Histoire de l'université]]> Enseignement supérieur]]>
Ce que l'on sait moins c'est qu'à la fin du 19e siècle, elle se mit à contester la localisation historique des autres facultés dans l'ancienne capitale politique de la Provence et à réclamer leur transfert pur et simple dans ce qui est devenue la véritable capitale économique de la région.

La patience d'une cité, toute multimillénaire soit-elle, a ses limites, et profitant d'une loi instituant des universités régionales qu'Aix tardait à mettre en application, elle décide de créer en 1896 sa propre Faculté de droit qui sera appelée Faculté libre de droit de Marseille (par opposition à celle sous tutelle du rectorat). Cet enseignement local lui permettait non seulement d'attendre ce transfert mais aussi de démontrer son implication budgétaire et le bien-fondé de sa demande : "Depuis quatre ans, il s’est fondé à Marseille une Faculté libre de droit. On lui donne vulgairement le nom de « Faculté municipale » parce que la ville lui alloue annuellement une subvention de 45.000 francs. Cette Faculté est prospère et attire à elle, en dehors des contingents considérables que lui donne Marseille, de nombreux étudiants de Toulon et d'Aix . Elle n’a aucun caractère confessionnel, et est appelée à disparaître le jour où les Facultés de l’État, qui sont à Aix, seraient transférées" (2). Dans son rapport de 1897, Jourdan, professeur à la Faculté de droit d'Aix justifiait déjà ce transfert : cette année-là, il y avait eu autant d'inscriptions qu'en 1896 et elle méritait bien de devenir régionale puisqu'elle attirait des étudiants jusqu'à la frontière italienne (Nice).

Annonce des cours de la Faculté libre de droit de Marseille, 62 boulevard de la Corderie (1912-1913)

Quinze plus tard, nous avons la preuve que cette faculté, en principe provisoire, fonctionnait toujours : "Pendant l’année scolaire 1910-1911, la Faculté de Droit de l’Université d’Aix-Marseille a compté 592 élèves ayant fait acte de scolarité, parmi lesquels il faut distinguer 297 élèves qui ont pris des inscriptions et subi des examens et 150 étudiants de la Faculté libre de Marseille qui ont passé des examens sans prendre d’inscription" (3) et qu'elle est restée ouverte au moins jusqu'en 1914 comme l'attestent les deux affiches ici présentées.

Élément très important, elle reçoit dès le départ le soutien du Conseil général des Bouches-du-Rhône pour l'attribution de prix et des médailles d'or de la part de la Chambre de Commerce de Marseille. Dans son argumentaire, Jourdan précisait qu'Aix pourrait se consoler de la perte de ses étudiants avec ses projets de Thermes et de Casino et ajoutait malicieusement que cela rassurerait les familles des étudiants de savoir que "leurs enfants seront loin du cortège inévitable de la population interlope qu'on voit toujours accourir en foule dans les lieux de plaisir" ! Heureux d'apprendre que la population d'un grand port méditerranéen et cosmopolite est un modèle de vertu...

Mais la critique la plus forte vient probablement de la contestation d'un modèle élitiste : les facultés doivent devenir des universités populaires et ne pas rester enfermées dans un "dilettantisme d'érudition, constituée comme une caste d'aristocratie intellectuelle". L'implantation du siège de la nouvelle université unifiée au Pharo au début du 21e siècle récompensera plus d'un siècle d'obstination.

1.
2. La Faculté marseillaise libre de droit / discours de M. le doyen A. Aicard : Séance solennelle de rentrée du 8 novembre 1897 par Aicard. Auteur du texte - 1897 - Bibliothèque nationale de France, France - No Copyright - Other Known Legal Restrictions.
https://www.europeana.eu/fr/item/9200520/12148_bpt6k57853029
3. F. Larnaude. - L’université d'Aix-Marseille. La question du transfert - In : Revue internationale de l'enseignement Année 1900, 39, pp. 132-141. Bibliothèque historique de l'Éducation (Persée)
4. L’université d'Aix-Marseille pendant l’année scolaire-1910-1911. In: Revue internationale de l'enseignement, tome 64, Juillet-Décembre 1912. pp. 249-254
4.
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1912-1913]]> fre]]> Marseille. 19..]]>
Histoire de l'université]]> Aménagement du territoire]]> Rapport contre le transfert à Marseille des facultés de Droit et des Lettres d'Aix" au cours de la séance du conseil municipal du 11 juin 1885.

Gabriel Baron, maire d'Aix du 15 mai 1896 au 26 octobre 1897

Curieusement, le document ne comporte aucune date. Nous savons seulement que Marseille (déjà la deuxième ville de France) commencera à contester la centralisation de toutes les Facultés à Aix à partir des années 1880, que les auteurs faisaient partie du Comité de Vigilance chargé de la Défense des Intérêts de la Ville d'Aix, peu de choses du médecin Charbrier mais davantage sur Gabriel Baron, maire d'Aix du 15 mai 1896 au 26 octobre 1897 et sur Joseph Cabassol, Conseiller général du canton sud d'Aix à partir de 1898 puis maire d'Aix du 9 mars 1902 au 22 novembre 1908.

Joseph Cabassol, maire d'Aix du 9 mars 1902 au 22 novembre 1908 

Le plaidoyer qui avance une série d'arguments peut-il aider à dater la protestation ? Ceux liés au contexte reprennent paresseusement les poncifs sur les conséquences de l'énorme développement économique et démographique de la ville portuaire depuis le milieu du 19e siècle :
  • social et moral : à Aix, l'air est sain, les appartements spacieux, la famille hôte veillera à la santé de l'étudiant, à ses mœurs et à son assiduité aux cours
  • politique : en faire une question de décentralisation est fallacieux, en réalité les Marseillais veulent tout pour eux et créer une sorte de Paris Provençal alors qu'ils ont déjà le port, la Méditerranée, le commerce, etc. Ils veulent désertifier la Provence !
  • économique : le départ des Facultés et du Palais de Justice signerait la ruine de la ville alors qu'elle fait tant de sacrifices pour ces aménagements
  • professionnel : les enseignants devraient travailler dans une ville sans atmosphère intellectuelle et payer des loyers deux fois plus élevés qu'à Aix
La seconde série de remarques, davantage centrées sur le monde académique, laisse à penser que le document date plus probablement du début du 20ème siècle  :
  • pédagogique : du fait des métiers, Marseille a besoin de formations professionnelles techniques et commerciales, des filières pratiques (cours du soir et éducation populaire) assez éloignées de l'ambition théorique et intellectuelle des enseignements classiques et humanistes d'Aix
  • corporatiste : les enseignants seraient les grands perdants de la dispersion géographique des facultés qui les obligerait à courir de site en site, parfois très distants (alors qu'aujourd'hui...)
  • institutionnel : la carte des enseignements évolue et l'effort de la ville de Marseille se porte sur des structures diversifiées (forcément municipales) qui donne l'image d'un éclatement anarchique des enseignements. Au Palais Longchamp, on trouve le Muséum d'histoire naturelle, au Pharo, l'école de Médecine (1905), la Faculté des Sciences s'asphyxie Bd des Allées (le parc Borély oblige les élèves à une course de huit kilomètres pour une leçon de botanique appliquée). L'école de Droit municipale s'est installée "à la diable" dans des hangars du Bd de la Corderie, et la Faculté catholique, à peine créée, sera dissoute dans une nouvelle école... Jean-Yves Naudet complète l'analyse de la stratégie marseillaise "Mais elle a pris une forme plus subtile, pour attaquer à la base les facultés aixoises, avec la création de la deuxième faculté libre de Marseille par la municipalité, la faculté marseillaise libre de droit" (4).
Pour couronner le tout, il faut mentionner "la monstrueuse procréation de la Faculté municipale de Marseille, couvée sous l'aile même de ces universitaires transféristes qui, pour de maigres et vils intérêts, ne craignent pas de trahir leurs devoirs envers l'État". Un vrai traité de tératologie universitaire !

À partir du début du 20e siècle, l'Université d'Aix-Marseille donnera des cours "annexes" à Nice mais restera insensible aux demandes réitérées de cette ville si périphérique de structures permanentes. Il faudra attendre les années 1930 pour que le Ministre de l'éducation de l'époque "enjoigne" le recteur d'Académie à créer un Centre Universitaire Méditerranéen qui ouvrira finalement ses portes en 1933 (5).

Le document original du début du 20e siècle reproduit ici appartient aux collections de la Bibliothèque Méjanes de la ville d'Aix-en-Provence. Nous la remercions ici grandement ainsi que sa directrice, Mme Aurélie Bosc.

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1. Gabriel Baron - Wikipédia
2. Joseph Cabassol - Wikipédia
3. Programme des cours de la Faculté libre de droit de Marseille : 2 affiches imprimées en 1912 et 1913 Odyssée
4. Jean-Yves Naudet. - L'Académie, premier défenseur de la Faculté d'Aix. - in Les Échos de l’Académie Académie des Sciences, Agriculture, Arts et Belles Lettres d’Aix, N° 38 – 22 avril 2023
5. Université d'Aix-Marseille. Enseignement supérieur. Cours annexes de Nice organisés par la Chambre de commerce de Nice et des Alpes-Maritimes... Saison 1926-1927 Cours publics et gratuits professés au Palais de la Chambre de commerce à Nice, 20, boulevard Carabacel : 3 affiches. - Odyssée]]>
19??]]> fre]]> Aix-en-Provence. 18..]]> Aix-en-Provence. 19..]]> Marseille. 18..]]> Marseille. 19..]]>
Histoire de l'université]]> Enseignement supérieur]]>
Pourquoi Alfred Gautier est le mieux placé pour défendre ce dossier ? Parce qu'il connaît bien la maison et plaide pour sa propre paroisse : licencié en droit à Aix en 1866, docteur en 1868, professeur agrégé à la Faculté de Grenoble en 1871, puis à la Faculté de droit d'Aix de 1872-1876 où il devient titulaire de la chaire de droit administratif de 1876-1893 et y enseigne également l'histoire du droit, à partir de 1879. Il se mettra en congé de la faculté à partir de 1893.

Être juriste (et politique...) n'oblige pas à recourir à des arguments spécieux. Si on regarde la chronologie sous le seul angle institutionnel et administratif, les choses semblent assez équilibrées :
  • 1808, création de l'université impériale, à Aix, l'École de droit devient une Faculté
  • 1809, toujours à Aix, la Faculté de théologie est rétablie. Elle sera supprimée en 1885 (mesure nationale de suppression des crédits à toute les Facultés catholiques)
  • 1818, une Ecole de médecine est fondée à Marseille (pas une Faculté)
  • 1854, la cité phocéenne est dotée d'une Faculté des sciences
  • 1856, la Faculté des lettres est créée à Aix
Après la réforme de 1885, la carte universitaire paraît équitable. A ceci près que l'évolution démographique des deux villes au cours du 19e siècle a suivi deux voies très différentes, voire opposées. En 1790, les statistiques officielles du Département des Bouches-du-Rhône comptabilisent 106 000 habitants à Marseille contre 27 000 à Aix. Près d'un siècle plus tard, en 1886, période du rapport municipal, la population de Marseille est passée à 375 000 et celle d'Aix à 29 000 (en 1905, Marseille franchira la barre des 550 000 habitants, alors qu'en 1906, Aix atteindra péniblement les 30 000 (chiffres du Ministère de la Culture). Pour les experts, le bilan démographique est sans nuance : la population aixoise a stagné durant tout le 19e siècle alors que celle de Marseille a plus que triplé. Si cette blance n'est pas le seul facteur explicatif, elle constitue au moins une source de frustration. Ainsi, entre la fin du 18e et le début du 20e siècle, le rapport proportionnel Marseille/Aix passe de 4 à 13, une disproportion qui pourrait justifier un cliché : l'ancienne capitale provençale traditionnelle, bourgeoise, rentière et frileuse tourne le dos à sa bruyante voisine portuaire dynamique, cosmopolite et populaire. Un avant-goût moins littéraire de deux mondes qui s'opposent, Giono vs Pagnol.

Rapport sur la Faculté des sciences : la petite phrase qui fâche... (Dieulafait, 1885)

Et Aix fait tout pour cela avec une première justification d'ordre historique : en raison de leur ancienneté, le transfert des Facultés serait injuste (on était là les premiers). La seconde justification est d'ordre géographique : l'avenir de Marseille n'est pas intellectuel mais économique et commercial avec les transports maritimes méditerranéens et coloniaux (à chacun sa place). La troisième justification est culturelle : Aix est un centre de ressources, avec sa magnifique bibliothèque Méjanes, notamment (on a le patrimoine). La quatrième justification est financière : Aix s'est endettée pour entretenir les infrastructures universitaires, elle en attend un juste retour sur investissements (justificatifs de dépenses à l'appui).

S'il insiste peu sur cet aspect (une citation minimale en bas de page), le rapport est une réaction d'urgence au projet présenté par Louis Dieulafait, professeur de géologie à la Faculté des Sciences et membre du conseil municipal de Marseille, projet qui ne vise rien d'autre que de rassembler toutes les Facultés en un seul grand centre universitaire (4).

Le plaidoyer de Gautier sera repris deux ans plus tard par ses anciens collègues (qui abandonneront les statistiques des effectifs étudiants des grandes villes françaises glissées en fin de rapport, statistiques mollement convaincantes) : peu imaginatifs, ils répèteront les mêmes arguments alors qu'au cours du 20e siècle, Marseille ne renoncera jamais totalement à certaines revendications...

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1. Statistique du département des Bouches-du-Rhône, avec Atlas. Dédiée au Roi Par M. Le Comte de Villeneuve, Maitre des requêtes, préfet des Bouches-du-Rhône, membre de l'Académie royale de Marseille, de la société d'Agriculture, Sciences et Arts d'Agen, de la Société royale des Antiquaires de France, de la Société des Amis des sciences, des Lettres, de l'Aggriculture, des Arts, séant a Aix, correspondant de l'Académie royale de Turin. Publiée d'après le voeu du Conseil général du département - Tome 3, Livre 5, ère section Etat civil, Chapitre 1 Population - Odyssée
2. Archives départementales, 1886 - Recensement de la population - AD BdR
3. Charbrier, Cabassol et Baron. - Mémoire en défense de la ville d'Aix, dans la question du transfert des Facultés, 19?? - Odyssée
4. Dieulafait, Louis. - Rapport sur la Faculté des sciences et l'enseignement supérieur... (mise en ligne prochainement sur Odyssée). Polémique maudite ? Un an après la publication du rapport de Gautier, Louis Dieulafait décèdera.
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1885]]> fre]]> Aix-en-Provence. 18..]]> Marseille. 18..]]>