Reliure / restaurations :
Volume restauré en 2017 : démontage de la reliure basane particulièrement abrasée et des gardes et contregardes de parchemin non contemporaines du corps de l’ouvrage (17e siècle ?). Allégement au dos, consolidation de la structure avec de nouveaux bâtis : nouvelles tranchefiles, prolongement des supports de coutures avec des fils de lin, renfort des charnières à l’aide de de pièce de peau à l’alun, fine apprêture en papier japonais ; confection de nouveaux ais en bois de chêne, couvrure en cuir de buffle (demi-dos), ajout de feuillets de garde en papier et de deux fermoirs en laiton en gouttière ; redressement des plis sur 19 feuillets, comblement partiel de la lacune au premier feuillet, conditionnement des défets (reliure dégradée, feuillets liminaires en parchemin, lettre manuscrite collée sur l’un d’entre eux).
C’est un manuel pour apprendre comment se comporter face aux aléas de la vie, comment réagir face aux malheurs et aux bonheurs. L’ouvrage est composé de deux parties (Remèdes contre la Bonne/Mauvaise Fortune).
Le premier livre est constitué de 120 articles, le second livre de 131 articles. Les articles abordent des cas pratiques de la vie quotidienne (D’avoir belle eloquence ; D’avoir beaux cheveulx ; D’avoir grande famille / D’avoir perdu son argent ; D’estre tourmenté / D’avoir perdu sa mère, etc.). Chacune des parties est précédée d’un prologue de l’auteur, Pétrarque, et l’ouvrage s’ouvre sur un prologue du traducteur.
La table des matières permet d’appréhender l’ambition considérable de l’ouvrage.
Les questions sont débattues par des allégories : c’est toujours Raison qui argumente et qui finit par avoir le dernier mot. Dans le livre I, Raison discute des bonheurs avec Espérance ou Joie (Livre de la Prospérité) ; dans le livre II, Raison discute des malheurs avec Douleur ou Peur (Livre de l’Adversité).
L’histoire de ce manuscrit a été mouvementée : il est passé de mains en mains depuis sa fabrication au XIVe siècle jusqu’à son entrée dans les collections de la bibliothèque Méjanes au milieu du 20e siècle.
Plus de six noms d’anciens possesseurs ont ainsi été mis en évidence :
Un autre exemplaire de ce même texte Les remèdes de l’une et l’autre Fortune portant les armes de ce bibliophile est également conservé par la Bibliothèque nationale autrichienne (Vienne)
Richement enluminé, la moitié du folio est occupée par une miniature de 170 mm de haut sur 176 mm de large représentant un roi assis au faîte d'une roue qu'actionne Fortune, personnification du hasard. Vers elle se tournent une douzaine de personnages agenouillés, hommes et femmes de toutes conditions et de tous âges. A droite est représenté Pétrarque, en train d'écrire son livre.
Quatre vers inscrits dans un cartouche commentent la scène.
« Fortune suys, royne et deesse,
A quy monstre ma belle face
Lung lui fait dons, lautre promesse ;
Tous lhonnorent et chascun lembrasse »
Des analyses physico-chimiques récentes conduites par le laboratoire MADIREL (AMU) ont permis de déterminer la palette utilisée par l’enlumineur ou les enlumineurs pour réaliser cette miniature à la fin du Moyen age. Elle comporte huit pigments et un pigment laqué, qui sont d’une part, le blanc de plomb, le rouge vermillon, le bleu outremer, l’azur d’Allemagne, l’ocre, le vert de gris, l’or et le carbone, d’autre part, le rouge brésil.
Le raffinement dans le modelé des carnations, la minutie dans le traitement des regards de l’ensemble des personnages, et la délicatesse des drapés et des éléments architecturaux confirment le travail d’un atelier de qualité qui pourrait être celui de Maître François.
L’exemplaire de Vienne qui présente de nombreuses similitudes est attribué à Maitre François.
La numérisation de ce manuscrit est disponible à l'adresse :
https://digital.onb.ac.at/RepViewer/viewer.faces?doc=DOD_50746&order=1&view=SINGLE
Bachelier en théologie et chanoine de la Sainte-Chapelle de Paris d'au moins 1364 à 1378. En 1378, il reçoit 200 francs de Charles V pour sa traduction de Pétrarque. Il a traduit plusieurs œuvres de Vincent de Beauvais. Le prologue de la traduction du texte de Pétrarque identifie le traducteur à Nicole Oresme, sans doute pour donner davantage de valeur au texte car Nicole Oresme était un traducteur plus prestigieux.
Sur l’un des feuillets de garde extrait de la précédente reliure figure une note rédigée par Léopold Delisle, célèbre bibliographe alors administrateur général de la Bibliothèque nationale à qui le manuscrit avait été soumis pour identification en 1888 par la marquise de Cumont qui le détenait alors. Il considérait déjà comme assez peu probable la traduction par Nicole Oresme.
En l’état actuel des connaissances, on dénombre 7 manuscrits contenant la traduction française du texte de Pétrarque par Jean Daudin.
Voir la liste des manuscrits sur le site de l’IRHT
https://jonas.irht.cnrs.fr/consulter/oeuvre/detail_oeuvre.php?oeuvre=3643
[1] Ces analyses ont été faites en collaboration avec le laboratoire LAMS (Laboratoire d'Archéologie Moléculaire et Structurale, Paris) et le CICRP (Centre Interdisciplinaire de la Conservation et de la Restauration du Patrimoine, Marseille).
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Bibliographie
- Delisle L, « Anciennes traductions du traité de Pétrarque sur les Remèdes de l’une et de l’autre fortune », Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque Nationale et autres bibliothèques », t. 24, 1891, p. 273–304, notamment p. 277 et 283
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bd6t5381753t/f293.item
- Evdokimova L., « Le De Remediis utriusque Fortunae de Pétrarque dans la traduction de Jean Daudin : entre commentaire et imitation de l’original », Le Moyen Age 3-4, Tome CXXI, 2015, p. 629-644.
https://doi.org/10.3917/rma.213.0629
- Hamm F., « Jean Daudin, chanoine, traducteur et moraliste », Romania , Vol. 116, No. 461/462 (1/2), 1998, p. 215-238.
https://doi.org/10.3406/roma.1998.1461
- Heriché Pradeau S., « La traduction du De remediis utriusque fortunae », Traduire au XIVe siècle – Ervrat de Conty et la vie intellectuelle à la cour de Charles V, Paris, Champion, 2015, p. 267-291.
- Mann N., « La fortune de Pétrarque en France : recherches sur le De remediis », Studi francesi, 37, 1969, p. 1-15
- Viguerie, L de et al., « XRF and reflectance hyperspectral imaging on a 15th century illuminated manuscript: combining imaging and quantitative analysis to understand the artist’s technique ». Heritage Science, 2018, 6, p.11.
Romancier, peintre et dramaturge chinois. Prix Nobel de littérature en 2000 (1940-)
Historique du donLa constitution de ce fonds spécial s’est appuyée dans un premier temps sur cette coopération (régie par convention) avec la BU de la Chinese University, qui avait préalablement constitué un fonds spécial dédié à Gao Xingjian. De nombreux documents ont été donnés par Gao Xingjian lui-même ainsi que le professeur Dutrait. Gao Xingjian continue à effectuer régulièrement des dons en relation avec les nouvelles publications ou manifestations le concernant, parmi lesquels une série de lithographies dont « La Montagne de l’âme » présentée ici.
« Revenir à la peinture, c’est se libérer des verbiages, rendre les concepts du langage, c’est peindre là où le langage ne suffit plus, commencer à peindre là où l’on a fini de parler » (1)Fondé sur la pratique de l’encre liée à la calligraphie, art réservé aux lettrés, le travail pictural de Gao Xingjian apparaît au premier regard, comme typiquement chinois. Dans cette tradition, l’art n’est pas séparé des systèmes de pensée et autres conceptions globales du monde. En Chine la représentation de l’univers a été marquée par trois courants que connaît naturellement le peintre : le taoïsme, le confucianisme et le bouddhisme zen. Du confucianisme, qui a imposé le formalisme en peinture et qui insiste surtout sur les idées de devoir, d’éducation, et sur le rôle actif de l’individu dans la société, Gao Xingjian paraît très éloigné. En revanche, il s’inscrit manifestement dans le sillage du bouddhisme chinois, qui a introduit dans la peinture le sens de la méditation en même temps que l’emploi de l’encre noire. Il paraît encore plus proche du taoïsme, qui anime la réalité par une énergie primitive s’incarnant dans les forces symétriques du yin et du yang, et qui, posant l’insignifiance de l’homme dans l’univers, a assigné au peintre la tâche de rendre compte non de l’aspect pittoresque, mais de l’âme de la Nature (pp. 42-45)
Si les références à la pensée chinoise sont manifestes dans le travail pictural de Gao Xingjian, elles n’excluent en rien les conceptions occidentales : la méditation et le rapport fusionnel avec la Nature ne l’empêchent pas de penser ses œuvres aussi de façon autonome, comme de purs objets esthétiques offerts au regard, à la manière dont le tableau est actuellement conçu en Occident. A ce titre Gao Xingjian est un passeur de culture : loin de chercher un point d’équilibre entre les deux traditions esthétiques, il se laisse simultanément inspiré par l’une et l’autre. (p.56)
Chez Gao Xingjian […], c’est la réduction des moyens plastiques qui permet l’intensification de leurs pouvoirs, la création inversée de la lumière à partir du noir, et surtout une diversité extraordinaire de nuances obtenues par les dégradés subtils et les différents degrés de dilution des lavis. Pour parvenir à cette richesse d’effets, Gao Xingjian choisit précisément ses encres, et s’est constitué un nuancier lui permettant d’utiliser à chaque fois celle dont il a besoin (p. 85).
[…] Gao Xingjian récuse la distinction, habituelle en Occident, entre art abstrait et art figuratif : « Parfois, une partie ou un détail d’une image figurative, une fois agrandis, se rapprochent de l’abstrait. Il n’existe pas de démarcation définitive entre l’abstrait et le figuratif, et il n’est pas nécessaire de les opposer (2) ». (p. 238)
Dans La montagne de l’âme, la figure ronde, récurrente chez l’écrivain comme chez le peintre, est associée tantôt à l’œil de Dieu, tantôt au trou dans lequel on va trouver la mort, tantôt à la lune, « l’astre tout rond ». Dans les œuvres picturales, la polysémie est évidente dans la métamorphose progressive de certains motifs. (p. 241)
La défiance de Gao Xingjian vis-à-vis de la pensée abstraite le dispense de se situer précisément dans le champ des théories de l’inconscient. Il préfère en rester à la notion de « suggestion » qu’il oppose aux esthétiques de la « représentation » et de « l’expression » : « Il faut trouver de nouveaux champs à explorer, en dehors des deux voies de la figuration et de l’abstraction. La première est une représentation ; la seconde une expression. J’explore un troisième chemin entre les deux, fondé sur la suggestion et l’évocation d’une vision qui puisse être communiquée à autrui ; une vision intérieure, qui ne soit ni copie, ni déformation de la réalité. » (p. 251)
Voir une œuvre de Gao Xingjian, c’est ainsi faire une expérience esthétique qui brouille la distinction entre le sujet et l’objet. C’est non seulement, voir, mais aussi être requis par une présence énigmatique qui déstabilise la position habituellement distanciée du regard. Cette instabilité rejoint le thème de l’errance, axial chez l’écrivain comme chez le peintre : c’est lui qui donne sa trame narrative à La Montagne de l’âme, et qui soutient le récit du Livre d’un homme seul […]. (p. 253).
Cette lithographie fait partie d'une série de douze oeuvres offertes par l’auteur et sont exposées en permanence à la BU des Fenouillères. Ellles sont intégrées dans le fonds spécial de l’Espace de Recherche et Documentation Gao Xingjian.
Présentation, historique et résumé de Jean-Luc Bideau (2020)
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(1) Xingjian Gao, Pour une autre esthétique, Noël Dutrait et Liliane Dutrait (trad.), Paris, France, Flammarion, 2001, p. 55.
(2) Ibid., p. 36‑37.
(3) Daniel Bergez « Gao Xingjian: peintre de l’âme », Paris, France, Seuil, 2013
à lire également : Gao Xingjian : peintre de l'âme par Daniel Bergez, Paris : Seuil, 2013