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200
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https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/551/RES-AIX-T-191_Maurel_Accaparement.pdf
4a1ff665a8c72d334cbc2c0c84726e6f
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
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Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1897
Description
An account of the resource
Imprimés
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
122 p.
25 cm
Language
A language of the resource
fre
Publisher
An entity responsible for making the resource available
J. Barthélemy, Typographe-Lithographe (Aix)
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/249043432
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-AIX-T-191_Maurel_Accaparement_vignette.jpg
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES-AIX-T-191
Subject
The topic of the resource
Droit civil
Droit privé
Droit pénal
Droit romain
Title
A name given to the resource
De l'accaparement : étude historique, économique et pénale : thèse de doctorat es-sciences politiques
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Maurel, Joseph (18..-19.. ; avocat). Auteur
Université d'Aix-Marseille. Faculté de droit et des sciences économiques (1896-1973). Organisme de soutenance
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/551
Abstract
A summary of the resource.
Thèse : Thèse de doctorat : Droit : Aix-Marseille : 1897
L’auteur propose une étude à la fois historique, économique (parties courtes) et pénale (majeure partie de la thèse) du droit d’accaparement, c’est-à-dire de la saisie de toute ou partie du patrimoine économique d’une personne.
Résumé Jean-Michel Mangiavillano
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Biens (droit) -- France -- 19e siècle
Droit pénal -- France -- 19e siècle
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/515/RES-AIX-T-172_Totti_Injure.pdf
1d68a5ca345a189ad32a2965d75f0a62
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
De l'injure en droit romain ; De la prescription de l'action publique en droit français : thèse présentée et soutenue le 22 juin 1893
Subject
The topic of the resource
Droit pénal
Droit romain
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Totti, Jean. Auteur
Faculté de droit (Aix-en-Provence, Bouches-du-Rhône ; 1...-1896). Organisme de soutenance
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES-AIX-T-172
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Chevalier-Marescq et Cie (Paris)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1893
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/245405593
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-AIX-T-172_Totti_Injure_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
341 p.
25 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/515
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Alternative Title
An alternative name for the resource. The distinction between titles and alternative titles is application-specific.
De la prescription de l'action publique en droit français (Publié avec)
Abstract
A summary of the resource.
Thèse : Thèse de doctorat : Droit : Aix-Marseille : 1893
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Description
An account of the resource
La légitimité de la prescription d'une infraction est très critiquée : pourtant 3 raisons liées au temps qui passe la justifie : d'abord on oublie l'infraction, ensuite on peut considérer qu'elle est expiée et enfin, les preuves disparaissent
Droit pénal (droit romain) -- Thèses et écrits académiques
Injures -- Rome -- 30 av. J.-C.-476 (Empire) -- Thèses et écrits académiques
Prescription (droit) -- France -- 19e siècle -- Thèses et écrits académiques
Prescription extinctive (droit administratif) -- France -- 19e siècle -- Thèses et écrits académiques
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/394/RES-AIX-T-130_Talagrand_Proescriptio.pdf
10c9144d814ccfb1fff12ac1290725d7
PDF Text
Text
FACULTÉ DE DROIT D' AIX
LA
DE
PRŒSCRIPTIO LONGI TEMPORIS
EN DROIT ROMAIN
DE
LA
PRESCRIPTION DB DIX A VINGT ANS
EN DROIT FRANÇAIS
THÈSE POUR LE DOCTORAT
PAR
Auguste TALAGRAND
AVOCAT
UZÈS
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LA
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PRŒSCRIPTIO LONGI TEMPORIS
EN DROIT ROMAIN
DE
LA
PRESCRIPTION DB DIX A VINGT ANS
EN DROIT FRANÇAIS
THÈSE POUR LE DOCTORAT
PAR
Auguste TALAGRAND
AVOCAT
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MA _}1ÈRE
��CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES
Parmi les institutions humaines, il n'en est point qui
aient été l'objet d'appréciations aussi diverses que la
prescription. Tandis, en effet, que quelques-uns, la considérant dans l'injustice de quelques applications particulières, sont allés jusqu'à la qualifier irnpium prœsidium (1), d'autres, au contraire, l'envisageant sous le
rapport de l'utilité générale, ont vu en elle une des
premières garanties d'ordre et de sécurité parmi les
hommes et n'ont pas craint de l'appeler: patrona generis
humani (2); Cicéron (3) la nomme : fi,nem sollicitudinis
ac periculi litiuni.
La prescription remonte aux temps les plus reculés (4);
elle a dû suivre de près l'établissement de la propriété,
et l'on peut dire que c'est à cette époque surtout qu'a dû
se faire sentir la nécessité de cette institution. En effet,
(1) Justinien, Novel. 9.
(2) Cassiodore.
(3) Orat. pro Cœcinâ.
(4) Démosthène, dans son plaidoyer pour Phormion, opposa
une fin de non-recevoir tirée d'une prescription établie par les
lois de Solon.
�-6lorsque l'écriture était encore inconnue, ou du moins peu
répandue, la propriété n'ayant pas de titres, et les conventions étant confiées à la mémoire des témoins, on
conçoit que de très bonne heure la possession paisible
et publique ait été considérée comme une preuve suffisante de la propriété, et que, dans J'intérêt du repos
public, autant que par des motifs d'équité, les lois aient
protégé celui·que l'on venait inquiéter après une longue
et paisible possession. De nos jours, au contraire, où la
propriété est presque toujours constatée par écrit, et
où, grâce au système de publicité établi par la loi de
1855, la condition des fonds de terre se trouve déterminée par des registres comme l'est celle des individus, la
prescription acquisitive est d'une application moins fréquente. On pourrait même concevoir un Etat dans lequel cette prescription ne saurait plus recevoir aucune
application. Si on suppose en effet que, même à l'égard
des parties contractantes, la convention n'est translative
de propriété que si elle a été soumise à la formalité de
la transcription; si on suppose, en outre, qu'il existe des
registres sur lesquels l'étendue des fonds a été déterminée d'une façon certaine, et que ces registres font foi
en justice, celui-là seulement pourra se prétendre propriétail'e qui pourra montrer son nom inscrit sur le
registre en regard du fonds qu'il réclame; toute possession qui ne sera pas confirmée par l'inscription sera
une usurpation; il existe quelque chose d:analogue en
Allemagne.
Si on se place à un point de vue purement philosophique, et si on considère les droits en eux-mêmes et
dans leur essence, on voit qu'ils sont par leur nature
même éternels et impérissables. A un point de vue
moins absolu, et si on considère l'homme comme sujet
�-7actif ou passif de~ droits, on voit aussi que la nature
des droits reste la même, que ces droits ne sont nulle·
ment soumis aux atteintes du temps, car si l'homme,
s_ujet des droits, vieillit et meurt, ses droits lui survivent
et forment le patrimoine de ses héritiers.
La prescription ne vient en rien infirmer ces considérations, car si elle a pour effet d'éteindre soit le droit de
propriété, soit le droit de créance, cet effet n'est pas le
résultat unique du temps, mais a son fondement et sa
source dans une présomption de renonciation chez
celui qui néglige de les exercer.
Avant d'entrer dans le détail de la prescription, il
importe de se poser et de résoudre une question intéressante surtout à cause du point de vue philosophique qui
la caractérise. La prescription est-elle une création
arbitraire du droit civil, ou bien a-t-elle son fondement
et ses racines dans le droit naturel et l'équité?
Cette qu·estion capitale, les jurisconsultes romains
ne manquèrent pas de se la poser. Dès l'origine du droit
romain, et déjà dans la loi des XII Tables, on voit en
effet les décemvirs consacrer, sous le nom d'usucapion,
une institution analogue à celle de la prescription; on
conçoit donc que de très bonne heUl'e les jurisconsultes
se soient demandé quel! était le fondement de cette
institution.
Gaïus (1) ne voit dans l'usucapion qu'une création
purement arbitraire du droit civil, une institution dont
le but a été exclusivement politique et considéré comme d'intérêt public, savoir : la nécessité de prévenir
l'instabilité et l'incertitude dans ia propriété, et de
(1) L. 1, Dig. de usucap.
�-8déterminer les citoyens à s'occuper de la gestion de
leurs affaires comme de bons pères de famille. Plus
tard Cujas, dans le commentaire qu'il nous a laissé de
Gaïus, regarde la prescription comme une institution du
droit ci vil.
D'autre part et en sens contraire, de nombreux auteurs (1), et parmi eux Cicéron, considèrent la prescription non pas comme une création arbitraire du droit
civil, mais comme une institution dont le fondement se
trouve dans le droit naturel. En d'autres termes, ils
considèrent que le droit civil n'est pas venu de sa propre
autorité et dans un but d'intérêt général, créer un droit
pour le possesseur et le débiteur, et prononcer une
déchéance contre le propriétaire ou contre le créancier
négligent, mais qu'il n'a fait en cette matière que consacrer un principal de droit naturel et déterminer les
. conditions dans lesquelles ce droit devait s'exercer.
Pour nous, et bien que l'opinion de Gaïus semble à
première vue plus conforme à la nature des choses,
nous adopterons néanmoins cette dernière manière de
voir.
Je dis que l'opinion de Gaïus paraît plus conforme à la
nature des choses ; en effet, puisque les droits· sont
perpétuels, puisque la propriété est sacrée et qu'on ne
peut la perdre sans son propre fait, comment se fait-il
qu'on soit arrivé jusqu'à sanctionner le droit de celui
qui n'est entré en possession que par une véritable
usurpation, ou qui s'appuie sur une possession vicieuse?
(1) Puffendorff, Droit cle la nature et cles gens, livre 4, chap.
12, § 9 et 11. - D'Ar()'entré, Coutume cle Bretagne. - Merlin,
v' prescription, sect. l" § 1". - Vazeille, prescription, chap.
1, n' 5 et suiv. - Troplong, Prescription, n' 2 et suiv.
�-9Des considérations d'intérêt général telles que nous les
indiquions plus haut, ont pu sans doute déterminer le
législateur à déclarer le possesseur propriétaire, si sa
possession réunit d'ailleurs des conditions qui seront·
plus ou moins rigoureuses, suivant l'époque de l'histoire
à laquelle on se placera, mais ce sera alors une èréation
du droit civil, et non pas la confirmation d'un principe
du droit naturel.
Certains auteurs ont cru résoudre la question, mais
en réalité ils n'ont fait que tourner la difficulté, en · se
basant sur un principe dont la fausseté est évidente. Ils
on dit que la propriété · n'est qu'une création du droit
civil, et qu'elle n'est sanctionnée par la loi qu'à certaines
conditions qu'elle a pu arbitrairement déterminer. Etant
admise cette idée, · que la propriété est une création du
droit civil, rien n'est plus facile que de légitimer la
presc1'iption, car si la loi a créé le droit de propriété,
elle a pu en fixer les limites. Mais il est aujourd'hui
universellement admis, et nous ne nous attarderons pas
à en faire la démonstration, que la propriété est de
droit naturel, que ce n'est pas la loi qui a créé le droit
de propriété, mais qu'elle n'a fait que le sanctionner.
L'origine de la propriété se t1;ouve en effet dans l'occupatiém; c'est l'occupation s'exerçant sur un objet sans
maître qui a donnné naissance à un droit respectable
sans doute, mais qui l'est devenu bien davantage encore
lorsque la matière a été façonnée, améliorée par le travail et l'intelligence de l'homme . Ce droit de pro"priété
une fois acquis par l'occupation et le travail, s'est naturellement conservé, non seulement par les mêmes
moyens, mais encore par la seule volol).té de ne pas l'abdiquer, car, jè le répète, il est de la nature du droit de·
se perpétuer et d'avoir une durée indéfinie.
�-
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Nous arrivons ainsi à la question que nous nous étions
posée plus haut : le droit de propriété étant de son
essence perpétuel, comment se fait-il que · la loi soit
venue d"éclarer ·déchu de son droit de propriété celui
qui a cessé de posséder pendant un certain lap·s de
de temps, et propriétaire celui dont la possession réunit
certaii1es conditions déterminées ? Cette déchéance prononcée contre le propriétaire, cette attribution de droit
aù profit du possesseur, sont-èlles une création arbitraire du droit civil, ou bien ont-elles lem· base daris
l'équité et le droit naturel?
· Cette dernière manière de voir nous a paru la seule
.exacte ; voyons comment on peut la justifier.
Tout d'abord il importe de faire remarquer que la possession de celui qui invoque la prescription peuû être de
deux sortes : le possesseur, peut être de bonne foi, il
peut être aussi de mauvaise foi. Ces deux hypothèses
doivent être soigneusement distinguées, car on comprelid
que la justification de la prescription sera plus facile
dans le premier cas que dans le second.
Si nous nous plaçons dans l'hypothèse de la possession
de bonne foi, la justification de la prescription se trouvera dans cette considération que le droit de 'propriété,
pas plus que les autres droits, n'est absolu, et qu'il se
trouve nécessairement borné par l'idée de devoir. Tout
droit se trouve en effet limité par un corrélatif, et quiconque refuse de subir la loi du devoir qui restreint sa
liberté pour assurer celle des autres, s'expose à la perte
de son droit. Sans doute, ainsi que je l'indiquais précédemment, le droit de propriété est de sa nature perpétuel,
mais il ne s'en suit pas de là que ce soit un droit absolu;
les droits de chacun sont naturellement limités par les
droits des autres, et les lois ne sont autre chose que la
�-
'11 -
'détermination faite par une autorité légitimement constituée, des conditions d'équilibre sans lesquelles la société
ne saurait exister.
Si clone on se place dans la situation d'un individu qui
a tout lieu de croire qu'il est devenu légitimement propriétaire de la chose qu'il possède, par exemple parce
qu'elle lui a été livrée à la suite d'une vente, d'un
échange, d'une donation ou de tout autre contrat translatif' de propriété ; si, de plus, on suppose que par un
travail de tous les jours il a amélioré la chose qu'il
possède ainsi de bonne fo i, qu'il y a incorporé des capitaux considérables, résultat d'un travail antérieur ; qu'il
a constitué sur cette · chose et à l'égard des tiers des
droits qui ont paru incontestables et irrévocables, parce
que jusqu'à ce moment le droit du constituant n'avait
paru contestable à personne, fauclra-t-il qu'en présence
d'une situation aussi solidement établie et de droits
aussi sacrés, le propriétaire puisse s'armer de son droit
de propriété, qu'il a négligé d'exercer pendant si longtemps, pour réduire à néant un état de chose si digne
d'intérêt ? N'est-ce pas alors qu'il est utile de se rappeler que les droits de chacun sont limités par les droits
des autres, et que si le droit de propriété est toujours
digne d'être sauvegardé, il faut du moins que ce ne soit
pas à l'encontre d'autres droits non moins légitimes et
non moins dignes d'être respectés ?
A l'origine l'erreur était réparable, il suffisait d'une
réclamation émanée du propriétaire pour faire tomber
les illusions et montrer les vices d'une situation qui ne
se connaissait pas elle-même ; mais en vieillissant, en
passant de degrés en degrés, elle a fini par ressembler
tellement à la vérité, des liens si nombreux et si légitimes se sont étendus en sens si divers, des intérêts si
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sacrés ont pris naissance sur ce sol où on voudrait les
anéantir aujourd'hui, que l'on peut se demander avec
raison, s'il n'y aurait pas une perturbation plus grande
à remettre les choses dans leur état de vérité, qu'à
sanctionner une erreur qu1 est devenue le droit. Le droit
ne va jamais sans un devoir qui le limite; or, le devoir
du demandeur était de ne pas laisser le possess·eur dans
sa bonne foi. Que si l'on nous objecte que le propriétaire
n'a ·peut-être aucune négligence à se reprocher, èar il
ignorait que sa chose était possédée par un tiers, nous
répondrons que cette ignorance est une faute, et que lui
seul doit supporter les conséquences d'une erreur qui
porterait atteinte au droit d'autrui.
Ces cvnsidérations, à elles seules, suffisent à légitimer
au profit du possesseur de bonne foi la prescription
acquise à l'encontre du propriétaire. Ce droit du possesseur est donc antérieur-au droit civil et exclusivemenl
basé sur l'équi_té et le droit naturel. Que le droit civit
soit ensuite intervenu pour déterminer le laps de temps
à l'expiration duquel le droit du propriétaire serait définitivement perdu, cela était nécessaire pour donner à
tous une règle uniforme, mais il n'en est pas moins vrai
que dans cette matière de la prescription, comme dans
beaucoup d'autres d'ailleurs, le droit civil est venu, non
pas créer et innover, mais qu'il n'a fait que travailler sur
des notions déjà fournies par le droit naturel et l'équité,
et qu'il s'est borné à les adapter aux besoins variables
des sociétés.
J'arrive maintenant à la deuxième partie de la question
que je m'étais posée plus haut, c'est-à-dire à l'hypo·thèse où le possesseur est de mauvaise foi ; dans ce cas,
faudra-t:-il dire encore que la prescription a son fonde-
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ment dans le droit naturel, ou qu'elle est au contraire
une création du droit civil ?
Cette question, je le reconnais, sort un peu du sujet
que je me propose de traiter, car n'ayant à parler que de
la prescription de dix et vingt ans, je n'ai pas à me
préoccuper du possesseur de mauvaise foi; et néanmoins, il .m'a paru nécessaire, sous peine d'être incomplet,
d'envisager au moins brièvement ce deuxième côté de
la question, surtout dans un chapitre à la tête duquel
j'ai mis ces mots : Considérations générales.
Ici, j'en conviens, et lorsque on se place en face du
possesseur de mauvaise foi, ce n'est pas dans le droit
naturel qu'il faut chercher le fondement de la prescription : l'injustice et la violence ne sauraient rien fonder.
Sans doute la situation de l'usurpateur finira par ressembler de plus en plus à celle du propriétaire, il utilisera par son travail la chose qu'il possède, il paiera à
l'Etat les sommes exigées du propriétaire, il supportera
les charges que la loi lui impose au profit des propriétaires voisins ; en un mot, tandis que ses actes tendront
de plus en plus à l'assimiler au propriétaire, le propriétaire, de son côté, semblera oublier et abdiquer ses
droits. Néanmoins, cette apparence de légitimité ne
saurait jamais être assez forte pour annuler le droit luimême; on ne saurait concevoir que ce qui est vicieux
à l'origine se m~tamorphosât en droit par sa propre
énergie; il faut donc qu'un fait nouveau vienne régulariser la possession de mauvaise foi et lui fasse prendre
place parmi les droits.
Nous avons vu que ce qui légitime l'acquisition de la
propriété par le possesseur de bonne foi, c'est le préjurlice que lui cause le propriétaire en le laissant dans
l'ignorance de son di·oit ; ici, cette raison ne peut plus
�-
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être invoquée, car le possessem de mauvaise foi est
toujours plus coupable que le propriétaire négligent. Il
faut donc chercher le fondement de la prescription dans
des raisons d'intérêt général. Or, si l'on considère
quelles sont les nécessités de l'ordre public, on se convaincra qu'il est un terme au-delà duquel il serait dangereux de demander compte aux citoyens de l'origine de
lem'. fortune et de leur condition. Vouloir remonter à la
source de tous les droits; ce serait remettre tout en
question, et sous prétexte de justice, bouleverser la
société tout entière. Ancienneté a autorité, a dit Loisel,
et par cela seul qu'une possession est demeurée paisible pendant une longue suite d'années dans les mêmes
mains, elle devra être réputée légitime. Sans doute, il
arrivera quelquefois que l'usurpation se trouvera à l'origine de cette possession, mais parce que dans quelques
applications particulières une règle générale produit des
conséquences regrettables, faut-il rejeter l'institution
elle-même?
Il ne faut pas en outre s'exagérer l'importance du
sacrifice que la loi positive demande à la loi naturelle,
car . s'il est juste de regretter que .ces deux lois ne
soient pas toujours et sur tous les points eu harmonie
parfaite, il faut cependant constater que la négligence
du propriétaire poussée jusqu'à ses extrêmes limites,
justifie pleinement la déchéance proi:ioncée contre lui.
La loi est donc parfaitement fondée à considérer ce
long silence comme un acquiescement à l'état de chose
apparent et à consacrer d'une façon définitive la situation
du possesseur. L'Etat est d'ailleurs intéressé à ce que
les droits ne restent pas trop longtemps en suspens,
et il a bien le droit d'exiger, au profit de l'intérêt
général, le sacrifice de quelques intérêts particuliers.
�-
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Usucapio darnno est dominis, dit Cujas (1), bono reipublicm.
Cette vérité a toujours été profondément sentie par
l'opinion publique, et, pour ne citer qu'un exemple
récent, on trouve encore partout des traces de l'émotion
profonde que ressentirent, à l'époque de la Restam'ation,
les détenteurs des biens nationaux, et on se rappelle
qu'il ne fallut pas moins de plusieurs déclarations émanées de l'autorité législative (2) pom; calmer l'agitation
qu'avait fait naître la crainte de voir rechercher l'o rigine de la possession de ces biens.
(1) Sur la loi J, Dig . cle Usucap.
(2) Les ventes de domaines nationaux sont irrévocablement
maintenues : 6 avril 1814, art. 24; 2 mai 1814; 4 juin 1814,
Charte, al't. 9; 5 déc. 1814, art. 1"; 2i avril 1825, art. 24; 14
'
noCtt 1830, Charte, art. 8.
On a poussé le respect pour les ventes de domaines nationaux
jusqu'à décide!' que lorsq ue, pa1· erreur, un domaine patrimonial a été compris dans une vente fai.te par l'autorité administrative, une fois la vente consommée, le propriétairn est
non recevable :'t. exercer l'action en revendication contre l'adjudicataire, et n'a que l'action en indemnÙé contre le Gouvernement (li mar s 1815). Mais la survenance de la Charte constitutionnelle a paru à la Cour de cassation un motif suffisant
pour décider que le propriétaire pouvait revendiquer (arrêt 26
déc. 1825, Syrey, 26, 1, 2i0; Dall. 26, 1, 86.).
�.•. .J .
�PREMIÈRE PARTIE
DROIT ROMAIN
DE LA PROESCRIPTIO LONG! TEMPORIS
INTRODUCTION
Le mot prœsm·iptio, dont nous avons fait dans notre
langue moderne le mot prescription, avait à Rome un
sens tout différent de celui dans lequel nous l'entendons
n.ujourd'hui. Ce mot, tiré du verbe latin prœscribere, ne
signifiait pas autre chose que ce qu'on entendait par le
terme exceptio : nihil enim aliud est prœscribere, quam
eœceptionem apponere, dit Cujas, et l'on trouve au
Digeste un titre avec cette rubrique : de eœceptionibus,
prœscriptionibus, et prœjuàiciis (liv. 44, tit. 1°').
Il importe toutefois de remarquer que bien que les
mots prescription et exception soient synonimes dans le
�-
18 -
langage des jurisconsultes romains, néanmoins le mot
exception a. plus d'étendue :· _fa .:prescription est à
l'exception ce que l'espèce est au genre.
L'exception est un moyen de défense, mais un moyen
qui présente ce caractè.re particulier, que le défendeur
qui l'invoque ne s'attaque pas directement à la prétention du demandeùr pour soutenir qu'elle n'est pas
fondée; il allègue un droit indépendant, de manière à
paralyser celui que peut avoir le demandeur. Ainsi vous
intentez contre moi une condictio ce1·tià l'effet d'obtenir
la restitution de dix sous d'or que vous prétendez m'avoir
prétés; si je réponds que je ne les dois pas, parce que
je vous les ai rendus, je n,'invoque pas une exception, car
j'attaque directement votre prétention; si je reconnais
au contraire que vous me les avez prêtés, mais qu'il a
été convenu entre nous que vous ne me 1es réclameriez
pas, j'oppose alors une véritable exception.
Le caractère de la prœscriptio est certainement le
même que celui de l'exception, et lorsque une prœscriptio
se ra invoquée par le défendeur, le juge, comme en
matière d'exception, ne prononcera la condamnation que
tout autant qu'il aura reconnu : 1° que l'exceptl_on ou la
prœscriptio n'est pas justifiée; 2° que la prétention du
demandeur est elle-même fondée.
Toutefois·, ce qui caractérise la prœscriptio, et ce ·qui
m'a permis de dire qu'elle est à l'exception ce que
l'espèce est au genre, c'est que la prœscriptio est une
exception mise en tête de la formule; la question
soulevée par le défendeur est 'de telle nature·, qu'il y a
intérêt à ce que le juge commence par.T examiner.· Ainsi,
je revendique un immeuble contre une personne ·· qui
invoque la possessio longi temporis, le juge commence par
rechercher si les conditions voulues pour cette possessio
1
�-
19 -
existent réellement : si leur existence est une fois établie,
peu importe que je fusse ou non propriétaire, ma
demande sera repoussée .
. « Prœscribere est ante scribere, '' voilà d'où nous est
venu le nom de .p rescription. C'est donc un accident de
procédure, cette circonstance particulière que l'exception
tirée de.la possession se trouvait inscrite en tête de la
formule qui a donné à une institution le nom qu'elle
conserve encore aujourd'hui, bien que depuis le règne de
Constantin, l'usage des formules ayant été supprimé, le·
mot prœscriptio ne correspondit plus à quelque chose de
réel.
J'ajoute d'ailleurs que sous la période de la procédure
formulaire, le mot p1·œscriptio ne s'appliquait pas seulement à l'exception fondée sur la possessio longi temporis,
mais qu'on appelait ainsi d'une façon générale toutes
les exceptions qui soulevaient des questions d'une nature
telle, qu'il fallait les examiner avant la demande ellemême : ainsi l'exception tirée de la chose jugée .
Quintilien a parfaitement indiqué le caractère général
des prescriptiones quand il a dit : « cùm ex prœscriptione
lis pendet, de ipsa re qiiœri non est necesse. »
Après avoir ainsi indiqué quel était le sens clans lequel
ces mots prœscriptio lqngi temporis furent primitivement
entendus, . et avoir montré que cette prœscriptio fut
originairement une espèce d'exception au moyen de
laquelle l'homme qui depuis longtemps possédait une
chose, pouvait repousser ceux qui l'actionnaient en
restitution, il me restera à faire voir comment, ce qui
n'était primitivement qu'une exception, finit par devenir
un véritable mode d'acquisition de la propriété et à
déterminer quelles furent les conditions requises pour ce
mode d'acquérir.
�-
20 -
Ces conditions, je dois le dil'e dès maintenant, sont,
sauf une différence relative à la durée de la possession,
absolument les mêmes qu'en matière d'usucapion. C'est
ainsi que les règles sur la juste cause, la bonne foi, sur
le mode de calculer le délai et sur l'açcessio temporis,
comme aussi sur les obstacles qui rendent la possession
inutile, se retrouvent dans la théorie de l'usucapion et
dans celle de la prœscriptio longi temporis.
Toutefois, ce serait une erreur de croire que ces deux
institutions soient absolument identiques; dans de telles
conditions, la prœscriptio, qui est moins ancienne que
l'usucapion, n'aurait certainement pas pris naissance ;
mais outre que la prœscriptio fut créée pour répondre à
des · besoins nouveaux auxquels ne pouvait satisfaire
l'usucapion, nous verrons, au point de vue de leurs
effets, des différences fondamentales entre ces deux
institutions.
Ce qui caractérise les législations anciennes et
notamment la législation romaine, c'est que les créations
et les transformations juridiques ne s'opèrent pas chez
elles par voie législative ; aujourd'hui, lorsqu'une institution a vieilli et ne correspond plus à l'état de chose
actuel, lorsque des besoins nouveaux se font sentir, il
existe des assemblées législatives qui viennent supprimer
ou corriger l'institution ancienne et élaborer des lois
plus conformes aux nécessités du moment.
A Rome il n'en était pas ainsi ; presque toujours à
côté du droit civil, c'est-à-dire d'un droit très ancien,
mo1·es majorum, formulé pour la première fois par les
Décemvirs dans la loi de XII Tables, se trouve un droit
de formation plus récente appelé droit Prétorien. Ce
droit, suivant l'expression de Papinien, complète, corrige
�-
21 -
ou supplée le droit civil propter utililatern publiccvm, ; ce
n'est pas que les dispositions de l'Edit de Préteur soient
arbitraires; quand le Préteur s'écarte du droit civil, c'est
toujours parce que celui-ci ne convient plus aux mœurs
nouvelles, parce qu'il ne donne plus satisfaction à des
situations inconnues autrefois et fréquentes aujourd'hui :
le jus gentiurn et la coutume lui fournissent le plus
souvent les règles qu'il consacre dans son Edit.
Cette action du Préteur sur le droit civil, que l'on
trouve à chaque pas dans l'histoire du droit romain,
nous la trouvons encore en matière d'usucapion.
Lorsque pour des raisons que nous aurons à exposer
plus loin, l'usucapion fut devenue insuffisante, le Préteur,
fidèle à son .rôle, intervint et créa cette prescription dl
dix et vingt ans, qui dans le principe apparaît comme
secondaire et se pose en présence de l'usucapion, pour
reproduire l'antagonisme que nous trouvons partout
chez les Romains entre le droit civil et un droit moins
sévère et plus humain.
Dans cette étude, à laquelle nous allons nous livrer sur
la prœscriptio longi ternporis considérée ·comme moyen
d'acquérir la propriété, nous distinguerons deux sortes
de conditions : les unes relatives à la personne qui
invoquait cette prœscriptio, les autres relatives à la
chose même qu'il s'agissait d'acquérir par ce mode.
Sous le premier rapport, nous verrons que pour que
la prœscriptio pût être invoquée il fallait une juste cause
à la possession, la bonne foi dans le possesseur et la
possession continuée pendant le laps de temps déterminé par la loi.
Sous le second rapport, il fallait que la chose fût
dans le commerce, qu'elle n'eût été ni volée, ni prise
2
�-
22 -
ou usurp ée par violence, et, de plus, qu'elle fût susceptible de possession.
Après avoir ainsi étudié dans les deux premiers
chapitres ces deux ordres de conditions, nous examinerons dans un troisième chap itre quels étaient les effets
de la prœscriptio, et quelles furent les innovations de
Justinien.
CHAPITRE IEI\
Des conditions relatives à la personne
Pendant très longtemps, à Rome, les modes d'acquérir la propriété furent distingués en modes du droit
civil et en modes du droit des gens . Cette distinction
entre le droit civil, c'est-à-dire un droit exclusivement
réservé aux membres d'une nation, et le droit des gens,
c'est-à-dire un droit dont l'exercice appartient à toute
personne sans distinction de nationalité, se trouve, au
début de toutes les civilisations, marquée d'une façon
très nette, et le peuple romain, plus encore peut-être
que tous les autres peuples, en est un exemple frappant.
De nos jours, cette distinction subsiste encore sans
doute, car il faut qu'une nation reste maîtresse chez
elle, et qu'il es t certains droits d'une nature telle qu'on
ne saurait en conférer l'exercice à des étrangers sans
�-
23 -
compromettre la sécurité nationale; mais cette exclusion
qui les frappe n'e~t relative qu'à l'exercice des droits
politiques, et l'on peut dire d'une façon générale, quoique
la question soit cependant controversée, que sauf quelques
exceptions limitativement énumérées par notre Code, les
étrangers jouissent en France des mêmes droits civils
que les Français eux-mêmes. Enmême temps que la civilisation a progressé, les barrières entre les nations se sont
abaissées, les rapports internationaux sont devenus
infiniment plus considérables, et la notion du droit des
gens étant une notion essentiellement élastique et se
prêtant à des interprétations variables, a été successivement étendue par la Cour de cassation et s'applique
aujourd'hui dans des cas de plus en plus nombreux: c'est
ainsi que les alliances entre Français et étrangers devenant de plus en plus fréquentes, la tutelle a été confiée au plus proche parent français ou étranger, et est
ainsi devenue du droit des gens, après avoir été longtemps considérée comme un rwunus publicum exclusivement réservé aux membres de la nation.
Autrefois, au contraire, la société fut organisée d'une
manière toute différente, et la séparation était marquée
d'une façon profonde entre le droit civil et le droit des
gens. Cette séparation ainsi établie entre les membres
des nations différentes avait d'ailleurs sa raison d'être
et s'explique d'une façon toute naturelle si l'on considère
quelle fut à l'origine la nature des relations internationales.
Dès le début, la préoccupation unique des peuples, et
notamment du peuple romain, fut de se maintenir en pos-'
session de ce qu'ils · avai:ent acquis par la conquête et
d'étendre même leur domination sur les peuplades voisines. La caste principale, sinon la caste ùnique, était
�-
24-
celle des guerriers ; la richesse consistait dans le butin
enlevé à l'ennemi, et les membres de la nation vaincue
se livraient seuls à l'agriculture pour le compte des
vainqueurs. Au milieu d'un état social semblable, les
relations civiles devaient être fort restreintes, et le commerce, s'il existait, devait occuper une place très petite
et ne s'exercer qu'entre les membres d'une même nation.
Quant îaux hommes de nationalité différente, ils ne se
rencontraient que les armes à la main et sur les champs
de bataille. Les hommes étant ainsi dans un état de
guerre à peu près permanent, et les relations de nation
à nation étant pour ainsi dire nulles, on conçoit que les
peuples se soient habitués à considérer leurs institutions
comme exclusivement propres à leurs membres et que
les étrangers n'aient pas été admis à en invoquer le ·
bénéfice. Ces idées pénétrèrent profondément dans les
institutions du peuple romain, et, dès le début, l'usucapion fut considérée comme un mode d'acquérir exclusivement propre aux citoyens ; les étrangers furent
exclus de ce droit par un article formel de la loi des
XII Tables : adversùs hostern (1) œterna auctoritas (2) esta.
(1) Ce terme, hostem, ne doit pas s'entendre d'un ennemi,
mais seulement d'un étranger; c'est ce que nous dit Cic6ron,
lib. I, de Ojfi.ciis : Hosti.s apucl majorns nostros, is dicebatur
quem nunc PEREGRINUM clicùnus : indicant XII Tabulœ ..... aclve1·sus hosten œterna auctoritas esta. Le terme qui signifiait
ennemi était celui de perduellis, comme l'observe Gaïus sur la
loi des XII Tables : quos nos hastes appellamus, eos veteres
PERDUELLES appellabant, per eam adjectionem inclicantes cwn
quibus bellum esset, 1. 234 de verb. signif.
(2) Auctoritas est pris lu pour le droit de revendiquer la
chose.
�-
25 -
,/)'\insi l'usucapion étant une institution du droit civil,
quel que fût le laps de temps pendant lequel un étranger
eût possédé. une chose, il ne pouvait en acquérir le domaine, et le propriétaire était toujours recevable à la
revendiquer contre lui en justifiant de son droit de propriété. Dès l'origine, cet état de chose était, ainsi que
je l'ai montré, parfaitement normal et ne présentait
aucun inconvénient à une époque où le territoire romain
était excessivement restreint et où Rome, en guerre
avec presque toutes les nations voisines, ne contenait
dans ses murs que des citoyens romains.
Mais il devait arriver bientôt que les Romains euxmêmes sentiraient les vices de cette organisation et
comprend_raient qu'en excluant ainsi systématiquement les étrangers des bénéfices de leur droit civil,
ils apportaient à l'agrandissement et au développement
de leur cité un obstacle considérable. Lorsque Rome,
par la force des armes, eut rendu tributaires la plupart
des nations voisines ; lorsque, par des traités d'alliance,
elle se fut liée avec les autres, il arriva bientô.t que les
Romains ne furent plus les seuls à habiter la cité et à
posséder son territoire. Les étrangers entrés à Rome
non pais comme des prisonniers et des vaincus, mais
attirés par l'hospitalité qui leur était offerte, ne tardèrent pas à y acquérir des richesses et à devenir pos·
sesseurs à leur tour. On comprend sans doute que Rome
ait refusé longtemps de cesser de les considérer comme
des étrangers et de leur accorder d'une façon générale
les mêmes droits qu'aux citoyens romains; mais il fallait
pourtant, et sous peine de leur rendre le séjour de Rome
impossible, leur accorder dans une certaine mesure
l'exercice de certains droits civils.
Dès ce moment, on aurait pu sans doute déclarer que
t .
�..
- 26 l'usucapion cessait d'être considérée comme un mode
d'acquérir exclusivement réservé aux citoyens romains,
et que les étrangers, les pérégrins, pourraient désormais
l'invoquer. Mais, ainsi que je l'indiquais plus haut, cette
façon de procéder n'était pas dans les habitudes romaines, les innovations n'étaient point faites par voie
législative, et lorsque un besoin nouveau se faisait
sentir, c'était à la coutume, aidée le plus souvent pa1·
le Préteur, qu'était réservé le soin de modifier le droit
civil ou d'en combler les lacunes. L'usucapion fut donc
maintenue avec son caractère primitif, c'est-à-dire qu'elle
resta un mode d'acquérir exclusivement réservé aux
citoyens romains; mais on vit naître à côté d'elle la
longi ternporis prœscriptio.
On ne peut indiquer d'une façon précise l'époque
exacte de la: naissance' de cette institution. On sait
pourtant qu'elle remonte à des temps fort reculés, et
l'on peut conjecturer que ce fut à partir du moment où
les relations de Rome avec les peuples voisins devenant
plus pacifiques, et le nombre des étrangers grossissant
de plus en plus, on sentit le pesoin d'une institution nouvelle qui, à l'exemple de l'usucapion, mais d'une façon
plus générale, protégeât les possesseurs de bonne foi .
Conformément à l'esprit ordinaire des 'créations du
Préteur, la longi temporis prœscriptio ne supprima ni ne
restreignit en rien l'utilité de l'usucapion; mais tandis
que les citoyens romains demeurèrent les seuls qui pussent invoquer cette dernière, les pérégrins trouvèrent
désormais dans la première. un moyen d'acquérir parfaitement analogue.
Cette nécessité de donner ·aux pérégrins un moyen
d'acquérir la propriété par la possession, fut sans doute
un ma.tif déterminant pour la création de la longi tem-
�-
27 paris p1·œscriptio, m.ais ce ne fut pas le seul. Si les
ci~oyens romains pouvaient seuls invoquer l'usucapion,
ils ne le pouvaient pas toujours, car ce moyen était inapplicable aux fonds provinciaux non investis du jus italicum. Item provincialia prœdia usucapionem non recipiunt
(Gaîus II, § 46). Par conséquent, les citoyens romains
eux-mêmes, lorsqu'ils avaient acquis un fonds de cette
nature a non proprietario, restaient sous une menace
permanente d'éviction. C'est donc un deuxième rapport
sous lequel l'usucapion était devenue insuffisante et que
nous traiterons dans le chapitre II, quand nous nous
occuperons des conditions relatives à la chose possédée.
Après avoir ainsi montré à la suite de quelles transformations sociales l'usucapion était devenue un moyen
d'acquisition insuffisant et incomplet, et comment la
longi temporis prœscriptio vint ~onner satisfaction à des
besoins nouveaux, il nous reste à étudier maintenant
quelles sont les conditions qui doivent se trouver réunies dans la person_ne de celui qui invoque ce mode d'acquérir la propriété. Ces conditions, ainsi que nous
l'avons indiqué déjà, sont ~u nombre de trois : il .faut
que le possesseur ait une juste cause de posséder, qu'il
soit de bonne foi, qu~ sa possession ait duré pendant
tout le laps de temps déterminé par la loi; nous allons
examiner la première.
�-
28 -
SECTION PREMIÈRE
De fa juste cause
La possession de celui qui invoque la prescription de
longtemps doit avoir, disons-nous, une juste cause. II
importe de se faire une idée très exacte de ce que les
jurisconsultes romains ont entendu par ces mots juste
cause en matière d'usucapion et de prescription de longtemps, et de ne pas confondre cette juste cause avec
celle qu'on retrouve dans la théorie de la tradition.
Parmi les modes d'acquérir la propriété à titre particulier, la tradition fut classée par les jurisconsultes
romains dans la catégorie des modes du droit des gens,
c'est-à-dire que l'usage n'en était pas restreint aux
citoyensromains (Gaïus II,§§ 65 et 66). En sa qualité de
mode du droit des gens, la tradition dut nécessairementapparaître avant les modes du droit civil, et il est à
remarquer qu'elle leur survécut néanmoins; dès l'époque de Justinien, en effet, les 1·es mancipi disparaissant,
la mancipation n'avait plus de raison d'être, et l'in jure
cessio, depuis longtemps inutile à l'égard des 1·es corporales, le devint aussi à l'égard des res incorporales
lorsqu'on admit pour ces dernières la possibilité d'une
quasi tradition.
Indépendamment des conditions relatives à la 1·es
tradita, pour que la tradition fût translative de propriété
on exigeait qu'il y eût remise effective du co1pus, c'est-
�-
29 -
à-dire de l'élément corporel de la possession; il fallait
en outre à cette tradition une justa causa; c'est cette
dernière condition qu'il nous importe surtout d'étudier.
En matière de tradition, la juste cause consiste dans
l'intention chez .le tra!J§ns detran~férer la propriété de
la 1·es tradita, et chez l'accipiens dans l'.intention de l'acquérir. C'est donc l'ac,Q.Qrd ré"..,iproque de deux volontés,
tendant, l'une à aliéner la chose et l'autre à l'acquérir,
qui. constitue la juste cause. Sans doute le plus souvent
cet accord de volonté sera la conséguence d'un acte
antérieur, acte obligato ire, tel que le legs per darnnatfoneni, vente ou _stipulation; ou acte dépourvu par luimême de toute force obligatoire, tel que échange, donation; roais dans aucun cas ce fait indép~ndant ne doit
êtJ:.f;l confondu avec la justa causa de l ~ tradifil.Ql!.. Il
suffira donc, pour que la tradi_tion produise son effet 01;dinaire, c'est-à-dire la translapion de propr!_été, que la
volonté récip~oque des deux parties existe i;iu m..Pment
de...laremis.e de a__c,liru;e.
Si maintenant nous nous reportons à la théorie de la
prescription de long temps, nous voyons que l'idée de la
juste cause est toute différente en cette matière. Ici, en
effet, la ·uste caus..eJle c.onsj,<St.e_plus_dans.J.e_c.o.nc.ours_d~
Çleux volouié_s, tendant l'une à aliéner et l'aajr~à acquétl!:, mais dans le fait lJJi-même antérieur...à.Ja tradition et
indépenda.ru d'illle, qui dénot_Et c.hez les parties cette in~on d'aliéner d'une part et cl'._acqQérir de l'autre. Ce
fait, ainsi que nous l'indiquions tout à l'heure, peut être
générateur d'oQJ.ig_g,t' JJ., tel qu'une vente, une stipulation,
et dans ce cas l~ tradition n'est qu'un moyen d'exécuter
une obligation antérieure, ou bien ~mut être un fait
~ll.Q.1!IVU lui-même de t out caractère obligatoire, tel
qu'un échange ou une donation, et la tradition dans ce
�-
30 -
cas vient lui donner sa force et le rendre exécutoire.
On peut donc dire d'une façon générale, et bien que
pourtant cette règle souffre quelques exceptions (1),
qu'en matière de possession la juste caus~oon:;?iste <t!:gs
un fuit ailtérieur à ln. tradition, qµi dé11ote cliez les_ ar·
ties l'intention r~ciproque d'aliéner et d'acquérir; dans
un fait d'une nature telle, que la tradition qui en est
la conséquence eût transféré la propriété si l'acte eût
émané du véritable propriétaire, nous écartons le cas
où, la chose étant une res mqg.icipi, l'obstacle au trans·
fert de la propriété vient de ce que les modes solennels
n'ont pas été employés .
On voit donc que la juste cause en matière de tradition, et la juste cause en matière d'usucapion, sont
choses parfaitement distinctes ; la différence apparaît
encore plus nette dans les applications qu'on peut faire
de ces principes, et c'est ce que nous allons montrer par
un exemple .
Soit une tradition faite par une personne qui se croit
débitrice d'une chose en vertu d'un legs ou d'une stipulation, bien qu'en réalité il n'existe ni legs ni stipulation;
si toutes les conditions requises en matière de tradition
se trouvent d'ailleurs réunies, cette tradition sera parfaite, c'est-à-dire qu'elle sera translative de propriété,
sans qu'on puisse alléguer que la justa causa fait défaut.
Sans dôute la chose n'aurait pas été livrée si le tradens
(1) Ainsi, celui qui s'empare d'une res derelicta commence
certainement a usucaper, bien qu'on ne puisse trouver de juste
cause en dehors de cette ' tradition incertœ personœ que les
Romains reconnaissaient dans la de1·elictio (L. 4, P1·0 derelicto,
liVl'e XLI, tit. 7.)
�-
31 -
avait eu connaissance de l'absence de legs ou de stipu·
lation, mais cette erreur n'infirme en rien l'existence
de cette juste cause, elle l'explique au contraire, car
elle indique d'une part que le tradens a voulu transférer la
propriété de la chose dont il se croyait faussement débi·
teur, et d'autre part que l'accipiens a entendu l'acquérir,
ce qui constitue précisément la justa causa; il n'y a pas
à se préoccuper de savoir si l'accipiens a su ou non que
la chose ne lui était pas due.
Supposons maintenant que la même personne qui se
croit faussement débitrice en vertu d'un legs ou d'une
stipulation, livre une res aliena. L'accipiens qui la prend
sachant que la chose ne lui est pas due·, ne commence
pas à prescrire, car sa possession manque d'une juste
cause : sa possession manque de juste cause, et en effet,
la juste cause en matière d'usucapion est un fait anté·
rieur à la tradition, et qui explique cette tradition, tel
que testament ou stipulation disions-nous; or, dans notre
hypothèse, ce testament, cette stipulation, n'existent que
dans l'imagination du tmclens; la possession de l'accipiens
est donc dépourvue de juste cause, et il ne peut par
conséquent pas prescrire.
Il résulte de ce que nous venons de dire, qu'une tradition faite par le propriétaire de la chose livrée, alors
même que cette chose n'était pas due, est translative
de propriété, tandis que dans la même hypothèse, la
tradition d'une res aliena ne met pas l'accipiens in causa
ucapiendi; en d'autres termes, on devient plus facile·
ment propriétaire de la chose livrée a domino, qu'on
n'usucape celle livrée a non domino. Quant à la raison
de cette différence, elle est facile à donner : si le propriétaire d'une chose est dans l'erreur et la livre parc'e
qu'il s'en croit faussement le débiteur, la faute en est
�-
32 -
à lui, et la tradition n'en produit pas moins son effet
ordinaire; la loi, d'ailleurs, ne l'abandonne pas et lui
donne une action personnelle à l'effet de contraindre
l'accipiens à lui retransférer la propriété de la chose
indûment livrée, c'est la condictio indebiti (D. liv. xn,
tit. 6); si, au contraire, l'erreur est commise par un autre
que le propriétaire de la chose livrée, il serait injuste
que celui-ci pût se trouver ainsi dépouillé sans son fait.
Dans l'hypothèse que nous faisions précédemment relativement à la chose livrée à non domino, nous avons
supposé que l'accip iens savait que la chose ainsi livrée
ne lui était pas due, et la y'usta causa faisant ainsi défaut,
nous avons conclu que l'usucapion ou la prescription de
long temps n'était pas possible. Il reste à nous demander
maintenant si la solution devait être la même dans le
cas où l'accip'iens aurait cru que la chose livrée
lui était due; ainsi l' accipiens croyait à une vente qui n'a
jamais eu lieu, à un legs qui n'a jamais été fait. La
même question peut se poser encore lorsque, par suite
d'une erreur de fait, l'accipiens croit à la validité d'un
titre qui existe en fait, mais qui est nul' en droit : ainsi,
une dot lui a été constituée, mais le mariage est nul et
avec lui la constitution de dot. Dans ces deux hypothèses'
la tradition faite en vertu de ce titre inexistant, ou nul,
permet-elle d'usucaper ? En d'autres termes, le titre
putatif peut-il remplacer le titre réel-?
En principe, il faut répondre négativement ; la y'usta
causa est une condition essentielle à l'usucapion comme
à la prœscriptio longi temporis; c'est d'ailleurs ce que dit
Justinien dans ses Institutes d'une façon très explicite :
Error falsœ causœ usucapione1n non parit ; veluti si quis
cùm non eriwrit, emisse se existimans, possiclcat; vel cwni
�-
33 -
si ctonaturn non fuerù, quasi ex donationè, possideat (1).
Si des Institutes on passe au Digeste, on trouve au
contraire que la solution de cette question a paru plus
douteuse à l'esp rit des juriconsultes romains, et l'on voit
notamment Hermogénien attester l'existence de longues
controverses : Pro legato urncapit, cui rectè legatum relictum est. Sed et si non jure legatum, rel-inquatii·r, ·vel legatuni
adeptum sit, pro legato itsuwpi, post niagnas varietates
obtinu'it (2). Cette affirmation d'Hermogénien est parfaitement exacte, aussi voit:-on que tandis que certains
jurisconsultes placent le titre apparent sur la même
ligne que le titre réel, d'autres, au contraire, déclarent
que le titre réel peut seul servir de fondement à l'usucapion.
Parmi ceux qui repoussent le plus énergiquement le
titre putatif, nous nous bornerons à citer Ulpien, qui ne
fait d'ailleurs, ainsi qu'il l'indique lui-même, qu'adopter
l'opinion de Celsus : << Celsus libro tricessimo quarto errare
esos ait, qui existimarent, cujus rei quique bonâ (ide adeptu,s
sit possessionnem, pro sua usucapere non passe, nihilque
referre, emerit necque, donMiim sit nec ne, si modo emtum
vel donatum sibi existimaverit, quia neque pro legato,
neque pro donato, ncque pro dote usucapio valeat, si nulla
clonatio, nulla dos, nullum legatum sit. Idem et in litis
œstimatione placet, eut nisi vere quis litis œstimationem
subierit usucapere non possit (3). »
La question fut donc longtemps controversée, ce que
ne ferait pas supposer la lecture des Institutes; toutefois
il en fut de cette controverse ce qu'il en avait été déjà
(1) § 11 de usucup.
(2) L. 9, D. Pro legato, livre XLI, titre 8.
(1) L. 27, D., de usurp. et usuc. livre XLI tit. 3
�-
34 -
de bien d'autres, c'est-à-dire que ni l'une ni l'autre des
deux opinions extrêmes ne triompha absolument; il se
forma une doctrine intermédiaire que nous trouvons
nettement formulée dans deux textes, l'un d'Africain et
l'autre de N ératius; d'après cette doctrine, la nécessité
du titre réel était posée comme règle générale, mais à
ce principe on apporte une restriction considérable :
dans tous les cas où le possesseur est tombé dans une
erreur plausible, dans tous les cas où les circonstances
étaient telles, que même un homme raisonnable et
attentif y · aurait été trompé, le titre putatif équivaudra
à une justa C(J!Usa réellement existante.
Voici, en effet, ce que dit Africain : (( Quod vulgo
traditum est, eum qui existiniet se quid emisse, nec
emerit, non passe pro emptore usucapere, hactenits verum
esse ait, si : nulla;rn justam ca·usam ejus erroris empto1·
habeat ; nam si forte servw vel procurator, cui emendam
rem mandasset, persuaserit ei, se emisse, atque ita
tmdiderit, magis esse, ut 'iMucapio sequatur (1). »
Né~atius est non moins explicite : Secl id, quod quis,
qwum swum esse existimaret, possiderit, usucapiet, etiamsi
falsa fuerit ejus existimatio. Quod tamen ita interpretandum est, ut prnbabilis error possidentis usucapioni
non obstet, veluti .... etc ... (2) .
Cette opinion, d'ailleurs parfaitement conforme à la
saine logique et à l'équité, finit par prévaloir d'une façon
définitive dans l'esprit des jurisconsultes de l'~poque
classique. (( Je crois volontiers, clit M. Accarias, que cette
circonstance d'une erreur plausible doit être réputée
(1) L. 4, D., Dejuris et Jacti ignorentiu. liv. XXXII, tit. 6.
(2) L. 5, § 1 D., Pro suo. livre XLI, titre 3.
�· - 35 sous-entendue dans les textes qui admettent l'usucapion
sans juste cause, et absente dans ceux qui la repoussent; de telle sorte que la controverse aurait beauc-oup
moins porté sur le principe lui-même que sur le nombre
et l'étendue des exceptions qu'il pouvait recevoir; ce
point de vue n'a pas seulement l'avantage d'atténuer la
portée de la controverse; il est le seul acceptable si l'on
ne veut pas trouver un même jurisconsulte en contradiction avec lui-même (1). >>
Cette doctrine une fois admise, les jurisconsultes en
firent de nombreuses applications; c'est ainsi que
P1·oculus déclare que le mari usucape les valeurs apportées en dot par sa femme esclave, s'il la croyait libre au
moment où il l'a épousée : quod si vir eam pecuniam pro
sua possidenda usuceperit, silicet quia eœistimavit,
·m ulierem libemm esse, propius est, ut eœistimarem eum
lucri fecisse (2). On trouve dans Paul une décision
analogue dans le cas où quelqu'un aurait acheté d'un
pupile qu'il croyait pubère, ou d'un fou qu'il croyait sain
d'esprit. (L. 13, § 1, cle usurp. et usucap. - L. 2,
§§ 15 et 16, pro empt). Il est bon de faire remarquer que
dans les différentes hypothèses que nous venons de citer
et où le titre existe en fait, mais est nul en droit, il faut
que le possesseur ait ignoré la qualité de la personne
avec laquelle il traitait; s'il a su, par exemple, que la
femme qu'il épousait était esclave, et qu'il ait cru
néanmoins que sa possession avait une juste cause,
l'usucapion deviendra alors impossible, car nous nous
trouvons en présence non plus d'une erreur de fait, mais
(1) Tome 1", page 527.
(2) L. 67, D., De jure dotium. livre XXIII, titre 3.
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36 -
d'une erreur de droit, et c'est une règle générale que
l'erreur de droit ne peut servir de fondement à l'u ucapion : juri~ ignorentia in us1wap ione n egatur prodesse ;
facti vero ignorentia prodesse constat, dit Pomp onius (1).
Cette doc trine, que professaient Africain et Nératius,
et que nous avons vue adoptée par la plupart des
jurisconsultes de l'époque classique, était certainement
très équitable en principe, car on ne saurait rendre
quelqu'un responsable d'une erreur à laquelle il ne
pouvait se soustraire ; mais si l'on se place au point de
vue de son application, on voit qu'elle ne saurait mél'iter
les mèmes éloges et que la critique au contraiee en est
bien fac ile. Comment, en effet, déterminer les cas dans
lesquels l'erreur du possesseur devra être considérée
comme plausible et ne faisant pas obstacle à la
prescription ; dans quels cas au contraire faudra-t-il dire
que l'erreur du possesseur a été d'une nature t rop grossière et que l'existence fictiv e d'un titre qui n'a jamais
existé, ou qui était nul aux yeux de la loi, a été
impuissante à fond er la possession ? Question évidemment délicate et susceptible d'être résolue par les
jurisconsultes en sens très divers ; aussi est-ce bien là ce
qu'ils ne manquèrent pas de faire ; de là des controverses
nombreuses . Cette doctrine présentait d'ailleurs un autre
danger, c'est que, soulevant des questions de fait ·
touj ours très délicates , elle tendait à fav oriser l'esprit
de chicane. Ces inconvénients ne tardèrent pas à se
faire sentir, et la pratique en fut tellement embarrassée
que nous trouvons au code des constitutions imp éri ales
(1) L. 4, D., De ;w·is et Jactis ignorentia. livre XXXII .
titre 6.
�-
37 -
nombreuses, qui toutes exigent absolument le titre réel :
Nullo justo titulo possidentes ratio juris quœrere dominium
prohibet (1). Au titre de la longi ternporis prœsoriptio, une
constitution de Dioclétien et de Maximien est non
moins énergique : << Nec petentum dorninium ab eo, 'cui
petentis solus error causam possessionis sine vero titulo
prœstitit, silentii longi temporis prœscriptio 1·epelli, juris
evidentissimi est (Loi 5). >> Ainsi, tandis que dans son
Digeste, iustinien nous cite l'opinion de jurisconsultes
admettant le titre putatif avec la restriction que nous
avons indiquée, dans son Code, au contraire, nous
trouvons des constitutions exigeant le titre réel ; en face
d'une semblable contradiction, il est impossible de
savoir quelle est la doctrine qu'il a entendu définitivement consacrer.
Après avoir ainsi indiqué en quoi consiste la justa
coosa usucapionis et avoir montré que c'est un fait
antérieur à la tradition, il nous reste à examiner quels
peuvent être ces faits générateurs de lajusta causa. Ces
faits sont indiqués au Digeste dans une série de titres
séparés; nous les examinerons successivement.
j)ro jJmptore. - Possède à titre d'acheteur celui qui,
à la suite d'une vente dont il a payé le prix, ou pour le
paiement duquel il a obtenu un terme, a reçu livraison ·
de la chose vendue. Nous verrons dans la section
suivante que le titre pro emptore présente une particularité remarquable relative à la bonne foi du possesseur.
Le titre Pro emptore s'applique non seulement à celui
qui possède une chose en vertu d'un contrat de vente,
(1) L. 24, De 1·ei vindic. III, titre 32.
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38 -
mais encore à celui qui, défendeur à l'action en rQ_Yendication, paye la litis œstiniatio et garde pour lui la chose
revendiquée : litis œstimatio similis est emplioni, dit
Ulpien('l).
L'action en revendication étant une action arbitraire
comme toutes les actions réelles, le juge ordonne que la
chose soit rendue au demandeur qui a prouvé sa qualité
de propriétaire (loi 68, de rei vendic.). Mais il. peut se
faire que le défendeur refuse d'ob~ir à l'ordre du juge et
de faire la restitution ordonµée ; dans ce cas, pourra-t-il
être contraint à l'effectuer même mctnu militari? Sans
entrer dans l'examen de cette longue controverse, nous
nous bornerons à dire que, repoussant l'opinion de
M. de Savigny et l'hypothèse d'une interpolation de
Tribonien nous adoptons l'opinion d'Ulpien formulée
dans la loi 68, et croyons possible l'exécution forcée de
la condamnation. Mais si, d'après nous, le demandeur
peut employer l'exécution f'2_rcée pour lever les obstacles
de fait, sinon les obstacles de droit, nous reconnaissons
aussi que c'est pour lui non pas une néc~té, mais une
simple faculté ; aussi peut-il, s'il le préfere, laisser au
défendeur récalcitrant la chose revendiquée et fixer sous
serment le montant de la restitution; c'est ce que les
textes appellent la lit'is œstimatio et qu'ils assimilent à
ia vente : « Possessor qui lilis œstimalù:mem obtulil pro
emplore incipit possidere (2). » La position du défendeur
est en effet sensiblement analogue à celle d'un acbe~ur;
il a refusé de restituer la chose réclamée, mais il en a
payé le prix arbitré par le demandeur, et si l'on arrivait
(1) L. 3, D., Pro emptore, liv. XLI, titre 4.
(2) L. 1 D., Pro emptore, liv. XLI, tit. 4.
�-
39 -
plus tard à établir que la propriété de la chose n'a
jamais appartenu à ce dernier, le défendeur pourrait
alors invoquer la longi temporis prœscriptio.
Nous trouvons enfin au § 3 des Fragmenta foticana
une dernière application du titre pro emptore ; il s'agit
des 1·es œstirnatœ qui ont été livrées au mari à titre de
dot pendant ou avant le mariage .
jf)ro hœrede. - Pour qu'une longi temporis prœcriptio
puisse s'accomplir au titre pro hœrede, il faut nécessairement supposer que l'initiurn prœscriptionis se trouve
·dans la personne de celui qui invoque cette prescription.
La possession de l'héritier se joignant en effet à celle du
défunt, aura dans la pel'Sonne de l'héritier le même
caractère que dans la personne du déf~1t, et si ce dernier
possédait au titre pro mnptore, p1·0 don~to ou à l'un des
autres titres énumérés dans le Digeste, la prescription
s'accomplira au profit de l'héritier au titre pro emptore,
p1·0 donato, etc ... Il faut donc supposer que le défunt ne
possédait pas la chose et que l'héritier ne peut invoquer
d'autre titre que s.a qualité d'héritier. C'est l'hypothèse
dans laquelle se place Pornponius lorsqu'il dit : « Plerique
putaverwnt, si hœres sim, ei puteni rem altquam ea; hœ·
1·editale esse, quœ non sit passe me 'lhsucapere, (1). '' Il
s'agit donc d'une chose que l'héritier trouve parmi les
biens héréditaires; il la possède croyant qu'elle appartenait au défunt, alors pourtant qu'elle lui avait été
remise en dépôt, par exemple; dans une semblable hypo·
thèse, le possesseur ne peut invoquer d'autre titre que
sa qualité d'héritier ; ce titre est sans doute inexact,
(1) L. 3, D., XLI, tit. 5.
�- 40 car la chose ne se trouvait pas parmi les choses hérédi·
taires, mais l'erreur de l'héritier est plausible; en d'autres
termes, c'est une application de la doctrine d' Africain,
et de Némtius sur le titre putatif.
p1·0 J!!}onato . - Pm donato is usucapit, cui donationis
ca;usa res tradita est, dit Paul (1), et j'ajoute qu'il faut
en outre que la personne à laquelle la chose a été
ainsi livrée soit capable de recevoir à ce titre; c'est
bien là d'ailleurs ce que suppose ce jurisconsulte, car
dans le premier paragraphe de la même loi, se référant
à l'hypothèse d'une donation faite par un père de ·
famille à son fil s actuellement sous sa puissance, il
déclare qu'après le décès du père, l'usucapion n'est pas
possible. Non, sans doute, après le décès du père,
l'usucapion ne pourra pas s'accomplir au profit du fils
au titre pro donato, car il n'y a pas eu de donation,
quoniam mulla donatio fuit (2), mais il continuera à
posséder au même titre que possédait son auteur, et à
ce titre la prœscriptio longi temporis sera possible.
Dans le paragraphe 2 de la même ·loi, Paul, parlant
des donations entre époux, déclare qu' elles ne peuvent
pas servir de fondement à l'usucapion : « Si inter vfrurn
et uxorem, donatio {acta sit, cessat usucapio . » Cette
affirmation est certainement très exacte chez un jurisconsulte de l'époque classique, mais si on remonte aux
origines de la législation romaine sur cette matière, on
voit qu'elle fut réglée d'abord d'une manière différente.
Dès le début, en effet, l'usage de la rnanus étant excessi-
(1) L. 1, D., liv. XLI, tit. 6.
(2) L. 1. Eod. tit.
�- 41 vement répandu, les donations entre époux étaient très
rares, .par conséquent aussi furent-elles longtemps
permises comme ne présentant aucun danger; à cette
époque, on le voit donc, la donation entre époux pouvait
servir de fondement à l'usucapion. Plus tard, au
contraire, la manus ayant .à peu près disparu des
habitudes romaines, le danger des donations entre époux
se fit bientôt sentir, danger résultant, comme le dit
Ulpien, de la trop grande influence qu'un époux pourrait
exercer sur l'autre pour le déterminer à se dépouiller
à son profit; les donations entre époux furent donc
prohibées.
Toutefois, comme il était certains cas particuliers
dans lesquels le motif qui avait fait interdire les dona·
tions entre époux n'existait pas, ces cas furent exceptés;
c'étaient, rar exemple, les donations qui n'appauvriraient
pas le donateur; celles que la femme ferait au mari
honoris causâ; celles qui auraient pour objet un terrain
destiné à servir de sépulture; celles qui auraient pour
objet une res aliena, et que l'époux donateui:' ne pouvait
pas usucaper. En dehors de ces cas exceptionnels et .de
quelques autres d'une nature analogue, la donation
était dénuée de tout effet et ne pouvait servir de base
à la prœsci·iptio longi temporis.
Plus tard, sous le règne de Septime Sévère, une loi
rendue sur la proposition d'Antonin Caracalla, et
appelée pour cela par les textes Oratio Antonini, vint
déclarer que la donation entre époux, quoique nulle de
plein droit, devrait être considérée· comme tacitement
confirmée, par cela seul que le donateur ne manifesterait
pas de volonté contraire jusqu'à sa mort, le mariage
durant encore à cette époque; les donations entre époux
furent donc révocables. Ait oratio : fas esse, eum
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�42 -
quidem, qui donavit, pœnite1·c ; herœdcm ve?·o eripe1·e
f orsitan adversus valontatem supremam ejus qui donaverit, du1·um et avarum esse (1).
Parmi les cas exceptionnels que nous citions tout
à l'heure, et dans lesquels la donation entre époux peut
servir de juste cause à une acquisition, nous avons
mentionné la donation d'une ?'es az.iena que l'époux
donateur ne pouvait pas usucaper. Si l'on se rappelle
que la prescription de long temps ne peut s'accomplir
qu'autant que le possesseur est. de bonne foi, c'est-àdire croit le t1·adens son conjoint propriétaire, on peut
nous objecter que pa1· cela même il doit tenir la
donation pour nulle, sinon il commet une erreur de
droit, erreur qui fait obstacle à la prescription de
long temps. (( La ré1)onse est fo rt simple, dit M. Acca1·ias (2) ; :on erreur ne supprime pas les éléments de fait
qui rendent la donation valable, et c'est le cas de dire :
. plus est in re quam in existimatione mentis. lL. 954,
de Jiir. el faict ignor. XXII, 6).
Enfin, nous terminerons en faisant observer que
J:-Iérmogénien, faisant ici l'application de ce principe qui
consi ·te à déterminer la nature d'une opération, non pas
par le nom que lui ont donné les parties, mais par le but
qu'elles se proposaient d'atteindre, déclare dans la
loi VI que, dans l'hypothèse d'une donation faite sous
forme de vente, le possesseur commencerait une
possession fondée non pas sur le titre pro ernptore, mais
pro donato : donationis caiisa {acta venditione, non pro
emptore, sed pro donato ?'es tradita umcapitu1· (3).
(1) L. 32, D., § 2. XXXIV, t it. 1.
(2) Tome 1", page 728, not. 1.
(3) L. 6. D., Pro donato, L. XLI, tit. 6.
�-
4.3 -
f)ro Jlerelicto. - Celui qui, trouvant une chose
abandonnée par son propriétaire, s'en empare, en
acquiert lui-même la propriété; mais de quelle manière
cette acquisition se réalise-t-elle ? Est-ce par tradition
ou par occupation? D'après M. Acca1·ias, se serait
toujours par tradition. Ce fut, dit-il, la doctrine unanime
des jurisconsultes romains, et s'ils se divisèrent, ce fut
seulement sur la question secondaire de savoir à quel
moment précis le de1·elinquens perdait la propriété.
Tandis que les Sabiniens, suivis en cela par Justinien,
la lui déniaient immédiatement, les Proculiens voulaient
qu'il perdit seulement la possession et retint la propriété
jusqu'à ce que la chose eut été occupée par un tiers.
Que les Proc·uliens aient rattaché à la tradition
l'acquisition d'une chose abandonnée, c'est une consé·
quence logique de leur système; mais que les Sabiniens,
et après eux Justinien, aient admis la même conséquence,
nous ne le croyons pas. La raison que M. Accarias
invoque à l'appui de son système est double : « Pomponius, dit-il, qui appartenait cependant à l'école
Sabinienne, assimile une res derelieta à l'œs jeté dans la
foule, •et nous savons que le peuple n'acquiert ce œs
que par la tradition. Je remarque de plus, ajoute-t-il,
que les choses nnllius, celles qu'on occupe, sont l'objet
d'une possession pro sua, tandis que les choses abandonnées font l'obj et d'un titre de possession spécial.
(Pro derelicto, X L.d, 7).
>l
•
Sans doute Pomponius compare les choses abandonnées à l'argent qu'on jette dans la foule, et que celle-ci
acquiert par la tradition; id quod quis pro derelicto
habue1·it, continuo meurn fit : sicuti cùm œs spm·serit;
mais il ajoute : ant aves a;rniserit (1); et nous savons
(1) L. 5, D.,
P1·0
derelicto, XLI, 7.
�-
44 -
que les oiseaux rendus à la liberté sont acquis par
occupation par celui qui s'en empare de nouveau. On
ne peut donc rien conclure du texte de Pomponius, et
nous ferons observer que si l'une des deux comparaisons
est exacte, c'est assurément la seconde. Lorsque en effet
je jette de l'argent dans la foule, j'ai l'intention évidente
de faire une libéralité; à qui sera-t-elle faite? peu m'importe; lorsque au contraire j'abandonne une chose qui
n'offre plus pour moi aucune utilité, j'ai certainement
l'intention d'abdiquer ma propriété, mais rien ne fait
·supposer que je veuille la transférer à quelqu'un; de
même lorsque j'ouvre sa cage à un oiseau.
Quant à la deuxième raison, tirée de ce que les choses
abandonnées font l'objet d'un titre spécial, tandis_que
les res nullius sont rangées sous le titre pro suo, nous
répondons que ces dernières n'étant pas susceptibles de
prescription, les compilateurs du Digeste n'ont pas cru
devoir leur consacrer un chapitre spécial au titre de la
prescription, et que la possession pro sito n'est pas
d'ailleurs particulière aux res nullius. Quelle que soit
.d'ailleurs l'opinion que l'on suive, si l'on suppose que la
chose a été abandonnée, le tiers qui s'en emparera
n'acquerra pas immédiatement la propriété, mais commencera une possession fondée sur le titre pro derelicto
qui pourra le mener à la prescription : Id, quod pro
derelicto habitiim est, et haberi piitamus, usucapere
• possumus (1).
§Jro legato. - Pour que la prescription puisse s'accomplir au titre pro legato, il faut nécessairement que
celui qui l'invoque ait la /'actio testamenti avec le dé(1) L. 4. D., Pro de1'elicto, XLI, 9.
�-
45 -
funt, car c'est du testament, dit Javolenus que la posses·
sion tient son origine et sa force : quia ea possessio ex
ju1·e testamenti proficiscitur (1). .
C'est dans le titre VII.I du Digeste, pro legato, que
nous avons pris les principaux arguments pour établir
l'existence de la controverse relative à l'efficacité du
titre putatif: ce même titre nous fournit encore de nouveaux exemples dans lesquels nous voyons l'erreur de
fait paraître suffisante aux jurisconsultes pour conduire
à la prescription; les cas principaux dans lesquels la
prescription peut se fonder sur ce titre sont énumérés
par Paul (2) ' : lorsque la chose léguée n'appartenait pas
au testateur; lorsque le legs a été révoqué par un co·
dicille à l'insu du légataire; lorsque une personne portant
le même nom que le légataire s'est crue désignée par le
testateur et s'est mise en possession de la chose léguée
à son homonyme. De même encore Pomponius nous in·
dique que la prescription serait possible au titre p1·0
legato, quoique la chose livrée à titre de legs fit partie
du patrimoine d'une personne encore vivante, si d'ailleurs le légataire a cru le testateur déjà mort; le mème
juri~consulte déqlare au contraire qu'on ne peut possé·
der utilement pro hœrede le bien d'une personne
vivante (3).
pro dote. - Nous avons vu plus haut, en examinant
le titre pro empt01·e, que lorsque les objets que la fem·
me s'est constituée en dot ont été livrés au mari après
estimation, celui-ci commence une possession fondée
(1) L. 7, D., Pro leg. XL, 8.
(2) L. 4, eod tit.
(3) L. 1, D., Pro hœrede, XLI,5.
-- - -- --
�-
46-
sur le titre pro emptore, et non pas pro dote; c'est une
applica tion de ce principe bien connu, que l'estimation
vaut vente. Si nous supposons au contraire que la dot
de la femme a été livrée au m~ri sans estimation, cùm
res dotales sunt, dit le § 111 des Fragmenta vaticana, et
que d'ailleurs ces objets ainsi constitués en dot n'ap·
partiennent pas à la femme, le mari commence une
possession fondée sur le titre p1·0 dote, qui le mènera
à l'acquisition de ces objets. Le jurisconsulte Ulpien (1),
après avoir constaté que rien n'est plus équitable que
cette acquisition ainsi réalisée, déclare qu'il importe peu
que la dot ait été constituée à titre partfoulier ou à
titre universel.
Ce même jurisconsulte, supposant ensuite que pour
une raison quelconque, le mariage n'a pas lieu immé·
diatement après la tradition de la dot, se demande si
la possession du mari, fondée sur le titre p1·0 dote, commence dès le jour de la tradition, ou seulement à partir
de la célébration du mariage ? Voici dans quel sens la
question aurait été résolue par le jurisconsulte Julien:
si la femme a livré sa dot àsonfutur mari sousla réserve
expresse qu'il n'en deviendrait propriétaire que du jour
du mariage, le mari ne commencera à usucaper qu'à
dater de ce jour, si les choses livrées en dot n'appartenaient pas à la femme; si au contraire la femme n'a fait
aucune réserve expres e au moment de la tradition, il
faudra supposer qu'elle a entendu que son futur mari
deviendrait propriétaire dès l'instant de la tradition, et
c'est par conséquent à partir de ce moment qu'il prescrira si les choses livrées n'appartenaient pas à la fem-
(1) L. 1, D., Pl'o clot, XLI, 9.
�_ /17 -
me. Sans doute sa possession ne sera pas fond ée sur le
titre p1·0 dote, car il ne saurait être ques tion de dot
tant qu'il n'y a pas de mariagE1 ; mais elle sera fondée
sur le titre pro siio jusqu' au jour du mariage , et se
transformera en possession p1·0 dote à partir de ce moment.
lfJro lfuo. - L e titre p1·0 suo , no~s dit Ulpien (1), présente ce caractère p~rticulier qu'on le teouve dans toute
possession en vertu de laquelle nous acquérons la
propriété . Ainsi, dit-il , lorsqu'une chose nous a été livrée
à la suite çl'une vente ou d'un legs, notre possession es t
sans doute fond ée sur le titre pro ernptore. ou p1·0 le,qato,
mais aussi sur le titre pro sua. Il convient néanmoins
de remarquer que ce titre pro sua s'applique plus
spÙ ialement à une possession dérivant d'une cause qui ·
n'est pas munie d'un nom techriique. Nous venons de
voir tout à l'heure que, jusqu'au j_our du mariage, le
mari possède à titre pro sua les obj ets livrés en dot par
sa femme. Pomponius (2) cite enco re le cas d'un partage
fait par un père de famille entre ses enfants : si dans
le lot de l'un d' eux se trouv e une res aliena, l'enfant
usucapera p1·0 suo.
lf'Jro soluto. - A la différence des ,autres titres, les
compilateurs du Digeste n'ont pas c0nsac ré un chapitre
spécial à celui-ci ; nous trouvons dans la loi 46 (de usurp .
et usuc. ) que ce titre s'applique au créancier qui a reçu
tradition de la chose due, ou de t oute autre chose qu'il
a bien voulu "agréer à sa place .
(1) L. 1, D., Pro suo, XLI, 10.
(2) L. 4,, § 1, D., XLI, 10.
�-
48 -
A ce titre on peut rattacher le titre pro cessa, qui
suppose que celui auquel j'allais intenter un procès
m'a abandonné la possession de l'objet litigieux. (L. 33,
'
§ 3, D., L. 1, 3.)
/jPro Judicato. - cc Ce titre s'applique probablement,
dit M. Accarias (1), lorsque pour exécuter une condamnation prononcée, ou, sur l'ordre du juge pour éviter
une condamnation, le défendeur livre au demandeur
une 1·es aliena. (L. 3, § 1. D., 62). »
Dans les hypothèses que nous avons examinées jusqu'à maintenant, la possession résultait d'une tradition;
il nous re~te· à faire observer que la possession accordée par le Préteur est aussi une juste cause de
• prescription : Juste possidet qui auctore Prœtore, possidet,
dit Paul (1). Cette volonté du magistrat peut résulter
d'une disposition générale de l'édit qui autorise la prescription directement et sans nouvelle décision du
Préteur.
Ainsi en est-il du bonorum emptor ou possessor.
Plus rarement elle résulte d'un décret spécial rendu
par le magistrat. On peut citer l'exemple de l'envoi en possession ordonné par le second décret du Préteur ex causâ
dMnni infecti. Si le propriétaire d'une maison qui menace
ruine ne veut pas consentir la stipulation damni infecti,
le propriétaire de la maison voisine obtient par un premier décret l'envoi en possession; au bout d'un certain
temps et par un deuxième décret, le Préteur lui donne
l'ordre de posséder, possidere jubet. Ce décret ne le rend
(1) Précis de Dt·oit Romain, tome 1, pag. 525, not. 6.
(2) L. 11, D., de acqa. vel amitt. poss. XLI, 2.
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49 -
pètS propriétaire de la maison, mais il le met en position de le devenir au moyen de la prescription. (L. 5.
D., 32, 2).
Il nous reste à faire observer en terminant, que lorsque l'effet du titre en vertu duquel on possède est suspendu par une condition, la prescription ne commence
pas à courir, et le jurisconsulte Paul (1) ajoute qu'il en
serait de même si le possesseur croyait faussement à
l'existence d'une condition.
Lorsque, dans la section suivante, nous étudierons en
quoi consiste la bonne foi du possesseur, nous verrons
qu'elle n'est autre chose qu'une erreur de fait, consistant à croire le tradens propriétaire de la chose livrée.
Quelques auteurs, s'inspirant de cette idée que la prescription serait imposi;;ible si le possesseur a su que la
chose livrée n'appartenait pas au tradens, en ont conclu
que le juste titre était un élément de bonne foi ; comment, en effet, soutenir, disent-ils, que la tradition ait
une juste cause, lorsque l'accipiens savait que la cho se
ainsi livrée était une ires aliena. Nous ne nous arrêterons pas longtemps à refuter cette doctrine; nous savons
en effet que. la juste cause est un acte antérieur à la
tradition et qui l'explique, acte ayant une existence
propre et parfaitement indépendante de la bonne foi.
Lorsque, par exemple, j'ai sciemment acheté la chose
d'autrui et en ai reçu livraison, je n'en suis pas moins
acheteur, quoiqu-e dans l'impossibilité de prescrire, l'obstacle à la prescription venant de ma mauvaise foi (2). Il est
enfin un dernier argument qui suffit à lui seul à refuter
(1) L. 2, § 2, D., p1·0 empt. XLI, 4.
(1) Vere dicitur quis emisse, licet mala fide, quemadmodum
qui scicns rem alienam esse emit. - Paul. L. 3, § 1, D., XLI, 4.
�-
50 -
le sys tème ci-dessus : le juste titre ne se présume pas;
c'est à celui qui prétend avoir une juste cause de possession à le prouver; s'il soutient, par exemple, qu'il possède à titre d'acheteur? qu'il prouve la vente; la bonne
foi au contraire se présume toujours ; ce sera donc à
c~lui qui prétend que la prescription était impossible,
parce que le possesseur savait que le tradens n'était pas
propriétaire de la chose livrée, à prouver la mauvaise
foi du possesseur.
SECTION
DEUXIÈME
De la bonne foi
Celui qui prétend avoir prescrit une chose, c'est-àdire avoir acquis la propriété de cette chose par sa
possession, doit non seulement avoir possédé en vertu
d'un juste titre, mais encore avoir possédé d<". bonne foi;
car, nous dit Paul (1), separala est causa possessionis et
usucapionis, et tel qui peut se prétendre acheteur ne
peut cependant pas prescrire s'il a su qu'il achetait la
chose d'autrui.
·
La loi 109, au titre de verbor'Wln significatione (D., L.
16), nous dit que la bonne foi consiste à croire que le
tradens était propriétaire de la chose, ou du moins investi
du pouvoir de l'aliéner comme mandataire ou tuteur.
(1) L. 2, § 1, D., pro empt. XLI, 4.
�-51Cette croyance, qui n'est autre chose qu'une erreur de
fait, doit se trouver dans la personne du possesseur ; en
d'autres termes, la bonne foi est essentiellement personnelle, et dans l'hypothèse où un mandataire aurait
reçu tradition d'une chose à l'insu du maître, celui-ci ne
commencerait à prescrire qu'à partir de l'époque où il
aurait connu la tradition, car sa bonne foi ne saurait
précéder la connaissance de l'acte de son mandataire.
La bonne fo i consiste, avons-nous dit, dans une erreur
de fait; mais à côté de l'erreur de fait se trouve l'er·
reur de droit; il importe donc de les distinguer soigneusement, car cette dernière, loin de constituer le possesseur en état de bonne foi, forme au ·contraire un obstacle
absolu à la prescription. (L. 4. D., XXIII, 6).
Si je reçois de Primus une chose dont je le . croyais
propriétaire, alors qu'en fait il n'en était que le simple
administrateur, je commets une erreur de fait; si,
sachant au contraire que Primus n'en était pas propriétaire, j'ai cru que sa qualité de simple administrateur
lui donnait le pouvoir d'aliéner, je commets une erreur
de droit.
Nous trouvons au Digeste (1) deux textes dans lesquels le jurisconsulte P aul, supposant que la chose a été
livrée par un mineur que je croyais pubère, ou par un
fou que je croyais sain d'esprit, déclare la prescription
possible , et certains interprètes en ont conclu que
l'erreur de fait consistant à croire à la capacité d'un
incapable, constituait le possesseur en état de bonne
foi et lui permettait d'usucaper. Nous croyons plus
volontiers, avec M. Accarias (1), que dans cette hypothèse
(1) L. 2, § 15 et 16, D., XLI, 5.
(1) Prècis de D1·oit Romain, tome 1, p. 530, not. 1.
�- 52 la bonne foi du possesseur n'est pas en cause et que la
question est toute autre : les actes faits par un incapable
étant nuls ipso jure, il sagit de se demander non pas si
le possesseur est de bonne foi, ce que suppose d'ailleurs
le texte, mais si la possession, se fondant sur un titre
nul, peut conduire à la prescription, Paul résoud cette
question affirmativement; et ce qui montre bien que
c'est là le point de vue auquel il se place, ce sont les
termes dont il se sert; utilitatis ca1tsa usucapere passe,
dit-il. On conçoit l'intérêt de .la question, car si la
bonne foi se présume, c'est au contraire au possesseur
à prouver l'existence d'une juste cause.
Nous avons dit que l'erreur de droit, à la différence de l'erreur de fait, obstacle à la prescription; on
trouve n~anmoins au Digeste (i) quelques exemples dans
lesquels, à raison de circonstances particulières, l'erreur
de droit est excusée chez certaines personnes, et d'autres, à l'inverse, où l'erreur de fait est tellemen~ grossière, qu'elle est assimilée à l'erreur de droit.
La bonne foi étant une des qualités que doit présenter la possession pour conduire à la prescription, c'est
à l'origine de la possession qu'il faut se placer pour
voir si elle présente ce caractère; or, la possession
consistant dans la possibilité de disposer physiquement
d'une chose, c'est au moment où ce pouvoir de disposer
existera, c'est-à-dire après la tradition, qu'il fauqra se
demander si celui qui désormais est possesseur, peut
se dire de bonne foi. La bonne foi n'étant exigée qu'au
moment de l'entrée en possession, il n'y aura pas à examiner si elle existait au moment où s'est produit le
(1) L. 6 et 9, D., XXII, 6.
�-
53 -
fait constitutif de la justa causa possessionnis, et ,qui
· explique la tradition : auss i voyons-nous au Digeste (1)
que celui qui a sciemment stipulé la chose d'autrui
prescrit néanmoins s'il a cru, au moment de la tradition,
que le promettant en était devenu propriétaire.
Une exception se produisait toutefois en matière de
vente; l'acheteur ne pouvait usucaper qu'à la condition
d'avoir été de bonne foi au moment du contrat et au
moment de la tradition. Il est d'abord une chose certaine et dont on trouve la preuve dans un fragment
d'Ulpien (2), c'est que cette règle ne fut pas acceptée par
tous les jurisconsultes romains, et fut au contraire l'objet
de longues controverses. Ulpien nous dit, en effet, · que les
Proculiens l'entendaient en ce sens, qu'au lieu d'exiger
la bonne foi d'après la règle générale, au moment de
l'entrée en possession, il leur suffisait qu'elle existât au
moment de la vente, tandis què les Sabiniens exigeaient
la bonne foi aux deux époques : au moment de la vente
et au moment du contrat. Ce fut cette dernière opinion,
nous apprend le fragment précité, qui finit par triompher
définitivement.
Lorsqu'on se demande maintenant quelle fut l'origine
de cette règle exceptionnelle, il faut constater qu'on en
est réduit à de simples conjectures. Il en est qui ont
voulu la trouver dans la nature même du contrat de
vente. Pour prescrire, a-t-on dit, il faut être de bonne
foi à l'initium possessionis et avoir un juste titre ; or, si
j'achète une chose que je sais ne pas appartenir à mon
vendeur, alors même que je serais de bonne foi au
moment de la tradition, je ne puis invoquer de juste
(1) L. 15, § 3, D., de usurp. et
(2) L. 10, pr. D., XLI, 3.
~uc.
XLI, 3.
�-
54 -
titre qu'à la condition d'avoir été de bonne foi au moment
de la vente, autrement je posséderais non pas pro
emptore, mais pro suo. Cette manière de voir nous paraît
tout à fait inexacte, car la vente de la chose d'autrui
étant valable en droit romain, aurait pu parfaitement
servir de juste cause à celui qui invoquait la prescription, pourvu toutefois qu'il fût de bonne foi au moment
de la tradition, et l'on ne voit aucun motif de déroger à
cette règle générale.
1' La plupart des interprètes donnent à cette anomalie
une explication historique. D'après M. Demangeat, cette
règle spéciale à la vente remonterait à la loi des
XII Tables, qui, à propos de l'usucapion pro emptore,
supposait le cas d'un homme qui bonà fide eajt. << Alors,
dit-il (1), les jurisconsultes, pour observer à la fois le
téxte de la loi et la règle générale qui veut que la bona
fides existe à l'initium .possessionis, sont arrivés à dire :
l'usucapion pro emptore suppose qu'il y a eu bonne foi,
non seulement au moment de la tradition, mais encore au
moment de la vente. n Seulement, ajoute-t-il, le texte de
la loi des XII Tables préygyait, non pas le cas de vente,
mais celui de mancipation, et i;ien ne justifie cette substitution de mots.
M. Accarias (2) considère cette conjecture comme inadmissible et la repousse pour deux raisons qui nous semblent décisives : la mancipation, dit-il, n'était pas une
justa causa usucapiendi, et en outre, ce qui prouve que
la règle particulière à la vente est très postérieure à la
loi des XII Tables, c'est que les jurisconsultes discutaient encore, au premier siècle de notre ère, sur le
(1) Cours de Droit romain, t. 1, p. 549,
(2) Précis cle Droit Romain, t. 1, p. 530, not. 3
�-
55 -
point de savoir si la bonne foi devait être exigée au
moment de la tradition. Il rattache alors oette anomalie
à la rédaction de l'édit Prétorien sur l'action publicienne,
action qui était donnée par le Préteur à celui qui bonâ
fide emit. Dès lors, comme cette action n'appartient qu'à
la personne dépossédée qui était in justâ causâ usucapiendi, les jurisconsultes durent, pour satisfaire à la
lettre de l'édit, exiger la bonne foi de l'acheteur au jour
du contrat, ce qui ne le's empêcha pas de l'exiger aussi,
et c~la par application de la règle générale, au jour de
la tradition.
L'action publicienne étant postérieure à l'usucapion,
on a quelquefois reproché à ce système d'emprunter à
l'action publicienne une règle de l'usucapion, alors qu'on
devait faire l'inverse et emprunter à l'usucapion les
règles de l'action publicienne. Cette objection ne nous
paraît nullement fondée : il ne s'agit pas, en effet, d'emprunter une règle à l'action publictenne, mais de se
demander pourquoi une règle générale de l'usucapion a
reçu une modification en matière de vente. La raison de
cette modification, on a cru la trouver dans la rédaction
de l'édit du Préteur sur l'action publicienne ; que la
modification soit de beaucoup pustérieure à la règle
générale, il n'y a là rien que de très naturel, et cette
circonstance permet même d'expliquer l'existence de la
controverse à une époque où l'action publiciénne étant
encore récente, on pouvait se demander si le Préteur
avait voulu, en matière d'usucapion pro emptore, ajouter
une condition nouvelle, ou, au contraire, remplacer une
des conditions par une autre .
Il nous reste à faire observer en terminant, que celui
qui de bonne foi a açheté la chose d'autrui et en a reçu
tradition, ne commence à prescrire que du moment où il
�- 56a payé le prix de la chose vendue, ou satisfait le vendeur
d'une manière quelconque; on ne saurait admettre, en
effet, que celui qui a besoin de prescrire pour acquérir
la propriété soit traité plus favorablement que celui qui
acquiert par l'effet de la vente. Or, si la chose eût réellement appartenu au vendeur, l'acheteur n'en serait devenu propriétaire qu'après la paiement du prix convenu.
Nous avons vu que d'une manière générale on n'exigeait la bonne foi chez le possesseur qu'à un seul
moment, à l'initium possessionis ; nous avons constaté
qu'en matière de vente il existait une dérogation à cette
règle générale, puisque la bonne foi était exigée non
seulement à l'entrée en possession, mais encore au
moment du contrat ; il nous faut encore signaler une
deuxième anomalie relative à celui qui possède pro
donato. Ici, la dérogation consiste en ce que la bonne foi
doit exister non seulement à l'initium possessionis, mais
qu'elle doit encore durer jusqu'à l'expiration du temps
requis pour la prescription. Outre un texte d'Ulpien (1),
dans lequel cette différence entre le titre • gratuit et le
titre onéreux se trouve parfaitement marquée, il existe
encore une constitution de Justinien qui ne saurait laisser
aucun doute à cet égard. L'empereur, dans la nouvelle
usucapion qu'il établit, déclare qu'il n'existera plus
désormais .aucune différence entre le titre pro donato et
les autres }ustœ causœ, et que la mauvaise foi survenue
pendant la possession du donataire n'aura plus pour effet
d'interrompre l'usucapion. C'est donc qu'antérieurement
à cette constitution, la bonne foi était requise chez le
donataire jusqu'à l'achèvement de la prescription.
A la différence de c.e que nous avons vu pour la vente,
(1) L. 11, § 3, D., VI, 2.
�-
57 -
il est beaucoup plus facile d'expliquer cette dérogation
à la règle générale. Lorsque la possession résulte d'un
contrat à titre onéreux, c'est-à-dire lorsque en échange
de la chose reçue le possesseur a donné un équivalent
en argent ou de 'toute autre nature, on conçoit que la
mauvaise foi, survenue au cours de la possession, ne
fasse pas obstacle à la prescription ; il a reçu la chose de
bonne foi et en a payé la valeur, il est en droit d'attendre
qu'on vienne la lui réclamer. Le possesseur à titre
gratuit est dans une situation toute différente ·: il a reçu
la chose et n'a rien déboursé ; dès qu'il apprend que
la chose n'appartenait pas au donateur, il doit la rendre
immédiatement au propriétaire, sous peine de s'enrichir
aux dépens d'autrui. Quel que fût d'ailleurs le fondement
de cette distinction, nous avons vu qu'ell~fuLs~pprimj_e
par Justinien.
Lorsque quelqu'un ne possède pas directement luimême, mais par l'intermédiaire d'une personne placée
sous sa puissance, d'un esclave, par exemple, la bonne foi
est exigée non seulement chez le maître, mais encore
chez l'esclave; c'est en effet ce que nous trouvons au Digeste (1) : si servus tuus emat rem, quam scit alienam licet
tu ignores alienam esse, tamen usu non capies. A l'inverse,
la bonne foi de l'esclave ne profiterait pas au maître
de mauvaise foi.
Pour résoudre la question de savoir à quel instant
doit exister la bonne foi chez le maître, si c'est au moment de l'acquisition faite par l'esclave, ou lorsqu'il a
eu connaissance de cette acquisition, il faut nécessairement faire la distinction suivante : l'acquisition réalisée
par l'esclave a-t-elle été faite sur l'ordre du maître, ou
(1) L. 2, § 10, D., XLI, 4.
�-58 bien la tradition faite à l'esclave est-elle relative à son
pécule? Dans la première hypothèse, la prescription,
ainsi que nous l'indiquons plus haut, ne commence à
courir au profit du maître qu'à partir du moment où il
a eu connaissance de l'acquisition réalisée par son esclave ; c'est donc à ce moment qu'il doit être de bonne
foi; dans la deuxième, par une disposition toute de
faveur, le maître commence à prescrire, quoiqu'il n'ait
pas encore connaissance de l'acquisition réalisée par
l'esclave ; c'est donc au moment même de la tradition
faite à l'esclave que la bonne foi devra exister chez le
maître. (L. 2, §§ 11et13, D., XLI, 4).
· Nous trouvons au Digeste deux textes (1), l'un de
Paul, l'autre de Julien, qui établissent d'une manière
générale, la nécessité de la bonne foi chez celui qui
rentre en possession d'une chose dont il avait été dépouillé avant l'ach~vement de la prescription; celui qui
est de mauvaise foi au moment où il recouvre !:!possession n'usucape pas, nous dit Paul, quia initium secundœ
possessionis vitosum est. Il existe pourtant une hypothèse
pour laquelle on admet généralement que l'existence de
la mauvaise foi chez celui qui recouvre la possession,
ne fait pas obstacle à la prescription : c'est le cas où,
par suite de l'exercice de l'action publicienne, quelqu'un
rentre en possession d'un fond provincial dont il
avait été dépouillé avant l'achèvement de la prescription.
Quoiqu'il fût de mauvaise foi au moment de l'exercice
de l'action, il ne recommencera pas moins à prescrire,
car on a pensé que si la survenance de la mauvaise foi
ne fait pas obstacle à la prescription de celui qui n'est
pas dépossédé, il doit en être de même lorsque celui
(1) L. 15, § 2, D., XLI, 3. - L. 7, § 4, D., XLI, 4.
�.- 59qui a été dépouillé rentre en possession en vertu d'une
action dans laquelle on le considère comme ayant achevé
le temps requis pour la prescription.
Il nous reste maintenant à examiner rapidement quelques cas exceptionnels dans lesquels la bonne foi n'est
pas requise chez le possesseur.
I. - Le premier de ces cas, et de beaucoup le plus
important, est l'usucapio lucrntiva pro hœrede. La découverte des Institutes de Gaïus a permis de se faire une
idée claire de cette usucapion particulière. Nous trou. vons, en effet, dans les §§ 52 et suivants, que celui qui a
possédé pendant un an le patrimoine d'une personne
décédée testat ou ab instestat, en devient l'héritier, alors
même qu'il aurait été de mauvaise foi. Quant au motif
qui a pu faire établir une usucapion qui paraît si con·
traire à l'équité : Illa ratio est, nous dit Gaïus, quod
valuerunt veteres matwriùs hœ?·editates adiri, ut essllnt qui
sacra fecerent, quorum illis temporibus swmma observatio
fuit, et ut creclito?·es haberent a quo summ consequerentur.
Et ce qui nous montre bien que la nécessité de ne laisser
subir au culte domestique, aux sacra privata, aucune interruption, préoccupa l'<;Jsprit des jurisconsultes de cette
époque, c'est un passage de Cicéron dans lequel nous
voyons que le défunt n'ayant point d'héritier, adstringitur sacris is qui de bonis, quœ ejus fuerint c'Ùlln moritur,
usuceperit plurimwm possidenclo.
Cette usucapio, qui dès le début avait été vue avec
beaucoup de faveur et faisait acquérir au possesseur
l'hérédité elle-même, ne lui conféra plus tard que la
propriété des choses corporelles héréditaires sur lesquelles sa possession avait porté. Plus tard encore, et
lorsque les sacrn privata furent à peu près tombés en
dessuétude et que le Préteur eut autorisé les créanciers
�- 60 à vendre les biens d'un débit~ur mort sans héritier,
l't'1sucapio pro hœrede n'eut plus de raison d'être. En
vertù d'un sénatus-consulte rendu sur la proposition de
l'empereur Adrien, elle cessa de pouvoir être invoquée
contre l'héritier, et Marc-Aurelle, allant encore plus loin,
établit une accusation particulière, le crimen expilatœ
hœreditatis, contre celui qui se serait emparé des choses
héréditaires avant l'adition ou la prise de possession de
l'héritier.
II. - Lorsqu'une chose a été aliénée fiduciœ causa,
c'est-à-dire lorsque l'acquéreur s'est obligé à la · restituer à l'aliénateur à l'époque où celui-ci lui aura payé ce
qu'il lui doit, ou lorsque il la lui redem~mdera, si l'aliénateur rentre en possession de cette chose d'une manière quelconque, et la conserve pendant un an, il en
acquiert la propriété; c'est ce que les jurisconsultes
romains appelaient usureceptio, de usu recipere. Toutefois, si la chose ayant été aliénée à titre de gage, le
créancier n'a pas été payé, le débiteur usucapera seulement si neque conduxerit eam ?"em a me neque prœcario
ragaverit ut eam rem possidere liceret. Cette usucapion
disparut le jour où on n'eut plus recours à l'aliénation
pour constituer le dépôt ou le gage.
III.- Sous Justinien, les servitudes urbaines ne s'éteignent point par le non usage; pour elles, il faut, de la
part du propriétaire du fonds servant une usucapio libertatis, usucapio qui s'accomplit sans bonne foi.
Enfin, on trouve encore à l'époque de Justinien une
dernière hypothèse où la prescription s'accomplit même
de mauvaise foi. Si l'on suppose qu'un esclave possédé
par une personne qui n'en est pas propriétaire 'commet
un délit, la victime du délit sera dans la nécessité d'intenter son action noxale contre le détenteur de l'esclave,
�- 61 bien qu'elle sa'che qu'il n'en est PiS propriétaire; or, si
ce détenteur refuse de réparer le dommage causé et
préfère abandonner l'esclave au demandeur, celui-ci commencera à prescrire, bien qu'il sache qu'il ne tient pas
l'esclave du propriétaire.
SECTION TROISIÈME
Du laps de temps
Lorsque au début de cette étude nous avons examiné
le caractère de la prescription, nous avo;ns dit que le
laps de temps à l'expiration duquel le possesseur d'une
chose en devient le propriétaire, était une de ces matières
livrées en quelque sorte à l'arbitraire législatif; qu'il'
appartenait à cette autorité seule de déterminer, eu
égard à l'état de civilisation et aux mœurs des temps,
l'époque à laquelle la possession se transformait en propriété. Nous avons constaté qu'à l'origine, le nombre
relativement restreint des membres d'une même nation,
où chacun pouvait avoir une connaissance approximative
des affaires des autres, devait avoir pour conséquence
l'établissement d'une prescription de courte durée. L'histoire de l'usucapion, à Rome, vient pleinement confirmer
ces considérations. Tant que le sol romain proprement
dit eut une étendue peu considérable, et tant que les
relations de citoyen à citoyen ne dépassèrent pas un
�,.- 62 -
cercle restreint, la nécessité d'un longue prescription
ne se fit pas sentir; chaque propriétaire, habitant sur
sa propriété elle-même, devait nécessairement avoir
connaissance d'une usurpation si elle se produisait, et
son silence ne pouvait s'interpréter que dans le sens de
l'abandon de la propriété au profit de l'occupan.t. Aussi
l'usucapion s'accomplissait-elle à cette époque par un
an pour les meubles et deux ans pour les immeubles :
i·er-um mobilium a.n ni, immobilium, bienni, nous dit
Ulpien (1).
Plus tard, quand le peuple romain prit une importance
de plus en plus considérable, quand les citoyens devinrent plus nombreux et le territoire plus vaste, la propriété se trouva insuffisamment protégée par les règles
de l'usucapion ; la nécessité d'une protection plus efficace
se fit sentir, surtout à l'époque où la pratique vint effacer
toute différence entre le sol provincial et le sol italique,
et Justinien,. obéissant à cette nécessité, vint décider
que désormais l'usucapion s'accomplirait, quant aux
meubles, par le délai nouveau de trois ans, quant aux
· immeubles, par les délais prétoriens de dix ans entre
présents et de vingt ans entre absents.
Comment se calcule le laps de temps exigé pour la
prescription ? Faut-il compter d'heure à heure ? Ulpien,
résolvant la question, déclare que pour calculer le délai
on compte non pas d'heure à heure, mais de jour à jour,
et il ajoute que le dernier jour est réputé accompli dès
qu'il est commencé : in usucapionibus non a momento ad
momentum, sed totum postremum diem computamus.
ldeoque qui hera seœta diei kalendarum januarium possidei·e cœpit, hora seœta noctis pridie kalendas januarias
(1) Tit. XIX, de clominiis et aclquisitionibus 1·e1·um, § 8.
�- 63 implet usucapionem (1). Ainsi on néglige le jour où a corn·
mencé la possession, et on considère le dernier comme
complet dès qu'il est commencé.
Lorsqu'avant l'expiration du laps de temps requis pour
la prescription, le prescrivant perd la possession, il
perd en même temps tous les titres que la possession lui
avait donnés à l'acquisition de la propriété, et si plus
tard il recouvre la possession, il recommencera une
prescription nouvelle.
Par application de cette règle générale, il faudrait
décider que celui qui rentre en possession de la chose
par l'action publicienne ou à l'aide des interdits Utrubi ou
Uti possidetis, doit réunir toutes les qualités requises
pour prescrire, et notamment la bonne foi. En ce qui
concerne l'action publicienne, nous avons déjà indiqué,
lorsque nous nous occupions de savoir à quel moment
doit exister la bonne foi, que 1.a solution contraire nous
semble préférable, et qu'il vaut mieux décider, sous
peine de méconnaître le caractère et le but de cette
action, qu'il n'est pas nécessaire que la bonne foi existe
encqre chez le demandeur au moment où il est r~mis en
possession de la chose réclamée. Quant aux interdits
Utrubi et Uti possidetis, la même solution nous paraît
encore la bonne. Les interdits, en effet, ont toujours été
qualifiés par les jurisconsultes interdits rœtinendœ possessionis, même lorsqu'ils ont plutôt pour effet de rendre
que de conserver la possession; or, cette qualification
indique clairement que l'on doit considérer la possession
nonpascomme interrompue, mais plutôtcommecontinuée
(1) L. 6, 7, D., XLI, tit. 3. Dans l'exemple indiqué par
Ulpien, le délai va du premier janvier à midi, à minuit avant
le premier janvier de l'année suivante.
�-
64 -
avec tous les caractères qu'elle présentait avant l'événement qui a rendu nécessaire l'exercice de ces interdits.
L'interruption de la prescription par la cessation de la
possession, c'est-à-dire l'interruption naturelle, est la
seule dont s'occupent les jurisconsultes de l'époque classique ; aucun d'eux ne parle de ce que nous appelons
aujourd'hui l'interruption civile. Il en résultait cette
conséquence, en matière d'usucapion, que, comme dans
l'action en revendication, le demandeur ne triomphe que
si son droit de propriété existait non seulement au
moment de la litis contestatio, mais encore au jour du
jugement, si dans les délais de l'instance lé défendeur
achevait l'usucapation, le demandeur ne pouvait obtenir
de condamnation faute d'intérêt. Cependant, comme le
demandeur ne doit pas souffrir des délais de l'instance,
l'usucapion accomplie au profit du défendeur n'empêche
pas que le demandeur n'obtienne gain de cause. Le juge
lui accordera tout ce qu'il aurait obtenu si justice lui
avait été rendue au moment de la l-itis contestatio, et la
revendication aboutira ainsi à une transmission de
propriété, si d'ailleurs le défendeur possède encore
au jour du jugement; car la restitution ne peut être
demandée qu'au possesseur, de même que l'action ne se
donne que contre lui. Hâtons-nous de dire qu'en matière
de prœscriptio longi temporis, une semblable conséquence _n 'était pas à craindre. La prœsoriptio fut en effet
considérée, à l'origine, non pas comme un mode d'acquérir la propriété, mais comme un moyen donné au
possesseur de repousser l'action en revendication du
propriétaire; or, comme le moyen de défense ne triomphe
que s'il est acquis au jour de la demande, la p1·œscriptio
ne pouvait être invoquée, encore que le temps requis
pour prescrire vint à expirer inter moras titis.
�-
65 ~
Dans son principe, et considérée en elle-même, la
possession n'étant qu'un simple fait, il en résulte cette
conséquence qu'elle ne saurait faire l'obj et d'une transmission proprement dite, c'est-à-dire qu'un po ssesseur
ne peut jamais, comme tel, être dite successeur du possesseur antérieur; il acquiert, au contraire, pour luimême une possession nouvelle, indépendante de celle
de son prédécesseur. Mais si ces principes sont rigoureusement exacts , il faut bien convenir que dans la pra·
tique, et surtout dans la matière de la prescription, ils
devaient être rejetés ; et, en effet, si ces idées · étaient
admises , il faudrait décider que le possesseur ne devient
pi·opriétaire qu'autant que le fait de la possession s'est
maintenu chez lui, corpore suo, soit chez son représentant, corpore alieno, pendant tout le laps de temps
nécessaire à l'achèvement de la prescription. Une semblable théorie aurait constitué un obstacle grave à la
transmission des biens ; aussi voyons-nous qu'il a été
admis, dès l'origine, que la possession utile du défunt
compte à son successeur universel. Diutina possessio , dit
Justinien, quœ prodesse cœperat defuncto, et heredi et
bonorum possessori continuatu1·. Quod nostrn constitutio
similiter, et in usucap·ionibus observari constituit, ut tempora continuentu1· (1) . Ainsi, lorsque l'héritier se met en
possession des choses laissées par le défunt, il commence une possession qui n'est, en quelque sorte, que
la continuation et le prolongement de la possession antérieure, et la propriété lui est acquise à l'expiration du
laps de temps requis pour prescrire, comme si les biens
n'avaient pas changé de mains.
(1) Inst., § 12,
de usucap.
L. 11, t. VI.
�-
66 -
Cette fâculté accordée à l'héritier de joindre à sa
possession personnelle, celle du défunt, appelée par les
jurisconsultes accessio possessionum ou continuatio possessionis, est celle qui, dans l'ordre naturel des choses,
devait se produire, et se produisit la première, parce
que le besoin s'en faisait sentir d'avantage; mais on ne
s'en tint pas là. Nous trouvons en effet aux Institutes
de Justinien (1), que même le successeur ou ayant cause
particulier peut profiter de la possession de son auteur,
en la joignant à sa propre possession : inter venditorem
quoque et ernptorem conjungiternpora Divi Severus et Anto·
ninus ?·escripserunt; et l'on a pensé avec raison que cette
accessio possessionum, admise d'abord au. profit de l'acquéreur à titre onéreux, tel que l'acheteur, le fut également plus tard au profit de l'acquéreur à titre gratuit,
tel que le donataire ou le légataire; on comprend en
effet que la situation de celui qui n'a acquis une chose
qu'en échange d'un équivalent donné par lui, ait paru
tout d'abord plus digne d'intérêt et méritât davantage
d'être sauvegardée, que celle d'un acquéreur à titre
gratuit, c'est-à-dire d'une personne qui a sans doute voulu
acquérir, mais qui n'a rien déboursé pour cela.
Bien que le successeur universel et le successeur particulier puissent invoquer l'un et l'autre l'accessio possessionum, c'est-à-dire joindre à leur possession personnelle celle de leur auteur, il faudrait bien se garder de
croire que leur condition fut identique ; elles sont séparées au contraire par des différences profondes que
nous allons indiquer rapidement.
En ce qui concerne le successeur universel, un texte
de Javolenus contient le principe de ces différences.
(1) § 13, de usucap.
�•
-
67 -
Cù11n heredes institut·i sU11nus, dit ce jurisconsulte (1), adità
hœroditate omnia quidem jura ad nos transenut, possessio
tamen, nisi naturaliter comp1·ehensa, ad nos non pertinet.
Ainsi, après l'adition d'hérédité, tous les droits passent
en la personne de l'héritier tels qu'ils se comportaient
en la personne du défunt, et parmi ces droits se trouve
la possession, car s'il es t vrai de dire que la possession
est avant tout un fait, il est également vrai qu'elle est
aussi un droit par les conséquences légales qui y sont
attachées . La possession a donc chez l'héritier les caractûes qu'elle présentait chez le défunt, ou plutôt il
n'y a pas deux possessions, mais une seule; posséssio
defuncti quasi juncta descendü ad heredmn (2) . Or, si la·
possession du défunt continue en la personne de l'héritier, il importe peu que celui-ci soit de mauvaise foi; il
en profite, dit Justinien, licet ipse sciat prœdium alienum,
et en effet, si le défunt vivait encore, la mauvaise foi
survenant en sa personne, ne l'empêcherait point d'accomplir l'usucapion.
L a condition du successeur particulier est toute autre;
il ne succède pas à la personne de son auteur, il succède
à la chose seulement ; aussi faut-il que toutes les conditions relatives à la personne, et notamment la bonne
foi; existent chez lui au moment de la prise de possession : si eam rem quarn pro emptore usucapiebas, scienti
nihi alienam esse vendideris, non capiam usu (3).
De ce principe que la possession de l'héritier a forcément le même caractère que celle du défunt, il résulte
(1) L. 33, D., de acquir·vel amit. poss. XLI, 2.
(2) Paul. L. 30, pr., D., Ex qaib. caus. maj. IV, 6.
(3) Paul, L. 2, § 17, D., pro empt. XLI, 4.
�•
-
68-
cette autre conséquence remarquable que le successeur
universel ne peut pas usucaper quand la possession du
défunt n'était pas utile. Quod si defunctus initium justum
non habuit, heredi et bonorun possessori, licet ignoranti,
possessio non prodest (1) . Le successeur particulier peut
au contraire répudier la possession vicieuse de son
auteur et invoquer la sienne propre.
Nous avons dit plus haut, qu'après l'adition d'hérédité et la prise de possession de l'héritier, la possession
de défunt se joignait à celle de l'héritier, de manière à
n'en former qu'une seule sans aucune interruption. Mais
il arrivait souvent qu'un laps de temps considérable
s'écoulait entre le décès du défunt et l'adition ou la
prise de possession de l'héritier ; pendant cet intervalle,
les choses héréditaires n'étaient certainement possédées
ni.par le · défunt, ni par l'héritier, ce qui semblait ren·
dre impossible la jonction des deux possessions. Les
jurisconsultes obvièrent à cet inconvénient en donnant
à l'hérédité jacente une sorte de personnalité : Heredi·
tas personam sustinet, disaient·ils ; et comme la possession ne subissait plus désormais aucune interruption, on
dut décider que la prescription pouvait s'accomplir entre
le décès du de cujus et l'adition de l'héritier : ante
aditam hereditem impleri constitutum est (2).
(1) Inst., § 12, de usucap.
(2) L. 40, D., de usurp.
�CHAPITRE II
Des conditions relatives à la chose
SECTION PREMIÈRE
La chose doit être in commercio
Dans un sens étroit et véritablement technique, le
corwmercium n'est autre chose que l'un des éléments de
la civitas roma;na, qui au point de vue du droit privé
donne le droit de figurer dans la solennité appelée mancipation. Ce n'est évidemment pas dans ce sens que
nous entendons ce mot, lorsque nous disons que les
· choses in commercio sont les choses qui sont susceptibles d'être prescrites, nous voulons désigner par la les
choses qui peuvent être un objet de propriété, de possession ou de créance, et nous les opposons ainsi à
celles pour lesquelles il n'y a ni droit réel ni créance
possible. Cette formule exclut les hommes libres, les
choses sacrées ou religieuses, les choses du domaine
public.
�-
70 -
I. - Les hommes libres. - Parmi les cas dans lesquels
la possession ne saurait jamais conduire à la prescription, Justinien cite en ·première ligne la possession d'un
homme libre, alors même qu'elle serait de bonne foi.
Ce n'est là qu'une application du principe de l'inaliénabilité de la liberté. Les Romains pensèrent avec raison
que la liberté était une chose trop précieuse, et d'une
nature trop noble, pour qu'elle pût jamais faire l'objet
d'une spéculatiog (1 ); or, comme la prescription s'analyse
en un abandon tacite de la part de celui auquel appartient une chose, on devait nécessairement empêcher de
réaliser par une.voie détournée ce qu'il eût été impossible
de faire directement.
II. - Les choses sacrées ou religieuses. - Sans nous
arrêter à donner une énumération complète des res divini
juris, qui formèrent à l'origine de Rome une classe très
considèrable, nous nous bornerons à citer parmi les plus
importantes, au point de vue qui nous occupe, les immeubles qui ont revêtu un caractère sacré en vertu
d'une loi, d'un sénatus-consulte, et plus particulièrement,
à compter du troisième siècle, par une constitution impériale. A partir de Justinien, la nécessité d'une autorisation publique disparut, et il appartint aux évêques de
faire à leur gré des 1·es S'1:1,Crœ.
III. - Les choses du doniaine public. - Il faut entendre
par là les choses qui sont affectées à un usage public,
c'est-à-dire commun à tous les citoyens, soit que chacun
d'eux en jouisse directement, comme les places publiques
et les rues des villes, soit que ce caractère résulte de
leur destination, comme les arsenaux et les forteresses.
(1) Lomo enùn libe1-, nullo pretio œstimatur. Pauli. sent.
L. 5, t. 1, § J.
�-
71 -
Il nous reste à faire observer que certaines choses
qui par leur nature sont in commercio, et comme telles
susceptibles d'être acquises par prescription, sont temporairement, pour des raisons spéciales, mises extra
commerciwm, et deviennent imprescriptibles : tels sont
les immeubles dotaux.
Cette imprescriptibilité des immeubles dotaux n'est
qu'une conséquence de leur inaliénabilité ; sans elle, rien
n'eut été plus facile pour le mari que d'éluder les dispositions de la loi Julia, aussi décida-t-on dès l'origine
que la dotalité faisait obstacle non seulement aux alié·
nations conventionnelles, mais qu'elle affectait la chose
d'un vice qui en rendait impossible l'acquisition par la
prescription : Nam licet lex Julia, quœ vœtat fundum dota
lem alienari, pertineat etiami ad hujus modi acquisitionem (1 ). Comme cette imprescriptibilité n'a d'autre but
que la protection de la femme, il faut en conclure
qu'elle commence et finit avec le danger qu'elle a pour
objet de prévenir, c'est-à-dire avec le droit de propriété
du mari. Elle a donc pour point de d~part le jour même
de la constitution de dot, et pour point d'arrêt le jour
de la restitution. (L. L. 4 et 12 pr., De (und dot.,
XXXIIJ,
5)._
Quelquefois certaines choses, tout en restant in commercio d'une façon générale, en sortent cependant à
l'égard de certaines personnes, et, à ce titre, deviennent imprescriptibles pour elles; tels sont les fonds
situés dans une province à l'égard du gouverneur de la
province et de certaines personnes investies de fonctions
civiles ou militaires ; les biens du pupille ou de l'indi-
(1) L. 16, D., de fund. dot. XXII, 5.
�-
72 -
vidu en curatelle, à l'égard du tuteur ou du curateur, et
d'une façon générale les biens d'un tiers à l'égard de
celui qui en a l'administration.
Les biens vacants rentrent dans la catégorie des choses
imprescriptibles. On appelait ainsi les biens des personnes décédées sans successeur et qui sont acquis au
fisc, à moins que quelqu'un n'ait commencé à les posséder avant la dénonciation de la vacance aux agents,
et seulement tant que le délai de quatre années continues
donné au fisc pour exercer ses droits n'est pas écoulé.
Enfin, il est une dernière catégorie de choses dont
l'acquisition par prescription est impossible, ce sont les
biens appartenant à un pupille ou à une personne en
curatelle.
En ce qui concerne les prœdia rustica vel suburbana,
tout le monde reconnaît que leur imprescriptibilité tient
à cette raison, que l'aliénation directe et immédiate de
ces choses étant défendues, on ne pouvait admettre à
leur égard l'aliénation par la voie oblique de la prescription. Pour les meubles, au contraire, la question de
savoir à qui tient leur imprescriptibilité paraît plus douteuse. Quelques-uns, s'appuyant sur le texte de Paul (t);
qui parle des biens du pupille sans distinguer, admettent
que l'obstacle à la prescription tient à la même cause,
c'est-à-dire à la qualité du propriétaire. Dans une autre
opinion qui nous paraît préférable, on s'appuie sur un
texte de Julien (2). Ce jurisconsulte, déclarant que les
choses volées à un pupille ne peuvent être usucapées,
considère que c'est le vol seul qui rend la chose vicieuse
et met obstacle à la prescription. Ce texte nous paraît
(1) L. 48, pr. D., XLI, 1.
(2) L. 7, § 3, D., XLI, 4.
�- 73décisif et s'appliquer aux meubles du pupille : en effet,
le vol ne saurait atteindre les immeubles, et, d'un autre
côté, comme aui yeux des Rqmains, les meubles eurent
toujours une importance secondaire; il n'y a rien d'étonnant à ce qu'ils aient .considéré ceux du pupille comme
susceptibles d'être acquis par prescription.
Quoiqu'il en soit, une constitution de l'empereur
Théodore-le-Jeune, rendue en l'année 424, vint déclarer
les biens quelconques des pupilles impresc1:iptibles.
SECTION DEUXIÈME
Des choses volées ou occupées par violence
Il fut de tout temps admis à Rome que les meubles
volés et les immeubles occupés par violence échappaient
à la prescription. Ainsi que le rapporte Justinien dans
ses Institutes, la prohibition remonte, pour les meubles.,
à la loi des XII Tables et fut reproduite par la loi
Atinia, rendue en l'an de Rome 537 : nam furtivarwrn
1·m·um lea; duodecim tabularUtm et lea; A tinia inhibent usucapionem; vi possessorum lea; Julia et Plautia; pour les
immeubles, et après qu'il fut reconnu qu'ils ne comportaient pas de furtum, elle date seulement de la loi Plautia
rendue en l'an de Rome 665, et fut renouvelée sous Auguste par la loi Julia de vi.
�-
74 -
L'esclave fugitif est assimilé aux choses volées :
prendre ainsi la fuite c'est furtum sui facere. Il y a vol et
par conséquent obstacle à la prescription, non seulement
lorsque la chose a été enlevée à celui qui en était propriétaire, ou lorsque l'esclave s'est enfui de chez son
maître, mais encore lorsque celui qui a été victime du
vol ou de la violence était un simple possesseur de la
chose . Cette solution est donnée par Paul d'une façon
positive pour le cas de violence : etiam si malà fide fwndum nie possidentem dejeceris, et vendideris, non poterit
capi, quoniam verum est vi possessum esse, licet à non
domino (1).
Lorsqu'on dit que les choses volées ne peuvent être
prescrites,_ on n'entend pas par là interdire la prescription au voleur; une telle prohibition n'eut pas été
nécessaire, car ainsi que nous l'explique Gaïus, et aprèsL,,.;..
Justinien, pour prescrire· il faut être de bonne foi et
posséder ex justâ causâ, ce qui n'est jamais le fait du
voleur ; la prohibition trouve son a1LPlication contre le
tiers de bonne foi qui possède la chose volée ex justâ
causa.
Gaïus nous fait observer qu'en ce qui concerne les
meubles, la prescription aura rarement son application,
car, en effet, presque toujours, lorsque le propriétaire
n'aura pas consenti à l'aliénation, il y aura vol. Il existe
cependant quelques cas dans lesquels l'aliénation,
quoique faite par celui qui n'était pas propriétaire de la
chose, ou qui n'avait pas le droit de la faire, ne constitue pas un vol, par cette raison qu'elle n'a pas été
accompagnée d'intention frauduleuse ; tel est le cas cité
au~· Institutès , où un défunt ayant reçu une chose à titre
(1) L. 4, § 23, D., clc usurpai.
�-
75 -
de dépôt, de louage ou de commodat, son héritier la
prenant pour un bien héréditaire, la vend-ou la donne à
une personne qui la reçoit de bonne foi.
Le vice qui affecte la re~ fwrtiva ou vi possessa et qui
rend la prescription impossible, n'est pas perpétuel et
peut être purgé par le retour de la chose volée, aux
ma~ns et en la possession du propriétaire. Cette règle,
nous dit Paul, fut établie par la loi Atinia. Pour que la
prescription soit de nouveau possible, il ne suffit pas que
la chose volée revienne aux mains du propriétaire d'une
manière quelconque ; s'il l'achète, par exemple, ignorant
qu'elle lui a été volée, elle n'est pas censée rentrée en
sa possession : il faut que le propriétaire ait eu connaissance du vol et qu'il la recouvre d'une manière légale :
cum possessionem ejus nactus sit, ut juste avelli non possit,
.t sed et tanquam suœ rei ; nam si ignorans rem mihi subrep·
tam eman, non videri in potestatem meam reversam (1).
On trouve cependant cité au Digeste un cas où il n'est
pas nécessaire que le maître sache que la chose volée
lui a été rendue pour que la prescription en soit de nouveau possible ; une chose a été mise en dépôt chez une
· personne; le dépositaire la vend pour en bénéficier, puis,
se repentant de son infidélité, il la rachète et la reprend
au même titre qu'auparavant; le vice est purgé, soit
que le maître ait connu, soit qu'il ait ignoré tous ces
faits (2). Enfin, Paul nous . apprend que le vice résultant
du vol est purgé, et que la prescription est possible lors·
que le propriétaire, après avoir exercé l'action en revendication contre le voleur, a reçu de lui, non pas larestitution de la chose, mais a accepté la litis ee~test6ttfo.
a.g~
(1) L. 4, § 12, D., XLI, 3.
(2) L. 4, § 10, D., XLI, 3.
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76 -
Lorsque la chose a été volée entre les mains du commodataire, du créancier· gagiste ·ou de l'usufruitier, Paul
nous apprend que pour que · l'obstacle à la prescription
soit levé, il faut que la chose revienne aux mains du
propriétaire et non du commodataire, du créancier
gagiste ou de l'usufruitier (1) . En ce qui concerne lecréancier gagiste, Labéon enseigne une doctrine con·
traire en l'attribuant à Paul. En présence de cette contradiction, on a pensé, avec raison, que Labéon faisait
allusion au contrat de fid!ucie, par lequel le débiteur se
dépouillait de la propriété : le créancier devenant alors
propriétaire, la chose devait revenir entre ses mains.
On dit qu'un fonds est occupé par violence, et que
comme tel il ne peut être prescrit, lorsque le possesseur
en ayant été expulsé, l'auteur de l'expulsion en a pris
possession ; mais si un tiers étranger aux voies de fait
s'établit sur le fonds, sa possession ne sera pas violente.
Ainsi que nous l'avons dit pour la chose volée, le vice
résultant de la violence nuit, non pas au spoliateur,, pour
lequel il ne saurait y avoir de prescription, mais au tiers
de bonne foi auquel il aurait transmis l'immeuble.
(1) L. 20, § 1, D., XLVII, 2. Deful'tis.
�-
77 -
SECTION TROISIÈME
La prescription de long temps ne s'applique
qu'aux choses susceptibles de possession
L a prescription de long temps étant, comme l'usucapion, fondée sur la possession, les choses susceptibles
d' être possédées sont les seules qui soient sqsceptibles
d' être prescrites ; nous avons donc à nous demander
quelles sont les choses susceptibles de possession.
L es jurisconsultes romains, considérant que l'un des
éléments essentiels de la possession consiste dans la
détention matérielle de la chose, en conclurent que les
choses ayant un corpus, c'est-à-dire l'élément physique,
étaient seules susceptibles de possession (1). L e droit de
propriété (pas plus que les autres droits) n' aurait jamais
dû être rangé dans la catégo rie des choses corporelles ,
car pas plus que le droit d'usufruit ou de créance, il ne
tombe sous nos sens. Mais par suite d'une habitude de
langage qu'explique la nature différente des droits, le
droit de propriété fut confondu avec l'obj et sur lequel
il porte et rangé dans la catégorie des choses corporelles. LorsG_[u'il s'agissait au contraire d'un démembrement du droit de propriété, on le distinguait de la chose
(1) L. 3, pr. de pass.
corporalia.
" Possidere autem possunt quœ sunt
�-
78 -
sur laquelle il reposait, et l'on fut ainsi amené à les
ranger parmi les choses incorporelles. La conclusion fut
donc que le droit de propriété, chose corporelle, fût susceptible de possession et par conséquent de prescription,
tandis que les autres droits, choses incorporelles, ne
pouvaient être l'obj et ni de possession, ni de prescription (1).
De bonne heure, néanmoins,)e Préteur considère que
la base du droit aux interdits, consistant en un trouble
apporté illégitimement au droit de propriété, s'il existait
d'autres droits dont l'exercice puisse être troublé par
un acte de violence, il était logique de les protéger
contre ce trouble au moyen des mêmes interdits. Or, tel
était le cas pour les démembrements de la propriété, et
notamment pour l'usufruit et les servitudes réelles, car
il est évident qu'un trouble se conçoit tout aussi bien
dans l'exercice de ces droits, que dans celui· du droit de
propriété. Aussi le Préteur accorda-t-il des interdits
utiles, et c'était reconnaître par là que la tradition
d'une servitude, soit personnelle, soit préd:iale, et la
patience du propriétaire à en souffrir l'exercice, constituait une sorte de possession que les jurisconsultes
appelèrent quasi possessio, possessio juris. On accorda
même plus tard au possesseur de ce droit une action
réelle, utile, l'action publicienne. (L. 11, § 1, D., VI, 2).
Mais faut-il aller plus loin, et décider que celui qui a
l'exercice d'un jus in 1·e, c'est-à-dire une quasi possession, pourra acquérir ce droit par la prescriptio longi
temporis? En ce qui concerne l'usufruit, la solÙtion ne
(1) L. 4, § 2i, de
incorpomle.
ltSW'P : "
Qaiu nec possicle1'i intelliqitw· jus
�-
79 -
saurait être douteuse; aucun t xte,..tln effet avant Justinien1 ne peut nermettre de supposer u'il füt susceptib~e
cl'ac uisition ar la possession. y
Quant aux servitudes, i es également certain qu'après
la loi Scribonia elles ne purent plus s'établir par l'usucapion, mais antérieurement à cette loi en était-il de
même ? L'affirmative a été soutenue; en effet, a-t-on dit,
l'usucapion n'étant autre chose qu'un mode d'acquisition
par la possession, ne saurait s'appliquer qu'aux choses
susceptibles d'être possédées; or, les servitudes étarit des
choses incorpor.elles, n'admettent pas la possession; ce
ne fut que plus tard et à une époque postérieure à la lQ.!
Scribonia, qu'on admit à leur égard une quasi possessio;
il faudrait donc supposer dans l'opinion contraire, que la
quasi possession existait avant la loi Scribonia, et disparut ensuite, ce qui est inadmissible. Il est plus probable, conclue-t-on, .que l'usucapion des servitudes était
déjà impossible avant la loi Scribonia, et que cette loi
n'eut d'autre but que de venir consacrer une règle qui
était la conséquence logique des principes admis à cette
époque.
Malg1~é la logique de ce raisonnement, l'opinion contraire nous paraît préférable. Il existe en effet au Digeste
un texte qui ne saurait être conçu d'une manière plus
affirmative, et qui nous dit que la loi Scribonia vint
désormais rendre impossible l'acquisition des servitudes
par usucapion; c'est donc qu'antérieurement cette usucapion était possible, sinon cette loi n'aurait eu aucun
sens. On peut, nous dit Paul dans ce passage, acquérir
par usucapion l'extinction d'une servitude, car ce que
la loi Scribonia est venue défendre, ce n'est pas l'extinction des servitudes par usucapion, mais leur acquisition : Libertatem servituti~m usucapi passe, verius est,
�-
80 -
quia eam usuca,pionem sustulit lea; scribonia, quœ servitutem constituit, non etiam eam, quœ libertatem prœstat
sublata servitute.
Il nous reste à nous demander maintenant si le Préteur, après avoir reconnu les servitudes susceptibles de
quasi possession, et en avoir protégé l'exercice par un
interdit, alla jusqu'à admettre qu'elles pouvaient être
acquises par la prescription de dix à vingt ans. Un point
sur lequel tout le monde e t d'accord,, et gui était unsi
consé uence nécessaire du principe admis ar le Pr teur, c'est qu'un exercice longtemps prolongé suffij;
pour faire acquéTir une servitude prédiale.; mais faut-il
aller plus loin et dire q~ de même que la propriété
peut s'acquérir par une longi tern;poris possessio, de même
les servitudes peuvent être constituées par une quasi
longi temporis possessifJ, et que lw règles de l'une sont
applicables à l'autre ?
Malgré l'autorité de certains interprètes, i10us n'hé~i
tons pas à ado ter ' ffirmafüre et à admettre qu'il
exü~te pour les ser itu.d.
uue uasi "jgng} tem11pris possessio, dont les rè les fuœnt arfaitement analogues ~
celles de la longi temporis 1!_ossessio, sauf ourtant ce quj.
regardeJa juste cause.
D'après les partisans de l'opinion contraire, le délai
exigé pour arriver à l'acquisition d'une servitude ne
serait pas un délai fixe de dix à vingt ans, comme pour
l'acquisition de la propriété, mais serait un délai variable, entièrement livré à l'appréciation du juge. L'argument sur lequel on se base est uniquement tiré des
expressions employées par les textes, dans lesquels on
trouve les mots diuturnus usus, longa quasi possessio,
longa consuétudo, longi temporis consuétudo, mais jamais
quasi longi temporis possessio. Cet argument de mots nous
�-
St -
(1) C. L, 3, tit. 34, l. 1, de servit. et acqu ...
(2) Lyon-Caen. Revue critiqua de législation, t. Ill, 1874
p 394 et 95.
(1) L. 10, D., VIII, 5. Si servit. 1Jincl.
�-
82~-
remarquer néanmoins, que si la nécessité d'une juste
cause se fait sentir quelque part, c'est surtout dans la
matière de l'acquisition des servitudes, car la propriété
étant naturellement présumée libre, c'est à celui qui
prétend le contraire à jstifier son dire.
Il est bien certain d'ailleurs qu'à l'époque de Justinien
on put acquérir les servitudes par la quasi possessio longi
temporis; il en est de même de l'usufruit, ainsi que cela
résulte de la loi 12 au Code VII, 33.
CHAPIT&E III
Effets de la Prescriptio longi temporis
SECTION PREMIÈRE
Effets de la prescription dans le droit classique
La longi temporis prescriptio fut, à l'origine, non pas
un mode d'acquérir la propriété comme l'usucapion,
mais, ainsi que nous l'avons expliqué lorsque nous recherchions le caractère de cette institution, une exception
�83 -
d'une nature particulière, qui n'avait d'autre effet que
de donner au possesseur d'une chose le moyen de
repousser la revendication du propriétaire. De ce que la
prœsc;riptio longi temporis n'était pas un mode d'acquisition, il en résultait qu'après l'expiration de dix ou
vingt ans, le propriétaire qui avait conservé son droit
pouvait toujours intenter une action contre le possesseur ; de telle sorte que la question posée au juge étant
uniquement de savoir si le demandeur était propriétaire,
devait toujours être résolue affirmativement, et le défendeur succombait nécessairement, à moins qu'il ne fit
insérer son exception dans la formule.
De ce principe que la prescription de long temps
n'était pas un mode d'acquérir, il résultait cette autre
conséquence que si le possesseur venait, pour une cause
quelconque, à perdre la possession, il ne pouvait pas
intenter une action en revendication, car cette action
n'est donnée qu'au propriétaire, et qu'il se trouvait ainsi
dépourvu de tout moyen, à moins qu'il ne réunit les
conditions requises pour exercer quelque interdit. Nous
avons eu déjà l'occasion de dire que cette situation défavorable pour le possesseur ne dura pas longtemps, et
que de bonne heure le Préteur lui accorda une revendication utile ; cc de sorte, dit M. Accarias, que désormais
la longi ternporis prœscriptio put être considérée très
exactement comme un mode prétorien d'acquérir. ,, Utilem, habet actionem, nous dit Ulpien, et Justinien, après
avoir établi que celui qui a accompli la prescription de
long temps pourra exercer l'action en revendication,
ajoute : hoc enim et veteres leges, si quis eas recte inspexit,
santiebant (1).
(1) L, 8, pr. C. VII, 39.
�-84.-
A un autre point de vue, et outre que la prœscriptio
longi temporis exige une possession d'une plus longue
durée, on peut encore dire qu'elle est moins avantageuse
que l'usucapion, car tandis que dans cette dernière, le
demandeur n'obtient gain de cause que si son droit de
propriété existe encore au moment du jugement, la prœs·
criptio ne peut être invoquée encore que le délai vienne
à s'accomplir inter moras litis, car . c'est une règle générale que nul moyen de défense ne triomphe s'il n'est
acquis au jour de la demande.
Sous un autre rapport, on a soutenu que la prescrip·
tion de long temps était préférable à l'usucapion, en ce
qu'elle fournissait un moyen de défense opposable non
seulement au propriétaire, mais encore à ceux qui
avaient des droits réels sur la chose. cc Par l'usucapion,
dit M. Demangeat (1), j'acquiers la propriété salvo jur·e
servitutis vel hypothecœ. Au contraire, quand je puis in·
voquer la prœscriptio longi temporis, ce n'est pas seulement contre le propriétaire c'est également contre tous
ceux qui prétendraient avoir acquis du chef des précédents propriétaires, un droit réel sur la chose. » Il appuie
sa théorie sur une constitution de Gordien, dans laquelle
cet empereur déclare que les créanciers hypothécaires
n'auront pas d'action contre celui qui a accompli la prescription de long temps : Dinturnum silentii11rn longi tem·
poris prœscriptione corroboratum, creditoribus pignus pm··
sequentibus inefficacem constituit actionem (2).
Cette doctrine, contraire au principe d'après lequel la
propriété ne s'acquiert que sous la réserve des charges
(1) Cour·s de droit romain, t. 1", p. 536.
(2) L. 1, C., si odv. crvd. prœscr. appo. VII, 36.
�-
85 -
dont elle est grevée, est de plus en plus abandonnée. On
considère auj ourd'hui que la prescription d~ long temps
pouvait sans doute, à la différence de l'usucapion, être
opposée au créancier hypothécaire ou à celui qui avait
une servitude, mais que ce droit, loin d'être une conséquence de la prescription opposable au propriétaire, était
un effet de la prescription accomplie directement contre
le créancier hypothécaire ou le titulaire de la servitude ;
en un mot, il y avait deux prescriptions distinctes opposables, l'une au propriétaire, l'autre aux titulaires des
droits réels sur la chose, et pour chacune d'elle il fallait
la réunion des conditions distinctes de temps et de
bonne foi. Quant au texte invoqué dans l'opinion contraire, il prouve seulement une chose, qui n'est contestée
par personne, c'est que la prœscriptio longi temporis
pouvait être opposée au créancier hypothécaire.
SECTION DEUXIÈME
Innovations
de Justinien
Lorsqu'au début de cette étude nous nous demandions pour quels motifs, à côté de l'usucapion, mode
d'acquérir fondé sur la possession, la prescription de
long temps, institution parfaitement analogue, avait pris
naissance, nous avons vu que la raison en était double :
la nécessité de donner aux pérégrins un .mode d'acqui6
�-
86 -
sition analogue à celui dont jouissaient les citoyens
romains, et aux citoyens romains le moyen d'acquérir
par la possession les fonds qui ne faisaient pas partie du
sol italique, c'est-à-di re les fonds provinciaux. A l'époque
de Justinien, les différences établies pour le vieux choit
quiritairc, entre les Cives romani et les Pereg?·ini, entre
le sol italique et le sol provincial, et bien d'autres encore,
avaient depuis longtemps disparu sous l'influence de la
jurisprudence plus large des Préteurs et des Constitutions impériales. Le· droit de cité, étendu peu à peu à
tous les sujets de l'empire, quelquefois même aux bar·
bares, et la distinction tout à fait artificielle des fonds
provinciaux et des fonds italiques complètement effacée,
la prœsc?·iptio longi ternporis n'avait plus de raison d'être.
Consacrant légitimement cette pratique, Justinien était
conduit à supprimer l'une des deux institutions parallèles de l'ancien droit, o~ à les fondre ensemble : c'est
à ce second parti qu'il s'arrêta. <( Pour emprunter son
propre langage, dit M. Accarias, il transforme l'usucapion (L. unie. C., De usuc. transf. VII, 31), c'est-àdire qu'il la laisse soumise aux règles qui lui étaient
autrefois communes avec la prescription, que là où il
rencontre des règles contraires, il opte ou innove; mais
que dans son silence, il faut plutôt présumer le maintien
du droit propre à l'usucapion, car, jusqu'à preuve con·
traire, qui conserve le mot conserve la chose. »
Ainsi, à partir de Justinien, celui qui reçoit une chose
à non domino et de bonne foi, celui-là en devient propriétaire, sans qu'on ait à se préoccuper désormais de
savoir s'il est citoyen romain ou pérégrin, ou si le fonds
possédé est situé en Italie ou en province . Reste à se
demander quelle doit être la durée de la possession.
Pour les immeubles, Justinien décida que la propriété en
�- -87 -
serait acquise au possesseur à l'expiration du délai de
l'ancienne prœscriptio longi temporis, c'est-à-dire après
dix ou vingt ans, et pour les meubles après un délai de
trois ans .
Quelques commentateurs, remarquant que Justinien
parle de prœscriptio ou possessio longi ternporis, tandis
qu'il emploie habituellement l'expression usucapio lorsqu'il s'agit de meubles, en ont conclu qu'on doit appliquer
aux immeubles les règles de l'ancienne prœscriptio longi
ternporis, et aux meubles les règles spéciales de l'ancienne usucapio.
Nous avons expliqué déjà que nous pensions que Justinien a entendu, sauf en ce qui concerne le délai, consacrer les règles générales de l'usucapion; et ce qui
prouve bien que la même règle existe ·pour les meubles
et pour les immeubles, ce sont les expressions employées
par Justinien aux Institutes : Constitutionem super hoc
prornulgavimus, quâ cauturn est ut res quidem mobiles
per trienniwm, irnmobiles vero per longi temporis possessionem usucapiantur. Quant aux termes longi temporis
possessio, dont il se sert quand il parle des immeubles,
cela tient uniquement à ce que désormais ils s'usucapent
par le longum ternpus, tandis qu'il réserve aux meubles
l'expression technique usucapio.
Justinien tranche, en outre, une difficulté qui s'était
élevée dans l'ancien droit, et détermine en quel sens
doivent être entendus les termes présent et absent. Le
propriétaire et le possesseur habitent-ils des provinces
différentes, la prescription s'accomplit inter absentes, et
la· propriété ne s'acquiert que par vingt ans de possession ; on n'a donc point égard, comme dans notre droit
actuel, à la situation de l'immeuble possédé. M. Accarias
fait remarquer que si l'on eût ainsi égard au domicile
�-
88 -
du propriétaire et à la sit nonuation de l'immeuble possédé, cela tient à l'influence toujours si puissante du langage. Op. abrégeait le délai inter prœsentes et non pas
contra p1·œsentem. Or, ce pluriel n'indiquait-il pas qu'il
fallait considérer le domicile du propriétaire dans son
rapport avec celui du possesseur, plutôt que dans son
rapport avec la situation de la chose? C'est le propriétaire et le p.ossesseur qui devaient être présents, non le
propriétaire et la chose.
Quant à ses effets, la prescription n'est plus, comme
autrefois, un simple moyen de défense ; elle est devenue
un mode d'acquérir la propriété ; elle fournit à celui qui
l'a accomplie une véritable action en revendication, au
moyen de laquelle il peut poursuivre la chose contre tout
détenteur.
Après avoir admis implicitement que la litis contestatio
n'interrompt pas la nouvelle usucapion, puisqu'il suppose qu'une usucapion s'est accomplie inter moras litis
(L. IV, 32, t. 17), :Justinien, oubliant, ou voulant modifier
la règle posée aux Institutes, consacra, dans la Novelle 119, chapitre 7, une décision contraire.
D'après la législation de Justinien, les mineurs ne peuvent perdre aucun droit par une prescription d'une durée
inférieure à trente ans ; il en résulte que leurs biens ne
sont pas susceptibles d'être occupés. Cette doctrine est
directement le but que l'ancien droit n'atteignait qu'à
l'aide de l'in integruni restitutio .
Quand c'est un absent, un infans ou un fou sans curateur qui possède, Justinien permet au propriétaire ou
au créancier hypothécaire d'interrompre la prescription
par une requête adressée au préteur ou au président de
la province, et, en leur absence, à l'évêque ou au defensor
civitatis. Si ces personnes font elles-mêmes défaut, il
�•
-
89 -
suffit d'afficher au domicile du possesseur une protes·
tation signée des Tabularii ou de trois témoins.
D'après l'opinion la plus généralement admise par les
jurisconsultes, les immeubles n'étaient pas, avons -nous
dit, susceptibles d'être volés ; il suffisait au possesseur
de bonne foi, que l'immeuble n'eût jamais été possédé
par violence pour qu'il· pût l'usucaper, encore que son
auteur eût été de mauvaise foi . Justinien modifia cette
doctrine en exigeant, par la N ovelle 119, que l'auteur ait
été lui-même de bonne foi, ou que, dans le cas contraire,
le maître ait eu connaissance de son droit et du fait qui
a transporté la possession à un tiers. En l'absence de ces
conditions, le possesseur, malgré sa bonne foi, ne peut
prescrire que par trente ans. Cette décision ne doit
cependant pas être étendue à ceux qui traiteraient avec
acquéreur resté de bonne foi, sinon l'usucapion des immeubles serait à peu près impossible.
�•
�DEUXIÈME PARTIE
DE LA PRESCRIPTION DANS L'ANCIEN DROIT. FRANÇAIS
Après avoir étudié l'origine de la prescri.ption et avoir
suivi son développement dans le droit romain jusqu'à
son organisation complète sous Justinien, il importe de
se demander quel fut le sort de cette institution dans
l'ancien droit français, c'est-à-dire durant la longue
période qui s'étend depuis la conquête de la Gaule par
les barbares, jusqu'à la rédaction de notre code civil.
S'il est des institutions qui ne sauraient survivre à un
bouleversement général de la société, tel qu'il dut se
produire à l'époque de l'invasion des barbares, la prescription n'est certainement pas de ce nombre. Nous
avons constaté, en effet, que c'est surtout aux époques
de trouble et de désordre que doit se faire sentir davantage la nécessité de la prescription; on conçoit donc de
quelle utilité elle devait être à une société sans cesse
livrée à la violence et à l'instabili té . La possession
étant devenue à ce moment le titre rinci J!.l,_sinon le
titre unique de la pro:r>riété, les vaincus ne manquèrent
pas de s'en faire un moyen pour conserver leurs domaines sans cesse menacés. Par une constitution rendue dès
�-
92-
l'an 5.§.9, l'em ereur QlfilaiI'al~ vint déclarer que l'Eglise,
les ecclésiastiques et les provinciales, c'est-à-diré les
Romains, pourraient se défendrê contre toute revendication par la prescription de trente ans.
Quelques années plus tard, vers 595, une constitution
de Childebert, roi d'Austrasie, établit une prescription
nouvelle dont l'origine est évidemment romaine. La
propriété d'un immeuble se prescrivait par dix ans si le
propriétaire avait son domicile dans la juridiction du
dux ou du judex où l'immeuble était situé; par trente
ans dans le cas contraire.
A côté de ces règles en quelque sorte générales, ou
du moins applicables à mw agglomération ·considérable
d'individus, et . qui exigeaient une possession de longue
durée, on trouve des chartes de communes antérieures
au treizième siècle, qui se contentent d'une durée excessivement restreinte. C'est ainsi que les chartes des
communes de Troyes, de Pontoise, de St-Quentin, dé·
clarent qu'une année de possession suffit pour acquérir
la propriété d'un immeuble. La brieveté de ce délai,
qui peut étop.ner tout d'abord, est cependant facile à
justifier : ces lois ne régissant qu'un nombre d'individus
fort restreint, le fait de la possession devait nécessairement être bientôt connu du propriétaire, et son silence
ne pouvait s'interprêter que dans le sens de l'abandon
de son droit. Rien, d'ailleurs, n'était plus variable que le
délai imposé par les différentes coutumes, et tandis que
les unes exigeaient deux ans, d'autres trois ans, la
charte de la _commune d'Amiens, rédigée en 1190, admet·
tait pour les immeubles une prescription de sept années.
A partir du treizième siècle, cette diversité dans les
délais avait déjà disparu d'une façon à peu près com·
plète, quoiqu'on retrouve pourtant le délai de sept ans
�-
93 -
d:;ms la coutume de Hayonne, et 4Beaumanoir, obéissant
à une règle à peu près générale, fixa à dix ans, daii.s sa
coutume du Beauvoisis, le temps nécessaire pour acquérir par la possession les immeubles des majeurs.
Au seizième siècle l'organisation définitive de la prescription était chose accomplie, et l'on voit presque toutes
les coutumes exiger la réunion des trois conditions nécessaires encore aujourd'hui, c'est-à-dire le juste titre,
la bonne foi et un certain laps de temps de possession.
La coutume de Paris l'établissait en ces termes dans
son article 113 : << Si aucun a joui ou possédé héritage
ou rente à juste titre, tant pour lui que pour ses successeurs dont il a le droit et cause, franchement et sans
inquiétation par dix ans entre présents, et vingt ans
entre absents, il acquiert la prescription dudit héritage
ou rente. >> Ce serait toutefois une erreur de croire que
ce délai de dix ans ait été adopté d'une façon uniforme
par toutes les coutumes . Celles qui l'admirent furent
certainement très nombreuses, et avec l'article 11 3 de la
coutume de Paris, que nous avons déjà rapporté, on
peut citer, à titre d'exemples, la coutume de Calais ,
art. 205 ; celle de Meaux, art. 80 ; celle de Blois, art.
192; celle d'Auxerre, art. 188; celle de Melun, art. 170;
celle de Verdun, art. 1, titre 13; celle de Montfort, art.
61 ; etc. Mais à côté de ces coutumes il en existait
d'autres qui n'admettaient que la prescription de trente
ans. C'est ainsi, nous dit Dunod, << que ce qui est prescriptible par dix et vingt ans, suivant le droit romain,
ne peut être prescrit que par trente ans en FrancheComté. Il en est de même . en Bourgogne, Normandie,
Nivernais, Orléanais, la Marche, Bourbonnais et Auvergne. » Et ce jurisconsulte, approuvant cette décision,
ajoute << que ces coutumes ont ainsi coupé sagement la
�-
94 -
racine d'une infinité de procès, que la diversité des temps
des prescriptions introduites par le droit romain, la
preuve de la bonné foi et la qualité des titres qu'il exige
dans les prescriptions courtes, faisaient naître. » Il fau t
enfin ajouter que si quelques coutumes, comme celle de
Lorraine, par exemple, se contentaient de la bonne foi
pour permettre la prescription, d'autres, plus sévères,
notamment celle de Bruxelles, exigeaient le titre et la
bonne foi même pour la prescription de trente ans .
Il semble que dans les pays de droit écrit, où les
traditions du droit romain subsistaient davantage, la
prescription de dix à vingt ans devait seule prévaloir, et
c'est bien là ce que dit Dunod (1).
Nous croyons plus volontiers, avec Merlin (2), que cette
règle, loin d'être absolue, comme l'affirme Dunod, souffrait au contraire de nombreuses exceptions . Chorier,
dans sa Ju1·isprudence de Guy-Pape, page 333, dit que le
parlement de Grenoble ne reconnaît que les prescriptions de trente et quarante ans; et lorsque Bretonnier
affirme, dans ses Qiiestions alphabétiques, au mot prescription, que cette Cour est la seule qui juge ainsi, il se
trompe certainement, car Serres, dans ses Institutions
au droit français, livre 2, titre 6, dit que dans les pays
de droit écdt on n'a conservé la prescription de dix à
vingt ans qu'à l'égard des hypothèques. La même doctrine était établie au parlement de Bordeaux, et l'annotateur de La Peyrère fait remarquer que bien que la
prescription de dix ans soit établie contre le créancier,
néanmoins il faut trente ans pour prescrire contre le
(1) Traité de la p1'esc1'iption, part. 2, chap. VIII.
(2) Répertoi1'e, V' prescription, section II.
�-
95 -
propriétaire. Julien, dans son Corrvmentaire sur les statuts
de Provence, tome 2, page 516, assure que la même
chose existait au parlement d'Aix.
Après ce rapide exposé, qui nous permet de constater
une foi s de plus l'infinie variété des règles de notre ancien droit français, nous allons examiner les diverses
conditions requises par les coutumes ou les pays de droit
écrit qui admettaient la prescription acquisitive de dix
à vingt ans.
CHAPITRE IER
Du juste titre
Dunod, après avoir constaté que le droit civil, comme
le droit canon, exigent que la possession soit fo ndée s ur
un juste titre pour mener à la prescription, après un
délai de trois ans pour les meubles, et de dix ans poi;tt'
les immeubles , le définit de la mani ère suivante : cc ~
· 't_p..e.s_ gens,
~~n elle-même, soit ar
~.LJ2ar le droit civil, à transférer l e domaü1e, ''
Or, comme dans notre ancien droit, le simple consentement ne pouvait à lui ~eul transférer la propriété, c'est
avec raison que ~· a pu dire que le juste titre était
~t , ou un autre aci&_, de natun à transférer la
�..-- 96 p_!'gpriété par la tradition }!i _.Q.!!_~tait~ conséquence,
~e manière que l.orsque la propriété n'était pas transférée, c'était par le défaut de droit en la personne qui faisn,it la tradition, et non par le défaut du titre en conséquence duquel la tradition avait été faite. La notion du
juste titre est donc dans notre a!!_ciell_droit français ce
qu'elle était en droit romain, c'est-à-dire que le juste
titre est un acte juridique antérieur à la tradition et qui
l'explique, acte qui aurait eu pour conséquence le transfert de la propriété s'il eût émané du véritable propriétaire. Les contrats de vente, d'échange, de donation, les
' legs, etc., sont donc des justes titres ; au contraire, un
bail à ferme ou à loyer, un contrat de nantissement,
n'en sont pas.
Par application des principes du droit romain, c'était
à celui qui prétendait que sa possession était fondée sur
un juste titre, à justifier de l'existence de ce titre. S'il
prétendait, par exemple, qu'elle provenait d'une vente, il
devait en justifier par la présentation d'une expédition
du contrat qui avait été passé devant notaire. Si la
vente avait été faite sous signature privée, le possesseur de l'héritage en justifiait suffisan1ment par la
présentation de l'acte sous seing privé qui la constatait.
Mais ici se présentait un danger, car si, même à_ l' é~'trd
des ti~rs, cet acte sous seing privé prou!ait l'existerice
de la vente, il y avait à craindre que la facilité de l'antidater ne poussât les parties à la fraude. Un arrêt du
29 novembre 111.§..(1) vint pa~r à cet inconvénient, en
décidant que le possesseur devrait prouver par témoin
la durée de la possession qui procédait de ce titre.
(1) Journal cles Audiences, tome 6.
�- 97 Quant à fair e par témoin la preuve de la vente ellemême, ou de tout autre juste titre, le possesseur n'y était
autorisé ~e dans les trois cas
i nts : lorsque la
chose vendue était d'une valeur qui n'excédait pas cent
livres ; lorsqu'il y avait déjà un commencement de preuve
par écrit; lorsque l'écrit dressé pour constater l'existence du juste titre avait péri par suite de quelque
accident de force majeure ; lorsqu'il avait été détruit,
par exemple, dans l'incendie de la maison où il avait été
déposé, et, d'une faço n générale, toutes les foi s que le
possesseur pouvait justifier qu'il avait été perdu sans sa
faute.
La coutume du Poitou présentait une disposition bien
singulière en ce qui concerne le mode de preuve admis
pour établir l'existence d'un juste titre. Le possesseur
était cru et était dispensé de toute autre preuve , lorsqu'il
affirmait sous serment que l'immeuble pour lequel il
opposait la prescription lui avait été livré par un ti ers
en vertu d'un j~s te _!;itre. Il existait cependant deux cas
dans lesquels le serment du possesseur était impuissant
à établir l'existence d'un juste ti tre ; c'était, premièrement, lorsqu'il disait qu'il avait acquis l'immeuble du
demandeur lui-même, et que celui-ci le niait sous serment; et en second lieu, lorsqu'il prétendait que le juste
titre s'était produit, non pas en sa personne, mais en
celle de son auteur.
P othier (1) fait remarquer que cette disposition de la
coutume de P oitou, d' après laquelle le possesseur justifiait par son serment de l'existence du juste titre de sa
possession, devait être restreintè au territoire de cette
(1) Traite de la prescription art. IV, part. 1.
�-
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province, car, ajoute-t-il, « elle ne s'accorde guère avec
l'horrible corruption des mœurs de notre siècle et avec
l'irréligion qui fait tant de progrès, et qu'on professe si
publiquement et si impunément . »
D'après Dunod, le titre sur lequel se fonde la possession doit présenter les caractères suivants; il faut :
® qu'il soit certain ;@ qu'il soit véritable et qu'il puisse
être appliqué à celui qui veut s'en servir;@ enfin qu'il
soit valable et capable de mettre le possesseur en bonne
foi, car, dit-il, cc l'erreur de droit n'excusant pas, il ne
suffirnit pas de croire bon un titre qui serait nul. »
D'après J;..othier (1), il fout: @ que le titre soit valable;
@ qu'il ne soit pas suspendu par quelque condition;
(fil) enfin, qu'il continue d'être le titre de cette possession
pendant tout le temps requis pour l'accomplissement de
la prescription. Le titre nul, nous dit Pothier, n'étant
pas un titre, la possession qui en procède est une possession sans titre qui ne peut opérer la prescription, et
comme exemple d'un titre nul, il cite le cas où quelqu'un s'est mis en possession des biens de son parent
qu'il croyait mort, quoique celui-ci fût encore vivant.
Il rapproche de ce cas celui où un légataire s'est mis en
possession, du vivant du testateur, de la chose léguée,
et il déclare que dans ce cas la possession a un juste
titre. cc Cujas, nous dit-il, donne pour raison de cette différence qu'il ne peut pas y avoir de succession d'un
homme vivant, au lieu qu'il peut y avoir des legs d'un
homme vivant, un testateur pouvant délivrer d'avance à
q)..lelqu'un la: chose qu'il lui a léguée. >>
Le titre putatif était-il suffisant pour mener à la prescription? Po-thier, adoptant la théorie du droit romain,
(1) frescrip . part. 1, chap. 3, art. 2.
�-
99 -
n'hésite pas à résoudre. cette question affirmativement
et réfute l'opinion contraire qui avait été soutenue par
Lemaitre . Celui-ci, s'appuyant sur les termes mêmes de
la coutume de Paris « si aucun a joui et posséclé ....... à
juste titre, etc ., en concluait que le système romain avait
été abandonné par cette coutume et autres semblables,
car, disait-il, l'opinion erronée d'un titre, quelque fon dement qu'elle ait, n'est pas un titre et ne peut pas
remplir ce que la coutume exige pour la prescription.
La réponse, disait Pothier, est que l'opinion qu'a le ,
possesseur que sa possession procède de quelque juste
titre, quoiqu'elle soit fausse, lorsqu'elle est appuyée sur·
un juste fondement, est elle-même un juste titre comme
sous le titre général p1'o sua : un tel possesseur peut
donc dire qu'il est dans les termes de la coutume de
Paris et qu'il a possédé à juste titre : << La coutume de
Paris, en l'article 113, ajoute-t-il, et les autres coutumes
semblables n'ont entendu faire autre chose que d'adopter
la décision du droit romain sur la prescription de dix et
vingt ans : les dispositions de ces coutumes doivent donc
s'entendre et s'interpréter suivant les principes du droit
romain, lorsque rien n'oblige de s'en écarter. >i
�CHAPITRE II
De la bonne foi
La bonne foi qui doit accompagner la possession pour
opérer la prescription est, nous disent les anciens auteurs, la juste opinion qu'a le possesseur d'avoir acquis
la propriété de la chose qu'il possède; en d'autres termes,
c'est la croyance, chez le possesseur, que la chose lui a
été transmise par celui qui en était propriétaire.
Comme on se demandait, nous dit Dunod, si celui qui
doutait était de bonne foi, on avait distingué deux sortes
de doutes : le possesseur pouvait. avoir des doutes sur
les droits de celui qui lui avait transmis la chose; ce
premier doute pouvait en faire naître un autre chez lui,
sur le point de savoir s'il devait retenir la chose en
sûreté de conscience et sans péché. Lorsque ces deux
doutes étaient réunis, le possesseur ne pouvait ni commencer, ni continuer une possession utile pour la prescription. Le motif qui avait fait admettre cette solution
était que celui qui est incertain sur le point de savoir
s'il doit continuer ou abandonner la possession de la
chose abdique, en quelque sorte, l'animus domini, condition essentielle à toute prescription. Si le do.ute portait
seulement sur le droit de celui qui lui avait transmis la
chose, la prescription ne pouvait sans doute pas corn-
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101 -
mencer, mais le possesseur pouvait continuer la prescription commencée déjà, lorsque, malgré ce doute, il
n'en était pas moins décidé à conserver le bien et à l'acquérir par prescription ; c'était une application de la
doctrine romaine mala (ides superveniens non nocet ; le
possesseur n'était pas sans doute à l'abri de tout reproche,
mais au moins avait-il conservé l'animus po'Ssidendi.
En ce qui concerne l'erreur de droit chez le posses·
seur, Dunod répond qu'elle était une excuse suffisante
« si la matière était épineuse et difficile, mais que si le
doute portait sur un droit clair, l'ignorance du droit
n'excusait pas la mauvaire foi. >> Pothier, s'appuyant sur
le texte de Paul, numquami in usucapionibus juris errnr
possessori prodest, rejetait dans tous les cas l'erreur de
droit.
D'après le droit romain, il suffisait que la bonne foi eût
existé chez le possesseur au commencement de la pos·
session j la connaissance qu'il pouvait acquérir plus tard
que )a chose ne lui appartenait pas, ne faisait nullement obstacle à la prescription et la chose devenait
sienne à l'expiration du temps requis pour prescrire. Le
droit canonique, au contraire, exigeait que la bonne
foi eüt existé chez le possesseur pendant toute la durée
de la possession : quoniam omne quod non est eœ fidè,
peccatum est .... , unde opportet, ut qui p1·œscribit, in nulla
temporis pa;rte, rei habeat conscientiam alienam ; de là la
question de savoir si le droit canon devait être suivi de
préférence au droit civil. Cette difficulté avait donné
naissance à cinq opinions différentes qui nous sont rapportées par Dunod de la manière suivante :
<< La première soutenait que les lois civiles doivent
être suivies dans les terres du prince q~i les a faites ou
reçues, et les canons seulement dans les terres du pape.
7
�-
102 .-
La seconde, que les lois civiles . servent de règle pour
le for extérieur et que l'autorité des canons doit être
bornée au for intérieur ou de la conscience.
La troisième, que les canons ne sont applicables qu'à
la prescription des choses, et que les lois civiles sont
demeurées dans leur force pour celles des· actions personnelles.
La quatrième étend les canons aux actions personnelles , même lorsque le débiteur a été mis en retardement.
La cinquième , que les canons doivent être suivis préalablement à toute loi qui autoriserait la prescription en
mauvaise foi . » Cette dernière opinion fut adoptée par
Pothier. « Cette disposition du droit canonique est très
équitable, dit-il. Par ln. connaissance qui survient au
possesseur avant qu'il ait accompli le temps de la prescription, que la chose qu'il avait commencé de bonne foi
à prescrire ne lui appartient pas, il contracte l'obligation
de la rendre, laquelle obligation naît du précepte de la
loi naturelle, qui défend de retenir le bien d'autrui. Cette
obligation étant une fo is contractée , dure toujours jusqu'à ce qu'elle soit acquittée et résiste à la prescription (t ). >>
Comme sous l'empire du droit romain, le successeur
pouvait joindre à sa possession celle de son auteur'.
Lorsque c'était un héritier ou .un autre successeur universel, sa possession étant censé n'être que la continuation de la possession du défunt, si ce dernier avait possédé de bonne foi un héritage et était mort avant l'accomplissement du temps de la prescription, son héritier,
quoiqu'il fût de mauvaise foi, pouvait l'acquérir par pros(1) Prcscrip . part. J, cliap. II art. 1.
�-
f03 -
cription en continuant à le posséder pendant le temps
qui restait à courir. Cette conséqueli.ce, exacte suivant le
droit romain, ne l'était plus dans notre ancien droit, car
nous avons vu que d'après la règle empruntée au droit
canonique: la bonne foi du possesseur devait durer pendant tout le temps requis pour prescrire. L a question de
savoir si l'héritier bénéficiaire hérite de la mauvaise foi
de son auteur avait fait cloute. Dunod pensait avec
raison que l'héri tier bénéficiaire n'en reste pas m~ ü1s un
véritable héritier , un successeur universel qui représe nte touj ours la personne du défunt.
CHAPITRE III
Du laps de temps
D'après la coutume de Paris, article 113, la prescription s'accomplissait par dix ans entre présents et vingt
ans entre absents. Le sens dans lesquels ces mots présents et absents s'entendaient était le même que sous
Justinien, c'est-à-dire que la prescription était censée
courir entre présents lorsque, tant le pos·s.esseur que le
propriétaire, demeuraient l'un et l'autre dans le ressort
du même parlement. On ne tenait nul compte de la situa.
tion de l'immeuble. L'article 116 de la ·coutume de Paris
dit : sont réputés présents ceux qui sont clemeurants en
la ville, prévoté et vicomté de P aris » , et la coutume de
�- 104 Meaux, article 82, cc on tient pour présents ceux qui
demeurent au même baillage royal. »
Lorsqu'on dit que la prescription court entre présents
quand le possesseur et le propriétaire ont leur domicile
dans le même baillage, on entend parler du domicile de
· fait, et c'est dans ce sens que le prend l'ordonnance
de 1667; il ne suffirait donc pas que l'un et l'autre eussent leur domicile de droit dans le même baillage, si
l'un ou }'autre n'y avait pas sa demeure actuelle. Lorsque
le possesseur ou le propriétaire n'avait de demeure fixe
nulle part, la prescription était censée courir entre
absents. Quand la prescription avait commencé entre présents et que, avant son accomplissement, le possesseur
ou le propriétaire transférait son domicile dans un
autre baillage, il fallait, pour l'accomplissement de la
prescription, doubler le temps qui restait à courir pour
la prescription de dix ans. Dans le cas il~verse, il ne
fallait plus, pour accomplir li:t prescription, que la moitié
du temps qui restait à courir de la prescription de vingt
ans, lorsque le propriétaire et le possesseur commençaient à demeurer clans le même baillage.
La coutume de Sedan s'était F,;eule écartée du droit
commun et faisait dépendre la présence ou l'absence de
la distance qui séparait l'héritage du domicile du propriétaire : cc Sont réputés présents, dit l'article 313, ceux
qui sont demeurants dedans dix lieux à l'environ de la
situation de l'héritage; et ceux qui sont clemeurants plus
loin que de dix lieux sont réputés absents. »
Lorsque quelqu'un prescrivait un héritage contre d~ux
propriétaires par indivis dont l'un habitait le même
baillage que le pbssesseur, et l'autre un baillage différent, la prescription de dix ans s'appliquait seulement à
la part de celui qui était réputé présent.
�CHAPITRE IV
Au profit de qui et contre qui pouvait courir la
prescription ? Effets de la prescription
Nous avons vu que dans le droit romain, les citoyens
étaient seüls admis au bénéfice de l'usucapion. Les
mêmes motifs qui avaient déterminé l'application de cette
règle à Rome, paraissent devoir recevoir application
dans notre ancien droit français, pour y exclure du droit
d'acquérir par prescription les étrangers non naturalisés.
Aussi Pothier pensait-il que le temps de la· prescription ne pouvait courir à leur profit tant qu'ils
n'avaient pas obtenu des lettres de naturalisation.
Le seigneur ne peut prescrire contre son vassal, était un
axiome reçu dans la plupart des coutumes ; il devait être
entendu en ce sens que le seigneur ne pouvait acquérir
la propriété du fief de son vassal en le possédant en
vertu d'une saisie féodale faite en sa qualité de seigneur ;
en effet, le seigneur possédait le fief saisi, non pas
comme s'il devait le conserver toujours, maisjusqu'à ce
que le vassal se présentât à la foi.
Il y avait dans notre ancien droit certaines personnes
contre lesquelles la prescription ne courai~ pas ; tels
étaient _les mineurs de vingt-cinq ans. Bien plus, lorsque
la prescription avait commencé à courir contre un
�- 106 majeur auquel succédait un mineur, elle était suspendue
au profit de cet héritier pendant sa minorité . Il y avait
cependant quelques coutumes qui s'étaient écartées de
cette règle ; celles du Ludunois et de Bretagne déclaraient que la prescription continuait à courir contre les
mineurs lorsqu'ils étaient pourvus de tuteurs . « Les
prescriptions commencées avec les · majeurs courent
contre ..... les mineurs, étant pourvus de tuteurs, etc ... >>
dit l'article 9 de la coutume de Bretagne.
A côté des biens des mineurs on rangeait dans la
catégorie des biens qui n'étaient pas soumis à la prescription de dix ou vingt ans : 1° les biens des églises et
des communautés ; la prescription de quarante ans leur
était seule applicable ; 2° les biens du domaine de la couronne. Le décret de 1790, qui déclarait à l'avenir le
domaine national aliénable, décida aussi qu'il pouvait
être prescrit, mais seulement par une possession de
quarante ans .
Les choses incorporelles étaient, dans notre ancien
droit, susceptibles de quasi possession et pouvaient,
comme telles, être acquises par la prescription de dix
à vingt ans par la jouissance qu'on en avait eue pendant ce temps-là. C'est ce qu'exprime formellement la
coutume de Paris : << si aucun a joui ou possédé héritage ou 1·ente ... '' ce qui s'entendait tant des rentes consti. tuées que des rentes foncières, et s'étendait aux autres
choses incorporelles. Quant à la prescription des servitudes, la plus grande diversité régnait dans les coutumes
(Merlin, Report. v0 • servit. § 22 et suiv .). On pourrait
cependant ranger les coutumes en quatre classes : les
unes admettaient la prescription pour toutes les servitudes sans distinction ; les autres ne l'admettaient que
pour certaines servitudes. Il y en avait qui rejetaient
�-
107 -
absolument la prescription, d'autres, enfin, qui suivaient
la regle « nulle servitude sans titre n et n'admettaient
pour la prescription que la possession colorée .
La prescription de dix à vingt ans était, dans notre
ancien droit, un véritable mode d'acquisition de la propriété; cette manière de voir, exprimée formellement
par l'article 113 de la coutume de Paris, avait été adop tée par la plupart des autres coutumes; l'article 118 de
la coutume de Senlis dit : << ils acquièrent par prescription la propriété et seigneurie, '' et l'article 431 de
celle d'Anjou.« a acquis le droit de propriété de la chose. n
La prescription faisait acquérir non seulement la propriété, mais, aux termes de l'article 114 de la coutume
de Paris, elle la faisait acquérir <<franche et quitte; ''
?lle éteignait donc de plein droit les rentes foncières,
hypothèques et autres charges réelles dont l'héritage
était grevé , pourvu, toutefois, que le possesseur eût été
de bonne foi et eût ignoré l'existence de ces charges.
Quoiqùe les coutumes disent « toutes rentes))' il faut néanmoins en excepter celles qui sont récognitives de la
seigneurie directe que le seigneur, de qui l'héritage
relève, s'est réservé; les droits de seigneurie étaient en
effet imprescriptibles, et il en était de même des devoirs
et des redevances qui en étaient ré~ognitifs. De même
encore le possesseur ne pouvait acquérir par prescription l'affranchissement du retrait seigneurial ou du retrait
lignager, car ces retraits étant de droit commun, il
avait dû s'y attendre ; la prescription, au contraire, le
déchargeait du retrait conventionnel.
Les droits de substitution dont les héritages pouvaient
être chargés n' étaient point sujets à la prescription de
dix ou vingt ans, lorsque b substitution avait été insinuée ; le motif en était que le possesseur de l'héritage
�-
108 -
grevé ne pouvait être de bonne foi, car il avait dû consulter les registres publics où ces substitutions étaient
enregistrées.
A l'époque de la rédaction du Code civil, le proj et du
titre de la prescription ayant été communiqué aux Cours
d'appel, il y en eut quelques-unes qui, se fondant sur
les difficultés que faisaient naître le domicile du propriétaire, souvent incertain, et la bonne foi du possesseur, proposèrent de supprimer la prescription acquisitive de dix et vingt ans. Le législateur pensa avec raison
que ces difficultés, quoique réelles, n'étaient cependant
pas suffisantes pour faire rejeter une institution aussi
utile, et le Code, dans son titre XX, décrété le 24 ventôse an XII , consacra la prescription décennale à côté de
la prescription trentenaire. Ap rès avoir constaté que la.
prescription s'impose par des considérations d'ordre
public, M. Bigot-Prearnenen, l'orateur du gouvernement,
déclare qu'une distinction doit nécessairement être faite
entre le possesseur avec titre et bonne foi, et celui qui
n'a à opposer que le fait même de sa possession : cc Le
possesseur avec titre et bonne foi, dit-il, se livre avec
confiance à tous les frais d'amélioration; le temps après
lequel il doit être dans une entière sécurité doit donc
être beaucoup plus court. Quant aux possesseurs qui
n'ont pour eux que le fait même de leur possession, on
n'a point de raison pour traiter à leur égard les propriétaires avec plus de rigueur que ne le sont les créanciers à l'égard des débiteurs. ''
<:..
�TROISIÈME PARTIE
DROIT FRANCAIS
>
DE LA PRESCRIPTION PAR · DIX A VINGT ANS
(Code civil, art. 2265-2269)
INTRODUCTION
Il est universellement admis que la possession est le
fait par lequel le droit de propriété se manifeste, d'où il
suit que, lorsque le droit marche d'accord avec le fait, la
possession est unie à la propriété, sans que la volonté
du propriétaire qui consent ·à céder la possession à un
tiers, comme dans le cas de louage, brise le lien qui unit
le droit au fait, car alors le propriétaire est censé jouir
de la chose par son fermier . .Mais lorsque le droit de
propriété est contesté, et que, parmi des personnes qui
�110 allèguent des prétentions également plausibles, il faut
rechercher où il se trouve, on est alors forcé de considérer la possession abstraction faite de la propriété. La
loi, fidèle à ce principe que la possession est un attribut
ùe la propriété, présume pro:visoirement, et jusqu'à
preuve contraire, que celui qui possède est propriétaire ;
si la possession a été assez longue pour établir cette
présomption, si elle a duré un an et un jour, elle lui
accorde les actions possessoires; si elle a continué pendant dix ou vingt ans avec certaines conditions, la loi
déclare le possesseur propriétaire.
Quelques auteurs , considérant rue la prescription
repose en grande partie sur la présomption de fait d'un
droit antérieurement acquis, ont pensé que la rédaction
de l'article 2019 était défectueuse, et que la prescription,
au lieu d'être un mode d'acquérir, 6tait plutôt la présomption légale d'une acquisition préexistante.
Cette manière de voir ne nous paraît pas admissible .
En effet, outre qu'il ne saurait y avoir d'autres présomptions légales que celles qui ont été attachées par un e
loi spéciale à certains actes ou à certains faits, dire que
la prescription est une présomption, c'est dire qu'elle
est un mode de preuve de la propriété. Or, telle n'est pas
certainement l'idée que le législateur s'est faite de la
prescription, puisque clans l'article 712 il la met sur la
même ligne que la donation et le testament ; la proscription est rangée par la loi parmi les faits par lesq uels
la propriété s'acquiert, ce n'est donc pas une preuve.
Un titre n'est d'ailleurs translatif de propriété que s'il
émane du propriétaire; or, celui qui invoque la prescription se fonde sur un titre qui n'émane pas du propriétaire, sans quoi la prescription serait inutile ; comment
donc soutenir que la prescription est la présomption lé-
�- 111 gale d'une acquisition puisqu'elle se fonde sur un titre
qui ne pouvait transférer la propriété ?
Cette notion de la prescription, contraire aux textes,
constitue d'ailleurs une innovation contraire à la doctrine
admise dans le droit romain et dans notre ancienne jurisprudence: A Rome, la prescription acquisitive, appelée
usucapion, était un des modes d'acquérir la propriété
quiritaire ; la définition du code civil a été empruntée
à Domat, pour lequel la prescription était un mode d'acquisition, et Dunod s'inspire de la même pensée quand il
dit : cc la prescription est un rnoyen d'acquérir le domaine
des choses en les possédant. 11
L'intérêt de la question est d'ailleurs purement théorique, car tout le monde es t d'accord sur la solution
de la difficulté' qu'elle présente dans l'application.; on
reconnaît, en effet, que bien que la prescription soit un
véritable mode d'acquisition, ses effets remontent au
jour où elle a commencé. Le législateur, il est vrai, n'en
pose pas le principe, bien moins encore en donne-t-il
la raison, mais il en consacre une application dans l'article 14.02. Si l'un des époux mariés sous le régime de la
communauté, achève pendant la durée de la communauté,
une prescriptisn commencée avant le mariage, l'immeuble sera-t-il acquet ou propre ? L'immeuble est propre, nous dit la loi ; c'est donc que la prescription produit son effet du jour où elle a commencé, car si l'effet
de l'acquisition eftt daté du jour où la prescription s'es t
accomplie, l'immeuble eftt été un acquet.
Avant d'entrer dans l'examen détaillé de la prescription décennale, faisons remarq'uer une inexactitude clans
la terminologie employée par le code. La rubrique de la
section III du chapi tre IV porte en effet ces mots : cc De
la prescription par dix ou vingt ans». On a souvent fait
�- 112 observer que cette formule semble indiquer que la prescription s'accomplit tantôt par dix ans, tantôt par vingt
ans, sans pouvoir présenter jamais de délai intermédiaire, tandis, au contraire, qu'elle est susceptible de se
réaliser dans un espace de temps compris entre le
minirrvuni de dix ans et le maxinvwm de vingt . .
Supposant la possession revêtue des caractères énumérés par l'article 2229 et nécessaires pour toute pres cription acquisitive, nous allons étudier successivement
les conditions particulières à cette · prescription privilégiée, et nous le ferons dans l'ordre que nous avons suivi
déjà pour l'étude de la prœscriptio long·i temporis du
droit romain, c'est-à-dire que nous distinguerons les
conditions relatives à la personne qui invoque la prescription, et celles relatives à la chose qu'il s'agit d'acquérir par ce mode ; dans un dernier chapitre, nous
parlerons des effets de cette prescription.
;
�CHAPITRE lllR
Conditions relatives
à la personne
SECTION PREMIÈRE
Du juste titre
Le juste titre nécessaire à la prescription de dix à
vingt ans est celui « qui de sa nature est translatif du
droit de propriété . >1 C'est ainsi que le définissait BigotPréameneu dans l'exposé des motifs. Ce titre est appelé
juste , non pas parce qu''ü émane du propriétaire, car
alors la prescription serait inutile, mais parce qu'il est
l'expression d'un des modes reconnus par la loi pour
opérer le déplacement du domaine des choses; parce que
lui seul peut déterminer chez l e possesseur la croyance
plausible qu'il s'est passé un événement qui l'a investi
de la propriété. Sans doute, à l'égard du propriétaire, ce
titre est injuste et celui-ci peut en paralyser les effets
en intentant l'action en revendication en temps 'utile ;
mais s'il ne le fait pas, on n'a plus égard à l'absence du
�-
114 -
droit dans la personne de celui qui s'est faussement prétendu maître de ln. chose afin de pouvoir l'aliéner, la
faute de l'aliénateur ne jaillit pas sur l'acquéreur qui
n'en est pas le complice, et le titre se dépouille de son
vice originaire en faveur de la possession. de borrne foi.
Les faits ou les conventi ons constitutifs du juste titre
sont aussi nombreux qu'il y a de manières différentes
d'acquérir la propriété ; nous examinerons les plus usuels.
La vente, contrat essentiellement · translatif, es t, de tous
les justes titres celui qu'on invoque le plus souvent pour
servir de base à la presc ription. L'échange es t un contrat tout à fait analogue à la vente. De même encore le
paiement et la dation en paiement, car donner en paiement c'est vendre; seulement il faut ici fair e remarquer
que lorsque c'est la chose due qui m' a été payée, comme
dans ce cas le paiement n'est que l'exécution d'une
convention antérieure, le titre pm solu to conc ourt toujours avec un autre, t andis que s'il y a dation en pp.iement proprement dite, le titre unique de la possession
consiste dans le paiement ; de même encore lorsque la
chose vendue est une chose indéterminée, comme la propriété est transférée par le paiement, le paiement seul
constitue le juste titre.
L es actes à titre gratuit peuvent également constituer
de justes titres , tels sont les donations et les legs . En
est-il de même du ti tre d'héritier ?
Les jurisconsultes romains plaçaient le titre pro hœr13de
parmi les justes titres , et notre Code dit que la propriété
s'acquiert par succession. Il n'en es t pas moi_ns vrai cependant que dans notre droit actuel, le titre d'héritier ne
peut servir de fondement à la prescrip tion de Q.ix an .
L'héritier n'a d'autre droit, en effet, que celui de son
auteur; si celui-ci avait un juste titre, l'héritier y succé-
�115 dera, mais il ne commencera pas une possession fondée
sur un titre nouveau, et si le défunt n'avait pas de titre
l'héritier ne saurait en avo ir aucun . S'il en était autrement en droit romain, c'est qu'on avait admis que le ti tre
n'était pas absolument nécessaire et que la bonne foi
était suffisante, pourvu qu'elle fût claire et légitime : tel
était le cas de l'héritier qui, trôuvant une 1·es aliena
parmi les choses héréditaires, la possédait croyant
qu'elle faisait partie de l'hérédité . Notre droit moderne
est plus rigoureux, il exige un titre translatif; or, si
dans cette hypothèse l'héritier a possédé, c'est évidemment sans titre, et la prescription de dix ans no le con. cerne pas .
Le titre pro dote se rencontrera rarement dans notre
droit français, car le mari devient, non pas propriétaire,
mais seulement administrateur de la dot de sa femme .
Si l'on se place cependant dans l'hypothèse de l'article
1552 et si on suppo se que l'immeuble appor té en dot a été
estimé avec déclaration que l'estimation vaut vente, le
mari l'usucapera par dix à vingt ans dans le cas où il
appartiendrait à un tiers. Sans cloute il y a eu dans ce
cas plutôt vente que constitution de dot, mais comme la
vente n' a d'autre but que de réaliser la constitution do
dot, on peut dire que le mari possède pro dote.
La tmnsaction est-elle un juste titre pour proscrire ?
La question ne souffrait aucune difficulté en droit
romain, et la solution affirmative se trouve dans plusieurs
textes ; en est-il de même dans notre droit français?
Nous ne le croyons pas .
Nous savons en effet qu'à la différence du droit romain,
qui s'attachait plutôt à la juste opinion du titre qu'au
titre lui-même, et qui souvent même co nsentait à ce
qu'on s'en passât , notre droit actuel se montre plus
�116 -
rigoureux sur l'existence du juste titre. Nous repoussons
aussi la doctrine admi s~ par les anciens interprètes et
qui consistait à distinguer si la transaction avait ou non
déplacé la possession. Il faut, croyons-nous, s'attacher
uniquement à la cause du contrat, et après avoir examiné les faits , voir si la transaction n'a fait que confirmer un droit antérieur, ou si elle a créé un droit nouveau. Si l'on supp ose que quelqu'un, dépouillé d'une
chose, transige avec le possesseur et l'abandonne à ce
dernier, la transaction devra être considérée comme un
titre véritablement translatif et pourra servir de base à
la prescription de dix à vingt ans. On peut même dire
que ce titre, quoique qualifié de transaction, est une
véritable vente, et que la possession est basée sur le
titre pro emptore.
La transaction constitue également un juste titre lorsque l'une des parties, afin d'amener un accord entre
elles, cède à l'autre un immeuble qui n'est pas compris
dans le litige .
Mais le plus souvent il n'en sera pas ainsi; la transaction interviendra presque touj ours sur un droit trèsdouteux, de telle sorte qu'il sera impossible de dire s'il
y a eu translation de propriété. Dans d!'l telles conditi ons , soit que la possession de la chose qui fait l'obj et
de la transaction ait été déplacée, soit que cette chose
soit restée entre les mains du possesseur primitif, celui
auquel elle est attribuée est censé l'avoir désormais au
ti tre dont il se prévalait avant la transaction.
Une transaction offre beaucoup d'analogie avec un
jugement; nous sommes ainsi amenés à nous demander
si ~s j.u.gé_e constitue un juste titre à l'effet de pres·
crire par dix et vingt ans.
A raison même de l'analogie qui existe entre la tran-
�-
117 -
saction et le jugement, nous sommes conduits à décider
pour le jugement ce que nous avons admis déjà pour la
transaction. Il y a des jugements qui sont de véritables
contrats de vente; tels sont les jugements d'adjudication. De tels jugements sont translatifs de propriété, ils
peuvent donc être invoqués comme justes titres. Mais
d'o rdinaire les jugements n'ont pas ce caractère, ils sont
déclaratifs de droits et non pas translatifs; ils déclarent
et sanctionnent un droit préexistant, ils ne le créent
point; ils ne sauraient donc être invoqués comme un
juste titre d'acquisition. Nous devons constater cependant que la Cour de cassation est d'un avis contraire et
que, par deux fois, elle a attribué au jugement la force
du juste titre (21 février 1827, Sir. 27, 1, 451; 14 juillet
1835, Sir 35, 1, 754).
Le contmt de société est-il un juste titre dans le sens
que nous donnons à ce mot au point de vue de la pres·
crip tion de dix à vingt ans?
L'affirmative ne semble pas douteuse si l'on considère
que le contrat de société est translatif de propriété. En
effet, à partir de la constitution de la société, la propriété des apports P9'SSe de chacun d<?s associés à l'être
moral que constitue leur réunion (1 ). Il faut dire cependant
que le contrat de société ne peut pas servir de fondement
à la prescriptio·n de dix à vingt ans; car, de deux choses
l'une, ou bien celui qui a mis dans la société un immeuble qui ne lui appartenait pas, le possédait en vertu d'un
juste titre et de bonne foi, et alors la société n'aura pa.s
besoin de commencer une prescription nouvelle~ mai_s
continuera la prescripyon commencée par l'associé qui
lui a transmis la chose; ou bien cet associé avait une
(1) Nous ne parlons que des sociétés commerciales, laissant
en dehors les sociétés civiles.
8
�-
118 -
possession sans titre et par conséquent de mauvaise foi,
et dans ce cas la possession sociale, qui ne saurait avoir
un caractère différent de la possession de l'associé par
lequel elle s'exerce, sera nécessairement viciée et la
prescription décennale inadmissible.
Si nous examinons maintenant la société ayant des
caractères particuliers qui se forme entre les époux
mariés sous le régime de la communauté, nous voyons
que la solution doit être différente. Si c'est la femme
qui apporte à la communauté un immeuble qu'elle savait
ne pas lui appartenir, le mari de bonne foi, seul maître
et seigneur de ce bien comme de tous ceux qui composent la communauté (art. 1421), commencera une prescription qui ne saurait être viciée par la mauvaise foi
de la femme, étrangère à la possession. Si l'apport a été
fait par le mari, la mise en communauté ne le déssaisissant pas de l'exercice du droit de propriété, la prescription demeurera impossible pendant comme avant le
mariage, à cause de sa mauvaise foi.
Après avoir parlé du contrat de société et de la prescription que l'on peut fonder sur ce titre, il nous reste à
examiner le partage, qui est la conséquence de la dissolution de la société ou de la communauté, et à voir si on
peut l'invoquer comme un titre suffisant pour servir de
base à la prescription de dix à vingt ans .
Nos anciens auteurs, suivant la doctrine du droit
romain, plaçaient le partage au nombre des titres translatifs et le considéraient par conséquent comme un juste
titre au point de vue de la prescription. Nous savons
au contraire que notre droit actuel s'est tout à fait écarté
des principes admis à Rome sur l'effet du partage, qui
est aujourd'hui purement déclaratif et jamais translatif.
Mais par .cela même que le partage, effaçant le temps de
�-
119 -
l'indivision, pr·oduit un effet rétroactif à l'époque de la
mise en société, de l'entrée en communauté, de l'ouverture de la succession, il peut se produire, relativement
à la prescription,, des difficultés qu'il importe d'examiner.
Voyons d'abord le partage, qui est la conséquence de la
dissolution d'une société .
Si par l'effet du partage, l'apport d'un associé tombe
clans son propre lot, cet associé sera considéré comme
n'ayant jamais cessé d'être propriétaire, et la prescription aura suivi son cours comme si la société n'avait
jamais existé .
'
Si l'immeuble apporté par un associé tombe dans le
lot de son coassocié, l'effet translatif remontant au jour
de la constitution de la société, le contrat de société
servira de juste titre à ce dernier. S'il était de mauvaise
foi au moment de la constitution de la société, c'est-àdire s'il savait que l'immeuble apporté par son associé
ne lui appartenait pas, il ne pourra évidemment pas
invoquer la prescription décennale; mais s'il était de
bonne foi il pourra certainement s'en prévaloir, car, par
l'effet du partage, le temps de l'indivision étant effacé,
il réunira les conditions exigées par l'article 2265.
Lorsqu'un partage se produit à la suite de la dissolution de la comml1nauté, les mêmes principes doivent
dicter les solutions.
Enfin, s'il sagit d'un partage entre cohéritiers, c'est-àdire d'un partage intervenu à la suite de l'ouverture
d'une succession, la question de savoir s'il peut constituer un juste titre ~e prescription dépend de l'étendue
que l'on donne à l'article 883 . Si l'on admet que le partage est déclaratif non seulement entre les cohéritiers,
mais encore à l'égard des tiers, erga onvnes, chacun des
héritiers étant censé tenir directement du défunt les
.·
�120 -
biens qui constituent son lot, ne saurait- invoquer d'autre
titre que celui que le défunt pouvait invoquer lui-mêmeIl nous s~mb l e préférable de croire que la fiction de
l'article 883 n'a d'effet que dans les rapports des cohéritiers entre eux, mais qu'à l'égard des tiers, à l'égard
du propriétaire, le partage constitue pour chaque héritier un juste titre. Chacun d'eux, en effet, doit être considéré, à l'égard des biens qui composent son lot, comme
un étranger qui les aurait acquis à la suite d'une
licitation.
Nous venons de voir quels sont les titres principaux
que le possesseur peut invoquer comme source de son
droit; mais il ne suffit pas que le titre soit de sa nature
translatif de propriété pour constituer un juste titre. Il
doit réunir encore d'autres conditions que l'on peut
résumer de la façon suivante. Il faut : 1° que le titre soit
réel et non putatif; 2° qu'il soit valable; 3° qu'il soit
définitif et non pas suspendu par l'effet d'une condition;
4° qu'il dure pendant tout le temps nécessaire à la prescription.
1° Nous disons que le titre doit être réel et non pas
putatif, et par titre putatif il faut entendre un titre qui
n'existe point, mais que le possesseur croit exister .
Notre ancien droit français, s'inspirant de la doctrine
romaine, admettait au contraire, ainsi que nous l'avons
vu, que le titre putatif pouvait servir de base à la prescription de dix à vingt ans ; on distinguait néanmoins
entre l'erreur de droit et l'erreur de fait. Si la personne avait possédé en vertu d'un titre sans existence
légale, mais qu'elle avait cru valab le par une erreur de
droit, elle ne prescrivait pas ; si, au contraire, elle avait
possédé en vertu d'un titre sans existence légale, mais
qu'elle avait cru valable par une erreur de fait, elle
�-
121 pouvait se prévaloir de la prescription. Nous avons vu,
aussi de bonne heure nos anciens jurisconsultes s'étonner
qu'on ne fit aucune distinction entre celui qui avait
acquis réellement et celui qui par erreur croyait avoir
acquis, et Lemaitre, commentant la coutume de Paris,
affirmer la nécessité d'un titre réel. Pothier, au contraire, fidèle à la doctrine romaine, admettait le titre
putatif ; cette doctrine a-t-elle été consacrée par le
Code? Quelques-uns l'ont pensé, se fondant sur ce que
les rédacteurs du Code suivent généralement la tradition.
Nous croyons, au contraire, que le titre réel peut seul
être invoqué pour la prescription. Tout d'abord, la tradition n'étant pas constante, ne saurait être invoquée, et
l'on peut objecter que le titre putatif étant un titre fictif,
un titre qui n'existe pas, on ne saurait se fonder sur le
silence du Code pour admettre une telle fiction, car il
appartient au législateur seul de créer des fictions et de
déterminer les conditions dans lesquelles il les admet. Si,
d'ailleurs, le Code n'exclut pas formellement le titre
putatif, il le rejette néanmoins d'une façon implicite, car
l'article 2265, beaucoup plus expressif que les anciennes
co_utumes, exige nécessairement un titre d'acquisition,
un titre translatif de propriété. Les travaux préparatoires confirment cette opinion : « Nul, dit Bigot-Préameneu, ne peut croire de bonne foi qu'il possède comme
propriétaire s'il n'a pas un juste titre, c'est-à-dire s'il n'a
pas un titre qui soit de sa nature translatif du droit de
propriété et qui soit d'ailleurs valable. ''
La· nécessité d'un titre réel étant admise, la solution
ne peut être douteuse dans les différentes hypothèses
que l'on peut rencontrer. Un acheteur, par exemple,
dont le titre ne porte que sur une partie des objets possédés, ne saurait invoquer la prescription que pour la
�-
122 -
partie de l'immeuble comprise dans son titre ; pour l'excédant il possède sans titre, ce qui rend la prescription
décennale impossible. Il faut remarquer, toutefois, qu'il
n'est pas nécessaire que le titre comprenne une désignation spéciale de toutes les parties de l'héritage qui
fait l'objet du contrat; mais c'est à celui qui prétend que
tel objet s'y trouve compris à en faire la preuve. Ainsi,
la donation faite à une personne d'une ferme telle quelle
<< s'étend, poursuit et comporte)) comprend telle pièce de
terre qui a toujours été considérée comme une dépendance dudit domaine ; et si un tiers revendique cette parcelle contre le donataire, celui-ci pourra certainement lui
opposer une prescription fondée sur la donation, à la
charge, toutefois, de prouver que la portion revendiquée
est comprise dans la donation (Cassation, 23 janvier 1837).
2° Il faut que le titre soit valable. Parmi les causes
nombreuses de nullité qui peuvent atteindre un titre, le
défaut des solennités prescrites est la seule que la loi ait
cru devoir consacrer.
L'article 2267 dit : « le titre nul pour défaut de forme
ne peut servir de base à la prescription de dix à vingt
ans. Il faut entendre par forme, dans cet article, la
solennité que la loi requiert dans certains actes comme
une condition substantielle, sans laquelle l'acte n'existerait pas ; on les appelle pour cette raison des actes
solennels : tels sont les donations et les testaments. La
loi ne nous dit pas que l'acte doit être valable en la
forme, mais, ce qui est bien différent, que le titre
nul pour défaut de forme ne peut servir de base à la
prescription; or, la nullité de l'acte n'entraîne la nullité
du titre que dans l~s contrats que nous venons de nommer et pour lesquels la loi exige des solennités qui constituent leur essence. La jurisprudence donne cependant
>)
�-
123 -
à l'article 2267 une étendue beaucoup plus grande~ëet
applique sa disposition à tous les écrits . C'est ainsi qu'il
a été jugé qu'un acte de vente notarié, dont la minute
n'avait été signée ni par le vendeur, ni par les témoins,
ne pouvait servir de juste titre à la prescription (Angers,
19 mars 1855; Dalloz, au mot prescript. n° 900, 2°). C'est
une confusion évidente entre le titre et la preuve du
titre . Le seul consentement des parties suffit à la validité de la vente, à la validité du titre, l'écrit n'est qu'un
moyen pour elles de se procurer une preuve littérale de
leur convention ; la nullité de l'acte ne peut donc pas
atteindre le titre . Ce que nous disons de la vente est
également vrai pour tous les contrats dont l'existence est
indépendante de l'écrit qui les constate. Lorsqu'il s'agit,
au contraire, d'actes solennels, d'actes pour lesquels les
formes déterminées par la loi sont exigées, non pas ad
probationeni, mais ad solemnitatem, la nullité de l'écrit
entraîne la nullité du titre, et l'on peut dire d'une donation nulle en la forme ce que l'article 1131 dit des contrats
sans cause : elle ne peut avoir aucun effei; j partant elle
ne peut servir de base à la prescription.
Ces principes, quoique certains donnent .lieu, dans
l'application, à une difficulté sérieus_e qui provient de la
disposition de l'article 1340. Après avoir dit, dans l'article 1339, que les donations nulles en la forme ne p_eu e..-v1\'
ètre confirmées, ce qui implique qu'elles sont inexistantes, le législateur dit, dans l'article suivant, que les
héritiers du donateur peuvent valablement confirmer la
donation en l'exécutant; ce qui revient à dire qu'à leur
égard la donation est seulement considérée comme nulle,
car ce qui caractérise les actes nuls, c'est qu'ils peuvent être confirmés, tandis que les actes inexistants ne
sont pas susceptibles de confirmation. On se demande
�-
124 -
""x alors si une donation exécutée par les héritiers du
donateur peut servir de base à la prescription.
La donation faite en dehors des formes légales étant,
à l'égard des héritiers du donateur, non pas un titre
inexistant, mais un titre frappé d'une nullité établie dans
leur intérêt, ceux-ci peuvent, en exécutant la donation,
c'est-à-dire en confirmant l'acte, le rendre valable : cette
donation peut donc ainsi devenir un juste titre.
On objecte que d'après' l'article 1338, la confirmation
ne saurait préjudicier aux droits des tiers ; or, ne seraitce pas violer cette disposition que d'opposer au propriétaire, comme servant de base à la prescription, une donation nulle en la forme ? Ce raisonnement ne nous
paraît. pas exact. En effet, par tiers l'article 1338 entend
ceux qui ont acquis un droit dans la chose postérieurement à l'acte nul, droit que la confirmation ne saurait
leur enlever. Mais la position du propriétaire n'est pas
telle ; son droit ne résulte pas de la donation, il est, au
contraire, antérieur à elle, et il peut le faire valoir
malgré elle en revendiquant la chose . La donation ne lui
enlève donc rien et on se trouve en dehors du principe
de l'article 1338.
Il faut appliquer aux legs et pour les mêmes motifs la
théorie des donations ; en effet, lorsque le testament est
nul en la forme, le legs est inexistant, il ne saurait constituer un juste titre. Mais pour que l'on puisse se demander si un legs contenu dans un testament nul en la
forme peut servir de base à la prescription, il faut nécessairement supposer que le legs a été exécuté; et alors se
pose la question de savoir si cette exécution ne constitue
pas une confirmation, et si, comme pour la donation, le
vice ne se trouve pas purgé? Nous ne le pensons pas.
L'article 1340 contient une disposition exceptionnelle
�- 125 relative aux donations, que l'on ne peut pas étendre aux
legs sans dépasser les termes de la loi. Nous devons
constater, toutefois, que la tradition est contraire et que
Pothier, se fondant sur la loi romaine, enseigne que le
legs devient un juste titre lorsque l'héritier le confirme .
Il est plus vrai de dire, nous semble-t-.il, que dans cette
hypothèse l'héritier n'exécute pas le legs, mais fait une
libéralité nouvelle qui doit être soumise aux formes
prescrites par la loi.
Les nullités de formes que nous avons étudiées jusqu'ici sont des nullités qui appartiennent à l'ordre public
et qui peuvent être invoquées par tout le monde . Mais,
à côté de ces nullités absolues il en est d'autres qui ne
sont que relatives, c'est-à-dire que ce sont des nullités
établies en faveur de certaines personnes déterminées
et qui ne peuvent être invoquées que par elles ; telles
sont les nullités qui intéressent les mineurs et les interdits . On se demande alors si, lorsque l'acte est vicié
par une de ces nullités relatives, la prescription décennale peut néanmoins être opposée au propriétaire.
Il arrivera quelquefois que l'acquéreur, traitant avec
le mineur ou l'interdit, connaîtra la qualité de la personne avec laquelle il traite, de telle sorte que les formalités légales protectrices de l'intérêt de ces personnes
n'étant pas observées, l'obstacle à la prescription se
trouvera dans la mauvaise foi de l'acquéreur. Toutefois,
dire que la prescription est impossible parce que l'acquéreur est de mauvaise foi, c'est tourner la difficulté,
car on peut avoir un juste titre et être de mauvaise foi,
et la question est de savoir si le titre frappé d'une nullité
relative est un juste titre. Nous croyons que cette question doit être résolue affirmativement, car la nullité
relative dont le titre est frappé n'empêche pas ce titre
�-
126 -
d'être translatif de propriété et de produire ses effets
tant que le mineur ou l'interdit n'invoque pas le bénéfice
du droit civil pour faire prononcer la nullité de son
obligation. Le tiers qui se prétend propriétaire et
combat la prescription invoquerait inutilement la nullité
de l'acte; la nullité n'existe qu'en faveur du mineur, et
tant que celui-ci ne l'invoque pas il ne saurait en être
question. Nous devons ajouter que, le plus souvent,
lorsque le possesseur invoquera la pre cription, l'action
en nullité qui appartient au mineur sera prescrite de
telle sorte qu'on ne saurait plus méconnaître le caractère translatif de l'acte. Sans doute alors pourra se poser
la question de bonne foi, mais nous ne nous occupons
ici que du juste titre et nous pensons que la nullité relative dont il est frappé ne l'empêche pas de servir de
base à la prescription de dix à vingt ans. Disons cependant que la Cour de cassation a jugé en sens contraire
que la vente des biens de mineurs faite en dehors des
formalités légales ne constitue pas un juste titre (Cassation, 1°' floréal an V. Dalloz, prescription, n° 900, 1°).
// Jusqu'à maintenant, nous renfermant dans les termes
de l'article 2267, nous avons supposé que la nullité de
l'acte invoqué comme juste titre tenait à la forme même
de l'acte ; mais un acte peut être nul pour un grand
nombre de causes prises ailleurs que dans sa forme. Il
peut être entaché de quelque vice intrinsèque, par
exemple, être attaquable pour cause d'erreur, de dol,
de violence, ou comme contraire aux lois ou aux bonnes
mœurs. Hâtons-nous de dire que le Code ne contient
aucune règle sur le point de savoir si de tels titres
peuvent servir de fondement à la prescription, et que
nous sommes par conséquent forcés de remonter à la
tradition. D'Argentré avait introduit une distinction fort
�-
127 -
rationnelle et qui doit encore· être suivie aujourd'hui,
entre les nullités absolues et les nullités relatives . Les
premières , fo ndées sur des raisons d'intérêt public, pouvant être invoquées par toute personne, seront opp osables par le propriétaire: à celui qui prescrit; ainsi , les
titres prohib és par la loi, les substitutions, les contrats
qui ont un caractère déshonnête ou contraire aux mœurs,
tel que l'achat d'un immeuble litigieux par un magistrat
ou un officier ministériel dans le cas prévu par l'article 1597, et aut res analogues, sont entachés d'une nullité d'ordre public que tout le monde peut invoquer. Ces
l'rnllités pourront donc être opposées par le propriétaire
qui revendique : de semblables titres ne sauraient servir
de base à la prescription décennale.
Restent les titres que la loi ne déclare nuls que dans
un intérêt privé . Si la partie intéressée n'en demande pas
la nullité , rien n'empêche qu'ils ser vent à fonder la
prescription. P armi ces nullités relatives, nous avons
déjà vu celles qui tiennent à l'absence des fo rmalités
légales qui doivent accompagner les actes faits par certaines personnes naturellement incapables, telles que les
mineurs et les interdits , nous pouvons y ajouter les actes
d'aliénation faits par la femme sans l'autorisation de son
mari.
· L e défaut de transcription _des donati ons de bîens
immobiliers est enco re une nullité relative, et l'article 941
nous dit que la nullité de la donation pourra être opposée
par t oute personne intéressée . La question se pose alors
de savoir si le donataire qui a reçu un immeuble de
quelqu'un qui n'en était pas le propriétaire et n'a pas
fait transcrire la donation, peut néanmoins opposer au
propriétaire qui revendique l'immeuble la prescription
de dix à vingt ans fond ée sur une donation non trans-
�-
128 -
crite; en d'autres termes, si le propriétaire peut être
rangé parmi les intéressés que la transcription a pour
but de protéger. Nous ne le croyons pas. D'après l'article 938, la donation dûment acceptée est parfaite par
le seul consentement des parties; la transcription n'est
nullement nécessaire pour opérer le transfert de propriété. Cette formalité n'a d'autre but que de permettre
d'opposer la transmission de propriété à certains tiers,
et par ce mot il faut entendre seulement ceux qui auraient acquis des droits réels sur l'immeuble du chef
du donateur postérieurement à la donation. L e propriétaire qui revendique ne peut être rangé dans cette catégorie, puisque son droit est antérieur à la donation.
La loi du 23 mars 1855, en exigeant la transcription
des actes translatifs de propriété immobilière, a fait
naître, pour les actes à titre onéreux, une question analogue à celle que nous venons d'étudier pour les aliénations à titre gratuit. L'acquéreur qui n'a pas fait transcrire son contrat d'acquisition peut-il opposer la prescription de dix ans au propriétaire qui revendique l'immeuble ? La réponse nous paraît encore devoir être
affirmative, et voici pour quels motifs. Le but de la loi
de 1855, qui exige la transcription des actès translatifs
de propriété immobilière, est de prévenir, par ce moyen,
les tiers qui pourraient traiter avec le précédent propriétaire. Ce sont donc ceux qui, postérieurement à la
vente, ont acquis des droits sur l'immeuble du chef du
vendeur qui ont. intérêt à invoquer le défaut de transcription . Mais si on suppose que la vente a été faite a
non domino, qu'importe au véritable propriétaire que le
contrat ait ou non été transcrit ? Le fait de sa dépossession avait dû suffisamment l'avertir et le mettre en
demeure d'exercer son action en revendication; la trans-
�-
129 -
cription du contrat de vente est donc pour lui une chose
indifférente.
Sans doute, d'après l'article 2180, le tiers détenteur ne
commence à prescrire contre les créanciers privilégiés
et hypothécaires qu'à partir du moment où il a fait transcril"e son contrat d'acquisition, mais il ne faudrait pas
en conclure que ce qui est vrai des créanciers privilégiés
et hypothécaires, le soit aussi du propriétaire. La disposition spéciale de l'article 2180 s'explique par cette considération, qu'une simple substitution dans la personne
du détenteur de l'immeuble affecté au privilége ou à
l'hypothèque, n'étant pas regardée comme suffisante pour
avertir les créanciers de la mutation de propriété, le
législateur a dû imposer, dans leur intérê"t, une transcription qui la leur révélât. La situation du propriétaire est toute différente, et lorsque l'acquéreur a non
domino aura possédé pendant le temps requis par l'article 2265, son droit reposera, non pas sur la vente que
le propriétaire n'avait nul intérêt à connaître, mais SUL'·
la prescription qui s'est accomplie à son profit et à la
quelle la vente est seulement venue servir de titre.
- 3° Il faut que le titre soit définitif et non pas suspendu
par l'effet d'une condition. Disons tout d'abord que lorsque le titre est sous condition résolutoire, il ne constitue
pas moins un juste titre dans le sens de l'article 2265,
car cette condition ne suspend pas les effets du contrat.
La 10i fait une application de ce principe dans l'article
1665 à celui qui acquiert avec faculté de rachat pour le
vendeur: l'acquéreur, quoique propriétaire sous condition
résolutoire, prescrit néanmoins contre le véritable propriétaire.
Lorsque la condition s'accomplit, comme la résolution opè~·e son effet rétroactivement, le titre est censé
�-
130 -
n'avoir jamais existé et le possesseur ne peut invoquer la prescription.
La condition suspensive est d'une nature toute différente. Elle suspend les effets du contrat, notamment en
ce qui concerne la translation de la propriété. Le titre
affecté d'une semblable condition n'est donc pas un titre
translatif de propriété, d'où il suit qu'il ne peut pas être
invoqué pour la prescription. Mais, objecte-t-on, pour
qu'on puisse se poser la question de savoir si le titre
sous condition suspensive peut servir de base à la prescription, il faut nécessairement supposer que la condi- ·
tion est accomplie, car autrement il n'y aurait pas de
titre, et alors, comme la condition rétroagit, ne peut-on
pas dire que l'acquéreur est devenu propriétaire au jour
du contrat et qu'il peut invoquer son titre à partir de
ce moment ? On répond que si l'acquéreur est entré en
possession avant l'arrivée de la condition, ce n'est évidemment pas en vertu de son titre, car le titre ne lui
donnait pas droit à une possession actuelle ; s'il est
entré en possession, c'est en vertu d'une convention
ultérieure qui l'obligeait éventuellement à re's tituer : il
ne peut donc pas invoquer la prescription, car il ne
possédait pas à titre de propriétaire.
4° Il faut que le titre dure pendant tout la temps
nécessaire à la prescription. Cette dernière condition ne
saurait faire l'objet d'aucune difficulté, car il est évident
que si la possession cesse d'être ce qu'elle était à l'origine, s'il survient un événement qui change le caractère
de la possession, la prescription devient impossible.
Comme la prescription dont nous traitons s'accomplit
par un laps de temps qui peut varier de dix à vingt
ans, le possesseur qui l'invoque doit justifier que
le titre sur lequel il la fonde remonte au moins dix
�-
131 -
ans en arrière. Si le possesseur produit un acte authentique, il ne saurait y avoir de contestations; mais s'il
invoque un acte sous signature privée, comme cet acte
ne fait foi de sa date qu'entre les parties, l'acquéreur ne
pourra l'opposer au tiers revendiquant qu'à partir du
jour de l'enregistrement ou de l'événement qui lui aura
donné date certaine (art. 1328, C. civ .).
SECTION DEUXIÈME
De la bonne foi
La deuxième condition qui doit se trouver clans la
pers<mne de celui qui invoque la prescription de dix à
vingt ans, c'est la bonne foi.
La b0nne foi exigée par l'article 2265 peut être définie
la juste opinion qu'a le possesseur d'avoir acquis la
propriété de l'immeuble qu'il possède : jus ta (opineo
q·uœsiti domini. Dunocl, disant que la bonne foi consiste
dans l'ignorance du droit qu'un tiers a sur la chose
qu'on prescrit, n'avait pas donné une idée assez lai:ge
de cette condition nécessaire à la prescription de dix à
vingt ans, car on peut ignorer le droit du tiers contre
lequel on prescrit et n'être cependant pas de bonne
foi. Ainsi, il n'y a pas de bonne foi de la part de celui
�132 -
qui achète contre la prohibition de la loi, quand même
il serait de bonne foi par rapport au véritable propriétaiee de la chose.
Nous établirons plus loin, quand nous traiterons des
effets de la prescription de dix à vingt ans, qu'elle a pour
objet non seulement de consolider l'acquisition faite
par un tiers, mais encore de le libérer des charges qui
grèvent l'immeuble.
Il faut donc, pour arriver à ce résultat, que le tiers
acquéreur ne connaisse pas l'existence du droit qui
grève l'immeuble. C'est ainsi qu'il a été jugé que l'adjudicataire d'une forêt soumise à un droit d'usage ne
peut opposer la prescription décennale à l'usager lorsqu'il a été fait mention du droit de celui-ci dans le
cahier des charges.
On peut résumer ainsi les conditions constitutives de
la bonne foi. Il faut : 1° ignorer qu'un autre que celui
qui vous transmet la chose en est propriétaire; 2° être
convaincu que celui qui vous la transmet avait le droit
et la capacité de l'aliéner; 3° la recevoir par un contrat
pur de fraude et de tout autre vice .
Ainsi, si l'acquéreur sait que le bien qu'il achète n'appartenait pas à son vendeur, il est de mauvaise foi ; sur
ce point il ne saurait y avoir de doute. Mais la jurisprudence est allée plus loin, et on considère l'acquéreur
comme de mauvaise foi lorsque il a su que le droit de
propriété de son auteur était judiciairement contesté au
moment du contrat; il ne peut, en ce cas, être convaincu
que le vendeur était propriétaire et qu'il l'est devenu
lui-même. On ne doit donc pas considérer comme étant
de bonne foi celui qui doute si son auteur était ou non
propriétaire de la chose vendue, avait ou non le droit
de l'aliéner; car autre chose est croire, autre chose est
�-
133 -
douter. Troplong dit que la bonne foi est une croyance
positive, une confiance entière dans le droit qu'on
exerce; le doute n'est qu'un milieu entre la bonne et la
mauvaise foi . Ce principe, quoique certain, semble avoir
été méconnu par un arrêt de la Cour de Lyon du 28
décembre 1841. Dans l'espèce, un acheteur savait que
l'immeuble acquis par lui avait été l'objet d'une donation
de la part de son vendeur, mais il soutenait que des
faits antérieurs à son contrat de vente lui avaient fait
croire que le donataire n'avait point accepté la donation :
ce donataire ne s'était pas mis en possession, il avait
repoussé une demande en aliments fondée sur l'existence
de cette donation. Il y avait peut-être là raison de douter
de l'acceptation, mais y avait-il cette justa opinio
quœsiti dominii exigée par les auteurs, cette certitude
de bonne foi requise pour prescrire? Nous ne le croyons
pas .
Lorsque l'acquéreur d'un immeuble sait qu'il n'appartenait au vendeur que pour une partie déterminée, ce
n'est qu'à l'égard de cette partie qu'il est acquéreur de
bonne foi. Mais celui qui, avant le partage d'une succession composée de plusieurs immeubles, aurait acheté
l'un d'eux d'un seul des cohéritiers, bien qu'il n'ignorât point que par l'événement du partage cet immeuble
pouvait être exclu en tout ou en partie du lot de son
vendeur, devrait être considéré comme n'ayant rien
acquis de bonne foi, et n'aurait pas de titre à la prescription. L'arrêt de la Cour de cassation qui repousse la
prescription décennale semble dire que, dans cette
-hypothèse, l'obstacle à la prescription se trouve dans
le défaut de titre de l'acquéreur auquel l'héritier n'a pu
transmettre plus de droit qu'il n'en avait lui-même. Il y
a là certainement une confusion; l'acquéreur avait un
9
•
�-
1311 -
titre, car il prétendait que son aute ur était héritier apparent, et la jurisprudence admet que l'héritier apparent
peut vendre; mais là n'était pas la question, car, n,insi
que nous l'avons dit, les circonstances de la cause prouvaient que le vendeur ne pouvait pas être considéré
comme héritier apparent, et que par conséquent la bonne
foi manquait à l'acquéreur.
Du principe que nul n'est censé ignorer la loi il suit
que l'erreur de droit exclut toujours b possession de
bonne foi. C'est ainsi qu'il a été décidé, par un arrêt de
la Cour d'Orléans du 15 juin 18'20, que l'ignorance des
vices d'un acte translatif de propriété nécessaire pour
constituer la bonne foi de celui qui possède comme propriétn,ire, ne doit pas s'entendre d'une nullité de droit JUi
vicierait cet acte.
"? Malgré la parfaite validité du titre d'acquisition, la
prescription de dix à vingt ans peut encore être rendue
impossible lorsqu'une disposition légale mettait obstacle
à l'aliénation; ainsi celui qui, dans l'ignorance de l'article 1988, aurait cru pouvoir acquérir valablement d'un
mandataire muni d'une ,procuration conçue en termes
généraux, ne prescrirait, malgré sa bonne foi réelle,
que par le laps de trente ans. De même encore les donataires ne pourraient opposer la prescription décennale
aux héritiers du donateur qui réclament la délivrance de
la légitime qui leur est due (Nancy, 6 mars 1840).
Lorsque le titre de l'auteur est vicié par une cause de
nullité ou de rescision et que l'acquéreur a connaissance
de ce vice, il ne saurait être considéré comme de bonne
foi . La question ne fait aucun doute lorsque la nullité
est absolue et d'ordre public, car le possesseur doit
s'attendre ù. être évincé ; mais en est-il de même des
nullités relatives? Nous avons déjà décidé que la nullité
•
�-
135 -
relative qui entache le titre du possesseur n'tlmp êche
pas qu'il ne constitue un juste titre; mais ici, et en ce qui
concerne la bonne foi du possesseur; nous adoptons une
opinion différente. La nullité relative rend en effet la
propriété annulable, et par cela seul que le possesseur
connaît cette cause de nullité, il ne peut plus invoquer
sa bonne foi . Ce qui est vrai de la nullité ou de la rescision, l'est aussi de la résolution qui affecte le titre de
l'auteur.
La mauvaise foi continuerait à subsister, même après
que la prescription décennale de l'article 1304 aurait
effacé, à l'égard .des parties, la cause de nullité ou de
rescision de l'acte ; cette prescription n'empêcherait
nullement !le vrai propriétaire, tant que la prescription
trentenaire ne serait pas acquise contre lui , de faire
valoir, pour évincer l'acquéreur, le défaut de bonne fo i
de celui-ci au moment de l'acquisition. Mais si la nullité
était couverte lors de la tradition par la renonciation de
la partie intéressée à s'en prévaloir, la possession de
l'acquéreur serait alors de bonne foi. Ainsi, lo"rsque l'héritier, renonçant à faire valoir quelque défaut de forme
du testament, fait délivrance de la chose léguée, le légataire devient capable de prescrire la propriété par dix
à vingt ans contre le vrai propriétaire.
L'article 2268 dispose que la bonne fo i est toujours
présumée, d'où il suit que c'est à celui qui allègue la
mauvaise foi de la prouver. II y a cependant des circonstances de fait qui, si elles ne sont point contestées, dispensent celui qui les allègue de toute autre preuve de
mauvaise foi . Ainsi, suivant un arrêt de la Cour de
Bourges (10 janvier 1826), la circonstance que dans 1a
vente d'un acquet de communauté consentie par le mari
seul après le décès de la femme, on a relaté l'acte
�-
136 -
d'acquisition des époux, a fait assez connaître à l'acquéreur la nature du fonds vendu pour qu'il ne soit point
fondé à se prévaloir' de sa bonne foi vis-à-vis des héritiers de la femme, ni, par suite, à leur opposer la prescription de dix à vingt ans. Il a été jugé en sens contraire, que la seule énonciation, dans l'acte de revente,
du titre du second vendeur, constatant que celui-ci
n'avait pas payé son prix, ne suffit pas pour constituer
le sous-acquéreur en état de mauvaise fo i. Il faudrait
encore, dit la Cour, qu'il fût prouvé que le sous-acquéreur
a réellement connu que le vendeur n'était pas payé. '
L a preuve de la mauvaise foi du possesseur est soum~se aux règles du droit commun, c'est-à-dire que la
preuve par t émoin ne sera admissible que s'il a été impossible de se procurer une preuve litt érale. Toutes les
fois que la preuve testimoniale est admise , les présomptions le sont aussi; or, comme le plus souvent il sera
difficile d'établir la mauvaise foi par témoin, c'est au moyen des présomptions que les juges établiront la mauvaise
foi du possesseur.
A quelle époque doit exister la bonne foi ainsi présumée? L'article 2269 nous dit qu'elle doit exister au moment de l'acquisition, c'est-à-dire qu'il suffit qu'elle
existe à l'origine de la possession. C'est la reproduction
de la doctrine romaine. Nous avons vu cependant que
même à Rome, et lorsque la fusta causa était à titre gratuit, la question de savoir si la bonne foi ne devait pas
persister pendant toute la durée de la possession. était
douteuse. Justinien trancha la controverse en décidant
que même lorsque la possession serait fondée sur le
titre prn donato, la bonne fo i qui n'a existé qu'à l'origine
seulement suffirait. Le droit canonique, au contraire,
plus sévère, exigeait que la bonne foi persistât pendant
�-
137 -
tout le temps de la possession, et la plupart de nos
anciennes coutumes avaient adopté ce principe.
La doctrine du Code civil, déjà critiquée par la Cour
de Bourges dans ses observations sur le projet de Code,
a été vivement blamée par la plupart des auteurs modernes. Dans la prescription de dix à vingt ans, dit-on,
le temps n'est abrégé qu'en considération du juste titre
et surtout de la bonne foi; or, si la cause cesse, l'effet
doit cesser aussi. Le manque de bonne foi lève toutes
les différences entre le porteur d'un titre et le simple
possesseur à qui la loi ne permet de prescrire que par
trente ans. Approuver la doctrine du Code civil « c'est
dire que la loi doit être plus indulgente que la morale,
dit M. Laurent (t. 32, n° 416). Cela est vrai en ce sens
que la loi ne peut pas toujours condamner ce que la
morale condamne; mais quand elle établit un principe
sur le fondement de la morale, elle doit être conséquente
et séyère jusqu'au bout. Nous ne concevons pas que le
législateur soit moral au début de la prescription et
qu'il soit immoral ~nsuite; car c'est être immoral que
d'autoriser une prescription fondée sur la bonne foi,
alors que le possesseur n'est pas de bonne foi. Le législateur ne doit jamais favoriser la mauvaise foi. »
On ne saurait contester que le système adopté par le
Code civil ne présente quelque inconséquence, mais nous
sommes loin de souscrire à la sévère appréciation du
savant professeur belge, et d'admettre avec lui que la
loi fait preuve ici d'immoralité. Il nous semble au contraire que l'indulgence de la loi est pleinement justifiable
et cela pour plusieurs motifs. Personne n'ignore, en effet,
les difficultés inextricables et les contestations nombreuses auxquelles la doctrine du droit canonique avait
donné lieu. Lorsque le propriétaire exerce son action
�- 138 en revendication contre le possesseur qui lui oppose la
prescription de dix ans, nous avons vu qu'il doit faire la
preuve de la mauvaise foi de ce dernier au moment de
son entrée en possession, et que cette preuve il ne peut
la trouver le plus souvent que dans des présomptions
livrées entièrement à l'appréciation des juges . Si cette
preuve est déjà pleine d'incertitude et d'arbitraire
lorsqu'il s'agit cependant d'établir que la mauvaise foi
existait à un moment déterminé, combien plus d'incertitude et d'arbitraire ne doit-elle pas présenter lorsqu'il
s'agit de démontrer que pendant une période qui varie
entre dix et vingt ans, la bonne foi du possesseur a pu
être un moment suspectée. Peut-on s'étonner alors que le
législateur ait voulu mettre un terme à ces contestations
fâcheuses, et peut-on l'accuser d'immoralité pour avoir
voulu tarir la source de procès si dangereux pour l'honnêteté des parties? Car si la morale publique souffre de
voir ·un possesseur conserver une chose qu'il sait appartenir à autrui, ne souffre-t-elle pas davantage de voir
le propriétaire chercher à faire la preuve d'une immoralité que le plus souvent il ne pourra pas établir ?
En second lieu, et quoiqu'il soit contraire à la conscience de ile pas restituer le bien d'autrui qu'on possède
sciemment, cette faveur que la loi accorde à celui qui
a perdu la bonne foi qu'il avait à l'origine de sa possession, n'est pas sans fondement, et la distinction faite
entre celui qui dès son acquisition était de mauvaise foi
et celui qui, de bonne foi à l'origine, n'a connu que plus
tard le droit d' un tiers sur la chose qu'il possède, n'est
pas sans raison d'être. Le premier a commis un acte
coupable que rien n'excuse et qui ne mérite aucune indulgence; si le législateur consolide la mauvaise foi
après trente ans, on peut dire que c'est par nécessité,
�-
139 -
•
et pour rie pas éteruiser l'incertitude des possessions .
Le second, au contraire, est dans une situation toute
différente et qui certainement mérite quelque faveur. En
même temps qu'il acquérait la possession, il a cru qu'il
devenait propriétaire et s'est conduit en conséquence ;
il a cultivé et amélioré la chose ainsi reçue, il y a peutêtre incorporé des capitaux considérables; dans tous
les cas, il en a payé le prix à son auteur, et ce dernier
?St-il peÛt-ètre déjà insolvable au moment où il s'aperçoit que, n'étant pas propriétaire, il n'a pu lui transférer
ce qu'il n'avait pas. Sans doute, si ce possesseur est
d'une honnêteté parfaite, il préférera restituer la chose
à son pr9priétaü;e, au risque bien souvent de consommer
sa propre ruine; mais on ne saurait reprocher au législateur de ne lui avoir pas imposé cette dure nécessité,
d'autant plus que, si le plus souvent le possesseur n'a
aucune faute à se reprocher, il n'en est pas de même du
propriétaire négligent qui a abandonné sa chose pendant
de longues années.
Quelle que soit la valeur de ces considérations, il
nous semble que le législateur aurait pu se soustraire
aux reproches que nous avons vu lui adresser les jurisconsultes modernes, en consacrant la distinction admise
à Rome entre les aliénations à titre gratuit et les aliénations à titre onéreux, distinction supprimée bie·n à tort,
selon nous, par Justinien. Si après avoir payé un immeuble dont je me crois devenu le propriétaire, je ne
pouvais opposer la prescription de dix à vingt ans à
celui qui le revendique plus tard, en se fondant sur ce
que mon auteur n'en avait pas la propriété, j'éprouverais
un préjudice considérable, préjudice que ne saurait justifier l'intérêt d'un propriétaire négligent. Au contraire,
si le possesseur est un donatafre, la situation est toute
•
�-
140 -
différente. Quelle que soit la négligence du propriétaire,
elle ne saurait devenir une cause de gain pour le possesseur qui certat de lucro captando.
L'application de ce principe qu'il suffit que la bonne
foi ait existé lors de l'acquisition du tiers détenteur pour
qu'il puisse se prévaloir de la prescription de dix à vingt
ans, a donné lieu à une question intéressante. On sait
que lorsque la prescription est interrompue, à dater de
l'interruption elle reprend son cours et dans les mêmes
conditions que celles qui existaient antérieurement. Mais
si la prescription de dix à vingt ans a été interrompue
par un acte par lequel on revendique le droit de propriétaire, la prescription qui recommencera peut-elle
être celle de dix à vingt ans ? Troplong soutient la né·
gative (Prescript. t. II, n°688). La prescription qui recommence, dit-il, ne peut être que la prescription trente- ,
naire, car là où manque la bonne foi, la prescription décennale est impossible. Un arrêt du 2 avril 1845 a cependant jugé en sens contraire, en se fondant sur ce que
l'interruption rend seulement inefficace la possession
•
antérieure sans affecter le titre duquel elle procède.
Ce même principe qu'il suffit que la bonne foi ait
existé au commencement de la possession, a soulevé une
difficulté par rapport au successeur particulier. Lorsqu'il
s'agit d'un successeur universel, comme sa possession
n'est que la continuation de celle de son auteur, il
prescrit par dix ou vingt ans, malgré sa mauvaise foi
personnelle, pourvu que la possession du défunt ait été
de bonne foi à l'origine. La solution doit-elle être la
même lorsque le défunt, ayant été de bonne foi, le successeur particulier est de mauvaise foi? Celui-ci peut-il
invoquer la prescription décennale ? Troplong admet
cette solution ; il veut que le successeur particulier qui
•
�- 141 est de mauvaise foi puisse toujours tirer de la possession
de bonne foi de son auteur le même avantage qu'un successeur universel ; et la raison qu'il en donne, c'est
qu'aux termes de l'article 2269, il suffit que la bonne foi
·ait existé au commencement de la possession. Cela nous
paraît être une erreur. Sans doute il suffit que la bonne
foi ait existé au début de la possession, et tant qu'il n'y
aura qu'une seule possession, la mauvaise foi, survenant
au cours de cette possession unique, sera insignifiante.
Mais lorsqu'en droit comme en fait les possessions sont
multiples, n'est-il pas vrai de dire que chacune de ces
possessions, pour être efficace, doit réunir les conditions
exigées par la loi ? Si donc le successeur particulier est
de mauvaise foi au début de la possession, il ne pourra
pas invoquer la prescription décennale, malgré la bonne
fo i de son· auteur, parce que sa possession est distincte
de celle de son auteur. Troplong dit vainement que,
puisque la mauvaise foi du successeur universel est indifférente pour la prescription décennale, il doit en être de
même de celle du successeur particulier, et qu'on ne
saurait donner une bonne raison de cette différence.
Cette raison se trouve précisément dans ce principe
développé par M. Troplong lui-même, que pour le successeur universel il n'y a qu'une seule possession, tandis
que pour le successeur particulier il y a deux possessions distinctes. Puisqu'il y a deux possessions, et par
conséquent deux commencements de possession, il faut
qu'il y ait deux fois existence de la bonne foi. Si d'ailleurs le système de M. Troplong, sur le successeur particulier, était adopté, il en résulterait cette conséquence
qu'il n'y aurait plus aucune différence entre celui qui,
de bonne foi à l'origine, n'a connu que plus tard le droit
du propriétaire, et celui qui a été de mauvaise foi dès le
�-
142 -
début de sa possession. Or, cette solution aurait dû
être encore plus inadmissible pour M. Troplong que
pour tout autre, car nous savons que ce savant magistrat ne se contente pas de trouver indulgente la disposition de l'article 2269, qui absout un possesseur de sa ·
mauvaise fo i postérieure à raison de sa bonne fo i originaire; il déclare qu'elle est en opposition avec la morale;
or, si dans le cas d'un possesseur plus malheureux que
coupable cette indulgence est une immoralité, que seraitelle donc dans le second cas ?
L'article 2269 nous dit que la bonne foi du possesseur
doit exister « au moment de l'acquisition ii; que faut-il
entendre par ces mots? Dans notre droit actuel, quand il
s'agit d'actes entre vifs, le moment de l'acquisition est
certainement celui du contrat; le concours des volontés
suffit en effet à transférer la propriété : c'est donc à ce
moment que se réalise l'acquisition et que l'acquéreur
doit par conséquent être de bonne foi. Il faut cependant
remarquer que cette façon de s'exprimer << au moment
de l'acquisition >i, a quelque chose de défectueux et
d'impropre dans l'article 2269 . La prescription, supposant en effet que l'aliénateu r n' est pas propriétaire, le
contrat ne saurait avoir pour effet la réalisation d'une
acqu isition. La bonne foi doit donc exister, non pas au
moment de l'acquisition, puisqu'il n'y en a pas, mais au
moment où se serait réalisée l'acquisition si le transmettant eût été propriétaire de la chose qui fait l'obj et
du contrat. C'est donc dans un sens conditionnel que le
mot acquisition est employé dans l'article :2269, et cette
même idée se retrouve dans la rédaction de l'article 2265,
où l'on lit : « celui qui acquiert >i au lieu de « celui qui
aurait [tCquis ,, ,
En ce qui concerne le legs , comme b propriété se
�-
143 -
transfère par l'effet du testament, et que le testament
produit son effet à l'ouverture de la succession, il nous
semble que c'.e st à ce moment que doit exister la bonne
foi . On objecte que l'acquisition ne se consomme d'une
manière définitive que par l'acceptation du legs, d'où
suivrait que c'est lors de l'acceptation que le légataire
doit être de bonne foi. Cette raison n'est pas déterminante ; la loi dit, en effet (ârl;. 711), que la propriété s'acquiert par donation testamentaire; c'est donc au décès
du testateur que le légataire devient propriétaire. Sans
doute son droit n'est pas définitif, mais s'il accepte le
legs, son acceptation rétroagira au jour de l'ouverture
de la succession; ce qui prouve bien que l'acceptation
n'est exigée que pour confirmer son droit et non pour le
faire naître.
Il est un auteur, M.. Delvincourt, qui admettait bien
comme nous qu'il suffit que la bonne fo i ait existé au
moment de l'acquisition; sous ce rapport, le texte de ln.
loi est trop formel pour pouvoir soutenir le contraire ;
mais, considérant que si la propriété peut s'acquérir
cmimo solo, il n'en est pas de même de la possession, qui
ne peut s'acquérir que CM'JJOre et a1n/imo, il décidait que,
conformément aux anciens principes, la prescription ne
commençait à courir qu'à partir de la tradition de la
chose . La réponse est fac ile : l'article 2228 nous dit, en
effet, que la possession est la détention d'une chose que
nous tenons par nous-mêmes ou qu'un autre tient en
notrn nom ; or, lorsque le vendeur cesse d'être propriétaire, il ne possède plus, il détient seulement poue l'acheteur, quand même les titres de propriété ou las clés des
bâtiments vendus n'auraient pas été remis à l'acheteur.
Ajoutons, d'ailleurs, que la question ne présente d'intérêt que lorsque le vendeur n'étant pas de bonne foi,
�-
144 -
ne prescrivait pas par dix ou vingt ans; car, autrement,
l'acheteur pouvant joindre à sa possession la sienne
propre, il deviendrait indifférent que le temps écoulé
entre le contrat et la délivrance de la chose fit partie de
la première ou de la seconde possession.
SECTION TROISIÈME
De la durée de la possession
Ainsi que nous le faisions remarquer plus haut, le
temps pendant lequel doit durer la possession du détenteur est, non pas un délai préfix de dix ou vingt ans,
mais un délai qui peut varier de dix à vingt ans, suivant la présence ou l'absence du propriétaire. Cette distinction établie dans la durée de la possession, suivant
que le propriétaire est réputé présent ou absent, fut critiquée par la Cour de cassation lors de la communication du projet du Code civil aux cours et tribunaux.
Le motif sur lequel s'appuyait cette Cour était que cette
distinction n'avait plus de raison d'être, étant donnée la
grande faci lité de communications qui ne permet plus de
supposer qu'il est trop difficile de veiller à ses biens
quand on n'est pas dans le ressort de la mème cour
d'appel. La Cour de Lyon fit une observation semblable,
�- 145 et celle de Paris proposa de fixer à quinze ans le délai
de la prescription avec titre et bonne foi, sans avoir
égard à la présence ou à l'absence des parties.
Quoiqu'il en soit, cette distinction a été maintenue par
le Code; seulement, le sens dans lequel on doit entendre
ces mots présent et absent est tout autre que celui dans
lequel on les entendait en droit romain. D'après le droit
romain, suivi à peu près universellement dans notre
ancien droit, la prescription était réputée courir entre
présents lorsque celui qui prescrivait et celui contre
lequel on prescrivait avaient leur domicile dans une
même circonscription déterminée ; on ne se préoccupait
pas de savoir en quel lieu était situé l'immeuble qui
faisait l'objet de la prescription. La présence ou l'absence était donc une relation du propriétaire au possesseur, et non du propriétaire à l'immeuble . Il n'y avait
qu'une seule coutume, celle de Sedan (art . 313), où l'on
eùt égard à la distance qui séparait l'immeuble possédé du domicile des parties. Cette disposition isolée
est devenue la règle de l'article 2265. Il n'y a plus à ·
s'occuper du domicile du possesseur, mais seulement
de la situation de l'immeuble possédé, et c'est par rapport à cet immeuble qu~ le propriétaire est réputé
présent où absent, suivant qu'il a ou non son domicile
dans le ressort de la cour où l'immeuble est situé.
Il est hors de duute que cette innovation du Code civil
constitue une amélioration sensible de l'ancien droit, qui
n'avait pas assez considéré que le présence des individus
dans un même lieu ne leur apprend rien sur la possession et l'usurpation d'un immeuble qui est peut-ê_tre situé
bien loin de l' endroit où ils habite~t. Voici, d'ailleurs,
quel fut le langage de l'orateur du gouvernement pour
justi:füer cette innovation : <c Le but que l'on se propose
�-
146 -
est de donne r à celui qui possède une plus grande faveur
à raison de la négligence du propriétaire, et cette faute
est considérée comme plus grande s'il est pr ésent. Mais
ceux qui ne se sont attachés qu'à la présence du propriétaire et du possesseur dans le même lieu ou clans un lieu
voisin, n'ont pas songé que les actes possessoires se
font sur l'héritage même. C'est clone par la distance à
laquelle le propriétaire se trouve de l'héritage qu'il est
plus ou moins à portée de se maintenir en possession ;
il ne saurait, le plus souvent, retirer aucune instruction
du voisinage du nouveau possesseur. Ces lois ont été
faites clans les temps où l'usage le plus général était
que chacun vécût auprès de ses propriétés. Cette règle
a dû changer avec nos mœurs, et le vœu de la loi sera
rempli en ne regardant le véritable propriétaire comme
présent que lorsqu'il habitera dans le ressort du tribunal
d'appel où l'immeuble est situé . ''
Nous avons dit que la disposition de l'article 2265 a
été empruntée par les rédacteurs du Code civil à la
coutume de Sedan. Il est à regretter qu'après avoir
admis avec raison le principe qui consiste à rega rder le
propriétaire comme plus ou moins négligent, suivant
qu'il est plus ou mo ins éloigné de sa propriété possédée
par un tiers, ils n'aient pas appliqué toutes Tes conséquences de ce principe en établissant d'une manière
invariable, comme le faisait l'article 313 de la coutume
précédemment nommée, la distance ù laquelle il est
réputé absent. Au lieu de cela, ils se sont arrêtés au fait
de son habitation dans le même ressort que celui où est
situé l'immeuble, sans r emarquer qu'avec une semblable
règle il peut arriv~r que le propriétaire soit réputé
absent, alors cependant que l'immeuble est situé à
quelques pas de sa maison, t andis qu'il peut être réputé
\.
�-
147 -
présent bien qu'il en soit séparé par une distance de
plus de quarante lieues .
L'article 2266 a pour objet de régler le cas où le véritable propriétaire a eu son domicile, en différents temps,
hors du ressort et dans le ressort : « Si le véritable propriétaire a eu son domicile, en différents temps, hors
du res sort et dans le resso rt, il faut, pour compléter la
prescription, ajouter à ce qui manque aux dix ans de
présence un nombre d'années d'absence double de celui
qui manque pour compléter les dix ans d'absence. n Bien
que jamais aucune difficulté ne se soit élevée sur l'interprétation à donner à cet arlicle, il faut convenir
néanmo ins que b rédaction en est défectueuse . En supposant avec la loi que le propriétaire a été successivement présent et absent dans le sens légal du mot, le
nombre d'années d'absence double, nécessaire pour compléter la prescrip tion, doit être ajouté, non pas à ce qui
manque aux années de présence, mais bien aux années
de présence déjà accomp lies.
La question s'est posée de savoir si la distinction que
la loi fait entre les présents et les absents était applicable
à l'Etat. L'affirmative a été soutenue et on a prétendu
que l'Etat devait être réputé présent là où siège le gouvernement, et absent ailleurs. Nous ne croyons pas qu'il
soit nécessaire d'insister beaucoup pour prouvel' que
partout 011 prescrit pour dix ans contee l'Etat ; en effet,
l'Etat est présent partout, car partout il a des agents
chargés de veiller à ses in térêts .
Après avoir ainsi indiqué quelle est la durée que doit
avoir la possession, nous ne nous arrêterons pas à examiner les règles . ur la manière ds la calculer, car ces
règles ne sont pas spécüiles à la prescription décennale
et sont, au contraire, communes à toute espèce de pres-
�- 148 cription. Nous nous demanderons seulement dans quel
sens la loi a entendu la présence ou l'absence du propriétaire, en d'autres termes, si on doit s'attacher a son
domicile de droit ou simplement à sa résidence, son
domicile de fait.
Disons tout d'abord qu'au point de vue des textes,
cette question qui a divisé la jurisprudence et la doctrine
est indécise. En effet, l'article 2265 commence par dire :
« si le véritable propriétaire habite dans le ressort, '' ce
qui indique la résidence de fait; puis, prévoyant l'absence,
il continue : << s'il est domicilié hors dudit ressort, » ce
qui, évidemment, doit s'entendre du domicile de droit.
Lorsque nous avons étudié la prescription décennale
clans l'ancien droit français, nous avons vu que Pothier
décidait d'une façon formelle que la présence du propriétaire devait s'entendre du domicile de fait, de la
résidence, et non pas du domicile de droit. Or, si on
considère que ln. décision de. Pothier est en harmonie
parfaite avec l'esprit de la loi et avec les travaux préparatoires, il nous semble qu'aujourd'hui encore, et bien
que la présence du propriétaire ait une signification
autre que dans notre ancien droit, on doit l'entendre
toujours du domicile de fait, de la présence effective du
propriétaire. Mais ce qui, d'après nous, doit surtout décider la question, ce sont les considérations dont s'est
inspiré le législateur en cette matière, considérations
que nous indiquions plus haut en rapportant les paroles
mêmes de l'orateur du gouvernement. Le législateur a
pensé avec raison que cette circonstance que le propriétaire et le possesseur habitent dans le même ressort,
était sans importance au point de vue de. savoir si un
immeuble avait été l'objet d'une usurp ation, parce que
l'immeuble pouvait être situé bien loin de là. Il a cru'
�-
149 -
que le propriétaire serait plus facilement informé des
faits de possession lorsqu'il habiterait dans le voisinage
de son domaine, et c'est pour cela que, dans cette
hypothèse, il a décidé que la prescription s'accomplirait
contre lui par dix ans . Dans l'opinion contraire, et en
rattachant la présence au domicile légal, ·ces considérations n'auraient plus aucune valeur, car une personne
peut avoir son domicile dans un lieu où elle n'a jamais
résidé et où par conséquent il lui est impossible d'exercer
une surveillance quelconque.
Quelques auteurs, et parmi eux M. Troplong, ont
pensé au contraire que la présence ou l'absence du propriétaire étaient uniquement déterminées par son domicile de droit; et le principal argument sur lequel ils
se sont fondés est tiré de l'embarras considérable que
susciterait l'application de l'article 2266, si la loi eftt
voulu qu'on tînt compte de toutes les allées et venues,
de tous les déplacements du propriétaire. Nous y répondrons en faisant remarquer que le domicile de droit a
aussi ses inconvénien,ts à raison de la difficulté qu'il y
a souvent à le déterminer; que, d'ailleurs, des déplacements momentanés ne suffisent pas pour changer la résidence, l'habitation de fait . On a aussi invoqué l'esprit
général de notre législation sur le domicile, et cette
idée que pour le règlement des rapports juridiques dans
lesquels une personne peut se:trouver avec une autre
elle est toujours censée présente au lieu de son domicile
(Aubry et Rau, t. 11, p. 136, note 38, § 218). Nous
répondrons, avec M. Laurent, que c'est donner aux principes une prépondérance sur la réalité des choses; que
les principes sont faits pour les hommes et non les
hommes pour les principes. Qu'importe. que le domicile
de droit soit la règle générale ? Cette règle peut et doit
10
�-
150 -
recevoir des exceptions· quand c'est l'habitation plutôt
·que le domicile de droit qui doit être prise en considération. Quand les principes conduisent à des conséquences absurdes, le législateur fait bien de laisser là les
principes et de tenir compte de la réalité des choses .
Lorsque la possession s'exerce sur une chose appartenant à deux propriétaires par indivis, dont l'un demeure
dans le ressort où l'immeuble est situé, et l'autre dans
un autre ressort, le possesseur acquiert par dix ans la
part du propriétaire présent; mais il lui faut vingt ans
de possession pour acquérir la part de l'autre. Si la
chose était indivisible, la prescription ne pourrait s'accomplir que par vingt ans.
CHAPITRE II
Des conditions relatives à 1a chose
La prescription de dix à vingt ans, quoique constituant
une dérogation au principe formulé par l'article 2262, qui
consacre la prescription trentenaire, n'en est pas moins
soumise aux règles générales sur la prescription:Nous
ne nous arrêterons pas néanmoins à examiner les caractères généraux qui rendent les choses susceptibles de
prescription, car notre étude a uniquement pour objet
les règles partï"culières à la prescription décennale.
�-
15'1 -
Mais par cela même qu e les règles de la prescription
de dix à vingt ans sont des règles exceptionnelles , elles
ne doivent pas être étendues , et nous en concluerons
t out de S\Üte que, l'article 2265 ne parlant que des
immeubles ip.dividuellement déterminés, les universalités
de biens irrimobiliers se trouvent par là exclues de cette
prescription pri vilégiée .
Ainsi, en général, et conformément au principe de
l'article 2226, tout immeuble qui est dans le commerce
peut être l'obj et de la prescription décennale. Une
exception qui mérite d' être mentionnée comme fait historique a été apportée cependant à cette règle générale
par une loi du 12 m, · 1871. L'article premier de cette loi,
r endue à la suite des funes tes excès commis à P aris sous
la commune, est ainsi conçu : << sont d éc~ ar és inaliénables, jusqu'à leur retour aux mains du propriétaire,
to us les biens meubles et immeubles de l'Etat, du département de la Seine, de la ville de P aris et des communes
suburb aines , des établissements publics , des églises ,
des fabriques, des sociétés civiles, commerciales ou
savantes, des corporations, des communautés , des particuliers, qui auraient été soustraits, saisis , mis sous
sequestre, ou détenus d'une manière quelconque, depuis
le 18 mars 1871 , au nom ou par les ordres d'un prétendu
Comité central, comité du Salut public, d'une soit-disant
commune de P aris ou de tout autre pouvoir insurrectionnel, par leurs agents, par toute personne s'autorisant
de ces ordres, ou par tout autre individu ayant agi
même sans ordre à la faveur de la sédition. ii L'article
second de la loi consacre la conséquence qui résulte
de 'l'inaliénabilité proclamée par l'article premier : « Les
aliénations frapp ées de nullité ne pourront, pour les
immeubles, servir de base à la prescription de dix à
�- 152 vingt ans, et pour les meubles donner lieu à l'application des articles 2279 et 2280 du Code civil. Les biens
aliénés pourront être revendiqués, sans aucune condition
d'indemnité et contre tous détenteurs, pendant trente
ans à partir de la cessation officiellement constatée de
•
l'insurrection de Paris. »
J-usqu'ici nous avons considéré la prescription de dix
à vingt ans comme s'appliquant à la pleine propriété
d'un immeuble; il faut se demander maintenant si elle
peut s'appliquer aussi au simple démembrement de la propriété d'autrui à l'effet de le faire acquérir. La base de la
prescription acquisitive se trouvant dans la possession,
il faut nécessairement supposer que. ce démembrement
est susceptible de possession. L'usufruit se présente en
première ligne.
La prescription décennale s'applique-t-elle à l'usufruit?
Cette question ne saurait faire l'objet d'aucune difficulté.
En effet, l'article 526 range l'usufruit dans la catégorie
des immeubles, et l'article 2118 nous dit qu'il peut servir
de base à l'hypothèque ; il se trouve donc nécessairement comp ris dans la formule générale employée par le
législateur dans l'article 2265, et il faut en conclure que
la jouissance à titre d'usufruitier, fondée sur un titre
émané du propriétaire apparent, fera prescrire l'usufruit
contre le véritable propriétaire après un délai de dix ou
vingt ans.
Quant aux droits d'usage et d'habitation, nous croyons
que leur quali té d'immeubles les fait aussi tomber sous
l'application de l'article 2265. La loi , il est vrai, ne les a
pas rangés, dans l'article 526, parmi les droits immobiliers, mais puisque l'usage n'est en réalité qu'un
usufruit restreint, il nous semble que lorsque son objet
�-
153 -
est immobilier, i\ doit être, comme ce dernier, rangé
dans la catégorie des ifomeubles .
La ques tion de savoir si la presc ription de dix à vingt
ans s'applique aux servitudes présente beaucoup plus de
difficultés ; nous ne voulons, bien entendu , parler que
des servitudes continues et apparentes , car ce sont les
seules qui soient susceptibles d'être acquises par la prescription. M. Troplong pense qu'il y a analogie parfaite
entre les servitudes et l'usufruit; que comme lui elles
sont immeubles par l'obj et auquel elles s'appliquent, et
que par conséquent elles ne sauraient échapper à la
disposition de l'article 2265. Cherchera-t-on à se prévaloir de l'article 690 pour dire que la loi exclut toute
autre prescription que celle de trente ans ? Ce serait une
erreur. L'article 690 ne parle que de la prescription qui
s'appuie sur la seule possession, il ne s'occupe pas de la
prescription avec titre : le L es servitudes continues et
apparentes s'acquièrent par titre, ou par la possession
de trente ans. ii Dans ce dernier membre de phrase , la
po ssession es t séparée du titre, par conséquent il est
naturel qu'elle ne conduise à la prescription que par le
délai de trente ans.
L es partisans de cette opinion invoquent ensuite la
t radition. Sous l'empire des coutumes où l'on suivait la
maxime (( nulle servitude sans titre ii, et où par conséquent on n'admettait pas la prescrip tion trentenaire, on
reconnaissait cependant la prescription décennale fond ée
sur un titre qui n' émanait pas du véritable propriétaire.
Or, il n'est pas vraisemblable, dit-on, que les r édacteurs
du Code civil, qui ont consacré la prescripti on de trente
ans repoussée par les coutumes , n'aient pas admis, à
l'égard des servitudes, la prescription de dix ans fond ée
�-
154 -
sur un titre, prescription admise par les coutumes ellesmêmes. Si dans l'article 690 il· n'est parlé que de la
prescription de trente ans, c'est que cette prescription
constitue elle seule une innovation ; la prescription décennale se trouvant déjà autorisée par les coutumes, le
Code n'avait pas à en parler.
Nous ne suivrons pas cette doctrine. Nous croyons
au contraire que la prescription de dix à vingt ans ne
s'applique pas aux servitudes, et qu'en cette matière,
l'article 690 est la seule règle à suivre ; en d'autres termes, que malgré le juste titre et la bonne foi, il faut une
possession de trente ans pour acquérir les servitudes
par la prescription. L'argument qui nous paraît décisif
est celui que l'on tire du rapprochement des articles 690
et 2264 . L'article 2264, qui se trouve clans le chapitre V,
intitulé : Du temps requis pour prescrire, dit que les
règles de la prescription sur d'autres objets que ceux
mentionnés dans le titre de la prescription, sont expliquées dans les titres qui leur sont propres. Or, dans le
titre consacré aux servitudes, on trouve une disposition
spéciale concernant la prescription; c'est l'article 690,
qui exige une prescription de trente ans pour l'acquisition d'une servitude par prescription ; la prescription
décennale se trouve par cela même exclue .
On nous objecte, avons nous vu, que l'article 690
contient deux dispositions distinctes, l'une réglant l'acquisition des servitudes en vertu d'un titre émanant du
véritable propriétaire, l'autre s'occupant des servitudes
basées uniquement sur la possession séparée du titre
coloré; que convertir en une disposition limitative les
termes évidemment énonciatifs de l'article 690, et transporter dans son texte la formule restrictive qùi n'est
écrite que dans l'article 691, c'est changer la loi et la
�-
155 -
refaire à son idée. Il nous semble que ce reproche se
retourne contre ceux qui nous l'adressent, car ils méconnaissent la généralité absolue du t exte et introduisent une distinction que ses termes et son esprit repoussent également.
Sans doute, dans nos anciennes coutumes on admettait
l'acquisition des se rvitudes par la prescription de dix à
vingt ans en vertu d'un titre color é, mais c'était là un
temp érament à la rigueur extrême de la maxime généralement suivie « nulle servitude sans titre. » L e Code,
en décidant que les servitudes peuvent s'acquérir ·par
une prescription de trente ans, n'est pas venu compléter
la th éorie admise par les coutumes ; il a créé un sys tème
nouveau qui se suffit à lui-mêI)le, et rien n'est plus facile
que de le justifier lorsqu'il exige pour les servitudes
une possession de trente ans. L a possession d'une servitude es t moins caract érisée que celle de la propriét é
ou de l'usufruit ; elle n'éveille pas au même degré
l'attention du propriétaire, elle est donc plus à redouter.
S'il est juste que le législateur ait refus é l'action en
revendication au propriétaire après un délai qui varie
entre dix et vingt ans, on s'étonnerait qu'il en eût décidé
de même en matière de servitude.
Nous avons dit que la prescription de l'article 2265 est
une prescription exceptionnelle ; elle ne saurait donc
être étendue ; il faudrait pour cela un texte précis, et
ce texte n'existe pas . On a dit enfin que, dans notre
sys tème, on ne fait aucune distinction entre le possesseur de bonne foi qui s'appuie sur un titre et celui qui
n'a ni titre ni bonne fo i; que, pour l'un comme pour
l'autre, le délai est le même, ce qui est une grave inconséquence.
· - Nous répondons à cela, qu'en mati ère de prescription,
�-
156 -
la loi, avant de prononcer la déchéance des droits du
propriétaire, ne s'est pas uniquement préoccupée de la
condition du possesseur. Sans doute le législateur a
voulu que, dans l'intérêt de ce dernier, la possession ne
restât pas longtemps incertaine, mais il a vu aussi dans
la prescription un moyen de punir le propriétaire qu'il
considère comme ayant fait une abdication de son droit.
C'est en s'inspirant de cette dernière idée qu'on a fait
varier la durée de la prescription entre dix et vingt ans,
suivant que le propriétaire avait plus ou moins de facilité
pour connaître l'usurpation dont il avait été la victime.
Si le Code s'est occupé de l'intérêt du possesseur en
abrégeant, dans certains cas, le délai de la prescription,
il tient compte avant tout des droits contre lesquels on
prescrit, et c'est ainsi que nous voyons, dans l'article
2180, que la prescription ne court contre les créanciers
hypothécaires qu'à partir de la transcription de l'acte
d'acquisition. Si la loi n'avait tenu compte que de l'intérêt du possesseur, elle aurait fait courir le délai de
l'affranchissement de l'hypothèque du jour de la prise
de possession ; mais comme elle a pensé que les créanciers ne seraient pas suffisamment avertis du changement
qui s'est produit dans la propriété de l'immeuble, elle a
exigé la transcription pour les en prévenir. Nous avons
suffisamment indiqué déjà que l'exercice d'une servitude
sur son immeuble était un événement qui ne devait pas
frapper l'attention du propriétaire comme la perte de la
possession, et c'est là certainement le motif qui a déterminé le législateur à garantir le propriétaire, non pas
pendant dix ans, mais dans tous les cas pendant trente
ans.
Après avoir recherché si les droits réels qui constituent des démembrements de la propriété, tels que l'usu-
�- 157 fruit et les servitudes, peuvent faire l'objet de la prescription de dix à vingt ans, il nous reste à parler de
l'emphitéose. Le Code ne dit rien de l'emphitéose, il
ne la mentionne pas parmi les droits réels qui sont
énumérés dans l'article 543, ni parmi les droits immobiliers qui sont susceptibles d'hypothèque. De là des doutes sérieux sur la question de savoir si l'emphitéose
existe encore en droit français à titre de droit réel
immobilier. Nous n'avons pas à entrer dans l'examen
de cette question, mais avoir constaté après que la
jurisprudence s'est décidée pour le maintien de l'emphitéose comme droit réel immobilier, il nous reste à
nous demander si ce droit peut faire l'objet de la prescription de l'article 2265.
La question ainsi posée ne nous paraît pas douteuse,
et la solution affirmative doit nécessairement découler
des principes généraux admis en matière de prescription. La propriété s'acquiert par la prescription, ainsi
que les démembrements de la propriété ; pourquoi n'en
serait-il pas de même de l'emphitéose? L'argument a
d'autant plus de force, que d'après les articles 711 et
2219 la prescription est un moyen général d'acquérir ;
peut-il y avoir une exception pour l'emphitéose sans un
texte qui la consacre ? Quant aux motifs qui nous ont
fait repousser la prescription décennale pour l'acquisition des servitudes, ils ne sauraient être invoqués dans
la matière qui nous occupe, car la possession de l'emphitéose est aussi caractérisée que celle de l'usufruit.
Celui qui a passé avec une personne qu'il croyait propriétaire de l'immeuble, ce que dans l'usage on appelle
un bail emphitéotique, pourra donc invoquer l'article
2265, si d'ailleurs les autres conditions exigées par cet
article se trouvent réunies.
�-
158 -
Nous allons indiquer maintenant en quelques mots
pourquoi l'hypothèque, à la différence des autres droits
réels, n'est pas susceptible de faire l'objet de la prescription de l'article 2265. La raison en est bien simple,
c'est que l'hypothèque n'est pas susceptible de possession, et nous savons que la possession est la base de
toute prescription acquisitive. Ce qui prouve que l'inscription hypothécaire ne constitue pas une possession de
l'hypothèque pour le créancier, c'est que l'article 2180
nous dit que les inscriptions ·prises par le créancier n'interrompent pas le cours de la prescription établie par la
loi en faveur du débiteur ou du tiers détenteur. Ainsi, si
l'on suppose que celui qui se prétend propriétaire d'un
immeuble, consent à un tiers de bonne foi une hypothèque sur cet immeuble, celui-ci, malgré l'inscription
régulièrement prise et conservée pendant dix, quinze ou
vingt ans, n'aura jamais acquis l'hypothèque ainsi consentie a non dornino, et lorsque le propriétaire aura
exercé son action en revendication contre le possesseur,
le créancier hypothécaire ne pourra pas lui opposer son
droit réel malgré la date ancienne de son inscription,
car, nous le répétons, l'inscription ne constitue pas une
possession du droit.
�-
159 -
CHAPITRE
III
Des effets de la prescriptiôn de dix à vingt ans
Les effets de la prescription de dix à vingt ans sont
réglés par l'article 2265, qui nous dit que celui qui acquiert de bonne foi et par un juste titre un immeuble, en
prescrit la propriété. Par là, il faut entendre la propriété pleine et entière, de telle sorte que si l'immeuble
était grevé de charges r éelles consenties par le précédent propriétaire, l'acquéreur qui l'a possédé comme
libre de toute charge aura prescrit contre ces droits
réels et aura acquis une propriété non démembrée. Cette
doctrine est parfaitement conforme à la logique, car on
ne conçoit pas qu'une possession, considérée comme
suffisante pour acquérir la propriété, puisse être insuffisante lorsqu'il s'agit d'acquérir les démembrements de
la propriété.
Nous devons constater cependant que cette question
n'est pas aussi ~imple qu'elle peut le paraître au premier
abo rd; qu'elle a été, au contraire, l'objet de longues
discussions, et que la Cour de cassation s'est prononcée
souvent contre la doctrine que nous avons adoptée('! ).
Disons tout d'abord que le motif principal sur lequel on
(1) C. Cass., 20 décembre 1836; 31 décembre 1845; 14 novemhre 1853.
�-
160 -
se base est que, prescrire les charges qui grèvent un
immeuble, c'est se libérer, et que la prescription libératoire ou extinctive est de trente ans.
Nous allons exposer maintenant les motifs qui nous ·
ont déterminé à croire que celui qui a acquis par juste
titre et de bonne foi, comme franc de toute charge, un
immeuble grevé en réalité de servitudes et qui le possède
libre pendant dix à vingt ans, acquiert la franchise de
cet immeuble. ·
La question de savoir si la prescription de dix à vingt
ans peut affranchir un immeuble des servitudes qui le
grèvent peut se présenter dans deux cas : il peut se faire
que j'achète un immeuble de son véritable propriétaire,
immeuble grevé de servitudes que le vendeur ne me
déclare pas et que j'igno~·e par conséquent. Si je possède
cet immeuble, libre de toute charge, pendant dix à vingt
ans, j'aurai acquis la liberté de l'immeuble. Dans cette
première hypotèse, notre solution, ainsi que nous l'avons
déjà fait remarquer, est parfaitement conforme aux principes qui régissent la prescription, car si je puis prescrire la propriété par dix ou vingt ans, pourquoi ne
pourrais-je pas la prescrire toute entière, c'est-à-dire
libre de tout droit réel ? Tamti'vm prœscriptum quant'Ùlm
possesswni, dit un principe admis par tout le monde, si
je possède un immeuble co~nme libre de.toute servitude,
je · dois acquérir cet immeuble en toute propriété. En
second lieu, il peut arriver que j'achète un immeuble de
celui qui n'en était pas le propriétaire ; cet immeuble
était grevé de servitudes, mais je les ai toujours ignorées.
Dans cette hypothèse, comme dans la précédente, après
dix ou vingt ans de possession j'aurai acquis, disonsnous, la pleine propriété de l'immeuble. Quant à justifier
�-
161 -
cette acquisition au point de vue des principes, c'est
encore plus facile que dans le cas précédent. N'est-il
pas évident, en effet, que si je puis prescrire contre le
droit du propriétaire, je puis prescrire aussi contre le
droit de celui qui n'a qu'un démembrement de la propropriété ? Le but de la prescription est bien ici d'acquérir l'immeuble, et comme en l'acquérant je l'acquiers
tout entier, la servitude dont il est grevé, et qui n'est
qu'une partie et un démembrement du dominiwm, se
trouve acquise avec ce dominium, à l'obtention duquel
me conduit la prescription. Cela est tellement vrai qu'un
auteur, M. Marcadé, qui sur la question qui nous accupe
adopte d'une façon générale l'opinion de la jurisprudence, reconnaît cependant que, dans ce cas particulier
où l'aliénation est faite a non d01nino, il s'agit bien de
la prescription acquisitive de l'article 2265 et non pas
de la prescription extinctive de l'article 706.
Mais s'il est si facile de justifier notre système au point
de vue des principes, en est-il de même au point de vue
des textes? Car nous reconnaissons que quelle que soit
la valeur des principes, ils ne sauraient se passer de
l'appui des textes. Nous avons déjà invoqué l'article 2265
lui-même : la prescription décennale, nous dit cet article,
nous fait acquérir la pr·opriété, et donnant à ce mot
toute l'étendue qu'il comporte, nous en avons conclu
qu'il devait s'entendre de la propriété absolue, de la
propriété toute entière. Ce qui prouve bien que cette
interprétation est exacte et que l'on peut prescrire ·1a
liberté d'un fonds comme on peut en prescrire la propriété, c'est l'article 2180 lui-même, qui admet la prescription des hypothèques par dix à vingt ans, quand le
fonds est entre les mains d'un tiers détenteur; la loi assimile donc la prescription de l'hypothèque à la prescrip-
�-
162 -
tion de la i)ropl'iété, et l'article 2180 est uue application
de l'article 2265 .
Il es t donc établi par le Code lui-même que les droits
réels s'éteignent par la prescription de dix à vingt ans.
Comme, a.in ·i que nous le verrons plus loin , il est également admis que la prescription de dix à vingt ans peut
éteindre le droit d'usufruit, on se demande alol's pourquoi ce qui est vrai de l'hypothèque et de l'usufruit, ne
le serait pas également des servitudes. On répond que
la solution affirmative, admise en matière d'usufruit, ne
saurait l'être en matière de servitude, car les deux choses
sont d'une nature toute différente. Il faut, en effet, que
le possesseur ait possédé ce qu'il prétend avoir prescrit;
or, s'il est vrai de dire que la jouissance de l'acquéreur
s'exerce contre la jouissance de l'usufruitier , il ne saurait
en être de même en matière de servitude, car l'acquéreur
n'exerce pas les droits du propriétaire du fonds dominant; il ne peut clone rien acquérir par la prescription
acquisitive, puisqu'il ne possède pas . Outre qu'on pourrait répondre que celui qui possède toute la propriété en
possède par cela même les démembrements, il y a un
argument tiré de l'article 2180 qui fait tomber cette
objection. Cet article consacre l'extinction des hypothèques par l'effet de la prescription décennale; or, nous
avons indiqué déjà que l'hypothèque n'est pas susceptible
de possession ; c'est clone que, dans la. théorie du Code,
la prescription de dix à vingt ans fait acquérir la propriété pleine et entière, libre de tout droit réel.
Il est enfin un argument de texte qui est la base du
système que nous combattons ; il est tiré de l'article
2264, aux termes duquel « les règles de la prescription
sur d'autres objets que ceux mentionnés dans le présent
titre, sont expliqués dans les titres qui leur sont
�-
163 -
propres. » Lorsque nous examinions ln. question de savoir si les servitudes peuvent s'établir par la prescription de dix à vingt ans, c'est cet article qui nous a
déterminé à adopter la négative; il semble donc que si
nous considérons ln. prescription décennale comme incapable d'établir une servitude, nous devons admettre aussi
qu'elle est incapable d'en amener l'extinction. On a
ainsi, en ce qui concerne les servitudes, un système
complet, dans lequel la prescription de l'article 2265 est
remplacée par la prescription trentenaire : l'article 690
réglant l'acquisition, l'article 706 réglant l'extinction des
servitudes par la possession.
Nous répond{)ns à cela que la matière de l'extinction
et celle de l'acquisition des servitudes par la possession
a été réglée d'une façon toute différente par le législateur. En ce qui concerne l'acquisition, l'article 690 consacre une dérogation évidente à l'article 2265 ; nous
avons dû par conséquent admettre que la prescription
décennale était impuissante à faire acquérir une servitude. Pour l'extinction, au contraire, nous ne trouvons
aucune exception à la règle générale; l'article 706 n'est
qu'une application de l'article 2262, consacrant l'extinction des actions réelles par une prescription de trente
ans. Mais ici, nous le répétons, nous sommes en face
d'une prescription acquisitive; c'est donc l'article 2265
qui est seul applicable .
Ajoutons que notre système peut invoquer la tradition .
La coutume de Paris contenait en effet deux dispositions
distinctes, l'une réglant la prescription à l'effet de se
libérer, prescription résultant uniquement du non usage
de la servitude et qui en fait acquérir la libération même
à ceux qui les auraient constituées (l'article 706 n'en est
que la reproduction); l'autre consacrant une prescription
�-
164 -
qui n'avait rien de commun avec la précédente, ainsi que
le dit Pothier (1), prescription que pouvait invoquer
l'acquéreur de bonne foi qui avait possédé l'héritage
comme libre de toute servitude, et qui en opérait l'extinction par dix à vingt ans ; cette dernière disposition
était contenue dans l'article 114 de la coutume de Paris ;
les rédacteurs du Code civil, qui suivaient cette coutume, en ont fait l'article 2265.
Nous avons déjà eu l'occasion de constater, en invoquant l'article 2180, que la prescription de dix à vingt
ans avait pour effet d'éteindre les hypothèques qui
grèvent l'immeuble possédé par [le tiers détenteur. Le
tiers détenteur peut acquérir la pleine propriété par une
possession de dix ou vingt ans appuyée sur un titre et
sur la bonne foi; il est donc naturel qu'il puisse acquérir, sous les mêmes conditions, un démembrement de la
propriété, dans l'espèce l'hypothèque qui ne lui laisse
qu'une propriété démembrée . On a objecté que le tiers
détenteur ne peut jamais invoquer la prescription de dix
à vingt ans contre les créanciers hypothécaires, parce
que ,la bonne foi lui manque nécessairement, parce qu'il
doit être réputé avoir connaissance des droits hypothécaires affectant l'immeuble qu'il a acquis. Nous répondons que sans doute, si l'acquéreur est prudent, il
consultera le registre du conservateur des hypothèques,
qui lui donnera connaissance des inscriptions; mais il
n'en est pas moins vrai que la bonne foi est une question
de fait et que ce serait renverser la présomption de la
loi que de présumer la mauvaise foi.
(1) Traite de la presc1'iption, n' 139.
�-
165 -
Faisons remarquer, en terminant, que si le tiers détenteur prescrit par dix ou vingt ans contre les créanciers
hypothécaires, cette prescription de l'hypothèque n'est
pas une conséquence de la prescription de la propriété,
mais constitue une prescription distincte qui ne commence à courir qu'à partir de la transcription du titre
d'acquisition.
Examinons maintenant l'hypothèse où le droit réel
dont on veut s'affranchir par la prescription est un usufruit. Celui qui, par un juste titre et de bonne foi, a
acquis, soit du nu-propr~étaire, soit d'un non-propriétaire
un immeuble grevé d'usufruit, peut-il acquérir l'affranchissement de cet usufruit par une prescription de dix à
vingt ans ? Ici, comme en matière de servitude, nous
admettrons l'affirmative.
On a dit, dans un système contraire, que l'acquéreur
de la pleine propriété d'un immeuble n'ayant pas entendu
acquérir et posséder l'usufruit comme tel, ne pouvait, à
l'aide de la prescription acquisitive, réunir cet usufruit à
la propriété. La réponse est facile, car si l'acquéreur
n'a possédé l'usufruit que comme un attribüt de la pleine
propriété, et non comme un démembrement de cette dernière, il n'en a pas moins exercé en fa,it la jouissance
que l'usufruitier aurait dû exercer.
Reste enfin un argument de texte analogue à celui
que nous avons vu invoquer à propos des servitudes, et
qui est tiré du rapprochement des articles 2264 et 617.
Puisque ce dernier article n'admet pas d'autre mode
d'extinction de l'usufruit par voie de prescription que le
non usage pendant trente ans, c'est donc que l'application de l'article 2265 se trouve écartée. Cette seconde
objection n'a, en matière d'usufruit, qu'une valeur
11
�-
166 -
relative, car nous pouvons répondre ici ce que nous
avons déjà dit à propos des servitudes, sur le sens et
l'étendue à donner 'à l'article 2264; nous avons déjà vu
que la disposition de cet article n'empêche pas l'acquéreur de l'usufruit d'un immeuble de consolider son
acquisition par la prescription de dix à vingt ans, alors
que cet usufruit avait déjà été constitué au profit d'une
autre personne. On peut d'ailleurs répondre que les
principes généraux suffisent à décider la question; que
celui qui possède la pleine propriété prescrit la pleine
propriété, c'est-à-dire la propriété libre de toute charge.
Nous avons déjà vu que la loi. applique ce principe à
l'hypothèque; si le plus favorable des droits réels s'éteint par la prescription acquisitive, il doit en être ainsi
à plus forte raison de l'usufruit, dont la loi favorise
l'extinction.
On peut invoquer enfin l'article 1665, qui dit que l'acheteur à réméré peut prescrire « tant contre le véritable propriétaire que contre ceux qui ont des droits ou
hypothèques sur la chose. Ces droits autres que les
hypothèques ne peuvent être que des servitudes réelles
ou personnelles . La prescription acquisitive a donc
pour effet d'éteindre l'usufruit aussi bien que l'hypothèque.
Nous venons de voir comment la prescription de dix à
vingt ans a pour effet de faire tomber les droits réels qui
pesaient sur l'immeuble possédé par le tiers détenteur;
il nous reste maintenant à étudier une question analogue
et qui consiste à savoir si le tiers détenteur, après avoir
prescrit la propriété de l'immeuble, pourra repousser,
par la prescription, l'action intentée contre lui par suite
de l'annulation, de la rescision ou de la résolution du
titre l1e son autem.
�-
167 -
L'affirmative est admise par la jurisprudence, et elle
uous paraît certaine. Il suffit, en effet, de remarquer· que
lorsque le propriétaiL'e, après avoir fait prononcer la
nullité, la résolution ou la rescision de la vente, par
exemple, se retourne contre le tiers détenteur, il agit
non pas par une action personnelle, mais par une action
réelle, l'action en revendication. S'il en est ainsi, la
prescription que le possesseur oppose au propriétaire est
non. pas la prescl'iption extinctive, dont la durée doit
être de trente ans, mais la prescription acquisitive, qui
est de dix à vingt ans, lorsque les conditions de l'article
2265 se trouvent réunies.
Quelques-uns, p::i.rtant de cette idée fausse que le
propriétaire peut intenter une action en nullité, en
rescision ou en résolution contre le tiers acquéreur, en
avaient conclu que la prescription extinctive pouvait
seule être invoquée, puisqu'il s'agissait d'une action personnelle. Nous savons au contraire que les actions personnelles ne peuvent être in~entées que par le créancier
contre le débiteur et jamais contre un tiers. Mais lorsque
la nullité, la rescision ou la résolution de contrat ont été
prononcées, tous les droits concédés par le propriétaire
dont le droit a été résolu venant à tomber, la chose
peut alors être revendiquée par le propriétaire entre les
mains du tiers détenteur. C'est alors que le possesseur
peut opposser la prescription acquisitive, comme il peut
l'opposser à toute action en revendication.
Nous pouvons encore, à l'appui de notre système,
reproduire ici l'argument que nous avons invoqué déjà
lorsqu'il s'agissait d'établir que la prescription acquisitive avait pour effet d'éteindre tous les droits réels qui
pèsent sur l'immeuble possédé, et montrer que notre
doctrine est en conformité parfaite avec l'ancien droit.
�-
168 -
Pothier pose en principe que la prescription de dix à
vingt ans non seulement fait acquérir au possesseur la
propriété de l'héritage, mais qu'elle le lui fait acquérir
tel qu'il a cru le posséder, c'est-à-dire libre de toutes
les rentes foncières, hypothèques et autres charges réelles dont il était grevé, si elles n'ont pas été déclarées à
l'acquéreur par son contrat d'acqufsition et s'il les a
ignorées. Cette doctrine était formellement consacrée
par l'article 114 de la coutume de Paris. Il ne faut pas
isoler l'article 2265 de la tradition ; sans cloute cet article ne reproduit pas les termes de la coutume de Paris,
mais il en reproduit la substance en déclarant que l'acquéreur prescrit la p1·opriété, c'est-à-dire que la possession de bonne foi fait acquérir au possessseur ce qui
manquait à la perfection de son domaine, en affranchissant l'héritage de toutes les charges dont il était grevé.
Il nous reste à constater une exception au principe
que le possesseur prescrit l'immeuble libre de toutes les
charges qui pesaient sur lui ; cette exception est écrite
dans l'article 966. Voici l'espèce prévue par la loi: une
personne fait une donation à l'époque où elle n'avait
point d'enfants ; plus tard, un ou plusieurs enfants surviennent au donateur. Par application de l'article 960, la
donation se trouve révoquée, pourvu que le donateur
demande la révocation dans le délai de trente ans qui
court à partir de la naissance du dernier enfant, même
posthume. Si le donateur ne veut pas intenter son action,
ou s'il néglige de l'exercer à l'expiration des trente ans,
le donataire deviendra propriétaire des biens donnés,
mais les conservera à titre de donation et non à titre de
biens acquis par prescription. Cette décision de la loi
est parfaitement logique et n'a d'autre but que d'empêcher que la révocation de la donation ne devienne pour
�-169 -
le donataire la cause d'une situation meilleure que celle
qu'il avait auparavant. Si donc il continue à détenir l'immeuble à titre de donataire, il demeurera soumis à toutes
les charges que ce titre lui impose, de telle sorte que
s'il se rend coupable de l'un de ces actes qui, d'après
la loi, constituent l'ingratitude envers le donateur, celuici pourra, nonobstant la prescription, demander de ce
chef la révocation de la donation. Au point de vue de
l'action en réduction qui appartient aux enfants du do- .
nateur, il importe encore de constater que le possesseur
conserve la qualité de donataire.
, Cette impuissance de la prescription à lib érer l'immeuble donné des charges auxquelles il est tenu à ce
titre, aurait dû, semble-t-il, s'arrêter à la personne du
donataire ou de ses ayants cause. Mais la loi est allée
plus loin et n'a fait aucune distinction entre le donataire
et un tiers quelconque possesseur de l'immeuble donné.
Ainsi, lorsqu'une personne, sans traiter avec le donataire, a: possédé l'immeuble donné et l'a acquis par prescription, elle ne peut invoquer cette prescription contre
le donateur ou ses enfants qu'à l'effet de faire valoir la
donation. Il est probable que s'il en est ainsi, c'est que
le législateur a eu surtout en vue l'intérêt des enfants du
donateur, auxquels il a voulu, par ce moyen, conserver
leur action en réduction.
Lorsque la prescription décennale est accomplie, celui
au profit duquel. elle se produit voit s'effacer le titre qui
a coloré sa possession, car ce n'est pas ce titre qui lui
a transféré la propriété, mais bien la prescription : le
titre n'a eu pour lui qu'un seul effet, celui d'abréger le
temps ordinaire de la prescription. Nous venons de voir
une première dérogation à ce principe en montrant que,
après la révocation d'une donation pour cause de surve-
�-
170 -
nance d'enfants, la prescription avait pour effet de maintenir la chose entre les mains du donataire à titre de
chose dorinée. Il faut se demander maintenant s'il n' existe
pas une seconde dérogation au principe que nous venons
de rappeler, et si l'acheteur, après la prescription de dix
à vingt ans, ne continue pas à détenir la chose à titre
d'acheteur.
En droit romain la question ne présentait aucune difficulté et il était admis que lorsque l'usucapation s'était
accomplie au profit de l'acheteur, celui-ci n'en était pas
moins tenu de payer le prix de la chose ainsi acquise.
Cette solution était une conséquence nécessaire de la
doctrine romaine en matière de vente. L'obligation principale dont était tenu le vendeur romain était, non pas
de transférer la propriété de la chose vendue, mais de
procurer à l'acheteur une vaCJUam possessionem; en un
mot, de mettre l'acquéreur in causa usucapiandi. D'où
il résultait que dans le ca·s de vente de la chose d'autru i
et d'usucapion accomplie au profit de l'acquéreur, celuici ne pouvait se refuser à payer son prix d'acquisition
au venclem qui avait rempli toutes ses obligations. Notre
droit actuel s'est montré plus sévère, et l'article 1599
prononce la nullité de la vente de la chose d'autrui.
Puisque la vente de la chose d'autrui est nulle, il semblerait logique de décider que, après la prescription
accom1)lie au profit de l'acquéreur, il ne saurait être
question d'exiger de lui le i.;aiement de son prix d'acquisition, car ce qui est nul ne peut produire aucun effet.
La jurisprudence admet cependant le con.t raire ; cette
solution provient de ce que elle considère la nullité de
la vente de la chose d'autrui comme une nullité simplement relative.
Cette façon d'interpréter l'article 1599 et de considérer
�-
171 -
la vente de la chose d'autrui comme frappée d'une nullité
simplement relative n'est pas admise par tous les auteurs . Mais il nous semble que, même en donnant à l'article 1599 la portée qu'il comporte, et en considérant la
vente de la chose d'autrui comme frappée d'un nullité
absolue, on doit néanmoins imposer à l'acheteur qui
inv-oque la prescription décennale l'obligation de payer
son prix d'acquisition. Sans doute, c'est en vertu de la
prescription et non en vertu de la vente que l'acquéreur
est devenu propriétaire, mais il n'en est pas moins vrai
que la vente a eu pour effet de lui servir de juste titre
et d'abréger le temps requis pour prescrire. Or, parmi
les obligations que fait naître la vente, la principale,
pour l'acheteur, consiste à payer son prix d'acquisition.
Si donc l'acheteur invoque la prescription de dix à vingt
ans, prescription qui a son fondement dans le titre
d'acheteur, il doit nécessairement accepter toutes les
conséquences que ce titre lui impose. Refuser de payer
le prix, ce serait nier les obligations qui résultent du ·
titre qu'il invoque ; ce serait se mettre dans l'impossibilité de l'opposer au propriétaire qui revendique; ce
serait, en un mot, renoncer au titre qui servait de base
à sa possession et lui donnait droit à la prescription
décennale.
Pour terminer ce que nous avions à dire sur les effets
de la prescription dans les rapports du possesseur avec
le propriétaire de l'immeuble, il nous reste à examiner
la question de savoir si la prescription court contre le
propriétaire sous condition suspensive . Voici l'espèce
que l'on peut prévoir : un immeuble a été vendu par le
propriétaire qui a stipulé que la vente serait résolue si
l'acheteur ne lui payait pas le prix dans un délai déterminé, huit ans par exemple. L'acheteur devient proprié-
�- 172 taire sous condition résolutoire, et le vendeur, par conséquent, reste propriétaire sous condition suspensive.
Si dans ces conditions un tiers entre en possession de
l'immeuble, il prescrira évidemment contre l'acheteur,
mais prescrira-t-il aussi contre le vendeur? En d'autres
termes, et pour poser la question sous une forme plus
générale, la prescription court-elle contre les dro.its
réels conditionnels ?
En ce qui concerne les droits personnels, les créances
conditionnelles, la question est tranchée par l'article 2257
qui déclare que la prescription ne commence à courir
qu'à partir de l'arrivée de la condition. Cette solution
est facile à justifier, car, d'une part la prescription
étant considérée comme une peine infligée à la négligence du créancier qui reste clans l'inaction, ne saurait
commencer à courir tant que le créancier ne peut agir
contre son débiteur, et, d'autre part, par rapport au
débiteur, la prescription libératoire étant fondée sur une
présomption de paiement, il ne serait pas rationnel
d'établir cett~ présomption à une époque antérieure à
celle où le paiement doit s'effectuer.
Pour les droits réels, il n'en est pas de même, et
notre ancienne jurisprudence, afin d'éviter l'i'nconvénient
immense qui résultait de la suspension de la prescription
jusqu'~ l'arrivée de la condition, avait créé une action
d'interruption par laquelle le titulaire d'un droit réel
conditionnel pouvait mettre obstacle à la prescription
qui avait commencé à courir contre lui ; il ne pouvait
donc plus invoquer en sa faveur la maxime : con.tra non
valentem agere non cu1·rit prœscriptio. Le Code n'a fait,
croyons-nous, que consacrer cette doctrine, car nous
voyons l'article 2257 ne parler que des créances. Nous
devons constater cependant que la Cour de cassation a
�-
173
~
décidé que la prescription d'un droit conditionnel était
suspendue jusqu'à l'arrivée de la condition, aussi bien
vis-à-vis du tiers détenteur d'un immeuble que vis-à-vis
du débite~r ; la Cour se fonde sur ce que les actes interruptifs de l'article .2224 ne sauraient être faits en vertu
d'un dt·oit conditionnel (Cassation, 4 mai 1846). Cette
doctrine nous paraît inexacte ; il nous semble que la
prescription n'est suspendue qu'entre les parties contractantes, mais non pas à l'égard des tiers qui détiennent
des immeubles affectés d'un droit réel conditionnel. Dire,
en effet, que l'article 2257 est applicable aux tiers détenteurs, c'est méconnaître le principe de l'article 1165, en
vertu duquel les contrats n'ont d'effet qu'entre les partles
contractantes; c'est assujettir le tiers détenteur aux obligations formées entre d'autres parties et lui créer une
position toujours incertaine, puisque, après de longues
l:tnnées de possession paisible et de bonne foi, il pourrait
être recherché pour un immeuble que ses ancêtres auraient ainsi acquis, ignorant que le vendeur était soumis
à une action de la part de son auteur. Si d'ailleurs le
titulaire d'un droit conditionnel ne peut faire aucun des
actes interruptifs énumérés dans l'article 2224, il peut
du moins • exiger une reconnaissance de son droit. Cela
est tellement vrai que l'article 2173 suppose que le tiers
détenteur d'un immeuble hypothéqué a reconnu l'hypothèque, ce qui se réfère à l'action d'interruption que le
créancier hypothécaire peut intenter pour la conservation de son droit.
Jusqu'ici nous ne nous sommes occupé des eff~ts de
la prescription que dans les rapports du propriétaire et
du possesseur, et nous avons vu qu'elle avait pour conséquence directe de donner à ce dernier un moyen de
�-
174 -
repousser l'action en revendication dirigée contre lui.
Mai. ce n'es t pas là le seul effet de la prescription, et par
cela môme que le propriétaire est dépouillé de son droit,
il voit naîtrn à son profit une action en indemnité contre
celui qui a fourni au possesseur les moyens d'arriver à la
prescription en lui délivrant un titre. Le propriétaire ne
peut plus revendiquer, puisque son action en revendication est prescrite, mais il a une action personnelle qui
ne se prescrit que par trente ans, action qui peut être
intentée contre tous ceux qui étaient tenus de lui rendre
la chose en vertu d'une obligation dérivant d'un contrat,
d'un quasi-contrat, d'un délit ou d'un quasi-délit. Si on
supp0se que l'aliénation a été faite pa-r un détenteur précaire, par un fermier, par exemple, l'acquéreur peut.
prescrire l'immeuble par dix ans, puisqµ'il a un juste titre
et que nous le supposons de bonne foi; mais cette prescription laisse intacte l'obligation dont est tenu le fermier de restituer la chose à l'expiration de son bail.
L'exécution de cette obligation a été rendue impossible
par sa faute, puisque l'acquéreur est devenu propriétaire; mais alors naît une actiun en dommages-intérêts,
action qui' ne se prescrit que par trente ans à partir du
jour où le bail est expiré, puisque c'est alors que naît
l'obligation de restituer. Le fermier ne pourrait pas prétendre que la prescription a couru à son profit à partir
du jour où il a disposé de la chose, sous ce prétexte que
c'est ce fait qui a donné naissance à l'action contre lui;
è'est, en effet, un principe que, lorsqu'il s'agit d'un droit
ou d'une créance à terme, la prescription ne commence
à courir que di;t jour de l'échéance du terme (article 2257) ;
or , la.restitution de la chose donnée à ha.il ne devait être
faite qu'à l'expii·ation du bail.
Si celui qui a disposé de l'immeuble et qui ne le pos-
�- 175 sédait pas encore depuis trente ans, s'en était emparé
sans titre, il est clair que l'usurpation obligeant l'usurpateur à la restitution, il sera passible pendant trente
ans d'un recours en indemnité de la part du propriétaire.
La seule questio.n qui puisse présenter quelque difficulté
est de savoir quel est le point de départ de cette prescription contre l'act"ion en indemnité du propriétaire :
est-ce le jour où l'usurpateur s'est emparé de l'immeuble,
ou le jour où il en a disposé? Il semble, tout d'abord,
que la prescription ne commence à courir à son profit
que du jour où il a disposé de l'immeuble, puisqu.e c'est
à partir de ce moment que, conformément au principe
de l'article 1382, il a contracté l'obligation d'indemniser
le propriétaire du préjudice que l'aliénation pouvait lui
causer. Il n'en est cependant pas ainsi, et il est vrai de
dire, au contraire, que c'est le jour où il s'est emparé de
l'immeuble qui est le point de départ de la prescription
trentenaire; et, en effet, s'il n'avait pas disposé de l'immeuble, la prescri]_)tion de trente ans n'aurait pas moins
couru contre l'ancien propriétaire à partir de l'entrée
en P.ossession. L'aliénation n'a rien ajouté au préjudice
éprouv é par le propriétaire, puisque s'il n'a pas réclamé
sa chose dans les trente ans qui se sont écoulés depuis
qu'il a cessé de posséder, la prescription lui est toujours
opposable. L 'obligation de restituer, pour celui quipossède sans titre, naît en même temps que sa possession,
et c'est à partir de ce moment que le propriétaire peut
agir contre lui ; mais il serait inexact de dire que la
possession sans titre donne naissance à une obligation
successive et de chaque jour de restituer la chose, car
s'il en était ainsi, la prescription serait !3n réalité de
soixante ans, et le Code n'en consaere pas de plus longue
que celle de trente ans ; l'article 2262 pose, en effet, en
�- 176 principe, que toutes les actions, tant réelles que personnelles, se prescrivent par trente ans, sans qu'on puisse
opposer l'exception déduite de la mauvaise foi. ·
Lorsque nous avons étudié les effets de la prescription
dans les rapports du propriétaire et du possesseur, nous
avons vu que quand la prescription était acquise au
profit de ce dernier, le propriétaire ne pouvait pas lui
opposer les causes de nullité, de rescision ou de résolution dont était entaché le titre de son auteur. Mais si
l'on envisage les rapports du propriétaire avec celui qui
a consenti l'aliénation, il faut constater que ce dernier
demeure toujours soumis aux causes de nullité, de rescision ou de résolution dont pouvait être entaché son
propre titre. Il est vrai que ces actions se prescrivant
aussi par dix ans, il arrivera souvent que lorsque le
possesseur pourra invoquer la prescription acquisitive
contre le propriétaire, l'aliénateur pourra aussi se prévaloir contre lui de la prescription lib ératoire. Mais il
peut arriver aussi que le contraire ait lieu, car le point
de départ de ces deux prescriptions n'est pas le même.
Le possesseur commence à prescrire dès son entrée en
possession, tandis que le débiteur ne commence à prescrire que lorsque l'action du créancier est née; or, elle
peut s'ouvrir longtemps après que le contrat a été exécuté, si le vice qui l'entache s'est prolongé, comme cela
arrive en cas d'erreur, de dol ou d'incapacité. Il peut donc
se faire que l'action en revendication soit prescrite
quand le tiers acquéreur a possédé pendant dix ans,
tandis que l'action personnelle du propriétaire subsiste
contre l'aliénateur.
�POSITIONS
DROIT
ROMAIN
1. - Dans l'action en revendication, le défendeur qui
possède la chose et refuse de la restituer peut y être
contraint par la manus milita1ris.
II. - Lorsque, pour faire disparaître la lésion dont il se
se plaint, le mineur a à sa disposition tout à la fois
la demande en restitution et la condictio ince1·ti, on
lui donne toujours le choix entre ces deux moyens.
III. - Même à l'époque de Justinien, les servitudes prédiales et l'usufruit ne peuvent s'établir par pactes et
stipulations.
IV. - L'innovation de Justinien, qui étend la compensation aux actions in 1·em, a une portée générale et
ne s'applique pas seulement dans les cas où le droit
réel se convertit en une somme d'argent, comme
par exemple lorsque la restitution de la chose est
devenue impossible.
�-
178 -
DROIT CIVIL
I. - Le rapport des meubles incorporels se fait en
moins prenant.
Il. ..
~
L'action en revendication organisée par l'article
2102 - !1• au profit du vendeur n'est autre chose que
la revendication du droit de rétention, et non po,s
l'action en résolution exercée à l'encontre des créanciers de l'acheteur.
III. - Dans l'hypothèse d'une institu tion contractuelle,
le donateur ne peut disposer à titre gratuit de::;
biens compris clans la donation, même avec l'assentiment du donataire.
IV. - La renonciation de la femme à son hypothèque
légale en faveur d'un tier s est une vé ritable cession .
DROIT
CRIMINEL
1. - L'action civile résultant d'un crime se prescrit par
dix ans, comme l'action publique.
II. - Le sequestre dont parle l'article 471 du Code pénal
pour les biens des condamnés par contumace consiste dans l' administration des biens par la régie
des domaines et non clans l'administration par les
héritiers présomptifs du condamné, comme sous le
Code de l'an IV, et comme semble l<? dire l'article
28 : « seront régis comme biens d'abs~nts. »
�-
179 -
ENREGISTREMENT
I. - En matière de droits d'actes, la cause génératrice
du droit se trouve, non pas dans la rédaction d'un
écrit, mais dans l'opération juridique, l'accord intervenu entre les parties.
II. - Le jugement qui prononce la résolution d'une
convention pour cause de nullité relative n'est pas
soumis au droit proportionnel; en d'autres termes,
les nullités relatives doivent être considérées comme des millités radicales dans le sens de l'article
68, § 3, n° 7, de la loi du 22 frimaire an VII.
lll. - Les nullités qui repo ·ent sur la lésion rentl'ent
aussi dans la catégorie des nullités radicales.
HISTOIRE
DU
DROlT
I. - L'o rigine du cens se trouve dans la convention intervenue entre le serf affranchi et le seigneur.
Il. - L'origine de la communauté se tl'ouve dans les
sociétés serviles.
Vu pcir nous Projessear, P1·ésiclent clc la Thèse,
PISON.
VU ET PERMIS D'IMPR!l\I ER :
Le R ecteur cle l'Académie ,
BE~LIN.
��TABLE DES MATIÈRES
Pages
CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES ............. . .......
PREMIÈRE PARTIE. -
5
DROIT ROMAIN
I NTRODUCTION ........ . ..................... . • • . • •
I. - Des conditions relatives à la personne.. ... . ................. . ..
Section 1. - De la juste cause .. .. .
Section II. - De la bonne fo i......
Section III. - Du laps de temps...
CHAPITRE II. - Des conditions relatives à la chose
Section 1. - La chose doit être in
commercio . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. ..
Section II. - Des choses volées ou
occupées par violence . . . . . . . . . .
Section III. - La prescription de
long temps ne s'applique qu'aux
choses susceptibles de possession ....... .. ...... . . . . . . . . . .. . .
CHAPITRE III. - Effets de la prœscriptio longi temporis ...... . ................. . . .
Section 1. - Effets de la prescription
. dans le droit classique....... ...
Section II. - Innovations de Justinien
16
CHAPITRE
22
28
50
61
69
69
73
77
82
82
85
�18:?
DEUXIÈME PARTIE -
ANCIEN DROIT
])1.; L .\ PRF.SCRIPTION DA:"iS r/ .\!\ CIEX DROIT FRANÇAIS
91
Dn ju:ste titre...... . . . . . . . . . . . . . .
95
Cn.\PITRE
I. -
CHAP ITRE
II. - De la bonne foi ........ ... ....... 100
CHAPITRE
111. - Du laps de temps ...... . .. . ....... 103
CHAP ITRE
TV. - Au pt'ofit de qui et contre qui pouYait courit· la prescription. -E:ffe t;s
do la pr0sc1·iption. . . . . . . . . . . . . . 105
TROISIÈME PARTJE. -
DROIT FRANÇAIS
Î:-!TROD lJC:'l'JO~ . ........ .. ..... . .. . ...... , ..... .. . .
'l llH
Dr..· courl itions relatiYes h la personne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Section r. - ·bu ju:te titre. . . . . . . . .
Section II. - De la bonne foi.... . .
Section III. - Do la durée de la po. :;e.,ion ................ . .......
1 l3
1:3 1
CrrA Pr1'nv. J. -
CHAPIT RE
CnAPI'I' RE
·11 3
1't4
Il. - Des conditions relai ives à la chose 1:JO
TTJ. - Des effets de la prescription cle dix
ù vingt ans .. .. ... .. .. ...•. .. .. t:J9
PosrTro:-;s . .. . . . ... . ............. . ... .. .. ... .. . .. 177
��
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Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
De la "Prœscriptio longi temporis" en droit romain. De la prescription de dix à vingt ans en droit français : thèse présentée et soutenue devant la faculté de droit d'Aix
Subject
The topic of the resource
Droit pénal
Droit romain
Description
An account of the resource
La propriété étant constatée par écrit, qu'est-ce qui fonde le droit de prescription qui limite le droit de propriété et le droit de créance, comme le permettait autrefois l’usucapion
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Talagrand, Auguste
Faculté de droit (Aix-en-Provence, Bouches-du-Rhône ; 1...-1896). Organisme de soutenance
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES-AIX-T-130
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Malige (Uzès)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1883
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/24040937x
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-AIX-T-130_Talagrand_Proescriptio_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
182 p.
23 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/394
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Alternative Title
An alternative name for the resource. The distinction between titles and alternative titles is application-specific.
De la prescription de dix à vingt ans en droit français
Abstract
A summary of the resource.
Thèse : Thèse de doctorat : Droit : Aix : 1883
Cette étude s’intéresse à la prescription, dont l’auteur estime qu’elle remonte aux temps les plus reculés, en droit romain, en ancien droit français et en droit français moderne
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Prescription (droit) -- France -- 19e siècle -- Thèses et écrits académiques
Prescription (droit) -- Rome -- Thèses et écrits académiques
Procédure (droit) -- France -- 19e siècle -- Thèses et écrits académiques
Procédure pénale -- France -- 19e siècle -- Thèses et écrits académiques
Procédure pénale (droit romain) -- Thèses et écrits académiques
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/545/RES-AIX-T-187_Rampal_Condition-enfant.pdf
243e2a6dbf8d7dd1cf3acd35e74b3abf
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
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Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1896
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
XII-576 p. : tabl
25 cm
Language
A language of the resource
fre
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Marseillais (Marseillaise)
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/248896970
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-AIX-T-187_Rampal_Condition-enfant_vignette.jpg
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES-AIX-T-187
Title
A name given to the resource
De la condition de l'enfant dans le droit public ancien et moderne : thèse pour le doctorat
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Rampal, Auguste (1863-1937). Auteur
Faculté de droit (Aix-en-Provence, Bouches-du-Rhône ; 1...-1896). Organisme de soutenance
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/545
Abstract
A summary of the resource.
Thèse : Thèse de doctorat : Droit : Aix : 1896
A travers cette thèse, l’auteur a étudié la condition de l’enfant à travers une analyse historique (notamment l’Antiquité) et comparative des systèmes juridiques européens de la fin du XIXe siècle. Il a étudié cette condition à travers quatre thèmes, quatre domaines juridiques selon le vocable de la fin du XIXe siècle : le droit scolaire (actuel droit à l’instruction), le droit industriel (droit du travail), le droit pénal (étude de la responsabilité criminelle de l’enfant) et l’assistance publique (l’actuelle aide sociale à l’enfance régie par l’article L. 221-1 du Code de l’Action sociale et des Familles).
Résumé Jean-Michel Mangiavillano
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Subject
The topic of the resource
Droit public
Droit pénal
Droit romain
Enfants -- Statut juridique -- France
Famille -- Droit -- France
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/821/BUD_341-6_Cassin_Condition-ennemis_1916.pdf
71921b8a365a8c682ad60eb3925caba7
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
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Title
A name given to the resource
De la condition des sujets ennemis en France pendant la Guerre (1916) / René cassin. Faire face à l'ennemi : René Cassin, juriste monté au "front intellectuel" / Julien Broch ; avant-propos de Bruno Lasserre, préface de Rostane Mehdi
Subject
The topic of the resource
Droit public
Droit pénal
Histoire
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Cassin, René (1887-1976 ; juriste). Auteur
Broch, Julien (19..-.... ; juriste). Auteur
Lasserre, Bruno (1954-....). Préfacier, etc.
Mehdi, Rostane (1965-....). Préfacier, etc.
Académie des sciences morales et politiques (France). Éditeur scientifique
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Palais de l'Institut de France (Paris)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1916
2021
Rights
Information about rights held in and over the resource
conditions spécifiques d'utilisation
restricted use
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/25810600X
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/BUD_341-6_Cassin_Condition-sujets_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
367 p. : couv. ill. en coul.
25 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/821
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 19..
Alternative Title
An alternative name for the resource. The distinction between titles and alternative titles is application-specific.
Faire face à l’ennemi : René Cassin, juriste monté au « front intellectuel » (1914-1918)
Abstract
A summary of the resource.
Bibliogr. p. 279-358<br /><br />Après sa démobilisation en 1916, René Cassin donne des cours sur la condition juridique des ennemis en temps de guerre. Ces dix leçons, jusqu'à présent méconnues et restées sous forme de notes manuscrites au style télégraphique, ont été découvertes par Julien Broch, historien du droit, qui en donne ici une version remise en forme et en livre une analyse qui met en lumière le difficile équilibre que doit trouver le juriste entre les dévastations de la guerre et une législation d'exception qui s'affranchirait de certains principes fondamentaux du droit qu'il entend défendre : René Cassin donne ces cours l'année même où Français et Allemands s'enlisent dans les terrifiantes tranchées de Verdun et s'enfoncent dans un abîme meurtrier inconcevable. <br /><br /><em>"René Cassin (1887-1976) apparaît d’abord à nos yeux comme le « légiste » de la France libre, le chantre des droits de l’Homme, Prix Nobel de la Paix 1968, ou encore le grand commis de l’État. On en oublierait presque que, avant ce Cassin-là, il y a eu le Cassin universitaire « privatiste ». Grièvement blessé lors de la Grande Guerre, il est retourné à la vie civile pour enseigner à la Faculté de Droit d’Aix-Marseille qui l’avait formée. Au cours de ces années de guerre à l’arrière, il a dispensé un cours, jusqu’ici demeuré inédit, sur la condition des sujets ennemis en temps de guerre.</em><br />
<div style="text-align: center;"><br /><img src="https://odyssee.univ-amu.fr/files/thumbnails/Rene-Cassin_1914-1916.jpg" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" />René Cassin, mobilisé en 1914, revient à la civile en 1916 (1)</div>
<em><br />L’édition scientifique qui en est ici donnée est d’une haute valeur. Elle éclaire tout un pan, relativement méconnu, de la « législation de guerre », qui consiste, selon Cassin, à « empêcher la réalisation de tous les actes qui sur notre propre sol pourraient contribuer à soutenir et protéger la résistance de nos ennemis ». Il y décrit des pays rivalisant d’audaces juridiques (Restrictions à la liberté de circulation, atteintes aux droits patrimoniaux et à la capacité d’ester en justice, déchéances de nationalité, internements administratifs) destinées à contrer un ennemi intérieur par définition difficilement repérable, qui plus est dans un contexte d’« espionnite aigue », avec toujours le risque de frapper indistinctement tous les étrangers, les civils étant hélas moins bien protégés que les militaires par le droit international.<br /><br /></em><em>Universitaire en devenir, Cassin a été pris dans l’engrenage des contraintes : fallait-il faire preuve d’esprit critique par rapport aux mesures frappant les ressortissants des puissances ennemies ou, au nom d’un patriotisme cocardier, de la « guerre pour le droit » menée par nos juristes face à l’apologie germanique de la force brute, taire les atteintes aux droits les plus fondamentaux ? Semble-t-il que ce Cassin première manière, tout en déplorant </em>mezzo voce <em>certains excès des dispositions adoptées au coup par coup dans un contexte d’immédiateté a préjugé que la France, exemplaire, aurait tenu la balance égale entre l’impératif de sécurité et la sauvegarde nécessaire des libertés individuelles</em>."<br /><br />Texte de Julien Broch, MCF HDR, Centre d'Études et de Recherches en Histoire des Idées et des Institutions Politiques (CERHIIP), Aix-Marseille Université, rédigé pour la 4ème de couverture de l'édition imprimée de 2021.<br /><br />L’Institut International des Droits de l’Homme a accordé à J. Broch les droits sur les manuscrits de R. Cassin pour établir cette édition scientifique.<br /><br />1. Professeur Réné Cassin, in <em><a href="http://droiticpa.eklablog.com/professeur-rene-cassin-a131619330" target="_blank" rel="noopener" title="Nos Facultés de Droit">Nos Facultés de Droit</a></em>
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Description
An account of the resource
En temps de guerre, restreindre les libertés de ses ennemis paraît légitime mais pose la difficile question des limites d'un État de droit. Julien Broch exhume et analyse un cours inédit de René Cassin, futur prix Nobel de la Paix
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote 341.6 CAS
Cassin, René (1887-1976, juriste)
Ennemis -- Relations internationales - 2àe siècle
Guerre mondiale (1914-1918) -- Législation -- France
Guerre mondiale (1914-1918) -- Relations internationales
Mesures d'exception -- France -- 1914-1918
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/990/RES-35772-1-6_Julienne_Transportation-deportation.pdf
76d83c5d7a9bc469e6203a313fd6d554
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
De la transportation et de la déportation à introduire dans notre système pénal pour remédier aux dangereux effets de la pénalité actuellement en vigueur
Subject
The topic of the resource
Droit pénal
Colonies françaises
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Jullienne, Édouard de (18..-186.? ; juriste). Auteur
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES 35772/1/6
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Veuve Tavernier (Aix)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1849
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : https://www.sudoc.fr/114373302
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-35772-1-6_Julienne_Transportation_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
63 p.
20 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/990
Abstract
A summary of the resource.
Document relié dans un recueil de 7 pièces.<br /><br />Que faire des personnes condamnées à une peine de privation de liberté ? La prison a beau être la réponse de tout système judiciaire, non seulement elle ne résout rien mais elle aggrave sérieusement les choses : plongés dans la promiscuité avec les autres criminels, les plus amendables s'endurcissent et ce qu'on appelle <em>Maison de correction</em> mériterait davantage le titre de <em>Maison de corruption </em>! <br /><br />
<div><img src="https://odyssee.univ-amu.fr/files/fullsize/Embarquement-bagnards-Cayenne.jpg" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></div>
<div style="text-align: center;"><em>Bagnard à Saint-Martin-de Ré (Île de Ré)<br /></em></div>
<br />Au 19e siècle, ce constat est déjà largement partagé et à partir de 1840, il s'étend au delà des seules conséquences morales sur les prisonniers (1) : avec la fin du régime des galères et le choix de concentrer la population carcérale dans les anciens arsenaux (Brest, Rochefort, Toulon), une partie de la population s'inquiète de ce nouveau risque (libération, évasion). D'autres se préoccupent du coût de fonctionnement de ces grands centres pénitentiaires.<br /><br />
<div><img src="https://odyssee.univ-amu.fr/files/fullsize/Embarquement-Ile-de-Re_Guyane.jpg" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></div>
<div style="text-align: center;"><em>Embarquement de l'Île de Ré pour Cayenne, Guyane (1852-1953)</em></div>
<br />Pour E. Julienne, le plus nocif dans ce système de réclusion est l'état d'oisiveté forcé et permanent dans lequel on maintient les prisonniers. L'issue est courue d'avance : les condamnés libérés "<em>ne sortent de prison que pour y rentrer chargés de nouveaux crimes</em>". Pour preuve, le fort taux de récidive, un tiers environ pour l'ensemble de la population carcérale, ce taux étant plus élevé encore pour ceux condamnés aux travaux forcés, la moitié. La réponse pénale fabrique littéralement une dangereuse "<em>armée de repris de justice</em>".<br /><br />
<div><em><img src="https://odyssee.univ-amu.fr/files/fullsize/bagnards-federation-entraide-protestante.jpg" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></em></div>
<div style="text-align: center;"><em>Transportés, déportés : éloigner pour protéger la société civile</em></div>
<br />Comment parer à ce danger social ? En ayant recours à la transportation et à la déportation. Le premier cas n'est applicable que pour les crimes d'ordre privé et réservé à ceux qui ont commis un délit pour la première fois : on demande à l'accusé s'il reconnaît les faits, et si oui, s'il préfère être transporté dans une colonie spéciale et pénitentiaire (Îles Marquise ou Tahiti, par ex.) pour dix ans en échappant à toute publicité et jugement public. Une grâce entre peine et liberté qui n'exclut ni le travail ni la propriété (colonies agricoles, par ex.) et qui permet à l'État de faire l'économie des procès et de l'entretien des prisons continentales coûteuses, malgré les frais du transport par delà les mers.<br /><br />La déportation dans une colonie spéciale, est proposée aux prisonniers qui ont montré leur volonté de revenir dans le droit chemin. On remarquera qu' E. Julienne, soucieux de la réinsertion des nouveaux libérés, n'emploie jamais le terme de bagnards mais de colons. Rédigé en 1849, il ne peut imaginer que trois ans plus tard, en 1852, l'État français créera les véritables bagnes coloniaux vers lesquels, durant un siècle, près de 100 000 condamnés (quelques centaines de femmes) seront conduits et devront y "vivre" dans des conditions depuis unanimement dénoncées (2) : 75% le seront à Cayenne et 80% le seront sous le statut juridique de Transporté.<br /><br />
<p>1. Michel Pierre, «Le siècle des bagnes coloniaux (1852 - 1953)», <em>Criminocorpus, revue hypermédia</em> [En ligne], Les bagnes coloniaux, Articles, mis en ligne le 01 janvier 2006, consulté le 10 juin 2012. URL : <a href="http://criminocorpus.revues.org/174" target="_blank" rel="noopener">http://criminocorpus.revues.org/174</a><br />2. Robert Badinter : « <em>Le bagne de Guyane, un crime contre l’humanité</em> », Le Monde, éd. du 24 nov. 2017: <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2017/11/24/robert-badinter-le-bagne-de-guyane-un-crime-contre-l-humanite_5219546_3232.html" target="_blank" rel="noopener">https://www.lemonde.fr/idees/article/2017/11/24/robert-badinter-le-bagne-de-guyane-un-crime-contre-l-humanite_5219546_3232.html</a></p>
Provenance
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Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Description
An account of the resource
Transportation ou déportation ? Il s'agit bien du choix d'un nouveau régime pénal proposé pour la première à ceux pas encore condamnés et en attente de leur procès, et pour la seconde, aux repris de justice ayant une bonne conduite.
Colonie pénitentiaire -- France -- 19e siècle
Droit pénal -- France -- 19e siècle
Relégation outre-mer -- 19e siècle
Transportation -- 19e siècle
-
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c4278414f1526fb2d1b5d38d098dd928
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/2/526/Liste-articles-revues-PUAM_revues.pdf
d78217c54207bcd7650da3faf5edc849
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A name given to the resource
Publication en série imprimée
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Périodiques imprimés édités au cours des 18e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
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Faculté de droit d'Aix : index des articles parus dans les revues publiées par les PUAM et dans la revue Scapel (Sémaphore) entre 1905 et 2011
Subject
The topic of the resource
Doctrine juridique française
Science politique
Droit ultramarin
Histoire de l'université
Droit commercial
Droit maritime
Droit criminel
Droit pénal
Description
An account of the resource
Index général par auteurs et par titres des 7 000 articles parus dans les revues de la Faculté de droit publiées par les Presses universitaires d'Aix-Marseille et dans la revue Scapel au cours du 20ème siècle
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A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cotes multiples
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Presses universitaires d'Aix-Marseille (Aix-en-Provence)
Centre national de la recherche scientifique (Paris)
Sémaphore (Marseille)
Revue de droit commercial, maritime, aérien et des transports (Marseille)
Presses universitaires d'Aix-Marseille (Marseille)
Date
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1905-2011
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restricted use
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publication en série imprimée
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https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/526
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The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 19..
Abstract
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Index des 7 000 articles des revues de la Faculté de droit d'Aix publiées par les Presses universitaires d'Aix-Marseille et de la revue Scapelau cours des années 1905 à 2011.
Concerne toutes les branches du droit, de l'économie et des sciences politiques, et également d'autres sciences humaines et sociales comme la philosophie, l'histoire, la sociologie et la littérature...
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
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Administration publique -- Périodiques
Criminologie -- France -- Périodiques
Droit-- Recherche -- France-- Périodiques
Economie politique -- Histoire
Facultés de droit -- France -- Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) -- Histoire
Indien - Océan (région) -- Périodiques
Science politique -- Recherche -- France-- Périodiques
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/945/RES-38580_Fissiau_Notice-colonies-agricoles.pdf
af400c2752cd1418be8af8071a49c86b
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Monographie imprimée
Description
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Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
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Title
A name given to the resource
Notice adressée à son Excellence monsieur le Ministre de l'Intérieur sur la situation des colonies agricoles pénitentiaires de N.-D. de Beaurecueil, près d'Aix (Bouches-du-Rhône) et de N.-D. de la Cavalerie, près de la Bastide des Jourdans (Vaucluse)
Subject
The topic of the resource
Droit pénal
Éducation
Agriculture
Creator
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Fissiaux (abbé). Auteur
Source
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Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES 38580
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Veuve M. Olive (Marseille)
Date
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1864
Rights
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domaine public
public domain
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1 vol. (36 p.) ; 24 cm
40 p.
24 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/945
Abstract
A summary of the resource.
Au 19e siècle, les enfants trouvés, orphelins, sans parents connus ou abandonnés par eux, étaient pris en charge par des structures de santé comme les hôpitaux ou par des organisations caritatives ou religieuses qui leur étaient destinées. Mais qu'arrivait-il aux enfants qui avaient commis des délits ?<br /><br />Rien n'était spécifiquement prévu et ils étaient incarcérés en prison sans considération de leur âge : les plus jeunes étaient donc mélangés aux adultes condamnés aussi bien à des peines légères pour des faits mineurs qu'à de lourdes peines pour faits des criminels les plus graves. Dans les années 1830, l'idée de distinguer les mineurs des adultes s'impose peu à peu : position qui n'est pas sans rappeler la réflexion rousseauiste sur une bonté naturelle de l'homme dépravé par la société (le cas de Victor de l'Aveyron est d'autant plus dans les mémoires qu'il est décédé à Paris en 1828), il semble juste de penser qu'encore très jeune, l'enfant n'a pas eu le temps d'être (totalement) corrompu et que s'il peut être sauvé, il faut prendre les mesures pour le faire tant qu'il est encore temps, le soustraire à ses mauvaises conditions de vie et aux influences néfastes des adultes. Plus question que des enfants de moins de dix ans soient jetés en prison et mêlés à des criminels souvent pervers, endurcis et multirécidivistes. En vertu de l'article 66 du Code pénal, les auteurs de délits âgés moins de dix ans ayant agi sans discernement sont placés et éduqués aux frais de l'État.<br /><br />
<div><img src="https://odyssee.univ-amu.fr/files/fullsize/promenade_Mettray.jpg" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></div>
Pour les séparer, il faut donc créer des établissements spécialisés : c'est ainsi qu'apparaissent les colonies agricoles pénitentiaires, qui ont pour mission exclusive "<em>la garde des jeunes détenus, ainsi que de leur instruction religieuse, primaire et agricole</em>". Il n'y a aucune ambiguïté sur les termes : on parle bien de protection mais aussi d'internement. Le premier établissement (1) de ce type ouvrira en 1839, à Mettray (Indre-et-Loire) et sera suivi d'une cinquantaine d'autres, entre 1840 et 1850 (la loi du 5 août 1850 promulgue officiellement ces établissements, certains de statut public).<br /><br />
<div><img src="https://odyssee.univ-amu.fr/files/fullsize/dortoir-Mettray_1900.jpg" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></div>
<br />Dans ce rapport adressé au Ministre de l'Intérieur (pas de l'Éducation ni de la Santé), l'Abbé Fissiaux dresse un véritable bilan d'activité de deux <em>Maisons centrales d'éducation correctionnelle</em> inaugurées en Provence : la Colonie de N.-D. de Beaurecueil, créée en 1853, située à moins de 10 km d'Aix-en-Provence et la Colonie N.-D. de la Cavalerie, ouverte l'année suivante, implantée à 20 km de Manosque. <br /><br />L'objet du rapport est simple : expliquer en détail combien il a fallu investir, en partant de ruines, pour parvenir à créer deux grandes exploitations agricoles destinées à accueillir ces enfants (300 pour la première, env. 50 pour la seconde). On ne parle pas ici de fictions pédagogiques mais de véritables fermes dignes d'une agriculture provençale moderne, au moins pour Aix. Les enfants y reçoivent (dans l'ordre) une copieuse instruction religieuse (avec confession quotidienne !), une instruction primaire et une formation professionnelle agricole. Le tout assorti d'un système de récompenses gradués : grades honorifiques, promenades de faveur, bons points échangeables contre des petites choses qui plaisent tant aux enfants. Au bout de trois ans, avec leur qualification (les plus intelligents savent conduire et réparer les machines locomobiles à vapeur), ils peuvent facilement trouver un emploi dans les fermes environnantes (à leur départ, ils reçoivent des habits neufs et un pécule, tout est comptabilisé).<br /><br />La présentation très avantageuse n'étonnera personne, l'Abbé prône pour sa paroisse. Si son bilan paraît réaliste, c'est qu'il est suffisamment contrasté pour être crédible : le succès de la ferme aixoise est assombri par les difficultés de celle de Hautes-Provence. En langage moderne, le rapport est bien une demande de subventions formulée par une organisation privée qui assume une mission de service public. A la décharge du rapporteur, et à défaut de savoir s'il a réellement pu sauver ces âmes, au moins s'est-il engagé dans un véritable programme de réinsertion.<br /><br />
<div><em><img src="https://odyssee.univ-amu.fr/files/thumbnails/cages-a-poules.jpg" style="display: block; margin-left: auto; margin-right: auto;" /></em></div>
<div style="text-align: center;"><em>les cages à poules, cellules individuelles pour séparer enfants et adultes (4)</em></div>
<br />Certains historiens ne partagent pas l'enthousiasme de l'ecclésiastique et n'hésitent pas à mettre l'accent sur la terrible analogie avec le bagne et les travaux forcés (2) : Cayenne ne vient-il pas d'ouvrir quelques années plus tôt, en 1852 ? Tout n'était-il pas dit dans l'intitulé dès le départ : une éducation correctionnelle consiste bien à éduquer et à punir pour redresser ? Et de dénoncer la dérive de plus en plus autoritaire et punitive de ces établissements au cours du 19e siècle. Une illustration de plus, et le 20e siècle n'en manque pas, que toutes les solutions d'enfermement collectif (prisons, asiles, casernes, orphelinats, etc.) aboutissent inéluctablement à autant de désastres individuels.<br /><br />Jusque dans les années 1960, les élèves qualifiés de cancres et ceux qui posaient les plus sérieux problèmes de conduite étaient régulièrement menacés d'être <em>conduits en maison de redressement</em> ou, pire, de <em>finir en maison de correction</em>. Si ces expressions paraissent bien désuètes, c'est que depuis, on a changé les mots. Mais a-t-on résolu les problèmes ?<br /><br />_______________<br />1. Les maisons de correction : Colonies agricoles pénitentiaires et Bon Pasteur (1839-1912). - Site consulté : <a href="http://www.justice.gouv.fr/justice-des-mineurs-10042/histoire-de-la-justice-des-mineurs-12891/les-maisons-de-correction-30883.html" target="_blank" rel="noopener"><em>Ministère de la Justice</em></a> <br />2. De l’isolement aux « bagnes pour enfants » : l'impitoyable justice des mineurs française. site consulté : <em><em><a href="https://www.nationalgeographic.fr/histoire/de-lisolement-aux-bagnes-pour-enfants-limpitoyable-justice-des-mineurs-francaise" target="_blank" rel="noopener">National Geographic</a></em></em><br />3. Prade , Catherine. Les colonies pénitentiaires au <span style="font-variant: small-caps;">xix</span><sup>e</sup> siècle : de la genèse au déclin. - Site consulté : <em><a href="https://books.openedition.org/pur/20699?lang=fr" target="_blank" rel="noopener">OpenEdition Books</a></em><br />4.Poisson, Philippe. - <a class="permalink" href="https://portrait-culture-justice.com/article-28610456.html" title="Cellule individuelle à claire-voie, en bois, construite à l’origine sous le Second Empire, pour séparer les mineurs et les adultes. Après la loi de 1875 relative à l’encellulement individuel, ce système de grillage a été généralisé pour cloisonner les..."><em>Les "cages à poules " des anciennes prisons françaises, 2009</em></a>
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Description
An account of the resource
Vous connaissez le bagne de Cayenne ? Certainement. Et celui de la Petite Roquette ? Non ? Et pourtant, c'est là que s'est écrit la première page de l'histoire assez obscure de la justice des mineurs créée en France au 19e siècle
Colonies agricoles -- France -- Bouches-du-Rhône (France) -- 19e siècle
Colonies agricoles -- France -- Vaucluse (France) -- 19e siècle
Colonies pénitentiaires -- France -- Bouches-du-Rhône (France) -- 19e siècle
Colonies pénitentiaires -- France -- Vaucluse (France) -- 19e siècle
Maisons de redressement -- France -- Bouches-du-Rhône (France) -- 19e siècle
Maisons de redressement -- France -- Bouches-du-Rhône (France) -- 19e siècleEnlever
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/256/RES_14509-1-Cours-sciences-criminelles_T1.pdf
a551fea0da64b2495b904d98dc548975
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Text
U IVERSITE DE DROIT, D'ECONOMIE ET DES SCIENCES D'AIX-MARSEILLE
FACULTE DE DROIT ET DE SCIENCE POLITIQUE D'AIX-MARSEILLE
COURS DE
SCIENCES CRIMINELLES
D.E.U.G. 2ème ANNEE
•
Par
Monsieur le Professeur Jacques BORRICAND
Directeur de l 'Institut de Sciences Pénales et de Criminologie
1995-1996
1
111111 Il 11111111111 11111 11111
D 094 120234 2
Edition entièrement refondue
Mise à jour en octobre 1995
�UN1VERSITÉ DE DROIT, D'ÉCONOMIE ET DES SCIENCES D'AIX-:YL-\RSEILLE
FACUlTÉ DE DROIT ET DE SCIENCE POLITIQUE D'AIX-MARSEILLE
: -C;'
~
U::V~
D. E. U. G. Deuxième année
Monsieur le Professeur Jacques BORRICA!\'D
Directeur de j'Institut de Sciences Pénales et de Criminolog:e
1993-1996 - Tom e 1
�2
Edition entièrement refondue
Mise à jour en féurier 1996
N. B. : Les articles du nouveau code pénal sont référencés: N.C.P., par
opposition à J'ancien code pénal, c.P.
�li
INTRODUCTION
CHAPITRE l - LA PERyIANENCE DU PHÉ N OMÈ~E
CRI:vlINEL
SECTION 1 - L'AMPLEuR Du PHENOME~1: CRIMI;";1:L
S 1- Les méthodes de connaissance de la criminalité
A - Les méthodes classiques
1° Les documents historiques
2° les statistiques
B - Les méthodes contemporaines
1° les méthodes d'ordre socio-criminologique .
2° Les méthodes d'orère économico-criminologique
i:: 2 - Le volume de la criminalité
A - Le plan factuel
l e La criminalité de comportement
2° La criminalité économique
B - Le plan évolutif
1° L'évolution quant itative
2c L'évolution quali tative
SECTI00: II - LES ACTECRS
De: PHÉ:\"O:\lÈ:\"E CRI:'>!I:\EL
S 1- Le délinquant
A - Le droit classique
1 0 Les caractères
20 La typologie des infractions
3° L'éventail des sanctions
B - La conception criminologique
1° Les caractères
2° Les aspects différentiels de la criminalité
�ID
S 2 - La victime
A - Sous l'angle juridique
1° les conditions de l'indemnisation 1
2° les modalités d'inè em nisation
B - Sous l'angle criminologique
1° la victime innocente
2° la victime coupable
CHAPITRE II - L'ÉTUDE DU PHÉNOMÈNE CRIMINEL
SECTION l - L'ÉTUDE JURIDIQUE DU PHÉr\O:'vlÈNE CRI:'vIIN""EL
S 1- La spécificité du droit pénal
A - Les caractères essentiels
1° la sanction pénale 1
20 l' infraction
3° le procès pénal
B - La distinction du droit pénal et des autres disciplines
normatives
P Droit de la délinqu2.nce et moral e
2° Droit de la délinqu=.:,ce et autres branches du droit
S 2 - Contenu du droit vénal
A - L'obj et
1° le droit pénal géné:=.l
2° Le droit pénal spéci:.l
3° la procédure pénale
4° La pénologie ou science pénitentiaire
B - Le champ d'application
C - La port ée
�IV
SECTIO::-..i II - L'ETUDE SCIENTIFIQl.TE DU PHENO.\lENE
CR!ylINEL
S 1- La criminalistique
A - La police scientifique
1°) Anthropométrie criminelle.
2°) Médecine légale.
3C ) Police scientifique
B - Les techniques policières
C - La psychologie judiciaire
S 2 - La criminologie
A - Définitions
1')
Criminologie et Criminalistique
2°) Criminologie et Droit pénal 1
3°) Criminologie et Pénologie
n
Criminologie et Sociologie de la justice pénale 1
B - Contenu
Une science
2°) l.:ne méthode
P)
C - Apports
1C) Le s premières explications
2 C ) Les explications modernes
~
3 - La politique criminell e
A - Le contenu de la politique criminelle
B - La crise de la politique criminelle
�CHAPITRE III: HISTOIRE DE LA RÉACTION SOCIALE
CONTRE LE PHÉ::\OMENE CRIMINEL
SECTION l . LA PÉRIODE DES RÉACTIONS INSTINCTIVES
61. La réaction privée
A - La vengeance privée
B - La justice privée
S 2. La réaction publique
A - Fond
B - Forme
SECTION II. LA PÉRIODE DES RÉACTIONS R.ATIOl\)'""ELLES
~
1. L'école utilitariste
A - Les idées
B - La réaction l égaliste
1°) Le droit pénal rh ol utionnaire
2°) Le droit pénal impérial
S 2 - La doctrine de la justice 2bsolu e
A - Les penseurs
1°) KA:'\T
2°) Jose ph d e MAIST R-=
B - Leur influence
S 3 - La doctrine de l'Ecole cl assique
A - Expo sé
B - Influ ence
�Vl
SECTION III - LA PÉRIODE DES RÉACTIONS SCIENTIFIQUES
SI - Les courants doctrinaux
A - L'école positiviste
1°) Exposé de la doctrine
2°) Influence de l'Ecole positiviste
B - Les écoles transactionnelles
1°) Le Néo-classicisme
2°) Le Positivisme critique italien
3°) Le Pragmatisme
C - le mouvement de défense sociale nouvelle
P) La tendance extrémiste de GRAl\lATICA
2C ) La tendance modérée d'ANCEL
D - la doctrine de la non-intervention
E - le Néo-classicisme nouveau et autres tendances
S 2 - L'évolution des droits positifs
A - En France
B - les autres systèmes juridiques occidentaux
1°) Le système des pays continentaux
2°) Le système anglo-saxon
�VH
,
PREMIERE PARTIE
LA NORME PÉNALE
CHAPITRE l - L'ÉLABORATION DE LA I\ORME PÉ::\ALE
SECTION 1 -LE PRIN CIPE DE LA LÉGALITÉ CRIMI~cUE
S 1- La const-itut-ion du prin cipe
A - Histoire
B - Justification
C - Energie du principe
.
S 2 - Portée du -onncioe
A - Vis -à-vis du législateur
B - Vis-à-vis du juge
1°) I ncrim inations
2e ) Sanctions
S 3 - Evolution
A - Le déclin en matière législative
B - l e déclin en matière judiciaire
SECTION II - LES SOURCES DE LA LÉGALITÉ CRL\II~cLLE
S I - Sources national es
A - Les sources premières
1°) Actes éma n a"t du pouvoi r législatif
2°) Actes réglementaires
3°) Les circulaires
�vm
B - Les sources secondaires
1°) La coutume
2°) Le5 principes génératL'( du droit
§ 2 - Sources supranationales
A - Les dispositions à vocation purement répressive
1°) L'éventail des conventions à finalité répressive
2°) La portée des conventions
3°) L'interprétation des conventions
B - Dispositions à vocation accessoirement répressive
1°) les dispositions à vocation économique
2°) les dispositions à vocation philosophique
CHAPITRE II - L'APPLICATION DE LA NORME
SECTION 1- l'APPUCUIO:\ DE LA NORME PAR LE LÉG ISL ATEUR
E 1- L'application de la loi dans le temps
A - Domaine dans le temps des lois pénales de fond
1°) l\on-rétroactivité des lois pénales plus sévères
2°) La rétroactivité des lois plus douces
B - Domaine dans le temps des lois pénales de forme
1°) l ois de compétence
2°) l ois de procédure
3°) l ois relat ives à l'exécution des peines
4°) Lois de prescription
E 2 - Application de la loi pé nale dans l'espace
A - Les conflits de lois
1C) Infractions comm ises sur le territoire de la RépubE::.ue
2°) Infractions commise hors du territoire de la Répu b iique
B - La collaboration ré pressive internationale
1°) La collaboration policière
,
2°) La collaboration jud iciaire: ['extraditio n
.
•
�IX
C - Les effets internationaux des jugements répressifs
1°) Les effets négatifs
2°) Les effets positifs
SECTIO~
II - L'APPLICATION DE LA NOR:\1E PAR LE]1: GE
SI - L'appréciation des règlements
A - Les conditions d'application du contrôle de la légalité
1°) Les juridictions compétentes
2e ) Les actes administratifs visés
3°) Les cas d'illégalité
B - Les effets du contrôle de la légalité
1°) La saisine du juge
2°) La sentence du juge
S 2 - La qualification des fa it s
A - Les principes directeurs
1 C) La qualification
r,é ~es 5 aire
2e ) La qualification ré';isible
B - Les difficultés pratiques
1C) Les qualifications incompatibles
2°) Les qualifications alternatives
3C ) Les qualificatio ns co ncurrentes
S 3 - L'interprétation des text es répressifs
A - Domaine d'application
B - Portée d'application
�,
DE UXIEME PAR TIE
L'INFRACTION
CHAPITRE l -LES CLASSIFICATIONS DE L'INFRACTION
SECfION 1 - CLASSIFICATIONS TRADITIO NNEllES
E 1- Classification d'après la gravité
A - Intérêts pratiques
1°) A l'égard de la procédure pénale
2°) A l'égard du fond du droit
B - Critère de distinction
P)
Principe de la dis ti.l1.ction
2e ) Altérations de la distinction
S 2 - Classifications d'après la nature
1°) Distinction des infractions militaires et des infrac t:ons de
droit commun
2' ) Distinction des in fractions politiques et des infra ct:ons de
droit commun
SECTION 2 - LES CLASSIFICATIONS i\"OUVELLES
A - La délinquance d'argent
1°) Les infractions fis cales
2°) Les infractions douanières
3°) Les infractions économ iques
B - La grande criminalité
1°) Les infractions de violence
2°) Les infractions terroristes
3°) Les crimes contre l'humanité
�CHAPITRE II - L'ÉTABLISSE:YlENT DE L'ÉLÉMENT MATÉRIEL
SECTION l - LES MODALITÉS DE l 'É! ÉMENT MATÉRIEL
SI - Classifications extra-temporelles
A - Infractions matérielles et infractions formelles
P) L'infraction matérielle
2°) L'infraction formelle
B - Délits d'action et délits d'omission
l e) La position de la jurisprudence: le rejet de la théorie du
délit de commission par omission
2' ) La position du législateur: l'admission du délit d'omission
S 2 - Classifications temporelles
A - Délits simples et délits complexes
n
Délits simples et délits d'habitude
2' ) Délits simples et délits complexes proprement d:!s
B - Délits instantanés et délits continus
1' ) Intérêts de la di stinction
2=) Critère de distinction
SECTIO~ II - LA NÉCESSITE DE L'ÉLÉME~T MATÉRIEL
S 1 - Acte concrétisé
A - La tentative interrompue
1C) Commencement d'exécution
2e ) Absence de dési stement volontaire
B - La tentative infructueuse
1°) Le délit manqué
2°) Le délit impossible
S 2 - Acte virtual isé
A - Abstention délictueuse
B - Comportement répréhensible
1°) La notion d'état dangereux
2°) L'incrimination de l'état dangereux
�XII
CHAPITRE III - LA DISPARITION DE L'INFRACTIO:\i
SECTION 1 - LES F.-\ITS JUSTIFICATIFS LÉGAUX
S 1- L'ordre de la loi
A - Le fondement du fait justificatif
1°) L'ordre fondé sur un texte
2°) L'ordre émanant d'une autorité légitime
B - Le fonctionnement du fait justificatif
P) Les systèmes concevables
2°) Les solutions
S 2 - La légitime défense
A - Les conditions de la légitime défense
1C) Légitime défense des personnes
2°) La légitime défense des biens
B - La preuve de la légitime défense
1 0 ) Légitime défense prouvée
2°) Légitime défense présumée
S 3 - L'état de nécessité
A - La consécration de l'é tat de nécessité
1°) La jurisprudence
2") Le nouveau code pénal
B - Les conditions de l'état de nécessité
1°) Conditions relatives au danger
2°) Conditions relatives à l'acte justifié
C - Les effets de l'état de nécessité
�XlII
SEcrION 2 - UN FAIT JUSTIFICATIF DISCUTÉ:
LE
CONSE~TEMENT
DE LA VlCTIME
S 1- Le principe du rejet du consentement comme fait justificatif
A- Le duel
B - L'euthanasie
C - La stérilisation
S 2 - L'admission exceotionnelle du consentement de la victime
L
A - Suppression de l'infraction
B - Permission légale ou coutumière
1°) Permission légale
2e ) Permission coutumière
�3
INTRODUCTION
Pendant longtemps, l'enseignement des sciences criminelles était consacré en
seconde année au droit pénal, à la procédure pénale et à la science pénitentiaire. Si
cette présentation pouvait se justifier tant que la science criminelle n'avait d'autre
contenu que la "matière pénale", elle ne l'est plus aujourd'hui, car de multiples
disciplines contribuent de plus en plus à sa formation.
Sans doute, le phénomène criminel constitue d'abord une abstraction juridique:
c'est un fait prévu et puni par la loi pénale en raison du trouble qu'il cause à l'ordre
social. Mais, depuis un siècle, on le considère aussi comme une réalité humaine et
sociale: c'est l'action d'un homme, doué d'intelligence et de raison en réaction contre
l'ordre social.
Le phénomène criminel et la réaction sociale contre ce phénomène sont devenus
des objets positifs d'investigation scientifique et leur analyse a donné naissance à
toute une série de sciences nouvelles au contenu très divers, notamment à la
criminologie. L'ensemble de ces disciplines est dénommé sciences criminelles. Dès lors,
il n'était plus possible de conserver la conception traditionnelle du cours. L'étude du
droit pénal ou droit criminel ne peut se faire sans l'éclairage de ces sciences nouvelles
que sont la psychologie judiciaire, la sociologie criminelle, la philosophie de la justice
pénale, sans lesquelles le droit pénal ne serait pas ce qu'il est aujourd'hui.
Dans un souci de méthodologie, il apparaît souhaitable de partir de l'observation
du phénomène criminel.
De tout temps, la société a cherché à se protéger contre le crime, en établissant
une liste des interdits à ne pas franchir, liste variable adaptée à l'évolution des mœurs.
Mais il arrive que certains individus s'écartent de la règle posée. Cette violation
est appelée infraction pour les pénalistes, déviance par les criminologues. On entend
par là, l'ensemble des comportements qui ne sont pas conformes aux normes sociales
en vigueur et qui donnent lieu à des réactions de types divers que l'on désigne par
l'expression de "contrôle social" (inadaptations physiques, psychiques). La différence
entre ces deux concepts se rattache à une analyse globale des conduites antisociales ou
asociales. Tantôt, il y a franchissement d'un interdit pénal (crime-délit-contravention),
-{:'est l'infraction-, tantôt, il ya simple treuble d'adaptation sociale ne constituant pas
pour autant une infraction, c'est la déviance. En fonction de l'évolution des mœurs, un
comportement peut passer d 'une catégorie à l'autre (marginaux). Il faudra vérifier si
�4
5
l'infraction commise entraîne pour autant la responsabilité de son auteur. Ce sera
l'objet des trois premières parties du cours.
Gàn~
l'hypothèse affirmative, la société réagit par l'application d'une peine à
l'agent. Cette peine vise un double but à la fois la liquidation de l'émotion causée dans
CHAPITRE 1 - LA PERMANENCE DU PHÉNOMÈNE CRIMINEL
le groupe social par l'infraction et l'application d'une sanction au délinquant. Cette
étude qui relève d'un enseignement de maîtrise, sera cependant abordée, compte tenu
de son importance, dans une quatrième partie.
Au commencement était la violence. L'Ancien Testament s'ouvre par un
Ainsi apparaît une "chronologie du phénomène criminel" (LÉAUTÉ)1 expliquant le
fratricide. Le Nouveau Testament se ferme sur une exécution. La violence se manifeste
renouvellement du cycle interdit-infraction-peine et l'accroissement de la délinquance.
Avant de décrire cette "chronologie du phénomène criminel", il apparaît
partout dans la nature. Entre les espèces, depuis la création, la lutte est incessante.
souhaitable de consacrer une introduction un peu approfondie au phénomène criminel
pour:
Quoiqu'en disent certains idéologues, le genre humain n'échappe pas à la règle. "Le
crime ne s' obseroe pas seulement dans la plupart des sociités de telle ou telle espèce, mais dans
toutes les sociétés de tous les types" 2.
- Relever la constante du phénomène criminel et en mesurer l'ampleur ;
1
Cependant, au cours des siècles, l'apprentissage de nouveaux comportements
- Faire l'inventaire des disdplines qui, à l'heure actuelle, s'attachent à l'étude du
phénomène criminel ;
moins instinctifs modifie le type de violence. Celle-ci s'est diversifiée. Elle est aussi
- Décrire l'histoire de la réaction sociale contre le phénomène criminel.
industrielle, suicidaire, culturelle, verbale. Mais elle est toujours aussi présente et aux
Chapitre 1 - La permanence du phénomène criminel
dires de certains, croissante. Elle affecte toutes les couches de la société. Mais à cette
Chapitre il - Les sciences criminelles
diversification touchant l'ampleur du phénomène criminel, s'ajoute une diversification
Chapitre ID - L'histoire de la réaction sociale contre le phénomène criminel
qui intéresse les acteurs du phénomène criminel.
LEAUTE, Criminologie et science pénitentiaire, P.U.F., 1972p. 12.
2
DURKHEIM, les règles de la méthode sociologique, 1893, nouvelle édition PUF 1968.
�6
SECTION 1 - L'AMPLEUR DU PHÉNOMÈNE
CRIMINEL
Depuis l'Antiquité, essais philosophiques, tragédies, romans ont pris pour thème
le phénomène criminel. Plus récemment, le développement du roman noir et des films
policiers révèle l'intérêt que le grand public porte au crime 3. C'est dire combien la
conscience collective demeure fortement imprégnée par le phénomène criminel. Mais
reconnaître son existence n'est pas pour autant en mesurer l'importance; car beaucoup
d'infractions demeurent impunies, soit que leur auteur ne soit jamais découvert, soit
que les charges retenues contre l'auteur présumé soient insuffisantes.
Dans cette perspective, on distingue trois modes d'approche de la criminalité.
- La criminalité légale est représentée par le nombre de condamnations
prononcées par les tribunaux. Celles-ci sont comptabilisées dans le compte
général de la justice criminelle depuis 1825.
- La criminalité apparente est beaucoup plus vaste puisqu'elle recense le nombre
des affaires pénales traitées par la police et le parquet. Depuis 1963, la police
judiciaire publie, chaque année, des statistiques.
- La criminalité réelle, constitue l'ensemble des infractions effectivement
commises et l'écart avec la criminalité apparente constitue le "le chiffre noir"
(dark nurnber). Bien évidemment, l'importance de ce chiffre noir varie selon le
type d'infraction considérée et selon l'efficacité des services de police.
On peut, pour illustrer notre propos, recourir à une image, celle de trois cercles
successifs d'importance croissante. Au centre, un noyau dur, les infractions
sanctionnées par les tribunaux. Puis un cercle plus important représentant les affaires
traitées par la police. Enfin, une sorte de nébuleuse concentrique entoure ces deux
cercles, c'est la criminalité réelle.
Si les deux premières formes de criminalité paraissent assez facilement
quantifiables, il n'en va pas de même pour le chiffre noir qui laisse planer beaucoup
d'incertitude.
x:
Pour mesurer, autant que faire se peut, le volume de la criminalité, on a recours à
diverses méthodes d'investigation de plus en plus affinées.
3
M. MASSE et M. ROCER, Cinéma et sciences criminelles: élément de filmographie, Déviance
et Société, 1982, p. 17.
�8
7
judidaire. De multiples tableaux différendent le sexe, l'âge, la réddive, la situation
§ 1- LES MÉTHODES DE CONNAISSANCE DE LA CRIMINALITÉ 4
familiale, la gravité des infractions. ils permettent ainsi de suivre la régression ou la
progression de telle infraction, de mesurer les probabilités de délinquance pour chaque
Pendant longtemps, on s'en était remis aux statistiques officielles, sources
tranche d'âges. On peut cependant déplorer des lacunes (ordonnances de non lieu,
fondamentales pour mesurer la criminalité. Mais, depuis une trentaine d'années, une
acquittements non comptabilisés) et des insuffisances (par exemple en cas de pluralité
critique de ces statistiques a montré qu'elles sont insuffisantes. D'où le recours à des
d'infractions commises par un même individu, seule la condamnation la plus grave est
méthodes plus affinées, destinées à mieux cerner le chiffre noir.
retenue, conformément au principe du non cumul des peines) 6.
A - Les méthodes classiques
2) Statistique policière.
Depuis 1963, la police judiciaire comptabilise les plaintes et dénonciations
La connaissance de la criminalité utilise deux sortes de sources, les documents
enregistrées par procès-verbaux dans les commissariats de police et les brigades de
historiques et les statistiques.
gendarmerie. Cette criminalité apparente se révèle considérable. En 1992 les crimes et
délits enregistrés s'élevaient à 3 881 894. Sont recensés une centaine d' infractions
précises ou voisines.
1°) Les documents historiques
Leur exploitation s'avère indispensable pour les périodes antérieures à la création
Un vingtième seulement de ces affaires a été déféré devant les juridictions sans
des statistiques criminelles, c'est-à-dire 1825, et même après cette date. Ces
conduire inévitablement à une condamnation. La statistique policière demeure
documents ne sont pas négligeables dans la mesure où ils peuvent combler des lacunes
cependant incomplète puisqu'elle exclut les contraventions, les infractions relevées par
statistiques. (cf. par exemple, l'enquête sur les délits contre les biens faite dans la ville
les services du Ministère des finances et réglées par ce Ministère et les accidents de la
d 'Aahrus au Danemark en 1730, portant sur trois années). Cependant, l'utilisation des
circulation jusqu'en 1988, les contentieux para-pénaux, le "chiffre gris" 7.
documents historiques se révèle peu fiable parce qu'ils ne comptabilisent que la
3) Statistique pénitentiaire
criminalité légale, qu'ils sont souvent incomplets et qu'enfin ils comportent une marge
L'administration pénitentiaire publie un rapport annuel dont le principal intérêt
importante d'erreurs.
réside dans les chiffres sur l'application des peines en milieu fermé et en milieu ouvert.
2°) Les statistiques
hl L'exploitation d.fi statistiques,
Elles constituent le procédé essentiel de la connaissance de la criminalité.
Les statistiques visent à la connaissance des aspects quantitatifs, qualitatifs et
Pourtant, malgré leur diversification, il convient de se montrer prudent sur leur
exploitation.
évolutifs de la criminalité. Mais il importe d'en relativiser l'exploitation.
1) Ainsi, les statistiques policières ne font pas de distinction entre infractions
.!il L.tl nature dn. documents statistiques ru
judiciaire, policier fi pénitentiaire,
ru. tI..Qis. ordres:
consommées et infractions tentées .
2) D'autre part, le classement des infractions ne s'opère pas de la même manière
selon la statistique considérée. Les statistiques judiciaires distinguent les infractions
1) Statistiqu e judiciaire.
4
5
contre les personnes, contre les biens, et contre la sûreté publique. De leur côté, les
Depuis 1825, le Ministère de la Justice comptabilise les affaires instruites et
statistiques policières divisent la criminalité en quatre groupes: vol, infractions
jugées, dans le Compte général de la justice criminelle 5. Cet ouvrage présente une
économiques et financi ères, crimes et délits contre les personnes, autres infractions
photographie de la criminalité légale de l'année fondée sur l'étude des fiches du casier
(dont stupéfiants).
LASSALLE, ,Compte .re~dud,u XXXI cours, int~rnational de criminologie, Aix, 7-11 décembre
1981, Connaltre la Cnrrunahte: Le derruer etat de la question. PUAM. 1982, p. 579.
6
Remplacé depuis 1980 par deux documents, l'Annuaire statistique de la justice et les
Statistiques annuelles sur la justice pénale.
Ch. LAZERGES et CAMILLIERI, Atlas de la criminalité en France, La Documentation
Française, 1992.
7
AUBUSSON de CAVERLAY, R.S.c. 1988, P. 620.
�10
9
3) Une troisième objection à une exploitation sûre des statistiques est la
D'abord sur le fait d'être victime. Elles consistent à relever des témoignages. Les
remarque selon laquelle les définitions juridiques de telle ou telle infraction peu vent
intérêts de la méthode sont multiples: meilleure appréhension du chiffre noir, chiffrage
varier avec le temps, (ex. viol).
En conclusion, on peut formuler deux observations :
1) Tout d'abord, les statistiques ne sont que des indicateurs de tendance. A
du coût du crime, propositions pour une politique criminelle plus adaptée.
titre d'exemple on relèvera que le nombre des condamnations prononcées par les Cours
d'une agression, peur qui touche plutôt les femmes et les personnes âgées et qui se
d'Assises était de 1 378 en 1974, de 2 342 en 1984 et de 2 620 en 1992, que celles
révèle à l'expérience souvent injustifiée. Un rapport américain (Figgie 1980) nous
prononcées par les tribunaux correctionnels étaient de 240 674, en 1974, de 492 000 en
apprend que 0,009 % de la population est victime d'un meurtre, alors que 17 % des
1984 et de 398 999 en 1992.
gens ont peur d 'être tués ; que 0,06 % des femmes sont violées, mais que 55 %
:x
- Ensuite sur la peur d'être victime. C'est l'étude aujourd'hui faoùlière dans le
grand public du sentiment d'insécurité 8. C'est la peur diffuse d'être un jour victime
2) En second lieu, quelles que soient les améliorations que l'on puisse apporter
redoutent de l'être.
aux méthodes statistiques, celles-<i ne pourront jamais prétendre mesurer exactement
De ces travaux il résulte que le sentiment d'insécurité n'est pas la conséquence
la criminalité réelle. Un chiffre noir important existe que l'on s'efforce aujourd'hui
inéluctable de la majoration de la délinquance (contra PRADEL)9
d 'appréhender par le recours à de nouvelles méthodes.
Mais la connaissance du sentiment d 'insécurité peut permettre de définir un seuil
de tolérance à la criminalité susceptible d'expliquer le taux des plaintes déposées aux
B - Les méthodes contemporaines
services de police et d'inciter à proposer des mesures destinées à résorber ce sentiment
pour éviter une véritable paralysie de la société moderne dans certains quartiers
Ces méthodes s'appuient sur les différents facteurs qui contribuent à maintenir
urbains.
un chiffre noir considérable. Parmi ces facteurs, l'attitude des victimes est souvent
2°) Les méthodes d'ordre économico-criminologique
déterminante: refus de porter plainte, pitié de l'auteur, doute dans la justice ou même
ignorance du fait délictueux. il faut également citer le développement de formes de
Elles visent essentiellement à déterminer le coût du
criminalité liées à une société de profit: fraudes, délinquance en "col blanc" ou
crime~
Elles se sont
développées surtout aux U. S. A. et en France. il faut citer ici les travaux de Ph.
infractions d'ordre éconooùque ou financier, vols à l'étalage.
ROBERT 10, réalisés depuis plus de 25 ans qui ont donné lieu à des études régulières.
L'existence de ces facteurs explique le recours à deux types de méthodes,
Ces recherches permettent d'élaborer une politique d'indemnisation des victimes plus
méthode d'ordre socio-crirninologique et méthode d'ordre économico-criminologique.
adaptée à la réalité. Elles peuvent également conduire, en fa isa nt apparaître
1°) Les méthodes d'ordre socio-criminologique
l'importance de l'évasion fiscale, à la mise en place d 'une politique plus répressive Il
En conclusion, les différentes méthodes de connaissance de la criminalité
Elles portent sur les deux acteurs du drame criminel, l'auteur et la victime.
présentent des intérêts multiples.
1) Elles permettent tout d 'abord de mesurer les variations de la criminalité dans
!!lIn. enquêtes d'auto-confession.
le temps. Cela peut aider à la relativiser par rapport au sentiment actuel d'insécurité.
Elles consistent à interroger un groupe de personnes sur leur délinquance cachée.
Cela peut contribuer également à affiner les prévisions et influer les politiques
Elles reposent donc sur les aveux des auteurs d 'infractions. Elles sont surtout
criminelles.
pratiquées aux États-Unis, notamment pour oùeux cerner la délinquance juvénile, peu
en France. On a douté cependant de la fiabilité de telles enquêtes en raison, soit de
l'occultation de certains délits, soit du risque d'exhibitionnisme.
8
S. ROCHÉ, Le sentiment d' insécurité PUF, Paris 1993. H. LAGRANGE, Appréhension et
préoccupation sécuritaire, Dév. et Soc. 1992-1-29.
9
Droit pénal général, Paris Cujas, 1994, p. 37.
10
Annales Internationales de Criminologie, 1970, vol. 9, nO2-599 ; et avec la collaboration de
GODEFROY, le coût du crime, Masson 1977.
11
LOMBARD, GODEFROY et LAFF ARGUE, Les coûts du crime, C. E. S. D. l. P. nO68, 1993.
hl In. enquêtes de. v ictimisation
Elles ont été développées par des criminologues depuis une trentaine d'années.
Elles portent sur deux objets différents d'étude.
�12
11
2) Elles autorisent, en second lieu, des comparaisons dans l'espace L avec la
- La violence à caractère individuel est illustrée par des pressions exercées soit
relativisation qui s'impose, compte tenu des différences de culture. Elles permettent
sur les personnes (assasSinat, homicide, prise d'otage, rapt, racket, hold-up, vol avec
par exemple de tirer des enseignements sur l'efficacité ou l'inefficacité de la peine de
mort, sur l'accroissement de la victirnisation en fonction de l'urbanisation, ou encore
violence), soit sur les biens. Il n'est pas besoin de souligner l'accroissement considérable
de toutes ces infractions.
sur les risques de récidive à la sortie de prison, ainsi que de conduire à une unification
- La violence à caractère collectif est le fait d'individus qui se veulent les
des politiques criminelles européennes.
représentants d'une catégorie plus vaste dont ils prétendent servir les intérêts. Elle
3) Elles facilitent enfin l'appréciation du volume de la criminalité.
s'exerce tantôt sur les personnes (séquestrations de chefs d 'entreprise, barrages
routiers), tantôt sur les biens (occupations de locaux, plasticages de perception, etc. ..),
§ 2 - LE VOLUME DE LA CRIMINALITÉ
soit le fait d'individus agissant dans leur intérêt propre (criminalité organisée).
hl Criminalité astucieuse
TI peut être apprécié sur deux plans, un plan factuel et un plan évolutif.
il s'agit de la délinquance économique et financière : " Le stylo au lieu du couteau".
A - Le plan factuel
Cette forme de délinquance est moins ressentie par l'ensemble de la population que la
première puisque 8 % seulement la considère comme grave. Cependant une majorité de
Vue sous cet angle, la criminalité peut se présenter sous deux formes, la
personnes sondées (81 %) estime graves certains aspects de cette forme de délinquance
criminalité de comportement et la criminalité économique.
(chèques sans provisions - fraudes).
1°) La criminalité de comportement
La délinquance astudeuse a une importance croissante depuis le début du siècle.
Tantôt, elle porte sur la violation des réglementations économiques (prix, concurrence,
Elle représente environ 2,3 % de la criminalité globale. Ce type apparaît dans
droit des sociétés), tantôt il s'agit de la violation de règles concernant le crédit et la
l'éventail des infractions relevées dans les statistiques parce qu'il s'agit de
comportement.
création de monnaie (chèques sans provision, cartes de crédit, fausse monnaie, fraude
fiscale, fausses factures) .
- Violence mortelle : homiddes volontaires, empoisonnements ;
Le développement de techniques nouvelles contribue à élargir le champ de cette
- Violence corporelle : coups et blessures volontaires;
forme de délinquance (ordinateurs par exemple).
- Violence sexuelle: viols, attentats à la pudeur.
il s'agit toujours d'atteintes volontaires aux personnes (d. État de la criminalité).
B - Le plan évolutif
2°) La criminalité économique
Le discours actuel de beaucoup est de souligner l'accroissement inquiétant de la
Représentant approximativement 97 % de la criminalité globale, cette forme de
criminalité a pour moteur, soit le profit, soit l'astuce 12
d élinquance. Les médias s'en font l'écho. Mais cette analyse n'est pas partagée par tout
le mond e 13 . Il est vrai que, depuis les conclusions du rapport PEYREFITTE, la
al Criminalité inspirée 121H. k profit
criminalité a progressé dans beaucoup de domaines encore qu'on note récemment une
certaine décélération.
Elle se caractérise par le fait que ses auteurs commettent des actes réprimés par
Pour clarifier le d ébat, il nous apparaît souhaitable d 'apprécier l' évolution de la
la loi en ayant recours généralement à !a force brutale pour parvenir à leurs fins. C'est
criminalité, d'abord sur le plan quantitatif, ensuite sur le plan qualitatif et d'évaluer
sans doute le type de violence le plus profondément ressenti par la popuiation. Elle se
présente sous deux formes:
12
son impact sur le plan économique.
A
Rapport PEYREFITfE, Réponses à la violence, rapport du comité d'études prés·dé
PEYREFITfE, 1977.
1
par .
13
CHESNAIS, Histoire de la violence, Laffont 1981 .
�13
JO>
14
L'évolution quantitative
hl Li:. ~ terme
L'insuffisance des infonnations statistiques rend impossible la description, de
Le thème de l'insécUrité est développé par la majorité des partis politiques. Force
manière exhaustive, de l'évolution des différents types de criminalité. D'autre part, la
est de constater qu'il y a en France aujourd'hui un sentiment d 'insécurité important et
modification de la qualification juridique de certains actes, la survenance de lois
notamment l'idée d'un certain laxisme de la justice. L'examen des statistiques pour une
d'amnistie faussent les statistiques. Ce n'est que tout récemment, en 1972, que ces
période de dix ans 1973-1984 (Ministère de la Justice) ou douze ans (Police Judiciaire)
anomalies ont été supprimées. Dès lors l'analyse ne saurait être conduite qu'avec une
ne doit se faire qu'avec prudence, car les statistiques ne font pas de distinction entre
certaine prudence. On peut cependant, avec une marge d'erreurs négligeable opposer le
les infractions tentées et les infractions consommées et présentent des lacunes
long tenne au court tenne.
(infractions d'imprudence).
Force est tout de même de constater que le nombre de viols est passé de ~ en
.al 1&. Ùll1g terme
1982 à 5 613
eI{l99~ (peut-être en partie par l'accroissement des plaintes). Mais les
condamnations pour viol sont au nombre de 892 en Q99~ Les infractions à la
Sur une longue période l'observation principale est une décélération de la grande
législation sur les stupéfiants ont été multipliés par près de trois (21 230 en 1982, 62
criminalité que ce soit en France ou à l'étranger 14.
021 en 1991). Les vols avec violence ont augmenté de + 40,42 % au cours des dix
En France, tout d'abord le nombre d'accusations de meurtres et assassinats est
en diminution constante depuis 1825.
dernières années. L'accroissement de la délinquance est commun à tous les pays de
l'Union Européenne 16.
Années
Nombre
Taux
Années
Nombre
Taux
Années
Nombre
Taux
1825/30
436
1,37 1871/80
352
0,96 1931/38
372
0,89
1831/40
397
1,19 1889/90
397
1,04 1946/50
374
0,91
1841/50
408
1,17 1891/1900
373
0,97 1951/60
170
0,39
1851/60
332
0,92 1901/1910
427
1,09 1961/70
219
0,45
1861/70
300
0,79 1921/30
448
1,11 1971/75
240
0,4 6
Aspects de la criminalité et de la délinquance constatées en
France en 1993 17
Comme l'a écrit un auteur 15, "Prolongeant le lent déclin amorcé au XVIIlème siècle, la
grande violence celle qui tue ou mutile à vie, recule régu lièrement depuis 150 ans ". Le risque
d'être victime d'un accident de la route est quarante fois plus grand que celui d'être
victime d'un homidde.
Si on se tourne vers l'étranger on peut relever une sinùlitude dans l'évolution des
comportements antisociaux. Le taux des homicides volontaires est sensiblement le
même dans tous les pays d'Europe à l'exception de la Grande Bretagne où le taux est
cinq fois inférieur.
68 % : Vols y compris recels
10,5 % : Escroqueries et infractions économiques et finandères
17,5 % : Stupéfiants, paix publique et réglementation
3,9 % : Crimes et délits contre les personnes
Pour les blessures ou les coups graves, on observe un contraste entre le Nord et le
Sud de l'Europe qui se signale par une plus grande criminalité. L'étude comparative du
Viol. confinne que le taux français est très faible par rapport à d'autres pays tels que
les Etats-Unis, l'Allemagne et la Suède (CHESNAIS, op. cit.).
14
SZABO, Concept et stratégie, R. S. C. 1984-685.
15
CHESNAIS, op. cit. p. 137, d'où sont extraits ces tableaux.
16
Aspects de la criminalité et de la délinquance en France en 1991, 1992, p. 35 (+ 38 % au
Luxembourg, + 31 % en Belgique, + 23 % en Italie, + 18 % en Angleterre et au Pays de Galles, +
12 % en Grèce, + 6 % au Portugal, + 5 % aux Pays-Bas). En revanche, la stabilité s'observe au
Danemark, en Allemagne et en Irlande.
17
La Documentation Française, 1994, p. 43.
�16
15
A la lecture de ces statistiques, deux observations s'imposent:
• Stabilité d'une criminalité "structurelle".
Depuis le milieu du XXo siècle, les profondes modifications de la vie économique
La criminalité et la délinquance de 1984 à 19!
et sociale en France n' ont pas sensiblement modifié l'importance des comportements
délictueux.
Qu' il s'agisse des homicides, infanticides, coups et blessures volontaires,
4000000
atteintes aux mœurs, la plupart des crimes et délits contre les personnes, en taux pour
3500000
1 000 habitants, sont restés pratiquement stables. La vie moderne n'a pas aggravé
3000000
"l'asociabilité inter-personnelle".
Malgré les variations dans les textes, les mêmes constatations valent pour les
2500000
infractions relatives aux étrangers, etc. On notera cependant une augmentation des
contrefaçons et fraudes .
2000000
• Explosion de la petite délinquance et des stupéfiants.
1500000
En revanche, se sont multipliées les infractions liées au développement de la
société de consommation et à ses manifestations de non-insertion.
1000000
- En premier lieu, les vols passent de 187 496 en 1950 à 2 640 417 en 1993.
500000
Représentant 32,65 % des faits constatés en 1950, ils en recouvrent 68,02 % en 1993.
o
Cette progression se manifeste aussi bien en ce qui concerne les vols qualifiés (vols
191j4.
19~5 .
19j6. 19!17.
1~8.
1~89.
1'90. 1SJ91.
!1992. 1 Ul93
avec violences et cambriolages principalement) que les vols simples.
Parmi les hausses les plus spectaculaires, olLCitera l'automobile, objet-symbole
devenu omniprésent et "à portée de main" : 2507 vols en 1950 et 383 728 en 1993, soit
153 fois plus. Mais un grand nombre de vols e ve ëiiles sont des "vols d'usage" ; ils
sont souvent le fait de jeunes qui abandonnent les véhicules après s'en être servis. Ils
Aspects de la criminalité et de la délinquance constatées en France en 1993
sont donc l' une des marques de notre civilisation motorisée et de ses méfaits. Plus de
60 % des véhicules d éclarés volés sont retrouvés par les services de police et de
gendarmerie. De même le nombre des destructions-dégradations, souvent liées à
ANNÉES
NOMBRE DE CRIMES ET DÉLITS
1984
3 681 453
3,30
- En second lieu, on soulignera l'explosion de la criminalité et de la délinquance
1985
3 579 194
- 2,78
en matière de stupéfiants. Qu'il s'agisse du trafic ou de la toxicomanie, les faits
1986
3 292 189
- 8,02
constatés passent de quelques centaines jusqu'en 1968 à 64 841 en 1993 ; après
1987
3 170970
- 3,68
plusieurs périodes de fortes progressions (de 1969 à 1971, multiplication par 4,5 en 2
1988
3 132694
- 1,21
ans, puis deuxième poussée de 1974 à 1981), la hausse se poursuit à un rythme moins
1989
3 266 442
4,27
1990
3 492 712
7,00
rapide.
Outre la gravité qu'elle présente en elle-même, cette énorme propagation de la
1991
3 744,112
7,20
drogue induit souvent des phénomènes de petite délinquance voire parfois de
1992
3 830,995
2,32
criminalité.
1993
3 881 894
1,33
ÉVOLUTION EN %
l'automobile, a été multiplié par 10 entre 1950 et 1993.
Ces tendances françaises n'ont rien de spécifique et se retrouvent dans les pays
comparables.
�17
18
2°) L'évolution qualitative
Cette diversification des formes de délinquance contribue à expliquer en partie le
sentiment d'accroissement de la criminalité. Mais la référence aux statistiques est
Le rapport PEYREFITTE,
18
observe deux tendances nouvelles de la criminalité
insuffisante. Récemment des travaux ont porté sur l'impact économique du phénomène
contemporaine, une diversification des fonnes et une déprofessionalisation des
criminel. ils ont permis de mettre en lumière l'importance des fraudes fiscales ou des
auteurs.
/
infractions d'imprudence.
fÙ L1! djversj(jeation
L'estimation monétaire des criminalités serait en million de francs et par rang :
lli/onnes
les fraudes fiscales, les atteintes à la vie, etc...
On peut certes, souligner le développement de la délinquance astucieuse: les
fausses factures, la fraude fiscale, les fausses cartes de crédit, la fraude par ordinateur
Estimation monétaire des criminalités
(en millions de francs)
ce qui devient considérable dans la mesure où les victimes, souvent les banques, ne
portent pas plainte pour garder la confiance de leurs clients.
- La violence industrielle, en second lieu s'est développée à la fin du XIXème
1986
siècle. Elle est la troisième cause de mort après le cancer et les maladies cardiovasculaires. Plus de 90 000 morts et deux millions de blessés en Europe.
Toutes les couches sociales sont atteintes, mais le prolétaire l'est plus que le
Atteintes à la vie humaine
1987 % PIB
108 099
114 429
1,96
37679
37581
0,64
bourgeois. Le coût de cette violence est très élevé. Pourtant, les condamnations sont
Diverses infractions économiques et finandères
6674
5 390
0,09
faibles. En 1975, 11 % d'auteurs d'homicides involontaires avaient été condamnés à
Infractions à la réglementation des changes
3871
106
-
Proxénétisme
5500
5 500
0,09
Délinquance informatique
3275
4000
0,07
Vols de véhicules
4 152
4248
0,07
Vols
3072
3 390
0,06
Émissions de chèques sans provision
4573
5 366
0,09
Fraudes douanières
2500
2500
0,04
Vols dans les grands magasins
788
603
0,01
Fraudes aux cartes bancaires
455
490
-
services de police, plutôt d'âge mûr. Aujourd'hui le milieu n'a pas disparu. Bien au
Trafic de stupéfiants
625
625
0,01
contraire, il s'est investi dans des domaines difficiles à repérer (blanchiment des
Destruction de biens (incendiés)
606
615
0,01
capitaux introduits dans des entreprises françaises) et est concurrencé par une
Hold up et agression à main armée
561
471
délinquance peu connue de la police. On peut en fournir deux illustrations, la
délinquance des mineurs et celle des immigrés.
Faux monnayage
26
36
Infractions aux réglementations de la communauté
économique européenne
31
31
-
des peines fermes, tandis que 67 % des vagabonds avaient été emprisonnés. L'étude
du droit pénal du travail est éloquente à cet égard. Sur un million d'infractions
constatées, guère plus de 30 000 peines sont prononcées.
- La criminalité organisée a pris une dimension considérable avec l'ouverture
des frontières et se développe dans de multiples secteurs (drogue, fraude, fausse
monnaie, terrorisme, etc. .. ).
hl L1! dé.prqfessionalisation lli auteurs
Jadis, la délinquance violente était le fait de bandes organisées connues des
- La délinquance juvénile qui, pendant longtemps, avait été un phénomène
marginal, connaît dans tous les pays, une extension inquiétante. Le nombre des
mineurs mis en cause était en 1992 de 93 000.
- La criminalité étrangère, souvent soulignée par certaines formations politiques,
a toujours été plus forte que la criminalité des Français, par rapport à la population.
18
Fraudes fiscales
1987
Réponses à la violence, rapport du comité d'études présidé par A. PEYREFITTE, 1977.
Voilà précisée l'ampleur du phénomène criminel. Reste à définir le rôle joué par
ses acteurs.
�19
SECTION Il - LES ACTEURS DU PHÉNOMÈNE
CRIMINEL
Longtemps, les systèmes répressifs sont demeurés des systèmes objectifs.
L'infraction, d'une part, la peine, d'autre part, constituaient les deux piliers du droit
pénal. Les acteurs du drame étaient, de ce fait, rejetés dans l'ombre.
Ce n'est qu'avec la montée de l'individualisme triomphant, d'abord, avec le
développement des sciences humaines, ensuite, que les projecteurs du droit pénal se
sont progressivement tournés sur le délinquant puis sur sa victime.
§ 1 - LE DÉLINQUANT
Pratiquement ignoré du droit pénal classique, le déHnquant est devenu, sous la
poussée de l'école positiviste italienne à la fin du XIXème siècle, "le protagoniste de la
justice pénale", selon la célèbre expression de FERRI. Il convient de décrire cette
évolution en exposant, tour à tour, le droit classique et la conception crinùnologique.
A - Le droit classique
Les caractères du droit classique expHquent la typologie des infractions retenue
par le Code pénal de 1810, débouchant sur un éventail de sanctions.
1°) Les caractères
Le droit classique consacre une théorie abstraite du déHt : "Le délit n'est pas une
notion de fait , mais une notion juridique ", écrivait l'auteur italien CARRARA. Dans cette
optique, le délit est une infraction, il n'est pas une action, car l'infraction n'existe que
dans sa définition légale, tandis que l'action, comme tout fait humain, est susceptible
de plusieurs interprétations. SALEILLES 19 expHquera les conséquences de la théorie
en présentant ses trois caractères fondamentaux :
- C'est une théorie objective en ce que dans cette doctrine, si les circonstances
du crime varient, sa nature juridique et sa défuùtion légale ne peuvent varier; tous les
criminels sont identiques en face du même crime: le droit classique connaît le vol, il ne
connaît pas le voleur.
- C'est par là même une théorie abstraite. Tous les délinquants sont égau x
puisque tous les hommes sont égaux devant la loi pénale. La Hberté morale est la même
19
Auteur de l'individualisation de la peine, A1ean 1898.
�21
20
pour tous. La seule exception à cette règle est celle de la démence et de la contrainte
C 1. C et leur interprétation par les juges répressifs, rejoints dans leur effort par
(A. 121-1 et 121-2 N.CP. ; ancien art. 64 CP.). Cela explique que le législateur
l'adoucissement législatif entrepris dès 1832, pouvait être attribuée à plusieurs causes :
révolutionnaire ait consacré un système de peines fixes et quand le Code pénal
le courant libéral, issu du romantisme, la naissance de la sociologie, le développement
admettra une certaine individualisation, ce sera une individualisation non pas de l'acte
de la psychiatrie enfin. Dans ce terrain particulièrement fertile, la révolution positiviste
délictueux, mais de la peine. Les femmes, les vieillards, les enfants bénéficiaient d'un
ne pouvait que s'épanouir et ouvrir la voie à une conception crirninologique du
régime spécifique. Ainsi, au plan de l'incrimination, le criminel apparait dans la
délinquant.
Le nouveau code pénal accentue la diversification des sanctions et les pouvoirs
I
conception classique comme l'homo-economicus ou le bon père de famille du droit civil.
du juge. En effet, il développe les mesures alternatives qui s'inspirent directement des
- Enfin, c'est une théorie juridique. Est délinquant celui qui a commis une
idées crirninologiques.
infraction définie et prévue par la loi pénale. La peine constitue un véritable paiement
au sens technique du terme. On retrouve la même idée dans le langage courant ou l'on
disait souvent qu'un condamné à mort avait payé sa dette. Mais dans la doctrine
B - La conception criminologique
classique, on considère que de même que le paiement éteint l'obligation, l'exécution de
la sanction libère le condamné.
C'est la doctrine positiviste italienne de la fin du XIXème siècle qui devait
contribuer à faire admettre que derrière le fait criminel se dissimule un homme vivant
2°) La typologie des infractions de 1810
possédant une personnalité déterminée, conditionnée par des stimulants extérieurs.
Les rédacteurs du Code pénal avaient consacré une distinction tripartite des
L'ouvrage de LOMBROSO, "L'homme délinquant" 20, traduit les préoccupations de
infractions. Tout d'abord, les crimes et délits contre la chose publique (art. 70 à 294
cette École, tandis que FERRI qualifie le délinquant de "protagoniste de la justice pénale"
CP.) comprennent les crimes contre la sûreté de l'État, la Constitution ... Ensuite, les
21 .
crimes et délits contre les personnes (art. 295 à 378 CP.) englobent les atteintes à la
présentait le délinquant comme un individu différent des autres hommes et s'orientait
personne humaine, les infractions contre les personnes (meurtres, empoisonnements,
vers une recherche stérile des traces ataviques. Elle eut cependant le mérite de
menaces, blessures et coups volontaires, attentats aux mœurs, arrestations illégales et
développer les recherches crirninologiques.
o
Sans doute, cette doctrine devait-elle encourir des critiques justifiées, car elle
séquestrations de personnes, faux témoignages). Enfin, les infractions contre les biens
1°) Les caractères
(vols, banqueroutes, escroqueries, destructions, dégradations; art. 379 à 462 CP.).
o
Cette distinction est globalement maintenue dans le nouveau code pénal, mais
La conception crirninologique présente des caractères diamétralement opposés
dans un ordre inversé, qui traite successivement des infractions contre les personnes
au droit classique.
D'abord, c'est une conception subjective qui considère que la répression doit
(art. 211-1 à 227-30), des infractions contre les biens (art. 311-1 à 323-7), des crimes
et délits contre la Nation, l'État et la paix publique (art. 410-1 à 450-3).
être calquée uniquement sur la personnalité du délinquant en fonction de la dangerosité
3°) L'éventail des sanctions
qu'il présente pour la société.
C'est qu'en effet, et c'est le second caractère, les criminologues sont
Dans le passé, la priorité était donnée aux peines privatives de liberté à l'égalité
déterministes~ Le
dans la répression, poussée à l'extrême par le droit révolutionnaire par le système d
.
pernes
fu
les actes sont fonction de facteurs endogènes ou exogènes.
Enfin, la doctrine se veut scientifique dans l'étude du phénomène criminel en
es
es, puis assouplie par la fixation d'un minimum et d'un maximum dont le
Juge ne devait pas s'écarter. Cependant, des circonstances aggravantes élevant alors 1
maximum étaient largement prévues tandis qu'à l'inverse 1 ' .
. _ e
.
'
e mtnlffium pouvait etre
t
1
exceptionnellement abaissé (excuses atténuantes et circonstances att '
'
.
.
enuan es pour es
rnfractions correctIOnnelles ayant causé un préjudice inférieur à 25 F. l.
:outefois, on peut observer que la doctrine classique n'avait pas été appliquée
completement dans les faits. L'absence de conformite' en tre 1es textes du C P. et du
libre arbitre n'existe pas. Le délinquant est "une force qui va," dont
ayant recours à des disciplines diverses telles que la médecine, la psychiatrie, la
sociologie...
Les recherches criminologiques ont permis d'apercevoir le fossé séparant le
délinquant juridique du délinquant crirninologique. Le premier peut être aisément cerné.
20
2ème édition française, ALCAN 1895.
21
Sociologie criminelle, traduction française 1905.
�23
22
)cf
C'est celui qui commet une infraction définie et prévue par la loi pénale. Le second, en
quelques procès retentissants, sont moins nombreuses que les empoisonneurs. Enfin,
revanche, est plus insaisissable. Tout d'abord, il est certain qu'il existe des malfaiteurs
depuis peu, se développe une délinquance violente (terrorisme par exemple, où l'on
assez habiles pour utiliser une interprétation stricte des textes à leur profit, et,
relève une participation féminine).
inversement, l'auteur d'une violation manifeste à la loi peut n'avoir de délinquant que le
• Les expIicatj on s
nom. Mais surtout, les criminologues contemporains hésitent à consacrer une typologie
trop marquée. Certains proposent de distinguer les faux délinquants (malades
LOMBROSO soutenait que "la femme criminelle" est un homme manqué, arrêté
mentaux, pervers sexuels, épileptiques) des vrais délinquants (apparemment pourvus
dans son développement "comparable" aux chèvres qui en vieillissant, deviennent souvent
d'une personnalité normale et cependant atteints d'une altération de la conscience
"méchantes ". Plus sérieusement, deux séries de causes ont été avancées.
socio-morale). D'autres opposent les personnalités criminelles et les personnalités
Tout d'abord, des causes biologiques et psychologiques expliqueraient la
anormales. Les premières constitueraient le véritable domaine de la criminologie,
criminalité moindre de la femme. La puberté, la grossesse et la ménopause seraient des
tandis que, pour les secondes, la délinquance ne serait qu'un signe de leur anormalité.
événements favorables à l'accomplissement d'infractions chez la femme (SEELIG).
"X En résumé, les tendances modernes de la criminologie psychiatrique et
Cette analyse a été fortement remise en cause par l'école américaine 22 On peut
psychologique conduisent à une étude non de l'infraction, mais de la mentalité sociale
formuler des observations du même ordre pour l'explication psychologique qui
de son auteur dont l'acte répressif n'a été que le révélateur. Ce sont les troubles de la
conduirait à dire que la femme a un sens de la justice moins développé et qu'elle est
socialisation qui débouchent éventuellement, mais pas obligatoirement, sur la
inapte à distinguer le bien du mal 23.
délinquance. TI conviendra donc inévitablement de prendre des mesures à l'égard des
C'est la raison pour laquelle une explication sociologique a été avancée.
asociaux qui risquent de devenir des délinquants. Ce qui n'est pas sans poser de
En premier lieu, l'exclusion de la femme des activités sociales justifierait la
délicats problèmes avec les exigences de la liberté individuelle. Malgré ces réserves, ces
faible criminalité. DURKHEIM l'avait déjà noté 24 et cette observation se vérifie pour
études ont eu l'incontestable mérite d'attirer l'attention des juristes sur l'auteur de
certaines formes de délinquance comme la délinquance d'affaires. La contre preuve
l'acte, jusque là laissé dans l'ombre et de dégager les aspects différentiels de la
criminalité.
peut être fournie dans l'examen de la criminalité dans les périodes de guerre pendant
lesquelles les femmes assument les tâches réservées aux hommes (voir par exemple au
2°) Les aspects différentiels de la criminalité
1er janvier 1946, le pourcentage de la population féminine en milieu carcéral était de
15,9 %. En 1958, il était tombé à 3 %. Il remonte progressivement (4,4 %) 25
Les travaux entrepris par les criminologues ont fait apparaître une diversité de
En second lieu, le rôle de mère et d'épouse aurait un effet sécurisant et
l'action criminelle en fonction du sexe, du lieu de vie, du niveau de vie, du mobile, des
idéalisant sur la femme, tandis que l'adolescent et l'homme, contraints à lutter pour
habitudes délinquantielles de l'agent ou de l'origine ethnique. Nous ne reviendrons pas
sur la crinùnalité des étrangers déjà évoquée.
assurer leur vie professionnelle, seraient en proie à des conflits, source de criminalité.
L'évolution des mentalités à laquelle nous assistons aujourd'hui risque de remettre en
cause ces explications.
al. Criminalité masculine, criminalité féminine
hl Criminalité urbaine fi criminalité rurale
Les criminologues ont depuis longtemps dégagé la spécificité de l'action
criminelle en fonction du sexe et avancé des explications.
• Le constat
- Le constat
Sur le plan quantitatif, il est indéniable que la criminalité rurale est plus faible
que la criminalité urbaine. Sur le plan qualitatif, on observe une typicité de la
Les études criminologiques soulignent une différence de criminalité à la fois
q~ntitative et qualitative. Quantitativement, la criminalité fémiIùne est beaucoup plus
faible que la criminalité masculine (11,9 % de la criminalité globale) alors que la
population féminine est plus importante.
Qualitativement, les vols à l'étalage, les escroquen·es, les chèques sans prOVISIOn
..
représentent l'essentiel de l'activité féminine . En revanche, les empoisonneuses,
.
malgré
22
SUTHERLAND et CRESSEY, Principes de criminologie, Cujas 1956, p. 112.
23
LOMBROSO, "L'homme criminel p. 144.
24
DURKHEIM, Le suicide, p. 389.
25
CARlO, Les femmes et le crime. De la résistance positive des femmes à la criminalité, in
Problèmes actuels de science criminelle 1993 n° VI; Femmes et criminelles, Eres, 1992.
�25
24
' ( § 2 - LA VICTIME
délinquance rurale (incendies volontaires, délits sexuels, infractions contre les
personnes) que l'on oppose à la délinquance astucieuse ou économique qui connaît un
accroissement considérable dans les zones urbaines.
En tant que sujet positif de l'infraction, la victime a subi un préjudice qui doit
- Les explications
Elles sont multiples : la construction des grands ensembles, l'apport de
être réparé par les tribunaux. Mais des études criminologiques conduisent à s'interroger
sur le principe d'une réparation systématique.
personnes déracinées ou étrangères, l'anonymat favorisent un accroissement de la
délinquance urbaine et sa banalisation.
A - Sous l'angle iuridique
cl Criminalité de. dliill commun, criminalité politique
S'il est vrai que le droit pénal réprime également les atteintes portées aux choses
Le courant libéral du milieu du XIXème siècle avait dégagé la différence de nature
ou aux animaux et celles portées aux particuliers, il apparaît, qu'en définitive, c'est
entre la délinquance de droit commun et la délinquance politique, d'où la création
toujours la personne humaine qui se trouve protégée. C'est pourquoi, l'un des buts de la
d'une échelle des peines spécifiques en matière politique en 1832 (déportation dans
sanction pénale est d'assurer la réparation matérielle et morale des victimes. Mais
une enceinte fortifiée; déportation simple; détention ; bannissement; dégradation
l'expérience a révélé le caractère aléatoire d'une réparation, d'autant qu'en 1958 la
ci vique) et la suppression de la peine de mort en 1848.
possibilité de demander le prononcé de la contrainte par corps, peine privative de
Les positivistes devaient reprendre cette analyse considérant que le délinquant
liberté destinée à garantir l'exécution des peines d'amende, a été retirée aux victimes.
politique devait être soumis à un régime spécifique, plus libéral que pour le délinquant
C'est la raison pour laquelle, à côté de l'indemnisation réclamée à l'auteur de
de droit commun, compte tenu des mobiles élevés qu'il était censé véhiculer. Les
l'infraction, l'État a tout récemment mis en place sa propre indemnisation 26
attentats anarchistes à la fin du XIXème siècle, le développement du terrorisme à
Avant d 'évoquer les modalités de l'indemnisation, il faut brièvement préciser les
l'heure actuelle tendent à affaiblir l'opposition entre délinquant politique et délinquant
conditions de l'indemnisation.
de droit commun (cf. infra).
1°) Les conditions de J'indemnisation
dl Criminalité d'occasion, criminalité d'habitude
Pour que la victime puisse obtenir réparation, il faut d'après la jurisprudence,
L'école positiviste considérait que le criminel d'habitude, professionnel du crime,
que trois conditions soient remplies.
devait être soumis à des mesures d'élimination, tandis que le criminel d 'occasion,
Tout d'abord il est nécessaire que l'infraction soit effectivement punissable
appelé "criminaloïde", ne devait être l'objet que de mesures bénignes destinées à éviter
(exemple, survenance d'une loi d'amnistie).
la corruption du milieu carcéral.
Ensuite il faut qu'elle porte atteinte à un intérêt pénalement protégé (exemple,
Le droit positif français devait, très tôt, tenir compte de cette opposition en
le mensonge n'est pas pénalement réprimé).
proposant, pour les premiers, une aggravation de la pénalité pouvant aller jusqu'à la
déportation perpétuelle (1885) et, pour les seconds, le sursis à l'exécution des peines
Enfin, il faut que le dommage soit en relation directe avec l'infraction (exemple:
(1891). Ainsi, sur ce point au moins, les analyses des criminologues ont trouvé une
délit d'abstention délictueuse ayant entraîné la mort), exception faite des
expression juridique, tenant compte de la personnalité des auteurs d 'infractions.
contraventions sanctionnées indépendamment de tout résultat dommageable.
Pour démontrer l'existence de ces trois conditions, la victime dispose d 'une
Ce n'est que beaucoup plus tard que l'on devait accorder la même attention à la
victime de l'infraction.
liberté de choix entre la voie civile et la voie répressive. Pour éviter une contrariété de
jugements, la Cour de cassation avait posé le principe de
la solidarité des
prescriptions entraînant l'unité de la faute civile et de la faute pénale 27. Cette solution
présentait la conséquence regrettable que la victime d'un dommage pénalement
26
F. BOULAN, Les droits de la victime, un choix de politique criIninelle in Problèmes actuels de
science criIninelle, PUAM 1985, p. 7.
27
Civ. 19 décembre 1912, 5. 1914-1-249, note MOREL.
�26
27
purussable était plus mal traitée (prescription de trois ans) que la victime d'un quasi
sanctionnés sont tous ceux qui, commerçants ou non, organisent leur propre
délit dvil (prescription 30 ans), dans la mesure où la juridiction civile saisie d'une
insolvabilité. La peine est de trois ans de prison et une amende de 300 000 F (art. 314-
demande en réparation devait se plier à la prescription triennale.
Des textes récents s'efforcent d'améliorer son sort. Tout d'abord, la loi du 23
7 CP.). Une peine du quintuple est prévue contre les personnes morales.
hl L'indemnisation PM l'État
décembre 1980 a modifié l'article 10 du Code de procédure pénale supprimant la
solidarité des prescriptions. La prescription trentenaire joue si la victime choisit la voie
Le mouvement de défense sociale l'avait affirmé. Mais le droit positif était resté
dvile tanclis que la triple prescription répressive (un an en matière contraventionnelle,
insensible à l'injustice du sort de certaines victimes d'infractions (sous réserve de la loi
trois ans en matière délictuelle, dix ans en matière criminelle) est maintenue devant la
du 31 décembre 1951 , indemnisant les victimes d'infractions au Code de la Route
juridiction répressive 28 . Toutefois, la loi du 5 juillet 1985 a réduit la durée de
lorsque l'auteur est insolvable).
prescription à 10 ans en matière extracontractuelle, la durée de 30 ans étant maintenue
Quatre textes importants aménagent cette indemnisation.
en matière contractuelle.
Ces réformes s'inscrivent dans un courant indemnitaire qu'illustre la loi du 5
- Tout d'abord, une loi du 3 janvier 1977 prévoyait une indemnisation de l'État
pour toute victime d 'un dommage corporel, causé à la suite d'une infraction volontaire
juillet 1985, offrant une réparation systémati ue à ce ~~ ividus,
ou non, dont l'auteur est inconnu ou insolvable. Mais la loi posait des conditions très
ainsi que dans les textes instaurant une indemnisation des victimes par l'Etat.
strictes pour la percevoir : seuls les préjudices d 'ordre économique pouvaient être
indemnisés et la victime devait se trouver dans une situation matérielle grave (entre
2°) Les modalités d'indemnisation
1977 et 1981 seulement 410 personnes avaient été concernées par les fonds de l'État
s'élevant à 26,4 millions de francs).
Cette indemnisation peut être assurée soit par l'agent, soit par l'État.
- C'est pourquoi la loi du 8 juillet 1983 a assoupli les conditions afin de
ru L'indemnisation par l'agent
permettre à un plus grand nombre de victimes de pouvoir bénéficier d'une
Elle ressort de différentes mesures spédfiques prises par le législateur :
indemnisation. Désormais pouvaient donner lieu à indemnisation les préjudices
- D'abord, le Code pénal (art. 55 CP.) a instauré la solidarité à l'encontre des
d 'ordre économique et les atteintes à l'intégrité physique et mentale. Pour être
personnes condamnées pour un même crime ou délit pour le paiement des dommages-
indemnisée, la victime devait soutenir que l'infraction lui avait causé "un trouble grave
intérêts. Ces clispositions ont été transférées dans le code de procédure pénale, par la
dans ses conditions de vie". Mais l'indemnisation par l'État demeurait subsidi ire et ne
loi d'adaptation.
jouait donc que pour la part du préjudice qui n'aura pu être réparée par le délinquant
- En second lieu, la loi du 17 juillet 1970 organisant le contrôle judiciaire a prévu
ou un organisme quelconque. Une commission d 'indemnisation constituée dans le
que l'une de ses modalités pourrait consister dans le cautionnement à verser par
resso rt de chaque tribunal de grande instance et composée de deux magistrats et d 'un
l'intéressé pour garantir la réparation des dommages causés.
particulier, s'étant signalé par l'intérêt qu'il porte aux problèmes des victimes, statuait
- Enfin, la loi du 8 juillet 1983 a créé une nouvelle infraction. Elle est destinée à
sur les demandes d'indemnisation dans la limite maximum de 250 000 F (décret du 17
da~s
protéger les victimes contre les manoeuvres frauduleuses de leurs débiteurs tendant à
février 1983), présentées
augmenter leur passif, diminuer leur actif ou dissimuler certains de leurs biens. TI s'agit
mesure de faire valoir ses droits dans les délais requis ou lorsqu 'il a subi une
du délit d'organisation frauduleuse de l'insolvabilité (art. 314-7 CP.). L'objectif de
aggravation de son préjudice ou pour tout autre motif légitime.
la loi est d 'instaurer un système suffisamment répressif pour dissuader certains
le délai d'un an, allongeable si l'intéressé n'a pas été en
La loi du 9 septembre 1986 indemnise les victimes d'actes de terrorisme par
débiteurs de se soustraire à leurs obligations en se rendant insolvables. La loi vise les
l'instauration d'un fonds de garantie alimenté par les contrats assurant les biens 29
créances qui sont nées à la suite d'une condamnation prononcée par une juridiction
Enfin, la loi ~ 6 juillet 1990 élargit encore les possibilités d 'indemnisation. Il
répressive ou par une juridiction civile. Mais, dans ce dernier cas, il doit s'agir d 'un
suffit que les faits aient entraîné une incapacité totale de travail égale ou supérieure à
délit, d'un quasi délit ou d'une dette alimentaire, étant précisé que la dette alimentaire
un mois. Le délai est porté à trois ans et toute association qui, de par ses statuts, se
peut également trouver son origine dans une convention homologuée. Les débiteurs
28
ROGER, chronoD. 1981-1 80; PRADEL, Chrono D. 1983-241.
29
RENUCCI, L' indemnisation des victimes d'actes de terrorisme, D. 1987-197.
�29
28
propose d'assister les victimes d'infractions, peut exercer les droits réservés à la partie
relations antérieures qui pouvaient exister entre la victime et son criminel. Une enquête
dvile 30. La dite indemnité peut être réduite en cas de faute de la victime.
faite dans la région de Philadelphie a révélé que dans 21 % des cas considérés, le
meurtrier était, soit un parent, soit un proche ami ; dans 24 % des cas c'était un
Cet éventail de réformes, soudeuses d'améliorer le sort de la victime, ne coïncide
membre de la famille, dans 13% des cas, le meurtrier était connu de la victime. Mieux
pas toujours avec les préoccupations des criminologues.
encore, le rapport de la seconde commission, effectuée aux États-Unis, a souligné que
B - Sous l'angle criminologique
souvent la victime ne portait pas plainte dans le désir de ne pas nuire au criminel, ce
qui révèle l'importance de ces relations. Ces observations faites, les recherches
criminologiques envisagent la victime sous les deux aspects qu'elle peut présenter, soit
Dans la conception classique du droit positif, dans tout crime s'affrontent,
celui d'une victime innocente, soit celui d'une victime coupable.
nécessairement, un criminel coupable et une victime innocente. Les victimologues ne
nient pas cette opposition. Ils la nuancent en estimant que, dans certains cas, la
1°) La victime innocente
victime a pu participer à l'infraction et que d'une façon générale, un examen de la
personnalité pourra mieux faire comprendre le mécanisme du passage à l'acte. Il arrive,
Les criminologues observent que certaines personnes sont plus exposées que
cependant, que l'aptitude à la réparation est parfois fonction, soit de la qualité, soit
d'autres à l'infraction: les mineurs, les personnes âgées, les faibles d'esprit. Dans tous
du comportement de la victime. Le~C~od~eJ'..$'=.u;:\!!!!?!2~:..Rl!.Dm;LS.~~~~~~l!l
de la victime modifie la criminalité objective de l'acte. La pénalité varie selon que la
les cas, ces personnes constituent des victimes latentes que l'on peut définir comme la
prédisposition inhérente à leur personnalité à être objet d'une agression.
victime est majeure ou mineure, fonctionnaire ou non fonctionna.ire, descendan~ ou non
-
--
---
C'est pourquoi, les criminologues proposent deux séries de mesures. Tout
descendant. D'autre part, le consentement de la victime est pris en considération par le
drOIt.
d'abord, la mise sur pied d'une politique de prévention, afin que la "vidime née" ne
est des cas où le consentement efface l'infraction. il n'y a pas vol si la victime a
devienne pas une "vidime récidiviste" (par exemple: blindage des portes). En second
consenti à être dépouillee ;) n y a pas viol Si la fe~e s' abandonne complaisamment
lieu, une politique d'indemnisation par une législation adaptée. Le législateur, les
aux assauts de son séducteur, mais il s'agit là de cas exceptionnels. En règle générale,
municipalités, ont partiellement satisfait à ces suggestions par les réformes récentes
le consentement de la victime est ignoré par le droit.
instaurées en France à la suite de certains pays étrangers (Grande-Bretagne, Canada,
Les victimologues posent le principe inverse que le comportement de la victime
n'est jamais étranger à la réalisation de l'infraction. La victimologie est une discipline
toute récente. Depuis l'ouvrage fondamental de VON HENTIG
31,
États-Unis).
de nombreux
2°) La victime coupable
travaux ont été consacrés à ce problème.
Pour les victimologues, la victime contribue parfois à la genèse de l'infraction, elle
Au préalable, deux observations doivent être faites.
La première porte sur le sens du mot victime~ Pour le juriste, la victime est la
est donc coupable. Son comportement peut constituer une véritable provocation. Un
personne qui a subi une infraction, bien qu'il n'y ait pas, dans le Code pénal français
auteur propose de distinguer trois sortes de victimes en fonction de ce comportement.
de définition de la victime. Pour le criminologue, le terme doit être entendu de façon
La victime peut être, soit totalement responsable (auteur d 'acte illicite soumis au
plus compréhensive. A la limite, nous sommes tous des victimes. En ce sens, le criminel
chantage), soit encore partiellement responsable (faute de la victime ayant incité au
peut d'abord être une victime avant de passer à l'acte. Un groupe, une société peut être
"vidimisé".
passage à l'acte)
32,
soit avoir la double qualification d'auteur et de victime (bourreau
domestique qui tyrannise sa famille avant d'être tué).
Ces recherches ne présentent pas un intérêt purement théorique.
La deuxième observation vise à rectifier le portrait caricatural que l'on fait des
victimologues qui considéreraient la victime comme toujours coupable. Cela est
Tout d'abord, elles permettent d'éclairer le mécanisme du passage à l'acte. En
inexact. Les victimologues s'efforcent simplement de souligner le rôle important joué
second lieu, elles s'efforcent de mieux doser la sanction pénale en tenant compte du
par la victime dans la genèse de l'infraction. C'est ainsi qu'ils ont mis en lumière les
comportement de la victime. Enfin, elles proposent un examen de personnalité des
30
J. c. P. 1990-Ill-M024.
31
VON HENTIG, Le criminel et sa victime, 1948
32
EL FAITAH, La victime est-elle coupable? Montréal, 1971.
�31
victimes. C'est dire l'importance de ces recherches dans l'étude du phénomène criminel,
étude qu'il convient maintenant d'aborder.
CHAPITRE II - L'ÉTUDE DU PHÉNOMÈNE CRIMINEL
LECTURES
}
Rapport PEYREFITTE, Réponses à la violence, 1977.
CHESNAIS, Histoire de la violence, Latfont 1981.
il est significatif de constater que toutes les civilisations, quel que soit le degré
Ph. ROBERT, Les comptes du crimq, l'Harmattan, 1994.
d'évolution, se sont efforcées de résorber l'ampleur du phénomène criminel par des
mesures appropriées. C'était l'objet du droit pénal dont la finalité était purement
répressive. Mais pendant longtemps, on s'était contenté d'une approche purement
juridique, désincarnée, ignorant pratiquement tout de la
per~naiité
criminelle et des
motivations de l'agent. Il fallait chercher dans la littérature antique (SOPHOCLE,
ESCHYLE ... ), ou plus récente (SHAKESPEARE, ZOLA) une analyse des pulsions
criminelles.
Ce n'est qu'au XIXème siècle que l'on a songé à s'interroger, de façon scientifique,
sur le pourquoi du crime et que des propositions constructives ont été émises par les
criminologues. Cela explique que l'on observe depuis le XIXo siècle une interaction des
\
études scientifiques sur les études juridiques. il est donc aujourd'hui difficile de
dissocier l'aspect juridique de l'aspect scientifique. Cependant, pour la clarté de
l'exposé, nous examinerons successivement les études juridiques puis les études
scientifiques.
SECTION 1 - L'ÉTUDE JURIDIQUE DU
PHÉNOMÈNE CRIMINEL
On peut définir le droit pénal ou droit criminel, comme étant la branche du droit
qui détermine quelles sont les conduites antisociales et en quoi consiste la réaction de
la société contre ces divers comportements.
f.
L'ex ress ion droit pénal se justifie parce que la sanction des infractions consiste
dans un châtiment, une peine, mais elle apparaît insuffisante, car elle néglige les
mesures à caractère préventif et elle omet de préciser quelles sont les infractions et
quelles personnes peuvent être considérêes comme délinquants.
L'ex
ression
_ .'"-- droit criminel a le mérite de mettre l'accent sur l'infraction et son
auteur, mais laisse alors de côté les sanctions applicables.
C'est pourquoi, certains auteurs préfèrent recourir à une troisième dénomination :
le droit de la délinquance expression plus large qui a le mérite de recouvrir les deux
L
aspects indissolubles du droit pénal, la conduite incriminée et la sanction pénale, mais
-
qui présente l' inconvénient d'être opposé à la grande criminalité (statistique policière).
�33
32
Pour délimiter la matière pénale, il conviendra tout d'abord d 'en souligner
l'originalité, sa spécificité par rapport aux autres droits pour préciser ensuite son
contenu, à la fois vaste et complexe.
s'applique au délinquant déjà condamné. On peut également douter de son efficadté,
compte tenu du nombre des réddivistes.
- Fonction de rétribution: c'est la fonction morale de la peine dégagée par
l'Église sous l'Ancien Régime et encore reconnue par les criminologues sous certaines
§ 1- LA SPÉOFIOTÉ DU DROIT PÉNAL.
conditions. Cette fonction détermine les caractères de la peine, afflictive, infamante,
déterminée et définitive.
Pour souligner l'originalité du droit pénal, il faut en énumérer les caractères
essentiels permettant de le différenàer d'autres disciplines normatives.
A - Les caractères essentiels
Le droit répressif se définit par la sanction consécutive à la violation d'un
- Fonction de resocialisation : c'est la fonction moderne qu'avait exprimé le code
de procédure pénale, dans son article 728 abrogé, qui précisait que le régime privatif
est institué en vue de favoriser l'amendement des condamnés et de préparer leur
reclassement social, fonction réaffirmée par les nouvelles règles pénitentiaires du
Conseil de l'Europe (1987).
• La mesure de sûreté
interdit prononcé à l'issue du procès pénal.
--
Imaginée par les Positivistes, elle s'efforce de concilier les intérêts de la
F) La sanction pénale
C'est le caractère premier permettant de différenàer le droit de la délinquance
d'autres disàplines juridiques.
IÙ Traits principaux
Tout d'abord, la sanction présente un caractère coercitif, résultant d'une action
en justice exercée au nom de la société: l'action publique aboutissant à l'incarcération
du condamné. En second lieu, la sanction ne s'applique qu'aux être humains, non aux
choses. Les mesures coercitives du droit civil ont pour objet de forcer l'exécution d'une
collectivité et ceux de l'individu. Elle a une double fonction, une fonction de
neutralisation des délinquants les plus dangereux, irrécupérables pour la société et
une fonction de réadaptation par traitement médical ou rééducation. Elle est tournée
vers l'avenir et non vers le passé comme la peine. Elle présente, de ce fait, des
caractères inverses: pas de coloration morale, révisibilité, durée indéterminée.
Pour le Président ANCEL, cette distinction devrait être abandonnée au profit
d 'une mesure de défense sociale. Cette mesure consisterait à combiner les différents
aspects de la peine et de la mesure de sûreté que le nouveau code pénal confond.
20 L'infraction
obligation ou d 'un devoir juridique précis : ce sont des choses qu 'elles affectent au
travers d'un sujet de droit précis.
On peut définir l'infraction comme tout acte, action ou omission prévu et réprimé
Enfin, la sanction présente un intérêt social, elle est infligée dans l'intérêt de la
par la loi d 'une sanction pénale. Les nombreuses infractions définies par le droit de la
soàété toute entière, ce qui permet de la distinguer de la peine pri vée édictée dans un
délinquance n'ont d 'ailleurs pas toutes la même gravité; si bien qu'au-delà de la notion
intérêt particulier ou de la sanction disàplinaire infligée dans l'intérêt d'un groupement.
juridique d'infraction, il y a une gradation des infractions.
x, hl Diversité
IÙ 1il notion juridique d'infraction
....,
Notre droit positif connait deux types de sanctions, la peine et la mesure de
sûreté.
• La peine a une triple fonction.
Dans le droit p~nal classique\ l'infraction est un acte préds incriminé par la loi
pénale en raison du dommage qu 'il cause au corps social tout entier. Cependant, le
droit mod erne de la délinquance retient aussi des modes de vie ou des attitudes
dangereuses appelés par les criminologues états dangereux. L'infraction représente
- Fonction d'intimidation : c'est la plus ancienne. Elle tend à détourner de la
délinquance les délinquants potentiels. C'est la prévention générale dont on conteste
l'efficacité: la peine de mort n'arrête pas les assassins. La prévention spéciale
donc deux aspects, un aspect cl~sique et un as~oderne.
�34
35
a) L'infraction classiq.ue
amnistie), et sur le plan formel. C'est la division tripartite des infractions qui
Elle se définit par la sanction qui la frappe . Échappe à la qualification
détermine l'organisation et la compétence des tribunaux répressifs.
d'infraction tout acte ou comportement qui n'est pas réprimé par la loi pénale même si,
aux yeux de la morale ou d'une certaine morale, il apparaît répréhensible (par
3° Le procès pénal
exemple, la grivèlerie non réprimée jusqu'en 1873, la pédophilie, le suicide etc. .. ).
Certains auteurs (GAROFALO) ont cru cependant faire une distinction.
ny
aurait, d'une part, les délits naturels, inspirés par certains principes de morale et
indépendants de la structure de la société (exemple: vol, meurtre, etc. .. ), et d'autre
part, des délits artificiels suscités par des impératifs divers et traduisant la variabilité
de l'ordre social (infractions économiques ou fiscales par exemple). Dans les deux cas,
il s'agit d'actes considérés par la majorité du corps social comme néfastes à la survie et
au fonctionnement normal minimum de la société. li en va de même pour l'état
li constitue un passage obligé entre l'infraction et la sanction. L'exigence du
procès s'exprime par la formule "Nul/a poena sine judicio". Mais, compte tenu du fait
qu'il s'agit du sort d'un homme qui est en jeu, le procès pénal est soumis à des règles
spécifiques plus rigoureuses que dans les autres disciplines. Un souci de recherche de
la vérité gouverne le procès pénal et confère aux autorités judiciaires un rôle
prépondérant, à la fois pour le déclenchement du procès et pour sa conduite. Ce souci
de rechercher l'exacte vérité justifie, de ce fait, la lenteur de la procédure judiciaire
française en matière répressive.
dangereux.
(3) L'état dangereux
lÙ.1&. déclenchement dM. procès
il se définit comme la très grande probabilité qu'un individu réalise une
Toute infraction à la loi pénale, si elle porte souvent atteinte à des intérêts
infraction. A la différence de l'infraction classique qui incrimine des faits préàs, l'état
privés, cause toujours un trouble à l'ordre social. Deux sortes de préjudices peuvent
dangereux incrimine certains modes de vie. Le Code pénal de 1810 avait ignoré ce type
donc être causés par la commission d'une infraction pénale. C'est la raison pour
de comportement si ce n'est la répression du vagabondage et de la mendicité. Ce sont
laquelle le Code de procédure pénale prévoit deux actions différentes. L'action
les positivistes italiens qui, à la fin du XIXème siècle, ont imaginé et développé le
publique, "action pour l'application des peines" (art. 1, C. P. P.), qui tend à punir le
concept d 'état dangereux. Le législateur a fait des applications de ces idées
coupable et l'action civile "action en réparation du dommage causé" (A. 2, C. P. P.), qui
(alcoolisme, tox.icomanie, mineurs en danger), faisant de la notion d'état dangereux un
vise à faciliter l'indemnisation de la victime de l'infraction. Mais, compte tenu du fait
concept moderne, encore qu'il n'ait pas trouvé sa place dans le droit de la délinquance.
que tout préjudice causé à un individu a un retentissement sur la collectivité, le code a
-li n'y a pas de définition de la notion- notamment dans la gradation des infractions.
posé une corrélation entre les deux actions, en ce sens que l'exercice de l'action civile
hl. LH gradation ru infractions
Toutes les infractions n'ont pas le même degré de gravité et ne sont donc pas
punies aussi sévèrement. Toutes les législations consacrent une classification des
infractions. Pour ce qui est du droit français, il y a trois catégories d'infractions. Au
sommet, les crimes représentant les infractions les plus graves sont sanctionnés par
met en jeu l'action publique. li demeure, cependant, que chacune des deux actions
présente des traits originaux, qu'il convient de dégager tour à tour.
1)
L'action publique
L'application de sanctions consécutives à une infraction est subordonnée à la
mise en jeu de l'action publique. Elle présente une triple originalité.
des peines de réclusion à perpétuité ou à temps. En dessous, les délits sont des
- Originalité tout d 'abord, quant à sa mise en œuvre. C'est le Ministère public
infractions de gravité moyenne sanctionnés notamment par des peines de prison de
qui en assure principalement l'exercice, même si certaines administrations
dix ans au plus et des peines d'amendes. Au bas de l'échelle, enfin, les contraventions
(contributions indirectes, douanes etc.) disposent d'une prérogative identique.
constituent des infractions minimes qui ne sont sanctionnées essentiellement que par
- Originalité, en second lieu, quant à son exercice. En effet, la procédure varie
des peines d'amendes dont le montant varie de 250 F pour la 1ère classe à
selon la juridiction compétente: avertissement, procédure simplifiée devant les
la 000 F pour la Sème classe et 20 000 F en cas de récidive (art. 131 -13 N.C.P.).
tribunaux de police, citation directe devant les tribunaux correctionnels et de police,
La classification actuelle a des intérêts pratiques importants, à la fois sur le
fond du droit (tentative, complicité, concours d'infractions, sursis, récidive ou
réquisitoire introductif devant les Cours d'assises.
Dans tous les cas, le Parquet est juge de l'opportunité des poursuites. Cette
solution est inspirée par le souci d'éviter des poursuites insignifiantes ou animées par
\1
�36
37
des passions partisanes (le taux des classements sans suite est passé de 78 % en 1965
l'application de la sanction. Mais elle ne peut agir que si elle démontre un préjudice
à 89 % en 1990).
- Originalité, enfIn quant à son extinction. L'article 6 du Code de procédure
certain né d'une infraction punissable.
pénale détermine les divers modes d'extinction de l'action publique. Le décès du
associations, ordres professionnels, avec une certaine réticence de la jurisprudence
prévenu, l'amnistie, l'abrogation de la loi pénale n'appellent pas d'observation
lorsque les intérêts en cause affectent plus la collectivité que le groupement.
La même exigence est posée pour les personnes
particulière, mais la prescription et l'autorité de la chose jugée nécessitent quelques
L'idée de vengeance privée que l'on trouve sous-jacente dans l'action civile se
développements.
La prescription L on le sait, consiste à faire échapper le délinquant à toute
poursuite pénale lorsqu'un certain délai s'est écoulé depuis l'infraction. Ce délai varie
en fonction de la gravité de l'infraction. il est d'autant plus long que l'infraction est plus
grave. il est de dix ans pour les crimes, trois ans pour les délits, un an pour les
contraventions. il dépend non de la peine appliquée, mais de la nature de l'infraction.
Cette mesure d'oubli assure au délinquant une impunité que d'aucuns estiment parfois
scandaleuse (criminologues, notamment), et que certaines législations ignorent.
morales , syndicats,
retrouve dans ses modalités d'exercice.
x
~)
Les modalités d'exercice de l'action civile sont définies par les articles 3 et 4
du CP.P .. L'article 3 dispose : "L'action civile peut être exercée en même temps que l'action
publique et-de.l;!ant la même juridiction". L'article 4 affirme: "L'action civile peut être
7
exercée Is ' aréme
victime
de l'action publique". Le Code de procédure pénale donne ainsi à la
' .. e~mfraction la faculté d'opter entre la voie pénale et la voie civile pour
exercer l'aEion en réparation dy dommage causé.
Toutefois, la durée ou les points de départ de la prescription peuvent être affectés.
Le principe de l'option s'appuie sur deux séries de raisons.
Tantôt la prescription est allongée (trafic de stupéfiants, terrorisme, délit d ' initié),
Sur un plan historique, l'option apparaît comme un vestige de la procédure
tantôt l'imprescriptibilité est de règle (crimes contre l'humanité), tantôt le point de
départ de la prescription est retardé (crimes commis sur un mineur par un ascendant,
art. 7 CP.P.).
accusatoire.
Sur le plan pratique, on considère que l'intervention de la partie lésée secoue
l'inertie du Ministère Public, évite les contrariétés de jugements, permet enfin à la
victime de choisir la voie qui lui paraît la plus rapide et la moins coûteuse. L'article 5
L'autorité de la chose ~'Ugée interdit également la reprise de tout action
r--publique. Si une décision éfinitive 'acquittement est intervenue, il n'est plus possible
du CP.P. affirme l'irrévocabilité de l'option, sur le fondement de l'adage: "Electa una
au Ministère Public, en se fondant sur une qualification différente d'engager de
via non datur recursus ad a/teram" pour éviter que le délinquant ne soit traîné d'une
nouvelles poursuites (A. 368 C P. P.) à condition, bien entendu, que ce soit le même
fait qui soit reproché à l'agent.
Cependant, rappelons la réforme de la loi du 8 juillet 1983, qui autorise le juge
répressif, malgré une décision d'acquittement à accorder des dommages-intérêts.
2) L'action civile
juridiction à une autre. Cependant, cette irrévocabilité est limitée au choix de la voie
civile. Ce qui autorise donc la victime qui aurait, d 'abord, choisi la voie répressive de
se désister pour prendre la voie civile, jugée plus favorable par le délinquant.
-L'option en faveur de la voie criminelle
Elle présente pour la victime de multiples avantages: rapidité de la procédure,
S;ette action est l'action en réparation du préjudice causé par une infraction. Elle
facilité de preuves, dommages-intérêts plus largement accordés. Mais pour éviter
appartient à "tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage causé par-rintr-;(ion"
l'inflation de telles actions, l'article 2 CP.P. subordonne leur recevabilité à la preuve
(art. 2 C P. P.). C'est dire que sa finalité est autre que celle de l'action publique. Les
d'un préjudice personnel et direct, tandis que la jurisprudence en interdit l'exercice
impératifs d'indemnisation des victimes ont récemment conduit le législateur à élargir
pour certaines infractions qui ne sont destinées à assurer que la protection de l'intérêt
son champ d 'application, tant en ce qui concerne les demandeurs à l'action que
l'exercice de celle-ci.
général (infraction aux lois sur les prix par exemple). Enfin, le choix de la juridiction
répressive impose le respect des délais de prescription pénau x plus courts que la
prescription trentenaire du droit civil.
a) Les demandeurs à l'action sont constitués, aussi bien par des personnes
physiques que par des personnes morales. Parmi les premières, la victime apparaît
comme un auxiliaire de la justice répressive, car elle est la première intéressée par
�39
l
(Î)ù L1I conduite du. procès
• L'option en faveur de la voie civile
••
Lorsque la victime porte son action devant les tribunaux avils, elle donne lieu à
Elle est fonction du système procédural choisi. La procédure inquisitoire est
un procès strictement civil, bien que l'action puise sa source dans une infraction pénale,
secrète, écrite et non contradictoire, tandis que la procédure accusatoire est publique,
ses conditions de recevabilité sont celles de la responsabilité civile.
orale et contradictoire. La première privilégie la défense de la société, la seconde
Le caractère ambigu de cette action civile ayant sa source dans une infraction,
entend défendre les droits de l'individu au risque de méconnaître l'intérêt général.
explique que la jurisprudence avait en 1912 posé le principJ! de...la solidarité des
Notre droit français réalise un compromis entre ces deux formes de procédure.
prescriptions, principe en vertu duquel quand l'action publique était prescrite, l'action
On peut, chronologiquement, distinguer deux phases, la phase préparatoire du
dvile ne ouvait être intentée, ni devant le juge p~al, ni devant le juge dvil (ancien art.
procès, puis la phase décisoire.
10 C. P. P.) solution qui ~it le mérite d'~er une contrariété de dédsions. ./
La doctrine était très hostile à ce princi~qUi conduisait l'auteur d'une infraction
'f' 1)
La phase préparatoire
à bénéfider d 'une prescription plus courte que l'auteur d 'un délit dvil. C'est pourquoi la
Elle tend à la fois au déclenchement de la poursuite et à la mise en état de
loi du 23 décembre 1980 a modifié l'article 10 décidant que "l'action civile se prescrit
l'affaire. Elle est minutieuse, puisque sa finalité réside dans la découverte de la vérité.
selon les règles du Code civil" (soit 30 ans).
Plusieurs étapes jalonnent cette phase dont le point commun réside dans une théorie
Ce texte consacre donc une indépendance de la juridiction d vile par ra pport à la
des preuves spécifiques en matière répressive qu'il faut, au préalable, sommairement
juridiction répressive. Toutefois, cette indépendance n'est que partielle. En effet,
exposer. C'est la raison pour laquelle seront examinées successivement la théorie des
demeurent deux règles qui affirment encore la dépendance du civil, vis-à-vis du
preuves, l'enquête, la poursuite et l'instruction préparatoire.
criminel
• La théorie des preuves
. Le sursis à statuer est affirmé par l'article 4, alinéa 2 du c.P.P .. En
vertu de ce texte, une fois la juridiction répressive saisie de l'action publique, la
juridiction civile ne peut plus statuer sur la demande en dommages-intérêts de la
victime, tant que le tribunal répressif n'aura pas rendu lui-même sa dédsion ; le sursis à
Elle revêt en droit pénal un~importance considérable car c'est l'administration de
la preuve qui conditionne la culpabilité ou l'innocence de l'inculpé. On comprend dès
lors que le juge pénal soit investi de pouvoirs plus étendus que le juge civil pour
parvenir à la manifestation de la vérité. Mais ce soud de la vérité ne saurait conduire à
statuer se justifie par le souci d'éviter une contrariété de jugements.
méconnaître les intérêts de la personne poursuivie.
. L'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil affirme également
la primauté du criminel. Toutefois, ce prindpe appelle deux importantes réserves. Tout
d'abord, les dédsions ne possèdent cette autorité, que si elles portent sur le fond de
l'affaire et constituent le soutien nécessaire de la condamnation ou de l'acquittement.
En second lieu, l'autorité de la chose jugée au pénal ne concerne que les jugements
rendus par les juridictions françaises.
Cet équilibre fragile apparaît à deux niveaux:
au niveau des principes
généraux d'une part, au niveau des moyens de preuve d 'autre part.
• Pour ce qui est des principes générauxL ceux-ci intéressent la charge de la
preuve et l'autori té d es preuves.
- Dans notre procédure, la charge de la preuve incombe au demandeur,
c'est à dire au Ministère Public et à la partie civile: "Actori incumbit probatio ".
La loi de 1980 modifiant l'article 10, a eu une incidence sur cette primauté
Cependant, en matière pénale, le fardeau est plus lourd car l'inculpé est couvert par
puisque "le juge civil a désormais la possibilité de statuer sur un fait que le juge pénal ne peut
une présomption d'innocence, en vertu de laquelle le doute doit profiter à l'accusé "ln
plus connaître" source d 'une nouvelle contradiction entre le civil et le pénal
Cette
dubio pro reo". il appartient donc au demandeur de démontrer l'existence de l'infraction
indépendance a été renforcée par les lois (13 janvier 1968 et 8 juillet 1983, autorisant
sous réserve des facili tés que le législateur accorde en certaines matières (fiscale ou
les tribunaux correctionnels à accorder une indemnité, malgré une relaxe), et par le juge
douanière), ou pour les infractions bénignes.
33.
(Crim. 9 mai 1984), admettant la faute de l'enfant, malgré son irresponsabilité. La loi
du 5 juillet 1985 réduit à 10 ans la prescription en matière extracontractuelle.
- Le principe de l'autorité des preuves se d édo uble en d eu x règles
logiquement liées, la règle de la liberté des preuves et celle de l'intime conviction.
. La liberté des preuves permet à la partie poursuivante
d'utiliser tous les moyens en sa possession pour parvenir à la manifestation de la vérité
33
RCCER, Chrono D. 1981-175.
réserve faite des atteintes qui pourraient être portées à la liberté individuelle (torture,
�41
40
procédés déloyaux, penthotal, narco-analyse). La chambre criminelle, qui avait
personne sollicitée de répondre peut toujours s'y refuser. Cependant, un moyen indirect
autorisé les tables d'écoutes, a été condamnée par la Cour européenne des droits de
de coercition s'offre aux autorités de police dans l'instauration de la garde à vue qui
J'homme comme procédé contraire à l'article 8 (24 avril 1990, affaire Kruslin) . La loi du
permet à la police judiciaire de maintenir à sa disposition toute personne lorsque les
10 juillet 1991 réglemente J'utilisation des écoutes téléphoniques.
1
• L'intime conviction est formulée par les articles 353 et 427
nécessités de l'enquête l'exigent. Sa durée est, de 24 heures, renouvelable, et peut être
CP.P. à J'occasion de la procédure d'assises qui commande aux jurés de juger dans la
interrogatoires pour éviter le renouvellement d'abus regrettables et organise un contrôle
sincérité de leur conscience. Le juge n'est tenu par aucune preuve. Les faits relèvent de
médical qui est de droit au bout de 24 heures si la personne détenue le demande. La loi
son pouvoir souverain d'appréciation, sous réserve de la force probante de certains
du 24 août 1993 autorise J'assistance d'un avocat à compter de la 21ème heure, quelle
procès verbaux. Toutefois, le nouveau code pénal a introduit l'obligation de motiver en
que soit la gravité de l'infraction reprochée. Enfin, le Code de procédure pénale permet
matière correctionnelle quand il opte pour la peine d'emprisonnement.
une sorte d'arrestation, tolérée par la pratique antérieure. En effet, l'Offider de police
• Pour ce qui est des moyens de preuve, le législateur, soucieux d'éviter des
abus, a réglementé minutieusement la mise en ŒUvre des preuves.
On peut citer les constatations matérielles effectuées par les organes de police,
portée dans des cas exceptionnels à quatre jours. Cependant, la loi réglemente les
judiciaire peut déférer la personne détenue au Parquet avant l'expirati Cl1l d~ la garde à
vue, à condition, toutefois, que des indices graves et concordants soient de nature à
justifier une mise en examenJ
de justice et surtout les experts qui constituent une preuve extrêmement sûre. En
Cet arsenal de mesures, destiné à assurer le respect de la liberté individuelle, se
revanche, les témoignages, les "yeux et les oreilles de la justice", doivent être recueillis
révèle dans la pratique inefficace, la loi n'ayant assorti d'aucune sanction les
avec circonspection. L'aveu est laissé à la libre appréciation des juges (art. 428 C P.
irrégularités commises, et la Cour de cassation refusant de prononcer l'annulation
P.). Les indices, enfin, consistent dans des faits matériels qui, rapprochés les uns des
d'actes irréguliers et la loi du 24 août 1993 n'a pas apporté d'améliorations.
autres, permettent de présumer la réalisation de tel événement. Ce sont les experts qui
• L'enquête de flagrance
sont chargés de les rassembler et de les présenter à la justice.
Cette forme d'enquête suppose que l'infraction se trouve découverte sur le champ.
• L'enquête
Elle constitue la phase policière du procès pénal. Le souci de parvenir à la
manifestation de la vérité commande des investigations immédiates. C'est pourquoi le
Code de procédure pénale prévoit deux formes d'enquêtes, J'enquête préliminaire et
l'enquête de flagrance.
Dès lors, la rapidité des investigations de police est primordiale et justifie l'attribution
à la police de pouvoirs exorbitants.
. La définition de la flagrance appelle certaines précisions. Tout d'abord,
est flagrante J'infraction qui se commet actuellement Ge coupable est surpris par sa
victime, art. 53 CP.P.). En second lieu, est flagrante l'infraction qui vient de se
commettre (exemple : le coupable est découvert sur les lieux peu de temps après
• L'enquête préliminaire se définit comme une procédure de caractère policier
l'infraction). Mais, dans la pratique, il est difficile de préciser exactement cette
diligentée d 'office ou sur les instructions du Parquet par un officier de police judiciaire
expression. Le Code d'instruction criminelle étant muet, la jurisprudence avait admis
ou un agent de police judiciaire.
que l'infraction devait avoir été commise au plus tôt la veille du jour où les autorités
Pendant longtemps, cette enquête fut ignorée de la loi. Pourtant, la pratique avait
s'étaient saisies de l'affaire. Le Code de procédure pénale emploie J'expression "de
consacré l'enquête officieuse en raison des avantages évidents qu'elle représentait
temps très voisin de l'action ". li semble donc que cette formule soit plus exigeante qu'on
(classement rapide des plaintes, décharge des cabinets d 'instruction, etc. ..).
l'entendait précédemment. En troisième lieu, est flagrante l'infraction réputée telle,
C'est pourquoi, le Code de procédure pénale a préféré officialiser cette enquête en
J'entourant de garanties certaines (art. 75 et suivants CP.P.). Désormais, en effet, seuls
les officiers de police judiciaire sont investis du pouvoir de conduire cette enquête
préliminaire. D'autre part, le déroulement de celle-ci traduit le soud du législateur de
c'est-à-dire le cas de l'individu poursuivi par la clameur publique ou trouvé en
possession d'objets laissant penser qu'il a participé à l'infraction.
,Si la d étermination de la flagrance apparaît quelque peu malaisée, le
régime de J'enquête apparaît, en revanche, plus facile à déterminer.
respecter les libertés individuelles. C'est ainsi que les perquisi d ons et saisies ne
- Tout d'abord, les autorités chargées de J'enquête sont nombreuses.
peuvent être réalisées qu'avec le consentement exprès de la personne chez qui
Les officiers de police judiciaire sont normalement les premiers avisés. Ils se
J'opération a lieu. De même, les auditions ne revêtent aucun caractère coercitif. La
�42
43
transportent sur les lieux, doivent en infonner aussitôt le Procureur et sont dessaisis de
responsabilité pénale de la personne soupçonnée paraît bien engagée (causes
leur pouvoir dès que ce dernier arrive sur les lieux.
Le Procureur peut prescrire aux officiers de police judiciaire de poursuivre leurs
d'irresponsabilité, exemption de peine, faits justificatifs). Indépendamment de ces
opérations ou accomplir de lui-même tous les actes de police judiciaire. Il dispose,
devra vérifier s'il est bien compétent, si l'action publique n'est pas éteinte ou n'est pas
d'autre part, de pouvoirs propres (décerner un mandat d'arrêt, procéder à
conditionnée par une autorisation préalable (plainte de la partie lésée, ou autorisation
l'interrogatoire de la personne mise en examen).
Le juge d'instruction peut, en cas d'urgence, se transporter sur les lieux et
donnée par une assemblée parlementaire).
prendre lui-même en main la direction de l'enquête. Mais, il peut aussi laisser aux
officiers de police judiciaire le soin de poursuivre leurs opérations.
- En second lieu, les actes de l'enquête sont multiples. Ils rappellent
ceux de l'enquête préliminaire, mais sont assortis, cependant, d'une moins grande
rigueur.
Tout d'abord, le transport sur les lieux est le premier acte imposé par le Code de
1
procédure pénale. Il est obligatoire (Art. 54 c.P.P.). La loi précise les mesures à
prendre pour éviter la disparition des indices, traces ou objets trouvés sur les lieux de
l'infraction. Ensuite, les perquisitions et saisies peuvent être réalisées malgré le défaut
problèmes de fond, le Procureur doit porter ses investigations ~r le plan procédural. Il
. Examen de l'opportunité des poursuites. Ce système,
d'abord juris-prudentiel, a été consacré par le Code de procédure pénale (Art. 40
c.P.P.), aux termes duquel "le Procureur de la République reçoit les plaintes et les
dénonciations et apprécie les suites à leur donner". On veut éviter des poursuites dans des
cas où le préjudice social apparaît bénin. On pourrait craindre, cependant, que cette
liberté d'appréciation ne conduise à un pouvoir discrétionnaire, si des garanties
n'avaient été posées. Il s'agit du contrôle hiérarchique auquel le Procureur est soumis.
Des observations peuvent lui être adressées par ses supérieurs hiérarchiques. Il s'agit
également du droit ouvert à la victime.
- La victime a, en effet, la possibilité de mettre en mouvement
du consentement des personnes intéressées, à la différence de l'enquête préliminaire.
Enfin, il est possible de procéder à des auditions auxquelles la personne convoquée ne
saurait se dérober. Naturellement, la garde à vue est organisée dans les mêmes
conditions que dans le cas de l'enquête préliminaire. Et surtout, la flagrance pennet
l'arrestation du délinquant présumé.
Ces opérations entreprises, l'officier de police judiciaire en réalise la dôture et se
trouve, dès lors, dessaisi de ses pouvoirs. Il appartient désormais au Procureur de la
République de prendre une décision sur la suite à donner à l'affaire, soit dassement
sans suite, soit ouverture d'une instruction, soit mise en mouvement de l'action publique
l'action publique lorsque le procureur n'a pas encore pris de décision ou a pris une
décision de classement. Il lui suffit de se porter partie civile devant les tribunaux
répressifs. Sa décision n'est pas cependant toujours empreinte de sérénité. Les
réactions de la victime sont souvent passionnelles, elle ne dispose pas des éléments
d'information suffisants. Cela explique que la mise en mouvement de l'action publique
engage la responsabilité de la victime qui s'expose à une condamnation à des
dommages-intérêts si elle a agi imprudemment, ou même à une condamnation pénale.
X.
L'exécution de la décision
La victime a la possibilité de poursuivre ou de renoncer à la poursuite. Le
par voie de citation directe.
'f- . La poursuite
Ministère public a des possibilités du même ordre, qui s'expriment techniquement par
une décision de classement ou une décision de poursuite.
Sur le vu des renseignements recueillis par l'enquête, il va falloir prendre une
décision sur la poursuite, puis mettre à exécution la décision prise.
- La décision de classement sans suite est prise lorsque le
parquet estime que les éléments de l'infraction ne sont pas réunis ou que la prescription
• La décision sur la poursuite
/
Elle appartient au premier chef au Ministère public, et éventuellement à la
victime.
est acquise au profit de la personne soupçonnée. Cette décision n'est d 'ailleurs pas
irréversible. Il s'agit d 'une pure décision administrative, non assortie de l'autorité de la
chose jugée, sur laquelle le Procureur peut à tout moment revenir.
- Le Ministère public est l'autorité la plus qualifiée pour
prendre une décision sur la poursuite. 11 reçoit, en effet, les renseignements relatifs à
l'enquête. Plus spécialement, il examinera deux points.
. Examen de la légalité des poursuites. Il lui appartient
de vérifier que les éléments constitutifs de l'infraction sont réunis et que la
- La décision de poursuite, en revanche, est irrévocable et
irréversible. Cela est vrai du Ministère public qui a saisi par un acte juridictionnel la
juridiction compétente. Cela l'est aussi de la part de la victime qui a porté son action
dvile devant le juge pénal, son désistement n'arrêtant pas le déroulement de l'action
publique. Exceptionnellement, le Parquet peut voir sa liberté de décision limitée. Les
�45
44
• L'instruction par le juge d'instruction
limites à la liberté de poursuivre découlent de l'exigence d'une plainte de la victime
(exemple: contrefaçon), de l'administration (exemple : contributions), ou d'une
autorisation préalable (exemple: fonctionnaires), ou encore de la solution d'une
Le juge d'instruction est investi d'une double fonction, une fonction d'information
et une fonction de juridiction.
question préjudicielle. Inversement, on trouve des limites à la liberté de ne pas
poursuivre (exemple: obéissance hiérarchlque).
1. Les procédés techniques de la juridiction compétente sont au nombre de trois :
/
l' ,-
- La fonction d'information
C'est la mission essentielle dévolue au juge d'instruction. Mais s'il est maître de la
conduire dans le respect du droit des parties, il ne lui appartient-pa.s..d
'ouvrir.
---
- La procédure de comparution immédiate est réservée au
L'ouverture de l'information est subordonnée l une initiative de la victime u du
Ministère ublic. Elle s'ouvre lorsqu'il s'agit d'un délit flagrant passible d'une peine
Ministère public. Cela résulte du principe de la séparatio:-n:-:;d~e'l"'a-p~o~ur
--su:-:
it-e et de
d'emprisonnement. Elle a pour effet de donner au Procureur de véritables pouvoirs
l'instruction. Cependant, le juge est saisi in rem. li en résulte qu'il peut qualifier
d'instruction : interrogatoire, mandat de dépôt, etc ..., et d'opérer la saisine du tribunal
librement les faits dont il est saisi et qu'il peut mettre en examen librement toute
correctionnel.
personne.
- La citation directe est laissée à la disposition de la victime_et
Les modalités de la mise en examen sont plus étendues que celles de
clu Ministère public. C'est le procédé normal de saisine du tribunal de police en matière
l'inculpation puisqu'un O.P.J. peut y procéder sur instruction du juge. La règle de la
contraventionnelle. On peut l'utiliser également en matière délictuelle pour des affaires
communication du dossier à l'avocat est maintenue. Toutefois lorsqu 'aucun
de peu d 'importance. Si l'affaire revêt une certaine complexité ou s'il s'agit d'un crime,
interrogatoire n'est prévu, la consultation du dossier ne peut se faire que "sous réserve
on doit faire appel à l'information.
des exigences du bon fonctionnement du Cilbinet d'instruction ".
- L'information est le procédé technique le plus élaboré offert à
Les actes d 'information doivent permettre au juge de rassembler les preuves et de
la victime et au Ministère public. Elle consiste à saisir un juge d 'instruction qui va
trouver le coupable. Mais cette tâche est si ample qu'il est parfois obligé de déléguer
procéder à une enquête sur l'affaire. Elle est bligatou pour les crimes, vu leur gravité,
certains de ses pouvoirs.
l'aut:ur de l'infraction est un mineur ou est inconnu. Le Parquet rédige u
Pour lui-même, le juge se voit réserver les actes les plus graves. Les plus
réquisitoire à fin d'informer où sont exposés les faits. La partie lésée dépose, pour s
importants concernent la personne du délinquant. Pour rechercher l'individu, le juge
part, une plainte avec constitution de partie civile. L'issue de ces opérations es!
l'ouverture de l'instruction préparatoire.
dispose de quatre sortes de mandats. Le mandat de comparution est une invitation à
et
IOI~e
comparaître. Le mandat d'amener est une injonction adressée aux représentants de la
force publique, conduire l'intéressé devant le juge. Le mandat de dépôt permet de
• L'instruction préparatoire
détenir J'individu dans un établissement pénitentiaire. Enfin, le mandat d'arrêt combine
L'instruction préparatoire a pour objet de préparer l'instruction définitive et le
les effets des mandats d'amener et de dépôt. Ces mandats permettent au juge de
jugement en rassemblant les preuves destinées à asseoir la culpabilité de la personne
procéder à des interrogatoires et à des confrontations. La loi du 8 décembre 1897,
c., cette procédure était secrète, écrite, non
reprise par le Code de procédure pénale, assure le respect des droits de la défense.
contradictoire. Divers textes de la fin du XIXème siècle, ainsi que le Code de procédure
Lors de la première comparution, la personne mise en examen prend connaissance des
pénale, ont progressivement atténué ces caractères. Si l'article Il du Code de procédure
faits qui lui sont reprochés et peut ne faire aucune déclaration. Pendant le cours de
pénale confirme le secret de l'instruction, il ne le fait qu'à l'égard des tiers. Désormais,
l'instruction, elle peut être assistée d'un avocat qui est présent à tous les interrogatoires,
les droits de la personne mise en examen et, dans une moindre mesure, ceux de la
et faire appel des ordonnances qui lui font grief. La partie civile dispose des mêmes
partie civile se trouvent mieux défendus. La loi du 24 août 1993, entrée en vigueur le 2
droits. Le Ministère public, de son côté, peut assister aux interrogatoires et
septembre 1993 confirme la réforme intervenue quelques mois auparavant remplaçant
confrontations et solliciter du magistrat tous actes lui paraissant nécessaires à la
l'inculpation par la mise en examen. Elle apporte toutefois quelques modifications. Il
manifestation de la vérité. Le juge peut ordonner la détention provisoire, si les
revient ainsi au juge d~ins~n~LàJui seul de procéder à la mise en examen. En
nécessités de l'instruction le commandent, ou si la peine encourue est supérieure à deux
revanche, les pouvoirs de la chambre d'accusation n'ont pas été modifiés.
ans de prison (L. du 17/ 07/70), a fortiori, lorsqu'il existe des indices graves et
mise en examen. Sous l'empire du C. 1.
concordant de culpabilité. La détention est possible pour les mineurs de 13 à 18 ans.
�47
46
C'est dire le préjudice que peut subir un individu qui fait, par la suite, l'objet d'un nonlieu. C'est pourquoi la loi nouvelle consacre le principe d'une indemnisation lorsque la
d 'accusation, de déclarer son appel suspensif des effets du mandat de dépôt jusqu'à la
décision de la chambre d 'accusation.
détention a causé un préjudice manifestement anormal et d'une particulière gravité.
- A la clôture de J'information, le juge rend les ordonnances les
'/ Ce même texte a institué le contrôle judiciaire qui s'est substitué à la liberté
plus lourdes de conséquences. Lorsqu'il estime avoir achevé sa tâche, il rend une
provisoire. Cette mesure, dont la durée d'application est indéterminée, impose à celui à
ordonnance de règlement, appelée aussi ordonnance de clôture qui a pour effet de le
qui elle est infligée le respect de certaines obligations motivées par son état dangereux.
dessaisir : ou bien le magistrat rend une ordonnance de non-lieu s'il estime que
Enfin, le juge peut effectuer des constatations matérielles et procéder à des
perquisitions et des saisies. Mais, généralement, il délègue ces pouvoirs à des
auxiliaires.
J'information ne fait pas ressortir des charges suffisantes ou s'il s'appuie sur des motifs
de droit (fait justificatif, cause de non-imputabilité, amnistie, etc.) ; ou bien le juge
d'instruction, estimant qu'il existe contre la personne mise en examen des charges
Les auxiliaires du magistrat instructeur sont étroitement associés à la recherche
de la vérité. Des raisons à la fois matérielles et juridiques expliquent les commissions
rogatoires, tandis que des raisons techniques justifient le recours à des experts. La
commission rogatoire est un acte par lequel le juge délègue ses pouvoirs à des autorités
constitutives d 'infraction, rend contre celui-ci une ordonnance de renvoi devant la
juridiction de jugement.
Dans tous les cas, à condition cependant que J'ordonnance revête un caractère
juridictionnel, elle est susceptible d'appel porté devant la Chambre d'accusation.
chargées d'agir en son nom, magistrats d'un autre ressort, officiers de police judiciaire
ou experts. Pour réagir contre l'abus des commissions rogatoires, le Code de procédure
pénale a interdit toute commission rogatoire générale (art. 151). D'autre part, la
délivrance des mandats ne peut jamais être déléguée et l'interrogatoire de l'inculpé ne
peut être confié qu'à des magistrats.
• L'instruction par la Chambre d'accusation
il s'agit d'une juridiction collégiale siégeant dans chaque Cour d'appel, composée
d'un président et de deux conseillers. Son rôle est double : procéder à une nouvelle
instruction dans certains cas, examiner les appels formés contre les ordonnances
rendues par le juge d 'instruction et pour contrôler la régularité de la procédure.
L'expertise a subi de la part du Code de procédure pénale des modifications
- La juridiction de mise en accusation
destinées à assurer une meilleure protection de la défense, mais que des textes
postérieurs ont fortement réduite. Le juge fixe la durée de l'expertise, il en contrôle la
marche, mais la loi du 30 décembre 1985 est revenue à l'expert unique, solution
regrettable, que la récente loi du 8 février 1995 n'a pas modifié (réserve faite pour la
possibilité, dans certains cas, pour la faute adverse, de demander une contre
expertise).
. En matière criminelle
La loi exige un nouvel examen de l'affaire par la Chambre d 'accusation. Celle-ci
est saisie par le Procureur général. Elle examine les charges retenues par le juge
d 'instruction. Si elle estime les charges suffisantes, elle rend un arrêt de mise en
accusation qui produit un double effet. Tout d'abord, il est attributif de compétence ; il
renvoie l'accusé devant la Cour d'assises. En second lieu, il purge les vices de
- La fonction de juridiction
Le magistrat instructeur est conduit au sein des divers stades de l'information à
J'instruction préparatoire. Désormais, il n'est plus possible de se prévaloir de ceux-ci
devant la Cour d 'assises.
exercer une fonction juridictionnelle par voie d'ordonnances.
- A l'ouverture de J'information, le juge statue sur la
compétence, la recevabilité de l'action publique.
- Au cours de J'information, le magistrat statue sur la détention
. En matière extraditionnelle
Elle rend un avis sur les demandes extraditionnelles fournies par des États
requérants.
- La juridiction d 'appel
provisoire, le contrôle judiciaire, accepte ou refuse de prendre une mesure d'instruction
Le droit d 'appel varie avec la partie habilitée à interjeter appel. Le Ministère
demandée par une des parties en cause. Seules les ordonnances à caractère
public peut exercer ce droit à J'égard de toutes les ordonnances du juge d'instruction. il
juridictionnel peuvent être susceptibles d'appel par la personne mise en examen et par
exerce un contrôle étroit sur les pouvoirs du juge d 'instruction. En revanche, le mis en
la partie civile. A cette fin, elles sont portées à la connaissance des conseils.
examen ne peut interjeter appel que de certaines ordonnances. li s'agit principalement
La loi du 24 août 1993 instaure une garantie nouvelle appelée le "référé liberté" qui
d es ordonnances rendues sur la recevabilité d 'une constitution de partie civile et de
permet à la personne mise en détention de demander au Président de la chambre
celles touchant la liberté. La partie civile n'a également qu'un droit d'appellirnité à
�48
49
certaines ordonnances (refus d 'informer, non-lieu, etc.). Dans tous les cas, l'appel ne
imposée par les textes. Toutefois, le public peut être écarté si l'affaire présente un
suspend pas le cours de l'information. La chambre d'accusation examine le bien-fon é
danger pour l'ordre public ou les bonnes mœurs et si elle porte sur un mineur délinquant
de la requête , puis statue par un arrêt qui vide l'appel.
(huis clos). De la même façon, divers textes permettent au Président d'expulser les
- Le contrôle de la régularité des instructions
En tant que juridiction d'instruction au second degré et que juridiction d 'appel, la
Chambre d'accusation est tout naturellement conduite à vérifier la régularité des
opérations effectuées par le juge d'instruction et à annuler éventuellement certains
perturbateurs. En second lieu, la presse a le droit de relater les débats à condition qu'il
s'agisse d'un compte-rendu fidèle fait de bonne foi. En effet, les articles 434-16 c.P.
sanctionnent les écrits cherchant à jeter le discrédit sur une décision ou à faire pression
sur celle-ci. Enfin, pour prévenir certains abus, l'emploi de tout appareil
d'enregistrement ou de diffusion sonore, de caméra, de télévision ou de cinéma et
actes.
X 2) La phase décisoire
Si psyd~ol~giquement la phase préparatoire apparaît aux yeux du public comme
une pré-condamnation, malgré le principe de la présomption d 'innocence, la phase
décisoire est le point d'aboutissement du procès pénal. Cette phase comporte deux
étapes, le jugement et les voies de recours.
• Le jugement
d'appareils photographiques est subordonnée à l'autorisation du Président.
- La contradiction des débats
Devant la juridiction de jugement, les parties se trouvent placées sur un pied
d 'égalité. Elles peuvent discuter les preuves présentées à l'audience. Cela ne signifie pas
que le procès soit la chose des parties comme c'est le cas dans la procédure anglosaxonne. Le Président de la juridiction conserve la direction des débats. Chacune des
parties peut solliciter toute mesure d'instruction qu'elle estime utile. Mais leur présence
Le jugement au sens large, est la décision rendue par l'autorité compétente. Au
n'est pas strictement requise. li serait trop commode à un prévenu en fuite d'éviter une
sens étroit, c'est la décision rendue par le tribunal de police et le tribunal correctionnel,
condamnation. C'est pourquoi, si la personne ne comparaît pas régulièrement, l'affaire
tandis que le terme d'arrêt est réservé à la Cour d'appel et celui de verdict désigne la
sera jugée par défaut, et, dans certains cas, la décision est réputée contradictoire.
réponse donnée par la Cour d'assises aux questions posées. L'objet de cette phase du
procès est de statuer sur la culpabilité et sur la peine. Il convient d'en préciser les traits
essentiels avant d'examiner la variété de leurs applications dans les différentes
procédures.
• La procédure devant les tribunaux répressifs
- L'instruction définitive
Cette instruction traduit le souci du législateur d'assurer la protection la meilleure
des justiciables. Elle débute par l'interrogatoire du prévenu. Le Président vérifie son
• Les caractères généraux
identité afin d'éviter tOute erreur. Puis, il procède à l'audition des témoins. Certains
Alors que la phase d'instruction est à dominante inquisitoire, la procédure
peuvent être récusés. Ils doivent prêter serment, déposer oralement et apparemment,
d'instruction définitive et de jugement est commandée par le système accusatoire qui lui
soit sur des faits reprochés au prévenu, soit sur sa personnalité et sa moralité. Des
confère trois caractères essentiels.
experts peuvent être également entendus, des pièces à conviction produites. A
- L'oralité des débats
l'administration des preuves succède la discussion des preuves. La partie civile
L'existence du dossier écrit transmis par la juridiction d 'instruction n'empêche
présente ses observations et le Ministère public prend ses réquisitions. La défense
pas la juridiction de jugement de procéder à une nouvelle instruction dite définitive.
s'exprime ensuite. La clôture des débats ne résulte que du prononcé du jugement -qui
L'audition des témoins, de l'accusé, permet au tribunal de se forger son intime
peut être remis à une audience ultérieure-.
conviction. L'oralité n'est cependant entendu de façon stricte que dans la procédure de
- Le jugement
la Cour d'assises. Les experts doivent faire leurs rapports oralement. Le président doit
Le tribunal de police et le tribunal correctionnel doivent toujours vérifier leur
procéder à un interrogatoire oral. La délibération de la Cour et du jury réunis sur la
compétence avant de prononcer le jugement. Celui-ci doit être obligatoirement précédé
culpabilité et la peine doit se faire, en principe, sans consulter le dossier.
d'une délibération secrète permettant une discussion entre les membres du tribunal.
- La publicité des débats
Puis, sauf décision d'incompétence, la juridiction statue au fond par une décision de
La publicité constitue une des meilleurs garanties des droits de la défense. Elle
relaxe, absolution ou condamnation. Dans ce dernier cas, elle peut accorder à la partie
est assurée de deux façons. Tout d'abord, l'admission du public à l'audience est
_civile des dommages-intêrets pour le préjudice subi et décerner un mandat de dépôt ou
�50
51
d'arrêt. En revanche, en cas de relaxe ou absolution, le prévenu doit être
prendre toutes mesures qu'il estime utiles pour parvenir à la manifestation de la vérité.
inunédiatement relâché.
Cependant, le législateur, dans un soud d'efficacité, a développé des procédures
A l'issue des débats, il en prononce la clôture et donne lecture des questions auxquelles
la Cour et le jury auront à répondre. Chaque fait donne lieu à une question principale.
sommaires, le système de l'ordonnance pénale (loi du 3 janvier 1972) applicable en
Si l'accusé est en fuite, la procédure de contumace est mise en œuvre. Son
matière de contravention de police devant le juge et le système de l'amende forfaitaire
particularisme tient à ce que les jurés n'y sont pas associés 35.
par laquelle le contrevenant s'acquitte de sa contravention au moyen d'un timbre
- La procédure postérieure aux débats
amende (contraventions des deux premières classes).
Elle porte sur deux points essentiels: l'action publique et les intérêts dvils
Jusqu'au nouveau code pénal, le juge n 'était pas tenu de motiver sa décision.
. la décision sur l'action publique incombe à la Cour et
Désormais l'article 132-19 N.C.P. prévoit que le tribunal qui prononce une peine
au jury réunis en Chambre du conseil. Elle nécessite une majorité de huit voix au moins
d'emprisonnement sans sursis est tenu de motiver sa décision.
/\.
• la procédure devant la Cour d'assises
quand elle est défavorable à l'accusé. Si ce dernier est reconnu non~oupable, la Cour et
34
le jury prononcent son acquittement. En audience publique, le Président fait
Cette procédure est plus longue et plus solennelle que les précédentes. Elle peut
comparaître l'accusé, donne lecture des réponses faites aux questions, puis lit l'arrêt
se diviser en trois phases.
portant condamnation, absolution ou acquittement.
- La procédure antérieure à l'audience
TI n'y a pas d'appel possible, seul un pourvoi en cassation peut être introduit. Le
Cette phase se situe entre l'arrêt de renvoi de la Chambre d'accusation et
système contraire aux exigences de la Convention Européenne a conduit le Ministère de
l'ouverture des débats. Elle nécessite l'accomplissement de certaines formalités.
la Justice a proposer un double degré de juridiction.
· Les formalités de poursuite consistent dans la
. La décision sur l'action civile est réservée à la Cour
signification de l'arrêt de renvoi par le Procureur général à l'accusé, le transfert de ce
seule. Des dommages-interêts peuvent être alloués à la victime. Mais l'arrêt dvil ne doit
dernier au siège de la Cour d'assises, la notification à l'accusé de la liste du jury de
pas contredire ce qui a été préalablement jugé sur l'action publique.
session et la liste des témoins.
·
Les
formalités
d'instruction
comportent
• La chose jugée et les voies de recours
un
interrogatoire de l'accusé par le Président de la Cour d'assises et éventuellement un
L'aboutissement normal du procès pénal est une décision ayant l'autorité de la
supplément d'information si l'affaire ne paraît pas en état d 'être jugée.
chose jugée ; cependant, des voies de recours peuvent être exercées, qui ont pour effet
de retarder l'acquisition de cette autorité.
- La procédure d'audience
Elle est minutieusement réglée par le Code de procédure pénale.
1) La chose jugée
- l'ouverture des débats débute par la constitution du jury de jugement (9
En vertu de l'autorité de la chose jugée, la décision répressive est considérée
membres). Puis le président, après avoir interrogé le mis en examen sur son identité,
comme l'expression de la vérité par l'effet d'une présomption irréfragable de la loi. De
reçoit le serment des jurés, tandis que le greffier lit l'arrêt de ren voi.
ce principe découlent deux conséquences fondamentales: d'une part, qu'il n'est plus
· les débats s'engagent alors dès la lecture de l'arrêt de
possible de poursuivre pour les mêmes faits déjà jugés (autorité de la chose jugée au
renvoi et doivent se poursuivre sans discontinuer jusqu'au jugement. Le Président
criminel sur le criminel) ; d 'autre part, que la décision pénale lie le juge d vU (autorité de
procède à l'interrogatoire de le mis en examen sans manifester son opinion sur sa
la chose jugée au criminel sur le dvil).
culpabilité, puis à l'audition des témoins en commençant par ceux de l'accusation. JI
• Autorité de la chose jugée au criminel sur le criminel
entend le rapport oral des experts. Les réquisitoires et les plaidoiries sont alors
34
Destiné à éviter que l'on ne recommence indéfiniment des procès, ce principe est
prononcés, l'avocat de la défense prenant la parole en dernier. Au cours de cette
exprimé par la règle "non bis in idem ", c'est-à-dire la chose jugée par une juridiction
procédure, le Président est investi d'un pouvoir discrétionnaire en vertu duquel il peut
répressive interdit au~ autres juridictions répressives de connaître de l'affaire (A. 6
FAYOLLE, De la Cour d' Assises, in Problèmes actuels de science criminelle, 1992, p. 54.
3S
GASSIN, L'audience de jugement, Bilan des réformes depuis 1993. Actualité législative,
Dalloz 1995-103.
R.
�53
52
CP.P.). Dès lors, si une nouvelle poursuite était exercée devant une autre juridiction,
procédure pénale a conservé la distinction traditionnelle entre les voies de recours
elle se heurterait à l'exception de chose jugée qui est d'ordre public. Cependant, cette
ordinaires, largement ouvertes aux parties, et les voies de recours extraordinaires qui ne
exception ne saurait être systématiquement invoquée.
L'application des principes commande une distinction entre les décisions des
peuvent être exercées que dans des cas limités.
juridictions d'instruction et celles des juridictions de jugement.
L'autorité des décisions de juridiction d'instruction ne s'applique qu'aux
• Les voies de recours ordinaires
Elles ne sont ouvertes qu'en matière correctionnelle et de police. Il s'agit de
l'opposition et de l'appel.
décisions de non-lieu motivées en droit (exemple: fait justificatif, amnistie). Une
simple motivation de fait ne confère à la décision qu'une autorité provisoire. Les
ordonnances et arrêts de renvoi n'ont aucune autorité.
L'autorité des décisions des juridictions de jugement est beaucoup plus forte.
Mais, pour que l'exception de chose jugée puisse être opposée avec succès, la
jurisprudence exige entre les deux poursuites, trois conditions: identité d'objet, identité
des parties, identité de causes, c'est-à-dire identité du fait délictueux qui a motivé la
poursuite. Rappelons cependant la modification réalisée par la loi du 3 juillet 1983
autorisant le juge répressif, malgré une décision de relaxe, d'accorder des dommages-
- L'opposition est une voie de recours ouverte contre les
décisions rendues par défaut. C'est une voie de rétractation parce que son exercice
conduit à porter l'affaire devant la même juridiction qui a statué. Pour éviter les abus,
on a progressivement réduit son domaine au cas où le prévenu régulièrement cité à
personne n'a pas comparu en raison d'un empêchement valable, ou n'a pas eu
connaissance de la citation. L'effet de l'opposition, qui doit être introduite dans les dix
jours, est double: d'une part, un effet suspensif à l'égard de la décision rendue par
défaut; d'autre part, un effet extinctif, anéantissement de cette même décision.
- L'appel s'applique aux décisions rendues en premier ressort
interêts.
• Autorité de la chose jugée au criminel sur le civil
Cette règle, purement jurisprudentielle, est destinée à éviter toute "contrariété" de
décisions.
dans les affaires soumises à l'application du principe du double degré de juridiction
(tribunal de police, tribunal correctionnel). C'est une voie de réformation parce qu'elle
saisit du procès une juridiction supérieure à celle qui a statué, c'est-à-dire, dans tous
les cas, la Chambre des appels correctionnels de la Cour d'appel. Elle doit être intentée
- Les caractères de la règle sont doubles. Le caractère absolu
signifie que le principe s'applique non seulement aux personnes parties au procès
dans un délai de dix jours et produit un double effet, suspensif interdisant l'exécution
du jugement attaqué, et un effet dévolutif consistant à saisir les juges d'appel.
pénal, mais encore à celles qui participent au procès civil, même si elles sont restées
étrangères au procès pénal. Le caractère d'intérêt privé ne permet pas au juge de
soulever d 'office l'exception si les parties négligent de l'invoquer, ni au Ministère public
d'en faire état.
• Les voies de recours extraordinaires
Elles sont portées devant la Cour de cassation et ne sont ouvertes aux parties
que dans des hypothèses limitées : erreur de droit (pourvoi en cassation) ou erreur de
fait (pourvoi en révision).
- L'étendue de la règle doit être précisée. Elle ne vise que les
décisions des juridictions de jugement. Et, parmi celles-ci, elle se limite à la sentence
- Le pourvoi en cassation. Il s'agit d 'une voie de recours
pénale prononcée sur l'action publique et aux constatations positives et principales qui
destinée à permettre l'annulation de la décision rendue en violation de la loi de fond ou
sont le support nécessaire de cette sentence. De ce fait, les décisions des juridictions
de forme: la Cour de cassation ne constitue pas un troisième degré de juridiction. Elle
d'instruction, celles portant sur les intérêts civils, ainsi que celles qui constatent un
n'examine pas le fond du procès, mais contrôle la légalité des décisions de justice.
doute justifiant l'acquittement de l'inculpé, ne la possèdent pas.
2) Les voies de recours
X - L~ourvoi dans l'intérêt des parties est la forme de recours
..:I:=a.>-"-_:::==,,,"_Son exercice est subordonné au respect de diverses conditions. Il
suppose que la décision attaquée ait été rendue en dernier ressort. D'autre part, les
Les décisions rendues par les juridictions répressives peuvent être entachées
d'erreurs de fait et de droit. C'est pourquoi, les parties ont le droit de retarder l'effet de
l'autorité de la chose jugée en d emandant un nouvel examen de l'affaire par une autre
juridiction répressive: c'est l'effet suspensif des voies de recours qui interdit
provisoirement l'exécution de la décision répressive qui vient d'être prise. Le Code de
parties ne peuvent se pourvoir que dans la mesure où elles y ont intérêt. Ainsi, la
victime ne peut se pourvoir que quant à ses intérêts dvils. En troisième lieu, le pourvoi
doit se fonder sur une violation de la loi de forme ou de la loi de fond. Enfin, le délai
est de cinq jours francs.
�54
55
pP
L'effet du pourvoi est de saisir la Chambre criminelle de la Cour de cassation.
JO> Droit de la délinquance et morale
Celle-ci peut, soit rejeter le pourvoi, soit annuler la décision attaquée en tout ou en
partie et renvoyer l'affaire, sauf cassation par voie de retranchement, devant les juges
C'est là un problème classique qui conduit à évoquer successivement les rapports,
du fond. Si la juridiction de renvoi ne s'incline pas, un nouveau pourvoi est possible,
puis les différences du droit pénal et de la morale.
soumis cette fois à l'examen de l'Assemblée plénière. Si celle-ci confirme la décision de
fil. Rap.ports,
la Chambre criminelle, la nouvelle juridiction de renvoi est tenue de se conformer à la
doctrine de l'Assemblée plénière.
Jadis le droit pénal se confondait avec la morale, car ces deux disciplines
- Le pourvoi dans l'intérêt de la loi est d'application
précisent à l'homme ce qu'il ne doit pas faire. Dans l'Ancien droit, la liste des
exceptionnelle. il peut être exercé dans deux cas. Le Procureur général près la Cour de
incriminations se confondait avec celle des fautes morales. Ce n:'est que vers le XVillème
cassation peut, sur ordre formel à lui donné par le Ministre de la justice, dénoncer à la
siècle que la séparation s'est opérée. Cependant, aujourd'hui encore, le système des
Chambre criminelle les décisions contraires à la loi. Le même magistrat peut également
incriminations conserve dans la plupart des législations un rapport étroit avec l'état
se pourvoir d'office, malgré l'expiration du délai de cinq jours, contre une décision
des mœurs. Bien plus, une sorte de montée de sève morale a entraîné la pénalisation
réprouvée.
d'agissements immoraux qui n'étaient pas réprimés jusque là (exemple: omission de
porter secours art. 223-6 N.C.P.) ou l'aggravation de certains autres (infanticide
- Le pourvoi en révision. Cette voie de recours présente
criminalisé en 1941, cf. le débat sur le livre "S uicide, mode d'emploi", déclenchant la
l'originalité de pouvoir être exercée même contre une décision judiciaire ayant acquis
création du délit de provocation au suicide) 36.
autorité de la chose jugée. Elle vise à réparer les erreurs judiciaires.
Le nouveau code pénal a développé les impératifs de solidarité humaine en
L'ouverture du pourvoi est très large. Elle est offerte à toute personne reconnue à
sanctionnant l'abus de la faiblesse d'autrui, la mise en danger de la personne 37.
tort coupable d'un crime ou d'un délit ou au "principe de la justice" lorsqu'un fait
A l'inverse des impératifs moraux s'est manifesté un courant de dépénalisation
nouveau s'est révélé (voir également, victime vivante; contrariété jugements;
(libéralisation de l'avortement en 1975 qualifié I.V.G. expression moins culpabilisante,
condamnation pour faux témoignage). En toute hypothèse, le pourvoi est porté devant
décriminalisation de l'émission de chèque sans provision, suppression du délit
la Chambre criminelle de la Cour de cassation.
d'homosexualité sur un mineur (L.16 août 1982). On assiste donc à une
L'effet du pourvoi est de conduire à un nouvel examen au fond de l'affaire, soit
interpénétration du droit pénal et de la morale 38
devant une autre juridiction du même ordre et de même degré que celle qui a rendu la
décision annulée, soit par la Chambre criminelle elle-même, (exemple: décès du
hl Différences
condamné). D'autre part, une réparation pécuniaire doit être allouée à la victime de
Toutefois, la majorité des auteurs estiment que le droit de la délinquance et la
l'erreur judidaire, ou à ses proches (Loi du 23 juin 1989).
morale doivent être distingués. On peut noter trois différences.
Tout d'abord, la frontière des actions légitimes et illégitimes n'est pas tracée
B) La distinction du droit pénal et des autres disciplines
normatives
dans le même esprit. Le but du droit pénal est d'assurer l'ordre social, alors que la
morale tend au perfectionnement de l'être humain.
Elle n'est pas tracée non plus avec la même énergie. La règle du droit pénal est
La notion de droit pénal évoque d'autres disciplines normatives telles que la
sanctionnée par l'autorité publique, tandis que la règle morale n'est assortie que d'une
morale et les autres branches du droit. C'est qu'en effet jadis, le droit de la délinquance
sanction purement intérieure.
se confondait avec ces disciplines. Aujourd'hui, il a conquis son indépendance, mais
Enfin et surtout, le domaine des prescriptions édictées de part et d'autre est
conserve cependant avec elles des rapports étroits qu'il s'agisse de la morale ou des
différent. Le droit pénal consacre, en principe, des devoirs de justice non de charité, les
autres branches du droit.
36
Loi 31 décembre 1987.
37
PUECH, De la mise en danger d'autrui, D. 1994, chrono154; D. MAYER, La mise en danger des
personnes in Problèmes actuels de science criminelle, 1995, p. 7.
38
D. MAYER, R. S.c., 1989-442.
�57
56
seules actions et non les simples résolutions. C'est pourquoi, on a pu représenter le
déduisent que le droit pénal ne peut être ni du droit public, ni du droit privé 40. li est
droit pénal et la morale en deux cercles ayant un même centre, mais des circonférences
vrai que le droit pénal n'est plus le "satellite" des autres disciplines juridiques comme
différentes. Donc, le domaine du droit pénal est plus restreint que celui de la morale.
au XIXème siècle.
Mais J'inverse peut se produire; le droit pénal peut incriminer certains agissements
On peut exprimer cette évolution en soulignant deux caractères principaux du
indifférents aux yeux de la morale (alcoolisme, tabagisme). C'est pourquoi, on peut
droit de la délinquance, qui le différenci~ autres branches du droit {so-;-;;ractère
corriger J'image précédente en disant que le droit pénal et la morale constituent deux
autono~et ~n caractère sanctionnateur. \
cercles qui se recoupent mais dont chacun possède une surface propre à côté de celle
JÙ L'autonomie tfu. dnill tk l.a. délinquance
qui leur est commune.
Aujourd'hui, le débat est loin d'être clos (exemple: procès de Liège, au cours
A la remorque des autres droits au XIXème siècle, le droit pénal a aujourd'hui
duquel une mère était accusée d'avoir tué son enfant victime de la thalidomide). Pour
conquis son indépendance grâce à la jurisprudence L'autonomie signifie que le droit
les uns, la loi pénale doit faire valoir la moralité, donc la moralité commande la
pénal s'applique sans tenir aucun compte des règles du droit privé ou du droit public;
répression (exemple: dans cet esprit J'homosexualité sera réprimée). Pour d'autres, une
quelquefois il s'applique même au mépris de ces règles 41.
distinction nette doit être maintenue entre les deux disciplines. Le droit pénal ne doit
1) Les aspects de ['autonomie,
se manifester que dans la mesure où J'ordre public est troublé (exemple: à J'inverse,
J'inceste ne serait pas réprimé). Le nouveau code pénal semble avoir choisi la seconde
• Le législateur l'avait consacré expressément en permettant au juge
voie.
répressif de condamner celui qui pourtant n'a fait qu'exécuter une obligation imposée
par la loi civile. Ainsi l'ancien article 334-3 c.P. rt!ndait coupable du délit de
2°) Droit de la délinquance et autres branches du droit
proxénétisme celui qui, vivant sciemment avec une personne se livrant à la prostitution,
Le problème est important car il commande la situation du droit pénal au sein de
ne pouvait justifier de ressources. Le mari d'une prostituée pouvait-il être condamné?
la distinction droit privé droit public. Le droit pénal est-il un simple prolongement des
non, au regard du droit civil : oui, en vertu du texte pénal. Cette solution paradoxale a
différentes disciplines extra-pénales dont il assure la sanction ou dispose-t-il d'une
disparu avec le nouveau code pénal (art. 225-6).
autonomie?
• De son côté, la jurisprudence a développé l'autonomie.
Cette question a été agitée dès le début du XIXème siècle. 39. Trois opinions sont
- Au niveau de la répression, les tribunaux ne tiennent parfois
avancées. Pour certains, le droit pénal serait une branche du droit public. Le droit de
pas compte des irrégularités commises et considèrent comme valables, pour
punir, qui est au cœur du droit pénal classique, est une prérogative essentiellement
J'application de la loi pénale des actes nuls au regard de la loi civile ou commerciale.
étatique. La sanction pénale est prononcée dans J'intérêt public, le délinquant est jugé
Ainsi, la Chambre criminelle décide qu'il y a émission de chèque sans provision, même
par des organes étatiques et au nom de celui-<i.
si le titre qui a été émis ne vaut pas chèque au regard du droit commercial parce que
Pour d'autres auteurs, au contraire, le droit pénal constituerait une branche du
non daté. De même, la répression de J'abus de confiance n'est pas paralysée par la
droit privé en raison des méthodes de la disci?line utilisée. D'abord, le procès pénal se
nullité du contrat civil sur la base duquel le d étournement a été effectué. Dans un autre
déroule devant des juridictions civiles. Ensuite, la victime est présente au procès par
domaine, la qualité de fonctionnaire public prévu par de nombreuses lois pénales est
J'exercice de son action civile. Enfin, les droits qui sont en jeu dans le procès pénal sont
plus largement entendu qu' en droit administratif. Ainsi un notaire, un conseiller
les droits subjectifs les plus essentiels de J'individu.
municipal, sont des fonctionnaires aux yeux du juge pénal. De même encore, la notion
Enfin, une opinion plus récente, soutient que le droit pénal serait une discipline
de domicile a une signification beaucoup plus large en droit pénal qu' en droit civil.
spécifique. MERLE et VITU prenant appui sur la phrase célèbre de PORTALIS "les lois
! - Au niveau de la réparation, le dommage qui a sa source dans
pénales sont moins une espèce particulière de lois, que la sanction de toutes les autres" en
une obligation immorale ou illicite n'est pas pris en considération par le juge civil en
39
R. GASSIN, Le droit pénal; droit public ou droit privé, in Problèmes actuels de science
criminelle, P.U.A.M. 1991 p. 51.
40
Traité de droit criminel, Cujas, 1988.
41
GOUTAL, L'autonomie du droit pénal ; reflux et métamorphoses, R. S. C. 1980-911.
�58
59
raison de la règle d'après laquelle on ne peut se prévaloir de sa propre turpitude "nemo
auditur propriam turpitudinem allegans
N
•
Pourtant, la Chambre criminelle a accordé
depuis longtemps à la prostituée des dommages-intérêts à titre de réparation du
dommage résultant du délit de proxénétisme pour les gains versés à son souteneur dont
elle réclamait le remboursement: dans ce même esprit, la Cour suprême a alloué
réparation à la concubine de la victime d'un délit d'imprudence et la Chambre mixte
s'est finalement ralliée à cette solution. Ici, le droit pénal déteint sur le droit dvil et l'on
peut, à bon droit, s'interroger sur le bien-fondé de cette autonomie.
On doit cependant souligner que le développement de lois techniques en matière
d'environnement, de pollution, de droit du travail ont pour effet de réduire le champ
sans provision en 1971, adultère en 1975) que dans le nouveau Code pénal, d'autant
qu'il existe d'autres formes de répression efficaces. La dépénalisation n'est d'ailleurs
pas sans risque. En 1984, on a compté, 3 600 000 émissions de chèques sans provision,
en 1993 le nombre des interdits de chéquier dépassait 2 000 000.
r
hl I&. caractère sanctionnateur d.H dIIill. pin.al
Les disciplines juridiques, disciplines normatives comme le droit pénal
connaissent des formes de répression spécifiques qui peuvent évoquer la sanction
pénale. Cependant des différences profondes existent.
- La finalité de la répression civile est tout autre que la finalité
de l'autonomie, dans la mesure où il est difficile au juge d'avoir sa propre
de la répression pénale. il s'agit de rétablir un équilibre rompu à la suite d'une violation
interprétation de concepts techniques.
d'une règle de droit dvil ou de droit commercial. Sans doute, existe-t-il des sanctions
2) La justification de l'autonomie
qui ont la coloration d'une peine (exemple : amendes civiles, révocation pour cause
- Elle est aisée en ce qui concerne la répression . L'autonomie
d'ingratitude en matière successorale, les dommages-intérêts pour le préjudice moral,
tient à un but particulier de ce droit: la défense de l'ordre social. La répression pénale
astreinte tendant à préverur la violation d'une règle de droit). Mais, malgré leur
n'est pas la sanction anonyme d'une infraction, appliquée abstraitement,
caractère sanctionnateur, il ne s'agit que de peines privées dont la finalité et les
indépendamment de la personnalité de son auteur. Dès que l'intention criminelle est
caractères sont étrangers au droit pénal dont le but essentiel est la défense de l'ordre
établie, le juge répressif doit condamner l'auteur et déjouer les malfaiteurs assez
social.
astucieux pour s'abriter sous la protection de la loi civile ou commerciale.
- En revanche, il est plus malaisé de dégager les mérites de
conclusions analogues. il est vrai que, souvent, une faute disdplinaire est également une
l'autonomie au ruveau de la réparation. L'intérêt social ne peut plus être invoqué.
faute pénale (exemple : usurpation d'identité dans un examen, escroquerie commise par
L'autonomie s 'explique néanmoins par cette justification fournie par la Chambre
un médecin), car la finalité du droit disciplinaire est destinée à assurer l'ordre dans un
criminelle que le dommage dont on réclame réparation représente un préjudice moral
groupement. Mais, au-delà de cette finalité normative, demeurent de profondes
qui prend sa source dans une infraction. La
~risprudence
voit dans la réparation un
différences entre le droit de la délinquance et le droit disciplinaire. TI y a une spécificité
complément de la répression : "L'action en réparation prolonge l'effet répressIf de la
de la sanction disciplinaire qui réside dans la gamme de ses sanctions (blâme,
conda~ " .
La participation de la victime au délit ne doit pas améliorer la situation
du coupable au plan matériel.
avertissement) et dont le prononcé implique un particularisme procédural et un
Les apports criminologiques récents renforcent les justifications de cette
exemple : la loi du 4 août 1981, exempte de l'amnistie les "manquements à la probité, aux
autonomie dans la mesure où on insiste aujourd'hui sur la nécessité de tenir le plus
compte possible de la personnalité du délinquant. La conséquence de cette autonomie
est une "inflation pénale" (CARBONNIER). Tout devient droit pénal conduisant à une
véritable perversion de l'ordre juridique. Une enquête effectuée au Canada a révélé
qu'un citoyen pouvait se rendre coupable de 37 967 infractions. II est probable qu'une
enquête menée en France aboutirait à un chiffre équivalent. 42 . C'est pourquoi, un
mouvement de dépénalisation s'amorce tant dans le droit positif (émission de chèrjue
42
- L'étude de la répression disciplinaire conduit à des
R. GASSIN, La crise des politiques criminelles occidentales in Problèmes actuels de science
criminelle, 1985, p. 21.
manquement à des devoirs moraux plus étendus que le droit de ia délinquance (par
bonnes mœurs et à l'honneur").
- On pourrait faire des observations du même ordre pour la
répression fiscale ou douanière qui comportent des sanctions propres (majorations de
droit, nullités, déchéances) et des sanctions pénales régies par une procédure
spécifique.
C'est dire que le droit pénal apporte le secours de ses peines aux autres droits
lorsque les sanctions particulières qu'ils édictent sont ou paraissent insuffisantes. On
doit même remarquer que plus une branche du droit est jeune, plus ses prescriptions
sont assorties de sanctions (droit pénal du travail, droit économique, par exemple).
�61
60
2°) Le droit pénal spécial
C'est ce qui explique en partie l'inflation des lois pénales à notre époque, et la richesse
du contenu du droit pénal qu'il convient maintenant d'aborder.
Il étudie l'application des principes généraux au cas de chacune des diverses
infractions. C'est, a-t-on dit, le "catalogue des infradions ". Historiquement, il a précédé
le droit pénal général. Toute société commence par prévoir des interdits, ce n'est que
§ 2 - LE CONTENU DU DROIT rÉNAL
plus tard que sont élaborées des théories générales sur l'infraction, la responsabilité, la
peine. L'étude de ce droit apparaît instructive à un double titre.
Vu de l'intérieur, le droit de la délinquance apparaît très diversifié. Pour en
Pour le juriste, c'est la partie du code auquel il fait le plus souvent référence (art.
préciser tous ses aspects, on peut proposer une triple distinction visant l'objet, le
211-1 à 450-3 N.C.P.). Il faut y ajouter les incriminations contenues dans d'autres
champ d'application et la portée de ce droit.
codes ou dans des lois particulières. Il appartient au juge de vérifier si l'acte antisocial
qui lui est soumis tombe bien sous le coup d 'un texte répressif: c'est la qualification
A - L'obiet
des faits.
Et quand bien même cela serait-il, le principe de l'opportunité des
poursuites offre au Ministère public la possibilité de ne pas donner suite à la plainte
L'objet du droit pénal est de détenniner la liste des interdits pénaux, et de définir
déposée.
un éventail de sanctions susceptibles d'être appliquées. Concourent à cette finalité, le
Pour le sociologue, l'étude du droit pénal spécial par la nomenclature des faits
droit pénal général, le droit pénal spécial, la procédure pénale et la pénologie.
incriminés, constitue un révélateur de la société du moment qui, pour être exact, doit
être corrigé par le phénomène de l'effectivité du droit pénal 43.
1°) Le droit pénal général
Le nouveau code pénal introduit un certain nombre d'innovations: infractions de
L'objet de ce droit est de préciser les conditions générales d'incrimination et de
mise en danger, atteintes à la dignité, terrorisme écologique, harcèlement sexuel, crimes
fixation des peines. TI est contenu essentiellement dans les articles 111-1 à 133-17
contre l'humanité, délit de risques causés à autrui.
N.C.P .. C'est le droit pénal général qui prévoit les trois éléments de l'infraction, légal,
-,
matériel, moral, les causes d'irresponsabilité (trouble mental, contrainte, minorité),
détermine le jeu de la tentative et de la complicité punissable, c'est lui également qui
3°) La procédure pénale
Elle vise l'étude des règles qui gouvernent le procès pénal. Elle s'attache à
détermine les pénalités applicables, les causes d'atténuation ou d'aggravation de la
l'organisation des différentes juridictions, à leur compétence et à leur fonctionnement.
peine. Le cours de cette année sera consacré à l'étude du droit pénal général.
Elle réglemente avec minutie les différentes phases du procès pénal depuis la saisine
La matière a peu évolué depuis le début du XIXème siècle, si ce n'est en ce qui
des juridictions jusqu'aux voies de recours (art. 1 à 705-2 et 800 à 802 c.P.P,).
concerne l'application de la peine.
'iJ Le nouveau code pénal est l'aboutissement de plusieurs avant projets qui ont
Instrument essentiel de garantie des libertés individuelles, on comprend que cette
branche soit fortem ent codifiée avec des possibilités nombreuses de censure des
débouché sur la loi du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions générales du
décisions rendues par les différentes juridictions d'autant que la procédure échappe à
code pénal (J. O. 23 juillet 1992). Le livre premier relatif aux dispositions générales
certaines règl es qui gouvernent le droit pénal, telles que les principes de non-
comprend trois titres consacrés respectivement à la loi pénale, à la responsabilité
rétroactivité ou d'interprétation restrictive de la loi pénale. Divers projets de réforme
pénale et aux peines. TI est beaucoup plus complet que le code napoléonien, dans la
ont récemment été élaborés (DELMAS-MARTY, SAPIN). L' une des dernières lois
mesure où il intègre de nombreuses règles de nature jurisprudentielle ou figurant
portant réforme de la procédure pénale est datée du 24 août 1993. Elle est entrée en
aujourd 'hui dans le Code de procédure pénale ou dans d'autres codes. On peut noter,
vigueur le 2 septembre 1993. S' en est suivie, la loi sur l' organisation judiciaire du 8
dès à présent, un certain nombre d'innovations: la responsabilité pénale de la personne
février 1995.
morale, l'admission de l'erreur de droit et de l'état de nécessité; la notion de démence
est remplacée par celle de trouble psychique ou neuro-psychique ayant aboli le
discernement de la personne; enfin l'échelle des peines est modifiée (peine de 30 ans en
matière criminelle, maximum de l'emprisonnement correctionnel porté à 10 ans,
confirmation de la suppression de l'emprisonnement en matière contraventionnelle).
43
LASCOUMES, Réforme du code pénal et redéfinition de l'ordre public, in Problèmes actuels de
Science Criminelle, P.U.A.M. 1995, p. 19.
�63
62
l'O.N.U. à décider la création d'un tribunal pénal international pour juger les
4°) La pénolQgie ou science pénitentiaire
responsables de crimes de guerre (son siège est à La Haye) (Résolution 808).
Elle s'est progressivement détachée du drcÏit pénal général à la fin du XIXème
L'instruction d'une trentaine d'affaires est en cours, où sont impliqués des auteurs
siècle. Elle comporte deux aspects.
D'abord la pénologie est le droit de l'exécution des sanctions pénales appelé
d'atrocités. La police allemande a procédé à l'arrestation d'un tortionnaire
44.
On peut
émettre cependant quelques réserves sur le rôle effectif d'un tel tribunal.
droit pénitentiaire. C'est l'étude du régime juridique et administratif de l'exécution des
En revanche, il faut mentionner deux instrUInents diplomatiques internationaux.
peines. Certaines législations étrangères ont adopté un code de l'exécution des peines.
li s'agit de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés
Mais, en second lieu, la pénologie est la science de la val eux et de l'efficacité
fondamentales signée en 1950, (ratifiée par la France en 1974) et le Pacte international
des peines. A la fin du XVillème siècle, on a assisté au remplacement des p~ines
relatif aux droits civils et politiques de 1966 (ratifié par la France en 1981). La
corporelles par des peines privatives de liberté, ce qui a donné naissance à l'Ecole
Convention a prévu une Coux Euxopéenne dont le rôle est aujourd'hui très actif.
pénitentiaire. A la fin du XIXème siècle, sous l'influence de l'école positiviste italienne,
TI convient également de différencier le droit pénal international du droit pénal
une diversification des peines s'est opérée avec une évolution dans la finalité de la
comparé qui n'est qu'un instrUInent au service de la science pénale. li vise à rapprocher
sanction tendant au traitement des délinquants, la privation de liberté ne représentant
les différentes solutions adoptées en matière pénale par les États pour choisir les
aujourd'hui que l'un des aspects de la sanction pénale (environ 57 000 détenus en
meilleures 45.
France).
On a pu s'interroger sur l'intérêt de la méthode comparative dans la mesure où
le droit pénal de chaque État a été construit à partir de valeurs morales, sociales,
B - Le champ d'application
religieuses, qui lui sont propres.
En réalité, il ne s'agit pas de transposer purement et simplement telle institution
Le champ d 'application permet d'opposer le droit pénal interne au droit pénal
d'un État dans un autre, mais de l'adapter au système juridique (par exemple: système
international.
Le droit pénal interne suppose qu'aucun élément étranger ne se présente dans le
anglais de la probation adopté en France en 1958 par l'instauration du sursis avec mise
à l'épreuve). Au surplus, on observe un fonds commun entre les États pour beaucoup
déroulement du procès et l'application des sanctions.
d'infractions (white collar crime, par exemple). C'est dans le domaine pénologique que
En revanche, le droit pénal international nécessite un élément d'extranéité
la méthode comparative a été la plus utilisée (par exemple, traitement des délinquants;
(exemple : crime commis par un français en Italie ou inversement). Autrefois,
jours amende, médiation-réparation).
l'importance de ce droit était réduite. li s'intégrait dans le droit pénal général dans le
cadre de la loi pénale dans l'espace. Aujourd'hui, il n'en est plus de même. Le
C - La portée
développement des échanges internationaux favorise une criminalité internationale que
les États s'efforcent de résorber par des conventions internationales.
Cet aspect permet d 'opposer le droit pénal ordinaire et le droit pénal
Le domaine du droit pénal international détermine l'application des lois pénales
pénales dans
d 'exception.
Le droit pénal ordinaire est la partie du droit qui s'applique en temps ordinaire
l'espace et les modalités de la collaboration internationale dont les illustrations les plus
à l'ensemble des individus. li se caractérise à la fois par sa généralité et sa permanence.
marquantes sont l'extradition et les effets internationaux des jugements répressifs.
Le droit pénal d'exception ne vise que certaines catégories d 'individus, certains
Cette définition permet de le distinguer du droit international pénal ou droit pénal
types d 'infractions, ou a une application limitée dans le temps. Ce droit recou vre d eux
dans l'espace. li s'efforce de résoudre les conflits de lois et de
j~dictions
interétatique qui vise la répression des infractions contre le droit des gens. Ce droit est
catégories d e lois, les lois spéciales et les lois de circonstance.
apparu au lendemain de la seconde guerre mondiale, lorsqu'il s'est agi de juger les
grands criminels dangereux (tribunaux de Nuremberg et de Tokyo).
Malgré ce précédent, il faut reconnaître que l'idée d'un code pénal international et
44
G. Df MARINO, Le tribuna l international pénal R.l.D.P. 1993-1485 ; K. LESCURE e t F.
TRINTIGNAC, Une justice pour l'ex-Yougoslavie, éd . L'Harmatan, 1994.
4S
J. PRADEL, Droit pénal comparé, Dalloz 1995.
d 'une justice répressive internationale demeurent encore à l'état de projet. On
rappellera cependant que les atrocités développées dans l'ex-Yougoslavie ont conduit
�65
64
Tout d'abord des lois spéciales, qu'il ne faut pas confondre avec le droit pénal
spécial, comprennent, d 'une part, des lois extérieures au code péml et d'autre part, des
dispositions insérées dans le code, or u'elles apportent à des cas particuliers une
solution différente de ceUe qui est retenue en règle générale 46 et pour lesqueUes il est
SECTION II - L'ÉTUDE SCIENTIFIQUE DU
PHÉNOMÈNE CRIMINEL
fait application de l'adage "specialia generalibus derogant ". Vues sous cet angle, on parle
également de lois spéciales, en ce sens que ces lois, en concours avec une loi générale,
co~u~idéal d'infr;;;tions qui en limite la
Ce n'est que dans la deuxième moitié du XIXème siècle que se sont développées
portée.
En second lieu, les lois pénales de circonstance, appelées encore lois
diverses sciences crimineUes chargées d'explorer de façon scientifique tous les aspects
concrets du phénomène criminel et de proposer des mesures susceptibles d'agir contre
d'exception ou lois de combat sont destinées à écarter momentanément le droit
ce phénomène. L'importance de ces sciences n'a cessé d'augmenter au point qu'on a pu
commun pour instaurer un système répressif plus rigoureux (taxation des prix,
craindre un moment qu'elle n'absorbent le droit pénal. Leur connaissance s'impose à qui
juridictions d 'exception par exemple), afin de résorber une situation que l'on espère
veut comprendre le phénomène dans sa totalité (statistiques, psychiatrie, sociologie
momentanée. L'expérience révèle que le fugitif devient parfois permanent donnant
criminelle). On prendra garde cependant de ne pas négliger l'incidence des structures
naissance à un "nouveau droit commun" (R. GASSIN, chrono préc.).
politiques, ou des impératifs du moment, susceptibles de modifier parfois durablement
le
riment, réserve faite cependant du
l'aspect du phénomène criminel et son évolution. Parmi ces sciences, trois apparaissent
essentielles en fonction du but qu'elles poursuivent, une science d 'investigation: la
criminalistique, une science explicative: la criminologie, enfin une science d'orientation:
la politique criminelle.
§ 1 - LA CRIMINALISTIQUE
Elle peut se d éfinir comme l'ensemble des procéd és scientifiques et techniques qui
sont utilisés pour établir la preuve des infractions et l'identité de leurs auteurs. Elle
apparaît comme une discipline annexe de la procédure pénale comprenant des sciences
et des techniques diverses que nous exposerons sommairement.
A - La police scientifique
Elle a p our objet l'application d es sciences exactes et des connaissances
médicales et psychiatriques à l'administration de la preuve des infractions et de la
culpabilité d e leurs auteurs. Elle comprend trois branches.
1°) Tout d'abord l'anthropométrie criminelle,
EUe a pour objet la constatation de l'identité des malfaiteurs (BERTILLON) et de
leurs particularités physiques, complétée par la dactyloscopie que la génétique vient de
renou veler, tout récemment, par la technique d es empreintes génétiques, consacré par la
46
loi du 29 juillet 1994, relative au respect du corps humain et que le Comité National
R. GASSIN, Lois spéciales et droit commun, Dalloz 1961-91.
d'Éthique (avis 15 décembre 1989) réserve à quelques laboratoires spécialement agréés
�67
66
§ 2 - LA CRIMINOLOGIE
en raison de leurs compétences et désignés par un magistrat instructeur 47. La police
scientifique a réussi à éludder des crimes délicats.
2°) En second lieu, la médecine légale.
Dès sa naissance, la criminologie a connu un succès considérable. Elle a inspiré
de nombreux codes, dans le passé, (Italie, Norvège, U.R.S.s., Cuba) et son influence
Elle consiste dans l'application de l'ensemble des connaissances médicales visant
transparaît dans le N,C.P. (délit de mise en danger). Pourtant, au bout d'un siècle, le
la recherche de l'état mental des criminels, ou l' identification des personnes, ainsi que
concept même de criminologie est diffidle à cerner. A la limite, chaque criminologue a
les éléments de preuve touchant la constatation des infractions.
sa propre conception de la criminologie.
C'est la raison pour laquelle avant d'en préciser le contenu et d'en mesurer les
3°) La police scien tifique
Enfin, entendue dans un sens restrictif, est l'étude des divers procédés techrùques
tendant à la recherche et à l'arrestation des malfaiteurs (chimie-biologie etc ...). C'est
apports, il apparaît indispensable d'en limiter les contours.
A - Définitions
l'expertise (armes, traces, indices, etc. .. ).
On peut distinguer trois conceptions de la criminologie.
B - Les techniques policières
- A la fin du dix neuvième siècle, une conception très large
"totalisatrice" s'était imposée. C'était l'idée de FERRI pour lequel toutes les sciences
Elles représentent l'ensemble des procédés empiriques utilisés par la police dans
s'intéressant au phénomène criminel devaient être rangées sous le vocable crùninologie.
la conduite de l'enquête. Elles impliquent la connaissance du monde criminel
Le droit pénal bien entendu était absorbé par cette nouvelle science. C'est encore la
(indicateurs), l'utilisation de techniques criminelles, enfin une enquête crùninelle bien
conception de certains auteurs (STANCIU, SZABO) et de l'école américaine de
conduite. Le cinéma a largement diffusé ces techniques 48.
SUTHERLAND appelée "the nw criminology".
C - La psychologie iudiciaire
- Une deuxième conception, plus étroite, défirùt la criminologie
comme la .seule étude des causes du crimel. Cette conception, développée jadis par
-
------
CUCHE, est active en Europe. Elle présente l'inconvénient d' être tro réductrice.
Elle est la branche de la psychologie appliquée consistant dans l'application des
données de la psychologie sdentifique à l'établissement de la preuve en justice.
- Une troisième conception enfin défirùt la criminologie d' un
point de vue théorique et pratique. Elle comporte à la fois l'étude des causes du crime
En conclusion, la criminalistique présente le mérite de faire régresser le chiffre
(criminologie générale) et l' étude du traitement du délinquant (criminologie clirùque et
noir de la criminalité et d'éviter des erreurs judidaires (affaire Marie Besnard). En
criminologie préventive). C'est la tendance à laquelle se rattachent PINATEL et
revanche, les techniques utilisées doivent être accueillies avec prudence, car elles
GASSIN. Pour exposer cette conception, on peut préciser ce qu' elle n' est pas.
représentent un risque d 'atteinte aux libertés individuelles, (penthotal, écarté en droit
français; bandes magnétiques accueillies avec prudence par la Chambre criminelle,
puis condamnées par la Cour européenne des droits de l'homme 49 et réglementées par
la Chambre criTIÙnelle 50, puis par la loi du 10 juillet 1991 (art. 100 à 100-7 c.P.P.).
JO) Criminologie et Criminalistique
D'abord, bien évidemment, la criminologie ne se confond pas avec la
criminalistique qui est, nous venons de le voir, l'ensemble des techniques policières
utilisées pour la d étection des actes délictueux. C'est une scence probatoire.
47
J. BORRlCAND, Rev. in!. de pol. techn. 1989, p. 68.
48
G. DI MARINO, L' indicateur, in Problèmes actuels de science criminelle, PUAM 1990, p. 63.
49
24 avril 1990, affaire I<ruslin et Huvig, D. 1990-35.
50
Crim. 15 mai 1990, B. nO193.
2°) Criminologie et Droit pénal
En second lieu, la criminologie ne saurait absorber le droit pénal. Le droit pénal
édicte ce qui doit être, la criminologie ce qui est. L'un est normatif, l'autre positive. Mais
�68
69
il est incontestable que les idées criminologiques ont contribué à enrichir le droit pénal
pouvoir exécutif, alors que le criminologue considère que la répression doit s'exprimer
qui doi cependant conserver son indépendance.
dès l'instant que la dangerosité du sujet est révélée.
Cette intervention judiciaire traduit le ressenti populaire devant le crime (peine
al L'influence ik l..a criminologie 5.1JI. k Iillill.péna 1
de mort). La perception crirninologique est autre et il faudra beaucoup de temps pour
Elle s'explique par le fait que les recherches sur la genèse du processus criminel
que l'opinion publique se rallie à une politique criminelle d'inspiration criminologique.
sont très profitables au législateur et au juge.
Au niveau de l'incrimination, les études criminologiques ont
comportements inoffensifs (vagabondage) ou peu répréhensibles
0)
ré~é
que certains
30) Criminologie et Pénologie
(drogu~ alcoolisme)
prédisposent leur sujet au crime. Dès lors, le législateur sera amené à les réprimer, soit
La frontière est plus difficile à tracer entre la criminologie et la pénologie. Celle-
en imposant des mesures préventives de prophylaxie sociale pour empêcher les
ci étudie les fonctions des sanctions pénales, leur exécution appliquée à chaque
situations dangereuses d'exister, soit en élargissant le champ des incriminations
délinquant. C'est pourquoi, à la fin du XIXème siècle, on confondait ces deux
(vagabondage, mendicité, proxénétisme).
disciplines. Cette conception est consacrée aux États-Unis où la criminologie recouvre
Au niveau de la répression, la criminologie a permis au juriste de mieux adapter
deux domaines, l'étiologie criminelle et la pénologie. Cette analyse apparaît cependant
la sanction à la personnalité de l'auteur de l'acte. La peine, d'abord fixée d'après la
discutable dans la mesure où les techniques pénitentiaires constituent du droit positif.
gravité objective de l'acte, est aujourd'hui individualisée par le pouvoir souverain du
Seules les méthodes de traitement peuvent être rattachées à la criminologie par le biais
juge. C'est l'individualisation judiciaire de la peine. Le nouveau code pénal, en offrant
de la criminologie clinique.
au juge les pleins pouvoirs dans le prononcé de la peine, n'a pas jugé utile de maintenir
les circonstances atténuantes.
4 0 ) Criminologie
et Sociologie de la justice pénale.
po
Les mesures de sûreté, imaginées par les criminologues, ont été introduites dans
le droit positif (mesures d'assistance éducative: Ordo 2 février 1945; L. 15 avril 1954
Enfin une assimilation se fait souvent aujourd'hui entre la criminologie et la
sur les alcooliques; L. 31 décembre 1970 sur les toxicomanes), mais de façon timide,
sociologie de la justice pénale. En effet, un certain nombre de criminologues
car, lorsqu'elles se situent avant la commission de toute infraction, elles risquent de
contemporains estiment que seules les défaillances du système pénal expliquent la
compromettre les droits individuels. Cette exigence souligne la nécessité de sauvegarder
criminalité. On a parlé à ce propos de criminologie nouvelle. Cette conception
l'indépendance du droit pénal par rapport à la criminologie.
réductrice apparaît excessive dans la mesure où les défaillances du système pénal
n'expliquent pas entièrement la délinquance.
hl. L'indépendance d.JL droit pénal12-fU. rapport id..1l
Cette sociologie étudie les divers aspects de la réaction sociale contre le crime en
criminologie
tant que faits sociaux susceptibles d'être appréhendés par les méthodes de la
En effet, au niveau de l'incrimination, le juriste demeure fidèlement attaché au
principe de légalité, méconnu par les criminologues favorables au développement des
1
mesures "anle delictum ", c'est-à-{jire des mesures applicables à un individu avant qu'il
n'ait commis une infraction. D'autre part, les points de vue divergent sur la conception
de l'incrimination. Ainsi, le juriste réprime les infractions politiques, fiscales,
sociologie.
\~
~
La notion de criminologie étant ainsi limitée à l'étude des causes et des
mécanismes de la délinquance, il importe maintenant d'en préciser le contenu.
B - Contenu
économiques, indifférentes aux yeux du criminologue, parce qu'elles ne révéleraient
aucune perversité criminelle chez leurs auteurs. Pour le juriste, le temps est un facteur
d'oubli, ce qu'il n'est pas pour le criminologue "plus rancunier". Enfin, la conception
morale de la responsabilité de l'homme est étrangère au criminologue.
Cette opposition se retrouve au niveau de la répression. L'intervention du juge
est toujours nécessaire estime le juriste. Elle est une garantie contre l'arbitraire du
La criminologie contemporaine apparaît d'abord comme une science, mais elle est
aussi une méthode.
�71
70
JO> Une science
2°) Une méthode
Historiquement, la criminologie a utilisé les données fournies par différentes
La criminologie étant une science empirique, la méthode utilisée est inductive, en
sciences.
Par ordre chronologique, sont intervenues les sciences médicales, sociales,
ce sens que, pour cerner les causes de la criminalité, elle a recours à un éventail de
techniques que l'on peut situer à la fois sur un plan quantitatif et qualitatif.
Bien entendu, l'aspect quantitatif est d'abord représenté par les statistiques
psychologiques, contribuant à la formation de la criminologie générale.
- Les sciences médicales ont donné naissance à l'anthropologie
qui, née au milieu du XlXème siècle, a connu son plein essor avec le médecin italien
LOMBROSO, auteur de l'Homme criminel. Ce1ui-<:Ï a cru pouvoir déceler les stigmates
de la délinquance dans le fadés des malfaiteurs. Plus tard, la biologie criminelle s'est
attachée non à l'anatomie du sujet, mais à son système physiologique. Les découvertes
sur les glandes endocrines ont permis d'établir que le fonctionnement de celles-ci
exerçait une influence déterminante sur le système nerveux, le caractère, les impulsions
nationales et internationales qui, quelles que soient leurs imperfections, sont des
indicateurs de tendance. Ce qui est plus nouveau, ce sont les schèmes de pronostic et
les tables de prédiction qui ont pour fin d'évaluer les chances de délinquance ou de
récidive d'un individu déterminé.
Sur le plan qualitatif, les criminologues ont recours à diverses méthodes. On peut
dter les biographies de criminels, sujettes à caution, l'observation systématique des
délinquants et surtout les études suivies de cas (Follow-up-studies) qui permettent de
vérifier ce que deviennent les condamnés après l'achèvement de leur peine.
du sujet.
- Les sciences sociales ont contribué à établir l'importance du
C-Apports
milieu sur les causes de la délinquance. L'italien FERRI a été l'un des pionniers de la
Sociologie criminelle (ouvrage qui a été publié en 1881). Et ce sont des savants
La finalité de la criminologie est d'expliquer le phénomène criminel et de tirer de
américains (SUTHERLAND, SELLIN) qui ont entrepris des travaux sur l'influence du
cette explication des conséquences quant à l'efficacité de la prévention eldu traitement
milieu physique, démographique, économique, sodal.
de la délinquance. Mais la recherche des facteurs du crime ou criminogénès s'avère
-----
- Les sciences psychologiques ont ouvert la voie à la
délicate pour deux raisons. La première, valable pour toutes les recherches ou les
psychologie criminelle qui s'attache à la dynamique du crime; on s'efforce d 'expliquer
enquêtes est de savoir si l'échantillonnage des criminels est suffisarnm..ent représentatif.
pourquoi tel individu a commis telle infraction. Dans cette perspective, on parle de
La seconde, propre à la motivation criminelle est d'inventorier les facteurs pouvant
criminologie clinique, qui a pour objet l'étude individuelle du délinquant dans le but de
expliquer le franchissement de l'interdit et quelle priorité accorder à tel ou tel facteur.
- -
- --
Les recherches criminologiques se sont réalisées dans de nombreuses perspectives
déterminer les mesures qui sont susceptibles de l'éloigner d'une récidive éventuelle (R.
GASSIN).
Ainsi, ces diverses sciences ont conduit à une analyse de plus en plus profonde
avec des succès inégaux. Beaucoup d'explications apparaissent périmées, certaines
sont remises à la mode.
Chronologiquement, on peut d'abord évoquer les premières explications pour
de la personnalité du délinquant entreprise, cependant, avec des méthodes différentes
et avec un soud différent. La criminologie apparaît éparse. "Roi sans rr1!faume", à qui
exposer ensuite les explications modernes.
rien n'appartient en propre: tel se présente le criminologue.
-r:
Aujourd'hui, cependant, la criminologie apparaît comme une science autonome
dans la mesure où elle a un objet propre, l'étude positive du phénomène criminel. Mais
la question est discutée. Cela tient au fait que se sont développées des criminologies
JO) Les premières eJq1lications
Elles se sont faites dans trois directions, l'une anthropologique, l'autre
sociologique, la troisième plurifactorielle.
spécialisées. En ce sens, on parle de criminologie sociologique, psychologique ou
psychanalytique.
al ill facteurs anthropologiq.ues
Ce sont, sans doute, chronologiquement, les facteurs les plus anciens. Dès le
XVIlème siècle, des travaux de DELLA PORTA, LAVATER, GALL, se sont efforcés
d'établir un e corrélation entre la d élinquance et ses formes et certains traits
ana tomiques ou physiologiques des malfaiteurs, tandis qu'à la fin du XVlIlème siècle,
�73
72
des médecins (pINEL, CABANIS) tentèrent d'établir une autre corrélation avec la
- L'école sociologique de DURKHEIM est plus solide dans la mesure où elle
maladie mentale.
C'est, nourri de ces influences, que LOMBROSO a construit, à la fin du XIXème
établit une relation entre les conduites criminelles et la structure socio-culturelle. De ce
fait, la criminalité doit toujours être entendue par référence à la culture dans laquelle
siècle, sa théorie de l'homme criminel, d'après laquelle certains individus seraient
elle s'inscrit. D'autre part, DURKHEIM explique la conduite délinquantielle par
conduits au crime par une dégénérescence atavique résultant d'une série d'anomalies
l'anomie (a-nomos, sans loi), c'est-à-dire J'affaiblissement des normes sociales, théorie
crâniennes, analogues à celles que l'on trouve chez les vertébrés inférieurs. Ces
qui sera reprise par le sociologue américain MERTON.
individus seraient une survivance du sauvage primitif.
Ainsi, pour LOMBROSO, le délinquant se reconnaît par une série de stigmates
;<
cl11l théorie multifactorielle lk FERRI
anatomiques, physiologiques et fonctionnels, ainsi que sur le plan psychique par une
Elle constitue surtout l'explication la plus achevée. En effet, FERRI considère que
insensibilité morale. LOMBROSO partait du postulat évolutionniste selon lequel une
trois séries de facteurs agissent sur la délinquance. Ils sont d 'ordre biologiques,
conduite anormale aujourd'hui était normale jadis.
physiques et sociaux. D'où un classement des délinquants en cinq catégories. D'abord,
n n'est pas besoin de souligner les excès de cette théorie: postulat évolutionniste,
le criminel né, mis en lumière par LOMBROSO et le criminel aliéné, délinquants pour
travaux postérieurs non confirmatifs. L'anglais GORING a montré que le type criminel
lesquels les facteurs anthropologiques et biologiques sont prédominants et qui
n'existe pas. "L'examen du crâne permet de distinguer plus facilement un étudiant anglais
nécessitent une neutralisation. En second lieu, l'influence des facteurs sociaux permet
d'un étudiant écossais que de distinguer un délinquant d'un non délinquant".
de dégager trois autres types de délinquants. Les délinquants d'habitude, les
professionnels du crime qui nécessitent, eux aussi, une politique d'élimination, les
\:. hl W facteurs sociologiques
délinquants d 'occasion ou criminaloïdes, qui ont délinqué par accident et pour lesquels
Diverses explications ont été avancées.
une réinsertion sociale peut être envisagée, enfin, les délinquants passionnels (beaux,
- L'école géographique, (QUETELET ET GUERRY) ne doit être mentionnée que
bien faits, sympathiques), qui ne sont pas de vrais délinquants et pour lesquels la
pour mêmoire. Partant de la constatation que les crimes contre les propriétés
simple réparation du préjudice suffit.
J'emportent dans les régions du Nord et pendant les saisons froides, tandis que les
Si critiquable que soit cette classification, la théorie de FERRI a eu le mérite de
crimes contre les personnes prédominent dans les régions chaudes, les auteurs ont
dégager J'idée que le phénomène criminel est le produit de différents facteurs et, par là,
énoncé la loi thermique de la criminalité.
\ a ouvert la voie aux explications modernes.
- L'école socialiste de MARX et ENGELS est plus sérieuse dans la mesure où elle
prétend établir une corrélation entre le crime et le milieu économique. Pour la
doctrine marxiste, la criminalité est un sous-produit du capitalisme, appelée à
disparaître avec l'avènement du communisme. S'il est vrai que les périodes de crise
économique révèlent un fort accroissement de la criminalité acquisitive, on doit
reconnaître une certaine constante des autres formes de criminalité, quel que soit l'état
de la société considérée. Au surplus, dans les pays communistes, la criminalité n'a pas
disparu pour autant, bien au contraire.
2°) Les eX1'lications modernes
Pendant longtemps, les recherches ont porté sur l'étiologie de la délinquance et,
en particulier, sur l'identification des facteurs qui forment la pers onnalité
d élinquantielle. Mais, depuis une quarantaine d 'années, les observateurs se sont
tournés également sur le mécanisme du passage à l'acte. Dès lors, il apparaît
souhaitable d e distinguer, tour à tour, les facteurs prédisposants, puis les facteurs
déclenchants du passage à l'acte.
- L'école du milieu social de LACASSAGNE a souligné l'influence
prépondérante du milieu social dans J'étiologie criminelle. Théorie exprimée dans deux
formules célèbres: "Les sociétés n'ont que les criminels qu'elles méritent " et "le milieu social
est le bouillon de culture de la criminalité".
- L'école de l'interpsychologie de TARDE part du postulat que les rapports
sociaux sont régis par la loi de l'imitation que de ce fait chacun se conduit selon les
coutumes adoptées par son milieu. Explication valable pour les délinquants
professionnels, fragile pour les autres délinquants.
ru. w
facteurs prédisposants
n est difficile d'inventorier toutes les explications avancées depuis un siècle. On
peut, cependant, s'efforcer d'en rassembler la majorité autour de quatre pôles
d'attraction en envisageant successivement les explications corporelle, culturelle,
économico-politique et psychosociale.
�75
74
des modèles de conduites non utilitaires et négativistes (vandalisme, infractions
1) Explication corporelle
ludiques). Il s'agirait d 'une sous-culture de violence.
Des travaux récents ont mis l'accent sur l'hérédité pathologique (tuberculose,
- La théorie de l'anomie (du grec a nomos : sans loi), imaginée par DURKHEIM,
épilepsie) et ont révélé que la proportion de ce type de maladie est beaucoup plus forte
a été reprise par le sodologue américain MERTON (Éléments de théorie et de méthode
chez les délinquants que chez les non délinquants (une enquête effectuée au Centre
sodologique, 1965). La criminalité résulterait de l'affaiblissement ou de la disparition
National d'Orientation nous apprend que sur 1 296 condamnés, 50 % avaient des
des normes sociales qu'exerçait traditionnellement la société sur ses membres et qui ont
antécédents pathologiques). Tandis que l'hérédité alcoolique a souvent été relevée
tendance à se diluer avec le développement de la société de consommation.
comme facteur de délinquance (une enquête a révélé 83 % d'alcooliques chez les grands
- MERTON classe les individus en deux catégories. La première catégorie accepte
parents de malfaiteurs).
les normes sociales. S'y rangent, d'une part, les conformistes qui acceptent à la fois les
D'autres recherches se sont orientées vers la morphologie des individus:
buts et les moyens définis par la société, d 'autre part, les ritualistes qui sont des
classification de ICRETSCHMER distinguant les pycniques (large thorax, visage
résignés.
arrondi), les leptosomes (maigres), les athlétiques (forte pilosité) et les dysplastiques
(croissance retardée). Les théories constitutionnalistes
La deuxième catégorie comprendrait des individus qui contestent les normes
de DI TULLIO et de
sociales et qui se caractérisent par des procédés d'innovation, d'évasion ou de
l'inadaptation biopsychique de KINBERG considèrent que la délinquance s'explique
rébellion. L'innovation consisterait à utiliser des procédés interdits, mais efficaces pour
par des défectuosités biopsychiques constitutionnelles. Il y aurait des délinquants
parvenir à la réussite (exemple: hommes d'affaires). L'évasion s'exprimerait par les
par tendance.
inadaptés sociaux (clochards, hippies, marginaux). Enfin, la rébellion conduirait à
Enfin, les explications cytogénétiques doivent être mentionnées. Certains
l'infraction.
travaux auraient fait apparaître l'existence d 'un chromosome "Y" supplémentaire en
Cette théorie du contrôle sodal ne vise pas à expliquer le crime. Elle s'efforce
plus forte proportion chez les délinquants.
plutôt de rendre compte du respect de la loi. La question n'est pas quelle est la cause
2) Explication culturelle
du crime, mais plutôt pourquoi la plupart des gens se conforment-ils aux lois? 51
- Thorsten SEL LIN. Suédois enseignant aux États-Unis, très marqué par le
- La théorie de l'association différentielle de SUTHERLAND réalise une sorte
problème de l'immigration aux États-Unis, a développé en 1938 une théorie des
de synthèse de J'anomie et des conflits de cultures. Pour SUTHERLAND, le
conflits de cultures. D'après cet auteur, ce conflit apparaîtrait lorsque les valeurs
comportement criminel individuel n'est pas héréditaire. Il est appris au contact d'autres
morales et les normes de conduite sanctionnées par le Code pénal, sont en désaccord
personnes par un processus de communication 52 Pour ces auteurs, un individu ne
avec les valeurs et les normes adoptées par des groupes d'individus qui ont une
devient criminel que si, dans son milieu, la violation de la loi l'emporte sur son respect.
conception différente de la vie en société. L'histoire nous fournit des illustrations de ce
C'est dire l'importance du modèle parental.
genre d 'affrontements. Le système de la colonisation a mis en conflit la culture
,Y
européenne avec la culture indigène. Plus près de nous, l'attitude des milieux gauchistes
3) Explication économico-politique
Cette explication a été avancée, nous l'avons vu, par la doctrine marxiste, comme
contestant les structures de la société ou la délinquance tzigane en sont de bons
un des facteurs probables de la délinquance. Le rapport PEYREFITTE considère ces
exemples. Ainsi, la criminalité serait l'expression d 'un courant minoritaire en conflit
facteurs comme la cause prindpale de la criminalité. C'est qu'entre temps l'urbanisation
avec un courant majoritaire.
est devenue un fait de civilisation entraînant deux phénomènes successifs ou
- Dans cette perspective, a été développée par COHEN, autour des années 1960,
contemporains, la misère ou l'abondance, liés, soit à l'habitat, soit au niveau de vie. La
la théorie des sous-cultures délinquantes. Par opposition à la culture à laquelle
faillite des institutions pénales complète cette explication. Ces faits de société ont
adhèrent les membres du groupe sodal et par laquelle ceux-ci se sentent intégrés et
trouvé leur projection dans les doctrines conflictuelles.
valorisés, se développeraient des sous-cultures avec leur propre échelle de valeurs
offrant à leurs membres la valorisation à laquelle ils aspirent. Seulement, alors que la
culture dominante s'exprime par le culte du travail, le sens des responsabilités, la
51
CUSSON, La théorie du contrôle social et l'évolution de la criminalité in Problèmes actuels de
science criminelle 1989, p. 39.
52
Principes de criminologie, Cujas 1966, avec la collaboration de CRESSEY.
soctabilité, la sous-culture serait d'inspiration hédonistique, à court terme, favorisant
�77
76
• ùs faits de société
- L'habitat
La croissance de la population urbaine est générale. Pourtant, notre pays n'a
positive a été démontrée dans une enquête effectuée en Allemagne qui établit une
corrélation entre la montée du prix du seigle et l'accroissement des vols en Bavière. De
même, aux États-Unis, une corrélation entre la majoration du chômage et celle de la
criminalité a été soulignée.
connu qu'une urbanisation tardive. En 1930, 16 % des Français vivaient dans des villes
de plus de 1 000 habitants, contre 39 % d'anglais et 30 % d'allemands. Le rapport
En revanche, d'autres enquêtes, conduites aux États-Unis, montrent qu'une ère
PEYREFTITE a évoqué la "pathologie de la viIle".
Tout d'abord, la ville est agressive. La concentration urbaine développe les
de prospérité coïncide avec une forte délinquance. On a cru pouvoir trouver
interdits, les frustrations. La consàence de vivre dans un milieu agressif augmente avec
biens susceptibles d'être volés se restreint, ce qui n'est plus le cas en période
la diversité démographlque. Les désirs de violence sont plus forts. A Paris, plus d'un
d'abondance. En France, on a pu constater l'accroissement relatif du vol de voitures en
quart des personnes sondées avaient eu envie depuis plus d'une semaine de frapper
corrélation avec l'accroissement du parc automobile.
l'explication de cette contradiction dans le fait qu'en période de pauvreté, l'éventail des
quelqu'un, 3 % avouent s'être battues. Près de la moitié se disputent avec un membre de
Pour les marxistes, le droit représente la volonté de la classe dominante. li
leur famille. (Une étude réalisée aux États-Unis nous apprend que 2 % des américains
contribue à préserver les intérêts de cette classe. Dans la société capitaliste, les
ont utilisé une arme pour se défendre contre les cambrioleurs).
infractions ne sont que le produit des contradictions antagonistes de cette société de
classe caractérisée par l'exploitation de l'homme par l'homme.
En second lieu, la ville se révèle criminelle: Les grandes villes sont affectées par
la criminalité. Aujourd'hui, les 3/5 des actes délictueux sont commis dans la région
par l'édification d'un ordre social nouveau.
parisienne, le Nord, la Provence, Côte d'Azur. Marseille représente 70 % de la
Mais l'effondrement du bloc soviétique révèle l'importance de la délinquance et a
criminalité des Bouches du Rhône. Les études entreprises aux États-Unis nous
entrainé la mise en chantier de nouveaux codes pénaux dans la majorité des pays de
apprennent que le seuil optimum d'une ville serait de 220 000 habitants et que le taux
l'Est.
de criminalité croît avec la hauteur des étages (- 6 étages, 45 pour mille; + 6 étages 67
pour mille). 53
- Le niveau de vie
L'influence des facteurs économiques est controversée à la fois en criminologie et
sur le plan des idéologies politiques. Le marxisme attribue la criminalité au monde
capitaliste. Cette criminalité doit disparaître dans un système marxiste. Cette analyse
impliquerait qu'il soit prouvé que la criminalité dépend effectivement de la structure
économique dans les pays capitalistes. Les libéraux contestent cette analyse en
montrant que les pays les plus avancés dans la voie du socialisme n'ont pas fait
disparaître la criminalité.
Pourtant, l'enjeu n'est pas purement politique. Il présente un intérêt pour la
prédiction de la criminalité. Il apparaît, dès à présent, que la criminalité est
relativement faible dans les pays peu industrialisés, beaucoup plus forte dans les pays
53
La société socialiste, au contraire, doit permettre la disparition de la délinquance
Le nouveau Code pénal chlnois du 1er juillet 1979 définit le droit comme un
instrument de domination de la classe au pouvoir, son dépérissement n'étant prévu que
pour la future société sans classe que sera le communisme.
La doctrine marxiste vient d 'être renouvelée, il y a peu, par deux mouvements
doctrinaux nés aux États-Unis, la labeling theory et la criminologie radicale.
- La Faillite des Institutions Pénales
Le rapport PEYREFTITE en fournit trois illustrations.
Tout d'abord, on observe l'inefficacité croissante des services de police. Le
pourcentage des affaires élucidées reste très faible.
- Crimes et délits contre les personnes
77 %
- Stupéfiants
49 %
- Infractions économiques
80 %
industrialisés. Il y a donc, apparemment, corrélation entre le niveau économique du
14 %
- Vols
Mais, pour l'ensemble des infractions, le pourcentage des affaires élucidées qui
pays considéré et le taux de la criminalité. Pourtant, ce n'est pas certain. La relation
était de 61 % en 1955 est tombé à 32,53 % en 1992 (contra, au Japon, pour des
cf. SZABO, Crimes et villes 1960 : J. BORRICAND, Espace urbain et prévention de la
délinquance, R. S. C. 1990~22 ; Séminaire international de formation "La prévention de la
criminalité en milieu urbain et XXVllème Congrès de l'Association Française de Criminologie,
Aix~n-Provenœ, 29 septembre-S octobre 1991, PUAM 1992; Deuxième Séminaire International
de Formation, Aix-en-Provence, avril 1993, P.U.A.M. 1993.
infractions graves, le taux d'élucidation atteint 86 %).
li en résulte, en second lieu, une perte du crédit de la justice. Les sondages
révèlent que l'opinion publique a une mauvaise image de la justice. Justice est synonyme
�78
79
de lenteur. Les instructions s'allongent, les détentions provisoires représentent 40 % de
droit à la différenceS? Ainsi, plutôt que d'inadaptation de notre système répressif, il
la population pénale. Cet état de fait, "ce grippage de la machine judiciaire" 54 a une
serait préférable de parler d'une hypothèse d'éclatement des valeurs éthiques 58. Ces
double conséquence. Il conduit, d'une part, à un développement des polices
1\
divers faits de société contribuent à l'éclosion de doctrines explicatives nouvelles.
municipales et des agents de surveillance, le gardiennage représenterait plus d'un tiers
• Les doctrines conflictuelles
du personnel de la gendarmerie et de la police 55, ce qui peut être inquiétant, mais ce
qui l'est plus, c'est la renaissance de la justice privée. Ça et là éclosent parfois des
Ces doctrines, également fondées sur l'idée de domination de classe ou d'intérêts,
"milices spontanées". il contribue, d'autre part, à l'accroissement de la criminalité, la
ont fait leur apparition il y a trente ans. Il s'agit de la "labeling-theory" et de la
justice ne présentant plus d 'effet dissuasif pour les malfaiteurs.
La troisième illustration de la faillite des institutions pénales peut être trouvée
"criminologie radicale" 59.
- La labe ling theory
dans l'inadaptation de notre système répressif. D'abord, la pratique judiciaire est
Cette théorie est connue en France sous le nom de la théorie de la stigmatisation
souvent condamnable. On a démontré, depuis longtemps, la nocivité de la prison.
ou de l'étiquetage. Elle s'appuie sur l'observation d'après laquelle des appréciations
Pourtant, on n'hésite pas à emprisonner pour des délits mineurs. On a dénoncé les
négatives portées par les institutions et l'entourage immédiat de l'individu auraient
méfaits des amnisties généralisées. Pourtant, systématiquement le législateur y a
pour effet d'engager l'étiqueté dans une carrière déviante.
recours. On pourrait citer les peines de substitution trop systématiques, les grâces
Dans un ouvrage paru en 1963, BECKER pense, contrairement à la conception
médicales trop largement accordée 1ais, surtout, on soutient que le droit et les
traditionnelle qui voit dans la délinquance la violation de règles de conduite
institutions pénales ne se sont pas suffisamment adaptés à l'évolution de la société, si
préétablies, que c'est le groupe social qui élabore les interdits sociaux et applique ses
bien que les valeurs actuellement protégées par la loi pénale ne sont plus reconnues par
règles à certains en les désignant comme des déviants. Ainsi, la déyjance serait une
l'unanimité du groupe social ni même par sa majorité. Certes, des réformes ont essayé
création du groupe social en ce que c'est à la fois celui-ci qui élabore les interdits
de tenir compte de ce constat. On a dépénalisé l'avortement, l'émission de chèque sans
pénalement sanctionnés et qui applique les normes ainsi créées 60.
provision, l'adultère, l'homosexualité, le vagabondage ou la mendicité. En revanche, on
Pour ce courant interactionniste, c:: est le contrôle social qui mène à la déviance.
a incriminé le sexisme ou le racisme. Ces mesures illustrent le souci du législateur de
Cette analyse se situe aux antipodes de la théorie de DE GREEFF insistant sur la
suivre l'évolution des mœurs. Il est significatif que le nouveau code pénal ait placé en
structure délinquantielle et le processus du passage à l'acte. 61
premier la protection des personnes. Il arrive que le législateur précède l' évolution des
mœurs, (exemple : abolition de la peine de mort, en 1981).
- La criminologie radicale ou CIitique
Elle est née vers les années 1970 aux États-Unis et en Angleterre. Aux États-
Toutefois, on a pu contester l'explication de l'inadaptation de notre système
Unis, c'est l'École de BERKELEY (SCHWENDIGER, Tony PLATT). En Angleterre, ce
répressif. D'abord, il ne semble pas que ces réformes aient influé en quoi que ce soit sur
sont les représentants de la "New Criminology " (TAYLOR, Walter YOUNG). Ce
l'évolution de la criminalité. En second lieu, il n'apparaît pas qu'un consensus nouveau
mouvement a contaminé la France 62
se soit dégagé exprimant une nouvelle éthique sociale "A l'ancienne éthique sociale
D'inspiration marxiste, cette théorie a été en relation avec les mouvements des
uniforme a fait place, non pas une éthique nouvelle, mais une multiplicité de systèmes de
valeurs différents et souvent contradictoires assurés par de multiples minorités" 56. De
nombreux désaccords apparaissent dans de multiples domaines. Le droit à
droits civiques, les mouvements étudiants contre la guerre au Vietnam.
57
l'avortement a fait l'objet de polémiques passionnées. Les homosexuels réclament le
WEINBERGER, jAKUBOWICZ et ROBERT, Société et gTavité des infractions, R. S. C. 1976915.
58
R. GASSIN, art. préc. p. 46.
S9
cf. R. GASSIN, De quelques tendances de la criminologie anglaise et nord-américaine, R. S. C.
1977-249.
S4
R GASSIN, La crise des politiques criminelles occidentales, in P.U.A.M. 1985, p. 35
60
BECKER, Outsiders, studies in the sociology of deviance, 1963.
55
100 000, in OCQUETEAU, rapport sur la Prévention des occasions de vol Colloque Aix 4-5
décembre 1987.
'
"
61
CARBONNIER, Théorie de la stigmatisation et sociologie du droit pénal in XVlllème
Congrès Français de Criminologie, 18-20 octobre 1979 à Aix-€n-Provenœ, PUAM 1981.
56
R GASSIN, art. prée. p. 46.
62
FOUCAULT: Surveiller et punir, Gallimard 1975.
�81
80
)CI
Elle présente un double caractère (R. GASSIN, art. préc.). Elle se veut, à la fois,
explicative et militante.
4)
L'explication psychosociale
La conjonction de1'lusieurs phénomènes de société, l'appauvrissement des
rapports sociaux, l'effritement des valeurs morales, le poids des incivilités, peuvent
Caractère explicatif
L'action criminelle est l'acte politique par lequel le délinquant refuse l'organisation
expliquer l'accroissement de la criminalité qui s'inscrivent dans l'émergence d'un
sentiment d'insécurité.
sociale en place.
il faut faire une analyse sociologique et historique des systèmes pénaux des pays
C'est là un postulat de départ du rapport PEYREFITTE. Pourtant, ce sentiment
est moins vécu que ressenti. Si la majorité d'entre nous éprouve, en ce moment, ce
capitalistes dans une perspective marxiste.
La loi n'est pas neutre comme d'ailleurs son application; l'une et l'autre ne sont
sentiment, peu l'ont vécu. Une enquête révèle que 95 % des Français n'avaient pas subi
que l'expression et l'exercice de la domination des intérêts de la bourgeoisie sur le
d'attaque au cours du mois écoulé précédent l'enquête, et que 87 % n'avaient même pas
prolétariat. La criminologie radicale doit donc rejeter les définitions légales du crime
été témoins dans le mois d'un acte de violence. "La violence est ressentie comme lointaine
pour rechercher des définitions qui reflètent, au contraire, la réalité d'un système injuste
et indirecte ". Cette confusion entre le vécu et l'imaginaire s'explique sans doute par les
basé sur le pouvoir et les privilèges. Pour le couple SCHWENDIGERS, il faut redéfinir
médias. "La France a peur" avait dit un présentateur de télévision. Un phénomène
le crime comme la violation des droits de l'homme, définis dans une optique socialiste:
d'identification apparaît lors d'une prise d'otages ou de crimes crapuleux.
droit à la vie, à la nourriture, au logement, droit à la dignité et droit à la liberté. il en
TOCQUEVILLE ne disait-il pas déjà "Plus un phénomène désagréable diminue, plus ce
résulte un programme d'études entièrement renouvelé.
qu 'il en reste est perçu ou vécu comme insupportable". Ainsi, toute diminution du niveau de
violence s'accompagne d'une sensibilité accrue à la violence. Dans le même temps, le
Caractère militant
seuil de tolérance à la violence s'est abaissé. Les progrès de la médecine ont
Le criminologue radical doit être un homme d'action. il faut lutter pour le
désaccoutumé l'individu à la souffrance. Un sondage réalisé en 1989 auprès de 15 000
changement social et l'établissement d 'une société conforme à son idéal.
personnes fait apparaître un certain consensus sécuritaire dans la population 63 .
• L'appauvrissement des rapports sociaux
La conclusion sur l'intérêt de ces recherches peut être la suivante :
La concentration urbaine a développé l'individualisme qui entraîne trois
La "labeling theory " a contribué à éclairer le phénomène du passage à l'acte face à
conséquences.
une criminologie traditionnelle orientée vers l'étude de la structure de la personnalité du
Tout d'abord, la solitude apparaît. C'est la famille nucléaire qui rejette les vieux
délinquant.
dans des sortes de ghettos (maison de retraite) et oublie les jeunes avec le
Elle a également montré l'influence des institutions répressives sur la récidive (ce
développement de l'activité professionnelle des femmes.
qu'on savait déjà : la prison criminogène).
En second lieu, l'indifférence s'installe avec l'absence de civisme, le désintérêt
En revanche, il est abusif de parler de criminologie de la réaction sociale. Il est
pour la chose publique, le refus de s'engager.
contestable de dire que la déviance est liée à la qualité des actes incriminés par la loi.
Simplement, on peut admettre que différents aspects de la réaction sociale peuvent
Enfin, l'anonymat explique l'accroissement de la criminalité. A Paris 2/ 3 des
avoir une influence sur la formation de la personnalité des délinquants et sur la
malfaiteurs opèrent le jour. Cet isolement entraîne le repliement sur soi et des
constitution des situations pré criminelles.
habitudes de vie différentes. D'où le maintien de l'alcoolisme et la montée de la drogue.
De même, il est abusif de dire que les règles pénales ne sont que le produit de
• L'effritement des valeurs morales
groupes sociaux spécifiques qui détiennent le pouvoir politique et économique. Tout au
Ici encore, on observe la défaillance du sens moral et le développement de
plus, peut-on dire que c'est l'absence de règles pénales mises en place qui a pour origine
morales en marge.
tel groupe social au pouvoir (législation industrielle).
- La défaillance du sens moral est un élément souvent présenté surtout vis à vis
On peut faire les mêmes observations pour la criminologie radicale.
des jeunes. Plusieurs raisons l'expliquent.
63
I.H.E.S.I., Ca hier nO 1 avril-juin 1990.
�83
82
La déchristianisation a été avancée par certains (TARDE) tandis que FERRI
Outre l'ensemble de ces différents facteurs prédisposants, depuis longtemps
contestait ce facteur. Une enquête a révélé que les catholiques avaient tendance à être
répertoriés, il faut faire une place à ce qu'il est convenu d'appeler les facteurs
plus criminels que les protestants et ceux-ci. plus que les juifs. Une autre enquête
déclenchants.
effectuée dans l'Ouest de la France nous apprend le faible nombre d'homicides et de
~
vols, mais l'importance des délits sexuels.
La déscolarisation est également discutée. "Ouvrir une école, c'est fermer une
hl W facteurs déclenchants,
Assez curieusement, les recherches criminologiques ne se sont tournées que très
prison" disait HUGO. n ne semble pas que l'instruction ait une influence sur le volume
récemment sur ce qu'il est convenu d'appeler le passage à l'acte.
de la criminalité; en revanche, on dénote une influence sur la nature de celle-ci: des
C'est le Belge De Greeff qui a, le premier, perçu l'existence d'un processus
illettrés se cantonnent dans la délinquance violente, tandis que les plus instruits
complexe du passage à J'acte criminel et s'est efforcé d'en décrire les phases. L'intérêt
s'accomplissent dans la délinquance astucieuse (cartes à puces). Sans doute, une
de ses travaux est capital. Expliquer le mécanisme du passage à J'acte doit permettre
enquête effectuée au CN.O. sur 2.00S condamnés, révèle le faible degré d 'instruction.
de recenser les probabilités criminelles et de proposer des mesures préventives pour
Cela ne paraît pas probant, car il est bien connu qu'il est plus facile de détecter
empêcher la réalisation de ce passage à l'acte 66. A la suite de De Greeff, d'autres
l'infraction violente que J'infraction rusée.
auteurs ont proposé des processus d'interaction qui permettent de préciser, d'une part,
Le rôle des médias est également discuté. Pour certains, leur pouvoir est néfaste :
les conditions du passage à l'acte et, d'autre part, le mécanisme du passage à l'acte.
fragilisation des individus, pouvoir amplificateur de la télévision, etc .. Pour d 'autres,
1) Les conditions du passage à l'acte.
les médias sont bénéfiques : liquidation de J'émotion causée par le crime, (catharsis)
La soudaineté de la réalisation de J'infraction est en réalité l'aboutissement d'une
publicité nécessaire, contribution au besoin social de justice 64.
longue maturation variable selon la personnalité criminelle considérée 8
Les cannees éducatives sont, en revanche, dénoncées comme contribuant
selon la
situation criminogène.
fortement à J'acte criminel, qu'il s'agisse de familles dissociées, où la proportion de
délinquants qui en sont issus est plus forte, que de familles corruptrices susceptibles de
- La personnalité criminelle.
développer des conflits de culture (SELLIN) ou encore de familles déficientes.
Pour la préciser, on peut poser le problème à l'envers et s'interroger sur la
Le développement de morales en marge
personnalité non criminelle. Qu'esH:e qui empêche le non délinquant d~sser à l'acte?
n apparaît comme une autre illustration de l'effritement des valeurs morales.
La crainte du châtiment, la déconsidération familiale ou sociale, la pitié pour la
D'abord, les marginaux représentent aujourd'hui une philosophie et une idéologie.
victime, le sentiment de l'immoralité de l'acte représentant, autant de freins qui, chez le
Le marginal rejette l'individualisme pour retrouver le sens de la communication
délinquant, n'ont pas joué. PINATEL énumère 4 composantes de la personnalité
primitive. Ensuite, la formation de bandes occasionnelles constitue un facteur de
criminelle : l'égocentrisme, la labilité, l'agressivité, l'indifférence affective 67.
criminalité. Chez les jeunes, la loi de J'imitation accélère le processus délinquantiel.
- La situation criminogène.
Chez les adultes, le terrorisme en est aujourd'hui une illustration.
Le crime ne suppose pas seulement un certain type de personnalité, il implique
Enfin, le milieu ou plutôt des milieux différents se sont constitués (drogue,
également l'existence d'une situation pré-criminelle. Pour SEELIG "le milieu s'est avéré
terrorisme, fausse monnaie).
jouer un rôle décisif dans le déclenchement des actes criminels, dans leur date et dans leur mode
• Le poids des incivilités, (dégradation de boîte aux lettres ; groupe de jeunes
d'exécution ".
agressifs; vitres brisées ... ) constitue d'a près des recherches américaines récentes, une
Pour cet auteur, toute situation pré-criminelle comporte, d'une part, un ou des
cause inéluctable de la croissance de la délinquance. "Elles manifestent par leur nombre et
événements qui ont suscité la formation du projet criminel dans l'esprit du délinquant
leur permanence, le lâcher prise dans les institutions et de la collectivité su r les questions
d'ordre public" 65.
et, d'autre part, des circonstances qui ont entouré la préparation de l'exécution du
crime.
64
d . LEAUTE, Criminologie PUF 1972, p. 396.
66
E. De Greeff, introduction à la criminologie, 1947.
65
s. ROCHÉ, Le poids des incivilités, Le Monde 31 mai 1995.
67
J. PIN ATEL, La criminolog;e, '2ème éd.
�84
85
L'événement varie selon les individus, il peut être important -l'état de misère- ou
idée. Puis, vient la phase de la crise au cours de laquelle l'agent accepte à la fois le
insignifiant -un geste mal interprété-. Il peut y avoir succession d'événements (scènes de
risque et la honte du crime et où il passera à l'acte, parfois à la suite d'un fait minime.
ménage). Ces circonstances sont des faits plus ou moins recherchés par le futur
Enfin, la phase du dénouement traduit un changement d'attitude. Le délinquant peut
délinquant qui le mettent en situation de réaliser son projet criminel (se trouver seul
manifester, selon les cas, soulagement, regrets, joie... 68.
avec la victime, avoir accès à un tiroir caisse). CUSSON a dégagé le facteur
Le processus a été notamment étudié dans le crime passionnel où l'on trouve la
d'opportunité. L'existence de ces circonstances est décisive dans le passage à l'acte.
présence de deux autres processus. Un processus de réduction qui consiste à ramener
Sans elles, le projet criminel n'aurait pu se concrétiser et, avec l'écoulement du temps, se
sa victime au rang d'abstraction et un processus suicide se caractérisant par un
résorber. Aussi, convient-il de développer les mesures de prévention (système d'alarme,
désengagement de l'agent devenu indifférent à son propre sort.
blindage de portes, îlotage), pour éviter l'émergence de telles circonstances.
Pour le vol, De Greeff observe que presque tous les voleurs justifient leur acte par
I<INBERG s'est efforcé d'inventorier trois types de situations pré-criminelles;
l'injustice du monde.
d'abord, les situations spécifiques ou dangereuses se caractériseraient par le fait que
- Le drift de David MATZA
l'occasion de commettre une infraction habite en permanence l'agent (jalousie). En
Pour ce sociologue américain69, l'action criminelle ne serait pas liée à des facteurs
revanche, les situations non spécifiques ou amorphes impliqueraient que l'occasion de
endogènes ou exogènes, mais résulterait du libre choix du délinquant, aux termes d'un
commettre un délit n'est pas présente mais doit être recherchée (acquisition d'outils,
processus de flottement , de laisser aller, de "drift ". La négation de la culpabilité et le
reconnaissance des lieux). Enfin, il y aurait les situations mixtes où l'occasion de
sentiment d 'injustice subie trouveraient leur fondement à la fois dans notre système
commettre le crime est donnée à l'individu, sans qu'il ait à la rechercher mais sans pour
répressif (légitime défense, cause de non imputabilité, force majeure, mécanismes
autant qu'il y ait corrélation entre l'agent et la réalisation de l'infraction (ex.
d'exonération de la responsabilité de l'agent largement exploitées) et dans notre
exécutants).
système culturel où la responsabilité de la société, des parents est souvent soulignée.
~
2) Le mécanisme du passage à ['acte.
D'où un sentiment de fatalisme. Mais cette explication de la délinquance n'a été
envisagée par MA TZA qu'à propos de la délinquance juvénile.
Pour expliquer le franchissement de l'interdit, plusieurs explications ont été
Ces diverses recherches ne sont pas purement dogmatiques. Elles présentent de
proposées, on peut en retenir trois :
- Le processus de maturation criminelle de SUTHERLAND trouve sa source
multiples intérêts. Sur un plan immédiat, elles permettent une meilleure différenciation
dans une situation spécifique, c'est-à-dire non dangereuse, celle dans laquelle l'occasion
des criminels, une meilleure connaissance de la délinquance juvénile, grâce à MATZA,
doit être recherchée par l'agent. Ce type de passage à l'acte comporte deux éléments :
une meilleure approche de la tentative punissable, grâce aux travaux de De Greeff.
Sur un plan plus général, et cela est valable pour tous les auteurs, leurs travaux
tout d'abord, l'adoption délibérée de la carrière criminelle par l'agent, en second lieu,
l'acquisition des techniques nécessaires à l'exercice de son activité coupable.
devraient permettre de mieux orienter les politiques de prévention.
SUTHERLAND cite le cas d'un caissier qui, éprouvant des difficultés financières,
t
"emprunte ", mais n'a plus la possibilité de restituer l'argent. Dans d 'autres cas, le
§ 3 - LA POLITIQUE OUMINELLE.
processus est plus rapide (malfaiteur professionnel).
- Le processus d'acte grave de De GREEFF trouve, au contraire, son point de
Cette expression, inventée par le pénaliste allemand FEUERBACH, au début du
départ dans une situation spécifique ou dangereuse. L'occasion de l'infraction n'a plus
19 ème siècle, a été utilisée, depuis lors, dans des sens différents. On peut la définir,
à être recherchée par l'agent. Elle est présente et domine sa vie. Ce processus
tout d'abord, comme étant l'organisation de la luite contre la criminalité dans un État
comprendrait quatre étapes. La première serait celle de l'assentiment inefficace, où
donné à un momen t d onné. Mais on entend, également, par là, les politiques
l'agent enregistre l'idée du crime, mais ne la fait pas sienne en tant que projet. Il accepte
criminelles effectivement appliquées par les États. On parle ainsi de politique
l'idée d 'une disparition de la victime (lassitude d'un conjoint à l'égard de son
criminelle, lib érale, autoritaire. C'est le Français DONNEDIEU de VABRES qui,
partenaire). C'est ce que les psychiatres appellent le deuil anticipé. La deuxième phase
est nommée phase de l'assentiment formulé au cours de laquelle l'agent commence à
concevoir son propre rôle dans l'accomplissement du crime, tout en résistant à cette
68
De GREEFF, Introduction à la criminologie, 1947.
69
Delinquency and drift,
J. Willeyandson, 1982.
�87
86
publiant en 1938 "lA politique criminelle des États autoritaires", a donné l'impulsion à
coordonner ces actions 71. Le gouvernement JUPPÉ a préféré répartir entre divers
cette disàpline nouvelle qui se fait connaître par les "Archives de politique criminelle" et
ministères cette politique de prévention.
de nombreux colloques. Ces travaux font apparaître la difficulté de définir le contenu
Le degré de criminalité d'une société est fatalement fonction des facteurs
de la politique criminelle et révèlent que toutes les sociétés occidentales connaissent une
criminogènes du milieu et de leur action sur les facteurs criminogènes tenant à la
crise des politiques criminelles 70 •
personnalité des individus. La difficulté est de dégager les mesures à prendre. Il est
certain, par exemple, que la construction des grands ensembles développe des bandes
A) Le contenu de la politique criminelle
d'adolescents livrés à eux-mêmes et portés à la délinquance, et que le maintien des
taudis entretient certains délits sexuels. En revanche, on peut s'interroger sur l'action
Apparemment, la politique criminelle ne se distingue pas du droit pénal puisque
néfaste ou bienfaisante de la pornographie. Jusqu'à ces derniers temps, les conventions
la lutte contre la criminalité se situe sur deux plans, celui des incriminations: apprécier
internationales luttaient contre le développement des publications obscènes. Mais
le caractère délictueux de tel ou tel comportement, celui des sanctions: juger quelle est
d'éminents criminologues prétendent qu'une libération en ce domaine, loin d'entraîner
la meilleure.
Cependant, elle s'en sépare, car la politique criminelle est l'ensemble des
une aggravation de la criminalité, est de nature à amener une diminution de celle-à. On
moyens orientés vers la lutte contre la criminalité. Or, le droit criminel n'est qu'un de
certains films.
peut poser une interrogation du même ordre pour l'influence corruptrice ou non de
ces moyens. A côté, la politique criminelle envisage des mesures dites de prophylaxie
Le problème est amplifié par le fait qu'entre dans les politiques criminelles une
sociale (ex. BECCARIA suggérant l'éclairage des rues pour lutter contre la criminalité).
part d'opportunisme qui adopte des solutions particulières en contradiction avec le
f' Les moyens d'action de la politique criminelle apparaissent extrêmement
système d 'ensemble de la politique criminelle et que toute politique criminelle est
étendus.
(
Tout d'abord, elle dispose de tout l'arsenal des incriminations et des sanctions
fonction des conceptions politiques et sociales générales. Toute politique criminelle d 'un
\ pénales. La politique criminelle commande un élargissement des faits délictueux et un
toujours conduite par des hommes d'expérience "quand ... sortira-t-elle enfin du
État dépend de la politique suivie dans les États voisins et peut-être n'est-elle pas
néolithique? " s'écrie un auteur n
assouplissement des conditions d'incrimination qui s'étendent au droit des affaires, au
droit économique. Quant aux sanctions, l'accent est aujourd'hui mis sur des mesures
B - La crise de la politique criminelle
non corruptrices (sursis, libération conditionnelle, etc.) et sur des mesures de sûreté
(retrait du permis de conduire à l'encontre des alcooliques, fermeture d'établissement,
retrait de licences).
11 est manifeste, aujourd'hui, que les politiques criminelles des pays occidentaux
En second lieu, la politique criminelle comprend des mesures de prophylaxie
sont devenues incapables de remplir la fonction essentielle pour laquelle elles ont été
sociale. FERRI qualifiait déjà ces mesures de "substituts pénaux" et voyait en elles un
créées: "elles n'assurent plus un contrôle satisfaisant de la criminalité" (R. GASSIN, art.
remplacement souhaitable des peines traditionnelles. Depuis une dizaine d'années, la
préc. p. 25).
politique d
rev
tion, tous azimuts, s'est développée sous l'impulsion de G.
Depuis une trentaine d 'années, la criminalité !l'a cessé d'augmenter_dans des
BONNEMAISON et avec la création du Conseil National de Prévention de la
proportions allant de 200 % à 1000 % selon les crimes.
Délinquance, des conseils départementaux et communaux et plus récemment la
délégation interministérielle à la ville (DIV) qui entend développer une politique de
prévention en milieu urbain en luttant contre l'illétrisme, l'exclusion, le chômage, la
drogue, etc. .. Le Ministère de la Ville, créé en décembre 1990, entendait maintenant
71
J. BORRICAND, La nouvelle politique française de prévention de la délinquance en milieu
urbain, in Problèmes actuels, 1992-23 ; XXVII, Congrès de l'Association française de
criminologie, Aix, 4-5 octobre 1992 : La prévention de la criminalité en milieu urbain, PUAM,
1992.
72
70
Ch. LAZERGES, La politique criminelle, Que sais-je? 1990 ; D. SZABO, Criminologie et
politique criminelle, Vrin 1978.
R. GASSIN, la criminologie et les tendances modernes de politique répressive, R.5 .C. 1981,
279;'Ch. LAZERGES, Les problèmes actuels de politique criminelle, in Problèmes actuels,
1992,90.
�88
89
On peut avancer plusieurs hypothèses d'explication de cette crise. Tout
d'abord, on observe une inflation des lois pénales 73 conduisant à une sorte de
banalisation des comportements délinquantiels. En second lieu, on constate une
dégradation progressive du taux d'efficacité des services de police et de justice
(/j (
(allongement des procédures, détentions provisoires entretenues, dépénalisation
développée). Ensuite, rappelons l'éclatement des valeurs morales. Enfin, la sanction
pénale ne paraît plus adaptée. Les méthodes de réinsertion sociale sont des échecs74 .
CHAPITRE III: HISTOIRE DE LA REACTION SOCIALE
CONTRE LE PHÉNOMÈNE CRIMINEL
Les programmes de prévention mis sur pied ici ou là, (Oücago Area project de Chicago
en 1934 pour la délinquance juvénile), les campagnes publicitaires n'ont pas donné les
résultats attendus (campagne anti "été chaud" : déplacement de la criminalité).
\
Devant ce constat d'échec, le problème qui se pose est de savoir comment sortir
\ de la crise et si cela est possible. L'histoire de la réaction sociale contre le phénomène
criminel peut nous fournir des réponses. C'est ce qu'il convient maintenant de vérifier.
Sans entrer dans les controverses relatives à l'histoire de la justice pénale, on
peut supposer que la réaction sociale contre le phénomène criminel remonte à des
temps très anciens. D'abord, brutale et désordonnée, cette réaction
s'est
progressivement humanisée. A l'origine, la part des religions était très importante. Puis,
avec l'affermissement de l'État, celui-ci va codifier la mesure de cette réaction. Sous
l'influence des philosophes, la réaction sociale prend un autre aspect, elle devient
LECTURE
rationnelle. Une nouvelle politique criminelle à caractère humanitaire est mise en place.
R GASSIN, Criminologie, 3ème éd. 1995.
Ce n'est qu'à la fin du 19 ème siècle que s'ouvre une 3° étape, dans laquelle nous nous
C. LAZERGES, La politique criminelle, Que sais-je? 1980.
trouvons actuellement, qui est celle des réactions scientifiques, fortement influencée par
des mouvements doctrinaux.
Bien entendu, cette évolution n 'est pas linéaire, ni irréversible. Les pulsions
instinctives demeurent. Elles sont parfois inscrites dans le droit (ex. la légitime défense,
art . 122-5 c.P. ; l'arrestation en cas de crime flagrant, art.73 c.P.P.) ou l'étaient, il y a
peu, (peine de mort), ou affleurent parfois à la surface du vécu (autodéfense). D'autre
part, des impératifs opportunistes liés à des périodes de crise ont pu contrarier cette
évolution . Globalement, cependant, on peut décrire l'histoire de la réaction soàale en 3
phases successives :
- phase d es réactions instinctives
- phase des réactions rationnelles
- phase des réactions scientifiques
73
DELMA>-MARTY, L'inflation pénale, rapport au 6 ème Congrès françai s de droit pénal,
Montpellier, 7-9 novembre. 1983.
74
CUSSON, le contrôle social du crime, P.U.F. 1983 ; Délinquants, pourquoi ? Colin 1981 ; Le
contrôle social du crime, P.U.F. 1983; G. PICCA, La criminologie, Que sais-je, 1983.
�90
SECTION 1 - LA PÉRIODE DES RÉACTIONS
INSTINCTIVES
Cette période se développe des origines jusqu'au milieu du 18 ème siècle. Elle se
caractérise par une réaction brutale et spontanée contre le crime.
Dans le schéma habituellement présenté, la réaction sociale serait passée par
deux étapes successives, celle de la réaction privée, puis celle de la réaction publique,
encore que cette chronologie soit aujourd'hui remise en cause par nombre d'auteurs.
§ 1- LA RÉACfION PRIVÉE
Cette phase s'exprime par le passage insensible de la vengeance privée à la
justice privée.
A) La vengeance privée
Elle s'est maintenue, tant que l'État n'était pas constitué ou assez fortement
établi. Cette vengeance, sentiment inhérent à la nature humaine, s'exprimait, soit dans
le cadre familial, le chef de famille châtiant le coupable, soit dans le cadre du dan, tous
les membres tenus d 'un devoir moral de vengeance, sans tenir compte de la
responsabilité. D'où des luttes incessantes que seule l'existence d 'un État pouvait
canaliser.
B) La justice privée
Cette phase a pour objet de mettre un terme à l'exercice de la fo rce brutale. L'État
apporte une triple série de restrictions : dans l'exercice de la vengeance, l'État limite
les sujets actifs et passifs du droit de vengeance. Celui-ci ne peut plus être exercé que
par certains proches parents et, en cas d'abandon noxal, c'est-à-dire de livraison du
coupable à la famille de la victime, la vengeance ne peut frapper que le coupable ; dans
le degré de la vengeance : le système des compositions pécuniaires permet à la victime
de recevoir une indemnité, d'abord libre, puis tarifée; dans les modalités de la
vengeance: dans l'espace (droit d'asile) et dans le temps (trèves, paix d e Dieu).
�91
92
Les ethnologues actuels contestent la chronologie, vengeance privée, justice
A-Fond
privée. Dans beaucoup de peuples, la vengeance a cohabité avec la composition
pécuniaire. 7S
Tout d'abord, l'arbitraire domine dans tous les domaines. Mais le sens du mot
Le système accusatoire illustre cette période de la réaction privée. Il est
arbitraire doit être compris comme choisir la peine la plus adaptée à l'exigence du cas
l'expression d'une lutte, qui oppose deux adversaires. Dans sa forme primitive, il se
(arbitrer la peine).
rapproche étroitement du procès civil, car les sanctions prévues ne lui sont pas
On doit souligner tout d'abord le caractère hétérogène des sources du droit
spécifiques. il se caractérise par les traits suivants. Tout d'abord, accusateur et accusé
pénal, malgré les efforts de codification (ordonnance de 1670), codifiant la procédure
sont placés sur un pied de complète égalité "Ils tiennent prison tous /es deux" . il faut un
pénale.
accusateur pour saisir le juge, la victime ou un membre de sa famille. Il n'y a pas
Ensuite cet arbitraire se manifeste à différents niveaux :
d'accusateur public. En second lieu, la procédure est orale, publique, contradictoire.
- Arbitraire du Roi qui, disposant de la justice retenue, pouvait mettre fin à la
L'accusateur fait valoir ses preuves, l'accusé les discute, le procès est la chose des
peine par des lettres de rémission, comme infliger lui-même les peines selon son bon
parties. Enfin, de ce fait, le juge est dépourvu de toute initiative, il est neutre. C'est un
plaisir (lettres de cachet).
simple particulier, chargé d'écouter et de constater les preuves qui lui sont présentées.
- Arbitraire du juge, doté cfe pouvoirs très larges dans la définition des
Ces différentes caractéristiques assurent à la défense des garanties. Mais les
infractions. Celles-ci consistent, non seulement, dans des actes positifs, mais,
inconvénients sont évidents : impunité favorisée, passions déchaînées, moyens de
également, dans des attitudes purement internes (athéisme, hérésie, déviations
preuve primitifs (ordalies, duels). Pas d'accusation, pas de procés.
sexuelles sans publicité) et, d'une façon plus générale, dans tout manquement aux lois
divines ou naturelles. Enfin, la responsabilité pénale repose sur l'idée de responsabilité
§ 2 - LA RÉACTION PUBLIQUE
morale inspirée par l'Église. De ce fait, seuls les actes volontaires sont sanctionnés. "II
ne peut exister de pêché sinon volontaire" (Saint-Augustin).
Mais, le juge a toute latitude pour disposer des circonstances atténuantes selon le
L'affirmation progressive de l'État, la référence au droit romain va permettre la
cas.
reconstruction de l'État royal et le triomphe du droit pénal public.
Mais, l'arbitraire se manifeste, aussi, dans le système répressif 76, car le juge
il est bien certain que la transition a été insensible. Elle s'est opérée, notamment,
peut choisir n'importe quelle peine pourvu qu'elle soit "en usage dans le royaume".
par la reconnaissance, de plus en plus large, des délits publics à côté des délits privés.
Au XVIO siècle, cette substitution était réalisée. Certes, l'idée de vengeance n'avait pas
En effet, le système répressif se caractérise par sa finalité et par sa rigueur. La
disparu, mais elle était devenue sociale. D'autre part, l'Église développait la
finalité de la peine est, d'abord, son exemplarité. En punissant le délinquant, on
responsabilité individuelle, humanisait les prisons, mais la justice rendue par les
rappelle à la raison ceux qui seraient tentés de les imiter. L'exemplarité apparaît
ecclésiastiques perdit peu à peu ses justiciables et fut absorbée par l'autorité royale.
évidemment dans la cruauté de certains supplices mais aussi dans la publicité qui leur
Des traits essentiels dominent la phase de la réaction publique, respectivement, au
est donnée. Les exécutions capitales ont lieu en plein jour, parfois devant la maison de
fond et dans la forme.
la victime, parfois en effigie (pilori). La sécurité publique est un deuxième but visé par
la peine. Le bannissement éloigne les indésirables. L'enfermement les cloître. Les
mendiants sont systématiquement incarcérés. Un auteur définit ainsi la prison : "Prison
est un lieu public destiné à garder les criminels et aussi quelquefois les deôiteurs dans les cas où
ils se sont obligés par corps . Les prisons ne sont établies que pour garder les criminels et non
pour les punir" n Enfin, la peine représente l'espoir d'un amendement 78. L'influence
75
N. ROULAND, les modes juridiques de solution des conflits chez les !nuits - Études Inuit
'
numéro spécial, p. 3 - 1979.
76
LAING ur, L'homme criminel dans l'Ancien Droit, R.S.c. 1983-15.
77
FERRIERE, Dictionnaire de droit et de pratique
78
LAINGUI et LEBIGRE, Histoire du droit pénal, Cujas 1979, p.I22.
VO Prison,
1769.
�93
94
de l'Église est manifeste sur ce point. la prison doit permettre la réflexion, le repentir,
l'instinct de vengeance (réserve faite de la politique pénale de l'Église) une politique
l'ouverture à la grâce divine.
la rigueur des peines n'a pas à être soulignée. il n'y a pas de peine moyenne. la
criminelle fondée sur la raison.
peine capitale est encourue naturellement pour le meurtre ou l'empoisonnement, mais
utilitariste, illustré par BECCARIA et BENTHAM, a exercé une grande influence sur les
aussi pour l'inceste, la sodomie, le suiàde, le vol en réunion.
législations révolutionnaire et napoléonienne.
Chronologiquement, trois courants prinàpaux animent cette période. Un courant
Puis, le début du 19 ème siècle a été marqué par la doctrine de la justice absolue
B.Forme
Le système procédural est inquisitoire. il est dominé par la formalité initiale de
qui, à l'inverse, n'a guère influé sur le droit positif.
ri
Enfin et surtout, l'école classique a do iné le droit pénal jusqu'à l'apparition des
idées positivistes à la fin du 19 ème siècle.
l'enquête (inquisition) qui traduit le contrôle étatique dans le procès. D'où les traits
suivants. L'initiative des poursuites est laissée à un magistrat professionnel, le
§ 1 - L'ÉCOLE UTILITARISTE
ministère public. la victime et les tiers ne jouent plus qu'un rôle secondaire dans la
mise en mouvement des poursuites. La procédure est secrète, écri te, non contradictoire,
tant au cours de l'instruction qu'au cours des débats. Les preuves sont étroitement
Assez curieusement, les critiques contre le système répressif français sont venues,
réglementées, c'est le système des preuves légales, qui ne laisse au juge aucune liberté
d'abord des philosophes français (d'ALEMBERT, MONTESQUIEU, ROUSSEAU),
d 'appréciation. L'aveu est la reine des preuves, ce qui assure à la répression une très
mais surtout de deux étrangers, l'Italien BECCARIA et l'Anglais BENTHAM dont les
grande efficacité, mais compromet les intérêts de la défense puisque, pour obtenir
idées devaient recevoir consécration dans le droit positif.
l'aveu on a recours à la torture.
On conçoit que de tels excès aient suscité de sévères critiques, parfois injustifiées
A - Les idées
d 'ailleurs (50 % de non-lieu) de la part des philosophes du XVIIIème siècle, traumatisés
)
par des affaires célèbres (Calas), encore que certains d'entre eux aient célébré les vertus
10 ) BECCARIA publie en 1764, à l'âge de 26 ans, son Traité des délits et des
des travaux forcés et de la déportation en pays lointains pratiquée par l'Angleterre et
peines, qui connaît, dès sa parution, un immense succès. Cet ouvrage est exalté par
la Russie contre leurs criminels 79. Ces critiques ont ouvert la voie à la période des
l'avocat général SERVAN dans son discours de rentrée devant le Parlement du
réactions rationnelles 80.
Dauphiné, mais contesté par JOUSSE et MUYART de VOUGLANS.
Le droit pénal contemporain s'est construit à partir d' une critique globale du
droit de l'Ancien Régime.
A partir d'une critique du système répressif français, BECCARIA propose une
politique criminelle entièrement nouvelle.
il s'affirme comme le champion de l'utilitarisme, c'est-à-dire qu'il fait ressortir que
l'effet d'intimidation est mieux réalisé par la certitude d~:;:h-;â~t--:-e
im ~n-:t~uC-:e-----:---'--
SECTION II - LA PÉRIODE DES RÉACTIONS
RATIONNELLES
~
peine est une mesure dictée par l'utilité sociale. Une peine modérée à laquelle
on ne peut échapper a plus d'effet préventif qu'une sanction atroce dont l'application
est incertaine si la grâce, la prescription, l'arbitraire du juge ou du Roi s'y appliquent. il
condamne, d'ailleurs, la rigueur des peines et la torture et l'idée d 'amendement est
Cette période s'ouvre vers le milieu du 18 ème siècle et s'étend jusqu'à la fin du
XIXème siècle. Elle peut être qualifiée de rationnelle dans la mesure où elle substitue à
sous-jacente.
En second lieu, il développe la prévention générale. On cite, souvent, l'exemple
qu 'il donne d'une rue mal éclairée, infestée de malfaiteurs. BECCARIA propose
l'éclairage de la rue pour réduire le taux de la criminalité.
79
LAINGUI et LEBlGRE, op. cit. p. 124.
80
N. ROULAND, L'anthropologie juridique, Que sais-je? ; LAlNGUI et LEBlGRE, Histoire du
droit pénal, Cujas 1979.
Enfin, BECCARIA combat l'arbitraire en soumettant les délits et les peines à une
prévision et à une
déterminati~n
légale et en cantonnant le juge dans le rôle d'arbitre,
chargé de départager la loi et l'inculpé.
�96
95
r) Comme BECCARIA, l'anglais Jérémie BENTHAM (1747-1832), auteur de la
Théorie des peines légales, du Panoptique et du Traité de législation civile et pénale, est
application ce principe (loi des 19-22 juillet pour la police municipale et
correctionnelle; loi du 25 septembre et 6 octobre 1791 pour les crimes).
un utilitariste. Mais c'est un utilitarisme pur, non teinté d'humanisme.
TI part de cette idée que l'homme est égoïste, mû par son intérêt. La répression ne
doit intervenir que si elle peut avoir quelque efficacité. Les peines doivent être
Deux principes sont posés :
suffisamment rigoureuses pour que la perspective de la peine afférente au délit que le
- Principe de la légalité criminelle en vertu duquel ne sont sanctionnés que les
délinquant s'apprête à commettre le détourne de la délinquance et doivent tenir compte
faits causant un dommage à la société (par exemple : la tentative n'était pas
des circonstances ayant influé sur la "sensibilité" de l'agent (âge, sexe, fortune). Enfin,
punissable). Sont exclus les anciens délits religieux (sorcellerie, athéisme ... ).
BENTHAM est favorable à l'emprisonnement et son panoptique, sorte de prison
- Principe de l'égalité des peines posé en réaction contre les inégalités de
modèle où l'amendement doit être prôné, en fait un des pionniers de la science
l'Ancien Régime qui consacre le système des peines fixes, déterminées à l'avance par
pénitentiaire.
Les idées de BECCARIA et de BENTHAM, dont on trouve trace dans les cahiers
leur nature et leur durée, n'offrant aucun pouvoir d'appréciation au juge et d'une rigueur
---
des États généraux, ont animé la réaction légaliste.
----------
diminuée (abolition des peines corporelles autres que la mort, 32 cas de mort au lieu de
115 cas sous l'Ancien régime) .
hl Sm. l.e.12l1!11 d.e.l.!!. pro cé dure.
B - La réaction légaliste
La loi des 16-29 septembre 1791 instaure un système inspiré du droit anglais. Le
Courte par sa durée, cette réaction fut capitale par son retentissement, puisque le
procès était oral, public, contradictoire, avec une large place faite au jury.
Très vite, l'échec de ces réformes se fit sentir. L'absence d'établissements
droit révolutionnaire et le droit impérial, nous ont régi jusqu'à aujourd'hui.
A vrai dire, sous l'influence de BECCARIA, diverses réformes visant
pénitentiaires adaptés, l'adoucissement de la réaction dans cette période troublée
l'adoucissement du système répressif avaient été entreprises dans différents pays
accrut la criminalité. Une réaction en sens inverse ne devait pas manquer de se
d'Europe. On peut citer: en Autriche et en Lombardie, l'abolition de la peine de mort
produire au cours de l'Empire.
en 1788, la suppression de la torture par Frédéric de Russie, la rédaction d'un code de
procédure criminelle par Catherine de Russie, l'adoucissement par le Pape Clément IX
des institutions répressives des États pontificaux. En France, Louis XVI avait tenté des
réformes. En 1788, il avait annoncé une réforme générale de l'organisation judiciaire et
des lois criminelles.
x
2°) Le droit pénal impérial
Il a été marqué par la rédaction des deux codes préparés par une Commission
nommée en Germinal an IX (avril 1801), présentés par le Conseil d'État en 1804, puis
promulgués en 1808 pour le Code d'instruction criminelle, en 1810 pour le Code pénal.
L'opposition des Parlements entraîna l'abandon des réformes projetées et le
renvoi du Garde des Sceaux LAMOIGNON. Les États généraux, convoqués par le Roi,
rédigèrent alors des cahiers dans lesquels l'adoucissement du système répressif et la
suppression de l'arbitraire du juge étaient notamment réclamés. Ce sont ces aspirations
que devait satisfaire le droit révolutionnaire et, dans une certaine mesure, le droit
impérial.
al l&. CQd.e.. d'instruction criminelle,
Il réalise une transaction entre la procédure inquisitoire et la procédure
accusatoire. L'instruction n'est pas publique, mais le jugement est contradictoire, oral,
public. Dans l'ensemble, ce Code est apparu, très vite, peu satisfaisant. R. GARRAUD
écrivait que le Code était "archaique" dès sa naissance.
1°) Le droit pénal révolutionnaire
Il est dominé par les principes contenus dans la déclaration des droits de
Il est également une œuvre de compromis. D'une part, plus inspiré par
l'homme (A. 8). "Nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée
BENTHAM que par BECCARIA, il marque un retour vers l'Ancien régime par
antérieurement au délit et légalement appliquée" ainsi que dans les textes mettant en
l'adoption d'un système intimidant : multiplication des cas où la peine de mort est
applicable, répression de la tentative et de la complicité, rétablissement de certaines
�97
98
peines corporelles (marque, carcan, mutilation du poing du parricide), multiplication
2°) Joseph de MAISTRE !l7S3-1821),
des circonstances aggravantes ainsi que de la répression des comportements dangereux
L'auteur des "Soirées de Saint-Pétersbourg", estime que les souverains n'exercent
(mendidté, vagabondage).
D'autre part, le système des peines fixes est abandonné, les circonstances
leur autorité et ne rendent la justice qu'en vertu d'une délégation divine. L'infraction est
atténuantes sont introduites, si le préjudice n'excède pas 25 francs; le droit de grâce
un péché, et la peine la pénitence infligée au pêcheur. "Punitur quia peccatum est " : il est
est rétabli.
puni parce qu'il a pêché. La souffrance est considérée, non comme un moyen
d'intimidation, mais comme un but en soi. On a pu dire qu'il y avait, chez cet auteur, un
Ces codes devaient avoir un large rayonnement en Europe (Belgique, Bavière) et
"véritable sadisme de l'expiation" (SERTILLANGES).
même ailleurs (certains pays arabes).
1
Mais J'utilitarisme excessif de ces codes allait être attaqué, d'une part, par des
B - Leur influence
écrivains 81, d'autre, part par des philosophes au nom de l'idée de justice mise en
"avant par les doctrines dites de la justice absolue.
L'influence de ces auteurs a été modérée sur le plan des applications. Quelques
x. § 2 - LA DOcrruNE DE LA JUSTICE ABSOLUE
dispositions, prises sous le règne de Charles X, traduisent J'influence de J. de MAISTRE,
la loi du sacrilège par exemple. En revanche, J'influence sur le plan doctrinal a été
beaucouJLl2lus notable, car J'idée de justice devait être utilisée par la suite
Contrairement aux champions de J'utilitarisme, certains philosophes ont voulu
la ri
fonder le droit de punir, non sur les nécessités de la défense sociale, mais sur les
ur limiter
eur de J'utilitarisme du Code de 1810. La combinaison des deux courants devait
donner naissance à J'École classique.
exigences de la justice. La sanction pénale est destinée à faire expier à l'auteur son
crime. Elle doit donc être exemplaire. Ces penseurs ont eu une certaine influence sur
§ 3 - LA DOCTRINE DE L'ÉCOLE CLASSIQUE
notre droit positif.
A - Les penseurs
Elle représente un apport considérable dans l'évolution des idées et de leurs
application
n matière ré ressive. Elle se situe vers le milieu du XIXème siècle et a
pour représentants : GUIZOT, auteur de "La peine de mort en matière politique" ; ROSSI,
1°) KANT (1724-1804)
professeur de droit à Bologne puis à Paris; JOUFFROY, auteur d'un "Traité de droit
naturel" ; Ch. LUCAS, fondateur de la science pénitentiaire 82
n s'est rendu célèbre par sa Critique de la Raison Pure (1781) et sa Critique de la
Raison Pratique (1788), mais son influence ne s'est fait sentir que beaucoup plus tard.
A - Exposé
Au point de vue juridique, KANT se révèle comme un idéaliste et un individualiste. La
peine est destinée à rétablir J'ordre moral troublé par le crime. Le mal causé par le
L'exposé de cette doctrine peut se ramener aux traits suivants :
criminel ne peut être réparé que par le châtiment infligé. Pour illustrer sa théorie, KANT
a écrit l'apologie de l'ile abandonnée.
- Doctrine rationaliste, elle envisage le délinquant à travers J'infraction comme un
n imagine une île sur le point d'être désertée par
être abstrait. Elle fonde sa responsabilité sur une série de postulats classiques.
ses habitants, alors qu'un criminel n'a pas encore été exécuté. Il serait possible de l'y
L'homme a une âme; cette âme est douée de libre arbitre, donc celui qui, ayant la
laisser: pourtant, la justice commande sa mort. Cette idée de la justice absolue a été
latitude de se bien conduire, agit mal, doit être sanctionné;
développée par un autre penseur, mais dans une perspective religieuse.
- Doctrine éclectique, elle s'efforce de combiner la théorie morale et la théorie
utilitaire de la peine. La loi peut et doit punir certains actes, lorsque cela est nécessaire
81
82
HUGO, Les derniers jours d'un condamné 1829, les Misérables, 1862, BALZAC, Souvenir d'un
paria, 1830 ; E. SUE, Les mystères de Paris, 1842.
Un autre courant représenté par TOCQUEVILLE et BEAUMONT (note sur le système
pénitentiaire (1831), considère que la prison doit avant tout proté er la société contre les
criminels.
�100
99
pour assurer le fonctionnement régulier de la société. Mais la répression ne saurait
s'exercer, que si elle est conforme à la justice. D'où la formule célèbre de la doctrine:
SECTION III - LA PÉRIODE DES RÉACTIONS
SCIENTIFIQUES
"Ni plus qu'il n'est juste" -ce qui conduit à la condamnation des supplices de l'Ancien
régime- "ni plus qu'il n'est utile". Ce qui vise à écarter les incriminations proposées par
J. de MAISTRE à propos de la défense de la religion.
Les auteurs de cette doctrine sont, d'autre part, amenés à proposer une
atténuation des sanctions, notamment à l'égard des délinquants politiques, et à
Cette période est marquée par l'influence prépondérante des doctrines sur le
préconiser l'amendement du coupable par un régime pénitentiaire mieux approprié.
droit positif. Leur point de départ est représenté par les travaux d'Auguste COMm, et
de Claude BERNARD 83, dans lesquels les auteurs considèrent que les faits humains et
B - Influence
sociaux doivent être étudiés de façon scientifique.
Cet ouvrage devait susciter divers courants doctrinaux, qu'il convient de retracer
brièvement, avant d'exposer l'évolution des droits positifs à l'époque contemporaine.
Cette doctrine a eu sur le droit positif une influence considérable qui s'est
traduite par une série de réformes :
- L'instauration d'un régime propre aux infractions politiques : échelle des
§ 1 - LES COURANTS DOcrRINAUX
peines moins rigoureuse (L. 28 avril 1832) et la suppression de la peine de mort
(Constitution de 1848) ;
- L'adoucissement de la répression, illustré par la généralisation des
Ce qui frappe l'observateur, c'est la floraison des doctrines à partir de la fin du
circonstances atténuantes (L. 28 avril 1832), la suppression de la mort civile (L. 31
XIXème siècle. Il n'est pas question ici de les évoquer toutes. On retiendra les courants
mars 1854), la correctionnalisation d'un certain nombre d'infractions (L. 13 mai 1863) ;
principaux en observant, toutefois, que chacun d'entre eux a été suivi d'une critique
s'efforçant de réaliser un compromis.
- L'amélioration du régime pénitentiaire, par la création du régime cellulaire et
d'un régime de peines coloniales (L. 30 mai 1854), afin "d'améliorer l'homme par la terre
A - L'école positiviste
et la terre par l'homme". Pour les mineurs est créée en 1837, la maison de rééducation
de Mettray, près de Tours, et en 1850 la loi du 5 avril organise les colonies
Son fondateur a été l'italien LOMBROSO, médecin à Turin, auteur de "L'homme
pénitentiaires pour jeunes adultes.
criminel", 1876. Les continuateurs étaient : FERRI, professeur à Rome, auteur de "La
sociologie criminelle", 1881 et GAROFALO, magistrat à Naples, auteur de "La
Cette école connut également un vif succès à l'étranger (Belgique, Italie), mais
certaines des réformes, appliquées sans discernement (généralisation des circonstances
criminologie", 1885.
atténuantes) conduisirent à une multiplication des courtes peines et à un accroissement
Surnommés les trois évangélistes du droit pénal, ces auteurs sont partis de l'idée
sensible de la criminalité. Condamnée par l'expérience, cette doctrine fut vivement
nouvelle, d'après laquelle les faits humains et sociaux doivent être analysés de manière
critiquée avant d'être attaquée dans son fondement même : la liberté de l'individu n'est
scientifique. Cette doctrine a exercé une influence considérable sur le droit positif.
qu'un mythe affirme une école scientifique: l'École positiviste.
;x
1°) EX1'osé de la doctrine
Malgré quelques divergences entre ces auteurs, une unité de pensée se dégage,
tant en ce qui concerne le fondement de la répression que son organisation.
83
A. COMTE, Cours de philosophie positive 1830-1842 ; Cl. BERNARD, Introduction à l'étude
de la médecine expérimentale, 1865.
�101
102
al Fondement lk Ùl rq,ression
2) Les facteurs externes ou exogènes
La doctrine positiviste s'inscrit en réaction contre la doctrine classique. Les
ils ont retenu l'attention de FERRI. Déjà, les français QUETELET et GUERRY
positivistes nient le libre arbitre. L'homme est "agi", c'est à dire conduit par des forces
avaient remarqué l'influence du climat sur la criminalité. FERRI a repris ces
qui le dépassent. Le crime n'est pas le résultat d 'un choix libre de l'agent, mais le
observations en les élargissant et en soulignant, notamment, le rôle du milieu familial et
produit fatal de causes di verses, internes ou externes.
social dans la délinquance. il a dégagé, d'autre part, la loi de saturation criminelle,
1)
d'après laquelle, dans une époque donnée, dans un pays donné, demeurent des
Les facteurs internes ou endogènes
constantes criminelles. Est-ce à dire dès lors que, l'homme, n'étant pas libre de ses
ils ont été dégagés par LOMBROSO, et FERRI a systématisé sa pensée par un
actes, mais animé par un déterminisme universel, aucune peine ne doit lui être infligée?
triage des délinquants. il a été c;:,nduit à établir une classification entre les criminels
Non, mais à la lumière de ces observations, la sanction pénale doit être entièrement
d'après la prépondérance des causes qui les font agir et qui sont inhérentes au criminel
repensée. Cette analyse évoque l'école franco-belge du milieu social de LACASSAGNE,
lui-même, à son hérédité, à sa morphologie et à son tempérament. li opère le classement
qui, à la fin du XIXème siècle, évoquait l'influence du rôle criminogène des facteurs
suivant:
sociaux.
- Le criminel-né se reconnaît par des stigmates anatomiques; physiologiquement, il
hl Organisation lk Ùl répression
est généralement gaucher, insensible à la douleur ; psychologiquement, il est
imprévoyant, et amoral. il s'agit d'un fou moral, c'est-à-dire jouissant de ses facultés
La notion de défense sociale consacre la primauté de la protection de la
inte1l-?<:tuelles, mais ne discernant pas le bien du mal. LOMBROSO propose des
collectivité. Elle est dominée par deux traits.
mesures d'élimination: mort, internement, castration. il le décrit ainsi: "Il a le
1) Préférence de la prévention sur la répression.
regard CTuel et dur, le sourire cynique, la taille basse, le crâne petit, brachycéphale et
asymétrique, le front étroit, les arcades sourcilières proéminentes, les yeux enfoncés et
obliques, la face longue et large, les pommettes saillantes, les os zygomatiques proéminents,
les lèvres minces, les mâchoires volumineuses, les oreilles écartées en forme d'anses, les
cheveux abondants, la barbe rare, le uisage pâle". 84;
Les positivistes ne croient guère à l'efficacité des peines, qui repose sur l'idée de
faute et d'expiation. ils proposent des mesures dépourvues de toute coloration morale,
calquées sur la personnalité de celui auquel on les applique et à caractère indéterminé,
mais, surtout, ils préconisent des mesures préventives que FERRI appelle substituts
pénaux, destinées à combattre les causes de la criminalité (lutte contre le
- Le criminel aliéné constitue un danger aussi grave que le précédent. il nécessite un
vagabondage, l'oisiveté, l'alcoolisme, le chômage). FERRI illustre ses suggestions par un
internement dans un asile;
exemple célèbre. Dans une rue obscure, se commettent de nombreuses infractions: il
faut éclairer la rue pour les faire cesser. Il développe la notion d'état dangereux,
- Le criminel d'habitude a été conduit au crime sous l'influence du milieu sodal.
"microbe social", selon LOMBROSO.
Professionnel du crime, il est particulièrement dangereux pour la société et il
"" 2)
nécessite des mesures de répression analogues à celles applicables au criminel-né;
Individualisa tion de la peine.
Déjà, l'École classique l'avait mise en évidence, mais en s'attachant à une
- Le criminel d'occasion ou criminaloïde, en revanche, est peu redoutable. Il a agi
personnalité envisagée d 'un point de vue juridique et moral, alors que les positivistes
dans un moment de faiblesse qu'il regrette ensuite. il convient de lui appliquer une
s'attachent à la personnalité réelle du délinquant et déterminent la réaction sociale en
peine modérée, notamment un internement dans une colonie agricole;
fonction du danger qu'il représente pour l'ordre social, de sa "temibilité".
- Le criminel passionnel, enfin, est animé par une impulsion violente de caractère
2°) Influence de l'École positiviste
élevé. C'est une sorte de héros qui ne mérite aucune sanction pénale.
il est certain que la refonte de nombreux codes étrangers, même lointains, a été
inspirée par l'École positiviste 85. Le droit français, pour sa part, sans avoir connu de
84
D'après JAMBU-MERLIN, Criminologie et science pénitentiaire, Cours polycopié, 1966-1967.
85
c. P. danois 1883, italien 1889, norvégien 1902, soviétique 1926.
�103
104
réformes d'ensemble, a appliqué les idées positivistes dans de nombreuses dispositions
y) Le Pragmatisme
législatives.
Le Pragmatisme est l'école qui a eu le plus de retentissement. Van HAMEL,
al I& drfli1 da ma jeurs
hollandais, PRINS, belge, et Von LISZT, allemand, ont fondé, en 1889, l'Union
il a subi de multiples aménagements: élimination des récidivistes par la création
internationale de droit pénal, reprise, en 1924, par l'Association internationale de droit
de la relégation, peine perpétuelle obligatoire (L. 27 mai 1885) ; réinsertion sociale
pénal. Ces auteurs proposent que cessent les querelles doctrinales peu constructives et
facilitée des délinquants primaires par la création du sursis (L. 26 mars 1891) et
que l'on s'attache exclusivement aux enseignements de l'expérience. SALDANA diffuse
l'instauration de la libération conditionnelle (L. 14 août 1885).
les idées dans la criminologie nouvelle.
ils admettent, cependant, nombre de conclusions de l'École positiviste : nécessité
hl k dmit. da mineurs
d 'individualiser la peine; développement des mesures préventives en fonction de l'état
dangereux du sujet. En revanche, ils critiquent l'élimination du délinquant voulue par
il a reçu droit de cité par la grande loi du 22 juillet 1912, soumettant ceux-ci à un
les Positivistes, nient l'existence de criminels-nés. Mais, comme pour les positivistes,
régime totalement différent de celui des majeurs.
l'intérêt de la société doit primer sur l'individu.
Sur le plan pratique, il faut reconnaître que les suggestions de l'École positiviste
n'ont pas donné les résultats attendus. La criminalité n'a pas baissé pour autant, ce qui
-1
C - Le mouvement de défense sociale nouvelle
a renforcé, sur le plan doctrinal, les critiques adressées aux aspects excessifs du
positivisme (exemple: criminel-né). De nouvelles tentatives doctrinales se sont donc
La défense sociale constitue un mouvement. Elle n'est pas à proprement parler
multipliées, dans des horizons très divers.
une doctrine cohérente aux contours nettement définis s'opposant à d 'autres doctrines
pénales. "Elle ne cherche pas à formuler un dogme" 86.
B - Les écoles transactionnelles
Le terme de défense sociale n'est pas nouveau, PRINS est l'auteur d'un ouvrage
intitulé "La défense sodale et les transformations du droit pénal" (1910). Mais, depuis
Devant les excès de l'école positiviste, un certain nombre de courants doctrinaux
la dernière guerre, l'expression a été reprise par GRAMATICA, dans une perspective
se sont efforcés de réaliser la synthèse du classicisme et du positivisme.
différente. Il ne s'agit plus, comme l'entendaient les Positivistes, de défense de la
société : cette doctrine s'inspire des idées chrétiennes de relèvement des pêcheurs et de
P) Le Néo-classicisme
rachat des fautes. Les nombreux congrès internationaux ont fait apparaître deux
Le Néo-classicisme (TARDE, CUCHE et surtout SALEILLES, auteur de
tendances au sein de ce mouvement, une tendance extrémiste, celle d 'un italien: le
l'Individualisation de la peine) admet certaines conclusions pratiques des positivistes,
comte GRAMATICA, et une tendance modérée, celle d'un français, le magistrat
la nécessité d 'individualiser les peines et celle de développer les mesures préventives,
ANCEL.
mais s'en sépare en attribuant à la peine une fonction morale.
1°) La tendance extrémiste de GRAMATICA.
2°) Le Positivisme critique italien
Cet auteur expose ses idées, dès 1934, mais les synthétise dans les Principes de
Le Positivisme critique italien a cherché, au contraire, la conciliation dans une
défense sociale, parus en 1960. il assigne un nouveau fondement au droit de punir : le
direction opposée. S'ils demeurent fidèles à la conception déterministe du Positivisme,
perfectionnement de l'homme. Il supprime les notions d'infraction, de peine et de
ses auteurs estiment, cependant, que l'on devrait maintenir à la peine son rôle
responsabilité qu'il prétend remplacer par la notion nouvelle d 'antisociabilité
d'intimidation collective. CARNEVALE, ALIMENA ont fondé la Terzascuola, la
subjective. Il se révèle aussi révolutionnaire dans la réaction sociale contre le crime. Il
troisième école.
propose des mesures de défense sociale, destinées à remplacer les peines et un monde
sans prison, au sens traditionnel du terme. Enfin, il suggère une procédure nouvelle,
86
ANCEL, La d éfense sociale, que Sais-je? 1985, p. 32.
�105
106
axée non plus sur la preuve de l'infraction, mais sur la mise en évidence de la
rompt totalement avec les systèmes classiques où les juges se prononcent toujours en
personnalité du délinquant.
même temps sur la culpabilité et sur la peine.
On conçoit qu'un tel programme ait soulevé de sérieuses critiques au cours des
2) Une deuxième caractéristique consiste dans l'observation du délinquant, qui
congrès, au sein même du mouvement de défense sociale. Une minorité au sein de la
devrait se situer après l'achèvement de la première phase, puisque ce sont les résultats
société internationale de défense sociale est devenue majoritaire en imposant un
de l'observation qui permettront de choisir la sanction la plus adaptée, sans pour
programme minimum destiné à préciser les points d'accord. Cette tendance est, en
autant que l'examen de personnalité soit communiqué à l'intéressé pour ne pas le
réalité, l'expression d'une tendance modérée, ayant pour chef de file, le conseiller
choquer.
ANCEL.
3) Le déroulement du procès, enfin, devrait être presque entièrement repensé.
Sans doute, admet-on la procédure classique dans la première phase. Mais la seconde
2°) La tendance modérée d'ANCEL.
nécessite une publicité restreinte, la possibilité d'exclure le délinquant du débat pour
Celui-d a développé ses idées dans un ouvrage, la défense sociale nouvelle,
éviter qu'il ne soit traumatisé par les révélations faites sur sa personnalité, une
publié en 1954. Contrairement à GRAMATICA, il ne prétend pas rejeter le droit pénal,
collaboration étroite entre le Ministère public et les avocats de la défense, enfin une
mais l'aménager à la lumière des sciences humaines. il veut organiser la lutte contre le
participation des magistrats à l'exécution de la sentence, non pas figée mais
crime de façon rationnelle et scientifique, en s'inspirant des connaissances acquises.
constamment modifiable, compte-tenu de l'évolution de la personnalité du sujet. Ce
Cette doctrine se distingue à la fois du Positivisme, en ce qu'elle considère qu'il y a chez
courant, longtemps ignoré de certains gouvernants, (FOYER) a été récemment intégré
tout homme un sentiment de la responsabilité, du droit et de la faute, et du classicisme
dans la politique criminelle (BADINTER), du moins verbalement.
qui voyait dans le crime une entité juridique abstraite et abusait des fictions juridiques
XJ
(système de l'emprunt de criminalité).
al Sm: k
D - La doctrine de la non-intervention
121mI d.Y. d.r.ai1. pén a 1
Dérivé des doctrines crirninologiques interactionnistes et radicales, le courant est
Ce mouvement marque un rattachement à la responsabilité morale. il convient
représenté aux États-Unis (SHUR, MATZA) et en Europe (HULSMAN). Il vise à
donc de se livrer à l'étude de la personnalité de chaque délinquant, car l'infraction n'est
réduire au minimum l'application du droit pénal au profit de mesures non répressives
qu'un symptôme d'une nature qu'il faut découvrir, afin de pouvoir la traiter. Ayant
ce qui doit conduire à une dépénalisation considérable. li faut abolir le système pénal
cerné la personnalité du sujet, il sera plus aisé de choisir la sanction pénale qui
qui est un mal social, changer de terminologie pour remplacer crimes et délits par
paraîtra la plus appropriée. La doctrine accueille aussi bien les peines que les mesures
"situations - problèmes" . Seules les infractions les plus graves resteraient sanctionnées
de sûreté. Ce traitement permettra de faire acquérir ou retrouver les valeurs morales
87.
perdues. On a parlé de "pédagogie de la responsabilité". Cependant, fidèle au droit
sur 1380 personnes jugées en flagrant délit montre que 5 % d' entre elles avaient commis
classique, ce mouvement refuse les sentences indéterminées.
des infractions violentes. Le taux des homicides volontaires ne représente que 0,09 %.
Les infractions violentes sont très résiduelles. Une statistique faite à Paris en 1980
Si cette doctrine a eu le mérite de souligner l' excès de pénalisation, elle encourt le
hl Sm: k
121mI fk li! procédure péna le
reproche, si elle était appliquée, de briser la cohésion sociale.
En revanche, il propose un système scientifique qui se sépare radicalement des
E - Le Néo-classicisme nouveau et autres tendances
systèmes traditionnels. il se caractérise, par les trois points suivants :
1) Tout d'abord, par la césure du procès pénal en deux phases, traduisant ainsi
le soud de prendre en considération la personnalité du délinquant. La première phase
Si séduisantes que soient les analyses de la défense sociale, qui ont trouvé des
porte sur la culpabilité de la personne poursuivie. La seconde sur le choix de la mesure
applications dans le droit positif, elles n'ont pas manqué de soulever des critiques, tant
nécessaire, et demande, pour atteindre son but, le recours à des techniciens (médedns,
dans les pays de l'Est que dans les pays occidentaux. Un certain nombre d'auteurs
psychologues, éducateurs). Cette distinction a été empruntée au droit anglo-saxon. Elle
(MERLE, STEFANI et LEV ASSEUR) souhaitent maintenir à la peine son caractère
87
L. HULSMAN et J. BERNAT DE CELIS, Peines perdues, Le Centurion 1982.
�107
108
rétributif, tout en conservant les acquis de la défense sociale sur l'individualisation de
Le droit pénal apparaît, sans contexte, comme la discipline juridique où les
la peine.
1°) Tout d'abord, ces auteurs estiment que la condamnation pénale doit garder
théories doctrinales ont eu l'impact le plus décisif. De ce fait, les réformes législatives
intervenues dans les différents pays, avec une ampleur variable, trouvent leur
son caractère rétributif. Ils contestent la position de Marc ANCEL qui prétend
inspiration dans les courants doctrinaux.
restituer au délinquant le sens de ses devoirs, tout en commençant par refuser de
Cette marche en avant du droit pénal se trouve cependant contrariée, d'une part,
blâmer sa conduite. il faut tenir compte du sentiment populaire de la responsabilité,
par les impératifs du moment imposant la mise en place d'un "droit pénal de nécessité",
qui est une réalité sociologique sur laquelle une école, dite l'École d'Utrecht, a insisté.
d'autre part, par une résistance à l'innovation des milieux judiciaires confortés par
Dans une thèse célèbre, un auteur, FAUCONNET a soutenu que la peine avait une
l'insuffisance des moyens mis à leur disposition. il en est résulté des oscillations de la
fonction d'hygiène sociale. Dans cette optique, la politique relative à la délinquance
politique pénale que l'on retrouve, aussi bien en France qu'à l'étranger.
juvénile mériterait d'être revue, et celle relative aux malades mentaux reconsidérée. En
effet, les enseignements de la psychiatrie moderne nous révèlent qu'un malade mental
A- En France
est apte à comprendre la portée de certains de ses actes, qu'en somme la liberté d'agir
est irréductible chez l'homme (cf. étude de la démence, infra).
Avant de présenter sommairement l'état actuel du droit pénal français, il est
2°) En second lieu, ce courant entend conserver les apports de la défense sociale
indispensable de dégager les influences qui l'ont traversé.
en ce qui concerne la protection des libertés individuelles. Il faut une connaissance
al J&..s. influences
approfondie de la personnalité des criminels.
Avec l'augmentation de la criminalité, un courant plus dur se manifeste. 88 Il faut
Elles peuvent se situer à la fois sur le plan technique et sur le plan idéologique.
oser punir, écrit-on dans la presse. Préoccupation partagée par la majorité de l'opinion
1) Sur le plan technique
publique.
La neutralisation s'impose pour les professionnels du crime 89.
L'état de la législation contemporaine permet de dégager trois caractères
A l'inverse, un mouvement de gauche s'est dessiné, il y a quelques années, qui
essentiels.
soutient que les réformes de politique criminelle, et singulièrement la réforme
D'abord une inflation législative qui, si elle n'est pas nouvelle, est inquiétante
pénitentiaire, apparaissent comme des procédés subtilement hypocrites destinés à
par l'ampleur qu'elle revêt. Tout devient droit pénal. Le droit répressif vient au secours
perpétuer la main mise sur l'individu désarmé. Le traitement de resocialisation
des autres disciplines juridiques incapables de faire respecter leurs prescriptions (droit
apparaît suspect (MARCUSE et FOUCAULT).
civil, droit commercial, droit du travail ...).
On comprend qu'à la même époque, devant ce désarroi, ait été proposé un N éo-
Ensuite une astucieuse complexité est générée par la multitude des textes (ex. :
pragmatisme (R GASSIN), suggérant que cessent ces querelles doctrinales et que l'on
réglementation de l'affichage, de la publicité, de l'environnement ... ), accentuée par
s'attache exclusivement aux données de l'expérience en répudiant toute métaphysique.
l' intrusion des règlements et des directives de la communauté européenne.
Enfin, il résulte une incohérence inquiétante dans la hiérarchie des valeurs à
~
protéger. Le justiciable est plus sévèrement sanctionné pour avoir renversé, dans le
§ 2 - L'ÉVOLUTION DES DROITS POSmFS
milieu naturel, de l'huile de vidange d'un moteur ou avoir écrasé un hérisson que pour
la création non autorisée d' une centrale nucléaire 90.
il n'est pas question, faute de temps, d'évoquer les systèmes venant des pays
socialistes en profonde mutation. Nous nous contenterons de présenter le droit positif
des pays occidentaux en distinguant la France, d 'une part, et les autres pays
occidentaux, d'autre part.
88
J. C. SOYER, "Justice en perdition Plon 1982-
89
PEYREFrITE, Les chevaux du Lac ladoga, Plon 1981.
90
J. H. ROBERT, REMOND-GOUILLOUD, Droit pénal de l'environnement, Masson 1983, p. 29.
�110
109
2) Sur le plan idéologique
La législation pénale de ces dernières décennies a été marquée par un phénomène
d'alternance entre un modèle autoritaire et un modèle libéral, encore qu'il n'y ait pas de
concordance systématique avec la coloration politique du moment.
a) Le modèle autoritaire exprime l'illustration d'un droit pénal
de nécessité.
Pour les majeurs, de multiples réformes ont vu le jour. On peut citer, le sursis
avec mise à l'épreuve, la diversification dans l'exécution des traitements, la
suppression de la relégation, les substituts à l'emprisonnement, les dispenses de peines,
le travail d'intérêt général, les jours amende, la suppression de la peine de mort.
Sur le plan de la forme, le code de procédure pénale a, en 1958, remplacé le
vieux code d'instruction criminelle. Il a fortement amélioré la protection des libertés
individuelles. D'autre part, ont été supprimées, la Cour de sûreté de l'État et les
-Avant 1981
On peut relever des incriminations destinées à lutter contre une délinquance
lourde, tant sur le plan du fond (proxénétisme, infractions de violence, législation
anticasseurs en 1970), que sur celui de la forme (Cour de sûreté de l'État en 1963).
juridictions d'exceptions.
Plus récemment, des procédures de médiations ont été expérimentées tendant à
réduire le recours au procès répressif. Les expériences ont été légalisées dans les
dispositions du droit positif actuel.
hl Llllégislation pénale actuelle
- Depuis 1986
Sur le fond du droit de nombreuses dispositions expriment un impératif
sécuritaire. Ainsi : La lutte contre le terrorisme (loi 9 septembre 1986), celle contre
Le mouvement de rénovation intervient tant sur le plan national que sur le plan
européen.
l'immigration clandestine a fait l'objet de plusieurs textes successifs (1986, 1993, 1995)
1) Le plan national
destinés à durcir les conditions d ' entrée et de séjour des étrangers en France, le
durcissement des peines pour la conduite en état d'ivresse, l'incrimination du
Sur le fond
blanchiment de capitaux et plus récemment les lois relatives à la prévention de la
- Le Code pénal français était le plus vieux du monde. Sur le plan de la forme, il
corruption (loi 1er décembre 1990 et 29 janvier 1993) complètent ce dispositif.
comportait beaucoup de rajouts, de textes inutiles, de lacunes. Sur le plan du fond, des
Sur la forme, on observe la mise en place de textes exorbitants du droit commun.
défaillances nombreuses et des inadaptations (notion de démence, irresponsabilité des
Au niveau de la poursuite, la garde à vue est prolongée à 4 jours en matière de
personnes morales, insuffisance de la répression des infractions d'imprudence ... ). Les
terrorisme et de trafic de stupéfiants, la centralisation des poursuites est réalisée en
changements qu'il a subis n'ont pas suffi pour le rajeunir.
matière de terrorisme, les perquisitions et saisies peuvent être faites sans l'assentiment
de la personne chez qui elles ont lieu.
Au niveau du jugement, on élargit la procédure de comparution immédiate, une
Cour d ' Assises spéciale est instaurée en matière de terrorisme, le domaine
d ' intervention du juge unique est élargi.
Plusieurs projets de réformes avaient été mis en chantier. En 1887, en 1930 ... Plus
près de nous, cinq projets ou avant-projet, 1976, 1978, 1983, 1985, 1986, 1989 se sont
succédés.
En juin 1981, une nouvelle commission avait été nommée chargée d'une nouvelle
rédaction. Elle a publié ses travaux en 1983. Le nouveau texte comportait 162 articles
Cet éventail de mesures, pour nécessaires qu'elles soient et quel que soit le
pour la partie générale, répartis en trois titres: la loi pénale, la responsabilité pénale, la
consensus qu' elles recueillent, tant auprès des responsables politiques que de l'opinion
peine. La discussion parlementaire de ce texte, déposé en 1986 sur le bureau de
publique, n'est pas sans devoir susciter des réserves. A nouveau s' installe un droit
l'Assemblée et scindé, vue son importance en trois projets de lois, n'a débuté qu'en
pénal de nécessité, souvent dénoncé en raison des abus auxquels il peut conduire, mais
1987. (Dispositions générales, crimes et délits contre les personnes et contre les biens).
parfois légitimé par l'état de droit.
Deux ans plus tard, la réforme a été parachevée par le dépôt du projet de loi visant les
P) Le modèle libéral
Sur le plan du fond du droit, le régime de la minorité pénale a été prévu par
l'ordonnance du 2 février 1945 instaurant un régime spécifique marqué par des mesures
éducatives.
crimes et les d élits contre la Nation, l'État et la paix publique. Après trois années de
débats parlementaires, les quatre projets de lois ont été définitivement adoptés par
l'Assemblée Nationale des 2 et 7 juillet 1992 et publiés au Journal Officiel du 23 juillet
dans quatre lois.La principale innovation du Livre 1er est évidemment l'institution de la
responsabilité pénale des personnes morales. Il résulte des nouveaux textes que celles-ci, à
�112
111
l'exclusion de l'État, peuvent être dêclarées pénalement responsables des infractions
ont été criminalisées. Par ailleurs, ont été créées de nouvelles circonstances aggravantes,
commises, pour leur compte, par leurs organes et leurs représentants. Elles encourent,
comme la qualité de conjoint ou de concubin de la victime en matière de violences.
outre l'amende, des peines spécifiques pouvant aller, dans les cas les plus graves,
Le Livre III apporte moins de modifications au droit actuel que les livres II et IV.
jusqu'à la dissolution. Cette responsabilité n'est cependant pas générale. Elle ne peut
U convient toutefois de noter que ce livre modifie de fru;on importante la répression du vol
être mise en œuvre que si elle a été expressément prévue par le législateur pour
en instituant notamment de nouvelles circonstances aggravantes et en
l'infraction concernée. Tel est notamment le cas en matière d'homicide ou de blessures
correctionnalisant certains vols. Il élargit en outre l'incrimination de /'abus de confiance en
involontaires.
_ D'autres innovations importantes doivent être relevées dans la partie du livre 1er
supprimant la référence aux six contrats limitativement énumérés par l'actuel article
relative aux causes d'irresponsabilité pénale. La notion d'état de démence est
L'œuvre de rénovation entreprise lors de l'élaboration du Livre IV est beaucoup
remplacée par celle, plus moderne, de trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli le
plus importante. Ce livre est tout d'abord marqué par la refonte totale des dispositions
discernement de la personne ou le contrôle de ses actes. Sont par ailleurs reconnus comme
cause d'irresponsabilité l'erreur de drmt et l'état de nécessité. S'agissant de la légitime
défense, le livre 1er consacre le principe de proportionnalité entre la riposte et l'attaque
actuelles en matière de sûreté de l'État, notion à laquelle est substituée celle, plus large,
tout en excluant l'homicide volontaire pour la légitime défense d'un bien.
nouveau délit de terrorisme écologique sanctionné de peines très élevées 91. Il
408 et il donne une définition légale des éléments matériels du rece/.
d'intérèts fondamentaux de la Nation. li érige en outre les actes de terrorisme en infractions
spécifiques punies de peines aggravées. Notamment, le nouveau code pénal instaure un
Le titre relatif aux peines est également très novateur. Ainsi, l'échelle des peines
modernise par ailleurs, en les simpliIiant et en les clarifiant, de très nombreuses
privatives de liberté est modifiée sur trois points importants : une peine de trente ans de
infractions, notamment en matière de faux . Enfin, il supprime plusieurs incriminations
réclusion criminelle est créée entre celle de vingt ans et la réclusion à perpétuité, le
maximum de l'emprisonnement correctionnel est porté à dix ans et l'emprisonnement en
matière contraventionnelle est supprimé. Par ailleurs, afin de favoriser le recours à d'autres
archaïques ou désuètes comme les crimes et délits contre la Constitution ou le
peines que l'emprisonnement, le nouveau Code prévoit l'obligation pour les juridictions,
au 1er mars 1994. Doivent être ensuite votées les dispositions relatives au droit
de motiver spécialement les décisions prononçant une peine d'emprisonnement ferme.
économique et technique.
vagabondage et la mendicité.
L'entrée en vigueur du nouveau Code pénal, fixée au 1er mars 1993, a été reportée
Dès à présent, les commentateurs sont assez partagés sur le travail accompli :
Enfin, plusieurs innovations traduisent la volonté d'accroître le rôle du juge, comme par
exemple, la suppression des peines minimales et du mécanisme des circonstances
"œuvre assez remarquable" pour PRADEL
atténuantes.
Madame RASSAT 93 . Le numéro 3 de la Revue de science criminelle 1993 est tout
92 ;
"Désordre intégral de la pensée" pour
spécialement consacré à des commentaires sur le nouveau code pénal 94.
Le Livre Il est, des trois livres spéciaux, celui qui comporte le plus d'incriminations
nouvelles. Les plus remarquables d'entre elles sont évidement le génocide et les autres
crimes contre l'humanité. Mais, sans être exhaustif, il convient également de citer les
tortures et les actes de barbarie qui deviennent des crimes, alors qu 'ils ne constituaient
auparavant que de simples circonstances aggravantes, les conditions de travail et
d'hébergement contraires à la dignité de la personne humaine, infractions destinées à
Sur la forme
En 1990, la commission DELMAS-MARTY, intitulée "Justice pénale et droits de
l'homme", avait rendu deux rapports sur la mise en état des affaires pénales. Elle avait
dégagé dix principes permettant une réforme d'ensemble de la procédure pénale, la
légalité, l'égalité entre les justiciables, la garantie judiciaire, la dignité de la personne
assurer une répression plus sévère des employeurs de travailleurs clandestins et des
humaine; la protection de la victime, la présomption d'innocence de l'accusé, le respect
"marchands de sommeil", le harcèlement sexuel qui complète le dispositif relatif aux
agressions sexuelles, la mise en danger délibérée de la personne, délit qui permettra de
réprimer certaines attitudes dangereuses en matière de circula tion rou tière et de sécurité
91
dans le travail, même lorsqu'elles n'ont pas provoqué d 'accident et enfin la provocation
J. BORRICAND, Le terrorisme écologiq ue in Problème actuels de sciences criminelles,
1995, p. 29.
des mineurs à certains comportements dangereux ou illicites comme la consommation
92
A. L. Dalloz 1993, p. 167.
excessive d'alcool ou la mendicité.
93
Libres propos sur le nouveau code pénal, in Problèmes actuels de sdences criminelles, 1993.
94
M. L. RASSAT, Les infractions contre les biens et les personnes dans le nouveau code pénal,
Dalloz 1995.
Le Livre II modifie par ailleurs profondément la répression d'infractions
existantes. Ainsi, les formes les plus graves de trafic de stupéfiants ou de proxénétisme
�113
114
des droits de la défense, l'équilibre entre les parties, la proportionnalité et la célérité de
Tout récemment, une loi du 8 février 1995 comporte un certain nombre de
la procédure.
dispositions relatives à l'organisation des juridictions pénales et administratives.
Ces propositions aboutissaient notamment à faire du juge d'instruction, un juge
Notamment ce texte multiplie les hypothèses du juge unique en matière correctionnelle
de l'instruction, en confiant au Parquet le soin d'instruire.
95
Cette réforme, jugée trop hardie, avait été écartée au profit du projet SAPIN-
2) Au plan européen
VAUZELLE qui avait choisi de maintenir la fonction du juge d'instruction et qui
proposait plutôt de renforcer les droits de la défense. Le projet s'inspirait de la réforme
S'il est vrai que punir relève de la compétence exclusive des États, que le droit
engagée dès 1985 par M. BADINTER. TI avait pour objet de donner toute sa portée au
répressif illustre le pouvoir de souveraineté des Nations, force est de constater que le
prindpe de la "présomption d'innocence qui devait être respectée non seulement dans le cadre
continent européen est devenu une zone d 'intense circulation pour les personnes et les
de toute procédure à caractère pénal, mais également hors procédure, par tout membre du corps
social" (Projet de loi n° 2585). Cette réforme avait débouché sur la loi du 4 janvier 1993
marchandises, générant une criminalité transfrontière (drogue, fausse monnaie, crime
organisé, atteinte à l'environnement).
Certes, depuis le XIX o siècle, des conventions ou des accords inter-régionaux ont
dont les grandes lignes étaient les suivantes: suppression de l'inculpation remplacée
par une procédure en deux temps comprenant une "mise en examen" qui ouvre les droits
de la défense et une "mise en cause" qui intervient lorsque le juge d'instruction relève des
"charges constitutives d'infraction". La mise en détention, était prescrite ou prolongée par
un collège comprenant trois magistrats du siège, dont le juge d'instruction chargé du
dossier.
été signés. Mais ils présentent l'inconvénient d'être des instruments fragmentaires. D'où
La loi du 24 août 1993, portant réforme de la procédure pénale a apporté divers
d'infractions violentes, le blanchiment, le dépistage, la saisie et la confiscation des
aménagements à la loi du 4 janvier 1993 sur les suggestions d'un groupe de travail mis
produits du crime, la répression du terrorisme, le contrôle de l'acquisition et de la
en place par le Garde des sceaux en avril 1993 ayant débouché sur une proposition
sénatoriale.
détention d'armes à feu ont fait l'objet de dispositions internes prises par les États.
l'idée de faire appel à des organismes supranationaux pour impulser une coopération
européenne dans le domaine pénal.
- Le Conseil de l'Europe, par le biais de recommandations adressées à ses
membres (33), s'efforce d'harmoniser la politique pénale des États. Le dédommagement
- La Communauté Européenne, de son côté, voudrait se voir reconnaître des
pouvoirs répressifs que les États leur refusent au nom de l'absence de compétence
Le nouveau texte, entré en vigueur le 2 septembre 1993, apporte deux sortes de
pénale de la communauté. Toutefois, on peut noter la directive du 1er juin 1991 relative
modifications :
à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins de blanchiment de
- D'abord, des changements sont apportés aux règles de la garde à vue. L'O.P.].
capitaux.
- L'accord de Schengen, signé le 14 juin 1985, entre la France, la Belgique, le
doit informer du placement en garde à vue le procureur ou le juge d'instruction dans les
meilleurs délais, ainsi que la personne avec qui l'intéressé vit habituellement.
Luxembourg, les Pays-Bas et l'Allemagne, tend à promouvoir une coopération policière
Le droit à l'assistance d'un avocat, inauguré par la loi du 4 janvier 1993, est
européenne accrue du fait de la suppression graduelle des contrôles aux frontières
maintenu à partir de la vingt et unième heure de garde à vue. L'avocat doit être informé
communes. A court terme, les signataires s'engagent à lutter contre le trafic illidte de
par les enquêteurs de la nature de l'infraction recherchée. Le délai est porté à 36 heures
stupéfiants. A long terme, ils prévoient de développer l'entraide judiciaire et
pour des infractions graves (extorsion de fonds, participation à une association de
d'harmoniser leurs législations (Art. 19).
Le 19 juin 1990, a été signée la convention d'application de l'accord auquel se
malfaiteurs, proxénétisme aggravé... ).
- Ensuite, des modifications sont apportées aux règles de J'instruction
sont joint l'Italie, l'Espagne et le Portugal. Ce texte, qui comporte 142 articles, organise
préparatoire. TI appartient au juge d'instruction et à lui seul de procéder à la mise en
une coopération policière accrue avec, notamment, la mise en place du système
examen. Toutefois, un O.P.]. peut y procéder sur commission rogatoire du juge.
d'information Schengen, appelé 5.I.S., qui doit permettre, grâce à une procédure
L'avocat peut avoir accès au dossier pendant les 4 jours ouvrables qui précèdent
d'interrogation automatisée, "de disposer de signalements de personnes et d'objets à
l'interrogatoire. Si aucun interrogatoire n'est prévu, la consultation ne peut se faire que
sous réserve du bon fonctionnement du cabinet d 'instruction.
9S
G. P. 31 mars-1er avri11995, Act. Lég. Dalloz, 1995, p. 41.
�115
116
l'ocC/lSion de contrôles de frontières et vérifications ..." et de "préserver l'ordre et la sécurité
ainsi "l'embryon d'une police européenne". Cette prudente mise en route s'explique sans
publics".
doute, par les difficultés de réaliser une véritable coopération judiàaire européenne 98.
Les services poliàers d'un État signataire pourront se rendre sur le territoire d'un
autre État de l'espace Schengen pour "observation" lors de filatures dans les enquêtes sur
Conclusion
les infractions graves et lors de poursuites "en flagrant délit". La convention énumère
treize infractions pour lesquelles le droit de poursuite sera autorisé: assassinat,
Quels que puissent être les acquis de la politique criminelle actuellement
meurtre, viol, incendie, fausse monnaie, vol et recel aggravés, extorsion, enlèvement,
conduite, elle apparaît insuffisante dans la mesure où elle ne développe pas une
conception méthodologique de la réaction sociale contre le phénomène criminel.
trafic d'être humain, trafic illicite de stupéfiants, infractions aux dispositions en
Voilà trois orientations qui pourraient être prises en compte dans les travaux
matière d'armes et explosifs, transport illiàte de déchets toxiques, délit de fuite après
législatifs:
un acàdent ayant entraîné la mort ou des blessures graves.
- Il conviendrait tout d'abord de fonder la politique criminelle sur une
L'accord de Schengen aura inévitablement pour effet de contraindre les États
connaissance réelle du phénomène criminel ce qui impliquerait de faire le point des
signataires à redéfinir les fonctions de contrôle et de répression.
recherches et de lancer des programmes de recherche, pour connaitre l'effectivité du
Indépendament de ces documents diplomatiques, des instruments de
système répressif et les résultats des réformes conduites à l'étranger pour éviter de les
coopération poliàère sont mis en place.
transposer parfois trop hâtivement en France. Quelques études très intéressantes nous
- Le Traité de Maastricht, enfin, traité sur l'union européenne en date du 7
renseignent sur l'érosion des peines, la récidive 99
février 1992 qui vient d 'être ratifié par l'ensemble des États signataires comporte dans
n faudrait les multiplier.
- En second lieu, il apparaît nécessaire de repenser entièrement les moyens de
son titre VI des dispositions sur la coopération dans les domaines de la police et de la
lutte contre la criminalité par le développement des mesures préventives et par une
justice et des affaires intérieures %.
finalité aux peines prononcées.
- La création d'un groupe anti-mafia a été décidé à Bruxelles le 15 septembre
- Enfin, il est impératif de réorganiser le système de justice pénale, en lui
1992 à l'occasion d 'une réunion des ministres de l'Intérieur et de la Justice. "Cette
offrant les moyens matériels qui lui manquent (cf. budget de la justice), et en impulsant
réunion, sans précédent, de tous les ministres de /'Intérieur et de la Justice européens constitue
un signe politique extrêmement fort pour tous les peuples européens, en même temps qu'elle
montre notre solidarité avec /'Italie" avait déclaré le Garde des sceaux français, Michel
une réforme des mentalités.
" B - Les autres systèmes iuridiques occidentaux
VAUZELLE. Plusieurs spécificités ont été retenues par l'Italie et la France pour
qualifier les organisations mafieuses: une activité criminelle systématisée (trafic de
L'étude des autres systèmes répressifs fait appel aux enseignements de la
stupéfiants, extorsion de fonds, évasion fiscale etc. .. ), un développement international,
méthode comparative 100
des profits considérables. Cette réunion, a, d'autre part, décidé de créer un groupe
Elle est instructive dans la mesure où elle permet d 'apprécier le fonctionnement
européen des responsables anti-mafia qui, composé de magistrats et de poliàers, devra
de telle institution pénale originale et éventuellement de l'intégrer dans le droit français
conduire une réflexion sur les activités mafieuses, définir les stratégies pour les
quitte à l'aménager.
combattre 97.
Les systèmes juridiques se partagent en deux groupes, le système des pays
- L'Europol a été créée à Strasbourg le 4 septembre 1992. Dans un premier temps,
continentaux et le système des pays anglo-saxons.
il se cantonnera à l'échange d'informations intéressant le trafic de stupéfiants. Aux
yeux du Ministre de l'Intérieur français de l'époque, Paul QUILES, Europol constitue
98
96
M. DELMAS-MARTY, Le n:eilleur ou le pire, Le Monde 23 octobre 1992.
97
J. BORRICAND,
La criminalité organisée transfrontière, à paraltre.
J. BORRICAND, Vers l'Europe pénale, Problèmes actuels de sciences criminelles, vol. VII
1994, p. 107.
99
FAUGERON et LE BOULAlRE, Quelques remarques à propos de la récidive, CESDIP 1992,
n° 65.
100
DELMA5-MARTY, Les grands systèmes de politique criminelle, PUF 1992 ; J. PRADEL, Droit
pénal comparé, Dalloz 1995.
�117
118
JO> Le système des pays continentaux
Court" (outrage à la Cour) permettant de censurer tel commentaire erroné ou
tendancieux 101 .
Ces pays ont connu une évolution similaire au droit français avec cette différence
Le régime des voies de recours fait intervenir, d'une part, la Cour d'appel criminel
qu'ils se sont en général plus modernisés que celui,i. Ils ont subi l'influence combinée
instituée en 1907 et, d'autre part, la chambre des Lords qui constitue une Cour d'appel
des idées pragmatiques, néoc1assiques et de défense sociale, ce qui n'est pas sans
suprême.
introduire quelques incohérences dans les législations respectives.
Quant à la peine, le système de la sentence indéterminée et de la probation
alâlL niveau M l'incrimination
offrent au juge de très larges possibilités d 'individualisation. Mais récemment aux
États-Unis après que des commissions aient constaté l'échec de la politique de
La nomenclature des interdits est sensiblement la même avec une tendance à la
"réhabilitation" et de certains abus des juges, la Cour suprême est intervenue pour
rappeler les nécessités du "due process of law" et qui a conduit certains Etats
dépénalisation (cf. Code allemand de 1975 éliminant les contraventions). L'exigence de
la faute est presque toujours maintenue. Le principe de la légalité criminelle est toujours
(Californie) à abandonner la sentence indéterminée pour en limiter les pouvoirs des
affirmé. Enfin, l'état dangereux est incriminé. En Belgique, une loi de 1930 vise les
juges, ce qui ne signifie pas que les États-Unis abandonnent toute idée de réinsertion.
anormaux mentaux. En Espagne, une loi sanctionne les vagabonds et les mendiants.
Elle demeure pour les peines privatives moyennes. Mais l'emprisonnement a augmenté
hl AH niveau M lA sa"ction
de 50% en dix ans.
Un mouvement de diversification des sanctions se manifeste. La possibilité
d'individualiser la peine, grâce aux circonstances atténuantes ou aggravantes, est
largement pratiquée. La prison est en déclin au profit des amendes, des peines
LECTURES
privatives de droit, des jours-amende.
L'exécution de la peine est dominée par les idées d 'individualisation et
d'humanisation.
N. ROULAND, L'anthropologie juridique, Que sais-je?
LAINGUI et LEBIGRE, Histoire du droit pénal, Cujas 1979.
cl d.!!. niveau M lA procédure
CARBASSE, Introduction historique au droit pénal, P.U.F. 1990.
On retrouve les mêmes principes avec des variantes. Le système mixte consacré
PRADEL, Histoire des doctrines pénales, Que sais-je? P.U.F. 1989.
en France se retrouve dans la plupart des pays limitrophes à l'exception de l'Italie qui
ANCEL, La défense sociale, Que sais-je? P.U.F. 1985.
vient de se rapprocher du système anglosaxon.
J.
PRADEL, Droit pénal comparé, Dalloz 1995.
2°) Le système anglo-saxon
Le système anglais est très différent dans la mesure où la procédure est
accusatoire. On plaide coupable ou non coupable. Dans le premier cas, le juge peut,
sans former le jury, prononcer la peine. Dans le deuxième cas, un jury de douze
membres doit être constitué. On examine les preuves, les témoins sont interrogés par les
parties, l'accusé est entendu comme témoin à décharge de sa propre cause. A la fin du
procès, le Président étudie les charges produites, mais ne délibère pas avec le jury.
Celui,i doit se prononcer à l'unanimité. On notera une différence avec le droit
américain qui permet à l'accusé de renoncer au jury pour être jugé directement par le
juge. Dans tous les cas, la décision judiciaire est protégée par la notion de "contempt of
101
DAVID, Le droit anglais, Que sais-je ?
�Toute société humaine pose des interdits destinés à assurer un rnllUmum de
cohésion dans le groupe social et s'attache à en assurer le respect L'élaboration de
cette règle, de cette norme pénale s'effectue différemment selon le type de société
considérée. Dans les sociétés modernes, notamment la France, l' édiction de la norme
s'exprime par un texte répressif visant le comportement antisocial. Il y a là une garantie
suprême, l'affirmation d' un Etat de droit. Mais au-delà de l'élaboration de la norme
pénale, son application soulève un certain nombre de difficultés, plus ou moins bien
résolues dans la pratique.
Nous envisagerons donc successivement l'élaboration de la norme (Ch. I), puis
l'application de la norme (Ch. II).
�120
•1
CHAPITRE 1 - L'ÉLABORATION DE LA NORME PÉNALE
Le contenu de la nonne pénale varie selon le type de société considéré. Dans les
sociétés pastorales, priorité est donnée à la protection du bétail, à celle de l'eau. Dans
les sociétés agricoles, on s'attache surtout à celle des produits de l'élevage, des récoltes,
on opte pour une répression sévère de l'incendie. Dans les sodétés industrielles, qui
sont les nôtres, les valeurs protégées visent plutôt la personne humaine et un certain
nombre de biens qui traduisent l'activité de ces sociétés (propriétés industrielles,
artistiques, biens incorporels, etc ...). Pour ce qui est de la France, le mythe de la loi est
un héritage de la Révolution et son culte est particulièrement vivace en droit pénal. Cela
n'est pas étonnant si l'on observe que c'est en ce domaine que les garanties les plus
strictes doivent être érigées pour assurer la sécurité du justiciable. La loi s'exprime par
le célèbre principe de la légalité criminelle (Section 1) qui trouve son origine dans un
certain nombre de sources qui tendent à s'élargir (Section m.
'K
SECTION 1 - LE PRINCIPE DE LA LÉGALITÉ
CRIMINELLE
Ordinairement, ce prindpe est connu sous l'appellation de principe de la légalité
des délits et des peines. Quoique courante cette expression n'est pas pleinement
satisfaisante, car elle laisse croire que le droit pénal est seul concerné par ce principe.
Cette interprétation réductrice tient, sans doute, à la formulation de l'ancien article 4
Î
c.P. aux termes duquel "Nulle contravention, nul délit, nul crime, ne peuvent être punis de
peines qui n'étaient pas prononcées par la loi, avant qu'ils fussent commis" qu'évoque l'adage
latin: "Nullum crimen, nulla poena sine lege".
En réalité, ce texte n'exprime que l'un des aspects du principe de légalité. En
effet, ce ne sont pas seulement les incriminations et les peines, mais toute l'organisation
répressive etsmllonctionnement qui doiv~t obéir au prindpe de légalité 102
102
MERLE et VITU, op. cit. nO 155.
�121
122
il est regrettable que le nouveau code pénal reprenne une formulation linùtée de la
droits de l'homme et des libertés fondamentales de 1950 dans ses articles 5 et 7. Ces
règle 103, l'étude du principe de la légalité criminelle doit être envisagée dans sa
derniers textes montrent le retentissement immense du principe à travers le monde.
globalité. Seront successivement traitées, la constitution, la signification et enfin
D'ailleurs, de nombreux pays devaient l'adopter, dès le XIXo siècle.
l'évolution du prindpe.
Si la Grande-Bretagne et les Etats-Unis ne l'ont pas consacré, c'est parce que leur
procédure est gouvernée par la règle du précédent judidaire qui leur est propre et qui
constitue une barrière efficace contre les risques d'abus.
§ 1- LA CONSTITUTION DU PRINCIPE
B - Justification
A :: Histoire
;Xl
Contrairement à ce que l'on serait tenté de croire, le principe n'était pas
On avance traditionnellement en faveur de la légalité criminelle trois arguments :
Le premier est d'ordre psychologique . Il faut que la loi avertisse avant de
complétement ignoré avant 1789. Ainsi le droit romain le prévoyait pour les crimes et
frapper afin que le dtoyen sache avant d'agir ce qui est interdit et qui est puni. Les
au Moyen-Age certaines chartes le visaient expressément. Toutefois, la formule
criminologues insistent sur l'importance de la loi pénale, surtout pour les délits
fameuse de l'Ancien Régime "Les peines sont arbitraires en ce royaume" semblaient
artificiels, peu condamnés par la morale et même pour certains délits naturels comme
signifier une méconnaissance du principe de légalité. Cette analyse est erronée. On a
montré qu'un certain nombre d 'édits et d'ordonnances royales avaient prévu de
l'inceste dont bon nombre de sujets ignorent le caractère punissable.
Le second argument est d'ordre politique. Vivant en société, les individus ne
nombreuses infractions avec des peines précises que les juges ne pouvaient ignorer. De
doivent cependant pas être trop brimés par la collectivité sous peine de perdre toute
surcroît, l'usage constant d'une solution par les tribunaux avait créé en de nombreux
liberté et ce conflit ne peut être réglé que par la loi, expression d'un consensus général.
domaines une coutume scrupuleusement respectée 104. Il reste, toutefois, que
C'est le fameux contrat social exprimé par les philosophes du XVIllo siècle.
l' interprétation par analogie était utilisée par les juges et que des abus était fréquents.
~
D'où la formille célèbre "Dieu nous garde de l'équité des Parlements".
~
Enfin, un troisième argument est d'ordre institutionnel. Le principe de la
séparation des pouvoirs confie au pouvoir législatif, expression de la volonté
On comprend que les philosophes du XVIllo siècle se soient émus et aient vu,
populaire, une compétence exclusive en la matière. Ni le pouvoir exécutif, ni le juge ne
dans le principe de la légalité, le rempart des droits de l'homme. Les écrits de
peuvent y prétendre. Le juge est un rouage de l' État et ne peut imposer un droit auquel
Montesquieu et de Beccaria, notamment, expriment cette exigence.
le citoyen n'aurait pas consenti.
C'est pourquoi, le premier soud du législateur révolutionnaire fut d'affirmer avec
force le principe de légalité. L'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du
C - Energie du principe
dtoyen, énonçait "Nulle contravention, nul délit, nul crime ne peuvent être punis de peines
qui n'étaient pas prononcées par la loi avant qu'ils ne fussent commis", tandis que l'article 5
édictait que "tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché et nul ne peut être
contraint de faire ce qu'elle n'ordonne pas".
Le faisceau de justifications expliquent qu'à la suite de pénalistes éminents
(Garçon, Garraud), les préambules des constitutions de 1946 et 1958 ont, depuis,
solennellement proclamé leur attachement aux prindpes posés par la Déclaration de
Par la suite, le principe a été réaffirmé par les constitutions de 1791 (art. 8 et 10)
1789 et le Conseil Constitutionnel a confirmé la force constitutionnelle du principe en
de 1793 (art. 19) et de l'an ID (art. 14), puis par le code pénal dans son article 4. La
s' appuyant sur l'article 8 dans plusieurs décisions importantes lOS Cette consécration
Déclaration Universelle des droits de l'homme de 1948 consacre, elle aussi, la règle
n' a toutefois pas la portée totale à laquelle elle serait en droit de prétendre, car le juge
dans les articles 9,10 et 11, tout comme la Convention Européenne de sauvegarde des
se refuse à contrôler la constitutionnalité d'une loi. Les tribunaux judiciaires se voient
103
Art. 111-3, "Nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont pas
définis par la loi ou pour une contravention dont les éléments ne sont pas définis par 1
réglement. Nul ne peut être puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi si l'infraction est un
aime ou un délit ou par le réglement si l'infraction est une contravention.
104
LAINGUl et LEBlGRE, Histoire du droit pénal, t. l, p. 130.
I
105
ainsi contraints d'appliquer une loi qui pourrait être contraire au principe de la légalité
19-20 janvier 1981 , J.c.P. 1981-D-19701, note FRANCK
�123
ri
124
et donc contraire à la Constitution. Tout repose sur la vigilance du Conseil
2°) S'agissant des sanctions, il n'appartient pas au juge d'adjoindre une peine à
( Constitutionnel 106.
une loi dite imparfaite qui aurait permis de la prévoir ou de prononcer une peine
t
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~§ .2 - PORTÉE DU PRINOPE
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complémentaire non prévue par la loi 109.
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A - Vis-à-vis du législateur
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§ 3 - EVOLUTION
o
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Longtemps admis sans discussion, le principe de la légalité criminelle a fait
l'objet de vives critiques à partir de la fin du XIX o siècle. L'école positiviste italienne
1°) Tout d 'abord, le législateur a le pouvoir d'établir des normes pénales et
soucieuse de développer ~ prévention des infractions et de suivre lâ"~ du
procédurales. Cette compétence exclusive n'interdit pas, cependant au pouvoir
phénomène criminel avait exigé l'abandon du principe de légalité. Cette idée de
exécutif, d' établir des incriminations mineures, ce qui traduit un effritement de la
potentialité criminelle a trouvé des échos dans les doctrines totalitaires. L'Allemagne
légalité criminelle.
hitlérienne et l'Union soviétique d'avant 1959 n' ont pas hésité à bannir le principe de
2°) En second lieu, le principe de la légalité impose au législateur l'élaboration de
légalité qui ne pouvait qu'entraver leur politique d'élimination de toute personne
textes clairs et précis. il est évident qu' une incrimination vague ôte toute garantie aux
suspectée de ne pas adhérer à la doctrine officielle.
citoyens et les laisse en particulier à la merci de l'arbitraire du juge. A diverses reprises,
(
le Conseil constitutionnel a été conduit à censurer certaines dispositions adoptées au
légalité criminelle, qui en démontrent l' irréversible déclin; la France est de ceux-là.
D'autres pays, sans aller aussi loin, ont apporté des altérations au principe de la
,. ~l-
pro""e ~ "'-
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loi visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le
f
pluralisme des entreprises de presse, punissait d ' assez lourdes amendes
-C)
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t. ~ (4)_CLo "'" <:O<LLI.!,
&..<.. ~ ~ J2L, OP c4<1;-,u<>~.
Parlement en violation de cet impératif. Ainsi l'article 28 de la loi du 23 octobre 1984"
A - Le déclin au profit de l'exécutif
~
Ce phénomène n' est pas nouveau. C'est, à compter de la illème République, que
l'inobservation des dispositions de l'article 6 de la même loi. Or ce texte ne précisait
! la pratique des délégations du législatif à l'exécutif se sont multipliées sous forme de
pas à quelle personne, cédant ou concessionnaire, incombait l'obligation d'insertion
qu'il posait. Le Conseil Constitutionnel a annulé l'article 28, l'infraction qu' il portait
étant "édictée en méconnaissance du principe constitutionnel de la légalité des délits et des
décrets-lois.
D' importants textes ont été de la sorte adoptés comme la seconde partie
peines puisque la détermination de son auteur est incertaine" 107
législative du code de procédure pénale. La définition des prix illicites (ord. 30 juin
1945), du taux de l'intérêt usuraire (L. 28 décembre 1966), de la réglementation du
"'f.
B - Vis-à-vis du iuge
tra vail ou de la chasse, etc ...
Un pas de plus a été franchi avec la Constitution de 1958 qui a complètement
~
retiré du domaine législatif la matière des contraventions de police, désormais de la
P) S'agissant des incriminations, il appartient au juge de rechercher la
disposition la plus adéquate au fait poursuivi. Bien entendu, le juge ne saurait invoquer
compétence exclusive du domaine exécutif.
'P Cette "décadence de la loi" que l' on a pu justifier par le souci d' une répression
l' usage ou la coutume pour créer une incrimination ou la d éclarer disparue sous
optimale a fini par dénaturer la fonction incriminatrice du pouvoir législatif pour
prétexte qu'elle n'est plus appliquée 108.
devenir synonyme de répression aveugle aux horizons illimités. L'ancien article 82 c.P.
réprimait "quiconque, en temps de guerre, accomplira sciemment un acte de nature à nuire à la
106
défense nationale non prévu et réprimé par un autre texte". L' article L. 481-2 qui vise toute
Il a été cependant jugé que la confonnité d'une loi à la Constitution peut être contestée, lors de
l'examen de dispositions législatives qui la modifient
note LUCHAlRE).
(c.
Const. 25 janvier 1985, 0.1985-361,
107
Conseil Constitutionnel 10-11 octobre 1984, FAVOREU et PHIUP, op. cit. nO40.
108
V. toutefois, infra les jurisprudence développées à propos des dispositions conventionnelles
conclues en droit du travail.
entrave apportée à l' exercice du droit syndical est si large que la Cour de cassation a
~ e lÀ,
109
().
..fp..
~f
~ O--~ IV , ~o.-vI('
.b-- (O'M ~
JV.- ~ ~ ~ a.P'I'~~
Crim. 22 mai 1986, B. n° 167.
r},Dc 'ft d.P ,......:.", ('l
L
t. R.J.
~I/J .
~
)
~ fi. ~
�125
pu juger que celle-d avait été commise par l'employeur ayant poursuivi, par la voie
judiciaire, la résolution du contrat de travail d'un délégué syndical 110
En matière procédurale, il n'est pas excessif d'estimer que la légalité a connu de
126
b)1
Par ce phénomène, la loi est ouvertement bafouée, ce qui donne à réfléchir sur
l'insignifiance qui peut être sienne.
véritables éclipses. Une loi du 21 mars 1941 créant une cour criminelle spédale pour
sanctionner les infractions èe marché noir, attribua à la cour elle-même, le pouvoir de
déterminer sa procédure. Une autre loi du 20 janvier 1944 créant des cours martiales,
SEC TI 0 N II - LES ~ 0 U R CES DEL J\J, ÉG.A..U....T....É
CRIMINELLE
renvoyait à un arrêté du Secrétaire d'Etat au maintien de l'ordre, l' institution de ces
cours et la fixation de leur procédure!
On doit, toutefois, reconnaître que la censure du Conseil constitutionnel permet
d ' éviter certains abus. La haute instance exige une rédaction précise des textes pénaux
~
~
~
l'infraction énoncée (décision du 3 septembre 1986). Cette mise sous tutelle est
i . .,,'
'r W'.
~.J'
postulée par l'article 8 de la Déclaration des Droits de 1789, selon lequel '1a loi ne doit
0-;-
V
§ 1- SOURCES NATIONALES
et se reconnaît le pouvoir de vérifier la proportion entre la pénalité édictée et
Contrairement à l'Anden Droit où les coutumes jouaient un grand rôle, la règle de
établir que des peines strictement et évidemment nécessaires". Désormais, le prindpe
0i!9-it s'exprime essentiellement par la loi et d'ailleurs ne semble pouvoir s'exprimer que
de proportionalité des délits et des peines a valeur constitutionnelle. Si la protection
l!'ar elle, car seul un texte peut édicter une sanction. Elle est accessible à la
des citoyens y gagne, la condition du législateur en sort amoindrie, puisque le respect
connaissance de tous et ce caractère de généralité lui confère l'autorité nécessaire pour
à côté de cette source
de l'article 8 de la Déclaration des droits est assuré effectivement par le juge de la
constitutionnalité.
remière 1
•nal
conn~ d_ es....s<:u....r....c....
es....s~~....
nd
....a....ir....e...:s....q~Ul
....·....c__o....n.tn
.....·b....u....e~n....\,,__ - ---;-....Ié....g<..a....li....te....
· ....
crurun
....·_·........
ell_e.
•
YJ B - Le déclin au profit du iuge
Les pouvoirs du juge dans la fixation des peines n'ont cessé de s'accroître.
L'éla rgissement des circonstances atténuantes, en 1960, le développement de
A - Les sources premières
Jusqu'en 1958, la loi présentait une certaine homogénéité, puisque le Parlement
définissait la matière de toutes les incriminations pénales. La Constitution de 1958 a
,.---
possibilités nouvelles: ajournement ou dispense de peine, travail d ' intérêt général,
marqué l'effritement de 1~lité cr~le'. Du fait de la combinaison des articles 34
jours amende en sont quelques illustrations.
et 37 de la Constitution, s'est opérée "la décadence de la loi". Désormais, l'interdit
Le nouveau code pénal, en supprimant les drconstances atténuantes, et en ne
fixant qu'un maximum accroît cette évolution.
D'autre part, l'introduction de la sentence indéterminée réduit dans certains
"pénal peut émaner de deux catégories d'act~, les uns émanant du pouvoir législatif, les
autres éma·RaRt-dul'0uvoir-el<écutif.
1°) Actes émanant du pouvoir législatif
domaines cette exigence du maximum. Aussi, depuis, 1945 existent, pour les mineurs
/
délinquants, des mesures de rééducation toujours révisables, quant aux majeurs,
Toutes les lois ont la même fin : édicter des incriminations, des règles
libération conditionnelle, réduction de peine et grâce leur permettent de recouvrer la
procédurales et les assortir de sanctions. Cependant, elles n'ont pas toujours la même
liberté avant le terme normal, donc, à un moment où leur état dangereux est présumé
forme. On peut tenter un classement, en opérant la distinction suivante opposant trois
avoir cessé.
sortes de textes.
Dans le domaine de la procédure pénale, la manifestation la plus notable de
l'effritement de la légalité est, sans nul doute, le procédé de la correctionnalisation
judiciaire implanté depuis le début du XIXo siècle.
al ill textes. expression législative directe
Dans cette catégorie, on peut y faire entrer:
- Les lois contenues dans les codes, CP., CP.P., C].M.
- Les lois particulières : soit intégrées dans de nouveaux codes (c. santé
110
Ass. Plén. 28 juin 1983, D. 1983-269, cone!. CABANNES.
publique, C d ébits de boissons, C de la route, C rural, etc ... ) ; soit restées extérieures
�127
128
(Loi 29 juillet 1881 sur la presse, Loi 1er août 1905 sur les fraudes, Loi du 28 décembre
Ainsi, le Préambule affirme l'égalité de l'homme et de la femme, tandis que la
1966 sur l'usure, Loi du 16 janvier 1978 sur l'informatique, Loi du 29 juillet 1982 sur la
Déclaration des droits pose les règles de la présomption d'innocence (A. 9), du
communication audiovisuelle etc. ..).
caractère exceptionnel de la détention provisoire (A. 4) et de la non-rétroactivité des
,><l
lois pénales de fond (A. 8).
hl W textes assimilés .à 1JI]Qi
X
Dans ce groupe on peut distinguer chronologiquement deux types d'actes.
Mais, il y avait, jusqu'à présent, une quantité infime d'arrêts, faisant
expressément référence à une décision du Conseil constitutionnel (sur
150000 arrêts de la Chambre criminelle, six seulement y font expressément référence)
• Les actes antérieurs au droit napoléonien.
111
L'ancien article 476 du Code pénal disposait: "Dans toutes les matières qui n' ont
Cependant, la réforme de 1974 ayant élargi la possibilité de saisine du Conseil
pas été réglées par le présent code et qui sont régies par des lois et règlements particuliers, les
cours et tribunaux continueront de les observer", à condition que le texte:
constitutionnel aux parlementaires, on observe que, de plus en plus, cet organisme est
saisi de requêtes formées contre les textes à caractère pénal le conduisant à affirmer
- n'ait pas été abrogé, ni expressément, ni tacitement.
des principes qui ont valeur de loi. Ainsi, la non-rétroactivité des lois nouvelles plus
- ait un caractère permanent.
sévères 112, la rétroactivité des lois nouvelles plus douces 113 ou la liberté individuelle
- soit compatible avec les principes de notre droit criminel contemporain.
114
Le nouveau code pénal n'a pas jugé utile de reproduire cette disposition.
;Il
• Les lois étrangères
Un nouveau pas a été franchi par les arrêts rendus par la Chambre criminelle le
25 avril 1985 115 . Dans ces deux affaires, était posé le problème de l'énergie de la loi
L'article 113-6 N.e. P. énonce : "La loi pénale française est applicable à tout crime
du 10 juin 1983 instituant une nouvelle réglementation des contrôles et vérifications
commis par un français hors du territoire de la République. Elle est applicable aux délits
commis par des français hors du territoire de la République si les faits sont punis par la
d'identité, en ayant omis d'abroger le décret du 18 mars 1946 relatif à la police des
législation des pays où ils ont été commis". Ce texte pose le principe de la réciprocité
l'autorité "les pièces ou documents sous le couvert desquels ils sont autorisés à résider en
d 'incrimination.
France".
étrangers faisant obligation à ceux-ci de présenter à toute réquisition des agents de
Dans la première affaire, BOGDAN, citoyen hongrois, avait été soumis à un
'.'!
cl W textes supérieurs .à 1JI /.Qi.
contrôle d'identité alors qu'il se trouvait comme passager dans un véhicule immatriculé
Sur le plan du droit interne, on assiste actuellement à une constitutionnalisation
en Allemagne. La Cour de Paris avait annulé la procédure estimant que seul le
du droit pénal en France, conduisant à la reconnaissance d 'un certain nombre de
principes fondamentaux
conducteur d'un véhicule était tenu de présenter des papiers. Tout en approuvant
l'arrêt d'appel d'avoir apprécié la régularité de la procédure, conformément aux
dispositions combinées de l'article 66 de la ConstituUon, aux termes duquel l'autorité
1) Le phénomène de constitutionnalisation.
judiciaire est gardienne de la liberté individuelle qui énonce que "dans les cas d'atteinte à
Sans doute, les déclarations de droit américaine et française de la fin du
la liberté individuelle, le conflit ne peut jamais être élevé par l'autorité administrative " et que
XVlllème siècle renfermaient de nombreuses dispositions limitant le pouvoir répressif
les tribunaux de l'ordre judiciaire sont toujours exclusivement compétents, et de l'article
de l' État au profit des personnes soupçonnées d'avoir commis une infraction pénale;!
136 du e. P. P. la Cour de cassation le censure, la cour n'ayant pas vérifié si les
Néanmoins, pendant tout le XIXème siècle, ces dispositions n'ont eu aucune valeur de
droit positif, sauf aux États-Unis où les juges admirent, très vite, la supériorité de la
111
Chiffres cités par M. FAVOREU, La Cour de cassation, le Conseil constitutionnel et l'article
66 de la Constitution, D. 1986, chrono p. 169.
En Europe, de nombreuses constitutions étrangères avaient progressivement
112
C. Const. 10-11 octobre 1984, R.5.C. 1985-341, obs. BOULOC.
intégré des principes d'ordre pénal, (Suisse, Autriche) . Par exemple, le principe
113
C. const. 19-20 janvier 1981, I.c.P. 1981-1I-1970, note FRANCK.
procédural du contradictoire est affirmé par les constitutions italienne et portugaise.
114
C. cons!. 12 janvier 1977, D. 1978-173, note HAMON et LEAUTE.
115
Affaires VUCKOVlC et BOGDAN, D. 1985-329, concl. DONTENVILLE, J. C. P. 1985-11-20465,
note JEANDrolER ; Gaz. Pal. 1985-1-408.
Constitution sur la loi.
La France avait suivi le mouvement dans sa Constitution de 1958. Son
Préambule renvoie à celui de 1946 et à la Déclaration des droits de l'homme de 1789.
�129
130
conditions requises pour que joue le décret de 1946 n'étaient pas rétmies. En somme, la
On citera, tout d'abord, la réaffirmation du principe de la légalité des délits et
Cour d'appel a appliqué la loi de 1983, excluant de ce fait, le décret de 1946.
des peines (20 janvier 1981) auquel on peut rattacher le principe de la non
Dans la deuxième espèce, VUCKOVIC avait été interpellé sur un quai de gare.
rétroactivité (20 janvier 1981).
Traduit d'abord devant le tribunal correctionnel pour situation irrégulière, en appel, la
On peut citer également, le principe de l'égalité procédurale dégagé dès 1975.
cour avait estimé qu'il fallait surseoir à statuer et il avait été renvoyé devant le juge
Une loi de 1975 avait envisagé de laisser au Président du tribunal de dédder de façon
administratif, compte tenu que cette interpellation "s'anl1lysant en un acte administratif
discrétionnaire et sans recours, les matières pouvant être jugées par un juge unique. Le
individuel qui n'est pas lui-même sanctionné, alors même que de sa légalité dépend la solution
Conseil constitutionnel censure la loi au motif qu'elle portait atteinte à l'égalité. En
du procès", interdisant au juge judiciaire d'apprécier la légalité d'un tel acte, la Cour de
revanche, la loi du 9 septembre 1986 sur le terrorisme a décidé la compétence de
cassation a censuré partiellement la décision d'appel.
magistrats professionnels.
De cette jurisprudence nouvelle de la Cour de cassation, on peut tirer les
A été dégagé le principe de la responsabilité personnelle en vertu duquel nul ne
enseignements suivants.
peut être soumis à une peine s'il n'a pas commis lui-même l'infraction (2 décembre
Tout d'abord, le décret de 1946 continue à s'appliquer pour les contrôles
1976). Ce principe a été toutefois atténué ultérieurement dans une décision posant
d'identité des étrangers, sous la réserve qu'il y ait des "éléments objectifs déduits de
"qu'aucun principe constitutionnel ne s'oppose à ce qu'une amende puisse être infligée à une
circonstances extérieures à la personne même de l'intéressé de nature à faire apparaître
personne morale" (30 juillet 1982)
On peut ajouter les autres principes suivants:
- Prindpe de la nécessité de l'incrimination et de la peine 119 ;
sa qualité d'étranger "ou, qu'à défaut de ces éléments, la "procédure de contrôle d'identité
prévue par l'article 78-1 du C. P. P. ait fait apparattre la qualité d'étranger". En toute
hypothèse, que le contrôle soit opéré au titre du décret de 1946 ou de la loi de 1983, le
_ Principe de proportionnalité entre infractions et peines 120, impliquant un
juge judiciaire est compétent pour en apprécier la régularité et cela en vertu de l'article
certain rapport entre la gravité de l'infraction et la gravité de la peine
66 de la Constitution et de l'article 136 du c.P.P." 116.
encourue;
En second lieu, et c'est là l'aspect le plus novateur de ces arrêts, pour la première
- Principe du respect des droits de la défense qui résulte des prindpes
fois, la Chambre criminelle, suivant les conclusions de l'avocat général, consacre la
-
fondamentaux reconnus par les lois de la République 121 Parmi ces droits
prise en considération des normes constitutionnelles dans l'interprétation donnée par le
Conseil constitutionnel.
-
figure le droit de la personne à s'entretenir avec un avocat au cours de la
garde à vue 122.
De son côté, le Conseil d ' État a fait application, le 20 décembre 1985, dans un
Le Conseil, interrogé, a estimé qu'il est loisible au législateur de prévoir des règles
arrêt d'assemblée, d'une décision du Conseil constitutionnel à laquelle il reconnaît
autorité de chose jugée 11 7.
de procédure différentes selon les faits, les situations, et les personnes auxquelles elles
il semble bien que ces décisions amorcent un tournant dans le rôle joué par le
s'appliquent, pourvu que ces différences ne procèdent pas de discriminations
injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales.
Conseil constitutionnel dans l'application des principes du droit pénal et de la
La doctrine s'accorde pour admettre que la reconnaissance par les deux plus
procédure pénale.
hautes instances juridictionnelles des décisions du Conseil constitutionnel va modifier
Xl 2) Les principes fondamentaux
sensiblement les différentes branches du droit et, notamment, pour ce qui est du droit
En effet, le Conseil constitutionnel a dégagé un certain nombre de principes
pénal, la valeur constitutionnelle du principe de l'autorité judidaire, gardienne de la
souvent tirés de prescriptions contenues dans la déclaration de 1789 ou des deux
préambules, s'opposant par là, au Conseil d' État qui les trouve trop vagues pour qu'ils
puissent être sanctionnés juridiquement 118.
119
20
janvier 1981.
116
FAVOREU, chron. prée.
120
30 décembre 1987.
117
D. 1986-283, note FAVOREU.
121
20
118
C. E. 28 novembre 1968, TALLAGRAND, Rec. 6lJ7.
122
Il août 1993, j.c.P. 1993-11-66355.
janvier 1981, 3 septembre 1986.
�131
132
liberté individuelle s'impose au juge répressif 123. On peut s'inquiéter de l'emprise du
Bien qu'autonomes, ces règlements n'ont pas la même autorité que la loi fonnelle.
Conseil Constitutionnel sur le pouvoir judiciaire dans la mesure où cette juridiction
Ce ne sont, en effet que des actes administratifs. Ils peuvent, dès lors, faire l'objet d 'un
entend faire prévaloir, dans la nature pénale, un certain nombre de prindpes généraux.
recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'État statuant au contentieux et ils
'f'
doivent être soumis au contrôle de légalité par le juge répressif comme les autres
( règlements administratifs.
2°} Les actes émanant du pouvoir exécutif
il en va différemment pour une deuxième catégorie d'actes administratifs que l'on
Jadis, ce type d'acte représentait une source limitée du droit pénal. Avec la
peut qualifier d'équivalents à la loi.
constitution de 1958, cette source s'est élargie au point d'être promue parfois au rang
de la loi elle-même. Dès lors, les actes réglementaires apparaissent, soit subordonnés à
hl ill ~ équivalents .à.liI fui
la loi, soit équivalents à la loi.
Cette catégorie regroupe un éventail de textes très hétérogènes .
.al ill ~ soumis .à.liI fui
• Les textes pris dans des circonstances exceptionnelles.
ils sont de trois sortes:
Ils peuvent être illustrés par les décisions présidentielles prises en vertu de
• Tout d'abord les actes pris en vertu de l'article R. 610-5 c.P.
l'article 16 conférant au Président de la République une sorte de pouvoir législatif. Ces
décisions ne peuvent faire l'objet d'aucun recours devant aucune juridiction 124.
"lA violation des interdictions ou le manquement aux obligations édictées par les décrets
et arrêtés de police sont punis de l'amende prévue pour la contravention de la Ure classe".
• D'autres textes résultent d'une délégation de pouvoirs.
Cette délégation traditionnelle se justifie par le fait que la loi ne peut tout
Cette délégation peut être opérée par la Nation. Cest le cas de l'article 11
prévoir, qu'il faut laisser une liberté relative de manœuvre aux autorités préfectorales
autorisant le Président de la République à légiférer par voie de référendum. Ce type de
ou munidpales, sans pour autant les laisser légiférer au gré de leur fantaisie (exemple:
loi est fragile parce que attaquable devant le Conseil d'État par voie de recours pour
réclusion à perpétuité édictée pour un stationnement interdit !).
excès de pouvoir.
• En second lieu, des lois spéciales.
Mais cette délégation peut être également consentie par le Parlement
Elles peuvent être prises dans des matières particulières (lois sur la police des
Sous la Troisième République, c'était la fameuse pratique des décrets-lois. Sous la
chemins de fer, lois en matière économique ou fiscale). Elles confèrent à l'administration
Quatrième République, il en était de même, avec cette différence que le droit pénal en
le pouvoir de déterminer les incriminations et les sanctions.
était exclu.
Sous la Cinquième République, ces textes ont pris le nom d'Ordonnance. Les
• Enfin et surtout, les règlements autonomes.
unes, fugitives prises en vertu de l'article 92 avaient pour finalité la mise en place de la
ils sont pris en vertu des articles 34 et 37 de la Constitution et confèrent au
Cinquième République (entre le 4 octobre 1958 et le 4 février 1959). Elles avaient la
pouvoir exécutif une compétence dans le domaine contraventionnel (Art. R. 610-1
même autorité et la même valeur qu'une loi votée par le Parlement. Par suite, elles ne
N.C.P.).
1
pouvaient faire l'objet d'un recours devant le Conseil d' État pour excès de pouvoirl25 .
Si le décret est pris en Conseil d'État, les rédacteurs du décret peuvent choisir
,.,
En revanche, les autres, permanentes, prises en vertu de l'article 38, à la suite
librement les pénalités dans les limites des peines de police jusqu'à concurrence de
d'une ;'utorisation du Parlement, sont soumises à la censure du Conseil d ' État et à
10000 F.
l'exception d 'illégalité 126. En revanche, si elles ont été déposées et ratifiées par le
S'il s'agit de décrets simples, d 'arrêtés ministériels, préfectoraux ou municipaux,
la sanction se trouve obligatoirement dans l'article R. 610-5 N.C.P .. C'est à dire une
amende de 250 F. au plus.
123
LE CALVEZ, Les principes constitutionnels en droit pénal, j.CP. 1985-1-3198 ; PHILIP, La
constitutionnalisation du droit pénal français, R.S.C 1985-711 ; D. MAYER, L'apport de droit
constitutionnel au droit pénal en France, R.S.C 1988-439.
124
T. C 16 novembre 1964, C E. 13 novembre 1964, j.CP. 1965-11-14286, note LANGAV ANT, Crim.
21 août 1961, B. nO363; Crim. 23 mai 1%2, j.CP. 1962-II-12800.
125
Crim. 25 juin 1959, Bull. nO331 ; C. E. 12 février 1960, j.c.P. 1960-11-11629 bis, note VEDEL,
R.5.C 1961-104 obs. LEGAL.
C. E. 19 octobre 1%2, CANAL, D. 1962-687, annulant l'Ordonnance en date du 1er juin 1962.
126
�134
133
Parlement dans le délai voulu, l'exception d'illégalité n'est pas recevable et les
conduite à admettre que ce règlement pouvait consister même en une simple circulaire
tribunaux répressifs doivent les appliquer 127.
130
Le nouveau code pénal entérine la distinction loi, règlement (art. 111-2) lui
On observera, cependant, que l'autorité de la circulaire n'est que relative, dans la
donnant une "valeur légale et une consécration pénaliste" 128.
mesure où elle n'intervient que sur délégation d'un texte législatif ou réglementaire.
Il n'en est pas de même en droit administratif. La position du Conseil d'État est
3°) Les circulaires
beaucoup plus libérale. Pour mieux protéger les administrés, il déclare recevables les
recours pour excès de pouvoir des circulaires créant une véritable règle de droit
On sait l'importance que les circulaires revêtent aujourd'hui (270 pages du code
opposable aux intéressés, c'est-à-dire qui présentent un caractère réglementaire 131.
Dalloz pour l'application du nouveau code pénal !).
Un certain courant doctrinal souhaiterait que le juge pénal adopte une attitude
similaire à celle du Conseil d'État. 132.
Pourtant le principe est que les circulaires ne peuvent déterminer, en droit pénal,
les éléments d'une incrimination. Elles ne sauraient non plus, en outre, être considérées
comme une source secondaire assimilable aux règlements ou aux autres actes
B - Les sources secondaires
administratifs. Solution logique, les seules sources du droit pénal sont la loi et le
règl~~
Le doyen CARBONNIER appelle les sources secondaires des "autorités". Celles-
En conséquence, un justiciable ne peut s'abriter derrière une circulaire.
ci ont tendance à voir leur importance s'~tre sensiblement en droit pénal, depuis le
Cependant, le rôle des circulaires en droit pénal est loin d'être négligeable.
XIXo siècle.
a) Tout d'abord une circulaire peut apporter des précisions sur les
On peut citer la coutume et les
éléments constitutifs d'une infraction pénale.
rinci es généraux du droit dégagés par la
--.ajoutera pour mémoire, que le droit du travail a donné naissance à une
jurisprudence.
-
Ainsi il est admis que, parmi les règlements des articles 221-6 et 222-19 N.CP.,
On
figurent non seulement les lois, mais aussi de simples circulaires administratives ou
nouvelle source en admettant que des accords de volonté spontanément conclus lient
instructions de service à caractère réglementaire.
les partenaires et que leur méconnaissance constituerait le délit d'entrave à l'exercice du
droit syndical dans l'entreprise. La cour de cassation l'a admis dans des arrêts
f3) En second lieu, il peut arriver qu'exceptionnellement une
remarqués 133. Cette jurisprudence a été consacrée et même étendue par la loi du 13
circulaire crée une incrimination.
novembre 1982 qui a créé un nouvel article L. 153-1 C. T. , (accords collectifs) 134.
Une ordonnance du 30 mai 1945 sanctionnait de peines sévères le contrôle des
changes. Ce texte a été abrogé par une loi du 28 novembre 1966 permettant cependant
au gouvernement d'intervenir par décret. En application de cette loi, un décret du 24
On connaît l'importance que revêtait la coutume sous l'Ancien Régime. Elle était,
novembre 1968 a rétabli certaines mesures de contrôle et a prévu qu'une autorisation
souvent, cause d'extinction des peines. Dans certaines régions, il était d'usage de ne
exceptionnelle de transfert de devises pourrait être accordée par drculaire. Ce qui fut
pas faire exécuter la peine de mort, si certains événements survenaient Oa rencontre
fait par une circulaire en date du 9 août 1973. Un individu n'entrant pas dans les
d'un cardinal sur le chemin du supplice, la rupture de la corde, le mariage du condamné
précisions de cette circulaire a été condamné 129
avec une jeune fille ou une prostituée). On sait le rôle capital que joue encore
Il en va de même en matière d' homicide involontaire (art. 221-6 N.CP.) et de
aujourd'hui la coutume dans les pays anglo-saxons.
blessures involontaires (art. 222-19 et R. 625-2 N.CP.). Ces infractions pouvant être
constituées notamment par la violation d'un règlement ; une jurisprudence a été
127
Crim. 13 avril 1976.
128
RASSAT, "Libres propos sur le nouveau code pénal" in Problèmes actuels de sciences
criminelles, 1994, p. 63.
129
Crim. 16 janvier 1976, B. n° 18; 24 novembre 1980, B. n° 311.
130
Paris 20 décembre 1971, G.P. 1972-1-317.
131
C.E. 29 janvier 1954, Institution N. D. du KREISKER.
132
PUECH, op. dt. pp. 29-30.
133
Crim. 14 février 1978, D. 1978-384.
134
J. BORRJCAND, Remarques sur les quelques décisions sociales de la chambre criminelle,
chrono D. 1980-323; PRADEL, Dr. social. 1979-10) .
�135
136
Depuis l'admission du principe de la légalité criminelle (Art. 111-2 C P.), la
constitutionnalité. Si bien qu'aujourd'hui la Cour de cassation et le Conseil
coutume n'a plus de valeur créatrice, modificatrice ou abrogative du droit pénal. ~
constitutionnel concourent à leur intégration dans le droit positif.
coutume ne peut donc pas créer d'infraction nouvelle, ni de peine, ni modifier les
"
infractions ou les peines existantes. La Cour de cassation le rappelle fréquemment.
C'est dans la procédure pénale que ces principes se sont le plus épanouis. On
connaît le principe de la présomption d'innocence, ou encore celui d'après lequel le
Cependant, une manifestation résiduelle de la coutume peut être illustrée par un
doute profite à l'accusé (in dubio pro reo). Le principe du respect des droits de la
double rôle, un rôle d'interprétation et un rôle supplétif.
défense a conduit à une réforme législative à la fin du siècle dernier et a permis plus
récemment à la Cour de cassation, en créant le système des nullités substantielles, de
ru Le. rQk d'interprétation
compléter la liste légale trop étroite 138. On peut citer également les prindpes d'oralité
La notion de bonnes mœurs ou de pudeur n'ayant pas été définie, le juge va se
139, de publicité 140, de double degré de juridiction (appel de certaines ordonnances du
référer à la pratique effective. C'est BAUDELAIRE, condamné au siècle dernier pour les
juge d 'instruction au-delà de ce qu'autorise l'article 202 du CP.P.) 141 et celui d'après
Fleurs du Mal, réhabilité en 1949. C'est la faute d'imprudence appréciée compte tenu
lequel le mis en examen doit avoir la parole le dernier 142. On observe, ici, de multiples
du comportement usuel des hommes 135. C'est le tapage nocturne apprécié en fonction
illustrations de l'indépendance des tribunaux vis à vis du législateur. En procédure
de l'évolution des mœurs 136.
pénale, l'enquête de personnalité, obligatoire dans le Code de procédure pénale, a été
jugée facultative par la Cour de cassation. Le recours en cassation en matière
hl 1& rQk supplétif
d'extradition a été admis malgré l'interdiction posée par la loi du 10 mars 1927 143 On
il apparaît de deux façons.
doit remarquer toutefois que, paradoxalement, les tribunaux se trouvent parfois plus
Le plus souvent, la coutume est une source négative en ce qu'elle exclut la
réticents que la cour de cassation 144, (refus de s'immiscer dans l'exercice du pouvoir
répression. C'est le droit de correction manuelle des parents sur leurs enfants. C'est la
du législateur pour préférer la loi naturelle à la loi positive). C'est dire que si le rôle des
permission chirurgicale. C'est la vente du muguet, tolérée le 1er mai. Ce sont les courses
tribunaux est fort utile -il fait l'économie d'une loi- il se révèle parfois excessif.
de taureaux et les combats de coqs, autorisés s'il y a une "tradition locale ininterrompue"
Mais le droit pénal de fond connaît quelques uns de ces principes. Telles la
(Art. 511-1 CP.). Ce sont les coups et blessures consécutifs à la pratique des sports
présomption de bonne foi 145, la dispense de peine pour le complice de dénoncer le
(cl. l'étude de la disparition de l'infraction).
crime auquel il a participé 146, sur la base des "principes fondamentaux du droit pénal
français". Le droit de la minorité pénale a été modifié par référence aux principes
Exceptionnellement, la coutume peut être une source positive. En matière de
g~u-dreit 147.
fraude, lorsque le produit n'est pas réglementé, le juge peut faire appel aux "usages
loyaux et constants du commerce" pour déterminer si le produit mérite la qualification
Certains de ces principes intéressent à la fois la procédure et le fond comme celui
donnée par le prévenu 137.
de l'égalité. C'est sur sa base que le Conseil constitutionnel a annulé une loi de forme
La procédure pénale fournit, pour sa part, de nombreux exemples de ce rôle
supplétif. Rappelons l'usage des commissions rogatoires, la pratique des enquêtes
officieuses qui ont conduit à des réformes législatives, ainsi que la correctionnalisation.
2°) Les principes généraux du droit
On sait J'importance des principes généraux en droit administratif. Ceux-ci
pénètrent, de plus en plus, le droit criminel, ce qui a conduit certains auteurs à parler
de "pubIicisation du droit pénal ". On sait, en effet, qu'ils ont la qualité de principes
constitutionnels. La déclaration des droits n'a-t-elle pas été intégrée dans le bloc de
138
Crim. 12 juin 1952, j.c.P. 1952-11-7241.
139
Crim. 31 mars 1965, j.CP. 1966-II-14547.
140
Crim. 10 juillet 1974, B. n° 253.
141
crim. 24 février 1981, p. 489.
142
Crim. 23 septembre 1983, D. 1984-156, p. 188.
143
Crim. 17 mai 1984 j .CP. 1985-11-20332, note BORRICAND.
144
Tribunal de Bobigny, 22 novembre 1972, Gaz. Pal. 1972-2-89.
135
Nîmes, 28 mai 1966, j.CP. 1967-II-15311.
145
Crim. 1 avril 1965, B. nO102.
136
Crim. 4 février 1970, D. 1970-289.
146
Crim. 27 décembre 1960, B. nO624.
137
Crim. 5 octobre 1967, B. nO242.
147
crim. 26 décembre 1956, D. 1957-349, note PATIN.
�138
137
qui donnait au Président du tribunal, le droit de répartir les affaires entre un juge
unique et une juricliction c llégiale 148.
A ces difficultés de fond et de forme, s'ajoute l'ambition du droit international
qui se voudrait uniformisateur de la norme pénale.
En effet, la finalité du droit international tend à définir un certain nombre de
§ 2 - LES SOURCES SUPRANATIONALES
comportements prohibés et à les sanctionner. Cependant, son rôle ne porte que sur les
points sensibles que les législations nationales sont impuissantes à résoudre. Cela
implique un certain consensus des États soucieux de résorber tel ou tel comportement
La jurisprudence contribue ainsi à l'édification d'un ordre public économique et
social. Elle y est désormais associée par la Cour européenne des droits de l'homme 149
Le nouveau code pénal a intégré un certain nombre de solutions jurisprudentielles
(principe de la personnalité des peines, état de nécessité).
répréhensible. Mais cela implique aussi que le droit international se glisse dans les
interstices des législations nationales.
Ce processus peut se réaliser de deux façons.
Tantôt, le droit international complète la politique des États par la mise en
, L'entraide répressive internationale peut se manifester, soit par le recours au
œuvre de la sienne. La signature de conventions ajoute à la palette déjà existante des
droit pénal international, soit par référence au droit pénal interétatique. Rappelons que
incriminations codifiées par les États. Le nouveau code pénal a inséré un titre 10 dans
le premier a pour fin la solution des conflits de lois et de juridictions entre États, tandis
le Livre 4 du CP.P. visant la compétence des juridictions françaises (L. 16 décembre
que le second vise à l'établissement d'un ordre public international avec des organes
supra-nationaux. Seule, cette branche du droit tend à une véritable internationalisation
1992).
Tantôt, le droit international prétend aller plus loin et jouer un rôle de substitut
des systèmes répressifs. Ce qui faisait écrire à DONNEDIEU DE VABRES, "Les raisons
des dispositions contenues dans les législations internes. Ce qui ne va pas sans mal, les
de justice ou d'utilité sociale d'où procède le principe de légalité des délits et des peines ont une
valeur générale et pennanente".
États étant très jaloux de leur souveraineté.
Ces considérations sont pertinentes en droit international, mais malaisées à
mettre en œuvre, malgré la finalité du droit international.
Cest la raison pour laquelle ce double rôle est différemment accueilli selon le type
de disposition considérée.
Deux hypothèses doivent être envisagées. Si la disposition internationale est à
Les difficultés sont nombreuses.
vocation purement répressive, elle rejoint, le plus souvent, les préoccupations des
Tout d 'abord, les corollaires de la légalité criminelle, c'est-à-dire le principe de
législations internes et, de ce fait, elle recevra un accueil relativement favorable.
non rétroactivité de la loi pénale, celui de l'interprétation restrictive, l'exigence du
En revanche, si la disposition internationale est à vocation accessoirement
caractère écrit de la règle de droit, sont une gêne pour le développement des infractions
répressive, cela est plus douteux parce que, comme nous l'évoquions à l'instant, les
\ internationales.
États demeurent très attachés à leur souveraineté.
En second lieu, la lenteur des procédures utilisées rend plus sensible ce décalage
entre la constatation de ce type d'infraction et leur répression . Une sorte de
A - Les dispositions à vocation purement répressive
"pétrification " du droit peut en résulter et une dysharmonie des législations apparaître.
Une illustration de cette clifficulté peut être fournie par la répression de la prise
Depuis le XXème siècle, on assiste à un développement considérable de la
d'otages. En 1945, seule l'exécution des otages a été jugée criminelle par les tribunaux
criminalité internationale (facilités des moyens de communication, perméabilité des
militaires internationaux de Nuremberg et de Tokyo. Ce n'est qu'en 1948 que des
frontières etc. ..) et de certains types d'infractions (stupéfiants, terrorisme, délinquance
conventions signées à Genève se sont résolues à sanctionner la simple prise d'otage.
On comprend, dès lors, le particularisme de la légalité internationale. En droit
d'affaires etc. .. ).
Pour lutter contre ces formes nouvelles de criminalité, le droit international a
international, le texte n'est que la mise en forme d'une volonté qui lui est extérieure, le
nettement progressé, grâce au concours, notamment, de l'Association internationale de
plus souvent antécédente. Fréquemment, la coutume dicte la norme. Mais, ce peut être
droit pénal et à des motions prises dans de multiples colloques.
une délibération internationale qui élabore la loi internationale.
Sans doute, le succès des tribunaux militaires de Nuremberg et de Tokyo, au
lendemain de la seconde guerre mondiale, n'a pas eu de prolongement durable. La
148
Cons. const. 23 juillet 1975, D. 1977-629, note HAMON et LEVASSE UR.
création d'une juridiction internatiônale n'a pu se réaliser, non plus que la coclification
149
Arrêt KRUsLIN cl FRANCE, 24 avril 1990.
du droit international.
�139
140
Ce n'est que par le biais de conventions portant sur les points les plus sensibles
(crimes de guerre, génocide) que s'élabore insensiblement un droit pénal interétatique.
• La répression déguisée du terrorisme, 5' est exprimée par deux
sortes de conventions qui visent des domaines spécifiques.
Ces conventions constituent des sources du droit pénal français. Elles expriment
Les premières visent les infractions de piraterie aérienne. La Convention de La
une volonté de collaboration interétatique dans la lutte contre la criminalité. il n'est pas
Haye, en date du 16 décembre 1970 réprime la capture illicite d'aéronef. La convention
question, dans le cadre de ce cours, d'en dresser un inventaire exhaustif, mais plutôt,
de Montréal, en date du 23 septembre 1971, réprime les autres actes d'intervention
de préciser la portée de ces conventions et les limites de leur interprétation.
illicite dirigés contre l'aviation civile internationale. Ces conventions font obligation aux
1°) L'éventail des conventions à finalité répressive
États signataires de procéder à l'extradition des coupables ou de soumettre ceux-ci aux
autorités compétentes des États respectifs.
On peut distinguer trois groupes de conventions signées et souvent ratifiées par
les États depuis un demi-siècle.
ru. 1fi infractions !le. tmfk
Entrent dans cette catégorie les conventions réprimant les publications obscènes
(12 septembre 1923), le faux monnayage, la traite des êtres humains (2 décembre
1949), le trafic de stupéfiants (19 février 1935), etc ...
Les secondes sont relatives à la protection du personnel diplomatique. Elles
sont multiples.
Sur un plan régional, il faut retenir la convention, adoptée le 2 février 1971 , par
l'Assemblée extraordinaire de l'organisation des États africains, réunie à Washington,
relative aux enlèvements de personnes ayant droit à une protection spéciale.
Sur un plan international, l'Assemblée générale des Nations Unies a voté, le 14
décembre 1973, une résolution à laquelle a été annexée une Convention sur la
prévention et la répression des infractions contre les personnes jouissant d'une
1211fi infractions !le. génocide
protection internationale, y compris les agents diplomatiques.
Les exterminations massives et systématiques de population en période de guerre
La finalité de ces textes est de dépolitiser ce type d'infraction et de permettre
ou même de paix ont abouti à une Convention, signée à Genève le 9 décembre 1948,
l'extradition des coupables. Toutes ces infractions ont été reprises dans des
ratifiée par la France par le décret du 24 novembre 1950.
conventions illustrant une répression affirmée du terrorisme.
De même, la Convention de Londres du 8 août 1945 et une résolution des
Nations Unies du 13 février 1946 ont donné des crimes contre l'humanité une définition
qui a été adoptée par la loi française du 26 décembre 1964, qui déclare imprescriptibles
de tels crimes. Le Ministère des affaires étrangères ayant estimé que cette loi était
interprétative de l'accord de Londres, donc rétroactive, la Cour de cassation en a fait
l'application dans l'affaire BARBIE 150. La Déclaration universelle des droits de
l'homme du 10 décembre 1948 a donné naissance à une Convention européenne des
droits de l'homme et une Cour européenne des droits de l'homme ayant pour objet la
définition des crimes contre l'humanité. La Convention de New-York du 10 décembre
1984 contre la torture a été ratifiée par la loi du 12 novembre 1987.
rl1fi infractions di. terrorisme
• La répression affirmée du terrorisme est illustrée par les
Conventions de Strasbourg, de Dublin, l'accord de Schengen et le Traité de Maastricht.
- La Convention de Strasbourg, en date du 27 janvier 1977,
avait pour but la résorption de la violence terroriste. Les membres du Conseil de
l'Europe ont rédigé un texte destiné à rassurer l'opinion européenne. Une liste très
longue d'actes ne pouvant jamais être considérés comme politiques est présentée dans
cette convention, autorisant, de ce fait, soit obligatoirement (Art. 1), soit
facultativement (Art. 2) l'extradition. En résumé, tout acte grave autorise l'extradition.
Ratifiée aujourd' hui par 22 États, la Convention n'avait été ratifiée à l'origine que par la
République Fédérale Allemande, le Royaume-Uni et le Danemark.
- C'est pourquoi avait été mise sur pied par les membres de la Communauté
européenne, (ils étaient neuf à l'époque), une nouvelle convention, signée à Dublin, le 4
Le développement du terrorisme international est un des faits marquants de ces
trente dernières années. Pour lutter contre ce fléau, les États ont mis sur pied deux
types de conventions, les unes assurant une répression déguisée, les autres une
ré;Jres5ion affirmée du terrorisme.
décembre 1979.Ce texte constitue une réplique de la Convention de Strasbourg. En
effet, dans ses articles 1 et 2, le dit texte affirme que ne peut plus être considéré comme
politique, outre les actes de piraterie aérienne et les attentats contre les représentants
diplomatiques, tout acte grave de violence dirigé contre la vie, l'intégrité corporelle ou la
liberté des personnes. Après réticence, la France s'est finalement résolue à ratifier les
150
Crim. 24 janvier 1984, J.c.P. 1984-1I-20197.
Conventions de Strasbourg et de Dublin par la loi du 16 juillet 1987.
�141
- Cette convention a été confortée par l'Accord
142
de
Enfin, nombre de conventions instaurent un système de compétence universelle,
SCHENGEN, signé le 14 juin 1985 entre la France, le Bénélux et l'Allemagne, qui tend à
c'est-à-dire donnant compétence à tout État signataire de connaître d'une affaire. Le
promouvoir une coopération policière européenne accrue du fait de la suppression
traité s'impose aux administrations et aux tribunaux qui doivent l'appliquer d'office
graduelle des contrôles aux frontières communes (décret du 30 juillet 1986).
sans avoir pour autant, en règle générale, d'effet rétroactif.
- Le Traité de Maastricht, signé le 7 février 1992, prévoit pour sa part, dans son
hl Valeur re lative
titre VI "Dispositions sur la coopération dans les domaines de la justice et des affaires
Elle est illustrée par les trois conséquences suivantes :
intérieures" la coopération policière en vue de la prévention et de la lutte contre le
terrorisme, le trafic illicite de drogue et d'autres formes graves de criminalité
- Tout d'abord, on peut souligner que la Convention entraîne
internationale (Art. K 1)
suspension de la loi nationale ce qui permet à celle-ci de retrouver éventuellement la
plénitude de son efficacité quand le traité est abrogé ou devient caduc (une illustration
dl]"fi conventions relatives ru! blanchiment d'argent
a contrario peut être fournie par les dispositions du Pacte de l'OTAN, devenues
Le 8 novembre 1990 a été signé une Convention relative au blanchiment, à la
caduques par le désengagement français de ce Pacte).
saisie et à la confiscation des produits du crime par douze États membres de la
- En second lieu, la ratification du traité est évidemment
communauté. Elle entend s'attaquer essentiellement au trafic de drogue. Ce crime
nécessaire. Nombre de conventions sont signées, mais jamais ratifiées (exemple: les
constitue l'une des préoccupations majeures des membres du Conseil de l'Europe 151.
Conventions de Genève ou de Dublin sur le terrorisme).
X2°) La portée des conventions
- En troisième lieu, l'autorité de la Convention est subordonnée
à son respect par les parties contractantes.
Une fois ratifiées, ces conventions ont une autorité supérieure à la loi interne et
- Enfin, la pratique des réserves vide parfois le contenu de la
doivent être appliquées d 'office par le juge répressif. C'est ce qui résulte de l'article 55
convention.
de la Constitution "Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur
publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité,
de son application par l'autre partie".
~
3°) L'interprétation des conventions
La nature spécifique des conventions internationales explique qu'elles ne sont pas
Ce texte définit donc la valeur des conventions et en pose les limites.
soumises aux mêmes règles d 'interprétation que les lois ordinaires.
al Valeur supérieure li La. J.Qj
La Cour de cassation établit une distinction. Les tribunaux judiciaires ont
Le traité est pleinement intégré dans le droit interne et contribue par là à amorcer
compétence pour interpréter eux-mêmes les dispositions des conventions
une unification des droits nationaux qu'illustrent les projets de Code des crimes contre
internationales qui font naître les litiges d 'intérêt privé, pas pour celles qui touchent au
la paix et l'humanité et d'une Cour criminelle internationale.
droit international public. Or les traités qui regardent le droit pénal et la procédure
Pour ce qui est du droit positif, la convention de Londres, en date du 8 août
pénale appartiennent à cette deuxième catégorie. La Chambre criminelle affirme
1945, et la résolution des Nations-Unies, en date du 13 décembre 1946, ont donné une
l'incompétence des juridictions répressives et considère que le droit d 'interpréter ces
définition des crimes contre l'humanité adoptée par la loi française du 26 décembre
actes diplomatiques ne peut appartenir qu'au Ministre français des Affaires Étrangères
1964 qui déclare imprescriptibles de tels crimes.
152. il y a un souci d'uniformité juridique qui s'avère critiquable dans la mesure où l' État
est à la fois juge et partie.
La même solution a été retenue par le Conseil d'État qui ne fait même pas la
De même, la loi du 15 juin 1977 sur la protection des enfants maltraités est
inspirée d'une recommandation du Conseil de l'Europe.
distinction des tribunaux judiciaires et qui estime que tout traité est de la compétence
151
cf., la directive du 1er juin 1991, relative à la prévention de l'utilisation du système financier
aux fms. de b~anch.lment de capItaux ; PAROON, Le blanchiment de l'argent et la lutte contre
les cnrrunahtes axees sur le profil, Rev. dr. pén. et Crim. 1992-740.
152
Crim. 4 juillet 1967, D. 67-281.
�143
144
exclusive du Ministre 153. Mais depuis l'arrêt GISTI, de 1990, le Conseil d'État n'est
dans les droits internes posent problème 156. L'objectif est à plus long terme d'unifier
pas lié par l'interprétation donnée 154
les droits pénaux des pays ayant adhérés à l'Union Européenne pour parvenir à la
On peut discuter cette solution, dans la mesure où l'interprétation officieuse peut
reconnaissance d'un espace pénal européen appelé à s'installer en dépit des
souverainetés nationales.
être tendandeuse.
L'étude sommaire du Traité de Rome oblige à envisager tour à tour, la hiérarchie
B - Dispositions à vocation accessoirement répressive
des règles communautaires, l'application des règlements communautaires, enfin,
l'interprétation des sources communautaires.
Les vieux nationalismes resurgissent "Les grands principes soufflent toujours
g),Ll! hiérarchie ID règles communautaires
l'universalisme, mais, dans les codes s'embusquent les petits nationalismes " 155. De ce fait,
l'intégration du droit international dans les législations internes se réalise, avec plus ou
Le traité de Rome a, non seulement engendré de nouvelles obligations
moins de facilités, selon le type de dispositions considérées. On peut distinguer deux
conventionnelles pour les États signataires, mais aussi il a entraîné un transfert de
types de dispositions, en fonction de la finalité qu'elles poursuivent, les unes ont une
certaines compétences des autorités étatiques aux organismes communautaires. Ces
vocation économique, les autres ont une vocation philosophique.
organismes sont le Conseil de la Communauté et la commission exécutive du Marché
commun. D'après l'article 189, ces organes ont le pouvoir d'édicter des règlements, des
1 0 ) Les dispositions à vocation économique
directives, des décisions, des recommandations et des avis.
Les recommandations et les avis ne lient pas les instances nationales.
Un certain nombre de pays d'Europe occidentale ont mis sur pied des traités
Les décisions ne sont obligatoires que pour les destinataires qu'elles désignent.
visant l'instauration d'un ordre juridique commun. Pour faire respecter cet ordre, les
Les directives, en revanche, lient tous les États membres de la Communauté,
communautés européennes ont du établir des règles prohibitives assorties de sanctions.
quant au résultat à atteindre, mais en laissant aux instances nationales leur
- Le Traité de Paris, du 18 avril 1951, instituant la C.E.C.A.,
compétence propre "quant à la forme et aux moyens ". Les directives ne peuvent être, par
comporte un certain nombre d 'interdictions (dépassement des quotas de production,
conséquent, que des sources indirectes de droit criminel, car elles n'ont pas
pratiques relatives aux prix, ententes, concentrations) frappées d'amendes. §ans.i!,oute,
d'application directe en droit pénal interne et n'emportent d'effets qu'à travers les
~actère pénal n'est
dispositions législatives ou réglementaires nationales prises pour leur mise en œuvre.
pas formellement reconnu, mais matériellement, il apparaît
qu'il s'agit d 'amendes pénales, car elles satisfont au principe de la légalité criminelle et
celui de la personnalité des peines.
Les règlements, enfin, se situent au sommet de la hiérarchie. lis ont une portée
générale et obligatoire dans tous leurs éléments. Ils sont directement applicables (effet
self-executing). Ce sont eux qui retiendront notre attention, car ce sont eux qui posent
- De son côté, le traité instituant EURATOM (Communauté de
l' Énergie Atomique), en date du 2S mars 1957, ne prévoit pr~ement pas...ç!e
les problèmes les plus épineux.
dispositions à caractère répre~if. Cependant, l'article 194 vise les atteintes à la sûreté
hl L'application des règlements communautaires
de l'État résultant des divulgations dont seraient auteurs les membres et agents de la C.
La mise en œuvre de ces règlements soulève deux difficultés majeures, d'abord
E. C.A ..
leur incidence sur le droit français, en second lieu, la nature des dits règlements.
- Enfin et surtout, le Traité de Rome, signé le 25 mars 1957,
• L'incidence des règlements sur le droit français
comporte des interdictions visant les accords tendant à fausser la concurrence et l'abus
de position dominante et édicte des dispositions dont l'application et l'interprétation
Trois conséquences essentielles méritent d'être soulignées.
- Tout d 'abord, le règlement communautaire entraîne son application directe
sur les législations nationales. De ce fait, de façon immédiate, les dispositions
153
C. E. 18 novembre 1955, PETA LAS, j.c.P. 56-9185, note VITU.
154
29 juin 1990, 0.561.
155
Rapport LOMBOIS, colloque 20-21 mars 1974 sur la Belgique et le droit international pénal
AGO,1975.
156
BOULOC, Droit communautaire et droit pénal, in Problèmes actuels, 1993, p. 7.
�145
146
pénales internes préexistantes sont mises en sommeil, dans la mesure où elles sont
d'autres États membres 162 ou encore que le Traité de Rome prévalait sur le Code des
contraires au contenu des règlements communautaires.
douanes 163.
Cette solution avait été implicitement consacrée en 1964 par la Chambre
On peut donc dire que les règlements ont un effet négatif direct sur les
criminelle dans l'arrêt Nicolas 157, puis expressément affirmée dans deux arrêts
incriminations nationales 164.
RAMEL de 1970 158 et GUERINI de 1972 159.
On observera que la chambre criminelle, après s'être référée à l'article 55, s'appuie
Dans la première espèce, la Cour de cassation avait refusé d'appliquer les
aujourd'hui sur l'article 189-2 du Traité 165. Cette évolution se comprend, car le Traité
pénalités prévues par le droit français à des vins importés d'Italie conformément aux
de Rome n'est pas un Traité ordinaire, les États signataires ont limité leur souveraineté
dispositions d 'une décision et d 'un règlement communautaires.
et même créé des organes supranationaux. En outre le recours à l'article 55 entramerait
Dans la deuxième espèce, la Cour de cassation avait refusé de retenir le délit de
une rupture de l'unité d'application du droit communautaire dans les divers États, en
tromperie en matière de commerce des œufs prévu par un décret, en date du 15 juin
raison de la diversité des constitutions.
1939, à un commerçant qui avait mis en vente des œufs extra-frais au motif que "si les
L'entrée en vigueur des règlements se fait à la date qu'ils fixent ou à défaut, le
œufs n'avaient pas droit à cette appellation aux termes du décret de 1939, ce décret avait été
vingtième jour, suivant leur publication (A. 191, Traité CE.E.).
implicitement abrogé par divers règlements communautaires qui étaient déjà en vigueur à la
De son côté, le Conseil d'État, après avoir fait prévaloir la loi interne 166 a
date des faits poursuivis ".
L
changé d' attitude. Depuis l'arrêt NICOlO, il accepte de faire prévaloir la suprématie
De son côté, la Cour de justice des communautés à décidé en 1969, 160 que si les
du Traité de Rome sur la loi postérieure qui lui serait contraire 167. Il était en effet
autorités nationales peuvent intervenir contre une entente en application de leur loi
inadmissible que le législateur interne puisse contredire un engagement international de
interne, même lorsque l'examen de la validité de cette entente est pendante devant la
la France. Cette analyse a été étendue aux règlements communautaires 168, par des
commission, c'est cependant, sous la réserve que cette mise en œuvre du droit national
directives 169.
ne puisse porter préjudice à l'application pleine et uniforme du droit communautaire et
à l'effet des actes d 'exécution de celui~i.
Ces analyses ont été confirmées par nombre de décisions postérieures. Ainsi jugé
dans l'affaire Jacques Vabres "le traité du 25 mars 1957", qui, en vertu de l'article 55 de
la Constitution, a une autorité supérieure à celle des lois, institue un ordre juridique
presque intégré à celui des États membres "en raison de cette spécificité, l'ordre juridique
qu'il a créé est directement applicable aux ressortissants des États membres et s'impose à leu rs
juridictions" 161
Plus récemment, la Chambre criminelle a décidé qu'on n e peut soumettre des
produits nationaux à des prohibitions ou à des restrictions que les règles
communautaires défendent d'appliquer à ceux des produits concurrents provenant
162
Crim. 16 juin 1983, J.CP. 1983-11-2044, note DECOCQ.
Crim. 5 décembre 1983, D. 1984-217, note COSSON.
157
22 octobre 1964, D. 753, RT.D.C 809.
163
164
158
22 octobre 1970, D. 1971-221.
165
Crim. 11 mai 1982, B. n° 121.
159
7 janvier 1972, J.CP. 1I-17158.
166
1er mars 1968, Syndicat général des fabricants de semoule de France.
160
13 février 1969, D. 1971-221, note RlDEAU.
167
20 octobre 1989 ; Chrono CAlVET, J.CP. 1990-1-3429.
161
Ch. mixte 24 mai 1975, J.CP. 1975-11-18180 bis, conclusions TOUFFAlT; TOUFFAIT, La Cour
168
24 septembre 1990, BOISDET AJDA 1990-86.
de cassation et l'ordre juridique communautaire, J.CP. 1975-1-2743 ; FAVOREU et PHILIP,
Chronique RD.P. 1975-1335 ; TOUFFAIT, Du conflit du traité avec une loi postérieure,
Mélanges ANCEl, tome 1-391.
169
28 février 1992, Société Arizona, Tobacco AJDA 1992-210.
R GASSIN, Incriminations pénales et marché commun, Mélanges JAUFFRET, p. 321.
�147
148
f"
- Ensuite la deuxième conséquence de l'effet direct conduit à
Aussi, ce type de règlement se présente avec des traits originaux qui ne
interdire au législateur national, la promulgation à l'avenir de normes internes Oois
pennettent pas de l'assimiler à une catégorie de textes français préexistants et
ou règlements) dans un domaine qui a été l'objet de dispositions précises d'un
certainement pas au règlement du droit interne français.
règlement communautaire. Cette solution a été précisée par la Chambre criminelle 170.
S'il lui est inférieur en ce qu'il ne peut édicter de sanction pénale, il lui est
La loi nationale peut, cependant, compléter le dit règlement sur des points que celui-ci
hiérarchiquement supérieur en ce qu'il est directement applicable dans tout État
n'aurait pas définis de façon complète (BIGAY, article précité).
membre: 'Tout règlement, inséré automatiquement dans l'ordre juridique des États membres
- Enfin la troisième conséquence est l'obligatoire prévision de
y abroge les dispositions de droit national contraires" ~4. Pourtant, la Chambre criminelle a
sanctions par le droit interne. En effet, les autorités de la communauté ne peuvent
procédé à une assimilation regrettable du règlement communautaire au règlement du
édicter elles-mêmes des sanctions pênales. Elles renvoient aux États membres le soin de
droit interne. "Il est de principe, a affirmé la haute juridiction, le 10 novembre 1970, que les
les préciser.
textes réglementaires en matière économique ou fiscale ne rétroagissent pas, à moins de
dispositions contraires, formellement exprimées" 175
Cette conséquence entraine deux risques importants.
_ Prenant prétexte que les dispositions intervenant en matière économique et
.D'abord le manque d'harmonie entre les diverses
fiscale, la Cour de cassation leur a fait application de la solution exceptionnelle bien
sanctions édictées par les législations nationales.
connue jadis, adoptée pour les arrêtés de taxation des prix, en décidant que ces
.En second lieu, la négligence d'un État à ne pas prévoir
dispositions ne rétroagissaient pas.
de sanction.
Par cette astuce, la Chambre criminelle s'est efforcée de retarder J'intégration des
Toutefois, le traité de Rome peut avoir un effet d'incitation, soit dans le sens de
dispositions communautaires dans le droit pénal interne 176.
la modération fondée sur le principe de la proportionnalité posée par la Cour de
Cette résistance de la Cour de cassation se retrouve dans J'interprétation des
Justice, soit du renforcement fondé sur le principe de J'effet utile et de J'indispensable
sources communautaires.
valeur dissuasive des sanctions.
En effet, la Cour de justice, en posant le prindpe de proportionnalité, fait en
cl L'interprétation 4fi. sources communautaires
sorte qu'il n'y ait pas de différence substantielle de régime entre les États 171 .
Pour ce qui est de la France, le législateur ne reprend pas le règlement
L'unité de la législation communautaire implique une unité dans leur
communautaire qu'il décide de sanctionner. il se borne à y renvoyer. (C'est J'intégration
interprétation. C'est pourquoi, J'article 177 donne compétence à la Cour de justice des
par référence). Cette technique a été légalisée par une loi du 10 janvier 1978 172
communautés pour statuer à titre préjudiciel sur J'interprétation du Traité et sur la
validité et J'interprétation des actes pris par les organes communautaires .
• La nature des règlements
Le recours est facultatif, quand la question est soulevée devant une juridiction de
fond . il est obligatoire, lorsque cette question est soulevée devant la Cour de cassation.
En droit interne, la notion de règlement revêt un sens précis. Le règlement émane
Pourtant, la Chambre criminelle refuse cette analyse. Faisant application de la
du pouvoir exécutif par opposition à la loi dont la source est parlementaire.
Au contraire, le règlement du droit communautaire est élaboré par le conseil ou la
théorie dite de "l'acte clair", la Cour de cassation refuse de faire-droit à la demande de
commission et ne peut être modifié que par eux. il ne peut être interprété que par la
recours en interprétation, lorsque la disposition visée ne lui parait comporter aucune
Cour de justice de la communauté européenne. Enfin, il a une autorité supêrieure à celle
des lois 173
ambiguïté et n'appeler qu'une appréciation de fait.
Cette solution, implicitement énoncée dans l'arrêt NICOLAS 177 a été affirmée, à
titre principal, le 5 janvier 1967 et 21 juin 1973.
174
Cour de justice, 14 décembre 1971, Recueil 1971-1039, conclusions DUTHEILLET de LAMOTHE.
7 janvier 1972 précité; Chambre mixte 24 mai 1975, précité.
175
10 novembre 1970, D. 1971-509, note MAZARD.
176
172
Cour de justice, ~ février 1988, affaire RAINER DREXL R.S.c. 1988-591, obs. BONICHOT.
article 13-1 L. 1er août 1905.
J. BORRICAND, La non-rétroactivité des textes réglementaires en matière économique et
173
Soc. 12 février 1970, B. n° 105; J.c.P. 1970-II-I6544, note G.L.c..
177
170
171 )
fiscale, D. 1978, chronique p. 235.
19 février 1964 précité.
�149
150
Elle apparaît critiquable car elle revient, en somme, pour la juridiction nationale
Enfin, si la Cour n 'a pas été saisie dans le délai sus-indiqué, le comité des
qui l'invoque à s'ériger elle-même en juge de l'interprétation des textes que l'article 177
membres du Conseil de l'Europe examine lui-même le rapport de la commission et
avait précisément réservée à la compétence de la juridiction communautaire. De son
décide, à la majorité des deux tiers, s'il y a eu ou non violation de la Convention. Sa
côté, le Conseil d'État, depuis l'arrêt GISTI 178, s'autorise à interpréter les conventions
décision s'impose à l'État concerné, comme tous les arrêts.
internationales.
• Le contenu
~2°) Les dispositions à vocation philosophique
Les articles 2 et 8 de la Convention énumèrent les droits fondamentaux reconnus
aux personnes privées. Le droit à la vie, la protection contre la torture et l'esclavage, le
Ce type de dispositions affirme un certain nombre de principes fondamentaux
droit à la liberté, à un jugement équitable et public, la liberté de conscience et de
qui rejoignent ceux posés dans notre système répressif.
religion, d'expression et de réunion, le droit au respect de la vie privée. Pour retenir un
critère suggéré par la convention elle-même, on peut distinguer entre les droits absolus
A ce jour, deux textes méritent d'être signalés, la Convention européenne des
droits de l'homme et le Pacte de I"ON.U.
et les droits relatifs.
Les droits absolus sont de dérogation, même en présence de circonstances
alLA convention européenne !li. sauvegarde ru droits fk
l'homme d. dfi libertés fondamentales
exceptionnelles. Ils forment une sorte de "standard minimum du droit européen des droits
de l'homme" (F. Sudre) et constituent en même temps les bases du droit pénal de toute
société démocratique. Il s'agit du droit à la vie, des droits à l'intégrité physique, à la
Signée en 1950, cette Convention est entrée en vigueur en 1953 et a été ratifiée par
dignité, à la sécurité, l'interdiction de l'esclavage, la non rétroactivité de la loi.
la France en 1973 (L. 31 décembre 1973). Elaborée dans le cadre du Conseil de
l' Europe, elle est aujourd' hui ratifiée par une trentaine d' Etats dont bon nombre de
Les droits relatifs sont susceptibles d'être limités par l'autorité publique, voire
pays de l'Est. Elle présente le mérite d'offrir aux individus le bénéfice d' un contrôle
complètement abolis en cas de circonstances exceptionnelles. C'est le cas de la liberté
judiciaire, du respect de leurs droits, par une juridiction internationale. Elle a pu être
individuelle (art. 5), le droit à un procès équitable (art. 6), le droit au respect de la vie
qualifiée de "charte vivante des droits et libertés" (F. SUDRE).
privée et familiale (art. 8), le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, le
droit à la liberté d'expression et d'opinion (art. 10), le droit à la liberté de réunion (art .
• Les organes
Il ), le droit au mariage et l'égalité entre époux (art. 12), le droit d'aller et venir sur le
Tout d'abord, la Commission européenne des droits de l'homme est un organisme
territoire d' un Etat (protocole n° 4, art. 2), le droit de ne pas faire l'objet d'une mesure
d'instruction et de conciliation composé d'autant de membres que d'États auxquels
s'applique la Convention.
d'expulsion collective (protocole n° 4 art. 4) ou prise au mépris du droit de la défense
(protocole nO7, art. 1er).
Elle est saisie, soit par le secrétaire général du Conseil de l'Europe, so it par un
• La mise en œuvre de la garantie des droits.
État membre, soit par une personne physique si l'État, dont elle relève , a accepté le
recours individuel en ratifiant la Convention, ce qui est maintenant le cas de la France
-Le contrôle international.
(bien entendu après épuisement de tous les recours internes).
Afin de garantir le respect des droits qu' elle proclame, la convention institue un
Si l'instruction faite, la Commission ne parvient pas à un règlement amiable avec
mécanisme de contrôle international assuré par la Commission européenne des droits
l'État mis en cause par la requête, elle transmet un rapport motivé au comité des
de l'homme et selon le cas, par la Cour européenne. Le mécanisme de contrôle peut être
ministres du Conseil de I"Europe en formulant éventuellement toute proposition utile.
déclenché, soit à l'initiative d'un Etat, soit à celle d'une personne physique ou morale.
En second lieu, la Cour européenne est saisie dans les trois mois de la
A titre d'exemple, la Cour a décidé que la prohibition des traitements inhumains
transmission du rapport au Comité des Ministres, soit par un État membre, soit par la
excluait l'application des châtiments corporels 179, un traitement carcéral, destructeur
Commission elle-même. Véritable juridiction, la Cour rend des arrêts dont la solution
s'impose aux États intéressés.
179
178
C.E. 29 juin 1990, D. 561.
Fouet dans les écoles anglaises, 25 février 1982, CAMPBELL.
�152
151
de la personnalité 180. De même, la France a été condamnée pour expulsion d ' un
position inverse 192. Au surplus, cette critique tombe depuis que l'assistance d 'un
algérien de la deuxième génération 181 .
défenseur est prévue à partir de la 21ème heu:e.
Mais c'est dans le domaine procédural que les décisions de la Cour sont les plus
Cette analyse libérale se retrouve dans une autre décision qui a jugé que ne
nombreuses. La France a été déjà condamné à plusieurs reprises pour
violent pas l'article 6 de la Convention, les règles qui subordonnent la communication
dysfonctionnement des services judiciaires. Ainsi en était-il dans les affaires DELTA
182, LETELLIER 183, IŒMMACHE 184, TOMASI 185, SAlOl 186.
du dossier à l'assistance d 'un avocat 193.
De même, depuis l'arrêt BARIBEAU, la Cour de cassation 194, décide que les
écoutes téléphoniques sont contraires à l'article 8 de la Convention qui exige que les
_ Le contrôle par les juridiction nationales
ingérences dans la vie privée soient "prévues dans la loi ". Des policiers, qui n 'ont pas
La chambre criminelle est très réticente pour écarter l'application d'une loi sur le
reçu commission rogatoire d'un juge d'instruction, ne peuvent procéder à l'écoute et à
fondement de la convention. Elle a jugé que le droit de se marier n'invalidait pas les
l'enregistrement de conversations téléphoniques. Le Code de procédure pénale
textes par lesquels le code pénal frappe le proxénète marié 187, que le statut des
n'habilite le juge que sous certaines conditions 195. La loi du 10 juillet 1991 légalise à la
objecteurs de conscience n'autorisait pas à se soustraire à ses obligations militaires 188,
fois des écoutes judiciaires et les écoutes administratives ou préventives.
que l' obligation du titulaire de la carte grise au paiement des amendes pour
"
stationnement irrégulier n' était pas contraire à la présomption d 'innocence 189, que la
On doit souligner qu'un décret du 9 octobre 1981 a autoŒjé le droit de requête
individuelle jusque là exclu par la ratification. La reconnaissancè de ce droit autorise
suspension administrative du permis de conduire ne heurtait pas l'exigence d' un procès
désormais un justiciable contre lequel a été rendue une décision définitive intervenue en
équitable 190, que les modalités de la garde à vue n'étaient pas incompatibles avec les
violation des droits de l'homme, à déposer une requête devant la commission.
exigences de l' article 5 191 .
Pour sa part, le Conseil constitutionnel, saisi du problème de la constitutionnalité
Cette solution prête à discussion, car l'article 5, paragraphe 3 de la Convention
de la loi autorisant l'interruption de la grossesse et de la méconnaissance par cette loi
dit "Toute personne arrêtée doit aussitôt être déférée à un juge ". Or, la garde à vue peut
du droit à la vie proclamé par la convention, s'est estimé incompétent pour apprécier la
être de quarante huit heures et même de 96 heures en cas de terrorisme. Pourtant, la
compatibilité de cette loi avec cette convention, son pouvoir se limitant à contrôler la
Cour de cassation a interprété libéralement le texte. On a pu contester le laxisme de
conformité des lois avec la Constitution 196
cette analyse, car la garde à vue implique des interrogatoires policiers au cours
La Convention européenne pénètre ainsi progressivement dans le droit positif
desquels l'intéressé n'est pas assisté d 'un défenseur. Cette situation n'est-elle pas
français, qui y fait de plus en plus référence. Un intérêt supplémentaire apparaît du
contraire à l'article 6 paragraphe 3, selon lequel, tout accusé a droit, s'il le d emande, à
fait que la supériorité des traités sur la loi interne permettrait au juge d'apprécier la
l'assistance d 'un d éfenseur ? Cependant, une décision plus récente a adopté une
constitutionnalité des lois dans la mesure où la convention reprend plusieurs de nos
180
8 février 1978, ENSSLIN-BAADER CRFA.
principes constitutionnels. Il n'en va pas encore de même pour le Pacte de l'O.N.U.,
181
BELDjOUI et TEYCHENE, 26 mars 1992.
pourtant ratifié par la France.
182
19 décembre 1990, violatio n des droits de la défense en raison de l'impossibilité pour la
personne pouiruivie d'interroger les témoins à charge.
183
26 juin 1991, durée excessive de la détention provisoire.
184
27 novembre 1991, durée excessive de la procédure de la détention provisoire.
185
27 août 1992, Sévices subis pendant la garde à vue et durée excessive de la détention
provisoire.
186
5 octobre 1993, procès non équitable du fait d' une condamnation sur témoignages sans possibilité
de confrontation.
187
4 juin 1980 ; 22 octobre 1980, D. 1981-IR-1431 .
188
5 mai 1978, D. 139; 4 mars 1980, D. 330,concl. DULLlER.
189
17 décembre 1990, Dr. pén. 1991, com. n° 145.
190
23 mars 1992, Dr. pén. 1992, com. nO233.
191
28 janvier - 28 février -10 mars 1992, Dr. pén. 1992, conv. 242
hll&. ~ international relatif!llG droits ~ fi politiques
Ce Pacte, en date du 19 décembre 1966, a été ratifié par la France par d écret en
date du 29 janvier 1981 (0.1 981 , Lég. 79).
192
Crim. 6 mars 1986, D. 1986-315, note MAYER.
193
Crim. 9 février 1978, B. nO52.
194
Assemblée plénière, 24 novembre 1989.
195
PRADEL ChronoD. 1990-15.
196
Conseil constitutionnel, 15 janvier 1975, D. 1975-529, note HAMON.
1
�153
Cette ratification tardive s'explique sans doute par la similitude avec la
154
LECTURES
Convention des garanties édictées par le Pacte. On comprend, dès lors, que, jusqu'à
présent, les juridictions françaises n'aient pas eu l'occasion d'y faire référence 197.
Le Pacte affirme un certain nombre de droits essentiels. C'est le droit à la vie (A.
6) ; l'interdiction de l'esclavage (A. 7), le droit à la liberté et à la sécurité, ainsi qu'à être
jugé dans un délai raisonnable (A. 9), le droit à être traité avec humanité (A. 11)
l'égalité devant les tribunaux (A. 14) ainsi que les garanties procédurales, le droit à la
liberté de pensée, de conscience de religion (A. 18) et de réunion (A. 21). Parfois,
certains de ces articles sont la reproduction intégrale des dispositions de la convention.
Cependant, le Pacte apparaît plus complet dans l'éventail des garanties qu'il
P. DURAND, La décadence de la loi dans la constitution de la 5ème République, J.c.P.
1959-2-1470.
D. MAYER, L'apport du droit constitutionnel au droit pénal en France, R.S.c. 1989439 .
L. FAVOREU, La Cour de cassation, le Conseil constitutionnel et l'article 66 de la
Constitution, D. 1986, chrono p. 169.
B. BOULOC, L'influence du droit communautaire sur le droit pénal interne, Mélanges
LEVASSEUR, Litec 1992, P. 103.
propose. D'abord, énonce le Pacte, "Toute personne déclarée coupable d'une infraction a le
J. PRADEL, Vers des principes directeurs communs aux diverses procédures pénales
droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la
condamnation, conformément à la loi" (A. 14 al. 3). Ce texte exprime l'exigence du double
européennes. Mélanges LEVASSEUR, Litec 1992, p. 459.
degré de juridiction que la convention n'affirme pas.
"Si postérieurement à l'infraction, la loi prévoit l'application d'une peine plus légère, le
délinquant doit en bénéficier". Or, comme le Pacte s'est incorporé à notre ordonnancement
juridique et est supérieur à nos lois internes, il doit l'emporter sur elles, de sorte que les
tribunaux répressifs français doivent faire prévaloir le principe de rétroactivité in
mitius en refusant de donner effet à toute loi pénale plus douce, qui, par une
disposition expresse, exclurait de son domaine d'application les infractions commises
avant son entrée en vigueur. Or une jurisprudence récente de la Chambre criminelle
méconnaît cette primauté du droit international sur le droit interne, en subordonnant le
jeu de la rétroactivité in mitius "à l'absence de dispositions contraires expresses" 198. Sans
doute, jusqu'à présent, cette formulation n'a pas eu d'incidences pratiques dans la
mesure où les lois plus douces sur lesquelles les arrêts récents de la Cour de cassation
se sont prononcés, ne contenaient pas de dispositions contraires expresses à la
rétroactivité in mitius. il n'en demeure pas moins que la formule utilisée méconnaît les
exigences du droit international.
D'autre part, l'article 15 pose le principe de la non-rétroactivité de la loi pénale :
"Nul ne sera condamné pour des actions ou des omissions qui ne constituaient pas un acte
de1idueux d'après le droit national ou international, au moment où elles ont été commises ".
197
V. tout, Paris 5 déc. 1990, G. P. 13-14 mars 1991 et RS.C. 1991-297, obs. PANNŒR.
198
Crim. 3 février 1986, Bull. nO211.
M. DELMAS-MARTY, La convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme
et le droit pénal de fond in Mélanges LEV ASSEUR, Litec 1992.
�155
CHAPITRE II - L'APPLICATION DE LA NORME
SECTION 1 - L'APPLICATION DE LA NORME PAR
LE LÉGISLATEUR
§ 1- L'APPLICATION DE LA LOI DANS LE TEMPS
On suppose qu'une loi nouvelle vient à être promulguée. Est-elle applicable aux
délits commis antérieurement et qui n'ont pas été définitivement jugés ou ceux-ci
resteront-ils régis par la loi qui était en vigueur au jour où ils ont été commis? L'article
112-1 c.P. répond à cette interrogation "Sont seuls punissables les faits constitutifs d'une
infraction à la date où ils ont été commis ". Peuvent seuls être prononcées les peines
légalement applicables à la même date. Ce texte exprime la non rétroactivité de la loi.
L'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme, l'article 7 de la Convention
européenne des droits de l'Homme affirment le même principe.
Le nouveau code pénal réaffirme sous une forme légèrement différente, la solution
du code antérieur 199 .
.J Ce principe s'explique essentiellement par la nécessité de concilier l'intérêt social
et l'intérêt individuel. L'intérêt social commande qu 'une loi, dès lors qu 'elle est
opportune et par conséquent supérieure à celle qui l'a précédée, soit appliquée de façon
immédiate. L'intérêt individuel, de son côté, exige que l'auteur d 'une infraction ne soit
pas frappé avant d'avoir été averti. il doit pouvoir connaître, à l'avance, la liste des
interdits pénaux, qu'il ne doit pas enfreindre.
Mais ces considérations ne sauraient avoir une valeur abstraite. L'intérêt de
l'individu n'est pas engagé de la même façon, en présence d'une loi de fond ou d'une loi
de forme.
199
Art. 4 : ''Nulle contravention, nul délit, nul crime ne peuvent être punis de peine qui n'étaient
pas prononcées par la loi avant qu'ils ne fussent commis" .
�156
\JI'
A - Domaine dans le temps des lois pénales de fond
"
une incrimination. Pouvait-on admettre la survie de la loi ancienne? Consacrant la
\
-solution jurisprudentielle antérieure le nouveau code tranche le débat dans l'article 1124 : "La peine cesse de recevoir exécution quand elle a été prononcée pour un fait qui, en vertu
nature. Si la loi est plus sévère, elle ne s'applique pas aux faits qui lui sont antérieurs.
~~
r,tj.
1°) Non-rétroactivité des lois pénales plus sévères
Une autre difficulté s'est présentée dans l'hypothèse où la loi nouvelle supprimait
f\
Pour les lois de fond, la non-rétroactivité de la loi pénale est commandée par sa
Si elle est plus douce, en revanche, la rétroactivité entre en jeu.
,1-'
(
d'une loi :ostérieure au jugement, n'a plus le caractère d'une infraction pénale". Ainsi la
mendia te et le vagabondage ayant été décriminalisés par le nouveau code, le 1er mars
1994, il sera impératif d'arrêter l'exécution d'une peine prononcée pour ce type de
La loi plus sévère est celle qui crée une incrimination nouvelle, élève la peine
comportement.
encourue, supprime un fait justificatif ou une cause de non imputabilité, etc. ..
il a été longtemps développé en invoquant le respect de la liberté des citoyens
(PORTALIS). Un souci de sécurité guide l'interprète. La loi plus sévère est la règle. La
loi plus douce, l'exception. La doctrine moderne (ROUBIER) renverse la formule. La loi
plus sévère est l'exception. La loi plus douce, la règle. Pour ROUBIER, il faut analyser
la situation pénale déclenchée par l'infraction. Le jugement de condamnation est
constitutif d'état: c'est à ce moment-là que l'individu est doté de son statut de
d~e condamnati~I2..9.ue
cl. Exceptions
Un certain nombre d 'exceptions doivent être apportées à la non-rétroactivité.
al I&. fondement!k ~ principe
condamné. C'est donc en fonction d':, ~
157
y '
doit être réglé le
~
Les lois interprétatives précisent le sens d'une loi antérieure demeurée obscure et
controversée, (par exemple la loi du 3 janvier 1967 sur ventes d 'immeubles à
construire). Elles sont rétroactives arce qu'elles s'identifient à la loi plus ancienne
qu'elles interprètent. Mais c'est parfois un moyen commode pour le législateur de
promulguer des lois rétroactives sous couvert d'interprétation. C'est la pratique des
errata au Journal Officiel, éminemment condamnable. Ainsi, l'ordonnance du 28 août
1944 relative à la répression des crimes de guerre a donné des interprétations
conflit de lois. La loi nouvelle doit être appliquée immédiatement à toute infraction
extensi ves à certaines notions reçues du Code pénal.
Les lois édictant des mesures de sûreté échappent également parfois à la non-
commise mais non définitivement jugée sous l'emprise de la loi andenne' Sauf si la loi
~
7-nouvelle est plus sévère que celle qu'elle remplace. On s'accorde pour admettre que la
rétroactivité. Ainsi, la loi du 19 juin 1930 édictant l'interdiction de la profession de
loi plus douce constitue le prindpe, la loi plus sévère l'exception. En cas de doute sur la
notion de sévérité de la loi, c'est la règle de l'application immédiate qui joue. En
revanche, si la loi nouvelle est à l'évidence plus sévère, son application sera
commandéeyar la date de l'infraction. Or celle-ci n'est pas toujours aisée à déterminer.
Les modalités de l'infraction peuvent faire hésiter sur le moment de sa commission.
1
@hl Difficultés d'application
banquier à des délinquants s'est appliquée à des délinquants condamnés
antérieurement à cette loi.
Les lois incriminant des atteintes à des valeurs essentielles de civilisation sont
également d' application immédiate. Dans le passé, l'article 6 du Tribunal militaire
.....i nternational de Nuremberg visait les crimes contre l' humanité. Plus près de nous, le
statut du tribunal international créé en 1993 pour juger les crimes commis dans l' ex
Yougoslavie, prévoit que les infractions au droit. humanitaire, qu'il énumère, pourront
Ainsi, le délit d 'habitude est constitué par la répétition d'actes qui, pris isolément
être retenues dès lors que les faits ont été commis depuis le 1er janvier 1991.
Enfin et surtout, certaines lois sont déclarées rétroactives par le législateur, qui
ne constitueraient pas une infraction. Quand celle-ci est-elle réalisée? (exemple : recel
estime que les circonstances d\l .!l'~e~~o;;mandent une_ sanction immédiate,
de malfaiteurs, article 434-6 c.P.). La jurisprudence estime que deux actes créent
généralement en matière politique Ooi du 14 novembre 1918 visant la confiscation des
l'infraction. Quant au délit successif caractérisé par une action ou une abstention
sommes perçues par les traîtres au cours de la guerre: ordonnance 26 décembre 1944,
susceptible de se prolonger (exemple: port illégal de décorations), il suffit que les
créant l'indignité nationale; A. 215 du Code des douanes appliqué à la détention d'or
agissements se soient poursuivis après la loi nouvelle.'%:n revanche, si le délit est
en vertu d 'un arrêté du 11 décembre 1981 autorisant l'administration à exiger des
constitué par l'écoulement d'un certain délai (exemple loi du 7 fé vrier 1924, instituant
justifications attestant l'origine régulière de l'or , alors que, l'anonymat était de règle
l'abandon de famille qui est le fait d 'être resté plus de deux mois sans payer une
antérieurement ; L. 9 septembre 1986 disposant que les circonstances aggravantes
pension alimentaire), la Cour de cassation exige que le délai soit dans sa totalité
s'appliquent aux condamnations prononcées postérieurement à l'entrée en vigueur de
postérieur à sa promulgation, parce qu'il est un des éléments constitutifs du délit.
\ la loi.
�159
158
reste punissable sous la qualification de violences et actes de barbarie. D'autre part, la
Si limitées qu'elles soient, ces exceptions n'en demeurent pas moins
condamnation reste inscrite au casier judiciaire.
condamnables, car elles traduisent un affaiblissement notable du principe de légalité.
Cette tendance ne doit pas être confondue avec l'affirmation jurisprudentielle des lois
n~ plus
hl Notion
douces, qui s'appuie au contraire sur le principe de légalité strictement
individuel. On comprend, dès lors que, dans la mesure où ces deux intérêts se
il est évident que la loi est plus douce lorsqu'elle supprime une incrimination, fait
,r
disparaître une circonstance aggravante, admet un fait justificatif nouveau ou une
conjuguent, il n'y a plus de place pour de telles exceptions et que le prindpe de légalité
excuse, de même, au niveau de la sanction, lorsqu'elle l'abaisse ou la supprime. Il
est largement appliqué: c'est le cas de la rétroactivité des lois plus douces.
semble, d'après ces exemples, que la loi soit toujours favorable au délinquant. Cela
entendu, mais elles s'expliquent par le conflit latent entre l'intérêt général et l'intérêt
n'est pas toujours vrai. La pratique de la correctionnalisation judiciaire qui conduit à
F
2°) La rétroactivité des lois plus douces.
faire descendre un crime dans l'échelle délictuelle est commandée par le souci d'une
répression plus énergique, plus rapide dans certains cas.
On envisagera successivement le prindpe de rétroactivité, la notion de loi plus
cl Difficultés d'application
douce, les difficultés d'application.
ru l&. principe
Elles portent sur deux points essentiels, la date d'effet des dispositions plus
douces, la nature de certaines lois.
1) Le moment à partir duquel la loi plus douce peut être invoquée n'a, pendant
il s'applique, non seulement si elle intervient entre une infraction et son jugement,
mais encore avant le jugement définitif, c'est-à-<lire jusqu'à l'expiration des voies de
longtemps, guère susdté d' interrogation. On s' accordait pour admettre qu'il devait être
recours.
~ourtant,
la rétroactivité in mitius
n'était_~formulée
fixé au jour de la date prévue pour l'entrée en vigueur de la loi. Mais une décision du
~el du 21 février 199~ait semblé considérer que le législateur
par une disposition
d'ordre général. Cependant, une jurisprudence constante l'avait consacré~le Conseil
constitutionnel avait d
é~vAL 200~
n'avait pas le droit de reporter l' entr~ en vigueur de dispositions rép rëSsfves plus
--
L'article 112-1 al. 3 N.C.P. fait œuvre de
douces. Opinion partagée par certains. Cette position apparaît excessive. il parait
consolidation en disposant: "Toutefois les dispositions nouvelles s'appliquent aux
naturel que le législateur puisse estimer en certains cas qu' il est de l'intérêt général de
infractions commises avant leur entrée en vigueur et n'ayant pas donné lieu à une
condamnation passée en force de chose jugée lorsqu'elles sont moins sévères que les dispositions
andennes " (cf. art. 15-1 Pacte O.N.U.).
l'
permettre la survie temporaire d' une législation plus sévère en reportant l' entrée en
vigueur de la loi plus douce. On a cité le cas de figure du projet de dépénalisation de
l'usage de stupéfiants en remplaçant la répression de ce comportement par l'obligation
La justification d'un tel principe est aisée.
de suivi en traitement médical. Le dispositif ne saurait être mis en place du jour au
Sur le plan des intérêts de la répression, on présume que la loi nouvelle traduit
de la technique juridique. On observera toutefois, que la règle peut
lendemain 201
2) Le concept même de loi plus douce s'avère parfois difficile à cerner. Voici
conduire à des résultats inéquitables, car elle fait dépendre le bénéfice de la loi plus
quelques illustrations tirées des lois complexes, des lois temporaires et des lois
~rfectionnement
douce à la célérité plus ou moins grande de la procédure. Dans le passé, seule la grâce
économiques ou fiscales
_ Les lois complexes sont de deux sortes. Elles comportent tantôt des
ou l'amnistie pouvaient gommer ces injustices. Le nouveau code pénal atténue les
injustices les plus manifestes en précisant que "la peine cesse de recevoir exécution qUilnd
dispositions divisibles, tantôt des dispositions indivisibles.
Le conflit suscité par la promulgation d'une loi complexe est aisé à résoudre,
elle a été prononcée, pour un fait, qui en vertu d'une loi postérieure au jugement, n'a plus le
caractère d'une infraction pénale" (art. 112-4 c.p.).,n en résulte que, si la loi nouvelle
quand elle comporte des dispositions divisibles. La solution consiste à appliquer
.
laisse subsister une qualification pénale ou si elle se borne à adoucir la répression, elle
distributivement les deux ordres de dispositions, les plus sévères ne rétroagissent pas,
sera sans effet sur la condamnation prononcée : ex. la suppression du crime de
les plus douces sont d'application immédiate. Témoin, la loi BERENGER du 26 mars
castration ne peut entraîner l'élargissement du condamné, dans la mesure où un tel acte
200
Cons. Cons!. 19-20 janvier 1981, D. 82-441.
201
J. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Le nouveau droit pénal, n° 340, Economica 1994.
�160
161
1891, instituant le sursis, mesure plus douce et créant la petite récidive correctionnelle,
1) Sur le plan du droit pénal commun
mesure plus sévère. il en est ainsi du Nouveau Code Pénal.
La question s'est posée au lendemain de la première guerre mondiale où de
En revanche, il peut arriver que la loi nouvelle comporte des dispositions
nombreuses dispositions_ réglementaires étaient intervenues l'0'!! taxer certaines
indivisibles. bI jurisprudence ne semble pas avoir adopté une position uniforme.
denrées ou marchandises. Toute majoration de prix constituait le délit alors nouveau
1) Certains arrêts considèrent qu'il faut faire prévaloir la disposition la plus
de hausses illicites. Mais la taxation était inévitablement soumise à des fluctuations
importante. C'est le maximum le moins élevé qui détermine l'application de la loi. Ainsi
diverses. A cette époque, la Chambre criminelle opérait une distinction. En cas de
~\ jugé pour la loi du 2 septembre 1941, correctionnalisant l'infanticide, tout en retirant le
simple modification du niveau de la taxe, l'arrêté précédent était maintenu. En
bénéfice des circonstances atténuantes 202. De même, pour la fermeture d 'établissement
revanche, en cas de suppression de la taxe, la loi nouvelle plus favorable était
devenue temporaire, jugée plus bienveillante malgré son caractère obligatoire.
appliquée. Après la seconde guerre mondiale, la . lu art des décisions ont consacré une
.
s~e généralisée de la ~e antérieurement établie, sans distinguer selon la nature de la 1 ~:~
i) Mais un autre courant jurisprudentiel se livre à une appréciation d'ensemble de la
réforme pour décider si, prise globalement, elle est favorable ou non à l'individu. Cette
modification ordonnée, qu'il s'agisse de prix, de droit fiscal ou douanier. Pendant
solution a été appliquée pour l'ordonnance du 4 juin 1960 sur les circonstances
longtemps, les dispositions concernées étaient présentées comme des exceptions au ' /
atténuantes, jugée plus douce, bien que les travaux forcés à temps de 5 à 20 ans aient
principe de l'application immédiate de la loi nouvelle plus douce. Mais, dans un arrêt
été remplacés par la réclusion à temps de 10 à 20 ans 203. La Chambre criminelle a
très important, en date du 10 novembre 1970, r@tif au droit commu~re, la
appliqué ce système à la réforme du sursis opérée par la loi du 17 juillet 1970. Cette loi
Chambre criminelle avait érig~exceptions au rang de principe gén~ en affirmant \
a été jugée d'application immédiate, compte tenu du fait qu'elle facilitait l'octroi du
tf ":u 'il
«
sursis simple et rendait plus difficile sa révocation, bien qu'elle ait institué un sursis
partiel 204.
est de pri~cipe . que les textes régleme~taires en matière économique ou fiscale ne
rétroagISsent pas, a mOins de dIspOSItIons contraIres formellement exprimées". Donc survie de
la loi ancienne 205, décision confirmée par la suite 206. Cet arrêt était remarquable dans
9<1 Une autre difficulté apparaît pour les lois temporaires, c'est-à-dire affectées
la mesure où il faisait échec à deux exigences fondamentales du droit communautaire,
d'un terme extinctif. La question se pose de savoir si l'arrivée du terme prévu doit être
le principe de l'effet direct et sa supériorité sur le droit interne. il appelait l'interprète àJ
considérée comme interdisant, désormais, toute poursuite pénale pour des faits
s'interroger à la fois sur la portée et sur la signification du principe nouvellement posé.
commis à l'époque où la loi, désormais caduque, était en vigueur. La jurisprudence a,
• La portée du principe
d 'abord, consacré cette solution. Elle a jugé que le délit de spéculation illidte, prévu par
Deux points méritent examen :
la loi du 20 avril 1916, applicable jusqu'à la fin des hostilités, ne permettait plus une
Tout d'abord, le contenu de la matière économique et fiscale doit être délimité.
condamnation pour des faits commis pendant la durée d'application de la loi, mais
La matière fiscale est relativement facile à circonscrire. Elle est contenue dans le Code
jugés postérieurement, solution bienveillante que refusent certaines législations (Italie,
général des impôts et le Code des douanes. La matière économique est plus délicate à
Grèce). Ce qui nous conduit à une troisième difficulté, les lois de circonstances
définir. Indépendamment de la législation sur les prix, terre d'élection du droit
intervenant dans le domaine économique ou fiscal.
économique, il faut y faire entrer la coordination des transports, le contrôle des
.... y::: En matière économique et fiscale, les tribunaux se sont ingéniés pour écarter la
changes.
')< En second lieu, la nature des actes doit être précisée. La Chambre criminelle
loi nouvelle. La question est épineuse. Pour la clarifier, il convient de se situer
successivement sur deux plans, d'abord sur le plan du droit pénal commun, ensuite sur
évoque les textes réglementaires. En droit interne, la notion de règlement revêt un sens
le plan international.
précis. Il émane du pouvoir exécu tif et offre, pour certains d'entre eux (règlements
autonomes), la possibilité de fixer des peines. Il n'en va pas de même pour les
règlements communautaires qui présentent, en revanche, la supériorité d'être
immédiatement applicables dans tout État membre. il y a donc une différence profonde
202
Crim. Il mars et 15 avril 1942, G. P. 1942-2-87.
203
Crim. 10 mai 1961, B. nO248.
205
204
Crim. 5 juin 1971, J.c.P. 1972-1I-17039, note VITU.
206
D. 1971-509, rapport COSTA.
Crim. 23 novembre 1973, B. n° 435; 3 mai 1974, B. n° 157.
�162
163
entre ces deux types de règlements 207. Il semble bien, cependant, que la Cour de
la loi plus douce serait faire perdre toute valeur intimidante à la réglementation
cassation ait procédé à une assimilation contestable du règlement communautaire au
économique ou fiscale du moment.
règlement du droit interne.
X.
Le Conseil constitutionnel par une décision en date des 19 et 20 janvier 1981, a
L
• La signification du principe
érigé en un prindpe ayant valeur constitutionnelle, la règle de l'application immédiate
des textes nouveaux plus doux 208
Pour justifier la jurisprudence admettant la non rétroactivité des textes en
matière de taxation, la doctrine avait avancé plusieurs explications. Pour certains,
/" La portée de cette décision a été discutée. Certains l'ont minimisé en soulignant
c'est le but poursuivi par le législateur qui devrait guider le juge. Il faudrait rechercher,
qu'elle était inapplicable aux texte réglementaires' onomiques, parce que la décision
dans chaque cas d 'espèce, la volonté de l'autorité qui a modifié le contenu de
concernerait seulement les lois pénales, tandis que les textes réglementaires seraient
l'incrimination. D'autres ont proposé de distinguer entre les lois pénales qui fixent les
d'ordre extra-pénal (MERLE). Mais, d'autres auteurs soutiennent que le principe
conditions nécessaires pour qu'il y ait incrimination et les lois extra pénales qui fixent
constitutionnel de la rétroactivité in mitius est général et qu~ englobe les règlements et
les conditions relatives à l'existence et à l'étendue du droit violé.
les lois.
~
D'autres encore, ressusdtant la vieille opposition entre les délits naturels et les
Au lendemain de cette décision, s'est posée la question du devenir de la
jurisprudence de la chambre criminelle en la matière.
délits artificiels suggéraient de classer les textes pénaux en dispositions-but et
~
dispositions-moyen. La disposition-but serait la transposition d'un impératif moral en
Cette nouvelle jurisprudence repose sur une distinction entre les lois et les
droit pénal et, de ce fait, par essence permanente (exemple: prohibition du vol). Au
règlements économiques dont elle admet de façon inégale la rétroactivité. L'arrêt
contraire, la disposition-moyen serait purement circonstancielle, inspirée par la
BREJENT, en date du 12 novembre 1986 209, relatif à l'abrogation d 'un règlement
politique économique ou la technique juridique (exemple: Code de la route) et de ce
communautaire, maintient la position de la C~~ j~ sa~on. "En matière économique
fait échappant à la rétroactivité in mitius.
droit a vec ses principes autonomes est le reflet d'un certain nombre d'exigences
et douanière, l'abrogation d'un texte réglementair4ln'affecte pas les infractions, qui étaient
l'objet d'une poursuite en cours". Toutefois, l'arrêt admet la rétroactivité "lorsque à la fois,
lors du procès-verbal de poursuite, lors du réquisitoire introductif ou de la saisine par voie de
citation directe de la juridiction pénale, les textes de répression invoqués servant de support
effectif et nécessaire aux poursuites, n'ont plus d'existence légale en raison de leur abrogation".
économiques que les économistes traduisent par une distinction qui leur est familière et
En l'espèce, il y avait eu importation de filets de merlus congelés à un prix inférieur à
qui consiste à opposer la structure et la conjoncture. La structure se caractériserait par
la nonne fixée par un règlement communautaire du 5 novembre 1975. Ce règlement
un invariant, tandis que la conjoncture serait "/'étude des variations à court terme des
avait été abrogé le 23 décembre 1975. Or, plusieurs procès-verbaux avaient été établis
grandeurs les plus caractéristiques de l'économie" . Ne peut-on dire qu'à la structure
de décembre 1976 à mai 1978. Les actes de procédure datant de 1979, la Cour d'appel
Toutes ces analyses nous paraissent difficiles à mettre en œuvre. Toute loi ne
porte-t-elle pas en elle une part de contingence? TI nous paraît préférable de proposer
une autre explication fondée sur les aspects économiques de ce droit pénal nouveau. Ce
avait refusé de condamner et la Cour de cassation avait suivi cette analyse en rejetant
correspond la loi dans la mesure où celle-ci est dotée d 'une certaine pennanence, tandis
le pourvoi. En revanche, si les actes de procédure avaient été accomplis alors que le
que la conjoncture s'exprime par des dispositions réglementaires à durée par nature
limitée, donc plus fugitives. Cette explication a le mérite de résoudre les
la cœxistence_de deux
l'autre refusant
cet~
rinciRe~
diffi~!!és
règlement était valable, l'abrogation de celui-ci n'aurait pas empêché la condamnation.
de
La rétroactivité in mitius apparaît donc cantonnée en matière de règlements.
l'un affinnant la rétroactivité de la loi plus douce,
En revanche, pour ce qui est de la loi, la Chambre criminelle affirme le prindpe
rétroactivité. Ces principes ne sont ni concurrents, ni de valeur
applicable immédiatement de sa rétroactivité, qu'elle prévoit des peines plus douces ou
inégale. Ils régissent des situations différentes. Le principe de la rétroactivité de la loi
qu'elle abroge des incriminations 210. Le tenne de loi ne doit pas s'entendre au sens
plus douce conserve sa valeur et sa portée lorsqu'il vise des dispositions législatives,
fonnel, mais tous les textes qui, sous l'effet d'une habilitation législative peuvent
qui ont vocation à la durée, tandis que le principe de la non rétroactivité des textes
réglementaires tfouve la justification de son existence dans le caractère éphémère des
dispositions concernées. La révisibilité est de l'e~~ence du droit économique. Appliquer
207
J. BORRICAND,
La non rétroactivité des textes réglementaires en matière économique et
fiscale, Chronique D. 1978-285.
cf.
208
0 . 1982-441, note DEKEUWER, J. C. P. 1981-11-19701, note FRANCK.
209
Gaz. Pal. 1987-1-287, note COSSON.
210
Crim. 16 février 1987, NOUVEL, G. P. 1987-1-221, note MARCHI ; 16 mars 1987, BILLlNG, D.
1988-439, note DEKEUWER.
�164
165
intervenir en matière délictuelle, c'est le cas des ordonnances, des décrets ou même des
légère, le délinquant doit en bénéficier". TI semble bien qu'il faille interpréter cette
disposition largement.
Dans ces conditions, dans la mesure où le Pacte s'est incorporé à notre
ordonnancement juridique, les arrêts de la Chambre criminelle qui limitent le jeu de la
rétroactivité in mitius des textes réglementaires en matière économique, apparaissent
contraires au droit international (HUET, Chrono précitéel Cette analyse, discutée par
certains, a le mérite de la clarté. Elle s'impose, également, en présence d'une disposition
de droit transitoire qui exclurait formellement la rétroactivité in mitius. Si d'aventure
une loi qui aurait échappé au contrôle préventif du Conseil constitutionnel ou un
règlement dérogeait ouvertement au principe de la rétroactivité in mitius, les tribunaux
répressifs français devraient même d'office faire prévaloir le pacte et refuser
arrêtés précisant les éléments de définition d'incriminations contenues dans une loi.
Dans l'affaire BILLING, un hôtelier avait été poursuivi pour pratique de prix illicites
sur la base d'un arrêté du 26 juin 1945, puis, en vertu de l'ordonnance du 30 juin 1945,
le prévenu avait soulevé, sans succès l'exception d'illégalité de cet arrêté. Toutefois, par
un moyen relevé d'office, tiré de l'abrogation de l'ordonnance de 1945, la Cour de
cassation annule la condamnation pénale. Il aurait fallu pour maintenir la
condamnation que la poursuite se fonde sur la loi du 26 décembre 1966 sanctionnant
certaines infractions en matière de publicité. Ainsi, la Cour cristallise la qualification,
afin d'empêcher les tribunaux de requa1ifier pour éluder l'abrogation de la loi pénale.
TI y a là une application renforcée du principe de la rétroactivité in mitius, qui
mérite approbation.
( d'appliquer la règle interne qui lui est contraire.
l'
En revanche, apparaît contestable la jurisprudence qui a décidé que les deux
Apparaît, dès lors, contestable, l'analyse de la Chambre crimin~e qui prétend
ordonnances de 1945 avaient été abrogées en même temps le 1er janvier 1987, alors que
qu'en l'absence de dispositions contraires expresses, une 101, meme de nature
l'une d'entre elle -45-1484- l'avait été dès le 11 décembre 1986, afin qu'il y ait une
économique qui abroge une incrimination pénale ou qui édicte des peines plus douces,
continuité avec le décret du 29 décembre 1986.
s'applique aux faits connus avant son entrée en vigueur et non définitivement jugés.
En effet, une jurisprudence ancienne et constante décide que dès l'abrogation
Comme l'écrit le Professeur HUET "La solution est simple: le principe de la rétroactivité in
d'une loi, les infractions commises auparavant échappent définitivement à la
sanctions pénales plus faibles en matière de publicité, n'entrait en vigueur que le 1er
mitius s'impose dans tous les cas; peu importe que le texte nouveau plus doux soit une loi ou
un règlement , qu'il concerne ou non la matière économique, qu'il se déc/are ou non
. .
. . " 212
expressément inapplicnble aux infractIOns
commIses avant son entree
en VIgueur
.
On peut regretter que le nouveau code pénal n'ait pas pris position sur l'épineux
problème posé par l'application dans le temps des textes en matière économique et
fiscale. il n'en va pas de même pour le domaine dans le temps des lois pénales de
janvier 1987. il Ya là une utilisation de la rétroactivité au d étriment du prévenu pour
forme.
répression, même si ces comportements sont réincriminés par la suite. En l'espèce,
NOUVEL, vétérinaire avait été déclaré coupable de défaut de marquage, d'étiquetage
et d'affichage du prix de ses services (45-1483), délit prévu par l'ordonnance 45-1484
du 30 juin 1945 désormais caduc, tandis que le décret du 29 décembre 1986, assorti de
combler un vide juridique qu'aurait entraîné l'impunité du délinquant.
~ B - Domaine dans le temps des lois pénales de forme
Au surplus, la formulation de l'arrêt énonçant "en l'absence de dispositions
contraires expresses, la loi nouvelle, même de nature économique, qui pour une des
incriminations déterminée, prévoit désormais des peines plus douces, s'applique aux faits
!:.e principe est
l'applicatiOn( ~ des lois
énales de forme. On peut y
commis avant son entrée en vigueur et non encore définitivement jugés" peut prêter le flan à
la critique. L'incidence "en l'absence de dispositions contraires" n'est-elle pas contraire au
trouver trois justifications. Tout d'abord, les lois de forme ne créent pas d'incrinùnation
droit international ? C'est ce que soutient un auteur qui entend résoudre la difficulté en
là. En second lieu, elles ne sont pas susceptibles d'influer sur le comportement de
se plaçant sur le terrain du droit international 211.
l'individu lorsqu'il prend sa décision. Enfin, ces lois sont présumées supérieures à celles
et n'édictent pas de pénalités. Or, l'ancien article 4 du Code pénal ne visait que celles-
qu'elles remplacent, parce qu'elles traduisent un perfectionnement de la technique
2) Sur le plan du droit international
juridique. En l'absence de disposition formelle, la jurisprudence avait depuis longtemps
L'article 15-1 du Pacte International relatif aux droits civils et politiques de
consacré le principe de l'application immédiate.
1966, entré en vigueur en 1981, consacre expressément le principe de la rétroactivité in
mitius : "Si postérieurement à une infraction, la loi prévoit l'application d'une peine plus
211
HUET, Une méconnaissance du droit international, J.c.P. 1987-1-3293.
212
HUET, chronoprécitée.
�167
166
Le nouveau code pénal l'énonce expressément dans l'article 112-2 : "Sont
2°) Lois de procédure
applicables immédiatement à la répression des infractions commises avant leur entrée en
Elles visent la mise en mouvement de l'action publique, la façon de conduire les
vigueur:
1°) Les lois de compétence et d'organisation judiciaire, tant qu'un jugement au fond n'a pas
été rendu en première instance ;
2 0) Les lois fixant les modalités des poursuites et les formes de la procédure:
3°) Les lois relatives au régime d'exécution et d'application des peines; toutefois, ces lois,
lorsqu'elles auraient pour résultat de rendre plus sévères les peines prononcées par la
décision de condamnation, ne sont applicables qu'aux condamnations prononcées pour des
faits commis postérieurement à leur entrée en vigueur;
recherches et de réunir les preuves, la réglementation des voies de recours.
La distinction n'est pas toujours facile, cependant, avec les lois de fond. C'est le
cas des dispositions extraditionnelles. La question s'est posé pour les ravisseurs du roi
de la bière Heineken où l'avocat général a soutenu que les textes étaient des textes de
procédure, tandis que les avocats des ravisseurs, objets d'une demande d'extradition
du gouvernement néerlandais, soutenaient, de leur côté, qu'il s'agissait de textes
d'incrimination (Le Monde, 20 juin 1986).
4°) Lorsque les prescriptions ne sont pas acquises, les lois relatives à la prescription de
l'action publique et à la prescription des peines, sauf quand elles auraient pour résultat
d'aggraver la situation de l'intéressé."
e rincip de l'application immédiate peut être diversement illustré. Pour les
1 lois rela
aux voies de recours, l'application immédiate entre en jeu pour les voies
Toute/ois, il apparaît que cette solution ne se révèle pas toujours bénéfique pour
\ de recours nouvellement créées (Art. 112-3 N.C.P.). Les lois relatives aux modes de
le délinquant. On peut le vérifier en examinant, tour à tour, les lois de compétence, de
preuve subissent le même régime. Les lois relatives au droit de la défense sont
procédure, d'exécution des peines et de prescription.
également immédiatement appliquées.
Toutefois, l'application immédiate subit deux limitations. Tout d 'abord, lorsqu'il
1 0) Lois de compétence
existe, au profit du condamné un droit acquis, la loi ancienne continue à s'appliquer.
\
Si la rétroactivité des lois de compétence est bonne, dans son principe, ses
applications apparaissent parfois critiquables. La loi de compétence vise divers buts.
Ainsi, la loi qui supprime une voie de recours ou en modifie le délai d 'exercice ou les
effets, ne peut pas être opposée à celui qui en bénéficiait au moment où a été rendue la
Ce peut être une modification directe de la juridiction compétente: sans modifier la
décision qui l'a condamné. Il en va de même pour les lois relatives à la poursuite. En
peine applicable, une loi nouvelle vient attribuer la connaissance du procès à une autre
second lieu, la loi nouvelle ne peut entraîner la nullité d'actes régulièrement accomplis
juridiction (exemple: délits de presse transférés de la compétence des Cours d'assises
sous l'emprise d 'une loi antérieure. "L'application immédiate d'une loi nouvelle est sans
aux tribunaux correctionnels) ; ou bien une modification indirecte, par exemple, la
effet sur la validité des actes accomplis antérieurement à la loi ancienne", énonce l'article} 12-
peine applicable est modifiée, ce qui provoque la compétence d'une autre juridiction.
4 N.C.P ..
Mais la jurisprudence n'a pas toujours admis l'application immédiate (exemple: loi du
-
3°) Lois relatives à l'exécution des peines
13 avril 1954, recriminalisant l'infanticide: la Cour de cassation, écartant l'application
1
immédiate, a estimé que les infanticides non encore jugés devaient l'être par les
Pour ce type de loi, la cour de cassation avait admis l'effet immédiat de la loi
tribunaux correctionnels). Enfin, la loi de compétence peut modifier la composition de
nouvelle sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que la nouveauté apportée était plus ou
la juridiction (par exemple, la Chambre des appels correctionnels a vu son nombre
moins favorable au condamné. On pouvait justifier cette analyse en considérant que les
réduit de sept à cinq, puis à trois membres) ou la nature de la juridiction (exemple:
règles sur le régime d'exécution ne constituent que des modalités secondaires d'une
création de juridictions d'exceptions: Cours de justice à la Libération).
situation définitivement fixée, et que le nouveau régime qu 'elles instituaient était
On s'aperçoit, par ces exemples, que l'application immédiate de la loi de forme
présumé supérieur à l'ancien ( cf. loi du 9 février 1855 décidant que la déportation
peut méconnaître les intérêts des individus. Réduire le nombre des magistrats d 'une
dans une enceinte fortifiée s'exécuterait, non plus en Nouvelle Calédonie, mais en
juridiction, correctionnaliser une infraction n'obéit qu'à des impératifs étrangers à la
protection individuelle: pénurie de magistrats et exigences de la répression. D'ailleurs,
Guyane). Il en va de même pour la création des Q.H.5 ..
Le Conseil constitutionnel ne partageait pas cette analyse. Il considérait les règles
la jurisprudence écarte l'application immédiate lorsqu'un jugement a été rendu sur le
nouvelles du régime de sûreté, non comme des modalités d'exécution, mais comme des
fond en premier ressort. On estime que l'individu a un droit acquis à demeurer
dispositions liées à la peine elle-même 213.
justiciable du même ordre juridictionnel. C'est cette analyse que' retient le nouveau code
pénal• .
213
décision 3 septembre 1986.
j
�169
168
C'est cette solution qui a été finalement retenue malgré la complication inévitable
de la tâche des services pénirentiaires (Art. 112-2-3° N .C.P.).
infractions qui met en conflit plusieurs lois nationales exige une collaboration
internationale, dont l'illustration la plus marquante est l'extradition. Enfin, reste à
déterminer l'autorité d'un jugement répressif sur le plan international.
4°) Lois de prescription
A - Les conflits de lois
~
1\
Elles touchent aux lois de fond parce qu'elles provoquent l'impunité du
délinquant, mais elles peuvent être assimilées à des lois de forme, en ce sens qu'elles
La solution des conflits de lois dans l'espace déroge au droit commun, en ce que
déterminent les conditions de la poursuite et l'exécution des peines. La jurisprudence a
la compétence judidaire commande la compétence législative, car le juge compétent au
longtemps hésité entre ces deux analyses. Elle a semblé en 1956, les assimiler à des lois
regard du droit international ne peut appliquer au procès qui lui est soumis que sa loi
de fond 214, (Espèce dans laquelle un déserteur de la guerre 14-18 à une époque où la
nationale, à l'exclusion de toute loi étrangère. Divers systèmes de solution des conflits
désertion était prescrite pour 20 ans, s'était vu opposer, à son retour en France, le
de lois sont concevables. ,Le système de la territorialité consiste à appliguer la loi
nouveau code de justice militaire de 1928 rendant la désertion imprescriptible). Elle a
pénale à tous les individus -quelle que soit leur nationalité ou !=elle de leurs victimeS)
fait valoir que, par ses effets, la prescription rappelle l'amnistie ou la grâce.
qui ont commis une in
Cependant, on a pu faire remarquer, tout d'abord, que l'arrét de 1956 ne visait que la
système de la personnalité implique que la loi pénale suit les personnes où qu'elles '
prescription de la peine. L'action publique serait-elle, dès lors, soumise à un régime
aillent.1'La personnalité active réprime les actes du délinquant, en fonction de sa IOi
différent? D'autre part, l'assimilation faite entre la prescription, l'amnistie et la grâce
personnelle et par le jeu de sa juridiction nationale. La personnalité passive consiste à l1
est discutable. Elle semblait, aujourd'hui, s'orienter vers une distinction fondée sur la
se placer du côté de la victime. Enfin, le système de la compétence universelle, donne
nature de la prescription en admettant la rétroactivité pour la prescription de l'action
au tribunal du lieu d'arrestation, vocation à juger toutes les infractions commises.
publique 215. Cette distinction est abandonnée dans le nouveau Code pénal. La loi
"
nouvelle est immédiatement applicable à la prescription de l'action publique et des
alinéa 1 C. C. : "Les lois de police et de sûreté, obligent tous ceux qui habitent le territoire". Le
peines, "sauf quand elles auraient pour résultat d'aggraver la situation de l'intéressé" (Art.
texte vise, incontestablement, les lois pénales et, malgré sa mauvaise rédaction, ce n'est
112-2-4° N.C.P.).
pas la considération du domicile des coupables qui dicte la compétence, mais celle du
c:ilim-sw;...le-temt~tfe-de
l'Etat où cette loi est en vigueur. Le
-
Le droit positifJrançais a consacré le système de la territorialité dans l'article 3,
-
-
lieu de' l'infraction. Mais notre droit écarte la territorialité au profit de la personnalité
---
§ 2 - APPLICATION DE LA LOI PÉNALE DANS L'ESPACE
L'application de la loi pénale française dans l'espace relève du droit pénal
international. Celui·<i apparaît, lorsqu'un élément d'extranéité entre en jeu (exemple:
infraction commise par un Français à l'étranger ou par un étranger en France). Deux lois
sont en conflit: la loi française et la loi étrangère; le problème est de déterminer
<
-----~----
dans les articles 689 à 696 du Code de procédure pénale et l' article 113-1 et suivants
du nouveau code pénal.
Le nouveau code pénal traite désormais de l'application de la loi dans l'espace
en distinguant les infractions commises ou réputées commises sur le territoire de la
( ;République et les infractions commises hors du territoire de la République.
1°) Infractions commises sur le territoire de la République
laquelle des deux doit être appliquée. La solution du conflit a été et demeure en grande
partie liée à la notion de souveraineté nationale. Mais, depuis le XXème siècle, la
Le droit français consacre le principe de la territorialité: Art. 3 du C. C. et Art.
criminalité internationale a pris une ampleur insoupçonnée. Les migrations de
113-2 N.CP. "La loi pénale française est applicable aux infractions commises sur le territoire
population, du fait de l'insécurité qu'elles entraînent, développent la criminalité:
de la République".
(criminalité nord-africaine en France). La nature de certaines infractions (traite des
êtres humains, faux-monnayage, trafic de stupéfiants) appelle la constitution de
bandes de malfaiteurs implantées dans de nombreux pays. La répression de ces
Deux séries de raisons sont traditionnellement avancées. Sur un plan pratique,
une bonne administration de la justice, commande d'attribuer compétence au juge du
lieu de l'infraction. Il sera le mieux placé pour réunir les preuves, entendre les témoins.
Sur un plan théorique, le principe de la souveraineté nationale exige que l'Etat, dont
214
Crim. 26 décembre 1956, R.5.C. 1957.027.
215
Crim. 29 avril 1970, D. 1971-1-37.
l'ordre public a été troublé, ait la charge exclusive d'assurer son rétablissement.
�170
171
L'application de la territorialité appelle, cependant, deux précisions. Il convient,
tout d'abord, de cerner la notion de territoire national. Par territoire, il faut entendre
principe. Tout d'abord, les atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation
autorisent des poursuites devant les juridictions françaises (Art. 113-10 N.C.P.).
non seulement le territoire réel, terrestre, maritime, c'est-à-dire la mer territoriale, aérien,
n en va de même en cas de crime ou délit commis à bord d'un aéronef étranger,
qui est la portion de l'atmosphère située au-dessus du territoire terrestre, mais encore
si l'auteur ou la victime sont de nationalité française (Art. 113-1 N.C.P.)., que
les portions détachées du territoire, les navires et aéronefs battant pavillon national,
l' infraction ait été commise par ou contre un Français, la répression est assurée par les
lorsqu'ils circulent dans les zones internationales. En second lieu, la localisation de
articles 113-8 et 113-9 N.C.P., à savoir l' exigence d'une plainte ou d'une dénonciation
l'infraction sur le territoire, doit être établie avec certitude, ce qui est parfois délicat.
et la mise à l'écart de la règle non bis in idem.
L'infraction d'habitude peut se dérouler dans plusieurs États. Dans la mesure où un
Enfin, certaines infractions lésant la communauté internationale autorisent une
seul acte a été commis en France, le principe de territorialité interdit de prendre en
compétence universelle (Conventions sur le trafic des stupéfiants, le faux-monnayage,
considération les actes commis à l'étranger, constitutifs de l'habitude. Dès lors,
la traite des esclaves) (Art. 113-10 N.C.P.). Mais il est également possible aux États
l'impunité doit être accordée: solution regrettable que des accords internationaux
concernés d'user de la procédure de l'extradition.
s'efforcent parfois d'écarter (exemple: accords sur la traite des êtres humains).
n arrive
d'autre part fréquemment, que les éléments constitutifs de l'infraction soient morcelés
B - La collaboration répressive internationale
dans plusieurs pays (exemple: escroquerie).JoLa jurisprudence consacre la territorialité
sur le fondement du caractère indivisible des éléments constitutifs (contrefaçon émise
en Italie et dont la victime résidait en France: compétence française) 216.
On observera toutefois que le nouveau code, parle de "fait constitutif" et non
d'élément constitutif (Art. 113-2), dont le caractère vague avait été souligné.
Le développement de la criminalité internationale lié aux facilités de
communication et à la perméabilité des frontières ont, depuis longtemps, conduit les
États à mettre en œuvre une politique commune. Celle-ci n'est, cependant, pas facile à
réaliser, car les États sont particulièrement jaloux de leur souveraineté. Outre les efforts
Une exception remarquable doit être apportée au principe de la territorialité:
de codification du droit international, restés jusqu'à présent à l'état de projet et la mise
c'est l'immunité diplomatique. Les agents diplomatiques étrangers n'ont pas à
sur pied d 'un certain nombre de conventions, dont un exposé sommaire sera donné
répondre devant les juridictions de l'Etat auprès duquel ils sont accrédités des
plus loin, la collaboration internationale en matière répressive se réalise de trois façons,
infractions qu'ils commettent sur le territoire de cet État.
par une entraide policière, par le biais de politiques extraditionnelles et par une
1 2°) Infractions commises hors du territoire de la République
certaine prise en compte par les États des jugements répressifs.
1°) La collaboration policière
Si l'infraction a été commise par un Français, le droit positif consacre le
principe de la personnalité active. L'article 689 du Code de procédure pénale attribue
Elle est rendue nécessaire par le développement d'infractions internationales
aux juridictions françaises une compétence pour les crimes et délits commis à l'étranger
(stupéfiants, fau x monnayage, proxénétisme, traite des êtres humains). Dans un
par un citoyen français. Toutefois, cette compétence est subsidiaire. Elle n'apparaît que
premier stade, de simples circulaires avaient amorcé la collaboration interétatique. Puis
dans la mesure où le délinquant n'a pas été définitivement jugé à l'étranger. L'article
ont été signées des conventions décidant de la création dans les divers pays adhérents
113-6 c.P. reprend cette formulation. Mais il étend la compétence française non
d'offices centraux destinés à centraliser les renseignements obtenus pour des infractions
seulement aux crimes, mais aussi aux délits punis de peines d'emprisonnement, ce qui
internationales. Enfin, en 1923, était créé à Vienne "IN TERPOL " (Organisation
recouvre la quasi totalité des délits. Au surplus, la règle s'applique sous condition de
Internationale de Police Criminelle, O.l.P .c.) qui siège à Lyon (174 adhérents). Cet
réciprocité d'incrimination établie, même si l'auteur est un Français.
organisme comporte une assemblée générale qui détermine les grandes orientations de
Si l'infraction a été commise par un étranger, la règle de la territorialité écarte
sa politique criminelle, un comité exécutif qui les met en application et des bureaux
toute compétence des tribunaux français. Ce système est apparu regrettable lorsque
centraux nationaux. Il possède un fichier sur les délinquants internationaux, un réseau
l'infraction revêt une gravité particulière et diverses dérogations ont été apportées au
informatisé. Son action est complétée par la communication des casiers judiciaires et le
recours à d es commissions rogatoires internationales.
216
Paris 30 mars 1987, J.c.P. 1988-11-20905.
�172
173
Cette collaboration polidère a été renforcée par l'Accord de Schengen du 14 juin
abrogation en France en 1981 . Un certain nombre d'États avaient pris pour règle, de
1985, le Traité de Maastricht du 7 février 1992, dont le titre VI appelé le troisième
refuser l'extradition demandée par la France. Pour sa part, la convention européenne
pilier jette les bases d'une coopération dans le domaine de la justice et de la police,
d'extradition de 1957 avait, cependant, prévu la possibilité d'extradition à condition
ainsi que par la création d'organismes au niveau européen (groupe TREY l, créé en
que l'Etat requérant "donne des assurances jugées suffisantes par la Partie requise, que la
1976; EUROPOL, créé en 1992) 217.
peine capitale ne sera pas exécutée" (Art. 11). Une application récente de l'exigence de
Le Groupe TREY! rassemble les Ministères de l'Intérieur ou de la Justice des 12
réciprocité nous est fourni par l'arrêt du Conseil d'État en date du 15 octobre 1993
pays de la C.E.E.. TI s'efforce de coordonner l'action policière en matière de crime
refusant d'annuler le décret accordant l'extradition de Madame AYLOR soupçonnée
organisé. EUROPOL, non encore opérationnel, doit constituer l'embryon d'une police
d'assassinat "sous réserve, si l'intéressée est condamnée à la peine capitale par l'Etat du
européenne.
Texas, que la sentence ne suit pas exécutée" 218.
La troisième exigence touche la nature de l'infraction. Elle ne doit être ni
2°) La collaboration judiciaire: J'extradition
militaire, ni politique. On rappellera ici la différence d'appréciation entre l'ordre public
il s'agit d'une procédure internationale consistant dans la remise par un État,
interne et l'ordre public international. On rappellera également que la Convention de
d'un individu se trouvant sur son territoire, à un autre État, afin de le juger pour une
Strasbourg contre le terrorisme, qui est entrée en vigueur, a décidé que ne seraient
infraction qu'il aurait commise ou pour faire exécuter une condamnation.
jamais considérées comme politiques, un certain nombre d'infractions particulièrement
graves (Art. 1), tandis que d'autres infractions pourraient l'être (Art. 2).
La pratique est ancienne, mais n'a été institutionnalisée que par une loi du 10
mars 1927, qui ne s'applique d'ailleurs qu'en l'absence de traités. Cette procédure est à
Une quatrième condition vise l'exigence du caractère pénal de la sanction. Ce
la fois judidaire et diplomatique, puisque le gouvernement a toute latitude pour donner
qui pose le problème des mesures de sûreté ou des sanctions qui pourraient être
suite à l'avis favorable donné par l'autorité judiciaire. Cette procédure est, également,
qualifiées comme telles. Enfin, l'extradition n'est accordée que si l'infraction a été
formaliste, -expliquant le développement de pratiques détournées contestables, telles
commise, soit sur le territoire de Etat requér
que l'expulsion (BARBIE) ou la capture (EICHMANN ou ARGOUD)-, encore qu'une
de ses nationaux.
procédure accélérée ait été mise sur pied.
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Elles révèlent l'originalité de la procédure qui présente, à la fois, un caractère
judiciaire et diplomatique.
Elles touchent aux délinquants et aux infractions
- Si la France est l'Etat requérant, le déroulement de la procédure est le suivant.
- En ce qui concerne les délinquants, la loi exige d'être auteur ou complice d'une
--
infraction pénale, et ne pas être justiciable des juridictions français es. La France
Le Procureur de la République transmet au Procureur général une demande
n'extrade pas ses nationaux, contrairement aux pays de la Common Law. Cette réserve
d'extradition avec copie de la décision du mandat d'arrêt. Après avis, le Procureur
'( est ancienne.
e exprime
général transmet le dossier à la Chancellerie, qui à son tour saisit le Ministre des
défiance de la France, vis-à-vis des institutions judiciaires
Affaires étrangères, pour communication à son homologue étranger. En cas d 'urgence,
étrangères.
une demande d'arrestation provisoire est diffusée par INTERPOL, la procédure
- L'infraction susceptible d 'entraîner l'extradition, doit répondre aux exigences
habituelle se développant ensuite.
suivantes.
- Si la France est l'Etat requis, la procédure est à la fois administrative et
Tout d'abord, elle doit satisfaire à la réciprocité d'incrimination, c'est-à-dire,
En second lieu, elle doit être d'une certaine gravité, crime ou délit d 'une durée de
judiciaire.
La première phase de la procédure est administrative. L'Etat étranger requérant
plus de 2 ans d'emprisonnement pour la peine encourue, plus de 2 mois pour la peine
adresse sa demande au Ministre des Affaires étrangères, qui en saisit le Parquet. Celui-
prononcée. Cette exigence a soulevé des difficultés pour la peine de mort, jusqu'à son
ci fait procéder à la recherche et à l'arrestation de l'individu réclamé. En cas d'urgence,
être punissable par les deux pays.
217
t, soit en dehors de son territoire, par un
J. BORRlCAND, Crime organisé et coopération européenne, Rev. Int. Crim., Pol. Techn 1992445, Yers l'Europe pénale in Problèmes actuels 1994, p. 109.
218
RFDA 1993, n° 6, p. 1116, cond. VIGOUROUX.
�174
175
une demande d'arrestation préventive, autorise un interrogatoire, au fond par le
d'État prétend pousser plus loin son contrôle, vérifier si les conditions de fond de
Procureur généraI.
S'ouvre alors, la phase judiciaire. Le Procureur général saisit la Chambre
l'extradition ont été respectées par la Chambre d'accusation 222, de même pour les
d'accusation, qui doit faire comparaître l'intéressé dans les huit jours, à compter de la
d'accusation 223, la régularité de la procédure 224. Dès lors, s'opère une véritable
notification des pièces. Les débats sont publics, oraux, contradictoires. La Cour entend
"tutelle du Conseil d'État sur les Chambres d'accusation" 225. Sans doute, le souci de
défendre les libertés individuelles, l'absence de pourvoi en cassation jusqu'en 1984,
expliquent le développement de cette jurisprudence. C'est pourquoi, peut-être, un arrêt
plus récent a semblé amorcer un repli. L'arrêt GALDEANO 226, reconnaît, en effet, que
tout moyen de forme et de procédure touchant à l'avis, échappe à la compétence du
Conseil d'État. Peut-on, cependant, parler de rééquilibrage de compétences? Cela
conditions de forme, par exemple, la régularité de la composition de la Chambre
le fugitif, procède à un contrôle de la régularité formelle des charges, sans pouvoir
théoriquement apprécier, ni leur vraisemblance, ni leur gravité, sauf le cas d 'erreur
évidente (Art. 16). Après audition du conseil, la Chambre d'accusation émet un avis
motivé. S'il est défavorable, l'extradition ne peut être accordée. S'il est favorable, le
gouvernement a toute liberté pour refuser ou se conformer à ~vis favorablè>ODans ce
apparaît douteux 227.
Cette décision affirme, en effet, "il n'appartient pas au Conseil d'État d'examiner les
cas, il procède par voie de décret. Jusqu'à ces dernières années, l'avis échappait à tout
recours (Art. 16). Une évolution remarquable vient de s'opérer à la fois devant la
moyens de la requête mettant en cause la régularité externe de l'avis de la Chambre
d'accusation, le Conseil d'État doit, en revanche, se prononcer, d'une part, sur les vices propres
du décret d'extradition, et, d'autre part, sur la légalité interne de la mesure d'extradition , au
Chambre criminelle, renforçant les intérêts du justiciable et devant le Conseil d'État
contrôlant le dêroulement de la procédure.
- Devant la Chambre criminelle, indépendamment de l'article 14, autorisant le
regard des lois et conventions internationales, afin de vérifier si, notamment, d'après l'examen
de l'affaire par la Chambre d'accusation , le gouvernement a pu légalement décider que les
conditions de l'extradition, pour celles des infractions qu'il retient, étaient réunies ".
il apparaît donc que, "c'est au Conseil d'État que reviennent les tâches nobles, c'est-à-
pourvoi pour toute décision rendue en matière de liberté, la jurisprudence a procédé à
deux réformes. Tout d'abord, la Chambre criminelle a autorisé le pourvoi dans l'intérêt
de la loi formé par le Garde des Sceaux, désireux de maintenir l'unité de la
ju~prude~ce, dans l'interprétation des textes 219~n second lieu, et plus récemme;,
dire, le contrôle de la décision, au plan légal et au plan conventionnel, tandis que la Cour de
cassation se trouve cantonnée dans des tâches subalternes, la vérification de la régularité externe
un arrêt en date du 17 mai 1984, a décidé que, "si aux termes de l'article 16 de la loi du 2
1et formelle de l'avis de la Chambre d'accusation" 228.
mars 1927, l'avis motivé de la Chambre d'accusation sur la demande d'extradition est rendu
rsans recours, il résulte des principes généraux du droit, que cette disposition n'exclut pas le
L'arrêt Alba RAM[REZ 229, précise la position du Conseil d'État, en le
pourvoi en cassation, lorsque celui-ci est fondé sur une violation de la loi, qui, à la supposer
établie, serait de nature à priver la décision rendue, des conditions essentielles de son existence
légale". 220.
conduisant à définir quel effet produit l'introduction d'un pourvoi en cassation, sur la
Sans doute, la référence aux principes généraux du droit n'est pas nouvelle. Mais,
conséquences:
_ Tout d'abord, le décret d'extradition ne peut être pris tant que le délai du
suite de la procédure. Il reconnaît le caractère suspensif du pourvoi. D'où trois
jamais, et c'est ce en quoi la décision est révolutionnaire, la Cour de cassation n'avait
osé utiliser les principes
généraux~lï<tï'Olt con ra leg~ L'avantage essentiel de ce
pourvoi en cassation n'est pas expiré (cinq jours francs) ;
nouveau pourvoi est d 'être suspensif, alors que le recours devant le Conseil d'État ne
l'est pas.
222
24 juin 1977, ASTUDDILLO CALLEjAS, G. P. 1977-II-640.
ant longtemps, la Haute Assemblée s'était
223
7 juillet 1978, CROISSANT, G. P. 1979-[-34.
bornée à vérifier la régularité externe du décret 221, parce que le principe de la
224
27 juillet 1979, SALAT[, G.P. 1979-Il-686, note julien LAFFERRIERE.
séparation des pouvoirs interdisait d'apprécier, après la Chambre d'accusation, le
225
jEANDlDlER, R.S.C 1979-239.
respect des conditions de fond déjà vérifiées par lui. Mais depuis 1977, le Conseil
226
26 septembre 1984, D. 1984, F1asch nO33.
227
Cf. jEANDIDIER, note j.CP. 1985-Il-20346.
228
Commentaire des rapports de la Cour de cassation par les professeurs de la Faculté de SaintMaur, j.CP. 1986-1-3227.
229
CE. 8 mars 1985, 0 . 1986, inf. rap. 13.
d 'un recours pour excès de pouvoir.
219
Crim. 19 octobre 1950, j.c.P. 1950-II-5897, note AYMOND.
220
D. 1984-536, note jEANOlDIER, j.CP. 1985-II-20332 note BORRICAND.
221
30 mai 1952, KlRWOOD, S. 1953-III-33, note BOUZAT.
�176
177
_ En second lieu, si un pourvoi est formé dans ce délai, le décret ne peut
soit "oublié" dans sa cellule 232, en se fondant à la fois sur la Constitution de 1958 et
intervenir qu'après que la Cour de cassation l'ait rejeté ou l'ait déclaré irrecevable. il en
sur la convention européenne des droits de l'homme.
va de même, si le pourvoi n'est pas formé dans le délai;
Tout récemment le Conseil d'État vient d'opérer un renversement de
- Enfin, si une cassation intervient, le décret d'extradition ne peut être pris
jurisprudence. Jusqu'à présent le Conseil d'État s'interdisait de contrôler les refus
qu'après qu'un nouvel avis ait été donné par la Chambre d'accusation de renvoi et que
d'extradition, alors qu'il avait le droit de censurer des décrets satisfaisant à une
ce nouvel avis soit devenu définitif.
demande d'un gouvernement étranger puisqu'il y a risque de mise en cause de la liberté
~
Ce sont également les exigences de la protection du justiciable qui guident les
individuelle. il s'agissait du respect de la traditionnelle théorie des "actes de
solutions récemment rendues par la Chambre criminelle à propos du déroulement de la
gouvernement" . Mais on sait que cette théorie a vu progressivement son champ
procédure.
- D'abord, la présence de l'étranger à l'audience est obligatoire. C'est elle qui
d 'application se restreindre.
permet le point de départ du délai de pourvoi. L'arrêt KONUK, en date du 11 juin
refus d'extradition. il a annulé l'acte gouvernemental refusant à Hong Kong l'extradition
1985 a rappelé le caractère indispensable de la présence, de l'intéressé à l'audience 230.
d'un malaysien, accusé d'un détournement financier, en s'appuyant sur une erreur de
Le Conseil d'État vient de décider, le 15 octobre 1993, de ne plus l'appliquer au
- En second lieu, la demande de mise en liberté peut être sollicitée à tout moment
droit commise par le gouvernement français (SANIMAN).
Ces décisions fournissent une nouvelle illustration que la Convention pénètre peu
et l'intéressé peut former un pourvoi contre la décision qui refuserait son élargissement.
à peu le droit positif.
Si la situation de l'étranger détenu est parfaitement définie par l'article 14, alinéa
2, au cours de la procédure officiellement menée devant la Chambre d'accusation, une
ri ill ettm fk l'extradition
demande de mise en liberté pouvant intervenir à tout moment et dans les conditions
prévues par le Code de procédure pénale, il n'en va pas de même des requêtes en
- Sur le plan pratique
élargissement formulées pendant la période d'arrestation provisoire et après l'avis
Si la France est l'Etat requis, elle procède à la remise de l'intéressé à la frontière
favorable de la Chambre d'accusation. Lors de la phase préjudiciaire, l'article 20, pour
de l'Etat requérant, parfois avec une hâte non dissimulée: (par exemple, affaire
limiter une détention que l'inertie des autorités étrangères pourrait faire durer, avait
CROISSANT et affaire des basques espagnols, durant l'été 1984).
prévu des délais limités de 20 jours à 30 jours, selon la situation géographique du pays
- Sur le plan juridique
demandeur.
Passé ce délai, une requête de mise en liberté pouvait être adressée à la Chambre
Deux exigences doivent être respectées.
d'accusation et l'individu pouvait être remis en liberté.
Tout d'abord, l'exigence de la validité est posée par l'article 23 de la loi de 1927
La situation de l'étranger détenu était certainement contraire à l'article 5 de la
qui prévoit qu'en cas de violation dudit texte, l'intéressé peut s'en prévaloir, soit devant
Convention européenne reconnaissant à toute personne, le droit d 'être jugée sans délai.
la Chambre d'accusation dans le ressort de laquelle il a été saisi, soit devant les
C'est dans ce contexte, qu'est intervenue la décision de la Chambre criminelle
juridictions d'instruction ou de jugement où il est amené à comparaître.
GENGHINI, en date du 26 avril 1984, cassant l'arrêt d 'une Chambre d 'accusation qui
En second lieu, le principe de la spécialité est énoncé par l'article 21 "L'extradé
avait déclaré irrecevable une demande de mise en liberté, fondée sur l'article 20.
Mais cette décision se fonde, non sur l'article 20, mais sur l'article 14, apte à régir
ne peut être poursuivi ou puni pour une infraction antérieure à la remise autre que celle ayant
motivé /' extradition". Une méconnaissance de ce texte entraînerait la nullité de
toutes les demandes formulées par un étranger détenu provisoirement. Elle "confère à la
l'extradition. Ce principe est destiné à garantir l'intéressé pour des demandes
Chambre criminelle, un droit de regard sur les arrêts de mise en liberté antérieurs à la saisine
d'extradition dissimulant un motif politique. Il y a toujours eu là des risques d'abus
normale de la Chambre d'accusation ",231.
qu'a évoqués la note française du 10 novembre 1982.
Enfin, la Chambre criminelle a été amenée à étendre la compétence de la Chambre
Cependant, le principe de spécialité n 'es t pas absolu.
d'accusation, au-delà de l'avis favorable sur l'extradition, pour éviter qu'un étranger ne
230
D. 1986, infra p. 14.
231
)EANDIDlER, note D. 1984-537.
Tout d'abord, la
juridiction répressive peut modifier la qualification de l'infraction ex traditionnelle
232
Crim. 25 octobre 1984, Bul. n° 266; Crim. 7 février 1984, n° 43.
233
Crim. 15 juillet 1937, D.P. 1939-1-60.
233.
�178
En second lieu, l'Etat requérant peut sollidter une extension de l'extradition pour juger
179
2°) Les effets positifs
l'intéressé pour des faits autres que ceux contenus dans la procédure de livraison. Il est
même dispensé de cette requête si l'intéressé est resté plus de trente jours sur le
Le problème ici posé, vise l'énergie d'une décision étrangère en droit français. Est-
territoire français, après sa remise en liberté. Il est censé avoir accepté être jugé pour les
elle exécutoire en droit français? En principe, notre droit refuse tout effet positif en
infractions antérieures à sa remise 234. Enfin, et bien entendu, l'Etat requérant peut
France à une sentence rendue à l'étranger. il en résulte deux conséquences.
juger le fugitif pour des infractions commises postérieurement à son extradition.
- En premier lieu, la décision étrangère n'a pas, en France, de force exécutoire.
Est-il besoin de souligner que les deux prindpes sus-énoncés, ne sont pas
On ne connaît pas en droit pénal, la procédure de l'exequatur applicable en matière
toujours respectés ? C'est pourquoi, certains ont émis l'idée d'un tribunal
dvile, permettant l'application en France, de dédsions rendues à l'étranger. Cependant,
communautaire chargé de statuer sur les demandes d'extradition formulées par les
la Convention européenne pour la surveillance des personnes condamnées ou libérées
États membres du marché commun, tandis que d'autres proposaient la mise sur pied
sous condition, signée à Strasbourg en 1984 et applicable en France depuis peu,
d 'une Cour pénale européenne chargée de juger les terroristes et les grands criminels
autorise un État de refuge, à faire exécuter une sentence prononcée par un autre État.
internationaux. Ce qui présenterait l'avantage d'éviter l'embarras dans lequel se
trouvent certains États soucieux de concilier le droit d'asile et la solidarité
interétatique.
Il en va de même pour la Convention sur le transfèrement des personnes
condamnées, signé à Strasbourg le 21 mars 1983, entrée en vigueur le 1er juillet 1985.
- En second lieu, la décision étrangère n'a pas d'incidence sur la récidive. Le
délinquant condamné à l'étranger, reste un délinquant primaire en France, sous réserve,
C - Les effets internationaux des iugements répressifs
ici encore, d e quelques conventions intervenues en certains domaines, autorisant un
État à donner efficacité à des interdictions professionnelles prononcées à l'étranger
il s'agit id d'un problème de droit international privé. Une dédsion rendue dans
un État étranger peut-elle avoir des effets dans un autre État. Le principe de
souveraineté inciterait à répondre par la négative, mais les intérêts du justiciable
obligent à admettre la solution inverse. La question est résolue différemment par le
droit français, selon que l'on reconnaît des effets négatifs ou des effets positifs à la
(voir par exemple: L. 19 juin 1930 pour l'interdiction de l'exercice de la profession de
banquier).
L'incidence des décisions rendues par des juridictions étrangères sur le droit
français nous conduit à appréder le rôle joué par le juge pénal dans l'application de
l'élément légal.
dédsion rendue à l'étranger.
1°) Les effets négatifs
On entend par là, qu'une décision rendue à l'encontre d 'un justidable dans un
HUET, Une méconnaissance du droit international, J.c.P. 1987-1-3293.
pays, n'autorise plus un autre pays à statuer sur le même fait. L'article 692 du Code de
J. BORRICAND, Crime organisé et coopération européenne, Rev. Int. Crim. 1992- 445.
procédure pénale dispose en effet "qu'aucune poursuite ne peut être exercée contre une
W. JEANDID1ER, La tutelle du Conseil d' État sur les chambres d'accusation, RS.C.
personne justifiant qu'elle a été jugée définitivement à /' étranger pour les mêmes faits et en cas
de condamnation que la peine a été subie ou prescrite". Ce texte n'est que l'application de la
règle non bis in idem, il est subordonné, cependant, aux conditions suivantes :
que le jugement étranger soit définitif ;
qu'il ait été rendu par une juridiction compétente ;
qu'en cas de condamnation, l'intéressé ait accompli sa peine ou ait bénéfidé d'une
mesure de grâce ou de la prescription.
234
LECTURES
Crim. 13 jumel 1939, G.P. 1940-1-37.
1979-239.
J. BORRICAND, Vers l'Europe pénale in Problèmes actuels de Science Criminelle, 1993109.
E. ROLIN, Développements récents du contrôle du Conseil d ' État en matière
d'extradition, RS.C. 1994-491.
M. MASSE, La compétence pénale française dans l'espace depuis l' entrée en vigueur
du nouveau code pénal, RS.C. 1995-839.
�o1
180
SECTION II - L'APPLICATION DE LA NORME PAR
LE JUGE
Tout juge répressif doit, à l'occasion de chaque affaire dont il est saisi, procéder
aux opérations suivantes.
n
lui appartient, out d'abor
de vérifier si les faits
reprochés à l'agent tombent sous le coup d 'un texte répressif et sont, de ce fait
. punissables
: problème de qualification. Il lui faut, également, se livrer à une
~
---
-
interprétation de la loi, rechercher le sens qu'il faut donner à la dis osition pénale :
problème d'interprétation. Mais il doit
pa~isl
et c'est là une opération préalab e,
apprécier la validité de la règle criminelle, vérifier si elle a été correctement édictée et
-par une autorité compétente: problème "d'appréciation des règlements.
)C§ 1- L'APPRÉCIATION DES RÈGLEMENTS
Le juge répressif ne Beut en France apprécier la constitutionnalité d'une loi pour
plusieurs raisons. D'abordUe prin~e de la séparation des pOUVO~interdit au juge de
s'immiscer dans la fonction législative. En second lieu, l'ancien article 127.1 du Code
pénal rendait coupable de forfaiture les magistrats qui empiéteraient sur le pouvoir
législatif. Enfin, l'article 56 de la Constitution instituant un Conseil constitutionnel
chargé d'examiner la constitutionnalité des lois que le Parlement a votées exclut toute
intervention judiciaire.
)<. n devrait en être de même pour l'appréciation des règlements. En théorie, les
juridictions de l'ordre administratif ont, sous le contrôle du Conseil d' État, une
compétence naturelle pour l'examen de la conformité des règlements. Dans un but de
simplification et par prorogation de compétence depuis longtemps, les juridictions
répressives se sont reconnues compétentes pour statuer en la matière.
Le nouvel article 111-5 énonce "Les juridictions pénales sont compétentes pour
interpréter les actes administratifs réglementaires ou individuels et pour en apprécier la légalité
lorsque, de cet examen, dépend la solution du procès pénal qui leur est soumis" .
L'appréciation des règlements, peut se réaliser de deux façons différentes :
_ Par voie d'action, le contrôle du juge administratif tend à vérifier si le règlement
-
attaqué n'est pas affecté de l'une des irrégularités qui constituent les cas d'ouverture du
pourvoi (incompétence, vice de forme, d étournement de pouvoir, violation de la loi).
�181
182
L'intérêt de ce recours est, pour excès de pouvoir, qu'en cas d'annulation, le règlement
al W divergences passées.
disparaît complètement à l'égard de tous.
- Par voie d'exception, le prévenu soulève devant le tribu
réj2ressif l'irrégularité
1) Le tribunal des conflits appréciait la compétence du juge répressif
du règlement. Le tribunal est alors obligé d'examiner la régularité de l'acte. On dit qu;ïe
en fonction de la nature de l'acte.
prévenu -;ulèv 'l'exception d 'illégalité, encore que pour les règlements autonomes ce
- S'agissant d'un acte réglementaire, tout juge répressif pouvait en apprécier la
soit plutôt l'exception d'inconstitutionnalité. Si le prévenu triomphe, le règlement ne lui
~galité
est pas opposable, mais est maintenu à l' égard du tiers. Un nouveau justiciable
ou
l'interpr~r,
mais il ne pouvait, naturellement pas débattre de son
( opportuni;5X5 juillet 1951, Avranches, précité).
pourra, à son tour, en écarter l'application E ce que le juge répressif ne peut l' annul~
- S'agissant d'un acte individuel, le Tribunal des conflits avait décidé, en
revanche, que le juge répressif ne pouvait les apprécier. Cette incompétence était
A - Les conditions d'application du contrôle de la légalité
justifiée, d'abord, par le libellé même de l'article R 26 15° ne visant que les règlements,
ensuite parce que l'examen de la légalité a une portée plus grave pour l'acte individuel
Elles intéressent trois points : les juridictions, les actes visés et les cas d'illégalité.
qui est frappé de toute inefficadté, s'il est déclaré illé al. Cette dédsion était d'autant
plus remarquable qu'elle n'éta t nullement dictée par l'espèce qui visait un acte
1°) Les juridictions compétentes
réglementaire.
La lecture de l'article R. 610-5 N.C.P., comme celle de son prédécesseur, l'article
_ c
r"r.~,
1 - " "•
C
. . II e a d optaIt
' une pOSItIOn
. . d'ff
'
pl'.,.RL,
! erente.
2) La Ch am b re cnmme
.t,
R. 26-15, 235 peut laisser penser que seul le juge de police est compétent puisque la
Elle considérait que le juge pouvait et devait apprécier la légalité de tous les actes
peine prévue est une peine de police. Le tribunal des conflits dans la célèbre décision
administratifs, ~ la seule condition qu'ils soient assortis d'une sanction pénale 237.
"Avranches" en a décidé autrement 236. En l'espèce, le gendre et le fils d'un fermier
Sinon, la juridiction répressive devait surseoir à statuer tant que la juridiction
étaient poursuivis devant le ~ribunal corr§~ sur plainte du bailleur pour chasse
administrative ne s'était pas prononcée.
sur le domaine affermé. Ils invoquaient une clause du contrat type des baux à ferme du
département, ipprouvé par arrêtt"préfectoral qui octroyait au preneur le droit de
chasse. Le tribunal estima ce act~ntaché d 'illégalité car contraire aux prescriptions de
-
,
o
l't
Pour expliquer la position de la Cour de cassation, on pouvait avancer deux
justifications. Tout d'abord, la distinction entre acte réglementaire et acte individuel
n 'est pas toujours aisée à faire. En second lieu, la déclaration d 'illégalité d'un acte
l'ordonnance du 17 octobre 1945 sur les baux ruraux qui accorde seulement aux
individuel n'est pas plus grave que la déclaration d'illégalité d 'un acte réglementaire.
preneurs le droit de chasser (droit strictement individuel) et non le droit de chasse
(droit de portée générale).
hlI& nouveau ~pénal
Le Préfet éleva le conflit, mais le tribunal confirma la compétence de tout juge
Sur amendement du Sénat, l'article 111-5 N.C.P. retient la solution la plus
pénal pour apprécier la légalité des règlements administratifs invoqu és.
-
favorable aux juridictions répressives, en leur donnant une pleine compétence. Celles-ci
-
pourront interpréter ou apprécier la légalité d'un acte administratif réglementaire ou
2°) Les actes administratifs visés
individuel "dès lors que de cet examen dépend la solution du procès pénal qui leur est
n n'est pas inutile, avant d 'exposer la règle posée par le nouveau code pénal, de
soumis".
n n 'y aura donc plus à faire la distinction du Tribunal des conflits ni de celle
rappeler les divergences antérieures entre le Tribunal des conflits et la Chambre
de la Chambre criminelle. La compétence reconnue aux juridictions pénales est donc
criminelle.
large à raison des actes concernés, de la mission du juge et de l'enjeu de la difficulté.
3°) Les cas d'illégalité
La partie qui soulève l'exception d'illégalité peut invoquer les cas proposés par le
235
droit administratif.
R. 26-15: "Seront punis de l'amende prévue pour les contraventions de la 1ère classe .... ceux qui
auront contrevenu aux décrets et arrêts de police légalement faits".
236
5 juillet 1951, D. 1952.271, note BLAVOET, S. 1952.3.1 note AUBY.
237
Crim. 21 décembre 1961; D. 1962. 102, rapp. COSTA, J.C.P. 1962.11.12680, note LAMARQUE.
/
�183
- Tout d'abord, l'incompétence. Le juge vérifie s'il n'y a pas méconnaissance des
184
2°) La sentence du juge
règles sur la répartition des pouvoirs 238.
- En second lieu, le vice de forme est parfois avancé. 239.
- Plus fréquent peut-être, est le cas de la violation de la loi. On notera le
caractère impropre de l'expression. Il vaudrait mieux parler de violation de la
Deux voies s'offrent à lui.
al L'acte administratif m ligill.
Constitution depuis l'apparition des règlements autonomes. On citera le cas de
TI peut, tout d'abord, considérer que l'acte administratif est légal et il doit en
règlements portant atteinte à l'égalité des citoyens devant 'la loi 240, le cas des
conséquence prononcer la condamnation, mais cette décision n'a qu'une valeur relative.
règlements portant atteinte à la libre circulation 241 Le décret du 28 juin 1973, sur
Rien n'empêche, à l'avenir, un autre prévenu de soulever à son tour l'exception
l'obligation du port de la ceinture de sécurité, a été fort contesté parce que
d'illégalité, même devant lui.
méconnaissant la déclaration des droits de l'homme dont l'article 4 énonce "la liberté
consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui". Pourtant, la jurisprudence a finalement
admis la validité de l'article R 53.1 du Code de la route 242.
hl L'acte administratif m illégal.
TI peut, également, estimer que l'acte administratif est illégal. Il doit l'écarter et
" - Le détournement de pouvoirs est le cas le plus controversé au motif qu'il
prononcer la relaxe. Mais, il ne peut l'annuler, de sorte qu'à l'avenir de ;"ouvelles
conduit à apprécier l'opportunité. Finalement, la Chambre criminelle s'est reconnue le
poursuites peuvent être engagées contre un justiaable ayant violé l'acte qui pourraient
pouvoir de contrôler les motifs de l'acte administratif, si l'autorité administrative a usé
éventuellement déboucher sur une condamnation.
de ses prérogatives dans un but autre que celui pour lequel elles lui avaient été confiées
243
C'est dire le caractère fragile de la décision du juge. L'avant projet de code pénal
avait proposé d'élargir les pouvoirs des juges en leur pennettant d'apprécier non
- Enfin, la Chambre criminelle admet, depuis peu, un cinquième cas l'erreur
seulement la légalité des règlements, mais aussi leur constitutionnalité lorsque la
manifeste d'appréciation 244. Il s'agit de l'erreur grossière que commettrait un
solution du procès dépend de cet examen. Cette solution n'a pas été retenue dans le
fonctionnaire dans l'appréciation des faits qui motivent sa décision.
nouveau code pénal, mais il semble que, compte tenu de l'accroissement des pouvoirs
du juge dans le nouveau code, il faille admettre la solution la plus large.
B - Les effets du contrôle de la légalité
§ 2 - LA QUALIFlCATION DES FAITS
Ces effets portent sur deux points: la saisine du juge et la sentence du juge.
1°) La saisine du juge
La qualification des faits s'impose au juge répressif pour qu'il vérifie si ceux-a
sont incriminables sur la base de telle disposition pénale et autorisant une sanction
Le contrôle de légalité a pour conséquence que le juge répressif est tenu
d'examiner la légalité du règlement lorsqu'une partie le lui demande 245.
dans les limites du texte retenu. Cette opération n'est pas si simple qu'elle apparaît au
premier abord. En effet, on peut se trouver en présence de plusieurs dispositions et de
ce fait, hésiter sur la disposition à retenir. D'autre part, certains facteurs peuvent faire
238
Crim. 3 juin 1935, S. 1937.1.234, maire imposant le curage d'une rivière dont la décision
incombait au Préfet.
obstacle à la qualification (exemple : amnistie, fait justificatiO. Pour faciliter la tâche
239
Défaut d'avis de tel ou tel organisme, Crim. 22 mai 1962; B. n° 144.
toutes difficultés d'application.
24 0
Crim. 25 octobre 1961; D. 1962.258, stationnement réservé à quelques administrés.
241
Crim. 2 février 1956, D. 1956-365 arrêté préfectoral interdisant le stationnement des
prostituées à Lyon.
242
Crim. 20 mars 1980, D. 1980. lR. 521.
243
Crim. 21 décembre 1961, dame LE ROUX, D. 1962.102, rapp. COSTA.
244
Crim. 21 octobre 1987, D. 1988-58, note IŒHRlG.
245
Crim. 25 octobre 1961, ].C.P. 1962, 0.12500, note A.P..
de l'interprète, des principes directeurs ont été posés qui n'excluent pas, pour autant,
A - Les principes directeurs
Ces principes ont pour dénominateur comm
le pouvoir souverain es juges. lis
peuvent se formuler par la double exigence d'une qualification
qualification révisible.
saire et d'une
!
�185
186
1°) La Q.ualification nécessaire
qualifications visées par cette loi, ni substituer à une qualification de droit commun une
qualification prévue par la loi de 1881, l'inverse demeurant possible 247.
Tout d'abord, la qualification doit se faire, quel que soit l'organe juridictionnel
saisi. Au niveau de l'instruction, le magistrat instructeur est saisi in rem, c'est-à-dire
qu'il est chargé d'instruire sur un fait matériel donné. De son côté,
;a
~
d'accusation, saisie in rem et in personam, n'est pas liée par la qualification retenue par
Elles apparaissent lorsque les agissements reprochés à l'agent sont susceptibles
~truction. Au niveau du jugement, les juridictions sont saisies in rem et in
de plusieurs qualifications pénales. Le problème se pose en des termes différents, selon
personam. Elles ne peuvent statuer que sur les faits portés devant elles et contre les
-
-
personnes qui leur
..2OnLdéférées.
B - Les difficultés pratiques
-
que l'on est en présence de qualifications incompatibles, alternatives ou concurrentes.
1°) Les qualifications incompatibles
---rn second lieu, la qualification est déterminée au moment de l'action. Cette
solution était déduite de la lecture de l'ancien article 64 c.P., même si la situation
C'est l'hypothèse dans laquelle une infraction objectivement imputable à l'agent
juridique s'était modifiée par la suite en faveur de l'agent (par ex. , le vendeur impayé
est la conséquence logique d'une première infraction. Par exemple, le recel consécutif au
qui reprend frauduleusement sa chose reste co~ble de vol, même si le contrat est par
vol, l'abstention de porter secours consécutive aux coups et blessures volontaires. A
la suite résolu). Il y a, a-t-on "dit, (PRADEL) une sorte de "cristallisation de la
première vue, la deuxième infraction est en quelque sorte incluse dans la première. n ne
qualification au moment des fails ".
pourra être poursuivi que pour vol ou pour coups et blessures.C'est la raison pour
Enfin, la qualification s'opère de façon autonome. Les définitions extra-pénales
laquelle la doctrine et la jurisprudence s'accordent pour exclure cette compatibilité
ne sont pas prises en compte par le juge répressif.
dans l'hypothèse de coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la
donner et de refus de porter secours. 248. Sur un plan intellectuel plus général, cette
2°) La qualification révisible
incompatibilité ne se justifie pas. MERLE et VlTU observaient (nO359) que l'anden
._
~ ~ (J.(O
..,...
J.t
fr/àu :
./ t (~'~'lÂt
D
rf,tlSlflrt
'J"t
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changée. La juridiction doit la modifier ~ans les limites de sa compétence. il en résulte
en danger et qu'on ne voit pas pourquoi le délit d'omission de porter secours ne serait
que si la qualification nouvelle est de la compétence d'une juridiction plus élevée, la
pas reproché à l'auteur de coups et blessures volontaires. En revanche, si les éléments "
juridiction doit se déclarer incompétente. Dans l'hypothèse inverse, le tribunal
matériel et moral des deux infractions étaient différents, le 'uge pourrait retenir les
~
-----~~--~
deux délits en : violation de sépulture, et tentative de vol 249.
tribunal de police et la Cour d'assises demeure toujours compétente en raison de sa
Notre droit connaît cependant quelques exceptions ou changements de
1,;.
'
"./
).r.".
~ ~ ~
.,
qualification prévue par la loi de 1905, une qualification extérieure à cette loi. En
J;,
revanche, il est possible de permuter deux qualifications de la loi 246
..r - •\.
'...J
,~J'x
of 'f X
à défaut, de coups et blessures volontaires ayant entrainé la mort sans intention de la
donner ou même d 'homicide involontaire, si les violences sont simplement le fruit d'une
imprudence (Art. 221-6 N.C.P.) . Il ~artient à la jurisprudence de ~ire un choix
entre les différentes qualifications,-
Cour de cassation a décidé que les juridictions répressives ne peuvent ni permuter deux
:t~ .
. t, II« ~
246
N.C.P.) oU assassinat (Art. 221-3 N.C.P.) si l'agent avait l'intention de tuer sa victime;
mouvement les poursuites doit articuler et qualifier les faits incriminés (article 50) , la
~/_ltj~'v
U
imputable à leur auteur. Ainsi, les coups mortels sont qualifiés meurtre (Art. 221-1
De son côté, la loi du 29 juillet 1881 sur la presse décidant que l'acte qui met en
l
~ t"·
Code qualifie différemment certains agissements selon la nature ou le degré de la faute
' 1e 101. devra êtA re con 1"muee e1 t ermmee
. , en ve rt u des
poursuIte exercee en vertu d
e alpresen
mêmes textes " (article 8), la jurisprudence en déduit qu'on ne peut substituer à une
il' ;1.......
f;;jf
Dans ce cas, les qualifications s'excluent l'une l'autre. Il arrive, en effet, que le
qualification. La loi du 1er août 1905, en matière de fraudes, disposant que "toute
<1+;'\
",I;i'l
~l~
2°) Les qualifications alternatives.
plénitude de juridiction.
( ..f
;;
article 63 c.P. ne fait aucune distinction selon l'origine du péril éprouvé par la personne
correctionnel reste compétent même si lès parties demandent le renvoi devant le
(s.Jt.. Ji'
'"
Au cours de la procédure, il arrive fréquemment que la qualification doive être
Aff. GARRETI A, Trib. cor. Paris 23 octobre 1992.
P )57
~C.
~
247
Crim. 28 mai 1892, S. 1893.1329.
248
Crim.24 juin 1980, B. nO327.
249
Tribunal corr. de Fort de France 22 sept. 1967 J.c.P. 1968 HIS 583. ~
q
�187
~
188
Si l'agent a été relaxé sur la base d'une qualification détenninée, le Parquet peut-
article 5 c.P. (devenu 132-3 et 4) qui énonçait "qu'en cas de conviction de plusieurs crimes
il à nouveau reprendre des poursuites sur la base d'un autre texte?
ou délits , la peine la plus forte est seule prononcée" traitait du problème différent du cumul
Les auteurs répondent par la négative, au motif que la juridiction de jugement
réel où les infractions sont totalement distinctes les unes des autres.
avait l'obligation d 'examiner le fait sous toutes les qualifications qu'il était susceptible
La doctrine était partagée. Pour certains, s'il y a pluralité d'incriminations, il y a
de revêtir.
pluralité d'infractions. Le juge devra donc se prononcer sur chacune des incriminations
La jurisprudence adopte une position plus nuancée. En matière criminelle, le
et les viser éventuellement dans la condamnation. Exception faite de la règle posée par
Code de procédure pénale, confirmant un revirement jurisprudentiel antérieur, dispose
l'article 5 c.P., l'individu devra subir plusieurs peines.
"qu'aucune personne acquittée légalement ne peut être reprise ou accusée à raison des mêmes
faits sous une qualification différente" (A. 368 CP.P.). Mais, en matière correctionnelle et
concours de qualifications. il faut donc considérer le fait sous la qualification la plus
de police, la Chambre criminelle consacre une autre solution. Elle a jugé qu'un individu
grave. Le nouveau code pénal est plus explicite sur ce point, mais n' évoque cependant,
condamné pour homicide involontaire peut être poursuivi à nouveau pour homicide
dans ses articles 132-1 à 132-7, que l' hypothèse d' infractions séparées.
Mais, d'autres auteurs estiment cette solution trop rigoureuse et parlent de
volontaire lorsqu'il résulte des circonstances de fait révélées postérieurement à la
La position de la jurisprudence qui oblige à distinguer deux hypothèses, celle du
décision correctionnelle que la mort de la victime a été la consêquence d'un acte
intentionnel de son auteur
(
250,
(.cumul et celle du concours de qualifications, semble devoir, de ce fait, être maintenue.
espèce dans laquelle, après une condamnation pour
1Ù Cumul fk. qualifications
homicide par imprudence de son épouse, le condamné a été de nouveau poursuivi et
condamné pour assassinat de la même personne. il n'est pas étonnant que dans
Cette hypothèse apparaît lorsqu'il y a une double déclaration de culpabilité. Par
l'affaire du sang contaminé, le docteur ALLAIN, déjà condamné pour fraude dans la
exemple, une infraction au Code de la route avec homicide ou blessures volontaires ou
vente (loi 1er août 1905) puisse faire l'objet d ' une mise en examen pour
encore le jet par un terroriste d'une grenade à la terrasse d 'un café constituant deux
empoisonnement. il ne s'agit pas du même fait mais de deux faits différents qui se
infractions, une tentative d'assassinat et une tentative de destruction d'immeuble par
distinguent par leur élément moral
explosif
251 .
Une solution du ;nême ordre es consacrée par
La jurisprudence justifie sa solution par référence à l'élément moral. par
la jupsprudence dans l'hypothèse de qualifications concurrentes.
r
\
t""\J
~
l'existence de fautes pénales distinctes. Cependant, comme pour les infractions
3°) Les qualifications concurrentes
d'imprudence, ce critère serait difficile à mettre en oeuvre; la solution jurisprudentielle
s'appuie sur le fait que l'agent a porté atteinte à des valeurs sociales différentes
Cest l'hypothèse la plus frêquente en raison de l'inflation législative actuelle. Il
,
"lorsqu'un même fait peut et doit être sanctionné deux fois , c'est qu'en réalité, il a enfreint
deux catégories différentes pénalement protégées". 253. Dans l'arrêt précité, en date du 3
peut s'agir d 'un fait matériel unique (accident de la circulation faisant plusieurs
victimes ou viol dans un lieu public) ou d'une pluralité de faits matériels unis les uns
mars 1960, l'une des infractions est établie en vue d'assurer la protection de la
aux autres (exemple, la violation de domicile aggrave le vol pour en faire un vol avec
propriété, tandis que l'autre protège la vie et l'intégrité des personnes. Référence
effraction, ou encore, faux fabriqué en vue de réaliser une escroquerie) : conflit de
d'autant plus certaine que l'agent en était resté au stade de la tentative,
qualification.
1
252
accompagnée de blessures. Il y a là deux valeurs différentes violées, l'une protège la vie,
simple ou complexe peut faire l'objet d 'une double déclaration de culpabilité, car
l'autre défend la discipline dans la circulation routière 255. Plus récemment, la Chambre
entrant dans les prévisions de deux lois répressives. Faut-il retenir les deux
1 qualifications en présence ou choisir celle qui est le mieux adaptée? Dans le premier
......._--
cas, deux sanctions seraient prononcées; dans le d euxième cas, une seule sanction est
L'ancien
250
19 mai 1983, D. 1984.51, note CHAPAR.
251
Cf. J'article de M.L. RASSAT, Le Figaro 9 août 1994, Crim. 22/06/1994, J.c.P. 1994, n° 22310,
note RASSAT.
On peut
faire une observation du même ordre pour une infraction au Code de la route
Dans tous les cas, le problème est le même. Détenniner si une action pénale
applicable. La difficulté de IaSoïution tient au fait qu'il n'y a pas de text
254 .
252
Cf. Crim. 3 mars 1960 B. nO138.
253
Trib. Mâcon, 28 juin 1966,G.P. 1966. n.256.
254
R.S.c. 1961. 107, observations LEGAL.
255
Crim. 25 mars 1965, R.S.C. 1965.871, observations LEGAL.
�189
crinùnelle a retenu à l'occasion de la publication d'un même écrit, le cumul du délit de
Toutefois, le principe de spécialité est écarté par la Chambre criminelle par
diffamation et de violation du secret professionnel 256.
l'application de la théorie de la peine justifiée, théorie jurisprudentielle au terme de
Pour ce qui est de la sanction, la jurisprudence considère qu'il faut retenir celle
laquelle quelle que soit la qualification retenue, la peine pouvait être prononcée 260 Cet
afférente à l'infraction assortie de la pénalité la plus forte. C'est la règle de l'ancien
artifice évite des cassations trop fréquentes.
article 5 c.P. Cependant, cette règle n'est pas toujours appliquée. La Chambre
criminelle a admis le cumul d'une peine délictuelle et d'une peine contraventionnelle 257.
§ 3 - L'INTERPRÉTATION DES TEXTES RÉPRESSIFS
hl Concours de. qualifications
La conception du rôle du juge dans l'application de la loi a considérablement
Dans cette hypothèse, en revanche, la juridiction n 'éno nce qu'une seule
évolué. Au début du XIX o siècle, par réaction contre l'arbitraire de l'Anden Régime, on
déclaration de culpabilité. Par exemple, le délit d'injure à fonctionnaire comprend le
estimait qu'il ne fallait laisser aux magistrats aucune initiative. L'École de l'Exégèse, en
délit d'injure et injure à fonctionnaire. Pourtant, la jurisprudence ne retient qu'une seule
matière civile, recommandait de ne "toucher que d'une main tremblante" à l'oeuvre
qualification. "Un même fait ne saurait entraîner une double déc/aration de culpabilité" 258.
napoléonienne. A fortiori, en droit pénal, les tribunaux répressifs devaient-ils se borner
Ce principe est écarté, cependant, dans le cas où le fait unique a entraîné des
à une application servile de la loi. Une telle attitude se révéla, à l'expérience, néfaste.
conséquences dommageables diversement qualifiées (par exemple, incapacité de travail
Elle aboutissait, en effet, à figer le droit et conduisait parfois à l'impunité de certains
de différentes durées à l'égard de plusieurs victimes 259.) Il est nécessaire de viser
agissements pourtant répréhensibles. C'est pourquoi, la Cour de cassation a
toutes les qualifications pour permettre à toutes les victimes d'être indemnisées.
progressivement laissé plus de liberté au juge afin de corriger la rigueur abstraite de la
A la différence du cas précédent, une seule valeur sociale a été lésée. Dans
loi.
l'exemple de l'injure, cité plus haut, c'est la même valeur sociale d 'honorabilité des
-- ---
--
(!-e prindpe de légalité interdit au juge de créer une incrimination. Le prindpe de
personnes. Il est dès lors admis de ne retenir en principe qu'une seule qualification,
l'interprétation restrictive le complète en lui interdisant d'ajouter à la loi. Il s'exprime
mais la difficulté apparaît quand il s'agit de préciser quelle qualification retenir. Pour
par un adage: Poenalia sunt restringenda (les pénalités doivent être interprétées
la résoudre, la jurisprudence utilise selon les cas, soit le principe de la plus haute
restrictivement). Longtemps incontesté, ce principe a été attaqué par les partisans de la
expression pénale, soit le prindpe de la spécialité.
libre recherche scientifique, faisant valoir les nécessités de la répression. La
Le prindpe de la plus haute expression pénale consiste pour la juridiction à
jurisprudence a été fortement influencée par ces critiques. Si le domaine d'application
rechercher quelle est la pénalité la plus forte assortissant les infractions (Cf. étude du
du principe demeure inchangé, la portée d 'application a perdu de sa force. Il demeure
cumul réel d'infractions). Par exemple, la peine privative de liberté, qu'elleq~';~ soit l~
que le nouveau code pénal consacre le principe d 'interprétation stricte de la loi pénale
durée, est toujours considérée comme la plus forte . Le principe a pour effet de
(Art. 111-4).
déterminer la juridiction compétente.
Le principe de la spécialité est utilisé lorsque le juge se trouve en présence d'une
A - Domaine d'application
disposition générale et d'une disposition spéciale. Dans ce cas, le juge fait application
de la maxime "specialia generalibus derogant ", que n 'exprime aucun texte, mais que la
La règle de l'interprétation stricte ne s'applique pas indifféremment à toutes les
pratique et le bon sens consacrent depuis longtemps. Si la loi édicte une disposition
lois pénales. Parmi celles-ci, on oppose les lois défavorables au prévenu et celles qui
spéciale, c'est pour déroger à la disposition générale. Par exemple, la violation de
lui sont favorables. Seules les premières sont soumises à l'interprétation stricte, le
domicile commise par un individu quelconque est générale (Art. 226-4 N.C.P.).
principe de légalité reposant sur l'idée de protection des libertés individuelles. Ce sont
celles qui définissent les éléments constitutifs de l'infraction et fixent les peines.
En revanche, les lois favorables (exemple: instaurant des faits justificatifs ou
256
Crim. 19 octobre 1982, B. n° 225.
257
Crim.2S mars 1965, précitée.
258
Crim. 25 février 1921, 5.1923.1.89, note ROUX.
259
Crim. 4 avril 1957, B. nO 323.
des causes de non imputabilité, lois de forme) peuvent être interprétées par le juge
260
Crim. 19 avril 1967, B. n° 126.
�191
192
répressif de manière extensive, sans contredire le prinàpe de légalité. Cependant, cela
2) La méthode de l'interprétation té éo
0
i ue ou déclarative consiste à
n'est pas systématique ; ainsi les lois d'amnistie, favorables au prévenu, sont, d'après
s'attacher, non plus à la lettre du texte mais à son espri Il conviendra au juge de
la jurisprudence, d'application stricte. A l'inverse, les tnbunaux élargissent le domaine
chercher l'intention du législateur, déduite notamment des travaux préparatoires.
des lois favorables, en consacrant, par exemple, l'état de nécessité sur le fondement des
prinàpes généraux du droit.
"L'interprète doit donner à la loi sa capacité maximale d'extension, dans les limites de ce qu'a
voulu le législateur" 265 . Cette méthode est celle qui est généralement appliquée en droit
B - Portée d'application
françals·_
- Les tribunaux se sont toujours reconnu le droit de préciser les éléments
constitutifs d'une infraction (notion de commencement d'exécution dans la tentative :
1
:)
a) Il est certain que, si le texte de loi est obscur, le juge doit s'efforcer d'en
Art.121-5 N.C.P. ; d'outrage public à la pudeur: Art. 222-32 N.C.P., vol de chevaux
dégager le sens. Ainsi, si le texte est douteux, il est permis au juge d'en déterminer la
appliqué au vol d'un cheval (anàen A. 388 c.P.) ou encore de délimiter les contours
véritable portée grâce aux travaux préparatoires, à la tradition historique et à la simple
raison. Cependant, dans sa recherche, il doit être guidé par la maxime "in dubio pro
d'une notion).
- De même les tribunaux s'autorisent à étendre la loi pénale à des hypothèses
reo ", ce qui veut dire que le doute doit profiter à l'accusé. De même, si le texte est
que la loi n'avait pu prévoir pourvu, toutefois, qu'elles rentrent dans la .formule légale.
absurde, il appartient au magistrat de lui restituer son sens véritable. On cite,
C'est à ce propos que l'activité jurisprudentielle est la plus topique. Les tribunaux ont
traditionnellement, ce règlement sur la police des chemins de fer qui interdisait de
appliqué à la soustraction de courant électrique les peines du vol, bien que l'électricité
descendre "ailleurs que dans les gares et lorsque le train est complètement arrêté" .
ne soit pas une chose corporelle 266 ,à la diffamation par voie radiophonique, les
L'interprétation grammaticale conduisait à ordonner de descendre avant l'arrêt total.
dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse 267 , aux bateaux de rivière
C'est ce que soutenait un voyageur, poursuivi pour avoir sauté d'un train en marche.
propulsés par moteur diesel, la réglementation prévue pour les bateaux à vapeur 268 à
Les juges ont repoussé cette interprétation 261. Une solution identique devrait être
la falsification de vins, prévue par des procédés chimiques, celle réalisée par des
adoptée pour l'article 322-1 c.P. qui réprime le fait de faire des graffitis sans
opérations purement physiques 269, le fait d'utiliser les jetons de parcmètres s'analyse
autorisation préalable : "lorsqu'il n'en est résulté qu' un dommage léger". Une
en des manoeuvres frauduleuses constitutives du délit d'escroquerie 270.
Cette méthode rappelle la notion de typicité admise en droit allemand. Un type
interprétation littérale conduirait, en effet, à rendre impunissable les graffitis lorsque le
dommage est grave 262.
.., ( ,.
b) ,C'~st avec
l'a~:liCation
des text.es clairs qu 'entre
légal recèle en lui-même des possibilités d 'extension de son domaine d·application .
p l! le principe de
Mais on est alors très proche du troisième procédé utilisable.
3) La méthode analogique est, en principe, rejetée par le droit français. Elle
~mterpretation stnctL L evolution de la jlmsprudence s'est produite dans le sens d 'un
"consiste à résoudre une espèce pénale non prévue par la loi en se réclamant e son espritiatent
que la loi a défini ou prévu dans son texte" (JIMENEZ DE A5UA) 271 . Les tn unaux
plus grand libéralisme. Le juge peut faire appel à trois méthodes d·interprétation.
- 1) La méthode de l'interprétation littérale consiste à faire appel à la logique
opèrent, cependant, une distinction.
L'analogie in favorem a, toujours, été consacrée puisqu'elle ne peut que profiter à
( abstraite. Là où la loi ne distingue pas, il n'appartient pas au juge de distinguer,
déclare une maxime. Cette méthode, développée en réaction contre l'arbitraire de
l'accusé. Ainsi, l'ancien article 64 sur la démence et la contrainte, qui ne visait que les
l'Anàen Régime, ap'parait dans la première moitié du XIXo siècle. Elle a été, à juste
titre, critiquée, car elle aboutit à figer le droit. D'ailleurs, elle a reçu peu d'applications
265
MERLE et VITU; op. cit. 124.
263 . Tout récemment, la Cour de cassation a cassé un décrêt d'appel qui avait
266
considéré que le tir à l'arc était interdit, motif pris que les décisions administratives ont
267
Crim. 3 août 1912; 5.1913.337.
Trib. Cor. Dunkerque, Il juin 1954, J.CP. 1954.11.8. 229, note CHAVANNE.
toujours visé le tir au moyen d'une arme à feu 264
268
Crim. 1er avril 1965, R.S.C 1966.67 obs. LEGAL.
269
Crim. 26 octobre 1961, J.CP. 1962.11.12 441, note VIVEZ.
270
Crim. 10 décembre 1970, j.CP. 1972.11.17277, note GASSIN.
La Chambre criminelle vient de rappeler : "il n'appartient pas aux juridictions
correctionnelles de prononcer par induction, présomption ou analogie ou par des motifs
d' intérêt général" Crim. 30 novembre 1992, Dr. Pén. 1992, nO45.
261
Crim. 8 mars 1930, D. 1930.1. 101, G.P. 1930.1.663.
262
RAS5AT, Libre propos, op. dt. p. 210.
263
Crim. 11 mars 1831. 5.1831.1147, refus de rectifier la rédaction maladroite d'un texte de loi.
264
Art 124-4 C. rural; Ovil. 5 décembre 1992, Dr. pén. 1993, Comm. n° 67.
271
�193
194
crimes et délits a été appliqué tout naturellement aux contraventions. De même, les
voisin 276 Le nouveau code pénal vise cette hypothèse dans l'article 222-16. La
andens articles 327 et 328 c.P. n'admettant la justification issue de l'ordre de la loi ou
Chambre criminelle, en matière de détournement de correspondance réprime "tous
de la légitime défense qu'en cas d 'homicide ou coups et blessures, ont été étendus à
n'importe quelle infraction. La procédure pénale accueille également largement
agissements malveillants susceptibles de priver même momentanément le destinataire de la
correspondance" 277 alors que l'ancien article 387 CP. ne visait que la suppression ou
l'analogie parce qu'elle assure, entre autres, la protection des libertés individuelles.
l'ouverture de lettres. L'article 226-15 consacre la solution plus large de la Chambre
Ainsi, à l'instar des juridictions administratives, les tribunaux répressifs ont élaboré la
criminelle et vise les moyens modernes de télécommunication.
théorie des droits de la défense.
De même, la Cour de cassation a donné une interprétation large du mot
marchandise pour l'application de la loi de 1905 "Tout objet mobilier" 278.
L'analogie in malam partem a été, en revanche, toujours rejetée avec fermeté par
le droit français. Un exemple fameux nous est fourni par la filouterie d'aliments, qui
De même encore, sont receleurs, ceux qui ont tiré profit du produit 279
consiste à se faire servir un repas sans avoir les moyens de le payer.
En revanche, la détention d'engins incendiaires a été jugée non assimilable à la
La question s'est posée au XIX· siècle de savoir si un tel comportement pouvait
fabrication. Un décret en date du 12 mai 1973 a du être pris pour combler le vide
être réprimé. Les tribunaux s'y sont refusés en l'absence de texte adéquat. L'article 379
c.P. sur le vol n'était pas applicable, car la soustraction frauduleuse de la chose
juridique.
Le développement de l'informatique donne lieu à des difficultés, car nos
d'autrui n'apparaissait pas en l'espèce. il n'était pas davantage possible d'étendre les
incriminations classiques sont mal adaptées à la fraude informatique. Par exemple,
dispositions de l'article 405 c.P. sur l'escroquerie, puisque ce texte exige des
l'appropriation frauduleuse d'un logiciel ou d'informations constitue-t-elle un vol
manoeuvres frauduleuses, ni celles de l'article 408 c.P. relatif à l'abus de confiance, qui
lorsque l'agent n'a pas soustrait le support? On peut en douter car le vol ne porte que
suppose la dissipation ou le d étournement d'une chose remise avec charge de la
sur des biens corporels matériels.
restituer. Pour réprimer de tels agissements, le législateur a dû intervenir (L. du 26
La loi du 5 janvier 1988 a dû créer de nouvelles incriminations : accès frauduleux
juillet 1873). Dans le même esprit, a été réprimée la filouterie de transport (L.31 mars
à un système de traitement automatisé de données; entrave au fonctionnement d'un
1926), d 'hôtel (L. 28 janvier 1937), de carburant (L. 16 juin 1966). Ces diverses
système; introduction de données dans un système; falsification de documents
infractions sont réprimées dans le nouveau code dans un article unique qui les désigne
informatisés (Art. 323-1, 323-2, 323-3 N.CP.).
du terme de filouterie (art. 313-5 N.C.P.). De son côté, la Cour de cassation avait
Une illustration de ces difficultés, que le législateur n'a toujours pas réglé, peut
estimé que le fait de refuser d 'ouvrir le coffre de son véhicule en dehors des
être fournie par l'agent qui, grâce à une carte de crédit, se fait remettre par un
investigations entreprises dans les formes légales, ne tombait sous le coup d'aucun
distributeur automatique de banque une somme supérieure au montant de sa provision.
texte 272. Mais la Chambre criminelle 273 a décidé le contraire.
La Cour de cassation a considéré que ce procédé n'était ni un vol, ni une escroquerie, ni
un abus de confiance, 280. De même, la Cour de Paris estime que la qualification de vol
~ Cependant, il faut reconnaître que la ligne de partage entre l'interprétation
t~ogique
et le raisonnement par analogie n'est pas toujours aisée. Certaines
ne pouvait être appliquée à l' usage d ' un décodeur pirate destiné à capter
juridictions ont assimilé à des situations limitativement prévues par des textes des
frauduleusement des émissions de télévision, celles-d ne constituaient pas une chose au
sens des texte réprimant le vol 281. Le vide juridique a été comblé par la loi du 10 juillet
situations identiques. Ainsi, la loi du 5 août 1899 prévoyant l'usurpation d'identité a
1987 incriminant spécifiquement la captation frauduleuse d'émissions télévisées 282.
été étendue à l'usurpation d 'un numéro minéralogique d'automobile 274. Puis, la Cour
de cassation, le 3 janvier 1969, a appliqué le délit de violences et voies de fait à des
appels téléphoniques répétés 275, et celui de coups et blessures volontaires à celui qui
frappait au plafond toutes les nuits, déterminant une affection nerveuse chez le
272
Crim. 23 juin 1964, D. 1964578.
273
Crim. 8 novembre 1979, J.CP. 1980-11-19337, note OAVIN.
274
Crim. 17 juin 1911, 5.1912. 1. 65; 29 mai 1940, B. 32.
275
G.P. 1969.1249.
276
22 octobre 1936, O. 37.38.
277
Crim. 9 février 1965, B. n° 39.
278
Crim. 22 juin 1977, B. nO232.
279
Crim. 24 août 1981, J.c.P. 1982-19801, note ALLIX.
280
Crim. 24 novembre 1983,0 . 1984-465.
281
24 juin 1987, G. P. 1987-2-512, note MARCH.
282
1-30 septembre 1986.
�195
Enfin le "vol de temps machine" ou utilisation d'un ordinateur par un employé
indélicat peut-il être réprimé, et sur le fondement de quel texte? 283.
Les multimédias (Internet) ne pourront que soulever ce genre de problèmes dans
l'avenir.
LECTURES
P. SERLOOTEN, Les qualifications multiples, RS.C. 1973-45.
283
R. GASSIN, Les définitions dans les textes en matière pénale, Droit prospectif, PUAM
1020.
1987, p.
�197
On ne trouve pas dans le code pénal de définition générale de l'infraction, mais
seulement des définitions particulières à propos de telle ou telle infraction retenue par
le code. On peut toutefois préciser la notion, en disant que l'infraction est la violation
d'un fait prévu et défini par la loi et assorti d'une peine.
)(' Cette définition permet de distinguer l'infraction de notions voisines.
D'abord, elle permet de différencier l'infraction de la déviance. Celle-ci est une
notion criminologique beaucoup plus compréhensive de l'infraction, dans la mesure où
elle vise aussi des comportements non incriminés par la loi pénale. Le phénomène
déviant avait été déjà souligné par le français Joly à la fin du XIX· siècle, mais ce sont
les criminologues américains qui ont mis en évidence la déviance dans le monde des
affaires. Certains auteurs élargissent encore le champ de la déviance en y incluant
l'inadaptation sociale dans les domaines familial, scolaire, professionnel (Cohen).
" Ensuite, il faut rappeler que l'infraction se distingue également de la faute civile
et de la faute disciplinaire, même si parfois elle se superpose à elles.
Le délit civil, oblige son auteur à la réparation dès qu'il y a un fait dommageable,
même si aucun texte n' a pas vu spécialement ce fait (art. 1382 c.c.).
Le délit disciplinaire, établi par des organismes professionnels sanctionne
également un manquement professionnel (exercice illégal de la médecine) sans
pour autant se confondre avec le délit pénal.
Il est coutume de soutenir que l'infraction se compose de trois éléments : l'élément
légal, l'él ' ment matériel, l'élément moral, auxquels certains auteurs modernes ont ajouté
G<..(
,(fo. f, -~
l'élément injuste 284. Cette distinction est le fruit d'une élaboration doctrinale qui
remonte au XIX· siècle et qui, à l'heure actuelle n'est pas prête de s'achever 285. Il
importe de préciser le contenu de chacun de ses éléments.
L'élément légal, tout d'abord, signifie que l'infraction doit être nécessairement
prévue et réprimée par la loi. Certains auteurs contemporains considèrent que la loi est
un agent de la répression plus qu'une composante de l' infraction. La loi crée
l'infraction, mais n' en fait pas partie. M. Decocq estime que l'appellation d' élément
légal "implique que la loi est partie de /'infraction, proposition inadmissible, car une norme ne
284
On rappellera toutefois que la doctrine positiviste avait proposé la suppression des éléments
constitutifs en les remplaçant par le concept d'état dangereux.
285
J. H. ROBERT, L'histoire des éléments de l'infraction, R.S.c. 1977-269.
�199
198
rattacher l'étude de l'élément moral au délinquant. Comme l'écrit M. Jeandidier, "la
peut s'intégrer à un fait , au surplus illicite" 286. " Le prétendu élément légal n'est autre qu' une
condition d'existence de l'infraction, un préalable indispensable", écrit M. Jeandidier 287.
)<1 On retrouve cette distinction entre élément et conditions en droit pénal spécial.
La condition préalable définit le domaine dans lequel l'infraction peut se commettre.
faute qui est un état d'esprit particulier paraît certainement plus proche de l'homme que de
l'acte. Sans doute l'activité n'est-elle délictueuse que si elle est fautive, seulement la volonté
dont elle procède et qui lui confère ce caractère émane de l'homme pour rejaillir sur l'acte" 289
Elle précède l'activité délictueuse. Les éléments spédaux constituent les différentes
C'est la conception que Merle et Vitu ont adopté, nous l'avons dit, dans leur traité 290.
parties de la conduite incriminée. L'exemple classique était celui de l'abus de confiance
Reste donc à envisager l'élément matériel ou ce que certains auteurs appellent
qui supposait la violation de certains contrats limitativement énumérés par l'article 408
de l'ancien code pénal. De même, la dédsion de justice statuant sur la garde d'enfant
l'acte infractionnel.
Une infraction n'est constituée que si elle se traduit par un acte extérieur. ROUX
constituait une condition préalable du délit de non représentation d'enfant prévu par
exprime cette condition en qualifiant l'infraction "une manifestation fautive d'une volonté
l'ancien article 227-5 N.C.P .. Le nouveau code ne semble pas devoir remettre en cause
agissant contre le Droit ". Les juristes définissent cet acte extérieur sous le terme
cette distinction 288.
d'élément matériel. Cest le Droit pénal classiq4e qui a posé cette exigence qui s'appuie
Ces arguments nous semblent suffisamment convaincants pour écarter l'élément
sur une double série de raisons. Raisons politiques, tout d'abord, fondées sur le respect
arme. pénale qui est le
de la liberté individuelle: les pensées intimes sont difficiles à connaître, à moins
légal comme composante de l'infraction. L'élément lé al es
d'avoir recours à des procédés d'inquisition intolérables, et d 'autre part, elles ne
fondement de la ré ression. C'est pourquoi nous avons jugé préférable de l'étudier
troublent apparemment pas l'ordre sodal. Raisons psychologiques, en second lieu: la
dans une première partie.
promesse de l'impunité constitue un moyen de dissuasion efficace qui, si elle n'existait
L'élément injuste proposé par M. Garraud, sous l'influence de la doctrine
pas, engagerait peut-être l'agent à concrétiser ses velléités criminelles. Rien n'établit au
allemande, consiste dans l'absence de fait justificatif. L'absence de tel ou tel fait
reste, de façon formelle, ce que les criminologues appellent "le passage à l'acte". Le
justificatif se ramène à la commission de l'infraction, telle qu'elle est définie par la loi.
On a pu dire que l' élément injuste apparaît comme un "mythe" (Decocq) et "brille par
risque d'erreurs judiciaires n'est pas mince (Ch. II).
Au surplus, certaines circonstances exceptionnelles peuvent entraîner la
son inutilité" Ueandidier). Nous partageons ce dernier point.
disparition de l'infraction. Il conviendra d' en étudier les principales (Ch. III).
Mais au préalable, il importe d 'évoquer les classifications de l' infraction dont le
L'élément moral, en revanche, pose problème. Il exige de la part de l'agent, une
droit contemporain a profondément élargi la gamme (Ch. 1).
volonté libre et consciente. C'est la raison pour laquelle certains auteurs contemporains
considèrent qu'il intéresse, non les faits, mais le délinquant qui les a commis et qu'à ce
titre, il doit être inclus dans le concept de responsabilité (Merle et Vi tu). Mais d'autres
auteurs, tout aussi éminents estiment que le contenu de l' élément m oral précise la
nature juridique de l'infraction et qu'à ce titre, doit en faire partie. Au surplus dans la
mesure où la responsabilité des personnes morales est consacrée, on a soulevé la
difficulté d'attribuer l'élément moral à son titulaire. On comprend dès lors qu'un fort
courant doctrinal continue à considérer l'élément moral comme une composante de
l'infraction. C'est la position que nous avions jusqu'alors adoptée. Toutefois
l'expérience nous a démontré que, si la théorie classique présente des avantages
indéniables, -ainsi le dément impuni reste l'auteur d'une infraction- elle aboutit à un
éclatement de l'élément moral dont la consistance varie selon les au teurs. Pour des
raisons toutes aussi pratiques que théoriques, il nous apparaît finalement préférable de
286
DECOCQ Droit pénal général 1971, p. 6l.
287
w. JEANDIDIER, Droit pénal général, p. 199.
288
d . cirrulaire d'application p. 15 et PRADEL, Chron. D. 1993, note 103.
289
op. cit. p. 20l.
290
op. cit. p.
�200
CHAPITRE 1 - LES CLASSIFICATIONS DE L'INFRACTION
SECTION 1 - CLASSIFICATIONS
TRADITIONNELLES
Elles sont multiples, mais deux sont fondamentales, l'une déterminée par la
gravité de l'infraction, l'autre par la nature de celle-ci.
§ 1 - CLASSIFICATION D'APRÈS LA GRAVITÉ
C'est la distinction fondamentale en crimes, délits, contraventions. L'article 1 du
Code pénal de 1810 disposait en effet que : "L'infraction que les lois punissent de peines
de police est une contravention. L'infraction que les lois punissent de peines correctionnelles est
un délit. L'infraction que les lois punissent d'une peine afflictive ou infamante est un crime".
Le Code pénal opérait ainsi une classification tripartite des infractions, fondée sur leur
gravité respective.
Cette classification est capitale, car elle commande à la fois, le droit pénal et la
procédure pénale.
Elle n'est pas la seule possible. il faut évoquer la distinction propos élU'ar la loi
du 2 février 1981 opposant les infractions de violence et les infractions de droit
commun, distinction abrogée par la loi du 10 juin 1983. D'autre part, l'avant-projet de
Code pénal de 1983 a~oposé une autre distinction opposant les crimes et délits
définis comme l'atteinte aux valeurs essentielles de la société et les contraventions
constituant de simples atteintes à l'organisation de la vie sociale (A. 1).
Finalement, le nouveau Code pénal a maintenu la distinction tripartite, en ce qui
concerne les personnes physique, dans une formulation plus laconique: "Les infractions
pénales sont classées suivant leur gravité, en crimes, délits et contraventions"
(art. 111-1). La
durée de la réclusion criminelle temporaire est portée à 15 ans, celle de
l'emprisonnement correctionnel est également portée à 10 ans, la peine d'amende
contraventionnelle de Sème classe est fixée à 10 000 F.
Ce critère de gravité comporte des intérêts pratiques importants, mais la
distinction du Code pénal, apparemment simple, ne l'est pas toujours.
�201
202
A - Intérêts pratiques
La procédure de jugement Très simplifiée en matière contraventionnelle, elle est
plus élaborée en matière correctionnelle et très formaliste en matière criminelle.
ils sont nombreux. il est possible de les regrouper autour de la procédure pénale
et du droit pénal.
L'examen de personnalité, enfin, traduit la dernière différence. il est obligatoire
pour les crimes, facultatif pour les délits, et n'est pas prévu pour les contraventions.
1°) A l'égard de la procédure pénale
2°) A l'égard du fond du droit
Les intérêts de la distinction concernent trois points essentiels.
Id encore, les intérêts de la distinction sont multiples.
al Compétence
Aux trois sortes d 'infractions correspondent trois catégories de juridictions
Prescription de
~pe9 C'est
peut plus être exécutée.
le délai au-delà duquel la peine
pro~o~cée ne
est également variable: vingt ans pour les pernes cnmrnelles,
cinq ans pour les peines correctionnelles, deux ans pour les peines de police.
appelées à en connaître: les contraventions relèvent des tribunaux de police (juge
Sources de l'incrimination. Jusqu'en 1958, il Y avait unité de sources. Les crimes,
unique) ; les délits, des tribunaux correctionnels (trois magistrats) ; sauf exception,
délits, et contraventions relevaient tous de la loi. La Constitution de 1958 a consacré
pour certaines infractions (circulation routière, coordination des transports, etc ...) ; Les
une dualité de sources, source législative pour les crimes et délits, source réglementaire
crimes, des Cours d 'assises (juridictions mix tes composées de trois magistrats
pour les contraventions.
professionnels et de neuf particuliers appelés jurés).
hl Prescriptiol! fk ['qction publique
Régime juridique général. il fait apparaître, également, des différences
notables. La tentative, toujours punissable en matière criminelle, l'est parfois en matière
correctionnelle, ne l'est jamais en matière contraventionnelle. La complicité, toujours
La prescription est une mesure d 'oubli. C'est le délai au-delà duquel une
punissable en matière criminelle et correctionnellf' l ' e~ 'parfois en matière
infraction ne peut plus être poursuivie: dix ans pour les crimes, trois ans pour les
contraventionnelle (art. R 610-2). LE(rion-cumul d 'infractio s ~applicable en matière
délits, un an pour les contraventions.
criminelle et correctionnelle, ne l'est pas en matière contraventionnelle, sauf pour les
cl Instruction préparatoire
- En matière criminelle, la procédure comporte deux phases,
l'une d 'instruction devant le juge d'instruction, puis la Chambre d'accusation, l'autre
devant la juridiction de jugement, qui statue sur la culpabilité et sur la peine. C'est dire
les garanties dont on s'entoure pour assurer la protection des personnes mises en
examen.
- En matière délictuelle, en revanche, l'instruction préalable est
facultative car le prévenu peut être traduit d irectement devant la juridiction de
contraventions de cinquième classe.
9
B - Critère de distinction
Apparemment simple, dans son application, le principe posé soulève des
difficultés d'application.
1°) Principe de la distinction
C'est par la peine applicable que l'on reconnaît la gravité de l'infraction. La peine
de police consiste dans une amende de 250 F. à 10 000 F. La peine correctionnelle
jugement, généralement par voie de citation directe et, si elle a lieu, elle ne présente
qu'un seul degré.
consiste dans un emprisonnement pouvant aller jusqu'à 10 ans et une amende à partir
- En matière contraventionnelle, enfin, avant 1958, aucune
exemple, le vol, défini par l'article 311-1 du Code pénal est sanctionné d ' une peine
instruction n'était ouverte. Depuis cette date, le Code de procédure pénale offre la
d'emprisonnement d' une durée variable selon les circonstances de sa réalisation par
possibilité au Ministère public de faire ouvrir une informa tion, en fait seulement pour
l' article 311-3 à 10 CP ..
Cette distinction a suscité, depuis le XIXème siècle, de vives critiques. D'un point
les contraventions les plus glaves, dites de cinquième classe.
il faut ajouter deux points importants :
de 25 000 F. La peine criminelle consiste dans la réclusion à perpétuité ou à temps. Par
de vue scientifique, on a fait remarquer que la mesure de la sanction pénale doit
dépendre non de la gravité objective de l'acte, mais de la personnalité du délinquant:
�203
204
celui qui a tué par passion n'est pas obligatoirement plus dangereux que le petit
récidiviste.
'"
D'un point de vue pratique, on souligne la facilité avec laquelle une infraction
tribunaux correctionnels), simplification des procédures, désencombrement de certaines
juridictions.
passe, en raison de telle ou telle circonstance aggravante, de la catégorie des délits
Correctionnalisation judiciaire.
dans celle des crimes ; le vol, délit correctionnel (Art. 311 C. P.), s'il est accompagné de
Elle doit être comprise dans un sens large. Elle consiste pour les tribunaux à faire
certaines drconstances aggravantes, devient un crime (Art. 311-7 et 8 C. P.).
tomber au rang des délits correctionnels, des crimes, ou au rang des contraventions, des
C'est pourquoi, on a proposé, depuis longtemps, de substituer à cette division
délits. Au point de vue technique, la correctionnalisation s'opère de diverses manières,
tripartite une division bipartite, fondée sur l'intention du délinquant, sa perversité
notamment en "oubliant" une circonstance aggravante, qui ferait passer l'infraction de
criminelle."'L'École néo-dassique avait distingué les délits fondés sur l'intention
la catégorie des délits dans celle des crimes. Il est certain qu'un tel procédé est
criminelle de ragent et les contraventions exclusives de toute intention criminelle. Cette
parfaitement illégal. Ignorer que le vol s'est commis la nuit, circonstance aggravante,
distinction avait été appliquée par plusieurs législations étrangères (Code pénal
c'est nier une évidence. Cependant, cette pratique a été encouragée par des drculaires
suédois de 1864, danois de 1886, hollandais de 1881, italien de 1889, norvégien de
~s,
1902, italien de 1930). Elle paraît plus confonne aux enseignements de la criminologie,
procédure plus rapide, de moindres frais, une répression accrue. Mais son inconvénient
mais le législateudran ais s'y est toujours refusé, car elle remettrait en cause la division
est de compromettre les intérêts du délinquant et, à ce titre seul, elle est condamnable.
et consacrée par le législateur belge. Son avantage est d'offrir une
tri artite des juridictions.. l1 faut reconnaître, cependant, que cette division, simple en
§ 2 - CLASSIFICATIONS D'APRÈS LA NATURE
apparence, n'est pas sans soulever de sérieuses difficultés d 'application,
~
Dans le nouveau code pénal, la peine privative de liberté de 10 ans peut être,
selon le cas, de nature criminelle ou correctionnelle.
Si un crime est nonnalement passible de 15 ans de réclusion, le juge a la
,.J
possibilité de prononcer 10 ans d'emprisonnement.
~
~
(
_9
Aux infractions de droit commun, on oppose traditionnellement les infractions
~olitiques et les infractions militaires. C'est qu'en effet, la criminalité de droit commun
-
-
ne connaît pas le même recrutement que la criminalité politique et militaire. Certes, une
Si le nouveau code pénal a supprimé les excuses absolutoires et atténuantes, il en
atteinte à l'ordre politique et sodal est portée par les auteurs d'infractions politiques ou
a conservé le mécanisme par la notion de cause légale d'exemption ou de diminution.
militaires. Mais, il convient de ne pas s'attacher à la gravité objective de l'acte pour
'" Le problème reste entier de savoir quelle est l'incidence de cette circonstance sur la
tenir compte des données sociologiques. Les auteurs des infractions politiques ou
1
nature punitive de la peine. Faut-il s'attacher à la criminalité objective de l'infraction
militaires sont souvent animés de mobiles élevés. On les a qualifiés "d'aristocrates de la
1
ou celle-ci change-t-elle de nature du fait de la minoration de peine.
délinquance". C'est pourquoi, de nombreuses législations prévoient un régime particulier
Dans le passé, la jurisprudence était partagée sur cette incidence : la rédaction
à leur profit. Mais, à leur tour, les infractions politiques et les infractions militaires
nouvelle adoptée par le législateur semble indiquer qu'il considère que la nature initiale
diffèrent entre elles par certains côtés. 11 convient donc de comparer successivement les
de l'infraction est modifiée du fait du recours à ce nouveau concept.
deux types d'infractions avec les infractions de droit commun.
2°) Altérations de la distinction
-
1°) Distinction des infractions militaires et des infractions
de droit commun
il arrive que la classification du Code pénal soit affectée et par le législateur et
par les tribunaux.
Les infractions militaires sont des manquements à la discipline des années dont
Déclassement législatif.
la gravité s'explique par le fait qu'elles ne concernent pas seulement la sodété restreinte
il consiste à changer la nature primitive d 'une infraction en transfonnant un crime
dont le militaire fait partie, mais le sort même de l' État. Avant d'étudier les intérêts de
en délit: correctionnalisation, ou un délit en contravention: contraventionnalisation. Le
la distinction des infractions militaires et des infractions de droit commun, il
procédé obéit à des impératifs di vers: soud d'une répression plus efficace (exemple :
conviendra de préciser le critère des premières.
avortement, infanticide correctionnalisé, en raison de la plus grande sévérité des
�205
ru Critère k
206
l'infraction
militaire
,
2°) Distinction des infractions politiques
La difficulté tient au fait que le militaire est un homme comme les autres qui peut
et des infractions de droit commun
être amené à commettre, à côté d'infractions relevant de la vie militaire, d'autres
L'infraction politique est très ancienne, mais l'idée de soumettre le délinquant
infractions (meurtre, attentat à la pudeur) étrangères à son état.
Le Code de justice militaire a fait l'objet, ces dernières années, de nombreux
politique à un régime de faveur est toute récente. Sous l'Ancien Régime, l'État
remaniements: La dernière loi en date est celle du 21 juillet 1982. On peut distinguer
s'identifiait avec le Roi. Aussi les crimes politiques étaient-ils considérés comme des
deux sortes d'infractions. D'abord, l'infraction purement militaire, qui est
crimes de lèse-majesté et sévèrement réprimés. La Révolution française fut aussi sévère
inconcevable en dehors de la vie militaire (insoumission, désertion, infraction contre
et le Code pénal de 1810, tout ~.n
~uchant
une distinction entre les peines politiques
et les peines de droit commun, maintenait la mort et la surveillance de haute police. il
l'honneur ou la discipline, ex. : capitulation, complot militaire, insubordination, etc. .. ).
faudra attendre la Monarchie de Juillet pour que le statut de délinquant politique soit
Ensuite, les infractions de droit commun commises par un militaire (outrage commis
envisagé avec une certaine bienveillance. La loi du 28 avril 1832 rée une échelle des
dans la caserne ou même à l'extérieur de celle-ci), puisque, depuis la loi de 1982 les
peines, spécifique aux infractions politiques : mort,
juridictions de droit commun spéàalisées en matière militaire sont compétentes pour
eportation, bannissement,
dégradation civique. La Constitution de 1848 supprime la mort. Deux séries de raisons
juger, non seulement les délits militaires, mais aussi les délits de droit commun commis
expliquent cette évolution.
dans l'exécution du service par les militaires (A. 61 à 63 du Code de justice militaire).
- Raisons politiques : Les idées libérales flottent dans l'air (GUlZOT,
r
hl Intérêts k 11l distinction
LAMARTINE) et les changements de régime révèlent la relativité de la notion
d 'infraction politique : "Les conspirateurs vaincus sont des brigands; vidorieux, ils sont des
- En droit international, l'auteur d'une infraction militaire n'est pas soumis à
héros" (BALZAC).
l'extradition, sauf s'il s'agit d'un marin déserteur ou d'une infraction punie par la loi
- Raisons criminologiques : les positivistes soulignent l'absence de perversité
française comme infraction de droit commun (Art. 4, Loi du 10 mars 1927).
criminelle du délinquant politique, et les mobiles élevés qui l'animent.
- En droit interne, la loi de 1982 a modifié le régime de l'instruction et du
Pourtant on assiste en France, depuis la fin du XIXème siècle, à un rétréciss
jugement. En temps de paix, les délits militaires sont de la compétence des juridictions
spécialisées en matière militaire (Art. 697 CP.P.), sauf pour les gendarmes pour les
délits commis dans l'exercice de leurs fonctions politico-administratives ou judiciaires
qui sont du ressort des juridictions de droit commun. Les crimes sont déférés à une
Cour d'assises spéciale (un président et six assesseurs, magistrats professionnels, Art.
697-1 CP.P.J.
En temps de guerre, les juridictions des forces armées sont compétentes (Art.
701 CP.P.). Toutefois, en cas d 'urgence, le Procureur de la République et le Juge
d 'instruction peuvent agir sauf à se dessaisir dès que l'urgence a cessé.
La procédure est pratiquement celle du droit commun. Le contentieux est
progressif de l'infraction politique. Les menées anarchistes..so.nt sanctionnées de eines
)("
J de droit commun; les délits de presse relèvent de la compétence des tribunaux
correctionnels; les crimes contre la sûreté de l' Etat sont traités comme des infractions
de droit commun, l'extradition et la mort sont écartées en la matière. Plus près de nous,
( le terrorisme est devenu une infraction de droit commun.
De leur côté, les pays totalitaires considèrent l'infraction politique comme étant
la plus grave, car contraire à la conscience révolutionnaire. Malgré les vicissitudes de
l'infraction politique, cellKi se différencie sur bien des points de l'infraction de droit
commun. il conviendra de préciser les intérêts dela distinction pour rechercher, ensuite,
le critère de l'infraction politique à travers les méandres de la jurisprudence.
relativement réduit. il n'en va pas de même pour les infractions politiques.
Quant aux règles de fond, on signalera qu'il existe, à côté des peines de droit
)4
ru Intérêts tk 11l distitlction
commun, des peines spécifiquement militaires, telles que, la destitution et la perte de
ils sont considérables, aussi bien en droit pénal international qu 'en droit pénal
grade. D'autre part, le protocole nO 6 de la Convention européenne des droits de
l' homme, concernant l'abolition de la peine de mort autorise les Etats à prévoir cette
interne.
En droit pénal international, les délin uants Eolitiques bénéficient d 'un régime
peine "pour des ades commis en temps de guerre ou de danger imminent de guerre", formule
de faveur. En effet, ils ne sont
qui recouvre principalement les infractions militaires.
délinquants de droit commun que les États s engagent, pa convention réciproques, à
--
----
as soumis à l'extraniflO
à la différence des
livrer\ Les jugements étrangers sont sans incidence sur leur état, ce qui ne veut pas dire
~
.'
�207
208
que tout délinquant politique doive bénéfiàer du droit d'asile. Seuls ceux "persécutés en
raison de leur action en faveur de la liberté" (préambule de la Constitution) peuvent
aspirer à cette protection.
~
En droit pénal interne, les intérêts, quoique moins notables, sont nombreux.
Au IÙveau de l'incrimination, on relève u n particularisme qui vise notamment les
infractions contre la Nation, l'État et la Paix publique. Celles-à sont de la compétence,
en temps de guerre, des juridictions des forces armées et, en temps de paix, des
juridictions de droit commun.
fonctionnement d'un État déterminé, mais à l'organisation sociale elle-même,
indépendamment de la forme politique des États. Entrent dans cette catégorie les
menées anarchistes, le terrorisme. Compte tenu des atteintes portées, le législateur ou la
jurisprudence ont tendance à les assimiler à des infractions de droit commun.
- En second lieu, la difficulté de trouver un critère résulte de l'absence de
'"
définition légale.
Le législateur, lorsqu'il en avait l'occasion (L. du 27 mars 1927 sur
l'extradition par exemple), s'est bien gardé de proposer une définition. On pourrait
Au IÙveau de la répression, :réchelle des peines est spécifique en matière
c~lleJ {détention à perpétuité, détention à temps, bannissemen~, dé~radatio.n
civique). Le nouveau code pénal maintient les deux formes de detentton, malS
supprime le bannissement et la dégradation civique. Le régime d'exécution est, tantôt
plus libéral, tantôt plus strict (isolement).
Cependant, elles en diffèrent parce qu'elles visent à porter atteinte, non pas au
En~n,
les
~nséquences
attachées aux
condamnations sont moins rigoureuses que celles applicables aux condamnations de
-
droit commun (absence de contrainte par corps et d'interdiction professionnelle,
songer à se référer à la nature de la peine. Mais, en matière correctionnelle, il n'y a pas
de spécificité des peines politiques et, en matière criminelle, on constate que des crimes
contre la sûreté de l' État sont frappés de peines de droit commun. De même, on ne
saurait non plus s'attacher à la compétence juridictionnelle car le jugement des crimes
et délits contre la sûreté de l' État est confié en temps de guerre aux juridictions des
forces armées et en temps de paix, aux juridictions de droit commun. La confusion est
accrue par les contradictions du droit interne et du droit international en ce domaine.
aucune entrave à l'application du sursis).
Ces diverses raisons expliquent les incertitudes de la jurisprudence.
hl Critère fk la distinction
fl La jurisprudence
il s'avère très malaisé de distinguer l'infraction politique de l'infraction de droit
commun. C'est, sans doute, l'une des questions les plus épineuses du droit pénal que
L'analyse faite par les tribunaux n'est pas la même selon que l'on se situe SUT le
. al .
plan interne ou sur le plan internatlOn
- Tout d 'abord, les infractions commises en matière politique revêtent un
caractère multiforme.
il existe des infractions politiques par nature, par exemple les atteintes aux
intérêts fondamentaux de la Nation(Art. 410-1 N.CP.), les attroupements (Art. 431-3
N .CP.), les infrê.ctions à la liberté de la presse (L. du 29 juillet 1881), au Code
électoral, etc .. . Le caractère politique de ces infractions n'a jamais été contesté, quel que
soit le mobile qui a guidé l'agent
En revanche, d'autres infractions ont une nature discutée ; ce sont les infractions
complexes, les infractions connexes et les infractions sociales.
Les infractions dites complexes sont des infractions de droit commun commises
----
-t
\",J
çtJ.)
'--, ,1I.e"
-,.
\1'''
,7 OIJt
les tribunaux ne sont pas encore parvenus à résoudre. Les raisons de la difficulté sont
doubles.
\.. \
1) En droit interne
f
/
La prépondérance du système objectif est manifeste. Sera politique toute
infraction qui a pOUT objet l'organisation ou le fonctionnement de la vie politique. Dans
cette perspective :
- Sont politiques sans discussion:
· Les atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation (trahison, complot,
espionnage, Art. 410-1 à 413-12 N.CP.).
· Les attroupements sur la voie publique ou dans des lieux publics (Art. 431-3
N .CP.). Ainsi la contrainte par corps est inapplicable.
· Les crimes ou délits commis dans l'exercice d'une liberté publique (presse,
réuIÙon, association, culte, travail, enseignement, Art. 431-1 N.CP.).
sous l'influence d 'un mobile politique (exemple, vol pour un mouvement politique).
Les infractions connexes sont des infractions de droit commun, mais commises
_ Soulèvent des difficultés, deux types d'infractions
à l'occasion d 'événements politiques se rattachant par un lien de causalité à une
Les infractions complexes et les infractions connexes. En ce qui concerne les
infraction politique (exemple, le pillage d 'une armurerie au cours d'une émeute
infractions complexes qui lèsent un intérêt privé, mais sont commises dans un but
politique).
politique, la jurisprudence est partagée. Le critère objectif est retenu, depuis longtemps,
Les infractions sociales rappellent les infractions politiques pures en ce que leurs
auteurs poursuivent un but d 'intérêt collectif, manifestent des buts désintéressés.
�209
210
)
1
(b
J p"'!
pour le meurtre d'un chef d'État 291, pour les coups et blessures commis sur des agents
,. 2) En droit international
de la force publique 292.
Le problème se pose ici en des termes différents parce que l'ordre public français
En revanche, le critère subjectif a été consacré à l'occasion de dégradations de
n'a pas été troublé lorsque la France fait l'objet d'une demande d'extradition. Elle peut
monuments 293, (inscription effectuée sur un pont, déclarée "par son libellé objectivement
donc se montrer plus libérale pour apprécier l'infraction. Comme nous le verrons plus
politique" conduisant la Chambre criminelle à admettre que le "délit devait dès lors être
assimilé, en ce qui concerne la contrainte par corps, à une infraction politique"). Dans cette
loin, la procédure d'extradition se développe devant une juridiction spécialisée, la
Chambre d'accusation. Celle-ci ne rend qu'un avis. S'il est défavorable, il lie le
affaire, la preuve du mobile était en quelque sorte déduite du contenu même de
gouvernement, qui ne peut procéder à extradition. En revanche, si l'avis est favorable,
l'inscription.
le gouvernement conserve sa liberté, soit se conformer à l'avis en procédant à
Cependant, dans des espèces presque identiques, la Cour de cassation est
l'extradition, soit à l'inverse, se refuser à l'extradition.
revenue à la conception objective 294, (fraude fiscale commise par un enseignant
Le droit français a connu, en ce domaine, une évolution remarquable. il révèle le
refusant d'acquitter ses impôts).
"caractère ondoyant de la matière".
Les infractions connexes qui sont, de leur côté, des infractions de droit commun
\ • Jusqu'en 1978 la conception subjective triomphait
se rattachant par un lien de causalité à une infraction politique, se voient appliquer le
Ainsi, à propos d'infractions complexes, la Cour de Paris avait estimé que la ·
critère objectif>, La solution est ancienne 295. Sans doute, un arrêt plus récent avait
participation à un hold'up, dirigé contre la Banque Nationale Portugaise et commis par
déclaré la contrainte par corps inapplicable aux condamnations pour tentative
un mouvement révolutionnaire dont l'intéressé faisait partie, constituait un délit
d 'assassinat et association de malfaiteurs connexes à un crime d'atteinte à la sûreté
politique 298 de même que des attentats à la bombe réalisés par un séparatiste bernois
extérieure de l'État "ces infractions présentant dans leur ensemble un caractère politique" 296
299 . Dans ces deux espèces, la référence au mobile ayant animé l'agent a été
Mais cette solution d 'indulgence doit étre replacée dans son contexte: la "paix des
déterminante pour refuser l'extradition demandée.
Une solution identique était adoptée à l'égard de l'infraction connexe_assimilée à
braves" proclamée, à l'époque, par le Général de GAULLE.
' Enfin la jurisprudence considère depuis longtemps le terrorisme comme une
un délit politique, à la condition qu'elle ne constitue pas des actes de "barbarie odieuse
infraction de droit commun 297. De son côté, le législateur par la loi du 9 septembre
ou de vandalisme défendus suivant les lois de la guerre"
1986 unit les deux critères subjectif et objectif en définissant le terrorisme comme
(Art. 5-2, al. 2, L. du 10 mars
1927, a contrario).
l'accomplissement d'un certain nombre d'infractions de droit commun énumérées par
Cette attitude exprimait la vocation de la France en tant que terre d 'asile.
l'article 706-16 du Code de procédure pénale lorsqu'elles "sont en relation avec une
Justifiable dans un contexte de relative paix sociale, elle apparaissait de plus en plus
entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement /' ordre public par
contestable devant la montée de l'euro-terrorisme. C'est la raison pOUI laquelle les
l'intimidation ou la terreur ".
tribunaux ont cru devoir remettre en honneUI une conception objective de l'infraction
Le nouveau code pénal reprend cette c!éfinition et cette énumération dans l'article
politique.
421-1.
• A partir de 1978, en effet, la conception objective a été adoptée
Cette analyse se retrouve-t-elle en droit international ?
par les. tribunaux d'abord, par la pratique gouvernementale, ensuite.
_ La jurisprudence a ressuscité deux notions juridiques bien
291
Crim. 20 août 1932, D. P. 1932-121, GORGULOFF.
292
Crim. 12 mars 1969, B. nO116.
connues, celle de d élit sodal et ceUe de crime grave.
. Le délit social est celui qui , visant à ébranler
293
Crim. 28 septembre 1970, D. 1971-3.
l'organisation sociale, doit être considéré, quels que soient les mobiles de son auteur,
294
Crim. 4 février 1971 , j.c.P. 1972-Il- 17272, note KOERING-jOUUN ; 23 févri er 1973 B. nO. 74,
D. 1973-333, note LITrMANN ; 15 novembre 1983, D. 1984, I.R. 227 obs. ROUjOU DE BOUBEE'
Crim. 19 mai 1983, B. nO150.
'
'
somme un délit de droit commun. C'est SUI le fondement de cette notion qu 'à la fin du
295
Crim. 9 mars 1849, S. 1849, 1-207, affaire du général BREHAT.
296
Crim. 18 novembre 1959, j.c.P. 1960-11-11475, note LEGAL.
297
Crirn. 3 mars 1960, B. nO138.
XlXème siècle, l'extradition avait été accordée pOUI les auteurs d'attentats anarchistes.
298
Paris, 14 décembre 1967, Inado da PALMA, J.c.P. 1968-H-15387.
299
Paris 3 juillet 1967, HENNIN, J.c.P. 1967-11-15274.
�211
212
C'est à cette notion que s'est référée la Cour de Paris pour autoriser l'extradition de
décisions, tout en reconnaissant que les faits reprochés aux intéressés le sont en tant
GABOR WINTER, militant du Secours noir de Nuremberg, organisation de soutien aux
que membres de l'organisation politico-militaire basque E.T.A. ont estimé que dans
détenus politiques de la gauche allemande (20 décembre 1978, inédit) ...
chaque cas "il s'agit d'une infraction de droit commun par sa nature et qu'eu égard à son
. Le crime grave est celui auquel son caractère atroce
extrême gravité intrins?gue, cette infraction ne peut être considérée comme ayant un caractère
politique ~ comme tlant connexe à un délit politique et ce quel que soit celui qui a pu inspirer
son auteur ou le contexte dans lequel elle a pu s'inspirer". La seule réserve apportée par les
retire toute justification politique. Ce critère a été retenu, d'abord par le Conseil d 'État
dans l'affaire GABOR WINTER, qui a estimé que la gravité des faits reprochés
(agressions contre des personnes et des biens) ne permettait pas de les considérer
chambres d'accusation demeure le caractère non démocratique de l'Etat requéran®
comme des infractions politiques 300.{ La consécration de crime grave évoque
Cette jurisprudence ne s'est pas démentie ces dernières années, notamment vis-à-
irrésistiblement la notion d'acte grave proposée par les conventions de Strasbourg (28
janvier 1977) et de Dublin (4 décembre 1979), fort critiquées à juste titre en raison de
vis des autonomistes basques.
D'ailleurs, le nouveau code pénal facilite l'extradition des militants de l'E.T.A ..
l'imprécision de la formule 301 : "Ne seront jamais considérées comme politiques, énonce
En effet, la notion de bande année considéré jadis comme une infraction politique et à
l'article 1, les infractions graves constituées par une attaque contre la vie, l'intégrité corporelle
ou la liberté corporelle" tandis que l'article 2 vise "tout acte grave contre les biens ".
laquelle se raccrochaient les basques, disparaît dans le nouveau code. L'équivalent
français de la bande année invoqué par l'Espagne est désormais l'associapon (de r l'_
Q
Pourtant, les chambres d'accusation n'ont pas hésité à s'engouffrer dans la brèche
malfaiteurs, délit de droit commun 308 o.§ 0
ouverte par le Conseil d ' État en émettant un avis favorable à l'extradition de PIPERNO
l;\
(Paris, 17 octobre 1979, inédit) ou de LANFRANCHI PACE (Paris, 24 octobre 1979,
i
.u. .
n:
IdlL
,
~Yl')..... ,~,
j
t<l
'/(J
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• . ~ ~ f-- ""
101
jC La pratique g uvernementale, face à cette continuité
jurisprudentielle, s'est révélée hésitante. Avant 1981, le gouvernement pour satisfaire
inédit), mais en refusant d'abord l'extradition de basques considérant que "les
aux exigences de la solidarité intérétatique, bien que théoriquement non lié par la
infractions dénoncées aussi graves fussent-eiles, ont tlé perptlrées dans le cadre de la lutte
Chambre d 'accusation, avait pris l'habitude de suivre l'avis favorable et de signer le
menée par une partie de la population des provinces basques espagnoles dans le but d'obtenir
son autonomie politique" 302.
décret d'extradition, avec une hâte non dissimulée. Les affaires CROISSANT,
WlNTER, SALATI, PlPERNO, révèlent que le décret a été pris et notifié avec une telle
Cependant, sans doute sensibilisées par la montée du terrorisme, les chambres
rapidité que la livraison de l'intéressé à l'Etat requérant a eu lieu quelques heures après
d'accusation ont progressivement admis l'extradition de basques auteurs d'assassinat
que l'avis ait été rendu.
L'arrivée des sodalistes au pouvoir eut pour ef·fet de mettre un terme à la
et de vol à main armée 303 ou d 'italiens, accusés de tentative d'homidde 304.
....... L'année 1983 a confirmé cette jurisprudence, Nombre de décisions de chambres
pratique du gouvernement BARRE, en ne procédant, à une exception près, à aucune
d'accusation se sont déclarées favorables à l'extradition 305. En été 1984, la Cour de
extradition. La France entendait redevenir une terre d'asile. Le gouvernement se bornait
Pau a statué à deux reprises les 9 et 24 août en émettant des avis favorables pour sept
à assigner à résidence les militants de l'E.T.A. les plus notoires.
des huit demandes d'extradition fonnulées par le gouvernement espagnol contre des
Mais très vite, la position française s'est révélée source de difficultés croissantes
militants basques de l'E.T.A. soupçonnés d 'avoir participé à divers attentats 306. Ces
devant le développement des mouvements terroristes dont les membres trouvaient en
France un territoire refuge. Cest pourquoi en 1982, la France s'est résolue à changer sa
300
C. E. 15 février 1980, D. 1980-449, conclusions LABETOULLE.
politique et une décision du Conseil des Ministres en date du 10 nov: mbre 1982 a
301
d. J. BORRICAND, L'extradition des terroristes, R.S.c. 1980-684.
récisé les quatre critères susceptibles de fonder un refus d'extradition: la nature du
d l" Ir t'
système politique et judidaire de l'Etat demandeur, le caractère politique . e m ac IOn
302
303
Miguel ALDANA-BARRENA, Pau, 8 juillet 1981, inédit; ARRUGAETA, Aix 24 juin 1981,
inédit, malgré l'absence de gravité des faits.
304
SCALZONE, Paris 20 août 1981, inédit.
305
de STEFANO Aix, 5 janvier 1983 ; GENGHINI Aix, 2 mars 1983 ; MARTINEZ-LORENZO
Versailles, 20 septembre 1983 ; DIMITRIUS Bastia, 22 septembre 1983 ; AKER, Dijon, 18
octobre 1983, toutes décisions inédites.
306
p
Aix, le 16 mai 1979, Apaoloza AZCARGORTA, inédit ; Voir également Aix, le 6 avril 1979,
GOIEDECHEA, inédit.
Voir par exemple GARCIA-RAM1REZ inédit.
poursuivie, le mobile politique de la demande d'extradition, enf~n le nsq~e
~ ~
II-.:rrAt
\1
308
d'aggravation en cas d'extradition de la situation de la personne conce~,ee. ToutefoIS,
dit le texte, l'extradition sera, en principe, accordée, lorsque auront ete commIS des
--l>
307
J '1
T."." q
OZKAN, Versailles, 7 octobre 1983 ; avis défavorable à la demande présentée par le
gouvemement turc.
SALEGUI-GARCIA, Paris 8 juin 1994.
�213
214
actes criminels de nature telle que la fm politique alléguée ne saurait justifier la mise en
§ 1- LA DÉLINQUANCE D'ARGENT
œuvre des moyens inacceptables.
A la suite du renforcement de la coopération franco-espagnole contre le
terrorisme au début de l'année 1984, le gouvernement a eu l'occasion de faire
Parallèlement au déclin de la spécificité des infractions politiques et militaires, se
application pour la première fois de cette doctrine pour les basques membres de
développent de nouveaux types d'infractions liées à la criminalité de profit. On peut
l'E.T.A ..
citer trois formes de criminalité liées à l'argent: les infractions fiscales, douanières et
A son tour, l'Italie a souhaité voir la France s'engager résolument dans une
économiques, solidifiée~ des caractères ro res ui les différencient des infractions
politique européenne de coopération contre le terrorisme et cesser d'abriter "une
de droit co
Sur un plan juridique, ce type d'infraction obéit à un régime s écifique commun
multinationale du terrorisme".
Ces arrestations illustrent la coopération européenne contre le terrorisme dont les
caractérisé par la compétence de juridictions spécialisées (loi 6 août 1975), des fadlités
bases avaient été jetées, le 5 février 1985 à Bonn, entre le Premier Ministre français et le
de preuve exorbitantes du droit commun, un régime répressif diversifié et plus
Ministre des Affaires Étrangères de la communauté.
Ponctuellement, des événements politiques viennent remettre en cause la position
(transaction) ou moins rigoureux (pas d'amnistie).
Sur un plan criminologique, leur auteur constitue un type original de délinquant,
.., gouvernementale qui rendent parfois incohérente la politique traditionnelle intimement
le "col blanc" en face duquel l'opinion publique apparaît partagée, soit indulgente, soit
>(
rigoureuse.
Au-delà de ces traits communs, un particularisme propre à chacune de ces
liée aux relations diplomatiques entre les Etats.
il y a là, manifestement, les signes d'un durcissement de la position française à
infractions doit être souligné, même si s'amorce un discret retour au droit commun.
l'égard du droit d'asile, jugé inquiétant par certains pour les libertés. Toutefois à
l'occasion du récent débat sur l'immigration, le Conseil constitutionnel, dans sa décision
A - Les infractions fiscales
du 13 août 1993, opérant un changement de jurisprudence, est passé d'une conception
timide du droit d 'asile à une conception forte : le droit d 'asile est d 'application directe.
La matière fiscale peut être aisément délimitée. il s'agit des infractions prévues
il implique "d'une manière générale que l'étranger qui se réclame de ce droit soit autorisé à
demeurer provisoirement sur le territoire jusqu'à ce qu'il ait été statué sur sa demande"
par le c.G.l. (impôts directs, contributions indirectes, taxes sur le chiffre d'affaires
309
etc ... ). Ces infractions présentent par rapport au droit commun une originalité qui
On assiste donc à un rétrécissement constant du critère de l'infraction politique. Ce
apparaît et sur le plan procédural et sur le plan de la sanction.
dépérissement explique, sans doute, que le nouveau Code pénal ait préféré ne pas
définir l'infractio n politique tout en maintenant la détention comme peine criminelle.
1°) Au niveau de la procédure
Face à ce déclin, on observe le développement de classifications nouvelles.
• On peut observer, tout d 'abord, que le déclenchement des
r
poursuites est subordonné à une plainte de l'administration sur avis conforme d'une
SECTION 2 - LES CLASSIFICATIONS NOUVELLES
commission des infractions fiscales (L. 29 décembre 1977 sur les garanties offertes aux
contribuables). Ainsi, la mise en œuvre d'une procédure judiciaire se trouve dépendre
d'un organe administratif. L'administration se constitue partie dvile, non sur la base
Outre une majoration globale de la criminalité, la délinquance contemporaine
des articles 2 et 3 du Code de procédure pénale, mais sur le fondement de l'article L.
peut être illustrée par le d éveloppement, d'une part de ce que l'on pourrait appeler la
232 C des procédures fiscales "le but de la présence de l'Administration dans la procédure
délinquance d 'argent (A), d'autre part, par une augmentation de la grande criminalité
étant seulemen t d 'y sa uvegarder les intérêts du fisc" 311. On observera, ici, les effets
pervers de la loi du 29 décembre 1977. Ce texte soucieux de mieux assurer la
(B) 310.
Vu·.(..
l..J.
f
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Mh\lÛv:.
J.
iN
..k
protection des contribuables, les pénalise dans la mesure où le feu vert donné par la
)..
309
a. FAVOREU,le Figaro, 3 septembre 1993.
310
Il est évident que les 2 sortes de criminalité sont parfois en corrélation, ex. le crime organisé
dans le domaine économique.
commission peut apparaître comme un facteur déterminant de la culpabilité de l'agent.
311
Crim. 28 janvier 1971, D. 232.
�215
216
• En second lieu, la constatation des infractions est facilitée.
~
Contrairement à la règle que les procès verbaux valent à titre de simple renseignement,
la)
Au niveau de l'incrimination
ceux des contributions font foi jusqu'à preuve contraire et une procédure spéciale est
Pour faciliter la démonstration de la culpabilité de l'agent, le Code des douanes
prévue si le prévenu entend rapporter cette preuve.
développe des systèmes originaux. Ainsi, l'article 392 instaure une présomption de
'1
pour contrôler les
constatations et énonciations de fait retenues par les juges du fond" qu'il s'agisse
navires ou commandants d'aéronefs en cas de fraude commise à bord. li s'agit, selon
d'enregistrement 312 et de contributions indirectes 313.
une jurisprudence constante, d'une présomption irréfragable 318, sauf force majeure 319.
• Enfin, la Cour de cassation s'érige en juge d
participation à l'infraction contre les détenteurs de la marchandise, les capitaines de
};n,)
Le concept de complicité est élargi par la notion d'intérêt à la fraude. En cas de -)
20 ) Au niveau de la répression
contrebande, d'importation ou d'exportation sans déclaration sont punies comme
ç~J rrJ,..
Le droit fiscal connaît trois types de sanctions.
complices toutes personnes qui ont coopéré à un plan de fraude arrêté par un groupe
D'abord, des sanctions pénales (emprisonnement, amende, interdictions
d'individus (A. 399 du Code des douanes) quand bien même elles n'en auraient pas eu ~}'
professionnelles), dotées d'un régime spécifique, tantôt applicables, tantôt
expressément connaissance 320 ou qui auraient couvert les agissements, acheté ou
inapplicables. Ainsi, l'interdiction professionnelle prononcée par le juge répressif est
obtenu, même en dehors du rayon douanier, des marchandises provenant de
Jo
contrebande 321
subordonnée à un arrêté préalable prononçant contre le coupable cette mesure 314.
20 ) Au niveau de la sanction
• Ensuite, des sanctions fiscales (amendes, majorations de droit,
indemnités) présentent le double visage de peines et de réparations civiles, 315 ce qui
il faut , d'abord, observer que les infractions douanières ne correspondent pas
explique l'exclusion du sursis, des circonstances atténuantes 316, du non cumul des
peines 317.
toujours aux infractions de droit commun dans la mesure où les peines de prison sont
toujours de courte durée, tandis que les amendes sont très élevées. (Comparer R. 236
• Enfin, des sanctions administratives (retrait du permis de
du Code de la route et 61-413 bis du Code des douanes) .
conduire, impossibilité d 'obtenir des commandes de l'Etat) s'apparentent aux mesures
Compte tenu du préjudice causé à l'administration douanière, le Code des
de sûreté.
douanes prévoit un système répressif original. D'abord, les sanctions patrimoniales, vu
Mais le trait le plus original est, sans nul doute, la transaction que l'on retrouve
leur caractère de réparation civile, ne sont pas soumises au principe du non cumul et ne
également en matière douanière.
peuvent être assorties du sursis. De son côté, l'article 376 exclut la revendication du
propriétaire de la chose ou des créanciers privilégiés.
B - Les infractions douanières
En contrepoids de ces pouvoirs exorbitants, le Code autorise la transaction qui
peut intervenir avant ou après jugement et qui a pour originalité, soit d 'éteindre l'action
publique, soit de porter atteinte à l'auto,rité pe la chose jugée (A. 350).
-t- (I\.V>~ fJ... A ~û-.Ii oY'
Le particularisme de ces infractions est peut-être plus marqué et plus ancien,
puisque le Code des douanes est encore fondé sur deux ordonnances de COLBERT de
1681 et 1687. Il apparaît à la fois au niveau de l'incrimination et au niveau de la
'X
C - Les infractions économiques
sanction.
La délimitation des infractions économiques s'avère malaisée. Sans doute, il est
facile de dire que ce type d'infraction est l'affirmation du dirigisme économique, que les
312
Gv. 5 janvier 1825, S. 1825-1-6.
313
Crim. 25 mars 1825, B. n° 54.
31 4
Crim. 12 mai 1976, B. nO155.
31 8
Crim. 27 avril 1939, B. n° 126 ; 19 février 1958, B. n° ln.
315
Crim.6 février, 2 décembre 1960, B. nO65 et 321.
31 9
Crim. 25 janvier 1982, J.c.P. 1982, lV-132.
316
Crim. 7 octobre 1975, B. nO209.
320
Crim. 13 novembre 1974 B. n° 331.
317
Crim. 12 décembre 1983, B. n° 337.
321
Crim. 30 octobre 1978, D. 1979-200, note BERR.
incriminations sont tantôt minutieuses, tantôt compréhensives. Plus précisément, on
"-
�217
218
peut affirmer que les infractions sont relatives à la détermination des prix, des biens et
conduits à distinguer plusieurs types d'infractions, les infractions de violence et les
des services et celles qui visent l'organisation des marchés, la réglementation des
infractions de terrorisme auxquelles il faut ajouter-les crimes contre l'humanité définis
transports, la monnaie et les devises étrangères ou le rationnement et la répartition des
par la jurisprudence comme des crimes de droit commun.
denrées et marchandises. Le particularisme de l'infraction économique mérite d'être
A - Les infractions de violence
souligné, au niveau de l'incrimination et à celui de la sanction.
-;.{ ~ \.,~'r.t
l.fI\ . .;l.;t)J/'ILI'/\
r1'IJ. ~
~
1°) Au niveau de l'incrimination
cr
La loi du 22 novembre 1978 a introduit, au niveau de l'exécution des
Cl JW
rJj.
\('-tM
1tJl\)
peines~ une
\
distinction entre les infractions de droit commun et les infractions de violence.
L'originalité de ce type d'infraction apparaît à des titres divers. Tout d'abord, on
s..'oC"'{
r,;::::
Ce texte instaure une période de sûreté pendant laquelle les condamnés, pour
constate l'existence d 'une police économique complétant la police judiciaire. Cette
certaines infractions, ne peu vent bénéficier pendant l'exécution de leur peine et pour
police dispose de pouvoirs exorbitants avec notamment la possibilité de
une période allant de la moitié aux deux tiers de celle-ci (15 à 18 ans en cas de r»"'"J.h
réclusion à perpétuité) des mesures de faveur susceptibles d'être accordées aux détenus ~\"
perquisitionner la nuit. En second lieu, il faut souligner que la matière des pratiques
anticoncurrentielles et des abus de position dominante peut être traitée par des organes
(permission de sortir, placement à l'extérieur, libération conditionnelle etc ... ). Cette loi -
administratifs, Conseil de la Concurrence et Ministre de l'Économie. De son côté, le
a..~
stupéfiants, certains vols).
consommateurs ont désormais la possibilité de déclencher des poursuites pénales en
l
\#' ~ ~
Ce texte a été abrogé par une loi du 10 juin 1983, mais les dispositions de la loi
cas d 'infraction (loi 27 décembre 1973).
de 1978 demeurent dans l'article 720-2 du Code de procédure pénale et la loi du 1er
février 1994 a porté la durée de la période de sûreté à 30 ans pour des infractions très
2°) Au niveau de la sanction
spécifiques (atteintes graves portées aux mineurs de moins de 15 ans). De plus, le
En premier lieu, la gamme des pénalités est étendue (amendes, fermeture
nouveau code pénal a aggravé la répression dans le cas de violences commises en
d 'établissement, publicité du jugement de condamnation, retrait du permis de
bande organisée.
conduire). En second lieu, les peines sont rigoureuses. En matière de pratiques
'Xc B - Les infractions terroristes
anticoncurrentielles, le Conseil de la Concurrence peut infliger à une entreprise, une
sanction maximale de 5 % du montant du chiffre d'affaires et de dix millions de francs,
pour une personne physique (A. 13, Ordonnance du 1er décembre 1986), outre
A la fin du XIXème siècle, le législateur, soucieux de lutter contre l'anarchisme
l'emprisonnement de six mois à quatre ans et l'amende de 500 000 F infligés par le
naissant, avait jugé opportun de qualifier ce type d 'infraction, "infraction de droit
tribunal correctionnel. De son côté, le Ministre peut, en cas d'infraction aux règles sur la
commun ", permettant ainsi à leurs auteurs d'échapper au droit d 'asile (L. 18 juillet
concentration économique, prononcer après décision du Conseil de la concurrence, une
1894 ayant pour objet de réprimer les menées anarchistes). Devant la montée du
sanction pécuniaire, dont le montant peut atteindre dix millions de francs (A. 13).
terrorisme, les États se sont efforcés d'organiser un système répressif plus efficace en
harmonisant leur politique, mais pour l'instant, seules des réponses ponctuelles ont été
apportées par les États, dans certaines matières 322.
§ 2 - LA GRANDE CRIMINALITÉ
Quelques lois internes ont été prises par certains États secoués par le terrorisme
(Espagne, Grande-Bretagne, Italie, Allemagne Fédérale). Ainsi, l'Allemagne n'a pas
Les statistiques le révèlent, le quotidien le confirme, la dernière décennie connaît
hésité à créer un délit de terrorisme. La Grande-Bretagne a instauré une peine
une forte majoration de la grande criminalité : (hold'up). Certaines de ces infractions
(séquestration de personnes) se couvrent du manteau de l'idéologie politique. Pour
lutter contre ces formes nouvelles de criminalité, les rédacteurs du code pénal ont été
Jt
(proxénétisme aggravé, séquestration de personnes, détournement d'aéronef, trafic de lb !}I1êi\\JN-
pour recueillir leur avis (L. 12 juillet 1977, A. 18). Enfin, les associations de
(proxénétisme, trafic de stupéfiants) relèvent du pur droit commun, tandis que d'autres
'dr
visait certaines formes de violence : homicides et coups et blessures volontaires ,v.
juge d'instruction a la possibilité de consulter des organismes administratifs spécialisés
/J
~
,
322
Convention de La Haye, 16 décembre 1970) pour la répression de la capture illicite d'aéronef,
Convention de Montréal (23 septembre 1971), pour d'autres infractions, ainsi qu'en matière
diplomatique (Convention sur la prévention et la répression des infractions contre les agents
diplomatiques 14 décembre 1973. Assemblée générale des Nations Unies, résolution.
<:;Mtu.
�219
220
incompressible de vingt ans, l'Italie a imaginé le système des repentis. La loi française
du 9
septembre~ ne
x
crée pas un délit de terrorisme, mais énumère un certain
garantie alimenté par les contrats d'assurance de biens. Elle porte sur l'indemnisation
--
nombre d'infractions déjà existantes pour les soumettre à un régime dérogatoire du
des dommages corporels résultant d'infractions d'actes de terrorisme, soit commis en
droit commun (Art. 706-12 c.P.P.). Le nouveau code pénal reprend cette analyse aux
France, soit subis par des Français à l'étranger 324
termes de l'article 421-1 c.P. "Constituent des actes de terrorisme, lorsqu 'elles sont en
L'apparition de la notio
relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement
l'ordre public par l'intimidation ou la terreur, les infractions suivantes". Suit une liste
~
'1> " "
1987-39) et des
actions fiscale
~
d'infraction terroriste est un nouvel exemple de
"l'éclatement du droit pénal" 325 à la suite de _délits à caractère
impressionnante d'infractions, atteintes volontaires à la vie, vols, extorsion de fonds,
économiqu~ (Ord. D.
t douanières et conduit par l'effet d'un singulier
paradoxe à une magnification des droits de l'homme dans la mesure où les terroristes
dégradations, fabrication d'explosifs, détention d'armes etc .... L'article 421-2 ajoute
eux-mêmes qui les bafouent n'hésitent pas à les invoquer pour leur défense. 326
comme acte de terrorisme, "le fait d'introduire dans l'atmosphère, sur le sol, dans le sous-sol
Devant la résurgence du terrorisme, le Garde des Sceaux a présenté en octobre
ou dans les eaux, y compris celles de la mer territoriales, une substance de nature à mettre en
péril la santé de l'homme ou des animaux ou le milieu nature/,,32&n peut donc admettre
1995 un projet de loi tendant à renforcer la répression du terrorisme.
pour le droit français, l'infra~tion de terro~me co~,porte deu~ é~éments : ~n
élément objectif, une infraction spedalement vISee et un element subjectif, ;tn mobile
notamment les délits en matière de groupes de combat ou de ligues dissoutes ainsi que
o
1que,
l
Quant à l'indemnisation de la victime de l'acte, elle est assurée par un fonds de
le recel de criminel. Il_ propose de réprimer de façon spécifique l'association de
d'intimidation ou de terreur.
malfaiteurs terroristes. Sur le plan de la forme, le projet offre la possibilité aux
Si le premier élément se révèle très précis (homicide volontaire, violences
enquêteurs de procéder à des enquêtes de nuit. Enfin, il vise à renforcer la répression
volontaires, enlèvement, menaces d'atteintes à la personne ou aux biens, association de
des atteintes commises contre les représentants de la puissance publique.
malfaiteurs, fabrication ou détention d'engins meurtriers etc. .. ), le deuxième élément, le
mobile d'intimidation ou de terreur
s'interroger sur le point de savoir si
Ce projet allonge la liste des infractions qualifiées d'acte de terrorisme pour viser
aJ.>J.>ar~t
~i nouvelle
On observe une tendance à l'extention du régime des infractions terroristes à
assez flou. Notamment, on peut
l'ensemble de la criminalité organisée. Cette tendance apparaît évidente en matière de
e réprime que l'action terroriste au)
trafic de stupéfiants, de proxénétisme et de façon plus générale, dans le domaine du
service d 'un idéal politique ou peut s'éten e au vulgaire malfaiteur de droit commun.
crime organisé.
Cette extension ne parait pas possible, si l'on se réfère au projet de loi faisant allusion
r
à la défense de la démocratie.
C - Les crimes contre l'humanité
Pourtant, l'énumération est très large et le débat reste ouvert. Il appartiendra aux
tribunaux de le trancher. La question est d'importance dans la mesure où le régime de
1°) En droit interne
l'acte de terrorisme est dérogatoire au droit commun à un double titre.
---~--------~~~~~~~~~~~En ce qui concerne la répression de l'auteur de l'acte, la loi de septembre 1986
La notion a été dégagée par le tribunal international de Nuremberg en 1945. La
organisait la centralisation des procédures à Paris, des aménagements dans la conduite
Cour de cassation définit le crime contre l'humanité "les actes inhumains et les
persécutions, qui, au nom d'un État pratiquant une politique d'hégémonie idéologique, ont été
commis de façon systématique ou collective, non seulement contre les personnes en raison de
leur appartenance à une collectivité raciale ou religieuse, mais aussi contre les adversaires de
des investigations, (garde à vue : quatre jours), une professionnalisation de la
juridiction criminelle de jugement. Sur le plan du fond, les innovations les plus
remarquées étaient une excuse absolutoire pour toute personne ayant averti les
cette politique, quelle que soit la forme de cette opposition ".
autorités judidaires de l'imminence de l'infraction et une réduction de peine pour toute
personne ayant permis ou facilité l'arrestation des malfaiteurs. Le mécanisme subsiste
dans le nouveau code sous une appellation différente (cause légale de diminution de
peine).
Toutes ces règles dérogatoires n'ont pas été modifiées.
323
J. BORRICAND, Le terrorisme écologique, in Problèmes actuels de Science Criminelle, nO VIII1995, p. 25.
324
1. F. RENUCCI, L'indemnisation des victimes d'actes de terrorisme, D. 1987 chrono187.
32S
PRADEL, chronique D. 1987-39.
J. BORRICAND, La France à l'épreuve du terrorisme: régression ou progression du droit ?,
Revue de Droit pénal et de Criminologie, 1992-709.
326
�221
222
Bien que définis comme des crimes ç!e droit commun par la jurisprudence 327, les
les principes généraux du droit reconnus par les nations civilisées ". La jurisprudence en a
crimes contre l'humanité n' en sont pas moins des "infractions hors du commun" 328.
fait application, lors du procès BARBIE 330.
Deux caractéristi ues essentielles les en distinguent, leur imprescriptibilité et leur
Dans l'arrêt TOUVIER, la Chambre criminelle considère, que constitue un tel
rétroactivité.
crime, la désignation de 7 personnes suivie d'assassinat dès lors que les crimes ont été
Hl Imprescriptibilité
\....;
"commis en raison de l'appartenance raciale ou religieuse des victimes, toutes juives"
331.
Toutefois, la haute juridiction a précisé que la qualification n'était applicable qu'aux
La loi du 26 décembre 1964 dispose que les crimes contre l'humanité sont
crimes commis lors de la seconde guerre mondiale "pour le compte d'un pays européen de
"imprescriptibles par leur nature". Elle fait application de l'article 6 du statut du tribunal
international de Nuremberg en énumérant "r assassinat, l'extermination, la réduction en
l'Axe" 332. C'est pourquoi il n'a pas été possible de l'invoquer à propos d'actes commis
pendant la guerre d'Indochine 333
esclavage, la déportation et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles
Le nouveau Code pénal, suivant l'exemple de nombreuses législations étrangères,
avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou
consacre la notion de crimes contre l'humanité en faisant une distinction entre génocide
religieux" .
et autres crimes contre l'humanité. Sont qualifiées génocide, un certain nombre
En raison de l'ambiguïté des dispositions des documents internationaux au sujet
d'atteintes graves à la liberté de la personne, lorsqu'elles sont commises "en exécution
de l'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité, les juges du fond ont sollicité
d'un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle d'un groupe national ethnique,
racial ou religieux, ou d'un groupe déterminé à partir de tout autre critère arbitraire" (A. 211-
l'interprétation du Ministre des Affaires étrangères qui pencha en faveur de
l'imprescriptibilité dès l'origine. Aussi tirant les conséquences de cette interprétation, la
1). La sanction est la réclusion à perpétuité. Elle est la même pour les autres crimes
Cour de cassation a décidé, par un arrêt du 26 janvier 1984 329 que l'imprescriptibilité
contre l'humanité, tels qu'enlèvements suivis de disparitions "alors même qu'ils auraient
des crimes contre l'humanité "se déduit tant des principes généraux de droit reconnus par
été commis en temps de guerre sur la personne de combattants" à condition que ceux-ci
l'ensemble des nations que du statut du tribunal militaire international annexé à l'accord de
soient en lutte contre un système idéologique (d. affaire BARBIE).
Londres du 8 août 1945, la loi du 26 décembre 1964 s'étant borné à confirmer que cette
2°) Tribunal pénal international
imprescriptibilité était déjà acquise en droit interne par l'effet des textes internationaux
auxquels la France avait adhéré". L'affaire Boudarel en est une illustration (Le Figaro, 17
Sur le plan du droit international, les atrocités commises par le terrorisme de l'ex-
septembre 1991).
Yougoslavie à partir de 1991 a conduit le Conseil de Sécurité à adopter, en février
hl Rétroactivité
1993, une résolution nO829 décidant la création d'un tribunal pénal international
pour juger les personnes responsables de violations graves du droit humanitaire
Quoique contraire à la déclaration des droits de l'homme et à la Constitution,
international.
cette rétroactivité trou ve sa justification dans les diverses conventions internationales
Le statut du tribunal s'inspire du souci d'assurer le plus grand respect du
(accord de Londres, Pacte de l'O.N.U., A. 15) . Notamment l'article 7 § 2 de la
principe de la légalité. Il définit les incriminations entrant dans sa compétence,
Convention européenne des droits de l'homme, dispose que le principe de non-
infractions graves aux conventions de Genève du 12 août 1949, violations ou coutumes
rétroactivité "ne portera pas atteinte au jugement et à la punition d'une personne coupable
de la guerre, telles qu'elles résultent de la convention de La Haye de 1907, génodde
d'une action ou d'une omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d'après
défini par la Convention des Nations Unies, crimes contre l' humanité définis par
l'article 6 du Statut du Tribunal de Nuremberg.
330
Crim. 6 octobre 1983 D. 1984-113, rapport LE GUNEHEC ; j . F. RENUCCI, L'indemnisation des
victimes d'actes terroristes, D. 1987, Chrono 187 ..
Crim. 26 janvier 1984, j.c.P. 1984-11-20197, rapport LE GUNEHEC et conclusions
DONTENVILLE ; cf. LOMBOIS, Un crime international en droit positif français, (l'affaire
BARBIEl. R.S.C. 1987-937 et Mélanges VITU, p. 367.
331
Crim. 21 octobre 1993.
328
DESPORTES, LE GUNEHEC, op. cit. nO175.
332
Crim. 27 novembre 1992, B. nO394.
329
Affaire BAR BlE j .c.P. 1984-11-20197, conclusions DONTENVILLE.
333
Crim. 1er avril 1993, D 1993-IR-136, aff. BOUDAREL.
327
�223
224
La définition des personnes responsables écarte la possibilité de déclarer des
groupements pénalement responsables. En revanche, les personnes
phy~iques
ACl L-
ont une
responsabilité élargie, dans la mesure où leur qualité de chef d'État, haute
/t~f
Ac
:JI)
CHAPITRE II - L'ÉTABLISSEMENT DE L'ÉLÉMENT MATÉRIEL
fonctionnaire, ne sauraient les exonérer, tandis que les subordonnés ne sauraient
exciper de l'exonération tirée de l'ordre du supérieur hiérarchique.
Le tribunal comporte deux chambres: une chambre de première instance (3 juges)
Depuis le code de 1810, on assiste à une importance grandissante accordée à
et une chambre d'appel (5 juges) et l'instruction des dossiers est confiée au Procureur.
l'élément matériel. Le nouveau code ne dit-il pas : ':Nul n'est responsable que de son
propre faif" (art. 121-1 NCP).
.. ~ ~ /'
'kilt Jv"....~~ ~"'f'tl..
f.t ~
A
Cette exigence découle d'une conception politique de la société. La sécurité du
cr-
Tous ces magistrats sont désignés par l'Assemblée Générale des Nations Unies. TI
appartient aux États d'apporter leur coopération à l'œuvre du tribunal. Pour la France,
la loi du 2 janvier 1995 précise les conditions dans lesquelles les juridictions françaises
justiciable impose que la répression ne s'exerce que lorsque l'élément matériel est patent
/
et lorsqu~elle de l'agent est établie. Cependant, dans certains cas,
International.
cette intention est si forte qu'elle suffit pour que la répression s'exerce. C'est l'idée
Les pénalités applicables sont des peines d'emprisonnement par référence à la
/ c téveloppée depuis longtemps par les criminologues qui estiment qu'une politique
~,,-t'
\ II"'',.;~
grille générale des peines d'emprisonnement appliquée par les tribunaux de l'exYougoslavie.
(,./'
~
doivent se déclarer compétantes et se dessaisir, le cas échéant, au profit du Tribunal
~elle bien comprise ne doit pas s'en tenir à l'exigence d'un acte. Entre la criminalité
"immergée" qui demeure enfouie dans la conscience... écrivent MERLE et VITU, et la
criminalité "déclarée", qui s'exprime par la production effective d'un trouble social, il y
procédure, par défaut, a été écartée comme contraire au Pacte des Nations Unies sur
~ ~.
~ i"~
a place pour des états criminels embryonnaires, mais, cependant ostensibles, dont il
les droits civils et politiques de 1956.
"
faut fixer le régime pénal. C'est le concept d'état dangereux, dégagé depuis longtemps
On doit déplorer que le jugement effectif des coupables s'avère très aléatoire. La
A la suite des actes de génocide commis au Rwanda en 1994 par les Hutus sur
par les Positivistes, qui commande des mesures préventives, afin d'éviter le passage à
les Tutsis, le Conseil de Sécurité, par sa résolution nO 955 en date du 8 novembre 1994,
l'acte des délinquants en puissanc~ Le législateur et la jurisprudence ont été sensibles à
a décidé la création d' un tribunal international conçu sur le modèle de celui institué
ces observations en procédant à un élargissement de l'élément matériel. Cet
quelques mois plus tôt et siégeant à La Haye.
•
élargissement apparaît à l'évidence, si l'on observe que les modalités de l'élément
trrf\.J. -
matériel se sont multipliées et que la nécessité de celui-ci est entendue de façon
'20
LECTURES:
J.J. LEMOULAND,
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1
beaucoup plus compréhensive.
Les critères jurisprudentiels de l'infraction politique, RS.C 1988,
p. 16.
J. BORRlCAND, L' extradition des terroristes, RS.C 1980-684.
J. PRADEL, Les infractions de terrorisme, D. 1987, chrono 39.
fit- N~:
CÂ-C
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J <tee.,
f SECTION 1 - LES MODALITÉS DE L'ÉLÉMENT
MATÉRIEL
\ lit·
M. DELMAS-MARTY, Le crime contre l' hymanité, les droits de l'homme et
J. BORRlCAND, La notion de fraude fiscale, J.CP., éd. Cr.,
L'élément matériel revêt des modalités fort diverses, certaines délicates à
1982-II-13856.
M. MASSÉ, Les crimes contre l' humanité dans le N.CP. français, RS.C 1994-376.
F. PALAZZO, La législation italienne contre la criminalité organisée, RS.C 1995-711.
préciser. On peut tenter un effort de regroupement en distinguant deux sortes de
classifications, les classifications extra-temporelles, et les classifications temporelles.
3-
J'" (
Vo..iu../:.t<
M. DELMAS-MARTY, La criminalité d'affaires, RS.C 1977-509.
l'irréductible humain, RS.C 1994-477.
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tu:
�225
226
§ 1- CLASSIFICATIONS EXTRA-TEMPORELLES
tentative érigée en délit consomme"' (MERLE et VITU). Ce qui ne signifie pas que la
tentative du délit formel ne soit pas concevable, mais elle ne peut éventuellement
La notion de durée est ici négligeable pour la réalisation de l'infraction. On peut
apparaître que dans la phase des actes préparatoires de l'infraction. Donc, pour
effectuer deux types d'oppositions, infractions matérielles et infractions formelles d'une
l'infraction matérielle, la tentative permet d'incriminer comme commencement
part, infractions d'action et infractions d'omission d'autre part.
d'exécution des actes qualifiés de préparatoire dans l'infraction matérielle (poison
versé dans un puits même si la victime ne boit pas l'eau).
L
A-1
actions matérielles et .
actions formelles
B - Délits d'action et délits d'omission
1°) L'infraction matérielle
il est relativement aisé de définir ces deux infractions.
Le délit d'action se réalise par un acte positif qui consiste à faire ce que la loi
Elle se caractérise par son résultat. L'infraction n'est consommée que si le
interdit : tuer, voler, violer, blesser, etc... On parle alors de commission
action.
délinquant a obtenu le résultat cherché: celui-ci en représente l'un des éléments
Plus rarement, l'élément matériel réside dans un acte négatif qui consiste à ne pas
constitutifs. Le meurtre n'est constitué que si la victime est morte, le vol n'est réalisé que
faire ce que la loi ordonne: défaut de vaccination des enfants (Art. L 218 C S. P.),
si l'agent s'est approprié la chose d'autrui ou a tenté d'y parvenir. C'est dire que le
défaut de paiement d'une pension alimentaire (Art. 227-3 N.CP.). On est en présence
préjudice n'est pas toujours exigé. Sa simple éventualité caractérise l'infraction
d'un délit d'inaction ou d'omission. Il faut noter que la nature de l'infraction est souvent
punissable. Ainsi, en matière de faux en écriture, la jurisprudence déduit la nécessité
déterminée par sa définition même, par les conditions que pose l'incrimination : le vol,
d 'un préjudice, au moins éventuel, de l'exigence d'un écrit, par les articles 441-1 N.C
par exemple, n'est qu'un délit d'action. Mais, il est des infractions dont la définition
P .. En revanche, l'existence d'un préjudice est indifférente pour la constitution du délit
légale se concilie également avec une réalisation par action ou par omission: l'hoInicide
d'escroquerie (art. 313-1 N.CP.). La plupart des infractions constituent des délits
ou les blessures par imprudence, par exemple, peuvent résulter soit d'une maladresse,
matériels. En revanche, rares sont les délits formels.
acte positif, soit d'une négligence, simple abstention.
2°) L'infraction formelle
Elle est consommée indépendamment du résultat. Celle-ci ne fait plus partie de
Enfin et surtout, à la fin du XIXème siècle, on s'est demandé si certaines
infractions ayant le caractère d'une infraction de commission ne pourraient pas,
parfois, résulter d'une omission, dont il serait permis de dire
qut~ien\ à
commis~nomme se
la définition légale des éléments constitutifs de l'infraction. On cite, souvent,
une commission. Prenons le cas du meurtre, infraction de
l'empoisonnement, qui est consommé par le seul fait d 'avoir administré à une personne
noie, un autre passe son chemin sans lui prêter secours. Un tel comportement,
des substances toxiques et qui est punissable, quelles qu'en aient été les suites, même si
répréhensible sur le plan moral, ne peut-il être sanctionné? Peut-on le condamner pour
la victime n'est pas morte (Art. 221-5 N.CP.). Sont également des infractions formelles
: la fabrication de fausse monnaie, sans émission, ni mise en circulation (Art. 442-1
N.CP.), la corruption de fonctionnaire, punissable qu'elle "ait ou non produit son effet"
(Art. 433-1 N.CP.), l'incendie volontaire constitué dans sa matérialité par le fait de
mettre le feu à un certain objet ou par la destruction de l'objet par le feu (Art. 322-5
N.CP.). Ces divers exemples traduisent la spécificité du délit formeL L'infraction étant
meurtre? C'est la théorie célèbre de la commission par omission, consistant à assimiler
pleinement l'omission à l'action positive.
La jurisprudence a rejeté cette solution dont les conséquences regrettables ont
conduit à s'orienter vers l'admission délibérée des délits d'oInission.
1°) La position de la jurisprudence: Le rejet de la théorie du délit
de commission par omission
constituée par sa seule action, elle ne laisse pratiquement aucune place au d ésistement
volontaire de l'agent. L'infraction formelle constitue donc une protection de l'ordre
L'Anden Droit réprimait un tel délit sous l'influence du Droit Canon ; "qui peut et
public beaucoup plus efficace que le délit matérieL L'empoisonneuse qui, après avoir
n'empêche, pêche" disait LOYSEL. Mais le Code pénal n'a pas retenu cette conception.
administré un poison à sa victime, est saisie de remords, et lui fait absorber un
Droit individualiste, soucieux de faire prévaloir les droits individuels, il s'est bien gardé
contrepoison, demeure punissable. D'autre part, l'indifférence du résultat élargit le
d'édicter une disposition d'ordre général réprimant l'omission qui laisse planer parfois
domaine de la consommation de l'acte. On a pu écrire que l'infraction formelle était "la
�227
228
une certaine équivoque sur le comportement répréhensible de l'agent. Certes, les anciens
lN
articles 319 et 320 du Code pénal visant la "maladresse, imprudence, négligence et
L'article 434-1 N.C.P. punit de peines correctionnelles: "Le fait, pour quiconque
ayant connaissance d'un crime dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, ou
dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être
empêchés, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives est puni de trois
ans d'emprisonnement et de 300 000 F d'amende". Les parents et alliés des auteurs
inobservation des règlements" et le "défaut d'adresse et de précautions", en matière de
blessures et d'homicide par imprudence, avaient conduit très tôt les tribunaux à
consacrer l'omission. Mais était-il possible, en l'absence de dispositions générales, de
retenir l'homicide volontaire à la charge du riverain indifférent à la noyade du
jusqu'au quatrième degré sont toutefois dispensés de cette obligation. De son côté
baigneur?
l'article 223-6 N.C.P. énonce: "quiconque, pouvant empêcher par son action immédiate, sans
La jurisprudence avait refusé de procéder à une telle assimilation. Elle s'est
inspiré le roman de GIDE. Dans cette affaire, une certaine Blanche Monnier, aliénée,
risque pour lui ou pour les tiers, soit un fait qualifié crime, soit un délit contre l'intégrité
physique de la personne, s'abstient volontairement de le faire sera puni de 5 ans
d'emprisonnement et de 500 000 F d'amende". On associe ainsi les particuliers à l'œuvre
avait été laissée par ses parents, dans une chambre, sans soin, ni air, ni lumière, dans
de la police par une action préventive. C'est la même idée qui inspire l'article 434-11
un état de saleté indescriptible, au point de compromettre son existence. Le tribunal
qui énonce: "Le fait, pour quiconque connaissant la preuve de /'innocence d'une personne
correctionnel avait condamné ses parents pour "délit de coups et blessures, violence et voies
de tels agissements ne sauraient constituer un acte de violence prévu par l'article 311
détenue provisoirement ou jugée pour crime ou délit, de s'abstenir volontairement d'en
apporter aussitôt le témoignage aux autorités judiciaires ou administratives est puni de trois
ans d'emprisonnement et de 300 000 F d'amende" .
du Code pénal. Ce texte incriminait la privation volontaire de soins ou d'aliments aux
L'idée de solidarité humaine a été exprimée par l'article 63, al. 2, de l'ancien
enfants de moins de quinze ans. Or, en l'espèce, la victime avait depuis longtemps
code pénal repris dans l'article 223-6, qui sanctionne de 5 ans d'emprisonnement et de
dépassé cet âge 334. Cette solution pouvait être amplement justifiée par les raisons
500 000 F. d'amende: "quiconque s'abstient volontairement de porter à une personne en
suivantes: difficulté de prouver l'intention criminelle, l'abstention n'est pas la cause
directe du résultat, refus d'appliquer le raisonnement par analogie. L' incrimination de
péril l'assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter, soit par son
action personnelle, soit en provoquant un secours ". Ce texte reprend la formulation de
non assistance à personne en pért! n'existait pas à cette époque. Néanmoins, le rejet de
l'ancien article 63 ce qui ne devrait pas modifier la jurisprudence. On soulignera la
notamment prononcée dans une affaire célèbre, dite de la "séquestrée de Poitiers", qui a
de fait". La Cour de Poitiers réforma ce jugement, en relaxant le prévenu, au motif, que
-la théorie du délit de commission par omission a fait l'objet de sévères critiques,
--
-
sévérité de celle-ci dans la précision des divers éléments du délit.
notamment de la part de certains criminologues. DE GREEFF estime, qu 'au point de vue
)1
Le péril doit être sérieux et son origine n'a pas à être prise en considération.
psychologique, l'omission n'est pas un néant, c'est un acte. D'autre part, cette solution
L'erreur d'appréciation est retenue, lorsqu'elle donne la conviction au prévenu qu'il n'y a
cadre mal avec les idées de solidarité de notre droit moderne.
pas de péril (témoin n'ayant pas porté secours à un blessé grave qu'il croyait ivre 335 ;
infirmière-chef qui, connaissant les troubles cardiaques d 'un malade, avait administré
2°) La position du législateur: l'admission du délit d'omission
une piqûre tonicardiaque 336 ; danseuse décédée à la suite d'une opération pratiquée
par un chirurgien plasticien ne lui ayant pas prodigué les soins que nécessitait son état
Le législateur s'est orienté vers l'admission délibérée des délits d 'omission. En
consécutif à l'opération non réussie 337 ; femmes enceintes se présentant dans un
vérité, les infractions de pure omission existaient dès l'époque de la codification
service d'hôpital afin qu'il soit procédé à leur avortement, refusé par le praticien et
napoléonienne. Mais elles étaient peu nombreuses. Le législateur, dans le courant du
ayant plaidé qu'elles étaient en état de péril, la décision constate que l'état de détresse
XXème siècle, les a multipliées : Abandon de famille, non-représentation d 'enfant,
dans lequel elles se trouvaient est différent de l'état de péril ; imminence du péril couru
omission de déclaration fiscale ou omission de passation d'écriture, et surtout les
par une personne âgée, séquestrée et privée de soins 338.
quatre infractions instituées par l'Ordonnance du 25 juin 1945 dans les articles 62 et 63
du Code pénal, éparpillées dans le nouveau code pénal.
334
Deux idées fortes traversent ces textes. D'une part, \'idée d'associer les
335
Crim. 17 décembre 1959, D. 1960-398, note BOUZAT; 5. 1960-1 76.
particuliers à l'œuvre de la police par une action préventive (art. 434-11 N.C.P.),
336
Crim. 25 juin 1964, D. 1964-594 ; Crim. 6 mars 1972, D. 394.
d ' autre part, l'idée de solidarité humaine (art. 223-7 N.C.P.).
337
Trib. corr. Rouen, 9 juillet 1975, J.c.P. 1976-2-18258.
338
Crim. 30 octobre 1990, aff. de Canson, j. Cl. pénal 1991-39.
Poitiers, 20 novembre 1901, D. P. 1902-2-81, note LE POITEVIN ; 5. 1902-2-305, note HEMARD.
�1
229
230
L'assistance, d'autre part, doit être donnée sous la forme la plus adéquate (beaupère sanctionné pour avoir laissé périr son gendre dans un trou d'eau pendant qu'il
allait chercher du secours au village voisin, alors qu'un bâton se trouvait à proximité
339). Mais, à côté du refus d'assistance que les tribunaux ont souvent relevé à la charge
des médecins (médecin refusant de porter secours à la victime d'une rixe qui perdait
son sang dans une rue voisine de son domicile, en se bornant à donner des instructions
par téléphone 340, l'assistance empirique est ignorée comme illusoire (thaumaturge chez
qui des parents avaient amené leur jeune enfant, se bornant à prier avec eux 341).
A - Délits simples et délits complexes
L'élément matériel peut consister, soit dans un acte unique (délit simple), soit
dans une pluralité d'actes (délit complexe). Mais, dans le second cas, les actes commis
peuvent être, soit de même nature, auquel cas
01\
parlera de délit d'habitude, soit de
nature différente, qualifiant alors l'infraction de délit complexe proprement dit.
JO> Délits simples et délits d'habitude
Enfin l'absence de risque n'est pas toujours commode à définir. A été condamné
un homme qui, sachant nager, ne s'était pas jeté à la rivière pour sauver un enfant de 13
l!l. 1& critère fk 1.tI distinction
ans qui se noyait 342 ; un médecin qui, ayant refusé de se rendre au chevet d'un malade,
la nuit, arguait pour sa défense une angine fébrile 343, tandis qu'a été relaxé un
automobiliste qui avait commencé par éteindre un véhicule qui brûlait avant de porter
secours à un mécanicien qui le réparait, au motif que l'incendie de la voiture risquait de
provoquer une explosion
344.
Sévère à l'égard des médecins
345,
souvent relaxés par le
Conseil de l'Ordre, la jurisprudence l'est aussi à l'égard des guérisseurs à qui elle refuse
le secours de l'ancien article 63 du Code pénal. Plus récemment, la Cour de cassation
en a fait l'application à la suite de poursuites pour exercice illégal de la médecine 346.
Le nouveau Code pénal ajoute à l'omission de porter secours l'entrave aux
mesures d 'assistance destinées à faire échapper une personne à un péril imminent ou à
combattre un sinistre (Art. 223-7).
§ 2 - CLASSIFICATIONS TEMPORELLES
il est aisé . Le délit simple ou d'occasion Oorsqu'on l'oppose au délit d 'habitude),
consiste dans un acte unique, c'est-à-dire que cet acte justifie à lui seul l'incrimination
(exemple : le vol qui consiste dans la soustraction frauduleuse de la chose d'autrui
(Art. 311-1 N.C.P.). Le délit d'habitude suppose au contraire la répétition de plusieurs
actes semblables, dont chacun pris isolément n'est pas punissable (exemple: l'exercice
illégal de la médecine). L'article 227-21 permet de faire la distinction entre le délit
d' habitude et le délit d' occasion. Le texte énonce: "Le fait de prauoquer diredement un
mineur à commettre habituellement des crimes ou des délits est puni de cinq ans
d'emprisonnement et de 1 000 000 F d'amende.
Lorsqu'il s'agit d'un mineur de quinze ans, /'infraction définie par le présent article est
punie de sept ans d'emprisonnement et de 1000 000 F d'amende".
Mw intérêts fk 1.tI distinction
ils sont importants. La prescription du délit d'habitude a pour point de départ le
Elles permettent de mettre en parallèle deux types d'infraction, les délits simples
et les délits complexes, les délits instantanés et les délits continus. Le critère de
destruction, dans ces classifications, présente l'intérêt essentiel de conditionner la
poursuite.
jour où a été accompli le dernier acte constitutif de l'habitude. Mais une difficulté
apparaît si les différents actes, au minimum deux d 'après la jurisprudence, sont
séparés par un délai plus long que la prescription. La Cour de cassation a décidé que
peu importait la durée d'espacement séparant les différents actes, dès lors que le
dernier acte entre dans les délais légaux de prescription~ Cette solution a été fort
339
Trib. cor. Aix, 27 mars 1947, D. 1947-304.
critiquée. La prescription est une mesure d'oubli. Si la loi décide qu'au bout d'un certain
340
Nancy, 27 octobre 1965, D. 1966-30, note LORENrZ.
temps une infraction doit être absoute, il devrait en être de même, à plus forte raison,
341
Crim. 29 juin 1967,J.C.P. 1968-IT-15377, note PRADEL.
342
Trib. cor. Abbeville, l2 juillet 1943, J.c.P. 1944-II-2624, note BORNECQUE.
343
Trib. cor. Riom, 20 mars 1947, D. 1947-304.
34 4
Trib. cor. de Bethune, 18 octobre 1950, J.c.P. 1951-11-5990.
345
Dr COLIN, placé en détention préventive, Nancy 27 octobre 1965 préc ..
346
Crim. 26 avril 1988, J.c.P. 1988-1-3 chrono BORRICAND, correspondance échangée entre l'un
des auteurs du livre "Suicide mode d'emploi" avec l'une des lectrices, ayant débouché sur le
suicide de celle-d.
pour un acte qui, à lui seul, n'est pas incriminé, et dont la moindre gravité se trouve
ainsi reconnue.
Un autre intérêt de la distinction se manifeste dans l'exercice de l'action civile.
Tant que l'infraction d 'habitude n'est pas réalisée, la victime n'a pas le droit d'exercer
d'action civile devant les tribunaux répressifs. Toutefois, si un acte unique lui a causé
un dommage, elle peut en demander réparation sur la base des articles 1382 et suivants
du Code civil.
�231
232
ZO> Délits simples et délits complexes proprement dits
JO> Intérêts de la distinction
ils se caractérisent, d'une façon générale, par un régime juridique plus sévère pour
al. L'infraction complexe
Elle comporte une double acception. Dans un premier sens, l'infraction complexe
les infractions continues, tant sur le plan de la procédure que sur celui du fond du
droit.
est l'infraction de droit commun commise sous l'empire d'un mobile politique. Nous
al. mIe. pltm ll.e..1a. procédure
l'avons déjà rencontrée et ce n'est pas cet aspect qui nous intéresse. Dans un deuxième
sens, elle se définit comme comportant une pluralité d'actes, de nature différente,
coordonnés et concourant à une fin unique. L'exemple le plus typique est l'escroquerie
qui consiste à se faire remettre une chose par le moyen de manœuvres et un acte
d'acceptation de remise de la chose (Art. 313-1 N.CP.).
hl 1.fu particularisme affirmé s'attache il. l'infraction complexe
La compétence des délits instantanés est déterminée par le lieu de leur
commission, tandis que celle des délits successifs est multiple. La prescription des
premiers a pour point de départ, le jour de la réalisation de l'acte, tandis que celle des
seconds ne débute que le jour où l'acte délictueux a pris fin (ainsi, en matière de recel,
la prescription commence le jour où le receleur s'est débarrassé de l'objet qu'il détenait).
Enfin une loi pénale nouvelle, même si elle est plus rigoureuse, s'applique à l'infraction
L'incrimination exige une pluralité d'actes. La compétence de la juridiction est
fonction des lieux où les divers actes ont été accomplis. Elle est donc souvent multiple.
d'habitude dès lors que le dernier acte qui la constitue est postérieur à l'entrée en
vigueur de cette loi.
Enfin, le point de départ de la prescription se situe au moment de l'accomplissement
du dernier acte constitutif de l'infraction et se trouve retardé d'autant. Ce dernier trait
de son régime juridique évoque une autre catégorie d'infractions, celle des infractions
continues, avec laquelle, cependant, il faut bien se garder de la confondre.
M B - Délits instantanés et délits continus
V
rn il-Q,l."it ~u (),)-
L'application de la loi pénale plus sévère est commandée par le prindpe de la
non-rétroactivité pour les délits instantanés, tandis que les délits successifs sont
immédiatement sanctionnés, même si des actes ont commencé avant la loi nouvelle. Les
p
L'infraction pénale suppose un certain temps pour son exécution. Cependant,
certaines infractions se réalisent en un laps de temps d'une durée négligeable, alors que
lois d'amnistie, d'autre part, ne sont pas applicables à l'infraction continue qui persiste
aprè~
la loi d'amnistie. Enfin, la durée de la peine peut parfois varier en fonction du
temps écoulé. Ainsi le délit de séquestration de personnes est sanctionné d'une pénalité
variable selon la durée de la séquestration (Art. 224-1 N.C.P.).
d'autres nécessitent pour leur accomplissement un temps plus ou moins long. Les
premières sont appelées des délits instantanés (ex. le vol est consommé dès que la
soustraction frauduleuse est réalisée). Les secondes sont qualifiées de délits continus:
ex. port illégal de décorations (Art. 433-14 N.CP.). - recel de choses (Art. 321-1
2°) Critère de distinction
La distinction des infractions instantanées et des infractions continues est
malaisée à opérer pour plusieurs raisons.
N.CP.), délit de construction sans permis (Loi nO 480-4 C urbanisme), délit
Raison théorique: les auteurs ne s'accordent pas toujours sur la terminologie à
d 'insoumission à l'obligation du service militaire (Art. 375 et 397 C. just. mil.), délit de
employer, et la jurisprudence dans un souci de répression, analyse parfois certains
proxénétisme (Art. 225-5 N.C.P.). En somme, l'infraction instantanée est un fait,
l'infraction continue est "un état de fait". Toutefois cette distinction, apparemment
délits instantanés en délits continus.
Raison pratique : la commission des infractions instantanées est souvent
simple, se révèle délicate à l'examen, car la jurisprudence opère souvent des confusions
accompagnée de faits qui se prolongent pendant un certain temps, leur donnant
pour appliquer à l'infraction considérée tel ou tel régime. il importe donc de préciser les
l'aspect d'infractions continues. Ainsi, en matière de vol, si la soustraction se réalise
intérêts de la distinction pour tenter ensuite d 'en rechercher le critère.
généralement en peu de temps, la détention de l'objet peut parfois durer très
longtemps.
c1m
0
J.oJ-rjNJt __ ~"\fllAÂ ~
0--:> [1M-1 e.u "'-' .
�233
234
al W délits instantanés
SECTION Il - LA NÉCESSITÉ DE L'ÉLÉMENT
MATÉRIEL
ils s'exécutent en un seul laps de temps (ex. : le meurtre, le vol). Entren t dans
cette catégorie deux types de délits :
1) Le délit répété ou continué, consiste dans la répétition de plusieurs actes
Le Code pénal, parti de la conception objective, exigeait la commission d'un acte.
matériels qui, pris chacun isolément, constituent une infraction punissable (ex. : le
Celui-là seul manifestait à l'évidence le caractère antisocial de son auteur, mais cela ne
serviteur qui dérobe chaque jour, une somme d'argent à son maître) ;
2) Le délit permanent se réalise en un seul trait de temps, mais ses conséquences
signifiait pas nécessairement qu'il faille que ce dernier soit parvenu à son but. La
se prolongent pendant une durée plus ou moins longue (ex. : la bigamie, la construction
tentative était réprimée pour les infractions les plus graves. L'École positiviste et, à sa
sans permis de construire). il est donc soumis aux règles des délits instantanés et,
suite, les doctrines subjectives modernes sont allées beaucoup plus loin. Elles
notamment, la prescription doit avoir pour point de départ la date où l'acte a été
considèrent que des mesures préventives s'imposent à l'encontre de l'individu qui n'a
commis, et non le jour où les suites de l'acte ont disparu .
Cette solution, logique sur le plan des principes, est apparue regrettable pour les
tribunaux en ce qui concerne les intérêts de la répression. C'est pourquoi la
jurisprudence a tendance, et c'est ce qui explique la confusion entre délit permanent et
#1"
,:")\t
pas encore manifesté sa volonté criminelle, mais dont le comportement laisse craindre
j\(l'l\'.l p' II'I-P )\\ ~~q" la commission future d'une infraction. Le droit pénal contemporain sans consacrer
~è<') ~vN'~lJ,.
~
li \
pleinement ces idées, a élargi, cependant, la notion d'élément matériel. A côté du droit
pénal classique imposant un acte suffisamment concrétisé, le droit contemporain fait la
(l'
place à un acte matériel simplement virtualisé.
délit successif, à traiter, quant à la prescription, le premier comme le second, en
confondant les conséquences de l'infraction avec ses éléments constitutifs. La question
§ 1 - ACTE CONCRÉTISÉ
s'est posée pour une escroquerie ayant pour but l'obtention d'un titre permettant la
perception ultérieure d 'arrérages périodiques. La Cour de cassation a décidé que, dans
ce cas, la prescription commence à courir, non pas du jour de la décision d'admission
Il est rare qu'une infraction à la loi pénale soit improvisée et subite. Le plus
au bénéfice de la retraite, mais seulement de celui où les versements auront cessé d'être
souvent, sa commission est le résultat d 'une série de faits d'ordre psychologique et
effectués 347. Mais la Chambre criminelle est revenue sur cette position >18.
matériel, qui se succèdent dans le temps. A partir de quel moment la loi pénale peutelle intervenir? Cest le problème de la tentative interrompue.
.
hl W délits successifs Q1! continus
Parfois même, l'agent a accompli tous les actes qu'il se proposait, mais n'a pas
ils impliquent la notion de durée pour la constitution de l'élément matériel. ils
atteint le résultat qu'il poursuivait. De tels agissements sont-ils incriminables? Cest
s'exécutent en un certain laps de temps, au cours duquel se manifeste toujours la
l'hypothèse de la tentative infructueuse. En ce domaine, comme en beaucoup d'autres,
volonté coupable de l'auteur. Ce peut être, soit un délit d 'action : port illégal de
s'opposent deux conceptions du droit pénal.
décorations, (Art. 433-14 N.C.P.), séquestration arbitraire, (Art. 224-1 KC.P.), soit un
La conception objective s'attache au trouble social causé par le délit et la gravité
délit d 'omission: non représentation d'enfant (Art. 227-5 N.C.P.). Le point de départ
de ce trouble. Elle conduit à une notion de tentative restrictivement interprétée, et à
de la prescription remonte au jour de la cessation de l'acte délictueux.
Au sein de ces délits successifs, la doctrine a dégagé la notion de délit collectif
l'impunité du délit impossible.
La conception subjective, en revanche, est fondée sur la culpabilité du
par unité de but. L'infraction se réalise par une pluralité d 'actes matériels, mais reliés
délinquant. Elle est la même, que l'exécution ait été complète ou seulement commencée,
par une même résolution criminelle (ex. : vol de courant électrique en actionnant un
qu'elle ait réussi ou qu'elle ait manqué, qu'elle ait été possible ou impossible.
~commutateur). Cette analyse permet aux tribu.n aux d'appliquer la prescription à
Le droit français, après avoir consacré la théorie subjective dans l'Anden Droit
compter du dernier acte frauduleux réalisé, mais pour incriminer l'ensemble des
-"La noirceur du crime consiste moins dans le fait que dans le dessein" disait JOUSSE- a
agissements matériels qui, pris isolément, pourraient, du moins pour les premiers,
échapper à la répression, la cour de cassation consacre la notion de délit collectif.
/C
adopté à l'époque révolutionnaire, la théorie objective conduisant à une impunité de la
tentative. On s'est vite rendu compte des excès d'une telle théorie. Cest pourquoi les
rédacteurs du Code pénal avaient opéré un compromis entre les deux conceptions. Aux
347
crim. 1er mars 1955, 0 . 1955-348.
348
Crim.15 décembre 1965, B. nO279.
termes de l'article 2 du Code pénal, "Toute tentative de crime qui aura été manifestée par
�235
236
un commencement d'exécution, si elle n'a pas été suspendue ou si elle n'a manqué son effet que
raisons que précédemment. L'acte peut revêtir un caractère équivoque et, d'autre part, il
par des circonstances indépendantes de la volonté de son auteur, est considérée comme le crime
même". L'article 3 du Code pénal ajoutait: "Les tentatives de délits ne sont considérées
faut inciter le délinquant éventuel à ne pas persévérer dans la voie où il s'est engagé.
comme délits que dans les cas déterminés par une disposition spéciale de la loi". En revanche,
altération de clefs, Art. 132-73 N.CP.).
la tentative de contraventio
"
. .
Exceptionnellement, le Code réprime les actes préparatoires, (ex. : contrefaçon ou
·mée. Le travail d'interprétation
- Le commencement d'exécution, en revanche, est toujours réprimé parce qu'il
entrepris par les tribunaux a permis de préciser les divers aspects de la tentative, selon
se situe à une distance très proche de la consommation de l'infraction. C'est ce
qu'elle apparaît interrompue ou infructueuse.
qu'énonce l'article 121-5 CP. prédté : "La tentative est constituée dès lors que manifestée
Le nouveau code pénal n'apporte pas de modifications sensibles. En effet
par un commencement d'exécution ... " (ex. : l'appréhension matérielle de la chose est un
'f.&-,['i n A~ion , la personne qui: 1°) commet les
commencement d'exécution du vol). En réalité, la frontière est délicate à tracer entre
ettre un crime ou, dans les cas prévus par la loi, un délit".
l'acte préparatoire et le commencement d'exécution. Tout dépend de la conception
l'article 121-4 rappelle que: "Est auteur
faits incriminés ; 2") Tente de
COIll
r~~
""t-
n n'y a donc pas de tentative de contravention.
adoptée en ce domaine.
L'article 121-5 ajoute: "La tentative est constituée dès lors que, manifestée par un
commencement d'exécution , elle n'a été suspendue ou n'a manqué son effet qu'en raison de
Pour la clarté de l'exposé il apparaît souhaitable d'envisager successivement trois
critères:
circonstances indépendantes de son auteur". La seule différence avec le droit ancien, est
- Doctrinal
que le nouveau code n'assimile pas la tentative à l'infraction consommée, mais déclare
- Jurisprudentiel
auteur de l'infraction, non seulement celui qui commet les faits incriminés, mais aussi
- Crirninologique
celui qui tente de les commettre (Art. 121-4 N.CP.). Il semble donc que la
jurisprudence ne ôoive pas, pour l'avenir, devoir subir de modifications sensibles, qu'il
Y
ru Critère doctrinal
~ r 'le vi' 1 ;~
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1
,
1
v·
Pour les partisans de la doctrine objective; le commencement d 'exécution n'est
s' agisse de la tentative interrompue ou de la tentative infructueuse.
réprimé que lorsqu'il figure, soit dans les éléments constitutifs, soit dans les
A - La tentative interrompue
circonstances aggravantes de l'infraction, posés par le Code. Ainsi, le vol ne sera
constitué que lorsque le voleur aura posé la main sur l'objet. Cette analyse,
L'article 121-5 N .CP. impose deux conditions fondamentales
un
satisfaisante dans la mesure où elle définit avec précision le commencement
d'exécution, est critiquable, car elle accorde une impunité scandaleuse à des actes très
commencement d'exécution et une absence de désistement volontaire.
proches du résultat final . Elle n'a obtenu aucun succès en pratique.
JO) Commencement d'exécution
A l'inverse, pour la conception subjective, le commencement d 'exécution est
entendu de façon beaucoup plus large. C'est tout acte qui témoigne d'une volonté
)
Cette exigence, posée par le Code, doit permettre de ne laisser planer aucune
définitive et arrêtée de commettre le crime. C'est, écrit DONNEDIEU DE VABRES,
équivoque sur l'intention criminelle de l'agent. La "trajectoire du crime" (îter crirninis)
"lorsqu 'il existe, entre le mal commis par l'agent et le but qu'il se proposait, une distance
n'est donc sanctionnée que dans sa phase finale. Deux étapes, l'une psychologique,
morale si faible que laissé à lui-même, il l'aurait presque certainement franchie". Dans cette
l'autre matérielle l'ont précédé.
conception, l'intention criminelle n'est pas une certitude, mais une très forte probabilité.
- La résolution criminelle constitue la phase psychologique du processus
Ainsi, quelqu'un découvert la nuit, déchaussé, dans une maison habitée, sera poursuivi
criminel. Elle échappe à la répression, parce qu'elle suppose des mesures d'inquisition
pour tentative de vol, bien que sa présence dans les lieux laisse place à d 'autre
délicates, et parce qu'on doit encourager sa révocabilité. Cependant, le législateur
hypothèses: curiosité, jeu, abri pour la nuit. Cet exemple illustre que cette conception
réprime exceptionnellement la résolution à titre de délit spécial (ex. : menaces écrites ou
n'est pas à l'écart de toute critique. Aussi d'autres auteurs ont-ils voulu donner plus de
verbales, Art. 222-17 N .CP. ; association de malfaiteurs, Art. 450-1 N.CP.).
rigueur à cette conception. GARRAUD propose de ne retenir que l'acte tendant
~,'agit
"directement et immédiatement à la perpétration du crime ou du délit", tandis que d'autres
d 'agissements matériels qui permettent au malfaiteur de réunir les divers instruments
opposent l'acte univoque qui ne peut s'expliquer que par l'intention criminelle de son
- Les actes préparatoires représentent la deuxième phase de la tentative. Il
du crime (ex. : l'achat d 'une arme). L'impunité est également accordée, pour les mêmes
�237
238
auteur, et l'acte équivoque, susceptible de plusieurs interprétations et assurant
modification de l'étiquetage d'un produit lors de sa présentation à la caisse d'un
l'impu 'té à son auteur.
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qu'ils re '
Depuis plus d'un siècle, la Cour de cassation exerce son contrôle sur
précisée. Au début
IN. \1(
d~ siècle,
la
-
ommer une infraction déterminée. Cependant, il faut
entre acte équivoque et acte univoque, ni censuré les décisions qui s'appuient sur les
aveux du coupable ou aux circonstances extérieures révélatrices de ses intentions
véritables. Le départ d'un directeur d'usine pour l'étranger, fait objectivement
équivoque, peut-être révélateur du désir de révéler un secret de fabrique, 359 ; le fait de
creuser la surface d'une tombe, acte constitutif du délit de violation de sépulture
apparaît équivoque pour faire admettre la tentative de vol : 360 ; le fait pour deux
étant entré dans la période d'exécution 351.
.'<.
De cette jurisprudence, il résulte que nos tribunaux exigent deux éléments pour
.§"
êtée d co
bien souligner que la Chambre criminelle n'a jamais dit qu'elle se référait à la distinction
Ch~bre c~~elle déf~issait , le .comm,~ncement
X A l'heure actuelle, elle hésite entre deux formules. De façon subjective, elle définit
le commencement d'exécution comme étant l'acte qui "tend directement au de1it lorsqu'il a
été accompli avec l'intention de le commettre" 350. De façon objective, elle le qualifie"
d'acte devant avoir pour conséquence directe et immédiate de consommer le crime" celui-ci
~'J
'-Sv
r.-w-;~ ~~
nent la tentative, c'est que les faits accom lis ne ouvaient s'ex liquer ue •
par la olonté bi
d'exécution "L'acte e.rteneur auquel Il n a manque qu un complement d executzon 349.
dl
'
A lire les arrêts, il semble qu'ils se réfèrent à la conceptio ~nivoq~ Chaque fois
hl Critère jurisprudentiel
l'appréciation judiciaire du commencement d'exécution. Mais la notion mérite d'être
0 1,
c.-Y' J
~
supermarché 358.
J." ck:s
individus de se promener sur la voie publique la nuit en compagnie d'un troisième
individu porteur d'une pince-monseigneur, acte équivoque, est un commencement
qu'il y ait commencement d'exécution: une intention irrévocable et un lien de causalité.
d'exécution, si les individus ont avoué leur intention de réaliser un vol. 361. Dans tous
>c - Tout d'abord, il faut une intention irrévocable. Celle-ci se déduit des espèces
ces exemples, l'acte est équivoque. Pourtant la juridiction a estimé qu'il y avait
suivantes: personne trouvée sans chaussures dans une maison habitée 352 ; médecin
tentative punissable.
~ .j'acceptant de procéder à un avortement, percevant des honoraires et arrêté au moment
L'existence du lien de causalité constitue le deuxième élément exigé par la
de se rendre chez sa cliente 3S3 ; malfaiteurs cachés dans une cage d'escalier avec un
jurisprudence. Il permet de situer le commencement d'exécution dans un temps
arsenal de cambrioleurs dans le but d'attaquer un encaisseur 354 ; effraction d'un
relativement proche des opérations de consommation proprement dites. Ainsi, est
véhicule automobile et installation au volant 355 ; malfaiteurs arrêtés au moment de
punissable l'individu trouvé la nuit, déchaussé dans une maison habitée, 362 ; des
l'arrivée d 'une camionnette chargée de fonds et trouvés porteurs de revolvers, les uns à
malfaiteurs trouvés dans une cage d'escalier au moment du passage d 'un encaisseur,
bord de véhicules volés, les autres à pied, tous munis de gants, faux nez, bombes
363 ; des malfaiteurs arrêtés au moment de l'arrivée d'une camionnette chargée de
lacrymogènes, ne laissant aucun doute sur leur projet criminel 356 ; Totalisateur d'un
fonds, 364 ; médecin trouvé les mains enduites de vaseline à proximité d'une femme
véhicule automobile indiquant un kilométrage inférieur au kilométrage réel 357 ;
enceinte allongée, 365.
~
En revanche, la Chambre criminelle s'est refusée à admettre la tentative dans les
affaires suivantes: instigateur d'un meurtre payant un homme de main qui n'a pas
fi\
349
Crim. 10 août 1906, B. n° 333.
350
Crim. 4 août 1927, S. 1929-1-33.
351
Crim. 25 octobre 1962, LACOUR, D. 1963-221, note BOUZAT, ].CP. 1963-11-12985, note
VOUlN, individu ayant pris contact avec un homme de main pour l'inciter, moyennant
finance, à commettre un assassinat; SCHlEB, réf. ibid ., individu ayant foumi de l'argent et
une arme à un exécutant.
commencé l'acte demandé: 366 ; mineur ayant remis de l'argent pour l'achat de drogue,
358
Crim. 9 mars 1983, D. 1984-209, note DEVEZE.
359
Crim. 4 juillet 1903, S. 1904·1-105.
360
Fort de France, 22 septembre 1967, J.CP. 1969-II-15553, note BlSW ANG .
361
Tribunal de police Nanterre, 6 juillet 1971 ; R.S.C 1972-100, obs. LEGAL.
352
Crim. 1er mai 1879, S. 1880-1-233, note VILLEY.
353
Crim. 30 juillet 1942, J.CP. 1942-U-2054, note BROUCHOT.
354
362
Crim. 3 janvier 1913, D.P. 1914-1-41, note DONNEDIEU DE VABRES; S. 1913-1-281, note
ROUX.
Crim. 1er mai 1879, précité.
363
Crim. 3 janvier 1913 précité.
355
Crim. 28 octobre 1959, J.CP. 1960-II-1l343, note CHAMBON.
364
Crim. 22 décembre 1970 précit.
356
Crim. 29 décembre 1970, J.c.P. 1971-11-16770.
365
Crim. 16 mars 1961, B. nO 172, etc ....
357
Crirn. 5 juin 1984, D. 1985-l.R.-89.
366
Crim. 25 octobre 1962, deux espèces, précitées.
�239
240
alors qu'un contact avec le vendeur n'a pas encore été pris 367, propriétaire d'un camion
son projet criminel, ne mérite pas d'être puni. Sur le plan social, en assurant l'impunité
incendiant sa propre chose, sans faire de déclaration de sinistre 368.
à l'agent, on l'encourage ainsi à renoncer à l'exécution de son projet criminel, tant que
Ces critères jurisprudentiels demeurent encore très éloignés des préoccupations
cri.minologiques.
celui-ci n'est pas achevé. Mais il faut préciser en quoi consiste la notion de désistement,
et à quel moment il doit se manifester.
(
l
ru Notion, Désistement volontaire QlI. involontaire
cl Critère criminologique
Pour les pénalistes, le commencement d'exécution est le signe tbbjecti du
caractère irrévocable de la résolution criminelle d'un délinquant qui a
~
La définition du désistement volontaire est moins facile qu'il ne parait au premier
, son
abord. Sans doute, n 'y-a-t'il pas de difficulté si le désistement est spontané (remords,
action. L'iter criminis comprend quatre phases: le projet, les actes préparatoires, le
peur). Dans ces cas, l'agent n'encourt aucune sanction. A l'inverse, il n'y a pas de
commencement d'exécution, enfin la consommation. li permet de faire apparaître le
problème non plus si le désistement est dû à une cause externe (au moment où le
seuil à partir duquel l'agent sera réprimé.
meurtrier s'apprête à tirer, quelqu'un lui saisit le bras). Mais, dans la plupart des cas, le
Pour les criminologues, ce découpage est artificiel et schématique. ils soutiennent
désistement revêt une nature mixte. Une cause externe a pesé sur la volonté de l'agent
que les vicissitudes de la psychologie du sujet sont susceptibles de modifier cette
pour l'inciter à abandonner son projet (mis en joue, l'agent a renoncé à son projet
chronologie des actes.
meurtrier). On a dit qu'il y avait mixture de causalité et de volonté. Plus simplement,
2/Pour de GREEFF, dans le processus d'acte grave, on ne retrouve pas trace d'une
on peut dire que le désistement est volontaire, sans être spontané.
décision criminelle réfléchie. Ce n'est pas au plan de la volonté que se déclenche le
La solution, admise par les tribunaux, consiste à rechercher quel est l'élément
passage à l'acte, mais au plan d'un état dangereux qui peut surgir, même au stade des
prépondérant dans la décision de l'agent. La jurisprudence est plutôt sévère
actes préparatoires. L'occasion de l'infraction n'a plus à être recherchée. C'est le cas du
(désistement d'une tentative de vol au moment de l'arrivée de passants; tentative
crime passionnel.
d'escroquerie à l'assurance abandonnée en présence d'une enquête judiciaire susceptible
En revanche, dans le processus de maturation criminelle, propre au délinquant
de dévoiler la supercherie).
professionnel, il y a deux éléments: l'adoption délibérée d'une carrière criminelle et
hl Moment, Désistement volontaire ct. repentir gQjf.
l'acquisition des techniques nécessaires à l'exercice de son activité coupable.
A la vérité, ces enseignements criminologiques sont difficilement utilisables en
droit positif. Cependant, on a montré qu'ils présentent une utilité à un double titre.
- Permettre une nouvelle classification des délinquants ;
- Développer les moyens de détection des possibilités de crime.369
Le d ésistement volontaire se situe avant la consommation de l'infraction. Il vise à
en interrompre le processus. Au contraire, le repentir actif se situe après la
consommation de l'infraction. Il consiste à réparer le préjudice subi par la victime
(restitution de l'objet volé). A la différence de certaines législations étrangères, le droit
français ne tient pas compte du repentir actif, sauf dispositions particulières (ex. :
2°) Absence de désistement volontaire
l'auteur d 'une séquestration bénéficle d'une diminution de peine s'il rend la liberté à sa
victime avant le septième jour de la séquestration: (Art. 224-1 , al. 3 N.C.P.) ; le
L'établissement du commencement d'exécution ne suffit pas pour que soit
réprimée la tentative. Encore faut-il que cette exécution n'ait pas été suspendue par des
permettant l' identification des autres participants (Art. 414-3 N.C.P.).
circonstances indépendantes de la volonté de son auteur. La tentative volontairement
La détermination de la date du désistement volontaire n'est pas toujours
arrêtée échappe à l'incrimination légale. La justification de cette solution est double.
possible. Elle peut être effectuée pour le délit matériel puisque la consommation
Sur le plan moral, celui qui a l'intention de commettre un crime, mais qui a abandonné
n'existe que si le résultat voulu par l'auteur a été atteint (ex.: le meurtre suppose la
367
Crim. 15 mai 1979, D. 1980-409, note CAMBASSEDES.
368
Crim.22 mai 1984, D. 1984~2, note J.M. ROBERT; cf. DEVEZE, Le commencement d'exécution
de l'infraction en jurisprudence, RS.C. 1981-m.
369
participant à un complot est exempt de peine s'il révèle aux autorités l'entente établie
ROUJOU DE BOU BEE, La genèse de l'acte infractionnel in Confrontation de la théorie
générale de la responsabilité pénale avec les données de la criminologie. Annales Faculté de
TOULOUSE, t. xvn, fascicule 1-1969, p. 61.
morth
n revanche, le d élit formel est consommé, même si le résultat ne s'est pas
produit. Donc, dès ce moment, le désistement volontaire est devenu impossible,
puisque tous les éléments de définition légale de l'infraction sont déjà réunis (ex. : celui
qui, pris d e remords, fournit un antidote après avoir administré du poison à sa victime,
�241
242
ne peut invoquer le désistement volontaire, l'administration de substances toxiques
convaincant. Un argument de politique criminelle consisterait à affirmer qu'aucun
étant le seul élément constitutif de l'empoisonnement).
Cette solution, qui maintient ainsi l'incrimination dans les délits formels, est
trouble n'a été porté à l'ordre social et que, de ce fait, l'impunité doit jouer. Ce serait
difficilement admissible, car elle n'encourage pas au désistement, si l'on admet, chez les
Une conception subjective, devant l'absurdité des résultats de la conception
faire bon marché de la volonté criminelle évidente qu'a révélée le criminel.
délinquants, une connaissance du Code pénal, ce qui est douteux. En revanche, si tous
précédente, a soutenu la thèse de l'incrimination, car le délit impossible révèle plus que
les actes constitutifs de l'infraction ont été accomplis, n'est-il pas normal que l'auteur
la tentative, l'intention coupable de l'auteur. Les Positivistes et, à leur suite, les
encoure une peine quel que soit le résultat obtenu?
criminologues contemporains, soulignent que l'infraction impossible demeure la
concrétisation d'une volonté criminelle dangereuse. Toutefois, une réserve est apportée.
_
\
B - La tentative infructueuse
C'est le cas où les moyens mis en œuvre par l'agent apparaissent si dérisoires qu'ils
révèlent l'inaptitude de celui-<i, voire sa stupidité (ex. : tirer un coup de feu à une
il arrive parfois que le résultat poursuivi par l'agent n'ait pas été atteint. Tous les
actes matériels tendant à la réalisation de l'infraction ont été accomplis, mais ils n'ont
distance invraisemblable).
;0 Enfin, une conception intermédiaire se révèle plus nuancée. Certains ont
pas été couronnés de succès. Cette exécution infructueuse caractérise le délit manqué et
proposé de distinguer entre l'impossibilité absolue (meurtre sur un cadavre), et
le délit impossible.
l'impossibilité relative (tirer dans une pièce vide), celle-d seule justifiant la répression
(ORTOLAN). Mais on a pu objecter que la n~tion d'impossibilité ne comporte pas de
la) Le délit manqué.
degré. D'autres opposent l'impossibilité de droit (tirer sur un cadavre), qui implique
----
l'absence d 'un élément constitutif de l'infraction -le droit ne saurait protéger des
il ne soulève aucune difficulté particulière. L'échec est dû à une circonstance
"fantômes de droit" (ROUX)- à l'impossibilité de fait (poche momentanément vide, cas
indépendante de la volonté de l'auteur (il tire, mais rate son adversaire). La culpabilité
où le délinquant est juridiquement répréhensible) (GARRAUD).
du premier ne fait aucun doute. C'est pourquoi l'article 121-5 N.C.P. assimile
complètement l'infraction manquée à la tentative interrompue ... "la tentative est
Xl hl La jurisprudence
constituée dès lors que manifestée par un commencement d'exécution, elle n'a été suspendue ou
Sensible à ces différentes doctrines, la jurisprudence a évolué. Dans une première
n'a manqué son effet qu'en raison de circonstances indépendantes de son auteur".
étape, elle avait admis la doctrine objective (coups de feu tirés dans une pièce
momentanément vide). Puis, vers le milieu du XIXo siècle, la conception intermédiaire a
20 ) Le délit impossible
paru triompher. La Cour de cassation consacrait la distinction doctrinale entre
En revanche, il a suscité de vives controverses. Le résultat ne pouvait pas, à
l'impossibilité absolue et l'impossibilité relative. L'impossibilité absolue a été appliquée
priori, être obtenu, mais l'auteur l'ignorait. il y a impossibilité matérielle d 'exécution,
pour des manœuvres abortives pratiquées sur une femme supposée
encei te. En
(PH &neC,,1 )
ignorée de l'agent (ex. : tirer sur une personne déjà morte; plonger la main dans une
revanche, l'impossibilité relative a été illustrée à plusieurs reprises (tentative de vol
poche vide).@
dans un tronc d'église momentanément vide, tentative de meurtre par des coups de feu
suence législati!) a suscité des controverses doctrinales et
O
jurisprudentielles passionnées depuis le début du XIX siècle. Les rédacteurs du
tirés dans une pièce provisoirement inoccupée par la personne que le meurtrier voulait
nouveau code pénal n'ont pas jugé utile de légiférer en la matière.
atteindre). Enfin, depuis 1928, les tribunaux semblent appliquer la thèse subjective
370.
al LB. doctrine
A été jugée punissable, la tentative d'avortement à l'aide d'injections d'eau de
Cologne, substance impuissante à provoquer l'avortement. La tentative de vol dans une
Elle a été partagée au cours du XIXosiècle entre trois théories.
chambre d'hôtel vide ou dans une automobile vide. Reste le cas particulier des
Une conception objective a affirmé, au début du siècle dernier, la thèse de
infractions supposant, comme condition préalable, la vie de la victime (homidde
l'impunité. Deux arguments ont été développés à l'appui. Argument rationnel: la
volontaire, viol). L'agent poursuivi pur tentative d' homicide volontaire ou de viol peut-
tentative suppose un commencement d'exécution. Or on ne saurait exécuter ce qui est
inexécutable. Il est facile de répondre que l'impossibilité est attachée, non aux actes
d 'exécution, mais au résultat de ces actes. Le second argument n'est pas plus
370
Crim. 9 novembre 1928, D. 1929-2-97, note HENAY.
�243
244
il opposer qu'en réalité sa victime était déjà décédée au moment où l'infraction avait
§ 2 - ACTE VIRTUALISÉ
été réalisée.
Jadis, certains auteurs l'avaient admis (ROUX, GARRAUD). En revanche, la
}
jurisprudence s'y est toujours refusée. La Chambre d'accusation de Paris avait renvoyé
Le droit pénal classique estimait que seul un agissement positif traduisait sans
en cours d'assises un individu qui avait tiré sur une victime tuée immédiatement
équivoque l'intention criminelle de l'auteur de l'acte. Les progrès des sciences pénales
auparavant par une autre, mais maintenue debout par l'élan de sa course 371 Peu
ont révélé que cette intention criminelle pouvait également être déduite d'une pure
après, la Cour de cassation a approuvé la Cour d'assises d'avoir condamné, pour
abstention ou d'un simple comportement. ROUX observait déjà : "Il ne faut pas attacher
meutre, deux individus qui avaient agi de concert et dont l'un nécesairement avait
au mot, acte, la significaiion d'une activité positive, caractérisée par un mouvement physique
du corps ; cette expression doit être prise dans son acception la plus large, aussi bien Rositive
que négative". 374
~ tA) fk M d..L ~'\l. >t p>fi'lcti ~
.L> ,,J
frappé la victime alors qu'elle était déjà morte 372. Enfin, dans le célèbre arrêt
PERDEREAU, en date du 16 janvier 1986 373, la chambre criminelle a approuvé la
condamnation portée contre un accusé poursuivi pour tentative de meurtre et qui, en
A - Abstention délictueuse
réalité, avait tué un mort: en effet le fait que la victime fut déjà décédée est une
"circonstance indépendante de la volonté de son auteur". Le projet de Code pénal français
de 1934 avait consacré cette jurisprudence: "l.Jj tentative est punissable alors même que le
Une obligation pénale d'agir, rare sous l'empire de la stricte liberté individuelle,
est de plus en plus fréquente dans le droit moderne; on peut en donner quelques
but recherché ne pouvait être atteint, à raison d'une circonstance de fait ignorée de l'auteur" et
illustrations :
avait reçu une application dans l'anden article 317 ("femme enceinte ou supposée
- Les exigences de la solidarité sociale ont commandé la rédaction des anciens
enceinte ").
articles 62, 63 du Code pénal sanctionnant un certain nombre d'omissions jugées
n serait erroné cependant, de condure à une application généralisée de la thèse
subjectiv~ On s'accorde en premier lieu, pour exclure du champ de la répressl;;;
particulièrement graves devenues les articles 223-6 et 7, 434-1 et 11 N.CP .. Nous
avons déjà pu remarquer que ces textes reçoivent de très nombreuses applications
l'infraction dite surnaturelle, qui consiste à attirer le malheur sur autrui en invoquant le
pratiques;
- L'influence étatique s'est faite sentir sur les dtoyens en de nombreux domaines :
secours de Dieu, du diable, ou de certaines puissances. L'absurdité des ~oyens
• ou la SlIDp
'
liCl't e' d' espnt,
. exp l'lquent l"IIDpumte.
.. D e meme,
~- Il'''''la""':JUrisprudence
'\1.......
, ~11\.
emp1oyes,
obligation mise à la charge des parents de faire procéder à la vaccination de leur
s'est toujours refusée à sanctionner l'infraction putative, c'est-à-dire celle qui n'existe
enfant, obligation mise à la charge des automobilistes de se soumettre au test
que dans l'imagination de l'auteur (ex. : enlèvement d 'une jeune fille majeure en la
alcoolique, obligation mise à la charge des commerçants de tenir certains livres ;
croyant mineure). Enfin, il arrive que les tribunaux ne fassent jouer la répression que si
- Le droit pénal devient souvent un auxiliaire du droit civil, par exemple par la
la victime a été lésée. Ainsi, il a été fréquemment jugé que le faux n'est punissable que
création du délit d'abandon de famille ou par celui de la non-représentation d 'enfant.
dans la mesure où un préjudice est possible. De son côté, enfin, le Code pénal exclut
parfois expressément la répression de l'infraction impossible. Ainsi, l'article 301 ne
B - Comportement répréhensible
reconnaissait l'empoisonnement qu'en cas d 'administration de substances "qui peuvent
donner la mort plus ou moins promptement" cf. la définition du nouveau Code pénal :
"fait d'attenter à la vie d'autrui par l'emploi ou l'administration de substances de nature à
positif, qui se veut non plus seulement répressif, mais préventif. On parle de
entraîner la mort " (Art. 221-5 N.CP.).
criminalité latente.
il s'agit de l'état dangereux, concept cher aux positivistes, développé par le droit
On peut regretter que le nouveau code pénal soit resté muet sur l'infraction
1°) La notion d'état dangereux,
impossible.
Elle consiste dans la très grande probabilité qu'un individu commette une
371
Paris 9 avril 1946, R"C 1948-147, obs. GULPHE
372
Crim. 5 octobre 1972, G.P. 1973-1-25.
373
Crin\. 16 janvier 1986, PERDEREAU, D. 1986-265, note MAYER-GAZOUNAUD, PRADEL,
J.CP. 1987-II-20n4, note ROU}OU DE BOUBEE .
{
.t-
~0'~
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infraction à la loi pénale. Cette probabilité se révèle aisément si le sujet a déjà commis
374
Cours, op. cit. i, p. 94.
�245
246
des infractions. On peut craindre qu'il ne récidive. C'est l'état dangereux post-délictuel.
dangereuse. Ce procédé technique a le mérite de satisfaire à l'exigence de l'élément
En revanche, l'état dangereux pré-délictuel impllque l'absence d 'infraction préalable.
matériel en transposant le problème de l'état dangereux en termes de droit pénal
Cela expllque les objections qu'il a soulevées. Sur le plan crirninologique, on a fait valoir
classique. Mais il encourt aussi le grave reproche de traiter par des peines classiques ce
le risque que l'individu ne soit conduit à la délinquance. Sur le plan juridique, on a
qui relève en réaUté du domaine de la prévention.
r- Le nouveau code pénal vient d'ériger en délit le seul fait de mettre l'auteur en
invoqué la nécessité d'un acte matériel pour être conforme à la définition des éléments
constitutifs de l'infractiOl&ela explique les réticences du droit positif à le consacrer.
péril. En d'autre termes, le droit pénal intervient, ind 'penda
ent du dommage. C'est
On observe également que le respect des droits de la défense n'est pas toujours
l'infraction d'exposition d'autrui à des risques. Mais ce n'est pas la seule manifestation
respecté. Enfin, on peut déplorer que l'intervention judiciaire ne soit pas toujours
de l'idée de mise en péril dans le nouveau code. D'une part, cette idée sous-tend
présente. Elle est concurrencée par une intervention administrative.
d'autres infractions, "Ill mise en danger de III personne", et "La mise en péril des mineurs".
D'autre part "La mise en danger délibérée de la personne d'autrui" pénètre dans la partie
Le droit comparé a multipllé les appllcations de la notion d'état dangereux. Les
déllnquants par tendance, c'est-à-dire les criminels dont les actes ou la personnalité
~u
laissent prévoir la périculosité future, sont visés par diverses législations. Les
d' infractions, mais aussi changement de conception du droit pénal (art. 223-
code, ce qui est révélateur de ce qu'il n'y a pas eu seulemnt addition
n<:f.C15J.
~
dispositions les plus spectaculaires sont les lois de "vagos y maleantes " de l'Espagne et
L'intention des rédacteurs du nouveau code vise essentiellement à renforcer la lutte
de l'Amérique du Sud, qui frappent les vagabonds d 'habitude, mendiants, proxénètes,
contre les acddents de la route et du travail, La drculaire du 14 mai 1993 est éloquente
de mesures indéterminées. De son côté, le droit suisse a imaginé le cautionnement
à cet égard puisqu'elle insiste sur le caractère d'exemplarité du délit de risques causés à
préventif qui consiste à faire promettre à celui qui a menacé de commettre une
autrui 376.
infraction, de s'abstenir de tout acte délictueux et à faire déposer une caution dont le
Le deuxième procédé institue de véritables mesures de sûreté prédélictuelles, La
montant sera acquis à l'État si, dans un délai de deux ans, cet engagement n 'est pas
loi du 15 avril 1954 permet le placement des alcooliques dangereux pour autrui dans
un établissement spécialisé pour subir une cure de désintoxication. L'article 355-2 du
tenu.
Code de la santé publique ordonne en effet, que "tout alcoolique présumé dangereux pour
Le droit français faisait une application timide de la notion d'état dangereux
autrui doit être signalé à l'autorité sanitaire par les autorités judiciaires ou administratives
compêtentes dans les deux cas suivants: lorsque, à l'occasion de poursuites judiciaires, il
résultera de l'instruction ou des débats des présomptions graves, précises et concordantes,
permettant de considérer III personne poursuivie comme atteinte d'intoxication alcoolique; sur
le certificat d'un médecin des dispensaires , des organismes d'hygiène sociale, des hôpitaux, des
établissements psychiatriques". Le même texte prévoit que "l'autorité sanitaire peut
également se saisir d'office à la suite du rapport d'une assistante sociale lorsque celle-ci se sera
jusqu'au nouveau code pénal.
2°) L'incrimination de l'état dangereux
Sans être systématisée par notre droit positif, elle a reçu plusieurs applications
nécessitant, soit une intervention judiciaire, soit une intervention administrative.
ru Intervention judiciaire
rendue compte du danger qu 'un alco~que fajt ~,i!JMut~J."~"J""" ... r -1- cUf,'.~~~:
Le premier procédé est celui des délits obstacles. 11 s'agit d'infractions qui ont
La loi du 31 décembre 1970, sur le traitement des tOXIComanes, apparalt moms
pour but de faire obstacle à la perpétration d'infractions véritables. Ainsi, le
hardie que les textes précédents, car elle ne s'applique pas ante delictum. Ce texte a
vagabondage, la mendicité, ne sont guère en eux-mêmes répréhensibles, mais il est
remplacé la loi du 24 décembre 1953 prévoyant des mesures de désintoxication
prouvé que l'état d 'oisiveté et de misère qui en découle prédispose ceux qui adoptent ce
obligatoires en faveur des drogués, toujours citée, mais jamais appliquée. Le
mode de vie à la délinquance. C'est pourquoi le législateur avait érigé ces
développement de la toxicomanie a conduit le législateur à élaborer un texte mieux
comportements, (vagabondage et mendidté) en déllts pour faire échec à la commission
adapté, à la fois plus rigoureux à l'encontre du trafiquant de drogue, et plus indulgent à
d'infractions plus graves (Art. 269 N.C.P.). Le nouveau code pénal a supprimé ces
l'égard des drogués. L'usager de stupéfiants est considéré plus comme un malade que
délits 375 De même, un très grand nombre de contraventions ou de délits sont destinés
comme un délinquant. L'article 628 1er du Code de la Santé publlque prévoit,
à éviter des homicides ou blessures par imprudence. Prévus par le Code de la route,
indépendamment des pénalités, la possibilité pour le Procureur de la République
l'ivresse est réprimée, non parce qu'elle est scandaleuse, mais parce qu 'elle est
376
375
Réserve faite de la provocation de mineur à la mendicité (art. 227-20 N.C.P.).
a. p. 340, code Dalloz 1994-95.
�247
248
d'enjoindre au drogué une cure de désintoxication ou des mesures de surveillance
décision est prise par l'autorité administrative, solution critiquée par beaucoup, mais
médicale. C'est l'injonction thérapeutique. La même astreinte à un traitement médical
que la loi du 27 juin 1990 n'a pas changée. Cependant, le texte permet au tribunal de
peut également être prononcée par ordonnance par le juge d'instruction, ou par la
grande instance du lieu où est situé l'établissement, statuant en Chambre du conseil,
juridiction de jugement. D'autre part, et de façon plus large, toute personne qui use de
d'ordonner la sortie immédiate de la personne hospitalisée d'office, soit sur sa propre
stupéfiants est placée sous la surveillance de l'autorité sanitaire (A. L. 355 C. Santé
demande, soit sur celle de tout parent ou ami ou du Procureur de la République.
Pub.).
C'est cette même idée qui explique la législation du 9 septembre 1986 à l'égard
Le Ministre de la Justice avait proposé en 1986, pour remédier aux difficultés
des étrangers dans le souci de lutter contre l'immigration clandestine. C'est l'autorité
d'application de la loi de 1970 une réforme radicale touchant l'attitude de la justice
administrative qui a le pouvoir de décider de l'opportunité d'une expulsion en cas de
vis-à-vis des drogués. Elle consistait à permettre, soit à la famille, soit à l'autorité
menace pour l'ordre public (Art. 23 du 9 septembre 1986). Cette législation a été
judiciaire de faire procéder d 'office à une cure de désintoxication du toxicomane. Ces
maintenue dans certaines de ses dispositions par la loi du 2 août 1989, l'innovation de
hôpitaux prisons dont la construction était envisagée ont soulevé indignation et
ce texte consistant essentiellement à instaurer des garanties judiciaires pour éviter
stupéfaction.
Devant les protestations quasi unanimes, le Ministre est revenu sur ses premières
l'arbitraire d'une décision administrative. Une commission présidée par le président du
propositions et a maintenu le principe de l'alternative médicale en se contentant de
les possibilités de reconduite à la frontière, sous certaines réserves 382, lorsque l'ordre
renforcer le système répressif pour les trafiquants de drogue CL. 31 décembre 1987).
public risque d'être troublé par un individu, sans que la commission ait été consultée.
Plus récemment le Ministre de l'Intérieur, à la suite du rapport BROUSSARD (21
Un arrêté d'expulsion peut alors être pris à l'encontre duquel un recours contentieux
décembre 1992) a déclaré une guerre de harcèlement contre la drogue en donnant une
n'est suspensif d'exécution, que s'il est présenté au président du tribunal
administratif383.
g~ L0 J oxc. c..=>-t \MR-IM. -i c-.~~ll.,
~
(\.r.. \f\'\.V11.W -) :=-~
tribunal de Grande instance émet un avis 381. En outre, la loi du 24 août 1993 confirme
priorité au volet répressif ce qui n'a pas manqué de susciter de vives critiques du côté
médical 377 et une mise au point du Ministre 378. Le nouveau code pénal réprime le
b
trafic de stupéfiants de peines criminelles (Art. 222-34 c.P.) laissant l'usage de
f-
stupéfiants dans le Code de la santé publique. Toutefois, un certain courant de pensée
voudrait dépénaliser l'usage des drogues douces à l'instar de la législation
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'1"""'.\-'Af-
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LECTURES
néerlandaise. Une commission a été chargée par le gouvernement BALLADUR
J. DEVEZE, Le commencement d'exécution de l'infraction en jurisprudence, R.S.c.
d 'étudier les traitements de substitution de la drogue 379 tandis que le Comité
1981 , p. 777.
d'Ethique a posé, à son tour, le problème de la dépénalisation 380
A. VARlNARD, La théorie de l'infraction impossible : vers la disparition d' un mythe
On peut rattacher à ces mesures, celles prévues par le Code civil à l'égard des
mineurs en danger. L'article 375 c.c. prévoit en effet, que, lorsque la santé, la sécurité
doctrinal, Mélanges CHAVANNE, Litec 1990, p. 165.
ou la moralité du mineur sont en danger, ou lorsque les conditions de son éducation
D. MAYER, L' infraction de mise en danger, in Problèmes Actuels de Science Criminelle
sont gravement compromises, le juge peut ordonner des mesures d 'assistance
1994, à paraître.
Ch. LAZERGES, La participation criminelle, in Réflexions sur le nouveau code pénal,
éducative.
éd. pedone, 1995, p. 11.
hl Intervention administrative
L'article L. 343 C. santé pub. prévoit l'hospitalisation des personnes dont les
troubles mentaux compromettent, soit l'ordre public, soit la sécurité des personnes. La
377
Le Monde, 24 décembre 1992.
381
En 1991, 1800 personnes ont été reconduites à la frontière, Le Monde 14 janvier 1993.
378
Le Monde 16 janvier 1993.
382
379
Le Monde, 3 mars 1994.
380
CARPENTIER, L'ordre hors la loi, Le monde 8 décembre 1994.
Résidence en France depuis plus de 15 ans, marié depuis au moins 6 mois avec un conjoint
français .
Art. 27 et 28 Ord. 2 novembre 1945 modifiée.
383
<
�249
CHAPITRE III - LA DISPARITION DE L'INFRACTION
Outre l'abrogation de la loi pénale évoquée à propos de l'application dans le
temps des dispositions réglementaires (Art. 6 du c.P.P.), deux circonstances ont pour
effet de provoquer la disparition de l'infraction, les faits justificatifs d'une part,
l'amnistie d 'autre part. Renvoyant l'étude de l'amnistie à la fin du cours, nous ne nous
attacherons qu'à l'examen des faits justificatifs.
Lorsque les éléments constitutifs de l'infraction sont réunis, celle-ci est
punissable. il peut arriver, cependant, que certaines circonstances ayant entouré la
commission de l'infraction la justifient et interdisent, de ce fait, la répression pénale.
Ces circonstances sont appelées faits justificatifs, parce qu'elles justifient le
comportement de l'agent qui avait le droit ou même le devoir d'agir comme il l'a fait. "Il
n 'y a ni crime, ni délit" énonçait le Code pénal dans son article 64.
-
Notre droit ne connaissait pas, en ce domaine, de construction d'ensemble. Ce
n'était qu'à propos d'infractions particulières, l'homicide et les blessures volontaires
q u'il prévoyait la légitime défense et l'ordre de la loi. L'œuvre des tribunaux a été
~
capitale. Non seulement, ils avaient étendu le champ d'application de ces faits
justificatifs à toutes les infractions, mais, de plus, ils avaient proposé d'autres faits
justificatifs.
L'évolution de la jurisprudence en la matière est le reflet des conceptions qui
divisaient la doctrine. La majorité des auteurs soutenaient une conception objective des
faits justificatifs. Les causes de justification étaient d'origine légale. Elles prenaient leur
source, soit dans une disposition expresse, soit dans le fondement même du droit de
punir. A l'inverse, d'autres auteurs prétendaient que le fondement des faits justificatifs
résidait dans le mobile. C'est son importance et sa qualité qui faisaient disparaître
l'infraction. Dans une perspective plus hardie , GRAMATICA estimait que l'infraction
n'existait qu'en fonction de l'antisociabilité subjective de son auteur. il faut apprécier la
personnalité globale à travers tous les aspects de la subjectivité du délinquant.
Si séduisantes que soient ces analyses, elles ne sauraient être retenues. il est vrai
qu'effectivement la qualité du mobile est prise en considération par les tribunaux, mais
simplement au niv~ de.!.a peine, non à celui de l'incrimination. Cette conception
extrémiste contraindrait le juge à se livrer à des investigations délicates. Or,
précisément, le grand avantage du fait justificatif, tel qu'il est compris en droit français,
est qu'il est facile à diagnostiquer. il opère "in rem". Cependant, les tribunaux ont fait
une place à la conception subjective en consacrant l'état de nécessité.
�250
251
Le nouveau code pénal a "officilllisé" cette jurisprudence en faisant de l'état de
A - Le fondement du fait justificatif
nécessité un fait justificatif légal au même titre que l'ordre de la loi et la légitime
défense. Mais ils ne sont pas les seuls. il y a des faits justificatifs sp éciaux. Par
rl L'ordre fondé sur un texte
exemple, ceux, résultant de circonstances exceptionnelles (Ord. 6 juillet 1943 déclarant
légitimes tous les actes postérieurs au 13 juin 1940 accomplis dans le but de servir la
a) L'article 122-4, al. 1 N.CP. évoque les dispositions législatives ou
cause de la Libération de la France), ceux, résultant de la loi sur la presse (L. 29 juillet
réglementaires.
Par dispositions législatives, il faut comprendre la loi au sens formel, mais aussi
1881 admettant que la preuve des faits allégués fait disparaître l'infraction de
diffamation, article 35), ceux visés par la loi du 19 déc. 1991 relative au renforcement
les textes équivalents à la loi. Par dispositions réglementaires, il faut entendre le
de la lutte contre le trafic des stupéfiants autorisant les agents des Douanes à
règlement qui aménage la portée d'une loi par délégation de celle-ci. En revanche, les
partidper au trafic de drogue384.
Nous limiterons notre étude à l'examen des trois faits justificatifs généraux,
circulaires doivent être écartées car elles n' ont aucune valeur justificative.
j.
l'ordre de la loi, la légitime défense, l'état de nécessité, pour exposer ensuite un fait
justificatif discuté, le consentement de la victime.
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L'ordre de la loi justifie à lui seul tous ceux qui n'ont d'ordre à recevoir de
quiconque et qui ne doivent obéissance qu' à la loi elle-même. Un juge d' instruction
peut, de lui-même, délivrer un mandat d'arrêt contre un individu sans commettre le
délit d'arrestation arbitraire. En revanche un O.P.J. ne peut accomplir des actes de
police judiciaire (ex. : perquisition) que sur mandat du juge d'instruction. S' il agissait
SEC T ION 1 - LES FA 1 T S JUS T 1 FI CA TIFS L É G A U X, '
sans mandat, il se rendrait coupable du délit de violation de domicile.De même, un
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§ 1- L'ORDRE DE LA LOI
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particulier ne peut procéder à une arrestation en cas de flagrance s' il dépasse les
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limites du raisonnable. Il peut neutraliser l' agent, non le tuer (art. 73 CP.P.).
. Une difficulté peut apparaître au cas de conflit d'incrimination. La question
.."
classique est celle des dispositions relatives au secret professionnel qui imposent de se
L'ancien article 327 disposait: "Il n 'y a ni crime, ni délit, lorsque l'homicide, les
taire et celles sur la non dénonciation de crimes qui imposait de parler. La
blessures et les coups étaient ordonnés par la loi et commandés par l'autorité légitime". Ce
jurisprudence était inexistante. Le nouveau code pénal a clarifié la question en
texte était triplement critiquable. Il omettait les contraventions, ne contenait aucune
disposant que les d élits de non d énonciation ne pouvaient être reprochés aux
allusion aux dispositions réglementaires et semblait subordonner la justification à la
personnes astreintes au secret (art. 434-1).
En revanche, les tribunaux ont refusé d'assimiler l'autorisation administrative à la
double exigence de l'ordre de la loi et du commandement d e l'autorité. Une réforme
permission de la loi. La question s'est posée dans la célèbre affaire du Stalinon, un
s' imposait, même si la pratique jurisprudentielle avait gommé ces critiques.
médicament qui avait fait de nombreuses victimes. Le fabricant poursuivi avait exctpé
L'article 122-4 N.C.P., énonce en effet: "N'est pas pénalement responsable, la
du visa d élivré pour tout médicament destiné à être mis sur le marché. Le tribunal
personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou
correctionnel de la Seine, 385 l'a condamné, d éniant au visa toute valeur de fait
réglementaires ".
"N'est pas pénalement responsable, la personne qui accomplit un acte commandé par
justifica tif. Une solution identique a été donnée à propos de l'exposition sur la voie
publique d'une affiche indécente, revêtue du visa de la commission de contrôle 386.
l'autorité légitime, sauf si cet acte est manifestement illégal".
\
Pour être mis en œuvre, 12 fait justificatif doit prendre appui, soit sur un texte,
, bl Mais l'ordre n'est pas seulement l'ordre formel qui résulte d'un texte légal. La
jurisprudence y assimile la simple permission légale de l' accomplir. Le bourreau qui
soit sur le commandement de l'autorité.
exécutait un condamné à mort, le soldat qui tue un ennemi se soumettent à cet ordre.
De même, la jurisprudence n'a jamais hésité à légitimer les infractions autorisées par
des permissions coutumières. Ainsi, la permission chirurgicale de porter atteinte à
384
PRADEL, corn. D.1992 chrono229.
385
Trib. Corr. Seine, 19 décembre 1957, S. 1958.11.137; note BREDIN.
386
Crim. 1er juin 1965, B.148; contra.: Douai, 15 mai 1962, J.c.P. 1962.11. 12709, note MIMIN.
�252
l'intégrité du malade est déduite de textes qui organisent la profession médicale. La
253
Enfin, une théorie
intermédiaire opère une distinction entre ['ordre
permission de commettre des violences dans la pratique de certains sports est déduite
manifestement illégal, qui, s'il est exécuté, engage la responsabilité de son auteur et
des règles du jeu appliquées, en l'espèce, dès l'instant qu'elles ont été respectées 387. Le
l'ordre d'apparence régulière qui, s'il est exécuté, exonère l'agent.
droit de correction manuelle des parents est implidtement inclus dans les prérogatives
de l'autorité parentale.
2°) L'ordre émanant d'une autorité légitime
2°) Les solutions
Muet dans l'anden code, le nouveau code consacre la troisième théorie -celle de
l'illégalité manifeste-. Cette analyse est conforme à la loi du 13 juillet 1983 portant
La jurisprudence passée avait précisé que pour être légitime l'autorité susceptible
réforme du statut général des fonctionnaires qui avait posé le principe que le
de donner un ordre devait remplir deux conditions. Le nouveau code n'infléchit pas la
fonctionnaire est délié de l'obligation d'obéir à son supérieur hiérarchique lorsque
jurisprudence.
l'ordre donné est "manifestement illégal et de nature à compromet/re un intérêt public". Le
D'abord une autorité légitime est une autorité publique et non privée. Dès lors,
n'est pas justifié le recel successoral commis par un fils sur l'ordre de sa mère, le recel
de malfaiteurs ordonné par un mari à sa femme, la violation de domicile ordonné par
un patron à son employé.
dans le même sens.
On doutait jadis que la même solution put être étendue aux militaires, car on le
sait, la discipline fait la force prindpale des armées. Mais le réglement de justice
Ensuite l'autorité doit être compétente, c'est à dire avoir reçu une investiture
militaire du 28 juillet 1975 a apporté des innovations remarquables. Si le texte rappelle
régulière. Parfois l'incompétence est flagrante. Un juge des référés ne peut ordonner une
que l'obéissance est le premier devoir du subordonné, il ajoute que: "la responsabilité de
arrestation. Parfois l' incompétence est discutée. La question s'est posée pour les actes
comporté que la stricte exécution, exclusive de toute initiative personnelle d'ordre ou
l'exécutant exc/ut l'obéissance passive ... Le subordonné qui exécuterait un ordre prescrivant
l'accomplissement d'un acte contraire aux lois et coutumes de la guerre, d'un crime ou d'un
délit contre la sûreté de l'État, la constitution ou la paix publique ou d'un acte portant atteinte
à la vie, l'intégrité, la liberté des personnes ou au droit de propriété, engagerait pleinement sa
responsabilité pénale et disciplinaire". Le militaire qui croit se trouver en présence d 'un tel
d'instructions reçus". C'est l'application bien connue de la théorie du fonctionnaire de
ordre a le devoir de faire part de ses objections à l'autorité supérieure et éventuellement
fait qui s'explique par l'apparence de légalité du gouvernement de Vichy.
de former un recours hiérarchique.
La jurisprudence pour sa part, a longtemps fait preuve d'une grande rigueur vis à
B - Le fonctionnement du fait justificatif
vis des subordonnés. La Cour de cassation a longtemps considéré que l'infraction en
ordonnés par le gouvernement de Vichy, gouvernement de fait, depuis l'ordonnance du
9 août 1944. Pour éviter l'annula tion de tous les actes faits entre 1940 et 1944,
l'ordonnance du 28 novembre 1944 a admis un fait justificatif "lorsque les faits n'ont
(
décret du 18 mars 1986, portant sur le code de déontologie de la police nationale, va
exécution d'un ordre illégal était, en principe, punissable (hauts fonctionnaires ayant
1°) Les systèmes concevables
fait retenir une correspondance sur l'ordre d'un Préfet).
Cet exemple illustre l' importance du critère subjectif. Le simple citoyen verra son
comportement apprécié différemment de celui du haut fonctionnaire. L'article 432-6
D'après un premier système, celui de l'obéissance passive, l'inférieur est
N.C.P., illustre cette conception en punissant les agents de l'administration
toujours tenu envers le supérieur. De ce fait, il est justifié, dès qu'il a obéi à un ordre,
pénitentiaire qui reçoivent ou retiennent des une personne "sans mandat, jugement ou
même illégal, à moins, cependant, que l'ordre soit absolument étranger aux fonctions
ordre d'écrou établi conformément à la loi"
dévolues à l' inférieur et au supérieur.
La seconde théorie, dite des "baïonnettes intelligentes" soutient à l'inverse, qu'il
Le nouveau Code pénal confirme l'analyse jurisprudentielle : "N'est pas
droit militaire est difficilement concevable, car il risque de compromettre la discipline
pénalement responsable, la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des
dispositions législatives ou réglementaires. N'est pas pénalement responsable, la personne qui
accomplit un acte commandé par l'autorité légitime, sauf si cet acte est manifestement illégal"
des armées.
(Art. 122-4). Restera à la jurisprudence à déterminer ce qu'il faut entendre par
appartient à l'inférieur d 'apprécier la légalité de ['ordre reçu. Le système appliqué au
"manifestement illégal".
387
Crim. 21 octobre 1965, D. 1966.26.
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C,'.,v..J I-"'=> .
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254
255
C'est ainsi que dans certains cas, la contrainte pourrait être invoquée et surtout
'(0
A - Les conditions de la légitime défense
depuis le nouveau code, l'erreur invindble pourrait être soulevée, dans l' hypothèse où
l'agent n'a pas eu consdence, en obéissant, de l'illégalité de l'ordre qui lui était
1°) Légitime défense des personnes
transmis, ou dans le cas où il n'a pu se renseigner (art. 122-3 N.C.P.).
Vis-à-vis des tiers auxquels l'ordre s'applique, la Cour de cassation a longtemps
L'article 122-5, ail N .c.r. énonce: "N'est pas pénalement responsable la personne
considéré que ceux-ci ne pouvaient s'opposer à un ordre, même manifestement illégal,
qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dan.s le même temps, 1
un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d'elle-même ou d'autrui, sauf s'il y a
disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l'atteinte".
et devaient être poursuivis pour rébellion 388. Toutefois, une dédsion d'appel
beaucoup plus récente a refusé de condamner, pour rébellion, consacrant ainsi un droit
à la résistance 389.
Ce texte amène à distinguer successivement les conditions relatives à l'attaque,
puis celles relatives à la défense.
§ 2 - LA LÉGmME DÉFENSE
ru Conditions relatives il l'attaque
y 1) Les caractères de l'attaque sont multiples
Elle consiste dans le droit de repousser par la force une agression imminente et
injuste. Elle a traditionnellement toujours été consacrée. Cependant, dans l'Ancien
- Tout d'abord, il importe que l'attaque soit actuelle, c'est-à-dire la menace d'un
Droit, l'Église conseillait à l'agressé la fuite plutôt que la riposte. Elle accordait
mal imminent qui n'a pu être écarté (le péril de mort n'est pas nécessaire) qu'en
cependant, dans le cas contraire, des lettres de rémission. Celui qui avait répondu à
"
commettant le délit. Si le danger est passé, la violence n'est plus un acte de défense,
l'attaque était coupable, mais digne d ·indulgence.
/
;:p
mais de vengeance privée, interdit par le droit. TI s'agit là d'une question de fait, laissée
Avec le droit révolutionnaire et le code de 1810, une deuxième conception a fait
à l'appréciation des tribunaux. On peut cepe çlant
-<-\1
~ utV> 1.... 'V'
il ~
donc prévoir sa défense. ~
-$ ~ ~ de la légitime défense un droit, (art. 328 c.P. 1810). "Il n'y ni crime, ni délit lorsque
'\ .':/'. ...
l'homicide, les blessures et les coups étaient commandés par la nécessité actuelle de la légitime
S
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- ou d'au t rul." .
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Le nouveau code pénal se situe dans cette perspective avec une formulation
" L
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- En second lieu, l'attaque doit être injuste, ce qui suppose qu'elle n'est ni fondée
difficultés. La question s'est notamment posée pour les agressions illégales commises
L'auteur de la riposte n'exerce pas seulement un instinct de conservation, s'il
.
une agression éventuelle,
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légitime défense à l'égard du bourreau. Mais la jurisprudence a dû résoudre plusieurs
~ légèrement différente. Enfin, certains auteurs soutiennent qu'elle est un devoir.
~) ~
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en droit, ni ordonnée par la loi. Ainsi un condamné à mort ne saurait invoquer la
"\
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pr~voir
par un agent de l·autorité. La jurisprudence considère qu'il faut toujours se soumettre
concourt à la défense de la société et il doit y être encouragé. Devant la montée de la
aux actes de l'autorité 390.
délinquance, on est même allé jusqu'à prôner une quasi autodéfense (ROMERIO,
-., La question s'est également posée, de savoir si l'agression commise par un
~
Association Légitime défense).
irresponsable (jeune enfant ou dément) permettait d'appliquer l'article 328
_ Le nouveau texte apporte quelques modifications au régime organisé par le Code
c.p ancien.
Faute de discernement de la part de l'auteur de l'agression, la riposte apparaît juste
de 1810, qu' il s'agisse des conditions ou de la preuve de la légitime défense.
mais, objectivement, elle est injuste. On estime que, dans l'espèce, la victime de
Contrairement à l'anden article 328, le nouveau code distingue, dans l'article
l'agression doit prendre la fuite et, si elle est amenée à riposter, elle peut invoquer ';ln
.1
. . .. . . .
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i>l~'î'~
_ Enfin les tribunaux exigent une attaque vraisemblab k ce qui conduit à une t. Il J..c.
122-5, deux cas de figure, la légitime défense des personnes et celle des biens.
~( .... ~...( X 11
,
investigation plus ou moins délicate. L'attitude de l'adversaire est souvent équivoque. --'
Cependant, l'expression du sujet, sa réputation de violence, peuvent constituer des
indices révélateurs. La légitime défense est vraisemblable. Elle s'impose dans l'esprit de
388
Crim. 5 janvier 1821, S. 1 821-1-358, arrestation sans mandat et sans flagrance.
389
Reims, 18 mars 1984, G.r. 1984-11-715, R.S.c. 85-69 obs. DELMAS SAINT-HILAIRE.
390
Crim. 28 novembre 1902, S. 1902-[-57 où il est rappelé que la défense, .même contre un acte
illéga[, n'est jamais légitime.
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1
�256
257
l'auteur de l'infraction comme dans celui des juges. En revanche, si l'agression n'existe
volontaire : "on ne se défend pas par imprudence ou inadvertance"). Cette solution va-t-elle
que dans l'imagination de l'auteur, elle est dite putative. Mais dès lors, l'infraction est
changer avec le nouveau code pénal, dans la mesure où le nouveau texte parle d'acte de
constituée car la légitimité de la défense est tonction de la réalité de l'agression.
défense. Cela n'est pas cenain 397, mais certains auteurs le souhaitent vivement 398.
Cependant, l'agent pourra plaider la bonne foi qui, si elle est reconnue, écartera sa
hl Conditions relatives li li! défense
culpabilité. A été jugé ainsi, le cas d'un père tirant sur un tiers qui, par jeu, menaçait
son fils d' un pistolet 391. En revanche, a été sanctionné un père qui, au milieu de la
La défense n'est légitime que sous une double condition.
nuit, avait tué son fils qu' il avait pris pour un voleur 392.
Défense nécessaire: elle est exigée par l'article 122-5 du Code pénaL Elle est
évidente. Elle doit constituer le seul moyen de se défendre, ce qui ne signifie pas que la
2) L'objet de l'attaque.
fuite soit une obligation légale, voir également jeunes enfants, fous, infirmes. Ce qui
_ D'après l'article 122-5, aL 1 N .CP., l'attaque doit être dirigée contre les
implique la concomitance entre l'attaque et la riposte. Celui qui revient dans une
personnes, contre leur intégrité physique, atteinte à la vie ou à l'intégrité corporelle.
Défense mesurée, c'est-à-dire proportionnée à la gravité de l'attaque. La victime
l'honneur, et même, à la moralité 393.
Ce même texte prévoit la légitime défense d'autrui 394. Cependant, la Cour de
d'une gifle ne saurait tuer son adversaire ... il s'agit d'une question de fait (exemple,
cassation déclare incompatible la légitime défense avec l'infraction d'imprudence 395, à
tuer par son employé) 400. En revanche, est légitime le fait de refuser de servir des
l'occasion d'une curieuse affaire. Un homme, aux cris poussés par une femme que deux
individus immobilisent, se précipite pour mettre un terme à ce qu'il croit être une
clients ivres et d'en blesser un au pied.
t' Certaines décisions sont allées plus loin en sanctionnant la simple imprudence
n tire en l'air, mais blesse l'un d'eux. La Cour d'assises l'avait acquitté pour
dans l'exercice du droit de légitime défense. Un homme repousse violemment un ivrogne
légitime défense, mais l'avait condamné à des dommages intérêts sur la base de l'article
menaçant qui tombe et décède d'une fracture du cràne 401 . Le propriétaire d'un
372 CP.P. estimant qu'en utilisant son arme de façon inconsidérée, il a eu un
magasin tire sur quelqu'un n'ayant pas répondu aux sommations 402 Un passant tente
comportement fautif distinct du crime pour lequel l'acquittement a été prononcé. Il
de désarmer un enfant qui lançait des pierres sur ses compagnons de jeu, lui tord si
appelle en garantie son assureur sur la base de la responsabilité civile. n est débouté au
violemment le bras qu'il lui cause une fracture 403. Un pompiste tire sur un voleur qui
motif que l'assuré n'a jamais cessé d'affirmer qu'il avait "involontairement et
menaçant son employé en le poussant dans le dos en dépit des sommations, tentait de
accidentellement appuyé sur la gâchette" au moment où il faisait le geste de relever son
pistolet de bas en haut que "dès lors qu'il conteste avoir eu la volonté de tirer en direction de
s'enfuir 404 . Un propriétaire charge un canon avertisseur contrairement aux
agression.
6
bagarre ne peut invoquer la légitime défense 399.
Mais, depuis longtemps, les tribunaux admettent l'atteinte à la pudeur (viol), à
tenancier de café menacé par des consommateurs auxquels il refusait à boire, les fait
prescriptions du constructeur 405. Dans ces diverses hypothèses, les tribunaux ont
la victime, il ne peut prétendre invoquer la légitime défense, celle-ci impliquant le caractère
volontaire des coups portés ". Solution réaffirmée le 28 novembre 1991 3%.
<]
{ accueilli la justification, mais une condamnation a été prononcée sous la qualification
d'homicide ou blessures involontaires. Dans le passé on retenait l'excuse de
provocation (Art. 321"TQu
La doctrine, unanime condamne cette analyse injuste, (sera acquitté celui qui
mê~trainte (art. 64). De même l'article 73 CP.P. qui
donne au citoyen le pouvoir d'appréhender l'auteur d 'un délit flagrant ne peut être
aura volontairement tué l'individu) et non fondée (l'acte de défense est nécessairement
391
Crim. 5 juin 1984, B. 209.
397
En ce sens PRADEL, nO929.
392
Crim. 21 décembre 1954, B. 423.
398
BOULOC, Droit pénal général, 15ème éd., p. 304, Dalloz.
393
Gifle donnée par une mère à une fille qui, par ses assiduités, mettait son fils en danger moral,
lui ayant envoyé sa photo largement dévêtue, Trib. pol. Valence, 19 mai 1960, 5. 1960-2715.
399
Crim. 16 octobre 1979, D. 1980-IR-522.
400
Crim.4 août 1949, RS.C 1950.47.
394
Tribunal correctionnel Lyon 16 octobre 1973, j.c.P. 1974.11.17812, note BOUZAT, individu X qui
blesse Y, lequel se servait de Z comme bouclier en le menaçant de le tuer.
401
Crim. 12 novembre 1975, D.P. 1976.1.141-
395
402
Toulouse, 15 novembre 1979, I·CP. 1981. 19 608, BERNARDIN!.
Crim. 16 février 1967, j.c.P. 1967.1L25 034, note COMBALDIEU.
396
BulL nO 446. Dame H importunée par un sieur F réussit à le faire sortir de son appartement,
mais lui coincer les doigts. Poursuivie de ce chef, elle fit vainement état de l'agression de son
adversaire. "La légitime défense est inconciliable avec le caractère involontaire de
403
404
Alger, 9 novembre 1953, D.1 954.369, note PAGEAUD.
Tribunal correctionnel de Lyon, 16 octobre 1973 I·CP. 1974.1 7 812, BOUZAT.
405
Crim. 18 janvier 1977, B. n° 2.
}' infraction" .
�258
259
assimilé à une cause de justification de l'infraction pénale 406. Une dame victime du vol
de son sac à main dans sa voiture, par des jeunes en scooter, se lance dans une folle
acte est strictement nécessaire au but poursuivi dès lors que les mayens emplayés sont
proportionnés à la gravité de l'infraction". Ce texte, qui consacre la jurisprudence passée,
poursuite jusqu' à ce que le scooter heurte un véhicule entraînant la mort du conducteur
s'efforce de rassurer les Français, tout en évitant des abus liés à une défense excessive.
et des blessures graves au passager. Le tribunal avait reconnu que l'article 73 c.P.P.
Comme pour la légitime défense des personnes, les conditions de cette cause
était applicable, mais que la conductrice ayant commis une imprudence caractérisée, le
fait justificatif ne pouvait être invoqué. Décision confirmée en appel 407. Le professeur
d'irresponsabilité concernen ~ tant l'atteinte que la riposte.
IX "'~.... 1e texte precise
. . que, toute f orme d' attem
. t eaux b'lens
En ce qUi. concerne l' attemte,
't
LEVASSEUR pense que si l'article 73 c.P.P. est un fait justificatif, il connaît des
ne justifie pas une défense légitime, contrairement à ce qui est prévu pour la légitime
limites, conformément à l'article 122-5, al. 2 N.C.P. 408.
défense des personnes. Aux termes de l'article 122-5, la légitime défense des biens
n' est, en effet, possible que pour interrompre l'exécution d'un crime ou d'un délit contre
'- 2°) La légitime défense des biens
un bien. Il s'ensuit donc qu'elle est exclue en cas de contravention, c'est-à-dire en
pratique de riposte à des dégradations légères (R 635-1).
Ce cas de figure, non visé par le code pénal de 1810, avait donné lieu à un
En ce qui concerne la riposte, le texte impose également des conditions plus
contentieux jurisprudentiel important. Le nouveau code pénal précise la position du
rigoureuses que pour la défense des personnes.
législateur.
D'abord la riposte peut intervenir lorsque l' infraction est en cours d' exécution,
mais non lorsqu'elle est entièrement consommée. Cette règle ne semble pas interdire
JÙAvant~
l'utilisation de pièges automatiques se déclenchant au moment de la commission de
Un arrêt de prindpe rendu en 1902 avait semblé admettre la légitime défense des
l' inraction et même après.
En second lieu, la riposte doit être strictement nécessaire au but poursuivi.
biens 409 En réalité, cette décision ne traitait que du recours civil intenté par la victime.
Par la suite, d'autres décisions avaient été rendues par des juridictions
L'adverbe strictement semble exclure toute riposte violente qui ne serait pas précédée
répressives. Sans nier le principe de la légitime défense des biens, la plupart en
contestaient son application. Certaines retenaient une imprudence à la charge du volé
de sommations.
Enfin, les moyens employés doient être proportionnés à la gravité de l' infraction.
et le condamnaient pour homicide ou blessures involontaires 410, (canon avertisseur
On ne peut tuer pour défendre un bien. On doit donc admettre que l'article 122-5
chargé contrairement aux prescription du fabricant). D'autres retenaient les coups
interdit l'usage de pièges automatiques qui seraient destinés à tuer ou à blesser.
mortels ou les violences 411 .
On peut se demander si les exigences posées par le texte ne sont pas irréalistes.
Comment peut-on savoir, à moins d'être absent, si un cambriolage n'est dirigé que
hl1&. nouveau kQd..e.
contre des biens. Des malfaiteurs commettent un hold'up dans une banque. A priori ils
Le projet de loi de 1986 avait consacré la légitime défense des biens. Après une
se rendent coupables d'infraction contre les biens, mais s'ils mettent en joue les clients,
vive discussion entre Sénat et Assemblée Nationale, la commission mixte paritaire a
ils commettent simultanément une infraction contre les personnes 412
finalement admis la légitime défense des biens. L'article 122-5, al. 2 énonce: "N'est pas
pénalement responsable, la personne qui, pour interrompre l'exécution d'un crime ou d'un
B - La preuve de la légitime défense
délit contre un bien, accomplit un ade de défense autre qu'un homicide volontaire, lorsque cet
406
Trib. corr. Paris 1er octobre 1991, D. 1992-486, note DECHElX.
407
Paris 28 février 1992.
408
409
R. S. C 1993-102.
Deux hypothèses doivent être distinguées.
Req. 25 mai 1902, S. 1903-1-5, note Lyon-Caen, affaire de Fraville, Chatelain jugé
irresponsable pour avoir placé des détonateurs à proximité d'un étang ayant occasionné la
perte d'une jambe d'un voleur.
410
Trib. corr. Aix, 21 avril 1969, R.S.C 1970-97 obs. LEV ASSEUR.
411
Trib. corr. Toulouse, 8 octobre 1969, R.5.C 1970-851, obs. LEGAL; Reims 9 novembre 1978, J.CP.
1979-lT-19046.
412
M . L. RASSAT, Libres propos sur le nouveau code pénal in Problèmes actuels de science
criminelle 1994, p. 63.
�260
261
:x
1°) Légitime défense prouvée
§ 3 - L'ÉTAT DE NÉCESSITÉ
C'est le droit commun de la légitime défense exprimé jadis par l'~ rticle 328,
aujourd'hui par l'article 122-6 N.CP .. Celui qui invoque la légitime défense doit
démontrer que ses éléments constitutifs sont remplis et cela pour deux raisons :
D'abord, parce que les faits justificatifs sont des circonstances exceptionnelles
il apparaît lorsqu'un danger ne peut être écarté ou qu'un bien ou qu'un droit ne
peuvent être sauvegardés que par l'accomplissement d'un acte normalement incriminé
par la loi pénale. L'acte peut servir, soit l'intérêt propre de l'agent (vol d'un pain), soit
l'intérêt d'autrui (enfant sacrifié à la mère, dans un accouchement). Parfois, l'intérêt
dérogeant à la loi pénale.
Ensuite, parce que le code ét.ablit des présomptions de légitime défense dans des
sacrifié est minime (bris de clôture pour éteindre un incendie), parfois les intérêts sont
cas différents. A contrario donc, on peut en déduire que la légitime défense doit être
égaux (naufragé d'un radeau tuant son compagnon). Tous ces exemples ont un trait
prouvée.
2°) Légitime défense présumée
commun : l'agent a fait un choix, alors que dans la contrainte,
~putabilité,
c~e
de non-
le choix s'est imposé à lui.
Bien que les droits romain, germanique et canonique aient consacré l'état de
nécessité, le Code pénal s'était montré muet à son propos, ne comprenant que quelques
_ L'ancien article 329 instaurait une présomption de légitime défense en cas
d 'agression nocturne et de pillage diurne 411 La jurisprudence avait précisé la force de
la présomption. Au début du XIX ème siècle, elle avait consacré le caractère irréfragable
dispositions particulières, par exemple l'abattage d'animaux domestiques (Art. R. 40,
9° CP. ancien), l'encombrement de la voie publique par des matériaux (Art. R 38, 11 °
CP. ancien).
(maris trompés tuant l'amant de leur femme 412). Puis, elle avait hésité (affaire des
Pourtant la vie quotidienne est riche d'états de nécessité. Exemple, dans un
dames de Jeufosse, traduites devant la cour d'assises de l'Eure pour avoir fait tuer, par
accouchement difficile, le médecin doit-il sauver la mère ou l'enfant? Face à un piéton
leur garde chasse, le soupirant de leur fille, acquittées en 1857) 413.
imprudent, l'automobiliste doit-il l'éviter ou l'écraser pour respecter le code de la
Enfin, elle avait consacré le caractère simple de la présomption (propriétaire
blessant l'amant de sa bonne, alors qu'il connaissait les habitudes de celui-ci 414).
Cette solution a été approuvée par la majorité de la doctrine. Elle évitait des
( impunités scandaleuses.
_ Le nouveau code pénal reprend l'article 329 dans le nouvel article 122-6 : "Est
présumé avoir agi en état de légitime défense, celui qui accompli l'ade : 1°) pour repousser de
route? Dans un incendie, peut-on commettre un bris de clôture pour l'éteindre? Des
exemples plus exceptionnels qui nous rapprochent de la contrainte évoquent des cas
d'anthropophagie (radeau de la Méduse; bateau La Mignonnette; rescapés d' un avion
dans la Cordillère des Andes).
On comprend que les tribunaux se soient progressivement acheminés vers la
consécration de l'état de nécessité avant que le nouveau code pénal ne l'admette.
nuit l'entrée par effradion, violence ou ruse dans un lieu habité; 2 °) pour se défendre contre les
auteurs de vols ou de pillages exécutés avec violence".
A - La consécration de l'état de nécessité
Le nouveau texte ajoute le terme de ruse pour tenir compte de la réalité
sodologique fréquente des agressions de personnes âgées.
1°) La jurisprudence
Les tribunaux sont passés d'une consécration officieuse à une consécration
officielle.
411
Art. 329 : "Sont compris dans les cas de nécessité actuelle de défense, les deux cas suivants: 1°)
Si l'homicide a été commis, si les blessures ont éfé faites, ou si les coups ont été portés en
repoussant pendant la nuit l'escalade ou l'effraction des clôtures, murs ou entrée d'une maison
ou d'un appartement habité ou de leurs dépendances; 2°) Si le fait a eu lieu en se défendant
cont les auteurs de vols ou de pillages exécutés avec violence, Pén. 295, 309, 322, 393, 397.
412
Crim. 11 juillet 1844, 5.1844-1-778.
413
Cour d'Assises d'Evreux, 18 décembre 1857 ; V. ég. affaire POCHON, Cour d'Assises de la
Moselle, 27 février 1858, Le Droit, 8 mars 1858.
414
CriITl- 19 février 1959, Affaire Reminiac, J.c.P. 1959-1I-11112, note Bouzat.
al La cOllsécratioll officieuse
--
Les tribunaux ont, chronologiquement, fait référence à deux notions.
�262
X
263
D'abord, l'état de nécessité a été assimilé à la contrainte morale. L'agent était
sacrifié a une valeur moindre que le bien sauvegardé. La loi pénale est relative. Il peut
présumé avoir perdu sa liberté d 'agir sous la pression d'une force irrésistible 415.
arriver que certaines circonstances exceptionnelles en imposent la méconnaissance, tels
Cette analyse apparaît doublement critiquable. Elle aboutit à confondre deux
les événements de mai 1968. L'état de nécessité apparaît comme "un fait correcteur des
notions pourtant distinctes. Sans doute, y a-t-il des cas limites où la frontière entre les
règles de droit" 422, tandis que d'autres sentences ont fondé l'état de nécessité sur l'idée
deux notions est imprécise. Le naufragé qui jette un passager excédentaire à la mer agit
de conflits de devoir. L'agent doit établir une hiérarchie entre les divers devoirs qui
par nécessité. Il peut, cependant, invoquer la contrainte morale, car notre droit
s'imposent à lui et réaliser le plus important, quitte à méconnaître les autres.
n'impose pas l'héroïsme. Mais, en règle générale, l'état de nécessité implique un choix
~Ia contrainte exclut. D'autre p-;;:t, on ne saurait accueillir une présomp Ion de
2°) Le nouveau code pénal
contrainte, alors que cel1~i comme touces les circonstances exclusives de la partie
Les rédacteurs du N.C.P. ont légalisé et systématisé cette jurisprudence. L'article
poursuivante, doit être prouvée par la partie poursuivie. La confusion est parfois faite
122-7 dispose "N'est pas pénalement responsable, la personne qui face à un danger actuel et
par la jurisprudence: un automobiliste, victime de coups de feu, poursuivi pour excès
imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la
sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s'il y a disproportion entre les moyens employés et
de vitesse pour avoir essayé de rattraper ses agresseurs 416.
A la fin du XIXo siècle, la jurisprudence a fait appel à une seconde explication
la gravité de la menace".
aussi critiquable que la première. C'est l'ag.sence d'intention coupable, qui justifierait
en défirùtive l'acte de Tagent. Tel est le cas de la célèbre affaire Ménard, dans laquel1e le
B - Les conditions de l'état de nécessité
Président MAG NAUD, dH le bon juge de Château-Thierry, acquitta une mère qui avait
volé un pain pour nourrir son enfant 417. Cette interprétation est erronée, car elle
Ce texte, dont le libellé évoque la légitime défense, impose deux séries de
confond intention et mobile~. Si les mobiles, en l'espèce, étaient honorables, la
conditions, les unes relatives au danger, les autres relatives à l'acte justifié.
conscience d 'appréhender la chose d'autrui, donc l'intention, était manifeste. Or les
1°) Conditions relatives au danger
mobiles n'ont encore, nous l'avons vu, que peu de place en droit positif français.
hl La consécration officielle
Une jurisprudencE)! abondante a précisé l'éventail des deux conditions. L' une
relative
C'est vers les années 50 que les tribunaux ont reconnu l'état de nécessité comme
'
·té-dûêlanger, l'autre relative à l'absence de faute antérieure.
_ Le danger doit être actuel et imminent, mais n'a pas à être grave. Il s'agit de
un. fait justificatif. Il est défi~_ com~e "La ~itu~tion dans laquelle se trouve une personne
questions d'espèce dont on peut donner quelques illustrations: mari en instance de
qUI pour sauvegarder un Interet supeneu r nad autre ressou rce que d'accomplir un acte
défendu par la loi pénale" 418.
divorce commettant une violation de domicile pour soustraire sa fille mineure à une
f
scène de débauche se déroulant dans l'appartement de sa femme
La Cour de cassation fit de même dans son arrêt du 25 juin 1958, 419. Solution
423 ;
berger ayant dû
abattre un chien furieux qui avait saigné un mouton, pour éviter qu'il ne décime son
réaffirmée en 1966 420 et en 1968 421. Ces décisions se fondent sur l'in térét social, ou
troupeau 424 ; père de famille entreprenant une construction sans se conformer aux
sur l'utilité sociale. La collectivité n'a pas à sanctionner les hypothèses où le bien
prescriptions légales, pour loger sa famille 425 ; automobiliste franchissant une bande
jaune pour éviter deux piétons 426 ; mise en service d 'un tracteur, sans que le
415
Crim. 15 novembre 1856, B. sno358 ; 2 mai 1878, D.P. 1878. 1.336 ; et plus récemment, Paris
5/01/1945,5.1946.2.88, note BOUZAT. Israélites poursuivis pour défaut de carte d'identité
pendant la guerre.
416
Paris, 11 octobre 1983 G.P. 17 janvier 1984, note DOUCET "<ontrainte et nécessité-.
417
Amiens, 22 avril 1898, 5. 1899.2.1, note ROUX.
418
Colmar, 6 décembre 1957 D. 1958-357 ; v. ég. Trib. cor. Colmar 27 avril 1956 D. 1956-500
construction sans permis pour loger une famille.
'
419
].CP. 1959-11-10141, note LARGUIER.
420
Crim. 6 janvier 1966, D. 1966, som. 99.
421
Tnb. corr. 22 octobre 1968, J.CP. 1969-11-15879, note Bouzat.
conducteur soit titulaire des autorisations exigées, destinée à pallier la carence d'un
422
423
424
425
426
MERLE et VITU, n° 345.
Colmar, 6 décembre 1957; D. 1958.357; note BOUZAT.
Riom, 22 juin 1966, D. 1966514.
Tribunal correctionnel Colmar, 27 avril 1956, D. 1956-500.
Tribunal correctionnel, Avesne sur Helpe, 12 décembre 1964, R.5.C 1964.416
�264
265
service public paralysé par la grève et justifié par l'utilité sociale du transport 427 ;
Cette condition fondamentale avait été clairement affirmée par la chambre
criminelle en 1958 exigeant que le risque de dommage soit" de nature à entraîner des
éducateur de prévention resté passif lors d'un cambriolage 428.
Un jugement du tribunal correctionnel de Dijon 429 confond état de nécessité et
dommages plus redoutables" que le péril résultant de l'infraction. Elle est reprise par
l'article 122-7 N.CP. qui exclut l'état de nécessité, s'il y a "disproportion entre les
moyens employés et la gravité de la menace".
contrainte morale. Un individu est traduit en justice pour avoir, malgré les injonctions
Il Y a des hypothèses où l'application de cette condition ne soulève pas de
de l'administration poursuivi la construction d'une petite maison destinée à son
difficulté. Le franchissement d'une ligne continue est justifié par le soud d'éviter
habitation. Il est relaxé au motif "qu'il se trouvait en état de nécessité, au sens de l'article 64
d'écraser un enfant, le vol d'un pain est justifié par la nécessité de nourrir un enfant. La
du Code pénal". Cette décision apparaît éminemment critiquable. Elle aboutit en effet à
crise économique récente ne saurait justifier le chantage au licenciement.
Ces exemples donnent un éventail de la diversité du péril nécessaire. Cependant,
la jurisprudence ne délimite pas toujours exactement les contours de l'état de nécessité.
Mais d'autres hypothèses sont plus délicates. Un exemple tout récent peut nous
traiter l'état de nécessité, non plus Co~! ~ fait justificatif, effaçant l'illicéité objective
1\de
--
être fourni par la lutte contre la propagation du SIDA. Les campagnes de prévention
l'ete, mais comme une cause d 'irresponsabilité subjective, une variété de la
-
émanant de l'État ou d 'associations suscitant l' usage de préservatifs auraient pu
contrainte morale, analyse dépassée.
'/' On retrouve une référence à la notion de contrainte dans l'exigence posée par
caractériser le délit de diffusion de messages pornographiques (art. 227-24 N.CP.).
Compte tenu de la gravité de la menace, les diffuseurs de ces messages sont justifiés
certains tribunaux, d 'après laquelle le péril ne doit pas être le résultat d'une faute
par l'impératif de santé publique (cf. circ. 1er août 1994, indiquant que de tels
antérieure de l'agent (chauffeur de camion ayant défoncé la barrière d 'un passage à
messages ne pourraient caractériser l'infraction précitée).
Le cas de l'avortement offre un cas de figure originaL Avant la loi VEIL du 17
niveau en raison d'une vitesse excessive, invoquant l'état de nécessité à tort, pour la
rupture de l'autre barrière 430 ; automobiliste braquant à gauche pour éviter d'écraser sa
janvier 1975, l'article L 161.1 C santé publique constituait un excellent (et rare)
femme et son enfant sur le point d'être projetés sur la chaussée à la suite de l'ouverture
exemple d 'éta t de nécessité, puisqu'il justifiait l'avortement "lorsque la sauvegarde de la
inopinée d 'une portière de son véhicule, occasionnant par cette manoeuvre des
vie de la mère était menacée". La loi de 1975 a doublement élargi (et dénaturé) l'état de
nécessité en la matière. D'une part, le nou vel article L 162.1 dispose que "la femme
enceinte, que son état place dans un état de détresse peut demander à un médecin l'interruption
blessures graves aux passagers d'une autre voiture 431.
Ce~e
condition est vivement critiquée par la doctrine. il semble que la
jurisprudenct;)lui pose cette exigence pour la contrainte, ait déteint en quelque sorte
,
de sa grossesse" pendant les dix premières semaines de celle-ci, et l'article L 162.4
ajoute que l'exécution est décidée par la femme "s'estimant placée dans la situation visée à
l'article L.162. ". La proportion entre l'acte d'avortement et le péril qu'il tend à éviter est
sur l'état de nécessité. Cet état est une situation objective qui, par définition, ne doit
-
-
\ pas s'apprécier par référence au comportement de l'agenf anterieur à la commission de
l'a~. Il faut voir là un résidù de
- -----
confusion jurisprudentielle assimilant contrainte
donc appréciée souverainement par la femme, sans aucune référence objective et l'on a
morale et état de nécessité. On peut se demander si le N.CP. va réduire cette
pu justement parler "d'un état de nécessité fictif, invoqué comme paravent de la liberté de
confusion.
/0
j. 2°) Conditions relatives à l'acte justifié
L'acte doit d'abord être nécessaire, c'est-à-dire le seul qui permette d ' échapper
au péril, qu'il s'agisse de la sauvegarde de la personne ou du bien.
Il doit surtout être proportionnel au péril que l'agent veut éviter.
l'avortement, pendant les dix premières semaines de la grossesse". 432. D'autre part, le
nouvel article L162.12 autorise l'interruption volontaire de la grossesse "si deux
1
\
médecins attestent... que la poursuite de la grossesse met en péril grave la santé de la femme ou
qu'il existe une forte probabilité que l'enfant à naître soit atteint d'une affection d'une
particulière gravité reconnue incurable au moment du diagnostic ". Le premier cas
d'avortement prévu par ce texte nous ramène en deçà du droit commun puisque la
santé de la mère l'emporte sur la vie de l'enfant (alors qu'avant 1975, la vie de l' enfant
ne pouvait être sacrifiée qu'à la vie de la mère). Le second cas, qui consacre une
427
Tribunal de grande instance Coutances, 22 octobre 1968, j.CP. 1969.11.15879 note BOUZAT.
428
Crim. 21 novembre 1974, j.CP. 1975. 18183, note CHAMBON
429
27 février 1968, j.CP. 1968. 11.15504; D. 1968. 738, note BOUZAT.
430
Rennes, 12 avril 1954, S. 1954.2.185, note BOUZAT.
431
Crim. 25 juin 1958, D. 1958.93, note M.RM.P., soL implicite.
hypothèse d'avortement eugénique est encore plus éloigné de l'état de nécessité .
432
A. DECOCQ, R.5.C., 1975, p. 727.
�267
266
La jurisprudence, pour sa part, a été appelée à adopter une position identique
Désormais, en matière d'avortement, la seule justification concevable réside dans la
dans plusieurs domaines.
permission de la loi.
A . . Le duel
C . . Les effets de l'état de nécessité
L'état de nécessité ne supprime que la responsabilité pénale. En revanche, depuis
Historiquement, c'est d'abord le duel qui a retenu son attention. Après avoir
plus d'un siècle, la chambre criminelle condamne \' auteur d'un délit nécessaire à
admis l'impunité des duellistes, les Chambres réunies ont consacré la solution de la
indemniser sa victime 433. Cette solution diffère de celle retenue en matière de légitime
répression (15 décembre 1837, S. 1838.1.5, conclusions DUPIN). On l'a critiquée, soit
défense et s'explique par le fait que l'infraction, si elle répond à une menace, ne lèse
par le défaut d 'intention coupable, ce qui est confondre intention et mobile, soit par la
normalement pas l'auteur de la menace, mais un tiers innocent, alors que la personne en
légitime défense, ce qui est également inexact, car elle suppose une riposte à une
état de légitime défense cause un préjudice à l'auteur même de l'atteinte.
attaque, alors que, dans le duel, les agressions sont simultanées. li y a, en réalité,
Les civilistes expliquent cette solution par la théorie de l'enrichissement sans
assassinat, et les témoins devraient être sanctionnés comme complices. Cependant, les
circonstances de l'affaire peuvent conduire à une certaine indulgence du tribunal ou
cause ou de la gestion d'affaire.
même du Ministère public (exemple: duel entre Serge LIFAR et le Marquis de
CUEVAS).
'" SECTION 2 . . UN FAIT JUSTIFICATIF DISCUTÉ
l '
LE CONSENTEMENT DE LA VICTIME
B . . L'euthanasie
Quoiqu'ayant très tôt préoccupé les tribunaux, elle a connu ces dernières années
li arrive parfois que la victime d'une infraction donne son consentement à
un regain d'actualité. Peut-on abréger les souffrances d'un malade incurable en mettant
l'accomplissement de celle-doLa question a pris un relief particulier avec l'euthanasie.
fin à ses jours? Depuis longtemps, la Chambre criminelle a répondu négativement 434.
On invoque souvent la maxime "Volenti non fit injuria " : on ne fait pas de tort à celui
L'euthanasie n~onforme ni à l'intérêt général, ni aux intérêts privés. En effet, tout
qui y consent. Pourtant, nous avons vu que toute infraction, même portant atteinte à
individu valide peut s'avérer productif. D'autre part, les progrès de la médecine sont
des intérêts privés, rejaillit toujours plus ou moins sur le corps soda!. C'est pourquoi, la
tels que l'incurable d'aujourd'hui pourra être sinon guéri, du moins soulagé, dans les
jurisprudence s'est refusée à consacrer le consentement de la victime comme fait
années à venir. On fait valoir, cependant, que l'impunité du suicide impliquerait que
justificatif sauf, cependant, des hypothèses discutées.
l'homme peut librement disposer de sa vie. Cet argument analogique doit être rejeté.
C'est simplement parce que le suicide échappe au domaine de la loi pénale. D'ailleurs,
les tribunaux ont eu l'occasion de réprimer le suidde collectif dans une espèce où deux
§ 1- LE PRINCIPE DU REJET DU CONSENTEMENT COMME FAIT
infirmières, ayant décidé de mettre fin simultanément à leurs jours, l'une avait survécu
JUSTI FI CATIF
et avait été poursuivie sous le qualificatif de non-assistance à personne en danger 435.
Le grand danger de l'euthanasie, c'est l'abus auquel elle pourrait conduire. Malgré
Quelques textes avaient pris la peine de spécifier que le consentement de la
l'évolution technique des procédés d'investigation médicale, pratiquement, ni le
victime ne saurait faire disparaHre l'infraction. Ainsi, l'article 317 c.P. ancien réprimait
diagnostic, ni le pronostic ne peu vent être établis avec une certitude absolue. Des
l'avortement "d'une femme enceinte ou supposée enceinte , qu'elle y ait consenti ou non ... ..
erreurs ont été commises par des médecins de bonne foi et des malades abandonnés
C'était inutile, les atteintes à l'intégrité physique de la personne, de quelque nature
par la médecine, présentant tous les symptômes d'une mort imminente, ont retrouvé la
qu'elles soient, sont des infractions et le pardon ou le consentement de la victime ne
saura ient rien y changer.
434
435
433
Crim. 27 décembre 1884, D. 1885-5-219; 22 avril 1992, D. 1992-353, note BURGELlN.
Crim. 13 juin 1838 S. 1838-1-5.
Tribunal correctionnel Paris, 27 juin 1968, J.CP., 1969, rl.1S 278, note de LESTANG.
�268
269
santé. Dans de tels cas, l'euthanasie, si elle avait été pratiquée, eut été criminelle. Et
§ 2 - L'ADMISSION EXCEPTIONNELLE DU CONSENTEMENT DE LA
VlCIlME
même si, dans un cas donné, un pronostic infaillible d'incurabilité était établi, il serait à
craindre que la tendance des médecins soit de l'étendre à l'agonisant plongé dans le
coma, au paralytique à charge de sa famille, à l'aliéné qui pèse sur le budget public.
Pourtant, il arrive que les tribunaux prononcent l'acquittement. Ainsi, la Cour d'assises
Parfois, le consentement de la victime assure l'impunité à l'auteur, non pas en
de Liège a acquitté une femme poursuivie pour avoir tué son enfant, victime de la
tant que fait justificatif, mais de façon plus radicale parce qu'il exclut l'un des éléments
constitutifs de l'infraction. Parfois, il y a bien fait justificatif, mais fondé sur une
thalidomide 436. Un mouvement d'idées se fait jour actuellement tendant, sinon à
permission implicite de la loi ou de la coutume.
légiférer, du moins à tolérer dans certains cas exceptionnels l'euthanasie en opposant
l'euthanasie active, toujours condamnable et l'euthanasie passive consistant dans
A - Suppression de l'infraction
l'arrêt des soins, tolérée.
On ne peut nier, toutefois, que tout homme a le droit de mourir dans la dignité
il arrive que le consentement donné par la victime supprime l'infraction parce
sans être obligé de subir un acharnement thérapeutique qui peut être la cause
qu'il représente un de ses éléments constitutifs. Ce sont les délits qui comportent la
d'insu portables souffrances.
violence ou la fraude .
il n'y a pas vol, si on a consenti à se laisser dérober les objets (à moins d'avoir été
Une proposition de résolution européenne, adoptée par une commission du
Parlement de Strasbourg vient d 'admettre, en avril 1991 , le principe de l'euthanasie, qui
placé dans un état hypnotique) 439 . Il n'y a pas viol, si la femme s'abandonne
a trouvé sa projection dans la loi néerlandaise du 9 avril 1992. En revanche, l'ordre des
complaisamment aux assauts de son séducteur. il n'y a pas contrefaçon d'un brevet
médecins et l'épiscopat français rejètent catégoriquement toutes formes d'euthanasie
d'invention sans plainte de la partie lésée. Il n'y a pas attentat à la pudeur, quand la
437
victime est consentante, si celle-ci a plus de 15 ans, de même que l'outrage public à la
pudeur n'est pas constitué, si les faits se passent entre personnes consentantes et si des
C - La stérilisation
précautions suffisantes sont prises pour qu'aucun témoin involontaire ne puisse
Elle est sanctionnée pénalement par les tribunaux. Un chirurgien avait pratiqué
survenir.
Cependant, la question fait difficulté en jurisprudence lorsqu'il s'agit d'un théâtre
l'opération de la vasectomie sur des néo-malthusiens qui lui avaient demandé de les
ou d'un cabaret. Pendant longtemps, les tribunaux ont estimé que le consentement du
priver de la faculté de procréer. Poursuivi, il s'était retranché derrière le consentement
témoin ne permettait pas des gestes obscènes ou la nudité intégrale. 440. Puis la Cour
de la victime. il fut condamné pour coups et blessures volontaires 438 Cependant, il
de Paris a eu l'occasion de relaxer du chef de proxénétisme, un gérant d'hôtel qui
semble que l'impunité soit accordée, si le but curatif était évident et si d'impérieuses
procurait, moyennant rétribution, le spectacle d 'exhibitions galantes par deux femmes
raisons médicales l'imposaient. Une certaine tolérance se développe de nos jours et le
441
Ministère de la Santé, compte tenu de la politique nataliste, se borne à fermer les yeux
poursuites, témoignent d'un plus grand libéralisme de la jurisprudence.
Les revues désormais célèbres, Hair et O! Calcutta, qui n'ont pas donné lieu à des
sur les stérilisations pratiquées dans les services hospitaliers. Mais c'est aborder les cas
B - Permission légale ou coutumière
où le consentement de la victime constitue un fait justificatif.
D'autres solutions jurisprudentielles s'expliquent par ce qu'il est convenu
d'appeler la permission implicite de la loi ou de la coutume.
436
5 novembre 1962, R.S.C. 1963.83,R.D.P.C 1962.63.421 .
439
Tribunal correctionnel Versailles, 13 mai 1970, G.P., 1971. 1.34.
437
L.lSRAEL, La vie jusqu'au bout, Plon 1993.
440
Paris, 16 décembre 1908, D.P., 19095.18 ; 28 février 1936, 5.1936.2.137.
438
Crim. 1er juillet 1937, S. 1938.1.193, note TORTAT, R.S.C, 1937.680, observations MAGNOL.
441
3 janvier 1952, G.P., 1952.2201 .
�270
271
1°) Permission légale
2°) Permission coutumière
- Ainsi les opérations chirurgicales comportent les éléments du délit de coups et
- Une permission coutumière explique la justification accordée pour les coups et
blessures volontaires. Pourtant l'activité du chirurgien n'est pas incriminable. Elle est
blessures consécutifs à l'exerdce des sports. Certains ont invoqué le consentement des
doublement justifiée: d'une part, par le consentement du malade à l'opération, mais il
participants pour expliquer l'exonération, à l'instar des pays anglo-saxons. Il est
fait parfois défaut; d'autre part, en raison d'une permission implicite de la loi!'En ce
qui concerne la chirurgie esthétique, la jurisprudence, après avoir refusé d'admettre le
préférable de justifier l'immunité par une autorisation de la loi ou une permission de la
coutume.
fait justificatif, opère une distinction. Si l'opération représente un but curatif en
L'examen de la jurisprudence permet de dégager certaines lignes directrices, dont
sauvant le malade de la neurasthénie, de névroses (blessure de la face, claudication,
bec de lièvre), elle apparaît justifiée. Mais le chlrurgien doit attirer l'attention du sujet
l'essentielle est le respect des règles du jeu. Ainsi, une bataille entre des enfants
disputée au moyen de frondes ne peut être assimilée à une véritable lutte sportive 447.
sur les risques de l'intervention envisagée et se refuser catégoriquement à l'opérer,
Il en va de même si le fait dommageable est survenu pendant un arrêt de jeu 448
quand il y a disproportion manifeste entre les risques encourus et les avantages à
D'autre part, seules sont soumises à un régime particulier les activités sportives qui, de
escompter.
C'est ce qu'a rappelé la Cour de Paris, 442 : HLe chirurgien plasticien méconnaît
par leur nature, impliquent un affrontement direct entre joueurs. Tel n'est pas le cas de
/' obligation de prudence et de diligence qui lui incombe s'il fait courir au patient un risque sans
proportion avec les avantages escomptés De même, a été relevé le délit de blessures
indépendamment les uns des autres 450. On peut relever, également, une réticence
certaine des tribunaux à déclencher la répression. Cela tient, sans doute, au fait qu'il
volontaires pour les suites fâcheuses de l'application d'une teinture capillaire noci.ve,
est difficile de discerner, dans la confusion d 'une partie, si l'auteur d'un coup
cependant acceptée par la cliente 443. A fortiori doit-il en être de même si l'opération
malencontreux a délibérément voulu frapper son antagoniste ou l'a, au contraire, atteint
revêt une pure gratuité 444.
à la suite d'une simple maladresse. Il est d'assez nombreuses espèces, où les faits qui
la chasse 449, ni du ski, du moins lorsque les skieurs évoluent sur des pistes
H.
L'expérimentation médicale, qui n'est pas motivée par le souci de guérir le
ont motivé la condamnation ont été qualifiés de simples imprudences, alors qu'ils
malade a appelé longtemps la même condamnation 445. En effet, l'expérimentation
présentaient tous les caractères d'une véritable agression 451, tandis que d'autres
soulève une double contradiction; culturelle d'abord, le groupe social aspire à une
décisions condamnent les joueurs sur le fondement de l'article 1382
meilleure thérapie, mais condamne les essais thérapeutiques; juridique, la mise sur le
l'action pénale ait été préalablement mise en mouvement 452.
>
c.c. sans que
marché d'un médicament présuppose un visa qui n'est délivré qu'après une série
d'essais longtemps interdits par la loi. Cela explique sans doute qu'il a fallu attendre la
loi du 20 décembre 1988, pour que soit autorisée l'expérimentation avec ou sans finalité
thérapeutique, à condition que le consentement soit libre, exprès et éclairé 446. L' article
LECTURES
223-8 N.C.P. sanctionne de 3 ans d 'emprisonnement, le fait de pratiquer ou de faire
pratiquer sur une personne, une recherche bio-médicale sans avoir recueilli le
J. PRADEL, La défense automatique des biens, Mélanges BOUZAT, p. 217.
J. Y. CHEVALLIER, L'état de nécessité, Mélanges BOUZAT, p. 227.
consentement libre, éclairée et expres de l'intéressé. Cette exigence est réaffirmée par la
loi du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain.
P. SALVAGE, Le consentement en droit pénal, R.S.c. 1991-699.
447
442
13 janvier 1959,0 . 1959.26.
448
Crim. 7 mars 1968, G.P. 1968, RS.C.1968.629, obs. LEVASSEUR.
Paris 2 décembre 1%7; J.c.P. 1968.1115 408, note O.S., R.5.C. 1968.335, obs LEVASSEUR
443
Poitiers, 19 novembre 1953, O. 1954.150; note VOUIN.
449
444
Crim. 12 octobre 1961, B. nO399, R.5.c., 1963. 103, obs HUGUENEY.
O . la castration d'un transsexuel, Aix-i!n-Provence 23 avril 1990, G. P. 1990, G. P. 1990-575, et
sur pourvoi, Crim. 30 ma; 1991, Bull. n° 232.
450
445
Lyon 27/6/1913 O. 1914.11.73 : Expérimentation ne présentant aucune utilité thérapeutique.
446
AUBY, chron. J.c.P. 1989.1.3384 ; BORRICAND Chron. O. 1989.167.
451
452
��,
�
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Plan du cours de sciences criminelles : DEUG 2e année. Tome 1 (1995-1996)
Description
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Cours de science criminelle, édition entièrement refondue et mise à jour en février 1996 : la permanence du phénomène criminel et son étude juridique et scientifique
Creator
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Borricand, Jacques
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Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES 14509/1
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Université de droit d'économie et des sciences d'Aix-Marseille (Aix-en-Provence)
Date
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1996
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xiii-271 p.
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printed monograph
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A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 19..
Alternative Title
An alternative name for the resource. The distinction between titles and alternative titles is application-specific.
Cours de sciences criminelles : DEUG 2ème année
Subject
The topic of the resource
Droit pénal
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/256
Abstract
A summary of the resource.
Jacques Borricand (1933-…) soutient en 1958 une thèse sur Les effets du mariage après sa dissolution. Il enseigne ensuite le droit privé à l'Université d'Aix-Marseille et à Clermont-Ferrand. Directeur de l’Institut des sciences pénales et de criminologie, il est l’auteur d’une centaine de publications sur le crime organisé, le terrorisme, la délinquance juvénile, la corruption, la crise des valeurs ou encore la prévention de la délinquance. Il publie en 1998 un manuel de Droit pénal, procédure pénale avec Anne-Marie Simon, régulièrement réédité depuis. Ses Cours de sciences criminelles à destination des étudiants de 2e année de DEUG ont également fait l’objet d’une publication à partir de 1987, mise à jour jusqu’en 2001. Le présent document en est l’édition de 1995-1996, entièrement refondue. Dans l’introduction, l’auteur s’explique sur cette refonte, constatant que « pendant longtemps, l’enseignement des sciences criminelles était consacré en seconde année au droit pénal, à la procédure pénale et à la science pénitentiaire. Si cette présentation pouvait se justifier tant que la science criminelle n’avait d’autre contenu que la « matière pénale », elle ne l’est plus aujourd’hui, car de multiples disciplines contribuent de plus en plus à sa formation ». Cette nouvelle édition a ainsi pour but d’intégrer les nouvelles sciences criminelles, dont la criminologie, fondées sur une analyse du phénomène criminel et de la réaction sociale contre ce phénomène.
Source : Annuaire des juristes et politistes universitaires, Paris, Economica, 2002, p. 52.
(Luc Bouchinet)
Crimes et criminels
Criminologie
Droit pénal -- France
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/257/RES_14509-2-Cours-sciences-criminelles_T2.pdf
f3121d25f36fde945c55b6f7a58f34c7
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Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
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Plan du cours de sciences criminelles : DEUG 2e année. Tome 2 (1995-1996)
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An account of the resource
Cours de science criminelle, édition entièrement refondue et mise à jour en février 1996 : le délinquant et la sanction pénale
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Borricand, Jacques
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Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES 14509/2
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Université de droit d'économie et des sciences d'Aix-Marseille (Aix-en-Provence)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1996
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soumis à copyright
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Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/201841487
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES_14509-2-Borricand_Cours-vignette.jpg
Format
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application/pdf
1 vol.
[172] p.
30 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 19..
Alternative Title
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Cours de sciences criminelles : DEUG 2ème année
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Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Subject
The topic of the resource
Droit pénal
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/257
Abstract
A summary of the resource.
Jacques Borricand (1933-…) soutient en 1958 une thèse sur Les effets du mariage après sa dissolution. Il enseigne ensuite le droit privé à l'Université d'Aix-Marseille et à Clermont-Ferrand. Directeur de l’Institut des sciences pénales et de criminologie, il est l’auteur d’une centaine de publications sur le crime organisé, le terrorisme, la délinquance juvénile, la corruption, la crise des valeurs ou encore la prévention de la délinquance. Il publie en 1998 un manuel de Droit pénal, procédure pénale avec Anne-Marie Simon, régulièrement réédité depuis. Ses Cours de sciences criminelles à destination des étudiants de 2e année de DEUG ont également fait l’objet d’une publication à partir de 1987, mise à jour jusqu’en 2001. Le présent document en est l’édition de 1995-1996, entièrement refondue. Dans l’introduction, l’auteur s’explique sur cette refonte, constatant que « pendant longtemps, l’enseignement des sciences criminelles était consacré en seconde année au droit pénal, à la procédure pénale et à la science pénitentiaire. Si cette présentation pouvait se justifier tant que la science criminelle n’avait d’autre contenu que la « matière pénale », elle ne l’est plus aujourd’hui, car de multiples disciplines contribuent de plus en plus à sa formation ». Cette nouvelle édition a ainsi pour but d’intégrer les nouvelles sciences criminelles, dont la criminologie, fondées sur une analyse du phénomène criminel et de la réaction sociale contre ce phénomène.
Source : Annuaire des juristes et politistes universitaires, Paris, Economica, 2002, p. 52.
(Luc Bouchinet)
Crimes et criminels
Criminologie
Droit pénal -- France
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/2/285/BUD-51701_PASC_1985.pdf
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UNIVERSITÉ DE DROIT, D'ÉCONOMIE ET DES SCIENCES
D'AIX-MARSEILLE
INSTITUT DE SCIENCES PÉNALES ET DE CRIMINOLOGIE
F. BOULAN, R. GASSIN, W. JEANDIDIER,
G. LEVASSEUR, D. SZABO, A. VITU
PROBLEMES ACTUELS
DE SCIENCE CRIMINELLE
PRESSES
UNIVERSITAIRES
1985
D 'AIX-MARSEILLE
���La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41,
d'une part, que les «copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du
copiste et non destinées à une utilisation collective» et, d'autre part, que les analyses et les
courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, «toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit
ou ayants cause, est illicite» (alinéa premier de l'article 40).
Cette représentation ou reproduction par quelque procédé que ce soit constituerait
donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pémtl.
(C) PRESSES UNIVERSITAIRES D'AIX-MARSEILLE - 1985
�UNNERSITÉ DE DROIT, D'ÉCONOMIE ET DES SCIENCES
D'AIX-MARSEILLE
INSTITUT DE SCIENCES PÉNALES ET DE CRIMINOLOGIE
F.BOULAN - R.GASSIN - W.JEANDIDIER - G.LEVASSEUR D. SZABO - A. VITU
PROBLEMES
ACTUELS
DE
CR IM IN KL LE
SCIENCE
PRESSES UNIVERSITAIRES D'AIX-MARSEILLE
FACULTE DE DROIT ET DE SCIENCE POLITIQUE D'AIX-MARSEILLE
- 1985 -
��AVANT-PROPOS
Le souffle actuel de réformes n'ignore pas les questions pénales qui
font l'objet de nombreux projets, dont certains de grande envergure, tel celui
de Code pénal. En cette période d'intense bouillonnement des idées, il est
apparu opportun de faire le point sur certains sujets particulièrement mobilisateurs. Aussi l'Institut de sciences pénales et de criminologie d'Aix-Marseille
a-t-il organisé en 1984 un cycle de conférences regroupées dans le présent
ouvrage.
Discipline à la croisée de multiples chemins, le droit criminel a une
tâche difficile, surtout lorsqu'il est confronté aux convictions profondes de
l'Homme. C'est ce que démontre le Professeur André VITU, qui traite des
rapports entre le droit criminel et les convictions religieuses, philosophiques,
morales ou politiques. Cette difficulté, d'ailleurs, est plus que jamais d'actualité
avec la mise en chantier depuis déjà plus de dix ans de larefonte du Code pénal.
Le Professeur Georges LEVASSEUR dévoile ici les méthodes de travail de la
Commission de réforme : à une époque où l'art de faire des lois est devenu
d'une inouie complexité, on prend conscience de l'énormité de la tâche déjà
accomplie et surtout de celle qui reste à faire.
La procédure pénale n'est pas non plus en reste de modifications
capitales. Le Doyen Fernand BOULAN dresse ainsi un tableau des récentes
réformes visant à améliorer la protection de la victime. Sans doute, beaucoup
a été réalisé mais cela reste encore insuffisant. Un remède possible est là, simple
mais révolutionnaire, qui suppose l'abandon de vieilles habitudes essentiellement
justifiées par un conformisme routinier. Un autre aspect procédural où des
progrès sensibles sont apparus depuis quelques décennies est celui des juridictions d'exception que la France contemporaine, comme l'explique le Professeur
Wilfrid JEANDIDIER, tend à rapprocher des juridictions de droit commun,
voire à supprimer. Mais ici encore, des solutions bancales sont parfois retenues.
Enfin, à un niveau plus général, si l'on essaie de porter un jugement
sur la politique criminelle française et sur celle des pays occidentaux, on constate que toutes sont en crise. L'avalanche de réformes qu'a connue et que
connaît notre pays trahit d'ailleurs un certain désarroi. Rien n'a vraiment bien
marché, comme le prouve le Professeur Raymond GASSIN, qui, en conclusion
de son étude, indique certaines orientations qui pourraient peut-être permettre
à tous ces pays de sortir de l'ornière de la crise. Pour ce faire, d'ailleurs, il
importe d'avoir une parfaite connaissance des problèmes juridiques certes, mais
surtout des données extra-juridiques. Là est l'ambition et la raison d'être de la
�6
criminologie. Le Professeur Denis SZABO souligne dans sa contribution quelles
doivent être la vocation et la responsabilité de la criminologie comparée, dont
les enseignements, même s'ils peuvent parfois rester fragmentaires, sont le plus
sûr gage d'un progrès réel des sciences criminelles dans leur ensemble.
Pour conclure, il me reste à exprimer mes remerciements au Doyen
Fernand BOULAN qui, d'une part a bien voulu accueillir les conférenciers et
leur auditoire dans les locaux de la Faculté de droit et de science politique
d'Aix-Marseille III, d'autre part, ès qualités de Directeur des Presses Universitaires
d'Aix -Marseille, a permis la réunion de ces conférences dans ce livre.
Wilfrid JEANDIDIER
�LES DROITS DE LA VICTIME : UN CHOIX DE POLITIQUE
CRIMINELLE
Par Fernand BOULAN
Doyen de la Faculté de Droit et de Science Politique
d'Aix-Marseille
Depuis une quiilzaine d'années, les victimes d'infractions pénales
sont l'objet d'une plus grande sollicitude de la part des pouvoirs publics. Des
textes successifs sont venus renforcer leurs droits. Pourtant, malgré cette évolution législative et la multiplication des initiatives en faveur des victimes d'infrations on ne parvient pas à «inverser la vapeur» et faire naître le sentiment que
le sort de la victime est aussi important -sinon plus important- que celui du
délinquant lui-même. Dans la pratique, les situations changent peu. Il est
notamment très difficile, voire impossible, pour les victimes d'obtenir l'indemnisation effective de leurs dommages lorsqu'elles n'ont pas la chance d'avoir
un assureur pour interlocuteur. Or, comme nous le verrons ultérieurement,
cette indemnisation effective occupe une place essentielle dans le sentiment
de justice de la victime d'une infraction.
Conscients de ce hiatus, des courants de politique criminelle s'affrontent. On affirme que les attentions particulières dont bénéficient les délinquants
sacrifient une nouvelle fois les victimes : victime d'une infraction, puis victime
d'un système. On répond qu'il n'y a pas incompatibilité entre ces intérêts
apparemment contradictoires : l'intérêt porté aux délinquants n'exclut pas la
prise en compte de l'intérêt bien compris des victimes. C'est de pair que ces
situations peuvent être améliorées.
De nombreux autres points plus particuliers de divergences apparaissent aussi : le fait que la victime d'une infraction ignore l'étendue exacte de ses
droits ; que son rôle soit ambigu dans un procès pénal qui oppose à titre principal la société au délinquant ; qu'il y a peu d'espoir d'indemnisation lorsque la
victime se heurte, comme c'est souvent le cas, à l'impécuniosité totale de
l'auteur de son dommage ; etc ...
Ces conflits d'opinions reflètent au fond des conflits de valeurs qui
sont en train de bousculer les politiques criminelles et exigeront peut-être
qu'elles soient repensées.
Mais, sans entrer dans un tel débat, comment expliquer que malgré
les progrès réalisés la situation de la victime d'un infraction soit si négativement
perçue?
Il semble que trois facteurs y aient contribué à titre principal".
En premier lieu, c'est le «rôle d'utilité» dans lequel la victime est
confinée dans le système de justice pénale qui est à l'origine de cette situation.
Ce facteur est historiquement et fondamentalement le plus important.
�8
Depuis le Code pénal de 1810 de nombreuses écoles ou courants de
pensée se sont attachés au problème de la crinùnalité et de la réaction sociale
contre le crime. L'influence sur le droit positif a été très importante et s'est
traduite pas des textes relatifs à la définition des infractions, aux procédures
devant les tribunaux répressifs, aux problèmes -qui ne sont pas négligeablesdes arrestations, de garde à vue, de détention préventive puis provisoire, aux
peines ou à leurs substituts, etc ... L'approche et l'analyse du phénomène
crinùnel s'est elle-même considérablement modifiée et les données de la criminologie ont changé la perception des choses. La réaction sociale est devenue
--au moins en théorie- plus scientifique. Elle s'est à coup sûr humanisée.
Mais une idée première est restée ancrée dans les esprits : c'est la
prédominance de l'intérêt public. Au-delà des intérêts du délinquant il est
certain que partout et toujours la question fondamentale est celle de savoir
comment assurer le mieux possible la défense des intérêts de la société.
C'est dans ce processus d'évolution des idées et des faits que la
victime de l'infraction qualifiée techniquement de «témoin» ou «partie civile»
a été considérée comme «personne sans intérêt pour la justice pénale» sinon
dans son rôle d'utilité. Il est fréquent aujourd'hui de lire dans les premières
phrases des rapports ou études consacrés à cette question ( 1), que la victime est
«la grande oubliée du procès pénal». La victime est étrangère au procès du
délinquant dont tout le monde s'occupe. Les systèmes accusatoires de justice
crinùnelle opposent le Ministère public, représentant de la société, au délinquant.
La victime est spoliée de «son» procès.
Objectivement ces affirmations sont pour partie excessives. Le Code
d'Instruction Criminelle d'abord, puis le Code de Procédure pénale surtout, ont
recherché un juste équilibre entre les droits de la victime et ceux du prévenu
tout au long du procès pénal.
La limite traditionnelle aux prérogatives d'une victime d'infraction
pénale tenait plus au fait que sa présence au procès était limitée à la finalité
réparatrice de son action, qu'à une volonté quelconque de se désintéresser de
son sort. Néanmoins, on a toujours craint, il faut bien le dire, un envahissement
du procès pénal -donc une dénaturation- par des victimes de toutes sortes,
notamment des groupements, qui seraient venu concurrencer le Ministère
Public seul garant et seul investi, de la protection de l'intérêt général (2). Quoi
qu'il en soit l'idée suivant laquelle la préoccupation du délinquant domine
presqu'exclusivement la justice criminelle s'est ancrée dans certains esprits
(1)
V. rapport du Groupe d'Etudes Général Provincial Canadien sur la justice pour les
victimes d'actes criminels, 1983 ; Rapport de Mme d'Hauteville sur le nouveau droit
des victimes au VIe congrès de l' Association Française de Droit pénal, Montpellier
nov. 1983 ; Rapport de Mme J. M. Shapland, nov. 1983 sur la victime clans le cadre
du système de justice criminelle, pour le Comité restreint d'experts du Comité
Européen pour les problèmes criminels.
(2) V. Merle et Vitu, Traité droit criminel, t. II n. 844 et suiv., n. 884 et suiv. ; StefaniLevasseur et Bouloc, Procéd. pénale 12e éd. n. 161 et suiv.
�9
qui en ont fait le reproche au mouvement de la Défense Sociale Nouvelle (3).
Ce sentiment s'est renforcé à partir de 1981. Des textes nouveaux tels que la
loi d'amnistie du 4 août 1981 (4) et celle de la même date supprimant la Cour
de Sûreté de l'État ( 5) ; la loi du 9 octobre 1981 portant abolition de la peine de
mort (6) et celle du lOjuin 1983 abrogeant ou modifiant la loi sécurité et liberté
(7), ont valu des critiques très vives au Garde des Sceaux qui a été présenté
comme l'avocat des délinquants. C'est sans doute pour corriger cette image, et
peut-être aussi pour d'autres raisons, qu'une action devait s'intensifier au profit
des victimes d'infractions. Au mois d'octobre 1982 était publié sous l'égide de
la Chancellerie un petit livre de 300 pages, intitulé «Guide des droits des
victimes» (8) destiné à informer celles-ci des démarches à réaliser face à des
situations différentes. Puis le 8 juillet 1983 une nouvelle loi venait renforcer la
protection des victimes d'infractions (9). Malgré cela, il ne semble pas que le
courant soit inversé, tant il est vrai que le sentiment que l'on peut avoir à
propos d'une situation donnée ne correspond pas toujours à la réalité de cette
situation.
'Un second facteur intimement lié au précédent est venu amplifier le
sentiment de désaffection des victimes. C'est l'augmentation de la délinquance
petite ou moyenne, qui a entrainé par voie de conséquence une multiplication
du nombre des victimes et un sentiment d'insécurité soigneusement cultivé et
amplifié par les médias, à un moment où les réformes successives donnaient
l'impression que l'on améliorait le sort des délinquants.
Enfin, un troisième facteur, qui a eu un champ d'action plus limité
que les précédents a accentué le phénomène : c'est la perception nouvelle de la
victime à travers les enquêtes de victimisation (notamment urbaine) développées
aux États-Unis ou au Canada (10), et une nouvelle branche de la criminologie :
la victimologie {11). La victime devenait sans doute objet de science et connais(3) Article en réponse de M. Ancel, La défense sociale devant le problème de la victime
RSC, 1978, p. 179 et suiv.
(4) Loin. 81-736 du 4 août 1981.
(5) Loin. 81-737 du 4 août 1981.
(6) Loin. 81-908 du 9 octobre 1981.
(7) Loi n. 83-466 portant abrogation ou révision de certaines dispositions de la loi n.
81-82 du 2 février 1981 et complétant certaines dispositions du Code pénal et du
Code de procédure pénale.
(8) Le Guide des droits des victimes, éd. Gallimard 1982 - Préface de R. Badinter,
dans laquelle le Garde des Sceaux indique : «pour être efficace, cette action au
profit des victimes doit s'inscrire dans une triple direction : prévenir, réparer, informer». Ce guide a été diffusé dans les librairies comme dans les palais de justice, au
prix de 20 F.
(9) Loi n. 83-608 du 8 juillet 1983 - J. O. du 9 juillet 1983. Cette loi est entrée.en application le 1er septembre 1983, sauf pour le nouvel article 470-1 du Code de procédure
pénale.
(10) V. X.XXIe Cours international de Criminologie «Connaître la criminalité : le dernier
état de la questiom>,Aix, décembre 1981,Presses Universitaires d'Aix-Marseille, 1983.
(11) Le premier congrès international de victimologie s'est déroulé à Jérusalem, le second
à Boston en 1976.
�10
sait de ce fait une valorisation, mais en même temps l'approche du phénomène
criminel s'élargissait. L'acte délictueux conçu comme le résultat d'une situation
relationnelle permettait de mettre en évidence la part incombant à la victime
-n'a-t-on point parler de «couple pénal» (12)-. Même en tenant compte des
facteurs et des interactions possibles, ce que l'on a qualifié de «manichéisme
ancien>> (la formule est de M. Ancel) était dépassé : <da victime dans la blancheur de son innocence ne s'opposait plus à la noirceur indélébile du criminel»
(13). On a pu ainsi parler de «personnalité victimelle».
Ainsi on pourrait être «coupable d'être victime» comme a pu l'écrire
un journaliste (14).
Certes il est vain de nier l'intérêt de ces perceptions nouvelles des
victimes, mais on ne peut méconnaître les conclusions auxquelles elles conduisent au plan de la réparation civile et de l'action prévue à cet effet.
Cette toile de fond permet de saisir la complexité du problème.
Par ailleurs, l'importance numérique du problème n'est pas moindre
tant sous l'angle social que politique si l'on songe que statistiquement un
français sur 26 700 risque.d'être victime d'un accident de la circulation dû à
une infraction, et un sur 160 d'un chèque sans provision (15). Si l'on compte
qu'il y a près de deux millions de vols par an et environ 14 millions de foyers,
un foyer sur sept est concerné chaque année. Sur les sept années à venir nous
serions volés tous une fois !
Autant dire que la question des droits de la victime est importante
car elle nous interpelle tous.
Nul ne conteste que la situation de la victime s'intègre dans une
démarche de politique criminelle globale. C'est bien d'ailleurs ce qui a été fait
jusqu'à ce jour puisque jamais sa situation n'a été considérée de façon isolée.
Elle a toujours été examinée à la lumière de celle du délinquant et celle du
Ministère Public représentant de la société. Il est donc nécessaire de mettre
tout d'abord en exergue cette évolution de ses droits (1. -). Mais s'il s'avère que
malgré les progrès constatés au niveau des textes, la réalité des situations
concrètes change peu. Alors se pose une question fondamentale : n'y aurait-il
pas une autre approche possible, plus efficace, plus effective de la situation de
la victime d'une infraction (II. - ) ?
(12) CT. E. Fattah, Victimologie : tendances récentes - Criminologie 1980, p. 28, v. également Déviance et société, 1981, p. 71 ; Vérin, Une politique criminelle fondée sur
la victimologie et sur l'intérêt des victimes, RSC 1981, p. 895 ; Chroniques de Denis
Szabo et M. Baril, Rev. internat. de crim. et de pol. tech. 1981 oct. - déc. 1982 ;
Denis Szabo, La victimologie et la politique criminelle, Rev. internat. de Crim. et
de pol. tech., 1981, p. 343.
(13) M. Ancel, op. cit.
(14) V. Coupable d'être victime, par J. Dehaye, Edit. Le Seuil, 1981.
(15) Cf. Guide des droits des victimes, Gallimard, p. 11.
�11
1. - LA PLACE DE LA VICTIME DANS LE SYSTEME ACTUEL DE JUSTICE
CRIMINELLE
Depuis le début du XIXe siècle jusqu'à une époque relativement
récente, il a été convenu que la victime d'une infraction pénale avait de multiples intérêts à s'associer au procès pénal, parfois même à le déclencher. Elle
bénéficiait de la célérité de la justice pénale, de sa gratuité, de la plus grande
facilité de preuve, etc ... Avec le Mouvement de la Défence Sociale Nouvelle, la
victime d'une infraction s'est vue attribuer une responsabilité plus grande :
celle de participer au processus de resocialisation du délinquant (16). C'est
donc bien dans le contexte d'une politique criminelle d'ensemble que son rôle
a été conçu. Malgré l'influence des idées de ce mouvement sur le droit positif
français, il est indéniable que la situation de la victime a évolué dans un système
de justice criminelle qui a, au fond, peu changé depuis un demi-siècle. Sans
doute la justice des mineurs est dans ses principes et son fonctionnement
totalement différente de celle des majeurs, mais au regard des droits de la
victilne la césure n'a pas été réalisée (17). Pour ce qui est des majeurs, un avantprojet de réforme du Code pénal succédant à un autre, il n'y a pas eu de
renouveau profond.
C'est dans ce contexte que deux grandes tendances d'améliorations
lentes sont apparues au profit des victimes : les unes concernant sa participation
au procès pénal, les autres concernant son indemnisation.
A - La possibilité de participation de la victime au procès pénal
n'est pas récente. Elle existait dans le code d'instruction criminelle et s'est
renforcée dans le C. P. P .. La victime dispose on le sait d'un droit d'option ;
elle peut non seulement demander réparation au juge pénal par voie d'intervention, mais même déclencher l'action publique par voie de constitution de partie
civile ou de citation directe.
Cette prérogative importante s'est même développée grâce à la
jurisprudence qui a admis que la victime pouvait se constituer partie civile
(16) M. Ance!, La défense sociale nouvelle, 3e éd. 1981 ; également l'article précité de
M. Ance! sur la défense sociale devant le problème de la victime, RSC 1978, p. 179187 où l'auteur propose un système d'indemnisation primaire par l'Etat. Dans une
telle hypothèse le remboursement de l'Etat par l'auteur de l'infraction dommageable
ne participerait pas de la même façon que l'indemnisation directe de la victime à
l'éducation du sentiment de la responsabilité, donc à la resocialisation du dé]jnquant.
(17) Il nous semble tout à fait anachronique dans le système de justice mis en place par
l'ordonnance du 2 février 1945, que la victime d'une infraction puisse comme pour
les majeurs déclencher l'action publique, provoquer des poursuites là où elles peuvent
être les plus inopportunes, réduire le juge des enfants à un rôle de juge d'instruction,
etc ... tout ceci au nom de l'action civile.
�12
sans demander des dommages-intérêts, wriquement pour corroborer l'action
publique (18).
Prérogatives importantes en soi, mais qui n'excluait pas ensuite une
sorte de déssaisissement de la victime au profit du Ministère public. Dans la
plupart des cas les poursuites continuent malgré le désistement de la victime.
Peu importe qu'il soit dû à son indemnisation ou son pardon.
Le maître quasi absolu de l'instruction est le juge d'instruction qui
la conduit à sa guise car il a pour mission de rechercher la vérité. La victime
n'est qu'une partie au procès que l'on consulte occasionnellement : pas pour
l'inculpation ou le placement en détention, mais pour la libération éventuelle
du détenu provisoire (19) ; demande-t-elle l'audition de témoins qu'elle juge
utile d'entendre, le juge d'instruction apprécie ; demande-t-elle une expertise
ou une contre-expertise, le juge d'instruction apprécie ; l'aspect pénal du procès
ne la concerne pas, ou que très indirectement. Elle n'est qu'un témoin-victime.
L'essentiel est de savoir si l'infraction existe et qui en est l'auteur. Les ordonnances juridictionnelles du juge d'instruction sont notifiées au conseil de la
partie civile (20), mais celle-ci n'a qu'un droit d'appel limité aux ordonnances
de non informer, de· non lieu et à celles qui font griefs à ses intérêts civils (21).
Devant la juridiction de jugement, elle est certes convoquée, mais
elle-même ou dans la plupart des cas son avocat, interviendra en premier pour
solliciter une réparation. Pour le reste la victime n'est toujours qu'un témoin, et
ce qui se passera ne la concernera qu'indirectement.
A ce schéma classique y a-t-il eu une amélioration importante.
En amont du procès, il y a cet effort pour informer les victimes sur
leurs droits moyennant l'achat du guide (22). Il y a aussi les bureaux d'accueil
et de renseignements ouverts dans les palais de justice (23) et l'encouragement
au développement du mouvement associatif pour l'aide aux victimes vivement
soutenu par la Chancellerie. L'impact réel de ces initiatives laisse pour l'instant
les observateurs très sceptiques. La recherche d'intégration du corps social à la
(18) Crim. 10 oct. 1968 - B. - 348 ; RTD civ. 1969 p. 576 obs. Durry; Crim. 15 oct. 1970
D. 1970, p. 733 note Costa - RSC 1971 - 436, obs. Robert ; Crim. 28 juin 1971 RSC 1971, p. 677, obs. Vitu; notre chronique-JCP 1973-I - 2563; De Poulpiquet,
Le droit de mettre en mouvement l'action publique : conséquence de l'action civile
ou droit autonome?, RSC 1975 p. 37. La loi du 10 juin 1983 (art. 41) modifiant
l'article 15 al. 2 de la loi du 13 juillet 196 7 autorise le débiteur ou ses dirigeants
sociaux à se constituer partie civile en vue d'établir la culpabilité de l'auteur d'un
crime ou d'un délit.
(19) Cf. Art. 148, al 5 du CPP.
(20) Art. 183 du CPP.
(21) Art. 186 du CPP.
(22) V. op. cit. note 8.
(23) Bernat de Celis, L'expérience du service d'accueil des témoins et victimes du tribunal
de Paris, RSC 1981 p. 695.
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justice pénale (24) reste très limitée même si une vingtaine d'associations
d'aide aux victimes se sont déjà constituées.
Au cours du procès, la loi du 2 février 1981 (25) a pennis aux
victimes qui réclament soit la restitution d'objets saisis, soit des dommagesintérêts dont le montant n'excède pas le plafond de compétence à charge d'appel
des tribunaux d'instance, de se constituer partie civile par lettre recommandée
avec avis de réception parvenue au tribunal 24 heures avant l'audience. La partie
civile qui a joint les pièces justificatives n'est pas tenue de comparaître (26).
Cette simplification est modeste et dans la pratique peu usitée.
A ce niveau, la face du procès pénal est peu changée, eÜa place de la
victime reste toujours très acc.essoire.
B - Les efforts ont été, du moins sur le plan législatif, plus substantiels du point de vue de l'indemnisation des victimes. Le mouvement s'est
amorcé il y a presque une dizaine d'années, puis le rapport de la commission
Milliez a accentué le phénomène (27). Ce rapport soulignait notamment que
«tant que les victimes auront le sentiment de ne rien pouvoir obtenir du système
qui soit de l'ordre du respect, de la reconnaissance de leur souffrance et de la
réparation effective, elles seront acculées à n'avoir que la vengeance comme
seule consolation» (28).
Tout d'abord au niveau de l'instruction, l'article 2 de la loi du 8
juillet 1983 a prévu que : (art. 5 - 1 du C. P. P.) «même si le demandeur s'est
constitué partie civile devant la juridiction répressive, la juridiction civile saisie
en référé demeure compétente pour ordonner toutes mesures provisoires
relatives aux faits qui sont l'objet de poursuites, lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable». L'inconvénient de cette réforme est
de permettre une dualité de contentieux, mais elle présente l'avantage de
permettre l'allocation rapide d'une provision à la victime. Autrement, dans le
cadre du contrôle judiciaire le juge d'instruction pourra ordonner la constitution de garanties réelles ou personnelles ou un cautionnement pour assurer le
paiement d'une pension alimentaire. Au niveau de la juridiction de jugement le
prévenu pourra depuis 1975 bénéficier de l'ajournement au prononcé de la peine
ou même être dispensé de peine s'il a dédommagé sa victime et que le trouble
résultant de l'infraction a cessé (art. 469-2 du C. P. P.).
(24) C'est le sens que donne à ce mouvement Mme Delmas-Marty in Modèles et mouvements de politique criminelle, éd. Economica 1983 p. 73.
(25) L'innovation a été introduite par la loi du 2 février 1981 dans l'article 420-1 du CPP,
modifié successivement par la loi du 10 juin 1983 et celle du 8 juillet 1983 .
.
(26) Quelles sont les victimes qui connaissent cette possibilité ? La connaissent-elles,
quelles sont celles qui sans le concours d'un conseil sont à même de fournir seules les
pièces justificatives susceptibles de satisfaire le juge ?
(27) Cette commission d'études et de propositions dans le domaine de l'aide aux victimes,
présidée par le professeur Mîlliez a été installée en février 1982. En juin 1982, le
Ministère de la Justice diffusait ses travaux.
(28) V. rapport de M. Milliez, p. 13.
�14
La loi du 8 juillet 1983 a permis l'intervention des compagnies
d'assurances du prévenu comme de la victime au procès pénal. Les payeurs,
c'est-à-dire les civilement responsables toujours présents en sous mains, mais
officiellement ignorés du procès pénal peuvent enfin sortir de l'anonymat (29).
Le juge pénal peut statuer sur les exceptions soulevées par les assureurs qui
tenteraient d'échapper à leur garantie ; il pourra aussi comme cela n'était
possible que devant la Cour d' Assises, allouer des dommages-intérêts à la victime,
malgré la relaxe du prévenu (art. 470-1 du C. P. P.). Cependant cette possibilité
est limitée aux cas où le tribunal a été saisi à l'initiative du ministère public ou
sur renvoi du juge d'instruction, de poursuites exercées pour homicide ou
blessures involontaires, à condition qu'aucun tiers responsable ne doive être
mis en cause.
Les limitations sont nombreuses et cantonnent en fait la possibilité
aux accidents de la circulation.
Au niveau de la peine, la loi du 2 février 1981(art.467 - 1 C. P. P.)
a fait de la réparation volontaire avant le jour de l'audience une circonstance
atténuante. L'indemnisation de la victime est aussi l'une des obligations possibles du sursis avec mise à l'épreuve ou une condition de la libération conditionnelle. On voudrait aussi que la part des revenus des condamnés qui travaillent
en détention ou en semi liberté soit effectivement versée aux victimes.
Reste enfin le cas des victimes qui n'ont aucun espoir d'indemnisation . Si l'insolvabilité du débiteur est organisée frauduleusement, depuis la loi
du 8 juillet 1983, l'article 404 - 1 du C. P. permet de les sanctionner une
nouvelle fois (30). Si l'auteur est réellement insolvable ou inconnu la loi du
3 janvier 1977 avait prévu une indemnisation par l'Etat de son préjudice
corporel. La loi du 2 février 1981 a élargi l'indemnisation aux victimes de vol,
d'escroquerie ou d'abus de confiance. La loi du 8 juillet 1983 a consacré un
nouvel élargissement pour les atteintes aux personnes en retenant comme
critère le «trouble grave dans ses conditions de vie». Le plafond de l'indemnisation a été porté de 210 000 à 250 000 F, sans doute pour tenir compte de
l'érosion monétaire.
On observe en fin de compte que le mouvement. amorcé en 1970
avec l'affectation prioritaire à la victime de la seconde partie du cautionnement
{31), a connu son point culminant entre 1975 et 1983 car nombreuses sont les
dispositions qui par touches successives ont tenté d'améliorer les chances d'indemnisation des victimes d'infraction. Mais là encore, on peut être sceptique
sur la portée réelle de ces améliorations par rapport aux hypothèses qui déjà
auparavant donnaient lieu à indemnisation. S'opère de plus un mélange de
(29) V. notre article sur «la situation du civilement responsable dans le procès pénal»,
Mélanges A. Weill, Dalloz-Litec 1982, p. 69 et suiv.
(30) Pradel, Un nouveau stade dans la protection des victimes d'infractions, D 83 - ch. p.
241 ; Roujou de Boubée, Commentaire de la loi du 8 juillet 1983 renforçant la
protection des victimes d'infractions, Act. Legis - Dalloz 1984, comment. lég. 49.
(31) Cf. Merle et Vitu, Procéd. pénale n. 1177.
�15
concepts qui n'est pas fait pour clarifier la situation de la victime qui est de
plus en plus confrontée à un procès pénal complexe puisque de surcroît ce
procès se «civilise».
Avec ce mélange croissant des genres on peut se demander si le juge
pénal va trouver le temps de s'occuper un peu du délinquant, objet toujours
principal de ses préoccupations (32). Bref, à force de retouches tout le monde
va finir par se perdre dans les imbroglios judiciaires qui ne profiteront à personne. Ici aussi l'enfer peut être pavé de bonnes intentions. Que faire de plus
pour les victimes ? (33). Telle est la vraie question qu'il faut se poser, mais se
demander aussi avant d'y répondre si l'on a quelque espoir de meilleure efficacité dans le carcan juridique que nous connaissons ou bien s'il ne convient
pas de réfléchir à une alternative d'une autre nature ?
II. - UNE NOUVELLE APPROCHE DES DROITS DE LA VICTIME
La première exigence qui s'impose, si l'on veut véritablement rendre
service aux vicfunes d'infractions, c'est un effort de simplification et de clarté.
Les fictions juridiques qui s'opposent viennent de ce que l'on a pas
véritablement mené une réflexion en vue d'un système nouveau.
Pourtant, si on y réfléchit (34), il apparaît qu'il y a deux préoccupations essentielles pour une victime : d'une part son propre devenir, d'autre.
part l'intérêt qu'elle peut porter au devenir de l'auteur de l'infraction. Or il
s'agit de deux problèmes totalement différents -de nature différente- et qui
de ce fait peuvent être abordés sous des angles différents. Pour schématiser on
peut dire que l'un est civil et l'autre est pénal.
Pourquoi dès lors ne pas les dissocier tout au moins sous l'angle du
contentieux judiciaire ? On pouvait remarquer qu'il y aurait à cela de nombreuses objections : ce serait remettre en cause un système qui reconnaît un
droit d'option à la victime ; mais tel est précisément l'objet de la démarche et
rien ne s'y oppose si le résultat est meilleur.
Ce serait faire perdre à la victime les avantages qui résultent pour elle
de s'associer au procès pénal (moins onéreux, plus rapide, preuve plus facile).
Ces avantages ne sont pas aussi évidents, le système actuel le démontre. Ce
serait une complexité nouvelle car il y aurait deux contentieux : l'un civil,
(32) C'est à une conclusion semblable que parvient P. Couvrat, dans son étude «La protection des victimes d'infractions, Essai d'un bilan, RSC 1983 p. 577 à 596 : «Enfin
au plan juridique, le système pénal tel qu'il est, avec ses défauts et ses qualités, a sa
cohérence et son entité ; les mesures en faveur des victimes doivent être dév~loppées
mais pas au point de l'altérer ; le procès pénal reste celui du délinquant et non celui
de la victime».
(33) Titre d'une étude de Mme Bernat de Celis, Crhonique de Défense sociale, RSC
1983, p. 737.
(34) Voir Irwin Waller, Les victimes d'actes criminels: besoins et services - Canada et etatsUnis - Déviance et Société 1981, 263 ; même volume M. Baril, Assistance aux victimes
et justice pénale p. 277 ; Normandeau, Pour une charte des droits des victimes d'actes
criminels, RSC 1983, p. 209 ; Voir également Bernat de Celis, op. cit., RSC 1983, p.
737 ; M. Delmas-Marty - Des victimes : repères pour une approche comparative,
RSC 1984, 209 ; F. Lombard - Les différents systèmes d'indemnisation des victimes
d'actes de violence, RSC 1984, p. 277.
�16
l'autre pénal. Actuellement dans la meilleure des hypothèses les deux contentieux existent mais se déroulent devant un même juge qui n'a pas vocation pour
régler les deux, et au pire, il y a deux contentieux puisque le juge des référés
peut allouer une indemnité provisionnelle en cours d'instruction. Il y a aussi les
cas où le tribunal correctionnel n'a pas compétence pour accorder une indemnisation. Donc le double contentieux existe déjà et va se multiplier.
L'identité de la faute civile et de la faute pénale s'y oppose, et à
défaut il y aurait risque de contradiction : cette identité est une pure fiction
dont les jours sont comptés ... à moins qu'elle ne soit déjà morte-vivante.
Bref, il n'y a pas d'obstacles
insurmon~bles,
sauf dans les esprits !
Il faudrait donc dissocier le problème de l'indemnisation de la victime
(A -) de celui de sa participation au procès pénal (B -).
A - Si l'on tient pour acquis que le problème de l'indemnisation de
la victime d'une infraction est crucial, on observe aussi à juste titre que la compensation monétaire, n'est pas la seule réparation ou aide à offrir aux victimes
d'infractions (35). C'est dans cet espoir que se développent les différentes initiatives publiques ou privées d'aide aux victimes.
Cependant, et ce n'est pas le moindre des paradoxes de cette situation, tout en reconnaissant que le système juridique actuel ne permet pas un
dédommagement rapide de la victime et qu'en la faisant participer aux procès
pénal du délinquant depuis l'enquête jusqu'au jugement il entretient ou parfois
aggrave ses souffrances et son préjudice moral on persévère dans cette voie.
L'objectif étant, sans charger de système, de diminuer ses effets pervers.
Si en revanche on s'efforçait, autant que faire se peut, de sortir
la victime du procès pénal, pour régler sa situation de façon spécifique, on
résoudrait par avance bon nombre de problèmes qui apparaissent dans la
pratique. Pourquoi la victime d'une infraction pénale devrait-elle subir l'influence
de la suspicion et de la réprobation morale qui imbibent tout procès pénal? L'acte
délictueux ou criminel dont elle a souffert fait-il que sa souffrance est moins
pure que celle d'une autre victime ? Sauf cas de figure particulier, nul ne peut
soutenir pareille thèse. Dès lors il convient de remédier à toutes ces «servitudes
du système pénal» (36), en faisant le choix d'un autre système d'indemnisation
qui serait purement civil (37).
Cependant, on ne peut pas aborder cette question globalement, tant
il est vrai qu'il n'y a pas une situation unique de la victime, mais autant de
situations que de types de victimes. Et le problème n'est pas le même suivant
les cas.
(35) Cf. J. Vérin, op. cit., RSC 1983, p. 718.
(36) V. en ce sens Bernat de Celis, op. cit., RSC 1983, p. 789 in fine. Cf. F. Lombard,
op. cit., not. p. 296.
(37) La séparation des actions civile et pénale existe en droit anglo-saxon. Elle existe aussi
mais avec quelques restrictions, en droit allemand, néerlandais et suisse. Voir également pour une approche plus complète des droits étrangers, Mme Delmas-Marty, op.
cit., RSC 1984, p. 209. La proposition de séparer ces deux actions en droit français
n'est pas récente : cf. G. Durry note sous crim. 3 oct. 1967, JCP 1968, Il, 15552.
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Sous l'angle de l'indemnisation quelles sont les distinctions à opérer?
En premier lieu, il faut exclure du champ des victimes les personnes
morales (sociétés, associations, syndicats). Leur action civile a rarement une
finalité indemnisatrice (38). Il ne s'agit ici que des personnes physiques victimes
d'une infraction pénale ayant entraîné pour elle un préjudice corporel, matériel
ou moral.
En second lieu, il faut distinguer entre les infractions pour lesquelles
il existe un système d'indemnisation et celles pour lesquelles il n'en existe pas.
D'un côté on trouve les accidents de la circulation, les accidents du
travail, de l'autre des infractions généralement volontaires pour lesquelles en
principe c'est l'auteur qui doit indemniser sur ses deniers propres : vol, escroquerie, abus de confiance, viol, meurtre, etc ...
a) Pour les accidents de la circulation qui révèlent une infraction
pénale (soit homicide ou coups et blessures involontaires ou infractions au
Code de la route n'ayant entrainé qu'un préjudice matériel) en principe les
compagnies d'assurances sont appelées à dédommager les préjudices.
Le projet de réforme qui est en cours d'élaboration et qui vise les
piétons et cyclistes tend à assurer un dédommagement quasi automatique de
la victime. Quel que soit le texte de loi qui sera finalement voté, il faudrait
pour ce problème de responsabilité purement civile réserver ce contentieux aux
juridictions civiles : indemnisation rapide des victimes après nomination
d'expert en référé pour évaluer le préjudice matériel, corporel ou moral en cas
de discussion, sinon indemnisation conventionnelle (avec ou sans transaction).
Pour le préjudice matériel, cela équivaut à avoir une assurance «dommages». Pour le préjudice corporel, l'objet est de transférer aux assurés (donc
aux particuliers qui payent les primes) la prise en charge, qui actuellement
incombe à la sécurité sociale lorsque l'assuré est fautif. Pour la victime le fait
que l'acte dommageable soit ou non délictueux ne doit avoir aucune incidence
sur son indemnisation.
Contentieux purement civil pour les accidents du travail, où il existe
déjà (et ce depuis 1898) un système d'indemnisation forfaitaire. La réparation
du préjudice intégral serait réalisée avec le concours de l'assureur du civilement
responsable.
Dans le domaine où actuellement le juge répressif est incompétent
pour allouer une réparation (39), a fortiori le contentieux de l'indemnisation
resterait extra pénal.
Dans toutes ces hypothèses, l'option de la victime disparaîtrait et
l'action en réparation de la victime serait une action purement civile.
b) Pour les infractions où il n'existe pas a priori d'organisme
d'indemnisation des victimes : meurtre, viol, abus de confiance, escroquerie,
(38) V. notre article, JCP 1973, I, 2563.
(39) Voir Stefani- Levasseur - Bouloc: Procédure pénale, Dalloz, 12e éd. n. 162 in fine.
�18
vol, etc ... il peut se faire que la victime soit elle-même assurée contre certaines
infractions. Exemple : assurance contre le vol : son assureur dédommage et n'a
qu'une action de nature civile. Pour le viol, les coups et blessures volontaires,
etc ... intervient généralement l'assurance maladie. Mais il faudrait aller plus
loin car tout le monde ne bénéficie pas directement ou même indirectement
d'une prise en charge, des frais médicaux ou pharmaceutiques. Ici encore l'idée
n'est pas nouvelle mais il faudrait instituer un fonds public d'indemnisation
des victimes d'infraction.
Beaucoup plus largement qu'on ne le fait aujourd'hui pour les victimes d'infractions dont l'auteur est inconnu ou insolvable, cet organisme d'°füat,
au terme d'une procédure civile simplifiée, indemniserait complètement les
victimes non assurées d'infractions volontaires, et serait de plein droit subrogé
dans leurs droits et actions, notamment contre le délinquant.
La charge de cette indemnisation pour le budget de l':Ëtat, ne serait
pas aussi importante qu'on peut le craindre, si on la limite aux hypothèses où
il n'y a pas d'indemnisation par une compagnie d'assurance. Déjà le système
existe partiellement. Il suffirait de l'étendre aux hypothèses où le délinquant
est connu et non insolvable totalement, c'est-à-dire celles où de fait la victime
est la moins bien traitée. Un organisme public peut être mieux armé qu'un
simple particulier pour faire valoir ses droits. Il sera plus persévérant si sa
créance doit s'échelonner dans le temps pour être satisfaite (40).
Enfin, la justice pénale retrouverait sa véritable vocation de ne traiter
que de l'action publique.
B - Le second problème, celui de la participation de la victime au
procès pénal se présenterait alors sous un jour nouveau.
La contribution de la victime est nécessaire pour établir les circonstances de l'infraction et la culpabilité du prévenu. La victime ne serait alors
que le témoin principal. Elle ne pourrait pas automatiquement déclencher
l'action publique. Elle pourrait dénoncer les faits au ministère public, ce
dernier seul ayant l'initiative de la poursuite.
·
Au cours de l'instruction, le juge d'instruction pourrait mieux
qu'actuellement se débarrasser des problèmes d'indemnisation, associer la
victime aux prises de décisions purement pénales ou seulement la tenir
informée de l'avancement de la procédure (décision de placement en détention
provisoire, décision de libération avec consultation antérieure de la victime,
contrôle judiciaire avec obligation de dédommager l'orgarusme indemnisateur
de la victime, etc ...).
(40) Notamment dans l'hypothèse où ce remboursement serait effectué par prélèvement
sur les gains d'un condamné à une longue peine privative de liberté, ou celle où un
condamné qui n'a pas tout remboursé arriverait pour une cause quelconque -héritage
par exemple- à meilleure fortune.
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Le même état d'esprit présiderait devant la juridiction de jugement
(ou le futur tribunal de l'exécution des peines) où la victime, si elle le souhaite,
pourrait être associée au procès ou à l'exécution de la peine, mais exclusivement sous l'angle de l'intérêt public et par voie de conséquence de la meilleure
réaction sociale possible, sans que son attitude soit déformée par les frustrations
d'une indemnisation défaillante.
Il va de soi que dans les hypothèses où c'est l'Etat qui a indemnisé
la victime, le Ministère public serait chargé de veiller à ce que le prévenu,
l'accusé ou le condamné !embourse ce dernier dans toute la mesure du possible : soit sur ses biens actuels, soit en prélevant sur une part de ses revenus
pénitentiaires ou extra pénitentiaires.
Quels seraient les avantages d'·un changement aussi radical ? Ils sont
nombreux.
Tout d'abord au regard de la victime d'une infraction, c'est de
permettre son indemnisation ou sa prise en charge rapide et aussi complète que
possible. La victime n'aurait plus -ou moins- ce sentiment d'abandon qu'elle
ressent aujourd'hui lorsqu'après l'agitation immédiate qui suit une infraction
elle se trouve seule avec ses problèmes. Son désir de vengeance à l'égard du
délinquant et de déception à l'égard de la justice et de la société s'estomperait
ou même disparaîtrait, de même que son sentiment d'insécurité, au moins à
l'égard des infractions qui portent atteinte à sa personne.
Le droit français ne ferait qu'anticiper l'évolution que l'on observe
au niveau européen, et qui s'est traduite pour l'instant par la Convention
européenne relative au dédommagement des victimes d'infractions violentes,
ouverte à la signature le 24 novembre 1983.
Le contentieux civil ne serait pas gravement alourdit pour autant.
L'unité du système d'indemnisation permettrait une meilleure harmonisation
alors qu'aujourd'hui on relève quelquefois des différences notables suivant
que l'indemnisation est évaluée par une juridiction civile ou une juridiction
pénale.
Enfin, le procès pénal retrouverait, au mieux des intérêts de tous,
sa vocation fondamentale : celle de veiller à la protection de la société. Le
juge pénal ne consacrerait plus 50 ou 60 % de son temps à régler des problèmes civils. La procédure pénale ne serait plus altérée par des attitudes de
vindicte des victimes qui pourraient, si elles le souhaitent, mieux y collaborer.
Ce ne serait pas diminuer la prise de conscience de sa responsabilité
par le délinquant, car s'il ne dédommage pas directement sa victime, il dédommagerait néanmoins un organisme de substitution qui aura meilleure mémoire
pour lui rappeler sa dette.
*
*
*
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Il en va pour les juristes comme pour les architectes : quand un
immeuble menace ruine et que toute restauration est mauvaise, il appartient
de conseiller la démolition pour reconstruire sur des fondations saines.
L'arrêté de péril étant difficilement contestable, un projet d'architecture nouvelle doit être élaboré.
�LA CRISE DES POLITIQUES CRIMINELLES OCCIDENTALES
Par
Raymond GASSIN
Professeur à l'Université de Droit, d'Économie et des Sciences d'Aix-Marseille
Directeur honoraire de l1nstitut de Sciences Pénales et de Criminologie
d'Aix-en Provence
INTRODUCTION
1 - LA NOTION DE POLITIQUE CRIMINELLE.
La notion de politique criminelle est aujourd'hui une notion suffisamment connue pour qu'il ne soit pas nécessaire d'en rappeler la définition
(1). Je me bornerai ici, pour l'intelligence de mon propos, à en préciser deux
caractéristiques importantes :
1) La politique criminelle ne se confond pas avec le droit pénal .
Le droit pénal est certes un élément essentiel de la politique criminelle, mais il n'est pas toute la politique criminelle. Celle-ci déborde le droit
pénal, en tendu comme cet ensemble de règles qui régit la réaction sociale
contre la délinquance, pour inclure d'autres règles juridiques, et notamment ces
dispositions légales et réglementaires fort disparates qui forment ce que l'on
pourrait appeler le droit naissant de la prévention de la délinquance (2).
(1) Sur la définition de la politique criminelle, voir DECOCQ, Droit pénal général,
1971, p. 43-44 ; MERLE et VITU, Traité de droit criminel, tome 1, 4e éd., 1981,
50 ; PRADEL, Droit pénal, tome I, 3e éd., 1981, n. 39; STEFANI, LEVASSEUR
et BOULOC, Droit pénal général 12e éd., 1984, n. 22 ; STEFAN!, LEVASSEUR
et JAMBU-MERLIN, Criminologie et science pénitentiaire, Se éd., 1982, n. 12 ;
GIV ANOVITCH, Objet et notion de la politique criminelle, in Les principaux aspects
de la politique criminelle moderne, Etudes en l'honneur de Donnedieu de Vabres,
Paris, Cujas, 1960, p. 15 ; CORNIL, Une politique criminelle réaliste, id., p. 29 ;
RAPPAPORT, La division de la notion d'une politique criminelle moderne, id., p.
37 ; G. LEV ASSEUR, La politique criminelle, Archives de philosophie du droit, XVI,
1971, p. 131 ; Marc ANCEL, Contribution de la recherche à la définition d'une
politique criminelle, Rev. int. crim. et pol. techn., 1975, p. 225 ; Marc ANCEL, Pour
une étude systématique des problèmes de politique criminelle, Archives de politique
criminelle, n. 1, 1975, p. 15; Jacqueline BERNAT de CELIS, La politique criminelle
à la recherche d'elle-même, Archives de politique criminelle, n. 2, 1977, p. 3 ; Denis
SZABO, Criminologie et politique criminelle, éd. Vrin et P. U. M., 1978, p. 108-112,
Pour l'analyse systémique de la politique criminelle, cf. Mireille DELMAS-MARTY,
Modèles et mouvements de la politique criminelle, éd. Economica, 1983.
n.
(2) Sur l'inclusion des mesures dites de «prophylaxie sociale» dans la politique criminelle, cf. DECOCQ, op. cit. ; PRADEL, op. cit. Adde ; R. LEGROS, Politique criminelle
et droit pénal, Rev. droit pén. et crim., 1980, p. 287 ; J.-Y. DAUTRICOURT, De la
loi pénale à la loi de politique criminelle, Archives de polit. crim., n. 2, 1977, p. 83.
�22
2) La politique criminelle ne se limite pas à un ensemble de règles de
droit : droit pénal et droit de la prévention.
A côté des règles juridiques, elle inclut les pratiques des différentes
institutions chargées d'assurer l'application de ces règles : police, parquets,
tribunaux, administration pénitentiaire, éducation surveillée, organisme de prévention, services sociaux. Ces pratiques ne se confondent pas avec la loi non
seulement au point de vue matériel -ce qui est évident- mais aussi au point de
vue juridique. Dans certains cas, la loi donne à l'institution chargée de l'appliquer un pouvoir plus ou moins large d'appréciation d'opportunité, comme par
exemple le pouvoir d'individualisation de la sanction pénale attribué au juge
pénal. Dans d'autres cas, les institutions adoptent des pratiques contraires à la
loi dont l'exemple le plus connu est celui de la correctionnalisation judiciaire.
Enfin dans une troisième série d'hypothèses, les agents du système de justice
criminelle recourent à des pratiques qui, sans être directement contraires à la
loi, se situent en marge de celle-ci : on a ainsi décrit récemment la pratique de
l'admonestation policière des jeunes délinquants qui est tout-à-fait légale aux
États-Unis et au Canada en raison de l'ampleur des pouvoirs reconnus à la
police, mais qui chez nous s'est créée en marge de la loi pour répondre à des
nécessités pratiques impérieuses (3).
Il y a donc tout un ensemble de pratiques institutionnelles dont
la connaissance nous est donnée par la sociologie de la justice pénale et ces
pratiques font partie intégrante de la politique criminelle au même titre que la
législation elle-même (4).
Finalement, pratiques institutionnelles et règles de droit, système de
justice criminelle et système pénal se combinent pour former ce que l'on appelle
le système de politique cÏ"iminelle.
Il - .LA FONCTION DE LA POLITIQUE CRIMINELLE •
La politique criminelle ainsi caractérisée, a pour fonction essentielle
dans l'État d'assurer le contrôle de sa criminalité, c'est-à-dire de contenir dans
des limites tolérables ~t si possible de faire diminuer- toute une série de
comportements très variés qui entravent fortement le développement harmonieux d'une société, ou qui plus gravement la condamnent à une certaine
régression, ou même qui en compromettent la survie. Cela va des pratiques anticoncurrentielles, comme les ententes et abus de position dominante, jusqu'au
terrorisme international en passant par les escroqueries, les vols, les meurtres,
l'espionnage et la trahison etc ...
(3) Cf. Henri SOUCHON, Admonester. Du pouvoir discrétionnaire des
ed. du C.N.R. S., 1982.
(4)
organ~s
de police,
Cf. SZABO, op. cit., loc. cit. ; Y. BRILLON, La politique criminelle comme objet
d'étude de la criminologie de la réaction sociale, Rev. int. crim. et pol. tech. 1978,
p. 240 et 353.
�23
C'est cependant une question extrêmement difficile -et qui n'a pas
été résolue jusqu'à présent- que de savoir dans quelle mesure le contrôle de la
criminalité dans une société est assuré effectivement par sa politique criminelle
(5). En cette matière, il n'existe guère que deux certitudes. La première est que
l'absence de politique criminelle entraîne l'anarchie et le triomphe de la force
brute. L'absence totale est une hypothèse d'école, mais il y a eu des cas de
carence momentanée, comme par exemple la grève des policiers dans certaines
villes nord-américaines il y a quelques années : au bout de 24 heures ces villes
étaient devenues de véritables coupe-gorge. Ainsi lors de la grève de la police
de Montréal durant 24 heures en 1970, on a déploré 7 agressions à main armée
contre des banques, un millier de vols avec effraction et 17 vols avec violence,
ainsi que des bagarres provoquant 2 morts et une cinquantaine de blessés (6).
Un pays ne peut donc pas se passer de droit pénal ni des institutions (police,
tribunaux, etc ...) qui sont chargées de l'appliquer. Mais il est aussi une deuxième certitude, c'est que la politique criminelle n'est pas le seul facteur de
contrôle &e la criminalité dans une société. A côté d'elle et au-delà ou pardessus, comme on voudra, il existe divers systèmes de contrôle extra-pénaux
qui jouent un rôle variable mais certain dans la prévention de la criminalité et
de la récidive : famille, église, école, milieu professionnel et diverses autres
institutions sociales qui diffèrent évidemment suivant le type d'organisation
sociale. Ce serait donc une erreur de croire que, si l'on ne peut rien sans politique criminelle, on peut tout avec elle. L'hypothèse limite d'une société où le
seul système de contrôle social serait la terreur policière-judiciaire ne garantirait
pas, tant s'en faut, une «société sans crime». Au contraire on peut dire que plus
on a des systèmes de contrôle extra-pénaux efficaces, moins on a besoin de politique criminelle énergique : c'est la raison pour laquelle la criminalité était très
peu répandue dans les sociétés primitives et qu'elle l'était sans doute tellement
moins dans les sociétés traditionnelles que dans nos sociétés contemporaines.
Ces certitudes étant énoncées, on est obligé de constater qu'entre le
zéro de l'absence de politique criminelle et l'infini du «tout politique criminelle», on ne peut que formuler des hypothèses relativement au degré d'effectivité de la politique criminelle sur le contrôle de la criminalité. Tout ce que l'on
peut dire, c'est qu'il est fort probable, mais non certain, que celui-ci est principalement fonction de deux séries de variables :
1 - les caractéristiques du système social et du système des valeurs en
cours dans la société considérée ;
2 - la qualité des institutions qui caractérisent la politique criminelle de
cette société depuis son Code pénal jusqu'à ses institutions pénitentiaires, en d'autres termes la valeur de son système de politique
criminelle.
On mesure, de la sorte, la complexité des relations qui peuvent exister entre
(5) Cf. La politique criminelle et le problème de la prévention générale, 2e colloque
international de politique criminelle, Paris, 18 mars 1977, Archives de politique
criminelle, n. 3, 1978, p. 1 et suiv.
(6)
Rev. pol. nat., oct-nov. 1970, p. 65.
�24
la politique criminelle et la criminalité et on conçoit dès lors combien il faut
éviter, contrairement à ce que l'on fait trop souvent, de confondre l'étude des
crises de la politique criminelle avec celle de l'augmentation de la criminalité.
Les crises de la politique criminelle sont à la fois effet et cause de l'accroissement de la criminalité ; mais il faut bien voir que ce dernier s'explique aussi par
bien d'autres facteurs, souvent beaucoup plus importants, si bien que ce qui
apparaît avec le plus de netteté dans l'étude des crises de la politique criminelle,
c'est bien plus ce qui appartient à l'effet de l'augmentation de la criminalité
qu'à la cause de celle-ci.
III - LA CRISE DES POLITIQUES CRIMINELLES OCCIDENTALES.
Le présent exposé a précisément pour objet l'étude de la crise
actuelle des politiques criminelles occidentales. L'énoncé de cet intitulé soulève
d'emblée trois questions : pourquoi seulement les politiques criminelles occidentales ? Les politiques criminelles occidentales sont-elles véritablement en
crise ? Si oui, de quelle crise s'agit-il ?
1) La réponse à la première question est facile. L'étude est limitée aux
pays occidentaux, non pas parce que les autres pays ne connaissent pas de
difficultés sérieuses, mais parce que celles-ci sont généralement de nature différente. Il y a en effet de telles différences entre les démocraties occidentales
d'une part et les régimes des pays socialistes et des pays en voie de développement d'autre part que les problèmes posés et leur solution éventuelle relèvent
d'analyses d'un autre genre (7). Le sujet, même limité aux pays occidentaux,
demeure d'ailleurs fort vaste, car il englobe non seulement l'Europe occidentale
mais aussi l'Amérique du Nord, le Japon et Israé1.
2) Mais précisément, les politiques criminelles des pays occidentaux
sont-elles véritablement en crise ?
La question mérite d'être posée pour deux raisons. On doit d'abord
observer que le mot «crise» est aujourd'hui une sorte de mot passe-partout, qui
est appliqué à toutes les institutions sociales dès que celles-ci présentent quelques difficultés dans leur fonctionnement, même si celles-ci sont légères ou
purement passagères : il y a une véritable dévaluation du mot «crise». De plus,
il existe dans la matière particulière de la politique criminelle, une longue
tradition d'abus du terme (ou de termes voisins) car, depuis le milieu du XIXe
siècle, on parle régulièrement de la crise de la justice pénale. Ainsi à la fin du
siècle dernier H. JOLY, professeur de droit pénal à Paris, publiait un manifeste
intitulé «Le krack de la répression» (8), tandis qu'en 1911 le Procureur Général
(7) Parmi ces problèmes figure notamment celui de la "'criminalité d'ftat» où l'ftat se
comporte lui-même comme une gigantesque organisation criminelle, comtne ce fut le
cas de l'Allemagne nazie, de la Russie stalinienne et, plus près de nous, du régime
Khmer rouge au Cambodge qui a fait délibérément périr, en quelques années, entre
1 million et demi et 3 millions de personnes, selon les estimations, sur une population
totale de 7 millions et demi.
(8) Le Correspondant, 25 février 1896.
�25
LOUBAT signait à son tour un article ayant pour titre «La crise de la répression»
(9) et qu'en 1928 encore, le jeune professeur Léon RADZINOVICZ prononçait un discours inaugural sur «La crise et l'avenir du droit pénal» {10). Il ne
semble pourtant pas que la répression se soit portée si mal avant la guerre de
1914 ni même jusqu'à la dernière guerre.
Fort heureusement, les sciences humaines viennent aujourd'hui à
notre secours, car s'intéressant depuis quelques années à ce concept si répandu,
elles ont commencé à esquisser une véritable «Science des crises» baptisée,
comme on l'imagine aisément, «crisologie» (11). Or, si l'on se réfère à celui qui
a sans doute le plus apporté à la compréhension du concept de crise, le sociologue Edgard MORIN (12), une crise se caractérise essentiellement par quatre
traits :
1 - Une ou plusieurs perturbations qui rendent le système incapable
d'apporter une solution aux problèmes qu'il résolvait jusque là ;
2 - Un accroissement des désordres et des incertitudes que le système ne
parvient plus à maîtriser ;
3 - Une rigidification du système qui ne parvient plus à s'adapter au défi
lancé par son environnement et finit par tourner en rond sur lui-même ;
4 - Le déclenchement enfin d'activités de recherche de solutions à la crise.
Or précisément si l'on examine les systèmes de politique criminelle
des divers pays occidentaux dans leurs diverses composantes, on y retrouve
presque toujours ces quatre phénomènes caractéristiques, et en tout premier
lieu le phénomène déclencheur initial : la perturbation.
Il est manifeste aujourd'hui que les politiques criminelles des pays
occidentaux sont devenues incapables de remplir la fonction essentielle pour
laquelle elles ont été créées : elles n'assurent plus un contrôle satisfaisant de la
criminalité. Si l'on met à part le Japon, et quoique de manière moins nette la
Suisse, la criminalité des pays occidentaux n'a cessé d'augmenter pour presque
toutes les infractions depuis 25 à 30 ans. L'étude la plus importante et la plus
sérieuse qui ait été faite sur ce sujet est celle d'un criminologue américain
Ted GURR qui a porté sur les tendances d'évolution de la criminalité dans 18
démocraties occidentales de 1945 à 1974 (13). Voici sa conclusion générale :
(9)
Revue politique et parlementaire, 1911, p. 434.
(10) Léon RADZINOVICZ, Les crises répétées de la justice pénale, in Mélanges Ance!,
1975, tome II, p. 229.
(11) Voir le numéro 25 de la revue Communications, 1976, «La notion de crise» avec
notamment André BEJIN et Edgard MORIN, «Introduction à la notion de crise»,
p. 1 ; André BEJIN, «Crises des valeurs, crises des mesures», p. 39 ; Edgard MORIN,
Pour une crisologie, p. 149. Voir encore Jean GUILLAUMIN, «Pour une méthodologie générale des recherches sur les crises», in «Inconscient et Culture», 1979., p.222
Edgard MORIN et Irène NAHOUM, L'esprit du temps, t. 2, Nécrose, 1975, p. 27 à
138, 171 et suiv. ; Edgard MORIN, Pour sortir du XXe siècle, 1981, p. 327 à 335.
(12) Cf. Les références note précédente.
(13) Ted R. GURR, Crime trends in modern democracies since, 1945, Ann. Int. Criminologie, 1977, vol 16, n.1 et 2, p. 41 et suiv.
�26
«Les tendances d'évolution qui résultent des statistiques officielles reflètent,
par delà les exceptions et les distorsions, des changements réels de comportement social et non de simples illusions. statistiques dans la plupart des pays
occidentaux en 25 ans tant en ce qui concerne les crimes traditionnels (homicides volontaires, coups et blessures volontaires, vols à main armée ou avec
violence, cambriolages et vols simples) que la délinquance d'affaires (escroquerie, abus de confiance, faux en écriture, etc ...). Les augmentations ne sont
pas en effet l'objet de faibles pourcentages : la plupart des indicateurs des
crimes traditionnels ont au moins doublé, beaucoup ont augmenté de 500 à
800 % et quelques-uns même de plus de 1 000 %. De la sorte la preuve de
l'augmentation des crimes traditionnels est suffisamment établie, et il convient
de rejeter l'opinion de ceux qui soutiennent qu'aucune réalité sociale ne
soutendrait les taux d'augmentation de la criminalité en mettant l'accent sur de
petites erreurs ou inadaptations de l'information officielle sur le crime et le
contrôle du crime. La criminalité contemporaine constitue au contraire un
véritable problème social d'une ampleur substantielle et croissante qu'il vaudrait
mieux chercher à expliquer qu'à nier» (14).
Depuis 1974, date limite de la recherche de Ted GURR, le phénomène de progression de la criminalité n'a pas cessé de se continuer comme en
témoigne l'examen des statistiques des divers pays occidentaux, toujours à
l'exception du Japon et de la Suisse (15).
La France, elle, n'a pas fait exception à la tendance générale. Si l'on
se réfère aux statistiques de la police judiciaire qui sont celles qui approchent
le plus de la réalité criminelle, après une assez nette décrue de la fin de la
dernière guerre jusqu'en 1955, le nombre des crimes et des délits connus de la
police n'a cessé d'augmenter à partir de 1956 passant de 604 826 affaires
traitées en 1955 (16) à 3 416 682 crimes et délits en 1982 (17), soit une
augmentation globale de 465 % en l'espace de 27 ans. Bien entendu toutes les
catégories d'infractions n'ont pas augmenté dans les mêmes proportions ;
quelques-unes ont même diminué ; mais la tendance générale est bien celle-là
et tout se passe comme si l'on se trouvait en présence d'un phénomène devenu
pratiquement incontrôlable.
(14) Op. cit., note précédente, p. 84.
(15) Cf. SUSINI, Tendances de la délinquance et stratégie de la prévention en Europe
occidentale, Rev. int. de politique criminelle, n. 35, 1979, p. 77 ; I. WALLER, La
criminalité au Canada et aux rtats-Unis : tendances et explications comparatives,
1964-1978, Criminologie, vol. XIV, 1981, n. l, p. 51 ; Hans-Hener KUHNE, Criminalité et répression de la criminalité au Japon, op. cit., p. 31 ; X. Les condamnations
pénales en Suisse en 1979, Berne, 1981, 109 p.
(16) J. SUSINI, Douze ans de statistiques de police (1950-1961), Rev. Sc. Crim., 1963,
p. 161.
(17) Aspects de la criminalité en France en 1982 constatée par les services de police et de
gendarmerie, La documentation française, 1984, p. 9. Pour 1983, les chiffres rendus
publics par le Ministre de l'intérieur en septembre 1984 indiquent 3 563 975 crimes
et délits, soit une augmentation de 4,4 % par rapport à 1982 (Journal Le Monde,
19 septembre 1984, p. 14).
�27
3 ) Mais alors se pose une nouvelle question qui est de beaucoup la
.plus difficile à résoudre : puisqu'il y a crise, de quelle crise s'agit-il ?
Pour situer la question, il faut savoir que la crisologie a élaboré
diverses typologies des crises. D'un prenùer point de vue, celui de la dynanùque
des sociétés, on distingue entre les crises de croissance ou de développement
qui affectent les sociétés naissantes ou en voie de développement et les crises
d'évolution qui touchent au contraire les sociétés déjà anciennes qui ont acquis
une certaine maturité, ce qui est évidemment le cas de nos sociétés occidentales.
Mais parnù les crises d'évolution, il faut aussitôt sous-distinguer entre les crises
de progrès et les crises de déclin et de décadence (18). Le critère essentiel de
cette distinction nous paraît résider dans le caractère du phénomène perturbateur qui provoque la crise : il y a crise de progrès lorsque cet évènement tend à
renforcer la cohérence ou l'efficacité du système en crise et crise de décadence
lorsque le phénomène est un phénomène d'éclatement, de dispersion, de dislocation ou de désintégration. De là une prenùère question essentielle : la crise
des politiques criminelles occidentales est-elle une crise de progrès ou au contraire une crise de décadence ?
D'un second point de vue qui s'attache surtout à la structure des
sociétés, la crisologie distingue cette fois entre les crises qui sont des accidents
dans l'histoire d'une société et les crises qui, au contraire, sont de véritables
modes d'être de sociétés en évolution (19).
Aussi la question précédente se double-t-elle d'une autre question
essentielle : comment qualifier cette crise des politiques criminelles occidentales qui s'est amorcée dans les pays anglo-saxons dès le début des années 50 et
dans les pays du continent européen à la fin des années 50 - début des années
60, et qui n'a jamais cessé depuis de se développer ? S'agit-il d'un simple
accident dans l'évolution de nos sociétés ? Ne s'agit-il pas plutôt d'un véritable
mode d'être de ces dernières, une sorte d'état chronique de crise, entrecoupé de
temps à autre par une accalnùe tout-à-fait temporaire ?
Telles sont les questions les plus intéressantes que pose la crise
actuelle. Il s'agit finalement de savoir comment la caractériser.
N-PLAN.
Or pour caractériser cette crise, la prenùère démarche à faire est d'en
recenser les manifestations les plus importantes et de tenter de les expliquer.
Cela permettra déjà de voir se dessiner les principaux contours de la silhouette
de cette crise.
Mais, si l'on veut avoir une vue complète de ses caractères, cela ne
saurait suffire. Il faut en faire en quelque sorte la contre preuve en s'iÎlterrogeant sur les conditions nécessaires pour pouvoir sortir de la crise. Outre la
(18) Sur la distinction, cf. Julien FREUND, La décadence, Sirey, 1984, p. 24.
(19) Cf. sur la notion d'«état chronique de crise», GUILLAUMIN, op. cit., p. 222-223.
�28
circonstance que ce second examen répond au fait que, chaque fois que l'on
parle de crise, ce qui intéresse surtout le public c'est de savoir quels sont les
moyens d'en sortir, seule l'étude des conditions de sortie de la crise permet
d'achever de peindre le tableau de la crise.
C'est pourquoi cet exposé traitera dans une première partie des
manifestations de la crise des politiques criminelles occidentales et dans une
deuxième partie des conditions de sortie de la crise des politiques criminelles
occidentales.
- I LES MANIFESTATIONS DE LA CRISE DES POLITIQUES
CRIMINELLES OCCIDENTALES
Très nombreux aujourd'hui sont ceux qui parlent de la crise de la
politique criminelle, mais fort peu nombreux sont ceux qui cherchent à dépasser la simple incantation verbale pour tenter d'analyser en quoi consiste exactement cette crise.
Encore convient-il de remarquer que, parmi ces derniers, la plupart
limitent leur champ d'investigation à un aspect seulement de la politique criminelle. Tel auteur s'en tient à la crise de droit pénal (20), tels autres à la crise de
la justice pénale (21). Ce faisant, ces auteurs ne peuvent donner qu'une image
partielle de la crise des politiques criminelles, quand ce n'est pas une représentation inexacte, car toute vue partielle d'un problème conduit inévitablement à
un moment ou à un autre, à en donner une image déformée.
Quelques rares auteurs ont cependant tenté d'aborder l'ensemble du
problème (22). Mais on est alors amené à constater les deux orientations
contraires suivantes : ou bien ils élargissent tellement le sujet qu'ils confondent
l'explication de la crise de la politique criminelle avec celle, beaucoup plus vaste,
de l'accroissement de la criminalité ; ou bien, à l'inverse, ils réduisent les manifestations de la crise à un aspect de celle-ci seulement. Ainsi, pour le professeur
JESCHECK, elle se ramène à l'échec de la prison (23). Quant à M. l'Avocat
Général PICCA, il la voit essentiellement dans le blocage progressif du système
de justice pénale sous l'effet de l'accroissement du nombre des affaires lui-même
(20) J. LEAUTE: Droit pénal et démocratie, in Mélanges Ancel, 1975, t. Il, p. 151.
(21) D. SZABO, La criminalité urbaine et la crise de l'administration de la justice, Montréal
P. U. M., 1973 ; L. RADZINOWICZ, Les crises répétées de la justice pénale, In Mélanges Ancel, 1975, t. II, p. 229 ; Ph. ROBERT et Cl. FAUGERON, Les forces cachées
de la justice. La crise de la justice pénale, Paris, 1980 ; €dith F ALQUE, Le.s juges et la
sanction ou l'analyse d'une crise, Paris, 1980.
(22) H. H. JESCHECK, La crise de la politique criminelle. Rapport introductif au 3e
colloque international de politique criminelle, Paris 4-5 mai 1979, Archives de politique criminelle n. 4, 1980, p. 15 ; G. PICCA, La criminologie, Que sais-je ?, 1983.
(23) JESCHECK, op. cit., sp. p. 26 et suiv.
�29
lié à l'augmentation de la délinquance (24), auquel il ajoute l'inadaptation des
institutions pénales à l'évolution particulièrement rapide de la société actuelle
(25).
Pourtant, la crise des politiques criminelles occidentales se manifeste
par de très nombreux traits qui débordent largement les deux phénomènes que
l'on vient d'indiquer, dont certains sont bien connus, mais dont d'autres le sont
beaucoup moins. Si l'on veut synthétiser ces divers traits autour de quelques
idées essentielles, on peut dire que la crise actuelle se manifeste d'une part par
la submersion progressive des systèmes de politique criminelle au point d'en
arriver au blocage de ceux-ci (I -) et d'autre part par la déconnexion graduelle
de ces politiques par rapport à la réalité criminelle au point de les rendre complètement inefficaces et d'en faire des machines tournant à vide sur ellesmêmes (II-). Ces deux manifestations globales sont, à vrai dire, liées l'une à
l'autre dans une certaine mesure, mais dans une certaine mesure seulement, ce
qui légitime leur examen séparé.
I - LA SUBMERSION DES SYSTEMES DE POLITIQUE CRIMINELLE.
La submersion des systèmes de politique criminelle est sans doute
l'aspect de beaucoup le plus connu et le plus analysé de la crise de ces systèmes,
celui qui retient généralement l'attention. Aussi se bornera-t-on à en rappeler
brièvement les données en observant qu'elle affecte aussi bien les droits pénaux
que les institutions répressives.
A - Les droits pénaux : l'inflation •
Pour ce qui est des droits pénaux, la submersion des systèmes de
politique criminelle est due à l'inflation démesurée des incriminations.
a ) Le phénomène ne date certes pas d'aujourd'hui. Dès avant la
dernière gu.e"e, on avait déjà dénoncé l'inflation des lois pénales (26).
Mais il a atteint aujourd'hui une ampleur vertigineuse. Il ne se passe
guère de jour, ou en tout cas de semaine, sans que le Journal Officiel ne vienne
annoncer la création de nouvelles infractions ou l'extension des incriminations
existantes, sans qu'il y ait pour autant de disparition des infractions anciennes
(27).
(24) PICCA, op. cit., p. 88 et suiv.
(25) PICCA, op. cit., p. 102 et suiv.
(26) Cf. BOUZAT et PINATEL, Traité de droit pénal et de criminologie, Tome 1, Droit
pénal général, 2e éd., 1970, n. 2.
(27) Sur l'inflation des lois pénales, cf. Mireille DELMAS-MARTY, L'inflation pénale,
Rapport au VIe Congrès français de droit pénal, Montpellier, 7-9 nov. 1983, doc.
ronéot. 18 p. Antérieurement : SAUVAGEOT, La dévaluation de la peirie, Rev.
pol. et parlement., oct. déc. 1946, p. 17 et Rev. pénit. 1947, p. 303 ; J. LEAUTE,
Le changement de fonction de la règle «Nullum crimen sine lege», in Etudes de droit
commercial en l'honneur de J. Hamel, Dalloz, 1961, p. 81 ; TOULEMON et MOORE,
L'ère de la confection, Gaz. Pal, 5-6 avril 1972. Sur l'inflation des lois en général :
cf. R. SAVATIER, L'inflation législative et l'indigestion du corps social, D. 1977,
chron. p. 43 ; J. CARBONNIER, L'inflation des lois, Rev. Acad. se. mor. et polit.,
1982, n. 4, p. 687 ; voir encore J.-P. HENRY, Vers la fin de l'Etat de Droit?, Rev.
dr.public,1977,1207.
�30
Cette inflation affecte notamment ce que l'on appelle volontiers
aujourd'hui le «droit pénal technique», c'est-à-dire les incriminations qui
concernent des domaines spécialisés comme la fiscalité, l'urbanisme, l'environnement, etc ... (28). Pour fixer les idées par un chiffre, on citera les travaux de
la Conunission de réforme du Canada qui a calculé, il y a déjà une dizaine
d'années, que dans une province, un citoyen canadien pouvait se rendre coupable de pas moins de 37 967 infractions différentes dites de responsabilité
stricte, c'est-à-dire d'infractions non intentionnelles (29). Nous n'avons pas
connaissance qu'une recherche comparable ait été faite en France, mais nous
sommes certain que si on la faisait on arriverait à un résultat au moins égal à
celui des canadiens (30).
b) Ce phénomène de l'inflation pénale est gravement pernicieux au
moins pour trois raisons·:
1 - En premier lieu, il fait perdre aux citoyens le sens des valeurs
essentielles en les conduisant à mettre sur le même plan toutes les règles d'organisation et de fonctionnement de la société. S'il est vrai en effet que la fonction première du droit pénal est d'attirer l'attention des citoyens sur les valeurs
essentielles de leur société en menaçant d'une peine ceux qui viendraient à les
transgresser, lorsque «tout devient droit pénal» pour reprendre, en la transposant, la formule célèbre de PORTALIS, le citoyen ne s'y reconnaît plus et
quand tout paraît devenir essentiel, tout est considéré en réalité comme devenu
secondaire et donc négligeable. C'est en ce sens que l'on a parlé de «dévaluation
_de la peine» (31 ).
2 - En second lieu, l'inflation pénale engendre un droit pénal
d'exception en accroissement constant qui, portant atteinte aux libertés
essentielles, suscite à la fois une crainte anormale et un mépris regrettable chez
les citoyens. Il est fréquent, en effet, que l'application du droit pénal technique
soit confiée à une police judiciaire spécialisée dotée de pouvoirs d'investigation exhorbitants du droit commun (32), que d'autre part la poursajte de ces
incriminations se trouve essentiellement dans les mains de l'administration
(28) Cf. Catherine d'HAILLENCOURT, Droit pénal technique et droit pénal, thèse Paris
II, 1983.
(29) Commission de réforme du droit du Canada, ttudes sur la responsabilité stricte,
Ottawa, 1974, p. 59.
(30) L'informatisation des bureaux d'ordre pénal des Parquets conduira sans doute à
permettre une telle comptabilisation avec l'obligation de procéder à une nomenclature des infractions. Sur cette nomenclature, voir la circulaire de la chancellerie
n. 79-15 du 6 décembre 1979 sur la nomenclature des infractions par «NATINF» et
Michel ROGER, La nomenclature des infractions par l'informatique, in loformatique
et droit pénal, ed. Cujas, 1983, p. 53.
(31) Cf. L'article de M. SAUVAGEOT, précité.
(32) Cf. Les pouvoirs exceptionnels de police judiciaire en matière économique, fiscale
douanière etc ... et tous les problèmes qu'ils soulèvent en jurisprudence.
�31
(33), et même que les pouvoirs des juges soient limités au stade de l'appréciation de la peine (34). Certaines dispositions de lois fiscales ont encore illustré
tout récemment ces pratiques de politique criminelle (35). Sans doute de tels
procédés répandent-ils une crainte particulière chez les justiciables, mais
combien grand est également le mépris qu'elles engendrent à l'égard d'une
telle justice !
3 - Enfin, cette inflation pénale met bien souvent les citoyens à la
merci d'administrations capricieuses, voire même abusives, quand elles ne sont
pas politisées. Ce droit pénal technique en expansion est en effet généralement
ignoré des simples citoyens et même de ceux que l'on peut appeler les juristes
«ordinaires», alors qu'il est au contraire bien connu des administrations spécialisées, car ce sont leurs services eux-mêmes qui l'ont fabriqué et son application
et son interprétation ont fait ensuite l'objet de circulaires diffusées aux divers
échelons de ces administrations. Celles-ci détiennent ainsi entre leurs mains un
pouvoir considérable sur les citoyens ordinaires avec les possibilités d'abus,
d'arbitraire, voire même de chantage qu'il comporte (36).
De toute façon, même lorsqu'il n'y a pas d'abus, cette inflation
pénale contribue à accroître encore le nombre des affaires soumises aux institutions répressives et à aggraver le blocage qui en résulte, ce qui constitue le
second aspect encore plus connu de la submersion des systèmes de politique
criminelle des pays occidentaux.
8 - Les institutions répressives : le blocage •
L'aspect de la crise des politiques criminelles occidentales que les
analystes retiennent le plus souvent en effet, c'est le grippage des institutions
répressives (système de justice criminelle) dû à l'accroissement démesuré du
nombre des affaires, provoqué à son tour par l'augmentation considérable de la
plupart des formes de délinquance.
(33) Tel est le cas du moins en certaines matières comme les contributions indirectes. On
peut noter cependant depuis une vingtaine d'années, une tendance progressive à un
retour, plus ou moins étendu, vers le droit commun, par exemple en matière économique, ou en matière d'urbanisme.
(34) Tel est le cas en matière fiscale et douanière.
(35) La loi de finances pour 1984 contenait un article 83 qui autorisait les agents de
l'administration des impôts à procéder à des visites domiciliaires pour rechercher les
infractions en matière d'impôts directs et de taxes sur le chiffre d'affaires sans autre
formalité q'une autorisation donnée par une ordonnance du président du Tribunal de
Grande instance. Il y avait là une telle dérogation aux principes fondamentaux de
notre procédure pénale que le Conseil Constitutionnel par décision du 29 décembre
1983, a déclaré cet article non conforme aux principes constitutionnels sur la liberté
individuelle et l'inviolabilité du domicile. CF. A. VIALA et M. AMADO, L'arrêt du
Conseil Constitutionnel du 29 décembre 1983 annulant l'extension des visites domiciliaires en matière fiscale, Gaz. Pal. 2-3 mars 1984 et O. FOUQUET, La légalité des
contrôles inopinés de l'administration fiscale en matière d'impôts directs et de taxes
sur le chiffre d'affaires, Gaz. Pal. 11-13 mars 1984.
(36) L'exemple le plus connu est celui des opérations douteuses engagées par le service des
douanes françaises pour se procurer en Suisse la liste des résidents français ayant des
comptes à numéro dans les banques suisses.
�32
Il s'est opéré aisni un blocage progressif du système de justice pénale,
blocage que l'on constate aussi bien au niveau du procès pénal qu'à celui de
l'exécution des condamnations.
a) S'agissant tout d'abord du procès pénal, le blocage progressif
du système se localise aux trois stades essentiels des enquêtes de police, des
poursuites, et enfin des procédures d'instruction et de jugement.
1) Pour ce qui est en premier lieu des enquêtes de police, l'accroissement considérable du nombre des affaires portées à la connaissance de la
police et le fait que les effectifs des divers services de police sont loin d'avoir
suivi la courbe d'augmentation des affaires traitées ont entrafué une diminution notable du taux des affaires élucidées, encore appelées parfois affaires
réussies.
Si l'on prend par exemple le cas de la France, le taux des affaires
élucidées qui était de 61 % en 1955, au creux de la vague, est tombé à 39,53 %
en 1982 (37).
Il ne s'agit là bien sûr que d'un taux moyen pour l'ensemble de la
France. En fait, le taux d'élucidation varie à la fois selon la circonscription
géographique et les infractions considérées. Une comparaison avec le Japon
(38) va permettre cependant de se faire une idée de la dégradation de la situation française, comme d'ailleurs de celle ce la plupart des autres pays occidentaux. Au Japon, pour la période 1969 à 1978 et pour une série de crimes ou
délits graves (assassinats, vols avec violence, incendie volontaire, viol, coups et
blessures), le taux moyen d'élucidation était de 86 % (39). En France, il a été
de 50,38 % en 1978 pour des catégories de crimes et délits comparables (homicides volontaires, ,vols qualifiés, autres atteintes violentes contre les biens,
infractions contre les mœurs, coups et blessures volontaires) (40).
Cette dégradation du taux d'efficacité de la police entraîne alors
deux séries d'effets :
1 - Elle influe en premier lieu sur les attitudes des victimes à
l'égard du signalement des infractions à la police. S'il est vrai que parfois les
victimes se plaignent auprès de la police plus qu'elles ne l'auraient fait autrefois
parce qu'elles sont èxaspérées ou simplement parce que la plainte est la condition mise à leur indemnisation par un assureur, le plus souvent elles manifes(37) Aspects de la criminalité en France en 1982 constatée par les services de police et de
gendarmerie, la doc. frse, 1984, p. 66. Encore doit~n remarquer que ce document
fait observer que si l'on fait abstraction des chèques sans provision (qui seront pratiquement tous élucidés) e1 des deux rubriques incertaines «Autres crimes et délits
économiques et financiers» et «Autres crimes et délits», le pourcentage d'affaires
élucidées tombe à 27,76 %.
(38) On se souvient que le Japon est, avec la Suisse, le seul pays occidental à échapper à
l'accroissement massif de la criminalité. Celle-ci y est semble-t-il, au contraire plutôt
en baisse.
(39) Hans-Heine KUHNE, Criminalité et répression de la criminalité au Japon, article
précité.
(40) La criminalité en France en 1978 d'après les statistiques de police judiciaire, Ed.
Service de l'information des relations publiques de la police nationale, p. 59-60. Le
calcul du pourcentage donné au texte a été fait pas l'auteur.
�33
tent au contraire un certain désintérêt à l'égard de la police parce qu'elles ont
la conviction que cela ne servira à rien et qu'elles n'ont aucune chance que l'on
identifie l'auteur et qu'elles soient indemnisées. C'est ainsi que, d'après des
enquêtes de victimisation faites aux U. S. A., le pourcentage d'infractions
signalées à la police par les victimes a diminué de 10 à 20 % environ selon les
infractions entre 1967 et la période 1973-1977 (41).
2 - Mais la dégradation de l'efficacité policière sous l'effet du
nombre influe également sur les réactions de la police elle-même. Plus les
infractions se multiplient, plus la police a du travail et se trouve surchargée. De
là deux réactions typiques de la crise :
- d'une part la police se montre plus sélective pour entreprendre des
enquêtes et elle pousse moins loin celles qu'elle entreprend (42) ;
- d'autre part, devant le grief d'inefficacité qui lui est fait, elle a tendance à
recourir à des expédients illégaux pour tenter de réussir à tout prix certaines affaires (43). D'où ces affaires dites de «bavilres policières» qui se sont
multipliées un peu partout dans les pays occidentaux au fil des dernières
années.
2) S'agissant en second. lieu des poursuites devant les tribunaux
répressifs, on constate également un engorgement des rouages de la justice
pénale à la suite de l'accroissement considérable du nombre des affaires portées
à la connaissance des autorités de poursuites sans qu'il y ait eu une augmentation corrélative du personnel. Le phénomène atteint non seulement les pays
anglo-saxons où la poursuite est généralement exercée par la police elle-même,
mais aussi les pays latins et germaniques où les poursuites sont réservées à des
Parquets (44). Que l'on songe, par exemple, que pour la France le nombre total
des plaintes, dénonciations et procès-verbaux, toutes catégories d'infractions
confondues (45)est passé de 976108 en 1955 (46) à 15 232 912 en 1981 (47) !
Cette augmentation saisissante du nombre des affaires au stade de la
phase de la poursuite a engendré trois sortes de modifications dans les pratiques
des autorités de poursuite.
La première consiste dans l'accroissement du nombre des abandons
de poursuite (classement sans suite) (48) et dans le développement d'alternatives
(41) 1. WALLER, La criminalité au Canada et aux Etats-Unis, article précité.
(42) Léon RADZINOVICZ, Les crises répétées de la justice pénale, article précité, p. 234.
(43) RADZINOVICZ, article précité, loc. cit.
(44) Indépendamment de la possibilité pour la victime, dans certains pays comme la
France, de mettre elle-même l'action publique en mouvement en se constituant partie
civile devant le tribunal répressif.
(45) Crimes, délits et contraventions.
(46) Cf. Ministère de la Justice, Compte général, 1955.
(4 7) Ministère de la Justice, Compte général de l'administration de la justice pénale, 197 8,
Données 1978 - 1979 - 1980 et 1981, la doc. frse 1982, p. 16.
(48) C'est ainsi qu'en France, de 1965 à 1981 soit en 16 ans, le taux des classements sans
suite est passé de 78,4 % à 89,4 %, donc une augmentation de 11 % (Compte général
de l'administration de la justice pénale, 1978, précité, p. 18), alors que de 1901 à
1952, donc en plus de 50 ans, il n'était passé que de 62,52 % à 69,85 % soit à peine
plus de 7 % (cf. A. DAVIDOVITCH, Criminalité et répression en France depuis un
siècle (1851-1952), Revue française de sociologie, 1961, II, p. 36).
�34
informelles à l'engagement des poursuites : avertissements officieux, mises en
garde officielles, admonestations, qui forment ce que l'on appelle la «déjudiciarisatiom> (diversion en anglais) (49).
Une seconde modification d'attitudes réside dans une sélectivité
plus grande dans la détermination des affaires à poursuivre, sélectivité fondée
quelque peu sur la simplicité. On ne poursuit pas les affaires qui paraissent
empreintes d'une certaine complexité et qui en même temps ne semblent pas
trop graves, parce que le coût en temps et en personnel de la poursuite de
telles affaires paraitrait disproportionné par rapport à l'utilité sociale de leur
répression.
Enfin, lorsque plusieurs qualifications sont possibles à l'égard des
faits poursuivis, on choisit le plus souvent celle qui aboutira le plus rapidement. Ainsi assiste-t-on à un accroissement continu des «correctionnalisations
judiciaires» en France. Aux États-Unis, c'est le développement du «plea bargaining», sorte de marchandage entre l'autorité de poursuite et l'accusé au
terme duquel, si ce dernier accepte de plaider coupable sur un chef d'inculpation moins grave (fraude fiscale par exemple), l'accusation abandonne la
poursuite sur le chef le plus grave (assassinat par exemple). Comme en droit
américain, quand l'accusé décide de plaider coupable, il n'y a pas de débat sur
la culpabilité et donc pas de jury à réunir, la procédure est beaucoup plus
simple, le débat se réduisant à la discussion sur la peine devant un juge unique.
Le «plea bargaining» serait ainsi utilisé dans 95 % des affaires criminelles à
New-York (50).
3) Si l'on envisage enfin le stade des procédures d'instruction et
de jugement, le grippage de la machine se traduit notamment par deux phénomènes. On assiste en premier lieu à une augmentation incessante de la durée du
règlement des affaires. Aussi l'allongement des délais de règlement des instructions préparatoires entraîne-t-il celui des détentions provisoires et l'accroissement du délai de jugement des délinquants a-t-il pour conséquence la perte de
l'effet intimidant d'une condamnation qui revient sur un passé que le prévenu
considérait comme effacé. On a bien cherché par divers moyens à accélérer la
procédure (51), mais cela n'a pas donné de résultats spectaculaires et l'engorge-
(49) L'idée de «déjudiciarisation» (comme celle de «décriminalisatiom>) est, à l'origine, un
concept idéologique qui a été inventé par la criminologie interactionniste nordaméricaine et, dans son sillage, par la doctrine de politique criminelle dite de «nonintervention» (cf. Sharon MOYER, La déjudiciarisation dans le système judiciaire
pour les jeunes et ses répercussions sur les enfants : recension de la documentation,
Ottawa, 1980 ; Edwin SCHUR, Radical non intervention, Rethinking the delinquency
problem, 1973 ; Jacques VERIN, Une politique criminelle de non-intervention,
Rev. se. crim., 1974, p. 398). Mais la «déjudiciarisatiom> est devenue bien vite dans
les mains des praticiens un instrument purement utilitaire destiné à désencombrer les
tribunaux.
(50) Léon RADZINOVICZ, article précité, p. 234.
(51) Par exemple, en France, en instituant les tribunaux correctionnels à juge unique pour
le jugement de certains délits (loi du 29 décembre 1972), ce qui, théoriquement, permet de tenir trois audiences là où un tribunal à trois juges ne peut en tenir qu'une.
�35
ment a continué. D'autre part, on constate au niveau même du jugement (sentencing) que, malgré le principe de l'individualisation de la sanction pénale, les
juges ne peuvent pas décider dans chaque cas particulier ce qui leur paraît
juste et souhaitable en raison de l'insuffisance des équipements et des moyens
d'exécution des peines. Aussi a-t-on vu aux Etats-Unis engager devant les tribunaux des actions pour le compte de détenus, actions qui ont abouti à des
avertissements spécifiant qu'à moins que les conditions ne soient améliorées,
les détenus devraient être relâchés (52).
En définitive, on assiste à un grippage de la machine judiciaire à
tous les stades du processus pénal. D'où la grande idée pour débloquer le système : décriminaliser certaines infractions. Ainsi, en France, on a commencé
par le stationnement interdit (53), on a continué avec les chèques sans provision ( 54) et aujourd'hui on parle beaucoup de nouvelles décriminalisations
pour ce que l'on appelle les «contentieux de masse», notamment les contraventions au Code de la route et les accidents de la circulation. Il y a là évidemment
un moyen apparemment efficace de débarasser la machine judiciaire de toute
une masse d'affaires. Mais on peut se demander si cette façon de procéder, du
moins pour les infractions d'une certaine gravité, ne présente pas plus d'inconvénients que d'avantages et n'aggrave pas la crise de la politique criminelle au
lieu de l'atténuer. Tel est sans doute le cas pour l'émission de chèques sans
provision. Sa décriminalisation a tant habitué l'opinion à considérer que ces
faits, qui demeurent pourtant toujours aussi malhonnêtes, ne comportent plus
aucune coloration morale qu'elle en a encore aggravé la prolifération. De la
sorte, fin 1982, on comptait en France plus de 500 000 interdits de chéquier
(55). D'autre part, les émissions de chèques sans provision faites avec l'intention de porter atteinte au droit d'autrui demeurant un délit correctionnel, le
nombre des affaires de chèques sans provision traitées par la police judiciaire,
qui avait considérablement diminué d'abord avec la contraventionnalisation
des émissions sans provision de chèques inférieurs à 1 000 F (56), puis avec la
décriminalisation de principe des émissions de chèques sans provision quelqu'en
soit le montant, a retrouvé en 1981, avec 337 426 affaires, un niveau supérieur
(52) Léon RADZINOVICZ, article précité, p. 235.
(53) Loi du 3 janvier 1972.
(54) Une première loi du 3 janvier 1972 a «contraventionnalisé» les émissions de chèques
sans provision de moins de 1 000 F. Une seconde loi du 3 janvier 1975 a décriminalisé les émissions sans provision autres que celles qui ont été faites avec «l'intention de
porter atteinte aux droits d'autrui» et a transféré aux banques le soin de faire la
police des émission de chèque sans provision au moyen de l'interdiction bancaire
d'émettre des chèques pendant un an à compter d'un incident de paiement.
(55) 510 000 d'après le journal Le Monde du 18 mai 1983. Le même journal indique que
le nombre de chèques sans provision émis en 1980 était en augmentation de 33 % par
rapport à l'année précédente et celui des chèques sans provision émis en 1982 était
lui-même en augmentation de 27 % par rapport à 1981.
(56) Précisons à cet égard que les statistiques de la police judiciaire ne comptabilisent pas
les contraventions de police.
�36
à l'année antérieure la plus importante (1972: 324 267) pour atteindre 397 850
en 1982 (57), soit une augmentation de 17,91 % d'une année sur l'autre.
b) Si on quitte le procès pénal pour l'exécution des condamnations
la submersion du système se traduit tout particulièrement par le fait que le
nombre des détenus a fortement augmenté au fil des années alors que les équipements pénitentiaires et les moyens en personnel n'ont pas suivi.
1) Le phénomène affecte la plupart des pays occidentaux dont le
«taux de prisonisation» (58) est en hausse quasi-continuelle. Pour la France,
par exemple, la population pénale qui n'atteignait pas 20 000 détenus en 1955
(19 540) dépassait les 38 000 au Ier janvier 1984 (38 634), dont plus de la
moitié de personnes en attente de jugement (20 080, soit 52 %) (59).
Le résultat est que les prisons, au lieu de remplir la fonction à laquelle elles sont destinées, la prévention de la récidive, constituent de véritables
pourvoyeurs de repris de justice. Pour quelques établissements qui fonctionnent
de manière satisfaisante, la grande majorité des prisons se caractérisent par le
surpeuplement, la promiscuité et l'insécurité continuelle. Non seulement, il
n'est pas question d:en attendre la recherche de la réadaptation sociale des
condamnés, mais encore elles ne remplissent pas cette fonction de neutralisation
qui est la fonction première de la privation de liberté. A l'accroissement du
nombre des prisonniers s'ajoute en effet, si l'on peut dire, la dégradation de la
qualité. Les prisons contiennent de plus en plus, ainsi qu'on l'a écrit, «de dangereux délinquants d'habitude condamnés à de longues peines, dont beaucoup
sont jeunes, pleins de force et violents, n'ayant rien à perdre que leurs chaînes»
(60). De là, la multiplication et l'aggravation des incidents de la détention :
tentatives d'évasion, violences entre prisonniers et sur le personnel, grèves de la
faim, mutineries qui ont commencé au début des années 70 avec la révolte
d'Attica aux U. S. A. qui s'était soldée par 43 morts, bientôt suivie par diverses
révoltes en Italie et en France. Devant la dégradation de la situation, les gardiens de prison, à leur tour, ont de plus en plus souvent recours à des grèves
de protestation. Ainsi s'explique sans doute. que certains auteurs aient ramené
la crise de la politique criminelle à celle de la prison (61).
2) Face au développement de cette situation critique on a eu
recours à deux sortes de remèdes.
(57) Cf. les statistiques annuelles de la police judiciaire. L'évolution s'établit ainsi :
1971 : 226 726; 1972: 324 267; 1973: 303 297; 1974: 182 850; 1975 : 142 558;
1976 : 113590;1977: 177 500; 1978: 194250;1979: 212 721; 1980: 282 018;
1981 : 337 426 ; 1982 : 397 850.
(58) Le «taux de prisonisation» est le rapport entre le nombre de détenus et celui de la
population totale d'un pays. On l'exprime habituellement pour 100 000 habitants.
(59) Rapport Jean-Pierre Michel au nom de la commission des lois, Doc.
1984, n. 2105, p. 6.
Ass~Nat.,
1983-
(60) Léon RADZINOVICZ, article précité, p. 236.
(61) Cf. JESCHECK, op. cit. Sur la crise de la politique pénitentiaire elle-même, cf. P.
NUVOLONE, Politique pénitentiaire : crise de principes ou crise d'application,
Archives de politique criminelle, n. 3, 1978, p. 59.
�37
- Les premiers ont consisté à améliorer la condition des détenus
dans les prisons, mais surtout à tenter d'en réduire le nombre par divers procédés. Pour la détention avant jugement on a cherché à la limiter par des conditions plus strictes de placement en détention provisoire et par la réduction de sa
durée. Quant à l'exécution de la privation de liberté, on s'est également efforcé
de la réduire par des techniques aussi diverses que le développement de la libération conditionnelle, la réduction automatique de la peine, la grâce et l'amnistie. Mais tous ces procédés ont été finalement sans grand effet. Le nombre des
détenus a vite atteint son niveau antérieur et a ensuite continué à progresser.
Tel a été le cas en France pour les grâces massives de Juillet 1981 et la loi
d'amnistie du 4 août 1981, et il y a fort à parier que la récente loi du 9 juillet
1984 destinée à réduire le nombre de détentions provisoires n'aura pas plus
d'effet que les précédentes (62). C'est qu'en réalité les faits sont têtus et
la volonté humaine n'a pas encore trouvé de prise sur la progression de la
criminalité.
- Un second type de remèdes utilisés réside dans le développement des substituts à la privation de liberté. En France par exemple, la loi du
17 juillet 1970 a institué le contrôle judiciaire pour limiter les détentions provisoires et la loi du 11 juillet 1975 a créé une multitude de substituts à la peine
d'emprisonnement. Mais en dehors des sursis, ces innovations n'ont pas connu
un grand succès auprès des tribunaux (63).
Aujourd'hui en France, on met beaucoup d'espoir dans deux innovations de la loi du 10 juin 1983 autour desquelles· on a fait grand bruit : le
système des jours-amendes et le travail d'intérêt général. Il s'agit de solutions
empruntées à certains droits étrangers sur la base de l'idée que ces expériences
avaient bien réussi à l'étranger. Mais on peut se poser la question de savoir
si les réformateurs ont bien pris la peine de s'informer objectivement et complètement sur la réalité de l'application de ces sanctions dans les pays concernés.
Si l'on prend en effet le cas des jours-amendes en Allemagne Fédérale, il est exact que ce système a fait nettement baisser le nombre des condamnations aux courtes peines de prison, inférieures à 6 mois. Mais comme ceux
qui ne paient pas l'amende doivent exécuter une peine de prison de remplacement, c'est chaque année de 20 000 à 28 000 personnes qui sont soumises
à une peine privative de liberté en remplacement du paiement de l'amende
et il se trouve que ces personnes sont pour la plupart des «marginaux», ceux-là
même qui en France auraient été directement condamnés à une courte peine
d'emprisonnement. Finalement le taux de «prisonisatiom> en R. F. A. est
sensiblement le même qu'en France, voire même un peu plus élevé (64).
(62) Cf. Roger MERLE, Les leçons de l'histoire législative en matière de détention préalable au jugement, Gaz. Pal, 3 juin 1984.
(63) Le nombre des contrôles judiciaires ordonnés par les juges d'instruction lui-même ne
doit pas faire illusion, car le contrôle judiciaire a plus mordu sur la liberté pure et
simple que sur la détention provisoire.
(64) Ces observations se déduisent de la lecture de l'article de M. JESCHECK, La peine
privative de liberté dans la politique criminelle moderne. Exposé comparatif de la
situation en République fédérale d'Allemagne et en France, Rev. se. crim., 1982,
p. 719.
�38
Quant au travail d'intérêt général, des recherches faites récemment
en Grande-Bretagne ont montré qu'il ne semblait pas avoir un effet de prévention de la récidive supérieur aux autres sanctions pénales et qu'il n'avait
donc par répondu aux espoirs qu'on avait mis en lui (65). Mais, avec ces remarques on glisse insensiblement de la première série de manifestations de la crise
des politiques criminelles occidentales à la seconde variété de ces manifestations,
la déconnexion à l'égard de la réalité criminelle.
II - LA DÉCONNEXION DES SYSTEMES DE POLITIQUE CRIMINELLE
A L'ÉGARD DU RÉEL,
Si le phénomène de la submersion des systèmes de politique criminelle occidentale est en général bien connu et a été assez largement analysé, en
revanche la déconnexion progressive de ces politiques criminelles à l'égard du
réel est un aspect de la crise largement ignoré ; tout au plus se bome-t-on à
affirmer que les systèmes de politique criminelle ne parviennent pas à maitriser la criminalité dans nos sociétés. C'est pourtant l'aspect le plus important et,
à coup sûr, le plus significatif de la crise actuelle.
Par déconnexion à l'égard du réel, nous voulons dire que les systèmes
de politique criminelle dans leurs différentes dimensions (loi pénale, police,
parquets, tribunaux, administrations d'exécution des sanctions, organismes de
prévention et services sociaux) ressemblent de plus en plus à une gigantesque
machine qui tourne à vide sur elle-même sans avoir une prise véritablement
appréciable sur une criminalité en expansion continue.
L'étude de ce phénomène exige évidemment qu'on en décrive les
manifestations les plus suggestives, mais aussi qu'au-delà de ces manifestations,
on s'interroge sur les raisons profondes de cette déconnexion.
A - Les manifestations de la déconnexion •
Les principales manifestations de cette déconnexion peuvent être
repérées au travers de deux séries de phénomènes : l'inefficacité des mesures
modernes de contrôle de la criminalité et le dérèglement du fonctionnement
des systèmes de politique criminelle.
a) L'inefficacité des mesures modernes de contrôle de la criminalité.
Les politiques criminelles de contrôle de la criminalité dans les pays
occidentaux depuis la fin de la dernière guerre se caractérisent d'une manière
générale par la tendance à remplacer les peines classiques rétributives et intimidantes par deux séries de mesures nouvelles : des mesures de traitement
destinées à prévenir la récidive par la réadaptation sociale d'une part (66), des
(65) Cf. Hugh KLARE, La lutte contre la criminalité au Royaume-Uni, Rev. )iroit pén. et
crirn., 1982, p. 625.
(66) Ces mesures ont pénétré dès avant la dernière guerre dans les législations anglosaxonnes et scandinaves, puis ont atteint les pays Germaniques et les pays Latins,
dont la France et la Belgique.
�39
programmes de prévention collective de la délinquance pour prévenir la première
délinquance d'autre part (67). Sans doute la peine classique n'a-t-elle pas été
écartée des législations positives, mais elle a progressivement cédé du terrain,
directement ou indirectement, devant les nouvelles mesures fondées sur la
philosophie des deux adages bien connus : mieux vaut traiter que punir, mieux
vaut prévenir que guérir.
Pendant longtemps on a cru très fortement dans la vertu préventive
de ces nouvelles mesures de contrôle social et il faut dire que certains résultats
anciens perçus de manière essentiellement intuitive, étaient de nature à alimenter cette croyance (68). Or il se trouve que depuis dix à quinze ans, on s'est
mis à faire des recherches évaluatives rigoureuses sur certaines de ces mesures,
notamment aux U. S. A., en Angleterre et en Suède, et on a eu la surprise de
constater qu'elles ne répondaient pas du tout aux espoirs que l'on avait mis en
elles.
1) Pour ce qui est des mesures de traitement, les conclusions de
recherches évaluatives très nombreuses sont fort bien résumées dans l'ouvrage
de Maurice CUSSON, Le contrôle social du crime, publié en 1983 (69). Cet
auteur parle à l'égard de ces mesures de l' «effet zéro» du traitement, c'est-àdire que l'on n'obtient pas avec les mesures de traitement de meilleurs résultats
en matière de prévention de la récidive qu'avec l'emploi de peines classiques.
Cela ne veut pas dire évidemment que tous les délinquants traités récidivent ;
cela ne veut pas dire non plus qu'il n'existe pas de résultats positifs ici ou là ;
cela ne veut même pas dire qu'il serait prouvé que l'on ne peut pas traiter les
délinquants. Cela veut dire simplement qu'en l'état actuel des connaissances et
des pratiques on n'est pas parvenu dans l'ensemble à une meilleure prévention
de la récidive, malgré l'emploi toujours plus développé des mesures de traitement. Et ce ne sont pas les informations les plus récentes obtenues sur l'effet
du travail d'intérêt général en Angleterre qui permettent de corriger ce constat
d'échec (70).
(67) L'idée du recours à la prévention sociale de la délinquance remonte aux positivistes
du dernier quart du XIXe siècle, lorsque E. Ferri en vint à soutenir que la prévention
générale par la menace de la peine était une illusion et qu'il fallait introduire dans les
politiques criminelles ce qu'il appelait des «substituts pénaux», c'est-à-dire des mesures
sociales destinées à remplacer les peines en prévenant la délinquance avant qu'elle ne
se produise (E. FERRI, La sociologie criminelle, traduction française, 1905, p. 230
et suiv.). Mais ce n'est en fait qu'à partir des années 30, et aux U.S.A. d'abord, que
sont apparus de véritables programmes de prévention collective de la délinquance
juvénile avec notamment le Chicago Area Project (C. SHAW et H. Mc. KAY, Juvenile
delinquency in urbain area, University of Chicago Press, 1942, 451 p.). Depuis le
début des années 60, ces programmes se sont considérablement développés et ont
gagné progressivement la plupart des pays occidentaux.
(68) C'est ainsi qu'en Angleterre, à la veille de la dernière guerre, l'institution du Borstal
ou maison de traitement pour jeunes délinquants d'habitude semblait devoir tarir à sa
source l'apport en récidivistes puisque les taux de réussite, à cette époque là étaient
au moins de 7 sur 10 (Léon RADZINOWICZ, article précité, p. 232).
(69) Publié aux Presses Universitaires de France, 342 p., dans la collection Sociologies.
(70) Cf. supra.
�40
2) Si l'on passe aux programmes de prévention collective de la
délinquance, les recherches évaluatives rigoureuses y sont moins développées,
mais les conclusions obtenues sont aussi que, dans la très grande majorité des
cas, ces programmes n'ont pas d'influence significative sur le taux de
la délinquance.
Pour mieux situer les choses, dans un domaine qui commence à
peine à être systématisé, on peut dire que les programmes de prévention
collective de la délinquance peuvent être répartis en trois catégories qui sont,
d'après leur ordre d'apparition chronologique :
- Les programmes de prévention sociale de la d~linquance, surtout juvénile, dont le plus célèbre est le Chicago Area Project appliqué à Chicago à
partir de 1934. Mais depuis, il y en a eu bien d'autres. En France, il s'agit
essentiellement des clubs et équipes de prévention et, depuis 1981, des programmes de réhabilitation des quartiers d'habitat social et des opérations
«anti été chaud», 1982, 1983 et 1984.
- Les mesures de prévention policière de la criminalité qu'il s'agisse de la
délinquance juvénile avec par exemple les Bureaux d' Accueil des Jeunes (BADJ),
ou de la criminalité générale avec, également en exemple, la prévention policière
des hold-up dans les banques en France.
- Les programmes tendant à réduire les occasions de délinquance qui
revêtent principalement trois modalités :
· - des campagnes publicitaires invitant les victimes potentielles à se
protéger contre certains actes délictueux,
- des précautions spéciales prises par des particuliers ou des institutions, comme les banques, pour se protéger, notamment contre les vols.
- ce que les américains appellent l' «environemental désign», c'est-à-dire
l'aménagement urbanistique et architectural des immeubles en vue d'une
amélioration de la surveillance des endroits vulnérables par les malfaiteurs
éventuels (71 ).
En présence de ces distinctions les résultats des recherches évaluatives
sont les suivantes.
* En matière de prévention sociale de la délinquance juvénile, les
recherches qui ont porté sur les principaux programmes nord-américains ont
abouti à la conclusion que les sommes et les efforts considérables consacrés à la
réalisation de ces programmes n'ont pas eu d'influence notable sur le taux de la
délinquance juvénile (72). Il y a tout lieu de penser qu'il en a été de même en
France pour les clubs et équipes de prévention qui n'ont jamais fait, semble-t-il,
(71) C. JEFFER Y, Crime prévention through environmental design, Beverly Hills, California Safe, 1971 ; O. NEWMAN, Defensible space, New-York, Mac Millan, 1972; R. A.
GARDNER, Desing for safe neighborhoods : the environmental security planning and
design process, W,.ashington, Department of justice, 1978.
(72) Cf. Anne NEWTON, Prevention of crime and delinquency, Criminal Justice Abstracts,
juin 1978, p. 257 et suiv.
�41
l'objet d'une évaluation rigoureuse (73) et il est fort à craindre que les ambitieux programmes français mis en place depuis mai 1981 ne connaissent le
même sort (74).
* Pour la prévention policière, les recherches évaluatives ont porté aux
Etats-Unis sur l'efficacité des patrouilles de police (Kansas City, Nashville,
Cincinnati, notamment). Le test a consisté, dans certains quartiers urbains, soit
à multiplier par 3, 4, 5, etc ... le nombre des patrouilles traditionnelles, soit à
réorganiser complètement le système de patrouille en utilisant, entre autres,
des formations qui rappellent la technique française de l'ttotage.
Les évaluations faites ont alors abouti aux deux conclusions qui
suivent. D'une part, si l'on veut obtenir une baisse significative de la criminalité dans la zone de l'expérience, il faut multiplier les patrouilles dans les proportions telles que le ·coût économique pour la collectivité devient vite insupportable. D'autre part, lorsque le changement du système de patrouille entraîne
une diminution de la criminalité dans la zone expérimentale, on n'aboutit pas
en réalité à une diminution véritable et définitive de la criminalité, mais seulement à un déplacement soit dans l'espace, soit dans le temps, soit encore dans
le type d'activités criminelles (75). On voit ainsi combien les résultats des
recherches évaluatives diffèrent profondément des affirmati9ns des policiers
responsables de l'organisation des actions de prévention policière de la délinquance qui ont généralement tendance à vanter les mérites de leur entreprise
au point d'afficher parfois des résultats extravagants (76).
* Restent les programmes et actions de prévention destinés à réduire
les occasions de délinquance. Devant l'échec des deux séries de méthodes précédentes de prévention collective, nombre de chercheurs se sont retournés vers
ces nouveaux moyens de prévention (77). Mais les premiers résultats d'évaluation scientifique ne sont pas très encourageants. Les campagnes publicitaires
invitant les victimes potentielles à se protéger contre certains actes délictueux
(73) De 1955 à 1975, le nombre des mineurs traduits devant lesjuridictions pour enfants
a plus que quadruplé en valeur absolue, et a presque triplé si on le rapporte à l'effectif de la classe d'âge des 10-18ans. L'appréciation la plus optimiste que l'on puisse
porter sur les résultats des Clubs et Equipes de Prévention est l'affirmation, nécessairement hypothétique, qu'ils auraient évité une croissance plus forte de la délinquance
juvénile au cours de la même période.
(74) Les bulletins officiels de victoire annonçant des baisses d'interpellations de mineurs
de 20 à 40 % ou des diminutions de plaintes du même ordre ne correspondent à
aucune recherche évaluative rigoureuse sur ces nouveaux programmes de prévention
et doivent donc être accueillis avec la plus grande circonspection.
(75) Cf. Anne NEWTON, Prevention of crime and delinquency, précité, p. 246 et suiv.
(76) C'est ainsi qu'à propos de l'«Opération-vacances», programme de prévention policière de la délinquance juvénile mis en place en France chaque été à partir de 1959, le
délégué de la France à l'Assemblée générale de l'OIPC-Interpol tenue en 196 3 affirmait que, grâce à cette opération, la délinquance juvénile avait baissé de 80 %dans la
période la plus sensible de 1962 (Revue internationale de police criminelle, décembre
1983, p. 326).
(77) Cf. A. NORMANDEAU et B. HASENPUCH, Stratégie
Canada, Rev. int. crim. et pol. tech., 1980, p.9.
~e
prévention du crime au
�42
n'ont pas donné grand chose (78). Quant aux mesures de précautions spéciales
prises par les particuliers pour se protéger, on ne signale guère qu'un programme de prévention des cambriolages des résidences privées à Seattle, dans l'~tat
de Washington, mis en place à partir de 1974 - 1975 qui aurait entraîné une
réduction des cambriolages de près de 50 % pour les personnes qui participaient
au progranune (79).
En fin de compte, on peut constater que la prévention collective n'a
le plus souvent pas donné de meilleurs résultats que le traitement des délinquants. Comment s'étonner, dès lors, du dérèglement du fonctionnement des
systèmes de politique criminelle ?
b) Le dérèglement du fonctionnement des systèmes de politique
criminelle ..
Parallèlement à -et sans doute à cause de- l'inefficacité des méthodes modernes de contrôle de la criminalité, on assiste depuis quelques années
à un véritable détraquement du fonctionnement des systèmes de politique
criminelle des pays occidentaux qui accuse encore leur déconnexion à l'égard
de la réalité criminelle. Tout se passe comme si la machine n'étant plus en
prise stu le réel, se lançait un peu dans tous les sens, mêmes les plus absurdes,
pour essayer de se reconnecter.
1) Ce dérèglement on l'aperçoit d'abord au niveau législatif.
Pendant longtemps la politique législative en matière de lutte contre
la criminalité s'est caractérisée, dans les divers pays occidentaux, par u:ne évolution relativement cohérente essentiellement dominée par l'idée que les systèmes
de politique criminelle étaient perfectibles et que leur amélioration progressive
permettrait d'arriver, sinon à une société sans crime, du moins à une société
dans laquelle la criminalité demeurerait contenue dans des limites tolérables.
Il suffit de jeter un coup d'œil sur les évolutions législatives depuis la fin de la
dernière guerre dans ce domaine pour s'en convaincre,. En revanche, par exemple, on peut dire que jusqu'en 1975, notre politique criminelle a en gros connu
une évolution quasi linéaire de ce genre, sous réserve de quelques parenthèses,
fort importantes il est vrai, imposées par la guerre d'Algérie d'abord puis, à un
moindre titre, par les événements de mai 1968. Cette évolution a été en grande
partie dominée sur le plan doctrinal par le mouvement de la Défense Sociale
Nouvelle sous l'impulsion de M. Marc ANCEL (80).
(78) Harold MENDELSOHN et Garret O,KEEFFE, Public commurucations and the
prevention of crime: stratégies for control, University of Denver, 1981, 2 volumes.
(79) P. CIREL, P. EVANS, D. Mc. GILLIS et D. WHITCOMB, An exemplary project :
community crime prevention project, Seattle, Washington, National Institute of
law enforcement and criminal justice, 1977 ; 1. WALLER, Les moyens pour réduire
le cambriolage : les solutions face aux faits, Rev. int. crim. et pol. tech., 1980, p. 179.
(80) Cf. STEFAN!, LEVASSEUR et BOULOC, Droit pénal général, 12e ed., 1984, n.s 77
et 78; MERLE et VITU, Traité de droit criminel, t. 1, 4e ed., 1981, n. 96.
�43
Or depuis le milieu des années 1970, on assiste, un peu partout en
Occident, à de véritables perturbations de cette évolution allant parfois jusqu'à
la rupture (81). Pour la France entre autres, il s'est opéré un renversement de
la politique criminelle avec la loi du 22 novembre 1978 et surtout la loi dite
«Sécurité et Liberté» du 2 février 1981 qui marquait une sorte de retour à
Bentham et à sa conception d'une politique pénale fondée essentiellement
sur l'intimidation (82). Il est vrai que depuis le 10 mai 1981 il s'est produit
un changement de majorité politique et que l'on pourrait croire, tant à travers
les multiples réformes pénales intervenues depuis lors (abolition de la peine
de mort, suppression des juridictions d'exception, etc ...) et les décisions en
matière de prévention de la criminalité (83), qu'à travers les discours officiels
sur la politique criminelle, qu'il y a un retour à ~ne politique criminelle véritablement cohérente inspirée à nouveau par la Défense sociale nouvelle et même
accentuant celle-ci. Cependant, l'analyse en profondeur des actes et des paroles
depuis mai 1981 montre que, passée la belle unanimité du début, la politique
criminelle législative est, dans nombre de domaines souvent importants tels
que les pouvoirs de la police, la politique d'extradition ou les modalités des
actions de prévention, traversée de courants contraires qui trouvent leur
expression dans les textes législatifs et les décisions gouvernementales. Les
avatars de l'abrogation de la loi «Sécurité et Liberté» sont là pour en témoigner, qui n'a été finalement touchée que plus de deux ans après l'arrivée de la
gauche au pouvoir par une loi du 10 juin 1983 et par un texte qui porte abrogation ou révision de certaines dispositions de la loi du 2 février 1981 seulement.
Ainsi se manifeste un grand désarroi devant une criminalité que les pouvoirs
publics ne parviennent plus à contrôler.
2) Un phénomène analogue de dérèglement affecte à son tour les
pratiques policières et judiciaires. On peut dire à cet égard que pendant longtemps les organes de police et de justice ont en gros suivi une ligne générale de
politique répressive marquée, au-delà des inevitables particularités et singularités de tel ou tel magistrat ou policier, par le souci d'une justice pénale à la
fois individualisée et égale pour tous les justiciables.
Or de récentes recherches de sociologie de la justice pénale montrent
que depuis quelques années on assiste, au moins dans certains pays, à une véritable rupture de cette ligne générale de conduite. Notamment, les sanctions
(81) Cf. A. NORMANDEAU, Politiques pénales et peur du crime, Criminologie, 1983,
voL XVI, n. 1.
(82) Raymond GASSIN, La criminologie et les tendances modernes de la politique répressive, Rev. se. criminelle, 1981, p. 265. Sur l'analyse sociologique de la loi du 2 février
1981, Sylvie CIMAMONTI, Le processus d'élaboration de la loi «Sécurité-Liberté»,
Essai d'analyse sociologique, Presses universitaires d'Aix-Marseille, 1983, .540 p.
(83) Commision des maires sur la sécurité (Face à la délinquance : prévention, répression,
solidarité, rapport au Premier ministre, la documentation française, 1983, 212 p.),
création d'un Conseil national de prévention de la délinquance et de conseils départementaux et municipaux de prévention, opérations anti été-chaud, programme de
rénovation des quartiers d'habitat social.
�44
·pénales prononcées par les juges traduisent tantôt un découragement qui les
conduit à un indulgence proche de l'abandon, tantôt à des réactions émotives
violentes qui les amènent à prononcer des peines abusivement sévères pour en
faire des exemples intimidants (84). La justice cesse ainsi d'être égale pour tous
et véritablement individualisatrice.
3) Le dérèglement affecte enfin les réactions de l'opinion publique. Il existe en effet depuis un certain nombre d'années un peu partout en
Occident un développement considérable du sentiment d'insécurité (fear of
crime) (85) et une grande perte de confiance des citoyens dans l'efficacité de
la police et de la justice.
En contrepartie se développe un prévention privée individuelle et
collective. qui fait aujourd'hui l'objet d'un véritable marché économique. C'est
ainsi qu'aux 'f:tats-Unis en 1975 un million de personnes étaient employées
dans la sécurité privée contre 650 000 appartenant à la police officielle (86).
En France, on n'en est pas encore à un rapport de cette importance, mais lors
de la discussion de la loi du 12 juillet 1983 réglementant les activités privées
de surveillance, de gardiennage et de transports de fonds, on a évoqué le chiffre
de 70 000 personnes pour moins de 200 000 policiers et gendarmes (87).
Cette prévention privée constitue évidemment une nécessité devant l'insuffisance grandissante de la protection assurée par les services étatiques, mais elle
aboutit aussi à des actions illicites avec les phénomènes dits d'autodéfense et
les opérations brutales de certaines polices privées. En tout état de cause il y a
là une manifestation particulièrement significative de la déconnexion du
système de justice pénale par rapport à la réalité, puisque cette dernière
s'organise en dehors du système pour assurer sa propre protection.
,
Dérèglement des systèmes de politique criminelle du haut au bas de
l'échelle, inefficacité des méthodes modernes de contrôle de la criminalité
voilà donc autant de manifestations de la déconnexion progressive des politiques criminelles occidentales à l'égard de la réalité de leur délinquance. Mais il
ne suffit pas de constater ces symptômes, encore s'agit-il d'en rechercher
l'explication.
B - L'explication de la déconnexion.
Les auteurs qui ont examiné avec le plus de sérieux la crise actuelle
des politiques criminelles occidentales expliquent volontiers celle-ci par le
défaut d'adaptation des lois pénales à l'éthique des sociétés modernes. Cette
(84) Cf. RADZINOWICZ, article précité, p. 235.
(85) Cf. Le numéro de Criminologie de 1983, vol. XVI, n. 1, consacré à la peur du crime.
Voir de même W. SKOGAN et M. MAX.FIELD, Coping with crime. lndividual and
neighborhood reactions, 1981, 280 p.
(86) Chiffre cité dans Arthur J. BILEK, Priva te security and goals, rapport du groupe de
travail américain officiel sur la sécurité privée, Anderson Publishing co. cincinnati,
1977, 367 p.
(87) Pour la Belgique, cf. A. d' ARIAN, Contribution du secteur privé à la neutralisation
de la délinquance en Belgique, Rev. dr. pén. et crim., 1979, p. 533.
�45
analyse, qui comporte sans doute une part d'exactitude, ne rend cependant pas
vraiment compte de la déconnexion que l'on a constaté. Aussi convient-il de
se tourner vers un autre type d'explication qui réside, selon nous, dans l'idée
bien différente d'éclatement des valeurs éthiques.
a) La théorie de l'inadaptation du droit pénal.
Cette théorie a été soutenue notamment par M. LÉAUTÉ (88) et
reprise tout récemment par M. PICCA {89). On peut la résumer par les trois
propositions suivantes.
1) le droit pénal et les institutions qui en assurent l'application
doivent correspondre aux exigences morales des populations qu'ils régissent.
Sinon, il y a divorce entre le besoin de justice de la majorité des citoyens et la
réaction sociale prévue par les lois pénales et exercée par les organes répressifs
et, par voie de conséquence, multiplication des comportements délictueux.
«Pas d'incrimination essentielle contraire au besoin de justice de la plupart
des citoyens».
2) Or, il s'est produit dans les sociétés industrialisées contemporaines une transformation rapide des valeurs sociales se traduisant par de nouvelles aspirations qui vont notamment de pair avec une redistribution des biens
et des loisirs. Les exigences morales des générations actuelles ont donc changé
par rapport à celles de leurs aînés.
3) Le droit et les institutions pénales ne se sont pas suffisamment
adaptés à l'évolution de la société, si bien que les valeurs actuellement protégées par la loi pénale ne sont plus reconnues par l'unanimité du groupe social,
ni même souvent par sa majorité, laquelle s'est trouvée réduite par la multiplication des groupes minoritaires représentant autant de sous-cultures voire
même de contre-cultures. De là l'accroissement important de la criminalité
contemporaine et la crise des politiques criminelles.
On peut être d'accord sur la nécessité que les incriminations pénales
correspondent aux exigences morales de la majorité de la population. On peut
aussi admettre l'idée selon laquelle il existe un décalage plus ou moins important entre l'état actuel des droits pénaux occidentaux et les aspirations nouvelles de certaines couches de l'opinion publique. Mais la théorie de l'inadaptation
du droit pénal ne nous semble pas rendre vraiment compte de la crise des politique criminelles occidentales et ceci pour deux raisons.
- En premier lieu on doit remarquer qu'il y a eu depuis dix à quinze ans
un certain nombre d'évolutions remarquables dans les droits pénaux occidentaux destinées à rapprocher le droit des aspirations nouvelles. On a décriminalisé des actes dont l'incrimination ne paraissait plus recueillir un consensus
(88) J. LEAUTE, Droit pénal et démocratie, in Mélanges Ancel, 1975, t. Il, p. lSl; «Le
rôle du droit pénal dans le contexte social», Conférence sur la politique criminelle,
Comité européen pour les problèmes criminels, 1975, p. 9.
(89) G. PICCA, La criminologie, PUF, Que sais-je?, 1983.
�46
suffisant dans la population notamment dans le domaine des mœurs (adultère,
pornographie, homosexualité, contraception, avortement ...).A l'inverse, on a
criminalisé des comportements qui paraissent au contraire devoir faire partie de
la nouvelle morale des générations contemporaines (incrimination du racisme,
du sexisme, etc ...). Or il ne semble pas que ces modifications de politique
criminelle aient changé en quoi que ce soit l'orientation de l'évolution de la
criminalité, hormis évidemment leurs incidences directes sur le détail des statistiques criminelles.
- Une seconde raison est encore plus déterminante. La théorie de l'inadaptation des droits pénaux supposerait, pour être exacte, qu'à l'ancienne éthique
sociale monolithique aurait succédé une nouvelle éthique sociale également
partagée par le plus grand nombre. qu'un simple changement de contenu de
droit pénal permettrait de reconnaître et de sanctionner. Or l'observation
attentive de l'évolution socio-morale des sociétés occidentales montre que ce
n'est pas du tout ainsi que les choses se sont passées. A l'ancienne éthique
sociale uniforme a fait place, non pas un éthique nouvelle unique, mais une
multiplicité de systèmes de valeurs différents et souvent contradictoires assumés
par de multiples minorités. Aussi nous semble-t-il préférable d'avancer une
autre hypothèse, celle de l'éclatement des valeurs éthiques.
b) L'hypothèse de l'éclatement des valeurs éthiques.
Celle-ci peut être exposée autour de deux séries de propositions.
Jusqu'à une époque relativement récente, il existait dans les diverses
sociétés occidentales un accord sur l'essentiel des règles de conduite à observer
de la part de la très grande majorité de la population ; le droit pénal qui reflétait la morale sociale faisait ainsi l'objet d'un consensus très étendu. Il existait
certes des individus qui ne respectaient pas la loi pénale, mais d'une part il
s'agissait d'une assez faible minorité et d'autre part la plupart des délinquants
admettaient au moins le principe de la valeur des interdits pénaux s'ils ne les
respectaient pas. en fait.
Dans ces conditions, les sanctions pénales et les quelques mesures de
prévention collective employées pouvaient avoir un certain effet parce que l'on
disposait alors d'un modèle de société cohérent avec un système de valeurs
uniforme que l'on pouvait proposer comme idéal de conduite aux délinquants
réels ou potentiels. On pouvait ainsi, par tout un système de pressions diverses,
pousser ces individus à accepter un respect au moins formel des règles essentielles de conduite sociale.
- Aujourd'hui la situation socio-morale de la plupart des pays occidentaux
a profondément changé. Le point de renversement de cette situation varie selon
les pays, les années 50 pour les pays anglo-saxons, les années 60 pour les pays
du continent européen, mais le phénomène a été partout le même (90). A des
sociétés dans lesquelles il existait un consensus très général sur .les valeurs
essentielles et les normes de conduite les plus importantes à observer, ont
(90) Sauf au Japon et en Suisse.
�47
succédé des sociétés où règne une diversité toujours croissante et de plus en
plus contradictoire des valeurs et des normes pratiques de conduite. A la majorité d'autrefois, a succédé une mosaïque de minorités socio-morales.
De très nombreuses preuves peuvent être avancées pour établir ce
bouleversement. On se bornera à en citer quelques exemples. Au plan quantitatif, les recherches sur les représentations sociales du système pénal montrent
l'existence d'un profond désaccord sur la gravité à attribuer aux divers comportements traditionnellement considérés comme des infractions {91). Au plan
qualitatif, les cas de l'avortement et de l'homosexualité sont très significatifs.
Au d~but de l'année 1975, l'avortement était encore en France un délit correctionnel, sauf le cas très exceptionnel de l'interruption thérapeutique de la
grossesse pratiquée pour sauver la vie de la mère. Une loi du 17 janvier 1975
est venue rendre licite, à titre expérimental {92), dans des cas et sous des
conditions détenninés par le texte, ce qui est devenu par un euphémisme
majeur «l'interruption volontaire de grossesse». Il résultait cependant tant de
travaux préparatôires que du texte de loi lui-même que cette possibilité était
au mieux une tolérance, une permission de la loi, et non un droit absolu
s'imposant aux autres comme un devoir corrélatif. Or très vite on a vu des
associations féministes parler du «droit à l'avortement» et susciter, entre autres
conséquences, des dépôts de plaintes pour omission de porter secours contre
des médecins qui, invoquant leurs convictions personnelles, avaient refusé de
pratiquer un avortement (93). Quant à l'homosexualité, deux lois récentes ont
aboli les quelques cas où, en droit français, l'homosexualité était soit un élément constitutif, soit une circonstance aggravante d'une infraction {94). On
pouvait croire que l'on était revenu à l'époque antérieure à l'incrimination
de l'homosexualité {95) où selon l'expression du Professeur VITU «on y voyait
uniquement un vice, relevant de la seule loi morale» {96). L'homosexualité a
cependant été revendiquée par les abolitionnistes comme une liberté s'inscrivant dans la notion générale du «droit à la différence» et mieux encore on a vu
des homosexuels défiler dans Paris en réclamant l'incrimination pénale de tout
écrit ou propos dirigé contre l'homosexualité, à l'exemple de ce qui existe en
(91) Cf. par exemple J.-C. WEINBERGER, P. JAKUBOWICZ et Ph. ROBERT, Société et
gravité des infractions, Rev. se. crim., 1976, p. 915. Ces auteurs concluent leur
investigation de la manière suivante : «Ün ne peut espérer résoudre simplement
la crise de la justice pénale en réformant la loi pénale l'œil fixé sur le baromètre de
l'«opinion publique» ... L'«opinion publique» n'existe pas. Elle n'est que la moyenne
apparente et factice née d'une impression ou d'une investigation trop superficielle. Si
l'on veut vraiment tenir compte en politique criminelle des représentations de la
gravité des infractions dans la société, il faut d'abord admettre qu'elles sont -avant
toute chose- diversité et oppositions». (p. 930).
(92) Pendant 5 ans. Les dispositions de la loi du 1 7 janvier 197 5 ont été rendues définitives, sous quelques modifications, par une loi du 31décembre1979.
(93) Trib. corr. Rouen 9 juillet 1975, D. 1976.531, note Roujou de Boubée, JCP, 197611-18258, note R. Savatier.
(94) Lois du 23 décembre 1980 et 4 août 1982.
(95) Par une loi du 6 août 1942.
(96) André VITU, Droit pénal spécial, 198.2, t. II, n. 1870.
�48
matière de racisme et de sexisme : incrimination pénale, vice moral, droit à la
différence, valeur nouvelle à protéger pénalement, telles sont finalement les
multiples conceptions socio-morales de l'homosexualité qui partagent l'opinion
publique française actuelle.
En présence d'une situation socio-morale ainsi éclatée, que peuvent
bien signifier alors aujourd'hui les idées de resocialisation et de prévention de
la délinquance pour beaucoup de gens ? Resocialiser ? Mais à quoi ? Prévenir ?
Mais prévenir quoi ? La loi pénale et les interdits qu'elle comporte apparaissent
ainsi, à beaucoup de jeunes notamment mais à bien des adultes aussi, comme
une sorte de galaxie lointaine dont on se désintéresse totalement pour adhérer
à des idéologies socio-morales très différentes et très partagées. Comment s'étonner
alors de l'inefficacité des mesures de contrôle social et du dérèglement de systèmes de politique criminelle qui tournent de plus en p_lus sur eux-mêmes sans
pouvoir reprendre vraiment prise sur un réel lui-même très divers et contradictoire ? (97).
Ces constatations permettent en définitive de dresser une première
ébauche des caractères de la crise actuelle des politiques criminelles occidentales
par référence aux diverses typologies des crises énoncées dans l'introduction.
- Il ne s'agit nullement d'un accident dans la vie des sociétés occidentales,
mais d'un véritable mode d'être durable de celle-ci qui s'est installé depuis
25 à 30 ans.
(97) L'hypothèse développée au texte ne doit pas être confondue avec celle avancée par
Ph. Robert et CL Faugeron (Les forces cachées de la justice. La crise de la justice
pénale, ed. Le Centurion, 1980) qui parlent cependant également d'absence de consensus et écrivent : «La justice est en crise surtout parce qu'elle est entrée de façon
massive dans le champ du soupçon, de la discussion, des clivages, bref du dissensus»
(p. 194). Alors que notre interprétation est de nature socio-morale, celle de ces
auteurs, si nous l'avons bien comprise, est essentiellement de nature socio-politique.
En témoigne le fait que consacré à l'analyse du système de justice pénale français et
à sa crise, l'ouvrage discerne comme «signes» visant à manifester l'existence d'un
problème important de justice pénale le recours aux juridictions d'exception, les
procès à scandale et la contestation extérieure et interne de la justice pénale (p. 6 à
11), qui sont autant de données à connotation politique. De même à propos de
l'explication même de la crise, ils parlent de «problème de légitimité» et de «cancérisation du contrôle social» qui sont aussi des concepts essentiellement socio-politiques.
Or l'histoire montre que des divisions politiques profondes n'engendrent pas nécessairement de crise de politique criminelle, sauf évidemment lorsqu'une révolution vient
désorganiser la vie publique et qu'à l'inverse un accord fondamental sur le régime
politique chez la grande majorité des citoyens n'exclut nullement une crise de la politique criminelle comme le montre le cas des Etats-Unis. D'ailleurs depuis mai 1981,
en France, les juridictions d'exception ont été supprimées, on peut supposer qu'il
n'y a plus de procès à scandales et les anciens contestataires externes ou internes
détiennent l'essentiel du pouvoir : la crise a-t-elle disparue pour autant ? En réalité,
s'il existe un lien entre les données socio-politiques et la crise des politiques criminelles, c'est au niveau de la perception subjective de la crise et des moyens d'y remédier
comme on le verra dans la deuxième partie, mais non pas à celui de soa explication
fondamentale. Au demeurant, M. Ph. ROBERT donnait, quelques dix ans auparavant,
une analyse de la crise naissante de la justice criminelle très différente et bien plus
pertinente : cf. Ph. ROBERT, La recherche opérationnelle dans le système de justice
criminelle, Vlllème Conférence des directeurs d'Instituts de Recherches criminologiques, Strasbowg, 1-3 déc. 1970, Public. du Conseil de l'Europe, 1971, p. 65 et s.,
p. 66 - 68.
�49
- Il s'agit non d'une crise de progrès, mais au contraire d'une crise de
décadence, puisqu'elle s'explique par l'éclatement socio-moral de ces sociétés.
Pendant combien de temps ce phénomène durera-t-il encore ? Il n'est évidemment pas possible de donner une réponse précise à cette question. En revanche
ce que nous savons par l'exemple du Japon et de la Suisse (98), c'est que ce
genre de crise n'est pas inéluctablement lié à l'évolution des sociétés occidentales. D'où l'utilité qu'il y a à s'interroger sur les conditions qui permettraient
de sortir de cette crise.
-IILES CONDITIONS DE SORTIE DE LA CRISE DES POLITIQUES
CRIMINELLES OCCIDENTALES
A lire ou à entendre les hommes politiques, les journalistes, comme
les simples particuliers, il semblerait qu'il existe des solutions très simples pour
résoudre la crise des politiques criminelles et arrêter le développement de la
criminalité et de la récidive. Les uns parlent de répression, les autres de prévention, mais tous prétendent posséder le secret du succès.
En réalité, plus on étudie cette crise, plus on en pénètre les caractéristiques et les ressorts, et plus on acquiert la conviction que sa solution est
bien difficile, voire même hypothétique. Aussi ne peut-on pas avoir la prétention de présenter une sorte de plan tout préparé de sortie de la crise. Tout ce
que l'on peut faire, et encore avec beaucoup de réserves et de réticences, c'est
de suggérer quelques pistes destinées à jalonner les conditions qui paraissent
nécessaires, ou en tout cas très souhaitables, pour permettre d'envisager cette
sortie.
L'explication de la crise par l'éclatement des valeurs éthiques
conduit alors à constater que la solution de celle-ci n'est pas conditionnée
seulement par le réaménagement des politiques criminelles. Par-delà ces transformations, elle suppose des modifications de l'environnement sociétal de ces
politiques, si bien qu'il convient d'abord d'évoquer les conditions d'environnement (I. -) avant de parler des conditions internes au système (II.-).
1. - LES CONDITIONS D'ENVIRONNEMENT .
L'environnement du système de politique criminelle est à la fois un
environnement socio-moral et un environnement socio-politique. Or l'observation de l'évolution et de l'état actuel de ce double environnement, en même
temps que l'analyse des raisons profondes de la crise, conduisent à discerner
(98) En 1981, Le Japon occupait la 20e place dans le monde pour le Produit National
Brut par habitant (52 120 F) avant le Royaume-Uni, l'Italie et la Suisse, le Se rang
(79 280 F) avant les Etats-Unis, la France, les Pays-Bas et la Belgique. Si l'on excepte
les pays pétroliers (Quatar, Koweït, ... ) la Suisse arrivait en 1e position et le Japon
avait la 15e place.
�50
que, si l'on veut avoir quelque chance d'en sortir, il est indispensable que se
modifient d'abord l'environnement socio-moral et aussi sans doute l'environnement socio-politique.
A - L'environnement socio-moral.
a) On a dit tout-à-l'heure que la crise actuelle des systèmes de
politique criminelle des pays occidentaux était une crise durable, présentant la
forme d'une crise de décadence et s'expliquant essentiellement par la désagré.:.
gation d'un système de valeurs communes au plus grand nombre et son remplacement par toute une série de morales minoritaires hétérogènes et souvent
antagonistes. On peut pronostiquer sans grand risque de se tromper que si cette
situation se perpétue et a fortiori si elle continue à s'aggraver, la crise de la politique criminelle ne cessera pas à son tour de se prolonger et même de s'accentuer, comme elle l'a fait jusqu'à présent. Aussi la première condition --et la
plus importante- qui doit être remplie si l'on veut sortir de la crise, c'est de
recqnstituer dans nos sociétés occidentales une sorte d'éthique unitaire qui
recueille à nouveau le consensus du plus grand nombre. Tant qu'on ne sera
pas parvenu à ce résultat, on pourra disserter à l'infini sut tel ou tel aspect de
la crise, prendre telle ou telle mesure d'opportunité, on n'aura pas avancé d'un
pas pour autant.
parvenir.
b) La grande difficulté est évidemment de savoir comment y
1) La première chose qu'il convient de noter pour éviter tout
malentendu, c'est que la constitution d'une éthique unitaire ne signifie nullement un retour à la morale sociale d'autrefois. Parmi les nouvelles aspirations
des générations actuelles, s'il en est un certain nombre qui sont contestables ou
douteuses soit dans leurs modalités, soit même dans leur principe, il en est en
revanche un bon nombre qui constituent certainement globalement des progrès
de notre civilisation. Il serait absurde de les abandonner au nom d'une certaine
conception de la lutte contre la criminalité.
2) Mais précisément la distinction que l'on vient de faire constitue un premier élément de solution. Il faudrait en effet que nos sociétés se
livrent à une sorte de vaste réflexion sue elles-mêmes pour définir quelles sont
les valeurs nouvelles qui méritent d'être maintenues et les aspirations ou les
modalités de celles-ci qui au contraire doivent être abandonnées. Croit-on par
exemple que l'étalage spectaculaire et illimité de la pornographie, modalité
extrême de la liberté sexuelle, mérite d'être conservé comme l'un des fleurons
de la civilisation contemporaine ? L'acquisition d'un certain consensus sur
l'abandon de certaines aspirations permettrait déjà de déblayer partiellement
le terrain et d'éclaircir quelque peu l'horizon socio-moral de la politique
criminelle.
3) Reste alors le problème le plus difficile : celui ües aspirations qui mériteraient d'être conservées en raison de leur signification positive
de valeurs de progrès, mais qui comportent aussi des retombées négatives du
de leur incidence sur la criminalité. Pour le résoudre, il faudrait que se produise
�51
une prise de conscience collective claire de ces retombées, un accord majoritaire pour y remédier et la mise en place de moyens véritablement efficaces de
neutralisation de ces effets pervers. Pour prendre une comparaison dans un
domaine bien connu, on peut considérer le phénomène automobile. La
diffusion de l'automobile dans nos sociétés modernes constitue indiscutablement un progrès de civilisation considérable qui a facilité l'existence de plus
grand nombre et lui a permis de faire des choses qui auraient été autrefois
impensables. Mais le développement du phénomène automobile a aussi engendré
de redoutables retombées négatives : pollution, accidents corporels pour ne
citer que les plus spectaculaires. Personne aujourd'hui ne demande la disparition
des automobiles, à part quelques illuminés. Le problème est de trouver les
mesures de contrepoids les plus efficaces pour limiter la pollution due aux gaz
d'échappement ou les accidents de la circulation, à défaut de pouvoir les
supprimer.
Le problème se pose précisément dans les mêmes termes d'une
manière générale pour toutes les aspirations progressistes de nos sociétés qui
comportent des effets secondaires criminogènes. Il s'agit de mettre en place
des techniques de neutralisation efficaces pour éliminer ces effets. Le cas du
Japon est très significatif à cet égard. Les criminologues s'accordent à reconnaître que le facteur le plus important qui explique l'absence de crise de la
politique criminelle dans ce pays, c'est la grande homogénéité de la société
japonaise dûe à la priorité donnée au groupe dans la mentalité japonaise. Le
Japonais existe non pas en tant qu'être individuel mais comme partie dépendant d'un ensemble (99). Or jusqu'à une époque récente, le groupe fondamental le plus important était la famille. Mais dans le Japon actuel, comme
chez nous, le rôle de la famille s'est considérablement érodé sous l'influence
du développement d'un certain individualisme. Mais il résulte d'une enquête
faite tout récemment pour le compte des Nations Unies auprès des 10 pays les
moins criminels du monde que dans l'ensemble le Japon a pu stabiliser sa criminalité, parce que la famille a été remplacée par l'entreprise comme facteur
d'intégration dans la collectivité. De la naissance à la mort, le japonais est
tributaire de l'entreprise, qui l'emploiera, qui l'emploie et qui l'a employé.
L'entreprise, substitut de la famille : tel est le contre-poids qui s'est mis en
place pour neutraliser les effets sociaux de la libération familiale (100).
S'il n'est évidemment pas question de transposer cette solution dans
les pays européens, cet exemple a du moins l'avantage de montrer comment
peut fonctionner le mécanisme de neutralisation des retombées négatives des
valeurs considérées comme progressistes. Sa prise de conscience suppose
d'ailleurs aussi sans doute une certaine modification de l'environnement sociopolitique.
(99) Hans-Heiner KUHNE, Criminalité et répression de la criminalité au Japon, Analyse
socio-culturelle et criminologique, Criminologie, 1981, vol. XIV, n. 1, p. 31.
(100) La référence à cette enquête des Nations-Unis a été prise dans Liaison (Canada),
juin 1983, p. 21.
�52
B - L'environnement socio-politique.
Dans son article déjà cité sur les crises répétées de la justice pénale,
le Professeur RADZINOWICZ a souligné que dans des temps de tension comme
ceux que nous vivons, nous sommes confrontés à deux idéologies extrêmes :
à droite, l'école de la loi et l'ordre (law and order) qui préconise la ligne dure ;
à l'autre extrême, l'aile gauche, allant jusqu'au nihilisme, qui réserve ses foudres à ceux qui sont chargés d'appliquer la loi pénale {policiers, magistrats,
gardiens de prison) {l 01).
Cette opposition qui caractérise l'état d'esprit dans les pays anglosaxons se retrouve aussi en Europe continentale, soit de manière radicale, soit
plus souvent aujourd'hui avec l'opposition entre partisans de la répression et
adeptes de la prévention, entre l' «idéologie sécuritaire» et l' «utopie rousseauiste», selon les formules qui font recette dans la presse et les discours politiques.
Ici encore tant que persisteront de telles approches essentiellement
idéologiques des problèmes de politique criminelle, il y a peu de chance que
l'on puisse sortir de la crise. Comme le soulignait récemment M. PINATEL, en
conclusion de son rapport au Congrès de droit pénal qui s'est tenu à Montpellier
en novembre 1983, le problème du développement de la criminalité est devenu
aujourd'hui un véritable problème de société à l'égard duquel les idéologies,
libérale comme socialiste, qui sont des idéologies du XIXe siècle sont complètement dépassées. On peut aller plus loin encore en disant qu'aucune idéologie
quelle qu'elle soit, actuelle comme dépassée, ne peut être capable de résoudre
les problèmes de criminalité auxquelles les sociétés occidentales sont confrontées, car les idéologies se nourrissent en général d'ignorance et d'aveuglement
alors qu'il y faut au contraire de la connaissance et de la lucidité.
Si l'on veut en effet avoir quelque chance de sortir de la crise, il
faut modifier de manière fondamentale l'approche de ces problèmes en substituant aux approches théoriques, une approche essentiellement empirique
fondée sur une connaissance rigoureuse des faits et une expérimentation
contrôlée des méthodes d'action, en bref une approche criminologique.
Pour prendre un exemple significatif, on a vu que dans l'état actuel
des connaissances, les programmes de prévention n'ont pas donné dans l'ensemble de résultats appréciables (102). Pourquoi s'obstiner alors à présenter la
prévention comme la panacée de la politique criminelle? Cela ne veut pas dire
pour autant qu'il faut abandonner toute expérience de prévention, mais que
quand on a recours à un programme de prévention, il faut considérer celui-ci
uniquement comme une expérience avec toutes les limites et les réserves qu'elle
comporte et il faut également le dire à l'opinion. Il y a en effet une opposition fondamentale entre l'attitude scientifique qui se caractérise par la soumission aux faits et l'attitude idéologique qui trouve toujours des rajsons pour
mutiler ou ignorer les faits quand ils ne rentrent pas dans le schéma idéologique.
(101) Article précité, p. 237-238.
(102) Cf. supra, le partie.
�53
La sortie de crise est ainsi conditionnée par l'adoption d'une attitude
scientifique et l'abandon de toutes les illusions idéologiques à l'égard des
politiques criminelles possibles. Si l'environnement socio-politique des politiques criminelles venait ainsi à être modifié, les conditions internes de la sortie
de crise auraient sans doute de meilleures chances d'être réalisées.
II. - LES CONDITIONS INTERNES •
Il ne saurait être question ici de présenter quelque projet précis que
ce soit, mais seulement d'indiquer les principales orientations dans lesquelles
il conviendrait de s'engager pour rendre possible, de l'intérieur, la sortie de la
crise.
Trois orientations nous paraissent décisives : le remodelage du
système des incriminations, la redéfinition du système sanctionnateur et la
réorganisation du système de justice pénale proprement dit.
A - Le remodelage du système des incriminations •
Le remodelage du système des incriminations pourrait tenir dans la
formule suivante : rien que l'essentiel, mais tout l'essentiel.
a) Rien que l'essentiel.
On a signalé dans la première partie de cet article cet aspect important de la crise qu'est le phénomène de l'inflation pénale avec tous les inconvénients qu'il comporte. La sortie de crise se trouve sans doute conditionnée à
cet égard non seulement par la cessation de ce phénomène mais encore par
l'exclusion des droits pénaux existants de toutes les incriminations qui n'ont
rien à y faire.
La manière d'atteindre cet objectif dépend évidemment du système
juridique propre à chaque pays. Pour la France, la solution pourrait consister
à inscrire dans la Constitution, non pas seulement le critère formel de l'incrimination (loi pour les crimes et délits, règlement pour les contraventions),
mais aussi le critère matériel de celle-ci. Il faudrait évidemment que ce critère
restrictif soit suffisamment précis pour que sa mise en œuvre par le Conseil
Constitutionnel soit relativement aisée (103r
b) Tout /'essentiel.
Depuis un certain nombre d'années, on a assisté à la multiplication
des manipulations législatives consistant en des dépénalisation totales ou partielles, répondant notamment à la volonté de désencombrer les tribunaux pour
faire face à la submersion du système.
Certaines de ces dépénalisations ou décriminalisations étaient parfaitement justifiées du point de vue des divers critères matériels d'incrimination
concevables. Mais d'autres sont très contestables, si bien qu'elles ont entraîné
(103) Les critères matériels de l'incrimination gravitent tous autour des deux idées de
nécessité et de justice. Peut-être le meilleur critère réside-t-il dans l'adage «Ni plus
qu'il n'est juste, ni plus qu'il n'est nécessaire».
�54
une aggravation notable de la démoralisation publique sans pour autant avoir
toujours évacué définitivement le problème sur le plan quantitatif.
A cet égard, la contraventionnalisation partielle de l'émission de chèques sans provision en 1972, puis sa décriminalisation partielle en 1975 sont
tout-à-fait exemplaires. Elles ont habitué les usagers à considérer le chèque non
plus comme un simple moyen de paiement, mais comme un véritable instrument
de crédit, les banques y aidant d'ailleurs et en dernier lieu les centres de chèques
postaux. Quant à l'aspect quantitatif, la réforme a seulement donné au système
pénal un certain répit pour reprendre un peu de souffle. Dès 1981 en effet, le
nombre d'affaires dont avait été saisie la police judiciaire avait dépassé son plus
haut chiffre antérieur (337 426 c/ 324 267 en 1972) et on comptait en 1982
plus de 500 000 interdits de chéquiers. Il y a tout lieu de penser que la statistique judiciaire des condamnations, dont la dernière publiée remonte à 1978,
a suivi depuis cette évolution.
8 - La redéfinition du systè1!1e sanctionnateur •
La deuxième orientation dans laquelle on devrait s'engager pour
sortir de la crise consiste à repenser de manière vraiment réaliste le système des
sanctions pénales.
Deux idées pourraient dominer cette redéfinition.
1) La première concerne les fonctions de la sanction pénale.
La quasi-totalité des condamnés est destinée soit à rester dans la
société des hommes libres soit tout au moins à y retourner au bout d'un
certain temps. Fort peu nombreux sont en effet les criminels à l'égard desquels
on peut prononcer une peine privative de liberté perpétuelle à supposer qu'elle
soit intégralement exécutée. D'autre part, il paraît bien chimérique d'envisager
le rétablissement de l'ancienne relégation des multirécidivistes qui était liée à la
transportation coloniale, ne serait-ce que parce que le contexte international ne
le permettrait pas.
Force est donc de reconnaître que l'écrasante majorité des condamnés retrouvera un jour la vie en liberté ou même y demeurera. Aussi l'intérêt
même de la société est-il de faire en sorte qu'à la fin de l'exécution de la peine,
et notamment à la sortie de prison, ils ne soient pas pire qu'avant et si possible
qu'ils soient moins dangereux. C'est à dessein que l'on n'emploie pas les termes de resocialisation et de réadaptation sociale pour les raisons qui ont été
dites précédemment. Peut-être y parviendra-t-on un jour ? Pour l'instant
parlons plus modestement d'utilité de la peine.
2) La deuxième idée concerne précisément les méthodes à employer. Celles-ci devraient être placées sous le signe de la maxime suivante : est
bon ce qui réussit et doit être écarté ce qui a échoué. Cela veut dir~ que pour
atteindre l'objectif d'efficacité, il ne faut se priver d'aucun moyen dans la
mesure où celui-ci donne des gages de succès et qu'à l'inverse il faut savoir
abandonner les méthodes qui ont fait la preuve de leur insuffisance.
�55
Pourquoi par exemple, se priver de l'effet intimidant authentique
que l'emprisonnement peut avoir sur certains délinquants? A l'inverse, il n'y a
pas lieu d'hésiter à utiliser des substituts aux peines privatives de liberté quand
ils donnent de meilleurs résultats et, à effet égal, il faut savoir choisir la solution dont le coût est le moins élevé tous comptes faits (104).
C - La réorganisation des organes de lutte contre la délinquance •
Cette réorganisation est certainement nécessaire. Elle devrait être
placée sous le signe de deux principes : l'unité et la cohérence.
a) L'unité.
A l'heure actuelle, les systèmes de justice pénale utilisés dans la
plupart des pays occidentaux présentent un double défaut. D'une part les
divers organes (police, tribunaux, administration des prisons, etc ...) dépendent de Ministères et de services différents. Il en résulte une ignorance réciproque et des rivalités à l'intérieur d'un même corps dont ce qu'il est convenu
d'appeler «la guerre des polices» témoigne à suffisance. D'autre part, certains
de ces organes ont dans leurs attributions d'autres tâches que la lutte contre la
criminalité, comme par exemple les juges qui siègent à la fois au civil et au
pénal.
La recherche de l'efficacité du système suppose l'abandon de ces
fonctions multiples, mais plus encore le regroupement de tous les organes de
contrôle de la criminalité dans une sorte de vaste Ministère de la lutte contre
la criminalité. L'objection essentielle est qu'un tel regroupement risque de
constituer une puissance dangereuse pour la démocratie, mais les Constitutions
pourraient certainement prévoir des mécanismes de contrôle et de limitation
permettant de verouiller le système pour écarter ce danger.
b) La cohérence •
Actuellement, bien souvent les divers organes du contrôle social ne
savent pas ce que deviennent leurs «clients» dans les étapes ultérieures du
processus pénal. D'autre part, ils ont rarement une vue d'ensemble de la situation de la criminalité dans leur zone géographique d'exercice.
Il serait ainsi souhaitable de mettre en place des mécanismes institutionnels permettant de remédier à cet état de choses et d'introduire ainsi une
véritable cohérence dans l'ensemble du système (105).
(104) Nous avons défendu ce «néo-pragmatisme» dès 1969. Cf. R. GASSIN, Confrontation du système français de la sanction pénale avec les données de la criminologie et
des sciences de l'homme, in Travaux du Colloque de science criminelle de Tôulouse,
ed. Dalloz, 1969, p. 117.
(105) Certains ont nettement perçu la nécessité de cette cohérence en parlant de !'«Unicité
de l'intervention judiciaire». Cf. P. ARPAILLANGE, Discours d'installation comme
Procureur Général de la Cour de cassation, Gazette du Palais, 20 avril 1984, p. 4.
�56
CONCLUSION GENERALE
Au terme de cette analyse, on peut dégager les conclusions suivantes :
- Les politiques criminelles des pays occidentaux connaissent actuellement
une crise grave qui ne leur permet plus de contrôler leur criminalité.
- Cette crise se développe depuis près de 25 ans. Il s'agit donc d'un état
durable et non d'un phénomène accidentel.
- Elle se manifeste essentiellement par deux catégories de phénomènes :
une submersion progressive des systèmes de politique criminelle et une déconnexion de ces politiques par rapport à la réalité du crime.
- Elle s'explique principalement par l'éclatement du système des valeurs
et des normes de comportement des Sociétés occidentales contemporaines. Il
s'agit donc d'une crise de décadence et non d'une crise de progrès.
- Cette crise n'est pas inéluctable dans les sociétés industrielles démocratiques comme le montre l'exemple du Japon et de la Suisse.
- La sortie de la crise est conditionnée d'abord par une modification de
l'environnement socio-moral et de l'approche socio-politique des politiques
criminelles.
- La sortie de crise est également conditionnée par une réforme profonde
des politiques criminelles qui affecte tout à la fois la définition des incriminations, l'emploi des sanctions pénales et l'organisation du système de justice
pénale.
�LES JURIDICTIONS PENALES D'EXCEPTION DANS LA
FRANCE CONTEMPORAINE(*)
Par
Wilfrid JEANDIDIER
Professeur Agrégé des Facultés de Droit,
Directeur de l1nstitut de Sciences Pénales et de Criminologie
d'Aix-Marseille
INTRODUCTION
1) Le droit pénal commun, c'est le droit du juste milieu, équilibré,
ni trop indulgent, ni trop rigoureux. Une juridiction de droit commun évoque
donc une procédure où les droits de la défense sont respectés, où le procès suit
son juste cours, dans la conception de la justice .propre à notre époque. Comme
partout, la norme connaît des exceptions : il y a ainsi des droits d'exception
que sont chargées d'appliquer les juridictions d'exception. Le mot n'a pas
bonne presse et possède une connotation politique et péjorative. Politique tout
d'abord, car l'histoire révèle que beaucoup de juridictions d'exception, dont les
plus célèbres, ont été des instruments à vocation politique, voire partisane. Que
l'on songe par exemple aux Grands Jours, qui tenaient des assises extraordinaires et qui possédaient une compétence illimitée : ils furent utilisés aux XVIe et
XVIIe siècles pour conforter la pouvoir royal, anéantir les velléités centrifuges
des grands seigneurs et pour briser l'hérésie. Que l'on songe encore aux commissions criminelles extraordinaires créées par le souverain, source de toute justice,
et notamment à celle créée pour juger Fouquet, surintendant des finances.
Plus près de nous, le Tribunal révolutionnaire, institué en 1793, occupe une
place de choix : cette juridiction devait connaître de toute entreprise contrerévolutionnaire; de tous attentats contre la liberté, l'égalité, l'unité, l'illdivisibilité de la République, la sûreté intérieure et extérieure de l'Etat, de tous les
complots tendant à rétablir la royauté.
2) Connotation péjorative ensuite. La justice d'exception donne le
frisson à l'honnête homme, elle est synonyme d'excès. Les procédures sont
souvent sommaires, caricaturales, les droits de la défense ouvertement bafoués,
les sentences pratiquement connues d'avance et insusceptibles de recours. Pour
reparler du Tribunal révolutionnaire, on estime qu'avec ses succursales provinciales, il envoya à la guillotine quelque 20 000 victimes. La seule Grande Terreur
qui suivit la loi du 22 prairial an II supprimant les dernières garanties.laissées
aux accusés, fit en six semaines à Paris plus de 1 300 victimes, dont Lavoisier et
( *)
Ce texte est tiré d'une conférence donnée le 18 mai 1984 à la Faculté de droit et de
science politique d'Aix-Marseille. Il est publié dans le présent ouvrage avec l'aimable
agrément de la Semaine Juridique où il a déjà été publié (J. C. P., 1985, 1, 3173).
�58
Chénier. Cette répression aveugle n'est cependant pas l'apanage des seules
juridictions d'exception politiques stricto sensu. Très souvent, le pouvoir s'est
ingénié, pour renforcer la sécurité et l'ordre public, à créer des juridictions
particulières. C'est le cas des tribunaux nùlitaires, réputés pour leur justice
efficace et, en temps de guerre, expéditive. C'est aussi le cas des cours spéciales
instituées par le Code d'instruction criminelle, devenues en 1815 cours prévôtales, compétentes pour juger les vagabonds et malfaiteurs de grand chemin.
D'ailleurs, les cours prévôtales connaissaient également d'infractions politiques
(réunions séditieuses, écrits subversifs) et elles laissèrent dans l'opinion «un
souvenir persistant de chambres ardentes» (1). Bref, à maints égards, la juridiction d'exception est le déguisement juridique d'un règlement de compte.
3) Il serait toutefois abusif de s'en tenir à cette première impression,
et des tribunaux d'exception ont vu le jour dans un tout autre esprit, pour des
raisons variées, dont le dénominateur commun est de conduire à une justice
plus clémente. Cette idée d'indulgence est illustrée, sous l'Ancien Régime, pour
cause de privilège, par la justice ecclésiastique, plus sensée et plus savante que
la justice séculière de droit commun dont elle n'avait pas les procédés barbares :
on sait que l'Église n'admit pas le duel judiciaire. Mais la lutte du pouvoir
séculier contre les officialités réduisit leur compétence de façon continue. De
nos jours, une autre manifestation de cet esprit d'indulgence suit une évolution
inverse et concerne les mineurs. Jusqu'en 1912, la seule particularité procédurale
consistait à éviter à un enfant auteur d'un crime la comparution devant les
assises et le tribunal correctionnel était compétent. La spécialisation apparaît
avec la loi du 22 juillet 1912 qui défère au tribunal civil les mineurs de 13 ans
coupables d'un crime, d'un délit ou d'une contravention commise en état de
récidive, et au tribunal pour enfants et adolescents les mineurs de 13 à 18 ans
poursuivis pour délits et ceux de 13 à 16 poursuivis pour crimes. Avec l'ordonnance du 2 février 1945,le mouvement prend une autre dimension.
4) L'hétérogénéité et l'abondance des juridictions d'exception ont
incité à procéder à des classifications. Depuis Faustin Hélie (2), on distingue
ainsi trois catégories de juridictions d'exception : les juridictions spéciales,
notamment nùlitaires et pour mineurs, dont les membres ont des connaissances
particulières pour juger de problèmes souvent techniques ; les juridictions
politiques, chargées de juger de hauts personnages de l'État lorsqu'ils commettent des infractions graves dans l'exercice de leur charge ; et enfin les juridictions extraordinaires, nées d'évènements exceptionnels et qui disparaissent avec
les circonstances qui les ont motivées (3). On peut aussi opposer, seconde
classification possible, variante de la précédente, les juridictions permanentes et
temporaires. Un autre critère de distinction peut également être proposé, à
savoir le caractère politique de l'organe, ce qui amène à distinguer juridictions
politiques et techniques. A la réflexion, aucune de ces classific.ations n'est
(1)
Sautel, Histoire des institutions publiques depuis la Révolution française, n. 348.
(2) Traité de l'instruction criminelle, V, n. 2397.
(3) Voir Merle et Vitu, Procédure pénale, 3e éd., n. 1327 à 1330.
�59
pleinement satisfaisante. Les juridictions extraordinaires, par exemple, ne sont
pas toutes temporaires, témoins les cours spéciales du Code d'instruction
criminelle. A évoquer le critère politique, les juridictions militaires suscitent
l'embarras, étant à la fois techniques et politiques. Quant à l'opposition juridictions permanentes et occasionnelles, force est de constater que les secondes,
qui n'existent plus depuis plus de vingt ans, ne méritent guère l'honneur de
toute une partie dans une étude qui veut refléter dans une large mesure l'actualité. Il nous paraît donc préférable de faire référence à la finalité poursuivie
par les juridictions d'exception qui sont des instruments de politique criminelle
(4). Ces instruments peuvent être des instruments d'indulgence (I), mais aussi
de rigueur (II).
1. - Les juridictions d'exception instruments d'indulgence
5) Depuis 1945, l'indulgence se traduit dans deux domaines, qui ne
sont pas nouveaux, mais d'inégale importance. Les juridictions constitutionnelles
prévues par les Cônstitutions de 1946 et 1958 pour juger les plus hauts personnages de l'État méritent doublement le qualificatif de juridictions d'exception,
puisqu'elles n'ont jamais fonctionné. On peut s'en réjouir, mais tout porte à
penser que leur réglementation a été conçue pour ce résultat. Au contraire, les
juridictions pour mineurs ne chôment pas : annuellement environ 65 000
mineurs sont poursuivis et 55 000 jugés. C'est beaucoup pour un droit d'exception qui peut apparaître à maints égards comme un pré-droit commun. De toute
façon, les juridictions pour mineurs ont pour mission de mettre en œuvre une
réaction sociale modulée, souple, dont les sanctions pénales, édulcorées, ne
sont que l'une des facettes. A l'indulgence calculée qu'incarnent les juridictions
politiques constitutionnelles (A) s'oppose l'indulgence déclarée que symbolisent
les juridictions pour mineurs (B).
A - L'indulgence calculée
6) Au niveau de la compétence, les Hautes Cours de justice de 1946
et 1958 sont sœurs jumelles, puisque relèvent de leur juridiction le président de
la République en cas de haute trahison et les ministres pour crimes ou délits
commis dans l'exercice de leurs fonctions et déjà ici transparaît l'indulgence. Il
est normal, dira-t-on, de proclamer l'immunité du Chef de l'État qui disparaît
au seul cas de haute trahison, notion qui d'ailleurs échappe au principe de la
légalité criminelle (5), ce qui n'est pas forcément un signe favorable. L'objection
ne résiste guère à l'examen : d'abord la haute trahison est quasiment une hypothèse d'école ; ensuite, la latitude réservée à la Cour n'implique aucunement
(4) Cet exposé ne mentionnera pas les tribunaux maritimes commerciaux compétents
pour juger certains délits commis en matière maritime ni les tribunaux civils et administratifs qui peuvent être exceptionnellement appelés à exercer une fonction répressive, en raison de la médiocre gravité des infractions considérées. V. Stéfani, Levasseur
et Bouloc, Procédure pénale, 12e éd., n. 392 et 394.
(5) Merle et Vitu, op. cit., n. 859.
�60
qu'elle s'exercerait dans le sens obligé de la rigueur. A propos des ministres,
la Cour de cassation s'est ingéniée à accentuer le privilège de juridiction que
leur reconnaît l'article 68 al. 2 de l'actuelle Constitution. Ce texte énonce que
la compétence de la Haute Cour «leur est applicable ainsi qu'à leurs complices
dans le cas de complot contre la sûreté de l'Etat». La lettre stricte impose la
compétence de la Haute Cour seulement en cas de complot ; mais, pour la
Chambre criminelle, il faut interpréter ainsi la Constitution : la procédure
prévue par celle-ci est applicable aux ministres quelle que soit l'infraction
commise dans l'exercice des fonctions et elle l'est également à leurs complices en cas de complot (6). La juridiction des tribunaux de droit commun
est donc éliminée par la Cour de cassation, ce qui est tout de même un comble
alors qu'il n'en était pas ainsi sous la Ne République. Enfin, la Haute Cour est
actuellement tenue par le principe de la légalité criminelle en ce qui concerne
les membres du gouvernement : l'article 68 de la Constitution édicte en effet,
qu'elle «est liée par la définition des crimes et délits ainsi que par la détermination des peines telles qu'elles résultent des lois pénales en vigueur au moment
où les faits ont été commis». C'est une importante garantie pour les ministres
dont la responsabilité pénale est moins inimaginable que celle du chef de l'Etat :
il suffit de songer aux délits de diffamation, de dénonciation calomnieuse ou de
discrédit jeté sur la justice.
7) Un rapide survol de l'organisation et de la procédure suivie devant
les deux Hautes Cours corroborera l'impression d'indulgence -de connivence
diraient de méchantes langues- qui domine toute la matière. La Haute Cour de
1946 est composée pour les 2/3 de membres de l'Assemblée Nationale et pour
1/3 de membres choisis par elle hors de son sein ; celle de 1958 comprend un
nombre égal de membres de l'Assemblée Nationale et du Sénat élus par ces
assemblées. La Cour ne peut donc être que dominée par la majorité parlementaire qui soutient le gouvernement. La formation d'instruction, il est vrai, ne
ressemble pas à celle de jugement : composée pour 1/3 de magistrats et 2/3
de parlementaires sous la Constitution de 1946, elle est désormais uniquement
formée de magistrats de la Cour de cassation désignés l:Jar le bureau de cette
juridiction. On retrouve un tel progrès au sujet du ministère public composé
aujourd'hui de membres du parquet de la Cour de cassation alors qu'auparavant
il était choisi par l'Assemblée Nationale dans ou hors de son sein. Cette timide
«judiciarisation» de l'institution ne doit toutefois pas leurrer, car la formation
de jugement demeure politique, sans compter quelques remarquables particularités de procédure.
8) Le point essentiel consiste dans le monopole conféré à l'organe
parlementaire dans la mise en mouvement des poursuites : Assemblée Nationale
à partir de 1946, Parlement tout entier depuis 1958. Les deux Constitutions
utilisent une formule peu orthodoxe en visant «la mise en acousatiom> de
l'intéressé. A dire vrai, le monopole n'existe que depuis 1958 alors qu'avant, les
juridictions ordinaires étaient compétentes pour connaître des infractions
(6) Crim. 14 mars 1963, B. n. 122; 7 mai 1963, B. n. 166; 7juin1963, G. P. 1963, 2,
283 ; 9 juillet 1984, B. n. 256, v. aussi Foyer, La Haute Cour de justice, Rép. dr. pén.
proc. pén. Dalloz, n. 46.
�61
commises par les ministres, sauf intervention d'une décision de mise en accusation. Dans plusieurs arrêts (7), la Chambre criminelle a désormais expressément
interdit toute initiative des poursuites au ministère public ou à la victime ;
sinon, la mise en accusation, semble-t-il, perdrait sa raison d'être qui est de
protéger les ministres contre le prurit procédurier de nombreux citoyens.
L'organe d'instruction prévu par chaque Constitution possède les fonctions
d'instruction et de mise en accusation au sens normal ; il prend des actes qui ne
sont susceptibles d'aucun recours et statue sur les nullités de l'instruction. La
procédure suivie devant lui était accusatoire en 1946 mais actuellement elle
obéit aux règles du droit commun (8). Si le renvoi est décidé devant la formation de jugement, celle-ci suit la procédure applicable devant le tribunal
correctionnel jusqu'à la clôture des débats, mais lors de la délibération transparaît l'influence de la procédure suivie aux assises (9). La constitution de
partie civile n'est plus recevable aujourd'hui alors qu'elle était autorisée sous la
Ne République (IO). Toute voie de recours est bien entendu exclue.
9) Au total, les juridictions constitutionnelles politiques contemporaines ne sont pas dépourvues de qualités, puisque leur procédure fait des
emprunts non négligeables au droit commun tout en tenant compte des hautes
responsabilités des intéressés. Leur grande faiblesse est leur composition parlementaire, gage d'une mansuétude plus que probable ; voire, en cas de renversement de majorité d'une rigueur excessive. On a avancé en faveur du système
que des magistrats professionnels, dont la carrière dépend de l'exécutif,
n'auraient pas la sérénité voulue devant un délinquant qui peut demain avoir le
pouvoir (11). Le mal réside surtout dans le monopole conféré au Parlement
dans le déclenchement des poursuites : l'éventuelle mise en œuvre de la répression est ravalée au niveau d'un débat politique où l'opposition demande la mise
en accusation que la majorité est trop contente de lui refuser. La justice n'a
rien à gagner dans cette atmosphère de passions politiques exarcerbées. A
proposer un remède, il nous semble souhaitable de conférer et le déclenchement
de l'œuvre de répression et toute la procédure ultérieure y compris l'instruction
définitive à des juges professionnels. On pourrait songer à un organe de jugement composé en nombre égal de conseillers d'Etat, de conseillers à la Cour de
Cassation et de membres du Conseil constitutionnel. Une telle assemblée de
sages, dont une formation allégée prononcerait la mise en accusation sur saisine
d'un nombre assez important -à fixer- de parlementaires, mettrait sans doute
fin à l'immunité de fait dont jouissent les ministres.
(7) Précités.
(8) Vitu, Procédure pénale, 1957, p. 332 et 333 ; Merle et Vitu, op. cit., n. 1301 ~
(9) Vitu, op. cit., p. 372 ; Merle et Vitu, op. cit., n. 1457.
(10) Merle et Vitu, op. et loc. cit.
(11) Merle et Vitu, op. cit., n. 1329.
�62
B - L'indulgence déclarée
10) Le droit pénal des mineurs, c'est un lieu commun de le dire, est
beaucoup plus favorable que le droit commun avec, pour les mineurs de 13 ans,
l'irresponsabilité, et pour les autres, l'excuse atténuante de minorité et l'interdiction de la contrainte par corps ; plus une impressionnante cohorte de
mesures de sûreté destinées à tenter de remettre le mineur dans le droit chemin.
Pour ce faire, il était inconcevable de s'adresser à des juridictions classiques, en
raison de leur label indélébile d'organes répressifs devant lesquels la seule
comparution peut être néfaste. Il fallait des organes spécialisés, se décidant en
fonction de ce qu'est le mineur et non de ce qu'il a fait. L'ordonnance du 2
février 1945 a parachevé une évolution commencée au début du siècle. Il est
utile de faire quelques remarques sur diverses manifestations d'indulgence qui
caractérisent l'organisation et la procédure des juridictions pour mineurs
avant d'exposer quelques projets de réformes.
11) Trois organes spécialisés existent. La cheville ouvrière est le juge
des enfants, «magistrat paternel» (12) qui, pour les besoins de la cause, met en
échec le célèbre principe de séparation des autorités d'instruction et de jugement.
Il est en effet compétent pour instruire sur les délits et les contraventions de
la cinquième classe, et pour juger ces affaires, auquel cas il ne peut prononcer
contre le mineur qu'une mesure d'éducation ou de surveillance n'entraînant pas
son placement dans un établissement d'éducation surveillée. Le gros inconvénient du système est la concurrence qui existe entre juge d'instruction de droit
commun et juge des enfants. Il arrive ainsi fréquemment que le second, initialement saisi, s'aperçoit de la complexité de l'affaire où par exemple des majeurs
sont impliqués et se dessaisit au profit du premier, si bien que l'affaire ne
retrouvera le giron des juridictions pour mineurs qu'au stade du jugement.
Ensuite, s'il s'agit d'un crime, le juge des enfants est tenu de se dessaisir, juge
d'instruction et chambre d'accusation étant seuls compétents pour diligenter
l'information. Sans doute ces règles s'expliquent-elles par les préoccupations
majeures du juge des enfants qui doivent rester d'ordre psychologique ; mais il
n'en demeure pas moins un magistrat du T. G. 1. Sans doute l'éclipse de la
juridiction pour mineurs est-elle provisoire ; mais l'instruction n'est pas une
phase mineure du procès. Il est regrettable que le législateur se soit ici arrêté à
mi-chemin.
12) Le tribunal pour enfants -compétent pour juger les contraventions de la cinquième classe et les délits commis par les mineurs de 18 ans et les
crimes commis par ceux de 16 ans-, la chambre spéciale de la cour d'appel,
juridiction d'appel, et la cour d'assises des mineurs -qui juge les crimes commis
par les mineurs de 16 à 18 ans- suscitent moins de critiques. S'agissant du
premier, il est ingénieux d'associer au juge des enfants deux assesseurs non
magistrats ; malheureusement, dans les faits, ces assesseurs déçoivent fréquem(12) Merle et Vitu, op. cit., n. 1334.
�63
ment et font de la figuration, ce qui malmène quelque peu le principe de la
· collégialité. La chambre spéciale de la cour d'appel, qui ne comporte qu'un
magistrat spécialisé sur trois -le conseiller délégué à la protection de l'enfancene mérite pas d'observations particulières. Enfin, la cour d'assises des mineurs
est une adroite combinaison, quant à sa composition, de garanties de deux
ordres : le jury, garantie optimale de droit commun, et la présence de deux
assesseurs juges des enfants au sein de la cour proprement dite. Cette organisation date d'une loi du 24 mai 1951 ; 1'ordonnance de 1945 avait prévu une
cour d'assises exceptionnelle composée du tribunal pour enfants renforcé d'un
jury de sept membres, formation gênante dans la mesure où il était impossible
d'attraire devant elles des majeurs co-auteurs ou complices, ce qui est désormais
réalisable. Quoique juridiction d'exception, la cour d'assises des mineurs ne
mérite-t-elle pas un traitement spécial, en raison de son jury identique à celui
de son homologue de droit commun ? La question s'est ainsi posée de savoir si
elle possède la plénitude de juridiction lui permettant par exemple de juger un
mineur de 16 ans qu'une chambre d'accusation lui renverrait par erreur. La
Cour de cassation ne l'a pas voulu (13), ce qui peut être contesté, puisque la
cour d'assises des mineurs allie les garanties du droit commun et du droit des
mineurs. On notera enfin que la compétence des juridictions pour mineurs est
d'ordre public (14) : un tribunal correctionnel ne saurait s'affirmer compétent
au détriment d'un tribunal pour enfants (15), une chambre des appels correctionnels au détriment de la chambre spéciale (16) et une chambre d'accusation
ne saurait renvoyer un mineur de 16 à 18 ans devant une cour d'assises normale
(17).
13) La procédure suivie devant les juridictions pour mineurs se veut
très protectrice. D'importantes restrictions sont ainsi apportées en matière de
détention provisoire qui est exceptionnelle (18). D'autre part, l'ordonnance de
1945 impose une publicité réduite pour sauvegarder la personnalité du mineur
et l'intimité de sa famille. Le juge des enfants rend son jugement en chambre
du conseil, comme la chambre spéciale lorsqu'elle statue sur l'appel formé
contre sa décision (19) : sont uniquement présents le mineur, ses parents ou
tuteurs ou gardien, son avocat, le représentant du parquet et ceux des services
qui ont connu de l'affaire. Pour les autres juridictions, la pub~cité est également
restreinte : sont admis à assister aux débats, les témoins, les proches parents, le
tuteur ou le représentant légal du mineur, les membres du barreau, les représentants des institutions s'occupant des enfants et les délégués à la liberté surveillée.
Par ailleurs, l'ordo~ance pose une interdiction générale de publication des
(13) Crim. 21mars1957, B. n. 281 ; 29 juillet 1963, B. n. 268.
(14) Crim. 19 décembre 1946, B. n. 246.
(15) Crim. 24mai1951, B. n. 142; 25 avril 1978, B. n.129.
(16) Crim. 3 décembre 1957, B. n. 793.
(17) Crim. 14 mars 1973, B. n. 128.
(18) Pour les détails, v. Merle et Vitu, op. cit. n. 1193.
(19) Crim. 6 février 1973, B. n. 64 ; 28 novembre 1973, B. n. 443.
�64
débats, cle l'identité et de la personnalité des mineurs, à peine de sanctions
correctionnelles. Seul le jugement est rendu en audience publique et peut être
publié sans indication du nom du mineur, même par une initiale, à peine
d'amende.
Parmi les autres traits procéduraux on peut noter les suivants. Par
dérogation au droit commun, l'assistance d'un conseil aux interrogatoires et
confrontations du mineur est obligatoire ; de même la présence du défenseur
est obligatoire au stade du jugement. On remarquera aussi que certaines modifications procédurales allant dans le sens d'une répression accrue ont été déclarées étrangères aux mineurs, ainsi la saisine directe instaurée par la loi du 2
février 1981 et la comparution immédiate que lui a substituée la loi du 10 juin
1983. Au demeurant, ces précisions sont superflues puisque l'ordonnance de
1945 impose l'instruction à partir des contraventions de la cinquième classe.
14) On ne saurait nier les nombreux aspects positifs de l'ordonnance
de 1945 ; mais rien n'est parfait. On l'a déjà constaté au sujet des rapports
juge d'instruction - juge des enfants. Ne serait-il pas avisé de donner à celui-ci
une compétence exclusive en matière d'instruction, y compris pour les crimes ?
Ne faudrait-il pas prévoir, au sein de la chambre d'accusation, la présence d'un
conseiller spécialisé dans les questions de l'enfance ? En ce qui concerne le
tribunal pour enfants et la cour d'assises des mineurs, un auteur a déjà proposé
certaines modifications (20). La composition actuelle du tribunal a l'inconvénient d'empêcher toute jonction des procédures lorsque des majeurs sont
impliqués : d'où l'intérêt de faire juger majeurs et mineurs par un organe
composé de trois magistrats, dont le juge des enfants et deux assesseurs du
tribunal pour enfants (21). Quant à la cour d'assises des mineurs, il n'est pas
interdit de mettre en doute la compétence du jury pour statuer sur des problèmes de rééducation (22). Mais il ne faut pas oublier qu'il n'est pas seul et
que le bon sens populaire peut avoir une heureuse influence, car la justice des
seuls techniciens n'est pas forcément toujours la meilleure.
15) Deux commissions se sont récemment penchées sur la refonte
du droit des mineurs. La première, présidée par M. Costa, a élaboré en 1977 un
«Avant-projet de loi relatif à la prise en charge de la jeunesse délinquante ou en
danger» (23). A s'en tenir aux seules propositions du texte sur les juridictions
pour mineurs, le projet innove modérément. Le juge des enfants devient le
juge de la jeunesse et le tribunal pour enfants le tribunal pour mineurs ; la cour
d'assises des mineurs est conservée et toutes ces instances gardent leurs règles
de compétence respectives. La proposition la plus intéressante consiste dans la
prééminence du juge de la jeunesse lors de l'instruction. Si un juge d'instruction a été saisi, il doit se dessaisir dans un délai de dix jours au profit du juge
(20) Vitu, Réflexions sur les juridictions pour mineurs délinquants, in Mélanges Hugueney,
p. 239 S.
•
(21) Vitu, art. préc., p. 249.
(22) Vitu, art. préc., p. 245.
(23) Voir le texte de cet avant-projet in Rev. se. crim. 1979, 768.
�65
de la jeunesse. On notera aussi que ce dernier, au terme de son instruction,
pourra prendre une ordonnance de non-lieu, ce qui curieusement est interdit au
juge des enfants.
La seconde commission, présidée par M. Martaguet, dont les travaux
ont été diffusés en 1982 et 1983, s'oriente vers de plus grands changements
(24). La cour d'assises des mineurs est supprimée et remplacée par une formation spéciale du tribunal de la jeunesse : trois juges de la jeunesse assistés de
quatre assesseurs tirés au sort. Un appel est prévu devant une chambre de la
cour d'appel présidée par un conseiller à la protection de l'enfance assisté de
deux conseillers et de quatre assesseurs. L'existence d'un second degré de
juridiction s'explique par la suppression du jury. Le tribunal pour enfants est
baptisé tribunal_ de la jeunesse et il perd l'exclusivité des décisions de placement
et pour partie du prononcé des peines d'amende au profit du juge de la jeunesse.
Au niveau de la procédure d'instruction, la commission propose, à l'inverse de
sa devancière, le dualisme de magistrats instructeurs, tempéré par le renvoi de
tout dossier correctionnel en jugement par le seul juge de la jeunesse. En
matière correctionnelle, la procédure ne doit pas excéder un an entre la saisine
du magistrat instructeur et la décision de jugement, faute de quoi le prononcé
d'une peine est impossible.
16) De ce qui précède, droit positif et projets de réforme, il ressort
que les juridictions pour mineurs sont enracinées dans notre droit ; et les
préoècupations qui animent les réformateurs sont une plus grande spécialisation des instances compétentes, une meilleure connaissance du délinquant et
une libéralisation encore plus accentuée (avec suppression, dans les deux
projets, de la détention provisoire pour les moins de 16 ans). Hormis quelques
divergences de détail, se manifeste donc un consensus quasi-unanime. Les juridictions pour mineurs sont des juridictions d'exception bien-aimées de tous,
juristes et opinion publique. Mais elles sont bien les seules à jouir d'une telle
cote. Lorsque les juridictions d'exception sont instaurées pour accroître la
répression, elles deviennent objets de polémique et souvent d'aversion.
II - La juridictions d'exception instruments de rigueur
17) De tous temps, il est apparu que l'armée devait posséder ses
propres tribunaux chargés d'appliquer le droit pénal militaire. La justice
militaire répressive doit être rapide et exemplaire pour sauvegarder la discipline et aussi, dans certains cas, l'intégrité et la sûreté de l'Etat. Il n'empêche
que la justice militaire s'est progressivement rapprochée du droit commun dont
elle subit l'influence croissante. Et la Cour de sûreté de l'Etat, juridiction
originale tant décriée, n'échappe pas à ce courant dont l'aboutissement est la
réforme survenue en 1982. Ce droit procédural d'exception se caracténse par
sa rigueur mesurée (A). En revanche, les périodes troublées qu'a connues la
(24) Voir Martagu~t, Le nouveau droit des mineurs, rapport fait au VIe Congrès de l' Association française de droit pénal, Montpellier, novembre 1983.
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France aux lendemains de la Seconde Guerre Mondiale et lors des événements
d'Algérie ont donné naissance à des juridictions temporaires de sinistre
mémoire pour la plupart. C'était le règne de la rigueur démesurée (B).
A - La rigueur mesurée
18) De 1945 à 1982, les juridictions militaires n'ont pas subi de
spectaculaires transformations. Jusqu'au Code de justice militaire de 1965
commun aux trois armes, les grandes lignes sont les suivantes. Les tribunaux
militair~s et les tribunaux maritimes sont remplacés en 1953 par les tribunaux
permanents des forces armées. En temps de paix, ceux-ci, composés d'un magistrat civil, président, et de six assesseurs militaires, connaissent à l'égard de
toutes personnes des .infractions à la sûreté extérieure de l'État sauf certaines
atteintes à l'unité nationale (art. 80 C. P.) et à l'égard des militaires des infractions militaires et des crimes et délits de droit commun commis dans le service,
dans un établissement militaire ou chez l'hôte. En temps de guerre, où existent
en outre des tribunaux militaires aux armées composés de militaires, la compétence des juridictions militaires s'élargit de façon assez complexe (25). Notons
simplement que toutes les infractions contre la sûreté extérieure de l'État sont
de leur ressort ainsi que tous les crimes et délits commis par des militaires
méme hors du service. On constate encore un élargissement de la compétence
des juridictions militaires en certaines périodes d'exception : état de siège
(L. 8 août 1849) et état d'urgence (L. 3 avril 1955).
Au niveau procédural, les juridictions militaires présentent des
traits originaux mais portent aussi la marque du droit commun. Ainsi, en temps
de paix, l'instruction est en principe toujours obligatoire et elle est menée par
un juge d'instruction militaire qui applique des règles très voisines de celles du
Code d'instruction ·criminelle et de la loi de 1897. Mais l'action publique ne
peut être mise en mouvement que par le général commandant la circonscriptiol\ territoriale. Le rôle du ministère public est tenu par un commissaire du
gouvernement. Il existe une chambre d'accusation qui a la particularité d'avoir
parmi ses membres un officier : elle est juge d'appel des ordonnances du juge
d'instruction et juridiction d'instruction du second degré en matière criminelle ;
son arrêt de renvoi au tribunal militaire en cas de crime est indicatif de compétence (26). En temps de guerre, la chambre d'accusation militaire ou maritime
est supprimée, et devant les tribunaux militaires aux armées, on peut employer
la citation directe y compris en matière criminelle. S'agissant de la procédure
de jugement, elle est imitée de celle des assises du moins devant les tribunaux
permanents des forces armées (27). En temps de paix, les pourvois sont portés
devant la Chambre criminelle de la Cour de cassation sauf s'il y a état de siège
(25) Voir Vitu, Procédure pénale, p. 111.
(26) Voir Jeandidier, La juridiction d'instruction du second degré, 1982, n:22 à 24, 240.
(27) Vitu, op. cit., p. 373 ; sur la procédure des tribunaux aux armées, v. P. Hugueney,
Traité théorique et pratique de droit pénal et de procédure pénale militaire, 1933,
n. 153 et 154.
�67
où existent des tribunaux de cassation permanents. En temps de guerre, il
existe un tribunal de cassation auprès de chaque armée composé de militaires,
à la différence des précédents, mixtes.
19) Le Code de justice militaire de 1965 n'a pas bouleversé la matière. En temps de paix existent des tribunaux permanents des forces armées
(28) qui comprennent une chambre de jugement composée de deux magistrats
civils et de trois juges militaires et une chambre de contrôle de l'instruction
composée de deux magistrats civils et d'un officier. On retrouve le particularisme signalé plus haut pour la mise en mouvement des poursuites. On notera
aussi que le justiciable peut être privé de liberté pendant une période maximale de cinq jours en vertu d'un ordre d'incarcération provisoire émanant de
l'autorité qualifiée pour engager les poursuites, avant sa décision sur la suite à
donner à l'affaire. S'il y a traduction directe devant le tribunal, le parquet a
le pouvoir de confirmer un tel ordre d'incarcération provisoire pour au plus
soixante jours. Le juge d'instruction militaire, qui n'est obligatoirement saisi
que s'il y a crime ou si la personne soupçonnée est mineure, est compétent
pour ordonner le renvoi en jugement y compris en cas de crime. L'inculpé,
autre particularité notable est tenu d'avoir un défenseur et la détention provisoire a un caractère illimité. Le rôle de la chambre de contrôle de l'instruction
est assez restreint : elle est juge d'appel des ordonnances rendues par le juge
d'instruction, elle est compétente pour prononcer la nullité d'actes de l'instruction (29).La procédure suivie devant elle est rigoureusement inquisitoire. La
procédure de jugement est proche de celle des assises. La compétence du
tribunal permanent des forces armées est la suivante : à l'égard des militaires,
toutes les infractions militaires non liées à une entreprise dirigée contre la
sûreté de l'Etat et toutes les infractions de droit commun commises dans un
établissement militaire ou dans le service. Si uu co-auteur ou complice est un
civil, la juridiction de droit commun devient compétente pour tous les prévenus.
Le seul recours est le pourvoi en cassation porté devant la Chambre criminelle.
Il faut encore noter qu'il existe des tribunaux militaires aux armées, composés
de militaires, compétents pour toutes les infractions commises par les membres
des forces armées et les civils employées par les armées. En temps de guerre, on
retrouve des règles traditionnelles, puisque la compétence des juridictions
militaires est élargie : elle englobe toutes les infractions contre la sûreté de
l'État quels qu'en soient les auteurs, tous les faits qui en temps de paix seraient
jugés par les tribunaux militaires aux armées et les crimes et délits commis par
des nationaux ennemis ou agents au service de l'ennemi, à l'encontre d'un
national (30). Naturellement des extensions de compétence.existent encore en
cas d'état de siège ou d'état d'urgence. Vouloir dresser un bilan conduit à la
(28) Un Haut tribunal permanent des forces armées existe pour les maréchaux, amiraux et
généraux.
(29) Voir Jeandidier, op. cit., n. 256 et 268.
(30) Il existe encore aux armées des tribunaux prévôtaux chargés de juger des infractions
mineures: v. C. J. M. art. 457 s.
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conclusion suivante : le code de 1965 se rapproche et s'éloigne à la fois du
droit commun : si les tribunaux de cassation sont supprimés, la chambre
d'accusation l'est aussi ; mais, d'une façon générale, la procédure fait toujours
de substantiels emprunts aux règles normales. Peu avant leur suppression, les
tribunaux permanents des forces armées rendaient annuellement environ 9 000
jugement.
20) Instituée par deux lois du 15 janvier 1963, la Cour de sûreté de
/'État est une illustration typique d'une juridiction d'exception efficace mais
devant laquelle les droits de la défense ne sont pas bafoués (31). Elle trouve
son origine dans la nécessité de prévoir un organe durable pour lutter contre
divers moyens de subversion contre lesquels les tribunaux militaires ne sont pas
toujours bien préparés. Quant à l'idée de déférer les crimes politiques aux assises,
des événements récents avaient démontré la vulnérabilité des jurés aux menaces
(32). Des sectateurs du projet gouvernemental, non sans cynisme, ont présenté
la nouvelle juridiction comme de droit commun, ce qui est une «hérésie juridique» (33). La compétence de la Cour de sûreté de l'État est limitée au temps
de paix et s'étend à toutes les infractions contre la sûreté de l'État ou contre
l'autorité de l'État commises par des majeurs ou des mineurs de 16 à 18 ans. La
Cour comprend une chambre de jugement permanente où les magistrats civils
sont prépondérants (trois sur cinq) ; en cas d'abondance des affaires, des
chambres temporaires peuvent être créées. Il existe aussi une chambre de
contrôle de l'instruction permanente composée de trois magistrats civils. Le
ministère public est représenté par des magistrats civils et, chose remarquable,
le réquisitoire introductif doit être précédé d'un ~rdre du Garde des Sceaux.
L'instruction, diligentée par un juge d'instruction magistrat civil, suit en gros
les règles du droit commun sous réserve d'une détention provisoire illimitée
jusqu'en 1970. Si ce juge estime qu'il existe des charges suffisantes, dérogation
remarquable aux principes normaux, il ne peut pas renvoyer directement
l'inculpé devant la chambre de jugement : il rend une ordonnance de. déclaration de charges suffisantes et alors intervient le gouvernement qui peut décider
le renvoi en jugement par un décret de mise en accusation, la cour étant saisie
par citation directe dÙ ministère public. La chambre de contrôle de l'instruction statue sur l'appel interjeté contre les ordonnances du juge d'instruction
(appel curieusement dénommé «référé») et sur les requêtes en annulation
d'actes irréguliers : sur tous ces points la supériorité du parquet est écrasante.
La procédure devant la formation de jugement est mixte, empruntée à la cour
d'assises avant et après les débats, et au tribunal correctionnel pendant. La
constitution de partie civile est admise au seul stade du jugement. Trois voies
de recours sont ouvertes : opposition, pourvoi en cassation et révision.
(31) Voir Levasseur, La Cour de sûreté de l'Etat, G. P. 1963, 1, 26 s. ; Vitu, Une nouvelle
juridiction d'exception : la Cour de sûreté de l'Etat, Rev. se. crim. 1964, 1 ; Vouin,
La Cour de sûreté de l'Etat, J. C. P. 1963, 1, 1764.
(32) Voir Vitu, art. préc., p. 4, note 1.
(33) Vitu, art. préc., n. 8.
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Quoique ayant fonctionné dans des conditions satisfaisantes, et à
· raison d'une vingtaine d'affaires par an, la Cour de sûreté de l'État n'a pas été
épargnée par les critiques. La nùse en accusation mélange ainsi pouvoir judiciaire et pouvoir exécutif. Les délais de garde à vue paraissent exorbitants :
dix jours, réduit à six à partir de 1970, en temps normal; quinze jours réduits
à douze en 1970 lorsqu'il y a état d'urgence. La compatibilité des lois de 1963
avec la Convention européenne des droits de l'homme demeure douteuse (34).
Il n'est donc pas étonnant que la Cour de sûreté de l'État, sorte d'épouvantail,
aît été l'une des prenùères victimes du changement politique de 1981 puisque
elle a été supprimée par la loi du 4 août de cette même année. En attendant
que les juridictions militaires rubissent le même sort qui leur était pronùs pour
bientôt, un système de transition voit le jour. Les tribunaux de droit commun
se voient transférer compétence pour juger toutes les infractions politiques en
temps de paix sauf certaines infractions graves (trahison, espionnage, atteinte à
la défense nationale) et lorsqu'il y a risque de divulgation d'un secret de la
défense nationale, auquel cas la juridiction militaire dévient compétente (35).
Cette disposition est intéressante car elle traduit l'incapacité congénitale de la
juridiction de droit commun pour connaître de toutes les infractions politiques.
Les juridictions d'exception ont la vie dure et le proche avenir devait le
démontrer.
21) La loi du 21 juillet 1982 constitue la seconde étape dans la
suppression des juridictions d'exception figurant au programme de la nouvelle
majorité : les tribunaux permanents des forces années rejoignent, en temps de
paix, la Cour de sûreté de l'État aux oubliettes (36). Mais parler d'alignement
sur le droit commun est impossible car les particularismes sont encore légion.
D'abord, en temps de guerre, la juridiction militaire renaît de ses cendres :
il s'agit des tribunaux te"itoriaux des forces armées composés de deux magistrats civils et de trois juges militaires ; ces tribunaux peuvent également être
créés en cas d'état de siège ou d'urgence. Ces organes connaissent des infractions militaires ou commises par des militaires et de celles contre la sûreté de
l'État. Les règles procédurales sont comparables à celles prévues par l'ancien
code. Peuvent encore être créés des tribunaux militaires aux armées composés
de cinq juges militaires copiés de leurs ancêtres. Le Garde des Sceaux a ainsi
justifié la survie de tout cet arsenal : «Dans le temps de l'exception, l'impératif
de survie de la collectivité nationale l'emporte sur toute autre considération»
(37). Cet hommage a dû paraître incongru aux nombreux adversaires de la
juridiction militaire. En temps de paix, on retrouve d'abord les tribunaux
militaires aux armées, ainsi lorsque les années stationnent ou opèrent hors
(34) Voir Merle, La Convention européenne des droits de l'homme et la justice pénale
française, D. 1981, Chron., 227.
(35) Voir Bouloc, Chron. lég., Rev. se. crim. 1982, 159.
(36) Voir Bouloc, Chron. leg., Rev. se. crim. 1983, 109 ; Jestaz, Chron. leg., Rev. trim.
dr. civ., 1982, 819 ; Stéfani, Levasseur et Bouloc, op. cit., n. 387 s.
(37) J. O. Déb. Ass. Nat. 1982, p. 1128.
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de France. Il existe encore un tribunal des forces armées siégeant à Paris connaissant en certaines circonstances d'infractions commises à l'étranger (38).
L'innovation fondamentale concernant toutes ces juridictions militaires, est la
possibilité reconnue à la victime de porter devant elles son action civile, ce qui
lui était autrefois refusé ; mais elle ne peut pas mettre en mouvement l'action
publique car on redoute les constitutions abusives de partie civile aux fins de
déstabilisation de l'armée. On notera que la détention provisoire est illimitée
et que la Chambre criminelle coiffe le système.
22) Toujours en temps de paix, et c'est la règle normale cette fois, il
n'y a plus de juridictions militaires et les tribunaux de droit commun sont
désormais compétents pour les infractions qui étaient auparavant du ressort des
tribunaux permanents des forces armées ; ce qui promet des décisions enfin
motivées. Mais le nouvel article 697 C. P. P. énonce que dans la circonscription
de chaque cour d'appel, un tribunal de grande instance est compétent pour
l'instruction et, s'il s'agit de délits, le jugement des infractions visées par
l'article 697-1 C. P. P., savoir les infractions militaires et les crimes et délits
commis dans l'exécution du service par les militaires. Quoique spécialisée,
à l'instar de ce qui existe depuis 197 5 en matière économique et financière,
cette formation du T. G. 1. n'est pas une juridiction d'exception. A l'inverse, il
n'en va plus de même pour le jugement des crimes définis par le Code de
justice militaire et ceux contre la sûreté de l'État ainsi que ceux de droit
commun commis dans l'exercice du service par les militaires s'il existe un
risque de divulgation d'un secret de la défense nationale. Une cour d'assises
sans jurés, composée de sept magistrats est en effet compétente. Il s'agit d'une
véritable juridiction d'exception (39), voire d'un monstre juridique puisqu'il
obéit aux règles du droit commun et paraît notamment jouir de la plénitude de
juridiction, notion qui s'explique par la présence d'un jury. D'ailleurs, le seul
fait de parler d'une cour d'assises sans jury est un non-sens. Au niveau procédural, on remarquera que, comme pour les juridictions militaires, l'action
publique ne peut être mise en mouvement par la victime. Le ministère public
d'ailleurs doit demander l'avis du ministre chargé de la défense ou de l'autorité
militaire.
23) Le nouveau droit positif mérite-t-il l'approbation ? Malgré les
apparences, il ne rompt pas avec le passé car il prend en considération à maints
égards la nécessité d'une répression accentuée quoique proche du droit
commun. Mais le vice fondamental du nouveau système est d'avoir voulu sacrifier les droits d'exception à des généreuses incantations sans pour autant, sous
la pression de la réalité, les supprimer entièrement, ce qui nous vaut des chefsd'œuvre de contorsions juridiques. Tout ceci était-il bien nécessaire ? On peut en douter. Y a-t-il ainsi un fossé entre la Cour de sûreté de l'État et les cours
d'assises new-look? Quant aux anciens tribunaux permanents des fo_rces armées,
(38) Voir Stéfani, Levasseur et Bouloc, op. cit., n. 389.
(39) En ce sens, Vitu, obs. Rev. se. crim. 1983, 254. Mayer, L'infraction politique, n. 18,
rapport, VIe Congrès Association française de droit pénal, Montpellier, novembre 1983.
�71
on s'accordait sur la sérérùté de leurs jugements. Au surplus, comparaître autrefois pour certaines infractions relativement mineures devant la juridiction
militaire n'avait pas le caractère d'UU'amie attaché habituellement à la comparution devant les tribunaux ordinaires. Comme l'a remarqué un parlementaire,
en déférant devant les tribunaux de droit commun des jeunes coupables de
péchés de jeunesse, on les confond avec la pègre de droit commun (40).
B - La rigueur démesurée
24) Les périodes de troubles politiques ne sont généralement pas
glorieuses pour la justice souvent incapable de préserver son indépendance et
métamorphosée er. instrument privilégié de répression. Depuis 1945, le phénomène s'est manifesté à deux reprises : la première vague est liée aux séquelles
de la Seconde Guerre Mondiale et la deuxième au drame algérien. Et à chaque
fois, les tribunaux d'exception ont poussé comme des champignons vénéneux.
25) Le régime de Vichy, entre autres méfaits, s'était distingué par
ses juridictions spéciales (41). La Libération n'a malheureusement pu échapper
à la tentation. Panni les juridictions organisées, il y a d'abord les cours de
justice, instituées en 1944 auprès de chaque Cour d'appel. Composées pour
majorité de jurés choisis panni les membres de la Résistance, leur compétence
est très lâche : elles jugent les faits commis postérieurement au 16 juin 1940
lorsqu'ils révèlent «l'intention de leurs auteurs de favoriser les entreprises de
toute nature de l'ennemi». Aucune précision n'est donnée par les ordonnances
les créant sur le lieu du crime pour déterminer leur compétence territoriale, ce
qui devait inciter ces cours à décider de connaître de tous les actes de collaboration, même perpétrés à l'étranger (42). L'instruction est limitée à un
degré. Datent aussi de 1944 les chambres civiques établies auprès de chaque
section de cour de justice et d'une composition comparable. Elles sont compétentes «pour juger tout Français qui aura postérieurement au 16 juin 1940 soit
apporté en France ou à l'étranger une aide directe ou indirecte à l'Allemagne
ou à ses alliés, soit porté atteinte à l'urùté de la nation ou à la liberté des
Français ou à l'égalité entre ces derniers». Le crime nouveau d'indignité
nationale est sanctionné par la peine nouvelle de dégradation nationale. Aucune
information n'a lieu. La seule voie de recours contre les décisions des cours de
justice et des chambres d'accusation et des chambres civiques est le pourvoi en
cassation porté devant la chambre d'accusation (43). On mentionnera aussi les
comités d'épuration chargés d'éliminer socialement les adeptes de Vichy, les
chambres co"ectionnelles économiques réprimant les infractions aux prix et au
ravitaillement et la Haute Cour de justice chargée de juger l'activité des personnalités vichysoises. Toutes ces juridictions ont disparu quelques années après
(40) Foyer, J.O. Déb. Ass. Nat. 1982, p. 1144.
(41) Voir Merle et Vitu, op. cit., n. 1326.
(42) Nancy, 26 avril 1946, G. P. 1946, 1, 268.
(43) Voir Jeandidier, op. cit. n. 295 à 301.
�72
leur création sauf la dernière qui n'a jamais été supprimée expressément mais
qui évidemment n'a plus de raison d'être.
26) La guerre d'Algérie a d'abord entraîné l'extension de la compétence et l'aggravation de la procédure des juridictions militaires siégeant dans
les départements algériens et sahariens. Mais surtout, lors du paroxysme du
conflit apparaissent les tribunaux d'exception, militaires pour la plupart. Le
Haut Tribunal militaire, statuant sans recours, et le Tribunal militaire, surnommé «le petit» soumis au contrôle de la Chambre criminelle, sont créés en
1961 par des décisions présidentielles pour juger les responsables du putsch
d'Alger. Ayant encouru les foudres présidentielles pour avoir accordé à Salan
les circonstances atténuantes, le premier est remplacé en 1962 par une Cour
militaire de justice déclarée illégale par le Conseil d'État dans le célèbre arrêt
Canal (44) comme portant atteinte aux droits et garanties essentielles de la
défense ; mais cet organe a été rétroactivement validé par le législateur en
1963. Une autre juridiction d'exception a été créée en 1962 : le Tribunal de
l'ordre public chargé de juger les auteurs d'attentats appartenant à 1'0. A. S.
et dont la procédure se caractérise par un seul degré d'instruction représenté
par le ministère public (45), comme pour le Haut et le petit Tribunal militaire.
Toutes ces juridictions ont disparu en 1962 ou 1963.
CONCLUSION
27) Au terme de cet exposé, on constate que l'évolution des juridictions pénales d'exception au cours de ces quatre décennies est orientée
vers le libéralisme. Évidente pour les organes chargés d'appliquer une justice
pleine de mansuétude, l'observation s'impose aussi dans le domaine de rigueur
traditionnel bastion des juridictions d'exception. Les tribunaux temporaires
relèvent de l'histoire du droit et ceux permanents compétents pour les infractions militaires et politiques ont subi l 'irresistible attraction de la procédure
de droit commun. Mais la France n'est ·pas à l'abri d'événements tragiques.
Ce.rtains, prévisibles (guerre, états de siège et d'urgence) ressuscitent automatiquement une justice d'exception raisonnable. D'autres sont imprévisibles et
peuvent faire apparaître des organes plus redoutables. La démonstration sera+
elle un jour faite de la suprématie de la Justice sur la Politique ? Il est néanmoins préférable de rester dans l'expectative plutôt que d'être confronté à
une situation génératrice d'une telle occasion, car pour l'instant, la Justice n'a
jamais été juste lorqu'elle a jugé la Politique.
(44) C. E.19 octobre 1962, in Long, Weill et Braibant, Les grands arrêts de la jurisprudence
administrative, n. 104.
(45) Voir Charvin, Justice et politique, L. G. D. J. 1968, p. 402, note 56.
�L'ELABORATION D'UN NOUVEAU CODE PENAL FRANÇAIS
Par
Georges LEV ASSEUR
Membre de la Commission de réforme du Code pénal
Le 1er octobre 1974 (il y a donc près de dix ans), le Garde des Sceaux
de l'époque, M. Lecanuet, réunissait solennellement ses chefs de Cour (premiers
présidents et procureurs généraux des Cours d'appel). Il leur fit une longue
harangue, principalement consacrée à la justice pénale et dont.l'essentiel est
rapporté textuellement dans la Gazette du Palais du 12 octobre 1974.
On y lit notamment ceci : «Ayant ainsi délimité les «secteurs-clés»
dans lesquels doit intervenir la justice pénale, il faut maintenant définir les
adaptations nécessaires du système pénal.
«Mes projets, à cet égard, répondent à trois sortes de considérations :
«adapter la loi pénale à l'évolution des mœurs, simplifier et réunifier
«l'intervention judiciaire, diversi.fierl'action de la justice pénale.
«1) Adaptation de la loi pénale
«La loi doit s'adapter à l'évolution des mœurs. Le code pénal a
«aujourd'hui plus de 160 ans et, malgré les nombreuses modifications qu'il
«a subies, il apparaît nécessaire de le réviser, sur un double plan.
«-Au plan des infractions, il s'agit d'une remise en ordre des textes,
«mais aussi d'une révision de la définition des crimes et des délits.
«- Au plan des sanctions, il s'agit aussi d'une modernisation allant
«dans le sens de la diversification des sanctions mises à la disposition du
«juge.
«Un nouveau code pénal sera élaboré. La rédaction en est engagée.
«La commission qui en a la charge, et dont M. le Premier Président Aydalot
«assure la présidence, sera institutionnalisée incessamment. Toutes mesures
«seront prises pour qu'elle puisse mener à bien ses travaux dans le délai
«d'un an».
La nouvelle eut été de nature à créer quelque sensation si cette initiative eut été la première.
Chacun connaît les cures de rajeunissement que le code pénal de
1810 a suivies, dont les premières se sont placées dès le 28 avril 1832 puis le
13 mai 1863.
Une vingtaine d'années plus tard (car il est sociologiquement établi
que la fatigue d'un code pénal est telle qu'à chaque génération il est nécessaire
de «resserrer les boulons») vers 1886 un projet de réforme fut entrepris et
mené assez loin (on peut trouver dans la Revue pénitentiaire de 1893, p. 151 à
209, les 112 premièrs articles et la discussion à laquelle ils donneront lieu
devant la Société des Prisons).
�74
Néanmoins, en 191 O on ne manqua pas de célébrer le centenaire du
code napoléonien, quelque peu rapiécé !
Après la première guerre mondiale, alors que de nouveaux codes
pénaux fleurissaient dans les pays transformés (Italie), libérés (Lettonie, Danemark) ou reconstitués (Pologne), la France se sentit prise d'émulation. Aussi
une commission fut-elle formée sous la présidence du Procureur Général Matter,
de la Cour de Cassation. Elle travaille avec diligence puisque dès 1933 la partie
générale était rédigée et soumise tant aux divers corps judiciaires qu'aux
Facultés de Droit des Universités. Les uns et les autres présentèrent des observations fort approfondies, qui furent d'ailleurs publiées (en particulier celles
d'Aix-en-Provence dûes au professeur Lebret ; Pierre Garraud avait rédigé
celles de Lyon et le doyen Magnol publia un rapport considérable qui lui
avait été confié, à la fois par la Faculté de Droit et par la Cour d'appel de
Toulouse). La commission poursuivait pendant ce temps son travail sur la
partie spéciale si bien que l'ensemble du nouveau projet put être déposé devant
la Chambre des députés dès le 15 mai 1934. Si la commission nommée en 1974
avait fait aussi vite, la promesse du garde des Secaux aurait presque pu être
tenue ...
On croyait alors sincèrement à l'imminence du nouveau code. Les
collègues de ma génération G'en aperçois avec émotion dans cette salle) se
souviennent certainement que toute leçon d'agrégation de droit pénal devait
être riche de droit comparé (tiré des codes récemment épanouis) et examiner
avec soin les orientations du «projet Matter» sur la question donnée comme
sujet.
La situation économique et financière d'abord, la situation extérieure
internationale ensuite, firent promptement enterrer ce beau projet. La commission, poursuivant son élan, s'était attaquée courageusement à la réforme du
code d'instruction criminelle, lorsque la guerre vint interrompre ses travaux.
En 1960, le 150e anniversaire du code pénal fut célébré avec un éclat
particulier (plus brillant même que le centenaire) lors d'une assemblée solennelle
tenue au Palais de Justice de Paris sous la présidence du Garde des Sceaux
(M. Michelet), et dont on retrouve dans la Revue de Science Criminelle de 1960
(p. 383 à 418) 1es allocutions qui furent prononcées, j'eus l'insigne honneur de
figurer parmi les thuriféraires au nom de l'Université.
Au lendemain de l'élaboration du code de procédure pénale qui
venait de remplacer le code d'instruction criminelle juste avant que ce jumeau
du code pénal napoléonien put célébrer lui aussi ses 150 ans, une Commission
dite d'Études pénales Législatives avait examiné certaines réformes. Un peu plus
tard le garde des Sceaux Jean Foyer avait suscité de petits groupes de travail
chargés chacun d'un secteur particulier (c'est ainsi que mon collègue Vouin
avait travaillé avec le président Patin sur les causes de non-imputabilité). Ce
système avait été repris, élargi et institutionnalisé par un autre garde des Sceaux
M. Taittinger, à la veille de la mort du président Pompidou G'avais à cette
occasion participé moi-même aux côtés du conseiller Lageaud, récemment
disparu et de Mme Simone Weil alors secrétaire du Conseil Supérieur de la
Magistrature, à un groupe de travail sur la responsabilité des malades mentaux).
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Est-ce à ces formations que M. Lecanuet faisait allusion en disant
que la rédaction du code pénal était déjà engagée ?
Les multiples précédents, que je viens de citer, étaient de nature à
imprégner de scepticisme les gens de ma génération (dont nul pourtant ne doutait de l'utilité de ce que j'ai appelé quelque part le «grand-œuvre» ).
Un' décret du 8 novembre 1974 fixant la composition de la Commision parut au Journal Officiel. Le président et le vice.président étaient les deux
plus hauts magistrats français : le Premier Président et le Procureur Général de
la Cour de Cassation ; cette juridiction était représentée en outre par un
conseiller et un conseiller référendaire (M. Emile Robert qui fait toujours
partie de l'actuelle commission dont il est un des deux membres les plus anciens).
Faisaient également partie de cette commission deux autres magistrats (un
procureur général de province, M. Jean Robert, aujourd'hui retraité mais
toujours membre, et le directeur des affaires criminelles à la Chancellerie,
membre ès qualités), deux avocats au barreau de Paris, deux professeurs de
droit (mes collègues Vitu, aujourd'hui démissionnaire, et Léauté toujours en
fonctions après une démission d'environ une année) et un médecin-expert
psychiatre (le Dr Roumajon, lui aussi toujours en fonctions).
La commission ainsi composée (que j'appellerai la «Commission
originaire», a publié un avant-projet de partie générale environ dix huit mois
après sa nomination, c'est-à-dire en juillet 1976. Il fut soumis aux observations
des Cours et Tribunaux, du barreau, des auxiliaires de justice, des Universités,
etc ... et retient particulièrement l'attention de l'Association Française de Droit
pénal dans sa réunion au congrès de Pau en 1977. Les observations reçues et les
critiques émises amenèrent la commission à revoir cet avant-projet, et à mettre
au point en 1978 une nouvelle version qualifiée d' «avant-projet définitif». Sur
quoi elle se remit immédiatement au travail et entreprit la partie spéciale,
rédigeant dès juillet 1980 les dispositions nouvelles concernant les infractions
contre les personnes et contre la propriété. Ces dispositions, alors confidentielles,
furent largement utilisées par les auteurs du projet dit «Sécurité et Liberté» qui
aboutit à la loi du Ier février 1981. Aussi bien la révision de ladite loi par celle
du 10 juin 1983 n'a pas porté sur ces dispositions afm de laisser au parlement
le soin de se prononcer à leur sujet dans le cadre de la révision d'ensemble du
code pénal qui doit toujours lui être soumis.
Le changement politique intervenu en mai-juin 1981 n'a pas entraîné
la mise à l'écart du projet en cours, non plus que la dissolution de la Commission.
Il amène cependant un remaniement, assez sensible, qui m'amènera à parler
d'elle sous le nom de «Commission élargie». C'est en effet en un élargissement
du nombre des membres dans chaque catégorie que la réforme a consisté,
quoiqu'elle ait comporté aussi, et ce n'est pas là un détail négligeable, une
modification dans la présidence désormais attribuée au Garde des Sceaux luimême, mon collègue Robert Badinter.
Les magistrats constituent le groupe le plus nombreux, même si leur
proportion n'est pas aussi forte. La Cour de Cassation est représentée par le
président de la Chambre criminelle (M. Braunschweig), un ancien président de
�76
celle-ci (M. Mongin), un ancien conseiller-doyen (M. Malaval, qui a appartenu
à la commission originaire). M. Émile Robert (devenu avocat général à Paris)
et son homonyme le procureur général en retraite Jean Robert, membres
de la première heure, sont toujours actifs. Le procureur général de Paris (précédemment conseiller à la Cour de Cassation et ancien directeur des affaires
criminelles) M. Arpaillange (1) est un des membres nouveaux, de même qu'un
magistrat du Tribunal de Grande Instance (2). Le médecin-psychiatre Dr
Roumajon continue à apporter un concours très précieux. Le nombre des
avocats (3) et celui des professeurs (4) a été porté à trois, ce qui permet leur
représentation dans chacune des sous-commissions travaillant sur le droit pénal
spécial.
La continuité de la Commission, en dépit de son élargissement se
marque non seulement par le fait que l'on y retrouve la quasi-unanimité des
membres de la commission originaire, mais aussi par le fait que les procèsverbaux des séances plénières sont numérotés depuis 1974. Ceci est d'ailleurs
facilité par la stabilité des membres du secrétariat de la Commission (assuré par
du personnel de la Chancellerie), avec, à sa tête, M. Noquet-Borel, présente
depuis le premier jour et qui constitue la mémoire de la commission.
Le présent exposé ne s'attardera pas sur les positions doctrinales ou
techniques adoptées par la partie générale de l'avant-projet ; celles-ci ont déjà
fait l'objet d'abondantes discussions et publications. Il envisagera au contraire
deux points qui, après ce long historique, apparaissent fondamentaux et répondre
davantage aux objectifs des organisateurs de ce cycle de conférences : d'une
part, quelles sont les méthodes suivies dans l'élaboration du nouveau code
pénal ; et d'autre part quel est actuellement l'état des travaux de la commission
(où en sommes-nous de la procédure d'élaboration?).
1. - LES MÉTHODES SUMES DANS L'ÉLABORATION D'UN NOUVEAU
CODE PÉNAL
En constatant qu'après près de dix ans d'activité, la Commission n'a
pas avancé autant que l'avait fait la commission Matter en trois ou quatre ans,
on peut se demander si les méthodes suivies ont été bonnes.
A - Le statut des membres de la Commission
Le temps écoulé depuis le début des travaux a amené des décès, des
démissions (tenant essentiellement à l'âge, celles motivées par ce qui avait paru
(1) M. Arpaillange a été nommé depuis lors Procureur Général de la Cour de Cassation
et continue à participer aux travaux de la Commission.
(2) Mme Imbert-Quarretta, alors à Dijon est nommée depuis à Paris.
(3) Mme G. Sénéchal-Lereno (qui avait remplacé dans la commission originaira M. Floriot
au décès de celui-ci, puis avait été la première à démissionner après le dépôt du projet
de la loi «Sécurité et Liberté») ; M. Kiejman et la bâtonnier Bouchet de Lyon.
(4) M. Léauté, membre de la commission originaire, revenu après démission ; Mme Mireille
Delmas-Marty, et G. Levasseur nommé en octobre 1981 en remplacement de M. Vitu
démissionnaire.
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un désaveu de la politique criminelle de la commission ayant donné lieu à
~éintégration ultérieure), des remplacements, etc ... qui expliquent les remaniements successifs de la partie générale, déjà en 1978, puis en 1983 (l'édition
actuelle est datée de mai 1983).
La commission a d'abord siégé une fois pas semaine en séance plénière pour l'élaboration ou la révision de la partie générale. Par la suite, cette
périodicité n'a été maintenue que pour les sous-commissions qui, chacune,
rendent compte à peu près une fois par mois à la commission réunie en séance
plénière sous la présidence du garde des Sceaux.
Les magistrats, professeurs et avocats membres de la commission (et
de l'une ou l'autre des sous-commissions, parfois de deux sont ainsi pris deux
ou trois demi-journées par semaine alors qu'ils doivent continuer à assurer leurs
occupations habituelles ; le service des magistrats ou des professeurs ne s'en
trouve aucunement allégé. N'eut-il pas été préférable de détacher à plein temps
ces experts afin qu'ils puissent se consacrer totalement à la mission qui levr
avait été confiée ? Personnellement j'incline à le penser, mais cette solution
eut été difficile à appliquer aux avocats (d'autant que la charge assumée est
bénévole, les membres n'ayant reçu qu'une indemnité de 250 F par an ...).
Peut-être dira-t-on que le système actuel laisse davantage le temps de réfléchir
entre les séances, mais il n'est pas sûr que les intéressés qui sont en activité
puissent consacrer à une telle réflexion un temps suffisant ; au contraire cet
état des choses est responsable non pas d'un véritable absentéisme, mais
d'absences qui, pour être excusables, n'en nuisent pas moins à la continuité des
débats, en provoquant trop souvent une réouverture de ceux-ci.
La conséquence la plus regrettable est que le temps s'écoule fâcheusement. Or, pendant ce temps-là la société française continue à évoluer (et elle
le fait même de plus en plus vite) alors que les textes péniblement élaborés
ont précisément pour objectif de tenir compte de cette évolution (en principe
pour l'orienter et non pas fatalement pour l'entériner). Dans ces conditions il
semble que l'on assiste à une sorte de course-poursuite entre l'évolution de la
société et l'élaboration du code, épreuve qui rappelle trop la compétition entre
le lièvre et la tortue.
B - Le travail en sous-commission
Je parle du travail en sous-commission parce qu'actuellement celui-ci
prépare le travail de la commission plénière. Il en est ainsi depuis le fonctionnement de la «commission élargie», quoique celle-ci ait toujours traité en séance
plénière toutes les questions de droit pénal général qu'elle ait jugé utile de reprendre par rapport à la version dite «définitive» de 1978. Il est clair que la
commission originaire a travaillé précédemment dans les mêmes conditiops que
le font aujourd'hui les sous-commissions.
La division en sous-commissions a été utilisée pour l'élaboration de
la partie spéciale du code pénal. La plus étoffée de ces sous-commissions s'est
vu confier l'étude des infractions contre les personnes et contre les biens (le
terrain avait déjà été plus que défriché par la commission originaire au cours
de 1979 et 1980, et la loi Sécurité et Liberté y avait puisé largement).
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Une autre sous-commission est chargée des infractions contre l'auto~
rité de l'État et le fonctionnement de la Justice. Une troisième a examiné les
textes relatifs à la Sûreté de l'État.
Dans chacune des sous-commissions, l'expérience des magistrats et
celle des avocats peuvent se confronter, et les professeurs peuvent faire entendre
leur voix. La jurisprudence de la Chambre criminelle est toujours présente, les
difficultés des circonstances de fait sont évoquées, les nouvelles tendances de la
criminalité posent des problèmes, la systématisation des solutions et la nécessité
de la cohérence de l'ensemble du code hantent les participants.
Il est souvent arrivé que la commissions ou la sous-commission
confie à l'un de ses membres, après qu'une question ait été amplement débattue,
la mission de recherches au besoin des éclaircissements Sl:lpplémentaires, en
complétant la documentation d'ores et déjà examinée, de réfléchir particulièrement sur le problème et de présenter à une séance suivante un projet de solution
qui simplifie et synthétise les idées apportées par les uns et par les autres.
Je ne veux pas abandonner les sous-commissions sans mentionner
l'existence d'une quatrième, qui, pour employer un terme héraldique, <~broche
sur le tout». C'est la commission dite de l'inventaire, qui a reçu pour tâche
d'établir la liste exhaustive de toutes les infractions existant actuellement en
droit français (là aussi, c'est une course-poursuite). Personne n'a jamais été en
mesure de donner un chiffre à quelques centaines près. En dépit de l'emploi de
l'informatique, cette commission est encore loin d'aboutir, mais constate
simplement que l'ignorance défie l'imagination (et dire que «Nul n'est censé
ignorer la loi ... »).Mais il n'est pas nécessaire à l'élaboration du nouveau code
pénal que toute les infractions y prennent place (nous retrouverons ce point
tout à l'heure), et par conséquent ce code pourrait être prêt avant que cette
sous-commission ait terminé ses travaux.
Bien entendu, commission plénière et sous-commissions font appel
aussi largement que possible à une documentation préalable.
C - La documentation
La documentation nécessaire à la rédaction d'un code pénal est sans
limites. Elle doit être recherchée dans de nombreux domaines.
1 - Sans doute faut-il mettre au premier plan le secours des recherches
sociologiques. Un code pénal est fait pour une certaine société, peut-être plus
pour la société de demain que pour celle d'aujourd'hui ; il faut connaître la
société d'aujourd'hui et les courants qui l'ont amenée à sa physionomie actuelle
pour prévoir les valeurs et les besoins de la société de demain.
Dans le domaine sociologique la commission a disposé surtout des
travaux organisés au cours des dernières années (y compris celles ayallt précédé
sa création) par la Service d'Études Pénales et Criminologiques de la direction
des Affaires criminelles du ministère de la Justice sous la direction de M.
Philippe Robert (lui-même intégré ultérieurement à la Commission comme
membre à part entière). Quoique des recherches sur les mêmes thèmes aient été
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menées par d'autres Centres de Recherche (en particulier par celui qui existe
dans cette université), il ne semble pas que la Commission ait cherché à les
connaître. A cet égard, son travail a été beaucoup moins appuyé sur un terrain
sociologiquement prospecté que celui effectué par la Direction des affaires
civiles dans la préparation des textes sur la filiation, le divorce, les régimes
matrimoniaux, les incapables majeurs, etc ...
On peut penser que la commission n'a cependant pas été sans tenir
un certain compte du rapport : «Réponses à la violence» couronnant, en
juillet 1977 les travaux fort importants d'une commission présidée par M.
Alain Peyrefitte avant qu'il n'accède aux fonctions de Garde des Sceaux. En
effet, mon collègue Léauté était à la fois membre de cette dernière commission (dont faisait également partie mon collègue et ami Raymond Gassin, le
doyen des pénalistes de cette université) et de la commission de réforme du
code pénal.
2 - Les problèmes qui se posent à la société française se posent
généralement dans les pays voisins ou qui sont à peu près au même degré et au
même type de civilisation. C'est pourquoi les études de droit comparé ont pris
depuis quelques années une telle importance. Bien sûr les solutions adoptées en
Italie, en Allemagne, en Angleterre, aux füats-Unis, ou dans tel pays socialiste,
ne peuvent être transposés en France purement et simplement, mais il est bon
de connaître leur existence et leur fonctionnement.
Il devait d'autant plus en être ainsi que, depuis quelques années
l'Allemagne, l'Autriche et le Portugal se sont dotés d'un code pénal nouveau,
que l'Espagne a un projet très avancé et que l'Italie par une loi de septembre
1981 a profondément modifié le code Rocco de 1930, qui avait été maintenu,
sauf quelques changements, après la chute du fascisme.
,
La Commission n'a pas négligé le droit comparé ; cependant elle ne
lui a fait qu'une place secondaire, sauf sur certains points particuliers (par
exemple sur la responsabilité pénale des personnes morales où le droit pénal
canadien a fait l'objet d'une attention spéciale et a exercé une influence certaine).
3 - La Commission n'a pas manqué de consulter certains experts,
afin de connaître leur avis sur divers points délicats, notamment en ce qui
concernait l'orientation générale de la politique criminelle. C'est ainsi que M.
Ancel avait été entendu pour exposer les thèses de la Défense Sociale Nouvelle
(on sait que l'ancien président de la Chambre civile a fondé d'autre part le
Centre de recherche de politique criminelle qui publie, à peu près annuellement un volume d'Archives de politique criminelle, dont six numéros sont
maintenant parus). De même le Centre de droit comparé de M. Ancel avait
fourni plusieurs rapports sur les problèmes comparatifs.
En la personne de Mme Delmas-Marty, la Commission élargie
comptait d'ailleurs en son sein une spécialiste éminente des problèmes de
politique criminelle (on connaît ses ouvrages récents sur «Les chemins de la
répression», et sur «Modèles et mouvements de politique criminelle».
�80
4 - Aux côtés des consultations d'experts il convient de ranger les
auditions de groupements professionnels ou sociaux intéressés : associations,
syndicats, ordre des médecins, groupements de victimes, etc ... A vrai dire les
demandes d'audition n'ont pas été nombreuses (il faut signaler cependant celles
relatives à l'euthanasie, à l'acharnement thérapeutique, à la stérilisation volontaire, etc ...) et la Commission elle-même n'a pris que peu d'initiatives en ce
domaine.
D - La formulation des nonnes nouvelles a retenu particulièrement l'attention de la commission
Elle est partie de l'idée que le code pénal, à la différence de certains
autres, e~t destiné en priorité à l'homme de la rue, à l'auteur éventuel ou à la
victime éventuelle du comportement incriminé. Il doit donc être conçu clairement et libellé de façon parfaitement compréhensible.
C'est d'ailleurs pour cette raison que, selon le vœu du Garde des
Sceaux, son président, la Commission élargie a abandonné le système du projet
primitif de partie spéciale qui se contentait d'indiquer que telle incrimination
constituait un crime ou délit de cette catégorie (la hiérarchie de ces catégories
étant précisée dans la partie générale, articles 47 à 60 de l'avant-projet de 1978,
dit «définitif»). Au contraire, la solution actuellement adoptée précise, pour
chaque incrimination (et pour chaque circonstance aggravante quelle peut
comporter) quelle est la peine applicable (en fait le maximum de celle-ci puisque
la suppression du minimum, adoptée par la Commission originaire et qui avait
recueilli un assentiment quasi général, n'a pas été remise en cause par la
Commission élargie).
A ce souci de clarté s'est ajouté d'autre part un souci de concision.
C'est ce qui distingue les textes des pays latino-germaniques de ceux des pays
anglo-américains (mais il faut noter que le Canada, qui appartient cependant à
ce groupe, étudie actuellement la possibilité d'adopter un code pénal du
modèle «continental», comme l'ont fait d'ailleurs un certain nombre d'États
des États-Unis).
La concision doit cependant se concilier avec une précision suffisante
de façon à ce que le principe de la légalité puisse être respecté sans peine. A
ce sujet, la promulgation des textes généraux et imprécis, dont la partie d'application n'apparaît qu'au prix d'une interprétation difficile, n'est pas à recommander. Personnellement, j'aurais tendance à regretter le système synthétique
adopté par la loi du 2 février 1981 pour la réforme des infractions contre les
biens (réforme restée en vigueur après la révision de ladite loi, précisément
parce qu'il s'agissait de textes préparés par la Commission originaire).
La formulation des incriminations pose de très nombreuses difficultés ; ce ne sont pas toujours les mêmes selon qu'il s'agit d'édicter deS' incriminations nouvelles ou de remodeler des incriminations anciennes.
Souvent, la Commission a eu à créer des incriminations nouvelles ; il
en a été ainsi par exemple dans le domaine de l'informatique ou pour les infractions de mise en danger. En pareil cas il faut, dans un langage clair et précis
�81
(différent, par exemple, de celui utilisé dans le domaine de la sécurité sociale),
bien mettre en relief les éléments de l'infraction, ce qui nécessite parfois d'être
familiarisé avec la technique du domaine dans lequel on intervient.
Plus souvent encore la Commission a eu à moderniser des incriminations déjà existantes, avec le souci, généralement, de consacrer la jurisprudence
qui avait été amenée à se développer en donnant un appui textuel incontestable.
Ce souci de mise à jour est difficile 1 réaliser, et la Commission en a souvent
ressenti les périls. Modifier le libellé d'une incrimination séculaire, avec un
contenu devenu traditionnel à la suite d'une jurisprudence constante, risque
d'engendrer contestations et incertitudes. Le fait d'avoir changé un mot,
utilisé un autre adverbe, ajouté une précision, ne manquera pas d'être exploité
par les plaideurs. Je pense par exemple aux nouvelles définitions données à la
violation du secret professionnel ou de l'abandon de famille. Il semble qu'il soit
parfois préférable de choisir une formule tout à fait nouvelle que de renouveler
la formule précédente. Il suffit de constater la floraison d'arrêts de la Chambre
criminelle qui a suivi la loi du 20 décembre 1980 modifiant les textes sur le viol
et sur les attentats à la pudeur, pour comprendre qu'on ne doit toucher aux
textes qu'avec un doigt craintif.
Il semble que ces difficultés embarrassent de plus en plus la Commission à mesure qu'elle avance dans l'examen du droit pénal spécial. Elle a débuté
ses travaux avec le souci d'élargir, de couper les branches mortes ou mal formées
d'éviter les archaïsmes, mais elle a le souci de légiférer en fonction des nécessités
de la pratique contemporaine. Or ceci suppose une étroite concertation avec
les praticiens.
E - La concertation avec les praticiens
Il s'agit ici de la pratique entendue dans un sens très large. On peut
certes dire que le gouvernement a entendu confier la rédaction du nouveau
code à des praticiens puisque la Commission, tant en sa forme originaire
qu'en sa forme élargie, groupe des magistrats, des avocats, des professeurs et
quelqu~s techniciens. La participation aux séances, notamment à celles des
sous-commissions, montre à quel point la discussion est nourrie d'exemples
précis tirés de la pratique judiciaire, qu'il s'agisse du parquet, du siège ou de la
défense. On constate à cette occasion que magistrats et avocats ont une très
riche mémoire ; les professeurs, quoique réputés théoriciens et regardant le
droit pénal du point de vue de Sirius, sont des praticiens eux aussi, par les
consultations qu'ils ont données sur des dossiers précis, par les commentaires
qu'ils ont développés dans les publications spécialisées.
Mais quand on parle du stade de la «concertation», il s'agit d'autre
chose, et le sort de l'avant-projet de partie générale de 1976 en est l'illustration.
Une fois les textes élaborés par la Commission, ceux-ci sont soumis à I'e~amen
et aux critiques de tous ceux que la pratique judiciaire répressive intéresse :
d'abord les Cours et tribunaux, puis le Barreau, les Universités, les organisations
syndicales de magistrats, de la police, du personnel pénitentiaire, etc ... , les
ordres ou syndicats de médecins, les associations et œuvres charitables, les institutions de prév~ntion, les sociétés savantes qui se consacrent au droit pénal,
aux mesures répressives, à la criminologie, etc ...
�82
C'est seulement ensuite que, au besoin après un nouvel examen par
la Commission et les observations du Conseil d'État, le Gouvernement arrêtera
en Conseil des Ministres le texte qu'il adopte et le déposera devant le parlement.
Il n'est pas certain que cette forme de concertation soit la meilleure.
Un prix particulier est attaché, à juste titre, à l'avis des corps judiciaires ; c'est
pourquoi il arrive que ceux-ci soient saisis d'un simple livre ou même d'un
simple chapitre ; le texte proposé leur est adressé et il est tenu soigneusement
registre des observations qu'ils ont formulées. Il est rare qu'il se dégage un
courant irrésistible ; souvent on approuve ou conteste une solution, parfois on
critique la formulation de la règle adoptée.
Je pense personnellement que la phase de la concertation qui est
indispensable, et probablement même fondamentale, est mal organisée. Je
pense en outre qu'elle est mal perçue ; il suffit de comparer l'intérêt soulevé
au plan national par le projet de réforme de 1934 avec la corvée que constitue
pour les assemblées générales de Cour d'appel ou de Tribunal les avis urgents
qu'on les presse de faire parvenir à bref délai sur les textes qui leurs sont
envoyés. Je pense enfin que la concertation est mal prise en compte par le
ministère et la Commission (du moins pour les consultations affectuées après la
remise en cause de la partie générale et au sujet de divers secteurs de la partie
spéciale).
Il me semble qu'il eut été préférable de procéder de la façon qu'ont
utilisée les belges en semblables criconstances. La Belgique a entrepris, elle
aussi, la révision de son code pénal (celui élaboré par Mypels et qui avait, en
1867, remplacé le code napoléonien). La commission belge a commencé
par dégager une vingtaine de points sur lesquels il était nécessaire de prendre
position (une initiative de ce genre avait d'ailleurs été prise au cours du droit
intermédiaire pour la codification du droit criminel). Puis elle a recueilli l'avis
des magistrats et des spécialistes sur les orientations à prendre pour la solution
à donner à ces divers problèmes (on en trouve les échos dans la revue belge de
Droit pénal et criminologie de ces dernières années). En possession de ces éléments, la Commission a réfléchi, puis a envisagé la direction à prendre et à
commencé la mise au point des textes en conséquence (du moins en a-t-il été
ainsi jusqu'à la nomination du Premier Président Robert Legros, pénaliste
réputé, en qualité de Commissaire Royal à la réforme du code pénal).
On peut citer également l'exemple du Canada, qui possède depuis la
fin du XIXe siècle un Code criminel qui est une compilation, plusieurs fois
remaniées, des textes législatifs en vigueur dans la Confédération en matière de
droit pénal et de procédure. La dernière version, établi en 1955, par le Juge
Fanteux avait essayé de mettre un peu d'ordre dans cet entassement, mais sans
résultat satisfaisant au plan de la codification, et la nécessaire insertion de nombreuses lois nouvelles avait bouleversé la numérotation des articles edu recueil.
Vers 1970, fut créé la Commission de Réforme du droit, organisme permanent
comportant cinq ou six commissaires à temps plein (nommés pour qeux à
quatre ans) mais utilisant de nombreux experts contractuels, ainsi qu'un
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personnel administratif et de recherche nombreux, et disposant de crédits
importants. Mon ami Gassin a été associé à ses travaux pendant son séjour de
trois ans à Montréal et j'ai moi-même travaillé à ses côtés en 1975 pendant
quatre mois dans un petit groupe qui examinait l'éventualité de parvenir à
transformer le code criminel en un véritable code pénal comparable aux modèles
continentaux ou à ceux, très voisins, en vigueur aux Etats-Unis.
La commission de Réforme du droit a consacré la quasi totalité de
ses travaux au droit pénal et à la procédure. Elle s'est adaptée successivement
à des secteurs spécialisés, qu'il s'agisse de droit pénal général (désordre mental,
responsabilité stricte), de droit pénal spécial (infractions sexuelles, vol, homicide,
outrage au tribunal), de problèmes médicaux (protection de la vie, stérilisation,
euthanasie), de procédure (pouvoirs de perquisition, mandats, sentencing,
alternatives à la répression), etc ... Sur chacun de ces secteurs elle a publié
d'abord des «documents de travail», diffusés dans le public, puis des «rapports»,
puis des ouvrages de fond. A mesure de l'avancement des travaux, des regroupements ont eu lieu (par exemple «responsabilité et moyens de défense») puis
ont été formulées des études sur le contenu d'un droit pénal général, et enfin
d'un code. Les documents qui ont paru suffisamment élaborés et affinés ont
été transmis officiellement au ministère fédéral de la Justice afin qu'il les
transforme en projets de lois à soumettre au parlement.
Ces exemples permettent de se demander si, avant de se lancer dans
la préparation d'un nouveau code pénal, il n'eut pas été bon de réfléchir
davantage sur la méthode à utiliser pour parvenir à l'objectif fixé.
Quoiqu'il en soit, des méthodes employées par la Commission
française, nous allons maintenant examiner les résultats auxquels elle est
parvenue.
Il.
ÉTAT ACTUEL DES TRAVAUX DE L'ÉLABORATION D'UN
NOUVEAU CODE PÉNAL
Il ne sera pas procédé ici à un exposé et à un examen critique des
dispositions actuellement arrêtées. Comme on l'a dit, les avant-projets successifs
de partie générale ont donné lieu à des commentaires doctrinaux (J. Robert,
J. C. P. 1976, 1, 2813 ; Pradel, D. 1977, chr. llS ; colloque tenu à Pau par
l'Ass. fr. dr. pénal, sept. 1978 ; Journées de l'Institut de Criminologie de Paris,
1978 ; Yerchegen, Rev. dr. pén. et crimino., 1979, p. 13 ; Mme Bernat de Celis,
Rev. Sc. crim., 1980, p. 393). Le plus récent exposé, portant sur l'ensemble
des travaux a été présenté en avril 1983 à la Société des Prisons (rev. pénit.,
1983, p. 209). Au surplus les solutions adoptées sont de nature à être révisées
à nouveau par la Commission elle-même, puis par le Gouvernement. et, en
dernière analyse par le parlement.
Aussi ne sera-t-il question ici que de jeter un coup d'œil rapide sur le
travail effectué, en insistant seulement sur les peints sur lesquels le dernier état
des travaux diffère des publications précédentes et en tâchant de ne pas
manquer, pour autant, au devoir de réserve et de discrétion qui s'impose à un
membre de la Commission.
�84
A - Le droit pénal général
A l'heure actuelle, la version du droit pénal général qui a fait l'objet
d'une publication précédée d'un rapport porte la date de juin 1983.
1 - Il faut d'abord insister sur l'inspiration philosophique Ge vous
prie d'excuser ce terme trop ambitieux) qui l'anime. En effet, les précédentes
versions (1976 et 1978) avaient fait l'objet de violentes critiques à cet égard.
On leur reprochait d'avoir abandonné les termes (sinon les concepts) de
«responsabilité» et de «peines». Il n'y avait plus de personnes responsables
mais des personnes «punissables», plus de peines mais uniquement des «sanctions» . Etablir un code pénal dépourvu de peines a semblé un paradoxe. Aussi
la Commission élargie a-t-elle jugé bon de revenir à des notions plus traditionnelles. Elle a, au surplus, inscrit dans l'article 1 le principe que «les crimes et les
délits sont des atteintes aux valeurs essentielles de la société» (c'est ce principe
que j'ai fait valoir tout récemment contre la suppression éventuelle du délit de
bigamie ; la monogamie n'est-elle plus une valeur essentielle de la société française contemporaine ?).
C'est aussi sous l'inspiration de la philosophie spitjtualiste traditionnelle que l'avant-projet fait de la faute le fondement de la responsabilité pénale.
L'artièle 2 dit expressément : «Les crimes sont commis intentionnellement ....
Les délits sont commis intentionnellement ou avec conscience de mettre autrui
en danger, ou par imprudence ou négligence». Il ne doit donc plus y avoir de
«responsabilité objective», on revient fermement à la règle «Nulla poene sine
culpa».
A cet égard, il est permis de signaler que, dans le domaine des atteintes
involontaires à l'intégrité corporelle (domaine qui constitue aujourd'hui un
«contentieux de masse») il est envisagé de doser la répression non plus en
fonction du dommage entraîné, mais en fonction de la gravité de la faute
commise par l'auteur.
La commission a d'ailleurs eu le souci de préciser, mieux que cela
n'est fait aujourd'hui, l'élément psychologique de chacune des infractions
édictées. Nous avons déjà souligné les termes de l'article 2. Ajoutons qu'en certains domaines (et notamment celui des atteintes involontaires à l'intégrité
corporelle), la Commission a reconnu un nouveau degré de culpabilité, intermédiaire entre la faute et le dol, celui de la négligence aggravée, qui correspond au
risque aperçu et délibérément assumé (doublement sans visibilité ou non
respect volontaire du feu rouge, par exemple).
Révisant les textes sur l'homicide ou les blessures involontaires, la
Commission a pensé en partant des principes ci-dessus exposés, que si la négligence est une faute, la simple maladresse n'en est pas une, non plus d'ailleurs
que l'inobservation des règlements (quand celle-ci ne constitue p~ une négligence) ; elle a estimé que cette référence avait sérieusement contaminé les
articles 319 et 320 car lajurisprudence avait, de ce fait, singulièrement amenuisé
·l'élément moral du délit, le réduisant (comme en matière de contraventions,
qui constituent le plus souvent les inobservations en question), à une faute
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présumée désormais inadmissible. Au surplus, la Conunission a suivi ici l'orientation de la loi du 6 décembre 1978 qui a exigé une faute personnelle du chef
d'entreprise ou de son délégué en matière d'inobservation (délictuelle) des
règlements relatifs à l'hygiène et à la sécurité des travailleurs.
On a beaucoup discuté sur l'introduction de la responsabilité pénale
des personnes morales dans les avant-projets de 1976 et 1978. L'avant-projet
de 1983 élargit encore la place faite à cette responsabilité, en l'étendant à
toutes les personnes morales (et non seulement à celles qui poursuivent une
activité économique ou financière) à condition que le groupement en cause
soit effectivement doté de la personnalité (d'après les critères dégagés par la
Cour de Cassation). ~
Dans ce domaine de la responsabilité rien n'a été modifié aux avantprojets précédents qui consacrent l'état de nécessité et font une certaine place
à l'erreur de droit. De même la catégorie des «personnes non punissables»
mélange les bénéficiaires de faits justificatifs, et les bénéficiaires de causes de
non imputabilité, ce qui me paraît fort regrettable ; mais il faut bien reconnaître que la jurisprudence de la chambre criminelle sur la légitime défense putative
avait largement amputé ce fait justificatif du caractère objectif qu'il eut dû
présenter.
On peut regretter aussi que l'avant-projet actuel ne contienne à la
différence de tous les projets ou avant-projets précédents, qui prévoyaient un
contrôle judiciaire des décisions d'internement et de libération, aucune modification à la solution que l'article 64 c. pén. donne actuellement au problème
des infractions commises par les aliénés. Quant aux infractions conunises par
des anormaux, l'article 24 laisse subsister la solution de l'avant-projet de la
Commission originaire (ils encourront une peine de prison, sauf à ce que le
tribunal ordonne que celle-ci soit exécutée dans un établissement pénitentiaire
«doté de moyens appropriés»).
C'est encore une question de philosophie pénale que celle des buts
de la répression et de la pénalité. Sur ce point, on peut dire que l'avant-projet
écarte le but d'élimination, non seulement parce que la peine de mort a été
supprimée en 1981 mais aussi parce qu'il supprime la tutelle pénale (la loi du
2 février 1981 n'a fait que consacrer ce que prévoyait l'avant-projet de 1978).
La commission originaire avait même prévu la suppression des peines perpétuelles, la réclusion criminelle à perpétuité a été rétablie pour remplacer les
cas les plus graves des anciens crimes capitaux, mais on sait que cette perpétuité
atteint, au maximum, entre 20 et 25 ans. Donc plus d'élimination, mais tout au
plus une neutralisation temporaire.
Le but de réinsertion reste néanmoins au premier plan (quoique le
projet de 1983 ne contienne pas de disposition analogue à l'article 131 du
projet de 1978) ; mais il semble que le nouveau code ait voulu faire une place
plus grande que la législation précédente au but de rétribution (en particulier
par l'accent mis sur la notion de faute), et ait voulu orienter l'action des
pouvoirs publics vers les mesures de prévention (en particulier de prévention
spéciale, notamment par son souci de lutter contre les effets corrupteurs de
l'incarcération).
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2 - Ayant déjà souligné ce que les articles 1 et 2 de l'avant-projet
apportaient à la classification des infractions (notons seulement que les contraventions sont définies comme des «atteintes à l'organisation de la vie sociale»),
nous insisterons au contraire sur la classification des peines.
Les peines anciennes subsistent et d'autres viennent prendre place à
leurs côtés. Remarquons au passage que les contraventions ne seront jamais
punies d'emprisonnement ; la commission s'est rangée sur ce point à l' obiter
dictum d'un avis du Conseil Constitutionnel d'octobre 1973 dont les pouvoirs
publics n'avaient pas voulu tirer toutes les conséquences.
Comme les versions de 1976 et de 1978, l'avant-projet de 1983 se
refuse à distinguer (ce que personnellement je. regrette) entre les peines et les
mesures de sûreté ~ue deviendra la catégorie que la Chambre cri,minelle appelait «mesure de police et de sécurité» qui s'appliquait en dépit de la relaxe et
n'était pas effacée par l'amnistie ?). Toutes les mesures répressives ainsi unifiées
portent désormais le nom de «peines» alors que les avant-projets précédents les
qualifiaient de «sanctions».
La principale originalité concerne les peines correctionnelles, inspirées par le souci de substituer le plus souvent possible certaines mesures à
l'emprisonnement. L'article 43 est consacré aux «peines de substitution à
l'emprisonnement», et ne comporte pas moins de neuf rubriques (qui ne
présentent comme nouveauté que l'immobilisation des véhicules). Les articles
49 et suivants concernent les jours-amendes, et c'est à l'avant-projet que la loi
du 10 juin 1983 a emprunté cette institution. Il en a été de même pour l'obligation d'accomplir un travail d'intérêt général introduite dans notre droit positif
par la même loi ; cette dernière s'est inspirée des articles 44 et 128 et ss. de
l'avant-projet qui font de cette obligation, soit une sanc~on propre, soit une
variété particulière de sursis.
L'article 55 de l'avant-projet fait disparaître la catégorie des peines
accessoires. Le condamné n'a à exécuter que les peines qui ont été expressément prononcées à son encontre par la juridiction devant laquelle il a comparu.
Au contraire les peines complémentaires sont nombreuses (articles
54,56,58 à 65) et peuvent être prononcées, en matière délictuelle à l'exclusion
de toute autre peine (art. 41 al. 2).
3 - Le choix de la peine est laissé au juge, qui dispose de très larges
pouvoirs.
Comme l'avait déjà décidé la Commission originaire, il n'y a jamais
de minimum ; la loi fixe uniquement le maximum.
En conséquence les circonstances atténuantes disparaissent. L'article
92 prévoit qu'en matière criminelle on peut toujours descendre à l'emprisonnement, sans qu'il y ait de degré d'atténuation obligatoire. Depuis la réforme de
l'ordonnance de 1960 la jurisprudence estimait que l'octroi des circonstances
atténuantes (accordées à la minorité de faveur) continuait à obliger de descendre d'un degré, mais comme la Chambre criminelle a opéré un revirement le
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29 mai 1981 (D. 1983, 63), et le 17 novembre 1982 (Bull. n. 262) en s'ap. puyant sur une modification dûe à la loi du 2 février 1981, le régime du droit
positif actuel ne se trouverait pas modifié par le nouveau code.
La version de 1976 remplaçait la récidive par la réitération, sur les
observations présentées par les corps judiciaires, la version de 1978 renonça à
cette réforme. La version de 1983 soutient donc un nouveau régime de récidive
(art. 88 à 90).
La partie spéciale contient un certain nombre de circonstances
aggravantes nouvelles, telle la vulnérabilité de la victime, l'emploi de tortures
ou d'actes de barbarie, la mise en danger de la sécurité d'autrui, etc ...
L'article 91 du projet de 1983 contient les règles générales devant
guider le juge dans le choix de la sentence ; il figure à la section intitulée «la
personnalisation des peines», et son alinéa 1 est ainsi conçu : «Dans les limites
prévues par la loi, la juridiction prononce les peines et fixe leur régime en
tenant compte des circonstances de l'infraction, de la personnalité et des
mobiles de son auteur, ainsi que du comportement de celui-ci après l'infraction
particulièrement à l'égard de la victime».
Dans le domaine du choix de la peine par le juge, il faut particulièrement souligner l'article 93 qui dispose qu'une peine d'emprisonnement
inférieure à quatre mois ne peut être prononcée que «par décision spéciale et
motivée» (le droit allemand interdit totalement les peines inférieures à six
mois). On attend de cette règle un freinage de l'afflux des courtes peines qui
peuplent les prisons sans aucun profit d'effet éducatif ou correctif, bien au
contraire.
4 - L 'exécution de la peine, dont les règles étaient très développées
dans les avant-projets de 1976 et 1978 (au point de les déséquilibrer sérieusement), disparaît totalement de la version de 1983. Il s'agit du difficile problème
du juge de l'application des peines ou du «tribunal de l'application des sanctions»
comme le dénommait l'avant-projet de 1978 dit défmitif.
Dès le mois de juillet 1981, il a été entendu que ce problème serait
lié à la révision de la loi Sécurité et Liberté, étudiée par une commission
spéciale présidée par M. Léauté et qui s'est trouvée chargée depuis lors de multiples projets de réformes de procédure pénale. Le groupe de travail chargé de
cette question particulière, et dont je fais partie, a été unanime à penser que la
réforme devait porter aussi sur la loi de novembre 1978 créant la période de
sûreté et qualifiant les décisions du juge de l'application des peines de «décisions d'administration judiciai!e». Au contraire la Commission et le Garde des
Sceaux entendent «judiciariser» tout le domaine de l'exécution des peines. Un
projet a donc été établi, distinct de la révision du code pénal, et il doit être
prochainement déposé devant le parlement. J'en ai exposé les grandes lignes
au mois de juin dernier devant la Société des Prisons (Rev. pénit. 1983, p. 327)
et c'est un sujet très vaste qui n'entre plus, aujourd'hui, dans le sujet qu'il m'a
été demandé de traiter.
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B - Droit pénal spécial
Je ne donnerai que quelques indications sommaires sur le droit pénal
spécial. J'indiquerai simplement que les sous-commissions dont j'ai parlé tout à
l'heure ont beaucoup avancé leur travail. J'ai cité des exemples de solutions
novatrices en matière d'atteintes involontaires à l'intégrité corporelle, de
fraudes informatiques. En ce qui concerne les atteintes volontaires, c'est au
travail de la Commission originaire que la loi du 2 février 1981 avait emprunté
l'unification de ces infractions ; celle-ci doit donc être main tenue.
Les deux livres relatifs aux infractions contre les personnes et aµx
infractions contre les biens doivent être prêts à la fin du présent semestre.
Après eux viendra le livre consacré aux atteintes contre l'autorité de l'État et
l'administration de la Justice. A l'inverse du code pénal actuel le livre relatif
aux infractions .contre la sûreté de l'État (lui aussi très avancé) doit terminer
la partie spéciale qui ouvrait précédemment.
C - Le droit pénal spécialisé
Il est envisagé d'incorporer ultérieurement dans le code pénal, en une
sorte de troisième partie, à côté du droit pénal général et du droit pénal spécial,
la masse considérable des infractions commises dans des domaines où les règles
présentent un particularisme si marqué qu'il est difficile de les inclure dans le
droit pénal spécial, alors qu'elle dérogent même parfois au droit pénal général.
L'article S de l'avant-projet actuel déclare : «les dispositions du présent livre
sont d'application générale sauf qu'il y est dérogé par une loi particulière».
Dans cette catégorie du droit pénal dit spécialisé figureraient notamment la loi sur la presse, le droit pénal du travail, le droit pénal fiscal, le droit
pénal douanier (qu'il paraît très difficile encore à l'heure actuelle, de faire réintégrer le moule du droit pénal commun), etc ...
J'indiquerai seulement que la sous-commission dite de l'inventaire
doit tout d'abord terminer le recensement exhaustif qui lui a été donné.pour
but, et que cela présente de nombreuses difficultés.
Voilà à quel point nous en sommes parvenus. Je crois pouvoir dire
qu'il est dans les intentions du Garde des Sceaux d'introduire dans la filière
parlementaire, dès la session supplémentaire du mois de juillet la partie générale
et les deux premiers livres de la partie spéciale, ainsi que le projet de la loi sur
la judiciarisation de l'exécution des peines.
C'est dire que les textes dont nous venons de parler ont encore à
parcourir une longue traversée, sur une mer passablement agitée avant de parvenir à un port où l'on jettera l'ancre.
Personnellement je ne suis que modérément optimiste. Je pense qu'il
n'est nullement impossible qu'en l'année 2010, l'un des participants à la
présente réunion devenu Garde des Sceaux, un autre devenu président de la
Chambre criminelle de la Cour de Cassation, un troisième devenu professeur
de droit pénal, se trouveront réunis pour célébrer ensemble avec faste et
solennité le deux centième anniversaire du code pénal que l'on qualifiera
encore de «napoléonien».
�VOCATION ET RESPONSABILITE DE LA CRIMINOLOGIE
COMPAREE
Par
Denis SZABO
Professeur à l'Université de Montréal
Président de la Société Internationale de Criminologie
INTRODUCTION
Permettez-moi de vous remercier de cette flatteuse invitation : votre
série de conférences fait un remarquable tour d'horizon des problèmes actuels
posés aux sciences pénales et à la criminologie. Vous y avez réuni les meilleurs
esprits de la science et de la tradition française.
Francophone d'adoption et de cœur, et j'espère d'esprit, je vous suis
reconnaissant de m'offrir cette occasion pour vous entretenir de quelques
aspects de la criminologie comparée.
Qu'il me soit permis d'évoquer ici, pour les plus jeunes d'entre vous,
les liens d'amitié, de fraternité intellectuelle qui me lient depuis longtemps
déjà aux animateurs de nos disciplines dans votre illustre université. Notre
collaboration s'est concrétisée d'une manière éclatante dans l'organisation du
31e Cours international de Criminologie en 1981 sous les auspices conjointes
de l'Université et de la Société Internationale de Criminologie. Le succès de ce
Cours perpétué pour la postérité grâce à la belle publication des «Actes», mise
au point par Monsieur Lassalle marque une étape importante dans le développement de la Criminologie en France. Nous avons, en effet, évalué les méthodes
scientifiques les plus récentes élaborées pour appréhender la réalité criminelle.
Les meilleurs experts français et étrangers y ont conjugué leurs efforts pour
présenter le plus clairement possible une évaluation critique des connaissances
dans ce domaine. Les sciences sociales ont été envahies par tant de faux prophètes qu'il importait de rappeler les principes imprescriptibles de la recherche
scientifique.
Je tiens à rendre un hommage tout particulier à mes collègues et amis
Messieur8 Gassin et Boulan pour leur contribution si importante au développement de la coopération internationale en criminologie.
J'ose espérer que votre dynamique Université continuera à apporter
son généreux concours à l'élaboration de la criminologie comparée.
Aujourd'hui, je rappellerai les quatre approches qui caractérisent la
criminologie contemporaine ; ensuite, je situerai la criminologie comparée dans
son cadre socio-économique, politique et juridique ; enfin je tracerai les grandes
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lignes de la vocation de la criminologie en soulignant particulièrement sa contribution concrète à la protection des libertés et à la prise des responsabilités des
citoyens de nos sociétés.
1. - CRIMINOWGIE D'HIER ET D'AUJOURD'HUI
Dès sa naissance, en Italie, au dernier quart du XIXe siècle et jusqu'à
nos jours, la criminologie fut dominée par quatre approches successives, chacune
d'elles comprenant virtuellement et parfois explicitement les autres.
Nous distinguerons ainsi :
a) l'approche basée sur la personnalité criminelle ;
b) celle qui met l'accent sur la société criminogène ;
c) le point de vue interactioniste selon lequel c'est le Système de Justice
pénale qui constitue le plus important «producteur» de délinquance ;
d) enfin le pôle victimologique de la criminologie dans le cadre duquel,
depuis quelques années seulement le rôle de la victime est privilégié
dans la criminogénèse et l'appareil pénal.
a) Le concept de la personnalité criminelle a connu des fortunes diverses
mais il a remarquablement résisté à l'épreuve du temps. Emprunté à la psychiatrie, ce concept, opérationnalisé par Di Tullio, De Greff, Pinatel, Gôppinger,
Yochelson et Samenov, est issu de la synthèse clinique de syndrome qui
dessinent le profil d'une personnalité, sa genèse, sa dynamique et son contexte
relationnel.
On la distingue de celle des psychopathes, névropathes et des sociopathes en précisant ses caractéristiques spécifiques. L'irruption de !'antipsychiatrie et de la pensée critique dans les sciences humaines a sérieusement malmené
le concept de la personnalité criminelle : la personnalité ne serait qu'un reflet
pur et simple des relations de pouvoir et le crime une construction sociale.
Notons d'ailleurs que l'anthropologie criminelle a commencé à avoir mauvaise
presse lors de la condamnation de !'Holocauste et que l'influence de la biologie
a été récusée à cause des abus des pseudo-Sciences racistes. La fixité de la
structure de la personnalité postulée par la génétique, la biologie se mariait mal
avec la plasticité présumée de l'homme.Celui-ci devant s'adapter à des changements technologiques de plus en plus rapides, on concevait mal qu'il puisse y
avoir des résistances majeures au niveau biologique.
Nous avons tous assité après les années turbulentes qui ont suivi la fin
des guerres coloniales en Occident, à une renaissance soudaine et inattendue de
l'intérêt des milieux scientifiques pour les déterminants biologiques de la personnalité. L'éthologie de Tinbergen et de Lorenz, la socio-biologie de Wilson,
les travaux de Ruffié sur la biologie des populations, ne constituent que les
crêtes brillantes et hautement visibles d'une vague profonde qui submerge les
laboratoires de recherche.
Arthur Koestler et Edgar Morin ont popularisé ces concepts en s'adressant au
grand public et ont ainsi restauré la dimension biologique dans une vision
�91
éminemment holistique de la personnalité. Nous pouvons donc nous attendre,
avec sérénité, à un regain d'intérêt pour la personnalité criminelle tombée en
discrédit depuis environ vingt ans.
b) Enrico Ferri, après son précurseur belge Quételet, proposa le concept
de «société criminogène» qui exerça à son tour, une véritable fascination sur la
communauté des criminologues, et les hommes de science en général. Durkheim
et Tarde se sont d'ailleurs confrontés jusqu'au début de ce siècle pour savoir
si c'était l'imitation, la socialisation individuelle (Tarde) ou la contrainte due
au substrat social, la socialisation de la conscience collective (Durkheim) qui
était à l'origine d'une conduite conformiste, déviante, anomique ou criminelle.
Bonger, à la suite de Marx, a désigné la structure des classe~, la lutte des classes
en vue. de l'appropriation des moyens de production, pour expliquer la genèse
de la criminalité. La doctrine marxiste n'est pas en vogue dans toutes les facultés
des universités occidentales mais on oublie trop souvent qu'elle est la doctrine
officielle pour plus d'un tiers de l'humanité.
c) Dès le début des années soixante, des criminologues se sont ingéniés à
étudier le phénomène curieux de la différence entre la criminalité cachée et la
criminalité légale. Le résultat de ces recherches a souligné -sinon révélé- le
caractère artificiel, arbitraire, «construit», en quelque sorte, du terme «criminel».
En effet, si ce sont des forces sociales qui déterminent les conduites criminelles,
ce sont les mécanismes du contrôle social et judiciaire, les pratiques sociales des
divers groupes qui définissent ce qui est ou ce qui n'est pas criminel. Le mot
«criminel» lui-même est devenu problématique et est souvent remplacé par celui
de «déviant», plus neutre, plus descriptif. Au centre des analyses de ce type,
nous ne trouvons donc plus ni la personnalité criminelle, ni la société criminogène mais les mécanismes sociaux et judiciaires producteurs de criminalité et de
déViance qui dominent désormais la pensée théorique et la démarche méthodologique des criminologues. De là à ce que plusieurs chercheurs réclament l'abolition du système pénal il n'y avait qu'un pas puisqu'ils considéraient ce système
comme un instrument de domination et d'alinéation bureaucratique injuste et
injustifiable. Ils préconisent plutôt la gestion des «situations-problèmes» qu'ils
substituent à la notion de «crimes» (Hulsman).
d) La redécouverte de la victime décrite magistralement par Von Hentig au
lendemain de la seconde guerre mondiale, constitue la plus récente approche de
la criminologie. Son développement extraordinaire est dû en premier lieu à
l'essor des études sur la victimisation : pour pallier l'insuffisance des statistiques
criminelles, sous l'impulsion du sociologue Albert Reiss, de l'Université Yale,
dès le début des années soixante, des instruments ont été mis au point pour
mesurer le degré de victimisation des différentes classes et milieux sociaux. Ces
enquêtes, actuellement prises en charge par le Bureau de recensement aux EtatsUnis et au Canada, révèlent l'impact véritable de la criminalité sur la société.
La criminogenèse bénéficia très vite de cet intérêt accru pour les
victimes : tout un secteur de la recherche dans ce domaine a permis de constater qu'il existe des facteurs mesurables associés au risque différentiel que
�92
chaque individu court de tomber sous le coup de telle ou telle agression. Citons
les travaux de Waller et Fattah, panni les plus représentatifs de cette orientation
de la recherche au Canada.
L'intérêt suscité par les victimes a débordé largement le champ scienti·
fique et il a déterminé d'importantes réflexions sociales et judiciaires : en effet,
la victime, la grande oubliée a été réintroduite dans la procédure pénale où l'on
parle enfin de ses droits et des compensations qu'il faut lui assurer.
Ces quatre approches coexistent aujourd'hui mais, d'une certaine
manière, il faut reconnaître qu'elles ont coexisté depuis toujours au moins
implicitement.
Chacune a des prolongements dans le champ de la justice pénale,
chacune inspire une certaine pratique sociale, professionnelle, clinique ou
politique. La personnalité criminelle est au centre des activités de diagnostic, de
pronostic et de traitement en criminologie clinique. La société criminogène
inspire une action sociale de plus en plus structurée en matière <Je prévention,
surtout auprès des mineurs. Le point de vue interactioniste a inspiré dans une
très large mesure, les récentes réfonnes législatives d'alternatives telles que la
décriminalisation, la recherche d'alternatives aux peines privatives de liberté,
comme les travaux d'intérêt communautaire par exemple. On met aussi beaucoup plus l'accent sur le rôle préventif de la police, etc. Enfin, la victimologie
a permis la création de modèles de compensation, des chartes de droits et des
réfonnes de procédure pénale qui instaurent une relation vécue et des échanges
précis entre les victimes et les condamnés.
Il. - CRIMINOLOGIE COMPARÉE ET CONTEXTE SOCIO-ÉCONOMIQUE
ET POLITIQUE
Nous pouvons distinguer les sociétés actuelles selon leur structure
socio-économique et les classer en trois catégories.
Citons d'abord les sociétés post-industrielles soumises aux mécanismes
régulateurs du marché corrigés cependant par des interventions de l'État visant
à assurer une sécurité sociale plus ou moins suffisante. (L'Europe occidentale
et l'Amérique du Nord par exemple).
Citons ensuite les sociétés industrielles socialistes qui ont substitué
aux mécanismes régulateurs du marché des organismes centralisés de planification qui sont censés assurer une sécurité sociale et un bien-être égaux à
chaque citoyen (les pays de l'Europe de l'Est, la Chine, Cuba, le Vietnam, la
Corée du Nord, par exemple).
Enfin, le Tiers Monde combine l'un ou l'autre de ces systèmes avec un
vaste secteur traditionnel où le genre de vie rurale prédomine. C'est la culture
de chacune de ses parties du monde qui détermine les caractéristiques de la
criminalité qui s'y manifeste ainsi que les régimes juridiques et judiciaires que
l'on y préconise. Le concept d'intégration sociale nous pennettra de pousser
plus en avant notre analyse.
�93
Nous partons du postulat suivant lequel chaque société, chaque système social produit une certaine quantité de conduites déviantes et délinquantes
les unes sanctionnées par des mesures de régulation sociale (coutumes) les
autres par les mesures administrées par la justice. La qualité de ces conduites
varie très considérablement : la vie en groupe, en société exige des règles et
la liberté de l'homme implique la possibilité de leur trangression.
Dans chaque société, il existe une combinaison unique entre la structure
sociale (distribution par l'âge, le sexe, la division du travail social, la mobilité
sociale et géographique, etc.), la culture ( us et coutumes, valeurs et normes)
et la personnalité de base (profils psychologiques de traits acquis par la socialisation et l'inculturation (voir : diverses classifications comme celles de Riesman
ou de Kohlberg, entre autres)). C'est le degré d'intégration de ces divers éléments autour des valeurs ~ulturelles qui leur donne une signification aussi
bien fonctionnelle (utilitaire) que morale (adhésion libre des 4J.dividus) qui
permet d'établir une typologie des sociétés.
Dans les sociétés intégrées, il y a harmonie, non exempte de tensions,
évidemment, entre les valeurs sociales et individuelles, les mœurs des groupes
composant la société et les règles, les lois qui régissent ou sanctionnent les
comportements individuels ou collectifs. Il y a une corrélation et une harmonie
entre les mécanismes de régulation sociale, les rouages des réglementations ou
législations régissant les conduites.
Ces sociétés peuvent appartenir à l'ère industrielle, pré ou postindustrielle. Par exemple, une partie importante des sociétés traditionnelles
à caractère rural d'Afrique et d'Asie peuvent être classifiées parmi les sociétés
intégrées. Il en va de même du Japon parmi les sociétés déjà entrées dans l'ère
post-industrielle et des pays socialistes où le marxisme-léninisme est une doctrine d'Etat, et qui se partagent entre les pays appartenant à l'ère industrielle
(l'Europe de l'Est) ou des sociétés pré-industrielles (pays socialistes d'Afrique,
d'Asie ou d'Amérique).
Dans les sociétés partiellement intégrées se manifestent non seulement
des tensions mais des contradictions entre les valeurs, les normes et les conduites
individuelles ou collectives. Si le désaccord entre groupes et individus divers
concernant les valeurs n'est pas insurmontable au niveau des principes, les interprétations données peuvent varier considérablement et peuvent constituer ainsi
des sources de conflits nombreuses. Si la corrélation et l'harmonie entre les
mécanismes de régulation sociale et les rouages de l'administration de la justice
ne sont pas rompues, elles présentent des ratés et des distorsions donnant
naissance à des nombreuses dysfonctions.
La grande majorité des pays occidentaux appartient à ce type de
sociétés qui se situent surtout à l'ère post-industrielle. La quasi-totalité tl'Amérique latine s'y apparente ainsi que plusieurs pays d'Asie tels que la Malaisie,
Singapour, la Corée du Sud, certaines régions du sub-continent indien et de
!'Insulinde et les régions très urbanisées d'Afrique au sud du Sahara.
�94
Enfin, le type de sociétés non-intégrées se caractérise par des oppositions apparemment insurmontables entre les valeurs, les normes qui, contradictoires les unes par rapport aux autres, inspirent des groupes, des mœurs qui
déterminent des conduites incompatibles, conflictuelles, contradictoires les
unes par rapport aux autres. Dans ces sociétés, ne peut exister une harm_onie
pré-établie entre les valeurs motivant les conduites, justifiant des normes et des
mécanismes de régulation sociale et judiciaire. Ou plutôt, l'harmonie existe au
niveau de chacune des «sociétés» qui composent la société globale qui n'est
plus tenue ensemble par aucun lien s'appuyant sur une culture commune et
partagée.
Le~. conflits endémiques qui caractérisent les sociétés non-intégrées
empêchent leur perpétuation. Les sociétés que l'on peut classifier comme
appartenant à ce type, représentent des collectivités des ères pré ou postindustrielles, des sociétés industrielles à un certain moment de leur histoire.
La société française durant les événements de mai 1968, la société des ÉtatsUnis durant la phase finale de la guerre du Vietnam, les sociétés sud-américaines
révolutionnaires ou contre-révolutionnaires évoquent l'image de ce type de·
société. En fait, c'est une situation pré-révolutionnaire à laquelle succède, assez
rapidement, une consolidation due à la révolution ou à la contre-révolution.
La criminologie a un rôle différent à jouer dans chacun de ces types de sociétés
car elle est tributaire du degré d'intégration sociale qui y prévaut.
Dans les sociétés post-industrielles, pour la plupart partiellement
intégrées, elle a une triple fonction :
- accumuler des connaissances en affinant les méthodologies et en construisant des théories aux capacités de prédiction de plus en plus aiguës et
précises;
- ·évaluer les performances des systèmes, institutions et programmes destinés
à prévenir le crime ;
- manifester une attitude critique à l'égard des pratiques en vigueur.
Les changements rapides que connaissent les systèmes et les pratiques
socio-culturelles exigent une réflexion critique permanente sur la nature des
conduites qualifiées d'anti-sociales, sur la meilleure manière de les prévenir et
d'y mettre un terme.
Dans les sociétés socialistes industrialisées où le postulat d'une société
intégrée continue partout malgré tout à prévaloir, la criminologie est un outil
précieux de planification sociale, de prévention et de répression visant à ajuster
les ripostes à la délinquance, à corriger des individus qui trahissent la confiance
de la communauté. L'évaluation des mesures prises à cet effet constitue la
tâche principale des chercheurs en criminologie qui demeure une discipline la
plupart du temps très «utilitaire».
Enfin, les pays du Tiers Monde présentent une face éclatée. La société
traditionnelle domine de très larges secteurs de la vie dans ces pays que ce soit
en Amérique latine, en Asie ou en Afrique. La modernité, véhiculée par l'indus-
�95
trialisation y établit des têtes de pont puissantes dans les grandes villes et toutes
les zones urbanisées. On voit même dans certains pays d'Amérique latine, par
exemple, de véritables secteurs post-industriels se greffer sur des aires déjà
industrialisées.
Ces sociétés sont non-intégrées dans les vastes régions où coexistent
d'une façon contiguë, systèmes traditionnels et modernes. Elles sont intégrées
dans des secteurs traditionnels extrêmement étendus. Elles le sont partiellement dans les ilots modernisés. Elles sont cependant désintégrées dans de larges
zones de contacts inter-sociétables.
Il n'est donc pas surprenant que la criminologie n'ait qu'un tout petit
rôle utilitaire et que les criminologues n'y évaluent presque pas le fonctionnement des institutions.
Les chercheurs peuvent y mettre en évidence des besoins de justiciables, des inadaptations entre ces besoins et la protection sociale dispensée par
l'J;:tat. Cependant il nous semble évident que, dans le Tiers Monde, le rôle
de la criminologie doit être essentiellement critique au service des exigences de
la justice sociale , à société éclatée, à culture éclatée correspond incontestablement une criminologie éclatée.
ID. - TYPES DE SOCIÉTÉS ET DROIT
Chaque société a une façon d'arbitrer ses conflits, d'administrer sa
justice qui pourrait se caractériser par une conception différente de la séparation des pouvoirs. Nous avons été témoins d'une vive discussion dans la littérature antluopologique concernant la conception du droit et du pouvoir. C'est
ainsi que Michel Alliot nous invite à abandonner notre croyance dans l'échelle
des sociétés avec l'idée que les sociétés occidentales s'élèvent vers leur sommet,
que les sociétés qui en sont les plus différentes en sont aussi les plus éloignées
et demeurent par conséquent aux échelons les plus bas et que l'ensemble des
sociétés humaines se situent entre les deux, à des échelons d'autant plus élevés
du développement qu'elles ressemblent aux nôtres.
C'est une erreur grave d'assimiler différence et échec, ressemblance et
succès.
Si nous considérons le cas des sociétés intégrées, la séparation des
pouvoirs Gudiciaire, législatif et exécutif) y est soit diffuse soit largement
formelle. En effet, dans les sociétés traditionnelles, pré-industrielles, la séparation entre les coutumes, les droits et les devoirs est soit inexistante, soit
embryonnaire. La plupart des sanctions sont intrinsèques aux relations sociales
elles-mêmes. La logique même de ces relations implique la notion d'obligation.
La sanction y est rarement dispensée par des instances judiciaires séparées : les
sociétés primitives refusertt volontairement d'assurer au maximum l'indépendance collective et individuelle. La sécurité que donne la diversité juridique
constitue un obstacle à l'uniformisation du droit, et à la séparation des
pouvoirs. L'enchevêtrement des mécanismes de régulation, et l'absence d'auto-
�96
nomie des mécanismes juridiques tant à l'égard des croyances religieuses, des
convictions éthiques, que des techniques magiques, renforcent encore le respect du droit.
En ce qui concerne les sociétés intégrées appartenant à l'ère industrielle, mais au régime marxiste-léniniste, le droit représente évidemment un
champ distinct dans l'ensemble des institutions propres aux sociétés socialistes.
La séparation des pouvoirs y demeure subordonnée cependant à la dictature
du prolétariat. Dans certaines conjonctures historiques, le droit se dissout
d'ailleurs dans des rapports de forces antagonistes. La légalité socialiste s'instaure au fur et à mesure de l'affermissement du pouvoir du parti communiste.
C'est à ce moment là aussi, que la séparation des pouvoirs prend corps.
Dans les sociétés partiellement intégrées le droit représente un champ
autonome et spécifique sur le plan institutionnel. De plus en plus, on a tendance
à le séparer du champ propre aux mœurs faites de coutumes et de l'ensemble
des règles de mécanismes de la régulation sociale. Les incertitudes quant aux
valeurs motivantes des comportements affaiblissent le principe de légitimité des
divers pouvoirs. C'est ainsi que l'on relève dans ces sociétés de nombreux
conflits entre les trois pouvoirs. L'interprétation des membres de certains
syndicats de la magistrature en France ou en Italie, par exemple, ~st rudement
contestée par les autres branches du pouvoir. Ce qu'on appelle «l'activisme
judiciaire» aux Etats-Unis, conduit à l'intervention directe des juges dans
l'administration scolaire, hospitalière, pénitentiaire etc., au détriment des
prérogatives du pouvoir exécutif.
La raison que les philosophes et les jurisconsultes ont invoquée au
début du XIXème siècle devait légitimer l'acceptation du droit aux yeux de
tous. Sans prétendre que ce droit fut rationnel, on considérait qu'il était
raisonnable. On présumait que sa rencontre avec la raison -laquelle se retrouverait en tout homme- devait entrafuer cet assentiment de tous. C'est de là
que découlait la force juridique de certains actes. C'est ainsi que le droit romain
retrouvait un nouveau fondement et une vocation à l'universalité. Supposant
la conscience universelle et immuable, la conscience individuelle du juste et de
l'utile devenait le fondement du droit.
Très rapidement, cependant, des zones de résistance contre cette
fiction d'universalité s'organisèrent. Pour que ce droit puisse exister on aura
besoin du concours de la société et celle-ci, par jurisprudence, modifiera
profondément le droit. On assiste ainsi à la constitution d'un droit jurisprudentiel, élaboré à partir de diverses sources dont la plus importante est la loi. Il
devient évident que sans l'apport de l'administration de ta justice, le droit n'a
que peu de significations. Pour illustrer ce processus, rappelons que la version
anglaise du Pater noster comporte 56 mots, les dix commandements 297 mots,
la déclaration américaine de l'indépendance 300 mots, la version angJaise de la
directive de la Communauté économique européenne sur les exportations
d'amfs de canne, 26 911 mots ! Cet éclatement du droit en droits spécialisés
complétés par d'innombrables directives, règlements, eté., correspond aux
�97
zones de résistance des groupes qui constituent ces sociétés partiellement
intégrées. La séparation des pouvoirs y est par conséquent sélective.
Enfin, dans les sociétés non-intégrées, caractérisées par un poly·
centrisme culturel, les pouvoirs sont diffus à des degrés plus ou moins grands,
entre l'exécutif, le législatif et le judiciaire. Ceci se produit à l'intérieur de
chacun des systèmes antagonistes qui composent ce type de société. On y est
arrêté, jugé et exécuté par la même instance. La justice «révolutionnaire» est
l'exemple caractéristique de cette absence de séparation des pouvoirs. Le droit
n'y constitue guère, non plus un champ institutionnel autonome. La conscience
aigüe des valeurs permet directement le passage à l'administration des mesures,
sans l'entrave que constituent les règles de procédure découlant normalement
de la séparation des pouvoirs.
Dans la perspective que nous avons adoptée ici, seules les sociétés
partiellement intégrées disposent d'un régime d'administration de la justice qui
reflète une séparation satisfaisante des pouvoirs. L'équilibre délicat qui s'y
établit est cependant toujours à la merci de crises qui éclatent dans la sphère
culturelle. La légitimité des principes est alors contestée et l'équilibre peut être
rompu au profit de l'un ou l'autre de ces pouvoirs. Lorsqu'on dénonce le
gouvernement des assemblées, celui des juges ou celui des masses (abus des
plébiscites), la présidence «impériale», cet équilibre risque d'être rompu. La
crise de la culture occidentale exerce donc une influence décisive sur l'administration de la justice. Le système juridique des sociétés partiellement intégrées
que sont la plupart des démocraties occidentales s'en ressent. Un glissement
dangereux vers le type des sociétés non-intégrées peut s'opérer alors entraînant
l'apparition de la «justice révolutionnaire» (terrorisme endémique, guerre
civile, etc).
N. - LA MISSION UNIVERSELLE DE LA CRIMINOLOGIE ET DE LA
JUSTICE PtNALE
Après avoir analysé les quatre approches fondamentales de la crimi·
nologie contemporaine, après avoir indiqué le rôle qu'elle joue dans chacune
des trois catégories de sociétés que nous avons distinguées en raison de leur
degré d'intégration culturelle, esquissons les grandes lignes de sa mission
universelle.
C'est maintenant que vous pourriez m'objecter qu'il semble y avoir
une contradiction flagrante entre l'existence des diverses approches de la criminologie, des fonctions hérétogènes des criminologues qui œuvrent dans ces
types de sociétés très différents et une mission universelle.
La dernière partie de cet exposé sera consacrée à vous per8uader
du contraire.
En fait, la mission universelle de la criminologie comporte deux
orientations essentielles.
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La première consiste dans le développement, l'accumulation continue
de la connaissance : c'est son orientation positive.
La deuxième viserait à assurer l'exercice effectif des libertés et des
responsabilités de tous les justiciables -agresseurs et victimes potentiels- :
telle est son orientation normative.
a) En ce qui concerne le développement des connaissances : trois champs
d'investigation retiennent actuellement l'attention. Le premier a pour objet la
personne, le deuxième les groupes et les organisations et le troisième, l'aménagement de l'espace et l'habitat.
1) Des études longitudinales nous ont appris que moins de 10 % des
citoyens commettent plus de 70 % de tous les délits. Nous savons également
que ceux qui commettent des délits graves, en particulier contre les personnes,
sont peu nombreux mais extrêmement dangereux. La détection de ces personnes dont le nombre demeure considérable, si l'on en croit l'importance
du «chiffre noir», constitue une des priorités de la recherche biologique et
psychiatrique.
Rappelons ici qu'il y a plus de 50 000 personnes qui disparaissent
chaque année aux Etats-Unis. La police estime qu'environ 5 000 d'entre elles
ont été assassinées et ce n'est qu'une infime fraction de ces victimes qui sont
identifiées, notamment lors de la découverte de charniers. Rarissimes sont les
procès qui aboutissent à la condamnation des prévenus. Le syndrome des
tueurs de masse relève d'une étiologie complexe. A cet égard, les progrès de la
cybernétique et de physiologie du cerveau ouvrent des perspectives de plus en
plus intéressantes en particulier dans le domaine de la psycho-biologie et de
la génétique.
2) Des études sur la socialisation, !,.apprentissage et la perception,
en psychologie expérimentale et en psychologie générale et dynamique, révèlent
des sources d'inadaptation, de ~onflits profondément ancrés dans la structure
même de la personnalité. L'apprentissage des règles morales et sociales est
fortement influencé par des mécanismes mis en lumière notamment par les
recherches, intéressées à préciser la genèse d'entités cliniques complexes et
mystérieuses telles que la «psychopathie» ou la «névropathie», par exemple.
Quelle que soit la fortune des doctrines psychanalytiques et des théories comme
celles de Piaget, il demeure que notre compréhension de la motivation et des
processus entraînant le passage à l'acte anti-social se clarifie progressivement.
3) L'étude des groupes de pairs, dans le cadre de la socialisation, de la
dé-socialisation et de la resocialisation fait également des progrès. On s'éloigne
de plus en plus des conceptions qui considéraient le délinquant en terme de
destinée individuelle. Les recherches montrent à quel point les attitudes et les
comportements sont tributaires, surtout chez les adolescents, de l'influence des
groupes de pairs dans le cas du vandalisme, par exemple. Lorsqu'il s'agit de
resocialiser des adolescents, il faut donc utiliser ces puissants mécanismes
propres aux groupes et aux organisations sociales. Dans le monde des adultes,
�99
on a découvert l'activité protéiforme du crime organisé, de la criminalité pour
motifs idéologiques et des manifestations de la criminalité trans-nationale.
La complexité croissante des activités économiques et sociales, les
progrès de technologie telles que l'informatique offrent aux organisations et
aux groupes criminels des champs d'activités d'autant plus fructueux que les
services de protection sont toujours, sur le plan tactique, en retard d'une
guerr~ ...
4) L'aménagement de la cité, la recherche des «optima de population»
(que Platon fixait à 5 000 personnes !) font l'objet d'études systématiques.
Comment organiser les quartiers de telle sorte que les handicapés de tol.16 ordres
ne se retrouvent marginalisés dans des ghettos-dépotoirs ? Comment motiver
les communautés à prendre en charge, dans le respect des droits de chacun, une
partie croissante de leur sécurité ?
5) La découverte du rôle décisif joué par le système pénal dans la définition de ce qui est criminel a révélé ses contradictions internes : l'incohérence
y règne en maître. Réaliser l'interdépendance de tous les éléments de l'appareil
social et juridique tel est l'ob~ectif de l'analyse systémique. Les incohérences
ainsi relevées entre les fonctions simultanées de prévention, de punition, de
répression, de resocialisation, de protection des droits des accusés et des
victimes, etc., ont tracé les chemins à de multiples réformes. Grâce aux travaux
d'Alfred Blumstein, une nouvelle philosophie préside au fonctionnement de
tous les protagonistes de la justice : leur solidarité y est dûment préconisée et
les. études coût- efficacité précisent en les évaluant leur rôle respectif à l'intérieur du système.
Les études systémiques, en général, démontrent l'importance déterminante des actions et des comportements dans le fonctionnement des systèmes
bureaucratiques. Le texte des lois, la lettre même du code pénal ont une
influence beaucoup moins considérable. En effet, les décrets d'application, les
habitudes prises par les parquets, les juges~ la police, les services chargés de
l'exécution des peines, etc., engendrent de véritables systèmes sous-culturels
caractérisés par des expédients, des adaptations à la réalité quotidienne tout à
fait imprévisibles.
6) Enfin, l'impulsion donnée aux recherches sur la victimisation et la
victimogénèse a permis d'éclairer notre compréhension de l'interaction complexe de l'agresseur et de la situation criminogène. L'introduction de la victime
dans cette analyse fait de cette dyade une triade, fondement de toute étude
désormais.
b) En ce qui concerne la mission normative de la criminologie et de la
justice pénale, il s'agit d'assurer l'exercice effectif des libertés et des responsabilités de tous les justiciables.
Cette mission est également très importante. Science appliquée, la
criminologie se pratique dans le cadre de règles et de normes tributaires de
systèmes et d'échelles de valeurs. L'enfermer dans un cadre exclusivement
�100
scientifique eut et a encore des effets très néfastes parce que l'application de la
méthode scientifique au phénomène criminel et à la conduite criminelle a
contribué à relativiser ces situations et ces actes sur le plan moral et politique
ce qui est beaucoup moins légitime que sur le plan scientifique.
Il faut reconnaître que le relativisme et l 'bistoricisme propagés par
les sciences sociales eurent des conséquences imprévues en politique criminelle
notamment la subordination des règles de droit protégeant les droits naturels
et imprescriptibles de l'homme à des critères contingents dépendant de l'évolution des mœurs et des découvertes scientifiques toujours provisoires.
Par exemple, les lois racistes et eugéniques promulguées par les législateurs allemands après l'arrivée au pouvoir du parti national-socialiste d'Hitler
n'ont rencontré que relativement peu de résistance lors de leur application par
l'appareil judiciaire. En raison de l'influence du positivisme juridique, la majorité des magistrats ne voyait aucun critère où appuyer une résistance à ces lois
iniques : la nomenclature des catégories de citoyens devant être internés à
Dachau, un des premiers camps de concentration du Reich, se lit d'ailleurs
comme un chapitre tiré d'un traité d'anthropologie criminelle. On y caractérise
des types par des conduites qui sont collectivement stigmatisées, on les exclut
du corps social et on les punit par la ségrégation carcérale. La raison principale
de cette capitulation de la magistrature et de tous les agents de l'administration
de la justice en Allemagne à cette époque réside dans l'élimination de tout
critère normatif extrinsèque explicite de la législation, de l'ordre légal.
Un autre exemple peut être fourni par les législations préconisant des
sentences indéterminées infligées à des citoyens dont la personnalité est jugée
particulièrement dangereuse pour la paix sociale et la sécurité des citoyens. De
nombreux Etats parmi les plus démocratiques et progressistes (la Californie, la
Belgique et la Scandinavie, par exemple) ont promulgué de telles législations
entre 1930 et 1960. Ont ainsi été maintenues en détention pour des périodes
indéfinies de nombreuses personnes dont le caractère dangereux dépendait de
diagnostics médico-psychologiques dont tout le monde reconnaît la faiblesse et
la précarité.
Ces législations furent d'ailleurs abrogées dans les années 60 et 70.
Comment éviter de tels errements dans l'avenir ? Comment limiter
les dégâts, les effets pervers causés par l'intervention législative et administrative dans la vie des citoyens indapatés et délinquants ?
Nous recommandons le renforcement systématique dans les textes
de lois, dans les dispositions administratives et dans l'éducation civique de tous
les citoyens des principes de la protection des libertés.
L' Habeas Corpus doit être intégré aux systèmes juridique.s inquisitoriaux. Il en résultera une limitation infranchissable de la détention préventive et
provisoire et ce quelles qu'en soient les conséquences. Il est urgent de ratifier
les règles minimales proposées par les Nations Unies en ce qui concerne le
traitement pénal, la justice des mineurs, la déontologie des policiers, etc.
Moderniser la justice à l'instar des autres services publics aura pour conséquence
�101
une action plus prompte, plus efficace et plus individualisée. Son délabrement
actuel engendre l'inefficacité et le niveau très bas de la protection des citoyens
ce qui entraîne le déclin de la légitimité des Etats libéraux.
Imaginons seulement ce qui arriverait aujourd'hui si les effets de la
crise économique sur l'emploi n'étaient pas corrigés par des mesures de solidarité sociale efficaces !
Dans cet ordre d'idées, des mouvements tels que «Légitime Défense»
en France, «Les Escadrons de la Mort» en Amérique latine et les mouvements
subversifs comme P2 en Italie constituent des réactions du corps social face à
l'insécurité provoquées par les ratés de l'appareil de la justice pénale.
L'égalité de chacun devant la loi devrait être rendue effective par
l'instauration d'une véritable «sécurité judiciaire» pour tous. Le fait d'appartenir à un milieu défavorisé ou ethniquement minoritaire ne devrait pas diminuer
la chance de bénéficier d'une justice équitable.
La reconnaissance de plus en plus répandue des effets néfastes de
l'incarcération devrait entraîner l'instauration de mesures punitives non privatives de liberté. Même si des réformes dans ce sens ont déjà vu le jour, il est à
espérer que les réformateurs partout aillent jusqu'au bout de leur logique car
très peu de condamnés, en définitive, devraient être gardés sous les verrous.
C'est une question d'imagination finalement de procéder à une vaste diversification des peines.
N'oublions pas non plus qu'il importe de tirer les conséquences du
fait que la jeunesse, l'adolescence est la classe d'âge criminogène par excellence
et ce dans presque toutes les sociétés. Faut-il dé-judiciariser ou re-judiciariser le
champ de la justice des tpineurs ? Des expériences importantes comportant des
visées absolument contradictoires sont en cours actuellement et il nous faudra
très vite et très soigneusement les évaluer car la construction d'une société
moins criminogène s'invente, pour l'essentiel, autour de la jeunesse et pour
elle : elle doit pouvoit garder sa foi en une société fraternelle, plus solidaire et
plus juste.
Avouons que nous sommes loin du compte ! Mais il est impensable
d'espérer qu'une politique criminelle protège de plus en plus efficacement les
libertés de chacun sans un renforcement des sentiments de responsabilité de
tous les citoyens. Il va de soi également qu'il importe de rendre les activités
criminelles plus onéreuses. La prévention générale, longtemps considérée
comme mythique par les criminologues est actuellement à notre portée sil'on
en croit les résultats les plus récents des recherches poursuivies par l'Académie
des Sciences des Etats-Unis. Des réformes procédurales et administratives
permettent de personnaliser la justice et de mettre chacun en face de ses
responsabilités dans le cadre de situations concrètement vécues : la victime est
amenée à se rendre compte qu'elle a négligé de prendre les précautions les plus
élémentaires, le criminel est instruit de toutes les conséquences des actes qu'il
a fait subir à la victime.
�102
Les membres de l'administration de la justice eux-mêmes, en tant
qu'acteurs du drame judiciaire, sont de plus en plus instamment invités à
prendre conscience de leurs responsabilités à l'égard de toutes les instances qui
interviennent dans la gestion de la vie quotidienne des prévenus et des condamnés. Le nombre des magistrats qui n'ont jamais vu l'intérieur d'une prison
s'amenuise de jour en jour et un autre scandale, celui de l'impunité de fait des
policiers qui abusent de leur pouvoir, devra cesser lui aussi.
Les familles et les écoles, les organisations de loisirs, les clubs sportifs,
les associations syndicales, etc., devraient également prendre leur part de
responsabilités : il s'agit là d'un corollaire indispensable de la réduction de la
mission purement répressive de l'appareil pénal.
La protection des institutions démocratiques et des droits de l'homme
contre la subversion de groupes violents et clandestins demeure une priorité
de même la lutte contre la criminalité des affaires, la délinquance en col blanc :
ces deux subversions inspirées par l'esprit de lucre ou le fanatisme doivent être
combathies.
'
Enfin, il importe de proclamer que nous sommes tous responsables
de la protection des valeurs qui cimentent notre civilisation, valeurs relativisées
par les découvertes scientifiques et l'évolution des mœurs certes, mais qui, à
l'instar du langage, obéissent à une logique interne, à des règles explicites et
observables et sont universelles.
L'ordre social, l'ordre juridique sont voués à en assurer la protection,
enfreindre les règles, conventions, habitudes formulées d'une façon précise en
ce qui concerne la sexualité, la famille, l'amitié, la loyauté, la protection de la
vie, la disposition des morts, etc., comporte des conséquences partout dans le
monde lorsqu'elles sont issues de valeurs qui se sont constituées dans les
consciences individuelles et collectives des peuples au cours d'une très longue
histoire.
Ce sont les principes du jugement binaire qui fondent les valeurs de
nos sociétés : le bien et le mal, le vice et la vertu, le beau et le laid, l'attraction
et la répulsion ... En dépit des difficultés qu'une telle entreprise présente, il
faut absolument continuer à préciser ces valeurs, il faut absolument que l'ordre
social et juridique continue à les protéger.
CONCLUSION
Pour conclure, je serai bref. Je crois vous avoir convaincus qu'il
est évident que la mission primordiale de la criminologie est actuellement la
recherche scientifique.
•
Hélas ! Les ressources affectées à la quête de la vérité dans ce
domaine par nos sociétés sont dérisoires. Quel état de crise aigu faut-il attendre
alors qu'il semble à tous qu'il est atteint tous azimuts actuellement déjà? Que
�103
faut-il donc qu'il arrive pour que l'opinion publique soit suffisamment alertée
et que nos recherches deviennent prioritaires?
Dans cet état de vie précaire et anxiogène qu'il nous faut mener, il
importe avant tout de tenir bon et de continuer à défendre les valeurs qui
prônent et la liberté et la responsabilité. Gardons-nous des utopies qui entraînent les solutions autoritaires et répressives et qui ont déjà causé tant de morts
en raison de l'exacerbation des sentiments d'insécurité que vivent les citoyens
de nos démocraties.
Le criminologue ne peut s'a~commoder des solutions simplistes. Il
trace une image peu flatteuse de l'homme mais c'est au service de cet homme-là
qu'il offre ses talents.
��LE DROIT CRIMINEL FRANÇAIS ET LES CONVICTIONS
RELIGIEUSES, PHILOSOPHIQUES, MORALES OU POLITIQUES
Par
M. le Professeur André VITU
DirecteW' de l'Institut d'Etudes Judiciaires de Nancy
Le sujet est vaste, mais c'est un sujet d'extrême actualité, il est aisé
de le constater avant même d'en avoir recensé les éléments. En effet, plus qu'à
aucune autre époque dans le passé, l'homme moderne réclame liberté et autonomie pour ses propres convictions religieuses, philosophiques, morales _ou
politiques : il exige de l'autorité publique qu'elles soient mieux reconnues, plus
complètement protégées. Mais, en raison de leur dynamisme et parfois de leur
agressivité, il arrive que ces convictions inquiètent les autorités et provoquent
leur méfiance, voire leur hostilité, quand l'ordre public paraît menacé par
l'expression qui leur est donnée. Il suffit de songer au prosélytisme intensif ou
aux méthodes inquiétantes de certaines de ces sectes qui pullulent aujourd'hui,
il suffit aussi d'évoquer les brutales explosions de violence aveugle par lesquelles
des fanatiques expriment actuellement leurs revendications révolutionnaires.
Reconnaftre et protéger les convictions de chacun ? Sans doute.
Mais comment ne pas songer aussi aux exigences de l'ordre public, dont toute
société a le souci ? Le droit criminel ne peut manquer d'être affecté par le
conflit qui éclate alors ou, à tout le moins, par le débat qui s'institue.
Malgré son extrême actualité, ce débat est de tous les temps, de tous
les pays : car nous y retrouvons, sous sa forme la plus pressante, cette opposition qui ne cesse de dresser, l'un en face de l'autre, l'individu et la société. On
ne s'étonnera donc pas que les solutions de ce débat varient selon les conceptions que l'Etat se fait de sa propre nature et de ses rapports avec ses sujets, et
aussi selon la force et la prétention des Eglises, des courants de pensée philosophique ou des mouvements politiques à affirmer leur indépendance à l'encontre
de l'Etat.
Une rapide incursion dans l'histoire va nous aider à comprendre
quand nous entrerons au cœur de notre sujet, la position du droit criminel
français en face des convictions de tous ordres affirmées par l'individu.
*
*
*
.
La leçon des siècles est quasiment unanime. Presque partout, presque
toujours, l'Etat a voulu étendre sa puissance sur l'homme entier. L'homme et
ses convictions, c'est un membre du groupe, c'est un citoyen qui doit respecter
les lois et coutumes de son pays, les croyances admises par tous et qui constituent le ciment de la cité. Celui qui ne respecte pas les dieux tutélaires, celui
�106
dont la philosophie, le comportement moral ou les convictions politiques
s'écartent de ce que la tradition impose à tous, celui-là est suspect, dangereux,
ennemi du bien public. La loi pénale est rigoureuse à son endroit et, pour en
appliquer les dispositions, les juges sont singulièrement fermes.
L'exemple· de Socrate est présent à toutes les mémoires : on nous
assure qu'il fut condamné à mort pour avoir ébranlé les traditions, avoir honoré
d'autres dieux que ceux de la cité et tenté de corrompre la jeunesse par ses
enseignements. De leur côté, les chrétiens furent persécutés pendant trois
siècles, parce qu'ils refusaient de reconnaître le caractère divin de Rome et
de l'Empreur, en lesquels s'incarnait la puissance romaine, pacificatrice des
peuples du pourtour méditerranéen.
Franchissons maintenant quelque douze ou quinze siècles. Nous
découvrons en Europe occidentale, et spécialement en France sous l'Ancien
Régime, des Etats officiellement confessionnels, où la liberté de conscience
n'existait pas (sauf chez nous pendant m9ins d'un siècle, avec l'Edit de Nantes,
de 1598 à 1685) Les protestants et, avant eux, les Albigeois ou d'autres encore,
surent ce qu'il en coûtait de ne pas pratiquer la religion du prince ; ailleurs
l'inquisition ne fut pas tendre pour l'hérésie. Et si, franchissant quelques siècles
encore pour en venir à notre époque, nous nous tournons, au-delà de nos
frontières, vers certains pays de l'Est de l'Europe ou d'autres encore qui ont
fixé en une doctrine officielle et contraignante leur credo politique, nousconstatons qu'il ne fait pas bon y affirmer des convictions «déviationnistes»
sur l'Etat et la société, et encore moins y refuser l'athéisme imposé par la
doctrine politique régnante.
Quelles qu'en soient les formes ou les inspirations, un tel monolithisme religieux ou politique fait du ·droit criminel une arme de choix pour
assurer la protection des convictions conformes aux canons officiels, et à
l'inverse, pour lutter contre tous les sectateurs d'opinions divergentes, réputés
dangereuses pour l'ordre établi.
*
*
*
Tout autre sera la situation, comme c'est le cas en France de nos
jours, si l'Etat se place dans une optique libérale, s'il se dit démocratique. Alors
une double position est adoptée, qui contraste avec le monolithisme précédent.
1 - D'une part, se voulant neutre, l'Etat affinne dans sa loi et par la
voix de ses tribunaux le droit pour tout être humain d'adhérer librement à tel
credo religieux de son choix, à telle philosophie ou telle morale qu'il estime
préférable, à tel courant politique plus convaincant à ses yeux. Alors l'Etat
reconnaît la liberté des convictions de chacun et le droit criminel emboîte le
pas, et va jusqu'à assurer la protection pénale de cette liberté quand elle est
menacée.
�107
Cette reconnaissance des convictions personnelles a trouvé son
expression dans des textes célèbres de notre droit public interne, et spécialement dans la Déclaration des Droits de l'Homme dont les articles X et XI
affirment : «Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses ... »
(art. X); «La libre communication des pensées et des opinions est un des droits
le plus précieux de l'homme ...» (art. XI). Sur le plan plus spécifiquement
religieux, la loi de séparation des Eglises et de l'Etat du 9 décembre 1905
proclame à son tour la liberté de conscience dans son article 1er. Dans le
domaine international, la «liberté de pensée, de conscience et de religion» est
expressément reconnue par la Convention européenne de Sauvegarde des droits
·de l'homme et des Libertés fondamentales (art. 9) et par le Pacte international
relatif aux droits civils et politiques (art. 18), ratifiés tous deux par notre pays,
respectivement en 1973 et 1980.
2 - Mais, d'autre part, cette reconnaissance de la liberté de convictions de chacun trouve sa limite, aussitôt affirmée par l'Etat, dans le nécessaire
respect de l'ordre public. Apparaît alors une certaine méfiance, parfois même
une véritable hostilité à l'égard des convictions personnelles lorsqu'elles
menacent de troubler cet ordre public.
Les textes de droit interne cités à l'instant ne manquent pas d'établir cette limite. Dans la Déclaration de 1789 nous lisons, à l'article X: «Nul ne
doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi». Et la loi du 9 décembre
1905, en son article Ier, après avoir écrit que «La République assure la liberté
de conscience», ajoute «Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules
restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public». La même restriction figure dans les textes internationaux précités.
*
*
*
*
Reconnaissance des convictions, mais aussi méfiance, voire hostilité
à leur égard, telle est la position, souvent ambiguë, parfois difficilement soutenable, du droit public français. Telle est aussi par nécessité, la position de
notre droit criminel.
Constatons cependant que, dans l'énorme arsenal des incriminations
dont dispose le droit criminel moderne de notre pays, il en est assez peu qui
concernent directement et spécialement les convictions religieuses, philosophiques, morales ou politiques ; c'est souvent au droit pénal «commun» que
les tribunaux ont dû faire appel lorsque, le cas n'est pas rare, il a fallu trancher
certaines difficultés portées au prétoire pénal à propos de ces convictions.
Mais, qu'il s'agisse de dispositions législatives spécifiques ou des sofütions
jurisprudentielles, nous retrouverons l'opposition remarquée précédemment :
à l'imitation du droit public, le droit criminel reconnaît et accepte de protéger
les convictions ; mais, dans d'autres hypothèses, il leur témoigne son hostilité,
si l'ordre public risque d'être troublé par elles.
�108
Je me servirai donc de cette opposition que révèle la matière, et
j'examinerai successivement :
1. - La reconnaissance, par le droit criminel français, des convictions religieuses,
philosophiques, morales ou politiques,
II. - La méfiance et l'hostilité du droit criminel français envers ces mêmes
convictions.
*
*
*
1. - LA RECONNAISSANCE, PAR LE DROIT CRIMINEL FRANÇAIS,
DES CONVICTIONS RELIGIEUSES, PmLOSOPIDQUES, MORALES
OU POLITIQUES
L'~tat, nous le savons, ne peut pas faire abstraction des convictions
de ses sujets, et cela même s'il affirme sa neutralité, comme c'est le cas actuellement dans notre pays : ce serait leur témoigner de l'hostilité que de refuser,
a priori, de les reconnaître quand elles apparaissent dans un procès pénal, ou
lorsqu'elles sollicitent la protection du droit si elles sont attaquées.
Mais la reconnaissance accordée aux convictions de chacun par le
droit criminel français n'est pas uniforme ; elle varie selon les situations. Elle
se manifeste parfois comme une reconnaissance pleine d'admiration. Le plus
souvent pourtant, elle se fait plus indifférente, plus détachée, par un souci de
simple libéralisme égalitaire. Il arrive enfin que la reconnaissance se fasse
réticente, on pourrait presque dire contrainte.
Reconnaissance, témoignage d'admiration, - reconnaissance symbole
de libéralisme, - reconnaissance, expression d'une réticence, telles sont les trois
nuances qu'il est possible de déceler dans l'admission, par notre droit criminel,
des convictions de chacun.
A - La reconnaissance, témoignage d'admiration
De cette première forme de la reconnaissance des convictions personnelles ou collectives par le. droit criminel, nous trouvons, dans l'ordre politique
deux groupes d'expression particulièrement typiques.
a • Dans le cadre du droit pénal stricto sensu, on pourrait citerle tyrannicide et le devoir de rébellion contre l'oppression, souvent évoqué par certains
publicistes des siècles passés, et qui a trouvé son expression la plus forte et aussi
la plus utopique dans la Constitution montagnarde de 1793, dont l'article 35
affirmait solennellement comme le plus sacré des devoirs la rébellion contre un
gouvernement qui violerait les droits du peuple. Il n'est d'ailleurs pas nécessaire
de remonter jusqu'à ce monument de notre histoire politique : nous constatons
de nos jours, un peu partout dans le monde, que tout mouvement ir{surrectionnel qui triomphe commence par légitimer ce qui a été fait en son nom et pour
son succès : ses partisans deviennent des héros, l'admiration entoure leurs
actes et la loi pénale elle-même reconnaît la grandeur de leurs convictions
politiques.
�109
Nous aussi, nous avons connu cette justification des faits infractionnels accomplis sous l'impulsion de mobiles politiques particulièrement nobles.
Songez à !'Ordonnance du 6 juillet 1943 qui déclarait légitimes tous les actes
accomplis après le 10 juin 1940 «dans le but de servir la cause de la libération
de la France». Les actes des résistants qui, en d'autres temps, auraient constitué
des crimes ou des délits, devenaient des faits glorieux.
b - Ce témoignage d'admiration pour les gestes de résistance, on le
retrouve plus près de nous, sur le plan procédural, dans le nouvel article 2-5 du
Code de Procédure pénale issu de la loi du 10 juin 1983. Cette disposition
autorise à agir devant le juge pénal les associations fondées pour défendre les
intérêts moraux et l'honneur de la Résistance ou des déportés, contre les apologistes des crimes de guerre ou de la collaboration avec l'ennemi, ou contre les
auteurs de destructions, dégradations, injures ou diffamations causant un préjudice, même indirect, à la mission élevée qu'assument ces associations, qui sont
donc englobées dans le même respect, la même gratitude, que les héros de la
Résistance dont elles défendent l'action et la mémoire.
Cependant cette première forme de la reconnaissance (reconnaissanceadmiration) est plutôt rare. Le droit criminel se contente le plus souvent d'une
attitude plus neutre, plus indifférente, inspirée d'une toute autre pensée : il
s'agit de la reconnaissance, symbole de libéralisme, à laquelle il faut maintenant
s'attacher.
B - La reconnaissance, symbole de libéralisme
Ordinairement, en effet, l'attitude du droit criminel français se fait
beaucoup plus neutre, voire indifférente, à l'égard des convictions de chacun.
Le droit criminel reconnaît l'existence de ces convictions -il ne peut nier le
réel- et, dans le droit fil de l'article 2 de la Constitution de 1958, il déclare les
respecter, puisqu'il se veut libéral. Mais il entend bien n'en privilégier aucune,
et c'est pourquoi on peut parler ici d'un libéralisme égalitaire.
De ce libéralisme égalitaire, nous allons constater des expressions
dans la loi pénale elle-même et, d'autre part, dans l'activité journalière du juge
répressif.
a - Envisageons d'abord les expressions de ce libéralisme égalitaire dans
la loi elle-même. Ces expressions sont nombreuses et il me faudra ne retenir que
les plus typiques. On peut les classer en deux groupes.
1) Dans certains cas, le libéralisme légal protège, par des textes
incriminateurs, les convictions religieuses, politiques ou autres en cas d'atteintes
dirigées contre elles.
Cette protection est assurée, parfois, d'une façon indirecte, par des
textes non-spécirzques, c'est-à-dire non affectés à titre principal à garantir les
convictions de chacun. Ainsi on appliquerait l'article 257 du Code pénal à celui
qui, par hostilité envers la religion, détruirait les statuettes ornant les porches
de nos cathédrales ; on utiliserait l'article 379 ou l'article 434 contre celui qui,
animé de convictions intégristes, s'emparerait, pour les détruire, de
journaux religieux placés sur un présentoir au fond d'une église. De son côté,
�110
l'article 378 relatif au secret professionnel serait utilisé contre le prêtre catholim
que qui violerait le secret de la confession ; inversement, le prêtre invoquerait
avec succès ce même secret pour refuser de dénoncer des infractions ou de
témoigner en justice·.
Mais il est aussi des incriminations spécifiques. Sans doute, notre
droit criminel, laïcisé à la Révolution, ne connaît plus la répression de ces
infractions à l'égard desquelles l'ancien droit était extrêmement rigoureux :
ont disparu de notre horizon pénal le sacrilège, l'hérésie, le blasphème, sous une
réserve, cependant, qui concerne le blasphème. Vous savez peut~tre que dans
les trois départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, certaines
dispositions du Code pénal allemand de 1871, introduit après l'annexion de
l'Alsace-Lorraine par l'Allemagne, ont été maintenues en vigueur par un décret
du 25 novembre 1919, et notamment celles qui intéressent le régime des cultes,
en raison du concordat de 1801 toujours en application dans cette région.
Et c'est ainsi qu'aux termes de l'article 166 du Code allemand, est
puni d'un emprisonnement de trois ans au plus celui qui «aura provoqué un
scandale en proférant publiquement un blasphème contre Dieu, ... ou qui aura
commis dans une église ou un autre lieu consacré à des assemblées religieuses,
des actes injurieux ou scandaleWO>. Application de ce texte a été faite par la
cour d'appel de Colmar, le 19 novembre 1954, contre les membres d'une secte
qui, à l'issue d'un service religieux et alors que les membres du clergé ne
s'étaient pas encore retirés, avaient harangué les fidèles assemblés dans la
cathédrale de Strasbourg. Je n'ai pas eu la possibilité de consulter cet arrêt et
j'ignore si l'on avait retenu le blasphème ou, plus vraisemblablement, le trouble
causé à une cérémonie religieuse. Mais rien n'interdirait, actuellement encore,
que le blasphème soit puni dans nos trois départements du Nord-Est.
Pour nos autres départements, ceux de l'intérieur ou de la vieille
France, comme on dit en Alsace, nous possédons des incriminations particulières, le blasphème en moins, avec la loi de séparation du 9 décembre 1905
(art. 31et32).
Ainsi des peines de police frappent quiconque contraint autrui, par
des menaces, des violences ou la crainte de perdre son emploi, à financer ou
pratiquer un culte déterminé : lutte contre l'intolérance religieuse. Les mêmes
peines s'appliquent à l'inverse à quiconque empêche, retarde ou interrompt les
exercices d'un culte par des troubles ou des désordres ... : lutte contre l'intolérance irreligieuse, cette fois.
Autres incriminations spécifiques : celles qui, au sein des divers
aspects de la discrimination, touchent plus particulièrement la discrimination
religieuse (art. 187-1, 187-2, 416 et 416-1 du Code pénal). On notera cependant que, sur ce point, et d'une façon heureuse, la loi pénale n'a pas osé incriminer la discrimination qui serait motivée par les opinions philosophiques,
morales ou politiques.
Des textes sur la discrimination, n'omettons pas de rapprocher ceux
frappent les injures et les diffamations ayant pour victimes une personne ou
un groupe de personnes, en raison de leur appartenance ou de leur nonq~
�111
appartenance à une religion déterminée (L. 29 juillet 1881, art. 32, modifié
par la L. Ier juillet 1972). Injurier ou diffamer les juifs, les catholiques, les
boudhistes, donnerait maintenant le droit à telle ou telle personne appartenant
au groupe visé, d'agir devant le juge pénal en application de ce texte (V. l'affaire
Faurisson : Criin. 28 juin 1983, Bull. crim. n. 202). Dans le passé, au contraire,
les sanctions pénales avaient été déclarées inapplicables, faute par le groupe
considéré de former une personne morale régulièrement constituée (criin. 9
avril 1939, affaire ju journal «l'Émancipatiom>, attaquant violemment le clergé
catholique et notamment les évêques).
Mais, là encore, la loi criminelle s'est refusée à punir les injures et les
affirmations qui seraient motivées: par les opinions philosophiques ou politiques
des personnes visées : comme par le passé, demeurerait pénalement impunissable le fait de diffamer par exemple, la franc-maçonnerie en tant que telle, ou
les adeptes de tel parti politique, pris dans leur ensemble et non-déterminables
individuellement.
2) Le libéralisme légal se traduit ausSi en dehors de l'utilisation de
textes d'incrimination. Là encore, le législateur accepte le fait religieux ou
politique, et il en tire certaines conséquences.
Par exemple, les articles D. 432 à 439 du Code de procédure pénale
organisent l'aumônerie dans les établissements pénitentiaires. De leur côté, les
lois d'amnistie tiennent souvent compte des infractions d'ordre politique,
même très graves, puisqu'il s'agit de provoquer l'apaisement des esprits après
des temps troublés (V. par .exemple les lois des 17 juin 1966 et 31 juillet 1968,
à propos des événements d'Algérie). La nature de la peine peut aussi être
influencé par les convictions du coupable : ainsi le législateur permet l'octroi
au délinquant politique, d'un sursis simple, inais pas d'un sursis avec mise à
l'épreuve (quelle épreuve pourrait-on imposer à un tel délinquant ? Lirè la
bonne presse ? S'affilier au bon parti ?) ; la contrainte par corps ne lui est pas
applicable. Autrefois la peine de mort avait été écartée en matière politique et,
aujourd'hui encore, existe une échelle spéciale des peines politiques. Enfin un
régime pénitentiaire spécial est accordé aux délinquants politiques privés de
leur liberté (art. D. 490 à 495 C. P. P.).
b - Tournons-nous maintenant du côté du Palais, et voyons comment,
de son côté, le juge répressif réagit en face des convictions religieuses, politiques,
ou autres qu'il découvre dans certains procès ou que l'on invoque expressément
devant lui. Lui aussi, comme le législateur, doit tenir compte de l'existence des
convictions, mais il doit garder à leur endroit, une attitude de stricte neutralité.
1) Tenir compte de l'existence des convictions manifestées devant
le Juge ? Mentionnons, sans nous y attarder, l'exemple bien connu, bien
qu'ancien, de la formule du serment prêté par les jurés de la cour d'assises.
S'appuyant sur le vieil article 312 du Code d'instruction criminelle («vous jurez
et promettez devant Dieu et devant les hommes») dont le texte était passé
ensuite dans le Code de procédure pénale où il s'est maintenu jusqu'en 1972, la
jurisprudence avait affirmé le caractère religieux du serment. Par des arrêts
�112
rendus, il est vrai, avant la loi de séparation de 1905, la Cour de cassation
avait décidé qu'était valable un serment prêté autrement qu'en la forme légale,
dès lors que son caractère religieux ne s'en trouvait pas atteint (ainsi pour des
juifs, des musulmans, des quakers, prêtant serment, non en la forme légale,
mais en la forme prévue par leur religion). Le droit pénal acceptait donc de
reconnaître le fait religieux invoqué expressément, mais il ne l'imposait pas: un
juif, un musulman, pouvaient valablemenr user du serment de droit commun.
Llberté des consciences. Ce problème méritait d'être évoqué, mais en laïcisant
le serment, la loi du 29 décembre 1972 paraît bien avoir maintenant supprimé
la question.
Mais au-delà de cet exemple dépassé, il demeure que, pour le juge,
l'existence des convictions, religieuses ou autres, présente des intérêts multiples.
Ces convictions lui permettent, par exemple, de rechercher la qualification la plus exacte, applicable à l'infraction soumise· à son jugement. En
voici un cas, particulièrement typique, pris dans l'ordre religieux. Il y a une
trentaine d'années, s'est posé le choix de la qualification applicable aux adeptes
de certaines sectes, qui se contentaient de prier pour sauver un enfant malade.
A juste titre, on a refusé de leur appliquer l'incrimination de violence ou
d'orrùssion de soins à enfant (art. 312 C. P.) ou encore celle d'omission de
porter secours (art. 63, al. 2) : ces parents ne faisaient-ils pas tout ce qui, dans
leur croyance religieuse, était le plus susceptible d'apporter soulagement et
guérison à leur enfant ? Mais la qualification d'homicide par imprudence,
qui a été finalement retenue dans les procès qui se sont déroulés à Grenoble et
à Dunkerque en 1953 et 1954, était-elle meilleure ? L'attitude «raisonnable»
qu'on reprochait aux parents de n'avoir pas eu -appeler un médecin- et qu'on
leur imputait à faute, n'était-elle pas en contradiction avec leur foi en la seule
efficacité de la prière ? Raison et foi : antinomie irréductible.
Tenir compte des convictions permet aussi au juge de mieux apprécier
la responsabilité pénale d'un prévenu. Pourquoi ? Le droit pénal moderne,
rénové par le positivisme et par la doctrine de la défense sociale nouvelle,
envisage le délinquant sous tous ses aspects. Il veut prendre en considération
l'homme tout entier. Or ce délinquant, ce n'est pas seulement un être humain
avec son intelligence, sa volonté, ses passions, ses faiblesses, sa folie peut-être ;
c'est aussi l'homme avec ses convictions et leurs exigences. La réalité des
convictions influencera donc parfois la sévérité ou l'indulgence de la sanction
prononcée ; il arrivera même parfois qu'elles aboutiront, à l'extrême limite, au
prononcé d'une relaxe, lorsque l'intention requise par la loi n'apparaitra plus
évidente (cas de ce sorcier camerounais relaxé à Douala, en 1948, tant sa bonne
foi, sa croyance en ses pratiques, paraissaient vraisemblables).
2) Mais on remarquera que, si les juges acceptent de te.nir compte
des convictions religieuses, politiques ou autres, ils refusent à bon droit d 'examiner le bienfondé, la valeur en soi de telle ou telle conviction mise en jeu
dans un procès pénal. Quels sont les motifs d'une telle neutralité? Ce n'est pas
seulement la crainte du ridicule : le juge n'est pas théologien et il ne lui appar-
�113
tient pas de trancher entre Saint Augustin et Saint Thomas d'Aquin, pas plus
qu'en matière médicale il ne doit prendre parti pour Galien contre Hippocrate.
A juste raison, on se moquerait de lui.
Les raisons de la neutralité du juge sont ailleurs. La plus évidente
est la laïcité du droit et spécialement du droit criminel, établie par la Révolution
de 1789 : cette optique laïque de notre droit interdit à nos magistrats d'examiner le bien-fondé des théories ou des convictions religieuses, morales ou
philosophiques.
A cela, il faut ajouter, plus généralement, le régime démocratique qui
est le nôtre et qui assure à tous la liberté de pensée et d'opinion. Implicitement
mais nécessairement, la liberté de pensée impose au juge de ne pas· prendre
parti pour ou contre telle ou telle conviction, ni non plus de faire prévaloir ses
propres convictions dans les procès qu'il juge ; car ce serait, en donnant ici tort
et raison là, inquiéter indirectement les tenants de telles de ces convictions, qui
verraient se dresser contre eux l'autorité de la justice s'appuyant sur la toutepuissance de la loi : la liberté de pensée ne serait plus qu'une affirmation dénuée
de portée.
Tels sont les aspects légaux et judiciaires de cette reconnaissance des
convictions, prise en sa qualité de symbole de libéralisme égalitaire. Mais il est
une dernière et troisième forme de reconnaissance, teintée, celle-là, d'une
certaine méfiance.
C - La reconnaissance, expression d'une réticence
a - La reconnaissance-réticence? Pour en trouver un premier exemple,
particulièrement convaincant, laissons entrer, si vous le voulez bien, les objecteurs
de conscience et interrogeons-les. Ils vont nous dire, crûment, ce qu'est cette
reconnaissance marquée de tiédeur et presque de sourde méfiance, dont l'füat
faisait preuve à leur endroit à travers la loi du 21 décembre 1963.
Tout en admettant la légitimité de leurs mobiles, qui leur pennetraient d'échapper aux poursuites pour insoumission, la loi 1963 pénalisait les
objecteurs de conscience. On leur imposait un service civil d'une durée double
de celle du service militaire, on leur interdisait l'accès à certaines professions ;
mieux encore : on avait érigé en délit correctionnel la propagande faite pour le
statut d'objecteur (incrimination passée ensuite dans l'article 50 de la loi du
10 juin 1971). Ce statut, d'ailleurs, n'avait pas toujours été accordé avec libéralisme, en raison de la jurisprudence restrictive de la commission juridictionnelle
prévue par la loi de 1963. De leur côté, les adeptes de certaines religions
(notamment les Témoins de Jéhovah) refusaient le statut offert et récusaient la
compétence des juridictions militaires que les jugeaiënt en cas de refus des
tâches du service civil substitué au service militaire.
La réticence exprimée par la loi de 1963 vient cependant de s'êstomper, depuis qu'une loi récente du 8 juillet 1983 a refondu les textes antérieurs,
remplacés maintenant par les articles L. 116-1 à L. 116-8 du Code du Service
national. Le délit de propagande est abrogé, l'interdiction d'exercer certaines
professions a disparu, et la décision d'admission au statut d'objecteur est prise
�114
maintenant par le ministre de la Défense, et non plus pas la Commission nationale. La réticence ancienne a fait place à une admission libérale, puisque
l'article L. 1er du Code du service national regarde désormais officiellement,
la situation des objecteur de conscience comme l'une des «formes civiles du
service national destinées à répondre aux autres besoins de la défense nationale
ainsi qu'aux impératifs de solidarité». Seule demeure exceptionnelle la durée
du service, qui est de deux années.
b - Si la réticence officielle paraît bien s'être largement dissipée
pour les objecteurs, elle semble au contraire devoir s'aggraver dans un autre cas,
d'une brûlante actualité, celui de la clause de conscience écrite en l'article
L. 162-8 du Code de la Santé publique au profit desmédecins et leurs auxiliaires
ou au bénéfice des établissements privés d'hospitalisation, qui refusent de pratiquer des interruptions volontaires de grossesse ou d'y participer. Même s'il
appartient à l'encadrement d'un établissement public d'hospitalisation, un
médecin a le droit de refuser de pratiquer des I. V. G. si, en raison de ses convictions religieuses ou morales, il estime qu'il commettrait ce qui est, à ses yeux,
un véritable assassinat, bien qu'autorisé par la loi. Et nous savons que ce praticien ne saurait être poursuivi, en cas de refus d'intervenir, pour omission de
porter secours, car la situation de détresse invoquée par la femme enceinte
(art. L. 162-1, C. S. publ.) n'est pas du tout le péril mentionné en l'article
63, al. 2, du Code pénal (en ce sens, Trib. corr. Rouen 9 juillet 1975).
Mais le débat n'est pas clos. Une véritable offensive se poursuit car
on accuse certains «patrons» d'hôpitaux ou de maternité, d'abuser de la clause
de conscience pour empêcher tout interruption volontaire de grossesse dans
leurs services (un récent procès qui s'est déroulé à Nancy en témoigne). Ne
peut-on craindre que cette clause soit, un jour prochain, supprimée pour les
personnels médicaux travaillant dans des établissements hospitaliers publics? A
cet égard, paraît très lourd de menace un certain décret du 27 septembre 1982
obligeant tous les établissements hospitaliers publics comprenant un service de
chirurgie ou une maternité, à posséder aussi les moyens, en matériel et en
personnel, de pratiquer des interruptions volontaires de la grossesse.
Au-delà d'une simple réticence, c'est alors la méfiance, l'hostilité
qui apparaît sur ce point, comme elle existe déjà, nous allons le voir maintenant, dans bien d'autres domaines, au nom de l'ordre public. Examinons alors
d'un peu plus près -c'est la seconde partie du présent exposé- cette hostilité
du droit criminel français à l'égard des convictions religieuses, philosophiques,
morales ou politiques.
*
*
*
�115
II. -
L'HOSTILITÉ DU DROIT CRIMINEL FRANÇAIS ENVERS LES
CONVICTIONS RELIGIEUSES, PHILOSOPHIQUES, MORALES OU
POLITIQUES
Le droit criminel français, nous l'avons constaté, concède à chacun
le droit d'avoir des convictions. Mais nous allons voir qu'il n'admet pas que,
dans leur manifestation extérieure, ces convictions viennent heurter les exigences de l'ordre public. Lorsque celui-ci paraît menacé, notre droit criminel
traduit aussitôt son hostilité par la mise en œuvre de multiples incriminations.
Cette hostilité du droit criminel s'explique par une double préoccupation:
- d'une part, protéger les droits des individus contre l'emprise exagérée des
convictions d'autrui ;
- d'autre part garantir les prérogatives et la stabilité de la collectivité
toute entière, contre les menaces que leur feraient courir ces mêmes
convictions.
A - L'hostilité, protection des droits des individus
Peut-on, au nom de ses convictions personnelles, accomplir des actes
pouvant nuire gravement à autrui? Le droit criminel s'inquiète de tels agissements et ils intervient parfois pour protéger le patrimoine, l'intégrité corporelle
ou la vie, ou aussi la condition juridique des personnes contre l'emprise abusive
des convictions d'autrui. Il intervient donc sur ces trois plans que je viens
d'énumérer.
a - Dans l'ordre patrimonial, on songe immédiatement à l'incrimination d'escroquerie. D'habiles délinquants savent exploiter les croyances
superstitieuses de leurs victimes en invoquant de prétendus pouvoirs sur les
esprits, et ils réussissent à se faire remettre des sommes énormes, ou à vendre à
leurs dupes des talismans ou autres objets soi-disant magiques.
Mais il est parfois difficile de parvenir à des condamnations du chef
d'escroquerie, lorsque l'activité des prévenus prend la forme d'une église et
que ses chefs invoquent la liberté des croyances et du culte : ce n'est pas sans
mal que le tribunal correctionnel de Paris, le 14 février 1978, est parvenu à
découvrir les éléments du délit de l'article 405 à l'encontre des dirigeants de
l'Eglise de Scientologie, qui apparaissent comme une monumentale affaire
d'escroquerie.
Et puisque je parle d'escroquerie, je ne puis pas ne pas citer le cas
de ces individus qui invoquent un prétendu état ecclésiastique pour faire des
quêtes en faveur d'œuvres fantômes 0f. les cas de Mgr de Manfredonia et de
Mgr de Tibériade, ces deux «évêques» dont l'histoire est évoquée :ear M.
Graven à la Revue internationale de criminologie et de police technique).
b - Mais c'est surtout dans l'ordre des atteintes à l'intégrité corporelle ou à la vie humaine qu'on voit se manifester l'hostilité du droit criminel
à l'égard des convictions ou de certaines d'entre elles. Les exemples sont tellement con.11.us qu'il n'est pas nécessaire d'insister longuement.
�116
Notre droit criminel réprouve évidemment les meurtres rituels,
dont à vrai dire on voit fort peu d'exemples dans notre pays ; il réprouve plus
généralement toures les pratiques tendant, au nom de convictions religieuses
ou philosophiques, à l'utilisation de techniques de mutilation des adeptes : le
consentement des victimes, serait-il librement donné (ce qui peut être douteux
en certaines hypothèses où s'exerce un véritable envoûtement sur les membres
de la secte), ne saurait faire échapper les coupables aux poursuites pénales
dirigées contre eux.
Bien que de telles convictions ne soient guère apparues à travers les
attendus de l'arrêt qu'elle a rendu le 1er juillet 1937, dans la fameuse affaire
des stérilisateurs de Bordeaux, la Chambre criminelle n'a laissé aucun doute
planer sur la solution : le consentement donné par les victimes à l'intervention
chirurgicale destinée à les priver de · 1a faculté de procréer ne justifiait pas
l'auteur de cette intervention ; ce consentement, dit textuellement la Cour,
heurtait l'ordre public. Et il est certain que les prétendues convictions philosophiques (néo-malthusiennes, par exemple) ne changeraient rien à la chose.
La même solution prévaut d'ailleurs, actuellement, pour certains
rites mutilants que des ressortissants africains ont apporté avec eux en France,
par exemple la pratique de l'excision : les journaux nous ont appris, il y a un
mois, la condamnation d'un Malien qui avait failli faire mourir sa fillette, âgée
de trois mois, à la suite de la grave hémorragie provoquée par l'excision qu'il
avait lui-même pratiquée.
Il faut aller plus loin encore. On songe alors aux membres de certaines
sectes (les Témoins de Jéhovah par exemple), qui refusent, pour eux-mêmes ou
pour les membres de leur famille, non pas toutes interventions médicales ou
chirurgicales, mais du moins certaines techniques chirurgicales telles que la
transfusion sanguine. Que faire alors si le chirurgien estime indispensable cette
transfusion ? A-t-il le droit d'aller à l'encontre de la volonté du patient ? Et
s'il s'incline devant cette vononté, ne risque-t-il pas d'être poursuivi pour omission de porter secours en cas de décès ?
La solution est bien connue, au moins quand il s'agit d'une intervention pratiquée sur un mineur. Le chirurgien fait appel aux autorités judiciaires
(le procureur ou le juge des enfants) pour que la garde du mineur soit, provisoirement, enlevée aux parents et remise à la D. A. S. S., qui autorise alors la
transfusion refusée par les parents. Mais s'il s'agit de majeurs? Ordinairement,
les médecins n'hésitent guère à passer outre aux interdictions formulées devant
eux, mais cette attitude ne risque-t-elle pas de soulever des difficultés en cas
d'accidents opératoires ?
c - Le patrimoine, l'intégrité corporelle ou. la vie humaine ne sont
pas les seuls domaines où le droit criminel entend protéger les individus contre
les dangers nés de certaines convictions religieuses, philosophiques ou·politiques.
Cette protection apparaît également dans le domaine de la condition juridique
des personnes.
�117
Je ne veux pas, ici, passer sous silence la fameuse affaire des enfants
Finally, qui a défrayé la chronique au début des années 1950. Craignant que
les deux jeunes enfants juifs qu'elle avait recm.tillis pendant la guerre et baptiser
dans la religion catholique ne perdent tout contact avec leur nouvelle religion,
la Demoiselle Brun les avait soustraits à la réclamation de leur tante, venue
tout exprès d'Israë1 pour les rechercher et qui avait obtenu d'être nommé
tutrice par une juridiction grenobloise. Les tribunaux hésitèrent sur la qualification exacte à appliquer aux agissements imputés à la Demoiselle Brun (nonreprésentation d'enfant confié, art. 345, al. 4 ; non-représentation en violation
d'une décision de justice, art. 357; enlèvement sans fraude ni violence, art. 356,
qui fut finalement retenu par la Chambre criminelle). Mais l'important à noter
est que le mobile religieux invoqué par la prévenue ne pouvait prévaloir contre
les exigences de l'ordre public, qui imposait que fût respectées la désignation
de la tutrice par la justice civile.
De la même façon, les exigences de l'ordre public triompheraient,
avec l'appui du droit pénal, quand des conflits d'ordre religieux naissent entre
d'ex~onjoints au sujet de la conversion des enfants nés du mariage. Le père
ne pourrait pas invoquer ses propres convictions religieuses pour soustraire à la
garde de la mère, même sans violence, les enfants dont il craint qu'ils ne soient
entraînés par leur mère vers la secte qui vient de l'accueillir. Que cet homme,
soucieux de l'avenir religieux de ses enfants, agisse auprès du juge civil pour
obtenir, s'il y a lieu, une modification du droit de garde ; mais l'ordre public
lui interdit de se faire justice et d'arracher ses enfants à ce qu'il croit être un
péril prochain pour leur âme : il n'échapperait pas aux foudres de l'article 356
précité.
Ainsi le droit criminel se veut protecteur des droits de l'individu
contre les abus, parfois intolérables, auxquels conduisent les convictions
religieuses, philosophiques ou politiques. Mais là ne s'arrête pas l'expression
de son hostilité envers les abus : contre ces convictions, il se préoccupe tout
autant de garantir les prérogatives de la collectivité : nous allons le constater
maintenant à travers une foule d'exemples connus.
B - L'hostilité, garantie pour les prérogatives de la collectivité
L'ordre public, dont nous avons aperçu le rôle dans la protection des
droits individuels, va se révéler sous son aspect le plus exigeant, lorsque la
société toute entière se trouve confrontée aux abus qui peuvent naître de
l'affinnation des convictions religieuses, philosophiques, morales ou
politiques. Ces abus peuvent se manifester dans deux directions, soit qu'au
nom des convictions dont on se réclame, on abuse des libertés reconnues par
l'Etat à chacun de ses sujets, soit que, sous la même impulsion, on porte atteinte
au fonctionnement, à la structure ou à l'existence de l'Etat.
a - De l'abus des libertés au nom des convictions personnelles, les
exemples sont nombreux ; choisissons quelques cas parmi les plus notables.
1) Dans l'ordre de la liberté des croyances religieuses, il y a abus
pénalement punissable, lorsqu'un prêtre trop zélé, dans un sermon ou dans un
�118
écrit pastoral, engage ses ouailles à résister à l'exécution des lois ou des actes de
l'autorité publique, ou lorsque, au nom de la religion, il outrage un représentant
(art. 34 et 35 de la loi du 9 décembre 1905).
D'autre part les convictions religieuses n'autorisent pas à méconnaître le caractère laiC que la Révolution a conféré à la célébration du mariage : les
articles 199 et 200 du Code pénal punissent le ministre du culte qui bénirait
une union avant qu'ait été célébré le mariage civil : il ne servirait à rien de se
réfugier derrière les règles du droit canon pour prétendre échapper aux poursuites, comme en témoigne le jugement rendu en 1972 par le tribunal de police
de Dunkerque.
Toujours en matière de mariage, le principe de monogamie demeure
solidement ancré dans notre droit, de sorte que se rendrait coupable de bigamie
(art. 340 C. P.) le musulman qui invoquerait son statut personnel pour se justifier d'avoir épousé en France une seconde femme alors qu'il était déjà engagé
dans les liens d'un premier mariage. Il en irait de même à l'égard du juif qui,
remarié, soutiendrait qu'il était dégagé de sa première union parce qu'il avait
répudié sa première épouse en application des règles de sa propre religion : là
encore, on retiendrait le délit de bigamie.
Mais notre ordre public admet que le sectateur de Mahomet peut
venir s'installer en France avec les femmes qu'il a valablement épousées dans
son propre pays : la théorie internationaliste des droits acquis fait fléchir ici
l'un des impératifs qu'exprime le droit pénal.
2) Concernant maintenant la liberté des convictions philosophiques ou politiques, le droit criminel en reconnaît l'expression privée ou
publique, mais il ne tolère aucun abus, aucune atteinte à la paix publique. Il
suffit ici de mentionner, sans pouvoir insister plus, le régime des réunions,
manifestations et attroupements. Un attroupement reste pénalement punissable, même si les participants entendent par là exprimer leur opposition à la
politique interne ou internationale du Gouvernement. Et les destructions ou
autres exactions commises à cette occasion ne seront pas pénalement justifiées
parce que l'on aura crié : «Non aux montants compensatoires, non aux porcs
anglais, non aux vins italiens» .
Pareillement la liberté de la presse n'autorise pas les provocations
aux crimes, aux délits ou l'incitation de militaires à la désobéissance, même au
prétexte d'opposition au régime en place ou sous le couvert de convictions
anarchistes ou nihilistes.
b - La collectivité peut être menacée plus directement encore,
lorsqu'au nom de convictions politiques différentes de celles du pouvoir en
place, il est porté atteinte au fonctionnement régulier des institutions publiques,
ou à la structure et à l'existence de l'Etat.
·
J'évoquerai ici brièvement ces objections morales d'ordre laïque ou
religieux que certains invoquent pour ne pas figurer au nombre des jurés de la
cour d'assises, et que l'article 258-1 du Code de procédure pénale refuse de
retenir comme des «motifs graves» d'exclusion de cette liste. J'évoquerai aussi
�119
le refus de l'impôt pour motifs idéologiques dont la Cour de cassation, dans son
.arrêt du 19 mai 1983, nous offre un exemple (sans nous dire d'ailleurs la nature
de ces motifs), refus qui continue de tomber sous les coups de l'article 1741
du Code général des impôts.
Mais je pense surtout aux infractions contre la sûreté de l'Etat, pour
lesquelles le problème est alors très délicat. Dans les articles 70 à 103 du Code
pénal, à côté de la trahison, de l'espionnage et des autres atteintes à la défense
nationale, le législateur punit les complots et les attentats contre le régime
constitutionnel, le séparatisme, la formation de bandes armées et les mouvements insurrectionnels. Les convictions politiques des coupables paraissent
tellement évidentes que la loi en a spécialement tenu compte et a érigé en
infractions politiques ces différents crimes et les a frappés de la peine politique
de la détention criminelle.
Mais tout n'est pas aussi simple. Les délinquants par idéologie sont
loin d'être tous de généreux réformateurs de l'ordre social, des hommes
vertueux uniquem~nt soucieux de ne s'en prendre qu'aux structures constitutionnelles sans nuire aux simples citoyens. Les terroristes modernes ne se différencient guère des pires malfaiteurs de droit commun, prêts qu'ils sont à
massacrer des population innocentes, à détruire des immeubles par le feu ou
l'explosif, à détourner ou détruire des avions, etc. Les convictions des révolutionnaires quarante-huitards étaient sans doute respectables, celles des terroristes
fanatisés du XXe siècle finissant soulèvent la plus vive réprobation.
Bien que notre pays soit devenu, depuis longtemps, une terre d'asile
pour de nombreux réfugiés politiques, il est compréhensible, cependant, que
se soit développé une progressive hostilité à l'égard des délinquants politiques
qui agissent par la violence envers les personnes privées. Les loi de 1892-1894
avaient regardé comme des délinquants de droit commun les tenants de l'anarchisme, parce qu'ils militaient par la bombe d'une façon aveugle. Les auteurs
de meurtres politiques (Cesario, Gorguloff) ont été traités comme des assassins
ordinaires et condamnés à mort, malgré l'abrogation de cette peine en matière
politique en 1848. L'extradition est plus facilement accordée, puisque les
convictions politiques des terroristes n'ont plus cette noblesse de pensée qu'on
pouvait découvrir chez tous ses exilés que la France a vu affluer sur son sol au
cours du XIXe siècle. Le refus d'extrader les auteurs des infractions politiques
s'est progressivement rétréci : on le constate avec la fameuse clause d'attentat
ou clause belge, insérée dans de nombreux traités d'extradition, ou avec la
réserve des actes de barbarie odieuse ou de vandalisme interdits par les lois de la
guerre, ou encore avec la convention sur le terrorisme signée à Strasbourg en
1977, mais que bien peu d'Etats européens, il est vrai, ont ratifié, alors qu'ils
sont pourtant directement confrontés au problème.
*
*
*
�120
Je ne puis prétendre avoir épuisé le sujet, ni même fait simplement
allusion à tous les problèmes soulevés par le thème que je m'étais proposé
d'étudier. Ce thème pourrait donner lieu à un examen autrement plus complet
que celui que j'ai essayé de présenter ici. J'espère, du moins, avoir pu démontrer que les convictions religieuses, philosophlques, morales ou politiques
constituent une composante non négligeable du droit criminel français, dont
elle façonne souvent l'attitude et les réactions.
�TABLE
DES
MATIERES
Avant-propos,
par M. le Professeur Wilfrid JEANDIDIER . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
Les droits de la victime : un choix de politique criminelle,
par M.
l~
Professeur Femand BOULAN. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
La crise des politiques criminelles occidentales,
par M. le Professeur Raymond GASSIN . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
Les juridictions pénales d'exception dans la France contemporaine,
par M. le Professeur Wilfrid JEANDIDIER . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57
L'élaboration d'un nouveau Code Pénal français,
par M. le Professeur Georges LEVASSEUR .................. 73
Vocation et responsabilité de la Criminologie comparée,
par M. le Professeur Denis SZABO. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89
Le droit criminel français et les convictions religieuses, philosophiques,
morales ou politiques,
par M. le Professeur André VITU ......................... 105
Table des matières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121
��Dépôt Légal - 2e Trimestre 1985
���ISBN : 2.7314.0015·8
TABLE DES MATIÈRES
- Avant-propos,
par M. le Professeur Wilfrid JEANDIDIER.
- Les droits de la victime : un choix de politique criminelle,
par M. le Professeur Fernand BOULAN.
- La crise des politiques criminelles occidentales,
par M. le Professeur Raymond GASSIN.
- Les juridictions pénales d'exception dans la France contemporaine,
par M. le Professeur Wilfrid JEANDIDIER.
- L'élaboration d'un nouveau Code Pénal français,
par M. le Professeur Georges LEVASSEUR.
- Vocation et responsabilité de la Criminologie comparée,
par M. le Professeur Denis SZABO.
- Le droit criminel français et les convictions religieuses, philosophiques,
morales ou politiques,
par M. le Professeur André VITU.
Graphisme de couverture V. Vasarely : Yll T - 1975 © Victor Vasarely
Prix: 55 F
Aix - lmp. Paul Roubaud
�
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/2/285/BUD-51701_PASC_1989.pdf
6edf21f4f8d7fe77d1ebc7779b6cdd33
PDF Text
Text
UNIVERSITÉ DE DROIT, D'ÉCONOMIE ET DES SCIENCES
D'AIX-MARSEILLE
IN,STITUT DES SCIENCES PÉNALES ET DE CRIMINOLOGIE
H.-L. GÜNTHER, M. CUSSON, B. BOULOC, J . BORRICAND,
F. BOULAN
PROBLEMES ACTUELS
DE SCIENCE CRIMINELLE
1989
Vol 2
11
PRESSES
UNIVERSITAIRES
1989
D'AIX-MARSEILLE
�UNIVERSITÉ DE DROIT, D'ÉCONOMIE ET DES SCIENCES
D'AIX-MARSEILLE
IN,STITUT DES SCIENCES PÉNALES ET DE CRIMINOLOGIE
H.-L. GÜNTHER, M. CUSSON, B. BOULOC, J . BORRICAND,
F. BOULAN
PROBLEMES ACTUELS
DE SCIENCE CRIMINELLE
11
PRESSES
UNIVERSITAIRES
1989
D'AIX-MARSEILLE
���UNIVERSITE DE DROIT, D'ECONOMIE ET DES SCIENCES
D'AIX-MARSEILLE
INSTITUT DE SCIENCES PENALES ET DE CRIMINOLOGIE
F. BOULAN - H.L. GÜNTHER - M. CUSSON B. BOULOC - J. BORRICAND
- 11
PROBLEMES
DE
SCIENCE
ACTUELS
CRIMINELLE
PRESSES UNIVERSITAIRES D'AIX-MARSEILLE
FACULTE DE DROIT ET DE SCIENCE POLITIQUE D'AIX-MARSEILLE
- 1989 -
��PREFACE
Ce tome II de la collection "Les problèmes actuels de
Science Criminelle" contient une nouvelle série d'articles dont les
thèmes ont été présentés sous forme de conférences s'adressant
aux étudiants et aux collègues de la Faculté de Droit et de
Science Politique d'Aix-Marseille et de l'Institut de Sciences
Pénales et de Criminologie.
Le principal objectif recherché par l'organisateur de ces
conférerices qui n'est autre que le Directeur de l'Institut de
Sciences Pénales et de Criminologie consiste, comme le nom de la
collection l'indique, à aborder des thèmes d'actualité.
Ceux-ci témoignent quelquefois de l'actualité connue mais
aussi d'autres fois de problèmes qui sont actuels mais dont on
parle moins parce qu'ils sont plus profonds ou plus synthétiques.
Les Presses Universitaires d'Aix-Marseille réalisent cette
publication avec le sentiment d'être utiles non seulement aux
étudiants mais également à tous les chercheurs en Science
Criminelle.
F. BOULAN
Directeur des Presses Universitaires
d'Aix-Marseille
��LA PROVOCATION
Par
Fernand BOULAN
Doyen de la Faculté de Droit et de Science Politique
d'Aix-Marseille
La provocation est une action qui consiste dans le fait
d'inciter quelqu'un à faire ou à ne pas faire quelque chose. Le
verbe provoquer vient du. latjn "provocare" (de pro - en avant, et
de vocare - appeler).
Le provocateur est donc un individu qui par le geste, la
parole, l'écrit, l'attitude appelle à agir ou à s'abstenir~ incite,
excite ou guide autrui, bref contribue à l'adoption d'un certain
comportement par une ou plusieurs personnes.
La provocation peut avoir dans le langage courant une
connotation indicative : lorsque l'on dit de quelqu'un qu'il a
provoqué un accident. Cela signifie qu'il en est à l'origine, qu'il
en est le responsable. Le mot peut avoir une connotation
péjorative lorsque l'on dit par exemple de quelqu'un qu'il est un
"agent provocateur", nom que l'on donne dans la tradition
littéraire politique à un agent de police (d'où les termes "d'agent
provocateur") qui parle comme les factieux et les excitent à parler
devant eux. Le sens peut être plus humoristique lorsque parlant
d'un bon vin, le littérateur écrit : "Chut ! mes amis, il fait jaser à
table ; c'est un agent provocateur".
Le sens peut être plus médical : il a vomi sans provocation ! ou plus féminin lorsqu'il s'agit d'oeillades ou de sourires
provocants, comme Beaumarchais l'écrit de son héroïne dans le
Mariage de Figaro (Acte 1, scène 4) "Toujours amère et
provocante !".
Mais au regard du droit pénal, qui à titre principal
s'intéresse plutôt à ceux qui ont pris une part active à la
réalisation d'une infraction, quelle place réserve-t-on à la
provocation et à celui qui en est l'auteur ?
�8
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
Le provocateur est-il considéré comme un individu de
second ordre, sans grand intérêt puisqu'il n'a pas réalisé lui-même
les actes infractionnels, ou bien lui accorde-t-on plus d'intérêt
dans la mesure où son attitude a pu être à l'origine d'une action
délinquante ou même la constitue à elle seule ? En fait de
multiples nuances apparaissent. Mais l'on observe, d'une façon
générale, que le Droit pénal lui accorde une place grandissante
(1).
Le Code pénal de 1810 avait retenu la provocation d'abord
comme un cas général de complicité des crimes et délits (article
60 C.P.). D'autres dispositions du Code pénal se référaient
également à la notion de provocation, sans exiger les adminicules
nécessaires à la complicité. Tel fut le cas de l'article 313 (réunion
séditieuse, rébellion, pillage), de l'article 438 al. 2 (opposition par
voie de fait à tous travaux autorisés par le Gouvernement), ou
encore de l'article 441 qui fut abrogé par la loi n° 81.82 du 2
février 1981 (pillage ou dégât de denrées ou de marchandises).
Ce fut la loi du 23 juillet 1881, sur la presse, qui donna
un nouvel intérêt à la provocation, puisqu'elle en fit un crime ou
un délit de presse, suivant la nature de l'infraction qui en avait
résulté en usant des moyens de presse. A la fin du siècle dernier,
la loi du 28 jµillet 1894 sur les menées anarchistes devait, comme
précédemment, réprimer la provocation aux crimes ou délits
réalisés à des fins de propagande anarchiste.
Après, pourrait-on dire un demi-siècle d'accalmie, la
notion de provocation connaissait un regain d'intérêt en mettant
l'accent sur son caractère pernicieux intrinsèque. En effet, des
textes récents (Loi n° 65-412 du Ier juin 1965) sur la répression
de !'us.age de stimulants à l'occasion de compétitions sportives, ou
la loi du 31 décembre 1970 sur la répression de l'usage et du
trafic de stupéfiants, (modifiée par la loi 87-1157 du 31
décembre 1987), celle du 1er juillet 1972 sur la lutte contre le
racisme, la loi du 17 janvier 1975 sur l'interruption volontaire de
grossesse (article L. 647 CSP), la loi 86-1020 du 9 septembre 1986
définissant la lutte contre le terrorisme ou encore très récemment,
la loi 87-1133 du 31 décembre 1987 tendant à réprimer la
provocation au suicide, privilégiaient la répression autonome de la
provocation.
La dangerosité du provocateur peut en effet être très
grande, parfois même plus grande que celle de l'auteur principal.
Il pouvait paraître surprenant qu'avec les progrès de la
criminologie, elle ne soit pas prise en compte pour elle-même, et
non de façon seulement accessoire et dépendante.
(1) V. J. Dupouy, La provocation en Droit Pénal, thèse dactyl. Limoges 1978.
�Fernand BOULAN
9
Dans le cas particulier de la provocation à commettre des
actes portant atteinte à la vie ou à la santé d'autrui ou de soimême, les incriminations nouvelles donnaient plus de cohérence
interne au code pénal qui sanctionnait déjà le refus de porter
secours ou le crime d'euthanasie. Le provocateur actif bénéficiait
de l'immunité alors que le témoin passif était sanctionné.
Par ailleurs, mais aussi de façon traditionnelle, la
provocation était considérée comme un facteur d'atténuation de la
répression en faveur de celui qui agit sous son emprise : en
quelque sorte en réplique à la provocation (article 321, 324, 325
C.P.).
Ainsi cette notion multiforme est appréhendée par le droit
pénal tantôt comme déterminante de la responsabilité pénale de
son auteur(2), tantôt comme cause d'atténuation de la culpabilité
de l'auteur provoqué. Tout dépend suivant que l'on considère le
provocateur ou le provoqué. Alors que son premier aspect semble
appelé à connaître un certain développement, son second aspect
au contraire tend à se restreindre.
I. - LA PROVOCATION, CAUSE DETERMINANTE DE
LA RESPONSABILITE PENALE
Dans un certain nombre d"hypothèses le droit pénal prend
en compte la provocation pour sanctionner son auteur.
Cependant, dans la conception classique de 1810 les
participants à un crime ou un délit, se rangeaient en deux catégories : les auteurs et les complices. Tous deux ayant participé à la
réalisation de l'infraction par des faits déterminés. Par extension
le provocateur avait été inclus, sous certaines. conditions, dans la
catégorie des complices.
Mais les conditions rendant la provocation punissable
devaient s'avérer tellement restrictives, qu'il apparut nécessaire
dans certains cas d'ériger la provocation en infraction distincte.
A - La provocation apparaît tout d'abord comme un cas de
complicité punissable.
Suivant l'article 60, alinéa 1 du Code pénal, sont
complices "ceux qui par dons, promesses, menaces, abus d'autorité
ou de pouvoir, machination ou artifices coupables, aÙront
(2) Depuis plusieurs années il était envisagé d'incriminer spécialement la provocation
au suicide, car la jurisprudence était contrainte d'utiliser des moyens détournés pour
atteindre les aides au suicide, lorsqu'elles prenaient la forme d'un véritable homicide
ou d'un refus d'assistance à une personne en danger. Une proposition de loi avait été
déposée au Sénat par M.F. Dailly dès 1982-83. L'ouvrage "Suicide, mode d'emploi"
(voir rapport Mamy, de la commission des lois de l'Assemblée Nationale n • 999, et
rapport Daillly n • 172 au nom de la Commission des lois du Sénat (1987-88)).
�10
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
provoqué à cette action ...". Ainsi, le provocateur qui a incité à la
commission d'un crime ou d'un délit apparaît comme l'auteur
moral de l'infraction. N'ayant pas par lui même pris une part
active dans l'exécution matérielle des actes qui préparent ou
consomment l'infraction, il ne pouvait être considéré comme
auteur ou coauteur. Dès lors, le Code pénal de 1810 le rangea,
plus par intuition que par logique, dans la catégorie extensible des
complices -ces participants périphériques- pour en faire un cas
particulier de complicité.
Compte tenu de la formulation de l'article 60 du Code
pénal, qui voulut éviter une extension abusive, la jurisprudence
enferma la punissabilité de la provocation dans des conditions
rigoureuses.
En premier lieu la provocation n'est, dans ce cas,
punissable que si elle a été circonstanciée : cela signifie qu'elle
doit être caractérisée par certains faits limitativement énumérés
par l'article 60 : il doit s'agir de dons, promesses, menaces, abus
d'autorité ou de pouvoir, machinations ou artifices coupables.
Il est vrai que certains de ces vocables peuvent recouvrir
-des comportements très variés. Il n'en reste pas moins qu'ils
constituent des limites à l'extension de la notion de provocation
punissable (3 ). En second lieu, il faut que la provocation ait été
directe et individuelle, c'est-à-dire que l'incitatiorr' à commettre
l'infraction ait été faite personnellement et clairement à celui que
l'on voulait convaincre (4).
Enfin, s'agissant d'un cas de complicité susceptible d'être
punissable que s'il existe un fait principal punissable, la
provocation doit être suivie d'effet.
Une jurisprudence désormais classique rappelle que "la
provocation non suivie d'effet ne peut pas constituer un acte de
complicité et n'est pas punissable lorsqu'elle n'est pas prévue par
un texte formel" (5). Les affaires SHIEB et BEN AMAR avaient
révélé les limites de la répression du complice instigateur, alors
que sa dangerosité était pleinement démontrée puisque dans l'une
et l'autre affaire le crime ne s'était pas réalisé par suite de
circonstances indépendantes de la volonté de l'auteur moral.
Dans un esprit semblable, mais dans le domaine particulier
de la presse, l'article 23 de la loi du 29 juillet 1881, considère
comme complice celui qui par les moyens énumérés, a pmvoqué
des tiers à commettre un crime ou un délit.
Comme dans l'article 60 du Code pénal la provocation
n'est punissable que si elle a été suivie d'effet. Mais à l'inverse de
(3) Voir not. Crim. 10 janvier 1973 et 3 avril 1973. RSC 1974, p. 579, obs. Larguier.
(4) Cf. sur ces caractères Levasseur-Stefani-Bouloc, Droit pénal général, Dalloz 13e
éd., p. 314.
(5) Crim 25 oct. 1962, D. 1963, p. 221 note Bouzat ; J.C.P. 1963.11.12935 note Vouin.
�Fernand BOULAN
11
l'article 60, elle n'exige pas d'être accompagnée de dons,
promesses, menaces ou abus d'autorité, ni d'être personnelle.
Le législateur, dès 1881, a compris le pouvoir de
persuasion de la presse et ses dangers, et a assoupli la répression
de la provocation réalisée par ce moyen (6).
Cette prise en compte limitée de la provocation devait
conduire, par des dispositions spéciales, à aller plus loin et à
sanctionner la provocation de façon autonome.
B - C'est à travers des dispositions de Droit pénal que la
provocation a connu une extension considérable de son domaine
répréhensible.
La loi de 1881 précitée, mais cette fois par son article 24
al. 1 et 2 procédait à cet élargissement en prévoyant de réprimer
la provocation non suivie d'effet. Le simple fait de procéder par
voie de presse, c'est-à-dire de façon publique et volontaire, mais
directe, à la commission de l'un des crimes ou délits énumérés par
l'article 24, expose le provocateur a une sanction autonome ( 1 à 5
ans d'emprisonnement et une amende de 300 à 300 000 F- ainsi
que la suspension de la publication du journal ou périodique pour
3 mois au plus -article 62- ou la saisie ou confiscation des écrits
incriminés) indépendante de la sanction encourue pour le crime
ou le délit suggéré. Des réformes successives sont venues allonger
la liste des infractions visées, qui concernent aujourd'hui le vol,
le pillage (art. 440 à 442), l'incendie volontaire (art. 434), la
destruction par explosifs (art. 435), les meurtres, coups et
blessures ou sévices à enfants (art. 295 à 309), ·ou encore les
crimes et délits contre la sO.reté de l'Etat. La loi 72.546 du Ier
juillet 1972 devait y ajouter la provocation à la discrimination à
la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe
de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou
de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou
une religion déterminée.
Enfin, plus récemment, la loi n° 86. l 020 du 9 septembre
1986 sanctionnait la provocation au terrorisme.
Au-delà des moyens offerts par la presse, la provocation
était érigée en délit autonome, à titre, pourrait-on dire, de délitobstacle, pour mieux prévenir la réalisation d'infractions
intervenant dans le domaine de la santé ...
Quatre exemples sont significatifs : la provocation à
l'avortement, à l'usage de stimulants,~ à l'usage de stupéfiants et
enfin au suicide.
·
(6) Voir Blin, Chavanne, Drago, Boinnet, Droit de la Presse, Lib. Techn. Provoc.
aux crimes et délits, n • 9 et suiv. ; Vitu, Traité Droit pénal spécial, éd. Cujas, p.
1233.
�12
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
L'article L 647 du Code de la santé publique modifié par
la loi du 17 janvier 1975 punit d'une peine de deux mois à deux
ans et (ou) d'une amende de 2 OOOF à 30 000 F "ceux qui par un
moyen quelconque, auront provoqué à l'interruption de grossesse,
même licite, alors même que cette provocation n'aurait pas été
suivie d'effet".
Le texte antérieur n'exigeait pas non plus que la
provocation soit suivie d'effet, mais il restreignait la répression en
ce sens qu'il énumérait les procédés de la provocation et les
assortissait de la publicité.
Le texte actuel en se référant à un "moyen quelconque"
élargit le champ de la provocation, et par ailleurs accentue son
caractère distinctif par rapport au droit commun de l'article 60 du
Code pénal. Les deux textes ne sont pas antagonistes mais
complémentaires. En effet, la loi (article 647 CSP) réserve
expressément l'application de l'article 60 du code pénal. Si les
conditions prévue par cet article étaient remplies, le provocateur
serait alors un complice de l'avortement et s'exposerait aux peines
plus élevées prévue par l'article 317 du Code pénal (7).
Cette dissociation de la provocation à l'avortement de
l'avortement illégal lui-même, est destinée par le délit distinct, à
mieux organiser la prévention de l'avortement.
La technique utilisée fut la même, en matière de
prévention de l'usage de stimulants à l'occasion de compétitions
sportives. Non seulement l'article 2 de la loi 65.412 du Ier juin
1965, sanctionne distinctement l'incitation à l'utilisation de
produits dopants, mais la sanctionne plus lourdement que le délit
principal d'usage. Le sportif s'expose à une amende de 500 à
15 000 F, alors que le provocateur s'expose à la même amende
plus une peine d'emprisonnement d'un mois à un an (8).
Dans la hiérarchie des comportements et de leur caractère
fautif le législateur considère à juste titre que celui du
provocateur est plus grave que celui de l'usager, qui en réalité
expose sa propre santé.
Dans un même esprit, mais allant plus loin encore, l'article
630 du Code de la santé publique, punit ceux qui par un moyen
quelconque auront provoqué à l'un des délits prévus par les
articles L 627 et L 628, alors même que cette provocation n'aurait
pas été suivie d'effet, ou qui les auront présentés sous un jour
favorable.
(7) Un à cinq ans d'emprisonnement et une amende de 1800Fà100 000 F.
(8) Voir Callu, Usagede stimulants à l'occasion de compétitions sportives, JCL Pénal
annexes. Il est à noter que la peine complémentaire d'interdiction pendant 3 ou 5 ans
de participer à une compétition sportive, d'en être l'organisateur ou d'y assumer une
fonction quelconque est commune aux différentes incriminations ; v. également J.
Borricand, Assuétudes et droit pénal spécial, infra p. 79.
�Fernand BOULAN
13
Commet ce délit l'individu qui a vendu des exemplaires
d'une carte postale portant au recto l'inscription "L.S.D. j'aime",
avec un dessin en forme de coeur et portant au verso l'image
d'une seringue à injection hypodermique (9).
En revanche ne constitue pas une provocation à la
fabrication, à la commercialisation ou à l'usage des stupéfiants la
présentation d'un parfum, d'un cosmétique ou de produits
similaires sous le terme "Opium" (3)
L'incrimination de la provocation apparaît ici comme plus
extensive que dans les autres domaines, car elle peut même
concerner des substances présentées comme ayant les effets de
substances ou plantes stupéfiantes. Cela signifie que le délit de
provocation existe même si les plantes ont été faussement
présentées comme des stupéfiants.
La volonté de prévention est telle qu'elle va jusqu'à
sanctionner la provocation d'un délit impossible. On en comprend
l'utilité. Mais une telle "avancée" dans la prise en compte de la
provocation par le droit pénal est révélatrice de la conscience du
caractère dangereux du provocateur.
L'auteur moral d'une infraction peut en effet être plus
"invisible" à la société que l'auteur de cette infraction sans être
moins dangereux. Ceci est particulièrement vrai dans le domaine
de l'usage ou du trafic illicite de stupéfiants.
C'est pour cette raison, que le nouvel article L 627-2 du
code de la santé publique, résultant de la loi du 17 janvier 1986,
sanctionne sévèrement l'offre même gratuite de stupéfiants
(emprisonnement de 2 à 5 et/ou amende de 5 000 F à 500 000 F),
ce qui peut être un comportement de provocateur (10). De la
même façon le comportement du provocateur peut s'inscrire dans
le cadre d'une entente ou d'une association, telle que prévue par
les articles L 627 et L 627-5 (Loi du 31 décembre 1987) du CSP,
ou plus largement encore dans le cadre de l'association de
malfaiteurs prévue de manière générale par les articles 265 et 266
du Code pénal (11).
Enfin, on doit citer la répression de la provocation au
suicide, que la loi du 31 décembre 1987 a prévue pour la
première fois de façon autonome (12).
Certes depuis longtemps on se demandait comment le droit
pénal devait appréhender le suicide et sa prévention ( 13 ), ma.is la
(9) Crim. 9 janvier 1974, Bull. crim. n • 15 ; G.P. 1974-1, p. 201.
(3) Paris, 7 mai 1979, J .C.P. 80 éd. gén. IV .136.
(10) J. Borricand, Commentaire loi 31décembre1987, J.C.P. 1988.1.3337.
(11) Voir Vitu, Droit pénal spécial, op. cit., n • 270 et suiv ..
(12) Loi 87.1133 du 31décembre1987, J.O. 1er janvier 1988.
(13) Léauté, Le suicide et sa prévention, in La prévention des infractions contre la
vie humaine et l'intégrité de la personne, éd. Cujas 1956, t. Il, p. 277 et suiv. ;
Daussier, Le consentement de la victime, in : Quelques aspects de l'autonomie du
�14
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
publication en 1982 de l'ouvrage "Suicide, mode d'emploi" (14), a
été à l'origine de la réaction législative. Peut-être l'a-t-il trop
guidée.
En effet, les nouveaux articles 318-1 et 318-2 du Code
pénal prévoient deux incriminations particulières : la provocation
au suicide et la propagande ou la publicité en faveur de produits,
d'objets ou de méthodes préconisés comme moyens de se donner
la mort.
Il n'est pas question ici d'analyser tous les aspects de ces
nouveaux textes ( 15), mais de se limiter à quelques remarques.
On observe tout d'abord qu'en s'en tenant au seul terme
de provocation, sans autre précision, le texte de la première
incrimination permettra de retenir toutes les formes d'expression
manifeste.
En revanche, le champ de l'incrimination se réduit
singulièrement en ne rendant la provocation punissable que si elle
a produit un résultat, c'est-à-dire un suicide ou une tentative de
suicide. La provocation non suivie d'effet est hors d'atteinte
pénale, et on peut le regretter. C'est aligner la provocation sur les
conditions de la complicité punissable et probablement exclure la
répression à l'égard d'individus qui se révèleront très dangereux
mais qui auront la chance de ne pas parvenir à faire céder leur
victime.
Le législateur aurait été plus perspicace en incriminant la
provocation même non suivie d'effet.
La seconde incrimination qui vise la propagande ou la
publicité de moyens suicidaires, est adaptée précisément au cas de
l'ouvrage à l'origine de la réforme.
En revanche le champ de l'incrimination est limité par
l'élément intentionnel du délit, puisque les moyens doivent être
"préconisés comme moyens de se donner la mort".
Alors que l'occasion aurait pu permettre un examen
d'ensemble de la prévention du suicide, c'est une réforme limitée
qui a été réalisée.
On se demande d'ailleurs si le calendrier législatif
permettait d'aller plus loin, et si dans l'avenir il y aura encore
pénal, Dalloz 1956, p. 200 et suiv. ; Levasseur, Suicide et euthanasie, Lumiltre et vie
1957, p. 53.
(14) L'un des deux auteurs de cet ouvrage ayant correspondu avec un jeune homme
qui devait se suicider, suite aux conseils donnés, sur la plainte du père de la victime,
cet auteur fut condamné pour refus de porter secours, Paris lle ch. 28 novembre
1986, conformément Trib. Corr. Paris 20 novembre 1985, D. 86-369, note B. Calais ;
R.S.C. 87-202, obs. Levasseur.
(15) Pour un examen plus complet, v. J. Pralus-Dupuy, La répression de la
provocation, au suicide, Rev. droit sanitaire et social 1988, D. 203 ; M. Gendrel,
Dalloz 1388, Act. législ., not. p. 175 et suiv. ; J. Borricand, La répression de la
provocation au suicide: de la jurisprudence à la loi, J.C.P. 1988.1.3359.
�Fernand BOULAN
15
place pour de grands débats autres que les débats d'intérêt
politique.
On comprend mieux ainsi que la conception classique qui
incluait la provocation dans la seule complicité, soit apparue
insuffisante. On ne peut pas dans tous les cas considérer que
l'habit du provocateur est celui d'un simple complice, avec une
responsabilité secondaire par rapport à celle de l'auteur principal
(16).
On comprend mieux aussi pourquoi le pro jet de Code
pénal de 1986 considère comme instigateur et punit comme
auteur, celui qui provoque directement à la commission d'un
crime lors même qu'en raison de circonstances indépendantes de
sa volonté la provocation n'est pas suivie d'effet (article 161.6).
Une telle réforme corrigerait certaines lacunes résultant de
l'application de l'article 60 du Code pénal, mais devrait laisser
intacts les textes spéciaux qui répriment la provocation, sauf
peut-être celle qui concerne le suicide.
Enfin, un dernier exemple mérite quelque attention : c'est
la provocation due à l'abandon d'enfant né ou à naître, avec
esprit de lucre (353-1 CP).
II s'agit de l'individu qui dans un esprit de lucre aura
provoqué des parents ou l'un d'eux à abandonner un enfant né ou
à naître.
Bien que les parents n'encourent pas de sanction pénale en
vertu de ce texte, les entremetteurs ou incitateurs, qui tendent à
se multiplier de nos jours, y sont exposés, notamment ceux qui
animent des associations "à but non lucratif" pour satisfaire les
demandes de mères de substitution, associations désormais
interdites ( 17).
Voici un domaine appelé à connaître une certaine
expansion.
II. - LA PROVOCATION, CAUSE ATTENUANTE DE
LA RESPONSABILITE PENALE
Si l'on se place désormais du côté de celui qui sous l'effet
d'une provocation a commis une infraction, alors cette notion
apparaît sous un jour différent. Elle est une cause d'atténuation
de la peine de l'auteur de l'infraction.
Toutefois les excuses atténuantes ayant un caractère
spécial, limité à certaines infractions, il est nécessaire de
(16) La responsabilité secondaire, Doc. Travail 45, Commission de réforme du Droit
au Canada.
(17) Voir Dreyffus-Notter, Le désir d'enfant face au Droit pénal, RSC 1986, p. 275 et
suite. Certaines associations réclamaient 5 000 F pour couvrir leurs frais !
�16
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
connaître les cas où la provocation est considérée comme telle,
avant d'en examiner le fondement.
A - A l'inverse des cas où la provocation est sanctionnée par le
droit pénal, ceux où elle est susceptible d'entraîner une
atténuation de peine ne sont pas très nombreux.
A côté de l'outrage violent à la pudeur qui excuse le
crime de castration (article 325 du Code pénal), et de l'escalade
ou l'effraction, pendant le jour, des clôtures, murs ou entrée
d'une maison ou appartement habité ou de leurs dépendances
(article 322 du code pénal), c'est le cas de l'article 321 du Code
pénal qui doit retenir notre attention, car le plus fréquent et le
plus intéressant.
Aux termes de l'article 321 du Code pénal, "le meurtre
ainsi que les blessures et les coups sont excusables, s'ils ont été
provoqués par des coups ou violences graves envers les
personnes".
Il résulte du texte que ce cas de provocation ne sera
caractérisé que si les violences ont atteint un certain seui"l de
gravité. En effet, de simples violences verbales, des coups sans
gravité, n'entreraient pas dans les prévisions de la loi, ni le désir
manifesté par la victime de ces violences d'en finir avec la vie
(18). De même le simple fait de bousculer quelqu'un ou le fait
d'insulter l'arbitre au cours d'un match ne sauraient constituer la
provocation prévue par l'article 321 du Code pénal (19).
En revanche, les lésions corporelles n'étant pas
nécessairement exigées par la jurisprudence, la provocation qui
sert d'excuse au meurtre peut être effectuée par la seule menace
de mort accompagnée d'une poursuite le couteau à la main (20),
encore que la jurisprudence plus récente se montre plus exigeante
(21).
Cette réti~ence jurisprudentielle à admettre trop
facilement la provocation de l'article 321 est liée à une plus
grande valorisation de la vie humaine.
C'est un peu dans ce même esprit que l'excuse de
provocation n'a jamais été admise pour des meurtres
particulièrement odieux tels que l'infanticide ou le parricide
(article 323 CP).
L'article 324 du Code pénal considère que le meurtre
entre époux n'est pas excusable. Il admet en revanche, mais sans
le dire clairement, la légitime défense.
(18)
(19)
(20)
(21)
Crim.
Lyon,
Crim.
Crim.
4 janvier 1939, Bull. crim. n • 2.
9 juillet 1985, D. 85.569, note Mayer.
23 décembre 1880, S. 1882.1.141.
18 juillet 1972, Bull. crim. n • 244.
�Fernand BOULAN
17
Par ailleurs, la loi du 11 juillet 1975 a abrogé la
provocation résultant de l'adultère de l'épouse dans la maison
conjugale, qui constituait une excuse atténuante pour le mari qui
tuait son épouse et l'amant.
L'honneur du mari bafoué par son épouse, chez lui, ne
constitue plus une valeur suffisante pour justifier, même
partiellement, un double meurtre.
Il est évident dans toutes ces hypothèses que la
provocation créé une situation qui est un diminutif de la légitime
défense.
Comme celle-ci elle suppose qu'il y ait une certaine
simultanéité entre la provocation et l'infraction qu'elle engendre
(22). En revanche aucune proportionnalité n'est exigée entre les
violences provocatoires et la réaction de la personne. C'est parce
qu'il y a disproportionnalité qu'il y a seulement une excuse
atténuante et non le fait justificatif de légitime défense. L'analyse
du fondement de cette excuse de provocation permet de mieux
comprendre ses effets.
B -. La justification de cette excuse a sans doute été discuté par
la doctrine. Soit l'atténuation de la peine encourue par l'auteur de
l'infraction se justifie par l'impulsion irraisonnée due. à sa colère
ou le perte de contrôle de soi-même, soit l'agent provocateur, qui
devient la victime a commis une faute qui atténue celle de
l'auteur.
Cette deuxième explication semble mieux convenir pour
expliquer un partage de responsabilité civile, que la jurisprudence
admet (23), plutôt que pour justifier l'atténuation de peine.
Dans la conception du Code pénal l'atténuation de peine
se justifie parce que les actes de provocation ont entraîné chez la
personne provoquée un sentiment de colère ou de peur qui
diminue la gravité de son acte.
On voit ici la perception totalement différente de la
provocation et de son auteur.
A l'inverse du provocateur complice ou auteur principal,
qui aide ou pousse volontairement autrui à commettre une
infraction, ici le provocateur est lui-même auteur d'actes
illégitimes (coups ou violences graves, escalade ou effraction) et
ne recherche nullement à faciliter ou provoquer l'infra~tion
d'autrui.
(22) Cf. Vitu Traité, op. cit., n • 174.
(23) Partage de la responsabilité civile en cas de provocation :
74.25, note P.J. Doll ; RSC 1974 858, obs. Larguier ; RTD
partage de responsabilité en l'absence de provocation : Crim.
76-412 obs. Larguier, RTD Civ. 76-359 obs. Durry - D
également Crim. 6 juin 78 B. n • 182.
Crim. 21 juin 1973, D.
Civ. 74.417. Pour un
16 octobre 1975, RSC
76.2 note PFM ; V.
�18
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
A l'inverse du provocateur complice ou auteur principal,
qui aide ou pousse volontairement autrui à commettre une
infraction, ici le provocateur est lui-même auteur d'actes
illégitimes (coups ou violences graves, escalade ou effraction) et
ne recherche nullement à faciliter ou provoquer l'infraction
d'autrui.
Il recherche d'autant moins l'infraction d'autrui que, si
elle intervient, il en sera la victime. C'est d'ailleurs dans cette
hypothèse que la provocation est prise en compte par le Code
pénal comme excuse atténuante.
Il apparaît en définitive que s'il y a bien deux manières
différentes d'appréhender la provocation, dans tous les cas le
provocateur apparaît comme un individu qui commet des actes
interdits par la loi pénale.
Les provocateurs constituent-ils une catégorie particulière
de délinquants qui mériteraient une plus grande attention
criminologique ? Cela est fort possible.
Notre seul dessein était de montrer qu'ils ne manquent pas
d'intérêt et éventuellement de susciter un peu plus de curiosité
scientifique à leur égard.
�DE L'OPPORTUNITE DES INTERDICTIONS
PENALES EN MATIERE DE TECHNOLOGIE
DE LA REPRODUCTION
ET DE GENETIQUE HUMAINE
Etat actuel de la législation et de la discussion
scientifique en R. F. A.
(*)
Par
Dr. Hans-Ludwig GÜNTHER
Professeur à l'Université de Tübingen
1 - LA PROBLEMATIQUE
Le sujet développé ici a déjà suscité, au cours des
dernières décennies, des discussions passionnées aussi bien en
France ou en Allemagne que dans le reste du monde occidental. Il
s'agissait alors de la protection pénale de la vie prénatale avant
l'interruption volontaire de grossesse. La plupart des états
européens a ainsi libéralisé l'avortement. Ils ont remplacé cette
protection par des mesures à caractère social au profit de la
femme enceinte. Le législateur fut motivé par le fait que le poids
moral et psychique pesant sur la femme enceinte était pris en
considération de façon croissante. Vu l'inefficacité dé la
réglementation pénale antérieure, il chercha non pas la voie de la
(*) Version remaniée, approfondie et actualisée de ma communication "Protection de
l'embryon et technologie de reproduction en droit pénal allemand", Revue de la
Recherche Juridique - Droit Prospectif, 1987, p. 859-873. Pour le travail de
traduction vers le Français, je tiens à remercier M. Jacques Aubron, traducteur
diplômé à Sarrebruck.
�20
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
sanction, mais celle du soutien. Les modifications des valeurs
morales de la société, les victoires des mouvements pour
l'émancipation de la Femme, le respect de son désir
d'épanouissement personnel, l'influence décroissante de l'église
catholique en tant qu'instance morale, bref : tous ces éléments
jouèrent un rôle révélateur de cette tendance.
Aujourd'hui, le problème des mesures de protection en
faveur de la vie prénatale se pose de façon nouvelle et différente :
Les progrès révolutionnaires de la biologie moléculaire et
de la génétique ont permis à la médecine des techniques de
reproduction et à la génétique humaine d'utiliser des procédés tels
que la reproduction en éprouvette l'expérimentation prénatale et
l'utilisation de l'héritage génétique de l'embryon {l ). Ainsi, au
premier bébé-éprouvette, né en 1978 en Angleterre, Louis Brown,
ont succédé quelques 3 000 autres dans le monde. "Mater semper
certa est !". Ce vieil adage latin est depuis tombé en désuétude :
aujourd'hui, un enfant peut avoir trois mères : la donatrice de
l'ovule, ("la mère génétique"), la mère-porteuse qui "prête" son
ventre ("la mère biologique") et la femme qui prend en charge et
élève le bébé ("la mère sociale").
La génétique humaine a réussi à déchiffrer le code de
l'héritage génétique et peut ainsi mettre en évidence certaines
carences génétiques (analyse génome). Elle essaie d'éliminer les
gènes "malades", de les échanger (transfert génétique) ou de les
corriger (thérapie génétique).
Le développement astronomique des connaissances dans le
domaine de la technologie des techniques de reproduction et
génétiques aura donc certainement, tout comme la fusion
nucléaire, l'automobile ou la microélectronique, un rôle
prépondérant à jouer dans l'évolution de l'humanité. Ces
techniques sont pour l'Homme, porteuses d'espoir et de chances
nouvelles.
Il ne faut cependant pas oublier qu'elles multiplient
d'autre part de façon inquiétante le potentiel de dangers et de
risques pesant sur l'humanité.
(1) Le terme "embryon" désigne tous les stades du développement du zygote depuis
la fécondation de l'ovule. Voir : "Avis sur les prélèvements de tissus d'embryons ou
de foetus humains morts à des fins thérapeutiques, diagnostiques et scientifiques" du
Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé en
France (22 mai 1984) ou "Richtlinien zur Durchführung von ln-vitro Fertilisation
und Embryotransfer ais Behandlungsmethode der menschlichen Sterilitat" de la
Chambre Fédérale allemande des médecins (Deutsches Arzteblatt 1985, p. 1649, 1699
et s.).
�Hans-Ludwig GÜNTHER
21
II - POSSIBILITES D'APPLICATIONS PRATIQUES DE LA
MEDECINE DE LA REPRODUCTION ET DE LA GENETIQUE
HUMAINE
Avant d'examiner le rôle que pourrait jouer le droit pénal
dans la recherche de solutions à ce problème, il est nécessaire,
pour une meilleure compréhension, d'esquisser les possibilités
pratiques de la bio-technique appliquée à l'Homme.
1 - Il faudrait tout d'abord comprendre les progrès
réalisés par la médecine des techniques de reproduction :
Après être parvenue à conserver hors du corps humain le
sperme de l'homme, elle a maintenant réussi à isoler l'ovule de la
femme. On est aujourd'hui en mesure de les assembler l'un avec
l'autre en milieu extra-corporel (fertilisation in-vitro). A un stade
précoce de son développement, l'embryon ainsi produit in-vitro
est alors implanté dans l'utérus (transplantation de l'embryon). Le
taux de réussite des cas conduisant à une grossesse naturelle de la
femme est à l'heure actuelle de 15 à 20 %. Cette méthode est
pratiquée par des gynécologues du monde entier et permet de
surmonter certaines causes de stérilité de l'homme ou de la
femme. Malgré ce taux de réussite resté faible jusqu'à présent et
malgré les troubles physiques considérables que le prélèvement de
l'ovule occasionne à la femme, le bilan de la reproduction
artificielle in-vitro reste positif, surtout quand les donateurs de
l'ovule et de sperme sont époux (système homogène).
Mais le fait de pouvoir disposer librement d'ovules et de
sperme à l'extérieur du corps humain n'est pas dénué d'atteintes
supplémentaires au processus naturel de reproduction et peut
poser des cas de conscience quant au destin de l'embryon produit
in-vitro.
La fécondation extra-corporelle est, du moins d'un point
de vue moral, controversée quand les donateurs d'ovules et de
sperme ne sont pas mariés (système hétérologue). A ceci s'ajoutent
les doutes éthiques et juridiques lorsque le donateur reste
anonyme. L'enfant ainsi engendré ne saura donc jamais qui sont
sa mère et son père génétiques. On utilise par exemple pour la
fécondation artificielle une solution de sperme provenant <l'une
multitude de donateurs "Cocktail de sperme"). Une femme peutelle demandé à être fécondée avec le sperme d'un mort, sperme
que l'on aurait conservé par le froid, cryotiquement, même s'il
s'agit de celui de son mari décédé ?
Le problème de la "commercialisation" : des entreprises fondent
des banques de sperme et d'ovules dans lesquelles des gamètes de
différents donateurs et donatrices sont conservés cryotiquement et
�22
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
font mention de caractéristiques de qualité et de garantie. Peut-on
en toute conscience assembler en éprouvette et à des fins
d'élevage ovule et sperme tel qu'on le fait pour l'élevage des
animaux et des plantes ? Le rôle d'étalon serait ainsi assuré par
un Prix-Nobel, une star du foot-ball ou un professeur de droit
pénal ! On recherche ensuite une femme pour porter, contre
rémunération, une ovule fécondée et faire office de "loueuse de
ventre" !
Mais à quel moment le droit pénal a-t-il un rôle à jouer ?
Au moins lorsqu'il s'agit de se pencher sur le destin des embryons
produits en excédents. Ces embryons ne peuvent pas être
implantés car la mère biologique a disparu de la circulation. Le
cas de l'embryon orphelin, en Australie, est bien connu : les
parents sont morts dans un accident d'avion. Ou la mère
biologique, malade, ne veut plus continuer. Que peut-on, que
doit-on faire de cet embryon in-vitro ?
Le cas de figure suivant est également d'une grande
importance
soit pour les conserver, soit à des fins
expérimentales, le chercheur produit dès le départ trop
d'embryons. De telles expériences sont peut-être nécessaires pour
améliorer le pourcentage de réussite de fertilisation in-vitro ou
pour obtenir des informations supplémentaires sur le génome et
sur les causes des maladies génétiques. La production d'embryons
identiques est ainsi une des méthodes permettant d'obtenir des
embryons supplémentaires. Elle ~st génétiquement possible par la
division des cellules embryonales - à un stade très précoce du
développement (création artificielle de jumeaux) ou encore par
clônage des cellules embryonnaires.
On peut alors imaginer des scénarios macabres, sortis tout droit
des archives de l'horreur : le chercheur crée des êtres hybrides,
entre l'homme et la bête. Il croise par exemple l'ovule d'une
femme avec un sperme animal. La nature elle-même a conçu de
façon analogue la mule, issue du croisement d'un âne et d'une
jument. Le savant pourrait implanter un embryon humain dans le
ventre d'une femelle de gorille. Il pourrait aussi développer un
embryon en couveuse ou faire fusionner les cellules germinatives
de deux embryons et ainsi créer un enfant ayant quatre parents,
sautant de cette manière une génération (création de chimères).
2 - Considérons maintenant la génétique humaine, la biotechnique appliquée à l'homme. Elle analyse et corrige l'héritage
génétique. Il s'agit donc d'une problématique entièrement
différente. On parle de "génétique rouge" par opposition à la
"génétique verte" qui se consacre à l'élevage de bactéries, de
plantes et d'animaux et dont les applications de par le monde sont
surtout alimentaires.
�Hans-Ludwig GÜNTHER
23
Selon les suppositions de la biologie moléculaire, le
génome humain est composé d'au moins 50 000 gènes. Ceux-ci
recèlent, articulées autour des 23 paires de chromosomes que
contient chaque cellule de l'organisme humain, toutes les
informations sur l'héritage génétique des individus. Les premiers
pas ont déjà été fait et on a décodé le code génétique de
l'Homme. On est en mesure dès aujourd'hui d'attribuer certaines
caractéristiques et certains processus biologiques humains à des
gènes bien définis. Ces gènes peuvent être isolés et leur structure
moléculaire analysée. Une "carte factorielle" complète, voire une
bibliothèque génétique de l'Homme ne sont cependant pas
envisageables dans un futur immédiat et ceci en raison du
caractère complexe de la combinaison entre différents gènes sur
laquelle reposent les principaux caractéristiques et processus
biologiques humains. En outre, le phénotype humain est non
seulement déterminé par son génome, mais aussi par son
environnement.
La génétique humaine a donc deux faces, en quelque sorte
comme une médaille. L'endroit de cette médaille, la bénédiction
pour l'humanité réside dans les possibilités de diagnostic précoce
et ainsi de prévention et peut-être un jour dans la thérapie des
- maladies mono-génétique héréditaires. On connaît de nos jours
quelques 3 000 maladies héréditaires comme par exemple les
diabètes, les anémies hyperchromes, les maladies du sang ou le
mongolisme. On connaît aujourd'hui 30 à 40 maladies monogénétiques dont l'origine est attribuée à un gène. Ces maladies
peuvent être diagnostiquées très tôt et avec une grande certitude,
ce qui a permis une nette amélioration du diagnostic prénatal. A
l'avenir, le simple risque d'un embryon non-viable ne sera plus
une cause d'interruption de la grossesse. Au-delà du diagnostic de
ces maladies héréditaires, on nourrit de grands espoirs quant à
leur thérapie : on pourrait par exemple enlever le gène défectueux
et le remplacer par un gène sain (transfert de. gènes) ou faire
appel à un traitement biochimique. Des perspectives nouvelles de
guérison s'ouvrent alors pour de nombreuses maladies jusqu'à
présent incurables. De l'avis de tous les experts, les connaissances
sur ce que l'on pourrait appeler les "composantes moléculaires de
la vie" vont se développer à grande allure dans les dix années à
venir.
.
Comment se présente alors l'envers de la médaille, cette
génétique humaine en tant que malédiction possible pour
l'humanité ? Les nouvelles possibilités de la génétique vont
entraîner un changement d'attitude de l'Homme vis-à-vis de la
nature. Les progrès au niveau du diagnostic prénatal entraineront
un accroissement du nombre des interruptions de grossesse car il
sera possible, dans un proche avenir, de diagnostiquer avec une
�24
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
certitude croissante, ces maladies génétiques prénatales qu'on ne
pouvait dépister auparavant. La génétiqùe permet également de
reconnaître très tôt d'autres caractéristiques de l'embryon, tels son
sexe, sa croissance, la poussée de ses cheveux ou sa constitution
physique. Quand il sera possible de mettre en place une thérapie
contre les maladies génétiques (eugénique négative), il sera
également possible de manipuler le reste de l'héritage génétique,
"d'améliorer" l'embryon et de cultiver un humain de plus en plus
parfait (eugénique positive). Où se situe alors la frontière entre
"thérapie" et "amélioration", entre la maladie et le défaut ? Lors
d'expérimentations sur des animaux, on a déjà créé des souris
surproportionnées en leur implantant dans les cellules
germinatives, l'hormone de croissance du rat.
L'Homme sera-t-il immunisé à l'avenir contre les poisons
de l'environnement grâce à un code génétique artificiel ? On a
déjà tenté, sur des souris, des expériences correspondantes afin
d'augmenter leur résistance face à certaines maladies virales.
Appartiendra-t-il dès lors au généticien de décider qui obtiendra
une médaille d'or aux Jeux Olympiques ? Un médecin a-t-il le
droit de manipuler de façon i_rréversible les cellules germinatives
de l'être humain, avec -toutes les conséquences que cela entraîne
pour les descendants ? A-t-il le droit uniquement dans le but de
servir la recherche, d'intervenir dans le génome de l'embryon ?
III - LES OPINIONS ET L'ETAT ACTUEL DE LA
LEGISLATION EN REPUBLIQUE FEDERALE D'ALLEMAGNE
Nous allons maintenant tenté de faire le point sur la
législation en vigueur en R.F.A. et sur les diverses opinions (2)
que l'on peut y rencontrer à propos du rôle que peut jouer le
droit pénal en matière de protection de l'embryon contre les
interventions de la médecine des techniques de reproduction et de
la génétique. Les questions inhérentes au droit de la famille et
successoral seront laissées de côté (3 ).
1 - Conformément au droit pénal allemand en vigueur,
l'embryon est sans protection juridique jusqu'à son implantation
dans l'utérus (Art. 219 dStGB). En outre, seuls les avortements
(2) Les ouvrages allemands sur le sujet sont innombrables. Se reporter à l'annexe 1,
en fin de communication.
(3) L'association des juristes de R.F.A. a discuté ces questions lors de son 56 •
congrès qui s'est tenu en septembre 1986 à Berlin-ouest. Voir à ce sujet les
expertises de Christian Starck et Dagmar Coester-Waltjen : Die Künstliche
Befruchtung beim Menschen
Zulassigkeit und zivilrechtliche Folgen,
Verhandlungen des 56. Deutschen Juristentages, Beck, Munich 1986.
�Hans-Ludwig GÜNTHER
25
intentionnels sont passibles de sanctions : les blessures portées à
l'embryon et l'homicide involontaire de l'embryon ne sont pas
réprimés. Actuellement, les manipulations d'embryons en
éprouvette ne sont donc pas sanctionnées par le droit pénal
allemand.
2 - Presque tous les groupes politiques et sociaux, y
compris le parti Social-démocrate, les Chrétiens-démocrates, les
Verts et les associations féminines, ont compris la nécessité des
mesures de contrôle étatiques et des dispositions légales, voire
même d'une réglementation pénale, pour assurer la protection de
l'embryon (4).
3 - Le Ministère Fédéral de la Justice a publié fin avril
1986, un avant-projet de loi sur la protection de l'embryon
prévoyant un grand nombre de nouvelles dispositions pénales
concernant (5) :
- la production d'embryons excédentaires et non destinés à la
transplantation,
- le développement d'embryons in-vitro au-delà du 14e jour,
l'expérimentation avec des embryons produits extracorporellement sans l'autorisation des autorités de l'Etat
compétentes,
- la manipulation des informations héréditaires d'une cellule
-germinative,
- la création de clônes, de chimères et d'êtres hybrides ..
4 - Le Bundesrat, assemblée représentant les Lands
fédérés au sein de la République Fédérale d'Allemagne, a arrêté
en mai 1986, à l'initiative des Lands de Bade-Württemberg et de
Bavière, une "Décision sur la fécondation extra-corporelle" (6) qui
propose en outre des mesures de réglementation pénale :
- sur la production d'embryons à d'autres fins que celle de
provoquer une grossesse qui n'aurait pu être obtenue par des
moyens naturels,
- sans exception, sur la recherche utilisant des embryons,
(4) Pour les Chrétiens-démocrates : Seesing, Technologischer Fortschritt und
menschliches Leben, J. Schweitzer, Munich 1987. Pour les Socio-démocri>tes :
Daubler-Gmelin, Forschungaobjekt Mensch : Zwischen Hilfe und Manipulation, J.
Schweitzer, Munich 1986.
(5) Publié dans : Zeitschrift für Rechtspolitik, 1986, p. 243. Auparavant, un groupe
de travail commun (la commission Benda) du Ministère Fédéral de la Recherche et
de la Technologie et du Ministère Fédéral de la Justice avait publié, fin 1985, un
rapport exhaustif sur "la fertilisation in-vitro, l'analyse génome et la thérapie
génétique". (In-vitro-Fertilisation, Genomanalyse und Gentherapie, Schweitzer :
Munich 1985).
(6) Entschliessung des Bundesrates zur extrakorporalen Befruchtung, BundesratDrucksache 210/86.
�26
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
- sur le placement contre rémunération de "loueuses de ventre".
5 - Finalement, un groupe de travail "médecine de la
reproduction" institué par le Ministre Fédéral de la Justice à la
demande pressante des Lander et au sein duquel siégeaient des
représentants du gouvernement fédéral et des Lander, a présenté
en Novembre 1987 un rapport intermédiaire sur un concept
législatif global visant à réglementer la médecine de la
reproduction (7). Dans ce rapport, les spécialistes des ministères
de la Santé et de la Justice, de la Fédération comme des Lander,
se prononcèrent en faveur de 52 mesures détaillées visant à
limiter les nouvelles possibilités de la médecine de reproduction.
Les recommandations essentielles de ce groupe de travail sont les
suivantes :
- L'insémination artificielle et la fertilisation in-vitro sont
admises à condition que le transfert de l'embryon ait lieu en
circuit homologue (c'est-à-dire à l'exclusion de toute autre
personne que les parents biologiques) et sur prescription médicale,
à titre thérapeutique de la stérilité, et ce même lorsqu'il s'agit
d'un_ couple non marié mais dont la "stabilité" est crédible (8).
- Interdiction de la fertilisation in-vitro suivie d'un transfert de
l'embryon en circuit hétérologue, c'est-à-dire en utilisant les
gamètes de tiers qui, après la· naissance, ne sont pas désireux
d'assumer la fonction de parents.
-· Interdiction de la fertilisation in-vitro visant à -constituer des
réserves d'embryons.
- Interdiction de principe de conserver les embryons issus d'une
fertilisation in-vitro.
- Interdiction pour les médecins de pratiquer l'insémination
artificielle sur une mère porteuse. Tout contrat par lequel une
femme s'engage, avant le début de la grossesse, à remettre
l'enfant qu'elle mettra au monde aux parents qui en auraient
passé l'accord avec elle, doit être déclaré nul, et ce, sans aucune
dérogation et quels que soient les termes du contrat, que la mère
porteuse soit rémunérée ou· qu'elle agisse bénévolement (9).
(7) Pour plus de détails voir : Rolf Keller, Fortpflanzungstechnologie : Ein
Gesamtkonzept staatlichen Regelungsbedarfs. Zum Zwischenbericht de1 BundLander-Arbeitsgrupppe "Fortpflanzungsmedizin", Medizinrecht 1988, p. 59 et s.
(8) Dans son "Instruction à la congrégation pour une théologie du respect de la vie
humaine commençante et de la dignité de la procréation", en date du 10 mars 1987,
le Saint-Siège, quant à lui, refuse la fertilisation in-vitro, même en tant que mesure
thérapeutique de la stérilité, pratiquée en système homologue pour des couples qui
n'ont pu avoir d'enfants.
(9) Le jugement contraire de la Cour Suprême du New-Jersey, "In re Baby M." en
date du 31 mars 1987, a renforcé cette évolution politique en R.F.A. ; voir Rolf
Keller, "baby M." : Ein spektakularer Fall der Mietmutterschaft, Juristische
Rundschau 1987, p. 441 et s.
�Hans-Ludwig GÜNTHER
27
- Interdiction absolue et ne souffrant aucune exception de
produire in-vitro des embryons humains dans un but de
recherche ou d'utiliser aux mêmes fins des embryons en excédent
non transférables (IO).
Ce groupe de travail a réservé sa décision quant aux
interdictions, parmi celles mentionnées, qui devraient faire l'objet
de sanctions pénales en cas de transgression.
6 - L'intensité des travaux préliminaires, menés durant
plusieurs années au niveau parlementaire et gouvernemental de la
Fédération comme des Lander, ainsi que le fait que ces travaux
débouchèrent sur un large consensus politique permettent de
penser que selon toute vraisemblance, le Bundestag votera d'ici la
fin de la législature en 1990, une loi sur la protection de
l'embryon ainsi qu'une loi visant à limiter les technologies de la
reproduction. Chacune de ces lois définira les faits susceptibles de
faire l'objet de poursuites pénales.
IV - ARGUMENTS DEFAVORABLES A DES MESURES
LEGISLATIVES A L'HEURE ACTUELLE
Dans le monde scientifique, les voix ne manquent pourtant
pas qui pensent qu'il serait préférable· pour le moment, de
renoncer à prendre des mesures législatives visant à restreindre les
nouvelles possibilités de la médecine de reproduction et de la
génétique humaine •( 11 ). Ces scientifiques sceptiques soulignent
que les possibilités actuelles de la génétique humaine sont
totalement déformées, que cette déformation donne de la
génétique humaine une image ne correspondant plus à la réalité et
de surcroît, génératrice de peur. Beaucoup d'interdictions
envisagées n'auraient selon eux· qu'une valeur symbolique. Le
droit pénal tout particulièrement, ne devrait pas s'attacher à
définir des faits relevant encore de la science-fiction ; selon eux,
l'auto-contrôle auquel se soumettent les chercheurs et les
organisations médicales, offre une protection suffisante contre les
abus et permet de s'adapter de façon plus souple aux progrès de
la science et à l'évolution de conditions périphériques .. Des
(10) Au printemps 1987, les deux grandes institutions de la recherche en R.F.A., la
"Deutsche Forschungsgemeinschaft" et la "Max-Planck-Gesellschaf't", avaient tenté
par une grande campagne auprès de l'opinion publique, de justifier la nécessité et la
constitutionalité de travaux de recherche utilisant des embryons.
(11) Erich Fechner, Hasso Hof'mann, Arthur Kauf'mann, etc .... (cf. annexe 1),
Deutsche Forschungsgemeinschaf't (prise de position du 9 mars 1987), groupe de
travail de la Max-Planck-Gesellschaf't "Ethische und rechtliche Fragen der
Humangenetik" du 4 février 1987.
�28
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
interdictions légales pourraient faire plus de mal que de bien :
elles pourraient en effet, hypothéquer d'emblée la découverte de
certains procédés, aujourd'hui encore inconcevables, qui
constitueraient une contribution au bien-être de l'humanité
comme par exemple, la prévention et la guérison de maladies
héréditaires grav1ss1mes. La Constitution de la R.F.A.,
argumentent-ils, protège la recherche de toute restriction légale
(Art. 5, parag. 3, Loi Fondamentale de la R.F.A. : droit
fondamental à la liberté de la recherche), l'incertitude plane par
contre sur le statut constitutionnel de l'embryon humain au stade
précoce de son existence.
On s'appuie sur le gaspillage que la nature elle-même, fait des
vies humaines tout juste commencées, sur les pratiques
généreusement tolérées par le droit pénal qui consistent à "tuer"
ce qui n'est pas encore né en empêchant la nidation ou pratiquant
l'interruption de grossesse, on met en avant la liberté et les
méthodes de recherche pratiquées dans les autres pays
industrialisés et que, au moins pour des raisons de concurrence,
les scientifiques en R.F.A. devraient jouir de conditions de
recherches analogues. On souligne qu'il est tout· à fait dénué de
sens de vouloir arrêter par des réglementations à caractère
purement national une évolution à l'envergure mondiale.
V - ASPECTS SPECIFIQUEMENT PENAUX DE
·PROTECTION DES EMBRYONS
~A
•
1 - Quels principes faut-il observer lorsqu'il s'agit de la
protection par le droit pénal ? Le droit pénal ne criminalise pas
un comportement seulement parce qu'il est contraire au droit,
contraire aux moeurs ou simplement réprouvable du point de vue
éthique. Par contre, il définit le.quel de ces comportements
nécessite et mérite d'être pénalement sanctionné. Cette
subsidiarité ou nature fragmentaire (Binding) du droit pénal
correspond à la pensée juridique des états démocratiques du
monde. Les critères de sélection sont les suivants :
L'acte répréhensible doit léser un bien juridique, l'utilisation du
droit pénal doit être appropriée et nécessaire et elle ne doit pas
être disproportionnée par rapport au contenu fautif et de tort de
l'acte.
S'agit-il d'évaluer ces conditions préalables, le droit pénal
est déterminé tout d'abord par des facteurs scientifiques, les
connaissances sociologiques et criminologiques, puis par le
jugement éthique de l'événement par la société et enfin par
l'échelle des valeurs du système juridique général, en particulier
�Hans-Ludwig GÜNTHER
29
le cadre constitutionnel, dans lequel les normes pénales doivent
s'inscrire sans contradiction aucune.
2 - Si l'on applique ces principes au cas particulier de la
protection pénale de l'embryon, le problème se pose en ces
termes:
a) L'Etat n'a un intérêt légitime à assurer la
protection pénale de l'embryon contre les interventions de la
technologie reproductive et génétique que si la vie, la santé et la
dignité de l'embryon ont la qualité d'un bien juridique digne de
protection. Pour la problématique générale, il est donc d'une
importance capitale de répondre à cette question ce qui nécessite,
au moins pour le stade précoce de la vie prénatale, un examen
approfondi.
D'un point de vue biologique, la fusion de l'ovule et du
sperme développe une vie individuelle, propre, possédant un
héritage génétique provenant de la mère comme du père. Ce
nouvel individu a déjà toutes les caractéristiques génétiques de la
personne humaine qui va naître. Il se développera sans
interruption depuis sa conception jusqu'à sa mort. La naissance de
l'Homme elle-même, n'es~ que la forme externe d'un processus
biologique s'étendant de la conception à la mort de l'individu. En
raison de ces évidences biologiques, l'opinion dominante
aujourd'hui dans la discussion constitutionnelle en R.F.A. défend
la thèse selon laquelle l'embryon peut prétendre, dès sa création, à
une protection par les droits fondamentaux à la vie, à la santé et
à la dignité humaine (12).
Ceux qui aimeraient autoriser des expérimentations aussi
étendues que possible sur l'embryon et son héritage génétique
font valoir que le droit pénal a, durant un certain temps, "libéré"
l'embryon pour permettre l'avortement. Sauf dans les cas où
l'homicide de l'embryon ne résulte pas d'une nécessité pour la
femme enceinte, cet argument pourrait faire naître l'impression
que le droit pénal ne considère pas la vie prénatale comme un
bien juridique digne de protection. En R.F.A., toute protection
juridique est donc refusée à l'embryon jusqu'au moment de la
nidation, c'est-à-dire l'implantation de l'ovule fécondée dans
l'utérus de la femme, environ 14 jours après la fécondation
naturelle. Par sa réglementation (art. 219d StGB), le législateur n'a
cependant pas voulu ôter à la vie prénatale jusqu'à cette phase sa
qualité de bien juridique, il a désiré uniquement laisser sans
(12) Voir à ce sujet : Coester-Waltjen (note 3), p. 103 ; Fechner, Juristenzeitung
1986, p. 653 et s. ; Laufs, Juristenzeitung 1986, p. 769, 774 ; Starck (note 3), p. 15 &
16 ; Graf Vitzthum, Menschenwilrde als Verfassungsbegriff, Juristenzeitung 1985, p.
201, 207 et s.
�30
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
sanctions les méthodes de prévention de la nidation (comme par
exemple la "pilule du lendemain matin"). A ce stade précoce de la
grossesse, le législateur pénal a donc donner la priorité au droit
personnel de la femme de vouloir rester sans enfant par rapport
au droit de l'embryon à la vie, sans toutefois nier ce droit. La
solution française résulte des mêmes observations et laisse à la
femme enceinte le choix pour décider si elle se trouve dans une
situation justifiant une interruption de grossesse ou non.
Autre point de vue : certaines objections biologiques
argumentent contre la reconnaissance en tant que bien juridique
de la vie prénatale à un stade précoce en montrant que 30 % des
embryons seulement, un nombre donc peu élevé, arrivent à
s'implanter naturellement et de manière durable dans l'utérus et
qu'une partie d'entre eux périra encore suite à une fausse couche.
Cette prodigalité avec laquelle la nature joue avec la vie humaine
n'enlève cependant pas à celle-ci son caractère de bien juridique.
Le grand nombre de décès naturels d'embryons à un stade
précoce de leur développement ne légitime pas un usage
dispendieux des embryons par l'Homme. A la différence de la
nature, l'humain doita tirer les conséquences, doit se justifier de
ses actes. Tant du point de vue éthique que juridique, il existe
une_ différence entre l'enfant mort par noyade accidentelle et
l'enfant mort, noyé par ses parents.
Synthèse : pour l'ordre juridique, la vie humaine
commence à la conception de l'embryon, que ce soit par des voies
naturelles ou par fécondation in-vitro. Dès ce moment, la vie et
la santé de l'embryon sont garanties par la constitution. Chaque
vie humaine a droit dès sa conception, à la protection de sa
dignité humaine.
b) La seconde condition préalable de tout
comportement criminel est que l'acte punissable nuise réellement
au bien protégé. Toute- une série de mesures relevant des
techniques reproductives et génétiques remplissent aisément cette
condition:
La recherche sur l'embryon viole la vie ou la santé de celui-ci. La
création d'embryons non destinés au transfert signifie leur mort
certaine. Il est un fait établi que l'opération de transfert, telle
qu'elle est actuellement pratiquée, ne donne pas naissance
seulement à des enfants, mais aussi à des embryons voués à la
mort car pour augmenter les chances de réussite, le gynécologue
produit en éprouvette et implante dans l'utérus trois à quatre
embryons à la fois, bien qu'il sache qu'un seul enfant doit naître.
Les autres embryons sont dès lors condamnés à mourir.
La limite entre, d'une part un comportement simplement
contraire à la morale ou aux moeurs et d'autre part, la violation
�Hans-Ludwig GÜNTHER
31
associale d'un bien juridique devient difficile à tracer au moment
où la dignité et le droit à la personnalité de l'embryon en cours
de développement, vers la personne humaine, sont affectés et ceci
considéré comme une atteinte à un bien juridique :
- La dignité de l'Homme est bafouée dès qu'on l'identifie à
l'animal, ce qui est le cas lors de la création d'hybrides.
- L'individualité de l'Homme fait partie de sa dignité et de sa
personnalité. La création artificielle d'identitismes (jumeaux,
clônes) enlève à l'Homme son individualité. Le fait que la nature
produise parfois de tels jumeaux ne légitime pas un chercheur à
vouloir la copier.
- Dans le cadre de la discussion éthique et constitutionnelle qui a
lieu en R.F.A., une quasi-unanimité s'est formée autour de l'idée
que la connaissance de l'ascendance génétique fait partie
intégrante de la dignité et de la personne humaine. L'enfant a un
droit fondamental à être informé de l'identité de ses parents
génétiques. L'anonymat des donateurs d'ovule et de sperme ainsi
que le recours au "cocktail de sperme" pour la fertilisation invitro ou pour l'insémination artificielle, porte de ce fait, atteinte
à ce bien jur:idique. La généalogie génétique doit, en outre, être
connue pour éviter d'une part, les dangers de la consanguinité
subséquente, et d'autre part, pour permettre d'appliquer avec
succès certaines thérapeutiques des maladies génétiques.
- Par contre, la fertilisation in-vitro par système hétérologue ne
porte pas atteinte à la dignité de l'embryon, tout au plus peut-on
la considérer comme contraire à la morale et aux moeurs. Le droit
pénal ne sanctionnant pas l'adultère, il ne saurait interdire la
fertilisation in-vitro pratiquée avec le consentement des personnes
concernées.
c) Nous en arrivons donc à la troisième condition
préalable à la criminalisation. Tant que les manipulations
reproductives et génétiques ne lèsent pas l'embryon, le droit pénal ne peut protéger ce bien que s'il s'agit d'un moyen approprié.
Cette condition n'est pas remplie lorsque la sanction pénale
nuirait à l'embryon plus qu'elle ne lui profiterait.
Ce serait par exemple le cas si le législateur interdisait sans
restriction, toute conservation par méthode cryogénique ou tout
"louage de ventre". En effet, si la transplantation de l'embryon sur
la patiente ne peut être opérée de suite, les seuls moyens
envisageables pour laisser à l'embryon une chance de survie,
restent la conservation par cryogénie ou la "portée" par une mère
d'emprunt. ·si le droit pénal autorise l'homicide de l'embryon pour
indication eugénique, il ne peut interdire les tentatives de
guérison génétique prénatale. Dans cette optique, les interventions
sur le tissu germinatif elles-mêmes, devraient être autorisées. Ceci
�32
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
suppose cependant qu'une intervention précise sur le tissu
germinatif soit génétiquement réalisable, ce qui paraît
actuellement peu probable. Tant que le défaut génétique a des
chances d'être éliminé mais qu'en contrepartie apparaîtront des
modifications inconnues ou incontrôlables dans la programmation
génétique de l'embryon, cette intervention peut être considérée
comme nuisible à la santé de l'embryon. Les interdictions pénales
sont alors admissibles.
d) Le besoin de protection pénale constitue la
quatrième condition préalable, le principe de la nécessité de la
protection pénale. En appliquant leur interdiction pénale, l'Etat
désavoue de la manière la plus stricte certains comportements. Il
ne peut y recourir dès lors que la protection désirée contre les
manipulations des techniques reproductives et génétiques peut
être obtenue avec un résultat analogue voire même meilleur par
des mesures moins contraignantes.
Dans le cadre très complexe et très contesté de
l'admissibilité et des limites de la recherche utilisant des
embryons, on tend actuellement vers l'auto-contrôle par la
communauté scientifique et par les Ordres de médecins sous
forme de Commissions d'Ethique. Les directives de la Chambre
Fédérale des Médecins (13) (Ordre des Médecins de R.F.A.
(N.d.Tr.)) tendent à restreindre les atteintes des techniques
reproductives
et
génétiques.
Elles
sont
juridiquement
contraignantes pour les médecins affiliés à l'Ordre mais n'ont
aucune emprise sur les généticiens expérimentant avec du matériel
génétique. Tout ceci est en outre extrêmement délicat à définir
car une organisation professionnelle de médecins ne saurait
prétendre exercer un contrôle dans des domaines ne relevant pas
de sa compétence, comme c'est le cas pour la valeur juridique des
biens, à savoir de l'embryon et de ses parents génétiques,
(13) Le Conseil scientifique de la Chambre Fédérale des Médecins (Bundesarztekammer) a publié en 1985 des "directives pour la pratique de la fertilisation in-vitro
et du transfert d'embryons en tant que méthode de traitement de la stérilité
humaine" et des "recherches sur les embryons humains à un stade précoce".
Ces directives encouragent la fertilisation in-vitro suivie du transfert de l'embryon
comme méthode thérapeutique de la stérilité des couples mariés (système homologue)
et pratiquée dans certaines cliniques et certains cabinets spécialisés. D'autres points
furent considérés par contre comme inacceptables : la "location" de ventre, la
commercialisation des embryons, la production d'une quantité d'embryons supérieure
aux besoins réels pour un transfert.
La recherche embryonnaire est considérée par la Chambre des Médecins comme
admissible sous certaines conditions strictes et dans le cadre d'un contrôle
institutionalisé : les buts poursuivis par les recherches doivent être impossibles à
atteindre en expérimentant uniquement sur les animaux, les parents génétiques
doivent avoir donné leur accord. Les expériences sont limitées dans le temps au 14e
jour après la fécondation et doivent avoir une utilité clinique, c'est-à-dire présenter
un intérêt prophylactique, diagnostique ou thérapeutique pour une maladie donnée.
�Hans-Ludwig GÜNTHER
33
biologiques ou sociaux. Une intervention concernant les droits
fondamentaux des embryons ne peut donc incomber qu'au
législateur démocratique légitimé et mandaté.
Autre constatation : au cours du large débat qui eut lieu en
Allemagne Fédérale à l'occasion de la réforme du droit pénal sur
l'I.V.G., un des arguments· avancés pour contraindre le droit pénal
à se retirer de ce domaine, consistait à dire que, vu le grand
nombre d'échecs, c'est-à-dire la multitude des avortements
néanmoins pratiqués, la protection de la vie de l'embryon serait
mieux assurée, si, par un service-conseil et une prise en charge,
on aidait la femme enceinte au lieu de la laisser seule dans sa
détresse en la poussant ainsi vers l'illégalité. Mais l'exemption
pénale de l'avortement, parallèlement à l'assistance juridique
accordée par les caisses d'assurance maladie à la femme désireuse
d'interrompre sa grossesse, ont provoqué dans la conscience
juridique collective d'une grande partie de la population
allemande une relativisation du droit à la vie de l'embryon. Pour
600 000 naissances enregistrées chaque année en R.F.A., on
compte plus de 200 000 I.V.G. financées par les caisses maladies.
Cette évolution montre le poids des _valeurs défendues par
l'opinion publique dans la mise en place d'interdictions pénales.
Lorsqu'il s'agit d'un bien aussi capital que la vie, la retenue dont
fait preuve le droit pénal, peut être trop facilement interprétée
par la conscience juridique collective comme une mesure passive
en faveur de l'homicide d'embryons ou du moins de sa tolérance.
Si l'on veut protéger efficacement l'embryon des dangers des
techniques de procréation artificielle et de la génétique et aussi
restaurer la valeur de la protection de la vie prénatale dans la
conscience populaire, on devra donc se prononcer en faveur de
l'application du droit pénal, même si celle-ci ne doit avoir qu'une
valeur symbolique.
e) Nous arrivons à la cinquième et dernière
condition préalable, le principe de la proportionnalité de la
protection pénale. La Constitution accorde une grande importance
à la vie, à la santé et à la dignité humaine. L'embryon a droit à
ces garanties et à l'application des droits fondamentaux à partir
du moment de sa conception. En conséquence, tout acte portant
atteinte à sa vie, sa santé ou sa dignité déclenche l'apprécia.tion
sur l'opportunité de la protection pénale.
Une interdiction pénale peut cependant déroger à ce principe de
la proportionalité lorsque la violation des droits de l'embryon
résulte de la prise en compte d'intérêts encore supérieurs, se
heurtant à ceux de l'embryon. Ici se pose une question centrale,
une des plus difficiles à résoudre : à quelles conditions la prise en
compte de tels intérêts des tiers peut-elle compenser la violation
�34
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
des droits de l'embryon ? L'intérêt des chercheurs par exemple,
peut-il suffire ? Si oui, de quelle nature sont ces intérêts
supérieurs ? Suffit-il de vouloir exhausser le voeu de la patiente
stérile -avoir un enfant- et ce avec le moins de désagréments et
le plus efficacement possible, pour avoir le droit de produire des
embryons en "réserve" ? ·Peut-on garantir l'anonymat des
donateurs de sperme et ainsi retirer à l'enfant son droit à
l'information sur sa provenance génétique dans le seul but de
continuer à trouver assez de donateurs de sperme en les
protégeant du droit au versement d'une pension alimentaire que
pourrait réclamer l'enfant ?
Les considérations suivantes devraient guider le législateur
dans sa recherche de rationalité :
<l> - La violation des droits fondamentaux de l'embryon
doit résulter d'une nécessité absolue si elle veut s'imposer en cas
de collision des intérêts. Voici quelques exemples à ce sujet :
- De l'avis de la plupart des gynécologues allemands et de la
Chambre Fédérale des Médecins, la conservation par cryogénie
d'embryons "en réserve" en cas d'échec de la première
transplantation embryonnaire, ne constitue plus une nécessité pour
améliorer l'efficacité du traitement de la stérilité de la patiente
tout en la ménageant. On peut actuellement obtenir le même
résultat en surgelant des ovules non fécondées. La conservation
par cryogénie n'est donc acceptable que si elle accroît les chances
de survie des embryons.
- Le recours à une "mère porteuse", avec ses conséquences
possibles sur la santé psychique et physique de l'embryon, n'est
justifié que pour surmonter la stérilité d'un couple désirant un
enfant ou assurer la survie d'un embryon.
- Tant que l'intervention thérapeutique sur la ligne germinative
de l'embryon humain sera plus nuisible que profitable, il faudra
la considérer comme une mesure inadaptée. Il en va de même
pour les opérations sans fondement médical sur toute autre cellule
de l'embryon humain.
- De nombreuses expériences réalisées avec des embryons
humains pourraient selon toute probabilité être également
pratiquées avec des embryons animaux.
- Quelques modifications des dispositions légales sur le versement
des pensions alimentaires suffiraient pour faire respecter le droit
de l'enfant à être informé de son ascendance génétique.
�Hans-Ludwig GÜNTHER
<2> Certaines manipulations particulièrement gross1eres
devraient se heurter à un refus catégorique, facilement
compréhensible :
Il s'agit de la conception artificielle de jumeaux ainsi que toute
forme de clônage, de création de chimères et d'hybrides, de
l'élevage in-vitro d'embryons humains au-delà d'un court laps de
temps et de l'implantation d'embryons humains dans un utérus
animal. Aucune de ces manipulations ne saurait être légitimée par
quelque intérêt que ce soit.
<3> L'étendue de l'interdiction pénale assurant la
protection de l'embryon contre les interventions des techniques
génétiques et de reproduction artificielle dépend de la valeur
accordée à la vie prénatale dans sa phase précoce de
développement. La répression des comportements esquissés dans
cet exposé ne devrait se trouver en contradiction avec les
dispositions légales sur l'avortement. Si le système juridique
permet aux femmes et aux gynécologues, sur demande de la
femme, de tuer un embryon par le biais de l'avortement et
finance cette mesure à travers les caisses maladies, le droit pénal
ne peut empêcher une femme, par des interdictions, d'avoir un
enfant en ayant recours à un procédé de procréation artificielle
dans ce cas nécessaire.
<4> Certains . pourront voir là un paradoxe dans le
jugement des valeurs :
D'un côté, le droit pénal n'intervient plus dans l'l.V.G. lorsqu'il y
a collision entre des intérêts de la femme enceinte et le droit à la
vie de l'embryon ou du foetus. D'un autre côté, selon les
recommandations du groupe de travail "Médecine de la
Reproduction", un chercheur pratiquant des expériences sur des
embryons de toute façon voués à la mort, s'expose à des
poursuites pénales, même si ses recherches peuvent déboucher sur
des découvertes utiles à l'humanité. Les différences entre les deux
types de collision d'intérêt qu'il s'agit de réglementer sont
pourtant énormes. A la base de l'l.V.G., on trouve une situation
de conflit très présente et à caractère fortement personnel, née de
la liaison symbiotique entre la femme enceinte et l'enfant qu'elle
porte. Cette situation de départ n'est en rien comparable à .celle
du chercheur, qui, sans détresse personnelle, pour élargir ses
connaissances et confronter sa réputation, au nom d'éventuels
avantages futurs pour l'humanité, sacrifie une vie qui lui est
totalement étrangère. Le fait que le Droit renonce, par la menace
de poursuites pénales, à obliger une femme enceinte à devenir
mère si elle se trouve dans une situation de détresse, n'est donc
pas pour autant un argument justifiant l'autorisation d'expériences
35
�36
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
utilisant du "matériel embryonnaire". La liberté de la recherche
touche ici à ses limites constitutionnelles immanentes à partir du
moment où elle viole des valeurs aussi élémentaires que la vie
humaine d'un tiers. Si l'on veut laisser la porte ouverte à de telles
expérimentations, on court le risque de briser des garde-fous ;
ceci aurait pour conséquence une relativisation de la vie humaine
qui la ramènerait à une valeur comptable. Donner des vies
humaines à un scientifique afin que celui-ci effectue des
recherches revient à abandonner le principe fondamental selon
lequel la vie humaine n'est ni quantifiable ni qualifiable, elle ne
saurait faire l'objet d'une opération comptable, ni d'un bilan
coûts-résultats. La vie humaine ne peut être dépréciée pour en
faire un objet dont chacun peut disposer.
ANNEXE 1
Volkmar BRAUN/Dietmar MIETH/Klaus STEIGLEDER
Ethische und rechtliche Fragen der Gentechnologie und der
Reproduktionsmedizin, J. Schweitzer, Munich 1987.
Albin ESER
Humangenetik
Universitâtsblatter 1987, p. 37 et s.
und
Recht,
Freiburger
Erich FECHNER : Menschenwürde und generative Forschung
und Technik, Juristenzeitung 1986, p. 653 et s.
Hans-Ludwig GÜNTHER :
- Der Diskussionsentwurf eines Gesetzes zum Schutz von
Embryonen, Goltdammer's Archiv für Strafrecht 1987, p. 433 et
S.
- Protection de l'embryon et technologie de reproduction en droit
pénal allemand, Revue de la Recherche Juridique - Droit
Prospectif 1987, p. 859 et s.
Hans-Ludwig GÜNTHER/Rolf KELLER Fortpflanzungsmedizin und Humangenetik - Strafrechtliche Schranken ? . Mohr,
Tübingen 1987.
Hasso HOFMAN : Biotechnik, Gentherapie, Genmanipulation Wissenschaft im rechtsfreien Ram ? Juristenzeitung 1986, p. 23 et
S.
�37
Hans-Ludwig GÜNTHER
Heike JUNG : Biomedizin und Strafrecht, Zeitschrift für die
gesamte Strafrechtswissenschaft 100 (1988), p. 3 et s.
Arthur KA UFMANN, Rechtsphilosophische Reflexionen über
Biotechnologie und Bioethik an der Schwelle zum dritten
Jahrtausend, Juristenzeitung 1987, p. 837 et s.
Rolf KELLER : Fortpflanzungstechnologie : Ein Gesamtkonzept
staatlichen Regelungsbedarfs, Medizinrecht 1988, p. 59 et s.
Adolf LAUFS : Die künstliche Befruchtung beim Menschen Zulassigkeit und zivilrechtliche Folgen, Juristenzeitung 1986, p.
769 et S.
Rudolf LUKES/Rupert SCHOLZ
nologie, Heymanns, Cologne 1986.
Rechtsfragen der Gentech-
Günter PÜTTNER/Klaus BRÜHL : Fortpflanzungsmedizin, Gentechnologie und Verfassung, Juristenzeitung 1987, p. 529 et s.
Eibe H. RIEDEL, Gentechnologie und Embryonenschutz ais
Verfassungs - und Regelungsproblem, Europaïsche Grundrechtszeitschrift 1986, p. 469 et s.
Wolfgang GRAF VITZTHUM :
- Gentechnologie und Menschenwürde, Medizinrecht 1985, p. 249
et S.
- La technologie génétique entre la dignité de l'Homme et la
liberté de la recherche, Revue de la Recherche Juridique - Droit
Prospectif 1986, p. 69 et s.
- Gentechnologie und Menschenwürdeargument, Zeitschrift für
Rechtspolitik 1987, p. 33 et s.
��LA THEORIE DU CONTROLE SOCIAL ET
L'EVOLUTION DE LA CRIMINALITE
Par
Maurice CUSSON
Professeur à /'Université de Montréal - Canada
INTRODUCTION
Entre 1960 et 1980, la plupart des pays occidentaux ont eu
la surprise de voir les courbes de la criminalité grimper à une
allure sans commune mesure avec celles des périodes antérieures.
·Tout d'abord, les criminologues, -alors portés à croire que les
statistiques criminelles ne font que refléter l'activité de la police
et des tribunaux-, eurent tendance à ignorer le phénomène ou à
en nier la réalité. Puis, devant la ténacité des faits, les opinions
évoluèrent. Aujourd'hui, l'opinion qui prévaut chez les
spécialistes occidentaux est que cette augmentation fut bien réelle.
Mon propos aujourd'hui n'est pas de vous faire la
démonstration de la validité de cette opinion, mais de vous
proposer quelques éléments d'explication. Je me permettrai de
vous demander d'accepter comme des faits établis que la
criminalité a bel et bien augmenté entre 1960 et 1980 dans la
plupart des pays occidentaux, avec cependant deux exceptions
notoires : le Japon et la Suisse. Il est vrai que le Japon n'est pas
précisément un pays occidental. Il mérite cependant d'être pris en
considération parce qu'il est un des très rares pays démocratiques
ayant connu une croissance économique accélérée après la gûerre
et dont la criminalité diminuait cependant qu'elle augmentait
ailleurs.
La croissance du crime est un phénomène complexe qui se
prête à plusieurs explications complémentaires. Il en est une qui
me paraît fort intéressante. Elle repose sur une théorie bien
connue des sociologues, c'est la théorie du contrôle social.
�40
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
LA THEORIE DU CONTROLE SOCIAL
Dès 1897, Emile Durkheim jetait les fondements de ce qui
deviendra la théorie du contrôle social. Le sociologue français
avait constaté que les taux de suicide sont relativement bas chez
les adultes mariés, ayant des enfants, ainsi que chez· les
catholiques. Il en avait conclu que le suicide varie en raison
inverse du degré d'intégration de la société domestique et
religieuse. En effet, l'adulte marié qui a des enfants ainsi que le
catholique du XIXème siècle, le plus souvent bien enraciné dans
sa paroisse, ont en commun d'appartenir à une communauté qui
les supporte et les encadre. Durkheim qualifiait les suicides,
propres aux protestants et aux célibataires, d'égoïstes parce qu'ils
résultent, disait-il, d'un "état où le moi individuel s'affirme avec
excès en face du moi social et aux dépens de ce dernier" (p. 223).
L'insertion de l'individu dans divers groupes sociaux l'empêche de
se laisser aller au désespoir et, plus généralement, elle le conduit
à agir moralement. Cette emprise du groupe sur l'individu,
Durkheim l'appelait la contrainte sociale. Les sociologues
contemporains préfèrent parler de contrôle social. On utilise aussi
l'expression plus française de régulation sociale. Le contrôle social
peut être défini comme l'ensemble des moyens par lesquels les
membres d'un groupe s'imposent les uns aux autres la conformité
aux règles du jeu social. Nous sommes en présence d'une notion
assez voisine de celle de socialisation entendue comme le
mécanisme par lequel la société transmet ses normes, ses valeurs
et ses croyances à ses membres (Mendras 1978). Ces deux
concepts ont en commun de désigner les processus au terme
desquels un individu devient un être social, c'est-à-dire un être
capable de vivre en relative harmonie avec ses semblables.
Cependant, dans le terme socialisation, il y a une insistance sur
l'apprentissage et sur l'intériorisation des normes, alors que le
contrôle social fait en outre référence aux pressions qui
influencent le comportement en dehors de toute intériorisation.
Normes et contrôle social sont en relation de mutuelle
dépendance. Les normes émergent du contrôle social et ce dernier
est simultanément la capacité d'un groupe de rendre ses normes
efficaces (Reiss 1951, p. 196 et 1986, p. 140). Dev~nt un
comportement qui apparaît nuisible ou répréhensible aux
membres d'un groupe, ceux-ci manifestent leur opposition, ce qui
revient à l'interdire.
�Maurice CUSSON
41
La position du problème dans les théories du contrôle social
La théorie du contrôle social repose sur une conception de
l'homme finalement assez classique. Elle postule une inclination
au mal chez l'être humain. Il suffit d'ouvrir les yeux sur soimême et sur ses semblables pour voir que ce postulat n'est pas
trop loin de la réalité. Et il suffit d'un peu de réflexion pour
conclure qu'il n'est pas en contradiction avec la logique de
l'action humaine. En effet, l'homme est un être de désir et, à
l'occasion, la transgression lui apparaîtra comme un expédient
commode pour satisfaire ses besoins ou pour assouvir ses passions.
Or les inhibitions innées qui l'empêcheraient de céder à la
tentation semblent faibles ou inexistantes dans l'espèce humaine.
Cette manière de voir n'est pas incompatible avec l'idée
chrétienne du péché originel ou encore avec la thèse freudienne
qui voit dans l'enfant un pervers polymorphe. Par contre, elle est
incompatible avec les thèses culturalistes qui fondent leur
explication de la déviance sur la conformité à une sous-culture et
avec la thèse rousseauiste selon laquelle l'homme est naturellement
bon. Ceci ne signifie pas qu'il faille aller jusqu'à penser que
l'homme est naturellement mauvais. Il suffit d'accepter que si la
vertu est conforme à la nature de l'homme, elle ne va pas de soi ;
elle a besoin d'être encouragée et cultivée pour s'épanouir et
porter tous ses fruits. Il est des situations qui sont peu propices à
la générosité, à la modération, ou à la justice. Le plein épanouissement de la vertu demande que la vie en société
respecte des conditions qui restent à déterminer.
Les théories du contrôle social renversent les perspectives
communément adoptées en criminologie. On cesse de vouloir
expliquer le crime ; on s'efforce plutôt de rendre compte du
respect de la loi. La question n'est plus : Quelle sont les causes du
crime ? mais plutôt : Pourquoi la plupart des gens se confo"rmentils aux lois la plupart du temps ? Après tout, nous croisons tous
les jours d'honnêtes gens et il nous arrive assez peu souvent de
craindre d'être assassinés. Comment se fait-il que la concorde et
le respect mutuel soient au moins aussi courants que la discorde
et la méfiance ? Récemment, le philosophe Novak ( 1986, p. 40)
faisait remarquer que l'on devrait s'étonner encore plus de
l'existence de la vertu que de celle du crime. Comment se f;iit-il
qu'une société réussisse cette performance de faire en sorte que le
civisme, le contrôle de soi, le respect du devoir soient choses
normales, habituelles et probables ?
La théorie du contrôle social telle qu'elle sera développée
ici ne prétend pas donner une réponse complète à cette vaste
question. Elle se consacrera à l'analyse des pressions à la
conformité qui s'observent dans la société civile. Seront donc
�42
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
ignorés le rôle de l'Etat ainsi que celui des rapports rec1proques
dans la production de la soumission aux lois. De plus, dans ce qui
suit, je me contenterai de traiter du respect des normes qui
interdisent le vol et la violence physique.
Les éléments de la théorie
L'essentiel de la théorie du contrôle social peut être
exposé en quatre hypothèses. La première porte sur l'intégration
sociale, la deuxième sur la circulation de l'information, la
troisième sur l'acceptation de l'autorité et la quatrième sur la
réaction sociale ( 1).
1 - L'intégration sociale. Le contrôle social varie en raison
directe de l'intégration du groupe dans lequel il s'exerce.
L'intégration sociale est définie par la qualité et la
fréquence des relations qui se nouent au sein d'un groupe ainsi
que par le degré d'engagement de ses membres dans des activités
communes. Un groupe est intégré quand ses membres se
connaissent, se parlent, s'apprécient, s'aident mutuellement et sont
engagés dans des activités partagées. Au pôle positif de
l'intégration, on trouvera un réseau serré d'interactions, la
concorde, la confiance réciproque et une forte participation. Au
pôle n~gatif, on trouvera l'atomisation, l'indifférence, la discorde,
la non-pàrticipation.
Le contrôle social est une forme d'influence qui se réalise
dans et par les relations interpersonnelles. L'intégration rend
possible cette influence en donnant l'occasion à l'un de manifester
ses attentes et à l'autre d'y être réceptif.
Il est possible d'indiquer quelques facteurs qui favorisent
l'intégration d'un groupe : sa taille (au-delà d'une certaine limite
il est impossible de connaître les gens que l'on côtoie et la
confiance ne peut s'établir), les similitudes (les rapports sont plus
aisés entre des personnes qui parlent le même langage, qui ont les
mêmes préoccupations et les mêmes convictions), la stabilité (plus
l'individu reste longtemps dans un groupe, meilleures sont ses
(1) La théorie telle quelle est présentée ici s'inspire de Durkheim (1897-1923), de
Reiss (1951}, de Hirschi (1969). Les auteurs américains adoptent le point de vue de
l'individu et ils considèrent les liens qui l'unissent à la société. Le contrôle social est
présenté comme une propriété de l'individu. Comme le phénomène que je me propose
d'expliquer est d'ordre macro-criminologique, j'ai préféré considérer le contrôle social
comme une propriété des groupes sociaux. Il m'a aussi semblé qu'il fallait dépasser le
cadre de la famille et de l'école dans lequel les sociologues contemporains ont
tendance à confiner l'analyse. Plusieurs éléments de la théorie qui suit avaient déjà
été formulés dans mon livre "Le contrôle social du crime" (1983).
�Maurice CUSSON
43
chances de s'y enraciner), les projets et activités réalisés en
commun et les occasions de rencontre (Romans 1950).
2 - La circulation de /'in/ormation. Le contrôle social varie
en raison directe de la circulation de /'in/ormation au sein du
groupe étudié.
Par circulation de l'information, on désigne spécifiquement la diffusion des renseignements portant sur la conduite des
membres du groupe considéré. Il s'agit d'une variable étroitement
associée à l'intégration : en effet, la densité et la qualité des
interactions au sein d'un groupe permettent à l'information de
circuler rapidement et efficacement : les canaux de communications sont ouverts. Par ailleurs, pour que soient connues les
conduites des uns et des autres, il faut, au moins de la part de
certains individus, une certaine dose d'attention, de vigilance et
de surveillance sinon on ne saura pas où sont les gens, ce qu'ils
font et avec qui ils sont.
Il faut savoir qui est l'autre et ce qu'il fait pour le
contrôler. C'est pourquoi les communautés qui exercent un
contrôle social étroit sur leurs membres possèdent un réseau
d'informations relativement dense.
3 - L'acceptation de l'autorité. Les résistances à l'autorité
peuvent tenir en échec le contrôle social. C'.est pourquoi, plus
/'autorité des agents de contrôle social d'un groupe est acceptée et
reconnue, plus le contrôle social y sera fort.
Le contrôle social est une forme d'influence largement
fondée sur la persuasion. De plus, il emprunte très souvent la voie
des rapports verticaux (parents-enfants ; maître-élève ; notablecitoyen). L'effet du message "contrôlant" dépendra donc de la
manière dont il sera reçu et de l'ouverture des canaux de
communication verticaux. Celui qui subit le contrôle social doit
être réceptif et reconnaître l'autorité de celui qui l'exerce. Cette
reconnaissance peut prendre des formes diverses : confiance,
respect, admiration, identification, acceptation d'une autorité
traditionnelle, etc. Par ailleurs, de par sa nature même, le contrôle
social suscite des frustrations. Il s'agit en effet de canalis~r le
comportement d'autrui dans un sens donné et de limiter sa liberté
d'action. Il est inévitable que certaines interventions soient
perçues comme des brimades et qu'elles provoquent des
résistances (désobéissance, contestation, rébellion, ... ). C'est
pourquoi la résistance à l'autorité est au coeur du problème du
contrôle social. Elle peut aller jusqu'à en neutraliser totalement
l'efficacité. Parmi les facteurs qui encouragent ces résistances,
�44
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
signalons la présence, au sein d'un groupe, d'une minorité
activement opposée à ceux qui s'efforcent d'exercer le contrôle
social. L'efficacité du contrôle social diminue au fur et à mesure
qu'augmente, dans un groupe, la proportion des individus
faiblement réceptifs. Quand cette proportion est forte, les
influences des uns sont contredites et neutralisées par celles des
autres.
4 - La réaction sociale. L'effet optimum du contrôle social
est atteint quand les réactions aux transgressions ne sont ni
passives, ni inconstantes, ni démesurées, ni injustes.
C'est à cause de problèmes de définition que j'ai
finalement opté pour une formulation négative. Il est plus facile
de s'entendre sur la fausseté que sur la vérité, sur l'injustice que
sur la justice (Popper 1935 ; Hayek 1976). La proposition découle
principalement de l'étude des conduites éducatives des parents de
jeunes délinquants. Ceux-ci se distinguent des parents de nondélinquants par un ou plusieurs travers :
.- La passivité. Il réagissent peu ou pas aux actions de
l'enfant, accueillant avec une égale indifférence les fautes et
les bonnes actions. Ce n'est que rarement et poussés à bout
qu'ils sortent de cette réserve.
- L'inconstance. Ils ne savent pas s'en tenir à une ligne de
conduite. Ils sont imprévisibles, changeants, erratiques. Ils
punissent aujourd'hui ce qu'ils acceptaient hier et
inversement.
- La démesure. Ils sont soit excessivement cléments, soit
excessivement sévères.
- L'injustice. Ce trait reprend les autres en y ajoutant le fait
de punir des fautes qui n'en sont pas et de laisser passer des
fautes qui mériteraient d'être sanctionnées.
Des réactions sociales qui éviteraient ces erreurs ne
pourraient s'instaurer sur une base régulière sans que les autres
éléments du contrôle social dont il a été question (intégration,
circulation de l'information et autorité reconnue) ne soient aussi
présents. Il est aussi raisonnable de penser qu'il suppose que ceux
qui sont en position de réagir possèdent un certain nombre de
caractéristiques. Ils doivent notamment avoir des convictions
morales assez fortes en ce qui concerne le caractère répréhensible
du vol et de la violence, puisque c'est ce qui nous intéresse ici.
On ne peut pas s'attendre à un contrôle social bien actif si les
membres influents d'un groupe restent ambivalents, s'ils ne voient
pas très bien la différence entre l'acceptable et l'inacceptable, s'ils
ne reconnaissent pas une faute pour ce qu'elle est. Par ailleurs, il
semble aller de soi que la passivité, l'inconstance, la démesure et
�Maurice CUSSON
45
l'injustice seront très difficilement évitées dans un groupe dominé
par des individus faibles, impulsifs, irritables et inéquitables.
Certains seront peut-être surpris du ton moral de ces
considérations. Je crois qu'il est impossible de l'éviter. La
question morale est au coeur du phénomène criminel. Si elle est
escamotée, une dimension essentielle de notre objet d'étude sera
négligée.
La théorie qui vient d'être présentée peut être résumée
assez brièvement. Toutes choses étant égales par ailleurs, le
contrôle social variera en raison directe du degré d'intégration du
groupe, de la circulation de /'in/ormation et de l'acceptation de
l'autorité des agents de contrôle social. Il variera en raison inverse
de la passivité, de l'inconstance, de la démesure et de l'injustice
des réactions sociales.
C'est volontairement que j'ai donné à la théorie une
formulation abstraite. On peut, de cette manière, se situer à un
niveau de généralité suffisamment élevé pour l'appliquer à des
problèmes assez différents. Jusqu'à présent la théorie du contrôle
social a été appliquée au suicide par Durkheim et à la
délinquance juvénile par plusieurs auteurs américains. Je voudrais
maintenant l'utiliser pour rendre compte d'abord de la rareté du
crime au Japon et en Suisse et ensuite de l'augmentation de . la
criminalité dans les pays occidentaux.
LA SUISSE ET LE JAPON
La Suisse et le Japon posent au criminologue un
intéressant problème. Voici deux pays démocratiques et riches
dont la criminalité se maintient à des niveaux relativement bas
précisément durant la période où elle augmente à toute allure
dans les autres pays comparables sur lesquels nous possédons des
chiffres. L'occasion est belle de mettre à l'épreuve la théorie du
contrôle social dont on disait tout à l'heure qu'elle est
spécifiquement conçue pour expliquer le respect de la loi. Dans
cette partie, je voudrais faire un examen sommaire de ce que
nous savons relativement au contrôle social dans ces deux pays,
afin de nous faire une idée approximative de son intensité. Mes
recherches sont loin d'être terminées, aussi je n'ai que des
résultats préliminaires à vous soumettre.
.
Certains points me semblent d'ores et déjà pouvoir être
mis en relief. Ils ont trait à la force des pressions sociales, à la
présence de communautés locales favorisant l'intégration sociale et
à la persistance des relations hiérarchiques dans la vie sociale.
Mais avant d'attaquer ces points, une hypothèse peut d'emblée
être écartée : ce n'est pas parce que les Japonais et les Suisses
seraient des moutons qu'ils commettent peu de crimes. Un coup
�46
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
d'oeil à l'histoire de ces deux nations suffit pour nous en
persuader. Nous connaissons tous la réputation de férocité des
samouraïs et des soldats japonais ; il est aussi bien connu que
l'histoire du Japon fut particulièrement violente. Quant à la
Suisse, sa neutralité ne doit pas nous faire oublier que depuis la
Renaissance jusqu'au XVIIIème siècle, les Suisses allaient en
grand nombre s'engager comme mercenaires dans les armées
européennes et tout particulièrement sous les drapeaux français.
Les mercenaires suisses avaient la réputation d'être d'excellents
soldats.
Les pressions sociales
Au Japon, les observateurs sont frappés par la force des
pressions sociales qui pèsent sur l'individu. Que le groupe soit le
clan familial, l'équipe de travail ou même le voisinage, sa
primauté sur l'individu paraît incontestable. "Le Japonais pense et
vit en tant que membre du groupe" (Kühne 1981, p. 36).
L'organisation sociale du Japon est ainsi conçue que chacun y
occupe une place bien déterminée et l'organisation psychologique
du Japonais est ainsi faite que son identité personnelle dépend
largement de la place qu'il occupe dans la société. La conformité
du Japonais aux normes sociales semble être en partie la
cons_équence de son imbrication dans divers groupes qui ont à son
égard des attentes précises. L'opinion d'autrui semble avoir une
importance capitale pour la plupart des Japonais · : ils se voient
avec les yeux de leur famille, de leurs collègues, de leur patron,
de leurs amis. C'est pour continuer de mériter l'opinion favorable
qu'on peut avoir d'eux dans leur milieu qu'ils éviteront de
s'écarter du droit chemin. La crainte de la honte joue ici un rôle
important : l'on voudra se bien conduire pour ne pas perdre la
face, mais aussi pour éviter que la honte que s'attirerait le fautif
ne rejaillisse sur ses proches. L'attachement de l'individu à ses
divers groupes d'appartenance étant très forte, la simple
réprobation est généralement suffisante pour motiver le
transgresseur à faire amende honorable et à mettre un terme à sa
mauvaise conduite. L'ostracisme apparaîtra comme la sanction
suprême et risque d'acculer au suicide celui que le subit (Clifford
1976, p. 7-10 ; Bayley 1976, p. 155). Cependant la rigueur des
exigences sociales est tempérée, au Japon, par l'existence de
moyens institutionnalisés pour laisser aller la vapeur. Les parents
sont réputés être très indulgents pour les enfants difficiles. On
reste tolérant et compréhensif pour les frasques des individus,
surtout quand ils sont en état d'ébriété mais à la condition qu'ils
acceptent de présenter des excuses. Ainsi met-on de l'huile dans
�Maurice CUSSON
47
les rouages d'une machine qui risque de manquer de souplesse
(Clifford 1976, p. 16-18).
Cette emprise du groupe sur l'individu se réalise au sein
de la famille, de l'entreprise et même dans le contexte urbain. Il
est bien connu que les grandes corporations japonaises prennent
en charge de larges pans de la vie de leurs employés et que
l'organisation du travail, dont les fameux cercles de qualité,
favorisent l'intégration de chacun dans une équipe solidaire. Ce
qui est moins connu, c'est la survivance dans les villes surpeuplées
de ce pays d'une mentalité villageoise qui réduit considérablement
l'anonymat de la vie urbaine. Des villes comme Tokyo et Osaka
apparaissent au visiteur comme d'inextricables labyrinthes où les
policiers locaux semblent les seuls à pouvoir se retrouver. Dans
les rues de ces villes, les voisins se connaissent souvent, ils se
parlent, s'échangent des services et des informations. Chacun vit
sous l'oeil du voisin et il est difficile de dissimuler une absence
(Clifford 1976 ; Bayley 1976). Le fait que les villes japonaises
aient été fractionnées en plusieurs unités de dimensions restreintes
a favorisé l'émergence de communautés locales caractérisées par
une sociabilité relativement intense, compte tenu du contexte
urbain dans lequel elle se développe. L'information peut circuler
à l'intérieur de ces îlots et elle est aussi retransmise aux autorités
municipales et nationales, principalement par ·l'intermédiaire des
policiers locaux qui sont profondément implantés dans le tissu
socfal urbain. Comme le fait observer Clifford (1976, p. 176), le
contrôle social du crime se réalise au sein de communautés de
dimensions humaines qui évitent de se transformer en ghettos en
maintenant leurs liens avec la société globale notamment par
l'intermédiaire de la police.
En Suisse, le climat n'est évidemment pas le même mais
les analogies ne manquent pas. Voici ce qu'écrit un citoyen suisse
de son pays : "Cette société est caractérisée par un degré
relativement élevé de soumission de l'individu à la collectivité.
Entendons-nous bien : l'individu s'y résout de plein gré, car il en
retire des bénéfices personnels" (Lempen 1982, p. 171 ). "Les
contraintes collectives sont intériorisées à la suite d'un long
processus d'éducation et d'apprentissage" (idem). Selon cet auteur,
le Suisse prend l'habitude de pratiquer l'auto-censure ; il réprime
et refoule spontanément les mouvements qui risqueraient cje le
mettre en conflit avec autrui : "Il intègre docilement les interdits
sociaux et les coutumes locales de manière à se conformer à
l'organisation collective" (p. 172). Dans un souci de vivre en paix
avec ses voisins, le Suisse exerce sur lui-même un contrôle assez
strict : il évite tout ce qui pourrait heurter ou déranger : le bruit,
le laisser-aller vestimentaire, les papiers par terre, l'excentricité,
les retards ...
�48
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
En Suisse, les villages et même les villes sont des espaces
où s'exerce une surveillance constante. Un inconnu ne saurait
rester bien longtemps dans la rue sans qu'une fenêtre s'ouvre et
qu'une petite dame lui demande gentiment : "Vous cherchez
quelque chose ?" Quand un nouvel arrivant installe ses pénates
dans un quartier, on tentera par divers moyens de savoir qui il
est. Il est difficile d'échapper à cette attention qui d'ailleurs est
pleine de sollicitude. Dans ce pays le dicton américain "Mêlezvous de vos affaires" ne semble pas très bien accepté. Les
citoyens se sentent concernés par ce qui se passe autour d'eux ; ils
veulent savoir et ils sont disposés à intervenir. Cette attitude va
d'ailleurs de pair avec une certaine dose de méfiance.
En Suisse, la survivance d'une sociabilité que l'on pourrait
qualifier de villageoise a été facilitée par un développement
urbain progressif et par l'absence de grandes agglomérations. La
plus grande ville du pays, Zurich, ne fait que 370 000 habitants
(2). Il y subsiste d'ailleurs des quartiers où les gens se connaissent.
La grande majorité des Suisses vivent dans des villages ou dans
des villes de taille modeste. L'esprit communautaire y persiste
d'autant mieux que, d'après mes informateurs, la mobilité
résidentielle est faible. Les gens restent longtemps dans le même
village ou dans le même quartier, ce qui contribue à leur
enracinement.
·
En Suisse, comme au Japon d'ailleurs, l'homogénéité
sociale et culturelle cimente les communautés. Si l'homogénéité
japonaise ne fait pas de doute,"- pour la Suisse, quelques nuances
s'imposent. On y trouve beaucoup de travailleurs étrangers et, à
l'échelle du pays, la diversité religieuse, linguistique et régionale
est considérable. Cependant, au sein d'une même commune, on
trouve bien souvent des gens d'une même langue, de même
religion et ayant les mêmes coutumes, de telle manière que
l'homogénéité se rétablit à l'intérieur de la commune.
La densité. Tout se passe comme si, en Suisse et au Japon
la densité de la population sur le territoire avait favorisé le
contrôle social en incitant les gens à tenir compte du voisin et en
favorisant la surveillance et les pressions mutuelles. Voici deux
pays dont la superficie est modeste et qui de surcroît sont
montagneux. Les populations y sont donc concentrées dans un
espace limité. Pour vivre en paix, ces gens ont dû développer l'art
de cohabiter, "La société suisse est par nécessité très policée et
disciplinée, en raison de la forte densité humaine et du manque
d'espace. La promiscuité conditionne le comportement individuel.
Elle implique une certaine tension dans les rapports entre les
individus, tension qui ne débouche pas, en général, sur le conflit
(2) L'agglomération de Berne comporte 300 000 habitants et la ville de Genève
156 000 habitants.
�Maurice CUSSON
49
grâce à une grande autodiscipline personnelle" (Lempen 1982, p.
175). Au Japon, Clifford (I 976, p. 171) a observé que après la
guerre, la criminalité diminuait plus rapidement dans les régions
les plus densement peuplées. Or c'est l'inverse qui se produit dans
la plupart des pays occidentaux
c'est dans les zones
métropolitaines les plus densement peuplées que la criminalité est
la plus forte.
L'autorité et la hiérarchie
La société japonaise reste encore très hiérarchisée. La
structure verticale de l'organisation sociale y est très nettement
dessinée. "Chacun se voit attribuer une place déterminée qui lui
permet de se démarquer par rapport aux autres qui se trouvent
au-dessus ou en-dessous de lui" (K ühne 1981, p. 40 ).
L'ancienneté et l'âge sont des critères décisifs dans l'attribution
des responsabilités. Les supérieurs hiérarchiques exerçant dans
divers domaines (industrie, administration, police, enseignement ... ) détiennent d'importants pouvoirs, lesquels sont largement
fondés sur la soumission et le consentement des subordonnés. .
Dans les entreprises, le chef de groupe décide en dernier ressort
mais il prend rarement seul une décision importante. La
participation de l'équipe à la décision est la règle. Les discussions
se déroulent selon un rang occupé par chacun. Un cadet ne prend
pas la parole avant un aîné et évite de le contredire (Kühne 1981,
p. 412).
Dans la Confédération Helvétique, la persistance des
rapports traditionnels d'autorité se manifeste tout particulièrement
dans les relations entre les jeunes et les adultes. On y est frappé
par le respect des formes. Le vouvoiement a mieux survécu en
Suisse romande que dans les autres pays francophones. Par
ailleurs, en Suisse, les écoles ne brillent pas par la permissivité.
Une discipline assez stricte y est maintenue. Les relations entre
maître et élève sont assez respectueuses des formes ; la politesse
est de rigueur (Clinard 1978, p. 124-31). Cependant les relations
entre les jeunes et les adultes ne semblent pas souffrir outre
mesure de ce formalisme. Les jeunes n'organisent pas leur vie en
marge des adultes. Ils résident assez tardivement chez leurs
parents. D'après mes informateurs, environ 60 % des jeune' de
chaque classe d'âge font l'apprentissage d'un métier (ce qui ne
veut pas dire qu'ils abandonnent l'école puisqu'ils peuvent
continuer à étudier à mi-temps). Un écolier qui a un contrat de
travail peut quitter l'école à 15 ans. On ne trouve pas en Suisse
ces vastes troupeaux d'étudiants démotivés qui continuent d'aller
à l'école sans vraiment s'engager dans leurs études parce qu'ils y
sont obligés ou parce qu'ils sont refoulés du marché du travail.
�50
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
La Confédération Helvétique reste un pays où les notables
possèdent une autorité reconnue et d'importantes responsabilités.
Les élus des communes et des cantons, les directeurs
d'entreprises, les magistrats, les membres des professions libérales,
les autorités scolaires ... sont respectés et disposent de pouvoirs
d'autant plus grands qu'ils cumulent souvent plusieurs fonctions.
Le pouvoir de ces notables est certainement favorisé par la
décentralisation politique. Les communes et les cantons détiennent
des pouvoirs souverains dans plusieurs domaines importants (la
police par exemple) et l'Etat confédéral a finalement des
attributions assez limitées. Ceci veut dire que les autorités locales
détiennent des pouvoirs qui ne peuvent pas être mis en cause par
le pouvoir central. Leur autorité devant les simples citoyens n'est
pas minée par d'incessantes interventions venues d'en haut. Dans
ce petit pays, on ne trouve pas d'Etat tentaculaire qui prétend
concentrer tous les pouvoirs dans un centre unique, affaiblissant
par le fait même l'autorité de ceux qui n'occupent pas ce centre.
Quelques mots sur les valeurs
Nous savons tous que les Suisses et les Japonais ont en
commun une forte éthique du travail. Je ne crois pas que ce soit
...sans rapport avec le contrôle social. Dans les deux pays, cette
éthique s'inscrit dans une morale de l'obligation très largement
partagée. Dans un tel climat, toute transgression qui exprime un
refus du devoir est prise très au sérieux. Comme ces deux peuples
considèrent que le respect de la propriété et de la personne sont
des obligations impérieuses, il s'ensuit que les vols et les délits
violents ont fort peu de chances d'être perçus dans l'indifférence
ou l'ambivalence.
CONCLUSION
Uenquête est loin d'être terminée mais il ne semble pas
que la théorie du contrôle social sorte trop malmenée de cette
première confrontation avec l'expérience. La possibilité que la
criminalité de la Suisse et du Japon soit faible parce que le
contrôle social y est fort ne saurait être exclue. En effet, nous
sommes en présence de peuples regroupés en d'innombrables
communautés bien intégrées, où l'information a toutes les chances
de bien circuler. Les diverses autorités non-gouvernementales
jouissent d'un crédit considérable et le climat moral n'est pas
propice à l'indifférence en matière d'infractions contre la
personne et contre les biens. Pour le moment, l'hypothèse n'est
pas démontrée, mais elle n'est certainement pas réfutée.
�Maurice CUSSON
51
LA CONJONCTURE OCCIDENTALE
Dans cette partie l'attention se portera sur les pays
occidentaux principalement sur la France, les Etats-Unis
d'Amérique et le Canada. L'hypothèse est simplement que
l'affaiblissement des contrôles sociaux n'est pas sans rapport avec
l'augmentation de la criminalité que ces pays ont connue entre
1960 et 1980.
L'argument se déroulera en trois temps. Tout d'abord, je
m'efforcerai de montrer que la croissance économique de l'aprèsguerre a eu une série d'effets inattendus qui se sont répercutés
sur la capacité de nos sociétés de se réguler. Dans un deuxième
temps, sera présentée une analyse de la situation dans les familles
et dans les écoles afin d'identifier leurs forces et leurs faiblesses
au chapitre du contrôle social. Enfin, je décrirai l'impact que
l'hétérogénéité sociale et culturelle a sur les communautés locales
urbaine.
Les conséquences non désirées de l'abondance
Le spectacle de l'augmentation de la criminalité en pleine
période d'abonda~ce a quelque chose de déroutant et de
scandaleux tellement on nous a habitué" à associer le crime à la
pauvreté. Cependant, le phénomène n'aurait pas tellement surpris
Durkheim car, en son temps, il avait été mis en présence de
quelque chose d'analogue et il avait su l'expliquer. Constatant que
les suicides augmentent en période de croissance économique
·rapide comme en période de récession, il avait fait observer que
ce sont là des changements qui bousculent les normes qui fixent
le niveau d'aspiration des gens : en période de croissance vive,
tous les espoirs deviennent permis et l'on entre dans une période
d'anomie. Mais bien vite l'on se heurte à la réalité : la croissance
économique n'est jamais assez rapide -pour se maintenir à la
hauteur des aspirations en hausse encore plus rapide. Les freins
sociaux ayant cédé, les désirs deviennent illimités, les appétits
insatiables et, par voie de conséquence, les frustrations
s'accumulent. Ceci en conduit quelques uns au désespoir et au
suicide.
Il est vraisemblable qu'un processus obéissant à. une
logique semblable ait fait croître la criminalité à partir de 1960.
L'abondance qu'ont connue les démocraties occidentales après la
guerre mondiale a suscité une augmentation plus que
proportionnelle du désir de biens matériels. Cet état d'esprit est
souvent évoqué sous le terme d'hédonisme, défini ainsi par
Fourastié et Fourastié (1987, p. 252) : c'est "la recherche du
bonheur idéal de l'être à travers les plaisirs à court terme et la
�52
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
satisfaction des pulsions du moment". Les thèmes hédonistes sont
devenus omniprésents depuis vingt ans : droit au bonheur,
épanouissement personnel, expression de soi et négation de toute
valeur à la souffrance. Comme il importe avant tout de jouir du
moment présent, l'hédoniste est amené tout naturellement à se
désintéresser du long terme : la satisfaction immédiate prime sur
tout. Et pour des raisons évidentes, il est conduit à s'opposer aux
morales de l'obligation et du devoir.
Il suffit d'examiner les fins poursuivies par les jeunes
délinquants en action (Cusson 1981) pour se rendre compte de
l'étroitesse du lien qui lie le vol et l'hédonisme ou, pour parler
comme Tarde (1886, p. 183), de la "voluptuosité". "Le voleur",
écrivait-il, "l'escroc, le faussaire sont de plus en plus des viveurs
aux abois".
L'abondance a aussi élargi l'éventail des possibilités. "La
croissance économique des trois dernières décennies a entraîné un
accroissement plus que proportionnel de la complexité des
rapports humains et des systèmes de décision qui les coordonnent"
(Crozier 1980, p. 376). Il n'y a pas tellement longtemps, l'individu
vivait enserré dans un réseau social étroit. Les pressions qui
s'exerçaient dans la famille, à l'école, au travail, dans la paroisse
et ailleurs lui laissaient une marge de manoeuvres beaucoup plus
étroite que celle dont il jouit de nos jours. Il est maintenant
devenu facile de se faufiler entre les mailles du tissu social, de
dire non, de refuser sa collaboration, de passer incognito. Il est
dorénavant possible de faire pièce au système parce que la société
est devenue plus ouverte.
Or, par un processus très semblable à celui qui a été décrit
à propos de l'abondance, cette ouverture attise la soif de liberté.
Plus le joug devient léger, plus il semble insupportable. On veut
toujours plus de liberté. Il s'ensuit une crise des autorités
traditionnelles, celle des parents, du maître, du patron, du
prêtre ... Les relations d'autorité sont contestées. On supporte de
plus en plus mal les actions par lesquelles elles se réalisent :
commander, trancher, réprimander, sanctionner, vérifier,
contrôler. "Jamais il ne semble y avoir eu aussi peu d'exercice
avoué de l'autorité et jamais pourtant on ne s'est autant plaint de
son poids" (Crozier 1980, p. 375). Dans la même foulée, on s'en
est pris à tous les tabous. "Il est interdit d'interdire".
L'égalitarisme est venu à point nommé pour accélÙer le
mouvement et pour le justifier. Nulle part plus qu'aux EtatsUnis, ce refus des autorités et des contraintes traditionnelles n'a
été poussé aussi loin. Les Américains sont remarquablement
rébarbatifs à l'autorité des coutumes, des lois, des maîtres et des
aînés (Lipset 1968, p. 27-41).
�Maurice CUSSON
53
Cette idéologie de la libération n'a pas seulement soufflé
chez les subordonnés, elle a aussi exercé une puissante influence
sur ceux qui détenaient une parcelle quelconque de pouvoir. Elle
les a conduits à douter de la légitimité de leurs attributions ; elle
a miné leur résolution ; elle les a maintenus dans la crainte des
aîfrontements ; elle a accru leur indécision ; elle les a poussés à la
compromission. Il existe deux institutions sociales où cette
évolution s'est fait particulièrement sentir, c'est la famille et
l'école. Ceci me conduit à mon second point.
La famille et l'école
La place stratégique qu'occupent de nos jours la famille et
l'école dans le contrôle social est indiscutable. Or il semble que
certaines familles et certaines écoles aient éprouvé de plus en plus
de difficultés à s'acquitter de leur mission d'agent de socialisation.
La Famille. Il n'est pas évident que la famille occidentale
soit vraiment en fort mauvaise posture. Du moins, il ne semble
pas que ce soit te cas de la France. D'après une enquête réalisée
vers la fin des années 1970, environ 2/3 des adolescents se disent
vraiment contents de leur famille et, dans l'ensemble, ils s'y
sentent bien compris (Chalvon-Demersay 1980, p. 247-8). Quoi
qu'on dise de l'érosion de la famille étendue, il semble qu'elle
survive assez bien. La proximité des parents est le facteur le plus
important dans le choix d'un milieu de résidence et les grandsparents prennent souvent une part active dans la garde des
enfants. Les sociologues observent une renaissance de la "grande
famille" sous la forme d'un "ensemble de couples appartenant à
une même parentèle et vivant à proximité dans une relative
communauté" (Mendras 1980, p. 53).
Il est vrai que la fréquence des divorces augmente dans les
pays occidentaux et qu'ils sont très élevés aux U.S.A. (3).
(3)Taux de divorces ;ear 100 000 habitants
1960
1970
1978
France
61
79
139
Canada
39
140
244
218
348
532
(1979)
74
93
Etats-Unis
Japon
(Waller 1982 - Tableau 22).
115
�54
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
Cependant cette évolution doit être mise en perspective.
Autrefois, nombreux étaient les couples qui étaient brisés par la
mort de l'un des conjoints. Aujourd'hui, l'allongement de la durée
de la vie compense largement l'augmentation des divorces, de
telle sorte que la "longévité moyenne d'un couple est très
supérieure aujourd'hui à ce qu'elle était au siècle dernier"
(Mendras 1980, p. 52). En outre, comme les enfants ont, de nos
jours, de bonne chances de connaître leurs quatre grands-parents,
ils peuvent plus facilement qu'autrefois être pris en charge par
ceux-ci.
Le travail de la femme n'est pas un facteur fortement
associé à la criminalité ni sur le plan micro-sociologique, ni sur le
plan macro-sociologique (4). En France et au Japon, la
participation des femmes au marché du travail a diminué
faiblement entre 1960 et 1976. Le Japon qui a une faible
criminalité, présente des taux particulièrement élevés de travail
féminin. A l'échelle microsociologique, le travail de la mère n'est
pas ou très peu relié à la délinquance du fils quand on tient
constante la surveillance (Hirschi 1983, p. 83). La mère qui
travaille mais qui fait en sorte que l'enfant soit bien pris en
charge (gardienne, garderie, grands-parents, père, elle-même si
elle travaille à la maison ... ) ne risque pas plus que les autres
d'avoir un enfant qui commettra des délits.
Malgré tout, il y a lieu de s'inquiéter, non pour la plupart
des familles, mais pour une minorité d'entre elles qui sont
confrontées à certains problèmes particuliers ou à une
accumulation de difficultés.
L'augmentation des familles monoparentales est un facteur
très possiblement d'augmentation de la criminalité. En France, il
(4) Taux de femmes sur le marché du travail par 100 000 habitants
1960
1970
France
14 391
11270
12429
(1976)
Canada
9 267
12 063
16 289
(1978)
Etats-Unis
12 154
14 497
19 714
(1979)
Japon
19 396
19 312
18308
(1979)
(Waller 1982 - Tableau 24).
�Maurice CUSSON
55
y avait 655 000 foyers monoparentaux en 1968 ; 723 000 en 1975,
en 1981, on en comptait 958 000 et, en 1983, on avait atteint le
million (Fourastié et Fourastié 1987, p. 126, Sullerot 1985). Aux
Etats-Unis au moins un tiers des enfants vivent dans des familles
monoparentales (Reiss 1986, p. 147). Quatre vingt pour cent de
ces familles sont dirigées par une femme et ·souvent celle-ci vit
dans la pauvreté ou doit travailler. Il est connu que les familles
monoparentales produisent relativement plus de jeunes
délinquants que les familles normales. Cela se comprend aisément.
Un seul parent, surtout s'il vit dans des conditions précaires, a
moins de temps, moins d'énergie, moins de disponibilité à offrir à
l'enfant et celui-ci est en outre privé d'une figure d'identification.
Il ne suffit pas de considérer les facteurs isolés les uns des
autres. En effet, de très sérieuses indications nous portent à croire
que certaines difficultés familiales sont peu ou pas reliées à la
délinquance quand elles ne sont pas accompagnées par d'autres
facteurs, mais qu'elles le sont quand elles apparaissent en
combinaison avec d'autres. La simple accumulation des difficultés
semble avoir un effet criminogène. Le divorce, par exemple, peut
très bien ne pas porter à conséquence, mais s'il vient s'y ajouter
la pauvreté, la maladie, l'instabilité résidentielle, la discorde ... , la
probabilité de la délinquance augmentera au fur et à mesure que
s'ajoutera une nouvelle difficulté. Or il n'est pas rare qu'un
problème en appelle un autre (le divorce conduit à la maladie, à
la pauvreté ... ). De ce fait, on trouvera des familles affectées par
des problèmes multiples dont le potentiel de contrôle social est
très fragile.
Les familles d'immigrants issues de régions rurales sont
aussi des structures de contrôle social fragiles. Dans les sociétés
d'où proviennent ces immigrants subsiste encore un type de
contrôle social traditionnel très englobant. Chacun vit sous le
regard des autres villageois et de la parenté. L'adolescent est
connu de tous, il va à l'école du village et, comme la famille est
aussi le lieu de l'activité économique, il a de bonnes chances de
travailler avec ses parents à l'occasion. L'individu qui vit ainsi
dans une société d'interconnaissance est contraint par des rapports
personnels. S'il décide d'immigrer et s'il se retrouve un jour dans
une métropole moderne, il sera confronté à des conditions
d'exercice du contrôle social radicalement différentes. Un ·tissu
social plus ouvert suppose un contrôle plus intériorisé. La liberté
de chacun est plus grande et elle s'exerce dans un monde
d'abondance où les sollicitations sont continuelles. A ceci s'ajoute
le fait que, dans les sociétés contemporaines occidentales, les
parents ont un rôle important à jouer pour orienter l'enfant dans
les méandres de l'école et du marché du travail. L'immigrant rural
�56
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
de la première génération qui élève des enfants dans une grande
ville occidentale est donc relativement handicapé. Il ne sait pas
très bien comment socialiser son enfant dans un contexte très
différent de celui qu'il a lui-même connu étant enfant. Et il
connaît mal les filières du système d'éducation et les ficelles du
marché du travail. On comprend alors que les immigrants de la
deuxième génération dont les parents étaient nés en milieu rural
aient des problèmes d'adaptation se traduisant par la délinquance.
L'école
Le prolongement de la durée de la scolarité et
l'accroissement consécutif de la population étudiante sont des
évolutions majeures de l'après-guerre. En France, les effectifs
universitaires "passent de 144 000 en 194 7 à un million en 1977"
(Mendras 1980, p. 22). En 1958-59, le taux de scolarisation à 18
ans était de 17 % et, en 1975-76, il en est à 54 % : il a donc
triplé (Fourastié 1979, p. 109). L'entrée de plus en plus tardive
sur le marché -du travail est en partie la conséquence du
prolongem·ent des études. En 1954, 81 % des hommes de 18 ans
travaillaient ; en 1975, il ne sont plus que 46 % (Fourastié 1979,
p. 76). Ces chiffres veulent dire, entre autres choses, que le rôle
de l'école dans l'encadrement de la jeunesse est quantitativement
de plus en plus important. Reste à savoir si la qualité suit. Mais
c'est loin d'être évident.
Nulle part ailleurs qu'à l'école le vent de libération dont il
vient d'être question n'a soufflé aussi fort. La relation entre le
maître et l'élève a été de plus en plus posée en termes égalitaires.
Les étudiants ont contesté de plus en plus efficacement les
contraintes traditionnelles de l'école. Les enseignants et les
directeurs ont résisté de plus en plus mollement à des
revendications de plus en plus fortes. Dans certaines écoles, la
discipline traditionnelle et l'autorité du maître s'effondraient.
Dans la plupart des écoles, les enseignants refusèrent en grand
nombre de contribuer à l'éducation morale de la jeunesse, se
contenant de transmettre des connaissances.
Parallèlement, l'écart qui sépare les écoles les unes des
autres semble aller en s'accentuant. Pour des raisons
géographiques, économiques, sociales ou autres, certaines écoles
ont eu tendance à attirer surtout les bons élèves alors que d'autres
recevaient des élèves médiocres en surnombre. Une fois la
réputation d'une école établie, il se déclenche un mouvement en
cercle vicieux qui agrandit encore plus l'écart entre les écoles.
Celles qui ont une bonne réputation reçoivent non seulement les
meilleurs élèves, mais aussi peuvent conserver leurs meilleurs
enseignants. L'évolution inverse se produit dans les écoles qui ont
�Maurice CUSSON
57
le malheur d'avoir une mauvaise réputation. Or une recherche
récente a montré que les écoles qui ont des élèves médiocres en
surnombre ont, toutes choses étant égales par ailleurs, de plus
mauvais résultats sur les plans des résultats scolaires, de la
discipline et de la délinquance que les écoles qui ont des
pourcentages plus équilibrés d'élèves forts et faibles (Rutter et al.
1979). Quand une école est submergée d'élèves difficiles, le climat
se dégrade dans les classes, il devient très difficile de maintenir la
discipline, certains enseignants baissent les bras, d'autres font de
l'absentéisme, d'autres encore partént. Le résultat extrême de ce
mouvement est observé dans certains "high schools" américains où
règnent les chahuts, les retards, les absences, la saleté, le
vandalisme, l'extorsion et la violence (Toby 1983).
Il se dégage de ce qui précède que le passé récent des
systèmes scolaires se caractérise par trois évolutions :
l) augmentation des effectifs étudiants ;
2) désengagement de l'école de sa mission traditionnelle
d'agent de contrôle social ;
3) mouvement de polarisation qui creuse le fossé entre les
écoles et qui fait en sorte que, dans certaines écoles, le
contrôle social sera nul.
Devant la famille et l'école, l'on en est réduit à poser un
diàgnostic réservé. Bien que la famille résiste dans l'ensemble
assez bien à la tourmente de la modernité, elle apparaît fragile
dans certains secteurs particuliers (foyers monoparentaux, familles
à problèmes multiples). L'école a quantitativement connu un
développement considérable mais elle a reculé devant sa mission
traditionnelle de contrôle social. Par ailleurs, on est frappé par les
disparités. Ce ne sont pas les familles dans l'ensemble qui posent
problème, mais une minorité d'entre elles. Ce ne sont pas
tellement les écoles dans leur ensemble qui posent problème, mais
certaines d'entre elles. Il est fort vraisemblable que l'augmentation, entre 1960 et 1980, de ces minorités de familles et d'écoles
incapables de prendre en charge les enfants ait contribué à
l'augmentation de la criminalité. Il me semble aussi tout à fait
vraisemblable que les Etats-Unis ont une criminalité très élevée
en partie parce que, chez eux, les minorités de familles et d'écoles
déficientes sont plus importantes qu'ailleurs. Or il est évident que
nous ne pouvons pas espérer que, dans nos grandes ville~, les
communautés locales pourront pallier aux lacunes de la famille et
de l'école. C'est ce que nous verrons dans mon dernier point.
L'hétérogénéité, le nihilisme et l'intégration sociale urbaine
Selon Gassin ( 1985) la croissance de la criminalité ainsi
que la crise des systèmes de politique criminelle s'expliquent par
�58
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
l'éclatement des valeurs éthiques des sociétés occidentales. "A des
sociétés dans lesquelles il existait un consensus très général sur les
valeurs essentielles et les normes de conduite les plus im·portantes
à observer, ont succédé des sociétés où règne une diversité
toujours croissante et de plus en plus contradictoire des valeurs et
des normes pratiques de conduite. A la majorité d'autrefois, a
succédé une mosaïque de minorités socio-morales" (p. 46-7). Cette
prolifération de systèmes de valeurs incompatibles affaiblit la
détermination des citoyens et des élites à défendre les valeurs
qu'incarne le droit pénal ce qui, à sont tour, mine le contrôle
social et contribue au dérèglement des systèmes de politique
criminelle. Gassin a identifié une dimension majeure du
problème. La diversité est effectivement devenue un trait
marquant des démocraties occidentales et elle ne se limite pas à la
diversité des valeurs morales, elle est aussi sociale, religieuse,
linguistique, culturelle. L'accélération de la circulation des idées,
des croyances et des individus a eu comme résultat que les
occidentaux sont en contact constant avec des thèmes différents,
des religions différentes, des peuples différents, des civilisations
difféi::entes. Les avantages de ce brassage sont considérables. Les
grandes villes occidentales s'enrichissent sur le plan culturel et
économique de l'apport d'éléments dynamiques venus des quatre
coins du monde. L'éventail des choix qui nous sont offerts
s'élargit constamment de nouvelles idées et de nouveaux produits.
Les contacts favorisent la créativité, l'innovation, le dynamisme.
Les villes occidentales qui ont ainsi accepté de s'ouvrir et
d'accueillir tous ces éléments hétérogènes sont devenues
passionnantes.
Mais il y a le revers de la médaille. Confronté à une telle
hétérogénéité, le monde occidental éprouve de plus en plus de
peine à se construire une vision cohérente du monde. Mis tous les
jours en présence des convictions les plus contradictoires et des
morales les plus incompatibles, l'individu en arrive à se dire que
tout se vaut. Il renonce à se< donner une hiérarchie de valeurs qui
lui permettrait de distinguer entre ce qui est important et ce qui
ne l'est pas, entre ce qui mérite plus et ce qui mérite moins. Un
relativisme qui frise le nihilisme compromet l'unité de notre
civilisation. Ce climat de confusion et d'incertitude se constate
jusque chez ceux qui, en principe, ont un rôle à jouer çlans le
contrôle social. Saisis par le doute, ils n'osent plus intervenir de
peur d'imposer des valeurs qui leur paraissent de plus en plus
relatives. Le phénomène apparaît nettement dans le monde de
l'éducation où les maîtres se refusent à transmettre aux élèves une
morale à laquelle ils ont cessé de croire.
Cette croissance de l'hétérogénéité a aussi fait sentir ses
effets sur le tissu urbain. En accentuant les différences entre les
�Maurice CUSSON
59
individus habitant les mêmes quartiers, elle a fait obstacle à leur
intégration sociale. Dans des villes comme Paris, Londres, NewYork, San-Francisco, Marseille, se trouvent des quartiers qui sont
de véritables mosaïques socio-culturelles. S'y côtoient des gens qui
sont tellement différents par l'idéologie, par la langue, par la
religion, par la culture, qu'il devient illusoire d'espérer qu'ils
pourront véritablement entrer en relation. La barrière des
préjugés y est pour quelque chose, mais aussi le fait que, plus
deux individus sont différents, plus il leur sera difficile de
communiquer l'un avec l'autre et de s'entendre. Comme l'effort
pour établir une relation avec l'autre est trop grand, chacun se
replie sur lui-même ou dans son petit ghetto. Ainsi les quartiers
urbains ne peuvent pas devenir des communautés. L'intégration
sociale est presque nulle ; l'information ne circule pas et le
contrôle social tombe en panne.
Les relations dialectiques
La figure qui suit illustre les principales relations entre les
éléments qui viennent d'être décrits.
Refus des
L'aspiration à
la liberté
T.'hétéro?énéitP
socio-cul ture 11
Affaiblissement sectoriel du contrôle
social dans la famille
et dans 1 'école
L'intégration so~idl~
ne peut se développer
dans les quartiers
·~--~~· urbains rendant inopérant le contrôle
social
CONCLUSION
La réflexion sur le contrôle social a pour point de départ
le sentiment que si l'individu est affranchi de tout f rein 2 les
sociétés devront en payer le prix. Pour éviter les désordres
consécutifs à la levée des contraintes on peut s'en remettre soit à
l'Etat, soit à la société civile, soit à une combinaison des deux.
Chaque époque et chaque peuple s'efforcent tant bien que mal de
découvrir le juste dosage de liberté individuelle, de pouvoir
étatique, et de contrainte sociale qui conduira au niveau de
conformité convenable. Nul grand horloger n'existe pour établir
�60
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
cet équilibre. Il sera recherché en une série de tâtonnements
successifs par l'ensemble des acteurs sociaux qui agissent et
réagissent les uns aux autres. Et comme l'être humain n'est pas
très doué pour la modération, les peuples se laisseront aller
jusqu'à l'individualisme outrancier, jusqu'au contrôle social
étouffant, puis jusqu'à l'état policier. Et comme l'excès
d'individualisme engendre le désordrè et le crime, comme l'excès
de contrainte stérilise la créativité et l'initiative et comme l'abus
de pouvoir policier met la liberté en péril, les sociétés passeront
d'un excès à l'autre dans un oscillation sans fin.
Les Japonais et les Suisses de l'époque contemporaine ont,
quant à eux, opté pour un contrôle social issu de la société civile.
Ils ont accepté de se soumettre aux multiples pressions qui
émanent de la famille, de l'école, des milieux de travail, des
communautés locales et de toutes sortes d'associations. Et c'est un
fait qu'ils ont réussi mieux qu'ailleurs à faire face au problème
du crime. Mais, ils ont dO. en payer le prix. En effet, plusieurs
indices nous autorisent à croire que le contrôle social tel qu'il
existe chez ces deux peuples risque d'éteindre l'initiative
individuelle. Ce que l'on gagne en solidarité, en sécurité, et en
cohésion, on le perd en diversité, en dynamisme et en autonomie.
Selon Lempen (1982, p. 174-7), tel est le dilemme de la Suisse. Le
créateur y est étouffé ou marginalisé. L'harmonie y règne, mais
l'originalité individuelle est refoulée. Les différences sont
sacrifiées à la cohésion du· groupe. ·Les succès de ce pays sont
remarquables. "Mais il n'existe pas de miracle suisse : l'individu
paye un lourd tribut à l'ordre social, en aliénant une partie de son
autonomie et en acceptant une marge d'autonomie réduite" (p.
177).
Dans la plupart des grandes villes de l'Occident, il semble
que l'on ait choisi la direction opposée. Nos métropoles
accueillent tous les jours des gens qui ont fuit le climat étouffant
du village natal, préférant l'anonymat urbain à la communauté où
il est impossible de poser un geste sans qu'il soit connu et
commenté. Les habitants de nos villes ont voulu secouer le joug
du cercle de famille ; ils ont voulu échapper aux potins de la
commère du village ; ils ont voulu s'arracher des griffes des
potentats locaux. C'est pourquoi ils ont stigmatisé la morale
victorienne, le conformisme bourgeois, les notables, les mandarins
et les petits chefs. Toute pression sociale est devenue insupportable, y compris le regard d'autrui qui vous épie, vous épingle,
vous juge et vous condamne. Des autres, on a dit que c'est
l'enfer. Les Américains ont été très loin dans cette voie, dans la
négation de la tradition, dans le refus de la morale et dans la
contestation des relations d'autorité. Au bout de cette route, les
�61
Maurice CUSSON
attendaient le chaud et le froid : d'une part la créativité et le
dynamisme, de l'autre la violence et la peur.
Dans les métropoles occidentales la société civile a cessé
d'être le lieu de convictions partagées et de croyances cohérentes.
Elle a cessé d'être tissée en réseau dense de solidarité, de
communications, de pressions et d'influences. Et le crime s'est mis
à y proliférer. Mais les Etats, ayant horreur du désordre et
désireux de conserver le monopole de la violence, ont voulu se
substituer à la société civile. Et l'on a vu la puissance du
Léviathan croître au fur et à mesure que s'affaiblissait la société
civile. Et l'on a vu les législateurs prétendre tout régenter par
d'innombrables lois. Et l'on a assisté au spectacle dérisoire des
gouvernants s'érigeant en maîtres de la vertu des citoyens. Mais,
devenu gigantesque, l'Etat n'a pas, bien au contraire, fait reculer
le crime. Léviathan obèse se révèle un bien piètre maître de
vertu.
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��LE TERRORISME
Par
Bernard BOULOC
Professeur à /'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)
Pourquoi avoir choisi comme thème "Le terrorisme" ? Non
pas, parce que je serai compétent en la matière. En effet, le
terrorisme paraît impliquer que l'on va étudier le phénomène, ses
diverses manifestations, la psychologie des terroristes, ainsi que
les moyens d'empêcher ses manifestations. Pour cela, il faudrait
être criminologue, criminologiste, psychologue ou policier. Or, je
n'ai aucune de ces qualités. Je suis, seulement, agrégé de droit
privé et de sciences criminelles. Aussi bien, au titre de ces
dernières, j'ai pu remarquer les tendances de notre droit
contemporain. Celui-ci par une loi encore fraîche, puisqu'elle est
du 9 septembre 1986, tend à lutter contre le terrorisme. Et quelles
que soient les critiques qui ont pu être faites, çà et là, il faut bien
reconnaître qu'à part quelques phénomènes émanant de groupes
qui cherchent à promouvoir l'autonomie de telle ou telle région,
globalement il n'y a pas eu, depuis cette loi, à faire face à des
activités terroristes. Des événements tragiques comme ceux de la
rue de Rennes ou de la rue des Rosiers, quelques années
auparavant, nous ont été épargnés ( 1).
Il est permis d'ajouter que, depuis 1986, notre législateur
a eu encore l'occasion de se prononcer sur le problème de la lutte
contre le terrorisme. Par deux lois du 16 juillet 1987, il a autorisé
la ratification d'une part de la Convention Européenne pour la
répression du terrorisme signée à Strasbourg le 27 janvier 197'7, et
d'autre part de l'accord entre Etats membres des communautés
européennes pour l'application de la Convention Européenne, fait
à Dublin le 4 décembre 1979. En conséquence, un nouvel article
(1) V. Guillaume et Levasseur, Le terrorisme international, éd. Pédone, Paris 1977 ;
Cherif Bassiouni, Perspective en matière de terrorisme, Mélanges P. BOUZAT, p.
471 et S.
�66
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
689-3 a été introduit dans notre Code de procédure pénale. En
application de l'une de ces lois, un décret du 21 décembre 1987 à
publié le texte de la Convention Européenne pour la répression
du terrorisme. Du fait de cette publication et compte tenu de
l'article 11 de la Convention, celle-ci entrera en vigueur dans un
délai de trois mois, c'est-à-dire le 23/3/88.
Ainsi, ce sont ces dispositions récentes et nouvelles qui
ont guidé mon choix, étant rappelé que j'envisagerai
essentiellement le problème sous l'angle juridique.
Pourquoi alors fallait-il de nouvelles dispositfons ?
Effectivement, c'est une question que l'on peut légitimement se
poser. N'y aurait-il jamais eu de terrorisme jusqu'à ces dernières
années ?
A vrai dire et à s'en tenir à une définition simple, le
terrorisme paraît être une action violente menée contre des
personnes, des biens ou des institutions, mais une action violente
à caractère politique, la finalité pouvant être l'obtention de
l'indépendance d'un territoire, le renversement d'un régime
politique, ou bien encore la contestation de certains aspects de la
politique d'un Etat. Il est clair qu'en ce sens, le phénomène est
connu depuis les temps les plus anciens. Sans vouloir chercher
ailleurs, on peut considérer que les attentats anarchistes de la fin
du siècle dernier présentaient certaines de ces caractéristiques, et
l'on sait que notre législateur avait réagi par des textes
particuliers, les lois "scélérates" (loi du 28 juillet 1894 ).
Depuis lors, il est vrai, le décor a quelque peu changé. En
droit interne, tout d'abord, il y a eu, dans le prolongement de la
loi de 1894, une tendance pour l'élimination du caractère
politique d'une infraction toutes les fois qu'il s'agissait de faits
graves. C'est ce que relève l'arrêt Gorguloff de la Cour de
Cassation du 20 aoO.t 1932 (2) par lequel la haute juridiction a
considéré que l'assassinat, par sa nature, et quels qu'en aient été
les mobiles, constitue un crime de droit commun. Peu de temps
après, le décret-loi du 29 juillet 1939 va dans le sens de la
sévérité de la répression et la peine de mort se trouve rétablie
pour les atteintes à la sO.reté de l'Etat en sorte que les infractions
politiques sont définies objectivement. Changement de paysage au
lendemain de la 2ème Guerre Mondiale. Il faut rappeler bien sûr
que l'on observe des mouvements de population ; des personnes
sont réfugiées politiquement, et il ne saurait être question de les
expédier vers leur pays d'origine. Aussi bien, les chambres
d'accusation qui ont la maîtrise des avis sur des demandes
d'extradition, et ce en application de la loi du 10 mars 1927,
admettent assez aisément de ne pas livrer les délinquants, en
(2) Crim. 20 août 1932, D.P. 1932.1.121.
�Bernard BOULOC
67
raison des mobiles politiques , conception donc large de
l'infraction politique alors que dans le même temps sur le plan
interne l'on s'en tient généralement à un critère objectif, ce qui
laisse de côté les délits qui n'ont pas de peine spécifique.
C'est alors que commencent à arriver en Europe et en
France également des phénomènes nouveaux : prises d'otages,
détournement d'aéronef et autres faits de violence (3). Comment
doit-on réagir ? Sur le plan de la législation, la France a participé
aux conventions concernant le détournement des aéronefs, et a
d'ailleurs incriminé spécifiquement cet agissement par une loi du
15 juillet 1970, complétée en 1972.
Mais surtout, ce sont les chambres d'accusation qui ont
réagi à leur façon. Autant, la notion d'infraction politique était
entendue largement dans le droit extraditionnel, autant désormais
les réticences apparaissent à partir des années 1975, comme cela a
été observé par exemple par Mme Koering-Joulin (4) ou par M.
J. Borricand (5). Dès lors qu'il y a violence exercée, avec menaces
pour la vie d'une personne ou son intégrité physique, un avis
favorable à l'extradition est donné. En d'autres termes la notion
d'infraction politique tend à être appréciée de la même manière
en droit interne et en droit extraditionnel, même si ce dernier
peut connaître quelque soubresaut.
Quoi qu'il en soit, notre législation interne a à nouveau
progressé. De manièr~ certainement maladroite, la loi du 2 février
1981 dite Sécurité et Liberté, envisageait essentiellement les actes
de violence qu'elle entendait soumettre à un régime juridique
dérogatoire notamment quant aux sanctions. On sait que cette
disposition a été écartée par la loi du 10 juin 1983, étant indiqué
que depuis le 21 juillet 1982, la même assemblée avait institué,
sous couvert de l'idée de suppression des juridictions d'exception,
une formation particulière de la Cour d' Assises, la Cour d'assises
sans juré, c'est-à-dire en réalité une Cour criminelle, en fait une
nouvelle juridiction d'exception.
En 1986, et afin de lutter contre des attentats aveugles
perpétrés sur notre territoire, par des groupements pouvant,
semble-t-il, être guidés par des étrangers, le Gouvernement a
mis au point un nouveau projet. S'inspirant pour partie de ce qui
avait été adopté dans certains pays étrangers, et semble-t-il avec
succès, le Gouvernement a prévu essentiellement un régime
procédural propre aux infractions de terrorisme, qui sont
essentiellement des infractions de droit commun commises avec
(3) V. Mme Galia-Beauchesne, Les prises d'otages, thèse Paris II, 1979.
(4) Mme R. Koering-Joulin "Infractions politiques et violence", J.C.P. 1982.1.3066.
(5) J. Borricand "Actualité et perspective du droit extraditionnel français" J.C.P.
1983.1.3102. V. Aussi J. Borricand "L'extradition des terroristes" Rev. se. crim. 1980,
p. 661. Comp. avec C. Lombois, Droit pénal international, Précis Dalloz, 2e éd. n •
429 et 430 et notes.
�68
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
une certaine intention. Par ailleurs, la ratification et la
publication de la Convention Européenne font que les actes
définis ne seront pas considérés comme des infractions politiques
au regard du droit extraditionnel.
Ainsi, actuellement, les infractions de terrorisme se
trouvent soumises à un régime juridique particulier. Mais avant
d'entrer dans les détails de ce régime spécifique, il faut bien
évidemment s'interroger sur la notion et la nature de ces
infractions de terrorisme.
Aussi bien, j'envisagerai tout d'abord, dans une première
partie la notion d'infraction de terrorisme, puis dans une
deuxième partie, le régime juridique des infractions de
terrorisme.
I - LA NOTION D'INFRACTION DE TERRORISME
En ce qui concerne la notion d'infraction de terrorisme,
nous avons la définition donnée par la loi du 9. septembre 1986,
puis celle adoptée par la Convention Européenne. L'une et l'autre
ne sont pas superposables, si bien qu'il faudra d'abord . les
examiner. Ensuite, il conviendra de se demander si l'infraction de
terrorisme constitue ou non une catégorie particulière
d'infraction, au regard de la théorie générale de classification des
infractions.
A - Les définitions des infractions soumises aux règles
particulières sont données par la loi du 9 septembre 1986 qui a
été insérée à l'article 706-16 Nouveau du C.P.P., et par les
articles 1 et 2 de la Convention Européenne.
l) L'art. 706-16 du C.P.P. n'utilise pas la méthode
synthétique à laquelle les juristes latins se trouvent plutôt habitués
(6). Il fournit, à l'exemple de l'art. 705 du C.P.P., ayant établi la
compétence des juridictions dites spécialisées en matière
économique et financière, une liste de textes. Mais ce qui est
remarquable, c'est que l'une des infractions de la liste n'est traitée
comme infraction de terrorisme que si elle est en relation avec
une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de
troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur.
La liste est vaste. Elle comprend les atteintes à l'intégrité
physique des personnes, les meurtres sous loors diverses formes,
(6) V. sur cette loi J. Pradel "Les infractions de terrorisme, un nouvel exemple de
l'éclatement du droit pénal", D. 1987, chr. p. 39; B. Bouloc, chr. législative à la Rev.
se. crim. 1987, p. 247. Comp. J. Robert "Terrorisme, idéologie sécuritaire et libertés
publiques", Rev. dr. public 1986, p. 165.
�Bernard BOULOC
69
sauf le parricide et l'infanticide, mais inclut les empoisonnements,
et toutes infractions commises avec emploi de tortures ou actes de
barbarie, ainsi que les coups et blessures volontaires ayant
entraîné une mutilation, amputation ou privation de l'usage d'un
membre ou autres infirmités permanentes, ou bien encore ayant
entraîné la mort sans intention de la donner. On trouve aussi, les
violences ou voies de fait sur des mineurs de 15 ans (art. 312 aL 3
et 4) ainsi que les arrestations illégales et séquestrations arbitraires
les enlèvements des mineurs et les menaces d'atteintes aux
personnes ou aux biens.
L'article 706-16 C.P.P. envisage des atteintes graves aux
biens. Ce sont les dégradations de monuments, statues, immeubles
ou objets classés, par l'effet de substances explosives ou
incendiaires ou d'incendies (art. 257-3 C. pén.), les destructions
ou détériorations volontaires d'objets mobiliers ou immobiliers
commises avec effraction ou à l'encontre de magistrats, jurés,
avocats ou témoins (art. 434 al. 2 à 5 C. pén.), les destructions des
même biens par l'effet d'une substance explosive ou incendiaire,
d'incendie ou de tout autre moyen de nature à créer un danger
pour la sécurité des personnes (art. 435 à 437 C. pén.), les
, détournements d'aéronefs, de navires ou des autres moyens de
transport collectif (art. 462)., les vols aggravés avec réunion de
trois au moins des circonstances décrites par l'art 382 C. pén. ou
les vols aggravés pas des violences ayant entraîné la mort, une
infirmité permanente ou une incapacité de travail supérieure à
huit jours par force, violence ou contrainte (art. 400· al. C. pén.).
Enfin, l'article 706-16 C.P.P. prend en compte un certain
·nombre d'infractions : l'association de malfaiteurs (art. 265 à 267
C. pén.), l'emploi de moyens en vue de faire dérailler un train ou
de provoquer une collision (art. 16 et 17 de la loi du 15 juillet
1845 modifiée par la loi du 2 février 1981 ), la fabrication
d'engins meurtriers ou incendiaires (art. 3 de la loi du 19 juin,
1871 ), la vente ou l'exportation de poudre (art. 6 de la loi du 3
juillet 1970), l'acquisition ou la détention de telles substances (art.
38 du décret-loi du 18 avril 1939) ainsi que la fabrication, la
détention, le stockage, l'acquisition et la cession d'armes
biologiques ou à base de toxines (art. 1 et 4 de la loi du 9 juin
1972) ou la détention d'un dépôt d'armes de la première et
quatrième catégories, le port et le transport d'armes des m~mes
catégories (art. 31 et 32 du décret-loi du 18 avril 1939). Les
infractions connexes à celles ainsi définies sont soumises au même
régime, bien qu'elles n'aient pas nécessairement été accomplies
avec le mobile particulier pris en considération par le législateur.
Ce mobile spécifique, c'est ce qui permet de distinguer
l'infraction banale de l'infraction à caractère terroriste.
�70
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
De ce point de vue, la loi est relativement vague. Il faut
en effet que l'infraction soit en relation avec une entreprise
individuelle ou collective ayant pour but de troubler largement
l'ordre public par intimidation ou la terreur.
Malgré une certaine précision, les termes sont vagues et
"flous", comme aurait pu dire Mme Delmas-Marty (7). Qu'est-ce
qu'une "entreprise" ...", même en matière pénale, ce n'est pas
évident. Cela implique peut-être une certaine organisation (cf. le
Code de commerce, les actes en entreprise et les autres),
entreprise individuelle ou collective, peu importe. Un individu
seul pourra fort bien être poursuivi pour un acte terroriste. Par
ailleurs, l'agent doit avoir eu en vue de troubler gravement l'ordre
public par l'intimidation ou la terreur.
La loi n'a donc pas retenu un objectif tel que celui
consistant à substituer une autorité à une autre ou à contester la
légitimité d'une décision d'un gouvernement légal. C'est donc la
peur ou l'intimidation, c'est-à-dire amener à apeurer. Cette peur
ou intimidation doivent troubler gravement l'ordre public. Il faut
donc peut-être que l'agent ait eu recours à des procédés
inquiétant légitimement les populations : colis piégés, voitures qui
s'enflamment, et qui donnent l'impression qu'effectivement
chacun se trouve vulnérable. et sans défense. Bref c'est un
sentiment d'insécurité permanente qui peut hanter le public.
On ne nous empêchera pas de penser que ce critère est
vague et aurait pu être affiné, pour assurer les libertés
individuelles.
2 - Quoi qu'il en soit, la Convention Européenne n'est
guère plus satisfaisante. (8).
Son article l er indique que ne pourra pas être considérée
comme une infraction politique, connexe à une infraction
politique ou inspirée par des mobiles politiques : tout d'abord les
infractions comprises dans le champ d'application de la
Convention pour la répression de la capture illicite d'aéronefs
signée à La Haye le 16 décembre 1970, ainsi que celles entrant
dans le champ d'application de la Convention pour la répression
d'actes illicites dirigés contre la sécurité de l'aviation civile signée
à Montréal le 23 septembre 1971. En outre, ce sont les infractions
graves constituées par une attaque contre la vie, l'intégrité
(7) Mme M. Delmas-Marty, "Le flou du droit, du code pénal aux droits de l'homme",
P.U.F. 1986.
(8) V. Ch. Vallée, La convention européenne pour la répression du terrorisme, Ann.
Franç. de dr. int. 1976, p. 756 et s. ; G. Fraysse-Druesne, La convention européenne
pour la répression du terrorisme, Rev. gén. dr. int. public 1978, p. 969 et s. ; R.
Koering-Joulin, Le terrorisme et la convention européenne sur la répression du
terrorisme, actes du VIIe Colloque de Besançon sur les droits de l'homme en France,
p. 108 et s., et infraction politique et violence, J.C.P. 1982.1.3086 (n • 3 à 6).
�Bernard BOULOC
71
corporelle ou la liberté des personnes ayant droit à une protection
internationale, y compris les agents diplomatiques (mais peut-être
pas les attachés de presse), les infractions comportant l'enlèvement, la prise d'otage ou la séquestration arbitraire, celles
comportant l'utilisation de bombes, grenades, fusées, armes à feu
automatiques ou de lettres, colis piégés dans la mesure où cette
utilisation présente un danger pour les personnes.
L'article 2 apporte deux autres précisions. Tout d'abord
tout acte grave de violence non visé à l'article 1er et qui est
dirigé contre la vie, l'intégrité corporelle ou la liberté des
personnes ne peut pas être considéré comme une infraction
politique pas plus que les actes graves contre les biens, lorsque ces
actes graves ont créé un danger collectif pour des personnes.
Dans tous les cas, les auteurs de tentative et les complices
sont placés sur le même pied d'égalité que les auteurs.
Le texte de la Convention vise essentiellement des actes
graves de violence contre les personnes et des actes graves contre
les biens, créant un danger collectif pour les personnes. Porter
atteinte aux biens, sans qu'il y ait danger pour les personnes, ne
peut pas constituer une infraction entrant dans le champ
d'application de la Convention. Il reste que par rapport au
principe de la légalité cher aux pénalistes français, il y a là une
imprécision certaine (9).
B - Quoi qu'il en soit quelle est la nature de ces
infractions de terrorisme ?
Sur ce point précis, ni la loi ni la Convention n'ont fourni
quelque élément. Et pour cause, ce que l'on recherche c'est lutter
contre un phénomène, peu important la place dans les catégories
juridiques. Quant à la doctrine, elle est peu fournie (10).
Pour mon collègue Pradel (11), il semblerait qu'il s'agirait
d'un cas particulier d'infraction politique même si visiblement la
loi ne permet pas-une distinction entre une infraction politique et
une infraction de droit commun.
A vrai dire, il me semble qu'en soumettant une infraction
de terrorisme aux principes de droit commun, la loi de 1986,
comme la Convention, rappellent que le critère classique du droit
français pour la définition de l'infraction politique, c'est un
(9)V. Stéfani, Levasseur et Bouloc, Droit pénal général, 13e éd. n • 115 et s. ; Merle
et Vitu, Traité de droit criminel, 1, Se éd. n • 155 et s. ; Pradel, Droit pénal, 1, n • 91
et s. ; Decocq, Droit pénal général, p. 66 et s. ; M.L. Rassat, Droit pénal, n • 80 et s.
(10) On peut noter que l'ouvrage de droit pénal de Mme Rassat, pourtant paru après
la loi de 1986 est muet sur la question. Mais dans la réédition du précis de droit
pénal spécial de R. Vouin (6e éd. 1988), cet auteur indique qu'il s'agit "de banales
infractions de droit commun" ( n • 7 in fine).
(11) "Les infractions de terrorisme, un nouvel exemple de l'éclatement du droit
pénal", D. 1987 chr. p. 39.
�72
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
critère objectif. Aussi bien, quel que soit le mobile, ou quelle que
soit l'intention de l'agent, il ne peut y avoir régime dérogatoire et donc favorable- si la peine édictée n'est pas de nature
politique. Or la peine en la matière, ne peut être que celle prévue
par le texte particulier applicable. Rien n'a été changé. Donc c'est
la réclusion criminelle à perpétuité pour un meurtre ou un
assassinat. En clair, l'infraction de terrorisme reste une infraction
de droit commun.
Déjà, la jurisprudence avait eu l'occasion de procéder à
une qualification vers le droit commun à propos des crimes contre
l'humanité. En témoigne un arrêt du 21 octobre 1982, puis par la
suite, l'arrêt Barbie du 6 octobre 1983 (12). Pour la Cour de
cassation les crimes contre l'humanité sont des crimes de droit
commun, commis dans certaines circonstances et pour certains
motifs précisés dans le texte qui les définit.
De même les infractions de terrorisme sont des infractions
de droit commun qui sont soumises à un régime particulier, en
raison de certains motifs ou mobiles.
Telle est d'ailleurs la conception qui est adoptée par les
auteurs de la 13ème édition du Précis Dalloz de Droit pénal (13).~
Ils indiquent au n° 112-1 que le législateur de 1986 s'est inspiré
du précédent des crimes contre l'humanité, c.onsidérés comme
infractions de droit commun. Par ailleurs, au n° 222, ces mêmes
auteurs indiquent que la loi du 9 septembre 1986 a pris en
compte les mobiles, non pas pour définir l'infraction, ou pour
établir son existence ou fixer la sanction, mais au regard de la
procédure, puisque pour l'essentiel c'est ce à quoi tend la loi
nouvelle. Et je crois que ce· point de vue peut être partagé. Du
reste dans l'affaire Schleicher la Cour de cassation par l'arrêt du 7
mai 1987 (14) a insisté sur le fait que la loi de 1986 était une loi
de forme et non de fond.
En définitive, les infractions de terrorisme sont, à mes
yeux, des infractions de droit commun, même si la procédure
pour les constater, poursuivre, instruire ou juger, est une
procédure d'exception, ce qui nous amène bien évidemment à
examiner de façon plus spécifique le régime juridique des
infractions de terrorisme.
{12) Crim. 21 octobre 1982, bull. crim. n • 231 ; crim 6 octobre 1983, D. 1984, p. 113
note Le Gunehec.
(13) par G. Stéfani, G. Levasseur et B. Bouloc, Dallo11 décembre 1987.
{14) Crim. 7 mai 1987, Bull. crim. n • 186 ; v. aussi Crim. 3 juin 1987, Bull. crim.
n • 236.
�Bernard BOULOC
73
II - LE REGIME JURIDIQUE DES INFRACTIONS DE
TERRORISME
Dire que l'on est en présence d'infraction de terrorisme,
cela implique soumission à un régime spécifique. Le régime
spécifique intéresse bien sür la procédure, mais il concerne aussi
les règles de fond du droit comme nous ·allons le préciser.
A - Au regard de la procédure, il faut distinguer entre la
procédure pénale interne, et depuis la publication de la
Convention Européenne, la procédure pénale internationale si l'on
peut dire :
1) Sur le plan de la procédure pénale interne, la loi de
1986 a surtout voulu faciliter la découverte des infractions, la
découverte de tous les participants aux faits, ainsi que la
poursuite et le jugement des actions de terrorisme. Pour faciliter
la découverte des infractions, elle autorise des perquisitions et des
visites domiciliaires et des saisies, au cours de l'enquête
préliminaire, sans qu'il soit nécessaire d'obtenir l'assentiment des
personnes intéressées (art. 706-24 C.P.P.). En ce cas, une
autorisation devra être donnée à l'officier de police judiciaire par
le président du tribunal ou le juge délégué par lui. Par ailleurs, la
garde à vue prévue par les articles 63, 77 et 154 C.P.P. peut, en
ce qui concerne les majeurs, être prolongée d'une durée de 48
heures (la portant à 4 jours au total). Cette prolongation est
autorisée soit par le président du tribunal (ou son délégué) soit
par le juge d'instruction (cas de flagrance ou commission
rogatoire), qui décide après s'être fait présenter la personne
concernée. Elle donne lieu, de plein droit, à un examen médical.
Pour faciliter l'exercice des poursuites, la loi du 9 septembre 1986
a permis une centralisation des procédures à Paris (art. 706-17
C.P.P.). Cette compétence des juridictions parisiennes s'ajoute à la
compétence des juridictions normalement compétentes. De ce fait,
le procureur de la République local peut requérir le juge
d'instruction de se dessaisir au profit de la juridiction parisienne.
En cas de contestation (soit par le parquet, soit par l'inculpé ou la
partie civile), un recours peut être formé devant la chambre
criminelle de la Cour de cassation qui désigne le .juge
d'instruction chargé de poursuivre l'information (art. 706-22
C.P.P.) (15). S'il apparaît au juge d'instruction parisien que les
faits ne constituent pas l'une des infractions entra* dans le
champ d'application de l'article 706-16 C.P.P., ce magistrat se
déclare incompétent, sous réserve du recours formé, également,
(15) V. Crim. 3 juin 1987, Bull. crim. n • 236.
�74
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
devant la chambre criminelle de la Cour de cassation(art. 706-19
C.P.P.).
Enfin, en ce qui concerne le jugement des accusés
majeurs, la loi du 9 septembre 1986 a prévu que la Cour d'assises
serait composée uniquement de magistrats professionnels (art.
706-25 C.P.P., déclaré applicable par la loi du 30 décembre 1986,
aux procédures en cours).
Tirant les conséquences de la loi nouvelle, la Chambre
criminelle par l'arrêt du 7 mai 1987 (16) a donné les précisions
suivantes : la Cour de cassation ne peut pas apprécier la
constitutionnalité d'une loi nouvelle. Par ailleurs, la loi nouvelle
ne vient pas battre en brèche l'autorité de la chose jugée attachée
à une précédente décision de renvoi en Cour d'assises, car la
chose jugée ne s'attache qu'aux décisions sur le fond, ce qui n'est
pas le cas d'une décision de renvoi en Cour d'assises. Enfin, il n'y
a pas méconnaissance de la règle d'égalité que ce soit d'après la
Convention Européenne des Droits de l'Homme, soit d'après le
Pacte de New-York (art. 14 et 16), ou d'après la Déclaration
Universelle des Droit de l'Homme (art. 7 et 10), dès lors que
l'attribution de compétence qui en résulte embrasse toute les
infractions entrant dans le champ d'application de l'art. 706-16 et
tous les accusés tombant sous le coup de ce texte sans aucune
distinction et que les droits de la défense peuvent s'exercer sans
discrimination ( 17).
On notera également que cet arrêt précise que la loi du 9
Septembre 1986 est une loi de procédure, et que la loi du 30
décembre 1986 est revenue aux principes concernant l'application
des lois de forme (18). En particulier, elle n'a pas créé
d'infractions nouvelles, ni même de circonstances aggravantes
communes aux infractions en cause, mais a surtout fixé des règles
de compétence.
Au-delà de la procédure interne, c'est également sur le
plan international
le droit pénal international réglant
essentiellement des problèmes de compétence juridictionnelle, que
les infractions de terrorisme apportent dérogation.
2) Depuis la publication de la Convention de 1977, les
infractions de terrorisme ne peuvent pas être considérées comme
des infractions politiques. Ce sont des infractions de. droit
commun susceptibles d'extradition, malgré tous les textes
contraires, y compris la Convention Européenne d'extradition.
(16) Bull. crim. n • 186.
(17) V. M. Danti-Juan, L'égalité en droit pénal, thèse Poitiers, éd. Cujas 1987.
(18) V. Stéfani, Levasseur et Bouloc, Droit pénal général 13e éd. n • 166 et s. et
procédure pénale 13e éd. n • 11. Sauf dispositions contraires expresses une loi de
procédure et de compétence est d'effet immédiat. Crim. 7 mai 1987, Bull. crim. n •
186 et 187.
�Bernard BOULOC
75
Si donc une personne est découverte en France, alors
qu'un Etat étranger la réclame, la France doit soit la livrer, soit la
juger aut tradere, aut judicare, comme le rappelle l'article 7 de la
Convention.
Pour juger cette personne qui n'aurait rien commis en
France ou qui ne serait· pas française, ou qui n'aurait pas lésé des
français, nos règles traditionnelles ne suffiraient pas, puisque
normalement, on peut juger ceux qui ont commis en France des
actes ou des bribes d'actes ou ceux qui ont porté atteinte à des
intérêts français ou qui sont français.
Aussi bien, la loi du 16 juillet 1987 a ajouté un nouvel
article 689-3 dans le Code de procédure pour permettre le
jugement des personnes se trouvant en France et ayant commis
des faits hors du territoire de la République. On retrouve
essentiellement les dispositions des articles 1 et 2 de la
Convention. Cette loi ne prévoit que la compétence de principe
des tribunaux français. En ce qui concerne la détermination du
tribunal effectivement compétent, il faut, semble-t-il, se référer à
l'art. 696 qui concerne tous les cas prévus au présent titre, en
sorte que serait compétent le tribunal du lieu de résidence du
prévenu (ou inculpé), et à défaut le tribunal de Paris.
Bien évidemment les tribunaux français rendus ainsi
compétents appliqueront les règles de fond propres du droit
français.
B - En ce qui concerne les règles de fond, deux points
méritent attention. D'une part, ce qui a trait aux sanctions,
d'autre part ce qui intéresse la réparation des dommages subis par
les victimes.
1) Du point de vue des sanctions. En plus de la peine
attachée par la loi à l'infraction commise, la loi du 9 septembre
1986 prévoit que les condamnés pour infraction de terrorisme
seront frappés par une interdiction de séjour pour une durée de
deux à dix ans (art. 44 al. final C. pén.). Il s'agit d'une peine
obligatoire dans son principe, la durée devant être fixée par la
juridiction de jugement. Toutefois, les personnes ayant participé
aux faits en cause ne seront pas nécessairement poursuivies et
jugées. En effet, un nouvel article 463-1 du Code pénal institue
une exemption de peine pour les auteurs d'actes de terrorisme,
tout d'abord en cas d'avertissement par eux de l'autorité
administrative ou judiciaire ayant permis d'éviter que l'infraction
ne se réalise et d'identifier, le cas échéant, les autres coupables,
ensuite en cas d'avertissement ayant permis d'éviter que
l'infraction n'entraîne mort d'homme et infirmité permanente et
permettant d'identifier, le cas échéant, les autres coupables. Il
�76
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
s'agit donc d'une excuse absolutoire liée au défaut de réalisation
de l'infraction (qui a pu cependant être tentée dans des conditions
punissables) (19).
En plus, un nouvel article 463-2 du Code pénal établit
une réduction de peine (c'est-à-dire une excuse atténuante), pour
le cas où l'article 463-1 ne pourrait pas jouer, à condition qu'une
personne ait, avant toute poursuite, permis ou facilité
l'identification des autres coupables, ou, après l'engagement des
poursuites permis ou facilité l'arrestation de ceux-ci. La réduction
de la peine est de moitié, et si la loi prévoit la réclusion
criminelle à perpétuité, la réduction ramène la peine à vingt ans
(20).
On peut bien sür être réservé sur ces dispositions
intéressant ce que l'on appelle les repentis et dont les résultats
peuvent être décevants (21). En revanche, n'encourt aucune
critique le principe même d'indemnisation des victimes.
2) Au cours des débats sur la loi de 1986, des amendements ont été déposés en vue de prévoir l'indemnisation, par
l'Etat, des victimes d'actes de terrorisme. Sans doute, existait-il
déjà une indemnisation de certains dommages résultant
d'infractions (art. 706-3 et ss C.P.P.) (22). Mais cette
indemnisation est plafonnée et concerne essentiellement les
préjudices économiques. Finalement, le principe d'une indemnisation par l'intermédiaire d'un fonds de garantie, alimenté par des
cotisations assises sur les . contrats d'assurances de biens, a été
retenue. Désormais, sont indemnisés les dommages corporels
résultant d'infractions d'actes de terrorisme, soit commis en
France soit subis par des Français ayant leur résidence habituelle
en France ou résidant habituellement hors de France et immatriculés auprès des autorités consulaires. Dans le mois de la
demande, le fonds de garantie doit verser à la victime (ou ses
ayants droit en cas de décès) une ou plusieurs provisions. Dans les
trois mois du jour de la réception des pièces justificatives, le
fonds doit présenter une offre d'indemnisation pour laquelle sont
applicables les articles 18 à 21 de la loi du 5 juillet 1985 sur les
accidents de la circulation routière (24). En cas de litige, le juge
civil saisi doit statuer, nonobstant l'existence de poursuites
pénales en cours. Le fonds de garantie qui a payé la victime est
subrogé dans ses droits contre le tiers responsable du dommage.
On notera que ce dispositif différent de celui fixé par la loi du 3
(19) Stéfani, Levasseur et Bouloc, Droit pénal général, 13e éd. n • 538.
(20) Stéfani, Levasseur et Bouloc, Droit pénal général, 13e éd. n • 549-1.
(21) V. sur le problème des repentis V. Pettiti, Rev. se. crim. 1986, p. 751
Aarreiros, ibid., p. 753 ; Palazzo, ibid., p. 757 et B. Bouloc, ibid., p. 771.
(22) Stéfani, Levasseur et Bouloc, Procédure pénale, 13e éd., n • 262 et s.
(24) V. Chabas, Le droit des accidents de la circulation, 2e éd. 1988, n • 232 et s.
�77
Bernard BOULOC
janvier 1977, concerne toutes les victimes d'actes commis depuis
le 31 décembre 1984, en application de la loi du 30 décembre
1986.
*
Telles sont les grandes lignes du problème juridique du
terrorisme. Bien évidemment ce thème demanderait à être
complété par d'autres aspects et notamment, l'aspect policier, car
il est vrai que, dans cette matière comme dans d'autres, il est
souhaitable d'empêcher la réalisation de crimes.
Je souhaite en tout cas, pour ma part, que longtemps
encore les études juridiques sur ce problème restent, comme la
mienne, théoriques. Cela prouverait que, avec ou sans effet de la
loi, notre pays serait épargné par le terrorisme.
��ASSUETUDES ET DROIT PENAL SPECIAL
Par
Jacques BORRICAND
Professeur à l'Université d'Aix-Marseille III
Directeur de l'Institut de Sciences Pénales et de Criminologie
De tous temps l'homme a utilisé des substances possédant
des propriétés analgésiques, aphrodisiaques ou euphorisantes. De
tous temps et dans tous les lieux l'homme essaie d'oublier sa
misère, de soulager ses douleurs, de dépasser sa petitesse,
d'impressionner son entourage, de communiquer avec les morts,
de séduire les puissances surnaturelles, bref de trouver par les
produits chimiques contenus dans les plantes, un raccourci vers le
bonheur et la puissance.
Les Grecs anciens 1)'avaient même pas de mots différents
pour distinguer les remèdes des poisons qu'ils englobaient dans le
seul vocable de "pharmacos". Cette distinction entre le
médicament et le toxique fut d'autant plus difficile à dégager
qu'une même substance pouvait être l'un et l'autre selon le dosage
(1).
L'homme a également de tous temps recouru à des poisons
sacrés pour se plonger dans des exaltations religieuses. Les Grecs
et les Romains avaient introduit l'alcool dans les cultes orgiaques
des dieux Dionysos et Bacchus tandis que les Germains se
livraient à des bacchanales avec de la bière et du vin. Aux Indes
on connaissait depuis des millénaires les propriétés médicinales du
chanvre à faible dose tandis que les pays arabes utilisaient le
cannabis et le haschisch rapportés par les croisés en Europe et
que la culture du pavot se développait en Chine à partir du
Xlllème siècle. Deux siècles plus tard, le tabac était importé dans
(1) Dans l'Odyssée, Homère parle de breuvage qu'Hélène, fille de Zeus fit boire à
Ménélas et qui donne l'oubli des maux. Selon le poète cette drogue appelée nepenthès
était si puissante que celui qui en avait bu aurait pu voir sa mère ou son fils mourir
devant ses yeux sans pleurer. Quand il en avait trop bu il dansait et chantait à tuetête.
�80
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
la péninsule ibérique et fut bientôt fort prisé pour ses propriétés
curatives (2).
L'implantation de ces drogues apparaît fonction des
caractères psycho-sociaux dominants d'un peuple. On comprend
que les placides chinois aient accueilli avec délices le pavot qui
leur permettait de délirer en toute décence. Les peuples du
Proche et du Moyen Orient dont l'imagination est sans doute plus
active mais dont l'activité est plus imaginaire s'accommodèrent
mieux du haschisch qui ne donne de l'énergie qu'en pensée.
Quant aux peuples d'Occident mentalement et physiquement très
dynamiques, ils ont préféré l'alcool et le tabac qui donnent un
coup de fouet, accroissent l'agressivité, stimulent même de façon
illusoire l'activité intellectuelle. La diffusion récente en Occident
des drogues hallucinogènes est visiblement liée à une mise en
question de l'esprit d'entreprise par les hyppies européens et
américains.
Une fois pris dans l'engrenage psycho-physiologique tous
les toxicomanes, qu'ils appartiennent au tempérament occidental,
oriental ou chinois subissent la loi énoncée par Dupré et Logre.
"Le poison, après avoir attiré par le plaisir retient par la douleur
et le piège se referme sur sa victime" (3). Se développent en effet
des habitudes de consommation qui à plus ou moins brève
échéartce conduisent à des effets nocifs pour· l'individu. Ces
habitudes constituent ce qu'il est convenu d'appeler,
accoutumance, dépendance, assuétude, toxicomanies, notions dont
il est indispensable de préciser le sens (4).
On a défini la toxicomanie "une appétence anormale et
prolongée manifestée par certains sujets pour des substances ou
des drogues dont ils ont connu accidentellement ou recherché
volontairement l'effet analgésique, euphoristique ou dynamique,
appétence qui devient rapidement tyrannique et entraîne presque
inévitablement l'augmentation des doses" (5).
L'acco.utumance de son côté se présente comme un état
résultant de la consommation répétée d'une drogue provoquant
chez l'individu le désir de la renouveler. En définitive,
l'accoutumance n'est rien d'autre que l'habitude de consommer un
produit. Elle n'entraîne aucune dépendance spécifique.
L'O.M.S. après avoir retenu le terme de toxicomanie (drug
addiction) puis d'accoutumance (drug habituation) a recommandé
en 1965 le mot dépendance qui désigne un état résultant de
l'absorption périodiquement ou continuellement répétée d'une
(2) S. Angel, P. Angel, M. Horwitz, La poudre et la fumée, Acropole 1987.
(3) Nouveau dictionnaire de médecine, Intoxications, 1922.
(4) R. Gassin, Les définitions dans les textes en matière pénale, Rev. rech. jur. Droit
prospectif, 1987-4, p. 1019.
(5) A. Porot et M. Porot, La toxicomanie, Que sais-je ? 1985 n • 586 ; M. Chami,
Toxicomanies et interventions sociales, éd. EST 1987.
�Jacques BORRICAND
81
certaine drogue et en 1969 le mot pharmaco-dépendance
consistant dans un état psychique et quelquefois physique
résultant de l'interaction entre un organisme vivant et une
substance se caractérisant dans la tendance pour des individus à
prendre la substance de façon continue ou périodique afin de
retrouver des aspects physiques et quelquefois d'éviter le malaise
qui accompagne la privation.
La première composante de cette définition est
quelquefois appelée "dépendance psychique", la seconde
"dépendance physique". Ces deux composantes s'appliquent à
l'usage de stupéfiants ou à l'alcoolisme, mais pas au tabagisme
pour lequel la cessation n'entraîne pas le syndrome de sevrage
comme pour les stupéfiants ou l'alcool (6)
Pour utiliser un vocabulaire intelligible, nous préférons
utiliser le terme d'assuétude que l'on peut définir comme
l'asservissement à un produit, engendrant un état de besoin
impérieux, avec dépendance psychique et de plus éventuellement
physique. Le Petit Robert reconnaît que ce terme a été emprunté
récemment au latin assuetudo qui signifie habitude. Dans ce
dictionnaire, ce terme se trouve entre le mot "assouvir" apaiser
complètement, rassasier et le mot "assujettir", rendre sujet, mettre
sous sa dépendance. "Ce sont bien, écrit un auteur, ces différentes
associations diverses, habitude, satisfaction, asservissement qui
nous viennent à l'esprit sous le vocable assuétude" (7).
Pendant longtemps, en Europe· et principalement en
Fraiïce~ ces assuétudes ont été considérées comme négligeables et
très variables selon les couches sociales.
Le vin et le tabac ont pris pied dans toutes les classes de
la société et se sont inscrits dans notre univers socio-culturel.
L'usage des stupéfiants en revanche a été longtemps réservé à une
élite d'intellectuels, d'écrivains (8). Ce n'est que durant ces
dernières décennies que la drogue a connu un succès grandissant
(9) surtout chez les jeunes (10). De la même façon, le recours aux
médicaments ne s'est amplifié que récemment pour atteindre des
chiffres alarmants (Il).
Pour comprendre cet irrésistible accroissement, outre
l'analyse de Freud sur le principe de plaisir (12), on peut avancer
trois
types
d'explications,
psycho-sociales,
scientifiques,
(6) Ivresse chimique et crise de civilisation, numéro spécial Les entretiens de Rueil,
Les Cahiers Sandos, novembre 1970 i Fouquet, Ivresse et toxiques, Revue Drogues,
n • 4, 1983, p. 43.
(7) Les assuétudes, Bruxelles 1983, éd. Pelc.
(8) Thomas de Quincey, Confessions d'un mangeur d'opium, Gallimard 1974.
(9) Selon un rapport de l'OICS toutes les régions du monde sont touchées par le
trafic de stupéfiants, Le Monde 23 janvier 1985.
(10) Cf. tableau sur le trafic des drogues dans le monde, Le Monde 21 mars 1984.
(11) D. Marcelli, A. Braconnier, Psychopathologie de l'adolescent, éd. Masson 1984.
(12) Freud, Au-delà du principe de plaisir, 1920.
�82
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
économiques, explications dont l'importance est variable selon
l'assuétude considérée ( 13 ).
Explication psycho-sociale tout d'abord. Il est à la fois
paradoxal et rassurant de voir définir la toxicomanie, l'alcoolisme
ou le tabagisme comme des fléaux sociaux ( 14 ).
L'alcoolisme et à moindre degré le tabagisme satisfont à
l'exigence de convivialité. L'alcool est presque toujours un facteur
d'intégration dans la vie sociale. Il en va de même pour le tabac
où la loi de l'imitation joue à fond. Le phénomène de la drogue
est plus complexe. Bergeret ( 15) croit pouvoir déceler deux
malaises susceptibles d'alimenter cette dépendance.
Malaise économique tout d'abord. Tout notre système économique
est incitation à la dépendance. L'artificiel prend le pas un peu
partout, les systèmes monétaires et bancaires encouragent la
dépense. Les progrès techniques augmentent l'angoisse du
lendemain.
Malaise idéologique, en second lieu, la mort de Dieu, le déclin
des idéaux expliquent que la personnalité toxicomaniaque s'adapte
mal à une option idéologique trop marquée ( 16).
A ces explications psycho-sociales, il faut. ajouter des
explications scientifiques. C'est grâce à une découverte faite à la
fin du siècle dernier qu'un chimiste allemand Dreser synthétise à
partir de la morphine, un nouveau produit l'héroïne qui connaît
tout de suite un immense succès et détrône la morphine ouvrant
la voie à d'autres stupéfiants synthétiques (LSD, amph~~amines).
C'est grâce aux· travaux de savants français comme BerthelOt que
fut réalisée la synthèse de l'alcool ouvrant la voie à une
fabrication industrielle du vin. C'est une publicité systématique
organisée autour du tabac qui a conduit à une majoration
considérable du produit surtout chez les jeunes ( 17).
Il ne faut pas non plus négliger les incidences
économiques des drogues. Certains pays ont une économie fondée
sur le vin, le pavot ou le tabac. On imagine mal les voir renoncer
de bonne grâce à ce type de culture. D'autre part, la plupart des
Etats ont mis en place une fiscalité très lourde sur l'alcool et le
(13) G. Nabas, Haschisch, cannabis, marijuana, PUF 1976.
(14) Toxicomanie, Actes du 2 • Congrès international sur les toxicomanies et du 13 •
Congrès français de criminologie, n • spécial des annales de criminologie, Paris 11-15
septembre 1972. Moreau, L'administration française et la lutte contre l'abus des
substances toxiques, thèse, Paris, 1975.
(15) Toxicomanie et personnalité, Que sais-je 7 1982, p. 89.
(16) J.P. Vala, L'expérience hallucinogène, Masson 1983. P. Chauchard, Le désir de
la drogue, Mame 1970. De multiples explications psychiatriques, psychologiques,
sociologiques, psycho-physiologiques ont également été développées, Pelicier et
Thuillier, La drogue, 1972, Que sais-je 7 1972, p. 53.
(17) Lutter contre le tabagisme, proposition du Ministre délégué chargé de la santé
et de la famille, La documentation française 1988.
�Jacques BORRICAND
83
tabac. Ici encore, les intérêts ne sont pas les mêmes que ceux des
responsables de la santé.
C'est qu'en effet la drogue, l'alcool et le tabac et l'on peut
ajouter le café, les médicaments, le thé, à des degrés différents
ont des incidences néfastes sur celui qui en use, ou en abuse.
Fragile psychologiquement, le toxicomane est aussi
vulnérable sur le plan physique. Le plus grave des risques fut
longtemps l'overdose. Aujourd'hui, c'est le SIDA. La santé
mentale est également menacée, les conduites suicidaires sont
fréquentes. L'alcoolique court des risques semblables. Ajoutons à
ce tableau la relation toujours établie entre la délinquance et la
drogue ou l'alcool (18). Une utilisation abusive du tabac est
génératrice de plus de 50 000 morts par an. Pour la société, la
charge est très lourde, et les profits retirés par l'Etat des taxes sur
les alcools et les tabacs sont anéantis par les dépenses colossales de
santé.
Ne risque-t-on pas d'assister alors à une lente destruction
de la société ? Si le LSD devait être consommé au même titre que
le tabac, l'espèce humaine pourrait devenir monstrueuse. Vingt
kilos de LSD judicieusement placés pourraient plonger dans
l'inconscience une grande partie de la population des Etats- Unis
ou de l'Union Soviétique., obtenir leur reddition par l'inévitable
perte· du contrôle de leur esprit ( 19).
Ce tableau impressionnant n'a pas empêché un
développement considérable de ces produits. Selon le rapport
annuel de l'O.N.U. la production de drogue dans le monde a pris
des proportions alarmantes (20).
En France, le nombre des trafiquants ne cesse
d'augmenter (21 ).. L'attitude de certains pays vis-à-vis de la
drogue est désarmante (22) et l'on s'interroge sur la nocivité de
certaines (23 ).
Les débats récents sur l'alcoolisme ou le tabagisme
illustrent la complexité du problème malgré les hécatombes
provoquées par ces fléaux.
Ainsi la politique criminelle à entreprendre en ce domaine
se trouve confrontée à deux difficultés majeures différentes selon
les produits considérés
l'utilité thérapeutique pour les
(18) Conseil de l'Europe, Aspects pénaux de l'abus des drogues, Comité européen
pour les problèmes criminels 1974 ; 5ème conférence des directeurs d'institÛts de
recherches criminologiques ; l'importance des stupéfiants par rapport à la criminalité,
Strasbourg 1974 ; A. Legoux, L'impératif pénal, Laffont, p. 35 ; Etude comparative
des décès dus à la toxicomanie, Annales internationales de criminologie, 1972-501.
(19) S. Labin, Le monde des drogués, éd. France Empire 1975, p. 222, citant Cohen,
The Beyond within, p. 231.
(20) Le Monde 16 janvier 1988.
(21) Le Monde 22 décembre 1983.
(22) Le Monde 17 décembre 1986.
(23) H. Fischer, La lutte contre les stupéfiants, Rev. int. pol. crim. 1953, p. 259.
�84
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
stupéfiants, la rentabilité financière pour l'Etat en ce qui
concerne l'alcool et le tabac.
- L'utilité thérapeutique
La plupart des drogues sont indispensables dans le
domaine médical, dans l'industrie. On ne saurait donc admettre
qu on puisse interdire l'usage des stupéfiants. Il faut donc écarter
la suggestion de l'arrêt total et définitif de la production. On
s'expose alors, inévitablement à ce que le marché licite "serve
d'aliment au marché illicite" (24), soit à la suite de cambriolages
de pharmacies ou de laboratoires, soit au moyen de fausses
ordonnances ou d'ordonnances de complaisance. Cela e·xplique la
difficulté de mise en place d'une politique internationale
concrétisée cependant par des conventions, pas toujours respectées
(25) et une pression de l'opinion internationale pour renforcer les
pouvoirs de surveillance et de tutelle des Nations-Unies sur les
pays producteurs des substances dangereuses (26).
Cela explique aussi la mise en place, en France, d'une
législation souple distinguant les trafiquants de drogue qu'il faut
réprimer et les usagers qu'il faut soigner (27).
Mais dans tous les cas, usagers et trafiquants sont aux
ye:ux de la loi des délinquants et l'assuétude à la drogue, si
minime soit elle, demeure interdite.
A supposer qu'on envisage des mesures curatives
concernant les utilisateurs de stupéfiants, ne porte-t-on pas
atteinte à la liberté qu'a chaque individu de disposer de lui-même
et de son propre corps.
9
4
- La rentabilité financière pour l'Etat
C'est cette référence à la liberté de l'individu qui explique
en partie la relative indulgence qu'ont longtemps manifestée les
pouvoirs publics à l'égard de l'alcool et du tabac, incrustés dans le
tissu social. Cette référence marque le souci pour les gouvernants
de retirer le plus de profit possible de la consommation de ces
produits.
Cependant devant les ravages entraînés par la
surconsommation, dont les effets néfastes ne se font sentir que
beaucoup plus, tardivement, le législateur s'est décidé à prendre
(24) R. Gassin, rapport au 18e journées de défense sociale, Rotterdâm 1970,
Politique criminelle et toxicomanie, R.S.C. 1971-194.
(25) L'évolution de la législation et de l'action internationale en matière de
stupéfiants, Le point de vue législatif et doctrinal, R.S.C. 1971-204.
(26) Bettati, La lutte internationale contre le trafic des stupéfiants in Problèmes
politiques et sociaux, Documentation française 1972 n • 222 s., Califana, Trafic
international de stupéfiants, Revue internationale de police criminelle 1976-110 ;
Porot, Les toxicomanies, Que sais-je? 1985, p. 120.
(27) Cf. Loi italienne 685-1975 admettant le contrôle du drogué, (A. Bernardi,
Innovations législatives italiennes en matière pénale, R.S.C. 1987-773).
�Jacques BORRICAND
85
des mesures pour cantonner ce type d'assuétude. Nul ne peut
devenir de propos délibéré une charge pour la société. Et on ne
saurait reprocher à la collectivité d'intervenir lorsque l'assuétude
tolérée est susceptible de peser sur le budget de l'Etat ou de
conduire par ses excès à la commission d'infractions graves.
Nous envisagerons donc dans une première partie
l'assuétude interdite par le droit pénal (usage et trafic de
stupéfiants dont certains sont des médicaments) et dans une
deuxième partie les assuétudes cantonnées par le droit pénal
(alcoolisme, tabagisme).
I - L'ASSUETUDE INTERDITE PAR LE DROIT PENAL
USAGE ET TRAFIC DE STUPEFIANTS
La réglementation française en matière de lutte contre les
stupéfiants est très ancienne puisqu'elle remonte à une loi du 19
juillet 1845 précédant le Congrès International de Shangaï de 1909
et la Conférence de La Haye de 1912 à l'issue de laquelle fut
rédigée la première convention internationale de l'opium obligeant
les parties contractantes à assurer dans cha_que pays le contrôle de
la protection de l'importation et de l'exportation d'opium (28)
brut. La loi du 12 juillet 1916 devait renforcer la répression en
érigeant en infractions pénales deux séries de faits, d'abord la
violation des dispositions réglementaires concernant les substances
classées comme stupéfiants, ensuite certains comportements
spécialement prévus par la loi à savoir le fait de s'être trouvé
porteur de stupéfiants sans motif légitime, le fait de s'être fait
délivrer une substance du tableau B à l'aide d'une ordonnance
fictive ou d'avoir délivré sciemment une telle substance sur
présentation d'une ordonnance fictive ; le fait d'avoir facilité à
autrui l'usage des stupéfiants à titre onéreux ou à titre gratuit,
l'usage en société de stupéfiants. Tous ces agissements étaient
assortis d'une sanction pénale de trois mois à 5 ans
d'emprisonnement et de 3 600 à 36 000 F.
Ce texte, remanié par un règlement d'administration
publique en date du 19 novembre 1948, rejoignait les aspirations
du droit international animées par la S.D.N. puis par l'O.]'LU.
(29), était uniquement axé sur la répression des stupéfiants.
(28) Encyclopédie v. stupéfiants 1979, Jur. pén. Annexes. Substances vénéneuses,
fasc. 3-1986 par J. Penneau. Encyclopédie Dalloz, voir Stupéfiants par J.L. Costa,
Merle et Vitu, Traité de droit criminel, Droit pénal spécial lère édit. 1982, n • 1458 i
Azema, Le droit pénal de la pharmacie, 1978.
(29) A. et M. Porot, Les toxicomanies, Que sais-je ? 7ème éd., p. 123. s.
�86
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
Autour des années 1950, les conceptions en la matière ont
profondément évolué. D'abord on doit souligner une meilleure
connaissance des causes de l'usage des stupéfiants. On a pris
conscience que "le vrai problème n'est pas uniquement un
problème de drogue mais que c'est aussi celui de l'homme et de
son milieu" (30). Dès lors, on a mis l'accent sur la nécessité du
traitement des toxicomanes (31).
Cette analyse devait trouver un appui très précieux et une
justification dans le mouvement de la défense sociale insistant sur
la prévention spéciale par le traitement des délinquants et la prise
en considération de leur personnalité.
Enfin, l'augmentation du nombre des drogués, d'abord aux
Etats-Unis, puis en Europe occidentale a conduit à un réexamen
et à un approfondissement de ces données scientifiques et en a
confirmé la validité.
Cette évolution a alors conduit à la dissociation du cas des
usagers de drogue et celui des trafiquants. Les usagers sont
considérés avant tout comme des victimes malades d'une
assuétude qu'il convient d'abord de traiter à défaut d'avoir pu la
prévenir. Les trafiquants au contraire sont saisis par les droits
modernes en tant que délinquants professionnels exerçant une
activité criminelle organisée génératrice d'assuétude et contre
lesquels il convient de redoubler de sévérité (32).
En France cette approche a trouvé son expression dans la
loi du 24 décembre 1953. D'une part en effet le texte inséré dans
le Code de la santé publique portait les pénalités jusqu'à un
maximum de 20 ans d'emprisonnement en cas de fabrication
illicite de stupéfiants ou pour en avoir facilité l'usage à des
mineurs. D'autre part, il offrait au juge d'instruction la possibilité
de soumettre les toxicomanes à une cure de désintoxication. mais
le règlement d'administration publique qui devait déterminer les
conditions de cette cure n'ayant jamais été pris, le principe posé
par la loi resta inappliqué.
Toutefois, sous la pression des faits -la majorité
considérable de l'usage de la drogue en France, l'aliénation qui en
résulte pour les sujets qui s'y adonnent- et des idées -l'évolution
des recherches médicales en la matière- la nécessité d'une
réforme se fit sentir aboutissant à la loi du 31 décembre 1970,
votée à l'unanimité.
(30) Lafon, Le point de vue du médecin, Rapport aux troisièmes journées de défense
sociale, 1955-741 ; Bergeret, Toxicomanie et environnement in colloque Fonétions
sociales et déviance, Lyon 19-31 juillet 1977, Annales de Vaucresson, 1977.
•
(31) R. Gassin, Politique criminelle et toxicomanie, article précité, p. 200.
(32) Cf. La résolution n • 2 adoptée à la 38ème session de l'O.l.P .C. Interpol, Mexico
13-18 octobre 1969, Rev. int. pol. crim. février 1970-55. Conseil de l'Europe : groupe
de coopérations en matière de lutte contre l'abus et le trafic illicite des stupéfiants.
Déclaration finale Strasbourg 12-13 novembre 1981.
�Jacques BORRICAND
87
Ce texte reprend la distinction de la loi précédente entre
usagers et trafiquants en aggravant très nettement les peines
applicables à ceux-ci tout en étant assez indulgente pour ceux-là.
Or ce pari libéral que certains pays nous envient a soulevé de
sérieuses difficultés d'application. Dans certaines régions (Paris,
Marseille) à forte densité toxicomaniaque le nombre des
interpellations a posé de difficiles problèmes aux autorités
judiciaires et sanitaires notamment en cas d'interruption
systématique par les intoxiqués de la cure ou de la surveillance
médicale prescrite par l'autorité sanitaire. D'autre part, la loi de
1970 n'avait pas voulu viser les petits trafiquants, ou usagers qui
se transforment en revendeurs pour avoir leur dose. Or il est
certain qu'ils représentent un danger pour autrui. Enfin aux
termes mêmes de la loi de 1970, l'usager est un délinquant (article
628 C.S.P .) quelles que soient les modalités de l'usage alors que la
loi de 1953 ne réprimait que l'usage en société (ancien article 627
C.S.P.) et l'arrêt des poursuites est subordonné à l'acceptation
d'une cure de désintoxication.
Prenant acte de la non application de la loi de 1970 et de
l'entrée en vigueur de la loi du 17 janvier 1986 pour les petits
trafiquants, M. Chalandon avait présenté en septembre 1986 un
projet de loi comportant deux volets (33). Un volet répressif et
un volet préventif. Le volet répressif concernait le trafic mais
aussi l'usage de stupéfiants. Il comportait des majorations de
peine et des règles dérogatoires au droit commun pour accroître la
répression. Ce sont ces dispositions qui en gros ont été adoptées
par la loi du 31 décembre 1987 (34). Le volet préventif prévoyait
que toute personne intoxiquée, présentant des dangers pour ellemême ou pour autrui, pouvait être à des fins thérapeutiques et
sous contrôle médical placée dans un établissement sanitaire. En
cas de refus de l'intéressé une peine d'emprisonnement était
prononcée.
Devant les critiques quasi unanimes dont la presse s'est
faite l'écho cette conception très originale de la prévention a été
abandonnée et la loi de 1970 demeure sur ce point inchangée.
Les textes actuellement en vigueur comportent donc le
double aspect répressif et préventif. On envisagera donc tour à
tour la répression des générateurs de l'assuétude interdite puis le
traitement des victimes de l'assuétude interdite.
(33) A. Kletzen, Etude critique du projet de loi Chalandon relatif à la répression du
trafic et de l'usage de stupéfiants, Mémoire D.E.A. Aix-en-Provence 1987.
(34) J.O. 5 janvier 1988, voir également la circulaire du Garde des Sceaux en date du
1er février 1988. J. Borricand, Commentaire de la loi n • 87-1157 du 31 décembre
1987 relative à la lutte contre le trafic de stupéfiants et modifiant certaines
dispositions du Code pénal, J.C.P. 1988-1, 3337.
�88
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
A - La répression des générateurs de l'assuétude interdite
lutte contre les trafiquants
La
Les résultats obtenus par les services de police et les
services douaniers sont très significatifs. Le nombre des
interpellations qui était de 1861 en 1970 est passé à 10 900 en
1980, 23 613 en 1983, 26 987 en 1987 ; sur le chiffre de 1987 on
comptait 876 trafiquants internationaux et 3242 trafiquants locaux
(35), mais ces chiffres ne donnent qu'une faible idée des efforts
déployés par le Ministère de l'intérieur et la Direction générale
des douanes notamment pour former et sensibiliser leur personnel
(36). Il est sür que la lutte contre les trafiquants gros et petits
demande de plus en plus de moyens en personnel et en matériel.
Le nombre de douaniers à la répression du trafic de
fourmis, compte tenu de l'étendue de nos frontières est très
insuffisant et les effectifs des policiers spécialisés sont encore
trop faibles (37).
Pourtant la production de dro-gue dans le monde a pris des
proportions alarmantes (38). C'est la raison pour laquelle une
coopération internationale s'est développée depuis longtemps
concrétisée par la signature d'accords bilatéraux et multilatéraux
(39).
Cela explique également que le législateur se soit employé
à mettre sur pied un système répressif très rigoureux. Les textes
actuellement en vigueur visent les gros trafiquants (loi du 31
décembre 1987) et les petits trafiquants (loi du 17 janvier 1986).
1 - La répression des gros trafiquants
La lutte contre ces délinquants professionnels s'exprime
par un régime exorbitant du droit commun développé par la loi
de 1970 et aggravé par la loi du 31 décembre 1987 (J.O. 5 janvier
1988).
Le particularisme de ce régime apparaît à trois niveaux :
la poursuite des infractions, les incriminations retenues, les
pénalités applicables.
(35) Statistiques de la Police Judiciaire, Aspects de la criminalité et de la
délinquance, la Documentation française.
(36) Voir également la politique de formation entreprise à l'égard des magistrats et
des médecins, Le Monde 17 février 1984.
(37) Rapport annuel de 1'0.N.U., Le Monde 16 janvier 1986.
(38) Cf. la toute dernière conférence internationale de Vienne 17 juin 1987, Le
monde 27 juin 1987. Toutefois on doit noter avec satisfaction une légère baisse du
trafic (- 3,28 %) en 1987, Le Figaro 18-20 mars 1988.
(39) Merle et Vitu, op. cit., loc. cit.
�Jacques BORRICAND
89
a) La ooursuite des infractions
Celle-ci est grandement facilitée qu'il s'agisse des organes
policiers ou douaniers ou des autorités de justice.
1) En ce qui concerne les organes policiers ou douaniers il
faut d'abord noter que le délai de garde à vue (article L. 627-1
C.S.P.) peut être prorogé une première fois de 48 heures, une
seconde fois de 24 heures, soit 96 heures, avec l'obligation pour
le Procureur de la République ou le juge d'instruction de désigner
un médecin expert qui examine toutes les 24 heures la personne
gardée à vue et délivre après chaque examen un certificat médical
motivé qui est versé au dossier.
En second lieu, la loi prévoit un certain nombre de
particularités procédurales. Pour faciliter la recherche des
infractions il existe au sein de la direction centrale de la police
judiciaire un office central pour la répression du trafic illicite des
stupéfiants centralisant toutes les informations relatives à ce
domaine. Il existe également, au sein du secrétariat général de
l'organisation internationale de police· criminelle un service
spécialisé dans le trafic de drogues (40). Le régime des
perquisitions et saisies permet aux autorités de police de pratiquer
des investigations la nuit dans les locaux où l'on use en société de
stupéfiants et dans ceux où sont fabriquées, transformées ou
entreposées illicitement lesdites substances ou plantes (41 ).
Cependant la loi subordonne à des conditions très strictes ces
possibilités d'investigation. Il faut une autorisation écrite du
Procureur, du médecin ou du juge d'instruction. Par ailleurs la
fouille à corps assimilable à une perquisition a été jugée nulle si
elle a été pratiquée par un officier de police judiciaire alors
qu'aucune information n'a été ouverte et que l'existence d'un délit
imputable à la personne fouillée n'était révélée par aucun indice
apparent (42). Cependant l'assimilation de la fouille à corps à une
perquisition restait en doctrine discutée.
C'est pourquoi on notera avec satisfaction trois
innovations apportées par la loi de 1987.
En premier lieu, celle-ci organise le dépistage in corpore.
Les moyens de dissimulation utilisés par les trafiquants de drogue
sont en constante évolution. Aux moyens traditionnels, dpuble
paroi et double fond des bagages est venue s'ajouter ces dernières
années la dissimulation dans le corps lui-même. Cette technique,
(40) J.C. Droit international, fasc. 405.C.ler et 2e cahiers ou P.P. 3e App. art. 689 à
696, 1er et 2e cahiers ..
(41) C.S.P., art. L. 627, al. 8.
(42) Cass. crim. 21 juillet 1982, B. n • 196 ; Trib. corr. Vannes 18 février 1982, G.P.
1952.1.276, note Doucet, D.S. 1983.130, note Chambon.
�90
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
apparue en France au début des années 1980 est surtout utilisée
pour le transport des drogues dures. Les trafiquants font appel à
deux procédés. L'ingestion consiste à conditionner le produit en
boulettes avalées après un jeüne de 48 heures permettant le
transport d'une quantité moyenne de 400 grammes. L'insertion
consiste à introduire dans les cavités naturelles du corps des
ovules de drogue, généralement de l'héroïne. M. J.L. Debré a cité
des chiffres impressionnants (43). En 1983, l'interpellation de 71
personnes a permis de saisir 11,4 kgs de drogue, en 1986, 167
personnes interpel1ées ont permis de saisir 39,3 kgs. L'objet du
nouveau texte est de rendre ce dépistage obligatoire tout en
l'assortissant de garanties. Désormais en effet le nouvel article 60
bis du code des douanes prévoit que "lorsque les indices sérieux
laissent présumer qu'une personne franchissant les frontières
transporte des produits stupéfiants dissimulés dans son organisme
les agents des douanes peuvent la soumettre à des examens
médicaux de dépistage après avoir obtenu son consentement
exprès. En cas de refus, les agents des douanes présentent au
Président du tribunal de Grande instance ... une demande
d'autorisation ... Toute personne· qui aura refusé de se soumettre
aux examens médicaux prescrits par le magistrat sera punie d'une
peine d'emprisonnement d'un inois à un an et d'une amende de
500 à -15 000 F" (44).
La notion d'indices seneux est distincte de celle
permettant d'agir en flagrant délit, les fonctionnaires des douanes
ne se trouvant à ce stade qu'à la recherche d'une infraction
possible mais non certaine.
Pour prévenir les infractions de trafic international de
stupéfiants par voie maritime le Code des douanes voit également
ses dispositions modifiées par les articles 9 et 11 de la loi.
L'article 9 ajoute un article 44 bis à ce Code en autorisant une
zone contiguë comprise entre douze et vingt quatre milles marins
... le service des douanes à exercer "les contrôles nécessaires en
vue de:
a) prévenir les infractions aux lois et règlements que
l'administration des douanes est chargée d'appliquer sur le
territoire douanier ;
b) poursuivre les infractions à ces mêmes lois et règlements
commises sur le territoire douanier".
(43) A. N. Rapport au nom de la Commission des lois n • 943. Sur 393 réquisitions
médicales acceptées par le sujet, 87 visites se sont révélées positives à Roissy. Sur
121 opérées à Orly 41 l'on été. M. Chalandon a cité cependant des chiffres différents.
A Roissy sur 396 visites effectuées avec le consentement des intéressés 87 % auraient
été positives. Sénat, discussion et adoption 12 novembre 1987, p. 3813.
(44) Cf. jurisprudence américaine citée par J.L. Debré conférant aux douanes un
pouvoir très vaste sur la base d'un doute raisonnable de contrebande, A.N. n • 943,
p. 88.
�Jacques BORRICAND
91
L'article 11 modifie de son côté l'article 62 du Code des
douanes : "Les agents des douanes peuvent visiter tout navire endessous de 1 000 tonneaux de jauge brute se trouvant dans la
zone maritime du rayon des douanes ... ". Cette modification du
Code des douanes était ardemment souhaitée par la Direction des
douanes et a récolté l'adhésion des parlementaires (45).
Il n'en a pas été de même pour la discussion de l'article 4
de la loi créant un article L. 627.5 C.S.P. instituant une excuse en
cas de délation. Cette innovation a été vivement défendue par M.
M. Girault (46). Son but est de faciliter la destruction des ·réseaux
de trafiquants de drogue. Une actualité récente a montré
l'efficacité d'une telle mesure en matière de terrorisme qu'il
s'agisse de la France ou des Etats voisins (47). Le rapporteur a
fait remarquer que ce système s'inscrit dans le prolongement de
nombreux précédents de notre législation. Les articles 268 du
Code pénal relatifs au repentir en matière d'association de
malfaiteurs, 138 en ce qui concerne la contrefaçon du sceau de
l'Etat, 101 pour les atteintes à la süreté de l'Etat, 463-1 et 463-3
pour le terrorisme ont prévu un mécanisme d'excuse absolutoire
pour ceux qui dénonçaient les auteurs ou complices de
l'infraction. Le nouvel article L. 627-5, C.S.P. prévoit deux cas.
D'abord aux termes de l'article L. 627-5 "Toute personne qui se
sera rendue coupable de participation à une association ou à une
entente constituée en vue de commettre l'une des infractions
énumérées à l'article L. 627 sera exempte de peine si, ayant
révélée cette association ou cette entente à . l'autorité
administrative ou judiciaire, elle a permis d'éviter la réalisation
de l'infraction et d'identifier les autres personnes en cause".
"Ensuite ajoute le texte, hors les cas prévus à l'alinéa précédent,
la peine maximale encourue par toute personne, auteur ou
complice de l'une des infractions énumérées à l'article L. 627 qui
aura, avant toute poursuite, permis ou facilité l'identification des
autres coupables ou, après l'engagement des poursuites permis ou
facilité l'arrestation de ceux-ci, sera réduite de moitié".
Certains parlementaires ont condamné cette légalisation de
la délation (48).
(45) Rapport M. Girault au nom de la Commission des lois. Sénat n • 257, p. 22 i
Aas. Nat. rapport J.L. Debré préc. p. 15.
(46) Sénat n • 257 précité, p. 18, Debré, Aas. Nat. n • 943 préc. p. 24.
(47) Bouloc, Le problème des repentis. La tradition française relative au statut des
repentis., R.S.C. 1986.771 i voir également les articles de Pettiti, p. 751 ; Barreiros,
p. 753, Palazzo, p. 757 ; cf. loi allemande 28 juillet 1981, cité in Rapport Debré, p.
67. Cf. également loi belge 9 juillet 1975 créant une cause d'excuse de dénonciation.
(48) Sénat séance 9 janvier 1987, intervention de M. Darras, p. 1591 : "Comment
concevoir et accepter qu'un gros trafiquant coupable d'activités que l'on peut
qualifier de criminelle deviendrait soudain un honnête homme, exempt de peine et
apte à reprendre tranquillement la vie civile sous le prétexte qu'il aurait révélé
l'identité de ses complices", Sénat 9 juin 1987, intervention de Mme Fraysse-Cazalis.
�92
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
2) Les autorités de justice voient de leur côté leur action
répressive renforcée. D'abord l'article L. 627.1 C.S.P. prévoit
qu'en cas d'inculpation et afin de garantir le paiement des
amendes encourues des frais de justice et surtout de la
confiscation, le président du tribunal de grande instance sur
requête du ministère public pourra ordonner des mesures
conservatoires sur les biens de la personne inculpée. Ces mesures
sont destinées à préparer en quelque sorte la confiscation
éventuelle et doivent permettre d'éviter que le trafiquant
n'organise son insolvabilité pendant l'instruction en procédant à
l'évasion des fonds provenant du trafic (49).
Ensuite et surtout· la loi du 31 décembre 1987 allonge la
durée de la prescription de l'action publique de 3 à 10 ans (article
L. 627-6 C.S.P.) et la prescription de la peine de 10 à 20 ans. On
peut justifier cet allongement par le caractère criminel du
quantum des peines prononcées par les tribunaux correctionnels
en matière de trafic. Il était nécessaire d'aligner la prescription
concernant les infractions sur celle applicable en matière de
crime. C'est dans le seul souci d'alourdir les procédures que le
parlement en 1970 a écarté les peines criminelles et M. Chalandon
a réaffirmé qu'un impératif d'efficacité de la lutte contre la
drogue imposait de garder le caractère particulier de délit au
trafic de drogue (50). Cet allongement du délai de prescription
aura des incidences notables compte tenu de la multiplicité des
infractions visées par la loi.
b) En effet l'éventail des incriminations est
désormais très large. A la liste déjà longue prévue par la loi de
1970, celle de 1987 a ajouté trois autres infractions destinées à
durcir encore la répression.
1) Le trafic illicite est visé à l'article L. 627 C.S.P. Il
consiste dans l'importation, la production, la fabrication ou
l'exportation illicite de substances ou plantes classées comme
10 à 20 ans
stupéfiants. Les peines sont lourdes
d'emprisonnement. La longueur de ces peines a conduit certains à
suggérer de traiter le trafic illicite de stupéfiants comme un
crime. Il a été déjà évoqué les raisons qui expliquent. que le
législateur ne se soit pas rallié à cette analyse : l'efficacité de la
répression. D'autre part certains parlementaires français avaient
proposé l'instauration de la peine capitale, d'autant que certains
pays la pratiquent. Ainsi la conférence internationale de Vienne,
(49} Ass. Nat. n • 943 rapport J.L. Debré, p. 23 ; Sénat n • 257 rapport J.M.
Girault, p. 17.
(50) Intervention Sénat, séance 9 juin 1987, p. 1593.
�Jacques BORRICAND
93
organisée à l'initiative de l'O.N.U. qui s'est déroulée du 17 au 26
juin 1987 a mis en lumière la diversité des approches punitives et
répressives. Le délégué iranien a donné le chiffre d'une centaine
de trafiquants exécutés en Iran en 1980 et 1986 tandis que le
délégué américain évoquait la peine de mort pour maîtriser le
problème (51 ). On observera au surplus que la tentative est
répnmee comme le délit consommé (52) et qu'il en est de même
de l'association ou de l'entente en vue de commettre une
infraction (53).
En cas de récidive les peines sont doublées : ainsi le
trafiquant encourt jusqu'à 40 ans d'emprisonnement.
En particulier, le délit d'entente vise l'ensemble des
activités des prévenus et non seulement des agissements
spécialement incriminés. Il permet ainsi d'asseoir les poursuites
sur les simples actes préparatoires à des délits indéterminés en
tablant sur leur nombre et pour le lien qui les unit. Le même
texte ajoute que la répression pourra s'exercer "alors même que
les divers actes qui constituent les éléments de l'infraction auront
été accomplis dans des régions différentes (article L. 627, al. 3,
C.S.P.) (54).
De même l'article 627 assimile un certain nombre de
comportements au trafic susceptibles d'avoir pour objet ou pour
conséquence de faciliter le trafic de stupéfiants ou la diffusion ou
la toxicomanie. Sont ainsi incriminés les comportements suivants :
- Faciliter à autrui l'usage des stupéfiants à titre onéreux ou
gratuit, soit en procurant dans ce but un local, soit par tout autre
moyen (art. L. 627, al. l, al. 2). Se faire délivrer ou tenter de se
faire délivrer de telles substances au moyen d'ordonnances
fictives ou d'ordonnances de complaisance (art. L. 627 al. 1, al.
2).
- Délivrer ces substances sur présentation d'une ordonnance dont
le caractère fictif ou de complaisance est connu (art. L. 627, al.
(51) M.P. Kechichian, La conférence internationale de Vienne : Une guerre mondiale
contre la drogue, Le Monde 27 juin 1987.
(52) Ainsi jugé que le commencement d'exécution est caractérisé dans le cas d'une
négociation tendant à la cession et à l'acquisition d'une certaine quantité de
stupéfiants alors même que les parties ne s'étaient pas mises d'accord sur le prix au
moment de leur interpellation. Crim. 18 août 1973, B. n • 339. Voir également crim.
25 octobre 1962, B. n • 292 ; 25 octobre 1962, B. n • 293, 29 décembre 1970,
n•
356. A l'inverse il a été décidé que le fait de remettre à un tiers une somme d'argent
destinée à l'achat de haschisch ne constitue pas un commencement d'exécution dès
lors que la somme d'argent ayant été expédiée par ce tiers à un autre individu sous
forme de mandat, celui-ci a été retourné impayé à l'expéditeur sana qu'aucun
vendeur de stupéfiants n'ait été contacté ; crim. 15 mai 1979, B. n • 175, G.P. 1980,
1.88, note P.L.G. ; D. 1979.IR.525, oba. Puech, D 1980.409, note Cambasaedea,
R.S.C. 1980.969, obs. Larguier.
(53) Crim. 16 octobre 1979, B. n • 285 jugeant que ce type de délit est continu.
(54) Crim. 3 novembre 1970, D. 1971-83 ; 2 mars 1971, B. n • 71 ; 13 mai 1971, B.
n • 157; 22 novembre 1973, B. n • 434, G.P. 1974.1.80.
:e.
�94
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
1 3°). Ces dispositions visent essentiellement les médecins et les
pharmaciens qui seraient tentés de délivrer des ordonnances avec
une exceptionnelle fréquence (55). Les pénalités relatives à ces
trois incriminations spéciales sont de deux à dix ans
d'emprisonnement et de 5 000 à 50 000 F d'amende ou de l'une
de ces deux peines seulement.
- La provocation au délit est instaurée par l'article L. 630 · C.S.P.
Aux termes de ce texte sont punis d'un emprisonnement de un à
cinq ans et d'une amende de 5 000 à 50 000 F ou de l'une de ces
deux peines seulement ceux qui par un moyen quelconque auront
provoqué l'un des délits examinés précédemment alors même que
cette provocation n'aurait pas été suivie d'effet ou qui les auront
présentés sous un jour favorable (56).
Dans un but de prévention, l'incrimination est très
extensive, puisqu'elle punit non seulement la provocation aux
délits précédemment étudiés, mais également la provocation à
l'usage de substances présentées comme ayant les effets de
substances ou de plantes stupéfiantes. Il faut entendre, semble-til, que les substances objet de la provocation bien que présentées
comme ayant les effets de substances ou de plantes stupéfiantes
n'appartiennent pas, en fait, à cette catégorie. Le délit existe, ici
encore, alors m~me que la provocation n'aurait pas été suivie
d'ef/et, et les peines encourues sont celles prévues à l'article L.
630 al. 8 du Code de santé publique (57).
En cas de provocation au moyen de l'écrit, de la parole ou
de l'image, les poursuites seront exercées contre les personnes
énumérées à l'article 285 du Code pénal dans les conditions fixées
par cet article, si le délit a été commis par voie de presse ; elles
seront exercées contre les personnes reconnues responsables de
l'émission, ou à leur défaut les chefs d'établissements, directeurs
ou gérants des entreprises ayant procédé à la diffusion ou en
ayant tiré profit, si le délit a été commis par toute autre voie. Les
poursuites seront exercées dans les conditions ainsi définies même
si le lieu de l'émission de l'écrit, de la parole ou de l'image se
{55) Toulouse, ch. corr. 2 décembre 1982, J.C.P. 1984.IV.200
{56) Commet le délit ainsi défini et réprimé l'individu qui a vendu des exemplaires
d'une carte postale portant au recto l'inscription "L.S.D. j'aime" agrémentée de
dessin en forme de coeur, et reproduisant au verso l'image d'une seringue à injections
hypodermiques {Casa. crim. 9 janvier 1974 ; Bull. crim. n • 15 ; Gaz. Pal.
1974.1.201). Mais ne constitue pas une provocation à la fabrication, à la
commercialisation ou à l'usage des stupéfiants la présentation d'un parfum, d'un
cosmétique ou de produits similaires sous le terme opium (Paris 7 mai 1979 ; J .C.P.
80, éd. G. IV.136).
,
{57) A cet égard, l'offre à un éventuel consommateur d'un produit présenté comme
ayant les effets d'une substance stupéfiante est une incitation à l'usage constitutif du
délit de provocation prévu à l'article L. 630, al. 2 du Code de la santé publique
(Trib. gr. inst. Paris 24 février 1984; J.C.P. 85, éd. G. IV.217).
�Jacques BORRICAND
95
situe à l'étranger pourvu que la provocation ait été diffusée en
France (Code de la Santé publique, article L. 630 al. 3) (58).
La loi de 1987 ajoute à cette palette déjà riche de
comportements répréhensibles trois autres délits.
D'abord l'article L. 627.2, alinéa 2 du Code de la santé
publique, sanctionne d'une peine d'emprisonnement de deux ans à
dix ans l'offre ou la cession de stupéfiants à des mineurs dans des
centres d'enseignement, d'éducation ou dans des locaux de
l'administration complétant l'incrimination visée par la loi du 17
janvier 1986 à l'alinéa précédent (1 à 5 ans de prison). Il s'efforce
ainsi de protéger une clientèle particulièrement vulnérable.
C'est ce même souci de protection de la jeunesse qui a
conduit le législateur, à l'initiative d'un parlementaire (59) à
étendre aux infractions sur les stupéfiants des dispositions de la
loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la loi du 16
juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse dont la
tenue serait susceptible d'inciter à l'usage ou au trafic de
stupéfiants (article 14) (60).
Ensuite, la loi étend le délit d'insolvabilité orgamsee
prévue par l'article 40 l .1 du Code pénal (loi 8 juillet 1983) au cas
où le condamné aurait tenté de se soustraire à une mesure de
confiscation (art. 13).
Enfin et surtout la loi nouvelle crée ce qu'il est convenu
d'appeler le délit de blanchissement des fonds. Si une saisie de
stupéfiants peut momentanément interrompre les activités d'un
trafiquant, seules la saisie et la confiscation de ses biens et de ses
avoirs peut mettre fin réellement au trafic organisé et constituer
une sanction efficace à l'égard du trafiquant. Or, l'expérience a
révélé que les services enquêteurs se trouvent confrontés à de
grosses difficultés, bien hors de France, pratique des prête-noms.
Ce problème n'est pas propre à la France. Plusieurs pays voisins
ont déjà pris des dispositions particulières en ce sens (61) et les
organisations internationales considèrent que la détection et la
saisie de biens et de capitaux est considérée comme un objectif
prioritaire.
L'O.N.U. a mis en chantier un projet de convention dont
une importante partie portera sur les avoirs financiers. Le Conseil
(58) En ce qui concerne la responsabilité des directeurs de publication, il a été jugé,
dans un cas où avait été publiée la lettre d'un lecteur dont les termes étaiênt de
nature à tomber sous le coup du délit de provocation, que le directeur de cette
publication devait être relaxé dès lors qu'il avait simplement voulu, dans le cadre
d'une enquête sur la drogue, informer ses lecteurs de l'opinion d'un drogué, opinion à
l'égard de laquelle il avait adopté une attitude réservée (Casa. crim. 20 avril 1982 ;
Gaz. Pal. 1982.2.538 note Doucet).
(59) M. Caldagues, Sénat 9 juin 1987, p. 1605.
(60) Ass. Nat. n • 943, rapport J.L. Debré, p. 13.
(61) Italie, Grande-Bretagne, cité in rapport J.L. Debré, Annexe au P.V. de séance
du 2 octobre 1987.
�96
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
de l'Europe, groupe Pompidou, a déjà consacré plusieurs séances
de travail à ce sujet (62). L'O.I.P.C.-Interpol a pris plusieurs
résolutions en assemblée générale.
Un nouvel alinéa est inséré dans l'article L. 627 C.S.P. aux
termes duquel "Seront punis d'un emprisonnement de deux à dix
ans et d'une amende de 5 000 F à 500 000 F ou de l'une de ces
deux peines seulement ceux qui, par tout moyen frauduleux,
auront facilité ou tenté de faciliter la justification mensongère de
l'origine des ressources ou des biens de l'auteur de l'une des
infractions mentionnées au premier alinéa du présent article ou
ceux qui auront sciemment apporté leur concours à toute
opération de placement, de dissimulation ou de conversion du
produit d'une telle infraction".
La répression ainsi définie s'apparente ainsi à celle qui est
prévue par l'article 335-5 C.P. en matière de proxénétisme (63).
c) L'aggravation des peines
Si l'on excepte l'article L. 627 .5 du Code de la Santé
publique permettant soit une exemption, soit une minoration de
peine par le jeu de la délation, l'examen de la diversité des
sanctions prévues par la nouvelle loi révèle un durcissement des
pénalités, qu'il s'agisse des peines principales ou des peines
complémentaires.
-1) les peines principales
Un des particularismes les plus notables de la législation
en matière de toxicomanie est la lourdeur des peines puisque
celles-ci peuvent atteindre en cas de récidive 40 ans
d'emprisonnement. Mais le droit positif aboutit parfois à ce
résultat paradoxal que le délinquant peut échapper à cette peine
en cas de concours réel d'infractions. On sait en effet que la
jurisprudence s'appuyant sur l'article 5 du Code pénal a
progressivement dégagé le régime des infractions en concours, en
créant notamment les mécanismes de la réduction au maximum
légal et de la confusion des peines.
Pour déterminer ce maximum, on sait également qu'il
convient de se référer à l'échelle des peines. La Cour de cassation
considère de ce fait depuis longtemps qu'une peine de enature
criminelle absorbe nécessairement une peine de nature
correctionnelle (64 ).
(62) Cf. Recommandation adoptée par le Comité du Conseil des Ministres le 27 juin
1980 portant sur les mesures contre le transfert et la mise à l'abri des capitaux
d'origine criminelle.
(63) Sénat n • 257, Rapport J.M. Girault, Annexe au Procès verbal de la séance du 3
juin 1987, p. 15.
(64) Crim. 9 novembre 1878, D. 1878.1.388 ; 19 juin 1931, S. 1933.1.35.
�Jacques BORRICAND
97
En conséquence, un délinquant condamné à cinq ans de
réclusion pour un crime, puis à quinze ans d'emprisonnement
pour trafic de stupéfiants ne devra purger que cinq ans de
réclusion, la peine de quinze ans d'emprisonnement plus faible
étant censée s'exécuter avec la plus forte.
Pour remédier à cet inconvénient majeur, le projet de loi
dans sa rédaction initiale procédait, par le biais de son article 7 à
une réforme profonde et à vocation générale de l'article 5 du
Code pénal. L'Assemblée Nationale avec l'accord du
gouvernement a finalement décidé de limiter la réforme proposée
aux seuls cas dans lesquels figure parmi les infractions commises
par une même personne, une infraction à la législation sur les
stupéfiants. Ce n'est donc plus le Code pénal qui est modifié,
mais le Code de la Santé publique dans lequel il est proposé
d'insérer un nouvel article L. 630.3 qui reprend la distinction de
la Chambre criminelle entre unité de poursuites et pluralité de
poursuites. On notera que ce texte utilise la formule "peines de
même espèce" et non pas celle habituellement utilisée de "peines
de même nature". Ces deux expressions ne sont pas synonymes.
La nature d'une peine se détermine en effet par ..référence à
l'échelle des peines. "Les peines de même espèce sont celles qui
ont le même objet sans qu'il y ait lieu de se référer à l'échelle des
peines" (65).
·
D'autre part, pour lever toute équivoque et échapper à la
critique essentielle du système de non cumul applicable aux
trafiquants, la loi précise que les peines privatives de liberté sont
de même espèce. Enfin pour éviter que la personne se trouvant
sous le coup de plusieurs condamnations pour des infractions en
concours ne soit pas défavorisée par rapport à celle qui fait
l'objet d'une seule poursuite, la loi nouvelle reprend les deux
hypothèses envisagées par le droit positif.
En cas de poursuites simultanées (article L. 630.3 du Code
de la Santé publique )1 la juridiction a la possibilité de prononcer
toutes les peines principales ou complémentaires prévues pour les
infractions dont elle est saisie, réserve faite cependant des peines
de même espèce pour lesquelles une seule peine, la plus lourde
doit être prononcée.
Cette solution rompt avec la jurisprudence antérieure de la
Cour de cassation qui censurait toutes les décisions . qui
prononçaient autant de peines principales que d'infractions
imputées au condamné (66). Cette situation était fort critiquée par
la doctrine en raison des difficultés qu'elle entraînait (67). On
(65) Circulaire 1er février 1988, Annexe 1.
(66) Crim. 23 octobre 1956, B. n • 664 ; 16 février 1954, B. n • 76, Pradel et
Varinard, Les grands arrêts, 1, 2ème éd. 1988 n • 42.
(67) Pradel, Droit pénal, 6ème éd. 1988, p. 751.
�98
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
observera cependant que le texte ne vise pas les contraventions
connexes qui demeurent soumises au régime général de l'article 5
du Code pénal.
En cas de poursuites successives, le deuxième alinéa de
l'article L. 630.3 prévoit des règles spécifiques concernant
l'exécution des peines résultant de condamnations pour crime ou
délit prévus par les articles L. 627, 627 .2, 630, du Code de Santé
publique. Elles s'appliquent toutes les fois que les faits ayant
donné lieu à l'une des condamnations ont été commis avant que
l'autre ne devienne définitive. Les peines de même espèce
s'exécutent cumulativement dans la limite du maximum légal le
plus élevé (68).
La circulaire précise qu'il doit être tenu compte le cas
échéant pour la détermination du maximum de l'état de récidive
légale tel qu'il résulte des articles 56 à 59 du Code pénal (69),
lorsque la récidive a été constatée par décision de condamnation
(70). Enfin le texte prévoit la possibilité d'une confusion des
peines qui s'opèrera de façon autonome entre peines de même
espèce. La circulaire donne l'exemple d'une personne condamnée
simultanément à dix ans de réclusion criminelle et cinq ans
d'interdiction de séjour pour coups et blessures volontaires ayant
entraîné la mort sans intention de la donner, à huit ans
d'emprisonnement, 500 000 F d'amende et trois ans d'interdiction
de séjour pour importation illicite de stupéfiants. Si la confusion
des peines est ordonnée, la durée de la privation de liberté sera
de dix ans, le montant de l'amende de 500 000 F et l'interdiction
de séjour de cinq ans (71 ).
2) Les peines complémentaires
L'éventail de ces sanctions est très étendu. Elles sont à la
fois de nature personnelle et de nature réelle.
- Les premières sont visées aux alinéas 6 et 7 de l'article
L. 627 du Code de la santé publique. Elles ont un caractère
facultatif. C'est l'interdiction des droits civiques pendant une
durée de deux ans à cinq ans, le retrait du passeport, la
suspension du permis de conduire pour une durée de trois ans ou
plus, l'interdiction d'exercer la profession sous le couvert de
laquelle le délit aura été perpétré pourra en outre être prononcée
pour un délai maximum de cinq ans.
Les tribunaux pourront prononcer l'interdiction définitive
du territoire français vis-à-vis des étrangers condamnés (article L.
630.1, alinéa 1 du Code de la santé publique) et la loi de 198 7 a
(68)
(69)
(70)
(71)
Crim. 4 novembre 1969, B. n • 285.
Crim. 24 février 1943, B. n • 13.
Crim. 30 mai 1972, B. n • 182.
Circulaire précitée, Annexe 1, p. 6.
�Jacques BORRICAND
99
durci les conséquences de l'interdiction définitive en privant
l'intéressé du bénéfice de l'article 55.1 du Code pénal (72).
Les sanctions de nature réelle sont la confiscation et la
fermeture d'établissement. La confiscation porte sur les
installations matérielles et tous biens immobiliers ayant servis
directement ou indirectement à la commission de l'infraction ainsi
que tout produit provenant de celui-ci : à quelque personne qu'ils
appartiennent à moins que les propriétaires n'établissent leur
bonne foi (article L. 629 alinéa 3 du Code de la santé publique
(73). La fermeture de tout hôtel, maison meublée, pension, débits
de boissons, restaurant, club dancing, etc .... pourra être ordonnée
par le juge d'instruction à titre provisoire pour une durée de trois
mois renouvelable et par la juridiction de jugement pour une
durée de trois mois à cinq ans en prononçant le cas échéant le
retrait de la licence de débit de boissons ou de restaurant (74).
A cette fermeture judiciaire, la loi de 1987 a ajouté la
fermeture administrative ordonnée soit par le commissaire de la
République pour une durée maximum de trois mois ou par le
Ministre de l'intérieur pour une durée maximum d'un an (article
L. 629.2 du Code de santé publique).
_
Cet arsenal de mesures impressionnantes n'est pas sans
soulever des réserves : compétence concurrente de l'autorité
administrative et de l'autorité judiciaire en matière de fermeture
d'établissement, atteinte au principe de la personnalité des peines,
caractère irréversible de certaines mesures.
Il se justifie pleinement cependant si l'on veut lutter avec
quelque efficacité contre le trafic de drogue que la loi du 17
janvier 1986 complète heureusement à l'encontre du petit
trafiquant.
2 - Le petit trafiquant
L'évolution de la toxicomanie a fait apparaître entre le
gros trafiquant qui la plupart du temps ne se drogue pas et
l'usager, une catégorie intermédiaire, celle des usagers trafiquants
qui font commerce de drogue pour s'en procurer pour leur usage
personnel et celle des petits revendeurs non usagers de drogue qui
fournissent aux autres de la drogue pour se procurer des fonds ou
des objets volés (75).
(72) J.L. Debré précise qu'il y avait à Paris en instance plus de 70 requêtes en
relèvement d'interdiction définitive Asa. Nat., n • 943, p. 29.
(73) Aas. Nat. n • 943, rapport J.L. Debré, p. 13, Sénat n • 257, rapport J.M.
Girault, p. 20.
(74) Asa. Nat, n • 43, rapport J.L. Debré, p. 28 ; Sénat n • 257, rapport J.M.
Girault, p. 21, cf. J. Sacotte, "Mesures accessoires de droit pénal français dans la
lutte contre la drogue", Rev. droit pén. crim., 1975-76, p. 947.
(75) Les statistiques révèlent que le nombre qui était de 4 365 en 1982 est passé en
�100
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
Pour lutter contre ce "travail de fourmis", une circulaire
du garde des sceaux en date du 17 septembre 1984 avait déjà
attiré l'attention des Parquets sur cette catégorie nouvelle de
délinquants. Il y était dit notamment "lorsque vous serez
désormais saisi d'une procédure dans laquelle vous rencontrerez
chez une même personne la qualité d'usager et celle de trafiquant,
je vous invite à rechercher si la seconde qualité ne l'emporte pas
sur la première" (76).
Cette circulaire marquait une approche nouvelle des faits
d'usage -trafic permettant de sanctionner plus efficacement le
délinquant toxicomane qui se livre de façon avérée au trafic de
stupéfiants (une circulaire postérieure en date du 12 mai 1987 a
d'ailleurs confirmé cette analyse). Elle ne pouvait suffire à
combler les lacunes de la législation (77).
C'est dans ces conditions que la loi du 17 janvier 1986
portant diverses incriminations d'ordre social a prévu une
incrimination spécifique pour les petits revendeurs. Aux termes
de l'article L. 627 .2 du Code de santé publique. "Seront punis
d'un emprisonnement d'un an à cinq ans et d'une amende de
5 000 F à 500 000 F ou de l'une de ces deux peines seulement
ceux qui auront cédé ou offert des stupéfiants à une personne en
vue de sa consommat,ion personnelle".
· Cependant, pour tenir compte de la diversité des
situations, pour éviter de multiples peines d'emprisonnement qui
ne· pourraient avoir que des conséquences néfastes sur l'usager
revendeur, la loi organise la procédure de comparution immédiate
avec la possibilité pour le tribunal d'ordonner une enquête de
personnalité lui permettant de choisir la mesure la plus adaptée
(article L. 627.3 du Code de santé publique).
En revanche, la loi prévoit comme pour le gros trafiquant
la saisie et la confiscation des installations, matériels et tous biens
immobiliers ayant servi directement ou indirectement à la
commission de l'infraction ainsi que tout produit provenant de
-celle-ci à quelque personne qu'ils appartiennent à moins que les
1986 à 4549, cf. Fontaine, "Punir ou guérir, bilan de la loi du 31 décembre 1970",
mémoire de D.E.A. Aix 1987.
(76~ Cité par G. Bonnemaison, observations présentées au nom de la commfssion des
affaires culturelles familiales et sociales sur le projet de loi portant aménagements et
simplification relatifs à la protection sociale, Ass. Nat. annexe au P.V. de la séance
du 5 décembre 1985, p. 54; voir également Sénat, rapport de M. Boyer, au nom de la
commission des affaires sociales (annexe au P.V. de la séance du 17 décembre 1985,
p. 12).
(77) Fully, "Le problème des drogués trafiquants", Rev. pénit. 1973-159 ; S.
Avignon, "Usage, détention, petit trafic de stupéfiants à Toulon, Aix-en-Provence et
Marseille", mémoire D.E.A., Aix 1987 ; G. Casile, "La toxicomanie et le droit :
Aspects législatifs et prospective", à paraître in Sociologie du Sud-Est.
�Jacques BORRICAND
101
propriétaires n'établissent leur bonne foi (art. L. 629 du Code· de
santé publique) (78).
Il en va de même pour la possibilité offerte au tribunal de
prononcer l'interdiction du territoire français pour une durée de
deux à cinq ans contre tout étranger condamné sur la base de
l'article L. 627 .2 du Code de santé publique (art. L. 630-1 du
Code de santé publique).
Ainsi la loi du 17 janvier 1986 sans fermer la porte à
toute possibilité de réinsertion sociale par des alternatives à
l'emprisonnement entend cependant sanctionner sévèrement les
petits usagers revendeurs qui très souvent sont à l'origine de la loi
de 1970 vis à vis des victimes d'une assuétude qu'il convient
d'aider par une thérapie appropriée.
B - Le traitement des victimes de l'assuétude interdite
illicite des stupéfiants
l'usage
L'originalité de la loi de 1970 est de proposer au drogué
qui est un délinquant un traitement médical dont il faudra
mesurer les consé.quences (79). La pratique a démontré cependant
les difficultés d'application surtout dans la mesure où ce sont ces
difficultés qui avaient conduit au projet initial Chalandon.
1 - La mise en oeuvre du traitement
L'article L. 355.14 du Code de Santé publique pose en
principe que toute personne usant d'une façon illicite de
substances ou de plantes classées comme stupéfiants est placée
sous la surveillance de l'autorité sanitaire.
Mais le Code de la Santé publique organise différemment
cette surveillance selon le moment de la prise en charge du
drogué par les services sociaux qui peut se réaliser soit avant
toute poursuite, soit après le déclenchement de poursuites (80).
a) Mise en oeuvre antérieure aux poursuites
C'est l'article L. 355 du Code de Santé publique qui
envisage cette hypothèse en envisageant deux cas.
1) Tantôt le toxicomane peut se présenter spontané.ment
dans un dispensaire ou dans un établissement hospitalier afin d'y
(78) Ass. Nat. séance 10 décembre 1985, p. 5859, intervention de G. Bonnemaison.
(79) Floriot, "La répression de l'usage des stupéfiants en droit français", Rev. pénit.
1973.23.
(80) M. Richard, "L'action policière en matière de toxicomanie", mémoire D.E.A. Aix
1983 ; M. Meyrinne-Laforet, "L'actualisation de la toxicomanie en 1985", mémoire
D.E.A., Aix 1986.
�102
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
être traité. L'anonymat est offert afin d'encourager l'initiative
(article L. 355.21, al. 1 du Code de Santé publique).
2) Tantôt le toxicomane est signalé comme faisant usage
de stupéfiants soit par le certificat d'un médecin par dérogation
expresse au secret médical soit sur un rapport d'une assistante
sociale. De deux choses l'une, ou bien l'examen médical reconnaît
l'intoxication et l'autorité sanitaire propose alors une cure de
désintoxication à l'intéressé (A. 355.19 du Code de santé
publique), ou bien cet examen est négatif et dans ce cas
l'intéressé doit rester sous surveillance médicale (A. 355.20 du
Code de Santé publique). La violation de ces injonctions n'est
sanctionnée par aucun texte (81). Il n'en va pas de même de
l'hypothèse suivante.
b) Mise en oeuvre oostérieure aux poursuites
Deux hypothèses sont prévues par l'article L. 628 du Code
de Santé publique.
1) Le Parquet peut d'abord enjoindre aux personnes ayant
fait un usage illicite de stupéfiants de subir une cure de
désintoxication ou de se placer sous surveillance médicale. les
deux cas de figure de l'hypothèse précédente se retrouvent soit
intoxication, soit non intoxication.
·
Dans les deux cas, il appartient à l'intéressé d'informer .
l'autorité sanitaire du suivi de la cure ou de la ·surveillance
(article L. 355.16 et 17 du Code de Santé publique). De son côté
l'autorité sanitaire doit tenir informé le Parquet du suivi médical
(art. 355.16, al. 4 et 355.17 al. 4 du Code de Santé publique).
2) Egalement le juge d'instruction ou le tribunal peuvent
par ordonnance ou décision de justice astreindre les personnes
inculpées d'usage illicite de stupéfiants à une cure de
désintoxication accompagnée de toutes les mesures de surveillance
médicale. et de réadaptation appropriée à leur état, ce . qui
implique soit une hospitalisation continue ou partielle, soit une
simple surveillance médicale (art. L. 628.5, al. 1 du Code de Santé
publique). Le médecin qui peut être choisi par l'intéressé doit
informer les autorités de justice des modalités de la cure, de leur
durée probable et des modifications souhaitables.
En cas de soustraction à la mesure sanitaire la sanction est
la peine d'emprisonnement et l'amende sanctionnant l'usage
illicite de stupéfiants (art. L. 628.4 du Code de Santé publique)
(81) et pour un étranger, l'interdiction du territoire français pour.
(81) Merle et Vitu, Traité II, lère éd. 1982, n • 1 470 3 •.
(82) Cf. J.C. annexes, voir Substances vénéneuses, fasc. 3 n • 108 1986, par J.
Penneau.
�Jacques BORRICAND
103
une durée de deux à cinq ans (art. L. 630.1, al. 1 du Code de
Santé publique).
2 - Les conséquences de /'injonction thérapeutique
Elle ont pour effet d'abolir la qualité de délinquant du
drogué par l'extinction obligatoire de l'action publique et le non
prononcé facultatif de la peine.
a) Extinction de l'action publique
Aux termes de l'article L. 628.1 du Code de Santé
publique, l'action publique ne sera pas exercée à l'égard des
personnes qui se seront soumises depuis les faits à elles reprochés,
à une cure de désintoxication ou à une surveillance réalisées soit
spontanément, soit sur injonction de l'autorité sanitaire.
Toutefois, il appartient à l'intéressé seul de soulever cette cause
d'extinction, s'il est traduit en justice. D'autre part, en cas de
réitération d'infraction, il appartient au Ministère public
d'apprécier s'il peut faire bénéficier à nouveau l'intéressé· de
l'extinction de l'action publique.
b) Non prononcé de la oeine
Lorsque le drogué s'est soumis à une cure de
désintoxication, la juridiction de jugement pourra ne pas
prononcer la peine (art. L. 628.2, al. 1 du Code de Santé
publique) (83).
Les diverses modalités prévues par le Code de la santé
publique, très simples dans leur principe, sont subordonnées à une
grande collaboration des autorités judiciaires et des autorités
sanitaires. Or l'expérience a démontré qu'il n·'en était pas toujours
ainsi.
3 - La pratique
a) Au lendemain même de la loi de 1970 la
pratique rencontra des difficultés d'application dont la mission
Pelletier soulignait les principales (84).
1) La première était relative aux incertitudes et aux
inégalités du traitement réservé à l'usager de drogue. Du fait de
(83) Sur tous ces points, J.C. annexe voir substances vénéneuses, fasc. 3, n • 115 s.
1986.
(84) Rapport de la mission d'étude sur l'ensemble des problèmes de la drogue
présenté par M. Pelletier, La documentation française 1978, p. 104.
�104
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
l'absence de catégorie intermédiaire entre l'usager et le trafiquant
certains usagers ont été traités en délinquants ordinaires sans
bénéficier des dispositions libérales de la loi. C'est pourquoi deux
circulaires du Garde des sceaux en date du 25 août 1971 et 30
mai 1973 ont incité les Parquets à éviter une action trop
répressive pour ce type d'usagers en particulier lorsque la
détention porte sur de faibles quantités ou ne s'est pas
accompagnée de revente. Mais, avec le développement croissant
de ce type de délinquants, une circulaire a du abandonner cette
politique libérale en préconisant une plus grande sévérité à l'égard
de l'usager trafiquant, non visé par la loi de 1970, circulaire dont
les principes de base devaient être repris par la loi du 17 janvier
1986 (85).
2) Le deuxième handicap de la loi de 1970 tient aux
difficultés de cohabitation entre médecins et magistrats et aux
incertitudes de l'injonction thérapeutique (86).
Dans la loi de 1970 c'est le Parquet qui reconnaît à
l'intéressé la qualité de malade relevant de la voie médicale. Les
médecins lui dénient ce pouvoir et se retranchent derrière le
secret médical pour ne pas rendre compte de l'évolution de la
thérapie ce qui n'est pas du goût de tous les magistrats dont
certains préfèrent la voie répressive.
4
3) Mais le problème majeur résulte des difficultés propres
à la voie judiciaire. La cure de désintoxication est largement
contestée, lieux de cure inadaptés, efficacité relative du contrôle
judiciaire, incarcération pour une autre infraction ne permettant
pratiquement pas l'accomplissement d'un traitement efficace.
b) Pour remédier à ces critiques le rapport Pelletier
proposait une application loyale et effective de la loi de 1970 puis
dans une deuxième étape un rajeunissement du texte : possibilité
pour le parquet de recourir à l'injonction thérapeutique même en
cas de récidive, mise en place d'un régime spécifique pour les
jeunes majeurs, interdiction pour la presse de relever l'identité
des personnes interpellées, arrêtées ou condamnées pour usage de
stupéfiants (87).
Plutôt que de procéder à une révision radicale de la loi de
1970, on a préféré la modification lente et discrète de la pratique
législative "cela avait l'intérêt de permettre à la fois le refus de
(85) 6 décembre 1985.
(86) M. Zavaro, "Aspects judiciaire et médicaux de la toxicomanie", R.S.C. 1979255. Cf. circulaire 12 mai 1987 du Ministère de la santé insistant sur la nécessité
d'instaurer entre les autorités judiciaires et sanitaires une étroite collaboration.
(87) Rapport Pelletier, op. cit., p. 215.
�Jacques BORRICAND
105
toute légalisation de la distribution des produits (consommation
du trafic) et la dépénalisation effective de l'usage de tous les
produits" (88).
La première étape a consisté dans la circulaire du 17 mai
1978 envoyée par le Ministre de la Justice aux Procureurs de la
République dans laquelle on proposait en cas de simple usage de
haschisch de ne pas recourir d'emblée à l'injonction thérapeutique
et aux poursuites pénales, mais d'adresser une simple mise en
garde. La deuxième fut la circulaire du 17 septembre 1984
émanant du même ministère déjà évoquée sur l'usager trafiquant.
c) Malgré ces amodiations, Monsieur Chalandon
déposait dès septembre 1986 un projet de loi relatif à la lutte
contre la toxicomanie et le trafic de stupéfiants (89).
1) Dans une perspective dissuasive, le projet comportait
deux volets, l'un répressif et l'autre préventif.
- Sur le plan de la prévention, Madame Barzach, Ministre
délégué à la santé et à la famille proposait l'ouverture de centres
d'accueil et de sevrage, tandis- que Madame Alliot-Marie,
déléguée à l'éducation nationale suggèrait un plan d'information
s'adressant princ~palement aux jeunes (90).
- La répression concernait le trafic avec des mesures
exorbitantes du droit commun que la loi du 31 décembre 1987
vient de consacrer, mais aussi l'usage de stupéfiants. Le projet
initial prévoyait que toute personne intoxiquée présentant des
dangers pour elle-même ou pour autrui pouvait être à des fins
thérapeutiques et sous contrôle médical placée par décision du
tribunal de grande instance dans un établissement sanitaire agréé
public ou privé. A cet égard, le Garde des Sceaux préconisait une
aide aux centres de désintoxication, tel le Patriarche. Cette
mesure de placement aurait été prise après expertise médicale.
L'autorité judiciaire devant contrôler -la cure de .désintoxication
une collaboration étroite avec l'autorité sanitaire, devenait
indispensable. Cependant, si l'intéressé se soustrayait à l'obligation
de soins qui lui était impartie ou si celle-ci se soldait par un
échec, il était condamné à une peine d'emprisonnement avec
(88) Hulsman et Ransbeck, Evaluation critique de la politique des drogués, in
"Déviance et société" 1983, vol. 7 n • 3. Cf. Costa, L'application aux mineurs de 18
ans de la loi du 31 décembre 1970, in "Aspects nouveaux de la pensée juridique :
Mélanges Ancel", 1975-319. G. Casile, "La toxicomanie et le droit : Aspects législatifs
et prospective", à paraitre in Sociologie du sud-est.
(89) A. Kletzen, "Etude critique du projet de loi Chalandon relatif à la répression du
trafic et de l'usage de stupéfiants, Mémoire D.E.A. 1987.
(90) A. Kletzen, op. cit., p. 4.
�106
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
désintoxication obligatoire. l'incarcération aurait eu lieu dans des
centres pénitentiaires spécialement créés à cet effet (91).
Dans une interview accordée au Journal Le Monde, le
Garde des Sceaux affirmait : "Il y a enfin les simples usagers
jusqu'à maintenant, on les laissait tranquilles. A présent, je
souhaite que les magistrats appliquent la loi et que les usagers
sachent qu'en tant que simples drogués ils peuvent avoir affaire à
la justice" (92).
2) "Le placement volontaire d'office" (93) a suscité
immédiatement protestations et stupeur. Après Mesdames Pelletier
et Veil, qui déclaraient partager les réserves de tous ceux
qu'inquiètent les mesures contre la toxicomanie, Madame Barzach,
dans une interview accordée à Paris-Match, datée du 31 octobre
1986, sans se soucier de la solidarité gouvernementale, déclarait
que "ce n'est pas en mettant les drogués en prison que l'on
résoudra le problème ... Imposer à un drogué de se soigner, s'il ne
le veut pas est totalement irréaliste ... il faut une politique
efficace de soins et de prise en charge des drogués, informer,
aider les familles, donner aux enseignants les moyens de répondre
ainsi au problème".
- De leur côté de nombreux médecins (94) ont condamné
ces hôpitaux-prisons (95). Toute démarche thérapeutique implique
le libre choix, affirme le docteur Curtet, ne serait-ce que celui de
venir ou de ne pas venir au rendez-vous fixé par le thérapeute.
La guérison sous contrainte n'a aucun sens" (96) tandis que le
docteur Olivenstein énonçait "la prison pour les toxicomanes est
un remède pire que le mal" (97). Au surplus, un an auparavant, il
considérait que malgré de criantes imperfections, le bilan de la loi
de 1970 est positif. Si l'on compare, écrivait-il, la situation de la
France avec celle de ses voisins, nous sommes le pays du monde
industrialisé qui a le moins mal résisté à l'offensive de la drogue"
(91) Cf. exposé des motifs de la proposition de loi présentée par le Front national,
Asa. Nat. n • 725, annexe au P.V. 7 mai 1987, "Les thérapies peuvent être organisées
même en détention, l'incarcération agissant à l'instar d'un électrochoc autant vis à
vis des parents que vis à vis des enfants", p. 4.
(92) Le Monde 4 octobre 1986, cf. Aas. Nat. séance 8 octobre 1987, interv~ntion de
M. Franceschi, p. 4056.
(93) F. Nouchi, Le Monde, 4 novembre 1986.
(94) Voir toutefois pour une approbation du projet Ph. Bilger, "Gérer ou refuser la
drogue", Le Monde 2 octobre 1986.
~
(95) Hivert et Ollivier, "Les toxicomanes et lâprison", Rev. pén. 1983; J. Terrel, "La
prison pour soigner les toxicomanes 7", Projet janvier-février 1987, Problèmes posés
par les drogués en milieu pénitentiaire, Rev. pén. 1973 ; Hivert et Schaub, "Les
drogués en prison", Rev. pén. 1970.
(96) Le Monde de l'éducation, novembre 1986, p. 25.
(97) Le Monde 15 novembre 1986.
�Jacques BORRICAND
107
(98). On constate même un ralentissement de la progression de la
toxicomanie en France (99).
- Une autre réserve suscitée par le projet initial portait
sur la distinction drogues dures et drogues douces, le projet ne
s'appliquant qu'à celles-là. Seraient dites douces les substances qui
• ne sont pas réputées dangereuses, cannabis et ses dérivés, L.S.D.
85 et produits ne s'injectant pas en principe par voie
intraveineuse. Effectivement elles n'engendrent en général aucune
dépendance physique. Il ne se produit donc aucun symptôme de
manque si on les interrompt. Ces produits peuvent être considérés
comme étant toxicomanogènes dans la mesure où ils entraînent
chez certains sujets un phénomène de tolérance, et une assuétude,
une dépendance psychique. Cela veut dire que l'organisme va
s'adapter aux effets d'une drogue impliquant la nécessité désirée
même inconsciemment par la consommation d'en augmenter les
doses pour obtenir les effets d'une ampleur constante. Aussi en
légalisant ces substances, le Ministre de la Justice répondait aux
souhaits formulés par certains criminologues et praticiens depuis
plusieurs années déjà (100).
La cirçulaire Pelletier du 17 mai 1978 invitait les Parquets
à n'adresser qu'une simple mise en garde aux usagers de haschich.
On a également fait observer les effets pervers d'une
interdiction générale. Elle favoriserait le trafic en renchérissant
les produits en raison des risques encourus par les trafiquants
(101).
(98) Le Monde 20 décembre 1985, cf. Le Monde 20 janvier 1987 soulignant
l'extension de la toxicomanie en U.R.S.S. et en Pologne.
(99) Recul de la toxicomanie en France, 3ème rapport annuel du Centre Marmotan
par C. Colombani, Le Monde 20 février 1985 et du même auteur, "La drogue, les
fantasmes et les faits", Le Monde 20-21 juillet 1986 faisant état d'une baisse de surdoses 237 en 1984, 172 en 1985 ainsi qu'une baisse des clients des institutions de
prise en charge. Voir toutefois le chiffre de 228 morts par overdose en 1987. Durant
cette même année l'usage est en hausse de + 1,74 %, la cocaîne en progression de +
198 % par rapport à 1986, Le Figaro 19-20 mars 1988.
(100) Cf. Rapport Le Dain sur l'usage des drogues, Ottawa 1971, not. p. 303 à 316 ;
voir également Hulaman, rapport aux 18ème journées de défense sociale, R.S.C.
1971.769 ; Curtet, rapport sur les problèmes de toxicomanie en milieu pénitentiaire 2
977 annexe n • 2, p. 6 1 Ministère de la justice ; M.A. Bertrand, Permanence des
effets graves et résistance du changement des lois sur les drogues, Déviance et
société, 1986, vol. 10 n • 2, p. 177. On sait' que les Pays-Bas ont dépénalisé le
cannabis. Une des mesures qui a fait couler le plus d'encre est sans doute ceÎle des
programmes de distribution gratuite de produits de substitution (méthadone) et
d'échange de seringues (une propre contre une usagée) pour éviter le développement
des maladies. Pour les experts hollandais, cette politique semble efficace puisqu'on
constate une stabilisation relative du nombre d'héroïnomanes, une diminution des
usagers par voie intraveineuse, une surveillance sanitaire portant sur 75 % des
héroïnomanes, un nombre de séropositf intérieur à 10 %, cf. De Jong, Pour une
véritable assistance aux consommateurs, Déviance et société, 1983.281 ; Toussaint,
L'utopie et la drogue, ibid., p. 287 ; H. Teff, Drugs, society and the law 1975, p. 159.
(101) G. Apap, les dangers de la prohibition de la drogue, Le Monde 12 février 1986.
�108
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
Pourtant on a dénoncé depuis longtemps les effets forts
nocifs en particulier du cannabis (102).
- Sans discuter sur le bien fondé de ces positions il est
néanmoins
nécessaire
de
considérer
les
prédispositions
personnelles de l'usager, de la consommation plus ou moins
régulière et de l'importance des doses et de souligner la très
possible escalade vers les drogues dures. Celles-ci entraînent une
dépendance psychique importante et par voie de conséquence des
atteintes corporelles plus ou moins graves. Ce sont des toxiques,
morphine, héroïne, pour la plupart utilisés à des fins médicales,
mais entraînant rapidement une pharmaco dépendance (103).
En introduisant cette typologie de drogues, le Ministère de
la justice semblait ignorer la polytoxicomanie de la plupart des
consommateurs qui auraient permis à certains d'entre eux,
interpellés pour usage ou possession de drogues douces,
d'échapper à toute thérapie.
Au surplus, dans la mesure où M. Chalandon prétendait
réserver un soin identique à tous les usagers, il ne prenait pas en
compte le phénomène de dépendance qui, on le sait, peut être,
soit physique, soit psychique. La dépendance physique se _
manifeste par le fait que l'organisme biologique habitué à
l'absorption plus ou moins répétée de substances se dérègle dès la
cessation de celles-ci. Le sujet est en état de manque et des
symptômes physiques dont l'ensemble constitue un "syndrome de
sevrage" ne tarde pas à apparaître qui atteignent leur paroxysme
au bout de deux jours. Quelques semaines suffisent pour
désintoxiquer biologiquement le toxicomane ce qui lui donne à
tort l'illusion d'être guéri. Le problème est d'autant plus délicat
pour la dépendance psychique (L.S.D. 25). Il s'agit d'un
phénomène actif en partie volontariste qui se réfère au "non dit"
spécifique du toxicomane (104). Elle répond à un besoin, à une
dépendance dans laquelle le sujet se complaît. Toute prise en
charge du toxicomane doit prendre en considération la nécessité
de cette dépendance. C'est pourquoi il est souhaitable d'opérer un
transfert institutionnel. On substitue à l'asservissement au produit
l'assujettissement au thérapeute ou à l'institution, dépendance
qu'il faut à nouveau vaincre ( 105).
Ces différentes critiques -on mesure ICI une fois encore
l'importance des groupes de pression- ont conduit le Gar.de des
Sceaux à revenir sur ces premières propositions. le projet soumis
(102) T. Bennett, Légaliser l'abus des drogues, quelques implications, Déviance et
société 1986, vol. n • 2, p. 193 ; P. Teichman, La drogue n'est pas un problème
médical in Le Patriarche vu par les médecins fondation Lucien Engelmayer, 1987.
(103) J.M. Girault, Drogues "douces" la fin de la banalisation, Rev. int. pol. techn.,
janvier-mars 1980.
(104) Olivenstein, Des~in du toxicomane, Fayard 1983.
(105) A. Kletzen, op. c1t., p. 42.
·
�Jacques BORRICAND
109
au parlement a maintenu le principe de l'alternative médicale de
la loi de 1970 en se bornant à proposer un renforcement de la
lutte contre les trafiquants (106). L'innovation est venue de la
proposition faite au nom de la commission des lois devant le
Sénat par M. Girault, de créer un Institut national de
l'enseignement de la recherche et de l'information et de la
prévention sur les toxicomanies ( 107) qui a pris corps dans
l'article premier de la loi du 31 décembre 1987.
4 - L'Institut national
Avant de définir les objectifs de cet établissement public,
il convient de s'interroger sur l'opportunité d'une telle création.
a) Dans le raoport Pelletier les rédacteurs avant de
formuler un certain nombre de propositions, soulignaient que la
drogue étant un phénomène multifactoriel une solution unique ne
saurait être de ce fait envisagée. Il faut intervenir à la fois par la
répression, la prévention, l'information, le traitement en
s'appuyant sur. une réflexion en profondeur et qui ne soit pas
limitée aux chercheurs spécialisés sur les rapports entre la
toxicomanie et son environnement et sur la nature du phénomène
(108). Trois axes étaient dégagés dans le chapitre XI prévention,
information, formation.
1) La proposition faite par J.M. Girault au nom de la
commission des lois (109) s'inscrit dans cette perspective. Son idée
consiste dans la création d'une structure d'étude d'information et
de prévention destinée à coordonner des initiatives jusqu'à
présent dispersées et à renforcer l'action conduite par la mission
interministérielle de lutte contre la toxicomanie (M.1.L.T.) et
indépendante de tout département ministériel et des différentes
initiatives privées. Pour J.M. Girault, la création de cet institut
serait "de nature au moins partiellement et peut-être d'une façon
décisive et à dépassionner le débat, à lui donner sa tranquillité
d'analyse" (110) et à rapprocher la lutte contre les toxicomanies de
l'opinion publique.
L'examen des débats montre que ce n'est pas sans mal
qu'un tel projet a emporté la conviction des parlementaires .. Des
réticences se sont élevées. Le garde des Sceaux lui-même a émis
(106) Sénat n • 228, Annexe au P.V. de la séance du 14 mai 1987.
(107) Rapport Sénat n • 257 annexe au P.V. de la séance du 3 juin 1987, p. 10.
(108) Rapport Pelletier, p. 151.
(109) Pénal n • 257.
(110) Séance du 8 juin 1987, sénat J.O. 10 juin 1987, p. 1574 ; v. également
proposition de loi présentée par MM. J.M. Le Pen, F. Bachelot et autres, Ass. Nat.
n • 725, annexe au P.V. séance du 7 mai 1987.
�110
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
la crainte qu'au travers de cet institut qui se substituerait à la
M.I.L.T. ne surgisse rapidement une bureaucratie fort lourde et
des difficultés de financement ( 111 ).
Cela explique sans doute que l'Assemblée nationale avait
en première lecture renoncé à la création d'un tel institut. Mais
devant le Sénat, en deuxième lecture, il a été fait observé que les
études spécifiquement orientées vers la pharmaco-dépendance
sont peu développées en France quand on les compare à celles qui
sont effectuées en Amérique du Nord et à un degré moindre en
Grande-Bretagne. Aux Etats-Unis a été créé en 1972 un institut
national sur la toxicomanie (National Institue on drogue abuse :
NIDA). Au Canada existe depuis près de 20 ans un organisme
semblable où sont étudiées toutes les pharmaco-dépendances
(Addiction Research Center de Toronto).
Pour ce qui est de la France, !'INSERM et le CNRS n'ont
pas considéré les études sur la toxicomanie comme une priorité et
les crédits qui leur sont alloués sont très insuffisants. Sans doute
un décret de 1982 a-t-il créé la M.I.L.T. dont le rôle est d'animer
et de coordonner les actions des ministères compétents en matière
de prévention, d'accueil, de soins, de réinsertion et de recherche
à la suite des grandes orientations de la lutte contre la
toxicomanie arrêtées par le Comité interministériel de lutte contre
la toxicomanie chargé de définir la politique gouvernementale en
ce domaine.
A en croire le rapporteur M. Girault. (112), la M.I.L.T.
n'aurait pas produit les résultats escomptés pour des raisons
diverses. Il ne s'agit pas d'une institution permanente, les
responsables se succèdent trop rapidement, les crédits alloués ne
sont même pas tous dépensés (113). On doit cependant mettre à
son actif la publication de deux arrêtés portant sur la vente de
trichloréthylène et sur l'éther, la publication d'une circulaire
relative à l'intervention judiciaire en matière de stupéfiants (6
décembre 1985) et de notes d'information sur les colles et les
solvants (114). Aucun bilan global ne semble toutefois avoir été
fait (115). Aucune pensée globale n'anime la M.I.L.T.. Les
(111) On peut même penser que la mise en place d'un tel institut se révèlera vite
inopérationnel. Dans un domaine voisin, l'alcoolisme, peut-on dire que les
considérations du Haut Comité d'Etudes et d'informations, créé en 1954 .aient été
prises en compte par le droit positif 7 cf. G. Malignac, "L'alcoolisme", Que sais-je ?
1984, p. 115 ; J. Borricand, "Trafic et usage de stupéfiants, législation pratique et
perspectives françaises", Rev.·droit pén. crim., 1989 à paraître.
(112) Sénat séance 9 juin 1987, p. 1574.
(113) En 1987, la M.I.L.T. disposait de 250 millions de francs. Elle n'en a utilisé que
169. En 1988 sa dotation globale a été réduite à 147 ; cf. rapport général fait au nom
de la commission des finances par M. Blin, Sénat n • 93, Annexe au P.V. de la
séance du 16 novembre 1987.
(114) Intervention Trautman, Ass. Nat. Séance 8 octobre 1987, p. 4049.
(115) Sénat séance 9 juin 1987, p. 1587 intervention de MM. Girault et Chalandon.
�Jacques BORRICAND
111
désaccords de fond entre le ministre délégué chargé de la santé_ et
le Garde des Sceaux qui se sont étalés dans la presse en sont une
illustration.
Ces vives critiques ont finalement conduit les
parlementaires à voter la création de l'Institut dont le but sera de
"définir les mécanismes d'action des drogues entraînant une
dépendante" ( 116).
Art. Ier - 1. "Il est créé un Institut national de l'enseignement de la recherche
de l'information et de la préventiôn sur les toxicomanies.
Cet institut est un établissement public à caractère administratif,
doté de la personnalité morale et de l'autonomie financière.
Placé sous la tutelle du Premier ministre, il est dirigé par un
conseil d'administratif assisté d'un conseil scientifique.
L'institut a pour mission de coordonner toutes les actions relevant
de l'Etat et de poursuivre toutes recherches utiles tant
fondamentales que cliniques, dans le domaine de la pharmacodépendance et de la toxicomanie".
Contrairement à la M.I.L.T à laquelle il succède, cet
institut apparaît comme un organe permànent permettant
d'engager une politique continue grâce à la mise en place d'une
i;-echerche scientifique rigoureusement conduife. Il rejoint là des
préoccupations de la mission Pelletier.
La mission est double, une mission de coordination et une
mission de recherche :
a) la formation des personnels. mis en contact, selon des modalités
diverses, avec les toxicomanes ;
b) la recherche scientifique sur les différents éléments qui
constituent les facteurs profonds en jeu dans les causes, la
prévention ou le traitement des toxicomanies ;
c) l'information, en exploitant tous les moyens nécessaires de
réponse adéquate aux préoccupations des particuliers, des
collectivités et des organismes publics ou privés portant sur tout
ce qui se trouve impliqué au niveau théorique ou pratique dans le
phénomène "toxicomanie" ;
d) l'étude des conditions d'application de la législation relative
aux stupéfiants et la définition de toutes propositions à cet égard.
La mission de recherche assurée par l'institut a les
objectifs suivants :
.
a) définir les mécanismes d'action des drogues entraînant une
dépendance, c'est-à-dire un comportement orienté vers . la
recherche et la consommation d'une drogue en quantité nuisible à
la santé du consommateur et à la société ;
b) définir les antidotes aux effets nocifs des drogues entraînant la
(116) Intervention J .M. Girault, Ass. Nat. séance 8 octobre 1987, p. 5062.
�112
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
dépendance ainsi que les meilleures méthodes pour traiter et
réhabilité, les toxicomanes et les pharmaco-dépendants ;
c) définir à l'aide d'enquêtes épidémiologiques la distribution de
la consommation des principales drogues entraînant la
dépendance, suivant les modes statistiques de l'épidémiologie
contemporaine ;
d) définir sur les bases de ces données scientifiques un
enseignement destiné à la formation des personnels chargés de la
prévention, du traitement et de la réhabilitation des sujets
pharmaco-dépendants et toxicomanes ( 117).
L'institut établit chaque année un rapport sur :
a) l'activité des institutions de prévention publiques ou
subventionnées par des collectivités publiques ;
b) le bilan d'application des articles L. 628-1 à L. 628-6 du Code
de la Santé publique qui régissent la procédure d'injonction
thérapeutique (118) ;
c) les enquêtes des divers travaux scientifiques touchant aux
objectifs de l'institut et publiés dans la presse scientifique
médicale, tant en France qu'à l'étranger.
Ce rapport sera déposé sur le bureau des assemblées
parlementaires le premier jour de la seconde session ordinaire.
L'ampleur de la tâche dévolue à l'institut peut paraître
immense mais le phénomène toxicomaniaque est d'une telle
complexité que bien des disciplines sont concernées et que la
toxicomanie ne peut être perçue comme un phénomène séparé des
autres conflits de l'homme de notre temps. On peut douter de
l'efficacité d'un tel organisme. Dans un domaine vo1sm,
l'alcoolisme, les conclusions du Haut Comité d'étude et
d'information sur l'alcoolisme créé en 1954, n'ont guère été prises
en compte par le droit positif.
L'institut
devrait
pouvoir
répondre
à
certaines
interrogations qui agitent parfois les milieux scientifiques ou les
thérapeute~. Quelle est l'origine de la toxicomanie ? Quelle est
l'importance des facteurs prédisposants ou déclenchants le
processus toxicomaniaque.
Il pourrait également contribuer à déterminer quelle est la
thérapie la mieux adaptée. On sait qu'il y a en France trois types
principaux de système de soins. Un type "fusionnel" qui postule
qu'une proximité intégrale de tous les instants et dans tous les
(117) On lira avec intérêt le rapport d'information fait au nom de la commission des
lois par M. Rudloff sur les établissements pénitentiaires, les centres d'éducation
surveillée et de lutte contre la toxicomanie, Sénat n • 166 ; Annexe au P. V. Séance
30 avril 1987.
(118) Cf. Décret 13 mai 1987 libéralisant la vente des seringues en pharmacie, J.O.
16 mai 1986, p. 3599, D. 1987, L. 213. Selon une étude épidémiologique, la vente
libre des seringues a modifié le comportement des toxicomanes, incités à mieux se
protéger contre le SIDA et à réduire leur consommation, Le Monde 3 mai 1988.
�Jacques BORRICAND
113
domaines est indispensable. Un type d'appui protecteur où soit
l'animateur soit le groupe prend en charge les principaux besoins
de toxicomane en échange d'un accord de docilité. Un type
"objectal" qui suppose qu'on peut exiger du toxicomane un
engagement définitif à un mode de vie différent qu'on est prêt à
l'aider mais sans assumer les responsabilités à sa place ( 119). Or la
presse s'est faite récemment l'écho de conflits regrettables entre
les responsables des différents systèmes de soins. L'action de
l'Institut devrait contribuer à résoudre ces dissensions (120).
Une autre piste sera également proposée à la réflexion de
l'Institut. Faut-il modifier la législation ? Faut-il ou non
poursuivre pénalement l'usager de drogues ? La réponse
affirmative de la législation d'aujourd'hui n'est-elle pas
l'expression d'un droit archaïque faisant fi de la liberté du
citoyen ? Faut-il limiter la répression de l'usager à certaines
drogues ? Nous avons dit que le débat est, depuis longtemps,
largement ouvert et que jusqu'à présent l'innocuité des drogues
douces est loin d'être démontrée. Les polytoxicomanies sont au
surplus fréquentes. Il ne convient pas de réduire le champ de
l'assuétude interdite à un moment où d'autres assuétudes jusqu'à
présent tolérées apparaissent de plus en plus cantonnées par le
droit pénal.
II- LES ASSUETUDES CANTONNEES PAR LE DROIT PENAL
La vie moderne porte l'individu à utiliser plus que jadis
des produits destinés en principe, soit à agrémenter sa vie (alcool,
tabac), soit à améliorer sa santé.
L'utilisation raisonnable des premiers et notamment de
l'alcool ne saurait être interdite dans la mesure où ils font partie
de notre héritage socio-culturel ou dans la mesure où ils sont
intimement liés à la société industrielle. La consommation de
produits pharmaceutiques ne cesse de s'accroître dans les sociétés
modernes et atteint aujourd'hui des chiffres considérables. Si
néfaste soit-elle
pour la santé
de
l'individu,
cette
surconsommation médicamenteuse ne peut pas être sanctionnée.
Le secret médical interdit toute ingérence des pouvoirs p~blics
dans la prescription médicale serait-elle très lourde ( 121 ).
En revanche, une utilisation détournée de médicaments se
doit d'être prise en compte par le droit car la finalité
(119) Rapport Girault, préc. p. 13.
(120) Cf. A. Firchow, Les conflits de politique criminelle en matière de lutte contre
les toxicomanies, R.S.C. 1987-951.
(121) Réserve faite de la délivrance des médicaments nécessitant un carnet à souche.
�114
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
thérapeutique s'efface pour un impératif qui lui est étranger.
C'est le cas, nous l'avons vu, pour la législation en matière de
stupéfiants dont le simple usage est réprimé. C'est le cas
également de la législation antidoping qui s'est exprimée par la loi
du Ier juin 1965 tendant à la répression de l'usage des stimulants
à l'occasion des compétitions sportives. Les dangers du doping ont
été soulignés depuis longtemps (122).
Ce type d'assuétude ne sera pas retenu ici, car il apparaît
encore comme un phénomène marginal touchant une catégorie
particulière d'individus, les sportifs. En revanche, il convient de
s'attarder sur des assuétudes qui atteignent toutes les couches
sociales et qui accompagnent la vie, et parfois la détruisent,
conduisant le législateur à les combattre, l'alcoolisme d'une part
(A), le tabagisme d'autre part (B).
A - La lutte contre l'alcoolisme
L'alcoolisme n'est pas une maladie contemporaine. Le goût
du vin et des boissons fermentées remonte à la plus haute
antiquité. Les inconvénients des abus alcooliques n'étaient pas non
plus ignorés. Charlemagne n'avait-il pas dans un capitulaire
prononcé l'excommunication des ivrognes ? Mahomet n'avait-il
pas cru devoir interdire dans le Coran l'usage des boissons
fermentées à ses fidèles ? (123). Mais ces inconvénients étaient
·relativement minces. Ce ·n'est qu'à partir du moment où l'on se
mit à fabriquer de façon industrielle des alcools que l'alcoolisme,
que l'on peut définir "l'ensemble des troubles morbides provoqués
par une consommation excessive de boissons alcoolisées" ( 124) ou
plus brièvement "la perte de la liberté de s'abstenir d'alcool"
( 125), prit une extension considérable atteignant surtout les classes
laborieuses. Zola a dépeint de façon saisissante la déchéance
provoquée par l'alcoolisme.
Pourtant la législation de l'époque n'apparaît pas
draconienne. Elle est dictée par une seule idée force, le respect de
l'ordre public qui commande que soient étroitement surveillées la
(122) A. Noret, Le doping, Que sais-je ? 1986, p. 90 ; cf. le projet de loi relatif à la
répression de l'usage des produits dopants à l'occasion des compétitions et
manifestations sportives, A.N. n • 1124 présenté par C. Bergelin.
•
(123) Malignac, L'alcoolisme, Que sais-je? 1 n • 634.
(124) Grand Larousse V· Alcoolisme. Sur la difficulté de définir l'alcoolisme, voir
Alcool et délinquance, Conseil de l'Europe 1984, p. 21.
(125) Fouquet ; en 1951, 11 0.M.S. adoptait la formule suivante : "les alcooliques sont
des buveurs excessifs dont la dépendance à l'égard de l'alcool est telle qu'ils
présentent soit un trouble mental décelable soit des manifestations affectant leur
santé physique et mentale, leur relation avec autrui et leur bon comportement social
et économique, soit des prodromes de troubles de ce genre. Ils doivent être soumis à
un traitement". D. Marcelli et A. Braconnier, Psychologie de l'adolescence, Masson
1984, p. 328.
�Jacques BORRICAND
115
qualité des lieux conférés aux débits, les heures d'ouverture et de
fermeture.
C'est qu'en effet avant tout l'alcoolisme est un phénomène
socio-culturel. le bistrot n'est-il pas élevé en France au rang de
véritable institution ?
Ce n'est que beaucoup plus tard que l'alcoolisme va
devenir un fléau si grave que le législateur va multiplier les
mesures destinées à le prévenir et à le combattre, mesures qui
s'expriment notamment par l'ordonnance du 7 janvier 1959
instituant le Code des débits de boissons et des mesures contre
l'alcoolisme. Ce n'est que tardivement que l'alcoolisme apparaît
ainsi saisi par le droit.
1 - L'alcoolisme, phénomène socio-culturel
a) Est-il besoin d'abord de souligner que l'alcool
est facteur de conviviabilité. Le symbolisme de l'alcool dans
l'occident judéo-chrétien est un symbolisme attributif en ce sens
que la boisson est parée de valeurs en relation même avec
l'expérience de la consommation (126). Les vertus thérapeutiques
de l'alcool sont encore profondément célébrées par la tradition. La
vertu euphorisante du vin est souvent soulignée, activant une
convivialité à la recherche de laquelle l'homme court toujours
(127). Associé à la fête, le vin valorise également la combativité.
Il est souvent rattaché à la puissance virile. Il est réputé donner·
des forces. C'est pourquoi l'accès à l'alcool est traditionnellement
le privilège de l'homme. La femme qui boit trop se dégrade.
L'homme qui ne boit pas se marginalise.
Le système éducatif contribue à favoriser l'usage ou l'abus
de l'usage de l'alcool. Le premier contact avec l'alcool se situe en
général pendant l'adolescence et fait partie des expériences
d'initiation qui caractérisent les étapes de la vie (128). Des
habitudes de boissons sont dans certaines familles si largement
incrustées que le jeune enfant se trouve précocement alcoolique.
Le service militaire contribue à favoriser l'excès d'alcool (129).
Puis, par la suite, tout événement d'importance, qu'il soit
personnel, familial ou social trouve sa consécration par la
cordialité d'un moment où l'alcool a une place de choix. On
(126) Durand, Morenon, L'imaginaire de l'alcoolisme, éd. Universitaire, 1972.
(127) Est-il besoin de rappeler l'importance du vin chez les créateurs, notamment les
poètes. Qu'il s'agisse de l'Ode bacchique de Racan, la Chanson à boire de Claude de
l'Estoile, les épigrammes de Rousseau, les poèmes de Verlaine, Hugo, Baudelaire,
plus près de nous l'Ode, les convives de Vincent Muselli, Ivre, de Saint John-Perse,
etc .... ?
.
(128) Cf. J. Davidson et M. Choquet, Boire sa jeunesse, Drogues, juillet-août
1983.14.
(129) M. Dompierre, L'alcool sous les drapeaux, ibid., p. 36.
�116
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
arrose aussi aisément une inauguration, une naissance que le décès
d'un proche. Les relations de leur côté encouragent la
consommation et l'état de dépendance s'installe rapidement (130).
D'autant qu'il ne faut pas méconnaître les facteurs d'inégalité des
individus devant l'alcool (131).
Au surplus, l'alcool a des propriétés psychotropes.
Pharmacologiquement, c'est un sédatif du système nerveux central
qui possède de ce fait une action tranquilisante. Fuir le stress,
oublier les difficultés du moment, surmonter ses inhibitions, dans
tous les cas l'alcool apporte effectivement au sujet ce qu'il attend,
échappatoire, refuge pour les uns, meilleur contact avec autrui
pour les autres. Ceci sera évidemment de nature à encourager les
sujets à prendre à nouveau de l'alcool lorsqu'ils se retrouvent
ultérieurement dans des conditions similaires. Un réel
conditionnement apparaît puisque ces sujets seront naturellement
encouragés et renforcés dans leur comportement de prise de
boissons. L'assuétude s'installe alors et l'alcool s'inscrit de plus en
plus profondément dans le psychisme de l'individu. Il s'établit
une relation étroite entre lui et l'alcool, relation qui le
conditionne à avoir recours de plus en plus fréquemment à des
boissons alcooliques (132). Cette pulsion constitue la dépendance
psychologique.
Chez le consommateur excessif survient un autre facteur
qui entretient son alcoolisation. C'est le syndrome de sevrage,
caractérisé par divers troubles neuro-végétatifs et de l'anxiété qui
vont encourager le sujet à boire à nouveau. C'est la dépendance
physique envers l'alcool.
Très vite l'intoxication a des incidences sur le caractère du
sujet et sa santé. C'est pourquoi une corrélation a été établie
depuis le siècle dernier entre l'alcoolisme et la violence d'une
part, l'alcoolisme et la santé d'autre part.
b) Alcoolisme et violence
C'est vers la fin du XIXème siècle que cette corrélation
peut être sans discussion prouvée. En effet, en 1880, est votée la
loi instaurant la liberté du commerce des débits de boissons. Dès
lors, on voit en quelques années le fléau se répandre rapidement.
(130) J. Ades, Alcoolisme, toxicomanie française, Le monde 17 mai 1987.
(131) J. Malignac, L'alcoolisme, Que sais-je ? 1984, p. 29. Un nouveau test de
dépistage sanguin de l'alcoolisme vient d'être mis au point permettant ainsi de
déceler les buveurs excessifs avant le stade de la dépendance à l'alcool, Le Monde 3
décembre 1986.
(132) La France ne compte pas moins de 227 000 bars et bistrots, cafés où on aime se
retrouver. "Le vin est senti par la nation française comme un bien qui lui est propre
au même titre que ses trois cent soixante espèces de fromages et sa culture. C'est une
boisson totem écrit Roland Barthes dans Mythologie. Comme tout totem vivace, le
vin apporte une mythologie variée qui ne s'embarrasse pas des contradictions".
�Jacques BORRICAND
117
"De 1879-1881 à 1899-1901 la consommation passe de 23,3 à 32,6
litres d'alcool pur par adulte" (133).
On observe parallèlement que le nombre des délits de
coups et blessures volontaires suivis de mort sans intention de la
donner s'accroît dangereusement. De 104 dans les années 18711875 on passe à 140 dans les années 1898-1901. Jusqu'en 1850 le
parisien consommait peu d'alcool. Le tableau change vers la fin
du XIXème siècle. De 1OO litres de consommation moyenne en
1840 on passe à plus de 200 vers 1880. Pendant ce temps le taux
de délits pour coups et blessures augmente de plus de la moitié.
Dès le début de ce siècle on estime que la proportion des
crimes de sang et des coups et blessures où l'alcool est en cause
est de plus de 50 % ( 134 ). Une étude plus affinée a démontrée
sans conteste la corrélation entre l'évolution du nombre de délits
pour coups et blessures jugés devant les tribunaux correctionnels
et celle de la quantité de vin et alcool consommée en France
pendant la période 1920-1938 ( 135).
L'offre abondante d'alcool exerce un rôle important sur le
niveau de la criminalité. La contre épreuve peut en être fournie
par l'Italie fasciste où le nombre d'hectolitres en 1935 entraînant
de ce fait une baisse de plus de la moitié du nombre des délits de
coups et blessures (295, 7 en 1926, 130, 7 en 1936). L'Angleterre
avait connu au XIXème siècle le niême phénomène. Le nombre
d'individus jugés pour atteinte à l'intégrité corporelle ou sexuelle
des personnes était. tombé de 411 en 1873-1877 à 184 pour
100 000 habitants en 1908-1912 (136).
Le facteur criminogène de l'alcool dans l'éventail des
infractions demeure constant dans la France contemporaine. Un
sondage effectué par le Ministère de la Justice en 1970 confirme
cette analyse puisque pour 60 % des homicides volontaires, 38 %
des crimes et délits contre les enfants, 29 % des coups mortels et
blessures, l'alcool aurait eu une influence notable ( 137).
(133) J.C. Chesnais, Histoire de la violence, Laffont 1981, p. 132 ; Bouzat et Pinatel,
Traité de droit pénal et de criminologie par Pinatel 1963, pp. 134 s. ; D. Szabo,
Crimes et villes 1960, pp. 82, 108 à 111 ; Alcool et délinquance, affaires juridiques,
Conseil de l'Europe 1984 ; Alcoolisme : rite et déviance, 22ème Congrès de
criminologie, Brest 1987.
(134) A. Ley, et Charpentier, Alcoolisme et criminalité, rapport au 2ème congrès des
aliénistes et neurologues de langue française, Bruxelles 1910.
.
(135) Lederman, Alcool, alcoolisme, alcoolisation, données scientifiques de caractère
physiologique économique et social, Cahier INED-PUF n • 29, 1956, p. 221.
"Pendant la période considérée une augmentation de un pourcentage de la quantité
de vin et d'alcool consommé par adulte s'est traduite en moyenne par une
augmentation de 0,6 % du nombre de délits pour coups et blessures jugés en
correctionnelle. Inversement, la diminution de 1 % de la consommation s'est traduite
en moyenne sur une diminution de 0,6 % du nombre des délits".
(136) J.C. Chesnais, op. cit., p. 136.
(137) Cité par J. Bernard, La violence et l'alcool, Promovere n • 24, décembre 1980,
p. 91, numéro spécial consacrée à l'alcoolisme.
�118
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
Les conclusions du rapport Peyrefitte sur la violence ont
bien retenu l'alcool comme facteur de délinquance et huit de ses
recommandations finales le concernent.
C'est qu'en effet, les études criminologiques l'ont montré
(138), l'alcool facilite le passage à l'acte. Solvant de toutes les
censures, il suspend les inhibitions, il atténue les freins moraux.
Mais l'excès d'alcool a une incidence tout aussi ·grave sur la santé
de l'individu.
c) Alcoolisme et santé
On doit donc convenir que grâce à l'action conjuguée des
pouvoirs publics supprimant le privilège des bouilleurs de cru, du
haut comité d'étude et d'information sur l'alcoolisme, ainsi que
les actions de prévention et d'éducation du comité national de
défense contre l'alcoolisme, la consommation d'alcool pur par tête
d'habitant a diminué en France de 5 litres en 20 ans ( 16 litres en
1977), celle du vin est passée de 177 litres en 1959 à 95 litres en
1977. On doit cependant déplorer à l'inverse la progression de la
consommation de bière d'environ 5 % par an, ainsi que celle
d'alcools forts. La France demeure en tête de la consommation
par tête d'habitants.
L'importance de ces chiffres révèle l'incidence directe de
l'alcoolisme sur la santé. On rappellera tout d'abord que
l'alcoolisme est la troisième cause de décès après les maladies
cardio-vasculaires et le cancer (40 000 décès par an) (139). Le
nombre d'admission pour psychoses alcooliques dans les hôpitaux
psychiatriques est de 40 % pour les hommes, 10 % pour les
femmes tandis que dans les hôpitaux généraux le nombre des
malades alcooliques varierait dans une fourchette de 20 à 40 %
pour les hommes, et de 8 à IO % pour les femmes. On peut noter
d'autres effets notables. Ainsi l'absentéisme est 3 à 4 fois plus
élevé chez les buveurs que chez les autres. Dans les accidents du
travail, la part de l'alcoolisation est de 15 à 20 %. La durée d'un
séjour dans un service général de médecine est le double de celle
d'un non buveur.
Malgré cet impressionnant tableau les crédits affectés en
1987 à la prévention de l'alcoolisme sont moitié moindres que
ceux consacrés à la prévention de l'ensemble des autres
toxicomanies.
4
(138) O. Kinberg, Abus alcoolique et délinquance.
(139) Porot, Les toxicomanies, préc., p. 95 ; D. Dalleyrac, Dossier alcoolisme, Laffont
1971.
�Jacques BORRICAND
119
d) Alcoolisme et économie
Il est possible de trouver une explication historique au
relatif désintérêt des pouvoirs publics pour entreprendre une lutte
sans merci contre l'alcoolisme.
Déjà Peguy dénonçait au début de ce siècle la puissance
électorale et politique des producteurs de boissons alcooliques. "A
la chambre l'émpoisonnement alcoolique n'a jamais été mis en
débat ; il a cause gagnée, victoire sans bataille, fait inouï et fait
vraiment nouveau ; à la chambre c'étaient les empoisonneurs qui
se battaient entre eux pour savoir qui nous empoisonnerait le plus
avantageusement" (140). Le privilège des bouilleurs de cru a
disparu mais les habitudes sont tenaces ( 141 ). Selon le ministère
de la santé, le coüt minimum de l'alcoolisme serait de 25 milliards
de francs. Il est difficile à évaluer car on ne peut chiffrer par
exemple la baisse de rendement de l'alcoolique au travail.
Pourtant on a regretté que "la lutte contre l'alcoolisme se
heurte à un désintérêt et un laxisme généralisé" (142). Il est
difficile de discerner les causes exactes de cette inertie. Il y a
certes des intérêts _économiques en jeu, l'action des viticulteurs du
Midi notamment lors de l'entrée dans le marché commun de
l'Espagne et du Portugal, en est une illustration mais le plus
souvent "il a manqué une volonté, les hommes politiques n'ont pas
voulu ou lorsqu'ils ont timidement esquissé des mesures, l'appareil
de l'Etat n'a pas suivi" (143). L'alcoolisme n'est pas un "sujet
nople pouvant servir les ambitions" et trop de gens en vivent, l 0
% de la population.
On doit cependant noter ces dernières années une certaine
sensibilisation de l'opinion publique et une certaine prise de
conscience des gouvernants qui se concrétise par un renforcement
de l'arsenal répressif.
2 - L'alcoolisme saisi par le droit
Il n'est pas question ici de retracer l'histoire législative en
la matière. Beaucoup de dispositions ont été d'ailleurs éphémères.
Avant d'évoquer à grands traits les dispositions du droit positif
les plus significatives, il faut souligner l'action de deux
organismes d'étude et d'information.
(140) Cf. discussion de la loi du 12 juillet 1978 cité par Malignac, op. cit., loc. cit.,
intervention d'un parlementaire de gauche.
(141) Cahiers de la Quinzaine IV 12-17 février 1903 cité in Malignac, L'alcoolisme,
op. cit., p. 72.
(142) L'alcoolisme, rapport au Président de la République du groupe de travail
présidé par le Professeur Jean Bernard, 1980, 125 pages.
(143) Malignac, op. cit., p. 74.
�120
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
En 1954, Pierre Mendès-France créa le Haut Comité
d'étude et d'information sur l'alcoolisme dont les missions étaient
les suivantes (art. L 92 C débits) :
- réunir toutes les informations relatives à l'alcoolisme et en
étudier les différents aspects,
- conseiller le gouvernement en vue d'orienter l'action législative
et réglementaire,
- entreprendre, susciter et encourager toutes initiatives d'ordre
social et économique ainsi que toutes campagnes d'information et
d'éducation auprès du public.
De son côté, le Comité national de défense contre
l'alcoolisme est une association reconnue d'utilité publique. Ses
objectifs visent à diffuser l'information sur le risque alcool. Aider
les personnes ayant des problèmes avec l'alcool agi comme groupe
de contre pression (144). Les moyens d'action sont doubles, la
formation des responsables, la prévention (145). Il est récemment
parti une fois de plus en guerre contre la "drogue légale" (146).
La législation française en matière d'alcoolisme est
répartie dans trois Codes : le code des débits de boissons, le Code
de la santé publique, et le Code de la route. On peut regrouper
ces textes en distinguant d'une part, la boisson, d'autre part le
· consommateur (147).
a) La boisson
Le Code des débits de boissons de 1955 remanié. depuis est
divisé en une partie législative et une partie réglementaire.
Il comporte un réseau de dispositions nombreuses relatives
au statut de la boisson. On sait que pour lutter plus efficacement
contre l'alcoolisme, le législateur a interdit la fabrication et la
commercialisation de certaines boissons réputées dangereuses pour
la santé publique (art. L. 5 C. des débits), assorties de sanctions
diverses. On sait également que pour les boissons autorisées
certaines d'entre elles sont soumises à déclaration préalable.
Enfin, le problème le plus actuel aujourd'hui est relatif à la
publicité.
(144) Une illustration récente de cette action est le placard publicitaire inséré dans le
journal Le Monde le 21mai1987 Alcool: non à la publicité télévisée.
(145) Il ne faut pas oublier la Société française d'alcoologie dont certains de ses
membres mènent régulièrement campagne contre l'alcoolisme. V. par exemple J.
Ades, Alcoolisme, toxicomanie française, Le monde 17 mai 1987 ainsi que les
associations anti-alcooliques.
(146) J. Serignan, La drogue légale, Le Monde 3 décembre 1985 ; voir également Le
Monde du 17 mars 1987, art. du Dr. C. Sautier, Hypocrisie : la maladie nutritionnelle
de l 'Hexagone".
(147) Ne sera pas évoqué ici le statut des débits de boissons, celui des débitants. Sur
tous ces points, cf. Merle et Vitu, Droit pénal spécial, n • 1490 s., Jur. pénal. annexes
Débits de boissons fasc. 2 par P.J. Doll et H. Guérin.
�Jacques BORRICAND
121
Il est apparu en effet que l'un des moyens les plus
efficaces pour lutter contre la consommation d'alcool consistait à
réglementer très strictement ladite publicité.
Est naturellement interdite la publicité relative aux
boissons interdites (absinthe) (148).
Parmi les autres boissons, la publicité est moins ou plus
réglementée selon la catégorie considérée.
Si la publicité demeure entièrement libre pour les boissons
du Ier groupe (thé, café, chocolat), elle n'est possible qu'à
certaines conditions pour les boissons des 2°, 3° et 4° groupes
(art. L. 18).
Il faut entendre par là pour le 2° groupe, les boissons
fermentées non distillées (vin, bière, cidre), pour le 3° groupe les
apéritifs et liqueurs, pour le 4° groupe les boissons distillées.
Toutes les autres boissons alcoolisées non interdites constituent le
5° groupe (wisky, vodka). Les articles 17 et 18 ont posé au
législateur français deux problèmes majeurs, d'une part les limites
de la publicité en droit interne, d'autre part la compatibilité des
dispositions du droit interne avec le droit communautaire.
1) Les limites de la publicité en droit interne
Aux termes de l'ancien artiçle · L. 17 Ier alinéa, "Il est
interdit d'effectuer une publicité, sous quelque forme qu'elle se
présente en faveur des boissons dont la fabrication et la vente
sont prohibées ainsi que des boissons du -5° groupe.
L'alinéa 2 dudit texte ajoutait "Il est également interdit
d'effectuer une publicité sous quelque forme qu'elle se présente
en faveur des boissons alcooliques sur les stades, terrains de sports
publics ou privés, dans les lieux où sont installées des piscines et
dans les salles où se déroulent habituellement des manifestations
sportives ainsi que dans tous les locaux occupés par des
associations de jeunesse ou d'éducation populaire".
S'appuyant sur le libellé restrictif de. cet article 17, le
gouvernement avait cru pouvoir introduire en 1986 la publicité
sur certaines chaînes de télévision, la 5 puis la 6, enfin Canal
plus, portant sur les alcools jusqu'à 9°C. Cette autorisation,
malgré les exhortations du Haut Comité contre l'alcoolisme et la
démission du professeur Claude Got (149) avait été étendue par
M. Léotard le 27 janvier 1987 à TF1. Le ministre avait justifié
cette publicité par le principe d'égalité interdisant le maintien
d'une discrimination en matière de publicité entre les chaînes du
secteur privé. Il soulignait d'autre part que "La France dispose en
(148) J.-Cl. Pénal annexes V· débits de boissons fasc. 2.1986 n • 13 et s.
(149) Le "mieux disant", alcoolique, Le Monde 21février1987.
�122
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
ce domaine d'un des régimes les plus sévères de publicité pour les
boissons alcooliques" ( 150 ).
Dès le 19 février, Madame Barzach devant les membres du
Haut Comité qualifiait cette situation de dangereuse "en ce qu'elle
permet la promotion de certaines boissons notamment étrangères
qui bénéficient déjà de la préférence des jeunes" (151). Puis
l'ensemble des associations anti-alcooliques annonçaient leur
intention de poursuivre M. Léotard devant le Conseil d'Etat (152).
A la même époque, les professeurs Bernard, Dausset, Jacob,
lancèrent un appel à la télévision contre le nouveau texte (153).
Devant ce front commun, M. Léotard annonçait son
intention de renoncer à la publicité sur les chaînes publiques sans
pour autant revenir sur l'autorisation accordée à TF1 (154). M.
Barrot proposait alors que la publicité pour l'alcool soit interdite à
toutes les chaînes de télévision ( 155).
C'est finalement cette solution que le Parlement a retenue
en votant la loi du 30 juillet 1987. Aux termes de l'article L. 17
"Est interdite la diffusion de messages publicitaires en faveur de
boissons alcoolisées de plus de l °C d'alcool :
". . par les organismes et services de télévision publics ou privés
dont les émissions sont diffusées par voie hertzienne ou par
satellite ou distribuées par câbles ;
"- dans les publications destinées à la jeunesse, définies au
premier alinéa de l'article Ier. de la loi n° 49-956 du 16 juillet
1949 .~ur les publications destinées à la jeunesse.
"- Est également interdite la publicité sous quelque forme qu'elle
se présente, en faveur des boissons alcooliques sur les stades,
terrains de sport publics ou privés, dans les lieux où sont
installées des piscines et dans les salles où se déroulent
habituellement des manifestations sportives ainsi que dans tous les
locaux occupés par des associations de jeunesse ou d'éducation
populaire.
"- Est interdite la publicité, sous · quelque forme qu'elle se
présente, en faveur des boissons dont. la fabrication et la vente
sont prohibées".
Toutefois, Madame Barzach, dans une circulaire en date
du 17 octobre 1987 dans un distinguo subtil a autorisé la
parrainage ( 156). Que dit cette circulaire ?
(150) Le Monde 23 février 1987.
(151) Le Monde 21février1987.
(152) Le Monde 27 mars 1987.
(153) Le Monde 19 mars 1987 et 21 mars 1987.
(154) Le Monde 27 mars 1987.
(155) Le Monde 3 avril 1987, v. également Got et Dubois, Des messages à mieux
distiller, Le Monde 6 avril 1987.
(156) J.C.P. 1987-111-60725.
�Jacques BORRICAND
123
"A la différence de la publicité qui vise à faire connaître des
produits et à inciter le public à les acheter, le parrainage a
essentiellement pour but de promouvoir l'image ou d'accroître la
renommée d'une firme, en associant celle-ci à autre chose qu'à la
vente de ses produits. Il s'exerce par le financement partiel ou
total de fêtes ou de manifestations culturelles ou sportives qu'il
contribue ainsi à soutenir.
La loi opère explicitement une distinction entre le
parrainage et la publicité en faveur des produits. Les activités de
parrainage n'étant pas expressément interdites sont autorisées. Les
producteurs de boissons alcooliques peuvent continuer, comme par
le passé, à soutenir ou à organiser les événements sportifs ou les
manifestations culturelles. Les parrains peuvent, à cette occasion,
faire apparaître dans les messages relatifs à ces événements ou
manifestations leurs noms ou leurs sigles".
Cette analyse n'est pas partagée par tout le monde. Pour le
professeur Got, aucune ambiguïté n'est possible. Il est clair selon
lui que le parrainage est interdit par la loi ( 157). D'ailleurs le
gouvernement reconnaît, lui-même dans sa circulaire, que lors de
la répétition trop fréquente du sens parrain peut être assimilé à
une opération publicitaire (I 58).
2) Droit interne et droit communautaire
Il faut rappeler que la législation communautaire interdit
toutes mesures d'effet équivalent, toutes mesl:J:res discriminatoires
entre les Etats et que les restrictions à l'importation entre les
Etats membres sont interdites.
Or en interdisant toute publicité en faveur des boissons du
5° groupe, le législateur français avait en fait défavorisé
essentiellement certains alcools étrangers (gin, wisky, vodka).
La commission des communautés européennes avait rendu
le 25 janvier 1978 un avis constatant que par la réglementation
qu'elle avait établie, la. France avait reconnu le principe de
l'égalité entre les pays du Marché Commun et qu'elle entravait les
échanges intra-communautaires.
C'est la raison pour laquelle une modification de la
législation s'imposait par l'instauration d'une réglementation
unique applicable aux boissons des 2° ,3° ,4° et 5° groupes (I 59).
{157) Le Monde 23 septembre 1987. Est-il besoin d'ajouter que les annonceurs euxmêmes demeurent réservés et ont renoncé à patronner un certain nombre de
manifestations sportives. Le Monde 19 octobre 1987. M. G. Baron, les parrains
confirment leur retrait, Le Figaro 24-25 octobre 1987.
(158) J.S. Cayla, la limitation de la publicité en faveur des boissons alcooliques, Rev.
droit sanit. et soc. 1988, p. 20. Boespflugh, La réforme des dispositions relatives à la
publicité en faveur des boissons alcooliques, Gaz. Pal. 22-24/5/1988.
(159) Merle et Vitu, t. Il n • 1489 ; J.Cl. Pénal, Annexes fasc. 2 1986 n • 24.
�124
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
b) Le consommateur
Trois ordres de dispositions visent à sanctionner le
consommateur intempérant. Leur dénominateur commun est qu'il
s'agit dans tous les cas de délits obstacles.
1) Jusqu'en 1873 l'ivresse publique n'était punissable que
si l'autorité administrative soucieuse du bon ordre public avait
promulgué à cette fin des dispositions réglementaires. Ce fut la
loi du 23 janvier 1873 qui combla cette lacune dont les
dispositions ont été reprises dans le Code des débits de boissons
(art. L. 65 s. ; art. R. 4 et R. 5) : "Quiconque dit l'article R.4 sera
trouvé en état d'ivresse manifeste dans les rues, chemins, places,
cafés, cabarets ou autres lieux publics sera puni d'une amende de
150 à 300 francs". En cas de récidive dans l'année, l'amende est
doublée et une peine d'emprisonnement de 6 jours au plus peut
être prononcée (art. R. 5). S'il y a une deuxième récidive, une
peine d'emprisonnement de 1 à 6 mois est prévue (art. L. 65) et
au cas de nouvelle rechute dans le délai de 5 ans
l'emprisonnement atteint 2 mois à 1 ans, une amende de 1 000 F
à 16 000 F (art. L. 66) (160). S'ajoutent à cet éventail des peines
complémentaires, soit obligatoires (interdiction de conduire,
privatiOn des droits énumérés par l'article 42 C.P.) soit
facultatives (déchéance de l'autorité parentale).
Cette répression de l'ivresse se justifie essentiellement
parce qu'elle est scandaleuse. mais la répression peut également
intervenir lorsque l'ivresse apparaît dangereuse.
2) C'est ce souci qui justifie les dispositions du Code de la
santé publique vis-à-vis des alcooliques.
En effet aux termes de l'article L. 355-2 "tout alcoolique
présumé dangereux doit être signalé à l'autorité sanitaire par les
autorités judiciaires ou administratives compétentes dans les deux
cas suivants : lorsque à l'occasion de poursuites judiciaires, il
résultera de l'instruction ou des débats des présomptions graves,
précises et concordantes permettant de considérer la personne
poursuivie comme atteinte d'intoxication alcoolique.
Sur le certificat d'un médecin des dispensaires, des
organismes d'hygiène sociale, des hôpitaux, des établissements
psychiatriques, l'autorité sanitaire peut également se saisir d'office
à la suite du rapport d'une assistance sociale, lorsque celle-ci se
rendra compte du danger qu'un alcoolique fait courir à autrui.
La notion d'alcoolique dangereux pour autrui n'est pas
précisée par les textes et peut apparaître source d'abus.
(160} Le casier des contraventions d'alcoolisme a été créé par arrêté en date du 9
janvier 1960 modifié par arrêté du 6 novembre 1981.
�Jacques BORRICAND
125
Certaines dispositions permettent d'ailleurs de procéder à
un dépistage plus systématique. Ainsi l'article L. 88 du Code des
débits (mesures contre l'alcoolisme) prévoit que les "officiers ou
agents de la police administrative ou judiciaire doivent lors de la
constatation d'un crime, d'un délit ou d'un accident de la
circulation faire procéder sur la personne de l'auteur présumé aux
vérifications médicales, cliniques et biologiques destinées à établir
la preuve de la présence d'alcool dans son organisme lorsqu'il
semble que le crime, le délit ou l'accident a été commis ou causé
sous l'emprise d'un état alcoolique les vérifications sont
obligatoires dans tous les cas de crimes, délits ou accidents suivis
de morts. Dans tous les cas où elles peuvent être utiles elles sont
également effectuées sur la victime".
D'autre part, l'article L. 3 du Code de la route autorise le
Procureur de la République à ordonner des contrôles d'alcoolémie
sur la voie publique à l'égard des conducteurs de véhicules, même
en l'absence d'une infraction préalable ou l'accident. Si l'état
alcoolique est patent, le conducteur et le véhicule sont
immobilisés (161).
3) Enfin et surtout, la législation routière se fait plus
répressive depuis l'ordonnance du 15 décembre 1958 instituant le .
Code de la route et notamment instituant le délit de conduite en
état d'ivresse ou sous l'emprise d'un état alcoolique. Jusqu'à la loi
récente du 10 juillet 1987, trois facteurs expliquent le
renforcement de la répression :
- D'abord on a assisté à une majoration considérable des
accidents de la route : IO 447 morts en 1985, IO 961 en 1986 dont
40 % sont provoqués par des conducteurs ayant un. taux
d'alcoolémie égal ou supérieur à 0,80 gr pour mille dans le sang
(162).
- Ensuite, l'indulgence des tribunaux vis-à-vis des chauffards est
manifeste. En · 1983 sur 1OO peines prononcées pour homicide
involontaire et conduite après boisson, 82 étaient des peines
d'emprisonnement (dont 61 assorties du sursis), 16 des peines
d'amende et 2 d'autres peines ; ainsi l'emprisonnement ferme
n'avait été prononcé que dans 21 % des cas, la durée moyenne de
cette peine étant d'ailleurs de 1,4 mois (163). On se souvient de la
malheureuse catastrophe de Beaune où 44 enfants ont péri.
Pourtant le tribunal et la cour n'ont condamné respectivement le
{161) Larguier, L'alcool, la police et le sang, D. 1962, Chron. 9, cf. A.N. n • 3158
annexe au P.V. 5 décembre 1985, rapport par M.J.P. Sueur et observations par G.
Bonnemaison ; Sénat n • 226, rapport par L. Boyer.
(162) Rapport Virapoullé n • 225 : Sénat 13 mai 1987 i J.Y Nau, Quatre mille
victimes de l'alcool sur les routes françaises chaque année, Le Monde 3 octobre 1987.
(163) Pradel, Un pari sur la dissuasion avec la loi du 10 juillet 1987 renforçant la
lutte contre l'alcool au volant, D. 1987 chron. 251.
�126
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
propriétaire de l'entreprise qu'à un an avec sursis et le chauffeur
à 6 mois avec sursis (164). Enfin on a souligné avec juste raison
"l'exploitation médiatique qui a été faite de certaines affaires"
(165).
Ces diverses raisons expliquent qu'en mars 1983 le
gouvernement ait déposé un projet de loi conduisant au
doublement des peines existantes. Le travail parlementaire a
consisté à amplifier le texte initial qui a débouché sur la loi du IO
juillet 1987 aux termes de laquelle deux types de peines sont
prévues. D'abord les peines principales sont majorées. Les deux
délits sous l'emprise d'un état alcoolique et de conduite en état
d'ivresse manifeste sont sanctionnés d'une peine de 2 mois à 2 ans
d'emprisonnement et de 2 000 F à 30 000 F d'amende. Ensuite la
loi nouvelle a multiplié les peines complémentaires, suspension et
annulation du permis de conduire, confiscation et immobilisation
du véhicule.
Ce trop rapide survol du droit positif présente l'intérêt de
voir combien la lutte des pouvoirs publics contre un fléau ancien
et unanimement dénoncé a été tardive et apparaît à bien des
égards encore. insuffisante. Il n'est pas étonnant que pour une
autre assuétude, le tabagisme, dont les effets si néfastes soient-ils
n'ont été que récemment dénoncés, l'action législative soit
simplement en train de s'organiser.
B - La lutte contre le tabagisme
Les historiens nous apprennent que si l'usage du tabac
remonte à la plus haute antiquité, c'est Christophe Colomb qui le
découvrant à Cuba en 1492 l'introduisit en Europe. L'ambassadeur de France au Portugal Jean Nicot utilise des feuilles de
tabac pour soigner ses migraines et Catherine de Médicis pour
soigner ses nausées. Le botaniste Karl Clussis assure que "le tabac
est un remède universel pour les maladies de toutes sortes" et en
Angleterre on organise des "smoking-parties" dans toutes les
classes de la société.
Fumer va alors connaître ses premiers martyrs comme
l'écrit J.-F. Lemaire (166).
En Perse le Shah Abbas fait trancher le nez aux priseurs
et couper les lèvres aux fumeurs. A Constantinople, le. Sultan
Mourad IV offre le choix entre la pendaison, fa pipe entre les
dents ou le bOcher de feuilles de tabac. L'usage du tabac est
(164) Trib. cor: Beaune 28 juin 1985, Le Monde 1er juillet 1985 peine confirmée en
appel.
(165) Pradel, Chron. préc., n • 2.
(166) Le tabagisme, Que sais-je ? 1986 ; Boegner, Les punis, Stock 1978 ; Tubiana,
Le refus du réel, Laffont 1977 ; Zivy, Le tabac, son histoire et son bon usage, U.G.E.
1965; R. Rochard, Le tabac, Rev. des Deux Mondes, janvier 1892.
�Jacques BORRICAND
127
interdit en Bavière, en Saxe, à Moscou. Dans tous ces cas ce n'est
pas la santé du sujet qui justifie l'interdit, c'est, soit une atteinte
à la religion, soit à un certain système de valeurs.
La France pour sa part, eut d'emblée une position plus
nuancée, annonciatrice de l'opposition actuelle entre le ministère
des finances et celui de la Santé. Au début du XVIIème siècle, le
premier impôt sur le tabac est établi. Richelieu majore ce droit
fortement et c'est Colbert qui l'afferme. En 1771, la ferme avait
été rapporté à l'Etat 27 millions. En 1809 Vauquelin isole la
nicotine. En 1811 Napoléon en quête de recettes nouvelles rétablit
le monopole du tabac que la Révolution avait abrogé. La cigarette
apparaît dans les années 1830 et se répand si rapidement que dès
1868 se crée l' Association française contre l'abus du tabac. C'est
de cette époque que l'on peut dater la tabacomanie ouvrant la
voie à une intoxication chronique appelée tabagisme, fléau
tardivement reconnu et tardivement sanctionné.
1 - Un fléau tardivement reconnu
Trois données peuvent être avancées pour expliquer que
l'usage abusif du tabac n'ait connu qu'une stigmatisation récente.
D'abord l'usage du tabac apparaît comme un phénomène socioculturel, ensuite les recherches médicales n'ont que tardivement
développé une pathologie du tabagisme, enfin comme pour
l'alcool, l'incidence économique est capitale.
a) le tabac. phénomène socio-culturel
D'abord vaguement médicinal, l'usage du tabac s'est vite
mêlé sous ses différentes formes, cigarette, cirage, pipe, aux
plaisirs de la société. Jusque vers la moitié du XIXème siècle,
chaque classe sociale avait une manière d'en user qui lui était
propre mais l'assuétude était la même pour toutes. Cela explique
une attitude générale de scepticisme à l'égard des méfaits du
tabac émanant de certains milieux médicaux. Un médecin n'écritil pas : "Les médecins qui voient les cas se multiplier sous leurs
yeux sont naturellement disposés à en exagérer la fréquence. C'est
une erreur d'optique presque inévitable dans notre profession"
( 167). Et il est piquant de voir la société contre l'abus du tabac,
futur comité national contre le tabagisme, organiser en 1858 un
concours sur les "effets du tabac sur la santé des gens de lettres et
son influence sur l'avenir de la littérature française"~décerner son
prix à un médecin, le futur Professeur Fleury, grand fumeur
devant l'éternel.
(167) Jean Rochard, Le tabac, Revue des Deux Mondes, janvier 1982.
�128
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
Beaucoup d'écrivains de l'époque, Georges Sand en tête,
fumaient et à cet égard l'attitude de Zola est significative. Tout
en dénonçant les horreurs de l'alcoolisme dans l' Assomoir, le
grand écrivain s'écrie : "Pourquoi ne pas laisser cette habitude
(fumer) à ceux qui n'en souffrent pas ?".
C'est qu'en effet ·fumer n'entraîne aucune incidence
notable immédiate sur la santé de l'individu. Au surplus le
tabagisme plus que toutes les autres toxicomanies a la particularité
d'accompagner la vie. Il n'existe aucun tabou à l'égard du tabac.
A tout moment, en tous lieux, les cigarettes s'allument et la
conversation s'anime. Facteur de convivialité, la cigarette facilite
l'échange. Les rencontres, les entrevues se passent souvent sous le
signe de la cigarette. Le fumeur tente inconsciemment de
s'identifier à une personne adulte, viril ce qui explique le succès
que rencontre la cigarette chez les jeunes cherchant à se fondre
dans le monde des adultes et à s'opposer à des parents vaguement
réprobateurs.
A la différence des autres toxicomanies qui souvent par
leur excès marginalisent le sujet, atteignent sa personnalité, le
tabagisme l'intègre pleinement dans son milieu. Il apparaît comme
une innocente manie dont les motivations sont plus personnelles.
Certains psychologues ont insisté sur la place de la composante
orale dans cette habitude : le besoin de fumer répondant à un
sentiment inconscient de vide, d'incomplétude. Molière dans Don
Juan par la bouche de Sganarelle exprime le côté familier de fa
cigarette "Ne voyez-vous pas bien dès qu'on en prend de quelle
manière obligeante on en use avec tout le monde et comme on est
ravi d'en donner à droite et à gauche partout où l'on se retrouve ? On n'attend même pas qu'on en demande" (168). Les
cigarettes de Jacques Prévert et de Jean-Paul Sartre sont célèbres
(169). Dans le monde du spectacle, on se rappelle la légendaire
cigarette d'Humphrey Bogart, mort d'un cancer du poumon à 57
ans, le long fume-cigarette de Marlène Dietrich, la fumée de
Serge Gainsbourg.
L'identification du public à ces modèles est dangereuse car
elle encourage la consommation du tabac dont les incidences sur
la santé sont actuellement reconnues.
(168) Don Juan, Acte I, scène 1.
(169) "Toute une cristallisation s'était faite, je fumais au spectacle, le matin en
travaillant, le soir après diner et il me semblait qu'en cessant de fumer, j'allais ôter
son intérêt au spectacle, sa saveur au repas du soir, sa fraîche vivacité au travail du
matin", Sartre, L'être et le néant, Gallimard, 1943, p. 686.
�Jacques BORRICAND
129
bl Pathologie du tabagisme
Depuis longtemps, on avait pressenti les méfaits du tabac
mais ce n'est que tardivement que des études systématiques ont
été conduites démontrant ses ravages. C'est qu'en effet les
conséquences du tabagisme sont extrêmement lentes à apparaître
et se manifestent toujours par des maladies de dégénérescence
survenant 10, 20, 30, 40 ans après le début de l'habitude
tabagique. Compte tenu de cet effet de retard, le lien entre ces
maladies et l'assuétude tabagique n'apparaît pas d'emblée à
l'évidence. "Plus que de cause, il faut parler de facteur à haut
risque sans qu'on puisse toujours élucider le mécanisme selon
lequel le tabac intervient dans la genèse des maladies" ( 170). Il est
cependant possible de faire les constatations suivantes. Le cancer
du poumon presque inconnu dans les années 50, représente
actuellement en Europe et aux Etats-Unis la cause principale de
mortalité par cancer chez l'homme. Aux Etats-Unis on est passé
de 18 000 décès en 1950 à 111 000 en 1982 et il est prévu en
France pour les années 90 30 000 victimes. Les affections du
système cardio-vasculaire placent l'abus du tabac en bonne place,
multipliant les risques déjà constitués par beaucoup d'autres
influences défavorables qu'il s'agisse de l'hérédité, de
l'alimentation, de la sédentarité, de l'obésité ou du psychisme.
Les atteintes buccales et digestives sont couramment liées
au tabac. Le cancer de !'oesophage est pratiquement inexistant
chez les non-fumeurs. Une étude conduite en Angleterre en 1964
établissait que près de 70 % des non-fumeurs en vie à 35 ans
l'étaient encore à 70 ans mais seulement 58 % des fumeurs
consommaient autour de 14 cigarettes par jour, 57 % des fumeurs
d'un paquet et 46 % des fumeurs de plus d'un paquet ( 171 ).
En 1975, à l'ouverture de la campagne anti-tabac, le
Français consommait en moyenne 2 300 cigarettes par an tandis
que l' Anglais en fumait 3 000 et l' Américain 4 000.
Par tranche d'âge, la situation n'est pas meilleure. On
fume de plus en plus tôt. Un français sur deux de moins de 25
ans fume. 95 milliards de cigarettes ont été vendues en France
durant l'année 1985 (172).
Pourtant malgré cet impressionnant tableau, la consommation de tabac a été longtemps fortement encouragée par les
pouvoirs publics en raison des retombées financières qu'elle
représente.
(170) Rapport Tisne, Aas. Nat. n • 2318, Annexe au P.V. du 21mai1976, p. 161.
(171) Que sais-je? p. 15, enquête Doll et Hill.
(172) Israel, Tabac et santé. Problèmes politiques et sociaux, 1974-48 ;
Baumgartner, Comprendre la toxicomanie, mode de vie tabac et santé, Impact n •
133, UNESCO 1984. Selon un rapport des services américains de la santé, le tabac
est une drogue dure, Le Monde 18 mai 1988.
�130
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
c) Le ooids économique du tabagisme
S'il est relativement aisé de chiffrer le revenu que procure
à l'Etat la vente du tabac, il est difficile de quantifier ce que lui
coûte le tabagisme.
Pendant longtemps la rentabilité fiscale a été seule
soulignée. On sait que l'Etat par l'intermédiaire du S.E.1.T.A.
assure seul la fabrication et la commercialisation du produit. De
1960 à 1973 les taxes versées par la S.E.l.T.A. à l'Etat sont passées
insensiblement de 55 à 897 %. L'augmentation des ventes du
tabac n'a pas été freinée pour autant : 82 milliards de cigarettes
en 1975, 95 en 1985 entraînant plus de 23 milliards de recettes
fiscales (173).
- Cette surconsommation inquiète fortement le Ministère
de la santé dans la mesure où le tabagisme pèse sur le budget de
la Nation. L'I.N.S.E.R.M. a fixé annuellement ce coO.t aux
environs de 10 milliards de francs tandis que le rapport remis à
Madame Barzach citerait une fourchette oscillant entre 10 et 40
milliards (174).
2 - Un fléau tardivement sanctionné
Malgré les recommandations des scientifiques la prise de
conscience des gouvernants vis-à-vis du tabagisme est toute
récente pour la simple. raison que la vente du tabac représente
pour l'Etat des ressources fiscales très importantes.
a) En effet, à part la Norvège qui, dès 1899,
interdisait la vente du tabac aux enfants de moins de 15 ans,
seules quelques législations sont intervenues il y a peu. En 1962,
l'Italie interdisait toute publicité pour le tabac~ sans distinction de
support. En 1963, la Bulgarie interdisait à son tour la vente des
cigarettes aux enfants de moins de 16 ans. En 1964 le
gouvernement fédéral américain engageait sa première campagne
anti-tabac, suivi par la Grande-Bretagne en 1967 (175).
(173) Pour une étude comparative, cf. rapport Tisne, préc. p. 3.
(174) Le Monde du 9 septembre 1987.
•
(175) Sur d'autres législations, notamment nordiques, cf. M. Payffa, Tabac et
tabagisme: Législation, in Assuétudes, op. cit., p. 117. Tout récemment le gouvernement espagnol a pris le 4 mars 1988 une série de mesures draconiennes contre l'usage
du tabac. Il sera formellement interdit de fumer dans les endroits publics. Le tabac a
été déclaré "substance nocive" par le conseil des ministres qui a proclamé "le droit
des non-fumeurs doit être protégé" par l'Etat, Le Monde du 7 mars 1988. Tout
récemment, aux Etats-Unis, une interdiction de fumer sur les vols intérieurs d'une
durée de moins de deux heures a été décidée, (Le Monde 20 avril 1988), tandis que le
gouvernement espagnol a pris une série de mesures draconiennes contre l'usage du
tabac, (Le Monde, 7 mars 1988).
�Jacques BORRICAND
131
b) Ces mesures prises par des législations
étrangères devaient être relayées par une campagne internationale.
D'abord en 1970 le "Comité des experts des effets du tabac sur la
santé" créé par l'O.M.S. présentait un rapport
à la 23ème
Assemblée mondiale de la santé d'où il ressortait que "les maladies
liées à l'usage du tabac constituent dans les pays économiquement
avancés des causes si importantes d'incapacité de travail et de
décès prématurés, que la lutte contre cette habitude pourrait faire
beaucoup plus pour améliorer la santé et prolonger la vie dans ces
pays que· n'importe quel programme particulier de médecine
préventive". Sur la base de ce rapport l'O.M.S. proposait alors aux
Etats membres dès 1971 un programme de lutte contre le tabac
aux termes duquel un certain nombre de mesures étaient
proposées : réduction de la publicité, fabrication de cigarettes
moins nocives, interdiction de l'usage du tabac dans les lieux
publics.
Dès 1975, la Conférence mondiale sur le tabac et la santé
tirait à New-York les premières conclusions des expériences
conduites dans la trentaine · d'Etats ayant promulgué une
législation spécifique. Mais plus de 70 d'entre eux n'avaient rien
encore entrepris. Enfin d'autres pays pour lesquels le tabac est la
principale source de revenus avaient continué leurs efforts en vue
d'accroître encore sa production (176). D'autre part, les rapports
des experts présentés à la Conférence fournissaient la preuve
formelle que la mortalité par cancer augmentait partout où l'usage
de la c.igarette était répandu. En 1979, se tenait à Stockolm une
nouvelle conférence qui devait établir que les producteurs de
tabacs devant les campagnes anti-tabac conduites dans les pays
industrialisés concentraient désormais leur activité vers les pays
en voie de développement où nulle politique de restriction n'a
encore été mise en place opérant ainsi un déplacement de la
clientèle ( 177).
A l'issue de la Conférence de Stockolm quatre
recommandations étaient adoptées pour les années à venir à
savoir:
- stabiliser la consommation du tabac dans les pays où elle tend
encore à progresser,
- affecter les taxes sur le tabac à une politique d'information des
.
méfaits du tabagisme,
- orienter principalement cet effort vers les écoles primaires et les
lieux de travail exposés aux pollutions.
(176) Pour un pays que le rapport ne nomme pas cette production annuelle de
cigarettes avait décuplé en 10 ans 1
(177) P. Millet, Directeur général du S.E.l.T.A., affirmait après la promulgation de
la loi Veil : "Nous escomptons grâce au développement de nos ventes en Afrique
maintenir un taux de progression annuelle de 15 % de nos exportations".
�132
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
- Enfin, tout récemment la commission européenne de Bruxelles a
décidé de soumettre aux douze pays de la C.E.E. un ensemble de
mesures sévères sur le tabac. Le projet de l'exécutif européenne
présenté le 21 janvier 1988 vise à réduire et à harmoniser les taux
maximum de goudron et à renforcer les messages d'avertissement
contre le tabagisme ( 178).
c) Les suggestions ou les directives proposées aux
Etats par ces conférences ou ces organismes supra-nationaux n'ont
pas été vaines. Pour ce qui est de la France, l'Académie ·de
Médecine devait en 1972 consacrer l'essentiel d'une de ses séances
aux conséquences pathologiques des effets du tabac et à leur
incidence sur le taux de mortalité générale et transmettre au
gouvernement un certain nombre de voeux rejoignant les
préoccupations de la conférence de Stockolm en les affinant. C'est
à Madame Simone Veil, alors ministre de la santé, que revient
l'initiative d'avoir proposé au Parlement en 1976 un projet de loi
relatif à la lutte contre le tabagisme ( 179) qui, amendé dans un
sens plus rigoureux, devait devenir la loi du 9 juillet 1976.
L'objet du texte était double : réduire l'ampleur de la
publicité et de la propagande en faveur du tabac et interdire de
fumer dans certains lieux publics. Sur ces deux points, la loi a été
complétée par des textes réglementaires, décret du 17 novembre
1977 et arrêté du 26 décembre 1986 pour ce qui est de la
publicité et de la propagande, décret du 12 septembre 1977 en ce
qui concerne l'interdiction de fumer.
Les restrictions apportées à la propagande et à la
publicité, l'interdiction de fumer dans certains lieux publics
seront les deux points successivement examinés.
- Pour ce qui est des restrictions apportées à la
propagande et à la publicité, on notera tout d'abord que la loi
interdit certains lieux ou certaines circonstances où cette
propagande pourrait se réaliser.
Sont prohibés la propagande et la publicité effectuées par
des moyens audio-visuels, par voie d'affiches, panneaux,
réclames, prospectus ou enseignes, par voie aérienne maritime ou
fluviale ou se traduisant par l'offre, la remise ou la distribution
gratuite ou non d'objets d'usage ou de consommation du tabac et
marqués du nom de l'emblème d'un produit du tabac oµ d'un
fabricant ou commerçant de tabac (art. 2 et 4).
De son côté, l'article 3 prohibe toute propagande ou
publicité indirecte ou clandestine. en faveur du tabac. Enfin, les
articles 10 et 11 interdisent aux producteurs fabricants ou
(178) Le Monde 27 janvier 1988.
(179) A. N. n • 2149, séance 2 avril 1976 ; A. N. n • 2318 rapport Tisne au nom de la
commission des affaires culturelles, familiales et sociales.
�Jacques BORRICAND
133
commerçants de tabac de patronner les manifestations sportives à
l'exclusion toutefois du sport automobile ou de faire apparaître
sous quelque forme que ce soit le nom, la marque ou l'emblème
publicitaire d'un produit du tabac ou d'un producteur ou
commerçant de tabac.
Cette longue énumération ne laisse guère subsister du
champ de l'interdiction que la publicité ayant la presse écrite
comme support. Mais cette faveur est toute relative. D'abord
aucune propagande ni publicité ne peuvent être faites dans les
publications destinées aux enfants et adolescents. Ensuite dans la
presse pour adultes la réclame faite pour le tabac ou les produits
du tabac ne peut comporter d'aucune mention que la
dénomination du produit, sa composition, les nom et adresse du
fabricant et éventuellement du distributeur, ainsi que toute autre
représentation graphique ou photographique que celle du produit,
de son emballage et de l'emblème de la marque. De plus le
volume de la publicité est limité à celui constaté en moyenne dans
cette presse pour les années 1974 et 1975. Une mise en garde des
consommateurs de tabac doit être faite sur chaque paquet qui doit
comporter en caractères apparents la mention "abus dangereux".
Le texte laisse donc place à une publicité informative destinée à
permettre aux fabricants de mettre au point des produits
hypotosiques.
Quant aux sanctions elles sont identiques quelle que soit
l'infraction constatée : amende de 30 000 F à 300 000 F. En cas
de récidive, l'amende peut être portée jusqu'au double et le
tribunal a la possibilité d'interdire pour une durée de l à 5 ans la
vente des produits du tabac qui ont donné lieu à une publicité
irrégulière ou interdite (art. 12) (180).
- Les interdictions de fumer sont de leur côté prévues par
le décret du 12 septembre 1977. Ce texte énumère les lieux où il
est interdit de fumer. C'est d'abord les locaux à usage collectif
autres que ceux qui servent exclusivement d'habitation
personnelle pour lesquels les interdictions- de fumer sont fixées
selon trois critères, soit la clientèle appelée à fréquenter le local
(écoles et collèges), soit le défaut de ventilation, soit la nature des
marchandises stockées (produits dangereux ou toxiques). C'est
ensuite les moyens collectifs de transport pour lesquels soit la
prohibition est absolue, soit limitée à une partie du moye!l de
transport.
Les infractions sont sanctionnées d'une amende modeste
de 150 à 300 F (181).
(180) D. Mayer, Droit pénal de la publicité, Masson 1979, n • 30 s., 59 et 189. La loi
du 13 janvier 1989 vient de modifier certaines dispositions de la loi de 1976 dans un
sens plus rigoureux (J.C.P. 1989.111.62348).
(181) Sans commune mesure avec l'amende de 3 000 dollars fixée début janvier 1988
�134
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
Cet arsenal législatif a reçu dans le public un accueil
relativement positif. Un sondage de la S.O.F.R.E.S. effectué en
décembre 1974 nous apprend que 70 % des personnes interrogées
s'étaient déclarées favorables à l'interdiction de toute publicité. Il
relève déjà un changement des mentalités qu'illustre l'exemple
américain qui révèle que le développement de l'information a
entraîné une baisse considérable de la consommation de tabac.
Une première campagne était lancée en 1979 par le
Ministère de la Santé, avec pour thème "L'éducation pour la santé
à l'école". Pourtant une étude menée à Villejuif en 1985 (182) a
révélé l'augmentation régulière des ventes de tabac (82,2 milliards
de cigarettes en 1975, 91,1 en 1984, 95 en 1986) faisant passer le
taux de 4,6 gr. par adulte et par jour en 1950 à 6,3 gr. en 1980,
soit + 37 %. Le nombre des gros fumeurs a quasiment doublé
entre 1973 et 1983.
Un document produit par le groupe de travail sur le tabagisme et remis à Madame Barzach en septembre 1987 souligne la
gravité croissante des conséquences médicales de la consommation
de tabac responsable en France de plus de 10 % des décès. Il
propose une meilleure application de la loi Veil dont la violation
est devenue patente et de nouvelles taxes frappant le tabac (183).
Le 15 janvier 1988 Madame Barzach à · l'occasion du
lancement d'une campagne anti-tabac "Le tabac c'est plus ça" a
rendu public un accord signé avec les principaux fabricants de
cigarettes aux termes duquel ceux-ci s'engagent à procéder à des
hausses régulières et progressives des prix du tabac d'ici au 1er
janvier 1993 afin de combler l'écart de l'ordre de 50 % entre les
prix pratiqués en France et ceux des autres marchés européens
(184).
pour réprimer ceux qui fument dans les lieux publics par le Maire de New- York. Le
Journal Le Monde du 9 février 1988 nous apprend que les fumeurs sont désormais
interdits de séjour au Lycée d'enseignement professionnel Bouvet-de-Romans dans
la Drôme. Tandis qu'aux Etats-Unis des entreprises n'hésitent pas à licencier les
fumeurs en raison du coQt représenté par le tabagisme, (Le Monde 4 mars 1988) et
qu'une juridiction de l'Etat du New-Jersey n'a pas hésité à reconnaître responsable
d'un décès un fabricant de cigarettes et accorda au plaignant 400 000 $de dommages
et intérêts {Le Monde 15 juin 1988).
(182) Cité in J.R. Lemaire, op. cit., p. 16.
(183) A. Hirsch, C. Hill, M. Frossart, J.P. Tassin, M. Pechabrier, Lutter contre le
tabagisme. Proposition au Ministre délégué chargé de la santé, La docurqentation
française 1988, 279 pages. Que les candidats parlent par A. Hirsch et C. Got, Le
Monde du 28 janvier 1988.
(184) Le Monde 16 janvier 1988. Le 8 avril 1988 a eu lieu la Journée mondiale sans
tabac à l'occasion de laquelle l'O.M.S. a décerné quarante médailles pour la lutte
anti-tabac, Le monde, 9 avril 1988. Un juge de l'Etat de New-York est allé plus loin
en déclarant recevable la plainte d'un veuf dont l'épouse était morte d'un cancer du
fumeur et en affirmant que les producteurs de cigarettes ont "conspiré afin de cacher
les preuves de la nocivité de leur produit devant le public", Le Monde, 28 avril 1988.
Cette plainte a débouché sur une condamnation partielle d'un groupe de fabricants
de cigarettes, {Le Monde du 15 juin 1988).
�TABLE DES MATIERES
PREFACE,
par Fernand BOULAN ..................................................................... 5
LA PROVOCATION,
par Fernand BOULAN ..................................................................... 7
DE L'OPPORTUNITE DES INTERDICTIONS PENALES
EN MATIERE DE TECHNOLOGIE DE LA REPRODUCTION
ET DE GENETIQUE HUMAINE - Etat actuel de la législation
et de la discussion scientifique en R.F.A.,
par Hans-Ludwig GÜNTHER ....................................................... 19
LA THEORIE DU CONTROLE SOCIAL ET L'EVOLUTION
DE LA CRIMINALITE,
par Maurice CUSSON ..................................................................... 39
LE TERRORISME,
par Bernard BOULOC .................................................................... 65
ASSUETUDES ET DROIT PENAL SPECIAL,
par Jacques BORRICAND ............................................................. 79
Table des matières ........................................................................ 135
�DEPOT LEGAL 2ème Trimestre 1989
��ISBN 2-7314-0024-1
OUVRAGES PARUS DANS LA MÊME COLLECTION
- CONNAITRE LA CRIMINALITÉ : Le dernier état de la question.
XXXlme Cours International de Criminologie, Année 1981
P. U. A. M. 1983
110 F
· S. CIMAMONTI : Le processus d'élaboration de la loi
"Sécurité et Liberté" - Essai d'analyse sociofogique.
Prix Gabriel TARDE 1982
P. U. A. M. 1983
110 F
- F. BOULAN, R. GASSIN, W. JEANDIDIER, G. LEVASSEUR, D. SZABO,
A. VITU.
Problèmes actuels de science criminelle
1
P. U. A. M. 1985
55 F
Prix : 70 F
Aix - lmp. Paul Roubaud
�
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/2/285/BUD-51701_PASC_1990.pdf
0fed6f88b44c04fc015c502a6d847d87
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Text
1
UNIVERSITÉ
DE
DROIT, D'ÉCONOMIE
D'AIX-MARS El LLE
ET
DES
SCIENCES
INSTITUT DE SCIENCES PÉNALES ET DE CRIMINOLOGIE
J.M. AUSSEL, J. BORRICAND, G. Dl MARINO,
A. NORMANDEAU, J. PRADEL
'
PROBLEMES ACTUELS
DE SCIENCE CRIMINELLE
Ill
1990
Vol 3
. PRESSES
UNIVERSITAIRES
1990
D'AIX-MARSEILLE
�1
UNIVERSITÉ
DE
DROIT, D'ÉCONOMIE
D'AIX-MARS El LLE
ET
DES
SCIENCES
INSTITUT DE SCIENCES PÉNALES ET DE CRIMINOLOGIE
J.M. AUSSEL, J. BORRICAND, G. Dl MARINO,
A. NORMANDEAU, J. PRADEL
'
PROBLEMES ACTUELS
DE SCIENCE CRIMINELLE
Ill
. PRESSES
UNIVERSITAIRES
1990
D'AIX-MARSEILLE
����UNIVERSITE DE DROIT, D'ECONOMIE ET DES SCIENCES
D'AIX-MARSEILLE
INSTITUT DE SCIENCES PENALES ET DE CRIMINOLOGIE
J.-M. AUSSEL - J. BORRICAND - G. DI MARINO A. NORMANDEAU - J. PRADEL
111
PROBLEMES
DE
SCIENCE
ACTUELS
CRIMINELLE
PRESSES UNIVERSITAIRES D'AIX-MARSEILLE
FACULTE DE DROIT ET DE SCIENCE POLITIQUE D'AIX-MARSEILLE
- 1990 -
��Cet ouvrage rassemble les conférences dispensées devant
les étudiants de la Faculté de Droit et de Science Politique d'AixMarseille durant l'année universitaire 1989-1990.
��JUSTICE PENALE ET TROUBLES MENTAUX
Par
Jean-Marie AUSSEL
Professeur émérite à la Faculté de Droit
de l'Université de Montpellier l
Le thème que je me propose sinon de traiter, du moins
d'évoquer devant vous ce matin, est un thème classique, éculé
même oserais-je dire, et pourtant de la plus grande actualité:
problème souvent mal résolu et dont les données n'ont guère
évolué depuis des décennies : comment la justice pénale se
comporte-t-elle à l'égard des délinquants qui présentent des
"troubles mentaux" et peut-elle adopter d'autres attitudes que
celles qui sont les siennes aujourd'hui ?
Je parle de "justice pénale" et non de "droit pénal" car j'ai
l'intention de vous parler du problème en France de façon
concrète et pratique : que se passe-t-il à l'heure actuelle lorsqu'un
criminel, par exemple, a commis son forfait alors qu'il souffrait
de perturbations mentales plus ou moins graves, comment les
institutions judiciaires et pénitentiaires vont-elles traiter
l'intéressé et quelles solutions vont-elles trouver ?
En France, les juridictions répressives statuent chaque
année, selon des principes bien rôdés mais fort fragiles, sur un
nombre considérable de personnes ayant commis des crimes ou
des délits alors qu'elles étaient affectées de déséquilibres
psychiques ou de désordres psychopathologiques plus ou moins
intenses. Si certains délinquants, au stade de l'instruction ou du
jugement, sont alors soustraits à la répression parce qu'esti]llés
irresponsables au sens du fameux article 64 du Code pénal, la
grande majorité d'entre eux, en revanche, condamnés à des peines
très variées, mais qui sont souvent des peines privatives de
liberté, ont une condition difficile et posent en tout cas aux
autorités pénitentiaires des problèmes ardus.
�6
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
Dans cet exposé sans prétention je ne vais même pas me
référer à l'immense littérature qui, depuis surtout cinquante ans,
a envisagé les relations de la criminalité et des troubles mentaux
ni aux controverses innombrables, dans les colloques nationaux ou
internationaux, qui ont surgi à propos du traitement des
délinquants malades mentaux. Je me contenterai de vous livrer
quelques réflexions simples, de procéder à un examen de la
question en me référant à des données concrètes et aux projets de
réforme qui ont été élaborés.
Pour ordonner ces réflexions, je crois devoir m'en tenir à
la distinction traditionnelle entre les délinquants souffrant de
troubles mentaux très graves et les délinquants présentant de
simples anomalies mentales. En effet, en France tout
particulièrement, le sort du délinquant malade mental est
fondamentalement différent, aussi bien dans le système actuel que
dans les projets de réforme publiés au cours des dernières années,
selon qu'il aura été reconnu "irresponsable" ou "non punissable"
parce que les perturbations psychiques dont il souffre sont très
graves, ou bien qu'il aura été jugé capable de subir une sanction
pénale. C'est au fond la distinction entre ceux que, dans une
terminologie contestable mais universelle, mondiale, on appelle
parfois les "aliénés mentaux" et ceux qu'on désigne comme des
"anormaux mentaux".
Aucune autre approche du problème ne me semble
possible si l'on veut découvrir les solutions concrètes, proches de
la vie quotidienne des juridictions.
I. - JUSTICE PENALE ET DELINQUANTS SOUFFRANT
DE TROUBLES MENTAUX TRES GRAVES
On imagine facilement que l'autorité sociale, en présence
de délinquants ayant perpétré des crimes ou des délits sous
l'empire d'importantes perturbations psychiques, désire adopter à
leur égard une attitude spécifique, orientée principalement vers
un traitement médical ou à dominante médicale, psychiatrique en
l'occurrence. Mais les comportements réels des acteurs de la scène
judiciaire sont complexes.
En effet les magistrats, face à la maladie mentale, sont
plutôt circonspects ; ils se sentent mal à l'aise et ... incompétents.
Ils auront donc tendance à souhaiter l'intervention des
psychiatres, sinon pour les décharger de leur responsabilité de
juge, du moins pour les éclairer et leur fournir des éléments de
solution. D'ailleurs, on ne voit pas à quelle autre catégorie de
personnes ils pourraient faire appel et les magistrats ont
évidemment raison, dans un souci de bonne justice, de ne pas se
�Jean-Marie A USSEL
7
fier à leur seules impressions personnelles dans un domaine aussi
difficile.
Les experts psychiatres, eux, inclineront souvent à vouloir
soustraire le délinquant, qu'ils estiment malade mental caractérisé,
à la justice et au déroulement de la procédure pénale, car ils
mettent au premier plan les exigences thérapeutiques, qui
excluent l'exercice de la répression.
Il en résulte, sinon un affrontement des juristes et des
médecins spécialistes qui est sous-jacent dans chaque affaire
judiciaire où se pose la question de la santé mentale de l'inculpé,
du moins une coexistence de mentalités différentes qui souvent se
heurtent.
Dans ce contexte je me propose d'évoquer devant vous
successivement la situation actuelle en France et les améliorations
du système qui pourraient intervenir.
A - La situation actuelle en France
Le débat essentiel, au stade de l'instruction mais aussi
parfois au stade du jugement, est centré, chacun le sait, sur
l'application ou non de l'article 64 du Code pénal. C'est un débat
très ancien, qui n'a guère changé depuis des décennies en dépit
de l'évolution, sinon des progrès, de la science psychiatrique et de
la rénovation du langage médical.
L'article 64, dans sa formulation même, est très radical :
"Il n'y a ni crime ni délit, énonce-t-il, lorsque le prévenu était en
état de démence au temps de l'action ...". Ce texte aurait pu être
interprété à la lettre et il signifierait alors que, si la démence est
reconnue, non seulement l'auteur de l'acte antisocial n'a commis
aucune infraction, mais l'acte lui-même disparait sans laisser de
traces ... La jurisprudence et la doctrine, on le sait, ont compris
depuis longtemps le texte comme signifiant simplement que la
"responsabilité pénale" de l'auteur disparaît sans que l'acte cesse
d'être un crime ou un délit. Il est donc possible, en particulier, de
poursuivre les coauteurs et les complices.
Il n'en reste pas moins que certains délinquants peuvent
être tentés de croire non seulement qu'ils n'ont rien fait de mal,
mais même qu'il n'ont rien fait du tout. Les praticiens ont
souvent relevé cet aspect "pervers" de l'article 64. Ainsi un
psychiatre montpelliérain m'a signalé le cas d'un homme, pon
malade mental, qui avait tué sa femme en l'étranglant dans un
moment d'exaspération ; reconnu par le juge "aliéné pendant une
fraction de seconde" et déclaré irresponsable sur la base de
l'article 64, il avait été libéré et, quelque temps plus tard, il
affirmait : "Je n'ai pas tué ma femme".
�8
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
Sans aller aussi loin et en interprétant le texte, ainsi que le
fait le droit positif, comme écartant simplement la responsabilité
pénale, on aboutit toutefois à une solution radicale qui refoule
l'intéressé hors du droit pénal, excluant toute notion de sanction
et de culpabilité, ce qui souvent ne paraît bénéfique ni au malade
ni à la société.
En effet, les inconvénients du système actuel peuvent être
résumés dans une double série de remarques qui ont trait,
d'abord, à l'expertise psychiatrique, ensuite, aux conséquences
juridiques de l'application de l'article 64.
a) Remarques sur /'expertise psychiatrique
Le recours à une expertise psychiatrique semble
indispensable chaque fois que le juge (le plus souvent il s'agit du
juge d'instruction) s'interroge sur l'application de l'article 64.
Quelques questions essentielles se posent alors :
- Un seul expert suffit-il ? Durant longtemps la
jurisprudence a écarté le principe de la dualité des experts, sous
prétexte que l'expertise mentale ne porterait pas sur le fond de
l'affaire, bien qu'en 1975 un arrêt de la Chambre Criminelle ait
estimé obligatoire l'intervention de deux experts. Depuis la loi du
30 décembre 1985, le problème ne se pose plus puisque l'article
159 nouveau du Code de procédure pénale laisse désormais le
juge entièrement libre, en quelques domaine que ce soit, de
désigner un ou plusieurs experts. On revient au vieux système de
l'expert unique.
Pourtant il apparaît que le juge, surtout en matière
criminelle, a tendance à demander l'avis de deux experts et cette
attitude me paraît devoir être approuvée. En effet, dans un
domaine aussi essentiel et aussi complexe que l'évaluation des
troubles mentaux, un avis isolé, formulé par un expert si
compétent soit-il, est insuffisant. En dépit de certains
inconvénients découlant de la participation de plusieurs
psychiatres, et qui ont trait surtout aux frais accrus de procédure
et à une moindre perception par les experts de leur responsabilité
personnelle, je crois que la pluralité d'experts est le plus souvent
souhaitable. Les conséquences d'une telle expertise sont telles qu'il
est sage de s'entourer d'un maximum de garanties. Or l'association
de compétences semble toujours supérieure à un avis isolé dans ce
domaine si impressionniste du diagnostic des maladies mentales.
- Quelle mission donner à l'expert ? La tâche de l'expert
est fort délicate, même si on ne lui demande plus, comme dans
l'ancienne pratique qui découlait de la circulaire Chaumié, de
�Jean-Marie A USSEL
9
statuer sur la responsabilité du sujet examine. Le Code de
procédure pénale, par la voie de simples circulaires (C. 345
surtout), donne des indications à l'expert, lui demandant de
rechercher "les anomalies mentales et psychiques" révélées par
l'examen, de déterminer si l'infraction est ou non "en relation
avec de telles anomalies", si le sujet "présente un état dangereux
et doit être interné dans un établissement psychiatrique", s'il est
"accessible à une sanction pénale", enfin s'il est "curable et
réadaptable".
Les réponses à des questions aussi complexes ainsi posées
à l'expert constituent de toute évidence une tâche redoutable,
presque une mission impossible, bien qu'elles laissent au juge le
soin de décider seul, au vu du rapport d'expertise, s'il estime la
responsabilité pénale annihilée ou non, d'appliquer ou d'écarter
l'article 64.
Le travail des psychiatres est d'autant plus difficile que
l'état d'aliénation mentale doit être grave, même si le terme
"démence" est interprété de façon large. Seulement les critères
permettant de distinguer une aliénation mentale caractérisée d'une
foule de perturbations psychiques moins graves n'existent guère et
les spécialistes sont souvent fort embarrassés, insistant sur les
limites et les imperfections des connaissances psychiatriques.
Notons enfin que l'état de démence doit exister au moment
de /'in/raction et être en rapport avec l'infraction commise.
Comment démontrer un état et une relation de causalité aussi
fuyants et impalpables ? Car, si l'expert peut, à la rigueur,
déterminer, lors de son examen, les anomalies mentales ou les
psychoses dont souffre l'inculpé, ou encore émettre un avis sur
l'existence d'un état dangereux, il lui est beaucoup plus difficile
de savoir si, quelques semaines ou quelques mois auparavant, lors
de la commission de l'infraction, l'intéressé souffrait des mêmes
anomalies et surtout, à supposer qu'elles aient alors existé, si elles
ont été à la source de l'infraction réalisée.
b) Remarques sur les
l'application de l'article 64
conséquences
juridiques
de
Lorsque le juge décide de mettre en oeuvre l'article 64
parce qu'il estime les conditions remplies, il va faire bénéficier
l'intéressé, on le sait, soit d'une ordonnance ou d'un arrêt de oonlieu, soit d'un jugement de relaxe ou d'un arrêt d'acquittement si
l'affaire était parvenue au stade du jugement.
Une conséquence capitale en découle : le malade mental
échappe désormais à toute emprise du droit pénal, et ce de façon
radicale : étant étiqueté "pénalement irresponsable", il est à l'abri
de toute action qui viendrait de la justice pénale, seule sa
�10
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
responsabilité civile pouvant être mise en cause en vertu de
l'article 489-2 du Code civil. Ainsi le dessaisissement du juge
pénal est total et définitif. L'individu remis en liberté pourra
seulement faire l'objet d'une mesure de placement en
établissement psychiatrique. Mais la mesure est de la compétence
de l'autorité administrative, en l'espèce le préfet, et il faut que le
malade présente un danger pour l'entourage familial et social.
Dans les cas d'extrême gravité, il est vrai, les autorités judiciaires
se mettront en rapport avec l'autorité préfectorale de telle sorte
que la décision d'internement soit prise au moment de la
libération de l'aliéné mental : à sa situation de détenu provisoire
se substitue immédiatement la condition de pensionnaire d'un
établissement psychiatrique, mais sans qu'il y ait désormais une
possibilité de collaboration entre la justice pénale et l'univers
psychiatrique qui engloutit le malade. D'ailleurs nombre de
"déments" libérés par les magistrats rentrent dans le circuit social
ordinaire où ils ont désormais toute latitude pour se faire soigner
ou ... pour récidiver ...
On doit reconnaître que ce système est d'une grande
simplicité et même d'une telle simplicité que beaucoup de
magistrats et de psychiatres estiment depuis longtemps et
continuent à estimer qu'il n'est pas si mauvais, en tout cas qu'il
est difficile de le remplacer par un autre.
Certes on a bien conscience, dans les milieux judiciaires et
médicaux, du vieillissement d'un système qui n'a guère bougé
depuis le début du XIX siècle où, à cette époque, l'apparition de
l'article 64 avait constitué sans doute un progrès par rapport aux
traitements souvent répressifs ou obscurs infligés dans les siècles
antérieurs aux fous criminels. On reconnaît aussi volontiers que
l'article 64 correspond à la philosophie pénale de l'époque qui
mettait au premier plan le concept de libre arbitre : si la
responsabilité pénale a pour base le libre arbitre, l'état de
démence, qui vient supprimer la faculté de discernement et la
conscience, abolit du même coup la responsabilité et fait dès lors
échapper le malade à la justice répressive.
Et pourtant, si, de l'avis général, ce schéma classique est
dépassé au regard de l'évolution des sciences humaines, médicales
et sociales, beaucoup répugnent à changer de système. Peut-être
parce que c'est le système qui assure le meilleur confort
intellectuel pour les praticiens concernés, magistraJs et
psychiatres.
Les magistrats, d'abord, embarrassés souvent par l'affaire
et s'estimant incompétents, n'ont plus, en présence d'expertises
relativement nettes ou concordantes, qu'à décider le non lieu ou
l'acquittement, se déchargeant ainsi désormais de tout souci en
éloignant le délinquant de l'appareil répressif. En l'étiquetant
0
�Jean-Marie A USSEL
11
"dément", ils renvoient la solution du problème aux "hommes de
l'art", aux psychiatres.
Les psychiatres, eux, s'ils croient avoir diagnostiqué une
maladie mentale grave, telle qu'une psychose caractérisée, ne vont
plus songer qu'au "traitement" du malade qui suppose qu'il n'y ait
plus intrusion d'une autorité répressive brandissant la menace
d'une sanction. Et leur attitude est souvent la même quelle que
soit l'infraction commise, quel que soit le caractère dangereux du
malade. Dès l'instant où l'article 64 a été appliqué, l'aliéné mental
délinquant est considéré comme un malade ordinaire au milieu
des autres malades. Les psychiatres vont pouvoir mettre en oeuvre
leur projet thérapeutique qui ne sera entravé par personne et ne
sera obscurci par aucune ombre "juridique" : il n'y a pas de
contrôle possible de la part de la justice pénale, et pas de recours
possible de la part du malade ...
On pourrait illustrer les inconvénients du système actuel
en analysant quelques affaires criminelles de ces dernières années
où le dessaisissement de la justice pénale fondé sur l'article 64 a
posé maints problèmes. Je n'en évoquerai qu'une, l'affaire Issei
Sagawa, cet étudiant japonais qui avait tué une étudiante
néerlandaise de vingt-cinq ans, le 11 juin 1981 à Paris, puis
l'avait dépecée avant d'en manger les morceaux. S'appuyant sur
les rapports de trois experts, le juge d'instruction rendit une
ordonnance de non-lieu le 30 mars 1983 et le "dément" Issei
Sagawa fut alors interné à l'hôpital psychiatrique de Villejuif,
malgré les protestations de la partie civile et les avis divergents de
nombre de psychiatres qui estimaient qu'il s'agissait d'un "grand
pervers sexuel". Le 22 mai 1984, le malade était transféré dans un
hôpital de Tokyo, d'où il est sorti en aoO.t 1985 : les médecins
japonais auraient estimé que leur patient n'avait plus besoin de
traitement, et ce dernier a été autorisé à vivre chez ses parents ...
B - Les améliorations possibles du système
Les propositions de réforme sont anciennes et nombreuses.
Je m'en tiendrai aux plus récents projets français que je vais
évoquer dans leurs grandes lignes.
Les réformateurs éventuels font essentiellement trois
propositions que l'on peut résumer ainsi :
- 1ère proposition : une définition des troubles mentaux
graves
Tout le monde s'accorde pour estimer le terme "démence"
inexact, bien que ce terme soit entendu depuis longtemps, non
dans le sens étroit et technique de déchéance progressive et
�12
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
irréversible de la vie psychique, mais dans le sens très général
d'aliénation mentale caractérisée et visant toutes les formes de
l'aliénation mentale qui enlèvent à l'individu le contrôle de ses
actes au moment où il les a commis. Il serait donc opportun,
sinon utile, de disposer d'une formule plus moderne pour
désigner ces troubles mentaux graves qui peuvent entraîner
l'impunité.
Depuis une dizaine d'années les commissions de réforme
du Code pénal ont ainsi mis au point une nouvelle définition. Les
avant-projets de Code pénal de 1976 (article 2201) et de 1978
(article 40) parlaient de "trouble psychique ayant aboli le
discernement ou le contrôle des actes" tandis que l' Avant-projet
de Code pénal publié en juin 1983 (article 31), comme le projet
de loi portant réforme du Code pénal (article 122-1), publié en
1988 et devant être examiné par le Sénat au début du mois de
mai 1989, énoncent que "n'est pas punissable la personne qui était
atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses
actes".
Pareilles formules, très générales et d'allure relativement
moderne, ne semblent guère contestées par la plupart des
magistrats et des psychiatres, bien que certains d'entre eux
s'inquiètent de l'extension probable des cas d'irresponsabilité
grâce à cette nouvelle définition, notamment chaque fois qu'un
crime a été commis sous l'influence d'une exaspération
passionnelle ou par impulsivité.
Certes une telle dérive est possible, mais ne l'est-elle pas
aussi avec l'actuel terme de démence, qui peut être interprété
pratiquement aussi largement ? Il est bien évident qu'aucune
formule n'est satisfaisante si l'on considère la complexité et la
variété des troubles psychiques, et que la formule n'est pas
l'essentiel ... Car c'est le praticien seul qui peut, dans chaque cas
concret, apprécier s'il s'agit d'un trouble psychique suffisamment
grave pour avoir annihilé plus ou moins complètement le contrôle
par le sujet de sa personnalité profonde, et si une pénalité n'a
aucune raison d'intervenir.
2ème proposition
la substitution
punissabilité" à "l'irresponsabilité pénale"
de
la
"non
Il semble que l'on ait voulu, ces dernières années en
France, abandonner le difficile problème de !'imputabilité de
l'infraction au malade mental et que l'on ait préféré désormais se
placer sur le plan de la sanction : au lieu de déclarer
l'irresponsabilité,
qui
paraît être
une
notion
d'ordre
philosophique, on se contentera d'exempter le malade de
�Jean-Marie A USSEL
13
l'application d'une sanction pénale. Le délinquant présentant des
troubles mentaux très graves n'est pas accessible à une sanction
pénale ou, du moins, la peine est, pour lui, inadaptée ou nocive.
C'est pourquoi les divers textes proposés dans la décennie écoulée
emploient le terme "non punissable".
On peut se demander cependant s'il ne s'agit pas
simplement d'une question de vocabulaire ... Et, d'ailleurs,
l'article 64 ne parle pas d'irresponsabilité. Ce qui est important,
en cas de déclaration d'irresponsabilité comme en cas de
déclaration de non punissabilité, c'est l'arrêt de la procédure
judiciaire ordinaire et l'admission du malade à un statut
spécifique d'individu en traitement. Mais il reste à déterminer
comment le traitement va s'opérer et qui en aura la maîtrise.
- 3ème proposition : le sort du délinquant déclaré malade
mental impunissable
Depuis longtemps on a proposé que l'autorité judiciaire ne
soit plus dessaisie de l'affaire après la reconnaissance de
l'aliénation mentale, mais collabore, d'une certaine manière, avec
les psychiatres dans le traitement du malade. Ce dernier ne serait
plus ainsi assimilé à un malade mental ordinaire, mais aurait un
statut spécial fondé sur sa double qualité de délinquant et de
malade mental.
Laissant de côté les solutions adoptées par certains droits
étrangers (Belgique, Suisse, Italie, ... ) et les discussions
doctrinales, je limite mes observations aux deux avant-projets de
réforme du Code pénal français élaborés en 1978 et en 19851988.
L'Avant-projet de 1978 accordait aux magistrats la
possibilité de décider eux-mêmes du placement de l'intéressé dans
un établissement psychiatrique. En effet l'article 40, alinéa 2
énonçait que "... l'auteur du crime ou du délit, lorsque son état est
de nature à compromettre l'ordre public ou la s-0.reté des
personnes, est placé dans un établissement spécialisé par décision
de la juridiction d'instruction ou de jugement". Quant à la fin de
l'internement, il était aussi, dans cet avant-projet, de la
compétence de l'autorité judiciaire.
En revanche, l' Avant-projet élaboré en 1983 et devenu le
projet de loi portant réforme du Code pénal, publié en l 98B et
devant être soumis au Sénat an mai prochain, est revenu en
arrière en ce qui concerne les pouvoirs des autorités judiciaires.
Ainsi l'article 122-1 du Projet de Nouveau Code pénal se
contente de donner une nouvelle définition de la personne malade
mentale non punissable, ne maintenant plus la solution retenue en
1978 en ce qui concerne le placement en service hospitalier
�14
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
spécialisé et la sortie de ce service. Certes la commission de
réforme avait expliqué en 1983 cette position en retrait en
invoquant une modification prochaine du régime des placements
d'office. Et très récemment, Monsieur Claude Evin, ministre de
la solidarité, de la santé et de la protection sociale, lors du 21°
Congrès de l'Union nationale des amis et familles de malades
mentaux tenu en Avignon le 2 décembre 1988, a annoncé le dépôt
imminent d'un projet de loi destiné en particulier à mieux
garantir les droits des malades hospitalisés en institution
psychiatrique et à aménager les procédures de soins sous
contrainte. Une révision périodique de la décision de placement
serait instaurée.
Il n'en reste pas moins que le problème des pouvoirs
respectifs des juges et des psychiatres demeure posé et que sa
solution me paraît urgente. Le non dessaisissement des autorités
judiciaires est, à mon avis, souhaitable à la fois dans l'intérêt du
délinquant (qui aurait ainsi certaines garanties lors de son séjour
en établissement psychiatrique lui permettant de se protéger d'un
impérialisme médical qui n'est pas toujours imaginaire et qui, de
plus, ne serait pas totalement "irresponsabilisé") et dans l'intérêt
du corps social, qui pourrait être mieux protégé contre des sorties
inopinées de malades dangereux, et surtout qui aurait l'impression
que l'infraction est d'une certaine façon reconnue et que son
auteur est pris en charge par la justice.
Les difficultés de mise en place et de fonctionnement
d'un tel système fondé sur une collaboration médico-judiciaire
étroite sont certes considérables et un régime de ce genre
rencontre bien des oppositions, surtout de la part de nombreux
psychiatres, qui voudraient conserver un pouvoir thérapeutique
pur, mais aussi de la part de tous ceux que l'on peut ranger dans
la mouvance dite anti-psychiatrique, et de certains philosophes et
sociologues du droit.
Cependant je ne crois pas que la situation qui découlerait
des réformes envisagées serait pire que celle que nous connaissons
actuellement et, en tout cas, l'expérience pourrait être tentée en
France. D'autant plus que la ligne de partage entre les délinquants
étiquetés "déments", et donc irresponsables ou impunissables, et
les délinquants reconnus seulement comme souffrant de troubles
mentaux mineurs, et donc responsables, est fort fluctuante et
fragile. De telle sorte qu'il arrive indiscutablement que certains
individus qui auraient pu fort bien être déclarés impunissables
soient condamnés plus ou moins sévèrement et se retrouvent ainsi
dans l'univers pénitentiaire. Les problèmes concrets soulevés par
la condition de ces personnes ne sont pas moins difficiles que
ceux que nous venons d'entrevoir.
�15
Jean-Marie AUSSEL
II. - JUSTICE PENALE ET DELINQUANTS PRESENTANT
DE SIMPLES ANOMALIES MENT ALES
Lorsqu'on scrute la pratique judiciaire, on constate que la
plupart des délinquants ayant fait l'objet d'une expertise
psychiatrique se voient refuser l'application de l'article 64 du
code pénal et qu'ils sont donc considérés comme pénalement
responsables et passibles d'une sanction pénale. Si l'on se réfère à
diverses statistiques privées ou publiques qui ont tenté de mesurer
le phénomène, on relève un pourcentage d'application de l'article
64 qui va de 3 % à 6 %.
Ainsi donc la justice pénale va devoir statuer sur le sort
de nombreux individus qui présentent, d'une façon ou d'une
autre, des signes de dérangement mental ou qui souffrent
d'affections psychiques ou neuro-psychiques variées. La plupart
seront condamnés et ils vont se retrouver soit en milieu fermé
sous la tutelle de l' Administration pénitentiaire, soit en milieu
libre, comme les condamnés à une peine d'emprisonnement
assortie du sursis probatoire.
Je vais analyser rapidement la condition concrète de ces
personnes à l'heure actuelle en France, avant d'envisager les
améliorations qui pourraient être proposées.
A - La condition actuelle de ces délinquants
Les autorités pénitentiaires et les juges d'application des
peines connaissent bien la complexité du problème : des milliers
d'individus souffrant de névroses, de troubles du comportement
ou du caractère, de débilité ou de "psychopathie", et qui ont
commis leur infraction sous la poussée de pulsions mal contrôlées,
se trouvent au milieu d'autres délinquants considérés a priori
comme "normaux" ou qui, du moins, ne manifestent pas
ostensiblement des troubles mentaux.
Quelles sont les principales situations et comment les
traite-t-on en pratique ?
a) Les principaux types de cas
Ce sont évidemment les
problèmes les plus difficiles.
prisonniers qui posent les
- D'abord les détenus provisoires : parmi les personnes
arrêtées et non encore jugées (environ 45 % de la population
pénale), on trouve inévitablement des individus qui, ayant
commis un crime souvent grave, sont dans un état mental très
critique ou même en crise psychotique. Durant quelques jours ou
�16
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
même quelques semaines, avant que le juge d'instruction ait pu
prendre une décision à leur égard et faire procéder à une
expertise psychiatrique, l' Administration doit les garder et
éventuellement leur prodiguer des soins indispensables.
Parmi ces détenus provisoires souffrant de troubles
mentaux, certains étaient perturbés psychiquement lors de
l'infraction ou même depuis longtemps avant l'infraction, mais
d'autres, qui jusque-là étaient apparemment indemnes de troubles
mentaux, vont manifester des troubles plus ou moins graves
déclenchés en particulier par le choc de l'incarcération ou les
contraintes de la vie carcérale.
- Ensuite les condamnés à une peine privative de liberté
relativement courte : ils ont bénéficié d'une indulgence de la part
de la juridiction de jugement en raison de leur "responsabilité
atténuée" retenue à la suite des rapports d'expertise mentale. On
connaît les difficultés et même l'absurdité de ce dosage de
responsabilité d'un délinquant et les réticences des psychiatres à
ce sujet, mais la pratique judiciaire utilise largement ce procédé
d'individualisation de la sanction grâce au mécanisme juridique
des circonstances atténuantes.
Deux exemples :
* Le cas de Gérard A., 23 ans, condamné le 20 février
1987 à cinq ans de réclusion criminelle par la Cour d'assises de
Paris. Ce garçon fragile, qui à quinze ans avait souffert de
"troubles nerveux" et qui avait été réformé par l'armée pour
motifs psychiatriques, avait étranglé son amie, qu'il adorait, le 21
septembre 1984. Il avait vingt ans ; elle n'en avait que seize.
S'agissait-il d'un crime passionnel ou du geste d'un "dément" ?
Les experts n'avaient pas tranché, se bornant à décrire le jeune
homme comme "un cas limite", à la jonction de la névrose et de la
"psychose de type schizophrénique". A l'audience, les psychiatres
sont même allés jusqu'à estimer qu'il ne pouvait être traité qu'en
dehors du milieu carcéral par une équipe comportant
nécessairement plusieurs spécialistes et lors d'une prise en charge
"de très longue durée" ...
* Le cas d'Yves M. est aussi déroutant. Agé de soixantetreize ans, il a été condamné le 15 novembre 1988 à cinq ans de
prison, dont quatre avec sursis, par la Cour d'assises de Paris pour
avoir attaqué, alors qu'il avait entre soixante-six et soixan.te-dix
ans, sept banques, prenant leurs directeurs en otages et dérobant
un total de 900 000 F. C'était, dira-t-il, pour financer des
recherches pour inventer un briquet écologique, capable
d'éteindre les cigarettes aussi facilement qu'on les allumait ... A
l'audience, les experts psychiatres se sont montrés hésitants et fort
embarrassés : "Y. M., ont-ils dit, est à la frontière entre la
�Jean-Marie A USSEL
17
pathologie et la normalité. Mais il s'agit plutôt d'un trouble du
caractère typique de la paranoïa. C'est un mégalomane
psychorigide tout à fait sllr de son bon droit ... II a un trouble de
l'appréciation du réel qui le rend inaccessible à une sanction
pénale ... Son équilibre reposait sur une hyperactivité. A la
retraite, il a voulu combler le vide, il a pris feu ... ". Sans
commentaires ...
- Les condamnés à une longue peine privative de liberté
posent un problème encore plus ardu dans la perspective d'un
traitement psychiatrique en prison. II n'est pas rare que les cours
d'assises condamnent même à la réclusion criminelle à perpétuité
des individus auteurs de crimes très graves, qui sont estimés
dangereux et "pervers", tout en constituant des énigmes
psychiatriques.
• Tel cet André P., ayant tué une prostituée en 1960, sa
femme en 1967, qui, après avoir récidivé en 1977 en tuant sa
fillette âgée de dix ans, a été condamné à la réclusion perpétuelle
par la Cour d'assises du Gard le 18 novembre 1982.
* Le cas de Daniel G. est encore plus difficile : accusé de
crimes d'enlèvement, séquestration, viol et tortures corporelles
commis entre 1977 et 1979 sur une femme et trois jeunes filles,
dont l'une devait succomber aux tourments qui lui avaient été
infligés, cet homme a été condamné lui aussi à la réclusion
criminelle à perpétuité, le 11 octobre 1984, par la Cour d'assises
du Val-de-Marne. Or Daniel G., âgé de trente et un ans en 1984,
avait été examiné par huit collèges d'experts durant cinq ans :
s'ils divergeaient sur l'avenir de ce pervers sadique (récidiviste en
puissance selon les uns, capable de se délivrer de ses névroses et
de ses psychoses selon les autres), ils estimaient tous que ce
mécanicien d' Air France était, lors de ses crimes, aux franges de
la psychose pathologique. Deux neuro-psychiatres, qui avaient été
commis pour examiner Daniel peu avant le procès, pensaient
même que le traitement chimiothérapique et psychothérapeutique
qui lui avait été appliqué en prison avait donné de bons résultas
et que l'intéressé était en voie de guérison ...
- Les condamnés devenus malades mentaux en prison
cette survenance de perturbations psychiques au bout d'un certain
temps, parfois après plusieurs années d'incarcération, peut
provenir de la fragilité psychique des intéressés mais peut aussi
être facilitée par les conditions de détention, le surpeuplement des
établissements, la longueur de la peine ou tout simplement la
privation de liberté elle-même.
�18
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
Enfin, les condamnés traités en milieu libre
(probationnaires libérés conditionnels, ... ) peuvent présenter, eux
aussi, des troubles mentaux nécessitant des soins.
b) L'intervention thérapeutique
Pour les diverses personnes souffrant de troubles
psychiques, l'exécution de la peine ou de la mesure ne peut pas
continuer à être conduite comme si ces troubles n'étaient pas
survenus. Leur situation est nécessairement prise en compte par
l' Administration. Mais comment ?
Laissant de côté le sort des condamnés traités en milieu
libre car, pour eux, le problème des soins à fournir aux malades
mentaux est bien sür plus aisé à résoudre, je considère
exclusivement la situation des personnes incarcérées.
Avec les détenus, en effet, les autorités pénitentiaires sont
confrontées à des problèmes concrets fort difficiles à résoudre : la
détection des malades mentaux au sein des établissements ; le
problème des premiers soins à dispenser d'urgence ; celui du
traitement des malades graves ou chroniques et celui de la
continuation de la peine.
A partir des données fournies par les rapports annuels de
l'administration pénitentiaire, on peut ainsi résumer son action :
• Le dépistage des troubles mentaux est réalisé d'abord
dans les établissements, grâce aux consultations du psychiatre
attaché à la prison, ensuite par les centres médico-psychologiques
régionaux, qui ont remplacé les anciennes annexes psychiatriques.
• Le traitement des malades, lui, est opéré soit dans
l'établissement même et par le psychiatre de la prison pour les
troubles légers, soit dans un centre médico-psychologique régional
pour les troubles plus importants, grâce à une équipe de médecins
qui peut recourir à une thérapeutique plus poussée, soit encore
dans les deux établissements pour "psychopathes", à ChâteauThierry et à Haguenau, qui sont alors des centres spécialisés dans
le traitement des malades mentaux, soit enfin dans un
établissement psychiatrique ordinaire si les troubles psychiques
sont très graves et nécessitent un tel transfert hors des
établissements dépendant de l' Administration pénitentiaire.
Les chiffres fournis chaque année par les autorités sont
significatifs et permettent de mesurer l'ampleur des situations
psychiatriques. Si l'on s'en tient au dernier rapport publié et qui a
trait à l'année 1986, 39 476 détenus ont été examinés au cours de
l'année dans le cadre du dépistage des maladies mentales et plus
de 8 000 perturbations mentales ont été diagnostiquées. Parmi
elles : 878 psychoses, 3 243 névroses ou états névrotiques, 3 047
psychopathies, 1 471 cas de débilité légère et d'arriération
�Jean-Marie AUSSEL
19
mentale. Le rapport indique encore que 9 058 toxicomanes ont été
traités, l 230 malades ont été adressés à un centre médicopsychologique régional et enfin que 220 détenus ont été envoyés
dans un hôpital psychiatrique.
Si l'on doit interpréter ces données statistiques avec
prudence, surtout quant à l'étiquetage des troubles mentaux tel
qu'il est présenté dans les rapports, il n'en demeure pas moins
évident que beaucoup de prisonniers sont sujets à des
perturbations psychiques. Parfois certes il arrive que des troubles
soient simulés, mais la plupart sont bien réels et dénotent une
particulière fragilité de nombre de délinquants au point de vue de
leur structure psychologique et caractérielle.
B - Les solutions nouvelles proposées
Sans même évoquer les quelques réalisations étrangères ou
les projets qui depuis longtemps ont fait l'objet de nombreuses
réunions scientifiques, j'indique simplement l'essentiel des
propositions faites depuis 1978 en France pour améliorer le sort
des personnes incarcérées perturbées psychiquement.
En effet, on pourrait songer, comme on l'a maintes fois
suggere, à instaurer un système de traitement spécifique
applicable aussi bien à ceux qui sont reconnus comme déficients
et anormaux mentaux dès leur condamnation qu'à ceux qui se
trouveraient atteints de troubles psychiques au cours de
l'exécution de leur peine.
L'autorité judiciaire pourrait alors recevoir compétence, à
l'égard des premiers comme à l'égard des seconds, pour décider
d'un traitement qui serait adapté à chaque catégorie de malades,
soit dans des établissements spécialisés, soit même parfois en
milieu ouvert ou libre, selon les modalités préconisées par les
responsables médicaux.
Cette collaboration médico- judiciaire d'un nouveau style,
dont le fonctionnement a été souvent étudié, semble avoir été
retenue en France par les récentes commissions de réforme du
Code pénal,
- En, effet, !'Avant-projet de 1978 avait prévu un régime
dit "médico-psychologique" dans les articles 36 al. 2, 68, 139 et
140. Selon ces textes, lorsque le condamné était atteint le jour de
l'infraction, ou même au moment du jugement, d'un "trouble
psychique qui, sans abolir son discernement ni le contrôle de ses
actes, était de nature à influencer son comportement", le juge
pouvait décider que l'emprisonnement qu'il prononçait serait
exécuté "en établissement à régime médico-psychologique", ce qui
entraînait, disait la commission de réforme dans son commentaire
�20
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
du projet, "affectation du condamné dans un établissement
pénitentiaire spécialisé doté des services médicaux, psychologiques
ou psychiatriques permettant de procéder à tout examen,
observation ou traitement nécessaire".
- Les textes divulgués à partir de 1983 paraissent moins
nets sur ce régime spécifique de détention. Toutefois l'Avantprojet de 1983 indiquait que "la juridiction peut décider que la
peine privative de liberté sera exécutée dans un établissement
pénitentiaire doté de moyens appropriés lorsqu'il apparaît, au
moment du jugement, que le condamné est atteint d'un trouble
psychique ou neuro-psychique qu'il convient de traiter". Quant au
projet de nouveau Code pénal, publié par Monsieur Badinter en
1988 et qui est le projet de loi soumis au Sénat en mai prochain,
il prévoit, dans l'article 122-1, al. 2, "que la personne qui était
atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de
ses actes demeure punissable ; toute/ois la juridiction tient compte
de cette circonstance lorsqu'elle détermine la peine et en fixe le
régime". Quant à l'article 132-22 du même projet de loi, à propos
de la personnalité des peines, il indique, sans préciser d'ailleurs la
nature du régime, que la juridiction fixe le régime de la peine "en
tenant compte notamment des circonstances de l'infraction, de la
personnalité, de l'état psychique ou neuro-psychique du prévenu,
de ses mobiles ainsi que de son comportement après l'infraction,
particulièrement à l'égard de la victime".
Ces divers textes, en dépit de leurs termes très généraux
et volontairement imprécis, semblent cependant prévoir ou
autoriser la possibilité d'organiser un régime autonome de
traitement à l'égard de cette masse de détenus condamnés qui
posent à !'Administration pénitentiaire des problèmes fort
difficiles, et cela dans le cadre d'une concertation médicojudiciaire organisée, remédiant ainsi à certaines carences actuelles.
CONCLUSION
Les délinquants qui étaient atteints lors de l'infraction de
troubles mentaux graves, paraissant avoir annihilé presque
totalement le discernement et le contrôle des actes, doivent être,
de toute évidence, soumis à un traitement d'ordre essentiellement
thérapeutique, sans exclure toutefois l'intervention de la justice
pénale, qui doit garder la maîtrise du traitement en association
étroite avec les médecins, et sans que soit négligée la personnalité
de
l'intéressé,
qui
ne
doit
pas
être
complètement
"déresponsabilisé", qui n'est pas dépourvu de droits et qu'il faut
savoir écouter.
�Jean-Marie A USSEL
21
Les délinquants souffrant de perturbations psychiques
moins graves, existant dès l'infraction ou le jugement ou apparues
au cours de l'exécution de la condamnation, doivent accomplir en
principe la sanction pénale prononcée, mais sans exclure un
traitement d'ordre thérapeutique conduit, si besoin est, par les
psychiatres dans des établissements adaptés.
Si bien que les propositions de changement qui sont
avancées tendraient à un rapprochement des deux grands types de
situations qui aujourd'hui sont radicalement différents. Ce
rapprochement me semble bénéfique, car l'observateur qui analyse
les cas concrets soumis quotidiennement à la justice pénale ne
peut qu'être frappé par la complexité des affaires, la relativité des
connaissances psychiatriques, la précarité des diagnostics, les
possibilités de dissimulation, parfois l'exploitation de la "folie"
dans les systèmes de défense, le caractère évolutif des troubles, la
souffrance des malades ...
Il semble donc nécessaire d'adopter des attitudes prudentes
et pragmatiques, ne figeant jamais les situations et permettant,
grâce à une collaboration médico-judiciaire intelligente, une
approche humaine, souple et humble des problèmes.
Cette concertation entre juristes et psychiatres est
souhaitée depuis longtemps par divers courants de science
criminelle, notamment par le président Marc Ance! depuis plus de
vingt ans. On peut certes aujourd'hui s'interroger sur la
permanence d'une telle orientation favorable à la participation
organisée des magistrats et des médecins dans le fonctionnement
de la justice pénale. Certains criminologues et pénologues
semblent actuellement ne plus croire au "traitement" des
délinquants et se méfient de l'intervention des "techniciens de la
personnalité", dans l'univers judiciaire ou pénitentiaire. Toutefois,
en ce qui concerne les délinquants souffrant de troubles mentaux,
la controverse me paraît sans objet : pour eux, l'appel à des
psychiatres semble plutôt indiqué ... Le seul problème est celui de
savoir si le juge doit s'effacer entièrement derrière le psychiatre
ou bien s'il peut collaborer avec lui dans une relation difficile
certes mais qui apparaît irremplaçable.
��PROGRES SCIENTIFIQUE, ETHIQUE ET DROIT
Par
Jacques BORRICAND
Professeur à l'Université de Droit, d'Economie et des Sciences
d'Aix-Marseille
Directeur de l'Institut de Sciences Pénales et de Criminologie
d'Aix-en-Provence
INTRODUCTION
De !'infiniment grand à !'infiniment petit, la science
pousse sans cesse de nouveaux rameaux à un rythme qui s'est
considérablement accéléré au cours des siècles.
Elle a révolutionné notre mode de vie. Elle conditionne
nos habitudes de pensée. Elle pénètre et modifie le droit dans
nombre de ses branches : définition des frontières de la vie et de
mort, procréation et filiation, médecine mentale, criminalistique,
droit de la preuve ...
D'une part, elle rassure quand, grâce à l'expertise
sanguine, par exemple, la vérité biologique est approchée ou
quand le développement de la police scientifique contribue à
faciliter la détection des malfaiteurs.
D'autre part, elle inquiète à cause des excès auxquels elle
peut conduire.
C'est pourquoi, depuis longtemps un consensus s'est
dégagé sur la nécessité d'un contrepoids à cette toute puissance de
la science. Jadis qualifiée d'impératif moral, ce contrepoids est
couramment appelé aujourd'hui éthique (1 ). On connaît
(1) L'éthique a donné le jour à une abondante littérature. Citons sans prétendre être
exhaustif: Licéité et référence aux valeurs, Université de Louvain, 1982 ; D. Thouvenin, Ethique et droit en matière biomédicale, D. 1985. Chronique 21 ; J.B.
d'Onorio, Biologie morale et droit, J.C.P. 1986-1-3261; Comité consultatif national
d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé, Rapports 1984, 1985, 1986, 1987.
La documentation française ; De l'éthique au droit, Etude du Conseil d'Etat ; C.
Labrusse-Riou, Biologie, Ethique et droit, Rev. Recherche Juridique 1985-2 i G.
Memeteau, La place des normes éthiques en droit médical, ibid. 1988-2 ; J.M. Auby,
�24
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
l'importance du comité national d'éthique pour les sciences de la
vie et de la santé qui apparaît comme le gardien vigilant de
certaines valeurs essentielles. Si la réflexion philosophique sur le
pouvoir que détient l'homme d'agir sur l'espèce humaine n'est pas
nouvelle, les progrès réalisés ces quinze dernières années en
biologie lui donnent une toute nouvelle dimension. Ces progrès
permettent en effet d'intervenir directement dans le processus de
la vie (2).
C'est dire l'autorité des avis émis par le comité en matière
de bioéthique sur la procréation médicalement assistée ; la
congélation ou le don d'embryons par exemple (3).
Il n'est pas question de dresser ici l'inventaire des
domaines dans lesquels le progrès scientifique trouve sa projection
dans l'ordre juridique, mais de présenter deux illustrations
récentes du difficile équilibre entre progrès scientifique et respect
des valeurs éthiqueso
On peut assigner deux finalités à la science. Tantôt elle
vise à améliorer la santé de l'homme. C'est la technique de
l'expérimentation médicale, enfin réglementée en France par la
loi du 20 décembre 1988.
Tantôt le progrès scientifique est mis au service de la
vérité procédurale. C'est la toute récente invention des empreintes
génétiques.
Droit à la santé, droit à la vérité, tels sont les deux aspects
du progrès scientifique qui confrontés au respect des valeurs
éthiques seront ici tour à tour envisagés.
Règle juridique, règle déontologique, règle d'éthique en matière biomédicale, Rev.
sociologie et santé 1988; R. Geraud et Ch. Merger, De l'ovule à l'étoile, 1988,
Librairie de Provence, Aix-en-Provence, p. 179. Ambroselli, L'éthique médicale, Que
sais-je? P.U.F. 1988; Thévenot, La bioéthique, Le Centurion, 1989; J. Bernard, De
la biologie à l'éthique, Buchel-Chaatel, 1989; Numéro spécial de Déviance et société
sur les Techniques biomédicales, 1989, pp. 415.
•
{2) Le Figaro 24 mai 1989 noua apprend qu'avec l'autorisation du gouvernement
américain a eu lieu la première manipulation génétique sur l'homme.
(3) P. Kayser, Documents sur l'embryon humain et la procréation médicalement
assistée D. 1989, p. 193; Le Monde, 13 décembre 1985 ; Libération 16-17 décembre
1989. Une proposition de directive sur les développements qui interviennent dans le
traitement des embryons et des foetus et dans la bioéthique en général est
actuellement soumise à l'Assemblée Parlementaire du Conseil de l'Europe {31 janvier
1989).
�Jacques BORRICAND
25
PREMIERE PARTIE
L'EXPERIMENTATION MEDICALE
L'expérimentation sur l'homme n'est pas une nouveauté.
Les Anciens la pratiquaient déjà. Mais depuis quelques années,
elle a pris une telle extension qu'il est à peine exagéré de parler
de véritable révolution. A côté des hôpitaux traditionnels, on a vu
apparaître les C.H.U., qui illustrent l'association toujours plus
étroite des activités thérapeutiques avec les activités d'enseignement et de recherche. La création de l'I.N.S.E.R.M. (Institut
national de la santé et de la recherche médicale), la multiplication
des laboratoires ont contribué à amplifier la vague déferlante de
l'expérimentation (4).
Ce phénomène a pu paraître inquiétant. Il évoque
irrésistiblement les expériences auxquelles se sont livrés pendant
la seconde guerre mondiale les médecins allemands dans les
prisons ou dans les camps de concentration (5).
On comprend dès lors qu'au lendemain de la guerre
nombre d'Etats aient voulu se prémunir contre le renouvellement
de tels excès. Dès 1947, une liste de dix principes relatifs à
l'expérimentation sur l'homme, connue sous le nom de Code de
Nuremberg, fut rédigée sur l'initiative de la World medical
association, constituant une référence éthique majeure. Par la
suite, plusieurs recommandations internationales ont vu le jour,
Helsinki (1964), Tokyo (1975), Manille (1981) (6), tandis que,
nombre de pays étrangers se dotaient d'un arsenal législatif plus
ou moins important (7).
(4) J.M. Auby, Droit de la santé, P.U.F. 1981; Memeteau, Droit médical, Litec
1985 i Schwartz, Flamant et Lellouch, L'essai thérapeutique chez l'homme, Paris,
Flammarion, 1981 i L'expérimentation sur l'homme, Colloque de la Faculté de droit
de Limoges, 1979 ; Rouzioux, Les essais de nouveaux médicaments chez l'homme.
Problèmes
juridiques
et
éthiques,
Paris,
Masson,
1979;
Franchitti,
L'expérimentation humaine dans l'histoire de la médecine, Thèse Paris XIII, 1981 ;
Dangoumau, Expérimentation clinique, rapport pour la pharmacologie clinique,
1982, Groupe d'étude du droit médical, Paria, 10 octobre 1985 i Expérimentation
médicale sur l'homme, Problèmes politiques et sociaux, n • 520, 1985 ;
L'expérimentation, in Rev. Recherche, juillet-aoQt 1986; Mme Barzach, Le paravent
des égoismes, 1989, éd. O. Jacob, p. 283 i Expérimentations biomédicales et droit de
l'homme, Colloque de la fondation Marangopoulos pour les droits de l'homme, Crête,
1988, Préf. G. Braibant, P.U.F., 1989.
(5) G. Bayle, Croix gammée contre caducée, Les expériences humaines pendant la
seconde guerre mondiale, Commission scientifique française des crimes de gÛerre,
Neustadt, 1950.
(6) Cf. tous les textes in De l'éthique au droit, étude du Conseil d'Etat, La
documentation française, 1988-167 s. i V. également, Le projet de réglementation
internationale de l'expérimentation médicale in Rev. int. dr. pén., vol. 3-4, 1980 i
Réunion du comité d'experts 30 mai 1979 sur Le contrôle international des
expérimentations humaines.
(7) Cf. Joëlle Dusseau, L'expérimentation des nouveaux médicaments sur l'homme,
étude de droit comparé, Thèse Clermont 1, 1985 ; Jean-Marie Auby, Les conditions
�26
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
De leur côté les producteurs de médicaments avaient été
amenés à édicter certaines règles comme le code de déontologie
élaboré par la Fédération internationale de l'industrie
pharmaceutique ( 1981 ).
Avant que le législateur ne se décide à intervenir la seule
protection qu'offrait essentiellement le code pénal aux individus,
était l'art. 309 C.P., qui réprime toute atteinte volontaire à
l'intégrité physique d'autrui. Jusqu'à présent c'est l'éthique
médicale, souvent appelée biomédicale, qui s'efforçait de canaliser
l'expérimentation. Il est vrai qu'aujourd'hui la plupart des
problèmes posés par la protection des sujets humains se situent
désormais aux frontières de la recherche biologique et de la
médecine (8). La création de comités d'éthique s'est tout
naturellement imposée dans nombre de pays (9).
Il faut bien reconnaître que le problème de l'expérimentation soulève en France et dans de nombreux pays étrangers
une double contradiction, à la fois culturelle et juridique.
Contradiction culturelle tout d'abord. D'une part, notre
société place beaucoup d'espoirs dans la médecine et la science en
général. Elle adhère de ce fait à toute découverte susceptible
d'améliorer le confort des malades. Mais d'autre part elle semble
avoir du mal à admettre que les progrès de cette même médecine
exigent l'expérimentation sur l'homme (IO). On observe de ce fait
des écarts culturels causant des disfonctionnements de plus en
plus flagrants dans notre société, écarts dus essentiellement à une
inadaptation de la société civile à l'innovation biomédicale ( 11 ).
Le Président Mitterrand installant le Comité national d'éthique ne
de validité de l'expérimentation sur l'homme, droits britannique et nord-américain,
Colloque de Limoges, 1979.
(8) L'éthique a donné le jour à une abondante littérature. Citons sans prétendre être
exhaustif : Licéité et référence aux valeurs, Université de Louvain, 1982 ; D.
Thouvenin, Ethique et droit en matière biomédicale, D. 1985, Chron. 21 ; J.B.
d'Onorio, Biologie morale et droit, J.C.P. 1986-1-3261 ; Comité consultatif national
d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé, rapports 1984, 1985, 1986, 1987,
La documentation française; De l'éthique au droit, préc. note (4) ; C. LabrusseRiou, Biologie, éthique et droit. Revue recherche juridique 1985-2 i G. Memeteau,
La place des normes éthiques en droit médical, ibid., 1988-2 ; J.M. Auby, Règle
juridique règle déontologique, règle d'éthique en matière biomédicale, Rev. sociologie
et santé 1988 ; R. Géraud et Ch. Merger, De l'ovule à l'étoile, 1988, Libraire de
Provence, Aix-en-Provence, p. 179 i Ambroselli, L'éthique médicale, Que sais-je?
P.U.F. 1988; Thévenot, La bioéthique, Le Centurion, 1989; J. Bernard, De la
biologie à l'éthique, Buchel Chastel, 1989; Numéro spécial de Déviance et sqciété sur
les Techniques biomédicales, 1989, pp. 415.
(9) C. Ambroselli, Les comités d'éthique à travers le monde; Pratiques médicales,
juridiques et philosophiques, Rev. science crim., 1985-188.
(10) Décret n • 83-132 du 23 février 1983, Code de la santé publique, Dalloz, éd.
1989, p. 1340.
(11) Voir toutefois un sondage aux termes duquel 72 % des personnes interrogées
seraient favorables aux essais cliniques sans but thérapeutique immédiat, par
Ollagnier, Meiller, Laval, Journal de toxicologie clinique et expérimentale mai-juin
1988-201, signe que l'opinion publique mûrit.
�Jacques BORRICAND
27
déclarait-il pas : "La science avance plus vite que l'homme" ?
(12).
Cette contradiction culturelle se doublait d'une
contradiction juridique. Dès 1937, l'exigence de l'expérimentation
à des fins thérapeutiques a été posée dans les textes ( 13 ). Plus
récemment la loi du 11 septembre 1941 liait justification d'un
intérêt thérapeutique nécessaire à l'obtention d'un visa
administratif et essai thérapeutique. Par la suite l'ordonnance du
23 septembre 1967 (B.L.D. 1967-645) instituait la procédure
d'autorisation de mise sur le marché (A. 14. 14) au cours de
laquelle "le fabricant justifie qu'il a fait procéder à la vérification
de l'innocuité des produits dans des conditions normales d'emploi
et de leur intérêt thérapeutique". Enfin les essais cliniques sont
visés par un arrêté du 16 décembre 1975 qui reprend la directive
européenne en date du 20 mai 197 5 aux termes de laquelle parmi
les essais devant précéder l'autorisation d'exploiter la spécialité,
doivent figurer des essais à caractère non thérapeutique (14).
Or la jurisprudence déclarait illicites les essais sans
finalité thérapeutique en se fondant sur le caractère inaliénable
du corps humain ( 15). En revanche, les recherches à finalité
thérapeutique directe étaient admises par les tribunaux à
condition que soit recueilli le consentement libre et éclairé du
patient (16). Cette analyse était conforme au Code de déontologie
médicale dont l'article 19 limite très clairement les essais aux
seuls cas où "cette thérapeutique peut présenter pour la personne
un intérêt direct".
Pour répondre à cette contradiction, deux attitudes étaient
possible, le statu quo ou une loi.
Certains pensaient que la déontologie, les textes en
vigueur et les usages de la pratique pouvaient suffire pour
(12) La recherche, juillet-aoilt 1986, Doaaier sur l'expérimentation ; cf. M. A.
Hermitte et B. Edelman, L'homme, la nature et le droit, éd. Christian Bourgeois,
1988 ; P. Bourets, Expérimentation humaine danger ; bio-technologie, les savants
hors la loi?, Le nouvel observateur, 9-15 mars 1989; F. Regnier, Expérimentation
biomédicale humaine : le point de vue du clinicien, Colloque de la Fondation
Marangopoulos, préc., p. 13.
(13) Arrêté 13 juin 1937.
(14) J.O.C.E., 9 juin 1975, n • L. 147-1 ; J.M. Auby, Les essais de pharmacologie
clinique sur l'homme sain sont-ils dorénavant licites? Labo. Pharma., mai 1981-385.
{15) Trib. Corr. Lyon, 15 décembre 1959, D.P. 59-3-87; Aix, 22 octobre 1906, D.
1907-2-41, note A. Merignae; Lyon, 27 juin 1913, D.P. 1914-2-73, note H. Lalou;
Trib. civil Seine, 16 mai 1935, S. 1935-2-202 ; Crim. 1er juillet 1937, S. 1938-1:193,
note Tortat ; Angers, 11 avril 1946, J.C.P. 1946-11-3163 ; Cf. Doublier, Le
consentement de la victime in Quelques aspects de l'autonomie du droit pénal,
Stéfani, p. 188 ; J .M. Auby, La responsabilité civile et pénale en cas
d'expérimentation sur l'homme, Cah. Laënnec 1952-2-26 ; M.A. Hermitte, Le corps,
hors du commerce, hors du marché, Arc. philo. du droit, 1988, n • 33.
(16) Montpellier, 14 décembre 1954, D. 1955-745, note Carbonnier; Civ. 1er juillet
1958, D. 1958-600 ; V. également, Conseil d'Etat, sect. soc., 10 avril 1962, cité in
Etude du Conseil d'Etat, p. 190.
�28
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
permettre une réalisation satisfaisante des essais sur l'homme. Le
Président Auby invoquait la ratification par la France du pacte
international relatif aux droits civils et politiques dont l'article 7
dispose notamment qu'il est interdit de soumettre une personne
sans son libre consentement à une expérimentation médicale ou
scientifique (17).
De leur côté, les partisans de la loi ne manquaient pas
d'arguments. Ils soulignaient d'abord que les auteurs d'essais
thérapeutiques étaient exposés à des poursuites pénales au titre de
l'atteinte volontaire à l'intégrité corporelle d'autrui (18)
conduisant les laboratoires à se tourner vers l'étranger (19).
Ensuite ils faisaient observer que l'article 5 al. 2 du pacte de
l'O.N.U. précise qu'il ne peut être apporté aucune dérogation aux
droits fondamentaux de l'homme reconnus, en vigueur dans tout
Etat partie sous prétexte que le pacte ne les reconnaît pas ou les
reconnaît à un moindre degré. Or le droit français serait plus
protecteur en refusant les essais sans finalité thérapeutique
considérés comme illicites (20 ).
Enfin les impératifs
communautaires invitent au rapprochement des législations des
Etats membres.
Ces arguments avaient conduit en 1981 le Ministre de la
santé de l'époque M. Ralite à demander au professeur Dangoumau
un rapport sur l'expérimentation des médicaments (21). Puis un
avant projet de loi fut mis en chantier au secrétariat d'Etat à la
santé, mais était à l'arrêt quand éclata l'affaire Milhaud en
novembre 1985 (22). Tour à tour le Conseil de l'ordre des
médecins (23), l'Académie de médecine (24), l'étude du Conseil
d'Etat "De l'éthique au droit" (25) réclamèrent avec insistance un
texte législatif. Les actions conjuguées de ces instances et de ce
rapport conduirent le sénateur Huriet à déposer une proposition
de loi "relative aux essais chez l'homme d'une substance à visée
thérapeutique ou diagnostique (26). Mais la commission des
(17) Décret n • 81-76 du 29 janvier 1981, portant publication du pacte international
relatif aux droits civils et politiques, ouvert à la signature à New York le 19
décembre 1986, D. et B.L.D. 1981-79; Cf. M. Delmaa-Marty, Droits et l'homme et
conditions de validité.
(18) Jurisprudence précitée.
(19) Dana la recherche, écrit-on, 60 % des études cliniques seraient réalisées à
l'étranger aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne ou en Allemagne fédérale, préc. p.
964.
(20) De l'éthique au droit, op. cit., p. 23.
(21) Dès 1977, l'administration avait diffusé un projet de décret concernant
l'expérimentation des produits cosmétiques, cf. R. Mestre, Un projet de décret qui
met en cause l'expérimentation humaine, Bull. ord. pharm. 1977, 104.
(22) Du nom de ce médecin du C.H.U. d'Amiens qui insuffla du protoxyde d'azote à
un homme en état de coma dépassé.
(23) Le Monde, 21 novembre 1985.
(24) Le Monde, 8 mars 1988.
(25) De l'éthique au droit, op. cit., p. 23.
(26) Sénat, n • 286, 286 rectifié et 286 rectifié bis.
�Jacques BORRICAND
29
affaires sociales a estimé opportun d'étendre le champ
d'application de la proposition de loi à toute recherche
biomédicale définie par le sénateur Huriet comme "tendant à
améliorer la connaissance sur la vie et sur le corps humain et
effectuée sans surveillance médicale" (27) justifiant la création
dans le Code de la santé publique d'un livre II bis, intitulé :
"Protection des personnes qui se prêtent à des recherches
biomédicales" (28 ).
Les objectifs de la loi visent d'une part à légitimer les
essais thérapeutiques pratiqués de longue date afin de contribuer
au développement de la connaissance scientifique et d'autre part à
entourer les dits essais de garanties optimales destinées à satisfaire
des impératifs éthiques. Ces objectifs ont-ils été atteints ? Il
conviendrait de le vérifier en envisageant tour à tour le
développement de la connaissance scientifique et l'impératif
éthique.
A - LE DEVELOPPEMENT DE LA CONNAISSANCE
SCIENTIFIQUE
L'article L. 209-1 alinéa l du Code de santé publique
prévoit que "les essais, études ou expérimentations organisés et
pratiqués sur l'être humain en vue du développement des
connaissances biologiques ou médicales sont autorisées dans les
conditions prévues au présent livre et son désignées ci-après par
les termes "recherche biomédicale". Le cadre général de la loi est
donc déterminé par la nature de la recherche entreprise,
biologique et médicale. Mais par ailleurs l'alinéa 2 de l'article L.
209-1 énonce que "les recherches biomédicales dont on attend un
bénéfice thérapeutique direct pour la personne qui s'y prête sont
des recherches à finalité thérapeutique directe. Toutes les autres
recherches qu'elles portent sur des personnes malades ou non sont
sans finalité thérapeutique directe".
{27) Rapport Sénat, p. 28.
(28) Cf. commentaires : Jean-Marie Auby, La loi du 20 décembre 1988 relative à la
protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales, J.C.P. 19891-3, 384 ; J. Borricand, Commentaire de la loi n • 88-1138 du 20 décembre 1988
relative à la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales,
D. 1989, Chron. 167 ; L. Dubouis, La protection des personnes qui se prêtent à des
recherches biomédicales, Rev. dr. san. et soc. 1989-156 ; C. Labrusse-Riou,
L'expérimentation sur l'homme: mérites et méfaits de la loi du 20 décembre Î988,
"Le supplément", juin 1989, n • 169, p. 139 ; D. Thouvenin, La loi du 20 décembre
1988 : loi visant à protéger les individus ou loi organisant les expérimentations sur
l'homme? A.L.D. 1989-89; F. Zenati et A. Coeuret, Chronique législative, Rev.
trim. de droit civil, 1989, p. 150; Colloque sur la recherche biomédicale, Aix-enProvence 22 septembre 1989 organisé par l'Institut de Sciences Pénales et de
Criminologie, publié par les Presses Universitaires d'Aix-Marseille 1989 avec les
rapports de D. Thouvenin, R. Gassin, Y. Juillet, J.M. Auby, M. Margeat, J.P.
Castaigne, C. Labrusse-Riou et une préface de J. Borricand.
�30
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
1 - La nature des recherches
Par recherche biomédicale la loi entend : les essais, études
ou expérimentations organisés et pratiqués sur l'être humain en
vue du développement des connaissances biologiques ou
médicales" (art. L. 209-1).
La doctrine s'accorde pour admettre que la loi s'applique à
toutes les expériences et n'est pas limitée au domaine des
médicaments. Il s'agit d'une loi de santé publique. L'intérêt
général l'emporte sur les intérêts particuliers (29). Mais encore
faut-il que ces expériences visent à développer les connaissances
biologiques ou médicales (30). Aujourd'hui les progrès de la
médecine sont essentiellement dus aux recherches biologiques
dont certaines sont conduites sur des personnes. Cela explique que
la loi les désigne par les termes de "recherches biomédicales".
Pour le sénateur Huriet "la recherche inclut tous les essais menés
pour améliorer la connaissance des maladies, leur prévention et
leur thérapie dans 1' étude de la vie organique et de son
développement". C'est pourquoi la phase IV initialement écartée
dans le projet de loi a été finalement incluse dans le texte
définitif. En revanche, cette définition devrait éliminer du champ
d'application de la loi certaines activités de recherches menées
dans le domaine agro-alimentaire ou en cosmétologie. En
cosmétologie notamment, la fabrication des produits est déjà
soumise à des règles très strictes reconnues à l'échelon européen
qui sont prévues par la loi du 10 juillet 1975 (D. et B.L.D. 1975244) et reprises par la directive européenne du 27 juillet 1976
modifiée (31). Ce n'est que dans l'hypothèse où des recherches à
caractère biomédical seraient conduites (tests de tolérance,
d'innocuité) que la loi nouvelle trouverait à s'appliquer.
De même la loi ne s'applique pas aux recherches
épidémiologiques qui ne sont constituées que ·d'une collecte des
données existantes sans que l'intégrité de la personne physique
soit atteinte en aucune manière (32).
Egalement la loi ne vise pas l'expérimentation animale
réglementée par ailleurs (33 ).
Enfin, il ne semble pas que la loi concerne les
expérimentations pratiquées en psychologie ou en sociologie,
(29) Intervention Sénat J.O. 13 décembre 1988, p. 2687; V. également intervention
de M. Jacquart, J.O. déb. Aas. Nat. 23 novembre 1988, p. 2694.
(30) D. Thouvenin, art. préc. n • 9.
(31) Tiaaeyre-Berry, A propos de la législation sanitaire des produits cosmétiques
dans les paya de la communauté économique européenne, Rev. dr. aan. et soc. 1981531.
(32) Intervention de B. Charles, J.O. Déb. Aas. Nat. 23 novembre 1987, D. 1987-425.
(33) Art. 454 C.P. et décret n • 87-848 du 19 octobre 1987, D. 1987-425.
�Jacques BORRICAND
31
notamment aux Etats-Unis. La Revue "La recherche" rapporte un
certain
nombre
d'expériences
révoltantes
(34).
Un
comportementaliste de l'Université de Stanford a enrôlé en 1973
des étudiants volontaires pour une expérience. Puis, sans qu'ils
sachent pourquoi, ces mêmes étudiants furent arrêtés par la police
et jetés en prison afin de vérifier comment des individus
réagissaient à une inculpation et à une incarcération injustifiées.
Pour certains sujets cette expérience fut traumatisante (35).
Toutefois certains commentateurs pensent que des dérivés de la
psychologie comme la psychopharmacologie par exemple, qui est
la science des agents chimiques susceptibles d'influer sur l'état
mental et le comportement notamment, devraient faire partie du
champ d'application de la loi dans la mesure où ils sont liés à la
médecine (36).
2 - La finalité des recherches
L'article L. 209-1 la définit de façon très claire : les
recherches doivent avoir un but thérapeutique. Elles ne sont donc
possibles que si elles sont destinées à traiter, à guérir les maladies.
Toutefois cette définition modifie radicalement les conceptions en
la nature.
Avant la loi en effet on distinguait les expérimentations
sur l'homme malade et celles sur le sujet sain. Les premières
étaient qualifiées de thérapeutiques parce qu'elles avaient pour
vocation première d'en améliorer l'état du patient, même si elles
n'étaient pas exclusives de toute préoccupation scientifique. Les
secondes étaient menées sur des sujets exempts de troubles
pathologiques. Elles étaient qualifiées de non thérapeutiques parce
qu'elles avaient pour seule finalité une préoccupation scientifique.
Les différents types de recherches étaient donc définies à la fois
par référence aux catégories de personnes, malades ou non et par
le bénéfice personnel qu'ils pouvaient ou non en attendre.
La loi de 1988 abandonne cette distinction si la finalité
doit toujours être thérapeutique, elle ne sert plus à distinguer des
catégories de personnes, mais à définir des catégories de
recherches "la recherche biomédicale dont on attend un bénéfice
thérapeutique direct pour la personne qui s'y prête sont des
(34) La recherche juillet-août 1986, p. 962.
(35) Le film d'Henri Verneuil, 1 comme Icare, fait directement référence à une série
d'expériences réalisées par l'américain Milgram à la fin des années 60, certains sujets
croyant obéir à des scientifiques devaient envoyer des décharges électriques de plus
en plus fortes à d'autres individus. Ces derniers étaient en fait des comédiens qui
faisaient semblant de souffrir. Beaucoup de sujets ont accepté d'aller assez loin dans
le sadisme auquel on les invitait ; cf. Milgram, Soumission à l'autorité, un point de
vue expérimental, Calman-Lévy, 1974.
(36) D. Thouvenin, in Colloque précité, p. 15.
�32
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
recherches à finalité thérapeutique directe. Toutes les autres
recherches, qu'elles portent sur des personnes malades ou non,
sont sans finalité thérapeutique directe" (art. L. 209-1 C.S.P.). De
ce fait, des personnes malades pourront être amenées à des
recherches, alors même que celles-ci ne présentent aucun intérêt
personnel pour elles. "Il s'agit là, a-t-on pu écrire, d'une forme
de devoir civique" (3 7). Mais cela suppose que l'investigateur ait
satisfait à un certain nombre d'exigences éthiques.
B - L'IMPERATIF ETHIQUE
La lecture des débats parlementaires fait apparaître que
les exigences éthiques ont fortement inspiré la loi. Pour le
sénateur Huriet, il convenait de traduire en droit positif un
certain nombre de principes éthiques qui sont inscrits depuis 1945
dans plusieurs textes de portée internationale (38). Madame
Dorlhac considérait pour sa part qu'il "est anormal que le pays des
droits de l'homme n'ait pas traduit dans son droit interne les
déclarations d'Helsinki, de Tokyo et de Manille, pas plus que le
Code de Nuremberg" (39). M. Bernard Charles affirmait que "c'est
une loi éthique qui adapte les droits de l'homme et du citoyen au
développement des sciences et des techniques" (40). II n'est dès
lors pas étonnant que là l'on trouve la projection de ces exigences
éthiques dans de nombreuses dispositions de la loi. Ces exigences
émergent tout particulièrement dans deux domaines, la réalisation
de la recherche et le contrôle de la recherche.
1 - Les conditions de réalisation de la recherche
Ces
conditions
concernent
les
protagonistes
de
l'expérimentation, à savoir l'auteur de la recherche et le sujet de
la recherche.
a) L'auteur de la recherche
L'article L. 209-2 et 3. C.S.P. souligne l'exigence de la
rigueur scientifique. En effet le texte prévoit que la recherche
biomédicale ne peut être effectuée que sous la direction et sous la
surveillance d'un médecin justifiant d'une expérience appropriée.
"Ce médecin est appelé investigateur. L'exigence de la qua_Iité de
médecin résulte d'un amendement de la Commission des affaires
culturelles et sociales de l'Assemblée nationale. Initialement, en
(37)
(38)
(39)
(40)
D. Thouvenin, art. préc., n • 79.
Rapport précité n • 19.
J.O. Débats Sénat, 13 octobre 1988, p. 537.
J.O. Débats Asa. Nat. 24 novembre 1988, p. 2686.
�Jacques BORRICAND
33
effet, la qualification exigée était celle de docteur en médecine.
Mais on a fait remarquer que cette expression désignait un
diplôme et non pas l'exercice effectif de la médecine (41). La loi
exclut donc les chercheurs de formation biologique ou
pharmaceutique.
Mais il faut également que l'on ait affaire à un médecin
justifiant d'une expérience appropriée pour bien marquer qu'il ne
peut s'agir de n'importe quel médecin, mais d'un médecin
présentant les garanties de compétence adaptée à la pratique des
essais. Les auteurs de la proposition de loi n'ont pas voulu
soumettre de façon générale l'appréciation de la compétence de
l'investigation a un agrément ministériel au moment où en
matière de procédure d'autorisation de mise sur le marché un
décret de 2 mai 1988 venait de supprimer le principe de
l'agrément des experts dans le cadre d'une harmonisation
européenne des législations (42).
La loi exige par ailleurs que les essais seraient conduits en
respectant certaines conditions matérielles. Aux termes de l'article
L. 209-3 al. 2, les recherches biomédicales "ne peuvent être
effectuées que dans des conditions matérielles et techniques
adaptées à l'essai et compatibles avec les impératifs de rigueur
scientifique et de sécurité des personnes qui se prêtent à ces
recherches". Cette formulation implique que les lieux adoptés ne
sont pas forcément l'hôpital.
2° La rigueur scientifique des essais est également assurée par un
certain nombre de contraintes imposées par l'article L. 209-2. Les
essais ne peuvent être réalisés que si certaines conditions
générales sont réunies qui sont la traduction du principe selon
lequel "tout essai non scientifique n'est pas éthique". L'article L.
209-14 ajoute au principe général des précautions spécifiques
pour les recherches sans finalité thérapeutique directe.
L'article L. 209-2 dispose "aucune recherche biomédicale
ne peut être effectuée sur l'être humain :
Si elle ne se fonde pas sur le dernier état des
connaissances scientifiques et sur une expérimentation préclinique suffisante ;
Si le risque prévisible encouru par les personnes qui se
prêtent à la recherche est hors de proportion avec le bénéfice
escompté pour ces personnes où l'intérêt de cette recherche ; .
Si elle ne vise pas à étendre la connaissance scientifique
de l'être humain et les moyens susceptibles d'améliorer sa
condition".
(41) Rapport Charles, préc. p. 31.
(42) Art. R 5 119 nouveau du C.S.P.
�34
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
Ce texte fixe donc à la fois la finalité des recherches et
les conditions de leur réalisation. Il exprime l'exigence de ce que
le rapport du Conseil d'Etat appelle le bilan risques-avantages
(43). L'article L. 209-14 est plus exigeant pour les recherches
biomédicales sans finalité thérapeutique directe qui "ne doivent
comporter aucun risque prévisible sérieux pour la santé des
personnes qui s'y prêtent". En d'autres termes, l'intérêt
scientifique ne doit pas aller à l'encontre de l'intérêt du sujet.
b) Le consentement à la recherche
Tous les documents internationaux relatifs à la recherche
médicale insistent sur la nécessité d'obtenir le consentement du
sujet. "Il est absolument essentiel d'obtenir le consentement
volontaire du malade" énonce l'article premier du Code de
Nuremberg de 1947. Le consentement doit être "éclairé" répètent
les déclarations d'Helsinki (1964) et de Manille ( 1981) et "libre"
(pacte international relatif aux droits civils et politiques, New
York 1966, art. 6).
Cela explique que la proposition de loi insistant sur
l'exigence d'un consentement exprès préalablement à tout essai
avait proposé d'ajouter à l'article 9 du code civil un alinéa aux
termes duquel "Nul ne peut porter atteinte à l'intégrité corporelle
d'autrui sans son consentement et sans y avoir été autorisé par la
loi".
La modification envisagée a paru prématurée parce qu'il
est procédé actuellement à une réflexion d'ensemble sur les
conséquences juridiques à tirer de la bioéthique et maladroite
parce que sa rédaction avait paradoxalement conduit à interdire
certains actes chirurgicaux et à légitimer les positions adoptées
par certaines sectes (44 ).
Il n'en demeure pas moins que le consentement des
personnes qui se prêtent à la recherche biomédicale constitue la
pièce maîtresse de la réglementation et représente l'expression la
plus accomplie d'un impératif éthique. Le législateur y attache
une importance toute particulière car non seulement il incrimine
la violation des règles relatives au consentement dans l'article L.
209-19, mais encore il les assortit des peines les plus lourdes (6
mois à 3 ans d'emprisonnement et/ou 12.000 à 200.000 francs
d'amende). Au surplus, si le titre II est intitulé du consentement,
on trouve dans le corps de la loi, d'autres dispositions relatives au
consentement. C'est dire l'importance que la loi accorde au recueil
(43) Prée. p. 28.
(44) J. O. Déb. Asa. Nat. 24 novembre 1988, p. 2689, intervention de B. Charles,
Asa. Nat. 12 décembre 1988, J.O. 13 décembre, p. 3554 ; Sénat 14 décembre 1988, p.
2691, intervention Huriet.
�Jacques BORRICAND
35
du consentement (45). Mais avant de l'avoir recueilli,
l'investigateur doit avoir fait connaître au sujet "l'objectif de la
recherche, sa méthodologie et sa durée, les contraintes et les
risques prévisibles y compris en cas d'arrêt de la recherche avant
son terme ; l'avis du sujet (... ) et l'avoir informé de son droit de
refuser de participer à une recherche ou de retirer son
consentement à tout moment sans encourir de responsabilité" (art.
L. 209-2).
Toutefois, ajoute ce texte, à titre exceptionnel, si le sujet
est malade, l'investigateur peut réserver certaines informations. Si
bien que les conditions d'obtention du consentement se posent en
des termes différents selon que le sujet est sain ou malade.
1)
Le consentement de l'homme sain
La condition d'un consentement libre et éclairé du sujet
de l'essai découle du principe de l'inviolabilité du corps.
L'atteinte portée au corps n'est admissible qui si la personne qui
la subit y consent. Le consentement doit être donné par écrit et à
tout moment révocable. En cas d'impossibilité, il doit être attesté
par un tiers qui doit être totalement indépendant de
l'investigateur et du promoteur (art. L. 209-9).
Cette exigence d'un consentement éclairé et libre doit
interdire toute pression susceptible de contrarier cette liberté. Ces
pressions se situent sur deux plans. Sur le plan psychologique,
l'adulation de la science est parfois excessive et des sujets
viennent spontanément se proposer pour des essais. Sur le plan
économique,
certains
sujets
démunis
sollicitent
des
expérimentations rémunerees. Ces situations de dépendance
permettent de douter de la liberté de leur consentement (46).
C'est la raison pour laquelle la loi a choisi soit de limiter, soit
d'interdire la recherche médicale. C'est ainsi que "les recherches
sans finalité thérapeutique directe sur les femmes enceintes ou
qui allaitent ne sont admises que si elles ne présentent aucun
risque prévisible pour la santé de la femme ou de l'enfant et si
(45) La contrepartie de l'expérimentation acceptée réside dans le versement d•une
indemnité en compensation des contraintes subies (art. L. 209-15). A l'hôpital
Necker à Paris vient d•être créé une structure destinée à déterminer la toxicité des
nouvelles molécules et leur comportement dans Porganisme. Le Figaro du 18 octobre
1989. Aux Etats-Unis, en revanche, la presse nous apprend qu•au chercheur qui a
breveté une de ses cellules, pour toucher des droits d'auteur sur l'exploitation de
celles-ci. le Point 3 avril 1989 ; V. également L'Express 26 aodt 1988 ; B. Edelman,
L'homme aux cellules d•or, Chron. Dalloz, 1989. p. 225.
(46) Dans un ouvrage allemand récemment paru intitulé "Tête de Turc". son auteur.
journaliste, a pris les apparences d•un travailleur immigré et sollicité divers travaux
dont celui de "cobaye humain" pour l'industrie pharmaceutique : CC. G. WallrafC,
Tête de Turc, trad. Cranç., éd. La découverte, 1986.
�36
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
elles sont utiles à la connaissance des phénomènes liés à la
grossesse ou à l'allaitement" (art. 209-4).
Mais la loi a voulu surtout protéger les personnes en
situation de dépendance.
C'est ainsi que les détenus ne peuvent être soumis à une
recherche biomédicale. Le sénateur Huriet a fait observer dans
son rapport qu'un détenu en raison même de son état de
prisonnier présente des troubles physiques ou physiologiques qui
pourraient conduire à des statistiques erronées. Mais surtout d'un
point de vue éthique et moral on peut s'interroger sur le caractère
pleinement libre et volontaire du consentement demandé à un
détenu (47).
Pourtant dans les années 50 un psycho-pharmacologue
américain avait été chargé par la C.I.A. d'étudier les effets du
L.S.D. sur l'homme en utilisant des prisonniers comme sujets
d'expérience. Plus récemment, en France, une équipe de
recherche médicale a obtenu du comité d'éthique l'autorisation de
mener une étude sur l'administration de neuroleptiques en milieu
carcéral (48). Pourtant le décret en date du 12 septembre 1972
dispose "les détenus ne peuvent être soumis à des expériences
médicales ou scientifiques pouvant porter atteinte à l'intégrité de
leur personne physique ou morale" (49).
La même situation de dépendance se retrouve chez les
mineurs, les majeurs sous tutelle, ou les personnes séjournant
dans un établissement sanitaire ou social. Etant donné la fragilité
de ces personnes, la loi interdit également toute recherche
biomédicale (art. L. 209-6). Toutefois, le rapporteur l'avait
souligné, il importe de concilier les impératifs éthiques et moraux
avec les nécessités de la recherche. A titre d'exemple, le sénateur
Huriet cite la recherche dans le domaine pédiatrique : "Interdire
la participation de mineurs à des essais sans finalité thérapeutique
risque de stériliser cette recherche et de priver la collectivité, et
plus précisément de futurs enfants malades, d'un bénéfice
thérapeutique potentiel" (50).
C'est pourquoi l'article L. 209-6 autorise les recherches
sans finalité thérapeutique directe sous les trois conditions
suivantes : "ne présenter aucun risque sérieux prévisible pour leur
santé ; être utile à des personnes présentant les mêmes
caractéristiques d'âge, de maladie ou de handicap ; ne pouvoir
être réalisées autrement".
(47) Rapport Huriet, préc. p. 40.
(48) La recherche, préc. p. 956, qui cite d'autres recherches entreprises tant aux
Etats-Unis qu'en Chine.
(49) Art. D. 380 C. pr. pén. Ce décret est conforme aux dispositions relatives à la
situation des personnes incarcérées visée par le Conseil de l'Europe, Cf. Les droits de
l'homme dans les prisons, 1986, p. 93.
(50) Rapport Huriet, préc. p. 43.
�Jacques BORRICAND
37
Au surplus tous les sujets en état de dépendance, détenus,
incapables mineurs ou majeurs ou hospitalisés peuvent être
sollicités pour une recherche biomédicale dans la mesure où ils
peuvent en attendre un bénéfice direct pour leur santé. Mais il ne
s'agit plus alors d'individus sains, mais de malades.
2)
Le consentement de l'homme malade
L'étude du Conseil d'Etat a souligné que l'exigence du
consentement devait s'apprécier différemment dans l'hypothèse
d'une recherche à finalité thérapeutique directe. S'il est vrai que
certaines pathologies, comme le diabète, autorisent une
information très complète sur les modalités de l'essai, y compris
lorsqu'il est prévu un groupe placebo, il en est d'autres, comme le
cancer, pour lesquelles une surinformation peut avoir des effets
désastreux pour le patient (51 ). Ajouter à cela la diversité des
cultures, le niveau d'éducation commandant une information et
l'on comprendra que jamais le consentement ne saurait être
toujours éclairé. La loi a tenu compte de ces éléments. L'article
L. 209-9 précise en effet "A titre exceptionnel, lorsque dans
l'intérêt d'une personne malade le diagnostic de sa maladie n'a pu
lui être révélé, l'investigateur peut, dans le respect de sa
confiance, réserver certaines informations liées à ce diagnostic.
Dans ce cas, le protocole de la recherche doit mentionner cette
éventualité. Les informations communiquées sont résumées dans
un document écrit, remis à la personne dont le consentement est
sollicité". La désignation de celle-ci est fonction de la capacité
juridique du sujet sur lequel la recherche est pratiquée.
Pour obtenir le consentement du sujet malade, la loi
distingue trois cas de figure.
a) En premier lieu, pour les recherches effectuées sur des
mineurs non émancipés, le consentement doit être donné par les
titulaires de l'exercice de l'autorité parentale.
b) En second lieu, pour les majeurs et les mineurs sous
tutelle, il doit être donné soit par le tuteur pour les recherches à
finalité thérapeutique directe ne présentant pas un risque
prévisible sérieux, soit dans les autres cas par le tuteur autorisé
par le conseil de famille ou le juge des tutelles. Au surplus le
consentement du mineur ou du majeur sous tutelle doit être
également recherché lorsqu'il est apte à exprimer sa volonté. Il ne
(51) Prée., p. 24; V. également Rapport Huriet, préc. p. 32. A. Kallinikos-Maniatis,
Le consentement libre et informé : le point de vue du spécialiste du cancer, Mélanges
Marangopoulos, préc., p. 84.
�38
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
peut être passé outre à son refus ou à la révocation de son
consentement (art. L. 209-10).
c) Enfin pour les personnes en "situation d'urgence"
(réanimation), où le consentement préalable de la personne ne
peut être recueilli, le protocole présenté à l'avis du comité local
peut prévoir que le consentement de ladite personne ne sera pas
recherché et que seul sera sollicité celui de ses proches s'ils sont
présents. L'intéressé sera informé dès que possible et son
consentement lui sera demandé pour la poursuite éventuelle de
cette recherche (art. L. 209-9). Cette disposition apparaît
éminemment contestable.
La loi entend viser ici les hypothèses de coma prolongé et
seulement celles-là. Si le patient est manifestement condamné
pourquoi ne pas risquer une intervention qui est sans doute
dangereuse aujourd'hui mais qui demain sauvera peut-être de
nombreuses vies (52) ? Mais de proche en proche de nombreux
glissements sont possibles. On commence par expérimenter sur des
patients pour tester une technique thérapeutique puis pour
accroître les connaissances relatives à une maladie donnée et enfin
pour faire progresser le savoir biologique en général, sans
s'entourer de toutes les garanties.
Une illustration de cette dérive nous est fournie par
l'affaire Milhaud ou plutôt les affaires Milhaud, qui ont défrayé
la chronique que l'on rappellera brièvement.
Dans la première affaire, le professeur Milhaud avait saisi
le comité d'éthique pour lui soumettre une expérimentation qu'il
avait effectuée à Amiens en mai 1985 sur un sujet de 29 ans
victime d'un accident de la route en état végétatif chronique, état
dans lequel les malades gardent des fonctions végétatives, à
condition que des soins excellents leur soient prodigués (53). Le
comité d'éthique avait désapprouvé l'initiative du professeur
Milhaud (54). D'abord selon les principes actuellement reconnus
(déclaration d'Helsinki), la soumission préliminaire du protocole
de recherche au comité est un devoir. Ensuite, l'expérimentation à
(52) "Riches, bienfaisants, hommes généreux, le malade que l'on couche dans le lit
que vous lui avez fondé éprouve à présent la maladie dont vous ne tarderez pas à
être attaqués vous-mêmes; il guérira ou périra; mais dans l'un ou l'autre
événement, son sort peut éclairer votre médecin et vous sauver la vie", Dulaurens,
Moyens de rendre les hôpitaux utiles et de perfectionner la médecine, (Paris, 1787),
p. 12, cité par M. Foucault, Naissance de la clinique, 1972, p. 85.
(53) La recherche, préc., p. 957, M. Edmond Hervé, secrétaire d'Etat chargé de la
santé, avait demandé l'ouverture d'une enquête sur les comas de laboratoire, tandis
que le docteur Louis René, Président de l'Ordre des médecins, avait parlé de
"régression inadmissible de l'éthique médicale", Le Monde, 21 novembre 1985.
(54) Pour le professeur Milhaud, ces malades seraient "des modèles humains presque
parfaits et constitueraient des intermédiaires entre l'animal et l'homme", Le Monde
11 mars 1986.
�Jacques BORRICAND
39
visée exclusivement cognitive est inadmissible. Un malade ne peut
faire l'objet d'un essai thérapeutique sans rapport avec le
traitement de la maladie qui l'atteint (55). Enfin et surtout le
consentement préalable de la famille aurait dtl être demandé.
Dans la seconde affaire, révélée en février 1988 en plein
procès de Poitiers, où étaient jugés trois médecins anesthésistes,
un des experts, le professeur Lassner, avait révélé qu'une
expérience avait été faite par le professeur Milhaud sur un jeune
homme de 24 ans en état de coma dépassé ; cette révélation
devait entraîner, d'une part la suspension du professeur Milhaud
de ses fonctions de chef de service au centre hospitalouniversitaire d'Amiens par Mme Barzach alors Ministre de la
Santé (56), d'autre part, le dépôt d'une plainte de la famille du
jeune homme pour coups et blessures volontaires avec constitution
de partie civile contre le professeur Milhaud (57).
Le syndicat national des
professeurs hospitalouniversitaires a apporté un soutien sans réserve au professeur
Milhaud (58) qui a pris l'initiative de rédiger un "testament de
vie" visant à obtenir de sujets qu'ils autorisent, au cas où ils se
trouveraient en coma végétatif prolongé ou encore dépassé, que
l'on pratique sur eux des expérimentations cliniques (59).
En revanche, l'Académie de médecine a stigmatisé la
"désinvolture" du professeur Milhaud. "Les morts doivent être
respectés, même s'ils ont fait, de leur vivant, don de leur corps à
la science ... Si de telles interventions devaient être tolérées, la
justification ne pourrait en être établie qu'après le consentement
de la famille et l'avis favorable du comité d'éthique" (60).
Le Conseil de l'Ordre, de son côté, a désapprouvé
l'expérimentation en question en soulignant l'exigence de l'accord
préalable des patients ainsi que celui du Conseil de l'Ordre et du
Comité national d'éthique.
Le Comité national d'éthique, dans deux avis émis les 24
février 1986 et 7 novembre 1988, soulignait qu'un "malade ne
peut faire l'objet d'un essai thérapeutique sans rapport avec le
traitement de la maladie qui l'atteint" (61).
(55) Cf. avis du 9 octobre 1981, sur les problèmes d'éthique posé par les nouveaux
essais de médicamenta chez l'homme. Le professeur Milhaud a donné son point de
vue dans le Quotidien du Médecin du 14 mars 1986 et dans Le Monde du 22 avril
1987.
•
(56) Le Monde 5 mars 1988. Cette expérimentation est une "profanation de corps"
devait-elle déclarer.
(57) Le Monde 3 mars 1988.
(58) Ibid.
(59) Le Monde 1er et 10 mars 1988.
(60) Le Monde 25 mars 1988.
(61) Le Figaro 15 décembre 1988 ; Cf. rapport 1986, p. 15 à 95 et 141. Le professeur
Milhaud a bénéficié d 1 un non lieu, Le Monde 18 novembre 1989.
�40
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
1) La loi nouvelle n'entend viser que les états végétatifs
chroniques et semble désavouer le Comité national d'éthique (62).
En effet, il a déjà été dit que l'article L. 209-6 autorise les
recherches sans finalité thérapeutique sur les malades en état
d'urgence (63) dès l'instant que trois conditions sont remplies "ne
présenter aucun risque sérieux prévisible pour leur santé ; - être
utiles à des personnes présentant les mêmes caractéristiques âge,
de maladie ou de handicap ;
ne pouvoir être réalisées
autrement". Cette possibilité de recherche biomédicale est justifiée
par l'intérêt scientifique que représentent certaines recherches
effectuées sur les enfants et sur les malades mentaux (64). Elle est
contraire cependant à l'article 19 C. déontologie qui limite les
essais chez un malade aux seuls cas où "cette thérapeutique peut
présenter pour la personne un intérêt direct" (65). Le code étant
un décret, il sera nécessaire de modifier l'article 19 (66). Le
sénateur Huriet a reconnu que, tout en imposant des conditions
strictes à des essais, le législateur allait plus loin que le comité
d'éthique. Mais il a justifié cette différence par le fait que
lorsque le comité avait rendu son avis, il n'y avait pas de loi
fixant un cadre à ces expérimentations (67). Pourtant le
professeur Jean Bernard auditionné par la commission des affaires
sociales avait estimé sans ambages que les essais pratiqués chez
des malades ne visant pas spécifiquement leur affection étaient
abusifs et devaient être, de ce fait, interdits (68) et le docteur
René a émis des réserves (69).
2) En revanche, en ce qui concerne les personnes en état
de mort cérébrale, ce qu'il est convenu d'appeler en état de coma
dépassé, la loi est muette car elle ne vise que les personnes
vivantes (70). Les sujets en état de mort cérébrale sont, par
(62) Interview de Michèle Barzach recueillie par F. Giron, Le Point 26 décembre
1988.
(63) Gérard Badon, La loi des morts-vivants, L'Express 23-29 décembre 1988 ;
Recherche interdite dans la proposition de loi déposée au Sénat, art. L. 605-8, n •
286- 286 rectifié, 286 bis.
(64) J.O. Déb., Ass. Nat., 24 novembre 1988, p. 2687.
(65) Jean-Roger Legall et Benoît Eurin, Une loi proclamée et précisée, Le Monde, 21
décembre 1988.
(66) L. René, Raison garder, Le Monde, 21 décembre 1988. On rappellera les
déclarations d'Helsinki de 1964, de Tokyo 1975, de Venise 1983 et les dispositions du
guide européen d'éthique médicale adopté en janvier 1987 par la Conférence
internationale des Ordres et des organismes d'attributions similaires.
·
(67) Rapport Huriet, préc. p. 66.
(68) in Rapport Huriet, préc. p. 66. Toutefois dans l'interview accordée à Jean-Yves
Nau et F. Nouchi, le professeur Bernard s'est montré plus nuancé, Le Monde, 26
décembre 1988.
(69) Raison garder, préc. note 77.
(70) La loi n'entend pas viser également les droits de l'embryon indépendamment des
droits de la mère. Ce n'est que lorsque à l'échelon européen sera élaboré un cadre de
principes garantissant les droits de l'embryon· qu'une réglementation nationale
�Jacques BORRICAND
41
définition, des morts. Les gestes qui peuvent être pratiqués sur
eux, les prélèvements d'organes relèvent de la loi Caillavet. On
sait que ce texte postule dans l'intérêt thérapeutique des
personnes vivantes la reconnaissance d'une présomption de
consentement afin de faciliter un prélèvement d'organes rapide
(71).
L'article 2 de la loi dispose en effet "Les prélèvements
peuvent être effectués à des fins thérapeutiques ou scientifiques
sur le cadavre d'une personne n'ayant pas fait connaître de son
vivant son refus d'un tel prélèvement". Dès lors, un certain
nombre de médecins, dont le professeur Milhaud, estiment que
sont désormais légaux les prélèvements d'organes et les autopsies
et donc aussi les expérimentations (72).
Toutefois le Comité national d'éthique, dans l'avis du 7
novembre 1988, affirme: "un médecin ne peut procéder à des
expériences sur un sujet en état de mort cérébrale, à moins que le
sujet n'ait déclaré de son vivant et par écrit vouloir faire don de
son corps à la science" (73).
Mme Barzach, ancien ministre de la Santé et présidente de
l' Association Ethique 2000, qui a pourtant voté le texte, a déploré
que les parlementaires n'aient pas tenu compte de cet avis et
craint que ne se multiplient des affaires d'Amiens (74), tandis que
le professeur Lassner, président fondateur de 1' Académie
européenne
d'anesthésiologie,
estime
que
l'absence
de
consentement rend les prélèvements d'organes discutables (75).
pourra être mise en place, Cf. intervention Huriet, J.O. Déb., Sénat, 14 décembre
1988, p. 2686, et Le Monde 14 novembre 1988. Au surplus un groupe de travail
interministériel présidé par M. Guy Braibant est chargé de préparer un projet de loi
relatif à la bioéthique défmissant notamment les conditions auxquelles sont soumis la
procréation médicalement assistée, le diagnostic prénatal et la recherche sur les
embryons, cité in intervention Huriet, J.O. Déb. Sénat, 14 décembre 1988, p. 2687;
Cf. lettre d'information du comité national, déc. 1988 ; Cf. courrier de la
Chancellerie, novembre 1988, p. 3.
(71) Loi du 22 décembre 1976, D. et B.L.D. 1977-13; J.C.P. 1977-III-45160; J.B.
Grenouilleau, Commentaire de la loi n • 76-1181 du 22 décembre 1976 relative aux
prélèvements d'organes, D. 1977. Chron. 213; J. Savatier, Les prélèvements
d'organes après décès, travaux d'institut de criminologie de Poitiers, 1979,
Problèmes juridiques médicaux et sociaux de la mort, p. 19.
(72) Le Figaro, 11 octobre et 15 décembre 1988, Un cadavre peut-il servir à des fins
expérimentales? Un magistrat instructeur de Nantes a, pour déterminer les causes
de la mort d'une personne, chargé un policier de tirer cinq balles dans les têtes de
cinq cadavres humains. La manifestation de la vérité autorise-t-elle d'avoir recoùrs à
de tels procédés ? Vaste débat qui dépasse les limites de cet article mais qui soulève
aussi des problèmes éthiques, Le Monde, 26 octobre 1988.
(73) Le Monde, 8 novembre 1988.
(74) Interview au Point, 26 décembre 1988, p. 36 ; V. également, l'entretien donné
par le professeur Jean Bernard à J.Y. Nau et F. Nouchi, Le Monde, 26 décembre
1988.
(75) Le Monde, 12 mars 1988. Il est significatif que le rapport 1985 Ethique et
recherche biomédicale parle d'expérimentation avec l'homme et non sur l'homme.
�42
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
La plus grande vigilance du corps médical s'impose donc.
On observera cependant que, si grande que soit l'autorité du
Comité national d'éthique ou du Conseil de !'Ordre, le dernier
mot appartient à la loi (76).
Au surplus la loi nouvelle a pris soin d'instaurer un
certain nombre de garanties destinées à contrôler avec toute la
rigueur souhaitable la recherche biomédicale.
2 - Le contrôle de la recherche
Etant donné la diversité de la recherche biomédicale, la
multiplicité obligée des essais thérapeutiques, il n'était pas
possible de confier au Comité national d'éthique de veiller à la
bonne marche des opérations. Ce n'est d'ailleurs pas son rôle. Sa
fonction est de rendre des avis dans le domaine général de
l'éthique de la recherche et non d'examiner des protocoles de
recherche. C'est pourquoi la loi a prévu la mise en place dans
chaque région de comités consultatifs de protection des personnes
(art. L. 209-11 et 12). A vrai dire ces comités ne constituent pas
une nouveauté. Mais jusqu'à présent les comités fonctionnaient en
dehors de toute réglementation. En 1984 on en avait recensé dix
sept implantés pour la plupart dans les facultés de médecine et les
C.H.U., sans compter les commissions d'éthique de spécialités
telles que la réanimation ou la cardiologie. En 1987 les enquêtes
officieuses en avaient dénombré une cinquantaine (77). Le mérite
de la loi nouvelle est de leur donner une existence légale, alors
que paradoxalement le Comité national d'éthique a été créé par
décret (78). On notera cependant que la loi n'emploie pas
l'expression comités d'éthique, mais comités consultatifs, ce que
l'on peut regretter dans la mesure où le rôle essentiel de ces
comités est de veiller au respect de règles éthiques (79). Le
sénateur Huriet, après les avoir initialement qualifiés de comités
locaux d'éthique (80) a estimé que la dénomination nouvelle
comité local pour la protection des personnes dans la recherche
biomédicale était préférable dans la mesure où elle faisait
apparaître une optique différente des dits comités de celle du
comité national à l'égard duquel les comités locaux n'ont pas de
(76) "Les avis du comité consultatif d'éthique ... ont créé une quasi-jurisprudence car
les tribunaux s'y réfèrent ... (Mais), nous ne souhaitons pas être heurtés dans nos
réflexions et nos initiatives et nous serons vigilants sur ce point". Interventipn de M.
R. Charles, J.O. Déb. Ass. Nat. 23 novembre 1988, p. 2688.
(77) Rapport Charles, Ass. Nat. n • 356, p. 18.
(78) H. Jung, Quelques réflexions sur le rôle des comités d'éthique. Déviance et
société, 1989-251.
(79) Le ministre de la Solidarité, de la Santé et de la Protection sociale souhaite la
mise en place de comités d'éthique en psychiatrie, au plan régional (intervention au
XXI· Congrès National de l'U.A.V.A.F.A.M., Avignon, 2 décembre 1988).
(80) Rapport Huriet, préc. p. 36.
�Jacques BORRICAND
43
liens hiérarchiques ou de liens de dépendance (81 ). Ces nouveaux
comités sont appelés à remplacer les anciens comités d'éthique
locaux. Il appartiendra à un arrêté ministériel postérieur d'en
définir le nombre (82), tandis qu'un décret en Conseil d'Etat
fixera la composition et les conditions d'agrément et de
nomination des membres des comités ainsi que la nature des
informations qui devront leur être communiquées par
l'investigateur.
Pour le présent, la loi précise seulement que lesdits
comités sont "composés de manière à assurer une diversité des
compétences dans le domaine biomédical et à l'égard des
questions éthiques, sociales, psychologiques et juridiques" (83). Le
professeur Jean Bernard a déploré, à juste titre, que la
désignation des membres soit faite par tirage au sort. M. Serusclat
a justifié ce mode de désignation pour éviter le "risque
mandarinal" (84). Il convient en effet que les membres exercent
leurs fonctions en toute indépendance. "Gardiens de nos valeurs,
ils ne doivent pas devenir des enjeux de pouvoir" (85). Mais on a
justement fait observer que ce procédé "autorise tous les groupes
de pression à constituer des listes de candidats et risque de
paralyser la composition pluralistes par ailleurs souhaitée (86).
Ils sont tenus au secret professionnel. Le ministre de la
Santé peut retirer l'agrément, si "les conditions d'indépendance,
de composition et de fonctionnement nécessaires pour assurer leur
mission dans les meilleures conditions ne sont plus satisfaisantes"
(Art. L. 209-11 ).
le rôle des membres de ces comités est d'émettre un avis
consultatif sur les conditions de validité de toute recherche
entreprise, notamment, dit la loi : "la protection des participants,
leur information et les modalités de recueil de leur consentement,
les indemnités éventuellement dues, la pertinence générale du
projet de l'adéquation entre les objectifs poursuivis et les moyens
mis en oeuvre, ainsi que la qualification du ou des investigateurs"
(art. L. 209-12).
La loi impose à ceux-ci, quelle que soit la recherche
entreprise, d'établir un projet de recherche et de le soumettre au
comité consultatif ayant son siège dans la région où ils exercent
leur activité, qui devra rendre un avis, la loi ne dit pas dans quel
(81) Rapport Sénat, n • 132, p. 15 et intervention Sénat, J.O. 13 décembre 1988, p.
2686. V. également, intervention Serusclat, p. 2688.
(82) Le rapport du Conseil d'Etat a proposé que ces comités soient créés auprès des
C.H.U.
(83) Art. L. 209-11.
(84) Intervention Sénat, 13 décembre 1988, p. 2689.
(85) Intervention de Mme Hélène Dorlhac, Sénat, 12 octobre 1988, p. 537; ibid.
Claude Evin, J.O. 24 novembre 1988, p. 2702.
(86) C. Labrusse-Riou, rapport préc., p. 166.
�44
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
délai ; om1ss1on regrettable. Cet avis favorable ou non doit être
transmis au ministre de la Santé.
Le progrès scientifique imposait une loi en matière
d'expérimentation médicale. Si la loi du 20 décembre 1988
contribue au développement de la connaissance scientifique, elle
suscite des réserves sur le respect des normes éthiques. C'est la
constatation faite par la plupart des commentateurs de la loi (87),
et les intervenants à la journée d'études organisée par l'I.S.P.E.C.
le 22 septembre 1989 sur la recherche biomédicale. Notamment
on a souligné que les modalités de recueil du consentement auquel
la loi consacre tout un titre suscitent des réserves. Un
consentement donné a posteriori n'est pas un consentement. On a
fait observer que le Pacte des droits civils et politiques de 1966
ratifié par la France assimile à un traitement inhumain et
dégradant strictement prohibé toute expérimentation sans le
consentement de la personne (article 7) et il n'est pas certain que
la loi soit conforme aux principes posés par la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme (88). Des
rectifications s'imposent. Nous croyons savoir que certaines sont à
l'étude et devraient être introduites dans un texte modificatif. Ce
n'est pas les quelques retouches apportées par la loi du 23 janvier
1990 portant diverses dispositions relatives à la sécurité sociale et
à la santé qui peuvent satisfaire l'interprète. Il faut espérer que
des réformes plus profondes seront réalisées dans un avenir
proche Le respect de la personne humaine est à ce prix.
(87) Cf. commentaires préc. ; V. également P. Verspieren, L'expérimentation sur
l'homme, l'analyse d'une loi, Etudes juin 1989, p. 763.
(88) C. Labrusse-Riou, colloque préc., p. 165.
�Jacques BORRICAND
45
DEUXIEME PARTIE
LES EMPREINTES GENETIQUES
A la différence de la procédure civile qui plus formaliste
écarte du champ du débat certains modes de preuve, la procédure
pénale admet le principe de la liberté de la preuve. Implicite dans
le Code d'Instruction Criminelle (cf. par exemple les anciens
articles 268 et 269 C.I.C.), ce principe est fortement exprimé dans
l'article 427 du Code de procédure pénale à propos de la
. procédure correctionnelle : "Hors le cas où la loi en dispose
autrement, les infractions peuvent être établies par tous modes de
preuve et le juge décide d'après son intime conviction". La
Chambre criminelle admet que le texte s'applique plus largement
à toute procédure pénale et devant toute juridiction répressive
(89).
La raison essentielle qui commande l'exigence de ce
principe est l'intérêt supérieur de la manifestation de la vérité
(90). Dans les affaires pénales, les coupables s'efforcent presque
toujours de cacher leurs agissements. Il est dès lors impératif que
tout soit mis en oeuvre pour procéder à leur identification. Dans
cette quête de la vérité, la science joue un rôle de plus en plus
croissant. C'est grâce à elle que la police scientifique s'est
progressivement construite permettant d'élucider un plus grand
nombre d'affaires et de confondre les auteurs présumés
d'infractions. Une sorte de course poursuite s'est engagée entre les
techniques scientifiques de plus en plus élaborées et les
malfaiteurs de plus en plus habiles.
Toutefois, la liberté de la preuve ne saurait être sans
limite. Le législateur, dans certaines dispositions précises (cf. les
exemples cités in Merle et Vitu, op. cit., n° 951) et surtout les
principes généraux du droit, commandent que le recours à des
techniques scientifiques nouvelles se fasse dans le respect des
droits de la défense (91). Un impératif de loyauté s'impose donc
dans le procès pénal (92).
La Cour de cassation, il y a un siècle déjà, en avait
formulé l'exigence (93) et la doctrine s'accorde pour approuver
cette attitude (94).
(89) Crim. 13 janvier 1970, B. n • 21.
(90) Merle et Vitu, Traité de droit criminel, T. 1, n • 950, 3ème éd. 1979.
(91) Leauté, Les principes généraux relatifs aux droits de la défense, R.S.C. 195$-47.
(92) Rousselet, Les ruses et les artifices dans l'instruction criminelle, R.S.C. 1946-50.
Blondet, les ruses et les artifices de la police au cours de l'enquête préliminaire,
J.C.P. 1958-1-1419; Bouzat, La loyauté dans la recherche des preuves, Mélanges
Hugueney 1964-155 ; Commission de réforme du Canada, Document de travail, n •
34, Les méthodes d'investigation scientifique, 1984.
(93) Ch. crim. 31janvier1888, S. 1889-1-241 (affaire Wilson).
(94) Colloque d'Abidjan, janvier 1972 sur l'emploi des méthodes scientifiques de
recherche de la vérité, Rev. intem. de droit pénal, 1972, n • 3-4 avec les rapports de
�46
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
Des considérations du même ordre dominent le droit de la
filiation. L'affirmation de la vérité biologique ne peut se faire
sans limites. La vérité sociologique doit elle aussi être prise en
compte.
La récente découverte des empreintes génétiques risque de
réactiver ces conflits. A partir d'un prélèvement de sang, de
sperme, de cheveux ou d'os, un laboratoire anglais est aujourd'hui
en mesure de procéder à ce qu'il est convenu d'appeler
l'identification des empreintes génétiques humaines.
S'il est incontestable et on n'a pas manqué de le souligner
que cette technique est révolutionnaire de par les applications
multiples qui pourront en être faites, il n'en demeure pas moins
qu'en droit français le recours à ce nouveau moyen
d'identification suscite des réserves rendant l'utilisation de ce
procédé délicat.
A - LES EMPREINTES GENETIQUES, UNE TECHNIQUE
REVOLUTIONNAIRE
Le recours à la génétique ne date pas d'aujourd'hui. On
sait que c'est au cours du dix-neuvième siècle que la science des
empreintes digitales, la dactyloscopie, élaborée simultanément par
Herschell et le Docteur Henry Faulds, systématisée par Galton,
révéla le caractère inaltérable, immuable et spécifique de la peau
(95). Cette technique utilisée dans tous les laboratoires de police
scientifique constituait jusqu'à présent l'outil le plus performant
de détection des auteurs d'actes criminels et avait fait l'objet
d'affinements récents (96). Elle présuppose toutefois que le
délinquant ait été imprudent et s'avère inopérante dans des
affaires délicates, comme les viols, dont l'accroissement inquiète.
La technique des empreintes génétiques doit permettre de
résoudre ce genre d'affaires et c'est pourquoi elle représente la
plus grande avancée en criminalistique depuis longtemps. Mais
elle est également appelé à jouer un rôle considérable en matière
de filiation.
En quoi consiste cette technique ?
Chacun de nous possède un code génétique propre appelé
génome. Ce code est inscrit dans chaque cellule de l'organisme
dans son noyau. Quarante six chromosomes essentiellement
constitués d'acide désoxyribonucléique (A.D.N.) sont nécessaires
Heuyer, Susini, Levasseur, Vaasali, Lebris, Baigun, Lejins, Barletta, Van Bemmelen,
Grassi et Ottenhof; La vérité et le droit, Travaux de l'Association Capitant, t. 38,
1987, Economica.
(95) J. Gayet, Manuel de police scientifique, Payot, 1961, p. 13.
(96) Margot & Lennard, Méthodes physico-chimiques récentes et séquences de
détection des empreintes digitales, Rev. intern. de criminologie et de police technique
1988-2-214, janvier 1988.
�Jacques BORRICAND
47
pour constituer le code génétique. L'A.D.N. est lui-même
composé de quatre bases qui en se regroupant en un long ruban
constituent le chromosome (97). Au cours de la dernière décennie,
les scientifiques ont mis au point des techniques permettant
d'étudier la séquence des bases appelée satellite et par conséquent
de lire le code génétique de chaque individu. Il leur suffit de
disposer d'un échantillon plus important que dans les analyses
traditionnelles, de bonne qualité et exclusif de toute prolifération
bactérienne. L'opération prend environ deux à trois semaines (98).
Cette technique mise au point par le professeur Alex Jeffreys de
l'Université britannique de Leicester a été exposée pour la
première fois le 31 octobre 1985 dans l'hebdomadaire scientifique
britannique Nature (99). Elle a été commercialisée par !'Impérial
Chemical Industries (I.C.I.), qui a créé en Grande-Bretagne à
Abington le premier laboratoire spécialisé dans cette technique
des empreintes génétiques, qui ouvre de multiples perspectives
puisqu'il n'y aurait pas plus d'une chance sur quatre millions pour
que deux hommes portent les mêmes mini-satellites.
Un autre procédé de biologie moléculaire réalisant une
"amplification des fragments de matériel génétique contenu dans
les cellules" permet également, associé au procédé du professeur
Jeffreys, d'obtenir des résultats tout à fait remarquables à partir
d'un simple prélèvement de salive ou de cellules de la muqueuse
buccale (100). Il faut ajouter que la technique des empreintes
génétiques est également mise en oeuvre par plusieurs sociétés
américaines concurrentes spécialisées dans les applications de
découverte de biologie moléculaire.
Dès sa découverte, cette technique a été utilisée dans le
droit de la filiation, puis en médecine légale. Mais d'autres
applications sont dès à présent envisageables (101).
1 - Le droit de la filiation
La première application de cette nouvelle technique
d'identification a concerné les affaires de la recherche ou de
contestation de paternité. Cela n'est pas étonnant. Le droit de la
filiation est régulièrement confronté au progrès scientifique dans
(97) Ph. L'Héritier, La grande aventure de la génétique, Flammarion, 1984.
(98) D.J. Werrett, L'identification par l'empreinte génétique, Rev. intern. de Police
criminelle, septembre-octobre 1987-21.
(99) Il est piquant d'observer que dans cette même revue, le docteur Henry Faulds
avait présenté en 1880 la technique des empreintes digitales, cf. Gayet, op. cit., p.
15.
(100) J.Y. Nau, Empreintes génétiques contre les violeurs, Le Monde, 3 aoat 1988.
(101) D'autres perspectives seraient ouvertes pour la détection des maladies
héréditaires ou le pédigrée des animaux par exemple.
�48
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
les actions tendant à voir établir la vérité biologique (102). La
Cour de cassation dans son rapport annuel de 1987 ne demandet-elle pas aux juges du fond de faire appel aux moyens que
donnent la science moderne pour établir la vérité des filiations
(103) ?
Jusqu'à présent la vérité de la filiation était recherchée au
moyen de l'expertise sanguine. Mais celle-ci ne constituait pas
une preuve irréfutable de paternité. Incontestable pour 90 % des
hommes, cette expertise restait douteuse pour les 10 % restant
(104).
L'empreinte génétique devient en matière de filiation un
mode de preuve irréfutable ( 105). Elle répond aux voeux du
législateur. En effet dans son rapport sur le projet de loi n° 1624
relatif à la filiation et ayant abouti à la loi du 3 janvier 1972, M.
Jean Foyer soulignait que l'un des tout premiers objectifs de la
loi en gestation était de "faire triompher la vérité" (106). C'est
pourquoi, le nouvel article 340-1, 3° C. civ. permet à la suite de
la loi du 3 janvier 1972 de faire appel à l'examen sanguin ou "à
toute autre méthode médicale certaine" pour établir la paternité
d'un enfant ( 107).
Le recours à l'empreinte génétique va inévitablement
conduire à remettre en cause certains sacro-saints principes du
droit de la filiation. Il a été démontré notamment que la
présomption pater is est risquait de se trouver soit confortée, soit
anéantie (108).
Cette technique est également susceptible de révéler un
affrontement entre l'ordre public français et un ordre public
étranger. Une décision étrangère prenant appui sur les empreintes
génétiques pour désigner un français comment peut-elle recevoir
application en France ? La jurisprudence apporte une réponse
positive à cette question. La Chambre civile de la Cour de
cassation affirme qu'une loi étrangère ne peut être contraire à
l'ordre public international français dès lors qu'elle présente de
sérieuses garanties en ce qui concerne le respect de la vérité
(102) J. Vidal, La place de la vérité biologique dans la filiation, Mélanges Marty, p.
119; D. Huet-Weiller, Vérité biologique et filiation, le droit français in C. LabrusseRiou et G. Cornu, Droit de la filiation et progrès scientifique, Colloque Perspectives
économiques et juridiques, Economica, 1982, p. 9 et s.
(103) La Documentation française, p. 135.
(104) V. l'intervention de Mme le docteur D. Salmon, La preuve scientifique de la
paternité était de la science et de la déontologie in Droit de la filiation et progrès
scientifique, coll. préc., p. 27 s.
(105) A. Bottiau, Empreintes génétiques et droit de la filiation, D. 1989-271.
(106) Rapport, p. 27.
(107) Pratte et E. Fortis-Monjal, Présomption de paternité et vérité biologique en
droit français et québécois, D. 1988, Chron. p. 31.
(108) A. Bottiau, Chron. préc.
�Jacques BORRICAND
49
biologique (109). C'est ainsi qu'un tribunal britannique a
condamné en 1986 un jeune français reconnu coupable d'avoir
engendré deux ans plus tôt une petite fille au cours d'un séjour
linguistique chez la mère de l'enfant, à verser à celle-ci une
pension alimentaire (110). Mais le tribunal de grande instance de
Bordeaux a refusé de faire exécuter le jugement anglais, "n'ayant
pas eu toutes les précisions sur les modalités de réalisation de
l'analyse" (111).
Enfin cette technique permet de faciliter la procédure
d'immigration notamment pour les familles originaires de pays du
Commonwealth désirant faire entrer un de leurs proches au
Royaume-Uni. Les empreintes génétiques leur donnent en effet la
possibilité de prouver de manière indiscutable qu'il s'agit d'un
membre de leur famille. Il est question d'intégrer l'exigence de ce
test dans la réglementation de l'immigration britannique (I 12).
En France, la presse s'est faite l'écho de la demande d'un
ressortissant algérien résidant à Nancy, à subir un tel test pour
prouver qu'il est bien le père d'un enfant de nationalité française.
Poursuivi devant le tribunal correctionnel pour non respect d'une
procédure d'expulsion, M. Nasri Shad souhaite ainsi faire jouer
l'ordonnance du 2 novembre 1945 qui stipule que les enfants nés
en France et de nationalité française ne peuvent être expulsés. Si
ce test se révélait positif, l'intéressé serait amené à reconnaître un
enfant dont la paternité avait été à la naissance revendiqué par un
autre homme (113).
Comme on le voit, l'empreinte génétique devient en
matière de filiation "la reine des preuves" (I 14) et l'hebdomadaire
"Le Point" nous apprend qu'Herbert Von Karajan avait demandé
à se soumettre à un test de paternité pour déterminer s'il était
père biologique d'une allemande prétendant être le fruit des
amours de l'artiste et de Erika Pescke ( 115).
Mais c'est dans le domaine de la médecine légale que la
technique des empreintes génétiques a eu le plus de
retentissement.
(109) Civ. lère, 9 octobre 1984, Rev. int. droit int. privé 1985-643, note J. Foyer
Clunet, 1985-906, note M. Simon-Depitre, V. également Civ. 1, 6 mai 1984, Clunet
1984-859, note Chappez, Rev. int. dr. int. privé 1985-108, note Droz.
•
(110) L'événement du Mardi 11-17 aotlt : Science plus, les violeurs à l'épreuve des
décodeurs.
(111) Libération 16-17 décembre 1989.
(112) J.Y. Nau, Les empreintes génétiques pour la recherche de la vérité, Le Monde
16 novembre 1987.
(113) Le Monde, 22 mars 1989.
(114) A. Bottiau, Chron. préc.
(115) Le Point, 17 avril 1989.
�50
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
2 - En médecine légale
On sait que la police scientifique dont l'un des volets est
la médecine légale a notamment pour objet l'application des
sciences exactes et des connaissances médicales à l'administration
de la preuve des infractions et de la culpabilité de leurs auteurs.
Ce que l'on sait moins c'est le grand retard de la police
scientifique française. Dans nombre d'affaires récentes les
méthodes modernes d'investigation sont sollicitées, mais les
moyens ne suivent pas ce qui conduit les magistrats à faire appel
à des laboratoires étrangers.
Le retard en laboratoires, équipements de pointe,
personnel qualifié, moyens financiers était estimé en 1985 à 50
ans sur les Etats-Unis. L'écart a été très considérablement réduit
grâce à l'utilisation de l'ordinateur et du microscope électronique
(116). Il demeurait cependant sensible jusqu'à ces derniers mois à
propos de la technique des empreintes génétiques, ce qui avait
conduit M. Bernard Debré à poser une question écrite au Garde
des Sceaux en 1988 ( 117). Toutefois une dizaine de laboratoires
viennent de répondre à l'appel d'offres du Ministère de l'intérieur
(118). Ils vont pouvoir développer leurs activités dans deux
domaines essentiels, les viols et les identifications de corps.
a) Les viols
1)
A l'étranger
C'est en Grande Bretagne qu'a eu lieu la première
application de la preuve génétique. Le 13 novembre 1987 le
tribunal de Bristol a condamné un homme pour viol ( 119). La
preuve formelle de cet acte avait été obtenue grâce à la similitude
des empreintes génétiques contenues dans le sperme prélevé sur la
victime et celles de ses propres cellules sanguines. Dans une autre
affaire deux mille suspects ont été soumis au test par la police
britannique qui cherchait à identifier un dangereux violeur et
pervers sexuel dont elle possédait l'empreinte génétique.
Le recours à cette technique a été ensuite utilisé avec
succès aux Etats-Unis en mars 1988 pour l'auteur de huit viols,
commis entre décembre 1986 et octobre 1987. Les biologistes
amencains avaient alors réussi à identifier le criminel en
comparant les empreintes génétiques du suspect à celles d'un
(116) Le Figaro 15 septembre 1988 ; Le Monde 1er décembre 1988 Cf. Journées
internationales de Police et haute technologie, Nice du 7 au 9 décembre 1988.
(117) J.O. 1988, 24 octobre 1988. Déb. Ass. Nat., p. 3020.
(118) Le Figaro, 21 août 1989.
(119) Le Monde, 16 novembre 1987.
�Jacques BORRICAND
51
foetus conçu lors de l'un de ces viols et pour lequel la victime
avait demandé un avortement (120). En revanche, en mai 1988, a
été innocenté à Bruxelles un belge soupçonné d'être l'auteur du
viol d'une adolescente de quinze ans qui avait mis au monde à
Charleroi un enfant de père inconnu ( 121 ).
b) En France
Pour la première fois, en France, l'auteur présumé du viol
d'une jeune fille de dix huit ans, près de Bourg en Bresse arrêté
le 3 ao'O.t 1988 et inculpé le 5, a été soumis par décision du juge
d'instruction à ce test (122). Les conclusions de l'expertise ne
seront pas sans appel car le cas de figure est différent. En
principe, en matière de viol, on doit comparer les caractéristiques
génétiques du sperme prélevé sur la victime à celles provenant
généralement du sang du suspect. Or, dans cette espèce, les
enquêteurs ne disposent pas d'échantillon de sperme prélevé sur la
victime. Les échantillons adressés à la firme d' Abington
comportent un prélèvement de sang obtenu avec le consentement
du suspect et des fragments de tissus que l'on suppose imprégnés
de sperme. Aussi même si la technique britannique permet
d'établir un lien entre ces deux échantillons, elle n'apportera pas
la preuve indiscutable de l'identité de l'auteur du viol.
Deux autres affaires sont également suspendues au résultat
d'une expertise. Un juge d'instruction de la région de Nantes
attend les conclusions du laboratoire anglais pour confondre un
violeur tandis que les policiers de la brigade criminelle chargés
d'enquêter sur l'assassinat d'une étudiante américaine de vingt ans
découverte violée et étranglée dans un ascenseur de l'aéroport de
Roissy en juillet 1988 ont envoyé à la firme anglaise un morceau
de tissu imprégné de sperme.
C'est dire l'importance de la première étape, essentielle,
concernant l'examen médical de la personne victime d'une
agression sexuelle. Pour des raisons à la fois techniques et
psychologiques, cet examen doit être réalisé par une équipe
spécialisée en gynécologie-obstétrique et travaillant en étroite
collaboration avec les services de police et de gendarmerie. Seul
un tel examen permet de pratiquer les prélèvements organiques
indispensables à la recherche de l'identité du criminel. Il permet
aussi de réaliser une série d'examens biologiques et de tout mf;ttre
en oeuvre pour prévenir les conséquences (maladies sexuellement
transmissibles, grossesses, séquelles psychologiques) d'une telle
agression.
(120) Le Monde, 3 août 1988.
(121) Le Monde, 3 août 1988.
(122) Le Monde, 7-8 août 1988.
�52
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
Or, en dépit de la fréquence élevée des agressions
sexuelles et de l'importance médicale et médico-légale de tels
examens, les centres d'accueil des victimes sont encore trop peu
nombreux en France, leur création n'étant dues, le plus souvent,
qu'à des initiatives locales de médecins hospitaliers ayant pris
conscience de l'ampleur du drame vécu par les personnes violées ...
Si bien que dans nombre d'affaires la médecine légale
demeurera encore absente du débat. L'affaire Luc Tangorre, ce
jeune homme déjà condamné en 1983 pour une série d'agressions
sexuelles et libéré en 1988 et à nouveau inculpé et écroué pour le
viol de deux étudiantes amencaines en est une vivante
illustration, car il ne semble pas que les prélèvements effectués
initialement par un praticien spécialiste au centre hospitalier de
Nîmes l'aient été dans les règles de l'art, si bien que l'empreinte
génétique n'a pu être réalisée (123 ).
L'affaire Céline Jourdan, fillette retrouvée violée et
assassinée a également donné lieu à une expertise génétique sur
un des assassins présumés, qui s'est révélée négative (124).
En revanche, les soupçons pesant sur un homme de 36 ans
suspecté d'avoir violé une jeune fille ont été confirmés par une
analyse de son A.D.N. par empreinte génétique réalisée par le
laboratoire de biologie moléculaire du C.H.U. de Nantes (125).
b) L'identification des corps
La technique anglaise a reçu des applications tant à
l'étranger qu'en France pour l'identification de corps à la suite
d'une catastrophe ou d'un meurtre.
A l'étranger.
Déjà une méthode de génétique moléculaire a été utilisée
par le docteur Snow chargé par la commission nationale Argentine
d'enquête sur les disparus de procéder à l'identification des
quelques dix mille personnes disparues au cours de la dictature
Argentine à Buenos-Aires. Celles que le pouvoir appelait les
folles de mai sont parties à la recherche de leurs enfants disparus,
dont certains avaient été vendus tandis que d'autres avaient été
adoptés par les tortionnaires de leurs parents. Ainsi, la Cour
d'appel de Buenos-Aires vient de rendre définitivement à ses
grands parents paternels une petite fille de huit ans,. Paula
Logares qui avait été enlevée à l'âge de deux ans avec ses parents
et que nul ne revit jamais. Paula vivait avec un couple dont
l'époux était militaire, lequel prétendait qu'elle était leur propre
(123) Le Monde, 26 octobre, 7 novembre, 25-26 décembre 1988.
(124) Le Méridional, 29 janvier 1989.
(125) Le Monde, 23-24 juillet 1989.
�Jacques BORRICAND
53
petite fille. Une généticienne de l'Université de Californie, le
docteur Marie-Claire King a pu établir la fausseté de ces dires en
comparant les caractéristiques biologiques de l'enfant à celles de
ses proches présumés.
Le F.B.I. a, de son côté, demandé à une équipe de
spécialistes d'évaluer les différentes méthodes actuellement sur le
marché afin de mettre sur pied une banque de données
d'empreintes génétiques susceptible d'aider à l'identification des
personnes disparues ou à l'élucidation d'affaires criminelles.
En France.
Une première application de la technique vient d'être faite
par un juge d'instruction après contestation d'un rapport
d'autopsie pour identifier un cadavre.
Dans cette curieuse affaire, un jeune homme décédé à la
suite d'une surdose avait été l'objet d'une autopsie avant son
incinération. A la suite de la publication, quelques mois plus tard,
des rapports d'autopsie, la mère du jeune homme devait faire un
certain nombre d'observations anatomiques la conduisant à penser
qu'une substitution de cadavre a eu lieu. C'est la raison pour
laquelle elle avait demandé à la justice que soit comparé à partir
des tissus prélevés sur le cadavre lors de l'autopsie et conservés
depuis comme dans toute procédure médico-légale le patrimoine
héréditaire de son fils au sien (126). Les conclusions des
spécialistes de la société Appligene ont été formelles. Le cadavre
autopsié était bien le fils de la demanderesse (127).
Le recours à la nouvelle technique avait été réclamé, par
les avocats de Simone Weber pour déterminer si un tronc humain
découvert dans la Marne appartenait à l'ex-ami disparu de
l'inculpée (128). Rappelons que Simone Weber est accusée d'avoir
fait disparaître son ancien amant Bernard Hettier, après avoir
découpé son corps à l'aide d'une meule à béton et d'avoir
empoisonné son ancien mari âgé de quatre-vingt ans, Marcel
Fixard. Dans leur lettre au juge Thiel, les défenseurs de Simone
Weber avaient demandé que soit comparée l'empreinte génétique
du tronc humain à partir de l'analyse des os avec le code
génétique des filles et de la mère du disparu déterminé par une
analyse sanguine. Le résultat de l'expertise s'est révélé décevant,
l'état de conservation des fragments humains n'ayant pas permis
au laboratoire de Strasbourg de se prononcer sur le çode
génétique (129).
(126)
(127)
(128)
(129)
Le Monde, 12 novembre 1988.
Le Monde, 7 juin 1989.
Le Figaro, 29 juillet 1988.
Le Monde, 4 avril 1989.
�54
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
Comme on le voit les perspectives d'avenir de cette
nouvelle technique sont immenses. Elle complète heureusement la
technique des empreintes digitales (130) et permet de réduire le
chiffre noir de la criminalité.
Mais elle n'est pas sans susciter un certain nombre de
réserves quant à sa mise en oeuvre.
B - LES EMPREINTES GENETIQUES, UNE TECHNIQUE
DELICATE
Si les empreintes génétiques conduisent à des résultats qui
laissent peu d'équivoque pour les spécialistes (131). Ce n'est pas
toujours le cas aux yeux de la justice. Aux Etats-Unis par
exemple quand une preuve à un procès relève directement d'un
nouveau texte de nature scientifique, le test doit d'abord
rencontrer le fameux standard fry de 1920, soit convaincre le
juge que la technologie utilisée est suffisamment établie pour
avoir obtenu un appui général de la communauté scientifique ou
académique et ce en dehors même de son utilisation légale. Au
Canada un juge décide de l'admissibilité de la preuve au terme de
la règle dite du "voir-dire" qui se déroule en l'absence du jury et
permet de déterminer la légalité d'une preuve obtenue (132).
Pour ce qui est de la France, la nouvelle technique nous
paraît soulever des difficultés de deux ordres : procédure et
éthique.
1 - Les difficultés procédurales
Elles se posent en des termes différents, selon que l'on
recourt à ce mode de preuve en matière pénale ou les matières
civiles.
a) En matière pénale
On sait que le Code de procédure pénale offre aux
magistrats dans le recours à l'expertise une très grande latitude
(articles 156 à 169-1 du Code de procédure pénale). Lorsque
l'expertise porte sur le fond ce qui est le cas de l'espèce expertise touchant la preuve de l'infraction- l'article 159 exige en
principe la présence de deux experts. Toutefois ce texte prévoit
que le juge peut ne désigner qu'un seul expert en cas de
"circonstances exceptionnelles". Mais il doit alors faire connaître
(130) Le Monde, 21 décembre 1988 : 32 millions de doigts dans un ordinateur.
(131) Voir toutefois R. Cuquoz, Passé, présent, futur, Rev. int. crim. et police
technique, 1989, p. 331.
(132) Justice, février 1989.
�Jacques BORRICAND
55
au Ministère public et notifier par lettre recommandée aux parties
intéressées son intention de ne désigner qu'un seul expert. Ceuxci ont un délai de quarante-huit heures pour présenter leurs
observations. Après quoi, le juge prend une décision motivée
(133). En cas d'urgence, ce qui est le cas des espèces ci-dessus
évoquées, l'expert unique peut commencer ses opérations avant
toute notification (art. 159 al. 2 du Code de procédure pénale).
Le juge dispose d'un pouvoir souverain pour procéder à la
désignation de l'expert, les parties ne pouvant que lui suggérer de
le faire (art. 156-1 du Code de procédure pénale) et interjeter
appel de sa décision de refus (134). En principe "les experts sont
choisis parmi les personnes physiques ou morales qui figurent soit
sur une liste nationale établie par le bureau de la Cour de
cassation, soit sur une liste nationale établie par le bureau de la
Cour d'appel (art. 157 du Code de procédure pénale). Toutefois
"les juridictions peuvent par décision motivée choisir les experts
ne figurant sur aucune de ces listes, "l'exigence de la motivation
permettant le contrôle par la juridiction du second degré de
l'opportunité de cette décision".
Dans les affaires suscitées, le magistrat instructeur a pu
donc légitimement faire appel à un laboratoire britannique. Sans
doute l'article L. 349 confie aux services de l'identité judiciaire le
soin "de rechercher et de relever les traces et indices dans les
lieux où a été commis un acte délictueux" de procéder "à tous les
examens, recherches et analyses d'ordre physique, chimique et
biologique demandés notamment par les Parquets". Mais il ne
s'agit pas là d'expertise proprement dite. Le laboratoire de la
Préfecture de police de Paris n'est actuellement pas encore équipé
pour réaliser des tests fiables.
Le serait-il, on peut se demander s'il pourrait mettre en
oeuvre le procédé anglais. Monsieur Webb, directeur de Cellmark
Diagnostics a souligné que l'établissement dont il a la charge
détient l'exclusivité mondiale de la mise en oeuvre des techniques
issues de la découverte du professeur Jeffreys (135). Il y a peutêtre là un problème de propriété industrielle.
Cependant, le recours à un laboratofre étranger ayant le
monopole de l'exploitation d'un brevet soulève plusieurs
difficultés : d'abord le Code de procédure pénale impose aux
experts de prêter serment devant le juge (art. 160 du C.P.P.).
Cette exigence a conduit le juge d'instruction dans l'affaire. du
viol de Bourg en Bresse à consulter les experts du Ministère de
l'intérieur avant de délivrer une commission rogatoire
(133) Crim. 18 avril 1972, B. n • 125 et 130 ; R.S.C. 1973-401, obs. Robert.
(134) Pradel, Procédure pénale, 3e éd. n • 272.
(135) Le Monde, 7-8 avril 1988.
�56
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
internationale pour interroger le laboratoire anglais ( 136).
D'ailleurs l'article 160 prévoit qu'en cas d'empêchement dont les
motifs doivent être précisés "le serment peut être reçu par écrit et
la lettre de serment est annexée au dossier de la procédure". La
souplesse du Code de procédure pénale ne constitue donc pas un
obstacle à l'utilisation d'un laboratoire étranger.
En revanche, le fait que ce laboratoire soit le seul
actuellement susceptible de procéder à ce type d'expertise interdit
aux parties au procès toute demande de contre-expertise
normalement ouverte par l'article 167 du Code de procédure
pénale. Le rejet d'une telle demande donne lieu à ordonnance
motivée susceptible d'appel et avant la procédure de jugement
rend malaisée la citation en témoignage par les avocats d'un
expert librement choisi par eux (137). Or, il est de jurisprudence
constante que les résultats de l'expertise ne peuvent avoir de
valeur probante que s'ils sont débattus contradictoirement à
l'audience.
b) En matière civile
Jusqu'à l'apparition et la diffusion de la technique des
empreintes génétiques, la recherche des preuves biologiques de la
paternité n'était mise en oeuvre (à partir d'une batterie de
marqueurs sanguins) par le Centre de transfusion sanguine que
sur réquisition judiciaire. Ce centre réalisait de 80 à 1OO
recherches de paternité grâce à une "batterie de tests dont vingt
cinq systèmes de groupes sanguins et les fameuses sondes
moléculaires (138) offrant une fiabilité de résultat comparable à
la technique anglaise (139).
La survenance de la nouvelle technique a suscité en
France la création de sociétés habiles à la mettre en oeuvre. Deux
laboratoires d'identification génétique situés à Strasbourg ont
apporté une réponse différenciée aux demandes d'expertise dont
ils étaient l'objet;
La société Appligene exploite en exclusivité pour la
France un brevet détenu par une équipe belge. Elle accepte
d'utiliser la nouvelle technique sur demande d'un juge, mais aussi
d'un avocat ou d'un médecin.
(136) Le Figaro, 10 août 1988 ; Cf. J. Moussa, Dictionnaire juridique, expertise
Dalloz 1989, p. 59 "Rien ne s'oppose à ce qu'une expertise prescrite par une
juridiction française soit exécutée dans un pays étranger par voie de commission
rogatoire".
(137) Pradel, op. cit., n • 272 ; Doll, La réglementation de l'expertise en matière
pénale, 12 69, Librairie générale de droit, n • 230 et s.
(138) Interview du professeur Rouger de l'Institut national de transfusion sanguine,
Le Figaro, 19 août 1988.
(139) J.-L. Nothais, Les violeurs confondus par leurs chromosomes, Le Figaro, 19
août 1988.
�Jacques BORRICAND
57
Le directeur de cette société privée justifie le recours à ce
procédé au profit de personnes qui veulent s'assurer que leur
enfant est bien le leur ou au profit d'enfants de l' Assistance
publique qui après une longue enquête ayant retrouvé leurs
parents, veulent vérifier qu'ils ne se trompent pas avant de se lier
d'affection avec eux.
La société Codgene, née de l' Association de l'Université
Louis Pasteur de Strasbourg, qui utilisait un brevet d'une société
américaine s'était montrée dans un premier temps, plus libérale
encore que la société Appligene en autorisant les personnes ou les
couples impliqués dans des affaires de contestations de paternité
de s'adresser à elle (140). Quelques mois plus tard, les
responsables de la société faisaient savoir qu'ils renonçaient pour
l'instant à fournir aux particuliers qui en feraient la demande la
preuve biologique d'une paternité (141).
Le fait de proposer cette technique à tous les couples qui
souhaitent savoir si leur enfant légitime est bien leur enfant
biologique semblait d'autant plus aisé qu'il ne tombe pas a priori
sous le coup d'un article de loi.
Une telle démarche, toutefois, avait vivement ému
médecins, juristes, comité national d'éthique et Chancellerie,
s'accordant pour reconnaître la primauté d'impératifs moraux
pour canaliser les demandes.
Le communiqué commun publié le 23 mai 1989 par
!'Ordre national des médecins et !'Ordre des avocats à la Cour
d'appel de Paris affirme qu'il serait "déraisonnable d'ouvrir sans
contrôle l'accès à la technique des empreintes génétiques" et
rappelle que "jusqu'à présent en raison du caractère d'ordre
public des règles de la filiation, la contestation ou la recherche
d'une filiation ont toujours été pratiquées dans le cadre d'une
procédure judiciaire qui implique l'intervention d'un magistrat et
des règles très strictes" (142). La détention de la vérité n'est pas
toujours synonyme de protection" (143). C'est pourquoi le
législateur de 1972 attribue exclusivement l'action en recherche
de paternité à l'enfant (144). C'est pourquoi le désaveu de
paternité doit demeurer le privilège du mari bafoué, tandis que la
possession d'état, conforte ou compense l'incertitude de données
biologiques. La possession d'état permet au juge de protéger
l'enfant contre la négligence d'un individu qui prétendrait
tardivement arguer de la vérité biologique dévoilée par le recours
à l'empreinte génétique. II faut, écrit le doyen Carbonnier,
(140) Le Monde, 24 janvier 1989.
(141) Le Monde, 20 avril 1989, le 1er août 1989 ce laboratoire aurait traité 45 cas, in
A. Bottiau, chron. préc., note 19.
(142) Extrait cité in A. Bottiau, Chron. préc., p. 276.
(143) A. Bottiau, Chron. préc., p. 276.
(144) Art. 340-2 al. 1 C.C.
�58
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
"mettre en garde ceux qui voudraient troubler la vérité
sociologique, car celle-ci, tout en étant psychologique, est
également juridique par application de la maxime "quieta non
movere" (145).
Cette donnée sociologique rejoint les préoccupations
d'ordre éthique qu'il convient d'évoquer maintenant.
2 - Les difficultés d'ordre éthique
a) En matière pénale
On sait que la liberté de la preuve est limitée par
l'application de certains principes généraux qui interdisent la
recherche de la vérité par n'importe quel procédé. Depuis
longtemps, l'utilisation de procédés scientifiques n'est admise
qu'avec circonspection. Ainsi la jurisprudence française s'est
montrée hostile à l'emploi de la narco-analyse comme procédé
d'instruction, même à la demande de l'inculpé lui-même (146). La
même défiance s'est attachée à l'utilisation du détecteur de mensonge ou polygraphe très utilisé aux U.S.A. (147). Quant à l'usage
des magnétophones, ou des tables d'écoute des conversations
téléphoniques, après avoir été interdit puis autorisé, la Chambre
criminelle ne l'admet aujourd'hui que sous certaines réserves
(148). Cette rigueur se justifie par un impératif de loyauté (149).
Le recours à l'empreinte génétique ne va pas manquer
dans un proche avenir de poser problème. A notre avis, celui-ci
se présente en des termes différents selon les circonstances dans
lesquelles le prélèvement s'est réalisé. S'il s'agit de procéder à une
analyse de sperme trouvé sur un tissu ou prélevé chez la victime
d'un viol ou de cheveux découvert sur les lieux du crime, il n'y a
pas, semble-t-il, de difficulté d'ordre éthique, le malfaiteur ayant
en quelque sorte laissé sa carte de visite. Dans le cas contraire,
l'expertise nécessite une prise de sang sur la personne soupçonnée.
Il n'y aura pas de problème si l'intéressé y consent. C'est le cas de
(145) J. Carbonnier, Droit civil, la famille, les incapacités, coll. Thémis, P.U.F.,
12ème éd. n • 98, p. 322 ; sur tous ces points cf. A. Bottiau, Chron. préc.
(146) Heuyer, Narco-analyse et narco-diagnostic, R.S.C. 1950-7 ; Graven, Le
problème des nouvelles techniques d'investigation au procès pénal, R.S.C. 1950-313 ;
Schmidt, La narco-analyse et son application pratique, Rev. int. de criminologie et
de police technique, 1956-64.
(147) Maudet, Le polygraphe et son utilisation en justice, Rev. int. de crifn. et de
police technique 1959-298; Le Chat, Réflexions au sujet des polygraphes, Rev. int.
de crim. et de police technique, 1960-121.
(148) Crim. 9 octobre 1980 D. 1981-133, J.C.P. 1981-II-18578, note Di Marino
R.S.C. 1981-879, obs. Levasseur et 1982-144, obs. Robert. Crim. 28 avril 1987, Bull.
n • 173 ; Crim. 4 novembre 1987, D. 1988 inf. rap. 195, obs. Pradel ; Crim. 15 mars
1988, Bull. n • 128.
(149) Crim. 12 juin 1952, J.C.P. 1952-II-7241, note Brouchot; Bouzat, La loyauté
dans la recherche des preuves, Mélanges Hugueney, 1964-155.
�Jacques BORRICAND
59
l'affaire du viol de Bourg-en-Bresse. En revanche, s'il s'y refuse,
on ne voit pas comment l'y contraindre en l'état actuel de la
législation. Le droit français n'autorise en effet la prise de sang
contre le gré de l'intéressé que dans des cas très particuliers. C'est
notamment l'hypothèse d'une infraction à la circulation routière
prévue par l'article L. 88 du Code des débits de boissons (150).
Pour l'heure, on ne saurait interpréter ce refus comme un aveu
indirect.
Les réserves du droit français s'expliquent essentiellement
par le respect des droits de la défense. Ne serait-il pas dès lors
souhaitable dans les hypothèses de viol ou de meurtre de rendre
obligatoire ce type d'expertise, afin de lever toute équivoque. La
personne soupçonnée y gagnerait. C'est le sens de la requête
formulée par les avocats de Simone Weber auprès du magistrat
instructeur pour mettre un terme à la détention de leur cliente
(151 ).
Mais à l'inverse, la généralisation de tels examens ne
risque-t-elle pas sous couvert de respect des droits de la défense
d'y porter atteinte ? On sait la vigilance qu'une partie de la
doctrine et surtout la jurisprudence de la Cour de cassation
accordent au respect de ces principes. L'instauration d'une sorte
de fichier génétique aurait certes le mérite de faciliter
l'identification de malfaiteurs et plus largement des victimes
d'accidents ou de personnes retrouvées vivantes ou mortes sans
papier d'identité. Les autorités de police de Grande-Bretagne
vont entreprendre la constitution d'un tel fichier et l'armée
américaine envisage de faire de même aux fins d'identification en
cas de guerre. Si louable que soit le but poursuivi on peut
craindre une utilisation abusive d'un tel fichier.
Ces réserves rejoignent les craintes émises par les plus
hautes instances en matière civile.
b) En matière civile
En juillet 1989 dans un article publié dans le journal Le
Monde, le président du Conseil d'ordre des médecins et le
bâtonnier de l'ordre des avocats à la Cour de Paris tout en
reconnaissant le progrès considérable accompli par la technique
des empreintes génétiques formulaient de vives réserves sur la
banalisation du procédé. Ils soulignaient qu'une utilisa.tian
(150) Le Monde, 7-8 ao1lt 1988.
(151) Le texte fait obligation aux agents de la force publique lors de la constatation
d'un crime ou d'un délit ou d'un accident de la circulation de faire procéder "sur la
personne de l'auteur présumé aux vérifications médicales, cliniques et biologiques
destinées à établir la preuve de la présence d'alcool dans son organisme", Cf. Merle,
Le corps humain, la justice pénale et les experts, J.C.P. 1955-1-219 ; Larguier,
Alcoolisme et mesures de s1lreté, J.C.P. 1954-1-1181.
�60
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
débridée constituerait un risque indéniable d'atteinte à la vie
familiale et à la vie privée. "Il appartient au législateur,
écrivaient-ils au niveau tant national qu'européen ... de prendre les
mesures nécessaires pour que l'établissement des liens de filiation
ne puisse dépendre autrement de la variation ou du chaos des
sentiments" (152).
Cet appel a été entendu ... par le Comité national qui, à
l'occasion de ses Journées annuelles, a réclamé une stricte
limitation de l'utilisation des empreintes génétiques. Il observe
que des techniques peuvent mettre en danger le système de l'état
civil, le secret de la vie privée, le principe de non discrimination
en raison de l'ethnie ou de la parenté ou encore la liberté du
travail. Il souligne le risque d'erreurs (153) et l'existence de
monopole d'exploitation rendant difficile
la réalisation
d'expertises contradictoires. C'est pourquoi tout spécialement dans
le domaine des recherches de paternité, le comité affirme qu'en
"matière civile et familiale, la sécurité du lien de parenté, dans
l'intérêt primordial de l'enfant, l'équilibre et la paix des familles
justifient que la preuve biologique ne puisse être rapportée que
sous le contrôle du juge dans le cadre d'une action en justice
relative à la filiation et juridiquement recevable" ( 154 ).
Pour l'instant il semble donc exclu qu'un particulier puisse
demander ce type de recherche et que des laboratoires français
satisfassent à une telle demande.
Il n'en est pas toujours de même à l'étranger. Aux EtatsUnis, aucune formalité n'est nécessaire, les laboratoires rivalisent
d'encarts publicitaires dans les journaux et disposent d'un marché
d'environ 100.000 expertises par an. Dans les pays voisins de la
France, comme la Belgique, l'Italie, l'Angleterre, n'importe qui
peut se rassurer sur la paternité. Il faut espérer que l'ouverture
des frontières de 1992 ne compromettra pas les règles éthiques
françaises.
En effet, l'avis du comité consultatif national d'éthique
nous paraît une sage décision. Il est conforme à l'attitude
législative française. On sait en effet que la loi du 6 janvier 1978
relative à l'informatique aux fichiers et aux libertés entend
réserver aux citoyens français une sphère d'intimité dont la
violation entraîne des sanctions pénales.
Aux termes de l'article premier la loi "ne doit porter
atteinte, ni à l'identité humaine ni aux droits de l'homme, µi à la
vie privée, ni aux libertés individuelles ou publiques". En
(152) Le Monde, 5 juillet 1989.
(153) Cf. hebdomadaire Nature, 18 mai 1989; Voir également M. Gomez, Un progrès
à manipuler avec prudence, les empreintes génétiques, Prévention santé, n • 94, avril
1989, p. 44.
(154) Le Monde, 16 décembre 1989 ; Le Figaro, 27 décembre 1989.
�Jacques BORRICAND
61
conséquence la constitution en France d'un fichier des empreintes
génétiques apparaît impossible et de ce fait les applications de la
nouvelle technique seront moins nombreuses qu'à l'étranger. Il ne
faut pas le regretter. Le respect de la personne humaine est à ce
prix.
L'avis du comité satisfait également les exigences de la
convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et
des libertés fondamentales qui dans son article 8 énonce "Toute
personne a droit au respect de sa vie privée et familiale" ... "Il ne
peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de
ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi
et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société
démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté
publique, ... à la défense de l'ordre et à la prévention des
infractions pénales ... ".
��L'INDICATEUR
Par
Gaëtan DI MARINO
Professeur à la Faculté de Droit et de Science Politique
d'Aix-Marseille
Directeur-Adjoint de l'Institut de Sciences Pénales et de
Criminologie d'Aix-Marseille III
- L'homme porte en lui une terrible tendance à la
dénonciation ( l ). Dans le cadre de la réaction sociale contre le
crime, la question de l'exploitation de cette tendance ne manque
pas de se poser.
On admet aisément qu'une personne dénonce l'auteur de
l'infraction dont elle est victime. On se fait à la dénonciation du
citoyen respectueux de l'article 62 du Code pénal. On méprise le
rédacteur d'une lettre anonyme. On exècre l'indicateur.
- Mouchard (2), casserole, donneur, coqueur, vache,
cafard, bidon, balance, on ne compte plus les sobriquets dont se
voit affubler l'indic3:teur. Sa dénomination varierait même à Paris
selon les quartiers. On parlerait de "mouvette" dans le quartier
Montmartre, et de "bourrique" dans celui de Grenelle (3 ). La
richesse de ce vocabulaire est révélatrice de la "vitalité" de ce
personnage pourtant mystérieux et insaisissable.
- Les définitions elles-mêmes paraissent avoir du mal à le
cerner. On le présente en règle générale comme "celui qui
moyennant un avantage donne des renseignements sur une
affaire", mais cette définition est tout à la fois trop large et trop
(1) Jean Susini, "Un chapitre de la psychologie policière : La dénonciation", R.S.C.
1964, p. 887 - L'Express n • 1992 du 8-14 septembre 1989 : "Affaires, vie privée,
fisc : La délation".
(2) Sur l'origine de ce mot, voir : Jean-Marc Chaumeil, "La Police judiciaire" 1953,
p. 229, note 1 : D'après "Les Mémoires" de Peuchet, un inquisiteur de la foi sous
François II appelé "Mouchy" prit le nom d'Antoine Demochares. Les espions à sa
solde furent surnommés "mouches" et "mouchards".
(3) Op. précité, p. 229.
�64
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
étroite. Elle est trop large, parce que l'indicateur, à l'inverse du
dénonciateur, entend toujours rester dans l'ombre et voir
préserver le secret de son identité. A ce titre, on ne saurait
considérer comme indicateurs ceux qui, pour bénéficier d'une
excuse absolutoire ou atténuante, acceptent de devenir des
délateurs. Ils collaborent, en effet, avec la justice de façon tout à
fait officielle et non dans l'anonymat. La définition traditionnelle
est également trop étroite, parce que l'indicateur n'attend pas
nécessairement une contrepartie de la part de son interlocuteur.
Certes, il espère souvent en échange de ses révélations une
rémunération en espèces sonnantes et trébuchantes, un avantage
administratif ou une tolérance de ses propres activités
délictueuses, mais il arrive aussi qu'il soit animé par une toute
autre motivation : esprit de vengeance, volonté de nuire, besoin
de servir (4), vocation policière ratée (5), ou même recherche
d'un sentiment de puissance (6).
L'indicateur est donc celui qui, recevant ou non un
avantage, fournit des renseignements sur une affaire, sans que son
identité ne soit divulguée.
- La police utilise les services de ce type d'individu
depuis fort longtemps. Il en était déjà ainsi sous l'Ancien Régime
avec les lieutenants généraux de police. A Paris, Machault
d'Arnouville recrutait à cet effet les perruquiers ; Berryer de
Ravenoville les filles et tenancières de maisons closes, Antoine de
Sartines les décrotteurs et les porteurs d'eau (7). La révolution ne
changea rien aux habitudes prises en la matière. Fouché
manipulait avec habileté les informateurs choisis indifféremment
dans le grand monde ou dans le milieu délinquant (8). Vidocq
faisait quant à lui merveille en s'assurant la collaboration
d'anciens forçats. Le "mouchard" était alors tellement entré dans
les moeurs que le célèbre Béranger ne manquait pas de lui
consacrer quelques unes de se ritournelles : "Monsieur Judas" et
"La faridondairre, ou la conspiration des chansons" (9). Par la
suite, les chefs de la süreté parisienne continuèrent dans la lignée
de leurs prédécesseurs. Cauler en 1849, avait une prédilection
pour les camelots, les patrons de maisons meublées et les
"cosaques", c'est-à-dire les récidivistes. Claude, sous le second
empire, faisait appel aux "logeurs, débitants de vins, employés des
halles, conducteurs de voitures, et employés de théâtres. Il leur
9
(4) Le Monde - 31 mars 1987 "J'ai travaillé pour mon pays" déclare M. J.-P.
Mazurier, ancien avocat du terroriste Abdalah.
(5) Claude Paoli, "L'indic", Promovere, septembre 1977, n • 11, p. 97.
(6} Carlo Moretti, "Les indicateurs", R.l.C.P.T., 1967, p. 297.
(7} Jean-Marc Chaumeil, "La police judiciaire", 1953, p. 229, note 3.
(8) Willy-Paul Romain, "Le dossier de la police, en bourgeois et en tenue", p. 83 et s.
(9) Fernand Cathala, "L'indicateur de police", Revue de la Sûreté Nationale", n • 56,
janvier-février 1965, p. 36.
�Gaëtan DI MARINO
65
attribuait pompeusement le titre de "Policiers honorifiques".
L'appellation dût plaire si l'on en croit ses mémoires. Il s'y
réjouit, en effet, que les archives de la police aient brûlé sous la
commune... sinon, dit-il, "Paris eut appris qu'une moitié de la
capitale espionnait l'autre" (I 0). Les archives de la fin du ! 9ème
siècle et du début du 20ème siècle sont en revanche toujours là
pour démontrer la pérennité de la méthode. Les préfets de police,
Andrieux dans les années 1880, Chiappe dans les années 1930 et
Baylot dans les années 1950, paraissent, aux dires des historiens,
avoir excellé en ce domaine ( 11 ). On ne s'étonnera donc pas si
quelques années plus tard, en 1960, le Ministre de l'intérieur,
Roger Frey, déclarait à la tribune de l'Assemblée Nationale que
"sans le concours des indicateurs, il n'y aurait plus de police et a
fortiori plus de justice en mesure d'appliquer la loi pénale" (12).
- La France n'est pas, au demeurant, le seul pays qui ait
recours aux indicateurs ; on serait même tenté de dire, à l'instar
de certains, que le procédé est universel. Les exemples ne
manquent pas tant en Europe (13) qu'Outre-Atlantique (14).
- La permanence et l'universalité du phénomène n'ont
d'égales que leur ampleur. L'indicateur est aujourd'hui
omniprésent.
Il est présent dans la littérature, non seulement dans les
ouvrages de fiction, mais également dans les autobiographies
rédigées par des policiers ( 15) ou par des magistrats ( 16).
Il est présent à l'écran, et les cinéastes sont allés jusqu'à
en faire le thème central de deux films à succès : "Le Mouchard"
(17) et plus récemment "La Balance" (18).
(10) Fernand Cathala, "L'indicateur de police, Revue de la Sûreté Nationale, n • 56,
janvier-février 1965, p. 36.
(11) Jean-Paul Brunet, "Les indicateurs de police, mode d'emploi", L'histoire, n • 78,
mai 1985, p. 68 et s.
(12) J.O. - Débats Assemblée nationale, 7 mai 1966.
(13) Ainsi pour la Belgique et la Grande-Bretagne, Cf. F. Cathala, "L'indicateur de
Police", Revue de la Sûreté nationale, janvier-février 1965, n • 56.
(14) Ainsi pour les E.U. Cf. Garry Marx, "Police Undercover Work", Journal of
Urban life, janvier 1984- Garry Marx, "The agent provocateur and the informant",
American Journal of Sociology, vol. 80, n • 2, p. 405. Pour le Canada : Cf. Marc
Laurendeau, "La police et ses auxiliaires particuliers : informateurs, délateurs et
agents provocateurs, in "La police après 1984 - criminologie", volume XVII, n • 1 1
Les Presses de l'Université de Montréal.
(15) Pierre Ottavioli, Echec au crime - 30 ans "Quai des Orfèvres", Ed. Gras~et Honoré Gevaudan, "La balançoire du commissaire Vivarais", Ed. J.-C. Lattes.
(16) Jacques Batigne in "Le milieu", Historia - hors série, n • 31, 1973. Jean-Yves
Martin, "Le désarroi d'un juge". André Giresse et Philippe Bemert, "Seule la vérité
blesse", Ed. Presses Pocket.
(17) Film de John Ford avec Victor Mac Laglen (Athos film).
{18) Film de Bob Swaim avec Nathalie Baye, Philippe Léotard et Richard Berry. Ce
film a été diffusé à l'occasion de l'émission télévisée "Les dossiers de l'écran", le
11/2/1988. Lors du débat qui a suivi ce film, des indicateurs ont été interviewés, leur
visage étant toutefois dissimulé.
�66
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
Il est présent dans les médias comme le montre la masse
de commentaires qu'il a suscité dans la presse, la radio et la
télévision lors de la célèbre affaire Jobic (19).
Mais surtout, il est éminemment présent dans les
procédures. Bon nombre de dossiers transmis aux magistrats par
les policiers, les douaniers, les agents du fisc, voire même par les
gendarmes débutent par une formule discrète mais significative
du type : "A la suite de renseignements qui nous sont parvenus ... ".
Qu'on le veuille ou non, l'indicateur est "le premier de
tous les auxiliaires de justice, dans le temps, bien avant l'avocat
et, en importance, bien avant les ... gens de robe ... Il est à la base
de toute la procédure" (20).
- A cette place de choix, devrait tout naturellement
correspondre un substrat juridique important.
. Côté législation, la moisson est pourtant bien
maigre. Le législateur ignore superbement l'indicateur à une
exception près, au demeurant de portée limitée .
. Côté jurisprudence, la moisson n'est guère plus
abondante à première vue. Les trois décisions de la Chambre
criminelle régulièrement citées en la matière remontent pour l'une
à près de cent ans, pour la seconde à plus de quatre vingts ans et
pour la dernière à plus de soixante ans ! Quant aux décisions des
juges du fond, s'il en existe ainsi qu'on le verra, elles ne sont pas
publiées (21 ).
. Côté doctrine, la situation n'est pas non plus très
brillante. On trouve bien quelques articles épars consacrés à la
question (22), mais les manuels et les traités de base ne parlent
que fort peu, ou carrément pas, de l'indicateur. En 1935, déjà,
André Ulmann constatait non sans étonnement que les ouvrages
sur la police "sont, en règle générale, fort discrets sur le chapitre
pourtant essentiel des indicateurs" (23). L'observation demeure
pertinente. Ainsi, le Traité de procédure pénale policière de
Messieurs Parra et Montreuil consacre une très brève section de
19 lignes à ce sujet, alors que l'ouvrage ne comporte pas moins de
719 pages ! (24). Ce silence doctrinal n'est pas un hasard. René
Lechat, commissaire en chef aux délégations judiciaires en
Belgique, avoue "qu'un certain sentiment de pudeur lui avait fait
(19) Tribunal correctionnel de Nanterre, 28 avril 1989, Yves Jobic et autres (inédit).
(20) Casamayor, "Le bras séculier - justice et police", Editions du Seuil, p. 184.
(21) Crim. 6 juillet 1894 - DP 1899-1-171 - Bull. n • 180, p. 281 - Crim: 30 août
1906, DP 1907-1-149 - Crim. 4 avril 1924, DP 1925-1-10.
(22) Fernand Cathala, "L'indicateur de police", Revue de la Sûreté Nationale", n •
56, janvier-février 1965, p. 29 et s. - François Caviglioli, "Ceux qui renseignent la
police", février 1967. Carlo Moretti, "Les indicateurs", R.l.C.P.T., 1967, p. 297.
Jean-Paul Brunet, "Les indicateurs de police, mode d'emploi", L'histoire, mai 1985,
n • 78.
(23) André Ulmann, "Le quatrième pouvoir : Police", p. 88.
(24) Charles Parra - Jean Montreuil, "Traité de procédure pénale policière", 1970.
�Gaëtan DI MARINO
67
supprimer, au moment de l'impression de son ouvrage sur la
technique de l'enquête criminelle, les lignes qu'il consacrait à ces
individus toujours méprisables et dont l'apport pourrait faire
songer à de bas procédés de police" (25).
Le sujet est donc tabou, malséant, compromettant, voué à
l'anathème sinon aux gémonies. Il y aurait en procédure pénale
des choses qui se font mais qui ne se disent point. Le juriste ne
peut à l'évidence admettre une telle volonté d'occultation. En
l'état de la carence législative, on est conduit à s'interroger avant
toute chose sur la légalité du procédé. Mais cette question résolue,
les discussions sont si vives à propos de ce procédé d'alcôve,
qu'on doit également l'envisager sous l'angle de son opportunité.
(25) Cité in Fernand Cathala, "L'indicateur de police", Revue de la Sûreté
Nationale", n • 56, janvier-février 1965.
�68
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
lère PARTIE
LA LEGALITE DU RECOURS A L'INDICATEUR
Vue la fréquence du recours à l'indicateur dans la
pratique, il est difficilement imaginable que ce procédé puisse
être déclaré illégal. Le couperet de la nullité planerait sur un tel
nombre de procédures, et de surcroît bien souvent sur les plus
graves d'entre elles, que la situation de la justice criminelle en
France serait extrêmement préoccupante.
Ce raisonnement pragmatique n'est pas pleinement
satisfaisant. Les conséquences que l'on peut être amené à tirer de
l'affirmation de la légalité du recours à l'indicateur sont si
importantes, qu'il importe au préalable de préciser le fondement
sur lequel repose cette légalité.
A - LE FONDEMENT DE LA LEGALITE DU RECOURS A
L'INDICATEUR
- La légalité du procédé suppose tout d'abord que celui-ci
ne soit ni contraire aux dispositions du Code de procédure pénale,
ni contraire aux principes généraux applicables en procédure
pénale.
. S'agissant des dispositions du Code de procédure
pénale, la solution ne fait guère de doute. Il y est bien question
des "personnes susceptibles de fournir des renseignements" (Cf.
par exemple l'article 62), expression qui théoriquement pourrait
s'appliquer à l'indicateur. Mais, à l'évidence, les rédacteurs du
Code de procédure pénale n'ont entendu viser par là que le
témoin, c'est-à-dire celui qui fait des déclarations "officielles" et
qui signe le procès-verbal sur lequel elles sont retranscrites. Par
essence, l'indicateur ne signe pas ses confidences et ses
révélations. Aucune disposition du Code de procédure pénale ne
concerne en fait la question du recours à l'informateur .
. S'agissant des principes généraux applicables en
procédure pénale, on est en droit de s'interroger sur la
compatibilité du procédé avec le principe de la loyauté dans la
recherche de la preuve. La question se pose en premier lieu à
propos du marchandage qui peut accompagner la délivrance d'un
renseignement par l'indicateur. Le législateur a, semble-t-·il, clos
le débat à ce sujet puisqu'il admet dans des cas de plus en plus
nombreux une excuse en échange d'une délation. La question se
pose, par ailleurs, dans l'hypothèse où l'indicateur ne se contente
pas de fournir un renseignement aisément contrôlable (par
exemple le cadavre de Monsieur un tel se trouve à tel endroit)
�Gaëtan DI MARINO
69
mais se comporte comme un véritable témoin anonyme le plus
souvent à charge (par exemple : il déclare avoir assisté au crime,
décrit son déroulement et précise le nom de l'auteur du crime).
La Chambre criminelle balaye cette interrogation en un trait de
plume : "La défense, dit-elle, reste libre de discuter les
renseignements fournis dans leur source anonyme" (26). La
solution est identique à celle admise depuis longtemps en matière
de dénonciation par lettre anonyme.
- Le recours à l'indicateur n'étant ni contraire aux
dispositions du Code de procédure pénale, ni contraire aux
principes généraux applicables en procédure pénale, il restait à un
texte extérieur au Code de procédure pénale et à la Jurisprudence
à en affirmer la légalité. A l'image du procédé en .cause, cette
affirmation n'est pas directe et tranchée, mais feutrée et discrète.
. Un arrêté du 18 avril 1957 (27) traite très
officiellement "de la personne qui a fourni au service des douanes
des renseignements ou avis sur la fraude". Ce texte règle
clairement la question de la rémunération que cette personne
pourra obtenir en échange de sa délation. Tout cela laisse bien
entendu supposer que le procédé est considéré comme légal.
Cependant, cet arrêté est limité au domaine spécifique des
douanes, et observe le plus complet silence sur le fondement de
cette légalité implicite .
. En droit commun, la question est réglée par la
Jurisprudence. On se réfère toujours à cet égard aux très anciens
arrêts de la Chambre criminelle dont il a été fait état
précédemment, mais l'on trouve également des décisions inédites
récentes des juridictions du fond dont l'intérêt n'est pas
négligeable.
Les juridictions du fond raisonnent de manière
emp1nque ; ainsi, évoquant les liens qui ont pu exister entre un
inspecteur de police et un indicateur, repris de justice notoire, un
arrêt de la Cour de Grenoble du 30 avril 1987 souligne "que, sauf
à
cultiver l'idéalisme éthéré,
l'enquête
policière doit
s'accommoder de la réalité, dont celle des indicateurs, pour
atteindre l'efficacité" (28). De même, envisageant les rapports
entre un inspecteur de police et un indicateur recherché pour
divers vols à main armée, un arrêt de la même Cour d'appel du 9
avril 1987 admet "que, dans l'exercice de leurs fonctions délicates,
(26) Crim. 30 aotlt 1906, D. 1907-1-419. On retrouve une formulation voisine dans
l'arrêt du 6 juillet 1894 de la Chambre criminelle (D.P. 1899-1-171 - Bull. 180, p.
281 : "La défense ne peut être atteinte par une réserve qui la laisse libre de discuter
les renseignements fournis dans leur source anonyme".
(27) Arrêté du 18 avril 1957 : modalités d'application de l'article 391 du Code des
douanes relatif à la répartition du produit des amendes et confiscations.
(28) Chambre des appels correctionnels de Grenoble, 30 avril 1987 : affaire B ...
Georges n • 631/87 (inédit).
�70
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
les inspecteurs de police se trouvent en contact avec diverses
franges de malfaiteurs et sont amenés à "faire feu de tout bois en
vue de l'aboutissement de leurs enquêtes" (29). La formulation,
quoique différente, est néanmoins voisine dans un jugement du
20 décembre 1988. Il est en effet question, à propos de
l'utilisation par un commissaire de police des services d'un
tenancier de maison de jeux clandestine, de "but louable", et
d'action menée "dans l'intérêt du service" (30). En un mot, toutes
ces décisions considèrent qu'en la matière, la fin justifie les
moyens ...
La Chambre criminelle, quant à elle, se montre moins
pragmatique. Elle admet la légalité du procédé de façon indirecte.
Saisie de pourvois visant le refus par des policiers de révéler le
nom de leurs indicateurs, elle a affirmé et réaffirmé le bien
fondé de leur position (3 I). Elle fonde implicitement sa position
sur le principe de la liberté de la preuve en matière pénale. En
tout cas, à l'évidence, l'utilisation de ce procédé n'a rien pour elle
de répréhensible puisqu'il est générateur de conséquences
juridiques.
B - LES CONSEQUENCES DE LA LEGALITE DU RECOURS A
L'INDICATEUR
L'admission sur la scène juridique de l'indicateur conduit
tout naturellement à s'interroger sur le statut qu'il convient de lui
conférer. La réponse est délicate. Il n'est pas facile d'assumer
juridiquement celui qui a choisi de vivre dans un état de nondroit, ou à tout le moins en marge du droit.
Les pierres d'achoppement si situent à deux niveaux :
d'une part au niveau de l'anonymat de l'indicateur, d'autre part
au niveau de l'éventuelle rémunération de l'indicateur.
a) L'anonymat de l'indicateur
Parler de l'anonymat de l'indicateur, c'est faire une
tautologie. L'indicateur est anonyme ou il n'est pas. Il y va de sa
sécurité, de son efficacité, voire même de sa réputation.
Il incombe donc à la Jurisprudence de veiller
scrupuleusement au respect de cet anonymat, Cette tâche est
ingrate. La soif de vérité, fondement d'une saine justice, ne fait
pas bon ménage avec la dissimulation de l'identité de l'indicateur.
(29) Chambre des appels correctionnels de Grenoble, 9 avril 1987 : affaire B ...
Robert, n • 569/87 (inédit).
(30) Tribunal correctionnel de Grenoble, 20 décembre 1988 : affaire G ... Jean-Pierre,
n • 4896/88 (inédit).
(31) Crim. 6 juillet 1894. OP. 1899-I-171 - Bull. n • 180, p. 281 - Crim. 30 août
1906, OP. 1907-I-149 - Crim. 4 avril 1924, OP. 1925-I-10.
�Gaëtan DI MARINO
71
La Jurisprudence s'est pourtant acquittée de sa mission
avec toute la vigueur nécessitée par l'importance de l'enjeu. Elle
s'est prononcée à maintes reprises en faveur du respect de
l'anonymat de l'indicateur, posant ainsi une règle dont la portée
ne vas pas sans soulever de multiples questions.
1) La règle de l'anonymat
- C'est à la fin du siècle dernier que la règle a été
énoncée pour la première fois. Dans un arrêt du 6 juillet 1894, la
Chambre criminelle a décidé qu'un policier appelé à témoigner
devant une Cour d'assises pouvait se retrancher derrière le secret
professionnel pour ne pas révéler le nom de ses informateurs, s'il
s'était engagé auprès d'eux en ce sens (32).
Cette solution s'inscrivait dans une atmosphère favorable à
l'anonymat de l'indicateur. La même année, lors du procès
Dreyfus, le commandant Henry avait affirmé à la barre des
témoins qu'il avait appris par une "personne honorable" qu'un
officier trahissait au 2ème bureau, et que ce traître n'était autre
que l'accusé. Pressé de questions par la défense qui exigeait qu'on
lui livre le nom de cette "personne honorable", il répondit : "il y a
des secrets dans la tête d'un officier qui doivent être ignorés de
son képi" (33).
- Il restait cependant à savoir si la position adoptée par la
Cour suprême était de pure circonstance ou au contraire de
principe. Dès 1906, saisie dans les mêmes circonstances qu'en
1894, la Chambre criminelle reprenait pratiquement mot à mot les
termes de sa précédente décision (34).
- Cela n'empêchait pas quelques années plus tard un Juge
d'instruction de condamner pour refus de témoigner à une
amende de 100 F un certain Letellier, inspecteur de la Sûreté,
qui, invité par ce magistrat à lui faire connaître le nom de ses
deux indicateurs, s'y était refusé. Appelée à se prononcer sur
cette ordonnance, la Chambre criminelle confirmait, par un arrêt
du 4 avril 1924, sa Jurisprudence antérieure : "en prenant le
silence de Letellier pour un refus illégal de déposer ...
l'ordonnance attaquée a faussement appliqué l'article 80 du Code
d'instruction criminelle et a commis une violation expresse du
principe posé dans l'article 378 du Code pénal" (35).
Avec ce troisième arrêt, la solution paraissait
définitivement acquise. Une affaire célèbre allait quarante ans
(32) Crim. 6 juillet 1894. DP. 1899-1-171 - Bull. n • 180, p. 281.
(33) René Floriot et Raoul Combaldieu, "Le secret professionnel", Ed. Flammarion,
p. 209 et S.
(34) Crim. 30 août 1906 - DP. 1907-1-149.
(35) Crim. 4 avril 1924 - DP. 1925-1-10.
�72
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
plus tard faire rejaillir le débat. A la suite de l'enlèvement à Paris
en octobre 1965 du leader politique marocain Medhi Ben Barka,
le commissaire Jean Caille devait prévenir la brigade criminelle
qu'étant de permanence aux renseignements généraux, il avait
reçu un appel téléphonique d'une personne désirant garder
l'anonymat. Ce correspondant, dont il connaissait cependant
l'identité, l'aurait informé qu'un certain Georges Figon était
impliqué dans cet enlèvement. Activement recherché, ce dernier,
avant de disparaître lui-même tragiquement, mettait en cause le
S.D.E.C.E. et diverses personnes dont le général Oufkir, ministre
de l'intérieur marocain. L'opinion publique nationale et
internationale, passionnée par cette affaire, fut très rapidement
surprise, pour ne pas dire choquée, par le refus du commissaire
Jean Caille de livrer le nom de son informateur. La Chambre
d'accusation de Paris, saisie pour règlement de ce dossier, au lieu
de renvoyer directement l'affaire devant la Cour d'assises,
ordonna un complément d'information : "qu'il echet d'entendre à
nouveau le commissaire divisionnaire Caille sur la source des
renseignements... que le commissaire Caille dira s'il lui est
possible ou non de faire connaître son informateur, que, le cas
échéant, celui-ci sera entendu et ses déclarations vérifiées". Le
commissaire Jean Caille opposa une fin de non-recevoir à
l'invitation de la Chambre d'accusation. L'avocat général Toubas
l'y avait, il est vrai, incité en déclarant : "une bonne
administration de la Justice impose aux policiers de garder secrète
l'identité de leur indicateur" (36). Lors des débats devant la Cour
d'assises, partie civile et défense conjuguèrent leurs efforts pour
tenter de contraindre le commissaire Jean Caille à revenir sur sa
position. Un avocat de la défense suggéra même d'ordonner le
huis-clos pour vaincre la résistance du témoin. Interrogé sur une
telle éventualité, ce dernier répondit que son audition à huis-clos
ne l'autoriserait pas davantage à enfreindre le secret
professionnel. La Cour d'assises, appelée à trancher, rendit un
arrêt strictement conforme à la Jurisprudence de la Chambre
criminelle puisqu'elle déclara le témoin parfaitement fondé à
opposer le secret professionnel tout en reprenant la formule
traditionnelle "les parties restent libres de discuter les renseignements fournis, sauf à la Cour d'assises d'avoir tel égard qu'il
convient aux renseignements incomplets qui lui sont fournis" (37).
Malgré les assauts successifs menés dans le cadre d'une
affaire surmédiatisée, la position de la Chambre criminelle a
(36) Carlo Moretti, "Les indicateurs", R.I.C.P.T., 1967, p. 297 et s. note 15.
(37) René Floriot et Raoul Combaldieu, "Le secret professionnel", Ed. Flammarion,
p. 211 et S.
- Carlo Moretti, "Les indicateurs", R.I.C.P.T., 1967, p. 297 et a.
�Gaëtan DI MARINO
73
parfaitement résisté. La règle selon laquelle l'indicateur a droit à
l'anonymat est à juste titre considérée aujourd'hui comme
acquise.
2) La portée de la règle de l'anonymat
La portée de cette règle mérite cependant d'être prec1see.
Deux questions se posent : à qui le policier peut-il opposer cette
règle ? Qui peut en bénéficier ?
- A la première question, la Jurisprudence précédemment
citée apporte un élément de réponse : le policier est en droit
d'invoquer cette règle devant les juridictions d'instruction et de
jugement. Vainement objecterait-on le secret de l'instruction (il
ne s'impose ni à l'inculpé, ni à la partie civile) ou la possibilité de
prononcer le huis-clos (rien n'empêche le prévenu, l'accusé ou la
partie civile de divulguer ce qui a pu se dire lors des débats). La
seule exception à cette règle concerne le professionnel poursuivi
qui peut toujours, lorsque cela devient nécessaire pour assurer sa
défense, révéler le nom de ses indicateurs. La Chambre criminelle
a admis, dans le domaine voisin du secret médical, qu'un
praticien, auquel il est reproché d'être impliqué dans une
escroquerie commise au moyen d'un certificat qu'il a délivré,
puisse faire certaines révélations pour justifier sa bonne foi (38).
Cette exception est d'application courante et ne soulève pas de
problème.
La véritable difficulté concerne en fait les relations du
policier bénéficiant des confidences d'un indicateur avec ses
supérieurs hiérarchiques, avec le Parquet, et avec la Chambre
d'accusation en tant que Chambre de contrôle de la police
judiciaire. Peut-il opposer aux uns et aux autres le secret
professionnel et refuser de donner le nom de son correspondant ?
Sur le plan théorique, le policier faisant partie d'un corps
hiérarchisé se trouve soumis au contrôle hiérarchique. Par ailleurs,
la police judiciaire est exercée sous la direction du procureur de
la République, sous la surveillance du procureur général, et sous
le contrôle de la Chambre d'accusation. Le policier doit donc,
concluent certains, partager, le cas échéant, son secret avec toutes
ces autorités. Le secret professionnel ne devrait pas résister à ces
dernières. D'autres, au contraire, font observer que dans la
mesure où l'indicateur a exigé que son identité ne soit. pas
divulguée, le policier ne peut partager son secret avec personne.
Ce qui ne fait aucun doute, c'est qu'en pratique la
deuxième solution l'emporte le plus souvent pour des raisons
d'efficacité. L'indicateur est particulièrement attaché à son
(38) Crim. 20 décembre 1967 - D. 1969 J.P. 309, note Lepointe.
�74
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
anonymat. Il ne travaille pratiquement jamais avec un service,
mais uniquement avec un policier déterminé dans lequel il place
sa confiance. Si ce dernier élargit le cercle des confidents,
l'indicateur s'efface par crainte de se voir dévoilé. La légende du
roi Midas n'a rien perdu de son actualité. Est-il besoin de la
rappeler ? Le barbier de ce roi était le seul à savoir que son
maître dissimulait sous une tiare magnifique des oreilles d'âne. En
homme d'honneur, il ne l'avait dit à personne. Le secret vint un
jour à lui peser, il fit un trou dans la terre et dit à voix basse que
son roi avait des oreilles d'âne. Quelques temps après, des roseaux
surgirent en ce même lieu et répétèrent en choeur à tous les
passants ce désolant refrain : "Midas, le roi Midas a des oreilles
d'âne" ...
- La seconde question découlant de la règle de l'anonymat
posée par la Jurisprudence paraît appeler une réponse évidente.
Le bénéficiaire de l'anonymat n'est autre que l'indicateur.
Encore faut-il préciser qu'une fois l'indicateur décédé, le
policier ne peut révéler son identité. C'est l'application d'une
règle classique : Le secret professionnel subsiste même lorsque
celui qui s'est confié vient à disparaître. Un extrait d'une
publication du Juge Batigne peut en servir d'illustration : "Je
reçus un jour, dit-il, la veuve (d'un grand caïd) au lendemain du
règlement de compte qui lui avait coüté la vie. Elle venait
exécuter une de ses dernières volontés. Si je suis descendu (lui
avait-il dit), ce sera par untel et untel et pour telle et telle raison.
Va le dire au juge. Il saura ce qu'il a à faire ... Cet indicateur
posthume n'attendait rien d'autre que la vengeance. C'est sans
doute pourquoi, franchissant l'échelon du policier, il s'adressait
directement d'outre-tombe au Juge d'instruction. Je ne dirais pas
son nom. Même vingt ans après, c'est la règle du jeu" (39). Commentant les lignes qui précèdent, Monsieur Carlo Moretti ajoute
en parlant de ce magistrat : "Il appartenait à la génération qui
protégeait l'anonymat de l'indicateur envers et contre tout" (40).
Plus délicate que la question du décès de l'indicateur est
celle de l'individu tout à la fois indicateur et impliqué dans la
situation délinquantielle qu'il dénonce, comme le montre un
exemple récent. Le service régional de police judiciaire de
Marseille, section des stupéfiants, interpellait courant octobre
1987 des dealers d'origine gitane. Le Juge d'instruction saisi de
l'affaire délivrait immédiatement une commission rogatoir~ à ce
service. Dans les jours qui suivirent, un correspondant anonyme
appelait la brigade des stupéfiants et demandait à rencontrer
"discrètement" un enquêteur en vue de lui communiquer des
renseignements sur un important trafic de stupéfiant. Suite à un
(39) Jacques Batigne, in "Le Milieu", Historia hors série, n • 31, 1973.
(40) Carlo Moretti, "Face au crime", Ed. Payot, Lausanne, p. 108.
�Gaëtan DI MARINO
75
nouvel appel téléphonique, rendez-vous était pris pour le
lendemain sur la voie publique entre ce "collaborateur
occasionnel" (expression employée par les services de police
concernés dans leurs procès-verbaux) et l'inspecteur principal du
service. Ce fonctionnaire allait à ce rendez-vous bardé d'un
émetteur-récepteur en liaison avec le service et d'un minimagnétophone à déclenchement vocal. Lors des présentations,
l'individu déclinait son identité et il s'en suivait une longue
conversation entre ce dernier et l'officier de police judiciaire
portant sur le trafic ayant motivé l'arrestation des dealers gitans
quelques jours auparavant. L'informateur livrait le nom des
fournisseurs, dont son propre beau-frère, en omettant cependant
de dire qu'il était lui-même le principal d'entre eux ... Un procèsverbal contenant la retranscription de cette conversation était
dressé par l'inspecteur principal et transmis au Juge d'instruction
dans le cadre de l'exécution de la commission rogatoire.
Ultérieurement,
l'informateur
était
renvoyé
en
correctionnelle avec tous ceux qu'il avait dénoncé pour infraction
à la législation sur les stupéfiants, mais entre temps ... il avait pris
la fuite.
Lors de l'audience correctionnelle, l'un des prévenus ne
manqua pas d'évoquer la nullité du procès-verbal de retranscription. Le Tribunal correctionnel de Marseille par jugement du
2 novembre 1988 a rejeté cette exception de nullité, considérant
que l'enregistrement s'analysait en une déposition (41). En dehors
de la violation des dispositions de l'article 368 du Code pénal, de
diverses dispositions du Code de procédure pénale et des
principes généraux de procédure pénale, cette décision occulte
entièrement le problème de la divulgation du nom de l'indicateur.
Il va de soi qu'au moment où cet individu a pris contact avec la
brigade des stupéfiants, il n'entendait nullement faire une
déposition officielle, sinon pourquoi aurait-il souhaité une
(41) Trib. corr. de Marseille, 2 novembre 1988, n • 11-598 (inédit) : aff. V ...
Guiseppe, L ... épouse B .... Nicole, A .... Cherifa, S ... Dominique et autres : on peut lire
notamment dans cette décision :
"- attendu qu'en l'espèce, il est important de souligner que l'enregistrement en
question n'a été réalisé qu'après que ce soit S .. Antoine qui ait sollicité à deux
reprises un entretien avec les services de police pour faire un certain nombre de
révélations,
- qu'il faut noter que l'officier de police judiciaire est saisi de la procédure par une
commission rogatoire générale sur les faits ; que dès lors le fait pour un officier de
police judiciaire de garder le silence sur des révélations qui lui sont faites aboûtirait
à la constatation qu'il n'a pas rempli sa mission,
- qu'en relatant la conversation critiquée, il pouvait être taxé de partialité en n'en
retranscrivant que certains éléments,
- qu'au contraire, l'enregistrement tel qu'il est effectué et tel qu'il est soumis au
Tribunal indique exactement au Tribunal tout ce qui a été dit et permet de vérifier
le contenu du procès-verbal,
- qu'en conséquence, cet enregistrement s'analyse comme une déposition soumise à
l'appréciation du Tribunal.
�76
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
rencontre "discrète". Il va de soi également que les policiers de la
brigade des stupéfiants en étaient parfaitement conscients, sinon
pourquoi auraient-ils organisé la rencontre sur la voie publique. Il
va de soi enfin que cet individu entendait encore moins voir
révéler son identité, sinon il est probable qu'il n'aurait pas
"donné" aussi aisément son beau-frère.
Le but poursuivi par cet individu en contactant les
services de police était cependant trouble. Les termes de la
conversation montraient qu'après avoir cherché à savoir où en
étaient les investigations dirigées contre lui et après avoir tenté de
diriger les soupçons sur les autres fournisseurs, il souhaitait
négocier une solution de compromis lui permettant d'éviter une
incarcération. Perdait-il pour autant sa qualité d'indicateur ?
Certainement pas, la recherche d'une rétribution en échange de
services rendus n'a rien d'incompatible avec la qualité
d'indicateur.
b) La rétribution de l'indicateur
A la différence de l'anonymat, la rétribution n'est pas
inséparable de la notion d'indicateur. On trouve chez certains une
volonté de renseigner indépendante de toute recherche de
"contrepartie".
Admettre la légalité du recours à l'indicateur, c'est
cependant également admettre l'éventualité d'une rétribution.
Pour certains, le pas est à cet égard difficile à franchir. Va pour
l'absence de courage de celui qui tient à rester dans l'anonymat,
mais qu'un marchandage puisse couronner le tout leur paraît
indécent. Mieux vaut-il pour ces esprits purs ignorer ces
tractations. Ce point de vue n'est pas resté sans conséquence. La
rétribution "officielle" de l'indicateur est tout à la fois tue et
marginale. La rétribution "occulte" en revanche, qui est la règle,
appelle de nombreux commentaires.
1) La rétribution officielle de l'indicateur
L'idée de rétribuer officiellement un indicateur n'a en
elle-même rien de surprenant. Le délateur impliqué dans la
situation délinquantielle bénéficie d'une excuse en matière de
complot contre la sûreté de l'Etat (art. 101 al. 1 du Code pénal),
de faux monnayage (art. 138 du Code pénal), d'association de
malfaiteurs (art. 268 du Code pénal), d'infraction en relation avec
une entreprise terroriste (art. 463-1 du Code pénal) et de trafic
�Gaëtan DI MARINO
77
de stupéfiants (art. L. 627-5 alinéa
du Code de la santé
publique) (42).
Pareil mode de rétribution est tout naturellement difficile
à mettre en oeuvre pour l'indicateur du fait que celui-ci se refuse
à admettre la transparence à laquelle se soumet le délateur. La
seule rétribution officielle à laquelle peut prétendre l'indicateur
est financière. Elle résulte soit de l'exécution d'une promesse
ponctuelle de récompense, soit de l'application d'un texte
prévoyant une récompense.
a) L'offre de récompense
- L'offre de récompense peut émaner de la victime, de
son entourage, ou de sa compagnie d'assurance. Ce fut le cas, par
exemple, en juillet 1976 où la Société Générale s'engagea à
donner une prime d' un million de francs à celui qui fournirait
des renseignements susceptibles d'entraîner la découverte des
malfaiteurs qui avaient vidé les coffres-forts de 300 des clients de
son agence de Nice après s'être introduit dans l'établissement
bancaire par un tunnel creusé à partir des égouts (43). Les offres
(42) - Art. 101 al. 1 C.P.: "sera exempt de la prime encourue celui qui, avant toute
exécution ou tentative d'un crime ou d'un délit contre la sllreté de l'Etat, en donnera
le premier connaissance aux autorités administratives ou judiciaires".
- Art. 138 du C.P. : "Les personnes coupables des crimes mentionnés en l'article 132
seront exemptes de peine, si, avant la consommation de ces crimes et avant toutes
poursuites, elles en ont donné connaissance et révélé les auteurs aux autorités
constituées, ou si, même après les poursuites commencées, elles ont procuré
l'arrestation des autres coupables".
- Art. 268 du C.P. : "Sera exempt des peines prévues par les articles 265 à 267 celui
qui, s'étant rendu coupable de l'un des faits définis par ces articles, aura, avant toute
poursuite, révélé l'association ou l'entente aux autorités constituées et aura permis
l'identification des personnes en cause".
- Art. 463-1 du C.P.: "Toute personne qui a tenté de commettre en qualité d'auteur
ou de complice l'une des infractions énumérées au onzième alinéa de l'article 44,
lorsqu'elle est en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour
but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur, sera
exempte de peine si, ayant averti l'autorité administrative ou judiciaire, elle a permis
d'éviter que l'infraction ne se réalise et d'identifier le cas échéant les autres
coupables.
Toute personne qui a commis en qualité d'auteur ou de complice l'une des infractions
énumérées au onzième alinéa de l'article 44, lorsqu'elle est en relation avec une
entreprise individuelle ou collective, ayant pour but de troubler gravement l'ordre
public par l'intimidation ou la terreur, sera exempte de peine, si, ayant averti
l'autorité administrative et judiciaire, elle a permis d'éviter que l'infraction
n'entraîne mort d'homme et infirmité permanente et d'identifier, le cas échéant, les
autres coupables.
•
- Art. L. 627-5 al. 1 du C.P. : "Toute personne qui se sera rendue coupable de
participation à une association ou à une entente constituée en vue de commettre
l'une des infractions énumérées à l'article L. 627 sera exempte de peine si, ayant
révélé cette association ou cette entente à l'autorité administrative ou judiciaire, elle
a permis d'éviter la réalisation de l'infraction et d'identifier les autres personnes en
cause".
(43) M. Guy Denis, dans son ouvrage "Citoyen policier", cite le cas du rapt du jeune
Eric Peugeot : "l'affaire ... a été résolue grâce à un informateur spontané qui, dans
�78
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
de récompense émanant des particuliers demeurent cependant
exceptionnelles et ne garantissent pas nécessairement l'anonymat
au bénéficiaire.
- Il en va de même pour les offres de récompense
émanant de l'autorité publique. Tout récemment, en France, à la
suite d'une vague d'attentats terroristes, le ministre de l'intérieur
et la direction centrale de la police judiciaire se sont livrés à une
campagne d'affichage destinée à faire progresser diverses
enquêtes en cours. Certaines affiches contenaient de simples
appels à témoins (44), d'autres un appel à témoins assorti d'une
promesse de récompense (45), d'autres enfin un appel à témoins
promettant tout à la fois récompense et anonymat à celui qui
apporterait des renseignements. Dans cette dernière catégorie
figure l'affiche visant 6 membres du F.L.N.C. qui fut diffusée en
juin 1987. Celle-ci contenait la photo, l'âge et la description de
ces 6 personnes, et au bas l'engagement suivant : "Une forte
prime pouvant aller jusqu'à 1 million de francs est proposée à
toute personne qui apportera des renseignements permettant
l'arrestation des auteurs d'actes de terrorisme. L'anonymat le plus
strict sera assuré".
Il faut cependant être réaliste. "De telles initiatives sont
tellement rares, pour ne pas dire exceptionnelles, que les
l'espoir de toucher une prime importante -et il l'a touchée effectivement, notamment
sous la forme d'une somme de 10.000 F. offerte par un grand journal du soir- a livré
ses impressions sur les agissements de deux individus qui étaient effectivement les
ravisseurs".
(44) Ainsi on été diffu;ées en France les deux affiches suivantes :
- "Septembre 1986 - Avis de recherches dans le cadre des enquêtes sur les attentats
commis à Paris - Il y a lieu de rechercher les témoins importants suivants : (photos
et identité de 9 personnes) individus dangereux susceptibles d'être armés. En cas de
découverte, appréhender et aviser d'urgence ...".
- "Février 1987 - Appel à témoins. La Polïce judiciaire recherche tous
renseignements (lieux de séjour, relations, activités) concernant les 4 membres
d'action directe (suivent les photos, âge et description de 4 personnes) interpellés le
21février1987 à Vitry-aux-loges (Loiret) - Contacter... ".
(45) Ainsi ont été diffusées en France les 3 affiches suivantes :
- "Septembre 1986 - Appel à témoins. La Police judiciaire demande votre assistance
pour les besoins de l'enquête sur les attentats commis à Paris. On recherche pour
recueillir leur témoignage (suivent les photos, âges et description de 2 personnes),
prendre contact avec ... Une récompense allant jusqu'à 1.000.000 F. est proposée à
toute personne qui apportera des renseignements permettant l'arrestation des
auteurs d'attentats".
- "Novembre 1986 - La police judiciaire recherche (suivent les photos, âge et
description de 2 personnes) pour les entendre en qualité de témoins dans le êadre des
enquêtes ouvertes pour attentats terroristes. Prendre contact avec ... Une récompense
allant jusqu'à 1.000.000 F. est proposée à toute personne qui apportera des
renseignements permettant l'arrestation des auteurs des attentats".
- "Mai 1987 : Lutte contre le terrorisme - Appel à témoins - La Police judiciaire
demande votre assistance pour identifier par l'écriture l'auteur de cette lettre de
menace qui a déjà revendiqué des attentats meurtriers (suit 1 fac similé de la lettre).
Une très forte récompense est proposée à toute personne qui apportera des
renseignements permettant l'identification de son auteur. Prendre contact avec ... ".
�Gaëtan DI MARINO
79
indicateurs de tout poil ne peuvent guère compter sur elles pour
se garnir les poches" (46).
b) Les textes organisant la rétribution de l'indicateur
La situation est quelque peu différente lorsque des textes
prévoient la rétribution de l'indicateur.
En matière douanière, la rémunération de
l'indicateur que l'on appelle ici "l'aviseur" est clairement fixée par
un arrêté du 18 avril 1957. Trois conditions sont requises pour
permettre à une personne de percevoir une rétribution : il faut
être étranger aux administrations publiques, il faut avoir fourni
au service des douanes des renseignements ou avis sur la fraude,
il ne faut pas s'être rendu complice ou avoir été l'instigateur de la
fraude (47). Lorsque ces conditions sont remplies, l'aviseur a droit
à une rémunération proportionnelle aux résultats obtenus. Cette
rémunération est cependant en principe plafonnée. Elle ne pourra
ni excéder la somme de 20.000 F., ni dépasser le tiers du "produit
disponible" c'est-à-dire du "produit brut" des amendes et
confiscations après déduction des frais non recouvrés sur les
prévenus, et le cas échéant, des droits et taxes d'entrée afférent
aux marchandises étrangères saisies (48).
Le directeur général des douanes et des droits indirects
peut cependant s'affranchir de ce mode de calcul. Il peut décider
d'allouer à l'aviseur une somme supérieure à 20.000 F. (49). Il
peut décider d'octroyer une compensation "aux aviseurs qui
n'auront pu obtenir une rémunération en rapport avec les résultats
procurés dans la lutte contre la fraude" (50).
( 46) Fernand Cathala, "Pratiques et réactions policières", Ed. du Champ de Mars.
( 47) Art. 2-1 de l'arrêté du 18 avril 1957 :
"Toute personne, étrangère aux administrations publiques, qui a fourni au service
des douanes des renseignements ou avis sur la fraude, reçoit une part susceptible
d'atteindre le tiers du produit disponible de l'affaire considérée dans le cas où ses
renseignements ou avis ont amené directement la découverte de la fraude ... "
- Art. 10-1 du l'arrêté du 18 avril 1957 :
"Sont exclus de la répartition : - l'aviseur qui s'est rendu complice ou qui a été
l'investigateur de la fraude ...".
(48) Art. 1 de l'arrêté du 18 avril 1957 :
"1 - Le produit brut des amendes et confiscations pour infractions aux lois de douane
supporte, avant tout partage, les prélèvements suivants :
a) les droits et taxes d'entrée afférents aux marchandises étrangères saisies
lorsque celles-ci ont été remises aux contrevenants pour l'importation moyennânt le
versement d'une somme forfaitaire ne faisant pas le départ entre les pénalités et
l'impôt;
b) les frais non recouvrés sur les prévenus.
2 - Le surplus forme le produit disponible".
(49) Art. 2-2 de l'arrêté du 18 avril 1957:
"Cette rétribution ne peut excéder la somme de 20.000 F., sauf décision contraire du
directeur général des douanes et droits indirects".
(50) Art. 13 de l'arrêté du 18 avril 1957 :
�80
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
D'après les renseignements recueillis auprès des services
intéressés, il semblerait que le plafond de 20.000 F. ait été
fréquemment dépassé en matière de saisie de stupéfiants, et en
matière de transferts irréguliers d'or et de fonds à l'étranger.
Ainsi, les deux informaticiens suisses qui, en 1983, ont dénoncé
environ 300 Français titulaires de comptes numérotés à l'Union
des Banques suisses auraient touché près de 6 millions de francs
(51 ). L'anonymat est respecté de façon très stricte par
l'administration douanière lors du payement de l'aviseur. Celui-ci
est répertorié sous un numéro. La demande de rémunération de
l'aviseur fait état de ce numéro. Le directeur des douanes reçoit
un chèque émis sur le Trésor public à son nom, mais la somme
est bien entendu réglée en espèces à l'aviseur contre signature
d'une décharge anonyme portant son numéro .
. En matière fiscale, la situation est à mi-chemin
entre la rémunération officielle et occulte de l'indicateur. Il y a
simplement des "instructions administratives confidentielles" qui
règlent de façon précise la question. Celles-ci paraissent bien au
bulletin officiel des impôts, à la rubrique des contributions
indirectes, mais sur des "feuillets roses" réservés à l'usage interne
de l'administration et dont les services concernés gardent
jalousement le secret (52).
2) La rétribution occulte de l'indicateur
La pratique n'a jamais été embarrassée par l'absence de
texte pour rétribuer, lorsque cela s'avère nécessaire, l'indicateur.
Bien au contraire, ce vide législatif a laissé une totale liberté pour
choisir les modalités de rétribution adaptées à chaque cas
particulier. Seule la question du "décideur" est susceptible de
soulever des difficultés.
a) Les modalités de la rétribution
- Dans l'esprit du public, l'indicateur est avant tout
rétribué au moyen de substantiels fonds secrets. Il est exact
qu'une partie des "fonds spéciaux" du ministère de l'intérieur est
affectée à la rémunération des indicateurs, après avoir été
répartie entre certains services. Mais, les sommes dont disposent
"... le directeur général des douanes et droits indirects peut octroyer une
compensation : ... aux aviseurs qui n'auront pu obtenir une rémunération en rapport
avec les résultats • dans la lutte contre la fraude".
(51) Cité in "Affaires, vie, privée, fisc, "La délation" par Jacqueline Remy L'Express, n • 1992 - 8/14 septembre 1989.
(52) Toutes les démarches que nous avons faite pour nous les procurer se sont
avérées vaines.
�Gaëtan DI MARINO
81
les agents sont en règle générale très modiques. Un policier des
renseignements généraux ne disposerait guère que de 800 à
1.000 F. par mois pour récompenser sa cohorte d'indicateurs (53).
Ce n'est que de façon exceptionnelle que des sommes plus
importantes peuvent être débloquées. Ainsi, après l'attentat de la
rue des Rosiers à Paris, le ministère de l'intérieur avait débloqué
500.000 F. dans l'attente d'un éventuel renseignement (54). Par
ailleurs, tous les services ne sont pas aussi bien lotis que celui des
renseignements généraux. Un commissaire de police chargé d'un
service de süreté urbaine doit puiser sur ses propres "frais de
deuxième secteur" s'il veut pouvoir rémunérer un indicateur. Or,
ces frais sont normalement destinés à récompenser le service pour
la réussite d'affaires importantes, et les sommes allouées de ce
chef varient de 500 à 700 F. par affaire réussie. On comprend
mieux dès lors cette réaction d'un officier de police judiciaire de
la süreté en 1961, lorsqu'un certain Benoît, parvenu à un niveau
très élevé de responsabilité au sein de !'O.A.S. métropolitaine,
offrit ses services à Alexandre Sanguinetti, "Monsieur anti-0.A.S."
moyennant une somme de 500.000 F. : "Cinquante millions, dit-il,
il fallait vraiment ne douter de rien et ignorer totalement
l'avarice de l'administration, la caisse toujours fermée ou vide"
(55).
- Fort heureusement, les indicateurs ne recherchent pas le
plus souvent un payement en espèces. Un certain nombre d'entre
eux se contentent d'un avantage ou d'un service d'ordre
administratif. Cela va du permis de port d'armes, du macaron
officiel pour une voiture, de l'obtention d'un permis de séjour, de
l'obtention d'une licence, à la simple intervention en vue
d'accélérer des formalités administratives. Il serait même de règle
que l'indicateur obtienne de son correspondant qu'il lui fasse
"sauter toutes ses contraventions" (56).
Plus souvent en revanche, l'indicateur exige, en
contrepartie des renseignements qu'il livre, un service d'ordre
judiciaire : il s'agira par exemple de ne pas exécuter le mandat
d'arrêt délivré à son encontre ou, hypothèse la plus fréquente, de
fermer les yeux sur l'activité délictueuse à laquelle il s'adonne.
Il en est bien souvent ainsi pour les prostituées et les
proxénètes. Le commissaire Broussard, à l'époque où il était chef
(53) E. Plenel - Le Monde - 21 mai 1986, p. 12.
(54) Déclaration de M. Robert Pandrau - Le Monde - 20 mai 1986.
(55) François Caviglioli, "Ceux qui renseignent la police", février 1967 :
"L'indicateur, on le sait maintenant, est un modèle de désintéressement. Pas
d'argent, pas de jouets: un permis de port d'armes, un macaron officiel pour sa
voiture, un coupe-file, des invitations. L'indicateur est un grand enfant ... ".
(56) Eric Dezeuze, "La loyauté dans la recherche de la preuve en matière pénale",
Mémoire pour le D.E.A. de Droit pénal et de sciences criminelles - 1985-1986, p. 197
et s.
�82
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
de la brigade anti-gang de Paris, reconnaît "qu'il était prêt à
obtenir de ses collègues qu'on laisse "travailler" tranquillement,
pendant un certain temps, une prostituée si, en échange, son
proxénète livre une bande de dangereux gangsters qui préparent
un hold-up" (57).
Le commissaire Ottavioli raconte qu'étant nommé à Paris à
ce que l'on appelait à l'époque "la brigade mondaine", son
prédécesseur, le commissaire Sim bille, "lui remit une note
manuscrite sur laquelle étaient portées les adresses des hôtels qui,
au jour dit, faisaient l'objet d'une tolérance, avec, en regard, le
nom des "demandeurs". Sur approximativement 300 hôtels de
passe, c'est-à-dire recevant habituellement des prostituées, pour
parler le langage du code, 30 bénéficiaient d'une autorisation
tacite. Une dizaine l'avait obtenue par l'intermédiaire direct du
service, et une vingtaine en raison de la collaboration de leurs
tenanciers avec le Cabinet du préfet... ainsi qu'avec divers
services de police judiciaire du Quai des Orfèvres et du ministère
de l'intérieur, sans oublier les renseignements généraux, la D.S.T.,
le S.D.E.C.E., ni même l'inspection générale des services, la police
des polices et un ou deux magistrats" (58). Ce bilan chiffré n'a
rien de surprenant. Une décision récente du Tribunal
correctionnel de Nanterre résume parfaitement la situation : le
milieu des prostituées "vit en vase clos dans une atmosphère de
sérail". C'est un univers "où l'image du policier est omniprésente,
faisant de lui un personnage à la fois redouté et recherché par les
prostituées, qui, au prix de renseignements dont elles sont souvent
détentrices, espèrent pouvoir marchander leur impunité ou
obtenir un élargissement à bref délai en cas d'arrestation ... quand
leur motivation n'est pas aussi, au besoin en exagérant la nature
de leurs relations policières, de se faire respecter par des
candidats souteneurs ou par des concurrentes" (59).
En dehors du proxénétisme, l'une des infractions les plus
propices semble-t-il à servir de contrepartie est la violation d'une
décision prononçant une interdiction de séjour. "En distribuant
avec gravité des interdictions de séjour, les magistrats savent
parfaitement, a-t-on fait observer, qu'ils ne font rien d'autre que
de donner des auxiliaires aux policiers" (60). L'interdiction de
(57) Carlo Moretti, "Face au crime", Ed. Payot, Lausanne - Chapitre 7,
"L'indicateur", p. 101 et s. L'auteur rapporte les propos du commissaire Broussard. Il
ajoute que ce dernier explique son attitude de la manière suivante: "°C'est un
marché. On vient me proposer quelque chose. Si cela m'intéresse, "j'achète". Car un
autre jour, je peux avoir à nouveau besoin de cette "marchandise". Et si cela ne
m'intéresse pas, je dis non".
(58) Pierre Ottavioli, "Echec au crime - 30 ans - "Quai des Orfèvres"". Ed. Grasset,
p. 126.
(59) Trib. corr. de Nanterre, 28 avril 1989, Yves Jobic et autres (inédit).
(60) Casamayor, "Le bras séculier - Justice et police", Ed. du Seuil, p. 194. L'auteur
ajoute : "Si, après avoir condamné un homme à l'interdiction de séjour, il fallait
�Gaëtan DI MARINO
83
séjour ne serait que la faculté donnée aux policiers d'appliquer ou
de ne pas appliquer la mesure prise (61 ).
Toute infraction peut cependant servir de monnaie
d'échange avec les services de police : ainsi, "durant longtemps, la
brigade de voie publique eut pour informateur un pilleur de tronc
d'église. Son expérience était telle qu'il savait immédiatement si
un tronc avait été visité entre la tournée du curé et la sienne. Le
spoliateur ne pouvait supporter ce manque à gagner, informait
son antenne à la brigade, organisait ses propres surveillances, et
dans les jours qui suivaient, permettait aux spécialistes des vols
dans les paroisses d'intervenir en flagrant délit. Il assura ce
service durant des années moyennant un prélèvement mesuré à
son profit d'une dîme sur les deniers du culte" (62).
b) La décision de rétribution
L'existence de ces contreparties occultes pose cependant le
problème de leur conciliation avec la règle de droit. Il n'y a pas
de difficulté majeure lorsque la rétribution s'analyse en un
avantage d'ordre administratif. Celui-ci est bien souvent
compatible avec la législation en vigueur. La situation s'avère en
revanche très problématique lorsqu'il s'agit de taire ou de tolérer
l'activité délictueuse de l'indicateur, voire même de l'absoudre
pour cette activité. Tout dépend alors en réalité du niveau auquel
on se situe.
- Les juridictions d'instruction et de jugement refusent,
en principe, d'admettre qu'un individu, auteur d'une infraction
puisse invoquer sa qualité d'indicateur comme fait justificatif
susceptible de le faire échapper à la répression.
Ainsi, un individu, déclaré coupable par la Cour de Douai
du chef de délit d'intéressé à la fraude et de complicité d'usage
de fausses plaques d'immatriculation, crut bon de former un
pourvoi contre cette décision en invoquant le fait qu'il avait agi
dans l'intérêt des douanes et comme indicateur de cette
administration. La Chambre criminelle a rejeté son pourvoi au
motif que "s'il est exact que les agents des douanes ont pu ...
appréhender les contrebandiers grâce aux indications d'ailleurs
condamner aussi le policier qui n'applique pas la décision, il faudrait aussi
condamner le policier qui ne pince pas son collègue, qui ne pince pas l'interdit de
séjour. Faudrait-il remonter jusqu'au ministre de l'intérieur ?".
•
(61) L'affaire du commissaire Yves Jobic qui sera évoquée plus loin en fournit une
illustration. On peut lire dans les "attendu" du jugement du Trib. corr. de Nanterre
du 28 avril 1989 que le commissaire Yves Jobic a "fermé les yeux" sur l'interdiction
de séjour de l'un de ses indicateurs Jean Moustafa. Cf. le Monde, Dimanche 30 avril
- Mardi 2 mai 1989, p. 11 sous le titre "Après la décision du Trib. de Nan terre, la
relaxe du commissaire Jobic : "Victoire du droit" ou "défaite de la justice" ?
(62) Pierre Ottavioli, "Echec au crime - 30 ans - "Quai des Orfèvres"". Ed. Grasset,
p. 126.
�84
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
très réticentes et très incomplètes fournies par le prévenu, il n'en
demeure pas moins que ce dernier a participé sciemment au plan
de fraude élaboré par ses coïnculpés et a facilité l'usage par eux
des fausses plaques d'immatriculation" (63). La solution est
évidente. Est-ce à dire pour autant que dès l'instant ou une
affaire a franchi le cap de l'instruction ou de la juridiction de
jugement, toute rémunération devienne impossible ? La pratique
montre qu'il n'en est rien. Certains non-lieu, et certaines relaxes
déguisent en fait des rétributions d'indicateurs. Ainsi le Tribunal
correctionnel de Marseille, dans un jugement bien entendu inédit,
a prononcé le 19 mars 1986 la relaxe d'un indicateur notoire
poursuivi pour proxénétisme aggravé en se fondant sur ... le
défaut d'élément moral (il ne s'agit pas en l'espèce d'un
euphémisme !). Cette relaxe fut acquise après des débats à huis
clos, la publicité précise le jugement... "étant dangereuse pour
l'ordre public". Un commissaire et un inspecteur de police furent
entendus, fort probablement afin que le tribunal puisse se faire
une idée précise des services rendus (64).
- La rémunération ne nécessite pas que la règle de droit
soit autant contorsionnée, lorsqu'elle est décidée avant toute
poursuite au niveau du Parquet. La règle de l'opportunité des
poursuites laisse alors la voie entièrement libre au magistrat pour
décider du classement d'une affaire qui lui est soumise.
- Il n'appartient pas en revanche au policier de prendre,
aux lieux et place du Parquet, la décision de classer une affaire.
C'est ce que rappelait récemment un jugement du Tribunal
correctionnel de Grenoble : "En droit français, si l'opportunité des
poursuites pénales appartient au procureur de la République, les
services d'enquête sont liés par le principe de la légalité des
constatations leur faisant obligation d'établir une procédure pour
chaque infraction dont ils ont connaissance et de la transmettre
sans délai au Parquet, seul compétent pour apprécier la suite à
donner. Le traitement des informateurs ne fait pas exception à
cette règle, seul le parquet ayant reçu de la loi le pouvoir
d'apprécier si les résultats obtenus ou à obtenir justifient
l'indulgence envers tel ou tel individu ..." (65).
Dans le principe, ce point de vue est absolument
inattaquable. Sa mise en oeuvre n'est pas toujours aisée. Elle
suppose un contact "permanent" au plein sens de ce terme, entre
(63) Crim. 25 mars 1971 - Bull. n • 110, p. 278 - D. 1971, Som. 97.
(64) Trib. corr. de Marseille, 19 mars 1986 : inédit. Aff. B ... Jean-Claude n • 3740
"attendu qu'il résulte tant des éléments recueillis au cours de l'instruction
préparatoire que des débats menés à l'audience ... que l'élément moral constitutif de
l'infraction de proxénétisme aggravé fait défaut ; que dès lors Jean-Claude B ... se
trouve en voie de relaxe de ce chef de prévention".
(65) Trib. corr. de Grenoble, 20 décembre 1988 : inédit. Aff. G ... Jean-Pierre, n •
4896/88.
�Gaëtan DI MARINO
85
le parquet et le policier agissant sur le terrain. Or le policier est
bien souvent conduit à prendre ses décisions à la minute. Aussi,
certains magistrats du ministère public font-ils observer que le
policier, pour être efficace, ne peut passer le plus clair de son
temps au téléphone ou dans les couloirs du parquet. Tout serait
question de confiance réciproque. Ces magistrats admettent qu'en
cas de nécessité impérieuse, le policier prenne certaines initiatives
en ce domaine, à la condition qu'il leur en soit ultérieurement
référé. Ici se trouve la limite du droit et du fait, de la légalité et
de l'opportunité
�86
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
Ilème PARTIE L'OPPORTUNITE DU RECOURS A L'INDICATEUR
L'affirmation de la légalité du recours à l'indicateur est
loin de résoudre tous les problèmes qui se posent. On pourrait
disserter à l'infini sur la question de la moralité et de l'élégance
du procédé. Si l'indicateur connaît de fervents partisans, il a aussi
parfois à faire face à de farouches détracteurs et adversaires (66).
Tel ce procureur général qui déclarait lors d'une interview
accordée à un journal parisien "si un indicateur m'apportait,
moyennant finances, un renseignement précieux sur un crime, je
le chasserais ou l'inviterais à prendre gratuitement la
responsabilité de sa dénonciation en me la remettant par écrit"
(67). Tel aussi ce juge d'application des peines qui, dans un
ouvrage autobiographique, tout en regrettant de ne pas l'avoir fait
avec plus de fermeté, se félicite d'avoir tenu tête à un
commissaire qui lui proposait le marché suivant : aménagement
pour un indicateur d'une peine de 2 mois d'emprisonnement déjà
effectuée sous le régime de la semi-liberté en échange de
renseignements permettant le démantèlement d'un réseau de
drogue (68)... Mais Casamayor clôt le débat à cet égard en
quelques phrases cinglantes : "Il peut paraître surprenant que,
lorsqu'on cherche la source de la sacro-sainte justice, on la trouve
si souvent souillée de fange et de mouchardage, ou de liaisons
plus déshonorantes encore que dangereuses. Montaigne déjà
s'étonnait que, dans le corps humain, la source du plus grand des
plaisirs soit si proche des excrétions les moins ragoûtantes... Il
faut constater le fait et cesser de faire la fine bouche, mimique
qui révèle plus d'hypocrisie que d'humilité scientifique" (69).
Si à l'invitation de cet auteur, l'on dépasse le débat
philosophique, l'opportunité du recours à l'indicateur dépend du
(66) René Floriot, "Les erreurs judiciaires", Ed. Flammarion : "Ce procédé est
inadmissible. Le témoin qui n'a pas le courage de donner son nom est presque
toujours un témoin suspect. Assouvit-il une rancune? Veut-il simplement obliger
l'une des parties. Comment le savoir? Si on connaissait son identité, le plaideur qu'il
accable pourrait établir qu'il est en très mauvais termes avec lui, qu'un prôcès les a
opposés ou qu'il est l'obligé de son adversaire auquel il doit des sommes
considérables".
(67) Ces propos ont été tenus par le procureur général Donat-Guigne et rapportés
par le député Georges Monnet au cours d'une séance parlementaire : J.O. Déb. A.N.
30 novembre 1930, p. 3681.
(68) Jean-Yves Martin, "Le désarroi d'un juge", p. 85 - Chapitre 10 "Un
marchandage".
(69) Casamayor, "Le bras séculier - Justice et police", Ed. du Seuil, p. 184.
�87
Gaëtan DI MARINO
résultat découlant de la confrontation des effets pervers de cette
méthode et de ses effets positifs (70).
A - LES EFFETS PERVERS DU RECOURS A L'INDICATEUR
Les critiques adressées
l'indicateur se cristallisent autour
procédé, c'est-à-dire autour
renseignements et autour de celui
à l'encontre du recours à
de deux personnages clefs de ce
de celui qui donne des
qui les reçoit.
a) Au niveau de celui qui donne des renseignements
Les effets pervers toucheraient l'indicateur lui-même. Il
serait tout à la fois une victime du procédé dont il est la cheville
ouvnere et un pourvoyeur de délinquance en raison des
provocations auxquelles il se livrerait.
1) L'indicateur-victime
- L'indicateur serait tout d'abord une victime potentielle
en raison des risques physiques que lui ferait courir son
comportement. On trouve, tant en France, qu'à l'étranger (71) de
multiples exemples d'informateurs assassmes à la suite de
révélations sur leurs relations avec les services de police. Lors du
procès du commissaire Yves Jobic, qui sera évoqué plus loin, l'un
des témoins, une prostituée prénommée Malika, indicatrice du 36
Quai des Orfèvres, souligna à la barre le drame qu'elle vivait
depuis que sa "collaboration" avait été livrée en pâture aux
médias. Surnommée par ses camarades de travail "Malika 36", elle
déclara lors de son audition : "ma vie se joue, peut-être, en
sortant d'ici ... Je n'en peux plus" (72).
Bien des assassinats qualifiés dans la presse de "règlements
de compte" dissimulent en réalité l'élimination d'indicateurs. Ainsi
à l'occasion du meurtre d'un délinquant chevronné nommé
Rolland Luperini, mêlé à de nombreuses affaires dont l'affaire De
Broglie, les journaux se répandirent en commentaires sur ce
"règlement de compte" jusqu'à ce que l'on apprenne qu'il était
motivé par les révélations faites par la victime aux services de
police (73 ).
(70) L'expression "effet pervers" est prise ici dans son sens commun et non dans le
sens qu'on lui donne parfois en sciences humaines.
(71) Cf. par exemple la note 16 in "Les indicateurs" par Carlo Moretti, R.l.C.P.T., p.
303.
(72) L'événement du Jeudi - 16 au 22 mars 1989 - sous le titre "A force de caresser
les indics dans le sens du poil" par Bernard Veillet-Lavallée, p. 90 et s.
(73) André Giresse et Philippe Bemert, "Seule la vérité blesse", Ed. Presses Pocket,
chap. 43, p. 386 et s.
�88
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
Aux Etats-Unis, l'augmentation du taux des homicides
perpétrés sur des mineurs au cours de ces dernières années
correspond au fait que nombre d'entre eux, devenus informateurs
en échange de drogue, furent tués par la suite. Au Québec, on a
assisté au cours de la décennie écoulée à l'assassinat de nombreux
individus du milieu des stupéfiants, soupçonnés, à tort ou à
raison, d'avoir fait office d'indicateurs (74).
Le risque physique encouru par l'indicateur est donc
indéniable. Il n'en reste pas moins qu'il peut être limité dans la
mesure où la règle de l'anonymat est strictement respectée.
- Au delà de ce risque, on insiste généralement sur le fait
que le recours à l'indicateur aurait pour effet de précipiter ou de
conforter ce dernier dans la délinquance.
. Pour frapper les esprits, plusieurs auteurs (75)
rapportent le récit fait par un inspecteur de la brigade anti-gang
à un quotidien à grand tirage. Cet inspecteur aurait rencontré un
individu qui lui aurait proposé le marché suivant : une équipe de
"braqueurs" contre l'arrestation d'un proxénète dont la protégée
aimerait désormais, selon ses dires, travailler avec lui. Avec
l'accord de ses supérieurs hiérarchiques, !"inspecteur aurait
accepté cette proposition. Le brigade territoriale aurait fait
tomber le proxénète, l'indicateur aurait récupéré la prostituée
pour son compte et la brigade anti-gang aurait arrêté trois
gangsters en flagrant délit de hold-up.
Il ne faut pas toutefois accorder à cet exemple une portée
de principe. De façon générale, l'indicateur est lésé par "le
contrat" qui le lie à son correspondant. L'indicateur est amené à
donner beaucoup pour recevoir en échange une aumône. Cette
règle fondamentale est illustrée de façon imagée par plus d'un :
"je donne un oeuf contre un boeuf" (76), "le policier peut faire
une fleur à l'indicateur, pas un bouquet" (77).
. Il ne fait certes aucun doute que la tolérance
d'une activité délictueuse en échange de renseignements maintient
l'indicateur dans la délinquance mais on peut légitimement se
demander si, sans cette tolérance, l'indicateur aurait pour autant
quitté la voie de la délinquance. L'informateur est bien souvent,
dès le départ, un individu a-social dont le reclassement est
problématique. Les conséquences, aux Etats-Unis, du "Federal
Witness Protection Program" sont à cet égard très instructives.
Depuis 1970, la police américaine est autorisée "à obt~nir le
(74) Marc Laurendeau, "La police et ses auxiliaires particuliers : informateurs,
délateurs et agents provocateurs", in "La Police après 1984" - Criminologie, volume
XVII, n • 1, p. 117 et s., Ed. Les Presses de l'Université de Montréal.
(75) Le Quotidien de Paris, volume 29, juillet 1980 sous le titre "Par ici les bons
indics", Par E. Yung - Marc Laurendeau, op. cit. p. 118.
(76) Casamayor, "Le bras séculier - Justice et police", Ed. du Seuil, p. 194.
(77) Jacques Batigne, "In "Le milieu", Historia hors série, n • 31, 1973.
�Gaëtan DI MARINO
89
témoignage de membres de la pègre contre leurs complices en
garantissant aux délateurs, une protection physique durant les
procédures pour le témoin et sa famille, de nouveaux papiers
d'identité (y compris le permis de conduire et la carte de sécurité
sociale), un logement et un emploi". Une étude montre que ces
délateurs reclassés, chez lesquels le taux de suicide est 50 fois
plus élevé que dans l'ensemble de la population, négligent de
rembourser leurs créanciers dès qu'ils obtiennent une nouvelle
identité. 32 d'entre eux ont laissé pas moins de 7 millions de
dollars de dettes ! (78)
2) L'indicateur - provocateur
Le second danger qui guette l'indicateur est de voir verser
celui-ci dans la provocation.
- La provocation qui est ici en cause n'a rien à
voir avec la situation que révèle un arrêt de la Chambre
criminelle du 2 octobre 1979 (79). En l'espèce un agent de police
américain et un indicateur s'étaient présentés à un trafiquant de
stupéfiant comme d'éventuels acquéreurs de drogue. Appelée à
statuer sur la validité des poursuites engagées contre ce trafiquant
et les coauteurs de l'infraction, la Cour de cassation a considéré
que cette manière de procéder était légale "dès lors qu'il résultait
des constatations des juges que cette circonstance n'avait pas été
déterminante des infractions retenues et qu'elle avait eu seulement
pour effet, de permettre la constatation d'une activité délictueuse
qui existait et, d'en arrêter la continuation".
- La situation est différente lorsque l'informateur ne se
contente pas de glaner des renseignements mais adopte une
attitude telle qu'il va déterminer autrui à commettre une
infraction qui n'aurait pas vue le jour sans son intervention.
L'indicateur atteint alors un but opposé à celui qui est recherché.
Loin de permettre de contenir la délinquance, il la provoque, il la
crée (80). Il ne faut cependant pas donner à cette hypothèse plus
d'importance qu'elle n'en revêt en pratique. L'indicateur vit
généralement dans un milieu où il se trouve rarement à court
d'infractions à dénoncer. A cela, on doit ajouter que l'indicateur
n'est pas, en règle générale, pressé par le policier à un point tel
qu'il se verrait contraint soit de collaborer avec ce dernier, au
besoin en créant des situations délinquantielles, soit de subir. des
(78) Marc Laurendeau, "La police et ses auxiliaires particuliers : informateurs,
délateurs et agents provocateurs", in "La Police après 1984" - Criminologie, volume
XVII, n • 1, p. 117 et s., Ed. Les Presses de l'Université de Montréal.
(79) Crim. 2 octobre 1979 - Bull. n • 366, p. 722 - comp. crim. 6 mars 1812 - Bull.
crim. n • 50, p. 90.
(80) Garry Marx : "The agent provocateur and the informant", American journal of
sociology - Volume 80, n • 2, p. 405.
�90
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
représailles pour défaut de collaboration. On ne peut accorder
qu'une place anecdotique à des épisodes tel que celui qui suit,
même si parfois certains sont tentés de les monter en épingle et
de les présenter comme étant la règle : "Il y avait une fois, peuton lire dans un article, rue de Buci (à Paris) un Auvergnat plus
candide que les autres qui refusa de payer à l'officier de police
qui venait s'accouder avec curiosité à son comptoir, ce tribut de
renseignements et de rumeurs que tout servant de la limonade
doit à son flic. L'officier de police ne tempêta, ni ne menaça. Il
se contenta d'observer. Il finit par remarquer que le matin, le
loufiat récalcitrant avait pris l'habitude, pour faire des "huit" sur
sa sciure, d'utiliser une bouteille de Perrier remplie d'eau du
robinet. Un matin, le contrôle économique fit irruption ... et saisit
la bouteille. Convaincu de tenir une bouteille d'eau minérale
remplie d'eau, l'Auvergnat se vit infliger une amende telle qu'il
fut obligé de retourner dans son village natal" (81 ).
b) Au niveau de celui qui reçoit des renseignements
Ce n'est pas, dans la majorité des cas, l'indicateur qui est
l'objet de toutes les attentions. La réprobation que génère sa
personnalité conduit en règle générale à une exclusion qui se
ressent, ou l'a déjà vu, même chez les scientifiques. Les regards
se tournent plus volontiers vers celui qui accepte de se commettre
en recourant au service d'un indicateur et par là même vers
l'institution à laquelle il appartient. A ce niveau, les effets
pervers du procédé seraient, aux dires de certains, évident : il
serait tout à la fois source de disfonctionnement et source d'abus.
1) Le recours à l'indicateur, source de dis fonctionnement
- On reproche tout d'abord à ceux qui recourent à
l'indicateur "de se décharger de leur travail, un peu à la manière
dont leur correspondant, le Juge d'instruction, se décharge du
sien sur le commissaire de police en lui donnant une commission
rogatoire" (82). Les critiques sont même parfois plus acerbes à cet
égard. Elles assimilent le recours à l'indicateur à une solution de
paresse : "Au lieu de se livrer à des constatations très
méthodiques, à des vérifications fort minutieuses, à de multiples
auditions de témoins... le policier préférerait attendre que
l'énigme se trouve éclaircie par un renseignement providentiel"
(83). Lorsqu'on sait la difficulté et l'opiniâtreté qu'il est souvent
nécessaire d'avoir pour s'assurer la coopération efficace d'un
(81) François Caviglioli : "Ceux qui renseignent la police", février 1967.
(82) Casamayor, "Le bras séculier", Editions du Seuil, p. 190.
(83) F. Cathala, "L'indicateur de police", Revue de la Sûreté Nationale", n • 56.
�Gaëtan DI MARINO
91
i~dicateur, lorsqu'on mesure l'extrême fragilité des relations qui
se nouent entre un indicateur et son correspondant, on ne peut
être convaincu par l'idée selon laquelle l'indicateur est réservé à
l'usage de ceux qui s'adonnent à la facilité. Il n'en reste pas moins
vrai que cette pratique ne doit pas se substituer aux autres
méthodes d'investigation et de recherche, mais en constituer le
complément.
- Plus sérieuse est en revanche la critique à laquelle se
livrent certains auteurs nords-américains : "Toute forme de
répression du crime largement dépendante du soutien
d'informateurs comporte en soi une forte dose de gérance
policière du crime". Ne parvenant pas à éliminer certaines formes
de délinquance, la police se contenterait de "circonscrire ces
activités criminelles à des milieux prec1s (stratégie de
"containment") et administrerait ces zones de criminalité par des
échanges de renseignements contre l'immunité, de l'argent ou
d'autres gratifications. Au lieu de contrôler le crime, la police
ferait du "crime management"" (84). Il est vrai que depuis de
nombreuses années, on a pu faire pareil constat notamment en
France à propos du milieu de la prostitution et au Québec à
propos du milieu de la drogue. Certains s'indignent devant
l'inanité d'une méthode qui détournerait la police de sa mission et
la conduirait, ni plus ni moins, qu'à gérer certaines formes de
criminalité.
A cette critique, déjà ancienne, mais reprise et
conceptualisée plus récemment, des réponses essentiellement
pragmatiques ont été apportées depuis fort longtemps. Il y a une
trentaine d'années déjà, on s'exprimait ainsi à propos du
proxénète-indicateur : "sa nature veule, sa volonté passive le
prédispose à cette fonction. Le policier l'encourage et vient à son
aide. Il faut se mettre à la place du policier. Il ne croit pas qu'une
fille puisse se relever ; il a raison de ne pas le croire, car c'est
très difficile. Alors, perdue pour perdue, autant qu'elle serve à
quelque chose" (85). La formulation est sans doute rude, voire
même provocatrice, mais elle a l'avantage de replacer le débat à
son véritable niveau, aussi pénible soit-il d'envisager la réalité en
face.
- Enfin, en dehors de cette gérance policière du crime, le
recours à l'indicateur aurait, aux dires de certains, pour
conséquence de "créer une société policière... autonome . par
rapport à la société globale". Cette dernière "repousserait dans la
société policière ce qui est mal, ce qui est illégal, ce qui est
(84) Marc Laurendeau, "La police et ses auxiliaires particuliers : informateurs,
délateurs et agents provocateurs", in "La Police après 1984" - Criminologie, volume
XVII, n • 1, p. 117 et s., Ed. Les Presses de l'Université de Montréal.
(85) Casamayor, "Le bras séculier", Editions du Seuil, p. 197.
�92
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
trouble ... Elle ne voudrait pas savoir ce que "font ensemble" les
policiers et les indicateurs. Tout cela est laid ! le propre du
policier serait d'appartenir à un monde à part, tout en trouvant sa
place dans un service public" (86). "Côté pile, la police service
public, côté face, la police poubelle" (87). Le schéma est à tout le
moins réducteur. La société globale n'a pas le réflexe de rejet
qu'on lui prête, comme en témoignent les différentes enquêtes qui
ont été menées sur l'activité policière en France.
2) Le recours à l'indicateur, source d'abus
Le public n'a bien souvent connaissance de l'existence
d'indicateurs que lorsqu'un "scandale" éclate, soit que l'on
reproche au policier d'avoir "trop donné" à l'indicateur en
échange de renseignements reçus, soit plus fréquemment encore
que l'on reproche au policier de s'être fait corrompre par
l'indicateur.
- La question de la rémunération de l'indicateur n'étant
pas, on l'a vu, en règle générale, prévue par la loi, le policier et
le gendarme se trouvent nécessairement dans une situation
extrêmement inconfortable à cet égard. La rémunération conduit
parfois ces derniers à commettre des infractions pour lesquelles ils
ne peuvent bénéficier, aussi louable que soit le but poursuivi,
d'un fait justificatif. Le Parquet peut donc aisément, s'il le juge
opportun, entreprendre des poursuites dans de telles hypothèses.
C'est ainsi que la Cour d'appel de Grenoble a condamné,
le 9 avril 1987, un inspecteur B... pour délit de recel de criminel
à 5.000 F. d'amende assortie du sursis, avec dispense toutefois
d'inscription au B2. En l'espèce, alors qu'il savait que son
indicateur F .... était recherché pour des vols à main armée
commis dans la Drôme, l'Isère et les Bouches-du-Rhône,
l'inspecteur B... l'avait hébergé à plusieurs reprises à son
domicile, lui avait remis une somme de 500 F., et lui avait rendu
un P38, arme qu'il lui avait précédemment confisquée. La Cour
de Grenoble a estimé qu'en adoptant un tel comportement, ce
policier "avait dépassé une certaine ligne" (88).
La même Cour d'appel, quelques jours plus tard, le 30
avril 1987, a condamné pour violation du secret professionnel un
inspecteur à 1 mois de prison et 5.000 F. d'amende. Il était
reproché, à ce dernier, d'avoir révélé, à un certain L .... "ayant
déjà eu affaire à la justice", un condensé de ce qu'il avait
(86) Jean-Jacques Gleizal, "La police secrète la justice"; in "Figures du secret",
Presses Universitaires de Grenoble, p. 234 et s.
(87) Jean-Jacques Gleizal, "Le désordre policier", Presses Universitaires de France,
p. 83.
(88) Chambre des appels correctionnels de Grenoble, 9 avril 1987: affaire B ...
Robert, n • 569/87 (inédit).
�Gaëtan DI MARINO
93
entendu à l'évêché, c'est-à-dire au commissariat central de
Marseille, à propos d'une enquête criminelle en cours. Le prévenu
avait fait valoir, pour sa défense, qu'il avait agi ainsi dans
"l'espoir d'obtenir de L... qui côtoyait "le milieu" des
renseignements intéressants propres à améliorer son efficacité
professionnelle". Cependant cette explication ne semble pas avoir
convaincu le tribunal qui s'exprimait en ces termes : "attendu que
cette explication, à la supposer établie, ne saurait constituer une
excuse absolutoire" (89).
Enfin, le Tribunal correctionnel de Grenoble a, le 20
décembre 1988, condamné pour recel de documents intéressant la
police judiciaire et l'action publique un commissaire de police à
la peine principale de l'interdiction d'exercer pendant un an la
fonction d'O.P.J., en application de l'article 43-2 du Code pénal,
condamnation qui bénéficiait de l'amnistie dès son prononcé. Ce
commissaire, dans le but, cette fois évident, de s'attacher les
services d'un indicateur, avait falsifié les éléments d'une
procédure de tenue de maisons de jeux. Il avait substitué aux
procès-verbaux originaux, qu'il avait au demeurant conservés,
d'autres procès-verbaux faisant apparaître des faits nettement
minorés à l'encontre de l'indicateur et il avait restitué à ce
dernier la somme d'argent saisie lors de la constatation de
l'infraction (90).
Il faut ajouter que toutes ces affaires ont été longuement
et minutieusement instruites. Inspecteurs et commissaires se sont
trouvés suspendus de leurs fonctions pendant toute la durée de la
procédure, c'est-à-dire, pendant une à deux années. Bien souvent,
lors des débats, le reproche essentiel qui a été fait à ces
fonctionnaires (deux d'entre eux étaient fort bien notés et
considérés comme d'excellents éléments) est de n'avoir pas tenu
leur hiérarchie, mais plus encore le Parquet, informés de leurs
initiatives. Les condamnations, prononcées dans la première et
dans la dernière affaire, n'ont en fin de compte entraîné aucune
inscription sur le casier judiciaire des intéressés, comme si les
juridictions de jugement avaient voulu prononcer une
condamnation de principe plus qu'une véritable sanction. Dans la
deuxième affaire, si la condamnation a été sévère, cela tient au
fait, semble-t-il, que la qualité d'indicateur du bénéficiaire de la
violation de secret professionnel n'était pas clairement établie et
que planait dès lors des doutes sur l'éventualité d'une corruption.
- Le danger de corruption est, il est vrai, considéré
comme le risque majeur que fait encourir le recours à cette
(89) Chambre des appels correctionnels de Grenoble, 30 avril 1987: affaire B ...
Georges, n • 631/87 (inédit).
(90) Tribunal correctionnel de Grenoble, 20 décembre 1988 : affaire G ... Jean-Pierre,
n • 4896/88 (inédit).
�94
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
pratique. Le policier va bien souvent chercher l'indicateur dans le
milieu délinquant. "On ne fait pas la police avec des archevêques"
souligne le commissaire Fernand Cathala (91). "C'est rarement à la
table du Président du Tribunal ou à celle du sous-préfet que l'on
peut obtenir le tuyau décisif sur le cambriolage ou l'assassinat de
la nuit précédente" répliquait le commissaire Charles Javilliey à
ceux qui lui reprochaient ses mauvaises fréquentations (92).
A l'occasion de ses contacts avec l'indicateur, le policier
est fréquemment, dans un but d'efficacité, amené à nouer avec
lui des relations étroites, et parfois "à adopter son langage et à
simuler son mode de vie" (93). Les risques de dérapage sont dès
lors évidents (94 ). Les cas de corruption liés à l'utilisation
d'indicateurs sont pourtant relativement exceptionnels, et même
tout à fait résiduels eu égard à l'ampleur du recours à ce procédé.
L'intégrité des fonctionnaires n'a pas à l'évidence à pâtir des
relations entretenues par ces derniers avec des informateurs. On
ne peut pourtant soupçonner le Juge de clémence en la matière.
Ce dernier ne tolère bien souvent l'indicateur qu'avec une infinie
réserve et les relations qui s'instaurent entre l'enquêteur et
l'indicateur qu'avec la plus extrême circonspection. N'a-t-on pas
considéré tout récemment dans une décision judiciaire que le fait,
pour un commissaire de police, de confier à l'un de ses
indicateurs ses dates et lieux de vacances et le numéro de
téléphone de sa mère était "surprenant" (95).
Finalement, en insistant comme on le fait souvent sur la
corruption, on peut se demander si l'on ne perd pas de vue le
véritable danger de cette méthode d'investigation, c'est-à-dire
celui qu'encourent les fonctionnaires intègres du fait des
divagations de leurs indicateurs. Le commissaire Pierre Ottavioli
résume parfaitement le risque en une phrase : "De son
information, le policier ne peut attendre que la trahison" (96).
(91) Fernand Cathala, Pratïques et réactions policières. Ed. du Champ de Mars et
"L'indicateur de police", Revue de la Sûreté Nationale, janvier-février 1965, n • 56.
(92) Charles Javilliey, "Piège pour un flic", cité in Le Monde, Dimanche 30 avril Mardi 2 mai 1989, p. 11. Cf. cependant le dialogue qui s'est instauré à la barre lors
du procès du commissaire Yves Jobic entre l'avocat de ce dernier et le colonel de
gendarmerie Morel. Le colonel de gendarmerie Morel : "Nous n'avons pas
d'indicateurs mais des informateurs. Nos informateurs sont pris, dans la couche saine
de la population. Elus locaux, gardes champêtres ..." L'avocat de Jobic : "Les Maires,
j'en connais plusieurs qui sont inculpés de fausses factures". Le colonel Morel : "On a
aussi des commerçants, des instituteurs ...". L'avocat de Jobic: "Des archevêques?" "Pourquoi pas ?" ... Le colonel Morel : "Il y a des gens qui font de la délalion sans
qu'on ait besoin de les payer pour ça", in "Libération" du 20/03/89 sous le titre
"Procès Jobic : le langage tangue à la barre", par François Devinat.
(93) Trib. corr. de Nanterre, 28 avril 1989 - Yves Jobic et autres (inédit).
(94) Comp. : Trib. corr. de Lyon, 6ème Chambre, 21 juin 1973 - J.C.P. 1979-IV128. Min. public c/Femme Audier et autres.
(95) Trib. corr. de Nanterre, 28 avril 1989 - Yves Jobic et autres (inédit).
(96) Pierre Ottavioli : Echec au crime - 30 ans - "Quai des Orfèvres", Ed. Grasset, p.
118 s.
�Gaëtan DI MARINO
95
. La récente affaire du commissaire Yves Jobic en
constitue l'une des illustrations. Ce commissaire devait intervenir
pour faire libérer ("décrocher" en argot) l'un de ses informateurs,
tombé entre les mains de gendarmes pour trafic de stupéfiants.
Ces derniers, à l'occasion de cette enquête, devaient constater que
divers malfaiteurs étaient des interlocuteurs privilégiés du
commissaire en question. Poussant leurs investigations, ils
parvinrent à recueillir des confidences mettant en cause l'intégrité
de ce fonctionnaire. Diverses prostituées de la rue Budapest à
Paris, dont le commissaire Yves Jobic avait fait arrêter et
condamner les souteneurs, accusèrent en effet ce dernier de leur
avoir soutiré diverses sommes, soit en échange de leur protection,
soit en échange de l'ouverture nocturne d'un bar, soit en échange
d'une extraction de prison. Traduit en correctionnelle pour
corruption et proxénétisme aggravé, le commissaire Yves Jobic
devait être relaxé après de douloureux débats au cours desquels,
médias aidant, Police, gendarmerie et juge d'instruction furent
tour à tour gravement mis en cause (97). Il apparut que les
relations entretenues par le commissaire Yves Jobic avec plusieurs
malfrats n'avaient d'autre but que de se ménager, dans un
contexte de travail difficile, une cohorte d'indicateurs : "attendu,
fait observer le Tribunal correctionnel de Nanterre, qu'il suffit de
considérer que, jeune commissaire passionné par son travail et
totalement disponible, Yves Jobic était amené, dans ses fonctions
de chef des unités de recherche de la lère D.P.J., à contrôler de
nombreux débits de boissons et à se lier à des gens peu
recommandables ... pour réaliser tout le poids des rancoeurs qu'il
avait pu accumuler, et surtout comprendre la réticence de ceux
qu'il rencontrait dans ce cadre à dévoiler en cours d'information
la véritable nature de leurs rapports, un tel aveu revenant, tout en
innocentant le policier, à les révéler, eux, au pire comme des
malfaiteurs, au mieux comme des indicateurs ... qu'il a été possible
de vérifier la motivation purement professionnelle de la présence
d'Yves Jobic, en général accompagné de collaborateurs de son
service, dans les bars dont il est question ..." (98).
. Plus significative encore, est la mésaventure
arrivée, tout récemment également, à deux commissaires de police
marseillais. Ceux-ci, chargés successivement de la section des
moeurs, utilisèrent comme indicatrice une prostituée-proxénète
qui dirigeait un établissement de prostitution de luxe située en
plein coeur de Marseille. Devant l'ampleur et l'importance des
(97) Cf. par exemple : Le Point, 20 mars 1989, n. 861 "Procès Jobic : l'indécent
pugilat - entre le juge et le commissaire inculpé de proxénétisme, c'est un déballage
où tous les coups sont permis. Un combat Justice-Police qui laissera des traces" par
Jean-Marie Pontaut et Jean-Loup Reverier.
(98) Trib. corr. de Nanterre, 28 avril 1989 - Yves Jobic et autres (inédit).
�96
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
activités de cette prostituée-proxénète, il fut décidé de mettre un
terme à ses activités. Furieuse d'avoir été écrouée, elle mit en
cause les deux commissaires dont elle était l'indicatrice,
prétendant qu'elle leur aurait versé une sorte de redevance sur ses
bénéfices se chiffrant à ... plusieurs centaines de millions. Les
deux commissaires furent inculpés. Ils se défendirent avec
vigueur contre ces accusations manifestement mensongères, mais
chacun sait que la preuve d'un fait négatif (en l'espèce l'absence
de perception de sommes d'argent) est fort difficile à rapporter.
Finalement, le caractère mensonger des accusations put être mis
en évidence à partir d'un point de détail. Ayant prétendue qu'elle
était la maîtresse attitrée de l'un des deux fonctionnaires depuis
de longs mois, il lui fut demandé quelles étaient les
caractéristiques corporelles du commissaire en cause. Embarrassée
par cette question, elle finit par indiquer que son prétendu amant
avait en matière sexuelle des goûts tout à fait particuliers. Pressée
de donner des précisions à ce sujet, elle affirma qu'il ne se
dévêtait point, mais prenait son plaisir simplement en lui léchant
les pieds ou les chaussures ... L'affaire serait risible, si les deux
commissaires n'avaient attendu deux longues années avant de
bénéficier d'un non-lieu et si l'impact professionnel de telles
inculpations ne risquait de remettre en cause l'utilisation d'un
procédé d'investigation efficace (99).
B - LES EFFETS POSITIFS DU RECOURS A L'INDICATEUR
- Point n'est besoin de démontrer les résultats obtenus
dans le cadre de la lutte contre la criminalité grâce à l'indicateur,
tant l'effet fondamental de cette technique est évident. La
discrétion dans laquelle cette dernière s'inscrit ne permet pas de
déterminer avec précision la place qu'elle occupe, mais on peut
admettre sans trop s'avancer, à la seule lecture des procédures
pénales, que cette place est de choix.
- Il ne faut pas cependant lorsqu'on veut mesurer les
effets positifs du recours à l'indicateur se limiter à des
observations purement quantitatives. L'intérêt majeur de
l'indicateur, c'est tout d'abord de permettre d'appréhender, au
plein sens du terme, une criminalité qui sans lui aurait bien
souvent toutes les chances d'échapper à l'emprise judiciaire. C'est
également de toucher à un éventail de délinquance extrêmement
divers, allant des plus petits délits jusqu'aux crimes lès plus
graves. Pour ne citer qu'un exemple, les médias ont révélé
(99) De telles mésaventures sont également arrivées en 1974 au commissaire Charles
Javilliey et en 1978 à l'inspecteur Jean-Marie Albertini - Cf. à ce sujet, Alain
Hamon et Jean-Charles Marchand, "Dossier P comme Police", Ed. Alain Moreau, p.
152 s.
�97
Gaëtan DI MARINO
récemment que Jacques Mesrine, dangereux délinquant surnommé
l'ennemi public n° 1, recherché par tous les services de police et
de gendarmerie, ne put être localisé qu'à la suite d'un
renseignement fourni par une détenue incarcérée à la prison de
Fleury-Merogis (100). L'intérêt de l'indicateur, c'est enfin de
permettre, parfois, une intervention préventive visant à empêcher
l'exécution d'un projet criminel et donc de parvenir à un résultat
positif qu'aucune autre technique d'investigation n'aurait sans
doute permis d'atteindre.
CONCLUSION
On peut rêver d'une société sans indicateur, comme l'on
peut rêver d'une police en gants blancs ( 101 ). Il y a quelques
décennies seulement les promoteurs de la police scientifique,
Bertillon en tête, s'étaient laissés bercer par cette illusion. Le
progrès, pensaient-ils, sonnerait inévitablement le glas de cet
auxiliaire encombrant. On a découvert les empreintes digitales, on
découvre aujourd'hui les empreintes génétiques, le chemin
parcouru est vertigineux, mais l'indicateur, ce sycophante du
20ème siècle est toujours là, sans la moindre ride.
Il faut donc cesser de rêver. La pénétration du milieu de
la délinquance est une étape incontournable dans la lutte contre la
criminalité. Sans aller jusqu'à utiliser le système des policiers
"undercover" répandu Outre-Atlantique, c'est-à-dire des policiers
s'infiltrant dans le milieu criminel sans révéler leur qualité ou
sous une fausse identité, il faut chercher à exploiter le mieux
possible le filon inépuisable des indicateurs ( 102). Il n'est pas sans
intérêt, à une époque où l'on assiste à une chute de près de 20 %
du taux des affaires élucidées par rapport aux faits constatés, de
prendre connaissance des résultats d'une enquête menée sur "les
policiers, leurs métiers, leur formation" (I 03 ). A la question posée
"Si votre formation était à refaire, vous diriez ...", il était proposé
(100) Alain Hamon et Jean-Charles Marchand, "Dossier P comme Police", Ed. Alain
Moreau.
(lOl)Laurent Greilsamer in Le Monde, Dimanche 30 avril - Mardi 2 mai 1989, p. 11.
(102) Rapproch. Crim. 6 mars 1812 - Bull. crim. n • 50, p. 90 : "Attendu que, par un
procès-verbal dressé le 15 juin 1811, par le sous-préfet et le lieutenant de
gendarmerie à Brioude, il avait été constaté que le gendarme Mallet leur "avait
dénoncé la proposition qui lui avait été faite, par des malfaiteurs, d'entrer dans un
complot dont l'objet était l'enlèvement des caisses publiques, et auquel il avait feint
d'adhérer pour être instruit de leurs projets et être à même d'en empêcher
l'exécution ; que ces fonctionnaires lui avaient ordonné de continuer à feindre son
adhésion, et de faire en sorte d'amener les choses jusqu'à la rédaction et à la
signature d'un traité d'association, qui assurerait la preuve du complot ...".
(103) "Les policiers, leurs métiers, leur formation". Ministère de l'intérieur et de la
décentralisation. La documentation française.
�98
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
les réponses suivantes : "il faut plus de connaissances de la
société : sociologie - il faut plus de sport - il faut plus de
secourisme - il faut plus de connaissance de soi et des autres :
psychologie - il faut plus de dactylographie - il faut plus de tir il faut plus de connaissances administratives et juridiques - il
faut plus de techniques policières (intervention, enquête, etc ... ) il faut plus d'expression écrite et d'expression orale". L'ensemble
des policiers, tous grades confondus, donne la priorité à un
accroissement de l'enseignement des techniques policières. A la
question "j'aurais besoin d'être mieux préparé à", les réponses
proposées étaient les suivantes : "porter assistance, régler des
conflits - m'occuper de la circulation - accueillir, écouter,
renseigner les gens - remplir des papiers, écrire des rapports surveiller, patrouiller, contrôler - rechercher de l'information, des
renseignements - commander". La majorité des fonctionnaires
interrogés opte pour une meilleure préparation en matière de
recherche de l'information et des renseignements. Ces choix sont
significatifs et se passent de tout commentaire.
Plutôt que de vilipender une méthode, dépourvue certes
de tout vernis scientifique, sans doute vaudrait-il mieux
humblement admettre que "si le hasard n'était pas le dieu des
policiers, et les informateurs leurs anges déchus, la société serait
rapidement submergée par le crime" ( 104).
(104) Claude Paoli, "L'indic", Promovere - septembre 1977, n • 11, p. 97.
�LA POLICE ET LES MINORITES
(*)
par
André NORMANDEAU
Professeur à l'Université de Mont réal
Professeur-Chercheur invité - Université d'Aix-Marseille Ill
Institut de Sciences Pénales et de Criminologie
1. - INTRODUCTION
Les relations entre la justice et les minorités ethniques,
particulièrement entre la police et les minorités, est un sujet de
brûlante actualité en Amérique et en Europe. D'un côté, la
reconnaissance officielle des droits de la personne au sein des
constitutions légales d'un pays, comme la nouvelle Constitution
canadienne de 1982, a permis aux minorités de mieux faire
respecter leurs droits par rapport à certains abus de pouvoir de
certains policiers. De l'autre, le débat public sur l'immigration et
l'intégration des immigrants a soulevé les passions au point de
créer à l'occasion un climat d'intolérance envers les immigrants et
les minorités ethniques.
Le problème n'est évidemment pas nouveau en Amérique,
en particulier en ce qui concerne les Noirs Américains, Canadiens
et Québécois. La littérature générale sur les relations ethniques
aux Etats-Unis (Simpson et Yinger, 1987) et au Canada
(Bienvenue et Goldstein, 1985) est abondante. La littérature
proprement criminologique est également substantielle. Dix (10)
livres américains, en particulier, nous permettent d'en tracer le
bilan (Georges - Abeyie, 1984 ; Mann, 1989 ; McNeely et Pope,
1981 ; Owens et Bell, 1977 ; Petersilia, 1983 ; Reasons et
Kuykendall, 1972 ; Sellin, 1938, 1976 ; Uhlman, 1979 ; Wilbanks,
1987). Au Canada, deux rapports ont fait le tour de la question
"police-minorités" (Chérif et Niemi, 1984 ; Cryderman et O'Toole,
1986). Ailleurs, la littérature criminologique sur le sujet est moins
(*) Conférence à l'Université d'Aix-Marseille III, avril 1989.
�100
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
abondante mais certains travaux intéressants ont été réalisés en
Europe (Brown, 1984 ; Comité européen, 1987), en France
(Vaucresson, 1980-1989) et surtout en Angleterre (Scarman, 1981;
Benyon, 1984 ; Morgan et Maggs, 1984). Un rapport officiel plus
général sur le racisme en France est utile pour comprendre le
contexte social (Hannoun, 1987).
Une "actualité bibliographique" a déjà résumé la littérature
européenne des années 60 et 70 sur la thématique des travailleurs
immigrés et du contrôle social (Costa-Lascoux et Soubiran, 1980).
Un bilan des recherches européennes sur la délinquance juvénile
des migrants de la deuxième génération mérite notre attention
(Killias 1988). Une "bibliographie" récente relativement complète
sur le thème de la "justice et minorités ethniques" en Amérique et
en Europe est disponible (Douyon et Normandeau, 1989). Nous y
renvoyons le lecteur (voir l'Annexe de cet article).
Les thèmes sous-jacents à la problématique des relations
police-minorités est celui du préjugé, de la discrimination et du
racisme. Un rappel terminologique est utile. Le préjugé est une
attitude négative vis-à-vis d'un individu ou d'un groupe qui
possède des caractéristiques physiques, psychologiques, sociales ou
culturelles distinctes et différentes. Le préjugé est passif. Il se
situe au niveau des "idées que l'on se fait". L'on dira, par
exemple, que "les Sud-Américains sont paresseux", que "les Juifs
sont des voleurs" ou que "les Noirs sentent mauvais". La
discrimination, par contre, relève du comportement, du
traitement, de la pratique, de l'action. II s'agit d'un préjugé qui se
transforme en comportement actif. Ainsi, l'on prendra des
mesures concrètes pour que certaines personnes ne puissent
obtenir un emploi ou une promotion, soient exclues d'une
association, ne reçoivent pas certains services ; ou encore, un
policier sera impoli, harcèlera, brutalisera ou arrêtera un membre
d'une minorité ethnique parce qu'il ne lui aime pas "le visage". Le
racisme, pour sa part, est une notion beaucoup plus large. Il s'agit
d'un préjugé général ou d'un comportement discriminatoire
contre un groupe de personnes qui ont des caractéristiques
biologiques manifestement différentes, telle la couleur de la peau
pour le Noir ou certains traits de visage et des yeux pour
l'immigrant asiatique. Le racisme est souvent lié à la croyance
qu'une race est supérieure ou inférieure à une autre. L'on doit
distinguer entre un "préjugé raciste" et un "comportement raciste".
Plusieurs personnes qui ont un tel préjugé ne le manifestent pas
dans leur comportement, par peur ou parce qu'ils savent que "ça
ne se fait plus", à cause des Chartes des droits de la personne, par
exemple.
Un policier peut "penser raciste" mais continuer à agir de
façon professionnelle dans sa pratique quotidienne. Lorsque le
�André NORMANDEAU
101
policier passe à l'action et discrimine de fait un citoyen d'une
minorité ethnique, le problème devient alors public et les
autorités civiles ainsi que celles de la justice doivent s'en saisir et
intervenir. Si le problème est spécifique et ne touche que
quelques policiers, la solution est évidemment plus fac ile que si le
problème est générale. Dans ce dernier cas, l'on parle du "racisme
institutionnel" qui réfère à des pratiques politiques, économiques,
sociales, culturelles et quelque fois légales qui soutiennent le
préjugé raciste ou le comportement raciste. Il s'agit alors d'un
problème de société.
Des "bavures policières" se sont produites il y a deux ans à
Montréal. En effet, le jour même où s'ouvrait à Montréal le
grand Congrès annuel de la Société américaine de criminologie, le
11 novembre 1987, un policier, l'agent Allan Gasset, tirait
"accidentellement" sur un jeune Noir de Montréal, Anthony
Griffin. Ce dernier était atteint mortellement. L'événement pris
une telle ampleur, compte tenu également de plusieurs autres
"allégations" publiques depuis quelques années au sujet du
harcèlement ou de la brutalité policière envers certaines minorités
ethniques, que le ministère de la Justice du Québec et la
Commission des droits de la personne du Québec décidèrent de
nommer un Comité d'enquête publique sur l'ensemble de la
situation des relations entre la police de Montréal et les minorités
ethniques (Bellemare, Labonté, Alcindor, Normandeau, Pelletier,
Taylor, 1988). Le mandat du Comité Bellemare décrit clairement
les volets des travaux du Comité :
ENQUETE SUR LES RELATIONS ENTRE LA POLICE ET LES
MINORITES ETHNIQUES ET VISIBLES
CONSIDERANT les engagements du Gouvernement du Québec dans
sa Déclaration sur les relations interethniques et interraciales du
10 décembre 1986 ;
CONSIDERANT que la Charte des droits et libertés de la personne
du Québec consacre le droit de toute personne à la reconnaissance
et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la
personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée,
notamment, sur la race, la couleur, la religion, l'origine ethnique
ou nationale ;
CONSIDERANT que toutes les communautés culturelles du Québec
doivent continuer de s'épanouir et de contribuer pleinement à
l'édification et au progrès d'une société où règnent paix et
harmonie;
CONSIDERANT les allégations à l'effet qu'il existe des problèmes
sérieux dans les relations entre la police et les minorités ethniques
et visibles ;
�102
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
CONSIDERANT que le racisme et la discrimination raciale sont
autant de formes graves d'injustice sociale ;
CONSIDERANT que la Charte confie à la Commission le devoir de
promouvoir par toutes mesures appropriées, les principes contenus
dans la Charte et particulièrement, celui reconnaissant à tout être
humain des droits et libertés intrinsèques destinés à assurer sa
protection et son épanouissement ;
CONSIDERANT l'importance de tenir un débat public approfondi
sur les politiques et pratiques des corps de police pouvant avoir
un effet préjudiciable sur les membres de minorités ethniques et
visibles ainsi que sur les causes des tensions dans les relations
entre ces minorités et les corps policiers ;
CONSIDERANT
la demande du Gouvernement faite à la
Commission de lui faire sur ces questions des recommandations
appropriées ;
CONSIDERANT les pouvoirs d'enquête conférés par la Charte à la
Commission ;
IL EST DUMENT PROPOSE
DE PROCEDER à une enquête
sur les allégations de traitement
discriminatoire et de comportements racistes à l'endroit des
minorités ethniques et visibles par les corps policiers ainsi que sur
les causes des tensions dans les relations entre ces minorités et les
corps policiers.
La Commission examinera, notamment, les questions
suivantes :
a) Les politiques et pratiques courantes qui peuvent avoir
un effet préjudiciable sur les membres des minorités ethniques et
visibles. L'examen portera autant sur les politiques mises en
vigueur officiellement par les autorités que sur les pratiques en
usage dans l'exécution des fonctions policières ;
b) Les mesures administratives destinées à faire respecter
les droits des minorités lorsque leurs membres sont l'objet
d'interventions policières et à établir des relations harmonieuses
entre les policiers et les membres des minorités ;
c) Les méthodes de recrutement et de sélection des
candidats ainsi que les critères de promotion à l'intérieur des
corps policiers pour évaluer la représentation des minorités et les
obstacles susceptibles d'entraver l'accès équitable aux emplois ;
d) La formation donnée aux policiers en vue àe leur
fournir les connaissances nécessaires, tant pratiques que
théoriques, leur permettant de bien s'acquitter de leurs tâches
dans un environnement multi-ethnique et multi-racial ;
e) Les mécanismes de contrôle et de sanction des atteintes
aux droits de la personne de la part des agents de la police ;
�André NORMANDEAU
103
f) Les moyens de favoriser des échanges continus entre la
police et les communautés ethniques et visibles ;
g) Les programmes d'éducation visant à renseigner les
populations minoritaires, y compris les jeunes du milieu scolaire,
sur les rôles et fonctions de la police ;
h) Les mesures prises au Québec, au Canada ou à
l'étranger pour assurer le respect des droits de la personne dans
l'administration efficace de la justice par les corps policiers ;
A cette fin, la Commission :
i) Entendra, en séance publique, les témoignages et les
représentations des personnes et des groupes concernés par les
questions ci-dessus énumérées ;
ii) Fera les recommandations qui lui paraîtront appropriées
afin de résoudre les problèmes révélés par l'enquête.
Il ne nous est pas possible dans le cadre de cet article de
résumer en détail l'ensemble des travaux du Comité Bellemare,
d'autant plus que certaines analyses et certaines recommandations
sont de nature locale et n'ont pas de portée internationale.
Toutefois, les grandes lignes du rapport du Comité sont
pertinentes, à notre avis, pour les administrateurs publics des pays
et des grandes villes nord-américaines et européennes qui
accueillent chaque année une large immigration.
2. - DE QUELQUES STATISTIQUES
Le Montréal métropolitain, au sens du recensement,
regroupe une population de 3 millions. L'autre ville de cette
importance au Canada est celle du Toronto métropolitain (3
millions également). L'ensemble de la population canadienne est
de 27 millions ( 1990). Soixante-quinze (75) pour cent de la
population canadienne est anglophone et vingt-cinq (25) est
francophone. Les francophones sont concentrés en particulier
dans une des dix provinces canadiennes, le Québec (7 millions),
où ils représentent quatre-vingt-cinq (85) pour cent de la
population québécoise. Le Montréal métropolitain est la capitale
économique du Québec. Les francophones y représentent
soixante-quinze (75) pour cent de la population.
Les travaux du Comité Bellemare ont prix pour objet
d'étude la police de la Communauté urbaine de Montréal (C.U.M.).
Le service de police de la Communauté est au service d'une
population d'environ 1 800 000 citoyens, répartie au sein de 29
villes couvrant un territoire approximatif de 500 kilomètres
carrés : l'ile de Montréal. Ce service de police est constitué
d'environ 4 500 policiers et 1 000 employés civils.
�104
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
Selon un usage courant au Canada et au Québec, parler de
minorités ethniques, c'est se référer aux groupes ethniques qui ne
sont ni d'origine française, ni d'origine britannique. Parmi les
minorités ethniques, l'on distingue souvent les minorités dites
"visibles", là où la race et la couleur les différencient du groupe
majoritaire des Blancs : les Noirs, les Asiatiques, les Arabes, les
Latino-Américains et les Autochtones. Près de 30 pour cent de la
population de la Communauté urbaine de Montréal est issue d'une
minorité ethnique, dont le tiers ( 10 pour cent de la population)
est issue d'une minorité visible. Par comparaison, seulement 5
pour cent des policiers de la Communauté sont issus des minorités
ethniques (moins de 1 pour cent représente les minorités visibles).
3. - L'EXERCICE DES FONCTIONS POLICIERES
Au Service de police de la Communauté, l'exercice des
fonctions policières est encadré par des missions qui se regroupent
autour de deux grandes approches classiques :
- la détection du crime, le maintien de l'ordre et l'application des
lois (fonctions répressives) ;
- la prévention communautaire du crime (fonction préventive).
Les contacts des policiers avec les citoyens relèvent de
trois types :
- le contact de victimisation ;
- le contact de suspicion ;
- le contact de collaboration ;
Ces contacts colorent inévitablement l'attitude du policier
vis-à-vis du citoyen et l'image que ce dernier garde de la police;
Ils sont au coeur de l'interaction police - minorités et peuvent,
selon les cas, générer un traitement différentiel qui est à la base
de la discrimination.
La discrimination prend deux visages :
- la discrimination pour commission d'actes, gestes, paroles et
comportements discriminatoires ;
- la discrimination pour omission de services communément
offerts au public.
Les manifestations les plus fréquentes de la discrimination
par commission sont les suivantes :
- la partisannerie en faveur du citoyen issu du groupe majoritaire ;
- l'abus de pouvoir au détriment du citoyen issu des minorités
ethniques : attitude et/ou comportement arrogant, · provocant,
parfois brutal ;
- l'accusation plus systématique ;
- la détention abusive et injustifiée ;
- l'objection au cautionnement ;
�André NORMANDEAU
105
- le signalement et la référence plus systématique des jeunes issus
des minorités ethniques devant le Tribunal de la jeunesse ;
- la perquisition sans mandat.
Les manifestations de la discrimination par omission sont
les suivantes :
- le refus ou l'inadéquation des services ;
- l'inaccessibilité générale aux services ;
- la non-protection des minorités contre les délinquants issus des
minorités ;
- l'absence d'information sur les programmes de prévention
communautaire du crime ;
- l'incohérence du programme de relations avec les communautés.
Les constats du Comité Bellemare à ce sujet sont les
suivants :
A - L'image de la police
Plusieurs des 62 groupes qui ont témoigné devant le
Comité ont décrit l'une ou l'autre des discriminations par
commission ou omission dont certains de leurs membres avaient
été la victime. L'image globale de la police auprès des minorités,
façonnées par l'expérience personnelle ou par celle des autres, est
une image de répression et de discrimination plutôt qu'une image
de protection et de service public pour tous les citoyens,
indépendamment de leur origine ethnique. Un sondage auprès de
l'ensemble des citoyens de Montréal, réalisé pendant les travaux
du Comité, indiquait également, malgré un taux de satisfaction
générale élevé, que :
- 76 % des citoyens pensent que les policiers abusent trop souvent
de leurs pouvoirs ;
- 64% estiment que les policiers sont brutaux ;
- 53% croient que les policiers traitent mal les citoyens provenant
des minorités ethniques.
Cette perception négative est importante même si des
nuances doivent être esquissées puisque l'image n'est pas toujours
associée à la réalité. Mais comme le souligne le Comité : "Une
perception négative de la police ... constitue une cause de tension
énorme qu'il faut désamorcer ... En effet, dans un Etat
démocratique, la police est au service de toute la société et elle ne
peut prétendre remplir sa mission si une partie importante de
cette société, obnubilée par une image qui lui est hostile (à tort
ou à raison, peu importe) est coupée de contacts avec elle" (p.
85).
�106
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
B - Une étude empirique des arrestations
Le Comité a analysé un échantillon de 661 dossiers de
personnes arrêtées en 1987 pour les infractions suivantes :
troubler la paix, infraction contre un agent de la paix, voies de
fait (excluant les cas de violence conjugale), voies de fait contre
un officier ou un autre agent, et violence conjugale. L'étude
confirme l'existence d'un traitement différentiel :
- les jeunes non-Blancs de moins de 18 ans sont plus souvent
soupçonnés, observés, interpellés, enquêtés et "arrêtés" (3 fois plus
souvent) ;
- les arrestations, là où la discrétion et la subjectivité policières
sont plus susceptibles de jouer un rôle, affectent davantage les
citoyens non-Blancs : deux fois plus souvent, par exemple, pour
les voies de fait contre un officier ;
- les "prévenus" non-Blancs sont sujets à un taux de "détention"
supérieur (13 % de plus), alors que les motifs de détention
(dangerosité, risque de récidive, troubles de comportement ... )
sont par ailleurs similaires.
Une étude plus qualitative des activités policières en
matière de prévention communautaire suggère également, mais de
façon préliminaire, que les minorités ethniques ont moins accès
que les autres citoyens aux programmes de prévention.
Compte tenu de ces constatations, le Comité recommande
plusieurs changements au niveau de l'exercice des fonctions
policières. Par exemple : "Que des critères de promotion des
services de police ... tiennent expressément compte de la capacité
démontrée du candidat à oeuvrer dans un milieu multi-ethnique
et multi-racial et de sa connaissance des libertés et droits
fondamentaux, en particulier du droit à l'égalité" (p. 141).
En fait, les recommandations de fond à ce chapitre sont
étroitement liées aux quatre thématiques que le Comité a
analysées à fond et que nous allons maintenant résumer, à savoir :
- la système de recrutement et d'embauche des policiers ;
- la formation des aspirants policiers et des agents de la paix ;
- les mécanismes de contrôle et de sanction des atteintes aux
droits de la personne par des agents de la paix ;
- les relations de la police avec la communauté.
4. - LE SYSTEME DE RECRUTEMENT ET D'EMBAUCHE DES
POLICIERS
La réalité est brutale : 5 % des policiers seulement sont
issus des minorités ethniques alors que 30 % de la population de
la Communauté urbaine de Montréal est issue de ces minorités.
Une question de justice sociale et économique s'impose. Une
�André NORMANDEAU
107
question de crédibilité et d'efficacité du Service de police,
également. Certes, des raisons "historiques" et "sociologiques"
peuvent expliquer en partie ce décalage. Plusieurs immigrants ont
quitté par exemple des pays "totalitaires" où la répression policière
et militaire sauvage les a éloignés à tout jamais, ou presque, de
cette "carrière", même lorsqu'ils vivent dorénavant en pays
démocratique. Leurs enfants ont souvent assimilé cette image
négative et ne songent même pas quelquefois à une carrière
policière. Toutefois, il ne faut pas exagérer cette image, surtout
pour les jeunes issus des minorités ethniques qui sont nés ou qui
vivent depuis longtemps en Amérique. En fait, d'autres raisons
expliquent en bonne partie l'accès limité des minorités à la
carrière policière. Les témoignages devant le Comité jettent un
éclairage sur "les perceptions et les comportements des minorités
quant à l'accès à la carrière policière" ainsi que sur "les
perceptions et les comportements vis-à-vis des minorités dans le
milieu de travail".
Dans le premier cas, le Service de police est vu comme
uns service "réservé" dont les minorités sont exclues. Le Service
est perçu comme un service peu accueillant, sinon hostile aux
minorités. L'e/f et de dissuasion est évident.
Dans le second cas, la faible représentation de policiers
issus des minorités contribue à maintenir les préjugés des
policiers issus de la majorité à l'égard des minorités. La faible
représentation crée aussi une tension favorable au harcèlement des
quelques policiers "ethniques" par les autres policiers. Cette sousreprésentation freine également la mobilité professionnelle des
policiers minoritaires.
Règle générale, l'absence ou la faiblesse de représentation
ne permet pas aux jeunes des minorités d'avoir des "modèles"
auxquels ils pourraient s'identifier et qui auraient un pouvoir
d'attraction pour les amener à choisir la carrière policière.
Pourtant, un certain nombre de jeunes des minorités se
présentent au "concours" d'embauche. Un traitement différentiel
et peut-être discriminatoire les y attend.
Précisons au départ que le taux de scolarité et le taux de
succès pré-universitaire sont sensiblement égaux entre les jeunes
de la majorité et ceux des minorités. Mais peu de ces derniers,
toutes proportions gardées, se présentent, par choix personnel,
aux examens d'entrée à la carrière policière, compte tenu. de
l'effet de dissuasion mentionné plus haut. Parmi ceux qui se sont
présentés, une étude du Comité permet de tracer le portrait des
"handicaps" inhérents au système d'embauche lui-même.
L'étude analyse en détail le processus de sélection : le
prérequis académique minimum exigé (le diplôme collégial du
Québec équivalent au lycée français) : l'examen médical ;
�108
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
l'évaluation psychologique ; l'évaluation physique ; l'enquête
socio-légale et l'entrevue de sélection. L'étude du taux de réussite
à chaque étape et de façon globale indique que les candidats issus
du groupe majoritaire ainsi que ceux des minorités ethniques
"non-visibles" (par exemple les citoyens d'origine italienne ... ) ont
un taux de réussite relativement semblable. Toutefois, le taux de
réussite des candidats "visibles" (par exemple, les citoyens noirs)
est trois fois moindre que celui des deux autres groupes.
Face à cette situation, le Comité propose un programme
d'accès à l'égalité (P.A.E.) pour briser le cercle vicieux de la
sous-représentation des policiers "ethniques". Les effets suivants
sont poursuivis :
- un ef/et d'entraînement où l'accent est mis sur la fixation
d'objectifs numériques à l'intérieur d'un échéancier réaliste ;
- un effet de solidarité qui se manifeste par des appuis mutuels,
par la diffusion d'information sur les pratiques de travail, par la
présence de modèles ;
- un effet de di/ fusion qui permet d'effacer peu à peu les
stéréotypes et les préjugés ;
- un efJet de promotion qui permet aux policiers minoritaires
d'accéder à des postes supérieurs et facilité l'intégration de
nouvelles recrues.
Comme le souligne le Comité :
"L'atteinte d'une masse critique est essentielle pour que le
mouvement vers l'égalité des résultats devienne irréversible. A
cela s'ajoute aussi l'assainissement des pratiques et des politiques
d'emploi préjudiciables aux membres des groupes-cibles. Plus un
programme d'accès à l'égalité sera vigoureux dès ses débuts,
facilitant ainsi la réalisation des objectifs numériques souhaités,
plus la masse critique sera atteinte rapidement" (p. 202).
Dans cette perspective, deux recommandations principales
à ce chapitre méritent notre attention, à savoir :
- Que le Service de police de la Communauté urbaine de
Montréal mette sur pied un programme d'accès à l'égalité, dans le
but d'augmenter le nombre de policiers issus des minorités
visibles à environ 10 % de ses effectifs policiers ... (p. 203).
- Que l'entrevue de sélection soit structurée de manière à
diminuer le risque de subjectivité et à augmenter sa fiabilité :
a) que les comités de sélection soient toujours formés de trois
membres, dont un issu des minorités visibles et ethniques-;
b) qu'une personne extérieure aux corps policiers soit appelée à
siéger à chaque Comité de sélection ;
c) que les membres des comités de sélection reçoivent, avant
d'exercer leurs fonctions, une formation adéquate sur la réalité
multiculturelle (p. 125).
�André NORMANDEAU
109
5. - LA FORMATION DES ASPIRANTS POLICIERS ET DES
AGENTS DE LA PAIX
Dans les grandes villes nord-américaines et européennes,
les policiers sont-ils préparés à travailler et à intervenir dans un
contexte urbain multi-ethnique et multi-racial ? Règle générale,
la réponse est négative. A Montréal, comme ailleurs, comment
améliorer la situation ?
La première étape précède la formation policière.
L'éducation générale, au niveau primaire et secondaire, doit de
plus en plus s'inspirer de la réalité interculturelle. Non seulement
pour mieux préparer les policiers de l'avenir, mais également tous
les citoyens.
La formation spécifique des policiers au Québec a lieu
successivement aux trois paliers suivants :
- le collège d'enseignement général et professionnel
- l'institut de police du Québec
- le service de police
Le collège est un cycle d'études de deux ans (préuniversitaire) ou de trois ans pour ceux qui, comme les policiers,
sont embauchés en grande majorité sur la base d'un diplôme
collégial. Les dix dernières semaines de ce cycle ont lieu à
l'Institut de police du Québec. Le Comité a constaté que, malgré
certains efforts récents, l'enseignement à portée interculturelle
était trop limité autant au collège qu'à l'Institut.
Deux recommandations substantielles, l'une au niveau du
contenu des cours (p. 230), l'autre au niveau de la pédagogie (p.
232), se sont ainsi imposées :
- Que le corpus des cours obligatoires soit élargi afin d'y inclure
de nouveaux cours conçus en fonction de la diversité culturelle et
adaptés à la fonction policière, le contenu de ces nouveaux cours
devant englober les thèmes suivants :
* race, culture, relations inter-ethniques ;
* migration, intégration, rapports majorité-minorités ;
* dynamique des préjugés : causes et conséquences ;
* évolution et composition ethno-culturelle des sociétés canadienne et québécoise ;
* groupes ethniques au Québec : traditions, valeurs et attitudes ;
* police et minorités : connaissances et stratégies d'intervention ;
* droits de la personne et opérations policières ;
* déontologie policière.
- Que les exposés soient complétés par des méthodes pédagogiques "actives" :
* recherche documentaire sur les particularismes de diverses
minorités visibles et ethniques ;
�110
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
* études de cas, inspirées de la jurisprudence relative à des
litiges entre la police et les minorités ethniques ;
* mise en situation et alternance des rôles en laboratoire, avec
l'utilisation du magnétoscope pour la rétroaction ;
* jeu de décision simulé sur papier (prévision) et dans l'action
(réalisation) ;
* échanges avec des personnes - ressources représentant les
minorités ethniques ;
* visites-rencontres dans les quartiers ethniques et participation
à des activités communautaires planifiées.
Au-delà de cette formation de base au collège et à
l'Institut de police du Québec, un enseignement approprié à la
pratique quotidienne des policiers doit se poursuivre au cours de
toute la carrière policière. Comme d'autres professionnels, les
policiers se "recyclent" constamment dans le cadre d'une
formation continue. Dans cette perspective, le Comité a approuvé
l'initiative du Service de police de Montréal qui, depuis 1986, a
dispensé à tous les policiers "en exercice", du simple agent aux
officiers de la direction, une "session de sensibilisation aux
réalités multiculturelles" d'une durée de deux jours. Le Comité
suggère toutefois d'étoffer le contenu et la pédagogie de cette
session.
Une remarque est intéressante pour le criminologueprofesseur intéressé à la recherche. En effet, le Comité encourage
la recherche-action :
"Améliorer la formation interculturelle nécessite une ouverture
sur des méthodes innovatrices, tant sur le plan des relations entre
les policiers et les citoyens que sur celui de l'investigation même.
La création d'un laboratoire de recherche consacré à
l'intervention policière en milieu ethnique pourrait contribuer
fortement à la découverte de nouvelles approches et stimulerait
un esprit d'ouverture et d'adaptation de la part du personnel
enseignant et des étudiants" (p. 251 ).
6. - LES MECANISMES DE CONTROLE ET DE SANCTION
DES ATTEINTES AUX DROITS DE LA PERSONNE PAR DES
AGENTS DE LA PAIX
Traditionnellement, même en pays démocratique, le
contrôle de la police repose entre les mains d'autres policiers, du
moins en ce qui concerne la discipline et la déontologie. Le
modèle est paramilitaire. L'administration de la discipline est
considérée comme une affaire rigoureusement interne et privée,
n'intéressant que les policiers, les seuls considérés compétents
pour apprécier, et surtout juger, le comportement d'autres
policiers. Cette situation est encore la norme dans la plupart des
�André NORMANDEAU
111
pays européens. En France, par exemple, la police est contrôlée
par des policiers qui travaillent au sein de l'inspection Générale
des Services (I.G.S.) et de l'inspection Générale de la Police
Nationale (I.G.P.N.). Certes, les représentants de la société civile
française devraient un jour siéger sur le comité de discipline ou
de déontologie policière, mais, sauf la promulgation en 1986 d'un
nouveau "Code de déontologie de la police nationale", le citoyen
n'est toujours pas représenté dans les comités qui ont la mission
d'appliquer le Code. Le livre récent de J.M. Ancian, La police
des polices (1988), nous en trace le portrait.
Par contre, en Amérique, plusieurs réformes à ce chapitre
ont été mises en vigueur depuis le milieu des années 70 (Shearing,
1981). Aux Etats-Unis, la présence d'un certain nombre de
citoyens au sein des comités de discipline policière est acquis,
sous une forme ou sous une autre, même si le "Civilan Review
Board" est souvent contesté par les syndicats de policiers (Barker
et Carter, 1986). Au Canada anglais, Toronto a innové dès 1981
avec la création d'un Commissaire civil aux plaintes qui, entouré
d'une équipe, enquête de nouveau si le plaignant n'est pas
satisfait de l'enquête initiale de la police ou de la sanction choisie
par le comité de discipline et la direction du service de police. De
plus, le commissaire peut référer le dossier à un tribunal
administratif pour un ré-examen public du bien-fondé de
l'accusation ainsi que de la sanction. Ce tribunal ("Board on
inquiry") est constitué d'un juriste (si le cas est "mineur") ou d'un
juriste et deux civils (si le cas est "majeur"). La décision est alors
exécutoire. Toutefois, un droit d'appel est prévu devant un
tribunal de droit commun (Lewis, Linden et Keene, 1986). Le
"Public Complaints Commissioner" est également contesté par les
policiers de Toronto, mais il poursuit son travail depuis huit ans.
Au Québec, la Communauté urbaine de Montréal s'est d'abord
dotée d'un nouveau "Code de déontologie policière" en 1978. Ce
texte s'écartait du modèle para-militaire et y substituait un
régime disciplinaire inspiré, en l'adaptant, du modèle de la
discipline professionnelle fixée par le Code des professions. En
1984, le Comité d'examen des plaintes était dorénavant constitué
de quatre policiers et de trois civils, dont le président.
Toutefois, et il est important de le souligner, la présence
des civils au sein des comités d'examen des plaintes ou même des
comités de discipline s'inscrit, règle générale, dans un système où
la décision finale relève toujours de la direction de la police. La
comité "recommande" mais le directeur "dispose", aux Etats- Unis,
au Canada et au Québec. Du moins jusqu'à tout récemment ...
C'est dans ce contexte que le Comité Bellemare a analysé
le fonctionnement au cours des dernières années du Comité
d'examen des plaintes et du Comité de discipline du Service de
�112
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
police de Montréal. Une étude de 106 dossiers de plaintes contre
des policiers de Montréal jette un éclairage, entres autres, sur la
discrimination des plaignants non- blancs. Par exemple :
- il existe deux fois plus d'allégations d'usage de force injustifié
envers des citoyens non-blancs qu'envers des citoyens de toutes
les autres origines ;
- le plaignant non-blanc, alléguant l'usage de "force injustifiée"
de la part du policier, voit sa plainte "classée" ou rejetée trois fois
sur quatre (75 %), alors que le plaignant blanc ne voit sa plainte
"classée" ou rejetée qu'une fois sur quatre (25 %) ;
- par ailleurs, alors que le plaignant blanc obtient la citation du
policier en discipline deux fois sur trois (63 %), le plaignant nonblanc n'obtient la citation qu'une fois sur trois (37 %).
Le Comité Bellemare a donc proposé un changement
important au système de contrôle de la police afin de le rendre
impartial, plus transparent, plus crédible et plus juste, non
seulement pour les minorités ethniques mais pour tous les
citoyens. Le Comité établit d'abord la distinction entre "la faute
de service" et "l'acte dérogatoire à la déontologie policière". La
faute de service est "un manquement à une règle de conduite,
commune aux membres d'un même corps de police, destinée à y
faire régner l'ordre et imposée par un supérieur à ses
subordonnés". Le directeur du service de police en conserve la
gestion. Toutefois, le directeur perd dorénavant sa juridiction
traditionnelle sur l'acte dérogatoire à la déontologie policière :
"celui qui porte atteinte aux droits et libertés de la personne
établis par la Charte des droits et libertés de la personne ou celui
qui affecte les relations entre les policiers et le citoyen ou un
groupe de citoyens, en produisant à leur endroit des effets
préjudiciables. Il peut consister en un acte, une omission, des
paroles ou des gestes du policier "(p. 300). Le nouveau système de
contrôle de la police proposé par le Comité s'adresse
exclusivement à l'acte dérogatoire au Code de déontologie
policière. Ce nouveau Code sera édicté par le Gouvernement du
Québec et il sera valable pour l'ensemble des policiers du Québec.
Le ministre de la justice du Québec et le Gouvernement du
Québec ont déjà accepté les principales recommandations du
Comité à ce sujet. L'Assemblée nationale du Québec a d'ailleurs
voté à l'unanimité, le 22 décembre 1988, la réforme de la
discipline et de la déontologie de la police.
Un commissaire "civil", le Commissaire aux plaintes du
citoyen en matière de déontologie policière, est dorénavant
responsable de recevoir la plainte et d'enquêter. Dans certains cas,
il a un rôle de médiateur entre le citoyen et le policier. Son
intervention est éducative et préventive. Dans d'autres cas, il a un
rôle répressif. Il transmet alors le dossier et il présente la preuve
.
-·
�André NORMANDEAU
113
devant le Comité de déontologie policière. Ce comité est constitué
d'un juriste, d'un policier et d'un civil. Le comité siège
publiquement, sauf exception, et il entend le plaignant, le policier
et les témoins. Il décide du bien-fondé de l'accusation et de la
culpabilité de l'accusé. Les pouvoirs de sanction du comité
englobent l'avertissement, la réprimande, la suspension et le
congédiement. La décision du comité est exécutoire. Toutefois, le
citoyen, s'il n'est pas satisfait, ou le policier, s'il est sanctionné,
possède un dernier recours : un droit d'appel, tant sur le bienfondé de la dénonciation que sur la sanction, devant un tribunal
d'appel. Le Comité Bellemare avait suggéré à ce sujet un tribunal
du droit commun. Le Gouvernement du Québec a préféré un
tribunal administratif : le Tribunal de déontologie policière. Le
tribunal est constitué d'un juge, de deux juristes, d'un policier et
d'un civil. La décision du tribunal est finale.
Même si le nouveau système de contrôle de la police
proposé par le Comité Bellemare s'applique à tous les citoyens, le
Comité, fidèle à son mandat officiel, a évidemment proposé que,
là où le nombre de citoyens issus des minorités ethniques le
justifie, des représentants de ces minorités soient nommés au sein
du Comité de déontologie policière ainsi qu'au sein du Tribunal
de déontologie policière. De plus, si le Commissaire aux plaintes
du citoyen décide que l'accusation n'est pas fondée, le citoyen
peut soumettre de nouveau sa plainte devant un Comité de
révision constitué également d'un juriste, d'un policier et d'un
civil dont certains seront des citoyens issus des minorités.
Mentionnons aussi que le Commissaire aux plaintes dirigera une
"équipe" d'enquêteurs civils et certains enquêteurs seront
"ethniques".
7. - LES RELATIONS AVEC LA COMMUNAUTE
Le thème des relations entre la police et la communauté,
particulièrement entre la police et les minorités ethniques, est un
thème populaire. Le citoyen souhaite, à juste titre, des relations
"cordiales" avec le policier, dans la perspective d'un service de
police démocratique, "au service du public".
Ce thème s'inscrit sur la toile de fond des relations
interculturelles plus générales. Par exemple, la "Déclaration du
Gouvernement du Québec sur les relations interethniques et
interraciales", adoptée le 10 décembre 1986, condamne sans
réserve le racisme et la discrimination raciale sous toutes leurs
formes et prend un certain nombre d'engagements solennels. La
Commission des droits de la personne du Québec, par son mandat
de promouvoir les principes de la Charte des droits et libertés de
la personne par toutes les mesures appropriées, est le pivot de
�114
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
cette lutte contre le racisme et la discrimination raciale. Pour la
conseiller, la Commission a créé un Comité de concertation sur les
relations interethniques et raciales. Le ministère des Communautés
culturelles et de l'immigration du Québec, pour sa part, favorise
par ses actions des "relations interculturelles harmonieuses".
L'organisme-conseil du ministère, le Conseil des communautés
culturelles et de l'immigration, contribue, par ses travaux et ses
avis publics, à la réalisation d'une politique d'éducation
interculturelle. La majorité de ses membres sont issus des
minorités ethniques.
Au niveau plus spécifique de la Communauté urbaine de
Montréal, un Comité consultatif sur les relations interraciales
recommande régulièrement aux autorités publiques des politiques
en matière de relations interculturelles, en particulier au niveau
des transports publics et de la policeo Au sein même du Service
de police de Montréal, une "politique de relations avec la
communauté" a été formulée en 1985. Elle s'appuie sur les chartes
des droits de la personne et affirme que : "Le Service n'admet
aucune forme de discrimination ou de brutalité". Cet énoncé de
politique a été suivi du développement d'un "Programme de
relations avec la communauté" où la reconnaissance de la réalité
interculturelle est dû.ment inscrite.
Une analyse détaillée des initiatives concrètes menées par
le Service de police de Montréal au nom de ce programme a
permis au Comité Bellemare de constater le sérieux des intentions
du Service au cours des dernières années. Toutefois, le Comité
s'est inquiété des carences en ressources humaines, matérielles et
financières qui accompagnent la mise en vigueur du programme.
Malgré le contexte financier serré des administrations
publiques depuis quelques années, le Comité Bellemare a
recommandé aux autorités publiques un effort financier
additionnel pour améliorer les relations entre la police et la
communauté, entre la police et les minorités ethniques. De façon
particulière, il favorise le rapprochement "actif" entre la police et
les associations de la communauté et des minorités ethniques par
la création de comités de consultation, de concertation, d'action,
au niveau régional et au niveau local.
8. - CONCLUSION
Sir Robert Peel, le "père" de la police moderne, déclarait
dès 1829 que la police doit maintenir des relations de bon aloi
avec la communauté et avec tous les citoyens sans exception. "La
police, c'est le public", disait-il. "Et le public, c'est la police".
Le problème des relations police-minorités s'inscrit
précisément dans cette tradition. Les représentants des groupes
�André NORMANDEAU
115
ethniques ne sont pas satisfaits, règle générale, de la qualité de
ces relations. Ils exigent à juste titre que le souhait de Sir Robert
Peel soit appliqué autant aux relations police-minorités, qu'aux
relations police-communauté dans son ensemble.
Les prochaines années à ce chapitre seront importantes
pour la justice, d'autant plus que le taux de natalité des
populations "de souche" des grandes villes nord-américaines et
européennes est toujours très faible alors que le nombre
d'immigrants augmente sensiblement. Si la tolérance est un test de
civilisation, la qualité des relations police-minorités sera bientôt
le baromètre de cette tolérance autant à Montréal qu'à New York,
Paris, Bruxelles, Genève et ailleurs.
La criminologie a contribué depuis belle lurette à élargir
"le corridor de la tolérance" envers le déviant et le criminel. Nous
espérons que la criminologie contribuera également par ses
réflexions, ses études et ses recherches ainsi que par ses
recommandations en matière de politiques à créer un système de
relations police-communauté et police-minorités de haut calibre
sur le plan humain et professionnel.
En conclusion, un rappel des principales recommandations
du Comité Bellemare :
1 - Les fonctions policières : Modifier l'exercice des fonctions
policières de manière à assurer le respect intégral des droits et
libertés de la personne.
2 - Le recrutement des policiers : Favoriser l'accès des minorités
ethniques à la fonction policière, notamment par l'implantation de
programmes d'accès à l'égalité dans l'emploi.
3 - La formation des policiers : Accroître les connaissances et
développer les aptitudes des policiers à oeuvrer adéquatement
dans un milieu multi-ethnique et multi-culturel.
4 - La discipline et la déontologie policière : Assurer un meilleur
contrôle et une plus grande surveillance des atteintes aux droits et
libertés de la personne en nommant des civils au sein des comités
de discipline et de déontologie policière.
5 - Les relations police-communauté : Améliorer les relations
entre les citoyens issus des minorités ethniques et visibles et la
police.
�116
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
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PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
UHLMAN T.M. (1979): Racial justice, Lexington: D.C. Heath.
Vaucresson
Centre de recherche interdisciplinaire de
Vaucresson, CNRS et ministère de la Justice, France (I 980-1989).
Le Centre a publié plusieurs travaux de recherche sur les
immigrants et la justice en France.
WILBANKS W. (1987) : The myth of a racist criminal justice
system, California : Brooks/Cole.
�André NORMANDEAU
119
ANNEXE
JUSTICE ET MINORITES ETHNIQUES
BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE
Emerson Douyon
André Normandeau
Université de Montréal
Université de Montpellier
Université d'Aix-Marseille III
INTRODUCTION
Le thème "Justice et minorités ethniques" est l'un des plus
riches de la littérature criminologique nord-américaine. Les
criminologues américains, en particulier, ont été fascinés par les
relations entre le système de justice (police, tribunal, prison ... ) et
les noirs américains.
Plus de 500 livres et articles américains ont été publiés sur
le sujet depuis 1950. Nous avons donc sélectionné les livres
américains les plus importants et ceux qui ont l'avantage de tracer
le bilan de plusieurs études. Pour le Québec et le Canada,
toutefois, la littérature est moins abondante et nous avons retenu
tous les rapports, livres et articles pertinents. Pour les autres pays,
la littérature spécifique sur le sujet est dispersée. Nous avons
donc soulignés les documents les plus significatifs.
�120
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
1 - LE QUEBEC
JA - Le Comité Bel/emare ( 1988)
BELLEMARE J. (Président), LABONTE A. (Secrétaire)
ALCINDOR M., NORMANDEAU A.
PELLETIER J.,
TAYLOR H. (1988) : Rapport final / Comité d'enquête sur les
relations entre les corps policiers et les minorités visibles et
ethniques, Montréal : Commission des droits de la personne du
Québec / Ministère de la justice du Québec, 3 tomes : 412 pages,
191 pages et 64 pages.
BELLEMARE J. (Président), LABONTE A. (Secrétaire)
ALCINDOR M., NORMANDEAU A.
PELLETIER J.,
TAYLOR H. (1988) : Experts /rom final report / Investigation
into relations between police forces, visible and other ethnies
minorities, Montréal : Commission des droits de la personne du
Québec / Ministère de la justice du Québec, 65 pages. Traduction
complète en préparation ( 1989).
Comité d'enquête sur les relations entre les corps policiers et les
minorités visibles et ethniques (1988), Président : J. Bellemare :
- Revue de presse du 1er janvier au 30 juin 1988
- Inventaire des 62 mémoires reçus
- Inventaire des documents officiels reçus du Service de police de
la Communauté urbaine de Montréal
1B - Rapports au Comité Bel/emare
BERTHIAUME M· (1988) : Formation des policiers et des
aspirants policiers, Rapport au Comité d'enquête, 95 pages.
DOUYON E. (1988) : Formation des policiers et des aspirants
policiers, Rapport au Comité d'enquête, 36 pages.
JC - Mémoires au Comité Bellemare (sélection)
Centre de recherche-action sur les relations raciales (1988)
Mémoire au Comité d'enquête, 26 pages.
Collège d'enseignement général et professionnel, Maisonnèuve et
Ahuntsic (1988) : Mémoire au Comité d'enquête, 32 pages.
Communauté urbaine de Montréal (1988) : Mémoire au Comité
d'enquête, 15 pages.
�André NORMANDEAU
121
Conseil des communautés culturelles et de l'immigration du
Québec (1988) : Mémoire au Comité d'enquête, 56 pages.
Fédération des policiers du Québec (1988) : Mémoire au Comité
d'enquête, 95 pages.
Institut de police du Québec (1988)
d'enquête, 15 pages.
Mémoire au Comité
Ligue des droits et libertés (1988) : Mémoire au Comité d'enquête,
23 pages.
Office des droits des détenus (1988)
d'enquête, 66 pages.
Québec Multi-Plus (1988)
pages.
Mémoire au Comité
Mémoire au Comité d'enquête, 25
Service de police de la Communauté urbaine de Montréal (1988) :
Mémoire au Comité d'enquête, 10 pages.
S.O.S. Racisme / Québec (1988 : Mémoire au Comité d'enquête,
10 pages.
Y.M.C.A. / Montréal (I 988)
pages.
Mémoire au Comité d'enquête, 15
JD - Rapports, livres et articles sélectionnés
ADONIS A. et collaborateurs (1987) : Proposition pour un cours de
formation interculturelle à l'intention des étudiants en techniques
policières au C.E.G.E.P. Montréal : Centre de Recherche-Action
sur les relations raciales, 13 pages.
Apprentissage et socialisation ( 1987) : Aspects d'un Québec multiethnique, Numéro spécial de la revue, 10, 2, printemps, Montréal.
ARTHUR H., AVRIL A., ETIENNE P., TURCOTTE P. (19&8) :
L'intervention interculturelle, Montréal : Collège Marie-Victorin.
BEAULIEU M. (1986) : Le criminologue québécois et l'intervention
auprès des groupes ethniques, Mémoire de maîtrise de l'Ecole de
criminologie de l'Université de Montréal, 177 pages.
�122
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
BEAULIEU M., BRILLON Y., NORMANDEAU A. (1986): Les
attitudes de la population envers la police de la Communauté
urbaine de Montréal, Université de Montréal, Centre international
de criminologie comparée, 125 pages.
BEAULIEU M., NORMANDEAU A. (1987a): "Le criminologue
québécois et l'intervention auprès des groupes ethniques", in L.
Walgrave, dir., Changements de société et délinquance juvénile,
Leuven, Belgique : A.C.C.O., pp 249-265.
BEAULIEU M., NORMANDEAU A. (1987b) : Evaluation des
sessions de sensibilisation aux réalités multiculturelles au Service
de police de la Communauté urbaine de Montréal, Université de
Montréal, Centre international de criminologie comparée, 34
pages.
Centre de recherche et d'analyse en sciences humaines (1986) :
Police / Session de sensibilisation aux réalités multiculturelles,
Montréal : SS d CC, 10 pages.
CHERIF M., NIEMI F. (1984) : And justice for ail / A report on
the relations between the police and visible minorities in Montréal,
Montréal : Centre de recherche-action sur les relations raciales,
463 pages.
Comité consultatif du Président du Comité exécutif de la
Communauté urbaine de Montréal sur les relations interculturelles
et interraciales (1985-1989) : Plusieurs rapports, Montréal :
C.U.M.
Commission de police du Québec (1988) : Rapport d'enquête sur la
conduite de l'agent Allan Gasset lors d'un événement survenu à
Montréal le 11 novembre 1987, au cours duquel Anthony Griffin
fut blessé mortellement, Québec : C.P.Q., 40 pages.
Conseil / Commission de sécurité de la Communauté urbaine de
Montréal (1980-1989) : Plusieurs rapports, Montréal : C.U.M ..
DOUYON E. (1984) : "Crimes rituels et mort apparente en Haïti :
vers une synthèse critique", Anthropologie et société, 8, 2, 8=7-120.
DOUYON E. (1985a) : "Les minorités ethniques au Québec :
enjeux et pratiques d'intervention", in : J. Comaille, dir.,
Immigration, multiethnicité et socialisation des jeunes, Paris/
Vaucresson
Centre de recherche interdisciplinaire de
Vaucresson, pp. 39-52.
�André NORMANDEAU
123
DOUYON E. (1985b) : "Intervenir sur la différence : un défi",
Revue internationale d'action communautaire, 14, 1, 113-119.
DOUYON E. ( l 987a) : "Identité, ethnicité et délinquance dans le
Québec d'aujourd'hui", Revue internationale de criminologie et de
police technique, 60, 4, 460-465.
DOUYON E. ( l 987b) : "Migration et délinquance : perspectives
comparatives", in : L. Walgrave, dir., Changements de société et
délinquance juvénile, Leuven, Belgique: ACCO, pp. 241-247.
DOUYON E., DUBREUIL G. et collaborateurs (1988a)
Pratiques d'intervention et minorités ethniques au Québec, Cahier
du Centre de recherches Caraïbes de l'Université de Montréal, 97
pages.
DOUYON E. (1988b) : "De l'expertise à l'intervention en milieu
interculturel", in Travail social et pluralisme culturel, Montréal :
Le Centre interculturel Monchanin, numéro thématique de la
Revue lnterculture, 21, 3, 100-110.
Echo professionnel (1988) : La question éthnique, Numéro spécial
du journal du Conseil consultatif du personnel clinique du Centre
de services sociaux de Montréal métropolitain, l, 4, autonome,
Montréal.
KABUNDI, M. (1988) : "Jeunes immigrés, marginalité et déviance
au Québec", Revue Beccaria, 1, 1, 55-65.
METELLUS J. (1988) : Etude exploratoire de la délinquance des
jeunes Haïtiens au Québec, Mémoire de maîtrise de !'Ecole de
criminologie de l'Université de Montréal.
NORMANDEAU
septembre, p. 4.
A.
(1988) : "Police
et
racisme",
Justice,
NORMANDEAU A. (1989) : "La police et le racisme au Canada",
Revue de droit pénal et de criminologie, 69, 2, 149-155.
NORMANDEAU A. (1989) : "Le système de justice est-il
raciste ?", Revue canadienne de criminologie, 31, 4, 410-420.
PIRES A.P., LANDREVILLE P. (1985) : "Les recherches sur les
sentences et le culte de la loi", L'Année sociologique, 35, 1, 83113.
�124
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
POSSIBLES (1988) : Le Québec des différences
Numéro spécial de la revue, 12, 3, été, Montréal.
culture d'ici,
RIBORDY F.X. (1970) : Conflits de culture et criminalité des
Italiens à Montréal, Thèse de doctorat de l'Ecole de criminologie
de l'Université de Montréal, 150 pages.
RIBORDY F.X. (1971) : "Conflits de culture et criminalité des
migrants italiens", Revue canadienne de criminologie, 13, 1, 24-42.
Ouellet F. (1987) : Manuel de formation interculturel/e pour les
éducateurs, Collectif de recherches interculturelles, Université de
Sherbrooke.
2 - LE CANADA
2A - Comités d'enquête nationaux
Association des chefs de police du Canada ( 1984-89), Plusieurs
rapports, Ottawa : A.C.P.C.
Comité sur les minorités visibles dans la société canadienne
(1984), L'égalité, ça presse !, Ottawa: Gouvernement du Canada.
Multiculturalisme Canada (1980-89) : Plusieurs rapports, Ottawa :
Gouvernement du Canada.
2B - Comité d'enquête en Ontario
CARTER G.E. (1979) : Police report to the civic authorities of
Metropolitan Toronte and its citizens, Toronto : Archidiocese of
Toronto.
Council on race relations and policing ( 1976-89)
rapports, Toronto.
Plusieurs
DA VIS W. (1980) : Report of the task force on the racial and
ethnie implications of police hiring, training, promotion and career
development / Policing in Ontario for the 'eighties, Toronto :
Ontario, Solicitor General.
�André NORMANDEAU
125
Greater Toronto working group on policing in multicultural,
multiracial urban communities (1984-89) : Plusieurs rapports,
Toronto.
Hickling-Johnston report on the Metropolitan Toronto police
(1982), Toronto.
MALONEY A. (1975) : Report to the Metropolitan Toronto board
of commissioners of police, Toronto.
Metropolitan Toronto board of commissioners of police (I 970-89):
Plusieurs rapports, Toronto,
MORAND D.R. (1976) : Report of the Royal Commission into
Metropolitan Toronto police practices, Toronto.
PITTMAN W. (1977) : Now is not too late, Toronto : Task force
on police.
Police public complaints commissioner (I 983-89)
rapports, Toronto.
Plusieurs
Toronto mayor's committee on community and race relations
(1980-89), Plusieurs rapports, Toronto.
Urban alliance on race relations (1980-89)
Toronto.
Plusieurs rapports,
2C - Livres et articles sélectionnés
Association des chefs de police du Canada / Multiculturalisme
Canada (1984) : Compte rendu du colloque sur les services
policiers en milieu multiracial et multiculturel, Ottawa
Gouvernement du Canada.
BIENVENUE R.M., GOLDSTEIN J.E. editors (1985)
and ethnie relations in Canada, Toronto : Butterworths.
Ethnicity
CRYDERMAN B.K., O'TOOLE C.N. (1986) : Police, race and
ethnicity / A guide for law en/orcement officers, Toronto :
Butterworths.
HAGAN J. (1985) : "Toward a structural theory of crime, race
and gender : the Canadian case", Crime and delinquency, 31, 1,
129-146.
�126
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
LEE J.A. (1981) : "Sorne structural aspects of police deviance in
relations with minority groups", in C.D. Shearing, editor,
Organizational police deviance, Toronto : Butterworths, pp. 49-82.
LEWIS C.E., LINDEN S., KEENE J. (1986) : "Public complaints
against police in Metropolitan Toronto - The history and
operation of the office of the public complaints commissioner",
Criminal Law Quarter/y, 29, 1, 115-144.
McMAHON M.W., ERICSON R.V. (1985) : "Reforming the police
and policing reform", in R.S. Ratner et J.L. McMullan, editors,
State control / Criminal justice politics in Canada, Toronto :
Butterworths, pp. 38-68.
3 - LES ETA TS- UNIS
3A - Comité d'enquête
Center for the study of race, crime and social policy (1980-89),
Plusieurs rapports, Oakland, School of Criminal Justice,
University of California.
Center on minorities and criminal justice (1980-89), Plusieurs
rapports, Albany, School of Criminal Justice, New York State
University.
Report,
National advisory commission on civil disorders (1968)
Washington, D.C. : U.S. Government.
National advisory committee on criminal justice standards and
goals (1976), Washington, D.C. : U.S. Government.
National Comission on the causes and prevention of violence
(1969), Washington, D.C. : U.S. Government.
National minority advisory council on criminal justice (1982) :
The inequality of justice : a report on crime and the
administration of justice, Washington, D.C. : U.S. Govern~ent.
3B - Livres sélectionnés
BRICE H.J., editor (1977)
Black crime
review,Washington, D.C. : Police Foundation.
a
police
�André NORMANDEAU
127
BLUMSTEIN A. et al, editors (1983) : Research on sentencing /
The search for reform, Washington, D.C. : National Academy
Press.
CARROLL, L. (1974) : Hacks, blacks and cons : race relations in
a maximum security prison, Lexington : D.C. Heath.
CURTIS L.A. (1975) : Violence, race and culture, Lexington
D.C. Heath.
DAVIS K.C. (1977) : Discretionary justice, Urbana: University of
Illinois Press.
GARY L.E., BROWN L.P., editors (1975) : Crime and its impact
on the black community, Washington, D.C. : Howard University
Press .
. GEORGES-ABEYIE D., editor (1984) : The criminal justice
system and blacks, New York : Clark Boardman.
JONES H. (1981) : Crime, race and culture, New York: Wiley.
LEINEN S. (1984) : Black police, white society, New York : New
York University Press.
LONG E. et al. (1975) : American minorities
Englewood Cliffs, N.Y. : Prentice-Hall.
the justice issue,
MANN C.R. (1989) : Minorities, crime and public policy, En
préparation.
McNEELY R.L., POPE C.E., editors (1981)
criminal justice, California : Sage.
Race, crime and
OWENS C.E., BELL J. (1977) : Blacks and criminal justice,
Lexington : D.C. Heath.
PERRY, R.W. (1977) : Racial discrimination and military justice,
New York : Praeger.
PETERSILIA J. (1983) : Racial disparities in the criminal justice
system, California : Rand Corporation.
REASONS C.E., KUYK.ENDALL J.L. editors (1972)
crime and justice, California : Goodyear.
Race,
�128
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
SELLIN T. (1938) : Culture con/lite and crime, New York : Social
Science Research Council.
SELLIN T. (1976) : Slavery and the penal system, New York
Elsevier.
SELLIN T. (1984)
Editions Pedone.
Conflits de culture et criminalité, Paris
SIMPSON G.E., YINGER J.M. (1987) : Racial and cultural
minorities / An analysis of prejudice and dircrimination, New
York : Plenum Press.
TAUB R.P., TAYLOR D.G., DUNHAM J.D. (1984) : Paths of
neighborhood change : race and crime in urban America, Chicago :
University of Chicago Press.
UHLMAN T.M. ( 1979) : Racial justice : black judges and
defendants in an urban trial court, Lexington : D.C. Heath.
WILBANKS W. (1987) : The myth of a racist criminal justice
system, California : Brooks/Cole.
WOLFGANG M.E., COHEN B. (I 970) : Crime and race :
conceptions and misconceptions, New York : Institute of Human
Relations Press.
WOODSON R.L., editor (1977) : Black perspectives on crime and
the criminal justice system, Boston : G .K. Hall.
4 - L'EUROPE
BROWN J., editor (1984) : Policing and social policy / The
Crandield-Wolfson colloquium on multiethnic areas in Europe,
London : Police Review Publication.
Comité européen pour les problèmes criminels (1987) : Les
réactions sociales au comportement délinquant des jeunes issus de
f ami/les migrantes, Strasbourg : Conseil de l'Europe.
Howard Journal of Criminal Justice (1987) : Numéro spécial de la
revue, 26, 4, novembre, Londres.
�André NORMANDEAU
129
JUNGER M. (1988) : La délinquance juvénile des migrants de la
deuxième génération : essai de bilan des recherches européennes",
in J. Schuh, dir., Jeunesse et délinquance, Grusch, Suisse : Verlag
Ruegger, pp. 223-284.
5 - LA FRANCE
5A - Comités d'enquête
BONNEMAISON G. (1982) : Face à la délinquance : prévention,
répression, solidarité, Rapport de la Commission des maires sur la
sécurité au Premier ministre, Paris : La documentation française.
HANNOUN M. (1987) : L'homme est l'espérance de l'homme,
Rapport sur le racisme et les discriminations en France au
Secrétaire d'Etat auprès du Premier ministre chargé des droits de
l'homme, Paris : La documentation française.
PEYREFITTE A. (1977) : Réponses à la violence, Rapport du
Comité d'études sur la violence, la criminalité et la délinquance
au Premier ministre, Paris : La documentation française.
Rapport de la Commission constituée à l'initiative de la Ligue des
droits de l'homme sur les violences commises à l'occasion des
manifestations d'étudiants et de lycéens provoquées par le projet
de loi Devaquet (1987), Paris : Editions La Découverte.
Rapport de la Commission d'enquête de l'Assemblée Nationale sur
les manifestations d'étudiants et de lycéens de novembredécembre 1986 ( 1987), Paris : La documentation française.
5B - Livres et articles sélectionnés
ANCIAN J.M. (1988) : La police des polices, Paris : Balland.
Annales de Vaucresson (1980-89)
Plusieurs articles,
Paris/Vaucresson : Centre de recherche interdisciplinaire de
Vaucresson.
CAMILLERI C., dir. (1984) : Socialisation et déviance des jeunes
immigrés,
Paris/Vaucresson
Centre
de
recherche
interdisciplinaire de Vaucresson.
�130
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
CARL-HILL R.A. (1987) : "O bring me your poor : immigrants
in the French system of criminal justice", Howard Journal of
Justice, 26, 4, 287-302.
COMAILLE J., dir. (1985) : Immigration, multiethnicité et
socialisation des jeunes, Paris/Vaucresson : Centre de recherche
interdisciplinaire de Vaucresson.
COSTA-LASCOUX J., SOUBIRAN F. (1980) : "Travailleurs
immigrés et contrôle social / Actualités bibliographiques",
Déviance et société, 4, 3, 279-302.
Ecole nationale de la magistrature (1989)
au racisme, Paris, en préparation.
Justice et police face
FONTETTE F. de (1981) : Le racisme, Paris : P.U.F., Que sais-
. ?
Je
..
Institut d'études
et de
recherches
inter-ethniques
et
interculturelles de l'Université de Nice (1980-1988) : Plusieurs
rapports, Nice.
LAHALLE A. (1982) : La justice et la déviance des jeunes
immigrés, Thèse de doctorat de l'Ecole des hautes études en
sciences sociales de l'Université de Paris.
LEVI-STRAUSS C. (1974) : Race et histoire, Paris : Gonthier.
MALEWSKA H., GACHON C., et al. (1988) : Le travail social et
les en/ants de migrants / Racisme et identité, recherche-action,
Paris : Ciemi !'Harmattan.
MALEWSKA-PEYRE H., dir. (1983) : Crise d'identité et
problèmes de déviance chez les jeunes immigrés, Paris : La
documentation française.
MEMMI A. (1982): Le racisme, Paris: Gallimard.
Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples
(1980-89) : Plusieurs rapports, Paris : M.R.A.P.
PARAF P. (1986) : Le racisme dans le monde, Paris : Payot.
S.O.S. Racisme/France (1985-89) : Plusieurs rapports, Paris
S.O.S. Racisme.
�André NORMANDEAU
131
6 - LA BELGIQUE
KELLENS G., LEMAITRE A. (1989) : "Police et immigrés",
Liège : Service de criminologie, Université de Liège, Projet de
recherche, 7 pages.
LAHALLE A. (1981) : La délinquance des mineurs étrangers à
Schaerbeek, Belgique, Paris/Vaucresson : Centre de recherche
intrerdisciplinaire de Vaucresson.
7 - L'ALLEMAGNE FEDERALE
ALBRECHT H.J. (1984) : "Problems of policing ethnie minorities
in the Federal Republic of Germany", in J. Brown, editor,
Policing and po/icy / The Cranfield-Wolfson colloquium on
multiethnic areas in Europe, London : Police Review Publication,
pp. 150-175.
ALBRECHT H.J. (1987) : "Foreign minorities and the criminal
justice system in the Federal Republic of German y", Howard
Journal of Justice, 26, 4, 272-286.
8 - La GRANDE-BRETAGNE
BA - Comités d'enquête
SCARMAN, Lord (1981) : The Scarman Report / The Brixton
disorders 10-12 April 1981, London : H.M.S.0. Egalement en
livre de poche chez Penguin.
BENYON J., editor (1984)
Pergamon.
Scarman and a/ter, Oxford
MORGAN R., MAGGS C. (1984)
University of Bath Press.
Following Scarman, Bath
8B - Livres et articles sélectionés
BANTON M. (1973) : Police-community relations, London
Collins.
�132
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
CAPPELLE J. (1989) : "La police et la contestation publique en
Grande-Bretagne: 1980-1987", Déviance et société, 13, 1, 35-79.
CROW 1., COVE J. (1984) : "Ethnie minorities and the courts",
Criminal Law Review, 35, 3, 413-417.
CROW 1. (1987) : "Black people and criminal justice in the U.K.",
Howard Journal of Criminal Justice, 26, 4, 303-314.
JEFFERSON T., GRIMSHAW R. (1987) : Interpreting police
work, London : Allen and Unwin.
JEFFERSON T. (1989) : "Race, crime and policing : empirical,
theoretical and methodological issues", International Journal of the
Sociology of Law, s. p ..
LAMBERT J.R. (1989) : Crime, police and race relations,
London: Oxford University Press.
MARX G.T., MORTON M. (1978) : "Police and minorities in
England", International Annals of Criminology, 17, 1, 167-188.
MAIR G. ( 1986) : "Ethnie minorities and the magistrates' Courts",
British Journal of Criminology, 26, 2, 147-155.
McCONVILLE M., BALDWIN J. (1982) : "The influence of race
on sentencing in England'\ Criminal Law Review, 32, 6, 652-658.
REINER R. ( 1985) : "Police and race relations", in J. Baxter and
L. Koffman, editors, Police : the constitution and the community,
Abingdon : Professional Books, pp. 25-50.
STEVENS P., WILLIS C. (1979) : Race, crime and arrests,
London: Home Office Research Study, n° 58.
STEVENS P., WILLIS C. (1982) : -Ethnie minorities and
complaints against the police, London : Home Office Research
Paper, n° 70.
TUCK M., SOUTHGATE P. (1981) : Ethnie minorities, crime and
policing, London : Homs Office Research Study, n° 70.
WALKER M. ( 1987) : "Interpreting race and crime statistics",
Journal of the Royal Statistical Society, 150, 1, 34-56.
�André NORMANDEAU
133
9 - L'AUSTRALIE
HAZLEHURST K. et al (1987) : Migration, ethnicity and crime in
Austra/ian society, Canberra: Australian Institute of Criminology.
HOPE D. (1987) : "Policing in aboriginal South Australia : A
transcultural problem", in K. Hazlehurst, editor, Black Austra/ia
and the law, New South Wales University Press, pp. 93-105.
MALLIA F.E. (1980) : "Ethnie minority groups and the police",
Australian Police Journal, 34, 3, 168-183.
10 - SUISSE
KILLIAS M. (1989) : Les Suisses face au crime, Grusch, Suisse :
Verlag Ruegger.
QUELOZ N. (1986) : La réaction institutionnelle à la délinquance
juvénile, Neuchatel : Université de Neuchatel.
��LES ORIENTA TIONS ACTUELLES DE NOTRE
PROCEDURE PENALE
Par
Jean PRADEL
Professeur à l'Université de Poitiers
Directeur de l'Institut de Sciences Criminelles
Un système de procédure pénale est-il susceptible de
prendre des orientations significatives nouvelles ? Au point de
vue des principes de base, sans doute peu car cette branche du
droit restera toujours écartelée entre les nécessités de la paix
publique et le respect de l'individu. Comme l'écrivait Faustin.
Relie, "La procédure pénale doit maintenir l'équilibre entre deux
intérêts également puissants, également sacrés, qui veulent à la
fois être protégés, l'intérêt général de la société qui veut la justice
et prompte répression des délits. l'intérêt des accusés qui est lui
aussi un intérêt social et qui exige une complète garantie des
droits de la collectivité et de la défense" (1 ). Et même si le dosage
entre ces deux impératifs peut varier -l'histoire et le droit
comparé le démontrent abondamment- tout système procédural
doit les prendre en compte.
Si l'on considère en revanche, non plus les principes de
base, mais les techniques de réalisation de ces principes, il en va
tout différemment. Un pénaliste de l'époque napoléonienne qui
reviendrait aujourd'hui en France, serait fort étonné car il ne
reconnaîtrait pas grand chose du droit procédural de son époque,
même si le Code de procédure pénale a repris de larges pièces. du
Code d'instruction criminelle et alors que les principes de base
n'ont pas tellement changé.
C'est qu'en effet depuis quelques décennies, surtout depuis
une quinzaine d'années, des éléments nouveaux sont apparus. Le
(1) Traité de l'instruction criminelle, 2 • éd. 1866, t. 1, p. 4.
�136
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
premier est la montée de la criminalité (même si les toutes
dernières statistiques font état d'une légère décrue) : ainsi
l'annuaire statistique de la justice de l'année 1986, indique un
doublement de la criminalité apparente entre 1976 et 1986 ; plus
précis encore, le rapport de la Direction générale de la police
nationale, de l'année 1987, donne pour l'année 1972 un taux de
criminalité apparente de 33 pour 1 000 et pour l'année 1987 un
taux de 57 ! La criminalité légale est évidemment en hausse elle
aussi. Le second élément nouveau est l'accroissement des échanges
d'idées entre pays : on sait qu'il existe quatre associations
internationales en matière pénale, qui organisent périodiquement
des rencontres où se retrouvent des criminalistes de tous pays, et
qui échangent leurs propres expériences : on n'ignore pas non
plus que le Conseil de l'Europe édite fréquemment des études
dans des séries diverses (2), qui sont très lues, notamment par les
magistrats de la Chancellerie (3) auxquels elles suggèrent des
propositions de réforme. Enfin, le troisième élément novateur est
constitué par la fameuse Convention européenne des droits de
l'homme, ratifiée par la France en 197 4 (4 ). Ce corps de règles
élémentaires, davantage inspiré du système de common law que
de notre système romano-germanique, constitue un facteur de
rapprochement entre les droits européens et peut, en conséquence
modifier le nôtre.
Sous l'effet de ces trois facteurs, notre procédure pénale législative ou jurisprudentielle- bouge beaucoup depuis une
quinzaine d'années. Deux idées en découlent : une gestion plus
rationnelle de la justice répressive et une meilleure prise en
compte de la personne. Et ces idées sont elles-mêmes à la base
d'une triple orientation de notre procédure pénale actuelle : une
spécialisation des organes de justice, une accélération du procès
répressif et un renforcement de la protection de l'individu. Ce
sont ces droits tendances qu'il nous faut considérer.
1. - SPECIALISATION DES ORGANES DE JUSTICE
La position traditionnelle du droit français en matière
pénale est celle d'une spécialisation relativement réduite. D'une
part en effet en vertu de l'unité des deux justices -civile et
pénale- ce sont les mêmes magistrats qui peuvent assurer
l'ensemble des fonctions judiciaires au point de vue matériel.
D'autre part, au sein de la magistrature pénale, les magistrats du
parquet sont aptes à toutes les fonctions de ce service, comme
(2) Notamment les séries du Comité européen pour les problèmes criminels et du
Bulletin d'informations pénitentiaires.
(3) Certains de ces magistrats participent d'ailleurs à l'élaboration de ces études.
(4) Le recours individuel ne sera cependant ouvert qu'en 1981
�Jean PRADEL
137
ceux du siège (à l'exception il est vrai, des organes d'instruction
qui ne peuvent en général participer au jugement des affaires
qu'il ont instruites).
Aujourd'hui, le premier aspect, celui de l'unité des deux
justices, subsiste dans l'ensemble. Le second en revanche s'effrite:
une spécialisation apparaît (sans texte) au sein du parquet et une
autre (souvent avec des textes) se développe au sein de la
magistrature du siège.
A - Spécialisation des magistrats du parquet
Tout parquet, quels que soient les principes d'organisation
qui le gouvernent, est articulé autour de la notion de "chaîne
pénale", qui comporte trois unités : le bureau d'ordre (réception
des procédures et des plaintes, complément d'enquête, orientation
des procédures par exemple vers un juge d'instruction),
l'audiencement (constitution des audiences et suivi de ces
audiences) et l'exécution des peines. Cela étant, l'organisation n'a
pas toujours été la même pour les deux premières unités. Jusqu'à
une date récente, on adoptait partout un système dit "horizontal",
le même parquetier étant apte à traiter toutes les affaires soit
dans le cadre d'un bureau d'ordre, soit dans le cadre d'un service
d'audiencement. Or depuis quelques années -ainsi à Versailles
depuis février 1985- est adopté un nouveau modèle dit de la
"verticalisation".
1. - Quel en est le principe ? La "verticalisation" se traduit
par l'éclatement de la chaine pénale, c'est-à-dire par la
spécialisation des contentieux et la polyvalence dans l'exécution
des tâches. Elle implique donc un traitement total du dossier
depuis son arrivée au parquet jusqu'à l'audience incluse, par la
même équipe, voire par le même magistrat.
Elle se situe ainsi aux antipodes du système horizontal qui
se caractérise par une polyvalence des matières et une
spécialisation des tâches (substitut "courrier", substitut "régleur",
substitut "d'audience").
Avec la "verticalisation", chaque substitut a de larges
pouvoirs sur tel secteur de la criminalité et il peut déléguer
certaines tâches aux greffiers et fonctionnaires des catégories C et
D.
2.
Que penser de la "verticalisation" ? Certains
parquetiers la rejettent à cause de la monotonie qu'elle engendre,
à cause de la perte de contact avec le reste du contentieux et à
cause du manque d'unité au sein du parquet qui se trouve
fragmenté en petites unités autonomes.
�138
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
A vrai dire, la "verticalisation" présente pourtant de réels
avantages, et non : que l'on considère la nature des affaires
(dossiers économiques, financiers, de stupéfiants relatifs à la
famille) ou la masse des affaires (chèques, circulation routière).
Dans le premier cas, la technicité et la diversité des lois pénales
ne permettent plus aux magistrats de traiter tous les types de
contentieux au sein du parquet. Et dans les deux cas, la
"verticalisation" permet une grande rationalisation et un gain de
temps, une meilleure connaissance de son "milieu" par le substitut,
une politique des poursuites et des classements plus cohérente et
unitaire. Enfin, la "verticalisation" offre au sein du parquet un
interlocuteur unique aux cabinets d'instruction, à la police
judiciaire, aux autorités administratives : il est bon que tous ces
partenaires n'aient qu'un interlocuteur au parquet, ce qui permet
d'instaurer des rapports directs et de confiance.
Ainsi donc, avec une spécialisation liée à la
"verticalisation", les avantages sont réels. Mais évidemment, ce
système ne vaut que pour des parquets assez importants (5).
B - Spécialisation des magistrats du siège
Cette spécialisation présente deux aspects : d'abord un
aspect matériel (et législatif) en vertu duquel certaines affaires
sont attribuées à des juridictions spécialisées ; ensuite un aspect
fonctionnel (mi-législatif et mi-jurisprudentiel) en vertu duquel,
pour des raisons d'impartialité des magistrats qui ont connu de
l'instruction de l'affaire ne peuvent plus en connaître au stade du
jugement.
1. - La complexité et la spécificité de certains contentieux
implique leur attribution à des juges spécialisés tant à
l'instruction qu'au jugement. Cette idée est ancienne comme le
montre l'exemple des juridictions pour mineurs. Mais elle se
développe beaucoup aujourd'hui.
- La spécialisation apparaît d'abord pour les infractions
économiques et financières en application de la montée de cette
forme de criminalité. Les criminologues américains avaient déjà
de longue date isolé cette forme de comportement avec par
exemple Sutherland et sa théorie des "cols blancs" ( l 938). A son
tour, le législateur français prend en considération spécialement
cette sorte de criminalité. Il le fait par une loi du 6 aotît 1975
(art. 704 et suivants du Code de procédure pénale) dont le
(5) L'organisation des parquets et ses incidences en matière de gestion et de politique
criminelle (Mme Delmas-Marty et M. Guilbot-Sauer), étude menée par le centre de
recherches en politique criminelle en exécution d'une convention de recherches avec
le ministère de la justice, 1988.
�Jean PRADEL
139
principe est celui-ci : dans chaque ressort de cour d'appel, un ou
plusieurs tribunaux de grande instance sont compétents pour
l'instruction et le jugement des affaires économiques et
financières. En pratique au sein de chaque cour d'appel, un (ou
des) juge d'instruction et une (ou des) chambre correctionnelle
sont spécialement investis de la connaissance de ce type de
contentieux. Deux remarques complémentaires doivent être faites.
Quelles sont d'abord ces affaires économiques et
financières ? L'article 705 du Code de procédure pénale vise pour
l'essentiel les délits économiques (par exemple délits relatifs à la
concurrence), les escroqueries, les banqueroutes, fraudes,
publicités trompeuses, délits fiscaux et douaniers, délits
concernant la construction et l'urbanisme. Cependant, ce ne sont
pas tous les délits de cette sorte qui seront attribués aux
juridictions spécialisées. Ce sont seulement ceux qui "apparaissent
d'une grande complexité".
Quel est ensuite le processus de saisine de ces juridictions
spécialisées ? La désignation du juge spécialisé est faite par le
Président de la chambre d'accusation, lequel est saisi soit par le
parquet au moment de l'ouverture de l'information, soit par le
juge d'instruction déjà saisi si celui-ci s'estime en cours
d'investigation dépassé par sa tâche, sollicitant en conséquence
auprès de son supérieur son dessaisissement au profit d'un
collègue spécialisé.
Le jugement sur le système de 197 5 est nuancé. Dans le
principe le système est excellent. Mais en pratique, il n'apporte
pas grand chose car, déjà avant 1975, il existait dans les grands
parquets de Paris, Lyon et Marseille -ceux qui connaissent 95 %
de ces affaires complexes- des sections spécialisées. En ·outre, le
système légal est assez lourd et il entraîne parfois une gêne pour
le justiciable qui se trouve éloigné de la justice (6).
- Un modèle analogue a été créé par une loi du 21 juillet
1982 pour les infractions militaires et pour les infractions de droit
commun commises dans le service par les militaires (art. 697 et
697-1 du C.P.P.).
- Enfin, en matière d'infractions de terrorisme, le schéma
prévu par une loi du 9 septembre 1986 (art. 706-16 du C.P.P.) est
un peu différent, même s'il reste fidèle à l'idée de juges
spécialisés. C'est que les infractions de terrorisme sont non
seulement spécifiques comme les précédentes, mais en outre ~t à
la différence des précédentes, étalées dans l'espace y compris dans
l'espace international. Aussi le législateur de 1986 a-t-il imaginé
une centralisation à Paris des procédures qui ont été ouvertes en
(6) Commentaires P. Couvrat au D. 1976, chron. p. 43, et J. Robert au J.C.P.
1975.1.2729.
�140
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
province. Plus précisément, les juges parisiens (d'instruction et de
jugement) ont une compétence dite "concurrente", ce qui signifie :
1) qu'ils ajoutent à leur compétence territoriale naturelle une
compétence supplémentaire lorsque les faits ont été commis
ailleurs qu'à Paris ;
2) que leur compétence n'est cependant que facultative puisque
ne sont centralisées à Paris que les affaires complexes comportant
des ramifications sur divers points du territoire national (7).
2. - Si la complexité et la spécificité imposent parfois le
recours à un juge spécialisé, l'impartialité des magistrats appelle
une répartition des fonctions de telle sorte que le magistrat ayant
instruit une affaire ne peut pas ensuite la juger. Sans doute, le
principe séparatiste est-il traditionnel dans notre droit. Depuis la
fameuse loi Constans de 1897, aujourd'hui à l'article 49 al. 2 du
Code de procédure pénale, le juge d'instruction "ne peut, à peine
de nullité, participer au jugement des affaires pénales dont il a
connu en sa qualité de juge d'instruction". Et l'article 253 du
Code de procédure pénale, en reprenant l'article 257 du Code
d'instruction criminelle décide que "ne peuvent faire partie de la
cour en qualité de président ou d'assesseur les magistrats qui,
dans l'affaire soumise à la cour d'assises, ont, soit fait un acte de
poursuite ou d'instruction, soit participé à l'arrêt de mise en
accusation ou à une décision sur le fond relative à la culpabilité
de l'accusé".
La question se trouve cependant renouvelée aujourd'hui
en raison de deux faits nouveaux. Le premier consiste en une
modification du panorama législatif avec notamment l'apparition
de la Convention européenne dont l'article 6-1 dispose que "toute
personne a droit à ce que sa cause soit entendue ... par un
tribunal ... impartial", ce qui doit s'entendre d'un tribunal
composé de juges indépendants, sans idées préconçues, bref
d'hommes neufs (8). Le second fait nouveau, de pur fait celui-là,
réside dans le développement d'une nouvelle mentalité judiciaire
qui pousse un nombre croissant de plaideurs (ou d'avocats) à
invoquer des nullités de procédure, par exemple à soulever
l'irrégularité d'une décision rendue par des juges qui avaient déjà
participé à l'instruction. Ce mouvement de contestation se trouve
renforcé par l'existence d'un certain nombre de cours d'appel à
effectifs réduits (Bastia, Angers, Pau ... ) où il est difficile de
trouver des juges "neufs" pour le jugement, et aussi par
l'économie des article 49 et 253 qui n'ont pas prévu tous les cas
de séparation des fonctions.
(7) Commentaires J. Pradel au D. 1987, chron. p. 39, et R. Ottenhof à la Rev. se.
crim. 1987, p. 607.
(8) Ce texte peut être regardé comme un élargissement des articles 49 et 253 C.P .P ..
�Jean PRADEL
141
C'est pourquoi les décisions sur le principe de séparation+
sont innombrables. Citons en quelques unes qui sont récentes et
qui justement, ont statué sur des cas non prévus par la loi. La
jurisprudence est partagée. Tout d'abord, le juge de l'application
des peines, qui a fixé les modalités d'application d'une peine de
travail d'intérêt général, peut ensuite faire partie du tribunal
correctionnel appelé à statuer sur la violation de cette mesure (9)
et il n'y a rien à redire d'une telle décision qui ne touche pas au
fond. En revanche, la question est plus compliquée lorsque le
juge de jugement a participé à un arrêt de la chambre
d'accusation. D'un côté, le magistrat membre d'une chambre
d'accusation qui a participé à un arrêt sur les charges ne peut pas
faire partie de la chambre des appels correctionnels (10). Mais
d'un autre côté, s'agissant du magistrat membre de la chambre
d'accusation qui a participé à un arrêt sur la liberté de l'inculpé,
il peut faire partie de la chambre des appels correctionnels ( 11 ),
mais pas de la cour d'assises (12). Solution d'autant plus curieuse
que dans le premier cas, la jurisprudence invoque l'absence
d'atteinte à l'article 6-1 de la Convention européenne alors qu'il y
a manifestement un risque de partialité. Il faudrait dans tous les
cas interdire le cumul. En vérité, ce qui conduit la Cour de
cassation à raisonner ainsi et à limiter la règle du non-cumul,
c'est le souci de sauver quelques procédures. C'est déjà évoquer
l'impératif de célérité.
II. - ACCELERATION DU PROCES REPRESSIF
L'idée de rapidité a toujours été une des préoccupations
majeures du législateur. Déjà Beccaria recommandait une justice
pénale rapide et après lui, R. Garraud écrivait que "la rapidité
dans la répression est une des conditions d'une bonne justice"
(13). Cet impératif prend cependant une importance énorme
aujourd'hui avec l'engorgement des prétoires qui entraîne un
ralentissement de la production judiciaire. Par exemple, la durée
moyenne d'une instruction, qui était de six mois en 1960, est
passée à plus de neuf mois en 1981 (14) et il est aujourd'hui
courant qu'une affaire financière donne lieu à une instruction de
deux à trois ans. Ces données de fait ont conduit le législateur
récent et la jurisprudence, quand ce n'est pas la pratique, à
imaginer des procédés pour ralentir le développement de c.ette
(9) Crim. 6 nov. 1986, affaire Lemoine, D. 1987.237 et la note.
(10) Crim. 6 nov., affaire Eschbach, idem.
(11) Crim. 6 nov. 1986, affaire Sainte-Marie, idem.
(12) Crim. 12 oct. 1983, D. 1984. 610 et la note.
(13) Traité théorique et pratique d'instruction criminelle, III, n • 1096, 1912.
(14) Compte général de l'administration de la justice pénale, données 1978 à 1981, p.
19, La Documentation française.
�142
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
tendance pernicieuse. Ces procédés consistent soit dans la création
de techniques procédurales, soit dans le maintien d'actes de
procédure malgré une irrégularité qui les affecte ( 15).
A - Création de techniques procédurales
L'imagination du législateur est plus riche qu'on ne le
croit.
1. - Une première technique, la moins audacieuse, porte
sur le règlement de l'instruction. Selon un schéma classique, le
juge d'instruction, une fois ses diligences terminées, communique
la procédure au procureur de la République qui doit lui donner
ses réquisitions définitives dans les trois jours, avant qu'il puisse
rendre à son tour son ordonnance de clôture. Or il advenait que,
pour des raisons diverses, le parquet conservait le dossier bien
au-delà des trois jours (parfois des mois ... ) de sorte que le
règlement de l'instruction était retardé d'autant. C'est pourquoi le
législateur du 30 décembre 1985 (art. 175 C.P.P.) a décidé qu'à
l'issue du délai ouvert au parquet pour régler le dossier -délai
porté à un ou à trois mois selon que l'inculpé est ou non détenule juge d'instruction peut rendre son ordonnance, même s'il n'a
reçu aucune réquisition du parquet (16).
2. - Plus importante est la procédure de comparution immédiate,
Héritière de la saisine directe de 1981 et plus anciennement du
flagrant délit de 1863, cette procédure est déjà en elle-même
rapide puisqu'elle fait l'économie d'une instruction tout en
permettant la mise de l'inculpé en détention provisoire. Or deux
éléments récents contribuent à son utilisation intensive.
Le premier -assez peu important en vérité- est constitué
par les encouragements du ministère de la Justice, matérialisés par
des circulaires, la dernière en date étant du l 9 novembre 1988.
Le second élément est relatif au domaine d'application de
la comparution immédiate et ici, une discussion très chaude s'est
élevée : fallait-il autoriser l'emploi de cette procédure même si
l'infraction n'est pas flagrante, mais à la condition que les faits
soient nets ? Une réponse affirmative est évidemment un
argument en faveur de la célérité puisque les cas d'application de
cette procédure rapide sont plus nombreux. Le législateur du 2
février 1981, en créant la saisine directe en avait autorisé
l'application à des infractions non flagrantes, mais "élucidées".
(15) J. Pradel, La célérité du procès pénal, Revue internationale de criminologie et
de police technique, 1984, p. 402.
(16) Système proche de celui qui avait été proposé en doctrine, v. J. Pradel et Ph.
Léger, D. 1982, chr. p. 105.
�Jean PRADEL
143
Mais à la faveur d'un changement de majorité politique survenu
quelques mois après, une loi du 10 juin 1983 remplaça la saisine
directe par la comparution immédiate et surtout en limita
l'application aux infractions flagrantes (art. 393 et S. C.P.P.) (17).
Cependant, consécutivement à un nouveau changement de
majorité politique en 1986, une loi du 9 septembre 1986 en revint
au critère de l'élucidation, sauf à parler des "charges réunies
suffisantes" et "d'affaire en état d'être jugée" (art. 395 C.P.P.).
L'idée de célérité en sort renforcée.
3. - Quelques mots enfin sur ces procédures sommaires
que sont l'ordonnance pénale et l'amende forfaitaire. La première
est un indéniable facteur d'accélération en permettant de traiter
une foule de contraventions en audience de cabinet sans la
présence du prévenu (sauf droit d'opposition en fait rarement
exercé). Mais sa relative ancienneté nous interdit de l'examiner en
détail puisqu'elle date d'une loi du 3 janvier 1972.
En revanche, l'amende forfaitaire, qui s'applique à un
grand nombre de petites contraventions, par exemple routières, a
été remaniée en profondeur par une loi du 30 décembre 1985,
donc à une époque récente. Sans entrer dans les détails, rappelons
que la réforme s'est faite dans le sens d'une meilleure rationalité,
c'est-à-dire en fait dans le sens d'une plus grande rapidité.
Il faut convenir cependant que l'accélération du procès
pénal se réalise moins par la création de nouvelle procédures que
par le maintien d'actes de procédure viciés.
B - Maintien des actes de procédure
Les rédacteurs du Code de procédure pénale de 1959,
soucieux d'assurer le respect des droits de la défense, avaient
conçu un système de nullités assez large comme il apparaît par
exemple à la lecture de l'article 206 selon lequel, "la chambre
d'accusation examine la régularité des procédures qui lui sont
soumises". Or toute l'évolution postérieure à 1959 va se faire dans
le sens d'un étranglement des nullités. Telle fut en premier lieu,
dès 1960, la politique de la chambre criminelle, sous l'impulsion
du président Patin qui entendait faire confiance aux magistrats.
Ainsi la chambre criminelle va créer la fameuse théorie de
"l'unique objet" : quand la chambre d'accusation est saisie d'un
appel, portant pas hypothèse sur un point particulier, elle ne
saurait, malgré l'article 206, examiner la régularité de la
(17) Commentaires B. Bouloc à la Rev. science crim. 1983, p. 701, M. Puech, A.L.D.
1983, p. 105 et J. Pradel D. 1984, chron. p. 73.
�144
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
procédure (18). Tel fut en second lieu l'esprit du législateur avec
les réformes du 6 aoüt 1975 (art. 802 C.P.P.) et du 30 décembre
1985 (art. 305-1 C.P.P.).
1. - L'article 802 C.P.P. est assurément l'un des textes les
plus importants de notre procédure. On sait qu'il subordonne
l'annulation d'une procédure à la preuve d'une atteinte aux
intérêts de la partie concernée par l'irrégularité, exception faite
des irrégularités dans l'application de l'article 105.
Très nombreux sont les arrêts qui appliquent l'article
802 pour sauver les procédures, pour gagner du temps. On en
donnera deux exemples très récents. Dans le premier, le conseil
de l'inculpé avait été convoqué moins de quatre jours avant
l'interrogation et il n'avait pas non plus bénéficié du délai de
deux jours pour consulter le dossier, au mépris de l'article 118
C.P.P.. Logiquement, la nullité eut été imparable (19), mais
comme le conseil, en l'espèce, n'avait formulé aucune protestation
lors de l'interrogatoire de son client, la chambre criminelle en a
déduit "qu'il n'est ni établi, ni même allégué que ces irrégularités
aient eu pour effet de porter atteinte aux intérêts de l'inculpé et
que par application de l'article 802, le moyen de nullité doit être
écarté" (20). Dans la seconde affaire, le rapport d'expertise n'avait
pas été notifié à l'inculpé alors que l'article 167 C.P.P. l'exige
expressément afin de permettre le dépôt d'une note. Mais,
remarque la chambre criminelle, l'inculpé avait eu connaissance
ultérieurement de toute la procédure, et donc du rapport, lorsque
le dossier se retrouvait devant la chambre d'accusation. Il y avait
eu par conséquent une sorte de notification implicite et l'inculpé
aurait pu présenter des observations devant la chambre
d'accusation. Et s'il ne l'a pas fait, c'est qu'il n'avait rien à dire
contre le rapport d'expertise. En conséquence, la Cour de
cassation rejette la demande d'annulation fondée sur l'article 167
C.P.P. (21 ).
De façon générale d'ailleurs, le préjudice nécessaire à
l'annulation est apprécié in concreto, espèce par espèce. Ce qui
compte, ce n'est pas la gravité de l'irrégularité, mais l'importance
du préjudice, ce qui permet à la jurisprudence d'utiliser l'article
802 en alléguant qu'il n'y a pas de préjudice (22).
- Sans doute, l'article 802 ne couvre-t-il pas les nullités
d'ordre public puisque, malgré son silence sur ce point, la Cour
(18) Crim. 5 mai et 2 novembre 1960, 5 janvier 1961, D. 1961, 581, note M.R.N.P ..
Adde de très nombreux arrêts postérieurs.
(19) Crim. 27 juillet 1906, D. 1907.I.334.
(20) Crim. 2 septembre 1986, affaire Arpino, D. 1987. som. 82 et obs.
(21) Crim. 14 mars 1988, affaire Checchi, D. 1988, Somm. 356 et observ., Bull. crim.
n • 122.
(22) Crim. 26 septembre 1986, Bull. crim. n • 259.
�Jean PRADEL
145
de cassation a heureusement admis que ces nullités ne peuvent
disparaître (23). Cependant, la notion d'ordre public est bien
vague, ce qui sert à la jurisprudence pour entendre
restrictivement les nullités d'ordre public. On voit d'ailleurs
parfois le législateur voler au secours de la jurisprudence dans un
cas du moins : celui de la désignation du juge d'instruction par le
président du tribunal (art. 83 C.P.P.). La jurisprudence y avait vu
une "règle d'ordre public et comme telle échappant aux prévisions
de l'article 802" (24). Or une loi du IO décembre 1985 réformant
l'article 83, et venue autoriser le président à établir un tableau de
roulement pour n'avoir pas à rendre d'ordonnance à chaque fois
qu'il doit procéder à une désignation. Voilà donc une source de
nullités d'ordre public qui est presque tarie.
- L'article 802 exclut de son champ d'application les
irrégularités fondées sur une violation de l'article 105 C.P.P. qui
prohibe les inculpations tardives. On pourrait donc croire qu'en
cette matière sensible, les nullités seront plus nombreuses.
Profonde erreur car la Cour de cassation, jouant sur les termes de
l'article 105 sauve au moins 99 procédures sur 1OO en décidant
que les juges ou policiers n'ont pas eu l'intention de porter
atteinte aux droits de la défense. Le point extrême de cette
jurisprudence paraît avoir été atteint par un arrêt du 11 juillet
1988 (25). Dans une information ouverte pour meurtres et trafics
de stupéfiants, le juge d'instruction avait délivré une commission
rogatoire à la police judiciaire. Les policiers placèrent l'intéressé
suspect en garde à vue du 9 au 13 février 1987 (en application de
l'article L 627-1 C. santé pub. qui autorise une garde à vue de
quatre jours). Mais devant son refus de déposer, les policiers
établirent un "procès-verbal de renseignements" dans lequel ils
relatèrent aveu et refus. Puis ils continuèrent à entendre
l'intéressé sur les deux chefs de poursuite jusqu'au 13 février,
établissant cinq procès-verbaux d'audition. Les policiers avaient
manifestement pris des libertés avec l'article 105 puisque :
1) malgré aveux, ils poursuivirent l'audition sur les meurtres ;
2) ils le firent pendant quatre jours alors que la prolongation de
la garde à vue au-delà de quarante huit heures n'est possible
qu'en matière de trafic de stupéfiants.
Or la chambre d'accusation de Grenoble (arrêt du 30 mars 1988)
refusa toute annulation et la chambre criminelle rejeta le pourvoi
formé contre cette décision.
(23) Crim. 10 novembren 1977, D. 1978.621, note Jeandidier ; 19 mai 1980, D.
1981.177, note Jeandidier.
(24) En dernier lieu, Ass. plén. 17 juin 1988.
(25) Crim. 11 juillet 1988, affaire Mendez, D. 1988, Somm. 359 et observ.
�146
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
2.
L'article 305-1 C.P.P. participe de la même
philosophie que l'article 802, même si son domaine est plus étroit.
Selon l'article 305-1, "l'exception tirée d'une nullité autre que
celles purgées qui précède l'ouverture des débats doit, à peine de
forclusion, être soulevée dès que le jury de jugement est
définitivement constitué". En somme, toute irrégularité commise
entre l'arrêt de mise en accusation et l'ouverture des débats doit
être soulevée dès constitution définitive du jury de jugement, soit
avant cette ouverture. Après il serait trop tard. Cette règle
s'explique par le fait que devant cette période intermédiaire, les
occasions de nullité sont nombreuses, tant par exemple les règles
sur la constitution du jury sont complexes. On a remarqué aussi
que les accusés, qui s'estiment trop durement condamnés,
n'hésitaient pas à former un pourvoi qu'ils alimentaient en
puisant dans cette manne de formalités antérieures aux débats.
D'où la réaction du législateur en 1985.
L'intention du législateur de restreindre les nullités est
donc certaine. Or la jurisprudence va encore au-delà. Elle fait
appel à ce texte pour les affaires soumises aux cours d'assises sans
jurés alors qu'il vise expressément le jury (26). C'est une
interprétation très analogique que pratique ici la jurisprudence. Il
est vrai que cette forme d'interprétation est la règle presque
générale en procédure et qu'il n'y a pas ici d'atteinte aux droits
de la défense.
Cette considération n'est d'ailleurs pas perdue de vue par
notre droit le plus récent.
III. - RENFORCEMENT DE LA PROTECTION
DE L'INDIVIDU
L'existence de la Convention européenne dont on parle
tant aujourd'hui -parce que ses principes s'imposent à notre droit
positif et parce qu'il existe une Cour européenne pour en assurer
le respect- ne pouvait qu'influencer la procédure pénale. C'est un
fait qu'aujourd'hui plus qu'hier, le législateur de cette matière
entend respecter les droits de la défense, et même plus
généralement les intérêts de l'individu (dont ces droits ne sont
qu'un aspect). Cet individu peut être la victime aussi bien que la
personne poursuivie.
(26)C rim. 11 février 1987, Bull. crim. n • 69. D. 1987.215, note Angevin. Rev. See.
crim. 1987.463, observ. Brauschweig, à propos de la cour d'assises statuant en
matière militaire (art. 698.6 C.P.P.).
�Jean PRADEL
147
A - Reniorcement de la situation de la victime
On sait qu'à l'instar de plusieurs droits étrangers, le
législateur français a prévu en 1977 un recours en indemnité pour
certaines victimes de dommages résultant d'une infraction (art.
706.3 et s. C.P.P.). Le système a été développé par deux lois
postérieures de 1981 et 1983. Il présente quatre caractères : il est
subsidiaire (l'Etat n'intervient que si la victime n'a pas obtenu de
réparation à aucun titre), il ne s'applique qu'à certaines
infractions (atteintes à l'intégrité corporelle, vols, escroqueries,
abus de confiance), il est forfaitaire et il est extra-pénal
(l'indemnité est accordée par une commission ayant le caractère
d'une juridiction civile).
C'est également dans le cadre du procès pénal que le
législateur a amélioré le sort des victimes, qu'elles soient "vraies"
ou "fausses".
1. - En premier lieu, les "vraies" victimes ont bénéficié
d'une grande loi, du 8 juillet 1983, qui leur a permis d'obtenir
des dommages-intérêts plus rapidement (27).
D'abord la victime qui s'est constituée partie civile devant
la juridiction répressive -par exemple devant le juge
d'instruction- peut sans abandonner la voie pénale, saisir le juge
civil statuant en référé, afin que celui-ci ordonne "toutes mesures
provisoires relatives aux faits qui sont l'objet des poursuites
lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement
contestable" (art. 5-1 C.P.P.). Pour comprendre ce texte, il faut le
combiner avec l'institution du cautionnement (qui, depuis la
même loi de 1983, peut être en partie affectée à la victime
malgré opposition de l'inculpé). De deux choses l'une. Ou bien le
juge d'instruction a recours au cautionnement, mais il se heurte
au refus de l'inculpé de le voir affecter à la victime ; celle-ci
peut alors saisir le juge des référés qui pourra lui accorder une
provision par voie d'ordonnance sur la base de laquelle elle
sollicitera ensuite du magistrat instructeur le versement à ellemême du montant du cautionnement dO. à concurrence de la
somme fixée par le juge des référés ; on brise ainsi le refus de
l'inculpé. Ou bien le juge d'instruction n'a pas eu recours au
cautionnement, la victime peut encore saisir le juge des référés
aux fins de provision : on corrige cette fois l'inaction du juge ..
Ensuite, le tribunal correctionnel même s'il prononce une
relaxe, peut accorder des dommages-intérêts à la partie civile ou
à son assureur "en application des règles du droit civil" (art. 470-1
C.P.P.). Avant cette réforme, la partie civile qui "subissait" une
(27) Commentaire J. Pradel D. 1983, chron. p. 241.
�148
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
relaxe n'avait d'autres ressources que de saisir le juge civil sur la
base de l'article 1384 C. civ (ou plus rarement sur la base de
l'article 1382 C. civ. en invoquant une faute distincte de la faute
pénale). Elle devait donc lancer un second procès, et perdre ainsi
temps et argent. Cet inconvénient disparaît avec le nouvel article
470-1 C.P.P. qui proroge la compétence du juge pénal (sauf, il est
vrai, lorsque des tiers responsables doivent être mis en cause). En
outre, les inconvénients du principe de l'unité des fautes, civile et
pénale, disparaissent aussi : le juge pénal n'hésitera plus à
acquitter, sachant qu'il pourra néanmoins indemniser la partie
civile.
2. ~ Ce sont en second lieu, les "fausses" victimes qui
peuvent agir plus fréquemment. En parlant de "fausses" victimes,
nous voulons parler des associations, sortes de procureurs "bis".
Les lois récentes qui leur accordent le droit d'agir devant le juge
pénal ne se comptent plus, plongeant d'ailleurs les auteurs dans
un certain embarras (28 ). On citera la dernière, du 5 janvier
1988, relative aux associations de consommateurs (29). Cette loi
est très importante car elle confère à ces associations des pouvoirs
particuliers, qui s'ajoutent à celui -très traditionnel et unique
jusqu'alors- de demander des dommages-intérêts.
Premier pouvoir : l'association peut demander au juge
pénal (ou civil d'ailleurs) d'imposer au prévenu (ou au
défendeur), sous astreinte le cas échéant, de faire cesser tous
agissements illicites.
Second pouvoir : l'association en saisissant le juge pénal,
peut permettre à celui-ci, après reconnaissance de culpabilité,
d'ajourner à un an le prononcé de la peine afin que, dans
l'intervalle, le prévenu ait fait cesser l'agissement illicite. Le juge
pénal s'était déjà vu reconnaître en 1975 le pouvoir d'ajourner la
prononcé de la peine (art. 469-3 C.P.P.). Mais ici, son pouvoir
n'existe que s'il a été saisi par l'association. C'est donc elle qui est
à l'origine de l'ajournement.
B - Renforcement de la situation de la personne poursuivie
Les exemples d'un tel renforcement sont très nombreux.
Ils rendent parfois la lecture de notre législation hasardeuse ou
obscure, comme si les meilleures intentions législatives n'.étaient
pas sans contre partie. Ceci est d'ailleurs plus vrai en ce qui
concerne la liberté de l'inculpé que sa défense.
(28) Faut-il encourager ces actions ou les freiner, ou les uniformiser, ou encore ne
prévoir qu'un seul texte, commun à toutes les associations 7
(29) Qui abroge une loi du 29 décembre 1973 (dite loi Royer), laquelle accordait
déjà, sous des conditions différentes, l'action civile à ces associations.
�Jean PRADEL
149
Si sur le premier point, vo1c1 environ vingt ans que le
législateur s'efforce de protéger la liberté de l'inculpé, non
seulement d'ailleurs pour une raison de principe (la présomption
d'innocence), mais aussi pour désengorger les prisons. Après la
grande loi du 17 juillet 1970, qui avait créé le contrôle judiciaire
et institué une motivation des mises en détention, plusieurs lois
sont intervenues avec deux objectifs techniques principaux.
Le premier objectif est l'instauration d'un débat
contradictoire, dans le cabinet du juge d'instruction, entre
accusation et défense, le magistrat ne prenant sa décision qu'après
avoir entendu l'un et l'autre (loi du 9 juillet 1984, art. 144-1
C.P.P.). Même si cette procédure n'apporte pas grand chose à la
défense et à la liberté -puisque le juge n'organise ce débat que
lorsqu'il envisage la mise en détention- il n'est pas question de la
supprimer (30).
Le second objectif est l'instauration d'une collégialité, la
mise en détention, voire la gestion de la détention, ne pouvant
être décidées que par un collège de trois juges (31). Une loi du
10 décembre 1985 avait créé des "chambres d'instruction",
incluant le juge d'instruction. Mais cette loi, très lourde et qui
supposait une masse de magistrats que nous n'avons pas, fut
abrogée, avant même d'être entrée en application, par une autre
30 décembre 1987, celle-ci plus modeste ne consacrant la
collégialité (et sans le juge d'instruction) que pour la mise en
détention. Elle fut elle-même abrogée par une loi du 6 juillet
1989, alors qu'elle n'était pas, elle non plus, encore entrée en
application. Au vrai, on peut estimer que la collégialité est ici
pleines d'inconvénients : notamment, elle porte atteinte à la
présomption d'innocence car l'inculpé a intérêt à être mise en
prison par un magistrat plutôt que par deux ou trois.
2. - Le renforcement de la défense de la personne
poursuivie obéit à des lignes de force plus claires, même si elles
sont parfois contestables. Ce renforcement se traduit de deux
façons.
- En législation tout d'abord une réforme du 30 décembre
1987 a réécrit l'article 104 C.P.P .. Auparavant, selon ce texte,
toute personne nommément visée par une plainte avec partie
civile se voyait offrir le choix par le juge d'instruction d'être
entendue comme témoin ou d'être inculpée. Si elle était inculpée,
l'opinion en était tenue au courant, au risque de voir sa
réputation ternie. Aussi la loi de 1987 a-t-elle décidé que cette
(30). Commentaires J. Pradel D. 1985, chron. p. 7 et P. Chambonau, J.C.P.
1985.1.3174.
(31) Présumé plus favorable à la liberté qu'un seul juge qui peut se laisser emporter
aux jeux du législateur.
�150
PROBLEMES ACTUELS DE SCIENCE CRIMINELLE
personne, lorsqu'elle est entendue en qualité de témoin, a droit à
l'assistance d'un avocat : ainsi apparaît la notion de "témoin
assisté". L'intention du législateur est excellente. Mais en pratique,
le résultat peut être désastreux car en cas d'inculpation ultérieure,
la personne passera pour coupable et presque déjà condamnée.
Il faut mentionner aussi le nouvel article 56-1 C.P.P. (loi
du 30 décembre 1985) selon lequel "les perquisitions dans le
cabinet d'un avocat ou à son domicile ne peuvent être effectuées
que par un magistrat et en présence du bâtonnier ou de son
délégué". Auparavant, rien n'interdisait -au moins en droit- à un
officier de police judiciaire de procéder à une telle investigation.
La nécessité, désormais, d'un juge ou d'un magistrat du parquet a
semblé au législateur plus apte à assurer le respect des droits de la
défense.
- La jurisprudence, de son côté, reste toujours très
soucieuse de maintenir intacts les droits de la défense. Ainsi,
malgré le correctif de l'article 802 C.P.P., il y a encore des
cassations fondées sur une violation des articles 114 et suivants
C.P.P .. Et l'on ne peut passer sous silence cette jurisprudence très
récente qui se fonde sur l'article 6-3 de la Convention
européenne ·pour décider que le prévenu non francophone
condamné ne peut se voir réclamer le payement des frais résultant
de l'assistance d'un interprète (32). La solution est d'autant plus
intéressante que, selon le droit commun, le condamné supporte les
frais du procès et que, dans ce cas précis, la chambre criminelle
vise expressément la Convention européenne.
*
Nous venons d'évoquer encore cette Convention. Va-t-elle
modifier, une nouvelle fois, notre procédure pénale, à l'heure où
siège à la Chancellerie une commission "Justice pénale et droits de
l'homme", et à la veille de l' Acte Unique européen ? Il y a fort à
parier que de nouvelles orientations vont apparaître.
(32) Crim. 24 février 1988, D. 1988, Somm. 361 et observ., Bull. crim. n • 94.
�TABLE DES MATIERES
JUSTICE PENALE ET TROUBLES MENTAUX
Jean-Marie A USSEL ........................................................................ 5
PROGRES SCIENTIFIQUE, ETHIQUE ET DROIT
Jacques BORRICAND .................................................................... 23
L'INDICATEUR
Gaëtan DI MARINO ....................................................................... 63
LA POLICE ET LES MINORITES
André NORMANDEAU ................................................................ 99
LES ORIENTATIONS ACTUELLES DE NOTRE
PROCEDURE PENALE
Jean PRADEL ............................................................................... 135
Table des matières ........................................................................ 151
DEPOT LEGAL 2ème Trimestre 1990
���1.S.B.N. 2 - 7314 - 0030 - 0
Ouvrages parus dans la même collection :
Connaître la criminalité : le dernier état de la question
xxxe Cours International de Criminologie 1981
P.U.A.M. 1983 Prix: 110 F
Le processus d'élaboration de la loi « Sécurité et Liberté ».
Essai d'analyse sociologique
S. CIMAMONTI
(Prix Gabriel TARDE 1982)
P.U.A.M. 1983 Prix: 110 F
Problèmes actuels de science criminelle : Vol. 1
Les droits de la victime : un choix de politique criminelle par F. BOULAN
La crise des politiques criminelles occidentales, par R. GASSIN
Les juridictions pénales d'exception dans la France contemporaine
par W. JEANDIDIER
L'élaboration d'un nouveau code pénal français par G. LEVASSEUR
Vocation et responsabilité de la criminologie comparée par D. SZABO
Le droit criminel français et les convictions religieuses, philosophiques
morales ou politiques par A. VITU
P.U.A.M. 1985 Prix: 55 F
Problèmes actuels de science criminelle : Vol. II
La provocation par F. BOULAN
De l'opportunité des interdictions pénales en matière de technologie
de la reproduction et de génétique humaine.
Etat actuel de la législation en RFA par H.L. GÜNTHER
La théorie du contrôle social et l'évolution de la criminalité
par M. CUSSON
Le terrorisme par B. BOULOC
Assuétudes et droit pénal spécial par J. BORRICAND
P.U.A.M. 1990 Prix: 70 F
Graphisme de couverture V. VASARELY: YLLT - 1975
© Victor Vasarely
Prix : 110 F
�
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Périodiques imprimés édités au cours des 18e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
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Problèmes actuels de science criminelle
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Boulan, Fernand (1939?-1993). Rédacteur
Institut de sciences pénales et de criminologie (Aix-en-Provence, Bouches-du-Rhône). Auteur
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Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote 51701 et 51702
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The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 19..
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Nouveaux (Les) problèmes actuels de sciences criminelles (Devient)
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La revue Les Problèmes actuels de sciences criminelles est éditée par l’Institut de Sciences Pénales et de Criminologie (ISPEC) et le Centre de Recherche en Matière Pénale (CRMP). L’ISPEC et le CRMP « sont réunis au sein du pôle de sciences criminelles de la faculté de droit et de science politique (UPCAM) et renouent avec une tradition éditoriale initiée il y a plusieurs années.
Les Problèmes actuels de sciences criminelles ont vocation à accueillir les conférences qui se sont déroulées au cours de l’année universitaire, les manifestations organisée par l’ISPEC et/ou le CRMP, qu’il s’agisse des journée de formation ou des colloques, ainsi que la conférence annuelle des doctorants, mais aussi des extraits ou articles tirés des thèses soutenues dans la périodes référencée ou toute autre étude relative à la matière pénale. »¹
Le rédacteur en chef est Jean-Baptiste Perrier.
1. voir le site de l’ISPEC : www.ispec-aix.fr/problemes.html
Résumés des mémoires des majors de DEA et DESS à partir du vol. 15.
Les années numérisées 1985, 1989 et 1990 correspondent aux 3 premiers tomes de la revue
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Avertissement " Tous droits réservés : malgré nos nombreuses recherches réalisées de 2013 à 2016, nous n'avons pu retrouver les coordonnées de certains auteurs ou de leurs ayant droit; des contrats ont été aussi envoyés à certaines adresses mais n'ont pas eu de réponses. Nous sommes donc à la disposition des auteurs concernés ou de leurs ayants droit pour leur proposer le contrat de cession des droits patrimoniaux ou pour retirer un article de notre bibliothèque numérique. Nous rappelons que la mise en ligne de ces articles se fait exclusivement dans un but académique (fichiers réutilisables à des fins non commerciales) et avec l'accord des éditeurs et des directeurs des revues concernées". <br /><br /><a href="https://odyssee.univ-amu.fr/appel-divulgation" title="Consulter l'appel à divulgation et décharger le contrat de cession de droit d'auteur" target="_blank" rel="noopener">Consulter l'appel à divulgation et décharger le contrat de cession de droit d'auteur</a>
Subject
The topic of the resource
Droit criminel
Droit pénal
Description
An account of the resource
Recueil des conférences, colloques et autres manifestations organisés par l’ISPEC et le CRMP, ainsi que des extraits ou articles tirés des thèses soutenues au cours de l’année universitaire en matière pénale.
Criminologie -- France -- Périodiques
-
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cde21a7ff4af95bba5108fc4c39fcb36
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Monographie imprimée
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Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
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recidive (La) sa répression et ses remèdes : thèse présentée et soutenue le 17 décembre 1897
Subject
The topic of the resource
Droit pénal
Creator
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Montvalon, Gabriel de. Auteur
Université d'Aix-Marseille. Faculté de droit et des sciences économiques (1896-1973). Organisme de soutenance
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Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES-AIX-T-206
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An entity responsible for making the resource available
Larose et Forcel (Paris)
Date
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1897
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1 vol.
XI-440 p.+ 1 f. d'errata
24 cm
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Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
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https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/587
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Abstract
A summary of the resource.
Thèse : Thèse de doctorat : Droit : Aix-Marseille : 1897
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Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Description
An account of the resource
La récidive, encouragée par des conditions de détention souvent inadaptées, est le point faible de l'organisation pénale et les statistiques criminelles montrent sa progression préoccupante : comment à la fois la sanctionner et la prévenir ?
Droit pénal -- France -- 19e siècle
Récidive (droit) -- France -- 19e siècle
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/584/RES-AIX-T-203_Houitte_Reformes-penales.pdf
073f2325d1cd78449eb21836202bbe93
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Monographie imprimée
Description
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Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
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Title
A name given to the resource
réformes (Les) pénales de 1885 : Loi du 27 mai 1885 sur la rélegation des recidivistes. Loi du 14 août 1885 sur les moyens de prévenir la recidive : libération conditionnelle, patronage, reéabilitation : thèse présentée et soutenue devant la faculté de droit d'Aix
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Houitte de la Chesnais, Édouard. Auteur
Faculté de droit (Aix-en-Provence, Bouches-du-Rhône ; 1...-1896). Organisme de soutenance
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES-AIX-T-203
Publisher
An entity responsible for making the resource available
A. Pedone (Paris)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1898
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public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/250582821
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-AIX-T-203_Houitte_Reformes-penales_vignette.jpg
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The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
278 p.
25 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/584
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Abstract
A summary of the resource.
Thèse : Thèse de doctorat : Droit : Aix : 1898
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Subject
The topic of the resource
Droit pénal
Description
An account of the resource
Dans les états de droit, la peine n'a plus pour but plus d'éliminer les coupables mais de les rendre meilleurs : comment sanctionner la récidive et la prévenir ? Pour y parvenir, deux lois complémentaires et de nouvelles formes d'assistance
Droit pénal -- France -- 19e siècle -- Thèses et écrits académiques
Récidive (droit) -- France -- 19e siècle -- Thèses et écrits académiques
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/310/RES-T-Lic-3_These-licence-Cremieux.pdf
5ed154d5d419fa5411ac993b6ac19d8e
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ADOLPHE)
de' Nîmes (Gard.)
Sur tous les obirts d'étude fixés pour le cours trimnal, " spécialrmml
sur les titres 'lui lui sont échus par le sort.
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CHEZ TAVERNIER, IMPRIMEUR J?U ROI, DE L'ACADÉMIE ET
DE LA FACULTE DE DROIT.
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incorpol'alcs e tiam et futm ie. '
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POs s Ual. scilicet pâtresfa miJja s, imo et fiJjjfamiJias,,' ~i pareI; '
permiserit.
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nlOdà non obstet Imitas personre. veluti inter patrem et
filium, nec Don - cr "Conill'll:6S --nlortis caus~ ;-oliIlnibus quibus
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legare licet:
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Donat.fo ipt-er' fyg~e a ~ ffi[tÇ©putWJ! 6f'tis.· sflspiéiooc fit,
sed soÎius libe ralitatis gratiâ.
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Perficitur cùm donator 'TJu n~H te'p- suam dandl dc clal"avlt ;
donat ori us accipiendi,
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Nudus consensus clat a~t:iIlÎl'èrrt ex st.'Ip.ltliat u, Don actionem
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v..e~ .5RF .e.tiam ' co g italion~ »J@'r ta)i ~? tjs ex :o rte hl~ma1'Hl ; et, ID
s.umlflâ, ut , aitl JustioiijD\,\S, mdr~ IS ,(:ausa dOllatlO, es t ~u 1l1m
nl<JK\s ~e -g uis ve l ~t ha1:w'e. qllàql ,eum qui ,d onat , ,ma ~ll.s:ue
eum cui donnt , quam h reredcm suun,1.
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Ex hac defimtlOlle apparet revocabilem esse m
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ut pot~ ~ b eo f'lctam rlui se p imum et . ,
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Quum vero multa Cllln legatis similia habeat ad exe 1
legatorum pel' omnia .ferè relilacta est l1 rec dOna;io
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Ad ejl1s ig itur perfec tionem qllinque testes d esidel'ant
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lDsecu,a.. sIt ·; l'es, onata.
statllIn a mor te donatol'is in cio'm' 1....
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Ona~OI'Il t!':HSlt ; d.onatOl·io 'sllbstitui opotest;' CO~JjLl},1 ' éO'n tl\gil
~Ol'tJs causa potest donare; p,ostremcD non opus est' insinna __
tlone. Qu re omnia et legatis communia .
.I~ quibusd~m tamen 1~~1Jtlm, et d~\>1atio diffeI'l1.r:t , quùtl
s~lh,c et' , m?~tJs ca'usâ ,do~atlO . )sie ,fien oopotfls t ,Jut n dn~l~àJn '
s~t l:evocabJ}IS ; 9-uàd ID llJ ~ an, qu~s capere possit, Bon <1ahODJS. ,sed mOI'!ls t~mpus IDSplCltur ; qu'o d donatio fit IDfè r
duos, l'd.coque ID ,e a dU~n1m consensll opus est ut valeat.
'DonatiQ pl'opter nuptlas ea est quam mal'Ît>l1s u::\'! ori v'e l
sponsus 'sponsre fecit in secliritatem' dotis.
/
'1 : ,,1
Dos ,es t l~eéu~~~ data à rn~lliem " il!iove pro eâ, ad ' slls11C.
ornda matl'ln1oDIl onera.
1
, Jit m , vero .vidimus nOD posse cooj l1 gém conjugi donare
lOtel', V I VO~ . Idooqne, non r e ipsâ d ona li~ est ql1re proptel'
nupt las agllur • sed plg nllS quodd am lI XOrI dMum nt ei dos
integ ra l'eddiltLII·. ' U nd è fluunt tres consequentiœ ;'
~cilicet. donatio propl er Duptias qtlantita~cm et q ualital em
dOl rs rcfelTe debet. et omnes d otis vicès subire.
'
Brec d on8lio nOD tribuit lIx ori d ominium rCI'l1Dl quibus
constat. sed solummodô jus pignoris.
NtIl liu s momenti est. si' Dup'ti a'! l'Ion secutre StlDt.
Dahir à solo sponso (lllt · marito ; et ql1emadmoclùm uxor .
5011110 matl'im01'l.io • dotem , ita · maritu-s c1l~nationeIl1 prop/el'
Duptias, l'ecipit , aut potiùs sen/at, quia sol us d omin us fuit '
pel' totum nuptiarum templl S.
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Des s.uccessions.
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~. Après avoir établi, en pnincip.e. rque
le maltr"e
q'u$èl" ret d'ablhser , de sa i propriété, €I) , la loi. n'a voulu ni
lieS~lIeind re . ni modifier cette liberté indéfinie; mais quand
ThQmme n'a point fait usage de ses droits ', lorsque, cessant
de fail'e PaI·t ie de la société, il n'a point fixé le sort des biens
q~; jJ c,posgédpjt; : sa ipro.p'liiété n C! peut rester .incertaine. La loi
t;eprc n,@. II! dvoj~ quielle avaiLdonné • ,eto!est elle qui dispose
à I.a place de l'hom.mc Jqtrui "n'a pü ou (vQulu dispose~'. Mais
t4;mjQUll$ juste et toujours sage, elle consulte les affectIOns de
l"homme ' qu'elle remplace; elle sonde, pour ainsi dire , dlDS
son cœu\, , et )a marohe qu'elle suit. lui est indiquée pal' la
volonté présumée <:lu ,défuliI,t. C'est suri cette J1em:euse pl'é\èoyal'lce, de la loi, qu'est fondé le titre des S\!l(,c~ss,lOns:
On entcnd par succession, la masse IOU l'ulllv ersaIJté. des
biens et charo-es qu'une personne laisse en mourant, on bien,
le droit de r~cueillir cette masse ou universalité; celui auquel
ce droit est dévolu. se nomme hél'itier.
Les successions s'ouvrent par la mort naturelle , . cj~ile, ou
présumée. Dès ce moment, rhérit·ieu les~ sa·isi. de. plelO drOIt
des biens, droits et actions de celui dont JI hérite. llies transmet à ses descend ans pal' le bénéfice de la r eprésen tation,
La représentation est 'une fiction de la loi , dont l'~ffet est.
de f" il'e monte,' les enfan.ls ou Jl ~s" desc.endants d'une persOlwe prédécédée, au d,egl(é de, cett~ \n€)qlc pers,onn~, et
pal' suite, de leu r c1,onu,e rdes droll.s ,q1l1eh1)e a~lrolt CLIS, SI elle
eût survécu à l'ouverlul'e de la l ~ lI cc es s ion,
Les successions sont rég111i è)'(~s ou irrég.u llè res.
l'homme l est
(1; Propriaas est jus utmdi et nh/lfmdi re sud.
Les successions régulières sont: celles des descendants ,
des ascendants. des collatéraux.
,Les descendants .succède nt à l'exclusion d e tous autres.
solt de lem' chef, SOit par représe ntation, sans distinction de
lit, de sexe, ni de primogéniture.
En .Iigne coll a téra le, on direc te ascendante, le principe
général est gue toute suècession se divise e n deux portions
l;une pom les parents les plus proches de la ligne paternelle:
1antre pOlir les parents les plus proches de la ligne matemelle.
Les frères. sœurs ou descendants d'eux. excluent tous
les ~scendants. autres que les père et miTe; ils excluent
aussI tous les autres collatéraux.
Cependant si un ascendant a donné à nn de ses desce ndants
une p~rtie d~ ses biens, n'a ura-t-il pas le droit de r eprendre
ce qu Il avoIt donné. en cas de mort du donataire? - La
douleur de voir sa posté rité s'éteindre sous ses yeux, n'estelle pa s asscz vive? faudra-t-il y joindre le regret de se voil'
dépouill é par ceux qu'il n'a pas voulu embrassel' dans sa
libéralité? Les lois romaines vouloient que l'ascendant qui
avoit constitué une dot à sa fille, la reprît dans sa succession:
ne ef filiœ amÎssœ, et pecuniœ damnum senfiref, La loi française a étendu cette disposition à toutes les libéralités ùe
l'ascendant. Il succède à l'exclusion de tous autres aux objets
donnés par lui , ou au prix qui peut en ê tre dû, ou ù l'action
eu reprise que peut avoir le donataire. Chez les romains
c'étoit un droit de retour : c'est main tenant un droit de
successIOn .
Si le donataire laisse d es descendants, et que ceg descendants meurent sans postérité, J'ascendant donateur n'a-t-il
pas le m ême droit de succession?
Les pal'ents an douzième degré ne succèdent plus'.
Successions irregulières.
Sont appelés successeurs irréguliers:
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Les enfants, naturels léga l e l1len~ reconnus, le conjoint
survivant. ct l'Etat.
'
L 'enfant naturel a des droits sur la succession de ses
�( 6 )
pèl'e et mère, Ces dr,()~ts varient suivant la qU'Ilité <les
h él'itie rs légiti mes ayec lesquels ij c,olllC9l;1l't. Le père ou la)
mère peuvent r estreindre ces droitô ; j.)s ne peuvent ~ur
donn e r plus d 'é tendu e,
La loi n'accorde que des aliments aux enfant.s adultérins
ou incestueux,
A dé faut de paT'ents au d egl'é successible, et d 'e nfa ~ll,s,
naturels. la success ion pa sse au conjoint survivant ; à d é['llyt:
de conjoint sUl'vivant. à l'E tat.
,_
La loi qui donne le droit de succédet,. peut aussi le ravil'
dans certains CilS, En consé quence. n e p euvent su c.c éder
ceux que la loi déclare incilpables ou indignes,
Acceptation et répudiation des successions,
Deux principes de l'ancien droit, su'r cette ·matière, ont
été consacrés pal' le code,
IOLe mort sa isit le vif;
0
2 N'est héritiel' qui ne veut.
Du premier principe dérive le droit de saisine accordé à
l'héritiel', d ès le moment de la mort du d éfunt ; du second
le droit d'accepter ou de r épudier la succession,
On accepte puremen t et simplement, ou sous bénéfice
d'i n ventaire,
L'acce ptation pm'e et simple est expresse ou ta cite, Son
effet re,monte au jour de l'ouver ture de la succession, L'héritier qui accepte est ten u de toutes les dcttes et charges
de la succession,
L es créanciers de celui qui renonce au préjudice de leurs
droits , peuvent se faire autoriser en ju stice à accepter la '
succession du chef de leur débiteur. en son lieu et place,
L 'héritier qui renonce est censé n'avoir jamais été hétitier;
sa part accroît à ses cohéritiers,
Du bénijice d'in ventaire.
Si l'état d'une succession est incertain. la loi vient au
secours de l'héritier ; elle lui procure les moyens d'accepter.
' 1'
(7)
sans COUI'lIi' e -nsqlfe de la responsabilité qlli I)e'se
l'hé ' .
r
'
Sur
rltler
t '1
p~l' e ~Imp e; elle Ul p ermet d 'aCCel)tel' SOLIS bé éfi
d mventalre,
'
~
n ce
, O?" cléfinit le benéûce d'inventaire : la faculté accordée à
l hél'ltler d 'acc~pter la succession, sans êlre teoll ,des char es.
au, de-l~ de 1émoll ~ment,
g
L 'I,lé,l'i,tier bén éDcinire ,cs t, so umis à remplÎt' , une foule .de
i6rnl,~lt,<tll q'~é o[)tlUS ne detaIlIerons p oint; la plus importante
e~t, 1~n,\'entall'e fid èle et exàct qu 'il es t tenu de faire des
biens dl'; la 'succession,
Il,, a trois ,m ois pour fai,rc inventaire, et après la confection
de IIDvental~'è : quarante )ours- pour délibé rel' sur l'acceptation
ou 'la ,1'épudIatlOn,
.
Il a. l'admil)istl'atian des biens de la succession à la charge
d'en rendre compte,
'
, f'
D es $uccessions l'Geantes:
i ,
,Lo'Jsq u'all l:ès ,' J 'e~ piration des délais, il ne se présente
p,e~'~onne ql1l l'celame un e sl~c,cession, qu'il n 'y a. pas d 'hér,lhel' iconllu, ou que les hénhel's ont renoncé, la succession
est ,l,é putée v acante,
, ?LU' da demande des parties intéressées, ou sur la r équisThon l du Procureur du Roi, le tribunal nomme un curateUl'
à 1,\ 1 succession, "
Les dispositions qui coilcernent J'hél'itiet' bénéficiaire, sont
communIe s au curateur ; ' cependant celui-ci admiuistre. à la
charge de verser les deniers dans la caisse du receveur de
)1,1 régie royale, et oe rendte compte à qui il appartiendra,
, La facilIté d 'aeceptel' Ott de répudier se prescrit pal' trente ans.
j
Du partage et du rapport.
f
)
'.1,
, Le partage est la division entre les divers cohéritiers,
des biems auxquels ils ont droit en cette qualité.
r:he, p'abtag6 est fondél sur trois principes: ,
�1°
nécessaire~~n~
L'égalité est
exigéé dans les lots échus
à chaque cohéritier.
. ...
2° Nul ne peut êtrc tenu dans une lD~hvlSlon forcée.
.
3° Le paNage est simple'rnent déclaratIf et non translatif
de propriété.
.
.
Le Pl'emier principe donne heu au rapport \ à la garantIe
des lots, à la I·escision.
'
Le l'apport est la r éunion réelle ou fictive à la masse de.
la succession, des objels donnés par le défunt à l'\lD ' des
successibles, pour le tout être partagé ensuite entre les div~rs
cohéritiers.
Ainsi le rapport doit être fait par. le donata:ire au.x: cohé-ritiers , et de tout ce que le donataire a ,reçu du difunt IV _
titre gratuit, directement ou indirectement, même des sommes
dont il est débiteur.
'
'1 JI!
Le l'apport a l'effet d'une condition résolutoire.
Il se fait ré ellement ou fictivement. Reellement, pOUl' les
immeubles qui se trouvent entre les mains du do?ataire.
Fictivement, et alors il s'applique aux meubles ou ahx
immeubles.
,,,l, ' " "
) , 'J"
Aux i~meubles . s'ils ont péri par. la faute du donataire:
on s'il les a ali énés. Il est dû de la valeUl' de l'immeuble lU
l'é poque de l'onv el'ture de la snccess~on l; d'où il: suit ~que le
donat aire est passihle de l'augmenta ltLon ;,et qU'LI profite ~e
la dimi nulion qLli p eut exister à l'époque d~ , l'ou~ertuI~e;,
d 'où il ' suit encol'e que si. l'immeuble a 'pépi pal' cas fortllll,
et sans l a faute d u donataire , celui-ci ne doit rien rapp'o rber,)
pas m ême Je pri x de Jla v~nte. ~
,
' ,,,;,1,,
J, Aux meubles , et a lors li se fait sur le plcd de la valeur
donnée aux mCLIbles, pax: l'étilt estimatif annexé à l'épo~ue
de la donation. Du l'este, le rapport fictif se fait toujours en
moins prenant.
•
\ , ' '
D 'après le second principe, tout cohéritier a le dr?it de
pvovoquel' le partage.
"
.
Nous n'entrerons pas dans tous les ' détails lIe1atlfs (à ,Ji .
forme du partage. Après que les meubles-et :im~eahl~s ')ont
élé
l' , é
( 9 )
. é
é té ~stlm
s, , et lcll s, s'il y a lieu, c'est cleva
'
que se fJrment les lots, et que le parIage
un notaue
,
;'
. ,. '
s Cucctue
SI . tou ' les,
cohél'ltlCJ"s ' ne sont pas présen' t
:'1
d '1 " ,
S, ou SI y a
parmI eux . es roIDcurs,' même émancipés
l '
d't 1
f .
.
, ou (es Intl'l'1 s, ,e.pa:tage se mt en Justice; et les étran<>crs sont al -'
à la hCltatlOn.
<>
,( mIs
, r;;.
,L'action em rescision est admise contre tout acte
'1
SOIt qual!fi~ de ve~te, d 'échange, de transaction et~. ql\ \
a pOUl' objet ·
de fmre cesse l'indivision',
mal's
s'.'11 y a' SI
eu
cl ans l,
acte
Il'ansacllOn
sur
des
difficultés
réelles
l'
,t '
.' , .
, ne Ion en
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,
" ,
il Y aurolt pas
eu ~ ce sUjet de proce~ c~mmencé, (1)
'1 ~lles sont les oblIgatIOns des cohéritiers entr'ellx ' , 1
à
11
' 1
.
. 1 es e
vOIr. que es sont es ohhgations des héritiers envers 1 '
créanclers d~ la succession, _
es
L,e principe général est, que les coh éritiers contl'ibuent
entr
payement
des
dettes et charges de J'a su cceSSIOn,
'
1 1 eux au
,
'
.
c l,acun dans la proportIOn de ce qu 'il y prend, et hypotb écall'em~~t I?~Llr ,Ie.tout" ,s'lUf le recolll"s, contre qui de droit;
que le legatalre a tlire uDlversel y contribue avec les héritiers,
a.~1 pr~rata d~, son ,ém,olnment. et que )e légataire parliculiel'
n est '(en~~ que. de l actIOn hypothécmre , de manière cependant
à ~e 9u Il demeure subrogé aux droits des créancie)'s qu'il a
satisfaits,
. Les créanciets de la s~lccession peuvent demander dan s
J oI
t,ous les , ca s : lâ' séparatibn du ' pa'trimoine- dl! défunt d'avec ~e'l lI~ j~è 1héritiei' : ~ nibins qu'ils n'aient accepté, par novation,
l héntter pour débiteur,
Én~n
, les créanciers
d'un copartageant
peuvent -s'oppose!'
).
II,,' ) , ), ,
1
1 " f'
,
d ce que le partàge 'soit
ait hors eTe leup présence ; mais Je
~arta~e ur~e foi\ consomme, ils ne peu'vent plus l'attaquel' ,1
,f!!,?m-s qu' il n'y' ait é té procédé a 11 préjudice d'uné 0li'P'osition
aprbien
e fOl'mée.
'
1
qu'lIs
,
i
, (1) La transaçtion est un contrat par lequel les parties terminent nnc
COntest
tian née', ou
préviennent un~ Couteslation à n.Îlre. ( 2044 )
,
, Il
B
�"
' ,< i-o
)
.
J'ev.J~.
fj
1
Tel est. dans son ensemble>, If titre des s?Jccessions. 11'
fixe le •'s ort (lès propl-.iét~s·' ilt as"Sure tous .les dr'oits f" ii' fav ol'isè q
toutes les justes pt'Stel1tio,n.s; iJ. est '. en un mot. la \lase' ét
la garantie de l'ordre s0cial.
•
1
CODE DE
1
• )
PR.OCÉDUR.E
}
l
f
Il n t.
III.
Titre unique. De l'Appel.
••
,
1
Jl
)
l,
)
(
L'appcI est une r écTamation par ) J!I~uètJe bd .défèr~ ' ~n
jugem ent que l'on so utient ïnco,m péteÎlt" iri'~g\:lHer -'du
injuste, à un tribunal supéri~ur. 'pout qu\~I lé reforrt:t e , 'ét
ordonne ce qu'auroit dll ordonnel' le premier tribtl b'at
Le d élai pour interj etcI' appel est de ti'ols mois. stuf lbs
exceptions portées aux ~ rticle~ 44 5 et 441?·
Ces c:lélais e):Ilportent déché,lDce; ifs CO,u rent cqntr~ toUte
partie . sauf le recour~ contre qUI de droit. .
, J
Sont sujets à l'appe1 res jug~mens qui ne sdnt 'p as t er\'duS"
en dernier ressort. ou qui n'ont pas acquis fort e de thas'ej,
jugée.
m ânjère d'int~r.)e~e.r appel diffère selon que. le Jugement dOQt, est appel est plléparato~re ou lntefloc.utoire.
On ne p.e ut appelh!l~ , p €I}dant ii/huitaine .;'d,',u n ,jugement'
qui n'ordonne pa,s exécu~ion provisoire.
.
. ". ' -,
T out appel f m eme de Ju geJDent l',e ndlt· sur lDst~PCt)OD par
écri t, est porté à l'audience . sauf, ~1 la Cour , ~ ,ordonner.
l'j nstructidn par, écrit , s'il y a ~ieu.
1 f
"
" "
1 - :. ;
.
'
Il Be ]?eat être fOl'p1é 1 en cause , ~'aPl?~1 " a;~l-çupe nou-'
velle d emande , 11 moins qu 'il rie s'a1?;isse de compensation,
ou q.ue la cJ~manclc 110Ll velle ne soit . la défense à i1achort
principale, p u accesspÏI': à la ~~~~p~e principal~. ,, ' ,
En cas. de confirma,lIdn du fu gem en'l: , re'1(é~Ho~ ~ppat-,
tient au trib lOal dont est apper; si re jûgetnent e s'1: îdlÏl'l'Iié "
,La
'
. ,
Du J/Jry , ou de la procridure ,depant la Cour d 'assises.
, 1
•
JI )
LÉGI~ LA 'l'lOl'{ CRIMI~ELLE.
CI.VILE.
1
(
pa1q~l aur~ pl'Qn.oncé~
La Cour peut mdiqueî' le t~'î:> qred
le lIleme arrêt.
1 una
ont est appçJ,
'1
"
.
~ 'ffi"1
'ttlOn ,.appartiendrA
~
.
" à la COUI' l'oya le
QIJ
un aut~e !r!9~lOal qu'eUe indi
~a . procédure d evànt la Cour d' .'
pl'lO clpes • qui r ésultent de la défi ' .a~S Jses r epose SUl" cinq
. On peut défini' l' 1e ' jury
.
du Jury.
la r ':DIllon
.
capa~les que la loi charge
" eu~Jon d e. ~ouze citoyens
acqulse. par l'in struotion' ~rale pl es. a ~Onl}lcl/On qu'ils ont
~ecider ùrÙocablemen1f. si u
qUI a lIeu d evant ewx. de
1est pas.
n accusé est co.upahle , ou s'i-I n e
d'a
Les cinq Pl'inc'
.,
sent la b d ' Ipes qUI i'esultent de cette définitia
° Il fa se e cette pl'océdure • sont '
n. et qu i
1.
aut d ouze citoyens
. 'Y
20 C ·
.
pOU l' f"orm el' uu JU
.
es cItoyens dOivent être ca bl
"
dOiv ent pas 'être exclus
. 1 J' pa es. c est-a-dire, ne
30 L "
.
pal a 0 1.
lDstructlOn
qui
a
rleU d ev ant eux doit êt e ' 1
0 L'
.
e
Jury
ne
Ju
ge
qu
d'
,
r or<l e.
450 La d é ,1 "
. e apres sa conviction ,
.c al atlOn du Jury est irrévoca ble
D
,u premIer ct du second prin ci
. '
du Jury et la r ée . t'
.
p.e n aIssent la form ation
•
lI Sd IOn motJVée
1 l '
accu sés et ;:tu . ministère IJubl'
qu e a 01 permet au,..
D
..
IC.
U trOISIèm e ct du guatri '
l' d"
la fa cul té do é"
.
em e,. a~1 ~tJon des témoins, et
de l'accu sé ~\n l'~ ccaux , Ju gr~ , an mmlstere Pllblic , au con seil
use . au JlIl'Y de faire to t 1
.
.
' '
gUI pellvent éclai" cir l'affair ' '
li. es. es qu estIOns
eu rO re lieu
1 'd
e, c~s. deux prin cIpes donn ent
Conseil de l' au ~ al oye1' d u miDI stère public, à celui du
.
. accu s.e . et enfin au rés umé du IJrésidcn t · .'
é
qUi est la plu s b ell e prerogatI
'
.ve attachée à sa dign 'té ' l eS
d"
. Uill"1'
Olt ach eve r d 'éclair , 1
.
.
1 • pUlSqUl
el a conscience du Jury, en lui montrant
les p,,' . 1
E ~n c lp a, cs preuves pour ou contre l'acc usé.
il il, Cest S11l' le cinquièm e principe qu'est fo ndé l'ac-
B~
"
•
�(
12 )
quittement OU la co~damnation de l'accusé, l'application èi
la peine requise paIr le, procureu,r -général.I, la prononciia ti'o~ .
du j ugemcnt, et son exécution.
JIll. , ,
CODE DE COMMERCE.
1er •
Tit. 3. · D es Societés.
Llv.
Le mot Societé se prend dans deux acceptions: ou il expI'ime la convention pal' laquelle plusiell1's personnes s'obligent à conférer qu elques objets, ou à faire quelql!e chose
en commun, pOUL' obtcnil' un profit licite; ou il signifie le
corps moral formé pal' la réunion de ces pel'son nes,.
. Quels sont les principes gé né raux, communs à toutes les
sociétés d e commerce? quelles sont les diverses sociétés et
les règles qui leU\' sont particulières? quand et comment
S'Qpère le ur dissolution ? quel est l'effet de cette dissolution?
Ces quatre questions l'enferment tout ee qui est rclatif aux
sociétés commerciales,
Principes généraux.
Les principes gé néraux embrassent: 1 ° les caractères essentiels du contrat de société; 2° la mise ou l'apport des associés;
30 la détermiuation dans les profits et p ertes; 4° la forme
et la publicité des actes qui constatent la formation des
sociétés d e commerce; !}O l'obligation légal e dcs associés de
soumettre à des arbitres le jugement de toutes leurs contcstations.
Des di~erses Sociétés, et des règles qui leur sont particulières.
Il y a tr ois espèces de sociétés commerciales: la société
en nom collcotif, la socié té en commonclite, et la société
anonym e.
•
( i3 )
L~ société ennam 'collectifr est 1 celle " 1~; se for
phl~leurs 'peJ'sonI'llél> ',
'
pOUl' 'faire- 'ensemblr () sous u:e~ l~~S~:
soc,al~, ' telles opéra tions de conuner€Cl I qu'elles 'u 8.)~nt .
J~
à;,
pl'opos ll 'pe~~ant tout !e ' tems cU~ sa jdl1J'ée,
L es a s:~ocles peuvent nommcr, ou par le conlTat ou JI'
déiIhé l'a tl~!l, particulièr e, un , Ou quelques-utls d'~!ltJ"e~x
pOUl', admltllstrcl:.lcs a(l'n'ires de la ,société: dans ce 'cas
asso ciés
sont
ten us '
solidaÎl'ement de 10 lIS" les e. nga gemens
,cs
,.
,
conll aetés P?I' les gérants en l eurdite qualifé, ' 1 ''l" 1
, ~es ,ass,oclés en nom collectif sont tenus solidairement et
melt efi nl1n ent
de la"
soc\-'été
d e gue1que
"l'ù'totis les e nO'agemens
0
,
na ,ure qUI s sOient" .e,t qt~elq~le étendue q\l'ils aient, encore
qu u~ seul d,es aSSOCIes mt sIgné, pOt1t'Vl1' Clue cê sQÎt sous
la raIson SOCIale.
'1
1 La, société en commandite est celle qui existe entre de~
assocI és dOtlt, l'.un q~l plusieurs qu'on appe'He complimentail'es
sont tenus lIlèléfi
nlment et solidai,'e nlelJt d e t ous 1es enO'd. '
1
gcmens cont,'actés,. sous
la
raisou
sociale,
et
les
aut'I'es
.r::
.
qllon
~omll1e con~ll1anc.lltalres" le sout seulement jusqu'à concurlence de leur mise de ionds,
,\ >""
l '"j'.,
.
Lorsq ll'il y a plusieu,'s associés complimentaires elle a
cntr'eux les effets de la société"e n nom coll ec ti f.
'
~'a~te d~ soci~té ~eut ~ tre rédigé sous signature privée;
maIS 1extraIt do~t n ecessa lre~etlt faire c~nnoÎtre' lé n ~l1'lb"l(
d~s C!:)J~lInandltal1'q, la quolIté et Ics objets qui com!Joseflt
lem' mIse,
' ,
"
.' L'as~ocié commanditaire n e peut faire aucun acte de 'gestlon, DI ~tl'e employé pour la société, même en vert u d'une
procurallOn.
'
J
Son nom ne peut fail'e partie qe la raison sociale,
,Ladsoci<lté anonyme ne peut avoir de raisoD- ,~OQial .;.,e,IJ~
n es~ ésiguée ~jue pal' son objet.
'
,
L acte de SOCiété doit être authentiqu e et autorisé pal' le
Gouvernemen t, L 'autorisation et l'a cle en entier doivent être
affichés,
Les affaires son t administrées pal' des dire cteurs ou commis ,
l, '
1
�( 14 )
•
révocables. soeiétall'es ou 1 flon. s./ilaniés 01it 1:Ion :salariés.,Les capitaux ~ont ordinau'emedt llivisé$ en aol,ÎpJjJ/i • ou CO~,
pons ,d'action ae vale.ull lé@aJe. :,[,
.
),
Les associés ne sont passililes- d.es "pelltes qué jusq~l';à CQI:lCUl'rence de lelll' Dl ise.
1
li
1
AssociaJions en participation ,, )
~
,
J \
c-
1
,
1
Ou tre "ces troi~) espèces d~ ~ociétés • le Code reconnoî~ en,
ç-fjlre Jes as~ociati.ons en participation.
r
,On les défipit; associations formées par une ou plusieurs
opérations de commerce.
La preuye de let,lr existljnce est faite par livres, coq.'es'
.'..
poD<]ances et témoins.
'EUe a lieu' avec les proportions d'intérêt dont il p.lait aux
parties de convenir.
.
Les p(l~,ticipants sont tenus, dans certains cas, des engagemens contractés pOUl' l'objet de leur associat~on.
r l'
l
'
_ Dissolution des SocùJtés. Effets de cette disso}ulÙJ(l.
Le COde Givil détaille les 'c~l1ses de la dissolu'tion des sociétes.
L'affiche de la dissolution doit être faite, comme celle de
la fqr~atjon de la société, à moins que celle-ci n'ait désigné
l'époqul( fix;e \ de la dissolu!' on. .
La di~solution donne lieu à la liquidation et au partage.
Les aç,tions c;ontre)es mej:pbl'I!s d'·une société dissoute, se
prescriveq t par cinq ans.
La prescription ne peut être invoquée par le liquidateur.
,
l'
V~l
'
por nous Doyen de 1. Faculté. BALZAC.
App'rouYé par nu(,s 'RUteur' de ' l!Acddér:n.ie cl' Aix. lYEYlI1AR.
e
,
r
�
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Thèse pour obtenir le grade de licencié... / par J. J. Adolphe Crémieux
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Crémieux, J. J. Adolphe
Publisher
An entity responsible for making the resource available
Tavernier (Aix-en-Provence)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1817
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
14 p.
24 cm.
Language
A language of the resource
fre
lat
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Table Of Contents
A list of subunits of the resource.
Jus Romanum. Ex institutionibus justiniani. Lib. II. Tit. 7. de Donationibus.
Code civil. Liv. III. Tit. 1.er Des Successions
Code de procédure civile. Liv. III. Titre unique de l'Appel.
Législation criminelle. Du Jury, ou de la procédure devant la cour d'assises.
Code de commerce. Liv. 1er. Tit. 3. des Sociétés
Subject
The topic of the resource
Droit romain
Droit pénal
Droit commercial
Procédure civile
Description
An account of the resource
Mémoire soutenu publiquement pour obtenir le second grade de droit attribué par les facultés de sciences juridiques au 19e siècle
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque de droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES T Lic 3/20
Contributor
An entity responsible for making contributions to the resource
Faculté de droit (Aix-en-Provence, Bouches-du-Rhône). Organisme de soutenance
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/189463058
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-T-3_These-licence-Cremieux_vignette.jpg
Alternative Title
An alternative name for the resource. The distinction between titles and alternative titles is application-specific.
Actes publics de la faculté de droit d’Aix (Titre de dos)
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/310
Abstract
A summary of the resource.
Isaac Adolphe Crémieux (1756-1880) nait à Nîmes puis vivra par la suite au bourg de Crémieux, ancienne communauté israélite. Le jeune Isaac, dont le prénom sera francisé en Adolphe par son père, effectuera ses études de droit à Aix et deviendra avocat au Barreau de Nîmes en 1817.
Après la révolution de 1830 il se voit confier la charge d'avocat à la Cour de cassation. Actif défenseur de la presse d’opposition, il abandonnera cette charge en 1836, et redeviendra avocat privé, s’orienta vers la défense et l’administration de la communauté Israélite de Paris. Il sera élu député à Chinon en 1842 et participera à la campagne des banquets menée par l'opposition (1847-1848). Après les journées insurrectionnelles de février 1848, Crémieux devient membre du gouvernement provisoire, où il détient le ministère de la Justice. Artisan de l'abolition de la peine de mort en matière politique, il sera par la suite élu à l'Assemblée constituante.
Lors du coup d'État du 2 décembre 1851, Crémieux est interné vingt-trois jours à Mazas. Après cet épisode il quitte la vie politique et cesse ses activités d'avocat. En 1863, il refuse de se présenter à la députation.
Cependant, la libéralisation de l'Empire et la crise politique qui se dessine l'entraînent à se présenter en 1869 : il est élu à Paris au corps législatif et devient un des chefs d’opposition. Il redeviendra ministre de la justice après la défaite de Sedan, fonction durant laquelle il fait adopter des mesures qui lui resteront attachées, notamment en matière de naturalisation. Il participera par la suite à l’élaboration des lois constitutionnelles de 1875 avant d’être élu sénateur inamovible.
Cet ouvrage, paru en 1817, est la thèse que Crémieux a rédigée dans le but d’obtenir le grade Licencié à la fin de ses études de droit. Il y aborde des notions de droit civil, notamment des successions, du droit pénal et de procédure pénale, ainsi que du droit commercial.
Sources : J. Krynen, J.-L. Halpérin et P. Arabeyre (dir.), Dictionnaire historique des juristes français. XIIe-XXe siècle, PUF, 2015, notice de J-J Clère, "Crémieux", p. 285-286
Voir https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/310
Dutertre Morgane
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Droit civil -- France -- Thèses et écrits académiques
Droit commercial -- France -- Thèses et écrits académiques
Droit pénal -- France -- Thèses et écrits académiques
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