se fait remarquer
par le développement énorme de poils qui recouvrent sa sur
face entière et deviennent plus nombreux sur les lignes de la
nervation (fig. 35). Celles-ci en deviennent ainsi plus mar
quées. Cette caractéristique que je n’ai reLrouvée dans aucune
autre graine de Kola, jointe aux dimensions énormes de la
graine, permettront toujours de reconnaître la semence du Cola
digitata si elle venait à se mêler à celle du vrai Kola.
M. Masters indique encore 4 à 6 semences dans chaque car
pelle : c’est en effet le chiffre normal, mais j’ai trouvé et je
possède dans les collections de la Faculté des Sciences plusieurs
fruits à une seule graine : ces fruits sont alors sphériques ou
à peu prôs.(Voirfîg.38,B.) Dans ces conditions, le carpelle qui ren
ferme la graine est très réduit dans ses dimensions et ne mesure
pas plus de 4 centimètres. Les dimensions de ce fruit sont donc
aussi variables que le nombre des graines : mais ce qui ne varie
pas c’est la forme et les dimensions de ces graines, la nature
spéciale du testa, l’état semi ligneux et très épais des carpelles
ainsi que la présence dans ces fruits d’une quantité énorme
de mucilage. On en trouve presque autant cependant dans le
Cola acuminata, mais pas ailleurs. — J ’ai obtenu des graines
fraîches venues de Libreville (par feu M. Pierre, directeur du jardin
d’Essai, deux jeunes plantes de cette espèce : je donne fig. 38 A,
la photographie de l’un d’eux. Le Muséum de Paris, dans ses
serres chaudes placées sous la direction de M. Cornu, possède
de magnifiques échantillons de ce végétal qui ne tarderont pas
à fleurir, et qui répondent bien aux caractères foliaires géné
ralement admis, et au port indiqué par les auteurs : cependant
dans les spécimens de Paris comme dans ceux de Marseille
et dans les feuilles que j’ai reçues du Gabon se trouvent le plus
souvent 5 et non 7 à 8 folioles comnfe le dit Masters.
�LES KOLAS AFRICAINS
141
Analyse des graines de Cola digitata du Gabon (Onibéné Ni-Po lo
des Pahouins).—L’examen fait par M. Schlagdenliaufïen a porté
sur deux graines dont l’une pesait 89 gr. 50 et l’autre 111 gr. 20.
Leur poids moyen est donc de 100 gr.
Fig 38. —A, jeune pied de Cola digitata venu de graine au Jardin botanique de
Marseille ; B, fruit sphérique de Cola digitata à une seule graine.
1. Une certaine quantité de matière râpée soumise à l’étuve à
105° perd 60.2 o/o d’eau. Ce qui reste laisse, après macération, un
poids de cendres de 1.815, d’où il découle que la graine renferme :
Eau.
60gr.213
Matières organiques 37 972 100.00
Sels.
815
�EDOUARD HECKEL
2.
Pour chercher la nature des principes immédiats, nous épui
sons la pulpe préalablement desséchée et réduite en poudre par du
chloroforme et de l’alcool.
A. — Traitement au chloroforme : Au bout de deux heures
d’épuisement, nous évaporons le liquide du ballon et ne constatons
dans le résidu pas la moindre trace de produit cristallisé. L’eau de
chlore et l’ammoniaque, employés convenablement dans le but de
rechercher la caféine, ne révèlent pas trace de cette base. La graine
ne renferme donc pas de caféine libre. Pour reconnaître l’absence ou
la présence d’un sel de caféine, nous ajoutons à la poudre préalable
ment épuisée, un peu de chaux hydratée, nous mélangeons intime
ment dans une capsule avec de l’eau, nous desséchons le magma et
épuisons de nouveau dans l’appareil à l’aide du chloroforme. Ici,
encore, absence de produit cristallisé, et résultat négatif avec le
chlore et l’ammoniaque, donc point de caféine à l’état de combinai
son. Le chloroforme en outre n’enlève ni corps gras, ni composé
huileux.
B. — Traitement à l’alcool : Ce véhicule dissout un peu de glucose
et du tannin, et un produit, insoluble dans l’eau, constitué par de la
gliadine et de la fibrine caséine. Le poids de l’exlrait est de 1,655 o/o
dont 0,848 solubles dans l’eau et 0,807 insolubles.
C. — Traitement à l’eau : Nous faisons bouillir le restant de la
poudre avec de l’eau et nous obtenons un liquide rougeâtre légère
ment acide qui, au fur et à mesure de la concentration, se couvre
d’une pellicule plus ou moins épaisse à la façon des albuminoïdes.
L’alcool précipite la solution, le chlorure ferrique également,
quoique faiblement ; l’acétate plombique y fait naître un précipité.
L’extrait aqueux desséché au bain-marie, puis à l’étuve, incinéré
avec du sodium, indique la présence d'un composé azoté qui ne
peut être attribué, dans ce cas particulier, qu’à une matière albumi
noïde. La partie insoluble dans l’eau est constituée par du ligneux
et de la cellulose.
Il résulte de là que la composition immédiate de la graine peut
être établie comme il suit :
�LES KOLAS AFRICAINS
143
Extrait au chloroforme = absence de caféine.
. fiKK ( 0,848 glucose et tannin.
— a l’acool
» 1.655
OA_
.
| 0,807 gliadine, übrine, caserne.
/ matières albuminoïdes, gommeu— à l’eau
)) 6.675 )
ses, pectiques et traces d’acit
des organiques.
Partie insoluble dans l’eau
29.642, ligneux et cellulose
Après incinération
)) 1.815.
Eau hygrométrique
» 60.213.
100 . 000.
Ce Kola donne donc une graine sans aucune valeur ni bromatologique ni thérapeutique. Si cette graine se mêlait à celle du Cola
acuminata, il serait facile de la reconnaître: 1° à sa forme en écailles
d’huître; 2° à la nervation et au velu très accusé de ses cotylédons;
3° aux fortes dimensions de cette graine; 4° à l’absence de saveur
amère qu’elle donne à la mastication.
Eu fin, il existe encore au Gabon-Congo, un Kola (Cola gaboniensiS' Mast.) désigné par les M’Pongués sous le nom de Orindé.
Le fruit (fig. 22) ' en est rouge à la maturité : la pulpe
qui entoure les graines (fig. 23) est comestible, sucrée et
un peu acidulée, c’est-à-dire rafraîchissante. Les indigènes seuls
l'emploient et n’en font du reste pas une grande consommation.
Par contre, les mêmes indigènes disent que ce fruit est très
recherché par les singes en général et le gorille en particulier;
aussi le désignent-ils sous le nom de fruit de Gorille. On
trouve ce Cola non loin de Libreville, près de la plaine de
Guégué, dans le petit bois qui sépare cette plaine de la mer
et sur un sol très léger. C’est un arbuste : il atteint 2m50 à 3m de
hauteur, ses feuilles ovales, aiguës et lancéolées (fig. 1) sont acides
mais un peu moins que celles de l’oseille. La graine dépouillée de
la pulpe qui l’entoure est grisâtre à maturité, petite, et revêt
bien le caractère d’une graine de vrai Kola en miniature (sauf les
dimensions et la couleur). A l’analyse, elle m’a donné une forte
proportion de fécule mais pas la plus petite trace de caféine ni de
théobromine. Le fruit est très remarquable par deux côtes saillantes
qui se détachent du sommet de la gousse sur sa suture dorsale
et régnent sur tout le bord pour se rejoindre et se fondre à
�144
EDOUARD HECKEL
à sa partie inférieure (Fig. 4). — Nous reviendrons sur tous ces
points dans la description botanique de ce végétal, qu’il importe
de reprendre en entier et que nous établirons : 1° sur des
échantillons dans l’alcool venus de Libreville et que je dois à
MM. Pierre et Autran, mes très zélés correspondants du GabonCongo, et sur l’examen du magnifique échantillon actuellement
en fleur que possède le muséum de Paris dans sa superbe
collection de plantes exotiques en serres chaudes, qui fait si
grand honneur à M. le professeur Cornu.
Avant d’aborder cette description nouvelle, il n’est pas inutile
de rappeler ce qu’on a écrit sur ce végétal. Bâillon, dans
VHerbier du Galion (Adansonia T., X, p. 165), s’exprime ainsi:
» Le genre Cota, outre l’arbre à la noix de Cola, présente une
» espèce curieuse qui est YOrindé rouge du Gabon, au dire de
» M. Griffon du Bellay (u° 11). M. Duparquet lui donne (n° 72)
» le nom d’Eréré et qualifie son fruit d’alimentaire (1). C’est
» cette espèce que M. Masters (Flora of trop, africa, I, 222) a
» incomplètement décrite sous le nom de Cota gabonensis. 11
» l’indique comme un arbuste buissonnant dont les jeunes rameaux
» sont, rougeâtres, dont les feuilles elliptiques acuminées, entières,
» élargies à la base, glabres, subcoriaces ont des nervures
» arquées et dont les fleurs nombreuses sont portées sur de
» courts pédoncules axillaires. M. Griffon du Bellay a pris sur
» nature une description de YOrindé rouge qui me paraît bien
n la même plante ; il rapporte que les rameaux sont gris,
» parsemés de larges taches verdâtres, avec écorce gaufrée,
» marquée de nombreuses rugosités et d’impressions demi circu» laires répondant à l’attache des feuilles. Celles-ci ne sont pas
» toutes comme les décrit M. Masters d’après les échantillons
» de Mann. Principalement vers l’extrémité des branches, il y
» en a qui sont pourvues d’un à deux lobes latéraux, irréguliers,
» ce qui leur donne quelque ressemblance avec celles du figuier
» et rappelle d’ailleurs celles de plusieurs autres Colas.
« Les fleurs mâles que nous voyons sur l'échantillon du
» L. Duparquet, sont solitaires. Leur calice est campanulé et
(1) Nous venons de voir ci-dessus clans quelle mesure il est alimentaire par l’arille
de sa graine; nous voyons aussi par l’analyse de la graine qu’elle ne renferme d’uli
lisable qu’un peu de fécule.
�LES KOLAS AFRICAINS
145
)) décrit par M. Masters comme quinquédenté, mais j’en vois
» plusieurs qui sont seulement tridentés. Les dents sont trian» gulaires, conniventes, valvaires. Les étamines sont incluses.
» Leur colonne commune est grêle et porte supérieurement un
» verticille d’une douzaine d’anthères à loges linéaires, aiguës,
» au sommet, parfaitement verticales. Je n’ai pas vu les fleurs
» femelles, mais je connais les fruits non décrits jusqu’ici. Ils
» sont formés de 5 ou 6 ou d’un nombre moindre de follicules,
)) verticillés au sommet d’un épais pédoncule. Ils sont disposés,
)) dit M. Griffon du Bellay, comme ceux de 1’Ombéné du Gabon,
» mais ils sont quatre fois moins volumineux. Leur péricarpe
)) est d’un beau rouge à l’état frais. Sec il est plus ou moins
» rugueux et ridé (peut-être parce qu’il avait été cueilli un
» peu avant sa maturité), irrégulièrement ovoïde, légèrement
» acuminé à son sommet. Il n’a guère, en cet état, que 3 centim.
» de long sur 2 de large et renferme une demi-douzaine de
n graines, inégales, comprimées les unes par les autres, de
» façon que leur embryon est nummuliforme, à contour subor» biculaire ou ellipsoïde. Les cotylédons sont blanchâtres, charnus
» et leur base entoure complètement la radicule très courte.
« Ce qui fait l’intérêt de cette espèce, c’est qu’elle représente
» l’un des Orindé des Gabonais, c’est-à-dire un des a fruits
» générateurs » dont ils font si souvent usage et dont M. G. du
» Bellay fait mention dans son intéressant récit de voyage au
» Gabon publié dans le Tour du Monde. Si l’on s’en rapporte
» à ce qu’en raconte M. Aubry-Leconte, il s’agit, en effet, d’un
» aphrodisiaque dont les effets surpassent tout ce qu’on peut
» imaginer. Il y aurait trois Orindé (c’est-à-dire trois aphrodi» siaques puissants en honneur chez ces peuplades) : 1° le
» Cola Gabonensis (1) ; 2° un fruit encore indéterminé; 3° celui
» d’une Apocynée nommée Orindé. »
(1) Puisque M. Bâillon relate ici ces propriétés, je crois devoir faire remarquer
en passant que les graines du Cola acuminata et celles du C. Ballayi sont aussi
réputées aphrodisiaques, et que quelques auteurs veulent attribuer ces propriétés à
la caféine renfermée dans ces deux graines. Si le Cola gabonensis est vraiment
aphrodisiaque, comme il ne contient pas trace décaféiné dans ses graines, il en
résulte que cette propriété est indépendante de cet alcaloïde et qu'il faut la chercher
ailleurs, comme nous l’avons fait pour le vrai Kola (v. chap. IV. Etude thérapeutique.
�EDOUARD HECKEL
Voici maintenant la description de Masters, nous la repro
duisons en entier avec ses imperfections et ses lacunes :
Cola gabonensis Mast,.— Arbrisseau, à jeunes branches greles, couvert de ra
meaux rougeâtres striés. Stipules linéaires, lancéolés, tomenteux, de 0m00(3 à. 0m0125
Fig. 39. — Cola gabonensis. Rameau à feuilles très atténuées à la base.
de long. Pétioles cylindriques, glabres, CUOoO à 0“100. Feuilles subcoriaces, ellip
tiques, acurninées, entières, atténuées à la base, à une seule côte, glabres, à nervures
arquées. Fleurs peu nombreuses, réunies dans un support court, axillaire, de
0"006 â 0œ0125 de long. Boutons floraux, subglobuleux; velus. Calyce de la fleur
�LES KOLAS AFRICAINS
147
mâle, infundibuliforme, à o dents, divisions conaiventes et deltoïdes. Colonne grêle,
plus courte que le périantlie ; anthères 1-sériées, bilobées, lobes parallèles, en un
cercle au sommet de la colonne. Fl. hermaphrodite : fruit non mûr composé de
4 petits carpelles oblongs, velus, ridés, ligneux, larges. Semences.........
Fig. 40. — Cola qabonensis. A, rameau fleuri; B, fleur mâle, coupée longitudi
nalement ; C, fleur femelle, coupée longitudinalement.
Guinée supérieure. Gaboon (Rivière du Gabon) Mann !
Note. — Apparemment distincte de toutes les autres espèces, mais les maté
riaux sont encore très incomplets.
�EDOUARD HECKEL
Grâce aux échantillons botauiques en bon état que je dois à
feu Pierre, il m’est permis de donner une description complète
de cette espèce et une série de figures nécessaires à cette
description (fig. 39, 40 et 41):
Arbre buissonnant de 2m50 à 3 m. de hauteur, à jeunes branches grêles, cou
vert de rameaux rougeâtres, feuilles elliptiques, plus ou moins allongées, atténuées
à la base plus ou moins fortement (la fig. 39 de la page 146 donne l’image
d'un rameau où les feuilles sont très excessivement atténuées à la base et cela
d’une façon plus sensible que dans les feuilles reproduites fig. 40, où les
feuilles sont plus ovales et plus brusquement atténuées). Ces feuilles, dans tous les
cas, sont glabres, subcoriaces et à nervures arquées, en outre elles présentent tou
jours deux bourrelets, un au point où le limbe de la feuille s’atténue vers le
pétiole et l’autre au point d’insertion du même pétiole sur le rameau. Enfin ces
feuilles ont une saveur d’oseille très prononcée qui est bien caractéristique et qui
permettrait à elle-seule de reconnaître .l'espèce. Le pétiole est cylindrique, glabre,
mesurant un peu plus de J cm. et en apparence articulé à ses deux extrémités
limbaire et raméale, en raison des deux bourrelets qui le terminent. Je n’ai jamais
vu dans cette espèce de feuilles dimorphes et rappelant la forme de celles de
figuier.
Les fleurs peu nombreuses sont portées sur de courts pédoncules qui sont axil
laires ou extraaxillaires (fig 40). Ces pédoncules sont le plus souvent uniflores,
les fleurs sont donc solitaires ; quant aux boutons floraux ils sont velus et pres
que globuleux. Dans la fleur mâle, comme dans la fleur femelle, le calice, de cou
leur jaune verdâtre, est urcéolé, tri, quadri et même rarement quinquédenté. Les
dents sont courtes, triangulaires, conniventes et valvaires. Les étamines incluses
dans la fleur mâle sont portées, au nombre de 10 à 12, au sommet d’une colonne
grêle dont la hauteur égale un peu plus de la moitié de celle du calice. Les anthères,
sont linéaires, aiguës au sommet et verticales (fig. 40 B).
La fleur femelle ou hermaphrodite (fig. 40 C), généralement un peu plus grande
que la fleur mâle (fig. 40 B), est formée de quatre carpelles le plus souvent
portés sur un support formé par un cercle d’anthères (e) sessiles, jaunâtres, au
nombre de 10 à 12, linéaires ; les carpelles se term inent. supérieurement par un
style assez court (sty , fig:40 C) que couronne un stygmate glanduleux (stg) et assez
développé, quadrilôbé. Chaque loge ovarienne renferme 6 à 8 ovules. Le fruit à
maturité est formé de 4 à 6 carpelles disjoints, verticillés au sommet d’un
pédoncule épais. Chaque follicule (fig. 41 A) de couleur rouge à maturité, se ter
mine à sa partie supérieure par un rostre très accusé que forme le style persistant.
A la base de ce bec, naissent sur la suture dorsale deux crêtes suturales séparées
par une dépression très accusée et qui vont se réunir à la base même du fruit. Ce
trait constitutif est caractéristique. Le fruit est petit et à surface très lisse : il mesure
de 4 à 3 centim. de long au plus sur 2 à 3 d’épaisseur.
On trouve dans le fruit de 6 à 8 graines enveloppées par un arille succulent,
blanchâtre et de nature fibreuse qui s’arrache difficilement de la graine quand on
veut enlever son spermoderme. Ces graines sont, suivant leur situation dans le fruit,
de forme très tourmentée (fig. 41 B) et très diverse quand on les voit enveloppées de
leur arille. Après dépouillement des enveloppes, on trouve un embryon sans endosperme, composé de deux cotylédons de couleur verdâtre (fig. 41 D et E) pré
sentant outre leur ligne commissurale d’affrontement, au niveau de la radicule, une
�LES KOLAS AFRICAINS
149
fente (perpendiculaire à cette ligne) qui intéresse un tiers de la plus grande longueur
des cotylédons épais et charnus. Ceux-ci mesurent 1 centim. 5 de long et 1/2 cent,im.
d’épaisseur.
Ces graines, dépouillées de leur enveloppe, deviennent, après
dessiccation, fort petites et sont faciles à reconnaître du Cola du
Gabon (Cola Ballayi), en raison de leurs faibles dimensions et de
leur couleur verdâtre (rappelant celle du grain de café desséché).
Néanmoins, comme il pourrait se mêler à ce dernier, il était
Fig. 41. — Cola gabonensis. A, fruit entier; B, fruit ouvert; C, graine avec
son arille ; D et E, graines nues.
nécessaire de le connaître en détail, d’autant qu’il constitue
une graine sans valeur aucune au point de vue thérapeutique.
L’espèce botanique qui la fournit est intéressante au point
de vue de la science pure ; à ce titre il importait d’en donner
une description complète et définitive : c’est ce que j’ai essayé
de faire.
Il eut été très intéressant, comme l’indique M. Bâillon
(Herbier du Gabon Adansonia, T. X, p. 168) qui exprime dans
ce travail le regret de n’avoir pu le faire, de soumettre à
l’examen morphologique et chimique les diverses autres graines
�ISO
EDOUARD HËCKEL
fournies par le genre Cola et notamment les semences de
C. heterophylla Mast., C. ficifolia Mast. et C. Duparquetiana Bâillon,
qui existent dans notre colonie du Gabon-Congo, région parti
culièrement bien dotée en espèces appartenant à ce genre.
Malgré mon instance auprès des botanistes de cette région, il
ne m’a pas été jusqu’ici donné de pouvoir me procurer ces
graines et je devrai non sans regret, laisser à d’autres plus heu
reux que moi, le, soin de parfaire ce point important de mon
étude, si je ne parviens pas, dans l’avenir, à me procurer en
quantité suffisante les matériaux indispensables à ces recherches.
Je ne puis clore ce chapitre sans relater deux autres Kolas
que j’ai reçus l’un et l’autre du Gabon et que je n’ai pu ratta
cher à des espèces connues et déterminées. L’insuffisance des
échantillons que j’ai eus de ces deux Kolas ne m’a pas permis
d’en faire une description et de les classer.
Le premier m’a été adressé par M. Pierre, directeur du Jardin
d’Essai de Libreville, sous le nom de Kola rouge du Gabon ou
Ombéné attenatena des M’Pongués du Gabon. J’ai reçu des fruits
. et des graines. Ces fruits rappellent, par leur rostre, ceux du
Cola Ballayi, mais les graiues qui y sont contenues sont plus
petites, chacun des deux cotylédons est divisé en plusieurs lobes
(deux ou trois). L’enveloppe de la graine est carthacée et épaisse ;
on trouve de 5 à 6 graines dans chaque fruit. J’inclinerais à penser
que c’est une variété du Cola Ballayi.
Voici l’analyse de cette graine conservée dans l’alcool, telle
qu’elle a été faite par M. Schlagdenhaufïen :
A nalyse
de la graine de
K ola
rouge du
Gabon .
[Ombéné-Atténaténa des M’pongués du Gabon).
Six graines conservées dans l’alcool depuis deux mois ont été
désséchées à l’étuve à 405°. Dans ces six graines les plus grands
diamètres variaient entre 0m01 et 0m015 : leur poids était compris
entre 0 gr. 75 et 3 gr. 45.
Réduites en pulpe, encore humides, à l’aide de la râpe, elles
ont été soumises à la dessiccation, puis traitées par les véhicules
appropriés : chloroforme, alcool, eau. Chaque solution a été
�151
LES KOLAS AFRICAINS
évaporée séparément. Les extraits ont été dosés et examinés au
point de vue de leur composition.
1. L’extrait chloroformique est verdâtre et renferme des cristaux
aiguillés et soyeux. Il est aisé d’y constater la présence de caféine,
de chlorophylle et de trace de corps gras.
2. Dans l’extrait alcoolique, nous avons trouvé une matière
colorante brune, du tannin, et une certaine proportion de phlobaphène.
3. L’extrait aqueux contient de la gomme, un peu de matière
sucrée réduisant la liqueur de Bareswill et du tannin.qui n’avait
pas été dissous dans l’alcool.
4. La matière provenant des opérations précédentes desséchée
de nouveau et soumise à l’action de l ’acide chlorhydrique étendu
et bouillant, traitée par la liqueur de Bareswill, a servi au
dosage de l’amidon saccharilié pendant cette opération.
5. Une autre partie de la pulpe sèche, débarrassée de caféine,
a été chauffée avec de la chaux sodée pour doser l’ammoniaque
éliminée.
Cette expérience a servi au dosage de la matière protéique.
6. Une autre partie de la pulpe sèche, incinérée, a fourni le
poids des cendres.
Tels sont les éléments qui nous ont servi à établir la compo
sition de la graine.
10 gr. de pulpe provenant de graines fraîches, conservées
dans l’alcool, nous ont fourni un résidu $ec de 5gr.7870, dont
Ogr. 1527 de cendres.
Dans les 5gr. 6343 de matière organique sèche nous avons
trouvé, d’après les opérations décrites précédemment :
Caféine . . . . . . . .
Corps gras et chlorophylle . .
Tannin et phlobaphène . . .
Traces de sucre, gomme et tannin
Mat. albuminoïdes...................
Mat. am y lacée.......................
0,0135
0,0257
0,1730
0,1900
0,0365
3,0175
�EDOUARD HECKEL
En rapportant ces nombres à 100 on arrive à la composition
suivante :
C a fé in e ...........................................
Corps gras et chlorophylle . . .
Partie sol. dans l’alcool. . ; . Tannin et phlobaphène . . . .
Partie sol. dans l’eau . . . .
Traces de sucre, gomme et tannin.
Matière am ylacée...........................
Après saccharification . . . .
Après traitement à la chaux sodée. Matières protéiques.........................
Après incinération..................... Sels fixes...........................................
Partie sol. dans le chloroforme .
Somme des éléments ci-dessus . .
Cellulose et ligneux par différence .
Toi al :
.
.
0.263
0.445
3.005
3,284
34.863
4.218
2.639
48.687
51.313
100.0(10
Ce Kola a une teneur en caféine très peu élevée. De plus, cette
graine ne parait renfermer ni théobrominë, ni rouge de Kola. C’est
donc une qualité très inférieure, bien au dessous du Kola dit du
Gabon. Il faut en rejeter l’emploi soit médical soit bromatologique.
Sa graine est facile à reconnaître,du reste, comme nous l’avons dit.
Quant à la graine que j’ai eue du Gabon sous le nom de
Kola de Franceville (dans un arrivage parvenu de cette ville au
service des Colonies, à Marseille), elle est tout à fait remarquable
par ce fait qu’elle ne ressemble à aucune de celles que j’ai exa
minées jusqu’ici. Ces graines sont ou tout à fait sphériques ou
hémisphériques, rouge rouille, lourdes, dures, à tissu très compact.
Les deux cotylédons ne présentent à leur base qu’une fente
transversale (au lieu de deux au moins comme dans le Cola
acuminata), au fond de laquelle se trouve la radicule. Dans las
échantillons que j’ai eus en njain, toutes les graines avaient
germé en route. Ce Kola est très remarquable. Pour le désigner
utilement, je l’appellerai Cola sphtœrosperma,cette forme de la graine
ne pouvant s’appliquer, je crois, à aucun Kola connu. Je donnerai
l’analyse chimique de' cette graine : je la dois à M. le Dr David, phar
macien major de l r0 classe de l’armée, qui a bien voulu l’entre
prendre sur ma demande; l’examen histochimique fait au
microscope m’avait prouvé, au préalable, ainsi que le confirme
l’analyse suivante, l’absence de caféine et de théobrominë, et, par
contre, la présence d’une forte quantité de fécule.
�B ....A
Fig. 42.
A, Graine sphérique sèche
de ' Cola sphœrosperma Heckel, du
Gabon.
C, Jeune pied de Cola
sphœrosperma venu
de graines au Jardin
botanique de Marseille
B, Graine hémisphérique
sèche du même Cola
du Gabon, vue par sa
face plane.
�EDOUARD HEClviîL
Analyse de la graine du Cola sphœrospermta Heckel :
E au ...................................................................................................................
12.780
Cendres solubles................................................................................
3.600
»
insolubles..........................................................................................
Extrait chloroformé.......................................................................................•
Extrait alcoolique ( Tannin............................................
7.660
( Matières résineuses et colorantes....................
/ Matière sucrée....................................................
Extiait aqueux
^ Gomme et matières pectiques............................
1.400
0.800
0.254
7.406
3.922
5.300
) Tamii11..................................................
U*50S
l Matières noires isolées (luiiniques)...................
0.600
Décoction
( Amidon, dexlrine...............................................
29.970
chlorhydrique
' Matières albuminoïdes........................................
7.000
42.760
( Matières noires isolées (extractives)................
5.060
Matières indéterminées........................................
6.180
Ligneux................................................................................................................
13.300
100.00
R ésum é . — Poudre grise d’ipéca. L’infusion aqueuse ou
alcoolique esk jaune. Elle se colore en rouge au bout de quel
ques minutes par suite probablement d’une action de dédou
blement exercée par un ferment spécial.
COMPOSITION
E au ...........................................................
Cendres solubles.....................................
- »
insolubles...................................
Matière sucrée inactive au( polarimèlre
cupro-potassique................................
Amidon, dextrine....................................
Matières colorantes et résineuses.........
Autres matières pectiques......................
Gomme......................................................
Matières albuminoïdes............................
Matières grasses.....................................
Matières indéterminées..........................
Tannin......................................................
Ligneux....................................................
12.700
3.600
1.400
mais réduisant la liqueur
5.922
29 970
5.300
5.660
5.300
7.000
0.800
6 180
0.762
13.300
100.000
Enfin, j’apprends au dernier moment par mon zélé corres
pondant de Libreville (Gabon), M. Au Iran, qu’il existe au Gabon,
�L es
kolas
a frica in s
155
outre les variétés que j’ai déjà signalées, un Kola qu’on nomme
médicinal. M. Autran m’ayant adressé des fruits et des graines de
ce Kola dont je n’avais jamais entendu parler jusqu’ici, je n’ai pas
tardé à reconnaître que c’est un faux Kola, constitué par la graine
du Napoleona imperialis Beauv. Cette graine réniforme, rouge et
amère comme le Kola vrai, est bien connue : je ne crois pas devoir
la décrire de nouveau. Un dessin excellent en est donné, du
reste, dans le Traité général de botanique de Le Maoût et Decaisne,
page 300, 2° édition, 1876. Nous le reproduisons ici. Sèche ou
il
fraîche, cette graine se distingue facilement par sa forme (gros
haricot rouge) de tous les Kolas connus. Nous avons fait quelques
recherches avec M. SchlagdenhaufEen suiyeettegraine,et,après avoir
constaté que son extrait aqueux pouvait, à faible dose, déterminer
la mort des grenouilles et des cobayes (1), la recherche du prin
cipe toxique a établi qu’il s’agit icide la Saponine : elle y existe en
assez forte proportion. Cette graine doit donc être surveillée et
soigneusement éliminée du Kola du Gabon, si elle s’y mêlait, ce
qui serait très facile à reconnaître à cause de la forme spéciale et
caractéristique que revêt la semence du Napoleona imperialis. Nous
nous proposons, M. Schlagdenhaulïen et moi, de revenir ailleurs
sur cette graine intéressante.
(1) U sufïit. de 0 gi\ 03 d'extrait alcoolique injectés sous la peau pour faire mourir
en 5 heures une grenouille ; un cobaye de 330 gr., injecté de 0 gr. 08 du même
extrait, succombe du jour au lendemain.
�EDOUARD HEGKEL
Je reçois, au moment du tirage de cette feuille, sur le Kola
du Congo, le document suivant qui présente un réel intérêt et
que je dois à M. A. Goujon, explorateur de la Haute-Sangha :
« Bania, 7 Octobre 1892.
» On trouve le Kola dans toute la région qui va de Brazzaville à Condé
» (A damaoua), mais ce sont surtout les forêts qui bordent les ruisseaux de la
« contrée entre Kadou et Mambéré qui semblent être son pays d’élection. Dans
)i le Congo et la S angha , les indigènes le mâchent pour se teindre les dents
« en rouge : ils ne l’avalent pas et le crachent après l’avoir mastiqué plus ou
» moins longtemps. J’en ai trouvé dans tous les villages où à peu près et
» lorsque j’en demandais, on allait chercher quelques amandes enterrées dans
» un endroit humide pour les conserver, mais ce n’est que dans les pays en
» relations avec I’A damaoua qu’il fait l’objet d’un grand commerce. Là, il est
» classé par crus, comme les grands vins, porte le nom de son lieu de proveii nance et se vend à un cours
qui résulte de la qualité etdes quantités existantes
» sur le marché. J’ai vu à Gaza le prix de l’amande varier de 15 à 60 cauris.
« Le Kola le plus estimé est celui du pays des Bayanda dit : Kola Bafto.
« Il doit cette préférence à la durée de sa conservation à l'état frais qui
» dépasse trois mois et à l’absence d’âpreté.
» A partir du Bem-Nasoury, le Kola n’est plus exporté vers le Nord parce
» qu'il ne se conserve pas. Celui de Condé est même à peine consommé dans le
» pays à cause de son âcrelé qui tient, je suppose, à ce que, à l’altitude de ce
« point, il ne mûrit qu’imparfaitement.
» Je n’ai rencontré ici (à Bania), que la grosse variété de Libreville qui,
» lorsqu’elle est parfaitement mûre, est d’un rose assez vif (1). Je n’ai pas vu
» de Kola blanc. Ce qu’on désigne ici sous ce nom, c’esL le Kola rose non dépouillé
» de sa pellicule qui, vous le savez, est d’un blanc presque laiteux. C’est l’amande,
h ainsi revêtue de sa tunique, qu’on donne aux gens que l’on veut assurer de
« ses sentiments pacifiques et avec lesquels on désire demeurer en paix. C’est
» du moins ainsi qu’à deux ou trois reprises, elle m’a été offerte par des gens
« qui paraissaient fort redouter de se mettre mal avec moi. «
(1) Je pense que M. A. Goujon fait ici allusion au Cola digitala Mast. (Ombéné
Nipolo Apopo des Paliouins), dont la graine, nous l'avons vu, répond bien au
signalement ci-dessus et n'a du reste aucune valeur (voir pages 137 à 110). Quant
au Kola du C o n g o et de la S a n g h a , c’est évidemment le Cola Ballayi
qui le fournit.
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L Ü
�DEUXIÈME PARTIE
Etude
chimique de la noix de
Kola
(C. acuminata) (1).
L’amertume particulière que possède la noix de Kola, à l’état
frais, avait fait supposer au D1' Daniell que cette substance devait
renfermer un principe analogue à celui qui existe dans le café et le
thé. Cette prévision a été confirmée par l’expérience, car le savant
médecin anglaisa pn en retirer 2 o/o d’un corps cristallisé sous
forme de fines aiguilles, et jouissant de toutes les propriétés physi
ques et chimiques de la base extraite du café. A la suite de cette
découverte, J. Attfleld a entrepris l’analyse complète qualitative et
quantitative de la graine.
Après avoir vainement tenté d’y déceler la présence d’autres
alcaloïdes, le chimiste anglais y a constaté celle d’une huile essen
tielle et d’un corps gras pesant ensemble 4,52 o/o. Il y a trouvé, en
outre : 10,67 o/o de matières sucrées et gommeuses, 6,33 o/o d’une
substance albuminoïde analogue à la légumine, 20 o/o de cellulose
mélangée à des matières colorantes, 42 o/o d’amidon et 3,20 o/o de
sels fixes (Parmaceutiçal Journal, 1864-1865).
Mais comme les méthodes analytiques employées dans ces recher
ches ne présentent pas toutes les garanties de précision désirables,
nous avons pensé qu’il ne serait pas sans intérêt de reprendre cette
étude, et de déterminer avec plus de rigueur qu’on ne l’avait fait
jusqu’ici les principes constitutifs de cette graine.
Nous indiquerons dans ce travail les divers procédés d’extrac
tion que nous avons suivis pour la préparation de l’alcaloïde pur
(I) Cette étude est la reproduction, revue et augmentée, de celle que le professeur
Schlagdenhauffen de Nancy et moi avons publiée dans notre première monographie
des Kolas africains en 1884.
�158
ÉDOUARD HECKEL
et la détermination des principes constitutifs qui l’accompagnent
dans la noix de Kola. Nous ferons connaître nos procédés de recher
che de ces divers éléments avant ou après la macération de la
substance dans l’eau, avant ou après sa torréfaction. A la suite de
ces premiers chapitres nous donnerons les déductions tirées des
nombres fournis par notre analyse, comparativement à ceux qui se
rapportent aux principes contenus dans le cacao, le café et le thé ;
nous ferons suivre cette étude qui se rapporte à la noix sèche de
celle de la noix fraîche et du faux Kola, et nous terminerons par
l’examen des réactifs chimiques les plus sensibles de l’alcaloïde
qui nous occupe, enfin nous donnerons l’analyse de quelques faux
Kolas ou Kola, différents de celui qui est officinal.
I. — A nalyse
immédiate
I.
Traitement à l’eau. — La noix de Kola desséchée, réduite en
poudre, bouillie avec de l’eau pendant un certain temps, deux à
trois heures environ, fournit un liquide rouge parfaitement lim
pide. La matière colorante n’a pas d’action spéciale sur le spectre
puisqu’elle n’absorbe aucune de ses couleurs d’une manière parti
culière et ne produit pas de bandes d’absorption.
Le liquide mucilagineux, liltré à la trompe, traité par l’acétate
triplombique, fournit un abondant précipité brun clair A et un
liquide incolore B. Avec le précipité plombique A, lavé avec soin,
mis en suspension dans l’eau et décomposé par l’hydrogène sul
furé, on obtient un liquide très riche en tannin qui colore en vert
les sels ferriques. La solution filtrée B, réunie aux eaux de lavage
de l’opération précédente, traitée par l’hydrogène sulfuré et con
centrée convenablement, laisse déposer de fines aiguilles au sein
d’une masse sirupeuse qui réduit le réactif de Barreswill. Ces cris
taux sont constitués par de la caféine. Nous avons cherché à les
purifier et à les débarrasser du sucre; mais comme nos essais ne
nous ont donné jusqu’à présent que des résultats insuffisants, nous
avons abandonné ce procédé opératoire pour eu chercher un autre
permettant d’arriver avec moins de difficultés à la préparation de
l’alcaloïde entièrement privé de matière sucrée.
La méthode de Péligot (Ann. de ch. et de phys., 3e s., XI, 129), si
�LES KOLAS AFRICAINS
J59
avantageuse pour l’extraction de la caféine contenue dans le café,
pas plus que celle de Mulder (Ann. de Poggend, XLIII, 160) et celle
de Vossmann (Arch. f. Pharm., 27, LXYIII, 150) basées sur la fixa
tion du tannin par la chaux et la magnésie, n’ont pu nous servir
clans le cas présent.
Le liquide rouge dont il a été question plus haut fournit
23,70 o/o d’extrait sec renfermant 22,60 de matières organiques
(caféine, tannin, matières amylacées et colorantes), et 2,20 de sels
fixes consistant en majeure partie en sulfate de chaux et chlorures
alcalins. L’alcool n’enlève à cet extrait aqueux que le cinquième
environ de son poids constitué par de la caféine et une matière
colorante jaune. En évaporant de nouveau la solution alcoolique
jusqu’à consistance d’extrait, l’eau bouillante dissout la caféine et
laisse à l’état insoluble la matière colorante qui présente la plus
grande analogie avec le rouge cinchonique. Cette substance nous
semble donc constituer un produit d’oxydation du tannin; elle est
entièrement soluble dans la potasse caustique qu’elle colore en
rouge vif.
IL Traitement à l’alcool. — En épuisant la poudre de Kola
par l’alcool à chaud, on obtient un liquide qui ne fournit que
6 p. 100 d’extrait sec. Cet extrait est jaune clair et renferme
une grande quantité de tannin ainsi que des matières grasses
et résineuses jaunes. Quand on reprend par l’eau cet extrait
alcoolique, on perçoit une odeur très agréable qui rappelle
celle du beurre de cacao; la caféine se dissout et le mélange
des matières grasses et résineuses surnage. En traitant ce résidu
un grand nombre de fois par l’eau bouillante et en le dessé
chant au bain-marie, il finit par se réduire en une masse
sèche et friable presque insoluble dans le chloroforme, soluble
entièrement dans l’alcool et la potasse qu’elle colore en rouge
vif. Soumise à l’action de la chaleur, cette substance laisse
dégager des vapeurs empyreumatiques, et fournit dans la partie
refroidie du tube dans lequel se fait l’essai une abondante cris-_
tallisation d’aiguilles de caféine. D’un autre côté, en la traitant
par de la potasse caustique, on obtient uu liquide rouge intense
comme avec le tannin. On serait donc tenté de conclure à la
présence du tannatede caféine; mais il n’en est rien, car l’alcaloïde
n’existe pas dans la noix de Kola à l’état de combinaison, ainsi
�160
ÉDOUARD HECKEL
que nous le verrons plus tard; il s’y trouve à l’état de liberté.
De ce que les aiguilles de caféine se subliment dans ces condi
tions, il faut en conclure que l’alcaloïde est retenu mécanique
ment par cette matière résineuse. Celle-ci, sans aucun doute,
n’est autre chose qu’un produit d’oxydation du tannin et pré
sente la plus grande analogie avec le rouge cinchonique; nous
donnons à ce composé particulier le nom de rouge de Kola, et
nous indiquons plus loin en quelle proportion il existe dans la
graine. En traitant la solution aqueuse de l’extrait alcoolique
par de l’acétate de plomb et en faisant passer dans la liqueur
un courant d’hydrogène sulfuré, on obtient, comme dans la pre
mière expérience, de la caféine souillée par du sucre. Il n’y a donc
pas d’avantage, comme on le voit, à substituer l’alcool à l’eau pour
l’extraction de l'alcaloïde.
III. Traitement au sulfure de carbone. — Ce dissolvant fournit
un meilleur résultat. En épuisant la matière dans un appareil à
extraction continue, on obtient, au bout de 24 heures, un liquide
contenant, comme celui de l’opération précédente, de la matière
colorante, de la caféine, ainsi que de la matière grasse dont l’odeur
rappelle celle du beurre de cacao. Un premier traitement à l’eau
permet de séparer les corps gras, et un second, à l’acétate triplombique, enlève à la caféine la matière colorante dont elle estsouilléeLa solution, débarrassée de l’excès de sels de plomb par l’hydro
gène sulfuré, donne l’alcaloïde pur dont le poids est de 1,32 p. 100
provenant de 2,42 p. 100 d’extrait.
IV. Traitement à l’éther. — En épuisant la poudre de Kola par
de l’éther dans le même appareil à extraction continue, on obtient
à peu près le même résultat que ci-dessus. L’extrait, de couleur
jaune citron, orange ou brunâtre, suivant la durée de l’expérience,
renferme, comme le précédent, de la matière grasse, un peu de
tannin, de la matière colorante rouge et de la caféine. Son poids
est un peu supérieur à celui de l’extrait sulfocarbonique, 2 gr. 550
p. 100 au lieu de 2,42. Bouilli avec de l’eau, il fournit un liquide
qui, soumis à l’action de l’acétate triplombique pour enlever les
matières étrangères, donne 1 gr. 275 de caféine pure.
V. Traitement au chloroforme. — Comme ce véhicule constitue,
au dire des auteurs (Bull. Soc. chim., 1872, II, 467 et 1876, I, 261),
�LES KOLAS AFRICAINS
161
le meilleur dissolvant de la caféine, nous avons essayé d’en faire
usage pour l’extraction de cet alcaloïde. MM. Aubert et Haase
(.Zeitschr., f. Phys., V, 589) s’étaient déjà servi de chloroforme pour
retirer la caféine de l’extrait aqueux de café, évaporé à 100° à con
sistance sirupeuse; le rendement était beaucoup plus considérable
que par les autres procédés. Les auteurs indiquent comme résultat
de leurs expériences sur le café de Java 0,709 à 0,849 p. 100 au lieu
de 0,474 p. 100 fourni par le procédé Garot ; ils signalent en outre
les mômes avantages pour l’extraction de l’alcaloïde contenu dans
les thés de diverses provenances.
MM. Cazeneuve et Caillol (Union pharmaceutique, 1877, 170),
dans le but d’extraire la caféine du café et du thé dans un graud
degré de pureté, ajoutent de la chaux éteinte à la décoction
aqueuse de ces substances. Après avoir fait sécher le mélange à la
température du bain-marie, ils le tassent dans leur digesto-distillateur pour l’épuiser par le chloroforme. Après distillation, ils
obtiennent comme résidu un mélange de caféine et de résine chlo
rophyllienne. Le résidu, repris par l’eau à 100° et filtré sur un filtre
mouillé, fournit du premier jet une cristallisation de caféine blanche
et soyeuse.
MM. Legrip et Petit ont apporté à ce procédé une légère modi
fication (Bull. Soc. chim. 1877, I, 290) qui consiste à laisser macérer
dans l’eau à la température du bain-marie la poudre grossière de
thé ou de café, et à l’épuiser dans un appareil à déplacement à
l’aide du chloroforme. Le tannin est retenu par l’eau, tandis que la
caféine est entraînée par le dissolvant. Les résultats obtenus de
cette façon sont, paraît-il, supérieurs à ceux du procédé à la
chaux.
1.
Dosage des matières solubles dans le chloroforme. — Après
divers essais de traitement de la noix de Kola par le chloroforme,
elïectués soit avec son extrait aqueux pur ou mélangé à la chaux,
soit avec la poudre préalablement macérée dans l’eau, nous avons
constaté qu’il était plus avantageux d’opérer, dans le cas présent,
avec la matière parfaitement desséchée. L’extraction par le chloro
forme se fait rapidement. Ou obtient au bout de 6 à 8 heures un
liquide jaunâtre contenant, outre la caféine, de la matière grasse,
de la matière colorante, et du tannin dont il est facile de se débar
rasser. Le poids de l’extrait brut préparé de la sorte a été de
�EDOUARD HECKEL
2 gr., 983 pour 100; cet extrait renferme 2 gr. 348 p. 100 de caféine
pure. Comme détail intéressant à noter, nous ferons remarquer
que deux heures environ après le commencement de l’opération,
il se forme dans le ballon de l’appareil extracteur, à la surface du
liquide en ébullition, un dépôt entièrement blanc, et que le
liquide, même au bout d’un temps très long, ne se charge que
d’une proportion relativement faible de matière colorante. En
évaporant à siccité la solution chloroformique et en la reprenant
ultérieurement par l’eau, on en sépare une matière grasse dont
l’odeur rappelle celle du cacao et qui est entièrement saponifiable
par la potasse caustique.
La liqueur jaune qui passe à la filtration, concentrée convena
blement, abandonne la caféine sous forme d’aiguilles soyeuses;
pour avoir un produit d’une blancheur irréprochable, il convient
de traiter la solution par un peu de noir animal. En évaporant rapi
dement cette solution décaféiné et en reprenant ensuite le produit
par l’eau, l’éther ou le chloroforme, on ne parvient plus à la dis
soudre complètement ; la dissolution finit néanmoins par s’effectuer
quand on emploie uue forte proportion de ces véhicules à l’état
bouillant, mais il se précipite ensuite à froid un composé cristallisé
sous forme de prismes et d’octaèdres microscopiques qui présentent
la plus grande analogie avec ceux de la théobromine. De plus, ce
corps, relativement insoluble dans le chloroforme, séché, puis
chauffé dans un tube à essais, se sublime sous forme de poudre
cristalline entièrement semblable à celle que donne la théobromine.
Nous croyons donc pouvoir conclure de ces deux expériences que
la noix de Kola renferme, outre la caféine, une certaine quantité
de théobromine; les deux alcaloïdes s’y trouvent, d’ailleurs, à l’état
de liberté. Deux opérations faites dans des conditions identiques
nous ont fourni les résultats suivants pour la composition p. 100
de l’extrait chloroformique :
Caféine
= 2.348
Théobromine == 0.023
Tannin
= 0.027
Corps gras = 0.583
2.983
2.
Dosage des matières solubles dans Valcool. — Après nous être
assurés que la poudre de Kola ne cédait plus rien au chloroforme,
�LES KOLAS AFRICAINS
163
nous l'avons désséchée et soumise à l’action de l’alcool dans le
même appareil extracteur. Le poids de l’extrait provenant de 300
gr. de matière a été de 17 gr. 478. L’extrait brun acajou, traité par
l’eau bouillante, se dissout presque en totalité, mais dépose de
nouveau à froid une grande quantité de matière colorante. La
solution aqueuse, soumise à l’action de l’acétate triplombique,
fournit un précipité A et un liquide incolore B. Ce dernier, débar
rassé de l’excès de plomb et évaporé, se colore en jaune: Il ne ren
ferme que de la glucose et une petite quantité de sels fixes. Le pré
cipité plombique A, lavé avec soin, puis décomposé parl’hydrogène
sulfuré, fournit un liquide coloré sans amertume, très riche en
tannin, contrairement à ce qu’avait admis J. Attfield (loc. cit.). Ce
principe astringent se caractérise par les réactions suivantes: il
donne avec les persels de fer une coloration verte intense qui
bientôt passe au brun sale, et finit par déposer des flocons de même
couleur ; l’acétate d’urane ne produit pas de précipité au début,
mais au bout de quelques minutes il se forme un dépôt jaune très
abondant. Le citrate de fer ammoniacal additionné de quelques
gouttes d’ammoniaque, y fait naître une coloration rouge sang.
Avec l’acétate de cuivre, il se dépose des flocons d’un vert brunâtre.
L’émétique trouble la solution immédiatement et finit par donner
un précipité volumineux. La gélatine y produit un précipité blanc
sale. Le sublimé corrosif ne la trouble point. Enfin, avec le nitrate
d’argent, la liqueur noircit, surtout à chaud, à cause de la réduction
du sel et de la mise en liberté de l’argent métallique.
Mais indépendamment du tannin, ce liquide renferme en
outre une certaine quantité de matière colorante soluble qui, au
contact de certaines solutions métalliques, forme des laques d’une
couleur généralement ocracée. L’alun y fait naître un précipité
brun. Le sulfate de cuivre qui donne dans les solutions de tannin
pur un précipité vert foncé, produit un dépôt brun ; la présence du
tannin est donc masquée, ici, par celle de la matière colorante. Le
nitrate mercurique y produit également un précipitébrun. L’iodure
ioduré de potassium se comporte de même. On pourrait donc,
d’après cette réaction, être tenté de conclure à la présence d’un
alcaloïde, de la caféine peut-être, mais comme le liquide ne se
trouble pas au contact d’une solution récemment préparée de
tannin, il s’en suit qu’il ne renferme plus trace d’alcaloïde. Les
�EDOUARD HECKEL
réactions ci-dessus ne peuvent donc être attribuées qu’à la matière
colorante soluble, mélangée au tannin.
Les flocons bruns, insolubles dans l’eau froide, qui se déposent
toujours quand on abandonneau repos le liquide bouillant, semblent
n’être qu’un produit d’oxydation du tannin et présentent les plus
grandes analogies avec le rouge cinchonique. Cette substance,
soumise à la dessiccation, se présente sous la forme d’une masse
brillante presque noire. Elle est très soluble dans l’alcool, dans la
potasse caustique, dans la soude caustique et dans l’ammoniaque.
Ses solutions alcalines sont d’abord brun rouge ; mais chauffées
au bain-marie, elles affectent une couleur rouge-sang. Leur réaction
spectroscopique n’olïre rien de particulier, puisqu’elle n’est pas
caractérisée par des bandes d’absorption. Leur solution alcoolique
n’agit pas sur les sels ferriques, mais elle est précipitée en totalité
par l’acétate de plomb. Pour purifier la substance, nous la dissol
vons dans la potasse et nous la précipitons de nouveau par l’acide
chlorhydrique faible. Préparée de la sorte et chauffée dans un tube
à essais, elle fournit une huile empyreumatique qui se solidifie au
bout d’un certain temps sous forme de tables aplaties ; on ne
reconnaît pas trace de caféine dans le produit de la sublimation.
Elle se comporte donc d’une manière différente de celle du produit
brut dont il a été question plus haut.
Nous donnons à ce composé le nom de rouge de Kola pour le
distinguer de la matière colorante rouge qui est mélangée au
ligneux et qu’on ne parvient pas à en extraire, môme au bout de
trois fois vingt-quatre heures, à l’aide de l’alcool bouillant. Ce
rouge de Kola renferme une petite quantité de matière grasse
que l’on peut enlever par le chloroforme, l’éther ou le sulfure de
carbone, après avoir préalablement desséché la matière. L’extrait
alcoolique réduit la liqueur cupro-potassique d’une manière notable,
ce qui indique par conséquent la présence d’une certaine quantité
de glucose.
Lorsque le traitement à l’alcool dans l’appareil à déplacement
continu est maintenu pendant plusieurs jours, il se forme dans le
liquide un dépôt brun adhérent fortement aux parois du ballon. Ce
dépôt ne se dissout plus ni dans l’alcool, ni dans l’eau ; il renferme
une grande quantité de matière colorante combinée à la chaux, à la
potasse et à la soude. En effet, soumis à la calcination, il abandonne
�LES KOLAS AFRICAINS
165
des cendres entièrement blanches qui, reprises par l’eau, fournissent
un liquide fortement alcalin et. un résidu insoluble, dont la solution
chlorhydrique, alcalinisée par l’ammoniaque, précipite abondam
ment par l’oxalate d’ammoniaque.
Si, au lieu d’évaporer à siccité la solution alcoolique et de la
réduire par conséquent à l’état d’extrait, on la traite par l’eau, on
obtient un précipité brun-rouge, renfermant la majeure partie du
rouge de Kola. Le précipité en question soumis à des lavages
répétés, finit par perdre la matière colorante et se réduit peu à peu
en une masse floconneuse d’un brun clair. En soumettant ce dépôt
à l’action de l’eau bouillante, il surnage et se comporte à la façon
d’un corps gras. Jeté sur un filtre et desséché, il se dissout en effet
dans le chloroforme, l’éther et le sulfure de carbone ; puis, en sou
mettant ces liquides à l’évaporation au bain-marie, la matière
grasse se dépose sur la capsule. Comme le rouge de Kola se comporte
de même, il s’en suit que ce dépôt est de nature complexe et qu’il
renferme indépendamment de la matière colorante insoluble, une
certaine quantité de corps gras, qui n’avaient pu être enlevés par le
chloroforme lors du premier épuisement.
Nous indiquons ci-dessous les résultats de nos expériences qui
nous permettent de fixer la composition o/o de l’extrait alcoolique :
Tannin.............
Rouge de Kola.
Glucose............
Sels fixes.........
=
=
=
=
1.591
1.290
2.875
0.070
5.826
Les sels fixes renferment du potassium, du sodium et du cal
cium combinés très probablement à des acides organiques (dont
nous n’avons pas recherché la nature), ou bien à la matière colo
rante comme nous venons de le dire. Nous devons ajouter toutefois
qu’il ne s’agit pas ici de tannin pur, puisque nous comprenons sous
cette dénomination le mélange de tannin et de matière colorante.
Le rouge de Kola, de même, renferme le mélange de matière colo
rante rouge insoluble et de la petite quantité de matière grasse dont
nous venons de signaler la présence. Les sels fixes, la glucose et le
rouge de Kola ont été dosés directement, tandis que le poids du
tannin a été dosé par différence.
3. Dosage des matières colorantes et amylacées. — La poudre pro-
�EDOUARD HECKEL
vouant de répuisement de la substance par l’alcool, après avoir
perdu une grande quantité de la matière colorante, présente néan
moins encore une couleur ocrée très prononcée. L’alcool, l’éther, le
chloroforme, l’acétone et le sulfure de carbone n’enlèvent plus trace
de matière colorante; les alcalis seuls la dissolvent en fournissant
un liquide rouge sang entièrement semblable à celui que donnent
les flocons rouges dont il a été question plus haut. Avant de pro
céder au traitement de la poudre par la potasse caustique, nous
l’avons soumise à l’action de l’acide sulfurique dilué, en vue de
transformer la matière amylacée en glucose et d’arriver ainsi au
dosage de l’amidon contenu dans la graine. J. Attlield avait déjà
fait cette détermination avec la noix fraîche, en suivant une
méthode entièrement différente. Nous avons fait bouillir 2 gr. 105
de poudre pendant dix heures avec de l’acide sulfurique à 2 o/o en
renouvelant constamment l’eau évaporée; au bout de ce temps,
l’iodure ioduré de potassium ne donnait plus de coloration violacée
dans la liqueur, ce qui indiquait la disparition complète de la
dextrine. La solution traitée par la liqueur de Barreswill a fourni
le poids de glucose d’après lequel nous avons calculé pour cent la
quantité d’amidon contenue dans la noix, soit 33,754 o/o.
En faisant le dosage de l’extrait aqueux, nous avions obtenu
pour poids total des matières amylacées et gommeuses le nombre
36,794; par conséquent, il nous reste d’après ce calcul 3,040 0/0 de
gomme. Cette môme poudre, ainsi épuisée par l’acide sulfurique
dilué, a été traitée ensuite par la potasse caustique à l’ébullition.
Le liquide, fortement coloré en rouge, précipité par l’acide chlo
rhydrique, nous a fourni un composé insoluble analogue au rouge
de Kola, qui en diffère néanmoins par son insolubilité dans l’alcool.
Le poids de la matière colorante a été de 2 gr. 561.
4. Dosage de Veau. — Nous avons employé une certaine quantité
de poudre pour déterminer la perte de l’eau à la température de
l’étuve à air. Calculé pour 100 grammes notre dosage nous a fourni
le nombre suivant, 11 gr, 919 de perte à 105°.
5. Dosage des cendres. — Une autre portion de la poudre dessé
chée provenant de l’opération précédente, nous a servi à déterminer
le poids de cendres qui est de 3 gr. 325 o/o, dont 2 gr. 270 de parties
�167
LËS KOLAS AFRICAINS
solubles, et 0 gr. 605 de parties insolubles daus l'eau. Les principes
constitutifs des cendres se composent de :
P arties
P arties
solubles
Acide phosphorique.................. . 0.380
Acide sulfurique....................... . 0.17a
O 1(Va
0 014
Potassium.................................. . 0.008
Sodium..................................... . — 1.972
2.720
insolubles
Acide phosphorique................... 0.015
Acide sulfurique........................., 0.002
S i ] ir.fi .
O 004
0 282
Calcium...................................... . 0.302
À p i ri p c a r h o n i r j u f i .
0.60a
11 résulte de là que les sels solubles sont constitués en majeure
partie par du phosphate, du sulfate, du chlorure et du carbonate
de sodium, et qu’ils ne renferment que peu de combinaisons
potassiques. L’absence de calcium dans le produit de l’épuisement
des cendres par l’eau indique celle du sulfate de chaux. D’un autre
côté, comme les sels insolubles dans l’eau sont solubles dans l’acide
chlorhydrique dilué, à l’exception d’un faible résidu de silice, il
s’ensuit qu’ils doivent contenir du phosphate et du sulfate de
calcium. Quant au carbonate, il provient de l’oxydation du carbone
de la matière organique, et non de celle de l’oxalate qu’on ren
contre si fréquemment dans les végétaux, et qui, d’après les indi
cations du microscope, fait entièrement défaut dans la noix de
Kola.
6.
Dosage de l’azote total. — Une dernière donnée importante à
connaître était celle de la totalité de l’azote. Nous l’avons déter
minée en opérant avec de la chaux sodée, et en employant successi
vement deux poids différents de matière 2 gr. 105 et 1 gr. 575. En
nous servant d’une solution titrée d’acide sulfurique, dans laquelle
venait se rendre l’ammoniaque provenant de la combustion, et en
titrant à l’aide d’une solution de carbonate de soude (marquant
0 gr. 53 par centim. cube), nous avons trouvé pour la totalité de
l’ammoniaque dégagée le nombre 1 gr. 9412 p. 100.
Or, en défalquant de ce nombre celui qui correspond au poids *
de l’ammoniaque que fourniraient la caféine et la théobromine
réunies, c’est-à-dire 0,86793, nous avons obtenu 1,0833, ce qui
donne pour le poids total de l’azote 1 gr. 0818.
Pour transformer ce poids d’azote en poids de matières pro
téiques, nous le multiplions par 6,25 (rapport entre le poids molé-
�EDOUARD HECKEL
culaire de la substance albuminoïde et sa teneur normale en azote).
Ce calcul nous conduit donc à 6,76125.
7. Résumé. — En combinant nos dosages, nous arrivons à fixer
comme suit la composition de la noix de Kola :
Caféine................................... 2,346 J
Théobromine......................... 0,023 ( Matières solubles dans le
Tannin...................................
0,027 (
chloroforme.....................
Corps gras.............................
0,585 )
Tannin...................................
1,591 j
R ouge de Ko l a ..................
1,290 / Matières solubles dans
l’alcool
Glucose................................
2,875 \
Sels (ix e s............................. 0,070
Amidon................................ 33,754 .
G om m e................................
3,040 .
Matières colorantes..............
2,561 .
Matières protéiques . . . .
6,761 .
Cendres ................................
3,325 .
Eau d’itydratation...................11,919 .
33,754
3,040
2,561
6,764
3,325
11,919
Cellulose dosée par différence . . . .
......................
70,169
29,831
Total..............
100,000
2,983
5,826
Discussions des résultats. — Nos résultats diffèrent donc de
ceux de M. Attfield d’une manière très notable eu plusieurs points.
Le chimiste anglais admet que le poids de la matière grasse et de
l’huile essentielle est de 1,52, tandis que nous ne trouvons que le
tiers environ, c’est-à-dire 0,585. Le principe aromatique que nous
avons signalé dans le corps gras y existe même en si faible pro
portion qu’il nous a été impossible de l’évaluer par la pesée.
Pour les matières sucrées et gommeuses, M. Attfield indique un
nombre plus de trois fois plus fort que celui que nous avons trouvé:
10,67 au lieu de 2,875.
La cellulose, dosée par différence dans notre analyse, est évaluée
à 29 p. 100 environ, tandis que d’après M. Attfield, elle ne serait
que de 20 p. 100.
Le poids de l’amidon enfin, au dire du chimiste anglais, attein
drait 42 p. 100, mais pour nous il ne s’élève pas à 34 p. 100. Il est
vrai de dire que, pour ce dernier dosage, M. Attfield a pu l’effectuer
sur des noix fraîches, tandis que nous avons été obligés de suivre
une voie indirecte et transformer la matière amylacée en dextrine
et en glucose.
�169
LES KOLAS AFRICAINS
La teneur 0/0 de la noix en caféine est pour M. Attfîeld, ainsi que
pour le Dr Daniell, inférieure à celle que nous assignons : 2 au lieu
de 2,348. A ce poids il faut ajouter celui de la théobromiue 0,023.
Le poids des sels fixes, d’après M. Attfîeld, n’est que de 3,20,
tandis que nous l’avons trouvé égal à 3,395.
Un des points essentiels sur lesquels porte la différence de nos
analyses est la détermination du tannin. M. Attfîeld, en insistant
dans son mémoire (loc. cit.), sur l’absence du principe astringent, a
été victime d’une illusion, car il est impossible de méconnaître
la réaction à l’aide de laquelle on caractérise la présence de ce
corps. En effet, que l’on traite la décoction de la noix ou son extrait
alcoolique par le perchlorure de fer, et on obtient instantanément
une coloration verte. La quantité de tannin est d’ailleurs assez con
sidérable pour que l’eau dans laquelle on laisse tremper la graine
pendant deux jours prenne une teinte verdâtre. Une coupe micros
copique enfin se colore au contact du réactif en question, et la
teinte verte s’accentue cl’une manière très sensible au bout de quel
ques minutes. Il ue peut donc exister aucun doute à cet égard.
En 1886, paraissait en Angleterre une nouvelle analyse du Kola
(Cola acuminata) due à M. L ascelles-S cott, chimiste expert,
membre du Comité de l’exposition coloniale pour la section de
Victoria, Figi, Maurice, etc. Mais cet auteur n’a donné que les
résultats bruts, sans indiquer la méthode employée. Je la cite pour
mémoire et pour montrer que ces résultats se confondent sensible
ment avec ceux que nous avons publiés, M. Schlagdenhaufîeu et
moi, et dont nous venons de faire connaître les détails :
ANALYSE DE LA GRAINE DE KOLA (Lascelles-S cott)
Alcaloïdes
ou principes cristallisables .
Caféine............................................................
Théobromine........................................................................
Principe amer......................................................................
Matières
pour 100
2,710 \
0,084 >
0,018 )
2,812
grasses
Huile ou graisse saponifiable..........................
0,734 )
Huile essentielle.........................................
0,081 i
Matière résinoïde (soluble clans l’alcool absolu)....................................
p 817
1,012
�EDOUARD HECKEL
Suc RE
Glucose (réduisant la liqueur cupro-ammoniàqale)...........
Saccliarose(réduisantla liqueur cupro-ammoniacale après
inversion)......................... ........... ....................................
A midon ,
gomme,
3,312
,
f
3,914
0,612 )
etc.
Gomme (soluble dans l'eau à 02°)......................................
A m idon...............................................................................
Matière amylacée (se colorant par l’iode).........................
Malières albuminoïdes ...............................
Matières colorantes (rouges et autres).....................
A cide k olatannique .......................
S ubstances minérales (Potasse, chlore,
4,876 i
28,990' f
2,130 |
acide pliosphorique, autres sels)
E a u ...............................................................................................................
Substances ligneuses et p e rte s..........................
35,996
8,642
3,670
1,204
4,718
9,722
27,395
100,000
Mais il n’en est pas de même d’une autre analyse de la noix
de Kola due à MM. Cliodat et Cliuit, professeurs à l’Université de
Genève (Etude de la noix de Kola. — Annales des Sciences physi
ques et naturelles de Genève, T. XIX, p. 508) et publiée en 1888
sans que les auteurs aient eu connaissance, d’après leur aveu
verbal, de notre travail in extenso, publié quatre années avant
dans le Journal de Pharmacie et de Chimie (Juillet, Août et Sep
tembre 1884). Nous transcrivons ici cette étude chimique en entier
pour montrer la méthode suivie.
« Cette partie de notre travail est consacrée à l’étude analytique
» des produits qui composent les noix brutes de Kola, telles
)) qu’elles sont livrées par le commerce.
» Des analyses antérieures de noix de Kola ont été faites en 1865
» pçir Attfield, qui a simplement cherché leur teneur en caféine et
» a trouvé environ 2 pour cent. Plus récemment, en 1883, ïïeckel et
» Schlagdenhaufïen (Rép. de pharm., 1882, 1883) ont indiqué les
» résultats suivants :
)) Caféine 2,34; théobromine 0,023; graisses 0,5; tannin 1,59;
» amidon 33,7 pour cent.
a Nous avons repris ces analyses et avons fait en outre une
a analyse des cendres (1).
(1) Comme ou le verra par l’examen de cette étude chimique, il n’était pas indis
pensable de revenir sur une analyse de la graine que nous avions donnée, M.
Schlagdenhaufïen et moi, aussi complète que possible dans notre premier
�LES KOLAS AFRICAINS
171
)) Comme les différentes méthodes analytiques proposées pour
» doser les constituants des substances végétales sont loin d’être
» concordantes entre elles, nous ferons précéder l’exposé de nos
» résultats numériques de la description sommaire des procédés
)) que nous avons suivis.
M éthodes
d ’A nalyse
» Les cotylédons ont été tout d’abord très finement pulvérisés
)) et abandonnés pendant quelque temps dans une atmosphère
» desséchée par l’acide sulfurique.
» Les différents dosages ont été ensuite exécutés de la manière
» suivante :
m Eau.
— La poudre de Nuces Colæ est chauffée pendant plu)) sieurs heures, jusqu’à poids constant, dans une petite capsule
» recouverte d’un verre de montre à une température de 100 à 105°.
» Caféine et théobromine. — 10 grammes de Kola en poudre fine
» et 5 grammes de chaux éteinte sont délayés dans un peu d’eau
» et la masse semi-liquide ainsi obtenue est chauffée au bain-marie
)) dans une capsule en porcelaine. Le résidu de l’évaporation est
« d’abord pulvérisé, puis traité pendant plusieurs heures par le
» chloroforme dans un appareil à extraction de Soxhlet. La solution
» chloroformiqne, soumise à la distillation, abandonne des cristaux
» de caféine et de théobromine légèrement colorés en jaune par
» une petite quantité de matière grasse.
» Ces cristaux sont donc repris par l’eau bouillante, dans
» laquelle ils se dissolvent, et lorsque les matières grasses se sont
» rassemblées, une simple filtration suffit pour séparer ces der)) nières. Le liquide filtré, évaporé au bain-marie dans une capsule
» tarée, laisse déposer des cristaux parfaitement blancs de caféine
» et de théobromine, dont on achève la dessiccation dans une étuve à
» 105°. Il ne reste plus qu’à laisser refroidir et peser ensemble les
» deux alcaloïdes ; la théobromine se trouvait, du reste, en très
mémoire sur les Kolas africains en 1884. Les auteurs de ce travail, très cons
ciencieux du reste n’ont fait que confirmer, en effet, nos propres résultats et ont
même passé sous silence un élément très important de cette noix, notre rouge
de Kola, dont l’existence a été confirmée par Knébel sous le nom de kolanine.
�172
»
»
»
»
EDOUARD HECItEL
petite quantité dans les échantillons analysés, car le produit est
presque entièrement soluble dans le benzol ; le .résidu de l’évaporation du benzol est une poudre cristalline blanche ayant exactement le point de fusion de la caféine.
» Matières grasses. — Lorsqu’on reprend par l’eau bouillante
» les cristaux de caféine et de théobromine abandonnés par
)) évaporation du chloroforme, la plus grande partie des matières
» grasses qui accompagnent les alcaloïdes se dépose sur les parois
» du ballon qui sert à cette opération ; une petite partie reste sur
» le filtre. Il suffit donc de traiter le filtre dans le ballon môme, par
» un mélange d’éther et d’alcool, pour que toutes les matières grasses
» entrent en solution. On jette ensuite le contenu du ballon
» sur un filtre et le liquide qui passe, soumis à l’évaporation, aban)) donne une matière grasse légèrement jaune, solide, mais poissant
» facilement comme la cire ordinaire, que l’on pèse après dessic)) cation.
» Azote total. — Le dosage de l’azote total a été effectué par les
» procédés ordinairement adoptés dans les laboratoires pour
n déterminer cet élément (Méthode deDumas).
» Matières protéiques. — Les matières protéiques ont été évaluées
» de la manière suivante :
n Après avoir déduit de l’azote total l’azote entrant dans la
» composition de la caféine et de la théobromine, on multiplie la
» différence ainsi obtenue par le facteur 6,25 généralement employé.
)) Pour estimer la quantité d’azote contenue dans les alcaloïdes, on
» a regardé ces derniers comme formés seulement de caféine; la
)) quantité de théobromine étant toujours très faible, l’erreur
» commise ainsi est absolument négligeable.
» Amidon. — 3 à 4 gr. de poudre de Kola sont traités à l’ébulli» tion avec 200 cc. d’acide sulfurique étendu (100 cc. H2 O et 2gr.
)) SO4 H2 ), pendant trois heures dans un ballon muni d’un réfri» gérant.
» L’amidon se transforme ainsi en glucose qui entre en solution.
« Le liquide est filtré et ramené au volume de 250 cc.; c’est dans
n cette solution que le glucose est dosé au moyen de la liqueur
)) cupro-potassique de Fehling (10 cc. de cette solution corresponn dent à 0,045 d’amidon).
�173
LES KOLAS AFRICAINS
» Cellulose. — La partie insoluble que l’on sépare de la solution
» renfermant le glucose est formée en grande partie de cellulose et
» de matières minérales.
» On la fait bouillir avec de l’eau et après filtration (qui doit se
» faire pour éviter une trop grande perte de temps dans un appa» reil à succion), on l’additionne de 200 cm d’une solution de
» potasse caustique à 1,25 pour cent; on maintient le mélange à
» l’ébullition pendant une demi-heure. On filtre et lave à l’eau
» bouillante, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de potasse dans les eaux
» de lavage. On jette alors le résidu sur un filtre taré et on le pèse
» après dessiccation à 105°. Du poids brut ainsi trouvé, il ne reste
» plus qu’à déduire le poids des cendres obtenu en incinérant dans
» un creuset cette cellulose. Le poids résultant de cette soustrac)> lion représente la cellulose pure.
» Cendres. — La quantité totale des cendres s’obtient en inciné » rant 1-3 gr. de Kola pulvérisé et desséché. Cette incinération se
» pratique dans un petit fourneau à moufle ou dans un creuset dont
)> le couvercle est muni d’un trou, à travers lequel passe un tube
» servant à diriger, à la fin de l’opération, un courant d’oxygène ;
» cette dernière méthode est particulièrement rapide.
» Voici maintenant les résultats détaillés de deux analyses faites
» sur des échantillons provenant de la Benoué (affluent du Niger) et
» de Cameroun (colonie allemande) :
1. NOIX BRUTES DE KOLA (de la Benoué, affluent du Niger)
Ma t .
d o sées
Eau..................................
Caféine et théobromine..
Azote total.......................
Matières protéiques.......
Matières grasses.............
Cellulose.........................
Amidon...........................
Cendres ...........................
S U B S T . EMPLOYÉE
3,8840
1 0 ,0 0 0 0
0,5563
T rouvé
0,4505
0,1690
10 cc, 8; 17°; 710mm
En
° /o
11,59
1,69
2 ,1 0
1 0 ,1 2
1 0 ,0 0 0 0
3,8840
3,8840
3,1325
0,0170
0,3367
1,81485
0,1038
0,17
8,67
46,73
3,31
�EDOUARD HECKEL
2. NOIX BRUTES DE KOLA (de Cameroun)
M at .
dosées
E au..................................
Caféine et théobromine..
Matières grasses.............
Cellulose.......... ................
Cendres ...........................
Cendres ...........................
SUBST. EMPLOYÉE
Trouvé
3,5085
10,0000
10,0000
3,5085
1,0860
5,0000
0,4280
0,2340
0,0200
0,5320
0,0318
0,1590
En %
12,19
2,34
0,20
15,14
2,93
3,18
)) On voit, par ces chifïres, que la composition des noix de Kola
» varie un peu avec leur provenance, mais ces variations ne sont
» pas considérables.
)) La caféine et la théobromine seules se trouvent dans des
» proportions relativement différentes, quoique très voisines en
» valeur absolue. La moyenne de plusieurs dosages de ces alcaloïdes
» dans différents échantillons correspond à une teneur de 1,5
» pour cent environ, avec un un maximum de 2,34 pour cent et
« un minimum de 0,85 pour cent (1).
» La proportion des cendres est toujours très faible; il en est à
» peu près de même de la cellulose (8 à 16 pour cent), tandis que
» l’amidon se trouve toujours en quantité considérable. Tout cela
» s’explique par le fait même que les noix de Kola sont des
a cotylédons.
» Pour compléter cette étude sur les noix brutes, nous avons
» fait une analyse des cendres provenant de l’incinération de cet
» intéressant produit. Nous n’entrerons pas dans le détail des
» méthodes que nous avons suivies, nous indiquerons seulement
» la manière dont nous avons préparé les cendres.
i) Préparation des cendres. — A cet effet, nous avons chauffé dans
» un creuset ouvert 250 gr. de poudre de Kola brut (de Binuë)
« pour chasser les produits empyreumatiques ; la masse charbon» neuse qui résulte de ce traitement est ensuite soumise à l’action
» d’une faible chaleur dans un large tube en verre de Bohême
)) traversé par un courant d’oxygène.
(1)
Je me suis déjà expliqué sur ces variations dans la teneur alcaloïde de la
graine, et je l'attribue volontiers à ce que les recherches de MM. Chodat et Chuit
ont porté sur des espèces végétales différentes : le Kola des rivières du Sud (Cola
acuminata) nous a toujours donné plus de 2 0/0 d’alcaloïdes, et celui du Gabon
Cola BUllayi) ou de ses vai’iétés, à peine un peu plus de 1 0/0.
�175
LES KOLAS AFRICAINS
)) Dès que le charbon commence à brûler, on peut cesser de
» chauffer le tube, la combustion ée propageant facilement d’elle» môme grâce au courant d’oxygène.
» On obtient de cette façon des cendres blanches à une tempé» rature relativement basse, ce qui permet d’éviter les pertes en
» acides carbonique et phosphorique.
» Les cendres sont ensuite pulvérisées soigneusement dans un
» mortier d’agate, chauffées à 105° à l’étuve, puis conservées pour
» les analyses dans un flacon bouché à l’émeri.
» Voici les résultats que nous avons obtenus:
CORPS
SU BST. EMPU.
Silice SiO” ................................. .
Acide carbonique CO” ............. .
Chlore Cl ....................................
Oxyde de fer Fe- 0 :î
.............
Acide phosphorique F- O'1 ___ ,
Protoxyde de manganèse Mn- 0 :!
Magnésie MgO ...........................
Acide sulfurique SO3 ..............
Potasse K -0 ....................................... .
1.0313
1.0313
1.0313
1.5746
1.5746
0.7873
0.7873
0.7873
0.15746
EN 0 /0
TROUVÉ
1,07
8.75
1.30
1.38
14.03
1.29
8.54
8.50
54.96
0 ,0 1 1 1
0.0903
0.01343
0.0217
0.2033
0 .0 1 0 2
0.0672
0.06695
0.08654
100 41
» Ces cendres de lvola de Bénouë ne renferment que des traces de
» calcium et ne contiennent pas de soude.
» Quant au manganèse, sa teneur varie passablement, et nous
» avons eu des échantillons en renfermant une quantité suffisante
)) pour que leurs cendres fussent complètement colorées en vert par
» suite du manganate de potasse formé pendant l’incinération.
» Nous joignonsà tons ces résultatsles chiffres que nous a fournis
» l’analyse du produit alimentaire que nous avons retiré de la noix
» de Kola :
M AT.
DOSÉES
SU BST . EM PE .
Eau.................................
Caféine et. théobroraine.
Azote total....................
Matières protéiques. . . .
Matièrts grasses...........
Cellulose........................
Amidon..........................
Cendres.........................
»
TROUVÉ
3.1755
10.0000
0.6900
0.2170
0.1950
13cc. 6; 17° 724mm
10.0000
3.1827
2.2360
1.0542
1.1882
0.0150
0.2860
1.07145
0.0304
0.0330
0/0
6.83
1.95
2.19
10.18
0.15
8.99
47.92
2.88
2.84
EN
» Il n’est pas sans intérêt de comparer les résultats de nos
�176
ÉDOUARD HECKEL
analyses avec les chiffres qui expriment la composition moyenne
de divers produits, tels que le café, le thé et le cacao (1).
KOLA
Caféine et théobrom ine...............
Matières azotées .
Matières grasses .
Cellulose..............
Amidon................
Cendres................
o/o
°/o
%
°/o
%
%
Brut
Manu
facturé
1.69
10.12
0.17
8.G7
46.73
3.31
1.95
10.18
0.15
8.99
47.92
2.89
CACAO
CAFÉ
Brut
Grillé
Brut
1.56
0.93
0.97
11.84 12.20 11.93
12.21 12.03 49.32
3.65
38.18 44.57
—
( 2 3 .- ) 13.25
5.83
4.81
3.48
THÉ
Dé
graissé
2.3
17.
25.0
5.3
19.0
5.0
1.35
21.22
0.29
20.30
(17.oO)
5.11
TABLEAU COMPARATIF DES CENDRES
CORPS
S ilice.....................................
Acide carbonique................
Chlore....................................
Oxyde de fer.........................
Acide phosphorique.............
Protoxide de manganèse__
Magnésie .............................
Aci e sulfurique__ . . . . . . .
Potasse..................................
Chaux.....................................
Soude....................................
KOLA
1,08
8,75
1,30
1,38
14,62
1,29
8,58
8.50
54,56
traces
(2)
0,54
CAFÉ
0,61
0,65
13,29
9,69
3,80
62,47
6,29
1,64
(3)
4,35
24,30
0,81
4,38
14,55
1,03
6,47
traces
39,22
4,24
0,65
THÉ
(1) « Les chiffres consignés dans ce tableau sont tirés, en ce qui concerne le café,
le cacao et le thé, de l’excellent ouvrage du D' J. Konig sur la composition
des substances alimentaires (Zusammansetzung der menschliclien Nahrungs
und Genussmittel). Les chiffres exprimant la teneur en amidon, du café et du
thé sont puisés à d’autres sources. Les analyses publiées par Konig, auxquelles
nous sommes reportés, ne donnent pas d'indication à ce sujet,
» 11 n'est pas inutile de rappeler que certains principes entrent'dans les pro» portions très variables dans la composition du cacao; tels sont en particulier
» l’amidon et la cellulose, dont la teneur dans le cacao brut peut varier de 0,3 à
» 17,5 et de 3,55 à 30 0/0.
n La teneur en matières azotées n’est pas calculée de la même manière par tous
» les auteurs. C’est ainsi que si l’on calculait la richesse du Kola en matière azotée
» delà môme manière quepour le café (par simple soustraction du poids de la
» caféine du poids des matières azotées) on trouverait au lieu de 10. 12 °/„, 11,5 %
(2) Documents sur les travaux du laboratoire municipal de Paris, p. 547.
(3) Même origine, p. 560.
»
»
»
»
»
�LES KOLAS AFRICAINS
177
« IJ résulte des chiffres ci-dessus, que les alcaloïdes (caféine et
» théobromiue), auxquels tous ces produits doivent leur effet
» stimulant (1), se trouvent à peu près en môme quantité dans le
» Kola, le thé, le café et le cacao.
» Les matières protéiques qui constituent un des éléments
)) nutritifs les plus essentiels se trouvent également à peu près en
» quantités égales chez toutes ces substances ; le thé seul en contient
» beaucoup plus. Mais il est bon de rappeler à ce sujet que son
)) mode d’emploi sous forme d’infusion ne permet d’en utiliser
» qu’une faible partie. Cette remarque peut, du reste, s’appliquer
» aussi bien au café !
» On sait que les matières grasses sont généralement considé» rées comme étant d’une digestion difficile; à cet égard, le Kola,
» qui en contient très peu, jouit d’une réêlle supériorité sur le
» cacao, môme dégraissé, qui contient encore de 10 à 25 pour cent
» de matières grasses.
» La cellulose, dont l’assimilation n’est pas non plus très aisée,
» se trouve également dans le Kola en très petite quantité, et qui
» plus est sous sa forme la plus digestible, c’est-à-dire sous une
» forme non encore lignifiée.
» Par sa très forte teneur en amidon, le Kola présente aussi des
» avantages très réels sur le thé, le café et le cacao, car personne
» n’ignore la facilité avec laquelle l’organisme s’approprie ettrans)) forme les matières amylacées. Comme vérification de ce que nous
» venons de dire, nous avons commencé des expériences qui
» démontrent la facilité avec laquelle, le Kola est assimilé; nous
» avons soumis la substance pulvérisée à l’action des ferments, et
m nous avons pu constater une rapide et presque complète disso» lution du Kola.
» Au point de vue de la composition des cendres, il est égale» ment avantageux de pouvoir constater une forte proportion
» d’acide phosphorique, ainsi que de manganèse et de fer, ces corps
» étant essentiels pour l’organisme.
» Le Kola ne présente pas seulement des avantages sérieux au
(1) MM. Chodal et Chuit ont complètement passé sous silence l’action neuromusculaire très importante, comme nous le verrons, du rouge de Kola qu'ils
n’ont pas su isoler et qu'ils ne connaissaient pas, malgré nos travaux bien antérieurs
aux leurs et qui en faisaient mention.
�178
ÉDOUARD HECKEL
»
»
»
»
»
point de vue de sa composition. Comme produit alimentaire, il
jouirait encore d’une propriété remarquable; ses caractères chimiques et microscopiques sont tellement accusés, tellement nets,
que toute espèce de falsification devient en quelque sorte
impossible.
» En effet, par sa richesse en amidon et sa très faible teneur
» en cellulose, et surtout en cendres et matières grasses, il n’est
» comparable à aucun produit similaire; chimiquement parlant,
» on aurait donc là des moyens très simples pour constater sa
.» pureté; d’autre part, l’examen microscopique des cellules qui le
» constituent ne décèle pour ainsi dire aucun élément de scléren» chyme; l’amidon apparaît de même sous une forme particulière,
» de sorte qu’au moyen de ces contrôles il n’y a pas possibilité de
» se méprendre. A une époque comme la nôtre, où tous les produits
» tendent à être sophistiqués, ce n’est certes pas un avantage de
» petite importance. »
Comme on vient de le voir, cet important travail analytique, dû
à deux savants Genevois, ne renferme en fait de donnée nouvelle que
l’examen chimique approfondi des cendres et les qualités alimen
taires du Kola. Le Rouge de Kola, corps si important que nous
avions cependant mis à jour bien avant l’étude de MM. Chodat et
Chui t, n’y est pas retrouvé; il n’en est plus fait mention. Plus heureux
que nous, qui n’avions pu le définir chimiquement, un savant
allemand vient de reprendre l’étude du Kola, et, non seulement
il a retrouvé le Rouge de Kola, mais encore il a pu en fixer le rôle
chimique et en étudier les principales propriétés. Son étude, que
nous allons examiner à fond, parce qu’elle donne le dernier mot
de la science sur ce point contesté de l'existence de notre rouge
de Kola, laisse encore place à quelques recherches chimiques sur
les propriétés de ce produit intéressant et nous les avons entre
prises, M. Schlagdenhauffen et moi, avec quelque succès, ainsi
qu’on va le voir plus loin.
Dans notre mémoire sur les Kolas africains, publié en 1883,
nous nous étions contentés d’isoler sous le nom de rouge de Kola, un
principe que le Dr Knébel a appelé Kolanine (1), mais nous avions
fait remarquer dès cette époque que l’action de la chaleur avait
(1) ‘A potlieker Zeitung, Berlin, mars 1892. p. 112.
�LES KOLAS AFRICAINS
179
pour effet de mettre en liberté une certaine quantité de caféine.
Nous avions indiqué en outre que la graine soumise à la
mastication présente d’abord une certaine amertume qui est rem
placée plus tard par une saveur douceâtre; et plus loin (p. 19) que
« en faisant tremper dans l’eau pure pendant deux jours seulement
)) les graines desséchées et.devenues moins amères, on le voit reprendre
» à peu près leur amertume primitive. » Quoiqu’il en soit, c’est à
M. Knébel que revient l’honneur d’avoir reconnu la nature com
plexe et glucosidique du produit incomplètement étudié jusqu’alors
et c’est un grand point éclairci désormais.
Ce savant a pu révéler, par ses recherches faites au laboratoire
pharmaceutique de l’Université d’Erlangen, l’existence dans les
graines de Kola d’un ferment qu’il a isolé, dont il a reconnu le
pouvoir saccharifiant sur l’amidon et auquel il attribue la cause du
dédoublement de notre rouge de Kola qui est saKolanine. Cedernier
glycoside se transforme sous l’influence de ce ferment en caféine, en
glucose et en un autre produit,, auquel il conserve le nom de rouge
de Kola, mais qui naturellement diffère entièrement par sa compo
sition et ses propriétés de celui que nous avions désigné sous ce
nom.
Le dédoublement de la Kolanine s’effectue en présence de l’eau
seule : c’est à cette transformation moléculaire qu’il faut rapporter
le changement de saveur signalé par les nègres africains qui ont
l’habitude de mâcher les graines de Kola, ainsi que par les savants
qui rendent compte de leurs impressions gustatives.
La Kolanine éprouve les memes modifications en présence des
acides minéraux faibles et même plus rapidement, dans l’espace de
quelques minutes, au contact du chlorure d’acétyle. Quand on
ajoute de l’eau, au produit de cette dernière réaction, la caféine se
dissout en même temps que la glycose et le dérivé acétylique du
rouge de Kola se dépose sous forme de précipité jaune.
L’analyse élémentaire du composé désigné par Knébel sous le
110m de rouge de Kola répond à la formule
H13 (OH)5 . En
opérant sur des noix de Kola, d’origine diverse, le dédoublement
du glucoside a fourni les résultats suivants :
�EDOUARD HECKEL
MATIÈRE
ORIGINE DES GRAINES
Martinique.............
Ceylan......................
Gabon .....................
Sierra-Leone...........
Centre de l’Afrique..
CAFÉINE ° / 0
1.08
1.71
1.82
2.06
2.09
GLUCOSE ° / o
1.10
1.621
1.729
2.112
2.027
COLORANTE ° / o
renfermant
de la Kolanine
1.50
0.83
0.93
1.10
1.06
Mais l'auteur n’indique pas d’une manière explicite si, avant
d’opérer le traitement des graines en présence des acides chlorhy
drique ou sulfurique, il avait eu soin d’enlever préalablement la
caféine libre par l’action d’un véhicule approprié, le chloroforme
par exemple. Dans le but d’élucider cette question qui présente
pour nous un double intérêt d’abord comme contrôle de nos précé
dentes opérations et ensuite comme vérification des travaux du
Dr Knébel, nous avons débarrassé la poudre impalpable de graine
de Kola (de Sierra-Leone, originaire du Rio-Pongo) de la totalité
de la caféine qu’elle contient à l’état libre. Nous ferons remarquer
en passant (pour ceux qui voudraient la reprendre) que cette
opération est très longue : pour obtenir avec 20 gr. de matière
le résultat désiré, nous avons dû faire fonctionner un appareil à
déplacement continu pendant 12 jours consécutifs, fonctionnant du
matin à 6 heures jusqu’au soir à 9 heures, d’une façon ininter
rompue.Le ballon de l’appareil renfermait constamment de minimes
quantités d’aiguilles soyeuses. Nous avons cessé l’épuisement
lorsque le chloroforme n’entraînait plus, le dernier jour, qu’une
trace d’alcaloïde, évaluée par comparaison avec une liqueur titrée
(contenant 0 gr. 05 %), à 0 gr. 000025 de caféine. La poudre a été
ensuite desséchée à l’étuve à 100°.
On a prélevé trois lots de 5 gr. chacun, destinés à être traités
par 1° l’eau à froid, 2° l’eau à la température du bain-marie bouil
lant, 3° l’acide chlorhydrique étendu bouillant. Le traitement a
duré 6 heures pour les trois opérations. On a filtré les liquides,
100co environ, et l’on a épuisé par du chloroforme dans les enton
noirs à robinet. La solution chloroformique évaporée a abandonné
des cristaux aiguillés de caféine, entièrement blancs. Le poids
�181
LES KOLAS AFRICAINS
des résidus provenant de 5 grammes de poudre sont indiqués cidessous :
EXPÉRIENCES.
I. Traitement
par l’eau à froid
II. Traitement
par l’eau à 100°
III. Traitement
par l’eau acidulée
ÛfP-042
0*r 021
Oer-072
Calculés pour 100 p. de matière ils deviennent respectivement
0sr*840
Üer-420
l&r-440
C’est-à-dire que 100 gr. de poudre de Kola, épuisée par le chlo
roforme d’une manière complète, contiennent encore de la Kolanine
en quantité telle que ce glycoside, sous l’influence de l’eau froide,
de l’eau chaude ou des acides étendus, fournit encore dans les trois
cas précités, 0 gr. 84, 0 gr. 42 et 1 gr. 44 de caféine; donc en compa
rant ces quantités à 2gr. 348 de caféine qui peut être enlevée par le
chloroforme directement et qui existe dans la graine à l’état libre,
on trouve que celle-ci renferme encore: 35,775 % ; 17,88 % ;
61,239 %. Ces résultats s’accordent donc de tout point avec ceux
qui se rapportent aux transformations moléculaires des glucosides
en général.
Dans l’expérience II (voir le tableau ci-dessus) l’action fermen
tescible est, comme on le voit, considérablement ralentie, puisque la
quantité de caféine qui résulte du dédoublement de la Kolanine
est moitié moindre de celle résultant de l’expérience I.
Il est plus que probable, même certain, qu’elle eut été plus
faible encore si, au lieu de mettre la poudre en contact avec l’eau
à froid et de chauffer progressivement le bain-marie comme nous
l’avons fait, nous l’avions projetée dès le début dans l’eau bouillante.
L’action du ferment eut été, dans ce cas, complètement ou du moins
en majeure partie annihilée à cette température élevée. Qu’il nous
suffise donc de retenir ce fait que le dédoublement de la Kolanine
s’opère beaucoup mieux dans l’eau froide que dans l’eau à 80 ou 90°.
Notre expérience III avec l’acide chlorhydrique à 1 “/» qui n’a
pas la prétention d’être une expérience physiologique, prouve seu
lement que le dédoublement, dans ces conditions, fournit environ
3 fois et demie plus de caféine que celui qui s’effectue au sein de
�EDOUARD HECKEL
l'eau chaude et presque le double de ce que douue l’eau à froid.
Elle peut nous servir cependant à mieux en interpréter d’autres
que nous aurions dû instituer dans nos premières recherches et
dont l’omission ne nous a frappés qu’au moment où notre premier
travail chimique, de 1883, était achevé.
Nous aurions dû, en effet, pour être plus complets, opérer à la
température de 37° avec de l’eau seule, puis avec de l’eau addi
tionnée de 1, 2, 3, 4 et même 5 °%o d’acide chlorhydrique (afin de
simuler des digestions artificielles), puis enfin avec du suc gas
trique. Mais quoique les résultats relatifs à ces diverses conditions
opératoires ne soient pas acquis, ils sont du moins faciles à prévoir
en se reportant aux nombres indiqués plus haut.
Après avoir obtenu ces données analytiques nouvelles, il nous est
permis de conclure en disant que l’ingestion de la substance dési
gnée jusqu’à présentpar nous sous le nom de Rouge de Kola et deve
nue aujourd’hui la Kolanine de Knébel (dénominations absolument
identiques) et son passage à travers les voies digestives ont pour con
séquence de mettre en liberté une certaine quantité de caféine qui
peut atteindre jusqu’à 0 gr. 83 % de la matière première employée,
et cela indépendamment de la quantité d’alcaloïde qui s’y trouve à
l’état de liberté. Cette dernière étant évaluée, d’après notre analyse
sur le Kola de Sierra-Leone, à 2 gr. 348, il s’en suit qu’il pénètre
ainsi dans l’organisme, à l’état naissant, 35 % de la caféine libre
qui existe normalement dans la graine et qui viennent s’ajouter à
cette dernière, ce qui fait un total de 3 gr. 785 de cet alcaloïde pour
cent de Kola.
La noix de Kola n’agit donc pas uniquement par la caféine libre
qu’elle renferme, mais encore, mais surtout (comme nous le verrons
dans la partie physiologique de cette étude), par la caféine naissante
qui provient forcément du dédoublement dans l’organisme du glucoside qu’elle renferme, quantité variable d’ailleurs et qui peut
atteindre jusqu’à 61 °/° de la caféine contenue à l’état libre dans
la graine.
Nous avons longuement insisté sur ces recherches pour divers
motifs : 1° parce qu’il était nécessaire de donner en détail la
technique chimique nouvelle qui devra désormais être employée
pour arriver à connaître, d’après les données actuelles, la valeur
exacte d’une graine de Kola. Il ne sutfit plus, désormais, en effet, de
�LES KOLAS AFRICAINS
183
doser sa teneur eu caféine; il importera au plus haut degré de
connaître sa richesse en Kolanine, source de la caféine naissante;
2° parce qu’il était indispensable d’établir, par des données chi
miques précises et satisfaisantes, tous les faits expérimentaux sur
lesquels nous édifierons notre étude physiologique et thérapeutique
de la graine de Kola.Il est permis aujourd’hui, grâce à ces résultats,
de fournir l’explication, restée si longtemps obscure, de l’action du
Kola sur l’organisme humain et de mesurer physiologiquement
toute l’immense distance qui sépare, à ce même point de vue phy
siologique, la graine de Kola de ses congénères végétaux d’ordre
caféique, et de la caféine cristallisée elle-même.
II. —
RECHERCHE DE
LA CAFÉINE
DANS L’EXTRAIT AQUEUX DE LA
NOIX DE KOLA.
Dans son manuel de toxicologie, Dragenclorlï indique qu’en
traitant la caféine par de l’eau chlorée, ou par un mélange d’acicle
chlorhydrique et de chlorate de potasse, évaporant la liqueur à
siccité et ajoutant ensuite de l’ammoniaque, on parvient à déceler
0 gr. 0005 de la base. Cependant, en opérant avec soin, nous avons
constaté qu’on pouvaitaller jusqu’à 0 gr. 0001 etmème, Ogr. 00006.
Il suffit pour cela de ne pas ajouter un excès de chlore à la solution
à examiner. En dissolvant, par exemple, 0 gr. 01 d’alcaloïde dans
500cc cl’eau en prélevant 5CCde ce liquide qu’on chauffé au bainmarie jusqu’à réduction au 1/5 de son volume, on obtient, après
addition de I à 2 gouttes d’une solution saturée de chlore et évapo
ration du mélange à siccité, une auréole jaune rougeâtre très
nettement accentuée, qui se colore en violet au contact d’une goutte
d’ammoniaque. On peut même, avec un peu de soin, faire appa
raître la coloration en ne faisant usage que de 3CC d elà solution
primitive, ce qui donne alors la limite indiquée ci-dessus, soit
Ogr. 00006. Mais s’il est facile de reconnaître 0 gr. 0001 d’alcaloïde
pur, il n’en est pas de même quand on fait usage de l’extrait aqueux
de la noix de Kola. Ici, les matières étrangères masquent complè
tement la réaction et empêchent d’avoir la coloration pourpre.
Avec 5 gr. de poudre, par exemple, mise en contact avec 50cc
d’eau pendant un certain temps, on obtient un liquide jaune-
�EDOUARD HECKEL
orange qui, évaporé à sied té, fournit un extrait dans lequel l’addition
successive de chlore et d’ammoniaque ne produit qu’une coloration
brune que l’on observe, du reste, sans l’intervention du chlore;
mais le meme extrait, épuisé par le chloroforme, cède à ce dernier
la totalité de l’alcaloïde. De sorte que, en évaporant la solution
chloroformique on obtient, suivant la quantité d’extrait employée,
une cristallisation parfaitement nette ou tout au moins, si l’on n’a
employé qu’une faible proportion d’extrait, un résidu blanc cris
tallin qui se colore en violet lorsque l’on ajoute de l’ammoniaque
au produit du premier traitement à l’eau chlorée. En opérant sur
0 gr. 5 de poudre laissée en contact avec 25cc d’eau pendant deux
heures, nous avons obtenu un liquide légèrement jaune qui, après
évaporation, nous a donné un résidu auquel le chloroforme a enlevé
la totalité de la caféine. La solution chloroformique occupant 10cc,
nous en avons prélevé 2, répartis en deux petites capsules de
porcelaine. Après évaporation du véhicule,, nous avons traité la
faible quantité de matière par deux gouttes d’eau et une goutte
de chlore, évaporant de nouveau à siccité et reprenant par une
goutte d’ammoniaque, nous avons pu constater dans chacun des
cas une coloration pourpre aussi marquée que celle qui corres
pondait à la limite citée plus haut, indiquant par conséquent
0 gr. 0001 de caféine. Or, d’après notre analyse, la noix de Kola
renfermant2 gr. 348 p. 100 d’alcaloïde, il s’ensuit que dans nos
conditions expérimentales précitées, nous avions dans chacune
des capsules une quantité de caféine correspondant à 0 gr. 05 de
poudre de Kola, soit 0 gr. 001174. Mais, comme la coloration
produite par l’ammoniaque ne révèle que 0 gr. 0001 de matière,
nous ne pouvons compter que sur 1/11 ou plus exactement sur
10/117 de la caféine contenue dans la poudre. A l’aide de ce
dosage, nous constatons par conséquent que l’eau froide enlève
à la poudre de Kola, au bout de deux heures environ, le 1/11
seulement de son poids de caféine.
En répétant cette expérience sur des liquides laissés en contact
avec la poudre pendant des temps variables, nous avons reconnu
qu’au bout de 18 à 24 heures, toute la caféine étaitéliminée,etque,
passé ce moment, l’eau ne parvenait pas en extraire davantage.
Cependant, l’épuisement n’était pas aussi complet qu’à l’aide du
chloroforme à chaud.
�185
LES KOLAS AFRICAINS
III,
— R echerche
des
autres
p r in c ip e s
c o n s t it u t if s
de
la
n o ix
DE KOLA APRÈS MACÉRATION DANS L’EAU.
L’expérience ci-dessus nous a suggéré l’idée de rechercher ce
que devenaient les autres principes constitutifs de la poudre au
contact de l’eau à la température normale : de voir si la matière
sucrée, par exemple, est entraînée aussi rapidement que la caféine,
et si les sels fixes se dissolvent en même temps qu’elle. C’est dans
le but de résoudre cette question que nous avons laissé en contact
avec l’eau un môme poids de poudre pendant 2h , 4h , 6h , 10h ;
2,3,4 et 6 jours. Nous avons prélevé un volume déterminé, toujours
le même, de chacun des liquides, et nous l’avons examiné à l’aide
des mômes réactifs. Le chlorure ferrique devait servir à constater
la présence ou l’absence de tannin ; l’acétate d’urane, fournissant
une coloration brune intense au contact des principes tanniques,
était destiné à contrôler l’essai du sel de fer. Nous pensions évaluer
les quantités de matières gommeuses, mucilagineuses, tanniques et
colorantes d’après l’abondance du précipité fourni par l’acétate de
plomb, et nous comptions joindre à ces réactions celles que fournis
sent le tartre stibié et la solution de gélatine pour l’évaluation
approximative du tannin. L’iodure ioduré de potassium et la
liqueur de Bareswill devaient nous révéler la quantité d’alcaloïde
et de glucose. Un dosage direct de l’extrait avait pour but de nous
fixer sur la quantité totale de matières dissoutes, et l’incinération
de cet extrait devait faire connaître le poids de la matière saline.
Voirau tableau ci-contre,les résultats auxquelsnoussommes arrivés.
Nous voyons tout cl’abord que Je tartre stibié ainsi que la solution
de gélatine ne révèlent pas trace de tannin, alors même que la
poudre reste au contact de l’eau pendant 5 jours. L’acétate d’urane
fournit le même résultat négatif, mais le chlorure ferrique seul
permet de constater la présence de ce corps. Au bout de 24 heures,
la solution prend une teinte légèrement verdâtre après addition
d’une goutte de chlorure ferrique. Le lendemain, la quantité de
tannin paraît un peu augmentée; elle reste ensuite stationnaire
pendant les jours suivants. A partir du quatrième jour, le liquide
qui imbibe la poudre (100°° pour 20 gr, de matière) se trouble et
laisse dégager de nombreuses bulles d’acide carbonique. Ce com
mencement de fermentation, provoquée sans aucun doute par la
présence delà glucose, n’agit pas sur le tannin.
�-
I
\
II
I. . #
I
...
....
■ •• ................ V ---
il
■■
' '
2 HEURES
RÉACTIFS
----------------------------------------
-
4
HEURES
6 HEURES
10 HEURES
0
0
2
JOURS
3
JOURS
4
JOURS
6 JOURS
— _
Chlorure ferrique . . . . . . . .
0
0
.
à peine
teinte verte teinte verte teinte verte
verdâtre
faible
faible
faible
0
0
0
0
0
0
0
0
Tartre stibié —
10-0....................................
Gélatine -ï 0\ 0 ..........................................
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
Iodure induré de potassium..................
0
0
0
0
0
0
0
0
Chloroforme (Caféine % ) .....................
0 gr. 213
0 g r. 54
1 gr. 60
1 gr. 90
2 g r. 05
2 g r.O
2 gr. 0
2 gr. 0
0
trouble
trouble
trouble
précipité
précipité
précipité
précipité
Liq. de Bareswill (Gluc. % ) ..............
1 gr. 50
1 gr. 65
2 gr. 10
2 gr. 30
2 g r. 32
2 gr. 30
2 gr. 05
1 g r . 85
Extrait aqueux i Matières organiques
»
0 g r. 555
»
»
3 gr. 890
4 gr. 175
»
4 gr. 260
»
1 gr. 595
Acétate de plomb................................
à froid
j Sels f ix e s ..............
»
0 g r. 225
»
»
1 gr. 485
1 gr. 540
pour cent
> T o ta l.....................
»
Ogr. 780
»
»
a g r. 375
5 gr. 715
5 gr. 855
ÉDOUARD HECKEL
Acétate d’u r a n e ...................................
�LES KOLAS AFRICAINS
187
Il nous a semblé cependant, qu’après six jours, la coloration
verte, produite parle sel ferrique, n’était plus aussi intense qu’au
début, ce qui ne pourrait s’expliquer que par le dédoublement même
du tannin. Ainsi donc, dans les conditions de notre expérience, il
apparaît au bout du deuxième jour une faible proportion de prin
cipe astringent dont la présence n’est plus appréciable quatre jours
plus tard, probablement en raison d’un phénomène de dédou
blement.
L’iodure ioduré de potassium, ce réactif si précieux pour la
recherche des alcaloïdes organiques, ne donne absolument aucun
trouble dans la dissolution que nous avions employée (100cc d’eau
20 gr. de poudre de Kola), en ajoutant 2 ou 3 gouttes dans 5CC de
liqueur d’essai ; d’où il suit que l’iodure double n’est pas assez
sensible pour permettre d’apprécier 0 gr. 0234 de caféine dans la
solution précédente. Nous avons employé un autre mode d’éva
luation de la quantité d’alcaloïde, consistant à évaporer le liquide
de macération, maintenu plus ou moins longtemps avec la poudre,
à reprendre ensuite le résidu par le chloroforme et à doser le résidu
obtenu. Les résultats fournis par ce procédé se trouvent indiqués
sur notre tableau. La quantité de caféine augmente peu à peu
jusqu’au deuxième jour, puis demeure stationnaire durant le reste
du temps,c’est-à-dire pendant les trois jours suivants, sans atteindre
toutefois le maximum que nous a fourni l’analyse directe par l’ex
traction chloroformique à chaud.
L’acétate de plomb, qui révèle à la fois les matières mucilagineuses, gommeuses, colorantes et tanniques ne fournit qu’un
troubleau début de l’expérience, et plus tardseulement un précipité
plus ou moins abondant.
Le principe sucré est accusé parla liqueur de Bareswill dès le
début; il augmente petit à petit, atteint très rapidement son
maximum et retombe de nouveau à partir du quatrième jour ; c’est
ce qui explique le dégagement des bulles de gaz au sein du liquide
à un moment donné. Le dosage de l’extrait nous apprend que la
quantité de matières salines, comme aussi celle des substances
organiques, augmente peu à peu jusque vers le troisième jour,
époque à laquelle le maximum semble atteint.
Le produit de l’incinération est fortement alcalin. La partie
soluble des cendres renferme un grand excès de soude et des traces
�EDOUARD 1IECKEL
seulement de potasse, sans chaux, le tout combiné à l’acide sulfu
rique, à l’acide phosphorique et à l’acide chlorhydrique, tandis que
la partie insoluble est constituée en grande partie par du phosphate
de chaux.
Notre étude avait porté sur la poudre line. Il est hors de doute
que les indications du tableau précédent seraient entièrement diffé
rentes, si, au lieu de poudre line, on avait pris de la poudre grossière
ou des fragments plus ou moins forts provenant des noix
concassées.
Il ressort clairement de cette étude qu’en faisant macérer la
poudredeKola pendant un certain temps dans l’eau, ou lui enlèvela
presque totalité de sa caféine, ainsi quela glucose, un peu de tannin
et relativement beaucoup de sels fixes parmi lesquels surtout des
phosphates. Si donc, dans le but de préparer un produit alimen
taire, on se proposait d’enlever à la graine sa saveur un peu désa
gréable et astringente par une macération plus ou moins prolongée
dans l’eau, on voit que d’une part tout le tannin y contenu ne
disparaîtrait pas, et que, d’autre part, le composé azoté, c’est-àdire la partie active et excitante, se dissoudrait presque en tota
lité, en même temps que d’autres principes moins importants, il
est vrai, mais non moins utiles pour la constitution de l’aliment.
Le procédé de macération doit donc être complètement aban
donné quand ou se propose de préparer un produit alimentaire.
IV. —
RECHERCHE DE LA CAFÉINE
RÉSIDUS DE PRÉPARATIONS
ET DE LA KOLAN1NE DANS LES
PHARMACEUTIQUES EFFECTUÉES AVEC
LA NOIX DE KOLA.
11 était hors de doute qu’en raison des principes actifs con
tenus dans la noix, on songerait rapidement à faire servir le Kola
à des préparations pharmaceutiques. L’eau fournit un extrait
renfermant une certaine proportion d’alcaloïde ; le vin et l’alcool
surtout seront employés avec avantage pour obtenir deux autres
formes médicamenteuses très appréciées, en raison même de ce
que ce dernier dissolvant enlève la Kolanine ou Rouge de Kola.
Mais, comme ces véhicules ne sont pas des dissolvants parfaits de
la caféine, il arrivera que la poudre de Kola qui a servi à ces pré-
�189
LES KOLAS AFRICAINS
parations devra retenir encore des quantités plus ou moins nota
bles des principes actifs. Pour examiner jusqu’à quel point cette
assertion est exacte, nous avons pris un premier échantillon de
poudre qui avait servi à faire un extrait aqueux et deux autres qui
provenaient d’une préparation de vin et de teinture. Nous avons
constaté que, dans ces divers cas, la substance, loin d’être épuisée,
renfermait encore 2 à 28 p. 100 de principe actif. Le détail de nos
opérations en donne la preuve :
Poudre
Nous opérons sur 100 grammes, nous épuisons au chloroforme dans
l’appareil continu. Nous obtenons un liquide jaune qui, évaporé,
laisse un résidu cristallin mélangé de corps gras fusibles à la tem
pérature du bain-marie. Nousépuisons le résidu par l’eau bouillante;
nous filtrons et obtenons du premier coup une solution très peu
colorée qui laisse déposer des aiguilles soyeuses dont le poids
est = 0,400.
Or, comme le Kola renferme 2.348 de caféine, il s’ensuit que
2,348 100
c’est-à-dire (pie la quantité pour 100 restée dans
0,400'
le résidu est 17 gr. 07.
L’eau froide n’épuise donc pas complètement le Kola en caféine
et théobromiue puisqu’elle laisse, dans cette préparation, 17,07
p. 100 d’alcaloïdes.
Poudre provenant de la préparation du vin. — Poids de matière
employée = 100 grammes, d’où nous tirons 0 gr. 066 décaféiné
cristallisée. La même considération que ci-dessus prouve que si
^ 4 = = ^ -, le nombre cherché x indique donc 28,38 p. 100 de
0,006 x
caféine restée dans la poudre, c’est-à-dire plus du quart de la
matière.
Poudre provenant de la préparation de la teinture. — Traitement
comme ci-dessus par le chloroforme :
Quantité de poudre employée= 100 gr.
Poids de caféine ex traite
2,3-48 100
D’où il suit q u e ------ = —
0,060 X
— 0.000
#=2,512
Ainsi il reste encore 2 gr. 312 p. 100 d’alcaloïde dans la poudre.
�EDOUARD HECKEL
Cette vérification confirme ce que nous avons indiqué dans
notre étude chimique, à savoir que le chloroforme est un meilleur
dissolvant de la caféine que l’eau et l’alcool. C’est d’ailleurs le
meilleur de tous, d’après les nombres indiques par les auteurs. Il
est entendu que l’alcool, dissolvant la totalité du Rouge de Kola,
devrait être préféré à tous les autres véhicules. Pour les
dosages de la caféine dans les résidus, il n’a pas été tenu compte,
bien entendu, de la caféine naissante provenant du dédoublement
de rouge de Kola, parce que ce dédoublement n’est pas réalisé sous
l’influence des dissolvants ou véhicules alcooliques.
V.
—
ACTION DE LA TORRÉFACTION SUR LA NOIX DE KOLA.
La torréfaction fait perdre au café une certaine quantité de son
alcaloïde, et cela d’autant plus que l’opération est faite à une.
température plus élevée ou maintenue pendant un temps plus
long. Il en est absolument de même pour la noix de Kola, ainsi
qu’il est facile de le constater en inspectant le tableau suivant que
nous avons dressé :
Poids
Poids de la caféine p. 100
contenue
dans ces extraits.
de
l’extrait p. 100.
22.54
19.20
15.30
13.00
2.07
1.50
0.95
0.58
Ainsi donc le poids de la caféine n’est plus que de 0,58, quand
celui de l’extrait est réduit à 13,00 p. 100, tandis qu’il est quatre
fois plus considérable dans l’extrait; de la noix non torréfiée.
NOIX
FRAICHES.
Tout le travail précédant repose sur l’examen chimique des noix
sèches. Ayant pu nous procurer des semences fraîches, rouges et
blanches mêlées, nous l’avons complété par l’analyse suivante:
Poids. — Les plus petites pèsent 7 à 8 grammes, les plus grosses
�491
LES KOLAS AFRICAINS
25 à 28 grammes ; quelques-unes peuvent atteindre jusqu’à 40 et
45 grammes.
Perte d’eau. — Elles perdent à l’étuve entre 40 et 50 p. 100
d’eau. Deux expériences faites avec 5 gr. 305 et 6 gr. 215 de matière
nous ont fourni, comme perte d’eau :
Dans le premier cas, 2,555; dans le second, 3,005.
Par conséquent :
Poids total....................... ...
Perte d’eau....................... ...
3,303
2,555
6,215
3,005
Poids de la matière......... . ..
Perte d’eau p. iOO........... ...
2,750
48,17
3,218
51,80
Matière colorante. — Nous avons déjà dit dans la première partie
de ce travail que la couleur des graines varie du blanc jaunâtre
au rouge violacé. Les noix incolores présentent parfois aussi une
teinte légèrement violacée à l’extérieur.
La matière colorante jaune ou rouge ne se dissout pas dans le
chloroforme à froid, ni dans le sulfure de carbone, ni dans le
pétrole. La benzine, l’acétone et surtout l’alcool la dissolvent beau
coup mieux.
L’acide acétique cristallisable prend immédiatement au contact
des noix violacées ou rouge fuchsine une belle teinte cochenille.
Après un séjour prolongé de un ou deux jours dans ce véhicule, la
matière colorante rouge est entièrement dissoute. L’évaporation de
ce liquide fournit un beau résidu rouge au fond de la capsule dans
laquelle on opère. On enlève la caféine à l’aide du chloroforme
qui n’a aucune action sur la matière colorante, et on dissout le
tout dans l’eau. On obtient de cette façon un liquide rouge qui,
examiné au spectroscope, ne présente pas de raies particulières.
Sous une épaisseur plus considérable, presque tout le spectre est
absorbé, les rayons rouges seuls passent.
La solution acétique de la matière colorante rouge développe en
présence des alcalis une matière bleue assez fugace, qui passe au
bout de quelques instants au vert, puis au brun sale.
Les acides minéraux produisent le même effet que l’acide
acétique sur la matière colorante rouge violacée. Il suffit, par
exemple, de laisser les noix au contact d’une solution très faible
�192
ÉDOUARD HECKEL
d’acide, chlorhydrique à o pour 100 pour apercevoir au bout de deux
heures une teinte légèrement rosée.
Avec une solution moins étendue la coloratiou rose se manifeste
beaucoup plus vite.
L'acide chlorhydrique concentré dissout également la matière
rouge; mais quand on évapore la solution rouge chlorhydrique,
même étendue, on détruit le principe colorant, de telle sorte que
l’extrait, au lieu d'avoir une belle teinte rouge framboise comme
celui qui est fourni par l’acide acétique, est d’un brun sale presque
noir, et l’eau ne dissout plus alors qu’une matière jaune qui pro-’
vient de l’altération de la matière rouge.
L’acide sulfurique ainsi que l’acide azotique étendus agissent,
également comme dissolvants de la matière rouge. Ces deux acides
ajoutés aux solutions jaunes produites par l’action de l’alcool sur
les noix violacées fraîches, font naître immédiatement dans ces
liquides une teinte d’un beau rouge qui s’altère néanmoins assez
vite pour faire place à un dépôt ocracé constitué probablement par
un produit d’oxydation.
Recherche de la caféine. — Nous laissons digérer 5 grammes de
noix fraîches râpées avec de l’alcool et nous évaporons la solution
jaune au bout de deux jours, xâ cet extrait alcoolique d’aspect rési
neux, nous ajoutons de l’eau qui sépare des llocons jaunes et nous
filtrons. La solution ne présente aucune apparence cristalline au
bout de vingt-quatre heures de repos. Elle est soumise à l'évapora
tion à siccité et le résidu est traité par le chlore.
Une autre solution faite avec la même quantité de matière est
destinée à être soumise à l’action du brome. Les deux liquides
évaporés au bain-marie, prennent une teinte rouge entièrement
semblable à celle que donne la caféine pure dans les mêmes condi
tions ; mais aucun des deux résidus traités ultérieurement par
l’eau ne se colore en violet au contact de l’ammoniaque. Il n’est
donc pas possible de démontrer de cette façon la présence de la
caféine dans les noix fraîches.
Nous avons refait une nouvelle expérience avec la même quan
tité de matière : la solution alcoolique primitive a été soumise à
l’évaporation au bain-marie; le résidu repris par l’eau a été
mélangé.convenablement avec de la chaux. La masse parfaitement
�193
LES KOLAS AFRICAINS
desséchée a été épuisée ensuite par le chloroforme qui, après éva
poration, a abandonné une superbe cristallisation d’aiguilles fines
constituées par de la caféine entièrement pure. L’insuccès de la
première expérience était du nécessairement à la présence d’une
petite quantité de matière résineuse, qui a été fixée dans la nou
velle expérience au moyen de la chaux.
Il nous semblait dès lors naturel d’essayer de traiter directe
ment les noix fraîches par du chloroforme. Deux essais ont été
tentés, le premier avec la poudre de la substance préalablement
desséchée, le second avec deux grammes de matière grossièrement
pulvérisée. Dans l’un et l’autre cas, nous avons obtenu, après une
macération à froid pendant deux heures, des quantités notables de
caféine.
Ce mode de traitement, ainsi que nous l’avons déjà indiqué plus
haut en parlant de l’extraction de la caféine des noix sèches, paraît
donc convenir le mieux quand il s’agit de rechercher l’alcaloïde
dans le Kola. Ce fait étant acquis, nous nous sommes proposé de
déterminer la limite de la réaction. Il suffit de 0 gr. 05 de poudre
de Kola, pour obtenir, à l’aide de 2 centimètres cubes de chloro
forme, un liquide incolore qui laisse déposer des cristaux aiguillés
parfaitement reconnaissables au microscope.
Le résidu cristallin repris par une goutte d’eau, puis soumis à
l’action du chlore ou du brome et évaporé au bain-marie, fournit
^ la coloration violette caractéristique de l’alcaloïde.
L’expérience réussit encore avec 0 gr. 025 de matière, mais
naturellement moins bien que dans le cas précédent. Les cristaux
apparaissent très nettement sous le microscope, mais la réaction
avec le brome et l’ammoniaque, et surtout celle du chlore et de
l’ammoniaque, est plus difficile à réussir avec netteté. On peut
enfin mettre en évidence la présence de la caféine en chauffant la
poudre dans un tube à essai. La limite extrême de la réaction est
moins nette que la précédente. Néanmoins, on peut, en opérant
avec précaution, réussir à obtenir les cristaux à la partie refroidie
du tube en n’employant que 0 gr. 10 de matière. 11 importe de ne
pas chauffer trop, car on risquerait de voir se produire des produits
empyreumatiques dont la condensation empêcherait la formation
des cristaux aiguillés de l’alcaloïde.
Il est facile d’apprécier la quantité de caféine mise en évidence
%
�194
ÉDOUARD IIECKEL
par la réaction dn brome et de l’ammoniaque à sa limite extrême.
En effet, puisque l’analyse nous a révélé 2,348 0/0 d’alcaloïde dans
la poudre de Kola, il s’ensuit que 0 gr. 025 en renferment 0,000587.
On peut donc révéler 0 gr. 0005 d’alcaloïde à l’aide de ce procédé.
Recherche du tannin. — Nous avons déjà fait remarquer, contrai
rement à l’opinion d’Attfield, que la noix de Kola renfermait une
quantité notable de tannin. La présence du principe astringent se
révèle surtout avec netteté en opérant avec les noix fraîches. En
effet, quand on prépare des coupes microscopiques, on reconnaît
que l’eau dans laquelle baigne la préparation se colore en vert foncé
au contact d’une gouttelette de chlorure ferrique, ou en brun après
addition d’une solution ammoniacale de nitrate d’urane. La netteté
de ces réactions nous a suggéré l’idée de rechercher le tannin sur
la coupe microscopique elle-même et d’examiner la diffusion de ce
principe dans l’intérieur des tissus. Nous avons employé à cet effet
trois liquides différents pour faire ces recherches microchimiques.
4° Chlorure ferrique. — Nous prenons une solution étendue de
ce sel, et nous la déposons avec précaution sur la préparation
microscopique. Au bout de une à deux minutes, quelquefois même
au bout d’un temps plus long, la préparation prend une teinte
verte uniforme, preuve évidente de la diffusion du tannin dans
l’intérieur de toutes les cellules et non pas seulement dans les enve
loppes comme le veulent MM. Chodat et Chuit (hoc. cit., p. 507).
2° Chlorure ferrique et carbonate d’ammoniaque. — On trempe
d’abord la préparation dans une solution de carbonate d’ammo
niaque, puis on ajoute une goutte de perchlorure. On voit aussitôt
apparaître une belle coloration violette partout où il existe du
tannin.
3° Nitrate d’urane et carbonate d’ammoniaque. — La solution de
nitrate d’urane pas plus que celle de l’acétate de cette base ne
conviennent pour déceler la présence du tannin ; il faut saturer
l’une et l’autre par du carbonate d’ammoniaque. On arrête l’addition
du sel alcalin avant que le liquide ne se trouble. Cette solution,
parfaitement limpide, d’un beau jaune, ajoutée à la préparation
microscopique, produit une teinte brune caractéristique de la
présenèe du tannin.
�195
LES KOLAS AFRICAINS
VII.
—
Co m p o s it i o n
comparée
KOLA
des
noix
de
kola
rouge
et
de
BLANC.
1. — S’il est facile de différencier entre elles, à simple vue,
les graines fraîches de Kola rouge et de Kola blanc, il n’en est
pas de même quand elles sont desséchées ou réduites en pou
dre. Dans le premier cas, en effet, la matière colorante est
tellement accentuée que toute confusion est impossible; mais
au fur et à mesure que l’eau hygrométrique disparaît les deux
variétés de graines prennent un aspect ocreux qui ne varie
pas sensiblement. Dans ces conditions un œil exercé reconnaît
néanmoins, mais très difficilement, que le Kola rouge est un
peu plus foncé que le Kola blanc.
Mais quand on essaie des réactions différentielles avec les
dissolvants neutres on ne peut que constater leur complète
insuffisance. C’est ce qui résulte d’ailleurs des expériences con
signées dans le tableau ci-dessous:
DISSOLVANTS
K . BLANC
lv . BOUGE
Eau
Acétone
Alcool
Benzol
Chloroformé
Jaune assez pâle
Orange faible
Jaune d’or
Jncolore
Incolore
Jaune assez pâle
Orange faible
Jaune légèrement orange
Incolore
Incolore
Ces résultats négatifs que présentent les noix fraîches au
contact de divers véhicules, après une numération de 24 heures,
sont encore les mêmes quand on opère sur les noix sèches
coupées en morceaux ou réduites en poudre.
L’emploi des acides seul permet d’établir une différence :
avec l’acide acétique cristallisable, par exemple, le liquide devient
jaune pâle avec le Kola blanc et orange avec le Kola rouge.
Les deux teintes cependant ne sont pas sensiblement diffé
rentes. Mais lorsqu’on fait usage d’acide chlorhydrique ou d’acide
sulfurique étendus on obtient des résultats beaucoup plus accen
tués. Ces derniers varient cependant avec le degré de concen
tration des acides, avec la durée de la macération ou la tempé
rature à laquelle elle s’effectue.
�EDOUARD HECKEL
Si, par exemple, les acides dilués entre 1 et 2 % sont mis
en coutact avec les graines fraîches ou pulvérisées et sèches,
à la température du bain-marie bouillant pendant une heure,
les liquides de filtration présentent absolument la môme teinte
jaune. On ne peut donc, da,ns ce cas, différencier les deux
variétés. Le même insuccès se constate en prenant des solutions
acides plus concentrées et en les chauffant moins longtemps,
mais quand on se place dans les conditions suivantes:
Noix de Kola.............
E a u ..................................
Acide chlorhydrique.
0sr. ;3.
lOOcc.
0C(\ 5.
et qu’on laisse le mélange en macération pendant 23 à 36 heures,
ou remarque que le liquide filtré au bout de ce temps est d’uu
rouge rosé parfaitement limpide quand on a opéré avec le Kola
rouge et jaune clair avec le Kola blanc.
La solution acide rouge ne présente d’ailleurs pas de réac
tion spectroscopique comme nous l’avons vu antérieurement.
Il en est de même de celle qui constitue le liquide de macé
ration des graines de Kola blanc.
Ces solutions se différencient en outre par la teinte spéciale
qu’elles affectent après saturation de quelques gouttes d’ammo
niaque : la première devient violacée; la seconde, jaune.
L’addition d’un sel ferrique ou cuivrique n’y produit pas
de coloration spéciale.
Il s’ensuit que la matière colorante rouge contenue dans le
Kola rouge, soluble, comme nous l’avons dit, dans les acides
sulfurique et chlorhydrique étendus, constitue un caractère
distinctif des deux variétés de graines.
Quoique cette différenciation ne soit pas d’un intérêt capital
puisqu’elle ne porte que sur un élément secondaire (le principe
colorant), on peut se demander s’il n’en existe pas d’autres d’une
importance plus marquée.
2.
— Nous avons constaté tout d’abord que, sur un lot de
20 graines de chaque espèce, celles de Kola blanc étaient géné
ralement plus petites que les graines de Kola rouge; de plus
le poids des premières variait entre 4 gr. 10 et 4 gr. 03 tandis
que celui des secondes atteignait 18 gr. 20 au maximum et
n’était ‘pas inférieur à 6 gr. 8.
�197
LES KOLAS AFRICAINS
Les graines fraîches de Kola rouge que nous avions à notre
disposition pour établir nos premiers dosages étaient beaucoup
plus volumineuses, puisque, ainsi que nous l’avons déjà dit,
le plus grand nombre d’entre elles atteignaient 28 gr., quelquesunes même 40 à 45 gr.
L’eau d’hydratation des graines blanches et rouges sur
lesquelles nous venons d’opérer est variable ainsi qu’il résulte
des nombres ci-dessous :
KOLA BLANC
KOLA KOUGE
Total . . . . .
Perte d’eau.
6.095
3.650
6.293
4.010
Mat. sèche.
3.045
2.883
Ce qui donne pour 100 p. de graines fraîches :
Eau hygrométrique : 45,632......................... 56,679.
Mais ces résultats ne présentent qu’un intérêt tout à fait
secondaire et nous ne devons pas y attacher plus d’importance
qu’à ceux fournis antérieurement.
3.
— Notre attention devrait donc se porter surtout sur la
quantité de caféine contenue dans les deux espèces de graines
par la raison que la plupart des indigènes qui font usage du
Kola prétendent que les graines blanches sont plus actives et
produisent un effet physiologique plus accentué que les rouges
et les roses. Ces dernières sont les seules connues au Dahomey.
La solution du problème se réduisait donc à une extrac
tion méthodique de l’alcaloïde, c’est-à-dire à un épuisement
préalable par le chloroforme pour enlever la partie contenue
dans la graine à l’état libre et à un traitement ultérieur, par
l’eau aiguisée d’acide chlorhydrique, pour opérer le dédouble
ment de la Kolanine.
Les opérations ont porté sur 10 gr. de matière, préalable
ment desséchée et réduite en poudre fine. On a opéré l’extrac
tion au chloroforme, comme d’habitude, dans un appareil à
déplacement conlinu pendant trois heures. Au bout de ce temps
le liquide a été enlevé du ballon puis évaporé au bain-marie.
On a redissous dans l’eau pour enlever la matière grasse et
la solution aqueuse a été évaporée de nouveau à siccité.
Le poids de caféine pure provenant des graines de Kola rouge a été = 0.38% .
»
»
»
»
»
»
n
» blanc » = 0.40°/o.
�EDOUARD HECKEL
Nous ferons remarquer que - ces quantités sont beaucoup
plus faibles que celles fournies par nos premières analyses
(Mémoire de 1883).
L’épuisement au chloroforme étant terminé, nous avons
desséché la poudre et mis en digestion avec de l’eau aiguisée
d’acide chlorhydrique à 2 % dans une étuve à 35° pendant
12 heures. Le liquide a été filtré et lavé. Les eaux de lavage
600cc, réunies à celles du premier filtratum (200cc) ont été
évaporées jusqu’à un volume de 100ec, puis additionnées de
chaux pure préalablenent éteinte. Le magma calcaire parfaite
ment sec a été pulvérisé puis épuisé dans l’appareil par le
chloroforme pendant deux heures. On a obtenu de cette façon
Ogr. 8*20 de caféine pure provenant du Kola rouge.
Ogr. 885
»
»
»
» blanc.
Ces quantités de caféine provenant du dédoublement de la
Kolanine sont donc plus de deux fois supérieures à celles qui
existent dans la graine à l’état libre. Nous trouvons donc comme
poids total d’alcaloïde :
KOLA ROUGE
Alcaloïde libre. .
Alcaloïde combiné
KOLA BLANC
k 0.380
. 0.820
0. 40
0.885
1.200
1.285
Il importe de rapprocher ces derniers résultats de ceux
obtenus précédemment : 2.348 (alcaloïde libre) et 3.778 (alca
loïde libre et combiné).
Or, si le nombre 4 gr. 20 trouvé daDs cette analyse comme
représentant l’ensemble de l’alcaloïde libre et combiné de la noix
de Kola rouge n’est que le 1/3 environ de celui indiqué plus
haut, nous ne pouvons expliquer cette différence en moins
qu’en admettant que les graines sur lesquelles nous avons opéré
en dernier lieu, se trouvaient dans un état de maturité beau
coup plus avancé que les premières. Ce fait s’accorderait
d’ailleurs avec cet autre que nous venons de signaler en com
mençant, c’est-à-dire avec la différence de dimension des grai
nes dans les fieux opérations.
En comparant les deux espèces de graines, au point de vue
de leur richesse en caféine, nous constatons que, si 100 repré-
�LES KOLAS AFRICAINS
199
sente le poids de la graine la pins chargée (celle de Kola blanc),
93.385 correspondra à la teneur en alcaloïde du Kola rouge ou
en d’autres termes que ce dernier renferme 6.615 % de caféine
en moins que la graine de Kola blanc.
Nous voyons donc, en résumé, que le Kola blanc renferme
un peu plus de caféine libre que le Kola rouge dans le rapport
de 40 à 38, soit 5 % en plus. En outre, il y en a un peu plus
aussi à l’état combiné sous forme de Kolanine, et cela dans le
rapport de 885 à 820, soit 7.345 %.
Il résulte enfin de la comparaison de la somme des quan
tités d’alcaloïde libre et combiné, que la graine de Kola blanc
renferme, comme nous venons de le voir, 6.615 % de caféine
de plus que celle du Kola rouge. Nous verrons ultérieurement
la valeur du Kola rose.
Ces résultats analytiques confirment absolument l’opinion
des nègres de la côte occidentale d’Afrique, qui accordent à la
graine blanche de Kola une action excitante beaucoup plus
accentuée que celle de couleur rouge.
Il nous reste encore à étudier diverses parties de la plante :
les feuilles, la partie corticale et libérienne des rameaux, et enfin
le péricarpe, principalement en vue de la recherche de l’alcaloïde.
V III. —
feuilles
fl)
I. — 5 grammes de feuilles sont traités par de l’eau aiguisée
d’acide chlorhydrique. La solution filtrée est évaporée à consistance
d’extrait. Ce dernier est repris par l’alcool qui laisse à l’état iiisoluble une quantité de matières salines et gommeuses. La solution
(1) Il convient, de rapprocher de notre étude, celles qui ont été faites sur les
feuilles de Caféier ( S c h w e i z e r . W o c h e n s c h r i f t , f ü r P h a r m a c i e , 20 Janv. 1893,
p. 24) : « Les feuilles de Caféier n’ont été employées jusqu’à présent que dans une
mesure restreinte. D’après Sowerby, on peut estimer à 2 millions le nombre des
consommateurs de feuilles de Caféier, tandis que celui des buveurs de café s’élève
à 110 millions et celui des buveurs de thé à 500 millions. II est à remarquer que les
feuilles de Caféier contiennent 1,26 pour 100 de caféine et les graines 1 pour 100
seulement. En outre l’infusion des feuilles possède un arôme des plus agréable
qui lient le milieu entre celui du thé et du café et rappelle beaucoup celui de la
Kola. » D’autre part, il faut citer en entier N a t u r e d e s p r i n c i p e s c o n t e n u s d a n s
les f e u ill e s cle C a f é i e r , par M. Rigout, ancien interne des Hôpitaux, pharmacien
de l ,c classe à Vincennes ( R e v u e H o r t i c o l e d e P a r i s , année 1887, p. 474) :
�EDOUARD HECKEL
alcoolique évaporée à son tour fournit un extrait qui est repris par
l’eau. Cette solution légèrement acide ne précipite ni parles iodures
doubles, ni par l’acide picriqne et le phosphomolybdate de sodium.
La solution évaporée à siccité ne présente pas traces de cristaux
aiguillés.
Additionné d’un peu d’eau de chlore, ce liquide aqueux soumis
à l’évaporation au bain-marie, ne prend pas une teinte rose, ni rouge,
ni violacée au contact de l’ammoniaque.
Il résulte donc de ces réactions qu’il n’est pas possible de déceler
la présence de la caféine dans 5 gram mes de feuilles au moyen d’un
traitement à l’eau acidulée.
II.
— Nous pulvérisons 5 grammes de feuilles et nous les
épuisons dans un appareil à déplacement continu, à chaud, parle
chloroforme. Le liquide du ballon renferme beaucoup de chloro
phylle et de la cire. L’extraif obtenu par évaporation du dissolvant
pèse 0,680 . — Soumis à l’eau bouillante cet extrait ne cède pas
la moindre trace de principe cristallin.
... « La caféine, principe actif clu Café et du Thé, existe, ainsi qu'on le sait, en
» plus grande quantité dans les semences du Caféier que dans les feuilles de la
» même plante. Il n'en est pas de même pour les feuilles de Thé, qui sont, au
» contraire, plus riches en caféine que les autres parties de ce précieux végétal ; les
» feuilles de Thé sont même plus riches en caféine que les graines du café.
Voici du reste les données résultant de nombreux dosages :
Thé (feuilles)
2 de caféine pour 100.
Café (semences) 1
»
» 100.
» Les ouvrages de chimie indiquent bien la présence de la caféine dans les
» feuilles du caféier, mais non pas la proportion centésimale.
» Il m’a donc paru intéressant de faire ce dosage. Voici les résultats auxquels je
» suis arrivé :
Poids des feuilles fraîches de café traitées........................... 22 gr.
Poids de caféine obtenu................................................ .......
0 gr. 04
n Ce qui donne 0 gr. 18 de caféine pour ICO gr. de feuilles.
» Pour effectuer ce dosage j'ai mis les feuilles à macérer dans de la benzine
» pure pendant vingt jours, puis j’ai fait évaporer à une douce chaleur, jusqu’à
» siccité, ensuite j’ai repris par l’eau distillée bouillante, pour sépax-er les matières
» grasses; alors l’eau qui était légèrement colorée en jaune, a été évaporée à son
» tour presque complètement, puis le résidu, repris par une nouvelle quantité
n d’eau bouillante, a été décoloi’é par le charbon animal lavé à l’acide chlorhydrique,
» puis on a fait évaporer à nouveau, et quand il ne resta plus que quelques grammes
» du liquide, on les plaça sur un verre de montre, qu’on porta dans une étuve à
» 50° environ. C’est alors que l'on obtint des petits ci'istaux de caféine encore un
» peu souillés par de la matière coloi'ante, mais suffisamment purs. »
Comme on le voit, l’accord n’est pas fait sur la x-ichesse des feuilles de café en
caféine, mais cette base y existe, c’est le fait important.
�LES KOLAS AFRICAINS
201
Le produit d’évaporation du liquide aqueux, traité par le chlore
et évaporé à nouveau, ne se colore pas en rouge.
Même réaction négative quand on traite par le brome. Donc ici,
comme dans l’expérience précédente, on ne peut pas déceler la
présence de la caféine dans les feuilles.
Ces résultats obtenus sur 5 gr. de feuilles de vrai Kola nous
ayant paru en opposition avec ceux qui ont été publiés par
M. Rigout., pharmacien à Vincennes, sur les feuilles de caféier
(Coffea arabica L.) où cet auteur a décelé la présence de 0 gr. 18 de
caféine 0/0 (1), nous avons jugé utile de reprendre cette étude des
feuilles de Kola sur une plus grande quantité de matière. Voici le
détail de cette recherche :
En soumettant un kilo de feuilles pulvérisées à l’action de
l’éther de pétrole dans un appareil à déplacement continu, on
obtient 11 gr. 32 d’un extrait qui contient un peu de chlorophylle,
des corps gras mais pas de caféine. Epuisées ultérieurement par le
chloroforme, les feuilles cèdent à ce véhicule la totalité de leur
chlorophylle et le reste des corps gras. L’extrait du poids de 9 gr. 36
ne contient pas de caféine.
Une troisième opération faite dans le même appareil avec de
l’alcool donne également un résultat négatif au point de vue de la
présence de l’alcaloïde.
Une partie de l’extraction alcoolique est évaporée jusqu’à
siccité. Le résidu est repris par l’eau et mélangé avec de la chaux
en excès. Le magma calcaire est épuisé par le chloroforme bouil
lant. Le produit de l’évaporation ne présente pas la moindre
réaction de la caféine.
Il résulte évidemment de ces divers essais que, contrairement à
ce que l’on pouvait admettre à priori, les feuilles de Kola ne ren
ferment pas d’alcaloïde et le fait paraîtra d’autant plus surprenant,
que, comme nous allons le voir, les fruits en renferment une
quantité très appréciable.
IX. — ÉCORCE
I. — On a traité par l’acide chlorhydrique 5 grammes d’écorces
pulvérisées ; le liquide acide a ensuite été soumis au même
traitement que celui qui provenait des feuilles. Le résidu final
�EDOUARD HECItEL
dans lequel nous croyious trouver de la caféine n’a présenté aucun
des caractères distinctifs de cette hase.
II. — Le traitement d’une égale quantité d’écorces par le chloro
forme dans un appareil à déplacement continu a fourni le môme
résultat négatif qui était du reste prévu, les feuilles n’ayant pas
donné trace de cet alcaloïde.
X. — Bois.
I. — Une première expérience faite avec o grammes de bois
pulvérisé soumis à l’extraction à l’eau acidulée par l’acide chlorhy
drique n’a pas permis de déceler la présence de l’alcaloïde.
II. — Nous n’avons pas été plus heureux dans nos recherches
en employant le chloroforme.
NI. —
P é r ic a r p e
(Gousses de Kola).
La petite quantité de matière (100 gr.) que nous avons eue à
notre disposition ne nous a pas permis d’en faire une analyse com
plète. Le point essentiel qu’il nous importait de vérifier était de
savoir si le péricarpe renfermait ou non le principe actif de la noix;
à cet effet, nous avons procédé à l’extraction de la matière à l’aide
du chloroforme.
Traitement au chloroforme. — Mis au contact du péricarpe
réduit en poudre, le chloroforme prend immédiatement une colo
ration vert jaunâtre. Le liquide qui provient de l’épuisement de la
matière dans notre appareil à déplacement continu, à chaud, affecte
également la même teinte. Il n’en est pas de même pour la noix qui
ne cède au chloroforme, ainsi que nous l’avons dit plus haut,
qu’une matière colorante rouge.
En évaporant la solution chloroformique, on obtient une masse
verte, fusible à la température du bain-marie, composée principa
lement de cire, qui cède à l’eau bouillante une certaine quantité de
caféine et une proportion beaucoup plus faible de théobromine.
Cette eau bouillante enlève 0 gr. 041 de caféine, souillée par uu
peu de corps gras, mais très nettement cristallisée eu aiguilles. Le
chlore et l’ammoniaque employés dans des conditions convenables
permettent de caractériser nettement l’alcaloïde.
�LES KOLAS AFRICAINS
203
La théobromine, eu raison de sa faible solubilité, se dépose de
nouveau à froid sous forme de cristaux rhomboédriques microsco
piques, qui, recueillis sur filtre, desséchés et chauffés dans uu tube,
se subliment en abandonnant un peu de charbon.
En opérant avec de l’alcool on obtient encore 3 gr. 50 d’extrait,
mais dans lequel on ne décèle plus que 0 gr. 005 de caféine. Cet alca
loïde existe dans les gousses à l’état libre, car en traitant la matière
première qui a servi aux deux opérations précédentes par la chaux
et en épuisant ensuite le magma calcaire par le chloroforme on ne
trouve plus trace de caféine.
La matière cireuse renferme beaucoup de chlorophylle caracté
risée par ses raies spectroscopiques. Chauffée dans une capsule de
platine elle ne se volatilise pas en totalité, mais laisse un résidu de
sels fixes contenant principalement de la potasse et de la chaux (1).
Il nous a paru intéressant de comparer la teneur alcaloïdique
des gousses du Kola à celles du Cacao ( Theobroma cacao) ; les deux
végétaux ayant de grandes affinités botaniques en présenteraient-ils
aussi comme composition chimique? Voici les résultats de ces
recherches qui n’avaient point été faites jusqu’ici.
XII. —
G ousses
oe cacao
(Cabosses).
L’épuisement par le chloroforme à chaud fournit 2,25 0/0
d’extrait dont 0 gr. 038 0/0 constitués par de la caféine cristallisable,presque complètement exempte de corps étrangers. A la suite
de ce traitement, l’alcool enlève encore 3 gr. 20 de matière. En
soumettant ce nouvel extrait à l’action de l’eau bouillante, on
en tire encore 0 gr. 010 de caféine caractérisée par ses cristaux
aiguillés. L’alcaloïde existe dans la gousse à l’état libre.
(1)Traitement à l’alcool.— La substance provenant de l’opération précédente
soumise à l’action de l'alcool à chaud, ne cède à ce véhicule qu’une faible quantité
de matière colorante jaune rougeâtre et du tannin.
Traitement à l’eau. — En soumettant la poudre ainsi épuisée, par l’alcool à
l’action de l'eau bouillante, on en retire encore un peu de matière colorante jaune
mais en proportion bien moindre que celle fournie par la noix.
Traitement a la potasse. — Une solution de potasse, enfin, dissout le principe
rouge dont les caractères optiques sont identiques à ceux que nous avons cités plus
haut en parlant de l’extrait de la noix obtenu par le même dissolvant.
�EDOUARD 11ECKEL
XIII. —
Co m pa r a iso n
des
gousses
de
C acao,
de
C afé
et
de
Ko l a .
Des expériences qui précèdent, il résulte que ln teneur eu
caféine dans les gousses de Kola et de Cacao est très faible. Elle est
à peu près identique dans les deux cas puisque nous trouvons :
Gousse de Kola = 0,056 o/o
Gousse de Cacao = 0,049 o/o
La caféine existe à l’état libre dans ces deux produits qu'on pour
rait utiliser pour l’alimentation des bestiaux (chevaux, bœufs,
ânes, etc.) : ces animaux en sont friands.
Dans le même ordre d’idées, nous avons cru devoir rapprocher
de la composition des gousses de Kola et de Cacao, celle des coques
(fruits) de café et nous avons choisi de préférence les gousses du
café de Liberia (Coffea Liberica) qui sont de dimensions plus consi
dérables.
Les coques épuisées par le chloroforme ont donné de la caféine
et n’en donnent plus après cette première extraction, quand ou
cherche à en retirer du magma calcaire ci-dessus. La proportion
d’alcaloïde est bien plus faible que dans la graine du Cofjea Liberica
(qui en renferme 0 gr. 341 p. c.). Avec 700 gr. de.matière, nous
n’avons obtenu que 0 gr. 042 de caféine brute, soit 0 gr. 006 p. c.
quantité qui,après purification,s'est réduite à 0 gr. 025 ou 0 gr. 004
pour cent. Comme on le voit c’est encore la gousse de Kola qui
renferme le plus d’alcaloïde, quand ou la compare à celle du cacao
et du café (de Liberia).
X IV .
—
c o m p a r a i s o n e n t r e l a n o i x d e k o l a , l e c a f é , l e t h é et l e cacao
a u po in t de vue de l e u r r ic h esse en c a f é in e .
En comparant la quantité de caféine qui se trouve dans le café,
le thé et la noix de Kola, on reconnaît que cette dernière en ren
ferme le plus. Le thé, de même que la noix de Kola, présente l’alca
loïde à l’état libre, tandis que pour le café il n’en est pas de même.
D’après Payen (Ann. cliim. et phys., 3e sër., XI, 129), il n’y aurait
que 0,8 p. 100 de caféine libre, tandis que 1,45 de la base serait
combiné à un acide particulier sous forme de sel. Comme le chloro-
�LES KOLAS AFRICAINS
205
génate de. potassium et de caféine renferme 29 p. 100 d’alcaloïde, il
s’ensuit que les 5 grammes p. 100 de ce sel double, que le savant
professeur de Paris a trouvés dans le café, contiendraient 4,45
d’alcaloïde : ajoutant par conséquent ce nombre à 0,8, nous trou
vons 2,25 p. 100 de caféine dans le café.
Nous devons faire remarquer ici que d’autres chimistes qui se
sont occupés du dosage des principes constitutifs du café ont trouvé
des nombres différents de celui-ci. Weyrich (Pliarm. Zeitsch. f.
Russlancl., XII, 362), pour ne prendre qu’une des analyses les plus
récentes, indique les quantités suivantes de caféine dans les espèces
ci-après désignées.:
Jamaïque.........................
Moka jaune......................
Java g r is .........................
Cosla Rica ......................
Ceylan..............................
1,43 p. 100.
0,G4
2,21
1,18
1,53
S u r i n a m . .. .........................
1,04
D'où il suit que la teneur de. la noix de Kola en caféine libre
(sans parler ici de celle (pii peut provenir de la Kolanine par dédou
blement) est supérieure à celle des cafés les plus riches.
Si nous comparons la noix de Ivola à diverses espèces de thé,
nous trouvons, pour ces derniers, une quantité moindre de théine
ou de caféine, ainsi que l’indiquent les nombres trouvés par Stenhouse (Aun. of chcm. and pharm., XLV, 371).
PourM. Coninck (Rêperl. pliarm., XXXVII, 169), le thé de Chine
en contiendrait de ! à 2,5, mais cette proportion peut être dépassée
et atteindre 3,5. M. Stahlsmitt (Poyg.Ann., CXII, 441) et plus récem
ment M. Strauch (Viertelj. prakt. pharm., XVI, 167) n’auraient
trouvé que 0,45 dans le thé du Paraguay. D’après M. Aubert (.Arch.
/. die gesamm. Phys., V. II. 12, p. 582), enfin, le thé de Pecko eu
contiendrait 2,149 à 2,433. L’auteur s’est servi de chloroforme pour
opérer ses extractions et effectuer ses dosages.
Il résulte donc de la comparaison de ces nombres que, à quelques
rares exceptions près, la noix de Kola est plus riche en caféine queles thés de provenances les plus diverses et môme que les divers
cafés commerciaux.
Nous verrons également que l’ensemble des alcaloïdes de la
noix de Kola est supérieur à la proportion de théobromine contenue
dans le cacao.
�EDOUARD HECKEL
XV. — COMPARAISON DE LA VALEUR NUTRITIVE
DE LA NOIX DE KOLA AVEC
CELLE DU CACAO ET DU CAFÉ
.
Malgré les différences considérables qui existent entre la noix
de Kola et le cacao au point de vue de la matière grasse, des élé
ments protéiques ou de la matière amylacée, par exemple, il existe
cependant d’autres principes,communs à ces deux produits, pour les
quels la discordance n’est pas si grande. Nous venons de dire, il y
a un instant, que la noix de Kola renfermait plus d’alcaloïde que la
fève de cacao : elle est donc plus riche qu’elle en principe actif.
Comme la quantité de cellulose contenue dans le café diffère peu
de celle de la noix de Kola, la comparaison entre les deux graines
sera plus instructive que la précédente.
On peut de môme rapprocher la composition centésimale de la
noix de Kola, de celle du thé, quoique ce dernier contienne un cer
tain nombre de principes qui ne se trouvent pas dans la noix de
Kola.
Nous indiquons ci-après la composition de ces divers produits
végétaux :
T a b le a u
c o m p a r a tif des p rin cip es
le c a f é ,
c o n s t i t u a n t s c o n t e n u s d a n s le cacao,
le th é e t la n o i x d e K o l a .
PRINCIPES CONSTITUANTS
Matière grasse............................
Matières protéiques..................
T héobrom ine............................
Caféine .......................................
Huile essentielle.........................
Résine...........................................
Sucre ...........................................
A m idon......................................
G om m e.......................................
Cellulose......................................
Matières co lo ran tes..................
—
Id. —
...................... .....
Matières extractives..................
T a n n in .......................................
Cendres .......................................
Eau..............................................
(1) Rouge de cacao.
(2 et j3) Chlorophylle.
(4) Rouge de kola o u Kolanine.
CACAO
CAFÉ
(Milseherlich) (Paycn.)
53, 0
13
1,5
0,4
0,5
13
13
2,25
0,003
15,5
3,6
6
100,00
0,28
3
2,80
0,43
0,79
2,22
0,46
0,60
3,64
8,58
7,28
17,08 20,18
17.24 19,20
2,22 2 1,84 s
22,8U 19,88
17,80 12,88
5,24
6,697 5,46
12
100,000 100,00 100,00
34
5t
T IK
Noir
Vert
(Péli got.)
Noix de Kola
lleckel et
Sclilagden—
liaiifTcn
0,585
6,761
0,023
2,348
non déterm:
2,875
33,754
3.640
29,831
2,561
1,290 4
1,618
3,395
11,909
1 0 0 ,0 0 0
�LES KOLAS AFRICAINS
207
A l’inspection de ce tableau, on est frappé de l’énorme différence
qui existe entre la richesse de ces substances en matière grasse. Le
cacao en renferme plus de 50 p. 100, que les fabricants de chocolat
remplacent par l’amidon, sans crainte, le plus souvent, d’en mettre
un excès. Le café n’en contient que le quart et la noix de Kola, la
centième partie seulement. Mais, dans le thé, remarquons-le en
passant, elle n’existe pas du tout : les 0,28 inscrits sur notre tableau
sous la rubrique matière grasse étant de la cire et non du beurre.
Les matières protéiques entrent dans la composition du café et
du cacao dans la même proportion : ces deux graines sont donc, au
point de vue de la totalité de l’azote, deux fois plus nutritives que la
noix de Kola qui ne renferme que moitié autant d’azote. Mais la noix
de Kola, à son tour, renfermant deux fois plus de matière azotée
que le thé, aurait donc, pour la même raison, une valeur alimentaire
deux fois plus considérable que ce dernier caféique.
Pour ce qui concerne la richesse en alcaloïdes, nous avons déjà
fait remarquer que tout l’avantage était en faveur de la noix de
Kola. D’après une ancienne théorie de Liebig, la caféine aurait une
valeur alimentaire réelle en tant que composé azoté. Cette assertion
toutefois, admise pendant fort longtemps, à été démontrée fausse
par les travaux plus récents des physiologistes qui ont fait voir
que cet alcaloïde ne subissait pas de modifications dans l’organisme
et se retrouvait en totalité dans les urines.
Indépendamment de son amertume, la noix de Kola présente
une saveur particulière, due à une huile essentielle dont nous
n’avons pas déterminé la proportion. Il eut fallu, pour arriver à la
connaître, distiller plusieurs centaines de kilogrammes de graine
fraîche où elle est plus abondante que dans la graine sèche. Dans
cette dernière, il n’y en a que des traces. C’est le principe aphrodi
siaque.
Le principe aromatique du café, qui ne se développe dans la
graine de Cofjfea que par la torréfaction, n’existe, dans le café non
torréfié, qu’en proportion très faible (0,003), tandis qu’il est beaucoup
plus abondant dans le cacao 0,3 p. 100, et dans le thé 0,60 à 0,79
p. 100. Cette huile essentielle se développe aussi dans le Kola par la
torréfaction.
Le thé contient de la résine en petite quantité ; 2,22 à 3,64
p. 100. Nous y trouvons également de la gomme qui existe pour
�EDOUARD HECKEL
moins que moitié seulement dans la noix de Kola. Par contre il ne
renferme pas de sucre qui entre pour une proportion de 15,5 p. 100
dans la composition du café, de 0,05 p. 100 dans le cacao et de 2,875
dans la noix de Kola. Au point de vue alimentaire, le café occupe
rait donc le premier rang à cause de la forte proportion d’hydrates
de carbone qu’il renferme, tandis que le cacao serait placé en
dernier lieu, puisqu’il contient trente fois moins de ces principes.
La cellulose existe en abondance dans la noix de Kola ; elle varie
entre le quart et le tiers du poids total de la graine. Pour le café
elle n’en forme que le tiers ; pour le thé vert, le septième, et le thé
noir, le quart environ. Il suit donc de là qu’au point de vue alimen
taire ces 29,831 p. 100 de cellulose de la noix de Kola constituent
une non-valeur (1), au même degré que les 34 p. 100 du même prin
cipe contenu dans le café et les 17,08 à 26,13 p. 100 qui se trouvent
dans le thé. Le cacao n’en renferme pas.
Quant aux autres principes (matières colorantes, extractives et
tannin), ils ne présentent,, au point de vue de l’alimentation, qu’un
intérêt tout à fait secondaire.
L’ensemble des sels fixes de la noix de Kola et du Cacao est à
peu près le même. Il est plus considérable dans le thé, et deux fois
plus fort dans le café.
En résumé, si dans l’examen des quatre substances que nous
venons de comparer, nous laissons de côté les principes colorants
extractifs et autres dont l’équivalent nutritif est tout au moins fort
douteux, pour ne prendre en considération que les matières pro
téiques et les hydrates de carbone, nous trouvons que le café se
trouve au premier rang; mais en n’envisageant que les matières
grasses, c’est le cacao qui est de beaucoup supérieur au café, au
thé et à la noix de Kola.
Quant au principe actif de ces divers produits alimentaires,
c’est-à-dire au composé chimiquement défini, à la caféine ou à sou
homologue la théobromine, c’est la noix de Kola qui en renferme
le plus et sous son état le plus actif (naissant). Par conséquent, au
point de vue des effets physiologiques produits par des poids égaux
(1) Toutefois nous avons vu que, d'après l'appréciation de MM. Chodat et
Chuit (voir page 176), cette cellulose se diGérencierait de celle des congénères
par sa nature spéciale qui la rend facilement assimilable.
�LES KOLAS AFRICAINS
209
de ces matières préexistantes dans la graine, c’est la noix de Kola
qui doit occuperet qui occupe, nous l’avons déjà dit, le premier rang.
XVI. — RÉACTIONS
DE LA CAFÉINE
En dernière analyse, la caféine étant, surtout à l’état naissant, ce
qui n’existe dans aucune autre graine, le principe actif du Kola»
il n’est pas possible de passer à côté d’une substanee aussi
importante, sans nous y appesantir davantage au point de vue chi
mique, c’est-à-dire sans présenter quelques considérations nou
velles sur ses réactions et sur sa constitution chimique. Le dosage
et les réactions de la caféine sont en effet indispensables à bien
établir pour juger un Kola.
Quoique parfaitement étudié au point de vue de ses propriétés
physiques et chimiques, l’alcaloïde du Kola, du café et du thé mérite
néanmoins de fixer un instant notre attention en raison de certaines
particularités qui n’ont été, avant nos recherches, l’objet d’aucune
étude spéciale.
J. Propriétés physiques. — La caféine se présente sous forme
d’aiguilles longues, incolores, d'un éclat soyeux. Sa saveur est peu
amère, elle fond dans son eau de cristallisation à 100° et se sublime
sans décomposition et sans répandre d’odeur caractéristique.
On n’est pas d’accord sur ses points de fusion et de volatilisa
tion ; Mulder (Ann. d. Poggendorf, XL11I, p. 160) admet pour le
premier nombre 178°, tandis que Strecker (Ann. de cliim. et pliarm.
CXVIII, p. 151) indique 234 degrés et M. Commaille (Bail de la Soc.
chim., 1876, I, p. 261) 229 degrés0.
Quant à son point de volatilisation,l’écart est encore plus con
sidérable. D’après Strau'ch ( VierteIj. Schr. /. pharm. XVI, p. 161),
la caféine se sublimerait à 177 degrés et entrerait en ébullition à
une température beaucoup plus élevée. Le nombre 384 indiqué par
Péligot (Ann. de chim. et de phys., 3e s., XI 138) comme point de
volatilisation, n’a pu être vérifié par d’autres expérimentateurs.
La même discordance régnait jusqu’à présent au sujet de sa
solubilité dans les divers véhicules, mais d’après les nouvelles
déterminations de M. Commaille (loc. cit.) on sait aujourd’hui que
le chloroforme à la température ordinaire (16° environ) est son
�210
ÉDOUARD HECKEL
meilleur dissolvant. Il en dissout six fois plus que l’alcool, dix
lois plus que l’eau, deux cents fois plus que le sulfure de carbone
et l’étlier, et cinq cents fois plus que l’essence de pétrole. Ces pro
portions toutefois changent quand on opère à la température
d’ébullition des liquides : l’eau, dans ce cas, occupe le premier
rang puisqu’elle en dissout 45 p. 100 ; viennent ensuite le chlo
roforme qui n’en dissout que 19 p. 100 ; l’alcool 3,12 p. 100;
l’éther 0,36 p. 100 et le sulfure de carbone 0,45 p. 100. La benzine
et l’alcool amylique la dissolvent également.
2.
Basicité. — Elle se combine aux acides pour former des sels
parfaitement définis, mais qui, en solution aqueuse acidulée, per
dent la totalité de leur base en présence des véhicules ci-dessus.
Cette propriété témoigne en faveur du faible pouvoir de saturation
de cet alcaloïde pour les acides, ou en d’autres termes de sa faible
basicité.
11 est en effet difficile de constater la réaction alcaline avec le
papier de tournesol, puisque l’on aperçoit à peine une légère teinte
bleuâtre, soit que l’on fasse usage d’une solution aqueuse ou
alcoolique de l’alcaloïde.
Les autres réactifs colorés conduisent au même résultat négatif.
Une solution alcoolique de curcuma, par exemple, qui colore
l’atropine, la cinchonine et la quinidine en rouge foncé, reste
entièrement insensible en présence de la caféine. Les solutions
alcooliques des bois de Campèche, de Fernambouc ou de Lima, qui
donnent au contact de certains alcaloïdes, comme aussi avec les
bases fixes ou leurs carbonates, des colorations rouge groseille ou
ponceau ne virent pas de teinte quand on y laisse séjourner de la
caféine. D’où il suit que la base que nous étudions ne présente pas
une réaction alcaline comparable à celle de l’atropine, de la quini
dine ou de la cinchonine, moins encore à celle d’une solution de
potasse ou d’ammoniaque même dans un grand état de dilution.
11 est vrai de dire que d’autres alcaloïdes, tels que la brucine, la
morphine et la quinidine, qui se combinent avec la plus grande
facilité avec les acides, présentent également, à l’égard des réactifs
que nous venons de citer, une indifférence très grande, au point
de rendre difficile la constatation de leur degré d’acalinité ; elle
partagent donc cette propriété avec la caféine.
Eri nous servant d’autres réactifs propres à décéler l’alcalinité
�212
ÉDOUARD HECKEL
3.
Propriétés chimiques. — A. Combinaisons insolubles. On sait
que pour caractériser les alcaloïdes on emploie généralement cer
tains réactifs spécifiques qui, ajoutés à leurs solutions neutres ou
acides, donnent naissance à des précipités colorés. La caféine
cependant fait exception.
L’iodure double de cadmium et de potassium ne fournit eu
effet pas le moindre trouble dans une solution neutre ou acide de
caféine au 1/100.
L’iodure double de mercure et de potassium se comporte de
la même façon.
L’iodure ioduré de potassium n’altère pas la solution de caféine
pure au 1/100; mais quand ou vient à ajouter au mélange une
trace d’acide chlorhydrique, il se forme un précipité brun très
abondant. En faisant usage d’une solution légèrement acidulée,
le réactif en question permet de déceler 1/2000 de caféine.
L’iodure de bismuth et de potassium semble au premier abord
jouir des mêmes avantages ; mais, à cause de la facile décompo
sition de ce sel double, en présence de l’eau on ne peut pas
compter sur la limite de la réaction.
Le pbosphomolybdate de sodium est d’un usage "beaucoup plus
facile. Le précipité que fait naître ce réactif dans une solution de
caféine indique 1/4500 d’alcaloïde en dissolution.
L’acide picrique et le bichromate de potassium sont insensibles
en présence d’une, solution de caféine au 1/500; mais il est facile
de constater que ces mêmes réactifs ne donnent pas le plus faible
louche dans des liqueurs cinq fois plus concentrées.
Le bichlorure de platine, au dire de Dragendorlï (Traité de
toxicologie, p. 295), fournit un précipité cristallin dans les solutions
de caféine au bout de deux heures. Il faut remarquer cependant
que ce réactif, même à l’état de grande concentration, ne donne
rien au début dans une solution au 1/100.
Il en est de même pour le chlorure d’or.
Le bichlorure de mercure fait naître immédiatement un pré
cipité cristallin dans les solutions de caféine au 1/100 ou au 1/200
La réaction est encore sensible dans les liquides étendus au 1/500'
Le tannin enfin précipite les solutions de caféine étendues au
1/ 2000.
Tl résulte donc de l’ensemble de cet exposé que l’iodure ioduré
�212
ÉDOUARD HECKEL
3.
Propriétés chimiques. — A. Combinaisons insolubles. On sait
que pour caractériser les alcaloïdes on emploie généralement cer
tains réactifs spécifiques qui, ajoutés à leurs solutions neutres ou
acides, donnent naissance à des précipités colorés. La caféine
cependant fait exception.
L’iodure double de cadmium et de potassium ne fournit eu
effet pas le moindre trouble dans une solution neutre ou acide de
caféine au 1/100.
L’iodure double de mercure et de potassium se comporte de
la même façon.
L’iodure ioduré de potassium n’altère pas la solution de caféine
pure au 1/100; mais quand ou vient à ajouter au mélange une
trace d’acide chlorhydrique, il se forme un précipité brun très
abondant. En faisant usage d’une solution légèrement acidulée,
le réactif en question permet de déceler 1/2000 de caféine.
L’iodure de bismuth et de potassium semble au premier abord
jouir des mêmes avantages ; mais, à cause de la facile décompo
sition de ce sel double, en présence de l’eau on ne peut pas
compter sur la limite de la réaction.
Le pbosphomolybdate de sodium est d’un usage "beaucoup plus
facile. Le précipité que fait naître ce réactif dans une solution de
caféine indique 1/4500 d’alcaloïde en dissolution.
L’acide picrique et le bichromate de potassium sont insensibles
en présence d’une, solution de caféine au 1/500; mais il est facile
de constater que ces mêmes réactifs ne donnent pas le plus faible
louche dans des liqueurs cinq fois plus concentrées.
Le bichlorure de platine, au dire de Dragendorlï (Traité de
toxicologie, p. 295), fournit un précipité cristallin dans les solutions
de caféine au bout de deux heures. Il faut remarquer cependant
que ce réactif, même à l’état de grande concentration, ne donne
rien au début dans une solution au 1/100.
Il en est de même pour le chlorure d’or.
Le bichlorure de mercure fait naître immédiatement un pré
cipité cristallin dans les solutions de caféine au 1/100 ou au 1/200
La réaction est encore sensible dans les liquides étendus au 1/500'
Le tannin enfin précipite les solutions de caféine étendues au
1/ 2000.
Tl résulte donc de l’ensemble de cet exposé que l’iodure ioduré
�LES KOLAS AFRICAINS
213
de potassium, le tannin et le phosphomolybdate de sodium sont les
réactifs les plus sensibles qui permettent de caractériser la caféine
à l’état de combinaison insoluble.
B. Action des oxydants. — La caféine jouit d’un pouvoir réduc
teur considérable, presque aussi énergique que celui de la mor
phine. Comme cette propriété n’avait pas encore été mentionnée
jusqu’à présent, nous avons pensé qu’il n’était pas sans intérêt de
la faire connaître et de signaler les conditions dans lesquelles
s’effectuent ces réactions.
Chlorure d’or. — Quand on chauffe du chlorure d’or avec de la
caféine cristallisée ou avec une solution acétique ou chlorhydrique
de cette base, il ne se produit pas de changement dans la liqueur.
Mais quand ou ajoute au mélange du sel d’or et de caféine, quelques
gouttes de potasse caustique et que l’on porte la solution à la tem
pérature du bain-marie ou à l’ébullition, on obtient immédiate
ment un précipité noir d’or métallique. Si au lieu de potasse ou
emploie l’ammoniaque, la précipitation de l’or ne s’effectue pas ;
elle n’a lieu que dans le cas où l’on ajoute à cette même solution
ammoniacale une faible proportion de potasse.
Nitrate d’argent. — Le nitrate d’argent, eu solution acide, n’est
pas décomposé par la caféine, même à la température de l’ébullition.
Le même sel en présence de l’ammoniaque 11e l’est pas davan
tage.
La réduction s’effectue néanmoins avec la plus grande facilité,
quand on ajoute de la potasse caustique au mélange de nitrate
d’argent ammoniacal et de caféine; il suffit de chauffer modéré
ment la liqueur pour avoir un dépôt noir. Quand 011 porte le
mélange à l’ébullition, il se produit sur les parois du tube à essai
un miroir métallique brillant. La meilleure manière d’obtenir cette
réaction consiste à mélanger au nitrate d’argent ammoniacal un
peu d’acétate de caféine, d’ajouter de la potasse et de chauffer. Le
dépôt se produit alors avec la plus grande netteté.
Mais si l’on ajoute la caféine en cristaux à la solution argentique
ammoniacale et qu’on chauffe ensuite avec la potasse, il se forme
seulement un précipité pulvérulent sans miroir.
Les acides oxygénés, contrairement aux sels métalliques, 11e
sont réduits qu’en solutions acides.
�EDOUARD HECKEL
Acide chromique. — Quand on chauffe au bain-marie une solu
tion de bichromate de potassium en présence d’une solution sulfu
rique de caféine, il se produit une coloration verte.
Acide iodique. — La réduction de l’acide iodique s’effectue
également à la température du bain-marie sous l’influence de la
caféine. L’iode libre provenant de cette décomposition peut être
décelé à l’aide du sulfure de carbone.
Acide sélénieux. — Quelques gouttes d’acide sélénieux mélan
gées de caféine dissoute dans l’acide sulfurique, chauffées à la
température du bain-marie, abandonnent un résidu brun rouge de
sélénium.
Acide molybdique. — Si l’on ajoute à du molybdate d’ammonium
une petite quantité de caféine, et qu’on chauffe au bain-marie en
présence d’un peu d’acide sulfurique libre, il se produit au bout de
quelques instants une coloration bleue intense qui indique la
réduction de l’acide molybdique.
Acide hypermanganique. — L’hypermanganate de potassium
réduit partiellement la caféine au bain-marie, mais la décomposi
tion est beaucoup plus rapide quand on ajoute au mélange un peu
d’acide sulfurique ou d’acide chlorhydrique. Dans le premier cas,
il reste du bioxyde de manganèse hydraté et la liqueur devient
incolore. La solution filtrée, évaporée à siccité, abandonne un
résidu jaune qui se dissout dans l’eau avec une teinte pourpre.
Cette coloration est plus intense en présence de l’ammoniaque.
Lorsque la réaction s’effectue dans une liqueur chlorhydrique, le
résidu brun noir disparait et la liqueur entièrement incolore
fournit, comme dans le cas précédent, un résidu jaune plus rou
geâtre que celui dont il a été question plus haut, et qui se trans
forme également en un liquide pourpre après addition d’ammo
niaque.
Si l’une ou l’autre de ces réactions s’effectue en présence d’un
fragment de sel ammoniac, le résidu salin prend une teinte rouge
très prononcée et se colore d’une manière beaucoup plus intense
que dans le premier cas, au simple contact de l’eau ou de
l’ammoniaque.
La coloration rouge pourpre produite par l’addition de l’ammo
�LES KOLAS AFRICAINS
215
iliaque dans le liquide de la réaction ne peut être due qu’à la
formatiou du purpurate d’ammoniaque. Elle serait la conséqueuce
de la formation de l’alloxantine et de l’alloxane, qui toutes deux
peuvent résulter de l’oxydation de la caféine.
En effet :
côH10N402 -P O8—3(H20)=C®H4N40(Caféine
C8H10N402
Caféine
Alloxantine
O9—3(H20)=C8II4N108
Alloxane
La coloration rouge plus foncée, produite par l’addition du sel
ammoniac au mélange, résulterait de la transformation de l’al
loxantine en dialuramide qui, à l’air, donnerait la purpurate
d’ammoüiaque, sans addition préalable d’alcali volatil.
C8II4N4O' +C1H. AzH ■
3= C 4H6N 3O»+C 4H2N2O4-f HCl
Alloxantine
Dialuramide Alloxane
2(C4H&N30 3)+ 0 = C 8H4(NH4)N&0 ü-|-ir-0
Dialuramide Purpurate d’ammoniaque
Ce qui nous fait supposer que le produit final est du purpurate
d’ammoniaque et non de la murexoïne (composé obtenu par
Roclileder à la suite de l’action de l’acide azotique sur la caféine),
c’est l’identité des réactions de ce corps avec celles de la murexide
fournie par l’acide urique.
En ajoutant à la solution pourpre un peu d’oxyde de zinc, la
liqueur se décolore et abandonne après dessiccation un résidu
jaune tout à fait caractéristique de purpurate de zinc; puis en
reprenant ce dépôt par une goutte d’ammoniaque, il se produit de
nouveau la coloration pourpre caractéristique de la murexide.
Quand on ajoute de l’oxyde mercurique à la place de l’oxyde de
zinc et qu’on évapore le mélange, il se produit, après évaporation,
une coloration violette très intense de purpurate de mercure.
L’addition de l’ammoniaque à ce dépôt fait naître un précipité
d’oxyde au sein de la solution de murexide. Nous citons à l’appui
delà formation de l’alloxane et de l’alloxantine comme produits
intermédiaires dans cette réaction :
1° Le dépôt abondant de soufre occasionné par le passage cl’un
�216
ÉDOUARD HECKEL
couraul d’hydrogène sulfuré dans la liqueur, d’après l’équation
2(C4 IIsN2O4)+H2S= C®II4N4O7-)-II2O-(-S
Alloxane
A lloxantihe
2° En second lieu, l’alloxantine nous paraît suffisamment carac
térisée par la coloration bleue que produit dans la liqueur l’addition
de baryte, d’oxyde de magnésium ou de chaux hydratée, ainsi que
la coloration bleu indigo fournie par la présence d’une trace de sel
ferreux et d’ammoniaque.
Nous admettons par conséquent que, dans la réaction de l’hypermanganate de potasse sur la caféine en présence de l’acide sulfu
rique étendu, il se produit de l’alloxane et de l’alloxantine, et que
la coloration pourpre provoquée par l’addition d’une goutte d’am
moniaque à ce mélange est due à la murexide.
Acide plomhique. — Quand on fait bouillir la caféine avec du
peroxyde de plomb et de l’acide sulfurique dilué, on obtient un
liquide incolore qui abandonne, après évaporation au bain-marie,
une auréole jaunâtre. Ce liquide, traité par un courant d’hydrogène
sulfuré, fournit un dépôt abondant de soufre et présente tous les
caractères d’un mélange d’alloxane et d’alloxantine. L’ammoniaque
y fait naître une coloration pourpre intense analogue à celle de la
murexide.
La liqueur jaunit en présence de l’oxyde de zinc, prend une
teinte orangée après évaporation au bain-marie, et le résidu rede
vient pourpre après addition d’une goutte d’ammoniaque. Traité
par l’oxyde mercurique récemment précipité, elle donne lieu aux
mêmes transformations que celles qui ont été signalées plus haut
dans le produit de la réaction de l’hypermanganate de potassium.
Quand, après le traitement de la solution par l’hydrogène
sulfuré, on ajoute à la liqueur acide de la baryte, de la chaux ou de
la magnésie, on obtient également, comme plus haut, une colora
tion bleue caractéristique de l’alloxantine.
Ajoutons enfin qu’un mélange d’alloxane et d’alloxantine se
comporte dans certaines circonstances et sous l’inlluence de cer
tains réactifs comme le produit d’oxydation de la caféine parle
bioxyde de plomb en présence de l’acide sulfurique.
Qu’on ajoute, en effet, à ce liquide acide un peu de phénol et de
�LES KOLAS AFRICAINS
217
l’hypochlorite de soude avec du carbonate de soude en excès, que
l’on chauffe le mélange au bain-marie, et l’on verra apparaître une
belle nuance bleu verdâtre, identique à celle que fournissent
l’alloxane et l’alloxantine.
Il résulte donc pour nous de l’ensemble de ces réactions que la
caféine, en s’oxydant sous l’influence de l’oxyde pure et de l’acide
sulfurique dilué, se transforme en alloxane et alloxantine qui, en
présence de l’ammoniaque, donnent naissance à delà murexide.
Deux mots encore à propos de l’oxydation de cet alcaloïde en
présence de l’acide azotique, du chlore et du brome.
Acide azotique. — Lorsqu’on fait bouillir pendant quelque temps
de la caféine avec de l’acide azotique fumant et qu’on évapore
ensuite le liquide, on obtient un résidu jaune qui se colore en
pourpre en présence de l’ammoniaque.
En essayant de reproduire cette réaction étudiée par Rochleder
(Ann. de chimie et de physique, t. L., p. 231 ; t. LUI, p. 201 ; t. LXIX,
p. 130) et indiquée dans tous les traités de chimie, nous avons
reconnu qu’il était difficile d’arriver à un résultat certain et que
conséquemment, il devenait presque impossible de caractériser la
caféine de cette façon.
L’oxydation à l’aide du peroxyde de plomb ou de l’hypermanganatede potassium nous a, au contraire, bien mieux servi et ne
nous a jamais fait défaut, quand il s’agissait de déceler de petites
quantités d’alcaloïde.
D’après Rochleder, il se produirait dans la réaction de l’acide
azotique sur la caféine un acide particulier, l’acide amalique,
capable de se colorer en pourpre par l’ammoniaque, et plus tard de
la cholestrophane, sur laquelle l’ammoniaque n’aurait aucune
action. En opérant dans les conditions signalées par l’auteur, il se
produirait de la murexoïne, colorée eu pourpre comme la murexide,
mais différente de cette dernière par sa composition moléculaire.
Lorsque, au lieu d’acide azotique fumant, on se sert d’acide
nitrique ordinaire pour faire la réaction, on ne réussit pas mieux à
caractériser la caféine; il est préférable, dans ce cas, d’évaporer le
mélange au bain-marie, d’ajouter au résidu quelques gouttes
d’acide chlorhydrique et de réduire jusqu’à siccité complète. Une
minime quantité d’ammoniaque suffit alors pour colorer le produit
en rouge pourpre.
�EDOUARD HECKEL
Clüore. — L’action du chlore sur la caféine diffère selon les pro
portions de réactif mises en jeu : le chlore gazeux (Mulder) est sans
action, mais à l’état de solution il produit plusieurs composés diffé
rents.
Indépendamment de la chlorocaféine qui prend naissance dès
le début, Rocheleder (loc. cit.) a vu qu’il se formait les mêmes corps
que dans l’oxydation de l’alcaloïde par l’acide azotique, c’est-à-dire
de l’acide amalique et de la cholestrophane.
CH 3
II +CAzCI + 3HC1
H
C8II1GN 40 2+ 2 H20 + 4 Cl=C«II«'NaO i+A z
Caféine.
Acide amalique.
Méthylamine.
GeHeN20 4 + H'-O + 2 C1=G®H6N20 3 + CO2 + 2 HCl
Acide amalique.
Cholestrophane.
Le chlore peut bien mieux servir dans une recherche de caféine
que l’acide azotique, puisqu’en évaporant au bain-marie le mélange
de l’alcaloïde et de l’eau chlorée, on obtient toujours un résidu
jaune orangé, qui prend une teinte pourpre sous l’influence de
l’ammoniaque.
Ce réactif permet de déceler 0 gr. 00025 de caféine.
On peut substituer au chlore un mélange de chlorate de potasse
et d’acide chlorhydrique ou de nitrate de potasse et d’acide chlo
rhydrique.
Si dans l’un ou l’autre cas, on ajoute un petit fragment de sel
ammoniac et qu’on évapore au bain-marie jusqu’à siccité, on
obtient un résidu rouge beaucoup plus coloré.
Cette réaction est signalée par les auteurs comme appartenant
à l’alloxantine, d’après l’équation
C8H4N4O7+ 4 AzH4C1=C4H&N 3O3+HC1+ C4H2N2O4
Alloxantine
Dialuramide
Alloxane
Mais comme, dans la réaction du chlore sur la caféine, nous
admettons qu’il se produit de l’alloxane et de l’alloxanline, nous
considérons finalement la coloration pourpre en présence de l’am
moniaque comme due à la murexide. Il doit en être de même dans
la réadtion de l’acide azotique, car là aussi nous avons constaté que
�LES KOLAS AFRICAINS
219
l’addition d’un peu de chlorure d’ammonium au mélange de l’alca
loïde et de l'acide produisait une coloration pourpre plus intense
en présence de l’ammoniaque.
Ces assertions toutefois n’infirment pas les résultats de Rochleder. Nous voulons seulement, en les signalant, faire remarquer
que l’alloxane et l’alloxantine peuvent se trouver associés à l’acide
amalique et à la cholestrophane.
Brome. — Quand on ajoute de l’eau bromée à de la caféine en
suspension dans l’eau, les cristaux prennent une coloration rouge
brique et se dissolvent peu à peu à la température du bain-marie.
En ajoutant de l’ammoniaque à cette solution, on obtient un préci
pité floconneux de bromocaféine.
La théobromine ne se colore pas dans cette circonstance ; par
conséquent, le brome peut servir de réactif différentiel entre les
deux alcaloïdes.
Lorsqu’on évapore la solution de caféine dans l’eau bromée, il se
produit un composé rouge orangé qui présente toutes les réactions
d’un mélange d’alloxane et d’alloxantine. Il se colore en pourpre
en présence de l’ammoniaque et en bleu indigo après addition
d’une trace de sel ferreux et d’ammoniaque.
En reprenant par l’eau le résidu de l’évaporation au bain-marie,
et en traitant le liquide par un courant d’hydrogène sulfuré, il se
dépose du soufre comme dans la réaction produite par l’eau chlorée.
Le hrome, comme le chlore, peut donc servir à déceler I^~5 à
^0l00 de caféine.
Plusieurs chimistes ont essayé d’établir les formules ration
nelles de la caféine; Strecker l’envisage comme une base renfer
mant une molécule de cyanogène et une de diméthyllactylurée
2 C Az j
/ CH2H
;\ A z 2 ou A z )
C 2H 40 |
4
'
Az
2CH3
coi
i C Az
C Az
\ C4H 4 0 2
Pour Rochleder, elle constituerait de l’acide urique dans lequel
�EDOUARD HECKEL
l’hydrogène serait remplacé par clu méthyle et le tartronyle par du
succinyle
[ CH 2H
j H
\H
1 C H 2H
( C Az
/ Az J C Az
l
< C -2 H 2 0 3
)
Az
i
I
( C Az
Az | C Az
( C 4 H ^ 0 2n
Acide ui'ique.
Calcine.
Mais quelque séduisantes que paraissent ces interprétations
théoriques, il est difficile de se rendre compte de la manière dont
se forment les produits d’oxydation de l’alcaloïde.
E tude
chimique du
male (Garcinia Kola Heckel).
Noix fraîches.
Kola
Elles sont produites par une guttifère (Garcinia Kola Heckel) et
les indigènes de certains points de la côte africaine les emploient
aux lieu et place du vrai Kola. Le prix de ces graines n’est pas
moins élevé que celui des produits du Cola acuminata.
Nous avons déjà étudié au chapitre Ier l’histoire naturelle de
cette graine (voir pages 106 et suiv.), il reste à en donner l’ana
lyse chimique telle qu’elle a paru dans notre première monogra
phie des Kolas africains (1884).
Le poids des graines varie : les plus grosses pèsent 5 gr. 75.
les plus petites pèsent 2 gr. 90.
soumises à la dessiccation, elles perdent des quantités d’eau consi
dérables variant de 25 à 50 p. 100.
Extraction au chloroforme. — Traitées par le chloroforme dans
un appareil à déplacement continu à chaud, elles fournissent un
liquide jaune qui, évaporé à siccité, se réduit à un extrait brunâtre
correspondant à 3,833 p. 100 de matière employée.
Cet extrait bouilli dans l’eau comme celui de la noix de Kola,
ne cède rien à ce véhicule. La solution aqueuse évaporée n’aban
donne qu’un résidu imperceptible; additionnée d’un peu de chlore,
après concentration convenable, elle ne donne point de coloration
rouge. Le brome en vapeur ou l’eau bromée ajoutée au produit
d’évaporation de la solution aqueuse, ne produit pas plus d’effet,
soit isolément, soit en présence de l’ammoniaque. Comme l’opéra
tion a* été exécutée avec 80 grammes de matière première, nous
�LES KOLAS AFRICAINS
221
pouvons affirmer, d’après ce résultat négatif, que la noix fraîche ne
renferme pas de caféine.
L’extrait chloroformique se dissout parfaitement dans l’éther,
l’alcool ordinaire, l’alcool méthylique, l’acétone et l’acide acétique.
Il est peu soluble dans la benzine et presque insoluble dans l’essence
de pétrole et le sulfure de carbone. La solution alcoolique colore
en violet les sels ferriques, et le liquide ainsi obtenu ne précipite
pas au contact de la potasse et de l’ammoniaque. Cette solution
d’une belle teinte vineuse ne présente aucune action spéciale sur
le spectre.
Extraction à l'éther. — Lorsqu’on emploie l’éther aux lieu et
place du chloroforme, on obtient une solution un peu plus colorée.
L’extrait éthéré sec est beaucoup plus foncé que l’extrait chloro
formique, son poids est aussi plus élevé que le précédent. En
laissant fonctionner l’appareil pendant douze heures, comme pour
la première opération, nous avons retiré 4 gr. 525 p. 100 d’extrait.
Il s’agit ici d’une extraction faite avec des noix non épuisées par
le chloroforme. Le résidu éthéré ne contient pas de caféine. L’extrait
éthéré renferme deux composés parfaitement distincts qu’il est
facile d’isoler à l’aide de la benzine. Ce véhicule, en effet, dissout
très bien la résine brune, tandis qu’il laisse presque insoluble une
autre résine blanche à raies colorées en jaune. A l’aide de quelques
tâtonnements, on finit par obtenir une séparation complète. La
résine brune est parfaitement fusible à la température du bainmarie, elle est hygrométrique et se ramollit au contact de l’air,
tandis que la résine blanche est dure et ne fond que difficilement.
La résine blanche se dissout parfaitement dans l’alcool, l’acétone
et l’acide acétique; elle résiste à l’action du sulfure de carbone, du
pétrole et de la benzine. Sa solution alcoolique se colore, au contact
des sels ferriques, en violet foncé.
Extraction à l’alcool. — Après avoir épuisé 80 à 100 grammes de
matière par de l’éther ou du chloroforme, nous soumettons lapoudre, préalablement desséchée à l’étuve, à l’action de l’alcool
dans le même appareil : au bout de vingt-quatre heures, l’opération
étant terminée, nous retirons du ballon un liquide d’un beau jaune
qui, soumis à l’évaporation au bain-marie, fournit un extrait jaune
paille. En ajoutant de l’eau à cet extrait, il se dépose une matière
�222
ÉDOUARD HECKEL
résineuse jaune et il se dissout uue grande quantité de glucose et
de tannin.
Le poids de l’extrait alcoolique est de 14,518 p. 100, dont
5 gr. 135 sont constitués par une résine analogue à celle que nous
avons obtenue par le chloroforme et l’éther. La solution aqueuse,
débarrassée d’une grande quantité de matière colorante par le
charbon animal, dévie fortement la lumière polarisée à droite et
précipite par la gélatine, le tartre stibié, l’acétate plombique et
triplombique.
Elle se colore en brun en présence de la potasse et de l’ammo
niaque, précipite en brun verdâtre les sels ferrique, en brun les
sels d’urane, et renferme par conséquent de la glucose et du tannin.
Le dosage à l’aide de la liqueur de Bareswil fournit 3gr. 750 de
glucose.
Il resterait par conséquent 5 gr. 430 de tannin mélangé à la
matière amère, dont le goût persistant se révèle quand on essaye
de broyer la noix entre les dents.
La résine blanc jaunâtre extraite au moyen de l’alcool, comme
nous l’avons dit plus haut, présente les mêmes caractères que ceux
fournis par l’extraction éthérée ou chloroformique. Elle se colore,
comme les précédentes, en violet au contact du chlorure ferrique.
L’extrait alcoolique ne fournit pas de caféine. La solution légè
rement acidifiée ne précipite ni par les iodures doubles de mercure
et de potassium, ni par le phosphomolybdate de sodium et ne se
colore pas en présence du chlore et de l’ammoniaque.
L’examen des autres parties de la plante nous a fourni les
résultats suivants :
A. —
P érisperm e .
L’enveloppe de la graine (arille et spermoderme), traitée par les
divers véhicules ci-dessus : le chloroforme, l’éther, l’alcool, ne leur
cède qu’une matière colorante brune, qui ne présente pas d’action
spécialë au spectroscope. La solution éthérée, par exemple, traitée
par l’acide chlorhydrique concentré ne révèle pas trace de chloro
phylle, puisque la couche inférieure, celle qui est fournie par
l’acide, n’a pas la moindre coloration verdâtre.
Les alcalis enlèvent à cette enveloppe les mêmes principes colo-
�LES KOLAS AFRICAINS
223
rants que l’éther, le chloroforme et l’alcool, mais d’une manière
plus complète et la solution alcoolique précipite abondamment par
les acides. Comme l’étude de cette matière colorante ne semble pas
offrir de grand intérêt, nous n’avons pas poussé plus loin nos
opérations.
B.
—
É corce.
En préparant les extraits éthéré, chloroformique et alcoolique
dans les mêmes conditions que ci-dessus, nous n’avons pas obtenu
trace de caféine.
Conclusions
En somme, le Kola mâle ou Kola Bitter des Anglais de SierraLeone, n’a aucun des principes constituants du Kola officinal et
ne saurait en avoir non plus les propriétés excitantes et recons
tituantes. C’est donc par une illusiou inexplicable jusqu’ici,
que les nègres l’emploient aux lieu et place des graines
de Cola acuminata, et lui accordent une valeur vénale hors de
proportion avec son utilité réelle.
��TROISIÈME PARTIE
E tude
physiologique de la noix de
K ola
L’étude chimique complète du Kola que nous venons de faire
va singulièrement en éclairer l’action physiologique qui s’est
jusqu’ici traînée, malgré les louables efforts des médecins même les
plus célèbres, dans les ornières d’une systématique mal dissimulée,
et cela à cause du manque de certitude des données analytiques.
Débarrassée de ses influences secondaires dues au tannin, au
corps gras, à Yamidon, à la gomme, aux matières colorantes et
protéiques, l’action physiologique prépondérante du Kola doit, à
priori, être concentrée dans les trois composants suivants, savoir :
la caféine et la théobromine préexistantes d’une part, et le rouge de
Kola ou Kolanine de l’autre. Avant que des données chimiques pos
térieures aux nôtres eussent misaujour l’importance chimique du
rouge du Kola (corps sur lequel j’avais cependant, avec persistance,
malgré les dénégations peu mesurées de M. le professeur Germain
Sée, appelé vivement l’attention dans mes notes à l’Académie de
Médecine de Paris en
1890-91, touchant la valeur du Kola et son
J
action propre), on se bornait à considérer la graine d’Afrique comme
un simple caféique plus riche que ses congénères. C’est dans cet
esprit que furent faites d’abord nos propres recherches physiolo
giques, avec tracés de contraction du cœur et des muscles volon
taires comme ou le peut voir dans notre première étude intitulée les
Kolas africains, de 1884 (partie physiologique). — Tous les obser
vateurs qui suivirent restèrent dans ce sillon étroit où nous trouvons,
�EDOUARD HECKEL
parmi les travaux marquants et au premier rang, la thèse de M. le
Dr Monnet parue en 1884-85 (Faculté de Médecine de Lille) et inti
tulée : de la Kola , Étude physiologique et thérapeutique. Mais les
conclusions de ce travail, quoique très importantes, sont trop
spécialement thérapeutiques pour être rappelées utilement ici.
J’y reviendrai dans la partie de ce livre spécialement consacrée
aux applications médicales et à ce moment nous en tirerons grand
profit. Nous nous bornerons seulement à constater ici que cette
thèse réédite, à propos du Kola, la théorie de M. Dujardin-Beaumetz
relative à l’action de la caféine, à savoir que c’est un antidéperditeur,
un aliment d’épargne, qui diminue les déchets organiques (urée)
résultant de la combustion des substances azotées, probablement
en exerçant une action spéciale sur le système nerveux (aliments
nerveux de Mantegazza). Le même savant ajoute : « La Kola,
» par la caféine et la théobromine qu’elle renferme, est un tonique
» du cœur dont elle accélère les battements, exagère la puissance
» dynamique et régularise les contractions.
» A la seconde phase de son action, à l’exemple de la digitale,
» c’est un régulateur du pouls qu’elle relève; sous son influence
» les pulsations deviennent plus amples et moins nombreuses :
» comme corollaire de son action sur la tension sanguine, on voit
» la diurèse augmenter. »
D’un caractère plus spécialement physiologique, le travail de
M. E. Parisot (1) vient, cinq ans après, sanctionner et développer
les doctrines nouvelles de M. G. Sée sur l’action de la caféine,
les mettre en opposition avec celles de M. Dujardin-Beaumetz sou
tenues parM. Monnet, mais surtout combattre mes assertions rela
tives : 1° à l’insufïïsance de l’action de la caféine pour expliquer
celle du Kola; 2° à l’incomparable différence qui existe entre
l’action de la caféine cristallisée et celle du Kola. Mes observations
touchant l’influence du Kola sur la fatigue et sur l’essoufflement
résultant des grandes marches, révélées à M. G. Sée par M. Lepicque,
son aide, à qui je les avais fait connaître, avaient provoqué ces re
cherches nouvelles sur la caféine.Il s’agissait en effet, pourM. G. Sée,de
démontrer, à l’encontre de mes assertions, que,dans le Kola, la caféine
(1) Etude physiologique de la caféine surles fonctions motrices, par le Dr E Parisot
(Thèse de doctoral en médecine de la Faculté de Paris,1890).
�LES KOLAS AFRICAINS
227
libre seule provoque ces elïets qu’on ne lui avait pas connus jus
qu’alors. Il fallait trouver le principe capable de les résumer et
ajouter à ce qu’on connaissait de l’action de la caféine sur la circu
lation et la nutrition, une nouvelle action physiologique capable
d’expliquer les deux nouvelles propriétés du Kola que je venais de
découvrir et de démontrer, savoir : disparition de la fatigue et de
l'essoufflement résultant de grands efforts ou d’une course pro
longée.
En tenant compte de ces explications, on ne s’étonnera pas de
voir l’excellent travail de M. Parisot, fait de très bonne foi sous
une inspiration dirigeante, porter une empreinte spéciale et se
résumer enfin dans les conclusions suivantes :
« I. — La caféine a une action élective sur le système nerveux
» dont elle exagère la tonicité, et c’est par l’intermédiaire de celle ci
» qu’elle agit sur tous les autres systèmes.
» II. — La caféine empêche l'accélération des battements du
» cœur et l’essoufflement consécutif à l’effort: elle paraît maintenir
» la pression sanguine à son niveau normal et agir sur le cœur par
» son action vaso-tonique.
III. — La caféine n’agit pas sur la nutrition comme un aliment
d’épargne.
IV. — Elle n’a pas d’action spécifique sur l’excrétion de l’urée : elle
la modifie dans des sens divers sous l’influence de conditions inconnues.
V. — Elle paraît élever la température centrale et augmenter la
quantité d’acide carbonique exhalé, c’est-à-dire qu’elle augmente
les pertes en carbone, sans du reste restreindre les autres.
VI. — La caféine agit sur l’individu inanitié non pas comme
aliment, mais en tonifiant le système nerveux et en permettant,
par son ingestion, d’utiliser les réserves de l’organisme.
Toutes ces conclusions, qu’elles vinssent de M. Monnet ou de
M. Parisot, malgré leur antagonisme fondamental, mettaient, par
les points communs qui les rapprochent, mieux en lumière les pro
priétés physiologiques de la caféine cristallisée et par extension
celles du Kola, dont ce principe est l’un des composants primor
diaux. Mais elles laissaient dans J’ombre les propriétés spéciales à la
�•• '.‘ ' / T ' ' , ; ' -.■/
EDOUARD HECKEL
Kola : le rouge de Kola, malgré mes protestations dans divers
écrits (1), était méconnu, on le laissait de côté comme une quan
tité négligeable et sans aucune valeur physiologique. J’avais
cependant dit textuellement ce qui suit, dans une étude sur
YAction du Kola à propos des effets de la caféine (Bulletin général
de thérapeutique, 30 avril 1890), en réponse aux singulières déné
gations de M. G. Sée émettant, en pleine Académie de Médecine,
sur mon Rouge de Kola des doutes blessants (2) : « Au cours de mes
» nombreuses recherches concernant l’action de la graine de
» Kola sur les marcheurs, j’ai constaté qu’après épuisement de la
» caféine par le chloroforme, la poudre agit encore d’une manière
» très sensible comme excitant musculaire ; alors l’excitabilité
» nerveuse est à peine sensible. Aussi suis-je porté à admettre
» que le produit désigné par Schlagdenhautïen et par moi sous
» le nom de Rouge de Kola dans notre travail sur les Kolas afri» cains (1883), produit qui subsiste dans la graine après épui» sement par le chloroforme, est une substance très complexe
» dans laquelle se trouvent vraisemblablement des principes très
» actifs (alcaloïdes, glycosides, etc.) dont nous n’avons pu opérer
» l’isolement. Il en a été de même longtemps pour les quinquinas,
» dont le rouge cinchonique mieux examiné a donné bon nombre
» d’alcaloïdes. Il ne serait pas étonnant que le rouge de Kola
» fût le principal agent de l’excitabilité musculaire, et il y
» AURAIT DANS CE SENS DES RECHERCHES INTÉRESSANTES A FAIRE.
(1) J'avais appelé l’attention sur le r o u g e de K o l a , en dehors de mes discussions
avec M. G. Sée à l’Académie de Médecine de Paris (Séances des 8 et 22 avril 1890),
notamment dans les deux mémoires suivants passés inaperçus : 1° S u r l'action
d u K o l a à p r o p o s d e s effets d e l a c a f é i n e (Bulletin général de thérapeutique,
30 avril 1890) ; 2° E x p é r i e n c e s c o m p a r a t i v e s c o n c e r n a n t l ' a c t i o n d u K o l a et de la
c a f é i n e s u r l a f a t i g u e e t V e s s o u f f le m e n t d é t e r m i n é s p a r le s g r a n d e s m arches
(Marseille médical, 1890).
(2) M. G. Sée n’avait pas craint de dire en pleine Académie de Médecine {Bull,
d e l ’A c a d , d e M é d., p. 416.—1891) « Jusqu'en ces derniers temps M. Jleckeldéclarait
que l’action des noix de Kola était due uniquementà la présence dans cette substance,
delà théobromine et de la caféine; or, le voici qui, d ’a p r è s s e s i d é e s n o u v e lle s ,
prétend que ses propriétés sont dues au r o u g e d e K o l a » Mes idées étaient si peu
nouvelles sur ce point que j’écrivais, en 1885, dans l’article K o l a du Dictionnaire
Encyclopédique des Sciences médicales de Dechambre,la phrase suivante : je veux la
citer en entier,pour la complète édification de M. G. Sée : « Le r o u g e d e K o l a est sans
» doute un produit plus complexe que son nom ne semble l’indiquer, car il a une
» action spéciale comme excitant du système musculaire. Il conviendrait de
» l’examiner à nouveau. N’est-ce pas dans le r o u g e d e Q u i n q u i n a qu’on a trouvé
» le plus d’alcaloïdes? » Voilà qui est précis.
�LES KOLAS AFRICAINS
229
En l’état des connaissances chimiques de l’époque, ou ne pouvait
être plus explicite et j’ai la satisfaction de pouvoir dire aujourd’hui
que, comme on va le voir, mes prévisions se sont pleinement
justifiées. Elles étaient du reste aisées à établir sur les mul
tiples expériences de marche que j’avais longuement instituées,
et il est toujours facile de faire prévaloir son autorité sur les
sujets que l’on connaît bien et qu’on a sérieusement étudiés. Mon
imprudent contradicteur a méconnu cette grande vérité.
Mon appel à de nouvelles recherches physiologiques fut entendu,
et, dès 1891, au Congrès de l’association scientifique française pour
l’avancement des Sciences à Marseille, M. le professeur Dubois,
réminent physiologiste de la Faculté des Sciences de Lyon, publiait
les résultats sommaires de ses recherches, faites à ma demande, sur
le Rouge de Kola. Il avait expérimenté sur ce corps préparé par
M. Schlagdenhaufïen (de Nancy), et, par l’étude de quelques tracés
comparatifs qu’il obtint à l’aide de l’ergographe de Mosso, il avait pu
entrevoir l’influence du Kola, du rouge de Kola et de la caféine sur
la contractilité musculaire. Ses conclusions établissaient nettement
que le rouge de Kola agit, aux doses contenues dans le Kola, comme
le Kola lui-même et d’une façon bien supérieure à la caféine.
Ces premiers résultats devaient, peu après, prendre un corps défi
nitif dans un travail de longue haleine inspiré par le professeur
Dubois à un de ses élèves, M. le Dr Marie, médecin stagiaire au
Val-de-Grâce. Nous y reviendrons bientôt en détail.
Entre temps, et durant cette même année 1891, paraissait une
étude d’apparence physiologique due au Dr P. Rodet, et intitulée :
Réfaction comparée du Kola et de la caféine (1). Il est impossible de
lirece travail sans être frappé du vice fondamental qui en fausse les
principales déductions expérimentales (2). Dans son étude com(1) Ce travail a été reproduit, en ses conclusions, dans le Bulletin de la Société
de Médecine pratique et édité i n e x t e n s o par la S o c i é t é d ’É d i t i o n s s c i e n t i f i q u e s ,
4, rue Ant.-Dubois, à Paris. Ces conclusions ont également paru dans le B u l l e t i n
général de t h é r a p e u t i q u e , page 306, 39e livraison, 23 octobre 1891.
(2) Voici comment s’exprime sur ce travail M. le Dr Marie dans sa thèse inau
gurale sur l ' a c t i o n e x p é r i m e n t a l e c o m p a r é e du rouge de Kola, de la c a f é i n e et de
la p o u d r e de K o l a sur la contraction musculaire (Lyon, Imprimerie Léon Delaroche,
1892) « Cependant, au commencement de l’année dernière, paraissait encore un
» mémoire du Dr P. Rodet (nous l’avons signalé plus haut dans la partie liistori» que) dans lequel l’auteur assimile entièrement l’action du Kola à celle de la caféine.
» Mais ce travail est vicié d’un bout à l’autre dans ses conclusions par la méthode
�EDOUARD HECKEL
parée, l’auteur, quoique uniquement préoccupé (ce qui s’explique
très bien par la direction spéciale des travaux antérieurs et l’état,
A.
B.
C.
D.
Tracés du professeur Dubois (de Lyon). Voir le texte page 251.
— Tracé obtenu par l’ingestion de rouge de Kola (Kolnine) 1 gr. 32.
—
d°
de poudre de Kola 0 gr. 30.
— Tracé normal.
— Tracé obtenu après ingestion de 0 gr. 02 de caféine.
à cette date, des données chimiques sur le Kola) d’établir l’identité
d’action de la caféine cristallisée et de celle qui est contenue dans
» qu’a employée son auteur. Les doses de caféine et de Kola ne sont pas de teneur
» alcaloïdique égale; dans un cas, M. Rodet, quand il s’agit de la caféine, donne à
d son sujet, 2 gr. 50, 1 gr. 80 et 1 gr. 70 de cette substance par jour. Pour agir
» comparativement il lui eut fallu donner au sujet soumis au Kola, des quantités
» correspondantes dans lesquelles les proportions des principes constituants de la
» graine eussent été scrupuleusement observées, c’est-à-dire en l’espèce 108 gr. 695,
�LES KOLAS AFRICAINS
231
le Kola, a perdu de vue la nécessité absolue de ne mettre compara
tivement en cause que des quantités pondérales équivalentes du
principe actif auquel il attribue toutes les vertus duKola (la caféine).
On voit, en effet, dès le début de ce travail,que,lorsqu’il s’agit du
Kola, M. le Dr Rodet donne à son sujet 17 gr., 21 gr. et 27 gr. de
poudre de cette graine par jour, ce qui représente, à raison de 2 gr.
350% d’alcaloïde dans le Kola le plus riche (théobromine comprise),
0 gr. 399, Ogr. 49 et 0 gr. 63 de caféine libre. Or, quand il s’agit de
l’expérimentation de la caféine pure et cristallisée, M. Rodet en
donne à son môme sujet, un jeune homme de 17 ans, 2 gr. 50,
1 gr. 80 et 1 gr. 70. Que peut-on conclure d’expériences compa
ratives entreprises dans de telles conditions ? Rien, si ce n’est
qu’elles doivent être considérées comme non avenues en ce qui
concerne l’action physiologique de la caféine, la question capitale
des doses ayant été absolument méconnue par leur auteur.
Il n’en est pas de même pour ce qui a trait dans ce travail aux
recherches sur la constitution chimique des urines émises durant
l’expérience au Kola et à la caféine : ici les résultats étant concor
dants et portant en définitive sur le même principe actif employé à
des doses différentes, l’action d’épargne n’en est que plus sensible,
car on voit que les déchets diminuent à mesure que la quantité de
caféine ingérée augmente. Ce fait est bien visible dans les tableaux
comparatifs d’analyse de l’urine obtenue par la caféine et par le
Kola. Dans le premier tableau (la dose de caféine étant plus forte
que dans le second relatif au Kola), on trouve moins de phosphates
et moins d’urée excrétée pendant l’expérimentation. Ce qui démon
tre que le pouvoir anti-déperditif de la caféine existe bien et
augmente avec la dose ingérée.
Voici au demeurant, sous le bénéfice des réserves ci-dessus for
mulées, les conclusions de M. Rodet :
(
« 1° Aucune des deux substances n’a supprimé absolument
| | » la faim; mais il suffisait pour l’apaiser d’une petite quantité
[ » d’aliments (50 grammes de pain).
» 78 gr. 260 el 73 gr. 913. Or, il n’a donné que 27, 21 el 17 gr. de Kola. Le sujet
» soumis au Kola était donc en notable infériorité de dose, puisque tout autre
» principe mis à part, il n’exigerait que 0 gr. 62, 0 gr. 48 et 0 gr. 39 de caféine,
» tandis que le témoin en absorbait 4 fois plus. » Ces critiques paraîtront absolu
ment fondées à tous ceux qui savent à quel point les réactions physiologiques
déterminées par les médicaments actifs, sont fonction des doses employées.
�.
232
EDOUARD HECKEL
» 2° Le sommeil est très agité; plus pénible avec la caféine.
» 3° La résistance à la fatigue a été plus marquée avec la
» caféine; mais ce résultat varie suivant les individus, ce qui
» explique les divergences d’opinions.
)) 4° La diminution du poids du corps a été un peu moindre
» avec la caféine.
» 5° Avec le Kola, il se fait, pour tous les éléments de l’urine, une
» diminution graduelle plus marquée le lendemain que la veille.
» Avec la caféine, il se fait un abaissement brusque suivi d’une
» oscillation assez faible en plus ou en moins.
» 6 ° L ’é l i m in a t io n
des
m a t iè r e s
azotées
s u b it
une
d im in u t io n
» c o n s i d é r a b l e , qui se fait graduellement pour la Kola, brusque» ment pour la caféine; puis elle se maintient au même taux. Il y
)) a, en réalité, diminution dans l’usure.
)) 7° Cette action d’épargne porte aussi sur l’élément nerveux;
» car l’élimination des phosphates est très ralentie. Le ralentisse» ment est plus prononcé pour les phosphates terreux avec la Kola
)) et pour les phosphates alcalins avec la caféine.
» 8° La chaux et la magnésie subissent une diminution très
» prononcée.
» En résumé, il ressort de ces expériences une action d’épargne
)) très prononcée pour ces substances. La caféine et la Kola peuvent
» supprimer la fatigue musculaire et la faim à un degré à peu près
» égal. »
Ces conclusions, dans ce qu’elles ont d’acceptable, c'est-à-dire
d’exact, viennent corroborer, comme on le voit, la théorie de Dujardin-Beaumetz touchant l’action d’épargne de la caféine et du Kola,
elles combattent en outre ouvertement la théorie de G. Sée et Parisot,
en démontrant que l’usure organique est ralentie non seulement pour
ce qui touche à la formation de l’urée, mais même pour ce qui con
cerne celle des phosphates ; les déchets y sont bien étudiés. C’est
tout ce qu’il est permis de retenir dans ce travail.
Durant la même année 1891, une étude due à M. Kotlar fut
présentée comme thèse inaugurale à l’Université de St-Pétersbourg
sous ce titre : L’action physiologique de la noix de Kola. Elle vint
confirmer une fois de plus, par des recherches analytiques sérieuses,
la théorie deDujardin-Beaumetz, Monnet,Rodier, concernant l’action
antidéperditive de la caféine (pour ne parler que des auteurs les
�233
L1CS KOLAS AFRICAINS
plus récents qui ont étudié ce produit à propos du Kola) et pro
tester, par suite, contre celle de Germain Sée et Parisot.
Elle établit en outre (point important et absolument contraire
aux conclusions de M. G. Sée), que la respiration ne subit aucun
changement et que la quantité de carbone consommée n’est pas
augmentée.
Voici de ce travail, l’analyse sommaire mais suffisante que j’ai
tirée du Bulletin général de thérapeutique. :
« Dans une série d’expériences faites à la clinique du professeur
» Manassein, de Pietroburg, M. Kotlar a étudié l’action physiolo» gique de la noix de Kola en prenant comme sujets dix-sept jeunes
» gens en bonne santé soumis à l’examen pendant deux périodes
» consécutives de cinq jours. Les uns prenaient la K o l a en se repo» sant pendant la première période, les autres étaient soumis à un
» travail pénible, et prenaient ensuite la K o l a . La quantité quoti» dienne était de 4 grammes.
» Des analyses soigneuses de la nourriture et des excrétions, il
» résulte que dans l’état de repos comme pendant le travail, la Kola
» augmente l’assimilation du phosphore et du soufre. Celle du
» chlore croîts pendant le repos et ne se modifie pas pendant le
» travail. La métamorphose du chlore est diminuée par la Kola
» pendant le repos et le travail, mais surtout pendant le travail. Il
» en est de même du soufre. En résumé, la décomposition des com» posés azotés est diminuée dans le repos comme dans le travail
» (Wratch).
» Loginofï, qui a fait ses expériences à la même clinique, a vu
» que, sous l’influence de la Kola, Yassimilation des protéides décroît
» de 0,60 à 3,10 pour 100 pendant le repos, et cle 0,30 à 4 pour 400
» pendant le travail. La métamorphose des composés azotés diminue de
» 4,9 à 19 0,47 pour 100 pendant le repos et le travail. En d’autres
» termes, le Kola constituerait un aliment d’épargne ou nerveux et ses
» effets sont plus marqués pendant le repos.
» Le Kola augmente la sensation du bien-être et prévient la
» fatigue, la langueur qui suivent l’exercice.
» D’après Davydofï, l’assimilation des corps gras diminue pen» dant le repos et l’exercice. Cette diminution est de 0,137 pendant
» le repos et de 0,394 pour 100 pendant le travail. L’assimilation de
» l’eau reste la même. Le métabolisme de l’eau, c’est-à-dire le
lo >
�EDOUARD IIECKEL
» rapport, eu centième, de l’eau de l’urine à l’eau assimilée, plus la
» relation pour 100 des pertes aqueuses cutanées et pulmonaires,
» est sujet à des oscillations. Mais, en résumé, il décroît surtout
» pendant l’exercice. L’appétit diminue. L’état subjectif est consi» dérablement amélioré. Étant donnée une certaine quantité de
» travail musculaire, le même sujet, prenant de la Kola, travaille
» plus facilement et se fatigue moins que lorsqu’il ne prend pas de
» Kola. Pas de changements dans la respiration; le pouls est moins
» rapide, plus plein (augmentation de la tension artérielle).
» La Kola doit être un médicament très efficace dans certaines
» alïectious cardiaques (Thèses de Saint-Pétersbourg). »
Cet important travail porte, dans toutes les conclusions que nous
avons soulignées, un nouveau coup à la théorie de G. Sée et Parisot
en démontrant que le Kola constitue un aliment d’épargne et
diminue l’usure des organismes.
Nous ne passerons pas sous silence, malgré son caractère un peu
spécial, le travail de MM. Monavon et Perroud paru le 15 novembre
1891 dans le Lyon Médical et consacré à l’étude comparée de l’action
de la poudre de Kola, de la caféine, du rouge de Kola et de l’extrait
de Kola sur la nutrition. Ces auteurs, agissant en dehors des
méthodes graphiques rigoureuses usitées actuellement en physio
logie, concluent à la supériorité du rouge de Kola. C’était une
première confirmation de nos expériences personnelles et on peut
considérer cette étude comparée, dans laquelle le rouge de Kola
est mis en cause pour la première fois après nos propres investi
gations, comme l’annonce de recherches plus rigoureuses, animées
du même esprit de comparaison. Celles-ci allaient entrer sur la scène
physiologique, y dominer désormais et conduire enfin, grâce aux
progrès parallèles des connaissances chimiques touchant le Rouge
de Kola, à une explication rationnelle de l’action du Kola sur les
diverses fonctions organiques.
Nous arrivons, en effet, avec 1892, à la thèse de M. le l)r Marie
intitulée « Étude expérimentale et comparée de l’action du rouge de
Kola, de la caféine et de la poudre de Kola sur la contraction muscu
laire. » Ce travail, développement de celui du professeur Dubois
dont j’ai déjà parlé, mérite de lixer toute notre attention en raison
même de la rigueur et de la méthode qui ont présidé aux patientes
recherches qu’il met au jour.
�LES KOLAS AFRICAINS
235
L’auteur avait à atteindre uu but physiologique très limité mais
très important : 1° contrôler par des expériences rigoureuses,
répétées et méthodiques, la valeur physiologique déjà reconnue
par M. Dubois au rouge de Kola, considéré sans aucune raison
comme hypothétique par M. G. Sée ; 2° rechercher la valeur
comparée de la caféine, du rouge de Kola et du Kola en nature
sur la contractilité musculaire. On voudra bien remarquer qu’en
dehors de M. Rodet qui attribue à la caféine (voir p. 232) « une
» supériorité marquée sur le Kola en ce qui touche à la fatigue
» musculaire », aucune indication physiologique n’avait jusque là
porté sur l’élément musculaire directement mis en cause (1). Et
cependant, l’emploi du Kola en tant qu’agent suspenseur de la
fatigue, se généralisant au détriment de la caféine, de plus en plus
parmi les marcheurs, les cyclistes, les alpinistes et tous les ama
teurs des divers sports aujourd’hui en honneur, il devenait
indispensable de jeter sur cette question capitale le jour de
l’expérimentation la plus rigoureuse.
Voici comment M. Marie y est parvenu, en ne mettant en cause
que l’homme lui-même et dans des conditions absolument phy
siologiques : je lui laisse la parole.
» Il y a peu de temps encore les expériences exactes sur la
» fatigue musculaire n’étaient faites que sur des muscles de gre» nouille détachés du corps (Ed. Weber, Helmholtz). Aux travaux
» de Marey, de Ludwig et Atex, de Schmidt, de Kronecker, de
» E. Tiegel, de Rossbach, de Richet, on commença à expérimenter
» sur les muscles mis dans des conditions plus favorables en con» servant la circulation naturelle ou en faisant circuler artificiel» lement dans les tissus en expérience un liquide analogue au
» sang. Tout récemment enfin M. A. Mosso, professeur de physio» logie à l’Université de Turin, cherchant à inscrire directement le
(1) Il faut aussi faire exception pour le travail de M. G. Sée, en collaboration
avec M. Parisot (Bulletin de l'Acad. de Médecine. •- Séance du 11 mars 1892,
p. 315 et 316), où ces auteurs établissent, par des expériences multiples sur diverses
catégories d’animaux, que la caféine facilite le travail musculaire en augmentant
l’activité du système nerveux moteur tant médullaire que central, et que la con
séquence de cette action double est de diminuer le sentiment de l’effort et d’écarter
la fatigue qui est un phénomène nerveux au premier chef. Pour ces auteurs, la
caféine empêche l’essoufflement et les palpitations consécutives à l’eiïort, parce
qu’elle met. un homme non entraîné dans les conditions cl’un homme entraîné.
�236
ÉDOUARD HECKEL
» travail mécanique des muscles de l’homme, d’une façon plus
» exacte qu'avec tous les dynamographes employés depuis Marey
» jusqu’à Morselli, imagina un appareil nouveau auquel il donna
» le nom d ’ERGOGRAPHE.
» Cet appareil encore peu connu est celui qui nous a servi pour
» toutes nos expériences et il nous semble nécessaire, pour la corn» préhension de nos résultats, d’en donner ici une rapide des» cription. Les deux conditions indispensables pour obtenir des
» tracés tout à fait exacts, conditions qui, nous allons le voir, sont
» réalisées dans l’ergographe, étaient : 1° l’isolement complet du
» travail d’un muscle et 2° la fixation d’une de ses extrémités
» pendant que l’autre inscrit les contractions. C’est seulement avec
» les fléchisseurs des doigts de la main que Mosso est arrivé à
» atteindre ce but.
» L’ergographe se compose essentiellement de deux parties,
» l’une qui tient la main ferme, immobilisant de la sorte une des
» extrémités musculaires, l’autre inscrivant sur un cylindre tour» nant, les contractions transmises par l’extrémité libre. L’appui
» fixateur est constitué par une plate-forme supportant deux coussi» nets, dont l’un creusé d’une gouttière sert d’appui à l’avant-bras,
» tandis que l’autre repose sur le dos de la main. D’autre part,
» quatre coussinets mobiles placés sur les parties latérales sont
» destinés à immobiliser le poignet et l’avant-bras et à empêcher
» ainsi tout mouvement. Dans sa partie antérieure, la main est
» fixée au moyen de tubes de cuivre dans lesquels on introduit
» l’annulaire et l’index qui rencontrent au fond de chaque tube
» une plaque mobile se fixant à volonté et servant de point d’appui
» aux extrémités digitales. Dans l’espace qui reste libre entre les
» deux tubes se meut le médius autour duquel on place un anneau
» de cuir fixé à l’extrémité d’une petite corde qui fait mouvoir
» l’appareil enregistreur. Pour donner une position commode au
» bras qui travaille, on le place non pas en supination, mais eu
» légère pronation, ce qui est obtenu facilement en inclinant la
» plate-forme de 30° environ vers le côté interne.
» La seconde partie de l’appareil est le curseur enregistreur : il
» se compose d'une plate-forme de fer portant deux colonnettes de
» cuivre bifurquées à leur partie supérieure et portant chacune
» fieux tringles cylindriques d’acier distantes de 4 centim. l’une de
�LES KOLAS AFRICAINS
237
» l’autre, de manière qu’elles constituent les guides du curseur
» métallique dont nous allons donner la description. Celui-ci est
» formé d’une plaque métallique quadrangulaire qui glisse au
» moyen de deux ouvertures cylindriques placées de chaque côté
» sur les deux barres d’acier susdites. La base supporte une petite
» potence à laquelle on adapte au moyen d’une vis à pression une
» baleine terminée par une plume d’oie qui écrit sur le papier
» noirci. Le curseur que nous venons de décrire présente en outre
» deux crochets, l’un à son extrémité postérieure auquel est attachée
» la corde qui va se fixer à l’anneau de cuir destiné au médius,
» l’autre à l’extrémité antérieure auquel est attachée une seconde
» corde qui, après réflexion sur une petite poulie métallique, va
» supporter des poids de 1, 2, 3 kilog. et même plus suivant les cas.
» En regard de la plume d’oie, se meut, au moyen d’un mécanisme
» d’horlogerie, un cylindre sur lequel vont s’inscrire les contrac» tions. Ces contractions du médius s’exécutent suivant le rythme
» désiré au moyen d’un métronome à tambour, d’un pendule inter» rupteur de Baltzar ou même simplement d’une montre à secondes.
» Ce qui importe en premier lieu, pour obtenir des tracés utiles
» entre les différents points desquels on puisse établir une compa» raison exacte, c’est de dépenser à chaque contraction la force
» tout entière dont on est capable et de maintenir constant l’effort
» de la volonté jusqu’à épuisement complet.
» Les expériences faites avec l’ergographe de Mosso donnent des
» courbes dont nous nous occuperons plus loin, et qui de forme à
» peu près constante chez un même individu, dans des conditions
» identiques, présentent des différences très notables si on les
» examine chez deux sujets, cependant du même âge, du même
» tempérament et ayant le même genre de vie. Chaque personne a
» mie courbe de la fatigue qui lui est propre, de telle sorte qu’ainsi
» que nous l’avons constaté sur quelques-uns de nos amis, il est
» facile de les distinguer à première vue les unes des autres.
» Comment fonctionne l’ergographe dans les mouvements alter- *
» natifs de flexion et d’extension imprimés au médius durant les
» expériences? On est tenté de croire que l’anneau de cuir fixé au
» niveau de l’articulation de la phalangine avec la phalangette
» décrit un arc de cercle ou à peu près : évidemment si la première
» et la seconde articulations des phalanges étaient rigides, si le
�EDOUARD HECKEL
» doigt tournait uniquement autour de l’articulation métacarpo» phalangienne, il en serait ainsi, mais comme les deux autres
» articulations phalangiennes se plient à chaque mouvement du
» doigt, le point de traction ne décrit pas un arc de cercle, mais
» une courbe particulière dans laquelle on peut distinguer deux
» parties.
» La première, qui est la partie de la trajectoire la moins favo» rable au travail utile, est éliminée en tenant, ainsi que nous
» l’avons fait pour nos recherches, le médius légèrement ployé dès
» le commencement de l’expérience. La direction suivie alors par
» l’anneau de cuir qui soutient les poids présente une incurvation
» si peu marquée qu’on peut la considérer comme une ligne droite.
» Nous croyons maintenant avoir exposé d’une façon suffisamment
» nette la constitution de l’ergographe et nous pouvons aborder
» l’étude des expériences que nous avons faites avec cet appareil.
» 11 nous faut, tout d’abord, donner une idée générale des conditions
» dans lesquelles ont été faites ces recherches et quel plan nous
» avons suivi pour arriver aux résultats que nous donnons plus
» loin. Nous n’avons en vue dans ce travail, que l’étude de la con» traction volontaire, fait important à signaler puisque, ainsi qu’il
» ressort du mémoire du D1' Arnaldo Mazziora, il existe une difïé» rénce très notable entre la contraction des muscles excités par
» la volonté et la contraction obtenue à l’aide de l’excitation élec» trique directe et indirecte. En excitant le nerf, on obtient tou» jours une quantité de travail mécanique supérieure à celle qui
» s’obtient au moyen de la volonté. Avec la volonté nous pouvons
» faire des efforts plus grands et soulever des poids très lourds,
» mais l’aptitude au travail s’épuise vite et l’excitation nerveuse
» devient inefficace, tandis que l’excitation artificielle des nerfs
» conserve plus longtemps les muscles en action.
» Cette différence dépend de ce que la fatigue des centres ner» veux manque, dans le cas d’excitation électrique. Dans les mou» vements volontaires, celle-ci vient nous rendre incapables cle
» travail avant que le muscle soit épuisé.,
» Ici, nous devons nous mettre en garde contre une objection
» qui se présente d’elle-même à l’esprit : comment, dira-t-on,
» obtenir des contractions similaires et des tracés comparables,
» s’ils sont soumis à l’action de la volonté? Évidemment, c’est là
�LES KOLAS AFRICAINS
239
» un point assez délicat de la question ; cependant, avec une cer» taine habitude du manuel opératoire, on arrive facilement à
» dépenser îe plus de force possible pour chaque contraction. C’est
» pour acquérir cette régularité de travail que nous avons pris,
» avant de commencer nos recherches, un assez grand nombre de
» tracés qui» nous ont fait en quelque sorte une éducation, et que
» nous n’avons pas compris dans notre statistique.
» Toutes nos expériences ont ôté faites sur le médius de la main
» gauche, afin d’obtenir des tracés plus courts, et par suite plus
» faciles à étudier. La main et l’avant-bras étaient préalablement
» fixés ainsi qu’il a été dit plus haut, l’avant-bras en légère prona» tion. Nous avons cherché tout d’abord quel était le poids nécessaire
» pour que nous produisions une élévation maxima avec un effort
» maximum; car lorsqu’on travaille avec un poids qui n’est pas
» très considérable, on sait qu’au début, on atteint le maximum de
» flexion sans que les muscles aient fait tout l’effort dont ils sont
» capables. C’est ce que, pour notre part, nous avons observé
» avec les poids de un et deux kilogrammes soulevés chaque
» seconde.
» Nous avons donc choisi un poids de trois kilogrammes soulevé
» toutes les secondes. Le rythme nous était donné par un métronome
» à tambour, et nous exécutions une contraction par seconde, et
» cela jusqu’à épuisement complet, jusqu’à impossibilité, malgré
» tous nos efforts, de soulever le poids. Nous nous sommes placés,
» pour chaque expérience, dans des conditions identiques; afin
» d’obtenir la quantité maxima de travail mécanique et d’éviter
» les variations plus ou moins grandes que ne manquent pas
» d’imprimer au système musculaire les fatigues et les travaux si
» différents de chaque jour, nous avons eu soin de prendre
» nos tracés peu de temps après le réveil, entre huit heures trente
» et neuf heures du matin, alors que l’épuisement de la veille avait
» complètement disparu sous l’influence réparatrice d’un sommeil
» de sept heures environ. Car, contrairement à ce qu’on avait pré» tendu d’abord, la veille en produisant un épuisement général de
» l’organisme, dû tout aussi bien au travail intellectuel qu’au travail
» matériel, a pour effet d’accélérer grandement la manifestation de
» la fatigue dans nos muscles; ceux-ci sont bien encore capables
)) de donner une première contraction normale ou peu modifiée,
�EDOUARD HEGKEL
» mais ils se fatiguent rapidement et donnent alors une très petite
» quantité de'travail mécanique.
» Nous avons donc pris chaque matin un ou plusieurs tracés des
» contractions des muscles fléchisseurs du médius gauche. Un inter» valle de 10 à 15 minutes était laissé entre chaque expérience afin
» de laisser reposer le muscle en travail. Voyons maintenant quelle
» marche générale nous avons suivie, puis nous exposerons en
» détail les résultats que nous avons obtenus. Après avoir pris
» quelques tracés normaux nous donnant la forme et la direction
» moyenne de notre courbe de fatigue, nous avons comparé l’action
» de la caféine et de la poudre de Kola sur cette courbe, pour
» étudier ensuite séparément les modifications produites par le
» rouge de Kola.
» Nous avons donc à envisager successivement :
» 1° La courbe normale.
» 2° La courbe après ingestion de caféine.
» 3° La courbe après ingestion de poudre de Kola.
» 4° La courbe après ingestion de rouge de Kola.
» Il est évident, et c’est là une objection qui se présente d’elle» môme, qu’en suivant l’ordre ci-dessus indiqué on ne le place pas
» dans des conditions irréprochables d’exactitude, les muscles qui
» travaillent chaque matin, acquérant en quelques jours une force
» plus grande par suite de l’entraînement duquel ils sont soumis.
» Aussi afin de ne pas donner prise à cette critique, nous avons eu
» soin de prendre de temps à autre des tracés normaux pouvant
» être comparés, d’une façon absolue, aux tracés inscrits après
» ingestion des substances dont nous venons de parler.
1°
T
racé
norm al
» Nous avons pris, ainsi que nous venons de le dire, un certain
» nombre de tracés normaux. Après quelques essais qui n’avaient
» pour but que de nous familiariser avec l’appareil, nous avons
» calculé la moyenne de la hauteur de soulèvement et du travail
» mécanique, mesuré en kilogrammes sur dix de ces tracés. Nous
» avons trouvé comme hauteur moyenne 1 mètre 157 et en multi» pliànt ce chiffre par trois kilos représentant le poids enlevé à
�LES KOLAS AFRICAINS
241
» chaque contraction, nous obtenons Kilogrm. 3,471 comme travail
» mécanique. Mais ce n’est pas là le seul poiut de la question qui
» doive nous intéresser, il nous faut encore considérer l’aspect de
» la courbe, sa forme générale et les particularités qu’elle présente.
» Comme l’a très bien expliqué M. le professeur A. fylosso, chaque
» personne a une courbe de fatigue qui lui est propre, de telle sorte
» que les tracés de plusieurs personnes se reconnaissent aisément
1
Fig. 43. — Tracés normaux (Dr Marie).
« les uns des autres. Ceci, bien entendu, ne doit pas être pris
» dans un sens trop absolu, car il est fréquent d’observer des difïé» rences assez marquées, surtout si l’on considère des tracés pris à
» un certain intervalle, ainsi qu’il nous est arrivé de le faire.
» Néanmoins, M. le Professeur R. Dubois, examinant nos tracés
» normaux fut de suite frappé de l’aspect qu’ils présentaient en
�242
EDOUARD HECKEL
» général : la première moitié de la courbe présente, lorsqu’on
» examine la ligne réunissant les sommets, une forme manifeste» ment concave, à concavité tournée en haut. Puis, la descente qui
» débutait assez brusquement, devient moins rapide, formant dans
» certain cas une sorte de plateau qui contribue à donner à l’en» semble la forme d’un S très allongé. Nous avons expérimenté sur
» deux de nos amis, pour nous rendre compte par nous-même des
» variations signalées plus haut et nous avons eu la confirmation
» manifeste de ce qui a été signalé.
» Chez l’un d’eux, les contractions du début sont beaucoup
» moins élevées que les nôtres; elles n’atteignent jamais plus de
» 0mO36, tandis que nos premières contractions dépassent toujours
» 0m04. Mais chez lui la ligne des sommets descend lentement, ne
» présente pas la forme concave que nous trouvons dans nos tracés
» et est d’un bouta l’autre, à peu près droite.
» Chez le second, au contraire, l’aspect est entièrement différent
» et nous pourrions dire que notre courbe représente la moyenne
» des trois. Ici, en effet, les premières contractions sont très élevées
» (0,054 à 0,56), mais rapidement, après une durée de 10 secondes
» environ, la ligne tombe brusquement pour décroître ensuite gra» duellement,. Nous avons répété plusieurs fois l’expérience et à
» chaque fois, la direction générale a été à peu près celle que nous
» venons d’indiquer. Il est inutile d’insister plus longuement
» sur le tracé normal qui nous est maintenant connu; nous
» allons avoir à étudier maintenant les variations que lui fait subir
» tout d’abord l’ingestion d’une certaine quantité de caféine.
2°
T
race
a près
in g e s t io n
de
c a f é in e
» La caféine ayant été donnée par M. G. Sée comme le seul
» principe de la poudre de Kola capable d’exercer sur la fatigue
» musculaire une action modératrice, nous avons voulu, avant
» d’étudier l’action de la poudre de Kola sur les tracés, nous rendre
» compte des effets produits par la caféine. Pour ce faire, nous
» avons toujours suivi la même méthode : la caféine étant contenue
» dans le Kola dans les proportions de 2,23 %, nous en avons pris
» 0 gr. 117 milligrammes avant, chaque expérience. Cette dose
�243
LES KOLAS AFRICAINS
» était généralement absorbée dans dn café à sept heures du matin ;
» un ou deux tracés étaient inscrits à huit heures trente. Nos
» recherches ont porté particulièrement sur dix de ces tracés, et
» voici les chiffres moyens que nous avons obtenus : hauteur de
» soulèvement = 4,203, donc travail mécanique = Kgm. 3,916.
2
b
3 B
Fig. 44. — Tracés avec caféine (Dr Marie).
» Si on passe ensuite à l’examen général de la courbe, ou peut
» se rendre compte sur la plupart des tracés, ainsi que le fait avait
» déjà été signalé par M. Dubois, qu’ils présentent une forme
» presque caractéristique. Les contractions très élevées au début
» du tracé, atteignant assez souvent 0,052, 0,054, s’affaiblissent
�244
ÉDOUARD HECKEL
» très rapidement pour décroître ensuite peu à peu et donner lieu
» à uue série de contractions de très faible intensité. C’est là un fait
» que nous avons remarqué dans la plupart de nos courbes inscrites
» après ingestion de caféine, fait qui mérite d’être signalé, car tout
» à l’heure nous verrons l’importance qu’il présente, lorsque nous
» comparerons les différents tracés et que nous essaierons de les
» interpréter. Nous avons fait de nouvelles recherches en absorbant
» 0,0234 de caféine, quantité correspondant à 10 grammes de Kola
» et nous avons obtenu les mêmes résultats.
» Voyons maintenant ce qui se passe lorqu’au lieu de caféine, on
» emploie la poudre de Kola, et recherchons si cette dernière
» substance nous donne des courbes analogues à celles que nous
» venons de passer en revue.
3°
T
racé
a pr ès
in g e s t io n
de
po u d r e
de
K
o la
.
» Nos expériences avec la poudre de Kola ont été comme celles
» avec la caféine au nombre de dix. Pour chacune d’elles nous
» avons absorbé la quantité correspondant à 0 gr. 117 milligrammes
» de caféine, soit 5 grammes de poudre de Kola. Cette dose était
» généralement prise en deux fois, à 6 h. 30 et 7 heures du matin,
» dans un demi verre d’eau. Nous n’avons jamais observé à la
» suite de cette ingestion aucun phénomène particulier digne
» d’attirer l’attention. Le nombre des respirations reste le même
» et les pulsations artérielles gardent la même fréquence. Du côté
» des voies digestives, nous ne constatons non plus rien de spécial
» à noter, l’appétit restant le même qu’auparavant et le besoin
» d’aliments se faisant toujours sentir aux heures habituelles.
» Quelle forme présente le tracé? Quelle est la hauteur moyenne des
» contractions et quelle dépense de forces représentent-elles, c’est
» ce qui nous reste à étudier. La hauteur de soulèvement est de
» l m495; par suite le travail mécanique est égal à 4,485 kgm.
» Quant à la ligne des sommets, elle est ici extrêmement inté» ressante à considérer, et présente un caractère bien net qui
» permet de la reconnaître à première vue, c’est sa rectitude
» presque parfaite d’un bout à l’autre du tracé. Les premières
» contractions atteignent toujours une hauteur moyenne de 0ra05,
�LES KOLAS AFRICAINS
» la descente est insensible, et, en aucun point de son étendue on
» n’observe de plateau. Lorsque la main est retirée de l’ergographe,
Fig. 45. — Tracés avec poudre de Ivola (Dr Marie).
» la fatigue n’est pas plus grande que de coutume, et un nouveau
» tracé peut être facilement obtenu après un repos de cinq minutes.
4°
T
racé
après
in g e s t io n
de
rouge
de
K
o la
.
» Nous avons eu à rappeler, au début de ce travail, les discus» sions nombreuses qu’a soulevées à l’Académie de Médecine la
�246
ÉDOUARD HECKEL
» question de savoir si le rouge de Kola était pour quelque chose
» dans l’action de la poudre de Kola sur le système musculaire.
» Nous avons vu M. G. Sée soutenir avec acharnement l’inanité
» absolue de ce principe mal déterminé et faire jouer à la caféine
» seule un rôle prépondérant. Cette divergence d’opinions nous a
» poussé à étudier avec un soin tout particulier le rouge de Kola;
» nous avons fait une vingtaine d’expériences dont quatorze sont
» relatées ici, et nous avons étudié également sur nos amis l’action
» de ce produit dont M. R. Dubois avait déjà, au mois de juillet 1891,
» reconnu l’efficacité indéniable. Ainsi que nous le disions plus
» haut, nous avons employé, pour nos expériences, le rouge de Kola
» impur ou la poudre de Kola privée de caféine et de théobromine
» par l’action du chloroforme. Cette poudre ne conserve plus d’im» portant, avec le ligneux, que le rouge de Kola et les principes
» albuminoïdes.'Ces deux derniers éléments chimiques seuls, sont
» susceptibles d’exercer une action sur l’organisme : le premier
» est celui que nous allons étudier tout à l’heure, le second est
» nutritif. Mais aux doses que nous avons employées, l’action des
» albuminoïdes sur la nutrition peut être regardée comme entière» ment négligeable, et il ne reste que le rouge de Kola pouvant
» exercer une action quelconque sur l’économie.
» Afin de pouvoir comparer les tracés obtenus aux tracés précé» dents, nous avons calculé la dose de poudre contenant la quantité
» correspondante de rouge de Kola, soit 4,875 qui renferment envi» ron 0,06 de rouge pur. Ayant reçu, il y a quelques jours, du rouge
» de Kola pur, qu’a eu la bonté de nous préparer M. Schlagden» hauffen, nous avons fait avec ce produit de nouvelles expériences
» dont deux seulement sont relatées ici et qui, d’ailleurs, n’ont fait
» que confirmer l’opinion que nous nous étions formée en nous
» basant sur nos recherches antérieures.
» Comme après l’absorption de la poudre de Kola, nous n’avons
» rien noté de particulier lorsque nous avons eu pris le rouge.
» L’examen des tracés et le calcul de la hauteur des différentes
» contractions donne une hauteur moyenne de soulèvement égale
» à l m465 et par suite un travail mécanique de 4,396 Kgm. La
» direction générale de la courbe ne présente pas la rectitude que
» nous avons trouvée dans les tracés inscrits après ingestion de
» poudre de Kola. La ligne des sommets a, au contraire, ici de
�LES KOLAS AFRICAINS
247
» nombreux caractères d’analogie avec la courbe normale. Comme
» cette dernière, elle présente la forme d’un S ; mais nous aurons à
» revenir tout à l’heure en faisant la comparaison, sur de nombreux
» points qui l’en distinguent et permettent de lui assigner une
» valeur toute différente.
C omparaison
des différents tracés ci- dessus
» Nous avons maintenant passé en revue les différents tracés
» que nous ont permis d’obtenir nos expériences. Nous avons
�EDOUARD HECKEL
»
»
»
»
»
»
»
indiqué quels étaient les caractères propres à chacun, nous avons
calculé leur valeur en mesurant la hauteur du soulèvement et le
nombre de kilogrammètres indiquantle travail mécanique dépensé.
Il nous reste à grouper les données mécaniques que nous avons
obtenues, à les mettre en regard les unes des autres afin de voir
quelles conclusions nous sommes autorisé à tirer de leur comparaison.
» Nous allons tout d’abord étudier quelles différences on observe
» lorsqu’on se borne à comparer la hauteur moyenne de soulève» ment et le travail mécanique moyen que nous avons calculés plus
» haut. Voici les chiffres que nous avons obtenus :
Hauteur moyenne de soulèvement
»
»
»
»
Tracé normal................ l m157
T. avec caféine............ l m203
T. avec poudre de Kola !m495
T. avec rouge de Kola.. l m465
T ravail m écanique moyen
kilog.
kilog.
kilog.
kilog.
3.471
3.916
4.485
4.396
» Nous voyons dans ce tableau que si, au point de vue seul du
» travail dépensé, nous comparons les résultats qui ont été fournis
» par des mensurations attentives, notre attention est attirée de
» suite par deux remarques intéressantes : 1° il y a peu de différence
» entre le tracé normal et le tracé après ingestion de caféine; 2° le
» tracé après ingestion de rouge de Kola atteint un chiffre se rappro» chant beaucoup de celui qu’on obtient avec la poudre de Kola
» naturelle contenant encore sa caféine et sa théobromine. Nous
» avons toujours constaté ce fait, et si, dans quelques expériences
» avec la caféine, nous avons parfois obtenu des moyennes infé» rieures à celles des tracés normaux, 0,992 par exemple, jamais,
» dans aucun cas, nous n’avons constaté semblable chose après
» l’absorption cle rouge de Kola. Ces faits semblent déjà plaider
» beaucoup en faveur de la théorie de M. Heckel et, pour notre
» part, nous sommes loin de considérer le rouge de Kola comme
» un principe inactif, ou à peu près.
» Si maintenant nous rappelons les données que nous a fournies
» tout à l’heure l’étude de la ligne des sommets dans les différentes
» courbes envisagées, voici ce qui nous frappe au premier abord.
» La ligne des sommets, dans le tracé normal est, la plupart du
» temps, concave, mais la courbure qu’elle nous présente est peu
�LES KOLAS AFRICAINS
249
» marquée et, à part quelques exceptions, la descente se fait le plus
» souvent d’une façon régulière. Si nous considérons la direction
» générale de la courbe après absorption de caféine, nous remar» quons que les premières contractions sont plus élevées que dans
» le tracé normal, mais qu’aussi la plupart du temps, la chute est
» plus rapide et le tracé souvent plus court que précédemment.
» Nous obtenons de la sorte une ligne beaucoup plus concave que
» la précédente, et dont la seconde moitié formant parfois un
» plateau, est de courte durée.
» Après absorption de la poudre de Kola, l’aspect change du
» tout au tout. Les premières contractions sont encore très élevées,
» mais au lieu de cette chute brusque que nous constations tout à
» l’heure, ici, au contraire, la descente est excessivement régulière;
» elle se fait graduellement, sans secousses, en décrivant une ligue
» dont la rectitude est presque parfaite.
» Que se passe-t-il dans les tracés inscrits après ingestion de
» rouge de Kola? Ici, comme dans les deux cas précédents, les
» contractions du début atteignent 0m048 à 0'”05, puis, après 7, 8,
» 10 secondes, la ligne descend peu à peu pour aboutir la plupart
» du temps à une sorte de plateau suivi lui-même de contractions
» lentement décroissantes qui lui donnent la forme d’un S.
» En nous résumant, nous obtenons le tableau suivant :
( Ligne légèrement concave.
i> Tracé normal.. ]
( Descente assez régulière.
m , avec ca- i\ Contractions du début très élevées.
» Trace
Chute brusque.
féiue
Ligne plus concave que la précéder! te
Contractions élevées.
» Tracé avec Kola \ Ligne à peu près droite.
( Descente très régulière.
Contractions élevées.
Ligne des sommets en S, parfois
Tracés beaucoup plus longs qu’avec
la caféine.
�280
Éd o u a r d
heckeL
C o n c l u s i o n s . — 1° La poudre de Kola exerce sur la fatigue
» musculaire une action modératrice évidente; elle agit à la fois
» sur le nombre et l’intensité des contractions, et permet de
» fournir un travail soutenu;
» 2° La caféine semble n’agir que sur la hauteur, et par consé» quent sur la force des contractions. Elle l’accroît sensiblement,
» mais son effet est de courte durée et le muscle s’épuise aussi
» rapidement et souvent plus qu’à l’état normal ;
» 3° Comme la poudre de Kola, le rouge de Kola, même à doses
» minimes, augmente, d’une façon très notable, l’intensité et la
» durée des contractions musculaires. L’action de ces deux
» substances présente de nombreux caractères d’analogie et les
» différences qui les séparent ne sont que de légères différences de
» degré;
» 4° L’action de la poudre de Kola est due, en majeure partie,'
» au rouge qu’elle renferme. Sans doute, la caféine augmente la
» résistance à la fatigue, en tonifiant l’organisme, en régularisant
» les fonctions circulatoire et respiratoire, mais le rouge de Kola
» exerce seul sur la contraction musculaire une action propre qui
» est incontestable. »
Ces conclusions, en raison de leur importance même, nous impo
saient la recherche de leur explication. La première qui se présen
tait à l’esprit étai t de se demander si, dans le rouge de Kola (Kolanine
de Knébel), la prépondérance de l’action neuro-musculaire ne provient pas de l’état naissant de la caféine. La question valait la peine
d’être élucidée et nous avons institué l’expérience physiologique
suivante en priant M. le professeur Dubois de vouloir bien la
réaliser.
Il s’agissait de comparer les tracés fournis à l’ergographe de
Mosso par 1° la caféine pure et cristallisée ; 2* la poudre de Kola et
3" la Kolanine de Knébel, données à doses rigoureusement égales
au point de vue alcaloïdique et en tenant compte du dédoublement
de la Kolanine dans l'organisme, en caféine et glucose, calcul que
n’avait pu faire M. le docteur Marie, le rôle chimique de la Kolanine
étant encore inconnu au moment où il instituait ses recherches
comparatives. Voici notre calcul : la poudre de Kola de SierraLeonê contient 2,348 % de caféine libre (en négligeant les 0,02 %
»
�LES KOLAS AFRICAINS
251
de théobromine) : mais il i'aut y ajouter le poids de la caféine
naissante provenant du dédoublement de la Kolanine, en tout
3 gr. 778. Combien faut-il donner de notre rouge de Kola (Kolanine)
pour fournir 3 gr. 778 de caféine naissante. Une opération très
simple de proportions donne 265 gr. de Kolanine : ce poids de ce
glycoside donnerait dans l’organisme autant de caféine naissante
cpie 100 gr. de poudre de Kola produirait de caféine libre et de
caféine naissante totalisées. Il faudra donc donner, pour conserver
aux expériences leur caractère de comparaison rigoureuse, les doses
suivantes des trois substances envisagées : I, 3,778 de caféine cris
tallisée pure; II, 100 gr. de poudre de Kola; III, 265 gr. de rouge de
Kola {Kolanine).
Nous avons fait donner, dans les mêmes rapports, aux sujets
soumis aux expériences I. 0 gr. 020 de caféine pure; II. 0,50 de
poudre de Kola; III. 1 gr. 32 Kolanine.
M. Dubois (de Lyon), nous a adressé les graphiques (Voir p.
. 230) de l’ergograplie de Mosso : trois d’entre eux sont relatifs au
tracé des trois substances mises en cause, le quatrième donne un
tracé normal.
Si on rapproche ces tracés de ceux qui ont été obtenus par
M. Marie, on constate qu’ils ont bien des points de ressemblance.
Comparés entre eux, ils donnent les résultats suivants : l’action
de la caféine cristallisée se fait nettement sentir sur le tracé normal,
mais elle est de faible durée, l’amplitude des contractions y est très
restreinte. Avec la poudre de Kola, la durée des contractions est
plus longue et leur amplitude est à la fois large et soutenue, leur
décroissance suit une progression très régulière; sous l’influence du
rouge de Kola (Kolanine) môme durée des contractions, leur ampli
tude se conserve mieux qu’avec le Kola et leur décroissance se
produit plus lentement, la conservation de l’énergie musculaire est
plus longue. Ici, comme dans les expériences de M. Marie; tout le
profit est évidemment pour la Kolanine (ou Rouge de Kola) dans
laquelle toute la caféine mise en jeu est à l’état naissant. La diffé
rence qui existe entre le tracé dû au Kola et celui de la caféine cris
tallisée libre, est évidemment attribuable à ce même état naissant
qui caractérise un tiers de la caféine intervenue dans l’adminis
tration du Kola.
Cette interprétation de l’influence de l’état naissant pour expli-
�EDOUARD HECKEL
quer les différences d’intensité d’action de la caféine cristallisée, du
Kola et de la Kolanine, est justifiée par les observations bien connues
du docteur Lewin à propos de l’intoxication par l’hydrogène sulfure.
Il est bon de les rappeler ici en peu de mots.
1° Quand on fait passer dans du sang un courant d’hydrogène
sulfuré on obtient un liquide qui présente au spectroscope, lors
qu’il est convenablement dilué, une bande d’absorption située entre
C et D.
2° Qu’on plonge un animal, lapin, chien, dans une atmosphère
d’hydrogène sulfuré jusqu’à ce qu’il succombe, qu’on examine son
sang au spectroscope et on sera tenté de prédire que le liquide
sanguin présentera la même bande située entre C. et D. Il n’en est
rien et cependant l’animal a absorbé une quantité très forte d’hydro
gène sulfuré.
3° Administrons à un autre animal, chien ou lapin, du sulfocarbonate de potasse ou du sulfoantimoniate de soude (sels qui,
tous deux sous l’influence des l iquides de l’économie se décompo
sent en donnant naissance à de l’hydrogène sulfuré) ; sacrifions
l’animal au bout d’un certain temps et examinons son sang, nous
retrouverons la bande entre C et D du spectroscope.
L’hydrogène sulfuré naissant s’est donc combiné avec l’hémo
globine et ce résultat est identique à celui que donne la matière
colorante du sang quand on y fait passer un courant d’hydrogène
sulfuré.
Cet exemple, auquel beàucoup d’autres et notamment celui de
l’oxygène, pourraient être ajoutés, prouve jusqu’à l’évidence que
les corps à l’état naissant ont une action toute différente de celle
des corps similaires nés et formés depuis longtemps. C’est une
vérité aujourd’hui bien démontrée et l’action physiologique du
Kola, caractérisée par cette abondante formation décaféiné naissante
sur laquelle nous avons longuement insisté, en est une nouvelle
preuve. En réalité, c'est par le dédoublement de la Kolanine que
l’action physiologique du Kola (comme je l’avais pressenti et
annoncé depuis longtemps en me basant sur des expériences très
significatives) se distingue de celle de tous les caféiques à dose
alcaloïde égale ; c’est cette substance qui constitue aussi toute la
supériorité du Kola sur les autres caféiques dépourvus d’un gly-
�LES KOLAS AFRICAINS
253
coside capable de donner de la caféine naissante par dédoublement.
Il résulte de ces faits que l 0 les conclusions physiologdques tirées
par M. G. Sée de l’étude de la caféine libre et étendues par lui au
Kola, si elles étaient fondées, ne seraient acceptables, ni pour les
doses ni pour les faits eux-mèmes, que dans une mesure
restreinte : elles ne le seraient à aucun degré par ce qui touche à
la Kolctnine.
2° Ce glycoside, quand on pourra aisément et sans trop de frais
le préparer en quantité suffisante, devra être étudié à fond dans ses
applications cliniques et sera vraisemblablement, dans l’avenir, le
seul produit utilisable du Kola (1), la caféine libre qu’il renferme
(1) Voici au sujet de la recherche de ce glycoside quelques observations récentes
de M. Schlagdenhaufïen :
Recherche cle La Kolanine. — Pour rechercher la Kolanine dans les graines de
Kola, nous comptions suivre le procédé opératoire imaginé par le Dr Knébel.
Mais nos essais répétés ne nous ayant fourni que des résultats qui nous parais
saient entachés d’erreur, en raison d’un défaut d’indications suffisamment précises,
nous avons dû nous bornera démontrer indirectement la présence de ce glucoside,
ainsi que sa variation suivant l’état des graines.
La première partie de ces recherches se trouve exposée en détail p. 181 où nous
démontrons qu’aprés élimination de la Caféine libre à l’aide du chloroforme, il
en reste encore des quantités variables qu’on peut enlever, par le même dissolvant,
après traitement préalable de la poudre par de l’eau bouillante ou par de l’eau
acidulée à l’acide chlorhydrique.
La mise en liberté de la Caféine dans ces conditions ne peut s’expliquer que par
le dédoublement du composé particulier, la Kolanine, dont la nature glucosidique
a été découverte par le D' Knébel.
En ajoutant par conséquent aux 2er348 (quantité de Caféine libre) les 35.775,
17.88 et 61.239 "/o d’alcaloïde provenant du dédoublement de la Kolanine (notre
rouge de Kola) on trouve que la totalité de celle qui existe doit être évaluée respec
tivement à
3 gr. 188
2 gr. 768
3 gr. 785
dans ces diverses conditions expérimentales. Le maximum de Caféine s’élève donc
à3gr. 785 dans la noix de Kola rouge arrivée à maturité complète.
En opérant de même avec des graines fraîches de Kola rouge et de Kola blanc
provenant d’une autre récolte, nous avons trouvé, comme nous l’avons vu p. 196,
les quantités suivantes de Caféine libre : dans le Kola rouge 0,38 0/0, dans le Kola
blanc 0,40 0/0. Cette différence eu moins, si considérable, indique tout d’abord que
les graines employées fraîches sont constituées autrement, au point de vue chi
mique, que les sèches qui avaient servi à notre première analyse.
Si maintenant nous faisons macérer les poudres ci-dessus de Kola rouge et de
Kola blanc dans de l’acide chlorhydrique à 5 0/0, si nous filtrons le liquide après
24 heures de séjour à l’étuve à 35°, si nous le sursaturons par de l’eau de chaux,
si nous l’évaporons à siccité et reprenons le magma calcaire par du chloroforme,
�254
EDOUARD HIÏCKEL
pouvant être obtenue d’une façon moins coûteuse par l’utilisation
des autres caféiques plus employés et plus répandus dans le
commerce (café, thé, etc.).
Malgré ces prévisions, nous allons nous occuper des applications
thérapeutiques actuelles du Kola, et de sou emploi stratégique.
Longtemps encore ce produit conservera sa supériorité sur les
autres caféiques et sera d’emploi facile et usuel en attendant la
diffusion et la vulgarisation de la Kolanine.
Il n’est pas possible, pour être complet, de terminer cette partie
physiologique sans dire un mot de l’étude récemment présentée
par le professeur Ugolino Mosso à l’Académie des Sciences de Turin,
touchant l’action des principes actifs de la noix de Kola sur la connous obtenons de nouvelles quantités de Caféine qui représenteront l’alca
loïde de dédoublement : pour le Kola rouge = 0,820 0/0 et pour le Kola blanc
0,885 0/0. De sorte que le total de l’alcaloïde libre et combiné s’élève à : 1,20 pour
Kola rouge et 1,285 pour Kola blanc.
La comparaison de la proportion d’alcaloïde de dédoublement et de Caféine
libre fournit ainsi les rapports suivants :
Pour le Kola blanc
Pour le Kola rouge
221.25
215.85
à 100
à 100
Il suit de là que les graines analysées dans notre premier mémoire et celles
examinées actuellement sont entièrement différentes au point de vue de leur com
position. Les premières sont beaucoup plus riches en Caféine libre et ne contien
nent à peu près qu’un tiers d’alcaloïde de dédoublement, tandis que les plus
récentes renferment presque trois fois plus d’alcaloïde de dédoublement que de
Caféine libre. La proportion de glucosi.de qui fournit la caféine du dédoublement
varie donc avec l’état des graines.
Tout se passe ici comme dans les graines du Kola rouge analysées en premier
lieu et ayant un poids moyen de 28 à 40 gr. : la majeure partie de la Kolanine avait
disparu et opéré son dédoublement au sein même de l’organe, tandis que dans les
dernières pesant de 4 à 14 gr. (Kola blanc) et de 0 à 18 gr. (Kola rouge) elle se
trouverait en forte proportion résistant à toute action fermentescible, et ne subi
rait son dédoublement que par suite d’une opération de laboratoire (action de l’eau
ou d’un acide faible) et fournirait ainsi la proportion considérable d alcaloïde
signalée plus haut.
La comparaison de ces deux résultats, si différents l’un de l’autre, nous auto
rise donc à conclure, d’une part, que les mêmes graines analysées à des époques
variables ne sont pas identiques au point de vue de leur richesse en caféine libre
ou combinée; en second lieu, que la proportion de Kolanine diffère avec l’état
frais ou sec des graines, enfin les graines fraîches de Kola renferment plus de
Kolanine que les mêmes graines une fois désséchées. Cette condition doit dès lors
toujours être préférée pour les préparations pharmaceutiques qui deviendront
ainsi faites riches en Rouge de Kola.
�LES KOLAS AFRICAINS
traction musculaire (1). L’auteur emploie comme MM, Dubois (de
Lyon) et Marie, l’ergographe de A. Mosso, et après avoir constaté
et enregistré l’action très nette de la caféine sur la fatigue mus
culaire, examine le bien fondé de mes assertions, en ce qui touche
l’action de la poudre de Kola dépouillée de caféine, que j’ai
déclarée incontestablement suspensive de la fatigue musculaire.
11 administre la poudre de Kola à lui-môme et à un de ses amis
à la dose de 5 grammes d’un coup. Il trouve, comme je l’avais
affirmé, que la poudre de Kola dépouillée de la caféine est d’une
activité manifeste. Recherchant ensuite l’élément qui, dans ce
Kola dépouillé de caféine, peut agir sur la fatigue musculaire, M. A.
Mosso essaie l’action de notre Rouge de Kola (Kolanine de Knébel)
sur l’organisme humain et en donne la quantité contenue dans
5 grammes de poudre. Il constate qu’elle est sans effet. Il est à
remarquer que ce résultat est absolument contradictoire de ceux
qu’il a obtenus avec la caféine, car le rouge de Kola (Kolanine) se
dédouble sous l’influence du suc gastrique, comme nous l’avons
établi dans la partie chimique de notre étude, en caféine et en prin
cipe colorant résineux, et cette transformation est inévitable. On se
demande dès lors, comment M. U. Mo'sso n’a pas été frappé d’une
pareille contradiction, surtout étant donné (mais M. U. Mosso parait
ignorer mon dernier travail sur l’action physiologique du rouge de
Kola et sa comparaison avec la caféine) (2), que la Kolanine peut
fournir encore, sous l’influence de liquides acidulés (c’est le cas
du suc gastrique), par dédoublement 61 % de la caféine libre
renfermée dans le Kola. Cette dose n’est pas négligeable et
certainement les 61 7° de 0 gr- H»> de caféine renfermés dans
5gr. de Kola, doivent agir encore et agissent certainement d’après
les expériences de MM. Dubois (de Lyon) et Marie, dont nous venons
de reproduire les tracés.
Poursuivant ses recherches, l’auteur enregistre l’action de la
poudre de Kola dépourvue de caféine et de notre rouge de Kola
(Kolanine) et démontre que ce produit conserve encore une action
manifeste sur la contraction musculaire, il en est de même de
(1) Azione clei principi attivi délia noce di K ola sulla contractione niuscolare, (Estr. dagli Atti délia R. Academia delle Scienze di Torino) vol. XXXIII,
Aclunanza del 5 marzo 1893.
(2) Répertoire de Pharmacie, 1892.
�'
EDOUARD HECKEL
l’extrait, aqueux (eau chaude) de Kola dépouillé de caféine et de
rouge de Kola.
Comme après l'extraction de la caféine et du rouge de Kola
(Kolanine), il ne reste plus dans ce Kola, d’après notre analyse, que
de la fécule (33 %), et du glucose (3 %) sans parler du tannin, de
la gomme et des substances albuminoïdes (7 %), M. le professeur
U. Mosso en est conduit à essayer et à trouver, à l’aide du même
ergographe, que Yamidon introduit dans l’estomac favorise l’activité
des muscles à des doses de 5 à 10 gr. On voudra bien noter en
passant qu’il y en a trois fois moins (c’est-à-dire 1 gr. 70) dans
la dose uniforme de 5 gr. de Kola ingérée par l’auteur !
Les conclusions singulières de ce travail, qui, d’après notre
auteur viennent à l’appui de celles du professeur P. Albertoni (Sul
contegno e sul l’azione degli zuccheri neVorganismo. — R. Accademia
delle Scienze di Bologna, 1889, 1891, 1892) établissant dans trois
mémoires que, le glucose, la maltose et la saccharose possèdent une
action marquée sur la circulation, augmentent même la circulation
du sang et la fréquence du pouls, dilatent les vaisseaux sanguins et
renforcent l’action du cœur, sont les suivantes. Nous devons les citer
au moins par leur nouveauté : « 1° la caféine et le glucose (amidon)
» ont une action marquée sur la contraction musculaire; 2°cette
» action s’exerce sur les muscles sans le concours du système
» nerveux central ; 3° le rouge de Kola n’est pas une substance
» active sur les muscles. Le glucose et l’amidon, ces deux compo» sants de la noix de Kola, unissent leurs effets à ceux de la caféine
» pour rendre les muscles plus résistants à la fatigue. » Ces conclu
sions revêtent, au moins pour ce qui a trait à l’action physiologique
du Kola, un caractère si nouveau et si surprenant que je ne crois
pas devoir les discuter ici : elles échappent du reste à tout examen
sérieux.
Je ne puis, en terminant ce chapitre, m’empêcher (le lecteur
excusera ce souvenir personnel) de me reporter à la séance de
l’Académie de Médecine du 22 avril 1892, dans laquelle M. le
professeur G. Sée, irrité de mes protestations et de mes réserves
relatives : 1° à sa nouvelle et singulière théorie sur les propriétés
de la caféine ; 2° à l’extension de cette nouvelle théorie au Kola,
pour expliquer toutes les vertus de cette graine, s’oublia au point
de mettre en doute, mon Rouge de Kola (aujourd’hui Kolanine
�LES KOLAS AFRICAINS
257
de Knébel) auquel j’attribuais depuis longtemps la caractéristique
physiologique de cette graine, et d’oser dire du haut de cette tribune
médicale où le respect de soi-même et des autres est de tradition,
que je n’avais pas compris un mot à sa t h é o r i e s u r l a c a f é i n e .
Ce que je comprends bien et ce que le lecteur aura mieux que
moi compris encore, c’est que la doctrine mort-née de M. G. Sée, '
contraire aux faits (les observations de Rodet et de Kotlar toutes
récentes protestent assez haut, avec Dujardin-Beaumetz et les autres
auteurs anciens contre les assertions de M. Sée), a été impuis
sante à atteindre la seule théorie acceptable du ralentissement de
l’usure, posée sur les bases inébranlables de l’analyse chimique et
du bon sens. 1— Quant au Rouge de Kola qui gênait si fort M. G. Sée,
ne lui en déplaise, il ne saurait disparaître comme un vulgaire
courtisan de cour au jour de la débâcle, et il restera, pour l’éternelle
confusion de celui qui en a nié si légèrement l’action sans tenir
compte de mes observations. Mais que valent les travaux d’un
modeste provincial !
Il est vrai que cette dénégation était nécessaire aux besoins de
la théorie bizarre de M. G. Sée, théorie qui, du reste, n’existe plus
désormais qu’à l'état de vestige historique dans le Bulletin de
l’Académie de Médecine de Paris (1890), où elle repose de son dernier
sommeil sans que la moindre résurrection lui ait donné,même passa
gèrement, la plus petite place dans les plus élémentaires classiques.
��QUATRIÈME PARTIE
E m ploi t h é r a p e u t iq u e , brom ato lo g iqu e et str atég iqu e
»
»
»
»
»
« C’est l’étranger qui mûrit le fruit
de notre ingéniosité. C’est là qu’on
le met en coupe, qu'on l’exploite et
qu’on l’utilise, et c’est à peine si
l’on veut bien, par la suite, nous
en retourner quelques graines. »
(Dr R avenez . La vie du soldat).
De tout temps, les nègres africains ont vu dans la noix de Kola
tout à la fois un aliment et un médicament : c’est bon pour le ventre,
disent-ils, et il faut remarquer en passant qu’ils l’emploient d’une
manière très rationnelle, non pas en l’ingurgitant sans le mâcher,
mais, en mastiquant lentement le Kola frais et avalant leur salive.
D’après ce que nous savons maintenant sur la composition chi
mique de cette graine, il est évident que nul autre procédé ne
réussirait mieux pour assurer la formation de la caféine naissante
dont l’action physiologique est si puissante. C’est pour les nègres
africains le meilleur tonique et antidiarrhéique dont ils disposent,
et ils l’emploient constamment (1).
Dans notre travail sur les Kolas africains qui peut être considérée
comme la première ébauche d’application thérapeutique, nous
avons, M. Schlagdenhaufîen et moi, insisté sur les propriétés anti
diarrhéiques et toniques de l’intestin, particulières à cette précieuse
graine. Nous avons provoqué, dans ce sens, à cette époque, quelques*
expériences dans les hôpitaux de la marine contre la diarrhée
(1) Le Dr Bergeret, médecin de la marine (Notes sur la Mellacorée recueillies au
poste de Benly. Thèse de doctorat en méd. 1889) n’hésite pas à reconnaître même
au Kola (pour justifier l’usage immodéré qu’en font les nègres) des vertus
préservatives contre la diarrhée des pays chauds. C’est aussi l’opinion du Dr Cunéo.
�260
ÉDOUARD HECKEL
atonique de Cochinchine, et M. le Dr Cunéo, qui a expérimenté sur
notre demande, nous a transmis quelques cas intéressants de
guérison de cette redoutable affection, soit avec la poudre, soit avec
l’Élixir de Kola. Ce médecin de la marine y a joint quelques obser
vations intéressantes relatant des succès contre la phosphaturie.
Voici ces observations qui datent du 20 juillet 1882 et ont
été faites à l’hôpital maritime de Toulon :
a Vous avez bien voulu m’envoyer quelques litres de V i n e t E l i x i r
» d e K o l a avec des pilules d’extrait alcoolique de cette graine (1).
» Suivant vos intentions, j’ai essayé de préférence votre nouveau médi» cament contre la diarrhée de Cochinchine. Mais, je dois dire avant
» tout que cet essai n’était pas facile à faire dans de bonnes conditions.
» Il y a, en effet, actuellement très peu de véritables diarrhées de
» Cochinchine dans nos hôpitaux ; les nouveaux arrivants sont le
» plus souvent dirigés de suite dans leur pays par le conseil de
» santé; ceux qui restent à Toulon ou qui viennent dans les hôpitaux
» sont mis en traitement par le régime lacté, qui, lorsqu’il est rigou» reusement suivi, donne un résultat pour ainsi dire certain. Je
)) n’avais donc pas à expérimenter le Kola chez ceux qui guérissent
» très bien avec le lait. D’un autre côté, lorsque la diarrhée de
» Cochinchine est déjà ancienne, qu’elle date de plus de six mois
» et même d’un an, elle a perdu son individualité. Ce n’est plus
» qu’une diarrhée chronique avec des caractères qui peuvent être la
» cause de processus intestinaux très divers. C’est là un fait bien
» établi au point de vue anatomo-pathologique, par les recherches de
» Corail et Kelali. Je n’ai donc essayé le Kola que sur des indi» vidus atteints de diarrhée de Cochinchine, restés rebelles au ré g im e
» l a c t é , qu’ils n’avaient pas pu supporter. En tout, trois malades.
(1) Ces diverses préparations avaient été faites gracieusement par M. Eberlin,
pharmacien de l r“ classe, à Marseille.
Le vin de Kola était obtenu par macération d’une ( Vin blanc doux 500 gr.
durée de 15 jours avec.......................................... j Kola frais......
100 »
T
.
i Alcool à 60°....
5 »
L e x tra it alcoolique a v ec............................................... ' „ , . .
.
1
^ Kola f r a is ..........
1 »
Ces deux préparations, comme nous l’avons vu dans la partie chimique de.
cette étude (page 188, IV), sont loin de dépouiller complètement la graine de ses
principes actifs. La préparation de l'extrait aqueux, en dehors de son inactivité
physiologique, présente de réelles difficultés en raison de l’abondance de l’amidon
dans la graine ; celui-ci forme, pendant la macération, un magma dont il est diffi
cile de se débarrasser. Aussi, à cet égard, convient-il mieux d’employer l’extrait
alcoolique qui joint à une grande richesse en principes actifs, certaines facilités
de préparation très appréciables pour le praticien. L’élixir au Kola se prépare
comme toutes les formes pharmaceutiques de ce nom.
�LES KOLAS AFRICAINS
)) Le premier est un lieutenant de vaisseau arrivé depuis 2 mois
» de Cochinchine, mais dans un état d’anémie extrême, d’une maigreur
» squelettique. Le régime lacté ne lui avait pas réussi, parce que
» probablement le malade ne s’en était pas contenté ; qu’étant dévoré
» par une soit ardente, il a essayé de la calmer par les boissons les
» plus diverses. Quoiqu’il en soit, au début du nouveau traitement,
» il avait par jour 10 à 12 selles complètement liquides et incolores.
» Le malade vomissait presque journellement. J’ai fait prendre le lait
» et donner 60 à 88 grammes par jour de Kola sous forme de Vin.
» Les vomissements ont cessé d’abord dès le 2n'e jour; lo nombre
» des selles a diminué également, il était tombé à 6 dès le 3m0 jour.
» Mais, ce qui satisfait le plus le malade, c’est le sentiment de
» vigueur nouvelle, de force, de résurrection, suivant sa propre expres» sion, qui suivait l’ingestion de ce médicament.- L’amélioration des
» premiers jours a continué, les vomissements n’ont pas reparu ; les
» selles, devenues chaque jour moins nombreuses, se sont graduelle» ment solidifiées. Au lait, nous avions ajouté les œufs, les bifteacks
» puis, vers Je vingtième jour, le pain, le vin ; enfin, un mois après
» le début du traitement, le malade, se considérant comme guéri,
» demande à partir. 11 paraissait guéri, en effet...
» Le deuxième cas est celui d’un lieutenant-colonel en retraite. Il
» était revenu depuis 6 mois de la Cochinchine et avait essayé d’une
» manière rigoureuse le régime lacté. Son état s’aggravait de plus
» en plus. Désespéré, il quitta le pays où il s’était retiré (un village
» des environs de Toulon), pour revenir dans cette dernière ville, où
» je l’avais soigné pour une autre affection. Son état était en réalité
» fort grave, car, à la diarrhée de Cochinchine, caractérisée par
» 12 à lo selles par jour, par un amaigrissement extrême et une fai» blesse telle qu’il était obligé de rester alité, se joignaient les
» symptôme; d’une bronchite de nature suspecte.
» Je calmai de suite la toux par Je sirop de codéine et j’essayai de
» nouveau le régime lacté : il ne put être toléré. La diarrhée aug» mentant, et avec elle la faiblesse, je prescrivis alors le thé cle bœuf
» avec le tapioca, que le malade digérait très bien, et j’y joignis
» 60 gr. de vin de Kola et 3 cuillerées à café par jour d’élixir de
» Kola. La même série de phénomènes déjà indiqués se produisit :
» sentiment de digestion plus parfaite, sensations de forces qui
» s’accentuent chaque jour, diminution et solidification graduelle des
» selles. Bref, le malade, qui était venu avec l’intention de passer '
» tout Tété à Toulon, est reparti il y a lo jours, paraissant complè» tement guéri. Au moment de son départ, il suivait un régime très
» varié dans lequel entraient les fruits, dont il était très friand. Le
» traitement avait duré 33 jours.
» Dans un troisième cas, chez un soldat d’infanterie de maiine, le
» régime lacté n’avait rien donné, le malade rentrait plus fatigué
�EDOUARD HECKEL
» d’un congé de 4 mois : amaigrissement, marqué par une légère infil» tration des membres inférieurs, langue rouge dépouillée, vomisse» ments quotidiens, 8 à 10 selles par jour. Je prescris le thé de bœuf
» et GO à 80 grammes de vin de Kola, avec 4 cuillerées à café d'élixir
» par jour. Dès le premier jour, les vomissements ont cessé ; à
» chaque ingestion des médicaments, le malade se sentait plus vigou
» ceux : les selles, le troisième jour, étaient réduites à 4 ; le sixième
» jour, elles étaient pâteuses et 15 jours après le début du traitement,
» le malade n’avait qu’une selle solide par 24 heures, nfangeait des
» œufs, buvait du vin pur, suçait des bifteacks. Ce résultat a été
» obtenu en un mois de traitement.
» Je dois ajouter que chez deux autres malades, le vin de Kola
» n’a pu être toléré à cause du sentiment de brûlure que son inges» tion déterminait à la région épigastrique. Le fait n’a rien de bien
» étonnant dans une maladie où il y a si souvent desquammation
» épithéliale de la langue et d’une grande partie des voies diges» tives.
» Des quelques faits dont je viens de parler, faut-il inférer que le
» vin de Kola guérira la diarrhée de Cochinchine ? L’expérience le dira,
» mais je crois, en tous cas, à l’utilité de ce médicament, car sou» vent cette affection commence (le fait a été relevé depuis Jong» temps), comme la diarrhée infantile du sevrage, . par des troubles
» gastriques, et nous avons vu le Kola agir favorablement pour
» arrêter les vomissements. Je l’ai essayé deux fois avec succès dans
» des cas de gastralgie avec sensation de lypothymie, et sur moi» même ; il m’a paru rendre la digestion plus facile. Peut-être, en
» raison de cette influence, le Kola pourrait-il avoir une action par» ticulière sur le développement de la diarrhée de Cochinchine, dont
» la dyspepsie paraît être le début : mais c’est une simple prévi» sion à vérifier dans le pays même d’origine de la maladie.
» Je dois, en terminant, appeler l’attention sur un cas sinon de
» guérison, au moins d’amélioration marquée, obtenue chez un enfant
» présentant les symptômes d’une affection mal déterminée encore, la
» phosphaturie. 11 s’agit d’un jeune homme de 11 ans, qui maigris» sait rapidement el accusait une grande faiblesse et chez lequel
» l’examen le plus attentif ne décelait aucune lésion organique, mais
» dont les urines présentaient un dépôt abondant de phosphates. Une
» première fois, j’avais obtenu une profonde amélioration par la valê» riane en lavement, Varseniate de soude à l’intérieur, les bains froids
» et le vin de Kola. A la suite d’une rechute, j’employai le vin de
» Kola seul avec les pilules d'extrait alcoolique. Vingt jours après, le
» père m’accusait le retour des forces, et les phosphates avaient
» disparu des urines : le jeune homme allait du reste fort bien. »
A la suite de ces observations, qui furent communiquées au
�LES KOLAS AFRICAINS
Ministre de la Marine et des Colonies de l’époque, des expéri
mentations furent ordonnées en Cochinchine : je fis envoyer des
préparations de vin et d'élixir de Kola, offertes gracieusement
par M. Eberlin, mais les expériences, mal conduites, n’y don
nèrent que des résultats médiocres, comme il fallait s’y atten
dre de la part d’expérimentateurs mal disposés à accueillir un
médicament nouveau et défavorablement prévenus par l’inter
vention officielle de l’autorité administrative dans une question
de médecine pure.
Depuis, des observations cliniques suivies de M. le Dr Bohéas,
médecin de la marine (expériences faites à mon instigation à l’hô
pital maritime de St-Denis-Réunion), ont établi nettement la supé
riorité de ce médicament sur tous les autres tanno-caféiques contre
l’atonie intestinale des pays chauds compliquée de diarrhée (1).
Ce médecin employait le Kola eu tisane à l’état de poudre impal
pable aromatisée, mais toutes ces observations devaient être
reprises, à l’instigation deM. Dujardin-Beaumetz par M. E. Monnet,
un des élèves de ce maître, qui présenta en 1885 comme thèse de
doctorat en médecine devant la faculté de médecine de Lille, un
travail d’ensemble très complet intitulé : De la K ola : Étude
physiologique et thérapeutique. Voici les conclusions de ce remar
quable travail d’observation qui fait encore loi en la matière bien
qu’il soit en retard sur les données physiologiques et chimiques
actuelles. Nous devons les relever en entier parce qu’elles ont servi
de base à tous les travaux thérapeutiques qui ont suivi de près cette
première étude clinique, et surtout parce qu’elles sont reproduites à
peu près en entier dans les pages que M. Dujardin-Beaumetz a
consacrées à l’étude de ce médicament dans ses Nouvelles Médications
(1886); on en retrouve trace également dans les études de Huchard
sur l'emploi de la Kola comme tonique (Revue générale de clinique
et de thérapeutique).
« 1° La Kola, par la caféine et la théobromine qu’elle contient,
» est un tonique du cœur dont elle accélère les battements, exagère ■
» la puissance dynamique et régularise les contractions.
(1) Cette supériorité tient évidemment à la présence dans le Kola d’une forte
proportion de tannin et de caféine, tant libre que naissante : nul autre caféique
n’en renferme autant sous le même poids. La caféine excite les muscles lisses de
l’appareil gastro-intestinal; le tannin est tout à la fois un tonique et un astringent
de l’intestin.
�EDOUARD IIECREL
» 2° A la seconde phase de son action, à l’exemple de la digitale,
» c’est un régulateur du pouls qu’elle relève; sous son influence les
» pulsations deviennent plus amples et moins nombreuses.
3° Comme corollaire de son action sur la tension sanguine, on
» voit la diurèse augmenter; et, à cet effet, on peut utilement
» employer la Kola dans les affections du cœur avec hydropisie.
» 4° Il semblerait résulter de nos observations que la Kola, qui
j>active énergiquement les contractions cardiaques et agit sur la
» contractilité des muscles de la vie organique aurait, au contraire,
» une influence paralysante sur les muscles à fibres striées quand
» on l’emploie à doses toxiques.
» 5° C’est un antidéperditeur, un aliment d’épargne qui diminue
» les déchets organiques (urée) résultant des combustions des
» substances azotées, probablement en exerçant une action spéciale
» sur le système nerveux (aliments nerveux de Mantegazza).
» 6° C’est un tonique puissant par les principes qu’il contient,
» et son emploi est indiqué dans les anémies, dans les affections
» chroniques à forme débilitante et dans les convalescences des
» maladies graves.
» 7° Elle favoriserait la digestion soit en augmentant la sécré» tion des sucs stomacaux (eupeptique), soit en agissant sur les
» fibres lisses de l’estomac, qu’elle rendrait moins atones dans cer» taines dyspepsies. Sous son influence, on voit des anorexies
» rebelles disparaître, et les fonctions digestives se régulariser.
» 8° Enfin c’est un antidiarrhéique excellent qui a rendu de
» très grands services dans les diarrhées chroniques, dans certains
» cas de choléra sporadique (Huchard, Duriau), sans qu’on puisse,
» d’une façon bien nette, expliquer physiologiquement son action. »
C’est en prenant d’abord la dernière des propositions du Dr Mon
net que nous examinons l’emploi thérapeutique du Kola. Ce que
nous en avions déjà dit au point de vue historique démontre (1)
que c’est comme tonique de l’intestin que cette graine s’est d’abord
révélée être un médicament hors de pair : on peut le dire aujourd’hui
(1) Je rappelle que le Dr Daniell lui-même dans sa première ébauche de
l'étude du Kola, eut la préscience de sa valeur, car il déclare qu’ayant souffert
d’une forme particulière de diarrhée atonique à laquelle les Européens sont sujets
dans |es pays chauds et qui ne reconnaît pour cause que le relâchement de la
muqueuse intestinale, il fut remis complètement en mâchant des graines de Kola.
�LES KOLAS AFRICAINS
265
hardiment, c’est le plus grand tonique gastro-intestinal que l’arsenal
thérapeutique ait mis jusqu’ici aux mains des praticiens. Son action
reconstituante est même apparente dans les cas où une diathèse
spéciale ruine l’organisme, comme la tuberculose par exemple.
C’est ce qui faisait dire à Monnet « Sont-ce les propriétés toniques
» du Sterculia qui réconfortent l’organisme, suppriment ces flux
» séreux qui l’alïaiblissent et le débilitent? Peut-être y a-t-il là une
» explication surtout pour les diarrhées tuberculeuses contre les» quelles nos maîtres les Drs Dujardin-Beaumetz, Duriau et aussi
» nous-mème avons lutté avec tant d’avantages au moyen de la
» Kola. Mais là encore, il y a derrière la diarrhée une cause, l’ulcé» ration tuberculeuse de l’intestin. Sans doute, il y a dans toutes
» ces explications, quelque chose de vrai ;, mais nous aurions mau» vaise grâce à ne point avouer qu’elles ne satisfont pas complète» ment l’esprit. »
On pourrait tenir le même langage pour ce qui touche au succès
du Kola obtenu dans trois cas de choléra par le Dr Huchard. Ces
résultats resteraient inexplicables si on ne tenait grand compte de
la dépression nerveuse, d’une part, et des désordres gastro-intesti
naux (vomissements, diarrhée riziforme) qui caractérisent Tempoisonnement cholérique. Quoi d’étonnant, qu’après un traitement
semblable, les forces du malade se soient relevées au point de lui
permettre de lutter avantageusement contre le bacille de Koch ou
tout autre parasite microbien.
Dans la théorie du parasitisinemicrobien (qui semble aujourd’hui
admise pour le choléra comme pour la tuberculose et un grand
nombre d’autres maladies), il ne faut pas oublier qu’il y a deux
individualités en présence ; tout ce qui ajoute aux forces de résistance
de l’un des combattants est au détriment de l’autre qui s’épuise
en luttes stériles en face d’un ennemi incessamment pourvu de
troupes fraîches et aguerries.
Comme on devait l’attendre de la haute dose de caféine que ren
ferme le Kola et surtout de l’action plus accusée de la caféinenaissante, cette graine jouit, contre les affections cardiaques, d’une
efficacité qui a été la première exploitée cliniquement. DujardinBeaumetz, se basant sur les appréciations déjà relatées de son élève
Monnet, l’a mise des premiers en usage et elle lui a donné de bons
résultats contre l’asystotie. Huchard a constaté lui-même que le
17
�EDOUARD HECKEL
Kola rend des services dans les affections cardiaques arrivées à la
période d’affaiblissement du myocarde : aussi le savant médecin de
l’hôpital Bichat associe-t-il le Kola à la scille et à la digitale
dans un vin toni-cardiaque dont il a donné la formule (1). C’est
surtout à la période d’hyposystotie que M. Huchard traite par le
Kola les affections cardiaques. Nous donnerons la formule du vin
de Huchard dans la partie pharmaceutique de cette étude.
Il est presque inutile de faire remarquer ici, après ce que j’ai
dit de la composition chimique du Kola, que si cette graine fournit
dans les maladies du cœur des résultats supérieurs à ceux qu’on a
constatés à la suite de l’emploi de la caféine seule, cela tient
évidemment à l’action spéciale de la Kolanine par ses produits de
dédoublement. Ce serait à voir sérieusement.
Cette action cardiaque du Kola, en relevant l’action du muscle,
a comme corollaire de l’augmentation de la tension sanguine, une
accentuation notable de la diurèse. Ce serait à voir sérieusement.
Dès 1884, Dujardin-Beaumetz et son élève Monnet proposaient
comme conséquence de l’action diurétique du Kola, l’emploi de cette
graine contre les maladies cardiaques compliquées d’hydropisie (2).
Les observations de chaque jour montrent que cette graine associée
à la digitale ou même employée seule rend les plus grands services
dans les cas de cette nature, en débarrassant les malades d’une
infiltration séreuse due à la gêne de la circulation. Il est très
probable que dans cette application thérapeutique, la caféine n’in
tervient pas seule pour amener des résultats heureux : la théobromine dont les propriétés diurétiques ont été mises si profondé
ment en évidence dans ces derniers temps et qui ont valu à cet
(1) R e v u e g é n é r a l e d e c l i n i q u e et d e t h é r a p e u t i q u e , 1891, p. 99.
(2) Dans « Les N o u v e l l e s M é d i c a t i o n s » Dr Dujardin-Beaumelz, p. 94, on lit ce
qui suit : « A côté de la théobromine, nous devons placer le Kola, qui contient à la lois
» de la caféine et de la théobromine. Un de mes élèves, le Dr Monnet, a consacré
» sa thèse aux propriétés de cette noix de Kola, et nous avons montré son heureuse
» iniluence dans le traitement des alïections cardiaques et des diarrhées chroniques.
» M'es premières recherches me faisaient douter des propriétés diurétiques de la
» Kola; aujourd’hui, je crois que la noix de S t e r c u l i a a c u m i n a t a jouit incontesta» blement des vertus diurétiques qu’elle doit à la caféine et à la théobromine qu’elle
» renferme. On peut utiliser l’infusion de Kola torréfiée qui se prépare comme le
» café ou encore la teinture et l’alcoolature, que vous administrerez à la dose de
» 8 grammes par jour pour l’alcoolature et de 4 grammes pour la teinture. »
�KOL
VINS
alcaloïde le nom de diurétine, y prend une large part, quelque
faible que soit sa teneur dans le Kola.
Huchard ne s’est pas contenté d’étudier dans le Kola, les pro
priétés diurétiques et cardiaques, qu’on retrouve dans la caféine
normale, mais il a insisté sur la valeur de cette graine comme
tonique, valeur qui n’existe pas au môme degré, disons-le très
haut, dans la caféine libre. « On sait, dit-il, que Fonssagrives a
» écrit, dès 1870, que le café et la caféine produisent un sentiment
» de défatigue et que M. Heckel a utilisé l’action de la Kola dans
» les marches prolongées ou dans les ascensions de montagne.
» Or, il résulte de mes observations que la Kola est encore un
» excitant cérébral; elle ne défatigue pas seulement les jambes,
» elle défatigue encore le cerveau, dont elle excite certainement
» les fonctions. A ce titre, même elle peut trouver heureusement
» son emploi dans certaines affections mentales caractérisées par
» un état plus ou moins accusé de dépression cérébrale, si j’en crois
» deux observateurs de lypémanies anxieuses très améliorées par
» ce médicament.
» Elle excite les fonctions cérébrales, elle favorise le travail
» intellectuel, elle défatigue le cerveau, elle possède une action
» non seulement excitante, mais tonique chez les grands travailleurs
» et j’en connais qui, depuis cinq ans, ne peuvent plus se passer de
» ce médicament lorsqu’ils ont à fournir un travail intellectuel
» quelconque. Y aurait-il alors pour le Kola un abus (une sorte de
» Kolaïsme) (1) analogue à la morphinomanie et au cocaïnisme?
» je ne sais. Mais il est certain que la Kola peut remplacer avanta» geusement les préparations de quinquina dans les maladies adyna» iniques, qu’elle peut être associée à l’alcool dans le traitement
» des maladies infectieuses ; qu’enfm elle est applicable encore à
» tous les cas de neurasthénie caractérisés souvent par une extrême
(1) Les prévisions du Dr Huchard semblent réalisées, si je m’en rapporte à l’obser
vation suivante que j’ai reçue du R. P. Sutter, missionnaire supérieur à Bofla
(Rio Pongo) : « L’on assure, d’après les indigènes, que le Kola a la vertu d’enivrer.
» Voici ce qui advient à ceux qui n'ont pas l’habitude d’en mâcher et qui en absor» benL trop à un moment donné : ils tremblent de tous leurs membres et trébu»'client comme un homme ivre. Le cas vient de se présenter récemment à une
» factorerie de la Cie française de l’Afrique occidentale (12 septembre 1802). h Nous
verrons plus loin, aux applications du Kola aux exercices sportifs, que la même
ivresse (Kolaïsme) se produit chez les vélocipédistes qui usent du Kola à doses
trop élevées.
�268
ÉDOUARD HECKEL
» lassitude physique et morale ou encore par les fatigues matinales
» non seulement spéciales à la neurasthénie, mais communes
» encore dans la dilatation de l’estomac. L’indication de la pres» crire se retrouve encore dans le surmenage, dans l’asthénie
» grippale, dans les convalescences, dans tous les cas enfin où l’oo
». veut relever les forces et aussi pendant la médication lactée
» absolue, qui détermine souvent un certain état d’afiaiblisse» ment (1) ».
A l’appui de ces fort judicieuses observations, je suis heureux
de pouvoir, en ce qui touche l'action efficace du Kola contre l’état
neurasthénique même très accusé, produire une très intéressante
observation inédite, recueillie récemment avec le plus grand soin
par M. Lévy, interne des hôpitaux de Paris. 11 y a là, à cette heure,
où la suggestion semble vouloir jouer un rôle si considérable dans
l’interprétation de l’action des médicaments, une manifestation trop
importante des propriétés de la graine africaine et une protestation
trop nette contre certaines fantaisies doctrinales, pour ne pas
mettre cette observation typique en vive lumière par la reproduc
tion de tous ses détails.
*
Un cas de neurasthénie traité avec succès pur le Kola.
(Observation due à M. Lévy, interne à l’hôpital Saint-Lazare, à Paris.)
La femme Th..... , Armandine, âgée de 36 ans, cuisinière, entre
dans Je service le 13 février 1892, pour de multiples accidents de neu
rasthénie.
Pas d’antécédents héréditaires. Pas de signe d’hystérie ni d’alcoo
lisme, malgré la profession de la malade. Les règles se sont établies à
12 ans, menstruation d’abord régulière. A 16 ans, fièvre typhoïde,
depuis celle époque, des coliques abdominales surviendraient facilement;
notamment et non exclusivement au moment des règles, celles-ci accom
pagnées de douleurs lombaires. Conception, il y a 8 ans, suivie d’un
accouchement facile; la malade se lève trois jours après; une lièvre
(1) Nous avons déjà vu, page 260, que, durant la plupart des essais faits, à mon
instigation, par le Dr Cunéo, de traitement de la diarrhée atonique de Cochinchine
par le Kola, la diète lactée était le plus souvent, grâce à l'association du Kola
à ce régime, sévèrement observée et très bien supportée. Des malades qui y avaient
renoncé antérieurement par dégoût et sensation d’alïaiblissement avant qu’on
ajoutât du Kola à leur lait, s’y soumettaient sans efïort avec l’aide de cette graine.
�LES KOLAS AFRICAINS
269
violente se déclare alors, accompagnée de pertes abondantes et fétides;
à la suite le médecin constate rétablissement, d’une métrite. Celle-ci
est soignée sans succès de diverses façons, puis : curetage à deux
reprises différentes jusqu’en juillet 1890; à cette époque un troisième
curetage accompagné d’amputation du col de l’utérus. Les symptômes
restant les mêmes (métrorrhagies, pertes blanches intercalaires, phé
nomènes nerveux multiples et très pénibles, vomissements, etc.), on
pratique l’ovariotomie en mai 1891. Malgré cette opération, les vomis
sements seuls disparaissent, les métrorrhagies diminuent seulement
un peu et tous les autres accidents persistent. Le 3 septembre de la
même année, on fait l'bystérectomie vaginale : la malade n’a pas remar
qué depuis d’autre amélioration que celle qui résulte de la cessation
des écoulements utérins.
Les troubles neurasthéniques proprement dits (troubles mentaux,
nerveux, etc.), qui n’appartiennent pas au cortège symptomatique de la
métrite elle-même, semblent remonter à 1888 environ, ils nous paraissent
causés, à défaut d’autres circonstances étiologiques physiques ou morales,
par la maladie utérine.
La malade a été arrêtée, au commencement de février 1892, pour un
vol de 25,000 francs à sa patronne. Ce vol a été commis dans des circons
tances banales et qui ne présentent pas de rapports nets de causalité avec
l’état de santé du sujet; l’arrestation elle-même, toujours désagréable, n’a
pas été suivie de trop d’excitation ni de prostration; sauf la sensation de
fatigue qui est devenue bien plus intense, de sorte que la marche est
devenue presque impossible; les autres symptômes ne se sont que fort
peu accrus, sans dépasser l’intensité qu’ils ont déjà eue, par exemple
lorsque la malade s’est décidée à les faire traiter par des opérations
chirurgicales.
La malade a le visage très pâle; les traits sont constamment contractés
et dénotent une souffrance vive et continuelle, cela même quand nous ne
sommes pas dans la salle et que la malade ne se croit pas surveillée. La
malade semble intelligente, elle comprend très bien les questions qu’on
lui pose et y répond très sensément.
Douleurs sourdes à lanuque et au front, lourdeur de tète permanente;
ces symptômes augmentent beaucoup quand la malade fait un effort, par
exemple pour s’asseoir sur son lit; de même si (die se lève.
Pas de douleur spontanée du sacrum, mais elle existe très vive au
niveau des lombes; de plus la pression provoque des souffrances assez
vives au niveau du sacrum et surtout du coccyx. Pas d’hypéralgésie ou
d’hyperesthésie cutanée. Sensibilité au froid, très vive.
Névralgies fréquentes, tantôt le long des nerfs intercostaux, tantôt de
la face, mais plus encore dans les talons, et continuellement (sans que nos
recherches puissent nous en faire découvrir la cause objective) dans
l’aine gauche. Souvent œdème localisé à la cheville droite.
Dépression mentale caractérisée par un affaiblissement notable de la
�EDOUARD HËCIvEL
volonté : la malade reste souvent étendue plusieurs heures dans son lit,
sans bouger, avec des ouvrages de crochet ou d’autres aussi peu fatigants
à sa portée sans y toucher, même si l’on supprime le peu de fatigue
corporelle dont ces travaux peuvent être accompagnés en l'installant
assise sur son lit et appuyée sur des oreillers, les coudes reposant sur un
autre coussin à la hauteur de l'estomac.
La mémoire aurait légèrement diminué, surtout pour les faits peu
éloignés et les noms des personnes ou des objets.
L’émotivité n’est, pas très grande; ainsi l’arrestation n’a pas amené de
phénomènes nerveux convulsifs marqués, mais ceux que nous avons
indiqués. La malade est taciturne, mais son caractère n’est, pas trop
maussade; elle ne se plaint pas de la façon dont les sœurs, les infirmières
ou les autres malades se comportent avec elle, etc.
La malade se sent toujours fatiguée, mais particulièrement dans la
matinée; l’action de soulever des poids peu considérables, de un ou deux
kilogs, par exemple, la fatigue notablement.
Le sommeil ne dure pas plus de 2 à 3 heures par nuit, raremenl
davantage ; exceptionnel également durant le jour.
Palpitations de cœur coïncidant généralement avec de la tachy
cardie et de la fréquence du pouls (on a constaté 136 pulsations, au
lieu de 65 qu’elle a en général); quelquefois, la sensation subjective
est accompagnée seulement d’une augmentation dans la force d'impul
sion du cœur et non dans le nombre de battements.
La quantité et l’aspect des urines sont sensiblement normaux; le
nombre des mictions est augmenté : 3 ou 4 le jour, 2 la nuit. —
Pas de sucre, ni d’albumine; le chauffage donne un précipité proba
blement dû à des phosphates, qui se dissipe par l’addition d'un
acide. La malade a remarqué que les jours où elle urinait davan
tage, sa sensation de fatigue était encore plus grande ; ces jours-là,
les mictions sont un peu cuisantes au méat ; la sensation est cepen
dant plutôt agréable que douloureuse (signe de phosphaturie).
Pas de rein flottant.
Le toucher vaginal nous fait arriver au fond d’un entonnoir
fermé par des adhérences vaginales, pas de douleur provoquée au
toucher ; le rectum est plein de matières dures ; la pression entre
le doigt vaginal et la main abdominale ne nous fait pas apprécier de
cause à la douleur du pli de l’aine.
Pas de dilatation d’estomac, d’hépatoptose, ni d’entéroplose ; seule
ment un peu d’éventration consécutive à la Kélotomie ; digestion
assez bonne ; rarement congestion de la face, bourdonnements d’oreille,
obnubilation de la vue, étourdissements, après le repas ; constipation
très accentuée, la malade restant souvent de 4 à 8 jours sans avoir
de selle, après, quoi survient quelquefois une véritable débâcle. En
ce moment, le rectum est plein de ^yballes.
Repos au lit ; extrait de quinquina, 3 gr. ; sirop de lacto-phos-
�LES KOLAS AFRICAINS
271
phate de chaux, 60 gr. ; chloral et bromure de potassium, aa 2 gr. ;
ce soir, un lavement avec 40 gr. de miel de mercuriale ; les autres
soirs, la malade prendra un lavement froid avec une cuillerée de
glycérine. Bains sulfureux, deux fois par semaine.
14 février. — Après le lavement purgatif, selles abondantes, un
peu moins de maux de tête ; les autres symptômes, notamment la
fatigue, la douleur inguinale, l’insomnie, persistent sans change
ments remarqués.
17-2. — Les selles ont été régulières avec les lavements ; tous les
autres symptômes persistent ; on remplace le chloral par de l’anti
pyrine, 1 gr. 50.
19. — Pas de changement.
22. — Bromure et antipyrine, 4 grammes de chaque, la sensation
de fatigue et les maux de tète, diminués d’abord un peu, ayant
reparu plus intenses il y a deux jours.
29.%— Même état ; les yeux de la malade sont plus cerclés ;
éruption miliaire, que nous attribuons à l’usage de l’antipyrine ;
l'insomnie persiste; sulfonal, un gramme, en remplacement de l’anti
pyrine.
1er mars. — Sommeil meilleur cette nuit ; l’éruption disparaît.
4-3. — La malade a dormi 4 h. 1/2 par nuit en moyenne, au lieu
de 2 ou 3 avant l’usage du sulfonal. Pas de changement pour les
autres symptômes.
7. — Même état; on remplace les bains sulfureux par des douches
écossaises ; une éruption acnéiforme est apparue depuis 2 ou 3 jours ;
suppression du bromure.
11. — Pas d’amélioration. Une injection de 1 gramme ( V a q u a
s tilla ta sous la peau. L’éruption bromique a presque disparu.
12. — Immédiatement après la piqûre, qui n’a été par elle-même
que peu douloureuse, la malade a de la diarrhée; les maux de tète
ont été moins violents, la fatigue a diminué, sommeil de 6 heures
cette nuit; on continuera les piqûres. Suppression du sulfonal.
14. — L’amélioration continue ; les traits sont toujours contractés,
mais la malade sourit un peu ; elle s’est, levée hier ; elle fait quelques
pas, ployée en deux, la main comprimant l’abdomen ; elle ne peut
descendre les escaliers, ni rester levée plus de quelques instants, la
position assise est mieux supportée. Une seule miction la nuit.
15. —■Les injections ont été continuées ; la malade demande qu’on,
diminue la quantité de substance injectée, l’injection étant toujours
suivie de diarrhée. Injection d’une demi-seringue seulement.
16. — Même état ; pas de diarrhée après l’injection.
18. — La fatigue, les maux de tête et de ventre ont repris. Une
seringue entière.
�EDOUARD HECKEL
21. — Même étal ; pas de diarrhée à la suite de l’injection.
24. — Pas d’amélioration ; la marche est de nouveau aussi diffi
cile qu’autrefois : poudre de noix de Kola, 5 grammes, à prendre en
deux lois dans du bouillon, au commencement des repas.
26. — Les douleurs lombaires et abdominales sont moins vives ;
sommeil meilleur ; tous les différents symptômes semblent moins
prononcés; moins de céphalée, lés traits sont moins altérés, la malade
est plus gaie, pas de miction la nuit ; la douleur dans l’aine gau
che et les talons persiste. La malade est restée levée deux heures ;
elle marche encore un peu courbée, mais beaucoup moins.
30. — L’amélioration s’est maintenue; toujours la douleur dans
l’aine; fatigue bien moins accentuée, la malade a pu descendre assez
facilement deux étages; suppressions des douches, du quinquina et du
phosphate de chaux.
6 Avril. — Depuis trois jours (après un séjour d’une journée au
Palais de Justice et diverses émotions produites par un interrogatoire),
les maux de tète sont revenus; o heures de sommeil au lieu de 6. h. 1/2
environ que la malade avait retrouvé depuis l’usage de ce Kola. Le senti
ment de fatigue est également revenu en partie. On double la dose de noix
de Kola (10 grammes par jour).
13.
— L’amélioration est venue dès le lendemain; la malade dort
maintenant, toute la nuit; plus de douleui's céphaliques, ni lombaires, ni
abdominales, ni dans les talons; seulement de la courbature après les
mouvements un peu violents, que la malade évite avec beaucoup moins de
sollicitude que jadis; douleur lancinante passagère dans l’aine gauche,
mictions normales; la malade marche, descend et monte sans peine les
escaliers; le visage n’est plus convulsé; elle comprime encore son
abdomen lorsqu’elle descend ou monte plutôt par appréhension de la
souffrance, dit-elle, que par souffrance véritable.
27. — L’amélioration a continué, la malade se considère comme guérie;
les douleurs de la région inguinale ont cessé; la fatigue ne survient plus
guère qu’après trois ou quatre heures de station, debout ou de marche.
10 mai. — Même état. Dans l’intervalle, jugement et condamnation à
cinq ans d’emprisonnement. La malade qui s’attendait à une peine plus
forte n’en éprouve pas une très grande émotion.
13. — Même état. Suppression de la noix de Kola. En ce moment la
physionomie est absolument normale; la malade est plutôt gaie que
triste; les maux de tète se reproduisent encore quelquefois, mais à des
longs intervalles et peu intenses; le sommeil est bon ; la courbature et
les névralgies intercostales, inguinales, abdominales, calcanéennes, etc.,
ont disparu; la sensation de fatigue ne paraît qu’après des causes qui
l’auraient produite chez n’importe quel individu; les mictions sont
normales, le précipité phosphatique ne se forme plus, selles bien plus
faciles (si elles manquent,on les fait revenir du reste,par un lavement froid.)
�273
LES KOLAS AFRICAINS
17 juin. — La malade doit quitter Saint-Lazare. L’aspect de la physio
nomie est toujours normal et a complètement cessé d’indiquer la
souffrance; la malade est engraissée; sa pâleur a disparu; le teint est
seulement un peu mat. La céphalée, les douleurs rachidiennes, à la
pression ou spontanées, les névralgies du talon, des intercostaux, de
l’aine, les douleurs lombaires et abdominales, le sentiment de froid ont
cessé. La malade se lève, marche, court, monte et descend rapidement les
escaliers, fait son lit, sans éprouver de fatigue particulière. Bon sommeil.
Pas de palpitations ni de tachycardie, pas de troubles vaso-moteurs,
bonnes digestions, selles presque absolument régulières. La quantité, la
qualité des urines et des mictions sont normales.
Réflexions. « Nous étions donc en présence d’une neurasthénie
» très bien caractérisée, à forme générale grave, ayant débuté par
» de la métrite, et probablement causée par cette affection, ainsi que
» cela a souvent été observé. Il semblait donc indiqué de soigner
» la cause. Aussi a-t-on fait subir à la malade plusieurs opérations
» consécutives, jusqu’à ce que l’ablation complète des organes
» génitaux ait rendu sur eux toute nouvelle tentative impraticable.
» Quel a été le résultat obtenu? absolument nul, sauf un point
» bien léger, étant donné ce qu’on voulait obtenir, la cessation des
» vomissements.
» La malade mise entre nos mains, nous essayons le traitement
» classique et symptomatique, pendant un mois environ, mais sans
» succès appréciable. A ce moment, bien que nous n’ayons que
» fort peu d’espoir dans la suggestion, étant donnée l’inutilité anté» rieure d’une suite d’opérations plus ou moins graves, toutes
» accompagnées d’un appareil émouvant et de certains dangers,
» dont la malade, très intelligente, avait la notion bien exacte,
» opérations par conséquent très propres tout au moins à
» frapper l’imagination, nous ne voulons cependant pas négliger
» cette ressource thérapeutique, et après avoir fait prévoir les
» meilleurs résultats de notre nouveau mode de traitement, nous
» prescrivons sous un nom latin des injections hypodermiques
» d’eau simple bouillie.
» A la suite de ce traitement, il s’est produit une action trèsmani» feste; due probablement à la suggestion. — L’amélioration peu
» intense, mais bien nette, ne dure guère que trois ou quatre jours;
» cependant l’action suggestive existe encore puisque la malade
» attribue, à tort ou à raison, aux injections, la diarrhée dont
i
�274
»
»
»
»
»
ÉDOUARD HECKEL
celles-ci sont suivies, diarrhée constatée par nos infirmières
d’abord et ensuite par nous-mêmes. — Diminuée d’abord de la
moitié, puis doublée, cette administration n’empêche pas la
malade de retomber bientôt sans raison apparente dans un état
aussi pénible que les jours précédents.
» C’est à ce moment que nous lui donnons de la Kola. L’acte
» même de prescrire ce médicament n’a rien qui soit fait pour
» frapper l’imagination. — Après avoir échoué dans nos injections
» d’aqua stillatci, nous n’osons pas promettre monts et merveilles,
» car notre autorité est peut-être un peu affaiblie par cet échec; le
» nom : poudre de noix de Kola, n’a rien que de prosaïque, le mode
» d’administration dans une cuillerée de bouillon, est, on peut le
» dire, un peu « pot au feu »; le goût est presque nul. Déplus,
» nous le répétons, des traitements précédents inutiles, des actes
» opératoires éminemment propres à produire la suggestion, et, ce
» qui a une certaine valeur, ayant agi sur la cause efficiente du
» mal, n’ont, eu qu’un mince succès. —Ajoutons que la malade est
» prisonnière, en proie aux émotions répétées du transport, de
» l’instruction, du jugement, qui toutes tendent à une action con» traire à celle que nous cherchons.
» Malgré tous ces obstacles à l’effet favorable du traitement,
» une amélioration progressive et très rapide, se manifeste claire» ment aussitôt. — Comme après deux semaines de ce traitement,
» l’amélioration semble ralentir sa marche, nous doublons d’une
» fois la dose déjà forte de Kola que prenait notre malade et la
» portons à 10 grammes quotidiennement. Dès lors l’acheminement
» vers la guérison devient encore plus rapide. Un mois après
» environ, notre infirmière répondait à nos interrogations que le
» sujet descendait et montait des escaliers très peu commodes
» aussi vite qu’elle-même; elle faisait sans peine à la même époque
» des ouvrages très fatigants, mangeait de bon appétit et profitait
» de sa nourriture. En présence de ces résultats, nous supprimons
» la Kola après moins de six semaines d’usage. La malade est
» suivie encore un mois pendant lequel son état se maintient inté» gralement.
» Nous avions dit à la malade de nous écrire pour nous donner
» de ses nouvelles; nous n’en avons pas encore reçu, mais comme
» nous ne lui avons pas donné d’ordonnance, nous pensons que
�LES KOLAS AFRICAINS
» si son état n’était pas resté bon, elle nous aurait écrit pour nous
» demander un traitement. Il est donc probable que sa guérison se
» maintient. De toute façon nous sommes en droit d’attribuer à
» l’usage delà noix de Kola ce cas de guérison, réalisé au milieu de
» circonstances très défavorables, d’une neurasthénie bien typique
» ayant résisté aux traitements les plus énergiques : étiologique,
» symptomatique, général et suggestif.
» Nous ferons observer en outre que, placés dans un service où
» les sujets ont souvent un intérêt plus ou moins considérable à
» tromper les médecins sur leur état de santé, nous sommes tou» jours sur nos gardes, et que, dans ce cas particulier, nous avons
» fait étroitement et constamment surveiller notre malade par les
» sœurs et des infirmières dévouées, sous divers prétextes capables
» de ne pas la mettre en défiance; que, déplus, elle n’a jamais
» cherché à profiter de son état de santé pour nous arracher des
» certificats ou des demandes d’expertise médicale, qu’elle était
» remise au moment du jugement et que par conséquent elle ne
» cherchait pas à attendrir les juges par un mal simulé, et enfin
» que les opérations successives qu’elle avait subies démontraient
» bien, qu’elle était effectivement malade avant l’entrée à Saint» Lazare ».
Des expériences multiples instituées dans différents asiles
d’aliénés, et notamment à Montdevergue (Vaucluse), ont établi que
dans différents cas de lypémanie avec affaissement du système
nerveux et refus absolu de prendre de la nourriture, l’emploi du
Kola a donné les meilleurs résultats. On mêlait ce Kola en poudre
à doses modérées (5 à 6 gr. par jour), aux aliments introduits de
force avec la sonde œsophagienne.
On a remarqué que, sous l’influence de ce traitement, la dépres
sion nerveuse ne tardait pas à s’atténuer et en même temps se
réveillent les fonctions languissantes et même le désir de la nourri
ture. C’est à cette action manifeste sur le système nerveux qu’il
faut attribuer les résultats heureux obtenus par l’emploi du Kola
dans le traitement de l’alcoolisme, où, prétend-on, il a fait souvent
merveille. Cette indication a été rendue suspecte par les études de
Firth (1) qui, dans son pesssimisme, a nié à peu près toutes les
(1) Composition et action des graines du Sterculia acuminata (Kola) : Semaine
médicale, 1889, p. 287.
�276
ÉDOUARD HECKEL
qualités aujourd’hui reconnues au Kola, et, sur le point qui nous
intéresse eu ce moment, n’a pas hésité à émettre l’opinion suivante :
« Son action dans la convalescence des maladies graves paraît être peu
» énergique et l’on a aussi exagéré son utilité dans les cas d’al» coolisme. » Si nous tenons compte du peu de fondement delà
première de ces deux propositions, qui est nettement combattue
par les expériences multiples de Huchard, nous serons peu portés
à admettre la seconde sans réserve (1).
A la même action physiologique, c’est-à-dire à l’action tonique
et stimulante du Kola sur le système nerveux central doit être
rapportée l’influence heureuse de ces semences contre le mal de
mer recommandées très vivement par Hamilton qui les tient
pour un excellent remède contre la dépression, les vomissements
et les vertiges de cette origine, elles agissent à la dose de 15 gr.
mâchées lentement, et si bien qu’en quarante minutes, d’après cet
auteur, tous les phénomènes désagréables qui accompagnent ce
mal, seraient dissipés. Cette vertu, si elle était bien constatée, serait
certainement un grand bienfait pour l’humanité.
Il faut encore rattacher sans doute à la même cause physiolo
gique l’action manifestement favorable et le plus souvent curative
du Kola sur le diabète. On sait que l’École de Lyon a eu le mérite
de laprioritédanscette application importante et elle y a été conduite
par l’indication dont sont l’objet, contre cette affection, les caféiques
en général. Mais nul d’entre ces agents thérapeutiques n’a donné,
il faut le reconnaître des résultats aussi heureux que le Kola.
Ceci me porterait à croire que l’action tonique sur le système
nerveux de ce produit en tant que caféique, s’y trouve renforcée
par la production delà caféine naissante, et à un degré inconnu soit
(t) B r i t i s h m e d i c a l j o u r n a l , 10 mars 1890. Voici du reste le résumé du rapport
fait par ce chirurgien général de l’armée anglaise, d'après ses expériences de
1890 au camp de Miau-Mir ;
« Employée comme stimulant dans le nord de l’Afrique centrale, la Kola ne
» possède aucune valeur comme aliment; la caféine qu’elle contient exerce une
» action diurétique; le s s o l i d e s e t s u r t o u t l e s m a t i è r e s e x t r a c t i v e s de l'urine
» d i m i n u e n t n o t a b l e m e n t . La Kola stimule le système nerveux, augmente la
» tension artérielle et la force des battements du cœur; elle aide à supporter la
» fatigue et la privation de nourriture. Prise en infusion avec du lait et du sucre,
» la Kola peut remplacer le café, le thé, surtout chez les individus enclins à la
» diarrhée. La mastication prolongée des graines concassées est le meilleur mode
» d'a'dministration de la Kola, etc. »
�LES KOLAS AFRICAINS
277
pour la caféine libre, soit pour les produits naturels qui,
comme le café, le thé, le guarana, le maté, ne possèdent que de la
caféine déjà formée (1). Je ne relèverai pas toutes les observations
ont qui été publiées sur l’action du Kola contre le diabète dans les
journaux de médecine de Lyon; je crois mieux faire en leur subs
tituant ici le résultat de mes propres observations déjà nom
breuses. Ce sont les considérations suivantes qui m’ont conduit
à expérimenter le Kola contre la glycosurie bien avant l’École de
Lyon, mais je n’ai point publié jusqu’ici ni mes observations ni
mes résultats.
*
Le Kola est évidemment indiqué dans le traitement de cette
affection : 1° parce qu’il permet au diabétique de se livrer sans
fatigue à des exercices musculaires répétés (marche, etc.) qui sont
toujours recommandés contre cette maladie ; 2° parce qu’il stimule
le système nerveux et les fonctions digestives qui sont toujours
plus ou moins déprimés, chez les sujets atteints de cette affection;
3° parce que, depuis les travaux de Hope Seyler (1857) sur les
animaux et de Ed. Smith (1860) sur l’homme, on sait que la caféine
(et à fortiori le Kola) augmente l’exhalaison en acide carbonique
au détriment des matériaux ternaires (2), ce qui permet d’admettre
que le sucre développé en excès dans l’organisme est brûlé et
détruit en môme temps qu’il est formé.
Partant de ces données, j’ai administré expérimentalement le
Kola à plus de trente sujets atteints de diabète plus ou moins
grave, dont les urines contenaient de 60 gr. à 150 gr. de sucre par
jour. Mes sujets appartenant à la classe élevée ou moyenne
de la bourgeoisie, avaient tous les loisirs et tous les moyens néces
saires pour faire face aux exigences du traitement; c’est-à dire
alimentation choisie et azotée, privation de sucre et de mie de pain,
vins généreux et longues promenades chaque jour de 5 à 20 kilom.
en augmentant quotidiennement la distance parcourue.
En même temps et pour faire face à la fatigue musculaire,
(1) Il est certain que ni la caféine libre, ni les caléiques usuels et agréables
(café, thé, maté) ne donnent dans ce traitement de la glycosurie les résultats qu’on
obtient avec la poudre de Kola : je l’ai constaté bien des fois.
(2) M. G. Sée, dans ses études sur la caféine {Bail. acad. de médecine, 1890,
p. 32o) n'a fait que rappeler, sans y rien ajouter, qu’une formule nouvelle (ce qui ne
donne aucune originalité à son œuvre), les expériences déjà anciennes et très pro
bantes des deux physiologistes allemand et anglais.
�278
EDOUARD HECKEL
j’augmentais corrélativement la dose de Kola, de manière à faire
durer le traitement de 13 à 20 jours, en partant de 1 gr. de Kola
pour atteindre à 20 gr. le vingtième jour. Les urines, analysées
après ce premier traitement, indiquent généralement le retour à
l’état normal, c’est-à-dire l’absence de glycose ou seulement la pré
sence de traces à peine sensibles. Je maintiens le traitement à 20 gr.
de Kola pendant quelques jours, et, adoptant une série descendante
je retourne en diminuant de 1 gr. par jour (et corrélativement la
fatigue musculaire) jusqu’à la dose de 1 gr. d’où j’étais parti, cela
afin d’habituer peu à peu l’organisme à se passer de son excitant
neuro-musculaire. Le sujet entraîné continue ensuite à se passer
de Kola pour faire ses longues marches et le plus souvent l’affection
est guérie lorsqu’elle n’a pas un caractère trop invétéré. En somme,
on obtient d’excellents résultats dans les affections anciennes et la
cure est radicale le plus souvent quand la maladie a été prise à son dé
but. Le Kola doit être donné en poudre très line, impalpable, dans une
infusion légère de café noir non sucrée, moitié avant la course
quotidieuue, moitié après. On peut aussi prendre avec plus de
facilité encore des comprimés au Kola sucrés à la saccharine, dont
je publierai la formule dans la partie pharmaceutique de cette
étude et qui m’ont donné d’excellents résultats. Le malade les
emporte avec lui et les .mange durant sa marche quotidienne. C’est
le meilleur moyen de les consommer à propos, c’est-à-dire au
moment où l’action neuro musculaire du Kola se produit le plus
opportunément et s’entretient pendant toute la durée de la fatigue
musculaire. On absorbe trois ou quatre comprimés au Kola par
heure de marche.
Pendant cet exercice qu’il est bon de faire sur des terrains acci
dentés (afin de faire bénéficier le sujet des grandes inspirations aux
montées), la respiration est aussi accélérée, et la dépense en acide
carbonique manifestement accrue par l’action du Kola, se fait libre
ment. Je ne crois pas qu’en dehors de son emploi comme tonique
gatros-intestinal et comme agent de résistance contre la fatigue et
l’essoufflement déterminéspar les grandes marches, leKola ait rendu
des services plus sérieux et plus évidents que ceux dont je viens de
donner le détail avec quelque complaisance. Il est vivement à
désirer que l’attention des médecins praticiens soit attirée de ce
côté, et j’insiste d’autant plus sur ce point, que, dans un travail
�LES KOLAS AFRICAINS
279
d’ensemble sur la glycosurie paru récemment dans les Sciences
biologiques sous la signature du ü r E. Monin (1), ce savant prati
cien passant en revue l’action des divers médicaments préconisés
contre cette redoutable affection, se borne à dire assez dédaigneuse
ment en traitant de l’emploi des caféiques, qu’il considère à bon
droit comme de simples adjuvants du traitement général : « le Kola
est aujourd’hui à la mode ». Qu’on ne s’en tienne pas à cette appré
ciation très superficielle et qu’on veuille bien s’assurer si l'engoue
ment qui provoque le scepticisme railleur du D1'E. Monin, n’est pas
en réalité très justilié. Pour ma part, je suis autorisé, après des
expériences répétées qui durent depuis près de 10 ans (commen
cées en 1884), à croire à l’efficacité du Kola contre le diabète,
dans la mesure que je viens d’indiquer. Cette mesure dépasse
largement, du reste, tout ce qu’on a pu obtenir des autres
médicaments préconisés jusqu’ici. C’est suffisant pour faire
préférer le Kola.
L’action neurosthénique et tonique du Kola a reçu une applica
tion importante qu’il n’est pas permis de passer sous silence, bien
qu’elle n’ait douné lieu jusqu’ici qu’à une seule observation, à ma
connaissance du moins : il s’agit de l’emploi de la graine africaine
contre les syncopes qui peuvent survenir dans les accouchements.
Voici en quels termes le Dr Chambard-Hénon relate son observa
tion (2) : « Une femme de 28 ans avait accouché trois fois et, à
» chaque parturition, avec des phénomènes de syncope pendant le
» travail accompagnés d’un état asphyxique de l’enfant (le deuxième
» était arrivé mort-né). A sa quatrième couche, elle a absorbé
» 20 pastilles au Kola depuis les premières douleurs jusqu’à la
» délivrance. Elle n’a pas eu une seule syncope, elle était gaie, cou» rageuse et son enfant a fait son entrée dans le monde très vivant,
» sans asphyxie et en poussant le cri classique. Ce résultat est dû au
» Kola qui a agi comme tonique du cœur et névrosthénique ». Ce
fait quoique isolé, mérite d’ètre signalé aux accoucheurs.
Reste maintenant la question de l’action aphrodisiaque du
Kola : il n’est pas douteux qu’elle existe; les nègres, ainsi que je
l’ai dit, le savent bien. Elle est réelle et même presque exclusive(1) L’hygiène et, le traitement du diabète [Les s c i e n c e s b i o l o g i q u e s , p. 794)
(2) Lyon m é d i c a l , 15 mars 1891, n° 11 (De l’emploi de la noix de Kola dans
l'accouchement). 11 est fâcheux que l’observateur nous laisse dans l’ignorance des
doses de Kola que contenaient les pastilles dont il a usé.
�580
EDOUARD HECKEL
nient propre au Kola frais. A quel composant du Kola l’attri
buer (1)? Assurément elle n’est pas due à la caféine qui se
retrouve même en grande abondance dans le café, et ce dernier
produit,on le sait,a été considéré à juste titre,par Trousseau,comme
un anaphrodisiaque capable de réduire l'homme à une impuissance
absolue. Linné appelle le café la liqueur des chapons, et Rabuteau
nous rappelle que Louis XIV dut en cesser l’usage pour ne pas être
victime de ses pernicieuses influences. Michelet lui-même,dans son
lyrisme admiratif, applaudit à ce privilège du café qui détermine
l’alibi des sexes. D’autre part, il est à remarquer que la graine de
Kola desséchée, puis torréfiée,perd absolument ses propriétés aphro
disiaques. J ’ai été conduit dès lors à admettre que le seul agent
responsable de cette action spéciale est l’essence contenue en faible
quantité dans le Kola frais et dont nous avons signalé l’existence,
en quantité indéterminée, dans la composition chimique de la
graine (voir page 206). Nous n’avons pas pu en isoler une quantité
suffisante pour entreprendre des expériences sur le produit pur.
Mais si cette essence nous a fait défaut (il eut fallu soumettre à la
distillation des centaines de kilos de semences fraîches pour en
obtenir quelques grammes), du moins nous avons pu nous le pro
curer indirectement en préparant une alcoolature de Kola frais (2).
(1) Celte propriété physiologique du Kola est aussi manifeste sur les animaux
que sur l'homme, si l’on accepte les conclusions de deux expériences dues à M. le
professeur Combemale et faites comparativement avec la caféine d’une part et
l’extrait de Kola de l’autre, sur deux cobayes du poids de 500 gr. chacun (La noix
de Kola, Bulletin général de thérapeutique, 1892, p. 151). L’animal, mort sous
l’action de l'extrait de Kola (du Kola frais probablement), succombe en état d'érec
tion ; son congénère, qui succombe aussi sous des doses ultra massives de caféine,
ne présente rien de semblable.
On peut tirer de ces deux expériences, au moins ces conclusions q u e l0la caféine,
même à hautes doses, n’est pas aphrodisiaque, ainsi que je le déduis moi-même
d’autres considérations expérimentales, et 2° que le Kola exerce son action
excitante du système génésique sur les animaux, comme je prouverai qu’il l’exerce
sur l'homme dans certaines conditions. Elles démontrent aussi que la caféine, aux
doses excessives auxquelles l'auteur a recouru (et alcaloïdiquement inégales du
reste dans les deux sujets mis en cause), est mortelle pour les animaux, soit qu’on
l’emploie à l’état libre, soit qu’on l’introduise dans l'organisme vivant à la faveur
d’une préparation de Kola. L’un de ces animaux avait reçu 0 gr. 155 environ de
caféine par kilogramme, ce qui équivaudrait à donner à un homme adulte 10 gr. 50
de cet alcaloïde en injection hypodermique dans l'espace de cinq heures! L’expéri
mentateur a eu la main lourde.
(2) Cette préparation a été faite par M. Eberlin, pharmacien distingué à Marseille,
à qui je suis redevable (je ne saurais trop l’en remercier ici) des premières
graikes de Kola qui servirent, dès 1882, à mes études et à celles de M. Schlagdenliauflen. Je lui dois aussi les diverses préparations essayées thérapeutiquement.
�LES KOLAS AFRICAINS
Cette forme pharmaceutique contient certainement 1° toute l’essence
qui donne son odeur spéciale particulière au Kola frais; 2° du rouge
de Kola [Kolanine, dont l’alcool est le dissolvant), mais elle ren
ferme peu de caféine libre. Or, en expérimentant cette préparation,
nous avons été frappés de voir qu’elle agissait énergiquement sur
le sens génésique,au point même de le réveiller très énergiquement
chez des vieillards qui se plaignaient amèrement de l’avoir vu
s’éteindre presque complètement. Le même résultat a du reste été
obtenu par la mastication lente du Kola frais : dans un des cas que
nous avons relevés, il s’agissait d’un homme jeune encore, 40 ans.
L’action aphrodisiaque fut tellement prononcée qu’elle dégénéra,
après la mastication d’une graine fraîche (comme le font les nègres)
du poids de 20 à 25 gr., en un véritable accès de priapisme assez
douloureux. Rien de semblable ne s’est produit à ma connaissance
après l’emploi du Kola sec torréfié. On a beaucoup parlé, il est vrai,
même à l’Académie de médecine, pour ridiculiser le Kola (1), d’un
fait imaginaire qui se serait produit, en 1884, au 40ede ligne, à Mar
seille, où, après une marche ininterrompue de 58 kilom. avec four
niment complet, une compagnie d’infanterie aurait demandé ^per
mission de minuit dès son retour au quartier. C’estlà une légende : j’ai
présidé à cette expérimentation et rien de ce que la vieille gauloi
serie française a bien voulu imaginer en cette circonstance ne s’est
produit. En réalité, quelques hommes demandèrent et obtinrent
d’aller se promener en ville jusqu’à dix heures mais sans y causer,
contrairement aux assertions de quelques journaux de médecine en
quête de copie croustillante, un scandale public par l’excitation de
leurs appétits génésiques. La vérité est que les hommes soumis à
l’expérience avaient pris de fortes quantités de Kola (environ 50 gr.
pour chaque homme), et que, les plus forts d’entre eux ne se sen
tant au retour aucune fatigue et aucun besoin de dormir (la caféine
éloigne le sommeil), avaient préféré la promenade en ville aux char
mes du repos à la caserne. —Telles sont les raisons qui m’ont porté
(1) Voir la réponse de M. G. Séeà ma communication à l’Académie de Médecine
sur 1e K o l a e t l a c a f é i n e ( B u l l e t i n d e V A c a d é m i e d e M é d e c i n e , 1890, p. 435.)
M.G. Sée dit, dans cette même réponse,que je n’ai pas su débarrasser le Kola de la
caféine pour expérimenter le r o u g e d e K o l a dans toute sa simplicité. Il n’aura plus
aujourd’hui, à sa grande satistaction sans doute, le droit de m’adresser ce
reproche. Le rouge de Kola a lait ses preuves maintenant, en France et à l’étran
ger, au grand détriment des théories singulières du savant académicien.
18
�282
EDOUARD UECKEL
à attribuer à l’essence deKola les propriétés aphrodisiaques de cette
semence. Il suffira donc pour ceux qui voudront contrôler mes
assertions de faire une alcoolature de Kola frais à raison de 30 gr.
par 100 d’alcool à 92°, et de l’essayera la dose de 40 à 15 grammes
seulement: par voie de conséquence, il suffira de dessécher avec soin
la graine de Kola, qui perd une grande partie de son essence par la
dessiccation, et de la torréfier ensuite (comme on le fait pour le
cacao), pour chasser les dernières traces d’essence et obtenir finale
ment un produit absolument neutre au point de vue génésique.
On pourrait m’objecter (comme cela a été fait d’ailleurs dans
quelques journaux de médecine) que l’alcoolature de Kola renferme
de la Koltinine (rouge de Kola),qui pourrait,aussi bien que l’essence,
jouir de propriétés inavouables et gênantes, pour me servir des
termes mêmes dans lesquels M. G. Sée, se faisant l’écho officiel de
bavardages de journaux aux abois, a caractérisé, sans preuves du
reste, dans une discussion académique, les vertus de l’huile essen
tielle de Kola. Mais, si on tient compte de ce fait que la Kolanine se
dédouble sous l’influence des ferments de l’économie animale en
glycose et en caféine libre, on sera tenté d’admettre que ce dernier
produit de dédoublement,quoique doué vraisemblablement (à l’état
naissant) de propriétés bien plus actives que celles de ses congénères
libres, ne peut devenir tout d’un coup l’antagoniste absolu de cette
caféine libre qui est réputée anaphrodisiaque par excellence. Le
thé et la maté riches en caféine ne passent pas pour des excitants
génésiques.
Comme je le dirai bientôt en m’occupant de l'emploi stratégique
de cette graine, c’est cette fable du Kola aphrodisiaque (propriété
qui existe à peine dans la graine desséchée, seule forme qui par
vienne en Europe couramment et y soit employée, et pas du tout
dans la graiue torréfiée), qui a permis à M. G. Sée de traiter le Kola,
du haut de sa science dédaigneuse, de substance très infé
rieure (1). Le Kola,-il n’y a plus à le démontrer aujourd’hui, n’est,
malgré M. G. Sée, pas plus une substance inférieure que le cacao,
le café ou le thé, trois produits très appréciés, je crois, malgré
la nécessité de les soumettre à une torréfaction préparatoire. Dans
le cas particulier au Kola, cette opération, comme nous l’avons
(1) Voir clans le B u l l e t i n de l’A c a d .
discussion su r le Kola et la caféine.
de M é d e c in e d e P a r i s ,
1890, p. 435, la
�LES KOLAS AFRICAINS
283
établi dans la partie chimique de cette étude (p. 188), n’altère aucun
des composants principaux de cette graine, et elle la débarrasse de
son essence. Il se volatilise, il est vrai, un peu de caféine libre,
durant cette torréfaction, mais le Kola en possède une dose si élevée
que cette perte est insignifiante. Le dédoublement de la Kolanine
en tout cas n’est pas à craindre (et c’est le point important), car il
ne saurait se produire par la chaleur seule, en dehors de la pré
sence de l’eau, et la torréfaction a pour effet de l’enlever rapidement
et à peu près complètement à la graine qui y est soumise.
On me permettra de terminer cet exposé rapide de l’emploi
thérapeutique du Kola, par une application indigène et bien inat
tendue de cette graine, dans le traitement de la fièvre palustre, ma
ladie à laquelle les nègres du Congo sont soumis comme les blancs.
Je copie ce singulier mode de traitement dans une lettre qu’a bien
voulu m’écrire à la date du 13 mars 1893, sur l’emploi du Kola au
Congo, M. Chalot, naturaliste attaché à la mission Dibowski, et
actuellement directeur du Jardin d’essai à Libreville (Gabon) : «Dans
» l’intérieur, de Loango à Brazzaville et de ce point à Bangui, le
» Kola rouge et le Kola blanc existent, mais le rouge (YOmbéné du
i) Gabon) est le plus commun (1). Les indigènes l’emploient pour
« combattre la fièvre, mais pas à la façon des Sénégalais qui le
» mâchent eux-mêmes. Ici, le féticheur médecin (N ganga) fait une
» quantité de petites incisions sur le front du fiévreux, ensuite il
» mâche le Kola mélangé de piment indigène à petit fruit ; quand
i) le tout est bien malaxé, il le jette sur le front du malade, qui
» ensuite va se reposer ; c’est une sorte de cataplasme composé de
» Kola et de Piment. Plusieurs tribus emploient cette méthode : les
» Bakounis, Bakembas, Bassoundis, Bakongos, Batékés, Bafouros,
» Balois, déclarent que ce moyen est infaillible (2). Le nom indi» gène du Kola, entre Loango et Brazzaville, est Makassou. En pré» vision d’une longue marche de nuit, ils mangent également le Kola,
» ce qui les prémunit contre les besoins de sommeil et de nourriture. »
(1) J’ai vu, dit M. Chalot, dans la forêt de Mayomba et dans les environs de
Brazzaville, un arbre à Kola qui avait les feuilles et les fruits plus gros que le
Kola qui est au Gabon. J ’ignore complètement ce que peut être cette espèce.
(2) Nous avons déjà vu (page 85), pour ce qui toucheau Congo, d’autres modes
d’emploi indigène du Kola qui me sont transmis par M. Dibowski lui-même, mais
aucun d’eux ne présente le même intérêt thérapeutique spécial que celui dont
je dois la connaissance à M. Chalot.
�284
ÉDOUARD IIECKIÎL,
Ce mode de traitement de la fièvre par le Kola ressemble singuliè
rement à une injection de caféine, telle qu’on la pratique dans la
médecine officielle : la caféine serait-elle un antipyrétique? Rien
ne nous autorise, dans son action physiologique connue, à le penser.
Serait-elle un toxique pour le microbe de Laveran ? Nous l’igno
rons ; mais le fait brutal de son action curative s’impose cependant à
l’attention des observateurs.
Il me reste maintenant à parler de l’emploi du Kola en tant
qu’aliment et surtout comme aliment stratégique : je suis là abso
lument sur mon terrain propre, qu’aucun pied étranger n’a jamais
foulé, car, seul jusqu’ici, j’ai, inutilement du reste, appelé l’atten
tion du gouvernement français sur les avantages que présente
cette application. Je la relaterai donc en détail, comme il convient.
J’ai déjà dit que les indigènes africains, voués au culte du Kola,
emploient cette graine tout à-la fois comme masticatoire tonique à
l’état frais et comme aliment, mêlée en poudre à du lait, quand elle
est sèche. Frappé des résultats obtenus par ces hommes primitifs
dans les longues marches qu’ils entreprennent sans fatigue et à
l’abri de tout désordre intestinal sous l’influence de cette précieuse
graine (j’en ai donné de nombreuses preuves au chapitre I de ce
livre), étant donné en outre que le sort des batailles est aujourd’hui
dans le jarret du soldat, je pensai qu’il y avait là un puissant
élément de supériorité physique à utiliser en temps de guerre, par
l’introduction de la graine de Kola sèche et torréfiée dans l’alimen
tation du soldat (1). J’avais relevé en effet, que les nègres africains,
grâce au Kola pris même à faible dose (40 gr. par jour de graine
fraîche mâchée en avalant la salive pendant les marches ou
durant un travail musculaire exagéré),font des routes très pénibles
(1) Afin d’affranchir la France de toule contribution étrangère, fort gênante en
temps de guerre, j’avais essayé, dès 1884, d’enlever aux Anglais le monopole du
Kola en poussant toutes nos colonies françaises tropicales à la culture de cet arbre
partout où elle est possible. C’est dans ce but que, comme on Fa vu page 43 et
suiv., j’ai successivement introduit avec succès ce végétal aux Antilles, à la
Guyane, à la Réunion, en Cochinchine et enfin à Madagascar. Actuellement, grâce
à cette introduction rendue possible par l’action bienveillante du Sous-Secrétariatdes
Colonies et réalisée par les envois de graines ou de jeunes plantes du Jardin
botanique de Marseille (placé sous ma direction),nos principales colonies des Antilles
sont sur le point, si ce n’est fait déjà, d’être des lieux de production abondante
de la graine de Kola. Alors nos marchés français pourront être approvisionnés,
non par Sierra-Leone, mais par nos propres colonies.
�LES KOLAS AFRICAINS
285
ou des travaux excessifs en plein soleil tropical sans en souffrir,
sans subir le moindre essoufflement aux rampes fatigantes et tout
cela en supportant des poids de 30 kilos environ. Le Kola leur
permet en outre de prendre peu d’aliments et, au besoin, leur
en tient lieu en temps de disette, sans que leurs forces ou leur
résistance en soient diminuées. C’était une indication précieuse
et dont l’application à l’art de la guerre me paraissait devoir
être fructueuse en bons résultats, pour un coup de collier, p. ex.
On a dit avec raison que le vrai patriotisme consiste aujourd’hui,
la guerre ôtant devenue essentiellement savante, à faire converger
tous les progrès de la science vers la défense du pays. C’était bien
le cas. Chacun sait, en effet, que dans les grandes guerres, les
armées en marche, malgré la sollicitude bien connue, hautement
proclamée et incontestée des officiers de l’intendance, sont souvent
mal approvisionnées et peuvent meme manquer quelquefois abso
lument de vivres, surtout quand, la victoire désertant les drapeaux,
le désordre est à son comble. De plus je voyais dans l’introduc
tion de l’alimentation stratégique au Kola, un moyen infaillible,
grâce aux propriétés antidiarrhéiques et toniques gastronntestinales du Kola, de faire disparaître à tout jamais des camps, ce fléau
des armées en campagne, la dyssenterie, qui fait souvent plus
de trouées que la mitraille dans nos bataillons, ou jette tout au
moins dans les hôpitaux un fort contingent de belligérants dont la
place reste vide dans les rangs. Enfin, j’avais encore à compter sur
une autre action précieuse du Kola. D’après le témoignage de
tous ceux qui en ont usé, il ne donne pas seulement des jambes
solides mais encore, suivant une expression militaire fort juste,
j du cœur au ventre-)), c’est-à-dire du courage, de la gaîté et de
l’entrain, même à des hommes qui ne sont soutenus ni par l’enivre
ment de la gloire ni par l’excitation que donne une alimentation
suffisante, ce qui fut, hélas, trop souvent le cas durant nos désastres
de 1870.
Toutes ces considérations me portèrent à rechercher les moyens
pratiques d’introduire le régime au Kola dans les armées françaises
au moins comme en cas, à titre d’aliment de fortune ou de circons
tance. Il ne fallait pas songer à imposer au fantassin français l’em
ploi du Kola d’après la méthode du nègre africain, c’est-à-dire en lui
�EDOUARD HECKEL
faisant mastiquer la noix fraîche et avaler sa salive (1). Le Kola du
reste arrive, le plus souvent,en France,sec et par conséquent tropdur
pour se prêter à semblable opération ; j’ajoute que le goût français,
même celui des simples soldats, est trop exercé pour trouver du
plaisir à la mastication d’une graine âpre et toujours un peu amère.
La nourriture, pour être utile, doit tout à la fois satisfaire l’appétit
et le sens du goût. Il fallait donc, pour la rendre acceptable, l’in
troduire dans une préparation toute faite capable d’en dissimuler
le plus possible la saveur spéciale. Je m’étudiai à résoudre ce pro
blème dont la solution est difficile, étant donnée la répugnance du
soldat pour tout ce qui est nouveau. Après beaucoup de tâtonnements
qui avaient porté, sans grand succès, tour à tour sur les formes
alimentaires les plus connues du fantassin : chocolat au Kola,
saucisses aux pois et au Kola, potage de conserve au Kola, je
m’arrêtai, sur les conseils même de M. le Directeur du service de
santé de l’armée, le Docteur Dujardin-Beaumetz, à la forme galette
ou mieux biscuit. La forme chocolat fut expérimentée tout d’abord,
je viens de le dire, parce qu’elle est de préparation facile, le Kola
s’alliant admirablement à son proche parent, le cacao, qui lui donne
des qualités agréables dont il est naturellement dépourvu. La
majorité des soldats l’acceptait avec plaisir; mais les indigestions
étaient fréquentes.
Certains hommes passaient leurs rations, que je baptisai du
nom significatif et justifié de condensées accélératrices, à leurs voi
sins plus voraces et s’en débarrassaient ainsi, soit par défiance de
l’inconnu, soit par répugnance pour ce genre d’aliment.Il en résultait
que les uns en prenaient trop (assez pour s’indigérer ou se Kolaïniser), d’autres pas du tout. De là,de mauvais résultats expérimen
taux: la forme chocolat était cependant le meilleur moyen de masquer
la saveurdu Kola. La forme biscuits, dite galettes condensées accéléra
trices, parut réunir le plus grand nombre de suffrages : les hom
mes l’acceptaient facilement ; c’était doux et agréable, la saveur
(1) J’apprends cependant au dernier moment que le général Dodds, pendant sa
brillante campagne du Dahomey en 1892, a recouru avec grand succès à cette
pratique dont il donna lui-même l’exemple aux troupes, et qui lui a fourni un des
principaux éléments de résistance à ce climat meurtrier.Mais ce général était clans
des conditions particulières : ses troupes indigènes ou acclimatées provenaient
toutqs du Sénégal et connaissaient toutes le Kola et ses vertus: elles les avaient pro
bablement éprouvées bien avant le commencement de la campagne.
�287
LES KOLAS AFRICAINS
du Kola (qui dans cette préparation rappelle un peu celle de
l’encens) y était très supportable.
Différents ministres de la Guerre se sont succédé, qui, tous
ordonnèrent des expériences dans l’armée sur ce produit d’une pré
paration très simple, dont j’avais offert tout d’abord le monopole
au Ministère de la Guerre (1) et déposé la formule entre les mains
du Comité technique du Service d e. santé de l’armée (2). De
nombreux rapports dus soit aux chefs de corps, soit aux
médecins militaires, établissent nettement que l’emploi de ce
produit est sans inconvénient et qu’il donne les résultats atten
dus, c’est à dire une grande facilité pour triompher de la fati
gue et de l’essoufflement déterminés par le grandes marches,
et l’apaisement de la faim (3).
Le mode d’absorption que j’avais adopté comme se rappro
chant le plus de la méthode nègre, consistait à faire prendre
deux galettes aux hommes une demi-heure avant le départ
pour une longue et pénible étape, puis une galette durant tout
le temps de la marche aux haltes horaires. Un seul repas
solide coïncidait avec le milieu de l’étape environ : on suspen
dait l’emploi des galettes une heure avant l’arrivée (le soir) à
l’étape, afin de ne pas troubler le repos de la nuit par une
absorption de caféine (non utilisée à un travail musculaire).
(1) J’ai en ma possession une lettre de renseignements de M. Le Royer, alors
président du Sénat, qui voulut bien sur ma demande me servir d’intermédiaire
auprès du ministre de la Guerre de l’époque (1885, avril). En rendant justice
à mon désintéressement, ce haut dignitaire m’y fait connaître qu’il a rempli la
mission dont il avait bien voulu se charger. 11 demandait seulement pour moi
le remboursement des dépenses que j’avais faites pour la confection de l’outil
lage de préparation, et des premiers frais d’expérimentation dans l’armée, les
autres étant restés à la charge de l’Etat. Cette démarche resta sans résultat.
(2) Je crois avoir à peine besoin de dire que toutes mes expériences dans
l’armée avaient été précédées d’essais préalables sur moi-même, sur mon entou
rage et sur toutes les personnes de bonne volonté (facteurs ruraux, vélocipèdistes,
etc.) qui, forts de mon exemple, ne craignaient pas les conséquences d'une expé
rience du reste inoflensive.
(3) Voir ma brochure intitulée : R a p p o r t s d e s c h e f s d e c o r p s e t d e s m é d e c i n s
m i l i ta i r e s , concernant les expériences faites jusqu’à ce jour sur les R a t i o n s
condensées a c c é l é r a t r i c e s (Marseille, aofit 1888).
Poudre de Kola . . . .
Sucre...........................
!
1 gr
2.50
Farine et aromates . . 6.50
�EDOUARD HECIvEL
C’est avec ce genre d’alimentation qu’il a pu être réalisé
de véritables tours de force comme marche, notamment celle
du colonel De Cornulier-Lueinière et de son lieutenant-adjoint
(24 juin 1888), qui purent faire en montagne huit heures
d’excursion par 28 et 30° de chaleur, dès leur première expépérience, sans entraînement préalable; puis 12 heures consécutives
de marche, sans autre repos que 20 à 25 minutes en tout. Cette fois
ces observateurs s’élevèrent de 360m d’altitude à 2302 dans des
conditions qui étonnèrent les expérimentateurs eux-mêmes. Entre
autres prouesses sportiques, ils enlevèrent sur la grande route de
Yernet-les-Bains à Villefranche les six derniers kilomètres pendant
la 12e heure de marche avec une vitesse de 6 kilom. en 60 minutes.
Le colonel termine son rapport ministériel par ces mots « Il est à
» souhaiter que l’armée vous doive cette précieuse et remarquable
» alimentation. Ces galettes sont bien dignes du nom de Ration de
» fer (1) ».
Je dois, pour justifier mon dire, et à cause de la fausse opinion
qui semble se dégager des expériences faites dans l’armée, donner
ici tout au long les rapports des médecins militaires et des chefs de
corps dont il m’a été possible d’obtenir communication. Ils sont
assez nombreux et assez probants pour déterminer le lecteur à con
clure lui-même si, oui ou non, ainsi que j’en avais formulé la pré
tention, justifiée je crois, l’alimentation méthodique au Kola est
capable de donner au combattant la résistance nécessaire pour lui
permettre de longues marches tout en le nourrissant, et sans que
son emploi soit suivi de dépression.
(1) Le colonel De Cornulier-Lueinière, aujourd’hui général, fait ici allusion à
une forme de Ration de guerre allemande qui a reçu cette dénomination en
raison sans doute de la résistance qu’elle donne aux hommes soumis à son usage.
Cette ration de fer allemande avant mes expériences, était, si je suis bien informé,
faite de viande, de pois et de cacao ; depuis que mes essais ont été divulgués par
une discussion publique à l’Académie de Médecine, je crois savoir aussi que les
allemands y ont ajouté du Kola : ils se le procurent par leur colonie de Cameroon
(Golfe de Guinée, Afrique tropicale). Comme je l’ai dit, ils ont fait planter ce végé
tal en Nouvelle-Guinée.
�LES KOLAS AFRICAINS
15e Corps d’armée — 30' Division d’infanterie — 60e Brigade —
40e Régiment d’infanterie.
Conclusions du rapport présenté p a rla Commission supérieure,
nommée en vertu d’une décision m inistérielle à M arseille
(Expériences faites sur un bataillon du 408 Régim ent d’in
fanterie).
Des observations recueillies, on peut conclure que :
1° Le chocolat de M. le Dr Heckel est agréable au goût ;
comme aspect et comme saveur il diffère un peu du chocolat
ordinaire, mais ses elïets sont très remarquables; il produit
une excitation musculaire, qui permet d’efïectuer de longues
marches sans fatigue.
2° La force produite par l’emploi du chocolat doit être
utilisée immédiatement ; son effet se prolonge de deux à trois
heures.
3° Si la force n’est pas utilisée, elle occasionne une exci
tation qui prive l’homme de sommeil.
4° Il n’y a aucun inconvénient pour l’organisme à renou
veler l’excitation par l’absorption de nouvelles doses de chocolat
à la condition d’employer, au fur et à mesure, la force pro
duite et de limiter la consommation à 250 grammes de produit
par vingt-quatre heures.
5° La vitesse dhine troupe soumise au régime du chocolat
Heckel se maintient entre le maximum de 7 kilomètres et le
minimum de 5 kilomètres à l’heure.
6° Le maximum d’effet est obtenu lorsque le chocolat est
consommé d’heure en heure pendant la halte horaire. Dans,
ce cas, une petite troupe à pu maintenir la vitessse de 5 kil.
500 mètres à l’heure pendant dix à douze heures.
7° Il ne convient de faire consommer du chocolat au repas
du soir qu’aux troupes chargées d’un service de nuit aux
avant-postes, aux tranchées, dans un siège, etc..., le reste
�290
ÉDOUARD HECIvEL
des troupes, pour se reposer, doit reprendre tous les soirs le
régime normal, le chocolat étant réservé pour les heures de
marche.
La combinaison du chocolat avec la nourriture ordinaire
(conserves), peut avoir devant l’ennemi des avantages consi
dérables ; on pourrait faire marcher une armée dans la for
mation préparatoire de combat pendant quatre jours, sans
convoi : cette armée pouvant facilement accomplir des marches
de 35 à 40 kilomètres, pourrait gagner deux jours sur les
prévisions de l’ennemi, le surprendre en flagrant délit de
manœuvre ou de marche et décider d’un seul coup du sort
de la campagne. Cette seule éventualité justifierait l’adoption
du chocolat de M. le Dr Heckel.
Une autre considération l’impose : l’Allemagne vient de
fonder une colonie dans la région du Congo qui produit la
graine employée par M. Heckel ; les précieuses propriétés de
cette graine n’échapperont pas à la sagacité des agents de
cette nation ; il faut donc s’attendre à voir l’armée allemande
bientôt pourvue de ce redoutable élément de supériorité phy
sique (1). Le succès dans la prochaine lutte entre ces nations,
restera vraisemblablement à celui des deux adversaires qui
fera de la graine l’emploi le plus judicieux et le plus opportun.
Marseille, le 15 Janvier 1885.
Le C o l o n e l ,
c o m m a n d a n t le aW' d e l i g n e , r a p p o r t e u r ,
Signé : J. BONNET.
Rapport du médecin major de 2e classe, Dr Bertrand, sur les
expériences faites par le 1er b ataillon du 61“ de lign e, à Dra
guignan, sur le produit alim entaire du professeur H eckel.
CONCLUSIONS
Il ressort de nos expériences sur le bataillon entier :
1° Que ce produit alimentaire est un aliment véritable, d’un
(1) Ces prévisions du colonel Bonnet, semblent s’être réalisées. J ’ajoute que
malgré les conclusions formelles de ce rapport très-favorable, l'alimentation au kola
ne fut ças adoptée par le ministère de la guerre de l’époque et ne l'est pas
encore aujourd’hui, en raison de circonstances que je signalerai plus loin.
�LES KOLAS AFRICAINS
■
goût agréable pour la généralité de nos soldats et facilement accep
table pour ceux qui ne sont pas habitués au chocolat ; qu’il est
réparateur des forces ; qu’il diminue les sécrétions intestinales et
favorise la tonicité de l’intestin.
2° Qu’il est nettement stimulant par l’excitation musculaire
qu’il détermine chez les hommes, que cet effet et d’autant plus
évident que la charge du soldat et que la marche sont mieux
réglées.
3° Que cette action stimulante ne devrait pas être cherchée par
les officiers chargés de régler la marche, mais qu’il faut la laisser
librement se produire chez l’homme, pour qu’elle puisse se traduire
soit par l’accélération, soit par la continuité de la marche.
4° Que cette action stimulante dure plusieurs heures et qu'au
cune dépression ne suit son usage.
5° Que son emploi,en alimentant les hommes, en leur permettant
de longues marches, n’a entraîné aucun incouvénient pour leur
santé.
Draguignan, le 10 Octobre 18811. '
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Signé : Dr BERTRAND.
Expériences faites sur le chocolat H ecbel dans les m anœuvres
Alpines, par le 24e bataillon de chasseurs à pied, pendant
une marche de vingt-quatre heures.
Rapport du D1 Lesbros, médecin du bataillon.
Neuf hommes de bonne volonté, intelligents et bon soldats, de
constitution et de résistance moyennes, ont été choisis pour expéri
menter ce chocolat pendant la marche de vingt-quatre heures (du23 au 24 Juillet 1885). Ils ont d’abord mangé la soupe comme les
hommes de leur compagnie, avant le départ à quatre heures du
matin. Puis, il leur a été distribué à chacun 9 (neuf) barres qu’ils
ont mangées avec le pain de la façon suivante, à l’exclusiou de toute
autre nourriture, savoir :
�292
ÉDOUARD HECKEL
1 barre à 6 h. du matin, à la main avec du pain (1).
2
10
))
bouillie à l’eau avec du pain,
2 du soir, à la main avec du pain
1.
1
5
»
»
))
2
7
»
bouillies à l’eau avec du pain,
4 le lendemain matin à la main avec du pain.
1
1
6
»
»
»
»
La marche a duré de 4 h. 1/2 du matin à 8 heures le lendemain,
c’est à-dire 27 heures 1/2 avec des haltes horaires de quelques
minutes et trois longs repos :
Le premier, de 10 heures à midi.
Le deuxième, de 6 heures 1/2 à 11 heures du soir.
Le troisième, de 1 heure à 4 heures du matin.
Il reste par conséquent dix-neuf heures de marche environ.
De mes observations pendant cette marche,avec comparaison sur
neuf hommes marchant de concert dans les mêmes conditions de
chargement, mais soumis au régime normal (hommes témoins), il
résulte que le chocolat Heckel produit une excitation certaine à la
marche : vers la 6e heure de marche tous disaient qu’ils se sentaient
presque aussi légers qu’au départ ; vers la 12e heure de marche la
fatigue était aussi grande que chez leurs camarades. Quant aux
autres propriétés physiologiques, rien à noter de particulier. Six
sur neuf hommes, ont parfaitement dormi au repos de 8 heures à
11 heures du soir et de 1 heure à 4 heures du matin sous la tente
et sur la dure, les trois autres accusent un peu d’insomnie et une
certaine agitation.
Aucun d’eux n’est resté en route comme traînard. J ’ai moi-même
pendant les cinq dernières heures de marche (que je ne pouvais
faire à cheval à cause de la difficulté des sentiers), fait l’essai du
chocolat dont j’absorbai quatre barres, et j’ai constaté une excita
tion réelle à la marche pendant les trois premières heures, mais
vers la fin de la quatrième heure, je commençais à voir fuir ma
légèreté (2).
(1) Chaque barre contenait 1 gr. de Kola. En tout 9 gr. de Kola furent absorbés
durant cette marche pénible et à doses fractionnées; c'était évidemment insuffisant.
(2) Note de M. Heckel: Je dois faire remarquer que cette courte excitation,
cependant très bien constatée, résultant de l’emploi des rations, s’explique par
ce que l’expérience s’était faite au début de mes recherches concernant les aieilleu-
�293
LES KOLAS AFRICAINS
Quant à la facilité avec laquelle ces hommes ont accepté l’ali
mentation exclusive au chocolat Heckel, elle a été très grande et
elle fait l’éloge cle la préparation que tous ont trouvée savoureuse.
Le Moulinet (Alpes-Maritimes), le 31 Juillet 1885.
Signé : Dr LESBROS.
Expériences sur le chocolat H eckel, faites par le 23e bataillon
de chasseurs à pied, à A lger (Rapport du D1' Pouchet, médecin
du bataillon).
(Expériences ordonnées par le Ministre de la Guerre).
CONCLUSIONS
1° Le chocolat Heckel est un aliment réel (1). Sa richesse eu élé
ments protéiques pourrait toutefois être augmentée comme il sera
dit. jLa complexité de sa composition lui donne en même temps des
propriétés stimulantes constatées non point d’une façon générale et
constante pendant les marches, mais partiellement,alors que l’exci
tation amenant l’insomnie a été à peu près générale.
Cette insomnie peut être évitée ou recherchée par la graduation
cle la consommation du chocolat.
2° Il a permis pendant la saison chaude d’accomplir une série
de marches longues et rendues très pénibles par la chaleur (Juin),
le chargement des hommes et la poussière intense des routes. Mal
gré ce surcroît de fatigue, la santé du bataillon est restée très bonne.
Le nombre des indisponibles s’est seulement accru par la produc
tion insolite du traumatisme des pieds.
3e Cet aliment peut suffire pendant plusieurs jours (ce chiffre ne
devra pas se passer quatre journées consécutives sans interruption)
à l’alimentation exclusive d’une troupe.
res doses à donner aux fantassins J’avais commencé par le 24° bataillon de chas
seurs à pied, ma série progressivement croissante de ces doses. II en résulte que
c’est ce corps de troupe qui a reçu la dose la moins élevée ; elle fut insuffisante et
j’en pris bonne note pour l’avenir.
(1) Chaque barre, dans cette expérience et dans les suivantes, contenait 3 gr. de
Kola en poudre.
�EDOUARD HECKEL
L’état sanitaire n’a pas été compromis non plus par cette épreuve
et nos hommes ont conservé toute leur vigueur.
4° Toutefois, nous n’avons pas observé que la fatigue éprouvée
fut moindre chez les hommes soumis à ce régime que chez ceux
soumis au régime normal. La vitesse n’a pas non plus été augmen
tée cl’une façon très sensible.
5° Il ne nous a pas été possible de conclure au sujet des sécré
tions intestinales. Cette propriété précieuse de les diminuer, si elle
est constatée, est appelée à rendre des services dans les circonstan
ces ou la diarrhée atteint un si grand nombre d’hommes.
6° L’alimentation exclusive par lechocolat devra être l’exception.
7° L’alimentation mixte est la plus favorable. Lechocolat pourra
alors remplacer le café ou la soupe du matin et le repas de la grande
halte.
8° Les quantités de chocolat consommées devront être propor
tionnées au régime ou au résultat qu’on veut obtenir, de la façon
suivante :
Régime mixte. — Il faut consommer de 3 à 4 tablettes, suivant
les circonstances, et prises, Yune liquide, le matin, deux solides pen
dant la route, une liquide ou solide à la grande halte. L’excitation
sera ainsi dépensée pendant la route et le sommeil ne sera pas trou
blé pendant la nuit.
Régime exclusif du chocolat Heckel. — Deux conditions pourront
se produire : A. — La troupe devra cantonner. Elle aura à fournir
une étape de moins de 45 kilomètres ou un travail correspon
dant : Cinq barres seront suffisantes. Le dernier repas devra être fait
de bonne heure. Si la ration de pain, 700 grammes ou de biscuit
(500 gr.) n’a pas été consommée, il sera fait une soupe maigre ou
une préparation analogue avec le biscuit (Turlutine), quand les
circonstances militaires ou locales le permettront. B. — L’étape sera
de plus de 45 kilomètres, ou un travail correspondant devra être
fait : toute la ration devra être consommée, c’est-à-dire 6 barres, avec
les précautions précédentes ; l’aide d’une soupe maigre permettra
d’achever la consommation du pain et du biscuit.
C. — La troupe devra être de grand-garde : toute la ration sera
consommée. Deux tablettes seront réservées pour les repas du soir
et absorbées soit liquides si c’est possible, soit à la main si les cir
constances militaires ne permettent pas d’allumer les feux.
�295
LES KOLAS AFRICAINS
9° II sera indispensable de veiller à la conservation du chocolat
distribué aux hommes, en exigeant qu’il soit enfermé dans le sac,
avec les précautions indiquées par l’inventeur. Ces soins seront sur
tout pris pendant la saison chaude.
Alger, le 20 Juillet 1885.
Signé : D' POUCHET.
7° B a ta illo n d e c h a s s e u r s à p ie d —
Dr
A
Bonnery.
Rapport du D1 A. BONNERY, médecin aide-major de l rDclasse,
s u r les r a tio n s concentrées du D' H eckel : expériences faites au 7e
bataillon de chasseurs à pied entre Guillaume et Saint-MartinLantosque (Alpes-Maritimes).
Les rations concentrées sous forme de tablettes de chocolat ordi
naire, furent mises en caisse le 18 mai 1885 et mises en expérience
le 3 Août suivant. La caisse a été transportée en voiture pendant
13 jours, gardée en magasin pendant 35 jours, enfin transportée à
dos de mulet pendant un mois à raison d’un déplacement tous les
4 jours. Malgré les chargements et déchargements fréquents, le caho
tement du transport, l’influence de la chaleur, la pluie et l’humi
dité, la conservation du chocolat était parfaite lorsque la caisse fut
ouverte. Son goût était très agréable : les agents extérieurs n’avaient
pas produit la moindre altération.
Le 3 Août, 32 rations furent distribuées à un demi-peloton, les
hommes n’étaient pas choisis, chaque homme reçut six barres en
sus de ses aliments ordinaires.
Le départ eut lieu à 3 heures 1/2 du matin, l’arrivée à 9 heures
1/2 du soir, soit 18 heures de marche avec des haltes horaires de 10
minutes et deux grands repos : l’un de sept à huit heures du matin,
l’autre de 2 heures 1/2 à 5 heures du soir. Le temps fut couvert dans
la journée, orage et pluie torrentielle depuis 6 heures jusqu’à
l’arrivée.
Les hommes ont mangé : une barre avant le départ à la main
après leur soupe ; deux barres à 7 heures, à l’eau avec du pain ; deux
�EDOUARD HECKEL
barres au second repos, à l’eau avec du paiu, et une barre à 6heures à la main. Ils ont accusé une excitation notable et incitation
marquée à la marche avec de la gaieté.Trois heures après le départ,
au moment ou le silence régnait dans toute la colonne, ces hom
mes se sont mis à chanter : et cependant nous gravissions une côte
depuis le départ. L’effet nutritif a été très remarqué et noté par tous
les hommes.
Aucun n’a été indisposé par l’ingestion du chocolat, la digestion
en a été facile. J’ai moi-môme pris deux barres avant le départ, et
j’ai éprouvé les mêmes phénomènes ainsi que le besoin de marcher.
Je n’ai pas eu faim à l’heure du déjeuner, et j’ai attendu sans diffi
culté jusqu’à onze heures du soir sans manger ; j’ai dû boire à plu
sieurs reprises. J’ai plus tard utilisé les quelques rations qui me
restaient de la manière suivante. Obligé par des circonstances spé
ciales, de garder au corps et de soigner des hommes gravement
malades (choléra), je donnai deux barres de chocolat à l’infirmier
de garde pendant fa nuit, il les faisait cuire à l’eau et cela suffisait
pour le nourrir et le tenir en éveil. Là encore, je n’ai pas observé
le moindre trouble digestif : les infirmiers avaient le soin de me
demander leur ration si parfois j’oubliais de la leur donner.
Marseille, le 20 novembre 1885.
Signé
Dr A. BONNERY.
15' Corps d’armée — 40' Régiment d’infanterie — Place de Privas.
Rapport du médecin-major de 2e classe, Dr Cazalas, du 40e de
lign e, concernant les effets obtenus sur les troupes en marche,
par l ’alimentation avec le chocolat H eckel (Expériences pres
crites par D écision m inistérielle).
Marche de 55 kilomètres de Bagnols (Gard) à Rochemaure (Ardèche).
CONCLUSIONS
L’unique expérience faite jusqu’ici ne saurait suffire pour former
toute mon opinion ; mais, cependant, d’après ce que j’ai observé
�LES KOLAS AFRICAINS
297
sur les hommes et surtout d’après ce que j’ai ressenti moi-même,
je puis dire :
t° Que le chocolat Heckel est un aliment suffisant, à la dose de
250 grammes par jour, pour la nourriture d’un homme devant
fournir un travail exagéré. Cette dose même pourrait être diminuée.
2° Qu’il produit une action évidente sur le système nerveux et
sur le système musculaire; qu’il donne à l’organisme tout entier
une impulsion indéniable : la marche de la colonne, l’absence des
traînards, cet entrain qui lui avait fait défaut jusqu’alors, et qui
allait pour ainsi dire en augmentant avec les kilomètres parcourus,
les sensations éprouvées par quelques officiers et sous-officiers, en
sont la preuve évidente. Cet aliment pousse à la marche et permet
de fournir de longues étapes sans entraîner de trop grandes fatigues.
3° L’excitation ne commence guère à se faire sentir que
deux heures après la première absorption, et elle a paru avoir
son maximum d’intensité vers la neuvième heure qui l’a suivie.
Il est vrai de dire que l’aliment a été pris pendant sept heures
de suite. 11 y a un moment où il se produit une excitation
générale, ce dont on pourrait, je crois, tirer un très grand
avantage au point de vue stratégique.
4" A dose progressive, il ne paraît pas donner un accrois
sement sensible de la vitesse, mais permet de marcher à la
vitesse réglementaire pendant douze heures.
5° Cette excitation n’est pas suivie d’une dépression des
forces, car après une marche de 55 kilomètres, beaucoup
d’hommes auraient pu fournir encore un effort. Après une
nuit de repos, les forces ont été complètement réparées ;
l’homme n’a éprouvé aucune raideur, aucune courbature ; il a
semblé avoir repris toute sa vigueur et a pu faire le lendemain
ime marche de 26 kilomètres sans être trop fatigué.
6° L’ingestion du chocolat ne paraît pas avoir une influence
fâcheuse sur la santé en général, car, pendant les quatre jours
qui ont suivi son usage, il n’y a eu aucun malade.
7° Cette préparation paraît diminuer sensiblement la sécrétion
sudorale, mais étant donné la température peu élevée de la journée
(21 octobre 1885), il n’est pas possible de porter un jugement
définitif sur ce point.
8° Il ne possède aucune action excitante sur les organes géni-
�298
ÉDOUARD HECKEL
taux, tout au moins quand l’excitatiou engendrée a, comme dans
notre expérience, été utilisée pour produire en marche un effort
musculaire.
9° La respiration paraît avoir été favorisée, puisque les hommes
n’ont pas été essoufflés, et que nous n’avons observé aucune syncope,
accident fréquent pendant les marches.
10° Sous son influence l’esprit paraît être plus net, le travail
plus facile. Le sommeil a été quelquefois difficile à obtenir, mais
quand il a été obtenu il a été calme et réparateur (1).
11 ne convient pas de dépasser six barres.
Privas, le 30 octobre 1885,
Signé : Dr. CAZALAS
15e Corps d’armée — Place de Draguignan.
Rapport du chef de bataillon, de Gayer d’Ort, commandant le
1er bataillon du 61e, à Draguignan, concernant les expériences
faites sur le chocolat H eckel (Expériences faites par décision
m inistérielle).
CONCLUSIONS
En résumé les expériences faites par le 1er bataillon du 61°
de ligne ont établi :
1° Que la ration de 250 grammes mangée avec le pain est
plus que suffisante pour nourrir un soldat pendant une journée
de marches.
2° Que sauf de rares exceptions (deux à six hommes par
compagnie), cette nourriture spéciale ne répugne pas aux
hommes.
(1) Note de M. Heckel : Cet accident (insomnie) et quelques vomissements
se sont produits dans cette marche à laquelle j’ai assisté. Il reconnaît pour cause
ce lait, que certains hommes ont mangé jusqu’à huit barres de ce chocolat, ce
qui dépasse toute mesure. Ils tenaient le surplus de leurs six barres réglementaires
des autres hommes qui n'avaient pas voulu, pour des raisons diverses, manger la
totalilé de leur ration (six barres). Il y a eu évidemment phénomène de Kolaïsme.
11 ne convenait pas de dépasser six barres en 12 heures au maximum, pour
éviter cet accident.
�299
LES KOLAS AFRICAINS
3° Que prise avec de l’eau, elle se digère.facilement, n’occa
sionne aucune indisposition et ne cause pas d’insomnies.
L’effet de cette nourriture pendant plusieurs jours consécutifs
n’a pas été expérimenté. Les deux bataillons alternaient pour
le mode d’alimentation.
La question de l’accélération et de la résistance à la fatigue
n’a pas ôté démontrée par les quatre marches, mais l’expérience
individuelle du Capitaine Gille et du médecin major semble
ne pas laisser de doute sur cette propriété.
Draguignan, le 2o Septembre 1885.
Le C h e f de b a t a i l l o n ,
Signé : De GAYEI1 D’ORT.
Expérience faite par un bataillon du3°de lig n e,le 17 J u illetl8 8 6 .
Marche effectuée de Saint-Sauveur à Guillaume (Alpes-M ari
times) 40 kilom ètres.
Rapport du Dr Bonnery, médecin-major de 2° classe.
Mangé avec plaisir par les hommes, le chocolat n’a pas
causé le moindre dérangement; personne n’a été indisposé.
Les hommes ont accusé un effet nutritif très sensible et une
excitation notable à la marche.
La colonne partie à 4 heures du matin a parcouru en montagnes
environ 40 kilomètres, de Saint-Sauveur à Guillaume. Partie de
900 mètres d’altitude, elle s’est élevée à 1,300 mètres, mais par des
chemins très raides : il faut ajouter qu’il s’est présenté des des
centes et des réascensions successives, ce qui fait que la colonne a
gravi en somme une hauteur considérable pour redescendre à
722 mètres.
Il n’y a pas eu un seul traînard sur 250 hommes : les hommes
ont marché avec entrain. Ils ont pris : 1° une barre sèche à la
main à chacune des trois premières pauses horaires ; 2" une barre
à l’eau à la grande halte qui a duré une heure et demie, à Beuil 5
3° une barre sèche à la deuxième halte horaire après la grande
halte, deux heures environ avant d’arriver. En tout cinq barres
(Kola 15 gr).
�300
ÉDOUARD HECKEL
La colonne est arrivée à Guillaume à 3 h .1/2. En/meilleures (pau
ses et grande halte déduites), elle a donc parcouru 40 kilomètres
en montagne, sans laisser de traînards (moyenne 5 kilomètres à
l’heure de 60 minutes).
Le résultat de l’expérience est bon Les officiers de la colonne
l’ont constaté avec moi. Les hommes n’ont pas bu plus que d’ha
bitude. Personne n’a signalé d’érections dans la nuit qui a suivi
l’expérience.
Comps-du-Var, le 22 Juillet 1886.
Signé : Dr DONNERY.
Rapport du docteur Bernard, médecin-major de 2"'cclasse, au 2"'c
régim ent étranger à Sidi-bel-Abbès (Oran), sur les expériences
faites, concernant les tablettes de chocolat et les biscuitspotage du docteur E. H eckel. Marches faites les 2, 3 et 4 ju il
let 1886.
CONCLUSIONS
Le chocolat mis à notre disposition est très bien conservé;
il a l’aspect extérieur et la cassure du chocolat de bonne qualité du
commerce, il est agréable au goût et ne déplaît pas à des hommes
qui, cependant, par leur origine, sont peu habitués à ce produit. 11
n’altère pas les hommes et ne leur empâte pas la bouche, il provo
que au contraire une bonne salivation et produit une sensation de
fraîcheur que quelques hommes comparent à celle de la menthe.
Après les marches (1) qui ont été, le premier jour de 22 kil. le
second de 26 kil. et le 3e de 30 kil. (trois journées consécutives),
aucun homme n’a déclaré être fatigué, tous auraient pu continuer
leur marche;
Tous accusent également une grande facilité de respiration ; la
poitrine est libre et ne semble pas comprimée comme dans les
circonstances ordinaires de marche à cette époque de l’année.
(1) Les marches ont été faites par des hommes non choisis portant le charge
ment j-églemen taire de campagne : cartouches, toiles de tente, couvertures, vivres
de réserve.
�LES KOLAS AFRICAINS
301
Après les deux premières marches, ils ont fait dans l’après-midi
deux heures d’exercice.
Le biscuit-potage ressemble tout à fait au biscuit ordinaire.
Ces produits ont une véritable action excitante qui, chez nos
hommes, pendant les deux premières marches, à cause des doses
données, s’est traduite par un peu d’insommie à la sieste réglemen
taire de 10 heures du matin à 2 heures, et même pendant la nuit.
Mais, chose étonnante, cette excitation n’a pas été suivie d’une
période de dépression, car le lendemain matin les hommes frais et
dispos se préparaient sans difficulté à la marche suivante.
Ces rations sont nutritives et paraissent remplir les conditions
d’un aliment d’épargne, car nos hommes qui sont certainement les
soldats doués, dans l’armée, du plus robuste appétit, n’ont pas pu
manger leur gamelle en entier, le soir après la marche, non pas
que la perte de l’appétit fut imputable à un excès de fatigue, mais
parce que le besoin d’aliment ne se faisait pas sentir.
La rapidité de la marche a pu-être mesurée dans la 3" expérience
du dimanche 24 juillet, dans laquelle 30 kilomètres ont été fran
chis. Les quinze .derniers kilomètres ont été faits à raison d’un kilo
mètre en dix minutes. Cette vitesse a été exactement constatée par
nous, et durant cette marche, la fatigue ayant correspondu à l’ex
citation développée, il n’y a plus eu de surexcitation ni le jour ni
la nuit, et l’appétit est redevenu normal.
Chez aucun homme nous n’avons constaté n i d i a r r h é e n i
v o m is s e m e n t s .
En résumé, le chocolat du Dr Heckel, tant par ses pro
priétés excitantes que par sa valeur nutritive, paraît destiné à
rendre en campagne et daus des circonstances nettement déter
minées, de réels services.
Sidi-bel-Abbés, 24 juillet 1886.
Signé: Dr R. BERNARD.
�EDOUARD HECKEL
Lettre du Docteur Troussaint, médecin-major de 2° classe au
58° de lign e, concernant les expériences faites le 7 août par
un bataillon alpin de ce régim ent (marche de 24 heures,
de Saint-Etienne à V ign ols, par le col de La V allette et
retour par la même route).
Le bataillon alpin du 58^ a fait hier l’expérience de vos
rations condensées accélératrices au Kola dans une marche
de 24 heures. La l re et la 2e compagnies ont été témoins ;
régime cumulatif pour les 3e et 4e compagnies ; un peloton
spécial a été composé des hommes les plus malingres pris
dans les autres compagnies. Il y a eu dix-huit heures effectives
de marche, dont douze heures au moins en montagne.
Vous verrez d’après mon rapport que mes conclusions sont
absolument favorables, d’abord parce que mon peloton de ma
lingres a marché admirablement et que votre serviteur, qui a
fait l’expérience et qui est mauvais marcheur, a réalisé ce
tour de force de marcher dix-huit* heures en montagne sans
éprouver de fatigue musculaire. Ma conviction est faite sur la
valeur de votre produit, et, les officiers qui se sont associés
à moi pour tenter l’expérience partagent absolument ma foi
dans vos rations accélératrices.
Saint-Etienne-des-Monts, 8 août 1886.
Siané : Docteur TROUSSAINT.
Lettre du Dr STOUPY, Médecin-major de 2e classe au 141e
R ég1 d’infanterie, concernant deux épreuves faites par le
bataillon A lpin de ce régim ent sur les rations Heckel,
pendant une marche de P eillo n à P eille, et une autre de
Sospel à la Turbie (Alpes-M aritimes), le 8 Juillet 1886.
Les hommes ont pris votre chocolat sans aucune appréhen
sion ni répugnance. Quatre tablettes ont été consommées con
formément à l’instruction (2 liquides et 2 solides) — je n’ai
constaté chez aucun homme ni v o m i s s e m e n t , ni d i a r r h é e , ni
�LES KOLAS AFRICAINS
Les hommes expérimentés n’ont consommé aucune
substance alimentaire autre que du pain jusqu’à leur arrivée
à l’étape. Ils ont reconnu n’avoir pas eu faim jusqu’à ce
moment. Ils ont bien marché. En général, les hommes pré
fèrent le Chocolat cru au Chocolat cuit.
in d ig e s t io n .
Nice, le 9 Juillet 1886.
Signé : Dr STOÜPY
Rapport du D1' Duvau, médecin aide-major de l re classe, sur les
expériences faites par le 107e de lign e (4e bataillon) pendant
les grandes m anœuvres du XIIe corps d’armée, en septembre
1886, sur les rations condensées accélératrices du D1' H eckel
(Ordre ministériel).
CONCLUSIONS
Angouleme, le 28 septembre 1886.
Des observations recueillies dans les expériences des 5, 7, 9, 11,
13 et 15 septembre 1886, laites d’après le régime cumulatif, il
résulte que :
1° Les hommes du 4e bataillon, après avoir, au début, manifesté,
à l’endroit du produit, une certaine méfiance, l’ont recherché
ensuite avec une visible satisfaction ;
2° Le chocolat Heckel, à la dose de 4 barres par jour, a produit
une action évidente sur le système musculaire et sur le système
nerveux, action qui s’est traduite par une excitation réelle à la
marche et qui n’a été suivie d’aucune dépression des forces ;
3° Que les hommes ont déclaré à plusieurs reprises que leur sac
leur semblait moins lourd : qu’à l’arrivée à l’étape, loin de montrer
de la fatigue, ils déployaient la plus grande activité pour préparer
leur repas ;
4° Que l’essoufflement pendant les assauts qui suivaient les
marches pénibles étaient très modérés ;
5° Que loin d’augmenter la soif, il cause plutôt une sensation de
fraîcheur à la bouche;
�EDOUARD HECKEL
6°
Qu’il diminue la sécrétion sudorale et il n’a a u c u n e
a c t io n s u r
LES ORGANES GÉNITAUX ;
7° Que le bataillon expérimentateur a fourni un nombre de
malades sensiblement moindre que les deux autres ; aucun cas de
diarrhée, de vomissement ou d’indigestion imputable au produit
n’a été constaté dans ce bataillon.
Signé : Dr DUVAU.
Rapport du Dr F orgues, médecin-major de l rc classe, au 63e
régim ent d’infanterie, concernant les expériences faites dans
ce régim ent à l ’occasion des grandes m anœuvres de Septem
bre 1886, sur le produit alim entaire du professeur Heckel
(Ordre ministériel).
CONCLUSIONS
Limoges, le 30 septembre 1886.
1° Le chocolat est agréable au goût, et les hommes, sauf quelques
rares exceptions, le prennent très facilement.
2° La valeur nutritive du chocolat est incontestable et nous
estimons qu’on peut, sans inconvénient, le substituer à la ration
normale du soldat. Pendant combien de temps? Le produit n’a été
expérimen té que pendant quatre jours : les 9, 41,13 et 16 septembre,
au bataillon.
3° L’excitation musculaire n’a été avoué qûe par un petit nombre
d’hommes, et le bataillon n’était pas dans de bonnes conditions
pour mettre en évidence l’action stimulante du produit sur le sys
tème locomoteur. En effet, l’accélération et la continuité de la
marche n’auraient pu se manifester puisque le bataillon, étant
encadré dans le régiment, était obligé de régler le pas sur les
bataillons témoins (1).
(1) M. le docteur Forgues déclare toutefois, dans le corps de son rapport, que
quelques faits isolés mettent en évidence l ’action stimulante à la marche. « Ainsi,
» nous avons vu, dit-il, que la garde de police avait fait le kilomètre en 9 et 10
» minutes ; qu’après la marche du 9, le bataillon d’expérience paraissait moins
» fatigué que les bataillons témoins; que pendant les manœuvres des deux premières
» journées, deux hommes seulement avaient été autorisés à mettre le sac dans la
» voiture; que pour quelques sous-officiers et officiers l’excitation musculaire n’est
» pas ‘douteuse, etc... »
�LES KOLAS AFRICAINS
4° Abstraction faite de quelques individualités qui ne tolèrent
pas le chocolat ordinaire, son ingestion n’a aucune influence sérieuse
sur la santé des hommes. Nous avons vu, en effet, que des trois
bataillons, c’est le 4e (bataillon expérimenté) qui a eu le moins
d’évacuations sur les hôpitaux.
Signé: Dr FORGUES.
Rapport du D> Lapeyre, médecin aide-major de l re classe au
108e régim ent d’infanterie, concernant les expériences faites
dans ce régim ent à l ’occasion des grandes manoeuvres d’au
tomne (septembre 1886) sur les rations accélératrices con
densées du docteur H eckel (Ordre ministériel).
CONCLUSIONS
Bergerac, le 29 septembre 1886.
De ces observations, on peut conclure : 1° Que le produit Heckel
est agréable au goût et facilement acceptable par un certain nombre
de soldats ;
2° Qu’il est nettement stimulant et produit l’entrain pendant la
marche;
3° Qu’on ne saurait l’accuser de déterminer de véritables acci
dents gastriques, tels que : douleurs d’estomac, nausées, vomissements
et diarrhée.
Signé:
Dr LAPEYRE.
Expériences personnelles sur les rations condensées accéléra
trices du B r H eck el, faites par l ’adjudant Cassan, du 63° régi
ment d’infanterie, en garnison à Limoges.
Limoges, le 17 septembre 1886.
CASSAN, Alfred.
Poids avant les expériences, 99 kilos.
— après
—
100 —
Tempérament bilieux sanguin, 15 ans de service, 33 ans d’âge.
Expériences faites du 1er au 22 août 1886 (1).
(I) Ces expériences faites spontanément par M„ Cassan, avec une intelligence
remarquable et une méthode irréprochable, m’ont paru devoir être relatées ici en
détail, pour pouvoir servir de modèle et de guide aux expérimentateurs qui
auraient le désir d'en contrôler les résultats fort concluants.
�306
ÉDOUARD HECKEL
1° Au camp d’Hyvornaud (Tirs de combat). — Après avoir
déjeuné le matin à 8 h. comme d’habitude, j’assiste à la manœuvre
de compagnie isolée, 8 kilomètres environ sont parcourus. Tempé
rature, 19°. Rentrée au camp à 11 heures.
A 2 heures soir, absorption de 2 barres en soupe avec du pain
de munition.
A 2 h. 20, départ pour Eymoutiers. A 4 h. 15, arrivée à Eymoutiers. Température, 13 à 16°. Kilomètres parcourus, 15.
Repos de 30 minutes : une barre à la main et 80 grammes de
pain, plus un verre de vin et d’eau sont consommés.
A 6 h. 55 du soir, retour au camp après avoir bu en passant à
Beaumont, c’est-à-dire 3 km. avant d’arriver, un verre de sirop et
eau. Soit 30 km. parcourus en 4 heures de marche (pause déduite),
après l’exercice du matin, en consommant 3 barres de produit
Heckel, 4 verres de liquide et environ 1/2 ration de pain (375 gr.).
Vitesse moyenne, 7500 mètres à l’heure de 60 minutes.
Le repos qui a suivi cette marche a duré, avec une seule inter
ruption, de 9 heures du soir (après avoir rendu l'appel) jusqu’à
5 heures.
2° A Limoges. — Marche de Limoges à Eymoutiers (44 km.).
Vitesse moyenne, 6500 mètres à l’heure, pauses comprises. Régime
mixte tel que l’indiquent les instructions du Dr Heckel.
Retour par le chemin de fer. Au dîner appétit normal, sommeil
tranquille.
3e Marche de Saint-Léonard à Limoges (24 km.), après avoir été
de Limoges à Saint-Léonard en chemin de fer.
Absorption de deux barres en soupe à 8 heures du matin et
départ.
Repos de 30 minutes près de Panazol, où je consomme une
barre.
Arrivée à Limoges à 1 heure du soir ; repos d’une heure pendant
lequel je consomme 2 barres en soupe.
Départ pour Aixe à 2 heures ; repos 30 minutes près du passage
à niveau à Aixe où je mange 1 barre à la main. Rentrée à Limoges
à 6 h. 1/2 du soir. Kilomètres parcourus, 26. Température, 10 à 12°.
Soit au total, 50 km. parcourus de 8 h. du matin à 6 h. 1/2 du soir,
repos compris de 2 h. 30 in. de durée. Vitesse moyenne, 5.882 mè
tres^ l'heure de 60 minutes.
�LES KOLAS AFRICAINS
Consommation totale, 6 barres (Kola 18 gr.), plus deux litres
de liquide.
Repas du soir, peu d’appétit. Sommeil très tranquille, travail
de bureau le lendemain.
Marche de Limoges à Saint-Junien et retour, 64 km. Départ à
4 h. 30 m. du matin ; repos de 11 h. 1/2 à 2 heures.
8 barres consommées ; rentrée à Limoges à 6 h. 45, d’où vitesse
moyenne, 5.333 mètres à l’heure de 60 minutes. Le soir, fatigue, peu
d’appétit, sommeil léger. Le lendemain matin cependant, bien
qu’avec un peu de raideur dans les jointures, je suis dispos, bon
appétit.
Ces divers essais ont eu lieu à des jours différents et interrom
pus par des repos ; ils n’empêchaient nullement l’expérimentateur
d’aller à son service le lendemain matin et d’y vaquer sans effort.
En dehors de ces expériences, le régime mixte a été suivi quatre
ou cinq fois (les jours de manœuvre au champ de manœuvre de
cavalerie), et, bien que la fatigue ne correspondît pas à celle
qu’occasionne une marche de 40 km., l’appétit et le sommeil ne se
ressentaient en rien de l’absorption de 4 tablettes de produit. Je
conclus :
1° Que les rations condensées accélératrices du Dr Heckel ont un
goût agréable ;
2° Que deux barres mangées en soupe et deux barres à la main,
ces deux dernières à 1 h. 1/2 d’intervalle au moins, suffisent avec
une demi-ration de pain à la nourriture de la demi-journée, la
marche à faire ne dépassant pas 40 km. (Kola 12 gr.) ;
*3° Que la même ration peut être prise à partir de midi dans les
mêmes conditions, et que le repos de la nuit après la marche n’est
pas troublé ;
4° Que le système digestif ne ressent absolument aucun déran
gement ;
5° Que les organes génitaux ne sont en rien affectés ;
6° Que la soif provoquée par la chaleur et la marche est tout à
fait la même qu’avec la nourriture ordinaire ;
7° La découverte de M. le Dr Heckel me paraît précieuse et
appelée à rendre de grands services en cas de guerre, là où le gainde la bataille dépend de la rapidité des marches.
�EDOUARD HECKEL
Suite des expériences p ersonnelles de M. l’adjudant Cassan,
du 6 8 e Régim ent d’infanterie, à Lim oges.
Limoges, le 28 octobre 1886.
Monsieur,
J’ai l’honneur de vous faire connaître qu’une fois de plus, j’ai
pu, grâce à vos Rations condensées accélératrices sous forme de
Chocolat, faire, sans trop de fatigue, une longue marche le ven
dredi 22 octobre 1886, et cela devant témoins.
La veille, le jeudi 21 octobre, dans la journée, travail habituel
de bureau ; le soir, réception d’un collègue s’en allant eh permis
sion, jeu et absorption de liquides divers jusqu’à 3 heures moins
un quart du matin.
Le vendredi, j’ai quitté mes collègues à 2 h. 45, suis allé me
laver, me raser, ai fait bouillir et ai absorbé deux barres de Cho
colat, et, à 4 heures moins vingt, je me mettais en route pour
Thiviers, où j’arrivais à 6 heures moins vingt du soir: 70 kil. 600
ont donc été parcourus en quatorze heures, mais j’ai eu deux
heures de pause à déduire, ce qui fait douze heures de marche à
5 kil. 883 de moyenne à l’heure.
Itinéraire suivi sous les yeux des témoins : Le Vigen, SaintMaurice, La Plaine, Nexon, Les Cars, Chalus, Firbeix, La Coquille,
Thiviers.
Ainsi, grâce à quatre barres du produit dont vous ôtes
l’inventeur, j’ai pu, après une nuit de veille et de boisson,
faire encore une très longue route, presque sans fatigue ; ce
que je n’aurais certainement jamais pu réaliser avec l’alimen
tation normale.
Ce qui prouve le peu de fatigue que j’éprouvais,'c’est que,
à Thiviers, après l’apéritif, je dînai comme à l’ordinaire,
j’écoutai la répétition de la musique de la ville et en repartis
à minuit et demi. À 3 heures du matin, je rentrais chez moi.
Le samedi, j’étais au bureau aussi frais et aussi dispos que
si rien ne s’était passé.
Pour faire cette expérience, dont plusieurs de mes camarades
étaient témoins, je n’ai demandé que la permission de la journée;
mais néanmoins j’y suis allé en tenue militaire, capote roulée,
sacoche, etc. Les témoins abondent et pourront, au besoin,
vous fournir des renseignements complémentaires.
Veuillez agréer, etc.
Signé : CASSAN.
�LES KOLAS AFRICAINS
Résumé du Rapport du D‘ Oberlin, médecin-major de l r0 classe
au 69° d’infanterie, au sujet des expériences faites dans ce
Régiment sur les Rations condensées accélératrices du Dr
H eckel, durant les grandes M anœuvres de Septembre 1887
(VI0Corps d’armée).
CONCLUSIONS
1° Je ne peux tirer d’autre conclusion des expériences du
premier ordre, si ce n’est qu’elles confirment d’une manière
générale celles du Rapport présenté par la Commission supé
rieure nommée en vertu d’une décision ministérielle à Mar
seille (1). Je n’ai pas poussé plus loin ces expériences, parce
qu’il me semble que, dans les conditions où je me trouvais,
il n’était pas possible d’arriver à des résultats plus rigoureux.
2° Il n’en est pas de môme des expériences du deuxième
ordre, dont les résultats me paraissent plus importants. Sans
doute, ces expériences n’ont pas été faites uniquement sur des
marcheurs, mais les sujets choisis étaient au moins à même
de bien rendre compte des phénomèmes éprouvés et étaient
soumis à une certaine somme de fatigue : ce qui me paraît
être le point important.
De plus, dans ces expériences, j’ai essayé une innovation.
J’ai supprimé tout autre aliment que le Chocolat, et si j’ai
permis l’alimentation du soir, c’est uniquement par crainte de
provoquer l’insomnie par ce jeûne vespéral.
En résumé, les Rations accélératrices du Dr Heckel m'ont paru
capables, a e l l e s s e u l e s , e t a l a d o s e d ’e n v i r o n 167 g r a m m e s
de soutenir, pendant toute une journée, les forces d’un homme mar
chant ou fatiguant. J ’a i d o n c l a c o n v i c t i o n , q u e c e p r o d u i t e s t
appelé
a
rendre
des
s e r v ic e s
c o n s id é r a b l e s
en
cam pagne.
Nancy, le 3 octobre 1887.
Signé : Dr OBERLIN.
(1) Il s’agit de l’expérience si importante rapportée par le colonel Bonnet (p.289).
�310
EDOUARD HECKEL
Lettre de M. Aybram, m édecin auxiliaire au 7' bataillon de
Chasseurs, concernant l ’emploi des Rations H eckel pen
dant les Manoeuvres alpines en 1887.
Pont-de-Clans (Alpes-Maritimes), le 8 août 1887.
Monsieur,
J’ai reçu la Ration que vous m’avez gracieusement envoyée
sur ma demande; elle est justement arrivée la veille d’une
marche de vingt-quatre heures. Ce premier essai m’a donné
d’excellents résultats. Notre marche a été très longue : du 30
au 31 juillet, nous avons parcouru plus de 90 kilomètres. J’ai
très bien marché tout le temps, sans fatigue, et, à la fin de
la marche, j’avais seulement sommeil: c’est naturel, puisqu’on
avait passé toute la nuit soit à manœuvrer, soit à marcher.
Permettez-moi, en terminant, de vous remercier de l’ama
bilité que vous avez mise à m’envoyer gracieusement une Ration
et de vous féliciter en même temps, d’avoir créé un produit
certainement et sûrement destiné à rendre de grands services.
Signé : AYBRAM.
XIVe Corps d’Arraée. — Place de Lyon. — 157' Régiment d’infanterie.
Rapport sur l ’action des rations accélératrices H eckel f forme
biscuitsj, par le DrChopart, médecin-major au 157m0 régiment
d’infanterie.
CONCLUSIONS
Lyon, le 5 mai 1888.
Etant donnée la consommation, à laquelle je me suis livré,
de ces biscuits pendant six jours dont quatre consécutifs, et
l’expérience que nous en avons faite sur un peloton de 17 hommes
de bonne volonté, comprenant 8 malingres commandés par uo
sous-officier, 4 autres sous-officiers, l’infirmier et le médecinmajor, en tout 23 personnes (les marches comportant une moyenne
de 27 kilomètres), nous tenons pour acquit les points suivants:
�LES KOLAS AFRICAINS
1° Le biscuit est accepté par la troupe avec beaucoup déplaisir ;
2°il ne développe pas la soif; 3° il fait disparaître la fatigue pro
duite par les premières heures démarché; 4° il diminue le besoin
du sommeil à la dose de 2 biscuits; à la dose de 3 biscuits, pris
dans la journée et la soirée, il le supprime presque toujours, et cela
sans fatigue consécutive ; 5° son action sur le sommeil est en raison
inverse de la somme d’efforts musculaires produits; 6° c’est un
véritable aliment; 7° ce biscuit ne congestionne pas le système
génital ; 8° il devra être consommé dans trois cas : A par les hommes
ayant une marche à fournir après une première étape. Il serait alors
consommé de 2 heures en 2 heures, sans dépasser la dose de 4 bis
cuits ; — B le soir d’une marche pénible ou d’un combat, par les
hommes de grand-garde, à 6, 8 et 10 heures du soir, sans dépasser
la dose de 3 biscuits; — C en cas de non distribution de la ration
quotidienne, pour une cause quelconque, en attendant l’arrivée des
convois régimentaires, à la dose totale de 4 biscuits qui seraient
consommés à l’heure normale du repas, autant que possible 6 heures
avant le moment du sommeil.
Il est évident que, comme M. Hecltel lui-même, nous ne recom
mandons cet aliment que comme une ration de fortune.
Mais nous considérons comme un progrès immense que l’on ait
enfin cherché et trouvé, comme aliment d’aventure, un produit non
seulement excitant mais nutritif, et surtout autre chose que ces con
sommés plus ou moins inutiles ou toxiques dans l’obtention des
quels s’étaient, jusqu’à ces derniers temps, cantonnées les recher
ches de tant d’industriels.
Signé: Dr CIIOPART.
77e régiment d’infanterie, à Cliollet (Maine-et-Loire).
Rapport du capitaine J. Rôdel, — Expérience faite avec les
rations accélératrices (forme biscuit) du docteur H eckel, pen
dant une marche m ilitaire, le l nr juin 1888.
L’expérience a été faite sur une demi-section désignée par le
tirage au sort dans le peloton d’instruction.
Composition : un sergent, deux caporaux, quinze hommes. Lon-
�EDOUARD HECKEL
gueur de la marche à effectuer : 24 kilomètres. Tablettes dont on
pouvait disposer : deux par homme. — Dispositions prises : à
4 heures 1/4 du matin, la demi-section prend un quart de café avec
uue tablette de biscuit; départ à 4 heures 1/2, les hommes en tenue
de campagne ont le sac chargé réglementairement; leur bidon est
rempli d’une tisane de réglisse distribuée la veille. II est recom
mandé au départ de faire autant que possible 5 kilomètres à l’heure,
le repos de dix minutes compris. Cette vitesse est dépassée pendant
toute la route, le kilomètre est fait en 9 minutes 1/2. Au troisième
repos, soit au quinzième kilomètre environ, le deuxième biscuit est
distribué et mangé pendant un repos de 20 minutes, trempé dans la
tisane de réglisse emportée; la marche est reprise de nouveau
jusqu’à la caserne où la demi-section arrive à 9 h. 20 m.
Observations. — La marche est faite avec beaucoup d’entrain,
les hommes déclarent trouver très bonnes les tablettes de biscuit
trempées dans du café ou même dans la-tisane de réglisse. Quelques
hommes prétendent trouver leur sac moins lourd que dans les
marches ordinaires, et marcher plus facilement. A l’arrivée, la
moitié environ assure être moins fatiguée que dans les.
marches habituelles, l’autre moitié ne voit pas de différence; un
seul homme est très fatigué et indisposé : cet homme a des antécé
dents maladifs.
A 10 heures, soit 40 minutes environ après la rentrée dans la
caserne, la demi-section est réunie dans une salle et reçoit le repas
habituel. Les trois quarts des hommes mangent de moins bou
appétit que de coutume et ne finissent pas leur gamelle : cette
inappétence n’est pas le résultat de la fatigue, mais celui du manque
de besoin.
Le dernier quart mange de bon appétit; un seul homme ne
mange pas (celui qui est indisposé). Le reste de la journée, le
tableau de service du peloton d’instruction est appliqué à la demisection qui a pris part à la marche. De midi à 1 heure, étude; de
1 heure à 2, récitation ; de 2 heures à 3, théorie pratique ; de 3 heures
à 4, gymnase. La demi-section exécute tous -ces travaux aussi bien
que si elle n’avait pas fait le matin une marche de 24 kilomètres à
la très grande vitesse du kilomètre en 9 minutes 1/2.
Conclusion. — De cette expérience on peut conclure que les
�LES KOLAS AFRICAINS
rations accélératrices du docteur Heclcel donnent un stimulant qui
permet de demander aux hommes un effort énergique à un moment
donné ; pour être absorbées et digérées facilement, les rations sous
forme de biscuit doivent être prises en absorbant un liquide quel
conque, même de l’eau pure; les hommes les trouvent ainsi très
bonnes et les mangent avec plaisir. La surexcitation momentanée
produite par l’absorption des tablettes doit être employée, autre
ment les hommes éprouvent un certain malaise et des insomnies.
Le nombre des tablettes de biscuit n’a pas permis de voir si ces
rations remplaceraient toute alimentation pendant une journée
entière; ce serait une question intéressante à étudier. Mais, prises
en sus de la ration habituelle, il paraît acquis que ces tablettes
donnent aux hommes une vigueur momeutanée dont il est inutile
de faire remarquer ici toute l’importance, et à ce seul titre elles
méritent de fixer sérieusement l’attention.
Opinion du Colonel Tanchot.
Quelques officiers et moi-même avons fait l’épreuve ' du
biscuit. J ’ai pris un biscuit à 11 heures du matin sans avoir
pris aucun aliment auparavant. J’ai monté à cheval, assisté
aux exercices, écrit, etc., sans la moindre fatigue, sans avoir faim
et sans avoir éprouvé aucun malaise. Loin de là, j’ai éprouvé une
sorte de bien-être constant. Ma conviction est que cet aliment peut
rendre des services précieux à la troupe si on veut l’adopter, et aux
officiers, en leur permettant d’avoir toujours sous la main un
tonique capable de les maintenir alertes, en attendant une nourri
ture plus substantielle.
Il serait à désirer que M. le docteur Heckel nous permît de nous
en procurer moyennant remboursement, nous pourrions ainsi faire
dans nos manœuvres de garnison des épreuves concluantes sur
l’ensemble du régiment.
Signé : J. RODEL et TANCIIOT.
Expériences du C olonel Blanc, commandant le 2" Spahis,
à Sidi-Bel-Abbès (A lgérie,J.
Sidi-Bel-Abbès, 17 juin 1888.
Votre chocolat et surtout vos galettes ont fait merveille, aussi
ai-je dû en donner à tous mes officiers, à qui j’ai indiqué votre
20
�314
EDOUARD HECKEL
adresse. Je mentirais en déclarant que je me suis nourri exclusi
vement de votre produit, mais j’affirme : 1° que, plus d’une fois,
il m’est arrivé de ne pas manger autre chose que 3 galettes et
3 barres de chocolat dans une journée (3 repas, chacun de 1 galette,
1 barre de chocolat et 1 verre d’eau), franchissant à cheval une
moyenne de 50 kilomètres par tous les temps; 2° n’avoir jamais
été indisposé; 3° d’avoir été très amplement nourri et toujours
plein de vigueur.
Les officiers qui m’ont escorté ont fait comme moi les jours où
il n’y avait pas autre chose à manger, et s’en félicitent tous sans
exception. Dans l’extrême Sud-Oranais, où je suis allé et où il fait
très chaud, je préfère de beaucoup la galette au chocolat un peu
pâteux, se fondant sous l’action de la température élevée et provo
quant même un peu de dégoût.
Mais vos galettes sont merveilleuses et leur expérimentation
n’est plus à faire pour moi. Elles m’ont permis de résister, du
24 mars au 15 mai, à la fatigue qu’entraîne une tournée dans le
Sud-Oranais durant laquelle j’ai franchi 1500 kilomètres en chemin
de fer et 1200 à cheval.
Signé : Colonel BLANC.
E xpériences faites au 159"10 Régim ent d’infanterie pendant les
marches alpines de juin 1888, sur les rations condensées du
DrH eckel (forme chocolat) par le Dr O. Arnaud, m édecin aidemajor de 2"ICclasse.
CONCLUSIONS
1° D’une façon générale, le chocolat a été trouvé bon. On l’a
employé en augmentation de ration; 2° Beaucoup d’hommes qui
avaient l’habitude de manger à chaque halte ne l’ont pas fait le
jour de l’expérience ; 3° La soif était moins vive qu’à l’ordinaire;
4° les sécrétions étaient très diminuées : presque pas de sueur, ce
fut le symptôme, le plus général ; 5° Il n’y a pas eu, pendant les
deux jours d’expérience, des traînards ; d’autre part, l'allure m’a
paru plus rapide. Placé à l’arrière de la colonne, je me rendais assez
facilement compte de la vitesse de la marche. Bref, ma conviction
intime est que le chocolat a une action réellement excitante à la
rûarche.
Signé : D' ARNAUD.
�LES KOLAS AFRICAINS
Expérience faite le 11 ju ille t 1888 sur les rations condensées
accélératrices (formules du Dr HECKEL) par MM. les Offi
ciers du 124e régim ent d’infanterie à Laval. 0) Marche forcée
de Laval à Rennes (72 km.)
MM. D’HAUTERIVE (38 ans), capitaine, MICHAUX-BELLAIRE
(36 ans), capitaine, SOLMON, lieutenant (30 ans), se mettent en
route le 11 juillet. Ils ne se sont soumis à aucun entraînement
préalable. La veille et les jours précédents, vie normale, parti
cipation aux exercices et manœuvres du régiment comme tous les
autres officiers.
Départ de Laval à 3 h. du matin par la route nationale de Paris
à Rennes. Premier repos à 5 h. du matin après un parcours de
12 km. Des repos de 5 minutes se succèdent ensuite régulièrement
après des parcours de 5 km. en 55 minutes. A Vitré, à 35 km. de
Laval, halte de 30 minutes.
Reprise de la marche à raison de 5 km. en 55 minutes et un
repos de 5 minutes par heure jusqu’à Chateaubourg, où il est fait
une nouvelle halte de 30 minutes : à 2 h. de l’après-midi, 50 km.
sont parcourus ; la fatigue commence à se faire sentir, mais la
marche est reprise néanmoins. Le capitaine MICHAUX-BELLAIRE
fait encore 12 km., il s’arrête à la station de Noyal-Acigné devant
Rennes, il a fait en tout un trajet de 62 km. en 13 h. 16 m.
Le capitaine d’HAUTERIVE et le lieutenant SOLMON conti
nuent leur route et poussent jusqu’à Rennes, où ils arrivent à 6 h.
30 minutes.
Pendant toute cette marche, il n’a été consommé d’autre aliment
que du biscuit accélérateur IIECKEL. Le capitaine MICHAUXBELLAIRE a commencé à en prendre par quart de biscuit dès
5 h. du matin ; le capitaine D’HAUTERIVE en prend un quart à
7 h. du matin ; le lieutenant SOLMON ne commence qu’à 10 h., il
consomme un biscuit entier à cette heure-là.
Au total, le capitaine D’HAUTERIVE a consommé deux biscuits
un quart (soit 14 biscuits normaux).
(1) Cette expérience a été faite avec des biscuits de gros calibre pesant 60 gram.,
c’est-à-dire représentant chacun six biscuits de la forme normale.
�316
ÉDOUARD HECKEL
Le capitaine MICIIAUX-BELLAIRE a consommé deux biscuits
trois quarts (soit 16 biscuits normaux).
Le lieutenant SOLMON a consommé deux biscuits (soit 12 bis
cuits normaux).
* A partir du 50me km., la fatigue des muscles commence à se
sentir, mais l’état général est excellent: pas de tiraillement d’esto
mac, pas d’appétit, pas de soif. Il en est de même après la marche,
et, dans le train qui ramène ces trois officiers à 10 h. du soir, ils
n’éprouvent aucune envie de dormir.
En résumé, trois hommes robustes ont pu vivre saus difficulté,
saus le moindre inconvénient pendant 40 h. (du 10 juillet, repas de
6 h. du soir, au 12 juillet, repas de 10 h. du matin) eu ne consom
mant à eux trois que 395 grammes d’aliment, et en exécutant une
marche forcée, l’un de 62 km. en 13 h. 16 minutes, les deux autres
de 72 km. en 15 h. 30 minutes, soit 4,800 mètres à l’heure, repos
compris.
L’énoncé de ces faits dispense de toute conclusion. Les expéri
mentateurs tiennent, toutefois, à bien établir que, s’ils ont pu
fournir une aussi longue course d’une seule traite ,et sans prendre
d’aliments liquides ni solides autres qu’un peu de biscuit
IIECKEL, c’est que le principe actif contenu dans ces biscuits a agi
d’une façon prépondérante sur leur organisme et ils reconnaissent
à ce principe des qualités à la fois excitantes et réparatrices.
Signé : SAUMON, MICIIAUX-BELLAIRE, D’HAUTERIVE
Expériences faites pendant les grandes m anœuvres de 1888 par
M. LAPIQUE, vélocipédiste de l ’armée (6e Corps). (1)
Voici les deux expériences que j’ai pu faire sur les galettes de
la formule du Dr HECKEL, elles m’ont donné une une haute idée
de leur puissance.
(I) M. Lapique, chef de laboratoire de M. G. Sée, avait reçu de moi, après m’en
avoir fait, la demande, les rations objet de l’expérimentation dont il donne ici le
détail. Je lui en avais communiqué, sur sa demande, la composition que je
tenais encore secrète par crainte d’une indiscrétion vis-à-vis des officiers étrangers
qui suivent les grandes manœuvres. Un an et demi après, vinrent au jour les
recherches de M. G Sée sur la caféine et ses communications à l’Académie de
Médecine, sur le môme objet, pendant que je continuais à expérimenter sans bruit,
l’emploi du Kola dans l’alimentation du soldat. Je dus alors intervenir dans le
débat, à la suite de l’affirmation de M. G. Sée que le Kola (comme le thé, le maté,
le café) n’agissait sur la marche que par la caféine seule. Toutes mes études, déjà
longues, protestaient contre cette assertion.
�LES KOLAS AFRICAINS
317
Le 11 septembre journée de repos : à midi repas assez médiocre
comme quantité et comme qualité nutritive. A 6 heures du soir, je
reçois l’ordre de partir pour une course de 30 à 35 km. : je pars
sans manger et avec de fortes dispositions au sommeil. A 7 h. à la
première halte, la faim se fait sentir ; il m’aurait fallu du temps
pour trouver des vivres et je devais partir de suite. Excellente occa
sion d’essayer le produit ; j’en consomme une cartouche (50 gram.)
et, un quart d’heure après, le sentiment de la faim avait disparu ;
puis peu à peu je remarquai que mes mouvements devenaient de
plus en plus faciles. Une heure après environ, j’arrivai au pied
d’une longue côte, je la franchis sans trop de peine, et pourtant je
crois que dans les conditions normales, après un repas ordinaire, je
ne serais pas arrivé au bout sans descendre de ma machine : j’ache
vai ma course, remis mes dépêches et quand je rentrai vers 10 h.,
je me sentais absolument gai et dispos, plus peut-être que je ne
l’avais été depuis le départ. — J ’ai évidemment dans cet essai
dépassé la dose nécessaire pour me donner des forces, mais je n’en
ai ressenti aucune incommodité, loin de là, beaucoup de bien-être.
Le 13, nouvelle expérience. — La course était de 11 km. à l’aller
et autant pour le retour. La route un peu accidentée, les montées
équivalant aux descentes, d’où travail égal à l’aller et au retour.
J’étais parti fatigué, la moindre montée m’obligeait à mettre le pied
à terre ; le trajet me prit un temps très long ayant dû plusieurs
fois m’arrêter pour laisser passer des colonnes. Je rencontrai en
route le vaguemestre qui me remit la boîte contenant vos galettes ;
j’en pris deux aussitôt, puis deux encore une fois arrivé et je
repartis presque immédiatement. Le trajet s’accomplit dès lors avec
une grande facilité, sans mettre pied à terre une seule fois, et en
50 minutes ; enfin j’arrivai à mon point de départ bien plus dispos
que je n’en étais parti. Depuis je n’ai plus fait d’expériences en
règle, mais j’ai pris, à diverses reprises, des galettes quand je me
sentais fatigué ou envahi par le sommeil, et je m’en suis bien
trouvé.
Signé : LA PIQUE, Licencié ès-sciences, aide de clinique à l’Hôtel-Dieu de Pa<'is,
6, rue de la Bourse, à Epinal.
�318
ÉDOUARD HEGKEL
Paris, le 29 Janvier 1889.
... En définitive, j’ai fait durant deux jours, fin octobre 1888,
fessai de vos biscuits et je les ai fait essayer par deux officiers de
mes amis. Pour ces derniers, l’un a été satisfait sans détails. Le
second, partant de Lautaret de grand matin, est allé prendre le train
de 7 b. du soir à St-Jean de Maurienne, avec environ 9 heures de
marche sans arrêt, et a diué le soir à 8 h. et demie seulement. C’est
un garçon de grand appétit ; une ration de six biscuits l’a très bien
soutenu pendant toute cette longue journée et il est arrivé le soir
saus grande fatigue et sans grand appétit. Pour moi, j’ai pu le premier
jour, avec les biscuits et en mangeaut, sans faim d’ailleurs, deux
œufs à midi, passer la journée de 6 h. du matin jusqu’au soir sans
fatigue d’estomac ni de jambes. Le lendemain, tenant à faire l’expé
rience plus complète, je ne pris que des biscuits depuis le matin
Gh. et demie jusqu’à 5 h. du soir : je remarquai que deux biscuits
me tenaient sans faim enviion une heure. Ce temps passé, j’en
reprenais deux autres et ainsi de suite. En résumé, j’en pris douze.
A 5 b., je rentrais et trempais deux biscuits ordinaires dans un
verre de vermouth, ce qui me mena jusqu’au dîner. Dans la nuit,
aucune fatigue d’aucun genre ni aucune excitation. Il est vrai que
j’ai expérimenté pendant deux jours de chasse fatiguante. En défi
nitive réussite réelle et utilité très sérieuse de vos produits, voilà
mon impression et celle des officiers qui ont expérimenté avec
moi.
Signé : A. CHANCEL,
Ex-ingénieur des ponts et chaussées,
Conseiller Général des Hautes - Alpes,
Président du Club Alpin (section de Briançon).
La Rochejacquelin, près Durta.1 (Maine-et-Loire).
Je vais annoncer dans un article sur vos Rations que je destine
à l’Union de l’ouest, les changements apportés depuis l’an dernier
à vos excellentes rations accélératrices.
Mon frère, ollicier de réserve au 2e chasseurs à cheval, chasseur
intrépide à courre et à tir, ainsi que moi, avons été enchantés du
résultat obtenu avec vos rations, pendant la saison 1888 à 89. Elles
�LES KOLAS AFRICAINS
319
ont suffi pour nous soutenir pendant les huit premiers jours de
chasse, presque sans le secours d’aucune autre nourriture. Je dois
vous dire cependant que mon frère a dû cesser leur emploi exclusif
au bout de ce temps, son estomac s’en était fatigué, tandis que le
mien, soumis au môme régime, ne ressentait aucune irritation ni
aucune lassitude. Je suis convaincu que votre découverte est
appelée à une rapide vulgarisation, et, pour ma part, je ne cesse
autour de moi de la conseiller aux chasseurs, aux facteurs, aux
agents de la voirie et des ponts et chaussées.
Signé : Le Comte De BLOIS, Conseiller général de Maine-et-Loire.
Rapport du Lieutenant-C olonel G alliéni du 4" Régim ent d’in
fanterie de Marine, concernant l ’em ploi des rations conden
sées accélératrices du D1' H eckel. ( E x p é rie n c e s fa ite s p a r o rd re
m in is té r ie l J
Les expériences relatives à l’emploi des rations condensées
accélératrices ont donné lieu à une série de marches exécutées :
les deux premières par une Compagnie du Régiment, les trois
autres, par un détachement de 12 hommes sous la conduite d’un
officier.
Les deux premières marches respectivement de 45 à 48 km. ont
permis de constater déjà les heureux effets de cette préparation,
car elles ont été accomplies avec un entrain remarquable.
J’ai assisté moi-même à l’une de ces marches et j’ai pu observer
que le retour, alors que les hommes étaient sous l’influence des
biscuits absorbés à chaque halte horaire au nombre de deux, s’est
effectué avec une rapidité peu commune. On peut dire, du reste, et
c’est là la caractéristique de ces biscuits, quand ils sont pris d’heure
eu heure, aux haltes horaires par exemple, que l’allure de la.
marche augmente progressivement avec la longueur de l’étape.
Au retour à la caserne, avant de rompre les rangs, j’ai inter
rogé moi-même un grand nombre d’hommes et tous m’ont affirmé
qu’ils ne se sentaient pas fatigués.*Deux même, m’ont dit sponta
nément : « mais nous recommencerions de suite ». 11 était,cepen-
�320
ÉDOUARD HECKEL
dant. 6 h. du soir et les hommes avaient déjà 48 km. dans les jambes
avec un chargement complet et par une température qui avait été
très élevée ce jour-là.
La 2e série d’expériences faite avec une douzaine d’hommes pris
au hasard, démontre surabondamment les excellents effets de ces
rations au point de vue de la suractivité donnée aux hommes en
marche, et de la possibilité d’exécuter ainsi des marches forcées
dans d’excellentes conditions. Pendant trois jours consécutifs, ce
détachement a parcouru successivement des trajets de 40, 48 et-50
kilomètres. Dans la seconde marche, la vitesse a été de 5 km. à
l’heure et c’est encore au retour que cette vitesse a été la plus
forte. Les hommes, qui n’avaient pas marché depuis quelque temps,
souffraient de meurtrissures aux pieds déterminées par ces étapes
successives : on craignait après la 2e, qu’une partie d’entre eux ne
pût supporter la 3e étape, qui était signalée comme la plus pénible.
Il n’en fut rien et c’est avec un véritable entrain qu’ils accompli
rent les 50 km. de cette marche, en pays montagneux et rocheux
privé de tout sentier.
La petite troupe s’est élevée à 720 mètres d’altitude. Le retour
s’est effectué avec une vitesse remarquable : en 2 h. 15, le détache
ment faisait les 12 km. qui séparent le Revest de Missiessy. — Nos
soldats, si sceptiques quand il s’agit d’invention nouvelle, ont
reconnu avec ensemble que leur énergie était due aux biscuits
absorbés pendant les marches. Plusieurs d’entre eux, que j’ai vus
le lendemain, ne paraissaient nullement fatigués et se déclaraient
prêts à recommencer et à faire même une marche plus longue et
plus difficile, si le biscuit leur était distribué à raison de deux
tablettes à chaque halte horaire.
En résumé, j’estime qu’il n’y a aucun doute à avoir sur les heu
reux effets du biscuit HECKEL au point de vue de la suractivité
donnée à nos hommes en marche. Il est certain que, par la méthode
cumulative, quatre biscuits ajoutés après le repas au régime normal,
suffisent pour le dégagement des vertus accélératrices du produit.
Avec cette méthode, il me semble facile désormais de pouvoir faire
quand on le voudra, des marches forcées de plusieurs jours. En
faisant varier le nombre des biscuits de huit à seize, on aura des
effets absolument remarquable^, ce qui permettrait de compter
avec, certitude sur les résultats attendus de ces produits. — J’ajou-
�LES KOLAS AFRICAINS
terai, pour conclure, que nos hommes mangent avec plaisir ces
biscuits et qu’aucun effet fâcheux n’est résulté de cet emploi.
Toulon, le 22 janvier -1889.
Signé : GALLIENI.
Observations de marche en montagne par M. H. DUHAMEL,
V ice-Président du Club A lpin Français (section de l ’Isère).
D’après les nombreuses expériences que j’ai faites, il résulte pour
moi d’une façon certaine que vos biscuits absorbés à faible dose
(2 par 4 heures) en sus de l’alimentation usuelle, suffisent pour
permettre d’utiliser, sans congestion ni fatigue, un effort muscu
laire considérablement augmenté et qu’ils semblent régulariser la
circulation et la respiration malgré les efforts et la chaleur exté
rieure : la transpiration est généralement moins abondante que
lorsqu’on n’use pas de vos biscuits.
En résumé, votre préparation agit de la façon suivante (pour les
efforts musculaires à développer) jusqu’à 4000 mètres d’altitude :
1° nutritif ; 2° tonique ; 3° régulateur de la circulation sanguine.
Gières (près Grenoble), le 26 avril 1889.
Signé : Duhamel.
C’est, je l’ai dit, après les expériences (voir page 316) de
M. Lapicque, chef de laboratoire de M. G. Sée, que parurent les
travaux de ce savant professeur sur les propriétés de la caféine.
M. Lapicque, on l’a vu, s’était formé une opinion non douteuse
sur le Kola et ses expériences auraient pu éclairer M. G. Sée. On
sait, d’après ce que j’ai dit dans la partie physiologique de cette
étude, que M. G. Sée d’abord, et son élève, M. Parisot, ensuite, sou
tinrent, le premier à l’Académie de Médecine et le second dans
sa thèse, que toutes les propriétés du Kola étaient dues à la caféine
libre, et (malgré mes dénégations formelles, attribuant une grande
part d’action au rouge de Kola, aujourd’hui Kolanine), rien qu’à la
caféine. Dès lors, le sort du Kola était jugé, d’autant que M. le Dr
Collin, inspecteur général, avait, dans la discussion, tout naturelle
ment penché pour l’emploi plus simple de la caféine aux lieu et
�322
ÉDOUARD HECKEL
place de cette graine. Le ministère de la guerre, à la suite de
cette communication acad inique annihilant les rapports mili taires
que je viens de relater, rejeta mes propositions d’introduction de
l’alimentation au Kola en campagne (1). Mais, c’estaussi à la suite de
ce débat public, devant l’Académie de médecine, que M. Duhamel,
vice-président du Club Alpin français et alpiniste bien connu,
instruit par ses essais propres sur la valeur du Kola compa
rativement avec la caféine, et aussi par les expériences
dues à un grand nombre d’alpinistes français sur les Rations
au Kola, n’hésita pas à protester publiquement contre les assertions
de M. G. Sée, et se fit fort de dépasser, dans une ascension
au Mont-Blanc, n’importe quel adversaire plus solide et plus
entraîné que lui à ces marches, à la condition qu’il prendrait du
Kola tandis que son antagoniste n’emploierait que de la caféine :
une fois terrassé par la marche malgré la caféine, il proposait de le
remonter avec du Kola. Le défi ne fut pas relevé. M. G. Sée se borna
à déclarer, en pleine Académie de Médecine, que la proposition de
M. Duhamel ne constituait pas une expérience scientifique. C’est
alors que, de différents côtés, des hommes intelligents, bons obser
vateurs, s’intéressèrent à ce débat et spontanément se mirent à
expérimenter, en plaine comme en montagne, les effets comparés du
Kola et de la caféine sur la fatigue et l’essoufflement déterminés
par les grandes marches. La communication spontanée de ces
observations, faites et recueillies par des personnes qui me sont
complètement inconnues, me permit de publier en 1890, dans le
M'arseille-Médical, une réponse facile et d’ordre tout à fait pratique
aux affirmations de M. G. Sée.
C’était la preuve empirique des faits physiologiques ultérieure
ment établis et démontrant la supériorité du Kola et du
rouge de Kola sur la caféine pure (expériences de MM. Dubois et
Marie de Lyon, pages 246 et 252). Je crois devoir relater ici ces
observations : elles ont, au point de vue de l’emploi pratique du
Kola pendant les marches, une véritable valeur. Par la concordance
des résultats obtenus, elles sont très démonstratives.
Voici les expériences de M. G. Tardieu, pharmacien de l re classe,
ex-interne des hôpitaux (2).
(1) Il importe que la responsabilité de M. G. Sée soit bien établie sur ce point.
(2) «Toutes ces expériences ont été faites avec les Galettes dites Rations accéléra
trices qui contiennent 1 gr. de Kola et pèsent 10 gr. environ.
�LES KOLAS AFRICAINS
323
Sisterou, 5 juin 1890.
l ro E
x p é r ie n c e
« Je viens d’inaugurer une série d'expériences comparatives
» avec les galettes au Kola, et, pour commencer, j’ai fait une
» journée préparatoire couronnée d’un succès étonnant. Un de ces
» derniers jours, qu’il ne faisait pas encore trop chaud, je suis
» parti à 9 heures du matin par un soleil déjà piquant, sans avoir
» préalablement rien pris à mon lever (6 h. du matin). Après 9 kilo» mètres de marche à pied, j’ai pris deux galettes et bu un quart
» d’eau; sitôt après, j’ai commencé l’ascension de Gâche, mon» tagne boisée au midi, à pic au nord ; vers une heure de l’après» midi, deux nouvelles galettes et un quart d’eau, à 3 heures, halte
» d’une heure ; avant le départ, à 4 heures, deux galettes et de
» l’eau, retour à Sisteron par une autre route (j’avais tourné la
» montagne); arrivée à 7 heures du soir sans la moindre fatigue et
» saus grand appétit. J’avais fait exactement trente-cinq kilomètres
» de montagne, en m’élevant de 500 à 1.208 mètres en neuf heures
» de marche, le tout avec neuf galettes. Le soir, après souper, je
» travaillais et écrivais jusqu’à 11 heures, sans besoin trop grand
» de me reposer ».
2 me E
x p é r ie n c e
« Voici ma deuxième course.— Sisteron, 8 juin. J’ai marché de
» 4 heures du matin à midi 1/4 avec cinq galettes, sans autre nourri» ture. Le directeur des Frères de l’école chrétienne, botaniste
» passionné, a fait la course avec moi dans les mêmes conditions.
» Cela fait donc 8 heures de marche environ; en retranchant les
» arrêts (deux seulement) de 1/2 heure chacun, il reste 7 heures de
» marche à travers les valions abrupts, les marnes ou lavines ravi» nées, montant, descendant à tout instant et dans de très mauvais
» passages. E s s o u f f l e m e n t n u l , p a s d e f a t i g u e et cela a été obtenu
» avec cinq galettes de rations accélératrices : il a été franchi 26 kilo» mètres en ligne droite (aller et retour compris). Je dis pas de
» fatigue; en effet, arrivé à midi ! /4, j’ai déjeûné de grand appétit,
» j’ai lu mon journal, j’ai servi mes clients à la pharmacie d’une
» heure à deux heures. A ce moment, je me suis rendu à l’école
�324
»
»
»
a
»
ÉDOUARD HECKEL
primaire pour siéger comme examinateur au certificat d’études;
à 4 heures, je faisais mon courrier et, en outre, une promenade
jusqu’à 7 heures. A 10 heures 1/2, je me couchais, sans connaître
cet éreintement qui suivait mes courses de ce genre avant que
j’aie adopté l’emploi des galettes au Kola.
Sisteron, 24 juin.
3 me E x p é r i e n c e
« J’ai fait une double expérience COMPARATIVE. Jeudi avec la
» caféine, lundi avec le Kola.
» Jeudi matin, avant midi, j’ai refait la course de Gâche que
» j’avais faite, grâce au Kola, le 3 juin, avec la plus grande facilité,
» et quia été l’objet de ma première observation. J’ai pris, aux lieu et
» place des rations accélératrices, des cachets médicamenteux con» tenant 0 gr. 015 de caféine pour chaque biscuit que j’avais ingéré
» dans la première course. J’étais parti à 4 heures du matin. Jus» que vers huit heures, cela n’a pas trop mal marché; mais de huit
)) heures à 11 h. 1/2, j’ai traîné la jambe tout le temps malgré la
)) caféine répétée. Je suis enfin arrivé chez moi, je ne dirai pas
» éreinté, mais guère moins, très altéré et l’estomac tiraillé horri» blement par l’appétit. J’ai été essoufflé comme on l’est'pour mon» ter les côtes raides et abruptes quand on n’a pas pris de Kola, et
» mes jambes étaient brisées. Je ne crains pas de dire que j’étais
» un peu plus fatigué que lorsque, les années précédentes, je fai» sais ces courses en emportant mon déjeuner du matin que je
)) prenais vers 8 heures. Je ne recommencerai plus avec la caféine ;
» mais avec le Kola c’est tout différent, ainsi qü’on va le voir par
» l’expérience suivante :
» Mon ami, M. Laborde, et moi avons pris, dimanche soir 22
» juin, le train des Alpes à 9 h. 1/4 ; nous avions soupé à 7 heures,
a A 10 h. 3/4, nous couchions à l’hôtel à Veynes, où nous dormî» mes jusqu’à 3 h. 1/2 du matin, heure à laquelle nous prîmes une
» tasse de café noir. Départ par le train pour Saint-Julien-en-Beau» chêne où nous arrivons à 5 h. 1/2. Nous nous mettons en route
» immédiatement pour une forte excursion en montagne. Après
» une heure de marche, sur une route montant graduellement
�LES KOLAS AFRICAINS
» jusqu’à la Chartreuse de Durbon, nous prenons deux galettes et
» buvons de l’eau, sans suspendre notre marche. Nous commen» çons ensuite J’ascension de la montagne de Durbon. A 7 h. 1[2,
» sur le plateau de Bergenis, deux galettes et de l’eau. Reprise de
» l’ascension sans arrêt ; arrivée au sommet (Durbonnas) à 8 heu» res et demie. Là, brouillard intense, vent du Nord, 5° centigra» des. Nous prenons deux galettes et de l’eau à 2°5 ; arrêt d’une
» demi-heure pour laisser passer le brouillard et jouir de la vue.
» Nous avions déjà, à ce moment, avec six galettes, marché trois
» heures pendant lesquelles nous nous étions élevés de 932 mètres
» à 2.100 mètres, soit 1.058 mètres, en hauteur, franchis sans
» fatigue.
» Départ du sommet à 9 heures ; marche à La Lauze, bergerie
» entre le Devoluy et Durbon, où nous arrivons à 11 h. 3/4; arrivée
» à la première habitation du hameau deGleize, à midi 1/4. Halte
» d’un quart d’heure ; une galette, c’est la neuvième. Du pic de
» Durbonnas au hameau de Gleize nous avons franchi 3 cols suc» cessifs ; c’est dire si les jambes ont manœuvré. Descente de
» Gleize sur Veynes où nous arrivons à 3 heures après midi, après
» 9 h. 1/2 de marche pendant lesquelles nous avons consommé
» neuf galettes et de l’eau. Les haltes ont duré une heure en 3 fois.
» Arrivée à Sisteron en chemin de fer à 6 heures, nous soupons à
» 7 heures, c’était le premier repas depuis 24 heures. Je me suis
» couché non fatigué à 10 h. 1/2, comme d'habitude, et le matin je
» me suis levé frais et dispos à 6 h. 1/2. »
Ces expériences d’une incontestable valeur, en raison même de
l’esprit d’observation qui caractérise M. Tardieu, établissent nette
ment qu’il n ’y a aucune parité entre l’action de la caféine
libre et celle de l’alcaloïde contenu dans le Kola absorbé en
nature.
Les galettes au Kola renferment chacune en Kola au maximum
0 sr 0125 de caféine et théobromine après torréfaction préalable de
la graine, opération qui lui fait perdre un peu de ses alca
loïdes. Or, M. Tardieu a absorbé dans ses expériences à la caféine,
pour chaque biscuit de Kola qu’il aurait pris en route, un cachet de
Ogr. 015 de caféine, c’est-à-dire 5 milligrammes de plus qu’il n’en
eût absorbé avec chaque biscuit au Kola, et on a vu le singulier
résultat qu’il en a obtenu contre la fatigue, la faim et l’essouffle-
�EDOUARD HECKEL
meut. La méthode ne comporte aucune erreur. C’est évidemment
ia nature spéciale de la caféine contenue dans le Kola qui fait
toute la différence.
La conclusion à déduire est nette : ce n’est pas la caféine
libre seulement qui agit dans le Kola, elle paraît même avoir
une part réduite, je ne saurais trop le rappeler, dans l’ensemble
de l’action physiologique du Kola sur la fatigue et l’essoufflement.
M. Ch. Eloy, dans un article sur les indications thérapeu
tiques de la médication musculaire, in Revue générale de clinique
et de thérapeutique (n° 26, 25 juin 1890), dit (page 414), « à une dose
» faible, la caféine rend les mouvements plus aisés et facilite la
» respiration en l’accélérant. C’est la dose eupnéique de la caféine. »
Sans entrer dans la discussion du fond qui est hors de mon objet,
je me demande quelle est cette dose : ce n’est certainement pas
celle qu’a prise M. Tardieu, et comment se fait-il qu’une dose de
caféine libre, supérieure à celle qui est contenue dans le
Kola, reste inactive dans le premier cas et devienne eupnéique dans
le second, c’est-à-dire quand elle est ingérée avec ce qui reste dans
le Kola ? Je pose la question à M. Eloy et je passe à d’autres obser
vations.
Sisteron, 5 et 6 juillet.
4 me
E
x p é r ie n c e
Essai comparatif du Kola et de la caféine
a De Sisteron à Bayons, de Bayons à Seyne et de Seyne au Lau» zet. Départ à pied du plan de la Motte à 6 h. 1/2 du soir. Arrivée
)) à Bayons à 8 h. 1/2 (14 kil. en 2 heures, vu le temps frais),
» par une route graduellement ascensionnelle sans montée trop
» prononcée tout le long du chemin. J ’ai pris une galette à 7 h. Mon
» compagnon de route n’en a pas pris et arrive plus fatigué que moi
» de cette marche accélérée. Lever à 3 h. 1/2 du matin. Départ à 4
» heures. Je prends un paquet de caféine pure de 0,015 milligr.
» toutes les heures pendant que mon compagnon prend une galette
» au Kola. A 9 heures, après 5 heures de marche en montagne, sur
)) le col qui fait communiquer la vallée de Sasse à la vallée de la
» Blanche, à 1.600 mètres d’altitude environ, mes jambes n’ont
�LES KOLAS AFRICAINS
327
)) plus la vigueur qui les anime depuis que j’emploie le Kola,
» de plus j’avais soufflé ferme pour atteindre le col. Je sens cette
» fatigue consécutive à la montée prolongée, telle que je l’ai con» nue autrefois avant l’emploi des galettes au Kola, l’année der» nière à peine. De plus, je suis travaillé depuis une heure par
» une sensation de faim irrésistible et très impérieuse. Il restait
)) encore uue heure 1/2 à 2 heures de trajet. Je me décide à aban» donner la caféine et à prendre du Kola. J’absorbe deux galettes
» d’autant plus volontiers que mon compagnon de route m’affir» mait que pour lui, il n’avait aucune faim et attendrait très
» facilement midi, s’il le fallait. Vingt minutes environ après les
» deux galettes prises, je sens mes jambes plus actives et surtout
» la sensation de la faim disparaît. Je puis ainsi arriver à Seyne
» à 10 h. 1/2 avec une allure très convenable pour des gens qui
» marchaient déjà depuis 4 heures du matin, avec une demi-heure
» d’arrêt seulement.
» Déjeuner à Seyne à midi. Occupations jusqu’à 4 heures :
» inspection des pharmacies, drogueries, épiceries et eaux gazeu» ses. Donc, je ne m’assieds pas. Départ de Seyne à 4 h. 1/2 par
» route de montagne. Arrivée au Lauzet à 8 h. 3/4, après 4 h. 1/2
» de marche, après avoir franchi 21 kil. dont moitié environ en
» montée, et pris deux galettes, une à 6 heures, l’autre à 7 heures.
» Fatigue légère résultant surtout de l’accélération de la marche.
» Les 12 derniers kilomètres en descente ont été franchis, en effet,
» en moins de 1 h. 3/4 (de St-Jean au Lauzet). Repos d’une heure
» au Lauzet. Puis, la diligence de Barcelonnette nous emporte dans
» cette sous-préfecture où nous arrivons à 12 h. 3/4 par 1° centi»-grade au-dessous de zéro. Sommeil très calme d’un trait jusqu’à
» 7 heures du matin. Le lendemain pas de fatigue, prêt à recom» mencer si j’en avais eu le temps (1). »
(1) Ces expériences multipliées et dont la série continue encore aujourd’hui,
ont inspiré à M. Tardieu les réllexions suivantes :
« Pour être convaincu de l’action énergique du Kola, il faut l’employer seul, c’est» à-dire se nourrir unicpiemenl de biscuits. Le régime mixte (avec galettes au Kola
» et alimentation normale) est une méthode défectueuse quand on veut se former
» une opinion sur la valeur exacte du Kola en tant qu’excitant à la marche. Toutes
» les fois que j’irai désormais en montagne, j’emploierai exclusivement le Kola et
» ne porterai rien autre chose que des galettes au Kola. Mon co-expérimen-
�328
ÉDOUARD HECKEL
Voici les expériences de M. Elie, Inspecteur des forêts.
Sisteron, 16 juillet 1890.
‘ « Monsieur, je vous envoie, comme je me le suis promis, une
» note succincte sur l’emploi que j’ai fait des galettes à base de
» Kola.
» Les expériences des 24, 25 et 27 juin 1890, ont été faites en
» collaboration avec M. Dol, garde général des forêts à la Motte» du-Caire, qui a été très satisfait des résultats. M. Arien, garde» général à Folcalquier, en a essayé aussi et a pu faire une journée
» de 15 heures de marche très dure avec six galettes seulement.Nos
» résultats concordent donc avec ceux que vous avez recueillis
» ailleurs.
» Je compte, du 27 juillet au 3 août, faire une tournée d’études
» tateur M. Laborde est absolument du même avis que moi et c’est aussi le senti» ment de M. Elie, inspecteur des forêts.
» 11 est une sensation que j’ai omis de noter dans mon rapport, c’est la gaité
» qui accompagne le marcheur jusqu’au bout de sa course et que j’attribue entière» ment à l’action nerveuse du Kola. Le soir de notre marche sur Seynes et Le Lauzet,
» à la descente de Saint-Vincent, c’est-à-dire au bout du 45me kilomètre environ
» de marche en montagne, j’allais d’un pas de 6 kilomètres à l’heure, sifflant et
« chantant sans contrainte et tout à fait sans m’en douter. J ’ajoute que le Kola a
» aussi la propriété d’atténuer le vertige qui est si commun en montagne.il y a dix
» ans, je ne connaissais pas cette sensation pénible, aujourd’hui je la redoute beau» coup, surtout en pays inconnu. Or, le jour de marche à Durbon, nous avons dû
» traverser un banc de rochers, où, dans tout autre moment, j’aurais éprouvé
h quelques craintes. Ce jour-là, j’ai passé sans m’en préoccuper.
i M. Elie, inspecteur des forêts, qui expérimente ici le Kola avec la plus grande
» satisfaction, j’ajoute avec la méthode la plus rigoureuse, a conçu à la suite de ses
h essais, sur l’action du Kola, une opinion qui, à divers points de vue, diffère un
» peu de la mienne et de celle de M. Laborde. Il prétend que le Kola ne donne pas
h de jambes, qu’il ne fait que donner de l’entrain et une confiance qui fait mieux
« marcher. Tel n’est pas mon avis. J’ai fait dernièrement une expérience involon« taire qui corrobore ma manière de voir. Parti à 4 h. du matin, j’ai fait la petite
» ascension d'Hongrie, montagne des environs de Sisteron, isolée et d’un accès
h très raide. A 10 h. 1/2 la course était terminée, soit 6 h. 1/2 de marche en tout,
» avec 1/2 heure d’arrêt. Je marche bien le matin, et j’étais du reste entraîné par
» mes courses précédentes. Je ne pris donc pas de Kola et déjeunai chez un ami au
« pied de la montagne, très copieusement, mais cependant avec assez de modération
n pour ne pas compromettre mes jambes. Après le repas, je gravis une pente raide
» et je la descendis très facilement. Mais le soir venu, j’étais plus fatigué que je ne
» l’avais été à la suite d’aucune des courses bien plus fortes faites avec le secours
du Kola, et le soir je tombais de sommeil. Mon opinion est basée sur cette expé
rience. »
�LES KOLAS AFRICAINS
» de 6 jours consécutifs à Barcelonnette, dans la plus haute rnon» tagne des B.-Alpes. Je continuerai mes expériences sur le Kola
» et vous en fournirai les résultats. Au total, mes observations sur
» le Kola se résument en ceci : si actif que soit le Kola, il ne peut
» d’un mauvais marcheur en faire un bon, pas plus que d’un bon
» il n’en fera un meilleur, fl n’a pas d’action sur la valeur mar» chante du sujet ; mais il est précieux en ce qu’il permet, sous
» une forme facile et agréable, d’absorber une nourriture forti» fiante, réparatrice. Il donne ainsi de la confiance au marcheur...
» Quant au sommeil qu’il permet, il est léger, délicieux, répara» teur ; c’est un vrai sommeil d’enfant qui ne laisse au matin
» aucune fatigue, aucune dépression. Pas de sentiment de paresse,
» le matin de si bonne heure qu’il faille partir. M. Tardieu a fait
» essai de la caféine et n’en a pas été satisfait, j’ai jugé dès lors
» inutile d’essayer moi-même.
» 1° 6 juin 1890. — A 6 h. 1/2 du matin, pris deux galettes
» avec un verre d’eau. Longue marche en montagne durant 4 heu» res ; ascension de 900 mètres environ rendue très facile et suppor» tée très aisément. Aucun malaise ; au contraire, un sentiment
» de gaieté et de bien-être. A dix heures, l’effet disparait et un peu
» de fatigue se fait sentir. Le déjeuner n’a lieu qu’à midi 1/4 ; la
« course se continue le reste du jour et représente exactement
» 10 heures de marche non interrompue, en défalquant l’heure du
» déjeuner et les pertes de temps.
» 2° 10 et 11 juin. — A 6 heures du matin, pris deux galettes
» avec un verre d’eau, puis longue marche en montagne en m’éle» vant à 1000 mètres. Pas de fatigue, mais vers 10 heures légère
» dépression ; la faim se fait sentir. Léger déjeuner froid vers midi
» et reprise des marches. Chacune de ces journées a été de 10 heu» res. L’allure a été excellente durant les après-midi.
» 3° 12 et 13 juin. — A 6 heures du matin, pris deux galettes,
» avec un verre d’eau. Puis marche avec élévation de 1000 mètres ;
» vers 9 heures, sensation de vide stomacal ; pris une galette à sec.
» La force revient d’un coup, la marche est facile. A midi déjeuner
» froid, puis retour. Ces journées sont chacune exactement de
» Il heures de marche. La marche de l’après-midi a atteint un
» résultat étonnant, les jambes sont comme poussées par un ressort.
�330
ÉDOUARD HECKEL
» Le matin, lever sans difficulté, pas de dépression, ni de fatigue,
» le corps est très dispos.
» 4° 20 juin. — Long trajet en voiture après un verre de café froid
» seulement. A 9 heures du matin, avant de commencer la marche,
» mangé une galette à la main. Plus de sensation de faim, la marche
» est facile. Etat excellent, aucune envie de dormir.
» 5° 24 ju in .— Pris deux galettes avec un verre d’eau, puis
» départ à 4 heures du matin. Ascension de 1000 mètres ; à 7 heures
» pris deux galettes avec de l’eau, continuation de la marche jus» qu’à 11 heures : la chaleur est excessive, 33° centigrade à l’ombre
)) Distance parcourue dans la matinée : 25 kilomètres avec quatre
» galettes. Déjeuner chaud et léger, à 11 heures. A 1 h. 1/2, nouvelle
» course de 5 heures avec ascension à 600 mètres. La fatigue à ce
» moment commence à se faire sentir.
» 25 juin. — Départ à 5 heures du matin, après avoir pris deux
» galettes et un verre d’eau. Ascension de 600 mètres de 5 heures
» à 7 heures 1/2; pris alors une galette à la main, puis marche.
» Déjeuner chaud à 11 heures et retour. Ces deux journées des 24 et
» 25 juin représentent la première, treize heures de marche exacte» ment et dix la seconde, soit 23 heures avec ascension de 2200
» mètres dans des sentiers affreux.
» 27 juin. — Pris à 7 heures, deux galettes avec eau. Course très
» pénible avec ascension de 700 mètres, chemins affreux, chaleur
» suffocante. Déjeuner froid léger à 11 heures, puis retour. La
» journée représente 10 heures de marche exactement.
» Remarque applicable à toutes le s marches : La sueur est normale,
» mais la soif est bien diminuée par l’action du Kola. Les articula» tions des jambes jouent avec une facilité remarquable. Aucun
» dérangement stomacal, pas plus au début qu’à la fin des expé» riences. Le sommeil est bon, les réveils sont faciles et sans
» fatigue. »
Sisteron, 8 août 1890. — Monsieur, « Comme je vous l’avais
» promis, je vous adresse aujourd’hui le résultat de mes expériences
» dans les plus hautes montagnes des Basses-Alpes, autour de
» Barcelonnette.Grâce au Kola, j’ai pu résister aux terribles fatigues
» d’ascensions continuées pendant 6 jours consécutifs, en prenant
» très peu de repos, cinq heures au plus par nuit. Pour moi, je le
�LES KOLAS AFRICAINS
331
» répète, le Kola est un puissant excitant à la marche ; il donne des
» jambes et permet à un marcheur bien entraîné de fournir des
» traites excessives et cela sans fatigue. »
5e Série d’expériences en montagne, faites par M. Élie.
30 juillet 1890. — Départ à 6 h. matin; après avoir pris une
tasse de café froid et deux galettes au Kola, marche en montagne,
puis une galette sèche vers 9 h. du matin. « Déjeuner ordinaire
» sans appétit vers midi. La marche du matin a duré 5 heures :
» nouvelle marche de 5 h.dans l’après-midi, bien supportée.
» 31 juillet. — Pris à 6 h., une tasse de café et 2 galettes Kola;
» départ à 6 h. 1/2, longue marche en montagne par une chaleur
» extrême. Pris une galette sèche vers 9 h., retour à midi. La
» marche a duré 5 h. 1/2, sans un seul arrêt et représente 23 kilo» mètres au moins. Déjeuner à midi, mais sans appétit. L’après» midi, nouvelle marche de 3 heures.
» 2 août. — Pris 2 galettes, avec une tasse de café noir, marche
» eu montagne de 6 h. à midi en m’élevant de 1100 m. à 2300, soit
» 1200 m. grimpés en 6 h. par une forte chaleur : à 9 li., pris deux
» galettes et un verre d’eau. Déjeuner chaud à midi et repos
» jusqu’à 2 h. du soir. Nouvelle marche de 2 heures du soir à 8 h.
» par des chemins impossibles. La course, qui a duré 10 heures,
» représente 30 kilomètres avec ascension de 1200 mètres.
» 3 août. — A 6 h. du matin, pris une tasse de café froid.
» Départ en voiture à 6 h. 1/2, arrivée à 10 h. 1/2. Marche à partir
» de ce moment, après avoir pris 2 galettes sèches. Ascension de
» 200 m. en une heure, puis descente d’une heure, marche de
» 13 kilomètres. De midi 1/2 à 2 h. du soir, déjeuner chaud et
» repos. De 2 h. à 9 h. 3/4 du soir, parcouru d’une traite 39 kilo» mètres, donc 32 kilomètres ont été parcourus en moins de
» 12 heures, avec un seul repos d’une heure et demie,dans la haute
» montagne et par de mauvais chemins. »
Aux observations de MM. Tardieu et Elie (de Sisteron), viennent
se joindre avec un caractère spécial, les notes suivantes dues à
MM. Gourdon, attaché à la carte géologique de Franco, Troin, capi
taine des sapeurs pompiers de Marseille, enfin au docteur Chobaut,
d’Avignon.
�332
ÉDOUARD HECKEL
Observations de M. Gourdon, attaché à la carte géologique de
France. — Luchon (villa Maurice), 9 juillet 1890 :
« Depuis longtemps déjà dans mes excursions, j’avais essayé
» l’action de la cocaïne et de la caféine, sans en être satisfait. Faute
» de mieux, j’utilisais encore quelquefois cette dernière substance.
» Aussi ai-je été enchanté quand j’ai pu la remplacer par les
» biscuits de Kola.
» Les résultats sont absolument différents de ceux que j’avais
» obtenus avec la cocaïne et la caféine, et je n’hésite pas, après
» mes dernières expériences, à affirmer que les rations au
» Kola sont ce que j’ai trouvé jusqu’à présent de meilleur,
» de plus parfait pour les marches de longue haleine en montagne
» et en plaine. Comme l’a dit M. Duhamel, elles agissent principa» lement comme modérateur de la sudation, comme excitant
» musculaire, résultat que je n’ai jamais obtenu avec la caféine à
» quelque dose que ce soit. J ’ai la bonne fortune de jouir d’une
» belle santé et d’avoir un excellent estomac. Depuis plus de
» 30 années, habitué à parcourir, toujours à pied, à toutes les
» époques de l’année, nos Pyrénées du thalweg des vallées
» jusqu'aux plus hautes cimes, je nie trouvais, je crois, dans
» d’excellentes conditions d’entraînement pour faire dans nos
» montagnes les essais désirés.
» L’un de mes guides habituels, espagnol de naissance, très
» sobre comme moi-même dans nos campagnes alpines, ne buvant
» jamais de vin en route, mais usant uniquement, lorsque nous
» descendons dans les villages, de thé, dans la journée, ou
» d’eau, m’a paru un sujet propre à essayer comparativement
« avec moi, les effets physiologiques produits par la caféine ou
» le Kola.
» Nous avons donc fait deux fois la même ascension à deux
» jours d’intervalle, usant l’un de la caféine, l’autre du Kola, et
» changeant les rôles à la seconde course, en plus de notre nourri» ture ordinaire, qui consistait en pain et viande de conserve (600
» grammes pour nous deux dans la journée); l’eau des torrents et
» des glaciers servait à nous désaltérer. Toutes les deux heures,
» l’un de nous prenait un biscuit de Kola et l’autre un cachet
» de c’aféine de 0 gr. 15. Parti de chez moi à 4 heures du matin, j’y
�LES KOLAS AFRICAINS
» suis rentré à 7 heures du soir, après m’être alimenté de Kola,sans
» éprouver de fatigue, sans ressentir la moindre lassitude, absolu» ment comme si je n’avais fait qu’une promenade. Je ne parle
» point de l’altitude atteinte, plus de 3,000 mètres; pour moi elle
» ne peut entrer en ligne décompté dans nos Pyrénées, l’air raréfié
» de leurs hautes cimes, n’ayant jamais produit sur mon orga» nisme aucun effet susceptible d’entraver la marche ou les
» escalades.
» Les résultats observés pendant ces deux ascensions ont été
» absolument les mêmes sur moi ou sur mon guide, résultats que
» je considère comme d’autant plus concluants, que nous avons fait
» tous les deux usage, à tour de rôle, du Kola et de la caféine. Nous
» avons trouvé une grande différence entre les deux substances
» dont les effets sont absolument distincts. Aussi, je réserve toutes
» mes préférences pour les biscuits au Kola, que je n’hésite pas
» à regarder comme absolument parfaits en tous points. Us sont
» appelés à rendre les plus grands services à tous ceux qui, pour
» une cause ou pour une autre, doivent fournir des marches
» longues et pénibles. Qu'ils soient pris seuls ou comme sup» plément de nourriture habituelle, ils seront toujours de la plus
» grande utilité, et résument à mon sens, ce que l’on a fait de
» meilleur jusqu’à présent. »
Observations de M. le capitaine Trouin,
pompiers de Ma?'seille. (Lettre à M. Heckel).
commandant des
« Monsieur et honoré maître, permettez-moi de vous remercier
» tout d’abord de l’envoi gracieux des rations condensées accéléra» trices, que vous avez bien voulu me faire pour être essayées par
» la compagnie des sapeurs-pompiers de Marseille.
» J’ai eu, à diverses reprises, l’occasion de les employer et mes
» hommes s’en sont réellement bien trouvés.
» 1° Le poste du grand chemin d’Aix (sergent Darlet et caporal
» Chêne) a eu à les expérimenter à l’occasion d’un incendie qui se
» produisit au village des Aygalades, bien au-dessus de la raffinerie
» Saint-Louis, c’est-à-dire à une distance d’environ huit kilomètres.
» Chacun des hommes avait pris au départ, vers 4 heure du matin,
» deux de vos biscuits. Un seul d’entre eux, le sapeur Montoursy,
» avait refusé de se soumettre à ce régime.
�334
ÉDOUARD HECKEL
« Tous ses camarades sont arrivés sur le lieu du sinistre sans
» fatigue et sans essouflement, tandis que Montoursy était presque
» fourbu. Cette expérience est concluante, car, six hommes et deux
» chefs traînaient au grand pas gymnastique deux pièces, pompe et
» chariot, chacune du poids de 500 kilog. minimum.
» 2° Un deuxième essai a été fait par le même poste, à l’occasion
» d’un incendie allumé derrière l’abattoir (à une distance de six
» kilomètres environ).
» Tous les hommes, cette fois, ont pris vos rations. Tous sont
» arrivés sans fatigue, sans essouflement, et ont pu se livrer effica» cernent à leurs travaux.
» Je poursuivrai ces essais pour de plus longs trajets, et je me
» ferai un plaisir de vous faire part de leurs résultats.
» Mais je suis absolument convaincu pour mon compte person» nel qu’ils seront excellents, car j’en ai fait l’expérience dans de
» grandes marches, sur moi et sur mes enfants, qui en ont éprouvé
» le meilleur effet. »
Expériences communiquées par M. Duhamel et. faites par deux
de ses amis. (Lettre à M. Heckel).
l re Expérience. — Grenoble (Gères, 11 juillet) « M. le com» mandant Allotte de la Füye, du 4me régiment du génie, un
» de mes amis, après avoir fait pendant toute une journée
» des manœuvres avec les troupes de notre garnison au col
)) de ,1’Arc, est allé, de nuit, à pied, à Saint-Pierre-de-Chartreuse,
» puis, le matin arrivé, est monté au sommet du grand Som,
» soit un jour et une nuit de marche, grâce aux biscuits au Kola
» (rations condensées accélératrices). »
2me Expérience. — « Autre fait confirmant pleinement ce que j’ai
» proposé à M. Germain Sée. Un de mes collègues de Grenoble,
» M. Thorant, du Club Alpin français, a fait, la semaine dernière,
» l’ascension complète de la Meije (3.987 mètres), un des sommets
» les plus difficiles d’accès de toutes les Alpes ; il n’a absorbé que
» quelques-uns de vos biscuits pour toute nourriture, en gravissant
» ce pic, et s’est trouvé tellement bien de ce mode d’alimentation,
» qu’en arrivant au point culminant, il était aussi dispos qu’au
�LES KOLAS AFRICAINS
)> départ (1). La course à duré de J h. du matin à 10 h. du soir. »
Viennent enfin les importantes expériences comparatives les
plus récentes faites par MM. le docteur Chobaut (d’Avignon),
entomologiste distingué, . et Nicolas, conducteur des Ponts-etChaussées, durant leur ascension au Mont-Ventoux. Les voici,
en extrait, d’après le rapport que m’a adressé M. le Dr Chobaut.
« La noix de Kola a été employée sous la forme de biscuits
» accélérateurs (2), à la dose de deux toutes les heures et demie.
» Quant à la caféine (marque Robiquet, pharmacie Bourjac, à
» Avignon), elle a été prise sous la forme de cachets médicamenteux
)) de 1 centig. et demi(0 gr., 015), à la dose correspondante en Kola
» de deux de ces cachets toutes les heures et demie. Pour tenir
» compte delà pâte des biscuits, celui de nous qui prenait de la
)) caféine a ingéré en même temps un très petit morceau de pain,
» égal en volume à celui des deux gâteaux accélérateurs. Pour faci» liter la déglutition de ces substances sèches, nous avons absorbé
» une ou deux gorgées chaque fois de vin ou d’eau de Vais, ou
» même une infusion très légère de café.
» l re Expérience. — Ascension du Mont-Ventoux (1907m. au)) dessus du niveau de la mer ; 1500 environ au-dessus de JBédoin,
» point de départ).
» 21 juillet 1898. — État des ascensionnistes : M. Chobaut, 30
)) ans, constitution vigoureuse, avec tendance peut-être au lympha)) tisme, sans aucune altération d’organe. Pouls : 78, resp. : 22.
h M. Nicolas, 56 ans, complexion nerveuse et sèche, avec cœur
» et poumons sains et pas d’altération organique sensible. Pouls :
» 89, respiration : 22.
(1) M. Duhamel ajoute : « Permcttez-moi de vous signaler une rectification
» urgente à apporter à ma lettre du 26 août 1889 dont un extrait a été publié de
» divers côtés. A cette époque, je n’avais expérimenté et vu expérimenter les rations
» condensées accélératrices au Kola que dans la basse montagne, et je n’avais fixé
b la limite d’action du Kola à 1000 mètres d’altitude que parce que, à ce moment, je
b n'avais pas dépassé ce champ d’observation. En ce moment, vous pouvez, en
b toute confiance, dire que l’action du Kola contre la fatigue et le mal de montagne
b s’exerce à toute altitude possible. Cette rectification me semble d’autant plus
b nécessaire que quelques personnes ont déjà répandu le bruit, sur la foi de cette
b lettre, que les rations accélératrices au Kola peuvent être utilement employées
b mais jusqu'à 1000 mètres seulement. »
(2) Ces biscuits, du poids moyen de 10 gr., ne renfermaient que Ogr.50
de poudre de Kola chacun,
�336
ÉDOUARD HECKEL
» Lever à 4 h. du matin, après quatre à cinq heures de som» meil environ. A 4 h. 35, ingestion :
» M. Nicolas, de deux biscuits au Kola ;
» M. Chobaut, de deux cachets de caféine (et un petit morceau
» de pain), le tout arrosé d’uue infusion de café légère.
« Départ de Bédouin à 5 h. 8 du matin. Deux guides nous
» accompagnent; eux aussi prennent des biscuits de Kola, au
» départ et à chacune de nos haltes.
» Il nous font prendre le plus mauvais chemin de la mon» tagne, celui qui est connu sous le nom de par la Combe
» Curnier. Cette combe est un ravin profond, de trois kilo» mètres de longueur environ, aboutissant sur les flancs de
» la montagne à un point où il n’y a absolument plus trace
» de chemin, pendant six à sept kilomètres. Quand on a
» gagné la crête de la montagne, au-dessous de la forêt de
» pins à crochets (Pinus uncinata), il ne reste plus qu’à suivre les
» crêtes de la chaîne du Yentoux de l’Ouest à l’Est jusqu’à l’Obser» vatoire, pendant quatre à cinq kilomètres, toujours sans aucune
» trace de sentier et dans la pierraille de l’Urgonien. Avant d’arri» ver à l’entrée de la Combe Curnier, 5 kil. à faire. Nous y sommes
» à 6 h. 10. Altitude 650m, légère transpiration chez l’un comme
» chez l’autre, sans trace de fatigue. Repos de 3 minutes, pendant
» lequel nous prenons : M. Nicolas, 2 biscuits ; M. Chobaut, deux
» cachets de caféine. Nous buvons une gorgée d’eau fraîche, plus
» haut, à la source de la Combe.
» A 7 h. 35, nous sommes à 1000 mètres de hauteur environ,
» au sommet de la Combe Curnier. Très peu de transpiration, chez
» l’un comme chez l’autre ; beaucoup moins, certainement, que si
» nous n’avions rien pris, car tous deux nous avons la sueur facile.
» Diurèse abondante. Le chemin suivi jusqu’ici est des plus difïi» ciles, passant par un couloir où il y a à peine place pour le corps,
» avec des parois de 10 à 12 m. de hauteur et verticalement diri» gées. Malgré cela, pas de fatigue appréciable, ni aucun autre
» phénomène notable. M. Nicolas prend deux biscuits, M. Cho» baut, deux cachets de caféine, le tout arrosé d’un demi verre de
» vin. Le temps est superbe, cbaud, mais jusqu’ici nous avons
» cheminé au frais.
» A 9 h. 10, 1300 m. d’altitude environ, nous marchons dans le
�LES KOLAS AFRICAINS
337
» calcaire à Chaînas de l’Urgonien. La diaphorèse est moins abon» dante chez M. Nicolas, qui prend le Kola, que chez moi, qui
» commence à peiner un peu. Chez lui, la fatigue et la soif sont
» également moins prononcées. La chaleur est vive; un petit vent
» frais vient heureusement la tempérer un peu, d’instauts en ins» tants. Nous marchons dans la pierraille saDs trace de sentier.
)' Dans une heure nous serons à la limite inférieure des pins à
» crochets. M. Nicolas prend deux biscuits, M. Chohaut prend
» deux cachets de caféine, le tout arrosé d’un peu de vin. M. Nico» las a son pouls à 118 et sa respiration à 24, M. Chobaut, pouls à
» 92, respiration à 23. Repos de 20 minutes.
» A 10 h. 55. Nous sommes à 1700 m. dans les pins à crochets.
» M. Chobaut,pouls à 100 pulsations, avec un sentiment pénible de
» constriction à la gorge, à l’estomac et au cœur.Je suis, malgré le
» bénéfice démon âge, 30 ans, beaucoup plus fatigué que M. Nico» las, qui n’a qu’un peu de pesanteur du côté du cœur, malgré ses
» 56 ans ! Je cesse la caféine pour me mettre au Kola, afin d’essayer
» de relever mes forces. Nous prenons chacun deux biscuits accé» lérateurs. En avant ! un dernier coup de collier à donner et nous
» déjeunons à l’observatoire où le repas a été commandé par un
» guide qui nous a devancés en prenant un chemin plus direct.
» A partir du moment où j’ai pris le Kola, je marche à 50 m.
» environ en tête de notre petite troupe et n’éprouve presque plus
» de fatigue. La sensation pénible de constriction au niveau de la
» gorge, du pharynx, du larynx avec sécheresse de ces organes, de
» pesanteur de l’estomac et d’angoisse du côté du cœur, tous phé» nomènes fort nets, ont disparu chez moi, comme par enchante» ment, dès que j’ai eu ingurgité du Kola. J’ai pu, en outre, marcher
» sur les cailloux de la montagne sans plus de peine que sur l’as» plialte d’un trottoir et sans plus de fatigue qu’à mon lever, après
» une nuit de sommeil. Tout ceci sans la moindre exagération.
» Les symptômes de constriction à la gorge, à l’estomac et au cœur
» ne se sont pas présentés chez M. Nicolas, qui a pris du Kola sans
» discontinuer ; mais comme moi il a eu aux jambes quelques
» crampes douloureuses, et plus intenses que les miennes, ce qui
» s’explique par ce fait que M. Nicolas a subi une atteinte d’arthrite
» rhumatismale au genou droit avec épanchement, il y a six ans,
» et c’est particulièrement dans cette jambe qu’il a ressenti les
�338
ÉDOUARD HECKEL
» crampes. Quant à nos deux guides, qui ont pris du Kola, bien
» qu’habitués de la montagne depuis leur jeune âge, ils n’avaient
» jamais parcouru cette route extraordinaire. Ils ont monté la
» côte sans la moindre gêne et beaucoup plus facilement, ont-ils
» déclaré d’un commun accord, que s’ils n’avaient pas ingéré de
» biscuits. Aucun de nous n’a ressenti la faim. J’arrive à l’Obser» vatoire à midi 35 et M. Nicolas à midi 50. Ce dernier arrive très
» fatigué, ce qui s’explique par l’âge, le défaut d’entraînement,
» le travail musculaire énorme qui a été réalisé pendant 7 h. 42
« de marche non interrompue. M. Nicolas n’aurait certainement
» pas gravi si facilement le Mont-Ventoux, tant s’en faut, sans la
» noix de Kola.
» M. Nicolas se repose pendant 2 heures environ et déjeune
» ensuite de bon appétit, sans présenter d’autre phénomène dans
» la journée. Pour moi, je déjeune sans plus tarder et de bon
» appétit. Le soir, je n’ai ni la céphalée, ni les vomissements dont
» j’avais été pris l’an dernier après une ascension moins pénible.
» J’estime que la caféine m’a aidée un peu, mais que c’est grâce au
» Kola que j’ai pu donner le dernier et vigoureux coup de collier
» qui m’a amené au sommet frais et dispos. »
Une pareille observation émanée d’un homme appelé par sa
profession même, à une grande netteté d’appréciation des phéno
mènes physiologiques, se passe de tout commentaire. On me per
mettra de faire remarquer cependant qu’elle réalise, dans des
conditions plus capables de mettre en évidence l’action du Kola,
le défi porté par M. Duhamel à M. Germain Sée. Deux hommes
d’âge et de force inégale, l’un ayant deux fois plus environ d’années
que l’autre, font une ascension réputée difficile dans les conditions
particulières où elle a été réalisée, l’un prend de la caféine et
l’autre du Kola à dose alcaloïdique égale (Kolanine non comprise),
celui qui faiblit c’est le plus jeune et le plus vigoureux et au
moment où il succombe, il est relevé par quoi ? par le Kola.
Est-il besoin d’une preuve plus éclatante pour établir que le Kola,
comme je l’ai toujours affirmé, n’a pas pour unique principe actif
le caféine libre ? Je crois inutile d’insister et j’aime à penser que
M. G. Sée, lui-même, ne saurait contester la valeur de cette expé
rience empirique, bien qu’elle ne sorte pas de son laboratoire.
Pbur bien montrer cependant la situation d’infériorité dans
�LES KOLAS AFRICAINS
laquelle se trouvait M. Nicolas, daDs cette ascension mémorable,
pour mettre en vive lumière les difficultés de cette course si bien
supportées, je veux citer ici quelques passages de la lettre que
m’écrivit le 24 juillet 1890, peu après le rapport du docteur Chobaut, M. Nicolas lui-même :
« Pour faire une épreuve bien concluante, je me suis abstenu
» de tout entraînement à la-marche, ne voulant point préparer par
» des exercices préalables mes muscles au surmenage de la montée,
» et, cela, afin de mieux mettre en relief l’influence de l’excitant
» que nous appelions à notre aide. Depuis longtemps, dans ce but,
» j’avais renoncé à mes sorties entomologiques si fructueuses dans
» cette saison, afin de me placer dans les conditions les plus défavo» râbles pour tenter cette expérience à laquelle je reconnais une
» importance pratique considérable. Aussi vous l’avouerai-je, sans
» trop douter de mes forces et de mon habitude des montagnes, ce
» n’est pas sans quelque crainte que j’ai abordé les difficultés rie
» cette ascension. En voici le détail en raccourci. Elles valent la
». pein’e d’être signalées, car la route que nous avons prise est
» redoutée de tous les touristes et bien peu d’entre eux peuvent
» se flatter de l’avoir parcourue.
» En partant de Bedoin, à 5 heures du matin, nous avons suivi
» un vrai chemin pendant un quart d’heure, puis un sentier peu» dant quelques minutes ; enfin, nous avons abordé, pour ne plus
» en sortir de longtemps, la gorge de Curnier.
» A partir de ce moment, le déversoir de la gorge ne nous
» offre qu’un cône de cailloutis mobiles ne donnant plus à la
» marche ni assurance, ni stabilité. A chaque pas, nous devons
» rétablir notre équilibre. Le cône passé, nous sommes dans l’en» caissement de la gorge étroite limitée par des parois qui s’élèvent
» à 10 et 12 mètres de haut. Nous marchons dans le lit du torrent :
» les blocs roulés parles orages sont de forte taille,c’est une vérita» ble escalade qu’il faut faire. Souvent, même, nous montons
» réellement, comme dans un escalier tortueux à marches inégales,
» sur les roches entassées dans ce couloir : c’est horriblement fati» gant. Si vous augmentez les proportions de ce passage vous
» avez les gorges du Fier. Bref, nous gravissons gaîment cet
» entassement de blocs éboulés, et, cela, pendant 2 kilomètres.
» Pour sortir de la gorge, nous prenons le flanc gauche tandis
�EDOUARD HECKEL
» que la droite nous eut offert moins de difficultés, mais tout doit
» rendre notre marche plus rude et plus semée d’obstacles. Sans
» jamais rencontrer le moindre sentier, même un de ceux dont les
» brebis laissent quelquefois de vagues traces sur les versants,
n nous nous frayons une route dont la pente est souvent de 25 °/0
» quelquefois de 35, sur cet émiettement croulant de l’Urgonien.
n Je ne puis mieux comparer notre marche qu’à celle d’un voya» geur qui, pour se distraire, s’amuserait à passer continuellement
» sur les tas formés de pierres cassées et de graviers qu’on dépose
» sur les bords des routes pour en opérer le rechargement ; toute» fois, dans notre cas, les pierres étaient beaucoup plus grosses,
» quelquefois volumineuses : sur cette déclivité, il nous fallait
» choisir à chaque pas, pour y poser le pied, une pierre qui nous
» parut capable de supporter l’effort que nous allions faire porter
» sur sa surface pour nous élever quelque peu.
» Quatre grandes heures durant, nous avons supporté ce sup» plice, et c’est ainsi que nous avons franchi la forêt de pins, pour
» arriver sur la crête du côté de l’Ouest. Il nous reste quatré kilo» mètres à franchir sur un sol craquelé qui nous oblige à prendre
n quelques précautions pour ne pas mettre nos pieds dans des
» anfractuosités de roches pareilles à celles que les glaciers aban» donnent. Les touristes qui ont parcouru la région des Alpes,
» connaissent cette sculpture particulière que présentent les sur» faces recouvertes constamment de neige durant l’hiver. Elle est
» peu propice à une marche aisée.
» En résumé, nous avons marché pendant 7 heures 1/2 sans
» suivre aucune trace de sentier, et l’espace parcouru dans ces
» conditions particulièrement fatigantes est de 10 à 12 kilomètres.
» Il m’eût été impossible d’arriver si je n’avais eu à mon service
» un stimulant qui répare les forces à mesure qu’elles disparais» sent. Dans mes courses antérieures, ce que je redoutais le plus,
» ce sont les atteintes de la faim. Ici, mon estomac n’a jamais rien
» réclamé, je n’ai ressenti aucun tiraillement, ce qui ne m’arrive
» pas même dans une simple tournée, et cependant je n’avais pris
» en tout que dix petites galettes accélératrices du poids total
» de MO grammes environ. »
En somme, les observations comparées sur l’action de la caféiîic
et dû Kola dans les marches faites par MM. G. Tardieu, Maurice
�LES KOLAS AFRICAINS
Gourdon, Dr Chobaut et Nicolas, quoique réalisées dans des condi
tions fort différentes, sont absolument concordantes et ne laissent
aucun doute touchant la supériorité du Kola sur la caféine lrbre.
Ces résultats pratiques, qui ont leur valeur, sont confirmatifs, du
reste, des données physiologiques établies page 252.
Pour compléter cette série d’observations expérimentales com
parées entre l’action du Kola et de la caféine, il me reste à relater
les essais dus à des vélocipédistes de marque. M. Courau (de Vitré,
rue Notre-Dame, 9) a entrepris dans ce sens et fait entreprendre par
ses amis, vélocipédistes de haute valeur comme lui, quelques expé
riences significatives.
Après avoir constaté, par lui-même et par ses amis de Bretagne,
l’influence incontestable du Kola sur la fatigue et l’essoufflement
déterminés par cet exercice du bicycle ou du tricycle, il m’écrit à
la date du 17 août 1890 : «J’ai fait prendre du Kola (sous forme de
» galettes accélératrices) à un de mes amis, et comme moi, il en a
» ressenti tous les bienfails, car, grâce à leur influence, il a pu
» obtenir des résultats inespérés. Le 27 juillet, aux courses de Saint» Poix, il a concouru deux fois et est arrivé deux fois premier, en
» battant le champion de Bretagne. A Laguerche, le 3 août, il est
» arrivé roue à roue avec M. Ghereau, champion de France.
» Comme moi, et, suivant vos indications, il a pris deux galettes
» une heure avant de monter en vélocipède et une seule cinq
» minutes avant chaque course. Remarquez que chacune de ces
» courses-concours variant entre 6 et 8 kilomètres, il a fait ce
» trajet avec une vitesse de 30 kilomètres à l’heure : or, avant qu’il
» ne prit les galettes au Kola aux doses que vous avez fixées, il ne
» pouvait faire que. 3 kilomètres sans être essoufflé et obligé de
« s’arrêter. Avec le Kola, au bout de ces courses-concours, il ne
» ressentait aucun essoufflement, tandis que précédemment, après
» 3 kilomètres, la respiration lui manquait absolument.
» Il ressort donc d’une manière irréfutable que les galettes au
» Kola non seulement stimulent les forces en les augmentant
» considérablement, mais suppriment l’essoufflement. Je ne dois
» pas oublier de vous dire que deux de mes amis ont pris de la
» caféine, comme l’indique i\I.G.Sée,et en ont ressenti des maux de
» tête et des envies de vomir, tandis qu’avec les galettes au Kola on
» n’éprouve que du bien-être et aucun inconvénient de ce genre. »
�342
ÉDOUARD HECKEL
Je dois enfin à la bienveillance du môme Dr Chobaut, communi
cation de quelques expériences faites à Givors sur le Kola : elles
établissent nettement que ce produit agit avec une efficacité mer
veilleuse quand les formes pharmaceutiques sous lesquelles on le
donne conservent, le plus possible, le rouge de Kola. A ce point de
vue,il est évident qu’avant même la poudre bien épurée, c’est l’extrait
alcoolique du Kola frais qui est la préparation la plus rationnelle.
Il n’y a, en réalité, qu’une préparation rationnelle et par consé
quent recommandable, c’est le Kola en nature, mais épuré, bien
authentique (il est trop souvent mêlé de graines dépourvues de
toute valeur), et épuré de son huile essentielle. C’est capital.
Voici ces observations : « Un de mes confrères, M. le Dr Assada,
de Givors (Rhône), m’a communiqué les deux faits suivants :
» 1° Aux joutes de Givors, deux individus de force égale luttent
» entre eux.L’un a pris de l’extrait alcoolique de Kola et l’autre rien.
» Or, le 1er tombe (c’est le mot) à chaque coup son adversaire sans être
» jeté une seule fois à l’eau par lui ; 2° Dans un concours de natation
» à Givors, les Givordains qui ont pris de l’extrait de Kola arrivent
» de beaucoup les premiers et cela sans la moindre fatigue. »
Les mêmes faits s’observent dans l’exercice du vélocipède. Voici
ce qu’écrit M. G. Dubuisson, bibliothécaire universitaire de l’Aca
démie de Rennes, vôlocipédiste convaincu, à un de ses collègues
qui lui avait adressé des Rations au Kola.
» Rennes, le 29 juillet 1890. — Les biscuits au Kola sont abso» lument étonnants comme résultats. J’ai fait le trajet de Loudéac
» à Rennes, aller et retour, soit 190 kilomètres, dans ma journée,
» en ne me sustentant qu’avec ce produit et le lendemain je
» n’éprouvais qu’une fatigue très ordinaire, au lieu de la torpeur
» et des lourdeurs de tête que m’occasionnaient ces exercices
» prolongés. Hier, je suis allé de Saint-Malo à Cancale, aller et
» retour, soit 170 kilomètres en un jour. Même traitement et même
» résultat; je suis enchanté du Kola, d’autant plus qu’on n’a pas
» besoin de s’habituer à son action. L’estomac n’en souffre aucune» ment. »
Celte expérience est corroborée par celle d’un vélocipédiste
marseillais, M. Deleveau, 68, rue d’Alger. « J ’ai essayé le 15 juillet,
» les Rations au Kola et je puis affirmer que c’est réellement mer-
�LES KOLAS AFRICAINS
» veilleux. Malade et ayant renoncé depuis 8 mois au tricycle, voici
» ce que j’ai pu faire grâce à ces galettes.
» Parti de chez moi à 4 heures 45 du soir, après avoir pris deux
« galettes, je me suis rendu à Aubagne (15 kilomètres) en man» géant une galette par heure. Arrêt de 10 minutes dans cette ville,
« pris une galette, un verre d’eau et retour chez moi à 8 heures,
» sans fatigue, sans éprouver ni le désir, ni le besoin de manger,
» et dispos au point d’avoir envie de recommencer. Mon ami,
» M. Bayol, a profité du 14 juillet pour aller à Narbonne voir son
« frère qui y fait du service militaire. Pour s’y rendre et revenir,
» il a fait deux journées de 100 kilomètres en bicyclette en prenant
» deux galettes toutes les heures. A son retour, il m’a affirmé que,
» sans les biscuits au Kola, il eût dû s’arrêter en route.
» Une troisième personne de ma connaissance a fait l’essai des
» galettes sans prendre aucune autre nourriture pendant toute
» une journée de marche en bicycle. Elle s’en est très bien trouvée. »
Observations d’em ploi du K ola en course vélocipédique
par M.
R ollet,
pharmacien-chimiste, 1er adjoint au Maire.
Louviers, le 24 Août 1891.
« Je suis heureux de pouvoir vous annoncer le résultat d’expé
riences avec les rations au Kola, car il est tout en leur faveur.
l re Observation : « M. Deparde, membre du Sport vélocipédique
» de Louviers,mon élève, est parti le9 Aoûtdernier, en vélocipède,à
» 3 heures du matin,après avoir mangé deux galettes et avoir bu un
» verre d’eau.Il voulait aller au Havre sans prendre autre chose que
» ce produit. A Yvetot, il prit la sixième croquette et continua
» jusqu’à Bolbec, distant de Louviers de 86 kilomètres. Il affirme que
» s’il avait eu deux galettes de plus à sa disposition il aurait pu
» atteindre très facilement Le Havre, c’est-à-dire faire 115 kilomètres
« sans éprouver le besoin de manger. Il affirme en outre qu’il n’a
» éprouvé aucune fatigue dans les jambes comme cela lui arrivait
» toujours après un long parcours.
�344
ÉDOUARD HECKEL
» Ce voyage n’a été entrepris que dans le but d’essayer les rations
» condensées à la Kola. »
2me Observation : « Elle eut lieu le 13 Août au soir. M. Lemenu,
» mon compagnon de route, était même légèrement indisposé.
» Nous avions résolu de faire en bicyclette le voyage de Paris, mais
» avions cependant décidé de coucher en route. Nous avons pris à
» partir de Pacy-sur-Eure une galette toutes les heures, et sommes
n allés coucher à Poissy, ville éloignée de bouviers de 91 kiloj) mètres, après en avoir mangé six chacun. Je dois affirmer que
» si l’état de la route eut été satisfaisant, nous aurions certainement
» fait les 27 ou 28 kilomètres qui nous séparaient de Paris, sans
» éprouver le besoin de prendre d’autre nourriture. Je crois devoir
n ajouter que jamais jusqu’alors, il ne nous était arrivé défaire
» un aussi long trajet sans éprouver le besoin de faire un repas
» confortable et surtout sans nous reposer. J ’attribue donc ce
» résultat à, la Kola contenue dans les rations. La façon de pré» senter cette noix est très appétissante, et le vélocipédiste éprouve
» beaucoup moins le besoin de boire que lorsqu’il broie la noix de
n Kola sèche en nature. Nous n’avons éprouvé aucune lassitude
» dans les jambes, et n’avons nullement ressenti ces tremblements
» nerveux et involontaires qui sont la conséquence forcée d’une
» longue fatigue. » (1).
A côté des expériences des vélocipédistes français, il est
bon de placer un essai du Kola, durant une course mémorable
faite en vélocipède, par le capitaine baron Yandalin de Kelleskrauss, de l’artillerie russe, en garnison à Korono (Russie
occidentale). Cet officier, après être venu de Saint-Pétersbourg
à Paris en vélocipède, a refait de la même façon la route
de retour dans la capitale de la Russie. C’est durant ce retour
qu’il a usé du Kola : je l’avais muni de ce viatique à son
passage à Marseille. Voici le rapport de ce capitaine :
« Je vous demande pardon d’avoir tant tardé à vous faire
» connaître les résultats que j’ai obtenus avec les Rations au
(1) J’ai cru devoir insister sur les expériences d'emploi méthodique du Kola
durant les exercices vélocipôdiques, pour les metLre en parallèle avec ceux que je
signalerai bientôt, d’après le haut témoignage de M. le Dr Tissié, de Bordeaux, et
qui, moins favorables à l’emploi du Kola, peuvent cependant s'expliquer par des
phénomènes de véritable Kolaïsme, semblables à ceux dont j’ai déjà parlé page 207.
�345
LES KOLAS AFRICAINS
» Kola, que je tiens de vous. La maladie et le service militaire
» en sont seuls cause.
» Ces galettes ont remplacé, avec un succès éclatant, presque
» tous mes repas du matin, et parfois même les dîners
» pendant ma marche. Mon voyage de retour a été bien dur
» à cause du temps atroce (pluie continuelle accompagnée
» d’un vent horrible) que j’ai eu à subir. Je consommais
» tous les quarts d’heure une galette, c’est-à-dire quatre biscuits
» en une heure. Quand j’en prenais deux ou trois dans mon
» thé de caravane (dont j’avais toujours avec moi une petite
» provision, emportée de mon pays), c’était suffisant pour
» remplacer amplement un dîner copieux. Outre ces qualités
» nutritives, je trouve que ces galettes au Kola excitent ou
» maintiennent les forces physiques.
» Parfois, sur mon trajet de Marseille à Pétersbourg (3,500 kil.),
» quand après une rude journée de bicyclette, par un temps
» affreux, je me sentais tout d’un coup abattu et sans force,
» j’absorbais une galette et, comme par enchantement, toute
» ma faiblesse disparaissait. Je vous autorise, Monsieur, bien
» volontiers, à faire l’usage qui vous semblera bon de cette
» communication et, si vous désirez des renseignements plus
» détaillés, je me mets avec plaisir à votre entière disposition
» comme doit le faire un ami russe avec son ami français. »
Signé : V.
de
K elleskrauss .
Korono, 20 novembre 1891.
Observations de M. T raxelle, membrè du Club alpin français
(Extrait du B u l l e t i n
n° de décembre 1890) :
du
C lu b A l p i n
fr a n ç a is ,
section Vosgienne. —
» Dans le Bulletin de la section Vosgienne (190, p. 11), notre col» lègue M. René Collin, a rendu compte de l’excellent effet produit
» sur lui-même par l’emploi des rations au Kola. L’expérience
» que je viens de faire me permet de joindre mon témoignage
» au sien.
22
�346
ÉDOUARD HECKEL
» Au cours d’un voyage que j’ai fait avec ma femme cet été
» (1890), nous avons eu recours trois fois aux rations accéléra» trices. Les deux premières épreuves qui ont consisté en marches
» de sept heures et de cinq heures de durée en montagne (jusqua
» 2.180 mètres) nous ont démontré deux choses : 1° c’est qu’il faut
» éviter toute boisson alcoolique, si faible que soit la dose d’alcool,
» quand on fait usage de ces rations, et se contenter d’eau, comme
» le recommande du reste l’inventeur ; 2° que l’intervalle d’une
» heure mis entre les rations est un peu trop considérable, du
» moins pour certaines personnes. Il faut en prendre une toutes
» les quarante-cinq minutes de marche. Le succès des deux pre» mières expériences m’a décidé à en tenter une troisième le
» lendemain, et les difficultés de la marche l’ont rendue absolument
» concluante.
» Dès 8 heures 40 du matin, nous commencions à gravir le sen» tier de l’Eggishorn, lestés seulement d’une tasse de café au lait.
» Au bout d’une heure et demie, comme nous étions parvenus
» à 2.600 mètres environ, la neige commence à tomber et le sommet
» de l’Eggishorn est enveloppé de nuages ; nous redescendons à
» regret jusqu’à l’hôtel, et, sans nous y arrêter un seul instant,
» nous prenons le sentier neuf, non encore complètement terminé,
» qui conduit au lac Marjelen en s’élevant à l’extrémité du Hoh» thaelligrat, puis, en redescendant, vers le lac. Tout ce versant
a était encore rempli de neige. Du lac Marjelen nous sommes
» descendus à la Stockalp, et de là à Fiesch, le long du glacier du
» même nom, par des sèntiers vraiment pénibles, très raides et
» fort mal tracés.Nous arrivons à Fiesch à 6 heures 15 du soir et
» nous y dinons à 7 heures, après avoir, dans notre journée,
» marché constamment, sauf deux haltes de 15 minutes sans avoir
» bu autre chose qu’un peu d’eau à 5 heures. Depuis 9 heures 30 du
)) matin, nous-avions vécu en prenant chacun une galette (du poids
» de dix grammes) de quarante-cinq en quarante-cinq minutes.
» L’épreuve me semble décisive. Tout bon marcheur que je crois
» être, je serais tombé d’épuisement longtemps avant la fin d’une
» pareille journée sans les rations au Kola, et il eût été souve» rainement imprudent d’y exposer une femme, qui, grâce à ces
» rations, a supporté très vaillamment et sans le moindre malaise,
» des fatigues que bien des hommes n’affronteraient pas.
�LRS
KOLAS AFRICAINS
» Le lendemain, les muscles se ressentaient de la rude gymnas» tique qu’on leur avait imposée ; mais, pendant la marche, la
» faim est supprimée, la soif l’est presque complètement aussi, la
» fatigue est absente, les forces musculaires sont entretenues. Que
» peut souhaiter de plus un marcheur? Il faut donc faire des vœux
» pour que les préparations au Kola soient mieux connues et
» employées, et surtout pour qu’on en trouve, dès l’an prochain,
» dans toutes les localités tant soit peu importantes des pays de
» montagne. »
Département du Var.
Sous-direction de Draguignan.
Contributions indirectes.
Recette de Fayence.
Résultats obtenus avec les rations au K ola
attestés par MM.
R ay m o nd
et
Ch a v e ,
employés à Fayence.
« Les employés de la recette de Fayence, chargés d’un par» cours considérable pour leur service, ont, pendant les mois
» de mai et juin 1891, fait usage, dans certaines tournées, des
» rations accélératrices au Kola.
« Ainsi, partis le 11 mai du village de Montauroux à 1 h. du
» soir, nous, receveur et commis principal, avons, pendant
» 2 h. de marche à travers les sentiers des montagnes, parcouru
» le chemin qui conduit à Taneron. Après une heure de séjour
» dans cette localité pour l’exécution du service administratif,
» nous sommes repartis par le môme chemin, pour venir reprendre
» notre voiture.
» Ce parcours de 5 heures de marche a été effectué, sans
» fatigue, en faisant usage de 6 rations accélératrices chacun.
» Nous avons remarqué-que nous étions exempts de tout essouffle» ment à la montée, que notre marche était régulière, aussi rapide
» à l’arrivée qu’au départ.
» Dans d’autres tournées, notamment de la Bastide à la Martre
» et à Châteauvieux, nous avons, le cheval étant fatigué des 40
» kilom. franchis dans la journée, fait ce parcours à pied, soit
�348
ÉDOUARD HECKEL
)) 16 kilom. (aller et retour) en 2 h. 1/2 ; séjour de 13 minutes
» dans chaque village, soit 3 heures de marche dans les monta» gnes, effectuée sans fatigue en faisant usage de 4 rations chacun.
)) Ces expériences ont été renouvelées le 28 mai et le 14 juin
» courant : les mêmes résultats avantageux se sont produits.
» Nous avons pu constater que l’emploi des rations accéléra)) trices avait pour effet d’accroître les forces musculaires, de
» produire de l’entraînement et de combattre la fatigue. »
E xpériences sur l ’em ploi du K ola faites par
le club A lpin-A lgérien.
« Alger, le 30 avril 1890.
« Depuis quelque temps, il n’est question, dans la presse, que
des Rations condensées accélératrices au Kola. Tout récemment,
un des rédacteurs de la Vigie rappelait les effets connus de ce
nouveau produit, et le recommandait aux Alpinistes de la section
de l’Atlas. Ceux-ci se sont empressés de l’essayer et voici le
résultat de l’expérience :
» Dans la course du 27 avril dernier, au Bou-Zagza (1033 mètres)
» nous résolûmes, un de mes amis et moi, de ne manger autre chose
» que des Rations au Kola.
» Le nombre de biscuits consommés a été, pour chacun, de 12
» (environ 150 grammes), à raison d’un ou deux par heure. La durée
» de la marche effective a été de 9 heures, ce qui, en montage, repré» sente généralement une bonne course. Les effets constatés ont été:
» 1° Marche plus allègre que d’habitude, surtout aux montées; 2°
» Diminution de l’essoufflement;3° Suppression de la faim. Pendant
» le déjeuner que firent nos compagnons, nous n’éprouvâmes point
» le moindre désir de toucher aux mets succulents qu’ils étalaient
» complaisamment sous nos yeux ; 4° Diminution sensible de la
» fatigue musculaire.
» J’ajoute qu’au point de vue physiologique, nous n’avons cons» taté aucune suite fâcheuse, ni pour l’estomac, ni pour les intestins.
» Nous n’avons pas voulu nous en rapporter à une seule expé-
»
»
»
»
»
�LES KOLAS AFRICAINS
)> rience; nous avons profité de l’excursion de la Pentecôte au
» Djurdjura pour faire un nouvel essai. Cette fois la marche effective
» a été de 9 heures ; mais la course fut bien plus pénéble qu’au
» Bou-Zagza. Il s’agissait d’arriver au pic deGalland dont l’altitude
» s’élève à 2.134 mètres; les grands rochers abrupts et les pentes de
» neige durcies offrirent de nombreuses difficultés et exigèrent des
» efforts musculaires sérieux et prolongés. Onze biscuits nous suf» firent cette fois, et produisirent les mômes effets qu’à la première
» expérience. Plusieurs collègues en prirent aussi quelques-uns à la
» montée, et tousontété unanimes à déclarer que leur pénible ascen» sion avait ôté singulièrement facilitée. Aucun des 25 clubistes qui
» composaient la caravane, n’est resté en arrière, et j’attribue
» quelque peu la réussite complète de cette mémorable expédition
» aux Rations condensées accélératrices.
» L’un de nous, M. B., a fait une expérience plus concluante.
» Pendant près de 30 heures, c'est-à-dire du dimanche à midi
» jusqu’au lundi soir à 5 heures, il n’a voulu prendre aucune
» nourriture. Il a consommé 18 biscuits ; en tout 225 grammes à
» peine, et a fait toute la course avec un entrain remarquable.
» Les diverses sections du Club Alpin Français on fait, du reste,
» les mêmes expériences que nous depuis quelque temps déjà, et
» ont définitivement adopté le Biscuit au Kola. Il rend tous les
» jours aux Alpinistes de grands services dans leurs courses
» souvent pénibles et parfois périlleuses. Je n’insiste pas sur ceux
» qu’il pourrait rendre, le cas échéant, à nos armées en cam» pagne ; L a p r e u v e e s t f a i t e e t j e s u p p o s e q u ’o n y s o n g e e n
)) HAUT LIEU » .
Signé : L. PRESSOIR,
Professeur au Lycée, Sécrétaire général du Club Alpin Français.
(Extrait de « La Vigie Algérienne », juin 90).
L'alpinisme et les Rations condensées accélératrices
« Sans aborder, au point de vue de leur composition chimique,
l’examen de la valeur des rations condensées accélératrices du
docteur Heckel, ayant eu, cette année, cinq mois à passer dans les
�350
ÉDOUARD HECKEL
montagnes des Vosges, il m’a paru que j’étais à même d’étudier
l’effet de ces rations au point de vue de l’alimentation, et môme
au point de vue de l’effet moral, les deux se donnant volontiers
la main.
)) Ma conclusion, basée sur l’expérience de cinq mois d’un
fréquent usage de ce genre d’alimentation, est que : les rations
condensées accélératrices du docteur Heckel sont non seulement à
proposer comme vivres de réserve ou comme complément de
l’alimentation ordinaire, mais à employer comme principal et même
comme un seul aliment, — en temps de marche, bien entendu.
» Comme vivres de réserve : — ce ne sera plus à démontrer s’il
est admis qu'on peut en faire l’aliment principal en temps de
marche.
» A titre de complément de l’alimentation ordinaire, l’effet
immédiat de ces rations étant de hâter, d’activer une heureuse
digestion des autres aliments qui pourraient encore demeurer sur
l’estomac, il est évident que le marcheur en acquiert plus de
légèreté, un grand bien-être, se sent plus dispos.
» Comme principal et même comme unique aliment avant et
durant le temps de marche, — mes expériences, sur ce point, sont
nombreuses, et pour moi concluantes. En absorbant, à chaque
demi-heure, une de ces rations, on acquiert bientôt comme une
légèreté extraordinaire, on se sent avancer aisément ; bientôt les
muscles des jambes se fortifient, l’espace à parcourir ne compte
plus; les difficultés à vaincre ne troublent plus, et l’intelligence
lucide éprouve satisfaction à diriger sur toute espèce de voies
arides, mal tracées, rudes, embroussaillées, des efforts qui ne
coûtent plus, des recherches qui aboutissent au but.
» L’entraînement devient-il extraordinaire? — Oui! — Cet
entraînement est-il excessif? Non; et les suites n’en sont point à
craindre pour la santé, si l’on a soin de faire le soir (le soir
seulement) un bon repas. Ce repas, c’est à remarquer, sera (qu’on
le veille ou non), le double peut-être d’un repas ordinaire, —
l’estomac devient un gouffre à combler, — et le lendemain on se
réveille dispos sur un excellent sommeil.
» S’il arrivait qu’on ne procédât point, pour une cause ou pour
une autre, à ce repas du soir (ce que j’ai fait à titre d’expérience),
�LES KOLAS AFRICAINS
le sommeil est léger et peu réparateur: néanmoins on peut le len
demain continuer encore à marcher.
» Ainsi donc, ces rations, à mon avis et d’expérience, consti
tuent, pour le temps de marche, fut-ce d’uue journée pleine, un
aliment qui, sous une forme légère et d’un transport facile,
produit, pris comme seule nourriture pendant le jour, un effet, au
physique comme au moral, aussi avantageux que possible.
» Les rations ne revenant même pas à 5 centimes l’une, si l’on
a soin de les demander par petits colis de quatre boîtes, il est aisé
de se rendre compte du bon marché de cette alimentation.
» Les hôteliers et nos ménagères seront peut-être consternés,
le soir, d’avoir à constater, à leurs dépens, l’extrême ardeur de
notre appétit ; mais il n’est avantage en ce monde qui ne soit pour
quelques-uns, compensé par de légers déboires. »
Signé : R e n é COLIN,
Membre du Club Alpin français, à Nancy.
Voici, à côté des observations d’Alpinistes français, l’appré
ciation d’Alpinistes suisses :
Club-Alpin Suisse (section de Chaux-de-Fonds), 30 juin 1891.
<( Monsieur, dimanche dernier nous avons fait un essai avec
» les galettes au Kola, et le résultat confirme pleinement ce
» que nous tenions de nos confrères du Club-Alpin français
» de Belfort, c’est-à-dire que les biscuits deviendront indispen» sables pour toutes les courses nécessitant de grands efforts
» musculaires. » Signé : Georges Gallet, secrétaire de la section.
Je ne peux pas passer sous silence, les expériences faites
récemment dans les environs de Marseille par un service d’infir
miers en période de manœuvre. Elles ont leur valeur.
faites par la Croix Rouge Française (Société de secours
aux blessés des armées de terre et de mer. — Comité Départe
mental des Bouches-du-Rhône).
Expériences
Ces expériences ont été faites pendant les manœuvres d’ambu
lance exécutées à Roqnevaire (Bouches-du-Rhône) par le Corps des
Infirmiers du Comité départemental et du Comité cantonal d’Auba-
�352
ÉDOUARD HECKEL
gne, les 13 et 14 septembre 1890, sous la direction de M. le Dr Ménécier, à qui je cède la parole :
« Les essais faits avec les rations condensées accélératrices
» nous ont fourni d’intéressantes observations sur les produits
» alimentaires condensés de réserve. Ces Rations sont présentées
» sous forme de petits biscuits couleur chocolat, très croustillants,
» d’un goût agréable rappelant la saveur de la noix de Kola, qui
n entre dans sa composition et lui donne ses propriétés. Tous ceux
» qui ont mangé avec nous de ces biscuits ont ressenti les effets
)) généraux suivants : 1° en marche, accélération du pas et essouffle» ment moindre; 2° au repos et dans les exercices, augmentation
)) des forces et appétence plus grande sur sollicitation de l’estomac.
»
»
»
))
v
»
»
l re E xpérience . — « Huit hommes, ayant mal soupé le samedi
soir au départ (8 heures) pour les manœuvres, ont couché sous la
tente et satisfait, le dimanche, à toutes les manœuvres, d’ambulance après avoir fait un seul repas à midi. Ces hommes ont pu,
sans fatigue et 'sans éprouver le besoin de reprendre des aliments,
rentrer chez eux le dimanche soir à 11 heures. Ils n’avaient pris
qu’un supplément de dix biscuits arrosés indifféremment avec
de l’eau ou du vin.
v
»
»
))
— « Sept hommes, après avoir consommé seulement six biscuits (un toutes les heures) et n’ayant pas mangé
depuis la veille au soir, ont pu franchir l’heure habituelle du
déjeuner de midi, sans éprouver le besoin de prendre de lanourriture et ont fourni un travail continu de douze heures.
2me E xpérience .
3me E xpérience . — « Quatre biscuits et une tablette de chocolat
» à la poudre de viande de Rousseau (poids 25 gr.), mangés à
» 4 heures de l’après-midi et arrosés d’un verre de bière, ont
» suffi pour nous alimenter jusqu’au lendemain matin à 8 heures,
» après avoir prolongé la fatigue de la veille jusqu’à 11 heures du
» soir, et nous être levés à 6 heures du matin.
» Nous devons faire observer que les hommes soumis à ces
» expériences étaient d’àge, de tempérament et de constitution bien
» différents : aucun d’eux n’était entraîné, par conséquent ils
» étaient plus susceptibles que d’aulres d’être éprouvés par la
» fatigue. Ils ont cependant supporté très vaillamment la privation
�LES KOLAS AFRICAINS
353
# des repas et fourni, tous, un travail supérieur à celui qu’exige
» chaque jour leur profession. D’autre part, c’est un minimum
n peut-être exagéré de Rations condensées (nous l’avons fait à des» sein), que nous leur avons fait distribuer, sans qu’ils aient eu à
» souffrir de la faim et de la soif, pas plus que nous n’avons cons» taté chez eux, pendant les exercices pénibles de brancardiers, de
» l’essoufflement ou des sueurs abondantes. »
J’ai accumulé ici intentionnellement un faisceau compact
d’observations tant sur le Kola (1) que sur la caféine, dans le but de
répondre aux dernières objections que l’on continue à formuler
sur la foi du dire de M. G. Sée, dans certains milieux, contre
l’emploi du Kola :
la supériorité de la caféine sur le Kola ; 2° la
nocivité de Vemploi prolongé du Kola. Les expériences fort métho
diques de MM. Chobaut et Nicolas, Maurice Gourdon, Tardieu
et Courau, ne laisseront aucun doute dans les esprits les plus
prévenus, touchant la supériorité pratique indiscutable du Kola
en nature sur la caféine. Quant à la nocivité du Kola pris pendant
plusieurs jours consécutifs, les expériences prolongées de M. Elie,
inspecteur des forêts à Sisteron, la réduisent à l’état de légende.
J’aurais pu rappeler, à propos des observations très probantes de
M. Elie, celles non moins significatives de M. le comte de Blois,
conseiller général de Maine-et-Loire, qui s’est nourri en 1888, pen
dant une chasse, presque exclusivement de galettes au Kola et cela
durant huit jours, sans en éprouver de dommage.
Il n’y a plus évidemment à revenir maintenant sur cette question,
elle est jugée : il est évident que quel que puisse être le mode d’expé
rimentation mis en cause, la caféine seule ne possède jamais au
même degré les vertus incontestées du Kola contre la fatigue et
l’essoufflement déterminés par les grandes marches ou les grands
eflorts. Il ressort également de ce faisceau d’expériences très variées
et exécutées par des hommes de tempérament fort différent, que
l’usage du Kola ne fatigue pas, quelle que soit la durée de l’emploi
qu’on en puisse faire, en ayant soin toutefois de l’absorber à dosés
fractionnées de 1 à 2 gr. par heure de marche. De plus, pas de
(1) J’aurai pu multiplier considérablement ces dernières ; je me suis borné à
reproduire les plus importantes, soit par le caractère des observateurs, soit par
leur valeur ou encore à cause de la nature des obstacles vaincus.
�354
ÉDOUARD HECKEL
dépression le lendemain d’une course fatigante, après avoir
employé le Kola.
Voici, du reste, au sujet de l’emploi du Kola, l’opinion deM. le
Dr Tissié, de Bordeaux, secrétaire-général de la Ligue de l’éducation
physique de cette ville, et lui-même vélocipédiste très ardent, telle
qu’elle est exprimée dans son livre « Guide du vélocipédiste » publié
chez Doin (Paris 1893, 2° édition), au chapitre: Aliments d’épargne
ou exc-ito-moteurs. Après avoir fait le plus grand éloge du Kola dont
il s’est servi lui-mème, M. le Dr Tissié rend compte des résultats
contradictoires qu’ont obtenus différents coureurs, par suite, saûs
nul doute, d’un emploi mal conduit.
« Chaque tempérament, dit-il, réagit à sa façon avec tel ou tel
» aliment. Aussi est-il assez difficile de conseiller les mêmes
» aliments à tous. Chacun devra tâter sa susceptibilité. Un de mes
» correspondants, qui a essayé le thé, le café, le maté, la Kola, dit
» que le thé et le maté produisent chez lui des effets identiques :
» excitation faible sans énervement. Le café l’énerve, la Kola
» l’excite et provoque la toux. Chez un autre, le thé n’agit pas, mais
» le maté l’énerve fortement ; un troisième ayant pris une dose immo» dérée de Kola en poudre dans une course (sur route) de 40 kilo» mètres, ressentit aussitôt une grande vigueur et prit une grande
» avance sur ses concurrents, en maintenant l’allure pendant 30
» kilom. Mais, tout à coup, il tomba dans un grand affaissement, il
» ne put presque plus avancer et n’arriva qu’avec 3 minutes d’avance
» sur le second coureur alors qu’il l’avait dépassé de beaucoup dans
» la première partie de la course (1).
» Voici une formule qu’un pharmacien vélocipédiste me fait
» parvenir. Avec ces pilules, il a fait 140 kilom. en 8 heures 10 min.
» et 2 heures et demie d’arrêt, sans entraînement.
Extrait de Kola__ 1 gramme J
Poudre de réglisse. q. s.
pour 40 pilules
Essence de menthe. 2 gouttes. \
(1) Ce résultat n'a rien de surprenant, il est probable que le sujet, en absorbant
d'un coup une forte dose, a éprouvé des phénomènes de véritable ivresse sem
blables à ceux qu’on constate, même chez les nègres, après un usage immodéré de
cette substance. Ce cas aussi bien que tous les autres cités par M. le Dr Tissié,
semblent relever, du reste, de l’abus et non plus de l’usage du Kola.
�LES KOLAS AFRICAINS
» Chaque pilule renferme 0 gr. 10 de Kola sous forme d’extrait :
» ou peut ainsi doser la prise selon le besoin.
» Ce vélocipédiste me déclara que la caféine, en accélérant les
» mouvements du cœur, congestionne son cerveau et que le Kola le
» constipe légèrement (1). Un autre ayant pris du Kola pour une
» marche de nuit, trois heures après son départ qui avait été
» précédé d’une prise de thé, reprit encore du Kola sous forme de
» biscuit : pendant la nuit son visage fut congestionné durant une
» demi-heure et il ressentit une grande chaleur au corps.
» Quelques vélocipédistes ne sont pas partisans du Kola :
» M. Jieil-Laval s’est fort mal trouvé d’une préparation de Kola
» dans sa course de Paris à Brest. »
Un peu plus loin enfin M. Tissié conclut « que tous les aliments
» nervins, thé, café, maté, cacao et en particulier le Kola, peuvent
» rendre de grands services aux vélocipédistes, à la condition de ne
» pas en abuser ».
J’ai insisté longuement sur les divers passages extraits du livre
de M. Tissié non seulement pour mettre en lumière l’opinon per
sonnelle favorable au Kola de M. le Dr Tissié, dont l’autorité en la
matière est d’un si grand poids, mais encore pour mettre en garde
les personnes adonnées aux divers exercices sportifs contre les
promesses trompeuses et les renseignements intéressés de certains
prospectus, qui ne tendraient à rien moins qu’à les pousser à une
consommation abusive du Kola, en laissant espérer par ces doses la
décuplation des forces. Il ne faut pas oublier qu’il y a, par chaque
tempérament, une limite d’excitation nerveuse qu’il ne convient pas
de dépasser, et naturellement les personnes excitables doivent plus
que les autres se confirmer dans des doses très faibles, la surexcita
tion par le Kola pouvant avoir pour ces tempéraments spéciaux des
conséquences désagréables. Toute autre sera la résistance (et par
conséquent la dose limite permise) pour une personne lymphatique
et sans réaction nerveuse. D’une façon générale, quand j’ai été
consulté sur les doses à employer, j’ai pu indiquer, sans connaître
le tempérament de la personne qui me demandait un renseignement
(1) L’emploi du Kola a généralement, mais pas toujours, ce léger inconvénient,
qui du reste est tout à lait, passager, de constiper un peu ; cela tient à la quantité
de tannin renfermée dans cette graine. Ce sont généralement les personnes consti
pées naturellement qui s’en aperçoivent le plus ; pour les autres, il passe inaperçu.
�356
ÉDOUARD HEGKEL
par lettre, la dose de 1 gramme de poudre de Kola par heure de
marche, en prenant soin d’absorber la première dose, une demiheure avant le départ, dans du café, et de cesser une heure avant
d’arriver à l’étape du repos. Ces indications fournies par moi aux
nombreux alpinistes, qui ont été les premiers expérimentateurs du
Kola, ont toujours profité (sans leur laisser le moindre regret) à
ceux qui les ont suivies. Ils ont, quel quefut leur tempérament, béné
ficié des propriétés du Kola, sans ressentir aucun des inconvénients
inhérents aux doses trop élevées. Il faut rappeler aux vélocipédistes
(trop enclins à vouloir trouver dans le Kola un élément de triomphe
sur leurs concurrents), qu’il en est de cette substance comme de
tous les excitants. Un verre de vin donne des forces, une bouteille
énivre : de même pour la morphine dont l’usage immodéré amène
le morphinisme ; le Kola, à haute dose, amène aussi le Kolaïsme,
comme l’a dit Hachard, et plus rapidement encore que la caféine, on
le comprend très bien aujourd’hui après l’étude de la composition
chimique que nous en avons longuement faite et qui établit que la
plus grande partie de la caféine du Kola est une caféine plus active
qu’aucune autre.
Mes expériences stratégiques ne s’en sont pas tenues là :• afin de
me rapprocher des conditions de la guerre pl us que j e ne l’avais fait
dans les expériences précédentes, j’ai demandé et obtenu de M.
Etienne, Sous-secrétaire d’Etat aux Colonies, de faire expérimenter
dans les colonies où une action militaire est en cours (Soudan,
Tonkin, Dahomey, Madagascar), des rations accélératrices dont la
formule fût légèrement modifiée pour les rendre plus nutritives.
Chaque galette fût portée au poids de 15 gr. environ, pour les rendre
plus résistantes au choc, et renforcée de poudre de viande. De cette
façon, tous les aliments se trouvaient réunis sous le plus petit
volume possible.
Voici la formule de ces galettes coloniales destinées à remplacer
au besoin tout autre aliment en face de l’ennemi :
pour chaque galette
de 15 gr.
Poudre de Kola......... l^r50
— de viande....... 2.50
Sucre......................... 2.50
Farine et aromates ... 8.50
�LES KOLAS AFRICAINS
Voici enfin le seul rapport qui me soit parvenu sur ces expé
riences : il a trait à des mouvements exécutés par des troupes
d’infanterie de marine marchant de Diégo-Suarez vers le centre
de l’île de Madagascar :
Infanterie de marine. — Bataillon de Diégo-Suarez.
Rapport sur l ’expérience relative aux galettes accélératrices.
)) En exécution des ordres donnés par le lieutenant-colonel com
mandant supérieur des troupes à Diégo-Suarez, l’expérience rela
tive aux effets produits par les Rations accélératrices a été faite
dans les conditions suivantes.
Il a été formé un détachement comprenant :
Le chef de bataillon,
Un capitaine,
Un sous-lieutenant,
Un adjudant,
4 sergents,
7 caporaux,
105 soldats,
8 mulets d’artillerie,
Ce détachement devait exécuter une marche de trois jours, les
16, 17 et 18 mars, c’est-à-dire en plein hivernage, les hommes por
tant la charge de campagne, moins les couvertures chargées sur les
mulets, et seulement deux paquets de cartouches avec 35 galettes
accélératrices.
» 16 Mars. — Départ d’Antsirane à 5 h. 30 du matin. Temps
lourd, chaud, humide. Grande halte à 9 heures, au bord de la rivièr-e
des Caïmans. Passage à gué à 3 h. 30 du soir, ascension jusqu’à
Mahotoinzo ; arrivée au bivouac à 5*h. 30. Marche de la journée 23
kilomètres, ascension de 200 mètres. Régime ordinaire. Les hommes
ont mangé 6 galettes (deux avant le départ et une d’heure en heure de
marche : en tout 9 gr. de Kola.) Nuit chaude. Impossible de rester
�358
ÉDOUARD HECKEL
sous les tentes et de dormir, à cause de la quantité prodigieuse
et de la malignité des moustiques. Les hommes piétinent,
s’énervent, prennent du café à 3 heures du matin.
» 17 Mars. — Départ du bivouac de Maliotoinzo à 4 h. 30. Nuit
obscure pendant la première heure de marche ; sentier à peine per
ceptible dans les hautes herbes. Temps chaud avec quelques inter
valles de brise sur les plateaux. A dix heures, grande halte aux
bords du Sackaramy, bivouac très réconfortant.Treize hommes restés
en arrière rejoignent entre 10 h. et 11 h. 30. Tout le détachement
dort d’un bon sommeil aussitôt après le déjeuner. Reprise de la
marche à 3 h. Arrivée au bivouac de la Montagne d’Ambre à 5 h.
sans traînards. La pluie tombe torrentielle jusqu’à 10 heures du
soir. Impossibilité presque absolue d’allumer les feux.
» La marche, dans cette journée, a été de 25 kilomètres, l’ascen
sion de 650 mètres.
» Les hommes n’ont reçu ni viande ni vin. Leur régime a
comporté du pain, du riz, le café et 15 galettes (en tout 22 gr. 50
de Kola). Nuit belle à partir de 10 heures du soir, mais très
fraîche.
» 18 Mars. — Le bivouac de la montagne d’Ambre est levé à
4 h. 30 ; la marche commence à 5 heures rendue très pénible par
la brousse qui est mouillée et haute, par de grosses pierres, par
l’obscurité. Le sentier détrempé est très glissant ; chute d’hommes.
Les animaux ralentissent la marche. Une fois le jour levé, le déta
chement marche avec beaucoup d’entrain et d’ensemble jusqu’à 9
heures du matin. La dernière heure dépensée sur le plateau
découvert de Mahotoinzo, que l’on voit de trop loin, est excessive
ment pénible à cause de l’ardeur du soleil et du manque de brise.
Deux coups de chaleur se produisent.
» A dix heures, arrivée à Mahotoinzo. Bivouac jusqu’à 3 heures.
» La seconde partie de la marche de Mahotoinzo à Antsirane
s’est faite par un beau temps. Arrivée à 6 heures. Ce jour là 35 kilo
mètres, pas de viande distribuée. La ration de vin a été donnée et
bue à Mahotoinzo.
» Durant ces 3 journées, qui ont compté certainement parmi les
plus pénibles de l’hivernage, il y a eu trois hommes assez malades
pour inspirer quelques inquiétudes, quoi qu’ils se soient rétablis
aussitôt après le retour. La marche n’a eu pour conséquence aucune
�LES KOLAS AFRICAINS
359
entrée à l’hôpital, et les exemptions de service qu’elle a détermi
nées ont eu pour cause des blessures aux pieds et des accès de
fièvre assez bénins, qui n’étaient que la manifestation d’un impa
ludisme acquis à la Réunion.
» Il y a lieu de remarquer que l’effort dépensé a été demandé à des
hommes dont l’entraînement à la marche avait été presque entière
ment interrompu depuis 2 mois, à cause de la température.
» Il paraît difficile de faire, en constatant ce résultat, une part
exacte à la discipline, à l’énergie de la troupe, et aux galettes accé
lératrices. Mais on peut affirmer que celles-ci ont joué un rôle
important.
» La troupe répugne, etnon sans motifs, à être l’objet d’expérien
ces en matière d’alimentation ; les galettes étaient suspectes et il
était à prévoir que beaucoup de soldats chercheraient à se dérober
à l’obligation d’en user. Cette répugnance instinctive a été vaincue
chez la plupart ; mais chez un certain nombre, aux heures chaudes,
la déglutition de ce biscuit devenait impossible, bien qu’ils recon
nussent l’effet utile de cet aliment. Les galettes se consommaient
d’heure en heure à chaque halte ; beaucoup de soldats ne pouvaient
avaler la troisième et les suivantes qu’en les accompagnant d’une
gorgée d’eau ou d’un autre liquide.
» Il n’était pas sensible que la consommation des galettes dimi
nuât l’appétit pour le repas du matin. Mais cet effet, accru peut-être
par la fatigue, était très appréciable au repas du soir. Beaucoup
d’hommes affirment que la soif n’est pas diminuée ; je crois que sans
les galettes ils auraient bu et souffert davantage.
» Il était très évident aussi que la digestion des galettes avait
une influence sur le sommeil, qui était rendu moins lourd, qui était
moins impérieux le soir et plus facilement interrompu le matin
bien avant le jour. Je considère comme un effet très remarquable
des galettes, que la marche pénible de la matinée du 17 ait pu être
exécutée comme elle l’a été, après l’insommie agitée de la nuit passée
au bivouac de Mahotoinzo.
» Mon opinion personnelle, celle des deux officiers qui mar
chaient avec moi, et l’opinion dominante dans le détachement, sont
que les galettes accélératrices produisent des effets excellents, infini
ment supérieurs à ceux du café, comme stimulant pour une dépense de
forces de quelque durée.
�360
ÉDOUARD HECKEL
». Il y a certainement aussi à leur attribuer les effets d’un stimu
lant agissant sur l’humeur des troupes en marche, mais ce ne sont
point des effets directs ; ils sont consécutifs à ce sentiment de sécurité
que ressent le marcheur qui est ou qui se croit prémuni contre les
douleurs physiques de la marche et de la soif (1). Une troupe qui
mangerait des galettes pour rester de pied ferme ou qui n’aurait
pas à dépenser plus de forces qu’à l’ordinaire ne serait certainement
pas mise en belle humeur ; le fait d’avaler une ou plusieurs de ces
galettes ne procure certainement aucune des satisfactions sen
suelles, qui proviennent quelquefois du café, du tabac, de l’alcool
ou de l’opium.
» Où l’erreur serait grande, ce serait considérer les galettes non
plus comme un accessoire mais comme un élément important de
l’alimentation. L’expérience que nous venons de faire ne prouve pas
qu’on peut donner aux troupes en marche des galettes au lieu de
viande et de vin. Ces galettes coupent un peu l’appétit, mais elles
ne nourrissent pas, et ceux qui mènent une vie tant soit peu active
comprendront bien que, n’avoir pas faim et avoir dîné sont deux
choses fort différentes. En ce qui me concerne, j’avais admis dans
mon programme la privation de viande pour les journées du 17 et
du 18, mais avec l’intention bien arrêtée de sacrifier une tête du
bétail administratif qui paît à la montagne d’Ambre, pour peu que
ma troupe en éprouvât le besoin. Mais, la sollicitude des comman
dants de Compagnie et la méfiance des soldats ont rendu ce sacrifice
inutile, et onne s’étonnera pas que, le soir du 17, quelque charcuterie
ne soit trouvée au fond des sacs, fort à propos d’ailleurs pour rem
placer le riz que la pluie nous empêchait de faire cuire. J’insiste sur
ce point, et cela n’est pas hors de saison, eu égard à la facilité que
l’emploi des galettes donnerait au service administratif pour l’ali
mentation en campagne. A peine ces galettes ont-elles paru, et
déjà cette tendance se manifeste, car le chef du service administratif
à Diégo-Suarez, affirme que « dans la pensée ministérielle » les
(1) M. le commandant Puel, dans ses recherches des causes de la bonne
humeur et la gaîté du soldat, et en l’attribuant exclusivement à une influence
morale, fait une part trop large à la suggestion. Il n’est pas douteux, comme l’ont
constaté la plupart des observateurs non prévenus, déjà cités, que le Kola donne
de la gaîté, de l’entrain et excite la bonne humeur. C’est un des côtés les plus
importants de son action physiologique et qui, à lui seul, imposerait déjà son appli
cation à la stratégie militaire.
�Les
kolas africains
galettes accélératrices distribuées pour notre marche devaient
remplacer certaines denrées. Je n’ai pas l’honneur de connaître la
« pensée ministérielle » et j’ai vainement cherché ce que c’est, dans
les règlements sur les subsistances et dans les circulaires sur les
galettes Heckel, mais j’ai peine à la croire coupable d’une telle
préméditation. D’autre part si le Conseil de Santé estime que quel
ques galettes aideront à la patience d’une troupe qui attend des
vivres ou qui reçoit de la viande gâtée, il y a loin de cette opinion à
une prescription antihygiénique. On ne joue pas avec la santé des
hommes.
» Pour conclure, je crois que l’expérience qui vient d’être faite
affirme la valeur des galettes accélératrices comme stimulant, du
moins dans un pays chaud, par des chemins difficiles, et pour une
troupe placée dans des conditions mauvaises pour la marche, c’està-dire non entraînée et débilitée par les fièvres : ces galettes seront
une ressource inappréciable quand il faudra donner un bon coup de
collier. Je crois que nous devrions en avoir un large approvisionne
ment, mais que la réalisation de ce vœu ne devra pas empêcher le
service administratif de continuer à assurer la saine et complète
alimentation des troupes avec la sollicitude dont il fait preuve
journellement ».
A Antsirane, le 20 Mars 1891.
Le Chef de Bataillon,
Signé : M ourey .
(( Je partage entièrement l’opinion exprimée par le commandant
Mourey ; les galettes accélératrices paraissent être un adjuvant très
utile pour les marches, mais ne sauraient être substituées, sans
inconvénients sérieux, aux principales denrées de la ration ».
Le Lieutenant Colonel Commandant supérieur des Troupes,
Signé : O. P u e l .
On remarquera que les Rations coloniales sont considérées dans
le rapport ci-joint comme insuffisamment nutritives : 24 de ces
galettes, prises eu 12 heures de marche, contiennent cependant
60 gr. de poudre de viande, qui, on le sait, équivaut à 4 fois son
poids de viande fraîche dépouillée de sa graisse et de ses déchets,
c’est-à-dire à 250 gr. de chair musculaire : or, c’est là le poids en
viande de la ration d’un soldat. On est conduit dès lors à admettre
23
�362
ÉDOUARD IIECKEL
que c’est le petit volume des aliments ingérés dans les 24 galettes
qui ne donne pas la sensation de la satisfaction par la plénitude
de restomac.il faudrait achever de remplir cet organe avec du pain
pour déterminer le sentiment de satiété qui fait absolument défaut
après l’emploi des Rations condensées coloniales.
Pour terminer la série des applications que j’ai cru devoir faire
de l’alimentation au Kola en temps de guerre, je dois maintenant
parler de l’introduction de cette graine dans le régime des chevaux
et des mulets de l’armée, en campagne. J’y ai été conduit parles
considérations suivantes.
On donne aux chevaux et aux mulets, sous forme d’avoine, un
excitant du système nerveux qjui est Vavénine. En temps de guerre,
un cheval doit porter sur ses épaules une provision de cette gra
minée suffisante pour quatre journées, ce qui retarde la rapidité de
sa marche. Cette répartition est ainsi faite d'après les règlements
actuels :
( hussards j
Cavalerie légère... j Masseurs ^ ^ k. 750 d’avoine : en 4 jours = 15 k.
( dragons
)
Cavalerie de ligne j cuirassiers j 4 k. 150 d'avoine : en 4 jours = 16 k. 600.
A rtillerie.......................................4 k. 350 d’avoine : en 4 jours = 17 k. 300.
Or, le poids que supportent les chevaux, tant de la cavalerie
légère que de celle de ligne, a besoin d’être diminué, afin d’assurer
la rapidité des mouvements : c’est le grand desideratum à une
époque où le véritable service de la cavalerie consiste à éclairer les
armées en marche. Dans ces conditions, j’ai pensé qu’on pourrait,
par un artifice, remplacer, partiellement au moins, l’avoine par le
Kola. Pour y arriver, j’ai donné la formule d’une galette comprimée
à base de Kola, composée d’avoine, de lin et de blé, sous des
proportions telles que le Kola y fût représenté par 30 % de leur
poids. Le mélange se fait assez aisément en employant de la farine
de lin, qui donne aux galettes de la cohésion ; on y met aussi
peu d’eau que possible et on comprime le tout à la presse
hydraulique. Si on donne à la galette la forme ronde ou carrée, on
arrive à pouvoir introduire aisément 40 de ces galettes, du poids de
250 gr., dans le sac à avoine qui se place en travers, au-devant de
la selle, sous forme d’un gros boudin. C’est la provision suffisante
pour 4 jours, car le cheval ou le mulet se contente de 9 de ces
�LES KOLAS AFRICAINS
3 (5 3
galettes par jour, en ayant soin d’achever le remplissage de
l’estomac de l’animal par du foin ou de la paille, qu’on trouve tou
jours aisément, même en temps de guerre (1). Ces galettes ont été
expérimentées, sur l’ordre de différents ministres de la guerre,
soit, au quartier, soit pendant les périodes des grandes manœuvres,
par différents corps de cavalerie. Je vais relater les observations
qui m’ont été communiquées : mais je dois donner la priorité,
en raison de son importance, à celle que je dois à M. le
professeur Samson, et qui établit scientifiquement le degré de nutri
tion de ces galettes pour chevaux et leur action neuromusculaire.
D’une façon générale, durant ces expériences, disons-le une fois
pour toutes, les galettes étaient distribuées aux chevaux ou mulets
de la manière suivante : deux comprimés le matin, avant le départ,
quatre à la première étape, vers midi, et trois à 5 heures du soir.
Mais cette répartition n’avait rien d’absolu et il était recommandé
de la régler d’après les heures de travail imposées à l’animal, en
tenant rigoureusement compte de ce fait que l’effet utile ne se
produit guère qu’une heure après leur ingestion. Il est du reste
facile, quand la marche dure une journée entière, d’en espacer
l’emploi d’heure en heure. Rien de plus aisé, en effet, pour le cavalier
que de mettre pied à terre, et, sans débrider, d’en faire manger une
au cheval, dans le creux de la main, en ayant soin de la casser
(ce qui se fait sans effort) en morceaux de la grosseur d’une
noix. L’animal, quoique très délicat, s’habitue très rapidement
à cette forme d’alimentation et eu devient même très friand. De plus,
ces galettes, quand elles sont bien préparées, sont très cohérentes
par elles-mêmes et ne s’effritent pas dans le sac à avoine.
Lettre de M. S anson , professeur à l’Ecole d’Alfort et à l’Institut
agronomique, à M. le Dr HECKEL, concernant l’expérimentation
scientifique de ses R ations accélératrices pour chevaux.
Paris, 44, avenue de l'Observatoire, 8 décembre 1886.
« Monsieur et très houoré Collègue,
» Je m’empresse de vous faire connaître le résultat de mes
recherches sur vos galettes accélératrices.
(1) De cette façon, le cheval porte en moyenne 9 kilogr. de galettes, au lieu de
17 kilogr. au maximum et de 15 kilogr. au minimum, en avoine.
�364
ÉDOUARD HECKËL
» Vous connaissez peut-être le dispositif expérimental qui me sert
à constater l’action d’une substance sur l'excitabilité neuro-muscu
laire. On cherche d’abord à déterminer l’intensité du courant induit
qui n’est plus capable de mettre en jeu l’excitabilité normale du
sujet. Chez le cheval qui nous a servi, cette intensité correspond
au courant que donne la bobine à chariot de Dubois-Raymond,
lorsque le chariot était arrivé à un écartement de 0m,45. Il est
clair que si, après que le sujet a ingéré la substance en expérimentation, ce même courant suffît pour provoquer la contraction mus
culaire, on pourra conclure que son excitabilité a augmenté et
que l’augmentation est due à l’action de la dite substance sur le
système nerveux.
» Quinze minutes après que notre sujet eut mangé 2 galettes,
son excitabilité a été explorée à l’aide du courant indiqué. Elle
s’est montrée nulle.
» Vingt-cinq minutes après, elle a paru exister mais encore très
faible et obscure. Quarante minutes après, l’application des exci
tateurs a provoqué des contractions nettes et énergiques.
» Cinquante minutes après, les contractions sont encore plus
promptes et non moins énergiques. Une heure après, l’excitation est
la même lorsqu’on écarte la bobine à 0m17 ; 1 heure 15 après,
l’excitant n’est plus efficace à 0m16.
» 1 heure 45 après, il ne l’est plus à 0m16, mais il est encore à
0m15.
» 2 heures après, action nulle ; l’excitabilité artificielle a
disparu.
» En résumé, il résulte de l’expérience que: l’action de l’aliment
sur l’excitabilité neuro-musculaire est évidente ; qu’elle s’est fait
sentir nettement 40 minutes après son ingestion et qu’elle a duré
environ une heure.
» J’ai voulu aussi me mettre en mesure d’exprimer la valeur
nutritive des galettes. A cet effet, l’analyse a été faite à mon labora
toire, et voici la composition immédiate que nous avons cons
tatée :
�LES KOLAS AFRICAINS
Matières solubles dans l’éther.....................
Protéine brute (az. x.6 25).......................
Matières solubles dans l’é th e r...................
Extractifs non azotés..................................
Cellulose b ru te............................................
Cendres.........................................................
10,05
20,12
3 »
43,17
19,90
3,76
100
)) On peut estimer d’après cela, que la valeur nutritive est à peu
près double decelle des avoines moyennes. On leur accorde 12 n/°
de protéine brute ; mais comme elles contiennent 25 °/° d’eau, et
comme leur digestibilité est certainement inférieure en raison de
ce que leur relation nutritive est 1/2, tandis que celle des galettes
leur donne celle de 1 : 2.29 (
=
) : Par ces raisons,
on est autorisé à admettre, comme vous l’avez fait d’ailleurs, qu’un
poids de vos galettes peut être substitué à un poids au moins
double d’avoine. La seule différence entre les deux aliments, est
que l'effet de l’avoine se fait sentir un peu plus tôt.
» Voilà, Monsieur, les faits que je suis heureux de pouvoir vous
transmettre. J’ai l’intention de les communiquer demain à la
Société Centrale de médecine vétérinaire, à cause de leur impor
tance, et j’espère que vous n’y verrez pas d’inconvénient.
» Veuillez agréer, etc.
» Signé: A. S anson . »
4e Corps d’Armée. — 26° Régiment d’Artillerie.
« Le Mans, 25 Septembre 1887.
» Conformément à un ordre ministériel transmis le 9 août 1887,
par le général commandant le 4° corps d’armée, une Commission
composée de MM. Goetzmann, capitaine en premier; Curnier , lieu
tenant en premier; Causé , vétérinaire en second, a été constituée,
le 18 Août, au 26e régiment d’artillerie, avec mission d’expéri
menter les g a le tte s a cc élér a tr ice s du docteur H eckel, et d’en
déterminer les qualités nutritives. Mille galettes pesant cha
cune 200 grammes environ, ont été mises gracieusement par
2k
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�366
ÉDOUARD HECKEL
l’inventeur, à la disposition de la commission, qui les a fait con
sommer, en remplacement de la ration d’avoine, par 10 chevaux de
la 6e batterie, pendant la période des grandes manœuvres.
» Les expériences ont duré 10 jours : avant la distribution, les
galettes étaient coupées à la main en fragments de la grosseur
d’une noix; chaque cheval recevait 10 galettes, 4 le matin, 3 à
midi, et 3 le soir.
» Cette alimentation spéciale a été facilement acceptée par les
chevaux désignés, qui, pendant la durée des essais n’ont jamais été
incommodés, n’ont rien perdu de leur embonpoint ni de leur
énergie, et sont restés dans un état aussi satisfaisant, à tous les
points de vue, que celui des animaux nourris à l’avoine.
» Il convient toutefois de faire remarquer que les galettes se
sont émiettées facilement pendant le transport, et qu’il faut
remédier à cet inconvénient.
» En résumé, les observations faites pendant les expériences,
tendent à prouver que les galettes accélératrices du docteur Heckel
contiennent tous les éléments dont les chevaux ont besoin pour
conserver leur embonpoint et leur énergie. La ration journalière a
un poids et un volume très réduits; plie pèse 2 kilogrammes, au
lieu de 5 kilogrammes 600 gr., poids de la ration d’avoine pour
l’artillerie. C’est là un avantage précieux au point de vue de l’ali
mentation des chevaux en campagne.
»
» Les Membres de la Commission,
Signé : G oetzmann , C u r n ie r , Causse . »
Appréciation de M. A ureggio , médecin vétérinaire au 11e Régi
ment d’artillerie, à Versailles (Extrait d’un article intitulé:
« Le problème de la marche des troupes, » inséré dans la Revue du
Cercle Militaire, n° 17, 2e année, 24 Avril et 1er Mai 1887).
« Nous croyons qu’il est absolument nécessaire de revenir sur
la question du biscuit fourrage et mieux du biscuit d’avoine. N’ou
blions pas que l’armée allemande possède une galette d’avoine de
mobilisation et que les fabriques de conserves d’aliments, notam
ment celles de Mayence, préparent constamment des quantités de
conserves pour hommes et des galettes d’avoine pour chevaux.
» A ce propos, nous signalerons la récente découverte du doc-
�LES KOLAS AFRICAINS
teur Heckel, professeur à la Faculté des sciences de Marseille, qui
a créé, en vue de l’alimentation des chevaux de guerre en campa
gne, particulièrement devant l’ennemi, des galettes dites conden
sées accélératrices. Un kilogramme de ces galettes nourrit comme
deux kilogrammes d'avoine. Gela est d’une importance considéra
ble pour les chevaux de l’armée qui doivent porter eux-mêmes
leur ration alimentaire, surtout dans les moments critiques des
opérations de guerre. Réduire la charge à la moitié, de ce chef,
serait un progrès méritant la plus grande attention. »
Expérimentation du commandant D e v o s , au 40° de ligne, à Privas,
en Décembre 1885.
« La l re expérience a eu lieu mercredi 23 Décembre. Sept
chevaux de races différentes, de tailles diverses, ont pris part à
l’expérience. Les cavaliers étaient les capitaines Egloff, Dubrey,
Bourret, Cloris, Faure, le docteur Cazalas et moi-même.
» Les animaux n’ont pas mangé d’avoine depuis le 22 au matin
jusqu’au 23 au soir. La ration de galettes accélératrices leur a été
donnée de la manière suivante : 3 galettes au repas du soir le
3 à 5 heures du matin, le 23 ; 3 le même jour, à 7 h. 1/2 du matin,
et les 3 dernières pendant le reposa midi; paille et foin comme
d’habitude. A la rentrée, les chevaux ont repris leur alimentation
ordinaire.
» Notre petit groupe, parti à 9 heures du matin, s’arrêtait à
11 heures 3/4, après avoir parcouru 26 kilom. De 11 heures 3/4 à
1 heure 50, déjeuner et repos, puis départ pour Privas, et arrivée
dans cette ville, à 4 heures, après 19 kilom. de parcours. C’est donc
une distance totale de 45 kilom. parcourue en 5 heures, soit une
vitesse de 9 kilom. à l’heure.
h Samedi 26, 2e expérience. — Rations données de la manière
suivante : 4 galettes le 25 à 3 heures ; 4 le 26 à 7 heures du matin ;
4 à 10 heures. Départ à midi, rentrée à 3 heures, parcours 33 kilom.r
donc 11 kilom. à l’heure.
» Nous considérons ces résultats comme très bons : nos chevaux
étaient mous pour la plupart, et de plus ils n’avaient guère été
montés qu’au pas, depuis deux mois, par les ordonnances.
» Conclusion. Lesgalettesremplacent l’avoine, donnentdes jambes
�368
ÉDOUARD HECKEL
aux chevaux. Ces animaux eu sout friands; elles n’ont aucune
action nuisible sur la santé; enfin nos bêtes n’ont éprouvé aucune
fatigue après les sorties auxquelles elles sont cependant loin d’être
habituées.
»• Privas, le 28 décembre 1885.
'
Observations de M.
» Signé: Commandant
P
Devo s.
»
receveur des contributions indirectes
à Souvigny (Allier).
io t o n ,
« Je me suis adressé à M. Heckel, à Marseille, dont je suivais
depuis longtemps les travaux avec intérêt ; et il a mis gracieuse
ment à ma disposition 40 galettes pour chevaux.
» Je dois dire que j’ai eu de la peine pour en faire prendre à
mou cheval, qui en est aujourd’hui très friand : j’en ai perdu
quelques-unes pour lui apprendre à eu manger.
» Le 20 juin courant, avec 2 galettes seulement, je faisais une
expérience préalable; antérieurement mon cheval avait fait :
» Le 1er juin, 30 kilom. ; le 8 juin, 30 kilom. ; le 19 juin, 40 kil.
» Le 20 juin, sans autre nourriture que de la paille et 5 litres
d’avoine au départ, je faisais le même jour les 5e et 6e tournées,
d’un coup, en une course de .64 km.; et, pour cela il n’a fallu
donner à mon cheval, en sus des aliments ci-dessus, que deux
galettes de Kola seulement, de chacune 250 gr. J’ai toujours
marché avec une vitesse moyenne de 1.4 km. à l’heure. 11 faisait, ce
jour-là, une chaleur torride, mon cheval n’a pas sué; il avait, au
retour, beaucoup plus d’action qu’au départ; et, en arrivant, il
n’était pas fatigué.
» Je me résume : il est maintenant certain qu’avec les galettes
au Kola, administrées à un cheval, on active sa marche et on pro
longe la durée de sa résistance à la fatigue. Les vibrations mus
culaires sont plus nombreuses et plus énergiques.
» Signé : P io t o n . »
Rapport sur les Rations condensées accélératrices du D r H e c k e l ,
pour chevaux, par M. P r é v o s t , vétérinaire militaire.
« Le 19 mars dernier, M. le docteur Heckel a bien voulu, sur
notre demande, nous adresser gracieusement un certain nombre
de galettes,
�LES KOLAS AFRICAINS
» Son invention étant à peu près connue de tous ceux qui
s’intéressent à l’hygiène hippique militaire, nous nous dispensons
d’en faire la description.
» L’expérience à laquelle nous avons procédé n’a porté que sur
un cheval d’officier (le nôtre). Elle comportait la solution de ces
deux questions :
» 1° Un cheval de cavalerie nourri exclusivement de galettes et
de paille (celle-ci donnée à la ration ordinaire), peut-il assurer
pendant 8 jours le service en campagne?
» 2° Peut-on exiger de lui, s’il est accidentellement alimenté de
cette façon, des courses assez longues?
» Notre jument, en bon état, suffisamment entraînée, montée
régulièrement chaque jour (environ 15 km.), cotée comme la
moyenne des chevaux d’officier d’artillerie, fut pesée le 21 mars :
poids 490 kilog.; elle consomme normalement très peu de foin.
22 mars, 9 tablettes, ration ordinaire de paille, 16 km. en 1 h.
8
—
—
23 —
10 km. en 1 h.
—
—
24 —
8
11 km. en 1 h.
25 — 6
—
—
(0
26 9
1 h. de manège
—
—
27 6
1 h. 1/2 —
—
—
28 — 10
—
—
20 km. en 1 h. 3/4
29 —
—
—
9
22 km. en 2 h.
30 —
9
18 km. en 1 h. 1/2
—
—
31 fin de la nourriture exclusive avec galettes; pesée 489 kil.
» L’allure était aussi régulière,aussi soutenue qu’avec l’alimenta
tion par l'avoine. La jument se montrait assez friande de galettes ;
mais, nous devons à la vérité de dire que contrairement à ce que
certaines personnes prétendent, et à ce que nous avons cru remar
quer nous même au début, tous les chevaux n’acceptent pas volon
tiers le nouveau produit.
» Il n’y a pas lieu détenir compte de ce dégoût qui disparaît le
jour où la galette est substituée complètement aux grains.
» Le service de guerre ne consiste pas toujours à faire de longues
étapes. Si quelquefois des cavaliers ont à parcourir des trajets
étendus, très souvent les régiments avancentcà petites journées; en
moyenne 15 à 20 kil. quotidiennement. Si on tient compte des dis
tances franchies et du temps employé dans les observations ci(*) Impossibilité absolue de sortir à cause du mauvais temps.
�370
ÉDOUARD HECKEL
dessus relatées, il est facile d’apprécier les services que pourraient
rendre les galettes du docteur Heckel, comme nourriture acciden
telle du cheval.
» 2e Question. — Le 29 avril ; la jument reçoit 12 tablettes et sa
ration de paille ; elle parcourt 32 kil. en 2 heures 50, sur une route
accidentée.
Son allure était aussi franche au retour qu’à l’aller.
Le lendemain 30 avril : ration 9 tablettes, 20 km. en 2 heures.
» Souvent nous nous sommes supposé en campagne sans pouvoir
compter sur les convois, mais ayant à notre disposition des galettes;
nous avons pu exiger, sans effort, 25 kil. en 2 heures 1/2, 2 heures
3/4 avec 9 galettes.
» Sans aucun doute, le docteur Heckel ne saurait avoir la préten
tion de remplacer totalement, et pour longtemps, l’avoine par son
produit ; ce qu’il cherche surtout, c’est permettre aux cavaliers,
que les convois ne peuvent rejoindre, de continuer à assurer leur
service en faisant consommer à leurs montures des galettes et de
la paille exclusivement.
» La grande facilité de transport, les bons résultats que nous
avons obtenus avec les rations condensées, nous font désirer dé les
voir expérimenter sur une grande échelle, car nous sommes con
vaincu qu’elles réunissent beaucoup des conditions qui sont à
rechercher dans une ration accidentelle.
» C’est pour la cavalerie qu’il serait utile d’avoir une ration que
nous appellerions volontiers de « disette », car c’est cette arme
surtout, que ses fonctions stratégiques exposent à être séparée de
ses convois.
» Des observations que nous avons faites sur l’emploi des
rations condensées, il ressort ;
» 1° Qu’elles sont facilement transportables et se conservent
bien ;
» 2° Que les chevaux les prennent volontiers quand ils n’ont
pas d’avoine à leur disposition ;
» 3° Qu’elles peuvent accidentellement remplacer l’avoine, mais
l’avoine seulement. Il ne faut pas songer, en effet, l’inventeur d’ail
leurs n’a pas cette idée, à vouloir les substituer également au foin
et à la paille, qui, en plus de leur rôle dans la nutrition,constituent
un lest indispensable que les galettes ne peuvent procurer.
�LES KOLAS AFRICAINS
. » 4° Qu’il.serait utile de les faire expérimenter pendant les
grandes manœuvres dans les corps de cavalerie ;
» 5° Qu’on pourrait, dès aujourd’hui, en donner en réserve aux
régiments frontières. La consommation et le renouvellement s’exé
cuteraient comme pour les biscuits et conserves de réserve à l’usage
des hommes.
» Dôle, le 31 mai 1888.
» Signé : PREVOST,
» Vétérinaire en 2e au 7e escadron du train. »
sur les expériences ordonnéès par la lettre ministérielle
du 28 juillet 1888, concernant les Rations condensées du Docteur
R appo rt
H eckel .
15e
COUPS
d ’a r m é e .
— lD« BRIG. DE CAVALERIE. —
1er RÉG.
DE HUSSARDS.
« Marseille, le 15 août 1888.
» Conformément à la lettre ministérielle du 28 juillet dernier, il
a été nommé une commission composée de :
» M. le chef d’escadron Rassac, président ; de M. de PontevèsSabran, capitaine commandant, et de M. Pader, vétérinaire en
second, afin d’expérimenter sur des chevaux faisant les manœuvres
de brigade, les rationscondenséesdeM. le docteur Heckel. Nous avons
l’honneur de rendre compte de la mission qui nous a été confiée.
» Nous renfermant dans les conditions exposées dans la lettre
ministérielle, il a été pris aux deux escadrons douze chevaux. Ces
chevaux, tous en parfaite santé, ont été partagés en deux lots de six,
et placés côte à côte dans une même écurie ayant une mangeoire
commune, mais bien conditionnée.
» Le premier lot de six chevaux a été désigné pour consommer
14 galettes par jour, pendant 3 jours, en remplacement de l’avoine
seulement. La répartition des repas et la distribution des rations
ont été organisées ainsi qu’il suit :
Pour le 'premier lot :
4 Galettes le matin, une heure environ avant le départ pour la
manœuvre.
4 — à la rentrée de la manœuvre.
6 — au repas du soir.
�372
ÉDOUARD HECKEL
Pour le deuxième lot :
3 Galettes le matin avant la manœuvre.
2 — à la rentrée.
3 — au repas du soir.
» L’expérience a pu commencer le 7 août au matin, la caisse con
tenant les rations étant arrivée la veille. Les chevaux ayant été mis
hors de l’écurie, la ration destinée à chacun d’eux a été rompue, à la
main, en menus morceaux et placée dans la mangeoire. Cette
opération finie, tous ont été ramenés en même temps à leur place
respective. Dès le premier repas, les chevaux se sont précipités sur
leur ration sans hésitation et l’ont mangée en manifestant même
une certaine avidité. Deux, cependant, appartenant chacun à un lot
différent, après avoir goûté de la substance, ont paru hésiter à con
tinuer leur repas et semblaient rechercher les brins de foin qui
pouvaient rester dans le râtelier ; mais ils sont revenus à plusieurs
reprises à leur ration, qu’ils ont fini par manger.
» Quand les chevaux sellés sont partis pour la manœuvre, il ne
restait pas un seul morceau de galette dans la mangeoire qui avai
été parfaitement nettoyée.
» Au deuxième repas, tous, sans exception, se sont montrés
également avides de la dite substance et il en a été de même
jusqu’à la fin des expériences.
)) Les chevaux du premier lot qui recevaient des galettes à
l’exclusion de toute autre nourriture, après avoir rapidement mangé
leur ration, paraissaient inassouvis, comme si l’estomac, habitué à
une certaine plénitude, réclamait du lest. Aussi, ces chevaux
restaient inquiets à la vue du râtelier de leurs commensaux garni
de leur ration de foin et de paille, et soit surexcitation due à cet
état particulier, soit excitation spéciale due à la nourriture, les
chevaux, même naturellement doux, devenaient turbulents et
querelleurs.
» Après la manœuvre qui a suivi le premier repas, cinq cavaliers
sur douze ont pu remarquer dans leur cheval une certaine surexci
tation et une ardeur plus grande au travail ; les autres n’ont pas
senti de différence bien notable.
» Mais à la manœuvre du deuxième jour la surexcitation a été
générale et bien sensible,
�LES KOLAS AFRICAINS
373
)) Tous les cavaliers ont été unanimes dans la constatation de
l’ardeur extraordinaire de leur cheval; les plus tranquilles d’habi
tude se montraient turbulents et quelques-uns, ne pouvant être
retenus, se sont emportés à travers champs.
» Cette ardeur, due incontestablement à leur nourriture spéciale,
a paru se maintenir d’une manière encore assez sensible jusqu’au
deuxième jour après la cessation du régime et la reprise de la
ration ordinaire.
» Pendant la durée du régimed’expérience, et après sa cessation,
il n’a été constaté d’une manière positive aucun trouble dans les
grandes fonctions, tant du cùtè des voies digestives que des voies
génito-urinaires.
)) Comme conclusion, cette expérience faite en temps de
manœuvre permet de constater que la galette Heckel, du poids
environ de 250 grammes, de forme discoïde s’adaptant au sac
porte-avoine, d’une cohésion suffisante tout en étant friable à la
main, est d’un transport facile pour le cheval ; sa grande valeur
nutritive (sous un faible volume) déterminée par des expériences
précédentes, son pouvoir excitant qui vient encore d’être manifes
tement constaté et la facilité avec laquelle à peu près tous les
chevaux l’acceptent à première vue, en font, sans présumer de sa
conservation, un aliment qui peut avoir son utilité en campagne,
soit comme pouvant être substitué exceptionnellement à l’avoine
et même à la ration complète, soit pour être donné comme adjuvant
à la ration ordinaire, dans le cas où on a besoin d’exiger du cheval
un effort considérable ou une dépense de force et d’ardeur insolites».
Voici maintenant une observation plus importante qui
prouvera la valeur de ces Rations au Kola, pour les chevaux
en campagne :
Em ploi du K ola en campagne en Afrique tropicale
Comme je l’ai dit (p. 78), M. le Dr Rançon est un des rares explo
rateurs du continent africain, qui aient eu la prudence de se
pourvoir d’aliments au Kola, pour les consommer lui-même
avec ses hommes ou pour les faire consommer par les animaux
qui le suivaient durant un pénible voyage d’exploration.
Il en a retiré grand profit, ainsi qu’on va le voir, pendant
sa mission au Soudan et en Haute-Gambie. Voici, du reste,
�374
ÉDOUARD HECKEL
comment il apprécie les avantages que l’Européen, sous ces
climats torrides et éminemment débilitants, doit recueillir d’un
usage méthodique du Kola sous la forme des Rations expéri
mentées par l’armée française (galettes pour hommes et galettes
pour chevaux). Ces observations réalisent les espérances si nette
ment exprimées par Binger, p. 89.
« Nous connaissons aujourd’hui exactement toutes les pro» priétés physiologiques du Kola et nous savons que les vertus
» attribuées par le noir à cette graine, ne sont pas imaginaires.
» Ce que, depuis des siècles, l’instinct de la bête a révélé à
» l’homme primitif, nous en étions encore, nous hommes de
» science et de travail, à le discuter malgré les données de
» l’observation la plus précise. Il faut avouer que le dernier
» des nègres est, à cet égard, plus heureux que nous. Son
» instinct ne le trompe pas, tandis que notre science est
» parfois bien lente et bien infidèle à nous révéler des secrets
» qui n’échappent pas à la sagacité des hommes primitifs.
» Pourquoi chercher, à ces faits observés, des explications
» qui ne seront jamais qu’à la portée d’un petit nombre
» d’initiés ? Pourquoi ne pas admettre simplement la réalité'
» du fait brutal et ne pas se contenter des résultats indiscu» tables d’une expérience plusieurs fois séculaire? Pourquo1
» enfin le Kola, agissant sur l’organisme du noir, n’agirait-il
» pas de même sur celui du blanc ? (1) Nous avons vu,
» constaté, enregistré maintes fois les bienfaits de cette substance
» non seulement sur les indigènes, mais encore sur les Euro» péens. Nous nous en sommes servi pendant toutes les
» campagnes que nous avons faites au Soudan, et en en usant
» modérément, nous nous en sommes toujours bien trouvé. Nous
» pourrions citer des noms de camarades qui pensent abso» lument comme nous, après expérience. Que faut-il de plus
» pour ouvrir les yeux aux incrédules ?
» Il n’y a pas le moindre doute que l’usage modéré du
» Kola serait d’un effet salutaire sur l’organisme, trop souvent
» affaibli et débilité, des soldats qui font campagne au Soudan.
» Il y a là des essais sérieux à tenter, et, au Soudan Français,
(1) Cette objection m’a été faite sérieusement par des spécialistes, quand il s’est
agi d'appliquer aux troupes françaises en campagne, l’alimentation au Kola, qui
réussit si bien aux indigènes en marche. (Note de L'auteur.)
�LES KOLAS AFRICAINS
» pays duKola, rien n’a encore été fait de méthodique à ce
» sujet. Iln’en a pas été de même partout fort heureusement,
» car, dans d’autres colonies, en France même, des expériences
» suivies out été faites par des hommes dont la compétence
» en semblable matière ne saurait être mise en doute. Les
» résultats ont été concluants. Nous même nous avons cru de
» notre devoir de nous eu occuper sérieusement pendant notre
» dernier voyage et, bien que notre opinion soit de peu de
» poids dans une si importante question, nous ne craignons
» pas de l’écrire ici et de faire* connaître ce à quoi nous
» sommes arrivé.Nous ne parlerons pas de l’emploi du Kola
» en nature. Après ce que nous venons de dire (voir p. 79),
» nous estimons, n’en déplaise aux adversaires du Kola,
» que la cause est dès maintenant entendue et jugée. Le procès
» est gagné. Nous ne relaterons ici, sans aucun commentaire,
» que les essais tentés par nos soins sur les hommes et les
» animaux, avec les rations de guerre au Kola formulées par
» M. le docteur Heckel, professeur à la Faculté des sciences
» de Marseille, dont la compétence et la haute autorité morale
» et scientifique sont hautement proclamées.
» La galette pour hommes (formule du Dr Heckel) (1), que
» nous avons expérimentée sur nous-même, nous a donné de
» bons résultats et nous avons pu, en nous en servant pendant
» la première partie de notre voyage, faire, sans trop de
» fatigue, de longues, de très pénibles étapes. Sans doute cette
» composition n’est pas parfaite, mais, telle qu’elle est, nous
» estimons qu’elle pourrait rendre de grands services, surtout
» si elle était méthodiquement administrée et si son usage en
» ôtait surveillé par des hommes compétents et observateurs.
» La galette pour chevaux (2) pourrait être aussi utilisée
» avec profit. Nous avons pu constater, qu’au début, les ani» maux originaires du Soudan ne la mangent qu’avec difficulté.
(1) Il s'agit des rations condensées accélératrices pour hommes expérimentées
par le ministère de la guerre et par les colonies et dont j’ai donné déjà, avant
celles pour chevaux, la composition et la formule. Ces rations avaient été préparées
à Marseille pour le voyage d’exploration scientifique de M. le Dr Rançon
(E. Heckel).
(2) Il s’agit des rations de guerre condensées pour chevaux dont j’ai donné
(p. 362) la composition et la formule (E. Heckel).
�376
ÉDOUARD HECKEL
» Mais ils finissent par s’y habituer rapidement. Nourris sim» plement avec du mil, ils ne mangent que péniblement l’orge
» et l’avoine qui entrent dans sa composition. Mais deux ou
» trois jours suffisent pour les y habituer. Le fait suivant en
» est une preuve évidente.
» Lorsque je suisarrivéàNétéboulou (Haute-Gambie),j’avais pour
» monture une jument indigène, originaire du pays deNioro, d’une
» maigreur extrême, véritable cheval de l’apocalypse, comme l’ap» pelait un de mes amis, le matin du jour où je quittai Kayes.
» Elle n’avait, en raison de ses origines, jamais été nourrie
» qu’avec du mil. A Nétéboulou, je ne pouvais plus lui en
» donner, il n’y en avait même pas pour mes hommes et les
» habitants du village. Je fus donc obligé de ne la nourrir
» que de galettes au Kola et d’herbe verte, le fourrage man
» quant absolument à l’époque de l’hivernage. Il me fallut six
» jours pour l’y habituer. Pendant près d’un mois, elle ne
» vécut que grâce à ces rations au Kola. Quand les galettes
» vinrent à manquer, elle mourut d’anémie pernicieuse en peu
» de jours.
» J’avais, en plus, comme animal de charge, une mule
» d’Algérie, habituée par conséquent à l’orge. Dès le premier
» jour que je lui donnai des galettes, elle les dévora de suite
» avec avidité. Bien qu’elle ne fut nourrie que de ces rations
» an Kola et de fourrage vert, elle se maintint en bonne
» santé etengraissa même. Je me souviens combien elle était
» admirée des habitants du village, et la mort, survénue à la
» suite d’un accès pernicieux, stupéfia tout le monde. Détail
» important : quand elle mourut, il y avait plus de quinze jours
» que ma provision de galettes était épuisée. Elle ne se nour» rissait plus que d’herbes.
» La seconde monture que j’eus, en remplacement de la
» jument, était un vigoureux cheval que je devais à la com» plaisance de mon excellent ami M. le capitaine Roux, de
» l’infanterie de marine, commandant le cercle de Bakel, qui
» me l’avait, envoyée selon les instructions de M. le comman» dant supérieur. C’était un animal qui mangeait beaucoup.
» Pendant les 24 jours que je fus obligé de passer à Mac-Car» thy (Gambie), à bout de forces et miné par la fièvre, je n’avais
�LES KOLAS AFRICAINS
377
» pour l’alimenter que le mil rouge et dur de Sierra-Leone
» que je devais à la générosité de la Compagnie française, mais
h que l’animal refusait obstinément. J’avais heureusement trouvé
» en arrivant plusieurs caisses de galettes que M. le Dr Heckel
« m’avait expédiées par un des navires de la compaguie. Pen» dant 24 jours, l’animal ne mangea que cette ration et je ne
» m’aperçus pas au départ qu’il eut maigri ou qu’il eût perdu
» quoique ce soit de sa vigueur.
» Il en fut de même, du reste, pour le cheval du chef de
» Nétéboulou qui m’accompagnait. Cet animal, de plus, fut sujet,
)) pendant les premiers jours de notre arrivée, à de fréquents
» accès de fièvre. Quand nous quittâmes Mac-Carthy, il était
» complètement remis et fit toujours sou service. Je ne veux
» point affirmer que l’usage des galettes amena sa guérison ; mais je
« ne puis m’empêcher de croire qu’elles y aidèrent beaucoup (1).
n II fallut trois jours pour habituer ces hôtes aux rations à
» base de Kola. Voilà certes des résultats probants ; aussi,
« quoiqu’on en ait dit, quoiqu’on en dise encore, nous ne pou» vons nous empêcher de conclure que le Kola est appelé à
» jouer, un jour ou l’autre, un grand rôle au Soudan dans la
» vie des Européens et dans l’existence des animaux que nous
» y employons : nous devrons ce résultat à la persévérante ini» tiative du Dr Heckel. »
Je dois dire en terminant que, malgré les avantages présentés
par ces préparations de Rations accélératrices pour chevaux, et les
résultats encourageants obtenus par les expériences' officielles ou
officieuses ci-dessus relatées, elles n’ont, pas plus que les Rations
accélératrices pour hommes, été adoptées pour l’armée française.
Des expériences autorisées par le ministère de la guerre français
se font en ce moment sur mes indications, en Russie, tant sur les
rations pour hommes que sur celles destinées aux chevaux : j’en
ignore encore les résultats.Mais si le gouvernement moscovite adoptece mode d’alimentation de guerre, la France, sans aucun doute,
ne pourra qu’imiter l’exemple de cette nation : alors sera justifiée,
(1) Cette observation est à rapprocher de l’emploi du Kola au Congo contre la
fièvre (voir page 283), et des indications de J. Bauhin (page 293, Bibliographie).
24
�V
378
ÉDOUARD HEGKEL
une fois de plus, la parole de M. le Dr Ravenez, placée en tête de
ce chapitre. C’est le cours normal des choses.
Toutefois, les mêmes Rations pour hommes sont couramment
employées par les alpinistes, les vélocipédistes, les touristes, les
gymnasiarcjues, etc. : (1) ils trouvent à leur emploi des avantages
qu’on sera peut-être étonné de ne pas voir rechercher encore par les
hommes intelligents et dévoués qui président au bien-être du soldat
français et qui ont pour mis'sion d’assurer la supériorité physique
et la résistance de nos troupes. Le temps aura, sur ce point comme
sur bien d’autres, raison des préventions, s’il en existe, et je ne
doute pas que le jour se fasse désormais rapidement sur la valeur
reconnue d’une matière première qui est devenue, à cette heure,
essentiellement française par son abondante production dans nos
colonies tropicales africaines, et par l’étude spéciale que j’en ai
faite.
Il n’est pas inutile, en terminant la partie de ce chapitre
consacrée à la bromatologie du Kola, de dire que cette graine,
en raison même de la facile assimilation digestive de ses parties
constituantes, de l’absence du fibrose et de vasculose qui la
caractérise, devra être considérée comme aliment de premier
ordre, si on n’oublie pas ses vertus reconstituantes et la forte
proportion de fécule qui entre dans sa composition (33 %)•
Cette vue a été parfaitement développée dans le travail déjà
relaté de MM. Chodat et Chuit, et on sait bien que les nègres
des centres africains, qui ne peuvent se procurer le Kola
frais, en raison de leur éloignement de la côte et des
centres producteurs ou commerciaux de cette graine, l’em(I) M. G. Sée a laissé supposer,dans sa discussion à l’Académie de Médecine au
sujet du Kola,que mes communications à cette assemblée sur l’emploi de cette graine
étaient inspirées par l’intérêt que je pouvais porter à la création d’une spécialité
pharmaceutique ou alimentaire. Je ne saurais trop protester contre cette insinuation
dont le but était d’abaisser le débat. J ’ai donné à un fabricant de biscuits de Mar
seille la formule que je publie ici, et, comme le Kola était inconnu, il fallait bien
donner la garantie de mon nom à une préparation nouvelle appelée à être essayée
dans l’alimentation publique, de là l’indication de for imite du Dr Heckel qui
accompagnait les Rations condensées accélératrices au début, c’est-à-dire durant,
la période des essais. J’ai déjà dit que les essais avaient été onéreux pour moi; ils
l’ont été plus encore pour le fabricant de biscuits pour hommes : il s’y est ruiné.
Quant à la préparation (outillage, m ain-d’œuvre, essais, etc.) des galettes pour
chevaux, elle a coûté à deux de mes amis de Marseille, qui avaient accepté coura
geusement d’en faire les essais à leurs frais, une somme nette de 20.000 fr.
�. LES KOLAS AFRICAINS
379
ploient à l’état sec, en poudre mélangée à du lait, c’est-à-dire
a titre de véritable aliment reconstituant. 11 n’est pas douteux,
qu’après torréfaction, cette graine, réduite en poudre fine et
mêlée à du sucre, à de la fécule de Salep ou autre, à
de la vanille et à un peu de cacao, constituera un racahout
de premier ordre. J ’ai eu l’occasion de faire opérer un pareil
mélange et je dois déclarer qu’il donne un produit excellent.
Broyé avec ie cacao, surtout avec les variétés riches en corps
gras, il donne un chocolat bien plus nutritif et plus reconsti
tuant que le produit résultant du, simple mariage de cacao,
de sucre et d’aromates. Les essais que j’en ai faits ne laissent
sur ce point aucun doute dans mon esprit. La poudre de bon
Kola torréfié a un arôme vague de cacao qui s’allie du reste
parfaitement au parfum plus dominant de la graine d’Amérique.
Il y a donc tout lieu d’espérer qu’un jour ou l’autre, le Kola
prendra dans l’alimentation publique, comme il occupe déjà
dans la thérapeutique, une place marquée, et ce sera justice.
L’avenir est assuré à cette graine à tous les points de vue,
quand son prix sera devenu plus abordable pour la grande
industrie de l’alimentation publique. Ce résultat sera obtenu
par la culture dans nos colonies tropicales, et à ce propos, il
faut féliciter la Société nationale d’acclimatation de France qui a
témoigné de l’intérêt qu’elle porte à cette question, en attribuant,
pour 1894, un prix de 500 francs au planteur colonial français
qui aura introduit le Cola acumincita dans nos possessions
tropicales et obtenu de ce végétal une récolte commerciale.
Tout me donne le droit d’espérer, après les efforts que j’ai
faits dès 1884 (il y a près de dix ans), pour pousser à l’intro
duction et à la culture de cette précieuse espèce dans nos
colonies chaudes, et après les envois réitérés de graines et de
plants vivants que j’ai réalisés et que je réalise encore
aujourd’hui soit aux jardins publics, soit à des particuliers, que
le prix pourra être attribué à la date fixée par la Société
d’acclimatation de France. Tout me fait, en outre, supposer
qu’un planteur de La Martinique pourra être le lauréat désiré.
C’est dans cette île, en effet, que mes efforts, secondés puis
samment par les Directeurs du Jardin botanique de St-Pierre
et surtout par le stimulant de l’exemple qu’ont donné les
�380
Éd o u a r d
heckeL
Anglais de Grenade, ont été jusqu’ici les plus fructueux. J’en
ai longuement parlé à la page 45 de ce livre, et je ne saurais
trop attirer l’attention de tous ceux que cette question inté
resse, sur l’avenir que présente, au point de vue de la culture
du Kola, cette colonie placée sous les latitudes convenables
et aujourd’hui séparée de la France par 12 à 13 jours de mer
seulement. — La Guadeloupe offrirait, à ce même point de vue, les
mêmes ressources, mais j’iguore si l'introduction du Kola y est
aussi avancée que dans sa proche voisine, située plus au Sud
au milieu des petites Antilles.
�CINQUIÈME PARTIE
E tude P harmacologique . — P osologie .
R éflexions
finales
L’action pharmacodynamique du Kola officinal (Cola acuminata) étant maintenant bien délimitée, autant au point de vue
élémentaire que pondéral, par les études contenues dans les
chapitres précédents, il est aisé d’aborder l’examen des prépara
tions pharmaceutiques qui peuvent le mieux assurer cette action.
Etant donné que le Kola en nature, sauf à l’état de poudre (1),
en cachets ou sous forme de comprimés, n’est guère acceptable
en raison de la forte quantité de matière inerte dont son
emploi entraîne l’ingestion, il était naturel que, pour diminuer
le volume de la substance à absorber, on cherchât à recourir à
des préparations aussi agréables que rationnelles. De ce besoin
réel, sont nés les élixirs, extraits, saccharures, tisanes, biscuits,
vins, etc. qui abondent aujourd’hui dans les officines, mais
sans répondre toutes parfaitement à l’attente du médecin et
(1) Il est toujours facile au pharmacien de reconnaître à l ’aide du microscope
l’authenticité de la poudre de Kola officinal, à la forme caractéristique de ses grains
d’amidon et à l’abondance de ces grains (voir planche I, iig. 6). Mais le mélange
delà poudre de graine du vrai Kola (Cola acuminata), à celle du Kola du Gabon
(Cola Ballayi), ne peut être reconnu que par le dosage de la caféine libre et du
rouge de Kola (Kolanine). Nous avons indiqué la technique de ce dosage dans la
partie chimique de cette monographie.
�382
ÉDOUARD HECKEL
aux besoins des malades, dans l’état actuel de leur préparation.
La forme la plus rationnelle sera évidemment, d’après
ce que nous avons dit dans la partie chimique de cette
étude, celle qui permettra de condenser sous un faible volume
la plus grande partie, sinon la totalité des éléments composants
les plus importants, qui donnent son caractère fondamental à
l’action pharmacodynamique du Kola. Nous allons voir quelles
sont ces préparations. Mais, avant tout, il convient de rappeler
que le praticien, s’il tient à assurer à ses manipulations le plus
de fini possible, s’il désire fournir un médicament répondant
aux données actuelles de l’analyse chimique et physiologique
du Kola, conforme enfin aux résultats que nous avons obtenus
par l’étude de la matière médicale de cette graine, ne mettra
en œuvre que le Kola frais. En cet état, il pourra savoir si
cette graine appartient à la variété rouge ou blanche, et nous
savons maintenant que cette dernière est beaucoup plus riche
que la première en Kolanine. D’autre part, nous avons vu
(page 254), que les graines en se desséchant perdent une partie
de leur Kolanine, qui se dédouble et donne de la caféine libre.
Mais il n’est pas toujours possible, pour plusieurs raisons,
d’employer la graine fraîche, bien qu’à cette heure, elle arrive en
France d’une façon assez régulière, soit sur les marchés français
(Marseille et Bordeaux), soit sur les places étrangères (Lisbonne et
Liverpool). Ces raisons sont : 1° le prix beaucoup plus élevé du
Kola frais que celui du Kola sec; 2° la persistance de l’huile
essentielle aphrodisiaque dans toutes les préparations pharma
ceutiques pour lesquelles la chaleur de 100° un peu prolongée n’in
tervient pas (alcoolature, élixir, vin, etc.), et même dans certaines
formes pour lesquelles l’intervention de cette chaleur suffit à
éliminer l’huile essentielle mais ne donne pas un produit doué
des principes recherchés (Vextrait aqueux de Kola, par exemple).
Dès lors, on est conduit, par exclusion, à considérer l’extrait
alcoolique de Kola frais comme la meilleure préparation à laquelle
on doive recourir, parce qu’elle implique : 1° l’emploi de la graine
dans son état le plus actif (c’est-à-dire l’état frais, nous l’avons
démontré); 2° l'intervention d’un véhicule bien approprié qui est
le meilleur dissolvant de la Kolanine (l’alcool à 90°); et 3° l’élimi
nation complète de l’huile essentielle aphrodisiaque par l’inter-
�LES KOLAS AFRICAINS
383
vention prolongée de la chaleur nécessaire à l’évaporation et à la
concentration de l’extrait (1).
Le Kola frais et blanc (qui, nous l’avons vu page 196, constitue
une variété du Cola acuminata, de beaucoup supérieure à la
rouge), donne environ 6 0/0 de son poids eu extrait, qui est loin
de renfermer toute la caféine libre contenue dans la graine (voir
page 189), mais pourvu de toute la Kolanine disponible; de plus
l’extrait desséché est privé d’huile essentielle. Un gramme de
cet extrait représente environ 18 gr. de Kola blanc frais (privé de
son eau) soit 36 gr. de la même substance non desséchée. C’est
bien la dose, que peut se permettre d’absorber un marcheur ou un
vélocipédiste durant une course de 10 heures de durée environ, en
ayant soin de fractionner les doses, c’est-à-dire en opérant comme
il a été indiqué page 356 (10 pilules d’extrait de 0 gr. 10 chacune à
prendre d’heure en heure (2).
Mais cette dose qui représente environ (en tenant compte de la
déperdition qu’entraîne en caféine libre la préparation de l’extrait)
3 gr. 80 % de caféine tant libre que combinée, serait peut-être un
peu trop élevée pour les divers emplois thérapeutiques déjà signalés,
notamment dans le cas où le remède s’adresse à des affections
organiques (maladies du cœur compliquées d’hydrôpysie, convales
cence de maladies graves, neurasthénie, etc.). Il serait alors plus
prudent de commencer par des doses moins élevées, et toujours
fractionnées de 0 gr. 30 d’extrait alcoolique au début, pour arriver
progressivement à 1 gr. et au-dessus.
Dans le cas d’accouchement avec inertie de l’utérus (ChambardHénon, voir page 279), on pourra, pendant le travail, en vue
d’en assurer la continuité sans fatigue excessive, et pour maintenir
(1) Les différents pharmaciens qui se sont le plus récemment occupés cle spé
cialiser des préparations de Kola (sans doute guidés par mes communications à la
presse médicale sur la nature et les propriétés de la K o la n in e ou R o u g e d e K o la ),
ont recouru à l'extrait alcoolique ( K o la g r a n u l é A s t i e r , K o la g r a n u l é R o y , E l i x i r
M o n a v o n , S a c c lia r u r e N a lto n , etc.), mais à l’extrait de Kola sec, livrant ainsi une
préparation moins riche en Kolanine qu’il ne conviendrait dans l’intérêt des résultats
thérapeutiques recherchés par le médecin.En recourant au Kola sec, ils privent évi
demment la préparation d’une partie du principe qui fait sa caractéristique et
assure sa supériorité sur les autres produits extraits des caféiques.
(2) C’est le procédé indiqué à M. le Dr Tissié, de Bordeaux, par un pharmacien
vélocipédiste qui l’emploie à sa grande satisfaction : il suffirait, pour rendre ce pro
cédé parfait, d’employer l’extrait de Kola blanc et frais.
�384
ÉDOUARD HECKEL
l’état de veille de l’accouchée après la parturition, donner depuis
1 gr. jusqu’à 2 gr. d’extrait à doses fractionnées durant le travail
prolongé.
Contre le diabète, il importera de commencer les marches et le
traitement préalable en ayant soin de faire préparer 21 gr. d’extrait
de Kola divisés en 210 pilules ; faire prendre d’abord une pilule en
augmentant d’une chaque jour, la dose, jusqu’à 20, puis redescendre
de 20 à 1 pilule de la même façon. C’est la répétition (avec l’extrait
alcoolique frais) du traitement que j’ai, indiqué page 278, avec la
poudre de Kola sec.
Comme on le voit, cette forme pharmaceutique du Kola
s’adapte aux principales applications thérapeutiques de cette
drogue. Il n’en serait pas de môme de la mastication de la graine
fraîche, mode d’administration qui serait cependant le plus recom
mandable, car il permet au consommateur de Kola de faire péné
trer lentement d.ns son organisme (et partant d’en assurer
l’action plus sûre) de la totalité des éléments utiles (tannin,
caféine, théobvomine et Kolanine) renfermés dans la graine. La
mastication lente permet, en effet (ce qu’aucun dissolvant ne
peut faire), de ne rejeter que la matière inerte absolument
dépouillée de tout principe utile, c’est-à-dire, une grande
partie de l’amidon et la cellulose; d’autre part, durant cette
mastication, la transformation de la Kolanine en caféine libre et
en glucose s’opère lentement et partiellement, sous l’influence du
ferment salivaire, pour s’achever complètement dans l’estomac.
Cette division d’un travail doucement accompli est toute au profit
de la complète absorption des produits utiles du Kola. Mais l’action
aphrodisiaque de cette graine fraîche en doit faire proscrire
l’emploi thérapeutique, à moins de cas spéciaux, où il convient
de lutter contre l’impuissance génésique en même temps que contre
l’affaissement général du système nerveux et musculaire, ce qui
est le cas dans la neurasthénie. Ici, la mastication des graines
fraîches semble tout-à-fait indiquée. Il est bon de savoir que 36 gr.
de graines fraîches de Kola blanc (qui constituent la dose de graine
à mastiquer dans ce cas), représentent 1 gr. 30 de caféine libre ou
à l’état de Kolanine. Quand on y recourra, il sera important de
recommander au malade de ne mastiquer à la fois qu’un poids
de 6 gr. environ de semence et de renouveler six fois l’opération
�LES KOLAS AFRICAINS
385
dans les 12 heures de jour, en prenant soin toutefois de s’arrêter
une heure ou deux avant le coucher.
Quelle sera la meilleure forme à adopter pour l’emploi straté
gique? J ’incline à penser que pour l’introduire dans l’alimen
tation du soldat ou des chevaux, il conviendra de s’en tenir à
l’emploi du Kola en poudre qui a donné de bons résultats et de
mêler cette poudre (qui est un aliment, je l’ai prouvé) à la pâte
de galettes bien préparées. Le perfectionnement à introduire dans
les biscuits pour hommes ou les galettes pour chevaux dont je
me suis servi dans mes essais, consistera à employer le Kola
blanc frais, à le dessécher rapidement au four ou à l’étuve pour
ne pas altérer la Kolanine, à le faire torréfier pour lui donner la
bonne odeur de cacao qu’il prend à la suite de cette opération
et enfin à le pulvériser finement. Dans ces conditions, on obtiendra
avec ces galettes ou biscuits,dont la conservation est facile à assurer
comme ration de réserve, des résultats meilleurs encore que ceux
dont j’ai donné longuement le détail, dans la relation des
Rapports militaires et autres (voir pages 289 à 370).
A défaut du Kola frais, seul capable d’assurer à l’extrait
alcoolique la prééminence sur toutes les autres préparations
pharmaceutiques, on pourra recourir au Kola sec qui a donné
les résultats assez sérieux enregistrés jusqu’ici,etquifontdéjàclasser
cette drogue comme hors de pair parmi les caféiques recons
tituants. Nous avous vu que cette graine, qui nous arrive de la
côte d’Afrique après avoir été desséchée au soleil, est toujours un
peu moisie et à coup sûr moins riche en Kolanine que la graine
correspondante fraîche. L’extrait alcoolique de cette graine sèche (1)
est une préparation qui enlève
certainement la totalité de la
.
Kolanine, mais laisse dans le résidu une forte proportion de la
caféine libre. Cet extrait ne saurait valoir celui de la graine fraîche
et,en raison de ce fait, il convient, quand on l’emploie, de forcer un
peu les doses que nous avons fixées pour l’extrait de Kola frais
dans les diverses applications thérapeutiques ou bromatologiques
de cette graine. 11 est inutile de répéter que l’emploi de cette
graine sèche implique nécessairement sa torréfaction préalable
(1) U est impossible, et, j’ai dit pourquoi, de reconnaître, sur simple examen à
l’œil nu, quand elle est sèche, la graine de Kola blanc de celle du Kola rouge, aussi
je me borne à dire, sans spécification de couleur, extrait de Kola sec.
�386
ÉDOUARD HECKEL
qui a pour résultat non seulement de faire disparaître les dernières
traces d’essence aphrodisiaque qui pourraient résister à l’opération
de la dessiccation, mais encore d’enlever à la graine toute odeur de
moisi, enfin de faire naître l’odeur de cacao. Il est bon, ainsi que
je m’en suis assuré bien des fois, de mouiller légèrement les
graines sèches (en les faisant tremper quelques heures dans
l’eau) avant de les soumettre au torréfacteur. Ainsi préparé, le
Kola gonfle mieux et se fendille légèrement pendant la torré
faction, qui ne doit pas durer plus de 20 à 25 minutes. La graine
devient légère et se pulvérise plus aisément. La semence de
Kola sec non torréfiée est, par contré, d’une pulvérisation assez
difficile.
En dehors de l’extrait alcoolique, dont j’ai déjà parlé, que l’on
prépare avec la noix de Kola sèche, on trouve encore dans les
pharmacies le Vin, la Teinture et YElixir de Kola, enfin le PeptoKola. Le vin est une préparation peu recommandable, nous avons
vu (page 189) qu’elle laisse plus du quart de la caféine libre dans
les résidus et vraisemblablement aussi la presque totalité de la
Kolanine. L’Elixir de Kola comportant l’intervention d’une plus
forte proportion d’alcool dans le dissolvant, est évidemment une
préparation plus rationnelle qui comportera une certaine propor
tion de la Kolanine. En tout cas, c’est là une forme pharmaceutique
des plus agréable. Quant à la teinture, nous avons vu (page 190),
qu’elle renferme très peu de caféine libre, mais elle contient
évidemment la presque totalité de la Kolanine dissoute dans
l’alcool (1). Il reste à savoir si l’alcool n’empêche pas dans l’estomac
la transformation de la Kolanine en caféine naissante. Quant à la
préparation qu’on a nommée Essence de Kola (2) elle est le produit
(1) La teinture, qui se prépare comme toutes les teintures alcooliques, est une
forme pharmaceutique actuellement très employée : dans les affections cardiaques
arrivées à la période d’hypersystolie, lorsque c’est à titre de tonique de cœur qu’on
emploie le Kola, le vin toni cardiaque de l’hôpital Bichat, dont la formule a été
donnée par Hucharddonne d’excellents résultats; en voici la composition telle qu’elle
a été publiée par ce savant praticien (lier ue générale de clinique et de thérapeutique,
1891, p. 99) : Teinture de Kola, 40 gr. ; teinture de coca, 30 gr. ; teinture de scille
20 gr. ; teinture de digitale, 20 gr. ; sirop de cerises, 100 gr. ; vin de Lunel, 800;
laisser reposer et décanter, 2 à 3 cuillerées par jour, pendant 8 à 10 jours.
(2) Ce produit, spécialisé par un pharmacien de Paris,a été indiqué par DujardinBeaumetz et Monnet qui l'introduisent dans la formule suivante : Essence de Kola,
�LES KOLAS AFRICAINS
387
obtenu en épuisant par déplacement 1 ltilog. de Kola sec torréfié
et pulvérisé, par de l’eau bouillante, de façon, après concentration
dans le vide, à obtenir deux litres de produit. C’est en somme un
extrait aqueux ; mais après ce que j’en ai dit pages 168 et 189,
cette préparation n’enlève aucune trace de Kolanine et peu de
caféine (il reste dans le résidu 17.07 % de la totalité de la caféine).
De plus cette préparation est d’une exécution difficile, comme je
l’ai dit aussi, à cause du magma formé par l’amidon très abon
dant dans la graine de Kola. Je ne parle pas des Pepto-Kolas
(qui sont également une forme pharmaceutique agréable), mais
dont j’ignore la préparation réelle. Contre les diverses diarrhées,
la forme Elixir et la forme extrait alcoolique de Kola en pilules
paraissent très efficaces sous la formule suivante :
Extrait alcoolique de Kola i gr. )
Poudre de K o la .............. Q. S. J par 100 pilules a raison de 10 a 15 par Jour-
Pour les enfants jeunes, on associe le Kola au sirop de Coings :
Extrait, alcoolique de Kola 1 gr.
Sirop de Coings...............60
par cuillerées à café dans les 24 heures.
Telle est, aussi complète qu’il pouvait m’être donné de la faire
après dix années d’études spéciales et ininterrompues, l’histoire
de ce singulier et remarquable produit exotique, dont la connais
sance est restée si longtemps à l’état légendaire et sur lequel je me
suis proposé de jeter la lumière de la vérité scientifique. Le premier
j’ai appelé, en 1884, l’attention du monde savant (1) sur ses étran
ges propriétés ; le premier j’en ai écrit l’histoire. Après dix
10 gr. ; teinture de cannelle, 5 gr. ; essence de menthe, 10 gouttes; julep gommeux,
100 grammes. Cette potion est recommandée par ces savants praticiens dans le trai
tement des maladies chroniques et durant les longues convalescences.
(1) Celte attention n’a pas été facile à éveiller : on en jugera par le fait que
voici. En 1883, lors de l’apparition de notre mémoire sur les Kolas africains,
après en avoir distribué aux savants français un large tirage à part, il m’en
resta 25 exemplaires que j’adressai à un libraire qui se charge de la vente en France
et à l'étranger et fait de la publicité à ses frais, M. George, de Lyon. Deux ans
après, les 25 exemplaires me furent renvoyés. 11 n’en avait pas été placé un seul.
�388
ÉDOUARD HECKEL
années employées à poursuivre mon œuvre, en subissant dans tout
ce qu’elle a de plus amer la critique de mes détracteurs et la mal
veillance manifeste de tous les esprits auxquels les nouveautés répu
gnent, soit par sentiment de jalousie pour ne pas les avoir décou
vertes, soit par horreur instinctive pour tout ce qui sort du cadre
ordinaire des choses admises, il était naturel que je prisse une der
nière fois la parole pour exposer tout ce que le temps a définiti
vement consacré dans les recherches auxquelles je me suis livré
moi-même ou parmi celles que mes publications sur le Kola ont
provoquées dans le monde médical. Je pense l’avoir fait avec impar
tialité en rapportant, sans trop d’aigreur je crois, même les travaux
de ceux qui m’ont combattu avec le plus de discourtoisie : j’ai fait
ainsi œuvre d’historien beaucoup plus que de polémiste. S’il y a
quelque générosité à en avoir usé de cette façon avec des adver
saires injustes, on voudra bien reconnaître que le mérite est
doublé par ce fait, qu’attaqué avec acharnement par de hauts per
sonnages scientifiques, il ne m’a pas toujours été permis de leur
répondre comme c’était mon droit. J ’ai le regret de le dire, certaines
assemblées savantes de la capitale se sont fermées devant un pro
vincial en faveur d’un parisien, ou se sont refusées à lire et à
insérer mes réponses à des attaques aussi peu sérieuses dans le
fond que violentes dans la forme. Ce déni de justice a fécondé dans
mon esprit (tant les injustes procédés sont les meilleurs stimulants
de nos efforts), la résolution de.publier une Monographie des Kolas
africains. Je la livre aujourd’hui au public avec la certitude d’avoir
fait, sinon une œuvre parfaite et complète, du moins un travail
dont l’utilité ne sera pas contestée. J ’y ai mis, du reste, tout mon
savoir, car il s’agissait d’une production scientifique dont la
gestation a été longue et difficile; je m’y suis attaché avec les
forces affectives dont les pères seuls savent entourer leurs enfants
venus laborieusement et péniblement au monde.
Parmi les médicaments qui traversent comme des météores le
.ciel très chargé de notre thérapeutique actuelle, j’ai l’espoir de voir
le Kola conserver une place définitivement conquise. Mais, si ces
vœux ambitieux 11e se réalisaient pas, je serais encore satisfait de
mon labeur.
N’aurai-je pas, dans la limite étroite de mes forces, contribué à
faire connaître quelques richesses végétales d’un continent objet de
�LES KOLAS AFRICAINS
389
toutes les justes couvoitises actuelles de l’Europe? N’aurai-je pas,
au point de vue philosophique, réalisé, sur un champ très étroit je
l’avoue, du vaste domaine thérapeutique, un progrès réel en substi
tuant à l’empirisme aveugle le déterminisme rationnel? N’aurai-je
pas montré aux peuples de l’Europe qui ambitionnent légitimement
d’imposer leur civilisation au continent noir, quelles ressources
leur offrira, en retour, leur nouvelle patrie et la connaissance
exacte d’un produit de haute valeur qu’ils auront largement et
constamment à leur portée? (1) N’ai-je pas la certitude qu’ils ne
dédaigneront plus cette précieuse graine s’ils se souviennent que
l’étranger doublé d’un conquérant, donne toute la mesure de la
supériorité de sa race, quand, désirant s’implanter sûrement sur
un sol nouveau et braver les épreuves d’un climat différent du
sien, il sait modeler en certains points sa vie sur celle des indi
gènes, restreindre le plus possible ses besoins aux leurs, et se sou
mettre enfin sans répugnance, mais avec un discernement dégagé
de tout mépris, à certaines de leurs pratiques ?
C’est ce qu’avaient bien compris les Portugais, peuple* essentiel
lement colonisateur, quand, en s’établissant les premiers sur la
côte occidentale d’Afrique, ils acceptèrent immédiatement des indi
gènes la coutume essentiellement hygiénique de mâcher le Kola.
Cette habile et intelligente concession aux mœurs locales leur pro
cura deux avantages considérables: 1° le bénéfice physiologique qui
résulte de cette pratique même ; 2° la confiance de l’autochtone tou
jours flatté de voir l’Européen, le blanc, ne pas dédaigner ses habi
tudes et respecter ses coutumes en les adoptant. Malgré les idées
fausses qui régnent sur ce point, il faut bien reconnaître que
les pratiques nègres, en apparence irrationnelles, reposent sur
une connaissance approfondie du milieu, du climat et des res
sources du pays. L’indigène, il ne faut pas l’oublier, incarnation
vivante du limon qui le supporte, le nourrit et le protège, s’est
identifié avec le sol et avec ses productions. Par les seules vertus
(1) Mes études sur les plantes utiles et nouvelles de l’Afrique tropicale (dont
j'ai donné la liste en tête de ce livre) forment, avec ma monographie sur le Kola,
un tout qui, je veux l’espérer, ne restera pas sans utilité pour la colonisation afri
caine,œuvre capitale qui marquera certainement une des grandes étapes des progrès
humains et à laquelle la France s’est résolument vouée. La science devait suivre de
près la nation.
�390
ÉDOUARD HECIÎEL
d’une intuition native, il s’est, avec le temps, rendu maître de la
nature, objet de son observation quotidienne, arsenal où il puise
tous ses éléments de lutte sans pouvoir leur faire subir aucune
transformation savante. Grâce à cet instinct, il a su, sans art,
assouplir à ses besoins, tout ce qui vit autour de lui. Bien plus, il
a pu soustraire à ce qui l’entoure, patiemment, un à un,, par une
longue, pénible et sans doute très périlleuse expérience, des secrets
que la science moderne serait peut-être impuissante à conquérir
sans les données préalables de cet empirisme, grossier sans doute,
mais plein d’enseignements pour qui sait dégager de sa gangue un
filon de vérité (1).
Les légendes nègres, toujours mystérieuses et obscures, n’en
(1) Qu’y a-t-il de plus surprenant comme ingéniosité et de plus savant comme
mélange de plantes bien choisies, que la composition très complexe 'de certains
poisons de guerre, de chasse ou d’épreuve, communs en Afrique comme en Amé
rique ? Quoi de plus remarquable et de plus habile que la découverte du curare ?
La science moderne a été émerveillée de l’art qui se révèle dans l’analyse qu’elle a
pu faire de .cette ingénieuse composition si bien adaptée aux besoins de la chasse.
Aurait-elle su créer un si utile mélange, même avec les ressources inépuisables
dont elle dispose?
■■
Voici une nouvelle preuve de la sagacité des nègres. On sait qu’il
existe en Afrique tropicale (nous l’avons dit page 199) trois variétés de
Kola (le rouge, le blanc et le rose) : le blanc est particulièrement estimé
par les nègres, nous l’avons vu ; le rouge vient ensuite, quant au Kola
rose, qui est peu abondant et qu’on trouve surtout fréquent sur les mar
chés de Widah (au Dahomey), il est moins recherché. 11 m’a paru inté
ressant de voir si ce classement tout empirique, reposait sur quelque fon
dement sérieux et pouvait être confirmé par l’analyse chimique : j’ai
prié M. Schlagdenhaufïen de faire l’analyse comparée des trois variétés de
graines. On pouvait admettre, en effet, que le K o l a r o s e tiendrait le
milieu entre le blanc et le rouge, comme valeur physiologique. Il n’en est
rien, et on va voir par l’examen ci-dessous que l ’appréciation des indi
gènes de l’Afrique tropicale est parfaitement justifiée. Le Kola rose, en
effet, renferme beaucoup de C a f é in e libre mais moitié moins de K o l a n i n e ;
or, nous avons vu que la caractéristique de l’action physiologique du Kola
est due en grande partie à ce dernier glucoside.
Voici cette analyse comparative faite sur des Kolas frais, ce qui expli
que la faible teneur 0/0 en caféine, teneur qu’il fait doubler pour avoir
celle du Kola sec, le Kola frais ayant 50 0/0 d’eau d’hydrodatation.
On épuise la matière en poudre par le chloroforme pendant 3 heures en
opérant sur 5 gr. seulement. Puis on dessèche la poudre et on la laisse en
contact avec de l’eau acidulée à 4 % 0 soit 500cc, pendant 12 heures à l'étuve à
�LES KOLAS AFRICAINS
présentent pas moins, le plus souvent, un fonds d’observations
utilisable. J’ai déjà insisté sur ce point dans mes nombreux travaux
touchant la matière médicale exotique et coloniale, mais je crois
avoir mis le fait dans sa lumière la plus vive en traçant la mono
graphie du Kola, graine précieuse et pour laquelle'aucun effort
sérieux n’avait été tenté jusqu’ici en vue de dégager le vrai du faux,
le mystérieux du naturel, le simple de l’exagéré, dans son histoire
merveilleuse. Le dédain n’est pas une vertu scientifique.
Qu’on me permette de le répéter encore en terminant : qui sait si
la connaissance exacte du Kola et de ses propriétés remarquables,
mise convenablement à profit, ne rendra pas dans l’œuvre actuelle
de l’assimilation africaine, tant aux colons qu’aux belligérants, des
services qu’on attendra longtemps de l’agriculture sur cette terre
dépeuplée par les guerres, avilie par l’esclavage, rebelle à la
civilisation et qui semble repousser l’Européen avec toutes les
forces de sa nature indomptée? Toutes les conquêtes se donnent
un mutuel appui, de quelque ordre qu’elles puissent être.
Pour conquérir, dans le vrai sens du mot, un sol entièrement
nouveau, il ne suffit pas de s’en emparer par les armes, il faut s’en
approprier tous les éléments de richesse, de lutte contre le climat et
de commerce. Après l’occupation vient l’assimilation ; elle se fait
par la science et le travail, jamais par la violence. Il faut qu’on le
sache bien. Je suis heureux de m’appuyer, dans l’expression de ces
37° et l’on filtre le lendemain. Le liquide est évaporé à un petit volume et addi
tionné d’un excès de lait de chaux. On dessèche au bain-marie, on réduit en
poudre fine puis on épuise de nouveau par le chloroforme.
Les opérations sont donc conduites de la même manière que pour les Kolas
blanc et rouge et fournissent un total de 1.88 % de caféine. Les trois variétés
présentent donc des teneurs de caféine très différentes :
EXTRACTIONS PAR
—
KOLA
ROUGE
—
KOLA
BLANC
KOLA
ROSE
—
Chloroforme................................
0.88
0.40
1.52
Eau acidulée et chloroforme . .
0.82
0.885
0.36
T o ta l..................
1.20
1.285
1.88
11 résulte de la, les opérations étant faites pendant le même laps de temps,
que le -Kola rose est plus riche en caféine libre que les deux autres ; qu’il
renferme, il est vrai, plus de caféine libre que ses congénères mais deux fois
moins de caféine sous forme de Kolanine. Voilà bien la preuve que toute la
valeur du Kola repose, même pour les nègres, sur la Kolanine ou rouge de Kola.
�392
ÉDOUARD HECKEL
sentiments,sur la parole autorisée de M. Jamais,ancien S.-Secrétaire
cl’Etat aux Colonies, qui disait le 9 juin 1892 au banquet annuel de
VAlliance pour la propagation de la langue française : «Les véritables
» peuples colonisateurs ne sont pas ceux qui se font redouter par
» la force de leurs armes, ce sont ceux qui savent se faire aimer par
» leurs bienfaits ». Or, la science est éminemment bienfaitrice pour
tous : nas- ydp sûjjLsvrjç T| ETu.cTYjfjiT). Il serait temps que ces vérités
encore méconnues, vinssent enfin au plein jour du siècle qui va
s’éteindre, et puissent se propager rapidement dans certains milieux
on le culte de Mars semble vouloir aujourd’hui renverser celui de
Minerve. Je serais heureux d’y avoir aidé pour ma faible part.
En terminant ce livre, je dois exprimer tous mes remercie
ments à mes divers correspondants qui m’ont adressé de différents
points du Continent africain, soit des renseignements spéciaux
sur le Kola, soit des matériaux précieux d’étude. Je les nomme dans
le cours de cet ouvrage. Sans leur active coopération, ce travail
n’aurait pu voir le jour. Je dois toutefois une mention spéciale
au regretté M. Pierre, mort récemment directeur du jardin d’essai
à Libreville (Gabon-Congo), et à M. Autran, commis de la direction
de l’Intérieur dans la même colonie; grâce à ces deux ardents
chercheurs, j’ai eu en ma possession des matériaux d’étude com
plètement nouveaux, qui m’ont servi à décrire, un peu mieux
peut-être qu’on ne l’avait pu faire jusqu’ici, quelques espèces du
genre Cola propres à l’hémisphère sud de l’Afrique, et c’est cer
tainement au point de vue botanique, un des côtés les plus origi
naux de mon travail. Je ne saurais oublier aussi le regretté
R. P. Raimbault et le R. P. Sutter, missionnaires apostoliques de
l’Afrique tropicale, à qui je dois des renseignements utiles sur le
Kola, soit au Rio-Pungo, soit à Conakry. Enfin, je me plais à
reconnaître ici publiquement le bienveillant concours que j’ai reçu
de mon ami M. Bolin, directeur de la Compagnie française du
Sénégal et de la côte occidentale d’Afrique,qui, soit par ses propres
renseignements, soit par ceux qu’il a demandés à ses nombreux
agents disséminés sur un grand parcours de la côte occidentale
d’Afrique, m’a été d’une grande utilité. En ce qui concerne le
Kola du Dahomey (Widah, Grand et Petit-Popo), j’ai obtenu de
précieux renseignements et des spécimens de graines de M. Cyprien
Fabre : que l’éminent président honoraire de la Chambre de
Commerce de Marseille veuille bien recevoir ici tous les témoi
gnages de ma respectueuse gratitude.
�B IB L IO G R A P H IE
—
T. I, p. 210 (1). 1650.
1671. Livre XII, sect. VI, p. 507.
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De La n e ssa n .
(1) Il semble que J. Bauiiin soit le premier auteur qui ait signalé le Kola
avec quelques-unes de ses propriétés. 11 indique môme son emploi indigène
contre la lièvre d’après un procédé comparable à celui du Congo que j’ai relaté
p. 283.
(2) D’après une note, tirée de ce Dictionnaire, que j’ai relatée page 85 et
page 20, Clusius serait le premier auteur connu qui aurait parlé du Kola sur
le nom de C o te s , je n’ai pu retrouver trace de cette mention dans Clusius, F lis to r .
p l a n t , de 1605.
�394
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Kotlar.
. c o n c e r n a n t le s e x p é r i e n c e s f a i t e s j u s q u ’à
d en sées a u
K o la .
(Marseille, août 1888.)
ce j o u r s u r le s r a t i o n s c o n
�La Société d’acclim atation de France (rue de
L ille, 41, Paris), vient de comprendre dans ses prix
à décerner en 1 8 9 4 , une somme de 5 0 0 francs à
attribuer à l’acclim ateur qui aura introduit le COLA
ACUM INATA dans les colonies Françaises tropicales,
et en aura obtenu des récoltes.
�T A B L E M ÉT H O D IQ U E D E S K O L A S A F R IC A IN S
Dédicace...................................................................................................................
9
Liste des ti'avaux de l’auteur sur la flore coloniale...........................................
11
Introduction............................................................................................................
15
P rem ière
p a r t ie .
— Botanique, matière médicale, sophistication, production,
r é c o lte , c o m m e r c e , u s a g e , s y m b o l e ..................................................................................
19
p a r t ie . — Etude chimique de la noix de Kola et de la graine de
Garcinia K o la ..............................................
157
Deuxièm e
T roisième
p a r t ie .
—
Etudephysiologique de la noix de Kola.................................. 225
Emploi thérapeutique, bromatologique et stratégique
de la noix de K o la ................................................................
259
Q uatrième
Cinquième
p a r t ie .
pa r tie .
—
—
Etude pharmacologique. Posologie. Réflexions finales. . 380
��T A B L E D E S P L A N C H E S , F IG U R E S & T R A C É S
(Les planches I, Il et III sont à la fin du volume).
Pages
Planche I. — Graines de Cola acuminata (Kola femelle) et de Garcinia
Kola (Kola mâle):
Fig. 1. — Groupe de Kolas à Konaltry (Guinée française)................................
Fig. 2. — Rameaux, fruits et fleurs de Cola a c u m in a ta ................................
Fig. 3. — Arbre à Kola (Cola acuminata) du Jardin botanique de SaintPierre (Martinique)..........................................................................................
Fig. 4. — Panier indigène pour le transport du Kola dans le Niger, le Soudan,
la G am bie........................................................................................................
Fig. 5. — Graine sèche du Kola du Gabon (Cola Ballayi)
..............
Fig. 6. —
ld.
Kola vrai (Cola acum inata)....................................
22
24
41
55
97
97
Fig. 7. — Demi-graine sèche du Kola vrai (Cola acum inata).........................
97
Planche II : Fig. 7’. — Jeune Cola acuminata du Jardin botanique de Marseille
Id.
Fig. 8. — Jeune Cola Ballayi-des serres chaudes du Muséum
d’histoire naturelle de Paris.
Fig. 9 — Feuille de Cola B allayi C o r n u .............................................................. 103
Fig. 10. —
Id. Cola acuminata R. B row n.........................
103
Planche III: Fig. 11. — Rameau floral mâle de Cola B a lla y i’.
Fig. 12. — Fleur mâle de Cola Ballayi.
Fig. 13. —
Id. femelle
Id.x
Fig. 14. —
Id. ovaire grossi de fleurfemelle de Cola Ballayi.
Fig. 15. — Coupe transversale de l'ovaire
Id.
Fig. 16. — Coupe
longitudinale Id.
Id.
Fig. 17. — Groupe de fruits de Cola acuminata.
Fig. 18. — Coupe longitudinale du fruit mûr de Cota acuminata.
Fig. 19. — Organes mâles de la fleur mâle de
Id.
Fig. 20.—
ld.
femelle de la fleur femelle de
Id.
�400
TABLE DES PLANCHES, FIGURES & TRACÉS
Pages
Fig. 21. — Rameau fleuri de Cola B allayi.
Fig. 22. — Fruit mûr de
Id.
Fig. 23. —
Id.
Id.
coupe longitudinale.
Fig 24. — Graine de
Id.
nue.
Fig. 25. — Fruit mûr du Pentadesma butyracea D o n .......................................114
Fig. 26. — Graine du môme, recouverte de son spermoderme............................ 115
Fig. 27. —
Id.
dépouillée de son spermoderme .............................. 115
Fig. 28. — Feuille de Pentadesma b u tyra cea ..................................................... 116
Fig. 29. — a ) Coupe radiale de l’écorce de Pentadesma butyracea ; b ) Id. du
fruit, id................................................................................................................... 117
Fig. 30. — Graine de Pentadesma butyracea en coupe transversale................. 119
Fig. 31. — Fruit mûr d'Reritiera littoralis L .. .................................................. 126
Fig. 32. — Graine du même, dépouillée de son spermoderme . .........................127
Fig. 33. — Heritiera littoralis ; tissu amylacé des cotylédons ; grain de fécule 128
Fig. 34. — Graine entière de Cola digitata■Mast................................................136
Fig. 35. — Id. ouverte
kl.
136
Fig. 36. — Fruit entier du Cola digitata..............................................
. . . 137
Fig. 37. — Fruit dumême ouvert longitudalement................................................. 137
Fig. 38. — a ) Jeune pied de Cola digitata venu au Jardin botanique de Mar
seille ; b ) Fruit sphérique du même, à une seule g rain e.............................141
Fig. 39. — Colagabonensis Mast. Rameau à feuilles très atténuées à la base 146
Fig. 40. —
kl.
Rameau fleuri, fleur mâle et fleur femelle. 147
Fig. 41. —
ld.
Fruit entier, fruit ouvert, graine avec son
arille, graines n u e s.............................................................................................. 149
Fig. 42. — Cola sphœrospermd Heckel : graine sphérique', graine hémisphé
rique ; jeune pied venu de graines au Jardin botanique de Marseille . . . 153
Fig. 43. — Fruits et graines de Napoleona imperialis Beauv. (Kola médicinal
du G abon)............................................................................................................ 155
Fig. 43’. — Tracés normaux du I)1 Marie...............................................................241
Fig. 44. — Id. avec la caféine (Dr Marie)........................................................243
Fig. 45. — Id. avec la poudre de Kola (Dr Marie)......................................... 245
Fig. 46. — Id. avec le rouge de Kola (DrM arie)........................................... 247
�----------------------------- —---------
T A B L E A L P H A B É T IQ U E D E S M A T IÈ R E S
ET D E S A U T E U R S
*
Pages
Acclimatation de France (Société d’), prix offert en 1894 pour la culture du
Cola a c u m in a ta ....................................... .................................................. 379
. . . 280
Action aphrodisiaque du Kola . ......................
. . . 190
Action de la torréfaction sur la noix de Kola
157, 169
A t f ie l d , analyse des graines de Kola..............
B
Bauiiin (J.), sa connaissance du K ola......................................................................... 393
Bayol (Dr), Le Kola ( Cola acuminata ) au Fouta-D jallon, n o t e ............................
47
Bergeret (Dr), Action a n tid iarrh é iq u e du Kola, n o t e .............................................259
Binger (Capitaine), D istribution géographique du Cola acuminata dans le
Soudan fran çais.........................................................................
30
id.
Kola blanc et Kola ro se ................................................................
51
id.
C ulture du Kola par les indigènes du Soudan français . .
51
id.
Commerce et v aleur vénale du Kola au Soudan français .
51
Bohéas (D'), O bservations cliniques de Faction du Kola contre l’atonie intesti
nale des pays chauds . . .
263
Boul, Production, com m erce et emploi du Kola au B io -P o n g o ............................
56
Buyssi ( Cola acuminata) à la J a m a ï q u e .....................................................................
43
c
Café du Soudan, n o t e ..........................................................................................................
20
Cassia occidéntalis, L . , n o t e .........................................................................................
20
Cazeneuve et Caillol, E xtraction de la C a fé in e .........................................................161
Cauvet (Professeur), E tude du Kanya (faux K ola).........................................118, 120
Chodat et Chuit , A nalyse du K o l a ......................................................... ........................170
Cola acuminata R . B r., acclim atatio n ....................................
40
id.
com m erce en A f r iq u e .....................................................56,
72
id .
conservation de la g r a i n e ................................. 52, 60,
72
id .
d e s c rip tio n ..............................................................................
22
id.
emploi in d ig è n e .............................................................. 75, 283
id.
étude c h im iq u e .......................................................................... 157
id .
exportation, v a l e u r .........................................................65,
74
id .
h a b ita t.......................................................................................
26
id .
m atière m é d ic a le ..................................................................
92
id.
production, récolte ......................................... .... . . . .
47
�402
TABLE ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES ET DES AUTEURS
Pages
Cornu, Kola du Gabon. O m b é n é , C o m m e rc e ................................
68
id.
id .
d e sc rip tio n ............................. . 101
id.
id.
h a b ita t........................ 33, 46, 156
C o l a c o r d i f o l i a R. B r. (Ntaba), n o t e .........................................................................
42
C o l a d i g i t a t a Mast. (O m b é n é n i P o l o a p o p o ), a n a l y s e ........................................ 141
id.
id.
description. . ......................... . 137
C o l a g a b o n e n s i s M ast., description ............................................................................. 143
Cola rouge du Gabon ( O m b é n é a t t c n a t e n a ) ................................................................. 150
C o l a s p h œ r o s p e r m a H eckel ; description, a n a l y s e .................................................152
Com paraison entre la Noix de Kola, le café, le thé et le cacao comme richesse
en C a f é i n e ....................
204
Corre (Dr), Kola au R io-N unez................................
47
Crozat (Dr), Commerce du Kola au Mossi.....................................................................
31
Cunéo (Dr), Observations cliniques et emploi du Kola contre la d ia rrh é e de
C ochinchine................................................................
260
C o la B a l l a y i
D
Daniell , Action tonique du Kola, note ..........................................................................264
id.
Analyse du K o la ......................................................................................157, 169
Daula ( C o l a c o r d i f o l i a ) , n o t e ..........................................................................................
42
David (Dr), Analyse de la graine du C o l a s p h œ r o s p e r m a .........................................154
D é d ic a c e ................
..................................... .... . . . . . ■.................................
9
Delavoipierre , Kola (Ombéné) dans l’Ogooué (G ab o n ).............................................
35
De l ’E cluse (Clusius), Sa connaissance du Kola, n o te ..................................... 85, 392
Delessard (Dr), le Kola au S o u d a n ........................
86
Dibowsky, J . , H abitat du C o l a B a l l a y i (Ombéné) au Congo, note .....................
38
id .
Kola rouge et Kola blanc au Congo, no te..............................................
50
id.
Rôle social et économique du Kola au G abon......................................
85
Dubois , R ., Action physiologique com parée du Kola, du rouge de Kola et de la
Caféine............................................................................................................. 251
Dujardin-Beaumetz (Dr), Action thérapeutique du K o l a ............................. 263, 266
E
Ecorce de C o l a a c u m i n a t a (analyse)............................................................. .
. . . 201
Emploi indigène du Kola contre la fièvre palustre au C ongo ................................. 283
id. du Kola comm e alim ent s tr a té g iq u e ............................................................. 284
id.
id.
contre l’alcoolisme, la lé p e m a n ie .......................................................... 275
id.
id.
contre le d i a b è t e ...................................................................................... 276
id.
id.
contre l’inertie de l’u téru s (a c c o u c h e m e n t)..................................... 279
id.
id.
contre le mal de m e r ..............................................................................276
id.
id.
pour l’alim entation des chevaux et m ulets en cam pagne. . . 362
id.
id.
pour la p réparation d ’un chocolat et d’un r a c a h o u t ..................378
id.
id.
(R apports des m ilitaires et des alpinistes s u r le Kola pour les
m arches et exercices v io le n t s ) .....................................................289
id. thérapeutique, brom atologique et stratégique de la noix de Kola. . . 259
E tude pharm acologique du K o l a ........................................................................................ 380
id. physiologique de la noix de K o la ......................
224
�TABLE ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES ET DES AUTEURS
403
rages
F
Feuilles de Cola acuminata (analyse)................................................................... 199
id.
id.
, leur comparaison avec celles de calé..................... 201
F o n d èr e , Culture indigène du Kola au Congo................................ 28, 32, 37,
39
id.
Distribution du Cola Ballayi au Congo..............................................
39
Garcinia Kola H eckel , Description, habitat, matière médicale......................... 106
du Congo dans la Haute Sangha et le Congo.....................................156
id. Conservation des graines de Kola au Gabon............................................ 53
id. du Kola (Ombéné) dans les environs de Libreville (Gabon)..................
37
id. Kola du Gabon aphrodisiaque.....................
86
Gourou. . . . s . .....................................................
19
Gousses de Cola acuminata (analyse).................................................................... 202
id. deCacao (comparaison de composition avec celles du Cola acuminata) 203
Graines dJHeritier a littoralis L........................................................................... 125
id. de Kanya.............................................................................................
111
Graines substituées ou mêlées à celles du Kola v ra i...........................................106
Griffon du B ellay (Dr), Description du Cola gabonensis................................144
G o u jo n , Cola
Heritiera littoralis L. (faux Kola) Botanique.................................................. ... 125
id.
étude chim ique......................................................................129
id.
matière m édicale............................................ .....................128
H eudelot , Kola rouge et Kola blanc................................ ....................................
48
Historique du Cola acum inata...............................................................................
19
H uchard (Dr), Action du Kola contre le choléra........................................ 265, 267
id.
Action thérapeutique du Kola..................................................................263
id. Kolaïsme(ivresse du Kola)
.................................................... 267
I
Introduction..................... ........................................................................................
15
Kanya (graines, étude complète)........................................................................... 111
Knebel, analyse du K o la .......................................................................................179
Kokorokou, note................................................ .............................................. 19,
77
Kola Bitter (Voir Kola mâle).
id. (Cola acuminata). acclimatation et culture à la Jam aïq u e.....................
42
contrées, lieux, nature du sol qu'il recherche . . . .
46
emploi stratégique......................................................... 289
germination......................... .......................................... 50
�404
TABLE ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES ET DES AUTEURS
Kola femelle ( C o l a a c u m i n a t a ) ................................................. ....
id. mâle ( G a r c i n i a C o la ), description, analyse ..................................... 21. 106,
id. médicinal ( N a p o l e o n a i m p e r i a l i s ) ........................................................................
id. (au Brésil, son em ploi)..............................................................................................
id . (au Bornou et Haoussa, note)..................................................................... ...
id . (com m erce au G a b o n ).............................................
........................................
id. (aux sources du Niger), note 2 .................................................-..........................
id. (im portation de Sierra-Leone) en A n g l e te r r e ............................................. .
id . du Gabon (description de l’arb re) .
................................................................
id. (m aladie des graines, n o te .....................................................................................
id. (m atière m édicale)..............................................................................................
id. (m atière tin c to ria le ).......................................................................................... 82,
id. (dans la vallée de l’Ogooué, Gabon), note .........................................................
id. (rôle social et économique au G a b o n ).............................................................. .
id. (serm ent su r le) ..........................................................................................................
id. (valeur vénale du Kola au Gabon).........................................................................
Kolaïsme (i v r e s s e d u K o la ) , note ......................................... ............................ 267,
K otlar (Dr), Action physiologique du K o la.................................................................
L
L ascelle-Scott, A n a l y s e de l a g r a i n e de K o l a .........................................................
L egrip et P etit , E x t r a c t i o n de l a c a f é i n e ................ ...............................
L évy, Observations d’emploi du Kola contre la n e u rasth én ie................................
IV!
Marie (Dr), Etude physiologique du Kola, de la Caféine et du rouge de Kola.
Monnavon et P erroud, action com parée du Kola et d e là Caféine. . . . 234,
Monin (Dr), Emploi du Kola contre le diab ète.............................................................
Monnet (Dr), E tude physiologique et thérapeutique du K ola.................................
Monteil (Comité), Commerce du Kola au lac Tchad, note . . . . . . . . . .
Mosso (Ugolino) Action des principes actifs de la noix de Kola su r la contrac
tion m u s c u la ir e ..............................................................................
N
Nachtigall (Dr), Le Kola au Bornou et Haoussa, n o te .........................................
N a n g o u é ................................................................................................................... . . . .
N a p o le o n e a i m p e r i a l i s , Beauv. (Kola m é d ic in a l).....................................................
Ndimb ( C o l a c o r d i f o l i a R. Br.), note.............................................................................
Noirot, Kola au Foutah-Djallon, n o t e ................................................................. .... . .
Noix de Kola fraîche . .
. . . . • .............................................................................
id.
id. composition com parée de la rouge et de la blanche. . . .
id.
id. de m atière c o lo ra n te .....................................................................
id.
id. recherche de la C aféine.................................................................
N’taba ( C o l a c o r d i f o l i a R. Br.), n o t e .............................................................................
�TABLE
A L P H A B É T IQ U E D E S
M A T IÈ R E S
ET
DES
AUTEURS
405
Pages
O
Odjindgé,
(Pentadesma butyracea ), N o i e .................... 1 1 9
Cola a c u m in a ta .....................................................................................
26
(Cola acuminata) e n M a n d é , c o m m e r c e ......................................................................
87
n o m g a b o n a is d u K a n y a
O l i v e r , D e s c r ip t io n d u
O orou
P
P a r is o t e t G . S é e , E tu d e p h y s io lo g i q u e d e la
Pentadesma butyracea,
id .
Caféine ......................... .............................2 2 6
a n a l y s e d e s g r a i n e s .................................................................................1 2 0
, B o t a n i q u e ..........................................................................................................111
P é r ic a r p e s ( g o u s s e s ) d e
Cola acuminata
( a n a l y s e ) .................................................................2 0 2
P é r ic a r p e s d e K o la , d e C a c a o e t d e C a fé , c o m p a r a is o n e n t r e le u r c o m p o s it io n .
P ie r r e , D is tr ib u t io n d u
Cola B alla yi
204
(O m b é n é ) a u G a b o n .............................................
33
P o s o lo g ie d u K o l a ..................................................................................................................................................381
P o t ie r , A c c li m a t a t i o n d e s K o la s
à La
R é u n i o n .............................. .......................................
43
P r i x o ffe r t p a r la S o c i é t é d ’a c c l i m a t a t i o n d e F r a n c e ............................................................3 7 9
R
R a n ç o n (D r), C o m m e r c e d u K o la a u S o u d a n ................................................................................
id .
, E m p lo i d u K o la a u S o u d a n
id .
68
............................................
78
, E m p lo i a u S o u d a n d e s R a t io n s a u K o l a ................................................................... 3 7 3
R é a c t io n s d e la
Caféine, s e s f o r m u le s r a t i o n n e l l e s .................................................................... 2 0 9
Caféine d a n s l ’e x t r a i t a q u e u x d e s n o ix d e K o la .............................. 1 8 3
la Caféine e t d e la Kolanine d a n s l e s r é s id u s d e p r é p a r a t io n s
R e c h e r c h e d e la
R ech erche de
p h a r m a c e u t iq u e s e f f e c t u é e s a v e c la n o ix d e K o la
R ech erche
d e s p r in c ip e s c o n s t i t u t i f s a u t r e s q u e la
....................................................... 188
Caféine
d a n s la n o ix d e
K o la a p r è s m a c é r a t io n d a n s l ’e a u .....................................................................................................1 8 5
R é f le x io n s f in a le s .................................................................................................................................................. 3 8 6
R i g o u t , R ic h e s s e d e s f e u il le s d e
c a f é e n c a f é in e ,
N o t e ..................................................199
R o d e t (D r), A c tio n c o m p a r é e d u K o la e t d e la C a f é i n e ...................................................... 2 2 9
R o h l f s , E m p lo i d u K o la d a n s la r é g i o n d u la c T c h a d ....................................................... 3 8 6
S
S a m b u c (C a m ille ), K o la a u R io -N u n e z , n o t e ................................................................................
S c h l a g d e n h a u f f e n , E tu d e c h im i q u e d u
47
Cola a c u m in a ta ...................................................1 5 7
Cola digitata. . . . 4 ......................................141
id .
id .
du
id .
id .
d u K a n y a ( f a u x K o l a ) .................................................... 1 2 0
id .
id .
de
id .
id .
d u K o la r o u g e d u G a b o n ......................................... 151
id .
id .
d u K o la r o s e , n o t e
id .
id .
d u K o la m â l e o u K o l a b i t t e r ( G a r c in ia K o la ) .
220
Cola acum inata .......................................................
50
VHeritier a litlo ra lis
( f a u x K o la ) . . .
129
......................................................... 3 9 1
id .
G e r m in a t io n d u
id .
R e c h e r c h e d e la K o l a n i n e ........................................................................2 5 4
id .
P résen ce
G abon
d e la Saponine d a n s l e K o la m é d ic in a l d u
(Napoleona im p e ria lis ) .........................................................1 5 5
S c h a v e in f ü r t h , L e K o la d a n s l ’A fr iq u e o r i e n t a l e .....................................................................
Siphoniopsis monoica
K a r s t ......................................................................................................................
S t e r c u lia a c u m in a t a , P . B e a u v . .
. (V o ir
Cola a cu m in a ta ) ........................................
).
.
.
39
21
21
id .
m a c r o ca r p a , D on.
id .
.........................
22
id .
n it id a , V e n t ................................ (
id .
) ..........................................
22
id .
v e r tic illa ta , S c h . e t T h o n . (
id .
) .........................................
22
�406
TABLE ALPHABÉTIQUE DES MATIERES ET DES AUTEURS
Pages
S te v en s , Emploi
S u tter (R. P.),
id.
id.
du Kola au B résil....................................................................
Kola rouge et Kola blanc............................................................
, Supériorité du Kola des côtes sur celui de l’intérieur . . . .
, Valeur supérieure du Kola blanc sur le rouge, n o te .............
67
49
53
73
T
Tabacklé, (Cola cordifolia), n o te .......................................................................
42
T haly (Dr), Acclimatation du Kola à la Martinique..............................................
45
T h ierr y , Première introduction du Kola au jardin botanique de Saint-Pierre
(Martinique), note.........................
............................................... 40
T issié (Dr), Appréciation sur la valeur du Kola dans les exei’cices sportifs. . . 354
Travaux de l’auteur sur la flore coloniale.............................................................14
V
Valeur du Kola à 2 ou 4 cotylédons très divisés...........................................55,
81
Valeur nutritive de la noix de Kola, du cacao et du c a fé ................................ ... 206
Z
Z w e if e l
et M o u stier , Valeur du Kola aux sources du Niger, note..................
76
���Jfuse e - c t d e - lT n s t ïè t f r e lo u a i d o M a r s e ille . T
f
Ey.fi
^PDogDâp ô^ a'P n n P y^ n p p
lïs f i- e r / ) L r iX
COLA ÀCUM INATA R ob. B iw i i .( G f e l d 7 ) Kola femelle
OARCINIA KOLA E .ïïe c k e l. (de 8 à 11) Kola m âle
���PL I I .
Jeune Cola acuminata venu de graine au Jardin Botanique
de Marseille. (Serre chaude).
����M é m o ir e d e s A n n a le s d u M u sée e t d e l' I n s t it u t c o lo n ia l de M a r s e ille .
SUR LES VEGETAUX
QUI PRODUISENT
LE BEURRE ET LE PAIN D’ « O’DIRA »
DU GABON-CONGO
SUR LES ARBRES PRODUCTEURS DE LA GRAINE
ET DU BEURRE DE « CAŸ-CAŸ »
DE COCIIINGHINE ET DU CAMBODGE
VALEUR COMPARÉE DE CES DEUX PRODUITS
P ar
M.
le
Dr
É douard
HEGKEL,
Professeur à la Faculté des Sciences de Marseille,
Directeur du Musée et de l’Institut colonial de Marseille.
HISTORIQUE.
Si les nègres du Soudan, dans les liantes vallées du HautNiger et dans la région du Congo français (vers 4° de lat. N.),
savent préparer pour leurs besoins alimentaires la graisse
fournie par les semences du Cé ou Karité (1), les Paliouins
du Gabon, moins industrieux, utilisent journellement, pour
leurs apprêts culinaires, une pâte solide et grasse tout à la
fois, qu’ils nomment O'Dika. Elle est faite des graines tor
réfiées de Ylrvingia gabonensis B â il l o n , végétal propre à
l’Afrique tropicale.
Ce produit a déjà excité la curiosité de quelques chercheurs
notamment de O’Rorke (2) ; plus tard, Bâillon en a repris
l’examen surtout au point de vue de ses origines végétales.
(1) Voir pour la préparation de ce beurre, sa composition chimique et son
emploi industriel en France, mon article intitulé Sur un arbre producteur de
Gufta et de corps gras, dans le journal La Nature de G. Tissandier, 1885.
(2) Note sur le pain de Dilta, Répertoire de pharmacie, lévrier 1858.
�Ce savant, qui s’est appesanti sur la question botanique (1),
mais sans donner une figure de cet important végétal, a
cependant ajouté aux données de O’Rorke quelques rensei
gnements nouveaux. Sa description botanique, quoique dé
taillée, avait aussi besoin d’être complétée.
Il m’a paru intéressant de revenir sur cette étude pour la
parfaire, autant qu’il était en mon pouvoir, tant au point de
vue botanique qu’économique. Il était aussi nécessaire, au
double point de vue de la science pure et de ses applications
bromatologiques et industrielles, de comparer le beurre et
le pain d'O'DUia aux produits similaires nommés Cay-Cay,
fournis par des végétaux congénères de l'Oba (.Irvingia gabonensis), mais indigènes de la Cochinchine et du Cambodge.
Les Pahouins du Gabon emploient pour leur nourriture
quatre aliments gras différents tirés des végétaux :
1° Le O’d ik a , 2° Le N ’ja v é (.Baillonella ioxisperma Pierre),
3° le N o u n egou (Tieghemella? Jollyana Pierre), 4° I’O w a la
(.Pentaclethra macrophylla Bentliam).
Je me suis déjà occupé de cette dernière semence (2) et je
crois en avoir montré tous les avantages comme graine indus
trielle d’une très grande valeur pour la stéarinerie. Les autres,
on le verra, car je compte m’en occuper en leur temps, ont
une importance égale : je veux parler du N ’ja v é et du N ou
n e g o u . Entre les plantes à matières grasses de cette région,
je traiterai aujourd’hui seulement de YOba.
CHAPITRE I.
BEURRE ET PAIN DE 0 :D1KA.
En langage M’pongué , l’arbre (.Irvingia gabonensis) qui
fournit les graines avec lesquelles on fabrique le pain de
O'Dika (3), s’appelle Oba et son fruit Iba : en langage P a h o u in
(1) Etudes sur l'herbier du Gabon du musée des colonies françaises (Adansonia, t. VII, p. 248).
(2) Sur les (/raines de VOtoala [Répertoire de pharmacie, décembre 1892).
(3) M. le professeur Marchand (Anacardiacées, 105) dit à propos du Mangifera africana Oliv. (Fer/imanra africana Pierre) : t 11 ne nous paraît pas im
possible d'admettre que cette plante fournisse une partie du pain de Diha, car,
au dire des voyageurs, beaucoup de fruits aux semences oléagineuses portent
ce nom d'Oba. Or, le M. africana est dans ce cas. » 11 m’a été impossible de
�—
3
—
(dialecte Mazounna) l’arbre s'appelle Endogô et le fruit Dogô,
mais la dernière syllabe est presque muette et forme une
sorte d’expiration difficilement appréciable pour une oreille
européenne. Le pain de O'DiJia est appelé en pahouin
N'Dogô comme le fruit de l'arbre.
H a b it a t . — D e s c r ip t io n . — h'Oba (Irvingia gabonensis)
qui abonde dans les forêts de l’intérieur du Gabon est un grand
arbre qui atteint 25 à 30 mètres de hauteur (d’après
M. Gouyon); c’est par conséquent un des grands végétaux
qui dominent la brousse et forment la voûte supérieure des
bois. En dehors du bassin de l’Ogooué, YOba, d’après les notes
que veut bien me transmettre M. Fondère, chef d’explora
tion du Congo, se trouverait dans la vallée du Niari-Quittai,
disséminé au milieu de la forêt de Magomba. 11 disparaît à la
sortie de cette forêt, et on ne le retrouve plus dans les plaines
des environs des postes de Loudina et de Bouenza, mais il
reparaît dans le bassin du C o n g o , dans la vallée du Djoué,
affluent du C ongo qui coule non loin de Brazzaville. Dans
I’O u b a n g h i , on le trouve depuis le confluent de cette rivière
jusqu’à 4°,30’ lat. Nord, c’est-à-dire jusqu’au poste de Bangui
au pied des rapides de Zongho (1). Au-dessus, pays de plaines,
contrôler cette prévision, n’ayant pas pu, jusqu’ici, me procurer les graines du
Fegimanra africana. Mais je sais sûrement que les graines d'Oioala sont cou
ramment mêlées à celles de l'Oba vrai pour la fabrication du pain d'O'Diha,
qui, de ce fait, se trouve enrichi de 10 % en matières albuminoïdes. S’il est
exact que la graine de Mangifera africana soit mêlée à celle de l‘Oba pour la
fabrication du pain de O'Diha, il faut reconnaître qu’elle diffère profondément
de celle du Mangifera indica, qui est surtout riche en tannin et pas du tout en
matière grasse.
(1) D’après les inllorescences de l'Oba que j’ai reçues du Congo (par
feu Pierre, Directeur du jardin de Libreville, au retour d’un voyage à Loango),
j ’incline à croire que l’espèce dominante, dans cette région, serait YIrvingia
Smithii Hook. f.; c’est, du reste, là, l’opinion de Smith, qui indique cette es
pèce dans le Congo, tandis que Barter la signale dans le Niger. Je rappelle
ici que cette espèce ne se différencie de YIrvingia gabonensis que par des ca
ractères peu marqués dont le plus important est celui d’un embryon albumi
neux dans la graine. Par ailleurs, 1° la forme des feuilles très coriaces, ovales
elliptiques, arrondies à la base avec un sinus étroit et cordiforme à l’insertion
du pétiole ; 2° les inflorescences axillaires ou terminales en grappes paniculées
égalant ou dépassant la longueur des feuilles, les pédoncules floraux insérés un
à un le long de l’axe floral tandis qu’ils sont rassemblés par 5 ou 6 dans YIr
vingia gabonensis ; 3» le style de la longueur de l’ovaire, constituent des
caractères dont la constance me paraît fort douteuse. On trouve, du reste, des
états intermédiaires entre la manière d’être à’Irvingia gabonensis et celle à'1.
Smithii.
�YOba disparaît, la végétation change absolument (i). Dans la
forêt de Mayomba, les indigènes préparent et consomment
YO'Diha : cette pratique ne se retrouve plus que dans les
tribus anthropophages Bonjos qui occupent les deux rives de
l’Oubanghi, entre 1° et 3° de lat. Nord. Ailleurs, sur le
Congo, ils se servent du fruit, mais sans recourir à la prépa
ration spéciale qui en transforme la graine en pain de O’Dika.
O’Rorke dit, d’après Aubry-Lecomte, que ce végétal est
connu sur la côte depuis Sierra-Leone jusqu’au Gabon. Oliver
[Flora of trop. Africa, t. I, p. 314) cite les localités sui
vantes pour ce végétal : Ile des Princes (Barter, Mann) ; Ri
vières, Muni et Cameroon [Mann). La variété tenuifolia de ce
végétal, établie par Hooker fils (Linn. Transactions 23-16*7),
a les feuilles faiblement coriaces ou submembraneuses, large
ment elliptiques, obtuses ou courtement et largement apiculées. Le style est grêle et allongé comme dans le type. Une
seule localité est indiquée par Oliver (Flora o f trop. Africa,
I, p. 314), c’est Abbeohuia (Irving). C’est cette même variété
que Barter appelle le Mango sauvage des indigènes de SierraLeone: je serais porté à croire, d’après quelques spécimens que
j ’ai eus entre les mains, qu’elle règne mêlée au type et quelque
fois dominante sur toute la côte occidentale d’Afrique située
au-dessus de l’équateur, c’est-à-dire depuis Sierra-Leone jus
qu’au Gabon. Au- dessous de l’équateur, c’est-à-dire dans le
Congo, nous avons vu que, vraisemblablement, YOba des in
digènes de cette région est constitué par Y[rvingia Smithii
Hooker fils.
Voici la description de la plante du Gabon : Irvingia gabonensis :
Dans les régions qui constituent son habitat connu, YOba est un bel
arbre ayant l’aspect de notre chêne. De son tronc se dégagent des
branches longues, étalées, peu rameuses. Les rameaux sont, comme
elles, recouverts d’une écorce grisâtre (2), avec les extrémités vertes,
(1) D’après MM. Grisard et Vanden-Berghe (Les bois industriels exotiques.
Revue des sciences naturelles appliquées, n° 21, 5 novembre 1892, p. 429-430),
Ylrvingia gabonensis remonterait sur le littoral de l’Afrique tropicale, depuis
le Gabon jusqu’à Sierra-Leone. D’un autre côté, mon zélé correspondant
M. Autran, de Libreville, m’écrit que ce végétal se trouve au Dahomey, d’où
la graine serait exportée par la maison Mantes frères, de Marseille. Ces rensei
gnements semblent confirmatifs l’un de l’autre.
(2) « Le bois, d’une dureté et d’une densité moyennes, d’une texture assez
» fine et serrée, est susceptible de poli et peut être employé à divers travaux,
�'W$$.
striées irrégulièrement selon la longueur. Les stipules supra-axillaires
qui appartiennent à la dernière feuille se comportent ici comme dans
tous les Irvingia, de la même façon que dans les Artocarpe'es, et
enveloppent toute la portion extrême du jeune rameau, jusqu’au jour
où elles se détacheront à peu près circulairement par leur base, pour
dégager les feuilles suivantes. Les feuilles, dont le pétiole est assez
court (1/2 centimètre environ), sont très variables de taille (voir fig. 1);
elles ont souvent 1 décimètre de longueur sur 5 centimètres de lar
geur ; mais il y en a dont les dimensions sont doubles. Leur forme est
ovale ou elliptique-aiguë, à sommet brièvement acuminé dans un grand
nombre de cas. Leur base est plus souvent atténuée en coin qu’arron
die et fréquemment insymétrique, l’une des deux moitiés présentant
une tendance à former une sorte d’auricule peu prononcée. Lisses et
brillantes en dessus, quand elles sont fraîches, plus ternes en dessous,
minces et sèches, même quand elles sont vivantes, elles possèdent
une belle teinte d’un vert sombre. Leurs nervures penne'es, formant un
réseau assez délicat, sont surtout visibles et proéminentes à la face
inferieure, où elles présentent une teinte blanchâtre. Les inflorescences
situe'es à l’aisselle des feuilles, et en grappes simples ou rameuses de
cymes pauciflores (fig: 1 et fig. 3) sont plus courtes ordinairement que les
feuilles.
Les axes sont grêles, noirâtres sur la plante sèche, renflés çà et là
au niveau des divisions. Ce végétal fleurit au Gabon-Congo plusieurs
fois par an. La récolte se fait surtout en novembre et en décembre (1).
Les fleurs normalement tétramères présentent, sur un court récep
tacle convexe, un calice gamosépale à quatre divisions plus ou moins
profondes, obtuses et arrondies au sommet, et dont la prèfloraison est
vulvaire ( fig. 2 A). Les pétales blanchâtres ou d’un jaune pâle et
légèrement verdâtre sont libres, caducs et imbriqués dans la préflorai
son. L’androcée est diplostémoné : avec quatre pétales on observe
huit étamines, dont quatre oppositipétales sont longtemps plus courtes
que les quatre autres. Leurs filets sont corrugués dans le bouton et
leurs anthères biloculaires sont orliculaires ou elliptiques et d’abord
introrses (fig. 2, C et D). L’insertion des étamines se fait en dehors
de la base d’un disque hypogyne qui présente huit sillons ou encoches
correspondant aux filets étaminaux ; ce disque est à l’état frais d’une
» mais comme l’arbre, par les fruits qu’il produit, rend de plus grands services
• aux indigènes, ceux-ci -préfèrent le conserver et exploiter d’autres essences
» pour leurs besoins économiques. > (Grisard'et Vanden-Berghe, loc. cit.)
(1) Cette récolte est des plus faciles, cependant l’incurie des nègres est telle
qu’une immense quanliLé des semences est laissée sur le sol où les rats, très
communs dans les forêts du Gabon, s’en montrent si friands, qu’au bout de
quelques jours tous les uoyaux sont ouverts et les amandes dévorées par ces
rongeurs. Ces noyaux sont, du reste, moins résistants que ceux de 17. Olivcri
et de 17. Malayaua de Cochinehine et du Cambodge, qui_£sont aussi brisés par
certains animaux pour en dévorer l’amande.
�belle couleur jaune citron. L’ovaire est atténue' en un style à tête
sligmatifère très peu prononce'e, q u i e s t p lu s c o u rt qu e l'o v a ir e : ce s ty le
e s t a c c re sc e n t (fig. 4). L’ovaire renferme un seul ovule dans chacune de
ses deux loges. Cet ovule, incomplètement anatrope, est suspendu à
l’âge adulte avec le microphile dirige' en haut et en dehors.
Le fruit de l’Oba (fig. 4) est une drupe verte de la force d’un œuf de
cygne, recouverte d’un mésocarpe pulpeux et filandreux ; de saveur
tére'binthacée analogue à celle du Mangot (fruit du M a n g if e r a
in d ic a sauvage), mais plus prononcée encore (1). L’endocarpe osseux
forme un noyau allongé et plat, filandreux à la surface, plus ou moins
allongé, amygdaliforme ou irrégulièrement ovale (fig. 7), comprimé,
avec une paroi ligneuse assez dure, épaisse. Lorsqu’on fend ce noyau
suivant ses bords, on voit quelquefois, qu’outre une vaste cavité qui
contient la graine, il renferme une loge stérile, étroite, en forme de
croissant, parallèle à la surface convexe d’un des bords du noyau et
quelquefois réduite h une sorte de fissure linéaire et arquée extrême
ment peu prononcée (fig. 5, Is) La graine est à peu prés aussi de la
même forme que celle de l’Amandier, mais plus grosse, lisse, luisante
à la surface. Le tégument séminal est double; à l'e x té r ie u r et le lo n g du
r a p h ë , se v o ie n t d es fibres qui s é p a n o u iss e n t en f a is c e a u x d i g i t é s , tr a n s v e r
s a u x e n tr e
t e n d o c a r p e e t le sp e r m o d e r m e e t f o r m e n t com m e des g riffe s de
(fig. 6, g ).
L’embryon épais et charnu blanc e'burné, présente deux gros coty
lédons gras et de légère saveur amère appliqués étroitement l’un
contre l'autre (fig. 5, c). La radicule cylindroconique est cachée dans
une sorte de canal formé par les espèces d’auricules que présente la
base des cotylédons (fig. 5, b). Le sommet de la radicule, très briève
ment apiculé, se voit seul dans l’ouverture extérieure et circulaire de
ce canal. L’embryon est dépourvu d’endosperme (2).
r e n fo r c e m e n t s u r les p o in ts d ’in s e r tio n de la g r a in e a u p la c e n ta ,
Une coupe de l’embryon (cotylédons) m’a offert la constitu
tion suivante : au-dessous de l’épiderme à cellules vides
{fig. 8, ép) règne un parenchyme de cellules grasses [fig. 8,
p g) interrompu fréquemment par des lacunes mucilagineuses
[fig. 8, l m) qui régnent dans toute son épaisseur. Ces lacunes
(1) C’est cette particularité qui a valu à la plante son nom primitif de Man
gifera gabonensis, donné fautivement par Aubry-Lecomte : pour une raison
idenLique, les colons du Gabon appellent VOba du nom de Manguier sauvage,
de même que les colons anglais de la côte occidentale d’Afrique appellent YIrvingia Barteri Hook fils, qui ne semble être qu’une forme de VOba, du nom
de Wild-Mango.
(2) Je me suis borné à reproduire ici, en la complétant, pour ce qui touche
aux fleurs, à l’inflorescence et à la graine, la description, par ailleurs, fort
exacte, de M. Baiilon (loc. cit.). Les parties importantes ajoutées ou rectifiées
sont en italiques.
�—7—
qui sont de nature essentiellement léissogènes, ainsi qu’on
peut le voir [fxg. 9, l w), se retrouvent, du reste, dans les
feuilles et dans la tige de ce végétal. Elles donnent un pro
duit gommeux qui se confond chimiquement avec l'arabine.
Les corps gras renfermés dans les cellules du parenchyme
cotylédonaire sont formés non de globules, mais de masses
Fig. 10. — Fragment d’aspect amygdaloïde d’un pain de O’Dika.
d’une forme variable entourées de granules graisseux. Les
cellules en sont à peu près pleines.
La graine seule sert à préparer YO'Dika (pain), de la
manière suivante : on brise les noyaux, les graines sont
broyées dans un mortier, puis jetées dans une marmite préa
lablement garnie à l'intérieur de feuilles de bananier. Sous
l’influence d’un feu lent et doux, la fusion du corps gras se
produit, puis la substance refroidie se prend en une masse
assez analogue au benjoin amygdaloïde [fxg. 10), tachetée de
�brun et de blanc. Elle est d'un gris brun, onctueuse au tou
cher, d’odeur intermédiaire entre le cacao torréfié et
l’amande grillée ; sa saveur est agréable, légèrement amère
comme la graine fraîche, d’une astringence analogue à celle
Fit/. II. — Panier indigène renfermant un pain cylindrique de O’Dika.
du cacao. Ce rapprochement est frappant ; toutefois, ce
produit n’a pas l’arôme agréable du cacao (1). C’est cette
(1) Nous verrous bieulôl que la composition chimique de ce produit ne rap
pelle en rien celle du cacao, ni dans son corps gras, ni dans la constitution
de son amande.
�similitude qui a porté M. Ü’Rorke â en faire une espèce de
chocolat (qu’il a nommé Chocolat des pauvres), en y joignant
du sucre et des aromates.
Les nègres du Gabon donnent à VO’Dlha la forme d’un
pain cylindrique qu’ils enferment dans une enveloppe très
solide et très résistante faite de nervures de palmier. Chaque
pain mesure 0m,35 de haut sur 0m,35 de diamètre à la circon
férence de la base ; sa valeur vénale est d’environ 15 francs
pour un poids de 6 kilogr. (voir fig. 11). Mais les Gabonais
conservent encore les graines d'Oha d’une autre façon el
sans faire intervenir la torréfaction. Après avoir séparé les
deux cotylédons qui les cons
tituent, ils les enfilent en cha
pelet et les pendent dans leurs
cases (fig. 12) où ils se dessè
chent bientôt et ne tardent
pas à être piqués des vers.
Ces chapelets leur servent
pour leurs apprêts culinaires;
ils en détachent une à une,
suivant leurs besoins, les
graines grasses nécessaires à
leur alimentation journalière,
sans se préoccuper de savoir
si ces semences sont intactes
ou piquées ; les Gabonais n’y
regardent pas de si près.
Toutefois, il faut remarquer
que les Pahouins , qui em
ploient couramment le pain
de O'Diha associé à diffé
rents mets, notamment aux
bananes cuites, tiennent à
avoir cette matière grasse
aussi exempte que possible
de parasites animaux. Dans
Fi'j. 74. — Chapelet de graines d O ,
ce but, ils soumettent les gros
pains dont nous avons parlé, â l’action de la fumée, et, pour
cela, ils les suspendent, durant plusieurs mois, au faite inté
rieur de leurs habitations où s’accumule la fumée de tout le
feu qui s’allume dans leurs cases pour les divers besoins
ü j
�domestiques. Ces cases sont, bien entendu, dépourvues de
toute cheminée.
Nous allons donner maintenant les recherches que M. le
professeur Schlagdenhauffen a faites, sur ma demande, tou
chant la composition chimique de ce pain de O'Dïlia (1).
Jusqu’ici, aucun travail de ce genre n’avait été entrepris ; on
ne s’était occupé que du corps gras sous le nom impropre de
beurre de Dilia qu’il faut rectifier en O'Dika. Il était cepen
dant d’un haut intérêt de connaître dans quelle mesure ce
produit est nutritif.
A. —
P a in
d ’O’D ik a .
1. Traitement à Véther de pétrole. — La matière est
traitée dans un appareil à extraction continue par de l’éther
de pétrole bouillant à 60°. On opère sur 20 grammes et l’on
arrête l’opération au bout de six heures. Le liquide jaune,
évaporé au bain-marie, abandonne un corps gras d’une
odeur spéciale, fusible aux environs de 40°. Le rendement
est de 72 % ; il peut même aller jusqu’à 85 % suivant la
façon dont on opère. En n’épuisant que le gâteau brut, on
n’atteint que la limite inférieure ; mais quand, après cette
première opération, on pulvérise les graines restées entières
ou grossièrement concassées seulement, pour les soumettre à
nouveau à un deuxième traitement, on arrive à en retirer
encore jusqu’à 13 % de corps gras, ce qui élève le rendement
à 85 %•
2. Traitement à l'alcool. — Le liquide alcoolique, obtenu à
la suite d’un traitement analogue au précédent, est brun
foncé et présente une légère odeur d’empyreume. Il contient
du glucose, du tannin et un peu de résine. Soit :
Glucose, tannin, matière amère....................
Re'sine............................................................
2,40
0,55
Poids de l’extrait alcoolique.........................
2,95
3. Traitement à l'eau. — En faisant bouillir le résidu des
(1) Cette composition chimique devrait se confondre évidemment avec celle
des graines qui composent VO'Dika", nous verrons qu’il n’en est pas ainsi, et
que, par conséquent, un autre facteur végétal intervient dans la composition de
ce pain.
�— 11 —
opérations précédentes avec de l'eau, on dissout un peu de
matière gommeuse, soit 0,623 %. L’extrait aqueux fournit
0,257 % de cendres blanches, par conséquent, on obtient par
ce traitement :
Matières gom m euses...........................................
Gendres................................................
0,623
Poids de l’exlrait a q u e u x ...................................
0,880
0,257
4. Recherche des matières albuminoïdes. — L’incinéra
tion du résidu avec un peu de sodium donne un résidu qui,
convenablement traité par le mélange de sels ferroso-ferriques, fournit un précipité bleu qui indique la nature azotée
de la matière, en admettant que cet azote soit sous forme de
principe protéique, on obtient son poids en multipliant la
quantité d’azote trouvé par 6,25. Le dosage à la chaux
effectué d’après la méthode de Will et Varentrapp nous a
fourni pour le poids des matières albuminoïdes 10m,857.
5. Incinération. — En incinérant la poudre, on obtient le
poids des sels fixes qui est de 3,7375 %.
En ajoutant ce nombre à ceux que nous venons d’indiquer
ci-dessus, c’est-à-dire au poids des produits extraits à l’aide
de l’éther de pétrole, de l’alcool et de l’eau et à celui des
matières albuminoïdes obtenues par calcul d’après le dosage
à la chaux et en retranchant la somme de 100, on trouve,
comme différence, le poids du ligneux et de la cellulose. Nous
pouvons donc d’après ces données établir comme suit la
composition du pain de O'Dilia :
Corps gras (acides laurique el m yristique).
72 CL
" t . 15
Glucose, tannin et matière am ère............
Re'sine............................................................
Matières gom m euses...................................
C endres..........................................................
Matières album inoïdes.................................
C endres........ .................................................
Ligneux et cellulose (différence)..............
2
0
0
0
10
3
9
100 gr.
Sol. dans éther de
pétrole.
40
Sol. dans alcool.
55
623 |
Sol. dans l'eau.
257 1
857
7375
4255
»
Tl est bon de rapprocher de l’analyse de YO'Dilia celle de
la graine d'Oba due à M. Schlagdenhauffèn :
�Extrait au pétrole : Corps gras solide................
56,375
— à l’alcool : Matière re'sineuse, sucrée,
amère, taurique....................................
11,650
Incinération : Sels fixes.........................................
2,650
Matières albuminoïdes..........................................
20 »
Par différence : Cellulose.........................................
9,318
100 »
Si nous comparons maintenant la composition chimique de
la graine d'Oba à celle du pain de O’Dika, nous sommes fata
lement conduits à admettre qu’un élément étranger s’intro
duit comme composant de ce pain, car les deux constitutions
sont trop différentes pour émaner d’un même produit végétal.
Ce résultat analytique vient donc confirmer l’appréciation
des voyageurs rapportée par M. le professeur Marchand au
sujet de l’introduction des graines étrangères à Irvingia,
gàbonensis et notamment de celles du Mangxfera africana
et du Pentaclethra macrophylla dans la fabrication du pain
d'O'Diha.
Nous allons examiner d’une manière spéciale les divers
produits obtenus successivement par l’action de nos dissol
vants.
P>. — Produit extrait, par Véther de pétrole. (Corps gras).
Il fond à 41e,6 et se prend de nouveau en masse à 34°,8. Il
possède une odeur spéciale beaucoup plus prononcée à chaud
qu’à froid. A l’état liquide, il est jaune orangé, mais, fondu
et sec, il présente une teinte gris-jaunâtre.
Il est entièrement soluble dans trois fois son volume
d’acétone et dans vingt-cinq fois son volume d’alcool à 90°.
Ces solutions laissent déposer après refroidissement des
aiguilles très fines qu’on peut obtenir d’un blanc de neige à
la suite de plusieurs cristallisations répétées.
Il se dissout aisément dans le chloroforme, l’éther et le
sulfure de carbone. A l’état solide ou en solution chlorofor
mique, il ne se colore pas au contact de l’acide sulfurique
concentré.
A la température du bain-marie, on voit se produire une
teinte orange. L’acide sulfurique concentré additionné d’une
�— 13 —
trace de chlorure ferrique, fait apparaître une couleur bleue
qui ne vire pas au ponceau et exclut par conséquent la
présence probable de la cholestérine. Des essais directs
effectués en vue d’y retrouver ce composé n’ont amené
d’ailleurs que des résultats négatifs.
Le corps gras est aisément saponifiable par la potasse ou
la soude alcoolique à la température du bain-marie. Il suffit
de quelques minutes de contact pour arriver à la formation
du savon.
En opérant sur 300 grammes de matière nous avons pré
paré la combinaison potassique qui, dissoute dans l’eau et
traitée par de l’acide chlorhydrique en excès, nous a fourni
un gâteau assez volumineux d’acides gras. Après les lavages
nécessaires pour éliminer l’excès d’acide et de chlorure alca
lin, nous avons obtenu un produit presque blanc, fusible vers
40°, complètement sec. L’alcool à 90°, à chaud, dissout par
faitement ce mélange et abandonne après refroidissement des
cristaux aiguillés fusibles à 37°,4.
Pour connaître la nature de la composition de ce mélange,
nous ajoutons à la solution alcoolique une solution alcoolique
d’acétate de magnésie et procédons ainsi à des précipitations
fractionnées successives. Les précipités sont jetés séparément
sur filtre, lavés à l’alcool, puis décomposés par l’acide chlo
rhydrique. Les acides gras correspondants sont soumis à des
cristallisations répétées dans l’alcool, et l’on obtient finale
ment, à la suite de ces diverses opérations, deux produits
dont l’un cristallise à 43° et l’autre à 53°,5.
Ce sont, d’après les indications des auteurs, des points très
voisins du degré de fusibilité des acides laurique et myris
tique. Les autres précipités magnésiens, décomposés de la
même façon par l’acide chlorhydrique, fournissant des acides
gras dont le point de fusion est intermédiaire entre ces der
niers, ne doivent être considérés que comme des mélanges.
Nous admettons donc que les acides gras du beurre de O'Diha
sont constitués par de Yacide laurique et de l'acide myris
tique, et, si d’autre part, nous nous appuyons sur les travaux
de Heintz (1) et de Oudemanns (2), dont les noms font autorité
dans la technique des corps gras, nous pouvons affirmer sans
(t) Annales de Pugg., xc, p. 137.
(2) Répertoire de chimie applig., 1861), p. 390.
�— 14 —
crainte d’être démenti que ces deux acides laurique et m y
ristique se trouvent à peu près à parts égales dans ce
beurre. Nous croyons pouvoir affirmer, en outre, l’absence
complète d'oléine dans ce produit, d’abord en raison de la
production d’un mélange qui n’est ni liquide ni même butyreux, extrait du gâteau des acides gras, et ensuite à cause
de l’impossibilité dans laquelle nous nous sommes trouvé de
préparer un savon plombique soluble dans l’éther. Les acides
gras du beurre de Dika ne renferment donc pas d’acide
oiéique et sont uniquement formés d’acides laurique et
myristique.
C. — Produits extraits par Valcool.
Nous obtenons, comme nous l’avons indiqué plus haut, un
mélange de divers principes faciles à déceler par les réactifs
chimiques, mais dont les caractères orgâno leptiques sont
d’autant moins aisés à reconnaître que la solution aqueuse
présente une réaction franchement acide au tournesol.
L’acidité est-elle due au tannin ou à un acide particulier?
Nous serions tenté d’admettre cette dernière hypothèse et
d’attribuer la présence de cet acide à un produit pyrogené
formé lors de la préparation du pain. D’ailleurs il doit se
former et il se forme en réalité, par suite de la température
élevée à laquelle on porte le mélange des graisses, un pro
duit spécial qui ne peut provenir que de l’altération de la
matière protéique y contenue. Ce produit, mal défini, ne
constituant pas une entité chimique, mais pouvant le devenir
dans certaines conditions de température, donne à la solution
aqueuse une saveur légèrement amère et se comporte, à
l’égard des réactifs, comme les ptomaïnes. Il précipite, en
effet, au contact des iodures doubles et du cyanoferride
ferrique.
Une expérience comparative faite avec des amandes
douces nous fournit un résultat absolument identique. Mêmes
précipités avec Yiodure iodurè de potassium, avec Yiodure
de mercure et de potassium, Yiodure de bismuth et de po
tassium et formation de bleu de Prusse avec le cyanure
rouge additionné de chlorure ferrique.
Faudrait-il conclure de là que les extraits alcooliques ou,
ce qui revient au même, les liquides provenant du traitement
�— 15 —
par l’eau du pain d'Q'Dïka ou des amandes grillées, soient
toxiques en raison de la minime quantité de composé ana
logue aux ptomaïnes dont nous venons de déceler la pré
sence ? Nous ne le pensons pas, car l’innocuité complète dont
jouit la matière alimentaire si répandue chez les Pahouins,
jointe à celle des gâteaux nommés petits-fours par nos pâ
tissiers, prouve bien qu’il n’en est pas ainsi.
11 se dégage cependant de cette discussion une question â
examiner de plus près ; il faut trouver les conditions de tem
pérature qui coïncident avec le rendement maximum du com
posé à fonction alcaloïdique dont nous venons de signaler
l’existence dans les amandes grillées de YOba.
Ce sera l’objet d’une étude spéciale et d’un caractère géné
ral. qui ne serait pas ici à sa place.
D. — Produit extrait par l'eau.
La matière gommeuse que l’on obtient après traitement
par l’eau de la poudre épuisée par l’alcool ne présente rien de
particulier. La solution précipite par l'alcool, le chlorure
ferrique et Yacétate triplombique et jouit, par conséquent,
des propriétés générales de la gomme arabique [arabine). Ce
produit est fourni par les lacunes à mucilage dont tout le
tissu parenchymateux de la graine est rempli.
En résumé, le gâteau de O'Diha est un aliment complet
composé comme il suit : les quatre cinquièmes sont consti
tués par des corps gras, glycérides des acides laurique
et myristique, 10 %, de principes albuminoïdes, une petite
quantité de sucre et d’autres éléments qu’on retrouve en
général dans les graines alimentaires.
Il résulte nettement de cette analyse que le pain de YO'Diha
est une matière nutritive appréciable. Dès lors, s’il est vrai,
comme le laissent pressentir certains auteurs, notamment
O’Rorke [loc. cit.), que ce produit est employé pour adulté
rer le cacao dans la fabrication du chocolat, il ne faut pas
s’en inquiéter outre mesure au point de vue de la santé pu
blique. Cette fraude serait plus supportable que celle qui con
sisterait (comme le pratiquent, dit-on, certains industriels
pour la préparation de chocolats inférieurs) â mêler au cacao
des tourteaux d’amandes ou d’arachides, des noisettes, de la
farine de fève, de la stéarine, etc., e tc .— J ’ajoute qu’en
�raison du degré de fusibilité du corps gras de l'O'Diha, si rap
proché de celui du cacao, cette fraude, au moins dans les
mélanges adultérins où la proportion d'O'Diha ne serait pas
trop élevée, resterait fort difficile à reconnaître. Yoici com
ment s’exprime O’Rorke au sujet de son chocolat des pau
vres qu’il eut l’idée de préparer avec le pain d'O'Diha seule
ment. « La ressemblance du pain de Dïka avec le cacao m’a
» donné l’idée d’en fabriquer du chocolat avec le sucre et un
» aromate. Le résultat est certainement encourageant. Ce
» chocolat préparé au lait, à la façon ordinaire, a été goûté
» avec plaisir par les personnes non prévenues....... Le
» pain de Dilia, d’après son premier importateur Aubry» Lecomte, peut valoir au Gabon de 60 à 75 centimes le
kilogramme (1). »
Nous avons vu que le corps gras de YO'Diha y existe en
quantité appréciable ; industriellement on peut aisément,
par la pression ou par le traitement au sulfure de carbone,
en obtenir de 48 à 70 % de la graine privée de son endo
carpe ou 18 à 21 % ûe la graine pourvue de cette enveloppe
coriace. Ainsi extrait, ce corps se présente sous l’aspect
d’une masse d’un blanc teinté, rappelant un peu le beurre de
cacao, moins l’odeur particulière à ce dernier corps. Lecomte,
agrégé â la Faculté de médecine de Paris, en a fait une étude
d’application pratique en fabricant avec ce corps un très
beau savon à base de soude ; il en a fait aussi de la bougie.
.J’ai moi-même donné à essayer ce produit dans la grande
usine à stéarinerie de MM. Fournier à Marseille ; il a été em
ployé comparativement avec le produit similaire provenant
de YIrvingia Oliven Pierre (de Cocliinchine), appelé beurre
de Cay Cay. Voici le résultat de cet essai industriel :
(1) Ce renseignement ne concorde pas avec celui que m’a fourni feu Pierre,
mort directeur du Jardin d’essai de Libreville, qui voulut bien m’acquérir un
pain de 6 kilog. (celui dont j’ai donné la figure), et qui le paya un fusil de
traite de la valeur de 15 francs. A ce prix, le kilo de pain de Dika revient
à plus de 2 francs. Mais, pour les besoins industriels, il suffirait d’acheter la
graine en nature non manipulée, qui serait évidemment d’un prix bien infé-
�Il —
BEURRES D’IRVINGIÀ.
Irvingia Oliveri P ierre , de la Cochinchine et du Cambodge.
Rendement en huile par le sulfure de carbone
sur la graine non décortiquée......................... 12,80 °/0
Rendement en huile par le sulfure de carbone
sur la graine décortiquée................................. 61 »
Saponification-déchet.......................................... 10 »
Rendement en glycérine..................................... 11 »
Rendement en stéarine de saponification........ 83,97
Fusion des acides gras de saponification . . . . 35°,50
Fusion stéarine...................................................... 36°,50
I r v i n g i a g a b o n e n sis
H. Bâillon , du Gabon-Congo.
Rendement en huile par le sulfure de carbone
sur la graine non décortiquée.......................
Rendement en huile par le sulfure de carbone
sur la graine d é c o rtiq u é e ...............................
Saponification-déchet..........................................
Rendement en glycérine.....................................
Rendement en stéarine de saponification........
Fusion des acides gras de saponification.........
Fusion sté arin e......................................................
21
» °/0
48 »
10 »
10,80
82,53
39° »
39°,50
ff
La comparaison des chiffres ci-dessus montre la presque
complète identité qui existe entre le corps gras fourni par
les deux graines à ' I r v i n g i a , au point de vue de l’emploi en
stéarinerie. Ces deux huiles concrètes présentent la parti
cularité d’avoir des acides gras à point de fusion peu élevé,
bien qu’elles soient à l’état neutre d’une consistance solide
accentuée.
Les acides gras de saponification pressés donnent une
stéarine dont la fusibilité est sensiblement la même que celle
des acides gras avant pression, ce qui indique une composi
tion particulière pour ces huiles, composition presque homo
gène, puisque l’élimination des acides gras liquides n’a point,
par la pression, changé sensiblement la fusibilité de la ma
tière avant pression ; tandis que les huiles, en général, don
nent toujours une différence plus ou moins grande entre le
point de fusion des acides gras et celui de la stéarine corres
pondante. Le déchet de 10 % à la saponification confirme
�encore cette composition spéciale du beurre des Irvingia,
puisque le déchet théorique est de 5 %. Cet excédent de dé
chet indique qu’il entre dans la composition de cette huile
des acides gras solubles, tels que l’acide butyrique, Yacide
caprylique et caproïque qui sont éliminés à la saponification.
Ce déchet anormal rapproche les huiles d’Irvingia de l’huile
de Coco, qui donne aussi un déchet élevé à la saponification.
On trouve aussi, au point de vue physique, un rapprochement
entre ces deux huiles, dans l’odeur qui est identique de part
et d’autre.
Le beurre de O'Dika (Gabon) pourrait donc être employé
sinon par l’industrie de la stéarinerie, du moins, avec grand
avantage, par celle de la fabrication des savons ; les expé
riences de Lecomte l’établissent nettement. D’autre part, la
parfumerie et la pharmacie pourraient en faire un large em
ploi pour les pommades à grain lisse, cold-cream, Gérais
odoriférants et translucides, cosmétiques fins, etc.........En
1858, MM. Mazurier (du Havre) proposaient, d’après O’Rorke,
le beurre pur de O'Dika tout préparé au prix de 1 l'r. 50 le
kilog. Ce prix pourrait être moindre encore aujourd’hui, en
raison de la plus grande facilité des approvisionnements en
matière première (1). D’après Bâillon, «MM. Gellé frères, à
» Paris, Pilastre à Rouen, ont proposé, avec MM. Mazurier,
» d’employer cette matière grasse à plusieurs usages indus» triels ; on en a préparé une substance analogue à la stêav rine, des parfumeries fines, des cérats, des savons à base
» de soude. » La pharmacie pourrait trouver grand avantage
à substituer au beurre de cacao notre substance un peu moins
fusible que ce dernier corps, pour la préparation des sup
positoires médicamenteux (glycérocones, etc.) ; ceux qu’on
prépare actuellement, à enveloppe de beurre de Cacao, étant
d’un prix très élevé. En dehors de sa moindre valeur vénale,
le beurre de O'Dika aurait, sur le beurre de cacao, la supé
riorité de se travailler plus facilement à la machine à fabri(1) A cette époque, notre colonie du Gabon, seul point ou l’on pût se pro
curer des graines d’Oba, était isolée sur la côte occidentale d’Afrique, sans com
munications périodiques avec la France, et sans voie de pénétration dans les
régions intérieures boisées où le végétal producteur abonde. Aujourd'hui, il n’en
est plus ainsi: le Gabon et le Congo français ne forment plus qu’une immense
possession, et des lignes de paquebots, partant de Marseille, visitent réguliè
rement, une ibis par mois, notre nouvelle colonie d’Afrique tropicale, faisant
escale à Libreville (capitale du Gabon) et à Loango (dans le Congo).
�- 19 —
quer les cônes de suppositoires, et de ne pas fondre dans
les doigts de la personne qui doit en assurer l’emploi.
On se demande comment, avec des applications si multiples,
si variées et si importantes, sans compter la facilité de se le
procurer en abondance dans nos immenses possessions ac
tuelles de l’Afrique tropicale (Gabon, Congo français et Congo
belge), ce produit de haute valeur n’est pas devenu encore
d’emploi usuel dans notre industrie européenne. Serait-il
bien téméraire d’espérer que cette modeste étude ne restera
pas étrangère à la diffusion, dans un avenir prochain, de la
graine de YOba jusqu’ici méconnue dans sa valeur, tant
comme substance alimentaire que comme matière grasse ?
L’espèce principale qui donne YO'Diha devrait, est-il besoin
de l’ajouter, être propagée dans nos colonies françaises tro
picales, la reproduction par les graines étant absolument
assurée , à la condition qu’elles soient aussi fraîches que
possible.
CHAPITRE II.
BEURRE DE CAY-CAY.
Le beurre de C.ay-Coy est le pendant asiatique du beurre
d'O'Dïka africain. Il est fourni par un végétal congénère de
celui qui donne le produit dont je viens de faire l’examen dé
taillé. Dans ces conditions, il n’était pas possible de séparer
l’examen de l’un de l’étude de l’autre : le rapprochement s’im
posait en raison des origines végétales congénères de ces
deux produits. Il était en outre intéressant, comme je l’ai dit
déjà, de connaître les similitudes ou les différences de com
position qui séparent ou unissent ces deux produits.
Irvingici Oliveri. Pierre (en annamite vulgaire, Cay-Cay ;
Mand, Môc-Tông ; Cambodge, Châm-Bâc).
Y?Irvingici Oliveri Pierre et YIrvingia Malayana Oliver,
sont les deux seuls végétaux connus comme producteurs du
beurre de Cay-Cay.
Le premier est un grand et bel arbre forestier d’une hau
teur de 30 à 35 mètres environ sur un diamètre moyen de
�1 mètre, mais mesurant souvent jusqu’à 2m,50 à la base (1).
Son tronc droit et élancé est terminé par des rameaux nom
breux garnis d’un feuillage touffu : l’écorce est grisâtre,
verruqueuse, parsemée de taches jaunâtres dues à l’exfoliation de sa partie superficielle (périderme). Les jeunes rameaux
présentent une teinte rougeâtre et çà et là quelques lenticelles. Cette écorce est amère et riche en principes astrin
gents.
Feuilles alternes, simples, entières, coriaces et glabres, courtement
pétiolées, ovales allongées, arrondies ou subcordées à la base, le'gèrement acumine'es au sommet. A teinte vert pâle ou un peu glauque, à
nervure médiane saillante sur la face supérieure, ces feuilles sont
munies de dix à onze petites côtes de chaque côte', distinctes sur les
deux faces, reliées par des nervures et des côtes éleve'es, les pre
mières transversales, les secondes parallèles aux petites côtes.
Les nervures late'rales se détachant de la nervure me'diane, se diri
gent vers les bords en s’incurvant vers le sommet et se re'unissant
l’une à l’autre de manière à former une sorte de nervure marginale
ondule'e à 5 millimètres environ du bord. Les feuilles des arbres éle
vés ont une longueur de 5 centimètres environ, leur sommet est légère
ment obtus. Ici, comme dans tous les Irvingia, le bourgeon terminal
est enveloppé dans une sorte de spathe, en forme de capuchon, conssituée par les stipules extra-axillaires de la dernière feuille qui se sont
soudées d elà même façon que celles des Arlocarpées et enveloppent
toute la portion extrême du jeune rameau, jusqu’au jour où elles se
détacheront à peu près circulairement par la base, ne laissant sur
l’axe d’autre vestige qu’une cicatrice circulaire. L’arbre fleurit en
mars ou en avril. Inflorescences axillaires en grappes simples ou
ramifiées plus courtes ou de même longueur que les feuilles, en
moyenne 5 à 6 centimètres de longueur : elles sont différentes de celles
de l’Irvingia gabonensis. Les pédicelles floraux pourvus à la base d’une
bractée et mesurant 1/4 de millimètre, portent des fleurs petites, ver
dâtres. Le calice est forme' de cinq sépales à limbes obtus (mesurant
(1)
Son bois, de couleur jaune très pâle, assez joli étant verni, est d’une tex
ture fine, très serrée, à fibres longues et légèrement contournées. Dur, lourd,
coriace, difficile à travailler, il se pourrit difficilement et n’est pas attaqué par
les insectes. Contrairement à l’assertion de Mottley, cette essence ne résisterait
pas aux ravages des tarets. C’est, du moins, la conviction des Annamites. Sa
densité approximative est de ü,960. Lorsque le bois n’est pas creux (et il l’est
souvent), il peut être employé pour la charpente, le charronnage, la menuiserie,
la confection des herses, rouleaux et autres instruments en usage dans les tra
vaux des champs. Les Annamites n’en font guère que des colonnes de cases,
des pilotis et différentes pièces de leurs embarcations. [Le; dois industriels et
exotiques, par Grisard et Vauden-Berghe, Revue des sciences naturelles appli
quées, n° 21, fi novembre 1892.)
�—
21
—
1 1/2 ou 1 1/5 de millimètre) qui sont membraneux : les pétales de
2 3/4 mm. sont concaves. Les étamines inégales ont des filets subulés,
longs de 1 à 2 millimètres Les anthères, au nombre de dix, insérées à
la base du disque, sont ovales, émarginées ; le disque (de 1/2 milli
mètre sur 1 millimètre) est entier et pourvu de légers sillons qu’on voit
plus accentués sur YIrvingia gabonensis. Le style dressé (1/5 de milli
mètre), tronqué, est deux fois plus court que l’ovaire. Le stigmate est
très petit. L’ovaire est à deux loges uniovulées, à ovules semi anatropes. Le fruit a 45 millimètres de long sur 27 millimètres de large, sa
face comprimée n ’a que 15 millimètres de diamètre. La pulpe de son
épicarpe et sarcocarpe est juteuse avec un goût légèrement amer, ce
qui ne l’empêche pas d’être recherchée par certains animaux (Gervi-
Fig. 13. — Fruits d’lrVingia Oliveri dépouillés de leur sarcocarpe.
dés). L’endocarpe est épais de 2 millimètres et envoie de nombreuses
libres à travers le sarcocarpe, sa surface interne est lisse et vernissée.
Le spermoderme est coriace et n’a pas plus d’un 1/2 millimètre
d’épaisseur. Les cotylédons sont à peine plan convexe et de 5 milli
mètres d’épaisseur environ (1).
Le fruit, sur lequel il faut revenir, est une drupe de forme ovoïde,
comprimée, à peine atténuée et obtuse au sommet,.grosse comme un
œuf de pigeon, à mésocarpe fibreux et à endocarpe lignifié, osseux. A
sa m aturité complète, le fruit est jaunê. Au moment do la récolte, lors
que l’épicarpe a été détruit, le fruit réduit à son endocarpe a la forme
et la grosseur d’une amande de petite dimension ; sa surface est gri<e
et comme veloutée (fig. 13, A). Cette apparence est due à la persis
tance des fibres qui traversent le mésocarpe après la destruction du
parenchyme sarcocarpique. La coque fendue présente souvent, comme
le fruit de YIrvingia gabonensis, la trace d’une deuxième loge avortée
(1) Leur goût est agréable et rappelle tout à fait celui des amandes de YIr
vingia gabonensis ; elles laissent une arrière-saveur de très légère amertume
comme ces dernières, elles sont mucilagineuses.
\t7°.
�—
22
—
(fig. 13, C). L’unique loge présente une graine revêtue d’un spermoderme brun marron, lisse et cassant, le raphé s’épanouit aussi laté
ralement sur le spermoderme en griffes transversales (fig. 13, B). Quel
quefois il y a deux graines, une dans chaque loge. Ce spermoderme
est formé de deux enveloppes dont la plus interne subéreuse est sil
lonnée par des faisceaux blanchâtres et transversaux. L’embryon
charnu est formé de deux cotylédons appliqués l’un contre l’autre
(fig. 13 C, c] : la radicule minime est cachée au sommet de la graine
et à la base des cotylédons (fig. 13 C, b) qui présentent en cet endroit
une dépression pour la loger, mais pas d’auricules comme dans Vlrvingia gabonensis: traces d’albumen jaune grisâtre dans la graine mûre.
Fig. iU. — Coupe transversale d’un cotylédon à'Irvingia Olivcri :
Im, lacune mucilagineuse ; cg, cellules grasses.
Fig. 15. — Coupe transversale très grossie d’une lacune à mucilage Im entourée
de cellules grasses cg.
Si on fait une coupe à travers ces cotylédons, on trouve,
commô'dans Irvingia gabonensis, un parenchyme interrompu
par des lacunes mucilagineuses de nature leissogène (fig. 14
et 15 7m). M. Vignoli (1), pharmacien de la marine, a indiqué
les mômes organes dans les feuilles (pétioles) et l’écorce : il les
(1) L e C a y -Cay ou Irvingia Olivcri (Thèse de l’École supérieure de Phar
macie de Montpellier, 1886). PL 1.
�— 23 —
a désignés sous le nom de réservoirs à gomme, mais il ne les
a pas cherchés dans l’embryon. M. Pierre, dans son beau tra
vail sur la Flore forestière de Cochinchine (PL 263), au texte
duquel je fais de nombreux emprunts pour cette descrip
tion, ne les signale pas non plus. Ils sont suffisamment,
caractéristiques et par la gomme [arabine) produite et par
leur forme, pour permettre de reconnaître un mélange de
cacao et de Gay-Cay.
Originaire du sud de l’Indo-Chine dont elle constitue une
des plus belles essences forestières, cette espèce se rencontre
dans VAssam, au Laos, au Cambodge, à Phu-Quoc et en
Cochinchine où elle est surtout abondante â Baria, à Longay, Tramban et dans la région boisée qui entoure le Nuiba-den près de Tay-Ninh, tout en croissant disséminée et
commune dans les clairières et sur la lisière des forêts (1).
L'Irvingia Malayana Oliver (en annamite Cay-Cay, en
Kmer, Kramaon Cham-bâc ; en Malacca, Mirlang), arbre
de 15 à 20 mètres de haut (2), donne aussi par ses graines du
beurre de Cay-Cay (3). Il se confond presque, d’après
M. Pierre (4), avec YIrvingia Oliveri, en a le faciès et
en diffère par les caractères suivants : « Feuilles un peu plus
» petites, pédicelles sans bractéole, disque non lobé et à
» parois à peine sillonnées, enfin fruit plus petit (5). »
(1) Voici comment M. Pierre [Fl. for. de Goch. PI. 263) justifie la fréquence
de ce vétégal dans les clairières : « Deux causes expliquent cette fréquence.
* Son Lois est très coriace, très difficile à couper et ses graines sont alimen• taires. 11 est donc toujours conservé dans les défrichements. Son amande a
> un goût agréable même pour l:Européeu, c’est une réserve excellente pour les
» populations forestières qui ne connaissent ou ne peuvent pratiquer que la
» jachère. »
(2) Bois de couleur chamois pâle, tirant sur le jaune, dur, à grain fin et
ne se gerçant pas en se séchant, employé pour fabriquer des manches de Kriss
(Grisard et Vanden-Berghe, Les lois exotiques, loc. cit.). M. Pierre dit que ce
bois peut être comparé à celui du Manqifera indica et à celui du Bouea, qu’il
est très difficile à travailler, qu’il n’est utilisé que pour des auges et des pilotis
dans les terrains humides.
(3) Cette graine, comme celle de l’espèce précédente, renferme de la matière
grasse, mais en quantité moindre.
(4) Pierre, Flore forestière de Cochinchine [loc. cit.).
(5) Cette espèce a été décrite, pour la première fois, par Oliver dans Fl.
Brit. Ind, Hooker fils, I, p. 522. Plus tard, M. Pierre, directeur du Jardin
botanique de Saigon, l’avait nommée I. Harmandiana (du nom de son collec
teur M. Ilarmand) dans les cultures du Jardin botanique de Saigon (1886) ;
plus tard encore, n’ayant pas publié l’espèce, M. Pierre reconnut que c’était
celle de la Flore de l’Inde, éditée en 1875. Entre temps, M. de Lanessan l’avait
�— 24 —
Ce végétal, moins répandu que I. Oliveri en Basse-Cochinchine et au Cambodge, habite surtout dans la province de
Compong-Xoai (Cambodge), d’après Harmand (1).
Voici la diagnose de cette espèce telle que la donne
M. Pierre (2) :
« Feuilles ovales lancéolées ou ovales oblongues arrondies
» à la base, terminées en une pointe subaiguë, glabres, mu» nies de vingt-quatre petites côtes reliées par des nervures
» transversales subparallèles et des veines aréolées. Fleurs
» disposées en grappes axillaires assez courtes, entièrement
» glabres, munies à la base d’une bractée et d’une bractéole.
» Disque capuliforme à cinq lobes arrondis et courts termi» nant cinq côtes longitudinales (3), parallèles et élevées.
» Fruit sphérique, comprimé, arrondi aux deux extrémités
» contenant une à deux loges monospermes. »
En voici maintenant la description d’après le même auteur :
« Arbre de 15-20 mètres. Rameaux grêles portant des traces stipu» laires. Stipules géminées longues de 22 millimètres. Pe'tiole long de
» 12 à 15 millimètres. Limbe long de 11 à 12 centimètres, large à la
» base de 6 centimètres. Grappes à peine composées ou simples,
» longues de 4 à 5 centimètres. Pédoncule long de 1 centimètre 1/2.
» Sépales obove's longs de 1 millimètre 1/4. Pétales longs de 2 milli» mètres 3/4. Etamines 10 millimètres, les alternes un peu plus
» courtes, à filets longs de 2 millimètres 1/2 à 3 millimètres, tordus.
» Anthères ovales, basifixes, un peu émarginées. Disque long de
» 1 millimètre formant gynoplrore à la base, très concave et portant
» un ovaire à deux loges ovule'es. Le style est tordu et se termine par
>> un stigmate pelté et concave au centre. L’ovule est inséré un peu au» dessus du milieu de la loge. Il a le micropyle extérieur et supère.
'> Le fruit a 57 à (52 millimètres de longueur et 34 millimètres de lar» geur. Sa face transversale n’a que 17 millimètres. L’épicarpe est
signalée sous le nom de I. Harmandiana Pierre, dans ses Plantes utiles des
colonies françaises, p. 306, en 1SS6. En 1890, M. Pierre a publié la description
magistrale de cette espèce et d’/. Oliveri Pierre, accompagnée d’une magnifique
planche très détaillée, dans sou bel ouvrage en cours de publication sur la
Flore forestière de Coehinchinc (U. Doin, éditeur).
(1) M. Pierre (loc. cit.) inclinerait à croire qu’il existe à Bornéo, d’après
l’exemplaire sans fructification provenant de cette île qui figure au musée de
Leyde. Cette question est à élucider.
(2) Pierre, Flore forestière de Cocliinchine, pl. 263.
(3) La figure de M. Pierre [loc. cit.) porte non pas un disque à 5 lobes, mais
à 10 lobes ter minant 10 côtes verticales.
�— 25 —
»
»
»
»
»
»
»
»
mou, le sarcocarpe est traverse' par des productions fibrovasculaires
de l’endocarpe exactement comme dans le Mangifera indica et le
Bouea, genres avec lesquels cette plante a beaucoup d’affinités.
L’endocarpe a 2 millimètres 1/2 à 3 millimètres d’épaisseur. 11 est
vernisse' en dedans. Le te'gument est coriace et n’a pas plus d’un 1/2
millimètre d’e'paisseur. Il adhère à un albumen à peu près aussi
épais. Les cotylédons sont chacun épais de 3 millimètres et à peine
plan-convexes (1). La radicule est supère et courte. »
« Cette espèce contiendrait beaucoup moins de matière
» grasse que 1. Oliveri : mais je n’ai pas vérifié ce point,
» n’ayant jamais pu avoir des graines. D’après les indigènes
» ses amandes sont, comme celles de cette dernière espèce,
» très agréables à manger ; elles sont aussi utilisées pour la
» fabrication des bougies. »
Le bois, d’après Pierre, serait employé comme celui de
VI. Oliveri. Une note de Mottley à Kew affirme que cette
essence est à l’épreuve du taret : d’après M. Pierre ce n’est
pas l’avis des indigènes pour le Cay-Cay.
R é c o lte des f r u it s . — Nous allons faire maintenant l’his
torique de la récolte, de l’emploi des fruits et de l’extraction
des corps gras par les indigènes en ce qui touche à VIrvingia
Oliveri. Nous suivrons ici les indications fournies par M. Vignoli (2) et prises sur les lieux mêmes par cet auteur :
« L’arbre fleurissant de février à avril, les fruits ont at» teint leur maturité complète de fin juillet à octobre. Ils se
» détachent alors des rameaux et se répandent sur le sol où
» les Annamites viennent les rassembler en tas. Us les aban» donnent ainsi sur les lieux mêmes pendant deux mois, pour
» laisser les parties molles se détruire, et ce n’est qu’en oc» tobre que la récolte est faite. Les fruits de Cay-Cay sont
» alors transportés dans les habitations et exposés aux
» rayons du soleil pour hâter leur dessiccation.
» Nous ferons remarquer ici que certains animaux, tels
(1) Il est probable) sans que je puisse l’affirmer toutefois, n’ayant jamais eu
les graines, qu’on trouve dans cette plante les mêmes lacunes à mucilage que j ’ai
signalées dans les cotylédons de sa voisine 1. Oliveri. M. Pierre est muet sur
ces organes dont il signale la présence, comme je l’ai dit, dans les pétioles et
l’écorce de FJ. Oliveri.
(2) L e
Cay-Cay,
e t c ., p . 36 e t s u iv a n t e s .
�— 26 —
» que : Singes, Comans, Sangliers, Comings, encore assez
» nombreux dans les forêts de la Cocliinchine, sont très
» friands des amandes du Cay - Cay qu’ils arrivent très
« bien â avoir malgré la dureté des téguments qui les en» veloppent. De l’abandon qui leur est fait de ces fruits
» pendant deux mois, doit donc résulter une perte sensible
» dans la récolte.
» E xtraction du corps gra.s . — Les fruits secs sont ou» verts à l’aide d’un fort couteau (Cai-ruà), et les amandes
» qui en sont extraites sont d’abord exposées au soleil pen» dant quelque temps , puis broyées dans un mortier. La
» pulpe ainsi obtenue est passée dans des tamis en bambou
» tressé (don), soumise ensuite â des procédés de liquéfaction
» et d’expression dont il nous faut donner ici quelques dé» tails. Nous verrons, en effet, par cet exposé, que les pro» cédés d’extraction, actuellement employés par les indi» gènes, laissent perdre une grande partie du corps gras.
» Liquéfaction. — Dans une marmite, aux deux tiers
remplie d’eau et posée sur un trépied, on place une autre
marmite dont le fond en bambou, finement tressé, n'arrive
pas jusqu’à la surface de l’eau. C’est dans cette deuxième
qu’est mise la pulpe des amandes de Cay-Cay. L’orifice
étant hermétiquement clos, on porte l’eau à une températare élevée, en évitant toutefois de déterminer son ébullition.
» Lorsque la pulpe, suffisamment pénétrée par la vapeur
» d’eau, est devenue une pâte gluante, on la sort et on l’en» veloppe dans une natte en paille de riz ; ou bien encore,
» prenant une gerbe de paille de riz, on lie solidement une
» des extrémités, écartant alors les brins de paille par leurs
» parties libres, on place entre eux la pâte de Cay-Cay ; puis,
» rassemblant la paille au-dessus du produit, on ficelle le
» faisceau par l’autre extrémité de façon à bien emprisonner
» la substance.
»
»
»
»
»
»
»
» Expression. — La presse, â l’action de laquelle doivent
» être soumis les pains de matière grasse ainsi préparés, se
» compose d’un tronc d’arbre percé transversalement d’un
» orifice carré de 30 centimètres de côté environ, communi-
�21
» quant, dans la partie centrale avec une longue cavité cylin» drique dirigée dans le sens môme de l’axe et à diamètre
» moindre que celui de la cavité transversale. C’est dans
» cette cavité cylindrique que l’on engage les boules de ma» tière grasse.
» Lorsque l’appareil est garni, on applique, contre la boule
» la plus rapprochée de la cavité transversale et carrée, une
» ou plusieurs rondelles de bois du diamètre de la cavité
» cylindrique, et entre ces rondelles et l’autre paroi de la
» cavité transversale, on fait avancer à grands coups de
» maillet un long coin en bois. La matière liquide exprimée
» tombe dans une rigole qui longe la cavité cylindrique, et
» sort par une ouverture pratiquée dans la partie la plus dé» clive de l’appareil.
» Lorsque le coin a produit tout son effet, on le sort ; on
» ajoute de nouvelles rondelles de bois et l’opération est re» commencée ; ainsi de suite jusqu’à ce que le coin refuse
» d’entrer. À ce moment, on sort le tout ; la pâte est broyée
» de nouveau, soumise à l’action de la vapeur d’eau, puis ex» primée comme il a été dit plus haut. Cette dernière opéra» tion est renouvelée encore une fois, après quoi les tour» teaux sont mis de côté. Ils servent ensuite, soit à faire du
» feu ou de l’engrais, soit à nourrir les bestiaux (1).
-
» Rendement. —■Dans un rapport, en date du 21 no» vembre 1884, adressé à M. le Secrétaire Général de Saigon
» par M. Lacan, administrateur de Tay-Ninh, nous trouvons
» le passage suivant : « Pour obtenir un pain de cire de
» 2 kilos il faut deux Gia ou 50 kilos de noix, qui donnent
» 10 kilos d’amandes. Ces proportions ne sont pas rigoureu» sement exactes, elles dépendent, en effet, de la qualité de
» l’amande et de sa manipulation. »
Les procédés employés par les indigènes ne leur permet
traient donc d’extraire que 20 % de matière grasse. Or, nous
avons vu dans le tableau comparé de l’emploi des deux
beurres d'Irvingia pour la fabrication des bougies, que les
amandes sèches de Cay-Cay contiennent 61 % de corps
(1) L’analyse chimique de ces graines nous renseignera, plus loin, sur leur
valeur nutritive, qui est très appréciable et justifie l’emploi de ce tourteau
comme aliment.
�— 28 —
gras, ce qui semblerait indiquer une perte de 41 %• En
réalité cette perte n’est que de 31 %, si nous tenons compte
dans nos calculs de l’état plus avancé de dessiccation, danslequel se trouvaient les amandes qui ont servi au dosage
de la matière grasse, dans l’essai industriel fait au sulfure
de carbone. Les indigènes perdent donc plus de la moitié
du produit.
Le corps gras ainsi obtenu est employé à la fabrication de
bougies d’un commerce restreint dont la paire vaut 20 cen
times. La flamme de ces bougies est plus brillante que celle
de nos chandelles, moins que celle des bougies ; elle n’émet
aucune odeur désagréable.
On trouve le plus souvent le beurre de Cay-Cay sous la
forme d’un cône tronqué du poids de 2 li., 500 environ (1). 11
est d’un jaune grisâtre, onctueux au toucher et d’une odeur
particulière, qu’une élévation de température rend forte et
désagréable.
Voici, d’après les recherches du professeur Sclilagdenliauffen, faites sur ma demande, l’analyse des graines d'Irvingia Olkeri dépouillées de leur endocarpe osseux :
Matière grasse...................................
Sucres........ .........................................
Mal. alb. sol.......................................
Mat. alb. in s......................
Sels fixes.............................................
Cellulose, gomme el tan n in............
73,60
1,25
0,40
18,35
3,45
2,95
100,00
La détermination de ces divers principes a e'té faile de la manière
suivante :
Les graines pulve'risées ont été épuisées par l’éther de pétrole dans
un appareil à déplacement continu, à chaud. La solution pe'trolique a
été évaporée au bain-m arie pendant le temps nécessaire jusqu’à dis
parition complète du dissolvant. Le poids du résidu a été de 73,60.
Quand on exprime les graines à la presse, le tourteau qui en résulte
renferme encore 33,33 0/0 de corps gras que l’éther de pétrole enlève
très facilement.
(1) J’ai reçu de Cochinchine des pains de 1 k. 500 environ qui avaient la
forme propre aux pains de camphre du commerce, c’est-à-dire de véritables ca
lottes sphériques.
■
�— 29 La matière épuisée cède à l’eau une faible proporlion de sucre
1,25 0/0, 0.40 seulement de matières albuminoïdes et du mucilage
gommeux (arabine).
Le résidu, soit 24,75 0/0, a été divisé en deux parties : l’une a servi
au dosage des matières albuminoïdes insolubles par le procédé à la
chaux. La quantité d’ammoniaque mise eu liberté, absorbée par un
volume déterminé d ’acide sulfurique 1/5 normal, a permis de calculer
le poids des matières protéiques, soit 18,35 0/0.
L’autre a fourni, après incinération, 3,45 0/0 de sels.fixes.
En reprenant le résidu par l’eau, on décèle la présence de chlo
rures, de sulfates et de carbonates de potasse et de soude. Dans la
partie insoluble, se trouvent principalement des sulfates, carbonates et
phosphates de chaux.
Il n’existe point de lithine dans les cendres.
La cellulose a été obtenue par différence, en ne retranchant du poids
total 21,475, celui delà matière protéique et des sels fixes.
La petite quantité de tannin qui accompagne la cellulose ne provient
pas du périsperme. La graine ne renferme pas de matière amylacée.
Comme on le voit par cette analyse, la graine (ÏIrvingia
Oliveri reconnaît une composition très rapprochée de celle
d’/. gabonensis ; la quantité de corps gras est à peu près
équivalente dans les deux graines, et, dans la première,
les matières protéiques y sont à peu près en quantité égale
aussi, ce qui implique le même degré de valeur nutritive.
Les autres éléments composants sont équivalents de part et
d’autre. Il n’en est pas ainsi avec le beurre de O'Dika.
Mais les affinités entre ces deux plantes sont poussées plus
loin et se retrouvent jusque dans la composition chimique du
corps gras similaire qui caractérise les deux graines. Il ré
sulte, en effet, des études de M. le professeur Sclilagdenhauffen que la matière grasse du Cay-Cay est formée par les
acides myristique et laurique comme celle de YOdika.
Ces résultats prévus démontrent : 1° que les affinités végé
tales peuvent être fructueusement suivies, pour être établies
sans conteste, jusque dans la composition la plus intime des
végétaux ; 2° que les végétaux dont nous venons de nous
occuper, en tant que producteurs de corps gras et de matière
alimentaire, méritent d’être propagés ou protégés tout au
moins dans nos colonies françaises tropicales, et que leurs
produits ont droit à une place marquée dans nos industries
européennes.
Voici l’analyse du corps gras (beurre de Cay-Cay .
i. //
�Le corps gras, e'puise' à la presse ou extrait à l’aide de l’e'tlier de
pétrole, fond à 39°,5. Il est parfaitement soluble dans l’alcool, l’acétone, l’étber et l’éther de pe'trole, et se de'pose de ses solutions sous
forme d’écailles nacrées. Saponifié par la potasse ou la soude, il four
nit, après décomposition du savon par l’acide sulfurique, un me'lange
d’acides gras, solides à la température ordinaire. Le gâteau, lavé com
plètement jusqu’à disparition de toute trace d’acide minerai, est chauffe
au bain-marie. Son point de fusion est 37°,2. Ce mélange d’acides
gras est soluble dans l’acétone et dans l’alcool. En faisant refroidir les
solutions chaudes, on obtient des cristaux d’un blanc mat, mélangés
à des cristaux aiguille's, groupes en étoiles entièrement transparentes.
Il est facile, à l’inspection d elà forme cristalline de ces deux produits,
de constater que l’on a affaire à des corps différents.
En procédant à des cristallisations répétées dans l’ace'tone, nous
avons fini par obtenir un compose' dont le point de fusion a toujours
été' le même, 53°,6. Ce produit ne saurait être autre chose que de
Yacide myristique. Les premières eaux mères contiennent des mélanges
de ce même acide myristique avec un autre acide gras à point de fusion
beaucoup moins élevé. Elles fournissent toujours des me'langes de
cristaux brillants et des cristaux mats.
Enfin, dans les dernières eaux mères, on n’obtient plus qu’un pro
duit fusible à la température de 35°,1 entièrement soluble dans l’alcool
et l'ace'tone et qui ne renferme pas d’acide oléique. La masse fondue
exprime'e à la presse, ne fournit absolument pas d’acide gras liquide.
En nous guidant sur les expe'riences de Ileintz qui font autorité en
pareille matière (Dict. de Wortz, II, p. 209), nous sommes amenés à
conclure que, dans les circonstances actuelles, où l’on a constaté d’une
part la fréquence de l’acide myristique et de l’autre l’absence d’acide
oléique, le mélange d’acides gras examinés renferme 30 % d'acide
myristique et 70 °/0 d’acide laurique.
Cette analyse infirme les données fournies par M. Vignoli
(loc. c i t p. 49) qui attribue à ce corps gras : acide oléique,
30 %, et acides indéterminés, 38,5 %• Elle démontre, en
outre, qu’il y a qualitativement sinon quantitativement, iden
tité complète de composition entre les corps gras des deux
Irvingia du Gabon et de Cochinchine.
La ressemblance entre deux espèces, si éloignées par leur
habitat et si rapprochées morphologiquement, est, comme on
le voit, poussée très loin. Ce fait démontre jusqu’à quelles
limites peut être fructueusement poursuivie la recherche des
affinités entre les espèces. C’est une voie féconde à élargir.
La similitude entre les deux produits des Irvingia du
Gabon et de Cochinchine est donc complète, mais on peut en
�<•
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—
poursuivre la preuve jusque dans la composition chimique
des cendres de la graine.
Voici cette analyse laite par M. Schlagdenhauffen, à ma
demande :
ANALYSE COMPARATIVE
DES
CENDRES DE LA GRAINE D'1RV1NG1A OLIVEIil ET D7. GABONENS1S
POIDS DES CENDRES °/oc o ty léd o n s avec
ESPÈCES VÉGÉTALES.
ENDOCARPE ( l).
J. Oliveri......................
I. gabonensis................
1,028 (2)
1,413(2)
LEUR SPERMODERME.
1,958 (3)
2,922 (3)
(1) Il est remarquable de voir que cet endocarpe osseux (surtout dans I. Oli
veri où il est très dur) renferme, dans les deux cas, environ moitié moins de
cendres que Famande : c’est le contraire qu’on aurait pu supposer à priori.
Quant à la différence de poids entre les cendres des coques et des amandes dans
les deux graines, elle tient à la différence de poids des graines et à leur gros
seur dissemblable. Les graines à'I. Oliveri sont bien plus petites que celles
d’7. gabonensis. Mais la composition chimique de ces graines est identique de
part et d’autre, bien que les végétaux croisseut sur des terrains de nature toute
différente physiquement et chimiquement.
(2) Ces cendres renferment : silice, soude, potasse, pas de lithine.
(3) Ces cendres renferment les mêmes éléments chimiques.
Versailles, imp. Cerf
et
C‘*, 59, rue Duplessis.
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https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/2/336/AOM-21329_Annales-Instittut-botanico-geol_1894.pdf
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DANS LA HAUTE-GAMBIE
VOYAGE D'.EXPLORATION SCIENTIFIQUE
~Â~
PAR
Le Docteur André RANÇON
MÉDECIN
DE
PREMIÈRE
CLASSE
DES
COLONIES
CHEVALIER DE LA LÉGION D'HONNEUR
1894
1891-1892
PARIS
SOCJÉTÉ
D'ÉDITIONS
SCIENTIFIQUES
PLACE DE L'ÉCOLE DE MÉDECINE
4, Rue Antoine-Dubois, 4
1
1894
,
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�DANS LA HAUTE-GAMBIE
YOYACE D’EXPLORATION SCIEHTIFIQOE
PAR
Le D octeur André RANÇON
MÉDECIN
DE
PREMIÈRE
CLASSE
DES
COLONIES
CHEVALIER DE LA LÉGION D’HONNEUR
1891-1893
PARIS
SOCIÉTÉ
D ’É D I T I O N S
SCIENTIFIQUES
place de l ’école de médecine
4 , Rue Antoine-Dubois, 4
I
__
18 94
��A M.
le pr o fesseu r
E douard
HECKEL,
Directeur du Musée et de l’Institut colonial de Marseille,
Professeur à la Faculté des Sciences et à l’École de Médecine,
Directeur du Jardin botanique.
M on
c h er
M a ît r e
et
A m i,
En m'autorisant à inscrire votre nom en tête de ce livre, vous
m’avez fait un bien grand honneur, et je vous en garde au cœur,
croyez-le bien, une profonde gratitude.
C'est vous qui l'avez inspiré. C'est d’après vos conseils qu'il a
été rédigé. C'est enfin grâce à votre affectueux dévouement, qu'il
a pu voir le jour. La reconnaissance sans bornes que je vous ai
vouée depuis si longtemps déjà, m’imposait de vous en offrir la
primeur. Aussi est-ce avec bonheur que je m'acquitte aujourd’hui
de ce devoir.
Votre œuvre, mon cher Maître, a déjà rendu à la science
d’inappréciables services. Elle sera dans l'avenir, n'en doutez pas,
encore plus féconde. Vous avez su choisir le terrain ou il fallait
jeter la semence. Le grain a vigoureusement germé. La récolte ne
se fera pas attendre.
Grâce à vous, nos produits exotiques sont maintenant métho
diquement étudiés. Notre commerce et notre industrie peuvent
trouver dans vos études un guide sûr et infaillible. Vous avez
�6
DÉDICACE
puissamment contribué à mettre en valeur l'immense empire colonial
que nous devons au courage et à la vaillance de nos soldats.
Avec une foi d’apôtre que rien n'a jamais pu abattre, vous
marchez résolument vers le but que vous vous êtes proposé. Votre
honnêteté à toute épreuve, votre généreux désintéressement, votre
patriotisme éclairé, sont pour tous ceux qui vous connaissent les
garanties les plus solides de la haute valeur scientifique et morale
de vos travaux. Aussi veuillez ne voir, je vous prie, dans cette
dédicace, que le témoignage le plus sincère de toute mon admira
tion et de mon absolu dévouement.
Dr A.
10 octobre 1894.
R ançon.
�INTRODUCTION
En 1891, M. le ministre du Commerce, de l'Industrie
et des Colonies, à la suite d'un article paru sous ma
signature dans le Petit Marseillais, et traitant de la rareté
croissante et de la disparition prochaine (1) de la Gutta
percha des îles de la Sonde, voulut bien me faire appeler
à Paris pour exposer devant le comité technique des
ingénieurs électriciens de l'État, mes idées sur ce point
et le remède à apporter à une situation menaçante pour
une branche primordiale de l’industrie française.
Après avoir fait, dans une conférence privée, l'histo
rique de ce sujet, je conclus à la possibilité de remplacer
la gutta vraie des îles de la Sonde, par des produits
végétaux similaires à trouver dans nos possessions afri
caines du Soudan ou du Congo. Au lieu de tenter
(comme on s’est depuis inutilement efforcé de le faire)
>•
(1) Cette disparition, aujourd’hui à peu près réalisée, tient aux procédés barbares
employés par les Malais des îles de la Sonde, qui, pour obtenir un plus grand
rendement immédiat de l'Isonandra ou P alachium Gutta, n’hésitent pas à couper
l’arbre au lieu de le saigner discrètement, et sans atteindre par cette exploitation
ses œuvres vives, comme la prévoyance la plus élémentaire le commanderait.
N
�INTRODUCTION
l'acclimatation du Palackium Gutta dans nos possessions
équatoriales, ce qui, au cas de succès, eût exigé un
temps très long, j'estimais qu'en raison de l’indispensabilité du produit, il valait mieux rechercher des arbres
nouveaux et immédiatement exploitables. J'étais conduit
à formuler ce conseil en me basant sur les résultats de
certaines recherches faites dans ce sens par moi en 1885,
et que j’ai publiées à cette époque dans le journal La
Nature, de G. Tissandier ; elles avaient trait au latex solide
d'une Sapotacée absolument spéciale à l’Afrique : le But.yrospermum Parldi de Kotschy. Cette gutta inconnue jusqu’à
mes travaux, me paraissait donner quelques espérances.
J'indiquai, au cours de cette conférence, qu’il y aurait
peut-être là un succédané de la vraie Gutta, mais qu’une
mission scientifique au Soudan pourrait seule nous éclairer
sur le bien fondé de ces prévisions, tout en portant son
attention sur d’autres végétaux à latex exploitable. Le
comité, après m'avoir entendu, conclut, par l'organe de
son président, à l’utilité de cette mission et voulut bien
donner son appui moral à la demande que j’adressai
immédiatement à M. Étienne, alors sous-secrétaire d’État
aux Colonies, en vue d’obtenir l’organisation de ces
recherches scientifiques. M. Étienne, dont l'esprit est
largement ouvert à toutes les questions d’application
scientifiques coloniales, répondit à mes propositions avec
un empressement bienveillant dont je ne saurais trop le
remercier. Sur-le-champ, d’après ses ordres et par mes
soins, furent organisées deux missions scientifiques. La
première, chargée d’aller à la Guyane étudier l’exploitation
des Mimusops Balata, essence productrice d’une gutta appré-
�INTRODUCTION
9
ciée, fut confiée à M. Geoffroy, pharmacien de la marine,
licencié ès sciences ; l’autre, appelée à la recherche et à
l’étude des Quitus du Soudan français, eut pour chef M. le
Dr Rançon, médecin de l re classe des colonies. Le premier
de ces deux explorateurs a succombé à la suite des
fatigues de sa mission accomplie au Maroni avec le plus
grand dévouement et le plus grand succès. La mort ne
lui a pas laissé le temps de rédiger le rapport de son
voyage d’exploration (1), mais il a cependant pu goûter la
satisfaction suprême de voir son œuvre couronnée comme
elle méritait de l’être. A la suite de ses recherches, en
effet, un vrai mouvement s’est produit en vue de l’exploi
tation de ces richesses forestières, jusque-là méconnues,
et la question du Balata est devenue un moment, avant
la fièvre de l’or, la préoccupation dominante de la Guyane
française : plusieurs sociétés se sont organisées en vue
de cette industrie forestière pleine de promesses.
Plus heureux que son collègue E. Geoffroy, le Dr
Rançon, après une longue et pénible maladie résultant
d’un séjour trop prolongé au Soudan, a pu récupérer sa
santé un moment compromise, et présenter sous forme
de mémoire scientifique les résultats de sa mission labo
rieuse. C’est le détail de ce voyage d’exploration, mémo
rable et fructueux à tous égards, que M. le Dr Rançon
relate dans le travail qui va .suivre et qui forme, en
grande partie, le deuxième volume des Annales du Musée
et de l’Institut colonial de Marseille. Je suis heureux de
(1) On trouvera dans le IIfi volume des Annales du Musée colonial de M arseille
un mémoire posthume de Geoffroy sur un produit intéressant de la Guyane. La
valeur de ce travail laisse présager ce qu’aurait été le rapport de mission de ce
savant et scrupuleux observateur.
�INTRODUCTION
l’insérer dans ce recueil ; mais, pour l’intelligence du
sujet, il était nécessaire d’en donner ici brièvement la
genèse. Le lecteur jugera lui-même à quel point M. le
Dr Rançon, par les résultats de sa mission, a dépassé les
espérances de ceux qui la lui confièrent et combien il a su
élargir le cadre restreint du programme qui lui était tracé.
Qu’il me soit permis, en terminant, de remercier le
Ministère des Colonies, celui de l’Instruction publique, la
Municipalité de Marseille avec la Chambre de Commerce
et la Société française du Sénégal et de la côte occidentale
d’Afrique, la Chambre de Commerce de Bordeaux, qui,
par leur généreux concours ou leurs souscriptions à des
exemplaires, m’ont permis la publication du rapport de
M. Rançon. J’ai l’assurance que leur libéralité portera ses
fruits et ne sera pas perdue pour les intérêts des ports
commerciaux de la France, dont les relations suivies avec
la côte occidentale d’Afrique constituent un élément impor
tant de prospérité.
Marseille, le 15 juillet 1894.
Professeur Dr
E.
Heckel,
Directeur des Annales du Musée
et de l’Institut colonial de Marseille.
���CHAPITRE PREMIER
Comment je fus amené à visiter la Haute-Gambie. — Aperçu rapide de l’itiné
raire que j’ai suivi pour m’y rendre. — Composition de ma caravane. — Mon
interprète Almoudo Samba N’ Diaye. — De Kayes à Nétéboulou (Ouli). —
Séjour à Nétéboulou. — Maladie. — Manque de vivres. — Comment je fus
ravitaillé par la Compagnie Française de la côte occidentale d’Afrique. —
Extrême complaisance de M. le capitaine Roux, de l’infanterie de marine,
commandant du cercle de Bakel. — Je puis quitter Nétéboulou. — Préparatifs
de départ. — Projet d’itinéraire. — Nétéboulou. — Son histoire. — Sa popu
lation. — Son chef Sandia-Diamé. — Importance de sa situation au point de
vue commercial. — Son avenir.
�ANDRE RANÇON
C’est au cours de la Missiou scientifique que le département
des Colonies avait bien voulu me confier au commencement de
l’année 1891, qu’il me fut donné de visiter la Haute-Gambie et
d’explorer, dans tous leurs détails, les régions qu’arrose, dans
cette partie de son cours, ce grand fleuve africain. Avant moi,
quelques rares voyageurs les avaient rapidement parcourues. Mes
camarades Oberdorf, Levasseur, Briquelot, Liotard en avaient rap
porté quelques vagues renseignements historiques et de précieux
itinéraires qui, pendant mon voyage, m’ont été d’un puissant
secours. Mon plus grand désir était de marcher sur leurs traces,
et, si possible, de compléter leurs travaux et de faire de ces
contrées, encore peu connues, une étude qui pût être de quelque
utilité. Un séjour de plus de six années au Sénégal et au Soudan
Français, les différentes missions dont j’avais été chargé, dans
ces deux colonies, dans le Sine, le Saloum, le Bélédougou, le
Bambouck, les études que j’y avais faites, et enfin l’attrait tout
particulier qu’ont toujours eu pour moi les pays tropicaux,
m’avaient préparé à ce travail. Il m’était permis d’espérer que
je pourrais accomplir mon projet et atteindre le modeste résultat
que je m’étais proposé.
Par décision de M. le sous-secrétaire d’État des colonies en
date du 16 mars 1891, j’avais été chargé d’une mission scientifique
dont le principal objet était de rechercher au Soudan Français les
végétaux à gutta-percha et d’en faire une étude aussi complète
et aussi consciencieuse que possible. Muni d’instructions détaillées,
bien outillé, et après avoir reçu, à Paris, au Muséum d’histoire
naturelle auprès de M. le professeur Cornu, et, à Marseille, à la
Faculté des sciences, sous la savante direction de M. le professeur
Heekel, l’éducation technique indispensable pour accomplir les
travaux qui m’étaient confiés, je m’embarquai à Bordeaux, le 20 avril
suivant, sur le paquebot « Congo » de la Compagnie des Messageries
maritimes qui, le 29 du même mois, me déposa à Dakar. Quarantehuit heures après, j’étais à Saint-Louis et, le 4 mai, j’en partais
à bord de la citerne à vapeur «VAkha» pour Podor, où je devais
rejoindre un nombreux convoi qui y était en partance pour Kayes.
Faute de moyens de transport, ce ne fut que le 15 que nous
pûmes nous mettre en route, et le 3 juin, après un long et pénible
voyage en chaland, nous débarquions enfin à Kayes, chef-lieu des
���DANS LA HAUTE-GAMBIE
13
Etablissements Français au Soudan. Là, j’organisai en peu de jours
ma caravane, et, grâce à l’obligeance de M. le lieutenant-colonel
Archinard, alors commandant supérieur, qui voulut bien mettre
à ma disposition un cheval de selle et un mulet de bât, ainsi que
quelques porteurs qui devaient m’accompagner jusqu’à Sénoudébou
seulement, je pus me mettre en route le 19 du même mois. Confor
mément aux instructions qui m’avaient été données, je visitai
d’abord le Kaméra en entier, le traversai du Nord au Sud, puis me
dirigeant vers l’Ouest, je franchis la Falémé en face de Sénoudébou
et arrivai dans ce dernier village le 24 juin. Là, je congédiai les
porteurs qui m’avaient été donnés à Kayes, visitai les environs
minutieusement, prenant chaque jour de nombreuses notes sur tout
ce qui pouvait intéresser la mission dont j’étais chargé, et réor
ganisai ma caravane. Il me fallait recruter de nouveaux porteurs
pour remplacer ceux dont je m’étais séparé et refaire les caisses
de provisions que je devais emporter. Sur ma route, ma caravane
s’était augmentée, en passant à Takoutala, de mon interprète et de
son frère que j’avais, selon conventions faites à Kayes, retrouvé
dans ce village, où il habitait avec toute sa famille. C’était un brave
garçon, méiis Bambara et Peulh de la famille des Massassis du
Kaarta. Je l’avais gagé autrefois pendant longtemps comme domes
tique et je n’avais jamais eu qu’à m’en louer. Il se nommait
Almoudo Samba N’ Diaye ; il parlait couramment le français et la
plupart des langues du Soudan. Pendant toute la durée de mon
voyage, il eut une conduite toujours irréprochable. D’une scrupu
leuse honnêteté, il me rendit de grands services, et je suis heureux
de le remercier publiquement ici du précieux concours qu’il n’a
jamais cessé de me donner en toutes circonstances pendant les
dix mois que nous avons vécu ensemble. A notre départ de
Takoutala, son frère Oumar, jeune garçon de treize ans environ,
voulut absolument accompagner son aîné. Almoudo me demanda
la permission de l’emmener. Je me gardai bien de lui refuser cette
petite satisfaction, et, dans la suite, je n’eus jamais qu’à me féliciter
d’avoir accédé à son désir, car ce jeune enfant, véritable polyglotte,
me rendit de réels services, et me donna souvent de précieux
renseignements qui me facilitèrent, en maintes circonstances, mes
études de linguistique et d’ethnologie.
Au départ de Sénoudébou, ma caravane se trouvait donc
��DANS LA HAUTE-GAMBIE
15
autrefois parcouru en tous sens comme dioula (1), il me donna
toujours des renseignements absolument précis et qui, durant
notre voyage, me furent d’un précieux secours.
Avant de quitter Marseille, j’avais demandé à M. Bohn, directeur
de la Compagnie Française, de vouloir bien donner des ordres
à M. l’agent de la factorerie de Mac-Carthy, pour que celui-ci me
fit parvenir, à Nétéboulou, ce dont je pourrais avoir besoin pour
ravitailler ma caravane, pensant bien que je ne trouverais sur
ma route que difficilement ce qui m’était nécessaire. J ’étais loin
cependant de supposer que toutes ces régions fussent aussi pau
vres et que nous arriverions à Nétéboulou, après un voyage rela
tivement court, absolument dénués de tout. D’après mes calculs,
je devais y être le premier août au plus tard et je comptais bien y
trouver, à cette date, ce dont je pourrais alors avoir besoin. Mon
espoir ne fut pas déçu, à peine étais-je installé dans la case pré
parée à mon intention par les soins de Sandia, qu’on m’annonça
l’arrivée du patron du chaland. M. l’agent de Mac-Carthy me
l’expédiait avec des vivres pour mes hommes et pour moi. Il
était arrivé, la veille, à Yabouteguenda, sur la Gambie, et ayant
appris que je me trouvais à Nétéboulou, il venait se mettre à mes
ordres. Nétéboulou n’étant éloigné de Yabouteguenda que d’une
vingtaine de kilomètres et, de plus, le marigot étant navigable
jusqu’à Genoto, il fut facile de faire remonter le chaland jusqu’à
ce point et de faire transporter son chargement jusqu’au village.
Genoto n’est éloigné de Nétéboulou que de cinq kilomètres envi
ron. Ces provisions furent les bienvenues, on n’en doute pas.
Elles me furent d’un grand secours pendant l’hivernage et me
permirent de pourvoir aisément à la nourriture de mes hommes.
Grâce à la diligence de M. l’agent de Mac-Carthy, je vécus là dans
d’assez bonnes conditions. Je ne saurais trop le remercier de la
confiance qu’il m’a toujours témoignée et de l’empressement qu’il
a mis à me faire parvenir toutes les commandes que je lui ai
faites pendant mon séjour en Gambie.
Mon intention était de visiter la rive droite de la Gambie, jus
qu’à Mac Carthy pendant l’hivernage. La maladie et aussi l’abon
dance et la précocité des pluies dans ces régions me forcèrent à
(1) Marchand ambulant, colporteur.
�ANDRE RANÇON
renoncer à mettre mon projet à exécution et je me décidai, en con
séquence, à attendre à Nétéboulou la fin de l’hivernage et le retour
de la saison sèche. Je pris alors mes dispositions en prévision d’un
long séjour. Tout d’abord, afin de réduire le plus possible mes
dépenses, je congédiai tous mes porteurs et ne gardai avec moi
que le personnel qui m’était strictement indispensable. Une écurie
fut construite pour mes animaux par les soins de Sandia et de
mes palefreniers, et j’aménageai ma case et celle de mes hommes
le mieux possible.
Je n’entrerai ici dans aucun détail au sujet de mon séjour à
Nétéboulou. Nous avons eu à supporter là toutes les fatigues et
toutes les privations qu’entraîne l’hivernage dans les pays Soudaniens. Ma santé y fut fortement ébranlée, et, malgré les soins les
plus attentifs, mes animaux succombèrent aux atteintes du climat.
Je ne pus quitter cet hospitalier village que le 27 octobre. Je fus
obligé d’attendre jusqu’à cette époque pour pouvoir me mettre en
route. L’inondation commençait alors à décroître, les chemins
étaient plus praticables et j’avais reçu une nouvelle monture que
m’avait envoyée mon bon ami, M. le capitaine Roux, de l’infan
terie de marine, commandant du cercle de Balteb Pendant les trois
longs mois que je suis resté ainsi bloqué à Nétéboulou, je mis à
profit les quelques jours de repos que me laissa la fièvre pour
étudier l’ethnographie et les coutumes du pays. Je fis avec soin
mes observations météorologiques et pris tous les renseignements
possibles sur les contrées que j’allais visiter.
Ce fut également à Nétéboulou que je reçus la nouvelle que
M. le Ministre de l’Instruction publique avait bien voulu me confier
dans ces régions éloignées une mission scientifique et gratuite en
plus de celle dont j’étais déjà chargé par le département des Colo
nies. J ’en fus très heureux, car c’était, pour ainsi dire, la sanction
scientifique donnée à mes travaux. La dépêche ministérielle qui
me l’annonça me parvint quelques jours avant mon départ, grâce
aux bons soins et à la complaisance de M. le capitaine Roux, qui,
pendant mon séjour dans le Ouli, ne manqua jamais une occasion
de me faire parvenir ma correspondance et de me tenir au courant
de tout ce qui pouvait m’intéresser.
Vers le milieu d’octobre, ma santé étant enfin devenue meil
leure, je pus songer à me remettre en route et à exécuter le projet
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
de voyage que j’avais élaboré pendant les deux mois qui venaient
de s’écouler et pour lequel j’avais recueilli tous les renseignements
possibles afin de ne rien laisser au hasard. En conséquence, je
décidai de visiter et étudier complètement le Ouli, le Sandougou
et d’explorer les rives de la Gambie jusqu’à Mac-Carthy. Mon
intention était, de ce point, de visiter, au Nord, le Kalonkadougou
et de revenir à Nétéboulou, d’où je comptais me diriger vers le
Sud-Est, visiter le pays de Damentan, la Haute-Gambie et revenir
à Rayes par le Bambouck. Je pus aisément mettre ce plan à exé_
cution. Même, je pus m’avancer plus au Sud que je ne me l’étais
proposé et visiter le pays de Damentan et le pays des Coniaguiés
et des Bassarés, pays absolument inconnus et où jamais Européen
ne s'était aventuré. De plus, je pouvais, en suivant cet itinéraire,
explorer complètement les vallées de la Haute-Gambie et visiter
avantageusement tout le pays compris entre ce grand cours d’eau
et la Haute-Falémé.
Sandia, qui m’était absolument dévoué, me demanda de m’ac
compagner dans la première partie de mon voyage. J ’en fus très
heureux; car il connaissait à fond le pays que nous allions tra
verser, et, pendant toute la durée de son séjour avec moi, je n’eus
jamais qu’à me louer des services qu'il m’a rendus.
Bien décidé à quitter Nétéboulou le plus tôt possible, je me
mis donc, dès que mes forces me le permirent, à organiser ma
caravane. Je confiai au frère de Sandia mes bagages les plus
encombrants, mes caisses de collections, et n’emportai avec moi
que ce qui m’était absolument nécessaire pour un voyage de trente
jours, au plus. J’engageai sur place les porteurs qui m’étaient
indispensables, et le 25 octobre nous étions tous prêts à partir.
Une malencontreuse tornade nous força à rester à Nétéboulou
quarante-huit heures de plus, et ce ne fut que le 27 que nous
pûmes nous mettre en route.
Pendant les deux mois qui venaient de s’écouler, ma caravane
s’était encore augmentée d’une nouvelle recrue. Je vis arriver un
jour, dans ma case, avec le fils du chef du Ouli, un jeune noir que
j’avais connu autrefois à Rayes et qui avait accompagné mon ami,
le lieutenant Levasseur, de l’infanterie de marine, dans le beau
voyage qu’il avait fait, en 1887-1888, de Rayes à Sedhiou par Labé.
Ce noir, avec les quelques économies péniblement réalisées,
André Rançon. — 2.
�.
ANDRE RANÇON
avait entrepris un petit commerce de dioula (marchand ambu
lant) et n ’avait pas réussi. Quand je le vis il était absolument à
bout de ressources et vivait de la charité de Massara, fils du
Massa-Ouli. Il me demanda alors de se joindre à ma caravane,
de me servir à quelque titre que ce soit, n’exigeant pour tout
salaire que sa nourriture et ses vêtements. C’était peu de chose.
Je l’engageai et n’eus guère à me louer de ses services. Peu
travailleur (la paresse était inconnue parmi mes hommes), il fut
souvent l’objet de leurs quolibets. Malgré cela, je ne puis m’em
pêcher de reconnaître qu’il m’a rendu en quelques rares cir
constances, de réels services que je lui ai d’ailleurs toujours
grassement payés.
Avant de quitter Nétéboulou, ce village hospitalier où j’ai
été reçu et hébergé pendant si longtemps avec tant de générosité
et de sympathie, je ne puis m’empêcher de faire connaître son
histoire et ses habitants. Je serais heureux que le lecteur trouvât
quelque intérêt à lire ces lignes. Elles me sont dictées par la
profonde reconnaissance que j’ai vouée à tous ceux qui, dans
ce petit coin du vaste continent africain, m’ont prodigué leurs
soins et m’ont toujours témoigné le plus grand respect. Aujour
d’hui même, après plus d’une année de séparation, je ne puis
m’empêcher, en me rappelant mes amis de là-bas et tout ce qu’ils
ont fait pour moi, d’éprouver une émotion profonde et de
reconnaître que, malgré tout, je suis encore leur débiteur. Je
n’espère point que ces lignes leur tombent jamais sous les yeux,
mais je serais bien heureux si quelque voyageur égaré dans
ces contrées lointaines pouvait leur dire que je ne les ai pas
oubliés, et que les quelques jours que j’ai passés au milieu
d’eux sont, malgré les souffrances que j’y ai éprouvées, restés
profondément gravés dans mon cœur et que j’en garde le souvenir
le plus cher.
Nétéboulou, ainsi nommé parce qu’il est situé au milieu d’une
véritable forêt de Nétés (légumiueuse) (1) (en Malinké : Nété, et
boulou, village : village des Nétés) est une agglomération d’environ
500 habitants. Il est propre, bien construit et les cases du chef
sont entourées d’un joli petit tata Malinké à tourelles, tout neuf,
(1) P a rk ia biglobosa Benth.
T**
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
dont la hauteur est d’environ quatre mètres et la largeur d’à peu
près un mètre à la hase et quarante centimètres au sommet. Ce
tata est construit en argile fortement colorée en rouge par de
l’oxyde de fer : vu de loin son aspect sombre impressionne
a Ajujje <siiivcuiï AB
'Plein d'en sesvl/ti'
Plan cl’une habitation Malinkée
(Dessin de A. M. Marrot, d'après les documents de l’auteur).
tristement le voyageur; à l’intérieur, se trouvent les cases du
chef, celles de ses femmes et ses magasins. Sa circonférence est
d’environ huit cents mètres, et ses murs sont crénelés pour, qu’en
cas de siège, les défenseurs puissent aisément faire usage de leurs
armes. Le village est entièrement situé sur une petite éminence à
l’Ouest, et au Nord de laquelle se trouve le marigot qui porte son
�ANDRE RANÇON
nom. Les cases sont, en général, vastes, construites à la mode
Malinkée, en terre, rondes et surmontées d’un toit en chaume qui
affecte la forme d’un chapeau pointu. Les cours qu’elles laissent
entre elles sont, en général, assez propres; mais la place principale
du village est,comme dans tous les villages Malinkés,d’une malpro
preté révoltante. C’est le dépotoir commun où chaque ménagère
vient, chaque jour, jeter des détritus de toutes sortes.
A environ huit cents mètres du village actuel, dans le Nord, de
l’autre côté du marigot, se voient les ruines de l’ancien village dont
le tata du chef est encore debout. Ce village fut détruit par le mara
bout Mahmadou-Lamine Dramé, en 1887, dans les circonstances
suivantes. Son chef était le frère de Sandia et grand ami des Fran
çais. Il fut un des commandants de la colonne du Ouli, qui battit
le marabout après sa fuite de Dianna. Ce fut dans un but de ven
geance que Mahmadou-Lamine vint l’attaquer au fort de l’hi
vernage. Son chef, Malamine, fut tué pendant le combat. La popu
lation fut emmenée en captivité par le vainqueur et le village
détruit. C’était Malamine qui l’avait fondé vingt ans auparavant
environ. C’est pourquoi Nétéboulou est souvent appelé dans le
pays : « Village de Malamine, » Riche dioula Malinké musulman,
c’était un homme fort honnête et qui avait dans tout le pays une
grande renommée de justice. Aussi venait-on de partout le con
sulter. Après sa mort, son frère, Sandia, le chef du village actuel,
lui succéda et reconstruisit Nétéboulou là où il est aujourd’hui. Il a
hérité de la renommée de son frère et jouit dans les villages voisins
d’une grande influence.
La population est uniquement formée de Malinkés musulmans
de la famille des Niagatés-Sinatés, qui émigrèrent du pays de Guidioumé dans le Ouli, où ils s’établirent lorsque les Soninkés s’em
parèrent du Kaarta et en chassèrent les Malinkés. Ils n’ont ni le
type ni les mœurs des autres Malinkés que nous avons vus jusqu’à
ce jour. Ils doivent être le produit d’un croisement quelconque. On
rencontre dans le Ouli, le Niani et même le Diakka, quelques vil
lages dont les habitants présentent les mêmes caractères. Je serais
assez porté à leur attribuer la même origine qu’aux Diakankés et
aux Déniankés. Ce serait alors une race de mélange dans laquelle il
y aurait deux éléments Mandingues pour un élément Peulh.
Nétéboulou est un village relativement riche. Nous nous y
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
21
sommes trouvé et y avons séjourné pendant toute la saison des
cultures et nous avons pu constater avec plaisir qu’elles y sont
faites avec plus de soin et en plus grande quantité que dans
les pays voisins. Tout autour des cases se trouvent de vastes
champs de mil, maïs, arachides, coton, etc., etc., et de petits
jardinets où les femmes et les enfants cultivent des oignons,
oseille, courges, tomates, tabac. Malgré cela, la misère y est
grande pendant l’hivernage, car là, comme partout au Soudan,
le noir est gaspilleur et peu prévoyant. Il consomme en peu
de mois sa récolte, fait bombance et, pendant la saison des
pluies, il en est souvent réduit à la portion congrue, en atten
dant la moisson prochaine.
Grâce à l’initiative de sou chef, Sandia, il y existe un petit
embryon de commerce. Et pourtant sa situation exceptionnelle
devrait en faire un centre important de transactions. Nétéboulou est en effet situé au point de jonction des principales
routes qui sillonnent la région. C’est le lieu de passage tout
indiqué des caravanes qui se rendent de Bakel, du Bondou,
du Bambouck, du Tenda à Mac-Carthy ou à Bathurst ou bien
qui en reviennent. C’est là encore que font étape tous les
dioulas qui se rendent sur la rive gauche de la Gambie dans
le Fouladougou de Moussa-Molo ou qui regagnent Bakel et
Médine. Pendant le séjour que nous y avons fait, nous avons
pu assister fréquemment à ces arrivées et à ces départs de
dioulas et de caravanes, et il ne s’est pour ainsi dire pas passé
de jour que nous n’ayons reçu la visite de ces voyageurs. Si
nous ajoutons enfin que Nétéboulou n’est distant de la Gambie
que de vingt kilomètres et que son marigot est navigable toute
l’année jusqu’à Genoto, à 5 kilom. du village, on comprendra
aisément que peu d’efforts suffiraient pour en faire le débou
ché de tout le Ouli, le Tenda et le Diaka. Disons en terminant
que la Gambie cesse d’être navigable pour les bâtiments de
fort tonnage à quelques kilomètres au-dessus de l’embouchure
du marigot de Nétéboulou. Elle est, en effet, en ce point tra
versée par un barrage rocheux qui s’étend d’une rive à l’autre.
C’est le barrage de Koltonko-Taloto. Ce détail est important à
noter, et, de ce fait, nous estimons que Nétéboulou et Genoto sont
appelés sous peu à devenir des centres commerciaux qui ne seront
�22
ANDRÉ RANÇON
pas à dédaigner. Son chef fait, du reste, tout ce qu’il faut pour
cela. Il entretient des relations suivies avec la factorerie Française
de Mac-Carthy, et j’ai appris que, grâce aux renseignements
que j’avais donnés à ce sujet à l’agent qui la dirige, il s’était fait,
dans ces parages, sous la direction de Sandia lui-même, des
échanges relativement fructueux. Ce n ’était là qu’un essai qui a
dû être recommencé, cette année, sur une plus grande échelle.
Maintenant que la paix la plus profonde règne dans ces contrées,
et, étant donné surtout les procédés que la Compagnie emploie
vis-à-vis des indigènes, nous ne doutons pas que le succès le
plus complet ne vienne couronner les efforts qu’elle n’a jamais
cessé de faire pour développer en Gambie notre commerce et
notre influence. La cire du Tenda, l’ivoire et surtout les arachides
du Ouli suffiront amplement pour alimenter cette escale et
seront pour les trafiquants une source de bénéfices sérieux.
Les habitants de Nétéboulou, paisibles agriculteurs, se livrent
avec soin à l’élevage des bestiaux. Le village possède un beau
troupeau d’une cinquantaine de têtes dont Sandia s’occupe régu
lièrement chaque jour et dont la plus grande partie lui appar
tient. J ’ai été bien heureux, pendant les quelques semaines que
j’y suis resté, d’y trouver, matin et soir, un peu de lait, et de
temps en temps un peu de viande fraîche pour réparer mes
forces épuisées par la maladie. C’est assurément à ces modestes
ressources, qui furent toujours généreusement mises à ma dis
position, que je dois de ne pas avoir succombé. Les moutons,
chèvres et poulets y sont aussi relativement nombreux et per
mettent aux habitants de varier un peu leur alimentation. Quant
aux chevaux, outre le mien, je n’y en ai jamais vu que deux :
celui de Sandia et celui de son frère, Mody-Moussa. Cet animal
domestique, est, du reste, assez rare dans toute cette région. Il
y vit difficilement et a besoin de grands soins pour pouvoir y
supporter les rigueurs du climat.
En résumé, nous estimons, d’après ce que nous y avons vu,
qu’il serait facile d’augmenter dans une notable mesure les
ressources de ce petit village, d’y attirer les produits des pays
voisins, et enfin d’en faire le centre commercial le plus impor
tant de la contrée.
���CHAPITRE DEUXIÈME
Départ de Nétéboulou. — Témoignages de sympathie de la population. — En
route pour Sini. — Ordre de marche de la caravane. — La plaine de Genoto.
— Arrivée à Makadian-Counda. — De Makadian-Counda à Sini. — Arrivée à
Sini. — Belle réception. — Le tam-tam. — Le Balafon. — Sérénade. — Le
chef du Ouli, Massa-Ouli. — Sa famille. — Description de la route suivie. —
Géologie. — Botanique. — Le Nété. — Le Tèli. — Le N’taba. — Sini. — Sa
population. — Belles cultures. — Départ de Sini. — Canapé. — Lait et beurre
en abondance. — Soutoko. — La mosquée. — Villages Peulhs. — Fatigue de
la route. — Arrivée à Barocounda. — Départ de Barocounda. — Arrivée à
Toubacouta.— Épisode de la guerre du marabout Mahmadou-Lamine-Dramé
—• Réception peu cordiale à Toubacouta. — Belle case. — Traces du passage
de la mission de délimitation des possessions Françaises et Anglaises en Gambie.
— Toubacouta. — L’ancien et le nouveau village. — L’envoyé de GuimméMahmady, le chef du Sandougou. — Beaux lougans. — Belles rizières. — Le
marigot de Maka-Doua, frontière du Ouli et du Sandougou. — Description de la
route de Sini à Toubacouta. — Géologie. — Botanique. — Le dougoura.
Bien que je fusse encore très faible, je décidai de quitter
Nétéboulou le jour que je m’étais fixé. Du reste, la saison des
pluies touchait à sa fin, l’inondation diminuait rapidement et de
jour en jour les chemins devenaient meilleurs et plus aisément
praticables. Les préparatifs du départ étaient faits depuis plusieurs
jours déjà et le personnel qui m’était nécessaire était bien dressé.
Rien ne nous retenant plus à Nétéboulou, le 27 octobre 1891, à
6 h. 45 du matin, nous nous mettions en route. Tout mon monde
était aussi heureux que moi de partir. L’oisiveté que nous menions
à Nétéboulou commençait à nous peser et nous n’étions nullement
fâchés de reprendre notre course.
Je pus, malgré mon extrême faiblesse, monter assez aisément
à cheval sur la place principale du village. Toute la population
du village est là qui nous accompagne de ses souhaits et qui vient
nous saluer au départ. Tous les hommes viennent me serrer la
main. Les femmes, les enfants eux-mêmes me font part des vœux
qu’ils forment pour la bonne réussite de mon voyage. Jamais je
�ANDRE RANÇON
ne compris mieux qu’en cette circonstance quels meilleurs
résultats on peut obtenir en traitant avec douceur ces populations
primitives. La sévérité excessive et la brutalité ont toujours été,
pour moi, de mauvais procédés de colonisation et je me suis
toujours très bien trouvé, dans mes différents voyages en Afrique,
de ne pas les employer.
Le frère de Sandia , Mody-Moussa, et son fils Diamé nous
accompagnent jusqu’aux dernières cases du village. Là on se serre
de nouveau la main. Sandia fait mille recommandations à son
frère qui le doit remplacer pendant son absence, serre la main à
son fils, lui recommande d’avoir bien soin de sa case, et nous nous
mettons en route pour Sini, où j’avais l’intention de faire étape.
Sandia,qui connaît le pays à merveille, est en tête de la caravane.
Derrière lui marche le palefrenier de son cheval. Je suis immédia
tement. Viennent ensuite mon interprète, mon palefrenier, les
porteurs. Samba-Sisoko et Gardigué-Couloubaly ferment enfin la
marche et ont pour consigne de veiller au bon ordre de la caravane.
C’est cette disposition que j’ai toujours adoptée pendant les étapes
et je n’ai jamais eu à constater le moindre désordre, chacun sachant
parfaitement ce qu’il avait à faire.
Avant de quitter Nétéboulou, je m’étais efforcé de bien
connaître l’allure de mon cheval et j’étais arrivé à savoir à peu
près exactement quelle était la distance qu’il parcourait au pas en
une heure et même en une minute. Aussi, n’ayant aucune
préoccupation à ce sujet, je pouvais, sans distraction, lever mon
itinéraire. Ma boussole fonctionnait à merveille et ma montre
étant bien réglée, je n ’eus relativement que de faibles erreurs à
enregistrer.
A peine avions-nous quitté le village que nous entrons immé
diatement dans les lougans (1). Ils s’étendent à perte de vue. Mil,
maïs, arachides, etc., etc., on voit défiler toutes les plantes cultivées
dans le pays. La route suit une direction Sud légèrement Ouest,
longeant à deux kilomètres environ le marigot, et à quatre kilo
mètres du village nous le laissons sur notre gauche. Nous aperce
vons alors les rôniers (2) de Genoto,point extrême où puissent venir
les chalands, et nous traversons une vaste plaine couverte d’herbes
(1) Champs cultivés.
(2) Borassus flabelliform is L., palmier à vin.
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
25
maigres et parsemée de larges flaques d’eau. C’estla plaine de Genoto
que limitent, au Sud, la Gambie, à l’Ouest et au Nord, les collines du
Ouli et à l’Est, le marigot de Nétéboulou. Absolument inculte,
stérile, elle nous offre, avec ses rares bouquets d’arbres rabougris,
l’aspect que doivent présenter, en Amérique, les solitudes de la
Prairie. La route, à ce moment, est franchement Ouest. Il en sera
de même jusqu’à Sini. Nous laissons sur notre gauche les ruines
du petit village de Coussaié, et à 9 b. 42 nous arrivons à MakadianCounda.
Makadian-Counda. — Petit village Malinké d’environ 350 habi
tants. Il ne présente rien de bien particulier. Il est mal entretenu,
sale, nauséabond. En 1886, il fut pillé et détruit par les guerriers
du marabout Mahmadou-Lamine. Actuellement, il est en partie
reconstruit. Ses habitants sont des gens paisibles, qui se livrent
tranquillement à la culture de leurs lougans. Aussi sont-ils riches
en produits de toutes sortes. Nous faisons la halte sur la place
principale du village, et, à peine étais-je descendu de cheval^
que le chef,accompagné de ses principaux notables,vint me saluer.
C’est un parent d’une des femmes deSandia. 11 méfait mille protes
tations d’amitié et m’offre quelques œufs frais qui sont les bienvenus.
Après l’avoir remercié de son aimable réception et lui avoir
serré la main, nous nous remettons en route pour Sini.
A quelques centaines de mètres du village, nous rencontrons le
fils du chef du Ouli, Massara. Son père l’envoie à notre avance avec
deux ou trois autres cavaliers. Ce jeune homme, âgé d’environ trente
ans, est un ivrogne fieffé. Il monte un beau cheval noir dont lui a
fait cadeau, me dit-il, le colonel Archinard, pour le récompenser
de sa belle conduite pendant la campagne de Nioro, à laquelle il a
pris part avec les meilleurs guerriers du Ouli. Encore trois kilo
mètres au milieu de beaux lougans et, à dix heures dix minutes,
nous arrivons enfin à Sini, où nous allons passer la journée. Il fait
une chaleur étouffante, et, cependant, malgré mon état maladif, je
n’en suis pas trop incommodé.
Depuis mon arrivée dans la région, le village de Sini avait
souvent manifesté le désir d’avoir ma visite. Aussi comprendra-t-on
aisément que j’y fus reçu à bras ouverts. Déjà, en voyant arriver
à mon avance le fils du chef, je m’étais fait une idée de la réception
qui m’y attendait. A peine descendu de cheval, je fus conduit à la
�ANDRE RANÇON
case qui avait été préparée à mon intention. Des cases avaient été
également préparées pour Sandia, mon interprète et mes hommes.
Nous y fûmes bien logés et y passâmes la journée sans trop y
souffrir de la chaleur. Il y avait à peine quelques instants que
nous étions installés que le chef, Massa-Ouli, vint me rendre
visite. C’est un vieillard d’environ 70 ans, encore bien conservé,
mais cependant fort rhumatisant. Son tam-tam, ses principaux
notables l’accompagnaient et, pour la circonstance, il avait
endossé le manteau de chef, rouge, bordé de galons d’or, qui
lui avait été donné par Monsieur le commandant supérieur. Nous
causâmes longuement des choses du pays, il me fit mille protes
tations d’amitié, et nous nous quittâmes les meilleurs amis du
monde. A mon intention, il avait immolé un bœuf, et préparé
tout ce qu’il fallait pour la nourriture de mes hommes et de
mes animaux. Aussi la mission fit-elle grasse chère ce jour-là.
Le temps s’écoula rapidement dans cet hospitalier village et la
soirée arriva sans que nous nous soyons ennuyés un seul instant.
A quatre heures du soir, Massa-Ouli m’envoya son tam-tam et je
fus obligé, pour lui être agréable, d’assister à la sérénade qu’il me
donna devant notre logement. Très curieux ce tam-tam. Il se
compose de tambourins et de balafons et les airs que jouent les
artistes ne manquent pas d’un certain agrément. Quiconque a
entendu le balafon ne peut oublier les sons harmonieux que rend
ce primitif instrument, et la virtuosité, si je puis parler ainsi, dont
font preuve ceux qui en jouent. Tout le monde connaît le tambourin
des peuplades africaines. Il n'en est pas de même du balafon. Aussi
croyons-nous devoir en donner ici une description détaillée. Je
crois donc devoir rapporter textuellement ce que j’écrivais à ce
sujet, sur les lieux mêmes, dans mes notes journalières.
Le balafon est un instrument assez rare au Soudan. Il est plutôt
particulier aux peuples qui habitent les rivières du Sud et
notamment la Gambie. On le trouve encore dans certains villages
Malinkés du Sud du Bambouck et au Fouta-Diallon. C’est peut-être
avec la guitare, que l’on désigne sous le nom de Cora, l’instrument
de musique soudanien dont les sons impressionnent le moins
désagréablement l’oreille. Il est assez compliqué et demande, pour
sa construction, un ouvrier exercé. Aussi son prix est-il relative
ment élevé : quatre-vingt-dix à cent francs environ.
�27
DANS LA HAUTE-GAMBIE
Le balafon se compose essentiellement : 1° du cadre; 2° de
l’appareil producteur du son; 3° d’un appareil qui joue le rôle de
résonateur.
1° Cadre. — Le cadre se compose d’un trapèze en bois ayant la
forme que représente la figure ci-contre. Ce cadre est formé par des
morceaux de bois de 0m80 environ de longueur sur 0m06 de largeur
____
------- —
B
I
et 0m03 d’épaisseur pour les grands côtés. Des petits côtés, l’un a
environ 0m25 de longueur et l’autre 0m15. Ils sont formés par des
morceaux de bois de même largeur et épaisseur que les autres.
L’intervalle compris entre les deux grands montants est comblé
par des traverses qui vont de l’un à l’autre et qui en rendent la
solidité plus grande. Une autre traverse réunit les deux petits côtés.
Tout cela est uni au moyen de cordes de baobab et est d une grande
solidité.
Aux quatre angles de ce cadre A. B. C. D. se trouvent quatre
montants en bois de même hauteur, solidement fixés au cadre et
�28
ANDRE RANÇON
ayant environ 0m2û de hauteur. Ces montants sont unis entre eux
par des cordes solides, généralement en cuir, qui forment ainsi un
cadre E. F. H. 0. parallèle à celui que nous venons de décrire et
qui est inférieur. C’est sur ces cordes que va être posé l’appareil
producteur du son.
2* Appareil producteur du soji .
Cet appareil se compose sim
plement d’une série de lamelles de bois très dur disposées par
ordre de longueur sur le cadre supérieur. Comme l’indique la
figure ci-dessous, ces lamelles ont toutes la même largeur et la
—
même épaisseur, mais non la même longueur. La plus longue a
environ vingt-cinq centimètres de longueur et les autres vont en
diminuant de longueur jusqu’à la dernière qui peut avoir huit
centimètres environ. Leur nombre est variable; mais il est rare
ment inférieur à 12 et supérieur à 20. Ces lamelles sont fixées sur
les cordes supérieures du cadre à l’aide de petites cordes qui les
maintiennent en place, en leur laissant toutefois une certaine
mobilité.
Les deux figures ci-dessus peuvent donner une idée de ce que
sont ces lamelles. La figure A représente une lamelle entière et
la figure B une coupe qui serait faite perpendiculairement à son
axe.
3° Appareil résonateur. — L’appareil résonateur qui est destiné
à renforcer les sons est bien simple. Il se compose d’une série de
petites calebasses ayant la forme que représente la figure ci-
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
29
dessous (n° 1) et qui sont fixées au-dessous de chaque lamelle.
C’est là le côté le plus délicat de la construction ; car, en effet, de
la grosseur de la calebasse dépendra la nature du son, on com
prendra qu’il faut apporter un certain choix dans la composition
de cet appareil, afin de ne pas modifier l’accord et surtout d’obtenir
une gamme à peu près exacte. Aussi voit-on des lamelles avoir
deux calebasses et d’autres une seule. Tout cela dépend du volume.
Les figures ci-dessus peuvent donner une idée de- la façon dont
sont disposées les calebasses au-dessous des lamelles. Ces calebasses
sont maintenues en place par des liens qui les joignent aux
différents côtés du cadre et qui les unissent entre elles. Tout cet
ensemble, qui paraît devoir être très fragile, est, au contraire,
excessivement solide.
Pour jouer du balafon, on s’asseoit par terre et on place l’ins
trument devant soi, de façon à avoir les lamelles les plus longues
à sa gauche. On peut également en jouer en marchant ; alors,
l’instrument est porté, suspendu au cou par des liens qui sont
fixés à ses deux extrémités. L’instrument repose alors sur le ventre
de l’exécutant, de façon à ce qu’il ait toujours à sa gauche les
lamelles les plus longues, celles qui donnent les notes les plus
graves.
Pour tirer des sons de ce bizarre mais ingénieux instrument, il
suffit de frapper d’un coup sec la lamelle avec les baguettes
représentées ci-dessous.
Ces baguettes sont en bois. Il en est qui s’en servent à nu,
d’autres, au contraire, qui entourent l’extrémité renflée à l’aide
de chiffons excessivement serrés ou, mieux, de caoutchouc. Il
�30
ANDRÉ RANÇON
nous a semblé que les sons obtenus avec ces dernières étaient
plus harmonieux que ceux obtenus avec les autres.
Le balafon est construit, en ce qui concerne le bois, par les
forgerons. Quant à l’agencement des différentes pièces, il est fait
par l’artiste lui-même. Le bois qui doit servir à la construction
doit être très dur, bien sec, et ne présentant aucun défaut. Plu
sieurs espèces peuvent être employées à cet usage. Citons : le
Samboni (Cytharexylum quadrangulare Jacq.), le Vène (Pterocarpus
erinaceus Poir.), le Kaki (Diospyros ebenum Retz.). De même, les cale
basses doivent être bien sèches, ne présenter aucun défaut ni fissure,
car le son pourrait en être profondément altéré. Enfin, les cordes
elles-mêmes doivent être minutieusement construites et présenter
toutes les garanties voulues de solidité et de bonne fabrication.
Le balafon peut être considéré, au Soudan, comme étant un
instrument de luxe. Il n’y a guère que les chefs riches et influents
qui en aient, et le griot (musicien de profession) qui en joue, jouit
habituellement dans le village d’une considération que n ’ont pas
ses autres collègues. Seul, il est admis à l’honneur de jouer du
balafon, et, tant est grande l’estime que l’on a pour cet instrument
que, souvent, l’épithète de balafon est ajoutée au nom de l’artiste
qui s’en sert. Ainsi, à Koundou (Fouladougou), par exemple, le
joueur de balafon porte le nom de « Fodé-Balafon ». Il n’est connu
que sous ce nom-là dans les villages environnants.
Les sons obtenus avec cet instrument sont relativement assez
mélodieux et dans l’agencement des notes, il est facile d’y retrouver
les éléments de la gamme. Les airs que jouent les griots pré
sentent également une certaine harmonie et un rhythme appré
ciables, même pour une oreille peu musicale.
Après une heure de musique effrénée, et après avoir assisté aux
danses les plus échevelées, exécutées cependant en mon honneur,
je congédiai, par la voix de mon interprète, les artistes mâles et
femelles qui m’entouraient, et orchestre en tête, je me rendis
à la demeure du chef pour lui rendre la visite qu’il m’avait faite
le matin. Cette façon de procéder m’a toujours réussi au Soudan,
et, c’est en usant sans cesse de la plus grande politesse et de la
plus grande douceur que je suis arrivé à me concilier partout le
respect et l’amitié des chefs avec lesquels j’ai été en relations.
Point ne sert de prendre avec ces gens-là des airs de matamores et
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
31
de croquemitaines. Nous n’arriverions jamais qu’à nous aliéner
leur sympathie. Il faut avoir le bon esprit de ne se considérer
que comme leur hôte, et, si l’on sait conserver toutefois sa dignité
d’homme et de Français, on peut être certain que d’eux-mêmes
ils reconnaîtront notre supériorité.
Massa-Ouli attendait d’ailleurs ma visite. Je le trouvai dans
sa case, entouré de toute sa famille. Il me présenta ses enfants,
ses femmes et sès frères, et, après un entretien des plus aimables,
nous nous quittâmes en nous serrant la main, à plusieurs reprises.
Je fis à tous de petits cadeaux, dont ils me remercièrent vivement.
Inutile de dire que les griots ne furent pas oubliés. C’est dans
l’usage, et je n’aurais pas voulu laisser de moi une mauvaise
impression. Tous, sauf le chef, me reconduisirent à mon
campement, et chacun rentra chez soi, fatigué, mais satisfait,
moi surtout.
L’habitation du chef du Ouli ne diffère guère de celles de
ses sujets. Les cases sont absolument construites sur le même
modèle. Elles sont plus vastes et plus nombreuses, et voilà tout.
Celle où il se tient dans la journée est située au pied d’un superbe
N’taba, bel arbre de la famille des Sterculiacées, sur lequel nous
reviendrons plus loin. C’est un des plus beaux échantillons de
cette espèce végétale que j’aie rencontré dans tout le cours de
mes voyages au Sénégal et au Soudan.
La route de Nétéboulou à Sini présente d’intéressantes particu
larités ; Nétéboulou est construit sur un plateau dont le sous-sol
est formé de quartz et de grès ferrugineux que recouvre une épaisse
couche de latérite. Elle disparait à deux kilomètres environ du
village au-delà du marigot qui porte son nom, pour faire place
à la plaine stérile de Genoto. Cette vaste plaine marécageuse est
complètement inondée pendant l’hivernage. Elle mesure environ
vingt kilomètres de longueur sur quinze de largeur dans ses plus
grandes dimensions, et s’étend des collines du Ouli et de Nétéboulou
jusqu’à la Gambie et au marigot de Nétéboulou. Le sol en est
uniquement formé par une épaisse couche d’argiles anciennes et
d’alluvions récentes. A peine y voit-on par-ci par-là quelques
arbres peu vigoureux, rachitiques. Elle est couverte, dans toute
son étendue, par une herbe mince et ténue parsemée de touffes de
Joncées et de Cypéracées. Après avoir traversé de l’Est à l’Ouest
�ANDRE RANÇON
ce morne désert, on arrive par une pente assez raide sur le plateau
de Sini ; jusqu’à Makadian-Counda ce ne sont que des argiles
compactes; mais à peu de distance de ce village la latérite
reparaît et l’on peut,dire que la plus grande partie du plateau en
est uniquement formée. Son sous-sol ne présente guère que des
roches de nature ferrugineuse.
Au point de vue botanique, nous ne trouvons à signaler que
trois espèces principales de végétaux.
1° Nété. — Le Nété ou Néré (Parlcia biglobosa H. Benth.) (1), est
une belle Légumineuse de la tribu des Parkiées. On la trouve en
grande quantité dans le Bambouck, le Bélédougou, la HauteGambie. Il est facile de la reconnaître à ses feuilles profondément
découpées qui ressemblent à s’y méprendre à celles de certaines
de nos fougères, et à ses fleurs d’un beau rouge foncé et disposées
en forme de boule à l’extrémité des jeunes rameaux. Son fruit
est une gousse d’une belle dimension en tout semblable à nos
plus beaux haricots. Il contient une douzaine de graines entourées
d’une pulpe jaune relativement assez compacte et abondante.
Cette pulpe est très parfumée. Sèche, elle forme une sorte de
farine qne les indigènes mangent volontiers pendant la disette. Les
fruits poussent au nombre de huit ou dix au maximum, à l’extré
mité des jeunes rameaux. Ce végétal fleurit de juin à août et ses
fruits ne sont guère comestibles avant le mois de mars de l’année
suivante. On le trouve en grand nombre aux environs de
Nétéboulou. Son bois est généralement peu employé.
2° Téli. — Le Téli (Erythrophlœurn Guineense Rich.) (2), est un
végétal de haute stature. C’est encore une belle LégumineuseParkiée. Il croît, de préférence, sur les bords des marigots et j’en
ai vu de beaux échantillons dans les environs de Nétéboulou. Il
est facile à reconnaître à la couleur sombre de son feuillage, et à
son fruit qui est une gousse rougeâtre quand elle est sèche et plus
large que ne le sont, en général, celles des autres légumineuses.
Son écorce est profondément fendillée, et, si on l’enlève, sa partie
(1) Voir pour plus amples détails le travail de MM. Heckel et Schlagdenhauffen
sur cette graine comestible. (Journ. de pharm. et chimie du 15juinl887 etB u ll.d e
la Soc. de Géog. de Marseille). C'est le Oull des Woloffs.
(2) Voir pour plus amples détails sur ce poison d’épreuve le mémoire de
MM. Heckel et Schlagdenhauffen dans le journal Les N ouveaux Rem èdes, 1886.
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
intérieure présente une belle couleur rouge foncée. Chaque gousse
contient environ huit à dix graines, à deux faces bombées, ressem
blant à s’y méprendre à celles de certains haricots. Ces graines, qui
ont toujours à peu près le même poids, servent dans certaines
régions, leBouré, par exemple, pour peser l’or. Cinq de ces graines
équivalent à peu près en poids à un gros, environ trois grammes
quatre-vingt-deux centigrammes.
Le Téli ou Tali (Peulh, Bambara, Malinké) est la plante véné
neuse par excellence au Soudan français, au dire, du moins, des
habitants. Il entrerait du Téli dans la composition du « Corté », le
fameux poison que les habitants de Komboreah (Konkodougou) soné
si habiles à préparer et qui est si connu dans le Baleya, l’Amana, le
Dinguiray et même à Siguiri. Mais quelle est la partie de la plante
qui est utilisée? C’est ce que nous n’avons pas encore pu savoir.
Toutefois nous avons appris que, dans certaines de nos rivières du
Sud, le Rio-Nûnez, le Rio-Pongo particulièrement, et dans le pays
de Loaugo, où le Téli est appelé Boudu ou Boudou, les indigènes
fabriquent avec sa racine, par infusion, une liqueur d’une extrême
amertume et qui sert de poison d’épreuve. Quand elle est trop
chargée, elle cause la suffocation, la rétention d’urine, etc., etc.,
l’accusé tombe et est déclaré coupable; à dose plus faible, elle
n’amène pas d’accidents graves, alors l’accusé résiste et est déclaré
innocent.
D’après les indigènes du Soudan, toutes les parties de la plante
seraient excessivement vénéneuses. Voici ce que me disait à son
sujet le chef de Gangali (Niéri) : « Une feuille de Téli dans le couscouss suffit pour empoisonner toute une famille. Un bœuf, un
cheval, un mouton en mange-t-il, il meurt aussitôt. Un oiseau, un
insecte mange-t-il une fleur de Téli, il tombe aussitôt foudroyé. » De
plus, les poissons ne vivent pas dans les marigots dont les bords
sont couverts de Télis, et il serait dangereux d’y faire boire les
animaux. Je me souviens encore que, sur la route de Damentan,
mon palefrenier refusa absolument de faire boire mon cheval à
l’eau d’un marigot dont les bords étaient couverts de Télis. Fait
singulier: cette eau, qui est toxique pour le cheval, paraît-il, ne le
serait pas pour l’homme. Je ne sais ce qu’il peut y avoir de vrai
pour le premier, mais, ce que nous pouvons assurer, c’est qu’il nous
est arrivé souvent de faire usage d’eau puisée au pied d’un Téli et
André Rançon. — 3.
�34
ANDRÉ RANÇON
que nous n’en avons jamais été incommodé. Il en a toujours été de
même pour nos hommes.
Tout cela est évidemmeut bien exagéré, mais il s’en
dégage ce fait toutefois, c’est que toutes les parties de la
plante sont nuisibles mais à des degrés différents. Celle qui
est la plus active, et cela, au plus haut degré, c’est l’écorce.
L’écorce fraîche l’est plus que l’écorce sèche, et celle des
jeunes sujets plus que celle des vieux arbres. Après l’écorce
la racine, puis la fleur et les graines. Les feuilles n’auraient
que de faibles propriétés nocives, m ais, cependant, encore
assez fortes pour occasionner la mort, à une faible dose.
Jamais les animaux n’en mangent. On peut les laisser
paître en toute sécurité dans la brousse. Ils ne mangeront
jamais les feuilles du Téli, jamais ils n’en brouteront l’écorce.
Cet arbre leur cause une répulsion qu’ils ne peuvent sur
monter. Par instinct, ils s’en éloignent toujours. Ils ne peu
vent en absorber que lorsqu’on en mélange les feuilles avec
l’herbe qu’on leur donne en pâture. Et encore arrive-t-il
fréquemment qu’ils mangent le bon fourrage et laissent le
téli ? ? La meilleure façon de leur en faire absorber est sim
plement de pulvériser l’écorce et de leur administrer avec
leurs aliments la poudre ainsi obtenue.
D’après les renseignements que j’ai recueillis un peu partout
à ce sujet, et que Sandia, le chef de Nétéboulou, m’a confirmés,
car il avait vu le cheval de son père mourir empoisonné,
par malveillance, avec du Téli, les animaux qui en absorbent
à doses toxiques éprouveraient les premiers accidents environ
deux heures après l’ingestion. Leur ventre deviendrait très
volumineux. Ils présenteraient une écume abondante à la
bouche, des convulsions qui dureraient une demi-heure environ
et la mort surviendrait deux heures et demie ou trois heures
après l’ingestion du poison.
Les noirs du Soudan utilisent les feuilles du Téli contre
le ver de Guinée, et, voici comment : lorsque l’abcès qu’occa
sionne le ver s’est ouvert spontanément ou bien à la suite
d’une manœuvre opératoire, et que le parasite commence à
sortir, ils enveloppent la partie malade avec des feuilles de
Téli. Deux ou trois suffisent pour la couvrir complètement.
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
Un pansement fait avec des feuilles d’un autre végétal quel
conque inofïensif et maintenu toujours humide est appliqué
par-dessus. Le tout est fixé à l’aide de lacs. Ils prétendent
que le ver est alors empoisonné et qu’il sort plus facilement.
Ceci mérite confirmation, on le comprendra aisément. J’ai
cependant vn des malades se bien trouver de ce traitement
Le Téli ne sert en aucune autre circonstance. Il inspire
aux indigènes une telle frayeur qu’ils ne l’utilisent ni dans
la construction de leurs cases ni même pour faire cuire leurs
aliments.
3° N’tciba. — Le N’taba (1) est une Malvoïdée de la famille des
Sterculiacées. C’est le « Sterculia cordifolia Cav. », ainsi nommé
parce que ses feuilles sont en forme de cœur. C’est un des plus
beaux végétaux des régions de l’Afrique tropicale. On le reconnaît
aisément à son tronc énorme, à ses feuilles excessivement larges
et à son fruit absolument caractéristique. Ce fruit, qui vient à
l’extrémité des jeunes rameaux, a la forme d’une gousse volumi
neuse, dont les valves charnues s’ouvrent à la pression par
son arête convexe. Son extrémité libre est munie d’une sorte
d’appendice charnu en forme d’aiguillon de 0m06 environ de
longueur. Quand il est mûr, il a une couleur ronge clair qui ne
peut laisser aucun doute. Il renferme une douzaine de graines
polyédriques noyées dans une pulpe jaunâtre, savoureuse, et
excessivement parfumée. C’est un des meilleurs desserts que
j’aie rencontrés au Soudan et souvent nous nous en sommes
régalés. Les fruits sont accouplés au nombre de trois, cinq ou
sept en faisceaux et adhèrent fortement au pédoncule et à la
tige qui les porte. Ils tombent rarement et pour les cueillir on
est obligé de sectionner le rameau qui les porte.
Cet arbre acquiert des proportions gigantesques. Nous en
avons vu dans le Ouli, le Sandougou, le Kantora, à Mac-Carthy,
etc., etc., des spécimens vraiment remarquables. Dans ces régions,
c’est l’arbre à palabres préféré dans tous les villages et son épais
feuillage est recherché pendant les heures chaudes de la journée.
(1) Cola cordifolia de Rob. Brown : on ignore si la graine de ce végétal ren
ferme de la caféine comme celle du Cola acum inata R. Brown. (Voir la monogra
phie des Kolas africains par E. Heckel dans le 1er vol. des Annales de l’Institut
colonial, 1893). Ce végétal est encore nommé N ’Dimb dans certains dialectes.
�36
ANDRÉ RANÇON
Le N’taba habite de préférence, les terres riches en humus
et les terrains à latérite. On ne le trouve, pour ainsi dire, jamais
sur les bords des marigots. Et pourtant, il affectionne tout parti
culièrement les régions humides. Aussi est-il excessivement rare
dans les régions sablonneuses et les steppes du Soudan. C’est
surtout dans le Sud de nos possessions qu’on le rencontre, de
préférence, dans le Sandougou, le Ouli, le Konkodougou, le Sud
du Diébédougou, le Damentan, le Niocolo, le pays des Coniaguiés
et des Bassarés, etc., etc. Il se prête cependant assez volontiers
à la culture dans des régions plus septentrionales. Ainsi, à Bammako, notre excellent ami, M. le vétérinaire Kôrper, a obtenu
à ce sujet des résultats surprenants et a pu acclimater absolument
ce végétal sur cette partie des bords du Niger. Il ne faut pas
oublier que le N’taba est Je congénère du Kola. Il est donc permis
d’espérer que l’on pourra arriver, un jour, à cultiver ce dernier
végétal dans les régions où croît le premier.
Le N’taba est peu utilisé par les indigènes. Dès qu’ils sont
mûrs, les fruits sont mangés avec avidité par les enfants. Dans
certaines régions, à Missira (Sandougou) notamment, il m’a été
dit que ces fruits étaient parfois employés avec succès contre
certaines diarrhées rebelles. Je n’ai jamais eu à le constater.
Le N’taba, suivant les régions qu’il habite, fleurit du mois de
janvier au mois de mars et les fruits arrivent à maturité du
commencement de juin à la fin de juillet. Il porte des feuilles
pendant toute l’année. Il a été introduit à la Guyane (Maroni).
Nous ne voulons pas quitter Sini sans le faire connaître
plus complètement au lecteur. Sini, capitale de l’État Malinké
du Ouli, est un village d’environ 600 habitants. Bien qu’il
soit la résidence du Massa-Ouli ou chef du Ouli, il a absolument
l’aspect du plus simple des villages. Ses cases sont construites en
terre, rondes et couvertes d’un toit en chaume qui à la forme d’un
chapeau pointu. Il est entouré d’un tata (fortification en terre) à
tourelles qui tombe littéralement en ruines, mais qui, à en juger
par ce qu’il en reste, devait être très fort. Le chef n’a pas de
tata particulier, comme cela a lieu dans la plupart des villages
Malinkès. — La population est formée uniquement de Malinkés,
sales et grands ivrognes. Les membres de la famille royale, à part
peut-être le chef actuel, ont à ce point de vue une réputation bien
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
37
méritée. — Sini a été attaqué par le marabout Mahmadou-LamineDramé en 1886, lorsque, chassé de Dianna par le colonel Galliéni,
il s’enfuit vers le Ouli et se réfugia à Toubacouta. Les habitants
avaient eu le temps de prendre toutes les mesures de défense
nécessaires. Un fort sagné (fortification en bois) avait été construit
autour du village. On en voit encore les restes. Les guerriers des
villages voisins étaient venus se réfugier auprès du chef, et, de
ce fait, en peu de jours, Massa-Ouli se trouva à la tête d’une colonne
de six à huit cents hommes. Trop âgé pour la conduire au combat,
il en confia le commandement à son jeune fils Massara et à
Malamine, le chef de Nétéboulou, le frère de Sandia, le chef
actuel. En vain, les bandes du marabout tentèrent-elles de
s’emparer de vive force du village. Elles l’attaquèrent inutile
ment trois jours de suite. Voyant la place aussi bien défendue,
le marabout se retira, mais attaqué par les guerriers du Ouli qui
sortirent alors en masse du village et se mirent à sa poursuite»
il fut complètement battu, et se réfugia avec les quelques
guerriers qui lui restaient à Toubacouta, dont le chef lui ouvrit
les portes et le reçut à bras ouverts. Sini avait cependant souffert
de ce siège de trois jours. Un incendie allumé par l’ennemi avait
dévoré les toits de la moitié des cases. Heureusement la popu
lation et les guerriers avaient pu se réfugier dans l’espace compris
entre le tata et le sagné. C’en était fait autrement du village
et l’on peut être certain que si le marabout s’en était emparé, il
ne l’eût pas ménagé. On voit encore les traces de cet incendie,
notamment dans le quartier qui est situé sur la route de Goundiourou.
La population de Sini est paisible, hospitalière et s’adonne
surtout à la culture. Aussi le village est-il entouré de tous côtés
de beaux loügans de mil, maïs, arachides. Autour des cases
mêmes les femmes et les enfants font de petits jardinets où ils
cultivent avec succès, oignons, courges, tomates, oseille. L’espace
compris entre le tata et le'sagné est également bien cultivé,
et j’y ai remarqué de belles plantations de maïs et de manioc.
Par contre, le troupeau du village est peu nombreux. Du reste
les Malinkés, proprement dits, de cette région, élèvent peu de
bétail. Ils laissent ce soin aux Peulhs qu’ils rançonnent d’une
façon éhontée à ce point de vue.
�38
ANDRÉ RANÇON
Dans la soirée, Massa-Ouli et ses fils et ses frères vinrent
me saluer de nouveau et me quittèrent en me promettant de
venir le lendemain matin me serrer la main. Tout le monde
dormit bien cette nuit-là, aussi les préparatifs dn départ se
firent-ils rapidement.
28 octobre. A cinq heures du matin, je réveille toute la caravane,
mon interprète Almoudo et Sandia sont les premiers debout et
organisent le convoi rapidement. Enfin, après un déjeuner som
maire, nous pouvons nous mettre en route à cinq heures quarante
minutes. Malgré l’heure matinale, tout le monde est debout. MassaOuli lui-même est assis devant la porte de sa case et me serre la
main avec effusion à plusieurs reprises et me souhaite un bon
voyage. Son fils Massara est à cheval et va nous accompagner
jusqu’au premier village. Je donne le signal du départ et bien à
regret nous quittons Sini, non sans avoir promis à nos amis de
revenir les voir à notre retour de Mac-Carthy.
Le jour commence à poindre quand nous franchissons les
portes du sagné pour nous engager au milieu de beaux lougans
de mil dont les tiges hautes de plus de quatre mètres se rejoi
gnent et forment au-dessus de nos tètes un véritable dôme de
feuilles et d’épis. La température est excessivement fraîche. Je
constate 16 degrés. La rosée est de plus très abondante, et nous
sommes absolument inondés peu après le départ. Nous marchons
d’une bonne allure pour nous réchauffer et dans le plus grand
ordre. 11 est 6 heures 15 qnand nous arrivons à Canapé. C’est le
premier village Peulh que nous rencontrons. Tout le monde est
debout. Il faut mettre pied à terre.
Canapé. — Canapé est uu village d’environ deux cent cinquante
habitants. Il est entièrement construit en paille. C’est, du reste,
le seul mode de construction employé par les Peulhs. Il est
littéralement enfoui aü milieu du mil et du maïs, et jusque
devant les cases tout est cultivé. Pas un pouce de terrain n’est
perdu. Ses habitants viennent du Fouladougou et le Ouli, le
Sandougou et le Niani en sont très peuplés. C’est là qu’ils y cher
chent un refuge contre les pillages et les exactions des souverains
de leur pays d’origine. Ils construisent en paille de geutils petits
villages proprets et se livrent avec passion à la culture et à
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
l’élevage. Aussi sont ils absolument pressurés par leurs nouveaux
maîtres.
A peine étions-nous arrivés que sur l’ordre du chef on nous
apporta de grandes et nombreuses calebasses de lait sûr et de
couscouss pour les hommes et pour moi du lait frais et des œufs
en quantité. Bon gré mal gré il fallut s’attabler et manger. Heu
reusement que le noir a l’estomac complaisant, aussi mes lascars
firent-ils sérieusement honneur à ce petit apéritif, comme disait
mon fidèle Almoudo. Pour moi, je mé contentai d’avaler quelques
œufs crus et de boire deux tasses environ d’un excellent lait
fraîchement tiré. Ce qui me fit encore plus de plaisir ce fut le
cadeau que me fit le chef de plusieurs bouteilles d’excellent
beurre. Ce qui me promettait, grâce au modeste talent de mon
cuisinier, Samba-Sisoko, une excellente cuisine pour l’avenir.
Après une halte de vingt minutes environ, nous nous remîmes
en marche, non sans avoir serré vigoureusement la main à
Massara, qui nous quittait là pour retourner à Sini, et sans
l’avoir remercié de sa généreuse hospitalité. Le chef de Canapé
et ses principaux notables m’accompagnèrent pendant plusieurs
kilomètres et, chemin faisant, me firent part de la situation
pénible qui leur était faite dans le Ouli. Je leur promis d’en
informer le commandant de Bakel dont ils relevaient, et ils me
quittèrent enchantés. J ’ai appris depuis que tout avait été réglé
au mieux de leurs intérêts et à la satisfaction générale.
En quittant Canapé, nous traversons d’abord les lougans du
village qui, relativement, ont une superficie considérable. Peu
après, nous entrons en pleine brousse. Elle se continue jusqu’aux
lougans de Soutouko, où nous arrivons vers neuf heures du matin.
Soutouko. — Soutouko est un village d’environ 550 habitants.
Sa population est formée uniquement de Malinkés musulmans. Ils
différent absolument des autres Malinkés et se rapprochent beau
coup de la race Toucouleure dont beaucoup d’entre eux ont le type
et les mœurs. Ce sont ces Malinkés que, dans les Rivières du Sud,
on désigne sous le nom de Mandingues. Nous y reviendrons plus
loin. Musulmans fanatiques, ils furent des premiers à embrasser
la cause du marabout Mahmadou-Lamine.
Soutouko n’a nullement l’aspect des autres villages Malinkés.
Bien qu’il soit construit de la même façon, il est propre et bien
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ANDRE RANÇON
entretenu. Au centre du village règne une mosquée en paille et
pisé bien comprise et dont les abords sont indemnes de tout
immondice. Je n’ai pas besoin de dire qu’elle est assidûment
fréquentée.
Là encore il fallut mettre pied à terre et accepter le lunch qui
nous était préparé. Mes hommes s’en tirèrent à merveille. Pour
moi, je ne pus absorber qu’une petite quantité de lait et quelques
œufs frais. La fatigue commençait à se faire sentir et je ne pus que
difficilement remonter à cheval. J ’étais loin d’être complètement
remis des assauts que j’avais eu à supporter à Nétéboulou.
La route entre Soutouko et Barocounda, où j’avais décidé que je
ferais étape,est bordée à droite et à gauche par de superbes champs
de mil et d’arachides. Elle ne présente rien de particulier et nous
la fîmes sans aucun autre incident que les nombreuses haltes que
ma faiblesse me força à faire, tous les deux ou trois kilomètres.
Environ à mi-chemin de Barocounda se trouvent plusieurs villages
Peullis dont les habitants se livrent paisiblement à la culture. Ce
sont : Marosouto — Ourosaradado — Tabandi — Sarè n’Dougo —
Saré-Diallnubé. Nous fîmes halte à Tabandi et les habitants vinrent
nous saluer et nous apporter des calebasses de lait et d’eau fraîche
pour nous désaltérer, car la chaleur commençait à être insuppor
table. Ils nous autorisèrent également à arracher quelques pieds
d’arachides. Nous nous régalâmes de leurs graines vertes. C’est un
des meilleurs fruits du Soudan que je connaisse.
Enfin,à midi, nous apercevions les toits pointus de Barocounda,
où nous allions pouvoir goûter quelque repos et nous mettre à
l’abri des ardeurs de la canicule. J ’étais absolument à bout de forces
quand je pus prendre possession du logement qui avait été préparé
à mon intention.
Je fus reçu à Barocounda avec autant d’empressement et de
sympathie que dans les autres villages du Ouli que je venais
de visiter. Nous eûmes à profusion de tout ce que l’on peut
trouver au Soudan et j’estime encore aujourd’hui que les
quelques cadeaux dont ma pauvre pacotille me permit la lar
gesse à mes hôtes en reconnaissance dé leur généreux accueil,
furent bien au-dessous de ce qu’ils dépensèrent en mon honneur.
Barocounda. — Barocounda est un gros village de 750 habi
tants environ. Sa population est uniquement formée de Malinltés
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
puants, sales et ivrognes. Ses cases sont construites sans aucun
soin, sans aucun ordre, et la plupart d’entre elles tombent
littéralement en ruines. Il est absolument ouvert et ne possède
aucune défense. La place principale du village, où se trouvent
deux superbes n'tabas, est absolument encombrée de détritus de
toutes sortes. C’est, comme dans tous les villages Malinkés, du
reste, le dépotoir commun où chacun vient jeter les ordures
de son ménage. Il possède de beaux lougans et de belles
rizières, mais peu de bestiaux. Par contre, les chèvres et les
poulets y sont excessivement nombreux. Pendant la guerre du
marabout, il fut relativement épargné et n’eut à supporter
que les razzias des pillards qui l’accompagnaient.
Je passai là une assez bonne journée qui me remit des
fatigues de la longue étape du matin. Dans la soirée, le ciel
se couvrit brusquement. Eclairs, roulements de tonnerre se
succédèrent sans interruption pendant plusieurs heures. La
chaleur devint intolérable ; mais, contre notre attente, il ne
tomba pas une goutte de pluie. Heureusement que vers minuit
les nuages se dissipèrent. Le vent du Nord se leva, vint
rafraîchir l’atmosphère, et nous permit de goûter, pendant
quelques heures, un sommeil réparateur. Le lendemain, au
réveil, il n’y avait plus trace de l’orage de la veille, et nous
pûmes, sans crainte d’être trempés, nous mettre eu route pour
Toubacouta, où j’avais décidé de faire étape.
29 octobre. — Nous quittons Barocounda à 5 h. 15 du matin
et nous nous reudons sans aucun incident à Toubacouta, où nous
arrivons à 9 h. 15. La route de Barocounda à Toubacouta ne
présente rien de bien particulier tant au point de vue botanique
que géologique. Elle traverse une vaste plaine argileuse cou
verte de bambous à travers lesquels on n’avauce que difficilement.
Du haut du plateau qui domine la plaine où s’élevait jadis
l’ancien village de Toubacouta, on découvre tout le champ de
bataille où fut mise en déroute l’armée du marabout par la petite
colonne que commanda et dirigea avec tant d'autorité mon excel
lent ami M. le capitaine Fortin, de l’artillerie de marine. Sandia,
qui y assista et y paya de sa personne, me donna sur les lieux
mêmes tous les détails de cette glorieuse campagne. L’intelligent
chef de Koussan-Almamy, Abdoul-Séga, qui y remplissait les
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ANDRE RANÇON
fonctions d’interprète de la colonne française, a bien voulu me
renseigner à ce sujet aussi exactement que possible. C’est d’après
leurs récits que j’ai rédigé ce qui suit :
Toubacouta était situé au bord d’une vallée qu’entourait au
Sud, au Nord et à l’Ouest une ceinture de collines peu élevées. A
l’Est il est défendu par le petit marigot de Maka-Doua qui sépare
le Ouli du Sandougou. Ce marigot est peu profond et ne saurait
constituer un obstacle difficile à surmonter. Toubacouta, au point
de vue de la stratégie indigène, était fort bien situé, étant donné
surtout qu’il n’aurait jamais affaire à des ennemis familiers avec
les armes à longue portée. Attaqué, au contraire, par des troupes
européennes, sa position devenait absolumeot mauvaise. Si, quand
il avait à combattre contre des noirs, il voyait descendre leurs
colonnes d’attaque sur les flancs des collines qui l’entourent, par
contre il ne pouvait rien contre nos canons, qui, du haut de ces
mômes collines le pouvaient bombarder impunément. Son tata, à en
juger par les ruines que nous y avons vues, devait être relativement
fort. De plus, chaque demeure particulière était entourée d’un petit
mur, comme cela a lieu dans la plupart des villages Malinkés. Ces
petits ouvrages de défense intérieurs n’étaient pas à négliger, car il
est évident qu’ils forment autant de réduits qu’il faut, dans un
assaut régulier, emporter de vive force. Toubacouta devait être un
fort village d’environ 800 habitants. Ses ruines sont maintenant
pour ainsi dire inhabitées. Depuis la guerre du marabout, il ne s’y
est élevé que quelques petites huttes où viennent se reposer les
captifs qui cultivent les lougans environnants, et le maïs pousse
haut et dru là où le faux prophète a prêché la guerre sainte. A deux
kilomètres environ à l’ouest, de l’autre côté du marigot de MakaDoua, sur le sommet d’une verdoyante colline, a été reconstruit
Toubacouta. Ses habitants, que la guerre avait dispersés, sont à peu
près tous revenus maintenant. L’ancien Toubacouta est donc situé
dans le Ouli et le nouveau dans le Sandougou. La population
est uniquement formée de Malinkés musulmans, fanatiques qui
furent des premiers, on n’en doute pas, à se ranger sous la
bannière du marabout. Ils avaient émigré de la rive gauche de la
Gambie quelques années auparavant dans les circonstances
suivantes :
Vers 1869 ou 1870, le marabout Simotto Moro (Moro, en
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
mandingue du Sud, signifie marabout). On ajoute ce qualificatif au
nom de tous les marabouts qui acquièrent quelque renommée,
frère de Dimbo, le chef actuel de Toubacouta, habitait les bords du
marigot de Simotto-Ouol, qui se jette dans la Gambie, tout près du
village de Oualiba-Counda, dans le Fouladougou, à trois kilomètres
environ au Sud-Ouest de Yabouteguenda. Ce marabout avait
dans son village une grande influence et sa renommée lui avait
attiré bon nombre de disciples qui lui étaient venus des autres
villages du Ghabou. Le Ghabou est ce vaste pays Malinké situé sur
la rive gauche de la Gambie dont s’empara Alpha-Molo et auquel on
donne aujourd’hui le nom de Fouladougou. De nos jours, MoussaMolo, fils du précédent, y a succédé à son père et y règne en véritable
tyran. Les agissements de Simotto-Moro ne tardèrent pas à éveiller
la défiance d’Alpha-Molo, qui résolut de se débarrasser d’un voisin
qui menaçait de faire échec à son autorité naissante. Averti à temps
et ne se voyant plus en sûreté dans son petit village du Ghabou,
Simotto-Moro, à la tête de deux ou trois mille individus, traversa la
Gambie à Yabouteguenda et vint demander au Massa-Ouli (chef du
Ouli) de l’autoriser à s’établir dans son pays et de lui accorder dans
ce but pour lui et ses compagnons une concession de terrain suffi
sante. Le Massa, enchanté de voir ainsi s’augmenter le nombre de
ses sujets,lui répondit qu’il pouvait s’installer avec sa suite partout
où il lui conviendrait dans son territoire. Le vieux marabout n’en
demandait pas plus. Aussi son choix fut-il vite fait. Sur les bords
du marigot de Maka-Doua, qui sépare le Ouli du Sandougou, il
avait remarqué depuis longtemps des terres fertiles et une bonne
position pour y construire un village. C’est là qu’il demanda à se
fixer. Non-seulement le Massa y consentit, mais encore il lui
envoya son frère Penda-Mahmady avec quatre cents hommes pour
l’aider à construire un sagné et un tata. Sous la conduite du
marabout, en peu de mois, le nouveau village fut élevé et solidement
fortifié. (1 ne se contenta pas d’entourer ses nouvelle demeures d’un
fort sagné (palissade formée de pièces de bois jointives, plantées
en terre et hautes d’environ trois mètres), et d ’un épais tata, il fit en
plus creuser autour de ces premières défenses deux larges et
profonds fossés, l’un extérieur et l’autre intérieur au sagné. Le
nom de Toubacouta fut donné au nouveau village.
A l’abri de ses murailles et n’ayant plus rien à redouter d’Alpba-
�ANDRE RANÇON
Molo et de ses Peullis, le vieux marabout continua ses prédications
et sa renommée ne fit que croître dans tous les pays riverains de
la Gambie. Pendant bon nombre d’années on ne parla que de lui
dans toute la région, et son nom de Simotto-Moro (marabout du
Simotto du nom du marigot sur les bords duquel il avait d’abord
habité et commencé sa carrière religieuse) était dans la bouche de
tous les bons Musulmans. Il ne tarda pas à essayer de profiter de
la situation exceptionnelle qu’il s’était faite, et chercha maintes
fois à faire naître les occasions d’en imposer à son généreux hôte.
Massa-Ouli ne résista pas, et, tant est grande la crainte que les
marabouts inspirent aux populations non musulmanes du Soudan,
qu’il n’osa jamais contrecarrer les desseins du vieux marabout.
Cela fut une grande faute comme on le verra plus loin. Les choses
restèrent pourtant en état jusque vers 1875, époque à laquelle
Ousman-Gassy, fils de Boubakar Saada. almamy du Bondou, orga
nisa une petite colonne dans le Ferlo-Bondou et marcha contre
Toubacouta. En arrivant devant le village, il reconnut, mais trop
tard, que ses forces étaient insuffisantes pour qu’il puisse s’en
emparer. Il se contenta de faire caracoler ses cavaliers jusque sous
les murs de la place, et, après avoir échangé une vive fusillade
avec les défenseurs, il se retira avec une vingtaine de prisonniers.
Il traversa alors la Gambie et se rendit auprès de Moussa-Molo pour
l’aider à réprimer la révolte qui venait d’éclater dans toute la
région ouest du Fouladougou.
Mais à l’instigation de Simotto-Moro, Massa-Ouli se plaignit à
Boubakar-Saada delà conduite d’Ousman-Gassy. Ses récriminations
n’eurent aucun effet, et, de ce fait, le marabout ne lui pardonna
pas de ne pas avoir tiré vengeance de l’affront qui lui avait été
fait. Son mépris et sa honte pour son hôte s’envenimèrent chaque
jour et il ne songea plus qu’à lui faire payer cher sa lâcheté vis-à-vis
de l’almamy du Bondou. Ses vœux ne tardèrent pas à être exaucés.
Vers la fin de 1876 ou au commencement de 1877, les marabouts
Mour-Seïny et Biram Cissé, lieutenants de Mahmoudou-Dadi, roi
du Saloum, qui venait de soumettre tout le Niani, levèrent une
colonne de deux ou trois mille hommes et marchèrent contre le
Ouli. Si Simotto-Moro ne leur donna pas de guerriers, il leur
donna, du moins, tous les renseignements nécessaires pour faciliter
leurs entreprises, et, en effet, Médina, qui était alors la capitale
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
du pays, lut. pris d’assaut et Massa-Ouli fut réduit à s’enfuir avec
quelques cavaliers qui lui servirent d’escorte. Cependant, les
guerriers du Ouli ne perdirent pas courage. Penda-Mahmady et
Dally-Manoma, frères du Massa, réussirent à en rallier deux ou
trois cents environ, avec lesquels ils allèrent s’embusquer au gué
de Paqueba, sur la rivière Sandougou, afin de barrer la route à
l’ennemi et lui couper toute retraite. Le surlendemain matin,
Mour-Seïny et les siens se présentèrent pour traverser le gué. Les
guerriers du Ouli les reçurent à coups de fusil. Le combat s’en
gagea et après deux heures d’une lutte acharnée, le Ouli lâcha
pied et ses guerriers se débandèrent en laissant sur le champ de
bataille bon nombre de morts et de blessés, qui furent presque
tous achevés par les Ouolofs de Mour-Seïny. Dans cette journée, le
Ouli avait perdu ses meilleurs guerriers, au nombre desquels se
trouvaient six princes de la famille régnante, dix ou douze captifs
de la couronne et cinquante à soixante hommes.
Mour-Seïny rentra triomphalement à Koussalan (Niani) après
avoir mis à sac le Ouli et satisfait ainsi la vengeance de SimottoMoro, qui ne crut même pas devoir cacher tout le plaisir que lui
causait la défaite et la ruine de son hôte.
Jusqu’en 1881, époque à laquelle il mourut, la paix ne fut pas
troublée. Son fils Dimbo, qui lui succéda, hérita de la haine que
son père avait vouée aux Oualiabés (famille régnante du Ouli) et
aux Sissibés (famille régnante du Bondou). Aussi, en 1886, lorsque
le marabout Mahmadou-Lamine se sauva de Dianna devant la
colonne du colonel Galliéni, ce fut à Toubacouta, auprès de Dimbo,
qu’il alla se réfugier et-reconstituer son armée. Dès lors, ce
village devint le repaire de tous les brigands et de tous les rebelles
du Niani, du Sandougou, en un mot, de tous les pays Mandingues
riverains de la Gambie et du Saloum.
Cet état de choses ne pouvait durer longtemps ainsi sans expo
ser les pays alliés de la France à devenir encore la proie des
colonnes de Mahmadou-Lamine. Le colonel Galliéni, alors com
mandant supérieur du Soudan Français, obligé de se rendre en
toute hâte sur les bords du Niger où sa présence était urgente,
résolut, pour tranquilliser les populations et pour surveiller les
agissements du marabout pendant l’hivernage, d’établir un poste
provisoire dans le pays. A cet effet, il chargea le lieutenant indigène
�ANDRE RANÇON
Yoro-Coumba, des tirailleurs sénégalais, de se rendre dans le
Bondou et dans les pays riverains de la Gambie, afin d’entamer des
relations suivies avec les habitants et de ramener à nous ceux qui
tenaient encore pour Mahmadou-Lamine.
Le lieutenant s’acquitta avec intelligence et succès de sa
mission et put s’avancer jusqu’à Yabouteguenda sur la Gambie, à
une journée de marche de Toubacouta. Dans ce périlleux voyage, il
n’était accompagné que de dix tirailleurs sénégalais et d’une cen
taine de cavaliers du Bondou que commandait Ousinan-Gassy.
Notre ami Abdoul-Séga, chef de Koussan-Almamy, lui servait d’in
terprète et de secrétaire. Saada Ahmady, le nouvel almamy du
Bondou, n’avait pu l’accompagner jusqu’à Yabouteguenda et était
resté à Nétéboulou, village distant d’une étape de ce dernier.
Yoro-Coumba, revenu à Sini, la capitale du Ouli, dans la der
nière quinzaine d’avril 1887, y reçut l’ordre deM.le colonel Galliéni
de revenir dans le Bondou et d’y choisir un endroit convenable non
loin du Niéri-Kô pour y établir le poste d’observation.
11 fit choix de Bani-Israïla, village du Diaka, province tributaire
du Bondou. Tous les habitants de ce village, musulmans fana
tiques, avaient suivi le marabout Mahmadou-Lamine dans sa fuite.
Mais peu après que le lieutenant s’y fut établi ils commencèrent
à revenir et peu à peu le village se repeupla. Du reste, depuis son
arrivée dans le pays, il n ’avait cessé d’envoyer des émissaires dans
lesÉtats voisins pour annoncer à ceux qui s’y étaient réfugiés qu’ils
pouvaient sans crainte retourner dans leurs villages respectifs..
Ce fut dans la première quinzaiue.de mai 1887 que le capitaine
Fortin fut nommé, par M. le colonel Galliéni, commandant du poste
de Bani-Israïla et de la colonne qui, au retour de la belle saison,
devait opérer contre Toubacouta. Il s’établit à environ cinq ou six
cents mètres au Sud-Est du village, en un endroit assez élevé d’où
l’on domine toute la plaine environnante. Il construisit là un poste
des mieux fortifiés et capable de résister à toutes les attaques du
marabout. La garnison en était relativement peu nombreuse, mais
suffisante cependant pour tenir la campagne sans crainte d’essuyer
un échec. Fortin n’avait avec lui, en effet, qu’une compagnie de
tirailleurs sénégalais que commandait le lieutenant Bénard, ayant
sous ses ordres le lieutenant indigène Yoro-Coumba, dont la
mission était terminée. Monsieur le pharmacien de deuxième
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
47
classe Liotard était chargé d’assurer le service de l’ambulance, et
deux interprètes, dont l’un était notre ami Abdoul-Séga de
Koussan-Almamy, étaient à la disposition du commandant. Le
commandant du cercle de Bakel était chargé d’assurer le ravitaille
ment de la petite colonne.
Au milieu de ce pays dévasté, et malgré les privations de
toutes sortes et les maladies qui l'assaillirent à cette époque si
malsaine dans les pays chauds, la petite troupe que commandait
notre ami ne se laissa jamais aller au découragement et traversa
victorieusement ces pénibles épreuves. Tous, à l’exemple de leur
chef, rivalisèrent de courage et de dévouement, et l’on peut dire
que cette campagne fut une des plus glorieuses et des plus intelli
gemment conduites de toutes celles que nous avons entreprises
au Soudan.
Mettant à profit l’inaction forcée à laquelle le condamnait la
saison des pluies, le capitaine Fortin noua des relations très
suivies avec les pays riverains de la Gambie et obtint de leurs
chefs la promesse qu’ils arrêteraient le marabout s’il venait à
se réfugier chez eux.
Vers la fin du mois de juillet, le Niéri-Kô n’était plus guéable et
l’inondation était telle qu’il était devenu absolument impossible,
en cas de besoin, de mobiliser la garnison de Bani. Fortin
tourna la difficulté en envoyant dans le Ouli Ousman-Gassy avec
une centaine de cavaliers et deux cents fantassins. Ousman-Gassy
alla camper à Sini. Grâce à ses dispositions, Sini put repousser
victorieusement les attaques du marabout et lui infliger même
une cruelle défaite, mais Ousman-Gassy ne put arriver à temps
pour secourir Nétéboulou, dont Mahmadou-Lamine réussit à
s’emparer par surprise.
Entre temps, Fortin négocia activement avec le roi du Fouladougou, Moussa-Molo, et réussit à conclure avec lui un arrangement
en vertu duquel notre nouvel allié franchit la Gambie et installa
tout le long de ce fleuve, jusqu’à Mac-Carthy, sur la rive droite,
des postes de guerriers destinés à barrer la route au marabout,
dans le cas où Toubacouta pris, il voudrait fuir et chercher un
refuge sur la rive droite. Dans le même but, il enjoignit aux
Massa-Diambour et Massa-Coutia (Kalonkadougou) de marcher
avec leurs guerriers contre Mahmadou-Lamine si, par hasard, il
�ANDRE RANÇON
venait à s’enfuir vers le Nord. Les mêmes précautions étaient prises
vers l’Ouest et Ousman-Celli, chef de Oualia (Sandougou), l’alcati
(chef) de Koussalan et tous les autres chefs Ouolofs et Torodos du
Niani s’étaient engagés à l’arrêter s’il fuyait vers leurs pays res
pectifs.
Tout était, comme on le voit, savamment combiné. Rien n’était
laissé au hasard, à l’imprévu. La réussite était certaine, et c’en était
fait de la puissance du marabout.
Toutes ces dispositions prises, Fortin n’attendit plus pour agir
que les ordres du colonel et les renforts qui lui étaient annoncés.
— Le 22 novembre 1887, ils arrivèrent. C’étaient deux compagnies
de tirailleurs sénégalais commandées par le. lieutenant Chaleil,
ayant sous ses ordres les lieutenants Pichon et Poitout, une section
d’artillerie commandée par le lieutenant Le Tanhouézet. En plus,
le lieutenant Levasseur, de l’état-major du Soudan, et le docteur
Fougère, médecin de deuxième classe de la marine, étaient mis à la
disposition du commandant de la colonne expéditionnaire.
Enfin, le 28 novembre au soir, après avoir organisé ses troupes,
Fortin quittait Bani et marchait contre Toubacouta. La colonne
arriva rapidement à Sini, d’où une colonne volante fut expédiée à
Passamassi pour couper la retraite à l’ennemi s’il tentait de fuir
vers le Kantora. Le 5 décembre, la colonne campe à Soutouko, le 6
à Dalla-Bà, à trois kilomètres de l’ennemi. Cette dernière idarche se
fit de nuit pour ne pas éveiller les soupçons des rebelles. Enfin, le
7, au point du jour, on arrive devant Toubacouta. Immédiatement,
le feu est ouvert. Toubacouta est mitraillé et livré aux flammes.
Mais le marabout, qui, par hasard, n’avait pas couché cette nuit-là
dans le village, put échapper et s’enfuir vers le Sandougou. Sans
perdre de temps, Fortin lança à sa poursuite Ousman-Gassy et
Moussa-Molo avec leurs cavaliers. Ils l’atteignirent au village de
N’goga-Soukouta. Moussa Molo, l’ayant fait cerner et tuer par ses
cavaliers, lui fit trancher la tête par un de ses griots, qui l’apporta
au capitaine Fortin, à Toubacouta. Ainsi se termina cette glorieuse
campagne, et tel fut, sauf erreurs, ce brillant fait d’armes, trop peu
connu en France et qui fait le plus grand honneur au capitaine
Fortin, aux courageux officiers et aux vaillantes troupes qui le
secondèrent si bravement.
Après avoir laissé à l’Ouest les ruines de l’ancien village de
�BANS LA HAUTE-GAMBIE
49
Toubacouta et franchi le marigot de Maka-Doua, nous gravissons le
versant peu incliné de la colline sur laquelle s’élève le nouveau
village de Toubacouta. Comme nous l’avons dit plus haut, nous
sommes là dans le Sandougou. Je fus, du moins en apparence, bien
reçu par les habitants de ce village désormais célèbre. J ’eus pour
logement une case vaste, spacieuse, carrée, bien aérée et ne ressem
blant en rien aux cases que j’avais habitées jusqu'à ce jour. Je me
rappelle encore combien grand fut mon étonnement et ma satis
faction de me voir ainsi logé et j’en témoignai au chef tout mon
contentement.
Je n’ai pas besoin de dire qu’il me fit mille protestations d’amitié
et de dévouement. On verra par ce qui suit que ses actes furent loin
d’être en accord avec ses paroles. D’abord, contrairement aux
usages de tous les pays noirs, il ne m’envoya rien pour mes repas,
et ce ne fut que lorsque Sandialui eût fait part de mon étonnement
qu’il se décida à faire préparer du couscouss pour mes hommes que
je lui payai comptant, bien entendu. Je puis dire qu’à part les
villages Coniaguiés, où nous en fûmes réduits à la portion congrue,
ce fut à Toubacouta que je fus le plus mal hébergé : aussi ma sur
prise fût-elle extrême quand il me montra une attestation de la
mission de délimitation des possessions anglaises et françaises en
Gambie, qui avait séjourné dans son village quelques mois aupa
ravant, par laquelle le plus grand éloge était fait de la généreuse
hospitalité qu’il leur avait offerte. Ce ne fut que dans la soirée qu’il
revint à de meilleurs sentiments et qu’il vint m’offrir un mouton
que je refusai impitoyablement.
La journée se passa sans autre incident qu’un violent orage
accompagné d’une pluie diluvienne, et l’arrivée d’un envoyé de
Guimmé-Mahmady, chef du Sandougou, qu’il avait chargé de venir
me chercher là pour me conduire à Missira, sa résidence.
Pendant toute la nuit, la pluie tomba à torrents. Elle ne cessa
que vers deux heures du matin, et nous pûmes au point du jour
partir pour Missira. J ’aurais été désolé d’être forcé de rester un
jour de plus à Toubacouta. La réception qui m’y avait été faite
était loin de m’y engager.
Le nouveau village de Toubacouta est situé à environ vingt-etun kilomètres de Barocounda et à neuf kilomètres de la Gambie. Sa
population, formée uniquement de Malinkés musulmans, est environ
André Rançon. — 4.
�50
ANDRÉ RANÇON
cle six cents habitants. Il est bien construit, bien entretenu et d’une
propreté remarquable pour un village noir. J'en fus littéralement
charmé. Il est absolument ouvert et ne possède ni tata, ni sagné.
Ses environs sont bien cultivés et il est entouré des lougans.les
mieux entretenus et des plus belles rizières de la région. Son trou
peau est relativement nombreux et chaque propriétaire possède en
quantité moutons, chèvres et poulets.
Toubacouta appartient aujourd’hui à l’Angleterre. Il est compris
dans la zone de terrain que nous lui avons cédé par le traité du
10 août 1889.
Le marigot de Maka-Doua, qui forme la limite du Ouli à l’Ouest
et le sépare du Sandougou, se jette dans la Gambie à la hauteur de
Fatatenda. Il est formé par deux branches dont l’une, le Maka-Doua,
proprement dit, passe entre les deux villages de Toubacouta
l’ancien et le nouveau, et l’autre, le Douga-Kô, passe à Dalésilamé.
Ses bords sont couverts de magnifiques rizières et de beaux lougans
de mil et d’arachides.
De Sini à Toubacouta, la nature du sol change progressivement
au fur et à mesure que nous descendons vers le Sud et que nous
approchons des rives de la Gambie. Nous trouvons bien encore les
argiles compactes aux environs de Sini et de Canapé. Elles appa
raissent encore aux environs de Toubacouta et de Barocounda;
mais d’une façon générale, c’est la latérite qui domine dans toute
cette région, et aux environs de la Gambie, les marais et les a 11uvions récentes. Aussi le terrain est-il là d’une richesse et d’une
fertilité étonnantes. Les collines elles-mêmes que nous avons tra
versées sont excessivement boisées et le sol en est encore recouvert
par une épaisse couche d’humus qui les rendent supérieurement
fertiles. Les plateaux ferrugineux et rocheux ont presque complè
tement disparu. Parfaitement arrosés par de nombreux marigots
qui débordent, chaque année, les environs des villages sont couverts
de belles rizières. Le mil, arachides, maïs et toutes les autres
plantes cultivées par les indigènes y prospèrent à merveille.
La flore y est plus belle que dans les régions plus septentrionales
et les grandes espèces botaniques s’y développent d’une façon
remarquable. N’tabas, Fromagers, Baobabs, Rôniers, grandes Légu
mineuses, etc.,etc., y atteignent des proportions énormes. La brousse
elle-même y est si vivace et y acquiert une hauteur telle, que, dans
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
51
les sentiers, qui, dans ces régions, servent de route, cavaliers et
chevaux disparaissent complètement sous la verdure.
Le Dougoura. — C’est dans cette région que j’ai vu les derniers
spécimens d’un beau végétal que j’avais rencontré en abondance
dans le Bondou, le Tiali, le Niéri et la région Nord-Ouest du Ouli.
Les indigènes lui donnent le nom de « Dougoura ». C’est un
bel arbre qui atteint des proportions énormes, et, qu’à la forme de
sa graine, j’ai cru reconnaître appartenir à la famille des Térébinthacées. Son tronc volumineux, droit, élancé, s’élève parfois à six ou
huit mètres de hauteur. Il émet à ce niveau des branches maîtresses
énormes qui donnent elles-mêmes un grand nombre de rameaux.
Son écorce est épaisse, profondément fendillée, et si on y pratique
une incision intéressant toute son épaisseur, il en découle un suc
blanc laiteux, épais et poissant les doigts et exhalant une odeur
prononcée de térébenthine. Son bois est blanc, dur, et parfois les
indigènes s’en servent pour fabriquer des mortiers à couscouss.
Ses feuilles peu épaisses et peu touffues sont d’un vert tendre,
luisantes, et leur forme rappelle un peu celle de l’Acacia de nos
jardins. Je n’en ai jamais vu la fleur. Le fruit est des plus carac
téristiques et permet de reconnaître de loin l’arbre qui le porte.
Il croît à l’extrémité des jeunes rameaux. Sa forme et sa couleur
rappellent celles du citron. Sa grosseur est celle du poing à peu
près. Quand il est vert, il adhère fortement à la tige qui le porte. Il
tombe à maturité complète et, sous les arbres, le sol en est parfois
couvert, car il est excessivement abondant. Son épicarpe relative
ment épais laisse couler à l’incision une notable quantité de suc
blanc semblable à celui que l’on obtient en incisant le tronc, mais
plus fluide. La membrane qui le recouvre est mince, luisante et de
la couleur d’une peau de citron arrivé à maturité. Le sarcocape est
formé par une pulpe abondante d’un jaune clair dans laquelle sont
noyées les graines qu’entoure un spermoderme membraneux peu
résistant. Cette pulpe, très savoureuse, est fort appréciée des indi
gènes et nous nous en sommes fréquemment régalés. Les graines
sont volumineuses. Chaque fruit en contient dix ou douze au
maximum. Elles ont la forme d’une grosse fève dont les cotylédons
énormes se séparent aisément. Elles sont entourées d’une enve
loppe brune qui se détache aisément lorsqu’elles sont restées
quelques heures à l’air et au soleil. L’embryon volumineux est
�ANDRE RANÇON
très apparent par les deux cotylédons. C’est une”Burséracée dont il
il n ’a pas été possible de faire la détermination exacte à cause de
l’absence des fleurs.
Ce fruit est très rafraîchissant et constitue une précieuse res
source pour les indigènes de ces régions qui, dans les temps de
disette, en font une abondante consommation.
���CHAPITRE III
Le Ouli. — Situation. — Limites. — Aspect général du pays. — Hydrologie. —
Orographie. — Constitution géologique du sol. — Flore. — Productions du
sol — Cultures. — Faune. — Animaux domestiques. — Populations, — Ethno
logie. — Rapports du chef du pays avec les différents villages. — Rapports du
Ouli avec les autorités françaises. — Conclusions.
Le Ouli. — Situation. — Limites. — Le Ouli, comme tous les
États Noirs, n’a pas de limites bien déterminées et n’a, pour
ainsi dire, pas de frontières naturelles. Il n’y a qu’au Sud et
au Sud-Ouest qu’elles soient, depuis peu, du reste, définitive
ment fixées. Toutefois, nous pouvons dire qu’il est à peu
près compris entre les 12°25’ et 16c27 minutes de longitude
ouest et les 13°16’ et 13°46’ de latitude Nord. Au Nord, il
confine au Kalonkadougou ; à l’Ouest, au Sandougou ; au Sud,
il est borné par la Gambie qui le sépare du Kantora. Au
Nord-Est, il confine au Ferlo-Bondou et au Diaka. Enfin, à
l’Est, il touche au Tenda. Si nous prenons sa ligne frontière
à la Gambie, au Sud de Toubacouta, nous verrons qu’elle se
dirige d’abord, du Sud-Est au Nord-Ouest, jusqu’au marigot de
Maka-Doua qui le sépare du Sandougou. De là, elle se dirige
directement au Nord jusqu’aux environs de Paquira. Elle passe
là entre ce dernier village, qui est du Ouli, et Diabaké, qui
est du Kalonkadougou. De là, elle se dirige au Sud-Est jusqu’au
marigot de Kokiara, qui sépare le Ouli du Ferlo-Bondou. Les
ruines de l’ancien village de Kokiara appartiennent au Ouli.
En quittant ce point, la ligne frontière se dirige au S.-S.-O.
jusqu’aux environs des ruines de Moundoundou qui sont au
Ferlo-Bondou. Des ruines de Moundoundou, sa direction est
Sud-Est jusqu’au marigot de Touloufa près de la mare de
Pireté. De ce point, sa direction est franchement S.-S.-E.
jusqu’à la Gambie, où elle aboutit. De là, à l’embouchure du
�54
ANDRÉ RANÇON
marigot de Maka-Doua, la Gambie forme la frontière Sud du
Ouli. Les limites que nous venous de donner sont celles que
avons pu obtenir par reuseignements ; mais, nous le répétons,
elles n’ont rien de certain et ne peuvent être qu’approximatives.
Le Ouli, comme on le voit, est un pays assez étendu. Il
mesure dans ses plus grandes dimensions, de i’Est, à l’Ouest,
130 km. et du Nord au Sud, 70 km. Ces mensurations, bien
entendu, sont faites à vol d’oiseau et d’après renseignements.
Elles n’ont donc rien d’absolument exact. On comprendra
aisément, d’après ce qui précède, qu’il soit impossible de lui
assigner une forme quelconque.
Description géographique. — Aspect général. — Si l’on visite
le Ouli, on pourra reconnaître facilement que l’aspect du
pays change presque brusquement du Nord au Sud. La partie
Nord, environ jusqu’à Konjour, Sini, Nétéboulou, appartient à
à cette sorte de zone intermédiaire entre les pays arides,
les steppes de la Sénégambie et les pays de forêts des régions
tropicales qu’arrosent les rivières du Sud. La partie Sud qui
s’étendrait depuis la ligne mentionnée plus haut jusqu’à la
Gambie appartient absolument à la région tropicale du Sud. Du
reste, ces différences apparaîtront plus frappantes encore, lorsque
nous traiterons de la géologie et de la flore du pays. Quoiqu’il
en soit, l’aspect général du Ouli diffère absolument de celui des
autres pays du Soudan français. On s’aperçoit rapidement que
l’on parcourt une région fertile, et l’on n’éprouve pas cette pénible
sensation que nous donnent les solitudes arides et désolées des
environs de Badumbé et du Fouladougou, par exemple. Nulle
part, dans le Ouli, on ne trouve de ces collines nues et stériles,
comme on en voit aux environs de Kita, Koundou et même
Bammako. En tout temps, celles du Ouli, surtout dans le Sud,
sont couvertes d’une puissante végétation qui plaît à l’œil du
voyageur et le repose. Tout autre est l’aspect du pays compris
entre le Kokiara, Tambacounda, Nétéboulou, Dialakoto et la
Gambie. Cette partie du Ouli, absolument déserte et inhabitée,
rappelle les environs du Tankisso et de Siguiri. C’est la brousse
absolue, dans toute l’acception du mot, et sur les bords de la
Gambie le marais infect et pestilentiel. C’est la région des grandes
solitudes Soudaniennes, le pays qu’habitent de préférence les
���DANS LA HAUTE-GAMBIE
55
éléphants et le sanglier. Ce sont les territoires des grandes chasses
des gens du Tenda.
Hydrologie. — A ce point de vue, le Ouli tout entier appartient
au bassin de la Gambie. Ce fleuve, qui forme la frontière sud,
reçoit tous les marigots qui arrosent le Ouli. Presque tous ont
de l’eau pendant l’année entière, plus ou moins croupissante,
mais enfin, ils en ont. Pendant l’hivernage, le fleuve et les mari
gots débordent et l’inondation couvre de très grandes étendues
de terrain. Les eaux, en se retirant, laissent déposer un limon
très fertile où les indigènes, à la fin de la saison sèche, font
leurs plus belles rizières. Quoiqu’il en soit, l’inondation n’atteint
jamais une hauteur considérable, 20 à 30 centimètres au plus.
Cela tient à ce que le fleuve et les marigots sont profondément
encaissés.
De Dialacoto au marigot de Malta-Doua, la Gambie a un cours,
excessivement sinueux. Elle se dirige d’abord d’une façon génésale du Sud-Est au Nord-Ouest, jusqu’au marigot de Bira-Kô.
Elle reçoit dans ce parcours deux marigots : le Niéri-Kô et le
Bira-Kô.
Le Niéri-Kô est, après le Sandougou, le plus important de la
région. C’est une véritable rivière. Dans le Ouli, il ne reçoit que le
Touloufa-Kô non loin duquel se trouve le petit village de Dialacoto.
A 25 kilomètres environ au Nord-Ouest du Niéri se jette le Bira-Kô,
marigot de peu d’importance.
Du Bira-Kô, la Gambie se dirige au Sud-Ouest puis brusquement
au Nord-Ouest jusqu’au Faraba-Kô, formant ainsi un vaste coude
qui embrasse toute la partie Est du Ouli qui est inhabitée.
Durant ce parcours, elle reçoit, dans la partie ascendante du
coude, deux petits marigots qui lui apportent les eaux d’un lac
d’assez grande étendue qui se trouve non loin de là. Quelques
kilomètres plus loin, elle reçoit le Niaoulé-Kô, enfin l’embouchure
du Faraba-Kô se trouve dans la partie la plus septentrionale de la
branche ascendante du coude. Cet important marigot reçoit dans le
Ouli, le marigot de Faratatoto, qui passe a Tambacounda,
le marigot de Kokiara et celui d’Idakoto. Ces deux derniers
communiquent également avec le Sandougou ou Badiara-Kô. Le
Faraba-Kô reçoit encore le Godjieil-Kô, dont un petit affluent, le
�56
ANDRÉ RANÇON
marigot de Naoudé, passe à Naoudé dans le Ferlo-Bondou, et
communique aussi avec le Sandougou.
Du Faraba-Kô au Maka-Doua, la direction générale de la Gambie,
abstraction faite des nombreux méandres que présente son cours,
est Est-Ouest. Depuis Dialacoto jusqu’au Faraba-Kô, aucun village
ne s’élève ni sur l’une ni sur l’autre de ses rives. Après avoir reçu
un petit marigot, le Coumba-Kondou-Kô, le fleuve est à quelques
kilomètres en amont de Yabouteguenda absolument barré par un
banc de roches d’environ une centaine de mètres de largeur. Ce
banc s’étend presque d’une rive à l’autre, ne laissant le long de la
rive gauche qu’un étroit chenal d’environ 15 mètres de largeur.
L’eau coule avec fracas entre les roches. Pendant l’hivernage, il est
recouvert par les eaux, et, pendant la saison sèche, les roches sont
à nu, et, entre elles croissent des arbustes, comme il en croît dans
les barrages du Sénégal. En tout temps, malgré la rapidité du
courant, pirogues et chalands à fond plat peuvent le franchir; mais
la navigation y est de tout temps impossible pour les bateaux
calant plus de 0 m. 50 c. Il se nomme le barrage de KokonkoTaloto.
A environ un kilomètre du barrage de Kokonko-Taloto la Gambie
reçoit le marigot de Nétéboulou,sur les bords duquel est construit le
village de même nom. Ce marigot est navigable, en toute saison,
jusqu’à Genoto, à 5 kilomètres de Nétéboulou, où se trouvait
autrefois un petit village de traitants qui fut détruit pendant la
guerre du marabout Mahmadou-Lamine. On en voit encore les
ruines aujourd’hui. A 7 ou 8 kilomètres de là se jette le Bakanan-Kô
dont une des branches passe à Sini et l’autre à Makadian-Counda.
A 15 kilomètres environ du barrage de Kokonko-Taloto, en
aval, se trouve le petit village de traite de Yabouteguenda, non
loin duquel s’élève celui de Fatoto. A 25 kilomètres en aval de ce
dernier la Gambie reçoit le marigot de Bouboulalo, qui passe à
Badia-Counda, et dont un des affluents, le Sinadiassa-Kô, passe à
Bambako. Enfin, à la hauteur de Fatatenda, dans la direction de
Toubacouta, se jette le marigot de Maka-Doua, qui sépare le Ouli
du Sandougou et dont une des branches, le Douga-Kô, passe à
Dalésilamé. Comme on le voit, la partie Sud du Ouli est abon
damment arrosée, surtout à partir de Nétéboulou. Aussi est-elle
excessivement fertile.
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
57
La partie Nord est bien moins arrosée. On n’y trouve que le
Sandougou ou Badiara-KÔ, qui est encore bien faible dans cette
région. Sa branche principale passe à Koussanar et il reçoit un
grand nombre de petits affluents insignifiants qui n’ont même pas
reçu de noms particuliers.
Nous serions incomplets, si nous ne mentionnions pas les
nombreuses mares qui se trouvent dans le Ouli et sur toutes les
routes. Nous ne citerons que les plus importantes : la mare de
Sounkou et la mare de Diadala dans la partie Est, la mare de
Barribi dans la partie Nord, les mares de Naumicoi et de DalabaTiamoye dans la partie Sud. L’eau de ces mares peut être utilisée
pendant la saison sèche, bien qu’elle ne soit pas d’une qualité
supérieure.
Dans les villages situés sur les bords du fleuve, c’est son eau
qui sert aux usages journaliers. Elle est absolument excellente.
Il en est de même dans certains villages situés près des marigots,
bien que souvent leur eau laisse beaucoup à désirer. Enfin, dans
beaucoup de villages, et c’est la majorité, on se sert de l’eau de
puits. Ces puits, excessivement profonds dans le Nord, le sont
moins dans le Sud. L’eau en est très bonne. Nous traiterons plus
longuement cette question dans le chapitre qui aura pour objet la
constitution géologique du sol du Oubi.
Orographie. — Le Ouli ne possède pas, à proprement parler, de
système orographique véritable et bien défini. On y rencontre,
par-ci par-là, des reliefs de terrain peu accentués, des collines de
peu d’élévation, mais rien de bien caractérisé, surtout au Nord.
Aux environs de Koussanar, notamment, se trouvent des collines
de peu d’étendue, huit à dix kilomètres au plus, renfermant de
belles vallées. Cependant, pour mettre un peu de méthode dans la
description orographique de ce pays, on peut admettre, à la
Tigueur, l’existence de trois plateaux bien distincts dont se
détachent les collines principales qui sillonnent le Ouli.
1° Le plateau de Tamba-Counda, peu élevé, 100 à 450 mètres au
maximum au-dessus de la plaine, et d’où se détachent : 1° deux
rangées parallèles de collines se dirigeant vers Licounda et
Barocounda. Le Sandougou coule dans la vallée qui les sépare;
2° une colline plus élevée se dirigeant vers le Sud, d'une longueur
de huit kilomètres environ ; 3° une série de collines plus élevées
�ANDRE RANÇON
entre lesquelles coule le Godjieil-Kô et se dirigeant vers l’Est.
Entre ces deux séries de collines, on trouve le marigot de
Tambacounda ou de Faratatoto. Toutes ces collines sont peu
élevées. Ce sont à peine de petits reliefs de terrain.
2° Le plateau de Nétéboulou, d’où partent deux rangées de
collines se dirigeant vers le Sud et entre lesquelles on trouve le
marigot de Nétéboulou. Au S u d , l’horizon est borné par les
collines qui longent à peu de distance la Gambie. La plaine
marécageuse du Genoto sépare le plateau de Nétéboulou de celui
de Sini.
3° Le plateau de Sini, le plus important des trois, pourrait, à la
rigueur, être considéré comme la clef du système orographique du
Ouli. Ce plateau a environ 10 kilomètres de long sur 8 de large.
Sa plus grande dimension est de l’Est à l’Ouest et sa plus petite
du Nord au Sud. Il commence, à l’Ouest, à environ trois kilomètres
du village et se termine, à l’Est, à la plaine de Genoto. De ce plateau,
partent deux séries de collines : la première, qui se dirige vers le
Sud-Est, vient se terminer au Bouboulalo-KÔ, la seconde, qui se
dirige au Sud d’abord jusqu’aux environs de Passamassi, se dirige
ensuite vers l’Ouest en suivant la Gambie jusqu’aux environs de
Sameteguenda (rive gauche). De là, elle remonte vers le Nord pour
se terminer aux environs de Soutouko.
Outre ces trois grandes divisions orographiques, on trouve
encore dans le Ouli bon nombre de petites collines de huit à
dix kilomètres de longueur et qui ne font partie d’aucun de
ces systèmes. Nous citerons celles qui s’étendent entre le SinaDiassa-Kô et le Bouboulalo-Kô, et celles qui sont situées aux
environs de Goundiourou, Boukari-Counda et sur la route de
Tambacounda à Nétéboulou, au Nord de ce dernier village.
L’orographie de la partie Est du Ouli est des plus simples.
Quelques collines isolées entourent Dialacoto. Une chaîne peu
importante longe la Gambie dans le grand coude qu’elle fait
entre le Bira-KÔ et Faraba-Kô.
En résumé, le Ouli est plutôt un pays plat, de plaines, qu’un
pays montagneux. Il n’y a guère que sa partie Sud-Ouest, comme
nous l’avons vu, qui présente des reliefs de terrain de quelque
importance. A l’Est, à part la chaîne qui longe la Gambie, nous ne
trouvons qu’une immense plaine de plus de soixante kilomètres
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
59
de longueur sur trente environ de largeur et qui n’est coupée
par aucune hauteur qui mérite d’être signalée.
Ces collines sont, en général, peu élevées. Leurs plus grandes
hauteurs n’atteignent pas 175 mètres. Elles sont excessivement
boisées mais non cultivées. Leurs flancs présentent généralement
une pente assez raide d’où toute terre végétale est entraînée
dans la plaine par les pluies torrentielles de l’hivernage. Aussi
le sol en est-il profondément raviné, et la roche se montre-t-elle
à nu presque partout.
Constitution géologique du sol. — La constitution géologique du
sol du Ouli diffère sensiblement dans la partie Nord, la partie Sud
et la partie Est. Toute la partie Est est formée d’un sous-sol de
terrain ardoisier dont les quartz et les schistes sont les roches
principales. La croûte terrestre est formée d’argiles compactes et
d’alluvions anciennes que recouvre un sable fin et blanc en cer
tains endroits, sable qui est le résultat de la désagrégation des
roches. Les collines y sont formées surtout de grès, quartz et con
glomérats ferrugineux.
Les parties Nord et Nord-ouest présentent une constitution
mixte. Là, on trouve, en effet, les argiles compactes alternant
avec la latérite. Cette dernière, qui n’est qu’une argile durcie
et dense d'une couleur rouge brique, renferme des cristaux de
quartz et donne une terre d’une merveilleuse fertilité. Le soussol est formé de terrain ardoisier en certains endroits. En
d’autres, ce sont les quartz et les terrains ferrugineux qui
dominent. C’est surtout aux environs de Tambacouuda, Nétéboulou, Sini, Goundiourou, Koussanar, qu’apparaît la latérite^
Le plateau de Sini en est presque uniquement formé.
Les parties Sud et Sud-Ouest présentent une toute autre
constitution. Là, en effet, nous ne trouvons plus que de rares
ilôts d’argiles compactes. C’est la latérite qui domine presque
partout. Aux environs des marigots nous trouvons quelques
marais dont le sol est formé d’argiles compactes que recouvre
une couche relativement épaisse d’alluvions anciennes et récentes.
Ces marais sont tous excessivement fertiles.
Dans tout le Ouli, enfin, la roche se montre à nu eu certains
endroits et constitue des plateaux plus ou moins étendus
absolument nus et stériles. Par places, ces plateaux, en général
�60
ANDRÉ RANÇON
formés de grès, quartz et roches ferrugineuses, constituent de
véritables cuvettes, qui, remplies d’eau par les pluies d’hivernage,
se transforment en mares dont quelques-unes sont encore
relativement profondes.
Nous avons dit plus haut que les puits des villages du Ouli
étaient très profonds dans la partie Nord et qu’ils l’étaient
moius dans la partie Sud. Dans la partie Nord, à Koussanar
et à Goundiourou notamment, nous en avons vu qui mesuraient
jusqu’à quarante mètres de profondeur. Cela nous a permis de
constater quels étaient les différents terrains qui formaient le
sol de cette partie du Ouli. Nous avons pu ainsi constater la
disposition suivante : 1° couche de sables très fins ; 2° couche
de latérite (elle fait souvent défaut) ; 3° argiles compactes ;
4° terrain ardoisier (quartz, schistes, roches ferrugineuses) ;
5° couche de sables non constante et enfin la masse d’eau sou
terraine reposant sur la roche (rare) ou les argiles. L’eau de ces
puits est d’excellente qualité. Cela tient à ce qu’elle a, en
général, filtré entre les couches de sables profondes.
L’eau des puits de la région Sud et de la région Sud-Est est
moins bonne. Disons tout d’abord qu’on la trouve à une profondeur
moins grande, 12 à 15 mètres environ. Là, la disposition des
couches varie un peu. Nous trouvons, en effet : 1° une première
couche de latérite que recouvre parfois une couche assez
épaisse d’humus ; 2° couche rocheuse formée de grès et de quartz, et,
en quelques endroits très rares, de gneiss ; 3° couche d’argiles ;
4° couche de sables non constante et toujours peu épaisse ; 5° enfin
une couche d’argiles limoneuses sur laquelle repose la masse d’eau
souterraine. Il résulte de ces dispositions que l’eau de ces puits a
souvent uu aspect blanchâtre et un goût terreux très prononcé.
Malgré cela, bouillie et filtrée, elle est encore potable. Comme on
le voit par la description qui précède, le sol du Ouli appartient au
système géologique du Ferlo et du Bondou dans le Nord. Au Sud,
c'est le commencement des terrains que nous retrouverons dans
le Sandougou et le Ouli.
Sol. —Production du sol. — Cultures.— La constitution géologique
du sol nous apprend quelle doit être la flore du Ouli. En effet, au
Nord, nous ne trouvons, ainsi qu’à l’Est, que des essences absolu
ment rachitiques. Seuls, à l’Est, les bords de la Gambie sont cou-
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
61
verts d’une belle végétation. Mais c’est à peine si elle s’étend à
quelques centaines de mètres du fleuve. Pas de futaies, on dirait
que le sol n’est pas assez fort pour nourrir ce qui vit à sa surface.
Arbres tordus, aux formes bizarres, étranges, herbes maigres,
minces, ténues, brûlées par le soleil avant d’être arrivées à leur
complet développement, tel est l’aspect que présentent ces deux
parties du Ouli. Au Norü, les Acacias, les Mimosées abondent.
C’est avec quelques Ficus tout ce que nous trouvons de plus impor
tant à signaler. Nous retrouvons absolument la flore pauvre du
Bondou.
A mesure que nous avançons dans le Sud, elle se modifie pro
fondément, et, déjà, aux environs de Goundiourou et de Siouoro,
nous voyons apparaître des végétaux d’une taille plus élevée. On
rencontre quelques rares Caïl-Cédrats (1) et quelques belles Légu
mineuses ; mais il faut arriver jusqu’à Sini pour voir se développer
la belle flore des tropiques. Déjà aux environs de ce village, nous
trouvons quelques beaux Ficus, et à Sini même, dans la cour du
chef, se dresse un superbe N’taba (Sterculiacée). A partir de Sini,
la végétation devient de plus en plus puissante, Caïl-Cédrats,
N’tabas, Ficus, Bambous gigantesques, Légumineuses énormes y
viennent à merveille, et lorsque l’on arrive sur les bords de la
Gambie, on est stupéfait en voyant les dimensions que prennent
les végétaux qui y croissent. En résumé, la flore du Ouli tient à
la fois de celle de la région des steppes Sénégambiennes et Soudaniennes et de celle des régions tropicales des rivières du Sud.
Les productions du sol, dans de semblables conditions, doivent
varier considérablement. Dans les régions du Nord et de l’Est, à
part Tambacounda, Licounda et Goundiourou, le reste du pays est
peu cultivé. La région Est est absolument inhabitée, stérile et
inculte. Les villages du Nord sont entourés de lougans de mil (2.)
Les variétés qui ne demandent que des terres faibles y sont
surtout cultivées. Outre le mil, nous y rencontrons encore le maïs,
mais en petites quantités, enfin quelques rares lougans d’arachides,
bordés par de nombreux pieds d’oseille indigène. Dans les petits
jardins qui entourent les villages, se trouvent de belles plantations
(1) K h a ja senegalensis A de Jussieu ; c'est le Quinquina du Sénégal, bon
fébrifuge par son écorce.
(2) Sorgho vulgare Pers.
�ANDRE RANÇON
de tabac, de tomates indigènes. Mentionnons aussi quelques
lougans de coton. — Autrement plus riches sont les cultures dans
la région du Sud. Lougans immenses de mil, d’arachides (1) se
rencontrent à chaque instant. Les variétés de mil les plus riches
y sont cultivées surtout aux environs des villages Peulhs. Les
arachides y abondent et sont très estimées dans le commerce. Le
coton forme un des principaux produits du pays et on en
récolte assez pour que les tisserands soient occupés, toute
l’année, à fabriquer ces petites bandes d’étoffes qui, dans ces
régions, servent de monnaie pour les transactions commerciales.
Citons encore le maïs, en général peu cultivé, enfin le riz dont
les plantations commencent à apparaître à Tambacounda et à
Nétéboulou, mais qui n ’a pas encore l’importance que nous lui
verrons dans le Sandougou. Autour des villages, on cultive du tabac,
tomates, gombos (2), oseille, et Cucurbitacées les plus variées,
diabérés, oussos, indigo, etc., etc. Comme on le voit, les cultures
sont assez variées dans le Sud du Ouli ; mais la production n’est
pas encore ce qu’elle pourrait être. Cela tient à ce que là, comme
partout ailleurs, au Soudan, le noir est esclave de la routine et
des préjugés superstitieux de sa race. Aussi est-ce toujours,
malgré tout ce que l’on peut dire, les mêmes procédés tout à fait
primitifs et absolument insuffisants, qu’ils emploient.
Faune. — Animaux domestiques. — La faune est moins riche que
dans bien d’autres parties du Soudan. A l’Est, dans cette partie
du Ouli déserte qui confine au Tenda, on trouve l’éléphant assez
fréquent. Seules les populations du Tenda se livrent à sa chasse,
qui est assez fructueuse. Ils mangent sa chair et échangent les
défenses d’un ivoire très fin et d’excellente qualité, contre le
sel, les kolas, étoffes, etc., etc., qu’ils trouvent soit à Mac-Carthy,
soit à Bathurst. Le sanglier y est très abondant, mais on ne le
chasse pas. Les habitants, étant musulmans pour la plupart, ne
mangent pas sa chair. Dans le fleuve et les marigots, les hippo
potames vivent en grand nombre. Ils sont également l’objet d’une
chasse suivie. Les habitants en mangent la chair et vendent les
défenses. Dans les autres parties du Ouli, on rencontre parmi les
carnassiers : le guépard, le lynx, le chat-tigre. Parmi les animaux,
(1) Arachis h jp o g œ a L.
(2) Hibiscus esculentus L.
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
3
nous citerons la gazelle, la biche, le singe vert, le rat Daman
et quelques rares Hyrax. L’antilope fait absolument défaut. —
Mentionnons enfin une grande variété d’oiseaux de toutes sortes
aux plumages les plus variés et les plus colorés. La perdrix
grise, l’outarde, la tourterelle, le pigeon, la caille de Barbarie sont
les principaux oiseaux que l’on y peut chasser pour leur chair :
elle est assez bonne.
Les animaux domestiques y sont relativement nombreux et
l’objet de soins particuliers. Les Ouolofs et les Peulhs élèvent une
grande quantité de bœufs, petits mais de bonne qualité. Le Malinké,
proprement dit, n’en élève que fort peu. Je n’ai jamais pu savoir
pourquoi. « Ils ne savent pas faire », disent-ils. Par contre, on
trouve dans leurs villages, en grande quantité, chèvres, moutons
etc., etc. Les poulets abondent dans toutes les régions et il est
même quelques villages qui élèvent quelques canards de Barbarie.
Les chiens sont très nombreux. Dans tous les villages, ce sont les
agents les plus actifs de la voirie. Les chats sont en bien plus petit
nombre. Le noir, en général, n’aime pas cet animal.
Populations. — Ethnologie. — Le Ouli est loin d’être aussi peuplé
que le voudrait son étendue. Cela tient à la fois aux guerres anté
rieures qu’il a eu à soutenir contre les Sissibes du Bondou, à sa
mauvaise administration et à la passion qu’ont pour les captifs les
Maliukés qui le gouvernent. Il est habité par des Malinkés propre
ment dits, des Malinkés Musulmans, des Ouolofs, des Peulhs et
des Sarracolés. Le territoire appartient aux Malinkés. Sa popu
lation peut s’élever au grand maximum à dix mille habitants
environ, soit deux habitants par kilomètre carré.
1° Malinkés proprement (lits. — Si l’on en croit la légende, les
premiers Malinkés qui habitèrent le Ouli y vinrent à la suite de
Siré-Birama-Birété, l’un des lieutenants de Soun-Djatta, le grand
héros du Mandiug. Cette première invasion se perd dans la nuit
des temps, et il nous est impossible de lui assigner une date
quelconque. Ils quittèrent les bords du Niger et vinrent se fixer
dans cette partie du Soudan dont ils avaient entendu vanter la
fertilité et la richesse en gibier. On ne trouve plus trace dans le
pays de ces premiers colons et tout porte à croire qu’ils en ont
été chassés par les Malinkés qui s’y trouvent maintenant et qu’ils
franchirent la Gambie pour aller se fixer dans le Ghabou, aujourd’hui
�ANDRE RANÇON
Fouladougou,d’où les chassèrent dans celte seconde partie du siècle
les Peulhs de Moussa-Molo et de son père. La seconde migration
Malinkée est de date plus récente. Elle eut lieu à la suite des
guerres perpétuelles que leur faisaient les almamys du Bondou.
Les Ouali ou Oualiabés, les chefs actuels du pays, habitaient autre
fois le Bondou sur les deux rives de la Falémé aux environs des
villages actuels de Tomboura et de Sansandig. Continuellement en
butte aux attaques des Almamys, qui, sous prétexte de religion, les
pillaient et les rançonnaient sans merci, ils émigrèrent en masse
et un beau jour vinrent se fixer avec plusieurs autres familles dans
le Ouli, d’où ils chassèrent les premiers habitants. Ils sont depuis
restés les maîtres du pays. Autour d’eux, vinrent dans la suite se
fixer d’autres familles qui émigrèrent du Bambouek. C’est ainsi
que dans le Ouli, outre les Oualiabés, nous trouvons des Camaras,
des Damfas, des Bamés, N’Dao, Nanki, Guilé, Néri, Diata. Ces
derniers habitaient jadis les bords de la Falémé, au village de
Kakoulou. Paté-gaye, fils de l’almamy Malta-Guiba du Bondou vint
un beau jour sans aucun motif attaquer leur village et s’en empara.
Ceux des habitants qui échappèrent au massacre ou ne furent pas
faits captifs quittèrent le pays et vinrent fonder le village de Tambacounda. Quand ils arrivèrent dans le pays, ils ne trouvèrent là
qu’une seule case, un seul captif qui y faisait ses lougans. Ils lui
demandèrent l’hospitalité et ainsi s’éleva le village de Tainbacounda
du nom du captif qui les avait recueillis. Counda en Mandingue du
sud signifie village : Donc, Tainbacounda veut dire : « village de
Tamba ». Ces Malinkés sont encore appelés Contoucobés; mais leur
nom véritable est Diata. La plupart des familles qui vinrent dans
le Ouli, à la suite des Oualiabés, habitent actuellement les mêmes
villages et se sont presque fondues entre elles. D’autres, au con
traire, et c’est le petit nombre, ont formé des villages particuliers.
Voici, du reste, les noms des villages Malinkés proprement dits du
Ouli avec les noms des familles qui les habitent.
Siîii (Oualiabés), résidence actuelle du chef du pays,est aussi
appelé par les habitants Sansanto.
Siouoro (Oualiabés).
Makadian-Counda (Oualiabés).
Bokari-Counda (village de captifs appartenant au chef du
Ouli, Massa-Ouli).
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
65
Licounda (Oualiabès).
Colondine (Oualiabès)'
Tainbacounda (Diata ou Contoucobès).
Kotiaré (N’Dao).
Côumbidian (Gamara).
Koussanar (Camara).
Sané (Camara).
Plusieurs villages de Malinkés, proprement dits, sout actuel
lement en ruines et inhabités. Les habitants sont allés se fixer
dans les autres villages. Ce sont :
Fafidgi, Bambako, Kanhadi, Niani, Médina.
Les Malinkés du Ouli sont ce que nous les avons toujours vus
partout : sales, puants, dégoûtants, fainéants et ivrognes. Ils
n’ont qu’une pensée, qu’un but, ne rien faire et s’enivrer. Aussi,
pour atteindre ce but, ne cherchent-ils qu’une chose, avoir, par
tous les moyens possibles, assez de captifs pour faire cultiver
leurs lougans. Je ne crois pas exagérer en disant, qu’à part les
grandes familles, les autres sont plus ou moins captifs les unes
les autres. Avant qu’ils soient soumis à notre autorité, c’étaient
des pillards de première classe. Tambacouuda avait, sous ce
rapport, une célèbre réputation. Le malheureux dioula qui s’y
aventurait y était toujours dévalisé et souvent roué de coups.
Depuis qu’ils nous obéissent, la sécurité règne dans le pays.
Les villages sont mal entretenus et tombent en ruines. Toujours,
par paressé, les tatas ne sont plus que des décombres. Ils sont,
du reste, devenus inutiles depuis notre occupation. Les rues des
villages sont absolument dégoûtantes, et, si les chiens ne se
chargeaient pas de les nettoyer, ce serait partout une véritable
infection. Il y a sous ce rapport beaucoup à faire. En résumé,
le Malinké est fort peu intéressant quand on l’étudie chez lui.
2° Malinkés musulmans. — Outre les Malinkés dout nous
venons de parler, il en est d autres que l’on désigne sous le nom
de « Marabouts » parce qu’ils pratiquent la religion de l’Islam.
Sont-ce bien des Malinkés convertis simplement à la religion du
prophète ? nous en doutons? Ils n’ont absolument rien du Malinké,
ni les mœurs, ni les habitudes, ni même la saleté. Leurs traits
sont fins et rappellent ceux du Peulh ou du Toucouleur. Ils n’ont
rien du visage simiesque du Malinké. En outre, leurs villages
André Rançon. — 5.
�66
ANDRÉ RANÇON
sont plus propres, mieux entretenus et diffèrent absolument de
ceux des Malinkés proprement dits. Sont-ce des Mandingues,
des représentants de la race mère. Nous ne le croyons pas davan
tage. Nous serions plutôt portés à admettre que ce sont des métis
Toucouleurs et Malinkés. Tout semblerait le prouver. Ce sont des
musulmans fanatiques, comme le Toucouleur dont ils portent le
costume. Ils sont fins et rusés et affectent dans leurs vêtements
une grande propreté.
Nous ne faisons là, du reste, qu’une simple supposition. Ils
ont des origines si diverses qu’il est bien difficile de préciser leur
histoire. Ils forment, en effet, une population fort hétérogène, venue
de différents pays du Soudan. D’après les renseignements que nous
avons pu recueillir ce seraient des dioulas venus du Manding, du
Bambouck ou d’ailleurs et qui, ayant fait fortune, se seraient fixés
dans le pays, attirés par sa fertilité, et y auraient ainsi fondé les
villages qu’ils habitent aujourd’hui. Voici les noms de ces villages
avec indication des familles et pays d’origine :
Nétéboulou. (Sinatés-Niagatés)............................
Passamassi (Baio)....................................................
Soutouko (Diabaio)..................................................
Baclia-Counda (Badia)........................ ....................
Dalésilarné (Cammagatés).......................................
Limbanboulou (Diakankés)...................................
Baro-Counda (Baro)..............................................
Medina-Coutci (Camara).........................................
Piraï (Camara).......................................................
Samé (Camara).......................................................
Kérouané (Baio)......................................................
Soutouho-Niacoué (Badia).......................................
Biroufou (Dabo)......................................................
Fodé-Coundct (Sinatés-Niagatés)............................
Dassalcim (Cammagatés).........................................
Guidioumé.
Bambouck.
Bambouck.
Manding.
Manding.
Diaka.
Bambouck.
Bambouck.
Bambouck.
Bambouck.
Bambouck.
Manding.
Bambouck.
Guidioumé.
Manding.
Pendant la guerre contre le marabout Mahmadou--Lamine,
beaucoup d’entre eux prirent parti pour lui, et, après sa défaite, ne
revinrent pas dans le pays. D’autres, au contraire, s’enfuirent à son
approche, et disparurent également. Il en est résulté que l’on ren
contre surtout dans le Sud du Ouli quantité de villages en ruines
�67
DANS LA HAUTE-GAMBIE
qui même ne tarderont pas à disparaître complètement. Voici les
noms des principaux de ces villages.
Mamacoto.................
Canapé....................
Morecounda.............
Sabouciré.................
Mountogou...................
Boutovncli....................
Soumacounda...............
Kouakan......................
Màhadian-Counda.
Dougoutabassi.
Dembaboulou.
Fadiga-Councla.
Ces musulmans jouissent dans le Ouli d’une liberté absolue. Ils
obéisseut au chef Malinké, dont ils reconnaissent l’autorité qui ne
se fait jamais beaucoup sentir, du reste. Ils cultivent en paix, et,
entre temps, font du commerce.
Il existe aussi daus le Ouli deux villages de Diakankés. Ce sont :
Dialacoto, le seul village de la partie Est, et Limbanboulou.
Dialacoto, à vrai dire, vu son éloignement, ne fait partie que
nominativement du Ouli. Ses affaires sont dans le Tenda, plutôt.
Une partie de sa population se compose de Malinkés, proprement
dits. Les Diakankés sont de fougueux musulmans. Ils vivent
tranquilles dans leur village et un peu à l’écart de leurs voisins.
3° Ouolofs. — Us sont désignés par les Malinkés sous le nom de
Sourouaou. Venus du Saloum et du Bondou, ils ont fondé dans
le Ouli plusieurs villages remarquables par les belles cultures
qui les entourent. Ils sont musulmans, mais, en général, peu
pratiquants. Chassés du Saloum par la guerre et du Bondou
par les exactions des Almamys, ils vivent en paix dans le Ouli,
nullement tracassés par les maîtres du pays. Ce sont avec les
Peulhs, les grands agriculteurs de cette région. Ils n’ont que fort
peu de captifs et font tout par eux-mêmes. Aussi leurs lougans
sont-ils les plus beaux que nous ayons vus. Ils élèvent aussi
beaucoup de boeufs, moutons et chèvres.
Leurs villages, comme ceux des Ouolofs des autres pays, sont
construits en paille, tiges de mil ou bambous jointifs. Ils sont
aussi sales et aussi mal entretenus que ceux des Malinkés. Je fais
toutefois une exception pour Goundiourou, qui m’a paru propre et
en bon état. Voici les noms des villages Ouolofs du Ouli
Tatoto.............
y’Dohhar.........
Goundiourou........ Ahmady-Faali-Counda
Passi..................... Diaecounda,... Diabaké.
Nous ne saurions trop les favoriser, car ce sont des gens pai-
�68
ANDRÉ RANÇON
sibles et travailleurs, ce qui est rare dans ce pays, où la fai
néantise est à l’ordre du jour.
4° Sarracolés. — Trois villages de Sarracolés venus du Bondou
pour les mêmes motifs qui en ont fait partir les Ouolofs, s’élèvent
non loin d’autres villages. Ce sont : Goundiourou, près des Ouolofs;
Dalésilamé, près d’un village Malinké musulman du même nom ;
Badiaga-Counda, près du village Malinké qui se nomme ainsi.
Musulmans, comme leurs voisins, les Sarracolés vivent en bonne
intelligence avec eux et cultivent paisiblement leurs champs de
mil et d’arachides. Ils ne font pas parler d’eux, ce qui est une
bonne note pour un village noir ; car lorsqu’il fait parler de lui,
ce ne peut être qu’en mal.
5° Peulhs. — Les Peulhs du Ouli sont relativement très nom
breux. Ils y vivent depuis que les Malinkés s’y sont établis, et
sous leur protection, qu’ils paient peut-être un peu cher, comme
nous le verrons plus loin. Ils n’ont aucune religion et s’enivrent
comme de véritables Malinkés. D’où sont-ils venus? on n ’en sait
trop rien. Cependant voici une version qui m’a été donnée et qui
pourrait bien être la bonne surtout en ce qui concerne les dernières
migrations Peulhes dans le Ouli.
Lorsque le père de Moussa-Molo, le chef actuel du Fouladougou,
Alpha-Molo, vint dans le pays pour en faire la conquête, son armée
était presque uniquement composée de Peulhs venus de partout se
joindre à lui. C’est avec eux qu’il conquit le Ghabou et en chassa
les Malinkés qui se réfugièrent dans le Sandougou, le Niani, le
Damentan, le Bassaré et le Coniaguié. A leur place, il installa ses
Peulhs et donna au pays le nom de Fouladougou (Pays Peulh) qu’il
a conservé depuis. Mais, peu après, n’ayant plus les Malinkés à
piller, il pressura ses propres sujets. Alors commença vers le Niani,
le Ouli et le Sandougou, cette émigration Peulhe qui n’a fait que
continuer depuis que Moussa-Molo a succédé à son père et s’est
livré aux mêmes rapines et aux mêmes exactions. Ce serait alors
que les Peulhs de Fouladougou vinrent se fixer dans le Ouli, il y
a une soixantaine d’années environ. Les Malinkés leur donnèrent
l’hospitalité ; mais ils la leur font payer en les pressurant encore
plus que Moussa-Molo.
Ils ont fondé dans le Ouli un grand nombre de villages de
culture entourés de beaux lougans. Le Peulh est comme le Ouolof,
�69
DANS LA HAUTE-GAMBIE
il n’a pas ou peu de captifs et fait ses travaux lui-même. Leurs
villages sout en paille, provisoires, car il aime le changement et ne
construit jamais d’une façon définitive. Ils élèvent quantité de
bœufs et sont une véritable richesse pour le pays. Le Peulh est
aussi sale et aussi puant que le Malinké, mais il est excessivement
travailleur, dans le Ouli, du moins, qualité qui manque absolu,
ment à ce dernier. Voici les noms des villages Peulhs du Ouli.
Canapé..................
Passamassi...........
Suo-counda...........
Ilo-counda.............
(ielaio-counda.......
Tabandi.................
Candé-counda.......
Saré n’dougo ..
Marosouto
Koursacoto___
Demou-counda.
Codiara-counda
Coumbali.........
Ouro-Sara-dado
Tiamoye.
Saré-Dialloubé.
Sara-Dadoa.
Collinkan.
Farato.
Boro.
Situation et organisation politiques. — La famille des Oualiabés
est, avons-nous dit, la famille régnante du Ouli. Le chef porte
le titre de Massa et ses fils prennent le nom de Massara (fils du
Massa). Le sol du pays est sa propriété et les habitants ne
sont, pour ainsi dire, que des usufruitiers. Avant notre arrivée,
il pouvait disposer de leurs biens à sa guise, et même les
chasser, s’il le voulait.
Comme on le voit, c’était l’absolutisme dans toute l’accep
tion du mot. Aujourd’hui, il n’en est pas ainsi. Malgré cette
apparence de pouvoir, disons de suite que l’autorité du Massa
est absolument nulle et que l’on ne trouverait pas dans tout
le Ouli un seul captif qui lui obéisse.
L’ordre de succession se fait par ligne collatérale. Aussi les
Massas sont-ils des vieillards abrutis, ivrognes et sans énergie.
On comprend ce que doit être l’autorité entre pareilles mains.
Les fils, les frères, les cousins, etc., etc., du chef en profitent
pour commettre mille et mille exactions qu’ils savent parfai
tement devoir rester impunies. En réalité, l’autorité du Massa
se borne simplement à juger les affaires entre particuliers et
entre villages. C’est un juge plutôt qu’un chef véritable. Mais
il ne juge pas en dernier ressort, au-dessus de lui se trouve
le commandant du cercle et le gouverneur.
Chaque village s’administre lui-même et comme bon lui
�ANDRE RANÇON
semble. Le chef est maître dans son village. Il n’existe aucun
impôt et le Massa n’en peut exiger aucun. Il n’y a que les
Peulhs qui soient absolument surchargés de redevances, non
par le chef, mais par les membres de sa famille. Bœufs, mil,
arachides, chaque jour on leur demande quelque chose, et de
telle façon qu’on leur fait comprendre qu’on le prendra, s’ils
ne le donnent pas. Je me suis toujours demandé pourquoi les
habitants des pays Malinkés regardaient les Peulhs qui habi
taient leur territoire comme de véritables serfs taillables et
corvéables à merci. Ce sont pourtant des hommes libres. Je n ’ai
jamais mieux compris la situation faite aux Peulhs dans les
pays où ils viennent demander l’hospitalité, qu’un jour, où
Sandia, l’intelligent chef de Nétéboulou, me faisant ses doléances
sur sa pauvreté (notez qu’il possède environ 150 captifs, ce qui
est dans le pays une fortune énorme), me dit, entre autres
choses qu’il n ’avait pas : « Je n’ai pas ceci, je n’ai pas cela,
je n'ai pas de Peulhs ». Il paraîtrait, d’après les renseignements
que j’ai pris, que c’est un fait acquis. Le Peulli est l’homme
du chef sur le territoire duquel il habite, et, comme tel, il
peut être pressuré à gogo. Actuellement, les choses en étaient
arrivés à un tel point dans le Ouli que les Peulhs étaient
décidés à émigrer dans le Fouladougou, si nous n’améliorions
pas leur situation. Il fallut que Monsieur le commandant du
cercle de Bakel s’y rendit pour arranger sur les lieux les
affaires. Il réussit à leur donner une organisation qui fut
acceptée par les intéressés des deux partis.
Il n’en est pas de même pour les Ouolofs, les Marabouts
Malinkés et des Sarracolés. Ils marchent absolument sur le même
pied que les Malinkés du pays et y jouissent des mêmes droits
et des mêmes privilèges.
Rapports du Ouli avec les autorités Françaises. — Ce n’est que
depuis 1886, après la colonne de Dianna,que le Ouli s’est placé sous
notre protectorat, et a conclu avec le colonel Galliéni, alors
commandant supérieur du Soudan Français, le traité par lequel il
reconnaît notre autorité: jusqu’à l’année dernière, il relevait du
commandant du cercle de Bakel aux points de vue administratif,
politique et judiciaire. Actuellement, depuis les nouvelles dispo
sitions qui ont distrait du Soudan Français tous les pays situés
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
71
à l’Ouest de la Falémé, sauf Bakel et son territoire, pour les placer
sous l’autorité du Gouverneur du Sénégal, le Ouli fait partie de
cette colouie, et j’ai appris depuis peu qu’un administrateur
colonial devait être placé dans cette région afin d’y faire sentir
plus efficacement l’action du pouvoir central. Cette mesure aura
surtout pour effet d’augmenter considérablement notre influence
dans ce pays qui, vu son éloignement, y échappait un peu. Jusqu’à
ce jour, notre intervention dans ses affaires a eu un réel résultat.
Cela a été d’en faire disparaître le brigandage et la chasse aux captifs
qui y étaient fort en honneur. Mais notre rôle ne doit pas se borner
là seulement et nous avons plus encore à y faire.
Conclusions. — Nous avons vu que le Ouli était un pays pauvre
dans certaines de ses parties, mais riche et fertile dans d’autres,
notamment dans le Sud. Il suffirait de peu d’efforts pour en faire
un pays bien plus productif qu’il n ’est. Pour cela il faudrait rendre
aux Massas leur autorité et, pour cela, établir un impôt régulier
qui leur serait payé par tout le pays, le dixième de la récolte, comme
cela existe dans bien d’autres pays Noirs, leur faire comprendre en
même temps qu’ils dépendent de nous entièrement et qu’ils ne
sont rien que par nous. En second lieu, faire aux Peulhs une
situation plus sortable, les y attirer le plus possible. Il faudrait y
créer un courant commercial, soit vers Bakel, soit vers la Gambie,
en favorisant la création d’escales sur les bords de ce fleuve. Enfin,
il serait bon que chaque année, le commandant du cercle ou tout
autre fonctionnaire délégué du gouverneur et muni des pouvoirs
nécessaires, le visite en détail afin d’y régler les affaires en suspens.
Nous sommes persuadés que ces quelques mesures sagement et
prudemment mises en pratique auraient des résultats immédiats et
donneraient au pays une prospérité inconnue jusqu’à ce jour.
�-
—
CHAPITRE IV
Dépurt de Toubacouta. — Beaux lougans de mil. — Le Caïl-cêdrat. — Arrivée
à Dalésilamé. — Village Sarracolé et village Malinké Musulman. — Rencontre
d’un dioula. — De l’hospitalité chez les Indigènes. — Souma-Counda. — De
Souma-Counda à Missira. — Cordiale réception. — Guimmé-Mahmady, chef du
Sandougou. — Séjour à Missira. — Visite des chefs des villages du Sandougou. —
Beurre, lait, kolas en abondance. — Violente tornade. — Départ de Missira. —
Vastes champs d’arachides. — Pioche spéciale pour les arracher. — Le
Diabéré. — Diakaba. — Nombreux papayers. — Sidigui-Counda.— Saré-fodé.—
Saré-Demba-Ouali. — Son chef Demba. — Visite du frère de Maka-Cissé, chef
du sandougou occidental. — Cordiale réception des Peulhs. — Puces et
punaises — Départ de Saré-Demba-Ouali. — Le village Ouolof de Tabandi. —
Arrivée au village Toucouleur Torodo de Oualia. — Ousman-Celli, son
chef. — Belle réception. — Belle case. — Excursion au Sandougou. — SaréDemboubé. — Le Sandougou frontière du Niani et du Sandougou. — Le gué de
Oualia. — Description de la route de Toubacouta au Sandougou. — Le Baobab.—
Le K in kélibah . — Violent accès de lièvre.
A cinq heures quarante minutes du matiu, nous quittons Tou
bacouta. La pluie qui est tombée à torrents pendant toute la nuit
a détrempé le chemin. Aussi est-il devenu excessivement glissant
et n’avançons-nous qu’avec mille précautions. De plus, la brousse
est excessivement haute et nous fouette à chaque instant le
visage. En peu de temps les gouttes d’eau dont elle est couverte
nous ont complètement inondés. Heureusement les nuages se
sont dissipés au lever du jour et le soleil qui va paraître ne
tardera pas à nous sécher.
L’envoyé de Guimmé-Mahmady, le chef du Sandougou, che
vauche en tête de la caravane et nous montre le chemin. Aussi
marchons-nous sans hésitation aucune. La route ne présente,
du reste, aucune difficulté. Elle se déroule au milieu de vastes
et beaux lougans de mil, bien cultivés.
Cette région est certes une des plus fertiles que j’aie visitées
au Soudan. Toutes les plantes qui servent à l’alimentation des
r*!».W **
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
73
l CuULL üv
indigènes y croissent d’une façon remarquable. Le mil, entre
autres, y donne un rendement considérable et bien supérieur à
celui des mils des autres régions. Les variétés qui sont cultivées
là ne sont pourtant pas différentes de celles des pays voisins. Le
sol est plus riche et les cultivateurs plus soigneux et plus tra
vailleurs, et voilà tout.
Depuis mon départ de Kayes, je n’avais vu, par-ci par-là, que
quelques rares échantillons de Cail-cédrat, ce beau végétal, si
commun et si précieux dans certaines régions du Soudan Français.
G’est là que je commençai à le retrouver en notable quantité et
que j’en vis des spécimens vraiment remarquables.
Le Cail-cédrat est un bel arbre qui atteint des proportions fort
remarquables. Les indigènes du Soudan le désignent presque par
tout sous le nom de « Diala ». C’est le Khaya Sénegalensis G. et Per.
de la famille des Cédrélacées. Sa tige, droite, prend parfois de telles
dimensions qu’on y peut creuser des pirogues de toutes pièces. Je
me souviens avoir franchi la Gambie à Sillacounda (Niocolo) dans
une embarcation de ce genre, qui n’avait pas moins de quatre
mètres de longueur sur cinquante centimètres de largeur et trentecinq de profondeur. Elle avait été creusée dans une seule bille de
Cail-cédrat, ce qui permet de supposer que l’arbre qui l’avait
fournie devait être énorme.
Son écorce est large, cintrée, fendillée légèrement, rougeâtre
et couverte d’un épiderme presque lisse et d’un gris blanchâtre.
Sa cassure est grenue en dehors, puis un peu lamelleuse et formée
en dedans par une série simple de fibres ligneuses aplaties et
agglutinées. Elle est dure, cassante, fort lourde, amère et légère
ment odorante. Si on y pratique une incision intéressant toute son
épaisseur, il s’écoule par la blessure un liquide rougeâtre qui se
coagule à l’air libre en une petite masse résineuse de couleur
brune très foncée. Si, enfin, on fait brûler des morceaux de ce
bois, la fumée qu’ils donnent exhale une odeur douce et caracté
ristique. Aussi est-il impossible de s’en servir pour faire cuire des
aliments grillés ou rôtis, car ils s’en imprègnent tellement qu’ils
sont, de ce fait, absolument exécrables à manger. Les cendres que
l’on obtient en faisant brûler le Cail-cédrat à l’air libre renferment
une grande quantité de nitrate de potasse, et sont d’une blancheur
immaculée. C’est, du reste, à la présence de ce sel, je crois, qu’il
�ANDRE RANÇON
faut attribuer la propriété toute particulière que possède ce végétal
de brûler rapidement, même lorsqu’il est vert. Je me souviens,
étant à Koundou, avoir ainsi enflammé une planche de Caïl-cédrat,
rien qu’en y posant mon cigare allumé. En quelques minutes,
cinq centimètres carrés se consumèrent de ce fait.
Le bois est rouge foncé et rappelle celui de l’acajou par sa
couleur et sa texture. C’est pourquoi ce végétal a été souvent
appelé 1’ « Acajou du Sénégal ». Il est dur et très cassant, même
lorsqu’il est vert. Malgré cela, on en fait à Saint-Louis et au Soudan
de beaux meubles et, en France, il pourrait servir pour les travaux
d’ébénisterie les plus délicats.
Les feuilles composées sont d’un beau vert foncé et persistent
toute l’année. La floraison a lieu de la fin d’avril à la fin de mai ou
au commencement de juin. Les fleurs sont d’un blanc légèrement
jaunâtre.— Calice à préfloraison imbriquée. — Etamines définies,
régulières. — Styles soudés. — Fruit rond adhérent fortement au
pédoncule, ne tombant pas à maturité. — Loges pluriovulées. —
Graines ailées. — Embryon inclus dans le périsperme qu’il égale
presque.
Les indigènes utilisent le Caïl-cédrat pour la construction de
leurs cases et de leurs pirogues, et pour la fabrication de certains
ustensiles de ménage, tabourets, pilons et mortiers à couscouss.
Mais c’est surtout comme médicament qu’il est le plus souvent
employé. On s’en sert surtout contre la fièvre intermittente, la
blennorrhagie, les diarrhées rebelles, et comme topiques pour
panser certaines plaies de mauvaise nature.
La même préparation plus ou moins concentrée sert contre les
fièvres intermittentes, la blennorrhagie et les diarrhées rebelles.
On prend environ trente à cinquante grammes d’écorce fraîche que
l’on fait bouillir dans un litre d’eau jusqu’à ce que la liqueur soit
réduite d’un tiers à peu près. On y ajoute environ dix ou 15 grammes
de sel et on se l’administre en deux fois dans la journée. Cette
liqueur est excessivement amère et nous l’avons vu réussir assez
fréquemment, sur des noirs particulièrement. Dans les cas de
blennorrhagie, on emploie de préférence la macération et je
pourrais citer le nom d’un jeune métis de Saint-Louis qui s’en est
très bien trouvé. L’action fébrifuge de l’écorce de Cdil-cédrat serait
due à une matière colorante rouge qui y est très abondante et à un
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
75
principe neutre, amer, qui a été isolé par Caventou, et auquel il a
donné le nom de Cdü-cédrin. Quoiqu’il en soit, l’action de ce
principe comme fébrifuge est bien inférieure à celle du sulfate de
quinine.
En ce qui concerne le traitement des plaies de mauvaise nature,
je crois devoir laisser ici la parole à mon excellent ami, le capitaine
Binger, qui s’en est servi avec succès. Voici ce que dit, à ce sujet,
le célèbre explorateur sur son mode d’emploi : « On fait cuire un
» morceau d’écorce du poids de un kilogramme environ dans
» deux litres d’eau et on laisse réduire à un litre. Cette prépara» tion sert à laver et à nettoyer la plaie. Un autre morceau d’écorce
» fraîchement coupé est pilé dans un mortier à mil jusqu’à ce
» qu’on obtienne un morceau de pâte. Cette pâte est séchée au
» soleil, les gros résidus sont enlevés et la poudre qui reste est
» employée à saupoudrer la plaie après chaque lavage. La croûte
)) qui ne tarde pas à se former est enlevée tous les jours jusqu’à ce
» que toute trace de suppuration ait disparu et que la plaie ait
» l’aspect sanguinolent. On cesse ensuite les lavages et l’on se
» contente de saupoudrer les parties non recouvertes de croûte.
» J’ai vu ce remède réussir sur un de nos mulets qui avait une
» plaie au côté. » Pour nous, nous l’avons vu également employer
avec succès par un indigène de Koundou qui avait à la face
externe de la jambe gauche une plaie qui suppurait depuis long
temps et qui lui était survenue à la suite de plusieurs furoncles
mal soignés et de mauvaise nature. Nous ne saurions trop recom
mander ce remède à ceux qui se trouveraient dans le cas de
l’expérimenter et d’en déterminer exactement les propriétés
curatives.
Après une heure de marche nous arrivons à Dalésilamé, où
nous faisons la halte sur la place principale du village, sous un
magnifique ficus.
Dalésilamé. — Dalésilamé est un village d’environ 650 habi
tants. Sa population est formée à parties égales de Malinkés
Musulmans et de Sarracolés. Il y a, à proprement parler, deux
villages et deux chefs, un village et un chef Malinkés, un village
et un chef Sarracolés. Les uns et les autres sont des Musulmans
fanatiques. Les Sarracolés de Dalésilamé habitaient autrefois de
l’autre côté de la Gambie, sur la rive gauche, dans le pays de
�ANDRE RANÇON
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j, 4'ii|
Ghabou. Pillés et pressurés sans cesse par les Peulhs du Fouladougou, ils passèrent le fleuve et vinrent se fixer à Dalésilamé.
On sera peut-être étonné de voir les Sarracolés si loin de leur
pays d’origine ; mais on s’expliquera aisément ce fait, quand on
saura qu’ils habitaient autrefois le Guidioumé près Nioro et qu’ils
ont fui à l’approche d’El Hadj Oumar. Le Sarracolé est d’humeur
très vagabonde, on comprendra dès lors qu’il ait pu venir
jusqu’à la Gambie en fuyant devant l’envahisseur. Ceux de
Dalésilamé appartiennent à la famille des Diawaras.
Les deux villages sont séparés par une large rue d’environ
deux cents mètres de longueur sur six de largeur. Les Malinkés
sont à l’Ouest et les Sarracolés à l’Est. Ni l’un ni l’autre ne sont
fortifiés. Pas de tata, pas de sagné. Chaque habitation particulière
est entourée d’une palissade (tapade) construite avec des tiges
de mil et de bambous jointives et haute d’environ deux mètres à
deux mètres cinquante centimètres. A cette époque de l’année,
les toits des cases disparaissent complètement sous les cucurbitacées de toutes sortes. Ce qui donne au village un aspect vert
sombre excessivement curieux. Il se confond absolument avec la
campagne environnante, et, seule la fumée qui sort du toit en
décèle au loin la présence. — A peine avions-nous mis pied à terre
que les chefs vinrent me saluer et m’offrir un peu de lait pour
me désaltérer. Sandia, qui y compte beaucoup d’amis, est l’objet
d’une véritable ovation, car il leur a maintes fois rendu de réels
services et son bon sens y est fort apprécié.
Je rencontrai dans ce village un dioula (marchand ambulant)
qui y était arrivé depuis trois mois environ et qui y avait été
surpris par l’hivernage. Ne pouvant continuer sa route vers le
Sud, il y attendait le retour de la belle saison, et s’y était installé
pour un long séjour. Une case lui avait été donnée et le village
pourvoyait à sa nourriture de chaque jour et à celle de son petit
âne. Ces exemples de généreuse hospitalité ne sont pas rares au
Soudan. Dans chaque village, le voyageur est assuré, quelle que soit
la race à laquelle il appartienne et celle de ses hôtes, de trouver
une case pour s’abriter, une natte pour se reposer et du couscouss
pour calmer sa faim. Pendant le long séjour que j’ai fait dans
ces régions, il n ’y a guère que chez les Coniaguiés que j’ai vu le
voyageur négligé et que j’ai vu refuser quelques poignées de mil
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
77
ou d’arachides. Cette peuplade, du reste, de même que sa congé
nère, les Bassarés, a, sous ce rapport, une triste réputation.
Nous quittons Dalésilamé après nous y être reposés pendant
un quart d’heure environ et nous nous remettons en route après
avoir remercié les chefs de leur bonne réception et leur avoir
serré la main. C’est toujours au milieu des champs de mil que
nous chevauchons et nous ne quittons ceux de Dalésilamé que
pour entrer dans ceux de Souma-Counda, village distant du
premier de trois kilomètres sept cent mètres, et auquel nous
arrivons après quarante-cinq minutes de marche. Nous le tra
versons sans nous y arrêter.
Souma-Counda. — Souma-Counda est un village Peulh d’en
viron trois cents habitants, il est littéralement enfoui au milieu
de ses lougans qui sont immenses. Ses cases sont en paille. Quand
nous y passons presque tous les habitants sont absents. Tout le
monde est occupé aux travaux des champs.
A peine sommes-nous sortis des lougans du village que nous
tombons en pleine brousse et que nous traversons une véritable
forêt vierge de bambous, à travers lesquels nous avançons lentement
et difficilement. Nous en sortons un instant pour traverser des
champs de mil qui appartiennent à Missira et au milieu desquels
s’élève un petit village de culture de deux ou trois cases. Enfin,
une demi-heure après, nous entrons dans ceux de Missira. Ils sont
immenses et ont plusieurs kilomètres d’étendue. Il est neuf heures
et demie quand nous arrivons à Missira, que, de loin, nous ne
voyons nullement, car les toits des cases disparaissent littéralement
sous les cucurbitacées de toutes espèces.
Missira. — Missira est un gros village de neuf cents habitants
environ. Sa population est uniquement formée de Malinkés musul
mans. C’est la capitale du Sandougou oriental et la résidence de
Guimmé Mahmady, son chef. Le village est relativement propre et
bien entretenu. On n’y voit que peu de ruines et ses rues sont assez
bien alignées. La place principale est très vaste et on n’y voit pas les
tas d’ordures que l’on trouve généralement dans la plupart des vil
lages Malinkés. Au milieu s’élève un superbe tYtaba, le plus beau de
tous ceux que j’aie jamais vus. Il y en a plusieurs dans le village, et
je me souviens qu’il y en avait un fort beau également en face de la
case où j’étais logé. — Les cases du village sont construites à la
�ANDRE RANÇON
mode Malinkée et chaque habitation, séparée de ses voisines par
une palissade en tiges de mil et de maïs, forme une propriété
absolument bien délimitée. — Missira ne possède pas de tata; un
simple sagné peu important l’entoure, mais ne saurait constituer
un moyen sérieux de défense. Les habitants, musulmans assez
tièdes, sont de paisibles agriculteurs qui cultivent en paix leurs
vastes lougans et élèvent leurs bœufs, chèvres et moutons. Ce
village est très dévoué à la cause française. Situé à cinq kilomètres
de la Gambie, il est compris dans la zone que, par le traité du
10 août 1889, nous avons cédée à l’Angleterre. J ’ai appris depuis
quelque temps que, ne voulant pas devenir Anglais, il avait émigré
en masse sur le territoire français, abandonnant ainsi sans hésiter
des terrains d’une fertilité remarquable, pour venir se fixer dans
une région moins favorisée. Il en a, du reste, été de même pour
beaucoup d’autres villages du Sandougou, qui suivirent l’exemple
de Missira et vinrent s’établir en pays français pour ne pas avoir à
recevoir le mot d’ordre de Mac-Carthy.
On comprendra aisément, d’après ce que je viens de dire, que
la réception qui me fut faite à Missira ait été des plus cordiales.
Guimmé-Mahmady, le chef, vint à cheval à ma rencontre et me
conduisit lui-même à la case qui m’avait été préparée. Je fus logé
d’une façon confortable pour le pays, et mes hommes eux-mêmes
n’eurent qu’à se louer de l’accueil qui leur fut fait. Un bœuf fut
immolé à notre intention et l’on comprendra toute l’importance de
ce fait quand on saura combien l’indigène aime ses bestiaux et qu’il
faut une circonstance grave (mariage, circoncision, visite d’un
chef, etc., etc.) pour qu’il consente à ce sacrifice. Nos chevaux euxmêmes eurent leur part du festin, et se régalèrent de paille d’ara
chides et de mil.
Dès que j’eus terminé mon installation et procédé à une toilette
indispensable après une longue étape, je reçus la visite de GuimméMahmady, de sa famille et de ses notables. Mon hôte (Diatigué) les
accompagnait. C’était le griot favori du chef, brave homme dans
toute l’acception du mot et qui, durant les deux jours que je passai
chez lui, fit toujours preuve de la plus grande obligeance et me
manifesta le plus grand respect et la plus sincère amabilité. Aussi
fus-je heureux en le' quittant de lui offrir un beau cadeau pour le
�DANS LA HAUTE GAMBIE
79
dédommager de tout l’embarras que je lui avais causé, cadeau
auquel il fut très sensible.
Après les salutations d’usage, Guimmé-Mahmady me présenta
toutes les personnes qui l’accompagnaient et me demanda de rester
un jour de plus, afin que je puisse voir les chefs de ses village aux
quels il avait annoncé mon arrivée et qui devaient venir me saluer.
Je ne pouvais faire autrement qu’accéder à son désir et lui promis
de ne le quitter que le surlendemain matin. Ce chef du Sandougou
est loin de ressembler aux autres chefs que j’avais vus depuis long
temps. Il est jeune, intelligent, actif et fort tolérant pour un musul
man. Aussi, aucun de ses administrés ne vint-il jamais se plaindre
à moi, ce qui m’était arrivé dans tous les autres pays que j’avais
visités. Tout le monde vit chez lui sur le même pied d’égalité, et,
chose rare au Soudan, il sait bien se faire obéir. Pendant la guerre
du marabout il prit parti pour nous, et comme nous le verrons plus
loin, c’est à nous qu’il dut de reconquérir son autorité. Je fus heu
reux de constater qu’il nous en avait gardé une profonde reconnais
sance. Ce fait mérite d’être signalé, car ce sentiment est rare chez
les noirs et ceux qui en font preuve sont loin d’être nombreux.
La journée se passa sans autre incident à noter que les nom
breuses visites que je reçus dès que j’eus terminé mon travail de
chaque jour, rédigé mes notes et mou journal de marche et dessiné
l’itinéraire parcouru le matin.
La température, qui avait été supportable la journée, devint le
soir insupportable. Le ciel se couvrit d’épais nuages, mais malgré
cela, il ne tomba pas une seule goutte d’eau. Aussi la nuit fut-elle
excessivement pénible. Dévoré par les moustiques, je dormis mal
et ce ne fut qu’au jour que je pus enfin goûter quelques heures
d’un sommeil réparateur.
Le défilé des chefs commença dès le matin et dura toute la
journée. Je les reçus tous du mieux que je pus. Chacun m’appor
tait un petit cadeau, celui-ci du beurre, celui-là du lait, les autres
des kolas, preuve de tout leur respect. Aussi, quand tous furent
partis, me trouvai-je fort riche et l’heureux possesseur de nom
breuses bouteilles de beurre et de plusieurs centaines de beaux
kolas. Ces derniers surtout nous firent à nos hommes et à moi
le plus grand plaisir, car depuis longtemps nous étions privés
de cette précieuse graine et plus que jamais, vu l’extrême déla-
�ANDRE RANÇON
brement de ma santé, j’en avais besoin pour pouvoir supporter
les fatigues qui m’attendaient.
Dans la soirée de ce second jour, au moment où allait commen
cer le tam-tam organisé en mon honneur, éclata une violente
tornade. Vent violent, éclairs, tonnerre, pluie torrentielle, rien ne
manqua. La température baissa rapidement et je pus jusqu’au
lendemain matin dormir profondément. J ’en avais bien besoin,
car j’étais littéralement exténué.
Ier novembre '1894. — Le premier novembre 1891, je me levai
frais et dispos au point du jour, et les préparatifs de départ
rapidement faits, je me mis en route pour Saré-Demba-Ouali,
village Peulh distant de 16 kilomètres environ de Missira, et où
j’avais décidé de faire étape, désirant voir de près ce que les
Peulhs étaient chez eux. Guimmé-Mahmady ne voulut pas me
laisser partir seul ainsi. Il avait bien avant l’heure du départ fait
seller son cheval et chausser ses grandes guêtres en peau de
panthère. 11 me demanda de m’accompagner jusqu’au village de
Saré-Fodé, où il avait affaire. Je fus, on n’en doute pas, enchanté
de l’avoir pour compagnon, et après avoir de nouveau remercié
mes hôtes, je quittai Missara, avec la satisfaction d’y avoir
constaté combien était grande l’influence de la France dans ces
régions et combien était sincère l’attachement que nous ont voué
les populations qui les habitent.
Missira est entouré de vastes champs d’arachides. Le terrain,
qui est presque uniquement formé de latérite, est des plus propres
à la culture de cette plante. Aussi cette graine y est-elle très abon
dante et y constitue-t-elle une véritable richesse pour les habitants.
L’arachide. — L’arachide (arachis hypogoea) est une légumineuse cœsalpinée. Elle est cultivée dans toute notre colonie du
Sénégal et au Soudan Français. Celles de Gambie sont particuliè
rement recherchées et jouissent dans le commerce d’une faveur
bien méritée. C’est une plante herbacée, radicante, annuelle, à tige
et rameaux cylindriques, pubescents : feuilles engainantes, com
posées de deux paires de folioles, inflorescence axillaire, en cyme
unipare, biflore : fleurs hermaphrodites, parfois polygames, subsessiles.; calice gamosépale à 5 divisions et à préfloraison quinconciale; corolle gamopétale, papilionacée ; 10 étamines monadelphes,
l’antérieure stérile ; ovaire supère, 3-4 sperme ; style long, pubes-
�81
DANS LA HAUTE-GAMBIE
cent à l’extrémité; pas de stigmate; ovules anatropes, ascendants,
fruit sec indéhiscent, testacé, porté à l’extrémité d’un long
pédoncule porté à l’aisselle des feuilles; embryon homotrope, à
radicule infère ; cotylédons huileux.
Après la fécondation, le pédoncule floral s’allonge vers le sol et y
fait pénétrer l’ovaire qui s’enfonce jusqu’à une profondeur de 5 à 8
centimètres, grossit et se transforme en une gousse un peu étran
glée en son milieu ; cette gousse est longue de 25 à 30 millimètres,
épaisse de 9 à 14 millimètres : Elle est composée d’une coque blan
che, mince, réticulée, contenant 1-4 semences rouge vineux au
dehors, blanches au dedans et d’un goût rappelant assez celui de
la noisette.
Ces graines donnent une huile d’excellente qualité qui peut
remplacer dans tous ses usages et sans inconvénient l’huile
d’olives.
Depuis que le commerce des arachides a pris une extension
considérable et telle que l’on peut dire qu’il est le plus important
de la côte d’Afrique, les indigènes cultivent cette plante avec
beaucoup plus de soin et sur une plus grande échelle. La production
en augmente chaque année et elle serait bien plus considérable
encore si les procédés de culture n’étaient pas aussi primitifs.
L’arachide est une plante excessivement épuisante. Pour la
cultiver, les indigènes fertilisent le sol en brûlant simplement les
mauvaises herbes qu’ils ont d’abord coupées et laissées sécher
sur place ; les femmes et les enfants bêchent alors légèrement le
terrain, sèment les graines et les recouvrent de terre. Les
semis se font de la fin de juin au commencement d’août, et la
récolte a lieu trois ou quatre mois après. Quand les gousses
sont mûres, on arrache les pieds d’arachides qu’on laisse sécher au
soleil, puis on sépare les gousses des feuilles et des tiges.
Dans la plupart des régions du Sénégal, où est cultivée
l’arachide, on l’arrache à la main. Ce procédé a le grand
désavantage d’occasionner une perte de graines considérable.
Elles se détachent, en effet, à la traction, et restent dans la
terre. J’ai vu employer dans le Sandougou, à Missira, pour la
première fois, un moyen qui remédie à cet inconvénient et que
je tiens à signaler ici. Les habitants de ce pays se servent pour
cela d’une pioche spéciale et qui ne sert qu’à cet usage. La
André Rançon. — 6.
�ANDRE RANÇON
figure A en représente la coupe verticale et la figure B la
représente en entier. Les indigènes la nomment comme les autres
pioches dont ils se servent : « Daba ». Elle se compose essentiéllement : d’un manche en bois résistant a, et d’une pioche
proprement dite, b. Ces deux parties sont unies entre elles par
des liens solides comme le représente la partie c de la figure B,
de telle façon que le manche forme avec la pioche un angle
de 35 degrés au plus. La pioche est également en bois très dur
et son extrémité d est garnie d’une armature de fer pour lui
permettre de s’engager plus facilement dans le sol. Le travailleur
saisit à deux mains le manche a et de gauche à droite ou de
droite à gauche, selon ses dispositions, engage profondément
la pioche b sous le pied d’arachide qu’il veut enlever. Comme
cette pioche est très large, 0,15 centimètres environ, il lui suffit
de la faire basculer pour arracher la plante entière. Cet instrument
qui, au premier abord, ne semble pas très pratique, est cependant
manœuvré avec grande adresse et rapidité par les indigènes.
J ’ai pu, grâce à la générosité de Guimmé-Mahmady, en rapporter
un en France. Il est actuellement au musée colonial, à Marseille.
Le prix de cette pioche est d’environ six francs dans le pays
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
83
et il n’y a guère que les forgerons du Sandougou qui la sachent
confectionner.
Les Noirs utilisent l’arachide en maintes circonstances et de
toutes façons, La graine constitue pour eux un aliment de
premier ordre, soit fraîche, soit sèche, soit crue, soit torréfiée.
Ils en extraient l’huile qui sert à leur cuisine. Nous avons eu
souvent recours à leur industrie pour en avoir et nous n’avons
pas eu à nous en plaindre. Cette huile leur sert également à
fabriquer avec les cendres de certains végétaux un savon dont
nous nous sommes souvent servi et qui nous a été souvent très
utile. L’arachide pilée ou écrasée entre deux pierres leur sert de
condiment pour la plupart des sauces avec lesquelles ils assai
sonnent leur couscouss. Ils font également des cataplasmes d’ara
chides en certaines circonstances et se frictionnent avec son huile
dans les cas de douleurs rhumatismales. Enfin la poudre qu’ils
obtiennent en les écrasant après les avoir fait brûler leur sert pour
se tatouer les gencives et la lèvre inférieure. — Les feuilles vertes
sont employées pour les sauces et en cataplasmes ; après la récolte,
ils les font sécher avec leurs tiges et cela constitue une paille qui
est à juste titre considérée comme le meilleur fourrage du Soudan.
Les animaux qui en font usage engraissent rapidement et le lait des
vaches qui en mangent est plus savoureux et plus riche en prin
cipes nutritifs que celui de celles qui n’en consomment pas.
Le commerce des arachides commence à prendre dans le San
dougou une réelle importance. La Compagnie française de la côte
occidentale d’Afrique y en achète, chaque année, de notables quan
tités qu’elle transporte à Mac-Carthy, où elle les charge sur ses
vapeurs. Il ne fera que croître, surtout si on peut arrriver à amé
liorer les moyens de transport et à lui créer des débouchés sur le
fleuve.
Peu après avoir quitté Missira, nous apercevons sur notre
gauche un beau champ de diabérés. Cette plante, très commune
clans ces régions, le Tenda, le sud du Bambouck, le Niani, etc., etc.,
et en général,dans les contrées les plus méridionales de notre colonie
Soudanienne, mérite que nous en fassions une description détaillée.
Le Diabéré. — Les Bambaras et les Sarracolés la nomment
Diabéré, les Malinkés Diabéro et les Peulhs Oussoudié. C’est une
superbe Aroïdée du genre Arum. Elle croît, de préférence, dans les
�84
ANDRÉ RANÇON
endroits humides et à l’abri des rayons du soleil. Elle aime une
terre riche en humus. C’est pourquoi les lougans de Diabérés sont
toujours situés à l’ombre des grands arbres, où la terre est plus
fraîche, à l’abri du soleil, et plus riche en humus, du fait même du
terreau que forment les feuilles en y pourrissant. C’est une plante,
vivace dont la tige souterraine est constituée par un tubercule.
Feuilles longuement pétiolées et pouvant atteindre jusqu’à deux
mètres de hauteur, fortement engainantes à la base, peltées et dont
le limbe atteint parfois des dimensions énormes. Elles présentent
une échancrure assez profonde à leur partie inférieure, échancrure
qui s’avance jusqu’à quelques centimètres de l’épanouissement du
pétiole. Celui-ci s’épanouit en trois nervures principales plus volu
mineuses que les autres et facilement reconnaissables, car elles sont
très apparentes. De ces trois nervures partent les nervures secon
daires fortement accentuées aussi.
La figure ci-contre peut donner une idée de cette disposition
toute particulière. Ces feuilles sont très épaisses. Les trois nervures
principales ne font jamais défaut. Les nervures secondaires sont en
nombre variable suivant l’âge du végétal et surtout les dimensions
des feuilles. Les nervures secondaires émettent elles-mêmes un
grand nombre de filaments fort apparents et qui sillonnent le
parenchyme de la feuille en venant aboutir presque en droite ligne
aux bords. La face supérieure a une couleur verte foncée très pro
noncée. Elle est légèrement veloutée. La couleur de la face infé
rieure est verte très pâle. Elle est aussi légèrement veloutée. Enfin
le pétiole d’un brun verdâtre à la base est d’un vert tendre à son
sommet.
Les fleurs sont unisexuées, réunies sur un même spadice, les
femelles à la base, les mâles au-dessus, non périanthées. Elles sont
���DANS LA HAUTE-GAMBIE
85
enveloppées dans une spathe peu ouverte, roulée en cornet et de
couleur blanche légèrement jaunâtre. Le fruit est une baie globu
leuse uniloculaire renfermant de deux à huit graines. Je dédie cette
plante nouvelle à M. le professeur Heckel en la nommant Arum
Heckeli.
La racine est un tubercule de la grosseur du poing environ,
d’un brun noirâtre et ayant un peu la forme d’un oignon légère
ment allongé. Sur ce tubercule viennent, quand la plante arrive à
maturité, douze ou quinze turions environ dont les plus volumi
neux atteignent tout au plus la grosseur, d’un œuf. C’est la partie
comestible, et qui sert à la reproduction. Leur forme est celle du
tubercule auquel ils adhèrent fortement. Leur couleur est aussi la
même. La chair de ces turions est blanche, fortement aqueuse et
compacte, elle rappelle celle de la pomme de terre ou plutôt de la
patate. Leur odeur est légèrement vireuse.
Les semis de diabéré se font en juin et en juillet. Il suffit pour
cela de placer les turions dans un trou creusé dans la terre à une
profondeur d’environ dix à quinze centimètres. La récolte se fait
en décembre. Vers la fin d’octobre ou au commencement de
novembre, les habitants du Sandougou ont l’habitude de couper
les feuilles à une hauteur de dix centimètres du sol environ pour
faire grossir davantage les turions.
Le diabéré est un légume qui n’est pas à dédaigner même pour
le palais délicat des Européens. Bouilli ou frit à la poêle, il
constitue un aliment d’un goût agréable. Je me souviens en avoir
mangé avec plaisir en ragoût avec du mouton. Les indigènes le
préfèrent bouilli et dans certaines régions, le Diaka, le Sandougou,
le Tenda par exemple, ils en fout une grande consommation. Dans
ces derniers pays surtout on en consomme beaucoup, et les indi
gènes des pays voisins attribuent à l’abus qu’ils en font la maladie
de peau et les nombreux goitres dont sont atteints les habitants du
Tenda. Nous y reviendrons plus longuement plus loin quand nous
parlerons de ce pays.
A sept heures quinze minutes, nous traversons sans nous y
arrêter le village de Diakaba. Le soleil commence à devenir brûlant,
et la température chaude et humide est absolument intolérable.
Diakaba. — Diakaba est un village d'environ 600 habitants. Sa
population est uniquement formée de Malinkés musulmans. Il est
�86
ANDRÉ RANÇON
littéralement couvert de verdure et à part une grande quantité de
papayers (1) il ne présente rien de particulier à signaler. Ce végétal
croît là en pleine terre et n ’a pas besoin de soins spéciaux. On le
rencontre dans presque tous les villages du Sandougou. Son fruit,
que tout le monde connaît, est savoureux et délicat et l’un des
meilleurs desserts que l’on puisse rencontrer dans les pays chauds.
A un kilomètre et demi environ de Diakaba, nous traversons un
assez gros village Peulh, Sidigui-Counda, qui disparaît littéralement
dans une épaisse forêt de mil et de maïs.
Sidigui-Counda. — Sidigui-Counda est un village de 400 habitants
environ. Il est habité par des Peulhs récemment émigrés du
Fouladougou. Ils se livrent là paisiblement à l’élevage et à la culture
de leurs champs. Il est construit en paille et argile comme tous les
villages Peulhs, du reste. Chaque chef de case a ses cases séparées
de celles des autres et les intervalles sont semés de mil, arachides,
tabac, oseille, etc., etc.
A quatre kilomètres de Sidigui-Counda nous arrivons au village
de Saré-Fodé,où Guimmé-Mahmady me quitte en me souhaitant un
bon voyage.
Saré-Fodé.— C’est un petit village Peulh de 350 habitants environ.
Nous y faisons la halte et y prenons quelques minutes de repos
sous un petit appentis que recouvrent de belles Cucurbitacées. La
population en est uniquement formée de Peulhs. A peine avionsnous mis pied à terre que le chef vint me saluer et m’apporta pour
me rafraîchir plusieurs calebasses d’un bon lait fraîchement tiré
dont nous nous régalâmes mes hommes et moi. Nous nous remîmes
en route par une chaleur torride.
A peu de distance nous traversons le petit village Peulh de
Saré-Bourandio, le dernier du Sandougou oriental et, six kilomètres
plus loin, nous trouvons enfin Saré-Demba-Ouali, le premier village
du Sandougou oriental, où j’avais décidé de faire étape ce jour-là.
Saré-Demba-Ouali. — C’est un village Peulh d’environ 550 habi
tants. Il a absolument l’aspect des autres villages que nous venons
de traverser et la route qui y conduit depuis Saré-Bourandio,
traverse une forêt de bambous de trois à quatre kilomètres de
largeur, et, de ce fait, est difficile à pratiquer.
(1)
Carica P a p a y a L .
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
87
Je fus bien reçu dans ce village de simples cultivateurs. Pas de
tapage, pas d’ostentation, mais simplement une bonne hospitalité
franche et généreuse. Par exemple, le logement laissait un peu à
désirer et je pus là me convaincre que les cases Peulhs étaient
bien loin d’être confortables. Rien cependant ne me manqua et
mes animaux, mes hommes et moi, nous eûmes à foison de tout ce
que l’on peut trouver dans un village noir. Le chef, Demba, est un
homme jeune, actif et sachant faire respecter son autorité, chose
rare chez les peuples Soudaniens. Je me souviens encore avec quel
ton il intima à l’un de ses notables l’ordre de se taire parce qu’il
s’était permis de l’interrompre pendant qu’il parlait. Almoudo,
mon interprète, qui est cependant un autoritaire, en était
absolument étonné.
Vers quatre heures de l’après-midi, je reçus la visite du frère de
Maka-Cissé, le chef du Sandougou occidental, qui venait me faire
part du chagrin que je lui avais fait en n ’allant pas camper dans
son village distant de quelques kilomètres seulement de SaréDemba-Ouali, dans le Sud. Il craignait de m’avoir mécontenté.
Je le rassurai complètement et achevai de calmer ses alarmes en lui
faisant cadeau d’une douzaine de kolas blancs, pour lui bien prouver
que j’étais son ami. On sait qu’au Soudan Français, pour prouver
à quelqu’un toute l’estime que l’on a pour lui, il suffit de lui faire
cadeau de quelques kolas blancs. Il comprit d’autant mieux que
je ne pouvais aller chez lui, quand je lui eus dit que j’étais très
pressé et que je ne pouvais ainsi m’écarter de ma route. Il partit
tranquille.et satisfait et, le lendemain, à Oualia, il vint de nouveau
me voir et m’apporter un bœuf pour mon déjeuner et celui de mes
hommes.
La nuit, malgré la chaleur étouffante, se serait bien passée, si
je n’avais eu à repousser sans cesse les attaques multiples d’une
véritable nuée de puces et de punaises qui vinrent m’assaillir et
m’empêchèrent littéralement de fermer l’œil. Ces insectes pullulent
littéralement dans tous les villages Peulhs, et leurs habitants, vrais
nids à parasites de toutes sortes, n’en semblent nullement incom
modés. Il n’en a pas été de même pour nous. Nous en avons fait,
mes hommes et moi, la pénible expérience. Aussi, dès le point du
jour, tout mon monde était-il debout et les préparatifs du départ
rapidement faits.
�ANDRE RANÇON
2
novembre i89i. — A cinq heures cinquante minutes du matin,
nous quittons Saré-Demba-Ouali. Une rosée abondante et fraîche
inonde la brousse qui est fort haute dès que nous sommes sortis
du village. Heureusement que le chef a eu la précaution de faire
marcher devant nous quatre de ses hommes qui, armés de grands
bambous, frappent à tour de bras sur les herbes et font ainsi
tomber les gouttes d’eau. Sans cette prévenance nous n’aurions
pas fait deux cents mètres sans être trempés jusqu’aux os. Qua
rante minutes après avoir quitté Saré-Demba-Ouali, nous arrivons
au petit village Ouolof de Tabandi.
Tabandi. — C’est un village d’environ 500 habitants. La popu
lation en est entièrement Ouolove. Elle a émigré du Bondou
pour fuir les exactions des Almamys Sissibés et de leur famille.
Tabandi ne le cède en rien en malpropreté aux villages Peulhs et
Malinkés. Il est tout aussi mal entretenu et ne possède aucun
moyen de défense, ni tata, ni sagné. Il est entouré de lougans bien
cultivés et jusque dans les cours des habitations on trouve de jolis
jardins de diabérés, tomates, oseille et oignons. Les Ouolofs, du
reste, cultivent beaucoup plus et mieux que les autres peuples du
Soudan. Cela tient sans nul doute à ce qu’ils font tout par euxmêmes et qu’ils n ’ont pour ainsi dire que quelques rares captifs.
Nous faisons la halte sous un superbe N’taba et les notables et le
chef viennent me saluer. Ils me demandent de passer la journée
dans leur village, et, à mon grand regret, je suis forcé de refuser
leur invitation, étant attendu à Oualia et ne pouvant m’attarder
ainsi dans chaque village. Ces braves gens voudraient après la
récolte retourner dans le Bondou, leur pays natal, mais ils redou
tent encore les exactions des Sissibés. Je les rassure du mieux que
je puis, à ce sujet, et m’efforce de leur faire comprendre que, grâce
à nous, leur situation dans le Bondou ne sera plus ce qu’elle était
autrefois. Je leur serre la main et remonte à cheval. A sept heures
quarante minutes nous arrivons enfin à Oualia, où nous allons
passer la journée.
Oualia. — Oualia est un gros village d’environ 1200 habitants.
Il est relativement propre et bien construit. Il est entouré d’un
fort sagné de quatre mètres de hauteur environ qui l’enveloppe de
toutes parts. Cinq portes qui y ont été ménagées permettent de
pénétrer dans l’intérieur. Sa population est uniquement composée
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
89
de Toucouleurs venus du Fouta-Toro, sous la conduite de leur
chef. Ces Toucouleurs s’adonnent là à la culture de leurs vastes
lougans et élèvent avec soin de nombreux bestiaux. Nous verrons
dans le chapitre suivant quelle a été jusqu’à ce jour leur
histoire et quel avenir leur est réservé dans le Sandougou.
Oualia est situé à environ quatre kilomètres du Sandougou, sur
une petite éminence qui domine une vaste plaine bien cultivée.
Je fus d’autant mieux reçu à Oualia que son chef Ousman-Celli
avait fait avec nous la campagne de Toubacouta contre le marabout
Mahmadou-Lamine et qu’il nous est absolument dévoué. C’est un
homme fort intelligent, rusé comme un Toucouleur et en ayant,
du reste, le type et tout l’aspect extérieur.
Il avait fait préparer, à mon intention, une belle case, la
plus belle du village. Mais je fus obligé de renoncer à y loger,
car elle était tellement obscure que je n’y aurais pas vu assez clair
pour y travailler, et, de plus, elle était divisée en compartiments
si petits que j’aurais pu à peine m’y retourner. Je me contentai,
en conséquence, d’une habitation moins élégante, mais où je ne
manquais ni d’air ni de lumière. Là, encore, je reçus de nom
breuses visites, et c’est à peine si je pus trouver le temps nécessaire
pour faire mon travail journalier. Vers quatre heures du soir,
me sentant un peu indisposé, je montai à cheval et, pour me
distraire un peu de l’énervement que j’avais éprouvé dans la
journée, je fis une courte promenade jusqu’au Sandougou et
revins à Oualia au soleil couchant. A deux kilomètres de Oualia,
je traversai le petit village de Saré-Demboubé, dont la population,
d’environ 250 habitants, est d’origine Toucouleure et a pour chef
le frère lui-même d’Ousman-Celli. — A environ quinze cents
mètres de ce village coule le Sandougou qui forme la séparation
entre le Niani et le Sandougou. C’est le marigot le plus important
de la région. Ses eaux coulent en toute saison. Sa largeur est
là d’environ cinquante à soixante mètres, et Ousman-Celli y a
toujours deux pirogues pour en faciliter le passage aux voyageurs.
A six kilomètres en amont de cet endroit on le peut traverser
à gué. Ce gué porte le nom de Gué de Oualia. Il n’est guère
praticable que du mois de février au mois de juin. Je pus
m’assurer que nous pourrions le franchir en face de Saré-Dem
boubé sans trop de difficultés.
�90
ANDRÉ RANÇON
A peine fus-je rentré à Oualia que l’accès de fièvre, qui me
menaçait depuis quelques heures, se déclara violemment. Je fus
obligé de me coucher sans souper. Frissons, chaleur, sueurs se
succédèrent rapidement et au point du jour je me sentis assez
vigoureux pour me remettre en route.
De Toubacouta à Saré-Demba-Ouali et au Sandougou la route
change peu d’aspect. Nous pourrions répéter à ce sujet ce que
nous avons dit pour la route de Sini à Toubacouta, mais en
accentuant encore, si cela est possible. On suit une véritable
vallée de latérite entrecoupée par deux endroits différents par
deux plateaux assez élevés formés de quartz et de roches ferru
gineuses. La latérite domine partout, mais si on s’écarte à droite
ou à gauche de la vallée on retrouve immédiatement les argiles
compactes et sur les bords de la Gambie des marais et des
alluvions. — Le terrain compris dans le grand coude que forme
au Sud la Gambie en cette région est uniquement formé d’argiles
compactes et d’alluvions. Les collines qui viennent y mourir
sont formées de quartz et de roches ferrugineuses. Elles sont
excessivement boisées. — La végétation dans ces régions est
absolument luxuriante et les cultures magnifiques. La flore varie
peu. Toujours les mêmes essences : Nétés, N’tabas, Fromagers,
Ccûil-cédrats, Légumineuses les plus variées, quelques beaux Baobabs
et quelques échantillons de belles Combrétacées ! Les mil, maïs,
arachides, riz, etc., etc., y poussent à merveille et n’y ont besoin
que de peu de soins pour donner une récolte abondante.
Le Baobab. — Dans presque toutes nos possessions Sénégambiennes et Soudaniennes, on trouve cet arbre, fantastique,
étrange, aux formes bizarres, véritable Titan végétal, auquel on a
donné le nom curieux de Baobab, comme si on voulait attirer sur lui
l’attention rien qu’en le prononçant. C’est VAdansonia digitata L. (1)
de la famille des Malvoïdées. Il peut atteindre jusqu’à 12 mètres de
diamètre. Cette plante est si diversement employée par les indigènes
et peut rendre de tels services à l’Européen lui-même que nous
aurions été incomplets si nous n’en avions pas fait l’histoire de
façon à bien faire connaître ses propriétés et ses usages.
(1) Voir au sujet de ce végétal, le travail de MM. Heckel et Schlagdenhaufïen
dans le journal Les nouveaux Remèdes. — 1888.
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
91
Le Baobab est facile à reconnaître. Quiconque l’a vu une fois
n’oubliera jamais sa forme bizarre, ses dimensions gigantesques,
l’aspect tout particulier de ce géant des solitudes Africaines qui le
fait ressembler à quelque animal légendaire et préhistorique.
On dirait une pieuvre de taille démesurée, dont le corps serait
représenté par la tige courte et énorme et les tentacules par les
rameaux tordus et noueux.
L’écorce est très épaisse. L’épiderme est assez mince et de
couleur gris ardoisé. La couleur de celui du tronc est légèrement
terne, celle de celui des rameaux est au contraire très brillante.
Cette écorce est très épaisse, environ trois à quatre centimètres
chez les adultes. Elle peut s’enlever aisément, et en larges plaques.
Sa face interne est blanchâtre, luisante, gluante. Si, à l’époque de
la floraison, on y pratique une incision intéressant toute son
épaisseur, on voit s’écouler par la blessure un liquide mucilagineux,
d’un gris sale qui, à l’air libre, ne tarde pas à prendre la consistance
de la gélatine. D’après Hecltel, de Marseille, ce mucilage serait
donné par des lacunes mucilagineuses, dans un point très limité de
l’écorce seulement. Ces lacunes proviendraient de la gélification
non d’une cellule, mais d’un groupe de cellules. Dans la compo
sition de l’écorce, entrent encore des fibres très résistantes, et en
grande quantité, dont les indigènes se servent journellement pour
fabriquer des cordes excessivement fortes qu’ils emploient à maints
usages et avec lesquelles ils fabriquent des hamacs d’une remar
quable solidité. Aussi, dans ce but, ils dépouillent l’arbre de son
écorce sur une hauteur d’environ l m50 ou 2 mètres à partir du sol.
Ces blessures, même réparées, contribuent à donner à ce végétal un
aspect encore plus saisissant.
Le bois de Baobab est peu utilisé par les indigènes. Difficile à
travailler, ils ne l’emploient qu’à défaut d’autres dans la construc
tion de leurs pirogues. Je n’ai point appris qu’ils s’en servent à aucun
titre que ce soit dans leur thérapeutique.
Les feuilles sont d’un beau vert et très tendre, elles ressemblent
à celles du marronnier d’Inde. Elles sont alternes et accompagnées
de deux stipules à la base, le limbe en est lisse sans dentelures sur
leur contour quand elles sont vieilles, dentelées au contraire quand
elles sont jeunes, surtout vers leur sommet. Ces feuilles sont en
général peu nombreuses. Il n’y a que les jeunes rameaux qui en
�ANDRE RANÇON
soient pourvues. Elles poussent au commencement de la saison des
pluies et tombent dès qu’elle cesse et dès que la température de la
nuit se rafraîchit. On sait combien est funeste à l’Européen appelé
à vivre sous les climats où croît le baobab la saison des pluies. De
même la saison sèche, à cause du refroidissement nocturne, est
fatale à l’indigène. Aussi existe-t-il au Sénégal et au Soudan un
dicton fort connu de ceux qui habitent ces régions. Les indigènes
disent, en effet, « que la pousse des feuilles de baobab est le signal de
la mort du blanc et que leur chute est l’annonce de celle du noir ».
Les fleurs sont énormes, suspendues à l’extrémité des jeunes
rameaux par un pédoncule de vingt-cinq à trente centimètres de
longueur. Le calice en est coriace, caduc, gamophylle, pentamère,
chargé en dehors de poils cotonneux. La corolle est blanche à cinq
pétales très épais et très résistants. Étamines biloculaires, indéfi
nies, monadelphes; ovaire à cinq carpelles, multiovulés. Cette fleur
exhale une odeur assez douce qui rappelle assez celle de l’Althœa.
Le fruit a la forme d’un jeune melon vert, velu et allongé. Il est
porté sur un long pédoncule et il pend à l’extrémité des jeunes
rameaux au bout desquels il s’insère. C’est une capsule indéhis
cente et il faut un choc assez violent pour la briser. Ce fruit ren
ferme trente à quarante graines entières, réniformes, pourvues
d’un épisperme dur et noirâtre, d’un embryon huileux, et de
cotylédons plissés. Ces graines sont noyées dans une pulpe blancrougeâtre abondante et d’un goût légèrement acide. De nombreux
filaments d’un rose tendre la traversent. La face interne de la
capsule en est également absolument tapissée. Ce fruit, dont les
singes sont très friands, est connu en France sous le nom de pain de
singe.
Nous savons que le baobab est très employé non seulement par
les indigènes, mais aussi par les Européens. Nous avons vu que les
fibres que renferme son écorce servaient aux noirs pour fabriquer
leurs cordes et qu’ils utilisaient parfois son bois pour la construc
tion de leurs pirogues. Je me rappelle avoir lu, dans je ne sais trop
quel livre, qu’ils l’employaient aussi pour fabriquer des cercueils.
Jamais, de mémoire d’homme, dans n’importe quel village indigène
du Sénégal ou du Soudan, le cadavre d’un noir n’a été enfermé
dans un cercueil quelconque pour être inhumé. L’auteur faisait
sans doute allusion à ce fait que, dans certaines régions, le Djolof,
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
93
par exemple, on avait l’habitude de creuser dans le tronc des
baobabs la sépulture des griots. Cette caste si méprisée y est, de ce
fait, exclue des cimetières communs. On jugera par là combien sont
grandes les dimensions que peut atteindre ce végétal.
C’est surtout dans l’alimentation et dans la thérapeutique que
certaines parties du baobab, les feuilles et les fruits particuliè
rement, sont employées.
Les jeunes feuilles vertes et fraîches sont utilisées pour fabri
quer les sauces destinées à assaisonner le couscouss. Desséchées et
pulvérisées, elles donnent une poudre qui, sous le nom de Lalo, est
mêlée aux aliments et sert de condiment. Cette poudre, légèrement
astringente au goût, a, de plus, une odeur absolument nauséabonde.
Bouillies, ces feuilles servent à confectionner des cataplasmes exces
sivement émollients. Les bains de feuilles de lalo jouissent éga
lement, à un haut degré, de cette propriété. Elle est évidemment
due à la grande quantité de mucilage qu’elles contiennent; je me
suis très bien trouvé, en maintes circonstances, de m’en être servi.
Le fruit est de beaucoup le plus employé, et c’est la pulpe qui
entoure ses graines qui est principalement active. En temps de
disette, les indigènes en font une grande consommation, et il est
pour eux une précieuse ressource. Le pain de singe est très commun
dans tous les villages et on le trouve en abondance sur tous les
marchés. Il est considéré par les indigènes comme le médicament
antidysentérique par excellence. Il est mélangé aux aliments mêmes.
Ainsi le noir se nourrit souvent de farine de mil et de lait caillé.
On désigne ce mélange sous le nom de Sanglé. Lorsqu’il est atteint
par la dysenterie, il mélange le pain de singe à cette bouillie. La
pulpe, desséchée et réduite à l’état de farine, s’expédiait autrefois
en Europe sous le nom de terre sigillée de Lemnos ou terra Lemnia.
D’après Heckel et Schlagdenhaufïen (de Nancy), l’action de cette
pulpe serait due, dans la dysenterie, à l’abondance des corps gras,
qui, suspendus par les matières gommeuses, peuvent constituer
un léger laxatif et émollient. L’écorce pilée et les graines torréfiées
sont aussi usitées contre cette affection, mais dans les cas graves.
Elles sont également préconisées contre les hémorrhagies, les
fièvres intermittentes et la lientérie. Leur action est alors due,
vraisemblablement, au tannin spécial qu’elles renferment. Cons
tatons en terminant que tous les médecins qui se sont servis du
�94
ANDRÉ RANÇON
baobab sont unanimes à en reconnaître les bons effets et ne lui
ont trouvé aucun inconvénient.
Kinkélibah (Combretum R aim baulti Heckel : rameau floral).
Kinkéiibah. — Un autre végétal non moins précieux, dont nous
avons été à même de constater sur nous-mêmes la bienfaisante
action, se trouve en grande quantité notamment sur les pla-
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
95
teaux élevés du Sandougou. C’est le Kinkélibah (Cnmbretum
Rairnbaulti Heckel), famille des Combrétacées. Très commun dans
les Rivières du Sud, on le trouve encore dans le Cayor, où les
Ouolofs lui donnent les noms de Sekhaou et Khassaou. Avec ses
rameaux ils construisent des greniers dans lesquels ils conservent
leur mil et leurs haricots. Ces greniers sont appelés Lakhass,
nom que, dans cette région, on donne encore parfois au Kinké
libah, qui est son nom en langue Soussou. Il croît dans les ter
rains sablonneux et pierreux. On ne le trouve jamais au bord de
la mer. Il fleurit de mai à juin. Voici la description qu’en donne
le professeur Heckel, de Marseille : « Cet arbuste, plus ou moins
» touffu suivant l’âge, et dont la tige peut atteindre un décimètre
» de diamètre, devient alors tout blanc et tranche beaucoup sur
» les arbres et arbustes qui l’environnent ; aussi, est-ce à cette
» époque qu’il est le plus facile de le reconnaître. Son fruit carac» téristique se dessèche en même temps que les feuilles et tombe
a avec elles pendant la saison sèche. Son ombrage agréable est
» très Recherché. Il donne souvent abri pendant la nuit aux
)) caravanes de l’intérieur. Ce végétal est muni d’une racine
» pivotante, dont les ramifications se terminent par des nœuds à
» radicelles, d’où naissent de nouveaux rejets. Une des tiges
» s’élève au-dessus des autres pour former un arbrisseau (jamais
» un arbre) avec branches étendues dans tous les sens, mais
» plutôt horizontales que verticales. La tige du Kinkélibah est
» lisse et blanchâtre, elle porte des rameaux opposés. Son bois est
» blanc, dur et serré. »
Les feuilles fraîches ou sèches sont particulièrement utilisées.
Les indigènes des Rivières du Sud les emploient avec succès dans
les cas de fièvres bilieuses simples ou inflammatoires, de rémit
tentes bilieuses et de bilieuses hématuriques. C’est au révérend
père Raimbault, missionnaire apostolique à la côte occidentale
d’Afrique, que l’on doit d’avoir attiré l’attention du monde scien
tifique sur ce précieux végétal, et ce sont les savants professeurs
Heckel et Schlagdenhaufïen qui l’ont les premiers étudié et
analysé. Voici comment, d’après le père Raimbault qui l’a fréquem
ment utilisé et toujours avec succès, on le doit employer. « Le
» Kinkélibah est administré sous forme de tisane. Les feuilles sont
» employées en décoction. On les fait bouillir pendant un quart
�ANDRE RANÇON
» d’heure environ soit fraîches, soit desséchées. Sous ce dernier
» état, les feuilles pilées peuvent se conserver pendant plusieurs
» années avec les mêmes propriétés.
» Pour se servir de la poudre de Kinkélibah, on met dans
» une bouilloire autant de cuillerées à café de cette poudre
» qu’il y a de verres d’eau (4 grammes pour 250 gr. d’eau, 16 gr.
» pour un litre). On couvre bien et on laisse bouillir 15 minutes,
» on décante, on filtre, ou bien on boit le liquide tel quel au choix
» du malade.
» La tisane doit être amère et jaunâtre. Si elle prenait une cou» leur brune, c’est qu’elle serait trop forte et il faudrait ajouter de
)) l’eau, si elle devient jaune clair, c’est qu’elle est trop faible, alors
» il faut faire bouillir plus longtemps et ajouter au besoin de la
» poudre.
» On prend un verrre (250 grammes) de Kinkélibah dans les cas
» de fièvre bilieuse hématurique, le plus tôt possible ; puis, après
>) 10 minutes de repos, un demi-verre (125 grammes), ensuite repos
» de dix minutes et enfin un autre demi-verre. Les vomissements
se
t
» produisent alors, mais ils ne tardent pas à s’arrêter et à cesser
)) pour toujours. On doit, du reste, faire boire du Kinkélibah à la
» soif du malade, durant tout le cours de la maladie, et pendant
» quatre jours au moins, en ne dépassant guère, toutefois, un litre
» et demi par jour.
» Aucune nourriture ne doit être prise pendant toute la durée
» de la teinte ictérique, c’est-à-dire pendant les trois premiers jours.
» Le 4e jour, nourriture très légère et peu à la fois. Le mieux même
)) le 4ejour est de ne prendre que du Kinkélibah comme boisson. Le
» R. P. Raimbault nourrit ses malades avec des œufs crus battus
» dans du rhum et du cognac. Il donne avec succès un purgatif,
» dès le commencement de l’accès ; c’est nécessaire en tout cas,
» quand la constipation intervient.
» Le 4e jour au matin, en même temps que le Kinkélibah, il
» donne Ogr. 80 de sulfate de quinine ; il continue ce fébrifuge
» autant que dure la fièvre, en diminuant cnaque jour la dose, tout
» en continuant le Kinkélibah.
» Il conseille de prendre un verre de Kinkélibah chaque fois
» qu’il y a embarras gastrique de nature biliaire, et considère
» comme un moyen sûr d’acclimatement, pour l’Européen, de
�Î)ANS LA HAUTE-dAMBlË
97
)) prendre, chaque matin à jeûn, un verre de cette décoction. » (De
l’emploi des feuilles du Combretum, Raimbaulti Heckel, contre la
fièvre bilieuse hématurique des pays chauds, par le Dr Edouard
Iieckel,professeur à la Faculté des Sciences et à l’Ecole de Médecine
de Marseille. — Extrait du Répertoire de Pharmacie, juin 1891).
Nous avons expérimenté leKinkélibah deux fois sur nous-mêmes
à Nétéboulou, alors que j’étais atteint de rémittente bilieuse,, et à
Oualia contre l’accès bilieux dont nous avons parlé plus haut. Je
m’en suis également servi à Mac-Cartby pour soigner plusieurs
de mes hommes qui y furent atteints de fièvres intermittentes
compliquées d’embarras gastriques prononcés. Je m’en suis toujours
très bien trouvé et n’ai eu à enregistrer que des succès. Je me suis
toujours attaché à suivre à la lettre les indications formulées par le
R. P. Raimbault et j’ai toujours vu le médicament agir comme il
vient d’être dit. D’après ce que nous avons observé, nous croyons
donc que les feuilles de Kinkélibab jouissent de précieuses
propriétés. Il est à n’en pas douter, tonique, diurétique et légère
ment cholagogue. Il est de plus émétique au début, et, par l’emploi
répété, empêche le retour des vomissements. D’après Heckel, ses
propriétés toniques et diurétiques seraient justifiées par la présence
du tannin et du nitrate de potasse. Quant aux autres actions, la
composition chimique n’en donne aucune explication plausible.
André Rançon. — 7.
�Le Sandougou. — Description géographique. — Aspect général — Hydrologie. —
Orographie. — Constitution géologique du sol. — Flore. — Productions du sol.—
Cultures. — Faune. — Animaux domestiques. — Populations. — Ethnologie. —
Situation et organisation politiques. — Rapports avec les autorités françaises. —
Conclusions.
Le Sandougou est peut-être, de tous les pays que nous avons
visités dans le bassin de la Gambie, celui qui présente les frontières
�les mieux définies. Bien que cet Etat ait été mutilé par suite de ce
que les Toucouleurs Torodos s’y sont taillés une petite principauté,
nous n’en donnerons pas moins la description géographique, comme
si cette mutilation n’avait pas eu lieu.
Ses limites extrêmes sont comprises entre les 13° 16’ et 13° 34’
de latitude Nord et les 13° 23’ et 16° 30’ de longitude Ouest.
La Gambie forme sa frontière Sud et le sépare du Fouladougou
au Sud-Est le marigot de Malta-Doua le sépare du Ouli et à l’Est
une ligne fictive serait frontière entre ces deux pays. Cette ligne,
partant de Toubacouta, aboutirait à mi-chemin entre Diabaké et
Koussanar. Enfin, à l’Ouest et au Nord, le Sandougou lui donne
une frontière naturelle. Au Nord, c’est la branche septentrionale
qui forme la séparation. Il conduit à l’Ouest au Niani et au Nord
au Kalonkadougou. Comme on le voit, ce pays est assez important.
Il est très peuplé dans la partie Sud. Sa partie Nord l’est fort peu.
Du Nord au Sud, sa plus grande dimension est d’environ 53 kilom.
et de l’Est à l’Ouest elle est de près de 18 kilom. Sa superficie est
d’environ 2500 kilom.
Description géographique. — Aspect général. — De même que pour
le Ouli, on peut considérer dans le Sandougou deux parties bien
distinctes l’une de l’autre sous tous les rapports, une partie Nord et
une partie Sud. Une ligne fictive allant de Paqueba dans le
Sandougou à Goundiourou dans le Ouli indiquerait d’une façon
à peu près exacte la séparation de ces deux régions.
La partie Nord appartient à la région des Steppes. C’est un pays
plat, à peine vallonné et absolument stérile. Son sol ingrat ne se
prête à aucune culture et il est à peu près inhabité. On n’y trouve,
en effet, que trois villages, Colibentan, Sandougoumana et Lamen,
encore sont-ils situés sur les bords du marigot où la terre est un
peu plus fertile.
Si l’on descend vers le Sud, l’aspect du pays change rapidement,
surtout à partir de Kouta-Counda. Les steppes disparaissent, la
végétation devient plus riche, et la nature du sol se modifie com
plètement. Enfin, à vingt kilomètres environ de la Gambie, nous
trouvons un pays qui présente absolument l’aspect d’une de nos
rivières du Sud. C’est la végétation des tropiques dans toute sa
splendeur. Le sol y est d’une fertilité étonnante et le pays présente
un aspect qui repose la vue du voyageur. En résumé, au Nord
�ANDRE RANÇON
région de steppes stérile et inhabitée, au Sud, région tropicale
riche, fertile et excessivement peuplée. Peu de collines dans le
Sandougou, et celles que l’on y rencontre dans le Sud particuliè
rement sont fort peu élevées. Elles sont, par contre, excessivement
boisées, et, en tout temps, les végétaux qui les couvrent sont cou
verts de feuilles. A notre avis, la partie Sud du Sandougou. est la
plus fertile des régions que nous ayons visitées au Soudan.
Hydrologie. — A ce point de vue, le Sandougou appartient tout
entier au bassin de la Gambie. C’est dans ce fleuve, en effet, que se
jettent tous les marigots qui arrosent le pays, marigots, du reste
peu nombreux et fort peu importants, à part le Sandougou. Si la
Gambie ne reçoit que peu de marigots, par contre, elle forme un
grand nombre de véritables criques qui donnent aux terres qui les
avoisinent une étonnante fertilité.
La région Nord du Sandaugou est fort peu arrosée. Nous n’y
trouvons, en effet, que le Sandougou lui-même tout-à-fait à
l’extrémité Nord. Il forme là deux branches dont Tune passe à
Koussanar et l’autre non loin de Goundiourou dans le Ouli. Bien
que toute l’année il y ait de l’eau, elle n ’y coule cependant pas,
pendant la saison sèche. Comme nous l’avons dit plus haut, cette
région septentrionale est absolument un pays de steppes, et c’est à
peine si de loin en loin on y rencontre quelques mares où croupit
une eau absolument impropre aux usages domestiques.
La région du Sud est, au contraire, puissamment arrosée, non
pas qu’il s’y trouve beaucoup de marigots, mais parce que le sol
est, pour ainsi dire, imprégné par les eaux d’infiltration et cela à
une distance assez considérable du cours du fleuve. Il en résulte
de véritables marécages qui, pendant l’hivernage, sont transformés
en magnifiques rizières et qui se dessèchent pendant la saison
sèche, laissant à nu une couche assez épaisse de vases et d’argiles.
Le pays est parsemé de mares peu profondes, à fonds d’argiles et
de vases qui se dessèchent également pendant la saison sèche.
Le Sandougou, de son embouchure entre Paddy et Fory,
jusqu’aux environs de Sandougoumana, où il se divise en deux
branches, est un large marigot de 60 à 70 mètres environ de
largeur et excessivement profond. Entre ces deux points extrêmes,
en toute saison, l’eau y coule claire et limpide. Non loin de ses
bords, sur les deux rives, s’élèvent des villages relativement
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
101
nombreux. On a pu remarquer à ce propos que les rives de la
Gambie étaient peu peuplées. Les villages que l’on y rencontre
sont assez éloignés du fleuve. Il en est de même pour le Sandougou.
Gela tient à ce que les bords du fleuve sont, pendant l’hivernage
et pendant une bonne partie de la saison sèche, transformés en
véritables marais absolument inhabitables.
En résumé, l’hydrologie du Sandougou est des plus simples :
deux grands cours d’eau, la Gambie et le Sandougou. Pas de
marigots proprement dits, mais de véritables criques que forment
dans l’intérieur des terres les nombreux détours que présente le
fleuve. La région Nord absolument aride, la région Sud, au
contraire, couverte de mares et de marais produits par les infiltra
tions souterraines, transformées en rizières pendant l’hivernage et
à sec pendant la saison sèche.
Orographie. — De ce que nous venons de dire de l’hydro
logie du Sandougou , on peut facilement en déduire ce que
peut être son orographie. Dans la région Nord, terrain abso
lument plat, quelques dunes de sables ou d’argiles compactes
et voilà tout. Pays à peine vallonné. Dans la région Sud, nous
ne trouvons à mentionner comme reliefs de terrain apprécia
bles que la chaîne de petites collines qui longe la Gambie à
environ 1500 mètres cle sa rive et que nous retrouvons dans
tout le cours de ce fleuve, sauf dans une certaine partie du
Tenda. Ces collines sont peu élevées. Elles n’ont guère plus
au maximum de trente à quarante mètres au-dessus du niveau
du fleuve, et elles sont excessivement boisées. Par-ci par-là,
on trouve, en outre, quelques petites collines d’un ou deux
kilomètres de longueur sur 500 mètres ou un kilomètre de
largeur et venues là on ne sait d’où ni comment. Elles sem
blent placées dans les plaines, comme de véritables buttes de
tir et sont couvertes d’arbres. Leurs flancs sont assez à pic,
et, de ce fait même, profondément ravinés par les pluies de
l’hivernage.
De même que sur les bords de la Gambie, nous avons
remarqué une petite chaîne de collines, de même il en existe
une semblable le long du Sandougou, ces collines n’atteignent
pas plus d’une dizaine de mètres de hauteur et sont formées
d’argiles et non de roches, comme les précédentes. Ce sont
�ANDRE RANÇON
plutôt de légères ondulations du sol que des collines véritables.
Constitution géologique du sol. — A ce point de vue , nous
considérons dans le Sandougou deux régions bien distinctes :
la région Nord et la région Sud. Nous avons indiqué plus
haut la ligne qui pourrait les séparer.
Dans la région Nord région de steppes soudaniennes,
nous trouvons à peu près les mêmes terrains que dans le
Kalonkadougou et la partie Nord du Ouli auxquels, du reste,
elle confine. Une couche épaisse de sables, soit alluvionnaires,
soit produits par la désagrégation des roches par les pluies
d’hivernage, recouvre par endroits une couche plus épaisse
d’argiles compactes. En d’autres lieux, cette première couche
fait absolument défaut et on trouve de suite les argiles. Le
sous-sol est généralement formé de terrains ardoisiers, dont
les schistes apparaissent à nu en certains endroits, schistes
lamelleux et micacés surtout. Ailleurs, et le fait est assez rare,
nous trouvons quelques grès et quelques quartz. La roche
et le conglomérat ferrugineux font presque partout défaut.
On n’en trouve que quelques rares échantillons semés par-ci
par-là, on ne sait ni comment ni par qui, véritables cailloux
roulés, blocs erratiques qui ont dû être entraînés dans ces
régions désolées par les inondations. Il est facile de voir, du
reste, qu’ils sont en voie rapide de désagrégation. La latérite
fait absolument défaut.
Telle est la constitution géologique du sol de la région méri
dionale du Sandougou. A mesure que nous descendons dans le Sud,
l’aspect du terrain change absolument. Les sables du et Nordles
argiles disparaissent quand on approche de la Gambie. Elles font
place à un tout autre terrain qui mérite une description toute
particulière.
Tout d’abord le sous-sol n’est plus le même. Les schistes du
terrain ardoisier ont disparu pour faire place aux quartz, grès et
conglomérats ferrugineux. Par-ci, par-là, la roche émerge au-dessus
de la croûte terrestre et forme ces collines isolées, rouges, dont
nous avons parlé plus haut. Ailleurs ce sont de vastes plateaux
rocheux, creusés parfois en cuvettes remplies d’eau pendant la
saison des pluies. Plus on approche de la Gambie et plus le soussol rocheux est profondément enfoui sous une épaisse couche de
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
103
terres fertiles et cultivées. Cette couche diffère suivant les endroits
où on l’étudie. Au nord, au point où commence la région méri
dionale, elle est formée d’une couche peu épaisse de latérite que
recouvre un sable excessivement fin, produit par la désagrégation
des roches cristallines. Plus au sud, nous avons bien toujours la
même couche de latérite; mais les sables ont disparu et ont fait
place en certains endroits à une couche relativement épaisse
d’humus, et, en d’autres, dans les marais, à une couche vaseuse qui
repose elle-même sur une couche épaisse d’argiles compactes.
Ainsi que nous l’avons dit plus haut, les rives de la Gambie à
un kilomètre environ à l’intérieur des terres sont couvertes de
marécages pendant l’hivernage, et, pendant la saison sèche, pré
sentent une couche relativement épaisse d’alluvions récentes,
séchées, durcies et profondément fendillées par l’action du soleil et
du vent d’Est.
Les collines qui la bordent sont formées de terrains identiques
au sous-sol que nous venons de décrire. En maints endroits, la
roche s’y montre à nu. Cela est dû à ce que les flancs sont assez
abrupts pour que les grandes pluies d’hivernage entraînent dans la
plaine toute la terre qui peut s’y trouver. Aussi sont-elles profon
dément ravinées.
Flore. Productions du sol. Cultures. — La région nord est abso
lument stérile. Nous n’y trouvons que la flore des terrains pauvres
en humus, quelques mimosées rachitiques aux dards acérés et
autres végétaux aux formes bizarres, étranges, que le sol n’a pu
faire se développer d’une façon normale. Dans le fond des vallons
où croupit, pendant la saison des pluies, une eau absolument
impropre à n’importe quel usage domestique que ce soit, on trouve
une brousse maigre formée de quelques graminées minces et
ténues et de quelques cypéracées.
On comprend aisément ce que peuvent être les cultures dans
un pareil terrain et ce que peut produire le sol. Hâtons-nous de
dire toutefois que cette région est à peu près inhabitée, sauf en
deux ou trois endroits où la terre, étant plus fertile, se sont cons
truits les villages de Colibeutan, Sandougoumana et Lamen. Le
mil est la principale culture, pour ne pas dire la seule. C’est sur
tout la variété baciba qui y est cultivée. Si nous citons, outre cela,
�ANDRE RANÇON
le tabac, et quelques lougans d’arachides, nous aurons épuisé les
cultures de la région Nord.
Autant la région Nord est pauvre, autant la région Sud est
riche. La végétation y est d’une rare vigueur et rappelle, celle de
nos Rivières du Sud. Légumineuses gigantesques, N’tabas, fromagers
caïl-cédrats, ficus énormes et de toutes natures, baobabs, etc., etc.,
y abondent. Le sol y produit tout ce que les indigènes y veulent
bien cultiver. Le mil, le maïs y atteiguent des proportions énormes
et y donnent un rendement considérable. Le riz y abonde et forme
la plus grande partie de l’alimentation indigène. C’est surtout sur
les bords du fleuve et du marigot, à deux ou trois kilomètres de
leurs cours, que se trouvent les plus belles et les plus riches
rizières du Sandougou. Mais de toutes les cultures, celle qui est
la plus développée et qui donne le rendement le plus considérable
est assurément celle de l’arachide. Tout, du reste, concourt, dans
le Sandougou, à rendre cette culture excessivement productive :
la nature du terrain et le zèle des travailleurs, qui s’y livrent sur
une grande échelle ; car ils savent qu’ils en tireront profit. Les
arachides du Sandougou sont très belles et sont fort recherchées
des commerçants de la Gambie. Elles sont de beaucoup supérieures
à celles du Cayor et du pays de Galam. Si l’on parcourt le Sandougou
on pourra constater que toute la bande de terrain qui, des rives
du fleuve, s’étend à environ quinze kilomètres à l’intérieur, est
presque uniquement occupée par cette culture et, encore, que de
terrains perdus et qui pourraient être utilisés. Outre les cultures
mentionnées plus haut, nous citerons encore le tabac, l’oseille,
les cucurbitacées de toutes sortes, le coton, etc., etc. Cette dernière
culture est excessivement développée et avec le produit on fabrique
dans le pays une étoffe qui sert de monnaie.
En résumé, le Sandougou, dans sa partie Sud, peut être consi
déré comme le pays le plus fertile de cette région. Il suffirait de
peu d’efforts pour augmenter d’une façon notable sa production.
Malheureusement, la plus grande partie des terres qui seraient
susceptibles de culture ont été cédées par nous aux Anglais par
le traité qui détermine nos possessions et les leurs en Gambie.
Par contre, dans cette région, le commerce qui s’y fait est heureu
sement entre les mains de la Compagnie Française de la côte
occidentale d’Afrique et du Sénégal.
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
Faune. Animaux domestiques. — La faune est
grands fauves y font complètement défaut, et c’e
y trouve quelques sangliers et quelques rares bic
lopes. Peu d’animaux nuisibles. Nous ne citerons (
hyènes, lynx et panthères, encore sont-ils très rar<
bie et le Sandougou foisonnent les caïmans et les lnppupuiames.
Les animaux domestiques y sont les mêmes que dans les
autres pays. Beaucoup, beaucoup de bœufs petits, mais de bonne
qualité. Le lait que donnent les vaches est absolument de qualité
supérieure et lesPeulhs du pays en fabriquent un beurre qui n’est
pas à dédaigner, surtout quand il a été battu à nouveau et nettoyé
avec soin. Le commerce des peaux de bœufs qui se fait avec MacCarthy est assez important et il ne ferait que s’accroître si les
habitants amélioraient leurs procédés d’élevage. Peu de chevaux,
ceux que l’on y trouve viennent du Ouli, du Niani et même du
Cayor. Par contre, tous les villages regorgent littéralement de
moutons, chèvres, poulets, canards. Mentionnons pour mémoire
les chiens très nombreux et qui sont les agents les plus actifs et
les seuls, du reste, de là voirie. Peu de chats.
Population. Ethnologie. — Relativement à son étendue, le San
dougou est peu peuplé. Cela tient à ce que la région Sud est seule
habitée. Il n’y a guère plus d’une douzaine de mille habitants, ce
qui nous donne à peu près 4,5 habitants par kilomètre carré, ce
qui est cependant au Soudan une proportion relativement élevée.
On y trouve des peuples de plusieurs races différentes : Malinkés
musulmans, Peulhs, Toucouleurs, Sarracolés, Ouolofs.
1° Malinkés musulmans. — Ce sont les maîtres du pays, les pro
priétaires du sol. Ce sont eux qui, venus les premiers dans le San
dougou après les migrations du Manding, le colonisèrent. Une
seule famille occupa d’abord ce pays relativement étendu : celle des
Dioulas. Ce sont encore les chefs du Sandougou. Quand, comment
et à la suite de quels événements se convertirent-ils à l’Islamisme,
nous ne saurions le dire. Tout ce que nous pourrions affirmer,
c’est que, dans le Sandougou, tous les Malinkés, à quelque famille
qu’ils appartiennent, sont musulmans et musulmans fanatiques.
Aussi la plus grande partie de la population prit-elle fait et cause
pour le marabout Makmadou-Lamine.
Le Malinké du Sandougou est loin de présenter le type du parfait
�ANDRE RANÇON
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abruti que possède à uu si haut degré le Malinké non musulman du
Ouli et du Kalonkadougou, par exemple. Il est intelligent, a l’esprit
fort éveillé et ses traits présentent une finesse que n’ont pas ceux
des autres Malinltés. Il est travailleur (autant, bien entendu, qu’au
nègre peut l’être) et propre. Les villages sont mieux construits,
mieux entretenus. Dans chaque village se trouvent une ou plu
sieurs mosquées, bien faites, bien disposées et couvertes en paille.
Les abords en sont toujours excessivement propres, et ce ne sont
pas les endroits les moins fréquentés du village. Les usages,
coutumes, etc., sont chez eux les mêmes que chez les autres
peuples musulmans.
2° Peulhs. — Les Peulhs sont très nombreux dans le Sandougou.
Ils s’y livrent avec ardeur à la culture et à l’élevage. Ils sont là
aussi sales que partout ailleurs et leurs villages y sont les mêmes
que dans les autres pays. Non loin d’être musulmans, ce sont, au
contraire des ivrognes fieffés; d'où sont-ils venus? Tout porte à
croire qu’ils ont suivi les premiers colons et qu’à ce petit noyau
sont venues se joindre d’autres familles émigrées du Cayor, FoutaDjallon et surtout du Fouladougou. Le Peulh est, nous le savons, une
race excessivement nomade. Il vit presque partout dans une espèce
de sujétion vis-à-vis des propriétaires du pays. De ce fait même
qu’il est nomade, il est exposé, dans ses pérégrinations, à être, à
chaque instant, pillé. Aussi cherche-t-il un coin où la terre soit
bonne pour y fixer sa tente, et quand il l’a trouvé, il s’y installe
avec sa famille et avec l’autorisation du chef du pays dont il est,
pour ainsi dire, l’humble serf. Je ne saurais mieux comparer l’état
de sujétion dans lequel vit le Peulh vis-à-vis de son protecteur.
Celui-ci parfois le rançonne et le pressure à outrance, ce qui
entraîne souvent de grandes émigrations. D’autres, plus intelligents,
le laissent en paix dans ses lougans, comprenant qu’il est une
véritable source de richesse et de bien-être pour son pays. Malgré
tout cela, le Peulh jouit de sa liberté entière et dans le Sandougou
plus que partout ailleurs. Il ne contribue pas peu à augmenter la
richesse du pays. C’est ce qu’ont compris les maîtres du Sandougou.
3° Sarracolés. — Nous trouvons encore dans le Sandougou
quelques Sarracolés. Ils y ont formé trois villages auprès de villages
Malinltés sous la tutelle desquels ils semblent se trouver. Ces Sar
racolés sont venus les uns du Guidioumé, lors de la conquête du
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
107
Kaarta par El-Hadj Oumar, les autres du pays de Ghabou (aujour
d’hui Fouladougou), lors de la conquête de ce pays par le père de
Moussa-Molo, Alpha-Molo et par Moussa-Molo lui-même. Ils sont
venus les uns et les autres, chassés par les conquérants, se réfugier
là. Ils y vivent en paix en cultivant leurs lougans et faisant un peu
de commerce, fort respectueux de l’autorité de ceux qui leur ont
donné l’hospitalité et qui les ont protégés.
4° Ouolofs. — Quelques centaines de Ouolofs émigrés du Bondou
sont également venu se fixer dans le Sandougou pour fuir les
exactions des Almamys et surtout des membres de leur famille.
Ils ont formé deux villages où ils vivent fort heureux, disent-ils,
et où personne ne les tracasse et ne les empêche de cultiver leurs
champs et d’élever leurs troupeaux. Ils reconnaissent l’autorité
des maîtres du pays et ceux-ci ont le bon esprit de ne pas les
pressurer. Ils sont, en résumé, absolument libres sur le sol du
Sandougou.
5° Toucouleurs. — Ils forment, après les Peulhs, dans le San
dougou, la colonie la plus nombreuse et ont réussi à se rendre
indispensables et indépendants. Il forment un petit État. Ce sont
des Torodos venus du Fouta-Toro. Ils sont grands cultivateurs de
mil,arachides, etc., et leur situation toute particulière à l’embou
chure du Sandougou, dans la partie la plus fertile du pays, leur
permet d’avoir des cultures fort étendues et d’en retirer, chaque
année, un profit certain en vendant leurs produits à Mac-Carthy
qui est peu éloigné.
Situation et organisation politiques. — Il faut remonter à quel
ques années afin de bien comprendre quelle est la situation poli
tique actuelle du Sandougou. Le Sandougou, tel que nous venons
de le décrire et dans les limites naturelles que nous lui avons
données a, de tout temps, appartenu à la famille des Malinkés
musulmans des Dioulas à laquelle appartient encore aujourd’hui
le chef de ce pays, Guimmé-Mahmady.
Il y a environ vingt ou vingt-cinq ans, le pouvoir était entre
les mains du frère du chef actuel. De son vivant, quelques Toucou
leurs Torodos, établis dans le Niani à Koussalan, vinrent, sous la
conduite de leur chef Maka-Cissé,demander au chef du Sandougou
l’autorisation de s’établir à Niankoui, non loin de l’embouchure
du Sandougou. Non seulement l’autorisation leur fut accordée,
�ANDRE RANÇON
mais encore on leur donna le terrain en nu-propriété. Les Toucouleurs s’établirent là, y construisirent le village de Niankoui
qu’ils appelèrent Dinguiray et s’y retranchèrent fortement derrière
un solide sagné qui leur permit de repousser les attaques inces
santes de leurs voisins, les Malinkés musulmans de Gounty (Niani).
Mais là, comme partout ailleurs, du reste, les Toucouleurs tirent
la tache d’huile et continuèrent -à agrandir leur territoire. Des
Torodos vinrent du Fouta se ranger auprès de Maka-Cissé. D’où
nouvelles demandes de terrains au chef du Sandougou qui accor
dait toujours, heureux de voir se peupler son pays et ne compre
nant pas qu’un jour viendrait où les Toucouleurs seraient plus
maîtres que lui. C’est ainsi que se fondèrent une demi douzaine
de villages Torodos qui reconnurent Maka-Cissé pour chef.
Vers la même époque, un autre Toucouleur, Ousman-Celli,
émigré lui-même du Fouta-Toro, vint s’établir avec sa famille et
quelques amis non loin du Sandougou, à Oualia. Il y fonda un
gros village et à quelques centaines de mètres du marigot établit
son frère à Saré-Demboubé.
Je passe sous silence les faits antérieurs qui intéressent MakaCissé et Ousman-Celli et la vie toute d’aventures qu’ils menèrent
jusqu’au jour où ils vinrent se fixer définitivement dans le San
dougou, avec l’assentiment du chef de ce pays, qui leur prodigua
tous les terrains dont ils pouvaient avoir besoin.
Tant qu’il vécut, tout alla bien et les deux fractions s’entendi
rent à merveille, les Toucouleurs reconnaissant son autorité ;
mais, à sa mort, le pouvoir devait échoir à son frère GuimméMahmady, encore enfant. Profitant de cela, un ancien captif de la
famille régnante, Mody-Fatouma, prit en main l’autorité, et, sans
la guerre contre le marabout Mahmadou-Lamine, il régnerait peutêtre encore dans le Sandougou. Je n’ai pas besoin de dire que
dans tout le désordre qui accompagna cette transmission des
pouvoirs, les Toucouleurs surent tirer parti de la situation et
firent reconnaître leur indépendance absolue vis-à-vis du Sandou
gou. Mais la guerre contre Mahmadou-Lamine venait d’éclater, et,
bien entendu, Mody-Fatouma, en sa qualité de musulman, alla se
ranger sous la bannière du faux prophète avec tous ses guerriers.
Les Toucouleurs, plus rusés et sentant quelle serait l’issue de la
lutte, vinrent, sous la conduite de leurs chefs Maka-Cissé et
�109
DANS LA HAUTE-GAMBIE
Ousman-Celli, grossir la troupe des auxiliaires de la colonne qui
opéra contre Toubacouta. Ce village pris, le marabout mort, le
capitaine Fortin, pour remettre les choses en état dans le Sandougou, lança notre allié, Moussa-Molo et ses Peulhs, contre ModyFatouma,qui,fait prisonnier,eut la tête tranchée.Guimmé-Mahmady,
le véritable chef du Sandougou, fut rétabli dans son autorité.
L’indépendance des Toucouleurs fut de nouveau reconnue et, en
1889, le capitaine Briquelot fut chargé d’établir les limites des
deux pays.
Il existe donc, à proprement parler, dans le Sandougou, deux
parties, l’une, la véritable, celle de Guimmé-Mahmady, que nous
désignerons sous le nom de Sandougou oriental, et l’autre com
mandée par Maka-Cissé, et que nous désignerons sous le nom de
Sandougou occidental.
Dans toutes ces affaires, Ousman-Celli, ne voulant pas voir l’au
torité Toucouleure divisée, se rangea sous les ordres de Maka-Cissé;
mais celui-ci conserva à son village toutes ses prérogatives et
libertés.
Le Sandougou oriental (Guimmé-Mahmady) est bien plus vaste
que son voisin. Sa population peut être estimée à environ 6 à 8.000
habitants, Malinkés, Peulhs, Sarracolés, Toucouleurs, dont voici
les villages :
1° Villages Malinkés musulmans.
Dalésilamé.
Toubacouta.
Kouongo.
Koundansou
Boulembou.
Tiangali.
Diakaba.
Missira (résidence du chef).
Diabougou.
Tabadian.
Couraho.
Paqueba.
Médina.
Sandougoumana.
2° Villages Peulhs.
Pilengui.
Saré-Demba-Laba.
Saré-Dadé.
Diamkoulori.
Souma-Counda. Sara-Ouri.
Ouali-Dembera. Ahmadyciré.
Tiangali-Foulbé.
Saré-Fodigué.
Saré-Bourandio.
Sidigui-Counda.
Saré-Koli-Demou.
�110
ANDRÉ RANÇON
3° Villages Toucouleurs.
Alphagaia.
Dialloubé.
4° Villages Sarracolés.
Dalésilamé.
Diabougou.
Boulembou.
Le Sandougou occidental (Maka-Cissé) est bien moins important
que le précédent. Il ne compte guère plus de 4 à 5.000 habitants.
Autour des villages Toucouleurs se sont élevés quelques villages
Ouolofs et Peulhs. Du reste, les Toucouleurs font tout ce qu’ils
peuvent pour attirer chez eux les émigrants, et nul doute que ce
petit pays ne soit appelé à un avenir certain. Voici la liste de ses
villages :
1° Villages Toucouleurs.
Naoudé.
Saré-Demboubé
Oualia.
Kamana-Counda
Alimakaia.
Dinguiray ou Niankoui
(résidence du chef).
2° Villages Ouolofs.
Tabandi
Baia.
3° Villages Peulhs.
M’Barani. Saré-Demba-Ouali. Saré-Guéda. Saré-Dialo.
D’après ce que nous venons de d ire, on comprend que la
situation ne soit pas des plus amicales entre les deux chefs du
Sandougou. Sans doute, Guimmé-Mahmady ne peut faire
autrement qu’accepter ou plutôt supporter une situation qu’ont
créée ses prédécesseurs et que des traités ont sanctionnée. Mais il
n’en existe pas moins une sourde hostilité entre les deux pays, et
on en serait déjà venu aux mains si nous n ’étions pas là. GuimméMahmady voit bien où tendent les Toucouleurs, à s’agrandir sans
cesse à ses dépens. Il n’est que temps qu’une solution intervienne
et que des limites certaines soient assurées aux deux États, afin
que chacun reste chez soi et pour éviter ainsi tout conflit. Un grand
pas a déjà été fait dans ce sens, grâce à l’énergie de M. le capitaine
Roux, commandant du cercle de Bakel, et à la connaissance
approfondie qu'il a des affaires de ce pays. Mais il y a encore
_________
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
111
beaucoup à faire pour arriver à y étouffer tous les germes de
discorde qui sont le plus grand obstacle à son développement.
Comme dans tous les pays noirs, le sol, dans le Sandougou,
appartient aux maîtres du pays. Les habitants ne sont, pour ainsi
dire, que des usufruitiers. Il n’existe aucun impôt et l’autorité du
chef du pays vis-à-vis des autres chefg de villages est bien peu de
chose. Elle se borne uniquement à un rôle de juge et à commander
les guerriers pendant la guerre. J ’ai cru cependant remarquer que
Guimmé-Mahmady, de même que Maka-Cissé, du reste, étaient
plus obéis que les autres chefs de pays que nous avions vus
jusqu’à ce jour. Tous les deux ont le bon esprit de ne pas imiter
leurs voisins du Ouli et de ne pas pressurer les populations qui
viennent leur demander l’hospitalité. Peulhs, Toucouleurs, Malinkés musulmans, Sarracolés, Ouolofs jouissent partout des
mêmes libertés et tous se trouvent fort heureux de leur sort. Il
se fait, du reste, du Bondou, du Fouta-Toro, du Saloum et du
Fouladougou un véritable courant d’émigration qui permet de
rendre ce pays encore plus prospère dans un avenir plus ou
moins éloigné : chaque année, les cultures y augmentent d’une
façon notable et nous ne doutons pas que s’il s'y établissait une
ou plusieurs factoreries, le commerce, déjà assez important, ne
ferait que croître et se développer dans une notable proportions.
Rapports avec les autorités Françaises. — Conclusions. — Le
Sandougou tout entier est placé sous le protectorat de la France,
depuis 1887, après les événements de Toubacouta et la mort du
marabout Mahmadou-Lamine. Depuis cette époque, nous n’avons
eu qu’à nous louer des rapports que nous avons eu tant avec l’un
qu’avec l’autre des deux chefs, et les clauses du traité ont toujours
été scrupuleusement exécutées. L’ordre n’a pas cessé de régner
dans le pays, et le commerce a pu s’y faire librement et en toute
sécurité. Au point de vue politique, administratif et judiciaire,
le Sandougou relevait autrefois du commandant du cercle de
Bakel et du commandant supérieur du Soudan Français. Actuel
lement, d’après les dernières dispositions prises par le gouver
nement, il a été rattaché à la colonie du Sénégal et relève de son
gouverneur.
En résumé, le Sandougou est un pays riche, du moins dans
sa partie Sud, et qui tend à se développer. Nous ne saurions trop
�ANDRE RANÇON
faire pour le favoriser. Aussi notre premier soin doit-il être de
faire cesser au plus tôt les discussions qui existent entre GuimméMahmady et Maka-Cissé. Malheureusement, le pays était trop
éloigné de notre centre d’action pour que notre protectorat s’y
fît sentir d’une façon efficace et profitable. Monsieur le gouver
neur du Sénégal a remédié, à cet état de choses en établissant
dans ces régions un administrateur colonial dont la présence
suffira pour y ramener la bonne entente et qui pourra régler
sur les lieux les questions qui divisent les deux chefs. Quand ce
résultat aura été obtenu, nous devrons faire tous nos efforts pour
y créer un véritable courant commercial à notre profit et, pour
y arriver, il suffira de protéger le plus possible le commerce déjà
existant et d’en favoriser le développement.
�CHAPITRE VI
Départ de Oualia.— Passage du Sandougou.— Cissé-Counda-Teguenda. — Countiao.
— Cissé-Counda. — Arrivée à Koussalan. — Grande fatigue éprouvée pendant
la route. — Description de la route du Sandougou à Koussalan. — Koussalan,
sa population, son chef. — Beaux lougans. — Le mil. — Le maïs. — Le tamari
nier. — Départ de Koussalan. — Carantaba. — Beaux jardins d’oignons. —
Calen-Foulbé. — Calen-Ouolof. — Description de la route de Koussalan à CalenOuolof. — Le Laré ou Saba, liane à caoutchouc. — Je reçois une lettre de
M. l’Agent de la Compagnie française à Mac-Carthy. — Nuit sans sommeil. —
Les moustiques. — Départ de Calen-Ouolof. — Rosée abondante.— Y ola.—
Couiaou. — Lamine-Sandi-Counda. — Medina-Canti-Countou. — Arrivée à
Lamine-Coto. — J’y trouve M. Joannon, agent de la Compagnie française à MacCarthy. — Réception amicale. — Arrivée à Mac-Carthy. — Description de la
route de Calen-Ouolof à Mac-Carthy. — Le riz et les rizières. — Le rônier. —
Installation et séjour à Mac-Carthy. — Réception sympathique. — Arrivée de
MM. Frey et Trouint, agents de la Compagnie.— Nombreux achats en prévision
de mon voyage au Kantora, à Damentan et aux pays des Coniaguiés. — Nous
sommes tous malades. — Départ retardé.
Malgré une nuit sans sommeil et une grande faiblesse, je pus
quitter Oualia le 3 novembre à six heures du matin. Ousman-Celli
avait tenu à m’accompagner et à assister en personne avec quel
ques-uns de ses hommes au passage du Sandougou, afin que tout
se passât régulièrement ; à six heures trente nous traversons le
petit village de Saré-Demboubé, qui dépend de Oualia, et, à six
heures cinquante, nous sommes sur les bords du Sandougou. Le
passage commence immédiatement. A l’aide des pirogues tout se
fait rapidement et sans accident. Seul, le cheval de Sandia nous
donna quelque ennui, car ne voulant pas entrer dans l’eau qui
est très profonde, il fallut l’y précipiter. Tenu alors par la bride,
par son palefrenier assis dans la pirogue, il nagea vigoureusement
et atteignit sans encombre l’autre rive. Je passai le dernier quand
tout eût été terminé et que j’eus bien constaté que rien ne man
quait. Pendant toute la durée de l’opération je fus obligé de rester
assis sur la berge tant était grande la lassitude que j’éprouvais.
André Rançon. — 8.
�114
ANDRÉ RANÇON
Ousman-Celli ne me quitta pas un instant et insista même encore
pour que je restasse chez lui plus longtemps afin de me reposer et
me rétablir complètement. Malgré le désir que j’en avais, je
refusai et le remerciai de sa bonne hospitalité. Enfin, à 7 h. 45, je
pus me remettre en route, bien que j’eusse encore des nausées et
de fréquents vertiges.
Nous n’avions pas quitté la rive droite depuis dix minutes
que nous traversions le petit village de Cissé-Counda-Teguenda. Il
peut avoir environ cent cinquante habitants, tous Malinkés
Musulmans, et il est entouré de beaux lougans de mil. Au
moment où nous les avons traversés les travailleurs étaient
occupés à en courber les tiges en deux, sans doute pour lui per
mettre de mieux mûrir. Elles sont si élevées, qu’ils sont obligés,
pour en attirer à eux l’extrémité, de se servir d’un long bambou
terminé par un crochet.
Deux kilomètres après avoir quitté Cissé-Counda-Teguenda,
nous traversons le marigot de Countiao M’Bolo, transformé à cette
époque de l’année en véritable rivière. Nous rencontrons à ce
moment le fils du chef deKoussalan, que son père envoie à notre
avance pour nous souhaiter la bienvenue. Je lui serre la main et
le remercie de sa prévenance. Je fus d’autant plus satisfait de cette
démarche qu’on m’avait dit à Oualia que je serais mal reçu à
Koussalan. Le fait d’être venu au-devant de moi me prouva le
contraire et je poursuivis la route complètement rassuré sur
l’accueil qui m’attendait.
Dix minutes après avoir traversé le marigot de Countiao nous
arrivons au village qui lui a donné son nom.
Countiao. — C’est un village de Malinkés musulmans dont la
population peut s’élever à quatre cents habitants environ. Il tombe
littéralement en ruines et on y voit encore les derniers vestiges d’un
tata en pisé qui devait être assez sérieux. Bien que je ne fus à
cheval que depuis trente^cinq minutes au plus, je suis forcé de
mettre pied à terre. Je suis littéralement à bout de forces, à peine
me suis-je installé sous un superbe N’taba pour y prendre un peu de
repos que je suis pris de violents vomissements. A plusieurs reprises
j’expectore une notable quantité de bile et, soulagé, je puis me
remettre en route sans avoir pu goûter au lait que le chef du village
était venu m’offrir pour me désaltérer.
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
115
Deux kilomètres plus loin nous laissons sur notre droite le gros
village Malinké musulman de Cissé-Counda. Il s’élève au fond d’une
petite vallée absolument couverte de lougans d’arachides et m’a
paru bien construit, bien que le tata qui l’entoure tombe en ruines.
Ce tata, à en juger par les pans de mur qui sont encore debout,devait
avoir au minimum une hauteur de quatre mètres et une largeur de
deux mètres à la base et un mètre vingt-cinq centimètres au sommet.
D’après les renseignements qui m’ont été donnés, c’était un des plus
importants de la région.
Enfin, à neuf heures trente-cinq minutes, exténué et mourant de
soif, j’aperçois avec plaisir les toits pointus de Koussalan, but de
l’étape, ou nous mettons pied à terre peu après. 11 était temps, je
ne tenais plus à cheval. J ’avais mis trois heures et demie pour faire
les 12 kilom. qui séparent Oualia de ce dernier village. Je n’avais pu
marcher avec l’allure qui m’était habituelle, obligé de me reposer
fréquemment.
A peine installé dans la case qui avait été préparée à mon inten
tion, je me fis faire aussitôt par Samba, mon cuisinier, une légère
tisane de feuilles de Kinkélibah. J’en bus en quelques heures plu
sieurs verres, et dans l’après-midi, à quatre heure, une abondante
débâcle bilieuse étant survenue, la fièvre qui durait depuis vingtquatre heures tomba brusquement. Je fus immédiatement soulagé
et pus travailler un peu et manger le soir avec assez d’appétit
quelques œufs à la coque et un peu de cette crème que Samba
savait si bien confectionner.
De Oualia à Koussalan la route est bornée à droite et à gauche
par une suite ininterrompue de lougans et de rizières qui s’étendent
à perte de vue. C'est surtout aux environs de Countiao, Cissé-Counda
et même Koussalan que se trouvent les rizières. Car ces villages
sont entourés de vastes marais à fonds argileux. Le terraiu présente
ailleurs la même constitution que le reste du pays, latérite, terrain
ferrugineux et argiles compactes. La flore ne change pas. Les
arbres sont plus volumineux, voilà tout. Beaucoup de N’tabas.
Koussalan. — Koussalan est un village d’environ 1,200 habitants.
Sa population est uniquement composée de Toucouleurs-Torodos
émigrés du Fouta. Il est mal entretenu et on y voit encore les ruines
d’un tata qui devait être assez respectable. Aujourd’hui, c’est un
village absolument ouvert. Seules les cases du chef sont entourées
�ANDRE RANÇON
d’un mauvais sagné, fortification faite avec des billes de bois join
tives d’environ deux mètres cinquante centimètres de hauteur. Il
est construit mi-partie à la mode Malinkée (cases en terre et toit en
paille) et mi-partie à la mode Toucouleure (cases entièrement en
paille).
Son chef porte le titre d’Alcati. — L’Alcati, dans les pays Toucouleurs et Sérères,est à proprement parler plutôt un chef militaire
qu’un chef de village. On donne toutefois assez généralement ce
titre aux chefs de village qui ont quelque renommée guerrière et on
ajoute ce qualificatif à leur nom. Ainsi on dira Demba-AIcati,
Samba-Alcati, etc., etc. Souvent aussi on se contente pour le dési
gner d’ajouter au nom de son village le mot Alcati. On dira de
même Koussalan-Alcati, Fatick-Alcati, etc., etc. L'Alcati actuel de
Koussalan est un vieillard d’environ une soixantaine d’années,
encore vert, actif et vigoureux. Il me reçut fort bien et ne laissa
manquer de rien ma caravane pendant la journée que nous avons
été ses hôtes. Par contre, la population, à part quelques notables, est
assez indifférente. Elle s’adonne surtout à la culture et à l’élevage et
chaque famille possède de nombreuses tètes de bétail et des greniers
bien remplis de mil, maïs, riz, arachides, etc.
Koussalan soutint, dans le courant de l’année 1879, un siège
fameux contre l’armée alliée de Boubakar-Saada, almamy du
Bondou, Alpha-Ibrahima, chef de Labé (Fouta Djallon) et MoussaMolo, fils du roi du Fouladougou, Alpha-Molo. Koussalan, quelques
années auparavant, avait reçu bon nombre de captifs évadés de
Naoudé, village du Ferlo-Bondou, appartenant à Boubakar-Saada.
Malgré les demandes réitérées de ce dernier il avait toujours refusé
de les rendre. Aussi, fatigué de réclamer sans cesse sans obtenir
satisfaction, l’almamy du Bondou se décida-t-il à aller attaquer
Koussalan pour rentrer dans son bien.
Dans le courant de mars 1879, l’armée alliée traversa la Gambie
et les deux rois vinrent camper entre Sini et Makadian-Counda
(Ouli). Alpha-Molo, malade, était rentré dans sa capitale, et son
fils, Moussa-Molo, avait pris le commandement des guerriers de
Fouladougou. Du Ouli, Alpha-Ibrahima et Boubakar envoyèrent
des émissaires dans le Niani, à Koussalan, pour exhorter les habi
tants de ce village à revenir à de meilleurs sentiments et à laisser
les captifs de Naoudé rentrer dans leur village. Mais, les Toucou-
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
117
leurs se fiant à la solidité de leurs sagnés et de leurs tatas, s’y refu
sèrent net et battirent le tam-tam de guerre. Ils réunirent dans
leurs murs un grand nombre de guerriers de la région Ouest de
Koussalanet attendirent patiemment. Les villages de la région Est
avaient fait partir les femmes, les enfants et les vieillards. Seuls,
les guerriers valides étaient restés pour pouvoir, en cas d’attaque,
défendre leurs cases. Vers la fin de mai, Boubakar et ses alliés
quittèrent le Ouli et se mirent en marche contre Koussalan. Arrivés
dans le Sandougou, les alliés envoyèrent de nouveau des émis
saires aux Toucouleurs pour leur réclamer encore ceux qu’ils
détenaient injustement. Non seulement on ne les laissa pas parler
mais encore deux d’entre eux furent mis à mort. A cette nouvelle,
les alliés n’hésitèrent plus et marchèrent contre le village ennemi.
Mais, dès leur arrivée devant la place, quand ils virent les formi
dables sagnés dont elle était entourée et les nombreux guerriers
qui garnissaient ses murs, ils reconnurent qu’il leur serait difficile
de l’emporter de vive force. Ils résolurent alors d’en faire le siège
en règle et, pour cela, l’armée du Bondou prit position à l’Est, celle
du Fouta-Djallon au Nord et celle du Fouladougou au Nord-Est. De
forts sagnés furent construits à environ une portée de fusil de
ceux du village afin d’abriter les hommes et, du matin au soir, ce
ne fut plus, chaque jour, qu’un échange continuel de coups de
fusil. Cependant les assiégeants parvinrent à franchir le fossé qui
entoure le village et à faire évacuer les postes qui se trouvaient
entre le fossé extérieur et le sagné. Ils réussirent même à ouvrir
quelques portes du sagné en coupant les lianes qui les retenaient.
Mais, malgré ces quelques succès, l’armée alliée se décimait sans
obtenir de grands résultats, et élle se disposait à donner un
assaut décisif lorsque tout à coup on entendit de grands cris du
côté du campement du Fouladougou. C’était du secours qu
arrivait à l’ennemi, par la route de Carantaba. Ce fut une panique
indescriptible dans les rangs de l’armée alliée. Tous ses guerriers
s’enfuirent à la hâte. La déroute fut générale. Alpha-Ibrahima et
Boubakar, abandonnés par leurs hommes, n’eurent que le temps de
monter à cheval et de s’enfuir. Ils faillirent même être cernés par
des cavaliers ennemis, dont quelques-uns arrivèrent jusqu’à eux,
et ils eussent été faits prisonniers si Ousman-Gassy et Modi-Yaya
ne s’étaient pas vivement portés à leur secours et n’avaient pas dis-
�7
■ ».; yrtv-;-'-'-'
ANDRE RANÇON
persé les assaillants. Toute la soirée, ils couvrirent la retraite des
deux rois, et tous purent repasser le Sandougou, au gué de Paqueba.
Ils rentrèrent alors à Sini, où ils se reposèrent deux jours, pour
rallier leurs hommes, dispersés de tous côtés et que les guerriers du
Niani et du Sandougou poursuivirent jusque dans le Kalonkadougou
et sur les bords de la Gambie. Trois cents hommes environ lurent
tués, neuf cents faits prisonniers et cinq ou six cents avaient dis
paru. Trois jours après, Boubakar se sépara de ses alliés et reprit
le chemin du Bondou. Alpha-Ibrahima rentra à Labé, après avoir
traversé la Gambie à Passamassi, et Moussa-Molo regagna le Fouladougou par Oualiba-Counda. Boubakar-Saada ne revint plus
attaquer Koussalan.
Dans la guerre contre le marabout Mahmadou-Lamine, Kous
salan prit parti pour nous et ses guerriers combattirent à nos côtés
à Toubacouta. Aujourd’hui que la paix de ces contrées n’est plus
troublée, les Toucouleurs se livrent en toute sécurité à la culture
de leurs lougans. Ils en ont grand soin et, chaque année, récoltent
en abondance mil, maïs, arachides, etc., etc.
Le Mil. —Le mil (Sorghum vulgare) forme au Sénégal, au Soudan,
en un mot dans la plupart des régions de l’Afrique tropicale, la base
de l’alimentation des indigènes et de leurs bestiaux. G’est une gra
minée de haute stature dont la tige atteint parfois en certaines
régions trois et quatre mètres de hauteur. Il croît, de préférence,
dans les climats chauds, où les deux saisons, sèche et pluvieuse,
sont parfaitement tranchées. Il demande un sol assez fertile et riche
surtout en nitrate de potasse.
Son grain est petit, rond. Il est enveloppé de deux écailles
coriaces, résistantes, difficiles à séparer, de couleur tantôt noirâtre,
tantôt rouge foncé.
On le sème au commencement de la saison des pluies, vers la fin
mai ou dans les premiers jours de juin, et la récolte se fait pendant
la saison sèche, aux mois de novembre et décembre.
Les terrains destinés à sa culture demandent peu de préparation.
Les indigènes se contentent d’enlever les mauvaises herbes et de
les brûler sur place. Ils en répandent les cendres sur les terrains
destinés à être ensemencés et placent environS à 10 graines par
trou. Ces trous, profonds de 8 à 10 centimètres au plus, sont
distants les uns des autres de trente à quarante centimètres. La
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
119
graine enfouie est ensuite légèrement recouverte de terre. Dans
certaines régions, comme à Damentan, au Niocolo, etc., etc., les
cultivateurs ne s’en tiennent pas à ces procédés primitifs et
forment de véritables sillons sans doute dans un but d’irrigation
afin de permettre à l’eau des pluies de séjourner plus longtemps
aux pieds de la plante. J’ai remarqué, en effet, que ce mode de
culture était surtout employé dans les régions sèches, pauvres en
marigots, et dans lesquelles on ne peut compter que sur l’eau
du ciel pour fertiliser le sol.
Le rendement donné par le mil est considérable. Il est d’environ
une tonne et demie par hectare et sa valeur vénale est de dix
francs à peu près les cent kilos. Dans la Haute-Gambie tout le
mil récolté est consommé sur place.
Il y existe certaines régions, comme le Sandougou et le Niani,
dans lesquels on en fait deux récoltes par an, la première dans
les terrains élevés et la seconde sur les berges du fleuve et des
marigots, lorsque l’inondation a cessé et que les eaux sont
rentrées dans leur lit. Le sorgho croît alors, grâce à l’humidité
que le sol a conservée. Mais, en tous cas, cette seconde récolte
est bien moins fructueuse que la première.
En général, le mil n’a qu’une panicule ; mais il n’est pas
rare de voir des tiges en porter trois ou quatre. Cela se produit
surtout dans les années très pluvieuses. Mais alors ces pousses
secondaires sont petites et produisent peu.
Les feuilles sont longues et assez larges. Vertes, elles forment
un aliment précieux pour les animaux, et sèches elles sont surtout
recherchées par les chèvres et les moutons. Les bœufs, animaux
délicats, n’en mangent que fort peu, dans ce second cas. Il en
est de môme pour les chevaux.
Le diamètre d’une tige de mil, pris à partie moyenne, varie
entre deux et trois centimètres et demi.
On distingue deux sortes de sorghos ou mils : le gros et le petit.
Elles se subdivisent à leur tour en un nombre infini de variétés
portant chacune un nom indigène particulier et qui se distin
guent les unes à la forme et les autres à la couleur de leurs grains.
Les variétés de gros mil les plus communes dans la HauteGambie sont : le gadiaba, le guessélcélé, le baciba, le hamariboubou,
le madio.
�120
ANDRÉ RANÇON
.
Le gadiaba demande des terrains argileux comme, du reste,
toutes les variétés de gros mil. Sa tige est très élevée. Les axesde ses panicules sont très longs et très nombreux. Ils portent à
leur extrémité libre une graine de la grosseur d’un pois dont l’en
veloppe est noirâtre.
Le guessékélé est cultivé un peu partout. Il ressemble beaucoup
comme port au gadiaba ; mais il en diffère par ses panicules dont
les axes sont peu fournis et beaucoup plus longs. Sa graine
dépourvue de son enveloppe, moins noire que celle du précédent,
est d’un beau blanc nacré. C’est le mil nacré très recherché pour
les animaux. Il est tendre et se broie facilement.
Le baciba a le même aspect que les précédents, mais ses feuilles
sont plus courtes et plus larges. Ses panicules sont relativement
courtes et leurs axes moins longs que ceux des variétés dont nous
venons de parler. La couleur de ses grains est rouge, ainsi, du
reste, que les détritus que donnent la préparation de sa farine.
Il est surtout employé par les indigènes pour la préparation de
leur couscouss. Son grain très dur est difficilement broyé par les
animaux. Aussi doit-on éviter de l’employer pour leur alimenta
tion à l’exclusion des autres ; car il peut parfois déterminer de
graves occlusions intestinales.,Il importe de ne pas le confondre
avec le mil rouge de Sierra-Leone, qui est une autre variété tout
aussi mauvaise pour les chevaux.
Le hamariboubou diffère des précédents par sa panicule dont
les axes sont excessivement courts, ce qui la fait ressembler à un
véritable pain de sucre. La taille de la plante ne dépasse jamais
l m50à deux mètres, et ses grains sont enveloppés par une pelli
cule de couleur roussâtre caractéristique. Le rendement de ce mil
est considérable. C’est la plus productive de toutes les variétés.
Le madio, c’est la seule espèce de gros mil dont la panicule porte
des axes si rapprochés et si courts qu’on pourrait la confondre
avec un véritable épi. Il ressemble comme forme au millet que
nous donnons en France aux oiseaux. Arrivé à maturité, les pani
cules ont une couleur brunâtre caractéristique. Leur longueur est
d’environ trente à trente-cinq centimètres. Il n’en vient généralement qu’une seule à l’extrémilé de la tige dont la hauteur ne
dépasse pas deux mètres. Les feuilles sont longues et très étroites
en forme de fer de lance. Une des enveloppes de la graine se ter-
;
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
121
mine à son extrémité libre par un filament de plusieurs centimè
tres, 5 ou 6, de longueur, qui tombe à la maturité. La graine,
dépourvue de ses enveloppes, qui sont moitié blanches et noires, a
une belle couleur d’un blanc mat. On le récolte un des premiers.
Les variétés de petit mil les plus communes dans la HauteGambie sont : le Souna, le Sanio, le N'guéné.
Le Souna est, de toutes les variétés de mil, celle qui arrive le
plus rapidement à maturité. Semé en juillet, on peut le récolter en
septembre et en octobre. Sa tige est de petite taille. Ses feuilles,très
étroites et très longues, sont peu nombreuses, huit ou dix au
maximum par pied. Sa panicule est relativement longue, trente à
trente-cinq centimètres environ, et ses axes sont si courts que son
diamètre à la partie moyenne ne dépasse pas un centimètre et
demi. Contrairement au madio, l’enveloppe de sa graine ne se
termine pas en filament. La graine, très petite, égale en grosseur la
moitié de celle du gros mil. Elle est d’un blanc mat et est très
difficile à décortiquer. Sa farine donne à la cuisson un couscouss
fort apprécié.
Le Sanio. — Il ressemble beaucoup à ce dernier. Par exemple,
il ne mûrit que longtemps après lui, vers le milieu de novembre.
Quand il est mûr, ses panicules diffèrent de celles du Souna par
leur couleur vert glauque qui permet de ne pas les confondre.
L’enveloppe de ses. graines est aussi légèrement verte. Il est de
petite taille et ses feuilles, au lieu de retomber comme celles des
autres mils, sont presque droites, fortement engainantes à la base
et presque appliquées contre la tige.
Le N'guéné pourrait presque être considéré comme une variété
intermédiaire entre le gros mil et le petit mil. Il a l’aspect du sanio,
mais ses graines sont plus volumineuses sans égaler toutefois la
grosseur de celles du gros mil. Il arrive à maturité complète de fin
octobre à fin novembre. Quand il est mûr, ses graines se détachent
facilement. Aussi le cueille-t-on avant qu’il soit arrivé à complète
maturité et le fait-on sécher en tas de forme cubique dressés sur
des piquets qui soutiennent des nattes et qui sont fixés sur une
aire bien battue et enduite au préalable de bouse de vache
délayée dans une petite quantité d’eau.
Mentionnons encore une variété intermédiaire entre le gros et
le petit mil. C’est le Tiokandé. Cette variété est très sucrée et peu
�122
ANDRÉ RANÇON
cultivée. Elle est peu appréciée pour le couscouss. Mais je crois
qu’il serait bon d’en favoriser le développement et la propagation;
car elle pourrait être utilisée avec profit pour la fabrication d’un
alcool qui a été reconnu être de bonne nature. C’est avec de la
farine de Tiokandé que, dans les pays mandingues, on confectionne,
le dernier jour de l’année, pour la fête des captifs (Dionsali), les
friandises, boulettes et galettes que l’on a l’habitude, en cette
circonstance, de distribuer aux enfants du village.
Il existe enfin une dernière espèce de mil assez commune dans
le Niani, le Nord du Ouli et du Sandougou, le Tenda et le pays de
Gamon, c’est le Bakat, ou mil des oiseaux, qui croît à l’état <auvage
et ressemble au millet de France. Les indigènes n’en font guère
usage que lorsque, pour une cause quelconque, le mil cultivé vient
à manquer.
Toutes ces variétés de mil servent à la nourriture des indigènes.
Sauf le mil rouge, toutes pourraient être également employées
dans l’alimentation des animaux. Mais nous croyons préférable de
n’avoir recours qu’au gros mil. Il se broie, en effet, aisément et se
digère bien. Il n'en est pas de même du petit mil. Ses grains sont
parfois trop petits pour être saisis sous les arcades dentaires, ils
glissent sans être broyés dans le pharynx et l’animal les avale, en
majeure partie, entiers. De ce fait, ils se digèrent mal, et la bête se
nourrit peu. Nous avons vu des animaux, chez lesquels l’usage
exclusif du petit mil déterminait parfois des diarrhées qui dis
paraissaient dès qu’on en supprimait l’emploi. Pour se bien
nourrir, u d cheval doit, en temps ordinaire, consommer de quatre à
cinq kilos de mil par jour.
La paille des panicules constitue également un excellent aliment
dont les chevaux, bœufs, chèvres, moutons sont exclusivement
friands. Mais elle est loin d’égaler en principes nutritifs la paille
d’arachides.
Les indigènes consomment les grains de mil sous quatre formes
différentes, en entier crus ou bouillis, concassé, c’est le Sankalé,
ou transformés en farine.
Rarement ils les mangent crus. Ils n’en font guère usage sous
cette forme que lorsqu’il est vert et pendant les longues routes
quand ils sont pressés par la faim. De même, il est peu fréquent
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
123
qu’ils les mangent simplement bouillis avec leur écorce. Ils
préfèrent surtout le sankalé et la farine.
Pour préparer le sankalé, les grains de mil sont placés dans
un mortier spécial que tout le monde connaît. On y ajoute un peu
d’eau simplement pour les mouiller légèrement. Puis, à l’aide d’un
pilon manié de haut en bas, on les écrase et on les réduit en
fragments de la grosseur d’une grosse tête d’épingle environ. Cette
opération terminée, le sankalé est vanné à l’air libre pour le
débarrasser des parcelles de son écorce qui lui donneraient un goût
astringent peu agréable. Il est ensuite mis à sécher au soleil pen
dant quelques heures et cuit ensuite soit à la vapeur d’eau, soit à
l’étuvée. On le mange alors avec de la viande ou du poisson et une
sauce relevée dans laquelle entre souvent une décoction mucilagineuse de feuilles de baobab destinée à en masquer l'astringence.
Le sankalé se conserve peu de temps, il prend rapidement, au
bout de trois jours à peu près, une odeur rance qui le rend im
propre à la consommation.
La farine demande une préparation plus longue et plus délicate.
Elle se prépare de la même façon que le sankalé, et l’appareil dont
on se sert, un mortier et un pilon, est le même. Mais l’opération
doit être continuée jusqu’à ce que les grains soient réduits en
poudre absolument impalpable. Quand ce résultat a été obtenu,
le produit est versé soit dans une calebasse, soit dans des corbeilles
finement tressées. On leur imprime une sorte de mouvement
circulaire qui a pour but de faire venir à la surface les résidus et
les fragments mal pulvérisés. On les enlève à la main ; ces déchets
sont donnés au bétail et à la volaille et souvent consommés par les
indigènes eux-mêmes en temps de disette. La farine ainsi obtenue
est de couleur café au lait clair, douce au toucher, hygrométrique,
avec tendance à se pelotonner. Elle dégage rapidement une forte
odeur d’huile rance. Cuite à l’étuvée ou à la vapeur, elle est mangée
sous forme de bouillie, de galettes ou de boulettes avec de la
viande ou du poisson, et une sauce très relevée. Séchée au soleil,
elle constitue un couscouss précieux pendant les longues marches.
Le mil est relativement assez riche en matières azotées. Malgré
cela, il ne constitue pas un aliment très nourrissant; aussi les
indigènes en consomment-ils de grandes quantités pour arriver à
satisfaire leur faim.
�124
ANDRÉ RANÇON
Les Malinkés et les Bambaras confectionnent avec le mil une
sorte de boisson fermentée, légèrement alcoolique, qu’ils nomment
dolo et pour laquelle ils ont un penchant tout particulier. Cette
bière a un petit goût aigrelet qui est loin d’être désagréable, et
l’Européen, appelé à vivre dans ces régions, s’y habitue rapidement.
Prise en petite quantité, elle est rafraîchissante, mais elle finit par
occasionner des gastrites et des dyspepsies quand on en fait un
usage prolongé. Ces affections disparaissent dès que l’on cesse d’en
boire. Mélangé avec du miel, le dolo forme un hydromel très
apprécié des Bambaras du Bélédougou.
Les cendres données par les tiges de mil sont remarquablement
blanches et fines. Elles renferment une notable quantité de nitrate
de potasse.
Des feuilles et des tiges de certaines variétés, le baciba et le
guessékélé, par exemple, les forgerons retirent, je ne sais trop par
quel procédé, une belle couleur rouge vineux, qui leur sert à
teindre les pailles avec lesquelles ils tressent leurs corbeilles, leurs
chapeaux et les paillassons destinés à couvrir les calebasses. Avec
la farine on fait d’excellents barbottages pour les chevaux. Quand
nous aurons dit enfin que les tiges servent dans la construction des
cases et des palissades qui les entourent, on comprendra aisément
que le mil, vu ses usages multiples, soit regardé, à juste titre, par
les indigènes, comme la plante la plus précieuse.
Le Maïs (1). Il existe dans cette région, comme dans les autres
parties d’ailleurs du Soudan Français deux variétés de cette
graminée : le maïs jaune à grains moyens et le maïs blanc. Elles
sont cultivées en aussi grande quantité toutes les deux : mais les
champs de maïs sont loin d’avoir l’étendue et l’importance des
champs de mil. Le mil est l’aliment indispensable. C’est la manne
quotidienne. Le maïs est, au contraire, un aliment de luxe, bien
moins estimé que le mil et le riz. Il n’en est pas moins précieux ;
car de toutes les céréales c’est celle qui arrive la première à
maturité et qui, vers la fin de la saison des pluies, permet au
noir imprévoyant d’attendre la récolte du mil.
Le maïs demande une terre bien plus riche que le mil. C’est
pourquoi on ne le trouve qu’en quantité relativement peu consi(1) Zea M aïs L.
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
125
dérable et on peut dire que la production de cette céréale est à
celle du mil comme un est à cinquante. Les indigènes le sèment
de préférence dans l’intérieur môme des villages et aux alentours,
surtout dans les ruines et partout où le terreau est assez abondant.
Les semis se font au commencement de la saison pluvieuse,
vers la fin du mois de mai ou au commencement de juin. La
récolte a lieu dans les premiers jours de septembre. Après la
récolte, la terre est de nouveau travaillée et semée en arachides,
mais ce fait est assez rare et je ne l’ai jamais observé que dans
certaines régions du Fouta et sur les bords de la Gambie, dans
le Ouli, le Sandougou et le Niani. Dans les terrains plus élevés
et moins bien arrosés on ne fait qu’une seule récolte. Les semis
sont faits absolument comme ceux du mil. Les graines toutefois
sont enfouies dans la terre à des distances plus grandes que celles
auxquelles on place le mil. Les intervalles sont comblés soit
avec des arachides, soit avec des haricots.
La plante acquiert, surtout si la saison est bonne, ni trop
sèche ni trop pluvieuse, un développement rapide et plus con
sidérable que dans les pays tempérés. J ’ai cru remarquer que les
feuilles sont plus étroites et bien plus longues que celles de nos
maïs européens. Le grain nous a semblé aussi plus petit et plus
coriace. La tige, par contre, est bien plus élevée.
Les indigènes utilisent les jeunes tiges de maïs pour la nour
riture des animaux, bœufs, chevaux, moutons, chèvres. C’est un
des meilleurs fourrages du Soudan : mais il serait mauvais, je
crois, d’en faire la nourriture exclusive des bestiaux. Car il peut
parfois, surtout quand on en fait un usage trop copieux, déter
miner des coliques funestes.
Le grain est également employé pour les animaux et dans
l’alimentation des indigènes.
A peine mûr, et lorsqu’il vient d’être cueilli, il constitue un
excellent aliment d’une très facile digestion. Mais lorsqu’il a été
récolté depuis plusieurs semaines déjà, il durcit très rapidement et
devient excessivement coriace. Aussi les animaux, les chevaux et
les mulets particulièrement le broient-ils très difficilement et, par
ce fait même, le digèrent-ils mal. Le mieux pour remédier à cet
inconvénient est de le concasser avant de le leur donner. Ainsi
préparé, il constitue un aliment précieux et rapidement assimilable.
�ANDRÉ RANÇON
Les indigènes le consomment sous plusieurs formes. Quand il est
à peine mûr, ils en font griller légèrement au feu les épis et en
mangent les grains tels quels en les détachant simplement avec les
dents. Nous en avons fait souvent usage sous cette forme et
nous lui avons toujours trouvé un goût fort agréable. C’est dans les
villages un véritable régal pour les petits enfants et, dans les longs
voyages, un élément précieux de ravitaillement par le fait même
que la préparation en est rapide et très facile. Secs, les grains sont
concassés dans le mortier à couscouss à l’aide du pilon, transformés
en sankalé et mangés bouillis avec de la viande et du poisson et
assaisonnés d’une sauce très relevée. Réduits en farine, ils sont
consommés sous forme de bouillie cuite à la vapeur et préparés
comme la farine de mil. Les propriétés rafraîchissantes de la farine
de maïs la font rechercher pour l’alimentation des malades. Mélangée
avec du lait, elle constitue la nourriture des convalescents et des
jeunes enfants. Cette farine ne se conserve que peu de jours. Elle
fermente rapidement et doit être immédiatement consommée. Il en
est de même du maïs en grain quand il est enfermé dans l^s greniers
avant d’être parfaitement sec.
Les résidus de sa préparation sont donnés en nourriture aux
bestiaux et aux volailles, les tiges servent à confectionner les
tapades (clôtures) des habitations, et les feuillles desséchées sont
mangées avec avidité par les chèvres particulièrement. Elles
seraient utilisées avec profit dans nos postes pour confectionner
des paillasses pour la troupe.Nous nous en sommes très bien trouvé
de nous en être ainsi servi à Koundou, quand nous y remplissions
les fonctions de commandant de Cercle.
Les indigènes, les Bambaras et les Malinkés surtout, fabriquent
encore avec le maïs une sorte de bière (dolo), qui est loin d’avoir les
qualités de celle du mil. Son goût est un peu fade et sa digestion
plus difficile. Aussi ne se sert-on du maïs que lorsque le mil vient à
manquer.
Le rendement du maïs est un peu supérieur à celui du mil. Il
est à peu près de deux tonnes à l’hectare, quand la culture en est
faite dans de bonnes conditions et que la saison lui est favorable. Sa
valeur est environ 10 fr. les 100 kilogrammes.
Le Tamarinier. — Dans toute cette contrée, il existe un végétal
précieux, fort employé dans la thérapeutique indigène et qui rend
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
127
également aux Européens de grands services. C’est le tamarinier
(Tamarindùs Indien L.) de la famille des Légumineuses Cæsalpinées.
C’est un arbre élevé qui atteint parfois de belles proportions, et qui
est facile à reconnaître de loin à ses feuilles et à ses fruits. Les
feuilles en sont paripinnées à folioles elliptiques, inéquilatérales,
obtuses, entières, glabres. Les fleurs sont assez grandes, jauneverdâtre, entières, veinées de rouge, en grappes axillaires pauciflores. Calice à quatre divisions inégales. Corolle à cinq pétales,
trois plus longs que le calice, deux très petits et très étroits. Sept
étamines monadelphes, trois fertiles opposées aux sépales exté
rieurs; 4 stériles alternes aux premières. Style épaissi au sommet,
barbu en dehors. Fruit long de 10 à 14 centimètres, épais, un peu
comprimé et recourbé, brun-fauve, pourvu de plusieurs étran
glements, terminé par une petite pointe et rempli d’une pulpe
rougeâtre qui brunit par la dessiccation. Dans cette pulpe nagent
des graines comprimées, subquadrilatères, luisantes et de couleur
brune presque noire. Ces fruits, même arrivés à maturité complète,
se détachent assez difficilement du rameau qui les porte. Ils ne
tombent d’eux-mêmes que lorsqu’ils sont attaqués par les insectes.
Le bois du tamarinier est dur, dense, solide, liant et bon pour
le charronnage. On s’en sert beaucoup à Kayes pour faire les couples
d’embarcations.
La pulpe est utilisée par les indigènes et les Européens dans la
thérapeutique journalière. Elle a une saveur légèrement astringente
et acidulé, D’après Yauquelin, elle renfermerait des acides tartrique,
citrique, malique,du bitartrate de potasse, du sucre, de la gomme,
de la pectine. C’est un des meilleurs laxatifs et des plus inofïensifs.
On trouve le tamarin sur la plupart des marchés du Sénégal et du
Soudan sous forme de boules de la grosseur du poing environ. Ces
boules sont de couleur rougeâtre quand elles sont fraîches et brunes
presque noires quand elles ont été récoltées depuis quelque temps.
Elles sont formées avec les graines et la pulpe qui, réduite en pâte,
les agglutine solidement. On y trouve encore des fragments d’écorce,
des morceaux de la coque du fruit et surtout, en grande quantité
les fibres rouges qui, dans le fruit mûr, tapissent la face interne de
la gousse.
La façon dont les noirs préparent le tamarin pour l’administrer
est de beaucoup la meilleure. Elle a surtout pour résultat de donner
�ANDRE RANÇON
une boisson d’un goût des plus agréables. Dans un litre et demi
d’eau environ, on met à peu près à macérer à froid 50 à 60 grammes
de pulpe telle qu’on la trouve au marché, avec ses graines, ses
fragments d’écorce et ses fibres rouges. En trois heures au plus
la pulpe a été complètement dissoute. On n ’a plus qu’à décanter et
l’on obtient aussi une liqueur d’un blanc roussâtre à odeur et saveur
acide et légèrement astringente. Si on y ajoute un peu de sucre on
peut en faire une excellente limonade qui nous a été souvent
précieuse pendant les longues étapes. Trois ou quatre verres par
jour de cette boisson suffisent pour maintenir la liberté du ventre
si précieuse sous ces climats malsains.
L’usage prolongé et en abondance du tamarin finit par fatiguer
l’estomac et détermine des gastrites et des dyspepsies qui dispa
raissent dès qu’on cesse d’en consommer. On peut également
manger la pulpe sans la faire dissoudre en en débarrassant simple
ment les graines avec les dents; mais on ne saurait trop s’en
abstenir malgré tout le plaisir que procure, pendant les grandes
chaleurs, sa saveur acide, car elle détermine en peu de temps une
gingivite souvent très rebelle et très douloureuse.
Sur les marchés du Soudan, la valeur du tamarin est d’environ
0 fr. 30 cent, la boule de 250 grammes. Il est plus cher à Saint-Louis,
Rufisque, Dakar et Gorée, où une boule de 150 grammes se vend
couramment 0 fr. 50 cent.
4 novembre. — Je dormis pendant la nuit que je passai à
Koussalan, comme cela ne m’était pas arrivé depuis bien
longtemps. Aussi, au réveil, me sentis-je très bien, à part toutefois
une grande faiblesse. A cinq heures quarante minutes, après avoir
pris un déjeuner sommaire, nous nous mettons en route pour
Calen-Ouolof, où j’ai décidé que nous irions camper ce jour-là.
Le fils du chef m’accompagne et son père lui a donné l’ordre de ne
me quitter que lorsque je n’aurais plus besoin de lui, c’est à-dire à
mon arrivée à Mac-Carthy. Nous marchons d’une bonne allure et
aucun de mes hommes ne reste en arrière. On voit que c’est l’avantdernière étape avant d’arriver à Mac-Garthy. La route ne présente
aucune difficulté et si ce n’était l’abondante rosée qui nous inonde
littéralement, elle eût été des plus agréables. Nous faisons la halte
à Carantaba, village distant de 6 kilomètres environ de Koussalan
teoù nous arrivons à sept heures cinquante minutes. Le village
�129
DANS LA HAUTE-GAMBIE
est absolument désert. Tous les hommes ont pris la fuite et se sont
cachés dans leurs lougans. Je me demande encore pourquoi. Je n’y
ai trouvé que quelques femmes et les enfants. J ’interrogeai à ce
sujet la fille du chef qui me déclara que tout le village avait eu
peur, mais qu’elle savait bien que je ne venais pas dans leur pays
pour leur faire du mal et qu’elle était restée bien tranquille à
préparer son couscouss. C’est bien encore là une preuve du peu de
vaillance des noirs. A l’approche d’un danger, même imaginaire,
les hommes fuient en laissant les cases à la garde des femmes et
des enfants. Le même fait s’est passé à Ségou lorsque nous sommes
allés l’attaquer, les hommes se sont enfuis à notre approche après
avoir fermé les portes du Diomfoutou (sérail), où se trouvaient les
femmes, et leur avoir jeté les clefs par-dessus la muraille. Je ras
surai du mieux que je pus cette brave femme et me remis en route
après lui avoir bien recommandé de dire à son père de venir me
voir à Calen-Ouolof, où j’allais camper, ou bien à Mac-Carthy. J’eus
sa visite quarante-huit heures après à Mac-Carthy, et après expli
cation, nous rîmes beaucoup ensemble de la frayeur que je leur
avais causée.
Quel ne fut pas mon étonnement, au moment où j’allais me
remettre en route.de voir sortir d’une case, où il avait passé la nuit,
Mahmady-Diallo, mon courrier que j’avais expédié la veille pour
annoncer mon arrivée à Calen-Ouolof. Je lui demandai compte de
sa mission et il me répondit qu’étant fatigué, il était resté à Carantaba pour se reposer; mais qu’il avait expédié un homme du
village au chef de Calen pour le prévenir, qu’il l’avait vu partir.
Tout étant pour le mieux, du moins je le croyais, nous quittâmes
Carantaba.
Carantaba. — Carantabâ est un gros village] de Malinkés
musulmans d’environ neuf cents habitants. La population est abso
lument fanatique. Autour de lui sont groupés quatre autres villages
qui portent le même nom. Trois de ces villages sont Malinkés
musulmans et le quatrième est Toucouleur-Torodo. Ces quatre
villages réunis peuvent former une population totale d’environ
quinze cents habitants. En janvier 1872, Carantaba, qui s'était
révolté contre l’autorité du Massa de Kataba (Niani) dont il relevait,
fut pris et détruit par Boubakar-Saada, almamy du Bondou, que
ce dernier avait appelé à son aide. Reconstruit, il fut de nouveau
André Rançon. — 9.
�430
ANDRÉ RANÇON
attaqué et brûlé par les troupes alliées du Bondou, du Fouladougou
et du Fouta-Djallon. Mais ses habitants ne perdirent pas courage.
Ils se remirent vaillamment à l’œuvre, reconstruisirent de nouveau
leur village et l’entourèrent d’un fort sagné. Ce furent ses guerriers
qui, en 1879, décidèrent de la défaite de l’armée alliée que comman
daient devant Koussalan, Boubakar-Saada, Alpha-Ibrahima, et
Moussa-Molo. Pendant la guerre du marabout, Mahmadou-LamineDramé, beaucoup des guerriers de Carantaba se rangèrent sous sa
bannière, mais la plus grande partie, les Toucouleurs surtout, com
battirent à nos côtés sous les murs de Toubacouta. Depuis cette
époque, la paix règne, dans cette région, et Toucouleurs et Malinkés
musulmans se livrent avec ardeur à la culture de leurs vastes
lougans de m il, arachides, maïs, et de leurs belles rizières.
Autour des villages se trouvent de jolis petits jardins où
l’oignon est cultivé avec succès.
Cette plante potagère est surtout cultivée par les peuples
de race Mandingue. On n’en trouve que rarement et en très
petite quantité dans les villages de race Peulhe. Autour des
villages Bambaras et Malinkés, on trouve bon nombre de
petits carrés de jardins ensemencés avec soin. On choisit, de
préférence, une terre riche en humus. Elle est proprement
préparée et on n’y voit jamais le moindre brin d’herbe. Les
semis sont faits avec la plus grande régularité et chaque
pied distant de son voisin de vingt-cinq-centimètres. Plantés
vers la fin de l’hivernage, en octobre, la récolte se fait vers
la fin de décembre. Chaque jour, les femmes et les enfants, à
l’aide de calebasses, procèdent à l’arrosage. Ils se servent de ce
légume pour assaisonner leur couscouss. L’oignon du Soudan
est bien plus petit que celui de nos climats tempérés. La
grosseur est à peu près celle d’une noix. La saveur est exces
sivement sucrée et il est très recherché par l’Européen qui
s’égare dans ces contrées. Avec les queues on assaisonne les
omelettes, les sauces, et les bulbes sont mangés en salade ou
comme condiments. C’est pour nos estomacs délabrés par le
climat et la mauvaise alimentation un des meilleurs excitants
de l’appétit, et surtout le plus inofïensif.
Après avoir pris à Carantaba vingt minutes de repos, nous
nous remettons en marche. A deux kilomètres environ du
!
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
131
village, j’éprouvai une émotion. Nous traversions un marais,
à fond vaseux et glissaut, où nous enfoncions à peu près
jusqu’au genou, lorsque, tout-à:coup, le porteur chargé de la
cantine, où étaient enfermés mes instruments et mes notes,
fit un faux pas et s’abattit tout son long dans l’eau avec son
fardeau. La cantine disparut complètement et s’enfonça de
quelques centimètres dans la vase. Retirée aussitôt, je cons
tatai, avec plaisir, après l’avoir ouverte sur la terre ferme, que,
grâce à son étanchéité parfaite , pas la moindre goutte d’eau
n’y avait pénétré. Aussi ne puis-je m’empêcher, in petto, de
rendre grâce au soin avec lequel elle avait été fabriquée par
M. Flem, constructeur d’articles de voyage à Paris. S’il en
avait été autrement, outre mes instruments, j’aurais perdu là
le fruit de plusieurs années de travail.
A 9 h. 30 nous traversons un petit village de Peulhs de 230
habitants environ. C’est Calen-Foulbé. Il disparaît presque
entièrement au milieu de ses lougans et cucurbitacées de toute
sortes qui couvrent ses toits. Ses habitants ont dans tout le
pays la renommée d’être d’excellents fabricants de mortiers et
pilons à couscouss. Nous ne nous y arrêtons pas et trois kilo
mètres plus loin nous sommes à Calen-Ouolof, but de l’étape.
Calen-Ouolof est un village d’environ trois cents habitants. Sa
population Ouolove, comme l’indique son nom, est venue du Bondou
pour fuir les exactions des almamys Sissibés et de leur famille. J ’y
fus très bien reçu. Je fus étonné de voir à mon arrivée que rien
u’était préparé pour me recevoir. J ’en demandai le motif et il me fut
répondu que l'on u’avait pas reçu le courrier que Mahmady pré
tendait avoir expédié de Carantaba. Je ne pus arriver à tirer cette
affaire au clair. Toutefois, en voyant l’empressement que mettaient
les habitants à m’être agréable, j’acquis la ferme conviction que mon
courrier m’avait menti, ce qui est loin d’être rare chez les noirs,
surtout quand ils sont pris en défaut. Quoiqu’il en soit nous fûmes
bien hébergés à Calen-Ouolof et ni moi, ni mes animaux, ni mes
hommes n’eûmes à nous plaindre de l’hospitalité qui nous fut
généreusement donnée.
La route de Koussalan à Calen-Ouolof diffère sensiblement des
chemins déjà parcourus. En quittant Koussalan, nous traversons
d’abord les lougans du village, puis nous entrons dans une vaste
�ANDRE RANÇON
plaine nue et marécageuse. Plus nous avançons et plus le terrain
s'élève. Nous traversons alors un plateau ferrugineux couvert de
bambous. Interrompu à mi-chemin par des lougans qui appar
tiennent à Koussalan,il se continue jusqu’aux lougans de Carantaba.
Signalons à droite et à gauche de la route, sur le plateau mentionné
plus haut, deux mares assez profondes et pleines d’eau en cette
saison. De Carantaba à Calen-Ouolof ce n’est plus qu’une succession
de marais, rizières, lougans,excepté toutefois un peu avant d’arriver
à Calen-Ouolof,où nous traversons une colline ferrugineuse de deux
kilomètres de longueur environ. La flore n’a pas varié, légumi
neuses, n’tabas, fromagers, baobabs, tamariniers, etc., etc. Nous
remarquons aussi de beaux échantillons de Laré ou Saba, belle
liane à caoutchouc.
Le Laré ou Saba, liane à caoutchouc. — Cette liane ( Vahea Senegalensis A. D. C.) est nommée Laré par les peuples de race Peulhe
et Saba par les noirs de race Mandingue. Elle atteint souvent des
proportions gigantesques. Nous en avons vu fréquemment dont
le tronc égalait la grosseur de la cuisse d’un homme vigoureux.
C’est une Apocynée du genre Landolphia ou Vahea. Elle s’attache
toujours aux grands végétaux et acquiert parfois un si grand déve
loppement que l’arbre qui la porte disparaît complètement. Elle
est très facile à reconnaître à son port majestueux et au dôme
de verdure qu’elle forme au-dessus des végétaux auxquels elle
s’attache. Ses fleurs, blanches, qui ont la forme de celles du
jasmin, exhalent une odeur des plus agréables qui permet d’en
reconnaître au loin la présence. Ses fruits sont tout aussi carac
téristiques. Ils sont volumineux et affectent la forme d’une orange,
de celles que l’on désigne sous le nom de pamplemousses (Citrus
decumana). Leur coloration est vert sombre quand ils ne sont pas
mûrs. Arrivés à maturité, ils sont, au contraire, d’un jaune
rouge qui ne permet de les confondre avec aucun autre. Ils
poussent à l’extrémité des petits rameaux. Ils contiennent à l’inté
rieur une trentaine de graines de forme pyramidale qui sont noyées
dans une pulpe jaune d’or d’un goût délicieux et excessivement
rafraîchissante.
On trouve le Laré partout au Soudan français ; mais les con
trées où il est en plus grande abondance sont le Niocolo, le Baleya,
l’Amana, le Dinguiray, etc., etc. Il croît, de préférence, sur les
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
133
bords des marigots, dans les terrains humides, marécageux sur
tout. Nous avons pu remarquer que les Larés qui poussent dans
les argiles et sur les plateaux ferrugineux sont moins développés
que ceux qui croissent sur les rives des marigots et présentent une
vitalité bien moins grande. Plus on s’avance vers le sud et plus il
devient commun. Nul doute qu’il ne croisse également sur le bord
des rivières du Sud et de leurs affluents. Monsieur le Dr Crozat,
dans son voyage au Fouta-Djallon, l’a trouvé partout dans ce pays et
en abondance. Il existe de même en grande quantité dans toutes
les régions situées dans la boucle du Niger, dans le pays de Ségou
et dans le Macina au Nord.
Toutes les parties du Laré donnent un suc abondant. C’est le
végétal qui, au Soudan, en donne le plus. En outre, ce suc donne
un caoutchouc qui nous semble le meilleur de tous les produits
similaires de Yahea d’Afrique; il en donne surtout beaucoup plus.
Pour l’extraction, point n ’est besoin de procédés particuliers pour
pratiquer les incisions. La simple incision longitudinale ou trans
versale laisse écouler de grandes quantités de suc. En toutes
saisons, il en donne beaucoup et l’âge ou l’état des végétaux influe
peu sur la production. Il se coagule rapidement par la simple
évaporation. C’est assurément de tous les végétaux à caoutchouc
celui qui donnera toujours en tous lieux et en tout temps les
résultats les plus satisfaisants et surtout les plus rémunérateurs. Il
nous souvient avoir entendu raconter par nos camarades ce fait, à
savoir que, sur les bords du Tankisso, M. le lieutenant de vaisseau
Hourst, commandant de la flottille du Niger, avait pu en un temps
relativement court, par les moyens tout primitifs qu’il avait à sa dis
position, en récolter des quantités relativement considérables. Cela
permet d’augurer que l’exploitation en serait facile et fructueuse.
Le caoutchouc du laré présente, à s’y méprendre, les caractères
macroscopiques de celui de l’Hevea. Jouit-il des mêmes propriétés?
Tout permet de l’espérer. Des échantillons ont été rapportés en
France et sont soumis à l’analyse. Nous avons tout lieu de croire
que les résultats en seront favorablement concluants. Nous ne
saurions trop attirer l’attention sur ce précieux végétal, qui, à
notre avis, est appelé à un avenir prochain et certain.
La journée que je passai à Calen-Ouolof s’écoula sans incidents.
Je reçus de nombreux visiteurs, qui vinrent me saluer, et, ce qui
�ANDRE RANÇON
me fit encore plus de plaisir, un courrier m’apporta vers cinq heures
du soir une lettre fort aimable de M. l’agent de la factorerie fran
çaise de Mac-Carthy, dans laquelle il me souhaitait la bienvenue et
m’annonçait que j’étais attendu avec impatience. Je le fis immédia
tement prévenir que j’arriverai le lendemain matin de bonne
heure, et, en même temps, je fis annoncer au chef de Lamine-Coto
que j’irais camper dans son village.
A la nuit tombante, tout le monde se coucha dans l’espoir de
passer une bonne nuit. Notre espoir fut rapidement déçu, et, dès
que les feux furent éteints, nous fûmes tous assaillis par des
nuées de moustiques, qui nous tinrent éveillés. Depuis Bala, dans
le Niéri, je n ’en avais jamais été aussi incommodé. Toute la nuit
s’écoula sans sommeil et je vis se lever le jour sans avoir pu
fermer l’œil une seule minute. Mes hommes en souffrirent
autant que moi. Je suis bien certain qu’ils ont conservé de
Calen-Ouolof le même souvenir cuisant que j’en garde encore.
Moustiques et maringouins nous attaquèrent avec la même fureur
et nous firent payer cher l’hospitalité que nous avaient géné
reusement accordée les habitants. Impossible de se garantir
contre leurs multiples piqûres. Leurs trompes acérées traversaient
même les vêtements pour venir chercher sur notre figure, nos
bras et nos jambes, leur nourriture quotidienne.
On comprendra sans peine combien nous fûmes heureux de voir
se lever le jour. C’était la fin de nos tourments. Aussi les préparatifs
du départ furent-ils rapidement faits et pûmes-nous nous mettre en
route sans retard.
5 novembre. — A cinq heures du matin, nous quittons CalenOuolof en bon ordre. Il fait une température des plus agréables;
mais il règne une humidité considérable et le sol est couvert d’une
rosée très abondante. Aussi sommes-nous littéralement trempés
peu après le départ.
Yola. — A sept heures quinze minutes, nous arrivons à Yola,
village de Malinkés musulmans, dont la population peut s’élever à
environ 450 habitants. Le frère du chef, remplaçant son frère
malade, vient me recevoir, et nous causons fort amicalement pen
dant un quart d’heure environ. Il me promet de m’envoyer à
Lamine-Coto du riz pour nourrir mes hommes pendant mon séjour
à Mac-Carthy. O11 n’est pas plus complaisant.
�DANS LA HAUTE GAMBIE
135
G'ouiaou. — A sept heures trente minutes, nous nous remettons
en marche. A sept heures cinquante-cinq nous laissons sur notre
droite le petit village de Couiaou,dont la population peut s’élever à
une centaine d’habitants. Ce petit village, brûlé, il y a quelques
années, par mon ami, le lieutenant Levasseur, de l’infanterie de
marine, à la suite d’affaires de captifs, commence à peine à sortir
de ses ruines. Il m’a paru fort mal entretenu, comme tous les
villages Malinkés du reste.
Lamine-Sandi-Counda. — Non loin de Couiaon se trouve le village
Malinké musulman de Lamine-Sandi-Counda, peuplé d’environ
cent habitants, d’après les renseignements qui m’ont été donnés.
De la route, on ne le voit pas, car il est absolument caché par les
lougans de mil.
Médina. — Un peu plus loin nous laissons encore à droite le
petit village de Médina devant lequel nous passons à huit heures
trente-cinq. Il peut avoir environ cent cinquante habitants Malinkés
musulmans et est entouré de belles rizières.
Canti-Countou. — A peu de distance de Médina, nous laissons
sur la gauche, Canti-Countou, petit village Malinké musulman,
dont la population s’élève à cent cinquante habitants environ. Il
est situé à deux cents mètres à peu près de la route et possède
de belles cultures de mil et de belles rizières.
Enfin, à neuf heures trente minutes, nous arrivons à Lamine-Coto,
but de l’étape, où j’ai le plaisir de trouver M. Joannon, agent de la
Compagnie Française, à Mac-Carthy, qui avait poussé l’amabilité
jusqu’à venir à mon avance. Je suis tout heureux de voir enfin une
figure blanche. En peu de temps nous avons fait complète connais
sance : car nous étions loin d’être étrangers l’un à l’autre. Nous
avions échangé une correspondance relativement active pendant
mon séjour à Nétéboulou, et, en pays noir, les lettres sont d’excel
lents moyens de rapprochement. Seul Européen et seul Français à
Mac-Carthy en cette saison où le commerce est peu actif, on compren
dra aisément qu’il fit à un compatriote la plus cordiale des récep
tions. Je suis obligé de me rendre à son invitation et d’aller déjeuner
à Mac Carthy, à la factorerie française, mais auparavant j’installe
mes hommes et mes animaux. Je reçois le chef du village et je
change de vêtements car je suis tout trempé.
�ANDRE RANÇON
Sandia prête son cheval à M. Joannon, et nous nous rendons au
bord du fleuve où nous attend un canot. La Gambie est peu éloi
gnée de Lamine-Coto (1 km. 079). Un peu avant d’y arriver nous
apercevons les constructions de Mac-Carthy et en face de l’endroit
où nous dépose le canot se détache en blanc, avec ses ouvertures
vertes, la factorerie française, la construction la mieux comprise
de l’île entière. Il est 10 heures 1/2 quand nous y arrivons.
Immédiatement M. Joannon me met en possession de ma chambre.
Je suis admirablement bien installé ; lit avec sommier et mousti
quaire, toilette. Rien ne manque. Nous sommes à douze jours de
mer de France, au cœur de l’Afrique, et nous retrouvons le même
bien-être qu’en Europe. Je vais donc pouvoir me reposer un peu
et goûter les charmes de la vie européenne. Je déjeune à merveille,
je n’ai pas besoin de le dire. Ce repas, dans la vaste salle à manger
de la factorerie où règne tout le confortable des demeures euro
péennes dans les pays chauds, est un des meilleurs que j’ai fait de
ma vie et celui dont le souvenir m’est le plus cher. C’est que, si les
savantes préparations de nos laboratoires culinaires y faisaient
défaut, il y avait deux condiments qu’on ne trouvera guère sur
les tables de nos dîners officiels, un vigoureux appétit et la plus
franche cordialité.
L’après-midi s’écoula rapidement et, à quatre heures, nous quit
tâmes la factorerie pour nous rendre à Lamine-Coto, où je voulais
veiller à l’installation de mes hommes, arranger mes bagages et
régler quelques affaires. J ’avais donné l’ordre aux palefreniers, en
partant le matin, de nous amener les chevaux au fleuve à cette
heure-là. Ils ont été exacts et nous n ’avons pas eu à les attendre. A
la nuit tombante, après avoir fait à Lamine Coto ce que j’avais à
y faire, je retourne à Mac-Carthy. Sandia et Almoudo m’y accom
pagnent. Ils sont logés dans l’intérieur de la factorerie où M. Joan
non leur a fait préparer une case. Je dîne aussi bien que j’ai
déjeuné et, à neuf heures du soir, je me mets voluptueusement au
lit. Il y a sept mois que cela ne m’était arrivé.
Lamine-Coto. — Lamine-Coto est un village de Malinkés musul
mans de 250 habitants environ. Le chef en est jeune, intelligent et
il me reçoit à merveille. Grâce à son obligeance mes hommes et mes
chevaux n’y ont manqué de rien. Il a eu, en un mot, pour moi,
toutes les prévenances qu’un noir peut avoir.
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
137
La route de Calen-Ouolof à Lamine et à Mac-Carthy ne présente
rien de bien particulier. De Calen à Yola le terrain s’abaisse sensi
blement, et à peu de distance de Calen nous traversons une vaste
plaine marécageuse qui s’étend au-delà de Yola. A peine sommesnous sortis des lougans de ce village que nous entrons en plein
dans le marais. Nous ne le quittons guère qu’en arrivant à
Couiaou. L à, le terrain s’élève un peu, nous traversons une
petite colline ferrugineuse aux environs de Médina, et, de
chaque côté de la route jusqu’à Lamine-Coto, nous remarquons
de petites collines de même composition. De Lamine-Coto à la
Gambie, ce ne sont plus que des argiles alluvionnaires entre
coupées de marécages non encore desséchés.
La flore est peu variée, Légumineuses gigantesques, N'tabas,
Nétés resplendissants de verdure, etc., etc. Les rives de la
Gambie sont couvertes de beaux arbres. On voit que nous avons
quitté la région des steppes Soudaniennes pour la région des
tropiques, proprement dite. Aussi la végétation devient-elle de
plus en plus puissante èt luxuriante.
Le riz et les rizières. — Le riz, dans toutes les régions que
nous venons de parcourir de Nétéboulou à Mac-Carthy, est
l’objet de grandes cultures et de soins attentifs. Les rives du
fleuve, les bords des marigots et les marécages que laissent
les eaux en se retirant sont, aux environs des villages, trans
formés en rizières de bon rapport. La production, déjà très con
sidérable, pourrait encore être augmentée dans de notables
proportions si les habitants voulaient utiliser tous les terrains
propres à cette culture. Mais pour le riz ils procèdent absolu
ment comme pour les autres céréales et ne sèment que ce qui
leur est strictement nécessaire pour leur consommation. C’est
toujours la même imprévoyance. Que la récolte, pour une cause
quelconque, vienne à manquer, et c’est la famine.
Le riz ne demande que peu de soins, et le terrain ainsi
que le climat sont si favorables à sa culture que le rendement
qu’il donne est toujours considérable. Pour préparer le sol des
tiné aux semailles, on se contente simplement de le débrous
sailler. On choisit de préférence un terrain humide sur les
bords du fleuve, des marais, et même dans le lit de certains
marigots. A l’aide d’un bâton, on sème le riz en faisant un
�ANDRE RANÇON
trou dans lequel on place trois ou quatre graines. Ces trous
sont environ situés à 15 centimètres l’un de l’autre. Dans cer
taines régions on le sème simplement à la volée, et on recouvre
les grains en piochant peu profondément le sol. Tout ce travail
est peu pénible, aussi est-il généralement exécuté par les femmes
et les enfants.
Les semis se font au commencement des pluies, quand il
est tombé une certaine quantité d’eau, vers la fin de juillet.
L’inondation qui survient en août fertilise la rizière et permet
aux graines de bien se développer. La récolte se fait en octobre
et en novembre. Un mois avant d’y procéder, on a bien soin
d’enlever toutes les mauvaises herbes afin de lui permettre de
bien mûrir. La cueillette est faite brin par brin et, de ce fait,
demande un temps assez long et une grande patience. On sait que
cette qualité ne manque pas aux Noirs. Coupés à dix centimètres audessus du sol, les épis, dont le chaume a une longueur d’environ
vingt-cinq centimètres, sont réunis en paquets assez volumineux,
liés fortement, et mis à sécher sur le toit des cases. Ils sont rentrés
tous les soirs, afin de ne pas les exposer à la rosée de la nuit qui les
altérerait sûrement et les ferait pourrir. Quand ils sont bien secs,
ils sont battus, vannés, et le grain destiné à la consommation est
enfermé dans des sortes de récipients en terre placés dans les
cases elles-mêmes. Ces récipients qui servent également à renfermer
les haricots, le coton, le fonio, etc., etc., ont à peu près la forme
d’un grand tube. Ils sont faits en terre séchée au soleil tout
simplement. Pour cela, on fabrique de véritables cylindres que
l’on fait sécher, puis on les superpose les uns sur les autres et on
les lute avec de l’argile. Cette sorte d’outre repose sur trois pieds
également en terre qui sont, en général, fixés au sol. Il y en a de
toutes les dimensions. Ils sont généralement placés dans les cases,
aux pieds et à la tête du petit tertre qui sert de lit à l’habitant.
L’ouverture en est fermée à l’aide d’un gâteau rond en terre,
discoïde et fabriqué de la même façon que le récipient lui-même,
c’est-à-dire en argile séchée au soleil. Les parois sont si épaisses
qu’il est rare que ces sortes de barriques en terre s’effondrent, Sur
les parties qui font face au lit sont généralement modelés des seins
de femmes, ou bien encore des phallus de dimensions normales.
Les épis destinés aux semailles sont conservés avec leur chaume
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
139
réunis et liés en paquets comme précédemment et suspendus aux
bambous qui forment la charpente du toit de la case.
Le riz du Soudan,que l’on désigne généralement sur les marchés
sous le nom de « riz Malinké », pour ne pas le confondre avec le
riz Caroline ou de Chine que nous importons, est d’un blanc légè
rement grisâtre. Il présente de petites stries brunes qui sont
évidemment dues à ce qu’il est mal décortiqué. Il est plus dur que
les autres riz, et son goût est moins fade. Quand il a été bouilli, ses
grains sont poisseux et s’agglutinent aisément. Cela est vraisem
blablement dû au mucilage abondant qu’ils contiennent. On le
mange bouilli ou cuit à l’étuvée et mélangé avec de la viande ou du
poisson. Les indigènes lui préfèrent cependant le couscouss de
mil, car ils prétendent que le riz ne les nourrit pas autant.
La valeur commerciale du riz en Gambie est environ de 0 f. 15
le kilo, et le rendement moyen à peu près de 4,550 kilogrammes
à l’hectare.
Sur les marchés on se sert pour mesurer le mil, le riz, les
haricots, le sel, d’une mesure toute spéciale que l’on désigne sous
le nom de « moule. » Sa contenance varie suivant les pays. Ainsi
le moule Bambara vaut 2 kil. environ, le moule Malinké en
Gambie 1 k. 800, et le moule Toucouleur dans le Bondou, 1 k. 500.
La paille de riz forme un excellent fourrage dont tous les
bestiaux sont excessivement friands. Les indigènes s’en servent
pour fabriquer des chapeaux, des couvercles de calebasses et de
petites corbeilles plates assez originales.
Le Rànier. — Les rives de la Gambie sont couvertes de rôniers
et il en existe des forêts d’une étendue relativement considérable
où l’on peut remarquer des échantillons de ce végétal qui attei
gnent des dimensions vraiment gigantesques. C’est le plus grand
des palmiers, le Borassus flabelliformis. Il est facilement recon
naissable à son port élevé et caractéristique. Sa tige est très
grande et peut atteindre parfois jusqu’à vingt-cinq et trente
mètres. Elle est renflée au milieu et ses parties inférieures et
supérieures sont bien moins volumineuses et bien plus effilées.
Son écorce est noirâtre et porte les cicatrices des blessures qu’y
font les feuilles en tombant. Le bois, bien qu’il ait l’aspect spon
gieux est très dur et est difficilement attaquable par la scie. Les
billes de rôniers sont plus lourdes que l’eau. C’est un des rares
�140
ANDRÉ RANÇON
bois qui ne flotte pas. Les feuilles d’un rônier adulte sont
groupées en un bouquet volumineux situé au faite de la tige,
et présente de profondes découpures. Le tronc n’en porte jamais,
sauf quand il est jeune. Leur couleur vert foncé et leur résistance
rappelle de loin les feuilles artificielles en zinc de certains décors
de théâtre ou de girouettes. Les plus jeunes, fortement imbriquées
et engainantes au sommet du végétal, sont d’un blanc d’ivoire.
Très tendres, elle forment le chou palmiste. Les feuilles du rônier
ne tombent qu’après dessiccation complète.
Les fruits, désignés sous le nom de rônes, sont disposés en
grappes de quarante ou cinquante environ. Ils sont de la grosseur
d’un melon de moyenne taille et très lourds. L’enveloppe en est
verte quand ils sont jeunes ; à maturité, elle est jaune orange.
Les graines volumineuses, noirâtres, discoïdes ou en forme de
sphères aplaties aux deux pôles, sont enveloppées d’une pulpe
jaune d’or filamenteuse, très aqueuse, très odorante, et d’un
goût agréable mais légèrement térébenthiné. Les indigènes en
font une grande consommation, surtout en temps de disette.
Le rônier est un bois plein, de longue durée et d’une solidité
remarquable. Inattaquable par les insectes et par l’humidité, il est
excellent pour les pilotis, et l’on s’en sert couramment dans la
construction des ponts et des appontements. Les arbres mâles sont
seuls employés ; les arbres femelles ne peuvent servir qu’à des
palissades, car ils sont creux et peu résistants.
Les indigènes utilisent les feuilles pour couvrir les constructions
provisoires qu’ils font dans leurs villages de cultures. Nous nous
sommes très bien trouvés de les avoir employées pour nos campe
ments. Avec les jeunes feuilles, ils fabriquent aussi, en les
tressant, des liens très résistants. Nous avons été à même
d’apprécier leur solidité quand nous avons traversé en radeau
la Gambie au gué de Bady.
Outre le fruit, les Noirs mangent encore les racines des jeunes
pousses. Elles ont un goût légèrement astringent et assez déplaisant.
On les mange crues. Le bourgeon terminal est très tendre. C’est un
chou palmiste moins savoureux assurément que celui de YOreodoxa
üleracea, mais qui mérite cependant d’être apprécié. Coupé en
petits fragments de deux centimètres carrés, et bien assaisonné
d’huile, de vinaigre, sel et poivre, on en fait une très bonne salade,
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
141
surtout si on a eu la précaution de la faire macérer pendant vingtquatre heures. Ce plat est très apprécié des Européens appelés à
résider au Soudan. Enfin, le rônier fournit une sève relativement
abondante dont on pourrait extraire du sucre et qui donne, par
fermentation, un vin de palme de qualité inférieure.
Je ne comptais rester à Mac-Carthy que trois ou quatre jours.
Aussi m’étais-je installé en conséquence. Dès le lendemain de mon
arrivée, je fis une visite à M. le gouverneur anglais de l’île. Je
trouvai en M. Syrett, métis de Bathurst, ancien secrétaire du
gouverneur général de la Gambie et tout récemment installé,
un homme charmant, bien élevé et d’une remarquable obligeance.
Pendant toute la durée de mon séjour à Mac-Carthy, je n’eus
absolument qu’à me louer des rapports que j’ai eus avec lui. Peu
de jours après mon arrivée, Y « Odette, » la petite chaloupe à
vapeur de la Compagnie, amena M. Frey, l’agent en titre de la
factorerie (M. Joannon n ’était qu’intérimaire), et M. Trouint,
l’agent de la petite factorerie de Nianimaro, située à un jour ou
deux en aval de Mac-Carthy. Nous passâmes deux jours charmants
après lesquels M. Trouint, ayant réglé ses affaires avec M. Frey,
repartit pour rejoindre son poste.
Tous mes préparatifs étaient faits. Je m’étais ravitaillé et j’avais
acheté et expédié à Nétéboulou une nombreuse pacotille dont
j’avais besoin en prévision du voyage que j’allais entreprendre au
Kantora, à Damentan et au pays des Coniaguiés. Un courrier, que
M. le commandant de Baltel m’avait expédié pour me porter ma
correspondance et qui était venu me rejoindre à Mac-Carthy après
vingt jours de marche, se chargea de la transporter à Nétéboulou.
J’organisai à cet effet un convoi de porteurs dont il eut la direction.
Ces hommes étaient au nombre de quatorze. Je les avais recrutés
sur place et ils arrivèrent sans encombre dans le Ouli avec leurs
charges intactes. Et pourtant les marchandises qu’ils portaient
étaient bien faites pour exciter leur cupidité. C’étaient des sacs de
sel, des caisses de tafia, de genièvre, de verroterie, de tiges de
laiton, des ballots d’étoffes, etc., etc. Il faut dire aussi que leur
chef de convoi, Boubou-Cissé, était un homme dévoué et d’une
scrupuleuse honnêteté.
J’étais prêt à partir et je me disposais à me mettre en route
lorsque je fus de nouveau atteint de fièvres intermittentes si vio-
�142
ANDRÉ RANÇON
lentes que je dus garder le lit pendant plusieurs jours, et ce ne fut
que le 27 novembre que je pus quitter Mac-Carthy. En même temps
que moi, M. Joannon lut atteint d’un violent accès à forme bilieuse
et M. Frey lui-même fut obligé de s’aliter pendant près d’une
semaine.L’influence du climat se fit même sentir sur mes hommes,
étrangers pour la plupart à ces régions. La température des nuits
s’était beaucoup refroidie, et tous plus ou moins souffraient de la
poitrine ou des bronches. Même le jeune frère de mon interprète
eut une légère congestion pulmonaire avec fièvre intense qui, pen
dant deux ou trois jours, me causa de vives inquiétudes. Les
animaux ne furent pas non plus épargnés. Je n’avais, en effet, à
leur donner pour toute nourriture que ce gros mil rouge de SierraLeone, qui leur est si préjudiciable. En plus, le cheval de Sandia
fut atteint de violents accès de fièvre et nous aurions peut-être eu
un malheur à déplorer si je n’avais pas eu pour les soutenir et les
alimenter quelques caisses de galettes à base de Kola que M. le
Dr Heckel, de Marseille, avait eu la généreuse prévenance de
m’expédier à Mac-Carthy par les soins de la Compagnie Française
de la côte occidentale d’Afrique.
Retenu par la maladie à Mac-Carthy, je mis à profit l’inaction
forcée à laquelle j’étais condamné pour faire de cette colonie
anglaise une étude aussi approfondie que possible. C’est le-résultat
de mes observations que je vais essayer de faire connaître au
lecteur dans le chapitre qui va suivre. Je n ’ai point la prétention
de me figurer que j’ai découvert sur Mac-Carthy quelque chose de
nouveau, mais je suis intimement persuadé que ces quelques notes
que j’ai recueillies seront de quelque intérêt, et, je dirai plus, de
quelque utilité.
���CHAPITRE VII
Mac-Carthy. — Situation géographique. — Notice historique. — Description
géographique. — Aspect général. — Hydrologie. — Orographie. — Constitution
géologique du sol. — Climatologie. — Flore. — Productions du sol; cultures.
— Faune. — Animaux domestiques. — Le Protopterus ou Mudfisch des Anglais,
ou Schlammfisch des Allemands, ou poisson de vase. — Ethnographie;
populations. — Organisation politique et administration. — Conclusions.
L’île de Mac-Carthy, que les indigènes désignent sous le nom
de « Yan-Yan-M’Bouré », est située au milieu du fleuve « Gambie ».
Si, partant de Bathurst, on remonte le fleuve, on la trouve à environ
200 milles de l’embouchure. Sa position serait à peu près par 17°7’
de longitude ouest et 13°33’ de latitude Nord. Sa plus grande
longueur mesurée de l’Est à l’Ouest est de 10 kilomètres environ et
sa plus grande largeur, évaluée du Nord au Sud, est de 6 kilomètres.
Sa superficie serait à peu près de 53 kilomètres carrés. Sa forme
est à peu de chose près celle d’une ellipse dont le grand axe
serait orienté Est-Ouest.
Les deux bras du fleuve qui l’enserrent ont une largeur inégale
et le bras Nord est de beaucoup le plus important. Il est aussi plus
accessible à la navigation que celui du Sud. C’est, du reste, sur sa
rive que se trouvent tous les établissements commerciaux de
l’île. Au Nord, Mac-Carthy est voisine du Niani. Au Nord-Est, dans
ce môme pays, et non loin de la rive droite du fleuve, se trouvent,
à une quarantaine de kilomètres environ, les ruines du village de
Pisania, point de départ choisi par Mungo-Park, lors de son premier
voyage en 1796. Au Sud, nous trouvons, en face, sur la rive gauche
du fleuve, le Guimara, et, environ à une centaine de kilomètres à
l’est, le Kantora où se trouvait autrefois le fameux marché de
Kantor, que certains historiens Portuguais citent comme un centre
commercial aussi important que pouvait l’être jadis Tombouctou.
Il y a près de trois siècles que Mac-Carthy est connue des
Européens. En 1618, Thompson la visita. Parti de l’embouchure de
André Rançon. - 10.
�ANDRE RANÇON
la Gambie, il remonta le fleuve jusqu’au Tenda, reconnut, par
conséquent, cette île et se disposait à poursuivre sa route jusqu’à
Tombouctou, lorsqu’il fut massacré par les indigènes. Deux années
plus tard, Jobson y aborda de nouveau, et, en 1796, Mungo-Park y
séjourna. Depuis cette époque de nombreux voyageurs l’ont
visitée ; mais c’est au commencement du siècle seulement que
les Anglais comprirent son importance et s’y installèrent défi
nitivement.
Description géographique; aspect général. — Mac-Carthy, dans
sa partie moyenne, a absolument l’aspect que présentent nos
rivières du Sud. La végétation y est puissante et les végétaux
que l’on y trouve acquièrent des dimensions énormes. Les
parties Est et Ouest sont plus tristes. On n’y trouve, en effet,
que des marais où croissent de nombreuses plantes aquatiques
et des Cypéracées gigantesques. Les arbres y sont rares. On
peut cependant encore y remarquer de beaux échantillons de
palmiers rôniers. En résumé, on peut dire que Mac-Carthy
appartient à cette zone de transition que l’on trouve entre les
steppes du Sénégal et du Soudan et les régions tropicales du
Sud.
Hydrologie. — On ne rencontre dans l’île ni marigots ni
rivières. Pendant l’hivernage, il existe parfois, surtout quand
la crue du fleuve est très prononcée, une sorte de petit
cours d’eau qui, dirigé du Nord au Sud, fait communiquer
les deux bras du fleuve. Il est à peu près situé vers la partie
médiane de l’île, et ne coule guère que pendant deux ou trois
mois au plus. Dans les parties Est et Ouest sont de grands
marais qui les rendent absolument inhabitables.
Pour les usages domestiques, on ne fait guère emploi que
de l’eau du fleuve, qui, bien filtrée, est loin d’être mauvaise.
On trouve aussi, dans les deux villages qui s’y sont construits,
quelques puits ; mais l’eau qu’on en retire contient une grande
quantité de matières terreuses, qui, surtout pendant l’hiver
nage, la rendent impropre à la consommation. La masse d’eau
souterraine est peu profonde, ce qui se comprend aisément, l’île
étant peu élevée au-dessus du fleuve. On la trouve à environ
3m50 de profondeur.
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
147
Orographie. — Il n’y a pas trace de collines, le terrain est
absolument plat, sauf dans la partie moyenne, où la ville est
construite sur une sorte de croupe élevée de l m50 au plus
au-dessus des terrains environnants.
Constitution géologique du sol. — Le sous-sol de l’île de MacCarthy appartient tout entier aux terrains de formation secon
daire. Les roches qu’on y rencontre, grès, quartz simples ou
ferrugineux, conglomérats à gangue silico-argileuse ne per
mettent pas d’en douter. Cette ossature est recouverte dans les
parties Est et Ouest, d’une épaisse couche d’argiles compactes
qui forment le fond des marais. Dans la partie centrale et aux
environs de Boraba, c’est de la latérite formée par la désa
grégation des roches cristallines. Aux environs de la ville
commerciale, la roche se montre à nu et l’on peut y remarquer de
beaux échantillons de grès, quartz et quelques schistes lamelleux.
Cette dernière roche est cependant assez rare. Les rives de l’île
sont couvertes d’alluvions anciennes et récentes qui s’étendent [à
environ ISO mètres vers l’intérieur. Elles sont bien plus abon
dantes sur la rive Nord et sur la rive Sud. Il résulte, du reste,
des observations qui ont été faites, que, chaque année, cette rive
empiète sur le fleuve, tandis qu’au Sud c’est, au contraire, la
Gambie qui s’avance de plus en plus dans les terres.
Climatologie. — De ce que nous venons de dire de la situation
géographique, de l’hydrologie et de la constitution géologique du
sol de l’île de Mac-Carthy, nous pouvons aisément conclure ce que
doit être son climat. Sa longitude et sa latitude la placent natu
rellement dans les climats chauds par excellence. La tempéra
ture y est naturellement élevée, surtout pendant la saison chaude.
Pendant l’hivernage, au contraire, le thermomètre n’y monte
jamais bien haut. Il ne dépasse guère trente à trente-deux degrés
centigrades. Mais l’atmosphère y est absolument saturée d’humi
dité et d’électricité. Aussi cette saison y est-elle des plus pénibles à
supporter, et c’est à cette époque de l’année que les Européens y
sont le plus éprouvés. L’hivernage y est précoce et les premières
pluies apparaissent au commencement de mai. Elles sont toujours
très abondantes et durent jusqu’au mois de novembre. Les vents
de Sud-Ouest régnent pendant toute cette saison. Durant la
�ANDRE RANÇON
période sèche, au contraire, de novembre à mai, soufflent les
vents brûlants d’Est et de Nord-Est. A cette époque,le rayonnement
nocturne est tel que, pendant les mois de novembre, décembre et
janvier, il n’est pas rare de voir le thermomètre descendre parfois
jusqu’à dix degrés et même au-dessous. On comprend combien de
semblables variations sont pernicieuses à la santé. Déplus la cons
titution géologique du sol contribue puissamment à augmenter
l’insalubrité de l’île. Les marais des parties Est et Ouest, l’imper
méabilité du sous-sol qui ne permet pas aux eaux de s’écouler
en font un des coins les plus malsains du globe. C’est ce que dans sa
sollicitude pour ses employés, la Compagnie française a bien
compris. Aussi a t-elle décidé que ses agents de Mac-Carthy iraient
chaque année se retremper à Batburst et éliminer au bord de la
mer le poison qu’ils y absorbent. Grâce à cette mesure et à un grand
confortable, ils peuvent sans trop souffrir y résider plusieurs années.
Flore. — Productions du sol. — Cultures. — La flore de MacCarthy est peu variée ; mais, par contre, les essences botaniques
que l’on y rencontre, s’y développent rapidement et y acquièrent
des dimensions que, seuls, peuvent atteindre les végétaux propres
aux régions tropicales. Les végétaux les plus communs sont : le
caïl-cédrat (Khaya Senegalensis A. de Juss.), le tamarinier (Tamarindus indica Lin.), le baobab (Adansonia digitata Lin.), le fro
mager (.Bombax ceiba Lin.), le rônier (Borassus flabelliformis Lin.),
le n’taba (Sterculia cordifolia Cav.), enfin une grande variété de
ficus et de légumineuses. Mais, nous le répétons, ces végétaux,
vu l’exiguité de l’île, y sont en minime quantité. On ne les
trouve guère que dans la partie centrale. A l’Est et à l’Ouest, à part
le rônier, ils sont relativement rares.
Il y a peu de champs cultivés. Le sol se prête peu à la culture.
On ne trouve des lougans qu’aux environs des villages, encore
sont-ils de peu d’étendue. Un peu de mil et de maïs, et voilà tout.
Par contre, chaque habitant possède autour de son habitation de
petits jardinets où sont cultivés avec grand succès, tabac, courges,
calebasses, tomates indigènes, patates douces, manioc. Les papayers,
citronniers, goyaviers, bananiers s’y sont très bien acclimatés et
y sont cultivés avec grand succès. Dans les régions Est et Ouest se
trouvent de belles rizières. Enfin, chaque factorerie, ainsi que les
fonctionnaires, possèdent de beaux jardins où l’on récolte quelques
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
149
légumes d’Europe, choux, salades, radis, oignons, etc., qui font les
délices de ceux que leurs affaires ou leurs fonctions forcent à
résider dans le pays.
Faune, animaux domestiques. — La faune est des plus pauvres.
Quelques rares singes, venus là on ne sait pourquoi, quelques
pigeons, tourterelles, bécassines et perdrix grises, une grande
variété d’oiseaux de toutes sortes, au plumage varié. Pas d’animaux
nuisibles; mais, par contre, une quantité énorme de moustiques,
surtout pendant l’hivernage. Quelques rares serpents non venimeux
et une grande variété de lézards. Le fleuve est très riche en poissons
dont les espèces sont excessivement nombreuses. Quelques-unes
sont excellentes et constituent une ressource précieuse pour la
table. Mais, par contre, il est absolument infesté de caïmans.
Il en est qui sont réellement énormes et qui deviennent un
véritable danger pour les baigneurs. Aussi ne s’y plonge-t-on
jamais. Les hippopotames s’y montrent aussi fréquemment ;
mais ils habitent de préférence les marigots voisins.
Parmi les animaux domestiques nous citerons particulièrement
es chiens, chèvres, moutons, poulets, canards. Les bœufs viennent
surtout de la terre ferme, selon les besoins de l’alimentation. Les
chevaux y vivent difficilement. Pendant le séjour que nous y avons
fait, nous n’en avons vu que trois, celui du gouverneur et deux
autres qui appartenaient à la Compagnie française.
Le Protopterus annectens, ou Mudfischdes Anglais, ou Schlammfisch
des Allemands, ou poisson de vase. — Nous serions incomplets si nous
ne mentionnions pas ici cette espèce de poisson si bizarre, qui se
niche dans la vase du fleuve et des marigots avoisinants et qui
peut pendant plusieurs mois vivre en dehors de tout liquide, à
l’air libre. C’est le Protopterus ou poisson de vase que les Anglais
désignent sous le nom de Mudfisch, les Allemands Schlammfisch.
Par sa constitution et ses mœurs, il se distingue des poissons
proprement dits et forme pour ainsi dire un ordre particulier
intermédiaire entre les poissons et les batraciens. Nous verrons plus
loin qu’il a en effet des caractères communs à ces deux classes.
On le trouve dans la plupart des cours d’eau de l’Afrique
occidentale, surtout dans la région comprise entre les 5e et 13e
degrés de latitude nord. Il affectionne particulièrement les marigots
�ANDRE RANÇON
dans lesquels le courant est peu prononcé. On le rencontre
également dans les grands fleuves, principalement dans les parties
où le courant se fait peu sentir. La Mellacorée, la Gasamance et la
Gambie, ainsi que les marigots qui en dépendent, sont les fleuves
qui en renferment le plus. Il est très commun aux environs de
Mac-Carthy et à l’embouchure du Sandougou et du marigot de
Countiao.
Grâce à l’obligeance de MM. les agents de la Compagnie fran
çaise, j’ai pu en expédier en France plusieurs caisses et examiner
attentivement ce curieux animal. Mon excellent ami, M. le lieute
nant Tête, de l’infanterie de marine, et M. le D1' Bonnefoy, médecin
de 2e classe de la marine, ont pu également l’observer. Ils ont
bien voulu me communiquer leurs notes à son sujet. Elles m’ont
été d’un précieux secours pour rédiger ce qui suit et pour com
pléter l’étude rapide que j’en avais faite (1).
Les Protopterus appartiennent à l’ordre des Dipneustes dipneumones. La peau est écailleuse, — cinq branchies tripinnatifides —
deux poumons aréolaires, dilatés en avant, rétrécis en arrière, où
ils atteignent le cloaque ; ils communiquent par une courte trachée
membraneuse, avec le dehors, au moyen d’une glotte s’ouvrant
dans le plancher du pharynx ; cœur à ventricule simple, oreillette
simple; appareil génital femelle plus semblable à celui des
batraciens qu’à celui des poissons. Au lieu de nageoires, quatre
extrémités irrégulièrement cylindriques, longues de cinq à dix
centimètres; les deux antérieures prennent naissance à l’extrémité
postérieure de la tète ; les deux postérieures s’étendent à la nais
sance d’une queue lancéolée. — La couleur de la peau est gris brun,
sale. Elle est semée de taches sombres. Le squelette est cartilagi
neux, sauf la tête, qui est seule ossifiée. La colonne vertébrale est
formée d’une tige cylindrique, subcartilagiueuse, revêtue d’une
gaine fibreuse et d’une série de pièces neurales disposées en toit
au-dessus de la moelle épinière. Ces pièces sont soudées entre
elles, sur la ligne médiane, où elles portent une apophyse
(1) Cet intéressant animal a été l’objet de récentes observations sur ses mœurs,
son anatomie et sa physiologie, dans le journal La Nature, de Tissandier (1891),
de la part de MM. les professeurs Heckel, de Marseille, et Vaillant, du Muséum de
Paris. Plus tard M. Dubois, de la Faculté des Sciences de Lyon, a communiqué à
l’Association scientifique de France (1892) des observations physiologiques sur sa
respiration.
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
151
épineuse styliforme. L’articulation de la tête est effectuée par un
seul condyle.
Pendant l’hivernage, ces sortes de poissons vivent dans la vase,
au fond des marais, des marigots et du fleuve. Ils se nourrissent de
petits poissons et autres animaux aquatiques. Quand les marais
commencent à se dessécher, ils font un trou dans la vase molle et y
fixent leur demeure. Là, le poisson de vase se replie en deux par
une demi-révolution sur lui-même, et la queue vient recouvrir la
tête comme un bonnet. A ce moment, les glandes de la peau
sécrètent un liquide gluant qui se dessèche et forme une enveloppe
imperméable, membraneuse, couleur feuille-morte, et laissant seu
lement à nu l’ouverture de la bouche. L’animal tombe alors dans
une sorte de léthargie qui va durer pendant toute la saison sèche.
Il n’en sortira que pendant l’hivernage suivant, lorsque les pluies
auront détrempé le sol.
Le moment propice pour s’en emparer est l’époque pendant
laquelle il est plongé dans son sommeil léthargique, c’est-à-dire du
mois de novembre au mois de juin. Il faut alors découper autour de
son nid une motte de vase de la grosseur d’un beau melon, en ayant
bien soin de ne pas toucher à ses parois. Cette motte de terre sèche
rapidement, devient compacte et très dure. On peut la conserver
ainsi pendant sept ou huit mois à l’air libre sans que l’animal en
souffre. Il est facile de s’en assurer en examinant de temps en temps
la petite ouverture qui y est ménagée pour la bouche. Tant qu’on y
constatera la présence de cette partie du corps, le poisson sera
vivant. Si elle manque et si le trou apparaît béant, il sera mort. En
effet, dès qu’il a cessé de vivre, la tête retombe au bord du nid et
l’orifice buccal n’est plus apparent. Il suffit de plonger la motte de
vase en entier dans l’eau pendant quarante-huit heures environ
pour voir l’animal reprendre toute sa vitalité.
Il ne vit que dans l’eau douce, à une température de i2 à
25 degrés, au plus. L’eau saumâtre lui est funeste, surtout quand
elle est très chargée de chlorure de sodium. On ne le trouve, pour
ainsi dire jamais dans les marais salants et à l’embouchure des
fleuves. Il est inconnu dans le Sénégal, la Falémé, le Niger et le
Tankisso.
Le meilleur procédé pour l’expédition en Europe, est d’emballer
les mottes dans de la paille bien sèche, paille de riz ou de Fonio, ou
�152
ANDRÉ RANÇON
à défaut dans des feuilles exemptes de toute humidité. La caisse où
on les mettra doit être solide, à couvercle grillagé et percée partout
de trous nombreux, de façon à laisser librement circuler l’air. Les
Protopterus ainsi expédiés sont arrivés en parfait état en France.
M. le professeur Vaillant, au Muséum d’Histoire Naturelle, à Paris,
et M. le Dr Heckel, professeur à la Faculté des Sciences de Mar
seille, ont pu réussir à les conservver. J ’ai appris dernièrement que
M. le Dr Burckhardt, de Berlin, était en train de faire également
des essais d’élevage à l’aquarium de cette ville. Jusqu’à présent, je
ne connais pas encore les résultats obtenus dans ce sens.
Ethnographie ; populations. — Relativement à son étendue,
Mac-Carthy est peu peuplée. Il n ’y a pas plus de quinze cents
habitants, soit environ vingt-cinq par kilomètre carré. On n’y
trouve que deux centres de population : George-Town et Boraba.
George-Town (1,200 habitants), est située vers la partie centrale
de l’île, sur sa côte Nord. vSa population se.compose d’éléments les
plus divers; un seul Européen, deux au plus, agents de la Compa
gnie française, des mulâtres anglais venus de Batliurst et de
Sierra-Leone, des Ouolofs, des Malinkés, des Akous de SierraLeone et quelques Toucouleurs. De tous ces peuples, les Malinkés
ou Mandingues sont indigènes; les autres n ’y sont qu’importés et
n'y sont venus qu’à la suite des commerçants qui les emploient,
ou pour y faire eux-mêmes du commerce à leurs risques et périls.
La ville par elle-même se compose de deux parties, l’une
construite en pierres; c’est la ville commerciale ; l’autre construite
à la mode indigène, c’est la ville noire.
Les constructions sont peu nombreuses dans la ville commer
ciale. On n ’y trouve guère que la factorerie française, la factorerie
anglaise, l’église protestante, quelques magasins et enfin la
demeure du gouverneur. De toutes ces constructions, la factorerie
française est de beaucoup la mieux comprise et la plus confortable.
C’est une vaste maison construite avec galeries et vérandahs,
appropriée aux pays chauds et où l’on reçoit un accueil charmant
et une large hospitalité. D’immenses magasins en dépendent, et
l’on y trouve toutes les installations que nécessite le commerce
tout particulier de ces régions. La factorerie anglaise est moins
confortable. La résidence du gouverneur est un pavillon carré,
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
153
construit en pierres avec rez-de-chaussée et étage. Il est à galeries
et à arcades. Jusqu’à ce jour, il était assez mal entretenu. Le
gouverneur actuel, M. Syrett, y faisait faire de grandes et utiles
réparations pendant le séjour que nous avons fait à Mac-Carthy.
George-Town a dû être autrefois un centre de population et
de commerce bien plus important qu’il ne l’est aujourd’hui. On
peut s’en faire une idée par les ruines que l’on y rencontre à
chaque pas: ruines de l’ancien palais de justice, de l’hôpital, de
casernes, de maisons particulières, toutes constructions faites à
grands frais avec la pierre ferrugineuse du pays, qu’il faut aller
chercher au loin sur la terre ferme, et avec ciment et chaux,
soit importés d’Europe, soit fabriqués avec des coquilles d’huîtres
que les côtres apportent de Bathurst. C’est encore le mode de con
struction employé aujourd’hui.
Le ville indigène est bien tracée. Les rues sont larges et bien
entretenues devant les habitations, mais le milieu est sale et les
herbes y poussent à discrétion. Elle se compose de huttes indi
gènes construites à la mode du pays, en chaume et en bambous.
Entre les cases, les habitants font de petits jardinets où ils cultivent
du tabac, des courges, calebasses, etc.; mais avec ce même manque
de soin dont le noir fait toujours preuve partout.
Nous avons dit plus haut de quels éléments se composait la
population de George-Town. Tout ce monde-là parle anglais, et
dans les relations journalières ne se sert absolument que de cette
langue. La plupart des habitants sont protestants, et le dimanche
est observé comme dans la ville la plus puritaine d’A.ngleterre. lie
pasteur est un noir qui fait partie de la Mission de Bathurst.
Boraba (300 hab.). — A3 kilomètres environ à l’Est de GeorgeTown se trouve le petit village de Boraba. Il est habité par des
Mandingues uniquement. Ils vivent là paisiblement et se livrent à
la culture de leurs lougans de mil, patates, riz, arachides. Ils ne
viennent guère à George-Town que pour y chercher ce dont ils
peuvent avoir besoin.
Les aborigènes de Mac-Carthy sont, avons-nous dit plus haut,
les Mandingues. D’où sont-ils venus? Sans nul doute directement
du Manding. La légende nous apprend, en effet, que MoussaMansa, fils de Soun-Djatta, le héros mandingue, à son retour du
pèlerinage qu’il fit à La Mecque, s’avança jusqu’à Yan-Yan M’Bouré
�ANDRE RANÇON
(c’est le nom que les indigènes donnent à Mac-Carthy), après avoir
ravagé le Gamon, le Tenda, le Ouli et le Niani. Mais nous croyons
aussi qu’à ces premiers colons, compagnons de Moussa-Mansa,
vinrent dans la suite se joindre d’autres familles venues du
Ghabou et du Ouli. Ce qui nous le ferait supposer avec juste
raison, c’est qu’à Yan-Yan M’Bouré, on ne trouve pas seulement
des Keitas, mais aussi des Camaras, des Niabalis et des Dabos.
Or, toute famille dont un ancêtre a fait partie à un titre quel
conque des colonnes de Soun-Djatta ou de ses descendants, ne
manque pas d’ajouter à son nom celui de Keita et souvent
même de substituer ce dernier au premier. On peut donc
affirmer que les familles qui ont conservé leurs Marnons primitifs
(nom de famille) ne sont pas venues à la suite des conquérants
Mandingues issus du sang de Soun-Djatta. Quoi qu’il en soit,
les Mandingues de Mac-Cartby se sont conservés purs de tout
mélange. Musulmans farouches, ils vivent renfermés dans leur
petit village de Boraba et n’ont que de rares relations avec leurs
voisins.
Industrie, Commerce. — Il n ’y a à Mac-Carthy aucune industrie.
Nous n ’y avons trouvé que quelques forgerons indigènes et
quelques charpentiers attachés aux maisons de commerce.
Par contre, les transactions commerciales qui s’y font ont une
réelle importance, et tout permet d’espérer qu’elles ne feront que
prendre chaque année une extension plus considérable. Nous
avons été heureux de constater que la plus grande partie du
commerce actuel était entre des mains françaises. Grâce à
son influence dans ces régions et aux procédés qu’elle emploie, la
Compagnie française de la côte occidentale d’Afrique a su mono
poliser presque toutes les affaires qui s’y font. Nous avons pu
nous procurer des chiffres exacts, que nous tenons à rapporter ici
et qui ne permettront pas de douter un instant de l’extension
du commerce français dans ces régions. Ce commerce se compose
presque uniquement d’échanges de produits du pays contre des
étoffes, du sel, tabac, poudre, verroterie, etc., etc. Les principaux
produits achetés sont exportés en Europe. Ce sont des arachides,
peaux, cire, caoutchouc, ivoire.
En 1890, les quantités traitées ont été environ :
Arachides : 3,000 tonnes, à 170 fr. la tonne environ.
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
155
Peaux : 10,000, à 2 fr. 50 ou 3 fr. la peau.
Caoutchouc : 4,500 kilog., à environ 1 fr. 25 le kilog.
Cire : 8,000 kilog., à environ 1 fr. le kilog.
Ivoire : Quelques défenses seulement, à des prix variables.
Si nous ajoutons à cela un certain chiffre d’affaires au comp
tant, consistant dans la vente de riz, mil, verroteries, alcools, sel,
étoffes, etc., etc., chiffre qui peut s’élever environ à 3,500 ou
4,000 francs par mois, on verra que Mac-Carthy est un centre de
commerce assez important. De ce fait, elle mériterait que l’admi
nistration anglaise s’en occupât un peu plus et donnât aux com
merçants une protection plus efficace.
Ce n’est assurément pas dans l’île que le commerce peut
trouver assez de produits pour s’alimenter. Mais de partout on y
apporte des denrées en notable quantité, et, de plus, les maisons
de commerce envoient dans tous les pays voisins des représentants
qui y drainent tout ce qui peut être l’objet d’un trafic quelconque.
Par eau, les communications se font aisément, et, pendant
toute l’année, les grands vapeurs y peuvent venir charger. Cela
ne contribue pas peu au développement des affaires.
Outre les produits que nous venons de mentionner, les facto
reries en achètent encore d’autres qu’elles revendent sur place.
Parmi ceux-là, nous citerons particulièrement les Kolas, le beurre
de Karité, les étoffes du pays, le mil et le maïs. Le chiffre d’affaires
ainsi obtenu est relativement élevé et vient s’ajouter à ceux que
nous avons cités plus haut.
Organisation politique et administration. — Les Anglais ont
appliqué à Mac-Carthy le système politique qu’ils ont adopté dans
la plupart de leurs colonies africaines. Ils ne se mêlent en rien
des affaires des indigènes; mais aussi, dès qu’un conflit éclate,
ils savent bien prendre toutes leurs précautions pour que les
intérêts de leurs nationaux, de quelque nature qu’ils soient,
restent sauvegardés.
Les habitants de l’île de Mac-Carthy sont sujets anglais, de
quelque couleur et de quelque nationalité qu’ils soient. Ceci ne
s’applique, bien entendu, qu’aux indigènes. L’esclavage, sous
quelque forme que ce soit et de quelque nom qu’on le désigne, y
est totalement inconnu. Tout captif évadé qui se réfugie à Mac-
�156
ANDRÉ RANÇON
Carthy est considéré comme un homme libre et est assuré de la
protection efficace des autorités anglaises.
On reconnaîtra que cette ligne de conduite, que les Anglais ont
adoptée en Gambie à l’égard des indigènes, est bien faite pour leur
attirer toutes les sympathies des noirs. Aussi, il faut voir comme
les habitants de George-Town se sont, pour ainsi dire identifiés
avec leurs gouvernants. Ils ne leur ont pas pris seulement leur
langue, mais aussi leurs mœurs, leurs coutumes, et je dirai presque
aussi leurs sympathies et leurs antipathies. Rien d’intéressant et
d’instructif comme de voir, le dimanche, cette population de Noirs,
de races diverses, se rendre en costume Européen au temple
protestant. Enfin la meilleure preuve que nous pourrions apporter
à l'appui de ce que nous venons de dire, est le respect qu’ils
ont su leur inculquer pour la reine Victoria. Le jour de sa fête est
jour férié et l’hymne national y est chanté par toute la population
indistinctement.
Au point de vue administratif comme au point de vue politi
que, Mac-Carthy dépend entièrement de Bathurst. L’autorité
anglaise y est représentée par un gouverneur qui relève de celui de
Bathurst. Il est nommé par le pouvoir métropolitain sur la propo
sition de ce dernier. Lorsqu’il s’absente, il est remplacé dans ses
fonctions par un intérimaire nommé par le gouverneur de Bathurst.
Cet intérimaire est généralement un habitant notable anglais de la
ville.
Le gouverneur est un fonctionnaire absolument civil, qui tient
entre ses mains tous les rouages administratifs et tous les pouvoirs.
C’est la seule autorité de l’île. Il est assisté, pour la justice, par une
sorte de greffier-secrétaire. Sa juridiction est fort peu étendue et
ses pouvoirs très restreints. x\u criminel, il ne peut condamner
qu’à de légères amendes et n’infliger que quelques jours de prison.
Au civil, il remplit à peu près les fonctions de juge de paix. Les
affaires graves et importantes sont jugées par les tribunaux de
Bathurst, auxquels on peut toujours, du reste, faire appel des
jugements rendus par le gouverneur.
Il n’y a pas de garnison à Mac-Carthy. Une dizaine de policemen, commandés par un sergent, sont chargés, sous l’autorité du
gouverneur, de maintenir l’ordre. A part ces modestes fonction
naires, il n’y a dans l’île aucune force militaire constituée, et pour
���DANS LA HAUTE-GAMBIE
157
la défense, en cas d’attaque, l’autorité ne dispose que de quelques
canons d’un ancien modèle et des quelques fusils dont est armée
la police.
Les revenus du gouvernement y sont peu importants. Il n’y a
pas de douanes. Les droits d’entrée sont acquittés à Bathurst. Pas
d’octroi non plus. Les amendes, les frais de justice, quelques taxes
de nature municipale, pourrions-nous dire, constituent les recettes
de l’île.
L’instruction y est donnée aux enfants par le ministre protes
tant, qui est en même temps chargé de l’école.
Mac-Carthy ne possède ni service postal, ni service télégraphi
que, bien qu’elle soit peu éloignée de Bathurst. Aussi les com
munications avec le chef-lieu sont-elles des plus rares et des plus
difficiles, surtout pendant l’hivernage. Il faut avoir recours à la
complaisance des maisons de commerce, et encore pendant la
saison des pluies ne faut-il pas compter sur plus d’un bateau par
mois. La métropole et la colonie ne font rien pour y favoriser le
développement des relations commerciales. Tout est laissé à
l’initiative privée. Il faut dire aussi que, sous ce rapport, les
négociants jouissent de la plus grande latitude. Ce système, certes,
peut avoir du bon. Les résultats semblent le prouver. Malgré cela,
nous ne pouvons nous empêcher de reconnaître que le pouvoir
central est bien avare pour Mac-Carthy.
Conclusions. — Notre but, dans ce chapitre, a été de faire con
naître autant que possible Mac-Carthy. Nous nous sommes efforcé
de l’étudier sous tous ses aspects et de faire ressortir son impor
tance commerciale. Là encore, bien que nous nous trouvions en
pays absolument étranger, nous avons été heureux de constater
combien était puissant le commerce français. Nous y sommes au
premier rang, et pourtant nous avions à lutter contre un terrible
et puissant adversaire. Qu’on ne vienne donc pas nous dire que le
commerce français est réduit à néant dans les pays d’outre-mer et
que l’Anglais nous a partout supplantés et évincés! Les chiffres que
nous avons cités sont plus éloquents que tout ce que nous pourrions
dire. Ils ne feront que croître, nous en sommes persuadé, et nous ne
saurions mieux conclure qu’en formant le souhait que nos commer
çants comprennent toute la grande importance qu’il y a, à l’heure
présente, à ne pas laisser péricliter notre influence en Gambie.
�CHAPITRE VIII
Départ de Mac-Carthy. — En route pour le Kalonkadougou. — Diamali. —
La vigne du Soudan. — Canouma. — Le Fonio. — Le Fromager. — CountéCounda. — Arrivée à Demba-Counda. — Fatigue extrême. — Bonne réception.
— Le village. — Son chef. — Je suis forcé d'y rester deux jours. — Description
de la route de Mac-Carthy à Demba-Counda. — Géologie. — Botanique. —
Bizarre superstition. — Départ de Demba-Counda. — Arrivée à Kountata,
premier village du Kalonkadougou. — De Kountata à Diambour. — Beaux
lougans. — Les puits de Diambour. — Belle réception. — Le village. — Massa-
■H-
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
159
Diambour. — Séjour à Diambour. — Départ pour Goundiourou. — Arrivée
à Goundiourou. — Village en ruines. — Oseille et tomates indigènes. —
— Description de la route de Diambour à Goundiourou. — De Goundiourou
à Daouadi. — Guiriméo. — Mansa-Bakari-Counda. — Saré-Dadi. — Daouadi.
— Aspect du village. — Un courrier rapide. — Lettre de M. Frey. — Description
de la route de Goundiourou à Daouadi. — La gomme et les gommiers. —
La gomme de Kellé. — De Daouadi à Coutia. — Boulou. — Goutia. — MassaCoutia. — Aspect du village. — Les tisserands. — Description de la roule de
Daouadi à Goutia. — Le coton. — Les Niébès-Ghertés ou Tigalo-N’galo. —
Patates douces.
27 novembre.— Ce fut le 27 novembre seulement que nous pûmes
nous remettre en route. Malgré une nuit de fièvre et cfinsomnie,
bien que la température fût excellente, je me décidai quand même
à partir. J’étais intimement convaincu que dès que nous aurions
atteint des régions plus septentrionales et des plateaux plus
élevés, nous verrions rapidement disparaître les accidents palustres
dont nous avions souffert à Mac-Carthy. Ma faiblesse était devenue
extrême, en peu de jours ma figure avait pris le cachet paludéen
caractéristique de la côte occidentale d’Afrique. MM. les agents
font tous leurs efforts pour me retenir ; mais je refuse absolument
leur bonne invitation. Je ne puis rester plus longtemps, j’estime
que j’ai assez perdu de jours et il faut enfin partir, si je ne veux
pas tomber plus sérieusement malade et peut-être être obligé de
rentrer en France sans avoir accompli ma tâche.
Donc, le 27 novembre, à 7 heures du matin, nous quittons la
factorerie. MM. les agents viennent m’accompagner de l’autre côté
du fleuve où m’attendent mon cheval et mon palefrenier. Là, après
les avoir remerciés de leur bonne hospitalité, je monte à cheval, et,
à mon grand étonnement, je me bisse avec bien moins de peine que
je ne l’aurais cru. A Lamine-Coto, je trouve tout préparé pour le
départ, et après avoir remercié le chef d’avoir donné l’hospitalité à
mes hommes et lui avoir prouvé par un beau cadeau toute ma
reconnaissance, nous nous mettons en route pour Demba-Counda,
village distant de seize kilomètres environ et où j’avais décidé
de faire étape ce jour-là.
Diamali. — A 7 h. 50, nous traversons le petit village Toucouleur
de Diamali. Sa population est d’environ 150 habitants. Ce sont des
Toucouleurs-Torodos qui y émigrèrent à peu près à la même
époque que ceux de Oualia et de Dinguiray. Tout le long de la route,
�ANDRE RANÇON
je constatai l’existence de nombreux pieds de « Vigne du Soudan »,
de différentes espèces.
Vigne du Soudan. — Ce végétal est très commun au Soudan. Je
l’ai trouvé un peu partout mais particulièrement aux environs de
Kayes, à Koundou, à Niagassola, dans le Bondou, le Tiali, le Niéri,
le Ouli, le Bélédougou, le ravin de Soknafi, non loin de
Bammako, etc., etc. Nulle part il n’est cultivé et croît partout
spontanément. Il affectionne particulièrement les terrains bas,
humides et surtout les forêts les plus épaisses et dont le sol est le
plus riche en humus. J ’ai remarqué que les pieds qui croissaient
sur les plateaux portaient rarement des fruits. Ils étaient brûlés par
le soleil avant d’avoir produit, et n’arrivaient jamais à complet
développement.
La vigne du Soudan ressemble beaucoup, comme port, aux
vignes américaines et surtout aux espèces Othello et Hundinckton
que l’on cultive actuellement en France, mais elle est loin
d’atteindre les dimensions qu’elles acquièrent sous nos climats
C’est surtout par le feuillage qu’elle s’en rapproche le plus.
Elle fleurit vers la fin de juillet ou le commencement d’août,
ses fruits arrivent à maturité complète vers la fin d’octobre ou au
commencement de novembre. Les grappes en sont généralement
peu nombreuses et peu fournies. Nous avons souvent vu des pieds
adultes qui n’en portaient aucune.
Jusqu’à ce jour on en a déterminé cinq espèces principales, les
Vitis Lecardi, Durandi, Faidherbi, Chantini et Narydi. Les trois
dernières sont les plus productives. Le Vitis Faidherbi donne un
raisin jaunâtre, et la Vitis Narydi un raisin très doré; quant à
l’espèce Lecardi, qui est surtout très commune sur les bords du
Niger, elle produit un grain violet noirâtre qui n’a que peu de
saveur.
Les grains de toutes les espèces de vigne du Soudan sont petits.
Leur grosseur ne dépasse pas celle d’un gros pois. La pulpe est
peu abondante et les graines très volumineuses. C’est, du reste, la
caractéristique de la majeure partie des fruits non cultivés des
pays chauds. Cette pulpe a légèrement le goût du raisin, et encore
n’arrive-t-on à le découvrir qu’avec la plus grande bonne volonté.
On a fait à ces végétaux une réputation qu’ils sont loin de mériter,
et certains utopistes leur ont attribué une importance que dans
�161
DANS LA HAUTE-GAMBIE
l’état actuel des choses, ils sont loin d’avoir. Peut-être arrivera-t-on,
par la culture, à les améliorer et à en augmenter la production,
mais bien des siècles s’écouleront encore avant qu’on ait pu en
tirer un produit qui puisse rappeler de loin les vins de nos plus
mauvais crûs.
A neuf heures, nous faisons halte au village Toucouleur de
Canouma. Canouma est un village de 350 habitants, bien bâti,
propre et habité par des Toucouleurs-Torodos émigrés du Fouta,
à la suite d’Ousmann-Celli, le chef de Oualia. Ils s’étaient d’abord
fixés dans ce dernier village, mais des différends étant survenus
entre eux et le chef, ils partirent et vinrent s’établir à Canouma.
Dès mon arrivée, le chef et les principaux notables vinrent me
saluer. Je trouve là également le frère du chef de Demba-Counda,
venu au-devant de moi pour me conduire dans son village. Après
une halte d’un quart d’heure pendant lequel nous pûmes nous
désaltérer, grâce à l’amabilité du chef qui, dès que j’eus mis pied à
terre, m’avait envoyé deux calebasses d’excellent lait, nous nous
remettons en route. Non loin de Canouma, nous laissons un peu
sur notre droite un petit village Peulli, enfoui, comme ils le sont
tous, au milieu du mil. Quand nous passons devant ses cases, qui
s’élèvent à deux cents mètres de la route environ, les femmes et
les enfants sont occupés à récolter le Fonio. C’est la saison, du
reste. Le riz a disparu et est remplacé par cette céréale, que, dans
certaines régions, les indigènes lui préfèrent.
Le Fonio. — On a souvent regardé le fonio comme une variété
du sorgho. Il n’eu est rien. Cette confusion provient de ce que,
dans certaines régions, le Fouta par exemple, les indigènes,
quand on leur demande les noms des différentes variétés de mils,
désignent l’une d’entre elles sous ce nom. Mais il ne faut pas s’y
tromper, ce mot désigne deux plantes absolument différentes, une
variété de petit mil Toucouleur et une autre céréale qui n’a avec
elle rien de commun.
Le fonio, proprement dit, n’est autre chose que le Penicellaria
spicata Wild., que les Ouolofs appellent encore Dekkélé. C’est une
graminée dont les proportions sont bien plus petites que celles
du sorgho. Sa tige a environ trente-cinq centimètres de hauteur,
cinquante au plus, à feuilles très étroites, relativement longues
et dont la forme rappelle celle d’un fer de lance très effilé. Ses
André Rançon. — 11.
�162
ANDRÉ RANÇON
graines sont très petites, de forme légèrement oblongue, très
nombreuses et groupées sur une inflorescence cylindrique en
forme d’épi très allongé. Elles sont de meilleure qualité que
celles du sorgho et servent à préparer un aliment très apprécié
des indigènes.
Sa culture, très facile, ne demande pas une‘préparation méti
culeuse du terrain. Après avoir enlevé et brûlé les herbes des
terres que l’on veut ensemencer en fonio, les semis sont faits à
la volée. Un léger grattage du sol à l’aide d’une pioche ad hoc suffit
pour recouvrir les semences. Ce travail, peu pénible, est fait
surtout par les femmes et les enfants. Le fonio est semé au début
de la saison des pluies, après les premières tornades, vers le com
mencement de juillet. Il lève quinze jours après et les fruits
arrivent à maturité vers la fin de novembre. Il demande un sol
peu riche en humus, ni trop sec, ni trop humide. Les semis faits
dans les marais et dans les endroits bien ombragés donnent un
résultat bien inférieur aux semis pratiqués dans les terrains secs
et bien exposés au soleil. L’humidité qui résulte des pluies d’hi
vernage suffit poiy lui permettre de bien prospérer. Une trop
grande abondance d’eau l’empêche de bien fructifier. Jusqu’au
moment de la récolte, on ne prend nullement le soin d’enlever les
herbes inutiles des lougans. Il en résulte que lorsqu’il est arrivé à
maturité complète on est obligé, pour le cueillir, de le couper
tige par tige. Ce qui, on le comprendra, occasionne une perte de
temps considérable. On le met ensuite à sécher dans les cours des
habitations, dont le sol a été, au préalable, bien battu et enduit
de bouse de vache. Deux ou trois jours suffisent pour cela. Les
grains se détachent alors très aisément et pour cela il n’y a qu’à
le prendre à poignée et à le frapper légèrement contre le sol
Vannés et débarrassés des fragments de paille qui s’y sont mélan
gés, ils sont ensuite enfermés dans des récipients en terre ana
logues à ceux dont nous avons parlé plus haut. Ils s’y conservent
sans s’altérer jusqu’à la récolte prochaine. Ces grains sont de
couleur légèrement brune. Mais quand ils ont été décortiqués à
l’aide du mortier et du pilon à couscouss, et débarrassés de leurs
enveloppes, ils présentent un aspect légèrement jaunâtre qui
rappelle beaucoup celui de la semoule, avec laquelle le fonio, a
du reste, de grands points de ressemblance..
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
163
Les indigènes préparent avec le fonio un couscouss qui jouit
partout d’une grande faveur. On le fait bouillir ou cuire à la
vapeur d’eau et on le mange avec de la viande, du poisson et une
sauce très relevée. Il est considéré par les noirs comme la plante
la plus nourrissante. Il contient en effet une proportion relative
ment considérable de matières azotées: 10,84 pour cent environ.
Très facile à préparer, il est de ce fait excessivement précieux
pour l’alimentation dans les' expéditions. C’est le viatique indis
pensable de tous les dioulas et l’aliment que l’on emporte, de
préférence, pour les longs voyages et les longues chasses dans la
brousse. Il est au préalable bien décortiqué, bien pilé et bien
séché au soleil. Lè voyageur en emplit sa peau de bouc et à l’étape
le fait cuire généralement dans une vieille boîte de conserves qu’il
porte attachée à la ceinture.
Le fonio est peu utilisé pour la nourriture des animaux, des
chevaux particulièrement. D’aborcl il n’y en a jamais en assez
grande quantité pour cela. De plus, ils le digèrent assez difficile
ment, ses grains étant, généralement mal broyés. On lui préfère de
beaucoup le mil pour cet usage.
La paille très fine constitue un excellent fourrage dont les
bestiaux sont très friands. Elle est très hygrométrique, et les
dioulas s’en servent pour emballer leurs Kolas après l’avoir
légèrement mouillée. Bien empaquetée dans des paniers ad hoc,
elle conserve son humidité pendant plusieurs jours. De ce fait
les Kolas ne se dessèchent pas, et, pour les maintenir toujours
frais, il suffit d’asperger les ballots tous les quatre jours à peu
près. Elle peut enfin servir à fabriquer de bonnes paillasses
pour le couchage. Elles ont sur les paillasses faites avec la
paille de maïs le graud avantage de ne pas s’affaisser autant,
et de s’échauffer plus lentement. Nous nous sommes fréquem
ment très bien trouvé de l’avoir ainsi employée pour notre
usage personnel.
Le rendement du fonio est bien plus considérable que celui du
mil ou du riz. De toutes les céréales cultivées dans ces régions,
c’est celle qui produit le plus. Il donne environ 5,000 kilogrammes
à l’hectare. Sa valeur commerciale est à peu près de 20 francs les
cent kilogs. On en trouve, du reste, fort peu sur les marchés. La
récolte est consommée presque entièrement sur place. Monsieur
�164
ANDRÉ RANÇON
le pharmacien en chef des colonies Raoul, dans son savant
« Manuel pratique des cultures tropicales » donne, des grains de
cette précieuse plante, une analyse détaillée qui nous permet de
conclure qu’elle possède au plus haut degré les qualités que l’on
doit exiger d’une céréale destinée à concourir à l’alimentation de
l’homme.
Le Fromager. — Ce végétal, très commun dans tout le Soudan
Français, disparaît peu à peu à mesure que l’on s’éloigne de la
Gambie et que l’on s’avance dans les régions septentrionales.
Canouma est le dernier village où nous l’ayons vu dans ces parages.
C’est un arbre qui atteint des dimensions colossales et qui est très
facile à reconnaître à son port majestueux, à ses fruits caractéris
tiques et aux épines qui couvrent sa tige et ses principaux
rameaux. C’est l’arbre à palabre de beaucoup de villages et c’est à
ses pieds que, dans bien des villages Malinkés, on construit ces
vastes lits de camp sur lesquels couchent les hommes pendant les
nuits étouffantes de la saison chaude.
Le Fromager (Bombax ceiba L.) est une Malvoïdée de la famille
des Bombacées. Sa tige est très volumineuse et atteint parfois jus
qu’à huit et dix mètres de hauteur. On montre à Goniokori les
deux fromagers sous lesquels campa Mungo-Park lorqu’il passa
dans ce village, et tous les Européens les connaissent sous les noms
de « Fromagers de Mungo-Park ». Ils ont des dimensions réelle
ment gigantesques.
L’écorce du fromager ordinaire est d’une belle couleur vert
lézard. Elle est couverte d’épines volumineuses très acérées et
qui se détachent difficilement. Le bois, très tendre, est peu
employé. Les feuilles sont alternes, stipulées et généralement peu
abondantes. L’arbre en porte toute l’année. Il fleurit en janvier ou
février et ses fruits arrivent à maturité en juin ou juillet. Ces
fruits secs ont l’endocarpe chargé de poils à l’intérieur, et ils
renferment une trentaine de graines qu’entoure une sorte de
bourre laineuse caractéristique qui permet de reconnaître aisé
ment ce végétal.
Le fromager, proprement dit, croît dans les terrains légèrement
humides et a besoin d’une forte terre pour bien prospérer. Nous
en avons vu à Mac-Carthy de beaux spécimens.
Il existe au Soudan deux sortes de fromagers, le fromager
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
165
proprement dit et le Donclol. Ce dernier présente des particularités
qui méritent d’être signalées. A l’encontre de son frère, il croît de
préférence dans les terrains pauvres en humus, surtout sur les
plateaux ferrugineux, si communs dans ces régions arides et
désolées. Il n’acquiert jamais les énormes proportions du fromager
proprement dit. Le diamètre de sa tige ne dépasse guère quarante
ou cinquante centimètres au maximum. Son écorce, au lieu d’être
verte, a une couleur brun noirâtre prononcée. Elle est profondé
ment fendillée, et il n’y a que les jeunes rameaux qui présentent
des épines, peu adhérentes et qui tombent au bout de deux ou
trois ans. Ses rameaux sont peu nombreux et de petites dimen
sions si on les compare au tronc. Ils ne portent que de rares feuilles
alternes et stipulées, peu persistantes et qui tombent dès les pre
mières chaleurs. Les feuilles ne se montrent que longtemps après
la floraison, c’est-à-dire deux mois environ après la chute des
fleurs. La floraison a lieu vers la fin de décembre. A cette époque,
l’arbre se couvre de belles fleurs d’un rouge vif, qui sont absolu
ment caractéristiques de ce végétal. Elles ne durent guère que
trois à cinq jours au plus et tombent naturellement. An pied de
l’arbre, le sol en est littéralement jonché. Rien de curieux à voir
comme le dondol en fleur, on dirait un superbe pied de flamboyant,
mais absolument dépourvu de feuilles. Du rouge, rien que du
rouge, les rameaux disparaissent entièrement sous cette avalanche
de couleurs vives et chatoyantes. A ces fleurs succèdent en quantité
relativement considérable les fruits. Ces fruits sont secs, déhiscents,
à coque de couleur marron foncé, et s’ouvrant aisément au choc.
La grande chaleur suffit pour les faire éclater quand ils sont arrivés
à maturité. L’endocarpe en est chargé de poils doux et soyeux à
l’intérieur. La cavité de ce fruit (tous ceux qui ont vécu au
Soudan le connaissent bien) est remplie par une bourre épaisse,
laineuse, douce au toucher et ayant, à la lumière, le reflet de la
soie. A l’époque de la maturité, c’est-à-dire vers mai, juin et juillet,
le sol en est couvert au pied des arbres. Elle est excessivement
légère, très riche en nitrate de potasse, et, même sous un gros
volume, s’enflamme rapidement et brûle comme le coton-poudre,
en ne laissant qu’un résidu absolument insignifiant. Cette bourre
est très difficile à tisser et à filer. J’ai cependant entendu dire que
les indigènes du Canadougou, pays situé à l’Est du Niger, dans la
�166
ANDRÉ RANÇON
partie la plus méridionale de sa boucle, s’en servaient parfois
pour fabriquer certaines étoiles de prix et pour exécuter de fines
broderies. Elle est, par contre, très bonne pour confectionner des
matelas et des oreillers. Nous l’avons souvent employée à cet
usage.
Cette bourre enveloppe une trentaine de graines noirâtres qui
diffèrent de celles du fromager ordinaire, d’après M. le professeur
Cornu, du Muséum d’histoire naturelle de Paris, en ce qu’elles ne
sont pas bosselées. Je dédie cette espèce nouvelle à M. le
professeur Cornu en l’appelant Bomhax Cornui.
Les indigènes utilisent peu le fromager. Toutefois, ses fleurs
sécréteraient une liqueur qui serait à la fois diurétique et purga
tive. Le suc de ses racines est apéritif et son écorce serait aussi
légèrement apéritive.
Le bois du dondol ressemble à s’y méprendre à celui du
peuplier, dont il a, du reste, toutes les qualités, et je me souviens
avoir entendu dire, en 1892, par mon excellent camarade, M. le
capitaine Huvenoit, de l’artillerie de marine, alors directeur des
travaux du chemin de fer de Rayes à Bafoulabé, qu’il en avait fait
débiter des planches dont il avait tiré grande utilité.
A neuf heures quarante-cinq minutes, nous traversons le petit
village de Counté-Counda. Sa population, qui y est d’environ trois
cents habitants, est composée de Ouolofs émigrés du Bondou et du
Saloum. A onze heures environ, nous arrivons, à Demba-Counda,
où j’avais résolu de faire étape ce jour-là. Il était temps, j’étais
exténué. Cette route s’est faite pour moi dans des conditions déplo
rables de souffrances. Je me demande encore comment j’ai pu
arriver à l’étape. La fièvre ne m’a pas quitté tout le long de la
route, et vers le petit village de Diamali, je fus pris de douleurs
telles, dans la région de la rate et s’irradiant jusqu’à l’épaule
gauche, que j’eus peine à me tenir à cheval. C’est dans ces condi
tions que j’arrivai à Demba-Counda, où m’attendait enfin le calme
et le repos. Dès mon arrivée, je fus obligé de me mettre au lit et
ce n’est que dans la soirée que, la douleur de l’épaule et de la
région splénique ayant disparu, je pus travailler un peu.
Demba-Counda. — Demba-Counda est un gros village d’environ
six cents habitants. Sa population est uniquement composée de
Ouolofs venus du Bondou. Il est relativement propre et bien
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
167
entretenu. Il faut dire aussi qu’il a été reconstruit depuis peu de
temps. Les chapeaux des cases sont absolument neufs, ce qui lui
donne un aspect réjouissant que n’ont pas les vieux villages
Malinkés. Il est absolument ouvert et ne possède ni sagné, ni tata.
Les habitants sont de grands cultivateurs. Ils possèdent de beaux
lougans et un beau troupeau de plusieurs centaines de têtes.
Le chef est un bon vieillard à l’aspect, patriarcal. Il est regardé
comme le chef de tous les Ouolofs du Niani. Il jouit dans toute
cette région d’une grande réputation de justice et on vient de loin
lui demander ses avis et ses conseils. Il me reçut à merveille, me
donna pour logement sa meilleure case et me fit cadeau d’un beau
bœuf « pour mon déjeuner », selon la formule consacrée. Je n’ai
pas besoin de dire qu’il fut immédiatement occis et dévoré. Mes
hommes et le village tout entier s’en régalèrent. Le bœuf est
viande de luxe dans ces régions, et il faut une grande circonstance
pour qu’on se décide à en abattre un. C’est alors une série de
festins et d’agapes d autant plus estimés qu’ils sont plus rares.
La route de Mac-Carthy à Demba-Counda présente ceci de par
ticulier, qu’à peine à quelques kilomètres de la Gambie, nous
reconnaissons de suite que nous venons de quitter la zone première
de la région tropicale pour entrer de nouveau dans cette région
bâtarde à laquelle appartient la partie sud de nos possessions
Soudaniennes. Plus, en effet, de ces gigantesques végétaux que
nous avions remarqués dans le Sandougou. N’tabas, nétés, froma
gers, etc., etc., disparaissent. Plus nous nous enfonçons dans le
Nord et plus la végétation se ralentit et plus la flore devient pauvre
et rabougrie. Les productions du sol sont toujours les mômes,
mais le riz fait absolument défaut.
La nature du sol se modifie considérablement. Plus de marais,
comme dans le Sud. La latérite disparaît complètement et nous ne
trouvons plus que des argiles alluvionnaires anciennes qui recou
vrent un sous-sol ardoisier dont les roches émergent par-ci par-là
de la couche d’alluvions. Plus de marigots. On ne boit que l’eau
des puits qui sont excessivement profonds. En résumé le terrain
se rapproche de plus en plus de ceux que nous avons rencontrés
dans le Bondou et le Ferlo-Bonflou.
Je fus forcé de rester deux jours à Demba-Counda. Ma fai
blesse était telle, que j’aurais été absolument incapable de me
�ANDRE RANÇON
tenir à cheval. Malgré cela, je fus obligé de recevoir de nombreuses
visites. Tous les chefs des environs vinrent me saluer et il m’en
aurait coûté de les renvoyer sans les remercier et leur serrer la
main. Je n’ai pas besoin de dire que, dans cette circonstance, je
n’eus qu’à me louer du dévouement de Sandia et d’Almoudo. Ils
ne me quittèrent pas et me prodiguèrent les soins les plus atten
tifs. Il est curieux de voir combien, chez le Noir, l’instinct premier
de la race tend toujours à se manifester même chez ceux qui ont
vécu pendant longtemps au contact de l’Européen. Le fait suivant
en est une preuve certaine. Almoudo, comme je l’ai dit au début
de ce récit, vit, depuis une quinzaine d’années, au milieu de nous.
Il connaît nos mœurs, nos coutumes, et peut, à juste titre, être
regardé comme un noir intelligent et relativement civilisé. Cela ne
l’empêche pas de se livrer à toutes les pratiques superstitieuses de
sa race. Dans la case où j’étais logé à Demba-Counda se trouvait
un de ces petits tabourets sur lesquels les femmes ont l’habitude
de s’asseoir. Je ne sais à quel moment je dis à Almoudo de s’y
asseoir. Je le vis alors examiner attentivement cet escabeau et
cracher ensuite légèrement dessus. Je lui demandai les motifs de
cette nouvelle pratique. Ce à quoi il me répondit : « Ces sièges
» ne sont faits que pour les femmes, et si un homme s’asseoit
» dessus sans y avoir préalablement craché, tous les enfants qu’il
» aura dans la suite seront sûrement des filles. » Or, comme Almoudo
venait de se marier, on comprendra aisément que comme tout
bon noir, son unique désir était de voir ses fils perpétuer sa race
et son nom. Je me suis souvent demandé quels pouvaient être les
motifs de cette étrange superstition. Je n ’ai jamais pu, malgré mes
recherches, en avoir une explication satisfaisante.
29 novembre. — Bien que j’aie passé une fort mauvaise nuit
et que la fièvre dure toujours au moment où je me lève, je décide
quand même de me rendre à Kountata, village distant seulement
de quelques kilomètres de Demba-Counda. Donc, malgré les ins
tances du brave chef, qui, me voyant si souffrant, veut à toutes
forces me retenir, nous nous mettons en route à six heures dix.
La température est des plus agréables. Nous sommes en pleine
saison fraîche. Les nuits sont même un peu froides et on a besoin
de se bien couvrir. La route se fait sans incidents et à 8 heures 15
nous arrivons à Kountata. Rien de bien particulier à signaler, si
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
169
ce n’est trois petits villages Peulhs au milieu de beaux lougans.
Ce sont : Fara-Counda, 150 liab. ; Diané-Counda, 200 hab. ; BouranCounda, 250 hab. — La nature du terrain s’accentue de plus en
plus. Ce sont toujours les mêmes argiles. La flore devient de plus
en plus pauvre.
Kountata. — Kountata est un village Malinké de 450 habitants
environ. On s’en aperçoit de suite en y entrant, tellement il est
sale, puant et mal entretenu. Malgré cela, j’y suis bien reçu. C’est
le premier village du Kalonkadougou; il obéit au chef de Diambour.
J’y reçois encore quelques visites et suis obligé de passer la
journée sur mon lit. Malgré de fréquentes nausées, je puis cepen
dant prendre quelque nourriture. On me donne à profusion tout
ce qui m’est nécessaire pour nourrir mes hommes et mes animaux.
De Demba-Counda à Kountata, la distance n’est que de 10 kil. 375.
30 novembre. — La fièvre ne m’a pas quitté, je passe cependant
une nuit relativement calme. Mais au moment de me lever, je suis
absolument exténué. Je me mets quand même en route pour
Diambour, et à 5 heures 40 nous quittons Kountata en bon ordre.
Pas un seul village entre Kountata et Diambour. Quelques cases
de Peulhs seulement à environ trois kilomètres avant d’arriver.
Je n’oublierai jamais ce que j’ai souffert pendant cette étape de
vingt kilomètres. Ma faiblesse était si grande et les nausées si
fréquentes, que j’étais obligé de descendre de cheval toutes les
demi-heures pour me reposer et vomir, et cela de 5 heures 40 à
10 heures 40, heure à laquelle nous sommes arrivés à l’étape. Je
faillis avoir une syncope en descendant de cheval. Heureusement
que mes hommes avaient pris les devants et avaient eu la présence
d’esprit de monter mon lit en arrivant. Je pus m’étendre aussitôt.
La route de Kountata à Diambour traverse la brousse et rien
que la brousse. La sécheresse y devient de plus en plus grande,
et les habitants, pour avoir l’eau qui leur est nécessaire, sont
obligés de creuser des puits de 45 à 50 mètres de profondeur.
Ces puits, on le comprend' aisément, vu les moyens primitifs
employés pour les construire, demandent un long et pénible
travail. Ce sont les Ouolofs qui y sont les plus habiles, et chaque
village leur paie une assez forte redevance pour qu’ils les nettoient
et les entretiennent en temps voulu. On y puise à l’aide d’une
�170
ANDRÉ RANÇON
calebasse attachée à l’extrémité d’une longue corde de baobab,
et pour que les femmes et les enfants n’y tombent pas, leur
ouverture est fermée à l’aide de pièces de bois jointives qui
forment un véritable plancher, dans lequel on ménage deux ou
plusieurs passages pour permettre d’y plonger les récipients. Ces
puits diffèrent beaucoup de ceux du Cayor. Ils ne sont pas comme
ceux-ci creusés en forme de cuvettes, mais absolument à pic.
Comme ils ne sont pas maçonnés à l’intérieur, il se produit par
fois des éboulements dangereux. Ces sortes d’accidents sont
cependant moins fréquents dans le Kalonkadougou que dans le
Cayor et le Baol, par exemple. Car le sol du Kalonkadougou, formé
d’argiles, est moins mouvant que les sables de ces deux derniers
pays. Bien qu’il n’y ait, dans cette région, aucun marigot, le sol
est cependant encore assez fertile, et Diambour est entouré de
beaux lougans de mil.
Diambour. — Diambour est un gros village Malinké de huit
cents habitants environ, puant, dégoûtant et tombant en ruines.
Il est entouré d’un sagné des plus rudimentaires et on y voit
encore les vestiges d’un tata qui devait être assez sérieux. Ses
cases sont construites à la mode indigène. Beaucoup d’entre elles
ne sont plus que que des décombres. C’est la résidence du chef de
cette partie du Kalonkadougou qui a Diambour pour chef-lieu.
Ce chef, connu sous le nom de Massa-Diambour, est un vieillard
absolument idiot, abruti par l’alcool, et repoussant tellement il
est sale, crasseux et nauséabond. Il ne jouit, pour ainsi dire,
d’aucune autorité dans la région. J’y reçois, du reste, le meilleur
accueil. A peine étais-je installé dans une magnifique case, qui
avait été préparée à mon intention, que le chef vint me rendre
visite. Précédé de deux griots, dont l’un jouait du balafon et l’autre
du cora (guitare à vingt-six cordes), et suivi de tous ses notables,
il pénétra dans la cour de mon habitation et Sandia l’introduisit
auprès de moi. Malgré ma grande fatigue, je m’entretins longue
ment avec lui, et, après un palabre de trois quarts d’heure, il me
quitta en me disant que je pouvais me reposer dans son village
aussi longtemps que je le désirais, et que plus j’y resterais et plus
il serait heureux, que je n’avais pas à me préoccuper de la nour
riture de mes hommes et de mes animaux, et qu’il pourvoirai! à
tout. J ’étais loin de m’attendre à une semblable réception, car
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
171
j’étais le troisième Européen qui s’aventurait dans ces régions. J ’ai
été heureux de constater une fois de plus combien était grand en
Afrique le prestige du nom français.
Le Cora. — Le Cora est le nom Khassonké d’une grande guitare
que l’on rencontre surtout chez les peuples de race Mandingue. Les
Bambaras la nomment M’Bolo, les Malinkés M’Bolo également, les
Peulhs M’Bolo M’Bata, ainsi que les Sarracolés.
De tous les instruments de musique en usage parmi les peuples
du Soudan, cette guitare est assurément le plus harmonieux. Je me
souviens que cela m’avait frappé la première fois que je l’entendis
à Saint-Louis. Je me promenais avec un de mes collègues lorsque
nous fîmes, dans le village de Guet N:dar, la rencontre de deux
artistes qui se promenaient dans les rues en jouant de leur instru
ment. Nous les amenâmes avec nous et les installâmes sur une
petite terrasse sur laquelle s’ouvrait la porte de notre salle à
manger, et, moyennant une modique rétribution, nous les fîmes
jouer pendant tout le repas du soir, et nous ne nous sommes pas
ennuyés en les entendant. Je l’ai depuis maintes et maintes fois
entendue, et toujours avec le même plaisir. Je ne suis pas le seul
sur lequel cet instrument ait fait cette impressiou. A Tombé, dans
le Konkodougou, pendant notre mission dans le Bambouck, un
joueur de Cora charma, pendant plusieurs heures, mes compagnons
de route. Je ne pus en profiter, car alors je dormais profondément.
Aussi, le lendemain, je regrettai vivement de ne pas avoir pris ma
part du concert, surtout lorsque mes compagnons me dirent quelle
délicieuse soirée ils avaient passée.
Cette guitare est très-volumineuse. Aussi les joueurs sont-ils
obligés de la porter en en appuyant la caisse sur le ventre et en
passant autour de leur cou un cordon qui vient se fixer sur cette
caisse. Quand ils en jouent assis, ils placent la caisse entre leurs
jambes, le manche étant tourné en haut. Il est très-difficile d’en
jouer et elle est peu commune. Elle est accordée d’avance et les
artistes n’ont pas à appuyer sur les cordes pour produire les notes.
Chaque corde donne une note unique.
Elle se compose essentiellement d’une caisse qui n ’est autre
chose qu’une grande calebasse recouverte de peau bien tendue. Un
mauche y est adapté. Les cordes viennent s’y attacher. Elles sont
fixées d’autre part à l’extrémité diamétralement opposée du point
�172
ANDRÉ RANÇON
de la calebasse où s’insère le manche. Ces cordes, à l’aide d’un
support, sont disposées de haut en bas dans un sens horizontal par
rapport à la caisse. Leur nombre varie de douze à trente. A l’extré
mité libre du manche se trouve un petit ornement en fer ayant
forme de palette recourbée. Ses bords sont percés de petits trous
dans lesquels sont passés de petits anneaux de métal très mobiles
qui tintent rien que du seul fait de jouer de l’instrument. Le prix
de cette guitare est relativement élevé, quatre-vingt-dix à cent
francs environ.
Je fus obligé de séjourner pendant trois jours à Diambour. J ’au
rais été incapable de continuer ma route tant était grande ma
faiblesse. Pendant tout ce temps, le Massa fit tout ce qu’il put pour
que nous ne manquions de rien. Aussi, ce fut avec grand plaisir
que je lui fis en partant un cadeau d’étoffe et d’argent qui compensa
dans une juste mesure les dépenses qu’il avait dû faire pour nous
recevoir et nous héberger.
3
décembre. — Le 3 décembre, après une excellente nuit,
me sentant tout dispos, je doûnai le signal du départ, et à cinq
heures cinquante du matin nous prenions la route de Goundiourou,
village situé à environ seize kilomètres dans le Nord de Diambour.
La température était excellente et si douce qu’on ne se serait jamais
figuré qu’on se trouvait dans un des pays les plus chauds du globe.
Mais cette illusion dure peu, et le soleil est-il levé depuis une heure
à peine, que ses brûlants rayons nous ont vite rappelé à la réalité.
La route se fait rapidement et sans aucun incident. A neuf heures
vingt minutes nous arrivons à l’étape, et, à mon grand contente
ment, je ne suis pas trop fatigué de ce trajet relativement un peu
long pour un convalescent.
La route de Diambour à Goundiourou ne présente rien de bien
particulier. Elle traverse la brousse uniquement et il n’y a pas un
seul village jusqu’à Goundiourou. A environ six kilomètres de
Diambour, nous entrons dans une foret de bambous au milieu de
laquelle nous n’avançons qu’à grand peine et encore à l’aide du
sabre d’abattis. C’est un fouillis inextricable. Cela dure ainsi pen
dant plus de huit kilomètres, et quand nous en sortons, peu après,
nous apercevons le village de Goundiourou, but de l’étape.
La nature du terrain s’est fort peu modifiée. Plus nous avan
çons dans le Nord et plus nous voyons disparaître les éléments
�DANS . LA HAUTE-GAMBIE
173
géologiques que nous avions trouvés sur les rives du fleuve. Les
argiles compactes prennent la place de la latérite et la nature du
sol se rapproche de plus en plus de celle du Ferlo et du Bondou.
Du reste, la flore elle-même se modifie et les Mimosées recom
mencent à apparaître. Signalons encore quelques lianes à caout
chouc, mais de très petites dimensions. La brousse a également
changé d’aspect, et nous n’avons plus qu’une herbe, mince, ténue,
rabougrie, parsemée par-ci par-là de touffes de hautes Cypéracées.
Plus de marigots. Gela n ’a rien d’étonnant, étant donnée la
nature du terrain.
Goundiourou. — Goundiourou, où nous faisons étape, est un
petit village Malinké de 200 habitants environ. Il tombe littéra
lement en ruines, et la plus grande partie de sa population habite
pour ainsi dire au milieu des décombres. Il y a bien quelques
toitures de cases neuves ; mais elles sont très rares. Le Malinké,
du reste, aime peu à réparer son habitation. Il préfère, quand elle
menace de s’effondrer sur lui, en construire une nouvelle auprès
de l’ancienne. Cette façon de procéder contribue beaucoup à don
ner à leurs villages l’aspect misérable qu’ils ont tous. On voit
encore à Goundiourou les vestiges d’un ancien tata qui avait la
réputation d’être le plus sérieux de la région. II n’en reste plus
que quelques pans de murs. A l’intérieur se trouve un second
tata concentrique au premier. Il entoure les cases du chef et est
un peu mieux entretenu que le tata extérieur.
Je fus très bien reçu à Goundiourou. Du reste, le chef m’avait
envoyé saluer par son frère à Diambour. Ce chef, assez jeune, m’a
paru relativement intelligent. En causant avec lui, je lui demandai
comment il se faisait que son village soit si mal entretenu. Il me
répondit que les terres étant devenues mauvaises pour la culture,
il avait l’intention d’aller se fixer ailleurs, et c’est pourquoi on ne
réparait pas les cases. Tout autour du tata et même jusque dans
les cours intérieures du village se voient de jolis petits jardinets
où sont cultivées, pour les besoins journaliers, des tomates et de
l’oseille.
Tomates. — Il existe dans toute cette région une Solanée que
les indigènes désignent sous le nom de Diakato et qui, par son
port, ses fleurs et ses fruits, rappelle la tomate des pays tempérés.
�174
ANDRÉ RANÇON
Elle en difïère sensiblement cependant. Ainsi, quand la plante
est arrivée à complet développement, elle n’a pas besoin de sup
port pour soutenir ses rameaux. Sa tige est plutôt arborescente.
Elle ne rampe pas, elle se dresse, au contraire, vigoureusement.
Par ce caractère, elle se classe naturellement dans le type des
Solanées arborescentes. Ses fleurs, toujours très nombreuses,
ressemblent absolument aux fleurs de nos tomates, mais elles sont
de couleur légèrement violacée. Ses feuilles sont bien moins pro
fondément découpées. Elles présentent une curieuse particularité.
Les nervures principales à leurs faces inférieures sont très sail
lantes et sont munies de plusieurs épines légèrement molles, très
adhérentes, cependant, et très acérées. On les trouve encore sur
les jeunes rameaux. La tige principale et ses premières divisions
en sont dépourvues. La face supérieure des feuilles est d’un vert
luisant et la face inférieure blanchâtre et légèrement veloutée.
Les fruits ressemblent à ceux de la tomate ordinaire, mais sont
un peu plus petits. Leur forme et leur disposition intérieure
sont les mêmes. Leur goût est, par contre, tout différent. Au lieu
d’être acide, comme cela a généralement lieu, ou sucré, il est
excessivement amer. Cette amertume est surtout très prononcée
quand ce fruit est mangé cru. Elle disparaît un peu quand il est
cuit. La couleur de ce fruit n’est jamais d’un rouge vif comme
celle de nos tomates. Elle est jaune pâle et rouge écarlate mélangés.
Les semis se font vers la fin de mai. Quand la plante a atteint
environ huit à dix centimètres de hauteur, elle est repiquée dans
les jardins. Les pieds sont placés à environ trente centimètres les
uns des autres. Cette opération s’effectue généralement dans les
premiers jours de juillet. La floraison a lieu en août, et les fruits
arrivent à maturité en octobre et en novembre.
Les indigènes mangent cette tomate crue ou cuite, et, dans ce
dernier cas, elle leur sert surtout à assaisonner leur riz. Nous
avons souvent mangé de ce riz ainsi préparé et nous l’avons tou
jours trouvé plus savoureux. Cette espèce tient, par sa tige, ses
feuilles et ses fleurs, du groupe Melongena appartenant au genre
Solanum.
Il existe encore dans toute cette région une Solanée qui donne
de magnifiques petits fruits rouges de la grosseur d’une cerise et
que l’on trouve en abondance sur tous le marchés du Soudan. C’est
���DANS LA HAUTE-GAMBIE
175
la « Tomate cerise)). Elle croît, partout en grande quantité, et, dans
beaucoup de villages, elle tapisse les clôtures en bambous des
jardins. Son port est absolument le môme que celui de nos
tomates des climats tempérés. Sa feuille et sa fleur ont les mêmes
caractères. Elle se développe spontanément et n’a besoin d’aucune
culture. Les indigènes la mangent crue ou bien s’en servent comme
condiment. Son goût aigrelet et rafraîchissant la fait rechercher
des Européens, et il n’est pas de poste où elle ne paraisse, chaque
jour, régulièrement sur la table. On la mange comme hors-d’œuvre
avec ou sans sel, ou bien en salade, ou bien en omelette. Elle entre
également dans la composition d’un excellent potage.
Nous croyons, à ce sujet, devoir mentionner ici combien dans
les pays chauds notre tomate d’Europe dégénère, afin de bien faire
ressortir que ce fruit, tel que nous l’obtenons, n’est absolument
qu’un produit de la culture. La première année, les plantations
donnent un fruit absolument identique quant à la forme, à la
grosseur, au goût et à la couleur à notre tomate. Si on sème
l’année suivante les graines récoltées sur place, on n’obtient plus
qu’une tomate de la grosseur d’une noix au plus et dont la forme,
au lieu d’être discoïde, est devenue parfaitement oblongue. L’acidité
est moins prononcée aussi. Semons des graines de cette dernière
récolte et nous n’avons plus alors que la tomate cerise. Quels que
soient les procédés de culture que l’on emploie, c’est à cet
inévitable résultat que l’on arrive toujours fatalement. Nul doute
que le climat et la nature du sol n’influent sur ces transformations
rapides. Deux années suffisent pour ramener la plante améliorée
chez nous par la culture, à l’échantillon origine. Nous avons
observé ce fait sur bien d’autres végétaux, et nous sommes
persuadé que, sous les climats tropicaux, tout ce qui vit et se
cultive sous les climats tempérés ne tarde pas à s’étioler et à
dégénérer. Le règne végétal suit en cela les mêmes règles que
le règne animal.
Oseilles. — Dans les jardinets qui entourent généralement les
villages, on trouve deux variétés d’oseilles dont les indigènes sont
excessivement friands. Les Noirs de la Gambie leur donnent le
nom de « Dakissé ». Elles sont ainsi appelées par les peuples
d’origine Mandingue aussi bien que par les peuples de race Peulhe.
Elles diffèrent cependant profondément. L’une n’est qu’un Rumex
�176
ANDRÉ RANÇON
(Polygonées) de la section des Acetosella, dont elle présente tous
les caractères. Elle est surtout cultivée dans les jardins. L’autre
est, au contraire, une Malvacée. C’est l'Hibiscus Sabdariffa L.,
connu surtout sous le nom d'oseille de Guinée. On la rencontre
particulièrement dans les lougans d’arachides, où elle est semée en
bordure. Ses feuilles, sa tige et son fruit, très acides, sont utilisés
comme condiments. Ses différentes parties ont, à un haut degré, les
caractères propres des Malvacées. Ses graines sont très appréciées
et entrent dans la composition des sauces avec lesquelles sont
mangés les couscouss. Elles sont auparavant soumises à une prépa
ration toute spéciale. Aussitôt après la récolte, elles sont mises,
alors qu’elles ne sont pas encore sèches, à bouillir dans l’eau pen
dant quelques minutes. Retirées du liquide et bien égouttées, elles
sont étendues sur des nattes fines et séchées au soleil. Elles exhalent
alors une odeur épouvantable, et telle que deux ou trois kilo
grammes suffisent pour empoisonner un village entier. On juge ce
que ce doit être quand, dans chaque famille, on se livre à cette
opération. Quand elles sont bien séchées, elles sont enveloppées
dans du calicot ou delaguinée, et les petits paquets sont suspendus
à l’intérieur de la case, aux rayons du toit qui la recouvre. Elles
peuvent, ainsi préparées, se conserver indéfiniment. Quand on veut
s’en servir, on en pile, dans le mortier à couscouss, la quantité
dont on a besoin, et on les réduit en poudre absolument impal
pable. Cette poudre sert à assaisonner certaines sauces. Il faut avoir
soin de n’en fabriquer que la quantité dont on a strictement besoin,
car elle perd rapidement son arôme et devient absolument insipide.
Le goût qu’elle donne aux aliments est loin d’être succulent, mais,
somme toute, il est parfaitement supportable. Je doute cependant
qu’il ait quelque succès dans la cuisine européenne.
4
décembre. — Ma santé s’améliore de plus en plus et je sens les
forces revenir rapidement. Je n’ai plus de fièvre et, grâce à la dou
ceur de la température, l’appétit est devenu meilleur. A 5 b. 45 du
matin, nous quittons Goundiourou et nous prenons en bon ordre la
route de Daouadi, village où j’ai décidé de camper ce jour-là et qui
est situé à 16 kilomètres environ de Goundiourou, dans l’Est-NordEst. J’aurais pu prendre un chemin plus court, mais je tenais à
visiter ce village, dans lequel un seul Européen, M. le pharmacien
de deuxième classe de la marine Liotard, était entré avant moi.
�DANS LA HAUTE-fiAM BIE
177
La route se fit sans aucun incident et sans fatigue pour moi. A
6 h. 55, nous traversons le village de Guiriméo sans nous y arrêter.
Guiriméo. — Il possède environ 250 habitants. Sa population
est uniquement composée de Ouolofs venus du Saloum. Il m’a paru
si sale et si mal entretenu qu’au premier abord je l’ai pris pour un
village Malinké. Il est entouré d’un sagné assez solide et on y
voit encore les ruines d’un petit tata. Tous ses environs sont
bien cultivés, et il possède de riches lougans de m il, coton,
arachides et maïs : à quelques centaines de mètres du village
principal, se trouve un petit village de cinquante habitants
environ qui dépend du premier.
Mansa-Bakari-Counda. — A 8 h. 30 nous traversons encore,
sans nous y arrêter, le petit village ouolof de Mansa-BakariCounda, dont la population s’élève à deux cents habitants environ
venus du Saloum comme ceux de Guiriméo. Ces deux villages
sont, malgré leur petit nombre d’habitants, les plus riches du
Kalonkadougou. Ils possèdent les plus belles cultures de la région
et la famine vient rarement les visiter. Mansa-Bakari-Counda
ne possède aucun moyen de défense. Il est absolument ouvert.
Saré-Dadi. — A un kilomètre de là environ se trouve le
petit village de Saré-Dadi, dont la population, entièrement com
posée de Peulhs. ne dépasse pas 60 habitants. Il est, comme tous
les villages Peulhs, construit en paille et ne présente rien de
particulier que son troupeau de plus de deux cents bœufs. Il
possède, en outre, un grand nombre de chèvres et de moutons.
Daouadi. — A 9 h. 20 enfin nous sommes à Daouadi, où nous
allons passer la journée et camper. C’est un village de 350
habitants environ. La population est Malinkée de la famille des
N’Dao. Il mérite une mention honorable, car il est un peu moins
sale que les villages Malinkés visités jusqu’à ce jour et ses cases
sont mieux entretenues. Il est entouré des ruines d’un ancien
tata qui devait être assez sérieux. A l’intérieur, se trouve un
second tata concentrique au premier qui entoure les cases du
chef et qui a été tout récemment construit. Je suis bien reçu
et bien logé autant qu’on peut l’être dans un village noir. La
journée se passe bien pour tout le monde. Je 'n’ai pas besoin
de dire que je reçois de nombreuses visites. Tous les chefs des
André Rançon. — 12.
�178
ANDRÉ RANÇON
environs sont venus me saluer, et celui de Coutia, où je dois
aller demain, m’a envoyé son fils pour me conduire chez lui ;
on n’est pas plus prévenant.
Pendant mon séjour à Diambour, j’avais expédié à MacCarthy un courrier pour y aller chercher différents objets qui
m’étaient nécessaires et dont j’avais, au moment du départ, oublié
de me prémunir. J ’étais à peine installé à Daouadi qu’il arriva,
ayant accompli la mission dont je l’avais chargé. Il avait
fait, aller et retour, cent-dix-huit kilomètres en moins de 24
heures. D’après les calculs que je fis, il avait dû marcher à
une allure de près de six kilomètres à l’heure. Ces exemples de
vitesse chez les noirs ne sont pas rares. Nous en avons connu qui
parcouraient en un temps relativement court des distances vrai
ment fabuleuses. Quand je lui demandai comment il avait pu faire
pour marcher aussi vite, il me répondit qu’il avait «mangé du Kola
pendant toute la route et que « cela l’avait fait marcher ». Nous
reviendrons dans le cours de cette relation sur cette importante
question. Notre homme était bien un peu fourbu en arrivant à
Daouadi, mais après d’abondantes ablutions et un massage vigou
reux, il repartit dans la soirée pour Diambour, où il habitait. Outre
ce que j’avais demandé à Mac-Carthy, M. Frey avait eu l’extrême
obligeance de m’envoyer en plus une dizaine de kilogs de pommes
de terre et cent citrons environ. Je n ’ai pas besoin de dire avec
quel plaisir et quelle reconnaissance j’accueillis ce précieux pré
sent. Ceux qui ont voyagé dans ces contrées déshéritées en seront
aisément convaincus. Une lettre fort aimable l’accompagnait. Entre
autres choses, elle m’annonçait que M. Joannon était de nouveau
malade. M. Frey lui-même gardait le lit depuis mon départ. La
fièvre l’avait terrassé le soir même du jour où je les avais quittés.
J ’appris peu de jours après, avec satisfaction, par un noir qui reve
nait de George-Town, qu’ils avaient été tous les deux gravement
atteints, mais qu’ils s’étaient rapidement rétablis.
La route de Goundiourou à Daouadi ne présente rien de bien
particulier. La nature du terrain se modifie de plus en plus et nous
n’avons maintenant que des argiles compactes. C’est absolument le
sol du Ferlo et du Bondou. Pas de marigots. A partir de Guiriméo,
le sol s’élève un peu et Daouadi est situé au milieu d’un plateau
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
179
d’où l’on aperçoit au loin, vers le Nord et le Nord-Est, quelques
petites collines qui paraissent assez boisées.
Le mil, coton, oseille, arachides, tomates sont les plantes ali
mentaires qui y sont principalement cultivées. La flore devient de
plus en plus pauvre. Les Mimosées et les Acacias deviennent de
plus en plus fréquents. Par-ci, par-là nous trouvons quelques gom
miers et, d’après les dires des habitants, on trouverait aussi, dans
la brousse, quelques échantillons du végétal qui donne la gomme
de Kellé.
Gomme et Gommiers. — La gomme arabique est l’objet, chacun
le sait, de transactions commerciales importantes au Sénégal. Elle
y est surtout apportée aux escales du fleuve par les Maures de la
rive droite. C’est dans leur pays que les végétaux qui la donnent
sont particulièrement abondants. Cette gomme est produite par
plusieurs variétés d’Acacias, dont les principales sont les suivantes :
Verelc, neboueb, adstringens, tomentosa, fasciculata et Seyal. La
plus estimée est donnée par YAcacia Verek G. et P. Cette exsuda
tion n’apparaîtrait que sous l’influence de certaines conditions
morbides des végétaux et serait souvent aidée, sinon provoquée
par une plante parasite nommée le Loranthus Senegalensis (1).
L’Acacia Verelc habite surtout le pays des Maures. Il est très rare
dans les contrées situées sur la rive gauche du fleuve. On n’en
trouve que quelques échantillons dans le Bondou et le Ferlo.
Nous en avons trouvé quelques-uns dans le Kalonkadougou égale
ment. Mais ce sont surtout les autres variétés qui y sont plus
communes. Elles donnent une gomme généralement peu estimée.
Les indigènes, du reste, ne la récoltent pas.
Gomme de Kellé. — Il existe encore, dans le Bondou notam
ment, le Bambouk et les pays avoisinants, une autre espèce de
gomme que les Toucouleurs nomment Kellé et les Malinkés Kelli.
Ce n’est pas, à proprement parler, une gomme véritable. Ses
caractères la rapprocheraient davantage de la gutta-percha. Il
nous a été impossible de nous en procurer. Les indigènes lui
donnent, en effet, des vertus remarquables. D’après eux, tout noir
qui posséderait dans sa case un fragment de Kellé serait assuré
(1) C’est une opinion, du reste aujourd’hui reconnue erronée, qui a été soutenue,
avec beaucoup d’autres du même genre, par Ch. Martins.
�ANDRE RANÇON
de voir tout lui réussir et d’acquérir une grosse fortune. Aussi,
quand ils en possèdent, ils la cachent précieusement avec un
soin jaloux. De même, quand ils connaissent l'existence quelque
part d’un échantillon du végétal qui la produit, ils se gardent bien
d’en faire part à qui que ce soit. Je n’ai jamais pu le voir; mais
j’ai tout lieu de croire, à la description qui m’en a été faite, que
ce serait une Légumineuse. Je ne puis cependant pas l’affirmer.
Quoiqu’il en soit, cette plante est excessivement rare et regardée
comme fétiche dans toutes les régions où on la rencontre.
5
décembre. — A 5 heures 45, nous quittons Daouadi par une
température excessivement fraîche et nous nous dirigeons à l’EstSud-Est vers Coutia, où j’ai décidé d’aller passer la journée et où
je suis attendu.
La route se fait rapidement et sans encombre. A 6 heures 15,
nous traversons le petit village de Boulon, dont la population,
d’une centaine d’habitants environ, est uniquement formée de
Malinkés. Il est entouré de vastes lougans d’arachides. — De Boulou
à Coutia, nous marchons au milieu des lougans de mil de ce
dernier village. Ils sont immenses et s’étendent à perte de vue. A
7 heures 15, nous mettons pied à terre à Coutia.
Coutia. — C’est un gros village Malinké, dont la population
s’élève à 900 habitants environ. Il se compose de deux villages,
un gros et un petit, séparés par quelques centaines de mètres à
peine. Le village principal, où nous avons campé, est un village
Malinké dans toute l’acception du mot. Il est entouré d’un
mauvais sagné et son tata tombe partout en ruines. Le tata
intérieur qui entoure les cases du chef est cependant bien
entretenu et assez sérieux. La place principale du village est
encombrée par des ordures et des détritus de toutes sortes.
Coutia est la résidence du chef de cette partie du Kalonkadougou. Massa-Coutia, de la famille Malinkée des N’Dao, est un
vieillard d’environ soixante-dix ans, repoussant de saleté. Il est
relativement intelligent, ivrogne au plus haut degré et fort
malhonnête, paraît-il, dans ses relations privées. Comme tous les
chefs Malinkés, il ne jouit absolument d’aucune autorité. Pour moi
particulièrement, je n’ai nullement eu à m’en plaindre. Il m’a
bien reçu et ne nous a laissé manquer de rien. Mes hommes y ont
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
181
été bien traités et tous y font bombance, sauf Almoudo, mon
interprète, qui, pendant toute la journée, n’a absolument mangé
que les restes de mes repas, ce qui, pour un noir, est une faible
pitance. Je lui demandai, bien entendu, les causes d’une semblable
abstinence. Il me répondit que les N’Dao étaient ennemis nés de
sa famille et qu’un Massassi de pouvait rien accepter d’eux. Je lui
fis remarquer que, dans le cas présent, il n’avait aucune obligation
envers les N’Dao de Goutia, puisque je payais tout ce qu’ils me
donnaient pour nourrir mes hommes. Il me répondit que cela
ne faisait rien et qu’un Massassi ne devait jamais rien manger
de ce qu’aurait touché un N’Dao. Je n’insistai pas et je pus
constater qu’il ne toucha à rien de ce qu’ils m’apportèrent. J’étais
loin de supposer que la haine pût entrer aussi profondément
dans le cœur d’un noir.
J ’aurais passé à Coutia une excellente journée, si je n’avais eu
pour voisin un tisserand. Il me fallut jusqu’à la nuit tombante
supporter le grincement agaçant de son métier. Au Soudan, les
tisserands forment une caste peu en honneur. Ce sont pourtant,
en général, de bons travailleurs. Peut-être est-ce pour cela que
leurs compatriotes ne leur accordent pas leur estime. Du matin
au soir ils font activement marcher la navette et gagnent ainsi
deux francs ou deux francs cinquante centimes par jour. Il faut voir
avec quelle adresse ils font manœuvrer leurs métiers, cependant
bien primitifs. Ces appareils sont surtout très étroits et ressemblent
à ceux dont on se servait autrefois en Europe. Ils ne peuvent
servir qu’à fabriquer des étoffes dont la largeur ne dépasse pas
quinze à vingt centimètres. Ils mettent en œuvre du coton
récolté dans le pays et qui a été préalablement filé par les ména
gères. Le tissu ainsi obtenu est d’une solidité remarquable. En
réunissant ensemble ces petites bandes d’étoffes, on peut en faire
des vêtements et même des couvertures. Les boubous lomas et les
couvertures de Ségou et du Macina sont particulièrement recher
chés. Dans les régions de la Gambie et dans le Sud du Bambouck,
ces petites bandes d’étoffes de coton servent de monnaie courante
pour les échanges. L’unité est le pagne, qui équivaut à deux coudées
au carré d’étoffes. Sa valeur est d’environ deux francs. Rarement
les tisserands tissent la laiue de leurs moutons. Il n’y a guère que
dans le Nord de nos possessions soudaniennes, dans le Grand-
�182
ANDRÉ RANÇON
Bélédougou, le Macina, le pays de Ségou, etc., que l’on peut trouver
une sorte de manteau à capuchon que l’on peut facilement trans
former en couverture et que les indigènes désignent sous le nom de
cassan. Cette étoffe est excessivement chaude et a le grand avantage
de ne s’imprégner que difficilement d’humidité.
C’est dans un pays uniquement formé d’argiles alluvionnaires
compactes que se déroule la route de Daouadi à Coutia. Nous avons
affaire là aux mêmes terrains et à la même flore que dans le reste
du Kalonkadougou. Aussi n’insisterons-nous pas plus longuement.
Vers l’Est, le sol s’affaisse légèrement. Les cultures sont les mêmes
et Coutia possède de beaux lougans de coton, de mil, d’arachides et
quelques jardinets ou l’on cultive courges, tomates, oseille, patates
douces, etc., etc.
Le Coton. — Le cotonnier (Gossypium punçtatum Guil. et Perrotet)
de la famille des Malvacées, pousse d’une façon remarquable dans
tout le bassin de la Gambie. Les indigènes, dans le Kalonkadougou,
en font de superbes lougans, auxquels ils apportent un soin relati
vement attentif. Ces lougans sont généralement situés aux alentours
du village, afin que les femmes et les enfants, auxquels incombe la
cueillette, ne s’écartent et ne s’éloignent pas trop au moment de la
récolte.
Le terrain est, au préalable, bien débarrassé de toutes les herbes
qui pourraient entraver le bon développement du végétal. Quand
elles sont sèches, on les réunit en tas et on les brûle. Les cendres
sont répandues sur le sol et contribuent à le fertiliser. Puis, à l’aide
de la pioche, on pratique des sillons distants les uns des autres
d’environ quarante centimètres. La terre en est bien relevée en
dôme et, quand tout est fini, on croirait que tout ce travail a été
fait à la charrue.
C’est sur le point culminant de ces sillons que sont faits les
semis. On pratique simplement à l’aide d’un morceau de bois, un
trou de cinq à six centimètres de profondeur, dans lequel on intro
duit deux ou trois graines. Le coton lève deux semaines environ
après avoir été semé. Il rapporte six ou sept mois après. Une plan
tation faite en juin fleurit vers la fin d’octobre et la récolte peut
être faite en janvier ou février. Ce n’est guère que lorsque la
capsule s’est ouverte et que les soies s’en échappent que l’on y
procède. Ce travail peu pénible est fait par les femmes et les enfants-
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
183
La cueillette terminée, le coton est étendu sur des nattes au soleil
afin de le bien sécher et de le faire blanchir. Puis, les graines sont
enlevées, séparées de la bourre. Celle-ci, si on ne l’emploie pas
immédiatement, est placée dans des vases en terre, où elle est abso
lument à l’abri de l’humidité. A leurs moments perdus, le soir
notamment dans les dernières heures du jour, les femmes le filent
à l’aide de petits fuseaux analogues à ceux dont on se sert encore
dans nos campagnes et fabriquent un fil très résistant avec lequel
les tisserands tissent ces étoffes dont nous avons parlé plus haut.
De tout temps, les indigènes ont cultivé et utilisé le coton, et
bien avant notre installation dans le pays, ils savaient en fabriquer
des étoffes. Mais pour cela, comme pour tout le reste, ils font
preuve de la plus grande imprévoyance et ne récoltent que ce qui
leur est, absolument nécessaire pour leurs besoins. La production,
depuis que ces régions sont soumises à notre autorité, n’a pas
augmenté d’un kilog. Il faut dire aussi que nous n’avons rien fait
pour cela.
Le coton le plus commun en Gambie est le coton à courte soie (Gossypium punctatum G. et P.). Il est loin d’être aussi beau qu’on a bien
voulu le dire. Si l’on ne regarde que la couleur, il est d’une blan
cheur éclatante. Mais il est peu souple, difficile à filer, et surtout le
rendement en est peu considérable. En résumé, un coton de cette
valeur n’est pas commercial en Europe. En 1827, on a bien tenté d’ac
climater, au Sénégal, les espèces les plus estimées sur nos marchés.
Successivement on y a cultivé les espèces indicum Lk., hirsutumL.,
barbadenseL., acuminatumRoxb. Mais aucune n’a donné de résultats
satisfaisants. Les essais ont dû être abandonnés. Il en sera encore
de même aujourd’hui. Seule, l’espèce indigène y réussira. Le climat,
la nature du sol n’ont pas changé et ne permettront jamais aux
cotons de qualité supérieure d’y prospérer. Bien plus, nous sommes
intimement persuadé qu’ils y dégénéreront aussi bien que les
autres végétaux que l’on a voulu y importer. Il serait bien plus
logique d’améliorer par la culture celui qui y croît déjà que de
tenter des expériences qui ne seront jamais, quoiqu’il arrive,
rémunératrices.
Outre les espèces dont nous venons de parler, il en existe encore
une autre dite Gossypium intermedium. Tod. Peu abondante dans le
bassin de la Gambie, elle est surtout cultivée au Sénégal et dans le
�184
ANDRÉ RANÇON
ÿ
Grand Bélédougou. Elle donne un coton plus grossier, de couleur
jaune sale et dont les soies adhèrent fortement aux graines. Le
tissu que l’on en obtient est plus grossier et de moins bonne
qualité que le tissu que donne la première.
Les graines sont peu utilisées en dehors des semis. En
Gambie, on en extrait parfois l’huile et l’on s’en sert dans la
thérapeutique courante, surtout pour le pansement des plaies.
En temps de disette, les indigènes mangent parfois les jeunes
feuilles de coton sous forme de bouillie. On en fait également
des cataplasmes très émollients, et elles servent à préparer des
bains, souverains, disent-ils, contre les douleurs rhumatismales
des extrémités.
Ticgalo N’galo ou Niébé glierté. — Il existe en abondance dans
toute cette région une Légumineuse qui peut être considérée
comme la plante qui forme la transition entre l’arachide (Ava
chis hypogœa L.) et le Haricot (Phaseolus vulgaris L.), avec lesquels
elle a des caractères communs. Du reste, les indigènes lui ont
donné un nom composé de ceux de ces deux plantes. Les
peuplades de race Mandingue la nomment : Tigalo N’galo.
Arachide en Malinké se dit Tigo et Tiga suivant les régions.
N’galo est le nom d’un petit haricot très commun dans tout le
Soudan. Les peuplades d’origine Peulhe la nomment Niébégherté. En Peulh Nicbé signifie haricot et gherté arachides.
Elle est très cultivée dans tout le Soudan et ses graines
constituent un aliment recherché des indigènes et apprécié
des Européens eux-mêmes. Le port de cette Légumineuse
diffère de celui de l’arachide et rappellerait plutôt celui de
nos petits haricots nains. On la sème au commencement de
juin dans un terrain bien préparé et souvent aussi en bor
dure autour des lougans de mil, maïs et arachides. Elle
demande une humidité assez prononcée et donne vers le
commencement de novembre un fruit sec, indéhiscent. Si on en
brise la coque, il s’en échappe une graine ronde d’une blancheur
nacrée de la grosseur d’une noisette, dont elle a un peu
la forme. Cette graine est munie d’une enveloppe épaisse dure,
coriace et qui se détache à la cuisson. De blanche qu’elle était,
elle prend une couleur violacée très prononcée et qui colore
fortement le bouillon dans lequel on la fait cuire. Cette enveloppe
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
n’est pas comestible. On l’enlève dès qu’elle n’a/
cotylédons qui sont volumineux et très savoureu:
mangent les Niébés-ghertés bouillis et, dans nos p^
de bonnes purées et d’excellents potages. Elle remp'i
sement le haricot.
Patates douces. — La patate (Ipomœa Batatas Poir.),
cultivée également, mais surtout dans les régions humides et bien
arrosées. On en fait de beaux lougans dans le Sandougou, le Niani,
le Kalonkadougou et à Mac-Carthy. Elle pousse très rapidement et
ses ramifications souterraines prennent en peu de temps un déve
loppement si rapide qu’il est difficile d’en débarrasser le terrain où
elle s’est implantée. Les indigènes la plantent de deux façons : ou
bien par boutures ou bien encore par une méthode mixte qui
consiste à faire germer en terre des tubercules sur lesquels on
prend ensuite des boutures que l’on pique à environ soixante centi
mètres les unes des autres. En peu de temps, elles émettent en tout
sens des rameaux qui rampent sur le sol où ils s’implantent par
des racines adventives multiples. Au bout de deux ou trois mois, il
se forme au pied de la plante des tubercules farineux qui gros
sissent pendant toute la saison des pluies et que l’on récolte au
début de la saison sèche, quand les feuilles commencent à jaunir.
La sécheresse est préjudiciable à la patate, aussi ne la cultive-ton que pendant l’hivernage.
Il en existe un grand nombre de variétés qui ne diffèrent, du
reste, entre elles, que par la forme et la couleur. Il en est de longues
et de rondes ou plutôt ovoïdes. Les unes sont blanches, les autres
jaunâtres, d’autres enfin légèrement rosées. Ces dernières sont
d’ailleurs d’une qualité supérieure. Le goût de la patate rappelle
un peu celui de la pomme de terre ; mais il est plus sucré. De plus,
sa chair est parsemée de nombreux filaments désagréables quand
on la mange. Les indigènes la font bouillir ou cuire sous la cendre.
Les Européens en font de bonnes fritures, d’excellents potages et
de succulentes purées. Cuites dans un sirop de sucre, elle sert à
confectionner un entremêt dont le goût rappelle celui du marron
glacé.
Les feuilles constituent un excellent fourrage pour les animaux.
La patate se conserve peu de temps pendant la saison sèche. Elle
est attaquée par les insectes et pourrit rapidement.
�CHAPITRE IX
Le Kalonkadougou. — Limites-frontièrss. — Description géographique. — Aspect
général. — Constitution géologique du sol. — Flore. — Productions du sol. —
Cultures. — Faune. — Animaux domestiques. — Populations. — Ethnographie.
— Situation et organisation politiques actuelles. — Rapports avec les autorités
françaises. — Conclusions.
On désigne sous le nom de Kalonkadougou un pays vaste, peu
peuplé en raison de son étendue, et dont les limites géographiques
sont peu nettes et mal déterminées. Il est compris à peu près
entre les 13°40’ et 14°50’ de latitude Nord et les 16°20’ et 17°
de longitude à l’Ouest du méridien de Paris.
Il confine au Nord au Ferlo-Fouta et au Fouta-Toro, à l’Ouest
au Niani, au Sud au Niani, Sandougou et Ouli, et enfin, à l’est au
Ferlo-Bondou. Il est séparé de ces différents pays, notamment du
Fouta-Toro au Nord et du Ferlo-Bondou à l’Est, par d’immenses
plaines désertes, inondées pendant l’hivernage et qui constituent
pour lui les meilleures frontières. Il en est de même à l’Ouest et
au Sud, mais là ces espaces ne dépassent pas 40 ou 50 kilomètres au
plus, néanmoins ils suffisent à établir une séparation assez tranchée
pour qu’il n’y ait pas de contestations avec les pays voisins.
Description géographique : Aspect général. — Le Kalonkadougou
est un pays plat, par excellence. C’est à peine si le sol est vallonné
en quelques rares endroits. Pas le moindre marigot, de ce fait,
que le terrain y est plus élevé que le niveau des plus hautes
eaux de la Gambie. A peine quelques collines peu élevées aux
environs de Goundiourou et de Daouani. Partout des plaines
nues et brûlées où pousse une herbe pauvre et rabougrie. Pas
de forêts. Les arbres y sont clairsemés et la haute futaie y est
absolument inconnue. Par contre, des arbres aux formes con
tournées , bizarres, véritables rachitiques qui n ’ont pu se
développer normalement dans ce sol ingrat et pauvre.
%
Constitution géologique du sol. — Le Kalonkadougou peut être,
au point de vue géologique, considéré comme un vaste plateau
formé d’argiles alluvionnaires compactes. Il fait partie de cet
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
187
ensemble d’alluvions anciennes qui comprend le Ferlo, le Bondou,
la partie Nord du Niani et la plus grande partie du Fouta-Toro.
Par-ci par-là, nous voyons bien émerger quelques rares îlots de
latérite, mais la plus grande partie du sous-sol est uniquement
formée de terrain ardoisier.
Il est facile de voir comment se modifie, d’une façon sensible,
la nature du terrain à mesure que l’on s’élève dqns le Nord. Sur
les rives de la Gambie, nous sommes en présence de marécages
et de terrains d’alluvions récentes. A mesure que l’on s’avance
dans le Nord, le sol s’élève d’une façon sensible. Les alluvions
récentes disparaissent pour faire place d’abord à une étroite bande
de latérite à peu près au niveau de Kountata. Çà et là émergent quel
ques rocbes ferrugineuses. Enfin, aux environs de Goundiourou, la
latérite disparaît complètement et on ne trouve plus que des argiles.
Nous sommes là sur le plateau proprement dit du Kalonkadougou.
D’après ce qui précède, on ne saurait mieux le comparer qu’à un
mamelon dont le terrain est formé d’argiles alluvionnaires, mais
dont les flancs sont recouverts par une couche peu épaisse de latérite.
Il résulte évidemment de cette disposition toute particulière
du sol que le Kalonkadougou ne doit posséder ni marigot ni cours
d’eau. Les habitants ne se servent que de l’eau des puits, qui sont
excessivement profonds et qui atteignent, en certains endroits,
jusqu’à cinquante mètres de profondeur. Grâce à ces puits, nous
avons pu nous rendre un compte exact de la nature du sol et de
la superposition des différentes couches géologiques. Nous en
avons examiné attentivement un grand nombre et nous avons
constaté partout une même disposition invariable. La nappe d’eau
souterraine se trouve à une profondeur variant de 45 à 50 mètres.
Elle est séparée de la surface du sol : 1° par une couche peu épaisse
de sables produits par la désagrégation de l’argile; 2° argiles
compactes (3 ou 4 mètres d’épaisseur) ; 3“ terrain ardoisier (couche
très épaisse) ; 4° couche de sables non constante et enfin la masse
aqueuse reposant sur un lit très épais d’argiles compactes. L’eau
est très abondante et de bonne qualité. Cela n’est pas étonnant,
car elle est une eau d’infiltration, et elle a filtré à travers les sables
de la couche inférieure.Telle est, dans son ensemble, la constitution
géologique du sol du Kalonkadougou. C’est, à peu de chose près,
du reste, celle de toutes les steppes Soudaniennes.
�188
ANDRÉ RANÇON
Flore. — Productions du sol. — Cultures. — De la constitution
géologique que nous venons d’esquisser, nous pouvons facilement
déduire ce que doit être la flore de ce pays et quelles sont les
productions du sol. Dans son ensemble, la flore est excessivement
pauvre. Cela se comprendra aisément, car l’humus fait partout
presque absolument défaut. A mesure que nous nous avançons
dans le Nord, nous voyons disparaître les belles essences que l’on
remarque dans les terrains d’alluvions récentes des bords de la
Gambie. Les Sterculiacées, N’tabas et autres, les Légumineuses
gigantesques disparaissent peu à peu pour faire place aux
Mimosées et à une végétation maigre et pauvre. On dirait que le
sol n’a pas la force de nourrir la plante. Plus de Nétés, plus de
Caïl-Cédrats et, à la place, des Mimosas et des Acacias de toutes
sortes aux dards acérés. La brousse elle-même est profon
dément modifiée. Ce ne sont plus ces excellents fourrages que
l’on rencontre dans les terrains dont la latérite forme l’élément,
principal ; mais de gigantesques Joncées et Cypéracées qui ont
poussé par touffes épaisses pendant l’hivernage et qui ont pros
péré pendant tout le temps que le sol a été couvert par les eaux
que les argiles n’absorbent pas. Plus de ces lianes énormes que
l’on rencontre sur les bords des marigots du Sandougou et du
Niani; mais seulement quelques rares échantillons de lianes qui
ont peine à vivre et à se développer dans un terrain qui, pendant
sept mois de l’année, ne peut leur donner la nourriture dont elles
ont besoin pour vivre.
On comprendra aisément que les productions du sol et les
cultures soient peu variées. Ce sont des productions de terrains
pauvres en humus. Pas de riz. Il n’y a pas d’eau. Le mil est la
principale culture et encore sont-ce surtout les variétés désignées
sous les noms de Paciba, Guessékélé, Sanio qui sont particulière
ment cultivées ; sans doute, parce qu’elles n’ont pas besoin pour
prospérer de terres fortes. Avec le mil, du maïs, des haricots,
oseille, arachides, patates, calebasses, courges, tomates et tabac.
Voilà à peu près tout. Quant aux procédés de culture, ils ne
diffèrent pas de ceux employés dans tout le Soudan.
Faune. — Animaux domestiques. — La faune est la même que
dans les autres pays du Soudan. Les animaux sauvages y sont
rares cependant. Citons : biches, antilopes, gazelles, girafes dans
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
189
la partie Nord. Quelques sangliers dans le Sud. Parmi les animaux
nuisibles : hyènes, chacals, panthères, guépards. Peu ou point
de serpents. Enfin, une grande variété d’oiseaux de toutes sortes :
perdrix, cailles de Barbarie, outardes, pigeons, tourterelles, oiseaux
aux plumages variés et aux brillantes couleurs qui sont chassés
pendant l’hivernage, par des chasseurs spéciaux et sont l’objet
d’un petit commerce dont Bathurst surtout a le monopole.
Parmi les animaux domestiques, nous citerons, en première
ligne, le bœuf. Il est élevé par les Peulhs surtout. Les Malinkés
n’en élèvent pas. La taille est petite; mais sa chair est savou
reuse et les vaches donnent un lait très riche en matières grasses
et d’excellente qualité. Par contre, si le Malinké n’élève pas de
bœufs, il élève en quantité poulets, chèvres et moutons. Tout cela
ne vaut pas cher comme viande de boucherie. Les chats sont peu
nombreux ; les chiens, au contraire, pullulent. Ils sont chargés de
la voirie, dans les villages.
Populations. — Ethnographie. — On trouve trois races dans le
Kalonkadougou : 1° Malinkés, 2° Peulhs, 3° Ouolofs.
1° Malinkés. — Les Malinkés sont maîtres du pays par le droit de
premiers occupants. D’après les renseignements que nous avons
pu recueillir, tout porte à croire qu’ils sont venus des bords de
la Falémé, chassés par la guerre continuelle que leur faisaient
les Almamys du Bondou. Nous les avons trouvés là tels que
nous les avons vus partout, dans le Bambouck, le Manding, le
Ouli, etc., etc... Voleurs, menteurs, ivrognes, ils sont d’une saleté
repoussante et couverts de vermine. Là, comme ailleurs, le
Malinké ne rêve qu’une seule chose, avoir assez de captifs pour
faire ses lougans et ne pas travailler lui-même. Aussi, je ne crois
pas exagérer en disant que, dans ce pays, la moitié de la
population est captive de l’autre moitié et réciproquement. Leurs
villages sont d’une malpropreté révoltante. Ils tombent littéra
lement en ruines, et cela, par défaut de soins et d’entretien. Une
case menace-t-elle ruines, son chapeau est-il en mauvais état‘
on se gardera bien de les réparer. On construira plutôt une case
neuve à côté de la première. Presque tous les villages Malinkés
du Kalonkadougou sont entourés par les ruines de leurs anciens
tatas. Les villages n’ayant plus, depuis notre protectorat, à
�190
ANDRÉ RANÇON
redouter les attaques du voisin, on n ’a plus entretenu le tata,
devenu inutile. Celui qui entoure à l’intérieur les cases du chef
est encore en assez bon état. Dans quelques villages, les parties
écroulées du tata sont remplacées par un sagné. Mais tout cela est
bien mal fait et bien insuffisant. On accède, en général, au village
par une route étroite bordée de pieux de chaque côté formant une
palissade derrière laquelle se trouvent les jardins du village. Toutes
ces routes forment autour des habitations une sorte d’enchevêtre
ment qui peut en rendre l’attaque difficile pour des Noirs.
Le plus grand bonheur du Malinké du Kalonkadougou est
de s’enivrer et de rester des journées entières sous l’arbre à
palabres à causer et à priser, ou plutôt à chiquer des prises
de tabac qu’ils se placent sur la langue à l’aide d’une sorte
de petite cuiller en cuivre. Les femmes les placent entre la
lèvre et l’arcade dentaire inférieures. Quant à la femme, comme
dans tous les pays nègres, elle ne compte pas. C’est la bête
de somme de la case.
2° Peulhs. — Les Peulhs du Kalonkadougou présentent absolu
ment les mêmes caractères que ceux des autres pays du Soudan.
Ils sont nomades, ne font jamais de villages définitifs et sont
grands cultivateurs et grands éleveurs de bestiaux. C’est la
richesse du pays où ils se trouvent. On connaît le Peulh, nous
n’en ferons pas une nouvelle description, nous nous contenterons
de signaler ses traits distinctifs. Grand généralement, élancé,
bien fait, son visage ne présente aucun des attributs de celui
du nègre. Les lèvres sont minces, le nez aquilin, le visage régulier.
Sa couleur est plutôt jaune que noire. La femme est réellement
femme et ne présente aucun des traits masculins qui sont le
propre de la négresse. Les attaches sont fines, les extrémités
petites et tout, dans son individu, révèle qu’elle occupe dans
l’échelle des êtres un rang plus élevé que la négresse. Elle a
le même rang qu’elle, par exemple, dans la société Peulhe. Le
Peulh est d’une saleté repoussante et, de loin, on le reconnaît
facilement à l’odeur toute particulière qu’exhale sa dégoûtante
personne. Cette odeur est due à ce qu’ils ont l’habitude de s’en
duire les cheveux et le corps de beurre et beaucoup aussi à
ce qu'ils ignorent que l’eau sert aussi bien pour se laver que
pour se désaltérer.
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
191
Les Peulhs forment, en général, des villages de peu d’impor
tance. Ils construisent deux ou trois cases, au plus, séparées
les unes des autres par des lougans. Chaque chef de case vit
séparé des autres avec sa famille. Tout est provisoire chez eux,
et ils sont toujours prêts à partir. Aussi leurs habitations sontelles des plus rudimentaires et construites uniquement et com
plètement en paille.
Les Peulhs du Kalonkadougou sont des émigrés du Fouladougou. Ils ont quitté leur pays depuis quelques années déjà
pour fuir les exactions de Moussa-Molo et de sa famille.
A l’encontre de leurs congénères du Kaarta, du Macina et du
Fouta-Djallon, les Peulhs du Kalonkadougou sont des ivrognes
fieffés, et la plus grande partie de leurs récoltes sont échangées,
dans les factoreries de la Gambie, contre du gin ou de l’alcool
frelaté.
Le Peulh est, dans le Kalonkadougou, ce qu’il est dans les
autres pays où nous le rencontrons, la bonne vache à lait des
maîtres du pays. Le Malinké ne se contente pas de lui faire payer
l’impôt, mais encore il le pressure à chaque instant de telle façon
que ceux-ci, exaspérés, parlent d’émigrer à nouveau et de retourner
dans le Fouladougou. Il faut dire toutefois que, sous ce rapport, je
n’ai pas entendu, dans le Kalonkadougou, des plaintes aussi vives
que dans le Ouli.
Outre ces Peulhs nomades, il en est d’autres qui sont installés
depuis fort longtemps dans le pays, mais toujours d’une façon toute
provisoire. Ils se sont attachés aux Malinkés du pays, qui leur ont
jadis donné l’hospitalité, et ceux-ci ne les tourmentent pas. L’impôt
payé (le dixième de la récolte), ils ne réclament plus rien. Ces
Peulhs sont, avec les Ouolofs, les grands cultivateurs du pays. Leurs
lougans sont immenses et toujours fort bien entretenus.
3° Ouolofs. — Les villages ouolofs du Kalonkadougou sont peu
nombreux. On sera étonné peut-être de les voir établis si loin de
leurs lieux d’origine. Parmi eux, les uns sont venus du Bondou
pour fuir l’etat de guerre perpétuelle qui y régna du temps des
Almamys, et surtout pour se soustraire à leurs exactions. Les autres
sont venus du Saloum, chassés par l’arbitraire des chefs du pays.
Ce sont des gens calmes, paisibles, qui cultivent leurs vastes lou
gans, élèvent leurs bestiaux et ne s’occupent nullement des affaires
�m
ANDRÉ RANÇON
politiques. Ils payent l’impôt au chef Malinké dont ils dépendent et
qui les a reçus sur son territoire. Ils jouissent d’une indépendance
et d’une liberté absolues.
Leurs villages sont un peu comme les villages Peulhs. Tout y
est provisoire. Le Ouolof, du reste, ne construit pas en terre, et ses
cases sont, en général, en paille. Elles sont construites soit avec des
tiges de maïs, de mil, de bambou, ou simplement en chaume de
Joncées et de Cypéracées. Les tiges sont placées de façon à être
absolument jointives; mais, malgré le soin qu’ils y apportent, elles
laissent filtrer le soleil de partout, et la pluie y pénètre aisément.
Parfois ils appliquent à l’extérieur une sorte de revêtement en
argile, mais le cas est rare. Le chapeau est en chaume et fait
généralement avec grand soin. Les cases sont rondes. Autre
chose est le Ouolof, suivant qu’on le voit dans un des centres
civilisés de notre colonie ou dans l’intérieur. Là, il est policé,
civilisé. Ici, c’est absolument le nègre de la brousse. Les
villages sont mal entretenus, sales, dégoûtants et lui-même ne
le cède en rien au Peulh et au Malinké en malpropreté.
Malgré cela, il est de beaucoup plus intelligent que les autres
peuples du Soudan, et n’est pas rebelle comme le Malinké à
tout progrès. Ses lougans sont avec ceux des Peulhs les plus
riches du pays et les plus étendus. De plus, il élève force
bestiaux, chose que n’a jamais su faire un Maliuké.
C’est un fait que j’ai remarqué depuis longtemps, à savoir
que moins un village possédait de captifs, et plus il cultivait.
Ainsi le Peulh et le Ouolof n’ont que peu ou pas de captifs
et ce sont eux qui possèdent les plus riches cultures et les
mieux faites. Cela tient uniquement à ce qu’ils font tout par
eux-mêmes.
Outre les Malinkès, Peulhs et Ouolofs dont nous venons
de parler, il existe encore dans le Kalonkadougou un village,
Cissé Counda, qui est habité par des Malinkès marabouts. Ils
vivent là absolument indépendants, ne payant l’impôt à aucun
des chefs Malinkès et ne reconnaissent en rien leur supré
matie. Ils sont, du reste, en fort bonne intelligence avec leurs
voisins. Marabouts fanatiques, comme le sont tous les convertis
à l’Islamisme, ils se contentent de faire leurs lougans et n’ont
jamais avec leurs voisins que des relations de bon voisinage.
�193
DANS LA HAUTE-GAMBIE
Telle est la population du Kalonkadougou. Les Malinkés
et les Peulhs ne sont pas musulmans. Les Ouolofs pratiquent.,
au contraire, la religion du prophète, mais ils sont, en général,
assez tièdes. Ouolofs, Malinkés, Peulhs et Marabouts de CisséCounda forment une population dont le total peut être estimé
à environ 8.000 individus.
Situation et organisation politiques actuelles. — Rapports du
Kalonkadougou avec les autorités françaises.— Comme nous l’avons
dit plus haut, le pouvoir territorial et politique est, dans le
Kalonkadougou, entre les mains des Malinkés. Il y est partagé
entre deux familles également puissantes, les Camara et les N’Dao.
Leur autorité est à peu près égale, et ils se partagent également
le territoire. Les Camara sont à l’Ouest et les N’Dao à l’Est. Les
chefs de ces pays portent le nom de Massa, auquel on ajoute celui
du village où ils résident. Ainsi on dit : Massa-Diambour, pour le
chef des Camara et Massa-Coutia pour le chef des N’Dao. Ces chefs
ne sont chefs que de nom car ils n’ont jamais été obéis par aucun
de leurs sujets. Ce sont plutôt des juges : ils tranchent les diffé
rends qui peuvent survenir entre les particuliers et même entre
les villages. A ce sujet le chef de Diambour aurait sur celui de
Coutia une certaine suprématie, à telles enseignes, que si MassaCoutia avait un différend, ce serait; à Massa-Diambour qu’il devrait
en appeler. Quoiqu’il en soit, ces deux chefs vivent absolument
indépendants l’un de l’autre et on peut dire qu’il règne entre les
deux familles une sorte d’hostilité jalouse.
Nous pouvons donc dire que, dans le Kalonkadougou, il n’y a
aucune autorité réellement constituée. Chaque village est, pour
ainsi dire, indépendant, et même dans les villages, les chefs
eux-mêmes ne sont pas obéis. De plus, les captifs y tendent
chaque jour davantage à s’affranchir de la domination de leurs
maîtres.
Le nombre des villages qui appartiennent à chaque famille est
à peu près le même des deux côtés ; mais, si l’on considère la sur
face en terrains cultivés, les N’Dao l’emportent de beaucoup et
cela grâce à ce qu’ils ont dans leur sphère plus de villages Ouolofs
et Peulhs que les Camaras. Nous donnons ci-dessous la liste des
villages qui appartiennent à chaque famille.
André Rançon. — 13.
�1° V
il l a g e s
Cam
ara
Villages Malinkés
Villages Ouolofs
Diambour (résidence du chef).
Dougousini.
Couppantou.
Kissan.
Lampori.
Kountata.
Massime.
Calden.
Goundiourou.
l i t 1.
:|pi'
..I:
:
2° V
il l a g e s
Barsafé
Villages Peulhs
Guidéré.
Tierno.
Kissandi.
Ouro-Dianga-Samba.
N ’D
ao
,
Villages Malinkés
Villages Ouolofs
Villages Peulhs
Velingara.
Daouadi.
Coutia-Coto.
Boulou.
Coutia.
Kalibiron.
Malé.
Guiriméo.
Passi.
Diabaké.
Mansa-BakariCounda.
Sarabouia.
Kissandi.
Kamidala.
Saré-Dadi.
Moussa-Botoré.
Ce n’est que depuis 1886 que le Kalonkadougou a été placé sous
notre protectorat par Monsieur le colonel Galliéni, commandant
supérieur du Soudan français. Il fut alors visité une première
fois par M. Liotard, pharmacien de deuxième classe de la Marine.
Mais, en réalité, ce n ’est que depuis 1889 que notre protectorat se
fait sentir efficacement dans ce pays. Jusqu’à cette époque le Kalon
kadougou n’était qu’un véritable- repaire de bandits et de voleurs.
Le vol et le pillage sont, on le sait, deux penchants favoris des
Malinkés. Un dioula ne pouvait s’aventurer dans le pays sans être
au moins mis à rançon, souvent complètement dépouillé et bien
heureux lorsqu’il s’en tirait sans recevoir des coups. Les Peulhs
eux-mêmes se mettaient de la partie et allaient en expéditions
régulières enlever les bœufs des villages des pays voisins. Un
semblable état de choses ne pouvait durer. Aussi en 1889, M. le
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
195
capitaine Briquelot de l’infanterie de marine fut-il chargé de
mettre tout ce monde-là à la raison. Des exemples furent faits,
on désarma le pays. Tous les fusils furent brisés, on prit des
otages et on infligea de justes amendes aux pillards. Une action
aussi énergique ne devait pas tarder à porter ses fruits. En
effet, le calme et la sécurité sont revenus dans le pays et les
transactions commerciales peuvent s’y faire maintenant en toute
liberté pour les marchands qui s’aventurent dans ces tristes
régions.
Au point de vue administratif, politique et judiciaire, le
Kalonkadougou relevait autrefois du commandant du cercle de
Bakel, auquel devaient être soumises toutes les questions qui
pouvaient intéresser le pays et ses habitants. Mais depuis les der
nières dispositions prises par le gouvernement, le Kalonkadougou
fait partie de la zone de terrain qui a été placée sous l’autorité du
gouverneur du Sénégal.
Conclusions. — De tout ce que nous venons de dire, nous
pouvons conclure que le Kalonkadougou n’est certes pas un pays
d’avenir, mais qu’il serait facile d’augmenter sa production dans
une notable mesure. Il suffirait pour cela d’y attirer le plus pos
sible de Peulhs et de Ouolofs ; ce sont les grands producteurs du
pays. De plus, il nous faut rendre aux chefs leur autorité et favo
riser autant que possible l’émancipation des captifs. Réduits à
leurs propres ressources, les Malinkés se mettront au travail et la
production en sera augmentée d’autant. Il est urgent surtout d’y
régler, d’une façon définitive, les questions de redevances et impôts
à payer aux chefs, afin que ceux-ci, n’ayant plus une trop grande
latitude, ne soient plus tentés de pressurer leurs sujets; tenir
enfin la main à ce que bonne et prompte justice y soit toujours
rendue. Il serait bon enfin que, chaque année, un fonctionnaire
quelconque, muni des pouvoirs nécessaires, visitât le pays et réglât
sur place les affaires en litige. En agissant ainsi, nous croyons que
notre protectorat sera réellement effectif et que le pays pourra se
développer plus qu’il ne l’a fait jusqu’à ce jour. Nous ne parlerons
pas ici des améliorations qu’il y aurait à apporter au mode de
culture employé ; cela nous entraînerait trop loin et nous ferait
dépasser le but que nous nous sommes proposé.
�CHAPITRE X
Départ de Coutia. — Kalibiron. — Diabaké. — Paquira. — Arrivée à Koussanar.
— Description de la route de Coutia à Koussanar. — Géologie. — Botanique. —
Cultures. — Koussanar. — Aspect du village. — Nombreuses variétés d'acacias.
— Beaux jardins de tabac. — De Koussanar à Goundiourou. — Coumbidian. —
Ahmady-Faali-Counda. — Description de la route suivie. — Goundiourou. —
Remarquable propreté du village. — Nombreuses visites. — Belles plantations
de haricots. — De Goundiourou à Sini. — Siouoro. — Massara vient à mon
avance. — Arrivée à Sini. — Cordiale réception. — Description de la route de
Goundiourou à Sini. — Géologie. — Botanique. — Départ de Sini.
Arrivée
à Nétéboulou. — Séjour à Nétéboulou. — Grands préparatifs. — Organisation
d’un convoi pour Kayes. — Pas de courrier. — Un voyage extraordinaire. —
Étrange superstition. — Le génie du foyer. — Départ de Nétéboulou. — Arrivée
à Passamassi. — Belle réception. — Belle case. — Description de la route de
Nétéboulou à Passamassi. — Belles plantations d’indigo. — De Passamassi à
Son-Counda. — Yabouteguenda. — Le traitant Niamé-Lamine. — Passage de la
Gambie. — Les caïmans. — Arrivée à Son-Counda. — Description de la route de
Passamassi à Son-Counda. — Nous sommes dans le Kantora. — Le vieux chef
du pays. — Aspect du village. — Courges. — Calebasses. — Gombos. — Je me
dispose à partir pour Damentan.
6
décembre i894. — Je passai à Coutia une excellente nuit. Le
vent de Nord-Est commence à se faire sentir un peu, et c’est à cela
que j’attribue la notable amélioration qui s’est produite dans mon
état depuis mon départ de Diambour. Je réveille tout mon monde à
quatre heures du matin et, à cinq neures, nous nous mettons en
route pour Koussanar, où j’avais décidé d’aller camper ce jour-là.
Nous marchons d’une bonne allure pour nous réchauffer, car le
vent a subitement sauté au Nord-Ouest, et il fait une brise relative
ment froide. Je constate douze degrés à mon thermomètre, en pleine
campagne. A deux kilomètres et demi de Coutia, nous traversons,
sans nous y arrêter, le petit village de Kalibiron. Il dépend de Coutia,
et sa population, qui peut s’élever à 150 habitants environ, est
uniquement composée de Malinkés de la famille des N’Dao, il ne
présente rien de particulier. On y remarque encore les derniers
vestiges d’un sagné rudimentaire. Nous avons réveillé les habitants,
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
197
quelques têtes se montrent au-dessus des tapades et nous regardent
d’un air ahuri. Deux heures après, nous sommes à Diabaké, village
üuolof de 350 habitants. Il est construit sur le modèle des villages
Toucouleurs, c’est-à-dire que les cases de chaque chef de famille
sont fort espacées les unes des autres et séparées par des lougans
de mil et de petits jardins; seules, les cases du chef de village sont
entourées d’un rudiment de sagné. Ces Ouolofs, venus du Bondou,
s’adonnent à la culture et à l’élevage. Ils possèdent les plus beaux
lougans que j’ai vus et un beau troupeau de deux cents têtes de
bétail environ. Diabaké est considéré comme le grenier de toute
cette région.
A neuf heures quarante-cinq, nous traversons sans nous y
arrêter le petit village Ouolof de Paquira, dont la population s’élève
à environ deux cents habitants. Il est construit en paille et abso
lument ouvert. Là, nous quittons le Kalonkadougou et entrons
dans le Ouli. La chaleur devient très forte et c’est avec plaisir
qu’à onze heures cinq minutes, après avoir fait une étape de près
de 28 kilomètres, nous arrivons enfin à Koussanar, où nous allons
passer la journée.
Un peu avant d’arriver à Paquira nous avions trouvé sur la
route une captive qui, pendant la nuit, s’était enfuie de Coutia
parce que, disait-elle, son maître la frappait, elle venait me de
mander protection. Fidèle à la ligne de conduite que je m’étais
imposée dès le début de mon voyage, je l’emmenai avec moi et
la confiai aux hommes de son village qui m’avaient accompagné
et qui devaient retourner chez eux le lendemain. Je les chargeai
de la remettre entre les mains de son propriétaire. Je n’ai pas
besoin de dire que pendant tout le trajet entre Paquira et Kous
sanar un de mes hommes, celui qui portait le colis le plus lourd,
lui plaça sa charge sur la tête. Il n’y avait rien à dire, c’était une
captive et mon porteur était un homme libre. D’ailleurs, c’était
« manière noire » et il eût été inopportun de faire du sentiment
en cette circonstance.
De Coutia à Koussanar, la route suit une direction Sud-SudEst. Tout d’abord, jusqu’à Diabaké rien à signaler de particulier.
La nature du terrain n’a pas changé, ce sont toujours les argiles
compactes signalées précédemment. La flore a également peu
varié, ce sont toujours les mêmes essences, et les légumineuses
�198
ANDRÉ RANÇON
mimosées sont en majorité. A six kilomètres de Confia, on laisse sur
la droite la mare de Bambi, sorte de cuvette rocheuse de 150 mètres
de long sur 100 mètres de large et 1 mètre 50 de profondeur. Les
roches qui la forment sont des grès de la période secondaire.
Peu à peu en approchant de Diabaké, nous voyons apparaître
de nouveau la latérite. En quittant le village qui est encore
construit sur un plateau d’argiles, la route suit une vallée de
huit cents mètres de largeur dont le terrain est uniquement formé
de latérite. De chaque côté ce ne sont que des argiles. Aussi les
indigènes ont-ils mis à profit pour leur culture cet excellent ter
rain. De Diabaké à Koussanar, c’est une suite de beaux lougans
de mil interrompus seulement entre Diabaké et Paquira par une
forêt de beaux bambous de quatre kilomètres environ de longueur.
A deux kilomètres de Paquira, la route quitte la vallée pour con
duire au village qui est situé sur une petite colline à gauche; mais
elle la suit de nouveau à un kilomètre de Paquira et cela jusqu’à
Koussanar.
La flore, depuis Diabaké, s’est sensiblement modifiée, et nous
commençons à retrouver les essences que nous signalions dans
le Sud, dans le Ouli et le Sandougou. A noter quelques beaux
nétés et caïl-cédrats. Les lianes apparaissent de nouveau; mais
elles sont encore bien maigres. La brousse change également
d’aspect à mesure que nous avançons dans le Sud. Les cypéracées
deviennent de plus en plus rares elles graminées commencent à
prendre un plus grand développement.
Koussanar, où nous faisons étape ce jour-là, est un village
Malinké de 250 habitants environ. C’est le village Malinké dans
tout ce qu’il y a de sale, puant et repoussant. Il est situé sur le
sommet d’une petite éminence qui domine la fertile vallée dont
nous avons parlé plus haut, et au pied de laquelle passe la branche
la plus septentrionale du Sandougou. Il est entouré d’un tata de
faible épaisseur dont la hauteur est d’environ trois mètres et qui
ne tombe pas trop en ruines. Par contre, les cases du village ne
sont absolument que des amas de décombres. On ne saurait se
faire une idée d’une pareille décrépitude. Je fus bien reçu à Kous
sanar et on me logea dans une case à peu près convenable, la seule
du village qui fût présentable. Elle était située sur la place prin
cipale, à l’ombre de deux magnifiques fromagers.
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
199
Le chef est un homme relativement jeune, mais absolument
abruti par l’abus des liqueurs fermentées. Pendant les quelques
heures que j’ai été son hôte, je n’ai pu en tirer aucun rensei
gnement utile.
La famille des Légumineuses-Mimosées est abondamment repré
sentée dans les environs de Koussanar et on y trouve une grande
variété d’Acacias. Outre les Acacias à gomme, dont nous avons
parlé plus haut, on y trouve encore le gonakié (Acacia Adansonii G.
et P. ou astringens Cunning), dont le bois est très dur, très fin, et
se conserve longtemps. Il est difficile à travailler à sec. A Rayes,
c’est de ce bois dont on se sert pour fabriquer les membrures des
chalands de la flottille du Haut-Sénégal. On a tenté également de
l’utiliser pour fabriquer des traverses de chemin de fer; mais il est
attaqué par les termites aussi bien que les autres essences. De plus,
certains insectes l’affectionnent particulièrement et le rongent
rapidement. Aussi ne l’emploie-t-on que fort peu dans les construc
tions. Par contre, il possède la propriété de durcir dans l’eau et de
ne s'y corrompre que lentement. On pourrait alors s’en servir avec
avantage pour la construction des pilotis. 11 donne une gomme
rouge, dite gomme de gonakié, qui est peu estimée dans le commerce.
Le Khadd (Acacia albicans Kunth) y est très commun. Son bois
est très dur, à grains fins et serrés. Il donne une gomme de couleur
foncée de mauvaise qualité et qu’on ne récolte môme pas. Les indi
gènes se servent de ses tiges pour fabriquer des manches de pioches
et de haches, qui ont le grand défaut de se briser trop facilement.
Citons encore le Souroure (Acacia species), relativement peu
commun et qui sert surtout au Sénégal pour la menuiserie fine.
Son bois est d’une belle couleur jaunâtre; il est moins dur que le
gonakié et se laisse plus facilement travailler.
Autour du village de Koussanar et sur les rives du Sandougou
se trouvent de belles plantations de tabac. Les indigènes y apportent
un soin tout particulier.
La variété de tabac qui est cultivée au Soudan est la Nicotiane
rustique ou tabac à feuilles rondes (Nicotiana rustica L.). Il diffère
sensiblement du Mcotiana Tabacum L. C’est une plante glutineuse
et velue, dont les feuilles sont ovales-obtuses, pétiolées. Les fleurs
sont en cymes paniculées denses. La corolle, d’un vert jaunâtre, est
à tube court et velu. Son fruit est une capsule arrondie. De toutes
��DANS LA HAUTE-GAMBIE
201
les solanées, c’est la plus commune au Soudan et celle qui est
cultivée avec le plus de soin. Elle croît surtout à merveille dans les
terrains riches en humus et aime un climat chaud et humide. On
conçoit dès lors qu’elle prospère d’une façon remarquable dans
toute la Haute-Gambie.
Le terrain dans lequel elle est cultivée est préparé avec un soin
méticuleux et on n’y voit jamais le moindre brin d’herbe. De plus,
chose rare au Soudan, j’ai vu, dans certains villages, fumer avec la
bouse de vache et le crottin des chevaux la terre destinée à la
recevoir. Les semis sont généralement faits à la fin de juin ou au
commencement de juillet. Quand la plante a atteint environ douze
à quinze centimètres de hauteur, les pieds sont repiqués dans les
jardins préparés ad hoc. Ils sont placés à environ trente ou qua
rante centimètres les uns des autres dans le plus grand ordre. Ils
sont sarclés tous les deux jours et arrosés matin et soir avec soin.
La récolte des feuilles a lieu dans le courant de janvier et celle des
graines vers la fin de février. Sur les bords des fleuves, le tabac est
cultivé toute l’année. Les eaux, en se retirant, laissent une couche
relativement épaisse de limon, qui conserve son humidité pendant
longtemps et qui permet au tabac de se bien développer. Cette
plante prospère à merveille dans tout le Soudan et ses feuilles y
atteignent de remarquables dimensions. 'Le rendement qu’elle
donne est considérable. Il est à peu près de 2,500 kilogrammes à
l’hectare. Il se vend sur les marchés couramment 12 fr. 50 le kilog.
Jusqu’à ce jour, il n ’a été fait que des essais de culture abso
lument insuffisants. Rien de systématique et de méthodique n’a été
tenté, et pourtant tout permet de croire que des efforts sérieux
seraient couronnés de succès et qu’il serait facile d’acclimater dans
ces régions les tabacs de qualités supérieures.
Les indigènes prisent et fument le tabac. Mais, avant de s’en
servir, ils lui font subir toute une préparation qui diffère dans les
deux cas.
1° Tabac à priser. — On procède de la même façon, que l’on ait
affaire au tabac de commerce ou au tabac indigène. Les feuilles,
réduites en petits morceaux, sont mises à sécher au soleil ou devant
le feu. Il est préférable qu’elles soient séchées au soleil. Elles sont
ensuite pilées dans un mortier ad hoc avec un pilon spécial et
réduites en poudre absolument impalpable. Mortier et pilon sont
�202
ANDRÉ RANÇON
de petites dimensions. Ce sont surtout les femmes qui sont chargées
de ce soin, ou bien des vieillards qui ont acquis dans cet art une
véritable habileté. La poudre ainsi obtenue est de nouveau étendue
sur un linge et mise de nouveau à sécher au soleil. Puis (voilà
l’opération délicate) on prend des tiges de petit mil que l’on fait
brûler. La cendre obtenue est mise à bouillir dans une petite
marmite avec de l’eau. On fait chauffer jusqu’à ce que l’eau, étant
absolument évaporée, la cendre soit entièrement desséchée et adhé
rente aux parois de la marmite. On racle alors cette cendre, on la
réduit en poudre très fine et on la mélange au tabac environ dans
la proportion du cinquième. Puis, on ajoute à tout cela un peu de
beurre ou de graisse de mouton. On mélange bien, on fait sécher,
on triture de nouveau et voilà le produit que le noir s’introduit
avec tant de délices et en si grande quantité dans le nez. D’après ce
qu’ils disent, la cendre de mil aurait pour but de donner plus de
montant au tabac. Le beurre lui donnerait un arôme tout spécial
et très recherché des amateurs, et aurait surtout pour résultat
d’enlever au tabac ainsi préparé toute son âcreté. Quoi qu’il en
soit, nous avons maintes fois essayé d’en priser et nous lui avons
toujours trouvé une force que n’ont pas nos tabacs européens.
2° Tabac à fumer. — On ne lui fait guère subir de préparation
spéciale. Les feuilles sont simplement séchées au soleil, écrasées
dans la main et fumées ainsi dans la pipe.
Au Soudan, l’homme est surtout priseur et c’est la femme qui
fume le plus. Pour priser, il s’introduit le tabac dans les narines
avec les doigts ou bien se sert d’une sorte de petite spatule en fer
ou en laiton à l’aide de laquelle il puise dans sa tabatière.
A son extrémité étroite est percé un trou dans lequel passe
une petite lanière en cuir qui lui sert à la suspendre à son
cou. L’extrémité large couverte de tabac est appliquée contre
les narines alternativement et on n ’a qu’à humer la poudre.
Dans certaines régions et chez les Malinkés particulièrement,
on ne se contente pas de priser le tabac en poudre, on le
chique pour ainsi dire. Pour cela on en place une volumineuse
pincée sur la langue soit à la main, soit à l’aide du petit
instrument dont nous venons de parler. Les femmes l’intro
duisent avec une merveilleuse dextérité entre la lèvre et l’arcade
dentaire inférieure.
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
203
Pour fumer, la femme se sert d’une pipe généralement en
caïl-cédrat, dont le tuyau est en bambou. Cette pipe est des
plus rudimentaires. Il est rare qu’une femme fume sans offrir
de temps en temps sa pipe à ses voisines. Les hommes font
également de même.
Nous avons souvent essayé de fumer de ce tabac et nous avons
toujours été forcé d’y renoncer. Son âcreté est telle qu’après deux
ou trois bouffées au plus nous éprouvions à la langue et aux gen
cives une douleur si vive que nous étions forcé de cesser. Toutefois
nous avons constaté que le tabac français fumé dans ces pipes
avait un arôme tout particulier et très délicat.
Les peuples de race Mandingue fument et prisent beaucoup plus
que les peuples de race Peulhe. Ils préfèrent de beaucoup notre
tabac au leur et le cadeau le plus apprécié que l’on puisse faire à
un chef est de lui offrir un litre de tabac à priser et quelques têtes
de tabac en feuilles. On nomme ainsi au Sénégal et au Soudan ces
petits paquets de cinq ou six feuilles de tabac liées ensemble par
le pétiole et dont on fait un commerce relativement important. De
même aussi ils ont une préférence bien marquée pour les pipes en
terre de Marseille ou de Valenciennes que nous leur vendons.
7
Décembre. — La nuit que nous avons passée à Koussanar a
été excessivement froide. Au réveil, à quatre heures du matin, je
constate douze degrés centigrades au thermomètre placé dans
l’intérieur de ma case et dix seulement au dehors; à quatre heures
et demie du matin nous nous mettons en route par une nuit pro
fonde et une bise très fraîche. La rosée est très abondante et très
froide. Aussi, marchons-nous tous vivement pour nous réchauffer.
A cinq heures quinze minutes, au moment où le jour commence à
poindre, nous traversons, sans nous y arrêter, le village de Coumbidian. C’est un village Malinké dont la population peut s’élever à
environ deux cents habitants. Les habitants, que nous avons
réveillés, nous saluent au passage. Coumbidian est entouré d’un
sagné assez bien entretenu, mais qui présente un moyen de défense
absolument insuffisant. —A douze kilomètres environ de ce village,
dans le sud-sud-est, se trouve la branche méridionale du Sandougou. A cette époque de l’année il est presque entièrement à sec
au point du moins où nous l’avons traversé. Le passage se fait sans
aucune difficulté et sans accidents. Nous avons à peine de l’eau
�204
ANDRÉ RANÇON
jusqu’aux genoux. Ses deux rives sont couvertes de beaux lougans
de mil et d’arachides au milieu desquels s’élève, à 1500 mètres
environ du marigot, le petit village d’Alimady-Facili-Counda. Une
seule famille, composée d’environ vingt-cinq personnes, l’habite.
C’est un village de culture construit en paille, entouré d’un petit
sagné bien fait et habité par des Ouolofs. Ils dépendent de Goundiourou et vivent là tranquillement en cultivant leurs immenses
lougans.
Goundiourou n’est éloigné d’Ahmady-Faali-Counda que de deux
kilomètres environ, nous y arrivons à neuf heures cinq minutes.
Il fait une chaleur torride qui contraste étrangement avec la fraî
cheur de la nuit. J’avais décidé que nous ferions étape dans ce
village, et, de Koussanar, j’avais envoyé au chef un courrier pour
lui annoncer ma visite. Aussi y fus-je très bien reçu.
La route de Koussanar à Goundiourou suit à peu près une
direction sud-sud-est et la distance qui sépare ces deux villages est
d’environ 20 kilom. 500. En quittant Koussanar, on traverse
d’abord une bande de latérite qui n’est qu’un diverticulum de la
fertile vallée qui s’étend de Diabaké à ce dernier village. La nature
du terrain change alors et nous ne trouvons plus que des argiles
compactes. Là, au lieu de recouvrir du terrain ardoisier, elles
recouvrent du terrain ferrugineux que nous voyons émerger en
maints endroits et dont nous rencontrons fréquemment les roches.
A quelques kilomètres avant d’arriver à Goundiourou, nous voyons
de nouveau apparaître la latérite, en même temps qu’à l’horizon
apparaissent dans le sud les collines du Ouli.
La flore a peu changé, notons toutefois l’absence complète de
lianes et l’apparition de quelques beaux ficus.
Goundiourou est un village dont la population peut s’élever à
environ trois cents habitants. Ce sont des Ouolofs venus du Niani,
gens paisibles qui ne demandent qu’à vivre en paix avec leurs
voisins et qu’on les laisse cultiver tranquillement leurs lougans et
élever leurs bestiaux. C’est un des villages les plus riches du Ouli.
A l’encontre des autres villages Ouolofs, il est bien construit, ses
cases en paille bien alignées et bien entretenues lui donnent un
aspect des plus réjouissants et des plus gais. Enfin, il est d’une
remarquable propreté, et on n ’y voit pas sur la place principale
les tas d’ordures que l’on rencontre dans les autres villages et
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
205
principalement chez les Malinkés. Son chef est âgé d’environ qua
rante-cinq à cinquante ans. Intelligent, il jouit d’une grande
autorité et sait se faire obéir, ce qui est rare dans ces régions.
Aussi son village est-il des plus prospères.
Je passai à Goundiourou une excellente journée et la plus cor
diale hospitalité m’y fut donnée ainsi qu’à mes hommes. Dans la
soirée, je reçus la visite des chefs des environs. Tous venaient
m’offrir quelque petit présent; celui-ci du beurre et du lait, celuilà des kolas, cet autre un ou deux poulets. Je n’ai pas besoin de
dire que je ne me contentai pas de les remercier et que, de mon
côté, je leur rendis avec usure les cadeaux qu’ils me firent. C’est là,
du resle, une coutume générale et, au Soudan, plus que partout
ailleurs « les petits cadeaux entretiennent l’amitié ».
Les Ouolofs de Goundiourou cultivent en grande quantité une
sorte de haricots nains qui est très commune au Soudan et que
l’on trouve en grande abondance sur tous les marchés. Les Ouolofs
lui donnent le nom de Niébé et les Malinkés et Bambaras l’appellent
Soo ou Soso. Cette plante alimentaire demande un terrain légère
ment humide, relativement riche en humus et situé surtout à
l’abri des rayons du soleil. Aussi les semis en sont-ils généralement
faits dans les lougans de mil et de maïs. On y procède, en général,
dans les premiers jours d’août quand ces deux céréales ont atteint
déjà une certaine hauteur. On pratique simplement, à l’aide d’un
petit morceau de bois, un trou d’environ 4 à 6 centimètres de pro
fondeur dans lequel on place une ou deux graines au plus que l’on
recouvre d’un peu de terre. La plante germe rapidement, et la
récolte se fait vers le commencement de décembre au plus tard. Il
en est de deux espèces différentes qui elles-mêmes se divisent en un
grand nombre de variétés. L’une a absolument l’aspect de nos
haricots nains et l’autre affecte le port de nos haricots grimpants.
Ses rameaux rampent sur le sol et s’étendent souvent au loin. Il
convient de ne pas confondre ces sortes de haricots avec celles que
l’on désigne sous le nom de Fanto et dont nous nous occuperons
plus loin quand nous parlerons des régions où elle croît de pré
férence. Ces deux espèces donnent des fruits qui diffèrent surtout
par la forme et la couleur. Il en est de ronds, d’ovoïdes, de discoïdes,
de roses, de blancs, de jaunes, de gris et de mouchetés. Ces deux
dernières variétés sont les meilleures, les plus recherchées et celles
�206
ANDRÉ RANÇON
qui se conservent le mieux. Les autres sont presque toujours atta
quées par les insectes. La récolte faite, les gousses sont mises à
sécher, au soleil, sur le toit des cases, et les graines bien nettoyées
sont conservées dans des paniers ad hoc ou dans des récipients en
terre où elles sont à l’abri de l’humidité.
Les indigènes mangent les haricots bouillis. Au Sénégal, on les
mélange au couscouss et avec différentes sortes de viandes on en
fait un plat connu sous le nom de Baci-niébé et qui est apprécié
même par les Européens. Ce légume d’un goût très parfumé pour
rait remplacer avantageusement le fayol que l’on fait venir de
France pour la ration des troupes. Sa valeur commerciale est
environ de douze francs les cent kilogs. Nous estimons qu’il serait
profitable d’en favoriser la propagation et d’en augmenter la culture.
8
décembre. — La température a été moins froide que pendant
les deux nuits précédentes. Il a soufflé du vent de Nord-Ouest ; aussi,
au réveil, y a-t-il une rosée très abondante. Nous quittons Goundiourou à 4 h .30,et à 6 heures.au moment où le soleil se lève,nous
traversons le petit village de Siouoro. Il est habité par des Malinkés
et sa population est d’environ 150 individus. Il ne présente rien de
particulier et a le même cachet que les autres villages Malinkés que
nous avons déjà visités. Tout le monde dort encore quand nous y
passons. Seules, quelques femmes commencent à piler le couscouss.
A peine en étions-nous sortis que le fils du chef vint me saluer sur
la route delà part de son père. Je le remercie de son attention et
continue ma route après lui avoir serré la main. Quelques kilo
mètres avant d’arriver à Sini, je rencontre Massara, le fils de MassaOuli,que son père envoie à mon avance avec quelques cavaliers. Ils
se joignent à ma caravane et, à 8 h. 40, nous faisons notre entrée à
Sini où nous sommes attendus.
La route de Goundiourouà Sini ne présente guère de particulier
à signaler que les nombreux lougans appartenant aux différents
villages dont nous venons de parler. Au point de vue géologique, la
nature des terrains que nous avons signalés entre Koussanar et
Goundiourou s’affirme de plus en plus. La latérite alterne avec les
argiles compactes recouvrant un sous-sol de roches ferrugineuses.
Mais c’est la latérite qui domine. Il est curieux de voir comme les
noirs ont eu l’instinct de deviner que la latérite était plus fertile que
les autres terres. Partout où on le trouve, on est certain d’y voir un
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
207
lougan et ce n’est que dans les pays absolument déshérités que l’on
cultive les argiles alluvionnaires. Le sol s’alïaisse beaucoup à
mesure que nous avançons vers Sini, mais il se relève en approchant
de ce village et Sini est construit lui-même sur une éminence formée
de terrains ferrugineux que recouvre une couche de latérite. A
l’ouest et au sud l’horizon est absolument borné par les collines
boisées du Ouli.
La flore s’est sensiblement modifiée. Il est vrai que sur les
plateaux argileux nous retrouvons les essences chétives et malingres
que nous signalions précédemment, mais, dans les dépressions de
terrain et sur le flanc des collines où nous avons une terre plus
riche en humus et plus féconde, nous voyons réapparaître les grands
végétaux du sud; légumineuses énormes, Caïl-Cédrats, ficus,
n’tabas, etc., etc.
Je n’ai pas besoin de dire que je fus reçu à bras ouverts. A
peine étais-je installé dans ma case que le vieux Massa vint immé
diatement me saluer. Nous causons longuement comme de vieux
amis. Entre autres choses, Massara, son fils, m’apprend qu’il y a
trois jours un courrier est passé pour moi à Sini avec un pli venant
du commandant deBakel et qu’il est arrivé à Nétéboulou un convoi
de dix caisses. Renseignements pris, ces dix caisses sont au com
mandant de Bakel qui doit venir prochainement visiter la région.
Quant au courrier qui m’intéresse au plus haut point, il court après
moi sur la route de Mac-Carthy. Enfin, tout s’éclaircira demain à
Nétéboulou.
9
décembre. — Je n’ai pas eu la peine ce matin de réveiller mon
monde. Bien avant l’heure du départ, tous les préparatifs étaient
faits. Chacun était heureux de revoir Nétéboulou. Sandia allait se
retrouver au sein de sa famille. Mes hommes allaient pouvoir se
reposer pendant quelques jours. Pour moi, je n’étais pas fâché
de m’arrêter pendant quelques jours pour pouvoir mettre un peu
d’ordre dans mes notes et réorganiser ma caravane. Aussi étionsnous tout joyeux quand nous nous mîmes en route,après avoir serré
la main à tous nos amis et particulièrement au vieux Massa qui,
malgré l’heure matinale, n ’a pas voulu me laisser partir sans me
souhaiter bon voyage et bonne réussite. La route se fait rapidement
sans encombre. Nous revoyons les endroits que nous avions
visités quarante-cinq jours auparavant. Mais qu’ils s’offrent à nos
�208
ANDRÉ RANÇON
yeux sous un aspect bien différent ! Plus de ces beaux longans de
mil et de maïs ; les récoltes sont presque terminées partout. Le
vent brûlant de Nord-Est a commencé à faire sentir sa desséchante
influence. Les arbres commencent à perdre leurs feuilles et la
brousse a perdu sa belle couleur verdoyante. Toute la campagne
prend cet aspect monotone et désolé qui attriste l'œil du voyageur
et lui rappelle la sécheresse et l’aridité des grandes solitudes
Soudaniennes et des steppes Sénégalaises.
A huit heures nous entrons enfin à Nétéboulou. Notre arrivée
fait sensation et tout le village est là pour nous recevoir et nous
souhaiter la bienvenue. Ces braves gens sont tout heureux de me
revoir, et ma foi, je ne suis pas fâché de retrouver ma bonne case
de l’hivernage où j’ai passé pourtant de bien durs moments. On lui
a fait la toilette pendant mon absence et je lui trouve un véritable
air de fête. A mon grand désappointement, je n ’y trouve pas le
courrier que j’espérais qu’on m’y aurait expédié. Le receveur de
la poste de Bakel a dû mal interpréter et tout expédier à Kayes.
Il y a deux mois que je n ’ai eu de nouvelles des miens. Quand en
aurai-je maintenant ? Pas avant Kayes assurément.
Tout est prêt quand nous arrivons et mes hommes peuvent
manger aussitôt. On voit qu’il y a là un chef qui sait se faire obéir.
Sandia est tout heureux de revoir les siens et son village, et,
malgré cela, l’impassibilité de ces gens-là est si grande qu’il ne
laisse rien paraître de son contentement en retrouvant son fils,
son frère et ses femmes.
J’ai profité des quelques jours que je passai à Nétéboulou
pour mettre mes notes à jour et pour faire un volumineux courrier
dé France que j’expédiai à Kayes en même temps qu’un convoi
de porteurs. Je fus obligé de le former pour me débarrasser de
toutes les caisses de collection que je ne pouvais emporter pendant
le voyage que j’allais entreprendre au Kantora, à Damentan et au
pays des Coniaguiés. J ’en confiai la direction au palefrenier Sory
qui, depuis la mort de ma mule, m’était devenu inutile. Je le
chargeai en plus de veiller sur le jeune Oumar, le frère de mon
iuterprète, que celui-ci me demanda l’autorisation de renvoyer à
Takoutala (Kaméra), craignant pour lui les fatigues de nos futures
excursions. Comme ce village se trouvait sur la route de Nété
boulou à Kayes, j’accédai volontiers à son désir. J ’ai su, à mon
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
209
arrivée à Baboulabé. trois mois plus tard, que ce voyage de plus
de cinq cents kilomètres s’était accompli dans les meilleures con
ditions, et je retrouvai à Kayes tous mes colis dans le plus parfait
état. Aussi ne manquai-je pas de donner à Sory une belle grati
fication.
Il n’y avait pas 24 heures que j’étais à Nétéboulou, qu’arriva le
courrier dont on m’avait parlé à Sini. Il avait appris à Oualia que
j’étais dans le Kalonltadougou et y avait suivi ma trace sans pouvoir
me rejoindre. D’après le calcul que je fis, il avait marché sans
repos pendant cinq jours à raison de soixante kilomètres par jour.
C’était, du reste, un des meilleurs courriers de Sandia. Il me remit
le pli dont il était porteur. C’était une lettre écrite eu arabe et dans
laquelle Monsieur le commandant de Bakel lui annonçait son
arrivée prochaine dans le Ouli, et lui recommandait les caisses
qu’il lui avait expédiées par une caravane opérant son retour en
Gambie. Me croyant parti de Nétéboulou, le capitaine Roux priait
Sandia de lui donner de mes nouvelles. J ’aurais été bien heureux
de me rencontrer avec lui; mais je fus forcé de renoncer à ce
plaisir. L’époque de son voyage était trop lointaine et je ne pouvais
l’attendre pendant plusieurs semaines.
Il est curieux de voir combien les peuples primitifs, à quelque
race qu’ils appartiennent et de quelque religion qu’ils soient,
s’adonnent aux pratiques les plus superstitieuses et les plus
bizarres. Je fus un soir témoin du fait suivant qui me frappa et
que je tiens à relater ici. Je vis une femme de la case où j’habitais
prendre, à la nuit tombante, un poulet blanc avec les deux mains,
une main, la gauche, lui tenant la tête. Elle s’approcha de la porte
d’entrée de son gourbi et frotta la tête du poulet sur le seuil, puis
éleva l’animal en l’air. Par trois fois, elle recommença cette
manœuvre. Intrigué, j’en demandai l’explication à Almoudo et
voici ce qu’il m’apprit. Cela porte bonheur d’avoir dans sa case un
animal blanc, poulet, bœuf ou mouton. Si c’est un poulet, on
opère comme je viens de dire en formulant des désirs et des vœux.
Si c’est un mouton ou un bœuf, on le place au milieu de la cour de
l’habitation. Le chef de case convoque pour la circonstance ses
amis. Tous se placent devant l’animal, accroupis et appuyant le
coude sur le genou droit et tenant la main tendue vers l’animal.
Alors, le chef de case formule ses vœux et désirs en demandant à
André Rançon. — 14.
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l’animal de les exaucer et de les combler. Ainsi consacré, il est
sacro-saint et on n’y touche pas. On a pour lui les plus grands
égards et il est choyé par toute la maison. C’est le génie du
foyer. C’est le fétiche qui écartera tous les malheurs de la famille
qui le possède et fera réussir toutes ses entreprises. Ces pra
tiques sont en usage chez les musulmans aussi bien que chez
les peuples qui ne le sont pas. Nous autres, gens civilisés,
nous en avons d’aussi bizarres et d’aussi étranges. Nous ne le
cédons en rien aux Malinkés et aux Toucouleurs en matière
de superstition.
Ma plus grande préoccupation, pendant ces quelques jours
de repos que je pris à Nétéboulou, fut de recueillir le plus
possible de renseignements exacts sur les pays que j’allais
visiter, et, à ce propos, je crois devoir mentionner ici tous ces
détails et apprendre au lecteur comment je fus amené à
m’aventurer dans ces contrées lointaines, qu’aucun Européen
n’avait visitées avant moi.
J ’étais à Nétéboulou depuis plusieurs semaines déjà, lors
qu’un jour, en causant avec Sandia, j’appris que de l’autre
côté de la Gambie, dans le sud du pays de Damentan, existait
un peuple aux mœurs différentes de celles des autres peuples
du Soudan. Jamais Européen n ’y était allé et quelques rares
dioulas avaient osé seuls s’aventurer dans ce pays. Il habitait,
disait-il, une contrée très fertile et se livrait à l’élevage des
bestiaux sur une grande échelle. À entendre parler ce brave
homme de chef, c’était un vrai pays de cocagne. Les habitants
passaient pour être très inhospitaliers et vivaient en hostilité
ouverte avec tous leurs voisins, dont les plus rapprochés étaient
encore à trois ou quatre jours de marche. Mais s’ils recevaient
mal ceux qui pénétraient sur leur territoire, par contre, ils s’aven
turaient volontiers jusqu’à Yabouteguenda sur la Gambie, où ils
venaient échanger des peaux contre du sel et surtout contre
des liqueurs alcooliques dont ils sont très friands et que leur
vend un traitant noir opérant, en cette escale, pour le compte
d’une maison anglaise de Bathurst. Ahmadou Mody, le frère de
Sandia, avait comme captif un habitant de ce pays qui lui
avait été vendu par un dioula venant du Fouta-Djallon. Mais ce
qui, par-dessus tout, scandalisait profondément mon hôte, c’était
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
211
que ces hommes fussent toujours presque complètement nus et
vécussent absolument comme clés animaux sauvages. On les
désignait dans le pays sous le nom de Coniaguiés et Bassarés.
Ils formaient deux tribus qui avaient absolument les mêmes
mœurs et les mêmes coutumes. Le pays qu’ils habitaient portait
le nom de pays des Coniaguiés et pays des Bassarés. On le désignait
encore sous le simple nom de Coniaguié et de Bassaré. Il était,
d’après Sandia, situé à deux ou trois jours de marche au plus
dans le Sud-Est de Damentan et il ajoutait qu’il était prêt à
m’y accompagner.
On comprendra aisément qu’il n’en fallait pas plus pour piquer
ma curiosité. Aussi, dès ce moment, me décidai-je à entrer en
relation avec ceux de ces gens qui viendraient commercer à
Yabouteguenda, et, en principe, mon voyage, dès lors, fut
résolu. Outre l’intérêt tout nouveau qu’une semblable exploration
pouvait avoir, un autre motif me détermina complètement. Cela
me permettait de visiter Damentan, gros village musulman où
jamais Européen n’avait mis le pied, d’entrer en relations avec
ses habitants qui m’en avaient fait témoigner le désir et surtout
d’explorer toute la rive gauche de la Gambie, depuis Yaboute
guenda jusqu’à Damentan, voyage qui n’avait pas encore été
fait jusqu’à ce jour. Ma résolution prise, je me mis de suite
au travail et préparai mon voyage de façon à n’avoir aucun
déboire ni désappointement quand le moment serait venu de
mettre mon projet à exécution.
Tout d’abord je consultai toutes les cartes de la région que
j’avais à ma disposition, et, dans aucune (et pourtant c’étaient
les plus récentes), je ne trouvai mentionnés ces pays. Rien,’
absolument rien, au sud de Damentan sur la carte Fortin entre
Pajady, Toumbin, la Gambie et le Fouta-Djallon. Cependant je me
souvenais bien avoir vu sur une carte plus ancienne mentionné
le pays de N’Ghabou et je savais que le Coniaguié et le Bassaré
eu étaient autrefois des provinces. C’était là à n’en pas douter
que je devais trouver ces curieuses peuplades. Et ce qui me
confirmait encore dans mon opinion, c’était ce fait que souvent
les Almamys du Bondou étaient allés dans cette région faire
la guerre aux Infidèles. Tout cela ne me permettait pas de douter
de la véracité du récit et des renseignements de Sandia.
�212
ANDRÉ RANÇON
Je me fis amener le captif dont il m’avait parlé, et je pus
constater qu’il différait absolument au physique des autres races
soudaniennes. Je l’interrogeai souvent et longuement et jamais
il n’hésita à me tracer la route que je devais suivre pour me
rendre dans son pays. De plus, le frère du traitant de Yabouteguenda, qui était venu me voir un jour, me donna des rensei
gnements tels que je ne pouvais douter un seul instant du succès
de mon entreprise. Il me déclara, en outre, que des hommes venus
tout dernièrement à son escale lui avaient dit que je serais très
bien reçu chez eux. A Mac-Carthv enfin, j’appris que la plus grande
partie du beurre de Karité qui y était achetée venait du Goniaguié
et du Bassaré. Je n’avais plus à hésiter et cette dernière nouvelle
me décida complètement. Pendant mon séjour à Mac-Carthy et sur
les indications de Sandia, je me munis de tout ce qu’il me fallait
pour faire ce voyage et pour bien me faire venir des habitants des
pays tout nouveaux que j’allais visiter. Ma pacotille se composa
relativement de bien peu de chose ; mais je savais que tout ce que
j’emportais était fort apprécié de ceux que j’allais rencontrer.
C’était surtout du sel en grande quantité, du gin, quelques pièces
d’étoffes rouge écarlate, des Kolas, de la verroterie, etc., etc. Tout
cela me fut vendu par la Compagnie française aux conditions les
plus avantageuses. Le tout fut expédié à Nétéboulou par un convoi de
porteurs que j’organisai à cet effet et dont je donnai la direction à un
courrier que mon excellent ami, le capitaine Roux, m’avait expédié
de Bakel. En y revenant, je retrouvai mes caisses en parfait état.
Dès mon retour à Nétéboulou, je ne m’occupai absolument,pen
dant les quelques jours que j’y restai, que d’organiser ma caravane.
Outre mon personnel que l’on connaît déjà, j’avais un convoi de
vingt-deux porteurs, et, de plus, Sandia m’accompagnait avec une
dizaine de ses hommes les plus dévoués. Fidèle à la ligne de
conduite que je m’étais imposée dès le départ de Kayes, ni mes
hommes ni moi n’emportions d’armes. Les hommes de Sandia
seuls étaient munis de quelques mauvais fusils de traite, qui, le
cas échéant, ne pouvaient nous être d’aucune utilité. On verra
dans la suite de ce récit que je dus en grande partie à ces dispo
sitions toutes pacifiques le succès de mon voyage. Pour tous ces
travaux, Sandia- et mon interprète Almoudo Samba N’Diaye me
furent d’un grand secours.
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
213
15 décembre 1891. — Le 15 décembre, tous nos préparatifs furent
terminés, et nous pûmes nous mettre en route. Donc, à 5 heures
45 du matin, nous quittâmes Nétéboulou après avoir pris congé
du village entier et fait nos adieux et quelques cadeaux à tout ce
brave petit monde que je ne devais plus revoir. Le trajet se fit
rapidement et nous arrivâmes sans encombre, à 10 h. 15, à Passamassi, où nous allions faire étape, et qui n ’est situé qu’à quelques
centaines de mètres de Yabouteguenda, sur la Gambie, où nous
devions traverser ce fleuve.
De Nétéboulou à Passamassi la rpute suit une direction Sud et la
distance qui sépare ces deux villages est de 22 km. 500 environ.
La nature du terrain varie peu. Pendant quinze kilomètres à peu
près, la route traverse la plaine marécageuse de Genoto dont le sol
est uniquement formé d’argiles compactes. Jamais je n’ai trouvé
solitude plus désespérante : le marais et toujours le marais, aujour
d’hui desséché, mais rempli d’eau pendant l’hivernage. Gà et là
quelques rares arbres aux formes contournées, bizarres et fantas
tiques. A l’horizon, au loin, apparaissent les rives boisées de la
Gambie et, plus loin, les collines du Kantora sur la rive gauche du
fleuve. Après avoir franchi ces quinze kilomètres on gravit par une
pente rapide le flanc d’un plateau ferrugineux de 3 kilomètres
environ de longueur. Le versant Sud se termine par une pente
douce qui nous conduit de nouveau dans une vaste plaine maréca
geuse semée de traces d’hippopotames et où l’on n’avance qu’avec
mille précautions. Cette plaine s’étend jusqu’à la Gambie. Enfin,
après avoir traversé l’extrême pointe Sud de la colline qui le limite
à l’Ouest, nous entrons dans les lougans du village dont le sol n’est
formé que de latérite pure.
La flore est excessivement pauvre. Partout des joncées et des
cypéracées énormes au milieu desquelles hommes et chevaux
disparaissent complètement.
Passamassi est un village de Malinkés musulmans qui ne présente
rien de bien particulier. Sa population est d’environ deux cents
habitants. A huit cents mètres environ du village, le chef et les
principaux notables sont venus à mon avance. Nous échangeons
les poignées de mains les plus cordiales, et je suis reçu à merveille.
Je suis logé comme un véritable prince... nègre, dans une belle
case dont je crois devoir donner une description détaillée en souve-
�214
ANDRÉ RANÇON
nir de la bonne journée que j’y ai passée.Elle est ronde,très grande.
Son diamètre mesure 6 m. 40, ce qui est énorme pour une case de
noir. Le sol en est bien uni, bien battu, et la toiture ne laisse
filtrer aucun rayon de soleil à travers la paille dont elle est formée.
Deux portes se font vis-à-vis. Ce qui permet une bonne aération.
On accède à la porte principale par une large marche, haute d’en
viron trente centimètres, véritable perron où, pendant la journée,
se tinrent mes hommes. Une seconde marche intérieure plus petite,
demi-circulaire, permet d’entrer dans la case elle-même. Au
centre, se trouve le trou traditionnel pour faire le feu et, devant
chaque porte, un trou dans lequel vient se fixer le bâton qui la
tient fermée ; car, dans toutes les cases noires, les portes se
ferment de dedans en dehors. En dehors, une sorte de loquet la
tient close. A droite de la porte principale et occupant le demicercle de la case, se trouve le lit. Il mérite que nous nous y arrê
tions. Il est maçonné et ressemble à ces lits des anciens Grecs et
des premiers Romains, qu’on voit encore représentés sur de
vieilles gravures. Qu’on se figure un édifice carré d’une hauteur
d’environ un mètre. Sur la face qui regarde l’intérieur de la case,
une baie d’un mètre de largeur donne accès par une marche
au lit proprement dit. La longueur de cette construction a
environ 2 mètres 25, et sa largeur 1 mètre 50. Les bases de
l’édifice sont à jour, probablement pour permettre au dormeur
de respirer plus facilement. Un petit entablement termine la
crête, et un rebord assez prononcé couronne le monument. A
l’intérieur, le lit proprement dit. 11 est en pierre et a une forme
très-légèrement incurvée. C’est là que l’on étend la natte
sur laquelle va reposer le dormeur. Tout cela est en briques fabri
quées sur place et couvert d’un enduit fort propre. Cet enduit est
formé par un mélange de terre grisâtre, de cendres et de bouse
de vache. Il acquiert, en séchant, une dureté relative. La partie de
la muraille qui regarde le lit est ornementée de cercles concen
triques creusés dans son épaisseur elle-même, et colorés en blanc
et en bleu.
A deux kilomètres environ du village Malinké, dans l’Ouest, se
trouve un village Peulh, du même nom. Il peut avoir 150 habitants.
Les chefs vinrent me saluer et m’apportèrent des œufs, du lait, du
beurre frais. Ils m’offrirent aussi un superbe bœuf, qui fut immé-
�La Gambie à Yaboutéguenda.
��DANS LA HAUTE-GAMBIE
215
diatement sacrifié, et distribué à mes hommes et aux habitants des
villages.
Je reçus aussi la visite du traitant Lamine, qui est installé à
Yabouteguenda, et qui opère pour le compte de la compagnie
anglaise de Bathurst. C’est un homme fort intelligent, dévoué aux
Français, et qui a déjà rendu des services signalés aux différentes
missions Françaises qui ont visité le pays. C’est lui qui, demain,
fera encore traverser la Gambie à toute ma caravane. Il est très
influent dans la région et y jouit d’une grande popularité. A
Passamassi, notamment, il a tout l’air d’être le chef du village. Le
véritable chef m’a pourtant paru assez autoritaire et bien obéi.
J’ai remarqué aux environs de Passamassi de belles plantations
d’indigo. Ce végétal est très commun dans toute cette région et
chaque village en possède plusieurs beaux lougans aux environs
des cases. Les indigènes en retirent la couleur bleue dont ils se ser
vent pour teindre leurs étoffes. La culture de cette plante est très
facile. Elle croît, pour ainsi dire, spontanément et on n’a absolu
ment besoin que de la semer. Les feuilles sont récoltées vers la fin
du mois de novembre et les ménagères leur font subir la prépara
tion suivante. On les fait sécher au soleil et macérer ensuite dans
environ trois fois leur poids d’eau pendant plusieurs heures. On y
ajoute une petite quantité de cendres. On laisse reposer et on
décante. Le produit ainsi obtenu est alors pétri en pains qui ont
la forme de cônes et mis à sécher au soleil. On a soin, tous les
soirs, de les rentrer pour ne pas les exposer à l’humidité. Ces
pains ont à peu près la forme conique. Leur poids varie de
cinq cents grammes à trois et cinq kilogrammes. C’est sous
cette forme ou bien en petits fragments que l’on trouve l’indigo
sur tous les marchés du Soudan. Son prix varie de quatre à
six francs le kilogramme. Cet indigo donne une couleur bleue
violacée qui est en grand honneur chez tous les peuples du
Soudan. Mais elle passe rapidement et les étoffes qu’elle a servi
à colorer déteignent au lavage. Les indigènes ignorent, en
effet, les procédés les plus efficaces pour la fixer. Ils ne se servent
pour cela que des cendres d’un arbre très commun dans toutes
ces régions, le rhatt (Combratum glutinosnm G. et Perr.). Bien que
l’indigo du Soudan soit de qualité inférieure aux indigos de Java,
du Bengale et d’Amérique, nous estimons qu’il pourrait être utilisé
�216
ANDRÉ RANÇON
avec fruit par nos industriels. C’est pourquoi nous devrions faire
tous nos efforts pour propager dans notre colonie cette plante dont
le rendement considérable sera certainement rémunérateur.
d6 décembre. — La journée s’écoula à Passamassi sans aucun
incident. La température pendant la nuit fut des meilleures. Nous
sommes en pleine saison sèche. Dans la journée le vent de NordEst commence à faire sentir sa brûlante haleine; mais il tombe
vers le soir et au coucher du soleil se lève le vent de NordOuest qui souffle jusqu’au lendemain matin huit ou neuf heures,
rafraîchit l’atmosphère et nous permet de goûter un sommeil
bienfaisant et réparateur. C’est pour l’Européen l’époque la
plus agréable de l’année. C’est pendant ces trois mois de
décembre, janvier et février que sa santé peut se remettre des
fatigues éprouvées pendant l’hivernage. Au contraire, cette
saison est néfaste à l’indigène. Vêtu aussi légèrement qu’il
l’est, il est exposé à toutes les intempéries, et à toutes les
affections inflammatoires qui sont la conséquence inévitable
des brusques variations de température caractéristiques de cette
période de l’année.
Nous quittâmes Passamassi à 5 h. 30, et, à 6 h. 10, nous
étions à Yabouteguenda, sur la rive droite de la Gambie. Dans
ce court trajet, on ne trouve que des argiles compactes et sur
les bords de la Gambie quelques alluvions anciennes et récentes
où croissent les végétaux familiers des marais.
Yabouteguenda, dont il a été si longuement question dans ces
dernières années, à propos du traité du 10 août 1889, qui
détermine d’une façon définitive la ligne de démarcation des
possessions anglaises et françaises en Gambie, est le point ter
minus auquel aboutit sur la Gambie la zone d’influence dévolue
à nos voisins. C’est un petit village de cinquante habitants au
plus et qui est uniquement formé par les cases et les magasins
du traitant Niamé-Lamine, dont nous avons parlé plus haut.
En face, sur la rive gauche, se trouvent deux ou trois cases
où, pendant la belle saison, il reçoit les indigènes de la rive
gauche qui viennent commercer avec lui.
Il a tout disposé pour nous faire traverser le fleuve et, dès
mon arrivée, l’opération commence. A l’aide de deux grandes
pirogues habilement manœuvrées par ses hommes, en peu de
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
217
temps, les bagages et les porteurs sont portés de l’autre côté.
Puis vient le tour clés chevaux. Je suis loin d’être tranquille
car, en cet endroit, la Gambie a environ 250 mètres de largeur
et est très profonde. Elle est, de plus, littéralement infestée de
caïmans. Les chevaux dessellés sont mis à l’eau et sont tenus par
le bridon par leurs palefreniers montés dans la pirogue; à
l’avant et à l’arrière de l’embarcation se tient un adroit tireur
qui fait feu sur chaque caïman qui montre sa tête hors de
l’eau. Grâce à ces précautions tout se passa bien et nous
n’eûmes aucun accident à déplorer. Sandia et moi nous pas
sâmes les derniers, et, arrivés sur la rive gauche, nous mon
tâmes immédiatement à cheval, puis la caravane prit la route
de Son-Counda, où j’avais fait annoncer mon arrivée pour ce
jour-là et où j’étais attendu.
Le caïman que l’on trouve en abondance dans le Sénégal,
la Gambie et la plupart des cours d’eau de l’Afrique occidentale,
est assurément l’animal le plus répugnant et le plus dangereux de
ces régions. Cet immonde amphibie n’est pas à craindre sur la
terre ferme, mais dans l’eau il est excessivement redoutable. Aussi
est-il imprudent de se baigner dans les lieux qu’il fréquente. Ses
terribles mâchoires saisissent les membres de l’audacieux nageur
et l’attirent au fond de l’eau où il est rapidement noyé. Nous nous
souvenons encore avoir vu disparaître ainsi, en 1883, un Marocain
qui, malgré la consigne, avait voulu gagner à la nage la rive
gauche du Sénégal en face de Tambo-N’kané. A Sillacounda, dans
le Niocolo, le jour où nous y sommes arrivés, un bœuf fut ainsi
entraîné par un caïman pendant qu’il s’abreuvait au bord de la
Gambie. A terre, il se meut difficilement et lentement, mais dans
l’eau, il est au contraire excessivement agile. Sa constitution ne lui
permet pas de rester longtemps sous l’eau et il est obligé de venir
souvent respirer à la surface. Le bouillonnement qu’il produit alors
suffit pour décéler sa présence. On le voit fréquemment aussi se
laisser aller au courant du fleuve. Alors sa tête seule émerge et sa
couleur brune la fait souvent confondre avec les morceaux de bois
qui flottent sur tous les cours d’eau qui arrosent ces régions. Il
construit son nid dans des cavités qu’il creuse dans la berge au
niveau du fleuve et au moment des basses eaux. C’est là que la
femelle dépose ses œufs et qu’éclosent les petits. Les coquilles, au
�218
ANDRÉ RANÇON
moment de la montée des eaux, sont entraînées par le courant et il
est d’usage de dire, quand on les voit passer à Saint-Louis, que
l’hivernage est commencé. Le caïman peut atteindre des proportions
énormes et nous en avons vus qui n ’avaient pas moins de quatre
mètres de longueur. Toutefois la longueur moyenne de ceux que
l’on rencontre ne dépasse pas généralement deux mètres cinquante
à trois mètres.
Les Indigènes, surtout les Malinkés, les Sarracolés et les
Khassonkés mangent sa chair. Nous en avons vu assez souvent
sur le marché de Kayes. Ce mets est loin d’être délicieux.
Il rappelle un peu le thon pour la texture, mais il a un goût
musqué qui est loin d’être agréable.
Bien que l’on puisse trouver dans tous les traités spéciaux la
description de cet animal, nous croyons devoir mentionner ici ses
caractères particuliers.
Le caïman est un vertébré de l’ordre des crocodiliens. Son corps
est couvert de grandes plaques osseuses, carénées sur le dos, lisses
sur le ventre. Leur couleur grisâtre sur le dos est jaunâtre sur le
ventre. L’animal tout entier est ainsi enveloppé d’une sorte de
cuirasse si épaisse que les balles ne peuvent l’entamèr. Les
flancs sont les régions les plus vulnérables. Sa queue est longue
et munie d’une crête de fortes dentelures. — Les vertèbres cervi
cales sont pourvues de fausses côtes qui s’appuient les unes sur les
autres ; la clavicule manque. Les os coracoïdiens s’articulent avec
un sternum cartilagineux et très allongé. Il existe, en outre, une
sorte de sternum abdominal, qui porte sept paires de côtes ven
trales. Les pubis ne s’unissent pas entre eux, et ne contribuent pas
à former la cavité cotyloïde. Ils constituent des sortes de côtes
dirigées en avant. Les pieds antérieurs ont cinq doigts, les posté
rieurs en ont quatre, plus ou moins palmés, dont les trois internes
sont armés d’ongles. La mâchoire inférieure s’articule directement
avec le crâne. Les dents sont uniradiculées, creuses, caduques,
implantées dans des alvéoles distincts.Chacune d’elles est remplacée
par une nouvelle, après sa chute. Les dents de remplacement
sont enchâssées successivement l’une dans l’autre, de telle sorte
que, la supérieure venant à tomber, il s’en trouve toujours une
autre en dessous pour occuper sa place. L’oreille externe se ferme à
l’aide de deux lèvres. Le museau est élargi, renflé au bout, et la
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
219
quatrième dent inférieure est reçue dans une fossette de la
mâchoire supérieure. C’est cette particularité qui distingue surtout
le caïman du crocodile, chez lequel cette dent est reçue dans une
échancrure simplement. Le caïman habite la côte occidentale
d’Afrique, tandis que le crocodile habite la côte orientale. Ils sont
tous les deux également à redouter.
Nous arrivons à 8 heures 25, sans incidents, à Son-Counda,
après avoir reconnu les ruines de Farintombou et de CarassiCouDda et laissé sur notre droite celles de Kantora-Counda. A michemin, entre Son-Counda et la Gambie, nous rencontrons le frère
du chef que celui-ci a envoyé à mon avance.
La route de Yabouteguenda à Son-Counda présente ceci de
particulier qu’on peut y discerner aisément la différence qui existe
entre la latérite et les argiles compactes. Ces deux sortes de terrain
se succèdent sans interruption. Après une plaine d’argiles
compactes viennent de petits îlots de latérite qui sont bien cultivés.
Par endroit, le sous-sol est formé de terrain ardoisier, et dans
d’autres, de quartz et de grès ferrugineux. C’est du moins ce que
nous avons cru reconnaître par les flancs des collines que nous
laissons à droite et à gauche. Pendant la route, on ne traverse que
deux marigots situés à peu de distance de la Gambie, le marigot de
Fania et celui de Soubasouto. Ils sont peu importants.
La flore se rapproche de plus en plus de celle des régions tro
picales. Nulle, ou peu variée dans les plaines argileuses, où ne
croissent guère que quelques maigres cypéracées, elle prend un
tout autre aspect dans les terrains à latérite. Là, nous voyons, en
effet, dans tout leur développement, d’énormes caïl-cédrats, de
gigantesques ficus et de belles légumineuses.
Son-Counda, chef-lieu du Kantora, compte environ huit cents
habitants de race Malinkée. Il est situé au centre d’une vaste
plaine que dominent au Sud-Est des collines formées de quartz
ferrugineux et dont l’altitude est environ de vingt à trente mètres.
C’est un des villages noirs les mieux fortifiés que j’ai visités. Le
système défensif se compose, d’après les renseignements qu’a bien
voulu rédiger à mon intention M. le lieutenant Tête, de l’infanterie
de marine : 1° d’une enceinte ou sagné formée de pieux fortement
enfoncés en terre et reliés entre eux par des liens en écorce
d’arbre auxquels sont fixées des branches d’épine ; en arrière un
�220
ANDRÉ RANÇON
petit fossé ; 2° une seconde enceinte composée de palanques sur
deux rangs, hautes de deux mètres, avec un fossé en arrière. Des
ouvertures y sont ménagées pour le tir. La troisième est formée
par une muraille en terre battue de 3m50 à 4m de hauteur et ayant
2 mètres d’épaisseur à la base et 0m80 au sommet. Des créneaux y
sont pratiqués de distance en distance. Le tracé présente des
rentrants et saillants se flanquant mutuellement. Dans l’intérieur
du village, chaque îlot est entouré de palanques. La mosquée et
la case du chef en ont une double rangée. Toutes les cases sont en
terre battue et recouvertes d’un chapeau en paille. Toutes ces pré
cautions sont prises contre Moussa-Molo et ses bandes de pillards.
Les environs sont bien cultivés, mais on sent que les habitants
vivent dans un qui-vive perpétuel. Ils ne sortent que par groupes,
bien armés ; et, dans les lougans, ils ont toujours le fusil auprès
d’eux. Leurs lougans sont bien entretenus et dans leurs petits
jardins, ils cultivent en abondance, courges, calebasses, tomates,
oseille et gombos.
Les courges et calebasses sont, au Soudan, cultivées en grande
abondance dans tous les villages. Les courges sont généralement
semées au pied des cases au début de la saison des pluies. Elles
rampent sur les toits qui, en peu de temps, finissent par disparaître
complètement sous leurs larges feuilles. Les fruits sont comestibles
et cueillis au commencement de la saison sèche, vers la fin d’octobre.
Il en existe un grand nombre de variétés, la plus commune, le
Lagenaria vulgaris Ser. sert à faire des vases et des bouteilles. Les
indigènes connaissent les propriétés thérapeutiques des graines de
courges et les utilisent, dans certaines régions, pour expulser le
tœnia qui y est très commun.
Le calebassier (Crescentia Cujete L.) est, au contraire, cultivé
en pleine terre dans les lougans. Son fruit est comestible et sa
coquille coupée en deux sert de vase et d’ustensiles de ménage. Il
existe des calebasses de toutes formes et de toutes dimensions. Ce
sont les plats dans lesquels on sert le couscouss et elles tiennent
également lieu de terrines pour laver le linge dans les villages
situés loin des cours d’eau. Leur face externe est généralement
unie; cependant on en trouve parfois qui sont artistementsculptées.
Ce sont surtoutcellesqui tiennent lieu de verres et à l’aide desquelles
on puise l’eau dans ces sortes de vases poreux en terre que l’on
�DANS LA HAUTE GAMBIE
221
désigne sous le nom de canaris et que l’on trouve dans toutes les
cases. Ces canaris ont la propriété de rafraîchir considérablement,
grâce à l’évaporation constante qui se fait à leur surface extérieure,
l’eau que l’on y met.
Le Gombo (Hibiscus esculentus L.), de la famille des Malvacées,
se cultive surtout dans les jardins. C’est une plante annuelle qui
atteint de grandes dimensions. Elle aime les terrains humides et
riches en humus. On la sème vers le commencement de juillet et
ses fruits sont cueillis et mangés au commencement de la saison
sèche. Dès que les pluies ont cessé, la plante se dessèche rapidement
et meurt. Les graines germent très rapidement et en trois mois le
développement est complet. Les fruits sont oblongs et ont environ
dix centimètres de longueur sur trois ou quatre de largeur. La coque
porte des côtes très marquées suivant lesquelles elle s’ouvre quand
elle est sèche. Elle est très pointue au sommet et couverte de poils.
On mange les fruits quand ils sont encore jeunes. Si alors on en
sectionne un transversalement, on trouve les graines noyées dans
une pulpe blanchâtre, visqueuse. A la cuisson, cette pulpe se trans
forme en une sorte de mucilage peu savoureux. Elle disparaît
quand le fruit est sec. Les indigènes mangent le gombo bouilli
avec du riz, du couscouss, de la viande ou du poisson. Cuit à l’eau
et assaisonné ensuite à froid à l’huile et au vinaigre, on en fait une
salade qui n’est pas dédaignée des Européens.
Je fus reçu à bras ouverts à Son-Counda et j’y passai une bonne
journée pendant laquelle je pris tous les renseignements dont
j’avais besoin pour continuer ma route vers Damentan. Le vieux
chef du pays, Kouta-Mandou, me rendit en cette circonstance les
plus grands services, et il prescrivit à son frère Mandia de m’accom
pagner pendant toute la durée de mon voyage à Damentan et au
pays des Coniaguiés. De plus, il me donna une dizaine d’hommes
qui devaient m’accompagner jusqu’à Damentan et seconder mes
porteurs. Avant de le quitter, je lui fis cadeau de deux sacs de sel
et d’une caisse de 12 bouteilles de genièvre, liqueur avec laquelle
il aimait à s’enivrer et pour laquelle il avait un penchant tout
particulier.
��CHAPITRE XI
Le Kantora. — Limites, frontières. — Aspect général. — Hydrologie.— Orogra
phie. — Constitution géologique du sol. — Flore, productions du sol, cultures.
— Faune, animaux domestiques. — Populations. — Ethnographie. — Rapports
du chef avec ses administrés. — Situation politique actuelle. — Rapports
avec les autorités françaises. — Emigration.
Le Kantora est situé sur la rive gauche de la Gambie. C’est un
pays relativement peu étendu et aujourd’hui absolument dépeuplé.
Il eut, paraît-il, au commencement du siècle, une grande prospé
rité, et d’Almada, géographe portugais, rappelle qu’il y avait autre
fois à Kantor un marché qui était dans ces régions ce qu’était sur
les confins du Sahara celui de Tombouctou. C’est ce marché qui a
donné son nom à la région environnante et pendant longtemps ce
pays n’a été connu que sous le nom de pays de Kantor ou Kontor.
Jusqu’en 1879 il fut, pour ainsi dire, oublié. Gouldsbury le visita
très superficiellement à cette époque et le trouva désert. En 1888
les quelques habitants qui y sont restés vinrent d’eux-mêmes à
Kayes nous demander notre protection, et, en 1889, Briqueiot
visita Son-Counda. En 1891, le lieutenant Tête poussa une pointe
jusque-là et c’est quelques mois après lui que nous y passâmes.
Nous avons pu recueillir sur ce pays quelques notes qui ne
seront pas sans intérêt pour le lecteur.
Les limites du Kantora sont assez nettement établies, sauf au
Sud, où une ligne fictive le séparerait du Fouladougou de MoussaMolo (autrefois pays de Ghabou). Toutefois, nous pouvons dire
d’après les renseignements que nous nous sommes procurés, qu’il
serait compris entre les 15°50’ et 16°27’ de longitude Ouest et les
13°3’et 13°16’de latitude Nord. Il est bien entendu que nous donnons
là ses limites extrêmes. Il est séparé à l’Est du pays de Damentan par
la Gambie et environ vingt kilomètres du Koulontou ou rivière Grey,
à partir de son embouchure dans la Gambie. Au Nord, la Gambie
�224
ANDRÉ RANÇON
le sépare du Ouli jusqu’aux environs de Tarabacessé. A l’Ouest,
il est séparé ainsi qu’au Sud du Fouladougou par une ligne fictive
qui, partant de la Gambie entre Piraï et Tambacessé, passerait non
loin de Gissé-Counda et de là se dirigerait directement à l’Ouest
jusqu’à la Rivière Grey ou Koulontou.
Aspect général. — L’aspect général du Kantora diffère suivant
qu’on le parcourt dans sa partie Est ou dans sa partie Ouest. A
l’Est, on ne rencontre que de vastes plaines marécageuses et abso
lument stériles. Du reste, à part un petit village de Sarracolés
situé aux environs de Son-Counda, toute cette région est absolument
inhabitée, et d’après les renseignements qui m’ont été donnés, elle
aurait toujours été déserte. Il en est tout autrement de la partie
Ouest. Ce pays présente plutôt un aspect montagneux. La terre y
est fertile et c’est là uniquement où s’élevaient autrefois les nom
breux villages du Kantora disparus aujourd’hui, soit par la guerre,
soit par l’émigration. La végétation y est magnifique et rappelle
celle des Rivières du Sud. Il n’en est pas de même delà partie Est,
où on ne voit qu’une brousse épaisse et quelques rares arbres
rabougris.
En résumé, le Kantora appartient dans sa partie Est aux pays
de plaines et de marécages et dans sa partie Ouest aux pays de
montagne, si toutefois on peut appeler ainsi les nombreuses col
lines qui le parcourent.
Hydrologie. — Le Kantora appartient tout entier au bassin de
la Gambie, et tous les marigots qui l’arrosent sont tributaires de
ce fleuve. Nous commencerons la description de son hydrologie au
point où sa frontière vient couper la Gambie entre Tambacessé et
Piraï. Un peu en amont de ce village elle reçoit le marigot de Suisma,
dont la branche principale passe à Oualiba-Counda. Ce marigot
est formé de deux branches. La seconde, moins importante que la
première, coule dans une étroite vallée que dominent deux rangées
de collines parallèles au cours du marigot et qui est excessivement
fertile. Elle est maintenant inhabitée. Jusqu’au marigot de Fania,
nous ne trouvons plus que de petits cours d’eau sans importance,
mais qui n ’en contribuent pas moins à augmenter la fertilité de
cette région. Le marigot de Fania débouche dans la Gambie, non
loin de Yabouteguenda. Il passe dout près de la grande mare de
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
225
Nébourou, coupe la route de Soii-Counda à Damentan et s’étale en
un vaste marais aux environs des ruines de Sadofou. Le marigot
de Soubasouto, dont l’embouchure n’est située qu’à deux kilomètres
de celle du précédent est de peu d’importance.
A partir de ce point, nous entrons dans la région Est du
Kantora. Bien qu’également très arrosée, elle est, vu la nature
elle-même du sol, absolument stérile. On peut dire qu’une ligne
droite passant par Yabouteguenda et Son-Counda, et coupant la
ligne frontière au Sud, forme la séparation entre ces deux parties
du Kantora. On trouve d’abord en procédant de l’Ouest à l’Est le
marigot de Kokou, profond, vaseux et d’un passage difficile, puis
celui de Médina, non loin duquel se trouve la grande mare de
Palama. Le marigot de Demba-Sansan a son point d’origine non loin
du village de Toubinto dans le Fouladougou. Vers le milieu de son
cours, il s’étale en une vaste mare de môme nom que lui, puis se
rétrécit peu à peu pour venir déboucher dans la Gambie, à
quelques kilomètres seulement du marigot de Médina. A peu de
distance du Demba-Sansan, se trouve le marigot de Tabali. Il coule
sur un lit de petits cailloux ferrugineux très fins. Non loin de
l’extrême pointe du grand coude que forme la Gambie en cet
endroit, se trouve l’embouchure du marigot de Canafoulou et enfin
à quelques kilomètres de là on trouve le Koulontou ou Rivière Grey.
L’eau de ces marigots, partout claire et limpide, coule en
tout temps. Elle est toujours excessivement fraîche. Le fond de
tous ces cours d’eau, sauf en ce qui concerne le Fania et le Tabali,
est formé de vases ou d’argiles.
Le cours de la Gambie, du point frontière à l’Ouest à l’embou
chure du Koulontou, n ’est qu’une suite de méandres les plus
sinueux. Si nous ne considérons que la direction générale, nous
dirons qu’il est d’abord Ouest-Est, puis Nord-Ouest Sud-Est.
Le régime des eaux diffère légèrement de celui des cours d’eau
des autres pays. Pour la Gambie, c’est la même chose; mais il en
est autrement pour les marigots. Au Sénégal notamment l’eau n’y
court que pendant la saison des pluies. En Gambie, au contraire,
ils ne sont jamais complètement à sec. Nous estimons que cela
tient beaucoup à ce que la plupart communiquent entre eux et de
plus font communiquer la Gambie avec la rivière Grey, dont l’eau
coule en toute saison, et qui trouve dans le Fouladougou, le DamenAndré Rançon. — 15.
�226
ANDRÉ RANÇON
tan, le Goniaguié et le pays de Toumbin et de Pajady une alimen
tation suffisante pour ne tarir jamais.
Outre les nombreux marigots dont nous venons de parler, on
trouve encore, dans le Kantora, bon nombre de mares dont quel
ques-unes contiennent de l’eau pendant toute l’année et sont ali
mentées par de petits marigots. Nous citerons parmi les plus
importantes, les mares de Demba-Sansan, Palama, Nébourou et
Soutou.
Orographie. — Au point de vue orographique, nous pouvons
dire qu’il n’existe dans le Kantora aucun système bien défini.
Nous mentionnerons simplement la série de collines qui longent la
Gambie. Du reste, nous pouvons dire d’une façon générale que
chaque marigot coule au pied d’une colline quand il n’est pas
encaissé entre deux rangées parallèles. Ces collines peuvent, d’ail
leurs, être considérées comme les contreforts des collines qui
suivent le cours de la Gambie. Ainsi que nous l’avons dit, elles
sont moins nombreuses dans la partie Est que dans la partie
Ouest, et celles que l’on rencontre dans la première de ces deux
régions sont bien moins importantes que celles que l’on rencontre
dans la seconde. Gela est uniquement dû à la constitution géolo
gique du sol.
Toutes ces collines sont fort peu élevées, et c’est tout au plus
si les plus hautes atteignent 50 à 60 mètres. Leurs lianes présen
tent une pente assez raide. Aussi les pluies d’hivernage les
ravinent-elles profondément, de telle sorte que la roche se montre
nue en maints endroits. Malgré cela, elles sont toutes excessive
ment boisées.
Outre ces collines, mentionnons encore les vastes plateaux
rocheux, peu élevés, que l’on rencontre à chaque instant sur les
routes qui sillonnent le Kantora.
Constitution géologique du sol. — De ce que nous venons de
dire de l’hydrologie et de l’orographie du Kantora, nous pouvons
avoir un aperçu de ce que peut être sa constitution géologique.
D’une façon générale, on peut dire que la nature des terrains
que l’on y rencontre est de deux sortes : terrain ardoisier et terrain
de formation secondaire que sont venues recouvrir, en certains
endroits, d’épaisses couches de latérite, et, en d’autres, des argiles
�DANS LA HAUTE GAMBIE
compactes formées par la désagrégation des roches. En certains
points, l’argile et la latérite se montrent à nu; en d’autres, au
contraire, elles sont recouvertes par une mince couche de sables
formés de cristaux très fins de quartz et de silice, ou par de petits
cailloux ferrugineux produits par la désagrégation des conglo
mérats que l’on rencontre fréquemment dans le Kantora. Quant à
la distribution des différents terrains, elle est excessivement
variée.
Les principales roches que l’on rencontre sont dans le terrain
ardoisier, des schistes. Il faut aller assez profondément pour les
rencontrer, huit à dix mètres environ. Dans les terrains de forma
tion secondaire : des quartz, des roches ferrugineuses de toutes
formes, conglomérats et roches proprement dites à ossatures de
grès de quartz et à gangues argileuses.
Nous pouvons dire d’une façon générale que les argiles se ren
contrent surtout dans la partie Est du Kantora. Là elles alternent
avec les roches ferrugineuses. Il n ’y a, dans toute cette région, à
mentionner, en outre, que les quelques petits îlots de latérite qui
se trouvent aux environs de Son-Counda. Les rives de la Gambie
présentent, en outre, une mince couche d’alluvions récentes, de
même que les rives des marigots. Dans toute cette région, l’humus
fait absolument défaut.
Il n’en est pas ainsi pour la partie Ouest. Là nous trouvons des
vallées entières uniquement formées de latérite. Lavallée de SonCounda entièrement constituée par ce terrain, est d’une étonnante
fertilité. Les argiles ne se montrent guère qu’aux environs du
fleuve.
Flore ; Productions du sol ; Cultures. — La flore est dans l’Est
d’une pauvreté remarquable. Sur les plateaux et les collines
quelques arbres chétifs et rabougris, dans les plaines des cypéracées gigantesques et des herbes de marais. Par contre, les bords des
marigots sont couverts de belles légumineuses et présentent
quelques rares Caïl-Cédrats. Dans la région Ouest, nous retrouvons
la flore du Sud : fromagers énormes, baobabs, n’tabas, Légumi
neuses de toutes sortes, télis énormes, etc., etc. D’après ce que
nous venons de dire, on peut en déduire quelles sont les plantes
susceptibles d’être cultivées dans un semblable pays et quelles
peuvent être les productions du sol. Dans les terrains pauvres, la
�228
ANDRÉ RANÇON
mil, dans les autres, au contraire, l’aracliide. Mentionnons encore
l’indigo, le coton, le tabac, les haricots, les tomates, le maïs, etc.,
etc. Les procédés de culture employés sont les mêmes que dans les
autres pays du Soudan. Il nous a semblé cependant que les lougans
y étaient tenus avec plus de soins.
Faune. Animaux domestiques. — La faune ne diffère guère de
celle des autres pays de cette partie de l’Afrique. Outre les antilopes
de toutes variétés, les biches, singes (Cynocéphales), lynx, pan
thères, nous signalerons tout particulièrement l’hippopotame, qui
abonde dans le fleuve et les marigots, et l’éléphant que l’on trouve
en grand nombre dans la région Est. Toute cette partie du Kantora,
d’ailleurs, est marquée de nombreuses traces de ces deux sortes
d’animaux.
Les poissons que l’on trouve dans le fleuve et dans les marigots
sont très appréciés des noirs, mais peu faits pour un palais civilisé.
Parmi les oiseaux, signalons la perdrix, la tourterelle, les pigeons
sauvages, l’outarde et une grande variété de merles, passereaux et
geais au brillant plumage. Citons encore, parmi les rapaces, le
milan, le vautour, etc.,etc., et enfin une énorme quantité de chauvesouris, surtout sur les bords des marigots.
Peu de serpents. On y rencontre parfois le serpent noir,letrigonocéphale, le serpent-corail et le boa, mais ce sont des faits assez rares.
Les caïmans abondent dans le fleuve et à l’embouchure des
marigots, et partout, on voit une grande quantité de lézards de
toutes sortes de couleurs.
Les moustiques y sont rares pendant la saison sèche, mais très
nombreux pendant l’hivernage. Mentionnons aussi une grande
variété de mouches, aux plus brillantes couleurs, et surtout les
fourmis « Magnians », dont la piqûre est excessivement doulou
reuse.
Les animaux domestiques y sont les mêmes que dans les autres
pays : Bœufs, moutons, chèvres, poulets, chiens, chats. Les bœufs
y sont petits, mais leur chair est très bonne. Les moutons et les
chèvres, quand ils sont jeunes, ne sont pas à dédaigner non plus.
Populations ; Ethnographie. — La population du Kantora,
autrefois fort nombreuse, ne compte plus maintenant que mille
à douze cents habitants au plus. Ce pays fut colonisé et peuplé par
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
229
des Malinkés, venus les uns du Bambouck (ce furent les premiers),
les autres, du Bondou, chassés par les Almamys de ce pays, et enfin
les derniers du Ghabou, chassés par Alpha-Molo. Mais, en réalité,
les maîtres et propriétaires du sol sont les Malinkés venus du
Bambouck. A ce noyau de population, déjà fort important, vinrent
dans la suite se joindre des Peulhs, des Sarracolés et quelques
Ouolofs venus du Bondou. Aujourd’hui, cette population a com
plètement disparu et il ne reste plus que quelques Malinkés qui
ont tenu bon malgré toutes les expéditions dirigées contre eux par
Moussa-Molo ou venues du Bondou et de Labé. Ils se sont groupés
autour des restes de la famille maîtresse du pays qui est aujour
d’hui peu nombreuse et bien déchue.
Si l’on en croit la tradition, ces Malinkés, qui ne formaient que
deux familles (les Sania et les Bandora), émigrèrent d’abord du
Manding dans le Bambouck sous la direction de Fodé-Sania, un
des lieutenants de Noïa-Moussa-Sisoko, le grand colonisateur du
Bambouck. A la suite de démêlés avec ce dernier, ils émigrèrent de
nouveau et vinrent se fixer dans le Kantora. Ils ne devaient plus
quitter ce pays que chassés par la guerre sans merci que leur firent
Alpha-Molo, son fils Moussa-Molo, les Almamys du Bondou et les
chefs de Labé sans aucun motif et uniquement pour « faire captifs ».
Beaucoup tombèrent sous les coups des envahisseurs. Peu émi
grèrent dans le Ouli etleTenda. Quant aux Peulhs, pour la plupart,
ils se joignirent aux bandes de Moussa-Molo. Les Sarracolés et les
quelques Ouolofs qui habitaient le Kantora subirent le sort des
Malinkés. Il existe encore aux environs de Son-Counda un petit
village Sarracolé de peu d’importance. Il se nomme Diara-Counda
et n’a guère plus de 200 habitants. Voici la liste complète des diffé
rents villages qui peuplaient jadis le Kantora :
1° Villages Malinkés
Son-Counda, résidence du chef du pays. 800 habitants environ.
Farintombou,
n’existe plus.
Kantali-Counda,
Coussounou,
Kantora-Counda,
Sadofou,
Niamanaré,
Koli-Counda,
Tiumidala,
n’existe plus.
�230
ANDRÉ RANÇON
D'après les renseignements qui m’ont été donnés parle chef-luimême, ce serait dans les environs de Kantora-Counda que s’élevait
autrefois la ville de Kantor, dont parle d’Almada. Sa population,
abstraction faite de l’exagération des noirs, ne devait pas s’élèvera
plus de huit à dix mille habitants.
2° Villages Sarracolés
n ’existe plus.
n’existe plus. Couia,
Manda,
—
Diaé-Counda,
—
Diaka,
—
Samé,
—
Simmoto,
Piraï,
—
Médina,
Ouassoulou-Counda, —
Naoulé,
—
Diara-Counda existe encore. Sa population est d’environ deux
cents habitants.
—
3° Villages Peulhs.
Kébé-Counda,
n’existe plus
Boulonkou,
—
—
Oualiba-Counda,
Demba-Koli-Counda, —
—
Biliban,
Dougoutoto,
—
Kéniéba,
—
Bantanto,
n’existe plus
Tiagandapa,
—
Demba-son-Counda,
—
Boï-Counda,
—
Toucoulé-Counda,
—
Velingara,
—
Oura-Counda
—
Il n’y avait qu’un seul village Ouolof, N’Gaouli.
Les Malinkés du Kantora ne diffèrent en rien des autres
Malinkés. Ils sont aussi sales et aussi dégoûtants ; ivrognes et
fainéants, ils sont absolument abrutis à la fois par l’abus de
l’alcool et par le qui-vive sur lequel ils vivent sans cesse.
Rapports du chef avec ses administrés. — Ils sont ce que sont
les rapports des chefs avec leurs sujets dans tous les pays Malin
kés. Le chef ne possède aucune autorité et ne jouit, pas plus que les
autres habitants du village, d’aucune prérogative particulière. Il
est absolument inutile. C’est l’anarchie la plus complète. Tout le
monde commande et personne n ’obéit. Le chef actuel, KoutaMandou, vieillard de 65 ans environ, s’est plaint, quand j’y suis
passé, de la situation qu’il subissait et de l’opposition qu’en
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
231
toutes circonstances lui faisaient ses principaux notables. Malgré
moi, il me fallut, à sa prière, en faire l’observation aux intéressés
dans un grand palabre.
Situation politique actuelle. — Rapports avec les autorités fran
çaises. — Comme on le voit, la situation de ce pays jadis prospère
est loin d’être belle aujourd’hui. Sans cesse harcelés par les Peulhs
et les gens du Foréah qui viennent leur enlever des hommes et des
femmes jusque sous les murs du village, ils ne peuvent sortir de
leur enceinte que le fusil sur l’épaule. De plus, Moussa-Molo qui,
depuis quelques années, les laissait en paix, après les avoir plu
sieurs fois attaqués en pure perte, a repris contre eux l’olïensive.
Pendant mon séjour à Son-Counda, il s’est avancé à deux jours de
marche du village avec une forte colonne, et, s’il n’a pas attaqué,
c’est uniquement parce qu’il a appris ma présence dans le pays.
Le Kantora avait été placé sous le protectorat de la France à la
suite d’un traité conclu le 23 décembre 1888 à Kayes par le chef
d’escadron d’artillerie de marine Archinard, alors commandant
supérieur du Soudan français, avec les mandataires de CoutaMandou, chef du pays. Au point de vue administratif, politique et
judiciaire il relevait du commandant du cercle de Bakel.
Depuis cette époque, par le traité du 10 août 1889, nous avons
cédé à l’Angleterre toute la région Ouest du Kantora jusqu’à
Yabouteguenda.
Emigration. — Les Malinkés du Kantora, pendant mon séjour
à Son-Counda, m’avaient manifesté leur intention bien formelle
d’émigrer en masse sur la rive droite de la Gambie pour fuir les
attaques incessantes de Moussa-Molo et les rapines de gens du
Foréah. La tranquillité qui régnait dans les régions du Ouli et du
Saudougou,soumises à notre autorité,les engageait avenir s’y fixer
et à se rapprocher de leurs alliés naturels. L’arrangement conclu
avec l’Angleterre les décida. Voulant rester Français, ils viennent
d’abandonner leur pays et se sont réfugiés dans le Ouli. De leur
côté les Sarracolés deDiara-Counda sont retournés dans le Bondou,
leur pays d’origine. Le Kantora est aujourd’hui désert, et il ne sera
guère possible de le repeupler que si l’on met Moussa-Molo dans
l’absolue impossibilité de nuire.
��CHAPITRE XII
Départ de Son-Counda, — Marche de nuit. — Frayeur des Malinkés. — Héméra
lopie. — Itinéraire de Son-Counda au marigot de Tabali. — Description de la
route — Géologie. — Botanique. — Le Dion-Mousso-Dion-Soulo. — Campe
ment en plein air. — Un gourbi en paille. — De Tabali à la rivière Grey. —
Itinéraire. — Passage de la rivière Grey. — Ingénieuse embarcation. — De la
rivière Grey au marigot de Konkou-Oulou-Boulo. — Itinéraire. — Description
delà route. — Géologie. — Botanique. — Les lianes Delhi et Bonghi. — Le
Barambara. — Du marigot de Konkou-Oulou-Boulou à Damentan. — Itinéraire.
— Description de la route. — Géologie. — Botanique. — Le Karité. — Arrivée
à Damentan. — Belle réception. — Le chef Alpha-Niabali. — Séjour à Da
mentan. — Palabres. — Influence du chef dans la région, — Fanatisme musul
man. — Arrivée d'un Coniaguié. — Je l'envoie annoncer ma visite à son
chef. — Environs de Damentan. — Belles cultures. — Le Bicin. — Préparatifs
de départ pour le Coniaguié.
\7 décembre. — Prévoyant que j’aurais une longue étape à
faire par une route peu fréquentée et dans une région encore inex
plorée, je réveillai tout mon monde à 2 h. 15 du matin. Malgré cela
et malgré la grande fraîcheur, toute ma caravane est réunie à
2 h. 45, et à trois heures, par un beau clair de lune, nous pouvons
nous mettre en route. La nuit a été très fraîche dans cette première
marche et à quelques centaines de mètres du village nous commen
çons à avoir de la rosée. Nous marchons lentement dans un sentier
où les porteurs n ’avancent que péniblement. Les Malinkés de SonCounda se tiennent groupés autour de moi. Ils ont peur, et bien
qu’armés jusqu’aux dents, ils redoutent de voir paraître les
terribles Peulhs à chaque détour du chemin. De plus, ils n’y voient
que difficilement et arrivent péniblement à se guider dans la
brousse. Grands chasseurs d’éléphants, ils couchent souvent à la
belle étoile. Soumis dès leur enfance à une alimentation presque
uniquement végétale, ils ne font que rarement usage d’aliments
minéraux. Aussi sont-ils tous plus ou moins atteints d’héméralopie,
et j’en ai vu qui, dès que le soleil était couché, avaient peine à
retrouver leur demeure dans le village, si, par hasard, ils s’étaient
�234
ANDRÉ RANÇON
attardés sous l’arbre à palabres. Mais quand le jour commence à
poindre, notre marche s’accélère peu à peu et quand le soleil se
lève nous prenons sans peine notre allure habituelle.
Ainsi que je l’ai dit plus haut, le frère du chef de Son-Counda,
Mandia, m’accompagne. A 5 h. 30 nous traversons le marigot de
Kokou. Il est si profond que je suis obligé de quitter bottes,
pantalon et chaussettes. Peu après, à 5 h. 50, nous traversons le
marigot de Médina moins profond que le premier. Nous laissons
sur notre gauche la grande mare de Palama à 7 h. 10 et à 7 h. 45
nous faisons la halte. Nous repartons à huit heures. Il fait déjà une
chaleur intolérable. A 8 h. 15 nous laissons à droite une grande
mare, à 8 h. 40 une plus petite, et, à 8 h. 47, nous trouvons à notre
droite l’immense mare de Demba-Sansan et le marigot du même
nom. Nous les longeons pendant quinze cents mètres environ, et il
est neuf heures quand nous traversons le marigot où coule une eau
fraîche, limpide et claire. Nous nous y arrêtons pendant quelques
minutes pour nous désaltérer et enfin à 10 h. 10 nous sommes au
marigot de Tabali, que nous traversons et sur les bords duquel
nous campons.
Au point de vue géologique, de Son-Counda au marigot de
Tabali, ce sont toujours les mêmes terrains. On trouve d’abord
quelques îlots de latérite qui alternent avec les argiles compactes
. pendant environ six kilomètres. A partir de là, rien que des argiles
compactes parsemées surtout aux environs des mares de vases
profondes. Les marigots sont tous à fond de vases, sauf celui de
Tabali, où nous campons, et qui coule sur un lit de cailloux ferru
gineux. Aussi l’eau en est-elle excellente. La grande mare de
Demba-Sansan, qui s’étend jusqu’aux collines qui longent la Gambie,
est à fond argileux. Elle est en partie à sec pendant la saison sèche
et remplie d’eau pendant l’hivernage. Elle a environ huit kilomètres
de longueur sur trois de largeur.
On comprend ce que doit être la flore dans de semblables ter
rains. Pas de futaies, rien que de hautes herbes de marais où cheval
et cavalier disparaissent. Les bords de la Gambie sont couverts de
magnifiques rôniers dont il existe, notamment dans la plaine où
coule le marigot de Demba-Sansan, une superbe forêt.
Pendant la route mon interprète me fit remarquer plusieurs
échantillons d’une plante dont les indigènes se servent couram-
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
235
ment dans cette région contre la blennorrhagie. On la nomme dans
toute la Gambie : « Dion-Mousso-Dion-Soulo », ce qui signifie en
Malinké du Sud : « Herbe de la femme captive ». Elle est ainsi nom
mée parce que, dans les pays Mandingues, la captive est, en général,
la seule qui se livre ouvertement à la prostitution. C’est surtout la
racine qui est employée. Cette racine, charnue, ayant à peu près la
consistance du manioc, est rougeâtre à l’extérieur. Si on la casse,
on la trouve blanche à l’intérieur et très aqueuse. Elle n’a pas de
goût particulier mais son odeur est légèrement vireuse. Je n’ai
jamais pu avoir la plante à l’état frais et je n’ai jamais eu à son
sujet que des renseignements si bizarres qu’il m’est absolument
impossible d’en donner une description détaillée. Voici comment
cette racine est employée. On en sectionne environ cent grammes
par petits fragments, quand elle est fraîche, et on les fait bouillir
dans un litre et demi d’eau environ. Quand le liquide est devenu d’un
blanc laiteux, on le laisse refroidir et on boit après l’avoir légère
ment salé au préalable. La dose est d’environ de deux à trois litres
par vingt-quatre heures. Si, au contraire, on se sert de la racine
sèche : on la pile et on prend pour une dose environ 60 à 80
grammes de la poudre ainsi obtenue. Elle est enveloppée dans un
morceau d’étoffe et mise à bouillir dans deux litres environ d’eau.
Quand la liqueur,comme plus haut,est devenue d’un blanc laiteux,
on la sale légèrement et on la laisse refroidir. La dose est la même
que dans le cas qui précède. Je crois que c’est un excellent diurétique
qui agit en même temps sur l’élément douleur et cela d’une façon
absolument efficace. J’ai pu en avoir la preuve à Nétéboulou. Pen
dant le séjour que nous y avons fait, un de mes hommes s’était
laissé séduire par les charmes d’une captive de Sandia et une dou
loureuse blennorrhagie avait été la conséquence de cette douce
amitié. Il se traita d’abord lui-même, sur les conseils du forgeron
du village, avec des racines de Dion-Mousso-Dion-Soulo, en suivant
le mode d’emploi que nous avons indiqué pl us haut. En quatre jours
la douleur avait complètement disparu, mais l’affection persista
malgré le traitement et ce ne fut qu’à Mac-Carthy que je pus l’en
débarrasser grâce à de bonnes injections astringentes. Cette plante,
d’après les indigènes, se trouverait en grande quantité particulière
ment dans le Sud de nos possessions Soudaniennes. On la rencon-
�236
ANDRÉ RANÇON
trerait aussi dans des régions plus septentrionales mais en bien
moins grande quantité.
A peine fûmes-nous arrivés à l’étape que mes hommes et ceux
de Son-Counda installèrent immédiatement le campement. Les
uns dépecèrent moutons et chèvres dont je m’étais muni pour la
route afin de pourvoir à notre nourriture, les autres me construi
sirent en peu de temps avec des bambous et des tiges de hautes
herbes sèches un confortable gourbi de deux mètres de haut sur
trois de largeur, dans lequel je pouvais installer mon lit et mettre
à l’abri des intempéries mes bagages les plus précieux. Bien couvert,
il ne laissait filtrer aucun rayon de soleil et il avait été fait avec
tant de soin que j’y aurais même été à l’abri d’une tornade. Ce
mode de campement dans la brousse est assurément le plus pra
tique. Avec des bambous, de la paille sèche et quelques liens en
écorce, il ne faut pas plus d’une heure pour le construire. Il a sur
la tente ce grand avantage de ne pas’ emmagasiner la chaleur. Si,
par hasard, la pluie survenait, il serait facile de s’en garantir en
admettant toutefois que le gourbi fut insuffisant. Il n ’y aurait
qu’à jeter la tente sur son dôme et à l’y maintenir à l’aide simple
ment de quelques morceaux de bois assez lourds. Mes hommes se
construisirent pour eux de petites huttes en paille et en bran
chages, et, une heure et demie environ après notre arrivée, le camp
était installé.
La journée passa rapidement. Vers trois heures de l’après-midi,
j’envoyai six hommes en avant afin de préparer tout ce qui nous serait
nécessaire pour passer le lendemain la rivière Grey. Je rédigeai mes
notes du jour, fis mes observations météorologiques, et, à la nuit
tombante, après avoir dîné, tout le monde se coucha et s’endormit
rapidement. La journée avait été rude et nous avions fait une étape
de plus de trente-et-un kilomètres.
De Son-Counda au marigot de Tabali, la route que nous avons
suivie est sensiblement orientée Sud Est.
18 décembre. — La nuit s’est écoulée sans incidents. La première
partie a été relativement chaude. Le ciel s’est subitement couvert,
un vent violent de Sud-Ouest a soufflé pendant près de deux heures.
Il est même tombé quelques gouttes de pluie et pendant un instant
je m’attendis à voir éclater la tornade. Mais nous en fumes heu
reusement quittes pour la peur. Vers une heure du matin, le vent
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
237
se calma, la fraîcheur se fit sentir et nous pûmes jusqu’au jour
dormir d’un bon sommeil. A quatre heures et demie je fis lever tout
mon personnel et à cinq heures nous pûmes nous mettre en route.
Nous longeons d’abord pendant quelques kilomètres la grande
plaine du Demba-Sansan. Nous traversons ensuite un plateau de
peu d’étendue et formé de quartz ferrugineux. De là, par une pente
douce, nous arrivons dans une vaste plaine argileuse où nous tra
versons à 7 h. 5 le marigot de Canafoulou. A 8 h. 30 nous arrivons
enfin sur le bord du Koulontou ou rivière Grey, qu’il va falloir
franchir. C’est là une délicate opération, car à cette époque de l’an
née, elle a encore plus de cinquante mètres de largeur et est très
profonde. De plus, son courant est excessivement rapide.
Je n’ai pas besoin de dire que les six hommes que j’ai expédiés
hier de Tabali pour tout préparer en vue du passage, n’ont rien fait
de ce qu’on leur avait dit de faire. Ils ont bien construit avec des
tiges de palmier un petit radeau ; mais il est tout à fait insuffisant.
Il faut tout recommencer. Tous nos hommes sont expédiés dans les
environs pour couper des tiges de palmiers en quantité suffisante,
et pendant ce temps-là, je déjeune au pied d’un arbre et prends
quelques notes importantes. A midi tout est prêt et nous pouvons
commencer le passage. Tout se fait sans aucun accident. Les bagages
sont passés les premiers. Les chevaux passent à la nage tenus en
bride par mon vieux palefrenier Samba qui est un nageur émérite.
Je passe le dernier après avoir bien constaté que rien n’a été
oublié.
Il est très ingénieux ce moyen qu’emploient les noirs pour
traverser les gros marigots et même les fleuves. Le radeau, ou
plutôt l’embarcation, car c’en est une véritable, dont ils se servent,
est fabriquée avec des tiges de palmier d’eau. Ces tiges sont
jointives et solidement attachées entre elles. Leur forme recourbée
donne ainsi à l’embarcation un véritable fond et un bordage.
Sa longueur est d’environ trois mètres et sa largeur un mètre
cinquante centimètres. On y peut loger quatre personnes, dont une,
assise à l’arrière, tient une pagaie pour diriger l’esquif en cas
d’accident. Car voici comment elle est mue. A ses deux extré
mités sont attachées des cordes faites de lianes ou de feuilles
de palmiers tressées. Ces cordes sont tenues sur chaque rive
par une équipe d’une dizaine d’hommes qui halent ou laissent
�238
ANDRÉ RANÇON
filer suivant qu’on veut aller d’un bord ou de l’autre. On
comprend alors que si une des confies vient à se briser il soit
nécessaire qu’il y ait dans l’embarcation quelqu’un qui, à l’aide
de la pagaie, soit prêt à la diriger.
Cette pagaie est des plus primitives. Elle se compose sim
plement d’un bâton d’un mètre vingt de longueur environ, à
l’une des extrémités duquel on a solidement attaché de petits
morceaux de bois d’environ quinze centimètres de longueur
destinés à former la pelle de l’instrument. Le pilote la manœu
vre en tenant l’extrémité libre de la main droite ou de la
main gauche, l’autre main saisissant la partie moyenne du
manche, suivant qu’il veut aller à droite ou à gauche ou selon
ses dispositions naturelles.
Cette embarcation est très légère. Comme sa largeur est
très grande relativement à la longueur, il est rare qu’elle
chavire, et j’ai vu deux hommes s’appuyer sur le même bord
sans pouvoir arriver à la renverser. Le passage dura environ une
heure et demie. Plusieurs fois les cordes cassèrent et ces petits
incidents nous firent perdre plus d’une demi-heure. Je suis
intimement persuadé que, si nous avions pu nous procurer des
liens plus solides, l’opération eut pu être facilement faite en
une heure au plus. Tous mes bagages arrivèrent intacts sur la
rive droite et rien ne fut mouillé. Almoudo, Sandia, mon
palefrenier Samba et Mandia, le chef de Son-Counda, me rendirent
en cette circonstance de grands services. Tout le monde, du
reste, paya de sa personne, et chacun fit consciencieusement son
devoir. Il était près de deux heures quand tout fut terminé. La
chaleur était accablante, bien que le ciel fût couvert, aussi la
fatigue était-elle grande pour tous. Malgré cela, personne ne
murmura quand je donnai le signal du départ.
Le Koulontou, ou rivière Grey, peut être considéré comme le
principal affluent de la Gambie, sinon comme sa branche d’origine
Ouest. Elle coule du Sud Est au Nord-Ouest, tandis que, dans la
première partie de son cours la Gambie, de sa source à Tomborocoto,
dans le Niocolo, coule du Sud au Nord légèrement Est, de telle sorte
que ces deux branches forment un angle d’environ trente-cinq
degrés dans lequel sont compris les massifs montagneux du Sabé,
du Tamgué, du Niocolo, derniers contreforts au Nord du Fouta-
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
239
Djallon. A partir de Tomborocoto, la Gambie s’infléchit vers l’Ouest
et coule dans cette direction jusqu’à la mer. Elle forme un grand
coude en face de la partie Est du Ouli et c’est à l’extrémité la plus
éloignée de ce grand arc que se jette la rivière Grey. Elle suit le
régime de tous les grands cours d’eau Soudaniens et Sénégalais.
Pendant l’hivernage, c’est une belle rivière qui a environ trois à
quatre cents mètres de largeur. Pendant la saison sèche, au con
traire, elle n’a guère plus de quarante à cinquante mètres dans son
cours moyen. Les berges sont absolument à pic, et d’une saison à
l’autre son niveau ne varie pas moins de 12 à 15 mètres. Ses eaux
sont pendant la saison sèche claires, limpides et délicieuses à boire.
Vues de la berge, elles ont un aspect blanchâtre, terreux. Cela tient
à ce qu’elle coule dans un lit formé d’argiles compactes qui lui
donnent leur couleur. La rivière Grey a un débit considérable et
apporte à la Gambie une masse d’eau relativement énorme. C’est
elle qui reçoit la plus grande partie des pluies de la région NordOuest du Fouta-Djallon, et tous les marigots qui descendent du
flanc Ouest des massifs du Sabé, Tamgué etNiocolo. Tous les mari
gots du Coniaguié, du Bassaré, du Damentan, du pays de Pajady et
de Toumbin sont ses tributaires, et elle reçoit toutes les eaux d’in
filtration de la région Est du Fouladougou. Nous serions assez
portés à croire que dans le Damentan et le Coniaguié, la rivière
Grey communique avec la Gambie par les marigots de Niantafara, de
Oupéréetde Oudari. Nous ne faisons là qu’émettre une simple sup
position que peut autoriser la direction Sud-Ouest-Nord-Est du
courant de ces marigots, direction que nous avons constatée
pendant notre voyage. Quoiqu’il en soit, ces marigots ont de l’eau
courante toute l’année, la rivière Grey dans cette partie de son
cours coule à une cote plus élevée que la Gambie dans la partie
correspondante, et, de ce fait, son courant est plus impétueux
que celui de cette dernière. Les bords de la rivière Grey sont
absolument déserts et inhabités. Du reste, dans la plus grande
partie de son cours, elle coule au milieu de vastes plaines argi
leuses, stériles pendant la saison sèche et inondées pendant
l’hivernage.
Nous quittons à deux heures la rive droite de la rivière Grey.
Nous traversons tout d’aborcl une vaste plaine argileuse bordée au
Sud par les collines qui la longent et au Nord-Est et au Nord
�ANDRE RANÇON
par celles qui bordent la Gambie. A 2 h. 35 nous traversons les
trois branches du marigot de Sambaia-Boulo. Dans cette partie
du cours de la Haute-Gambie, le mot Boulo signifie marigot
et on l’ajoute à son nom propre comme ailleurs on ajoute le
mot Kô. A 3 h. 45 nous franchissons celui de Boufé-na-Kolon
sur les bords duquel nous faisons la balte pour nous désaltérer
et faire boire les animaux; car ils ne pourront plus s’abreuver
jusqu’à Damentan. Les rives de tous les cours d’eau que nous
allons rencontrer jusque-là sont couvertes de télis et les noirs
prétendent que leurs eaux empoisonnées par ce végétal sont
fatales aux animaux mais non aux hommes. Quoiqu’il en puisse
être, je ne tiens pas à expérimenter leur action sur mon
propre cheval. Il m’est trop précieux pour que je me permette
une semblable fantaisie. Enfin, à 5 heures, nous arrivons sur
les bords du marigot de Konkou-Oulôu-Boulo. Nous le franchis
sons et allons camper sur la rive opposée au milieu d’un beau
bouquet de télis gigantesques. Les deux rives en sont couvertes
et leurs feuilles en couvrent le sol. Aussi faut-il prendre de
grandes précautions pour que les animaux n’en mangent pas.
En moins d’une heure, mes hommes m’ont construit un gourbi
fort confortable, et à huit heures, après avoir copieusement
dîné, tout le monde se couche : terrassé par la fatigue, chacun
s’endort rapidement.
Du campement’ de Tabali à celui de Koulou-Oulou-Boulo, la
distance est de 29 k. m. 500 environ et la route suit une direc
tion générale Sud-Sud-Est. Dans tout ce trajet, on ne trouve
pour ainsi dire partout que des argiles compactes. En deux ou
trois endroits, la roche ferrugineuse et les quartz émergent en
plateaux peu étendus. Les marais et les marigots sont à fond
de vase, sauf celui de Konkou-Oulou-Boulo, qui est à fond de
sable, mais dont les bords sont couverts d’alluvions récentes
qui en rendent le passage fort difficile. Les bords et le fond
de la rivière Grey sont formés d’argiles compactes.
Au point de vue botanique, la llore est des plus pauvres. Les
bords du Konkou-Oulou-Boulo sont couverts de télis. Dans les
plaines c’est la brousse et le marais dans toute l’acception du mot.
Cypéracées et joncées y abondent. Les deux rives de la rivière Grey
sont excessivement boisées. On y trouve de superbes rôniers, de
��242
ANDRÉ RANÇON
beaux ficus et de nombreux échantillons de deux lianes très com
munes dans toute cette région, le Delhi et le Bonglii. Sur les pla
teaux ferrugineux nous ne trouvons à signaler que quelques
maigres graminées et quelques rares végétaux nommés « Barambara », par les indigènes, et dont ils utilisent les racines comme
fébrifuge.
Le Delhi est une liane de la famille des Apocynées dont le feuil
lage rappelle celui du Laré et du Saba dont nous avons parlé plus
haut. Il croît de préférence sur les hauts plateaux et en moins
grande quantité sur les bords des rivières, fleuves et marigots. On
le trouve partout au Soudan. Ce sont les peuples de race Peullie
qui lui ont donné le seul nom sous lequel nous la connaissions.
Elle n’acquiert que rarement de grandes dimensions et son pied a,
tout au plus, 6 à 8 centimètres de diamètre. Ses fleurs blanches ont
à peu de chose près les caractères macroscopiques de celles du Laré,
et, comme elles, ressemblent à celles du jasmin dont elles rap
pellent un peu fodeur. Le fruit est un follicule sec qui contient
environ 25 à 30 graines comprimées. Il est mûr vers la fin de mars.
Son aspect grêle et chétif ne permet pas de la confondre avec le
Laré. Comme cette dernière, elle laisse découler à l’incision un suc
blanc laiteux, très aqueux et qui poisse les doigts. Nous serions
tentés de croire que ce n ’est autre chose qu’un caoutchouc de
mauvaise qualité. Pendant la saison sèche, ce suc fait absolument
défaut. On n’en trouve que pendant l’hivernage et encore en très
petite quantité. Les indigènes, du Niocolo notamment, se
servent des feuilles pour panser certains ulcères de mauvaise
nature. Nous ne voyons pas trop quelle pourrait être leur action
thérapeutique. Cette plante doit être, d’après le professeur Heckel,
le Vahea Heudelotii A. D. C.
Le Bonghi, ainsi nommé par les peuples de race Peulhe, est appelé
Nomho par les Bambaras et les Malinkés. C’est encore une belle
liane de la famille des Apocynées. Elle croît de préférence dans les
bas-fonds humides, et est très rare. Nous ne l’avons trouvée en
grande quantité qu’aux environs de Dalafinedans le Tiali. On la
rencontre, il est vrai, un peu partout au Soudan. Mais elle est
partout très clairsemée. Elle acquiert de grandes dimensions
surtout dans les terrains très humides, et elle est facile à recon
naître à son port majestueux et au dôme de verdure qu’elle forme
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
243
au-dessus des végétaux auxquels elle s’attache. Son feuillage
rappelle celui du Laré et celui du Delhi, mais ses fleurs ne per
mettent pas de la confondre avec ces deux dernières lianes. Au lieu
d’être blanches elles sont rosées, volumineuses et leur calice est
hypocratérimorphe. Elle donne à l’incision un suc blanc laiteux,
aqueux et qui poisse les doigts. Contrairement au Delhi, elle en
laisse découler en toutes saisons, mais en bien plus grande quantité
pendant l’hivernage que pendant la saison sèche. A cette époque de
l’année, c’est à peine s’il vient sourdre, peu après l’incision,
quelques rares gouttelettes qui se coagulent immédiatement et
donnent un produit ayant l’aspect de celui que l’on obtient du
Laré. Pendant l’hivernage, au contraire, le rendement est bien
plus considérable, sans cependant égaler ce que l’on obtient du
Laré. Les indigènes n’emploient le Delhi à aucun usage. Cette
plante, d’après l’opinion du professeur Heckel, serait le Vahea
florida F. Mueller.
Le Barambara est un petit arbuste qui croît, de préférence, sur
les plateaux rocheux, dans les terrains pauvres et dans l’interstice
des roches, il nous a semblé être une Combretacée, mais nous ne
saurions l’affirmer. Ses feuilles sont peltées, de petites dimen
sions. Leur face supérieure est d’un vert pâle et leur face inférieure
blanchâtre est couverte de poils qui donnent au toucher la sensa
tion du velours. Cette couleur caractéristique du feuillage permet
de reconnaître la plante de loin. Son port est celui d’un petit
arbuste d’un mètre soixante centimètres de hauteur au plus. Si on
écrase les feuilles dans la main, elles dégagent une odeur vireuse
très prononcée. Les fleurs sont jaunâtres, toujours peu nombreuses,
et les fruits ont l’apparence d’une drupe très coriace. La tige est
cylindrique, généralement courte, et les rameaux s’en détachent à
trente centimètres au plus du sol. Il vient par touffes de huit à dix
pieds au plus. Les jeunes rameaux sont polyédriques, à côtes très
prononcées. Leur écorce est vert pâle, tandis que celle des rameaux
principaux et de la tige est plutôt blanchâtre. Cet arbuste est très
commun dans tout le Soudan. Ses rameaux servent partout aux
indigènes pour se nettoyer les dents. Voici comment : on en coupe
un fragment d’environ quinze centimètres de longueur. Son
diamètre ne doit pas avoir guère plus d’un centimètre au grand
maximum. On mâche une des extrémités de façon à en faire une
�244
ANDRÉ RANÇON
véritable brosse avec laquelle on se frotte ensuite les dents. Ce
procédé est excellent.
Je crois que c’est à son fréquent emploi que les noirs doivent
de conserver si longtemps à leurs dents leur éclatante blancheur.
De plus, le tannin qui s’y trouve en grande quantité contribue
beaucoup à conserver aux gencives leur fermeté et leur tonicité.
Beaucoup de végétaux servent à cet usage, mais au Soudan parti
culièrement, c’est le barambara qui jouit de la plus grande faveur.
Sur tous les marchés on trouve ces petites tiges de bois. Elles se
vendent couramment cinq centimes les cinq. Les Ouolofs leur
donnent le nom de Sottio. Les Malinkés de la Haute-Gambie
vantent les propriétés fébrifuges de ses racines. Ils les emploient
fraîches ou sèches en décoction et en macération. Dans le premier
cas, si on se sert de racines fraîches, on en prend environ deux
cents grammes de petits fragments munis de leur écorce. On fait
macérer pendant vingt-quatre heures dans environ un litre d’eau.
D’autre part, on fabrique avec la même quantité que l’on fait
bouillir dans deux litres et demi d’eau une légère tisane. La
macération est administrée au début de l’accès de fièvre et la
tisane entre les accès. Cette médication donnerait, paraît-il, de bons
résultats. Nous n’avons jamais été à même de les constater. Si, au
contraire, on emploie la racine sèche, on la réduit en petits
fragments que l’on pile de façon à en faire une poudre assez
grossière. On prend environ cent grammes de cette poudre que
l’on met à macérer pendant vingt-quatre heures dans environ 750 gr.
d’eau. Pour la tisane, on met à bouillir dans deux litres d’eau à
peu près cinquante grammes de cette poudre que l’on a, au
préalable, enveloppée dans un petit morceau d’étoffe. L’adminis
tration se fait comme ci-dessus. La racine fraîche serait, paraît-il,
plus active que la racine sèche.
49 décembre. — La nuit se passe sans incidents, et, à 5 heures 15
du matin, nous levons le camp et nous nous mettons en route pour
Damentan. Jusqu’au jour, la marche est relativement lente. Mais
dès que la lumière se fait nous reprenons bientôt notre allure
ordinaire. A 7 heures, pendant la halte, j’expédie deux hommes
au village pour annoncer mon arrivée au chef. Nous traversons
successivement et sans difficultés les marigots de Samasindio et de
Boulodiaroto. A 8 heures 40, nous sommes au marigot de Damentan
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
245
où coule une eau limpide et claire. Les bords de ces marigots sont
couverts de superbes télis. Aussi est-il impossible d’y faire boire
nos chevaux. Il est 11 heures 40 quand nous arrivons enfin eu vue
du village. Au pied du petit monticule sur lequel est construit
Damentan, nous traversons une seconde fois le marigot de ce nom
sur un pont des plus primitifs. Ce pont est simplement formé
d’une longue pièce de bois qui repose sur les deux rives. Des
pieux plantés dans le fond du marigot la dépassent d’un mètre et
demi environ. Ils sont attachés au pont lui-même à l’aide de cordes
de baobab et à leur extrémité supérieure sont fixés par le même
procédé de l’un à l’autre des bambous qui servent de parapet. 11
n’y en a que du côté gauche du pont. Aussi faut-il faire pour le
traverser des merveilles d’équilibre. Le passage se fait sans aucun
accident. Mes hommes passent sans difficultés avec leurs charges sur
la tête. Mais, il faut desseller les chevaux et les conduire à la nage
sur l’autre rive. Nous y trouvons le fils du chef que son père a envoyé
à notre avance. Il est en grande tenue de guerre et accompagné de
plusieurs de ses hommes armés comme lui jusqu’aux dents. Il nous
souhaite la bienvenue et nous conduit au village dont toute la popu
lation nous regarde avec des yeux étonnés. Je constate avec plaisir
que c’est dans sa case même que je suis logé. La case de mes hommes
et celle de Sandia et d’Almoudo sont voisines de la mienne.
La disfance qui sépare le marigot de Konkou-Oulou-Boulo de
Damentan est de 27 kilomètres 800 environ et la route suit une
direction générale qui est à peu près S.-S.-E. Toujours des argiles
compactes. Il n’y a qu’à quelques kilomètres avant d’arriver à
Damentan que nous trouvons un peu de latérite. La flore a
également peu varié. Nous ne signalerons seulement comme végé
taux nouveaux que quelques rares échantillons de Karités qui se
trouvent entre le marigot de Boulodiaroto et celui de Damentan. Ce
sont les premiers que nous ayons rencontrés depuis notre départ
de Nétéhoulou. Je crois devoir à ce propos donner ici un résumé
succinct des observations que j’ai faites sur ce précieux végétal
et, si possible, le faire connaître au lecteur dans tous ses détails.
Le Karité (1) est un bel arbre de la famille des Sapotacées. C’est le
(1) Voir, au sujet de ce végétal précieux et de son utilisation, un travail du
professeur E louard Heckel intitulé « Un arbre à beurre et une nouvelle source
de Gulta » dans le journal La N ature, de G. Tissandier, 1885.
�246
ANDRÉ RANÇON
Butyrospermuih Parlai Don. Il est très facile à reconnaître dans la
brousse à ses feuilles d’un vert sombre, poussant en touffes
verticillées à l’extrémité des rameaux et à ses fruits qui sont
connus et fort appréciés non seulement des indigènes, mais encore
Karité ou Shee (Bulyrospermum Parkii). Feuilles d’après nature.
(Dessin de A. M. Marrot).
des Européens qui vivent au Soudan. Sa pulpe est très savoureuse
et sa graine sert à confectionner un beurre végétal dont nous
parlerons plus loin. Il en existe au Soudan deux variétés, le Mana et
Shee. C’est cette dernière qui est de beaucoup la plus commune.
Elle est facile à distinguer de sa congénère. Voici, du reste, leurs
caractères principaux : à première vue, on pourrait aisément les
�DANS LA HAUTE-CAMBIE
m
confondre, mais un examen attentif suffit pour dissiper rapidement
cette erreur. L’écorce du Mana est blanc grisâtre. Ses feuilles sont
moins vertes que celles du Shee. Son bois est moins rouge, sa
couleur se rapproche plutôt du jaune. Son fruit a bien la même
forme que celui du Shee, mais sa graine, au lieu d’être ovale, est
ronde, enfin, caractère distinctif capital, à l’incision, il ne laisse
dégoutter aucun suc en quelque saison et en quelque circonstance
que ce soit.
L’écorce du Shee est au contraire noirâtre et profondément fen
dillée. Son bois est d’un rouge vif à la périphérie et le cœur en est
rouge tendre veiné de blanc et de jaune. Son feuillage est relative
ment abondant. Ses fleurs sont blanches, portées à l’extrémité d’un
long pédoncule, et leurs étamines sont très nombreuses. Le fruit est
une drupe dont la pulpe est savoureuse. La graine est ovale et ren
ferme une amande riche en matières grasses. La floraison a lieu du
milieu de janvier à la fin de février et les fruits sont mûrs dans les
premiers jours de juin ou juillet selon les régions. Ils tombent
quand ils sont arrivés à maturité complète, et sous les arbres le
sol est jonché de graines. Ces graines rancissent très vite, et pour
les faire germer, il faut avoir le soin de les recueillir sur le végétal
lui-même et de les mettre immédiatement en terre.
Le Shee, aussi bien que le Mana, du reste, se développe très
lentement, et c’est à peine si au bout de vingt ans environ, son
tronc acquiert un diamètre d’une vingtaine de centimètres.
On trouve le Karité, d’une façon générale, dans tout le Soudan
français. Disons toùt d’abord que le Shee est de beaucoup le plus
commun. On ne trouve guère le Mana que dans les régions méri
dionales de la colonie et encore y est-il assez rare. Le Karité habite,
de préférence, les terrains à latérite et les terrains à roches ferru
gineuses. Il est rare d’en trouver dans les argiles compactes. Nous
avons à ce point de vue remarqué que le Mana affectionnait surtout
ces derniers terrains, tandis que les premiers étaient particuliè
rement aimés du Shee. On ne trouve que très rarement l’une et
l’autre espèce sur les bords des marigots. Elles fuient les terrains
vaseux et marécageux. Il n’est pas rare de voir de beaux échan
tillons se développer parfois vigoureusement entre des rochers
où la terre végétale semble faire absolument défaut. En général,
les Karités qui poussent dans de semblables conditions atteignent
�248
ANDRÉ RANÇON
de faibles proportions et affectent des formes bizarres qui
frappent par leur étrangeté et leur monstrueux aspect. Les
Karités qui se développent, au contraire, dans les terrains riches
en latérite, sont de beaux végétaux, à tiges absolument droites et à
ramures et feuillages bien fournis. De ce qui précède, il est facile
de conclure quelle peut être l’aire d’extension de ce végétal.
Quoi qu’on en ait pu dire et quoi qu’on en puisse dire encore,
nous ne craignons pas d’affirmer que le Karité est très abondant au
Soudan français. On ne le rencontre, il est vrai, nulle part, en
forêts compactes, et, dans les régions où nous l’avons vu le plus
abondant, le Niocolo, par exemple, les pieds sont toujours distants
les uns des autres de 50 à 60 mètres environ. Ils n ’en sont pas
moins fort nombreux et nous estimons qu’il y en a partout une
quantité suffisante, pour, qu’au cas d’exploitation, on en obtienne
un rendement rémunérateur. Nous croyons, en outre, qu’il serait
très facile d’arriver à développer considérablement ce végétal par
les semis et la culture. Ce résultat pourrait même s’obtenir plus
aisément, si l’on pouvait empêcher les indigènes d’incendier, chaque
année, la brousse pour défricher les terrains qu’ils destinent à la
culture. Ces incendies ont, en effet, pour résultat, au point de vue
tout spécial qui nous intéresse, de détruire en grand nombre les
jeunes pieds de Karité et même ceux qui n ’offrent pas une résistance
suffisante. Mais aussi, hâtons-nous de dire que, chez les peuples du
Soudan, la routine a une telle puissance, qu’il sera, de longues
années, impossible de leur faire comprendre tout l’intérêt qu’ils
auraient à multiplier ce végétal et à le cultiver. On arrivera diffici
lement à persuader au noir qu’il n’y a pas que les cultures à
rendement immédiat qui soient rémunératrices.
On ne trouve le Karité ni dans le Baol, ni dans le Saloum, le
Sine, le Fouta, le Ouli, le Sandougou, le Niani, le Bondou, etc., etc.,
c’est-à-dire dans aucun des pays dont le sol est formé de sables ou
d’argiles. Par contre on le trouve dans tout le Soudan, le FoutaDjallon et à l’Est, Schweinfurth l’a trouvé en grande quantité dans
le pays des Dinkas, des Bongos et des Niams-Niams. A l’Ouest il
commence à apparaître vers le 15° 10’ de longitude Ouest et au
Nord vers le 16° 22’ de latitude. Au Sud, on ne trouve plus les
espèces Shee et Mana au-dessous de la latitude de la Mellacorée.
La Karité peut servir à plusieurs usages. Son bois très fin et
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
249
très résistant peut ê!re employé avec succès pour la menuiserie et
le charpentage. La plupart des charpentes de nos postes du Soudan
sont construites avec ce bois, et, de ce fait, à Kita, Koundou,
Niagassola et Bammako on a été forcé d’en abattre des quantités
considérables. 11 a également servi à fabriquer bon nombre des
meubles qu’on y trouve. Les indigènes l’emploient principalement
pour la fabrication des mortiers et pilons à couscouss et pour la
confection de ces petits sièges sur lesquels les femmes s’assoient
dans la cour intérieure des cases.
Mais c’est surtout la graine qui leur est particulièrement pré
cieuse. Ils en tirent un beurre végétal qui leur sert à assaisonner
leur couscouss, à fabriquer du savon, et à panser les plaies. Voici
comment ils extraient cette précieuse substance. La récolte faite,
on verse les graines dans de grands trous creusés généralement
clans les cours du village. On les laisse là pendant plusieurs mois.
Elles y perdent la pulpe qui les entoure et qui y pourrit. Les noix
retirées sont ensuite placées dans une sorte de four en argile où on
les fait sécher et griller assez de façon que leurs enveloppes
puissent facilement se détacher. L’amande est alors écrasée de
façon à former une pâte bien homogène. Cette pâte est plongée
dans l’eau froide où on la laisse pendant vingt-quatre heures, puis
battue, pétrie et tassée en forme de pains, enveloppée de feuilles
sèches et bien ficelée. Ces pains sont suspendus dans l’intérieur
des cases et peuvent ainsi se conserver pendant longtemps. Le prix
du beurre de Karité est d’environ deux francs le kilogramme dans
les pays de production. Il pourrait servir avantageusement en
Europe pour la fabrication du savon et des bougies, car il est très
riche en acides gras solides ; mais son prix de revient est trop élevé
pour qu’on puisse songer à l’utiliser sur une grande échelle. Son
goût est, au premier abord, assez répugnant. Cela tient à ce qu’il
n’est jamais pur. Pour la cuisine, on le fait fondre dans une grande
marmite, et, quand il est bouillant, on y projette avec la main
quelques gouttes d’eau froide qui, en se volatilisant, entraînent
avec elles les acides gras volatils. Ceux ci lui donnent sa saveur
désagréable et nauséabonde. Ainsi préparé, le beurre peut être
utilisé même pour la cuisine européenne. Nous nous en sommes
fréquemment servi pour notre usage personnel et nous nous y
sommes très vite habitué.
�250
ANDRÉ RANÇON
Le beurre de Karité sert également à panser les plaies. C’est un
excellent cérat. et nous en avons obtenu de bons résultats dans le
traitement d’ulcères anciens et pour panser les crevasses de nos
chevaux. Il est également précieux quand on a à soigner des plaies
résultant de brûlures profondes.
Si l’on incise l’écorce du Karité dans toute son épaisseur, la
blessure laisse couler un suc blanc laiteux qui, par évaporation,
donne de la gutta-percha. Nous avons fait, sur place, à ce sujet, les
études les plus complètes, nous nous contenterons de les résumer
ici, notre intention étant de publier prochainement sur cette impor
tante question un mémoire des plus détaillés. Un Karité, arrivé
à complet développement, ne donne pas plus de 500 grammes de
suc, et encore en pratiquant sur toutes les parties de l’arbre et aux
époques les plus favorables une dizaine d’incisions.
Le rendement diffère suivant les saisons, les heures du jour
où on pratique les incisions, l’àge, l’état des végétaux et les régions
qu’ils habitent.
C’est pendant l’hivernage et à l’époque de la floraison que le
rendement est le plus considérable, c’est-à-dire de la fin de juin au
commencement de février. Pendant la saison sèche, de mars à juin,
il ne faut pas compter sur une récolte abondante.
La quantité de suc obtenue est bien plus faible pendant la
journée que le soir, le matin et la nuit.
L’àge des végétaux influe aussi sensiblement sur le rendement.
Il ne faut pas s'attaquer aux arbres trop jeunes ; car leur suc con
tient une proportion d’eau considérable, à tel point qu’il se coagule
difficilement. De plus le produit obtenu n’est pas aussi bon que
lorsque le végétal est plus âgé. Il ne convient pas non plus d’inciser
des Karités trop âgés, car on n ’obtient que des quantités de suc
absolument insignifiantes. 11 est préférable de n’opérer que sur
des végétaux d’âge moyen et arrivés à complet développement.
C’est là que l’on aura les meilleurs résultats ; de plus l’arbre ne
souffre nullement de ces incisions, si nombreuses qu’elles puisseut
être.
Les végétaux sains doivent être préférés à ceux qui sont en
mauvais état, et ceux qui vivent sur les plateaux et les versants
des collines donnent un rendement plus considérable que ceux qui
croissent dans les vallées.
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
251
Le suc ainsi obtenu est d’un blanc laiteux, sirupeux. Il poisse
les doigts et les rend collants. On ne peut guère s’en débarrasser
que par le raclage. Il se coagule rapidement sous l’action de la
chaleur solaire et par évaporation. Ce coagulum n’est autre chose
que de la gutta-percha. Si on l’obtient sur l’arbre même, il est d’un
brun rougeâtre et, sous une masse assez épaisse, il prend la couleur
noire chocolat très foncée. Cette coloration est due, croyons-nous,
aux substances colorantes, que renferme en plus l’écorce du végétal.
Obtenu dans un vase à l’air libre, il se présente, au contraire, sous
l’aspect d’une masse de couleur blanchâtre, légèrement teintée en
rose; vu sous une faible épaisseur, il est absolument opaque. Réduit
en boule et pétri, ce coagulum donne nu palper la sensation d’un
corps gras. Nous croyons, en effet, que la gutta du Karité n’est pas
absolument pure et doit contenir des matières grasses en quantité
relativement considérable.
Les indigènes n’extraient pas la gutta du Karité et le suc qu’il
donne ne leur sert à rien. Ils n’en connaissent pas les propriétés.
Je reçus à Damentan un accueil auquel j’étais loin de m’attendre;
car il m’avait été dit et répété maintes fois que les habitants de ce
gros village, musulmans fanatiques, n’étaient que des pillards et
des voleurs de grand chemin qui ne voudraient jamais entrer en
relations avec nous. Ma surprise et ma satisfaction furent donc
grandes lorsque j’entendis le chef me dire qu’ils seraient tous
heureux d’être nos amis et qu’il me priait de parler aux gens du
village pour les décider à « venir avec nous » (sic).
Dès que je fus installé dans la belle case qui avait été préparée
à mon intention, il me fit demander s’il pouvait venir me voir
sans me déranger. Almoudo le lit immédiatement entrer ainsi que
ses principaux notables. Je vis un beau vieillard d’environ 65 ans,
portant toute sa barbe en pointe et commençant à grisonner un
peu. Figure très intelligente, œil vif, type parfait du métis Toucouleur et Malinké, et pourtant il se dit Mandingue de pure race. AlphaNiabali, tel est son nom, est un fervent musulman. Il est connu
dans tous les environs, Tenda, Coniagué, Ouli, Niocolo, etc., etc.,
comme un marabout fameux, à telles enseignes, qu’on ne l’appelle
guère que Damentan-Moro ou Alpha-Moro (Moro en Mandingue du
Sud siguifie Marabout). Par son intelligence, son énergie et son ini
tiative, il a su se créer là un sort des plus heureux pour un noir.
�252
A NI) HK RANÇON
A peine fut-il assis, et à peine eûmes-nous échangé les politesses
d’usage et les serrements de main habituels en pareille circonstance,
qu’il me déclara qu’il était très heureux de me voir. Il avait appris
que j’étais resté longtemps à Nétéboulou, que j’y avais été très
malade et qu’il se disposait à m’envoyer son fils pour me saluer
lorsqu'on lui avait annoncé ma prochaine arrivée. Il désirait beau
coup voir un officier français dans son village: car il n’ignorait
pas tous les mauvais bruits qu’on faisait courir sur son compte
dans tout le pays. Il voulait être notre ami et faire « un papier
avec nous ». Jamais il n’avait reçu de blancs dans son village,
j’étais le premier et je n’aurais qu’à me louer d’avoir eu confiance
en lui et de ne pas avoir écouté ceux qui avaient voulu m’empêcher
de venir le voir. « Tu peux rester ici tant que tu voudras, tu es
chez toi, Bissimilahi, et je ne vous laisserai manquer de rien ».
C’était la meilleure des réceptions, car, en général, un chef
noir se gardera bien de mal traiter l’hôte auquel il aurait dit :
« Bissimilahi ». C’est dans tout le Soudan le souhait de bien
venue qui vous assure d’une cordiale hospitalité. Aussi le voyageur
se gardera bien de séjourner longtemps chez celui qui ne le lui
aura pas donné. Sur ces paroles, il nie quitta, car il voyait bien
que je n’étais pas encore « fort » et que j’avais besoin de me
« reposer ». « Nous causerons mieux plus tard ». Nous nous ser
râmes de nouveau la main et il sortit de ma case suivi de tous ceux
qui l'avaient accompagné. Il était à peine rentré chez lui qu’il
m’envoya par son fils un superbe bœuf « pour mon déjeuner » et
du couscouss de mil et de riz pour mes hommes, en si grande
quantité que Samba, mon cuisinier, l’estomac le plus complaisant
de ma caravane, déclara qu’on serait « plein » avant d’avoir tout
mangé. Un des hommes de Sandia fit l’office de boucher et coupa
le cou au bœuf. En quelques minutes, il fut dépouillé et dépecé. Je
pus en manger un bon bifteck et je ne manquai pas d’envoyer à
Alpha un quartier de devant. C’est le morceau qui est toujours
donné aux chefs. Le reste fut distribué entre mes hommes, les
gens du Kantora et les habitants du village. Ce jour-là ce fut à
Damentan une bombance générale.
Dans la journée, les Malinkés de Son-Counda me demandèrent
à retourner chez eux, car il pourrait bien se faire, disaient-ils, que
me sachant parti, Moussa-Molo vienne les attaquer. Bien que je
�fusse intimement persuadé qu’il n ’en serait rien, je leur lis dire
par Sandia qu’ils étaient libres de me quitter quand ils voudraient
et je les congédiai en leur faisant un petit cadeau. Maudia, le
frère du chef du Kantora, resta cependant et m’accompagna au
Coniaguié et jusque dans le Tenda.
Heureux de l’accueil qui m’avait été fait, je décidai de rester
deux jours à Damentan dans le but de décider le village à
conclure une entente avec nous et de prendre tous les renseigne
ments possibles sur le pays et sur ses voisins.
La journée se pas'sa sans incidents, et le soir, vers 5 heures,
j’allai rendre au chef sa visite. Notre conversation fut des plus
cordiales. Je lui fis part du projet que j’avais formé d’aller au
Coniaguié. Il en fut stupéfait et me déclara net que je n’en
reviendrais pas; car, me dit-il, « les gens de ce pays sont de mau
vais hommes qui ne donnent jamais un grain de mil au voyageur.
Ce sont de véritables bœufs (missio) ». Je ne crus pas devoir lui
cacher que j’étais absolument décidé à faire le voyage et que rien ne
pourrait modifier ma résolution. 11 me promit alors de me donner
tout ce dont j’aurais besoin pour mener à bien mon entreprise et
qu’il ordonnerait à cent de ses guerriers de m’accompagner, car
sans cela on me « couperait sûrement le cou ». Je le remerciai de ses
bonnes intentions et lui déclarai que mon intention était de n’em
mener aucun homme armé et que, du reste, il pouvait constater
que moi-même je n’avais ni sabre, ni fusil, ni revolver. Je ne lui
demanderais simplement que quelques hommes pour seconder les
miens et pour porter mes bagages. Ce à quoi il me répondit que je
pouvais emmener tout son village si cela me plaisait, que j’étais le
maître de faire comme bon me semblerait, mais que je me repen
tirais peut-être de ne pas avoir suivi ses conseils. Je le rassurai
du mieux que je pus et nous nous quittâmes à la nuit tombante
après avoir décidé que, le lendemain matin, dans un grand palabre,
j’exposerais aux notables tous les avantages qu’ils auraient à se lier
d’amitié avec nous.
Je rentrai fort satisfait dans ma case et quelques minutes après5
j’entendis dans la mosquée qui était proche de mon habitation
psalmodier le « Lahilahi Allah ». Je n’avais, du reste, entendu
pendant toute la journée que ces paroles monotones et je m’étais
bien gardé de suivre le conseil d’Almoudo qui voulait aller dire
�254
ANDRÉ RANÇON
aux fidèles que le bruit de leurs voix m’importunait. Dans les con
ditions où je me trouvais, une semblable démarche n’aurait pas
manqué de m’être préjudiciable.
20 décembre. — La nuit a été excellente. La température était
un peu chaude, par exemple. Toute la nuit le vent de Nord-Est a
soufflé. Malgré cela, j’ai très bien dormi, et au réveil, le chef
m’envoie pour mon déjeuner deux beaux poulets. Ils viennent du
Coniaguié, m édit Sandia, et ressemblent en tout à nos plus belles
volailles d’Europe. A 9 heures, je me rends au palabre qui avait été
décidé la veille. Sandia, Mandia et Almoudo m’accompagnent. Ils
ont pour la circonstance revêtu leurs plus beaux vêtements.
Almoudo et Mandia ont pris leurs longs boubous blancs et Sandia
un beau boubou en soie verte, présent de M. l’agent de la Compagnie
Française de Mac-Carthy, par-dessus lequel il a jeté son manteau
de chef. Tous ont coiffé le petit bonnet blanc Toucouleur. C’est,
dans la case d’entrée du tata d’Alpha que doit avoir lieu le palabre.
Quand nous y arrivons tous les notables y sont réunis déjà. Des
nattes ont été étendues sur le sol à notre intention et en face
de celle sur laquelle je dois m’asseoir une peau de bœuf attend
le chef du village. Il entre en même temps que moi par la porte
opposée à celle par laquelle nous sommes venus. Chacun s’asseoit
à sa place marquée d’avance suivant l’étiquette observée en pareille
circonstance. A ma droite Sandia et Mandia, à ma gauche Almoudo
et mon vieux palefrenier Samba, qui, par sa race et sa naissance,
avait accès dans toutes les cérémonies noires. En face de moi, AlphaNiabali, derrière lui et en cercle ses notables. A la porte qui donne
accès dans le village se tiennent bon nombre des habitants qui, par
leur rang, ne peuvent pas prendre part au palabre. A la porte qui
permet d’entrer dans l’habitation d’Alpha sont ses femmes, ses
enfants et ses captifs. Après les avoir tous salués, j’expose en peu
de phrases tout l’avantage qu’ils auront à se placer sous notre
protectorat. Je leur montre ce que nous faisons pour nos amis et
comment nous traitons nos ennemis. Almoudo traduit textuelle
ment nos paroles, Sandia et Mandia font leur petit discours et je
me retire pour les laisser délibérer. Leur réponse ne se fit pas
attendre, et j’étais à peine revenu dans ma case qu’Alpha vint m’y
trouver, m’annonça que tout le monde avait trouvé que j’avais dit
de « bonnes paroles », et qu’on serait enchanté d’être avec les
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
255
Français. Gomme je n’avais aucune qualité pour signer avec lui un
traité provisoire, il fut décidé d’un commun accord qu’à mon
retour du Goniaguié, son fils et un notable auxquels il déléguerait
tous ses pouvoirs m’accompagnerait jusque dans le Tenda et de là
irait avec Sandia à Nétéboulou à la rencontre du commandant de
Bakel, le capitaine Roux, qui devait s’y trouver dans les premiers
jours de janvier et qui était l’agent politique tout désigné pour
terminer cette affaire. Tout s’arrangeait donc au gré de mes désirs
et par cette combinaison notre autorité s’établissait sans conteste,
sur toute cette partie de la rive gauche de la Gambie qui s’étend
du confluent de la rivière Grey au Niocolo. Avec le Tenda et le
Badon déjà en notre possession, tout le haut-cours de la Gambie
allait être ainsi placé sous notre protectorat.
Vers onze heures du matin arriva à Damentan un Coniaguié
qui venait directement d’Yffané, la résidence du chef du pays. Il
fut littéralement passé en revue par mes hommes et son costume
plus que primitif que nous décrirons plus loin les stupéfia tous. Je
le fis manger et après qu’il eut pris quelques heures de repos, je
l’expédiai vers quatre heures du soir à son chef pour lui annoncer
ma visite prochaine.
Je fis alors mes préparatifs de départ, car je comptais quitter
Damentan, le lendemain, dans l’après-midi. A cet effet, je confiai à
Alpha-Niabali tous les bagages qui m’étaient inutiles. Je ne gardai
que ceux dont j’avais besoin pour ma route, et, après avoir bien
choisi, j’arrêtai à neuf le nombre des porteurs qui me seraient
nécessaires. Le chef me déclara, à ce sujet, qu’ils seraient à ma
disposition quand je voudrais. Tranquille alors à ce point de vue,
j’allai dans la soirée visiter les environs du village avec Almoudo
et Sandia. Partout, je ne trouvrai que de belles rizières, de grands
lougans de mil, maïs, arachides, et autour du village de nombreux
jardins d'oignons, tomates, oseille, gombos, etc., etc. Mais ce qui
attira le plus mon attention, ce furent de beaux échantillons de
ricin plantés en bordure autour d’un lougan d’arachides.
Le Ricin (Ricinus commuais L.) croît à merveille au Sénégal et
au Soudan, mais il n’est guère cultivé qu’au Sénégal, dans le Cayor,
et encore depuis quelques années seulement, grâce à l’intelligente
initiative de M. le Docteur Castaing, pharmacien principal de la
marine. Les indigènes n ’aiment généralement pas à en ensemencer
�ANDRE RANÇON
N’taba (Sterculia cordifolia).
A, feuille. — B, feuilles et fruits.
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
257
leurs lougans, car ils prétendent que ce végétal nuit à leurs autres
cultures. Le fait est qu’il prolifère avec une grande rapidité et finit
par couvrir de ses rejetons, en peu de temps, de grandes étendues
de terrain, et sa destruction demande beaucoup de travail, ce qui,
on le sait, n’est guère l’affaire du noir. La graine du ricin du
Sénégal et du Soudan est plus petite que celle des ricins d’Amé
rique, mais elle jouit des mêmes propriétés purgatives et l’huile
qu’elle donne peut être employée, avec avantages, aux mêmes
usages. Cette graine est ovoïde, convexe du côté externe, aplatie
avec un angle longitudinal peu saillant du côté interne. Sa surface
est généralement lisse et luisante, grise avec des taches brunes. Sa
largeur est d’environ huit millimètres.
Le ricin donne au Sénégal et au Soudan un rendement consi
dérable. Il pourrait, de ce fait, faire l’objet de transactions commer
ciales importantes. Déjà; les résultats obtenus dans la banlieue de
Saint-Louis sont des plus satisfaisants et la compagnie française le
paye couramment dans le Cayor vingt et vingt-cinq francs la
barrique. Il serait facile de le cultiver en grand au Soudan. Cette
plante ne demandant que peu de soins et croissant, pour ainsi dire
spontanément, les indigènes en feraient de belles plantations, si,
surtout, on s’efforçait de leur faire comprendre tout le bénéfice
qu’ils en pourraient retirer.
André Rançon. — 17.
��DANS LA HAUTE-GAMBIE
259
Le pays de Damentan est à peu près inconnu. Je crois être
le premier Européen qui l’ait visité. Avant nous un mulâtre de
Bathurst allant au Fouta-Djallon pour y commercer était passé par
ce pays. 11 ne s’y était reposé que peu de temps, et, sur l'ordre du
chef, qui, cependant, l’avait fort bien reçu, avait du continuer sa
route vers Timbo. Je tiens cela du chef même de Damentan.
Ce pays est fort intéressant à bien des points de vue. Nous
avons pu l’étudier en détail et consciencieusement pendant les
quelques jours que nous y sommes restés. Nous l’avons parcouru
de l’Ouest à l’Est et du Nord-Ouest au Sud-Est. Aussi, croyons-nous
pouvoir en donner une description à peu près exacte.
imites. Frontières. — D’après les renseignements que nous
nous sommes procurés, le pays de Damentan serait compris dans
les limites extrêmes suivantes. 11 serait compris entre les 15° 53’ et
et 15° 14’ de longitude Ouest et entre les 13° 12’ et 12° 43’ de
latitude Nord. C’est, comme on le voit, un pays assez étendu. Il est
b;en entendu que ces limites sont absolument approximatives.
Il a pour frontières: au Nord, la Gambie; à l’Ouest, la rivière
Grey ou Koulontou et une partie de la branche descendante du
grand coude que forme la Gambie en face du Tenda. Au Sud-Ouest,
les frontières sont mal définies. On pourrait toutefois lui assigner
la corde du grand coude que forme en cette région la rivière Grey.
Mais tout cela est bien fictif et incertain. Enfin, au Nord-Est, au Sud
et à l’Est, le marigot de Nomandi lui forme une frontière à peu
près naturelle.
Il confine au Nord, au Tenda et au Ouli dont le sépare la Gambie,
à l’Ouest au Kautora et à ce territoire désert et inhabité qui le
sépare du Fouladougou. Au Sud, son territoire touche à celui de
Pajady et de Toumbin et enfin au Nord-Est et au Sud-Est il a pour
voisin le pays de Coniaguié.
Par sa situation, le pays de Damentan est assez isolé ou du
moins, il est assez éloigné de tout voisin. Malgré cela, Damentan
est un lieu de passage pour les dioulas, assez fréquenté surtout par
ceux qui viennent du pays de Bassaré et de Coniaguié ainsi que de
Toumbin et de Pajady et qui se rendent à Yabouteguenda et à MacCart.hy pour y faire leurs échanges.
Aspect général. — D’une façon générale, nous pouvons dire que
�ANDRE RANÇON
le pays de Damentan est dans sa partie Ouest un pays de plaines
et dans sa partie Sud et Sud-Est un pays de montagnes, ou plutôt
il offre de nombreuses collines assez élevées, entrecoupées de vallées
profondes dans lesquelles coulent des marigots. L’aspect de cette
région plaît, et nous délasse des immenses plaines nues et arides du
Kantora et du Tenda. La végétation sur les crêtes des collines et sur
les plateaux rocheux est, bien entendu, pauvre et peu importante ;
mais dans les vallées et sur les bords des marigots, elle acquiert
une étonnante vigueur et rappelle celle des pays tropicaux du Sud.
En résumé, l’aspect général du pays de Damentan diffère sensible
ment de tout ce que nous avons vu jusqu’à ce jour, du moins dans
certaines régions. Dans le courant de ce travail nous verrons à quoi
tiennent ces différences capitales, et appréciables pour l’œil même
le moins exercé.
Si nous prenons ses points extrêmes, sa plus grande longueur,
mesurée de l’Ouest à l’Est, atteindrait environ 115 kilomètres, et sa
plus grande largeur,mesurée du Sud au Nord,aurait à peine 80 kilo
mètres. Sa superficie serait environ de 9000 kilomètres carrés.Mais,
nous le répétons, toutes ces mensurations sont absolument approxi
matives et n’ont rien de certain.
Hydrologie. — Le pays de Damentan appartient tout entier au
bassin de la Gambie. C’est, en effet, ce fleuve et son affluent, la
rivière Grey, qui reçoivent tous les marigots qui l’arrosent, et sous
ce rapport, il est très bien partagé. De plus, l’eau est courante dans
la plupart des marigots. La plupart de ceux qui arrosent sa partie
Ouest se jettent dans cette rivière et ceux que l’on trouve dans les
parties Est et Sud-Est sont tributaires de la Gambie. L’eau de ces
marigots est toujours claire et limpide, et, ce qui n’est point à
dédaigner/pour ceux qui voyagent dans ces contrées, délicieuse
à boire.
La Gambie, dans tout son parcours dans le pays de Damentan,
est navigable pendant toute l’année pour les chalands à faible
tirant d’eau ; mais elle ne l’est pour aucune sorte de bateau à
vapeur. Elle fait de nombreux détours surtout à partir du Tenda
jusqu’à l’embouchure de la rivière Grey.
A partir du gué, où on la traverse en face de Damentan, jus
qu’au point où elle quitte ce territoire, son cours est beaucoup
plus régulier.
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
261
Ses rives sont excessivement boisées et, pendant la saison
sèche, ses bords sont absolument à pic et d’un accès fort difficile.
La rivière Grey, dans sa partie qui coule dans le pays de
Damentan, offre le même régime. Elle pourrait être navigable
pendant une centaine de kilomètres pour les chalands de faible
tirant d’eau. En tout temps, l’eau y coule.
Les marigots qui arrosent la partie Ouest du pays de Damentan
sont relativement nombreux. Ils sont tous tributaires de la rivière
Grey. Nous citerons tout d’abord, en allant de l'Ouest à l’Est, le
marigot de Sambaïa que l’on rencontre à peu de distance de la
rivière et qui se divise en trois branches. A 6 ou 8 kilomètres de
là se trouve le marigot de Boufé-na-Kolon, qui coule dans une vaste
plaine marécageuse, dont, pendant l’hivernage, il draine les eaux
qu’il conduit à la rivière Grey. Nous en dirons autant du marigot
de Konkou-Oulou-Boulo, dont les eaux sont toujours courantes, claires
et limpides. Les marigots de Samasindio et de Bolidiaro que l’on
trouve ensuite sont de peu d’importance. Il n’en est pas de même
du marigot de Damentan que l’on trouve à environ douze kilo
mètres de ce village. Ce marigot, qui se jette dans la rivière Grey, se
dirige du Sud-Est au Nord, à peu de distance de Damentan, il se
divise en deux branches qui passent non loin du village et arrosent
et fertilisent la vallée dans laquelle il est construit. Ces marigots
sont pour nous plutôt de véritables collecteurs que des marigots à
proprement parler.
Les marigots qui arrosent les régions Sud-Est et Sud-Ouest du
pays de Damentan se jettent dans la Gambie. D’après les indigènes,
le marigot de Niantafara ferait communiquer directement la
Gambie avec la rivière Grey. A six kilomètres de Damentan nous
rencontrons d’abord le marigot de Mahéré qui traverse la route de
Damentan à Bady et qui reçoit celui de Bamboulo, puis vient celui
de Niantafara, puis ceux de Filaridi et de Nomandi. Ce dernier
forme la séparation entre le pays de Damentan et le pays des
Coniaguiés. Il reçoit lui-même un autre marigot de peu d’impor
tance, celui de Talidian.
Le pays de Damentan est, on le voit, supérieurement arrosé.
Outre les marigots que nous venons de citer, il en existe un grand
nombre d’autres, affluents de ces derniers, mais peu importants.
Mentionnons encore de nombreux marécages, surtout aux envi-
�ANDRE RANÇON
rons de Damentan, et qui sont transformés en belles rizières.
En résumé, l’hydrologie du pays de Damentan est carac
térisée, d’après les renseignements que j’ai pu recueillir, par ce
fait que la plupart des cours d’eau que l’on y rencontre com
muniquent entre eux. C’est un lacis inextricable dont il serait
bien difficile de démêler les fils d’une façon méthodique. Quoi
qu’il en soit, il ressort de cet examen ce fait indiscutable que la
Gambie est le grand régulateur de ce réseau étrange. Marigots
et rivières suivent absolument les fluctuations de son cours.
Si elle baisse, ils baissent, si, au contraire, son niveau monte,
de même montera celui des cours d’eau qui en sont tribu
taires. On comprendra alors aisément, d’après ce que nous
venons de dire, que tous ces cours d’eau soient soumis à des
crues très rapides et à des baisses considérables, le régime
des eaux de la Gambie, étant, du reste, comme celui de tous
les fleuves africains, excessivement capricieux.
Orographie. — L’orographie du pays de Damentan est des
plus simples, et de ce que nous venons de dire de son hydro
logie, il est facile de déduire ce que doivent être les reliefs
du sol.
Dans toute la'partie qui s’étend de la rivière Grey au marigot
de Damentan, on ne rencontre guère que de petites collines sans
importance, mais qui sont suffisantes pour bien déterminer et
établir le cours des marigots. Ces collines sont généralement
orientées S.-S.-O., N.-N.-E. et leur plus grande élévation n’atteint
pas trente mètres. De même la vallée de la rivière Grey est
limitée par deux rangées de collines qui la suivent dans tout
son cours et vont se rattacher au plateau de Toumbin et de
Pajady. La Gambie coule au pied d’une ligne de collines dont
nous avons vu maints tronçons et que nous retrouvons dans
tout son parcours.
Le marigot de Damentan coule entre deux rangées de col
lines assez élevées qui enserrent une vallée de la plus ravis
sante fertilité. Ces collines sont excessivement boisées et lors
que le marigot, dans cette verdoyante vallée, s’est divisé en
deux branches, il coule au pied d’un petit monticule sur lequel
s’élève le village de Damentan.
A partir de là, à mesure que l’on s’avance dans le Sud-Est,
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
263
l’orographie devient, pour ainsi dire, d’une régularité mathé
matique. On traverse d’abord la vallée de Damentan du Nord-Ouest
au Sud-Est. On gravit ensuite le flanc de la colline Sud-Est, le long
de laquelle coule la branche Sud-Est du marigot. Son sommet
s’étend en un vaste plateau ferrugineux au pied duquel, au Sud,
coule le marigot de Bamboulo dans une étroite vallée peu favorisée
sous le rapport de la végétation, et il en est de même à mesure que
l’on s’avance dans le Sud. Aux collines dont le sommet s’étale en
plateaux et dont les versants sont assez doux, succèdent d’étroites
vallées dans lesquelles coulent les marigots. Ces collines absolu
ment parallèles ont toutes la même orientation Nord-Nord-Est,
Sud-Sud-Ouest, et sont situées à des distances à peu près égales les
unes des autres. Cette disposition orographique est une des plus
curieuses que nous ayons vues au Soudan. Elle découle, comme on
le voit, d’un système orographique des plus simples et des plus
rationnels.
D’après les renseignements que nous avons pu avoir, ces
collines se continueraient ainsi jusqu’à la Gambie d’une part sur
les bords de laquelle elles viendraient mourir, et d’autre part, elles
rejoindraient là la ligne de collines qui longe la rive droite de la
rivière Grey. Au fur et à mesure que l’on avance dans le Sud-Est,
le terrain s’élève d’une façon sensib'le. Cette particularité est toute
évidente; car, s’il en était autrement, les marigots ne seraient plus
au même niveau que la Gambie dont la cote augmente évidem
ment, à mesure que l’on remonte vers sa source, et ils seraient
rapidement desséchés. Comme on le voit, l’orographie du pays de
Damentan peut permettre d’éclaircir bien des points obscurs de
son hydrologie, et, pour connaître l’une, il est indispensable de
bien connaître l’autre.
Constitution géologique du sol. — La constitution géologique du
sol du pays de Damentan diffère peu de celle des autres pays du
Soudan. C’est toujours la même uniformité dans la composition du
sous-sol et des terrains qui les recouvrent. De l’étude orographique
et hydrologique qui précède, il est facile d’en déduire quelle doit
être la distribution des différents terrains. De ce que nous avons
dit de la partie Ouest de cette région, il est évident que c’est là
surtout où nous trouverons les argiles compactes. Eu deux ou trois
endroits jusqu’au marigot de Konkou-Oulou-Boulo à la rivière
�264
ANDRÉ RANÇON
Grey, on voit émerger la roche ferrugineuse et les quartz en pla
teaux peu étendus. Les marais sont à fonds vaseux. Il en est de
même des marigots, sauf pour celui de Konkou-Oulou-Boulo, qui
est à fond de sable. Enfin à quelques kilomètres du village de
Damentan, nous voyons apparaître la latérite. La colline sur
laquelle est construit le village est uniquement formée de cette
sorte de terrain.
A partir de Damentan, nous trouvons des argiles dans les
vallées où coulent les marigots, quelques rares ilôts de latérite sur
les plateaux qui couronnent les collines. Beaucoup de marécages,
par exemple, où l’eau croupit sur un sous-sol de vase et d’argile.
Les roches que l’on y rencontre ne peuvent guère, du reste,
laisser de doutes sur la nature des terrains. Ce ne sont que des
quartz, roches et conglomérats ferrugineux à gangues argileuses,
et, en quelques rares endroits, dans les vallées, on peut trouver
quelques schistes qui émergent au niveau de la croûte argileuse.
En résumé, nous pouvons dire que le sol du pays de Damentan
peut, au point de vue géologique, être divisé en quatre sortes de
terrains :
1° Argiles compactes dans les plaines qui s’étendent le long de
la rivière Grey et de la Gambie, dans la partie Ouest et dans la
partie Nord du pays ;
2° Latérite aux environs de Damentan et dans quelques
endroits de la région Sud-Est ;
3° Marécages aux environs des marigots ;
4° Plateaux rocheux couronnant les sommets des collines.
Les sables font absolument défaut.
Le sous-sol est presque partout le même, du terrain ardoisier
dans les régions Ouest et Nord, des quartz, grès et argiles com
pactes dans les autres parties.
La vallée de Damen tan présente, en outre, une couche d’humus
assez épaisse produite vraisemblablement par les détritus des végé
taux qui la couvrent. Ce point est à signaler, car c’est la première
fois que nous rencontrons l’humus en une aussi grande étendue.
Flore. Productions du sol. Cultures. — La flore varie profondé
ment suivant qu’on la considère dans les plaines, sur les plateaux
ou dans les vallées. Dans les plaines, où nous n’avons que des
terrains argileux et marécageux, nous ne trouvons que les espèces
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
265
propres aux marais, et encore sont-elles peu nombreuses. Peu ou
point de Joncées, mais énormément de Cypéracées. Par ci,\ parlà,
quelques arbres rabougris et quelques palmiers rôniers gigan
tesques.
Sur les plateaux, végétation excessivement pauvre, la terre
faisant presque absolument défaut. Quelques maigres graminées,
quelques mimosées et de rares fromagers et baobabs sont les
espèces botaniques principales que l’on rencontre.
Il en est tout autrement dans les vallées, où nous sommes en
présence d’une végétation riche et puissante. Là nous trouvons les
grandes espèces végétales. Dans la vallée de Damentan, rôniers,
palmiers, caïl-cédrats, sterculiacées, légumineuses de toutes
sortes abondent et y atteignent des proportions énormes. Les
Karités (espèce Mana) y foisonnent et nous en avons vu beau
coup dont le tronc atteignait aisément la grosseur du corps
d’un homme vigoureux. Ces végétaux se rencontrent encore en
assez grande quantité dans les vallées des marigots de Samasindio et de Bolidiaro. Les rives des marigots sont couvertes
d’une verdoyante et riche végétation. Parmi les espèces végé
tales que nous y avons remarquées, nous citerons particu
lièrement la liane à caoutchouc (Saba) qu’on y rencontre en
quantités vraiment surprenantes.
Comme il n’y a dans tout le pays qu’un seul village,
Damentan, c’est autour de lui que se trouvent toutes les cul
tures'. Ainsi donc, la vallée, dans une minime partie et le
monticule sur lequel s’élève le village sont seuls cultivés. Mais
aussi, quelles cultures ! Dans la vallée et sur les bords du
marigot, aussi loin que la vue peut s’étendre, ce ne sont que
d’immenses rizières. Le riz y vient à merveille et il y est
d’une très bonne qualité. Il en a la renommée. Sur le plateau
où est construit le village, ce ne sont que lougans de toutes
sortes. Toutes les plantes cultivées au Soudan y prospèrent
d’une façon remarquable. Mil, coton, arachides, etc., tout y est
cultivé. Nous avons remarqué que les lougans y étaient bien
mieux entretenus que dans les autres pays.
Les marigots renferment en quantités considérables, surtout
ceux du Sud-Est, des pieds de Belancoumfo, sorte de purgatif
�266
ANDRÉ RANÇON
et en même temps de vermifuge fort en honneur chez les indi
gènes. Nous y reviendrons plus loin.
Ce que nous venons de dire pour la vallée du marigot de
Damentan nous pourrions le répéter pour les vallées des autres
marigots. Aussi que de terres fertiles qui sont ainsi inutilisées,
faute de population! Et, la cause d’une semblable désolation,
il ne faut pas la chercher ailleurs que dans les guerres per
pétuelles que se font les indigènes, dans le seul but de faire
des captifs et de piller.
Faune, animaux domestiques. — La faune du pays de Damen
tan est des plus riches. On y trouve en grande quantité dans
les vallées et les montagnes, lions, panthères, lynx, singes,
etc., etc. Le gros gibier y est excessivement nombreux, et les
biches, sangliers, gazelles, antilopes s’y rencontrent un peu
partout. L’éléphant et l’hippopotame se trouvent dans les vastes
plaines qui bordent la Gambie et la rivière Grey. Les nom
breuses traces que l’on y trouve de ces deux grands fauves
attestent qu’ils y vivent en grand nombre.
Les animaux domestiques y sont les mêmes que partout ailleurs.
Damentan possède un superbe troupeau de bœufs d’une centaine
de têtes de bétail. Grands et petits bœufs y sont mélangés; les
moutons, les chèvres y sont également nombreux, et les poulets se
rencontrent à chaque pas dans le village. Nous citerons pour
mémoire les chats et les chiens. Ces derniers sont très nombreux
et quelques chasseurs les dressent pour poursuivre la biche. Ceci
est cependant assez rare.
Populations. Filmographie. — Ainsi que nous l’avons dit plus
haut, il n’y a qu’un seul village dans ce pays relativement étendu,
Damentan. Il a été fondé par le chef actuel, Alpha-Niabali. Cette
histoire est curieuse à plus d’un titre. Alpha-Niabali est un Malinké
musulman, originaire du pays de Ghabou (aujourd’hui Fouladougou), du village de Mana. Lorsque son village fut pris par
Alpha-Molo, père de Moussa-Molo, il fut assez heureux pour
échapper avec quelques-uns des siens au massacre et à la captivité.
Il parvint donc avec peine et à travers mille périls à gagner avec
les quelques amis qui l’accompagnaient le pays de Bassaré. Il y
resta douze ans. Mais se sentant mal à l’aise chez des gens qui
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
n’avaient ni ses mœurs, ni ses coutumes, ni sa religion, il profita
de ce qu’il avait avec eux quelques contestations au sujet de terrains
pour s’en aller et venir avec sa famille et ses amis fonder dans la
vallée de Damentan le village de ce nom. Ils y avaient été attirés par
la beauté du site et surtout par l’excellente qualité de la terre.
Pendant quelques années, ce petit village De se composa que des
cases du chef et de celles de quelques familles qui s’étaient jointes
à la sienne. Mais peu à peu la renommée d’Alpha-Niabali, qui
passe pour être un grand marabout, attira à lui beaucoup de ses
compatriotes chassés par la guerre du Ghabou. Des Sarracolés et
quelques Toucouleurs, chassés du Bondou par les exactions des
Sissibés et par la guerre du marabout, vinrent se joindre à eux et
finirent par faire de Damentan un gros et fort village.
Damentan est aujourd’hui un village d’environ mille habitants.
Il est très solidement fortifié. Il est entouré d’un double sagné fait
cl’énormes pièces de bois jointives de quatre mètres de hauteur
environ. Entre les deux sagnés se trouve un fossé relativement
profond. A l’intérieur du village et à peu près au centre se trouve
une sorte de réduit excessivement fort qui entoure les cases du chef.
Il est formé d’un tata en terre d’environ 0m60 centimètres d épais
seur et de quatre mètres de hauteur dont la moitié supérieure est
doublée d’une rangée de grosses pièces de bois jointives. Une porte
y est ménagée. Damentan est situé sur une petite élévation de
terrain qu’entourent des collines relativement élevées. 11 est
environné, de plus, dans les parties Nord, Sud et Ouest, par le
marigot du même nom qui en rend les abords très difficiles et
constilue une défense peu commode à emporter pour des noirs. Ce
marigot traverse un vaste marais dans la partie ouest qui occupe
toute la plaine comprise entre ces deux montagnes. C’est une
rizière d’un grand rapport.
Les habitants de Damentan sont des musulmans fanatiques
et leur village est le centre d’un prosélytisme ardent. Le chef,
Alpha-Niabali a uue grande réputation de maraboutisme dans
tous les pays voisins. Durant tout le jour et à certaines heures
de la nuit, on y entend psalmodier l’invocation des croyants
et aux heures du salam la mosquée est souvent trop petite
pour contenir tous les fidèles. Je n’ai pas besoin de dire qu’on
y trouve l’inévitable marabout Maure que l’on est certain de
�268
ANDRÉ RANÇON
rencontrer dans la plupart des villages musulmans du Soudan.
La mosquée est située à quelques mètres du tata du chef
et à l’Est de ce dernier.
C’est une vaste case ronde dont le toit est beaucoup plus
bas que celui des cases ordinaires et qui déborde d’environ
trente centimètres la partie supérieure de la construction en
terre de la case. La porte, unique et qui fait face à l’Ouest, est
très basse et il faut se baisser pour y passer. En avant de la
porte se trouve une sorte de perron en terre battue haut d’en
viron vingt centimètres. C’est là où les fidèles déposent leurs
sandales avant de pénétrer dans le temple. Cette case est la
mieux entretenue du village et son chapeau est refait tous les ans.
Par sa situation, Damentan est donc un village important.
C’est là que passent bon nombre de routes commerciales venant
du Tenda, du Coniaguié, de Pajady, de Yabouteguenda et du
Fouladougou. Aussi, le chef en profita-t-il pendant longtemps
pour se livrer à un pillage en règle des caravanes. Aujourd’hui,
son ardeur au vol semble s’être un peu apaisée, et les dioulas
peuvent passer par Damentan, en payant un fort impôt; mais
ils ne sont plus que très rarement pillés.
Rapports de Damentan avec les pays voisins. — On comprend
que par sa situation isolée, la richessse de son sol, ce village soit
exposé aux attaques de ses voisins. Damentan est sans cesse en
butte aux vols et aux rapines des gens du Coniaguié. Mais il sait
leur rendre coup pour coup. Il a été souvent attaqué par des
colonnes venues du Fouta-Djallon, mais sa forte position a défié
tous les assauts, et il est sorti vainqueur de la lutte. De leur côté,
les gens de Damentan ne se gênent guère avec leurs voisins du
Tenda et du Kantora. Ils ont été longtemps en lutte ouverte avec
eux, et ce n ’étaient que vols et pillages. Aujourd’hui, tout semble
un peu plus tranquille, et ce monde-là vit à peu près en bonne
intelligence.
Je n’ai pas besoin de dire que Damentan et Moussa-Molo sont
loin de s’entendre. Le vaincu ne s’est jamais entendu avec le
vainqueur. Ils ne sont cependant pas en état d’hostilité ouverte, et
même tout semble indiquer qu’ils finiront par s’entendre pour
tomber sur les gens du Coniaguié. Il en est de même avec le
Fouta-Djallon.
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
269
Rapports de Damentan avec les autorités françaises. — Jusqu’à ce
jour Damentan est resté complètement en dehors de l’influence
française. En leur qualité de musulmans, ses guerriers prirent tous
part à la guerre du marabout Lamine contre nous. Aujourd’hui, ils
ne demandent qu’à se placer sous notre protectorat. Nous avons
dit plus haut ce que nous avons fait dans ce but pendant le court
séjour que nous y sommes restés. Nos efforts n’ont pas été vains
et les promesses qui m’avaient été faites ont été tenues. En effet,
le fils du chef et un des principaux notables m’accompagnèrent
jusqu’à Bady (Tenda) à mon retour du Coniaguié. De là ils se
rendirent avec Sandia à Nétéboulou où ils eurent une entrevue
avec M. le Commandant du cercle de Bakel. J ’ignore quel a été
le résultat de tous ces pourparlers ; mais je ne doute pas qu’ils
aboutissent et qu’une convention en soit la conséquence.
�CHAPITRE XIV
Départ de Damentan. — Le guide Codé. — De Daraentan au marigot de Bamboulo.
Itinéraire. — Description delà route. — Le Belancounfo. — Le Raphia vinifera.
— Du marigot de Bamboulo au marigot de Oudari. — Itinéraire. — Description
de la route. — Rencontre de quatre chasseurs Coniaguiés. - Traces laissées
par une troupe d’éléphants. — Le campement de Oudari. — Départ de Oudari.—
Passage du marigot. — Les termitières. — Le marigot de Oupéré — Le marigot
de Mitchi. — Belle végétation. — Un pont dans les branches. — Le palmier
oléifère (Elæis Guineensis). — Le marigot de Bankounkou. — Nous apercevons le
plateau du Coniaguié. — Les lougans. — Frayeur des enfants et des femmes
Coniaguiés à mon aspect. — Curiosité des hommes.— Le Bakis. — Iguigni, le
premier village Coniaguié.— Karakaté. — Ouraké. — Halle sous un fromager.
— Le chef du village, grand-prêtre et gardien du territoire — Étrange supers
tition. — En route pour Yffané, la capitale. — Nombreux sentiers, nombreux
délours. — Une curieuse escorte. — Arrivée à Yffané. — Halte sous un beau
tamarinier.— Le chef Tounkané. — Je suis autorisé à me reposer dans le village
Malinké.— Défense à mes hommes et à moi d'entrer dans le village.Coniaguié.
— Curiosité indiscrète des Indigènes. — Description de la route du marigot de
Oudari à Yffané. — Géologie. — Botanique.
21 décembre. — Me voyant bien décidé à mettre mon projet à
exécution, Alpha-Niabali n ’essaya plus de me faire revenir sur ma
décision et s’efforça, au contraire, de me donner tous les renseigne
ments et tous les conseils qu’il jugea indispensables pour la
réussite de mon voyage. 11 choisit lui-même les hommes qui
devaient m’accompagner et me donna pour guide un de ses
familiers, nommé Fodé, qui avait habité pendant vingt ans le
Coniaguié, où il faisait du commerce. Uu fils qu’il avait eu d’une
femme du pays, y habitait même encore. Connaissant à fond la
région et ses habitants, cet homme pouvait m’être d’une grande
utilité. De plus, mon interprète Almoudo ne connaissant pas la
langue qui y était parlée, il fut convenu au départ que Fodé, qui en
avait une longue habitude, traduirait dans les palabres les paroles
que j’adresserais aux chefs. En y comprenant les hommes de
Sandia et ceux d’Alpha Niabali, ma caravane ne se composait que
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
271
de vingt-deux personnes, dont huit seulement étaient armées de
vieux fusils de traite à pierre qui, en cas d’attaque, ne pouvaient
nous être d’aucune utilité. Pour moi, je n’emportai aucune arme.
11 en était de même pour mes hommes. Les préparatifs du départ
fureut rapidement faits, et à 2 heures 45 de l’après-midi, par une
chaleur torride, nous quittâmes Damentan, au grand étonnement
de la population entière, sortie de ses cases pour nous voir partir
et nous souhaiter un bon voyage. Alpha m’accompagna pendant
environ deux kilomètres et, après m’avoir serré la main, retourna
au village avec les notables qui l’avaient accompagné.
L’étape, très courte, se fit sans incident. J ’avais décidé, du reste,
de partir à cette heure-là dans le but unique de quitter le village,
car je savais, par expérience, combien il est difficile de réunir
ses hommes quand on a séjourné assez longtemps quelque
part. La direction générale de la route que nous suivons de
Damentan au marigot de Bamboulo, où nous campons, est à peu
près Sud-Sud-Est, et la distance qui sépare ces deux points n ’est
que de 6 kilom. 840. Nous ne retrouvons plus dans cette région les
plaines argileuses que nous avons rencontrées dans la partie Ouest
du pays de Damentan. Nous longeons d’abord la vallée de Damen
tan sur une colline de latérite où se trouvent de beaux lougans et
que, par une pente douce, nous descendons jusqu’au marigot de
Damentan, dont nous traversons à 3 h. 15 m. la première branche.
À partir de ce point, le terrain s’élève peu à peu puis s’abaisse
brusquement jusqu’à la seconde branche du marigot que nous fran
chissons à 3 h. 40. Là, nous abandonnons la vallée, nous gravissons
la colline qui se voit au Sud du village et qui n’est que le versant
Nord d’un vaste plateau ferrugineux, à l’extrémité Sud duquel nous
campons près d’un petit marigot qui porte le nom de Bamboulo.
Nous y arrivons à 4 h. 20.
A peine sommes-nous arrivés que nos hommes en peu de temps
me construisent un confortable gourbi avec des feuilles de rôniers.
11 fait une excellente température. Chacun s’arrange du mieux
qu’il peut pour passer la nuit, et à huit heures tout le monde dort,
car il faut se bien reposer pour l’étape de demain, qui sera longue.
La végétation, dans toute cette vallée de Damentan, est remar
quablement belle, et du haut du plateau sur lequel est construit
le village on jouit d’un ravissant coup d’œil. Les collines qui
�272
ANDRÉ RANÇON
enserrent cette vallée sont excessivement boisées. Caïl-cédrats,
n’tabas, fromagers, baobabs, palmiers de toutes espèces, parmi
lesquelles j’ai reconnu quelques échantillons du Raphia vinifera
ou palmier à vin, y abondent, et, dans la vallée, nous trou
vons une véritable forêt de Karités de la variété Mana. Les Sliees
y sont peu abondants. Dans les marigots, coule une eau lim
pide, claire et d’une délicieuse fraîcheur. Le Belancoumfo
(Ceratanthera Beaurnetzi Heckel), ce purgatif tænifuge si en
honneur dans toute la Haute-Gambie y croît à merveille et en
quantité considérable.
Le Raphia vinifera P. de Beauv. est peu commun au Sénégal
et au Soudan. Ce n’est guère qu’à partir de la Gambie qu’on
commence à le trouver en assez grand nombre. Les indigènes
de ces régions et des Rivières du Sud en récoltent la sève
qui,légèrement fermentée, donne le « vin de palme » dont ils sont
si friands et avec lequel ils aiment tant à s’enivrer. C’est une
boisson aigrelette que l’Européen lui-même ne dédaigne pas.
Son bois pourrait servir à confectionner de légers meubles.
Belancoumfo (1) (Ceratanthera Beaurnetzi. Heckel) appartient
à la famille des Scilaminées, tribu des Mantisiées. Ce végétal
croît un peu partout dans ces régions. 11 aime surtout les
marigots à eau limpide et courante. C’est un purgatif et un
tænifuge énergique. Les indigènes du Soudan et de la HauteGambie s’en servent couramment ; mais ils en utilisent prin
cipalement les propriétés purgatives. Nous l’avons trouvé en
grande quantité dans le Tenda, le Gamon, le Damentan, le
Coniaguié, le Niocolo, le Dentilia, et le Badon. Nous en avons
également relevé quelques échantillons dans le Tiali, mais en
petite quantité. Il est à la côte occidentale d’Afrique ce qu’est
le Kousso à la côte orientale. On trouve sur tous les mar
chés ses rhizômes qui sont seuls employés, et il est connu de
toutes les peuplades qui habitent nos colonies du Sénégal, du
Soudan et des Rivières du Sud. Les Mandingues de la Gambie
le nomment: Belancoumfo; les Sousous, Gogoferé et Gogué; les
Sosés, Baticolon; les Mandingos, métis portugais de la Casamance,
(1) Voir sur cette curieuse plante le mémoire de M. le professeur Edouard
Heckel qui l’a fait connaître le premier dans les Annales de la Faculté des sciences
de Marseille, 1891, l 8r fascicule.
�273
DANS LA HAUTE-GAMBIE
Cnssion ; les Ouolofs, Garaboubiré; les Malinkés du Soudan,
Dialili; les Bambaras, Baralili; les Kroumans, Pâque; les Timués,
CeraLanlhera Beaumetzi Heckel (Belancoumfo) tæhifuge el purgatif.
Rameau floral et feuillad’après Ileckel (Dessin de A. M. Marrot).
Abololo; les Akous, Bachunkarico; les Pahouins du Gabon, Essoun;
les Peulhs. les Toucouleurs, les Sarracolés, Dadigogo (nom
formé des deux mots dadi (racine) et Gogo, nom proprement
A ndré Rançon. — 18.
�274
ANDRÉ RANÇON
dit de la plante. Quoiqu’il en soit, au Soudan, au Sénégal et
dans les Rivières du Sud, c’est surtout sous les noms de
Belancoumfo et de Dadigogo que ce végétal est le plus connu.
Arrivé à complet développement, cette plante mesure environ
un mètre à un mètre cinquante de haut. Elle a absolument l’aspect
d’un roseau flexible, qui s’incline facilement dans le sens du
courant du marigot où elle croît. Ses feuilles ont environ de 12 à
15 centimètres de long sur 3 à 5 de large. Elles sont d’un beau vert
légèrement velouté à la face supérieure. Leur face inférieure est
plus pâle et leur nervure médiane y est fortement accusée. Leur
pétiole est très allongé et fortement engainant dans la moitié de sa
longueur environ.
Ce végétal présente au point de vue floral un dimorphisme tout
particulier. Les fleurs apparentes, d’après les renseignements qui
nous ont été donnés, sont d’une belle couleur jaune orangé. M. le
Dr Heckel, professeur à la Faculté des sciences de Marseille, qui a
étudié ce végétal dans tous ses détails, a reconnu que ces fleurs
étaient stériles, et que les fleurs clandestines, cléistogames, étaient
seules fécondes.
Le fruit est ovoïde, légèrement allongé, long de 3 à 6 centimètres,
à l’état de maturité complète, et de couleur rougeâtre. Il renferme
plusieurs graines noirâtres, ovales, ressemblant beaucoup à celles
de YAmomum Melegueta Rose., que nous avons trouvé en quantité
notable dans le Niocolo. Il s’ouvre spontanément quand il est sec.
La floraison a lieu en septembre, et les fruits sont mûrs en novembre
et décembre. La racine est un rhizôme, dont le diamètre est d’en
viron un centimètre à un centimètre et demi. Sa couleur est
légèrement jaunâtre. Il acquiert de grandes dimensions, prolifère
très rapidement, et le lit des marigots du Damentan en est litté
ralement tapissé. A des distances qui varient de deux à cinq centi
mètres, il présente des bourrelets assez saillants, d’où émanent les
rejets de la plante. Ce rhizôme se casse facilement, et sa chair
présente une belle couleur blanche. Cette chair est, de plus,
excessivement aqueuse.
Toutes les parties du Belancoumfo exhalent une odeur poivrée
très prononcée, qui rappelle beaucoup celle du gingembre. Le
rhizôme possède cette odeur à un degré bien plus pénétrant que les
feuilles ou les graines. Le goût en est également poivré. On sait que
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
275
les noirs aiment beaucoup cette saveur. Aussi mangent-ils souvent,
surtout dans les régions où il croît uu petit fragment de Belancoumfo, pour « se donner la bonne bouche » (sic).
C’est surtout dans les Rivières du Sud, à partir de la Casamance,
que les Noirs se servent du Belancoumfo comme tænifuge. Suivant
les régions, ils se l’administrent sous forme de décoction, d’infusion
ou de macération. Dans la Haute-Gambie, le Bondou, le Soudan et
le Sénégal, ce sont surtout ses propriétés purgatives qui sont appré
ciées. Je dirai même que je n’y ai rencontré que fort peu d’indi
gènes qui connaissent ses propriétés tænifuges. Voici comment on
s’en sert dans ce cas. On peut administrer le rhizome de Belan
coumfo soit à l’état frais, soit sec. Frais, on le mange tel quel. Deux
fragments de 10 à 15 centimètres de longueur suffisent pour pro
voquer une abondante diarrhée. On le coupe encore en petits frag
ments, de trois centimètres environ de longueur, que l’on met à
macérier pendant vingt-quatre heures dans l’eau froide. On décante
et on boit environ un verre et demi de cette liqueur après y avoir
ajouté un peu de sel. — Si, au contraire, le rhizôme est sec, on le
pile et la poudre ainsi obtenue est mise à infuser dans l’eau tiède
pendant douze à quinze heures environ. Ceci fait, on décante et
l’on boit environ un verre de la liqueur ainsi obtenue après y
avoir ajouté un peu de sel. Dans les deux cas, on obtient un effet
purgatif violent. La dose de poudre à employer est de soixante à
quatre-vingts grammes par litre d’eau.
M. le professeur Scblagdenhauflen, de Nancy, a isolé le principe
actif de cette plante. C’est une huile essentielle qui possède à un
haut degré les propriétés tænifuges. Il résulte des expériences
absolument concluantes faites par MM. Heckel et Dujardin-Beaumetz que vingt gouttes de cette huile enfermées dans une capsule
de gélatine et administrées au réveil, suffisent pour provoquer
l’expulsion d’uu tænia. Il est bon, afin de hâter l’évacuation, d’admi
nistrer deux heures après une dose d’huile de ricin.
Le grand avantage de ce tænifuge est de ne provoquer ni
nausées, ni vertiges, et d’agir rapidement.
22 décembre. — A trois heures et demie du matin, je réveille
tout mon monde et à quatre heures nous nous mettons en route.
La nuit a été très bonne et nous avons tous très bien dormi. Malgré
l’heure matinale, les préparatifs du départ sont rapidement faits.
�276
ANDRÉ RANÇON
Les porteurs marchent bien et la route est très belle. Elle parcourt
d’abord la partie Sud du plateau sur lequel nous avons campé;
puis par une pente assez raide, nous arrivons dans une petite
vallée où nous traversons le marigot de Niantafara à 4 h. 50.
Ce marigot est tributaire de la Rivière-Grey. A 6 heures 45, nous
traversons le marigot de Filandi, à 7 heures 35 celui de Nomandi,
qui forme la séparation entre le pays de Damentan et celui des
Goniaguiés. Enfin, à 7 heures 45, nous franchissons le marigot de
Talidian sur les bords duquel nous faisons la halte.
Pendant que nous prenions un peu de repos, Sandia aperçut
dans la brousse, à gauche de la route que nous suivions, quatre
grands gaillards qui s’enfuyaient à toutes jambes dans la forêt.
Fodé, le guide que me donna le chef de Damentan, courut aussitôt
après eux, les appela, se fit reconnaître et enfin les décida à venir
nous rejoindre. C’étaient des Coniaguiés venus dans cette région
chasser la grosse bête. En m’apercevant, leur premier mouvement
est de reculer; mais ils s’enhardissent et s’avancent vers moi. Je
leur tends la main, malgré toute la répugnance qu’ils m’inspirent.
Car, je n’ai jamais rien vu d’aussi sale et d’aussi dégoûtant. Leur
taille élevée, leur coiffure et leur costume tout particulier, que
nous décrirons plus loin, me prouvèrent que Sandia ne m’avait pas
trompé. Je leur souhaite la bienvenue et leur demande de me
conduire auprès de leur chef. Ils y consentent volontiers et l’un
d’eux même, qui paraissait être supérieur aux autres fit, à ce
sujet, une plaisanterie assez intelligente que je tiens à relater ici:
A la question que lui posa Fodé, notre guide, il répondit d’un
petit air malin: «Nous étions venus ici pour chasser et nous
» n'avons encore rien tué, mais nous retournerons quand même
» avec vous, car nous avons trouvé un blanc. C’est la meilleure
» chasse que nous puissions faire et cela nous portera bonheur ».
Ils m’offrirent alors un gigot de biche grillé qu’ils tirèrent d’une
peau de bouc de propreté plus que douteuse. Je l’acceptai tout en
me promettant bien de ne pas y toucher, et, en échange, je leur fis
donner, par Almoudo, quelques poignées de sel. Ce petit cadeau
eut l’air de leur plaire beaucoup et ils m’en remercièrent vivement.
Je donnai alors le signal du départ. Les Coniaguiés prirent la tête
de la colonne, et à 8 heures, nous nous remîmes en marche sous un
soleil brûlant. A 8 heures 35, nous traversons un petit marigot
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
277
que l’on me dit être celui de Poutou-P ata. Nous longeons alors une
vaste plaine marécageuse que nous parcourons de l’Ouest à l’Est et
à l’extrémité de laquelle on traverse de nouveau, à 9. h. 15, le marigot
de Poutou-Pata. Cette disposition m’intriguant beaucoup, car je
ne pouvais me figurer qu’à si peu de distance je puisse retrouver
le même cours d’eau, Fodé, que j’interrogeai à ce sujet, me tira
d’embarras en m’expliquant qu’à peu de distance à l’Est du point
où nous avions franchi la première fois ce marigot, il se divisait
en deux branches, l’une Ouest et l’autre Est. Cette dernière est de
beaucoup plus importante que la première. Elle peut avoir six
mètres de largeur environ et un*mèt.re de profondeur à l’endroit où
nous l'avons traversée. Pendant la saison des pluies sa largeur
triplerait et sa profondeur serait bien plus grande également. Le
courant, qui y est à peu près nul en la saison où nous sommes,
serait relativement rapide pendant l’hivernage. La branche Ouest
est insignifiante. Ce n ’est qu’un petit ruisseau bourbeux qui n’a
pas plus de deux mètres de largeur. L’espace compris entre les
deux branches est un véritable marécage à fond d’argile et couvert
de plantes aquatiques.
A une centaine de mètres environ de la branche Est du marigot
de Poutou-Pata, le terrain s’élève sensiblement. Par une pente
douce de deux kilomètres de longueur environ, on arrive sur un
vaste plateau formé d’argiles compactes excessivement boisé et où
croît une brousse épaisse. A trois kilomètres du marigot de Oudari,
le terrain s’abaisse légèrement et l’on arrive ainsi sur les bords de
ce petit cours d’eau où nous devons camper. Il est 11 h. 5 quand
nous y arrivons. Cinq cents mètres environ avant de faire halte,
nous avions relevé sur la route le passage d’une troupe d’éléphants.
Elle devait être nombreuse, à en juger par les traces qu’elle avait
laissées. Sur un espace de plusieurs centaines de mètres à droite
et à gauche de la route, le sol était absolument bouleversé, des
arbres relativement volumineux étaient renversés et l’herbe avait
complètement disparu. En voyant tout ce désordre, Almoudo se mit
à rire bruyamment. Je lui demandai le motif de cette gaieté qui me
surprenait chez un garçon habituellement taciturne et réservé.
«Eh! eh! me dit-il, l’aphant y en a beaucoup rigolé, va, y a
content pour faire bêtises ». J ’avoue qu’à cette réponse je ne pus
m’empêcher d’éclater de rire moi-même.
�278
ANDRÉ RANÇON
L’aspect géologique du terrain que nous avons parcouru du
marigot de Bamboulo à celui de Oudari est bien peu différent de
celui des terrains que nous avons antérieurement visités. Ce n’est
qu’une succession de plateaux argileux et ferrugineux séparés les
uns des autres, à peu de distance par de petites vallées maréca
geuses à sol d’argile où coulent les marigots. Pas la moindre trace
de latérite.
Au poiDt de vue botanique, les télis sont peu nombreux, et nous
ne trouvons que les essences que nous avons précédemment signa
lées. Mentionnons particulièrement quelques Karités de la variété
Mana, et d’énormes plantes grasses* Les lianes Saba et Delbi y sont
excessivement abondantes, et y acquièrent des proportions énormes.
La direction générale du marigot de Bamboulo à celui de Oudari,
est Sud-Sud-Est et la distance qui les sépare est de 31 kilomètres
environ.
A peine sommes-nous arrivés à l’étape, que les hommes de
Damentan et ceux de Sandia me construisent, en peu de temps,
sous la direction d’Almoudo, un gourbi fort confortable. Mes quatre
Coniaguiés s’en mêlent, et ce ne sont pas les moins actifs ni les
plus maladroits. A midi tout est terminé, et chacun s’est construit
un petit abri en branchages, pour se garantir des ardeurs du soleil.
Notre camp est situé à l’ombre d’un superbe Cail-cédrat, autour
duquel s’enroule une liane à caoutchouc, un vrai Saba, énorme et
couverte de fruits qui, malheureusement, ne sont pas encore mûrs.
Je la saigne dans la soirée, et elle me donne, malgré le vent d’Est,
un suc relativement abondant.
La journée se passa sans incidents et sans fatigue et, à la nuit
tombante, tout le monde se coucha autour des feux, car la tempé
rature s’était considérablement refroidie. Pour moi, je m’enroulai
dans ma couverture et m’endormis aussitôt.
23 décembre. — La température, un peu froide pour les indi
gènes qui grelottent littéralement au réveil, est excellente pour
moi. Tout le monde a bien dormi. Je fais lever le camp à quatre
heures et demie, et à cinq heures nous nous mettous en route. Les
porteurs marchent bien, et tous sont animés de la meilleure
volonté. A quelques centaines de mètres du campement, nous
sommes obligés de traverser le marigot de Oudari, dont les bords
sont couverts d’une luxuriante végétation. Le passage est très
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
279
pénible, car son lit est encombré de branches mortes et de racines.
Je suis obligé de descendre de cheval. O’n fait d’abord passer
l’animal, et je suis porté sans accident, sur l’autre rive, par
Alraoudo et Samba, le palefrenier. L’eau y est peu profonde,
60 centimètres au plus, et la largeur est d’environ 15 mètres.
Ce marigot, comme tous ceux de cette région, est tributaire de
la rivière Grey. La végétation se fait de plus en plus maigre à
mesure que nous avançons vers le Sud-Est, et, à peine avons-nous
traversé le marigot, que nous entrons dans une vaste plaine argi
leuse, stérile, de plusieurs kilomètres de largeur et littéralement
couverte de termitières de toutes formes et de toutes tailles.
Tous les voyageurs qui ont parcouru le Soudan français con
naissent ces constructions bizarres qu’élève un peu partout cet
industrieux insecte que l’on désigne sous le nom de termite. Il
appartient à l’ordre des Névroptères et ressemble au premier aspect
à une grosse fourmi blanche dont il a, du reste, les mœurs. On le
rencontre partout au Sénégal et au Soudan, où il prolifère avec une
rapidité surprenante. C’est assurément un des insectes les plus
voraces de ce's régions lointaines. Partout et à toutes les époques
de l’année, il faut s’en garer, car il s’attaque aussi bien au cuir, à
la laine, au bois, etc., etc. Que de fois ne nous est-il pas arrivé, en
ouvrant une de nos caisses de provisions, d’y trouver un nid de
ces malfaisants animaux. Aussi, lorsqu’on campe dans la brousse,
faut-il avoir grand soin de placer sur des pierres assez élevées les
objets que l’on veut préserver de leur atteinte. De même, il ne faut
pas négliger de suspendre aux branches des arbres voisins ou bien
aux montants de sou gourbi, ses bottes, guêtres et vêtements ; on
risquerait fort, si on ne prenait pas cette précaution, de constater
le lendemain, au réveil, des dégâts difficiles à réparer ; car c’est
surtout la nuit que le termite commet ses déprédations. Le jour, il
se tient caché au fond de sa cellule où l’on n’accède que par un
labyrinthe de galeries ingénieusement construites. Il habite par
colonies innombrables dans ces édifices bizarres qu’ils savent
élever en peu de temps. Il existe deux types principaux de ces
étranges constructions ; l’un a absolument la forme d’un énorme
champignon à pied volumineux et relativement court. L’autre,
tout en hauteur, affecte les formes les plus curieuses. Ce sont de
véritables tours avec clochetons, pans coupés et gracieuses aiguilles.
�280
ANDRÉ RANÇON
Le premier se trouve surtout dans les terrains argileux et le second
dans les terrains ferrugineux et à latérite. Les termites qui les
habitent semblent appartenir à deux variétés différentes. C’est à
l’aide de la terre transportée et enduite par eux d’une sorte de
bave gluante, que ces insectes arrivent en peu de temps à élever
ces importantes constructions. Ils ne travaillent que pendant la
nuit et il est facile de constater le matin ce qui a été édifié
par ces infatigables maçons. Au soleil, la bâtisse durcit rapidement
et acquiert bientôt la solidité du ciment. Nous en avons-vu fréquem
ment qu’il était difficile d’attaquer à la pioche. Les indigènes se
servent de la terre de termitières pour construire des murs et
surtout pour fabriquer la sole sur laquelle ils élèvent leurs de
meures. Pour cela, on prend des fragments de termitière que l’on
pile. Avec le sable que l’on a ainsi obtenu, on confectionne en y
ajoutant de l’eau une sorte de mortier qui, lorsqu’il est sec, est
excessivement résistant.
A l’intérieur de cet édifice sont creusées des galeries tortueuses
et innombrables où se logent les habitants. Au centre, se trouve le
chef de la colonie, la reine, qui est toujours plus volumineuse que
les autres.
D’après ce que nous venons de dire, on comprendra aisément
combien le termite peut causer de ravages dans les murs de nos
constructions où l’on n’a pu utiliser la chaux. Toute l’argile qui a
servi à les édifier est, en peu d’années, criblée de galeries qui en
diminuent considérablement la solidité. Le termite s’attaque
également au bois. En peu de temps, il détériore les planchers, les
chevrons et nous avons vu des cases de noir s’écrouler parce que
les portants avaient été minés par des milliers de ces insectes.
Comme la fourmi, il est migrateur, mais ce n’est que pendant la
nuit que les colonies changent de résidence. Quand ces déplace
ments ont lieu, elles n’oublient rien dans l’habitation qu’elles
quittent et elles emportent leurs provisions et leurs œufs. Il n’est
pas rare de voir ainsi de nombreuses termitières désertes et
abandonnées. C’est la terre de celles-ci que les indigènes emploient
le plus volontiers pour leurs constructions.
Un vaste plateau ferrugineux fait suite à cette triste plaine. Il
s’étend jusqu’au marigot de liôboulo que nous traversons à 6 h. 55,
et dont le passage, relativement facile malgré la vase, se fait sans
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
281
accident. A quelques centaines de mètres delà nous franchissons
un petit marigot sans importance qui en dépend. Leurs bords
sont couverts de beaux bambous qui obstruent la route et dont
les jeunes rameaux nous fouettent désagréablement la figure.
A partir de ce point la route devient de plus en plus pénible.
Les collines et les petites vallées se succèdent sans interruption
et le terrain s’élève d’une façon sensible à mesure que nous avan
çons. Au pied des collines coulent des marigots profonds, à bords
à pic et difficiles à traverser. A 8 h. 15 nous franchissons celui de
Oupéré. Il est peu large et peu profond, mais sa traversée présente
de réelles difficultés. Son lit est encombré de roches exces
sivement glissantes formées de quartz et de grès ferrugineux
et ses bords sont absolument à pic. Ce gué est très pénible à
pratiquer pour les animaux et il ne faut avancer qu’avec précautiou pour éviter des accidents. La végétation y est puis
sante et l’on y trouve les belles essences des pays tropicaux.
Du marigot de Oupéré au marigot de Mitcki, la route traverse
une verdoyante colline à laquelle succède une fertile vallée
au fond de laquelle coule ce dernier cours d’eau. A 9 h. 23
nous arrivons sur sa rive gauche. La traversée nous a demandé
plus de vingt minutes. Ce marigot est le plus large que nous
ayons rencontré depuis la rivière Grey. Il a environ cinquante
mètres d’une rive à l’autre au point où nous l’avons franchi.
Sa profondeur à cet.te époque de l’année est à peu près d’un
mètre cinquante centimètres. Sa rive droite, absolument à pic,
est formée d’argiles excessivement glissantes et sa rive gauche
est formée de roches énormes. Au milieu se trouve un petit
banc de sables très fins. La profondeur à cet endroit ne dé
passe pas trente à quarante centimètres. Son lit est partout
ailleurs formé par une couche de vase dans laquelle on enfonce
à chaque pas d’une dizaine de centimètres. Ignorant ce détail,
je voulus le passer à cheval. Mal m’en a pris, car je m’admi
nistrai un bain de pied tel qu’en arrivant sur l’autre bord, je
fus obligé de changer de vêtements des pieds à la tête. Pendant
la saison des pluies le gué n’est pas praticable. Aussi les
indigènes ont-ils construit, pour traverser ce marigot, un véri
table pont suspendu qui repose sur les branches des arbres
des deux rives et qui n’est formé que de bambous et de
�282
ANDRÉ RANÇON
branchages solidement liés entre eux mais qui ne reposent
au milieu sur aucun pilotis. Il faut être singe ou noir pour
s’aventurer sur une semblable construction. J ’ai vu avec an
goisse plusieurs de mes porteurs le franchir avec leur charge
sur la tête. Je n’eus heureusement à regretter aucun accident.
La végétation est sur les bords du marigot de Mitchi remar
quable de vigueur et de force. C’est un enchevêtrement de
lianes et de végétaux de toutes sortes absolument inextricable.
Je n’énumèrerai pas toutes les essences que j’y ai reconnues,
nous avons déjà décrit la plupart d’entre elles. Je ne citerai
que le palmier oléifère dont j’ai vu là le premier échantillon.
D’après les renseignements qui m’ont été donnés il serait assez
commun dans toute cette région.
Le palmier oléifère ou palmier avoira (Elæis Guineensis Jacq.), est
très-rare au Soudan et au Sénégal. On ne commence guère à le
rencontrer que dans le bassin de la Gambie, et plus on s’avance
dans le Sud, et plus il devient commun. Il se multiplie rapidement,
croît spontanément et ne demande aucune culture. Dans les pays
de production, il donne deux récoltes par an en mars et en
novembre. Chaque pied donne deux ou trois régimes au plus qui
portent un grand nombre de fruits. Ces fruits qui ressemblent à de
grosses cerises, sont formés par un sarcocarpe fibreux et huileux
et contiennent une amande grasse incluse dans un noyau très dur
et qui est connue dans le commerce sous le nom d’amande de palme.
Ces fruits donnent une huile qui, sous le nom d’huile de palme, est
utilisée avec avantage par nos industriels. Voici comment les
indigènes la fabriquent. Les fruits mûrs sont jetés dans une fosse
de terre entourée d’un petit mur et tapissée de feuilles du végétal.
On y verse une quantité d’eau assez considérable pour qu’ils y
baignent. Puis on les écrase de façon à en détacher la pulpe.
L’opération terminée, on verse encore de l’eau, ou agite violemment
et à plusieurs reprises. L’huile apparaît alors à la surface en écume
rougeâtre. On la recueille dans de grands canaris en terre (sortes
de vases) placés sur des brasiers ardents. Elle est alors soumise
à une ébullition prolongée puis tamisée ensuite dans un grand vase
à moitié rempli d’eau. Le liquide ainsi obtenu est alors écrémé et
c’est l’huile de palme du commerce.
Cette huile est d’un beau jaune orangé. Elle exhale une odeur
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
283
très agréable d’iris ou plutôt de violette.‘Elle rancit rapidement au
cootact de l’air. Elle a une saveur douce et se solidifie au-dessous
de 30°. On la désigne alors sous le nom de Beurre de palme. Les
indigènes de la Haute-Gambie lui donnent en langue mandingue le
nom de N’té N'toulou. Elle sert à assaisonner certains mets qui ne
sont pas à dédaigner.
De l’amande du palmier oléifère, on extrait également une
matière grasse solide, qui peut servir, quand elle est fraîche, aux
mômes usages que le beurre. Les indigènes ne l’utilisent pas.
L’huile et les amandes de palme donnent lieu, en Gambie, dans les
Rivières du Sud et sur toute la côte occidentale d’Afrique, depuis
Sainte-Marie-de-Bathurst, à des transactions commerciales relati
vement importantes.
Du marigot de Mitchi au marigot de Bankounkou, la route ne
présente aucune difficulté. Elle traverse un plateau absolument
stérile et dénudé qui se termine au S.-S.-E. par une pente douce
qui vient mourir sur la rive droite du marigot. Nous le traversons
à 10 h. 30. Il est peu large, dix mètres au plus, et il y coule tom
jours une eau limpide et claire sur un lit formé de petits cailloux
de quartz fortement colorés en rouge par de l’oxyde de fer. J ’y fais
une halte de quelques minutes pour permettre aux hommes de s’y
désaltérer.
Peu après, nous gravissons une petite colline formée de quartz
et d’argiles et nous arrivons sur un plateau formé de conglomérats
ferrugineux et de latérite. Tout ce plateau n’est qu’un vaste et beau
lougan de mil, arachides, etc., etc., où nous trouvons bon nombre
de travailleurs occupés à la récolte. Ils portent tous cet étrange
costume national qui a le don d’exciter l’hilarité de mes hommes,
de Gardigué, mon petit domestique, et de Samba, mon palefrenier
tout particulièrement. Appuyés sur leur long fusil à pierre, ils
nous regardent curieusement passer sans manifester la moindre
crainte. Mais il n’en est pas de même des femmes et des enfants.
Ma vue seule a le privilège de les effrayer. Elles s’enfuient à mon
approche en entraînant leurs petits et ce ne sont pas leurs vête
ments qui retarderont leurs courses, car elles sont absolument
nues. Au lieu de se réfugier au fond des cases du village de culture,
nous les vîmes grimper agilement dans les arbres. Samba rit aux
éclats en voyant cette gymnastique et il caractérise exactement en
�284
ANDRÉ RANÇON
deux mots cette retraite burlesque : « Femmes Coniaguiés y a même
chose Golo » (golo signifie singe). J ’avoue que cette comparaison
était absolument exacte. De là et à peu de distance, nous traversons
une petite colline peu élevée, mais excessivement raide, d’où l’on a
une vue splendide qui rappelle, mais en mieux, celles que l’on a
dans le Konkodougou et le Diébédougou (Bambouck). A nos pieds
s’étend une grande et belle vallée couverte de beaux arbres ver
doyants et touffus. De loin je reconnais de superbes palmiers, de
gigantesques rôniers, d’énormes n’tabas. C’est, en un mot, la
végétation luxuriante des tropiques avec sa fraîche et éternelle
verdeur. Du point où nous sommes on me montre à l’Iiorizon une
colline relativement élevée, au sommet de laquelle se dressent de
magnifiques rôniers. Cette colline n’est que le versant Nord-NordOuest du vaste plateau du Coniaguié. Encore quelques kilomètres
et je serai enfin dans ce pays dont le nom seul excitait tant ma
curiosité. Je pourrai voir ses sauvages habitants et étudier leurs
coutumes et leurs mœurs. Ce ne fut pas sans une certaine émotion,
je dirai plus, sans une certaine appréhension que je m’engageai
dans l’étroit sentier qui y conduit, car je me posais cette éternelle
question que se sont toujours adressée ceux qui ont voyagé en
Afrique, en arrivant devant un village inconnu : « Comment seraije reçu?» Ce n’est certes pas la crainte qui dicte au voyageur une
semblable réflexion. Quand on s’aventure dans ces régions inex
plorées, quand on marche vers l’inconnu, on a fait depuis long
temps le sacrifice de sa vie. Mais des considérations plus élevées
viennent vous assaillir et au moment de toucher au but on se
demande si quelque malencontreux hasard ne viendra pas entraver
le succès du voyage.
A travers les conglomérats qui couvrent le terrain à droite et à
gauche de notre route, je pus constater la présence de nombreux
échantillons d’une Ménispermée fort commune au Sénégal dans la
province du Cayor et que je n’ai guère reconnue au Soudan que
dans les environs de Kayes, non loin du petit village de Goundiourou. C’est le Tinospora Bakis Miers('l). On trouve ses racines dans
(1) Cette plante médicinale très intéressante est en ce moment en même temps
que sa congénère le Sangol (Cocxulus Leæba 1). C.), l’objet d’une .étude détaillée
de la part de MM. les professeurs Heckel et Schlagdenhaufïen. Ce travail sera
inséré dans le III' volume (189o) des Annales de l’Institut colonial de Marseille.
�DÀiNS LA HAUTE-GAMBIE
285
toutes les officines des marchands indigènes sur les marchés de SaintLouis, Dakar, Gorée et Rufisque. Les noirs utilisent ses propriétés
toniques, diurétiques et fébrifuges. Ils l’emploient surtout contre
la fièvre bilieuse simple ou rémittente à laquelle ils sont aussi
sujets que l’Européen. Ils en font des décoctions, des macérations,
et son usage est particulièrement fréquent chez les peuples
d’origine Ouolove et Sérère.
C’est par une pente douce que l’on arrrive sur le vaste plateau
du Coniaguié, et à peine y avons-nous fait deux kilomètres que
d o u s apercevons sur notre gauche le premier des villages de cette
étrange peuplade. C’est Iguigni.
Iguigni est un gros village d’environ 600 habitants. Sa popula
tion est formée de Malinkés musulmans, émigrés du Ghabou lors
de la conquête de ce pays par Moussa-Molo, et de Coniaguiés. Nous
décrirons plus loin la façon dont sont construites les cases de ces
derniers. Quant au village Malinké, nous n’en dirons rien que nous
ne sachions déjà. Il est 11 heures quand nous y passons. Il fait une
chaleur torride et le vent du Nord-Est balaie de sa brûlante haleine
ce plateau relativement élevé.
Karakaté. — A un kilomètre d’Iguigni, nous laissons encore à
gauche, à cinq cents mètres environ de la route, le village de Kara
katé, dont la population, uniquement composée de Coniaguiés,
s’élève à environ 600 habitants. Les cases y sont fort espacées les
unes des autres et les intervalles sont plantés de tabac, tomates,
etc.,etc. Les habitants, assis devant la porte de leurs cases, le fusil
entre les jambes, nous regardent curieusement passer. Beaucoup
d’entre eux nous suivent et se joignent à ma caravane. Ils sont plus
surpris qu’effrayés, et rien dans leurs gestes ou leur attitude ne
peut nous faire redouter de leur part la plus petite hostilité.
A 11 heures 23, il nous faut nous arrêter au village de Ouraké.
Ouraké est un gros village de 800 habitants environ. Sa population
est formée de Peulhs, de Malinkés et de Coniaguiés. Il est situé à
200 mètres environ de la route. C’est là que réside le chef qui est
chargé de veiller à la sécurité de cette partie de la frontière et qui
donne ou refuse aux voyageurs l’autorisation de séjourner sur le
territoire Coniaguié. Avant de se prononcer il lui faut auparavant
consulter l’oracle, et comme cela demandera quelque temps nous
faisons la halte sous un beau fromager où nous sommes bientôt
�286
ANDRÉ RANÇON
entourés par les indigènes dont le nombre augmente à chaque
instant. Je profite de ce repos pour demander à Fodé. en quoi
consiste la pratique à laquelle se livre le chef pendant que nous
l’attendons. Il me dit alors qu’il va tuer un poulet, l’éventrer
ensuite et que c’est dans ses entrailles qu’il verra si nous venons
dans le pays avec de bonnes ou de mauvaises intentions et s’il doit
nous en accorder l’entrée ou nous faire rebrousser chemin. Mon
guide finissait à peine son récit que le chef parut à la porte de sa
case et s’avança vers notre groupe. De taille élevée, barbe et
cheveux grisonnants et les bras chargés de bracelets en fer et en
laiton, il peut avoir 60 à 65 ans. 11 s’assit en face de moi, me
souhaita le bonjour et me demanda ce que je venais faire dans le
pays. Sans doute que mes réponses le satisfirent, car il me déclara
que je pouvais aller à Yfïané, la résidence du chef du pays, mais
pas ailleurs, et qu’il me donnait pour m’y conduire le courrier que
j’avais expédié de Damentan. Il ajouta d’un air entendu qu’il savait
bien que je ne venais pas au Coniaguié pour leur faire du mal et
qu’au contraire, je ne leur dirais et ne leur apporterais que de
bonnes choses. Je n’eus pas de peine à comprendre ce qu’il voulait
par là et je lui fis immédiatement donner par Almoudo environ
b .kilogs de sel et une poignée de belle verroterie, présent auquel
il fut très sensible et dont il me remercia à plusieurs reprises. Nous
allions nous remettre en route lorsqu’arriva le jeune fils que Fodé
avait eu dans ce pays d’une femme Goniaguiée à l’époque où il y
faisait le métier de dioula. C’était un jeune homme de dix-huit ans
environ, grand, fort bien découplé et portant le costume coniaguié.
Il ne manifesta, du moins extérieurement, aucune joie de revoir
son père. Il n’en fut pas de même de Fodé, qui fut tout heureux de
me le montrer et de le retrouver. Tout cela ne m’étonna guère, car
je savais depuis longtemps combien le noir était peu expansif
et aime peu à faire parade de ce qu’il ressent.
Dès que le vieux chef d’Ouraké nous eut déclaré que nous
pouvions nous rendre à Yfïané, nous nous remîmes en route.
Cent cinquante ou deux cents guerriers Coniaguiés nous escor
tent et rien n’est curieux à voir comme cette compagnie
d’hommes presque nus, le fusil sur l’épaule, se pressant sous
les pieds de mon cheval pour mieux me voir. Je n’eus dans
ce voyage d’Ouraké à Yfïané qu’à me plaindre de leur impor-
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
287
tune curiosité. Peu après avoir quitté Ouraké, nous nous
dirigeons vers le S.-S.-O., mais nous ne tardons pas à revenir
à l’Est. La route est très belle, littéralement couverte partout
d’un sable très (in de latérite. Elle traverse de beaux lougans
et je constate que les argiles font presque absolument défaut.
Nous croisons à chaque instant d’autres routes qui sillonnent
en tout sens le plateau. C’est un véritable dédale dans lequel
il nous eut été difficile de nous reconnaître si nous n’avions
pas eu un guide pour uous conduire. Pendant le trajet relati
vement court qui sépare Ouraké d’Ylïaué, le Coniaguié qui
nous menait au chef du pays nous fit fréquemment changer
de direction. Etait-ce pour nous dépister, je l’ignore. Toujours
est-il que lorsque je lui fis demander par Fodé les motifs de
ces brusques tours et détours, il répondit qu’il agissait ainsi
pour me faire éviter les endroits dangereux. Il ne fallait pas
passer par ci parce que les chevaux mourraient immédiate
ment, il ne fallait pas s’aventurer par là parce que cela aurait
nui à la bonne réussite de notre voyage. Cet autre endroit ne
pouvait être foulé par les sabots de nos chevaux parce qu’un
chef y était enterré et que personne autre que ses frères ne
pouvaient parcourir ces lieux sans s’exposer aux plus grands
dangers. D’après son dire, il y aurait ainsi dans tout le
Coniaguié des endroits funestes aux voyageurs ignorants ; il
est vrai qu’il en est aussi qui leur sont propices. Enfin à midi
trente, par une chaleur étouffante et une brise de Nord-Est
brûlante et intolérable, nous arrivons devant Yfiané, capitale
du Coniaguié et résidence du roi qui le gouverne. Notre guide
va lui annoncer notre arrivée et nous dit, en attendant, de
nous asseoir sous un beau tamarinier qui est l’arbre à palabres
du village. Peu après, nous le voyons s’avancer vers nous
suivi de plusieurs de ses notables. C’est un homme de cinquante
ans environ, grisonnant et de taille élevée. Rien dans son cos
tume ne le distingue de ses congénères, et il est tout aussi
nu, tout aussi sale que le moindre de ses sujets.
Je n’ai jamais vu être humain plus abruti, si tant est que l'on
puisse donner le nom d’hommes à ces primates qui ne se distinguent
du singe que par leur langage articulé. C’est à peine s’il nous
souhaite la bienvenue. Je lui expose en peu .de mots ce que je viens
�288
ANDRÉ RANÇON
faire dans son pays, et lui demande de m’y laisser résider. A cela,
il me répondit que je pouvais rester et aller camper dans un petit
village de Malinkés musulmans, situé à deux cents mètres environ
de l’endroit où nous nous trouvions alors, et il ajouta qu’il désirait
que ni moi ni mes hommes n’entrious dans le village Coniaguié.
Enfin, à une heure, nous pouvons nous installer dans notre campe
ment et nous sommes cordialement reçus par notre hôte, marabout
Malinké, que Sandia connaissait depuis longtemps déjà. Peu après
notre arrivée, la cour dans laquelle se trouvait la case que j’habitais,
était absolument envahie par les curieux. Hommes, femmes,
enfants, tous plus ou moins nus, tous aussi sales et aussi dégoû
tants, se pressent devant ma porte. Je ne puis la tenir fermée ; car
elle est immédiatement ouverte si j’essaie de me soustraire à leurs
regards indiscrets, et je suis obligé de faire ma toilette au milieu
de tout ce peuple. Quelques-uns plus hardis pénètrent jusque dans
ma case, me saluent, s’asseoient, regardent et s’en vont. J ’ai beau
leur faire répéter par Fodé que j’ai besoin d’être seul, rien n’y fait,
et le défilé des visiteurs continue. Je ne puis m’en débarrasser
qu’en leur faisant dire que je vais dormir. Ils sortent bien de la
case, mais restent devant la porte qui doit demeurer ouverte.
J ’étais à peine installé sur mon lit de camp pour prendre après
mon déjeuner un peu de repos, que le chef du pays vint me visiter.
Tout en mangeant, j’avais interrogé notre hôte (diatigué), à son
sujet. Il m’apprit qu’il se nommait Tounkané. On juge de sa
surprise quand je l’appelai par son nom et lui dit de s’asseoir. Alors
commença avec lui, par l’intermédiaire d’Almoudo et de Fodé,une
de ces longues conversations au cours de laquelle il me fallut
répondre à ses mille questions, toutes plus ou moins enfantines.
Le plus petit et le plus insignifiant des objets dont je me servais,
excitait sa curiosité et aussi son envie. Un couvert en ruoltz, surtout,
le ravissait et il me demanda de lui en faire cadeau pour fabriquer
des bracelets pour lui et ses femmes. Cela ne me gênant pas
le moins du monde, car j’en avais de rechange, j’accédai à
son désir, et pour que pareil fait ne se renouvelât pas, ce qui
aurait pu m’embarrasser, je ne me servis plus pendant le reste
de mon séjour à Yffané que de fourchettes et de cuillers en fer.
Mais ce qui l’étonna et aussi l’effraya le plus, ce fut de me voir
allumer ma cigarette avec une allumette. Pendant mon séjour à
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
289
Mac-Carthy j’avais fait une ample provision de Suédoises, car
j’avais appris, par expérience, combien elles sont précieuses dans
la brousse, et à Yfïané j’en avais emporté quelques boîtes, laissant
la plus grande partie à Damentan. Tout en causant avec Tounkané,
j’en demandai une à Almoudo et l’allumai négligeamment sur la
boîte. En voyant jaillir ainsi la flamme, Tounkané, elïrayé, se leva
précipitamment et voulut sortir de ma case en criant qu’il ne
voulait pas qu’un homme qui « portait ainsi le feu dans sa poche »
reste plus longtemps dans son pays. Il fallut que notre hôte lui
expliquât l’emploi de ces petits morceaux de bois et pour calmer
sa frayeur lui déclara qu’il pourrait aisément en faire autant. Je
lui en donnai une boîte de suite et il fut ravi de voir que lui aussi
pouvait porter le feu dans sa main, car de poche il n’en avait point.
Son costume était trop primitif pour cela.
Il me fallut lui expliquer en détail ce que je venais faire dans
le Coniaguié. Sans doute que mes réponses le satisfirent, car il me
demanda de répéter le lendemain dans un grand palabre auquel il
convierait tous les chefs du pays, ce que je venais de lui dire. Je
le lui promis et il se retira sur ces mots, à la nuit tombante. Peu
après, il m’euvoya un bouc pour mes hommes et pour moi, deux de
ces beaux poulets, dont Sanclia m’avait tant parlé, mais pas le
moindre couscouss et pas le plus petit grain de mil, et, si notre
hôte n’en avait pas donné à ma troupe, mes compagnons se seraient
couchés sans manger. Ce fut également à la générosité de ce brave
homme que nos chevaux durent d’avoir une maigre ration de paille
d’arachides et de mil. De mon côté, je ne voulus pas être en reste
avec Tounkané et je lui fis aussitôt porter quelques bouteilles de
gin qui lui firent le plus grand plaisir.
Je pus enfin sortir un peu et visiter les environs, mais je dus
rentrer bientôt au logis, car j’étais absolument obsédé par les
curieux qui m’entouraient de toutes parts. Heureusement que de
ma case je pouvais parfaitement voir le village Coniaguié et, bien
qu’il me fût interdit de le visiter, me faire une idée de son impor
tance ainsi que de la façon dont il était disposé.
Yffané ou Youffané est un gros village de 1200 habitants
environ. Sa population est uniquement formée de Couiaguiés. Il
m’a paru bien entretenu, du moins autant que j’ai pu en
juger, ses cases m’ont semblé en bon état. Au centre se trouAndré Rançon. — 19.
�290
ANDRÉ RANÇON
vent celles du chef, elles sont construites au milieu d’un carré
parfait dont les quatre côtés sont formés par des cases bien
alignées où habitent les jeunes gens non mariés du village
qui lui forment, pour ainsi dire, une sorte de garde particu
lière. Ces cases sont très rapprochées les unes des autres, elles
n’ont qu’une seule porte qui regarde les derrières de la case
voisine de façon à ce que l’on ne puisse voir d’une habitation
ce qui se passe dans l’autre. Il est absolument ouvert et ne
possède aucun système de défense, ni tata, ni sagné. Il est
entouré de beaux lougans de mil, arachides, etc., etc., et a, en
résumé, un aspect gai qui contraste étrangement avec la tris
tesse des villages fortifiés des pays Malinkés et Bambaras.
Non loin d’Yfïané, à quelques centaines de mètres au plus, se
trouvent trois villages Malinkés peu importants que l’on désigne
sous le nom de Yfïané-Maninka-Counda (village Malinké d’Yfïané
en langue Mandingue de la Haute-Gambie). Ces villages ne diffèrent
en rien des autres villages Malinkés dont nous avons parlé dans
le cours de ce récit.
La route du marigot de Oudari à Yffané présente une
curieuse disposition de terrain. Ce n’est qu’une succession de
plateaux entrecoupés par de petites vallées où coulent de clairs
marigots. Le terrain s’élève progressivement jusqu’au plateau
du Coniaguié. Le baromètre baisse au fur et à mesure que l’on
avance. Au- point de vue géologique, des argiles compactes
dans les vallées. Les collines et les plateaux sont formés de
quartz, de grès et de conglomérats ferrugineux. La roche s’y
montre partout à nu. La latérite n ’apparaît qu’aux environs
du Coniaguié et le plateau sur lequel sont construits les villages
est uniquement formé de cette espèce de terrain.
Au point de vue botanique, quelques rares bambous mai
gres et rachitiques sur les plateaux. Dans les vallées, au con
traire, végétation riche: rôniers, légumineuses, n ’tabas, caïlcédrats, etc., etc. Le plateau du Coniaguié présente encore de
nombreux échantillons de Karités. Les deux variétés Shee et
Mana y sont également communes. Enfin, nous y trouvons
encore, entre autres végétaux importants, de beaux spécimens
de lianes à caoutchouc (Saba et Delhi). Les fromagers et les tama-
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
291
riniers y sont également très communs et y atteignent d’énor
mes proportions.
Du marigot de Oudari à Yfïané, la route suit une direction
générale S.-S.-E., et la distance qui sépare ces deux points peut
être évaluée à environ trente-trois kilomètres.
A nuit close, tous les visiteurs regagnèrent le village Coniaguié.
Je pus dîner en paix et me coucher vers huit heures du soir. Mais
je dus laisser ouverte la porte de ma case, et des hommes armés
montèrent, pendant toute la nuit, une garde active dans la cour qui
la précédait.
�CHAPITRE XV
Séjour à Yfïané. — Deuxième, journée. — Tam-tam. - Chiens. — Chacals. — Cris
bizarres dans le village. — Etrange coutume. — Nombreux visiteurs.— Visite
de Tounkané. — Grand palabre. — Pas de vivres. — Cordiale et généreuse
hospitalité des Malinkés. — Tounkané me demande en cachette une bouteille
de gin. — Abondance du gibier dans les environs d’Yffané. — Troisième
journée. — Nombreuses visites de dioulas Malinkés établis dans le pays. — Les
pintades. — Tounkané me fait cadeau d’un bœuf. — Je puis enfin me procurer
un peu de mil et de fonio. — Refus de Tounkané de me donner des porteurs pour
retourner à Damentan. — Dans la soirée il me promet de m’en donner le
lendemain matin. — Il enverra deux délégués à Nétéboulou pour s’aboucher
avec le commandant de Bakel. — Heureux résultat de mon voyage. — Départ
d Yfïané. — Tounkané me donne deux guides, mais pas de porteurs. — D’Yfïané
au marigot de Oudari. — Campement à Oudari. — Inquiétudes de Sandia. —
Arrivée de quatre Coniaguiés qui font route avec nous. — Du marigot de
Oudari à Damentan. — Les antilopes. — Les sangliers. — Arrivée à Damentan.
— Joie d’Alpha-Niabali de me revoir. — Récit de Sandia et d'Almoudo. — Ils
m’apprennent les dangers que nous avons courus au Coniaguié.
24 décembre. — Nous avons tous passé uue excellente nuit. Nous
en avions bien besoin : car après l’étape et la journée d’hier, nous
étions absolument exténués. Pour moi, j’ai très bien reposé, malgré
les chiens, les chacals et le tam-tam. Hier soir, à peine Toun
kané m’eût-il quitté, que commença dans le village coniaguié,
un vacarme épouvantable. On s’y enivra avec le gin que
j’avais donné au chef, et la population entière se livra à un tam-tam
effréné qui se prolongea fort avant dans la nuit. Les chiens se
mirent de la partie et aboyèrent jusqu’au lever du jour, surexcités
par la présence de nombreux chacals qui, chaque nuit, viennent
rôder autour des cases en poussant des hurlements furieux et aigus.
Les hyènes elles-mêmes nous firent visite et un de ces répugnants
animaux s’aventura même jusque dans la cour de ma case. Pen
dant plusieurs heures, leurs glapissements lugubres se firent
entendre et tinrent mon brave Almoudo éveillé durant la plus
grande partie de la nuit. Pendant tout notre séjour au Coniaguié,
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
293
ce brave serviteur ne dormit jamais que d’un œil, et nuit et jour,
avec Sandia, il veilla à ma sécurité avec un soin jaloux.
Des cris bizarres au commencement de la nuit et assez espacés
frappèrent plusieurs fois mon oreille avant que je m’endorme.
Intrigué, j’en demandai la cause à Sandia et à Almoudo qui,
l'ignorant, interrogèrent à ce sujet notre hôte. Je les vis revenir en
riant aux éclats et quand je leur demandai le motif d’une si grande
hilarité ils me répondirent : « Coniaguié y en a gueulé comme ça
parce que y a bien content avec son femme ». Je n’eus pas de peine
à comprendre ce qu’ils voulaient dire et ce détail de mœurs est un
des plus curieux que j’aie jamais enregistrés. Je le recommande tout
particulièrement aux méditations des ethnologistes.
Dès le point du jour, je suis littéralement assailli par une bande
de curieux. Ils pénètrent de force dans ma case, et je suis obligé
de mettre un de mes hommes en faction, à ma porte, pour être un
peu chez moi. Mais il me faut la laisser ouverte. De temps en temps
un curieux passe la tête par l’ouverture, me regarde d’un air ahuri
et se retire pour faire place à un autre.
J’étais assis à ma table occupé à rédiger mes notes, lorsque
tout-à-coup, j’entendis au dehors de grands cris accompagnés
d’éclats de rire. Je sortis aussitôt et je devinai de suite les motifs
de toute cette gaieté en voyant un graud gaillard de Coniaguié
qui s’astiquait à tour de bras la poitrine et les cuisses à l’aide de
ma brosse à souliers. Voici comment cela était arrivé. J ’avais rapporté
de Mac-Carthy quelques boîtes de cirage, et, arrivé à l’étape, mon
petit domestique Gardigué avait pour fonction spéciale de nettoyer
mes bottes. Assis devant ma porte, il se livrait à cet exercice
en présence de nombreux curieux qui le regardaient, bouche
béante, procéder à ces soins de propreté. Mais où leur stupéfaction
fut au comble, ce fut lorsqu’ils virent Gardigué, après avoir étendu
le cirage, le faire luire à l’aide de la brosse ad hoc. L’un d’eux, plus
hardi que les autres, lui fit demander par Fodé de lui prêter un
instant ce curieux instrument. Ce à quoi mon domestique consentit
non sans difficultés. Notre Coniaguié prit la brosse avec précau
tions, l’examina attentivement et se mit à se frotter vigoureuse
ment, espérant sans doute obtenir sur son cuir le brillant qui
l’avait tant émerveillé. Ce fut à ce moment que j’arrivai. Le résultat
se faisant attendre, j'entendis mon loustic de gamin lui dire que
�294
ANDRÉ RANÇON
pour faire luire sa peau il faudrait au préalable l’enduire de cirage.
Notre homme ne voulut pas se soumettre à l’expérience. Je l’ai
beaucoup regretté.
Vers neuf heures du matin, Tounltané vint me rendre visite. Je
me plains de ce que mes hommes n’aient rien eu hier à manger et
lui déclare que s’il ne veut pas me procurer le mil et le fonio qui
m’est nécessaire pour les nourrir, je me verrai forcé de partir. Il
me promet de s’en occuper, mais me déclare aussi qu’il n’y aurait
rien d’étonnant s’il ne pouvait pas réussir, car il ne peut pas forcer
les gens à me vendre leurs denrées s’ils ne voulaient pas. Or, je
savais pertinemment que le village regorgeait absolument de tout
ce dont j’avais besoin. Il est venu me saluer, dit-il, me demander
comment j’avais passé la nuit et m’annoncer que tous les chefs du
pays sont réunis sous l’arbre à palabre, en dehors du village
Coniaguié, ce même tamarinier sous lequel je l’ai attendu hier, et
qu’ils m’attendent. Je m’y rends aussitôt sans armes, selon mon
habitude, et accompagné d’Almoudo, de Sandia, Fodé et Maudia,
le frère du chef de Son-Counda. Les hommes de Sandia y étaient déjà
arrivés et, munis de leurs vieux fusils à pierre, s’étaient répandus
dans la foule. Mais leur présence eût été bien inutile et ils
n’auraient rien pu faire au cas où nous eussions été attaqués par
les deux ou trois cents guerriers qui nous entouraient.
Je m’asseois sur mon pliant que m’a apporté Gardlgué au pied
de l’arbre. Sandia et Mandia sont auprès de moi ainsi que Fodé et
Almoudo. Tounkané est en face de moi, à cinq mètres environ, et
les chefs et leurs guerriers forment le cercle autour de nous. Après
les avoir tous salués, je leur expose ce que les Français font pour
leurs amis et tout l’avantage qu’ils auraient à « être avec nous ». De
ce fait, ils pourraient être certains que Moussa-Molo et le FoutaDjallon les laisseraient tranquilles chez eux et ne viendraient plus
les attaquer. Nous ne voulions point prendre leurs terres, car ils
savaient bien que nous en avions assez partout, et la meilleure
preuve que je n’étais pas venu dans leur pays avec l’intention de
leur nuire, c’était qu’ils pouvaient s’assurer que je n’avais pas de
fusil et pas un seul soldat. Or, ils n’ignoraient pas que nous en
avions beaucoup. Nous ne demandions qu’une seule chose, en
échange de la protection que nous leur donnerions, c’est qu’ils
laissent nos dioulas faire chez eux leur commerce en toute liberté,
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
295
qu’ils les défendent contre les voleurs et que si les blancs venaient
dans leur pays, ils y soient reçus en amis et puissent s’y établir.
Mou petit discours, qu’Almoudo traduisait en Mandingue et que
Fodé répétait en langue Coniaguiée, produisit le meilleur effet. J’eus
à peine terminé qu’un vieux chef se leva et cria à tue-tête que
j’avais dit de bonnes paroles et que j’étais un bon homme. Tounkané
me répondit qu’il savait bien que je n’étais pas venu pour leur
faire du mal, qu’il avait appris que partout où j’étais passé je
n’avais porté préjudice à personne. J ’avais eu raison de ne pas
emmener de soldats avec moi, car si j’en avais eu un seul avec son
fusil, je ne serais jamais entré dans le Coniaguié, il m’aurait arrêté
au marigot de Nomandi qui sépare, comme nous l’avons dit plus
haut, son pays de celui de Damentan. Ils seront contents d’être nos
amis, à condition que nous l’aidions à battre Tierno-Birahima, un
chef de colonne du Fouta-Djallon, qui se trouvait à N’Dama, au Sud
du Coniaguié,et qui était venu l’attaquer dernièrement sans motifs.
Il l’avait bien repoussé et battu à plate couture, mais il avait été
attaqué et il voulait se venger.
Je lui répondis que je ne pouvais lui accorder cela de suite, que
cela ne me regardait pas, je n’étais venu chez eux que pour savoir
s’ils voulaient être nos amis et que pour régler toutes ces condi
tions, il n’avait qu’à envoyer deux de ses notables à Nétéboulou ou
à y aller lui-même. Là, ils trouveraient le commandant de Bakel
qui avait tout pouvoir pour faire « un papier avec eux », et pour
arranger leurs affaires.
Ces propositions furent acceptées et il fut entendu qu’il enverrait
deux de ses notables pour régler à Nétéboulou toutes ces affaires
avec le commandant de Bakel qui y devait venir incessamment.
Tounkané ajouta même que ce seraient son propre fils et son frère
qu’il chargerait de cette mission. Enfin, au moment de nous séparer,
je lui promis que j’écrirais au commandant pour le mettre au
courant de tout. Chose que je ne manquai pas de faire en arrivant
à Damentan.
Quand tout fut bien convenu entre nous, je me retirai, non
sans avoir serré la main à tous les chefs présents, et les laissai
délibérer entre eux et causer avec Sandia. Ce palabre n’avait, pas
duré moins de trois heures et il était midi quand je regagnai mon
logis, enchanté d’avoir obtenu si rapidement un tel résultat.
�296
ANDRÉ RANÇON
Tounkané n ’a pas tenu sa promesse et mes hommes n’ont, abso
lument rien à manger. Il nous faut encore avoir recours à l’obli
geance des Malinkés. Mon hôte heureusement a tout prévu et il a
fait fabriquer pour mon personnel un excellent couscouss. Je
l’interrogeai longuement sur cette façon de procéder des Goniaguiés
à mon égard, et il me déclare que cela ne l’étonne nullement, car
ils ont l’habitude de ne jamais rien donner ni vendre aux voyageurs
et que c’est toujours chez eux qu’on vient camper. Cette particu
larité m’a toujours frappé, car, en général, au Soudan, l’hospitalité
la plus large et la plus généreuse est toujours donnée aux voyageurs.
Cette peuplade fait, sous ce rapport, exception, et diffère absolu
ment de toutes celles que nous avons visitées jusqu’à ce jour.
Grâce aux Malinkés nous n’eûmes pas trop à souffrir des privations
que nous auraient imposées l’avarice et la sauvagerie des Coniaguiés. Aussi en partant fis-je à notre diatigué (hôte) un superbe
cadeau qui le dédommagea amplement de toutes les dépenses qu’il
avait pu faire pour nous.
Je prenais sur mon lit de campagne un peu de repos quand vers
deux heures de l’après-midi arriva Tounkané absolument ivremort. Almoudo eut toutes les peines du monde à l’empêcher
d’entrer, et il ne se retira que lorsqu’il fut bien certain que je
dormais. Il s’en assura lui-même et vint me regarder de si près
que je sentis son haleine empestée de gin sur mon visage. Je ne
bougeai pas et il s’éloigna en"disant qu’il reviendrait plus tard,
car il voulait absolument me voir puisque j’étais son ami.
A cinq heures du soir, je le vis arriver de nouveau, dégrisé,,
mais absolument abruti. Nous causâmes amicalement pendant
quelques instants, et entre autres choses me promit de me donner
tous les hommes dont j’aurais besoin pour m’accompagner et porter
mes bagages à Damentan.
Pendant que nous devisions ainsi, un homme entra tout-à-coup
dans ma case et vint lui dire qu’un énorme Koba (variété d’Antilope)
paissait tranquillement non loin du village. Il dépêcha immédiate
ment plusieurs chasseurs à sa poursuite. Je lui demandai alors
si ces animaux étaient communs dans les environs. Il me répondit
qu’il y en avait tant que souvent ils s’aventuraient, surtout pendant
l’hivernage, jusque dans l’espace restreint qui séparait le village
Coniaguié du village Malinké et qu’ils y en avaient fréquemment
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
297
tué. Il fit alors sortir tous ceux qui l’avaient accompagné,\'et, à
voix basse, il me dit qu’il avait quelque chose à me demander.
Intrigué, je lui dis de parler. Il me raconta alors que, hier sbtf^les
hommes du village avaient bu toute la caisse de gin que je lui avmg
donnée et qu’il ne lui en était rien resté. Il me priait de lui en
donner une bouteille pour lui. J’accédai immédiatement à son
désir, et lui en fis remettre une par Almoudo. Il s’en empara
vivement, la cacha sous la loque qui lui servait de boubou et
s’enfuit aussitôt vers le village comme un voleur. Il dut lui faire de
nombreuses caresses, car je ne le revis pas de la journée.
Dans la soirée, je sortis un peu pour me reposer et j’emportai
mon appareil à photographier. J ’avais l’intention, puisqu'il m’était
interdit de visiter le village Coniaguié, d’en prendre un cliché. Je
dus y renoncer, car j’avais à peine disposé mon instrument que je
fus entouré par tous les guerriers qui m’avaient suivis et qui
m’intimèrent l’ordre de remporter le tout dans ma case. Ils
croyaient que c’était un canon, et, malgré tout ce que purent leur
dire Saudia, Almoudo et même le marabout Malinké chez lequel
j’étais logé, je dus me soumettre et rentrer au logis. J’étais absolu
ment furieux.
Le reste de la journée se passa sans incidents, et je me couchai
à la nuit tombante, fatigué et exaspéré par tous les visiteurs qui
n’ont cessé de m’assaillir tout le jour de leurs indiscrétions.
25
décembre. — La uuit s’est très bien passée et,.sans les chiens
et les chacals, j’aurais très bien dormi. Fréquemment, j’entendis
les cris étranges qui m’avaient tant intrigué hier et Almoudo ainsi
que le vieux Samba, mon palefrenier, m’avouèrent au réveil qu’ils
en avaient beaucoup « rigolé » peudant la nuit (sfr). Dès le point du
jour, ma cour est envahie par les visiteurs et les curieux. Je n’ai
pas besoin de dire que, comme la nuit précédente, je fus gardé à
vue par un poste de Coniaguiés en armes, et que je dus laisser ma
porte grande ouverte. La même comédie qu’hier recommence et
elle durera toute la journée. Je remarque que les hommes armés
sont beaucoup plus nombreux. Il en est venu de tous les villages
environnants, me dit mon hôte, mais rien dans leur attitude.
ne me fait craindre quoi que ce soit de leur part. Ce sont des
curieux, voilà tout, qui veulent voir cet étrange animalqu’on appelle
un blanc. Tounkané vient me voir plusieurs fois dans la matinée,
�298
ANDRÉ RANÇON
mais il m’est impossible d’en rien tirer, il est absolument ivremort et incapable de parler.
Une petite querelle de ménage entre le vieux Samba et sa femme
vint à propos à ce moment-là me permettre de me débarrasser de
cet insupportable ivrogne. Je m’empressai de le congédier. Voici
ce qui était arrivé. Depuis notre départ de Kayes, le vieux Samba,
sa femme et le cuisinier s’étaient liés de la plus étroite amitié.
Tout cela faillit bien se terminer à Yfïané. Je ne sais trop pour quel
motif une discussion s’éleva entre la femme et le cuisinier. On en
vint vite aux gros mots et madame Samba se permit des expres
sions et vomit des insultes telles à l’égard des parents de notre
homme qu’il avertit immédiatement le mari de la façon dont sa
femme venait de traiter « son famille ». Elle avait insulté son père,
elle avait insulté sa mère. Ce sont des choses qu’un noir ne
pardonne pas. Mis au courant de l’affaire, le palefrenier l’eut vite
réglée. Une bonne volée de coups de corde apprit bien vite à la
mégère ce qu’il en coûte de se livrer à l’égard des ancêtres d’un
ami à de semblables intempérances de langage. Je ferai remarquer
que notre cuisinier était autant, sinon plus, le mari de la belle que
le palefrenier. C’est là ce qui fait le piquant de l’affaire. Dès que
j’entendis leurs cris, je priai Tounkané de se retirer pour me
permettre d’aller voir ce qui se passait. Il s’en alla de bonne grâce,
en me promettant qu’il allait m’apporter un boeuf. Il m’avait fait
tant de promesses depuis mon arrivée que je ne m’attendais pas
plus à lui voir tenir celle-ci que les autres. Aussi mon étonnement
fut-il grand quand on vint m’annoncer que le bœuf était là. Je vais
le voir comme c’est l’usage, et je donne l’ordre de l’abattre immé
diatement. On dut le tuer à coups de fusil, car ces bœufs vivent
absolument à l’état sauvage et il serait dangereux de s’en approcher
de trop près. Le partage en est immédiatement fait. J ’envoie à
Tounkané un quartier de devant, selon la coutume au Soudan, j’en
donne aux chefs, à mes hôtes, etc., etc. Bref, on fit bombance ce
jour-là. Il était temps, car depuis notre arrivée dans le Coniaguié,
nous avions été absolument réduit à la portion congrue. Tounkané
poussa même l’amabilité jusqu’à m’envoyer un peu de fonio pour
mes hommes et du mil pour nos chevaux qui ne vivaient depuis
trois jours que de brousse et d’un peu de paille d’arachides. Quant à
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
299
la peau de l’animal je la distribuai entre les hommes de ma caravane
pour qu’ils puissent se faire des sandales.
J’eus encore, dans cette rqatinée, la visite des quatre chasseurs
qui m’avaient accompagné du marigot de Talidian à Ytïané. Ils
allaient repartir pour la chasse et avant de s’en aller ils venaient
me saluer et me souhaiter bon voyage. Je les remerciai et leur fis
quelques petits cadeaux auxquels ils furent très sensibles. Almoudo
leur fit alors raconter par Fodé comment Tounkané nous avait reçus
et leur demanda de nous procurer du mil et du riz ou fonio pour
la route d’Yffané à Damentan. Ils sortirent aussitôt en me promet
tant qu’ils allaient s’en occuper. En effet, quelques instants après,
je les vis revenir avec plusieurs femmes qui consentirent à me
vendre pour de la verroterie, du gin et du tabac, la quantité de mil
et de fonio qui m’était nécessaire pour nourrir mes hommes et mes
chevaux pendant trois jours. Je fis demandera ces femmes pour
quoi elles n’étaient pas venues plus tôt m’offrir leurs marchandises.
Elles me répondirent que ce n’était pas l’habitude du pays et que,
de plus, on le leur avait défendu. Leurs paroles m’intriguèrent
beaucoup et je me demande encore aujourd’hui qui avait bien pu
leur faire semblable défense et dans quel but.
Dans la journée, vers deux heures de l’après-midi, Almoudo
vint m’annoncer que des dioulas Malinkés voulaient me saluer. Je
les fis immédiatement entrer, et, après les salutations d’usage,
celui qui paraisssait être le chef prit la parole et me dit qu’ils
étaient venus de Yokounkou, leur village, distant de 15 kilomètres
environ d’Yffané, pour me remercier d’être venu dans le pays et
pour me donner l’assurance qu’ils seraient très heureux de voir
les Français diriger les affaires de Coniaguié parce qu’ils savaient
que le commerce se ferait alors librement et qu’ils pourraient
circuler en toute sécurité dans le pays. Ils avaient appris com
ment Tounkané m’avait traité. Cela ne les avait pas étonnés, car
les Coniaguiés étaieut réputés partout comme une peuplade
très inhospitalière. Aussi ils m’apportaient des œufs, des poulets
et du mil pour mes hommes et pour mes animaux. Il termina
en me disant que si je voulais aller dans leur village j’y serais
le bienvenu et que je n ’y manquerais de rien tant que je voudrais y
rester. Je les remerciai sincèrement de leur invitation et leur dis
que je ne pouvais aller chez eux, car j’étais très pressé de
�300
ANDRÉ RANÇON
rentrer à Kayes et que je comptais partir le lendemain matin.
Je leur lis alors quelques cadeaux et entre autres choses je
leur donnai quelques mains de papier qui leur firent le plus
grand plaisir. Ils se retirèrent en me renouvelant de nouveau
l’assurance de tout leur dévouement aux Français et en me
promettant qu’ils feraient tout ce qui dépendrait d’eux afin
que Tounkané envoyât au plus tôt ses mandataires à Nétéboulou
pour signer avec le commandant de Bakel un traité d’amitié.
Ils ajoutèrent que je ferais bien de me méfier des Coniaguiés.
L’un d’eux revint quelques minutes après leur sortie pour
me proposer de lui acheter deux pintades. Almoudo lui de
manda alors combien il voulait les vendre. Deux sacs de sel,
dit-il: ce qui faisait environ 25 francs. Je ne pouvais décem
ment pas me permettre une semblable prodigalité. Enfin, après
bien des pourparlers, il finit par rabattre son prix et j’eus
ces deux gallinacés pour quatre moules de sel et quelques
feuilles de papier. Ce n’était pas payer trop cher l’espoir de
deux bons rôtis.
Tounkané revint me voir vers quatre heures du soir avec
ses femmes et son dernier-né; il me fallut leur faire à chacune
un petit cadeau; à l’une je donnai de la verroterie, à l’autre
du tabac, à celle-ci du laiton pour se faire un bracelet, à
celle-là de la laine rouge, à cette autre un morceau d’étoffe
écarlate, etc., etc., à T o u n k a n é son inévitable bouteille de gin.
Tout le monde me remercia, mais quand je demandai si j’au
rais le lendemain les hommes qui m’étaient nécessaires pour
retourner à Damentan, il me répondit qu’il ne pouvait pas me
les donner parce que ce n ’était pas l’habitude du pays.
Dans la soirée, il me fit encore demander du gin : je lui
en envoyai quelques bouteilles et peu après je le vis arriver.
Il venait me remercier, me dire que tout était réglé entre
nous, qu’il enverrait son fils et son frère à Nétéboulou pour
s’entendre avec le commandant de Bakel et que je pourrais
partir le lendemain matin à l’heure que je voudrais, qu’il
s’était arrangé pour réunir les quelques hommes qui devaient
m’accompagner, mais que je ne devais pas trop y compter car
il craignait bien qu’au moment du départ, ils refusent de
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
301
venir; il ajoutait qu’il ne pouvait pas les forcer et que dans
le Coniaguié, chacun était libre de faire ce qu’il voulait.
Je me couchai à la nuit tombante, enchanté du résultat auquel
j’étais arrivé et que j’étais loin d’espérer à mon arrivée dans le
Coniaguié. Il y avait bien un point noir, la question des porteurs.
Mais bah ! nous nous étions bien débrouillés en d’autres circons
tances, nous saurons bien nous débrouiller encore, comme le
disait le brave Almoudo.
26
décembre. — Je passai une très-bonne nuit et dès le point du
jour, je réveillai tout mon monde. Je dépêche immédiatement
Almoudo et le chef de la case où je suis logé vers Tounkané pour le
saluer en mon nom et pour lui dire que nous n’attendons plus pour
partir que les hommes qu’il m’a promis hier. Il me fait répondre que
personne ne veut porter et qu’il ne peut pas, à son grand regret,
teair la promesse qu’il m’a faite. Il fallut donc nous débrouiller
nous-mêmes et organiser notre convoi avec nos propres ressources.
Les hommes de Sandia et les miens prennent alors les bagages et
nous nous disposions à nous mettre en route, lorsque Tounkané
arriva. 11 vient me saluer, me dit-il, et me souhaiter un bon voyage.
Nous nous serrons la main comme de vieux amis et il me donne
deux guides auxquels il recommande à plusieurs reprises de me
mettre dans la bonne route. Il est six heures du matin quand
nous quittons Yfïané. Nous passons en vue du village dont les
habitants nous regardent défiler avec indifférence. Il fait une tem
pérature très fraîche. Tout le monde grelotte et les enfants, pour se
réchauffer, tiennent dans les mains un tison enflammé sur lequel
ils soufflent fréquemment pour en activer la combustion. Nos
guides nous font prendre un tout autre cbemiu que celui que d o u s
avions suivi à notre arrivée dans le pays. Nous ne trouvons sur
notre passage que le village d’Ouraké et deux petits villages iMalinkés. Cela nous fait gagner environ trois kilomètres. Dans ce
trajet, nous rencontrons plusieurs troupeaux de beaux bœufs qui
se précipitent sur nous au galop et nous chargent. Heureusement
que les guides sont là et les écartent. 11 paraît que la vue de gens
habillés a le don d’exaspérer tout particulièrement ces animaux
qui sont habitués à ne voir que des hommes absolument nus. Nous
traversons, sans encombre, le marigot de Bankounkou et celui de
Mitchi, où je suis obligé de me mettre à l’eau. Là, nos guides nous
�302
ANDRÉ RANÇON
demandent à retourner à Yffané. N’ayant plus besoin de leurs
services, car la route nous était maintenant bien connue, je les
congédie et leur donne quelques kolas qu’ils acceptent avec le plus
grand plaisir, car ce fruit est très rare dans le pays et ils en sont
particulièrement friands.
La traversée du marigot de Oupéré, de celui de Bôboulo et de
celui de Oudari se fait sans accidents, et à une heure de l’aprèsmidi nous sommes arrivés sur la rive droite de ce dernier où je
trouve avec plaisir la bonne case que mes hommes m’y avaient
construite quelques jours avant.
Pendant cette longue étape, je n’ai rien à signaler d’intéressant
que la rencontre que nous fîmes à quelques centaines de mètres du
marigot de Oupéré d’une colonie nombreuse de fourmis magnians
qui émigrait sur le sentier, sur une longueur d’environ deux cents
mètres. Nous fûmes obligés, de ce fait, d’opérer un détour dans la
brousse pour les éviter, car leurs douloureuses morsures sont
excessivement redoutées des indigènes et les chevaux eux-mêmes
sont affolés par l’intolérable cuisson qu’elles déterminent.
Nous avons constaté l’existence au Soudan français de cinq
espèces différentes de fourmis : 1° la fourmi ordinaire que les
Malinkés désignent sous le nom de « Méné-mèné » ; 2° une petite
fourmi noire qui habite généralement les cases et dont la morsure
est excessivement douloureuse et que l’on désigne sous le nom de
« Dougou-méné » (dougou village et mené fourmi) ; 3° la fourmi
rouge « Méné-oulé », qui mord cruellement et qui peut même pro
voquer des ampoules semblables à des brûlures ; 4° la fourmicadavre qui habite surtout dans leslougans et qui est ainsi nommée
parce qu’elle exhale une odeur fétide qui rappelle celle d’un
cadavre en putréfaction. Une seule de ces fourmis suffit pour
empester une case toute entière ; 5° la fourmi-magnian, la plus
terrible de toutes. Elle est très volumineuse et sa longueur peut
atteindre parfois un centimètre et demi à deux centimètres. Sa
couleur est noirâtre. Elle est excessivement vorace. Ses morsures
sont excessivement douloureuses et provoquent parfois l’engour
dissement du membre qui a été blessé. Elles vivent en colonies
nombreuses et émigrent fréquemment. Lorsqu’elles s’attaquent à
une charogne elles l’ont rapidement dévorée et n’en laissent abso
lument que les os. Si l’on est menacé d’une invasion de ces terribles
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
303
insectes, il suffit pour s’en débarrasser de tracer un sillon en avant
d’elles et la colonne obliquera toujours soit à droite soit à gauche. Je
me suis très bien trouvé, toutes les fois que j’ai été mordu, de laver
la blessure avec de l’alcool à 90° ou bien avec une solution con
centrée de bichlorure de mercure. La douleur cesse presque immé
diatement. En pareil cas, les indigènes se servent de beurre de
karité dont ils étendent une épaisse couche sur la morsure et par
dessus laquelle ils appliquent deux ou trois feuilles de téli (Erythrophlœum guineense) qu’ils maintiennent à l’aide d’un chiffon pendant
plusieurs heures. Ce procédé nous a également bien réussi.
Peu après notre arrivée au campement de Oudari éclata, dans
la brousse, sur la rive opposée du marigot, un immense incendie.
Nous entendîmes toute la journée le crépitement des flammes et je
craignais tellement de lui voir gagner notre campement que je fis
débroussailler au loin autour de nous et placer mes bagages en
dehors de ma case. Le vent était heureusement pour nous. Il
soufflait du Nord-Est et poussait les flammes du côté de la rive
opposée à celle sur laquelle nous étions campés. Malgré cette cir
constance, je ne fus pas sans inquiétudes et recommandai à mes
hommes de veiller avec soin. Tout se passa bien et je n’eus aucun
désastre à déplorer.
Vers trois heures de l’après-midi, arrivèrent quatre hommes
d’Yfïané. Us me demandèrent à camper avec nous et à nous
accompagner àDamentan d’où ils voulaient aller à Yabouteguenda
chercher du sel en échange de beurre de karité dont ils avaient de
fortes charges. Je leur accordai l’autorisation qu’ils sollicitaient et
ne les revis plus qu’à notre arrivée à Damentan, où ils vinrent me
saluer et me souhaiter un bon voyage.
Sandia, malgré tout ce que je pus lui dire, n’était pas tran
quille. Il faut se méfier des Coniaguiés, me répéta-t-il plusieurs fois
dans la journée, car ce ne sont pas de bons hommes et ils peuvent
bien venir nous attaquer cette nuit. J ’étais bien rassuré à ce sujet
et j’étais bien persuadé que je n’avais rien à redouter de semblable.
Je ne voulus cependant pas empêcher Sandia de faire une ronde
minutieuse autour du camp, à la nuit tombante. Il en fouilla avec
soin tous les environs et ne se coucha que lorsqu’il fut convaincu
qu’il n’y avait rien de suspect: mais je suis bien certain qu'il ne
dormit pas beaucoup cette nuit-là.
�304
ANDRÉ RANÇON
27
décembre.— Excepté Saudia, tout mon monde a bien dormi et
j’eus quelque peine à réveiller mes hommes à trois heures du matin.
Malgré l’heure matinale, les préparatifs du départ se font très rapi
dement. Il fait encore nuit noire quand nous nous mettons en route,
et cependant, la marche est bonne. C’est qu’il fait un froid des plus
vifs et je constate huit degrés seulement au thermomètre centigrade.
C’est une des plus basses températures que j’aie observées dans ces
régions. De plus, une rosée abondante et froide couvre absolument la
brousse et, peu après le départ, nous sommes littéralement trempés
jusqu'aux os. Aussi, à chaque halte, nous faut-il faire de grands
feux pour nous réchauffer et nous sécher. A peu de distance du
marigot de Nomandi, dans une vaste plaine que venait de dévaster
un immense incendie, nous vîmes défiler devant nous un superbe
troupeau de 25 à 30 antilopes de la variété que les indigènes
désignent sous le nom de « Koba ». Cet animal est excessivement
commun au Soudan et il en existe plusieurs espèces dont les prin
cipales sont : le Koba, le Dumsa et le Diguidianka. On les reconnaît à
la forme de leurs cornes, à leur stature, et à leur pelage. Ainsi le
Dumsa est généralement de petite taille. Son poil est alezan foncé
et ses cornes sont droites, de taille moyenne à l’âge adulte; et forte
ment acérées. Le Koba est, au contraire, de forte taille, son pelage
grisâtre et sa bouche est blanche. Ses cornes sont en général
annelées, rejetées en arrière et ont une courbe à concavité posté
rieure. Le Diguidianka est le plus volumineux de tous, il est géné
ralement aussi le plus farouche. Son pelage est alezan et sa taille
peut atteindre celle d’un cheval de cavalerie légère. Ses cornes très
fortes atteignent parfois un mètre à un mètre cinquante de lon
gueur. Elles sont fortement annelées. Très lourdes, elles sont forte
ment implantées dans l’os frontal et comme elles pourraient gêner
l’animal quand il est poursuivi, il lève fortement la tête de façon à
ce qu’elles viennent reposer sur son dos. Tous ces animaux sont
très vigoureux et détalent avec une effrayante rapidité. Aussi ne
peut-on les chasser qu’à l’affût ou bien les tirer avec des armes à
longue portée. Leur chair est excessivement savoureuse.
Nous revoyons, en passant, notre campement du marigot de
Bamboulo, et à peine étions-nous dans la vallée de Damentan que
nous faisons fuir devant nous une belle troupe de sangliers. Je
remarque dans leurs rangs plusieurs vieux solitaires énormes et un
�305
DANS LA HAUTE-GAMBIE
graud nombre de jeunes marcassins. Ils défilent tranquillement à
deux portées de fusil de nous environ. Cet animal, que les indigènes
nomment Diéfali, est très commun dans toute cette région. Les
musulmans ne le chassent pas car il est défendu par le Koran de
manger sa chair. Aussi, il se multiplie considérablement et cause
de grands ravages dans les lougans de mil et de patates dont il est
très friand.
A midi nous arrivons enfin à Damentan. Tout le monde fait la
sieste ou bien est occupé dans les lougans. Mais la nouvelle de notre
arrivée s’est bientôt répandue et tout le village ne tarde pas à venir
me saluer et à venir prendre de nos nouvelles. On ne comptait plus
nous revoir, car, avec leur exagération habituelle, les noirs qui
y étaient venus du Coniaguié, n’avaient pas manqué de dire que
Tounkané ne voulait pas nous laisser revenir à Damentan. Ce fut
avec un grand plaisir que je repris possession de ma bonne case et
que je pus enfin me reposer un peu. Je crois bien que mes hommes
revirent cet hospitalier village avec encore plus de satisfaction que
moi si cela était possible.
Alpha-Niabali était absent lorsque nous arrivâmes. Il était allé
dans ses lougans surveiller la récolte de son mil. Il fut aussitôt
prévenu et ne tarda pas à venir me rejoindre. Grande fut sa joie de
nous voir sains et saufs et il ne me cacha pas que pendant les
quelques jours qu’avait duré notre voyage, il avait été fort inquiet
de notre sort. Il avait appris la façon peu cordiale avec laquelle
Tounkané nous avait reçus et il n’en avait été nullement surpris.
Mais ce qui le scandalisa le plus ce fut le peu d’empressement que
ce sauvage avait mis à nous procurer notre nourriture, a Je te
l’avais bien dit, me dit-il, ce sont de véritables bœufs (missio) ». Il
fallut lui raconter en détail notre voyage sans rien omettre. On
peut bien penser que la conversation ne languit pas. Sandia nous
raconta alors tout ce qui s’est passé dans le village Coniaguié
pendant notre séjour à Yfïané. Il a été tenu chaque jour au courant
des faits et des gestes des habitants par notre hôte qui y avait ses,
grandes et ses petites entrées, et s’il ne m’a prévenu de tout ce
qui se tramait contre nous, c’est uniquement pour ne pas m’effrayer.
Je compris alors pourquoi il insistait tant pour que je parte et
pourquoi il était si inquiet pendant tout le voyage de retour. Il
m’avoue alors n’avoir été réellement tranquille que lorsque nous
André Rançon. — 20.
�306
ANDRÉ RANÇON
eûmes traversé le marigot de Nomandi qui forme la limite entre le
Coniaguié et le Dament.an. Je ne crois point que ma vie ait été aussi
sérieusement menacée à Yfïané que ce brave homme de chef veut
bien le dire. Malgré cela, je tiens à relater ici tous les détails qu’il
m’a donnés au retour quand tout péril fut éloigné. Je commence
dès le début, dés mon entrée sur le territoire Coniaguié, et voici à
peu près ce que nous raconta Sandia et que me traduisit fidèlement
Almoudo.
Les quatre hommes que nous avions rencontrés au marigot de
Talidian avaient été apostés là pour nous suivre dans la brousse et
épier nos faits et gestes. L’œil perçant de Sandia les découvrit et
force leur a été dès lors de faire route avec nous. A Ouraké, le chef
ne nous fit attendre si longtemps pour nous autoriser à aller à
Yfïané qu’afin de permettre aux guerriers du village de se ras
sembler pour nous escorter. A partir de là, en effet, le nombre des
guerriers Coniaguiés ne fit qu’augmenter et c’est entourés de cent
ou cent cinquante fusils que nous arrivâmes à Yfïané. Dès que je
fus installé dans le village Malinké, et après l’entretien que j’y
eus avec Tounkané dans ma case, on discuta ferme dans la soirée,
dans le village Coniaguié pour savoir si on nous laisserait retourner
à Damentan. Mais on ajourna toute décision au lendemain, quand
on aurait entendu ce que j’avais à dire.
Après le palabre, on discuta longuement dans le village où tous
les chefs Coniaguiés étaient réunis. Il paraîtrait que beaucoup
opinaient pour qu’on nous mît tous à mort ; mais le chef Tounkané
déclara qu’il ne fallait pas agir ainsi, car, étant venu chez eux sans
armes et sans escorte, il était évident que je ne voulais pas leur
faire de mal ; mais il fallait, sous tous les prétextes, nous empêcher
de retourner chez nous, d’où nous n’aurions pas manqué de revenir
bientôt après avec une colonne pour nous emparer du pays. Ce fut
cette opinion qui prévalut. Aussi, comme première mise à exécu
tion me demanda-t-il de rester un jour de plus pour lui faire
plaisir. Ce que j’accordai, malgré Sandia et Almoudo qui, étant au
courant de la situation, voulaient me faire partir de suite. Je me
souviens encore qu’à ce moment-là quand je déclarai à Tounkané
que je resterais un jour de plus, selon sa demande, Almoudo me
répéta à plusieurs reprises : « Y a pas bon quand noir y a dire, tu
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
307
partiras demain, tu partiras demain, si toi y a resté, Goniaguié y
a faire captif ».
Dans la troisième journée, nouveau conciliabule entre les chefs
Coniaguiés. Il est alors décidé que pour m’empêcher de partir, on
s’emparera de mes hommes ; et pour mieux atteindre ce but, on ne
me donnera personne pour porter mes bagages; mais on n’agira
que lorsque tous les guerriers du pays seront réunis. Je m’étonnais
aussi d’en voir depuis la veille arriver de tous côtés. Le soir, Tounkané vint me voir et entre autres choses me demanda de ne pas
partir le lendemain matin et de ne me mettre en route que le soir,
parce que, disait-il, des chefs de villages éloignés devaient venir
me saluer et les Malinkés devaient m’apporter un bœuf. Je le lui
refusai et ce fut alors que me voyant absolument décidé à partir, il
me promit qu’au point du jour j’aurais les hommes qui m’étaient
nécessaires. Prévenus par notre hôte de ce qui s’était passé la veille,
Sandia et Almoudo me déclarent qu’il faut absolument partir le
lendemain matin, puisque j’ai déclaré que je partirais ce jour-là,
et que si Tounkané ne donne pas des hommes, on se débrouillera
avec les nôtres et que, s’il le faut, ils porteront eux-mêmes les
bagages. Comme je l’ai dit plus haut, le lendemain matin, en effet,
nous ne pûmes pas avoir les quelques porteurs qui me manquaient.
Nous nous sommes débrouillés et Tounkané fut, je crois, bien
heureux de nous voir partir.
Je ne donne bien entendu, ce récit que, sous toutes réserves, et
uniquement d’après ce que m’ont rapporté mes hommes. Pour moi,
je tiens à affirmer que je n’ai rien eu à reprocher aux Coniaguiés,
que leur indiscrétion, la garde active qu’ils ont montée autour de
ma case et aussi la façon peu hospitalière dont ils nous ont traités.
Du reste, d’après les renseignements que j'ai pu recueillir sur ces
gens-là, j’ai acquis la certitude qu’ils n ’avaient pas fait une
exception pour moi et qu’ils recevaient ainsi tous les étrangers qui
s’aventuraient dans leur pays.
Quand nous eûmes terminé le récit de nos aventures au
Coniaguié, Alpha-Niabali me demanda aussitôt la permission de se
retirer pour donner des ordres afin qu’on nous préparât tout ce qu’il
fallait pour notre dîner, car, disait-il, vous devez avoir faim. Il fit
immédiatement envoyer du mil en quantité considérable pour les
chevaux. Ces pauvres bêtes, absolument affamées, et qui n ’avaient,
�308
ANDRÉ RANÇON
pour ainsi dire, vécu depuis huit jours que de brousse sèche et
d’un peu de paille d’arachides, firent bombance ce jour-là et
mangèrent double ration de mil. A la nuit tombante, les femmes
du village apportèrent à mes hommes, de bons couscouss de mil,
de riz, de fonio avec de la viande et du lait. Ils rattrapèrent
le temps perdu et ce fut avec joie qu’ils m’entendirent déclarer à
Alpha que je resterais encore un jour à Damentan. J ’avais grand
besoin de repos, et je voulais mettre un peu d’ordre dans mes notes.
Ce soir-là tout le monde se coucha et s’endormit de bonne
heure et j’avoue que je ne fus pas de ceux qui dormirent le moins
profondément. Le lendemain s’écoula sans incidents, ce fut encore
pour toute ma caravane une journée de repas pantagruéliques et de
festins copieux. Pour moi, j’ai pu mettre à jour la plus grande
partie de mes notes et faire mes préparatifs de départ pour le
lendemain matin. Je n’ai pas besoin de dire que j’ai retrouvé
absolument intacts tous les bagages que j’avais confiés à AlphaNiaboli. Je le remercie de sa généreuse hospitalité, et lui fais un
beau cadeau avant de nous séparer. Il est enchanté et m’assure une
fois de plus de tout son dévouement pour les Français. « Demain
» matin, me dit-il, je viendrai te saluer avant ton départ et mon
» fils partira avec toi pour aller trouver à Nétéboulou le com)) mandant de Bakel et l’assurer que je veux absolument être ami
» avec vous. »
�CHAPITRE XVI
Le pays de Coniaguié et le pays de Bassaré. — Limites. — Frontières. — Aspect
général du pays. — Hydrologie. — Orographie. — Constitution géologique du
sol. — Faune. — Animaux domestiques. — Les bœufs. — Les poulets. — Les
pintades. — Flore. — Productions du sol — Cultures. — Populations. — Ethno
graphie. — Ethnologie. — Sociologie. — Opinions diverses sur l’origine des
Coniaguiés et des Bassarés. — Les villages. — Les habitations.— La nourriture.
— La coiffure. — Le vêtement. — Organisation de la société. — La famille. —
Rôle de la femme dans les affaires publiques. — Religion. — La guerre. — Les
armes. — Fabrication de la poudre. — Langage. — Situation politique actuelle.
— Rapports des Coniaguiés avec leurs voisins. — Notes diverses sur les
Bassarés.
�310
ANDRÉ RANÇON
Le pays de Coniaguié et celui de Bassaré étaient absolument
inconnus jusqu’à ce jour. Aucun Européen n ’avait visité avant
nous cette région et ce qui nous permet de le présumer, c’est que
nous ne la trouvons mentionnée dans aucune relation de voyage et
ce que l’on en savait jusqu’à ce jour, on ne l’avait uniquement
appris que par de vagues renseignements. Ce n’est que sur la carte
dressée par MM. les lieutenants Plat et Huillard, de l’infanterie de
marine, que nous trouvons le nom de « Batiari ». C’est ainsi qu’ils
désignent cette contrée, et cette indication permet de supposer que
ces deux consciencieux géographes en avaient entendu parler.
Certains autres auteurs,en parlant du N’Ghabou, disent bien que le
Bassary et le Conadjy en étaient des provinces, mais aucun ne
donDe à leur sujet aucun renseignement ni aucun détail. Tout au
contraire, le pays compris entre la rivière Grey et les pays de
Niocolo, Sabé, Tamgué a toujours été considéré jusqu’à ce jour
comme absolument désert et inhabité. Pour nous, nous désigne
rons sous ces deux noms de Coniaguié et de Bassaré, toute cette
vaste étendue de terrains qui se trouve située au Sud-Sud-Est de
Damentan et qui est habitée par ces peuplades qui diffèrent si pro
fondément par leurs mœurs et leurs coutumes des autres peuples
du Soudan.
Limites. Frontières. — Pour plus de clarté disons tout d’abord
que nous comprendrons dans la même description le pays de
Coniaguié et celui de Bassaré. Les deux peuplades qui les habitent
sont, en effet, de même race et ont les mêmes mœurs, mais leur
langage est un peu différent. D’après les renseignements que nous
avons pu recueillir, ce pays se trouverait à peu près situé entre les
14° 45’ et 15° 10’ de longitude Ouest et les 12° 25’ et 12° 56’ de latitude
Nord. Ces limites ne sont absolument que très approximatives. Sa
plus grande longueur du N.-O. au S.-E. est d’environ 80 kilomètres
et sa plus grande largeur du S.-O. au N.-E. ne dépasse pas 50 kilo
mètres. Sa superficie est à peu près de 4,000 kilomètres carrés, sur
lesquels environ un quart serait habité et cultivé. Il confine au
Nord et au Nord-Est au territoire de Damentan, à l’Est au Niocolo
et au Sabé, au Sud aux pays de N’Dama, de Pajady et de Toumbin,
enfin à l’Ouest aux pays de Pajady, de Toumbin et au Fouladougou.
Sa frontière est des plus irrégulières. Il est séparé du Damentan par
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
311
le marigot de Nomandi. La rivière Grey le sépare du Fouladougou.
Ailleurs, rien de certain. Pas de frontières naturelles. Du reste,
dans ces régions, il est séparé des pays voisins par de longs espaces
de terrains absolument déserts et inhabités.
Aspect général du pays. — Le pays des Coniaguiés et des Bassarés,
du moins dans la partie que nous avons visitée, diffère complète
ment des autres parties du Soudan que nous avons parcourues.
C’est une succession de collines et de vallons qui lui donne l’aspect
le plus mouvementé. L’aspect de la région avoisinant la rivière
Grey est tout différent. Nous retrouvons là les vastes plaines
argileuses que nous signalions entre Son-Counda et Damentan. Il
en serait de même pour lapartie qui confine au Niocolo et au Sabé.
La végétation, pauvre sur les plateaux est, au contraire, excessi
vement riche dans les vallées et sur les flancs des collines. Dans les
régions avoisinant la rivière Grey et le Niocolo, nous ne trouvons
plus que la végétation rare des terrains marécageux à fonds
d’argiles. La partie habitée qui est constituée par un vaste plateau
d’environ 800 à 1,000 kilomètres de superficie a un aspect riche et
agréable que n’ont pas les autres régions. Les nombreux villages et
les vastes lougans qu’on y rencontre lui donnent un aspect de
fertilité et de richesse que n’ont pas les autres pays du Soudan.
Hydrologie. — Nous ne pouvons parler de l’hydrologie du pays
de Coniaguié et de Bassaré qu’uniquement en ce qui concerne la
région que nous avons parcourue. Elle est des plus riches et toutes
les vallées sont arrosées par des marigots où coule en toute saison
une eau claire, limpide et délicieuse à boire. En général, au pied de
chaque colline coule un marigot. D’après nos renseignements, tous
ces marigots seraient tributaires de la rivière Grey et la plupart
d’entre eux la feraient communiquer avec la Gambie. Nous ne
donnons ceci, bien entendu, que sous toutes réserves. De Damentan
à Yfîané on trouve successivement les marigots suivants, dans le
Coniaguié, le Taliclian, le Poutou-pata qui se divise en deux bran
ches, le marigot de Oudari, celui de Bàboulo, de Oupéré, de Mitchi,
et de Bankounkou, qui reçoit celui de Malé qui traverse de l’Est à
l’Ouest le Coniaguié et sépare le territoire des Sankoly-Counda
de celui des Biaye-Counda ; ce sont les deux familles qui peuplent
ce pays. Sur le plateau lui-même, à part le marigot de Malé, on
�312
ANDRÉ RANÇON
ne trouve aucun cours d’eau, et on ne se sert pour les usages
domestiques que de l’eau de puits qui est, du reste, excellente.
Par-ci par-là, on rencontre aussi quelques mares, mais elles sont
rares et de peu d’importance. Comme on le voit, toute cette région
est supérieurement arrosée, et c’est à la présence de tous ces
marigots que les vallées où ils coulent doivent leur grande fertilité.
La rivière Grey arrose le Coniaguié sur une longueur d’environ
quarante kilomètres. Elle reçoit toutes les eaux qui découlent le
long des flancs du plateau, à l’Ouest. Nous avons longuement
parlé plus haut de cette rivière, nous n’y reviendrons pas ici.
Nous ne pourrions, du reste, rien ajouter à ce que nous avons
déjà écrit à ce sujet.
Orographie. — L’orographie du pays des Coniaguiés et des
Bassarés, du moins dans la partie que nous avons visitée, est des
plus simples. La rive gauche de la Gambie est longée dans tout son
cours par une chaîne de collines peu élevées, boisées, et qui se
distinguent au loin dans la plaine. De ces collines partent des
contre-forts en grand nombre qui, perpendiculaires à ces dernières,
se dirigent vers la chaîne peu élevée qui longe la rive droite de la
rivière Grey. De telle sorte que les deux rangées de collines de la
Gambie et de la rivière Grey forment, pour ainsi dire, les deux
montants d’une échelle dont les contre-forts signalés plus haut
seraient les échelons. Entre ces collines s’étendent de belles vallées
au fond desquelles coulent les marigots. Ceux-ci sont dans tout
leur cours absolument parallèles aux collines dont ils suivent le
pied. Leur orientation est la même, Sud-Ouest, Nord Est. Toutes
ces collines dont nous venons de parler sont relativement peu
élevées : 30 à 35 mètres au maximum. Elles sont généralement
incultes et inhabitées. Leur sommet s’étale en un plateau plus ou
moins vaste, aride, en général, sauf pour celui du Coniaguié et
celui du Bassaré. Leurs flancs sont généralement boisés ; mais c’est
surtout sur les bords des marigots que se voit la végétation la plus
puissante. Par-ci, par là, dans les plaines, nous trouvons encore
quelques-unes de ces collines isolées que l’on rencontre dans la
plupart des régions soudaniennes. Mais elles sont de plus en plus
rares et elles ont un aspect absolument dénudé.
Constitution géologique du sol. — La constitution géologique du
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
313
sol diffère suivant que l’on s’approche de la Gambie et de la rivière
Grey ou que l’on s’en éloigne. Près de ces grands cours d’eau, nous
trouvons presque uniquement des argiles compactes à sous-sol de
terrain ardoisier. Ailleurs, c’est le terrain de la période secondaire,
par excellence. Les collines soûl uniquement formées de roches
que l’on ne rencontre que dans les terrains de cette nature. Les
grès, les quartz ferrugineux y abondent, et, presque partout nous
trouvons le conglomérat ferrugineux à ossature de grès et de
quartz et à gangue argileuse. Nous ne trouvons la latérite que sur
le plateau du Goniaguié, proprement dit, et par-ci par-là quelques
rares ilôts de peu d’étendue qui sont, du reste, peu cultivés. Sur
les plateaux, la roche se montre à nu en maints endroits. Aussi,
sont-ils souvent d’une aridité remarquable. Dans les vallées, c’est
le terrain d’alluvion et les vases qui dominent surtout sur les bords
des marigots. Les berges de ceux-ci sont rarement formées d’argiles,
le plus souvent c’est la roche qui domine. Le fond en est généra
lement rocheux ou formé de petits cailloux de grès ou de quartz
ferrugineux. Parfois aussi, il est absolument couvert d’une épaisse
couche de détritus végétaux. Les sables font complètement défaut,
sauf dans la portion habitée, où, cependant, ils ne forment qu’une
couche peu épaisse. L’humus ne se rencontre uniquement que sur
les bords des marigots et dans le voisinage de quelques marais. Il
est entièrement formé de détritus végétaux très abondants dans ces
régions. De ce que nous venons de dire, nous pouvons conclure que
tout le pays Coniaguié appartient aux terrains de formation secon
daire, et, à ce point de vue, il se rattache au système géologique
auquel appartient le Fouta-Diallon tout entier.
Faune. Animaux domestiques. — La faune est, on le comprend
aisément, des plus riches et des plus variées. On y trouve tous les
animaux sauvages que l’on rencontre dans les régions analogues
du Soudan. Les antilopes les plus variées; les biches, les gazelles
y foisonnent. Le sanglier est très commun dans les vallées, où il
trouve en abondance les jeunes racines dont il est si friand. Le
bœuf sauvage est très commun surtout sur le plateau du Coniaguié.
Dans les vastes plaines qui longent les bords de la Gambie et du
Koulontou (rivière Grey), nous trouvons surtout l’éléphant et l’hip
popotame auxquels les habitants du pays font une chasse acharnée.
�314
ANDRÉ RANÇON
Les animaux nuisibles ne manquent pas non plus ; ils habitent
surtout les collines rocheuses et les alentours des villages. Dans les
lieux déserts, c’est le lion, la panthère, le lynx, le chat-tigre. Dans
le voisinage des villages, le chacal, l’hyène et une sorte de chien
sauvage élisent domicile. Ils sont si nombreux que, la nuit, si on
n’y est pas habitué, leurs cris empêchent littéralement de dormir.
Les oiseaux sont très communs. Perdrix, outardes, pintades, passe
reaux de toutes sortes, etc., etc., y abondent.
Parmi les animaux domestiques, nous citerons particulièrement
les bœufs, moutons, chèvres, chiens, chats. Les bœufs sont très
nombreux au Goniaguié. Chaque village en possède un troupeau de
plusieurs centaines de têtes. Ils sont de grande taille et très vigou
reux. De toutes les espèces que nous avons vues au Soudan, c’est
assurément celle qui se rapproche le plus de notre bœuf de
France. D’une façon générale, on peut dire que le bœuf du Goniaguié
n ’est pas domestiqué, mais simplement apprivoisé. Les troupeaux
vivent dans les taillis qui avoisinent les villages, et, le soir, rentrent
coucher auprès des cases. Habitués à ne voir que des individus
absolument nus, l’aspect des boubous flottants que portent, en
général, les noirs, a le don tout particulier de les irriter. Ils n’hési
tent pas alors à vous charger. Leur chair est très bonne; mais il faut
une circonstance toute particulière, fête ou passage d’un chef, pour
que les propriétaires se décident à en abattre une tête et, encore,
faut-il la sacrifier à coups de fusil. G’est une véritable chasse qui
est parfois féconde en accidents. Le lait des vaches n’est pas utilisé.
Les chevaux sont absolument inconnus, et les quelques ânes
que l’on y rencontre y sont amenés par les rares dioulas qui y
viennent commercer.
Les moutons et les chèvres y sont élevés en nombre relativement
considérable. Leur chair est assez bonne et forme la base de l’ali
mentation animale des habitants.
Les chiens sont très communs et les chasseurs les dressent à
poursuivre le gibier. Ils manquent absolument de nez.
Les poulets foisonnent dans tous les villages. Outre la petite
espèce que l’on rencontre dans tout le Soudan, il existe encore au
Coniaguié une variété qui rappelle nos grosses poulardes d’Europe.
Ces volatiles sont très estimées dans les pays voisins. Il nous a
semblé cependant que leur chair était plus dure et moins savou-
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
315
reuse que celle des autres espèces. Les Coniaguiés excellent dans
l’art d’élever les chapons, et, il n’est pas de village qui n ’en pos
sède plusieurs centaines. La pintade franche y est aussi assez
commune, mais elle y est généralement peu estimée. Outre la
pintade grise que l’on trouve partout au Soudan en liberté, nous
avons remarqué au Goniaguié une variété qui, par son plumage
d’un blanc jaunâtre, diffère absolument de la première. Sa chair
est tout aussi savoureuse. Citons enfin quelques canards de Barbarie
et quelques canards armés qui portent aux ailes de formidables
éperons.
Flore. Productions du sol. Cultures. — La flore du pays de Gonia
guié varie sensiblement suivant les régions où on l’examine.
Dans les plaines qui avoisinent la Gambie et la rivière Grey,
nous ne trouvons qu’une végétation pauvre. Quelques rares Joncées,
mais des Cypéracées énormes qui atteignent des hauteurs étonnan
tes. C’est la brousse dans toute l’acception du mot. Par-ci par-là
quelques rôniers difformes, et, sur les bords du fleuve, quelques
rares palmiers d’eau. Dans les plaines, quelques arbres rabougris
se montrent de loin en loin et donnent au pays l’aspect de steppes
soudaniennes. Toute autre est la flore des vallées. Là, nous
trouvons les grandes essences botaniques qui caractérisent les
régions tropicales des Rivières du Sud. Les fromagers, les baobabs,
les n’tabas, les caïl-cédrats, les Légumineuses gigantesques se
montrent partout et y atteignent de colossales proportions. Sur les
bords des marigots, ce sont surtout les bambous et les télis que
l’on rencontre le plus fréquemment. Les lianes à caoutchouc et à
Vahea sont partout fort nombreuses. Sur les flancs des collines
et sur les plateaux, la flore devient moins puissante, mais elle est
encore très riche. Les Graminées y constituent un excellent fourrage
pour les animaux, et, à chaque pas, nous rencontrons de superbes
karités des deux variétés shee et mana. Ces végétaux sont surtout
très abondants sur le plateau du Coniaguié, et nous en avons vu
de nombreux échantillons dont le tronc atteignait en grosseur
celle du corps d’un homme vigoureux. L’oranger et le citronnier
n’existent pas, que je sache, dans cette partie du Soudan. Par contre,
il y existe une grande variété de ficus.
Les plantes cultivées y sont les mêmes que dans tout le reste
�316
ANDRÉ RANÇON
du Soudan. Les lougans y sont très bien entretenus et très riches.
On y trouve en quantité le mil, les arachides, le riz, le maïs.
Autour des villages, on cultive surtout le tabac, les tomates,
l’oseille, etc., etc. Le fonio y occupe dévastés lougans. En résumé,
toute cette partie du pays Coniaguié peut être considérée comme
une vaste exploitation agricole. Du reste, dans tous les pays
voisins, elle a la réputation d’être excessivement fertile.
Populations; Ethnographie; Ethnologie; Sociologie. — Le pays de
Coniaguié est habité par trois races différentes. On y trouve, en
effet, des Malinkés, des Peulhs et des Coniaguiés. Ces derniers
sont de beaucoup les plus nombreux et sont, en vertu du droit de
premiers occupants, les maîtres du sol. Relativement à son étendue,
ce pays est très peuplé, si toutefois l’on ne considère que la partie
qui est habitée. Tous les villages sont situés sur le plateau dont
nous avons parlé plus haut. Aussi sont-ils fort rapprochés les uns
des autres, et, à peine distants de deux ou trois kilomètres au plus.
Les espaces compris entre chaque village sont partout cultivés et
forment de riches lougans. La population totale du pays, si nous y
ajoutons celle de quelques petits villages isolés dans la brousse et
dont nous n’avons pu avoir les noms, peut s’élever à environ 7,000
ou 8,000 habitants dont les quatre cinquièmes sont Coniaguiés et
le reste Malinké et Peulh.
1° Peulhs. — Les Peulhs sont les moins nombreux. Ils ne
forment que cinq villages dont la population peut s’élever à environ
quatre ou cinq cents habitants au plus. Voici les noms de ces
villages :
Labouqui.
Boumoufoulacounda.
Kérouané.
Calloia.
Yrratilia.
Ces Peulhs sont venus là, mi-partie du Fouta-Diallon, mi-partie
du Fouladougou. Les uns sont des Musulmans fanatiques et les
autres des buveurs de gin enragés. Ils s’adonnent principalement
à la culture et à l’élevage des bestiaux. La plupart ont cherché
dans le Coniaguié un refuge contre les exactions des almamys du
Fouta-Diallon et de Moussa-Molo, le souverain du Fouladougou.
Leurs villages sont, comme partout ailleurs, construits en paille,
et, en général, sales et mal entretenus. Ils vivent là tranquillement
���DANS LA HAUTE-GAMBIE
317
sous la protection des Coniaguiés qui,à l’encontre des autres peuples,
ne les molestent et ne les tracassent jamais.
2° Malinkés. — Les Malinkés sont de beaucoup plus nombreux.
Ils forment plusieurs villages qui sont, en général, situés non loin
du village Coniaguié auquel ils empruntent le nom. Ces villages
sont, pour la plupart, construits en paille. On n’y trouve que fort
peu de cases en terre bâties comme celles des autres pays Malin
kés. Pas de tatas. Le village est simplement entouré d’une légère
palissade faite en tiges de mil. Voici les noms de ces villages:
Tamba-Coumba-Coto.
Navaré-Maninka-Counda.
Iguigui-Maninka-Counda.
Yfïané-Maninka-Counda (Il y a trois petits villages Malinkés de
ce nom autour du village Coniaguié).
Uttiou-Maninka-Counda.
Yokounkou-Maninka-Counda (Trois villages Malinkés de ce
nom autour du village Coniaguié).
Kidaqui-Maninka-Counda.
Tatini-Maninka-Counda.
Idiri-Maninka-Counda (Trois villages Malinkés de ce nom).
Feddé-Maninka-Counda (Trois villages Malinkés de ce nom).
La population de ces différents villages forme un total d’environ
1,500 ou 2,000 habitants. Les Malinkés du Couiaguié sont, en grande
partie, venus du N’Ghabou aujourd’hui Fouladougou, chassés par
la guerre sans merci que leur firent Moussa-Molo et son père. Us
sont pour la plupart musulmans et s’adonnent spécialement à la
culture. Beaucoup d’entre eux se livrent en même temps au com
merce. Ce sont eux qui, en grande partie, introduisent dans le pays
les quelques étoffes, le sel, la verroterie, etc., etc., dont font usage
les Coniaguiés. C’est surtout à Mac-Carthy et à Yabouteguenda
qu’ils se procurent tout ce dont ils ont besoin pour leur commerce.
Bien qu’ils vivent en très bonne intelligence avec leurs hôtes qui
ne les pillent et ne les rançonnent jamais, ils seraient très heureux
de voir le pays soumis à l’influence française ; car ils ne doutent
pas que la paix la plus profonde y régnerait alors et qu’ils pour
raient faire leur petit trafic en toute sécurité. Pendant notre séjour
dans le Coniaguié, les Malinkés d'Yffané me rendirent de signalés
�318
ANDRÉ RANÇON
services et ce fut à eux que mes hommes durent de ne pas souffrir
de la faim.
La majorité des Malinkés du Coniaguié appartient à la grande
famille Mandingue des Dioulas. Je ferai remarquer à ce propos
qu’il importe de ne pas confondre la famille des Mandingues
Dioulas avec les commerçants auxquels les Européens donnent
ce nom. C’est à tort que nous appelions ces colporteurs Dioulas,
car cette appellation qui peut s’appliquer aussi bien à des Ouolofs,
des Sarracolés, des Bambaras, etc., etc., qu’à des Malinkés,
peut donner lieu à des confusions contre lesquelles il est
important que le lecteur se mette en garde. Peut-être l’origine
de cette expression vient-elle de ce que les Malinkés Dioulas de
la rive droite du Niger sont surtout marchands ambulants.
On aurait alors, à la longue, donné ce qualificatif à tous les
colporteurs du Soudan à quelque race qu’ils appartiennent. On a
toutefois toujours soin d’y ajouter le nom de leur nationalité.
Ainsi on dira: uu dioula Malinké, un dioula Sarracolé, un dioula
Peulh, etc., etc. Mais si l’on parle d’un Malinké de la famille des
Dioulas on dira : un dioula au même titre que l’on dit : un
Tarawaré, un Sisolto.
3° Coniaguiés. — Les Coniaguiés sont de beaucoup les plus
nombreux. Ils forment un grand nombre de villages dont voici les
noms :
Karakaté.
'Iguigui.
Benania.
Ouraké.
Poumoukia.
Tianané.
Kogani-Counda.
Yfïané (résidence du chef du pays).
Ceddé.
Oussou (N° 1).
Oussou (N° 2).
Yokounkou.
Ygguissaia (N° 1).
Ygguissaia (N° 2).
Oussouqui (N° 1).
Iviri.
Akoungou.
Bambou.
Cotta.
Kounkali (N° 1).
Kounkali (N° 2).
Yalloupadinia.
Uttiou.
Tiékaia.
Ouiané.
Ypparé.
Oussouqui (N° 2).
Navaré.
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
Boumbou.
Boutinti.
Tatini.
Coantifounti.
Tafoumaia.
319
Batianké.
Tiakourou
Nouma.
Paqueiii.
Oulousato.
Kidaqui.
D’où vient cette peuplade ? Quelle est son origine ? A quelle
grande race du Soudan pouvons-nous la rattacher. Je reconnaîtrai
franchement qu’à ce sujet, je n’ai pas une opinion encore bien
arrêtée. Je me contenterai de rapporter ici les versions diverses
que j’ai recueillies à leur sujet. Je ne crois point qu’il faille les
rattacher à la famille des Kroumens de la côte de Guinée, bien que
leur costume, leur aspect extérieur et leurs mœurs permettent de
les confondre avec ces derniers. Ils en diffèrent profondément par
des caractères anthropologiques qui ne peuvent laisser aucun
doute et sur lesquels nous aurons occasion de revenir plus loin.
De même, j’estime que rien ne nous permet et de les rattacher
à la grande famille des Sarracolés ou Soninkés. Certaines cartes
portent, en effet, comme celle de Vallière, que toute cette région
est habitée par des Soninkés. Cela provient, à n’en pas douter,
d’une erreur facile à expliquer. L’opinion dont m’a fait souvent
part mon excellent ami, le capitaine Roux, de l’infanterie de
marine, me semble des plus plausibles et je crois devoir la men
tionner ici. D'après lui, cette erreur proviendrait de ce que, à Bady
et dans tout le Tenda-Touré, on se sert souvent de l’expression
« nous autres, Soninkés ». Ce qui ne veut pas dire du tout qu’ils
appartiennent à la race Sarracolée, mais bien : « hommes restés
buveurs, » comme le dit Hecquart et non « hommes restés païens, »
comme le disent d’autres, auteurs.
Pour moi, j’opinerais volontiers pour les rattacher à la
famille des Malinkés. Mais alors, nous aurions affaire à des
Malinkés dégénérés ou plutôt à des Malinkés restés absolument
à l’état sauvage. Selon toutes probabilités, les Bassarés, les
Coniaguiés et d’autres familles établies dans le Haut N’ghabou
ont eu leur berceau sur les bords du Niger, qu’ils ont aban
donné avec la grande émigration de Koli-Tengrela vers le XIVe
siècle. Cette émigration s’est répandue dans toute la vallée du
�320
ANDRÉ RANÇON
Haut-Sénégal, et un groupe principal est descendu dans le
Fouta-Diallon. On peut supposer que quelques familles, fuyant
devant les agressions incessantes des Peulhs, se sont réfugiées
dans les forêts de la rive gauche de la Gambie. Traquées en
suite comme des animaux, aux prises avec la faim et les bêtes
féroces, elles ont dû mener là une existence des plus miséra
bles. Les Coniaguiés et les Bassarés pourraient être regardés
comme les derniers descendants de ces familles errantes.
Mais c’est là, bien entendu, une simple supposition : cer
tains caractères que nous avons pu constater chez ces peu
plades et surtout une grande parenté de langage nous permet
de la regarder comme vraisemblable. Du reste, les griots que
nous avons interrogés à ce sujet, les chefs que nous avons
questionnés et, parmi eux, notre ami Abdoul-Séga, l’intelligent
chef de Koussan-Almamy (Bondou), ne mettent pas en doute
l’origine Mandingue de ces peuplades. Leur opinion ne diffère
guère de la nôtre que sur l’époque à laquelle aurait eu lieu
cette migration. D’après eux, elle serait de beaucoup antérieure
à celle de Koli-Tengrela. Nous ne croyons cependant pas qu’il
en soit ainsi ; car nous n’avons trouvé nulle part trace de
leur passage avant cette époque. S’il en était ainsi, il faudrait
admettre, ce qui serait beaucoup plus vraisemblable, que les
Coniaguiés et les Bassarés sont absolument originaires du
bassin de la Haute-Gambie. Ce que nous ne saurions admettre,
étant donné surtout ce que nous savons des migrations de la
race Mandingue.
Une autre version, aussi vraisemblable que la précédente sur
l’origine des Coniaguiés et des Bassarés, est la suivante. D’après
les renseignements que j’ai pu recueillir, ce ne seraient que
des captifs qui auraient fui , en masse le Fouta-Diallon, et
auraient cherché là, sur ces plateaux difficilement accessi
bles, un refuge contre les Peulhs, leurs anciens maîtres. Le
Bondou était autrefois, avant sa colonisation par Malick-Sy et
ses Toucouleurs, habité par de nombreuses populations Malinkées, absolument sauvages, dont les Badiars, les Oualiabés, etc.,
etc., étaient les principales. Maka-Guiba, un des successeurs de
Malick-Sy, voulant reconquérir le pays et rétablir l’autorité de ses
ancêtres, fut puissamment aidé dans ses campagnes par les
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
321
bandes de ses cousins alors almamys du Fouta-Djallon. Ceux-ci
envoyèrent pour le secourir une armée de plus de 20,000 hom
mes, lesquels, la guerre terminée, rentrèrent dans leur pays,
chargés de butin et emmenant en captivité la plus grande
partie de ces peuplades Malinkées dont, aujourd’hui, nous ne
retrouvons plus de traces dans le Bondou. Ceci étant admis,
d’une façon générale, ne pourrait-on pas en conclure que ces
captifs s’enfuirent un beau jour et vinrent se réfugier dans les
forêts de la Haute-Gambie, dans le N’ghabou ? Les Coniaguiés
et les Bassarés seraient donc les descendants des Badiars,
Oualiabés, etc., etc., qui peuplaient autrefois le Bondou. Ce
qui permettrait d’accepter cette manière de voir, c’est que, dans
les pays voisins, quand on demande des renseignements sur
leur origine, on ne peut obtenir que céci, c’est que ce sont
d’anciens captifs du Fouta-Djallon. Quoiqu’il en soit, nous pou
vons aisément, d’après tout cela, admettre que ce sont des
peuplades d’origine Mandingue. Toutefois, nous tenons à faire,
à ce sujet, toutes réserves. La question reste pendante et tout
ce que nous venons d’en dire n ’est que suppositions. Une étude
ethnographique plus complète que la nôtre pourrait seule
résoudre cet intéressant problème scientifique.
Les villages Coniaguiés sont, en général, beaucoup plus
propres et mieux entretenus que la plupart des villages des
autres pays Soudaniens que nous avons visités. Ils présentent
aussi un tout autre aspect. La forme des cases diffère com
plètement de celles que nous avons vues jusqu’à ce jour. Elles
sont rondes et construites en bambous tressés. Leurs dimen
sions sont des plus petites, environ deux mètres à deux mètres
cinquante centimètres de diamètre sur deux mètres cinquante
centimètres à trois mètres de hauteur. La porte s’élève jus
qu’au toit, et, de chaque côté d’elle, se drossent jusqu’au dessus
du toit les deux bambous qui lui servent de montants. Le toit
est petit, plus élevé que celui des cases des autres Noirs, et
son bord dépasse de fort peu le corps de la case. Ce qui leur
donne absolument l’aspect d’une ruche d’abeilles. Le sommet
du chapeau est souvent terminé par un ornement en bambou.
11 est formé par un morceau de bois vertical qui sert de sup
port, sur lequel çst fixé un autre morceau de bois en forme
André Rançon. — 2 i .
�322
ANDRÉ RANÇON
de croissant dont la partie convexe regarde le ciel et supporte
des morceaux de bambous d’environ quinze centimètres de
longueur.
La case est immédiatement construite sur le sol qui a été
bien battu au préalable. Pendant la nuit la porte est fermée
à l’aide d’une natte grossièrement faite à l’aide de chaumes de
Graminées ou de tiges de Cypéracées, nattes qui sont connues
dans tout le Soudan sous le nom de Sécos. Au milieu de la
case se trouve une petite dépression de terrain de 0m40 environ
de diamètre et qui tient lieu de foyer. Quant au mobilier, il
est des plus primitifs : une natte ou de la paille sur laquelle
couche le propriétaire et voilà tout.
En général, une case n’est habitée que par un seul individu,
homme ou femme. Les enfants, jusqu’à ce qu’ils soient nubiles,
habitent généralement, de préférence, avec la mère. Contrairement
à ce qui se passe chez les autres peuples du Soudan, les femmes,
chez les Coniaguiés et les Bassarés, ne travaillent pas à la cons
truction des habitations. Ce soin incombe uniquement aux
hommes. C’est, du reste, un travail peu fatiguant et l’édification
de ces demeures primitives demande peu de temps. Huit ou
dix pieux en bois sont disposés en cercle et solidement fichés
en terre. Sur ces pieux sont attachés à l’aide de lianes ou de
cordes de bambous, la grande natte de bambous qui formera
les parois de l’habitation. Au-dessus, se place le toit, également
en bambou ou en chaume et muni de son ornement parti
culier. Un ou deux jours au plus sont amplement suffisants
pour cette besogne.
Les cases du chef du pays, à Yffané, sont placées au centre
d’un quadrilatère dont les côtés sont formés par des raùgées
de cases semblables à celles que nous venons de décrire.
L’ouverture en est 'dirigée toujours dans le même sens et
regarde les derrières de la case voisine. Ces cases sont peu
espacées les unes des autres, environ un mètre au plus. Elles
sont habitées par les jeunes gens non mariés du village, qui
forment, pour ainsi dire, la garde particulière du chef. Us y
habitent seuls et sont toujours armés. Rarement, ils s’éloignent
tous du village, et dans les expéditions, ils escortent le chef.
Le Coniaguié est un noir de haute stature. Les hommes de petite
�dans
La
h a u t e -G a m b ie
323
taille sont relativement rares. La moyenne est d’environ un mètre
soixante-douze centimètres. La coloration de leur peau est un peu
moins foncée que celle de la peau du Ouolof et rappelle plutôt celle
du Malinké. Les membres inférieurs sont généralement longs
relativement aux membres supérieurs. Les cuisses sont assez fortes
mais les mollets sont grêles. Les membres supérieurs grêles, en
général, sont d’une longueur démesurée et leur mensuration, prise
de l’articulation scapulo-humérale à l’extrémité du médius, permet
de constater qu’ils atteignent aisément le bord supérieur de la
rotule. Les cheveux sont crépus. La face revêt à un degré moins pro
noncé le caractère simiesque de celle du Malinké. Le nez est moins
épaté, les lèvres moins lippues et l’angle facial est plus ouvert. Le
prognathisme est moins prononcé. Les pectoraux sont bien déve
loppés, et les organes des sens, la vue et l’ouïe, sont excessivement
subtils. Cela tient évidemment au genre de vie qu’ils mènent et à
la vie de plein air à laquelle ils sont condamnés dès leur enfance.
La femme diffère peu des négresses des autres races soudaniennes. Toutefois elle nous a semblé plus forte et mieux musclée. Sa
face est également moins repoussante et ses membres inférieurs
mieux développés. Sa taille est à peu près la même.
Les Coniaguiés se nourrissent absolument comme les autres
peuples du Soudan. C’est le couscouss, farine de mil, de maïs ou
de fonio et le riz qui constituent la base de leur alimentation. Ils
les mangent cuits simplement à letuvée ou mélangés avec de la
viande de bœuf, de mouton, de chèvre ou de poulet ou bien encore
de gibier quelconque : antilope, biche, gazelle, sanglier, etc., etc.
Ce sont les femmes qui préparent les repas, et, contrairement à ce
qui se passe dans le reste du Soudan, elles mangent souvent avec
leurs enfants à la même calebasse que les hommes. Chez eux,
comme chez les peuples que nous avons déjà visités au Soudan, le
quartier de devant d’un animal abattu est toujours le morceau
réservé aux chefs. Ce sont des buveurs effrénés, et ils ont un pen
chant tout particulier pour les liqueurs alcooliques, le genièvre
surtout, que les dioulas leur procurent ou qu’ils vont chercher à
Yabouteguenda et parfois jusqu’à Mac-Carthy. Ils ne fabriquent
pas de dolo, cette sorte de bière de mil dont les Bambaras et les
Malinkés sont si friands. Par contre, ils affectionnent tout particu
lièrement le sel et les substances excitantes : piments, poivre,
�324
ANDRE RANÇON
gingembre. Ils vont souvent à Yabouteguenda échanger leur beurre
de Karité contre quelques sacs de cet excellent sel qu’importe en si
grande quantité en Gambie la Compagnie Française de la côte
occidentale d’Afrique. Quant aux piments, poivre et gingembre,
ils les trouvent sur place.
Le Coniaguié n’est pas tatoué. Cette coloration bleue des lèvres
et des gencives, si estimée des élégantes des pays Malinkés et
Toucouleurs, y est absolument inconnue. On se contente d ’enduire
les cheveux de beurre de Karité. Par exemple, tous ont un faible
tout particulier pour les odeurs quelles qu’elles soient. Les hommes
ont pour les parures un goût bien plus prononcé que les femmes.
Ils se perforent les oreilles, et y portent des boucles soit en fer
soit en cuivre. Ils se procurent ce dernier métal surtout à MacCarthy. Ces boucles d’oreilles droites et rigides sont surtout
portées par les jeunes gens. Ou bien elles sont simples, ou bien,
elles sont doubles. Dans ce dernier cas, elles sont très longues
et tombent presque sur les épaules. On peut y remarquer en plus
un détail curieux. L’anneau qui entre dans le pertuis pratiqué
au lobule de l’oreille porte un appendice dirigé en dehors,
lequel se termine par une petite boule supportant un
gland fait de laine rouge. Le rouge, est, du reste, la couleur
la plus appréciée par cette peuplade primitive. La longueur
de la boucle d’oreille simple ne dépasse pas quatre à cinq
centimètres. Presque tous les hommes ont les bras couverts
de bracelets soit en fer, soit en cuivre. Ils portent, de plus, une
ceinture faite, en général, de cuir sur lequel sont cousus en grande
quantité des perles en verroterie et en corail. A cette ceinture, et
tout le tour du corps sont attachés de petits bouts de cordes
d’environ vingt centimètres de longueur, à l’extrémité desquels
sont attachées des sortes de lames de fer très minces recourbées
sur elles-mêmes. En s’entrechoquant pendant la marche, elles
produisent un bruit de ferraille qui les remplit d’aise.
La circoncision se pratique sur l’homme et sur la femme. Cette
opération donne partout lieu à des fêtes comme dans les autres
pays Soudaniens, du reste. Elle se pratique sur les enfants vers
l’âge de quinze ans. De même que les Kroumens et certaines
familles Malinkées du Ouassoulou, les Coniaguiés se liment en
pointe les incisives de la mâchoire supérieure. Cette opération se
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
325
fait parfois aussi sur celles de la mâchoire inférieure; mais elle
est généralement assez rare.
La coiffure des hommes et celle des femmes est la même.
Elle ressemble à s’y méprendre à celle des femmes Toucouleures du Bondou, des Khassonkées et des Peulhes du Fouladougou. C’est absolument le même cimier de casque dont
l’arète est souvent agrémentée de petits glands faits en laine
rouge. Certains jeunes gens, pour en rehausser l’éclat, fixent
sur sur le sommet du cimier un ornement fait d’étoffes rouges
et bleues et qui peut avoir environ trente centimètres de hau
teur. Il ressemble à une véritable crête de coq. Ses deux faces
sont ornées de verroterie et de cauris, et son bord supérieur
est couvert de petits glands en laine rouge. Son bord inférieur
concave a absolument la forme du cimier de la coiffure auquel
il est solidement fixé à l’aide de liens. Quand cette coiffure est
en place, son extrémité antérieure s’avance jusque sur le front
et son extrémité postérieure descend jusqu’à la nuque. On ne
peut certes s’empêcher de reconnaître que tout cela estélégant
au premier chef, mais, ce doit être bien gênant et bienincom
mode surtout pour dormir. Impossible de se coucher sur le dos.
La coiffure des femmes est absolument la même que celle des
hommes; mais elle est bien moins ornée. En général tout le
monde est tête nue.
Le vêtement est des plus simples et des plus primitifs. Le
costume des femmes n’a rien à envier en simplicité à celui de
notre mère Eve. La plupart sont absolument nues ; d’autres
portent entre les jambes une petite bande d’étoffes qui est
retenue en avant et en arrière par une corde passée autour
des reins. D’autres enfin portent un pagne qui ne descend
guère qu’à mi-cuisses. En général, ce sont les femmes mariées
qui seules s’affublent de ces simples atours. Les jeunes filles
sont toujours absolument et complètement nues.
Le costume des hommes est un peu plus compliqué. Outre les
vêtements que nous appellerions volontiers de luxe et que nous
avons décrits plus haut, ils portent encore autour du cou un collier
en cuir ornementé de verroteries et qui, large d’environ cinq centi
mètres, forme un véritable carcan. Son diamètre est de trente
centimètres à peu près et il repose gracieusement sur les épaules.
�326
ANDRÉ RANÇON
Parfois, mais c’est très rare, ils portent aussi un petit boubou qui,
jamais, du reste, ne descend au-dessous du nombril. Les fesses
sont garanties par un morceau de peau de bœuf ou d’antilope,
sur lequel ils s’asseaient et qui est attaché en avant et au niveau
du pubis par des lanières de cuir destinées à le maintenir en
place. Son extrémité inférieure descend jusqu’à l’union du quart
supérieur de la cuisse avec les trois quarts inférieurs.
Le vêtement antérieur, si je puis m’exprimer ainsi, consiste
simplement en un étui fait de feuilles de rôniers tressées entre
elles et est désigné sous le nom de Sibo,du nom du rônier (Borassus
flabelliformis) en Malinké. Ils y introduisent la verge. C’est, en un
mot, le manou des Canaques de la Nouvelle-Calédonie. Je me suis
souvent demandé quelle pouvait être l’utilité d’une semblable
gaine. Ce n’est certes point un vêtement visant spécialement à
l’ornementation. Je serais plutôt porté à croire qu’il est destiné
à la protection, et j’estime que les peuples qui s’en servent le
portent surtout pour protéger le pénis des piqûres de moustiques.
Ce qui me le ferait supposer, c’est qu’on ne trouve cet étui que
chez les peuplades qui ne connaissent pas d’autres vêtements
et qui habitent dans des régions où l’on rencontre le moustique
en grande quantité. Il est généralement tressé grossièrement. Il
est finement travaillé. Son extrémité antérieure effilée porte par
fois un petit gland fait en laine rouge. Ce sont surtout les jeunes
gens qui recherchent ce dernier ornement.
Quand un Coniaguié se rend à Damentan ou à Yabouteguenda,
il met généralement un mauvais pantalon que lui prête un
habitant d’une de ces deux localités. C’est, du reste, pour eux,
une mauvaise recommandation que de porter un boubou quel
conque ou un pantalon. Je me rappelle encore ce que me disait au
sujet d’un chef de village des environs, le vieux Tounkané, le chef
du Coniaguié, à Yfîané. « C’est un brave et bon homme, mais
pourquoi porte-t-il un boubou, cela n’est pas bon ». Le chef est
absolument vêtu comme le plus humble.de ses sujets. Il ne porte
aucun ornement, aucun signe particulier qui permette de le
distinguer des autres.
Le Coniaguié, habitué de bonne heure à vivre dans la brousse,
est excessivement brave. Il est absolument incapable-de pitié, et,
contrairement aux autres peuples du Soudan, peu hospitalier. Ainsi,
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
327
pendant les quelques jours que nous sommes restés à Yfïané,
c’est avec les plus grandes difficultés que j’ai pu me procurer
ce qui m’était nécessaire pour nourrir mes hommes et mes
animaux.
Dans tout le pays, les bestiaux sont attentivement surveillés,
mais ils ne sont pas domestiqués au sens exact du mot; ils ne
sont qu’apprivoisés.
Nous ne croyons point que les Couiaguiés soient anthropo
phages; mais, par contre, ils feraient, paraît-il, en certaines cir
constances, des sacrifices humains. Nous en reparlerons plus loin.
Nous ne nous sommes pas aperçu de ces pratiques pendant notre
voyage. Nous tenons ce renseignement des habitants du Damentan
et nous ne le relatons ici que sous toutes réserves.
Les parents élèvent leurs enfants absolument comme le pratiquent
les autres peuples noirs du Soudan. Ils ne s’en occupent guère que
pendant leur bas-âge et dès que l’enfant peut manger seul, on le
laisse se « débrouiller » de lui-même. Il mange à la calebasse
commune.
De même, les enfants ne s’occupent guère de leurs parents, sauf
cependant quand ils sont vieux ou impotents et qu’ils ne peuvent
plus travailler. La mère y est bien plus respectée que le père, et
cela résulte évidemment de leurs habitudes de polygamie.
La femme y est traitée absolument comme dans la majeure
partie des peuples africains. C’est à elle que sont dévolus les plus
pénibles travaux. J ’ai cru cependant remarquer que, surtout en ce
qui concerne les travaux des champs, les hommes s’y adonnaient
plus volontiers que les autres noirs du Soudan. De plus, dans les
affaires publiques, les femmes de chefs jouent un certain rôle sur
lequel nous reviendrons plus loin. Bien que le mari soit le maître
absolu de ses femmes, il est rare cependant qu’il les vende. Il agit de
même pour ses enfants. Comme cela se pratique chez la plupart
des peuples du Soudan occidental et du Sénégal, la mère porte son
enfant sur le dos. Il est à cheval au niveau du sacrum, repose sur
les hanches de celle qui en a charge et est maintenu en place par
un morceau d’étoffe à quatre chefs. La partie pleine de cette
écharpe est passée sous le derrière de l’enfant, et, des quatre liens,
les deux supérieurs viennent s’attacher au-dessus des seins et les
deux inférieurs à la taille de la mère.
�328
ANDRE RANÇON
La guerre est surtout une guerre d’embuscade, et, ce qui sem
blerait le prouver, c’est que les villages ne sont nullement fortifiés.
Comme armes, ils ne se servent presque uniquement que de
longs fusils à pierre, à un coup, qu’ils se procurent à -Yabouteguenda et à Mac-Carthy. De bonne heure, les enfants s’exercent à
les manier. Il n’y a pas pour ainsi dire de caste guerrière spéciale.
Tout homme valide est armé et part en campagne quand il le faut.
La poudre dont ils se servent leur est portée par les marchands
ambulants ou bien ils vont l’acheter à Yabouteguenda ou à MacCarthy, ou encore ils la fabriquent eux-mêmes, à l’aide de salpêtre
qu’ils recueillent dans les endroits humides et de soufre qui leur
est apporté par les dioulas. Le charbon provient surtout des
bambous. — Le mélange se fait en prenant à peu près neuf parties
de salpêtre, deux parties de charbon et deux parties de soufre. Le
tout est pilé très fin dans un mortier et à l’aide d’un pilon ad hoc.
Cette poudre est ensuite tamisée et mise en grains. Elle est d’une
qualité absolument inférieure. Aussi préfèrent-ils celle qui leur
vient des magasins européens de Gambie.
Les morts sont inhumés au milieu de cérémonies funèbres des
plus simples. Elles se bornent à quelques coups de fusil tirés en
l’honneur du mort. Chaque décès est l’occasion, dans la famille du
défunt, de grandes réjouissances auxquelles sont conviés les amis.
Après l’inhumation, tous se réunissènt autour de grandes calebasses
de couscouss qui sont avidement et gloutonnement dévorées. Point
n’est besoin de dire que, si l’on est assez heureux pour posséder
quelques bouteilles de gin, elles sont absorbées dans la soirée et la
fête ne cesse que lorsque tous les assistants sont absolument
ivres-morts.
De ce que nous venons de dire, il est facile de conclure que la
religion de ces peuples primitifs doit être des plus grossières. Bien
que nous n’ayons rien pu apprendre d’absolument positif à ce
sujet, nous avons pu cependant nous procurer quelques renseigne
ments qui suffiront pour faire connaître en partie les pratiques reli
gieuses bizarres auxquelles ils s’adonnent. Ils ont tous une grande
frayeur des sorciers et c’est à eux qu’ils attribuent généralement la
mort de leurs proches. Sauf le cas de mort par la guerre, jamais
un indigène ne croira qu’on peut mourir de maladie. La nuit, ils se
renferment dans leurs huttes, plutôt pour se dérober aux regards des
�/
DANS LA HAUTË-GAMBIE
329
sorciers que pour échapper aux coups de leurs ennemis. Jamais ils
ne se mettront en chasse sans avoir au préalable consulté les
entrailles cl’un animal vivant, d’un poulet de préférence, afin d’être
bien certains qu’ils ne seront pas exposés à rencontrer des sorciers
et qu’ils pourront échapper à leurs maléfices. De même quand un
étranger arrive dans le pays, le chef du village frontière par lequel
il est obligé de passer, pratique le sacrifice d’un ou plusieurs
poulets et en consulte les entrailles pour savoir quelles sont les
intentions du voyageur en venant au Goniaguié, et si sa présence est
ou n’est pas un danger pour le pays. Si la réponse est favorable
et s’il èst bien prouvé que l’on n’est pas animé de mauvaises
pensées, on vous laisse entrer. Dans le cas contraire, il faut s’atten
dre à être impitoyablement chassé. Il faut dire aussi que quelques
présents faits à point au chef rendent l’oracle favorable. C’est ce
que nous avons été obligé de faire en arrivant à Ouraké, qui est le
village frontière sur la route de Damentan.
D’après les renseignements que j’ai pu recueillir, ces peuplades
n’auraient aucune notion d’un dieu quel qu’il soit. Il faut dire que
ce sont des Musulmans qui m’ont appris tout cé que je sais à ce
sujet, et chacun sait qu’ils traitent d’idolâtres tous ceux qui n’ont pas
leur croyance. Toutefois il semblerait certain qu’ils ont un culte
tout particulier pour une sorte d’idole en bois, monstrueuse, qui
serait, d’après eux, la divinité protectrice du pays. Cette idole se
trouverait dans une forêt qui couvre la plus grande partie de la
vallée où s’élève le village de Nouma. C’est le premier village que
les Coniaguiés construisirent en arrivant dans le pays. Lorsqu’ils
redoutent quelque danger pour le pays (la guerre, le feu où les
épidémies), ils se rendent, paraît-il, en grande pompe dans la forêt,
ils y immolent trois jeunes filles de la famille régnante et arrosent
avec leur sang les pieds de. leur épouvantable idole. C’est ainsi
qu’en 1891, attaqués par les bandes du chef de N’Dama, TiernoBirahima, un des lieutenants de l’almamy du Fouta-Djallôn, ils
sacrifièrent trois jeunes filles de la famille du Tounkané, le chef
actuel du pays, pour se rendre la divinité favorable et pour détour
ner de leur patrie les dangers dont elle était menacée. Je me suis
laissé dire que si ce sacrifice n’était pas fait, aucun des guerriers
n’entrerait avec confiance en campagne. Le triste sort qùi menace
ainsi les jeunes filles de la famille royale.ne les effraie nullement.
�330
ANDRÉ RANÇON
Elles courent avec joie et fierté au lieu du sacrifice et c’est un
honneur pour les familles que de compter ainsi des martyrs qui
ont donné leur sang pour sauver la nation entière. Afin que cer
tains esprits bienveillants ne m’accusent pas d’exagération, je
tiens à le répéter une fois de plus, je n ’ai pu constater la véracité
et l'exactitude des faits que je viens de relater plus haut. Je ne les
connais que par ce qui m’en a été dit par les chefs des villages
voisins du Goniaguié, et je reproduis ici sous toutes réserves le
résumé de leurs récits, tout en tenant compte de l’exagération et
de l’esprit d’invention qui sont propres aux noirs. — Il n’y a pour
ainsi dire pas de prêtres de cette sauvage religion ; ce sont les chefs
qui en tiennent lieu et qui sont les sacrificateurs tout désignés.
Comme nous l’avons dit plus haut, ce n’est que dans les circons
tances d’une gravité exceptionnelle que l’on immole des victimes
humaines. Dans la vie courante, on se contente de sacrifier des
animaux vivants : bœufs, moutons, chèvres, poulets, et de préfé
rence ces derniers.
La famille y est constituée comme elle l’est chez les peuples de
race Mandingue. L’enfant appartient à son père, qui peut en dis
poser comme bon lui semble. La parenté suit la ligne masculine et
collatérale et les héritages se transmettent de même, aussi bien
dans la vie politique que dans la famille.
Nous ne croyons point que l’amour existe, à proprement parler,
chez les Coniaguiés. Le mariage n’est, pour ainsi dire, qu’un véri
table accouplement plutôt qu’un mariage dans le sens exact du
mot. Le baiser y est absolument inconnu. Par exemple, ces peuples
absolument primitifs, comme nous venons de le voir, et qui vivent
dans un état de nudité presque complet., sont excessivement pudi
bonds. Il est un fait à remarquer et sur lequel j’appellerai tout
particulièrement l’attention du lecteur : c’est que le sentiment delà
pudeur existe chez les peuples, qui n’ont qu’un vêtement rudimen
taire, à un degré bien plus élevé que chez les peuples civilisés, qui
éprouvent le besoin de ne rien laisser voir en dehors de leur figure
et leurs mains. C’est que, chez les premiers, tout est naturel, rien
n’est convenu. On ne leur enseigne pas cette absurdité qu’il est
des parties de notre corps honteuses à montrer et qu’il faut
mettre à l’abri de tous les regards. Et pourquoi? Simplement pour
obéir à un usage suranné et stupide. Se conformer à ces habitudes
i
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
331
de l’espèce, observer ces conventions dont l’ensemble forme la
civilisation, c’est avoir de la pudeur. Pour nous, ce sentiment est
inné chez l’homme, et ceux qui en ont fait une vertu sont préci
sément ces déséquilibrés et ces dégénérés dont l’esprit est hanté par
des passions honteuses et qui, là où il n’y a rien que de très naturel,
croient devoir, pour les besoins de leur cause, voir autre chose que
ce qui y est réellement. Chez les peuples primitifs, l’homme n’a
rien à apprendre, le livre de la nature est grand ouvert devant ses
yeux. Chez nous, au contraire, la curiosité est d’autant plus excitée
qu’on essaie davantage de lui cacher ce que la nature a départi à
chacun de nous. C’est cette curiosité, bien légitime d’ailleurs, que
l’on regarde comme la véritable violation des lois de la pudeur.
La meilleure preuve que nous en pourrions donner c’est que, chez
les Coniaguiés, par exemple, la masturbation, le sodomisme et les
autres vices de même acabit, qui sont si communs chez nous, sont
absolument inconnus. Les quelques rares individus qui s’y adonnent
sont regardés plutôt comme des fous que comme des coupables.
Contrairement à ce qui se passe chez certains peuples, l’acte du
mariage, au Coniaguié, n’a jamais lieu en public. Quand un mari
dit à une de ses femmes de venir dans sa case pendant la nuit,
celle-ci doit y pénétrer sans être vue de qui que ce soit. Elle quitte
son mari de la même façon dès que l’acte a été consommé et tous
les deux poussent alors les cris les plus discordants. Cette particu
larité nous avait déjà été signalée par notre excellent et regretté
collègue et ami, le Dr Crozat, qui l’avait remarquée chez les Bobos,
peuplade qui habite dans la boucle du Niger. En toute circonstance,
l’acte est toujours consommé au fond de la case, dans la plus
complète obscurité et jamais en public ni en plein jour.
La communauté des femmes n ’existe pas. Par contre, tous les
hommes sont polygames. Il n’y a pas non plus de cérémonie propre
pour les mariages. Quand un homme veut se marier, il se contente
de demander la jeune fille à son père. Si celui-ci y consent, le futur
donne alors un ou deux poulets, ou bien une poignée de verroterie,
ou bien encore un ou deux moules de mil (le moule, au Coniaguié,
vaut à peu près 1.400 grammes). En aucune circonstance, la femme
n’est consultée. Quand tout est convenu, le mari va la prendre
dans la maison de son père et la conduit dans la case qu’il a
construite pour elle. Ses amis ses et parents l’accompagnent et cette
�332
ANDRÉ RANÇON
cérémonie donne lieu à des réjouissances et à de copieuses liba
tions. Le mariage est surtout endogamique. On se marie rarement
en dehors de la tribu. En cas d’impuissance constatée du mari, ou
d’adultère de la femme, leS conjoints divorèent d’un commun
accord; La prostitution est absolument inconnue, ainsi que l’adul
tère, du moins du côté de la femme. Le mari n’a généralement pas
de concubines, car il peut avoir autant de femmes qu’il en désire.
En cas de divorce, les enfants restent pour ainsi dire toujours
avec la mère, du moins jusqu’à la puberté. Si le mari vient à
mourir, les veuves sont recueillies par son frère cadet, qui doit les
nourrir et qui peut les épouser. Il n ’y est forcé par aucune cou
tume. Le lévirat n’est pas obligatoire.
La propriété individuelle existe. Toute parcelle de terre appar
tient de droit à celui qui en prend soin. Le testament est inconnu
et les héritages se font toujours par la ligne masculine collatérale.
Le frère hérite des biens du défunt sans aucun conteste par droit
d’aînesse.
Au point de vue du gouvernement et de la constitution sociale,
le Coniaguié est divisé en deux cantons bien distincts, qui sont
habités par deux tribus différentes. Au Nord, les Saukoly-Counda,
dont le chef porte le titre de Saukaf (roi). Le chef actuel de cette
tribu se nomme Tounkané et il réside à Yfîané. — Au Sud, les
Biaye-Counda, dont le chef porte le titre de Tchikaré (roi). Ces deux
tribus sont séparées l’une de l’autre par le marigot de Malé, affluent
de la rivière Grey et qui coule de l’Est à l’Ouest. Ces deux tribus
vivent en bonne intelligence, et il m’a semblé que Tounkané, le
Saukaf des Saukoly-Counda, jouissait également d’une certaine
autorité sur les Biaye-Counda.
Quoiqu’il en soit, l’autorité est exercée dans les deux tribus par
un seul chef, qui n’est cependant, en réalité, chef que de nom.
Chaque village a son chef particulier, qui l’administre comme bon
lui semble. En temps de guerre, par exemple, c’est le roi qui com
mande à tous les contingents. Je n ’ai pas besoin de dire que cette
autorité est plutôt nominative qu’effective. La façon dont est
nommé le chef est des plus curieuses et mérite d’être signalée.
L’ordre de succession n’est ni par ligne directe ni par ligne colla
térale. Quand le chef meurt, celui qui est appelé à lui succéder est
le fils aîné de la sœur du défunt, et, à défaut de celui-ci, la mère du
�chef décédé choisit dans la famille régnante l’héritier de la cou
ronne. En cas de décès de cette dernière, c’est la famille royale,
réunie en conseil, qui nomme le futur souverain. Enfin, si la famille
régnante vient à s’éteindre, ce sont les chefs des différents villages
qui désignent la nouvelle famille qui devra présider aux destinées
du pays. Tout cela semblerait indiquer que la femme jouit chez les
Coniaguiés d’une situation plus élevée que chez les autres peuples
du Soudan. Il en est peut-être ainsi pour la famille royale, mais
nous ne nous sommes pas aperçu de cette particularité chez les
simples citoyens.
. Nous croyons que les diverses castes n’y sont pas aussi tran
chées que chez les autres peuples. Nous n’y avons reconnu
l’existence que de deux classes d’individus bien distinctes :
les hommes libres et les captifs. Mais si toute cette organi
sation sociale est encore très vague pour nous, nous pou
vons toutefois affirmer le fait suivant ; c’est que les Conia
guiés, à quelque tribu ou famille qu’ils appartiennent, ne sont
jamais captifs les uns des autres. Les captifs sont toujours d’une
autre nationalité : Peulhs et Malinkés surtout. En toute circons
tance, les captifs y sont bien traités. Ils ne sont jamais frappés et
vivent de la même vie que leurs maîtres. On se contente de les faire
travailler et de les surveiller pour qu’ils ne s’évadent pas. En tout
cas, la captivité est loin d’y être organisée comme elle l’est, par
exemple, chez les Malinkés, et le nombre des captifs y est exces-
Le chef n’est pas mieux considéré que le plus simple des sujets.
On ne lui paye aucune redevance, et il n’existe aucun impôt dans
le pays.
Les Coniaguiés n’ont aucun signe de reconnaissance particulier,
et je doute même qu’on puisse regarder comme un véritable vête
ment national, l’espèce d’étui dans lequel les hommes emprison
nent leur verge.
La justice n’y existe qu’à l’état absolument rudimentaire. 11 n’y
a aucun code écrit. Du reste, toute espèce d’écriture y est absolu
ment inconnue. Les traditions y ont seules force de loi et la raison
du plus fort y est toujours la meilleure. Si un différend s’élève entre
particuliers, quand ils ne le règlent pas spontanément, c’est au con-
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fôk: !
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�334
ANDllÉ RANÇON
seil des vieillards du village que l’on a recours ; mais, en général,
leurs jugements sont rarement exécutés. On se contente, pour ainsi
dire, uniquement de leur demander un avis.
Quand on part en guerre et que l’on a fait un butin quelconque,
chacun a pour sa part uniquement ce dont il a pu s’emparer dans
le pillage. Le chef n’a point de part particulière et il n’a nullement
le droit de prélever quoi que ce soit sur ce que chaque guerrier
peut rapporter.
Les Coniaguiés sont surtout un peuple agriculteur et chasseur.
Leurs lougans sont bien cultivés et ils récoltent en abondance, mil,
maïs, arachides, riz, fonio, etc., etc. Ils produiraient bien plus s’ils
n’étaient sans cesse exposés aux attaques de leurs voisins. Pour
pouvoir cultiver en sécurité, ils sont obligés de placer des senti
nelles autour des lougans afin de protéger les travailleurs. Leurs
procédés de culture ne diffèrent en rien de ceux des autres peuples
du Soudan. Les fumures, cultures alternantes, irrigations y sont
inconnues et tous les travaux des champs se font à la main à l’aide
de pioches absolumeut rudimentaires. — Les animaux n’y sont
dressés à aucune espèce de travail.
Les jeunes gens surtout sont des chasseurs émérites. Ils ne pour
suivent guère que la grosse bête, antilope, bœuf sauvage, éléphants,
et quand ils ont tué quelque chose, chaque famille a sa part des
dépouilles de l’animal. Le chasseur qui a tué la bète tient surtout à
avoir la queue qu’il porte à la ceinture eu guise de trophée. La chasse
ne fournit pas uniquement les moyens d’existence ; mais on peut
dire toutefois qu’au Coniaguié, c’est à la vénerie surtout que l’on a
recours quand on veut manger de la viande. On n’y chasse absolu
ment qu’au fusil, et parfois on se sert de chiens dressés dans ce but
à la chasse à courre. De bonne heure, les enfants s’habituent à tirer
de l’arc, et ils acquièrent en peu de temps une telle habileté à cet
exercice, qu’ils atteignent aisément, à des distances relativement
grandes, avec des flèches en bambous dont la pointe a été durcie
au feu, de belles pièces de gibier, telles que perdrix, pintades, rats
palmistes, etc., etc.
On chasse généralement en troupe, huit ou dix au plus, et l’on
ne rentre jamais au village qu’après avoir tué un bel animal.
Pendant leur séjour dans la brousse, les chasseurs vivent de gibier
qu’ils font griller sur des charbons ardents. On peut dire enfin que
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
la chasse n’entraîne jamais de longues migrations à la suite du
gibier. Un groupe de chasseurs ne reste jamais plus de dix ou
douze jours dehors.
La pêche est abolument inconnue.
En fait de céramique, on ne connaît absolument que les quelques
poteries grossières que fabriquent les femmes et qu’elles font cuire
au feu à l’air libre. Tout cela est très primitif.
De tous les métaux, le fer et le cuivre sont les seuls, à peu près,
qui soient connus et utilisés. Le fer est extrait sur place par la
méthode dite Catalane, et le cuivre leur vient de Mac-Carthy ou de
Yabouteguenda, en tiges d’environ un mètre de longueur. Ces deux
métaux leur servent uniquement à fabriquer des bijoux et quelques
sabres et couteaux. La trempe est inconnue. Les Coniaguiés ont un
goût tout particulier pour l’or et l’argent. On ne saurait s’imaginer
combien ils sont fiers et heureux quand ils possèdent une bague ou
un bracelet en l’un ou l’autre de ces métaux. Je me souviens que
pendant mon séjour à Yfïané, Tounkané, le chef du pays, vint un
jour me voir au moment où j’achevais mon repas du matin. Le
couvert en ruolz dont je me servais attira de suite son attention.
Naturellement il me le demanda pour s’en faire des bracelets, me
dit-il; je refusai d’abord. Mais il insista tellement et je vis que je lui
ferais un si grand plaisir que je fus forcé de le lui donner. Je me
gardai bien de lui montrer dans la suite ce que j’avais encore, car
il n’aurait pas manqué de m’importuner de nouveau jusqu’à ce que
je m’en sois départi en sa faveur. Tant que je restai à Yfïané, je fus
obligé de ne plus me servir que de couverts en fer. L’or y est
absolument rare et je ne me souviens pas d’avoir entendu dire qu’il
y en eut un gisement quelconque de ce précieux métal.
Les armes sont en fer et se composent uniquement de mauvais
fusils de traite à pierre que leur apportent les dioulas ou qu’ils
vont acheter à Mac-Carthy ou à Yabouteguenda, de poignards et de
sabres qu’ils fabriquent eux-mêmes. Ils fabriquent également les
haches dont ils se servent pour défricher.
Il n’y existe aucune arme défensive, pas de casques, ni de bou
cliers, ni de cuirasses. Il n ’y a pas non plus d’armes empoisonnées.
En campagne, les femmes accompagnent les guerriers; mais ne
se battent pas. Elles ne font uniquement que porter les munitions
et les provisions.
�336
ANDRÉ RANÇON
Les fardeaux sont portés par les hommes et par les femmes,
surtout sur la tête. Dans tout le Coniaguié, il n’y a, pour ainsi dire,
pas de routes, de simples sentiers seulement. Trois chemins donnent
accès au plateau, et ils sont tous les trois gardés par un village
frontière où se trouvent toujours en permanence un nombre assez
grand de guerriers armés.
Les échanges commerciaux se font uniquement en nature. On
exporte surtout des peaux, du beurre de karité, des arachides, et on
importe des liqueurs alcooliques, des armes, de la poudre, du sel,
des kolas, de la verroterie, et très peu d’étoffes. D’après ce que
nous avons dit du vêtement, on comprendra aisément qu’il n’y ait
dans tout le pays aucun tisserand.
La mémoire est, chez le Coniaguié, assez peu devéloppée. La
mémoire des dates leur fait absolument défaut. Celle des faits est
très obtuse et c’est surtout celle des lieux qui est la plus déve
loppée. Ils savent se diriger dans les forêts avec une justesse de
coup d’œil qui étonne. Le moindre objet, un rocher, un arbre
qu’ils auront remarqués quelques jours auparavant, suffisent pour
leur permettre de retrouver leur route s’ils se sont, par hasard,
égarés.
On garde peu de temps le souvenir des morts, et, malgré tous
mes efforts, je n ’ai pu obtenir d’eux le récit d’une tradition ou
d’une légende quelconque concernant leurs tribus. Quand je leur ai
demandé d’où ils venaient, au moment de leurarrivée sur les bords
de la Gambie, ils m’ont toujours et uniquement répondu : « de
là-bas » en me montrant l’Est. Peut-être ignorent-ils absolument
quelles sont leurs origines et quelle est leur histoire? Peut-être
aussi n’en veulent-ils rien dire? Je serais plutôt tenté de me ranger
à cette dernière opinion, car je sais combien il répugne aux Noirs,
à quelque race qu’ils appartiennent, de parler de leur histoire et
de leur passé.
Tous ces êtres ignorent absolument leur âge. La notion du temps
n’existe pas pour eux. Je me souviens encore quel fut l’ahurisse
ment de mon interprète Almoudo quand je lui dis de demander à un
jeune Coniaguié, de 18 à 20 ans environ, quel était son âge. Celui-ci
lui répondit avec un sérieux imperturbable: « deux cents ans ». Ils
n’ont même pas, comme les autres noirs du Soudan, la mémoire de
certains faits saillants qui permettent d’établir leur âge d’une
�337
DANS LA HAUTE-GAMBIE
façon approximative. Ainsi si l’on demande à un Malinké ou à un
Toucouleur son âge, il vous dira bien qu’il n’en sait rien, mais il
ajoutera immédiatement : « j’ai été circoncis l’année de la prise de
Sabouciré par les Blancs », par exemple. Comme on connaît exac
tement l’époque à laquelle a eu lieu ce fait d’armes et que l'on
sait que la circoncision se pratique vers l’âge de 15 ans, il est facile
de reconstituer d’une façon très rapprochée l’âge du sujet observé.
11 est, par exemple, une mémoire qui ést très développée chez
les Coniaguiés, c’est celle des outrages reçus et des défaites
essuyées. 11 est peu de peuples qui en conservent un souvenir
aussi vif, et leur plus grand désir est de se venger et de rendre à
leur ennemi œil pour œil, dent pour dent.
Le Coniaguié est, en général, peu parleur. Il écoute distrai
tement, s’occupant de tout ce qui l’entoure, et, quoiqu’on lui puisse
dire, il reste absolument impassible. Il a cela de commun avec la
plus grande partie des peuples noirs. Je le crois cependant moins
capable d’attention que le Malinké, le Bambara, le Toucouleur et
surtout le Ouolof.
La langue parlée au Coniaguié ressemble un peu à la langue
malinkêe, mais elle nous a semblé plus harmonieuse. On y retrouve
un grand nombre de mots mandingues, ce qui nous permettrait
encore plus d’admettre une parenté quelconque entre ces deux
peuples. Le Coniaguié, par contre, n’est pas comme le Malinké
prodigue de formules de politesse. Ainsi quand ils se rencontrent,
ils échangent simplement les salutations suivantes : du lever du
soleil à midi on dit : «Pissoé»; de midi au coucher du soleil:
« Diakoé », et, à partir du coucher du soleil jusqu’à son lever :
« Mondoé ».
La langue coniaguiée est presque uniquement formée de mots
primitifs; les mots composés sont absolument inconnus. C’est, du
reste, le propre des langues à leur premier âge. Ils ont des mots
particuliers pour exprimer des idées générales ou abstraites, mais
il est impossible de les ramener à des racines concrètes. Un
exemple suffira. L’homme, en général, se dit: aassary ». La femme,
en général, « asbalé ». Quelques autres mots que nous avons retenus
permettront de se rendre un compte exact de l’harmonie de cette
langue : Ainsi : asseoir se dit : « niogori », attendez : « nopiri », toi
ou vous : « vaudji », moi : « amé », père : « ibâ » (en malinké, père
André Rançon. — 22.
�338
ANDRÉ RANÇON
se dit : bâ), mère: « nouma », venir : « aidji », partir : « djeneb ».
La numération est, paraît-il, décimale, et pour compter l’on se
sert indifféremment de cailloux, de graines et plus particulièrement
de lignes. On ignore, par exemple, les chiffres et l’on ne sait faire
de tête aucune opération arithmétique. Voici les noms des dix
premiers nombres :
Un . . .
Deux . .
Trois . .
Quatre .
Cinq . .
.
.
.
.
.
Dampo.
Noky.
Ouanar.
Ouanaky.
M’Bed.
Six .
Sept .
Huit .
Neuf.
Dix .
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
Divian.
Goby.
Diovay.
Dionak.
Ouarraky.
On ne connaît ni la semaine, ni aucune période de temps qui
s’en rapproche.
Gomme mesure du temps on ne connaît absolument que le mois
lunaire, et les années se comptent du commencement de la saison
des pluies au commencement de la saison pluvieuse suivante.
Quant à l’année solaire, ils n’en ont aucune notion et ils ne
connaissent les heures du jour que par la distance du soleil audessus de l’horizon. Par contre, ils savent parfaitement s’orienter
le jour par le soleil, la nuit par la lune quand elle se montre, ou
par les étoiles. Si l’on demande sa route à un Coniaguié et qu'il
vous indique du doigt la direction dans laquelle se trouve le
village où vous désirez aller, vous pouvez être certain qu’en
suivant ses conseils, vous ne vous écarterez que rarement de la
bonne voie. Cette facilité et l’exactitude avec lesquelles ils s’orien
tent, sont communes d’ailleurs à toutes les peuplades du Soudan.
En résumé, d’après ce que nous venons de dire, nous pouvons
conclure que le Coniaguié se rapproche sensiblement du Malinké;
à notre avis, ou bien c’est un Mandingue dégénéré, ou bien c’est un
Mandingue qui n’a pas encore progressé.
Situation politique actuelle. — Rapports des Coniaguiés avec leurs
voisins. — La situation politique au Coniaguié est actuellement
déplorable. On peut dire que tout le monde y commande et que per
sonne n’y obéit. C’est la raison principale de la faiblesse de ce peuple.
Mieux conduits et surtout mieux commandés, ils résisteraient
mieux aux attaques de leurs voisins. Quoiqu’ils fassent cependant,
nous estimons qu’ils finiront par disparaître un jour; car ils sont
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
339
dans un état d’infériorité évidente vis-à-vis de ceux qui les
entourent. Us ne sont, à tout point de vue, que mal armés pour
soutenir la lutte à laquelle ils sont journellement exposés et à
laquelle leurs voisins et ennemis sont mieux préparés. A part le
pays de Padjisi et de Toumbin, les Goniaguiés ne vivent en bonne
intelligence avec aucun de leurs voisins, ou plutôt ils sont sans
cesse en butte à leurs attaques. C’est, en effet, chez eux que
Moussa-Molo et les colonies du Fouta-Djallon vont faire la plupart
de leurs captifs. Non loin du Coniaguié, dans le Sud-Est, existe à
N’ Bama, en permanence, une colonne de Peulhs commandée par
un marabout du nom de Tierno-Birahima, qui n’est qu’un lieutenant
de l’Almamy du Fouta-Djallon. Us pénètrent, à chaque instant, sur
le territoire Coniaguié et y font toujours de nombreux captifs.
Quelque temps avant mon arrivée cependant, les Coniaguiés, atta
qués à Uttiou par Tieruo-Birahima, avaient mis complètement son
armée en déroute et fait de nombreux prisonniers.
Pendant longtemps, ils ont été avec Damentan en guerre ouverte.
Mais depuis quelques années, ils vivent en meilleure intelligence
et tout fait espérer que, de leur fait, la paix ne sera pas de long
temps troublée.
Aucune nation européenne n’a jamais eu aucun rapport avec
eux, nous sommes les premiers qui les ayons visités et ils nous
ont manifesté tout le désir qu’ils ont d’entrer en relations avec
nous. Je crois qu’une entente avec eux ne pourrait qu’être utile
pour asseoir définitivement notre autorité dans cette partie du
Soudan. Nous aurions par là entrée dans les provinces septentrio
nales du Fouta-Djallon et pourrions tenir en respect Moussa-Molo
et ses Peulhs. De plus cette possession nous donnerait encore envi
ron une centaine de kilomètres de la rive gauche de la Gambie, et
nous mettrait plus directement en rapport avec le Niocolo et les
autres dépendances du Fouta-Djallon dans ces régions. Nous serions
enfin absolument maîtres de tout le cours de la Rivière Grey.
Pendant mon séjour dans ce pays je n’avais aucune qualité pour
conclure avec ses chefs un arrangement quelconque, mais je
réussis à décider Tounkané à envoyer des mandataires auprès
de M. le capitaine Roux, de l’infanterie de marine, à Nétéboulou, où
il devait se rendre, afin de s’aboucher avec lui qui, comme com
mandant du cercle de Bakel, avait tous les pouvoirs nécessaires
�340
ANDRÉ RANÇON
pour régler cette importante question. J ’ai appris depuis que
Tounkané avait tenu sa parole, que ses hommes avaient rencontré
le capitaine Roux à Damentan et qu’un traité d’amitié y avait
été signé.
R e n s e ig n e m e n t s
r e c u e il l is
su r
le
pays
de
B a ssa r é
Dans le Sud-est de Damentan et à l’est du Coniaguié, dont le
sépare une profonde vallée, se trouve le pays de Bassaré, dont les
villages, comme ceux du Coniaguié, s’élèvent sur un vaste plateau
de même formation géologique que le précédent. Ce pays est habité
par une population de même race que celle du Coniaguié, mais dont
la langue est complètement différente. Ils ont le même costume et
à peu de choses près les mêmes usages. Nous ne ferons qu’indiquer
ici ce en quoi ils diffèrent de leurs voisins.
Dans le Bassaré n’habitent que des Bassarés. C’est le nom que
l’on donne aux habitants de ce pays aussi sauvage que son voisin.
Il n’y a ni Peulhs, ni Malinkés.
Le chef de ce pays porte le titre de Mounelli (roi). Le chef actuel
se nomme Tamba et réside à Kénieri-Sarra, qui est la capitale du
pays. Le pouvoir du Mounelli est très limité. Les Bassarés forment,
pour ainsi dire, une sorte de république dans laquelle le roi n’est
que le président d’un conseil composé de tous les chefs de villages.
11 n’y a que dans les affaires graves, telles que guerres, assassinats,
révoltes, etc., etc., qu’il peut user de son autorité. Il dirige égale
ment les guerriers en campagne.
Les Bassarés, comme les Coniaguiés, du reste, ne connaisseut
pas l’esclavage. Chacun est libre sur leur petit territoire. Si un
captif évadé d’un autre pays vient chercher un refuge chez eux, il
appartient à celui qui l’a trouvé. Que celui-ci soit un homme, une
femme ou un enfant, il devient, du fait de sa trouvaille, propriétaire
de l’évadé qui ne tarde pas d’ailleurs à être adopté par la tribu.
Les mariages entre Bassarés se font sans aucune cérémonie,
le consentement de la femme seul suffit, mais est absolument
indispensable. Quand le fiancé a été agréé par celle qu’il recherche
en mariage, il doit donner au père de celle-ci, ou à son défaut à son
i
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
341
frère aîné un fusil neuf, et à sa future femme cinq chèvres. Après
quoi il peut emmener sa femme chez lui.
Si, pour une cause quelconque, le divorce est prononcé, la
femme doit rendre à son ex-mari les cinq chèvres qu’il lui avait
données en dot et son père ou son frère aîné doit rendre le fusil
qu’il avait reçu. Dans ce cas-là, les enfants restent avec leur mère ;
mais si rien de ce qu’il avait donné ne lui est rendu, le père les
garde avec lui jusqu’à complet remboursement.
Les Bassarés sont peut-être la seule peuplade du Soudan que
nous connaissions dans laquelle la femme soit consultée sur le
choix de son mari. Ce fait semblerait prouver qu’elle y est moins
asservie que chez les autres.
Comme chez les Coniaguiés, on ne trouve chez les Bassarés ni
tisserands, ni cordonniers, ni charpentiers, ni griots, ni mara
bouts. Ils n’ont que quelques forgerons qui fabriquent leurs
couteaux, sabres, poignards, haches et instruments de culture.
On n’y paye aucun impôt, aucune redevance de quoi que ce soit
et à qui que ce soit. Le chef du pays est cependant nourri par les
jeunes gens non mariés qui composent sa garde, comme cela a
également lieu au Coniaguié. Leurs cases entourent également
celles de leur chef, et ils doivent cultiver ses lougans et récolter le
mil, maïs, etc., etc. Ils font, en un mot, tous les travaux du chef
jusqu’au jour où ils se marient. Ils quittent alors les cases qu’ils
occupaient dans la demeure royale, si je puis parler ainsi, vont
habiter dans le village et deviennent absolument libres de leurs
actes. Ils sont de suite remplacés à la maison du roi.
La langue des Bassarés est plus harmonieuse encore que celle
des Coniaguiés. Elle se rapproche beaucoup plus du Mandingue que
cette dernière, mais on dirait qu’ils ont pris en plus quelque chose
du rhythme, de l’intonation et de la sonorité de'la langue Peulhe.
Je ne serais pas éloigné de croire qu’il y a dans la langue Bassarée
comme une sorte de mélange des langues Peulhe et Mandingue.
C’est encore un idiôme presque uniquement formé de mots pri
mitifs. Les mots composés y sont très rares et, chose curieuse, elle
ne se rapproche en rien de la langue Coniaguiêe. Je tiens à bien
établir ce fait, car il me paraîtrait intéressant d’élucider ce pro
blème. Il serait curieux de rechercher comment et pourquoi ces
deux peuplades, qui ont assurément la même origine et dont les
�ANDRE RANÇON
mœurs et les coutumes sont à peu de choses près les mêmes, parlent
une langue toute différente. Certes, il n’est pas douteux que ces
deux idiomes dérivent d’une même langue-mère, mais comment
s’est-elle si différemment modifiée? Voilà le problème à résoudre.
Nous avons pu recueillir quelques mots de ce langage. Nous les
reproduisons ici. L’orthographe que nous avons adoptée est abso
lument conforme à la prononciation:
!V l '
i •
Pagne se dit: . . Atchiandi.
Cheval se dit : . . Efanassi.
Pièce de Guinée . N’godji.
A n e ............... . Fali.
Salutation. . . . Nessouma.
Poulet . . . . . Etiaré.
Sabre............... . Doukouma.
Calebasse. . . . Ecusop.
Poudre . . . . . Piki.
Tabac............... . Sirra.
Homme. . . . . Sassané.
Peau de bouc . . Ematel.
.
Karé-ké.
Femme . . . . . lokaré.
Grand homme.
Bœuf............... . N’guidy.
Enfant . . . . . Bitakibou.
Mouton. . . . . Iouféi.
Chèvre . . . . . Emetchi.
Partir . . . . . Viené.
Venir............... . Diokou.
Rester . . . . . Niououali.
Se lever. . . . . Kamily.
Boire............... . Nesseb.
Eau.................. .... Méno.
Dormir . . . . . Mérassi.
Manger.............. , Diampolé.
Attendre . . . . Battili.
V iande.............. . Ematioré.
Donnez-moi . . . Flil.
Couteau . . . ., Etchiatchi.
Comment vous appelez-vous? Ou atchi alou ?
Les Bassarés ont la numération parlée. Elle est par cinq ; à cinq
on reprend cinq et un, cinq et deux, etc., etc. Ils ne connaissent
aucun chiffre écrit et pour compter se servent de cailloux, de
lignes qu’ils tracent sur le sable, ou de graines, comme les Coniaguiés. Voici les dix premiers nombres :
Un se dit :
Deux. . .
Trois. . .
Quatre . .
Cinq . . .
...............Amati.
...............Bâti.
...............Batass.
...............Banass.
...............Batio.
Six se dit: Bandiouga-Mati.
S ep t. . . Bandiouga-Bati.
Huit . . . Bandiouga-Batass.
Neuf. . . Bandiouga-Banass.
Dix . . . Epo.
Le Bassaré était autrefois un pays fort peuplé. Aujourd’hui, il
est presque désert. Cela tient à ce que, continuellement en guerre
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
343
avec leurs voisins du Fouta-Djallon, ils ont vu détruire la plus
grande partie de leurs villages, et leur population emmenée en
captivité.
La population du Bassaré, qui pouvait autrefois être évaluée de
6 à 8,000 habitants, est tout au plus aujourd’hui de 2,000 habitants.
Ils sont, du reste, comme leurs voisins les Coniaguiés, destinés à
disparaître un jour et à fournir de captifs le Fouta-Djallon et le
Fouladougou.
Voici les noms des villages qui ne sont pas encore tombés sous
les coups des guerriers Peulhs :
Kénieri-Sarra (capitale). .
N’guéro-Daly......................
N’guéro-Kiss......................
N’guéro-Poug......................
N ik a r é ..............................
Nauné.................................
K e s s i..................................
Noukaré..............................
Goutiaki..............................
Sériguia..............................
Akoudou ..........................
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
N’guero’-Koulé.
Naugaroua.
N’guéro-Tchindy.
Noumpou.
Peuqui.
Maucatia.
Gotatou (N 1).
Boutioutonia.
N’Ténou.
Tiakessi.
Cotatou (N°2).
Aujourd’hui, le pays de Bassaré est, au point de vue politique,
divisé en deux fractions, l’une amie des gens du Fouta-Djallon, et,
par conséquent, ennemie du Goniaguié, l’autre amie du Coniaguié.
Inutile de dire que les deux partis vivent dans un état de guerre
continuelle.
Les Bassarés, comme les Coniaguiés, recherchent notre amitié.
Gomme eux, ils sentent qu’ils ont besoin d’être protégés contre
leurs ennemis.
�CHAPITRE XVII
Repos à Damentan. — Départ de D am entan. — De Dam entan à la Gambie. — Le
M anioc.— La. pour g hère. — Traces du passage d’une h yèn e. — A rrivée sur la
rive droite de la Gam bie. — Une iorèt de rôniers. — Le gué de Voumbouteguenda
entre Damentan et B a d y .— Le fils du chef de Damentan vien t m e rejoindre. —
Passage de la Gambie. — Entre la Gambie et Bady. — Im m ense incendie. — Une
superstition b iz a r r e .— Description de la route entre Damentan et B a d y .—
Géologie. — B otanique.— Datura. — S en d iègn e. — M’Bolon-M’Bolon. — Arrivée
à B a d y .— Le v illa g e .— Le chef. — Nous som m es bien reçus. — La population.
— Grand nombre de goitreux. — Maladies de la peau. — Palabres. — Sandia me
quitte pour retourner à Nétéboulou.— Départ de Bady.— Sansanto. — Niongarié.
— Beaux lougans d’arachides. — Arrivée à Iéninialla. — Belle réception. —
Description de la route de Bady à Iéninialla. — Géologie. — Botanique. — Le
Vène. — Départ de Iéninialla. — Le pont sur le Barsancounti. — Passage de la
rivière Balé. — Rencontre d’une députation des notables de Gamon venus au
devant de moi. — Arrivée à Gamon. — Belle réception. — Belle case. — Descrip
tion de la route de Iéninialla à Gamon. — Géologie. — Botanique. — Le Nando.
— Le Foufî. — Les dattiers, — Les piments. — Description du village. — Le
chef. — Palabres.— Plaintes des habitants.
' ■•
\
29 décembre. — Après avoir pris à Damentan un jour de repos
bien mérité et pendant lequel mes hommes et mes animaux se
rattrapèrent du jeûne forcé du Coniagnié et se remirent des fatigues
de la route, nous quittâmes à cinq heures du matin cet hospitalier
village et nous nous dirigeâmes vers Bady, où j’avais l’intention de
faire étape ce jour-là. Les préparatifs du départ se font lentement,
toujours à cause des porteurs qu’on ne peut arriver à rassembler.
Au moment où j’allais monter à cheval, Alpha-Niabali vint me
serrer la main, me souhaiter un bon voyage et m’annoncer, ainsi
qu’il me l’avait promis, que son fds se préparait à m’accompagner
pour se rendre avec Sandia à Nétéboulou pour s’y aboucher avec
le commandant de Bakel. Mais n'étant pas encore prêt à partir, il
se mettrait en route plus tard et me rejoindrait sur la rive droite
de la Gambie au gué de Voumbouteguenda. «A dater d’aujourd’hui,
me dit-il, quand je le quittai, je suis pour toujours l’ami des
Français ».
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
345
A peine avons-nous quitté le village que nous marchons d’une
vive allure. La route traverse d’abord les lougans du village que
l’on trouve immédiatement après avoir franchi la branche nord du
marigot de Damentan, qui est à sec à cette époque de l’année. Sur
les bords de ce marigot je remarquai de nombreux pieds de manioc
et quelques échantillons de pourghère que pendant le reste de
mon voyage je n’avais vu jusqu’à ce jour qu’en très petite quantité.
Le manioc (Manihol dulcis H. Bn.), est assez rare au Soudan. On
ne le trouve guère que dans le Belédougou, le Manding, le Gangaran
et les régions Sud de nos possessions. La variété à laquelle appar
tient le manioc du Soudan est le manioc doux. Les maniocs véné
neux y sont relativement très-rares. Les indigènes le plantent
par bouture, chaque année, au commencement de la saison
des pluies. Les tubercules sont bons à manger vers la fin de
février, La tige vit plusieurs années, mais elle se dessèche pendant
la saison des pluies. Les tubercules, au contraire, se conservent
parfaitement dans la terre pendant toute la saison sèche, et
émettent de nombreux rameaux qui se flétrissent à leur tour. Mais
les tubercules de deux ou trois ans deviennent durs et coriaces.
C’est pourquoi il est préférable, pour la consommation, de les
cueillir chaque année et de multiplier la plante par boutures. Les
indigènes mangent le manioc cuit sous la cendre ou bien bouilli et
mélangé à leur couscouss. Ils en sont très friands. Dans tous les
jardins de nos postes, le manioc est cultivé avec succès. Ses tuber
cules sont d’excellents légumes pour les potages, et je me souviens
avoir mangé à Kita des galettes frites à la poêle et faites avec de la
farine de manioc, du sucre et des jaunes d’œufs. Elles étaient abso
lument savoureuses et n’auraient pas été déplacées dans aucune
de nos meilleures pâtisseries. On sait combien le tubercule du
manioc ordinaire (M. edulis Plum.) est vénéneux et quelle est la
préparation qu’il faut lui faire subir pour le rendre inofïensif. Il
est connu que, dans le manioc doux, le principe nuisible est très
peu abondant et que la cuisson suffit pour le faire disparaître. On
ne saurait en nier l’existence, car les animaux sont incommodés
s’ils mangent simplement les feuilles, et meurent empoisonnés s’ils
boivent le suc extrait du tubercule. Le manioc appartient à la
famille des Euphorbiacées. Il affectionne surtout les climats
pluvieux et est précieux par ce seul fait que son tubercule se
�346
ANDRÉ RANÇON
conserve longtemps dans la terre. Quant à l’aliment qu’il donne, il
se digère facilement, est très rafraîchissant, mais possède peu de
principes nutritifs.
La Pourghère. — La Pourghère (Jatropha curcas L.) ou Médicinier cathartique appartient à la famille des Eupkorbiacées. C’est une
plante à feuilles lobées ou palmées, à fleurs dioïques disposées en
grappes et pourvues d’un calice et d’une corolle. Les mâles ont dix
étamines monadelphes et les femelles un ovaire à trois loges mono
spermes, avec trois styles bifides. Son port rappelle celui du ricin
et ses graines, plus grosses que celles de ce dernier végétal, sont noi
râtres plutôt que mouchetées. Leur forme est celle des graines de
ricin. La pourghère donne des graines oléagineuses et éminemment
purgatives et émétiques. Elle croît et se multiplie au Sénégal, au
Soudan et dans les Rivières du Sud avec une grande rapidité. On
s’en sert surtout dans les Rivières du Sud, le Raol, le Sine, le
Saloum, etc., etc., pour faire des baies de jardins. Nous avons vu à
Damentan une jolie plantation de coton complètement entourée de
pourghères.Les indigènes en utilisent les graines comme purgatives.
Deux de ces semences suffisent pour déterminer une abondante
évacuation. Six à huit graines occasionnent des symptômes alar
mants d’empoisonnement. L’absorption d’une douzaine de graines
est suivie de mort. L’huile est purgative à la dose de huit à dix
gouttes au plus. Une dose plus élevée ne manquerait pas d’entraîner de graves accidents. Cette huile peut servir également à
l’éclairage. Elle brûle en donnant peu de fumée et peu d’odeur.
Elle est encore utilisée avec avantage pour la fabrication des
savons et pour le graissage des machines. Elle est très fluide,
presque incolore, âcre, et très peu soluble dans l’alcool. Cultivée
sur une grande échelle, la pourghère pourrait donner de sérieux
profits, car elle demande peu de soins et donne un rendement
considérable. Les quelques essais faits jusqu’à ce jour, mal dirigés,
et peu encouragés, n ’ont donné aucun résultat appréciable. Il
faut dire aussi qu’on n’y a apporté aucune méthode et aucun soin
et que l’on s’est vite lassé de lutter contre l’apathie des Indigènes,
tout est à recommencer.
Après avoir traversé les lougans du village, la route de Damentan
au gué de Voumbouteguenda longe, à environ deux kilomètres de
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
347
Damentan, une grande mare que l’on laisse sur la gauche. A trois
kilomètres de là, on traverse le petit marigot de Mahéri, profon
dément encaissé et à sec à cette époque de l’année. Peu avant
d’y arriver et pendant que nous faisions la halte horaire, une
odeur épouvantable se fit tout à coup sentir. Intrigué, j’envoyai
mon interprète Almoudo à la découverte dans la direction d’où elle
semblait provenir. Peu après, il revint et me dit que c’étaient les
«cabinets» de la hyène qui sentaient aussi mauvais. Je voulus
avoir l’explication de ce fait et mes hommes m’apprirent alors que
cet animal avait l’habitude d’aller toujours au même endroit
déposer ses excréments, et que ces lieux d’aisance étaient toujours
situés non loin de son repaire. Le fait est que je pus constater
moi même l’existence dans le même lieu d’une grande quantité de
matières fécales qui exhalaient une odeur absolument repoussante.
J’ignorais ce détail de mœurs de cet animal immonde, et je consigne
ici ce fait comme il m’a été donné, sous toutes réserves, bien
entendu.
A huit heures trente minutes nous arrivons enfin sur la rive
gauche de la Gambie, après avoir traversé une large plaine maréca
geuse couverte de Cypéracées gigantesques. Le fleuve est devant
nous profondément encaissé. C’est là le gué de Voumbouteguenda ;
il tire son nom d’un petit village malinké qui existait il y a
quelques années encore non-loin en amont et qui est aujourd’hui
détruit. Les habitants sont allés habiter à Damentan.
Les rives de la Gambie en cet endroit, et à cette époque de
l’année, sont très escarpées. Il faut descendre de cheval pour
s’avancer sur la belle plage de sable que les eaux en se retirant
ont mise à découvert. A Voumbouteguenda, pendant l’hivernage,
la Gambie a environ cinq cents mètres de largeur, mais au moment
où nous l’avons traversée, elle n ’a pas plus de deux cents mètres.
Par la plage sablonneuse qui se trouve sur la rive gauche, on
arrive à peu près jusqu’au milieu du lit du fleuve. Là existe un
chenal dont la profondeur, à la fin du mois de décembre, est d’en
viron trois mètres à trois mètres cinquante et la largeur, 60 à 70
mètres. Le courant y est excessivement rapide. Il va falloir passer
ce chenal en radeau. Quand on l’a traversé, on aborde à une sorte de
banc de plusieurs centaines de mètres de longueur, qu’on doit
parcourir pendant environ 200 mètres pour pouvoir traverser à
�346
ANDRÉ RANÇON
conserve longtemps clans la terre. Quant à l’aliment qu’il donne, il
se digère facilement, est très rafraîchissant, mais possède peu de
principes nutritifs.
La Pourghère. — La Pourghère (Jatropha curcas L.) ou Médicinier cathartique appartient à la famille des Euphorbiacées. C’est une
plante à feuilles lobées ou palmées, à fleurs dioïques disposées en
grappes et pourvues d’un calice et cl’une corolle. Les mâles ont dix
étamines monadelphes et les femelles un ovaire à trois loges mono
spermes, avec trois styles bifides. Son port rappelle celui du ricin
et ses graines, plus grosses que celles de ce dernier végétal, sont noi
râtres plutôt que mouchetées. Leur forme est celle des graines de
ricin. La pourghère donne des graines oléagineuses et éminemment
purgatives et émétiques. Elle croît et se multiplie au Sénégal, au
Soudan et dans les Rivières du Sud avec une grande rapidité. On
s’en sert surtout dans les Rivières du Sud, le Baol, le Sine, le
Saloum, etc., etc., pour faire des haies de jardins. Nous avons vu à
Damentan une jolie plantation de coton complètement entourée de
pourghères.Les indigènes en util isent les graines comme purgatives.
Deux de ces semences suffisent pour déterminer une abondante
évacuation. Six à huit graines occasionnent des symptômes alar
mants d’empoisonnement. L’absorption d’une douzaine de graines
est suivie de mort. L’huile est purgative à la dose de huit à dix
gouttes au plus. Une dose plus élevée ne manquerait pas d’enfraîner de graves accidents. Cette huile peut servir également à
l’éclairage. Elle brûle en donnant peu de fumée et peu d’odeur.
Elle est encore utilisée avec avantage pour la fabrication des
savons et pour le graissage des machines. Elle est très fluide,
presque incolore, âcre, et très peu soluble dans l’alcool. Cultivée
sur une grande échelle, la pourghère pourrait donner de sérieux
profits, car elle demande peu de soins et donne un rendement
considérable. Les quelques essais faits jusqu’à ce jour, mal dirigés,
et peu encouragés, n ’ont donné aucun résultat appréciable. Il
faut dire aussi qu’on n’y a apporté aucune méthode et aucun soin
et que l’on s’est vite lassé de lutter contre l’apathie des Indigènes,
tout est à recommencer.
Après avoir traversé les lougans du village, la route de Damentan
au gué de Voumbouteguenda longe, à environ deux kilomètres de
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
Damentan, une grande mare que l’on laisse sur la gauche. A trois
kilomètres de là, on traverse le petit marigot de Mahéri, profon
dément encaissé et à sec à cette époque de l’année. Peu avant
d’y arriver et pendant que nous faisions la halte horaire, une
odeur épouvantable se fit tout à coup sentir. Intrigué, j’envoyai
mon interprète Almoudo à la découverte dans la direction d’où elle
semblait provenir. Peu après, il revint et me dit que c’étaient les
«cabinets» de la hyène qui sentaient aussi mauvais. Je voulus
avoir l’explication de ce fait et mes hommes m’apprirent alors que
cet animal avait l’habitude d’aller toujours au même endroit
déposer ses excréments, et que ces lieux d’aisance étaient toujours
situés non loin de son repaire. Le fait est que je pus constater
moi même l’existence dans le même lieu d’une grande quantité de
matières fécales qui exhalaient une odeur absolument repoussante.
J’ignorais ce détail de mœurs de cet animal immonde, et je consigne
ici ce fait comme il m’a été donné, sous toutes réserves, bien
entendu.
A huit heures trente minutes nous arrivons enfin sur la rive
gauche de la Gambie, après avoir traversé une large plaine maréca
geuse couverte de Cypéracées gigantesques. Le fleuve est devant
nous profondément encaissé. C’est là le gué de Voumbouteguenda ;
il tire son nom d’un petit village malinké qui existait il y a
quelques années encore non-loin en amont et qui est aujourd’hui
détruit. Les habitants sont allés habiter à Damentan.
Les rives de la Gambie en cet endroit, et à cette époque de
l’année, sont très escarpées. Il faut descendre de cheval pour
s’avancer sur la belle plage de sable que les eaux en se retirant
ont mise à découvert. A Voumbouteguenda, pendant l’hivernage,
la Gambie a environ cinq cents mètres de largeur, mais au moment
où nous l’avons traversée, elle n ’a pas plus de deux cents mètres.
Par la plage sablonneuse qui se trouve sur la rive gauche, on
arrive à peu près jusqu’au milieu du lit du fleuve. Là existe un
chenal dont la profondeur, à la fin du mois de décembre, est d’en
viron trois mètres à trois mètres cinquante et la largeur, 60 à 70
mètres. Le courant y est excessivement rapide. Il va falloir passer
ce chenal en radeau. Quand on l’a traversé, on aborde à une sorte de
banc de plusieurs centaines de mètres de longueur, qu’on doit
parcourir pendant environ 200 mètres pour pouvoir traverser à
�348
ANDRÉ RANÇON
gué un second chenal de quatre mètres de largeur et de 0m80 centi
mètres de profondeur. On atterrit alors sur la rive du Tenda (rive
droite), non sans être couvert de vase et de débris végétaux. Un
mois après, vers la tin janvier ou au commencement de février au
plus tard, le gué est praticable pour les piétons.
Les rives de la Gambie sont en cet endroit couvertes de superbes
rôniers qui forment de chaque côté une véritable forêt. Sauf de
rares interruptions, elle s’étend, du reste, tout le long du fleuve
presque jusqu’à son embouchure. Il y en a là qui sont absolument
Rônier (Borassus flabelliformis).
énormes et nulle part, ailleurs, je n’ai vu d’aussi beaux échantillons
de ce précieux végétal.
La veille de mon départ de Dament.an, j’avais expédié un homme
à Bady et lui avais bien recommandé de dire au chef de ce village
de m’envoyer à Voumbouteguenda vingt hommes avec tout ce qu’il
fallait pour construire un radeau. Je n’ai pas besoin de dire
qu’aucun d’eux n’était arrivé quand nous atteignîmes le gué. Fort
heureusement, un des hommes de Sandia aperçut attaché à la rive
opposée un grand radeau fait en tiges de feuilles de palmier et en
���DANS LA HAUTE-GAMBIE
tout semblable à celui qu’il nous avait fallu construire pour tra
verser la rivière Grey. Immédiatement il se mit à l’eau, traversa le
chenal à la nage, reconnut la route que nous avions à suivre, et,
malgré le courant amena à notre rive le précieux esquif. Mais nous
manquons de cordes pour installer le va-et-vient, et il faut en faire.
Les lianes ne seraient pas assez résistantes à cause du courant.
Aussi les hommes de Sandia et les miens vont-ils couper de jeunes
pousses de rôniers qui abondent dans toute cette région, et après
les avoir légèrement passées à la flamme pour les ramollir, ils les
tressent solidement et en peu de temps ont vite confectionné la
longueur qui nous est suffisante. Pendant ce travail, les hommes
de Damentan se vautrent sur le sable et regardent tranquillement
notre personnel se débrouiller du mieux qu’il peut. Quoique nous
fassions et quoique nous disions, nous ne pouvons pas arriver à
les décider à se mettre à la besogne. Mais l’arrivée du fils du chef
qui, comme je l’ai dit plus haut, devait me rejoindre en cet endroit,
change les choses de face, et, sur son ordre, tous se mettent avec
ardeur au travail.
Ce brave garçon, chargé par son père de se rendre à Nétéboulou
avec Sandia pour y voir le commandant de Bakel et signer avec lui
le traité qui doit placer son pays sous notre protectorat, est accom
pagné par deux des principaux notables de Damentan, et il
emmène, pour l’offrir au commandant, un beau mouton blanc castré
que l’on désigne dans le pays sous le nom de Samoné.
L’opération du passage se fait sans accidents. On y procède
absolument comme je l’ai décrit plus haut pour la rivière Grey, et
à midi tout est terminé. Mon vieux Samba fait passer les animaux
à la nage. Pour moi, je traverse le dernier et suis obligé de faire
comme tout le monde, de me mettre à l’eau et de franchir environ
un kilomètre, ayant de l’eau jusqu’aux aisselles, pour atteindre la
rive opposée. Enfin, tout se passe à merveille et je constate avec
plaisir que tout mon monde est autour de moi, sur la rive droite,
et qu’il ne me manque aucun de mes bagages.
Pendant l’opération, arrivent trois hommes de Bady qui nous
annoncent que les autres les suivent et que s’ils sont en retard,
c’est qu’ils étaient allés, dès le matin, préparer ce qu’il fallait pour
construire un radeau. Je congédie alors les hommes de Damentan
et nous nous mettons en route pour Bady, en n’emportant que les
�350
ANDRÉ RANÇON
bagages indispensables. Les autres colis sont laissés sur la berge
sous la garde de deux de nos hommes. Les gens de Bady qui
arrivent les porteront au village.
II fait une chaleur épouvantable; mais, nous marchons tout
de môme d’une bonne allure. Tout le monde a hâte, après une
journée aussi pénible, de prendre un peu de repos dans une bonne
case, à l’abri du soleil brûlant.
De la Gambie à Bady, la route ne présente aucune difficulté et
nous la faisons sans encombre. A environ six kilomètres du
fleuve nous sommes obligés de faire un assez long détour pour
éviter un immense incendie de brousse. Tout est en feu autour de
nous. Gela ne contribue pas à rafraîchir l’atmosphère. Les gens de
Bady nous disent que le feu brûle ainsi depuis trois jours. Nous
n ’avons aucun accident à regretter fort heureusement. Dans toute
cette route la plus grande difficulté est occasionnée par les nom
breux passages d’hippopotames et d’éléphants. Il faut avoir grand
soin d’éviter ces fondrières dans lesquelles les chevaux pourraient
parfaitement se casser les jambes.
Nous étions arrivés à environ cinq kilomètres du village,
lorsque je vis tout à coup accourir à moi et tout effaré mon
vieux palefrenier Samba, qui marchait en avant avec le guide. Il
venait nous dire à Sandia, à Almoudo et à moi que les hommes du
village avaient coupé le cou à un poulet sur la route. Il craignait
d’y voir l’indice d’une mauvaise réception. Je me fis expliquer
par mes Malinkés ce que. signifiait cet usage, et voici ce qu’ils
m’apprirent. Quand dans un village Malinké ou Bambara; on
apprend qu’une colonne ou un étranger de marque, blanc ou noir,
est en route pour s’y rendre, on a l’habitude, si on ne le connaît pas,
de couper le cou à un poulet et on répand son sang sur la route par
laquelle doit arriver l’étranger ou la colonne, afin que, de cette
visite, il ne résulte aucun dommage pour le village. Je ne saurais
mieux comparer cette superstition qu'à celle qui consiste, dans la
religion catholique, à faire brûler des cierges devant des images de
saints pour se les rendre favorables. Cette coutume des Malinkés
n’est pas plus ridicule que cette dernière pratique d’une religion
civilisée. Elle est plus primitive, moins raffinée, et voilà tout. Nous
arrivons enfin à Bady à trois heures trente. A un kilomètre et demi
environ du village, nous avions traversé le petit marigot de Fayoii
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
qui traverse la route et qui, en cette saison, n’a plus qu’un mince
filet cl’eau.
Au point de vue géologique, la route de Dainentan à Bady ne
présente rien de nouveau à signaler. Un petit plateau de latérite se
trouve en quittant Damentan. Il est en entier cultivé. A partir de
là, les argiles compactes et les plateaux rocheux se succèdent
jusqu’à la Gambie. Sur la rive droite, on traverse d’abord une vaste
plaine marécageuse qui s’étend jusqu’au Ouli et qui est bornée au
Nord-Ouest par les collines du Ouli, au Nord et au Nord-Est par
celles du Tenda. Elle est couverte d’une brousse épaisse, d'une
hauteur prodigieuse, à travers laquelle il est excessivement pénible
de se frayer un chemin. Par-ci par-là on aperçoit très clairsemés
quelques arbres rachitiques et rabougris. Son sol est argileux. A
sec pendant la belle saison, elle est complètement inondée pendant
la saison des pluies. De là, on arrive par une rampe douce à un
plateau formé d’argiles et de conglomérats ferrugineux. Il s’étend
jusqu’à trois kilomètres de Bady, où apparaît de nouveau la latérite.
Le fond de la Gambie, à l’endroit où nous l’avons traversée, est
formé de sables très fins et de petits cailloux qui résultent de la
désagrégation par les eaux des conglomérats ferrugineux qui se
rencontrent sur les berges dans le haut cours du fleuve.
Au point de vue botanique, végétation excessivement pauvre,
sauf sur les bords de la Gambie, où se trouve une belle forêt de
superbes rôniers semblable à celle que nous avons déjà signalée sur
la rive opposée. Outre des végétaux déjà connus nous citerons parti
culièrement quelques rares pieds de lianes Saba et Delhi ( Vahea) et
un petit bois de superbes Karités de la variété Mana, situé à environ
sept kilomètres de la Gambie. Parmi les végétaux nouveaux que
j’ai pu remarquer pendant le trajet, je citerai le Datura, le
Sendiègne, et une plante comestible que les Malinkés désignent
sous le nom de M’Bolon-M’Bolon.
Le Datura (Datura Stramonium L.) delà famille des Solanées,
croît en grande quantité dans le Sud de nos possessions Soudaniennes. IL affectionne particulièrement les endroits humides et à
l’abri des rayons du soleil. Il acquiert, dans ces régions, des propor
tions surprenantes. Je ne crois point que les indigènes connaissent
ses propriétés thérapeutiques. J ’ai entendu dire cependant qu’ils en
prenaient parfois comme aphrodisiaque, mais j’ignore absùlument
�352
ANDRÉ RANÇON
quelle est la partie de la plante qu’ils emploient, et quel en est
le mode d’administration.
Le Sendiègne. — Les indigènes désignent sous ce nom les racines
d’un petit arbuste très commun dans toute cette région et qu’ils
utilisent contre la blennorrhagie. Ce végétal m’a paru être une
Légumineuse. Ils font avec la racine pilée ou concassée des infusions
et des tisanes qu’ils regardent comme absolument souveraines
contre la blennorrhagie. Cette plante est très connue au Soudan
des marabouts et des forgerons et on la trouve sur le marché de
Kayes aussi bien que sur celui de Saint-Louis au Sénégal.
Le M’Bolon-M’Bolon. — C’est une petite plante herbacée de la
famille des Légumineuses, qui croît dans le Tenda, le Dentilia, le
Konkodougou, le Diébédougou, etc., etc., et dont les indigènes
utilisent les feuilles et les jeunes pousses comme condiments. Elle
est surtout cultivée dans le Diébédougou, le Konkodougou et le
Tenda. Elle peut atteindre au maximum trente à quarante centi
mètres de hauteur. Tige herbacée dont la grosseur ne dépasse
jamais celle du petit doigt. Feuilles lancéolées, longues d’environ
quatre centimètres. Leur face supérieure est vert pâle, lisse. Leur
face inférieure blanchâtre et légèrement rugueuse. Si on écrase
entre les doigts une de ces feuilles, elle exhale une odeur vireuse
très prononcée. Leur saveur est légèrement acidulée. Le fruit est
une gousse à valves excessivement convexes et qui se dessèchent
très rapidement. Ces valves sont transparentes et à leur charnière
viennent s’insérer les graines très nombreuses, petites, ressemblant
à celles du radis, brunes. Élles se détachent très facilement de leur
point d’insertion, et sont presque toujours libres dans la gousse.
Les indigènes du Tenda, du Diébédougou et du Konkodougou
font bouillir les feuilles du M’Bolon-M’Bolon, les réduisent en pâte
qu’ils mélangent avec leur couscouss ou bien s’en servent pour
fabriquer une sorte de sauce verdâtre dans laquelle ils trempent
leur poignée de couscouss ou de riz avant de le manger. Le goût de
ce condiment rappellerait un peu celui des épinards. Il est cepen
dant moins fade.
Notre arrivée à Bady fit sensation, car on y avait appris notre
voyage à Damentan et au Coniaguié. Tout le village est là pour
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
nous voir et Sanclia, qui a autrefois habité le Tenda, distribue à
droite et à gauche de nombreuses poignées de mains. On nous
conduit aussitôt au campement que l’on a préparé pour nous, et
pour ma part je suis très bien logé dans une case vaste et bien
aérée. J ’étais à peine installé qu’arrivent les bagages que nous
avions laissés sur la berge. Les hommes de Bady, qui sont allés les
chercher, nous ont croisés dans la plaine à quelques centaines de
mètres du fleuve, mais la brousse est si touffue et si haute que
nous n’avons pu les apercevoir. Il y avait à peine dix minutes que
nous étions partis lorsqu’ils sont arrivés à l’endroit où les atten
daient nos hommes. Il ne me manque rien. Rien n’est avarié. Tout
est donc pour le mieux.
Bady est un village d’environ 500 habitants Malinkés non
musulmans. Il a absolument l’aspect de tous les villages Malinkés
que nous avons déjà visités. Les rues y sont étroites, sales, et les
cases construites en terre, rondes et couvertes d’un toit pointu en
chaume. Beaucoup tombent en ruines. Ce qui donne au village un
aspect absolument désolé. Il était autrefois entouré d’un assez fort
tata dont on voit encore les ruines. Ce tata a été remplacé par un
sagné bien construit et d’environ trois mètres de hauteur. On
accède par trois portes dans le village. Ces portes, très épaisses,
sont toujours fermées pendant la nuit, car les environs sont souvent
infestés par des bandes de Peulhs pillards du Tamgué qui viennent
jusque sous les murs du village enlever les bœufs, les enfants, les
femmes et les captifs. Les habitants présentent le type parfait du
Malinké, ivrogne, puant et abruti. Il n’y a pas à s’y méprendre. Ce
sont surtout des cultivateurs. Ils possèdent de beaux lougans de
mil, maïs, arachides et de vastes rizières. Leur troupeau compte
environ cinquante têtes de bétail. On y trouve également en
notable quantité des chèvres, moutons et poulets. Mes hommes
et mes animaux sout bien nourris et l’on me donne à profusion
tout ce dont j’ai besoin.
Le chef, qui est venu me voir peu après mon arrivée, est un
vieillard aveugle, impotent, absolument incapable de quoi que
ce soit, et littéralement abruti.
La première chose qui m’ait frappé en arrivant à Bady est le
grand nombre de goitreux que l’on y rencontre. Cette affection y
est plus commune chez la femme que chez l’homme. Le nombre
A n d ré R a n ço n . — 23.
�354
ANDRÉ RANÇON
des aveugles y est aussi relativement considérable, et l’on y voit
également beaucoup de malades atteints de vieux ulcères absolu
ment repoussants. J ’y ai constaté en outre l’existeuce d’une sorte
de maladie de la peau qui ne guérit qu’en faisant disparaître le
pigment. Aussi voit-on quantités d’individus ayant, de ce fait, les
mains ou les pieds absolument blancs. Toutes ces affections sont,
du reste, très communes dans tout le Tenda. Je crois qu’il faut les
attribuer à l’alimentation presque exclusivement végétale dont
font usage les habitants de Tenda. On y mange rarement de la
viande et le sel y est à peu près inconnu. Les Malinkés attribuent
la maladie de peau à laquelle ils sont sujets dans ce pays à l’usage
journalier qu’ils font des Diabérés, je veux dire les turions de
cette Aroïdée du genre Arum que nous avons précédemment
décrite sous le nom d’d. cornui.
De Damentan àBady, la route suit une direction générale NordEst et la distance qui sépare ces deux villages est d’environ vingtneuf kilomètres.
Les fatigues que nous avions éprouvées pendant la journée me
décidèrent à rester un jour de plus àBady. En outre, Sandiadevant
me quitter là pour retourner à Nétéboulou, je n’étais pas fâché de
rester un jour encore avec lui pour lui faire toutes mes recom
mandations et pour lui confier un volumineux courrier à desti
nation de France.
30 décembre. — La nuit, bien que très fraîche, a cependant été
moins froide que les précédentes. Le ciel a été couvert pendant la
plus grande partie de la nuit et il a soufflé une forte brise de
Nord-Est. Au réveil, le ciel est encore couvert et le soleil voilé.
Une buée épaisse obscurcit l’horizon. Pas de rosée. La brise vient
toujours du Nord-Est.
Tout mon monde a bien dormi jusqu’à sept heures du matin.
On s’est remis des fatigues d’hier.
Vers dix heures du matin, le ciel s’est complètement éclairci.
Le soleil est brillant et il souffle un vent d’Est brûlant. 11 fait une
chaleur étouffante.
Le chef m’envoie dans la matinée un superbe bœuf pour mon
déjeuner. On le tue aussitôt et la viande en est distribuée pour
deux jours aux hommes. J’en fais donner pour trois jours à Sandia
ainsi qu’aux différents chefs qui nous accompagnent, et qui doivent
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
me quitter demain pour se rendre à Nétéboulou. Je n’ai pas besoin
de dire que j’ai envoyé au chef du village, selon la coutume, un
quartier de devant et que tout le village en a eu sa part.
Dans la soirée, tous les chefs des villages environnants vinrent
me voir avec le chef du pays. Bien malgré moi il fallut organiser
un grand palabre qui ne dura pas moins de deux heures. Le Massa
ou chef du pays se plaignit à moi de ce que son autorité était
méconnue des villages qui dépendaient de Bady, et que, particu
lièrement le chef de Bamaki était l’organisateur de tout ce qui se
faisait contre lui dans le pays. Je crus devoir lui faire de sévères
remontrances et l’avertis que j’allais causer au commandant de
Bakel pour lui demander de le punir d’une façon exemplaire. Le
Massa se retira enchanté du résultat du palabre. Quel ne fut pas
mon étonnement quand une heure après, il vint me demander de
ue pas mettre ma menace à exécution. Je lui déclarai que je n’en
maintenais pas moins ma décision et profitai de la circonstance
pour le blâmer vertement d’être aussi faible. D’après cela, il ne
devrait s’en prendre qu’à lui si les sujets ne lui obéissaient pas
mieux.Il en est de môme, du reste, dans tous les pays Malinkés, et,
il ne faut attribuer le désordre politique qui y règne sans cesse,
qu’à la faiblesse unique dont les chefs font preuve dans l’exercice
du commandement.
Avant de me coucher, je fis à Sandia toutes mes recomman
dations ; je lui donnai toutes mes instructions et lui confiai un
courrier volumineux qu’il se chargeait de faire parvenir à Bakel.
31 décembre. — La nuit a été très fraîche. Le ciel clair et étoilé.
Brise de Nord. Au réveil, ciel clair, rosée abondante. Brise de
Nord. Température froide. Le soleil se lève brillant.
Les porteurs sont réunis à l’heure dite. Aussi pouvons-nous
nous mettre en route dès le point du jour. Je fais, avant de monter
à cheval, mes adieux à Sandia. Ce brave homme est tout ému, et,
je puis bien le dire, c’est avec grand regret que je me sépare de lui.
Vivant dans son intimité depuis cinq mois, j’avais pu apprécier ses
qualités rares chez un noir. Je serre également la main à tous les
chefs qui m’ont accompagné et, attristés par cette séparation, nous
nous mettons en route pour Iéninialla, où j’ai décidé de faire étape
ce jour-là.
La route de Bady à Iéninialla se fait sans encombre et rapide-
______
____
�356
ANDRÉ RANÇON
ment. Les porteurs marchent bien et rien ne nous retarde. A 600
mètres environ du village nous traversons une des branches du
marigot de Fayoli et peu après nous arrivons au village de Niongané,
où nous sommes obligés de faire une courte halte pour permettre
aux porteurs de prendre leurs fusils, parce que, disent-ils, la route
n’est pas sûre. Il paraît, en effet, que depuis quelques jours une
bande de pillards du Tamgué rôde dans les environs. — Un peu
avant d’arriver à Niongané nous avions laissé sur la gauche la
route de Bamaki et, sur la droite, celles de Kénioto et de Dalésilamé.
Niongané est un village de Malinkés musulmans qui dépend'de
Bady. Sa population est d’environ trois cents habitants. Il est de
forme absolument circulaire et est entouré d’un tata en ruines et
d’un double sagné en excellent état. Tout autour se trouvent de
riches lougans de mil, maïs et arachides. A six heures dix
minutes nous passons devant le petit village de Sansanto. La
population peut s’élever à environ 450 habitants. Ce sont des
Malinkés musulmans. Il est entouré d’un tata peu élevé, mais
bien entretenu et tout autour se trouvent de superbes lougans bien
cultivés.
A deux kilomètres environ de Sansanto nous traversons le
marigot de Damoutakoudiala, dont les bords sont couverts de
beaux palmiers et de superbes Cail-cédrats (en Malinké Diala). Le
passage en est très facile. Nous laissons sur notre droite le petit
village de Kénioto dont on voit les lougans de la route. Quelques
kilomètres plus loin on traverse sans aucune difficulté le marigot
de Nafadala, branche de celui de Barsancounti qui, lui-même, est
un affluent du Niéri-Kô. C’est plutôt un vaste marécage couvert
d’herbes palustres qu’un marigot à proprement parler. A quelques
centaines de mètres du Nafadala se trouve Je petit village de
Iéninialla, où nous devons passer la journée.
La route de Bady à Iéninialla suit à peu près une direction
Nord-Est, et la distance qui sépare ces deux villages est environ de
quinze kilomètres cinq cents mètres. Elle ne présente aucune
difficulté. Les marigots qu’on y rencontre sont faciles à traverser
et les chevaux ne s’y embourbent pas. Pas de collines ; elle
traverse un pays absolument plat. A mentionner seulement un
petit plateau de roches ferrugineuses qui se trouve à peu de
distance de Iéninialla. La plus grande partie du chemin se fait à
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
357
travers de superbes lougans de mil et d'arachides. Au point de
vue géologique nous mentionnerons tout particulièrement les
vastes bancs de latérite qui se trouvent entre Bady et jusqu’à quatre
kilomètres au-delà de Sansanto. Là la latérite fait place à une plaine
d'argiles compactes et au petit plateau formé de quartz et de
conglomérats ferrugineux, qui se trouve à peu de distance de
Iéninialla. Deux kilomètres environ avant d’arriver à ce dernier
village, la latérite réapparaît et toute la plaine dans laquelle il
s’élève est formée de ce terrain. Aussi est-elle d’une grande
fertilité et très bien cultivée. Au point de vue botanique, nous
signalerons tout particulièrement la présence dans les marigots
de nombreux spécimens de Belancoumfo (1). Leurs rives présentent
aussi quelques télis et de beaux caïl-cédrats. En arrivant à
Iéninialla nous avons remarqué quelques beaux n’tabas et froma
gers. Les nétés y sont également très nombreux et très beaux.
Enfin, surtout sur le petit plateau dont nous venons de parler,
nous avons pu remarquer quelques beaux échantillons de ce
végétal si précieux pour nos constructions au Soudan et que l’on
désigne sous le nom de Vène.
Le Vène (Pterocarpus erinaceus) appartient à la famille des
Légumineuses papilionacées. C’est un bel arbre dont la tige, géné
ralement droite, atteint parfois quatre à cinq mètres de hauteur.
Son écorce blanchâtre permet aisément de le reconnaître dans la forêt
et de ne pas le confondre avec ses voisins. Son feuillage est généra
lement maigre et d’un blanc terne. Il fleurit vers la fin de janvier.
Son bois est à grain fin, très dur, serré et très propre pour la menui
serie fine. Il est moins attaqué que les autres bois par les termites.
On le trouve en grande quantité dans tout le Soudan et pourrait être
l’objet d’une exploitation sérieuse. A l’incision, son écorce laisse
découler une sorte de cachou à saveur excessivement astringente.
Les indigènes utilisent les propriétés astringentes de son écorce
contre les diarrhées et rebelles comme fébrifuges. Ils en font des
macérations très concentrées dont ils boivent par jour environ la
valeur de deux verres à Bordeaux matin et soir. Le vène est utilisé
dans nos ateliers pour la menuiserie et pour la construction de
nos chalands. On s’en sert également avec avantage pour fabriquer
(1) Ceratanthera Beaumetzi Heckel, rhizome purgatif et tænifuge.
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des traverses de chemin de fer et pour la construction des char
pentes de nos postes.
Iéninialla, où nous allons passer cette dernière journée de
l’année 1891, est un village d’environ 450 habitants. Sa population
est uniquement formée de Malinkés musulmans. Il est relative
ment propre et bien entretenu. Il est entouré d’un petit tata encore
en assez bon état et d’un solide sagné fait de grosses pièces de bois
jointives d’environ trois mètres de hauteur. Iéninialla possède de
superbes lougans et un beau troupeau d’une centaine de têtes. C’est
un des villages les plus riches que j’ai rencontrés sur ma route
pendant ce long voyage. J ’y suis reçu d’une façon remarquable, du
reste j ’y étais attendu. Hier, le chef, aussitôt après avoir reçu mon
courrier qui lui annonçait mon arrivée pour aujourd’h u i, avait
expédié deux hommes à Bady pour me souhaiter la bienvenue, et
pour me conduire dans son village, prévenance qui est peu fami
lière aux noirs et que je tiens à signaler tout particulièrement.
Je suis très bien logé dans une belle case très propre et à
laquelle on a fait la toilette pour me recevoir. Nous ne manquons
de rien et tout ce dont j’ai besoin pour mes hommes, mes animaux
et pour moi m’est apporté avec empressement dès mon arrivée,
sans que j’aie même la peine de demander quoique ce soit. Le chef
m’offre un joli petit bœuf pour mon « déjeuner » (sic). Il est immé
diatement sacrifié et distribué entre mes hommes et les habitants.
Bien entendu j’ai fait porter au chef un quartier de devant.
Couscouss, mil, riz, poulets, œufs nous sont offerts à profusion et
rien ne manque de tout ce que l’on peut trouver dans un village
noir.
Je passe à Iéninialla une journée excellente. Dans la soirée,
j’expédie à Gamon un courrier pour annoncer au chef de ce village
mon arrivée pour le lendemain. Le fils du chef est plein de préve
nance pour moi et il est venu dès mon arrivée me saluer de la part
de son père qui, vieux et malade, ne peut pas marcher. Je ne man
que pas d’aller dans la soirée le voir et le remercier de sa géné
reuse hospitalité. Je lui fais avant de partir un petit cadeau
d’étoffes, de kolas et de verroteries pour ses femmes. Il me
remercie le plus chaleureusement du monde et nous nous séparons
enchantés l’un de l’autre.
! : !:| p K MW. Ü
__ _______
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
40T janvier 4892. — Aujourd’hui, c’est le premier jour d’uue
nouvelle année. J’ai supporté bien des fatigues, bien des misères
et éprouvé bien des désillusions pendant celle qui vient de
s’écouler. J ’ai appris la mort de plusieurs de mes meilleurs amis,
tombés au champ d’honneur sur cette terre inhospitalière, ter
rassés par ce climat meurtrier qui ne pardonne pas. Le minotaure
soudanien ne se rassasie pas. Il lui faut encore des victimes
et toujours ce sont les plus nobles et les meilleures qu’il
sacrifie. Devant ces tombes à peine fermées, découvrons-nous
avec respect. Ils sont morts en braves pour la civilisation, pour la
France, victimes du devoir et de leur dévouement. Espérons que
l’année qui commence sera plus clémente et que ceux que nous
aimons et estimons seront épargnés.
Cette nuit du 31 décembre 1891 au premier janvier 1892 a été
excessivement froide. Brise de nord, ciel clair et étoilé. Au réveil,
ciel clair, brise de nord. Rosée abondante, le soleil se lève brillant.
Température très froide.
Les porteurs sont réunis à l’heure dite et, à cinq heures, au
point du jour, nous pouvons nous mettre en route. x4.ucun incident
à noter. Nous marchons d’un bon pas pour nous réchauffer. — A
5 b. 45, nous traversons le marigot de Barsancounti. En cet endroit,
il n’a pas moins de cinquante mètres de largeur. Fort heureuse
ment les habitants de Iéninialla ont eu l’excellente idée de cons
truire au-dessus de son cours un pont en bois, primitif il est vrai,
mais qui est assez ingénieux. Il se compose de deux rangées de
pieux solidement enfoncés dans le lit du marigot, et distants les
uns des autres d’environ 80 centimètres. Les deux rangées sont
séparées l’une de l’autre par un intervalle d’un mètre cinquante
centimètres environ. C’est la largeur du tablier. Ces pieux sont
réunis entre eux par des traverses longitudinales solidement
attachées à l’aide de cordes de bambous. Sur ces traverses repose
le tablier qui est formé de pièces de bois jointives réunies entre
elles, à leur extrémité, par des cordes également en bambous
ou en fibres de baobab. Tout le convoi passe sur ce pont sans
aucun accident. On est obligé cependant de faire passer mon cheval
cà la nage. L’eau est absolument glacée. A six heures vingt-cinq
nous traversons le marigot de Sekoto et enfin à huit heures quinze
la rivière Balé. Le fond de ce petit cours d’eau, à peine large de-
�360
ANDRÉ RANÇON
40 mètres, est excessivement vaseux et couvert d’une épaisse couche
de détritus végétaux. Il faut se mettre à l’eau et ce n’est qu’au prix
de mille difficultés et en enfonçant dans la vase jusqu’à mi-jambes
que nous arrivons sur la rive opposée. A quelques kilomètres
de là nous rencontrons plusieurs guerriers de Gamon que le chef
envoie au devant de nous pour nous escorter et nous conduire
au village. Ils nous apportent des peaux de bouc remplies d’une
eau fraîche et limpide. Elle est la bienvenue, et, après nous être
désaltérés, nous nous remettons tous en route. Enfin, à onze heures
quarante-cinq minutes, nous arrivons à Gamon, après avoir traversé
à quelques centaines de mètres du village le petit marigot de
Diéfagadala dont les bords sont couverts de superbes rizières.
La route de Iéninialla à Gamon suit une direction générale à
peu près Est. La distance qui sépare ces deux villages est environ
de 29 kilomètres. Ce trajet présente comme difficultés sérieuses le
passage des marigots dont le fond, celui surtout de la rivière Balé,
est extrêmement vaseux. Pas de collines. Le pays est absolument
plat et couvert d’une brousse épaisse.
Au point de vue géologique, on ne rencontre pas de terrains
nouveaux. Ce sont toujours les mêmes, argiles, latérite et plateaux
ferrugineux. En quittant Iéninialla, on suit le banc de latérite qui
commence à deux kilomètres environ à l’Ouest du village. Ce banc
fait place brusquement aux argiles et aux vases qui couvrent les
rives du Barsancounti-Kô et que l’on trouve à deux kilomètres
environ avant d’arriver sur les bords de ce marigot. Nous signa
lerons un petit banc de latérite entre le Barsancounti-Kô et le
Sekoto-KÔ et qui est cultivé. Dès que l’on a quitté la plaine maré
cageuse qui s’étend à un kilomètre cinq cents mètres du Sekoto,
on traverse un vaste plateau ferrugineux absolument nu. Ce
plateau se termine brusquement à cinq cents mètres de la rivière
Balé pour faire place à un vaste marécage à fond argileux qu’il
faut traverser pour arriver à la rivière, Nouvelle plaine maréca
geuse sur la rive gauche de la rivière, puis argiles pendant trois
kilomètres environ. La route traverse ensuite un petit plateau
formé de quartz ferrugineux et, à partir de là, ce ne sont plus
que des argiles. La latérite réapparaît à cinq kilomètres environ
avant d’arriver à Gamon en deux petits îlots de peu d’étendue.
Enfin, la colline sur laquelle est construit le village est elle-
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
361
même formée d’argiles recouvrant un sous-sol de quartz et de
conglomérats ferrugineux.
Le fond des marigots est formé d’une couche épaisse de vase
qui repose sur des argiles grasses et très profondes. Tous ces cours
d’eau sont tributaires de la rivière Balé, laquelle est formée par
l’apport des marigots d’une grande partie du Tiali. Elle se jette
dans la Gambie. Le marigot de Diéfagadala, qui passe à Gamon, se
jette dans le marigot de Couiankô, lequel se rend au Niocolo-Koba.
Le marigot de Couiankô fait communiquer le Niéri-Kô avec le
Niocolo-Koba.
Au point de vue botanique, nous signalerons tout particulière
ment les fourrés de bambous qui s’étendent sur les rives des mari
gots et les lianes delbis et sabas ( Vahea) qu’on y rencontre partout
en quantités considérables. Signalons encore la présence de beaux
fromagers, baobabs et nétés. Pendant la route mes hommes me
montrèrent deux végétaux dont on utilise les racines dans la
pharmacopée indigène. C’est 1e.Nando (1) et le Fouff (2). Le nando
est préconisé surtout contre les coliques et le foufï contre la blen
norrhagie. Cette dernière racine est caractérisée par une pénétrante
odeur qui ressemble un peu à celle du jasmin (3). Ces deux végétaux
sont encore assez communs dans le Cayor et dans les environs
de Khayes.
Dans l’intérieur même du village de Gamon existe un assez
grand nombre de papayers et de dattiers, et, dans les cours des
habitations, nous avons remarqué de nombreux pieds de piments
dont les indigènes ont un soin jaloux. Le dattier que l’on trouve
au Soudan, dans le Kaméra, le Guidimakha, le Tiali, le Niéri, le
pays de Gamon appartient à une variété de petite taille. Il prospère
à merveille et les dattes qu’il donne sont excessivement savou
reuses. Malheureusement les indigènes ne s’adonnent que fort peu
(1) Le Nando est le Sarcocephelus esculentus Afz. trouvé sous ce nom par Corre
près de Joal et connu comme remède employé par les indigènes contre les maux de
ventre. Voir à ce sujet le mémoire de MM. E. Heckel et Schlagdenhauffen (Archives
de Médecine navale, Décembre 1885 et Janvier 1886. (Note de M. Heckel).
(2) Le Fouff serait, d’après Lecart, un nom Wolofï donné à un Polygala usité
au Sénégal et au Soudan contre la morsure des serpente (Note de M. Heckel).
(3) Cette odeur est vraisemblablement due à l’éther méthylsalicilique dont la
présence a été constatée récemment par M. Bourquelot dans plusieurs espèces du
genre Polygala (Note de M. Heckel).
�362
ANDRÉ RANÇON
à la culture cle ce précieux végétal. Je suis persuadé que, dans
certaines régions, il serait très facile de le multiplier, et de créer
de belles plantations. Ceux que nous avons vus à Gamon étaient
arrivés à complet développement et, d’après le dire des habi
tants, donneraient chaque année une abondante récolte.
Le piment qui est le plus généralement cultivé par les indi
gènes appartient à cette variété que l’on désigne sous le nom de
Poivre de Cayenne (Capsicum frutescens. L. Solanées). Il est rouge
vif, long de 20 à 30 millimètres, large de 7 à 9 à sa base, rétréci au
voisinage du calice, qui est cupuliforme. Son odeur est très forte,
caractéristique, et sa saveur d’une acreté insupportable. Les noirs
en sont très friands et s’en servent pour assaisonner leur couscouss
dont il relève le goût fade et écœurant. Le piment est, de plus,
regardé par eux comme un véritable spécifique contre les hémorrhoïdes. Pour l’administrer, ou bien ils se contentent de le mélanger
à doses assez fortes avec les aliments, ou bien ils le pilent quand il
est sec et absorbent dans du lait trois ou quatre grammes de la
poudre ainsi obtenue. Il faut avoir le palais des noirs pour ingur
giter ainsi une dose aussi forte de poudre de piment. Mais, admi
nistrée dans du pain azyme, elle ne cause aucun désagrément. Nous
avons pu en faire nous-même l’expérience et le résultat que nous
avons obtenu a été concluant sous tous les rapports.
Gamon est un gros village de près de 1200 habitants. Sa popu
lation est formée de Malinkés marabouts pour la grande partie. De
plus, il s’y trouve des habitants appartenant à toutes les races
du Soudan : nous y reviendrons plus loin lorsque nous traite
rons de l’ethnographie de ce pays. — Nous y fûmes très bien reçus
et on nous donna à profusion tout ce dont nous avions besoin : mil
pour mon cheval, couscouss pour mes hommes, œufs et viande
fraîche pour moi. De plus, je suis très bien logé, dans une belle
case, vaste et bien aérée. Aussi n ’ai-je pas trop souffert de la cha
leur, bien qu’elle fût absolument torride ce jour-là.
Dans l’après-midi, le chef vint me voir avec ses principaux
notables. C’est un homme jeune encore, peu loquace et très intel
ligent. Son nom est Koulou-Takourou. Il se fit auprès de moi l’écho
des plaintes de tous les habitants du village. Depuis qu’ils se sont
placés, me dit-il, sous notre protectorat, nous n’avons rien fait
pour eux. Ils sont à chaque instant pillés par les Peulhs du Tamgué
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
et nous ne faisons rien pour les protéger contre leurs incursions.
Dernièrement encore, un parti cle rôdeurs s’est avancé jusque sous
les murs du village et ils ont enlevé deux hommes et sa propre
fdle. Il désirerait, ajouta-t-il, être autorisé à faire sa police luimême et à se défendre contre ses ennemis puisque nous ne
pouvons pas nous en occuper. Je lui p. >mis de parler de tout cela
à qui de droit. C’est tout ce que je pou ais lui répondre et tout ce
que je pouvais faire.
�l i
CHAPITRE XVIII
LeTenda et le pays de Gamon. — Frontières, Limites. — Aspect général du pays.
— Hydrologie.— Orographie.— Constitution géologique du sol. — Flore, pro
ductions du sol, cultures. — Faune, animaux domestiques. — Populations. —
Ethnographie. — Organisation politique. — Rapports avec les pays voisins. —
Rapports avec les autorités françaises.
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
365
Bien que le Tenda et le pays de Gamon soient deux pays abso
lument distincts, bien qu’ils n’aient entre eux aucun lien politique
ou administratif, il est d’usage de les accoler ainsi. Nous suivrons
donc cet usage pour la description physique du pays, nous réservant
de faire ensuite des chapitres particuliers pour ce qui les intéresse
aux autres points de vue.
Le Tenda, en y comprenant le pays de Gamon, forme un petit
État qui, sans être étendu et considérablement peuplé, a cependant
pour nous, au point de vue de notre influence en Gambie, une
réelle importance. Aussi en donnerons nous une description aussi
complète que possible sous tous les rapports.
Frontières, limites. — Les frontières du Tenda, à l’encontre de
celles des autres pays que nous avons visités, sont assez nettes.
Ses limites extrêmes sont à peu près comprises entre les 15° 30’
et 14° 45’ de longitude Ouest et les 12u55’ et 13° 17’ de latitude Nord.
Au Sud, il est borné par la rivière Gambie, à l’est par le NiocoloKoba, affluent de la Gambie, au Nord par une ligne fictive qui,
partant du Niocolo-Koba au point où cette rivière reçoit le marigot
de Situdiouma-Kô, se dirige au nord-ouest jusqu’aux environs de
Gamon, passe entre ce village et celui de Bokko dans le Diaka,
s’infléchit un peu vers le sud jusqu’à la mare de Tioké, et, enfin,
de ce point se dirige franchement au sud vers la Gambie, qu’elle
atteint au point où se jette le marigot de Dialakoto. Du reste,
dans tout ce parcours, elle suit le marigot qui forme la frontière
ouest du Tenda.
Le Tenda confine au sud au pays de Damentan dont le sépare la
Gambie, à l’ouest au Diaka et au Ouli, au nord au Diaka et au
pays désert qui le sépare du Tiali, enfin à l’est et au sud-est au
pays de Badon.
Aspect du pays. — L’aspect général du pays est tout difïéren-t
suivant que l’on parcourt la région sud ou la région nord. Toute la
région sud, qui avoisine les rives de la Gambie, est d’une tristesse
inimaginable. Ce n’est qu’une vaste plaine absolument stérile,
couverte par les eaux pendant l’hivernage, desséchée pendant la
bonne saison et couverte alors d’une végétation de nature absolu
ment palustre. Par-ci par-là, quelques arbres rares et rabougris
�366
ANDRÉ RANÇON
émergent au-dessus d’une brousse épaisse dont les Carex et autres
Cypéracées forment les principaux éléments. Ces derniers végétaux
prospèrent là à merveille et y atteignent des dimensions telles
que chevaux et cavaliers y disparaissent complètement. Les sen
tiers y sont à peine visibles, cachés au milieu des herbes qui les
recouvrent et transformés en véritables fondrières par les hippo
potames et les éléphants qui abondent dans toute cette région.
Cette plaine s’étend jusqu’au Ouli. A mesure qu’on s’élève dans le
nord, le terrain devient plus accidenté, mais ce n ’est qu’à sept
kilomètres environ des rives du fleuve que l’on commence à aper
cevoir les premières ondulations du sol. Dans la région nord, le
pays change absolument d’aspect, et nous y retrouvons ces plaines
et ces petites collines qui caractérisent le Soudan dans sa partie
Est. Là, le sol est éminemment fertile. Dans chaque vallée, se trouve
un petit village qui est toujours entouré de belles cultures. Nulle
part, je n ’ai vu un petit coin de terrain aussi gai et aussi bien
cultivé que cette riante vallée qui s’étend de Bady au marigot de
Barsancounti, lequel se trouve à trois kilomètres et demi environ au
nord-est de léninialla. Ce n ’est qu’une suite ininterrompue de
beaux lougans qu’arrosent de petits marigots dont les rives sont
couvertes d’une luxuriante végétation. Toute la partie de la région
nord qui confine au Diaka est également très riche. C’est là où
s’élevaient autrefois les principaux villages du Tenda. La guerre a
malheureusement presque complètement dépeuplé ce pays.
A partir de Gamon et jusqu’au Niocolo-Koba, c’est la désolation
dans toute l’acception du mot. C’est la véritable steppe soudanienne avec ses roches nues et sa végétation rachitique. Le pays y
est d’une aridité remarquable, et c’est à peine si, sur les bords des
marigots, on rencontre quelques rares bambous, quelques rares
essences botaniques qui sont l’apanage des terrains pauvres en
humus. Les bords de la Gambie y sont comme partout couverts
d’une luxuriante végétation, mais qui s’étend à peine à deux cents
mètres à l’intérieur des terres.
Hydrologie. — A ce point de vue le Tenda et le pays de Gamon
appartiennent tout entiers au bassin de la Gambie. C’est de ce
fleuve, en effet, que sont tributaires tous les marigots que l’on y
rencontre et c’est elle qui reçoit également deux petites rivières, le
�'
\
DANS LA HAUTE-GAMBIE
Niocolo-Koba et la rivière Balé, qui arrosent ses régions sud-est et
nord-est. Il n’y a que fort peu de marigots qui se jettent directe
ment dans la Gambie et encore sont-ils de maigre importance.
Presque tous se rendent soit à la rivière Balé, soit au Niocolo-Koba
ou plutôt, ce qui serait plus exact, se réunissent pour former ces
deux rivières. Beaucoup de ces marigots communiquent entre eux
ou bien même communiquent avec le Nieri-KÔ ou avec des mari
gots qui appartiennent au bassin de ce dernier.
La Gambie sert de limite sud au Tenda pendant environ cin
quante-cinq kilomètres de son cours, du confluent du Niocolo-Koba
à la naissance du marigot de Bialalcoto qui sépare le Tenda du
Ouli. Cette partie de son cours n’a encore été l’objet d’aucune étude
sérieuse. Je doute même qu’elle ait jamais été parcourue par un
explorateur quelconque. On ne s’est guère jusqu’à ce jour avancé
plus loin que le barrage de Kokonko-Taloto, ou l’embouchure de
la rivière Grey. Golberry reconnut, en effet, le confluent de cette
dernière avec la Gambie, mais il n’a pas fait, de son cours entre ces
deux points une étude hydrologique qui mérite d’être signalée.
Tout ce que nous en pouvons dire, c’est en interrogeant les hom
mes du pays et particulièrement les chasseurs d’éléphants et d’hip
popotames que nous l’avons appris. Sa largeur moyenne serait au
moment des plus basses eaux de trois à quatre cents mètres au
maximum. Pendant la saison des pluies elle doublerait et triplerait
même en certains endroits. En toutes saisons, son courant est
excessivement rapide. Son impétuosité augmente considérable
ment au commencement de la belle saison, alors que, rentrée dans
son lit, la Gambie reçoit les eaux des affluents et des marigots qui
l’alimentent. Mais à la fin de la saison sèche on ne trouve plus
guère de courant que là où le fleuve trouve un obstacle à son cours,
un petit barrage à franchir. — Elle coule entre deux rives à pic et
le niveau de sa masse d’eau, du jour où il est le plus élevé à celui
où il est le plus bas, varie de douze à quatorze mètres environ. Les
rives sont couvertes d’une riche végétation, mais elle ne s’étend
pas à plus de deux cents mètres au delà du fleuve. Plus loin c’est
la brousse et le marais, surtout sur la rive droite. Pendant la saison
des pluies, alors que ses eaux ont atteint leur niveau le plus élevé,
elle serait navigable pour les chalands en bois à fond plat, et,
pendant la saison sèche, les pirogues seules pourraient la remonter.
�368
ANDRÉ RANÇON
On n’y rencontre pas, à proprement parler, de barrages ; mais
son lit est en maints endroits obstrué par des quantités consi
dérables de roches qui changent son cours en véritables rapides.
Ailleurs ce ne sont que des bancs de sables très fins ou bien encore
son fond est constitué par ces petits cailloux ferrugineux, ronds,
qui proviennent de la désagrégation des conglomérats. 11 n’y a
guère que le gué de Voumbouteguenda, où nous l’avons traversée
entre Damentan et Bady qui soit réellement praticable. Encore ne
l’est-il absolument que pendant trois mois de l’année, janvier,
février et mars. La crue du fleuve commence à se faire sentir dans
le courant du mois d’avril, et elle atteint son maximum vers le
milieu de septembre. Pendant la saison des pluies, ses eaux sont
jaunâtres et charrient une grande quantité de matières terreuses.
Pendant la saison sèche, au contraire, elles sont d’une limpidité
parfaite et ne contiennent qu’une quantité insignifiante de matières
organiques. A cette époque de l’année c’est une eau potable de
qualité supérieure et qui est propre à tous les usages domestiques.
On peut la boire sans la filtrer et sans en être le moindrement
incommodé. Mais, pendant l’hivernage, on ne peut s’en servir
qu’après l’avoir fait reposer, puis décanter et filtrer.
Ainsi que nous l’avons dit plus haut, la Gambie ne reçoit dans
le Tenda aucun marigot qui mérite d’être mentionné. Par contre,
deux rivières assez importantes lui apportent le tribut de leurs
eaux, la rivière Balé et le Niocolo-Koba.
Le Niokolo-Xoba n’a pas, à proprement parler, de source ; il est
formé par l’apport d’un grand nombre de marigots qui drainent
les eaux d’infiltration de la partie Nord du pays de Badon ou qui
viennent du Tiali et du Niéri. C’est une jolie petite rivière où l’eau
coule en toutes saisons. Ses berges sont taillées à pic, comme celles
de tous les cours d’eau de cette région. Sa largeur, qui n’est guère
que de 30 à 40 mètres pendant la saison sèche, atteint 250 à 300
mètres pendant l’hivernage. Son lit est formé de sables et de
roches dans la plus grande partie de son cours. Les marigots
qu’elle reçoit arrosent plutôt le pays de Gamon que le Tenda
proprement dit. Ces marigots sont fort nombreux. En voici les
principaux : Si nous remontons le cours de la rivière, nous trouvons
tout d’abord, à peu de distance de son embouchure, le marigot de
Kéré-Kô, qui reçoit lui-même le marigot de Diéfagadala, qui passe à
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
369
Gamon. Un peu plus haut se trouvent le Sourouba-Kô et le Firali-Kô,
que l’on traverse en allant de Gamon à Sibikili. En amont du
confluent de ce dernier avec le Niocolo-Koba se trouve YOussékiriKô et plus haut 1’Ousséhiba-Kà, tous les deux de peu d’importance.
Enfin le Condouko-Boulo, lequel reçoit le Saramé-Kô. Tous ces
marigots reçoivent un grand nombre de marigots secondaires sans
aucune importance.
La rivière Balé se jette dans la Gambie à environ trente kilo
mètres en aval du confluent du Niocolo-Koba. Comme cette der
nière, elle n’a pas une source propre, elle est formée par l’apport
des eaux d’un grand nombre de marigots qui lui viennent du Niéri,
du Tenda et du Diaka. Elle reçoit, en outre, un grand nombre de
marigots assez importants qui communiquent entre eux pour la
plupart ou qui communiquent avec des marigots tributaires du
Niéri-Kô ou du Niocolo-Koba. Le cours de la rivière Balé est
excessivement sinueux, et, pendant la saison sèche, il est peu
rapide. Sa largeur est d’environ dix mètres pendant la saison
sèche et trente à quarante mètres pendant la saison des pluies.
Ses berges sont à pic et formées d’argiles grasses et très glissantes
qui les rendent difficilement accessibles. Son lit est encombré de
racines, de feuilles et de vases qui forment une couche excessive
ment épaisse. Aussi le passage en est-il très difficile surtout pour
les animaux. Tandis que les eaux du Niocolo-Koba sont d’une
grande pureté, celles de la rivière Balé sont, au contraire, en
toutes saisons, absolument souillées. Elles contiennent une grande
quantité de matières terreuses et de détritus végétaux. Aussi pour
rait-il être dangereux d’en faire un usage prolongé. Pour s’en
servir sans en être incommodé, il faut avoir grand soin de les
bien filtrer et encore ne sont-elles jamais, malgré cette précaution,
d’une limpidité parfaite. Cela tient évidemment à la nature des
couches de terrain qui composent son lit. De plus, ses berges sont
excessivement boisées ; outre les grands végétaux qui les couvrent,
des lianes gigantesques forment au-dessus de son cours, en s’atta
chant aux arbres, un dôme sous lequel on est absolument à l’abri
des rayons du soleil.
Dans le Tenda, la rivière Balé reçoit deux marigots assez
importants :
1° Le Barsancounti-Kà, large, vaseux, dont le courant est penAndré Rançon. — 24.
�370
ANDRÉ RANÇON
c
dant la saison sèche à peine sensible. Il passe à environ quatre
kilomètres de Iéninialla, au nord-est, et reçoit lui-même le
Nafadala-Kô, que l’on traverse à environ huit cents mètres à
l’ouest de ce village en venant de Bady; 2° Le Sékoto-Kô, peu large
mais très profond et vaseux. Tous ces marigots renferment un
grand nombre de pieds de Belancoumfo, dont les habitants se ser
vent journellement comme purgatif. Aux environs des villages
leurs bords, qui sont couverts généralement de vastes marais, sont
transformés en belles rizières d’un grand rapport et dont les
Malinltés ont un soin tout particulier.
Non loin du confluent de la rivière Balé avec la Gambie et à dix
kilomètres en aval environ, se trouve le confluent du marigot de
Tamou-Takou-Diala, que l’on rencontre à environ un kilomètre et
demi à l’est du village de Sansanto. Ce marigot peu important
n’est remarquable que par la quantité vraiment prodigieuse de
palmiers qui croissent sur ses bords. A cinq kilomètres environ en
aval de ce dernier nous trouvons le marigot Fayoli-Kô divisé en
deux branches qui passent non loin de Bady, l’une à l’est et
l’autre à l’ouest de ce village. Nous citerons enfin en terminant
le marigot de Dialacoto, qui sépare le Tenda du Ouli, et qui est
ainsi appelé du nom du village qui est situé non loin de son
cours et qui borne la frontière du Ouli dans cette région.
Le Tenda, comme on le voit, est assez fortement arrosé. C’est à
n’en pas douter à cette condition qu’il doit la grande productivité
de quelques-unes de ses régions. Cette fertilité serait bien plus
grande si les habitants savaient mettre à profit, en les canali
sant et en les faisant servir à irriguer leurs champs d’une façon
méthodique, ces nombreux cours d’eau dont le sort les a dotés.
Tous les marigots et rivières dont nous venons de parler suivent
le régime des eaux de la Gambie. Seules les deux rivières Balé et
Nicolo-Koba sont navigables pendant quelques kilomètres seule
ment à leur embouchure, pendant les hautes eaux et pour des
embarcations d’un faible tirant d’eau.
Pour les usages domestiques, dans la plupart des villages du
Tenda et à Gamon on ne se sert que d’eau de puits. Ces puits sont
peu profonds en général, car on trouve la nappe d’eau souter
raine à six ou huit mètres au-dessous du sol. L’eau que l’on
i
en tire est blanchâtre sous une faible épaisseur, elle contient
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
en petite quantité des matières terreuses dont il est facile de la
débarrasser en la laissant reposer et en la décantant ensuite. Elle
ne contient d’ailleurs aucune matière nuisible. Ces puits, qu’il faut
nettoyer fréquemment, donnent en quantité suffisante l’eau néces
saire aux besoins des habitants.
Orographie. — Le Tenda et le pays de Gamon sont plutôt des
pays de plaines que de montagnes. L’orographie en est des plus
simples, car les reliefs de terrain y sont peu considérables. On ne
rencontre, pour ainsi dire, pas de collines dans le Tenda, propre
ment dit, et c’est à peine si le terrain s’élève un peu dans la région
nord-est.
Nous trouvons, au contraire, dans le pays de Gamon quelques
rares chaînes de hauteurs qui sont presque toutes parallèles à la
Gambie et dont la direction est orientée Est-Ouest. L’aspect du pays
change sensiblement, et, aux plaines fertiles du Tenda, ont succédé
des plateaux ferrugineux absolument arides. Ces hauteurs peu
élevées n’atteignent guère que vingt à vingt-cinq mètres d’éléva
tion et sont les derniers contre-forts du massif rocheux qui limite
à l’ouest le désert de Coulicouna. Dans le Tenda les marigots et la
rivière Balé coulent en plaines; dans le pays de Gamon. au con
traire, ils coulent, ainsi que le Niocolo-Koba, entre deux rangées de
petites collines orientées pour la plupart Nord-Est Sud-Ouest. Ces
collines sont également peu élevées et absolument arides.
On rencontre encore dans le Tenda et le pays de Gamon quel
ques-unes de ces collines isolées si communes dans tout le Soudan
et dont nous avons eu fréquemment l’occasion de parler dans le
cours de ce travail.
Mentionnons enfin en terminant de nombreuses petites collines
argileuses isolées que Ton trouve par ci par là notamment aux
environs des villages. Elles sont, en général, recouvertes d’une
couche épaisse de latérite et très fertiles. C’est sur une colline de
cette nature que s’élève le village de Gamon. Elle peut avoir envi
ron trois kilomètres de large sur six de long. C’est là que se trou
vent pour la plupart les lougans des habitants. Son versant ouest
est assez rapide, mais son versant sud-est s’affaisse par une pente
douce d’environ deux kilomètres de longueur. A son point le plus
élevé, cette colline n’a pas plus de quinze mètres de hauteur. Elle
est constamment balayée par les vents de Nord et de Nord-Est, et elle
�372
ANDRÉ RANÇON
est abritée contre les vents de Sud et de Sud-ouest par la rangée de
collines qui longe la rive droite de la Gambie et dont l’élévation est
plus considérable.
Constitution géologique du sol. — La constitution géologique du
sol du Tenda diiïère peu de celles des autres pays du Soudan
Français. Ce sont toujours les mêmes éléments et les mêmes ter
rains. Le terrain ardoisier alterne avec les terrains à quartz et à
roches ferrugineuses. La latérite y est abondante, surtout dans le
Tenda proprement dit. C’est à la période secondaire qu’il convient
assurément de rattacher la formation de ces régions.
Les bords de la Gambie sont formés de terrain purement argi
leux en grande partie. On rencontre bien en quelques endroits des
bancs de quartz et de grès, mais ils sont assez clairsemés et de peu
d’étendue. Par ci par là se trouvent dans cette vaste plaine, qui
s’étend depuis le confluent du Niocolo-Koba jusqu’aux collines du
Ouli, quelques marécages à fond de vases reposant sur un substra
tum d’argiles absolument compactes et imperméables. Au-dessous
de cette couche on trouve le terrain ardoisier bien caractérisé par
des schistes, parmi lesquels le schiste lamelleux domine. A partir
du point où il se termine au Nord, le terrain ardoisier alterne
avec la latérite et de vastes plateaux rocheux où abondent les grès,
les quartz et les conglomérats ferrugineux à gangues d’argiles
siliceuses. A deux kilomètres environ de Bady nous ne trouvons
plus que de la latérite. Elle forme un véritable îlot d’environ 30
kilomètres de longueur sur 20 à 25 de large, et c’est dans cet
espace restreint que s’élèvent les quelques villages du Tenda. A
partir de la rivière Balé nous n’avons plus que du terrain ardoisier
jusqu’aux environs de Gamon où la latérite reparaît de nouveau.
Quelques plateaux rocheux formés de grès et de quartz simples et
ferrugineux émergent bien en quelques endroits; mais ils sont,
en général, de peu d’étendue. De Gamon au Niocolo-Koba rien que
des roches et plateaux ferrugineux arides.
Les collines du pays de Gamon sont en majeure partie formées de
grès, de quartz et de conglomérats. Les schistes y sont assez rares.
Le granit et le gneiss y font toujours défaut. La terre végétale y est
peu abondante, car le peu qui s’y forme par suite de la désagréga
tion des conglomérats et des roches cristallines est entraîné dans les
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
373
plaines par les pluies torrentielles de l’hivernage. — On ne trouve
guère d’humus que sur les bords des marigots du Tenda. Il se
forme là par suite de la décomposition des matières végétales qui
y abondent. Il manque absolument sur les bords des marigots du
pays de Gamon qui sont, en général, peu boisés.
Climatologie. — Le climat du Tenda et du pays de Gamon ne
diffère pas sensiblement de celui des autres contrées du Soudan.
C’est le climat des pays tropicaux par excellence.. L’hivernage y
commence un peu plus tôt que sur les bords du Sénégal, et la
saison sèche y est plus courte que dans les régions plus septen
trionales. La température y subit les mêmes variations et l’atmos
phère y est plus longtemps saturée d’humidité. De plus, le palu
disme s’y fait sentir davantage et nul doute que l’Européen ne s’y
débilite rapidement s’il était forcé d’y résider longtemps. En
résumé, cette région est peu faite pour des organismes habitués à
vivre dans des climats tempérés. La partie la moins malsaine
serait peut-être le village même de Gamou, par le seul fait qu’il est
relativement à l’abri des vents humides du Sud et du Sud-Ouest.
Flore. Productions du sol. Cultures. — La flore est peu riche et
peu variée. Nous retrouvons là les mêmes essences que l’on trouve
partout au Soudan, et, en plus, quelques-uns des végétaux que
l’on ne rencontre que dans les rivières du Sud. Légumineuses,
Combrétacées, Cypéracées, Sterculiacées, Malvacées, sont les prin
cipales familles qui y soient représentées. Sur les rives de la
Gambie, on trouve de beaux rôniers et sur les bords des marigots
quelques palmiers. Nous mentionnerons tout particulièrement le
Karité dont on trouve de nombreux échantillons dans le Tenda
surtout. La variété mana y est bien plus commune que la variété
Shée. Dans les marigots situés entre Bady et Gamon abonde le
Belancoumfo. Nous pourrions citer encore un grand nombre de
végétaux, mais ce serait répéter ce que nous avons déjà dit. Les
habitants exploitent en petite quantité le Karité, et ils ne fabriquent
guère de beurre que ce qu’il leur faut pour leur consommation.
Le Malinké du Tenda se livre particulièrement à la culture.
J’ai cru remarquer que les hommes s’y adonnaient plus volontiers
que dans les pays voisins. En tout cas, leurs lougans sont toujours
et partout très bien entretenus. On y trouve en abondance tout ce
�374
ANDRÉ RANÇON
que les Noirs sont habitués à cultiver; le mil, l’arachide, le maïs,
les haricots, le fonio, le riz y sont très abondants, et il est rare qu’il
y ait jamais de famine. Autour des villages on voit de nombreux
petits jardins où sont cultivés avec succès courges, calebasses,
tomates, tabac, oseille et ces délicieux petits oignons dont est si
friand l’Européen appelé à vivre dans ces régions désolées. Ce
n’est guère que dans le Tenda que j’ai vu cultiver sur une grande
échelle cette Aroïdée dont les turions sont connus sous le nom de
Diabérés et que les indigènes mangent avec tant de plaisir et en si
grande quantité. Les procédés de culture employés y sont les
mômes que ceux des autres pays du Soudan et l’étendue de terrain
ensemencée chaque année ne dépasse pas le cinquième de ce qui
pourrait être cultivé.
Faune. Animaux domestiques. •— La faune est peu variée. Nous
citerons parmi les animaux nuisibles : la panthère, le guépard, le
lynx, le lion, le chat-tigre, etc., etc. Parmi les animaux sauvages,
mais non nuisibles, nous mentionnerons tout particulièrement, les
antilopes, biches, gazelles, singes et surtout l’hippopotame et
l’éléphant que l’on trouve en grand nombre dans les plaines
avoisinant la Gambie. Les gens du Tenda s’adonnent fréquemment
à la chasse de ces grands animaux et elle est souvent fructueuse.
L’ivoire qu’ils récoltent ainsi est échangé à Mac-Carthy ou à
Yabouteguenda contre de la poudre, du sel, des kolas, des étoffes,
etc., etc. Il n’en vient jamais à notre comptoir de Bakel, bien qu’il
ne soit guère plus éloigné que la colonie anglaise.
Les habitants du Tenda sont des apiculteurs émérites. Tout
autour des villages, les arbres sont couverts de ruches et la quantité
de miel et de cire qui s’y récolte est relativement considérable. Le
miel est consommé sur place et la cire, mise en pains, est vendue à
Mac-Carthy. Les ruches dont se servent les Malinkés du Tenda sont
en bambous ou en chaumes de Graminées tressés. Elles ont à peu
près la forme de cet engin de pèche dont on se sert en France pour
prendre les goujons dans les eaux courantes et qui ressemble à une
bouteille. Les abeilles pénètrent dans l’intérieur par une ouverture.
La cavité est cloisonnée et c’est sur ces cloisons que les abeilles
construisent leurs rayons. La forme de ces ruches est celle d’un
cône. Pour retirer le miel, il suffit d’enlever la ruche de l’arbre et de
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
375
soulever le fond qui est mobile. Tous ne savent pas procéder à cette
opération et se préserver des piqûres. Il en est dont le seul métier
est de récolter le miel, moyennant une modique redevance.
En leur qualité de Malinkés, les habitants du Teuda se livrent
relativement peu à l’élevage. Aussi leurs troupeaux sont-ils bien
moins nombreux qu’ils pourraient l’ètre. On trouve cependant dans
les villages des bœufs, des moutons et surtout beaucoup de chèvres.
Les poulets y sont aussi très communs.
Populations. — Ethnographie. — Relativement, à son étendue,
le Tenda, en y comprenant le pays de Gamon, est fort peu peuplé.
C’est à peine s’il compte de trois à quatre mille habitants répandus
dans neuf villages : Badij, Iéninialla, Dalésilamé, Niongané,
Sansanto, Bamaky, Kénioto, Talicori, Gamon. La population du
Tenda, proprement dit, ou Tenda-Touré, comme on l’appelle, est
presque uniquement composée de Malinkés.
Les premiers habitants du Tenda furent des Malinkés de la
famille des Sania qui émigrèrent du Bambouck sous la conduite de
Fodé-Sania, un des lieutenants de Noïa-Moussa-Sisoko. Ils quit
tèrent leur chef en même temps que les Sania du Kantora dont ils
sont, du reste, parents; mais pendant la route, une partie de la
caravane, attirée et captivée par la richesse en gibier du pays et
par la fertilité du sol, se sépara des autres et se fixa dans le TendaTouré. Ce sont encore les Sania qui sont les chefs du pays. Ils ne
fondèrent que deux villages, Bady et Bamaky. Bady est encore
aujourd’hui la résidence du chef du Tenda-Touré. Le chef actuel se
nomme: Faramba-Sania. C’est un vieillard absolument impotent,
abruti par l’abus des liqueurs alcooliques.
Peu après l’installation des Sania dans le Tenda vinrent se fixer
auprès d’eux bon nombre d’autres familles malinkées qui émigrè
rent soit du Bondou, soit du Bambouck, soit des bords de la Falémé
pour se soustraire aux attaques incessantes des almamys pillards du
Bondou. Enfin, il y a une trentaine d’années, quelques familles, à
la suite de la conquête du Ghabou et de la majeure partie du
Kantora par Alpha-Molo et son fils Moussa, le chef actuel du
Fouladougou, vinrent encore se réfugier dans le Tenda et demander
l’hospitalité aux Sanias. Malgré ces émigrations successives et
souvent nombreuses, la population du Tenda n’a jamais été plus
�376
ANDRÉ RANÇON
nombreuse qu’elle ne l’est maintenant. Gela tient à ce que ce pays
a toujours été en butte aux attaques des almamys du Bondou et
qu’ils l’ont souvent pillé et ravagé. Nous y reviendrons plus
loin.
Il n’y a plus guère maintenant dans tout le Tenda-Touré que
deux villages qui ne soient pas musulmans. C’est Bady et Bamaky,
c’est à dire les villages des Sanias, les chefs du pays par droit de
premiers occupants. Ils ont conservé les habitudes d’intempérance
de leurs ancêtres et sont grands amateurs de gin, tafia, absinthe,
dolo, en un mot de toute espèce de liqueurs alcooliques. Us ne
diffèrent en rien de leurs congénères du Kantora, du Ouli, du
Bambouck, etc., etc. Comme ceux que nous avons visités partout,
les Malinkés, proprement dits, du Tenda-Touré sont voleurs,
pillards, menteurs, ivrognes, dégoûtants, et leurs villages sont
d’une saleté repoussante. Les Musulmans sont moins abrutis
que leurs congénères; leurs villages sont plus propres et mieux
entretenus. Ils sont également moins paresseux et s’adonnent plus
volontiers au commerce et à l’agriculture. Aussi leurs lougans
sont-ils généralement bien cultivés, leurs récoltes sont meilleures
et plus abondantes. On sent qu’il règne, en un mot, dans leurs
villages, un bien-être qui est absolument inconnu chez leurs voisins.
L’islamisme a fait dans le Tenda-Touré de rapides progrès. Déjà
bien avant le prophète El Hadj Oumar, la majorité de la population
professait la foi musulmane. Cette religion qui convient si bien aux
mœurs et aux aspirations naturelles de la race noire a fini par être
adoptée par tous ceux qui vinrent se grouper autour des Sanias. II
n’y a que cette famille qui soit restée fidèle à son culte pour l’alcool,
et encore, s’ils ne sont pas musulmans de fait, ils le sont certaine
ment de cœur. S’ils ne font pas Salam, c’est uniquement parce
qu’ils ne pourraient pas s’enivrer à leur aise. Tout dans leurs actes,
soit publics, soit domestiques, indique qu’ils se sont déjà inclinés
devant le Koran, et, au Tenda comme dans tous les autres pays
Bambaras et Malinkés, du reste, les conseillers les plus influents
des chefs, ceux dont les avis font autorité, sont toujours des
marabouts renommés par leur piété et leur austérité.
Nous avons vu que, dans Je pays de Gamon, il n’y a qu’un seul
village, Gamon, grosse agglomération de plus de douze cents
habitants. Gamon a les mêmes origines que Tamba-Counda. C’est un
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
village de captifs. Il fut fondé, il y a déjà de nombreuses années, par
un captif Malinké, évadé du Bondou et nommé Samba-Takourou.
Peu à peu son village grandit et d’autres captifs évadés vinrent se
fixer auprès de lui avec leurs familles. Il ne tarda pas à y avoir là
un centre important de population. Ils construisirent alors un fort
tata et se retranchèrent solidement derrière les murs. Bien leur en
prit. Les almamys du Bondou, comme nous le verrons plus loin,
encouragés par l’origine même du village, tinrent à honneur de
venir souvent l’attaquer. Gamon résista toujours à leurs assauts et
infligea à ces pillards de profession de sanglantes défaites bien
méritées, du reste. D’ailleurs, les habitants de Gamon ne le cédaient
à personne pour voler et piller les caravanes qui s’aventuraient dans
ces régions. Il fallut notre intervention pour faire cesser cet état de
choses qui persista jusqu’au jour où, en 1887, le colonel Gallieni
plaça le Tenda et le Gamon sous notre protectorat. Avec de telles
origines, on comprend ce que doit être la population de Gamon.
C’est un ramassis de gens de toutes nationalités et de toutes races,
mais ce sont les Malinkés qui dominent. Le chef est toujours un
Malinké de la famille des Takourou. Le chef actuel se nomme
Koulou-Takourou. Il n’y a, pour ainsi dire, pas de Toucouleurs à
Gamon, mais on y trouve des Bambaras, des Sarracolés, et surtout
des Malinkés. Les Musulmans dominent et la famille du chef appar
tient à la religion du prophète. Du reste, chacun est libre à ce point
de vue, et lors même que l’on ne fait pas le Salam, on peut être sûr
de trouver à Gamon, près des Musulmans, aide et protection. Dans
tous les pays voisins, il est d’usage de regarder comme libre, tout
captif qui réussit à gagner Gamon. Il est certain de trouver là un
refuge et la liberté. Si son maître se hasardait à venir le réclamer,
il serait défendu par tous les guerriers du village, et l’on sait ce
qu’il en coûte de s’adresser à Gamon. Aucun chef n’a jamais pu s’en
emparer et c’est à cela qu’il doit tout son prestige.
Aujourd’hui Gamon est bien déchu de son ancienne splendeur.
Ce n’est plus la forteresse qui a tenu tête à tous les guerriers de
Bondou, et à la porte de laquelle il fallait montrer patte blanche
pour entrer. Son tata, renommé partout autrefois par son épaisseur
et sa solidité, tombe en ruines. Par les décombres, on peut aisément
juger de ce qu’il était jadis. Celui qui entoure les cases du chef est
un peu mieux entretenu, sans cependant être en bon état. Quant au
�378
ANDRÉ RANÇON
village lui-même, c’est un village Malinké dans toute l’acception du
mot. C’est tout dire.
Organisation politique. — Il n’existe, pour ainsi dire, pas d’orga
nisation politique dans le Tenda. L’autorité y est représentée par le
chef de la famille des Sauias, qui réside à Bady, Faramba-Sania, qui
porte le titre de Massa. Cette autorité est plutôt nominative que
réellement active. C’est, du reste, chez les Malinkés, une coutume
de ne pas obéir au chef. Il est plutôt une sorte de juge que l’on
consulte dans les circonstances graves sans jamais pourtant suivre
ses conseils. Eux-mêmes, du reste, font tout ce qu’il faut pour ne
pas être obéis et pour perdre vis-à-vis de leurs sujets le peu de
prestige que la naissance aurait pu leur donner. Dans la majorité des
cas, quaDd, par hasard, il veut faire acte d’autorité, il est toujours
obligé de capituler. Il n’existe aucun impôt. Les différents villages
ne payent au Massa et à leurs chefs aucune redevance. Chaque
village est, pour ainsi dire, indépendant chez lui et règle lui-même
les affaires.
Il existe dans le Tenda et le pays de Gamon trois chefs absolu
ment indépendants :
1° Le chef du Tenda-Touré, qui réunit autour de lui les villages
suivants : Bady, où il réside, léninialla, Dalésüamé, Niongané,
Sansanto, Bamaky et Kénioto ;
2° Gamon, qui ne relève que de son chef ;
3° Talicori. Ce village est peuplé par des Malinkés musulmans
de la famille des Sanés, venus comme les Sanias du Bambouck. Le
chef actuel se nomme Ouali-Sané. Talicori peut avoir environ six
cents habitants.
Dans ce dernier village, il n’existe pas plus d’organisation
politique que dans le Tenda-Touré proprement dit. C’est l’anar
chie la plus complète. Tout le monde commande et personne
n’obéit.
Rapports du Tenda avec les pays voisins. — Le Tenda vit en bonne
intelligence avec les pays voisins, le Bondou, le Ouli, le Diaka, le
Niéri et le Tiali. Mais il n’en a pas toujours été ainsi et ce n’est
que depuis notre intervention dans ses affaires que la paix règne
dans le pays. Les almamys du Bondou se sont pendant de longues
années acharnés contre lui. Sous prétexte de faire la guerre aux
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
infidèles et de les convertir à l’Islam, leurs colonnes les ont souvent
attaqués, ont détruit beaucoup de leurs villages et emmeué leur
population en captivité. La religion n’était que le prétexte et le vol
et le pillage ont toujours été les motifs qui les ont toujours guidés
dans leurs campagnes contre ce malheureux pays. Depuis MakaGuiba il n’y eut pas, pour ainsi dire, d’almamy qui ne se crut pour
un motif quelconque obligé d’aller attaquer un quelconque des
villages du Tenda. Mais celui qui se distingua particulièrement
dans ces injustes guerres fut Boubakar-Saada. Quand, après la
prise de Guémou sur les Toucouleurs par le lieutenant-colonel
Faron, en 1859, Boubakar eût été délivré de ses pires ennemis, il ne
songea plus qu’à reconquérir par les armes tous les captifs que lui
avaient enlevés les guerres qu’il avait eu à soutenir contre les
lieutenants d’El Hadj Oumar. Sous prétexte que le Tenda s’était
alors joint à ses ennemis et que ses habitants retenaient de force
les émigrés du Bondou qui y étaient venus chercher refuge, et
s’opposaient à leur retour dans leur patrie, il marcha vers le mois
de mars 1860 contre Talicori et s’en empara sans coup férir. Les
Malinkés n’opposèrent aucune résistance sérieuse. Les deux frères
du chef périrent dans le combat, et Boubakar revint à Senoudébou,
sa résidence, avec un riche butin composé principalement de captifs
et d’étoffes du pays. — En 1862, sans aucun motif, il alla attaquer
le village de Guénou-Diala non loin de Bamaky. Surpris, GuénouDiala fut emporté presque sans combat. Les guerriers furent
massacrés, le village pillé et détruit et la population fut emmenée
en captivité dans le Bondou. En décembre de la même année,
nouvelle campagne contre le Tenda. Cette fois c’est Sitta-Ouma
que Boubakar vint attaquer sous prétexte que les habitants de ce
village avaient pillé une caravane du Bondou. Sitta-Ouma tomba
sous les coups de l’almamy qui y fit un riche butin en captifs et
en bœufs surtout. Ces deux villages détruits par les Toucouleurs
du Bondou n’ont pas été reconstruits. Mais en 1864, il essuya
devant Tinguéto, village situé dans les environs de Bady et aujour
d’hui disparu, une sanglante défaite bien qu’il fût venu l’attaquer
à la tête d’une forte armée composée de Toucouleurs du Bondou et
de leurs alliés du Natiaga et du Khasso. Boubakar, dans cette affaire,
échappa par miracle aux guerriers Malinkés. En 1870, par exem
ple, il prit une éclatante revanche et s’empara du village de Sitta-
�380
ANDRÉ RANÇON
Ouma, que les Malinkés échappés au pillage de l’ancien village de
ce nom avaient construit non loin des ruines de ce dernier. Cette
fois, le nouveau Sitta-Ouma fut détruit de fond en comble et toute
sa population fut emmenée en captivité dans le Bondou.— En 1874,
au mois de mars, les derniers habitants de ce village, attaqués de
nouveau dans leurs ruines par Ousmann-Gassy, fils de Boubakar,
se défendirent avec acharnement. Ousmann-Gassy parvint cepen
dant à y pénétrer et à y faire quelques prisonniers ; mais il en fut
vivement chassé par les défenseurs qui s’étaient retranchés au
milieu des ruines de l’ancien tata du chef. Obligé de battre en
retraite, il fut sans cesse en butte aux attaques des Malinkés qui le
poursuivirent pendant plusieurs jours. Il perdit dans cette cam
pagne un grand nombre de guerriers, et, parmi eux, le chef de
Dalafine (Tiali). Il réussit cependant à ramener quelques captifs à
Sénoudébou.
Un traité conclu entre Boubakar, les chefs du Tenda-Touré et
de Gamon mit fin à ces guerres continuelles. Mais la paix ne devait
pas réguer longtemps. En effet, au mois de mars 1881, Boubakar se
disposait à marcher avec ses alliés du Guoy, du Kaméra, du FoutaToro et du Khasso contre Koussalan (Niani), lorsqii’arrivé à Sambardé, sur les bords du Niéri-Kô, il y fit la rencontre de quelques
dioula's du Bondou qui vinrent se plaindre à lui qu’en revenant du
Niocolo, où ils étaient allés commercer, ils avaient été pillés par les
guerriers de Gamon, et, malgré leurs réclamations, on n ’avait jamais
voulu leur rendre leurs marchandises. Le traité passé avec les chefs
du Tenda était donc ouvertement violé. Boubakar envoya alors quel
ques cavaliers à Gamon pour le leur faire remarquer, mais le chef du
village et ses notables leur répondirent avec arrogance, les maltrai
tèrent même et les chassèrent du village en leur déclarant que si
Boubakar voulait avoir les marchandises qu’ils avaient pris aux
gens du Bondou, il n ’avait qu’à venir les chercher. A cette nouvelle,
Boubakar, furieux, renonça alors à son expédition contre Koussalan
et marcha contre Gamon. Il comptait bien s’en emparer dans la
première quinzaine d’avril ; mais toutes ses attaques furent repous
sées et il dut se retirer à Bentenani pour pouvoir le harceler saus
cesse par des escarmouches répétées, avant de donner un assaut
définitif. Aussi, peu de jours après, envoya-t-il contre Gamon
trois cents guerriers environ, sous la conduite de ses fils Saada-
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
Amady et Ousmann-Gassy. Le 30 avril, ils arrivèrent devant Gamon,
échangèrent quelques coups de fusil avec les défenseurs et s’empa
rèrent de quelques bœufs. Mais ils ne purent s’emparer du village
et furent obligés de rentrera Beutenani quelques jours après, sans
avoir obtenu de résultats appréciables. Gamon résistait à toutes les
attaques. Gela dura ainsi jusqu’au mois de juin suivant, époque à
laquelle les habitants de Gamon, voyant que la saison des semailles
approchait, comprirent que s’ils voulaient cultiver en paix leurs
lougans, il leur importait de traiter avec Boubakar pour échapper à
la famine qui les menaçait. Le chef vint donc trouver l’almamy à
Bentenani, s’entendit avec lui et un nouveau traité fut conclu.
Boubakar revint alors hiverner à Sénoudébou avec ses guerriers.
Mais ce nouveau traité ne devait pas mieux être observé par
Gamon que l’ancien. De nouveau, les guerriers de ce village se
livrèrent à des pillages en règle des caravanes du Bondou. Boubakar
résolut d’en finir cette fois avec eux. Il leva donc une nombreuse
armée, dans ce but, et aidé par ses alliés du Guoy, du Kaméra, du
Khasso et du pays de Badon,il vint camper, au mois de janvier 1883,
à Beutenani, d’où il expédia, comme la première fois, des émissaires
à Gamon, pour sommer les habitants d’avoir à lui rendre les
marchandises qu’ils avaient volées à ses hommes ou bien l’équivalent.
Le chef refusa de les recevoir et les fit immédiatement chasser du
village sans même leur permettre de s’y reposer un instant.
Boubakar procéda alors comme il l’avait fait à sa précédente
campagne et se mit à les harceler par des colonnes volantes jusqu’au
mois de juillet, époque à laquelle les plaines marécageuses du
Tenda étant inondées, les cavaliers ne pouvaient plus tenir la
campagne. Il ajourna donc ses projets, hiverna à Beutenani et
attendit le retour de la belle saison pour frapper un coup décisif.
Donc, au mois de février 1884, il se mit en route avec toutes ses
bandes. Il vint camper à Safalou, dans le Diaka, et de là à TendaMédina, village qui n ’existe plus aujourd’hui et qui était situé sur
la frontière du pays de Badon. De là, il envoya contre Gamon une
colonne pour le harceler avant son arrivée. Cette colonne était
commandée par son fils Ousmann-Gassy. Il put arriver avec ses
guerriers jusque sur le tata après avoir franchi les sagnés. Le
combat dura trois heures, au bout desquelles Ousmann-Gassy dut
battre en retraite après avoir perdu beaucoup des siens. Au fort de
�382
ANDRÉ RANÇON
la mêlée, un des fils de Toumané, chef du pays de Badon, nommé
Gouroundy, qui avait été élevé par Boubakar et qu’il aimait beau
coup, fut tué aux côtés d’Ousmann-Gassy. Il commandait les
auxiliaires du Badon.
Le lendemain matin, Boubakar se mit en marche et vint cerner
le tata sans l’attaquer. Il campa autour et s’empara des puits et du
marigot qui fournissaient l’eau à la population. Au bout de quatre
jours, les habitants, dévorés par une soif ardente, se précipitèrent
sur les portes pour les enfoncer. Les guerriers du Badon ayant en
tendu le tumulte accoururent vers le village qui les reçut par une
fusillade bien nourrie. Ils y répondirent vigoureusement et arrivè
rent franchement jusque sur le tata. Par une brèche qu’ils y pra
tiquèrent à coups de pioche, ils purent pénétrer jusque dans l’in
térieur du village et y incendier quelques cases. Mais les assiégés
accoururent en grand nombre sur le lieu de l’incendie, éteignirent
le feu qui commençait à se propager, et repoussèrent les guerriers
du Badon.
Etroitement bloqués dans leur village, les habitants de Gamon
ne pouvaient se procurer assez d’eau pour étancher leur soif.
Arrêtés, comme nous venons de le voir, dans une première sortie
par les guerriers du Badon, ils en tentèrent peu après une seconde,
du côté du campement des guerriers du Bondou. Trois cents guer
riers environ sortirent par une porte qu’ils avaient défoncée,
malgré tous les efforts des notables qui voulaient s’y opposer, et se
dirigèrent vers le marigot. Les guerriers du Bondou se portèrent
immédiatement en avant pour leur barrer le passage. Pendant
quatre heures, ils échangèrent une vive fusillade et des deux côtés
personne ne recula. Boubakar-Saada fit dans cette affaire des pertes
très sensibles. Trois des meilleurs captifs de la couronne furent tués
à ses côtés et peu après eux, un de ses confidents intimes,
El Hadj Kaba qui avait été élevé avec lui et qui avait partagé sa
mauvaise comme sa bonne fortune, tomba mortellement frappé
d’une balle au front. Il expira quelques minutes après. Toutes ces
pertes découragèrent profondément l’almamy et il décida alors de
battre en retraite, désespérant de s’emparer d’un village si bien
défendu.
A cette vue, les habitants de Gamon qui, déjà, renonçaient à
soutenir plus longtemps la lutte, poussèrent de grands cris de joie
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
383
et se mirent à la poursuite de l’armée du Bondou. La retraite se
transforma bientôt en une déroute générale et la poursuite fut des
plus vives et des plus acharnées. Elle était dirigée par un brigand
renommé dans le pays, du nom de Mahmoudou-Fatouma et qui
était venu à Gamon, avec ses hommes, prêter main-forte aux guer
riers de ce pays, quelques jours seulement avant son investissement
par Boubakar-Saada. L’armée du Bondou fut harcelée nuit et jour
jusqu’à un kilomètre environ de Safalou (Diaka) et elle rentra à
Sénoudébou après avoir perdu environ trois cents hommes. Durant
la poursuite, les gens de Gamon firent environ deux cents prison
niers qui furent passés aussitôt par les armes ou vendus comme
captifs dans le Niani. Boubakar rentra à Sénoudébou, très affecté
de ce désastre, et sa mort, survenue peu après, vers la fin de 1884,
délivra Gamon de son plus redoutable ennemi.
Gamon, délivré de Boubakar-Saada, faillit bien avoir dans la
personne du marabout Malimadou-Lamine-Dramé, un ennemi
encore plus acharné que ne l’avait été l’almamy du Bondou. Voici
d’où était venue cette haine du marabout contre ce grand village.
Mahmadou-Lamine-Dramé, né à Safalou (Diaka), habita dans son
enfance à Cocoumalla, petit village voisin de Safalou et qui n’existe
plus aujourd’hui. Un jour qu’il avait accompagné sa mère et son
jeune frère dans leurs lougans pour y faire la cueillette de l’indigo,
des pillards venus de Gamon, qui était alors en guerre avec le
Bondou, les surprirent dans leur travail et les emmenèrent en
captivité à Gamon. Arrivés au village, ils furent mis aux fers par les
guerriers qui les avaient pris et qui comptaient bien en tirer un
profit considérable en les vendant à quelque dioula de passage.
Quelques jours après, une caravane venant des bords de la Gambie
et se dirigeant vers le Bondou et le Guidimackha, passa par Gamon.
Les habitants chargèrent alors son chef de prévenir les gens de
Cocoumalla, que la femme d’Alpha-Ahmadou, marabout de ce
village, et ses deux enfants, étaient captifs chez eux. Le marabout,
averti, fit tout ce qu’il put pour les racheter. Mais avant qu’il eût pu
réunir la somme que lui demandaient les gens de Gamon, la mère
de Mahmadou-Lamine, la femme du marabout de Cocoumalla,
mourut en peu de jours. Mahmadou-Lamine seul et son frère revin
rent donc à Cocoumalla. Devenu dans la maison paternelle, il y
continua ses études d’arabe,et,dans ses prières,il demandait toujours
�384
ANDRÉ RANÇON
à Allah la punition des infidèles de Gamon qui l’avaient fait
prisonnier et l’avaient mis aux fers; lorsqu’il commença à se créer
des partisans, en 1884, il demanda à Boubakar-Saada, peu avant la
mort de ce dernier, de joindre ses forces aux siennes afin de faire la
guerre aux Infidèles et surtout de détruire Gamon, pensant bien
que celui-ci, qui ne pouvait oublier l’échec qu’il y avait reçu en
1883-84, ne manquerait pas de s’allier avec lui. Boubakar lui fit
répondre qu’il ne recherchait l’alliance d’aucun marabout, qu’il ne
marcherait qu’avec les amis de la France, et que quels que soient
les desseins du marabout, il lui défendait formellement de mettre
les pieds dans le Bondou. S’il transgressait cet ordre, il l’en chasse
rait par les armes. Boubakar mourut quinze jours après, et Gamon,
pendant la guerre du marabout Mahmadou-Lamine, n’ignorant pas
les desseins de celui-ci à son égard, marcha bravement avec nous.
Le fils de son chef en personne commanda les auxiliaires qu’ils
nous fournirent et se conduisit vaillamment pendant la campagne.
Les événements empêchèrent Mahmadou-Lamine de mettre à
exécution les menaces qu’il proférait contre lui et il mourut sans
s’ètre vengé.
Le Tenda-Touré n’a jamais de démêlés avec les villages libres,
ses voisins, Talicori et Gamon. Certes, il y a bien toujours de temps
en temps quelques histoires de captifs. Il ne peut pas en être
autrement. Essayer de modifier cela ce serait vouloir changer le
caractère, les coutumes, l’instinct des Malinkés. Ce ne sera qu’avec
le temps et beaucoup d’adresse et de patience qu’on pourra y
arriver. C’étaient tous autrefois de fameux pillards, et Gamon avait
sous ce rapport une bien triste célébrité. Aujourd’hui tout cela a
cessé, grâce à notre influencent la paix et la bonne entente régnent
dans ces régions que la guerre a si longtemps troublées. Par contre,
le Tenda et le Gamon sont souvent en butte aux rapines des Peulhs
du Fouladougou et du Foréah. Il n ’est pas jusqu’aux habitants du
Tamgué qui ne viennent jusque sous les murs des villages enlever
des bœufs et des captifs et même des hommes libres qu’ils vont
généralement vendre au Fouta-Djallon. En résumé, de pillards ils
, sont devenus les victimes de plus pillards qu’eux. C’est la peine du
talion.
Rapports du Tendu avec les autorités françaises. — Le Tenda tout
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
entier, ainsi que le pays de Gamon, sont placés sous le protectorat
de la France.
Gamon a traité avec nous après la colonne de Dianna, et c’est le
premier janvier 1887 que le colonel Galliéni signa avec Oussouby,
chef du pays, le traité de protectorat. Talicori et le Tenda-Touré ne
vinrent à nous qu’en 1888 et le traité qui nous lie à eux a été
signé à Khayes le 9 novembre 1888 par le chef d’escadron d’artil
lerie de marine Archinard, commandant supérieur, et Ouali-Sané,
chef de Talicori, et Kolé-Mahady, chef de Bady (Tenda-Touré).
Au point de vue administratif et politique, le Tenda et le pays
de Gamon dépendaient autrefois du commandant de Bakel. Mais,
depuis les dernières instructions de Monsieur le sous-secrétaire
d’Etat, ces régions sont placées sous les ordres du gouverneur
du Sénégal et sont administrées par un fonctionnaire qui, d’après
les renseignements que j’ai eus dernièrement, réside à Nétéboulou
(Ouli).
Conclusions. — Le Tenda et le pays de Gamon, maintenant tran
quilles et ne demandant qu’à se développer, devraient être l’objet
de plus de sollicitude de notre part qu’ils ne l’ont été depuis qu’ils
sont placés sous notre protectorat. Nous n’avons absolument rien
fait pour eux et pourtant il y a là une source assez importante de
produits à exploiter pour notre commerce. L’ivoire, la cire, les
arachides, le beurre de Karité pourraient fournir l’objet de tran
sactions importantes.
Pour cela, il serait urgent de pacifier le pays et de le débar
rasser des pillards qui le pressurent. Une bonne organisation
politique est indispensable, et il faudrait rendre aux chefs leur
autorité, mais les surveiller de façon à ce qu’ils n’en abusent pas.
En agissant ainsi, on pourrait peut-être tirer de ce pays quelque
chose, si on arrivait à secouer la torpeur et l’inertie de ses habi
tants et à leur faire passer leur goût immodéré pour les captifs.
Ce sera la tâche la plus difficile.
André Rançon.
�CHAPITRE XIX
Départ de Gamon. — Difficultés au moment de se mettre en route. — Toujours les
porteurs sont en retard. — De Gamon au marigot de Firali-Kô. — Route suivie.
— Tumulus. — Respect des Noirs pour les morts. — Campement sur les bords du
marigot. — Description de la route suivie. — Géologie. — Botanique. — Le
Fogan ou Tirba. — Le Cantacoula. — Nouvelle lune. — Pratique religieuse des
Noirs à cette occasion. — Départ du Firali-Kô. — Route suivie du Firali-Kô au
marigot de Sandikoto-Kô. — Rencontre d;un lion — Le Niocolo-Koba. — Campe
ment sur les bords du Sandikoto-Rô. — Description de la route suivie. — Géologie.
— Botanique. — Le Hammout. — Du Sandikoto Kô à Sibikili. — Route suivie.
— Chasse au bœuf sauvage. — Récit de Mahmady au sujet d’un éléphant. —
Arrivée à Sibikili. — Description de la route suivie. — Géologie. — Botanique.
— Le Bambou. — Une maladie particulière sur ce végétal. — Réception à Sibikili.
— Tout le village est ivre. — Description du village. — Fortifications Malinkées.
— En route pour Badon. — Route suivie. — Rencontre d’une députation que le
chef envoie au devant de moi. — Description de la route. — Géologie. — Bota
nique.— Le Calama. — Arrivée à Badon. — Belle réception. — Le village. — Le
chef. — La population. — Je tombe sérieusement malade.
2 janvier 1892. — La température a été pendant la nuit un peu
moins froide que la nuit précédente. — Ciel clair et étoilé. Brise
de Nord. Au réveil, brise de Nord, température fraîche, ciel
clair. Le soleil se lève brillant. Hier, pendant toute la journée,
mes hommes se sont occupés de faire des provisions pour la route,
car nous allons avoir au moins deux jours à passer dans la brousse.
Le chef du village met la plus grande obligeance et la meilleure
volonté pour leur procurer tout ce dont ils auront besoin pour se
nourrir pendant ce temps-là. Il me promet également de me donner
quelques hommes pour aider mes porteurs et un bon guide. Aussi,
je le remercie chaleureusement de sa belle réception et lui fais
cadeau d’un peu de verroterie, de kolas, et de quelques mètres
d’étoffes.
A quatre heures quinze minutes, tout mon monde est debout,
bien dispos. Pour moi, je n ’ai pu fermer l’œil de la nuit. Les chiens
du village n’ont pas cessé d’aboyer. Les préparatifs du départ sont
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
387
rapidement faits, et nous n ’attendons plus pour nous mettre en
route que les hommes de Gamon qui doivent nous accompagner et
qui, d’après les promesses du chef, devaient être réunis devant ma
case à la première heure. Nous perdons plus d’une heure pour les
rassembler. Il faut aller les sortir les uns après les autres de leurs
cases, où ils semblent dormir profondément. Le chef était absolu
ment navré de ce contre-temps, et il vint même me dire que si je
n’y allais pas moi-même, ils ne se dérangeraient pas. Voilà pourtant
comment est respectée l’autorité du chef dans les villages Malinkés.
Ne pouvant décemment pas faire sa besogne, je lui donnai Almoudo,
mon interprète, pour le seconder. Peu après, tous étaient rassemblés
devant ma porte et à six heures nous pouvions enfin nous mettre en
route. Il était temps, car je commençais à être absolument exaspéré.
A peine étions-nous sortis du village qu’ils se mettent tous à
marcher comme des enragés. Tant mieux, nous arriverons plus tôt
à l’étape.
Non loin de la route et à peu de distance de Gamon, nous
passons devant un tumulus, fait de conglomérats ferrugineux.
Chaque homme de ma caravane, en passant auprès, y jeta un petit
morceau de bois ou un fétu de paille. Intrigué, je demandai à
Almoudo la raison de cette pratique. Il me répondit que c’était là la
sépulture d’un homme, et que tout noir en passant devant, devait
y jeter un morceau de bois ou de paille, « afin d’avoir de la chance
» et pour prouver au défunt qu’on ne l’oubliait pas. » Voilà certes
une coutume qui paraîtra bizarre au premier abord. Mais en y
réfléchissant bien, elle ne paraîtra pas plus extraordinaire que celle
qui consiste à orner, à certaines époques de l’année, les tombes de
nos morts. G’est plus primitif, plus naturel et voilà tout. La pratique
des noirs vaut bien la nôtre. Au moius, dans ce simple fait de jeter
un morceau de bois sur une tombe, il n’y a aucune espèce d’ostentation, aucune satisfaction de vanité, rien de ce luxe malsain et si
déplacé que nous aimons tant à afficher dans nos cimetières. G’est
le respect dans toute sa simplicité.
En général, les tumulus que l’on rencontre ainsi le long des
routes recouvrent les restes de chefs ou de marabouts fameux.
La route se fait sans aucun incident. Après avoir traversé les
lougans du village qui, de ce côté, sont immenses et bien cultivés,
nous franchissons à 7 h. 50 le marigot de Sourouba, à 8 h. 40 celui
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ANDRÉ RANÇON
de Kéré-KÔ et à 9 h. 25 celui de Firali-Kô, où nous campons, car il
faudrait marcher encore trop longtemps pour trouver de l’eau. En
moins d’une heure, mes hommes et les porteurs de Gamon m’ont
construit un gourbi fort confortable à l’ombre d’un magnifique
bouquet de superbes bambous. Almoudo se multiplie pour accé
lérer la besogne. Malgré ses travers, et il en a beaucoup, c’est un
serviteur bien précieux et qui, je crois, m’est absolument dévoué.
La route de Gamon au campement du Firali-Kô ne présente
absolument aucune difficulté. Elle traverse un pays absolument nu
et plat et les marigots que l’on y rencontre, Sourouba-Kô, Kéré-Kô
et Firali-Kô n’offrent aucune difficulté.
Au point de vue géologique, rien de bien particulier à signaler,
si ce n’est la fréquence des plateaux rocheux. En quittant Gamon,
on traverse d’abord un petit banc de latérite où se trouvent les
lougans du village. A partir de là, la latérite et les argiles compactes
ne font qu’alterner pendant environ six kilomètres. Ces dernières
sont plus étendues que la première, dont, dans cet espace, on ne
rencontre que trois ilôts de fort peu d’étenlue. Ils sont cultivés et
les lougans de mil et d’arachides occupent toute leur surface. A
partir de là, la route ne fait que traverser d’immenses plateaux
rocheux, formés de quartz et de conglomérats ferrugineux très
abondants. Entre ces plateaux, s’étendent de petits vallons, unique
ment formés d’argiles d’une dureté remarquable, et recouvrant un
sous-sol formé de quartz et de conglomérats, dont les roches
émergent par ci par là à fleur de sol.
Les marigots que nous avons traversés viennent tous du
Niocolo-Koba et l’un d’eux, le Firali-Kô, d’après les dires des indi
gènes, ferait communiquer le Niocolo-Koba avec la rivière Balé.
Au point de vue botanique, jamais je n’ai traversé de pays plus
désolé. La végétation y est d’une pauvreté extrême, sauf sur les
bords des marigots, où l’on trouve de véritables fourrés de bambous.
Les plateaux sont absolument dénudés. Par ci par là, et fort espacés
les uns des autres, quelques rares arbres aux formes bizarres,
étranges, dépourvus de feuilles et peu susceptibles de vous abriter
contre les rayons du soleil. Nous ne noterons seulement que
quelques lianes Saba sur les bords du Firali-Kô, quelques fromagers,
quelques dondols et enfin, sur les plateaux rocheux, de nombreux
échantillons d’une fleur désignée sous le nom de Fogan, et quelques
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
389
spécimens d’un curieux végétal que les indigènes désignent sous le
nom de Cantacoula et qui est assez commun au Soudan.
Le Fogan, comme l’appellent les Ouolofs, est désigné par les
Bambaras sous le nom de Tirba et par les Malinkés sous le nom de
Tirbo. C’est une plante terrestre à tige souterraine qui est bien
connue de tous ceux qui ont voyagé au Soudan. Vers le mois de
décembre, la tige émet un pédoncule long d’environ cinq centimè
tres et qui se termine par un bourgeon floral. La fleur est éclose
vers le commencement de janvier. Elle est caractéristique. Ses
larges pétales jaunes ne permettent pas de la confondre avec les
autres fleurs similaires que l’on pourrait rencontrer. Elle est peu
odorante et très fugace. Les pétales tombent cinq ou six jours après
leur éclosion et sont remplacés par un fruit capsulaire qui arrive
à maturité vers le mois de mai. Quand la capsule est sèche, elle
s’ouvre d’elle-même et laisse échapper de nombreux flocons d’une
bourre blanche ressemblant à de la soie végétale. Dans cette bourre
sont noyées une quinzaine de graines noirâtres. Cette bourre brûle
presque instantanément si on y met le feu avec une allumette, en
ne laissant, pour ainsi dire, pas de résidu. Le Fogan affectionne
tout particulièrement les terrains ferrugineux, et il croît, de préfé
rence, dans les interstices des roches. On le rencontre rarement
dans les argiles et la latérite. Les indigènes attribuent à ses graines
des vertus aphrodisiaques (1).
Le Cantacoula est un arbuste qui a de grandes ressemblances,
par son port et son fruit, avec l’oranger. Les plus beaux spécimens
ne dépassent pas deux mètres à trois mètres cinquante de hauteur et
leur tronc à sa partie moyenne n ’a pas plus de dix à quinze
centimètres de diamètre. Les feuilles qui sont d’un vert pâle rap
pellent par leur forme celles de l’oranger. Elles sont généralement
rares et tombent dès les premières chaleurs. Ses rameaux portent
des dards acérés qui peuvent atteindre de quatre à cinq centimètres
de longueur. Il fleurit vers la fin de septembre. Ses fleurs blanches
ou jaunes sont situées à l’extrémité de petits rameaux et ne tombent
guère que quinze ou vingt jours après leur éclosion. Le fruit qui les
remplace a absolument la forme d’une orange, et sa couleur, quand
il est mûr. Ce fruit possède une coque très épaisse et très résistante
(1) C’est probablement 1’Asclepias Curassavica L.
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ANDRÉ RANÇON
dans laquelle sont noyées, au milieu d’une pulpe abondante, trente
ou quarante graines de forme discoïde. Cette pulpe excessivement
acide est légèrement et agréablement parfumée. Elle est précieuse
pour le voyageur pendant les grandes chaleurs, car elle est excessi
vement rafraîchissante et désaltère celui qui en fait usage. Elle
aurait, paraît-il, des vertus astringentes, et les indigènes l’utilise
raient contre certaines diarrhées rebelles. Le Cantacoula croît, de
préférence, dans les terrains pauvres en humus et surtout dans les
terrains à roches ferrugineuses. Il affectionne tout particulièrement
les plateaux rocheux et les versants dénudés des collines. Son fruit
arrive à maturité complète à la fin de janvier et dans le courant de
février. Il se détache difficilement, et, pour le cueillir, il faut couper
le pédoncule à l’extrémité duquel il s’insère. Les indigènes utilisent
sa coque pour en faire des tabatières et s’en servent pour fabriquer
des récipients dans lesquels ils renferment les grains de cette
espèce d’encens, que l’on désigne sous le nom de hammout et sur
lequel nous reviendrons plus loin. Dans le premier cas, ils se
contentent de percer au niveau du point d’insertion du fruit avec
son pédoncule, un trou d’environ un centimètre et demi de diamètre.
Parce trou, ils vident la pulpe et les graines que contient la coque.
Ils la laissent exposée au soleil pendant plusieurs jours et la garnis
sent ensuite de tabac. Le trou est bouché à l’aide d’une petite
cheville en bois. Dans le second cas, ils coupent la coque, à peu
près aux deux tiers, la débarrassent de sa pulpe et de ses graines, la
font sécher au soleil et la remplissent ensuite de hammout (1).
La journée, au campement de Firali-Kô, se passa paisiblement.
Vers la fin du jour, arrivèrent deux hommes qui revenaient de
Sibikili. Ils me demandèrent à passer la nuit au campement, ce que
je leur accordai volontiers. Je leur fis donner en plus à manger, ce
qui les remplit d’aise. En revanche, ils m’annoncèrent, que j’étais à
peine à moitié chemin de Gamon au Niocolo-Koba. J ’aurais préféré
une autre nouvelle.
De Gamon au campement du Firali-Kô, la route suit, à peu près,
(1) Le Cantacoula dont je n’ai vu que les coques renfermant le hammout, est
certainement une Rutacée-Aurantiacée, qui se rapproche beaucoup des Feronia de
l’Inde. Ces derniers ont aussi une pulpe acidulé agréable dans laquelle sont noyées
les graines (E. Heckel).
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
une direction générale Est-Sud-Est et la distance qui les sépare est
environ de 16 kil. 500.
Aujourd’hui c’est jour de liesse pour les noirs. C’est le premier
jour delà lune. Ils l’attendent avec impatience et quand elle paraît,
on la salue à coups de fusil. Citons à ce propos une nouvelle
pratique religieuse qui leur est. commune à tous, aussi bien aux
musulmans qu’aux autres. Dès que le mince croissant de l’astre des
nuits paraît à l’horizon, on les voit se tourner vers lui. Avec l’index
de la main droite ils simulent par gestes la forme de la lune en
murmurant quelques paroles et en crachant. Voici l’explication
qui m’a été donnée de cette curieuse pratique religieuse. Les noirs
ne voient dans la lune qu’un être animé qui peut leur nuire aussi
bien que leur faire du bien. C’est pourquoi, quand elle apparaît, ils
l’invoquent de la façon que nous venons de décrire afin qu’elle
exauce leurs désirs. On ne doit cracher que trois fois seulement en
disant cette prière et autant que possible à intervalles égaux. Ceci
est encore pour nous une preuve que les religions primitives ne
sont à leur origine qu’un culte voué aux grands phénomènes de la
nature.
Il a fait pendant toute la journée une température assez suppor
table, malgré un fort vent d’Est. Vers quatre heures, le soleil s’est
un peu voilé. Légère buée à l’horizon. La brise tombe et la tempé
rature devient lourde et orageuse.
3 janvier 1892. — La nuit s'est passée sans aucun incident.
Température assez fraîche. Nuit claire et étoilée. Brise de Nord
assez forte. Au réveil, ciel clair et sans nuages. Rosée abondante
dans les vallées, nulle sur les plateaux.
Les préparatifs du départ se font rapidement. Personne ne se
fait tirer l’oreille pour se lever, et à 4 h. 15 nous pouvons nous mettre
en route. La marche est un peu hésitante au début, mais dès que le
jour commence à poindre, nous marchons d’une vive allure. A
5 h. 25, nous franchissons le marigot de Oussékiri-Kô, et à 6 h. 15,
celui de Oussékiba-Kô, sur les bords duquel nous faisons la halte.
A 6 h. 30, nous nous remettons en route, et à 2 kil. 500 du marigot
de Oussékiba-Kô, les porteurs qui sont en avant viennent me dire
qu’ils ont trouvé une superbe antilope, qui avait été égorgée par un
lion, et qu’il dévorait quand ils sont arrivés. Il s’est enfui à leur
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ANDRÉ RANÇON
approche et ils ont pu le voir. C’était, parait-il, un superbe animal.
Ils me demandent l’autorisation de dépouiller l’antilope et d’en
emporter la viande, ce que je leur permets, me promettant de
profiter aussi de cette bonne aubaine. Ils s’y mettent tous, et en une
demi-heure, ils ont le temps de faire l’opération et d’ingurgiter
chacun un énorme bifteck. Inutile de dire que mes lascars n’étaient
pas les derniers à la curée. Cette antilope était très belle et elle
était pleine. Avant de partir, les porteurs mangent la viande du
fœtus. Le lion avait bondi sur la croupe, où on voyait distinctement
les traces de ses puissantes griffes. Il lui avait brisé les reins, et
quand mes hommes l’ont dérangé de son repas, il avait commencé
à dévorer les filets et une partie du petit. Je prends pour moi une
cuisse et ce qui reste des filets, les reliefs du festin du lion, en un
mot. A 7 h. 30, nous nous remettons en route. Un quart d’heure
après, nous faisons lever une superbe biche et un peu plus loin un
troupeau d’une douzaine d’antilopes, qui détalent à notre approche.
A huit heures, nous franchissons le marigot de Saramé, et à 8 h. 30,
celui de Condouko-Boulo, où nous faisons halte sous de superbes
arbres, les seuls, du reste, que nous ayons trouvés pendant l’étape.
Caïl-cédrats, fromagers, nétés, n’tabas, télés, croissent d’une façon
surprenante dans le petit coin de la vallée du Condouko-Boulo.
Leurs dimensions sont énormes, leur feuillage touffu, et c’est à
regret que nous quittons ces délicieux ombrages.
A 8 h. 40, nous repartons, et, chemin faisant, nous faisons lever
deux autres troupeaux de superbes antilopes et bon nombre de
biches et de gazelles. A 9 h. 45, nous traversons enfin, à gué, le
Niocolo-Koba, cette jolie petite rivière qui sert de limite au pays de
Bondou et au pays de Gamon. A l’endroit où nous l’avons traversée,
elle coule sur un lit de petits cailloux ferrugineux. Ses berges sont
à pic et il faut descendre de cheval pour les escalader. Son eau est
claire, limpide et fraîche. Aussi ne manquâmes-nous pas de nous
y désaltérer et de nous y baigner. Nous arrivons enfin, à 10 heures,
sur les bords du Sandikoto-KÔ, où nous allons camper. Les bords
de ce marigot sont très escarpés et en gravissant le bord opposé à
celui par lequel nous sommes arrivés, mon cheval s’abat. Fort
heureusement, ni lui ni moi ne sommes blessés. J ’eusse été fort
contrarié qu’il arrivât quelque chose de fâcheux à cette jolie petite
�w ï ï <:
DANS LA HAUTE-GAMBIE
bête ; car c’est un brave et bon animal qui me rend de grands
services.
Le campement du Sandikoto-Kô est un des plus mauvais que je
connaisse. Il faut camper au milieu de la brousse pour avoir un
peu d’ombre. En une demi-heure, Almoudo et les porteurs m’ont
construit un gourbi assez confortable. Il était temps, car je commen
çais littéralement à griller au soleil. Tout autour de nous, une
brousse sèche. Je recommande bien à tout le monde de bien faire
attention au feu, et pour le combattre, je fais débroussailler un
large espace de terrain tout autour de mon gourbi et j’exige que
mes hommes aient sous la main de longues branches d’arbre munies
de leurs feuilles, pour être immédiatement prêts en cas d’alerte.
C’est la meilleure façon d’éteindre ces feux de brousse, qui se
propagent toujours avec une rapidité surprenante. Il suffit de battre
la zone incendiée, pour étouffer rapidement tout commencement de
feu et éviter parfois de graves désordres. Malgré mes recommanda
tions, vers trois heures de l’après-midi, un incendie éclate tout à
coup, non loin de mon gourbi. Immédiatement les hommes s’arment
de leurs branches et se précipitent vers le lieu du sinistre. En
quelques minutes, le feu est éteint, mais pas assez vite cependant
pour empêcher de brûler plus de trois cents mètres carrés de
brousse. Fort heureusement, mon gourbi se trouvait au vent de
l’incendie. Sans cela, il eût été infailliblement consumé, ainsi que
mes bagages, ce qui eût été pour moi une perte énorme, difficile à
combler, là où je me trouvais. Ce qui m’aurait été le plus pénible,
c’eût été certainement la perte de mes papiers, de tous mes cahiers
où se trouvent consignées les notes que je me suis toujours efforcé
de prendre régulièrement et le plus exactement possible depuis
plus de six années que je parcours le Sénégal et le Soudan. Je n’eus
pas à déplorer ce désastre. Du reste, dès le commencement de
l’incendie, Almoudo, sans que j’eus besoin de rien dire, se précipita
dans mon gourbi et, s’emparant de ma précieuse cantine, la porta
en lieu sûr. Il ne me la rapporta que lorsqu’on se fût bien assuré
que tout danger avait disparu. On comprendra aisément, qu’après
cela, je pris les dispositions les plus rigoureuses. Je fis éteindre
tous les brasiers que les hommes avaient allumés autour de mon
gourbi, et je ne les autorisai à n’allumer leurs feux qu’à l’endroit
qui venait d’être débroussaillé par l’incendie. C’est là également
�394
ANDRÉ RANÇON
que je les fis coucher. Malgré cela, je fus loin d’être tranquille,
surtout pendant la nuit.
Du campement du Firali-KÔ au campement du Sandikoto-Kô, la
route suit une direction générale Est-Sud-Est, et la distance qui
sépare ces deux points, est environ de 24 kil. 500.
Jusqu’au Coudouko-Boulo, cette route ne présente aucune
difficulté sérieuse. Elle traverse un pays plat, présentant à peine
quelques légères ondulations du terrain. A partir de ce marigot, il
en est tout autrement. Il faut d’abord gravir, par une pente raide,
le versant Nord-Ouest d’un vaste plateau ferrugineux, semé de
roches, qui rendent la route pénible. Pendant trois kilomètres
environ, elle longe le versant Sud-Est de ce plateau. De là, on a une
vue magnifique. On voit se dérouler devant soi une immense
vallée, au milieu de laquelle coule le Niocolo-Koba. On arrive par
une pente douce sur les bords de cette rivière, et si ce n’étaient
ses bords escarpés, sa traversée n’offrirait aucune difficulté. Il en est
de même pour le Sandikoto-Kô.
Au point de vue géologique, on peut dire que, depuis le campe
ment du Firali-Kô jusqu’à celui du Sandikoto Kô, ce n’est qu’une
succession de plateaux formés de roches et de conglomérats
ferrugineux. Ils sont peu élevés et séparés par de petites vallées
dans lesquelles coulent les marigots. Ces vallées sont formées
d’argiles, recouvrant un sous-sol ardoisier. La vallée tout entière du
Niocolo-Koba est ainsi formée, et sur ses bords, les schistes appa
raissent à nu. — Le fond des marigots est formé de vases peu
épaisses, reposant sur un sous-sol de quartz et de conglomérats
ferrugineux. Au Niocolo-Koba, dont le courant est très rapide, la
vase fait absolument défaut. Les berges sont formées d’argiles
compactes.
Au point de vue botanique, la végétation est d’une rare pauvreté.
Rien sur les plateaux qu’une herbe mince et ténue et quelques
végétaux difformes et rachitiques. Dans les vallées, la végétation
n’est réellement belle que sur les bords des marigots, où l’on trouve
de majestueuses légumineuses, quelques caïl-cédrats et de nombreux
échantillons de lianes Saba et Delbi. Les fromagers, n ’tabas,
baobabs, etc., sont relativement rares. Sur les deux rives des
marigots, s’étend une plaine peu large (un kilomètre cinq cents
mètres au plus), où croissent des carexet des cypéracées énormes. Le
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
395
sol de ces plaines est, sur les bords des cours d’eau, absolument
défoncé par les éléphants, et les traces de leurs pas forment de
véritables fondrières, qu’il faut avoir grand soin d’éviter pendant
la marche. Dans tout ce trajet, je n’ai trouvé d’intéressant à signaler
que la plante qui donne cette résine, que les indigènes désignent
sous le nom de Hammout.
On désigne sous le nom de Hammout, au Soudan français, une
sorte de résine, dont l’odeur rappelle celle de l’encens. Elle est
donnée par une plante, dont la hauteur ne dépasse que rarement
trois mètres et qui croît, de préférence, dans les terrains pauvres.
Le diamètre de son tronc est d’environ vingt à vingt-cinq centimè
tres au maximum et par ses caractères macroscopiques, elle nous
a semblé appartenir à la famille des Térébinthacées (1). Ce végétal
est relativement rare au Soudan, on le trouve en petit nombre un
peu partout; mais c’est surtout dans le Ferlo-Baliniama, qu’il est
le plus commun. On en trouve également en notable quantité
dans cette partie déserte qui se trouve aux environs de Koussan Almamy (Bondou), entre Kéniémalé, Couddi, Hodioliré et le
marigot de Anguidiouol, entre Koukoudak et Kounamba, dans
le Tiali.
Cette résine s’extrait, annuellement, du commencement de
décembre à la fin d’avril. C’est, paraît-il, l’époque pendant laquelle
elle est la plus abondante, et où le rendement est le plus avantageux
et la qualité meilleure. De plus, comme en cette saison les indi
gènes ne sont pas retenus chez eux par les travaux des champs, ils
peuvent se livrer plus facilement à cette récolte, qui est pour eux la
source de quelques profits.
Pour l’extraire, les indigènes pratiquent sur le tronc de la plante,
jusqu’aux maîtresses branches, des incisions en nombre variable,
huit ou dix au plus. Ces entailles intéressent l’écorce dans toute
son épaisseur. La résine qui en découle est peu abondante et il faut
attendre six à huit jours avant d’en avoir une petite boule de la
grosseur d’une noisette. On procède alors à la récolte. A l’air libre,
la résine durcit par le froid et elle prend une consistance telle que
pour la détacher il faut se servir d’une tige de fer, spécialement
(1) Ce végétal appartient évidemment au genre Balsamodendron et doit être
voisin de l’espèce B, africanum Arnott, qui fournit le Bdellium d’Afrique (Ileckel).
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ANDRÉ RANÇON
fabriquée pour cela, ou bien des petites hachettes dont les indigènes
usent pour défricher leurs lougans. La liqueur qui vient sourdre à
l’incision est généralement blanche et limpide, mais en se coagu
lant elle prend une couleur opaline légèrement teintée en jaune.
En enlevant la petite boule de hammout qui s’est ainsi formée,
les noirs ont l’habitude de détacher toujours en même temps la
partie de l’écorce du végétal à laquelle elle adhère d’ordinaire si
fortement. Revenus au village, le produit de la récolte est mis à
chauffer au soleil pendant quelques jours pour le ramollir et afin
de le débarrasser de la plus grande partie des détritus végétaux
qu’il renferme. Quand il s’est refroidi et durci, il est pilé, de
nouveau ramolli à la chaleur solaire et pétri en forme de boules
qui sont renfermées dans des coques de fruits de cantacoula, comme
nous l’avons dit plus haut.
La résine durcit alors à la fraîcheur, elle adhère fortement aux
parois du récipient qui la contient, et pour l’en retirer, il faut se
servir, de la pointe d’un solide couteau. Cette résine se présente
alors sous l’aspect d’une masse noirâtre, au milieu de laquelle se
distinguent aisément les fragments d'écorce qui n ’ont pu être
enlevés. Son odeur est légèrement térébenthinée et sa saveur très
aromatique. C’est sous cette forme que l’on trouve le hammout sur
les marchés du Soudan.
Il ne faut pas confondre le hammout avec le Tiéoué, qui est une
autre variété d’encens, que les dioulas de Fouta-Djallon, où on le
récolte surtout, apportent annuellement dans nos comptoirs et sur
les marchés de Bakel, Kayes et Médine. Cet encens est, d’après les
indigènes, de qualité absolument inférieure. Il est généralement
présenté sur les marchés sous forme de grosses boules grisâtres, à
cassure terne et citreuse, non transparentes, se ramollissant sous
la dent, et contenant une notable quantité d’écorce. Leur odeur est
moins térébenthinée que celle du hammout et la saveur est égale
ment aromatique. Le végétal d’où il s’extrait habite surtout le
Fouta-Diallon. On le trouve également dans cette partie du Bondou
qui confine au Tenda et au pays de Badon. Les noirs ne lui attri
buent qu’à un faible degré les propriétés bienfaisantes du hammout.
Le hammout est l’objet au Soudan d’un petit commerce qui est
assez actif sur les marchés de Kayes, Bakel et Médine. Les traitants
de ces comptoirs accaparent presque tout ce qui est apporté et
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
397
le revendent soit à Saint-Louis, aux Ouolofs, soit aux habitants du
Khasso, du Logo, du Natiaga, du Kaarta et du Guidimakha. Mais
de tous, ce sont les Ouolofs et les Khassonkés qui en sont les plus
avides. Les femmes ouoloves de Saint-Louis le font brûler sur des
charbons ardents, dans des espèces de petits fourneaux fabriqués
ad hoc. Le hammout, ainsi brûlé, produit une fumée blanchâtre,
et dont l’odeur se rapproche un peu de celle de l’encens. Les
indigènes s’en servent pour parfumer leurs cases. En outre ils lui
attribuent de puissantes vertus curatives. D’après eux, en effet, le
hammout serait, pour ainsi dire, une panacée universelle. Sa fumée
serait très saine pour la santé. Elle chasserait les miasmes nuisibles,
ferait disparaître les maux de tête, guérirait les bronchites et les
rhumes de cerveau, et développerait surtout l’intelligence, etc., etc.
Le prix du hammout varie suivant les époques et les régions.
Avant la récolte, une boule de moyenne grosseur se vend, à Rayes,
de deux à trois francs, mais quand les arrivages commencent à se
faire plus nombreux, le prix baisse rapidement. Ainsi, à Bakel, par
exemple, il n’est pas rare, à ce moment, de trouver jusqu’à soixante
boules pour une pièce de guinée, soit dix à douze francs environ.
A Saint-Louis, le hammout se vend couramment de un franc
cinquante centimes à deux francs la boule. Dans le Guidimakha,
trois boules coûtent environ deux francs cinquante centimes en
mil, et dans le Khasso, à Kouniakary, par exemple, trois boules se
vendent environ cinq francs en mil ou étoiles.
Pendant toute la journée que nous passâmes au marigot de
Sandikoto-Kô, mes hommes s’occupèrent à faire boucaner la viande
de l’antilope que nous avions trouvée égorgée par un lion pendant
l’étape du matin. Ils se livrèrent à ce travail jusqu’à une heure
assez avancée de la nuit. La viande fut d’abord coupée en lanières
de trente centimètres de long sur quatre de largeur et deux d’épais
seur. Puis, ces lanières furent étendues sur un séchoir des plus
primitifs et qui se compose uniquement de quatre fourches plantées
en terre en forme de carré. Sur ces fourches sont placés deux
bambous sur lesquels sont fixées des traverses de même bois, au
nombre de dix ou douze. C’est sur ces traverses qu’est installée la
viande destinée à être boucanée. Ce séchoir est placé à une hauteur
telle que la flamme du feu allumé au-dessous ne puisse pas atteindre
la viande et la griller. Quand tout est ainsi disposé, on allume un
�398
ANDRÉ RANÇON
ardent brasier entre les quatre fourches qui servent de support au
séchoir. On l’alimente jusqu’à ce que la viande soit parfaitement
desséchée.
Dans les villages, où l’on n ’a pas besoin de se hâter de faire cette
besogne, les lanières sont disposées sur le toit des cases, et la
chaleur suffît pour boucaner la viande. Toutefois, on ne peut guère
procéder ainsi que pendant la saison sèche, alors que soufflent les
vents brûlants d’Est et de Nord-Est. Pendant l’hivernage, quand
les vents humides du Sud et du Sud-Ouest se font sentir, il n’est
pas possible de procéder ainsi, car la viande est pourrie avant
d’être boucanée. Chaque soir, il faut avoir grand soin de rentrer les
lanières dans les cases, pour les mettre à l’abri de l’humidité, et de
ne les exposer au soleil que lorsque toute humidité de la nuit a
complètement disparu.
La viande ainsi préparée peut se conserver indéfiniment. Il se
forme à l’extérieur une sorte de croûte épaisse, d’un demi-centi
mètre, cornée, pour ainsi dire, qui protège le reste de la viande. Il
faut avoir soin de l’enlever quand on veut préparer le couscouss.
C’est un mets très 'précieux pour les voyageurs et qui n’est pas à
dédaigner même pour des palais européens. Pendant les différents
séjours que nous avons faits au Soudan, nous nous sommes parfois
estimé très heureux d’en avoir à notre disposition. La viande
boucanée au soleil est meilleure que celle qui l’a été au feu. Cette
dernière, en effet, sent toujours un peu la fumée, quel que soit le
soin que les noirs apportent à bien entretenir le brasier.
4 janvier J892. — La nuit a été excessivement froide. Ciel clair
et étoilé. Brise de Nord, absolument glaciale. A trois heures du
matin, je constate la température la plus basse que j’ai observée
depuis le commencement de mon voyage, sept degrés centigrades,
trois dixièmes. Au réveil, le ciel est clair. Forte brise de Nord.
Rosée abondante. Température excessivement froide. Le soleil se
lève brillant. La nuit s’est heureusement passée. Pas le moindre
incident. Je n’ai cependant pas pu fermer l’œil, tant je redoutais à
chaque instant de voir éclater un incendie. Les précautions prises
hier soir furent inutiles, tout se passa à merveille et nous n’eûmes
pas l’alerte qui m’avait tant effrayé dans l’après-midi. Nous
avons mille peines à rassembler les porteurs. Ces pauvres diables
�dans
la
S a u t e -G a m b i e
sont littéralement gelés et se chauffent autour des feux. C’est qu’ils
sont tous sommairement vêtus.
Rien de curieux à voir comme un campement de caravane noire
pendant la nuit. Les ânes, s’il y en a, sont entravés des pattes de
devant seulement et peuvent circuler librement dans tout le camp.
Les bagages sont ou bien mis au tas, ou bien, ce qui est le plus
fréquent, chaque porteur couche auprès de son colis. Les ballots de
guinées, sont, de préférence, placés sur une branche d’arbre, étayés
avec le bâton de route ou la lance du propriétaire. Ces précautions
sont prises pour les préserver de l’humidité du sol et des termites.
Quant aux hommes, leur campement est bientôt établi. Pendant les
nuits chaudes, une simple couche de feuilles fraîches leur sert de
lit. Pendant les nuits froides, au contraire, c’est de la paille sèche,
sur laquelle ils s’étendent; mais auparavant on allume de grands
feux que l’on entretient toute la nuit, et c’est autour de ces brasiers
ardents que s’installent les dormeurs, si près que l’on se demande
comment ils y peuvent résister et comment leurs vêtements ne sont
pas brûlés. Les plus prévoyants et les sybarites couchent sur des
nattes qu’ils ont eu soin d’emporter. Il en est même qui, pendant la
saison chaude, installent des moustiquaires au-dessus de leur lit,
précaution souvent utile, surtout lorsque le campement est établi
sur les bords d’un marigot.
A quatre heures quinze minutes enfin, nous pouvons nous
mettre en route et, dès le départ, mes hommes marchent d’un bon
pas, sans doute pour se réchauffer. La route du campement du
Sandikoto-KÔ à Sibikili a été relativement mouvementée. A cinq
heures dix minutes, nous traversons le marigot de Diala-KÔ, joli
petit cours d’eau, dont les bords sont relativement boisés et où nous
remarquons de'beaux échantillons de caïl-cédrats, auxquels, du
reste, il doit son nom. Caïl-cédrat se dit, en effet, « Diala », en
Malinké. A 5 h. 45, nous faisons la halte un peu plus loin. Je n’ai
pas plus tôt ordonné de s’arrêter, qu’immédiatement les porteurs
mettent bas leurs charges et vont ramasser du bois sec des deux
côtés de la route. De grands feux sont allumés et nous nous mettons
tous à nous chauffer sérieusement, et aussi à nous sécher, car la
rosée nous a absolument tous inondés. Pendant un quart d’heure,
je reste avec plaisir devant un énorme brasier et, quand je vois
�400
ANDRÉ RANÇON
que tout le monde est à peu près réchauffé, je donne l’ordre de se
remettre en route.
Il n ’y avait pas cinq minutes que nous marchions, quand notre
guide déposa tout à coup son léger bagage et s’élança dans la
brousse avec son fusil, sur le côté droit de la route. Il venait
d’apercevoir à peu de distance de l’endroit où nous nous trouvions,
un énorme bœuf sauvage, qui paissait tranquillement l’herbe
fraîche. Il s’approcha en rampant à environ trente mètres de
l’animal. Celui-ci le regardait tranquillement venir, levant de temps
en temps la tête et ne montrant aucun signe d’inquiétude, Notre
homme l’ajusta longuement et tira. De la route, nous vîmes l’énorme
bête faiblir et s’abattre. Immédiatement, tous les porteurs posèrent
leur charge, et, avec mon autorisation, s’élancèrent dans la direc
tion de notre adroit chasseur. A leur approche, le bœuf se releva
et, au lieu de les charger, comme c’est l’habitude de ces sortes
d’animaux, il essaya de s’enfuir. Nous le vîmes se redresser péni
blement et, traînant la patte droite de derrière, gagner en boitant,
un petit bouquet de bois, situé à peu de distance. Toute ma
caravane en débandade l’y suivit et l’y cerna. Immédiatement
commença une fusillade désordonnée et je me demande encore
comment il se fit qu’aucun d’eux ne fut touché par la balle de son
voisin. Pas un projectile ne toucha la bête tant que dura ce désordre.
Il fallut que notre guide, chasseur de son métier, rechargeât son
fusil et, par un coup bien ajusté, jetât l’animal à bas. Se précipitant
alors sur lui, il lui coupa les deux jarrets avec son sabre et notre
bœuf, expirant, fut alors tout simplement égorgé, comme un
vulgaire bœuf domestique.
C’était un mâle énorme. C’est cet animal que les uns désignent
sous le nom de « vache brune » et que les autres appellent : « Lotir ».
Sa peau est d’un noir grisâtre et bien plus épaisse que celle du
bœuf domestique. Les poils y sont relativement rares et excessive
ment rudes. Sur le dos existe une sorte de crinière assez bien
fournie, s’étendant de la tête à la queue et dont les poils ont environ
douze à quinze centimètres de longueur. La peau est de plus
excessivement luisante. La queue est courte, se terminant par une
touffe de poils assez épaisse. Les jambes très fortes sont relative
ment bien plus courtes que celles du bœuf domestique. La tête est
énorme et la mâchoire inférieure déborde un peu en avant la
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
401
mâchoire supérieure, ce qui donne à l’animal la physionomie féroce
du bouledogue. Mais c’est au front que siège ce que la bête présente
au point de vue anatomique de plus curieux. Les cornes sont
noires, brillantes, courtes, larges et fortes, à légère convexité
externe. Le frontal dont elles font partie absolument intégrante,
est excessivement large et épais. Tandis que chez le bœuf ordinaire,
il est recouvert de peau et de poils, chez le bœuf sauvage, il est
complètement à nu et très noir. Il est d’un noir terne, tandis que
les cornes sont d’un noir très brillant. Les Malinkés appellent cet
animal « Segui ». Sa chair est délicieuse et les indigènes en sont
excessivement friands. Il ne se nourrit, pour ainsi dire, que d’herbes
tendres et de jeunes pousses d’arbres.
Comme il est très sauvage, sa chasse présente les plus grands
dangers; car, lorsqu’il est atteint, il charge immédiatement le chas
seur. Il faut, pour l’avoir, le blesser grièvement du premier coup.
Aussi les noirs le tirent-ils presque toujours, soit dans les pattes,
soit au défaut des épaules. Il court très vite et peut rattraper aisé
ment un cheval lancé à fond de train.
La balle de notre chasseur lui avait fracassé l’articulation de la
cuisse droite. Il avait été déjà blessé et portait au flanc droit la
cicatrice d’une balle antérieurement reçue.
Dès que l’animal fut mort, tout le monde s’approcha pour le
toucher, le palper. Je fis comme les autres et avec grande curiosité,
car c’était le premier que je pouvais voir d’aussi près. Notre
chasseur lui coupa aussitôt le bout de la queue sur une longueur
d’environ 15 centimètres. C’est là, nous l’avons déjà dit, un trophée
auquel, chez tous les peuples du Soudan, les chasseurs tiennent
énormément. Ils le pendent généralement à leurs ceintures. Il
était absolument impossible de dépecer le bœuf sur place,car cela
nous aurait trop retardé, et il d o u s eût été difficile d’emporter avec
nos bagages l’énorme quantité de viande que l’animal ne manque
rait pas de donner. Il fut donc décidé que, pour le moment, on
abandonnerait là la bête, et que, dès notre arrivée à Sibikili, on
enverrait des hommes du village pour le dépecer et en rapporter
les morceaux. Mais une caravane de dioulas quelconque pouvait
passer par là et s’approprier le produit de notre chasse. Aussi, pour
qu’on ue vint pas les voler, mes hommes mirent-ils sur le corps du
bœuf un peu de paille sèche, un caillou sur le cou, puis prononcèrent
André Rançon. — 26.
�402
ANDRÉ RANÇON
à voix basse des paroles dont je ne pus connaître le sens, marmot
tèrent des invocations, firent enfin mille pratiques les plus étranges
les unes que les autres. Quand j’en demandai l’explication à notre
chasseur, il me répondit gravement que maintenant il pouvait
passer auprès de sa chasse n’importe qui, il ne la verrait pas et
que seuls pourraient la retrouver ceux auxquels il le dirait et
auxquels il aurait appris les paroles mystérieuses qu’il fallait
prononcer pour cela. Malgré cela, je voyais manifestement qu’il
n’était pas tranquille. Aussi je lui dis que tout ce qu’il venait de
faire pouvait être très bon, mais que ce qui serait le meilleur et le
plus sûr, ce serait de commettre à la garde de la bête un des
hommes de Gamon qui nous accompagnaient et qui ne portait
rien. Il reviendrait avec les hommes de Sibikili. Chose qui fut faite.
Dans beaucoup de pays, au Soudan, on est absolument persuadé,
surtout chez les Malinkés, que l’on peut rendre ainsi invisibles des
objets et même des êtres vivants, rien qu’en faisant certaines pra
tiques plus ou moins bizarres. Je me souviens même avoir vu à
Goumbeil, dans le Niéri, un chasseur qui avait la prétention de se
rendre invisible pour toute espèce de gibier. Au moment où il se
préparait à partir pour la chasse, je le vis mettre dans une cale
basse à moitié remplie d’eau, des feuilles d’un végétal dont je ne
pus savoir le nom. Il les y remua longuement et à plusieurs reprises.
Puis, se mettant absolument nu, il fit sur tout son corps deux ou
trois ablutions générales avec cette eau et se frotta partout avec les
feuilles humides. Je lui demandais alors s’il était malade et dans
quel but il agissait ainsi. Il me répondit sans hésiter qu’il n’était
point malade et qu’il faisait cela uniquement pour que le
gibier qu’il allait chasser ne le vît pas. Rendu ainsi invisible, il
pourrait s’approcher d’aussi près qu’il le voudrait, et tuer à coup sûr
tel animal qu’il aurait choisi. Je lui demandai encore si cette plante
le rendrait aussi invisible pour les hommes. «Non, me répondit-il,
« avec cela, le gibier seul ne me verra pas ; mais je connais une autre
» plante qu’on ne trouve qu’au Fouta-Diallon et qui, si on porte au
» cou un morceau de sa racine, a la propriété de rendre invisible
» celui qui la possède pour tous ses ennemis, et cela quand il le
» désire ». 11 avait vu, disait-il enfin, un Foutanké (homme du
Fouta) qui, pendant la guerre du marabout Mahmadou-LamineDramé, à Touba-Couta, avait disparu trois fois devant ses yeux au
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
moment où il l’ajustait pour le tuer. Je ne crus pas devoir pousser
plus loin mon interrogatoire, du moment qu’il avait vu, je n’avais
plus rien à apprendre.
La contrée que nous traversons, est, paraît-il, excessivement
giboyeuse. On y trouve, en grande quantité, antilopes, biches,
gazelles, hippopotames, bœufs sauvages, éléphants, fauves de
toutes sortes, etc., etc. A ce propos, je rapporterai ici un fait qui
s’est passé hier au marigot de Sandikoto-Kô. A peine étions-nous
arrivés au campement que nous entendîmes un coup de fusil assez
éloigné de nous. Peu après, un homme qui fait route avec nous,
vint me raconter qu’il avait tiré sur un éléphant énorme. Mahmady,
un de mes hommes qui était avec lui, ajouta qu’il l’avait vu et
qu’il était si gros qu’il l’avait pris pour un rocher (Kouko) [sic).
En effet, à en juger par les traces et les passages que l’on voit
partout, on peut en conclure que la région est excessivement riche
en gibier. Ce ne sont que passages d’éléphants et d’hippopotames et
les bords des marigots sont couverts d’excréments de toutes sortes
d’animaux; à cette époque de l’année surtout, le gibier y abonde
parce qu’il vient brouter les jeunes herbes qui poussent après les
incendies.
Vers six heures trente minutes, nous nous remîmes en route et
sans autre incident nous arrivâmes à Sibikili, à 11 h. 45, après
avoir successivement traversé les marigots de Dalesilamé, de
Séré-Kô, de Sitadioumou-Kô et sa branche secondaire, le KoumonniBoulo-Kô qui est situé à 800 mètres environ de Sibikili. Ses bords
sont couverts de superbes rizières, et nous l’avons traversé sur un
petit pont en bois, des plus primitifs, qui a enViron cinq mètres de
Joug sur un mètre cinquante centimètres de large.
La route du campement du Sandikoto-Kô à Sibikili ne présente
aucune réelle difficulté que le passage du marigot de Séré-Kô dout
les bords sont escarpés et à pic. Mentionnons aussi à ce point de
vue, les nombreux bambous morts, qui obstruent la route, ainsi
que les roches ferrugineuses que l’on y rencontre à chaque instant
et qu’il faut avoir soin d’éviter.
Au point de vue géologique, ce n’est absolument qu'une succes
sion de plateaux bornés de grès, de quartz de toc onglomérats
ferrugineux, et de collines de même nature. Au niveau des mari
gots, elles sont entrecoupées par de petites vallées formées d’argiles
�404
ANDRÉ RANÇON
et excessivement marécageuses. Ce n’est qu’à partir du Séré-Kô
que se montrent quelques ilôts de latérite. Nous en trouvons aussi,
mais peu étendus et très clairsemés, jusqu’aux environs de Sibikili.
La petite colline sur laquelle est construit ce village est unique
ment formée de terrain de cette nature, de même aussi que la plaine
qui l’entoure. Le terrain ardoisier, proprement dit, est rare et les
schistes qui le caractérisent ne se montrent nulle part à nu. Il
forme cependant, à n ’en pas douter, le sous-sol des argiles com
pactes dont nous avons reconnu l’existence dans quelques légères
dépressions de terrain.
La flore est de plus en plus pauvre. C’est un pays absolument
dénué de toute espèce de végétation, on traverse parfois une éten
due de plusieurs kilomètres sans rencontrer autre chose que des
végétaux absolument rabougris. Ce n’est qu’après avoir passé le
Séré-Kô et encore pendant trois kilomètres au plus que la végéta
tion est un peu plus riche. Dans tout le trajet, nous n’avons guère
remarqué que quelques caïls-cédrats sur les bords du Diala-Kô,
quelques fromagers, et dans la vallée du Séré-Kô quelque rares
échantillons de karités (variété Shee). Ce pays était autrefois couvert
de bambous, mais ils sont aujourd’hui presque tous morts et ce
végétal tend chaque jour à y disparaître.
Le Bambou (Bambusa arundinacea L. ), est une Graminée fort
commune au Soudan. On le rencontre un peu partout, mais surtout
dans le Bambouck, le Bafing, le Koukodougou, le Gamon, le Tenda,
le Damentan, le Badon, le Niocolo, etc., etc. Il croît dans presque
tous les terrains, mais c’est surtout sur les bords des marigots et
dans certaines plaines à fond d’argiles, inondées pendant la saison
des pluies, qu’il est le plus commun et qu’il acquiert ses plus
grandes dimensions. Toutefois sa tige n’atteint pas au Soudan,
dans les terrains qui lui sont les plus propices, un diamètre de plus
de six à huit centimètres et sa hauteur quatre ou cinq mètres. Sur
les plateaux rocheux, il ne dépasse pas deux mètres d’élévation et
trois centimètres au plus de diamètre. Il est là toujours très peu
vigoureux.
Ce végétal, si abondant autrefois dans le Gamon, le Badon et le
Dentilia, y est devenu depuis trois ou quatre années plus rare et
finira par y disparaître complètement. Il est atteint, depuis ce
temps, d’une maladie que les indigènes désignent sous le nom de
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
405
Diambarala. Je n’ai pas besoin de dire qu’elle est attribuée à des
pratiques de sorcellerie et que les génies malfaisants (les MammaDiombo) sont accusés de les en avoir frappés. Cette maladie, cepen
dant, est causée par un cryptogame parasite qui croît à l’aisselle
des jeunes rameaux et qui en un an, deux au plus, finit par
tuer le végétal. La tige se flétrit, les feuilles tombent, le
bambou sèche sur pied et il suffit d’un vent léger pour en abattre
des bouquets entiers. Les tiges ainsi couchées ne peuvent plus
servir à rien, car elles ont perdu toute leur souplesse et sont deve
nues excessivement cassantes. C’est là seulement que nous avons
trouvé cette maladie. Nous ne l’avons constatée nulle part ailleurs.
Les indigènes du Gamon, Badon et Dentilia sont très affectés de voir
ainsi disparaître cette graminée qui leur est si précieuse. Dans tout
le Soudan, en effet, on s’en sert pour construire les charpentes des
toits des cases. On l’utilise pour fabriquer des nattes, des corbeilles,
des cordes, des ruches pour les abeilles et pour construire les
clôtures des petits jardinets que l’on trouve aux environs des
villages. Les bambous pleins sont préférés pour les constructions
et les bambous creux pour les autres usages. Les Bambaras de la
boucle du Niger utilisent aussi les jeunes tiges de bambous pleins
pour fabriquer leurs flèches, et la corde de leurs arcs est presque
toujours faite avec ce végétal.
Le feuillage du bambou constitue un excellent fourrage dont les
animaux, les chevaux surtout, sont excessivement friands. Le
meilleur et le plus tendre, est naturellement fourni par les rameaux
les plus jeunes. Ce fourrage doit probablement ses qualités nutri
tives à la quantité relativement considérable de sucre que contien
nent les jeunes pousses et les jeunes feuilles de cette plante.
Cependant, d’après certains indigènes auxquels je l’ai entendu dire,
il pourrait à la longue devenir nuisible et il faut bien se garder d’en
faire la nourriture absolument exclusive des bestiaux.
Nous venions à peine de traverser le Sitadioumou-Kô, quand
nous rencontrâmes, sous un magnifique caïl-cédrat, une députation
d’une dizaine de guerriers de Sibikili, conduits par le fils du chef
et que ce dernier envoyait au devant de moi pour m’escorter et me
conduire au village. Ils avaient eu le bon esprit de nous apporter
plusieurs peaux de bouc pleines d’une eau limpide et fraîche avec
laquelle nous fûmes heureux de nous désaltérer à long traits; car
�406
ANDRÉ RANÇON
si la nuit avait été froide, par contre, la chaleur du jour était
devenue, vers dix heures du matin, absolument intolérable. A
Sibikili, ce jour-là, je constatai, dans ma case, 41 degrés centigrades.
Il faut dire aussi qu’il faisait un vent d’est brûlant. Aussi quand
nous arrivâmes à l’étape, étions-nous tous exténués. Deux porteurs
même, restés en arrière, ne nous rejoignirent que fort avant dans
la soirée.
Notre guide fit aussitôt part aux hommes qui étaient venus au
devant de nous de ce qui nous était arrivé le matin et de la belle
chasse qu’il avait faite. 11 leur dit exactement où ils pourront trou
ver l’animal. Immédiatement, les hommes de Sibiliki me deman
dent à ne pas m’accompagner au village et aller de suite chercher
cette viande, qui est pour eux une si bonne aubaine. Je leur accorde
aussitôt l’autorisation de me quitter et tous, à l’exception du fils du
chef, se mettent en route pour le Diala-Kô, non loin duquel les
attend l’homme que nous y avons commis à la garde de la bête.
Je fus bien reçu à Sibiliki et nous n’y manquâmes de rien. Dès
notre arrivée, un joli petit bœuf fut immolé à notre intention et
toute la journée on fit bombance. Il me fut impossible d’avoir avec
le chef et les notables une conversation sérieuse, car tous étaient
absolument ivres, et en mon honneur s’étaient livrés à d’abon
dantes libations de dolo. Ce sont, du reste, des ivrognes fieffés et
qui, sous ce rapport, jouissent d’une glorieuse réputation bien
méritée.Le chef est un vieillard âgé d’environ 75 ans et ne jouissant,
dans son village, d’aucune autorité. De plus, il est aveugle.
Sibikili est un village d’environ 500 habitants. Sa population est
uniquement formée de Malinkés. Il dépend de Badon dont il recon
naît l’autorité. Il est assez propre et assez bien entreteuu pour un
village Malinké. Il est entouré d’un tata flanqué de tours pour la
défense et en assez bon état. De plus, les cases du chef sont
entourées d’un second tata concentrique au premier et qui est assez
sérieux. Il est presque neuf. Sa hauteur est environ de quatre
mètres. Sa largeur à la base est à peu près d’un mètre cinquante et
au sommet elle est de plus d’un mètre. Chaque case forme pour
ainsi dire un petit ouvrage de défense. Les gourbis sont réunis
entre eux par des murs en terre de vingt centimètres d’épaisseur
environ, et on ne peut arriver dans la cour intérieure de l’habita
tion qu’en traversant une sorte de corps de garde que les Malinkés
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
407
désignent sous le nom de Boulon ; c’est une case en terre plus élevée
généralement que les autres, ronde, couverte en paille ; quelquesunes sont à argamasses, surtout dans les pays Bambaras. Elles
sont munies de deux portes, dont l’une donne accès dans la rue et
l’autre dans l’intérieur de l’habitation.
Sibikili est, comme la plupart des villages Noirs, situé sur une
petite colline que dominent d’autres collines plus élevées. Cette
situation, très bonne pour prévenir les attaques des colonnes noires,
car on les voit arriver de loin, est détestable pour pouvoir résister
à une troupe opérant à l’européenne.
La journée se passe à Sibikili sans aucun incident. Du reste,
tout le monde est exténué et aucun de nos hommes n’est capable
de sortir du campement. Toute la population du village, les
hommes principalement, est ivre et endormie sous l’arbre à
palabres. Je ne suis pas, au moins, importuné par leurs visites, et
je puis travailler en paix. J’envoie dans la soirée un homme à
Badon pour y annoncer mon arrivée pour le lendemain.
Du campement du Sandikoto-Kô à Sibikili, la route suit à peu
près une direction générale Est-Sud-Est, et la distance est environ
de 31 kilomètres.
5 janvier. — La nuit a été un peu moins froide que la précédente.
Brise de Nord-Est. Température agréable. Ciel clair et étoilé. Au
réveil, ciel clair et sans nuages. Le soleil se lève brillant. Peu de
rosée. Brise de Nord-Est. Température chaude.
J’ai eu hier soir un petit accès de fièvre qui a duré jusqu’à
ouze heures environ. Ce matin, je me sens assez bien. Malgré cela,
je prens une dose de sulfate de quinine. J ’ai la langue saburrale et
la bouche mauvaise.
Les préparatifs du départ se font assez rapidement et à 5 h. 15
nous pouvons nous mettre en route sans encombre. En sortant du
village, nous traversons d’abord une série de petits jardinets oùles
femmes de Sibikili cultivent avec grand soin du tabac et des
oignons. Pas de lougans. Jusqu’à Badon, rien de bien particulier à
signaler; à 6 h. 30, nous traversons le marigot de Fabili; à 7 h. 55,
celui de Bamboulo-Kô, et à 8 h. 25 nous faisons notre entrée à Badon,
but de l’étape. Il fait déjà très chaud, et, malgré le peu de longueur
de l’étape, je me sens exténué.
A mi-chemin, entre Sibikili et Badon, nous rencontrons une
�408
ANDRÉ RANÇON
députation d’une quinzaine de guerriers que le chef m’envoie, sous
la conduite de son fils, pour nous escorter et nous conduire au
village. Nous faisons la halte là où nous les trouvons, et après
avoir échangé les salutations d’usage, nous nous remettons en route.
L’arrivée à Badon par la route de Sibikili ne manque pas de
pittoresque. On arrive sur un plateau de latérite qui domine le
village. De là, on voit toute la vallée au centre de laquelle est
construit Badon et au fond à l’horizon, les collines qui longent la
rive droite de la Gambie. Ce plateau est bien cultivé, et c’est là que
se trouvent la plus grande partie des lougans du village. Au moment
où nous l’avons traversé, nous avons chassé devant nous un superbe
troupeau d’une trentaine de tètes de bétail qui y paissait paisible
ment. La route qui mène des lougans au village suit le versant Sud
du plateau. Elle a environ deux mètres de largeur et est bien
débroussaillée. Elle est bordée par une jolie haie d’oseille qui, à
cette époque de l’année, commençait à être sèche.
La route de Sibikili à Badon n’offre d’autre difficulté que le
passage des deux marigots, le Fabili et le Bamboulo-Kô, dont les
bords sont à pic et le fond extrêmement vaseux, surtout celui du
premier. La plupart du temps, la route traverse un vaste plateau
formé de roches ferrugineuses. Ce n’est qu’en approchant de Badon,
que l’on rencontre deux petites collines que l’on franchit par des
pentes excessivement douces.
Au point de vue géologique, nous n’avons rien de particulier à
signaler, si ce n’est l’extrême abondance des roches et des conglo
mérats ferrugineux, tout le long de la route. Argiles compactes aux
environs des marigots. La latérite n’apparait qu’à deux kilomètres
environ de Badon.
Au point de vue botanique, végétation excessivement pauvre. A
signaler seulement quelques fromagers, tamariniers, caïl-cédrats
et un végétal nouveau, le Calama, sur lequel nous reviendrons plus
loin. D’après les renseignements que nous avons pu nous procurer,
tout le Badon renfermerait beaucoup de karités, nous n’en avons
pas rencontré le long de la route. Beaucoup de bambous également,
mais presque tous sont atteints parla maladie.
Le Calama, que les Ouolofs appellent Rehatt, est un beau végétal
de haute taille. C’est une Combrétacée, le Combretum glutinosum Perr.
Il croît, de préférence, dans les terrains pauvres en humus, sur les
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
409
terrains rocheux et sur le versant des collines. On le trouve partout
au Soudan, mais c’est surtout dans le Bambouck, le Birgo, le
Gangaran, le Manding el le Bélédougou qu’il est le plus commun,
Les Malinkés l’emploient surtout en teinture. Ce végétal est appelé
Calama par les Bambaras, Rehatt par les Ouolofs, Kéré par les
Malinkés et Kodioli par les Sarracolés. Les cendres de son bois
servent à fixer les couleurs de l’indigo ; les Bambaras et les
Malinkés surtout, retirent de ses feuilles une couleur qui leur sert
à teindre en jaune sale et en rouge couleur de rouille, leurs boubous
et leurs pagnes.
Cette couleur est, pour ainsi dire, la couleur nationale des
Malinkés. Us l’affectionnent tout particulièrement. Voici comment
ils procèdent. Ils récoltent les feuilles sur l’arbre quand elles sont
encore très vertes, les font sécher puis les écrasent entre leurs
mains. Ceci fait, on verse dessus environ deux fois autant d’eau
qu’il y a de feuilles et on laisse infuser à froid pendant au moins
vingt-quatre heures. On plonge alors l’étoffe à teindre dans cette
infusion et on la laisse tremper pendant douze heures. On la retire
alors et on fait sécher. La teinte plus ou moins foncée donnée à
l’étoffe, tient non pas au temps plus ou moins long qu’elle reste
dans la liqueur, mais au degré plus ou moins grand de concentration
de celle-ci. Cette couleur est aussi contenue dans les racines, mais
je ne me souviens pas avoir entendu dire qu’elles soient utilisées
par les indigènes.
Cette teinture est très adhérente. On la fixe à l’aide des cendres
du végétal lui-même. Elle résiste même à la pluie, au lavage à l’eau
chaude et au savon. Chez les Bambaras et les Malinkés, les femmes
de forgerons acquièrent une véritable habileté pour la préparer. La
façon de cette teinture se paye environ cinq moules de mil (huit
kilos à peu près) par pagne ou par boubou.
Badon est un gros village Malinké d’environ 750 habitants. Sa
population est formée à peu près par moitié de Malinkés musul
mans et de Malinkés proprement dits. Il est situé au fond d’une
jolie petite vallée et, il faut bien l’avouer, pour un village Malinké,
il n’est pas trop sale et est assez bien entretenu. Son tata est réparé
à neuf et flanqué de tours pour la défense. Le tata intérieur qui
entoure les cases du chef a environ quatre mètres de hauteur, un
mètre d’épaisseur à la base et quarante centimètres au sommet. Il
�410
ANDRÉ RANÇON
est en parfait état de même, du reste, que les petits murs qui
unissent entre elles les cases d’une même habitation. Badon est
construit à la mode Malinkée comme Sibikili.
Le chef actuel, Toumané-Keita, est un homme d’environ 55 ans,
littéralement abruti par l’abus journalier qu’il fait des liqueurs
fermentées. C’est le Massa (roi) de tout le pays de Badon.
Peu avant d’arriver au village, mes hommes s’arrêtèrent sous
un beau tamarinier, qui, à en juger par la façon dont l’herbe était
foulée, devait servir d’abri aux caravanes. Ils commençaient à
déposer leurs charges et à s’asseoir pour se reposer quand je leur
intimai l’ordre d’avoir à continuer la route jusqu’au village. Depuis
longtemps, j’avais remarqué qu’avant d’entrer dans les villages, ils
manifestaient toujours le désir de s’asseoir ainsi quelques minutes
avant de franchir les portes du tata. Je profitai de cette circonstance
pour demander ce que signifiait cette façon d’agir. J ’appris alors
qu’il était d’usage chez les noirs, avant de se présenter dans un
village, de s’arrêter ainsi à quelques centaines de mètres, pour se
délasser un peu, faire sa toilette et attendre qu’on vienne vous cher
cher, et qu’on vous autorise à enfin camper dans l’enceinte. Nous
n’avions pas besoin de nous conformer à cette coutume puisque le
chef nous avait envoyé chercher à mi-chemin.
Nous fûmes très bien reçus à Badon et nous n ’y manquâmes de
rien. Pour moi, deux heures après mon arrivée, je fus pris d’un
nouvel accès de fièvre plus violent que celui de la veille. Il ne cessa
que vers quatre heures de l’après-midi. A ajouter à cela un violent
rhume de cerveau et une forte bronchite. Je me sentis si faible
dans la soirée que je décidai de séjourner à Badon et d’y passer la
journée entière du lendemain. Je devais y rester plus longtemps,
car je tombai sérieusement malade et fus pendant plusieurs jours
incapable de poursuivre ma route.
Je mis à profit cependant mon inaction forcée à Badon pour
rassembler le plus de renseignements possible sur le pays. Je les
transcris dans le chapitre suivant.
De Sibikili à Badon, la direction générale de la route est Est-SudEst, et la distance qui sépare ces deux villages est de 14 kilomètres.
�lU’So'
�CHAPITRE XX
Le pays de Badon. — Limites, frontières. — Aspect général du pays. — Hydrologie.
— Orographie. — Constitution géologique du sol. — Faune, animaux domes
tiques. — Flore, productions du sol, cultures. — Populations, ethnographie. —
Situation et organisation politiques. — Rapports du pays de Badon avec les
pays voisins. — Rapport du pays de Badon avec les autorités françaises. — Le
Badon au point de vue commercial. — Conclusions. — Traités passés par le
pays de Badon avec la France.
On désigne sous le nom de pays de Badon cette partie du
Soudan français qui est comprise entre la Gambie, le Niocolo-Koba
et le Dentilia. C’est un pays de peu d’étendue et, pour ainsi dire,
désert, mais qui, par sa situation dans le voisinage du Niocolo,
pourrait, à un moment donné, avoir une réelle importance.
Limites. — Frontières. — De même que les autres pays noirs, le
pays de Badon n ’a pas de limites bien définies. Cependant on peut
à peu près lui assigner les limites suivantes : Il est compris entre
les 14°25' et 15°15' de longitude Ouest et les 13°14' et 12°47' de
latitude Nord. Sa plus grande dimension est Est-Ouest et mesure
environ 120 kilomètres. Sa plus grande largeur est Nord-Sud et
mesure environ 55 kilomètres. Sa superficie est environ de
6.000 kilomètres carrés.
Il est limité au Sud par la Gambie, à l’Ouest, au Nord et au
Nord-Est par le Niocolo-Koba qui lui forment des frontières natu
relles. Au Sud-Est et à l’Est, sa frontière est représentée par une
ligne fictive qui, partant de la Gambie, à la naissance du KoussiniKô, se dirige au Sud-Est jusqu’au marigot de Koumountouro-Kô.
De là, elle remonte au Nord jusqu’au Sacodofi-KÔ, où elle oblique
vers l’Ouest pour se diriger vers le Niocolo-Koba.
Il confine à l’Ouest au pays de Gamon, dont le sépare le Niocolo-
�—
—
bANS LA HAUTE-GAMBIE
Koba, au Sud, au Niocolo dont le sépare la Gambie et la partie
Sud-Est de la ligne fictive dont nous venons de parler. A l’Est, il
touche au Dentilia et au désert de Coulicouna. Enfin, au Nord-Est,
il est voisin du Bélédougou, et au Nord, il est séparé du Tiali par un
vaste territoire inculte et inhabité. Comme on le voit, le Badon est
un grand rectangle fort allongé dont les grands côtés orientés
Est-Ouest sont formés au Sud par la Gambie et au Nord par le
Niocolo-Koba. Les petits côtés orientés Nord-Sud sont formés à
l’Ouest par le Niocolo-Koba et à l’Est par la ligne fictive qui le
sépare du Dentilia.
Aspect général du pays. — Le Badon est une contrée absolument
aride, dont l’aspect général est plutôt celui d’un pays de montagne
que celui d’un pays plat. Du Niocolo-Koba à Badon, la capitale, on
ne voit que des collines absolument dénudées que séparent de
profondes vallées où coulent les marigots tributaires du NiocoloKoba. Dans les vallées, la végétation est plus riche surtout sur les
bords des marigots et l’aspect du pays est plus riant. On y rencontre
quelques beaux végétaux ; mais, en général, le pays est absolument
désolé et on peut y faire des kilomètres et des kilomètres sur des
plateaux rocheux, arides et où rien ne pousse qu’une herbe fine et
rare et quelques végétaux rachitiques et rabougris.
Ce n’est qu’aux environs de Sibikili que le pays change un peu
d’aspect. La végétation plus riche indique que l’on s’est rapproché
de la Gambie. Malgré cela, elle est loin d’être aussi belle qu’elle
ne l’est ordinairement sur les rives de ce fleuve. C’est que là ses
berges sont rocheuses, arides, et que l’humus fait absolument
défaut. De Sibikili à Badon, nous retrouvons les collines et les
plaines que nous avons mentionnées plus haut. Deux marigots
seulement où coule une eau claire et limpide traversent le sentier
et, rompant la monotonie de la route, présentent sur leurs rives
quelques essences botaniques.
De Badon au Dentilia, c’est la désolation dans toute l’acception
du mot. Jamais pays plus triste, jamais désert plus complet. De ce
que nous venons de dire, nous pouvons conclure que le Badon est
un pays absolument aride. La terre végétale ne se montre absolu
ment qu’aux environs des villages, et encore la partie qui peut être
cultivée est-elle de très petite étendue. On verra dans la suite de ce
�414
ANDRÉ RANÇON
travail que les conditions géologiques du sol peuvent seules être
mises en cause pour expliquer cette épouvantable stérilité.
Hydrologie. — A ce point de vue, le pays de Badon est complète
ment compris dans le bassin de la Gambie, et en partie dans celui
du Niocolo-Iioba, tributaire de ce grand fleuve. Les marigots y sont
fort nombreux et beaucoup d’entre eux ne tarissent jamais. L’eau y
coule en plus ou moins grande quantité en toutes saisons.
La Gambie du marigot de Koussini au Niocolo-Koba coule dans
le pays de Badon environ pendant 80 kilomètres. L’hydrographie
de ce fleuve pendant ce long parcours est à peine connue, il
n’a été fait à ce sujet aucun travail, et, tout ce que l’on en sait,
ce n ’est que par renseignements qu’on a pu l’apprendre. Le cours
en est excessivement rapide, et, en maints endroits, ce fleuve est
barré par des rapides qui en rendent la navigation impossible poul
ies chalands même les plus légers ; mais en toutes les saisons
les pirogues y peuvent circuler. 11 n ’y a pas, à proprement parler,
de barrages véritables. En maints endroits, cependant, se trouvent
des amoncellements de roches qui laissent entre elles des passages
praticables pour les pirogues, mais où le courant est d’une vio
lence et d’une rapidité extrêmes.
Le régime des eaux du fleuve est le même que dans les autres
parties de son cours. Les eaux, très-basses pendant la saison
sèche, sont excessivement profondes pendant la saison des pluies.
Aussi les berges sont-elles rongées et, en général, absolument à
pic. Le fleuve coule dans la plus grande partie de ce trajet entre
deux rangées de hautes collines qui le longent à peu de distance.
Ce n ’est qu’après avoir quitté le Niocolo qu’il coule dans une
plaine basse et marécageuse qui fait partie du pays de Damentan,
Les berges sont, en général, formées de terrains argileux ou de
roches, et le fond est ou de roches, de sables siliceux, d’argiles,
ou encore formé de petits cailloux roulés de quartz et de grès
ferrugineux, produits de la désagrégation des roches et conglo
mérats que l’on rencontre dans les terrains au milieu desquels
li coule.
Dans le Badon, la Gambie ne peut être traversée à gué qu’à
Tomborocoto, à environ dix kilomètres de Badon dans le Sud-SudEst. Ce gué n ’est guère praticable que de janvier à mai, et encore
�Da n s l a h a u î e - g a m b ie
415
ne peut-on y parvenir qu'avec beaucoup de précautions. Son lit
est encombré de roches excessivement glissantes qui rendent
l’opération délicate et pénible surtout pour les animaux. Aussi le
courant y est-il excessivement violent. Les hommes sont obligés
de se munir de solides bambous pour guider leurs pas et pour
pouvoir résister au courant qui ne manquerait pas de les entraî
ner. En cet endroit et aux basses eaux, les berges de la Gambie
ne sont pas trop escarpées, mais la vase qui les couvre lsorend
très-glissantes. Son cours y est coupé dans chaque tiers environ,
par un ilôt tonné de sables et de roches qui y ont été roulées par
les eaux. Elle forme donc, pour ainsi dire, deux bras: un grand, le
principal, du côté de Badon, qui peut avoir environ deux cent
cinquante mètres ; un petit du côté de Niocolo, dont la largeur ne
dépasse pas cent mètres. La largeur de l’ilot est de vingt-cinq
mètres à peu près. Ce qui nous donne, pour le gué entier, une lar
geur totale de 375 mètres au plus. Au mois de janvier, il n ’y a pas
plus de quarante à cinquante centimètres d’eau aux endroits les
plus profonds, et à la fin d’avril le gué est à sec dans presque
toute sa largeur, sauf sur la rive de Badon, où persiste un chenal
d’environ dix mètres de large sur cinquante de profondeur. De
même dans le petit bras, l’eau y coule encore pendant toute la
saison sèche, mais en très-petite quantité. C’est à peine s’il y en a
alors en cet endroit une profondeur de plus de quinze à vingt
centimètres.
Dans ce parcours de plus de quatre-vingts kilomètres, pendant
lesquels la Gambie coule dans le pays de Badon, elle ne reçoit, sur
sa rive droite, qu’un fort petit nombre de marigots, et encore sontils de très minime importance. Nous citerons particulièrement : le
Koussini-Kô qui lui sert de limite ou plutôt de point extrême, de la
ligne fictive qui sépare le Badon du Niocolo au Sud-Est.
Le Fatafi-Kô qui, formé par les eaux du désert de-Coulicouna,
traverse le Badon du Nord au Sud et se jette dans la Gambie non
loin de Tomborocoto.
Le Koroci-Koto qui naît également aussi dans le désert de Coulicouna et dont le cours se dirige du Nord-Est au Sud-Ouest.
Le Bamboulo-Kô. — Ce marigot est formé par trois branches qui
drainent et apportent à la Gambie les eaux du Nord et du Nord-Est
du pays de Badon. C’est entre ses deux branches principales qu’est
�416
ANDRE RANÇON
construite la ville de Badon ; sa troisième branche, la plus occiden
tale, est de peu d’importance. Chacune de ces branches reçoit un
grand nombre de petits marigots qui les font communiquer entre
elles et qui sont à sec pendant la belle saison. Ils n’ont pas de
noms particuliers.
Du Bamboulo-Kô au Niocolo-Koba nous ne trouvons plus aucun
marigot, se rendant directement à la Gambie, qui mérite d’être
mentionné.
Le Niocolo-Koba prend naissance dans le désert de Coulicouna
où dans la partie première de son cours, il s’étale en un vaste
marais qui pourrait à la rigueur être considéré comme son origine
primitive. Il se dirige d’abord du Sud-Est au Nord-Ouest pendant
environ soixante-dix kilomètres, puis faisant un grand coude, son
cours s’infléchit et il coule alors du Nord-Est au Sud-Ouest pendant
environ soixante kilomètres. Il se jette dans la Gambie à quatrevingts kilomètres, à peu près, en aval du Koussino-Kô. Il forme la
limite entre le Badon et le Gamon.
Le Niocolo-Koba reçoit, dans le pays de Badon, un grand nombre
de marigots dont nous allons citer les principaux. Nous trouvons
en procédant d’amont en aval les cours d’eau suivants : le Sitadioumou-Kô qui reçoit lui-même deux marigots importants sur sa rive
droite, le Fabilo-Kô, qui passe non loin de Sibikili, au Sud-Ouest,
peu large, cinq mètres au plus, et où coule en toute saison une eau
limpide et claire, et le Koumouniboulou-Kô, que l’on traverse en
venant de Gamon à Sibikili. Ce dernier est pendant la saison sèche
plutôt un véritable marécage qu’un marigot proprement dit ; mais,
pendant la saison des pluies, l’eau y coule en abondance ; il déborde
sur une notable étendue de terrains, et c’est dans cette partie
inondée que les habitants de Sibikili font leurs rizières : elles sont
vastes et très productives. Ce sont, du reste, les seules qu’ils pos
sèdent.
A quinze kilomètres environ en aval du Sitadiouinou-Kô, on
trouve le Séré-Kô ou Kéré-Rô, marigot important, large, à berges
encaissées et qui reçoit lui-même le Dalésilamé-Kô, qui lui apporte
les eaux qu’il collecte dans l’angle formé par la Gambie et le
Niocolo-Koba. Le Dalésilamé-Kô forme avec le Séré-Kô un angle de
trente degrés au plus.
Nous trouvons plus loin le Diala-Kô, joli petit marigot fort
�Dans la haute - gamb Iê
ombragé et ainsi nommé parce que ses bords sont couverts de
magnifiques caïl-oédrats. Sa vallée est sans contredit la moins
aride de cette région.
Enfin, à peu de distance du Diala-Kô et au Nord-Ouest, se trouve
le Sandikoto-Kô, marigot peu large, mais profondément encaissé
dans des rives à pic. Son passage offre de sérieuses difficultés,
surtout pour les animaux.
Le Badon est, comme on le voit, fort bien arrosé. Dans la plupart
des marigots que nous venons de citer, l’eau coule en toute saison,
et, d’après les renseignements que nous avons pu nous procurer, il
en est qui ne tariraient jamais, même dans les années les plus
sèches. Cela tient, croyons-nous, à ce qu’ils communiquent entre
eux presque tous par des branches secondaires et même avec la
Gambie et le Niocolo-Koba dont ils suivent les variations. Leurs
bords à pic et le manque de vases que l’on peut constater aisément
pour la majorité d’entre eux, suffisent pour prouver qu’ils sont
doués, du moins pendant la saison des pluies, d’un courant rapide.
Comment se fait-il alors qu’arrosé comme il l’est, le Badon soit
si stérile. 11 faut l’attribuer, je crois, à deux causes principales. La
première, c’est que le terrain dont il est formé est excessivement
perméable en certains endroits. Les eaux d’inondation y séjournent
fort peu et n ’ont pas le temps d’y déposer assez de limon pour le
fertiliser. Dans d’autres endroits, au contraire, la croûte terrestre,
formée d’argiles, est imperméable ; les eaux y séjournent bien
longtemps, mais quand, sous l’action de la chaleur solaire, elles se
sont évaporées, le terrain qu’elles découvrent se dessèche rapide
ment. On ne trouve plus qu’une argile durcie absolument impropre
à la culture. Du reste, ce que nous disons plus loin de la constitution
géologique de cette région, suffira amplement pour expliquer
d’une façon plus précise le peu de fertilité de son sol.
Orographie. — Au point de vue orographique, le Badon pourrait
être rattaché au système général du Niocolo, dont il n ’est, pour
ainsi dire, que le prolongement. Il est difficile, malgré tout, d’y
trouver un système méthodique, bien défini, et qui lui soit absolu
ment propre. Le terrain y est cependant très accidenté. Ce n’est, du
Niocolo-Koba à la Gambie, qu’une suite de collines séparées par
de profondes vallées. La hauteur de ces collines ne dépasse guère
50 à 60 mètres, et elles sont disposées avec un certain ordre qui
André Rançon. — 27.
�418
ANDRÉ RANÇON
nous permet de donner une idée à peu près exacte du relief du ter
rain. Nous avons d’abord la chaîne de hauteurs qui, sur sa rive
droite, longe la Gambie dans presque tout le cours de ce ileuve. De
cette chaîne, partent des collines qui suivent les deux rives des
marigots tributaires de la Gambie et qui vont mourir dans l’angle
formé par cette dernière et le Niocolo-Koba. Ces collines peu éle
vées laissent entre elles de profondes vallées au fond desquelles
coulent les marigots.
Nous pourrions répéter pour le Niocolo-Koba ce que nous
venons de dire pour la Gambie. Dans tout son cours, cette rivière
est longée également par deux séries de collines qui viennent se
terminer dans le désert de Coulicouna et qui, à l’Est, se raccordent
à la chaîne montagneuse qui sépare cette contrée des plaines du
Badon-Est et du Dentilia-Ouest. De petites élévations de terrain
peu importantes s’en détachent et suivent les rives des marigots
tributaires du Niocolo-Koba.
Toutes ces coll ines sont formées de roches absolument abruptes.
La terre végétale y fait absolument défaut et la végétation y est
excessivement rare.
Outre ces chaînes de collines dont nous venons de parler, on
rencontre fréquemment dans le Badon de ces monticules isolés dont
nous avons déjà eu maintes fois l’occasion de parier. Là ils sont
formés par des amoncellements de roches que recouvre une
mince couche de terre ou de sables formés par la désagrégation
des roches sous l’influence des pluies d’hivernage. La colline sur
laquelle est construit le village de Sibikili appartient aux éléva
tions de terrain de cet ordre.
Les collines du Badon ont des flancs absolument à pic, sur
tout dans la partie comprise entre Sibikili et la Gambie par
Badon. Aussi la terre et l’humus y font-ils absolument défaut. Ils
sont entraînés par des pluies d’hivernage. Les versants sont pro
fondément ravinés, et, de loin, on peut juger de la profondeur
de ces excavations. En résumé, il n ’y a pas, comme on le voit,
dans le Badon, de système orographique dans le sens absolu du
mot. On n ’y trouve que des collines disposées d’après un certain
ordre commun dans toute cette région. Malgré cela, et étant don
née surtout la nature du terrain ainsi que l’orientation des reliefs
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
du sol, ou peut rattacher l’orographie de ce pays à celle du Niocolo avec laquelle elle présente de grandes analogies.
Constitution géologique du sol. — Au point de vue géologique on
peut dire, surtout en ce qui concerne son ossature, que ce pays
de Badon appartient tout entier à la période secondaire. L’ana
logie des roches que l’on y trouve permet de supposer qu’il
fait partie du même soulèvement que ce dernier. Les terrains
d’alluvions y sont moins fréquents. Par contre, on y rencontre
uniquement les roches qui caractérisent les terrains de cette
période. Issu des soulèvements de la période secondaire, le Badon
a dû être ensuite recouvert par les eaux,lorsque la croûte terrestre
a été assez refroidie pour que les vapeurs contenues dans son
atmosphère puissent se condenser. Il ne saurait y avoir aucun
doute à ce su jettes roches usées, limées, aux formes bizarres et
déchiquetées qu’on y trouve, en sont une preuve suffisante. Cette
période a dû être très longue, à en juger par les traces qu’elle a
laissées et qui sont encore évidentes, malgré les milliers d’années
écoulées. C’est sans doute à l’époque à laquelle ces eaux se sont
retirées qu’il faut rattacher la formation de ces collines isolées,
rocheuses, qui, dans cette mer immense, devaient former autant de
récifs en ilôts, dont l’étendue augmentait au fur et à mesure que le
niveau des eaux qui les couvraient jadis baissait, tout en y appor
tant, chaque année, de nouveaux éléments.
Si on considère le sous-sol dont est formé le Badon, on y trouve
deux sortes de terrains : le terrain ardoisier, caractérisé par des
schistes de toutes variétés, schistes lamelleux, schistes ardoisiers
et schistes micacés. C’est particulièrement le terrain des vallées.
En second lieu nous avons un terrain que nous désignerons sous
le nom de terrain secondaire et dont les roches principales sont les
quartz, les grès, simples ou ferrugineux et les conglomérats de
même nature formés de ces deux roches agglutinées dans une gan
gue silico-argileuse. Les collines en sont presque uniquement for
mées. Les terrains les plus anciens de la période primaire font abso
lument défaut. Nous n’avons jamais rencontré, en effet, ses roches
caractéristiques, gneiss et granit, et ses roches métamorphiques. De
même les terrains tertiaires ne s’y montrent nulle part. Malgré
toutes nos recherches, nous n ’en avons, en effet, jamais trouvé
�420
ANCUÉ HANÇON
la moindre trace sous quelque forme que ce soit. Il y existe bien une
roche qui contient une faible proportion de carbonate de chaux,
mais elle n ’existe nulle part en bancs importants. On la trouve à
fleur de terre sous forme de petits blocs de la grosseur du poing au
maximum. Sa couleur est blanc jaunâtre et sa composition permet
de la rattacher à cette catégorie de roches formées par des débris de
coralliens, débris que les eaux en se retirant ont dû déposer là et
qui, dans la suite, ont été agglutinés par des argiles siliceuses. Cet
élément géologique se rencontre en maints endroits au Soudan,
notamment dans les environs de Badumbé. On en retire par la
cuisson une chaux de qualité inférieure qui, à défaut d’autre, a été
utilisée pour nos constructions. Elle est loin de valoir la chaux
provenant des coquilles d’huîtres qui sont si abondantes sur les
bords de certaines parties du cours du Niger.
Si maintenant nous considérons, au contraire, la croûte terrestre,
nous constaterons trois sortes d’éléments géologiques : dans les
vallées, des argiles compactes épaisses, formées par la désagréga
tion aquatique des roches qui composent le terrain ardoisier, et
contenant en certains endroits une notable quantité de silice;
par ci, par là sur les bords des marigots, des vases et des dépôts de
formation alluvionnaire récente, mais peu étendus et peu épais. La
latérite enfin y est peu abondante. On ne la trouve guère qu’aux
environs de Badon et de Sibikili. Elle est due à la désagrégation
des roches cristallines qui forment le sous-sol du terrain secon
daire. Enfin, sur les plateaux, la roche se montre à nu, et on n’y
rencontre aucune trace de terre végétale. Le peu qui s’y forme, par
suite de la désagrégation des roches et du terreau qui provient des
détritus végétaux, est entraîné par les eaux.
La couche d’eau souterraine se trouve à une profondeur relati
vement faible. Dans les villages, on ne se sert, pour ainsi dire,
pour les usages domestiques, que de l’eau de puits. Elle est très
bonne. Cela se comprend aisément, si on réfléchit que ce n’est
qu’une eau d’infiltration et qu elle traverse une épaisseur considé
rable de terrains ne contenant aucuns principes nuisibles. Pendant
la saison des pluies, l’eau est très abondante dans ces puits. Elle
contient alors en suspension une grande quantité de matières
terreuses dont il est facile de la débarrasser en la laissant
reposer. Il suffit ensuite de décanter et de filtrer. Pendant la saison
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
sèche, au contraire, elle est peu abondante, mais très limpide. Sous
une faible épaisseur, elle a une couleur légèrement opaline. Les
puits se vident rapidement, et il faut attendre, pour y puiser à
nouveau, une heure ou deux, que le liquide ait filtré en quantité
suffisante.
Faune. — Animaux domestiques. — La faune est excessivement
riche dans le Badon. On y trouve presque tous les animaux
nuisibles et autres, connus au Soudan. Nous citerons particulière
ment le lynx, la panthère, le guépard, le chat-tigre, l’hyène, le
chacal et le lion, qui est fort commun dans les montagnes. La pan
thère, le chat-tigre et le guépard y sont, après le lion, les carnas
siers les plus communs. Les collines qui avoisinent les villages
en sont absolument infestés, et il n’est pas de nuit où, si on n ’y
veille pas, il ne disparaisse quelque mouton du troupeau ou quel
que poule du poulailler.L’hyène et le chacal viennent rôder, pendant
les ténèbres, jusque dans les cases, si on n’a pas soin de fermer les
portes du ta ta. Aussi leurs cris qui se mêlent aux aboiements des
chiens font-ils un vacarme qui m’a souvent empêché de dormir.
La Gambie et l’embouchure de la plupart des marigots sont
habités par des milliers de caïmans, qui y atteignent des propor
tions énormes. Les reptiles, Boa, serpent noir, serpent Corail
particulièrement y sont assez communs, on ne cite cependant que
de rares accidents. On y rencontre aussi cette variété de serpent
que l’on désigne sous le nom de trigonocéphale, et dont la mor
sure est loin d’être aussi dangereuse que celle du congénère
de la Martinique, par exemple. J ’ai pu m’en assurer moi-même.
Pendant mon séjour à Badon, un homme du village fut mordu par
un de ces repoussants animaux qu’il parvint, du reste, à tuer et
dont il rapporta la dépouille. Il avait éprouvé, dit-il, une violente
douleur après la morsure. Je constatai, trois heures après, un gon
flement prononcé de la jambe blessée, avec une anesthésie com
plète et un peu de parésie de tout le membre, en même temps,
légère prostration. Cet état dura pendant quatre ou cinq jours, au
bout desquels ces symptômes s’amendèrent, et, lorsque je partis, le
malade était complètement rétabli. Les Malinkés sont très friands
de la chair de ce serpent. Ils lui coupent préalablement la tête et
le reste est bouilli et mangé avec du couscouss.
�422
ANDRÉ RANÇON
Parmi les animaux .sauvages non nuisibles, nous citerons sur
tout les Antilopes. Jamais et clans aucun pays du Soudan nous
n ’en avions rencontré autant de variétés et en aussi grand
nombre. C’est par troupeaux de dix, quinze, que nous les faisions
lever sur la route. Le sanglier est aussi très commun, surtout
dans la partie qui avoisine le désert de Coulicouna. Pendant le
séjour que je fis à Badon, les fils de mon hôte (diatigué) en tuèrent
trois en moins de quinze jours.
Nous citerons encore le bœuf sauvage (Ségui en Bambara et
en Malinké) il est très commun et, de l’avis des Noirs, le Badon
est le pays où on le trouve en plus grand nombre. A ma connais
sance, les habitants en tuèrent deux et je pus m’assurer que sa
viande était absolument succulente.
La Gambie, le cours inférieur du Niocolo-Koba et des grands
marigots sont peuplés d’hippopotames. Citons enfin l’éléphant qui
habite surtout les vallées. Les Malinkés du Badon organisent
parfois de grandes chasses, et, quand ils sont assez heureux pour
en tuer un, ils en mangent la viande et en vendent les défenses
à des dioulas de passage, ou bien ils vont jusqu’à Yabouteguenda
les échanger contre du sel, de la poudre, des kolas et des étoffes.
On comprendra que, dans un pays aussi giboyeux, les habi
tants se livrent ardemment à la chasse. Comme les gens du
Tenda et du pays de Gamon ils en font leur passe temps favori.
Il n ’est pas de jour qu’il n ’y en ait quelques-uns qui prennent
la brousse dans ce but. Ils restent parfois des semaines entières
dehors, et ne rentrent jamais les mains vides. On peut dire que
dans le Badon, la seule viande que mangent les Malinkés pro
vient des produits de leur chasse.
Les animaux domestiques y sont relativement nombreux. Badon
possédé un beau troupeau de bœufs, des chèvres, des moutons,
poulets en quantité. Malgré cela, la viande de boucherie y est
presque complètement inconnue. U faut une circonstance grave,
présence d’un chef ou fête quelconque pour que l’on abatte un
bamf. Par contre, on y consomme relativement beaucoup de
chèvres, moutons et poulets, et à l’époque des circoncisions on en
fait de véritables hécatombes pour nourrir les enfants qui ont été
opérés.
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
Flore. — Productions du sol. — Cultures. — La Flore du pays de
Badon est une des plus pauvres que nous ayons vue au Soudan.
Nulle part le sol ne nous a présenté une aridité semblable. Les
collines, les plateaux sont absolument dénués de toute espèce de
végétation. Il n’y a que sur les bords des marigots et dans les val
lées qu’elle se montre un peu plus riche. Là, nous trouvons de
superbes karités des deux variétés Shee et Mana. Les habitants en
rceoltent le fruit pour en extraire le beurre, mais ils n’en fabriquent
que juste ce qu’il leur faut pour leurs usages domestiques, et
encore.... Les caïl-cédrats et les grandes Légumineuses sont assez
communs sur les rives des marigots et delà Gambie.
Les lianes Saba et Delhi y sont abondantes. La première se trouve
surtout surfes bords des marigots et la seconde sur les plateaux.
On comprend que dans un pays aussi désolé, les cultures soient
peu importantes, la terre végétale faisant presque partout défaut.
Ce n’est, qu’aux environs des villages que l’on rencontre quelques
rares lougans. Là, comme partout ailleurs, on ne cultive que le
mil, le maïs, les. arachides, le riz, le tabac, les tomates, etc., etc.
Encore la production est-elle excessivement faible et suffit-elle à
peine pour les besoins des habitants, et, chaque année, pendant
l’hivernage, ils en sont réduits pendant trois mois, à la portion
congrue.
Populations. — Ethnographie.— Le Badon, relativement peuplé
jadis, est aujourd’hui complètement désert. 11 n’y a plus que deux
villages, Sibikili et Badon, et encore sont-ils peu peuplés. Badon
ne compte guère plus de 750 habitants et Sibikili 500. Tous les
autres villages ont été détruits par les Almamys du Fouta-Diallon
sans aucun motif, uniquement : « pour faire captifs », comme
disent les noirs. Il y a une quinzaine d’années, il restait encore
quatre villages : Badon, Sibikili, Marougou, Ouiako. L’almamy du
Fouta-Diallon, Birahima, vint les attaquer avec une forte colonne. A
son approche tout le monde s’enfuit, mais la majeure partie des
habitants de Marougo et de Ouiako fut emmenée en captivité. Les
villages furent détruits. Toumané, le chef actuel, après avoir
mis sa famille en sûreté, alla demander du secours à BoubakarSaada, alors almamy du Bondou. Celui-ci ne le lui refusa pas, car
depuis longtemps il entretenait des relations amicales avec le
�424
ANDRÉ RANÇON
Badon et ses guerriers l’avaient souvent secondé dans maintes
expéditions. Il rassembla donc ses hommes et en personne
vint protéger la reconstruction des tatas de Badon et de Sibikili.
A son approche, l’almamy Birahima battit en retraite avec ses
hommes et Boubakar ne quitta le Badon que lorsqu’il fut bien
certain que ses alliés étaient bien en sûreté derrière leurs
murailles. Depuis cette époque ils ne furent plus attaqués par les
Peulhs, mais marchèrent avec Boubakar contre Gamon et y furent
honteusement battus. En sûreté derrière leurs tatas, ils pillaient
et rançonnaient sans pitié les dioulas, jusqu’au jour où ils furent
liés avec nous par un traité de protectorat. La population du
Badon est uniquement formée de Malinkés venus du Bambouck à la
suite de la première grande migration Mandingue qui peupla et
colonisa cette partie du Soudan.
Les habitants de Sibikili sont des Malinkés de la famille des
Sadiogos. Ils habitèrent d’abord le Niocolo dont ils furent les pre
miers colons Mandingues. Quelques uns étaient venus directement
du Bambouck à Sibikili. Ceux qui s’étaient fixés dans le Niocolo
ne tardèrent pas à en être chassés par l’invasion des Camaras et ils
vinrent demander asile à leurs parents de Sibikili. Depuis cette
époque, ils ont toujours habité ce village et c’est là seulement
qu’on peut rencontrer des représentants de cette ancienne famille
Malinkée. Ils sont absolument ahuris et s’adonnent avec passion
à l’usage immodéré des boissons alcooliques. Les Sadiogos de
Sibikili furent d’abord indépendants, mais lorsque Badon fut fondé
par des Keitas venus du Niocolo, ils se soumirent à eux.
Comme ceux de Sibikili, les habitants de Badon sont des
Malinkés. Les uns sont musulmans et les autres non. La famille
régnante est celle des Keitas. Ils sont venus du Bambouck au Niocolo
d’abord, où ils soumirent à leur autorité les Dabos et les Camaras.
Un parti traversa alors la Gambie, fonda le village de Badon et
soumit les Sadiogos.de Sibikili. Autour des Keitas vinrent dans la
suite se ranger d’autres familles Malinkées musulmanes. Aujour
d’hui, il ne reste plus à Badon que des Keitas et quelques rares
Musulmans. Les Keitas de Badon sont absolument dégénérés, et ils
sont loin d’avoir pour leur ancêtre Soun-Dyatta, le respect qu’ont
les autres membres de cette famille. De même, il n ’ont pas pour
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
l’hippopotame le culte que doit avoir tout bon Keita et ils en
mangent volontiers la chair.
Badon est situé à peu de distance de la Gamble, neuf kilomètres
environ, à peu près à la hauteur de cette partie de son cours où ce
fleuve cesse de couler du Sud au Nord pour se diriger à l’Ouest vers
la mer, embrassant ainsi le Niocolo dans la concavité du.coude qu’il
forme.
Non loin de Badon on montre sur un rocher deux traces de
pas, celles d’un homme et d’un bœuf. D’après la légende, ce serait
là que passèrent les premiers guerriers Peulhs, lorsque le peuple
nomade émigra vers le Fouta-Diallon qu’il devait conquérir. Nous
nous sommes fait montrer ces deux empreintes. Elles ne m’ont pas
parues aussi nettes que les indigènes le prétendent. On y peut
reconnaître cependant la forme d’un pied humain et celle d’un
pied de bœuf.
Badon a beaucoup perdu de l’importance qu’il avait autrefois.
Malgré cela, sa situation géographique exceptionnelle en fait, à
notre avis, un point qu’il est utile et prudent de conserver.
Nous n’avons pas besoin de dire que les Malinkés du Badon
possèdent à un haut degré les qualités remarquables qui caracté
risent les représentants de celte intéressante race. Ce sont des
ivrognes émérites, menteurs, sales, dégoûtants, voleurs et pillards.
Notre intervention dans leurs affaires a pu seule les faire rester en
paix dans leurs villages et, modérer leur goût prononcé pour les
vols de grand chemin et les rapines de toutes sortes auxquels
tout bon Malinké doit se livrer avec ardeur pour ne pas déroger.
Situation et organisation politiques. — Au point de vue poli
tique le Badon ne possède aucune organisation. C’est le gâchis,
par excellence, comme dans tous les pays Malinkés, du reste. Le
sol appartient au premier occupant, et tous ceux qui viennent
dans la suite s’y fixer doivent obtenir l’autorisation du chef et
reconnaître son autorité, autorité qui, d’ailleurs, ne se manifeste
d’aucune façon. Le chef du pays ne possède aucun revenu. Il n ’y
a aucun impôt. Les ordres sont absolument méconnus, même par
les captifs. Yeut-on faire une expédition militaire, c’est la bagarre
la plus complète, le désordre le plus parfait. Tout le monde com
mande et personne n ’obéit. En résumé, le chef du pays n ’a sur
ses sujets aucune autorité effective. C’est plutôt une sorte de juge
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ANDRÉ RANÇON
que l’on vient consulter, rarement encore, dans les différends qui
s’élèvent entre les particuliers. Je n ’ai pas besoin de dire que ses
jugements ne sont nullement exécutés, surtout par la partie con
damnée. Dans les villages, la véritable autorité est représentée par
une sorte de conseil auquel prennent part les vieillards et les notables
et dans lequel dominent souvent les avis d’un simple griot, forgeron
ou captif favori du chef. C’est dans ce conseil que sont discutées
toutes les affaires qui peuvent intéresser le pays ou le village.
L’ordre de succession se fait par ligne collatérale, comme chez
tous les peuples Noirs du Soudan. Aussi les chefs sont-ils des
vieillards ahuris et abrutis qui n ’ont ni l’énergie ni l’intelligence
voulue pour commander aux autres et pour diriger les affaires du
pays. Ils ne maintiennent leur prestige qu’en comblant de cadeaux
leurs sujets. Aussi, aujourd’hui qu’ils ont perdu leur principale
source de revenus, depuis qu’on a réprimé leurs brigandages, ne
peuvent-ils plus faire autant de libéralités. Dès lors leur prestige
s’est trouvé diminué. Ce qui n’est pas un mal.
Rapports clupays de Badon avec les pays voisins. — La population
du Badon vit en bonne intelligence avec ses voisins du Tenda, du
Gamon, du Dentilia et avec les Malinkés du Niocolo. Mais il n’en
est pas de même avec les Malinkés du Bélédougou. Ceux-ci vien
nent à chaque instant piller dans les environs des villages et
s’avancent jusque sous leurs murs pour y voler des boeufs et des
captifs. De même, les Peulhs du Tamgué et ceux même du Niocolo
font dans le pays de fréquentes incursions qui se terminent toujours
par l’enlèvement de quelques femmes, enfants, bœufs et captifs.
Les gens du Badon voudraient bien en faire autant et rendre
pillage pour pillage; mais ils n ’osent pas, car ils craignent d’indis
poser contre eux les autorités françaises. Ces gens-là sont si bêtes
qu’ils ne se défendent même pas quand ils sont attaqués. Aussi,
de jour en jour, la situation devient-elle pour eux absolument
insupportable. Ils sont obligés pour pouvoir faire leurs cultures en
paix d’avoir toujours le fusil auprès d’eux. La nuit, des gens armés
veillent à la sécurité des villages et quand ils vont en route ou à la
chasse, ils sont obligés de s’armer jusqu’aux dents. Un homme
voyageant seul serait exposé à être fait captif soit par les Peulhs,
soit par les Malinkés du Bélédougou. Ces pillards infestent abso-
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DANS LA HAUTE-GAMBIE
lument les routes. Il serait grandement temps de purger cette
région de ces êtres malfaisants.
Rapports du pays de Badon avec les autorités françaises. — Le
pays de Badon est placé sous le protectorat de la France depuis
1887, à la suite d’un traité passé parle chef du pays,Toumané, avec
le capitaine d’infanterie de marine Oberdorf, représentant le lieu
tenant-colonel Galliéni, commandant supérieur du Soudan français.
Ce traité a été renouvelé et modifié en 1888 par le sous-lieutenant d’in
fanterie de marine Levasseur, agissant au nom du colonel Galliéni.
Depuis cette époque, les gens de Badon ont scrupuleusement
observé les clauses du traité. Oh ! il ne faut pas les en louer ; car,
s’ils ne l’ont pas violé, c’est uniquement parce qu’ils ont peur de
nous. On se tromperait si on s’imaginait le contraire.
Au point de vue administratif, judiciaire et politique, le Badon
relève du commandant du cercle de Bakel.
Son importance commerciale et son éloignement du chef-lieu,
ont récemment décidé le gouvernement du Soudan à y placer un
officier adjoint au capitaine commandant le cercle.
Cette mesure importante ne manquera pas d’être appréciée des
dioulas qui hésitaient à passer par cette route, par crainte des
exigences du chef de ce village.
Le gouvernement français ne perçoit dans le Badon aucun
impôt, aucun droit quel qu’il soit. Notre influence s’y fait peu sentir
vu l’éloignement du pays et surtout aussi du peu de goût qu’ont
les habitants du pays à avoir avec nous des relations plus étroites.
Le Badon au point de vue commercial. — Conclusions. — Il ne se
fait dans le Badon aucun commerce. Cela, du reste, répugne aux
Malinkés de ces contrées, qui ne sauraient faire un travail quel
conque. Les habitants récoltent juste ce qu’il leur faut pour manger,
et ne se livrent à aucune industrie. Ils fabriquent eux-mêmes leurs
vêtements avec des étoffes confectionnées par leurs tisserands. Il
ne se fait aucune transaction. Malgré cela, le Badon a une certaine
importance au point de vue commercial. C’est, en effet, un lieu de
transit très fréquenté, et cela tient à sa situation même. Placé au
point où se réunissent les routes du Tenda, du Bondou, du Bambouck, à peu de distance de Tomborocoto dans le Niocolo et du gué
de la Gambie, Badon est un lieu de passage très fréquenté par les
�428
ANDRÉ RANÇON
dioulas qui viennent de ces régions et qui se rendent soit dans le
Niocolo, soit au Fouta-Diallon ou qui en reviennent. Pendant le
séjour que nous y avons fait, nous avons pu juger de l’importance
de ce mouvement et nous avons pu constater que chaque jour
quinze ou vingt dioulas venant de toutes directions, campaient
dans ce village. Aussi le chef, abusant de sa situation, avait-il
établi autrefois des droits qui étaient prélevés sur chaque caravane,
sans préjudice, bien entendu, du pillage auquel se livraient ses
hommes. Nous avons fait cesser cet abus, et aujourd’hui les tran
sactions commerciales se font librement. C’était une source de
revenus considérable pour les gens du Badon. Aussi le chef se
plaint-il sans cesse de l’avoir perdue. C’est une plainte perpétuelle
à ce sujet et le plus grand plaisir qu’on pourrait faire à ce malan
drin, ce serait de déchirer le traité qui le lie à nous. Il pourrait
alors recommencer à rançonner et à piller sans merci les dioulas.
Mais ce n ’est ni notre politique ni l’intérêt du pays. De longtemps
toutefois, il sera bien difficile de le leur faire comprendre.
De ce que nous venons de dire, nous pouvons conclure que le
Badon ne sera jamais un pays de rapport. La nature même de
son sol s’y oppose. Malgré cela, il serait bon de s’en occuper
quand même et sérieusement, car, par sa situation, ce petit pays
pourrait acquérir un jour ou l'autre une grande importance com
merciale. Il serait bon de le repeupler, et la chose serait facile en
faisant venir des Malinkéssoit du Bambouck, soit du Ghabou, soit
mieux encore du Coniaguié où les vaincus du Ghabou se sont réfu
giés. De plus, il est indispensable de leur faire sentir et notre
protection, et, en même temps, notre autorité. Pour cela, il est
urgent de purger le pays des bandes de pillards du Bélédougou et
des Peulhs du Tamgué qui l’infestent. Enfin, il serait absolument
indispensable que, chaque année, le fonctionnaire chargé de l’ad
ministrer, le visite et règle les affaires en litige. Voilà, à notre
avis, des mesures qui lui permettraient de se développer et peutêtre de prospérer un peu.
�CHAPITRE XXI
Séjour à Badon. — Je suis gravement malade d’un accès de fièvre à forme bilieuse
hématurique. — Générosité de Toumané pour mes hommes et pour moi. — Sa
passion pour ledolo. — Arrivé à Badon d’un envoyé du commandant supé
rieur du Soudan se rendant au Fouta-Diallon. — Plaintes de Toumané au sujet
des gens du Bélédougou. — Ma santé s’améliore un peu. — Passage de nombreux
dioulas à Badon. — Plaintes de Toumané au sujet des dioulas. — Comment on
tue un bœuf chez les Malinkés. — Je puis enfin partir. — Nombreuse escorte.
Faiblesse extrême. — Départ de Badon pour Tomborocoto (Niocolo). — Route
suivie. — Passage de la Gambie. — Arrivée à Tomborocoto. — Description de
la route. — Géologie. — Botanique. — Les Sénés. — Le thé de Gambie. — Tom
borocoto. — Mauvaise réputation des habitants. — Je suis bien reçu. — Départ
de Tomborocoto. — Route suivie. — Les lougans et les villages de cultures. —
Arrivée à Dikhoy. — Description de la route. — Géologie. — Botanique. —
Poivre. — Enormes haricots. — Dikhoy. — Belle case. — Légende Malinkée. —
Un chef parent d’un oiseau. — Départ de Dikhoy. — De Dikhoy à Laminia. —
Route suivie. — Médina. — Diengui. — Sillacounda. — Les Karités. — Les
troupeaux. — Palabre à Sillacounda. — Passage de la Gambie. — Un bœuf pris
par un caïman. — Façon de pêcher des habitants de Sillacounda et de Laminia.
— A rriv é e à L am inia. — D escrip tio n de la ro u te su iv ie. — Géologie. — B otanique.
— La c h asse. — Le Touloucouna. — L am in ia. — D escription d u village. — Sa
p o p u latio n . — R ich es tro u p e a u x . — B elles c u ltu re s . — A rriv é e d ’un e c a ra v a n e
de d io u las c h a rg é e de k o la s .— L e f t o f a a u S o u d an fran ç a is.— F a n a tism e m u su l
m an des D iak an k és. — U ne école de m a ra b o u ts e t de talib és. — Une séance de
tato u ag e.
6 janvier. — Malgré la quinine que j’avais absorbée la veille,
j’eus encore le lendemain un violent accès de fièvre qui dura envi
ron trois heures. C’était le troisième en deux jours et j’aurais été
bien étonné s’il n ’avait pas été hématurique. Du reste, tous les
symptômes par lesquels il se manifesta ne pouvaient me laisser
aucun doute à ce sujet et je ne fus pas étonné quand vers minuit,
ayant besoin d’aller à la garde-robe, je constatai cette couleur
malaga foncé des urines qui effraie tant les nouveaux venus au
Soudan. J’avais heureusement tout ce qu’il me fallait pour me
soigner, aussi n ’étais-je pas trop alarmé. De plus, je savais que je
�430
ANDRÉ RANÇON
ne manquerais pas de soins intelligents, car mon fidèle Almoudo
savait parfaitement comment se traite cette grave affection.
Après trois jours d’une médication énergique, je pus me con
sidérer comme absolument hors de danger. Mais j’étais d’une fai
blesse extrême et de plus atteint d’une bronchite qui ne me laissait
de repos ni nuit, ni jour. Je me vis arrêté à Badon pour longtemps,
car je ne me faisais aucune illusion. Avec les faibles ressources
dont je disposais, ne pouvant me procurer une alimentation assez
substantielle pour recouvrer mes forces, je me demandais avec
anxiété quand je pourrais continuer mon voyage. Sans doute,
mon courage et mon énergie ne m’avaient pas abandonné, mais
j'étais absolument sans force et incapable, de longtemps peut-être,
de monter à cheval. Quant à continuer ma route en me faisant
porter en litière, je n ’y pouvais songer, c’eût été perdre absolu
ment aux yeux des indigènes le prestige dont doit être entouré
tout blanc qui voyage dans leur pays. Je ne pouvais me résoudre
à me montrer en aussi piteux équipage.
Pendant toute ma maladie, Toumané ne manqua pas un seul
jour de venir à plusieurs reprises prendre de mes nouvelles. Il
fut toujours pour moi plein d’attention et ne laissa jamais mes
hommes et mes animaux manquer de rien. Dès le lendemain de
mon arrivée il fit tuer un beau bœuf à notre intention, et, afin
que nous ne manquions pas de viande pendant notre séjour chez
lui, il envoya aussitôt plusieurs de ses hommes à la chasse. Suc
cessivement, ils rapportèrent une belle antilope, deux bœufs sau
vages et plusieurs sangliers. Aussi tout le village fit-il bombance
pendant les onze jours que j’y séjournai. Mes hommes étaient
absolument gavés et seraient volontiers restés plus longtemps à
Badon.
Dès que mon état se fut un peu amélioré, Toumané vint cau
ser avec moi chaque jour, matin et soir, mais souvent je fus
obligé de faire tous les frais de la conversation, car il était abso
lument ivre. Il a, en effet, pour les boissons fermentées, et pour
le « dolo » en particulier, un goût très prononcé. Quand le soir
je lui demandais ce qu’il avait fait de la journée, il me répondait
invariablement : « J’ai bu du dolo » et quand, le matin, je lui
demandais au moment où il me quittait, ce qu’il allait faire, il ne
manquait pas de me dire: « Je vais surveiller la fabrication de mon
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
dolo ». Pour n’en pas manquer, il a même imaginé de frapper Sibikili d’un impôt bizarre. Ainsi, quand dans ce village on fait du
dolo, on doit toujours en porter à Toumané, au moins une cale
basse. Nous en avons vu arriver ainsi presque tous les jours à
Badon, car à Sibikili, quand il y a du mil, on en fabrique plus
que de couscouss et les habitants ne le cèdent en rien en ivro
gnerie à leur chef.
Le 9 janvier, je venais à peine de me réveiller au petit jour
après une nuit des plus pénibles, lorsqu’Almoudo vint me dire que
Toumané voulait absolument me parler et qu’il avait quelque chose
de très grave à me dire. Pour me convaincre, mon interprète
ajoutait qu’il n ’était pas « saoûl » [sic). Je lui répondis alors de le
faire entrer. Toumané pénétra dans ma case avec précautions,
ferma la porte avec mystère après s’être bien assuré que personne
n’était aux écoutes, s’assit en face de mon lit et me dit à voix basse
que dans la nuit était arrivé à Badon un courrier du commandant
supérieur qui se rendait au Fouta-Diallon à Timbo. 11 était porteur
d’une lettre pour l’almamy et malgré les pressantes invitations de
Toumané, il n’avait pas voulu se reposer ni venir me voir. Il était
trop pressé pour cela. 11 n’avait fait que prendre un peu de nourri
ture et était immédiatement reparti à cheval avec un guide que
lui avait donné Toumané. Celui-ci ajouta qu’il avait vu la lettre et
le cachet du colonel. Il en était tout fier. Cette nouvelle m’intrigua
pendant plusieurs jours, et en arrivant à Rayes, j’appris qu’en
effet un courrier avait été expédié au Fouta-Diallon avec un pli pour
l’almamy. Il y était question, me dit-on, de la mission de M. l’admi
nistrateur de Beckmann, qui se trouvait alors dans ces régions.
Cela, du reste, m’intéressait fort peu et j ’eusse été très heureux de
voir ce messager, uniquement pour lui demander des nouvelles du
Soudan.
Chaque fois qu’il venait me voir, Toumané ne manquait pas de
se plaindre à moi des pillages auxquels les gens du Bélédougou
se livraient régulièrement sur son territoire. Le 10 janvier, par
exemple, il vint me trouver en toute hâte pour me dire qu’il venait
d’apprendre que des pillards avaient été vus dans la brousse, il
voulait me demander l’autorisation de rassembler ses guerriers pour
les exterminer. Bien entendu, je lui répondis que cela ne me regar
dait nullement, qu’il était bien libre de faire ce qu’il voudrait, et
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ANDRÉ RANÇON
que s’il était attaqué, il n ’avait qu’à se défendre. Deux jours après il
revint à la charge et le lendemain il m’annonçait qu’un homme du
Niocolo venait d’arriver dans le village pour le prévenir de ne pas
envoyer ses gens en route, car les guerriers du Niocolo tenaient la
brousse. Je lui repète ce que je lui disais trois jours avant. Entre
autres choses, il me raconte que, dernièrement, ils lui ont enlevé son
propre fils. Je lui dis alors de s’adresser au commandant de Bakel.
Pour moi je ne puis rien faire, cela ne me regarde pas. De tous ses
discours il ressortait pour moi une vérité bien évidente, c’est que
Toumané ne demanderait pas mieux que de recommencer le petit
métier qu’il faisait autrefois et de détrousser de nouveau les dioulas
et les caravanes, sous prétexte de purger son pays des pillards du
Bélédougou.
Tous les jours arrivent des caravanes de dioulas qui viennent du
Bondou,du Tenda,du Bambouck et qui se rendent au Fouta-Diallon
ou à Kédougou, dans le Niocolo, pour y chercher des kolas. A
cette époque, il en est peu qui en reviennent, car ce n ’est pas encore
le moment. Beaucoup d’entre eux viennent me saluer et entre
autres le chef d’une caravane dont les marchands sont originaires
de Passamassi dans le Ouli ; ce chef était le frère de la femme de
mon hôte à Nétéboulou et il savait que j’avais logé dans sa famille.
Il me dit entre autres choses, qu’il venait d’acheter des kolas
au Fouta-Diallon et qu’il se rendait à Bakel pour les y vendre
un meilleur prix. Il m’en offrit une dizaine. Ce cadeau me fit
grand plaisir, car j’en étais privé depuis bien longtemps.
Toumané ne manqua pas au sujet de toutes ces caravanes qui
passaient par son village de me dire souvent que c’était pour lui
une bien grande charge. Car, disait-il, il fallait les loger et les nour
rir et beaucoup s’en allaient sans rien donner à leur « diatigué »
(hôte) et surtout sans rien lui donner à lui, Toumané, chef du
Badon. Malgré lui, il laissait percer le bout de l’oreille et je voyais
bien où tendaient toutes ces précautions oratoires. Aussi, afin de
le forcer à se déclarer formellement, ne lui répondis-je jamais que
d’une façon évasive. Deux jours enfin avant de quitter Badon,
comme il venait encore de me réitérer ses jérémiades, je lui deman
dai à brûle-pourpoint ce qu’il désirait. Il me déclara alors qu’il
serait très heureux si je voulais l’autoriser à faire payer aux dioulas
l’hospitalité qu’il leur donnait. C’était, sous une autre forme, le
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
rétablissement de l’impôt qu’il regrettait tant. Je lui répondis que je
n’avais aucune qualité pour lui donner cette autorisation et que cela
regardait uniquement le commandant de Bakel et le commandant
supérieur. Il n ’insista pas.
Il y avait neuf jours que j’étais à Badon et ma santé commençait
à se remettre. J’étais encore bien faible et d’une maigreur extrême,
mais l’appétit était revenu, et, si je n’avais pas été toujours aussi
oppressé, j’aurais pu me croire absolument remis de la dure
secousse que je venais d’éprouver. Je décidai, malgré cela, de me
remettre en route. J’avertis alors Toumané que j’allais nécessaire
ment le quitter et le priai d’expédier dans la journée un courrier
à Toinborocoto pour annoncer au chef de ce village mon arrivée
chez lui pour le 17. Immédiatement Toumané chargea un de ses
hommes de cette mission. Nous fîmes alors nos préparatifs de
départ. Toumané, afin que nous ne manquions de rien pendant la
route, fit de nouveau abattre un beau bœuf qui fut distribué entre
mes hommes et ceux du village. Je fis à ce sujet une remarque qui
ne manque pas d’intérêt au point de vue ethnologique. Quand, dans
un village musulman, on tue un bœuf, il faut toujours que ce soit
un marabout qui lui coupe le cou. On ne fera, du reste, jamais
manger à un musulman de la viande qui n ’aurait pas été
saignée. Cette coutume s’est introduite chez les peuples qui ne
pratiquent pas l’islamisme, et partout les animaux destinés à être
mangés sont toujours saignés. Chez les Malinkés et les Bambaras,
peuples qui, pour la plupart, ne font pas le Salam, c’est un homme
libre que ce soin regarde, fils, frère ou parent de chef ;
mais jamais le chef lui-même. L’animal mort, c’est aux captifs
qu’est confié le soin de le dépecer. Comme on le voit, les plus
petites coutumes familières aux Musulmans s’acclimatent vite' chez
ceux qui ne le sont pas. Tout cela est un signe certain que l’isla
misme fait au Soudan français des progrès journaliers.
Pendant tout mon séjour à Badon, il fit une température fort
supportable. C’est que nous étions en pleine saison sèche. La jour
née était bien un peu chaude à cause du vent d’Est qui soufflait
régulièrement de neuf heures du matin à cinq heures du soir; mais
les nuits étaient, par contre, assez fraîches et permettaient de
goûter quelques heures d’un bon sommeil.
Une grande animation régna dans le village pendant toute la
André Rançon. — 28.
�434
ANDRÉ RANÇON
journée qui précéda mon départ. Toumané désignait les guerriers
qui devaient m’escorter pour me défendre contre les pillards de
Bélédougou, si l’envie les prenait de venir attaquer ma caravane.
Je savais pertinemment que toutes ces précautions étaient inutiles,
mais je laissai faire Toumané pour ne pas le froisser et lui exprimai
toute ma reconnaissance de ce qu’il prenait si grand soin de ma
personne. Aussi il fallait voir comme il était fier quand, le soir, il
arriva dans ma case à la tête de 25 guerriers armés jusqu’aux
dents et qu’il venait me présenter. Il les fit coucher dans la cour
de mon hôte et au moment où il allait me quitter je lui fis un beau
cadeau d’étoffes, de verroterie et d’argent auquel il fut excessive
ment sensible.
/7 janvier. — Cette dernière nuit que je passai à Badon fut bonne
et fraîche. Ciel clair et étoilé. Brise de Nord-Est. Au réveil, tempé
rature agréable, ciel sans nuages, pas de rosée, le soleil se lève
brillant.
Je réveille tout mon monde à trois heures trente minutes. Les
préparatifs se font rapidement et sans désordre. A mon grand éton
nement, les porteurs sont réunis à l’heure dite. C’est le fils du chef
lui-même qui va me servir de guide jusqu’à Diklioy, où il va voir
ses parents. Il a, pour la circonstance, revêtu son costume de
brousse et est littéralement couvert de gris-gris pour se préserver
sans doute des balles des Malinkés du Bélédougou, si par hasard
nous en rencontrons. Toumané n’a pas voulu me laisser partir sans
venir me saluer et comme disent les Noirs « me mettre dans la
route ». Il m’accompagne jusqu’à la sortie du village et ne me quitte
qu’au moment où je monte à cheval. Nous nous serrons la main et
le remercie de nouveau de toutes ses bontés pour moi. A mon grand
étonnement, je puis monter à cheval assez légèrement et, au
au moment du départ, je ne me sens pas trop mal, bien que
j’éprouve dans les jambes une grande lassitude. Il est 4 h. 15 quand
nous quittons Badon. Il fait un clair de lune splendide et une tem
pérature si fraîche que je suis obligé de prendre ma pèlerine. En
avant et en arrière du convoi marchent les guerriers. Avec une sem
blable escorte les Malinkés du Bélédougou peuvent venir, ils trouve
ront à qui parler. J ’avoue cependant que si nous avions eu un
danger quelconque à courir de leur fait, j’eusse de beaucoup pré
féré quatre ou cinq tirailleurs avec leurs fusils Gras.
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
La route se fait sans incidents et sans encombres jusqu’à
Tomborocoto (Niocolo), but de l’étape. Elle suit une direction
générale Sud-Est-Est, et la distance qui sépare Badon de ce village
est environ de dix-huit kilomètres cinq cents mètres. A peu de
distance de Badon, nous franchissons les deux brandies les plus
orientales du Bamboulo-Kô. A 5 h. 15, nous franchissons le marigot
de Koroci-Koto. A cette époque de l’année, il est presque complète
ment à sec, et son lit est obstrué de grosses roches qui, cependant,
ne sont pas un obstacle difficile à franchir. A partir de là et pendant
plusieurs kilomètres, la route longe le flanc d’une colline rocheuse
où nous n’avançons qu’avec mille précautions, car il faut éviter les
roches dont elle est couverte. Enfin, à 6 h. 10, nous sommes sur la
rive droite de la Gambie, en face du gué qu’il va falloir franchir.
Cette opération, malgré les difficultés qu’elle présente, se fait sans
accident. Je fais d’abord passer le convoi. Les hommes s’arment de
longs et solides bambous pour pouvoir résister au courant, et, grâce
à cela, j’ai la satisfaction de voir tous mes bagages arriver sur la
rive opposée sans avoir été mouillés. Pour moi, je passe le dernier,
et je suis encore si peu solide à cheval que je suis obligé de le faire
tenir en bride par son palefrenier et Almoudo. J ’arrive enfin à mon
tour sans aucun accident sur la rive du Niocolo, où, après avoir pris
quelques minutes de repos, nous nous remettons en route. A 6 h. 45,
nous laissons sur notre droite la route de Marougou et à 8 h. 45
nous mettons enfin pied à terre à Tomborocoto, devant la case qui
a été préparée pour moi.
La plus grosse difficulté que l’on rencontre, de Badon à Tombo
rocoto, est le passage delà Gambie. Dans le reste de son parcours,
la route est cependant bien loin d’être belle. Elle longe, pour ainsi
dire, sans cesse, à flanc des collines formées de quartz et de conglo
mérats ferrugineux, et, en maints endroits, elle est obstruée par de
gros rochers. Les conglomérats, en se désagrégeant, donnent de
petits cailloux ronds dont sont littéralement pavés les sentiers et
qui rendent la marche très pénible pour les animaux et pour les
hommes. Cette étape est une des plus fatigantes que nous ayons
faites.
Au point de vue géologique, nous n’avons absolument partout
que du terrain formé de quartz et de conglomérats. La terre
végétale est très rare, et la roche végétale se montre à nu presque
�436
ANDRÉ RANÇON
partout. Nous n’avons rencontré de latérite qu’aux environs de
Badon et de Tomborocoto. Mentionnons aussi quelques argiles le
long des rives de la Gambie. Le pays est très accidenté. Ce n’est
qu’une suite ininterrompue de collines et de vallées, disposées sans
aucun ordre. Le fond des marigots est uniquement formé de
roches. La vase fait absolument défaut.
Au point de vue botanique, végétation peu riche, sauf sur les
rives de la Gambie. Mentionnons tout spécialement, les nombreux
échantillons de lianes Saba et une quantité relativement considé
rable de karités des deux variétés. Du reste, d’après renseigne
ments, le Niocolo tout entier en renfermerait une grande quantité.
Citons enfin de nombreux échantillons de Sénés de toutes varié
tés et le végétal dont on emploie les feuilles pour faire des
infusions si parfumées et que l’on désigne sous le nom de Thé
de Gambie.
Le Séné que l’on trouve au Niocolo est donné par une espèce
de Cassia que l’on désigne sous le nom de Cassia obovata Coll.
C’est une Légumineuse cœsalpinée, on en trouve les trois variétés
dans presque tout le Soudan, mais c’est surtout la «platycarpa »
Bisch. qui est la plus commune. Toutefois, dans le grand Bélédougou notamment et dans le Sénégal aux environs du poste de
Kaaédi, nous avons reconnu l’existence de deux autres variétés,
« genuina » et « obtusata ». La variété platycarpa est caractérisée
par des feuilles arrondies, obtuses. Ses grappes florales égalent
les feuilles et ses gousses sont plus larges, plus incurvées que
celles des deux autres espèces. La variété genuina Bisch. diffère
des deux autres en ce que ses folioles sont arrondies au sommet,
rarement aiguës. Les folioles extrêmes sont obovées et ses grappes
florales sont plus longues que les feuilles. Quant à la variété obtusata Yogel, les folioles sont très obtuses au sommet. Les gousses
sont en forme de faux. Ses folioles sont rarement toutes tron
quées au sommet. Ce végétal, à quelque variété qu’il appartienne,
n ’atteint jamais de grandes dimensions. Deux mètres cinquante
au maximum, il est facilement reconnaissable à ses belles grappes
florales qui sont d’un beau violet et à ses fleurs qui sont celles
qui caractérisent particulièrement ces Légumineuses cœsalpinées.
Les indigènes connaissent parfaitement les propriétés purga
tives du Séné, ils en récoltent les folioles, les font sécher et les
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
437
administrent en infusion à la dose de 10 à 15 grammes dans
environ 200 à 250 grammes d’ëau. Ils s’en servent surtout dans
les cas de fièvres bilieuses, affection à laquelle ils sont fréquem
ment sujets, surtout dans le sud de nos possessions Soudaniennes.
On trouve le Séné sur tous les marchés du Sénégal et du Soudan.
Le thé de Gambie (1) se trouve particulièrement au Niocolo,
dans le Tenda et le Kantora. Il croît de préférence sur les plateaux
dans les terrains secs. La plante que les indigènes m’ont montrée
ressemble à une Labiée, mais je ne donne ceci que sous toutes
réserves. Ils récoltent ses feuilles velues à leur face inférieure, lui
santes à la face supérieure. Elles sont oblongues et, au froisse
ment, dégagent une odeur qui n’est pas désagréable, La récolte
faite, on les fait sécher et on s’en sert sous cette forme pour faire
des infusions que les indigènes s’administrent contre les coliques
et les migraines. Le goût rappelle de loin celui du thé de Chine,
mais ce qui domine surtout, c’est une saveur amère qui est loin
d’être agréable. Ces infusions sont, du reste, fort peu goûtées des
Européens.
. .
Tomborocoto, où nous campons, est un village d’environ 450 habi
tants. Sa population est presque uniquement formée de Malinltés
de la famille des Keitas. C’est le premier village du Niocolo que
l’on rencontre après avoir traversé la Gambie. Il est situé sur un
petit monticule, au milieu d’une plaine qu’entourent des collines
relativement élevées. La plaine au milieu de laquelle il s’élève est
bien cultivée et c’est là que se trouvent presque tous les lougans
du village. Il est assez bien entretenu. Son tata ne tombe pas trop
en ruines et celui qui entoure les cases du chef est entrés bon état.
Une partie du village est construite en dehors des cases. En réalité,
Tomborocoto se trouve situé non loin du sommet du grand coude
que forme dans cette partie de son cours la Gambie. Il est plus
rapproché de la partie Sud-Nord de ce coude que de sa partie
Est-Ouest. Il n’en est séparé à l’Est que par une petite chaîne de
collines peu élevées et excessivement boisées.
Les habitants de ce village ont une très mauvaise réputation.
Ils passent pour être des pillards accomplis. Depuis quelque temps,
les almamys du Fouta-Diallon, dont relève le Niocolo, y ont mis bon
(1) Il est formé par les feuilles d’une Verbénacée du genre V e r b e n a (E. Heckel).
�438
ANDRÉ RANÇON
ordre et les dioulas peuvent y passer sans crainte de se voir
détroussés. La situation se prête bien, en effet, à ce genre de brigan
dage. Tomborocoto est, en effet, situé à la tête de la seule route qui
conduit des pays situés au Nord, au Fouta-Diallon, et cette route est
excessivement fréquentée par les dioulas qui se rendent dans ces
régions pour y faire leurs achats de kolas. Les autorités du Fouta
Font bien compris et ils ont installé là une sorte de douane sous les
fourches de laquelle tous les dioulas doivent passer. L’impôt, ainsi
prélevé, est absolument exorbitant. Actuellement, c’est le fils de
l’almamy lui-même qui veille à la rentrée de cet impôt. Point n ’est
besoin de dire qu’il ne se contente pas seulement d’écorcher les
dioulas mais qu’il pressure aussi à outrance les habitants du pays.
Je suis très bien reçu à Tomborocoto et le chef du village me
donna de bonne grâce tout ce dont j’eus besoin pour mes hommes et
pour moi, tout en s’excusant de ne pas pouvoir faire davantage,
parce que, me dit-il, ils sont trop « fatigués » (pressurés) par les
gens du Fouta-Diallon, surtout depuis que le fils de l’almamy est
installé dans le pays.
Dès mon arrivée à Tomborocoto, j’expédie un courrier à Dikhoy,
pour prévenir le chef de ce village que j’irai camper le lendemain
chez lui et afin qu’il prépare tout ce qu’il faut pour mes hommes et
pour moi.
Je passai à Tomborocoto une assez bonne journée. Température
agréable. Lèvent d’Estun peu faibli. Je suis toujours peu vigoureux,
mais je commence à mieux manger.
Dans la soirée, le chef vint me demander si je voulais les auto
riser à faire un tam-tam en mon honneur. Je lui répondis que je
n ’y voyais aucun inconvénient. Aussi, à la nuit tombante, tout le
village se réunit-il sur la place principale et, à la lueur de feux de
brousses, hommes et femmes dansèrent pendant la plus grande
partie de la nuit au son des tambourins. Malgré le mauvais état de
ma santé, je dus y faire acte de présence, et en me retirant je ne
manquai pas de faire aux griots le cadeau obligatoire en cette
circonstance.
i 8 janvier. — Nuit chaude. Le vent d’Est n ’a pas cessé de souf
fler. Ciel clair et étoilé. Au réveil, température chaude. Ciel un peu
couvert. Brise du Nord-Est. Pas de rosée. Quelques nuages à
l’horizon. Ils se dissipent vers huit heures.
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
A 5 h. 15 nous nous mettons en route pour Dikhoy. A mi-chemin,
nous traversons les villages de cultures de Tomborocoto et de
Dikhoy. Leurs lougans sont immenses et occupent toute une vallée
de plus de trois kilomètres de long. Sur les petites collines qui
l’enserrent sont les cases des travailleurs. Chaque ménage possède
ainsi plusieurs fermes. Au moment des semailles, ils viennent les
habiter et y restent tout le temps que doivent durer les cultures et
jusqu’à ce que les récoltes soient faites et emmagasinées dans les
greniers. Les cultivateurs rentrent alors au village principal où ils
restent pendant toute la saison sèche. Ce sont généralement des
colonies de captifs qui sont ainsi installées dans la brousse, et le
maître vient de temps en temps les visiter. Les lougans situés auprès
des villages sont cultivés par les femmes et les enfants.
A 8 h. 30 nous arrivâmes sans encombre à Dikhoy. — La route
ne présente pas de difficultés sérieuses. 11 n ’y a pas de marigots à
traverser, et les quelques embarras que l’on y rencontre sont les
versants de quelques collines à pic qu’il faut gravir au milieu des
roches et des conglomérats ferrugineux. Du reste, on oublie vite la
fatigue de ces pénibles ascensions, car, lorsqu’on est arrivé au
sommet, on jouit d’un panorama splendide qui repose de la
monotonie des plaines sans horizon.
Au point de vue géologique, ce sont toujours les mômes terrains
que nous avons à signaler. En quittant Tomborocoto, on traverse
une suite de collines ferrugineuses arides qui, à cinq kilomètres
environ du village, se termine par. une plaine d’argiles recouvrant
un sous-sol de terrain ardoisier dont les schistes, en maints
endroits, apparaissent à fleur du sol. Les villages de culture sont
situés au milieu d’un bel ilôt de latérite auquel succède une bande
d’argile. Aux environs de Dikhoy la latérite reparaît.
La flore est peu riche et peu variée dans toute cette région.
Nous citerons particulièrement de nombreux spécimens de karités
(Butyrospermum) que l’on peut remarquer tout le long de la route
et une grande quantité de lianes Sabas ( Vahea). On ne trouve que
quelques caïl-cédrats et nétés, surtout dans la vallée ou s’élèvent les
villages de culture. De plus ou trouve encore en notable quantité,
dans toute cette région, du gingembre, une Amomée que les indi
gènes appellent «poivre)) ou « Enoné », et des haricots énormes
auxquels ils donnent le nom de Fanto.
�440
ANDRÉ RANÇON
Le gingembre, que les Ouolofs désignent sous le nom de « Nhydiar »,
appartient à la famille des Amomées. C’est le Zingiber officinale
Roscoë. Il croît surtout à Sierra-Leone et dans le Fouta-Diallon. On
trouve son rhizome sur tous les marchés du Sénégal et du Soudan.
Il est long, grêle, légèrement aplati et ramifié. Dépouillé de son
écorce jaunâtre, il est alors aussi blanc à l’extérieur qu’a l’inté
rieur. Il est léger, tendre, et sa texture est un peu fibreuse. Sa
saveur est brûlante et son odeur aromatique. Les indigènes en
sont très friands. A Saint-Louis, on fabrique avec le rhizome du
gingembre une boisson gazeuse ressemblant à de la limonade et
qui est loin d’être déplaisante au goût. Les Ouolofs et les Peulhs
particulièrement en font un grand usage pour assaisonner leur
couscouss. Ils lui attribuent des vertus aphrodisiaques, et il n’est
pas rare de voir des femmes Ouoloves ou Peulhes porter autour
des reins des ceintures de rhizômes de gingembre destinées à
rendre la vigueur à leurs époux quand ils sont affaiblis par l’âge.
Ce que les indigènes désignent sous le nom de « Poivre » et
que les Ouolofs appellent a Enoné» et les Malinkés et Bambaras
aNiamoco )), c’est la graine d’une Amomée, YAmomum Melegueta
Roscoë, qui est très commune au Fouta-Diallon et que l’on rencontre
aussi en grande quantité au Niocolo, et dans les montagnes du
Manding. C’est une plante vivace, à rhizome charnu et à feuilles
engainantes dont le fruit est une capsule à trois loges polyspermes
et à déhiscence loculicide. Les semences sont grosses comme des
grains de poivre, anguleuses, de couleur brun rougeâtre très odo
rantes, à saveur âcre et brûlante, rappelant celle du poivre. On
ne le trouve qu’en très petites quantités sur les marchés où il est
apporté par les dioulas qui viennent du Fouta-Diallon. Il est alors
contenu dans des coques de ces fruits qui ressemblent à des
oranges, que les Malinkés désignent sous le nom de Cantacoula
et dont se servent les Toucouleurs pour enfermer la résine du
Hammout.. Afin qu’elles se tiennent fraîches, ces graines sont
toujours mélangées de feuilles du végétal, que les dioulas ont
soin de mouiller un peu, surtout pendant la saison sèche.
Les indigènes ont un goût très prononcé pour ces graines. Ils
les mangent sèches, entières, en les puisant une à une dans la
coque qui les renferme. Les Toucouleurs surtout en sont excessive
ment friands et ils en ont toujours dans la poche de leur boubou.
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
Réduites en poudre, ils s’en servent encore pour
couscouss. Enfin le Niamoco entre dans la co
dont font usage, pour se parer, les Toucouleures,
Mauresques. Ce fard est une poudre impalpable
compose de pierre de Djenné pulvérisée.et de poivre i
ment pilé. Cette pierre de Djenné, ainsi nommée parce que c
que les dioulas la trouvent, est appelée Kalé en, Bambara et Fino
en Toucouleur. Sa coloration est d’un beau noir avec des reflets
bleus. Il nous a semblé que c’était un sulfure d’antimoine. Les
élégantes du Soudan le réduisent en poudre très fine qu’elles mé
langent avec de la poudre de Niamoco dans la proportion de deux
du premier pour un du second. Elles s’enduisent alors, de ce
mélange, les sourcils et le bord libre des paupières. Comme on le
voit, il n’y a pas que chez nous des femmes habiles pour le maquil
lage.
On trouve encore assez communément dans le Niocolo d’énor
mes haricots auxquels les indigènes donnent le nom de Fanto. Ils
sont donnés par une Légumineuse (phaséolée-papilionacée) qui
atteint des dimensions énormes. Dans les villages de culture, on
la sème autour des cases, et, en peu de temps, ses rameaux ont
bien vite couvert celle à laquelle ils s’attachent. Elle est, d’une
façon générale, peu cultivée, on lui préfère le petit haricot nain
dont nous avons déjà eu l’occasion de parler. Elle donne une
gousse longue d’environ douze, centimètres, large de trois, à cinq,
légèrement rosée et excessivement dure et résistante. Sa cou
leur, quand elle est mûre, est d’un blanc légèrement jaunâtre.
Cette gousse contient huit ou dix semences excessivement volumi
neuses, ayant à peu près la grosseur d’une grosse noisette, longues
d’environ deux centimètres à deux centimètres et demi, larges
d’un centimètre, et dont les deux faces sont légèrement bombées.
Leur couleur est d’un blanc nacré éclatant. Les indigènes les man
gent rarement. Ce n ’est guère que dans les années de disette qu’ils
y ont recours, car ces graines sont excessivement dures, coriaces.
Il faut les faire bouillir pendant des journées entières, afin de les
ramollir, pour qu’elles puissent être mangées. Leur goût est exces
sivement fade et loin d’être agréable. On ne peut guère les manger
que mélangées avec du mil ou du maïs et surtout après les avoir
�442
ANDRÉ RANÇON
fortement épicées et pimentées. De plus, les indigènes les accusent
de donner une maladie qui fait tomber les dents.
Dikhoy est un village d'environ 400 habitants. La population est
uniquement formée de Malinkés Kéitas. C’est la résidence du chef
des Malinkés de Niocolo, triste chef, car son autorité est absolument
annihilée par l’almamy du Fouta-Diallon, dont il est tributaire.
Dikhoy est construit sur un petit monticule qu’entourent de toutes
parts des collines peu élevées. Il est situé à deux kilomètres envi
ron de la Gambie, dont il n ’est séparé que par une petite colline
boisée dont la hauteur n ’est que de cinquante mètres environ audessus de la plaine. Son enceinte est assez bien entretenue, mais
la plupart de ses cases sont inhabitées et tombent littéralement en
ruines. Le tata qui entoure les cases du chef est en très bon état. Il
peut mesurer environ quatre mètres de hauteur et cinquante centi
mètres d’épaisseur. Sa forme est rectangulaire et il est flanqué de
tours pour la défense. En général, les cases du village sont bien
faites; celles ci sont en pisé et les chapeaux bien construits. Il est
tout entier construit avec une sorte d’argile fortement colorée en
rouge par de l’oxyde de fer, coloration qui contribue beaucoup à lui
donner un aspect encore plus triste que ne l’ont généralement les
villages Malinkés.
Le chef est un homme encore jeune, qui semble avoir quelque
autorité dans son village seulement, mais il ne peut guère l’exer
cer sur les villages Malinkés voisins, qui se retranchent toujours
derrière l’almamy du Fouta-Diallon pour lui désobéir.
Je fus reçu à Dikhoy d’une façon fort sympathique, et je n ’eus
qu’à me louer de mes rapports avec son chef et ses habitants.
Je fus logé dans une belle case, la plus confortable certes du
village. Elle est construite à la mode Bambara et toute en terre et
en bois. Elle a la forme d’un carré d’environ trois mètres cin
quante de côtés. La case Bambara diffère absolument de la case
Malinkée. Elle est ainsi construite, ses quatre murs sont faits de
briques en argile séchées au soleil et qui ont environ vingt centi
mètres de long sur quinze de large et cinq d’épaisseur. Placées auL
dessus les unes des autres dans le sens de la largeur du mur, elles
sont unies entre elles à l’aide d’argile et recouvertes ensuite avec ce
même mortier. Une couche plus ou moins épaisse d’un mortier fait
d’argile, de cendre et de bouse de vache tapisse ce mur en dehors et
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
443
en dedans. Quand les quatre murs de la case sont ainsi construits
il faut en faire la toiture. Pour cela, on plante solidement en terre,
dans l’intérieur de l’habitation, deux ou plusieurs rangées de forts
piquets en bois qui se terminent par de solides fourches. Sur ces
fourches et sur ces murs reposent des poutres et sur ces dernières
s’élève la charpente du toit formée de pièces de bois équarries et
jointives. Le tout est solidement attaché pour plus de sécurité avec
de fortes cordes en fibres de baobab ou de bambous. Sur cette char
pente est alors construite une argamasse, faite d’argile, de sable,
de cendres et de bouse de vache. Elle a environ trente centimètres
d’épaisseur et est parfaitement raccordée avec les murs. Quand elle
est bien conditionnée, elle est parfaitement étanche et ne laisse pas
seulement suinter une goutte d’eau. Cette terrasse est construite en
pente inclinée du côté dans lequel est ménagée la porte. Tout autour
est élevé un rebord d’environ vingt centimètres de hauteur, destiné
à forcer les eaux à s’accumuler du même côté. Dans ce rebord sont
ménagés deux ou plusieurs trous que l’on garnit d’une dalle en
bois et qui permet aux eaux de ne pas séjourner et de s’écouler
sur le sol. Parfois, comme à Dikhoy, le tout est recouvert d’un fort
chapeau en paille. La porte est faite dans un des côtés, elle est
petite et il faut se baisser pour la franchir. Elle est formée d’un
panneau en bois épais qui tourne autour d’un axe mobile dans la
muraille où il est fixé. Elle se ferme à l’aide d’un loquet assez
ingénieux. Dans certaines cases, de petites fenêtres sont faites dans
les parois, mais, malgré cela, le grand défaut de ces habitations est
d’être peu aéré. Le sol est battu, enduit d’une couche de bouse de
vache, et, au centre, une légère dépression chez les Malinkés, où une
petite élévation circulaire d’environ cinquante centimètres de dia
mètre indique la place du foyer.
Je passai à Dikhoy une excellente journée. La chaleur était très
supportable et le vent d’Est avait sensiblement diminué d’intensité.
Dès mon arrivée, j’expédiai à Lillacounda un courrier pour y annon
cer ma visite pour le lendemain.
Dans la soirée, un chef de village des environs qui s’y trouvait
de passage vint me faire visite. Notre entretien fut à un moment
donné interrompu par un incident que je tiens à relater ici, car il
montrera que, bien que les Malinkés subissent l’influence de l’Isla
misme, ils n’ont pas abandonné toutes leurs superstitions. Mon petit
�444
ANDRÉ RANÇON
domestique Gardigué Couloubaly jouait devant la porte de ma case
avec un petit oiseau dont il s’était emparé le matin pendant l’étape.
Il lui avait attaché un morceau de fil à une patte et il le faisait
voler, non sans le brutaliser. C’était un de ces jolis petits passe
reaux que l’on désigne sous le nom de « petit Sénégalais ». Le
chef l’ayant aperçu me demanda de donner l’ordre â Gardigué de
rendre la liberté au petit animal. Cela lui ferait grand plaisir,
ajouta-t-il, car il était parent de cet oiseau. Son diamou (nom de
famille) était Siclibé. J ’y consentis, mais à la condition qu’il médirait
comment il se trouvait parent de ce petit animal. Donc, dès que Gar
digué, sur mon ordre,eût détaché le fil qui retenait l’oiseau prison
nier, et dès que notre homme se fût bien assuré que son parent s’était
envolé au loin,il me raconta la légende suivante que je transcris
ici fidèlement: «Un jour, mon grand-père, le premier des Sidihés,
» étant allé à la chasse à l’éléphant, s’égara dans la forêt et malgré
» toutes ses recherches ne put retrouver sa route. Il arriva ainsi
» dans un désert au mileu duquel il marcha pendant trois jours
« sans pouvoir trouver de l’eau pour se désaltérer ; mourant de
» soif, il s’était couché un soir se demandant s’il serait encore
» vivant le lendemain. Au point du jour, il fut réveillé par un
» petit oiseau qui chantait sur l’arbre au pied duquel il s’était
» étendu. C’était un « petit Sénégalais. » A peine mon grand-père
» fut-il debout qu’il se mit à voltiger autour de lui et devant lui,
» essayant de lui faire comprendre qu’il devait le suivre. Mon
» grand-père ne douta pas un seul instant que l’oiseau était venu
» là pour le sauver. Il le suivit donc partout où il voulut le con» duire et vers le milieu du jour, ils arrivèrent sur les bords d’un
» ruisseau où tous les deux se désaltérèrent. Puis l’oiseau reprit son
» vol et le conduisit jusque dans son village, où il le quitta dès
» qu’il l’eût vu en sûreté. C’est depuis cette époque que les Sidi» bés sont parents du «Petit Sénégalais,» car, sans lui, notre père
» serait infailliblement mort. Aussi nous est-il interdit à tous de
» le tuer, de manger sa chair ou de souffrir qu’on lui fasse du mal
» en notre présence ».
Des légendes analogues se transmettent, du reste, dans toutes
les familles au Soudan et chacune est alliée à un animal quel:
conque. C’est ainsi que les Keitas sont parents de l’hippopotame,
sans doute parce que leur ancêtre Soun-Dyatta, d’après la tradi-
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
tion, avait été métamorphosé en hippopotame un jour qu’il se bai
gnait à Koulicoro, sur le Niger. Les N’Diaye sont parents du lion,
et les Dialo, de la perdrix, si je ne me trompe. D’autres sont alliés
au scorpion, d’autres enfin au guépard. Le colonel Galliéni, dans
la remarquable relation qu’il a faite de son voyage au Soudan Fran
çais, rapporte un fait curieux à ce sujet, que je crois devoir rap
peler ici, car il est typique. La mission dont il était le chef, pen
dant son séjour à Nango, dans le pays de Ségou, avait à la suite
d’un réel danger couru par le D1' Tautain du fait d’un trigonocépliale qui lui était passé sur le corps sans le mordre heureusement,
découvert dans le toit de la case qu’elle habitait, un nid de ces
malfaisants animaux. On voulut remédier à ce danger permanent
en incendiant le hangar et en en construisant un autre, mais on
dut céder aux prières du cuisinier Yoro, qui, parent du trigonocéphale, s’était mis à implorer les membres de la mission
en leur disant qu’il leur arriverait malheur s’ils détruisaient
des animaux qui ne leur avaient fait encore aucun mal. Je
laisse ici la parole à l’auteur qui fut lui-même témoin du
fait. « Le désespoir de notre pauvre cuisinier nous fit beaucoup
» rire et pensant que nous allions bientôt partir et qu’en somme
» la reconstruction de notre hangar allait nous priver d’abri pen» dant plusieurs jours, nous avons écouté ses supplications. Yoro
)) était parent de toute la famille des reptiles ; car quelques jours
» auparavant, un fait à peu près semblable s’était présenté. Je le
» vis arriver tout ému, me demandant avec insistance à lui prêter
)) deux mille cauris : « Et pourquoi faire? » lui dis-je. « Donne
» toujours, capitaine ; à mon arrivée à Saint-Louis, tu me retien» dras sur mes gages vingt francs, cinquante francs même si tu
» veux ». J ’eus bientôt l’explication de son insistance : derrière
» lui venait un chasseur Peulli qui venait de s’emparer d’un boa,
» qu’il avait sans doute surpris pendant son sommeil et dont la
» tête et la queue, fortement liés, l’empêchaient de nuire. Yoro
» voulait racheter son parent. Je me laissai encore émouvoir et
» donnai les deux mille cauris. Yoro prit délicatement le boa et
» s’enfonça dans la campagne avec son précieux fardeau. Nous ne
» le vîmes reparaître que le soir, ayant rendu la liberté au ser» pent. Il ne voulut jamais nous donner d’explication sur sa sin
g u liè re parenté ».
�446
ANDRÉ RANÇON
De Tomborocoto à Dikhoy la route suit une direction générale
Sud-Sud-Est; ces deux villages sont distants d’environ quinze
kilomètres.
19 Janvier. — Nuit relativement chaude. Le vent de Nord-Est a
soufflé toute la nuit. Ciel couvert; au réveil, brise de Nord-Est. Le
soleil se lève voilé. Ciel couvert et bas. La température est assez
fraîche. Rosée peu abondante.
A trois heures quarante-cinq minutes du matin, je réveille mes
nemrods. Les préparatifs de départ sont lentement faits et, contre
mes prévisions, les porteurs sont réunis en temps voulu. Aussi
pouvons-nous nous mettre en route à quatre heures et demie. Le
chef du village vient m’accompagner jusqu’au delà du tata et « me
mettre dans la bonne route ». Je lui serre la main avant de monter
à cheval, ainsi qu’au fils du chef de Badon qui me quitte là pour
retourner auprès de son père. Je suis encore bien faible, mais ma
santé s’améliore sensiblement.
La route se fait péniblement pour moi, et pour franchir les
marigots, je suis obligé de descendre de cheval et de me faire
porter par mon vieux Samba, le palefrenier, et par mon fidèle
Almoudo. A. cinq heures nous traversons le marigot de Fafa-Kô et
à cinq heures quinze celui de Fangoli. Il est six heures dix quand
nous passons au petit village de culture de Médina et à travers ses
lougans qui sont immenses et bien cultivés. Ils appartiennent à
Sillacounda et sont situés sur les versants de petites collines qui
s’étendent jusqu’à la Gambie, que nous longeons pendant quelque
temps. Dans cette partie de la route, on chevauche, pendant envi
ron deux kilomètres, sur la rive gauche de la Gambie et le sentier
se déroule au pied d’une colline à pic dont la hauteur est environ
de 40 à 50 mètres. Il faut en faire l’ascension un peu plus loin
pour arriver au village de Diengui.
Diengui est un village Diakanké dépendant de Sillacounda. Sa
population est d’environ 150 habitants. Il est situé au sommet
d’une petite colline et ne possède ni sagné ni tata. De là on a une
vue splendide. Au pied de la colline, la Gambie, à l’horizon, à l’Est,
les plaines immenses du Dentilia, au Sud et à l’Ouest les collines
du Niocolo. C’est un des plus beaux sites que j’ai rencontré au
Soudan. Les habitants de Diengui sont de paisibles agriculteurs qui
sont venus se fixer là pour y cultiver la terre qui y est très fertile.
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
Nous faisons la halte sous l’arbre à palabres du village, un superbe
fromager (Bombax), et la température s’est tellement refroidie que
nous y allumons de grands feux de brousse pour nous réchauffer.
Peu après notre arrivée, le chef du village, accompagné de ses
notables, vint me saluer et m’offrir une vingtaine d’œufs frais qui
sont les bienvenus. En causant avec lui, il m’apprend que Sillacounda, le village où j’avais décidé de faire étape, était fort peu
éloigné de Laminia. Ils n ’étaient séparés que par la Gambie qui
était guéable, en cette saison, un peu en amont de Sillacounda. « 11
» vaudrait mieux que tu passes la Gambie ce matin, en plein jour,
» et que tu ailles camper à Laminia, me dit-il, ce serait plus pru» dent que de la passer demain matin pendant la nuit. D’autant
» mieux que cela te permettrait de partir de très bonne heure
)) pour te rendre à Médina-Dentilia, qui est très éloigné». Je me
rendis sans peine à ce raisonnement et dépêchais aussitôt un
homme en avant avec la consigne d’aller annoncer au chef de
Laminia que j’irai camper chez lui aujourd’hui. En passant à
Sillacounda, il devait informer le chef de ce changement d’itiné
raire et lui dire de tout préparer pour qu’en arrivant, je puisse
immédiatement passer le fleuve.
Après avoir remercié ce brave chef de son précieux renseigne
ment et après nous être bien réchauffés, nous nous remîmes en
route et arrivâmes sans encombre à Sillacounda, à huit heures
dix minutes.
Sillacounda est un gros village Diakanké d’environ huit cents
habitants. Il est situé sur un petit monticule qui s’élève au milieu
d’une vaste plaine bien cultivée et est à peine distant de quelques
centaines de mètres de la Gambie. Son tata tombe en ruines, et
en maints endroits est remplacé par une simple palissade en tiges
de mil. Les habitants sont des musulmans fanatiques, grands
agriculteurs et éleveurs de bestiaux. Le village possède un trou
peau de 150 têtes environ. Il est mal entretenu, malpropre et
beaucoup de cases tombent en ruines. Par contre, il possède
de nombreux pieds de papayers. Les fruits de cet arbre, à cette
époque de l’année, ne sont malheureusement pas encore mûrs.
Nous nous arrêtons à une centaine de mètres environ du village.
Le chef et les principaux notables viennent m’y saluer ; il me
faut leur expliquer pourquoi je ne reste pas camper dans leur
�44§
ANDRÉ RÀNÇÔN
village. Ils comprennent parfaitement mes raisons, me don
nent les conseils et les indications nécessaires pour le passage de
la Gambie et le chef lui-même m’accompagne jusqu’au lieu où se
trouvent les pirogues. Mais ce palabre nous fait perdre une demiheure environ et il commence à faire très chaud quand nous
arrivons enfin sur les bords du fleuve. Aussi ne suis-je pas fâché
de m’y mettre à l’ombre des arbres superbes qui couvrent la rive
gauche.
Les porteurs et les animaux remontent un peu le cours du
fleuve sous la conduite du fils du chef et vont traverser au gué qui
se trouve à environ huit cents mètres en amont. Pour moi je passe
en pirogue avec Almoudo, Gardigué et le cuisinier et fais porter
sur l’autre rive mes objets les plus précieux par ce moyen. Ils
auraient pu être mouillés si les porteurs avaient traversé le gué en
les portant sur leur tête, d’autant plus, me dit le chef, qu’en cet
endroit la Gambie est pavée de roches excessivement glissantes.
Mais il me faut attendre au moins vingt minutes avant de pou
voir traverser, car les pirogues sont amarrées à l’autre rive et elles
appartiennent à Laminia. Celles de Sillacounda ne .sont pas là, les
pêcheurs du village, partis à la pêche depuis deux jours, les ont
emmenées.
Cela me permit de voir dépecer un beau bœuf, sur la berge; à
son sujet, les hommes de Sillacounda me racontèrent qu’il avait été
happé le matin même par un énorme caïman. Pendant qu’il buvait
tranquillement au fleuve, cet immonde animal l’avait brusquement
saisi au museau et l’avait attiré dans l’eau où il l’avait noyé. Mais
es bergers qui gardaient le troupeau lui avaient tiré plusieurs
coups de fusil et lui avaient fait lâcher prise. Le bœuf avait alors
été ramené à la rive, saigné, et on le dépeçait pour le distribuer
entre les gens du village. Les accidents de ce genre sont communs
à Sillacounda. Aussi faut-il avoir soin, lorsque l’on fait boire les
troupeaux, de bien veiller et de tirer sur chaque caïman qui
montre sa tête au large. Le bief de Sillacounda en est absolument
infesté.
La traversée de la Gambie se fit sans aucun accident et nous
abordâmes sur la rive opposée au milieu d’un fourré où je remar
quai de nouveaux échantillons de cette liane dont les indigènes
Utilisent le fruit pour la pêche. La pirogue qui nous porta était
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
creusée dans un tronc de ca'ïl-cédrat. Les dimensions en étaient
relativement très-grandes. Sa longueur atteignait quatre mètres et
sa largeur quatre-vingts centimètres. Le végétal qui avait donné
une semblable bille de bois devait être absolument énorme.
La liane qui donne le fruit dont les indigènes se servent pour
empoisonner le poisson se trouve partout au Soudan et de préfé
rence sur les bords des marigots. Elle nous a semblé appartenir à
la famille des Cucurbitacées. Sa tige est excessivement volubile et
atteint en longueur des dimensions considérables. Son plus grand
diamètre ne dépasse pas deux centimètres. Elle est munie de vrilles
nombreuses. La face supérieure de ses feuilles est verte, velue. La
face inférieure est également velue, mais elle est blanchâtre. La tige
et les rameaux sont couverts de poils durs et rugueux au toucher. Le
fruit est une capsule déhiscente verte quand elle est mûre, de cou
leur marron quand elle est sèche. Gette capsule, arrivée à maturité,
contient des libres fines, rugueuses, qui la cloisonnent, et c’est dans
ces fibres que sont noyées les graines. D’après les indigènes, ces
fibres 11e seraient toxiques que pour le poisson. Il les écrasent
entre les mains, les jettent dans les marigots et les rivières surtout
aux endroits où le courant se fait à peine sentir. Le lendemain ils
reviennent recueillir le poisson qui a été empoisonné pendant la
nuit, et la pêche est toujours excessivement fructueuse. On peut
voir de nombreux échantillons de ces lianes dans tous les villages
du Kaméra, sur la rive gauche du Sénégal. Les clôtures en tiges de
mil des cases en sont absolument tapissées,
En débarquant sur la rive droite de la Gambie, je trouve mon
cheval tout sellé que mon brave Samba tenait en bride en m’atten
dant. Dix minutes après nous arrivions à Laminia, après avoir tra
versé de superbes lougans où paissaient de beaux troupeaux de
bœufs et de moutons.
De Dikhoy à Laminia, la route suit une direction générale S.-S.Est, et les deux villages sont distants l’un de l’autre d’environ
18 kilomètres et demi. Gette route est loin d’être facile. Elle pré
sente deux gros obstacles, le passage du marigot de Fangoli et
celui de la Gambie. Le marigot de Fangoli est peu large et relati
vement peu profond ; mais son lit est encombré de roches et ses
bords à pic et formés d’argiles glissantes en rendent le passage
dangereux, pour les animaux surtout. La Gambie, à l’endroit où on
A n d ré R a n ço n . — 29.
�450
ANDRÉ RANÇON
la passe à gué, est large d’environ deux cents mètres. Son lit est obs
trué par de nombreuses roches glissantes et le courant y est assez
rapide. Aussi, le passage demande-t-il de grandes précautions. On
ne doit s’y engager avec des animaux chargés qu’après l’avoir
soigneusement explorée.
Au point de vue géologique, rien de bien particulier â signaler.
Après avoir quitté Dikhoy et jusqu’à un kilomètre environ de
Fangoli, on traverse un terrain couvert de roches et conglomérats
ferrugineux. A partir de Fangoli et jusqu’au village de culture de
Médina, nous n ’avons plus que des argiles qui recouvrent un
sous-sol de terrain ardoisier. Médina et Diengui se trouvent au
milieu d'une large bande de latérite qui s’étend jusqu’à la Gambie.
A deux kilomètres de Diengui, elle fait de nouveau place aux
argiles et réapparaît à Lrois kilomètres environ de Sillacounda. La
plaine qui s’étend devant le village et le monticule sur lequel il est
construit sont uniquement formés de ce terrain. 11 en est de même
pour La mini a.
Au point de vue botanique, nous signalerons tout particulière
ment l’extrême abondance des karités. On trouve ce précieux
végétal tout le long de la route et la plaine de Sillacounda en est
absolument couverte. C’est là où j’ai rencontré les plus beaux et
les plus nombreux spécimens de cette espèce végétale. Les lianes
Saba y sont également très abondantes, surtout aux bords des
marigots et sur les rives de la Gambie. Citons enfin la Casse et le
Touloucouna.
La Casse est une gousse siliquifonne qui est produite par le
Caneficier (Cassiafistula L. ), famille des Légumineuses-cæsalpinées.
Le Canéficier est un arbre assez grand à feuilles composées, gla
bres; fleurs en grappes pendantes à pétales jaunes. Le fruit, connu
sous le nom de Casse, est une gousse siliquifonne indéhiscente. Sa
longueur est environ de quinze à cinquante centimètres et épaisse
de deux à trois millimètres. Elle est lisse, noire, pourvue de deux
sutures longitudinales, marquées de sillons annulaires qui corres
pondent à autant de cloisons transversales. Les graines sont situées
entre ces cloisons et noyées dans une pulpe qui est la partie active.
Les indigènes ignorent les propriétés de la casse, mais se servent
de l’écorce du canéficier, qui contient beaucoup de tannin, pour
tanner leurs cuirs. Le canéficier est assez commun au Soudan;
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
451
mais c’est surtout dans le grand et le petit Bélédougou et dans le
Niocolo que nous en avons relativement vu le plus grand nombre
d’échantillons.
Le Touloucouna appartient à la famille des Méliacées. C’est le
Carapa Touloucouna L. Il croît surtout dans les rivières du Sud
et dans le Niocolo, où nous n ’en avons vu du reste que deux
échantillons : il est bien plus particulier à la région la plus
septentrionale dans laquelle il est commun. Ses graines, bouillies
dans l’eau, puis pilées et pressées, donnent une huile onctueuse
et très amère. Sa couleur est d’un jaune pâle et pourrait servir à
la fabrication des savons. Dans les rivières du Sud, les indigènes
s’en servent pour panser certaines plaies. Ils prétendent qu’en s’en
frottant les pieds on peut aussi se préserver des atteintes de la puce
chique [Pulex pénétrons). Nous ignorons si au Niocolo on connaît
ses propriétés.
Laminia est un gros village d’environ six cents habitants. Sa
population est uniquement composée de Diakankés. Il est situé à
environ un kilomètre de Sillacounda, sur la rive droite de la Gam
bie. Il est situé au milieu d’une vaste plaine bien cultivée et cons
truit sur un petit monticule qui la domine d’environ 20 ou 25 m.
11 est dépourvu de ta ta et de sagné et est très mal entretenu. Les
habitants sont de paisibles agriculteurs qui se livrent avec passion
à la culture de leurs vastes lougans et à l’élevage de leurs bestiaux.
Toute la plaine, en effet, au centre de laquelle s’élève cet important
village, est transformée en immense champ de mil, maïs, arachi
des. Ils sont très bien entretenus. Aussi les greniers regorgent
ils de provisions de toutes sortes. De même ils apportent un soin
tout particulier dans l’élevage de leurs bestiaux. Leurs bœufs sont
magnifiques, et iis en possèdent un troupeau d’environ deux cents
têtes. Les moutons et les chèvres abondent. Ils sont généralement
gras et donnent une excellente viande de boucherie.
Bien que Laminia soit situé sur la rive droite du fleuve, il fait
quand même partie du Niocolo. Ses habitants sont de la même
famille que ceux de Sillacounda.
Laminia me lit un accueil plein de prévenances et les Dia
kankés auraient bien voulu me garder plusieurs jours encore, mais
je me vis forcé, à regret, de décliner leurs offres et, malgré la
plantureuse réception que j’y reçus, je décidai quand même de
�452
ANDRÉ RANÇON
partir le lendemain matin. Les habitants de Sillacounda ne lurent
pas moins obligeants que ceux de Laminia. Peu après mon arrivée,
le chef et les notables .vinrent me faire visite eL m’apporter du lait,
des œufs et du mil. De plus, ils m’envoyèrent dans l’après-midi
un joli petit bœuf qui fut aussitôt mis à mort et distribué entre
mes hommes et ceux du village.
La journée se passa bien. Le ciel resta couvert, le soleil voilé,
et malgré un fort vent de Nord-Est la température fut très sup
portable.
Vers deux heures de l’après-midi, j’entendis tout-à-coup éclater
dans le village de nombreux coups de fusil. Je lis demander au
chef, par Almoudo, ce que cela signifiait. Lime fit répondre que
c’était parce que les marchands de kolas venaient d’arriver, qu’on
brûlait un peu de poudre, selon la coutume, en pareille circonstance.
Le kola joue, en effet, un grand rôle dans la vie des indigènes du
Soudan, et il s’en fait un commerce relativement important. Nous
avons pu faire à son sujet, pendant nos différentes campagnes au
Sénégal et au Soudan, de curieuses observations, et recueillir des
renseignements précieux sur son commerce, Je rôle qu’il joue au
Soudan dans la vie des indigènes et celui qu’il est appelé à jouer
dans celle des Européens que les exigences du service ou de la
profession forcent à résider sous ce climat meurtrier. Bien que celte
question soit un peu en dehors de notre sujet, je ne crains pas de
la traiter ici, car j’estime qu’un travail sur le Soudan serait incom
plet s’il n’y était pas parlé du kola à un point de vue quelconque.
Nous lisons dans la Monographie des kolas africains de M. le
professeur Heckel, le passage suivant qui nous semble bien résumer
ce que nous avons observé sur le kola au Soudan français, et que
notre but est d’exposer plus loin d’une façon aussi détaillée que
possible. « Le kola ou gourou, ou café du Soudan (Cola ou Sterculia
» acuminala, R. Brown), vit entre le 5° de latitude Sud et le 10° de
» latitude Nord ; il est en plein rapport à dix ans et peut donner jus)) qu’à 45 kilogrammes de noix chaque année. Il y deux récoltes,
» l’une en juin, l’autre en novembre. Les graines de chaque noix
» pèsent entre 5 et 25 grammes ; les unes sont d’un blanc jaune,
» les autres d’un rouge un peu rosé ; de là vient la distinction
)) entre les kolas rouges et les kolas blancs ; les graines mises
» dans un couffin bourré de feuilles qui les recouvrent, peuvent se
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
)) conserver fraîches pendant 25 à 30 jours. Sur le littoral, les deux
» principaux marchés sont dorée et les établissements de la Gambie,
)) le prix des kolas y varie de 225 à 560 francs les 100 kilog.
» Le kola est un antidysentérique et un aphrodisiaque puis» sant ; comme le maté et la coca, il calme la faim et permet de
» supporter de graudes*fatigués ; les noirs en font une consomma» tion considérable. »
Nous n’avons point l’intention de faire ici une étude absolument
complète du kola. Après les savants travaux du professeur Heckel,
de Marseille, nous estimons qu’il n’y a plus rien à dire sur l’histoire
Graines de Kola : A et B, variété ronge ; C, variété blanche.
botanique et l’action soit physiologique, soit thérapeutique, de cette
précieuse substance. Nous nous bornerons simplement à étudier
les produits de ce végétal (graines), au triple point de vue du com
merce, du rôle qu’il joue dans la vie des indigènes et de celui qu’il
est appelé à jouer au Soudan français dans l’alimentation des Euro
péens.
Lieux de production et culture du Kola au Soudan Français. —
D’une façon générale, nous pouvons dire que notre colonie du
Soudan français, proprement dite, ne possède aucun lieu de produc
tion du kola. Il n’en est pas de même dans certaines autres régions
�454
ANDRÉ RANÇON
soumises à notre protectorat, surtout dans le Sud. Binger l’a trouvé
dans la plus grande partie des régions qu’il a visitées dans le cours
de son voyage au pays de Kong, et, d’après cet auteur, le kola
n’arriverait à maturité qu’à partir du 8°1' de latitude Nord, et, à
mesure qu’on s’avancerait vers le Sud, il deviendrait de plus en
Rameau floral et fruit du kolatier.
plus abondant. Il n’a commencé à le rencontrer qu’à partir du 11°
de latitude Nord ;mais, à celte latitude, il ne produirait même plus
de fruits. Nous trouvons, en effet, à ce sujet, dans la relation de cet
important voyage, le passage suivant qui est concluant. L’auteur
décrit le village de Kuitampo et il termine ainsi : « Quelques habi» tâtions renferment aussi de jeunes arbres à kola, arbres de luxe
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
455
» seulement, car ils ne produisent, pas autre chose que des fleurs,
» et l’on ne rencontre quelques exemplaires donnant des fruits
» qu’à une quarantaine de kilomètres dans le Sud ». AKuitampo,
on le trouve environ à 8° kde latitude Nord. Jusqu’à quelle latitude
trouve-t-on le kola dans le Sud, nous ne saurions le dire. Toutefois,
il semblerait ne plus être cultivé à partir de 6°30' de latitude Nord.
Le kola, d’après ce que nous venons de dire, ne serait donc cul
tivé par les indigènes que du 8°i' au 6°30’ de latitude Nord. On le
trouve cependant ailleurs que dans les plantations.
Les forêts de certaines régions en renferment en notable quan
tité. Les indigènes le cultivent en grand dans les régions qu’il affec
tionne particulièrement. Binger, le seul voyageur qui ait peut-être
observé attentivement à ce sujet, le constate à chaque instant. La
relation de son voyage est pleine d’attestations de ce genre. Nous
n’en citerons qu’une seule, car elle est typique : « En quittant
Babraso, nous traversons « de splendides plantations de kola. Ces
arbres sont plantés en quinconces alternant avec des palmiers à
huile ».
Le kola ne serait donc pas cultivable au Soudan français,
puisque cet arbre n ’apparaîtrait qu’aux environs du 11° de latitude
Nord. Nous croyons cependant qu’il serait bon de s’assurer de ce
fait par des essais méthodiques. Peut-être pourrait-on, par des
soins entendus, arriver à un résultat satisfaisant.
Dans le cours du voyage que nous venons de faire au Soudan,
nous avons trouvé dans la Gambie, la Haute Falémé et jusque dans
le Bambouçk, une sterculiacée qui est bien voisine du kola par
tousses caractères. Nous voulons parler du N’iaba (sterculia cordifolia). Partout où nous l’avons vu, il acquiert des proportions énormes.
Il est très commun dans les cercles de Siguiri et de Bammako. il
nous souvient en avoir vu une belle plantation aux environs de ce
dernier poste. Elle fut créée en 1883, par notre excellent ami, M. le
vétérinaire Korper, et, grâce à ses soius et à la connaissance appro
fondie qu’il possède de la culture,elle s’est rapidement développée.
Ne serait il pas possible de faire de même pour le kola. Pourquoi
ce végétal ne prospérerait-il pas là où pousse le N’taba ? Aucun
essai n’a encore été sérieusement fait à ce sujet. Seul, mon bon ami,
le commandant Quiquandon, de l’infanterie de marine, en a fait
dans le Kénédougou, pendant son séjour à Sikasso, une planta-
�456
ANDRÉ RANÇON
tion qui, à son départ, était en bonne voie de prospérité. Il nous
l’a lui-même déclaré. Je crois qu’avec des soins on pourrait arriver
à propager ce végétal dans notre colonie. Ce serait une source de
profits considérables. De même, croyons-nous, il serait bon de
tenter dans nos autres colonies tropicales des essais de cette
nature. Déjà aux Antilles, par 14°5, de latitude Nord, on a pu obte
nir, sous ce rapport, d’après les avis et les conseils de M. le profes
seur Heckel, des résultats satisfaisants. Nous avons vu des pho
tographies de ce végétal venu dans ce pays et qui ne laissent
aucun doute à ce sujet. C’est là une question sérieuse à étudier et
à élucider au plus tôt, car, nous le répétons, l’exploitation du kola
serait des plus rémunératrices.
Panier à kola.
Le Kola au point de vue commercial. — Le commerce du Kola qui
se fait au Soudan Français est des plus importants. Nous pour
rions même dire que c’est le seul produit qui fasse l’objet de tran
sactions suivies, et, à ce point de vue, nous sommes absolument
tributaires des colonies anglaises de Sierra-Leone et de SainteMarie-de-Bathurst. Le kola pénètre dans notre colonie par plu
sieurs voies, mais les quantités qui nous viennent par la voie
anglaise sont de beaucoup plus considérables.
Saint-Louis qui, lui-même, le reçoit de Gambie et de SierraLeone, n’en exporte au Soudan par Bakel et Médine que de très
faibles proportions. C’est surtout par Mac-Carthy que se fait l’im-
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
457
portation pour tous les pays situés au nord de la Gambie : Ouli,
Kalonkadougou, Sandougou, Bondou, Bambouck.
Nous avons pu, pendant notre séjour dans cette ville, nous
convaincre de l’importance de ce commerce. Nous avons été heu
reux de constater qu’il était là tout entier entre les mains du
ûégoce français, que la Compagnie française de la côte occidentale
d’Afrique représente si avantageusement et si dignement dans
toutes ces régions. Les kolas qu’elle importe lui viennent de SierraLeone par Bathurst. C’est par balles de 25, 50 et 100 ldlog. qu’elle
les livre à ses clients de l’intérieur. Ils sont surtout échangés
contre des produits en nature : arachides, cire, ivoire, caoutchouc.
La seconde voie d ’importation par laquelle le kola pénètre au
Soudan Français, est celle du Fouta-Diallon. La ville où se prati
quent le plus les transactions commerciales concernant ce produit,
le plus grand entrepôt est Kédougou, dans le Niocolo. De tous les
points des régions situées entre le Niger et la Falémé, les dioulas
affluent et vont y faire leurs achats. C’est surtout du mois de
novembre au mois de juin que les transactions sont les plus
actives. Elles seraient encore bien plus considérables si les almamys du Fouta-Diallon n’avaient pas frappé ce produit d’une taxe
exorbitante. Ainsi, tout dioula qui exporte de Kédougou ou
d’un point quelconque du Fouta-Diallon ou de ses provinces
tributaires, le kola doit payer à la sortie une pièce de guinée ou
sa valeur par charge d’âne, soit 50 ldlog. et une demi-pièce ou sa
valeur par charge d’homme, soit 25 ldlog. Cet impôt est énorme,
surtout si l’on songe que, dans ces régions, une pièce de guinée
vaut de 18 à 25 francs. A Kédougou, tout le commerce des kolas
est entre les mains des-Sarracolés, et nous en avons vu qui opé
raient sur de grandes quantités et réalisaient de beaux bénéfices.
Les kolas leur sont apportés du sud par des dioulas, Peulhs et
Malinkés surtout. Les achats se paient eu étoffes, sel, verroterie,
poudre et surtout en captifs.
Le kola jouit à Damentan (Haute-Gambie) et dans le pays des
Coniaguiés (contrefort du Fouta-Diallon) de la même faveur que
dans tout le reste du Soudan. Les Coniaguiés en sont particulière
ment friands, j’ai pu le constater à l’empressement avec lequel ils
acceptèrent les cadeaux que je leur faisais de cette graine. Par
contre, ils trouvent difficilement à satisfaire leur gourmandise,
�458
ANDRÉ RANÇON
car le kola y est très rare. Bien que Damentan et le Coniaguié soient
relativement peu éloignés de Kédougou, le grand marché de kolas
du Niocolo, ils en reçoivent fort peu par cette voie. La plus grande
partie de ce qu’ils consomment leur vient de Labé et surtout de
Mac-Carthy, elle leur est apportée par les rares dioulas qui sont
assez hardis pour s’aventurer dans leur pays sauvage fermé à tout
étranger. Aussi, le prix en est-il très élevé, si exorbitant même,
que le kola est considéré dans ces régions comme une marchandise
de luxe, et qu’il y fait l’objet d’un commerce insignifiant. L’arbre
à kolas est absolument inconnu dans ces deux régions, mais j’ai la
conviction qu’il y viendrait bien, en raison de la nature du sol et
du climat.
Une autre voie de pénétration est celle du Diallonkadougou
et du Dialloungala. Je n’ai que des données très vagues sur
l’importance du commerce de kola qui se fait dans ces régions,
car je ne les ai pas visitées; mais je puis affirmer avoir souvent
rencontré, dans mes voyages à travers le Bambouck, des dioulas
qui s’y rendaient pour y faire leurs achats ou qui en revenaient.
La plus grande partie des kolas qui se consomment sur les
bords du Niger vient du Sud et de l’Est par les marchés de Tengrela, Kankou, et par la voie du Fouta-Diallon par Timbo et
Dinguiray.
On ne saurait s’imaginer l’importance de ce commerce dans les
régions comprises dans la boucle du Niger et dans les régions
situées au Sud. Il n ’y a qu’à lire l’ouvrage de Binger pour s’en
rendre un compte exact. Eu parlant du commerce de l’importante
ville de Kong, il dit : « Les tilles de l’àge de six ou sept ans ven
dent et colportent des kolas dans la ville » ; et plus loin : « Les
femmes des petits marchands, qui sont forcés de passer au loin
une partie de l’année, vivent pendant l’absence de leurs maris en
vendant des kolas, etc. » Nous relevons dans le passage où il décrit
l’important marché de Bobo-Dioulasou : « Les Haoussas sont très
uombreux ici, ils apportent tous du sel pour emporter des kolas. »
A propos du gros village de Ouakara, il nous dit que l’élément
Peulh n’y est représenté que par quatre familles, et que ce village
fait un « gros trafic de sel et de kolas ». Plus loin, il nous apprend
que les caravanes qui se rendent du sud vers le'Haoussa, « sont
surtout chargées de kolas ». « Takla, dit-il plus loin, est un village
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
459
fort prospère. Les habitants s’occupent activement du commerce
de kola, et bon nombre de gens de Kong et de Bouabé viennent
y faire provision de ce produit. » Ces quelques citations sont
amplement suffisantes pour montrer toute l’importance de ce
produit dans cette partie du Soudan.
Les kolas qui parviennent à Bakel et à Mac-Carthy sont em
ballés dans de grands paniers à l’aide de feuilles très grandes d’un
autre végétal congénère ou de l’arbre producteur lui-même. Ces
paniers pèsent de 25 à 100 kilog. environ. Ainsi préparée, la graine
se garde longtemps intacte et peut impunément se transporter.
Mais, dans l’intérieur, ce procédé n’est pas pratiqué. De semblables
charges sont très lourdes et très encombrantes pour les moyens de
transport dont disposent les Dioulas. Tout, en effet, est porté dans
ces régions à tête d’homme ou au moyen d’ânes. Aussi l’embal
lage est-il bien différent. Les kolas sont toujours noyés dans une
grande quantité de larges feuilles d’une Sterculiacée quelconque,
ou, à défaut, de paille de fonio légèrement humide. Le panier, au
lieu d’être rond, a une forme elliptique.
Il est tressé à l’aide de jeunes tiges d’arbres et présente des
mailles assez longues, de façon, sans doute, à être bien aéré, afin
d’éviter probablement la fermentation des graines. Il est porté à tête
d’homme, et deux cordes, fixées à la partie antérieure, permettent
au captif de maintenir l’équilibre sans trop de fatigue. Les charges
d’ânes sont, le plus souvent, emballées dans de vieilles toiles ou
dans des pagnes hors de service et solidement ficelées à l’aide de
cordes faites avec des fibres de bambous ou de baobab. C’est ainsi
que les kolas arrivent sur les marchés de Bakel, Kayes, Médine,
Bafoulabé, Kita, etc.
Le commerce de détail est des plus répandus. On peut dire que,
dans tout le Soudan Français, il n’y a pas de village de quelque
importance qui n’ait ses marchands de kolas. Dans les centres
importants, c’est au marché que se tiennent les débitants. Dans
les petits villages, c’est dans les cases même qu’ils installent leurs
produits. En tout lieu, ils ont rapidement écoulé leur marchandise.
Les prix en sont excessivement variables. Ils dépendent sur
tout du plus ou moins grand éloignement des centres de pro
duction et de la plus ou moins grande abondance des arrivages.
Dans certains villages du Bambouck, nous les avons vu vendre
�460
ANDRÉ RANÇON
dix centimes l’un; à Bakel, à Kayes et à Médine, ils sont un peu
moins chers, et à Bammako, il nous est arrivé de les payer en
moyenne quinze à vingt centimes la pièce. Il faut dire aussi que,
là, ils sont beaucoup plus volumineux que dans les régions situées
plus à l’Ouest. En général, le kola blanc est bien plus estimé que
le kola rouge. Aussi se vend-il un peu plus cher partout ; mais, en
général, les deux espèces sont mélangées à peu près en parties
égales dans les achats.
Nous ne saurions évaluer en argent l’importance de ce com
merce, mais nous pouvons affirmer qu’il est très considérable et
doit donner lieu à un chiffre important d’affaires.
Rôle que joue le kola dans la vie des indigènes au Soudan. — Le
kola joue un rôle important au Soudan français dans la vie des
indigènes. Il suffit, pour s’en convaincre, de lire les relations de
voyages faits dans ce pays par les différents explorateurs qui l’ont
visité. Il a fallu que les indigènes lui trouvent des propriétés bien
salutaires pour qu’ils l’aient en si haute estime. Dans presque
toutes les circonstances de leur vie sociale on les voit utiliser cette
graine. Ainsi, chez les Bambaras et les Malinkés, s’agit-il d’un
serment, c’est sur le kola qu’ils jurent. Voici comment on procède
à cette cérémonie. Une contestation s’élève telle entre deux noirs,
un homme en accuse-t-il un autre, les anciens et les notables
devant lesquels est portée l’affaire font comparaître l’accusé. S’il
nie ce qu’on lui reproche, on lui fait prêter serment sur le kola.
Pour cela, le forgeron principal (il ne faut pas oublier que les
forgerons sont les prêtres dans les pays Malinkés, Mandingues et
Bambaras), prend un kola bien sain. Il fait placer devant lui celui
qui va jurer. Il allume alors un petit feu de paille et y passe le
kola, sans doute pour le purifier, puis le prenant de la main
gauche, il le pique en maints endroits avec la pointe de son
couteau en prononçant la formule du serment. Ces piqûres sont
faites pour bien montrer que le kola est sain.
Voici la formule la plus ordinaire de ce serment: « Je jure que
je n’ai pas fait ce dont on m’accuse; si je mens, je veux que ce kola
que je vais manger m’empoisonne dans tant de jours ». Cette
formule est répétée mot par mot par l’accusé au fur et à mesure
que le forgeron la prononce. Ceci fait, le kola est immédiatement
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
461
mangé en entier et celui qui vient de jurer est tenu de boire une
calebasse d’eau pour bien prouver qu’il ne triche pas. Ce serment
est le plus terrible qu’un Malinké ou un Bambara puisse prononcer,
et il est bien rare qu’il accepte de se soumettre à cette épreuve s’il
se sent coupable. Sans doute, il pourrait aussi bien jurer sur le
couscouss, le poulet, la viande ; mais aux yeux de tous, les ser
ments ainsi prononcés ne valent pas ceux qui sont prêtés sur le
kola.
Autre tait : Il me souvient avoir lu quelque part, et dans je ne
sais trop quel récit de voyage, que lorsqu’un Malinké ou un Bam
bara voulait demander une jeune Hile en mariage, il envoyait au
père huit kolas blancs. Si celui-là acquiesçait à la demande, il
renvoyait au prétendant deux kolas blancs; dans le cas contraire,
il lui faisait parvenir un kola rouge.
Dans les offrandes que les Bambaras et les Malinkés font à
leur divinité, ce sont toujours les kolas qui sont en plus grand
nombre. Je n’ai pas besoin de dire que, seuls, les forgerons en
profitent. De même, ils déposent des kolas sur la sépulture de
leurs parents et de leurs amis les plus chers.
Si on veut honorer un chef, on lui offrira toujours des kolas et,
de préférence, des kolas blancs. Tous ceux qui ont vécu au Soudan
en ont reçu et donné bien des fois durant le cours de leurs voyages
dans cette région. Enfin, si on mange un kola, le plus grand hon
neur que l’on puisse faire à un noir est de partager avec lui. Dans
ce cas-là, ou doit détacher les deux cotylédons qui sont unis entre
eux et en offrir un à son convive. Nous pourrions multiplier à
l’infini les exemples et les faits de ce genre. Ceux que nous
venons de citer suffisent amplement, croyons nous, pour démontrer
combien le kola jouit d’une haute estime chez les peuples du
Soudan.
Il y a longtemps que les noirs ont reconnu combien cette graine
précieuse avait sur leur organisme une heureuse action. Ils lui
attribuent toutes sortes de vertus curatives. Ils l’emploient cou
ramment contre les migraines, céphalalgies, diarrhées, dysenteries
et surtout contre l’impuissance. Mais c’est principalement quand
le noir a une longue course à faire qu’il s’en sert de préférence.
Il dit que le kola fait marcher plus vite, calme la soif, empêche
la fièvre, fait trouver l’eau la plus mauvaise excellente et, enfin,
�462
ANDRÉ RANÇON
remplace la viande. Le kola les fait-il marcher plus vite? Nous ne
croyons pas que cette accélération de la marche soit exacte. Disons
plutôt que son emploi rend la fatigue moins sensible et permet
de marcher plus longtemps. Il me revient, à ce sujet, à la mémoire,
un fait que je tiens à relater ici et qui me semble probant.
En 1888, lorsque j’étais commandant du cercle de Koundou,
je reçus, un jour, un pli de M. le commandant supérieur du
Soudan avec ordre de le faire parvenir au plus tôt à M. le com
mandant du cercle de Bammako. Je fis immédiatement appeler le
courrier habituel du poste, Ahmady-Silla, et lui donnai la con
signe de se rendre dans le plus bref délai à Bammako. Je lui
demandai ce qu’il désirait comme vivres de route : du sucre,
répondit-il, du biscuit et des kolas. Avec ce simple viatique, il
s’engageait à être le lendemain rendu à destination. Je lui fis
donner immédiatement ce qu’il demandait, et il se mit en route
aussitôt. Le lendemain, à une heure de l’après-midi, je recevais
une dépêche de M. le commandant de Bammako m’accusant récep
tion du pli.
Mon homme était parti à dix heures du matin : il avait donc
mis vingt-six heures pour faire les 135 kilomètres qui séparent
Koundou de Bammako. Il fit le trajet de retour en un laps de temps
aussi court et quand je lui demandai s’il était fatigué : « Non pas
beaucoup, mais un peu, parce qu’il y en a bien bouffé Gourou
(Kola) )) (sic). Le fait n’a pas besoin de commentaires.
Le kola calme la soif et fait trouver l’eau la plus mauvaise excel
lente. Comme preuve à l’appui de cette opinion des noirs, nous
pourrions citer les noms de bien des officiers qui, comme nous,
ont fait au Soudan un usage fréquent du kola. Nous nous conten
terons d’affirmer ce fait, pensant bien qu’une expérience de près de
cinq années sur laquelle repose notre assertion suffira pour con
vaincre les plus incrédules.
Les noirs remplacent volontiers la viande par le Kola ; chacun
sait que l’usage de la viande est très restreint dans les villages du
Soudan. Il faut une circonstance grave pour qu’on immole un
bœuf. Aussi les noirs mangent-ils souvent beaucoup de kolas et
prétendent-ils que cette graine peut remplacer la viande. Nous ne
saurions dire jusqu’à quel point ce fait est exact. Il me souvient
qu’à Mac-Carthy, pendant le séjour que nous y finies en 1891, la
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
plupart de nos hommes furent atteints par la fièvre, et de plus la
viande manquait souvent. Aussi leur dounais-je fréquemment des
kolas, et ils ne s’en plaignaient pas, bien au contraire.
Les noirs regardent encore le kola comme un puissant aphrodi
siaque. Ou sait combien les peuples primitifs tiennent à conserver
le plus longtemps possible leur vigueur génésique. Aussi les peuples
du Soudan, daus ce but, font-ils une ample consommation de Kolas.
Jeunes, les hommes en mangent pour augmenter leur virilité;
vieux, pour la voir reparaître s’ils l’ont perdue, et il n’est pas rare
de voir des vieillards réduire en poudre le kola à l’aide d’une râpe
qu’ils confectionnent avec de vieilles boîtes à sardines. N’ayant plus
de dents, ils sont obligés de le réduire en poudre pour pouvoir
l’avaler et l’absorber. Nous ne saurions dire si le kola possède
réellement cette propriété si appréciée des noirs. Tout ce que nous
pouvons affirmer, c’est qu’il jouit universellement au Soudan de
cette réputation et qu’il donne, surtout aux jeunes gens, une exci
tation assez durable. Je doute qu’il agisse de môme sur les vieillards.
Les indigènes ne se servent pas seulement du kola dans l’ali
mentation comme médicament. Ils s’en servent aussi comme tein
ture. Le kola possède une matière colorante rouge dont ils se
servent pour teindre leurs fils et même, dans certaines régions,
pour se teindre la barbe.
Nous empruntons ces détails à l’excellent livre du capitaine
Binger. Il dit, en effet, en parlant de Bobo Dioulasou : « On y
trouve aussi des bandes de coton de Taganora, des fibres d’ananas
écrues, rougies au kola ou teintes à l’indigo pour broder les
vêtements. » Plus loin, à propos des femmes de Kong: « Les femmes
s’occupent beaucoup d’utiliser les feuilles d’ananas, en confec
tionnant du fil avec leurs fibres. Mis en écheveaux, ce fil est vendu
écru ou teint en rouge minium à l’aide de kola ou en bleu avec
l’indigo, ou en jaune avec le souaran. » Nous ne croyons pas que,
à part les régions visitées par Binger, le kola jouisse au Soudan
français d’une grande faveur comme substance colorante.
Nous terminerons ce chapitre par quelques dernières citations
destinées à bien montrer toute l’importance que le noir attache
au kola. Dans la relation de son voyage au pays de Ségou, Mage
rapporte le fait suivant : « Le 8 juillet 1865, à trois heures dix
minutes, Ahmadou se mit en marche ; en même temps, il
�464
ANDRÉ RANÇON
m’envoyait 100 gourous par Samba N’Diaye, qui, comme un
vrai roué, au lieu de m’en dire le nombre, me dit : « Je t’apporte
des gourous ». Et il m’en donna quelques poignées, puis affecta
de chercher dans son guiba (poche sur le devant de la poitrine),
de sorte que, croyant qu’il n’en avait plus que quelques-uns, je
lui dis : « Si tu en as encore garde-les pour toi ». Il ne m’en avait
donné que 32 et en avait encore 48, car les gourous se comptent
comme les cauris, 80 pour 100. Le soir, je le sus et lui en réclamai
quelques-uns, et bien qu’il dit les avoir tous mangés ou donnés,
je lui en fis rendre 10 ou 15. C’était, en ce moment, une marchan
dise précieuse, car il allait falloir se tenir éveillé. » Plus loin,
lors du siège de Sansandig, les habitants, pour narguer l’armée
d’Ahmadou, lui criaient du haut des murs de la ville : « Allons
donc Foutankés (hommes du Fouta), venez donc au moins nous
attaquer, il ne manque rien ici, voici des gourous ». Et pour
compléter l’ironie, ils leur lançaient des poignées de kolas.
Ces deux faits suffisent pour prouver ce que nous avions
avancé et n’ont pas besoin de commentaires.
Rôle que le kola est appelé à jouer dans l'alimentation_ des
Européens ou Soudan Français. — Nous connaissons aujourd’hui
exactement toutes les propriétés physiologiques du kola, et nous
savons que les vertus attribuées par le noir à cette graine ne
sont pas imaginaires. Ce que depuis des siècles l’instinct de la
bête a révélé à l’homme primitif, nous en sommes encore, nous
hommes de science et de travail, à le discuter, malgré les
données les plus précises. Il faut avouer que le dernier des
nègres est plus heureux que nous. Son instinct ne le trompe pas,
tandis que notre science nous est parfois bien inutile et bien
infidèle. Pourquoi chercher à tous les faits observés des expli
cations qui ne seront jamais qu’à la portée d’un petit nombre
d’initiés ? Pourquoi ne pas admettre simplement la réalité du fait
brutal et ne pas se contenter des résultats indiscutables d’une
expérience plusieurs fois séculaire ? Pourquoi enfin, le kola,
agissant sur l’organisme du noir, n agirait-il pas de même sur
celui du blanc ? Nous avons vu, constaté, enregistré maintes fois
les bienfaits de cette substance, non seulement sur les indigènes,
mais encore sur les Européens. Nous nous en sommes servi
�DANS LA HAUTE GAMBIE
pendant toutes les campagnes que nous avons faites au Soudan
et, en en usant modérément, nous nous en sommes toujours
bien trouvé. Nous pourrions citer des noms de camarades qui
pensent absolument comme nous après expérience.
Je ne doute pas que l’usage modéré du kola serait d’un effet
salutaire sur l’organisme trop souvent affaibli et débilité des
soldats qui font campagne au Soudan. Il y a là des essais sérieux
à tenter, et au Soudan Français, pays du kola, rien n’a encore été
fait de méthodique à ce sujet. Il n’en a pas été de même partout
et dans d’autres colonies; en France même, des expériences
sérieuses ont été faites par des hommes dont la compétence en
semblable matière ne saurait être mise en doute. Les résultats ont
été concluants. Nous-même nous avons cru de notre devoir de nous
en occuper sérieusement pendant notre dernier voyage, et, bien
que notre opinion soit de peu de poids dans une si importante
question, nous ne craignons pas de l’écrire ici et de faire connaître
ce à quoi nous sommes arrivé. Nous ne parlerons pas de l’emploi
en nature du kola. Après ce que nous venons de dire, nous estimons,
n’en déplaise à nos adversaires, que la cause est dès maintenant
entendue et jugée. Le procès est gagné. Nous ne relaterons ici,
sans aucun commentaire, que les résultats des essais tentés par
nous sur les hommes et les animaux avec les rations de guerre
au kola formulées par M. le Dr Heckel, professeur à la Faculté des
sciences de Marseille, dont la compétence scientifique et la haute
autorité morale sont universellement reconnues.
La galette (formule du Dr Heckel) pour hommes que nous avons
expérimentée sur nous-même nous a donné de bons résultats et
nous avons pu, en nous en servant pendant la première partie de
notre voyage, faire, sans trop de fatigue, de longues, de très-longues
étapes. Sans doute cette composition n’est pas parfaite, mais nous
estimons que, telle qu’elle est, elle pourrait rendre de grands
services, surtout si elle était méthodiquement administrée et si son
usage eu était surveillé par des hommes compétents et obser
vateurs.
La galette pour chevaux pourrait être utilisée avec profit. Nous
avons pu constater, qu’au début,les animaux originaires du Soudan
ne la mangent qu’avec difficulté. Mais ils finissent par s’y habituer
rapidement. Nourris simplement avec du mil, ils ne mangent que
André Rançon. — 30.
�466
ANDRÉ RANÇON
péniblement l’orge et l’avoine qui entrent dans sa composition.
Mais deux ou trois jours suffisent pour les y habituer. Le fait
suivant en est une preuve évidente. Lorsque je suis arrivé à Nétéboulou (Haute-Gambie), j’avais pour monture une jument indigène
originaire du pays de Nioro, d’une maigreur extrême, véritable
cheval de l’apocalypse, comme l’appelait un de mes amis, le matin
du jour ou je quittai Kayes. Elle n’avait, en raison de son origine,
jamais été nourrie qu’avec du mil ; à Nétéboulou, je ne pouvais
plus lui en donner ; il n’y en avait même pas pour mes hommes et
les habitants du village. Je fus donc obligé de ne la nourrir que de
galettes et d’herbes vertes, le fourrage manquant absolument
à l’époque de l’hivernage. Il me fallut six jours pour l'y habituer.
Pendant plus d’un mois, elle ne vécut que grâce à ces rations de
guerre. Quand les galettes vinrent à manquer, elle mourut d’ané
mie pernicieuse en peu de jours.
J’avais en plus, comme animal de charge, une mule d’Algérie,
habituée par conséquent à l’orge. Dès le premier jour que je lui
donnai des galettes, elle les dévora de suite avec avidité. Bien
qu’elle ne fût nourrie que de ces rations de guerre et de fourrage
vert, elle se maintint en bonne santé et engraissa même. Je me
souviens combien elle était admirée des habitants du village, et sa
mort, survenue à la suite d’un accès pernicieux, stupéfia tout le
monde. Détail important: quand elle mourut, il y avait plus de
quinze jours que ma provision de galettes était épuisée. Elle ne se
nourrissait plus que d’herbes.
La seconde monture que j’eus en remplacement de la jument
était un vigoureux cheval que je devais à la complaisance de mon
excellent ami le capitaine Roux, de l’infanterie de marine, com
mandant du cercle de Bakel, qui me l’avait envoyé selon les ins
tructions de M. le commandant supérieur. C’était, un animal qui
mangeait beaucoup. Pendant les 24 jours que je fus obligé de pas
ser à Mac-Carthy, étant à bout de forces et miné par la fièvre, je
n’avais, pour l’alimenter, que le mil rouge et dur de Sierra Leone,
que je devais à la générosité de la Compagnie Française, mais que
l’animal refusait obstinément. J ’avais heureusement trouvé plu
sieurs caisses de galettes que M. le Dr Heckel m’avait expédiées par
l’un des navires de la Compagnie. Pendant 24 jours, l’animal ne
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
mangea que cela et je ne m’aperçus pas au départ qu'il eût maigri
ou qu’il eût perdu quoi que ce soit de sa vigueur.
Il en fut de même, du reste, pour le cheval de Nétéboulou qui
m’accompagnait. Cet animal, de plus, fut sujet, pendant les pre
miers jours de notre arrivée, à de fréquents accès de fièvre. Quand
nous quittâmes Mac-Cartliy, il était complètement remis et fit tou
jours son service. Je ne veux point dire que l’usage des galettes
amena sa guérison; mais je ne puis m’empêcher de croire qu’elles
y aidèrent beaucoup.
Il fallut trois jours pour habituer ces bêtes aux rations à base
de kola. Voilà certes des résultats probants ; quoi qu’on en ait dit
et quoi qu’on en puisse dire encore, nous ne pouvons nous empê
cher de conclure que le kola est appelé à jouer, un jour ou l’autre,
un grand rôle au Soudan dans la vie des Européens et dans l’exis
tence des animaux que nous y employons.
Je fus très heureux de l’arrivée à Laminia de cette caravane de
marchands de kolas, car cela me permit d’en renouveler ma provi
sion, qui commençait singulièrement à s’épuiser. Bien que nous
fûmes très-près du marché de Kédougou, je les payai encore très
cher. Je ne pus pas m’en procurer à moins de 7 francs le cent et
encore je fus obligé , pour ne pas être plus écorché, de les faire
acheter par Almoudo, en lui recommandant bien de ne pas dire
qu’ils étaient pour moi. Je procédais, du reste, toujours de cette
façon quand j’avais quelque chose à acheter aux dioulas. Ces
honnêtes commerçants ne manquent jamais de mettre en pratique
l’axiome que j’avais entendu formuler un jour à Kayes par un for
geron indigène employé au chemin de fer : a Les Blancs, disait il,
ne sont venus chez nous que pour nous donner de l’argent )) ; aussi
peut-on être assuré qu’ils nous feront toujours payer n’importe
quoi le double ou le triple de sa valeur. Je savais qu’Almoudo était
foncièrement honnête et incapable de me tromper. Je me suis tou
jours très-bien trouvé de l’avoir chargé de mes achats.
La case dans laquelle je fus logé à Laminia était située non loin
de celle où se tenait l’école des marabouts. Les Diakankés sont
tous musulmans fanatiques, pratiquant dévotement et réellement
militants. Ils se sont toujours rangés sous la bannière de tous les
faux prophètes qui surgissent si souvent malheureusement au
Soudan. El lladj Oumar n’eût pas de peine à les entraîner à sa
�468
ANDRÉ RANÇON
suite, et dernièrement encore, ils combattirent aux côtés du mara
bout Mahmadou-Lamine contre nous et lui donnèrent asile dans
le village de Dianna, dans le Diaka, lorsque nos colonnes l’eurent
chassé du Bondou. Ils écoutent avec ferveur leurs marabouts,
pratiquent avec assiduité leurs enseignements et ne manquent pas
de se rendre régulièrement à l’école des jeunes Talibés (disciples).
Là, sous la direction d’un marabout, ils apprennent à lire et à
écrire l’arabe, et surtout à psalmodier les versets du Coran. Dans
une case spécialement affectée à cet usage, ils sont réunis dix ou
douze depuis le lever du soleil jusqu’à son coucher. Ou commence
d’abord à leur apprendre à lire, et, pour cela, ou leur fait répéter
maintes fois le verset du saint livre que le marabout a écrit sur
leur planchette de bois. Puis, on leur apprend à écrire. Mais on ne
néglige pas pour cela leur instruction religieuse. Plusieurs heures
y sont consacrées chaque jour, et rien n ’est énervant pour l’Euro
péen comme de les entendre psalmodier en chœur les versets du
Coran dont on leur inculque les principes. Le papier est absolument
inconnu dans les écoles. Il n’y a guère que les marabouts qui en
possèdent quelque peu et encore ne le prodiguent-ils pas. Ils s’en
servent pour copier le Coran dont tout fervent musulman doit avoir
au moins un exemplaire écrit de sa main. Les élèves, pour écrire, se
servent d’une petite planchette en bois bien poli. C’est sur cette
planchette qu’ils transcrivent la leçon du jour, à l’aide d’un petit
morceau de bambou taillé en pointe qui leur sert de plume. L’en
cre est fabriquée avec un peu de noir de fumée obtenu en faisant
griller des arachides et dissous dans un peu d’eau. Cette encre, on le
comprend,est assez pâle et peu fixe. Il sulfit de passer un peu d’eau
sur la planchette pour faire disparaître immédiatement les carac
tères qui y ont ôté tracés. D’après ce que nous venons de dire, on
peut voir que la planchette des jeunes Talibés n’est autre chose que
l’ardoise dont nous nous servons dans nos écoles primaires.— L’eau
qui a servi à laver l’écriture d’un grand marabout est, paraît il, une
panacée universelle. Il suffit de la boire pour être immédiatement
guéri de n'importe quelle maladie. Je n ’ai pas besoin de dire, que
dans chaque village, il existe encore des musulmans fameux qui
exploitent ainsi la crédulité de leurs coréligionnaires. Car, là
comme ailleurs, tout se paye. Un malade est il désespéré, on va
trouver le marabout. Celui-ci fait un salam, écrit sur sa tablette un
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
469
ou deux versets du Coran, les lave ensuite en ayant bien soin de ne
pas perdre une goutte du précieux liquide, et fait avaler cette
originale potion au moribond. Coût de la présente, cinq ou six
moules de mil ou une vingtaine de kolas. Cela n ’empêche pas le
malade de mourir. Malgré cela, la famille paye sans murmurer. On
se contente simplement de dire que si le gris-gris n ’a pas réussi,
c’est uniquement parce que l’on ne l’avait pas payé assez cher. Ce
simple raisonnement suffira pour bien faire connaître au lecteur le
fanatisme de ces gens-là. Il n’est pas étonnant dès lors, que vu
leurs bonnes dispositions, les marabouts abusent de la situation
exceptionnelle qui leur est faite et se livrent sans pudeur à leur
malhonnête industrie.
Les enfants, dans ces écoles, payent à leur professeur une
petite redevance en mil, poulets, etc., etc. Ils doivent, de plus, le
soir, à la sortie de la classe, aller dans le village quêter de porte
en porte pour le marabout qui les instruit. Il est rare qu’ils revien
nent les mains vides et ils lui portent régulièrement tout ce qui
leur a été donné, sans en rien détourner.
Je crois bien, malgré toute leur assiduité, que la classe ne fut
pas régulièrement faite pendant la journée que je passai à Laminia;
car l’arrivée d’un blanc dans un village noir est toujours un gros
événement. Chacun veut le voir, lui parler, et les jeunes élèves ne
furent pas les derniers à venir me visiter. Aussi ne fut-ce guère
que dans la soirée, et encore pendant peu de temps, que je les
entendis psalmodier leur leçon du jour.
Vers cinq heures du soir, quand je sortis un peu dans la cour
de l’habitation pour prendre l’air au coucher du soleil, je pus
assister à une séance de tatouages assez originale pour que je
la raconte ici. D’une façon générale, le tatouage est peu usité chez
les Noirs. Par tatouages j’entends les dessins bizarres, étranges et
burlesques que l’on voit sur le corps des indigènes de certaines
îles océaniennes. Chez les noirs du Soudan, et particulièrement
chez les peuplades de race Peulhe et Ouolove, il n’y a guère que
les lèvres et les gencives qui soient l’objet de pratiques de ce
genre. Cette coutume est bien plus fréquente chez la femme que
chez l’homme. Elle consiste à tatouer en bleu foncé tirant sur le
noir, la lèvre inférieure, et en bleu clair les gencives. L’opération
est pratiquée presque uniquement par les femmes de cordonnier.
�470
ANDRÉ RANÇON
Nous avons pu en suivre exactement tous les détails et ils sont
assez curieux pour que nous n’en omettions aucun.
La femme qui opère s’asseoit à l’extrémité d’une natte, les
jambes étendues et écartées. Le ou la patiente s’étend sur le dos,
la tête reposant sur le pagne de l’opérateur, entre ses jambes.
Femme Toucouleur (Sénoudébou).
L’appareil opératoire est des plus simples. Il se compose: 1°
d’une poudre noire très fine contenue dans une corne de bœuf ou
de chèvre, et obtenue par la calcination d’arachides pilées
ensuite et réduites en poudre absolument impalpable ; 2° un ou
plusieurs chiffons; 3° de l’appareil qui sert à faire les piqûres. Cet
instrument se compose d’une demi-douzaine environ de dards
d’Accacia très acérés et fortement attachés ensemble.
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
Le patient couché, comme je l’ai dit plus haut, l’opérateur lui
relève la lèvre supérieure de la main gauche, s’il s’agit de tatouer
les gencives supérieures; avec la droite et principalement à l’aide
du pouce, il étend sur la gencive une petite couche de poudre
d’arachides calcinées ; puis, à l’aide de l’instrument décrit plus
haut, il pratique des piqûres multiples sur toute la gencive, de
façon à ce que le sang jaillisse. Ceci fait, et lorsque la victime a
craché tout le sang ainsi extrait, l’opérateur essuie avec le chiffon
(lequel sert à tout le monde), en appuyant fortement, puis, à l’aide
du pouce de la main droite, il applique sur la gencive une couche
relativement épaisse de poudre d’arachides en appuyant fortement.
L’opération est faite. Mais pour qu’elle réussisse, on comprend
qu’il est nécessaire que la poudre reste en contact pendant plu
sieurs jours avec la partie intéressée. Pour cela, le patient est
obligé de parler le moins possible ou, tout au moins en parlant,
de s’efforcer de ne pas remuer la gencive tatouée. 11 faut boire et
manger avec mille précautions; enfin, faire en sorte de ne pas
enlever la couche de poudre qui doit produire le tatouage. Deux
ou trois jours suffisent pour cela, et, alors, après s’être bien lavé,
on constate que la gencive a cette belle couleur violacée
appréciée des élégantes.
Beaucoup de femmes se colorent aussi les gencives supérieures
et inférieures, ainsi que la lèvre inférieure, ou bien seulement les
gencives. Mais il est rare, lorsque la lèvre inférieure est tatouée,
que les gencives ne le soient pas.
Le tatouage de la lèvre inférieure se fait absolument comme
celui des gencives. 1! est bien plus douloureux. Cela se comprend
aisément. De plus, la grosseur de la lèvre est de beaucoup ac
crue, ce qui augmente en même temps considérablement le
prognathisme, qui est, comme on le sait, considéré chez les noirs
comme un des principaux attributs de la beauté.
11 est très rare que la lèvre supérieure soit tatouée.
En général, les hommes ne se livrent pas à ces pratiques.
Quelques-uns, cependant, se font tatouer les gencives supérieures
seulement. C’est encore peu fréquent, et cela ne se voit guère que
chez les jeunes gommeux.
Parfois, lorsqu’à la suite d’uné plaie, il est resté une cicatrice
à la figure, dont le tissu est plus clair que la peau qui l’entoure,
�472
ANDRÉ RANÇON
on procède, d’après la technique dont nous venons de parler
plus haut, à un tatouage foncé de cette partie.
La coloration ainsi obtenue persiste pendant deux ou trois mois
environ. Après quoi, il faut recommencer, car elle pâlit rapidement.
Femme Toucouleur (Bakel).
Les noirs trouvent ce tatouage, chez la femme, très beau. C’est
ce qu’il y a de plus c/u'c, me disait un ancien tirailleur. Aussi, n’y
a-t-il guère que les femmes, filles de notables huppés ou les
griotes qui se payent ce luxe. S’il n’est pas coûteux, il est du
moins fort douloureux. Beaucoup d’élégantes reculent devant cette
opération qui est, paraît-il, un véritable supplice, surtout lorsqu’il
s’agit de tatouer la lèvre inférieure.
�CHAPITRE XXII
Le Niocolo. Limites, Frontières. — Aspect général du pays. — Hydrologie. — Oro
graphie.— Constitution géologique du sol. — Climatologie. — Flore, productions
du sol, cultures. — Faunes, animaux domestiques. — Populations, Ethnographie.
— Situation et organisation politiques actuelles. — Rapports du Niocolo avec
les pays voisins. — Rapports du Niocolo avec les autorités Françaises. — Le
Niocolo au point de vue commercial. — Conclusions.
�474
ANDRÉ RANÇON
On désigne sous le nom de Niocolo tout ce vaste territoire
compris dans ce grand coude que forme la Haute-Gambie entre le
Tenda (embouchure du Niocolo-Koba et le massif montagneux du
Sabé). Par sa constitution et son aspect général, le Niocolo peut
être considéré comme le dernier contre-fort Nord du massif du
Fouta-Diallon dont il forme, du reste, une des provinces tribu
taires. Il a été particulièrement visité par Bayol, Noirot et Levas
seur, mais il n’en a jamais été fait une description méthodique.
Les quelques notes que nous avons pu recueillir à son sujet per
mettront de se faire une idée, bien vague certainement, de ce qu’il
est et de ce qu’il pourra devenir un jour. En tout cas, il sera facile
de se convaincre que, par sa situation géographique, il sera, dans
l’avenir, appelé à jouer un rôle important au point de vue de notre
influence dans ces régions.
Limites, frontières. — Le Niocolo, d’après ce que nous avons
dit plus haut, est à peu près compris entre les 12° 58' et 12° 28' de
latitude Nord et les 14° 58' et 14° 28' de longitude à l’ouest du
méridien de Paris. Comme on le voit, il est relativement étendu si on
le compare aux autres pays Noirs que nous avons visités dans cette
partie du Soudan. Il est peuplé en conséquence.
Les frontières sont assez bien déterminées pour qu’il n’y ait
pas à ce sujet de contestation avec les pays voisins. Il est borné
au Nord par la Gambie, au Nord-Est, à l’Est et au Sud par une
ligne fictive assez bien définie. Cette ligne qui, partant du gué de
la Gambie à Tamborocoto, se dirige directement à l’est, coupe le
marigot de Fatafi-Kô et de là se dirige directement au Sud-Est,
jusqu’au marigot de Koumountourou. De ce marigot, elle se dirige
droit au Sud, coupe les marigots de Daguiri, Kobali, Colongué et
aboutit au marigot de Saguiri qui forme la frontière Sud. La fron
tière Ouest est formée aussi par une ligne fictive qui, partant à peu
près du marigot de Nomandi, aboutirait au sud au marigot de Saguiri.
Ainsi limité, le Niocolo peut avoir à peu près dans ses dimensions
les plus grandes en longueur du Nord-Ouest au Sud-Est, environ 110
kilomètres, en largeur de l’Est à l’Ouest 80 kilomètres. Sa superficie
est d’environ 7,500 kilomètres carrés.
Il confine au Nord et au Nord-Est au pays de Badon, à
l’Est au Dentilia, au Sud au Sabé et au Coniaguié et à l’Ouest au
���.
DANS LA HAUTE-GAMBIE
Coniaguié et au pays de Damentan. Il est séparé de ces deux pays
par une large bande de terrain absolument inhabitée. Ce qui est
une garantie pour la paix du pays.
Quoi qu’il en soit, et bien qu’il n’ait pas de frontières naturelles
bien déterminées, les frontières fictives qui ont été établies par
accord avec les pays voisins sont assez bien respectées et il n’y
a, pour ainsi dire, jamais de contestation de territoire. Il faut
dire aussi que la force et la puissance du Fouta-Diallon sont des
garanties suffisantes pour que les différends, s’il y en avait
toutefois, se règlent à l’amiable.
Aspect général. — L’aspect général du Niocolo diffère abso
lument de celui des régions que nous avons visitées jusqu’à ce
jour. Il varie de plus selon les parties que l’on examine. On peut, à
ce point de vue, en effet, y considérer deux régions bien distinctes
que des caractères tout particuliers différencient l’une de l’autre
d’une façon absolument indiscutable. En effet, la région Est est
montagneuse et la région Ouest est, au contraire, un pays complète
ment plat. Une ligne partant au Nord du gué de la Gambie, près de
Tamborocoto et venant aboutir perpendiculairement au Sud au
marigot de Saguiri, formerait une démarcation assez exacte entre
ces deux régions. Non seulement elles diffèrent d’aspect, mais
encore leurs productions et leur flore sont tout autres. De plus,
tandis que la région montagneuse est excessivement peuplée, la
région des plaines l’est très peu. La région des montagnes qui
confine à la Gambie, est excessivement arrosée; la région des
plaines l’est moins, bien qu’elle le soit elle-même beaucoup.
La région montagneuse est excessivement pittoresque et diffère
absolument de tout ce que l’on est habitué à voir au Soudan.
Partout, sur tous les sommets des collines, on a devant soi des
horizons immenses qui reposent des plaines et des vastes étendues
couvertes de brousse que l’on rencontre au Nord de la Gambie. Ici
pas le moindre horizon. La vue est bornée par de minces rideaux
d’arbres. C’est la monotonie la plus désespérante. Là, au contraire,
l’œil du voyageur se plaît et se réjouit à contempler les vastes
étendues qui s’ouvrent devant lui. On éprouve un soulagement
délicieux, quand, après avoir franchi des centaines de kilomètres
d’une tristesse inouïe, on arrive sur ces plateaux élevés où l’air est
�476
ANDRÉ RANÇON
plus pur et du haut desquels on peut contempler un ravissant pano
rama. La poitrine se dilate délicieusement et l’impression que l’on
éprouve lait oublier pendant quelques minutes l’aridité des terrains
qui vous environnent. La région des steppes du Kalonkadougou
et des pays situés au Nord du Sénégal n’a, dans le Niocolo, rien
qui lui ressemble, et la région des plaines elle-même a un toul
autre aspect. Elle est excessivement vallonée et les vallées des
marigots qui l’arrosent sont couvertes d’une riche végétation. Nous
verrons dans le cours de cette exposition quelles sont, au point de
vue de l’agriculture, les conséquences de ces différences capitales
entre ces deux régions. Nous verrons également quelle action la
région montagneuse peut avoir sur le climat du pays entier.
Hydrologie. — A ce point de vue, le Niocolo tout entier appar
tient au bassin de la Gambie. Les marigots qui l’arrosent sont tous
tributaires de ce grand fleuve. Ils lui amènent toutes les eaux qu’ils
drainent dans les collines. Aussi leur cours pendant la saison des
pluies est-il absolument rapide. Pendant la saison sèche, au con
traire, ils sont presque complètement desséchés. Leurs berges sont
à pic et leurs lits sont littéralement pavés dérochés parfois volumi
neuses que leurs eaux entraînent au loin pendant l’hivernage. Les
marigots qui arrosent la région des plaines sont connus. Ce pays,
à peu près désert, n’a pas encore été, en effet, exploré et étudié.
Mais, d’après les renseignements que nous avons pu nous procurer
à ce sujet, tout porte à croire que les cours d’eau y sont nombreux.
Au lieu d’être de véritables torrents comme ceux delà région mon
tagneuse, ils sont, au contraire, transformés, en certaines parties
de leur cours, en véritables marécages. Pendant l’hivernage ils
coulent paisiblement vers la Gambie et lui apportent les eaux
d’infiltration des vallées qu’ils arrosent. Pendant la saison sèche,
au contraire, l’eau y croupit et leurs berges sont couvertes de vases.
Ils suivent les variations et les fluctuations du cours delà Gambie.
Ce sont, en un mot, de véritables marigots, apportant au fleuve,
pendant un certain laps de temps, le tribut de leurs eaux et rece
vant ensuite son trop-plein.
Le cours de la Gambie elle-même, de l'embouchure du NiocoloKoba au gué de Tamborocoto, est fort peu connu. Il serait fort
important et intéressant à la fois qu’une étude sérieuse en fût faite
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
par des hommes compétents. Pour nous, nous ne pouvons donner
à ce sujet que des renseignements tort incomplets.
La Gambie coule environ pendant soixante-cinq kilomètres,
dans le Niocolo, du gué de Tamborocoto au confluent du marigot
de Saguiri, et environ pendant cinquante kilomètres du gué de
Tamborocoto à la limite extrême, à l’Ouest, du Niocolo. Elle le
sépare dans cette dernière partie de son cours du pays de Badon.
Du gué de Tamborocoto au marigot de Saguiri, elle forme de nom
breux détours. Sou cours est interrompu par de nombreux rapides
et le courant y est, de ce fait, excessivement violent en certains
endroits. Elle y serait difficilement navigable. Elle peut être tra
versée à gué à Tamborocoto et à Sillacounda. Encore ces gués sontils peu praticables, car le courant y est très rapide et le lit du
fleuve y est encombré de roches excessivement glissantes qui ren
dent l’opération difficile, surtout pour les animaux. Les bords du
fleuve sont partout à pic et couverts d’une riche végétation. Pen
dant la saison sèche, le niveau des eaux y est très bas, et, pendant
la saison des pluies, il monte parfois de quatorze à quinze mètres
et cela en quelques semaines à peine. Enfin le fleuve est littérale
ment infecté de caïmans et on ne saurait, quand on le traverse,
prendre contre eux trop de précautions, surtout pour le passage
des animaux. Il en est qui atteignent des proportions colossales et
leur voracité est telle qu’ils viennent parfois jusque sur les rives
happer des moutons et même des bœufs.
A partir du gué de Tamborocoto, et sur la rive droite en procé
dant du nord an Sud, la Gambie reçoit dans le Niocolo les mari
gots suivants dont nous allons décrire brièvement le cours :
Le Fatafi-Kô, qui vient du désert de Coulicouna.
Le Bodian-K6, qui se jette en face de Dikhoy.
Le Koumountourou-Kô. Il suit à peu près une direction NordEst-Sud-Ouest et est formé par deux branches principales dont
l’une passe non loin des ruines de Mansakouko et l’autre dans les
environs du village de Badioula. Dans son cours, qui peut avoir
environ cinquante kilomètres, il passe non loin des ruines de
Tasiliman, à environ huit kilomètres de Médina-Dentilia, et il
coupe là la route de Laminia. Il se jette dans la Gambie à quatre ou
cinq kilomètres environ en aval de Sillacounda. il reçoit au Nord
un grand nombre de branches qui viennent du désert de Gouli-
�478
ANDRÉ RANÇON
couna. Au Sud, il reçoit de le Samania-Kô, dont ou traverse les
deux branches en allant de Laminia à Médina-Dentilia; le BancorotiKô, qui passe à Médina-Dentilia et qui est presque à sec pendant la
saison sèche ; enfin une dernière branche, moins importante que
les autres, le Vandioulou-Kô, passe non loin des ruines de Oualia.
Le Doguiri-Kô se jette dans la Gambie à environ un kilomètre
en aval de Laminia. On le traverse à peu de distance de ce village
lorsqu’on va à Médina-Dentilia. 11 passe à Daguiri et non loin de
Samé. Il reçoit quelques affluents de peu d’importance.
Le Kobali-Kô vient du Gounianta, passe à Fodé-Counda, Kobali
et se jette dans la Gambie à quelques kilomètres en amont de
Samécouta. La direction de son cours est comme celle du DaguiriKô, Ouest-Nord-Ouest. Est-Sud-Est.
Le Colongué-Kô est le dernier marigot du Niocolo que la Gambie
reçoive sur sa rive droite. Il est formé de plusieurs branches qui
viennent du Gounianta et dont la principale passe à environ dix
kilomètres des ruines de Diantoum et à Colonghé qui lui a donné
son nom. La direction de son cours est à peu près Est-Ouest. Dans
le Niocolo, il ne reçoit aucun affluent. Il est presque à sec pendant
la saison sèche et forme, pour ainsi dire, dans la première partie
de son cours, un vaste marécage.
Sur la rive gauche, la Gambie reçoit un grand nombre de
marigots dont le cours est, en général, assez restreint et qui, à sec
pendant la belle saison, sont transformés en véritables torrents
pendant l’hivernage. Cela tient à ce qu’ils coulent, pour la
plupart, dans les étroites vallées qui existent entre les montagnes
et que, pendant l’hivernage, ils reçoivent les eaux qui coulent sur
le flanc des collines. Aussi leurs bords sont-ils à pic et leur lit
est-il souvent encombré de roches; ce qui en rend le passage très
difficile. Nous allons en donner une très succincte description.
En procédant du Nord au Sud, nous trouvons à partir du gué
de Tamborocoto : Le Niami-Kô, dont la branche principale passe
non loin de Nassa.
Le Fangoli-Kô, dont le lit est encombré de roches qui en rendent
le passage excessivement dangereux. Il reçoit plusieurs affluents
peu importants. Un d’entre eux passe à Niantambouri et un autre
à Sacoto.
Le Tian-Kô, qui passe non loin de Marougou.
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
Le Falagankoli-Kô, qui passe à Taeourou.
Le Sili, qui est formé par deux autres petits marigots peu
importants.
Le Mallalivondia-Kà, qui passe à Ibeli.
Enfin le Saguiri-Kô, qui est formé par deux branches dont
l’une passe à Iméré, et dont l’autre le fait communiquer avec le
Mallalivondia-Kô. Le cours de tous ces marigots a absolument la
môme direction générale Est-Ouest. Outre les marigots que nous
venons de citer, il en existe beaucoup d’autres qui ont la même
direction et qui sont si peu importants qu’on ne leur a même pas
donné de noms.
Orographie. — Au point de vue orographique, le pays de Niocolo
change absolument d’aspect suivant que l’on étudie la région Est
ou la région Ouest.
A l’Ouest, pays de plaines, de marécages, nous ne trouvons
que quelques rares collines peu élevées, le sol est faiblement
vallonné et ne présente, pour ainsi dire, pas de villages dignes
d’être mentionnés. Nous ne citerons que la série de petites collines
qui longent, à deux kilomètres environ, la rive gauche de la
Gambie.
A l’Est, au contraire, nous sommes en plein pays de montagnes.
Nous trouvons d’abord sur la rive droite de la Gambie une chaîne
de collines assez élevées qui longe le fleuve à quelques centaines de
mètres parfois, deux kilomètres au plus. Cette chaîne n’est inter
rompue que pour donner passage aux marigots qui arrosent cette
partie du Nicolo. Ces collines sont relativement élevées et il en est
qui atteignent jusqu’à 100 et 125 mètres de hauteur. Nous pourrions
dire qu’elles forment la partieOuest d’une ceinture de hauteurs qui,
passant par le Dentilia, le désert de Coulicouna et le Bélédougou,
entoure un pays inhabité, véritable plateau rocheux inculte où
aucune culture ne peut être tentée. Ces collines émettent de petits
contreforts qui longent les marigots qui se jettent dans cette partie
de la Gambie et qui arrosent les plaines argileuses du Dentilia.
A l’Ouest de la Gambie, nous avons une série de collines dispo
sées d’après un certain ordre, qui permet d’en donner une descrip
tion méthodique. C’est d’abord au Nord, un massif assez important
aux environs du village de Nana, d’où partent les séries de collines
�480
ANDRÉ RANÇON
que l’on trouve aux environs de Tarnborocoto, Maroucoto, Baïsso,
Bantaco, Potaranké, Bantata et Sacolo. Ces collines sont assez
élévées, 150m environ, et l’on peut dire qu’elles forment les derniers
contreforts des montagnes du Fouta-Diallon qui viennent mourir
ici sur la rive gauche de la Gambie, après avoir constitué cette
sorte d’arête centrale qui traverse le Kolladé, le Tamgué et le Sabé.
Outre ce système orographique Nord, nous trouvons, en outre,
dans cette partie du Niocolo, deux chaînes de collines qui,se ratta
chant au massif que nous venons de décrire, se dirigent l’une au
Sud-Est, en longeant la rive gauche du fleuve, et l’autre directement
au Sud en formant la ligne de démarcation véritable entre la région
des plaines et la région montagneuse.
La première chaîne de collines dont nous venons de parler se
détache du massif Nord aux environs de Tarnborocoto et vient se
terminer non loin de Kédougou. Elle est interrompue par endroits
pour livrer passage aux marigots qui se jettent dans la Gambie. Le
long de ces marigots, se trouvent de petits contreforts qui vont
rejoindre la chaîne Ouest.
Cette chaîne naît du massif Nord aux environs de Baïsso et se
dirige directement au Sud jusqu’à près de Landuni, où elle s’épa
nouit en un nombre assez grand de rameaux secondaires que l’on
trouve aux environs de Saréfitari, Tiokitian et Pataschi.
Outre ces hauteurs principales dont nous venons de parler, on
rencontre encore dans le Niocolo bon nombre de collines isolées et
ne se rattachant à aucun système. En les voyant on se demande
comment elles ont bien pu se former. Parmi celles-ci, nous citerons
particulièrement les collines qui entourent Sacoto, celles d’Itato et
enfin celles que l’on trouve sur la route du Dentilia à quelques
kilomètres de la rive droite de la Gambie.
En résumé, d’après ce que nous venons de dire, il est facile de
conclure que le système orographique du Niocolo forme un tout
bien net et qu’il appartient au grand système du Fouta-Diallon
dont il peut être considéré comme le rejeton ultime.
Constitution géologique du sol. — Le Niocolo tout entier appar
tient, nous pouvons dire, au point de vue géologique, à la période
secondaire. Sans doute dans sa partie ouest et dans les vallées de
certains marigots, nous trouvons des argiles, des alluvions de for-
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
mation plus récente ; mais le sous-sol lui-même sur lequel elles
reposent appartient à la période primaire de même que l’ossature,
le squelette du pays, si nous pouvons nous exprimer ainsi. C’est à
cette époque qu’ont dû émerger et le Niocolo tout entier et les
massifs du Sabé et du Tamgué. Certes, il n’est guère facile de s’y
tromper si ou considère combien les roches sont usées et limées.
Issu des soulèvements de la période secondaire, le Niocolo tout
entier a dû être ensuite recouvert complètement parles eaux lors
que la croûte terrestre a été assez refroidie pour que les vapeurs
contenues dans son atmosphère puissent se condenser à sa surface.
Combien de temps dura ce déluge et combien de temps le Niocolo
resta-t-il submergé, nul ne le pourrait dire. Mais ce que l’on peut
affirmer, c’est que cette période fut très longue, à en juger par les
traces qu’elle a laissées et qui sont encore évidentes, malgré les
milliers d’années écoulées.
Si nous considérons le sous-sol dont est formé le Niocolo, nous
y trouvons deux sortes de terrains, le terrain ardoisier caractérisé
par des schistes de toutes sortes. C’est le terrain de la région Ouest
et celui d’une partie de la contrée comprise entre les deux chaînes
de collines parallèles dont nous avons parlé plus haut. C’est aussi
le terrain d’une partie des rives et du lit de la Gambie. On le
rencontre enfin aussi dans la plaine qui confine au Dent ilia. Eu
second lieu, nous avons cette sorte de terrain que nous désignons
sous le nom de terrains secondaires et dont les roches principales
et les plus communes sont : des quartz, des grès et des conglomé
rats ferrugineux. Les collines de la partie montagneuse en sont
presque uniquement formées.
Si maintenant nous considérons, au contraire, la croûte terrestre,
nous trouverons dans la région Ouest et dans la plaine qui confine
au Dentilia des argiles compactes en couches épaisses, produites
par la désagrégation par les eaux des roches du terrain ardoisier.
Par ci par là à l’Ouest, quelques marécages où l’on peut trouver
des vases et des dépôts alluvionnaires de récente formation.
Dans la partie Est et centrale, nous avons bien en maints
endroits des argiles ; mais c’est la latérite qui domine. Elle est pro
duite par la désagrégation des roches cristallines qui forment le
sous-sol du terrain secondaire. Les versants des collines sont
dépourvus absolument de terre ou sable quelconque. Tout est
André Ilançon. — 31.
�482
ANDRÉ RANÇON
entraîné par les grandes pluies d’hivernage. Sur les plateaux, la
roche se montre à nu partout.
La profondeur à laquelle se trouve la nappe d’eau souterraine
varie considérablement. Très éloignée de la surface dans la
région des montagnes, elle est à quelques mètres seulement dans
la plaine orientale et dans la région Ouest. Dans toute la région
montagneuse, on ne se sert que de l’eau de puits pour tous les
usages domestiques. Cette eau est délicieuse, cela se comprendra
facilement si on réfléchit qu’elle a filtré à travers une épaisseur
considérable de terrains ne contenant aucuns principes nuisibles.
Climatologie. — D’après ce que nous venons de dire, on com
prendra aisément que le climat du Niocolo soit modifié par les
dispositions orographiques et la nature du terrain que nous avons
décrites plus haut. Sans doute le Niocolo appartient aux climats
tropicaux, par excellence ; mais nous croyons qu’il ne doit pas être
aussi insalubre. Nous sommes restés trop peu de temps dans cet
intéressant pays pour donner ici une appréciation sérieuse et fondée
sur des observations minutieuses. Nous ne pouvons donc émettre
que de simples hypothèses qui découlent des principes généraux
mêmes de climatologie.
La direction des collines de la partie Est met la portion centrale
du Niocolo à l’abri des vents brûlants qui viennent de cette région,
de même que les collines de la région Ouest l’abritent pendant
l’hivernage contre les vents humides du Sud-Ouest. Ces simples
dispositions orographiques suffisent pour tempérer singulièrement
l’insalubrité du pays et le climat sous lequel il se trouve. D’autre
part, l’orientation des vallées leur permet de recevoir directement
la brise de Nord et de Nord-Est, ainsi que celles de Sud et de
Sud-Est. Il en résulte évidemment que la température doit y être
relativement moins élevée que dans les autres régions qui sont
directement exposées aux vents brûlants de l’Est.
Quant à l’action de la masse d’eau souterraine sur la salubrité
du pays, nous croyons que, vu son extrême profondeur, elle est de
peu d’importance. Sans doute, dans les plaines argileuses et sur
les bords du fleuve et des marigots, nous trouvons des marécages
et des eaux croupissantes, mais nous croyons que le dessèchement
se faisant très rapidement, leur action nocive est de peu de durée.
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
Tout autre est le climat de la région Ouest; là nous avons le
climat chaud, par excellence, et tout ce qu’il faut pour que le pays
soit d’une insalubrité remarquable. L’altitude est peu élevée. Tous
les vents s’y font sentir et particulièrement le vent de Sud-Ouest.
Les marais y sont nombreux et le dessèchement n ’y est jamais
complet. Enfin la croûte terrestre, presque uniquement formée
d’argiles imperméables, laisse s'amonceler et croupir à sa surface
les eaux de l’hivernage. De plus, la masse d’eau souterraine y est à
une minime profondeur et il en résulte une humidité extrême.
Chaleur et humidité sont, on le sait, les deux éléments climatéri.
ques qui favorisent le plus l’éclosion des miasmes palustres. En
résumé, nous estimons qu’il serait bon de faire de ce pays, au point
de vue climatologique, une étude complète. On pourrait s’assurer
ainsi qu’il jouit peut-être d’un climat plus sain ou plutôt moins
malsain que celui des autres régions de cette partie de l’Afrique.
D’après ce que nous venons de dire, cette hypothèse paraît vrai
semblable.
Flore. — Productions du sol. — Cultures. — La flore du Niocolo
diffère peu de celle des autres parties du Soudan. Pauvre sur les
collines, la végétation n’est réellement riche que sur les bords du
fleuve et des marigots. Là nous trouvons les grands végétaux qui
caractérisent les régions des rivières du Sud : caïl-cédrats, froma
gers, baobabs, Légumineuses de toutes sortes et absolument gigan
tesques. Mais il existe dans le Niocolo tout entier, du moins dans
les régions Est et centrales, deux végétaux qui méritent une men
tion particulière. Le Karité [Butyrospermum Parlai) y est partout
excessivement commun et ses deux variétés, Shée et Mana, s’y
rencontrent. La première y est cependant plus fréquente. Les habi
tants tirent de la noix uDe assez grande quantité de beurre qu’ils
vont vendre à Yabouteguenda et à Mac-Carthy.
On trouve ce végétal partout, dans le Niocolo: mais c’est surtout
aux environs de Sillacounda, Diengui, Dikhoy qu’il est particulière
ment abondant. Toute la plaine de Sillacounda en est littéralement
couverte et nous y en avons vu des échantillons qui atteignaient
des proportions fort respectables. Le karité, dans cette région du
moins, ne pousse pas en forêts compactes. Les pieds sont distants
les uns des autres d’environ soixante mètres. Nous croyons que,
�484
ANDRÉ RANÇON
trop rapprochés, ils se développeraient moins vigoureusement. Il y
aurait là matière à créer une véritable richesse agricole, forestière
et commerciale pour le pays. Mais il faudrait que ceux qui s’en
occuperaient fissent tout par eux-mêmes : car jamais on n’arrivera
à faire cultiver par le noir aucun autre végétal que ceux qui sont
susceptibles de lui donner un rendement immédiat. On n’arrivera
jamais à lui faire semer une seule graine de karité.
Les lianes à caoutchouc Saba (Bambara), et Laré (Peulh), sont
aussi excessivementcommunes dans le Niocolo. On les trouve un peu
partout, mais c’est surtout sur les bords du fleuve et des marigots
qu’elles sont réellement abondantes. Elles y atteignent des propor
tions énormes, mais je doute que jamais un noir quelconque
récolte un gramme de latex de Laré, quels que soient les moyens que
l’on emploie et les arguments qu’on fasse valoir pour leur conseiller
ce léger travail. Ce végétal serait également très facile à multiplier
dans d’énormes proportions, mais, je le répète, on n’obtiendra
jamais rien de l’indigène en dehors de ce qui sort de la routine.
Les cultures sont très riches dans le Niocolo, surtout dans les
pays habités par les Diakankés: Diengui, Sillacounda, Samécouta,
Laminia. Sous ce rapport les Malinkés commencent à se remuer
un peu. Quant aux Peulhs, ils sont loin de ressembler à leurs frères
du Ouli et du Sandougou. Ils délaissent volontiers la pioche pour
prendre le fusil et aller détrousser les caravanes ou voler des captifs
aux alentours des villages Malinkés.
Le mil, maïs, coton, arachides, tabac, etc., etc., en un mot
toutes les plantes que l’on cultive au Soudan se voient dans les
lougans du Niocolo. Les habitants font de grands et beaux lougans
et, pendant toute l’année, ils ne manquent jamais de mil. Leurs pro
cédés de culture sont à peu de chose près les mêmes qu’ailleurs,
mais les lougans sont plus soignés. J’ai remarqué que pour les
champs de mil, iis ne se contentaient pas seulement de gratter la
terre et d’y enfouir la semence à une petite profondeur. Ils font de
véritables sillons. Ce qui permet aux eaux de séjourner plus long
temps autour du mil. Aussi celui-ci y atteint-il des proportions
inconnues ailleurs. Autour des villages, surtout chez les Malinkés,
se trouvent de petits jardinets où sont cultivés, avec grand soin,
oignons, tabac, oseille, etc., etc. C’est surtout aux femmes
qu’incombe cette besogne.
�DANS LA HAUTE-CAMBIE
485
Faune. Animaux domestiques. — La faune est peu variée. Parmi
les animaux nuisibles, citons le lion, assez rare, la panthère, le
lynx, le chat-tigre, et, dans la Gambie, le caïman. L’hippopotame
abonde surtout dans les marigots de la région Ouest. C’est là aussi
la région qu’habite l’éléphant, qui est assez commun. Toutes les
variétés d’antilopes, biches, gazelles y sont représentées en grand
nombre. Le bœuf sauvage s’y rencontre aussi fréquemment. Tous
les habitants du Niocolo se livrent à l’élevage des bœufs, moutons
et chèvres. Mais ceux qui, de beaucoup, possèdent les plus beaux
troupeaux, sont les Diakankés. Samécouta, Sillacounda, Laminia
possèdent chacun plusieurs centaines de têtes de bétail. Les bœufs
y sont assez gros et leur viande est excessivement savoureuse. Le
lait des vaches, très riche en principes gras, est également excel
lent. Les moutons et les chèvres y prospèrent à merveille, et ils ne
sont pas étiques comme cela se voit dans presque tout le reste du
Soudan. Citons pour mémoire les poulets, très nombreux partout.
C’est toujours la même volaille décharnée que l’on rencontre
partout en Afrique, et qui n ’a rien à envier à ses congénères
de l’Opéra-Comique. Il y a peu de chevaux dans le Niocolo.
D’après les renseignements que j’ai eus à ce sujet, le climat leur
serait contraire et ils n ’y vivraient pas. Les ânes, petits et vigou
reux, y sont très communs, et les dioulas s’en servent pour le
transport de leurs marchandises.
Populations. Ethnographie. — Le Niocolo est, relativement à son
étendue, très peuplé, surtout dans sa partie centrale. Il n’y a qu’un
seul village sur la rive droite de la Gambie, Laminia (village
Diakanké). La partie Ouest est à peu près inhabitée. On n ’y trouve
que deux petits villages Malinkés de très peu d’importance. La
population totale du pays peut être évaluée à environ 25 à 28,000
habitants. Ce qui, vu sa superficie, nous donne à peu près trois
habitants par kilomètre carré. Il est habité par des Malinkés, des
Diakankés, des Peulhs et des Sarracolés. Les Malinkés et les
Peulhs sont de beaucoup les plus nombreux. Ils forment un grand
nombre de villages situés: les Malinkés au Nord, et les Peulhs
au Sud.
1° Malinkés. — Les Malinkés ont été les premiers habitants du
Niocolo. Si l’on en croit la légende que racontent volontiers les
�486
ANDRÉ RANÇON
griots et les vieillards, les premiers habitants de race Malinkée
dont on retrouve la trace au Niocolo appartenaieut à la famille des
Sadiogos, venus du Manding lors de la première grande migration,
celle de Koli-Tengrela. Cette famille des Sadiogos arriva on ne sait
comment jusque sur les bords de la Gambie et là les uns franchirent
le fleuve et se fixèrent dans le Niocolo et les autres se fixèrent à
Sibikili, où ils sont encore. Peu après, lors de la seconde grande
migration Mandingue dans le Bambouck, sous la direction des
Sisokos, arrivèrent les Camaras qui chassèrent les Sadiogos et
peuplèrent en partie toute la partie Nord du Niocolo. Les Sadiogos
se retirèrent à Sibikili et c’est dans ce seul village que l’on peut
encore trouver des représentants de cette ancienne famille M ilinkée.
Mais les Camaras ne devaient pas jouir longtemps en paix de leur
victoire. Après la mort de Soun-Dyatta, un grand courant d’émi
gration Malinkée se fit de l’Est vers l’Ouest, et dans le Niocolo ne
tardèrent pas à arriver deux des plus anciennes familles du Manding
les Dabos et les Keitas. Dans le cours du voyage, un certain nombre
de Dabos avait quitté la colonne et s’était fixé dans le Kouroudougou, près du Diébédougou, où sont encore leurs descendants. Les
Keitas et les Dabos eurent facilement raison des Camaras et les
soumirent à leur autorité. Ceux-ci préférèrent obéir que de quitter
le pays. Les Keitas prirent alors le pouvoir en main et voulurent
pressurer leurs alliés les Dabos comme ils le faisaient pour les
Camaras. Les Dabos, irrités, quittèrent le pays et allèrent se fixer
dans le Ouli. Il n’en reste plus que fort peu actuellement dans le
Niocolo. Dernièrement encore plusieurs cases de Dabos allèrent
rejoindre leurs frères du Ouli. Les Keitas sont encore les maîtres
du Niocolo, de la partie Nord du moins. Leur chef réside à Dikhoy,
chef sans aucune autorité, qui est absolument annihilé par les
almamys du Fouta-Diallon.
Les Malinkés du Niocolo ne diffèrent en rien des Malinkés des
autres pays. Ils sont aussi vantards, pillards, ivrognes, voleurs et
menteurs. Leurs villages sont aussi sales. Ils sont là plus abrutis
que partout ailleurs et la main de fer qui les opprime n ’est pas
capable de leur permettre de se relever tant au moral qu’à tout
autre point de vue. Ils forment un grand nombre de villages; mais
Keitas et Camaras habitent à part, et depuis la conquête les unions
entre ces deux familles ont été fort rares.
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
Villages Malinkés du Niocolo.
1° Villages Keitas :
Dikhoy (résidence du chef).
Bantaco.
Tomborocoto.
Marougoucoto.
2° Villages Camaras :
Bantata.
Pataranké.
Barabané.
Dapouta.
Médina.
Tigancali.
Baniou.
Baïsso.
Teraansou
Maniancanti
Vana.
Bala.
Lacanta.
Mariguilcia.
Nientambouré.
Daria.
Les Malinkés habitent le Nord du Niocolo. Une ligne de démar
cation bien nette les sépare des Peulhs du Sud. Ils n’ont jamais
tenté de s’étendre lors même que le reste du pays était inhabité. Là
où ils ont mis le pied pour la première fois, là ils sont restés. C’est là
la preuve la plus manifeste du peu de vitalité de ce peuple, qui est
appelé à disparaître un jour du Niocolo et à en être chassé par les
Peulhs ou à être absorbé par eux.
2° Diakankés. — Les Diakankés du Niocolo sont relativement peu
nombreux. Ils forment quatre villages dont la population totale
peut être évaluée à environ trois mille habitants. Ces villages sont :
Diengui. — Sillacounda. — Laminia. — Samécouta. — Les Dia
kankés sont établis là de très longue date. Ils ont quitté le Diakadès
les premiers jours de la conquête de ce pays par les almamys du
Bondou. Pressurés par ces derniers, ils ont préféré se soumettre
aux exigences du Fouta-Diallon que de supporter les exactions aux
quelles ils étaient continuellement exposés dans le Diaka. Ils ont
construit alors sur les bords de la Gambie ces quatre grands villages
dans des situations hors ligne et au milieu d’un pays excessivement
fertile. — Les Diakankés, musulmans fanatiques, sont des gens
�488
ANDRÉ RANÇON
absolument paisibles pourvu qu’on leur laisse pratiquer en paix
leur religion. Ils élèvent de nombreux troupeaux et les greniers de
leurs villages regorgent de provisions de toutes sortes. Ce sont de
beaucoup les plus riches du Niocolo. Us sont soumis au FoutaDiallon auquel ils payent tribut. Chaque année, les quatre villages
doivent payer douze bœufs aux almamys. Mais, en dehors de cela,
il sont obligés de répondre aux demandes de leurs maîtres qui
envoient chercher mil, arachides, etc., etc. Us sont fatigués de cela
et demandent que cet état de choses cesse au plus tôt.
N’étaient les bœufs qui les empestent littéralement, leurs vil
lages seraient bien entretenus. Les cases y sont propres et en bon
état. Chaque village possède une ou plusieurs mosquées qui y sont
construites, en paille, avec le plus grand soin. Leurs immenses
toits en forme de chapeaux pointus viennent jusqu’au ras du sol,
aussi pour entrer dans ces temples, faut-il absolument se mettre à
quatre pattes. Chaque jour, les enfants sont réunis dans une case
spécialement affectée à leur instruction, et un marabout en renom
dans le village, très versé dans la connaissance de l’Arabe et du
Coran, les initie aux mystères de la langue sacrée, leur apprend
et leur explique les versets du Saint Livre. Ces sortes d’écoles
sont très assidûment fréquentées. En résumé, le Diakanké est un
peuple fort intéressant, dont nous devrions nous occuper plus
que nous l’avons fait jusqu’à ce jour.
3° Sarracolés. — Il eût été fort étonnant de ne pas trouver de
village Sarracolé dans le Niocolo. On les rencontre partout où il y
a un peu de commerce à faire, et, dans ce pays, ils jouissent, au
point de vue commercial, d’une situation fort sociable. Ils n’ont
formé qu’un seul village, Kédougou, fort peuplé de gens de toute
espèce de races. C’est là que les Sarracolés tiennent, pour ainsi dire,
entre leurs mains, la plus grande partie du commerce de la région.
Les Sarracolés du Niocolo sont venus d’un peu partout; mais ce
sont surtout ceux du Guidioumé et du Ghabou qui y sont en plus
grand nombre. Les premiers y sont venus à la suite delà conquête
de leur pays par El Hadj Oumar, et les seconds, à la suite de la
conquête du Ghabou par Alpha-Molo. Ils vivent là en paix, payant
au Fouta-Diallon un fort impôt, et vivant en bonne intelligence
avec leurs voisins, car ceux-ci ont toujours besoin d’eux.
�4° Peulhs. — Les Peul lis du Niocolo ne ressemblent en rien aux
Peulhs du Ouli ou du Sandougou. Ils sont venus du Fouta-Diallon
à la suite des envahisseurs, lorsque le Niocolo fut soumis à l’auto
rité de l'almamy. Ils forment un grand nombre de villages situés
dans la partie Sud du pays, et là, ils se livrent plutôt au brigandage
qu’aux travaux des champs.
Le Peulli de Fouta-Diallon est peut être la pire des races afri
caines. C’est le voleur de grand chemin et le pillard par excellence.
Musulman enragé, et sous prétexte de religion, il se livre à toutes
les rapines possibles, aussi bien sur ses coreligionnaires que sur
les infidèles. Ils poussent leurs incursions jusque dans le Tenda,
le pays de Gamon et même le Koukodougou. Il serait grandement
temps de mettre fin à tout cela et de protéger enfin d’une façon plus
efficace ceux que, par traités, nous avons promis de protéger.
Les Peulhs du Niocolo vivent en paix avec les autres populations
du pays, mais, il n ’y a pour ainsi dire aucun rapport entre eux.
Chacun reste chez soi. Voici la liste de leurs villages
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Villages Peulhs du Niocolo :
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Fadiga.
Marougou.
Sakoto.
Lacourou.
Bandofassi.
Itato.
Pataschi.
Koudio.
Landieni.
Niompaya.
Landé.
Tiokitian.
Deloum.
Iméré.
Etiessé.
Anrabol.
Bokari.
Bandé.
Saréfitari.
Situation et organisation politiques actuelles. —
avons-nous dit, est tributaire du Fouta-Diallon. La conquête de ce
pays par les almamys s’est faite bien aisément et voici dans quelles
circonstances. C’est à l’époque où il n’y avait encore dans le Niocolo
que des Malinkés; car les autres peuples sont venus bien après.
Lorsqu’après la mort de Boubou-Malick-Sy, fils de Maliclt-Sy, le
fondateur de la dynastie Sissibé du Bondou, ce pays fut livré en
proie aux Malinkés du Bambouck; Maka-Guiba, héritier de son
1
.
�490
ANDRÉ RANÇON
oncle, fit demander du secours aux almamys du Fouta-Diallon, ses
cousins, pour reconquérir le royaume de Malick-Sy. On comprend
que ceux-ci ne laissèrent pas échapper une si belle occasion de se
livrer quelque peu au pillage. Ils réunirent donc une forte colonne
et se mirent en route pour le Bondou, pillant et ravageant tout sur
leur passage. Ils arrivèrent ainsi dans le Niocolo. Les guerriers
Malinkés voulurent entrer en campagne contre eux, mais les vieil
lards calmèrent leur ardeur en leur faisant remarquer que le
Fouta-Diallon était bien près et bien plus fort qu’eux et qu’ils
finiraient toujours par succomber dans une lutte aussi inégale. Il
valait donc mieux ne pas s’exposer à la colère de l’almamy et se
soumettre à son autorité. Chose qui fut faite, et, depuis cette époque,
le Niocolo est tributaire et vassal du Fouta-Diallon. Les populations
qui vinrent s’y établir dans la suite acceptèrent une situation déjà
existante et payèrent également l’impôt. C’est également à cette
époque que des Peulhs du Fouta-Diallon vinrent s’établir dans le
Sud du Niocolo et y fondèrent les villages dont nous avons donné
plus baut la liste.
La véritable autorité dans le pays est donc celle du Fouta-Dial
lon et elle s’exerce spécialement pour recueillir l’impôt et pressurer
les populations qui lui sont soumises.
Le chef des Malinkés, qui réside à Dikhoy, ne jouit absolument
d’aucun pouvoir. C’est, du reste, la coutume dans les pays Malinkés.
On vient parfois lui demander son avis dans certaines contestations
entre villages ou entre particuliers; mais il est rarement suivi. En
résumé, c’est un chef qui n ’en a que le nom.
Les autres villages, Peulhs, Sarracolés, Diakankés s’admi
nistrent comme bon leur semble. Chez les Diakankés, le chef de
Sillacounda jouit d’une autorité assez respectée des autres villages ;
car les quatre villages Diakankés sont tous habités par les membres
de la même famille.
En résumé, au point de vue politique, il n’y a réellement qu’une
autorité dans le Niocolo, la volonté de l’almamy de Timbo. Nous
avons dit plus haut comment elle s’exerçait. Sauf la question de
l’im pôt, rien n’est réglé. C’est l’anarchie et le désordre par
excellence.
Par suite du traité passé avec le Fouta-Diallon, le Niocolo se
trouve également placé sous le protectorat de la France. Les habi-
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
tants du pays voudraient bien nous voir intervenir en leur faveur
contre leurs tyrans, mais il serait difficile défaire quoi que ce soit
pour eux sans se heurter contre l’autorité de l’almamy. Malgré tout,
il est temps qu’une solution intervienne, car nos caravanes et nos
marchands sont littéralement dépouillés parles droits exorbitants
que l’on exige d’eux.
Rapports du Niocolo avec les pays voisins. —- Bien que le Niocolo
soit tributaire du Fouta-Diallon, bien qu’il fasse partie du grand
empire Peulh, ses habitants ne sont nullement protégés par les Peulhs,
bien au contraire. Ils n’ont du protectorat que les charges sans
en avoir les avantages, et ses villages, quand ils sont attaqués, ne
sont jamais défendus. On ne vient jamais à leur secours. Aussi, leurs
voisins ne se gênent ils guère avec eux et ils n’ont pas échappé
aux attaques des almamys du Bondon. Aussi, en décembre 1869, sous
prétexte que les gens de Marougoucoto avaient pillé une caravane
du Bondou, ce qui pouvait bien être vrai, Boubakar-Saada,
l’almamy, vint attaquer ce village et s’en empara aisément.
La moitié de la population se sauva et le reste fut emmené en
captivité. Quelque temps après, Boubakar autorisa ceux qui lui
avaient échappé à reconstruire Marougoucoto. Mal lui en prit, car
en 1875, ce village s’étant repeuplé et son tata ayant été solidement
reconstruit, les habitants recommencèrent leurs brigandages et
pillèrent sans merci tous les dioulas et toutes les caravanes venant
du Bondou ou du Galam et qui s’aventuraient à leur portée. L’al
mamy Boubakar leur envoya deux de ses meilleurs guerriers pour
leur enjoindre d’avoir à cesser d’harceler sans cesse ses sujets, et
leur déclarer qu’en cas de refus il marcherait immédiatement
contre eux. Le chef du village lui fit répondre que « s’il était le
» maître à Sénoudébou, lui il commandait à Marougoucoto, et que
» si les gens du Bondou voulaient passer par son village pour se
» rendre au Fouta-Diallon, sans payer l’impôt que toutes les autres
)) caravanes acquittaient sans récriminer, il continuerait à le
» leur faire payer de force ». De plus ses émissaires ne furent
même pas autorisés à se reposer dans le village. On ne leur donna
même pas une calebasse d’eau pour se désaltérer et ils furent
reconduits sous bonne escorte jusque sur la rive droite de la
Gambie. Cette façon de procéder, si contraire à foutes les coutumes
�492
ANDRÉ RANÇON
noires, équivalait à une déclaration de guerre. Boubakar, à bon
droit, le comprit ainsi et se prépara à aller châtier ces insolents.il fit
alors appel à ses alliés du Gadiaga, du Kasso et du Logo, réunit
une forte colonne et entra immédiatement en campagne. L’armée
coalisée traversa la Gambie au gué de Tomborocoto et vint tomber
sur Marougoucoto dans les premiers jours d’avril 1875. Mais les
habitants étaient prévenus et se tenaient sur leur garde. Suivant
une tactique assez commune chez les Malinkés, ils n ’attendirent
pas l’ennemi à l’abri de leurs murs et s’avancèrent contre Boubakar
pour lui barrer la route. Du gué de Tomborocoto, la route suit un
défilé que dominent de chaque côté des collines relativement
élevées. Elle est de plus littéralement encombrée dérochés qui la
rendent difficilement praticable. Embusqués derrière les rochers et
dans la forêt, ils attaquèrent à l’improviste l’armée coalisée.
Malgré une vigoureuse défense, Boubakar fut obligé de battre en
retraite, ses troupes se débandèrent et se précipitèrent en désordre
vers le gué de Dina (c’est ainsi que les Toucouleurs appellent le
gué de Tomborocoto). Poursuivies à outrance par les guerriers de
Marougoucoto et leurs alliés, c’est à peine si elles purent franchir
la Gambie sous le feu des ennemis embusqués derrière les rochers
des collines environnantes. Boubakar et Ousman Gassy, son fils, ne
purent, malgré leurs efforts, arriver à rallier leurs hommes et furent
obligés de s’enfuir à bride abattue pour échapper aux balles des
Malinkés.
Dans cette journée, Boubakar perdit environ deux cents hommes,
parmi lesquels un de ses neveux, Sidy-Amady-Salif, de la branche
des Sissibés de Koussan-Almamy, et un des captifs de la couronne
qu’il affectionnait le plus, Saada-Samba-Yassa.
Depuis cette époque, aucune guerre n’a désolé le Niocolo. Les
Malinkés qui l’habitent vivent en paix avec leurs voisins du Badon.
Ils sont, du reste, de la même famille, ce qui cependant ne serait
pas une raison. Il en est de même avec le Dentilia. D’ailleurs, ils
ne se sentent plus assez forts pour essayer de brigander sur les
routes comme ils le faisaient jadis. Opprimés comme ils le sont
par le Fouta-Diallon, ils ne peuvent plus se permettre quoi que ce
soit. Autrefois ils se livraient à un pillage en règle des caravanes
qui passaient par leur pays. Tomborocoto et Marougoucoto avaient
à ce sujet une réputation universelle au Soudan. Mais depuis
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
quelques années, depuis que nous nous sommes occupés, bien peu
pourtant, cle leurs affaires, les vols ont cessé. Les autorités du
Fouta-Diallon y ont mis bon ordre. Nous avons vu quelles étaient
leurs relations avec les Peulhs du Sud. Je crois bien qu’ils préfé
reraient les voir ailleurs que là où ils sont; mais ils ne peuvent
rien dire, ce sont les maîtres.
Les Dianltankés vivent absolument à part et n ’ont avec les
Malinkés que les relations qu'un peuple musulman peut avoir avec
un peuple qui ne l’est pas.
Quant aux Sarracolés, ces juifs de l’Afrique, ils sont bien avec
tout le monde, pourvu qu’ils en tirent profit et bénéfices, si petits
qu’ils soient.
Nous avons vu ce que sont les .Peulhs, voleurs, pillards, brigands
dans toute l’acception du mot. Il serait temps de leur couper les
ailes.
Rapports du Niocolo avec les autorités françaises. — Les rapports
du Niocolo avec les autorités françaises sont nuis. Cela se com
prend; nous ne pouvons avoir avec ce pays que des relations
absolument indirectes. Les Malinkés, Sarracolés, Diakankés nous
verraient avec plaisir intervenir d’une façon plus efficace dans les
affaires de leur pays. Aussi lorsqu’ils voient un représentant quel
conque de l’autorité française, le traitent-ils avec les plus grands
égards.
Quant aux Peulhs, il ne faut pas l’oublier, ce sont des émigrés du
Fouta-Diallon et ils reçoivent le mot d’ordre de ce pays ; le fait suivant
suffira amplement pour prouver quelles sont leurs façons de pensera
notre égard. Me trouvant à Gamon, le chef vint se plaindre à moi de
de ce que les Peulhs du Niocolo et du Tamgué venaient jusque sous
les murs du village voler leurs enfants, femmes, captifs et bœufs.
Je lui exprimai mon étonnement de ce fait, car, lui dis-je, ils savent
parfaitement que Gamon est Français. « Ah bien oui, me répon» dit-il, ils s’en moquent pas mal et si on les interroge à ce sujet,
» ils vous répondent qu’ils ne connaissent pas ce que c’est. Il n’y a
» pour eux que des villages Malinkés. Aussi ne se gênent-ils pas
» pour venir sur notre territoire continuellement piller, voler et
» brigander à outrance ». Pour être convaincu de la chose, il subit
d’interroger à ce sujet les gens du Tenda, du Gamon, du Dentilia
�494
ANDRÉ RANÇON
et. même du Koukodougou. Tous s’en sont plaints à moi et m’ont
déclaré que, depuis quelque temps surtout, la présence de ces
brigands-là dans le pays leur rendait la situation absolument
intolérable. ’
Le Niocolo au point de vue commercial. — Conclusions. — Le
Niocolo, par sa situation géographique, a, au point de vue commer
cial, une importance énorme au Soudan. C’est, en effet, par le
Niocolo que passent la plupart des routes qui mènent du Bambouck, duBondou, du Tenda, du Ouli, etc., etc., au Fouta-Diallon,
routes qui, par conséquent, font communiquer nos comptoirs du
Sénégal avec ce grand pays. De plus, c’est dans le Niocolo à
Kédougou surtout que les dioulas du Nord viennent faire leurs
achats de kolas. On peut dire, à ce point de vue, que Kédougou est
l’entrepôt de tout le commerce du Nord avec le Fouta-Diallon. Les
almamys l’ont bien compris, aussi celui qui règne actuellement
vient-il d’établir à Sakoto une sorte de douane à l’usage des dioulas
spécialement. Qu’ils aillent au Fouta-Diallon ou qu’ils en reviennent,
il faut payer à l’entrée comme à la sortie, et les droits ne sont pas
minimes. Ainsi c’est une pièce de guinée par charge d’âne et une
demi-pièce par charge d’homme, soit environ 20 francs et 10 francs.
C’est le fils lui-même de l’almamy qui dirige ce service de tréso
rerie. Je n ’ai pas besoin de dire qu’il en profite pour pressurer le
pays d’une façon épouvantable.
Comme on le voit, l’importance commerciale du Niocolo est
capitale. On devrait s’occuper un peu plus de cette question que
nous ne l’avons fait jusqu’à ce jour. Ce qu’il importe surtout pour
favoriser le commerce, c’est de supprimer toutes ces douanes et de
réprimer le brigandage. Pour arriver à ce résultat, il n’y a qu’un
moyen, je le répète, mettre définitivement la main sur le FoutaDiallon.
��CHAPITRE XXIII
Départ de Laminia. — Souhaits de bon voyage. — Pratique religieuse à ce sujet. —
De Laminia à Médina.— Dentilia. — Route suivie.— Extraction du fer. — Hautsfourneaux. — Description de la route. — Géologie — Botanique.— Le D ia bé.—
La Fève de Galabar.— Arrivée à Médina.— Dentilia.— Le pavillon tricolore.—
Belle réception. — Orcheslre original. — Description du village. — En route
pour Saraia. — lloule suivie. — Berabou. — Badioula. — Description de la
route. — Géologie. — Botanique.— Les ficus. — Le Seno. — Les Strophanthus. — Arrivée à Saraia. — Le village. — Un mariage chez les MalinUés. —
Départ pour Dalati. — Beaux lougans. — Le Caoutchouc. — Arrivée à Dalabi. —
Mensonges des habitants. — Respect des Indigènes pour les bœufs blancs. —
En route pour Diaka. — Médina. — Route suivie. — L’Anacarde. — Cordiale
réception.
20 Janvier JS92. — La nuit que nous passâmes à Laminia fut
relativement chaude. Le vent du Nord-Est n’a pas cessé de souffler.
Ciel clair et étoilé. Au réveil pas le moindre nuage. Le soleil se lève
brillant. Brise de Nord-Est. Température chaude. Pas de rosée.
Nous avons une longue étape à faire. Aussi je réveille mon monde
dès deux heures et demie du matin. Malgré l’heure matinale
les préparatifs du départ se font très rapidement. Les porteurs
sont réunis à l’heure dite, et, par un beau clair de lune, nous
nous mettons en route à trois heures du matin.
Le chef et les principaux notables n’ont pas voulu me laisser
partir sans venir me serrer la main et sans me souhaiter un bon
voyage. Môme ceux de Sillacounda sont restés passer la nuit à
Lamina pour me saluer encore au moment où j’allais les quitter.
Tous me remercièrent sincèrement du petit cadeau que je leur fis.
j’aurais bien voulu leur donner davantage pour les défrayer un peu
des dépenses qu’ils avaient faites pour me recevoir ; mais ma
pacotille commençait singulièrement à s’épuiser et il me fallait
songer aussi à la longue roule qui me restait à faire avant
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
d’arriver dans un de nos postes où je pourrais me ravitailler. Car,
dans ce pays, pour être bien vu, il faut donner, toujours donner.
Ce n’est, en effet, que par la force ou par force cadeaux que l’on
peut conserver son prestige dans ces régions. Un chef doit être
puissant ou généreux. Voyageant sans escorte, il me fallait donc,
pour me faire respecter, puiser sans cesse dans mes modestes pro
visions. « Les cadeaux entretiennent l’amitié », disons-nous en
France. Nulle part, plus qu’au Soudan, ce proverbe n’a été plus
vrai.
Au moment où nous allions nous mettre en route, je vis un des
marabouts du village s’avancer vers Almoudo et lui adresser une
question en lui prenant les deux mains. Mon interprète répondit
affirmativement, et ce disant présenta au marabout ses deux mains
ouvertes, la paume tournée en haut et se touchant par leur bord
interne. Le marabout les prit dans les siennes et marmotta quel
ques paroles en crachant plusieurs fois et légèrement sur la paume.
Quand il eut terminé, celui-ci se les passa sur la figure à plusieurs
reprises en répétant : « merci, merci. » Je lui demandai ce que
signifiait cette pratique. 11 me répondit alors que ce marabout était
renommé dans tout le pays pour sa sainteté et qu’il venait de faire
une prière pour que nous fassions un bon voyage. « Nous pouvons
être assurés, ajouta-t-il, maintenant qu’il ne nous arrivera rien
de fâcheux pendant la route, car, lorsqu’un grand marabout donne
uue prière comme cela à un homme, tous les compagnons de
celui-ci en profitent, car il est alors l’ami d’Allah. C’est, ce qu’il y a
de plus que le meilleur. » Je ferai remarquer que mon interprète
était un Bambara qui, s’il ne faisait pas Salam, observait du moins
toutes les autres prescriptions du Coran. C’est encore là une preuve
indiscutable de la grande vénération que, même les peuples du
Soudan qui ne la pratiquent pas, ont pour la religion du prophète.
Munis de ce précieux viatique, nous nous mîmes en route pleins
de sécurité sur l’issue de notre voyage. Les porteurs marchent bien.
A un quart d’heure du village, nous traversons le Daguiri-Kô. Les
uns en pirogue et les autres à gué. Ce marigot est peu large et peu
profond en cette saison. Les berges sont cependant à pic et, pen
dant l’hivernage quand ses eaux ont été gonflées par les pluies, sa
largeur peut être d’environ de 50 à 60 mètres et sa profondeur de
10 à 12 mètres. L’endroit où il coupe la route de Laminia à
André Rançon. — 32.
�498
ANDRÉ RANÇON
Médina-Dentilia est situé à environ trois cents mètres de la Gambie
que l’on peut apercevoir, du reste, du haut des berges du marigot.
Nous traversons, à peu de distance du Daguiri Kô, deux de ses
affluents. Successivement, il nous faut franchir le Diguia-Kô, le
Douta-Kô, affluents de Koumountourou Kô. Nous laissons sur la
droite la route de Dioulafoundou et, à six kilomètres de là, nous
arrivons aux ruines de Tasiliman, où nous faisons la halte.
Tasüiman devait être un village qui, à en juger par ses ruines,
devait avoir environ 450 ou 500 habitants. Il était situé sur un
petit monticule qui s’élève à un kilomètre du Koumountourou-Kô.
Sa population l’abandonna à la suite d’un incendie qui dévora
toutes ses cases, et alla habiter à Médina-Dentilia et à Dioula
foundou. Le sol est cependant très fertile aux alentours. Les habi
tants des villages voisins y ont fait de beaux lougans de mil, et
toute la plaine qui l’entoure est parsemée de superbes karités. Il
existe encore au milieu des ruines du village plusieurs puils qui
donnent une eau délicieuse et qui, pendant la saison des cultures,
sont bien entretenus par les cultivateurs qui viennent s’installer
là pour surveiller leurs champs. Non loin de l’ancien village exis
tent, en effet, quelques cases et quelques greniers à mil que gar
dent une ou deux familles de captifs.
La traversée du Koumountourou-Kô est assez difficile, bien que
ce marigot ne soit pas très large et qu’à cette époque de l’année il
soit presque complètement à sec. Mais ses berges sont excessive
ment élevées et à pic. Aussi faut-il prendre mille précautions pour
descendre dans le lit et remonter sur la berge opposée. De plus, le
fond est couvert de débris végétaux et encombré de racines qu’il
faut avoir soin de faire éviter aux animaux.
A quelques kilomètres du Koumountourou-Kô, nous traver
sons successivement le plus important de ses affluents, le SamaniaKô, et non loin de ce dernier le Bancoroti-Kô, qu’il reçoit et qui
coule au pied du petit monticule sur lequel s’élève le village de
Médina-Dentilia.
A peu de distance de là nous laissons sur la gauche huit ou dix
fours à extraire le fer, et qui étaient éteints quand nous y sommes
passés.
Le minerai de fer est excessivement commun au Soudan. On
peut dire d’une façon générale qu’ il n’y existe pas de roche qui
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
499
n’en contienne en plus ou moins grande quantité. Mais ce sont
surtout les quartz et les grés qui sont les plus riches. Le fer magné
tique est assez rare. On ne le trouve guère que dans le pays de
Ségou. Ce métal existe plutôt à l’état d’oxydes unis à de la
silice et à de l’argile. Les quartz et les grès ferrugineux forment
des conglomérats parfois énormes qui sont agglutinés entre eux
par de l’argile. Enfin on trouve encore parfois de petits cailloux
roulés qui contiennent une si grande quantité de ce métal que les
indigènes s’en servent parfois comme balles de fusil. Certains
minerais des environs de Dioulafoundou dans le Bambouck contien
nent à peu près 35 % de fer absolument pur. Malgré leurs
richesses, il sera de longtemps impossible de les exploiter, vu le
bas prix de ce métal en Europe. Il ne sera jamais l’objet d’un
commerce d’importation et, pour l’utiliser, il faudrait l’extraire sur
place et l’écouler dans le pays. Encore l’exploitation ne sera-t-elle
jamais rémunératrice, vu le prix élevé de la main d’œuvre. Il sera
toujours moins onéreux de faire venir d’Europe la quantité de
métal dont nous pourrons avoir besoin dans nos ateliers.
Les indigènes extraient eux-mêmes le métal dont ils ont besoin
pour fabriquer leurs couteaux, sabres et leurs instruments de
culture. Toutefois depuis notre installation au Soudan, ils préfèrent
de beaucoup s’approvisionner sur nos marchés et il faut aller
assez loin dans l’intérieur pour y voir encore fonctionner leurs
hauts-fourneaux. Nous avons pu en voir de nombreux échantillons
dans les différents voyages que nous avons faits au Soudan dans
le Bélédougou, le Niocolo, le Bambouck, le Konkodougou, etc., etc.
Les fourneaux sont généralement construits non loin de la mine
d’où on extrait le minerai. Ce minerai est cassé en petits fragments
d’environ quatre à cinq centimètres cubes et amoncelé en tas
auprès des fours.
Ces fours sont construits en argiles compactes. Leur hauteur est
environ de trois mètres et leur circonférence d’un mètre cinquante.
Leur forme est à peu près cylindrique ; à fleur de terre trois ou quatre
ouvertures ou évents sont ménagées avec soin et sont munies de
tuyaux auxquels s’adaptent des soufflets que les ouvriers manœu
vrent à la main. Une ouverture plus grande que les autres, et
fermée pendant que dure la fonte, communique par un conduit en
argile à une sorte de réservoir en pisé destiné à recevoir le fer
�500
ANDRÉ RANÇON
quand l’opération est terminée. Pour l’obtenir on empile dans le
fourneau par couches superposées le minerai et le charbon. Ce
dernier est excellent et donne une chaleur suffisante. On le fabrique
surtout avec le bois du caïl-cédrat, du vène et du gonakié. Quand le
four est chargé, on l’allume par la base et on souffle vigoureu
sement de façon à accélérer le plus possible la combustion. La
cheminée est, de plus, construite pour donner un vigoureux
tirage. Aussi l’opération se fait-elle en peu de temps quand le feu
est bien allumé. Lorsqu’on juge que la fusion est complète, on
débouche l’ouverture dont nous avons parlé plus haut et le métal
coule dans le réservoir ménagé à cet effet, et où on le laisse
refroidir. Le fer ainsi obtenu n’est pas de la fonte et il a toutes les
qualités du fer absolument pur. Les forgerons seuls pratiquent
ce métier avec leur famille, et c’est à eux qu’incombe le soin de
fabriquer tous les objets dont les noirs se servent pour leurs travaux
agricoles. Couteaux, haches, pioches, ainsi que sabres et poignards
sont fabriqués avec ce fer qu’ils travaillent au marteau et à l’en
clume après l’avoir fait rougir au charbon de bois dont ils entre
tiennent la combustion avec des soufflets en peaux de boucs et
qui sont manœuvrés par leurs aides. Chaque habitant du village
qui a besoin de leurs services leur pave une certaine redevance
proportionnée à l’importance des commandes.
A dix heures vingt minutes, nous arrivâmes enfin à MédinaDentilia, par une chaleur très supportable tempérée par une bonne
brise de Nord-Est.
De Laminia à Médina-Dentilia, la route suit à peu près une
direction générale Est, et la distance parcourue est environ de
32 kil. 500 m. Elle ne présente, pour ainsi dire, pas de grandes
difficultés. Seul, le passage du Daguiri-Kô et du Koumountourou-Kô
nous a un peu retardé.
Au point de vue géologique, nous avons toujours les mêmes
terrains. En quittant Laminia, nous traversons le monticule de
latérite sur lequel est construit le village. Il s’étend environ jus
qu’au marigot de Daguiri. A partir de là, la route traverse une
vaste plaine de trois kilomètres de largeur environ et uniquement
formée d’argiles compactes. Elle est bornée, à l’Est, par de petites
collines que l’on franchit, et où abondent les quartz et les roches
et conglomérats ferrugineux. A l’Est de ces collines, nous retrou-
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
501
vons les argiles, et nous les avons jusqu’aux ruines de Tasiliman
où apparaît la latérite, sur une étendue d’environ trois kilomètres,
puis nouvelles argiles et de nouveau la latérite jusqu’à Médina. La
petite élévation de terrain sur laquelle s’élève le village est formée
de ce terrain. A peu de distance de Médina, on peut remarquer,
de chaque côté de la route, d’énormes blocs de beau granit gris.
Nous reviendrons plus loin sur ce sujet et tâcherons de donner une
explication plausible de la présence de ces roches au milieu de
terrains où on n’est pas habitué à les rencontrer.
Au point de vue botanique, rien de bien particulier à signaler.
Les lianes Saba ont complètement disparu. Les Karités, peu
nombreux dans les plaines argileuses, sont plus abondants dans
les terrains à latérite. C’est la variété Shée que l’on trouve particu
lièrement. Les Manas font complètement défaut. Ce végétal est
très commun aux environs des ruines de Tasiliman et dans la
plaine, au centre de laquelle s’élève Médina-Dentilia. Nous en avons
vu dont les dimensions étaient absolument énormes. Deux autres
végétaux ont surtout attiré notre attention pendant cette étape, le
Diabé et la Fève de Calabar.
Le Diabé n’est autre chose que le Henné (Lawsonia inermis L.)de
la famille des Lythrariées. Ce végétal est assez commun au Soudan;
mais on le trouve surtout dans le Bambouck, le Dentilia et le Manding. Les indigènes en utilisent les feuilles pour teindre, en jaune
très foncé, leurs cuirs ; mais elles sont surtout estimées des femmes
qui s’en servent pour se colorer, en rouge acajou, les ongles et
souvent aussi la paume des mains. Voici comment ou procède pour
obtenir cette coloration si appréciée des élégantes. On récolte les
plus jeunes feuilles de Diabé. On les pile de façon à en faire une
pâte bien homogène. Puis, on enduit de cette pâte chaque ongle.
La main tout entière est ensuite enveloppée de feuilles et on a
soin de maintenir très humide ce pansement pendant trois ou
quatre jours. Puis on l’enlève, et, les mains lavées, on trouve les
ongles teints en jaune rougeâtre acajou. Cette coloration persiste
pendant trois ou quatre mois; après ce temps il faut recommencer
l’opération.
Cette teinture des ongles est considérée par les négresses comme
un attribut essentiel de l’élégance. Filles, femmes de chefs et de
�502
ANDRÉ RANÇON
notables ne manquent pas de la faire avec soin. Les griotes s’ofïrent
porfois aussi ce luxe.
Cette pratique est surtout en honneur chez les Peullis et chez
les peuples qui appartiennent à cette race. Elle est plus rare chez
les peuples de race Mandingue. Quelques jeunes gens adoptent
aussi cette mode, mais ce fait est peu fréquent.
Le Henné est appelé Diabé par les peuples de la race Mandingue
et Pouddi par les Peulhs et leurs congénères.
La Fève de Calabar est la graine du Physostigma venenosum Balf.
de la famille des Légumineuses papilionacées. C’est une plante
vivace, ligneuse, grimpante, atteignant jusqu’à douze mètres de
long. Elle croît, de préférence, sur les bords des marigots. Rela
tivement rare au Soudau, nous ne l’avons rencontrée que dans le
Diébédougou, non loin de Mouralia, et dans le Dentilia,surles bords
du Daguiri-Kô et du Koumountourou-Kô. Ses feuilles sont larges et
ses fleurs disposées en grappes pendantes sont roses ou rouges
pourpre. Le fruit est une gousse de couleur brun foncé, longue de
15 à 20 centimètres et contenant environ 5 à 7 semences ovales, de
couleur brun-chocolat à épisperme dur, cassant, chagriné. Les
cotylédons sont volumineux, durs, friables, rétractés et laissent
entre eux une sorte de cavité.
Les indigènes du Soudan n’utilisent pas la Fève de Calabar.
J ’ai pourtant entendu dire que dans certaines de nos rivières du
Sud, ils s’en servaient comme poison d’épreuve.
Notre entrée à Médina-Dentilia fit sensation. Dès que l’on
aperçut de loin ma caravane, le chef, accompagné de ses principaux
notables, vint à mon avance pour me souhaiter la bienvenue. Il
était précédé par un orchestre des plus bizarres composé d’une
douzaine d’individus armés des instruments les plus étranges. Eu
débouchant dans la plaine au milieu de laquelle s’élève MédinaDentilia, la première chose qui frappa mes regards fut un beau
pavillon tricolore qui flottait à l’extrémité d’un haut bambou au
centre du village. J ’avouerai franchement, dût-on rire de ma sensi
bilité, que je ressentis alors une violente émotion. C’est que depuis
huit mois que je vivais dans la brousse, c’était la première fois que
quelque chose venait ainsi me rappeler vivement la patrie, et ce
quelque chose était le pavillon national. On ne saurait s’imaginer
tout le plaisir que l’on éprouve à voir flotter les trois chères
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
couleurs, au centre de l’Afrique, à des milliers de kilomètres
de la mère-patrie. Mes hommes eux-mêmes ne cachèrent pas toute
la joie qu’ils ressentaient, et Almoudo, à cette vue, crut devoir
traduire ses impressions par un vigoureux « ya bon» ; exclamation
qui a son prix dans la bouche d’un noir. Tous ceux qui connais
sent leur caractère en conviendront avec moi.
A peine avions-nous échangé avec le chef et les notables les
salutations d’usage, que nous nous remîmes en route pour le village
au milieu d’un vacarme assourdissant. L’orchestre qui nous précé
dait s’en donnait à cœur joie. Les uns frappaient à tour de bras
sur d’énormes tam-tams ; les autres soufflaient à pleins poumons
dans les instruments à vent les plus étranges. Des femmes enfin
chantaient à tue-tête. Je crois que tous les instruments à vent
connus des Malinkés étaient représentés dans cet épouvantable
charivari, depuis la simple flûte jusqu’à la corne d’antilope et à la
corne de bois. Nous allons, du reste, les décrire.
D’une façon générale, on peut dire que les instruments à vent
sont peu nombreux au Soudan et on ne les trouve guère que chez
les peuples de race Mandingue, Bambaras et Malinkés. Les Bambaras affectionnent tout particulièrement une espèce de trompe
faite avec une corne d’antilope. Nous avons vu dans le Bélédougou, à Tiésamébougou et à Déorébougou notamment, des orchestres
d’une quinzaine de musiciens ainsi composés. La construction de
ces sortes de trompes est bien simple : A l’extrémité effilée de la
corne, on perce un trou qui, bien entendu, ne la traverse pas de
part en part. L’extrémité ouverte à l’air libre est recouverte d’une
peau mince de jeune chevreau ou de jeune mouton, tendue de façon
à vibrer mais aussi à laisser échapper l’air. Cette sorte de trompe
ne donne jamais qu’un son rauque et qui impressionne fort désa
gréablement l’oreille un peu civilisée. 11 en est cependant qui trou
vent cette musique fort agréable. Il n’y a pas à s’en étonner. Tous les
goûts ne sont-ils pas dans la nature ? Chaque trompe de dimension
différente donne un son différend. Nous n ’osons pas appeler note le
bruit étrange qui en sort. Il en résulte que chaque exécutant produi
sant son bruit particulier l’un après l’autre, on a comme un espèce
d’air. Ob ! il suffit de ne pas être trop difficile en musique, voilà
tout. Cet instrument serait excellent pour chasser les oiseaux qui,
à l’époque de la maturité, viennent manger le mil dans les lougans.
�504
ANDRÉ RANÇON
Les Barabaras nomment cette sorte de trompe Bourou, de
même que ces Malinkés de Médina-Dentilia, auxquels elle ne m’a
pas semblé trop déplaire. Cet instrument est particulièrement
animé par le souffle puissant des captifs.
Sa congénère, la trompe eu bois du Bambouck, du Manding,
du Konkodougou, du Dentilia et autres pays Malinkés amateurs
d’harmonie, est aussi appelée Bourou. Kayes a le bonheur d’en
posséder un orchestre, qui, chaque dimanche et jours de fêtes, se fait
entendre de cinq à six heures sous les fenêtres du commandant supé
rieur, avec accompagnement de toutes sortes de tam-tams et au son
duquel les négresses exécutent leurs pas les plus gracieux.
Cet instrument, qui est bien le plus désagréable que je con
naisse, a la forme d’une clarinette, mais non la même disposition
ni le même son. Il se compose d’un tube long d’environ 0m70 et
taillé tout d’une pièce dans un morceau de bois, de caïl-cédrat en
général. L’extrémité est libre et n’est pas, comme dans la trompe
précédente, recouverte par une peau. A l’extrémité la plus effilée
se trouve l’embouchure. Elle fait saillie sur le corps de l’instru
ment et est creusée en cupule, de façon à ce qu’elle s’adapte parfai
tement à la bouche. La difficulté pour jouer de cet instrument est
d’arriver à en tirer un son. On comprendra facilement, en effet,
d’après la description que nous venons d’en faire, qu’il faut des
poumons énergiques et un souffle puissant pour faire vibrer ces
parois de bois. Eh bien ! nous sommes heureux de constater que
nous avons rencontré des artistes qui s’en tiraient à merveille.
Cette vigueur pulmonaire est peut-être ce qu’il y a de meilleur à
l’actif de la race Malinkée.
Cet instrument est encore la propriété exclusive des captifs.
Heureux captifs ! Ils ne sont pas à plaindre.
Les sons arrachés péniblement à cette trompe sont loin de
payer en mélodie l’énorme travail qu’ils nécessitent. Rien de plus
rauque, de plus assourdissant, de plus effrayant. De loin ils res
semblent, à s’y méprendre, aux braiments de l’âne, et il nous est
arrivé de les confondre. Et dire que j’ai connu des officiers qui
trouvaient quelque chose d’agréable dans ces fanfares inimagina
bles, que je qualifierai volontiers de terribles pour nos oreilles
européennes.
Autre chose est la flûte de bambou que l’on peut entendre
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
dans tous les pays soudaniens. Elle est des plus simples. Elle est
formée d’un morceau de bambou creux d’environ quarante centi
mètres de longueur. Une de ses extrémités est bouchée et l’autre
ouverte. Ce cylindre, d’environ trois à quatre centimètres de
diamètre, est percé : 1° d’un trou au voisinage de l’extrémité fer
mée. C’est que là s’adaptent les lèvres de l’artiste ; 2° de quatre ou
six trous pratiqués à l’autre extrémité de l’instrument. Ces trous
sont distants entre eux de deux centimètres à deux centimètres et
demi et le plus rapproché de l’embouchure est situé à environ dix
centimètres de celle-ci. Ce sont ces trous qui, comme dans notre
flûte, servent à varier les sons, selon qu’ils sont ouverts ou fermés.
Les sons que donne cet instrument, appelé Fléni par les Bambaras,
sont assez agréables, et, n’était le rhythme monotome des airs que
jouent les exécutants, l’instrument ne serait pas déplaisant. Tout le
monde en joue plus ou moins au Soudan. Mais il est surtout réservé
aux forgerons. C’est principalement le soir, ou bien le jour en
gardant leurs lougans contre les ravages des oiseaux qu’ils en
jouent. Le Fléni fait rarement partie des orchestres, des tamtams. Les airs que les musiciens exécutent avec cette flûte sont,
en général, très tristes et portent à la mélancolie celui qui les
écoute. On trouve beaucoup de joueurs de flûte à bord des chalands
de la flotille du Soudan. Le soir, au mouillage, les laptots se
reposent en en jouant au grand plaisir de leurs camarades.
Je fus ainsi conduit en musique jusqu’à la case qui avait été
préparée à mon intention, dans l’intérieur môme du tata du chef.
Je fus très bien logé et, prévenance qui me fut bien agréable, le
chef avait fait installer un bon hamac dans lequel, après avoir pro
cédé à ma toilette, je fus bien aise de me bercer un peu en atten
dant l’heure du déjeuner. Devant ma porte d’entrée se dressait le
bambou à l’extremité duquel flottait le pavillon tricolore. Avant de
congédier le chef, je le remerciai chaleureusement de cette délicate
attention et lui donnai l’assurance qu’il m’avait fait un sensible
plaisir.
Médina-Dentilia est un gros village d’environ douze cents habi
tants. La population est formée de Malinkés uniquement dont la
bonne moitié est musulmane. C’est la résidence du chef le plus
influent du Dentilia. Il s’élève sur un petit monticule peu élevé audessus d’une immense plaine bien cultivée et qu’entourent de toutes
�506
ANDRÉ RANÇON
parts des collines d’une hauteur d’environ trente ou quarante mètres
et qui de loin nous ont parues exclusivement boisées. Médina-Dentilia est entouré d’un tata peu élevé et peu épais, mais très bien en
tretenu. Du reste, le village tout entier est beaucoup plus propre
que la plupart de ceux que nous avons visités jusqu’à ce jour. On
y voit que peu de cases en ruines et les habitants apportent un soin
tout particulier à refaire les chapeaux, chaque année, pendant
la saison sèche. Les cases du chef, situées au centre même du village,
sont entourées d’un solide tata dont la hauteur est de quatre
ou cinq mètres et l’épaisseur de deux mètres à la base et quatrevingt centimètres au sommet. C’est là la partie la plus sérieuse des
fortifications du village et cet ouvrage est, à mon avis, absolument
imprenable de vive force par une armée noire. Chaque année, le
chef le fait réparer par ses captifs, et, de ce fait, son épaisseur en
est également augmentée. Si le tata du village était relativement
aussi bien entretenu, Médina-Dentilia serait, de toute la région, le
village le mieux défendu. L’enceinte du village a deux kilomètres
et demi de développement et celle qui entoure les cases du chef, le
réduit central, pourrions-nous dire, trois cent cinquante mètres.
On accède dans l’enceinte extérieure par trois portes, dont l’une
regarde l’Ouest, l’autre le Nord, et la troisième le Sud-Est. Chaque
nuit, elles sont fermées et solidement barricadées. Deux portes
seulement permettent de pénétrer dans le tata central. L’une est au
Sud et l’autre au Nord. Elles sont peu larges et ne peuvent livrer
passage qu’à un seul homme à la fois. A chaque porte succède une
sorte de corps de garde solidement construit en terre, et, pour
pénétrer dans l’intérieur du tata, il faut franchir une seconde porte
qui n ’est pas plus large que la première. Chaque habitation parti
culière forme en plus un ouvrage de défense, comme cela existe
dans la plupart des villages Malinkés. Mais ce qui distingue Médina
des autres villages dont nous avons déjà parlé, c’est que toutes ces
fortifications domestiques y sont en très bon état. Les rues sont
excessivement étroites. Elles s’enchevêtrent d’une façon inextri
cable et il n’est pas difficile de s’égarer dans tout ce dédale.
Je fus reçu par la population de Médina-Dentilia aussi bien que
par le chef. Mes hommes furent littéralement gavés de nourriture.
Un bœuf fut mis à mort aussitôt après mon arrivée et la viande en
fut distribuée entre ma caravane et le village. Des calebasses de
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
couscouss, de riz, de fonio nous lurent apportées en grand nombre,
et Samba, le cuisinier lui-même, qui était cependant une rude
fourchette, avoua qu’il ne pouvait plus manger, « y a plein »,
répétait-il, en se frappant sur le ventre à chaque invitation
nouvelle qu’on lui faisait de s’asseoir autour de la calebasse.
Médina est, en effet, un village très riche, qui possède un joli
troupeau de bœufs d’une centaine de têtes, et un grand nombre de
chèvres, moutons et poulets. De plus, ses greniers à mil sont
toujours bien approvisionnés, car ses lougans sont très fertiles et
les bras ne manquent pas pour les bien cultiver.
J ’y passai une excellente journée et pus m’y reposer des fatigues
delà longue étape de la matinée. Dans l’après midi, j’expédiai un
courrier à Saraia pour annoncer au chef de ce village que j’irais
camper chez lui le lendemain.
21 janvier 1892. — La nuit a été excessivement fraîche. La brise
a soufflé du Nord toute la nuit. Ciel clair et étoilé. Au réveil,
température très froide. Brise du Nord. Ciel clair et sans nuages.
Le soleil se lève brillant. Je fais lever tous mes hommes à deux
heures et demie. Les préparatifs du départ se font rapidement,
mais nous sommes retardés par les porteurs qu’on ne peut arriver
à rassembler. A 3 heures 45, seulement, nous pouvons nous mettre
en route.
Malgré l’heure matinale, le chef du village et ses notables
viennent m’accompagner jusqu’à la sortie du village et, après
m’avoir mis dans la route, ils me demandent à rentrer dans leurs
cases. Je les remercie de nouveau de leur cordiale réception et
monte à cheval après leur avoir serré la main et fait un cadeau peu
en rapport, je l’avoue franchement, avec l’accueil que j’avais reçu.
Il n’y avait pas un quart d’heure que nous avions quitté Médina,
que je vis accourir vers moi un homme chargé d’un gros paquet
de ces petites bandes d’étotïes de coton que fabriquent les tisse
rands Malinkés et qui, dans toutes ces régions, servent de monnaie
courante. Je m’arrêtai aussitôt. Après m’avoir salué, il me dit que
son maître, le chef de Diouiafoundou, ayant appris mon arrivée
dans le pays, l’avait envoyé à Médina pour me saluer et pour
m’offrir des étoffes comme don de bienvenue. Mais il faisait nuit
noire quand il était entré dans le village, et comme on lui avait dit
�508
ANDRÉ RANÇON
que je dormais, il n’avait pas voulu me réveiller, car il savait que
j’étais très fatigué. Je le remerciai, le chargeai de faire tous nos
compliments à son chef et le priai de lui donner l’assurance que
son cadeau m’avait fait le plus grand plaisir. Je lui remis en même
temps un petit présent pour son maître et continuai ma route,
après lui avoir serré la main. Avec ces handes d’étoffes, je me fis
faire, à Saraia, une couverture qui me fut précieuse pendant le
reste de mon voyage, par les nuits fraîches de janvier et de février.
La route se fit rapidement et sans aucun incident. Les porteurs
marchent bien. Ils veulent se réchauffer. A un kilomètre environ
de Médina, nous franchissons le marigot de Bancoroti, dont les
bords à pic offrent pour les animaux une réelle difficulté. A
quatre heures quarante-cinq minutes, au jour levant, nous passons,
sans nous y arrêter, devant le village de Bembou.
Bembou est un énorme village, très étendu, dont la population
peu s’élever à environ mille habitants. 11 n ’est pas circulaire
comme la plupart des autres villages Malinkés. Son tata a plutôt la
forme d’un double rectangle. Il est composé de deux rectangles,
un grand et un petit, accolés l’un à l’autre. C’est le premier village
que je vois ainsi construit. Ce tata est peu élevé, trois mètres au
plus et peu épais. Mais il est excessivement bien entretenu. Il est
flanqué de tours dont les murs sont percés de trous par lesquels, en
cas de siège, les défenseurs peuvent passer le canon du fusil et tirer
sur l’ennemi sans s’exposer à ses balles. Quatre portes permettent de
pénétrer dans l’intérieur du village. La première, située à l’angle
Nord-Est, fait face à la seconde située à l’angle Nord-Ouest. La troi
sième est percée au milieu de la face Sud du tata et la dernière est
située dans l’angle rentrant que forment en se rejoignant deux des
côtés des deux rectangles. Nous faisons au clair de la lune le tour
du village. Toutes les portes sont fermées. Personne ne se montre
sur la muraille, seuls, quelques chiens font entendre de furieux
aboiements. Ce tata a environ un développement de deux kilo
mètres. A l’intérieur, les cases du chef sont défendues par une
enceinte qui nous a paru bien plus sérieuse que l’enceinte exté
rieure. Ce tata peut avoir environ quatre mètres cinquante centi
mètres de hauteur. Il domine de beaucoup les cases qui l’entourent
et il est également flanqué de tours. De la route, au clair de la
lune, il m’a apparu comme un véritable donjon féodal.
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
Bembou est situé au milieu d’une vaste plaine bien cultivée,
sur un petit plateau qui la domine de quelques mètres à peine.
Tout autour se voient à l’horizon de petites élévations de terrain.
Sa population est uniquement formée de Malinkés, dont quelques
familles seulement ne pratiquent pas la religion du prophète.
En quittant Bembou, la route traverse de beauxlougans, puis un
vaste plateau formé de roches et de conglomérats ferrugineux, puis
de nouveau des lougans.
A 6 h. 45 nous passons, sans nous arrêter, devant le petit village
de Badioula. Quelques habitants nous regardent par-dessus les
murs, tout étonnés de ce que nous ne nous arrêtions pas dans leur
village. Peu avant d’y arriver et à quelques centaines de mètres du
village, nous laissons sur notre gauche un joli petit jardinet bien
cultivé et où sont plantés de nombreux pieds de tabac que des
femmes et des enfants sont occupés à arroser.
Badioula est un village malinké musulman dont la population
peut s’élever à 350 habitants environ. Il est entouré d’un petit tata
circulaire, flanqué de tours, et qui nous a paru en bon état, de
même que le tata du chef que l’on aperçoit de la route et qui
domine de beaucoup les cases du village. Les habitations de loin ne
nous ont pas cependant parues être aussi bien entretenues que
celles de Médina. Badioula est construit sur un petit monticule qui
domine de vastes et beaux lougans.
Jusqu’à Saraia, où nous arrivons à huit heures vingt-cinq mi
nutes, rien de bien particulier à signaler.
De Médina à Saraia, la route suit une direction générale Est et la
distance qui sépare ces deux villages est d’environ viDgt kilomètres
cinq cents. Elle n’olïre qu’une seule difficulté, encore facilement
surmontable; c’est le passage du marigot de Baucoroti-Kô. A partir
de ce point, on traverse un pays absolument plat, où on ne trouve
aucun marigot, et la route est très belle.
Au point de vue géologique, nous trouvons les mêmes terrains
et les mêmes roches. En quittant Médina, on traverse une bande de
latérite qui s’étend environ jusqu’au marigot de Baucoroti, puis on
rencontre quelques argiles compactes et enfin la latérite réapparaît à
deux kilomètres environ du village de Bembou et jusqu a Saraia, elle
alterne avec le terrain ferrugineux. Saraia est construit sur un mon
ticule de terrain uniquement formé de latérite et richement cultivé.
�510
ANDRÉ RANÇON
Au point de vue botanique, les karités sont toujours excessive
ment abondants. Quelques-uns sont en fleur. Voici un fait impor
tant à signaler. La floraison de ce précieux végétal a lieu en janvier
et février. C’est l’espèce Sliée qui domine ici. Très peu de Manas.
Les lianes Sabas ont réapparu et nous en avons vu de beaux échan
tillons, moins beaux toutefois que ceux qui viennent sur le bord
des marigots. Remarqué aussi de nombreux spécimens de cantacoula, quelques beaux baobabs, ainsi que quelques fromagers,
peu de Légumineuses. Enfin nous citerons en terminant les ficus
très abondants, les sénos, et de beaux pieds de strophantlius.
Les Ficus sont très communs au Soudan. On y trouve les variétés
les plus nombreuses de ce beau végétal. Les plus fréquentes sont :
le Ficus sycomorus L., le Ficus Afzelii L., le Ficus rugosa L., le Ficus
macrophylla Desf. Ce dernier est très commun, surtout dans le
Bondou. C’est, pour ainsi dire, le seul arbre de toute cette région
qui donne un beau feuillage. Le Ficus elastica Roxb., qui donne du
caoutchouc, est malheureusement assez rare au Soudan, on ne le
trouve guère que dans la Haute-Oambie, la Haute-Falémé et dans le
haut cours du Bakhoy et du Bafing. Nous en avons trouvé quelques
rares échantillons dans le Dentilia, leKonkodougou et le Bambouck.
Quant au Banyan (Ficus religiosa W.), il est très commun dans
tout le bassin de la Haute-Gambie, où il atteint des proportions
gigantesques. Le Niocolo, le Badon, le Dentilia et le Gounianta
notamment eu possèdent de superbes échantillons. A l’incision, il
donne également du caoutchouc; mais il paraîtrait qu’il est de plus
mauvaise qualité que celui qui est extrait du Ficus elastica.
Le Séno (Bambara et Malinké) est un végétal sur lequel je ne
saurais trop attirer l’attention, de ceux qui sont appelés à voyager
au Soudan français. C’est un arbuste de taille moyenne qui, par son
port, son feuillage, ses fruits et ses fleurs, rappelle absolument une
rosacée du genre Prunus. Jusqu’à ce jour je l’avais considéré comme
tel, n’ayant pu constater que ses caractères macroscopiques. Mais
après un examen attentif, M. Cornu, professeur au Muséum d’Histoire
naturelle de Paris, est arrivé à le déterminer exactement. C’est une
Olacinée du genre Ximenia (1). Ce végétal est assez commun au
Soudan, surtout dans le Fouladougou, le pays de Kita, le Manding,
(t) Espèce très rapprochée du X im e n ia a m e r ic a n a et que je n om m e X. Seno
D. C. (E. Heckel).
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
le Bambouck, le Dentilia et le Kuokodougou. Il croît, de préférence,
dans les terrains pauvres en humus et dans l’interstice des rochers.
Très rare sur les bords des marigots, il fait également défaut dans
les terrains argileux. Cet arbuste atteint au plus trois mètres de
hauteur. Sa tige, rarement droite, est difforme et son diamètre ne
dépasse pas dix centimètres. A sa partie supérieure, elle émet un
grand nombre de rameaux qui portent, en général, quelques dards
acérés d’environ trois centimètres au plus de longueur. Ce caractère
n’est pas constant. Ces rameaux 11e sont pas parfaitement cylindri
ques, ils sont plutôt polyédriques et leur écorce, au bout de peu de
temps, prend une teiDte grisâtre caractéristique. Les feuilles sont
simples, entières, généralement stipulées. Leur face supérieure est
d’un beau vert foncé et leur face inférieure est blanchâtre. Elles
sont peu abondantes. La fleur est blanche, régulière, à cinq
divisions, et croît à l’extrémité des jeunes rameaux. Les fruits
ressemblent, à s’y méprendre, à la prune mirabelle. Us sont moins
allongés cependant et parfaitement sphériques. Us sont presque
toujours très abondants. Leur grosseur est celle d’une grosse
noisette. Verts quand ils sont jeunes, ils sont d’un beau jaune doré
quand ils sont arrivés à maturité. Tous ceux qui ont voyagé au
Soudan les connaissent parfaitement. Us possèdent une pulpe peu
abondante, rafraîchissante, d’un goût aigrelet, légèrement aroma
tique et très agréable. Le noyau, très volumineux relativement à le
grosseur du fruit, est d’un blanc bleuâtre ou jaunâtre. U se laisse
facilement broyer sous les dents et est complètement rempli par
une amande d’un beau blanc nacré. Cette amande a un goût très
agréable de laurier-cerise. Mais il faut bien se garder de la manger.
Elle contient, en effet, une proportion considérable d’acide cyanhy
drique. L’ingestion de sept ou huit d’entre elles suffit pour provo
quer de graves accidents toxiques J’en ai eu un jour un exemple
frappant sous les yeux. Dans le courant du mois d’avril 1888, je fai
sais route de Koundou à Kita, avec M. le sous lieutenant Fournier,
décédé l’année suivante à Bammako ; à peu près à mi-chemin de
Koundou au village de Siguiféri où nous devions faire étape, nous
trouvâmes un magnifique Séno absolument chargé de fruits arrivés
à maturité complète. Nous en fîmes chacun une ample provision.
J’en mangeai environ une quinzaine, mais sans absorber une seule
amande. Mon compagnon, au contraire, que, par mégarde, je n’avais
�512
ANDRÉ RANÇON
pas songé à avertir, en croqua une dizaine à peu près. Tout se passa
bien jusqu’à Siguiféri, où nous arrivâmes deux heures après. Mais
à peine étions-nous installés à notre campement qu’il se plaignit de
nausées et de violentes coliques. Peu après, quatre heures environ
après l’ingestion des fruits, diarrhée abondante, vomissements fré
quents, pâleur du visage, sueurs profuses et froides, légère stupeur,
grande fatigue générale. J ’eus de suite l’explication de tous ces symp
tômes quand, sur ma demande, il m’eût avoué avoir mangé une
dizaine d’amandes de Séno. Vers cinq heures du soir, il se sentit un
peu mieux et nous pûmes nous remettre en route. Mais ce ne fut que
deux jours après qu’il fut complètement rétabli. Pendant tout ce
laps de temps il éprouva fréquemment de désagréables nausées et
surtout une saveur persistante d’amandes amères qui l’écœurait et
l’empêchait absolument de manger.
Les Strophanthus sont relativement communs au Soudan. Il en
existe à ma connaissance trois variétés, le Strophanthus hispidus
D. C., le Strophanthus gratus Franchet, et une troisième variété qui
diffère sensiblement de ces deux dernières par les feuilles et le
fruit surtout. Cette dernière n’est pas encore déterminée, mais elle
se rencontre assez fréquemment, surtout au Sénégal et dans les
Rivières du Sud. Le Strophanthus croît de préférence sur les bords
des marigots. On le trouve en notable quantité dans les environs
de Thiès, à environ deux kilomètres de la ligne du chemin de fer de
Dakar à Saint-Louis, dans cette partie du pays sérère que l’on
désigne sous le nom de « Ravin des Voleurs ». Assez commun
également aux environs de Mérinaghen et sur les bords du lac de
Guier, il est très rare dans le Fouta, le Ferlo et le Bondou. Nous
n’en avons également trouvé que de rares échantillons dans laHauteGambie, le Bambouck et le Bélédougou. Mais là où il croît vigou
reusement c’est dans le Mandiug, le long des rives du Tankisso et
dans tous les pays compris dans la boucle du Niger. Il croît généra
lement en bouquets épais. Les individus isolés sont rares. C’est une
belle Apocynée vivace dont la feuille est simple et entière. Elle est
d’un vert sombre et ses deux faces, surtout l’inférieure, sont légère
ment velues. La tige peu volumineuse a une couleur grisâtre quand
la plante est arrivée à complet développement, verte quand elle est
jeune. La grosseur est à peu près celle du pouce et elle est légère
ment rugueuse. Elle porte des dards peu résistants. Ce caractère
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
n’est pas absolument constant et j’ai vu des individus chez lesquels
il faisait absolument défaut. Le fruit tout spécial et qui ne permet
pas de se tromper est un follicule sec long d’environ 20 à 30 centi
mètres. Il s’ouvre spontanément à maturité complète et laisse
échapper une soie blanche très fine qui brûle sans laisser de résidu.
C’est dans cette soie que sont noyées les graines. Ces graines, qui
ont à peu près la grosseur de celles du café, sont plus compri
mées et sont munies d’uue longue aigrette plumeuse. Graines et
aigrette renferment les principes actifs de la plante.
Les Bambaras de la boucle du Niger s’en servent pour empoi
sonner leurs flèches, ainsi que les Pahouius du Gabon. Le poison
qu’ils confectionnent ainsi porte le nom de Kouno en Bambara
Les Malinkés disent également Kouno. Ils n’en font généralement
pas usage, du moins dans la partie du Soudan que nous avons
visitée. Voici comment, d’après Binger, se fait cette préparation :
« Après la cueillette, qui a lieu en décembre et en janvier, les
» cosses sont ficelées par petites bottes et suspendues aux solives
» des cases afin d’être séchées. Pour préparer le poison, ou pile
)) les graines quand elles sont bien sèches et on les laisse macérer
» dans l’urine pendant plusieurs jours; le tout est ensuite cuit
» avec du mil et du maïs, jusqu’à ce que la préparation ait la
» consistance d’une pâte ressemblant au goudron, dans laquelle
» on trempe ensuite les pointes des flèches, des lances et même
» les balles.
» Quand la préparation est fraîche, les blessures occasionnées
» par des armes enduites de Kouno sont toutes mortelles; mais
» quand il y a longtemps que celle-ci n’a pas été renouvelée, on
» peut en guérir en prenant une boisson qui sert d’antidote. La
» formule de ce contre poison n’est connue que de peu d’individus.
» Ils se font payer très cher les doses qu’ils administrent aux
» blessés. Quelques forgerons et kéniélaja (diseurs de bonne
» aventure) seuls en possèdent le secret ; il ne m’a pas été possible
» d’obtenir la moindre information à ce sujet. »
Comme Binger, je n’ai donc pu arrivera connaître la composition
de ce précieux antidote. Je ne serais cependant pas éloigné de
croire qu’il y entrerait dans une notable proportion de la fève de
calabar et voici ce qui me le ferait supposer. Un jour, non loin de
Mouralia, dans le Diébédougou, pendant une halte que nous fîmes
André Rançon. — 33.
�514
ANDRÉ RANÇON
sur les bords d’un marigot, je m’amusais à regarder les graines
d’un superbe Physostigma venenosum qui croissait tout près. Je
demandai alors à un de nos hommes, Bambara du pays de Ségou, à
quoi cela servait. Il me répondit seulement : « Y a bon pour
Kouno, quand y a boire ça, y a toujours gagné guéri. » Je ne pus
lui en faire dire davantage. La fève de calabar entre-t-elle réelle
ment dans la composition de l’antidote du Ivouno et sous quelle
forme? Nous ne saurions le dire.
Quoi qu’il en soit, ce poison agit sur le cœur d’une façon ana
logue à la digitaline. 11 en paralyse les mouvements et on meurt
par arrêt du cœur. Lors même que l’on n ’en meurt pas, son effet
se fait sentir longtemps encore après que l’on a été blessé.
Un de mes meilleurs amis, le capitaine Sausarric, de l’infanterie
de marine (1) qui, à l’assaut de Dienna, reçut, je ne me rappelle plus
à quel doigt, une légère blessure faite avec une flèche empoisonnée,
me racontait à ce sujet ce qu’il avait ressenti dans la suite. Aussitôt
après la blessure il n’éprouva, pour ainsi dire, pas de douleurs ;
mais dès le lendemain il fut sujet à de fréquentes syncopes. En peu
de jours, il s’affaiblit sensiblement. 11 lui semblait parfois que
pendant quelques secondes son cœur cessait de battre et éprouvait
une sorte d’angoisse. Ces symptômes durèrent pendant près d’un
mois, et ce ne fut qu’au bout de quarante-cinq jours qu’il fut com
plètement remis et qu’il eut recouvré toutes ses forces.
Saraia est un gros village d’environ onze cents habitants. La
population est uniquement composée de Malinkés. Marabouts ou
non, ils sont là mélangés à peu près par moitié comme cela a lieu
dans la plupart des villages du Dentilia. Saraia est construit sur un
plateau assez élevé au-dessus de la plaine qui l’environne et on le
voit de loin, trois kilomètres au moins en venant de Médina-Dentilia.
Toute cette plaine est très bien cultivée et on y voit de nombreux
échantillons de beaux ficus et de superbes karités. Elle peut avoir
environ 8 kilomètres du Nord au Sud et cinq de l’Est à l’Ouest. On
accède par une pente douce au plateau sur lequel est construit le
village. De là on aperçoit toute la plaine environnante et à l’horizon
une série de petites collines peu élevées qui l’entourent comme d’une
ceinture. Le village est entouré d’un tata absolument insignifiant.
(1) Tué depuis aux côtés du colonel Bonnier, à l’allaire de Goundam.
�. V
DANS LA HAUTE-GAMBIE
Il n’a guère plus d’un mètre quatre-vingts centimètres de hauteur.
En aucun endroit il ne dépasse en hauteur celle des murs des cases.
Son épaisseur n’est pas de plus de quarante centimètres. Il est
presque circulaire et construit en zig zags de façon à ce que les dé
fenseurs puissent croiser leurs feux. Comme tous les tatas de cette
région, il est complètement faiten argiles fortement colorée en rouge
par des oxydes de fer. Malgré sonpeu d’épaisseur, et grâce à sa dispo
sition en crémaillère et aussi aux matériaux qui entrent dans sa cons
truction, il résiste parfaitement aux grandes pluies de l’hivernage. Il
est muni de tours rondes relativement élevées pour la défense et est
percé de quatre portes qui donnent accès dans l’intérieur du village.
Ces portes sont du reste ce qu’il y a de plus remarquable dans tout, ce
système de fortification. Au lieu d’être rondes, comme elles le sont
généralement, elles sont carrées. Elles font saillie d’environ trois
mètres en dedans et en dehorsdu m urd’enceinte. Leur longueur dans
le sens de la muraille a à peu près huit mètres, et leur largeur per
pendiculairement au ta ta est de six mètres cinquante.Leur hauteur,
sans y comprendre le toit, dépasse quatre mètres. Un homme à
cheval peut y passer aisément. Le toit en paille, bien construit, a la
forme d’une pyramide rectangulaire. En cas de siège, ce toit est
enlevé, afin que les assiégeants n’y puissent pas mettre le feu. A
environ quarante centimètres du bord supérieur de la tour se
trouve un plancher fait avec des morceaux de bois jointifs et sur
lesquels s’embusquent des tireurs en cas d’attaque. Les portes, au
nombre de deux, sont en bois et très solidement construites. Une,
située à l’extérieur et s’ouvrant en dedans, bien entendu, donne
accès en dehors du village. L’autre, située à l’intérieur et s’ouvrant
dans le même sens que la première, permet enfin de pénétrer dans
le village. Pendant la nuit, ces deux portes sont solidement fer
mées et étayées avec de fortes pièces de bois. Ces constructions,
qui ont certes dû demander beaucoup de travail, ne servent abso
lument à rien au point de vue de la défense de Saraia, car le tata,
trop peu important, peut être facilement escaladé. Le tata qui
entoure les cases du chef est beaucoup plus sérieux. Il peut avoir
environ quatre mètres de hauteur sur quatre-vingts centimètres
d'épaisseur. Il est également flanqué de tours pour la défense et,
entre chaque tour, se trouve des contreforts, h l’intérieur comme à
l’extérieur, pour en augmenter la solidité. Il peut avoir environ
�516
ANDRÉ RANÇON
cent cinquante mètres de diamètre et deux cent cinquante mètres
de développement. Comme le tata extérieur, il est circulaire. Le
développement de ce dernier est de deux mille mètres au maxi
muni. Les cases du village sont en assez bon état; mais il en esl
beaucoup qui sont inhabitées et qui ne tarderont pas à tomber en
ruines.
Saraia est un village relativement riche. 11 possède de grands
et beaux lougans, de nombreux moutons, beaucoup de chèvres et
de poulets et un troupeau d’environ cent cinquante bœufs. J ’y fus
très bien reçu et n ’eus rien à demander. Dès mon arrivée, le chef
m’envoya à profusion tout ce dont je pouvais avoir besoin : du
mil pour mon cheval, du couscouss et du riz pour mes hommes,
et, pour moi, du lait, des œufs, des poulets. Un bœuf fut occis
à mon intention et distribué entre mes hommes et les gens du
village, selon la façon de procéder que j’avais adoptée eu
pareille circonstance. La journée se passa sans aucun incident.
J’expédiai un courrier à Dalafi pour y annoncer mon arrivée
pour le lendemain. La température fut très douce et j’aurais
passé une bonne nuit, si le tamtam qui fit fureur jusqu’au
matin ne m’avait tenu éveillé. C’est qu’on célébrait ce jour-là
un mariage. Les deux conjoints étaient fils et fille de notables
influents du village. Dans la journée, le chef était venu me faire
part de cette cérémonie et m’avertir qu’on ferait grand tamtam, si
toutefois cela ne me dérangeait pas. En lui répondant que je n’en
serais pas incommodé, je ne savais que trop à quoi m’en tenir, car
je n’ignorais pas que le charivari allait durer toute la nuit. Bien
que les deux mariés et leur famille ne fussent pas musulmans, tout
le village indistinctement prit part à la fête. Je pus y assister égale
ment et me rendre un compte exact de ce qu’est cette cérémonie chez
des Malinkés non musulmans. Qu’on me pardonne, dans le cours de
la description que je vais en faire, d’entrer dans des détails qui
paraîtront peut-être scabreux pour certains esprits enclins à voir
le mal là où il n’y a rien que de très naturel. L’ethnologie, à mon
avis, n’admet pas de réticence, ne souffre pas de sous-entendus.
C’est une science absolument exacte qui ne s’appuie que sur des
faits ; quels qu’ils soient, on ne saurait les passer sous silence.
Honni soit qui mal y pense, comme dit notre vieux proverbe.
Lorsque tout est arrangé, c’est-à-dire lorsque fiancé et père de la
�'
DANS LA HAUTE-GAMBIE
:
r
517
jeune fille sont d’accord sur la dot à payer par le premier et que
cette dot est versée en totalité ou en partie, on fixe le jour où la
jeune fille sera livrée à son époux, où le mariage sera consommé.
L’époux fait alors construire dans sa concession la case où devra
habiter désormais sa jeune femme. S’il ne possède pas assez de
captifs pour ce travail, il l’exécute lui-même avec l’aide de ses
amis. Je n’ai point besoin de dire que la fiancée n’est jamais con
sultée sur le choix de son époux. Dans tout cela, elle n’est qu’une
marchandise et rien de plus, marchandise qui a sa plus ou moins
grande valeur. La journée qui précède le mariage est occupée tout
entière à lui faire, pour la dernière fois, sa coiffure de jeune fille et
à la parer. Ce sont toujours les femmes de cordonniers et de forge
rons qui, moyennant une modique redevance, se chargent de ce
soin. Les amies de la jeune fille se rendent, dès l’aurore, dans sa
case et ne la quittent plus que lorsqu’elle entrera dans la maison
de son mari. Cette coiffure est, comparée à celle des femmes
mariées, d’une remarquable simplicité. Les cheveux sont divisés
en trois masses à peu près égales, deux pariétales et une occipitale.
Ces masses sont disposées chacune en quatre ou cinq tresses à
l’extrémité desquelles on attache une boule d’ambre, ou quelques
grains de verroterie, ou bien encore une pièce de monnaie. Géné
ralement il existe au sommet de la tête une tresse plus longue que
les autres, au bout de laquelle est fixée également un ornement
quelconque. Le tout est fortement enduit de beurre ordinaire ou
de beurre de karité.
Quand la fiancée a été ainsi coiffée, le tam-tam commence alors
sur la place principale. Le fiancé y doit assister et y doit danser. Il est
accompagné par ses amis et ses parents. Sa future femme n’y paraît
pas. Vers neuf heures du soir, tam-tam en tête, tous se dirigent
vers la case de la jeune fille, qui, à l’approche du cortège,
sort de sa demeure et prend place avec ses amies derrière les
musiciens. La noce, si je puis parler ainsi, est alors disposée dans
l’ordre suivant : En tête le tam-tam, immédiatement derrière les
jeunes filles qui chantent à tue-tête en frappant des mains pendant
que tam-tam fait fureur. Enfin le marié vient le dernier entouré de
ses amis. On se rend ainsi à la case nuptiale dans laquelle l’épouse
pénètre la première; le lit nuptial est préparé, une natte et par-dessus
un pagne blanc. Dans la case, outre les époux, se trouve une
�518
ANDRÉ RANÇON
troisième personne, une vieille captive, en général, de celles devant
lesquelles on n’a pas besoin de se gêner, qui, comme me le disait
Almoudo «n’ont honte de rien ». Elle est là pour constater que chacun
des conjoints fait bien son devoir. Dès que les deux époux sont
entrés dans la case, les chants et le tam-tam se taisent complètement,
chacun fait silence. Quand tout est consommé et que les traces
sanglantes du sacrifice sont bien marquées sur la pagne blanc, le
mari le remet à la vieille captive, et celle-ci va le montrer aussitôt aux
amis et parents du marié qui attendent devant la case. Alors, les
chants reprennent immédiatement, le tam-tam retentit avec fureur
et on brûle beaucoup de poudre. Tout ce vacarme continue pendant
la nuit entière jusqu’au lever du soleil. Le marié et la mariée
pendant ce temps restent dans leur case. Le lendemain, grand
festin, on mange force calebasses de couscouss, on tue un bœuf,
des moutons, on fait de véritables hécatombes de poulets. Dans les
villages non musulmans on s’enivre de dolo. Le marié seul prend
part à ces agapes. La mariée doit, pendant huit jours, 11e pas sortir
de la case nuptiale que la nuit, pour satisfaire ses besoins, et encore
doit-elle être toujours accompagnée par une femme mariée. Elle
peut cependant recevoir les visites de ses amies. Le marié est libre
de rester dans la case ou d’aller et venir comme bon lui semble ;
mais, en général, il ne se montre pas. Quand les huit jours sont
écoulés, on fait alors à l’épousée sa coiffure de femme, et elle
peut alors sortir. C’est encore l’occasion de réjouissances, de tamtams, de festins et de soûleries pantagruéliques.
Cette coiffure est. bien plus compliquée que la précédente et est
longue à édifier. Elle varie selou les races et souvent de village à
village. Mais, en ce qui concerne les Malinkés. elle se rattache
à un type constant que nous allons décrire aussi exactement possible.
Les cheveux sont partagés en cinq parties, deux pariétales,
deux occipitales et une supérieure. Les parties pariétales et occipi
tales sont tressées et les tresses sont ramenées en avant, trois
pariétales de chaque côté et deux occipitales. Ces tresses soiit
maintenues en place par une bandelette d’étoffe que les femmes
portent souvent autour du front et qui vient s’attacher à la nuque.
Mais voici en quoi surtout cette coiffure se fait particulièrement
remarquer. La masse supérieure des cheveux qui est la plus consi
dérable est divisée en deux parties égales du front à la nuque, et
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
chaque partie est tressée avec sa voisine de l’autre côté, de façon à
former une sorte de cimier de casque qui a parfois jusqu’à huit
centimètres de hauteur en son point le plus élevé. Afin qu’il soit
bien résistant et ne s’affaisse point, chose qui ne manquerait pas de
se prod uire avec les seuls cheveux, l’entrelacement est fait par-dessus
une masse compacte de chiffons ou de crins. Eu arrière, ce cimier
se termine par une tresse d’environ quinze centimètres de longueur,
véritable queue sur laquelle on fixe toutes sortes de petits gris-gris,
d’ornements en verroterie et à l’extrémité de laquelle sont attachées
des pièces de monnaie ou des boules d’ambre.
Cette coiffure est excessivement solide et dure plusieurs mois
sans se déformer. On la refait cependant tous les trois mois environ.
Afin que les cheveux aient la souplesse voulue pour se prêter à
toutes les combinaisons artistiques, ils sont fortement enduits de
beurre. De là une odeur épouvantable qui décèle de loin la présence
d’une négresse. Les intervalles qui sont laissés entre les tresses et
le cimier sont noircis avec de la poudre d’arachides grillées et
mieux avec de la pierre de Djenné (Kalé), finement broyée et que
l’on étend soit avec le pouce nu, soit à l’aide d’un chiffon. Pour ne
pas déranger cet édifice auquel les négresses tiennent beaucoup,
elles ne se lavent jamais. Aussi possède-t-il toujours une nombreuse
garnison.
D’une façon générale, on peut dire que la coiffure est une des
plus grandes préoccupations des négresses du Soudan, à quelque
race qu’elles appartiennent. Aussi il faut voir avec quelle patience,
elles se soumettent aux exigences des coiffeuses. Etendues sur une
natte, la tête reposant sur les genoux de l’artiste, il lui faut prendre
les postures les plus bizarres et les plus anormales pour lui faciliter
sa tâche. Il faut environ deux jours pour confectionner un pareil
édifice. Le premier jour est consacré à défaire l’ancienne coiffure
et à démêler les cheveux. On se sert pour cela d’un simple poinçon
en bois dur, généralement, et d’un peigne également en bois, et
qui n’a pas plus de sept à huit dents. Il ressemble à ces peignes
que certains noirs, les Bambaras particulièrement, fixent, par
coquetterie, dans leur chevelure, sur les côtés de la tête. Quand les
cheveux sont ainsi bien démêlés, leur volume a, pour ainsi dire,
quadruplé, les négresses ont alors une tête hirsute et ébouriffée qui
ressemble à ces têtes de loup dont nous nous servons en France
�520
ANDRÉ RANÇON
pour enlever les toiles d’araignées de nos plafonds. Pour passer la
nuit elles s’enveloppent alors la tête dans un mouchoir qui empri
sonne complètement les cheveux. Il faut toute la journée du lende
main pour exécuter le chef-d’œuvre capillaire que nous venons de
décrire. 11 faut voir alors, quand tout est terminé, avec quelle
complaisance les élégantes se regardent dans ces petits miroirs que
les dioulas leur vendent à des prix exorbitants.
La façou d’une semblable coiffure se paye couramment quatre
à cinq moules de mil, soit environ six à huit kilogrammes.
55 janvier. — Pendant la nuit que nous passâmes à Saraia,
personne de nous ne ferma l’œil. Cela se comprend aisément. La
température fut excessivement agréable. Le ciel resta clairet étoilé
et il souffla une légère brise du Nord assez fraîche. Au réveil, le
ciel est pur, sans nuage. Pas de rosée, le soleil se lève brillant.
Comme l’étape doit être relativement courte d’après les renseigne
ments qui m’ont été donnés, je ne réunis mon monde qu’à cinq
heures du matin. Les préparatifs du départ se font assez rapide
ment, mais comme toujours ce sont les porteurs qui nous retar
dent. Il faut que tout mon monde s’en mêle et aille les cueillir
littéralement dans les cases où ils ont passé la nuit. La plupart
d’entre eux, du reste, a assisté au tam-tam, et y a dansé. Aussi
dormaient-ils profondément quand il fallut partir. Enfin, grâce à
Almoudo et à mon petit Gardigué, qui fut réellement impayable en
cette circonstance et qui, à lui seul, me ramena plus de la moitié
des hommes, la caravane put s’organiser et à six heures nous
quittions Saraia. Une heure et demie après nous étions à Dalafi,
où je comptais bien me reposer ce jour là. J ’avais compté, comme
on le verra plus loin, sans la malice et les mensonges des Malinkés
de ce village.
De Saraia à Dalafi, la route suit une direction générale EslNord-Est et ces deux villages ne sont distants l’un de l’autre que
de sept kilomètres et demi. Elle ne présente aucune difficulté. J1
n’y a aucun marigot important à signaler ni aucune colline. Elle
traverse un pays absolument plat. De plus, elle est un peu
débroussaillée et a environ deux mètres de largeur. De chaque côté
se trouvent sans interruption de .beaux lougans qui appartiennent
les uns à Saraia et les autres à Dalafi. Par ci par là quelques cases
s’élèvent au milieu des champs de mil. Elles sont destinées à
�DANS LA HA.UTE-GAMBIE
servir d’abri aux travailleurs, pendant les grandes pluies de l’hiver
nage. Elles sont inhabitées pendant la saison sèche alors qu’on ne
peut faire aucune culture.
Au point de vue géologique, nous ne trouvons absolument
partout que de la latérite, sauf un petit ilôt, d’argiles compactes
situé à peu près à mi-route.
Au point de vue botanique, beaucoup, beaucoup de karités,
dont quelques-uns sont en fleur. Les lianes Sabas sont également
assez abondantes. Notons encore quelques beaux ficus, quelques
caïl-cédrats, de belles Légumineuses et, enfin, eu arrivant à Dalafi,
sur les bords d’un petit marigot à fond vaseux, quelques échantil
Ions de Fafetone.
Le Fafetone n’est autre chose que le Calotropis procera R. Br. de la
famille des Asclépiadées, qui donne par incision le caoutchouc.
Fafetone est le nom ouolof de cette plante. Les Malinkés l’appel
lent N’goyo, les Bambara s N’gei et les Peulhs Foré. C’est une
liane qui atteint parfois des dimensions considérables. Elle croît
partout dans les rivières du Sud, au Gabon, au Fouta Djallon, sur
les bords du Tankisso et dans la majeure partie des régions situées
dans la boucle du Niger. Elle aime un terrain humide; aussi estelle très commune dans les pays où l'hivernage se prolonge. Au
Soudan, au contraire, où la saison des pluies ne dure guère plus
de quatre mois au maximum, on ne la trouve que sur les bords
des marigots. Elle fait absolument défaut dans le Bondou, le
Ferlo, le Kaméra, le Fouladougou, le Bambouck et le Manding.
Elle est, par contre, très abondante dans le bassin de la Gambie
et de la Haute Falémé. Elle sécrète un suc laiteux qui, par
évaporation, donne du caoutchouc d’excellente qualité.
Les Noirs du Soudan ignorent absolument tout procédé pour
recueillirlecaoutchouc.Ce n’est guère qu’à partir de la Gambie
qu’on commence à le récolter el la production augmente sensible
ment, au fur et à mesure qu’on s’avance dans le Sud. Mac-Carthy
est le point le plus septentrional où Fou commence à voir appa
raître ce précieux produit. Les indigènes du Sud de la Gambie en
apportent chaque année davantage aux comptoirs de la Compa
gnie Française de la cote occidentale d’Afrique et de la Batliurst
trading Compagny Limited. En 1890, il eu a été acheté environ 4,500
kilog. et, d’après les renseignements qui m’ont, été donnés, cette
�522
ANDRÉ RANÇON
quantité n’était qu’un minimum comparé aux achats faits depuis.
Le caoutchouc que les indigènes apportent aux factoreries de
Gambie est en houle de la grosseur du poing environ. Sa couleur
est brune foncée à la surface; mais, à l’intérieur, il est blanc grisâ
tre. Quand on les fend parle milieu, on constate à l’intérieur des
lacunes assez grandes remplies d’un liquide parfois abondant, sur
tout quand la récolte a été récemment faite. Ce liquide est absolu
ment nauséabond. Aussi les commerçants, avant d’acheter, ont-ils
l’habitude de les fendre pour le faire écouler et aussi pour s’assurer
qu’il n ’est pas fraudé; car les indigènes ont l’habitude, dans cer
taines contrées, d’introduire des cailloux à l’intérieur des boules.
A Mac-Carthy, le caoutchouc se vend à peu près un franc vingt-cinq
centimes le kilogramme. Les noirs mélangent parfois à leur stock
de boules, des boules de gutta. Les traitants les refusaient toujours
comme du caoutchouc de mauvaise qualité ; il n’en est plus de
même aujourd’hui.
Les dioulas emploient, paraît-il, l’écorce duFafetone comme sti
mulant. Il lui attribuent des vertus aphrodisiaques (1). Les feuilles
de ce végétal ont, de plus, disent les Malinkés du Ghabou et
les Peulhs du Fouladougou, la propriété de clarifier l’eau. Les
Pahouins du Gabon, les Soussous et les Balantes fabriquent, avec
ses fibres, des fils très résistants. Enfin les graines sont entourées
d’une soie courte qui sert à faire des fils qui, colorés en jaune ou
en rouge, servent à coudre les boubous des élégants du FoutaDjallon. On dit que cette soie serait dangereuse à manier èt à
travailler, car elle est très-cassante et les petits fragments que l’on
peut absorber par la voie respiratoire détermineraient de graves
affections pulmonaires.
Dalafi est un village Malinké qui peut avoir environ six cents
habitants. Il est construit dans une sorte de cuvette au milieu
d'une jolie petite plaine bien cultivée. 11 est entouré d’un faible
tata assez mal entretenu. Il en est de même, du reste, du tata qui
entoure les cases du chef. D’ailleurs, d’une façon générale, le vil
lage est sale et beaucoup de cases tombent en ruines. La population
est entièrement musulmane.
(!) L’écorce de la racine de cette plante est connue depuis longtemps en matière
médicale sous le nom d’écorce de Mudar ; elle est réputée tonique et diaphorétique (E. Heckel).
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
523
Quand nous arrivons à sept heures et demie, la moitié du vil
lage est encore endormie. Il faut dire que beaucoup de ses habi
tants étaient allés la veille à Saraia pour assister au mariage et
n’étaient rentrés chez eux que fort avant dans la nuit. Ils faisaient
la grasse matinée. Nous sommes installés aussitôt dans de bonnes
cases, et, le chef du village prévenu de mon arrivée, vint me saluer
en toute hâte. Je fus bien reçu à Dalafi et ne manquai de rien abso
lument. Un beau bœuf blanc fut immolé à mon intention, au grand
chagrin d’Almoudo, qui aurait voulu l’acheter et l’emmener chez
lui. Je lui demandai les raisons de cette préférence, il me répondit
alors que, dans tous les pays noirs, tout le inonde savait bien que
lorsqu’on avait dans sa maison un bœuf blanc, on était sûr de voir
réussir tout ce que l’on pourrait entreprendre. C’est le génie bien
faisant de la famille, le porte-bonheur infaillible. Aussi un bœuf
blanc se paie-t-il toujours plus cher que les autres. Après cela, je
me demandais comment alors mes hôtes avaient pu sacrifier ce
précieux animal. Je fis interroger à ce sujet le fils du chef par
Almouclo et il lui apprit qu’on ne s’était décidé à tuer ce bœuf que
parce qu’il était vieux et qu’on venait d’en acheter un autre qui
était meilleur. Ces paroles calmèrent un peu les regrets de mon
superstitieux interprète.
Je n’aurais eu qu’à me louer des habitants de Dalafi, s’ils ne
m’avaient pas effrontément menti, uniquement dans le seul but de
ne pas m’accompagner à Faraba sur la Falémé. La longueur de
l’étape les effrayait sans doute, et il leur en coûtait d’être obligés de
secouer un peu leur paresse. A Médina-Dentilia et à Saraia, les
hommes que j’avais interrogés sur la route à prendre pour me rendre
à la Falémé, m’avaient tous déclaré que le plus court était de passer
par Dalafi. En causant avec le chef, je lui déclarai, en conséquence,
que je comptais partir le lendemain matin pour Faraba et lui
demandai de me donner des guides et les hommes nécessaires pour
soulager mes porteurs, car je savais pertinemment que l’étape
était excessivement longue. Il ne répondit rien, mais son frère me
dit alors qu’il n’y avait pas de route de Dalafi à la Falémé, que
personne dans le village n ’en connaissait et que lorsqu’ils y allaient
ils étaient obligés de passer par Diaka-Médina. On juge de mon
étonnement, après surtout ce que j’avais appris les jours précé
dents. Alinoudo interrogea bon nombre d’habitants du village et
�524
ANDRÉ RANÇON
tous lui dirent la même chose. Un dioula lui-même, qui se trouvait
de passage à Dalafi, me confirma l’exactitude de ce que le frère du
chef venait de me dire. Ce dioula était venu me trouver pour me
prier de lui faire rendre une charge de kolas que les gens du village
lui avaient dernièrement volée. Il n’avait donc aucun motif pour
mentir comme eux, aussi ses paroles levèrent-elles tous mes doutes.
Je décidai, en conséquence, de partir le soir même pour DiakaMédina afin de ne pas perdre un jour et je fis part de ma détermi
nation au chef qui me dit alors qu’à l’heure précise à laquelle je
voudrais partir, il me donnerait autant d’hommes que je voudrais
pour me conduire « dans la bonne route », jusqu’à ce village. Je le
remerciai et lui fis même un petit cadeau. Malgré cela mes soupçons
ne s’étaient pas complètement dissipés.
Donc, à deux heures trente minutes, nous nous mîmes en route.
Les préparatifs du départ se firent rapidement. Les hommes du
village qui devaient m’accompagner ne se firent pas attendre.
Malgré l’heure, il faisait une chaleur fort supportable et surtout une
brise de Nord qui tempérait considérablement, l’ardeur du soleil.
Ciel pur et sans nuages.
La route se fit rapidement et à 4 h. 30 nous étions à DiakaMédina. Dès notre arrivée, les hommes de Dalafi vinrent me
demander l’autorisation de retourner chez eux afin d’y arriver avant
la nuit. N’en ayant nullement besoin, je les congédiai en leur
recommandant bien de remercier encore leur chef de ma part pour
toute sa complaisance.
La route de Dalafi à Diaka-Médina ne présente absolument
aucune difficulté. Elle traverse un pays absolument plat et qui
n’offre aucun relief de terrain appréciable. Sa direction générale est
Sud, et la distance qui sépare ces deux villages est environ de dix
kilomètres. Elle traverse plusieurs petits marigots de peu d’impor
tance, qui sont tous affluents du Séniébouli-Kô qui, lui-même, se
jette dans la Falémé. C’est d’abord à trois kilomètres de Dalafi
le Fao-Fao-Kô où coule une eau claire et limpide, puis, à quatre
kilomètres de Diaka-Médina, le Badanbali-Kô, et enfin, un kilomètre
environ avant d’arriver au village, la branche principale du Sénié
bouli-Kô, qui est peu important en cet endroit, et dont les bords
sont couverts d’une riche végétation. Tous ces marigots sont très
faciles à franchir.
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
Au point de vue géologique : aussitôt après avoir quitté Dalafi,
nous entrons dans une vaste plaine argileuse interrompue, à michemin environ, par un plateau de roches ferrugineuses de peu
d’étendue. La latérite a complètement disparu. Elle ne reparaît
qu’à deux kilomètres environ avant d’arriver au village de DiakaMédina. La plaine qui entoure ce village est formée de ce terrain.
La végétation est excessivement pauvre de Dalafi à DiakaMédina. Ce n ’est que peu avant d’arriver à ce village que nous
voyons réapparaître les grands végétaux. Les karités, qui ont
manqué tout le long de la route, se montrent de nouveau ; la
plaine au milieu de laquelle est construit le village en possède de
nombreux spécimens. Peu de lianes à caoutchouc et à gutta ;
quelques strophanthus sur les bords du Badanbali-Kô et, enfin,
quelques rares pieds d’anacarde aux environs du Fao-Fao-Kô. Ce
végétal est, du reste, très rare dans toute cette région.
L'anacarde ou acajou à pommes (Anacardium occidentale L.
famille des Térébintliacées, est relativement rare au Soudan. Pen
dant les différentes campagnes que nous avons faites daus cette
colonie, nous n’en avons guère rencontré que quelques échantillons
sur les bords du Baoulé, dans le Konkodougou et dans le Niocolo.
C’est un arbre de taille moyenne, qui croît généralement dans les
terrains humides. Ses feuilles sont simples, ovales, obtuses au
sommet. Ses fleurs sont disposées en panicules terminales; leur
corolle, plus longue que le calice, est à cinq divisions. Le fruit,
qui est connu sous le nom de Noix d’acajou, est réniforme, à péri
carpe coriace, creusé d’alvéoles remplies d’une huile visqueuse,
noirâtre et caustique. Amande blanche, réniforme, huileuse, de
saveur douce et agréable. La noix d’acajou est suspendue, par sa
base plus renflée, à l’extrémité supérieure d’un corps charnu,
piriforme, dû au développement anormal du réceptacle. Ce corps,
nommé pomme d’acajou, est sucré, acidulé, un peu âcre.
L’écorce de l’anacarde donne à l’incision une résine jaune et
dure que l’on désigne sous le nom de « gomme d’anacarde ». Les
feuilles de ce végétal sont riches en tannin et pourraient être utili
sées avec avantage pour préparer les peaux d’animaux.
Diaha-Médina est un village Diakanlté d’environ 450 habitants.
La population est entièrement musulmane. Il est absolument ou
vert et ne possède aucun moyen de défense, ni tata, ni sagné : on
�526
ANDRÉ RANÇON
voit encore les ruines d’un ancien tataqui devait être assez sérieux.
Ce village m’a paru assez propre et assez bien entretenu. Il est
construit au milieu d’une vaste plaine où. se trouve tous les lougans.
Comme tous les villages Diakankés, il est relativement riche. Les
habitants possèdent de nombreux greniers de mil, riz, fonio,
arachides, etc., etc., et un beau troupeau d’une cinquantaine de
bœufs et d’une centaine de chèvres et moutons.
J ’y reçus l’accueil le plus franc et le plus cordial, comme cela
m’est arrivé dans tous les villages Diakankés où je suis passé : on
me donne à profusion tout ce dont j’ai besoin, et cela, sans que
j’aie la peine de demander quoique ce soit. Le chef est un homme
jeune encore et qui sait se faire obéir. Très intelligent, il est souvent
consulté pour leurs affaires par les villages environnants. Dès que
je fus installé dans une jolie case il vint me saluer avec les princi
paux habitants du village. Je ne manquai pas de lui demander si
réellement il n’y avait pas de route de Dalafi à Faraba, il me répon
dit qu’il y en avait une fort belle, pas plus longue que celle de
Diaka-Médina et que si les hommes de ce village m’avaient aussi
mal renseigné c’est uniquement parce qu’ils ne voulaient pas se
donner la peine de me conduire. Du reste, ils agissaient toujours
ainsi et quant il y avait une caravane à héberger ou à guider c’était
toujours à Diaka-Médina qu’ils l’envoyaient. Dans la circonstance
présente il en était enchanté : car cela lui permettait de connaître
un blanc et de causer avec un officier français. Je m’expliquai alors
pourquoi les hommes de Dalafi, à peine arrivés à Diaka-Médina,
s’étaient tant hâtés de retourner chez eux. Le fait est que si un seul
m’était tombé sous la main, il aurait payé pour tous.
Je conversai avec le chef jusqu’à la nuit tombante; il ne me quitta
que lorsqu’il vit que j’allais dîner. Je le remerciai de sa cordiale
réception et lui recommandai de faire en sorte que les hommes qu’il
devait me donner pour me conduire à la Falémé, fussent prêts au
premier signal; car l’étape étant fort longue, j’avais l’intention de
me mettre en route vers deux heures du matin, dès que la lune
serait levée. Il me donna l’assurance que tout serait prêt à l’heure
dite et qu’il viendrait lui-même me mettre dans la bonne route. Il
insista longuement pour me faire rester un jour de plus dans son
village. Malgré tout le désir que j’avais d’être agréable à ce brave
homme, et bien que ma santé fût toujours chancelante, je ne me
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
rendis pas à sa généreuse invitation, j’avais hâte d’arriver au plus
tôt dans un centre Européen où je pourrais me soigner plus
efficacement et me reposer un peu.
Diaka-Médina est le dernier village du Dentilia à l’Est. C’est
un lieu de passage très fréquenté par les caravanes qui se rendent
du Bambouck auNiocolo et au Fouta-Djallon ou qui en reviennent.
Il ne se passe pas de jours, me disait le chef, qu’il n ’en arrive deux
ou trois, surtout pendant la saison sèche. Elles traversent de préfé
rence ce village, parce que les dioulas savent très bien qu’ils
seront bien reçus et qu’ils ne courront aucun risque d’être pillés.
Les Diakankés sont, en effet, très hospitaliers et, contrairement aux
Malinkés, ne dévalisent jamais ceux qu’ils hébergent dans leurs
villages.
�CHAPITRE XXIV
Le Dentilia. — Frontières, limites. — Aspect général. — Hydrologie. — Orographie.—
Constitution géologique du sol. — Flore, production du sol, cultures. — Faune,
animaux domestiques. — Populations, Ethnographie. — Situation et organi
sation politiques. — Rapport du Dentilia avec les pays voisins. — Rapport du
Dentilia avec les autorités Françaises. — Le Dentilia au point de vue com
mercial. — Conclusions.
Les Malinkés désignent sous le nom de Dentilia toule cette
région assez vaste, du reste, qui est située entre le Niocolo à l’Ouest
et le Konkodougou-Sintédougou à l’Est. Elle comprend, pour ainsi
dire, toutes ces vastes plaines qui s’étendent dans la région septen
trionale de l’immense quadrilatère dont la Gambie et . la Ealémé
forment les deux grands côtés Ouest et Est et qui comprend le
Dentilia, le Gounianta,le Sangala et le Gadaoundou. Le Niocolo et le
Konkodougou, en effet,, ne possèdent qu’une petite bande de terrain
de quelques kilomètres seulement de profondeur dans toute cette
région. La partie du Konkodougou qui se trouve ainsi située à
l’ouest de la Faléiné est, du reste, absolument stérile et inhabitée.
Le Niocolo possède, au contraire, à l’Est de la Gambie, un beau
village, Laminia, et de riches terrains de culture.
Limites. Frontières.— Comme tous les pays que nous avons déjà
décrits, le Dentilia n ’a pas de limites naturelles et ses frontières
sont mal déterminées. Toutefois nous pouvons dire, d’une façon
approximative, qu’il est compris entre les 12°29' et 12°55' de latitude
Nord et les 13°50' et 14°40' de longitude à l’Ouest du méridien de
Paris. Mesuré dans ses plus grandes dimensions, il a environ
85 kilomètres du Sud-Est au Nord Ouest et 60 kilomètres du Nord
au Sud. Sa superficie est d’environ 4.500 kilomètres carrés. Au
Nord, sa ligne frontière commence à environ cinq kilomètres de
Gondoko, au point où elle coupe le marigot de Sandoundou-Kô. De
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
329
là elle se dirige au Sud-Est en coupant le Séniébouli-Kô, à environ
douze kilomètres de Dalafi. Du Séniébouli-Kô, elle se dirige direc
tement au Sud-Est jusqu’à Daléma-Kô, qu’elle coupe à environ
quinze kilomètres de la Falémé. Elle suit le cours de ce marigot
pendant environ vingt kilomètres, jusqu’à trois kilomètres au Nord
du petit village de Candaina, qui appartient au Gounianta. De là,
elle se dirige droit à l’Ouest en suivant le cours du Kobali-KÔ et en
passant à environ trois kilomètres au Nord de Kobali. Elle aban
donne ce marigot à vingt-deux kilomètres de la Gambie pour se
diriger brusquement au Nord. Elle suit cette direction jusqu’à la
mare de Temodalla, dans le désert de Coulicouna. Elle oblique
alors vers l’Est pour venir se terminer au marigot de Sandoundou.
Ainsi délimité, le Dentilia a à peu près la forme d’une ellipse dont
le grand axe serait orienté Nord-Ouest Sud-Est. Ses villages fron
tières sont, au Nord, Gondoko, au Nord-Ouest, Barbri-Médina,
Sakoto et Bembou, à l’Ouest, Médina-Dentilia et Mansakouko, au
Sud, Daguiri, Samé et Nafadji, à l’Est, Dalafi et Diaka-Médina.
Le Dentilia confine au Nord au désert de Coulicouna qui le
sépare de Bélédougou et du Sirimana, à l’Ouest, au pays de Badon
et au Niocolo, au Sud, au Gounianta et à l’Est au pays de Satadougou,
au Konkodougou-Sintédougou et au Bafé.
Bien que ce pays n’ait pas de limites naturelles et que ses
frontières soient absolument conventionnelles, il ne surgit jamais
aucune difficulté de territoire avec les pays voisins. Gela tient à
deux causes principales. D’abord il est absolument isolé et séparé
des centres habités appartenant aux Etats auxquels il confine
par de vastes territoires absolument déserts. Il n ’y a qu’au
Sud que ses villages frontières soient situés non loin de ceux
du Gounianta. Mais la communauté d’intérêts, la parenté de
race et une situation analogue absolument isolée en font, pour
ainsi dire, son allié naturel. La seconde raison de cette bonne
intelligence qui règne dans ces contrées est en ce que les Noirs,
habitués à vivre dans la brousse, ont des points de repère certains
qui nous échappent à nous autres blancs. Ils savent, en pleine
forêt, reconnaître aisément dans quel pays ils se trouvent, chose
absolument impossible pour un voyageur qui ne fait que visiter la
contrée en passant. Aussi, est-ce en connaissance de cause qu’ils
s’aventurent chez leurs voisins, et il est excessivement rare qu’ils
A n d ré R ançon, — 34.
�530
ANDRÉ RANÇON
se permettent de faire des lougans ou de construire leurs cases sur
un territoire étranger. Ils ne manquent jamais, dans ce cas-là, d’en
solliciter l’autorisation du chef auquel il appartient, autorisation qui
n’est jamais refusée. Ils font alors partie du pays où ils viennent
de se fixer, et le fait d’y avoir établi leur demeure est regardé,
dans tous ces pays Noirs, comme une véritable naturalisation
d’office, et ils doivent se soumettre aux contumes et aux lois qui
régissent leurs nouveaux compatriotes.
Aspect général du Dentilia. — La description géographique du
Dentilia sera des plus simples, car nous sommes là dans un pays de
plaines, où les reliefs du terrain sont peu nombreux et surtout peu
appréciables, et où les cours d’eau sont, en général, de peu d’im
portance. On éprouve une impression pénible quand on parcourt
les régions Est et Ouest de ce pays. Le paysage est absolument plat.
Pas d’horizon. Rien qui vous repose la vue. Partout une stérilité et
une monotonie désespérantes. Pas la moindre éclaircie. Toujours
l’horizon est borné par cet éternel rideau d’arbres rabougris qui
semble fuir devant vous au fur et à mesure que l’on en approche.
Pendant des kilomètres et des kilomètres, les plaines argileuses
arides, les plateaux stériles formés de roches et de conglomérats
ferrugineux et absolument dénudés, les marécages au bord de
certains marigots, se succèdent sans interruption. C’est la terre de
la désolation, par excellence. Aussi, éprouve-t-on un véritable sou
lagement quand, après une longue étape dans un semblable désert,
on aperçoit tout à coup, sans que rien ne vous y ait préparé pen
dant la route, un village situé sur un petit monticule dominant une
plaine parfois assez étendue, bien cultivée et où s’étalent de beaux
lougans de mil, de maïs et d’arachides. L’œil du voyageur, fatigué
de n’avoir jamais vu, pendant tout le voyage, que cette couleur
grisâtre qui est propre aux argiles, se plaît à contempler les tons
rouges des terrains à latérite au milieu desquels sont presque tou
jours construits les villages. Malgré leurs sombres tatas et leur
tristesse infinie, les villages prennent pendant quelques instants, à
vos yeux, un air de fête et de gaieté qui ne frappe et réjouit mal
heureusement que de loin et qui disparaît dès que l’on a franchi
la porte et que l’on est obligé de parcourir ses rues étroites. Il vous
semble, qu’après un pénible voyage, vous êtes enfin arrivé au port
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
si ardemment souhaité et où vous allez enfin pouvoir vous reposer
un peu. Et pourtant, malgré tous ces désavantages, les habitants
du Dentilia sont fort attachés à leur pays.
Il faut dire aussi qu’ils ont supérieurement choisi les endroits
où ils ont construit leurs villages, et que tout autour la terre y est
d’une fertilité remarquable. D’une façon générale, on peut dire que
tout ce qui est cultivable au Dentilia est ensemencé chaque année,
et que partout où se sont installés les habitants, la terre leur donne
abondamment tout ce dont ils peuvent avoir besoin. En résumé le
Dentilia appartient, dans sa plus grande partie, à ces pays de steppes
soudaniennes dont nous avons eu si souvent l’occasion de parler.
Mais là, ces steppes sant parsemées d’ilots nombreux de terres
cultivables, véritables oasis qui rendent le pays habitable et lui
donnent, dans sa région centrale du moins, un aspect relative
ment agréable.
Hydrologie. — Le Dentilia est faiblement arrosé. On n’y trouve
aucun grand cours d’eau, pas de fleuve, pas de rivière. Nulle part
on ne trouve d’eau courante pendant la saison sèche. Seuls, quel
ques marigots forment tout son système hydrologique. A ce point
de vue, on peut le diviser en deux régions bien distinctes, une
région Ouest qui appartient au bassin de la Gambie et une région
Est qui fait partie de celui de la Falémé. La ligne de partage des
eaux qui sépare les bassins de ces deux grands cours d’eau est peu
marquée dans le Dentilia. Elle est à peine indiquée par une petite
série de collines peu élevées et l’on peut dire qu’en certaines
régions les marigots dépendant d’un bassin empiètent sur l’autre.
Je ne serais même pas éloigné de croire qu’en certains endroits de
petits marigots les font communiquer l’un avec l’autre. Toutefois
la ligne de démarcation pourrait être à peu près déterminée comme
il suit. Elle suit une direction générale Nord-Ouest-Sud-Est et est à
peu près dirigée dans le sens du grand axe de l’ellipse dont le
Dentilia a la forme. Au Nord, elle commence à la mare de Temodalla
et se dirige directement au Sud jusqu’aux environs de MédinaDentilia. Elle est indiquée là par une chaîne de hauteurs assez
élevées qui se prolonge au Nord dans le désert de Coulicouna; à
environ cinq kilomètres au Nord de Médina-Dentilia, elle oblique
brusquement vers l’Est et suit cette orientation pendant environ
�532
ANDRÉ RANÇON
douze kilomètres. Là, les collines s’affaissent sensiblement et nous
ne trouvons plus que de légères ondulations du sol. Le VaudioulouKô, qui dépend du bassin de la Gambie, est parallèle à cette ligne
pendant quarante kilomètres. De ce point, elle se dirige au NordEst jusqu’aux environs de Oualia. Elle oblique alors directement
au Sud jusqu’à Bandiciraïla, d’où elle se dirige au Sud-Est pendant
trente kilomètres pour obliquer ensuite vers le Sud et le Sud-Ouest
en passant non loin de Samé entre le Daguiri-Kô, qui appartient à
la Gambie, et le Samakoto-Kô, qui est de la Falémé. Dans tout ce
trajet cette ligne a environ 120 à 130 kilomètres de développement.
Dans la région Est, nous trouvons, dans sa partie Nord, un
grand marigot, le Séniébouli Ko. Sa direction est à peu près SudNord. Il naît dans les environs de Bandiciraïla, dans le Dentilia,
où, dans la partie ultime de son cours, il s’étale en un vaste
marais. De là, il passe non loin de Diaka-Médina, et, après avoir
traversé la région Ouest du Bafé et le Sirimana dans toute sa
largeur, il se jette dans la Falémé. Il reçoit dans le Dentilia, à
l’ouest, le Marigot de Saiuloundou, qui reçoit lui-même le SacodofiKô, lequel est formé par les eaux d’un grand nombre de marigots
de peu d’importance, qui arrosent la région Nord-Ouest dé ce
pays. Plus au Sud nous trouvons le Fao-Fao-Kô, qui passe à
quatre kilomètres au Sud de Dalafi. Dans la même direction et à
trois kilomètres de ce dernier, se trouve le Badanbali-Kô. La route
de Dalafi à Diaka-Médina coupe ces deux marigots. A l’est le
Seniébouli-Kô ne reçoit dans le Dentilia qu’un seul marigot de
peu d’importance, le Sama-Kô, que l’on trouve à un kilomètre et
demi de Diaka-Médina, sur la route de Faraba.
On trouve encore dans le Dentilia un marigot important qui
appartient au bassin de la Falémé; c’est le Daléma-Kô. Il forme,
dans une partie de son cours, la séparation entre le Dentilia et le
Koukodougou Sintédougou, et se jette dans la Falémé, un peu en
aval de Faraba. Il reçoit un grand nombre de branches que l’on
traverse en allant de Diaka-Médina à Faraba. Elles n ’ont, pas reçu
de noms particuliers. Mentionnons enfin, tout-à-fait au Sud-Est,
le Samakoto-Kô, qui passe à Samécouta, un peu au nord du
Daléma-Kô, et qui se jette dans la Falémé, non loin du gué de
Komba-N’-Soukou.
La région Ouest du Dentilia est beaucoup plus arrosée. Nous
�ÙANS LA HAUTE-GAMBIE
533
trouvons, en procédant du Sud au Nord, les marigots suivants :
Le Kobali-Kô, qui passe non loin de Kobali dans le Gounianla
et qui, dans la partie moyenne de son cours, forme la limite entre
le Dentilia et le Gounianta.
Le Daguiri-Kô, qui passe à Daguiri et naît entre Samé et
Balori, où il n’est qu’un vaste marécage. Il reçoit plusieurs bran
ches, dont la plus importante passe à Sanela.
Enfin le Koumountoürou-Kô, le plus important de tous. 11 se
forme non loin de Badioula, se dirige d’abord du Sud-Est au
Nord-Ouest jusqu’aux environs des ruines de Soutouto, puis son
cours s’infléchit vers l’Ouest-Sud-Ouest jusqu’à la Gambie, dans
laquelle il se jette à cinq kilomètres en aval de Sillacounda. Il
passe à peu de distance des ruines de Tasiliman. Dans ce trajet il
reçoit, en procédant de l’Ouest à l’Est, au Sud, le Niguia-Kô, qui
reçoit lui-même le Doutci-Kà, et enfin le Noukou-Kô. Au Nord,
nous trouvons une branche importante dont la direction est fran
chement Nord-Est et qui reçoit le Faraba-Kô et le Vandioulou-Kô.
Ce dernier reçoit le Samania-Kô et le Bancoroti-Kô, qui passe à
quelques centaines de mètres à l’Ouest de Médina-Dentilia, qu’il
contourne du Nord-Est au Nord-Ouest en passant par le Sud du
village. Le Vandioulou, dans la partie la plus Est de son cours,
passe à Oualia. Tous ces marigots reçoivent, en outre, un grand
nombre d’autres petits cours d’eau insignifiants qui sont à sec pen
dant la belle saison et auxquels les habitants n'ont pas donné de
noms spéciaux.
Dans tous les villages du Dentilia, on ne fait usage que de l’eau
des puits. Elle est très bonne. La nappe d’eau souterraine se trouve
très profondément, à 20 ou 25 mètres suivant les régions. Les eaux
des puits peuvent donc être considérées comme des eaux d’infiltra
tion, et comme les couches de terrain qu’elles traversent ne ren
ferment aucun principe nuisible, il en résulte qu’elles sont excel
lentes pour tous les usages domestiques.
La plupart des marigots sont complètement desséchés pendant
la belle saison. Seules, les branches principales contiennent un
peu d’eau croupissante. Ils sont rares ceux dans lesquels on trouve
de l’eau courante. Cela se comprend aisément, car ils sont tous fort
éloignés de la source qui les alimente. Mais, pendant la saison des
pluies, ils se remplissent rapidement, débordent et envahissent les
�534
ANDRÉ RANÇON
plaines qu’ils arrosent. Dès que les pluies, ont cessé, ils se vident
aussi vite qu’ils s’étaient remplis. Ils suivent en cela le régime des
eaux du fleuve ou de la rivière dont ils sont tributaires.
Orographie. — L’orographie du Dentilia est des plus sommaires.
Nous n ’avons là aucun système bien défini. A peine quelques col
lines sillonnent-elles ces plaines arides et incultes pour la plupart,
reliefs peu importants, du reste. A l’Ouest, cependant, nous trou
vons la chaîne de collines qui forme la limite Est du désert de
Caulicouna. Cette chaîne émet des contre-forts qui longent les
marigots qui vont se jeter dans le Koumountourou-Kô. L’un de ces
contre-forts passe même non loin de Médina-Dentilia, au Nord, et
se termine dans la plaine qui s’étend à l’Est de ce village.
Si le Dentilia n ’a pas de système orographique bien déterminé,
il est un fait pourtant constant qu’il est bon de signaler. C’est le
suivant, à savoir que les marigots coulent tous dans des vallées que
bordent de petites collines peu élevées (huit à dix mètres, au plus)
et qui sont parallèles à leur cours. Des villages sont construits sur
de petits monticules et l'on rencontre dans ce pays comme partout
ailleurs dans cette partie de l’Afrique de ces collines isolées au
milieu des plaines, de peu d’étendue et de peu d’élévation et qui
sont absolument indépendantes de tout système.
La région Ouest est de beaucoup la plus accidentée. Dans les
autres régions, le pays est absolument plat ou ne présente que des
reliefs de terrains sans aucune importance. Ce ne sont, pour ainsi
dire, que de légères ondulations à peine sensibles.
Constitution géologique du sol. — Au point de vue géologique, on
peut rattacher à la période secondaire, la formation du sol du
Dentilia tout entier. Les collines que l’on y rencontre dans la région
Ouest ont dû émerger au commencement de cette période. Nul
doute, en effet, que toute cette région n’ait été couverte par les
eaux. Car les roches que l’on y rencontre partout sont usées,
limées et tout indique qu’elles ont été pendant de longues années
submergées et battues par les Ilots. Quant aux plaines de la partie
centrale ce ne doit être que longtemps, fort longtemps après
qu’elles se sont découvertes. Quant aux rares alluvions que l’on y
rencontre par ci par là, elles sont généralement peu épaisses et
sont surtout formées par le limon que, chaque auuée, en se
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
retirant, les eaux déposent sur les bords des marigots. Elles
recouvrent, presque partout, un sous-sol de terrain argileux ou de
terrain ardoisier. Quanta l’humus il fait absolument défaut.
Le sous-sol du Dentilia est formé des mêmes éléments que celui
des pays voisins. Ici du terrain ardoisier, là du terrain ferrugineux.
Les roches que l’on y rencontre sont, du reste, absolument carac
téristiques. Dans les terrains ardoisiers, ce sont des schistes,
ardoisiers et lamelleux surtout, dans les terrains ferrugineux ce
sont des quartz, des grès soit simples, soit ferrugineux et alors
fortement colorés en rouge, et enfin des conglomérats à gangue
silico-argileuse. Ces collines sont généralement formées de ces
deux dernières roches.
La croûte terrestre ne s’est pas non plus sensiblement modifiée.
Les argiles compactes, imperméables, alternent avec la latérite,
mais cette dernière est de beaucoup la moins fréquente. On ne la
trouve qu’autour des villages.
Quant à la distribution des deux sortes de terrain, elle est des
plus simples. Au centre du pays la latérite, c’est la partie fertile.
Tout autour les argiles compactes recouvrant un sous-sol de terrain
ardoisier ou bien uu sous-sol formé degrés, quartz et conglomérats
ferrugineux. En maints endroits, la roche émerge du sol et forme
de vastes plateaux absolument arides. La couche d’argiles est
beaucoup plus épaisse au Sud et à l’Est que dans les autres parties.
Le fond des marigots, vaseux dans la région Ouest, est plutôt
rocheux dans la région Est. Leurs bords sont, en général, argileux
ou couverts de limon, taillés à pic et difficiles à franchir.
De la surface du sol à la nappe d’eau souterraine, les couches
des différents terrains sont ainsi disposées: 1° une couche d’argiles
ou de latérite plus au moins épaisse ; 2° Schistes ou grès, quartz et
conglomérats ferrugineux ; 3° Sable quartzeux et siliceux ; 4° Argiles ;
3° Nappe d’eau souterraine reposant en général soit sur le sable
qui est rare, soit sur des argiles. Il résulte de cela que les
puits dont le fond est de sable donnent, en toutes saisons, une eau
limpide et claire et, au contraire, ceux dont le fond est argileux ont
une eau de couleur blanchâtre fortement chargée de matières ter
reuses, pendant la saison des pluies principalement. Il est facile de
les en débarrasser en les laissant reposer en décantant et, enfin, en
filtrant, si toutefois ou a ce qu’il faut à sa disposition.
�536
ANDRÉ RANÇON
Du fait que, dans certaines régions, on a trouvé, en certains
endroits, quelques échantillons de roches granitiques, on a cru
devoir en conclure que certaines parties du Soudan appartenaient
à la période primitive. On pourrait le dire du Dentilia également,
car nous avons vu plus haut que nous avions trouvé aux envi
rons de Médina-Dentilia d’énormes blocs de beau granit gris. La
présence de ces roches dans des terrains qui appartiennent à une
période de formation géologique tout différente de celle à laquelle
elles sont généralement rattachées peut s’expliquer aisément. Il
n’y a pour cela qu’à les examiner attentivement. Elles ne forment
pas, en effet, de bancs réguliers inhérents au sol environnant. Ce
ne sont pas de ces couches rocheuses caractéristiques des terrains
de la période primitive qui s’étendent au loin sous la croûte ter
restre et forment parfois de véritables montagnes. Ce sont des blocs
isolés, plus ou moins volumineux, noyés dans des argiles, comme
nous l’avons remarqué à Irimalo sur la Falémé, ou bien entourés
de toutes parts de grès ou de quartz ou même de terrain ardoisier, comme cela existe à Médina-Dentilia. De plus, pas la moindre
arête, par la plus petite rugosité. Elles sont, au contraire, lisses
et polies comme si elles sortaient des mains d’un bon ouvrier.
Très glissantes, les chevaux n’y marchent qu’avec mille précau
tions. Tout cela nous permet de conclure qu’elles ont été dépo
sées là par les flots alors que le pays était encore complètement
couvert par les eaux. Ce sont de véritables blocs erratiques sur
lesquels la mer immense qui les a recouverts pendant des milliers
d’années a laissé son empreinte ineffaçable.
Climatologie. — Nous n’aurons que quelques mots à ajouter à
ce que nous venons de dire sur l’hydrologie, l’orographie et la
constitution géologique du sol du Dentilia, pour faire connaître
quel doit être son climat. Par sa latitude et sa longitude, ce pays
se place naturellement dans les climats chauds. Le régime de ses
eaux, le peu de profondeur de la nappe souterraine en font un
foyer de paludisme. Et si nous ajoutons que, vu la presque imper
méabilité de son sol, les eaux qui tombent à sa surface n’étant
pas absorbées, finissent par croupir et ne disparaissent que lente
ment, par évaporation due à la chaleur solaire, on sera convaincu
que ce pays est peu habitable pour une race humaine autre que
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
celle qui le possède. Le blanc ne s’y pourrait pas acclimater. Disons,
en plus, que rien ne le protège contre l’action des vents. Son sys
tème orographique est presque nul, aussi est-il exposé, sans aucune
défense, aux vents brûlants d’Est et de Nord-Est pendant la saison
sècbe, et, pendant l’hivernage, aux vents humides et malsains du
Sud et du Sud-Ouest. Son climat ne diffère, en un mot, de celui
des autres parties du Soudan qu’en ce que la saison des pluies y
est plus longue que dans les régions septentrionales.
Flore. — Productions du sol. — Cultures. — La Flore du Dentilia
est peu riche, surtout dans les plaines argileuses de l’Ouest et de
l’extrême Est. Ce n’est que dans les terrains à latérite que la végé
tation est un peu plus active. Les bords des marigots sont égale
ment très favorisés sous ce rapport.
Le karité, qui est très rare dans les plaines de terrain argileux,
est, au contraire, très abondant dans les terrains ferrugineux et à
latérite. Nous en avons vu dans la plaine de Médina-Dentilia qui
atteignaient des dimensions fort respectables. Beaucoup étaient en
fleurs. Il y aurait là une source énorme de richesse pour le pays;
mais il faudrait avoir affaire à d’autres gens qu’à des Noirs et
surtout à des Malinkés. D’une façon générale, on peut dire que ce
végétal est très abondant dans les régions qu’il habite.
Les lianes à caoutchouc ( Vahea), qui manquent absolument dans
la région Ouest, sont très abondantes dans le reste du pays et surtout
le long des marigots. On les trouve également sur les plateaux
rocheux et ferrugineux. Mais elles sont moins développées dans
ces sortes de terrains que dans le limon qui couvre les bords des
marigots.
Mentionnons encore quelques palmiers le long des cours d’eau,
quelques caïl-cédrats et surtout une énorme quantité de fromagers
un peu partout. Quand nous y sommes passés, au mois de janvier,
ils étaient en fleurs. Les Légumineuses sont assez rares. Nous avons
remarqué cependant quelques nétés et quelques mimosées. Ces
dernières se rencontrent surtout dans les plaines désertes et
incultes de l’Est et de l’Ouest. Le gommier y est inconnu.
On peut dire que, dans le Dentilia, tout ce qui était cultivable
est cultivé. Partout où le sol a permis de faire un lougan, le noir
l’a fait. Mais c’est surtout autour des villages qu’ils sont nombreux
�538
ANDRÉ RANÇON
et bien entretenus. Tout ce qui entre dans l’alimentation du noir y
est cultivé, mil, arachides, maïs, etc., etc. Peu de riz, le terrain
n ’étant pas propice à la culture de ce végétal, mais, par contre, de
beaux champs de coton et d’indigo. Autour des villages se trouvent
de nombreux jardinets entretenus avec soin et où les femmes et les
enfants cultivent des oignons et du tabac, dont les Malinkés sont,
nous le savons, très friands.
Les lougans sont cultivés en sillons quand la quantité de terre
végétale le permet ou bien en petits monticules d’environ 40 centi
mètres de diamètre. Toutes ces précautions sont prises pour
permettre aux eaux de séjourner plus longtemps autour des semis.
Ils sont parfaitement entretenus et on n ’y voit aucune mauvaise
herbe. Aussi les récoltes sont-elles toujours fort abondantes.
Faune. Animaux domestiques. — La Faune du Dentilia diffère
peu de celle des autres pays du Soudan. Ce sont toujours les mêmes
animaux. Parmi les carnassiers, le lion, la panthère, la hyène, le
lynx, le chat-tigre. Les animaux non nuisibles sont représentés par
les antilopes de toutes variétés, biches, gazelles, bœufs sauvages,
etc.,.etc. Enfin, dans les régions de l’Est et de l’Ouest, on rencontre
encore l’hippopotame et l’éléphant. Ce dernier commence à y
devenir fort rare. Le sanglier, par contre, y est très commun. Les
pintades et les perdrix grises y sont très nombreuses et leur chair
est excessivement savoureuse.
Les Malinkés du Dentilia sont de grands éleveurs de bestiaux et
chaque village possède un troupeau de bœufs fort nombreux. On y
trouve les deux espèces, la grande et la petite; mais la première y
est plus commune que la seconde. Citons encore les moutons,
chèvres et poulets, qui abondent dans tous les villages.
Populations. Ethnographie. — La population du Dentilia, sauf
trois villages, est uniquement formée de Malinkés : les Diakankés
y sont peu nombreux. D’après la tradition, il a été colonisé par une
seule famille, les Damfakas. Venus du Manding dans le Bambouck,
lors de la seconde grande migration Malinkée, avec Noïa-MoussaSisoko, ils se fixèrent d’abord dans le Bambougou et de là émigrè
rent dans le Deutilia qu’ils peuplèrent peu à peu. La légende dit
qu’étant allés un jour à la chasse aux bœufs et aux éléphants,
plusieurs guerriers de cette famille avaient poursuivi à travers le
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
Diébédougou, le Bafé et le Sirimana, un troupeau de ces gros
animaux. Ils avaient traversé la Falémé aux environs du petit
village de Kolia et étaient arrivés ainsi au centre du Dentilia alors
complètement inhabité. Captivés par la fertilité relative du terrain
et surtout par sa situation isolée qui leur permettrait d’échapper
aux envahisseurs qui continuaient à venir de l’Est, ils étaient
revenus par le Konkodougou dans leur pays et avaient entraîné à
leur suite toute leur famille, malgré tout ce qu’avait pu faire
Moussa-Sisoko pour les retenir. On dit même que celui-ci, voulant
les retenir de force, avait saisi par l’oreille le chef des Damfakas,
mais que ce dernier, ne voulant plus habiter le Bambougou et dési
rant à toutes forces s’affranchir de toute domination, fit un mou
vement si brusque pour se délivrer des mains de Moussa, que son
oreille resta entre les doigts de ce dernier. Ce que voyant, tous les
membres de la famille s’enfuirent avec leur chef, et, guidés par
leurs chasseurs, arrivèrent dans ce Dentilia, sans encombre, où
ils se fixèrent. Depuis cette époque, on chante dans presque tous
les tam-tams, pour perpétuer le souvenir de ce fait, une sorte de
complainte dont les premiers mots sont : « Tu ne t’en iras pas, je te
tiens par l’oreille ». Je n’ai jamais pu obtenir la traduction du
reste. Cette légende m’a été racontée dans le Barabouck par un
vieux griot de Nanifara (Bambougou).
Du jour où ils sont venus l’habiter, les Damfakas n’ont pas quitté
le Dentilia. Il leur a toujours appartenu et ils l’ont toujours dirigé.
Les uns sont musulmans et les autres non. Mais il est facile de
constater combien la religion du prophète y fait chaque année de
rapides progrès. Aujourd’hui, buveurs de dolo et marabouts sont à
peu près en nombre égal; mais ce jour n’est pas éloigné où tous
feront salam.
Peu après leur installation, on ne tarda pas à apprendre dans le
Bambouck combien la nouvelle colonie était prospère et quelle
sécurité y régnait. Aussi, bon nombre de familles malinkées quittè
rent-elles le Bambouck pour venir habiter avec les Damfakas;
c’est ainsi que nous trouvons dans le Dentilia des Cissés et des
Camarasqui sont musulmans, des Dabos et même des Sisokos qui
ne le sont pas. Ils n’ont pas formé de villages spéciaux, et habitent
avec les Damfakas avec lesquels, par des unions fréquentes, ils
finiront par se confondre.
�540
ANDRÉ RANÇON
A quelle époque l’islamisme fit-il sa première apparition dans
ce pays, nous ne saurions le dire? Tout porte à croire cependant
que cette date est encore très récente, car leur religion est encore
mélangée de pratiques et de superstitions que nous retrouvons
vivaces chez les Malinkés qui ne se sont pas encore convertis.
La population entière du Dentilia est d’environ neuf mille habi
tants. Ce pays, comme on le voit, est relativement peu habité,
mais si l’on ne tient compte que de la partie où s’élèvent les
villages, la population y est au contraire très dense. Relativement à
sa superficie totale, il n’y aurait que deux habitants par kilomètre
carré. Mais la partie habitée n ’ayant, à peu près, que 1,200 kilo
mètres carrés de superficie, la population y aurait une densité de
7 habitants par kilomètre. Voici la liste des villages Malinkés du
Dentilia :
Villages Malinkés du Dentilia.
Médina-Dentilia.
Badioula.
Sekoto.
Sekoto-Kokaba.
Saraïa
Bandiciraïla.
Sanela.
Barocoumbaïa.
Binéa.
Bembou.
Samé.
Dioulafoundou.
Nafadgi.
Sita-counda.
Dalafl.
Diacorea.
Barbri-Médina.
Gondoko.
Baïtillaë.
Diabérécoto.
Bani-Bani.
Daloto.
Outre ces village Malinkés, il existe encore dans le Dentilia
trois autres villages qui sont habités par des Diakankés venus du
Bondou, chassés par les exactions des Almamys. Ce sont :
Samécouta. — Balalori. — Diaka-Médina.
Les villages Malinkés du Dentilia n’ont pas l’aspect que présen
tent les autres villages de cette race. Us sont plus propres et mieux
entretenus. Le mode de construction des habitations et des tatas
est le même. Nous l’avons décrit plus haut. Nous n’y reviendrons
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
pas. Quant à l’intérieur des villages, il est toujours et dans tous
d’une saleté repoussante. Les rues sont couvertes d’immondices
de toute nature et, seuls, les chiens sont chargés du service de la
voirie.
Le Malinké, buveur de dolo, est là ce qu’il est partout ailleurs,
sale, puant, dégoûtant, suant la vermine, vantard, pillard, pares
seux et ivrogne fieffé.
Tout autre est le Malinké musulman; il est un peu plus policé.
Il est plus propre et ne boit jamais, du moins en public. 11 ne vaut
certes pas mieux que ses congénères. Il est comme lui vantard et
paresseux. Par contre, il est beaucoup plus brave. Mais il est
supérieurement hypocrite et sait cacher ses défauts sous des
dehors plus séduisants et moins repoussants.
Les villages Diakankés sont tous ouverts et démunis de tatas.
Ils sont un peu plus propres que les villages Malinkés et les
cases en ruines y sont moins communes. Leurs habitants y
vivent tranquilles, cultivant leurs lougans, élevant leurs trou
peaux et pratiquant en paix leur religion. Les Diakankés sont
tous musulmans fanatiques. Ils sont excessivement hospitaliers,
comme tous les noirs, du reste, en général. Contrairement aux
Malinkés, ils se livrent rarement au pillage des dioulas et des
caravanes qui viennent se reposer chez eux.
Situation et organisation politiques. — Il n’y a pas dans le Dentilia de chef du pays, de Massa, comme dans les autres Etats
Malinkés dont nous avons fait l’histoire plus haut. Chaque village
règle ses affaires comme bon lui semble, sans que personne ait à
s’en occuper en quoi que ce soit. Le chef du village est, en principe,
omnipotent, mais, en fait, il ne jouit absolument d’aucune autorité,
comme cela a lieu dans tous les villages Malinkés. Les vieillards
et les chefs de case forment auprès de lui une sorte de conseil, dont
il peut parfaitement ne pas suivre les avis. Mais de tous les habi
tants du village, celui qui a le plus d’influence auprès du chef est
son griot. Le forgeron jouit bien de quelques prérogatives aussi,
mais moins que le griot. Celui-ci donne son avis dans toutes les
affaires publiques et souvent meme dans les affaires privées du
chef, et il est rare qu’il ne soit pas suivi. Il peut tout dire et tout
faire, certain d’avance d’être pardonné.
�542
ANDRÉ RANÇON
Malgré ce désordre apparent, il n’y a guère de contestations de
village à village. Cela tient à ce que les chefs sont tous de la même
famille, et que tout se règle à l’amiable. Lorsqu’il s’agit de faire une
expédition de guerre quelconque, ce qui est excessivement rare, je
me hâte de le reconnaître, chaque village fournit, son contingent
qui est commandé par son chef ou par un guerrier que celui-ci a
désigné. Nous n’avons pas besoin de dire que c’est la confusion à
son plus haut degré.
Lorsqu’en 1888, nous avons signé avec le Dentilia le traité qui
place ce pays sous le protectorat de la France, c’est avec le chef de
Médina-Dentilia, agissant en son nom et au nom des autres chefs,
que les signatures ont été échangées. Par analogie sans doute avec
les autres pays, nous avons voulu en faire le chef de tout le Dentilia.
L’article Ier du traité est, en effet, ainsi conçu : « La France recon
naît pour chef du pays de Dentilia Ansoumané, fils de SokonaAhmadi ». C’est le nom du chef de Médina. Or, veut-on savoir quel
a été le résultat de cette reconnaissance. Lorsque je suis passé à
Médina-Dentilia, je fus très bien reçu par Ansoumané lui-même.
En causant, je lui demandai quel était le chef du pays; il me
répondit qu’il n ’y en avait pas, et c’est lui-même qui nous a
donné les renseignements politiques que nous venons de relater.
Cependant, au point de vue de la justice, il est d’usage d’en
appeler au chef de village le plus âgé du pays. Ses jugements
sont presque toujours exécutés. Actuellement, c’est le chef de
Dioulafoundou qui jouit de cette prérogative.
En résumé, il y a dans le Dentilia comme un embryon d’orga
nisation politique, malgré le désordre apparent. C’est une sorte
de république fédérale.
Les Diakankés vivent absolument à part et leurs affaires sont
réglées par leurs chefs et leurs marabouts. Vis-à-vis des Malinkés,
ils ne sont que les locataires de la terre qu’ils habitent,, le sol
appartenant aux Damfakas, qui sont les premiers occupants.
Les habitants du Dentilia ne payent aucun impôt comme rede
vance de quelque nature que ce soit, à qui que ce soit.
Rapports du Dentilia avec les pays voisins. — Malgré le voisinage
du Niocolo et du Gounianta, qui sont tributaires de FoutaDjallon, le Dentilia n’a jamais eu affaire aux colonnes de guerre
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
de ce puissant empire Peulh. Il s’est rarement mêlé des affaires
des Etats qui l’avoisinent. Depuis quarante ans il n’a pris part
qu’à deux expéditions. En 1861, il prêta main-forte aux gens de
Marougou (Sirimana), que Boubakar-Saada, almamy du Bondou,
était venu attaquer. Marougou se défendit vigoureusement et
l’arrivée du contingent du Dentilia décida de la victoire. BoubakarSaada fut complètement battu et obligé de battre en retraite. Il
laissa bon nombre des siens sur le carreau et fut obligé d’aban
donner ses blessés et, parmi eux, un de ses cousins, AhmadySôma, qui n’échappa aux bandes du Dentilia que grâce aux ténè
bres. En 1868, il s’unit de nouveau à Marougou pour tomber sur
Mamakono, dont les guerriers s’étaient joints aux troupes de
Boubakar-Saada dans la précédente campagne. Cette fois-ci, l’almamy du Bondou remporta une victoire complète sur ses alliés,
mais le Dentilia eut le bon esprit de se retirer à temps de la lutte
et de s’entendre avec le vainqueur. Aussi ne fut il pas inquiété.
Depuis cette époque, aucune guerre n’est venue troubler ce pays.
Aujourd’hui il vit en bonne intelligence avec la Badon, le Niocolo,
le Gounianta et le Konkodougou. Il n ’a jamais de contestations
avec eux. Mais il n’en est pas de même avec le Bélédougou et le
Sirimana, au Nord. Les habitants de ces deux pays, pillards et
voleurs fieffés, mettent souvent à contribution les villages du
Dentilia. Ils vont jusqu’à enlever sous les murs mêmes des tatas des
femmes, des enfants, des captifs et des bœufs. De plus, ils infestent
les routes pendant toute l’année, à tel point qu’un homme qui
s’aventurerait seul dans la brousse, courrait grand risque d’être
fait captif. La situation est telle que les gens du Dentilia ne
peuvent cultiver leurs lougans que le fusil auprès d’eux.
Les Peulhs du Tamgué font aussi de fréquentes apparitions
dans le pays et s’y livrent aux mêmes rapines que les Malinkés tlu
Bélédougou et du Sirimana.
Rapports du Dentilia avec les autorités Françaises. — Le Dentilia
tout entier est placé sous le protectorat de la France depuis le
10 janvier 1888, à la suite d’un traité conclu entre M. le souslieutenant d’infanterie de marine, Levasseur, représentant le
lieutenant-colonel d’infanterie de marine Galliéni, commandant
supérieur du Soudan Français, et Ansoumané, chef de Médina-
�544
ANDRÉ RANÇON
Dentilia, agissant au nom de tous les chefs du pays. Les clauses
principales en sont fidèlement observées. Mais le Dentilia est trop
éloigné pour que notre protectorat s’y fasse sentir d’une façon
efficace. De plus, il est rare que les habitants viennent soumettre
leurs affaires aux autorités françaises dont relève leur pays. Au
point de vue politique, administratif et judiciaire, il relève
actuellement du commandant du cercle de Kayes. Vu son éloi
gnement, il échappe au contrôle de cet officier. Quoi qu’il en soit,
ce que nous pouvons affirmer, pour en avoir fait l’expérience,
c’est que tous les officiers français y sont bien reçus.
Le Dentilia au point de vue commercial. Conclusions. — Le Denti
lia avait autrefois une triste réputation, c’était un véritable coupegorge et les dioulas ne pouvaient s’y aventurer sans être pillés
jusqu’au dernier kola et étaient, de plus, souvent même roués de
coups. Depuis le traité, la situation a changé, et le commerce
s’y fait plus sûrement. Il y a bien encore quelques vols, mais plus
de pillage en règle. Par sa situation, ce pays a une réelle impor
tance au point de vue commercial. C’est par là que passent tous
les dioulas qui se rendent du Bambouck, en Gambie, au Niocolo
et au Fouta-Djallon. Pour en augmenter la prospérité, il serait
bon de mettre un terme aux pillages des Malinkés du Bélédougou
et du Sirimana, et d’en chasser les Peulhs du Tamgué. Sans doute,
on n’en fera jamais une colonie de rapport, mais il pourra, à la
longue, s’y créer un commerce d’échange assez important.
�CHAPITRE XXV
Départ de Diaka-Médina. — Marche de nuit. — Fuite d’un porteur. — Rencontre
d’une nombreuse caravane. — Le commerce du sel au Soudan. — Passage de la
Falémé. — Description de la route suivie. — Géologie. — Botanique. — Le Kaki.
— Arrivée à Faraba. — Nous sommes en pays de connaissance. — Le village, le
chef. — Recherche de l’or. — Départ de Faraba. — A travers le Sinlédougou et
le Bambouck. — Sansando. — Dioulafoundoundi. — Soukoutola. — Notes sur le
Sintédougou. — La vallée de Batama. — Mouralia. — Les mines d’or. — Sékonomata. — Batama. — Ascension de la chaîne du Tambaoura. — Yatéra. —
Malaoulé. — Koudoréah. — Difficultés de la route. — Guibourya. — Le Diébédougou. — Kéniéti. — Guénobanta. — Le Diabeli. — Yérala. — Dialafara. — Le
Tambaoura. — Les circoncis et la circoncision au Soudan. — Orokoto. — Panique
des habitants. — Nouvelle ascension du Tambaoura. — Téba. — Malembou. —
Le Natiaga. — Arrivée à Faidherbe-sur-Galougo. — Le chemin de fer. —
Mauvaises nouvelles. — Arrivée à Boufoulabé. — Cordiale réception.
23 janvier. — Nuit relativement chaude. Ciel clair et étoilé.
Brise de Nord Est. Au point du jour, ciel un peu couvert dans l’Est.
Le soleil est un peu voilé à son lever. Température chaude. Brise
de Nord-Est assez forte. Vers huit heures, le ciel est complètement
dégagé. Je réveille mes hommes à une heure quarante-cinq minutes
du matin, car nous allons avoir une grande étape à faire. Malgré
l’heure matinale, les préparatifs du départ se font rapidement et les
porteurs sont réunis à l’heure dite. Le chef vient me serrer une
dernière fois la main et m’accompagne pendant environ un kilo
mètre. Il me quitte quand il voit que je suis dans la bonne route. Il
était deux heures trente minutes quand nous quittâmes DiakaMédina. La lune se levait et la température était excessivement
fraîche. Aussi marchons-nous d’une bonne allure pour nous
réchauffer. A 2 h. 50, nous traversons, à environ deux kilomètres
du village, le marigot de Sama-Kô, affluent du Séniébouli-Kô, et
quand nous faisons la première halte, il fait encore une nuit
profonde. Un porteur en profite pour se sauver. Malgré nos
André Rançon. — 35.
�546
ANDRÉ RANÇON
recherches, nous ne pouvons le retrouver. J ’aurais été fort embar
rassé si je n’en avais pas eu deux haut le pied. Je puis donc
le remplacer sans difficulté et me remettre en route sans retard. A
sept heures, nous traversons le marigot de Daléma-Kô, qui forme
la frontière entre le Dentilia et le Koukodougou-Sintédougou. Le
passage de cet important cours d’eau est assez délicat, non pas
parce qu’il est profond, mais parce que son lit est encombré de
roches excessivement glissantes. Déplus, ses berges sont absolu
ment défoncées par les nombreux passages d’hippopotames qui
sont très nombreux dans cette région, d’après le dire des hommes
de Diaka-Médina qui m’accompagnent. Nous faisons halte sur les
bords de ce marigot et je puis m’assurer en explorant ses rives
pendant un kilomètre environ en aval du point où uous nous
trouvions que, dans cette région, ses berges sont escarpées et qu’il
coule entre deux rangées d’énormes rochers. Après avoir pris un
quart d’heure de repos nous nous remettons en route, et à onze
heures nous sommes sur les bords de la Falémé, en face de Faraba,
où j’ai décidé que nous allions passer la journée. Un peu avant d’y
arriver nous avions laissé sur notre gauche la route de Dalafi. Le
chef de Diaka-Médina ne m’avait donc pas trompé.
A mi-route environ, j’avais rencontré une caravane de 93 hommes
et femmes dont 79 étaient chargés de pains de beurre de karité.
Ils venaient du Koukodougou et allaient vendre leur karité et leur
or à Mac-Carthy. Les griots marchaient en tête, frappant sur leurs
tam-tams, pinçant de la guitare. Les femmes chantaient à tue tête
et tout ce monde faisait un vacarme étourdissant. Je remarquai
qu’ils avaient eu la précaution de se munir de leurs marmites pour
pouvoir faire leur cuisine en route. A mon aspect, la caravane
entière s’arrêta et le chef vint me saluer. Entre autres choses, je
lui demandai pourquoi ils n’allaient pas, de préférence, vendre
leurs produits à Bakel, Khayes ou Médine, qui étaient bien plus
rapprochés que Mac-Carthy, il me répondit tout simplement parce
que : « à Mac-Carthy, on nous donne un meilleur prix de nos mar
chandises et que les dioulas français essaient toujours de nous
tromper » (sic). Ceci n ’a pas besoin de commentaires.
En parlant ainsi, mon interlocuteur faisait sans doute allu
sion à la déplorable habitude qu’ont ces dioulas du Sénégal et du
Soudan de mélanger le sel avec du sable. Cette fraude est pratiquée
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
sur une si grande échelle depuis Podor jusqu’au Niger que le sel qui
est ainsi vendu aux indigènes contient parfois 75 °/0 de sable. Ces
procédés sont absolument inconnus en Gambie. A Mac-Carthy
notamment, la Compagnie Française et la Bathurst trading Com
pany, ainsi que leurs agents de l’intérieur, ne livrent aux indigènes
que du sel de première qualité. Nous pouvons en parler en
connaissance de cause; car nous nous en sommes servis, pendant
la plus grande partie de notre voyage, aussi bien pour notre cuisine
que pour nos échanges. Nous avons cru devoir insister, un peu
longuement peut-êLre, sur cette question du sel. Elle est, en effet,
capi tale au Soudan qui, sous ce rapport, est fort déshérité. C’est
peut-être la matière d’échange qui, avec les étoffes, donne lieu aux
transactions les plus importantes. Nous estimons qu’il serait bon
d’enrayer ces manœuvres frauduleuses, tout au moins dans nos
centres commerciaux, si nous ne voulons pas voir réduit à néant
notre commerce du sel, et cela à brève échéance. Ce sera le seul
moyen de ramener à nos escales les caravanes de l’intérieur qui
s’en écartent de jour en jour davantage.
Le passage de la Falémé se fit sans aucun accident. Je la
traversai en pirogue, et les porteurs et les animaux la passèrent à
gué un peu plus bas.
La route de Diaka-Médina à Faraba présente deux grosses
difficultés ; le passage du Daléma-Kô et celui de la Falémé. Le
Daléma-Kô, au point où on le traverse, est à sec à cette époque de
l’année; mais son passage n’en est pas moins rendu difficile par les
roches glissantes qui obstruent sou lit. Il peut avoir environ vingt
mètres de largeur. Le passage de la Falémé au gué est assez facile,
mais ce gué n’existe que pendant la saison sèche, de janvier à juin.
Le passage en pirogue offre plus de difficultés, surtout pour embar
quer; car les bords sont absolument à pic, et je n’ai pas besoin de
dire que les noirs ne font rien pour améliorer l’embarcadère. Aussi
faut-il se livrer à une véritable gymnastique, peu facile pour ceux
qui n’y sont pas habitués.
La nature du terrain de Diaka-Médina à Faraba est peu variée.
A quelques centaines de mètres du premier village, la latérite cesse
brusquement, et, à partir de ce point jusqu’à environ trois kilo
mètres de la Falémé, nous ne trouvons plus que des argiles
compactes qui recouvrent un sous-sol de quartz, grès et conglo-
�i, •;»
H'i î!
mérats ferrugineux. A trois kilomètres de la Falémé, la latérite
réapparaît et se continue jusqu’à la rivière. La rive droite est, au
contraire, formée de terrain ardoisier que recouvre une épaisse
couche de sables et d’argiles qui s’avance fort peu dans les terres.
Les sables des rives de la Falémé à Faraba, et particulièrement
ceux de la rive droite, contiennent une assez forte proportion d’or
en paillettes, qui fait l’objet d’une exploitation dout nous parlerons
plus loin.
La végétation est, dans toute cette région, d’une pauvreté rare,
sauf sur les bords de la Falémé. Jamais je n’ai trouvé pays plus
déshérité sous ce rapport. C’est la brousse des steppes Soudaniennes
dans toute l’acception du mot. Les Karités disparaissent à peu de
distance de Diaka-Médina. Nous ne les retrouvons plus et encore
très rares qu’à environ 6 kilom. de la Falémé. Les lianes à
caoutchouc ont également disparu, et dans tout ce trajet je
n’ai rencontré d’intéressant à mentionner que quelques rares
échantillons de ce végétal que les indigènes désignent sous le
nom de Kaki.
Le Kaki (Diospyros mespiliformis Hochst), de la famille des Ebéna
cées, est un arbre de taille moyenne à feuilles alternes, fleurs axil
laires, fruits charnus comestibles. Il croît de préférence sur le
sommet des collines et est assez rare dans tout le Soudan. C’est ce
végétal que nous désignons généralement sous le nom de u faux
ébénier ». Son bois est compact, excessivement serré. Lorqu’il est
poli, il est impossible d’y découvrir traces de fibres. Le cœur est
noir, le plus souvent marqué de lignes fauves. C’est ce qui lui a
fait donner le nom d’Ébène. Mais il est rare de rencontrer des
échantillons sans défaut, et fréquemment, il est veiné de blanc.
Très cassant, surtout quand il est sec, les indigènes ne s’en servent
guère qu’aux environs de nos postes. Ils en fabriquent des cannes
qu’ils vendent aux Européens. En certains cas, il pourrait rem
placer l’ébène dont il est loin toutefois d’avoir le brillant.
J’arrivai à Faraba vers onze heures et demie, quand je me fus
bien assuré que tout mon personnel avait franchi sans accident la
Falémé. Nous étions là en plein pays de connaissance, j’avais déjà
visité ce village en 1889, et bien des habitants dès notre arrivée
uous reconnurent Almoudo et moi et vinrent me saluer. Je n’ai pas
besoin de dire que je fus excessivement bien reçu. Dès que je fus
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
549
installé dans une case bien propre, le chef vint me faire visite avec
ses principaux notables. C’était le même qu’en 1889. Il me souhaite
la bienvenue, me dit que dans son village je suis chez moi et que
je puis rester me reposer chez lui tant je voudrai, qu’il ne nous
laissera manquer de rien, ni mes hommes ni moi. Immédiatement
après qu’il m’eût quitté, ce vieux brave homme m’envoya du lait,
des œufs, du couscouss, en un mot, tout ce dont je pouvais avoir
besoin. De plus, il fît abattre un beau bœuf dont il m’envoya la
viande pour « mon déjeûner ». Je la fis distribuer entre mes
hommes et les gens du village au grand étonnement des habitants,
qui n’étaient pas habitués à pareille aubaine. Naturellement je fis
porter au chef ce qui lui revenait, un quartier de devant.
La journée se passa sans incidents. Tout le monde se reposa des
fatigues de la longue étape du matin. Dans la soirée, j’envoyai
un courrier à Sansando, où réside le chef du Sintédougou,
pour lui annoncer ma visite pour le lendemain. Au moment où, la
nuit tombante, j’allais me mettre au lit, un homme du village vint
me saluer et me demanda à me servir de guide le lendemain pour
me rendre à Sansando. Je ne refusai pas son offre, surtout quand il
m’eut dit que c’était lui qui nous avait servi de guide deux ans
avant pour aller de Faraba à Irimalo, et que nous lui avions donné
un boubou blanc. Je compris son empressement et tout le désir
qu’il avait de m’être utile. Le contraire m’eût étonné, car je savais
depuis longtemps qu’au Soudan, on ne fait rien pour rien, surtout
quand c’est pour nous. Je lui promis, en conséquence, que je ne
serais pas moins généreux que ne l’avait été, dans la circonstance
qu’il venait si adroitement de me rappeler, mon ami le capitaine
Quiquandon, chef de notre mission.
Faraba est un village Malinké dont la population peut s’élever
à environ 65ü habitants. Lorsque nous l’avons visité en 1889, il
était complètement eu ruines et n’avait pas plus d’une centaine
d’habitants. Il a réellement prospéré depuis cette époque. Les cases
ainsi que le tata du chef ont été reconstruits. De même du reste que
l’enceinte extérieure qui, de loin, nous a parue bien entretenue.
Intérieurement, c’est le village Malinké, par excellence, sale,
dégoûtant, puant. Sa population est presque uniquement formée
de Sisokos. Il est situé à environ deux cents mètres en amont du
gué de la Falémé qui porte son nom, et sur la rive droite de cette
�550
ANDRI5 RANÇON
rivière. Son chef nous est absolument dévoué. Ses habitants
cultivent pendant l’hivernage leurs loogans, et, pendant la sai
son sèche, se livrent à la récolte de l’or en lavant les sables de
la Falémé, qui en contiennent en quantité relativement consi
dérable. C’est peut-être, après Mouralia, dans le Djébédougou, le
point où l’on en extrait le plus. Faraba est, en outre, un lieu
de passage très fréquenté par les dioulas qui viennent du Koukodougou, du Bambouck et se rendent dans le Dentilia, le Niocolo
et le Fouta-Diallon. Il y en avait plusieurs dans le village qui
sont venus me saluer dès qu’ils eurent appris mon arrivée. Dans
cette saison ils y séjournent toujours pendant plusieurs semaines,
afin de pouvoir acheter sur place l’or qui se récolte et vont
ensuite le revendre à Khayes, Bakel et Médine.
21 janvier. — En 1889, nous étions passés, pour nous rendre à
Faraba, par Kéniéba et Sanougou; connaissant donc cette roule, je
me résolus cette fois à prendre celle de Sansando, Dioulafoundoundi
et Soukoutola. J ’aurais ainsi visité tout le Sintédougou. Donc, à
4 h. 15 du matin, nous nous mîmes en route pour Sansando. Mon
guide d’hier soir n’a eu garde d’ètre en retard. Je crois même
qu’il a couché non loin de la case où je suis logé pour ne pas
manquer l’heure du départ. Il est debouf le premier et organise luimême le convoi. A environ un kilomètre et demi de Faraba nous
traversons le marigot de Senkouli-Kô, sur les bords duquel se
terminent les lougans du village. A six heures, nous franchissons
celui de Bokkolongo-Kô. A sept heures cinquante minutes celui de
Kelengo-Kô, à huit heures vingt-cinq celui de Doudé-Kô et enfin à
huit heures cinquante nous sommes à Sansando, but de l’étape. La
route s’est faite rapidement et les porteurs ont très bien marché.
L’aspect du pays que nous traversons a complètement changé,
nous sommes en plein pays de montagnes, et de temps en temps
nous voyons enfin de larges horizons qui nous changent des mornes
plaines du Dentilia.
La route de Faraba à Sansando est loin d’être belle. Elle pré
sente de réels obstacles. C’est tout d'abord le Senkouli-Kô que l’on
a à traverser à un kilomètre et demi du village environ. L’endroit
où on le passe est absolument impraticable pour les animaux et il
nous faut aller plus loin pour trouver un meilleur gué. A partir de
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
ce point, la route traverse une plaine qui ne présente aucun
obstacle; mais peu après, il faut franchir des collines relativement
élevées, par de véritables sentiers de chèvres encombrés de roches
qui rendent la route pénible pour les hommes et les animaux. Le
passage du marigot de Bokkolengo-Kô ne présente pas de difficultés
sérieuses. Il n’en est pas de même de celui deKelengo-KÔ, dont le
lit est profondément vaseux et les bords à pic, couverts de roches
ferrugineuses qui y forment de véritables escaliers. Enfin, malgré
ses bords glissants, le Doudé-Kô se franchit assez facilement. En
résumé, route plutôt mauvaise que bonne. Au point de vue géolo
gique, toujours les mêmes terrains. La latérite cesse brusquement
au marigot de Senkouli Kô, et à partir de là nous n’avons que des
argiles dans les plaines et des conglomérats ferrugineux sur les
collines. La latérite reparaît à environ un kilomètre du village de
Sansando et le monticule sur lequel il est construit n’est formé
que de ce terrain. — Au point de vue botanique, végétation d’une
pauvreté rare. Quelques karités rachitiques par ci par là, quelques
fromagers et de rares échantillons de lianes à gutta le long des
marigots, partout ailleurs la brousse dans tout ce qu’elle a de triste
et de désespérant.
Sansando, où nous faisons étape,est un petit village de 250 habi
tants environ. Sa population est uniquement formée de Malinkés
de la famille des Sisôkos. C’est la résidence de Diourouba-Sisoko, le
chef du Sintédougou. Il habitait autrefois Dioulafoundoundi, mais
il quitta dernièrement ce village pour se fixer à Sansando, où le sol
est plus fertile.
Sansando est un village de peu d’importance. Il est presque
uniquement formé par les cases de la famille du chef et par celles
de ses captifs. Il est situé sur un petit monticule qui domine une
plaine de peu d’étendue, qui s’étend au pied d’un des contreforts
de la chaîne du Tambaoura qui traverse le Bambouck du Nord au
Sud, et que l’on aperçoit à l’horizon. Ce village est complètement
ouvert. Seules, les cases du chef sont entourées d’un tata élevé et
bien entretenu. Sansando est assez propre.
Le chef, Diourouba-Sisoko, est un vieillard d’environ 70 ans.
Il me reçut à merveille et me logea très bien dans une belle case
située au centre du village. Je m’y trouvai si bien que je décidai
de rester un jour de plus à Sansando ; car, après les fatigues que
�552
ANDRÉ RANÇON
nous avions éprouvées depuis Badon, nous avions tous besoin de
repos.
De Faraba à Sansando la route suit une direction Est-Nord-Est,
et la distance qui sépare ces deux villages est d’environ dix-neuf
kilomètres.
Notes sur le Sintédougou. — C’est à tort que l’on regarde le
Sintédougou comme faisant partie, absolument intégrante, du Koukodougou. Certes, ces deux pays ont bien des points communs,
mais ils sont absolument indépendants l’un de l’autre au point de
vue politique. Il s’étend sur les deux rives de la Falémé ; mais la
partie située à l’Est de cette rivière est seule habitée. Il a environ,
dans ses plus grandes dimensions, cinquante kilomètres de l’Est à
l’Ouest et trente du Nord au Sud. Sa superficie atteint douze cents
kilomètres carrés, et sa population ne dépasse pas 2.500 habitants.
Ce qui nous donne à peu près 2,3 habitants par kilomètre carré.
Dans sa région Ouest, c’est un pays de steppes, et dans sa région
Est, un pays de montagnes. Il confine, à l’Ouest, au Dentilia; au
Nord, au Diébédougou et au Bafê; à l’Est, au Koukodougou ; au
Sud, au pays de Satadougou et au Koukodougou. Il est supérieure
ment arrosé par la Falémé qui coule sur son territoire pendant
vingt-cinq kilomètres et par les marigots qui s’y jettent. Sur sa
rive gauche, nous ne trouvons que le Daléma-Kô, et sur sa rive
droite nous avons, du Sud au Nord, le Senkouli-Kô, le Kelougo-Kô
qui reçoit le Bohkolengo-Kô ; le Dandé-Kô, qui reçoit le KouhoholendiKô, et enfin le Diombokho-Kô, qui borne sa frontière Nord. Ce
dernier marigot reçoit deux affluents importants : le SoroukoloukiléKô, qui passe à peu de distance de Dioulafoundoundi, et le Yaranbouré-Kô, qui passe à un kilomètre et demi environ de Soukoutola
au Nord de ce village et dans les environs de Galassi. Tous ces
marigots sont alimentés, surtout pendant l’hivernage, par les eaux
qui coulent le long des versants des nombreuses montagnes que
l’on trouve dans cette région. Au point de vue orographique, le
Sintédougou fait partie du système général du Konkodougou, que
l’on peut considérer comme un véritable épanouissement de la
chaîne du Tambaoura.
La constitution géologique de son sol est la même que celle des
autres parties du Soudan. Le terrain ardoisier et le terrain ferru-
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
gineux sont les seuls que l’on y rencontre. Ils sont recouverts soit
par des argiles, soit par une mince couche de latérite. Les roches
que l’on y trouve sont caractéristiques de ces terrains. Dans le pre
mier ce sont des schistes, dans le second des grès, des quartz simples,
ferrugineux ou aurifères. La flore est horriblement pauvre. Seuls
les terrains à latérite sont cultivés. La faune, par contre, est riche.
On y trouve tous les animaux nuisibles ou non que l’on rencontre
au Soudan et les animaux domestiques y sont représentés surtout
par les bœufs, les chèvres et les moutons. Pas de chevaux, mais
beaucoup de poulets.
La population du Sintédougou est uniquement formée de Malinkés de la famille des Sisokos. Venus du Manding, dit la légende,
sous la conduite de Kilia-Moussa-Sisoko, frère de Noïa-MoussaSisoko, le grand colonisateur du Bambouck, ils se fixèrent d’abord
dans le Konkodougou, d’où ils chassèrent lesDabos. Mais, chassés à
leur tour parles Tarawarés et les Couloubalys venus également du
Manding sous la conduite de Sambou-Senouman-Couloubaly, ils se
réfugièrent sur les bords de la Falémé où ils formèrent le Sintédou
gou. La majorité d’entre eux gagna le Bambougou et se fixa auprès
des descendants de Noïa-Moussa-Sisoko à Kama, Kourba et dans
le Diébédougou. Les Sisokos forment dans le Sintédougou douze
villages qui sont :
Soukoutola.
Dioulafoundoundi.
Sansando.
Kéniéba.
Dialafara.
Mokaiafara
Fombiné.
Goléa.
Naréna.
Sanangau.
Linguékoto.
Faraba.
Le chef du pays est un peu mieux obéi que dans les autres Etats
Malinkés ; cela tient à ce que les chefs de villages appartiennent
tous à sa famille et lui touchent de près.
Les Sisokos du Sintédougou vivent en bonne intelligence avec
le Dentilia et le Diébédougou. Ils n’ont que peu de relations avec
les Malinkés du Sintédougou. Les Peulhs du Tamgué viennent,
d’après ce qu’ils m’ont dit, souvent les piller. Ils s’avancent jusque
là après avoir traversé le Gouuianta et le Dentilia. Peu nombreux,
en général, car ils sont excessivement redoutés, ils parcourent le
pays par groupes de huit ou dix au plus, volent les bœufs dans la
brousse, les captifs, les enfants et les femmes dans les lougans et
�534
ANDRÉ RANÇON
jusque sous les murs des villages. Nous n’avons pas besoin de dire
qu’ils peuvent, sans courir aucun danger, se livrer à leurs incur
sions, car la frayeur qu’ils inspirent aux Malinkés est telle que
dix Peulhs suffiraient pour faire fuir deux cents des leurs, alors
môme qu’ils seraient sans armes et les autres armés.
Le Sintédougou est placé depuis 1887 sous le protectorat de la
France. Il dépend du cercle de Bafoulabé. La situation y est excel
lente et il est absolument inféodé à notre cause. Il paye, sans
récrimination aucune, le faible impôt que nous lui demandons.
La récolte de l’or est, pendant la saison sècbe, la principale
occupation de ses habitants. C’est à Kénieba, Saougou et Mokaiabana que se trouvent les principaux gisements. Là, le rendement
est relativement faible, car l’eau vient souvent à manquer et l’on
ne peut plus alors laver les sables. A FaraJba.au contraire, on en
récolte des quantités relativement considérables. Lorsque la Falémé,
en se retirant, à la fin de l’hivernage, a laissé à découvert une
assez grande étendue de terrains, les habitants creusent des puits
sur les bords et en lavent la vase et les sables. Ces puits ont tout
au plus deux mètres de profondeur. Un homme travaillant toute
la journée gagne environ deux francs par jour, tandis que, dans les
mines de l’intérieur, il ne gagnerait pas plus de soixante centimes.
C’est la principale, pour ne pas dire l’unique ressource du pays.
20 janvier. — Je passai deux bonnes journées à Sansando et
quittai cet hospitalier village le 26 janvier, à quatre heures et demie
du matin, par une température des plus agréables. La route se fit
rapidement. A un kilomètre et demi du village nous traversons le
marigot de Koukokolendi-Kô : un peu plus loin, celui de Soroncolenkilé et, enfin, à cinq heures quarante-cinq, nous traversons,
sans nous y arrêter, le village de Dioulafoundoundi. Le jour com
mence à poindre. Le soleil se lève brillant derrière la cime du
Tambaoura.
Dioulafoundoundi est un village qui n’a pas plus aujourd’hui de
trois cents habitants. Sou nom veut dire: «le petit Dioulafoundou »,
sans doute pour ne pas le confondre avec le village de Dioulafoundou, qui est situé dans le Konkodougou. 11 fut construit par les
premiers Sisokos qui quittèrent le Konkodougou après la conquête
de ce pays par les Gouloubalys et les Tarawarés. Ancienne rési-
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
555
deDce du chef, ce pays, depuis-le départ de ce dernier, a vu sa
population diminuer considérablement, et la plus grande partie
de ses cases tomber littéralement en ruines. Il n’existe plus que
quelques vestiges de l’ancien ta ta, qui devait être assez fort. Le
chef actuel est le propre frère de Diourouba-Sisoko, le chef du
Sintédougou. Il était déjà venu me saluer à Sansando.
A environ un kilomètre et demi du village, nous traversons le
marigot de Diombokho et, à six heures trente, nous faisons halte
daqs le petit village de Soukoutola.
Soukoutola est un village d’environ deux cent cinquante habi
tants. C’est le dernier village du Sintédougou au Nord. Jamais je
n’ai rien vu de plus sale, de plus mal entretenu, de plus Malinké,
en un mot, que ce village, dont les cases et le tata tombent littéra
lement eu ruines. Les habitants ne se donnent même pas la peine
de reconstruire les toits en paille qui recouvrent leurs habitations.
Ils sont d’une malpropreté repoussante et complètement abrutis,
dans le sens exact du mot.
Pendant que je me reposais sous un magnifique fromager,
l’arbre à palabres du village, un marabout vint me saluer et me
rappela les circonstances dans lesquelles il m’avait connu. Je
l’avais rencontré, en 1889, à Guénou-Goré, où il assistait de ses
conseils le chef de ce village Foali qui nous avait rendu de réels
services et nous était très dévoué. Je ne manquai pas de lui
demander des nouvelles de son ami et il me répondit qu’il avait
été bien éprouvé cette année. Il avait perdu trois de ses femmes, et
la moitié de son village était morte d’une maladie qu’aucun médi
cament ne pouvait guérir. Lorsqu’en arrivant à Bafoulabé, j’appris
combien nos troupes avaient été décimées, dès le début de la cam
pagne, par une épidémie terrible dont la nature n’est pas encore
établie d’une façon définitive, j’ai bien regretté de ne pas l’avoir su
plus tôt, car je n’aurais pas manqué de me rendre à Guénou Goré
afin de constater s’il n’y avait pas quelque lien de parenté
entre ces deux épidémies.
A 6 h. 45 nous nous remîmes en route ; dix minutes après, à
un kilomètre du village, nous traversons le marigot deYaranbouré
qui, en cette région, forme la limite entre le Sintédougou et le
Diébédougou. Peu après, nous franchissons une petite colline du
haut de laquelle nous voyons se dérouler devant nous le plus splen-
�556
ANDRÉ RANÇON
dide des panoramas. C’est la vallée de Batama. Le coup d’œil est
féérique : à notre droite, toute la chaîne du Tainbaoura ; à gauche,
la plaine immense qui s’étend jusqu’à la rive droite de la Falémé;
en face, enfin, barrant la vallée dans le nord, le contrefort de la
chaîne centrale qu’il nous faudra gravir pour arrivera Yatéra. Par
une pente douce nous arrivons dans l’immense plaine. La route
longe, à un kilomètre à peine, le Tainbaoura, et, à huit heures dix
minutes, nous arrivons enfin à Mouralia, où nous allons passer la
journée.
De Sansando à Mouralia, la route suit une direction générale
Nord et la longueur de l’étape est d'environ dix-sept kilomètres.
On rencontre pour la parcourir de réelles difficultés. Citons d’abord
les marigots dont la traversée demande de grandes précautions.
Celui de Yaranbouré avec ses bords à pic et son lit de vase n’est
pas d’un accès facile et demande une grande prudence. Ailleurs,
la rouie est profondément ravinée et peu praticable pour les
animaux.
Au point de vue géologique, toujours les mêmes terrains. De
Sansando à Dioulafoundoundi, les argiles et la latérite alternent;
mais c’est cette dernière qui domine. A partir de Dioulafoundoundi
et jusqu’à Soukoutola, nous rencontrons des argiles et du terrain
ferrugineux. En quittant Soukoutola, et, après avoir traversé un
vaste marécage, on arrive sur un plateau de latérite de plusieurs
kilomètres de longueur où se trouvent de beaux lougans. De ce
point à Mouralia, quand on est descendu dans la vallée du Batama,
nous n’avons plus que de l’argile dans la plaine et des roches
ferrugineuses au pied du Tainbaoura. Enfin, autour de Mouralia,
nous retrouvons la latérite et les sables aurifères apparaissent ;
mais c'est surtout à l'Ouest du village que se trouvent les mines les
plus importantes. — La végétation est peu riche et peu variée.
Toute cette contrée est excessivement riche en karités de la variété
Shée surtout. Citons encore quelques rares fromagers et quelques
lianes à caoutchouc sur les bords des marigots. Les lougans sont,
en général, maigres et mal entretenus.
Mouralia est un village Malinké de 450 habitants environ. La
population sédentaire est uniquement formée de Sisokos. Quant à
la population flottante ou y trouve des représentants de toutes les
races qui habitent les contrées voisines. Ce sont surtout des dioulas
�DANS LA HAUÏE-GAMËÎE
55^
qui s’y rendent en grand nombre pendant la saison sèche pour y
acheter de l’or. Je l’avais déjà visité en 1889. Il a peu changé
d’aspect depuis cette époque. J ’ai constaté toutefois avec plaisir
que le chef avait fait reconstruire ses cases et son tata. Quelques
habitants semblent vouloir eu faire autant pour leurs demeures
particulières. Du tata qui entourait autrefois le village il ne reste
plus que quelques vestiges. Le village est toujours aussi sale et
ses habitants sont toujours aussi malpropres. Mouralia fait partie
du Diébédougou. C’est, dans cette région, le village le plus septen
trional.
Aux environs de Mouralia et surtout au Sud et et à l’Ouest
du village, se trouvent les fameuses mines d’or du Bambouck.
A cette époque de l’année, on commence à peine à y travailler. Ce
n’est guère qu’en février que l’exploitation bat son plein. Elle
dure jusqu’au mois de Juin, époque à laquelle l’eau vient à manquer:
car là encore on ne connaît pour découvrir le métal précieux que
le lavage des sables. Pendant l’hivernage, on ne se livre pas à ce
travail, et cela pour deux raisons : la première est que les Noirs
sont alors occupés aux travaux des champs, la seconde, qui
est capitale, c’est que pendant la saison des pluies l’or que l’on
trouve est en très petite quantité. Les indigènes prétendent,' pour
expliquer ce fait, que, pendant la saison des pluies, l’or se promène
et qu’on ne peut l’attraper. Cette explication fantaisiste du manque
d’or dans les puits, pendant l’hivernage, a cependant sa raison
d’ètre. Voici quelles en sont les causes, à notre avis. Tout l’or que
l’on trouve dans les marigots etles sables du Diébédougou provient
des montagnes environnantes. Les quartz aurifères qui sont si
abondants dans le Tambaoura, se désagrègent par les grandes
pluies, et les paillettes de métal sont entraînées. A la baisse des
eaux, elles se déposent dans le fond des marigots et sur les sables
des vallées où on les récolte. Ce qui pourrait justifier ce que nous
venons d’avancer, c’est ce fait, à savoir que là où l’on en trouve le
plus, c’est précisément dans les racines, le chevelu des bambous
où il est plus facilement arrêté.
L’or que l’on récolte à Mouralia se présente en paillettes. Les
forgerons en confectionnent de gros anneaux de 12 à 15 grammes,
et c’est ainsi qu'il se trouve dans le commerce. Les pépites sont
excessivement rares, et la quantité qu’en contiennent certaines
�558
ANDRÉ RANÇON
roches, comme les quartz, par exemple, est absolument infime.
Quand les récoltes sout terminées et que l’on estime que l’or
« ne se promène plus », de tous les coins du Diébédougou on accourt
à Mouralia. Le nombre des chercheurs peut être évalué à environ
un millier, et en peu de temps, sur le terrain même que l’on
exploite, s’élève un village en paille beaucoup plus considérable
que Mouralia lui-même. Point n’est besoin de dire que ce sont les
femmes et les enfants que ce travail regarde. Du reste, dans cet
étrange pays, les hommes faits sont créés et mis au monde pour
ne rien faire. Le procédé d’extraction employé est des plus pri
mi tifs : on se contente, comme je le disais plus haut, de laver les
sables dans des calebasses. On comprend aisément combien doit
être grand le déchet. A l’Ouest de Mouralia surtout, le sol est
absolument bouleversé, creusé d’un grand nombre de puits d’où
l’on extrait le sable aurifère, et fouillé dans toutes les directions.
Le rendement est très peu lucratif, et un bon travailleur ne gagne
pas plus, en moyenne, de 1 fr. à 1 fr. 30 par jour. Ils auraient
plus de bénéfice à cultiver leurs lougans avec plus de soin et à
en augmenter la superficie.
La chaîne de collines du Tambaoura qui traverse tout le Bambouck du Nord Ouest au Sud-Est, peut être comparée, dans son
ensemble, à une véritable arête de poisson dont le corps serait
formé par la partie centrale, la queue par la partie Nord, et la tète
par le massif du Konkodougou. Dans sa partie centrale, en effet,
le Tambaoura émet, à l’Ouest et à l’Est, de nombreux contreforts
qui forment les systèmes orographiques du Bambougou, du Kou
roudougou, du Diébédougou et du Kamana. Elle traverse le Tam
baoura, le Diabeli et le Diébédougou. Au Sud, elle s’épanouit en
un massif, un nœud que l’on peut regarder comme uue véritable
dilatation du Tambaoura. Cette partie du système orographique du
Bambouclt porte le nom de Kouroudougou. De ce massif se dirige,
vers le Sud, une série de collines, d’arêtes qui viennent mourir
dans le Dialloungala. Ce sont ces collines, ces arêtes qui forment
le système orographique du Koukodougou. La direction de ces
collines est en éventail, de l’Est à l’Ouest et tournée vers le Sud.
En certains points, elles se rejoignent, se confondent pour former
de véritables massifs secondaires, dont les principaux seraient
ceux de Dumbia à l’Est, de Tombé au Sud-Est, et de Kéniéba au
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
539
Sucl Ouest. Ces massifs secondaires sont réunis entre eux par une
chaîne ininterrompue de collines relativement élevées et absolu
ment à pic.
Véritable falaise de 150 à 200 mètres de hauteur, elle forme de
Tombé à Kéniéba une muraille d’ou naissent, au Sud, les vallées
que laissent entre elles les collines émanées du Kouroudougou.
Deux trouées seulement permettent, au Sud, de franchir celte
gigantesque barrière. Ce sontles trouées de Tombé et de Linguéltoto.
La route y est très mauvaise pour les piétons, comme pour les
animaux. Au Nord, nous trouvons également deux passages : l’un à
l’Ouest, par la vallée de Batama elle col de Dioulafoundoudi, l’autre
à l’Est par Kobato et Dioulafoundou. Cette dernière route est exé
crable et présente de grandes difficultés.
Dans sa partie Nord, la chaîne centrale du Tambaoura se divise
en deux branches principales dont l’une, dirigée à l’Est, traverse le
Niambia et le Natiaga et vient se rejoindre aux collines qui longent
la rive gauche du Sénégal. La seconde, lapins importante, continue
la chaîne origine et vient se terminer après avoir traversé le
Niagala au plateau du Félou non loin de Médine. Elle émet de
nombreux contre-forts à l’Est et à l’Ouest dans le Niambia, le
Natiaga, le Kamana et le Niagala ; un de ces contre-forts se termine
non loin de Khayes par la montagne de Paparaha. Le plateau sur
lequel est construit Médine fait aussi partie de ce système orogra
phique auquel se rattachent, du reste, les collines de toute cette
partie du Soudan.
Le Tambaoura a dans toute sa longueur 1aspect d’une véritable
falaise à pic, absolument abrupte, stérile et inhabitée. Son plateau
est absolument dénudé, et ses lianes profondément ravinés. Les
grandes pluies d’hivernage entraînent, en effet, dans les plaines, le
peu de terre végétale qui pourrait s’y former. En certains endroits,
les roches qui le forment sont disposées en assises régulières, en
d’autres, au contraire, c’est un chaos absolument indescriptible.
Les éléments géologiques que l’on y trouve sont des plus variés;
mais ce sont les grès, les quartz et les schistes qui y dominent.
Les conglomérats ferrugineux se rencontrent de préférence au pied
de cette immense falaise. Toutes ces roches contiennent plus ou
moins de fer. Le granit y est peu abondant. On ne l’y trouve jamais
en bancs prolongés, mais simplement sous forme de blocs erratiques,
�560
ANDRÉ RANÇON
isolés au milieu des grès ou des quartz. La plupart des roches du
Tambaoura sont usées, limées par les eaux et souvent affectent les
formes les plus étranges et les plus fantastiques.
Je fus très bien reçu à Mouralia, et le chef, qui m’avait de suite
reconnu, me fitmille prévenances et ne nous laissa manquer de rien.
Je passai dans son village une excellente journée. Tous les dioulas
qui s’y trouvaient vinrent me saluer et parmi eux il s’en trouvait
quelques-uns que je connaissais depuis longtemps déjà pour les
avoir rencontrés à Khayes, Bakel ou Médine. Dans la soirée, j’en
voyai un courrier à Yatéra pour y annoncer mon arrivée pour le
lendemain.
27
janvier. — Nuit très chaude. Brise de Nord-Est. Ciel bas et
couvert. Chaleur lourde. Au lever du soleil, ciel couvert. Quelques
gouttes de pluie. Chaleur étouffante. C’est le petit hivernage qui
commence. Ma santé est toujours aussi précaire et j’ai presque
tous les jours des accès de fièvre que la quinine n’arrive même
plus à combattre. Il est temps que j’arrive dans un centre euro
péen. Je n’en puis plus.
Nous quittons Mouralia à quatre heures vingt du matin, par
une nuit noire. La route se fait rapidement. A cinq heures dix
nous traversons le village de Sekonomata.
Sekonomata est un village Malinké d’environ six cents habi
tants. Depuis 1889, époque à laquelle je l’avais déjà visité, il s’est
beaucoup accru et, actuellement, on y construit de nouveau. Cela
tient à ce que l’on a recommencé à chercher de l’or dans ses envi
rons. Le tata du chef et celui du village nous ont parus en assez
bon état. Nous le traversons sans nous y arrêter. Il y avait, il y a
environ vingt ans, à Sokonomata, une mine d’or qui, d’après les
renseignements que j’ai pu me procurer, était beaucoup plus riche
que celles de Mouralia. Mais l’or y disparut en peu d’années. Aussi
fut-elle abandonnée pendant douze ou quinze ans. Quand nous y
sommes passés en 1889, elle n’était pas exploitée. Il paraîtrait que
le métal précieux y a reparu en grande abondance et, depuis deux
années, on y travaille même pendant l’hivernage.
Aucun incident à noter pendant le trajet de Sekonomata à
Batama, où nous arrivons à six heures trente, après avoir traversé
un peu avant le village le marigot de Sagouia-Kô.
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DANS LA HAUTE-GAMBIE
VPTo
561
Batama est un village Malinlté de quatre cent cinquante habi
tants environ. Nous l’avions déjà visité en 1889 et il est loin
d’avoir prospéré depuis cette époque. La plupart de ses cases
tombent en ruines et les habitants ne font rien pour réparer ces
désastres du temps. Il est d’une saleté repoussante, de même que
ses habitants, du reste. Son tata est en ruines dans sa plus grande
partie et le tata du chef n’est même pas en bon état. Nous faisons
la halte sous l’arbre où nous avions campé, il y a trois ans. Les
notables et le fils du chef viennent me saluer. Après un repos d’un
quart d’heure, nous nous remettons en route. A un kilomètre et
demi du village nous traversons le Diati-Kô, sur les bords duquel
nous constatons la présence d’une dizaine de fours servant à
extraire le fer. A 7 heures 30 nous arrivons au pied d’un contrefort
du Tambaoura, qu’il va falloir gravir. Les porteurs l’enlèvent
pour ainsi dire au pas de course; quant à moi, ne pouvant l’esca
lader à cheval , il me faut une demi-heure pour arriver au
sommet. Mais aussi quand on est sur le plateau qui couronne ce
mamelon, quel spectacle enchanteur se déroule aux yeux. On se
trouve là sur un des points les plus élevés du Tambaoura. Devant
nous s’étale toute la vallée de Batama et nous pouvons même
découvrir au Sud les premières collines de Konkodougou. C’est
un des plus beaux points de vue que j’aie jamais admirés.
La route se fait sans encombre jusqu’à Yatéra, but de l’étape,
où nous arrivons, exténués, vers neuf heures. — De Mouralia à
Yatéra on suit à peu près une direction générale Nord et l’étape n’a
pas moins de vingt kilomètres. Elle présente deux grosses diffi
cultés. D’abord le passage du Sagouia-Kô, un peu avant d’arriver à
Batama, et, en second lieu, l’ascension du Tambaoura. Le passage
du Sagouia-Kô est rendu difficile par la vase qui obstrue son lit et
par l’argile qui rend ses bords excessivement glissants. L’ascension
du Tambaoura présente des difficultés bien plus grandes. C’est par
un sentier de chèvres, à pic et transformé'par les roches en véri
tables escaliers, dans sa partie supérieure, que l’on arrive au
sommet. Dans cette moitié, le sentier longe le flanc de la montagne.
Au-dessous de nous, la falaise’est à pic, ce qui rend l’ascension fort
dangereuse, pour les animaux surtout. Sur le plateau, on a environ
un kilomètre à faire au milieu des roches ; ce qui demande de
grandes précautions. Partout ailleurs, la route est excellente.
André Rançon. — 36.
�562
ANDRÉ RANÇON
La nature du terrain de Mouralia au Tambaoura est absolument
argileuse partout, sauf en deux ou trois endroits où l’on trouve la
latérite. Aux environs de Sekonomata et de Batama se trouvent
encore des bancs de sables aurifères. Le sous-sol du Tambaoura au
point où on le traverse est formé de schistes, de quartz et de rares
conglomérats ferrugineux. Le pente est si raide qu’il n’y a pas
trace de terre végétale. Le sol est profondément raviné et la roche
se montre à nu partout. Mentionnons, à son sommet, un vaste ilôt
de latérite auquel succèdent des argiles qui nous conduisent jus
qu’aux environs de Yatéra, où reparaît la latérite.
La végétation est peu riche partout. Signalons toutefois dans
la vallée de nombreux karités et quelques palmiers sur les bords
des marigots. Sur le plateau de Yatéra, les karités abondent ainsi
que les palmiers et les lianes à caoutchouc, le long du FaracoumbaKô, qui passe à quelques centaines de mètres au Sud-Est du
village. Mentionnons encore de splendides caïl-cédrats.
Yatéra est un village malinké dont la population, entièrement
formée de Sisokos, peut s’élever à environ 600 habitants. Comme
Batama, il est loin d’avoir prospéré. Il tombe littéralement en
ruines et sa population a considérablement diminué. Yatéra est
entouré de toutes parts par la chaîne principale et les contre-forts
du Tambaoura, et est construit, au milieu de cette gorge, sur un
petit monticule qui domine de fort peu la plaine enserrée par les
montagnes. Au pied du village se trouve un petit marigot, à sec
pendant la belle saison, le Faracoumba-Kô. Dans son lit se trouve
actuellement bon nombre de petits jardinets plantés avec soin de
tabac et d’oignons. Il n’existe plus que des vestiges sans importance
de l’ancien tata du village. Le tata du chef lui-même commence à
tomber en ruines.
Cané-Mady-Sisoko, le chef actuel de Yatéra, avait fait construire,
il y a une vingtaine d’années, une véritable maison européenne à
à un étage, surmonté d’une terrasse. D’après ce qu’il me disait,
cela lui avait coûté plus de 3,500 gros d’or, soit environ trente mille
francs. Cet édifice, élevé sans chaux et maçonné uniquement avec
de l’argile, ne devait pas durer longtemps. Déjà, en 1889, quand
nous l’avions visité, il menaçait ruine. Il s’est écroulé complète
ment pendant l’hivernage de 1891. Il n’en reste plus aujourd’hui
que les décombres.
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
Je suis à Yatéra en pays de connaissance, car en 1889 nous y
avions passé quelques jours, et beaucoup de guerriers du village,
sous la conduite du frère du chef, Cané-Moussa-Sisoko, avaient fait
campagne avec nous dans le Konkodougou et avaient pris part au
combat de Dumbia. Aussi y suis-je très-bien reçu. Il me faut subir
des visites, pendant toute la journée, auxquelles je ne puis me
soustraire, malgré la lassitude extrême qui m’accable. Dans la soi
rée, j’expédie un courrier à Guibourya pour y annoncer mon arri
vée pour le lendemain.
28
janvier. — La nuit a été très fraîche, il a fait une forte brise
d’ouest. Légère pluie vers quatre heures du matin. Au lever du
jour, ciel couvert et bas. Soleil voilé pendant deux heures environ,
il Lombe de temps en temps quelques gouttes de pluie. Tempéra
ture assez bonne, buée épaisse à l’horizon. Les préparatifs du
départ sont lestement faits et, à six heures précises, nous nous
mettons en route, il fait à peine jour, tant le ciel est couvert. Nous
marchons rapidement ; à 6 h. 30, nous franchissons un premier
contre-fort du Tambaouraet, à 6 h. 50, nous traversons le marigot
de Sansan-Kà, dont le lit est formé de quartz et de sables aurifères.
La même roche se trouve sur ses rives, et quand nous y passâmes, il
commençait à s’y élever quelques huttes de chercheurs. Ce placer
est surtout exploité par les habitants de Yatéra. Dix minutes plus
loin et nous sommes au petit village de Malaoulé.
Malaoulé est un village d’environ 150 habitants. Il est unique
ment habité par les captifs de Cané-Mady, chef de Yatéra : ils
cultivent là ses lougans pendant la saison des pluies et extraient
l’or du Sansan-KÔ pendant la saison sèche. Il est situé dans une
petite vallée, comprise entre deux contreforts du Tambaoura.
A 7 h. 30 nous franchissons le contrefort qui limite au Nord
cette petite vallée, et à 8 h. nous sommes à Koudoréah, où nous
faisons une halte d’un quart d’heure.
Koudoréah, est un village Malinké de 350 habitants. Inutile de
dire que c’est la quintessence de la malpropreté. Il ne possède pas
de tata extérieur. Les cases du chef sont entourées d’un petit tata
fort mal entretenu, comme tout le village du reste. Koudoréah est
situé sur un plateau rocheux où l’on rencontre par ci par là
quelques ilôts de terre végétale. A quelques centaines de mètres du
�564
ANDRÉ RANÇON
village, nous arrivons sur la crête du versant Nord de ce plateau
qu’il va falloir descendre. Ce passage nous prend environ trois
quarts d’heure, pendant lesquels nous n ’avons marché qu’à travers
les rochers les plus escarpés. Enfin tout se passe sans incidents et
à 9 h. 15 nous sommes à Guibourya.
La route de Yatéra à Guibourya suit une direction Nord et la
distance qui sépare ces deux villages est environ de 13 kilom. 500.
Elle est littéralement hérissée d’obstacles et de difficultés. Je n'en
ai jamais rencontré de plus mauvaise. Le passage du marigot de
Sansan-KÔ est très facile. 11 n’en est pas de même des contreforts
du Tambaoura que l’on a à franchir. A 2 kilom. 1/2 de Yatéra, il
faut descendre dans un profond ravin, par un sentier abrupt,
absolument transformé en escaliers. Ce passage a environ 800 mètres
de longueur. A trois kilomètres de Malaoulé, nous trouvons un
second passage aussi difficile. Il mesure à peu près un kilomètre de
longueur. Mais celui qui, de tous, otïre le plus de dangers, surtout
pour les animaux, c’est celui de Koudoréah. Ce n’est qu’une
succession de véritables falaises qu’il faut escalader, des sentiers
hérissés de roches glissantes où on n ’avance qu’à grand peine et en
prenant mille précautions. Tout cela est absolument à pic.
Au point de vue géologique, nous avons fort peu d’argiles ; dans
les vallées, presque partout la latérite alterne avec le terrain ferru
gineux. Les collines sont surtout formées de quartz, de roches et
de conglomérats. Mentionnons également quelques grès. Les schistes
font absolument défaut. Pas de trace de terrain ardoisier.
La flore y est d’une pauvreté remarquable, surtout sur les
plateaux et les montagnes. Elle est un peu plus riche dans les
vallées, mais pas plus variée. Mentionnons particulièrement
de nombreux karités, des lianes à caoutchouc, fromagers, nétés et
quelques caïls cédrats. Les flancs des collines sont, en général,
couverts de bambous.
Guibourya, où nous faisons étape, est un village Malinké de
500 habitants environ. C’est le dernier village du Diébédougou,
dans le Nord. Il est construit au milieu d’une vaste plaine que
limite au Nord la chaîne principale du Tambaoura et au Sud le
versant du plateau de Koudoréah. 11 est un peu moins sale que la
plupart des villages Malinkés, mais toute sa partie moyenne est en
ruines. De telle sorte qu’il est divisé en deux parties égales. Il ne
�565
DANS LA HAUTE-GAMBIE
reste plus que des vestiges de l’ancien tata qui l’entourait. Le
tata du chef est assez bien entretenu, il en est de même de deux
autres petits tatas particuliers. Il fait une journée assez agréable
comme température, mais triste. Le ciel est couvert, le soleil voilé.
Forte brise d’Ouest. Nous sommes en plein petit hivernage.
Nous ne tarderons pas à avoir quelques pluies.
Notes sur le Diébédougou.— Le Diébédougou, que nous venons de
traverser, est l’Etat Malinké le plus important du Bambouck. Il se
compose de deux provinces, le Diébédougou à proprement parler et
le Kouroudougou. Sa superficie est environ de '2500 kilomètres
carrés et il est relativement très peuplé. Il ne comprend pas
moins de 51 villages dont la population forme un total d’environ
18,000 habitants. La densité est à peu près de 7, 2 habitants par
kilomètre carré. Dans sa partie Est, qui est traversée par le Tambaoura, c’est un pays de montagnes, et sa partie ouest, qui touche à
la Falémé, est un pays de plaines. Il est médiocrement arrosé par
des marigots qui sont pour la plupart tributaires de la Falémé ou
du Bafing. Le Tambaoura en cette région forme la ligne de partage
des eaux entre les bassins de ces deux rivières. Voici la liste de
ses villages :
Kassama (" "ï",? " '* '')
Salingui.
Kolobo.
Kéniéko.
Lagola.
Linguékoto.
Kobokoto.
Koudoréah.
Guibourya.
Diantissa.
Bourama.
Kembélé.
Fabakaya.
Dialakegui.
Guénobanta.
Kénédiguato.
Yatia,
Dangoutakolé.
Yateria.
Malaoulé.
Bambadigua.
Anguira.
Diakouba.
Kama.
Faracounda.
Koufïara.
Dialadiou.
Sékoto n° 1.
Sékoto n° 2.
Sékoto n° 3.
Sansanko.
Sébédougou.
Goudofara.
Mouralia,
Oundouman.
Betea.
Batama.
Sitakili.
Koulaya.
Bokobokoto.
Gounganko.
Mali.
Diomfare.
Diodan.
Kegnoto.
Médina.
Dembala.
Sagala.
Dabara.
Balou.
Sekonomata.
�566
ANDRÉ RANÇON
La population de ces différents villages est uniquement formée
de Malinkés appartenant à la famille des Sisokos. Il est bien
entendu que nous ne nous occupons là que de la famille à laquelle
appartient le pays. Nous ne parlons nullement des captifs. Les
chefs de village appartiennent tous à cette ancienne famille. Les
Sisokos du Diébédougou descendent, par les femmes, de NoïaMoussa-Sisoko, le grand colonisateur du Bambouck. Ils ont donc
usurpé un nom qui ne leur revenait pas de droit. La légende nous
apprend, eu effet, que la seule fille qu’eut Moussa se maria avec
un Coûté, qui en eut cinq fils qui s’établirent dans le Diébédougou.
C’étaient : Sountou-Bouri, Sountou-Ali, Kandio, Sila-Maka et Famalé.
Famalé fut le chef de cette nouvelle colonie et, depuis cette époque,
tous les chefs du Diébédougou prirent le nom de Famalé.
Le Diébédougou est placé sous le protectorat de la France et
dépend du cercle de Bafoulabé. L’autorité du chef est vigoureuse
ment contrebalancée par celle du chef de Yatéra, Cané-MadySisoko, qui réunit autour de lui la plus grande partie des villages
du Diébédougou. Ils vivaient presque en état d’hostilité ouverte
lorsqu’en 1889 le capitaine Quiquandon, agissant conformément
aux ordres de M. le commandant supérieur du Soudan Français,
les réconcilia et fit jurer obéissance à Famalé par tous les chefs
des villages dissidents. Il n ’y eut que le village de Kénioto qui s’y
refusa, malgré tout ce que nous fîmes pour le ramener à de
meilleurs sentiments. Il fallut le bombarder et le brûler. Les
habitants s’enfuirent, mais peu après vinrent à Guénou-Goré dans
le Konkodougou faire leur soumission. Ordre leur fut donné d’aller
habiter à Kassama ; mais l’année suivante ils furent autorisés à
reconstruire leur village. Depuis cette époque, les affaires se sont
de nouveau brouillées et, actuellement, Gané-Mady est regardé,
même par l’autorité française, comme le chef, sinon de droit, mais
de fait d’une partie du Diébédougou. Ainsi c’est lui qui est chargé
de faire rentrer l’impôt des villages qui lui obéissaient jadis et qui
ont recommencé à méconnaître l’autorité de Famalé. Pour le bien
du pays, il serait bon que cet état de choses fût promptement
modifié et que le vrai chef du pays soit rétabli dans tous ses droits
et prérogatives. Je me hâte de dire que Mané-Mady ne fait rien de
contraire au serment qu’il a prêté et qu’il est le plus humble des
sujets de Famalé. Kassama est la résidence de ce dernier. C’est un
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
gros village où le docteur Collin, un des premiers explorateurs du
Bambouclt, s’était établi en 1887, lorsqu’il est allé prospecter ce
pays au point de vue commercial. Les officiers français y sont très
bien vus et Famalé serait très heureux si nous y établissions un
poste militaire. Pendant le séjour que nous y avons fait en 1889, il
a souvent, devant nous, manifesté ce désir au capitaine Quiquandon,
le chef de notre mission.
29
Janvier. — Je quittai Guibourya à 5 h. 45 du matin par une
température très douce. Il a plu une partie de la nuit. A un kilo
mètre et demi du village environ, nous traversons le marigot de
Gara-Kô et à 7 h. 45 nous faisons halte au petit village de Kéniéti,
où j’avais promis de m’arrêter.
Kéniéti est un petit village de Malinkés de la famille des Fofanas.
Il n’a pas plus de 150 habitants et fait partie du petit État de Diabéli.
Il est construit au pied du Tambaoura, comme, du reste, tous les
villages de cette région,et est démuni de tata. Seules les cases du
chef sont construites dans une petite enceinte qui est en assez bon
état. Le reste du village est assez mal entretenu. Hier, le chef
m’avait envoyé son frère à Guibourya pour me saluer et m’inviter
à aller passer la journée dans leur village. Je le remerciai et lui
promis que, ne pouvant pas y rester aussi longtemps, je m’y arrê
terais en passant. A peine étions-nous arrivés que ce brave homme
vint me saluer et lit apporter du couscouss pour les hommes. Je les
laisse manger et n’absorbe que deux verres d’un excellent lait. A
huit heures nous nous remettons en marche, après avoir chaude
ment remercié le chef de sa bonne réception et lui avoir fait un
petit cadeau.
En quittant Kéniéti, nous traversons, à environ un kilomètre du
village, un second village en construction. Ce sont les habitants du
premier qui, se trouvant à l’étroit, s’agrandissent de ce côté. Une
heure après, nous sommes à Guénobanta, où nous ferons étape
aujourd’hui. Un peu avant d’y arriver, on traverse un petit marigot,
le Yagoudoura-Kô, sur les bords duquel se trouvent de belles plan
tations de tabac.
De Guibourya à Guénobanta, la route ne présente absolument
aucune difficulté. Elle longe tout le temps le liane Ouest du Tam
baoura et traverse une vallée absolument plane qui s’étend de la
�568
ANDRÉ RANÇON
montagne à la Falémé. La direction est Nord et la distance qui
sépare ces deux villages est de 15 kilomètres environ.
Au point de vue géologique, nous n’avons presque partout que
de la latérite. Les argiles ne se montrent qu’aux environs des
marigots, mais en petites bandes fort étroites. Pas de schistes. Par
contre rien que des quartz fortement colorés en rouge par de l’oxyde
de fer. Les roches et conglomérats ferrugineux sont peu abondants.
Le Tambaoura est là uniquement formé de quartz qui sont aurifères
en certains endroits.
La flore est peu variée. Toujours beaucoup, beaucoup de karités
(variété Shée). Les lianes à caoutchouc sont rares. A signaler
encore quelques beaux caïl-cédrats, nétés, baobabs et fromagers.
Les mimosées ont fait leur apparition et en maints endroits sont
fort communes.
Guénobanta est un village de Malinkés Sisokos dont la population
est tout au plus de trois cents habitants. 11 est situé au pied du
Tambaoura, sur un petit monticule peu élevé. Il ne possède pas de
mur d’enceinte. Seules, les cases du chef sont entourées par un
petit tata en assez bon état. Il est fort mal entretenu et cela tient à
ce que les habitants sont des Malinkés d’abord, et, en second lieu,
à ce qu’ils passent tout leur temps à chercher For dans les envi
rons. C’est la résidence du chef du Diabéli.
Le Diabéli est un petit Etat Malinlté situé aux pieds du Tam
baoura. Il appartient à la famille des Sisokos, qui y forment quatre
villages.
Guénobanta — Yérala — Niafato — Foutouba
Outre ces quatre villages Sisokos, il y a encore un village
Fobana, Kéniéti, et un village Daniogo, Linguékotendi.
La population totale du Diabéli peut être estimée à environ
1,500 habitants. Le chef actuel est un vieillard qui ne jouit d’aucune
autorité sur ses sujets. Il se nomme Tantombo-Famori-Sisoko. Le
Diabéli a été colonisé par deux Fils de Moussa-Sisoko, Sambou et
Coubaclta. Les Fofanas et les Daniogos ne vinrent s’y établir que
bien après eux. Les premiers sont originaires du Bafing de Sandénia et les seconds du Soubou de Dioulaguénou. Ce petit État est
également placé sous le protectorat de la France.
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
30
janvier. — Je quittai Guénobanta à 5 h. 20 du matin par un
ciel excessivement couvert. Il fait un vent épouvantable. Peu après
notre départ la pluie se met à tomber en abondance. C’est une véri
table pluie d’hivernage.
A quelques centaines de mètres du village, nous traversons le
marigot de Toulicoto-Kô et, à 6 b. 50, nous arrivons, absolument
trempés, à Yérala.
Yérala est un village Malinké de 250 habitants environ. C’est le
dernier village du Diabéli au Nord. Il est construit au pied du
Tambaoura, et, à l’encontre des autres villages de cette région,
entouré de beaux lougans. Il ne possède pas de tata extérieur et les
cases du chef sont entourées d’uue enceinte en fort mauvais état.
Le village est lui-même fort mal entretenu. La pluie et le vent font
rage quand nous y arrivons. Heureusement que nous trouvons de
bonnes cases pour nous abriter et de bons feux pour nous sécher.
Je suis littéralement trempé et je grelotte la fièvre à outrance. A
peine sommes-nous arrivés que le chef du village vient me saluer
et fait apporter une douzaine de calebasses de couscouss pour mes
hommes. Tous se repaissent, je prends deux verres d’excellent lait,
et, la pluie ayant cessé, nous nous remettons en route à 7 b. 40.
Nous arrivons sans encombre à Dialafara à 9 b. 15, après avoir
traversé le Nété-Kô, qui forme la limite entre le Diabéli, et le Tam
baoura, et, un peu avant d’arriver à Dialafara, le Dagoussa-KÔ, qui
coule au pied du monticule sur lequel s’élève le village. A michemin nous avions rencontré le fils du chef, que son père avait
envoyé à notre avance. Il fait toujours un vent atroce.
De Guénobanta à Dialafara, la direction générale est Nord et
l’étape n’a pas plus de 47 kilomètres. La route ne présente absolu
ment aucune difficulté. Elle longe à environ huit cents mètres le
pied du Tambaoura, daDs une plaine absolument unie qui ne
présente pas de reliefs de terrain appréciables. Au point de vue
géologique, toujours les mêmes terrains. En quittant Guénobanta,
et après avoir traversé le Toulicoto-Kô, on traverse une vaste
plaine argileuse qui s’étend jusqu’aux environs de Yérala, où la
latérite apparaît. En thèse générale, dans cette région, c’est au pied
du Tambaoura que se trouve la latérite, les plaines qui s’étendent
à l’Ouest sont uniquement formées d’argiles. Peu après Yérala, nous
avons de nouveau les argiles. Nous trouvons un petit banc de
�570
ANDRÉ RANÇON
latérite aux environs du Nété-lvô, puis de nouveau l’argile jusqu’à
Dialafara, où reparaît la latérite.
La flore n’a pas changé. Beaucoup de karités, dont quelques-uns
sont énormes. Les caïl-cédrats, fromagers, nétés sont aussi fort
communs. Dans les terrains argileux, beaucoup de mimosées. Peu
de lianes à caoutchouc.
Dialafara, où nous faisons étape, est un village Malinké d’environ
500 habitants. Il tombe littéralement en ruines. C’est la résidence
du chef du petit État de Tambaoura. Il est démuni de tata extérieur.
A l’intérieur, quelques petits tatas appartenant à des particuliers.
Celui qui entoure les cases du chef est fort mal entretenu. Les
lougans qui entourent le village sont relativement peu étendus,
parce que la population ne s’occupe guère qu’à rechercher l’or dans
les environs. C’est, du reste, la caractéristique de tous les villages
dans le voisinage desquels se trouvent des placers. Ils sont beaucoup
plus pauvres que les autres et la famine y est plus fréquente.
Je suis assez bien logé, malgré tout, sur la place principale du
village, en face l’arbre à palabres qui disparaît littéralement sous
une gigantesque liane Saba.
Le village est construit sur un petit monticule qui s’élève au
pied du Tambaoura et qui domine une plaine où se trouvent de
superbes karités.
Le Tambaoura, dont Dialafara est la capitale, est un petit État
Malinké qui doit son nom à la chaîne de montagnes aux pieds de
laquelle il s’étend. C’est un des pays les plus riches en or du
Bambouck. Il a pour chefs des Sisokos. Mais on y trouve aussi
d’autres familles Malinkées. D’après la légende il fut d’abord peuplé
par des Keitas, des Guétas, des Dabos et des Tarawarés. Ces quatre
familles Malinkées vinrent s’y établir à peu près à l’époque de la
grande migration de Koli-Tengrela. Les Sisokos ne vinrent que
plus tard et soumirent les premiers à leur autorité. Ils furent
conduits à la conquête de ce pays par Bandé-Maka, un des nombreux
fils de Moussa-Sisoko. Depuis cette époque, ils y ont toujours régné
en maîtres. Le Tambaoura a été placé sous le protectorat de la France
par le gouverneur Faidherbe, en 1858. Il fait partie actuellement
du cercle de Kliayes et acquitte assez régulièrement l’impôt qui lui
est demandé. Il est peu peuplé et n’a que dix villages qui ne
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
comptent pas plus de 2,500 habitants. En voici les noms par
famille :
1° Villages Sisohos : Dialafara, Bouroudela, Kama, Diokéba,
Galadio.
2° Village Keita : Salingui.
3° Village Guéta : Samafaradala.
4° Village Dabo : Dangara.
5° Villages Tarawarés : Boubou, Sokoto.
La densité de la population, dans le Tambaoura, n’est pas plus
de 1,5 habitant par kilomètre carré.
A peine suis-je installé dans ma case, que les frissons que
j’avais éprouvés tout le long de la route ne font qu’augmenter. Je
suis obligé de me coucher aussitôt. Toute la journée, j’ai eu une
forte fièvre, et ce n’est que le soir que, me sentant un peu mieux,
je pus rédiger mes notes. Je suis arrivé à Dialafara un bien mau
vais jour pour un malade. C’est, en effet, aujourd’hui que rentrent
dans leurs familles les jeunes filles qui ont été circoncises. Aussi,
jusqu’à la nuit, ce n ’a été dans le village que chants, cris, beu
glements, tam-tams, coups de fusil. Le soir, j’en avais la tête abso
lument brisée. De plus, il fait un véritable temps d’hivernage.
Chaleur lourde et orageuse, et pluie abondante dans la soirée.
Elle est venue à temps pour mettre en fuite le tam-tam et me
permettre un peu de reposer pendant la nuit.
La circoncision est, de toutes les mutilations ethniques qui se
pratiquent sur les organes génitaux, la seule qui soit en usage
au Soudan. Elle se pratique presque dans toutes les peuplades sur
les hommes. Toutefois, il nous a été dit qu’elle était inconnue chez
les Bobos, qui habitent dans la boucle du Niger. Nous tenons ce
détail de notre excellent et malheureux ami, le Dr Crozat, qui, après
Binger, visita cette curieuse peuplade. Dans tout le Soudan, la
femme y est également soumise, sauf cependant chez les Ouolofs.
Nous allons décrire la façon dont se pratique cette opération chez
les deux sexes, en exposant en même temps les fêtes, pratiques
religieuses, coutumes, etc., etc., qui l’accompagnent chez les diffé
rents peuples du Soudan.
1° Circoncision chez l’homme. — Chez tous les Soudanais, à
quelques détails insignifiants près, c’est le même mode de procéder.
L’opération se fait vers l’âge de 14 à 17 ans.
�572
ANDRÉ RANÇON
Le matin du jour où les patients doivent être opérés, on les con
duit au bain. Dans une grande calebasse remplie d’eau, on plonge
des gris-gris réservés pour cette circonstance et qui ont, paraît-il,
des vertus spéciales, comme, par exemple, de donner force et
vigueur aux enfants et de leur donner, dans la suite, une nombreuse
lignée. Chacun des enfants vient alors procéder à ses ablutions
intimes avec cette eau. Puis, sous la garde d’un surveillant
nommé à cet effet, ils sont conduits au lieu où doit être pratiquée
l’opération ; pendant le temps que met la cicatrisation à se faire,
trois ou quatre hommes sont désignés par les anciens du village
pour surveiller les opérés et pour se bien assurer qu’ils se livrent
bien aux coutumes et pratiques en usage en cette circonstance.
Ces surveillants doivent, bien entendu, être des circonscis.
L’appareil opératoire est des plus simples. Un couteau bien
effilé, de la ficelle, de l’eau dans une calebasse, des chiffons et du
sable. Au Soudan, ce sont généralement les forgerons qui pro
cèdent à l’opération aussi bien chez les peuples musulmans que
cliex ceux qui ne le sont pas. Chez les Ouolofs et les Maures, ce
sont plutôt les marabouts qui opèrent. Voici comment on procède.
Le patient se place, assis à cbeval sur un mortier à couscouss de
façon à avoir le périnée reposant sur le corps même du mortier.
Chez les Bambaras et les Malinkés, au lieu du mortier, on se sert
d’une simple bille de bois. Le résultat est le même. Le mortier est
surtout employé chez les peuples d’origine Peulhe. La verge repo
sant bien sur le mortier ou le morceau de bois, le prépuce est
attiré fortement en avant. Tout ce qui dépasse le gland est solide
ment ligoté à plusieurs tours. C’est un des temps les plus doulou
reux de l’opération ; un aide en est chargé. Puis ceci fait, la verge
est maintenue solidement appuyée sur le mortier ou le morceau de
bois et l’opérateur d’un coup sec sectionne le tout, ficelle et pré
puce. Ce temps de l’opération est absolument indolore. La plaie
opératoire est ensuite lavée à grande eau. Très douloureuse cette
aspersion. La quantité de sang qui s’écoule est absolument insi
gnifiante. On procède alors au pansement. Oh ! il n ’est pas long :
du sable fin, quelques chiffons et tout est dit. Le pansement est
refait chaque jour.
Cette opération, bien que douloureuse, se fait sans que l’on
entende un cri de la part des patients. Il y aurait déshonneur à
�. .. .. ..
DANS LA HAUTE-GAMBIE
se plaindre. De plus, ils sont persuadés que s’ils criaient, ils
mourraient dans le courant de l’année, aussi sont-ils tous d’une
impassibitité remarquable et ne bronchent-ils pas en présence de
l’instrument du supplice.
Que deviennent les lambeaux de chair ainsi excisés? En aucune
circonstance, ils ne sont jetés aux ordures Les uns les enterrent,
les autres les mangent. D’autres enfin, et ce sont les plus nom
breux, les conservent précieusement, les font sécher et s’en font
des gris-gris qui jouissent de propriétés miraculeuses.
Dès que tous ont été opérés, ils sont revêtus d’un long boubou
bleu muni dans le dos d’une grande poche, et coiffés d’un bonnet
pointu haut d’environ 35 à 40 centimètres. Cela leur donne l’air le
plus bizarre qu’on puisse voir. Ils ressemblent au médecin malgré
lui. Le boubou ample et très étoffé est destiné à éviter les frotte
ments que ne manquerait pas d’occasionner le pantalon. La grande
poche qu’il présente, est destinée à recevoir le produit de leurs
quêtes ou de leurs rapines ; car les circoncis, pendant tout le temps
que met la cicatrisation à se faire, ont le droit de prendre tout ce
qui, en fait de victuailles, leur tombe sous la main.
Aussitôt après l’opération et dès qu’ils ont revêtu leur costume,
ils sont promenés dans tout le village, sous la conduite de leurs
surveillants, avec accompagnement de tam-tams et de chants.
Qu’ils le peuvent ou non, il faut marcher, ou sans cela, gare le fouet.
Ils sont ensuite réunis dans une grande case, construite à leur
intention et située, en général, un peu en dehors du village. C’est
là qu’ils doivent habiter et manger jusqu’à ce que tous soient par
faitement guéris. Là aussi on les gave littéralement. Il faut
manger et toujours manger, quand l’heure est venue, qu’on ait
faim ou non. Autrement, en avant le fouet. Mon interprète me
racontait à ce sujet que lorsqu’il fut circoncis, un jour que, repu,
le surveillant le forçait à manger encore, il avait rendu dans sa
calebasse l’excédent de nourriture qu’on lui avait fait avaler malgré
lui. Le surveillant le força à l’avaler de nouveau.
La cicatrisation se fait assez vite soit en moyenne de 15 à 20 jours.
Elle est d’autant plus rapide que le sujet est plus jeune. Mais il
faut au minimum 40 à 45 jours pour que le tissu cicatriciel ait pris
la couleur noire des tissus environnants. C’est à ce moment-là
seulement, et quand tous sont absolument guéris, qu’on leur donne
�574
ANDRÉ RANÇON
liberté de manœuvre. Ils endossent alors le pantalon. Le jour où
ils sortent de leur case est jour de fête dans le village.
La nuit, ils dorment sous l’œil d’un surveillant, et ils doivent,
pendant toute la durée de leur séjour dans la case, dormir sur le
dos. Si, par hasard, ils se mettent sur le côté, un coup de fouet les
a bientôt remis en place.
Pendant toute la durée de leur traitement, ils sont soumis à la
discipline la plus sévère. Ils ne peuvent et ne doivent rien faire en
dehors de leurs camarades. Ainsi, si l’un d’eux se permet de
chanter, seul, par exemple, immédiatement le surveillant lui inflige
une correction ou simplement le force à chanter pendant trois ou
quatre heures sans interruption. Ils doivent tout faire ensemble,
manger, chanter, jouer, aller à la promenade, etc., etc.
Celui qui est opéré le premier est appelé le chef des circoncis
de l’année, celui qui l’est le dernier doit servir de domestique aux
autres pendant toute la durée de leur claustration. Ainsi, c’est lui
qui leur porte leur calebasse de couscouss, qui va chercher l’eau
nécessaire aux pansements, etc., etc. Il n’y a pour cela aucune
considération de caste ou de famille. Tous sont égaux pendant ce
laps de temps.
A proprement parler, il n ’y a pas un âge fixe auquel se pra
tique la circoncision. Tout d’abord cela serait assez difficile; carie
noir ignore son âge, celui de sa femme et celui de ses enfants. Il
est des garçons qui ne se laissent opérer que peu de temps avant
leur mariage, c’est-à-dire de 20 à 25 ans, il en est d’autres, au con
traire, qui le sont plus jeunes. Mais d’une façon générale, on peut
dire que c’est de 14 à 17 ans que se pratique généralement sur les
hommes cette opération ethnique.
2° Circoncision chez la femme. — Toutes les peuplades delà Sénégambie et du Soudan, à l’exception toutefois des Ouolofs, pra
tiquent aux femmes, quand elles atteignent l’âge de puberté, une
opération analogue à la circoncision chez les garçons. On y procède
habituellement, après l’apparition des premières règles, jamais
avant.Il existe même certaines famillesMalinkées etOuassouIoukées
chez lesquelles les femmes ne sont soumises à cette opération que
lorsqu’elles ont eu leur premier enfant.
Chacun sait que les négresses ont les petites lèvres fort déve-
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
57o
loppées. Tout le monde a entendu parler plus ou moins du « tablier
des hottentotes ». L’opération première et son véritable but étaient
de sectionner cette partie de leurs organes génitaux. Mais l’opéra
tion étant toujours mal laite on en est venu à couper également
toutou partie du clitoris. Telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui,
elle consiste donc à supprimer toute la partie des petites lèvres qui
dépasse les grandes et à faire l’ablation complète ou partielle du
clitoris. Voici comment cela se pratique.
La patiente est étendue sur le dos, les jambes fléchies sur les
cuisses et les cuisses relevées et perpendiculaires à l’axe du corps.
Un billot, généralement un pilon à couscouss, est placé sous le
sacrum pour faire fortement saillir le pubis. Ces préparatifs ache
vés, l’opérateur, qui est toujours une femme de forgeron, procède à
l’opération à l’aide d’un petit couteau à lame très mince, très
étroite et bien aiguisée. L’opération est faite avec si peu de soins
que le clitoris est toujours sectionné en partie ou en totalité. Chez
les Bambaras, c’est une condition sine quel non de bonne opération.
Ils sont imbus de cette idée que si elle n’était pas ainsi pratiquée
ils mourraient inévitablement. Aussi ne verra-t-on jamais un
Bambara épouser une Ouolove parce que, disent-ils « la Ouolove a
» un dard qui, s’il les piquait au ventre, les ferait infailliblement
» mourir. »
Les filles ou femmes qui viennent d’être opérées sont soumises
aux mêmes pratiques que les garçons jusqu’à ce qu’elles soient
guéries. Par exemple, elles ne sortent que deux fois par jour, le
matin et le soir, pour se baigner. Elles sont surveillées par les
matrones et doivent dormir étendues sur le dos, les jambes légère
ment écartées.
La circoncision, aussi bien pour les femmes que pour les hom
mes, se pratique généralement un mois et demi ou deux mois
avant l’hivernage. Mais il n ’y a rien d’absolument fixe à ce sujet.
C’est l’occasion de grandes fêtes, tam-tams, coups de fusil, danses,
etc., etc., et d’agapes monstres. Chez les Bambaras et les Malinkés,
qui font usage de boissons fermentées, c’est une des plus grandes
soûleries de l’année. On fabrique, pour la circonstance, d’énormes
calebasses de dolo (bière de mil), et l’on ne cesse de boire que lors
qu’il n’y a plus rien à absorber ou que tout le monde est ivre-mort.
Chez les musulmans, qui ne font point usage de boissons alcoo-
�576
ANDRÉ RANÇON
liques, on se contente d’engloutir force calebasses de couscouss et
de dévorer moutons, bœufs, poulets et chèvres. Dans certains
villages toutes les provisions y passent.
J’avais l’intention de ne rester qu’un jour à Dialafara, mais je
fus obligé d’y passer encore la journée du 31 janvier; car l’accès de
fièvre que j’avais eu la veille m’avait tellement affaibli que j’aurais
été absolument incapable de faire l’étape.
/er février. — La nuit ayant été assez bonne, je pois quitter
Dialafara à 5 b. 45 du matin, par une douce température. La route
se fait bien et assez rapidement. A deux kilomètres de Dialafara, il
nous faut franchir le Tambaoura par de véritables sentiers de
chèvres. Je suis si faible que je suis obligé de me faire porter. Je
ne m’étais jamais vu dans un pareil état. Et pourtant nous n’avons
plus que trois étapes à faire pour atteindre, au Galougo, la ligne de
chemin de ier"de Rayes à Bafoulabé. Y arriverai-je jamais? Enfin,
malgré des souffrances inouïes et de fréquents vomissements
bilieux, je puis faire cette étape. A 9 h. 30, nous traversons de
beaux lougans, et laissons sur notre gauche quelques petites cases
dontl’ensemble forme un village de culture,appartenant àOrokoto,
où nous mettons pied à terre, à 10 h. 45. De Dialabara à Orokoto,
l’orientation de la route est N.-N.-E., et la distance qui sépare ces
deux villages n’a pas plus de 21 kilomètres. Cette étape est une des
plus mauvaises que nous ayons faite depuis le commencement de
notre voyage. Je n’en ai pas rencontré qui présentent plus de diffi
cultés. Le passage du Tambaoura est excessivement pénible. Le
sentier ne fait que traverser des amoncellements de roches énormes.
A partir de là, la route traverse des plateaux rocheux, où l’on
n’avance qu’avec mille précautions. Ce n’est que cinq kilomètres
environ avant d’arriver à Orokoto que la route devient meilleure.
Elle est très difficilement praticable pour les animaux. Au point de
vue géologique, rien de bien particulier à signaler. De Dialafara
au Tambaoura, s’étend une vaste plaine de latérite.
Dans toute cette partie du Tambaoura, de môme, du reste, que
tout le longffie la route, on ne trouve absolument que des quartz
et des’grès. Les conglomérats ferrugineux et les schistes sont fort
rares. Très peu d’argiles. La latérite reparaît aux environs
d’Orokoto. La végétation est, on le comprend aisément, des plus
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
577
maigres. Les karités sont excessivement rares et finissent par dis
paraître complètement aux abords du village. Plus de caïl-cédrats,
plus de nétés. Quelques rares fromagers et bambous rachitiques,
quelques maigres lianes à caoutchouc également.
Orokoto, où nous faisons étape, est un village Malinké de
quatre cents habitants environ. Sa population est uniquement for
mée de Sisokos. C’est la résidence du chef du Niambia. Il est cons
truit sur un petit monticule que dominent des collines peu élevées.
Son tata extérieur tombe en ruines. Celui du chef est en assez bon
état, ainsi que deux ou trois autres petits tatas particuliers. Quant
au village lui-même, il est fort mal entretenu, sale et dégoûtant.
Le Niambia, dont Orokoto est la capitale, est un petit Etat
Malinké situé à l’Ouest cle la chaîne principale du Tambaoura, dans
l’angle qu’elle forme avec son contrefort Nord-Est. Au Nord et
au Nord-Ouest il confine au Natiaga et au Niagala, à l’Ouest au
Tambaoura, au Sud au Bambougou et à l’Est au Barnita. Sa super
ficie est d’environ 1,800 kilomètres. Il est peuplé de Malinkés et
ce sont les Sisokos qui sont les maîtres du pays et les proprié
taires du sol. Il fut colonisé par eux peu après leur arrivée dans
le Bambouck et sous la conduite de deux fils de Moussa-Sisoko qui
se nommaient: Haoussa N’Digui et Mansa-Gadio. Ils y sont restés
depuis cette époque. Le Niambia n’a que onze villages et sa popu
lation est au plus de trois mille habitants. Elle est peu nombreuse,
relativement à l’étendue du pays, et sa densité n’est que 1,6 habi
tant par kilomètre carré. Voici les noms de ces villages :
Orokoto (résidence du chef), Boundéri, Banguilima, Daraleo,
Faragouukoto, Téba, Sédiankoto, Koungou, Gadiani, Dialakoto,
Malembou.
Son aspect général est plutôt celui d’un pays de montagnes
que celui d’un pays de plaines. Il est placé sous le protectorat de
la France et relève du commandant du cercle de Kayes. Très
pauvre, il arrive difficilement à s’acquitter chaque année du faible
impôt auquel il a été taxé. C’était autrefois un véritable repaire
de bandits et de détrousseurs de grands chemins. Aujourd’hui
encore, malgré sa proximité des centres de Bafoulabé, Médine et
Kayes, les dioulas n’osent guère s'y aventurer, tant est mauvaise
sa réputation, et de temps en temps même actuellement, il n’est
pas rare d’entendre dire qu’un marchand y a été dévalisé. Les
André Rançon. — 37.
�o78
ANDRÉ RANÇON
réclamations de ce genre sont fréquentes à Bafoulabé et à Kayes.
Il existe entre Orokoto et Dialafara depuis quelques années
une vieille haine dont le motif est assez curieux pour être rapporté
ici. A Orokoto existe un individu, véritable chef du pays, bandit
remarquable, qui a nom Siliman-Koy ou Siliman le blanc, pour le
distinguer de son frère Siliman fi ou Siliman le noir, parce que ce
dernier est plus foncé que le premier. Tous les deux sont excessi
vement redoutés dans le pays et ils annihilent complètement
l’autorité du véritable chef du pays. Ce sont de plus des adversaires
déclarés de l’influence française dans la région. Siliman-fi a même
déclaré qu’il ne voulait jamais voir un blanc. Aussi dès qu’un
officier est signalé ou annoncé dans les environs, quitte-t-il le
village et se réfugie-t-il dans les environs où il possède un petit
village de culture. Cet homme possède absolument le génie du vol.
Le fait suivant en est la preuve. Il avait pu se procurer, je ne sais
comment, un uniforme complet de tirailleur. Ainsi habillé, il partit
un jour à la tête de ses hommes et se rendit à Linguékoto, dans le
Kamana. Il exhiba là au chef du village un papier revêtu de la
signature du commandant de Bafoulabé et portant le timbre du
cercle, et lui annonça qu’il était chargé par ce fonctionnaire de lui
réclamer le paiement immédiat de 10 gros d’or, soit environ 100 fr.
Le chef s’exécuta sur le champ et paya. Je doute que Siliman-fi lui
ait jamais donné bonne et valable quittance. Ces deux individus ont
ainsi beaucoup de faits de ce genre à leur actif. Mais revenons à
notre sujet. Il y a quelques années, Siliman-Koy s’éprit d’une jeune
fille du village d’Orokoto, et il fut convenu avec le père que leur
mariage serait célébré dès qu’elle serait nubile. Siliman-Koy devait
payer en dot une vache, huit gros d’or et une pièce de guinée. La
vache et la pièce de guinée furent immédiatement payées. Il n’en
fut pas de même des huit gros d’or. Mais, entre temps, le cœur de
la jeune enfant parla et un beau jour elle déclara à son père qu’elle
ne voulait à aucun prix de Siliman-Koy et qu’elle voulait épouser
un des fils du chef de Dialafara. Celui-ci paya au père la dot entière
qu’il réclamait et offrit à Siliman de lui rendre ce qu’il avait déjà
versé. Ce dernier refusa absolument. Mais pendant tous ces pour
parlers, le mariage fut conclu avec le fils du chef de Dialafara et
la femme eût même des enfants de lui, Inde irœ. Siliman-Koy alla
réclamer à Médine et sut si bien exposer sa plainte au commandant
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
579
de ce poste et l'entortiller que celui-ci ne trouva rien de mieux que
de faire enlever par des tirailleurs à Dialafara la femme et le mari.
Ce dernier fut ramené à Médine sous bonne escorte, et sévèrement
puni. Je me demande pourquoi. La femme et ses enfants furent
donnés à Siliman-Koy. Mais, un an après, elle s’enfuit de la maison
de son nouveau mari et retourna avec l’ancien. Siliman-Koy vint la
chercher à la tète de ses hommes et s’empara même d’une partie du
troupeau de Dialafara.
En 1890, lorsque le capitaine Quiquandon, envoyé en mission
spéciale dans le Bamhouck, passa par là, les habitants de Diala
fara lui firent part de leurs griefs contre Orokoto. 11 leur fit rendre
les bœufs qui leur avaient été volés, mais il ne fut nullement ques
tion de la femme. Depuis cette époque, chaque fois qu’ils en trou
vent l’occasion, les gens d’Orokoto commettent, sur le territoire
de Dialafara, toutes sortes de rapines. Les réclamations affluent à
Kayes et à Bafoulabé, et, lorsque j’y suis passé, cette grave affaire
n’était pas encore réglée. Mais à la suite d’une conférence qui eut
lieu entre les commandants de ces deux cercles et à laquelle nous
prîmes part comme témoins, tout paraissait être sur le point de
s’arranger. Cette petite histoire montre, d’une façon évidente, que
le sentiment de l’amour n ’est pas inconnu des Noirs et qu’ils sont
s uscepti blés.d’a Ltache men t.
Tous ces faits qui, en somme, étaient de fraîche date, contri
buèrent à me faire recevoir avec méfiance à Orokoto. Aussi, ne
fus-je pas étonné, en arrivant, de constater qu’il n’y avait plus dans
le village que les hommes. Les femmes et le troupeau avaient été
envoyés dans la brousse. Je fis au chef de vifs reproches sur la
façon dont se conduisait son village en cette circonstance. Quel
ques heures après mon arrivée, tout le monde était revenu. On
s'était imaginé que je venais pour brûler le village et m’emparer
du troupeau. La journée se passa mieux qu’elle n’avait commencé,
et je n’eus qu’à me louer de la conduite de tous à mon égard.
2 février. — Nous quittâmes Orokoto à cinq heures du matin.
La nuit a été relativement chaude. Petite brise de Sud-Est. Ciel
clair et étoilé. Au lever du jour, le ciel se couvre un peu. Forte
brise de Sud-Est. Le soleil ne paraît pas. Le ciel est resté couvert
toute la journée. Il est tombé quelques gouttes de pluie vers onze
�580
ANDRÉ RANÇON
heures, et, à midi, il fait une chaleur lourde et orageuse et un fort,
vent de Sud-Est. C’est la fin du petit hivernage. Cette petite saison
pluvieuse ne dure jamais plus de huit à dix jours au maximum.
Elle s’établit généralement vers la fin de la lune de janvier et cesse
dans les premiers jours de la lune suivante. Pendant ce laps de
temps, les vents passent par les quatre points cardinaux et il tombe
quelques averses quand ils sont à l’Ouest et au Sud-Est. Dès qu’ils
remontent vers l’Est, les pluies cessent, la chaleur devient lourde
et orageuse, et lorsqu’ils sont redevenus franchement Est et NordEst, elle est sèche et se maintient ainsi jusqu’à la fin de la belle
saison, au retour de l’hivernage, vers la mi-juin.
Ma santé s’est un peu améliorée; mais je suis toujours excessi
vement faible et de plus j’ai les pieds tellement enilés que je ne
puis plus mettre mes bottes. Je suis anémié au plus haut degré. Je
n’ai plus aucune illusion à me faire à ce sujet. Heureusement que
dans deux jours je vais enfin pouvoir me soigner un peu.
La route d’Orokoto à Malembou se fit rapidement. A l’heure
dite, les porteurs sont réunis, les préparatifs du départ lestement
faits et une demi-heure après ce réveil, nous pouvons nous mettre
en route. A six heures, nous faisons la halte au petit village de Téba.
Téba est un petit village Malinké de 150 habitants. Sa population
est uniquement formée de forgerons. Il s’élève au pied d’une falaise
à pic et est entouré de toutes parts de hautes collines. Il est abso
lument ouvert et ne possède aucun tata ni intérieur ni extérieur.
J ’y suis très bien reçu, le chef vint me saluer dès mon arrivée et
m’offre du lait en abondance pour mes hommes et pour moi. Inutile
de dire que le village est sale comme tout bon village Malinké doit
l’être. Après nous être reposé pendant une demi-heure nous nous
remettons en route. A peu de distance du village il nous faut gravir
un passage escarpé d’environ un kilomètre de longueur. Ce ne sont
que des escaliers rocheux auxquels succèdent de vastes plateaux
formés de grès absolument lisses et polis. On voit que pendant des
siècles, il a dû couler là nu fleuve immense et que des masses d’eau
considérables ont dû passer par-dessus ces énormes rochers. 11
devait y avoir en cet endroit une chute majestueuse. Du reste, tout
semble indiquer que la plus grande partie de la route de Malembou
à Orokoto suit le cours d’uu ancien cours d’eau. Elle est épouvan
table. Ce ne sont partout que des roches gigantesques et c’est au
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
milieu d’un véritable chaos que l’on chevauche. Partout l’eau a
laissé sa trace ineffaçable. Les quelques marigots que l’on rencontre
et notamment le Tamba-Kô, le seul important de la région, sont
à fond de roches et très difficiles à traverser. Il n’y a qu’à environ
six kilomètres de Malembou qu’elle devient réellement praticable.
Au point de vue géologique, des quartz, des grès, des schistes et des
conglomérats ; toutes roches absolument ferrugineuses. Mention
nons tout spécialement les énormes blocs de schistes lamelleux
que l’on trouve entre Orokoto et Téba. Par ci par là quelques ilôts
d’argiles. Enfin à 5 kilomètres environ de Malembou. la latérite
apparaît et forme un vaste plateau qui s’étend jusqu’au village.
Nous y arrivons à 10 h. 50. Végétation très pauvre : quelques
caïls-cédrats, fromagers, lianes à caoutchouc. Au bord des marigots,
de superbes palmiers. Les karités, rares au début de la route, devien
nent plus communs à la fin et sont très abondants aux environs de
Malembou.
Malembou est un petit village Malinké dont la population
s’élève à 100 habitants tout au plus. C’est le dernier village du
Niambia dans cette direction. Il est situé à 25 kilomètres au
Nord-Est d’Orokoto. Fort mal entretenu, il ne possède aucun
moyen de défense. Il est construit comme tous les villages Malinkés sur un petit monticule au centre d’une plaine que dominent
au Nord et au Sud de petites collines. J ’y suis très bien reçu et
les habitants me donnent, moyennant une petite redevance, tout
ce qu’il me faut pour mon personnel et pour moi. La journée se
passe sans incident et je m’endormis tout heureux en songeant
que l’étape prochaine sera la dernière. Demain nous serons au
Galougo. Demain ce sera la fin de la brousse, le chemin de fer,
Ivayes, le repos.
3 février. — Je n ’ai pas de peine à réveiller mon monde. Per
sonne n’a dormi, tant on a hâte d’arriver. Aussi les préparatifs du
départ sont-ils lestement faits et à cinq heures nous nous met
tons en route. Le jour commence à poindre. Nous arrivons enfin
sans encombre à Faidherhe-sur-Galougo, à 10 b. 45, tout heureux
de voir enfin cette ligne de chemin de fer tant désirée.
La route de Malembou à Faidherbe-sur-Galougo ne présente
aucune difficulté dans sa première partie. Elle se déroule au
�582
ANDRÉ RANÇON
Riilieu d’une plaine absolument unie que ne traverse aucun mari
got. Il n ’en est pas de même dans sa seconde partie. On ne che
vauche alors que dans des sentiers obstrués par des roches
énormes et la route est difficilement praticable pour les animaux.
Le passage du Tamba-Kô que l’on franchit deux fois est des plus
difficiles. Son fond formé dérochés énormes et glissantes rend
l’opération très délicate. Au point de vue géologique, rien de par
ticulier. En quittant Malembou et après avoir traversé une petite
bande de latérite d’environ un kilontètre de largeur, on marche
pendant environ 15 kilomètres au milieu d’une vaste plaine d’a r
gile. A partir de ce point, nous ne trouvons plus que des quartz,
grès, conglomérats ferrugineux et schistes. Ces derniers sont, assez
rares. La latérite apparaît aux environs du petit village de Faidherbe-sur-Galougo. Végétation très maigre, quelques rares karités
dans la première partie de la route. Ils sont plus abondants dans
la seconde et finissent par disparaî're trois kilomètres environ
avant d’arriver au Galougo. Les lianes à caoutchouc sont peu
abondantes, et les fromagers, caïl-cédrats, Légumineuses ont
presque tous complètement disparu.
Faiclherbe-sur-Gqlougo est un petit village Malinké que les indi
gènes désignent sous le nom de Gossi. Sa population n’est pas de
plus de 130 habitants. Fondé en 1887, par le lieutenant-colonel
Galliéni, alors commandant supérieur du Soudan Français, il fut
détruit en 1890 par les cavaliers Toucouleurs d’Ahmadou et
reconstruit depuis. Appelé Faidherbe-sur-Galougou par le comman
dant de Monségur, alors commandant des cercles à Rayes, il n’est
connu d’aucun noir sous ce nom. Il est mal construit, mal entre
tenu et fort sale. Ceci est classique, chacun le sait, pour les villages
Malinkés. Nous le traversons sans nous y arrêter et allons tout
droit au campement du chemin de fer, situé à environ 150 mètres
du village. Bien entendu, le train pour Rayes est passé depuis
une heure et demie à peine et il n’y en aura plus que dimanche
prochain. Mais dans l’après-midi il yen aura un pour Bafoulabé.
Je décide alors de me rendre à ce poste pour y attendre le départ
pour Rayes. Mes animaux s’y rendront par étapes. Je comptais
trouver un officier au Galougo et un magasin pour pouvoir m’y
ravitailler. Il n’y a plus maintenantque deux canonniers qui y sont
chargés de l’entretien de la voie. Ils m’offrent du pain et un peu de
�DANS LA HAUTE-GAMBIE
vin. Je n’ai garde de refuser. Il y a si longtemps que je n’en ai
goûté. Je suis obligé de leur faire préparer, moyennant rétribution
bien entendu, du couscouss parles habitants du village. Enfin, vers
deux heures, arrive le train. J ’ai la bonne chance d’y trouver nos
amis Huvenoit, capitaine d’artillerie de marine, directeur dn che
min de fer, Cruchet, aide-commissaire, le docteur Collomb, mon
excellent collègue, et d’autres officiers que leur service appelle
soit sur la ligne, soit à Bafoulabé. Tous me font la plus cordiale des
réceptions.
Nous arrivons à Bafoulabé à six heures du soir. A la gare de
Talaliari nous avions laissé Huvenoit et la plupart des officiers qui
voyageaient avec nous. Seuls, Collomb, Cruchet et moi continuons
jusqu’à Bafoulabé. Chemin faisant, Collomb me raconte que la
colonie vient d’être cruellement éprouvée par une épidémie ana
logue à la fièvre jaune qui a sévi dans la plupart de nos postes,
et qui y a fait de nombreuses victimes. Quatorze officiers entre
autres ont succombe et parmi eux deux de nos collègues. Au
débarcadère à Bafoulabé, nous fûmes reçus par le commandant du
cercle, le capitaine Conrard, un vieux Soudanais et un de mes
meilleurs amis, et par mon collègue, le Dr Gallas, médecin-major
du poste. Je fus obligé de m’appuyer sur leurs bras pour pouvoir
arriver jusqu’à leur logement. J ’étais bien épuisé, mais la joie
du retour, la perspective de coucher dans un bon lit et surtout
les soins si attentionnés et si affectueux dont m’entourèrent ces
bons amis me firent oublier ma fatigue. Que tous reçoivent ici
le témoignage de ma profonde reconnaissance. Je ne saurais oublier
les marques de sympathie qu’ils m’ont manifestées pendant que je
suis resté leur hôte. Je ne manquai pas dès mon arrivée d’annoncer
mon retour à M. le délégué du commandant supérieur du Soudan
Français.
La réponse ne se fit pas attendre. M. le chef d’escadron d’ar
tillerie de marine de Labouret, qui remplissait alors ces fonctions
à Rayes pendant l’absence deM. le lieutenant-colonel Humbert qui,
à cette époque, dirigeait les.opérations contre Samory, m’adressa
aussitôt le télégramme suivant que je transcris ici fidèlement.
« Délégué commandant supérieur à docteur Rançon. Bafoulabé,
» n° 347. Vous adresse amitiés et dépêche colonel n° 748 deJBissan-
�584
»
))
»
»
»
»
»
»
»
ANDRÉ RANÇON
dougou. « 19 novembre 1892, commandant supérieur à docteur
Rançon, Rayes; en communication, délégué commandant supérieur Rayes. Reçu votre lettre du 11 décembre. Suis très content
vous savoir en bonne santé. Je prie mon délégué à Rayes de faire
payer votre palefrenier Moussa-Sacko de sa solde et de lui faire
un cadeau pour le récompenser de ses bons services avec vous.
Serais très heureux causer avec vous à mon retour de votre
mission qui, je l’espère, sera très utile pour le commerce futur
du Soudan. Souhaits de bonne santé et de bonne réussite ».
Ce témoignage particulier de sympathie et d’estime, émané
de l’autorité supérieure, tout l’intérêt et toute l’affection que me
manifestaient mes amis à Bafoulabé, à Rayes et en France, me
récompensèrent grandement de mes travaux et ne tardèrent pas à
me faire oublier les déceptions et les fatigues que j’avais éprouvées
pendant mon voyage.
�TABLE DES MATIERES
IN T R O D U C T IO N
C H A P IT R E
I ............................................. ............................................................................
Comment je lus amené à visiter la Haute-Gambie. — Aperçu rapide de l'itiné
raire que j’ai suivi pour m’y rendre. — Composition de ma caravane. —
Mon interprète Almoudo Samba N’ Diaye. — De Rayes à Nétéboulou
(Ouli). — Séjour à Nétéboulou. — Maladie. — Manque de vivres. —
Comment je fus ravitaillé par la Compagnie Française de la côte occi
dentale d’Afrique. — Extrême complaisance de M. le capitaine Roux, de
l’infanterie de marine, commandant du cercle de Bakel. — Je puis quitter
Nétéboulou. — Préparatifs de départ. — Projet d’itinéraire. — Nété
boulou. — Son histoire. — Sa population. — Son chef Sandia-Diamé. —
Importance de sa situation au point de vue commercial. — Son avenir.
C H A P I T R E I I ....................................................................................................................
Départ de Nétéboulou. — Témoignages de sympathie de la population. — En
route pour Sini. — Ordre de marche de la caravane. — La plaine de
Genoto. — Arrivée à Makadian-Counda. — De Makadian Counda à Sini.
— Arrivée à Sini. — Belle réception. — Le tam-tam. — Le Balafon. —
Sérénade. — Le chef du Ouli, Massa-Ouli. — Sa famille. — Description de
là route suivie. — Géologie. — Botanique. — Le Nété. — Le Téli. — Le
N’taba. — Sini. — Sa population. — Belles cultures. — Départ de Sini. —
Canapé. — Lait et beurre en abondance. — Soutoko. — La mosquée. —
Villages Peulhs. — Fatigue de la route. — Arrivée à Barocounda. —
Départ de Barocounda. — Arrivée à Toubacouta. — Épisode de la guerre
du marabout Mahmadou-Lamine Dramé. — Réception peu cordiale à
Toubacouta. — Belle case. — Traces du passage de la mission de délimi
tation des possessions Françaises et Anglaises en Gambie. — Toubacouta.
— L’ancien et le nouveau village. — L’envoyé de Guimmé-Mabmady, le
chef du Sandougou. — Beaux lougans. — Belles rizières. — Le marigot de
Maka-Doua, frontière du Ouli et du Sandougou. — Description de la roule
de Sini à Toubacouta. — Géologie — Botanique. — Le dougoura.
C H A P I T R E I I I ................................ ..................................................................................
Le Ouli. — Situation. — Limites. — Aspect général du pays. — Hydrologie. —
Orographie. — Constitution géologique du sol. — Flore. — Productions
�586
TABLE DES MATIÈRES
du sol. — Cultures. — Faune. — Animaux domestiques. — Populations.
— Ethnologie. — Rapports du chef du pays avec les différents villages."—
Rapports du Chili avec les autorités françaises. — Conclusions.
C H A P I T R E I V ................................ .........................................................
.
.
.
Départ de Toubacouta. — Beaux lougans de mil. — Le C n il- c é d r a t . — Arrivée
à Dalésilamé. — Village Sarracolé et village Malinké Musulman. — Ren
contre d’un dioula. — De l’hospitalité chez les indigènes. — SoumaCounda. — De Souma-Counda à Missira. — Cordiale réception. — GuimméMahmady, chef du Sandougou. — Séjour à Missira — Visite des chefs
des villages du Sandougou. — Beurre, lait, kolas en abondance. — Violente
tornade. — Départ de Missira. — Vastes champs d’arachides. — Pioche
spéciale pour les arracher. — Le Diabéré. — Djakaba. — Nombreux
papayers. — Sidigui-Counda. — Saré-fodé. — Saré-De nha-Ouali. — Son
chef Demba. — Visite du frère de Maka-Cissé, chef du Sandougou occi
dental. — Cordiale réception des Peulhs. — Puces et punaises. — Départ
de Saré-Demba-Ouali. — Le village Ûuolof de Tabandi. — Arrivée au
village Toucouleur Torodo de Oualia. — Ousman-Celli, son chef. — Belle
réception. — Belle case. — Excursion au Sandougou. — Saré-Demboubé. —
Le Sandougou frontière du Niani et du Sandougou. — Le gué de Oualia. —
Description de la route de Toubacouta au Sandougou. — Le Baobab. —
Le K i n k é l i b a h . — Violent accès de fièvre.
C H A P IT R E
V
....................................................................................................................
Le Sandougou. — Description géographique. — Aspect général. — Hydrologie.
— Orographie. — Constitution géologique du sol. — Flore. — Productions
du sol. — Cultures. — Faune. — Animaux domestiques.— Populations. —
Ethnologie. — Situation et organisation politiques. — Rapports avec les
autorités françaises. — Conclusions.
C H A P I T R E V I ....................................................................................................................
Départ de Oualia. — Passage du Sandougou. — Cissé-Counda-Teguenda. —
Countiao. — Cissé-Counda. — Arrivée à Koussalan. — Grande fatigue
éprouvée pendant la route. — Description de la route du Sandougou à
Koussalan. — Koussalan, sa population, son chef. — Beaux lougans. —
Le mil. — Le maïs. — Le tamarinier. — Départ de Koussalan. — Carantaba. — Beaux jardins d’oignons. — Calen-Foulbé. — Calen-Ouolof. —
Description de la route de Koussalan à Calen-Ouolof. — Le Laré ou Saha,
liane à caoutchouc. — Je reçois une lettre de. M. l’Agent de la Compagnie
française à Mac-Carthy. — Nuit sans sommeil — Les moustiques. —
Départ de Calen-Ouolof. — Rosée abondante. — Vola. — Couiaou. —
Lamine-Sandi-Couda. — Medina-Canti-Countou. — Arrivée à LamineCoto. — J’y trouve M. Joannon, agent de la Compagnie française à MacCarthy. — Réception amicale. — Arrivée à Mac-Carthy. — Description de
la route de Calen-Ouolof à Mac-Carthy.— Le riz et les rizières. — Le
rônier. — Installation et séjour à Mac-Carthy, — Réceplion sympathique.
— Arrivée de MM. Frey et Trouint, agents de la Compagnie. — Nombreux
achats en prévision de mon voyage au Kantora, à Damentan et aux pays
des Coniaguiés. — Nous sommes tous malades. — Départ retardé.
�TABLE DES MATIÈRES
587
C H A P IT R E V II.
Mac-Carthy. — Situation géographique. — Notice historique. — Description
géographique. — Aspect général. — Hydrologie. — Orographie. — Cons
titution géologique du sol. — Climatologie. — Flore. — Productions du
sol; cultures. — Faune. — Animaux domestiques. — Le Protopterus ou
Mudfisch des Anglais, ou Schlammfisch des Allemands, ou poisson de
vase. — Ethnographie; populations. — Organisation politique et adminis
tration. — Conclusions.
C H A P IT R E V III
Départ de Mac-Carthy. — En route pour le Kalonkadougou. — Diamali. —
La vigne du Soudan. — Canouma. — Le F o n io . — Le F r o m a g e r . —
Counté-Counda. — Arrivée à Demba-Counda. — Fatigue extrême. —
Bonne réception. — Le village. — Son chef. — Je suis forcé d’y rester
deux jours. — Description de la route de Mac-Carthy à Demba-Counda.
— Géologie. — Botanique. — Bizarre superstition. — Départ de DembaCounda. — Arrivée à Kountata, premier village du Kalonkadougou. —
De Kountata à Diambour. — Beaux lougans. — Les puits de Diambour. —
Belle réception. — Le village. — Massa-Diambour. — Séjour à Diambour.
— Départ pour Goundiourou. — Arrivée à Goundiourou. — Village en
ruines. — Oseille et tomates indigènes. — Description de la route de
Diambour à Goundiourou. — De Goundiourou à Daouadi. — Guiriméo. —
Mansa-Bakari-Counda. — Saré-Dadi.— Daouadi. — Aspect du village. —
Un courrier rapide. — Lettre de M. Frey. — Description de la route de
Goundiourou à Daouadi. — La g o m m e et les g o m m ie r s . — La g o m m e de
K e ll é . — De Daouadi à Coutia. — Boulon. — Coutia. — Massa-Coutia. —
Aspect du village. — Les tisserands. — Description de la route de Daouadi
à Coutia. — Le coton. — Les Niébès-Ghertés ou Tigalo-N'galo. — Patates
douces.
C H A P I T R E I X ................................................................................................................... 186
Le Kalonkadougou. — Limites frontières. — Description géographique. —
Aspect général. — Constitution géologique du sol. — Flore. — Produc
tions du sol. — Cultures. — Faune. — Animaux domestiques. — Popula
tions. — Ethnographie. — Situation et organisation politiques actuelles.
— Rapports avec les autorités françaises. — Conclusions.
C H A P I T R E X .........................................................................................................................
Départ de Coutia. — Kalibiron. — Diabaké. — Paquira. — Arrivée à Koussanar. — Description de la route de Coutia à Koussanar. — Géologie. —
Botanique. — Cultures. — Koussanar. — Aspect du village. — Nom
breuses variétés d’acacias. — Beaux jardins de tabac. — De Koussanar
à Goundiourou. — Coumbidian. — Ahmady-Faali-Counda . — Description
delà route suivie. — Goundiourou. — Remarquable propreté du village.
— Nombreuses visites. — Belles plantations de haricots. — De Goun
diourou à Sini. — Siouoro. — Massara vient à mon avance. — Arrivée
à Sini. — Cordiale réception. — Description de la route de Goundiourou
à Sini. — Géologie. — Botanique. — Départ de Sini. — Arrivée à Nétéboulou.
Nétéboulou. — Grands préparatifs,
Séjoui
anisation
�588
TABLE DES MATIÈRES
d’un convoi pour Kayes. — Pas de courrier. — Un voyage extraordinaire.
— Étrange superstition. — Le génie du foyer. — Départ de Nétéboulou.
— Arrivée à Passamassi. — Belle réception. — Belle case. — Description
de la route de Nétéboulou à Passamassi. — Belles plantations d’indigo. —
De Passamassi à Son-Counda. — Yabouteguenda. — Le traiiant NiaméLamine. — Passage de la Gambie. — Les caïmans. — Arrivée à SonCounda. — Description de la route de Passamassi à Son-Counda. — Nous
sommes dans le Kantora. — Le vieux chef du pays. — Aspect du village.
— Courges.— Calebasses. — Gombos.— Je me dispose à partir pour
Damentan.
C H A P I T R E X I .......................................................... k
n
............................................
Le Kantora. — Limites, frontières. — Aspect général. — Hydrologie — Oro
graphie. — Constitution géologique du sol. — Flore, productions du sol,
cultures. — Faune, animaux domestiques. — Populations. — Ethnogra
phie. — Rapports du chef avec ses administrés. — Situation politique
actuelle. — Rapports avec les autorités françaises.— Émigration.
C H A P I T R E X I I ................................................................................................
Départ de Son-Counda. — Marche de nuit — Frayeur des Malinkés. — Hémé
ralopie. — Itinéraire de Son-Counda au marigot de Tabali. — Descrip
tion de la route. — Géologie. — Botanique. — Le Dion-Mousso-DionSoulo. — Campement en plein air. — Un gourbi en paille. — De Tabali
à la rivière Grey. — Itinéraire. — Passage de la rivière Grey. — Ingé
nieuse embarcation. — De la rivière Grey au marigot de Konkou-OulouBoulo. — Itinéraire. — Description delà route. — Géologie. — Botanique.
— Les lianes Delhi et Bonghi. — Le Barambara. — Du marigot de
Konkou-Oulou-Boulou à Damentan. — Itinéraire. — Description de la
route. — Géologie. — Botanique. — Le Karité. — Arrivée à Damentan.
— Belle réception. — Le chef Alpha-Niabali. — Séjour à Damentan. —
Palabres. — Influence du chef dans la région. — Fanatisme musulman.
— Arrivée d’un Coniaguié. — Je l’envoie annoncer ma visite à son chef.
— Environs de Damentan. — Belles cultures. — Le Ricin. — Préparatifs
de départ pour le Coniaguié.
C H A P I T R E X I I I ..............................................................................................................
Le pays de Damentan. — Limites. — Frontières. — Aspect général. — Hydro
logie. — Orographie. — Constitution géologique du sol. — Flore, produc
tions du sol, cultures. — Faune, animaux domestiques. — Populations,
ethnographie. — Rapports de Damentan avec les pays voisins. — Rap
ports de Damentan avec les autorités françaises.
C H A P I T R E X I V ....................................................................................................................
Départ de Damentan. — Le guide Fodé. — De Damentan au marigot deBamboulo. — Itinéraire. — Description delà route. — Le Belancounfo. — Le
Raphia vinifera. — Du marigot de Bamboulo au marigot de Oudari. —
Itinéraire. — Description de la route. — Rencontre de quatre chasseurs
Coniaguiés. — Traces laissées par une troupe d'éléphants. — Le campe
ment de O.udari. — Départ de Oudari. — Passage du marigot. — Les
�TABLE DES MATIÈRES
589
termitières. — Le marigot de Oupéré. — Le marigot de Mitchi. — Belle
végétation. — Un pont dans les branches. — Le palmier oléifère (Elæis
Guineensis). — Le marigot de Bankounkou. — Nous apercevons le plateau
du Coniaguié. — Les lougans. — Frayeur des enfants et des femmes
Coniaguiés à mon aspect. — Curiosité des hommes. — Le Bakis. —
Iguigni, le premier village Coniaguié. — Karakaté. — Ouraké. — Halte
sous un fromager.— Le chef du village, grand-prêtre et gardien du terri
toire. — Étrange superstition. — En route pour Ylïané, la capitale. —
Nombreux sentiers, nombreux détours. — Une curieuse escorte. — Arrivée
à Ylïané. — Halte sous un beau tamarinier. — Le chef Tounkané. — Je
suis autorisé à me reposer dans le village Malinké. — Défense à mes
hommes et à moi d’entrer dans le village Coniaguié. — Curiosité indis
crète des indigènes. — Description de la route du marigot de Oudari à
Yffané. — Géologie. — Botanique.
C H A P I T R E X V ................................................................................................................... 292
Séjour à Ylïané. — Deuxième journée. — Tam-tam. — Chiens. — Chacals. —
Cris bizarres dans le village. — Étrange coutume. — Nombreux visi
teurs. — Visite de Tounkané. — Grand palabre. — Pas de vivres. —
Cordiale et généreuse hospitalité des Malinkés. — Tounkané me de
mande en cachette une bouteille de gin. — Abondance du gibier dans les
environs d’Yffané. — Troisième journée.— Nombreuses visites de dioulas
Malinkés établis dans le pays. — Les pintades. — Tounkané me fait
cadeau d’un bœuf. — Je puis enfin me procurer un peu de mil et de
fonio. — Refus de Tounkané de me donner des porteurs pour retourner
à Damentan. — Dans la soirée il me promet de m'en donner le lendemain
matin. — Il enverra deux délégués à Nétéboulou pour s’aboucher avec le
commandant de Bakel. — Heureux résultat de mon voyage. — Départ
d’Yfïané. — Tounkané me donne deux guides, mais pas de porteurs. —
D’Ylïané au marigot de Oudari. — Campement à Oudari. — Inquiétudes
de Sandia. — Arrivée de quatre Coniaguiés qui font route avec nous. —
Du marigot de Oudari à Damentan. — Les antilopes. — Les sangliers. —
Arrivée à Damentan. — Joie d’Alpha-Niabali de me revoir. — Récit de
Sandia et d’Almoudo. — Ils m’apprennent les dangers que nous avons
courus au Coniaguié.
C H A P IT R E
X V I ........................................................................................................ 3 0 9
Le pays de Coniaguié et le pays de Bassaré. — Limites. — Frontières. —
Aspect général du pays. — Hydrologie — Orographie. — Constitution
géologique du sol. — Faune. — Animaux domestiques. — Les bœufs. —
Les poulets. — Les pintades. — Flore. — Productions du sol. — Cul
tures. — Populations. — Ethnographie. — Ethnologie. — Sociologie. —
Opinions diverses sur l’origine des Coniaguiés et des Bassarés. — Les
villages. — Les habitations. — La nourriture. — La coifïure. — Le vête
ment. — Organisation de la société. — La famille. — Rôle de la femme
dans les affaires publiques. — Religion. — La guerre. — Les armes. —
Fabrication de la poudi’e. — Langage. — Situation politique actuelle. —
Rapports des Coniaguiés avec leurs voisins. — Notes diverses sur les
Bassarés.
�590
TABLE DES MATIÈRES
C H A P I T R E X V I I ..............................................................................................................
Repos à Damentan. — Départ de Damentan. — De Damentan à la Gambie.
— Le Manioc.— La P o u r / / It è re . — Traces du passage d'une hyène. —
Arrivée sur la rive droite de la Gambie. — Une forêt de rôniers. — Le
gué de Voumbouleguenda entre Damentan et Bady. — Le fils du chef de
Damentan vient me rejoindre. — Passage de la Gambie. — Entre la
Gambie et Bady. — Immense incendie. — Une superstition bizarre. —
Description de la route entre Damentan et Bady. — Géologie. — Bota
nique.— Dalura. — Sendiègne. — M’Bolon-M’Bolon. — Arrivée à Bady.
— Le village. — Le chef. — Nous sommes bien reçus — La population.
— Grand nombre de goitreux. — Maladies de la peau. — Palabres. —
Sandia me quitte pour retournera Nétéboulou. — Départ de Bady. —
Sansanlo. — Niongané. — Beaux lougans d’arachides. — Arrivée à
Iéninialla. — Belle réception. — Description de la route de Bady à
léninialla. — Géologie. — Botanique. — Le Vène. — Départ de Iéninialla.
— Le pont sur le Barsancounti. — Passage de la rivière Balé. — Ren
contre d’une députation des notables de Gamon venus au devant de moi.
— Arrivée à Gamon. — Belle réception. — Belle case. — Description de
la route de léninialla à Gamon. — Géologie. — Botanique. — Le Nando.
— Le Foufl. — Les dattiers. — Les piments. — Description du village. —
Le chef. — Palabres. — Plaintes des habitants.
C H A P I T R E X V I I I ..............................................................................................................
Le Tenda et le pays de Gamon. — Frontières, Limites. — Aspect général du
pays. — Hydrologie. — Orographie. — Constitution géologique du sol. —
Flore, productions du sol, cultures. — Faune, animaux domestiques. —
Populations. — Ethnographie. — Organisation politique. — Rapports avec
les pays voisins. — Rapports avec les autorités françaises.
C H A P IT R E
X I X ..........................
.......................................
Départ de Gamon. — Dilficultés au moment de se mettre en route. — Tou
jours les porteurs sont en retard. — De Gamon au marigot deFirali-Kô.
— Route su iv ie.— Tumulus.— Respect des Noirs pour les morts. —
Campement sur les bords du marigot. — Description de la roule suivie.
— Géologie.— Botanique. — Le Fogan ou Tirba. — Le Cantacoula. —
Nouvelle lune. — Pratique religieuse des Noirs à cette occasion. — Départ
du Firali-Kô. — Route suiviedu Firali-Kôau marigot deSandikoto-Kô. —
Rencontre d’un lion. — Le Niocolo-Koba. — Campement sur les bords du
Sandikoto-Kô. — Description de la route suivie. — Géologie. — Bota
nique. — Le Hammout. — Du Sandikoto-Kù à Sibikili. — Roule suivie.
— Chasse au bœuf sauvage. — Récit de Mahmady au sujet d'un éléphant.
— Arrivée à Sibikili. — Description de la route suivie. — Géologie. —
Botanique. — Le Bambou. — Une maladie particulière sur ce végétal. —
Réception à Sibikili. — Tout le village est ivre. — Description du village.
— Fortifications Malinkées. — En route pour Badon. — Route suivie. —
Rencontre d'une députation que le chef envoie au devant de moi. — Des
cription de la roule. — Géologie. — Botanique. — Le Calama. — Arrivée
à Badon. — Belle réception. — Le village. — Le chef. — La population.
— Je tombe sérieusement malade.
�TABLE DES MATIERES
C H A P I T R E X X ................................ .............................................
..........................
412
Le pays de Badon. — Limites, frontières. — Aspect général du pays. — Hydro
logie. — Orographie. — Constitution géologique du sol. — Faune, ani
maux domestiques. — Flore, productions du sol, cultures. — Popula
tions, ethnographie. — Situation et organisation politiques. — Rapports
du pays de Badon avec les pays voisins. — Rapport du pays de Badon
avec les autorités françaises. — Le Badon au point de vue commercial.
--Conclusions. — Traités passés par le pays de Badon avec la France.
C H A P I T R E X X I.
..............................................................................................................
Séjour à Badon. — Je suis gravement malade d'un accès de fièvre à forme
bilieuse hématurique. — Générosité de Toumané pour mes hommes et
pour moi. — Sa passion pour le dolo. — Arrivée à Badon d’un envoyé du
commandant supérieur du Soudan se rendant au Fouta-Diallon. —
Plaintes de Toumané au sujet des gens du Bélédougou. — Ma santé
s’améliore un peu. — Passage de nombreux dioulas à Badon. — Plaintes
de Toumané au sujet des dioulas. — Comment on tue un bœuf chez les
Malinkés. — Je puis enfin partir. — .Nombreuse escorte. — Faiblesse
extrême. — Départ de Badon pour Tomborocoto (Niocoio). — Route
suivie. — Passage de la Gambie. — Arrivée à Tomborocoto. — Descrip
tion de la route. — Géologie. — Botanique. — Les Sénés. — Le thé de
Gambie. — Tomborocoto. — Mauvaise réputation des habitants. — Je
suis bien reçu. — Départ de Tomborocoto. — Route suivie. — Les
lougans et les villages de cultures. — Arrivée à Dikhoy. — Description
de la route. — Géologie. — Botanique. — Poivre. — Énormes haricots.
— Dikhoy. — Belle case. — Légende Malinkée. — Un chef parent d’un
oiseau. — Départ de Dikhoy.— De Dikhoy à Laminia. — Route suivie. —
Médina. — Diengui. — Sillacounda. — Les Karités. — Les troupeaux. —
Palabre à Sillacounda. — Passage de la Gambie. — Un bœuf pris par un
caïman. — Façon de pêcher des habitants de Sillacounda et de Laminia.
— Arrivée à Laminia. — Description de la route suivie. — Géologie. —
Botanique. — La chasse. — Le Touloucouna. — Laminia. — Description
du village. — Sa population.— Riches troupeaux. — Belles cultures.—
Arrivée d’une caravane de dioulas chargée de kolas. — Le kola au Soudan
français. — Fanatisme musulman des Diakankés. — Une école de mara
bouts et de talibés. — Une séance de tatouage.
C H A P IT R E
X X II .
.......................................................................................................
Le Niocoio. — Limites, frontières. — Aspect général du pays. — Hydrologie.
— Orographie. — Constitution géologique du sol. — Climatologie. —
Flore, productions du sol, cultures. — Faunes, animaux domestiques. —
Populations, Ethnographie. — Situation et organisation politiques ac
tuelles. — Rapports du Niocoio avec les pays voisins. — Rapports du
Niocoio avec les autorités Françaises. — Le Niocoio au point de vue com
mercial. — Conclusions.
C H A P I T R E X X I I I ............................................ ............................e . . .
496
Départ de Laminia. — Souhaits de bon voyage. — Pratique religieuse à ce sujet.
— De Laminia à Médina. — Dentilia. — Route suivie. — Extraction du
�592
TABLE DES MATIÈRES
1er. — Hauts-fourneaux. — Description de la route. — Géologie. —
Botanique. — Le Diabé. — La Fève de Calabar. — Arrivée à Médina.—
Dentilia. — Le pavillon tricolore. — Belle réception. — Orchestre original.
— Description du village. — En route pour Saraia. — Route suivie. —
Bembou. — Badioula. — Description de la route. — Géologie. — Bota
nique. — Les ficus. — Le Seno. — Les Slrophanthus. — Arrivée à
Saraia. — Le village. — Un mariage chez les Malinkés. — Départ pour
Dalafi. — Beaux lougans. — Le Caoutchouc. — Arrivée à Dalafi. —
Mensonges des habitants. — Respect des indigènes pour les boeufs blancs.
— En roule pour Diaka. — Médina. — Route suivie. — L’Anacarde. —
Cordiale réception.
C H A P IT R E X X IV .
....................................................................................................... 528
Le Dentilia. — Frontières, lim ites.— Aspect général. — Hydrologie. — Orogra
phie. — Constitution géologique du sol. — Flore, production du sol, cul
tures. — Faune, animaux domestiques. — Populations, Ethnographie. —
Situation et organisation politiques. — Rapport du Dentilia avec les pays
voisins. — Rapport du Dentilia avec les autorités Françaises. — Le
Dentilia au point de vue commercial. — Conclusions.
C H A P I T R E X X V ..............................................................................................................545
Départ de Diaka-Médina. — Marche de nuit. — Fuite d’un porteur. — Ren
contre d’une nombreuse caravane. — Le commerce du sel au Soudan. —
Passage de la Falémé. — Description de la route suivie — Géologie.' —
Botanique. — Le Kaki. — Arrivée à Faraba. — Nous sommes en pays de
connaissance. — Le village, le chef. — Recherche de l’or. — Départ de
Faraba. — A travers le Sintédougou et le Bambouck. — Sansando. —
Dioulafoundoundi. — Soukoutola. — Notes sur le Sintédougou. — La
vallée de Batama.— Mouralia. — Les mines d’or. — Sékonomata. —
Balama. — Ascension de la chaîne du Tambaoura. — Yatéra. — Malaoulé.
— Koudoréah. — Difficultés de la route. — Guibourya. — Le Diébédougou. — Kéniéti. — Guénobanta. — Le Diabeli. — Yérala. — Dialafara.
Le Tambaoura. — Les circoncis et la circoncision au Soudan. — Orokolo.
— Panique des habitants. — Nouvelle ascension du Tambaoura. — Téba.
— Malembou. — Le Natiaga. — Ari’ivée à Faidherbe-sur-Galougo. — Le
chemin de fer. — Mauvaises nouvelles. — Arrivée à Boufoulabé. — Cor
diale réception.
Lille. — Typ. & Lith. Le Bigot frères, Rue Nationale, ütS.
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Title
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Publication en série imprimée
Description
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Périodiques imprimés édités au cours des 18e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
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Title
A name given to the resource
Annales de l'Institut botanico-géologique colonial de Marseille
Subject
The topic of the resource
Botanique
Description
An account of the resource
Travaux universitaires sur les plantes et les "produits exotiques" utiles à la science et à l'industrie métropolitaines en provenance des colonies françaises
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Institut botanico-géologique colonial de Marseille
Heckel, Édouard (1843-1916). Éditeur scientifique
Source
A related resource from which the described resource is derived
Archives nationales d'outre-mer (ANOM, Aix-en-Provence), cote AOM 21329
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Société d'éditions scientifiques (Paris)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1893-1894
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/038824868
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/AOM-21329_Annales-Instittut-botanico-geol_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
2 vols
1072 p.
21 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
publication en série imprimée
printed serial
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/336
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
Colonies françaises. 19..
Alternative Title
An alternative name for the resource. The distinction between titles and alternative titles is application-specific.
Annales de l'Institut colonial de Marseille
Abstract
A summary of the resource.
Le Dr E. Heckel, alors professeur à la Faculté des Sciences et à l’École de Médecine, est nommé directeur du Musée colonial et de l'Institut de recherches coloniales à Marseille lors de leur création en 1893. Initiateur de ces 2 projets ainsi que d'un jardin botanique dédié aux plantes provenant des colonies dont il est également directeur, il livre ici les tout premiers travaux académiques réalisés au sein de ce laboratoire, rédigés par lui-même ou par ses collaborateurs qu'ils n'hésite pas par ailleurs à envoyer à travers tout l'empire colonial français afin de ramener des spécimens et des échantillons végétaux jusqu'alors inconnus ou mal connus. Ces voyages d'exploration scientifique, parfois aventureux et souvent riches de données ethnographiques, alimenteront le jardin des plantes et <a href="http://cps.univ-amu.fr/herbiers" title="Les herbiers de l'université">plusieurs herbiers</a> de grande valeur scientifique et historique.<br /><br />Si l'aspect économique et l'intérêt industriel de ces espèces, considérées alors comme "ressources naturelles", ne sont jamais négligés, tous ces travaux restent animés par la même volonté de faire connaître la richesse de la France d'outre-mer à laquelle Edouard Heckel voue une véritable passion.<br /><br />_______________<br />Note : <em>les Archives nationales d'outre-mer et la Responsable de sa bibliothèque, Sylvie Pontillo, ont prêté ces précieux documents à Aix-Marseille Université pour leur numérisation, leur diffusion en ligne et leur valorisation scientifique. Que cette grande confiance soit ici chaleureusement remerciée.</em>
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Archives nationales d'outre-mer - ANOM (Aix-en-Provence)
France -- Colonies – 19e siècle
Produits tropicaux -- Industrie et commerce -- France -- Colonies