1
200
1
-
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/327/RES-22978_Bedarride_Cheques.pdf
0b339d669d96aa757251ce86740ddde9
PDF Text
Text
DROIT COMMERCIAL
COMMENTAIRE
DE LA LOI DU 14 J UI N 1 8 65
LES CHÈQUES
PAR J. BÉDARRIDE
Avocat près la Cour d’appel d’Aix , ancien Bâtonnier
Membre correspondant de l’Académie de Législation de Toulouse
Chevalier de la Légion d’Honneur
PARIS
AIX
L. L A R O S E , LIBRAIRE
22, nua soufflot, 22
ACHILLE MAKAIRE, LIBRAIRE
2 , RUS
1876
THIERS,
2
��COMMENTAIRE
D E L A L O I D U 1 4 JU IN 1 8 6 5
DES CHÈQUES
*
«
A r t . 1er.
Le chèque est l’écrit qui, sous la forme d’un mandat
de paiement, sert au tireur à effectuer le retrait, à son
profit ou au profit d’un tiers, de tout ou partie des
fonds portés au crédit de son compte
* et disponibles.
Il est signé par le tireur et porte la date du jour où il
est tiré.
Il ne peut être tiré qu’à vue.
Il peut être souscrit au porteur, ou au profit d’une
personne dénommée.
Il peut être souscrit à ordre et transmis même par
voie d’endossement en blanc.
1
�LOI DU
14 JUIN 1865
SOMMAIRE.
1. Historique de la loi ; son objet.
2. Opposition qu’elle rencontra au Corps législatif ; appré
ciation.
3. Pratique qui avait précédé la loi.
4. Avantage du chèque instrument de paiement pour le pro
priétaire des fonds déposés.
5. Avantages pour les banques de dépôt.
6. Services que le chèque est appelé à rendre comme instru
ment de compensation.
7. Esprit de la loi fixé par l’exposé des motifs.
8. Définition du chèque ; rejet de la forme du récépissé.
9. Motifs donnés par le rapporteur de la commission du
Corps législatif.
0. Appréciation.
t. Caractère du chèque qui depuis la loi aura pris la forme
du récépissé ; opinion de MM. Nouguier et Espinas.
2. Appréciation.
3. La remise du chèque confère par elle seule la propriété de
la provision.
4. Discussion au Corps législatif.
5. Doctrine à ce sujet.
5. Jurisprudence.
7. Mais cet effet est subordonné à la régularité du chèque.
Conséquence.
5. Objet du chèque.
). Comment il faut entendre la disponibilité exigée par
la loi.
). Discussion au Corps législatif.
1. Opinion du commissaire du gouvernement,
i. Du rapporteur de la loi.
5. Conclusion.
i. Le chèque doit être signé.
�DES CHÈQUES.
— ART. 1er
5
25.
26.
27.
28.
29.
Importance de la date.
Le chèque ne peut être tiré qu’à vue.
Proposition d'autoriser une échéance graduée. Ses motifs.
Appréciation.
Le chèque peut être souscrit au profit d’une personne dé
nommée ou au porteur ; il peut être à ordre. Dangers
de ces dispositions.
30. Mais on ne pouvait faire autrement dans l’intérêt de l’ins
titution.
31. Nécessité du chèque au porteur au point de vue de la
compensation.
32. Faculté de transmettre le chèque par un endossement
même en blanc.
1. — Le commerce et l’industrie avaient, dans ces
dernières années, reçu une telle impulsion, que nos éco
nomistes et nos publicistes disaient et répétaient sans
cesse que notre argent et notre crédit, le premier dans
sa quotité, le second dans son organisation, n’étaient plus
que des voies et moyens au-dessous de leur tâche ; et
chacun de proposer un remède pour mettre un terme à
cette situation anormale.
Le Gouvernement finit par s’émouvoir de ces cla
meurs, et sans partager des craintes exagérées, il se pré
occupa de créer des éléments de nature à venir en aide
à notre circulation monétaire. L’exemple de l’Angleterre
pouvait et devait le convaincre de l’efficacité du chèque
pour l’accomplissement de ce but.
En conséquence, il avait inséré dans le budget de
l’année 1865 les dispositions suivantes :
« Art. 6. Est réduit à dix centimes le droit de tim~
�4
LOI DU U JUIN 1865
bre des mandats appelés chèques, non négociables par
voie d’endossement, et payables à présentation soit seu
lement à la personne y dénommée, soit à la personne y
dénommée ou au porteur.
« Art. 7. Pour jouir de la modération de droit éta
blie par l’article ci-dessus, les mandats doivent être
extraits d’un livre à souche, préalablement timbré sur
la souche et sur le talon.
« Art. 8. En cas de contravention aux dispositions
qui précèdent, le souscripteur du mandat, le porteur,
le banquier, l’établissement ou toute personne qui aura
acquitté le mandat, sont passibles, chacun, et sans re
cours, d’une amende de 50 fr. ; et sont solidaires pour
le paiement des amendes et du droit de timbre. »
L’exposé des motifs s’efforçait de justifier ces dispo
sitions qui avaient surtout en vue de sauvegarder l’inté
rêt du Trésor, en empêchant les simulations qui pou
vaient être tentées pour profiter de la modération du
droit. Mais elles suscitèrent, dans le sein du Corps légis
latif notamment, les plus ardentes critiques. On leur
reprochait d’aller précisément contre le but qu’elles se
proposaient, et de restreindre l’usage du chèque au lieu
de le favoriser et de le développer.
On s’éleva surtout contre la disposition qui déclarait
le chèque non négociable. On soutenait que sa négocia
bilité était de son essence. Puisque le chèque devait
jouer le rôle de la monnaie, pourquoi contraindre le
porteur à l’encaisser lui-même, et s’opposer à ce qu’en
le transmettant à son créancier il lui déléguât ce soin ?
�S
Enfin on soutint que le seul moyen de vulgariser et
de populariser ce titre, était de l’exempter de tout droit
de timbre : on rappelait qu’en Angleterre, et pendant
cinquante ans, on avait accordé cette gratuité.
Le Gouvernement ne se montrait pas absolument
opposé à ces mesures. S’il n’y adhérait pas immédiate
ment, c’est qu’il craignait que les facilités accordées au
chèque, non encore défini et non réglementé par la lé
gislation, ne profitassent à d’autres papiers, et particu
lièrement à certains effets de crédit, au préjudice des
droits du Trésor et de l’équilibre du budget.
Il convenait donc de chercher le moyen de concilier
ces exigences avec les nécessités économiques qui for
çaient de recourir au chèque. On ajourna donc la déci
sion sur le projet du Gouvernement à la session de 1865,
afin que, dans l’intervalle, on put étudier la question et
la résoudre sans blesser aucun intérêt.
Une commission spéciale fut, en effet, chargée de ce
soin. Cette commission se livra à une enquête sérieuse;
elle entendit plusieurs banquiers notables, les chefs et
représentants des principales institutions de crédit de
Paris et des départements, le directeur général de l’en
registrement et des domaines ; et, sur les données re
cueillies dans ces divers témoignages, rédigea le projet
de loi que le Gouvernement présentait au Corps législa
tif dans sa session de 1865.
DES CHÈQUES. — ART. 1er
2. — Ce projet rencontra un puissant et illustre ad
versaire : « Vous voulez, disait Berryer, introduire en
�6
LOI DÜ
14 JUIN 1865
» France an usage qui n’existe pas. Je crois que la loi
» crée peu d’usages. La loi, elle, règle quand les faits
». sont entrés dans les habitudes du pays; alors la loi
> peut réglementer les faits et elle les réglemente uti» lement. Mais croire que vous donnerez des habitudes
» par des dispositions qui introduisent un système tout
» nouveau dans les relations commerciales, je ne le
» pense pas. Je crois qu’il en est, en matière de faits,
» d’actes et de règlements d’actes de la vie, comme en
» matière de mœurs : les lois sont parfaitement inutiles
» sans les mœurs L »
Notre grand orateur avait raison. Ce qu’il disait du
caractère des lois est surtout vrai pour les lois commer
ciales ; celles-ci ne doivent intervenir et ne sont réelle
ment utiles que si, provoquées par une pratique géné
ralement suivie, elles ne font que consacrer les usages
dont cette pratique a démontré l’opportunité et la né
cessité.
Or c’est précisément ce qui arrivait pour les chèques.
L’erreur de Berryer était de croire qu’ils étaient incon
nus en France et négligés par nos commerçants. La
vérité était au contraire que, depuis longtemps, leur uti
lité n’était plus un secret pour personne et en avait ré
pandu l’usage sous le nom de mandat, de récépissé ou
simplement de reçu. L’exposé des motifs du projet,
présenté dans la session de 1864, constate et confirme
cette pratique.
j
1 Séance du 23 mai \ 865.
�:
.
.
—
DES CHÈQUES. — ART. 1 "
■
-
7
M. de Germiny, dans son rapport de la loi au Sénat,
tenait à ce sujet le même langage : « Nous n’avons pas
depuis longtemps le mot, disait il, mais nous avons la
chose. Les mandats rouges et les mandats blancs que
la Banque de France réunit en carnets et met aux mains
des banquiers, des commerçants, de ses créanciers en
compte-courant, ne s’appellent pas des chèques mais
équivalent; ils ne servent pas moins à payer à vue, à
solder des comptes par compensation, que les chèques
dont les Anglais font usage. Or, durant l’exercice de
1864, des affaires à la Banque et de la Banque aux af
faires, ces mandats rouges et blancs ont été les inter
médiaires d’un mouvement dont le total, accusé par les
livres de service, s’élève à 14 ou 15 milliards.
» Le Crédit foncier, le Comptoir d’escompte, le Cré
dit mobilier, la Société générale, le comptoir Donou,
quelques banques de dépôt, presque toutes les maisons
de banque, mettent à la disposition de leurs correspon
dants des reçus reliés aussi en carnets, faciles à détacher
successivement, et qui font à merveille et très-rapide
ment l’office du check anglais. A eux seuls, le Crédit
foncier et le Crédit agricole, qui, on le sait, opèrent sous
les auspices du même conseil d’administration et sous
le même toit, ont satisfait, depuis quinze mois, par le
même procédé, à un mouvement de va-et-vient de dé
pôt qui ne s’est pas élevé à moins de 363 millions ; le
solde disponible de leurs dépôts en compte-courant, est
à l’heure où nous écrivons ces lignes, de 93 millions.
» Il ne faudrait donc pas croire que la loi proposée a
�importé le moyen, puisqu’il nous appartient déjà sous
d’autres dénominations. »
3. — Ce qui avait déterminé cette pratique, ce n’est
pas seulement l’exemple de l’Angleterre, c’était en ou
tre un intérêt aussi réel que considérable, et qui ne
pouvait être ni méconnu ni contesté. En commerce,
l’argent doit être essentiellement productif. Si, stérile,
il attend dans la caisse le moment d’être employé, le
commerçant éprouve une perte qui s’aggrave et s’aug
mente par chaque jour de retard.
Cet intérêt, le secrétaire de la commission d’enquête
le relevait en ces termes :
« S’il est en économie politique un principe élémen
taire, et dans la pratique une règle vulgaire, c’est assu
rément qu’un capital quelconque disponible entre les
mains de celui qui en est propriétaire, ne dégage pour
ainsi dire sa valeur intrinsèque qu’autant qu’on l’appli
que à un emploi productif.
« La thésaurisation est le préjugé d’un peuple arriéré
ou une nécessité imposée à une nation troublée par la
guerre ou inquiétée par l’anarchie. Aussitôt que des
conditions d’ordre, de sécurité, de progrès se manifes
tent, celui qui possède un capital cherche à le faire fruc
tifier en l’immobilisant soit dans des acquisitions terri
toriales, soit en l’engageant dans des entreprises indus
trielles ou commerciales ; plus tard il le place en valeurs
mobilières, ou le confie à des maisons de banque ; en
�9
un mot, au lieu de le conserver inactif, il le livre à la
circulation afin de bénéficier de l’intérêt.
« On sait combien tous ces genres de placement
sont répandus aujourd’hui, mais il est un progrès auquel
on n’est arrivé que récemment.
« Si de tout temps, pour ainsi dire, on avait cherché
à tirer parti des fonds qui pouvaient être engagés pour
une longue durée, on regardait comme une nécessité et
même comme un acte de prudence, de conserver ceux
qui devaient être nécessaires prochainement pour ser
vir de fonds de roulement ou pour payer les dépenses
courantes; dans chaque maison, dans chaque boutique,
on conservait ainsi une certaine somme, moins pour
l’employer immédiatement que parce qu’on voulait être
assuré de l’avoir.
« Toutes ces réserves, dont le chiffre est minime si
l’on considère isolément chaque fraction, énorme si on
les suppose accumulées, restent ainsi stériles. Par une
combinaison ingénieuse on a résolu le problème, qui
consistait à rendre cette masse de numéraire produc
tive : c’est là l’office des banques de dépôt, et particu
lièrement de celles qu’on a appelées en Angleterre
Joint-Stock-Banks. Elles servent un intérêt à l’argent,
un intérêt minime, parfois aussi n’en servent aucun,
mais le rendent à l’instant s’il est demandé. Or le mé
canisme ingénieux qui facilite cette restitution, en mé
nageant le temps et les pas de chacun, c’est le chèque. »
DES CHÈQUES. — ART. 1"
4. — Si l’on veut se faire une idée de la masse de
�numéraire que ces réserves immobilisent et rendent im
productif, qu’on se rappelle qu’en 1864 le ministre
d’Etat l’évaluait à 600 millions, et que d’autres n’hési
tent pas à la porter à trois milliards.
On comprend tous les services qu’un pareil capital
tiré de son oisiveté peut rendre au commerce et à l’in
dustrie, tout en venant en aide à l’intérêt privé. C’est ce
qu’avaient parfaitement compris les commerçants, et
notamment les grandes maisons soit de gros soit de
détail, dont les recettes journalières atteignent à des
proportions considérables. La possession de ces recettes
venant s’accumuler dans leurs caisses et y restant sté
riles en attendant leur emploi, était pour elles non-seu
lement une perte mais encore un embarras, mais encore
un danger.
De là l’habitude de les verser chaque jour dans une
banque qui les restituait au fur et à mesure des dispo
sitions qui devenaient nécessaires.
Qu’importe que l’argent ainsi versé en comptecourant ne produise qu’un intérêt minime ? Cet intérêt
ne fût-il que de deux, de un, de demi pour cent n’en
constitue pas moins un avantage. Que produirait l’ar
gent s’il dormait stérile chez son propriétaire, en atten
dant un emploi qui pourrait se faire attendre plus ou
moins longtemps? Donc, quelque réduit qu’il puisse
être, l’intérêt servi par la caisse de dépôt n’en était pas
moins un profit réel.
N’est-ce donc rien d’ailleurs que de garder la dispo
nibilité de ses fonds en s’exonérant de l'embarras et du
�il
souci que leur possession entraîne, en s’affranchissant des
chances de vol et d’incendie, en se dispensant de la né
cessité de tenir une caisse et de payer un caissier dont
l’infidélité peut entraîner de si graves conséquences ?
Or tout cela s’obtient par le dépôt de l’argent dans une
banque qui s’engage à le restituer sur chèque.
DES CHÈQUES. — ART. 1er
5. — On comprend que les banques qui acceptent
ces dépôts avec obligation de faire face aux retraits
qu’il plaira aux déposants d’effectuer, joueraient le rôle
de dupes, si, n’acquérant sur les sommes versées que
les droits d’un dépositaire, elles étaient tenues de les
conserver en état de disponibilité absolue ; mais il n’en
est pas ainsi : les sommes versées en compte-courant
deviennent la propriété de la banque, qui en dispose
dès lors à ses plaisir et volonté ; c’est en les employant
à ses opérations qu’elle est payée de son concours ;
elle profite en effet de la différence entre l’intérêt de un,
de deux ou de trois pour cent qu’elle paye et celui
qu’elle exige et qui avec la commission de banque s’élève
à sept, huit et neuf pour cent. C’est dans le roulement
de ces opérations qu’elle trouve le moyen de satisfaire
aux retraits qui lui sont demandés. Elle a de plus cet
autre avantage qu’elle ne sera jamais à découvert envers
ses déposants, car rien ne saurait la contraindre à payer
les dispositions que pourrait se permettre celui de ses
déposants qui aurait déjà retiré l’intégralité de ce qu’il
avait versé.
Déposant et dépositaire trouvent donc leur intérêt
�12
LOI DU U JUIN 1865
dans l’opération qu’il convenait dès lors d’encourager et
de favoriser ; or le moyen le plus utile dans ce but était
de faciliter les retraits, et ce moyen, le chèque l’offrait
naturellement.
6. — Si, comme instrument de liquidation et de
paiement, le chèque pourvoyait à l’intérêt privé, il était,
comme instrument de compensation, appelé à servir
non moins utilement l’intérêt public, en permettant
d’effectuer une quantité considérable de paiements sans
déplacement ni emploi matériel du numéraire.
Pour juger de l’importance que peut atteindre ce
mouvement de compensation on n’a qu’à consulter la
discussion de la loi au Corps législatif. Entre autres en
seignements qui en résultent, on y verra qu’en Angle
terre, qui n’a qu’un capital monétaire ne dépassant pas
de beaucoup un milliard, on fait annuellement un chiffre
d’affaire évalué de 75 à 80 milliards de francs, tandis
qu’avec un capital monétaire de quatre à six milliards,
la France fait à peine pour quarante milliards d’affaires.
Cet énorme développement chez nos voisins est dû
aux compensations qui s’établissent entre banquiers, et
c’est le chèque qui en a été et qui en est encore l’ins
trument. On comprend donc que pendant cinquante ans
on l’ait affranchi de tout impôt.
Il n’en était pas ainsi en France, jusqu’à l’apparition
de la loi actuelle, le retrait des sommes versées en
compte-courant s’opérait soit par un récépissé, soit par
un mandat de paiement, et c’est la forme du récépissé
�DES CHÈQUES. — ART. 1er
15
qui avait été généralement adoptée parce qu’il n’était
soumis qu’à un timbre fixe de 50 centimes, tandis que
pour le mandat de paiement, l’impôt était un droit pro
portionnel de 50 centimes par 1000 fr.
Mais, tel quel, l’impôt du timbre ne laissait pas que
d’être un obstacle au développement d’une institution
qui était appelée à rendre des services si considérables,
et c’est cet obstacle qu’on voulait vaincre en assurant
au chèque une immunité absolue au point de vue de
l’impôt. Ce dont on avait à se préoccuper était unique
ment de veiller à ce que en se qualifiant mensongère
ment de chèques, les autres papiers de circulation et de
crédit ne s’attribuassent la faveur faite à celui-ci, au
préjudice des droits du Trésor et de l’équilibre du
budget.
7. — Pour bien saisir l’objet et l’esprit des disposi
tions qui sont venues enfin consacrer le chèque et en
réglementer l’usage, il faut se référer à l’exposé des
motifs qui en précise le sens et en indique l’étendue.
« L’intérêt qui s’attache à l’émission et à la trans
mission des chèques, y est-il dit, s’explique de luimême. Les dépôts des fonds en compte-courant dans
des caisses ouvertes et organisées à cet effet, groupent
une foule de petits capitaux et leur donnent ainsi une
puissance productive qu’ils n’auraient pas s’ils restaient
dans les caisses des particuliers. Le chèque est l’instru
ment de service des comptes-courants, et, par l’action
combinée des comptes-courants et des chèques on ob-
�tient ce triple résultat : de servir aux déposants un
intérêt de leurs fonds tout en les leur maintenant dis
ponibles ; d’effectuer une quantité considérable de paie
ments sans déplacement ni emploi matériel de numé
raire ; enfin d’utiliser pour les besoins de l’industrie et
du commerce des capitaux qui, sans ce moyen, et alors
même qu’ils ne seraient pas livrés à une thésaurisation
stérile, ne serviraient qu’aux échanges journaliers, et
qui se trouvent ainsi concourir au mouvement de la
production et du commerce sans cesser de servir à
l’échange.
» Quant à la nécessité de donner des garanties sé
rieuses au Trésor contre l’extension abusive des faveurs
accordées au chèque, elle n’a pas apparu avec moins
d’évidence. Le chèque, dans son essence, n’est et ne
doit être qu’un instrument de liquidation et de paie
ment ; c’est à ce titre qu’une exception à la loi fiscale
est réclamée en sa faveur. Si des opérations de crédit,
spéculant sur ce que présente d’équivoque la forme ex
térieure du mandat, cherchaient à revêtir l’apparence
du chèque pour se soustraire à l’impôt qu’elles doivent
au Trésor, il pourrait se produire dans les recettes bud
gétaires une diminution d’autant plus fâcheuse qu’elle
ne profiterait pas à la masse des contribuables, mais à
la fraude. »
Ces notions exposent avec une netteté parfaite l’éco
nomie de la loi : encourager le développement des chè
ques, empêcher toute confusion entre eux et les autres
papiers de circulation et de crédit, qui tendrait à éten-
�DES CHÈQUES. — ART. 1er
15
dre à ceux-ci la faveur due et accordée à ceux-là seu
lement. Ce double but exigeait qu’on déterminât d’une
manière spéciale la nature, le caractère des chèques et
les conditions essentielles auxquelles on pourrait le re
connaître.
8. — Aux termes de notre article premier, le chè
que est l’écrit qui, sous forme d’un mandat de paiement,
sert au tireur à effectuer le retrait, à son profit ou au
profit d’un tiers, de tout ou partie des fonds portés au
crédit de son compte chez le tiré, et disponibles.
Cet article émane de la commission du Corps légis
latif. Nous avons déjà indiqué que dans la pratique an
térieure à la loi on avait généralement adopté pour ins
trument de ces retraits les récépissés qui ne devaient
qu’un droit fixe de 50 c. au lieu du droit proportionnel
de 50 c. par 1000 fr., que payaient les mandats de
paiements, mais on n’avait pas négligé ceux-ci, et c’est
à eux qu’on recourait lorsqu’il s’agissait de sommes
importantes.
Le Gouvernement s’inspirant de cette pratique, au
torisait indifféremment les récépissés et les mandats de
paiements ; en les mettant sur la même ligne au point
de vue de l’impôt, le projet de loi avait même enlevé
toute raison d’être à la préférence dont les récépissés
avaient été l’objet.
9. La commission du Corps législatif ne crut pas de
voir suivre cette marche ; elle crut devoir repousser la
coexistence de celte double forme.
�\
16
1
14 JUIN 1865
« L’option laissée entre le mandat et le récépissé,
disait son rapportenr, n’offre aucun avantage et pré
sente divers inconvénients. Le récépissé constitue un
mensonge commercial, puisqu’il est émis non après que
l’encaissement est effectué, mais avant même que le tiré
connaisse l’ordre de paiement : il est énoncé au passé
quand il s’agit d’un fait futur. La coexistence dans les
usages de deux titres si différents amènerait en outre
des complications et créerait bien certainement des
difficultés. La forme du récépissé ne peut d’ailleurs s’ac
corder avec les immunités que le projet de loi accorde
au chèque. Comment peut-on faire entrer le nom du
bénéficiaire dans un récépissé ? Comment appliquer à ce
titre la faculté d’être transmissible par voie d’endosse
ment ? Comment le faire protester en cas de non paie
ment ? »
LOI DU
10. — En conséquence, la commission proposa et fit
admettre pour le chèque la forme du mandat de paie
ment exclusivement ; jamais décision plus regrettable ne
reposa sur de plus futiles motifs.
Nous disions tout à l’heure que les lois, surtout cel
les dont l’influence doit s’étendre sur les matières com
merciales, doivent autant que possible s’inspirer des
usages et de la pratique qui les ont précédés et rendus
nécessaires. Or, en matière de chèques, les usages et
la pratique avaient admis et les mandats et les récépissés.
En quoi l’option laissée aux tireurs était-elle dangereuse?
Où étaient les inconvénients qu’elle était dans le cas
�DES CHEQUES. — ART. /J er
17
d’offrir? Quelles complications, quelles difficultés avaiton à redouter de la coexistence de la double forme?
Sur ces divers points, il y avait quelque chose qui de
vait rassurer la commission : c’était le passé ; et, après
l’avoir interrogé elle aurait pu se demander pourquoi
et comment l’avenir devait offrir ce qu’on cherchait vai
nement dans ce passé.
En admettant d’ailleurs qu’il fallut opter entre le
mandat et le récépissé, il semble que l’esprit et le but
de la loi exigeaient qu’on se prononçât en faveur de
celui-ci.
Comment en effet prévenir cette confusion qui aurait
pour résultat d étendre aux autres papiers de circulation
et de crédit la faveur réservée aux chèques plus éner
giquement et plus efficacement qu’en se prononçant
pour une forme que ces papiers n’ont jamais ni pris ni
pu prendre ?
L’exposé des motifs le reconnaissait lui-même. La
forme extérieure du mandat de paiement prête à l’équi
voque et fait craindre de la voir emprunter par des
opérations de crédit, dans le but de se soustraire au
paiement de l’impôt. Or c’est précisément cette forme
que la commission préfère à celle du récépissé qui ex
cluait cette équivoque et cette crainte ; n’est-on pas
dès lors fondé à lui reprocher d’avoir pris le contre-pied
de ce qu’exigeait le but que la loi voulait atteindre dans
l’intérêt du Trésor ?
Est-ce sérieusement que le rapporteur demandait
comment on pourrait faire entrer le nom du bénéficiaire
2
�18
LOI DU
14 JUIN 1865
dans un récépissé ? Mais de la manière la plus simple
et la plus facile. Ainsi le souscripteur du récépissé le
rédigera dans les termes suivants ; Reçu de M... la
somme de... qu'il a payée pour moi a M... et dont je lui
tiendrai compte; et si les parties veulent rendre le ré
cépissé négociable elles ajouteront : qu’il a payée pour
moi à M... ou à son ordre.
Quelle nécessité d'ailleurs que le nom du bénéficiaire
figure dans le récépissé? On le comprendrait si le chè
que ne pouvait être qu’au profit d’une personne déter
minée, mais il peut être souscrit au porteur, et dans ce
cas le mandat de paiement mentionnerait-il le nom du
bénéficiaire ?
Or le récépissé ne désignant pas celui-ci n’aurait été
qu’un titre au porteur d’une légalité incontestable, à
moins qu’on ne prétendit interdire à la forme du récé
pissé ce qu’on autorisait pour le mandat de paiement.
Le reproche fait au récépissé de ne pouvoir s’accor
der avec les immunités que la loi confère au chèque
n’est pas mieux fondé. La transmissibilité par voie
d’endossement, il dépendait des parties de la lui attri
buer, nous venons de le voir, et comme titre au por
teur il n’était pas même nécessaire d’un endossement.
La propriété en était transmise de la main à la main.
Comment le faire protester en cas de non-paiement ?
Tout simplement en le remettant à un huissier qui, après
en avoir requis paiement, constaterait que sa réquisi
tion n’a produit aucun effet, et protesterait des droits
de son mandant.
�DES CHÈQUES. — ART. 1 er
19
Reste le reproche fait au récépissé de constituer un
mensonge commercial puisqu’il est émis non après
mais avant l’encaissement, et qu’il énonce au passé un
fait qui ne se réalisera qu’au futur. Ce qui est dans le
cas de confondre la raison c’est le reproche en lui-même,
c’est qu’on ait pu sérieusement l’imaginer.
Le récépissé n’a qu’un objet, établir et justifier la
numération par le débiteur de la somme qui y est
mentionnée ; or celte justification il ne la fera que lors
qu’il se trouvera aux mains de ce débiteur, tant qu’il
reste en la possession du créancier, il n’est rien qu’un
chiffon insusceptible de constater quoi que ce soit,
qu’un projet arrêté en vue d’un paiement effectif et
pour l’amener.
Est-il jamais venu à l’idée de personne de traiter de
mensonge commercial l’acquit mis au bas d’une facture
ou d’un effet de commerce, avant de le faire présenter
à celui qui doit payer ? Est-ce qu’il paierait si on ne
lui remettait pas le titre dûment acquitté par son béné
ficiaire ?
Comme le dit fort bien M. Alauzet : « Quel caissier de
maison de banque livrera les espèces sans avoir préala
blement entre les mains le reçu destiné à constater le
fait du paiement qu’il va faire, ou l’acquit parfaitement
en règle de la lettre de change qu’il se propose de sol
der ? Comment le commerçant, qui envoie son garçon
de recette faire des recouvrements ne le munirait-il pas
d’avance d’un récépissé? De tout temps un récépissé a
représenté, suivant les mains dans lesquelles il se trouve,
�20
1.01
du
14
juin
186S
tout aussi bien une somme à percevoir qu’une somme
reçue ; et puisque le chèque, même sous la forme de
mandat, ainsi que nous le verrons tout à l’heure, n’est
qu’une simple indication de paiement, on ne compren
drait pas comment, sous la forme d’un reçu, il ne rem
plirait pas parfaitement le même effet}. »
Aucun des motifs invoqués à l’appui de l’exclusion
des récépissés ne résiste donc à l’examen. Cette ex
clusion devait d’autant moins être admise que, par sa
forme, le récépissé se distinguait tellement des autres
papiers de circulation et de crédit qu’il devenait un obs
tacle invincible à toute tentative de fraude contre le
Trésor.
Quoi qu’il en soit, en présence des termes si formels
de notre article sur la forme du mandat de paiement,
pourrait-on, devrait-on qualifier de chèque le récépissé
qu’un commerçant aurait délivré à l’effet de retirer les
fonds déposés en compte-courant chez un banquier ?
11. s— Le commerce a aussi sa routine qu’on n’ex
tirpe pas tout d’un coup. L’usage de donner des récé
pissés ne s’effacera donc pas instantanément, et le
commerçant qui procédait par cette voie hier, pourra
très-bien y persister demain.
« Qu’adviendra-t-il donc, se demandent MM. Nouguier et Espinas, si, malgré les termes si précis de la
loi, un banquier, recevant des dépôts en compte1 Commentaire de la loi sur les chèques, n° 4.
�\
DES CHÈQUES. — ART. 1er
21
courant, continuait de délivrer des récépissés à ses
clients? Le récépissé, répondent-ils, restera ce qu’il était
avant la création du chèque ; il sera, nul n’en doute, un
contrat parfaitement valable, mais il sera soumis à tou
tes les conséquences de sa forme particulière : il ne sera
pas un chèque, et il ne jouira pas des immunités atta
chées à ce titre '.
12. — Ces honorables jurisconsultes confondent évi
demment le récépissé donné par le banquier et celui
que délivrait le déposant : le premier avait pour objet
de constater le dépôt, le second d’en opérer le retrait;
le caractère de chèque n’a jamais pu appartenir qu’à
celui-ci, et ne convient et n’a jamais convenu à celui-là,
pas plus avant la loi que depuis.
Aussi n’a-t-il jamais été question de s’opposer à ce
que le banquier qui reçoit des fonds en délivre un ré
cépissé qui en prouve la réception : le récépissé exclu
par la loi est uniquement celui que le déposant donnait
à l’effet de prendre chez le banquier tout ou partie de
ces fonds.
13. — Même à ce point de vue, la validité du récé
pissé entre parties et son efficacité ne sauraient être
douteuses, mais il ne saurait en être ainsi vis-à-vis les
tiers, et celui qui l’aurait accepté comme chèque cour
rait le risque de se trouver dans l’impossibilité d’en
1 Commentaire de la loi sur les chèques, n° 28.
�22
LOI DU 14 JUIN 1865
revendiquer les effets, notamment celui de se faire ad
juger la provision à l’exclusion de tous autres créanciers.
Nous comprenons très-bien la controverse qui s'était
élevée sur ce dernier effet avant la promulgation de la
loi : rien dans la législation ne reconnaissait l’existence
du chèque, et ne permettait de lui attribuer des effets
différents et autres que ceux que la loi attachait aux
titres contenant cession d’une somme quelconque ou
indication de paiement.
La loi nouvelle a mis un terme à cet état de choses.
En organisant le chèque qu’elle venait reconnaître et
consacrer, elle en faisait un titre particulier, spécial, qui
avait naturellement ses effets propres et spéciaux. Le
principal de ces effets est, à notre avis, le transfert de
droit de la propriété de la provision qui fait l’aliment
du chèque, par le fait seul de la remise de clui-ci ;
N’est-ce pas ce qui se réalise pour la lettre de change?
Sa transmission n’emporte-t-elle pas le transfert de la
provision au profit du bénéficiaire? Comment donc con
tester cet effet au chèque? Est-ce que dans la pensée,
dans l’intention du législateur de 1865, ce titre devait
être d’une efficacité moindre que la lettre de change ?
44. — Il est vrai que dans la discussion au Corps
législatif, M. E. Ollivier demandait si l’on ne pouvait
pas écrire dans la loi que la conséquence de l’émission
du chèque serait à l’instant même de transporter la va
leur de la provision à celui à qui on donnait le chèque ;
et qu’il ajoutait qu’à moins d’une disposition expresse,
�DES CHÈQUES. — ART. l ' r
23
à ce sujet, la doctrine qui donnerait au chèque un effet
translatif de propriété, faisant obstacle à toute saisiearrêt de la part des créanciers du tireur, devait être
repoussée. D’où M. Alauzet va conclure que la remise
d’un chèque n’est qu’une simple indication de paiement
et ne peut être un moyen de transmettre la propriété
de la provision h
L’opinion de M. E. Ollivier n’avait et ne pouvait
avoir d’autre fondement que la pratique suivie avant la
loi; or cette pratique ne pouvait survivre après la pro
mulgation de celle-ci qui, consacrant le chèque, lui
donnant désormais une existence légale, devait néces
sairement autoriser tout ce qui était de nature à le ren
dre efficace, à contribuer à son développement qu’elle
voulait favoriser.
« Le chèque, disait M. Pouyer-Quertier, n’est appelé
qu’à avoir une existence éphémère, parce que c’est un
moyen de compensation, parce que c’est de l’argent
comptant, parce que c’est du numéraire immédiatement
disponible 2. » Or si le chèque est tout cela, comment
refuser à sa remise l’effet de transférer la propriété ?
La disposition expresse que réclamait M. E. Ollivier,
si elle n’est pas dans le texte, résulte bien positivement
de l’esprit de la loi. M. Alauzet le reconnaît et l’enseigne
lui-même. Le but qu’elle s’est proposée a été de favori
ser et d’encourager l’usage des comptes-courants et
1 N° 42.
3 Séance du 3 mai 1865.
�24
LOI DU 14 JUIN 186S
l’emploi des chèques ; or ce but serait-il, pourrait-il
être atteint si, refusant au chèque le privilège de trans
férer la propriété de la provision, on n’en faisait pas
même une lettre de change ?
15.
— Comme le disent avec raison MM. Nouguier
et Espinas, que serait, en effet, pour le porteur que la
propriété du chèque, c ’est-à-dire d’un morceau de pa
pier, si elle n’emportait la propriété de la provision,
dont-ce morceau de papier est le signe représentatif? Ce
principe est certain en doctrine et en jurisprudence
quand il s’agit de lettres de change...... il nous semble
donc que ce qu’on juge en matière de lettre de change,
il faudrait le juger en matière de chèques : aucune rai
son sérieuse ne justifierait une distinction entre ces
deux titres qui, de par la loi, jouissent également des
immunités et des privilèges attachés à l’endossement
Nous ajoutons, nous, qu’une distinction méconnaî
trait la loi elle-m êm e qui fait du chèque un titre plutôt
réel que personnel. Nous allons voir, sous l’article 5,
que le porteur d’un chèque qui n’en réclame pas le paie
ment dans le délai prescrit perd tout recours nonseulement contre les endosseurs, mais encore contre le
tireur, si la provision a péri après l’expiration de ce
délai, par le fait du tiré. Or à quel titre lui ferait-on
supporter cette perte, si la provision ne lui a jamais
1 N» 67.
�25
appartenu, si son cédant ne lui avait jamais concédé
qu’une simple indication de paiement ?
La disposition de cet article corrobore la doctrine de
MM. Nouguier et Espinas; elle fait pour le chèque ce
que l’art. 170 du Code de commerce fait pour la lettre
de change. L’identité de résultat ne peut s’expliquer que
par l’identité de raison ; et si, pour ce qui concerne la
lettre de change, la disposition de l’art. 170 est unique
ment fondée sur ce que l’endossement a transféré la
propriété de la provision : il est impossible d'admettre
que l’art. 5 de la nouvelle loi a un autre motif.
En réalité donc, le chèque est une espèce de mon
naie dont la valeur est tout entière dans la somme dont
il est le signe représentatif ; 'le tireur, qui se libère dé
finitivement si le chèque est régulier, c’est-à-dire s’il y
a provision, ne saurait donc prétendre qu’il a conservé
un droit quelconque sur cette provision ; ses créanciers
ne le pourront pas plus que lui.
DES CHÈQUES. — ART. 1"
16. — La jurisprudence postérieure à la loi, la seule
qu’il soit utile de consulter, n’a pas hésité à interpréter
la loi dans le sens que nous lui donnons : elle n’a refusé
de donner à l’endossement ou à la remise du chèque
l’effet de transférer la propriété de la provision que
lorsque le titre qualifié chèque ne pouvait être reconnu
et accepté comme tel.
Ainsi, par jugement du 6 juillet 1867, le tribunal de
commerce de Nantes jugeait que l’écrit sous forme de
récépissé, remis à un tiers pour toucher des fonds dis-
�26
LOI DU U JUIN 1865
ponibles au crédit du signataire, ne constitnait pas un
chèque ; que cette qualification n’appartenait qu’à l’écrit
émis sous forme d’un mandai de paiement ; que, par
suite, le récépissé ne transfère pas au porteur, à l'in
stant même de sa remise, comme le ferait un chèque, la
propriété de la somme dont il est destiné à procurer
l'encaissement '.
Dans cette espèce, le porteur du récépissé soutenait
que son titre avait tous les caractères du chèque au
porteur dont il était en réalité le type : « Mais, répond
le jugement, cette allégation n’est fondée ni en droit ni
» en fait ; si le projet de loi sur le chèque laissait la
» faculté de donner aux chèques la forme soit du man» dat de paiement, soit du récépissé, cette faculté,
» d’accord entre le conseil d’Etat et le Corps législatif,
» a été volontairement et expressément repoussée de
» la rédaction définitive; en sorte que la loi, telle
» qu’elle a été votée, loin de laisser l’option entre deux
» formes differentes, n’autorise plus par la définition
» qu’elle donne, que le chèque qui est émis sous la
» forme d’un mandat de paiement. »
Le jugement ajoute : « Le récépissé n’est plus qu’une
» simple quittance, signée à l’avance par le créditeur.
» pour le cas espéré où le débiteur en paierait le mon» tant à celui qu’il charge d’en faire l’encaissement;
» laquelle quittance projetée devient définitive si le
» débiteur paie, et caduque s’il ne paie pas. *
1 J. du P., <867, <244.
�27
Nous trouvons non-seulement la même doctrine mais
encore les mêmes termes dans, un arrêt de la Cour
d’Orléans du 30 août 1871; 'jugeant que l’écrit sous
forme de récépissé remis à un tiers pour toucher à jour
fixe le montant de ce récépissé, chez un négociant dé
biteur du remettant, n’a le caractère ni du chèque ni
de la lettre de change, ni du billet à ordre, ni du billet
au porteur et ne saurait en produire les effets légaux ;
qu’en conséquence, il ne confère au porteur aucun
droit de propriété ou de préférence sur les sommes à
recouvrer.
« Attendu, dit la Cour, qu’aux termes de l’art. 1er de
» la loi du 14 juin 1865, le chèque doit revêtir la for» me d’un mandat de paiement, et que si cet écrit se
» présentait sous celle d’un récépissé, il ne saurait as» sumerle caractère légal du chèque, ni bénéficier des
» mêmes immunités ;
» Attendu que, instrument de paiement et non de
» crédit, le chèque a pour effet de transférer immédiaDES CHÈQUES. — ART. 1"
b
»
o
»
»
»
»
»
TEMENT ET PAR LE SEUL EFFET DE SA REMISE AU RORTEUR,
tandis que le récépissé n’est qu’une simple quittance, signée à l’avance
par le créditeur pour le cas espéré où le débiteur en
paierait le montant aux mains de celui qu'il charge
d’en faire Vencaissement, laquelle quittance projetée devient définitive s'il y a paiement, et caduque
dans le cas contraire h »
le domaine de la chose du tireur ,
1 J du P., 1872, 594.
�28
LOI DU 14 JUIN 1865
On crut devoir dénoncer cet arrêt à la Cour de cas
sation, comme violant la loi du 14- juin 1865; mais
vainement. Par arrêt du-14- mai 1872, le pourvoi était
purement et simplement rejeté l.
17. — Tenons donc pour certain que la remise d’un
chèque transfère au preneur la propriété de la somme
qui en fait la provision, mais cet effet si important, si
utile, dépend entièrement de la régularité du chèque.
Or, depuis la loi nouvelle, il n’y a de régulier et de légal
que celui qui revêt la forme du mandat de paiement :
lui donner celle du récépissé, c’est exposer le preneur
à n’acquérir aucun droit sur la provision, à voir nonseulement les tiers-créanciers mais encore le tiré luimême lui en disputer la propriété, et le faire déclarer
non recevable et mal fondé à réclamer soit cette pro
priété, soit une préférence quelconque 2.
18. — Du texte de la loi et de l’exposé des motifs
lui-même, il semblerait résulter que le chèque a pour
unique destination le retrait de sommes déposées en
compte-courant, et qu’il serait ainsi exclusivement dé
volu aux opérations entre commerçants. Mais cette res
triction a été au contraire formellement répudiée et ex
clue par le législateur. Une seule condition est indis
pensable pour qu’il puisse y avoir lieu à chèque, à sa1 J. du P., 1872, 580.
3 Infrà, n° 43.
�DES CHÈQUES. — ART. '1 "
29
voir que la somme pour laquelle il est tiré soit dispo
nible entre les mains de celui qui doit payer.
Or, en rendant compte des travaux, des impressions
de la commission du Corps législatif, son rapporteur
disait : « Ne peut-il pas se trouver une foule de cas
» où d«B fonds deviennent disponibles sans qu’il y ait
» dépôt préalable ? Le chèque ne doit jamais se subs» tituer aux valeurs de crédit, mais ne peut-il pas ar» river que, par suite d’une opération de change ou
» d’escompte, d’une vente d’immeubles ou d’une re» mise de marchandises, un particulier ait à sa disposi» tion des sommes qu’il peut vouloir transférer immé» diatement à un tiers? Le chèque, en un mot, doit» il être seulement l’instrument des banques de dépôt,
» ou doit-on en généraliser l’usage et l’employer au re» trait de tous les fonds disponibles, quelle qu’en soit
» l’origine?
» Ces diverses questions ont été résolues par votre
» commission dans le sens de l'affirmative ; il lui a paru
» qu’une définition du chèque, réduite aux seules ban» ques de dépôt, serait nn obstacle à ce que l’usage
» s’en répandit rapidement. »
19. — Cette extension du chèque au recouvrement
de toute créance, quelle qu’en soit l’origine, appelait
naturellement l’attention sur le sens à attacher au mot
disponible qui se trouve dans l’article.
Toute somme due en effet n’est pas disponible ac
tuellement et immédiatement, alors même qu’aucune
�30
LOI DU 14 JUIN 18 f) 3
échéance déterminée n’a été convenue. Le chèque, qui
permet au créancier de la recouvrer dès qu’il le juge
utile ou convenable, sert admirablement ses intérêts ;
mais il ne sauvegarde pas au même degré celui du dé
biteur, puisqu’il l’expose à être pris au dépourvu, et
vient exiger de lui un paiement qu’il n’a pu prévoir et
auquel il ne s’est pas préparé.
Ce danger n’est pas à craindre pour les banques de
dépôt qui acceptent des fonds qu elles s’obligent à res
tituer sur chèques, et qui ne supportent qu’un intérêt
calculé sur cette nature d’engagements : elles doivent
toujours être en mesure de payer et auraient fort mau
vaise grâce à refuser de le faire.
Mais le non commerçant qui acquiert des marchandi
ses, le marchand qui fait ses achats, le particulier qui
achète un immeuble, sont bien débiteurs de sommes
déterminées, mais ils ne sont et ne peuvent être tenus
de les payer à première réquisition, à moins d’une con
vention qui les y oblige expressément; on nesauraitdonc,
à défaut de cette convention, les obligera faire honneur
aux chèques qui viendraient inopinément à leur être
présentés, car se serait les réduire à garder leur argent
improductif pour être en mesure de payer à toute épo
que, ou à supporter la honte et les frais d’un compte de
retour et d’une poursuite judiciaire. On avait en con
séquence proposé de soumettre le tirage du chèque à
trois conditions : 1° dépôt de fonds chez le tiré ; 2° dis
ponibilité ; 3° convention préalable.
�31
20. — A la suite de cette proposition, M. Gressier
disait : « Depuis vingt-cinq ans que j’exerce la profes
sion d’avocat, je crois savoir la langue du droit ; or
qu'est-ce dans langue du droit qu’une somme disponi
ble ? C’est une somme qui, due en vertu d’une dette
reconnue, est actuellement exigible.
« Sans doute la loi, il faut bien le reconnaître, n’a
pas été faite uniquement pour la circulation des chèques;
elle n’a pas été faite pour rester dans les conditions
dont on parle aujourd’hui. La pensée qui a dicté la loi
et qui était dans l’esprit de plusieurs membres de la
commission, c’était, j’en suis sûr après avoir vu le rap
port, la création de banques de dépôts ; mais il ne faut
pas permettre que chacun de nous se trouve dans cette
situation de pouvoir être, laissez moi me servir de cette
expression, sous le coup d’un chèque, de manière que,
débiteur d’une somme, je sois obligé de veiller chez
moi pour ne pas être sous le coup d’un protêt. »
On avait d’abord répondu que l’existence d’une con
vention préalable était de droit, et qu’il était inutile de
l’exiger. Cela était incontestablement vrai pour les chè
ques sur les banques de dépôts. Comment en effet ces
banques objecteraient-elles l’absence d’une convention
elles qui sollicitent les dépôts en en offrant le retrait par
chèques, et qui délivrent aux déposants un chéquier
d’où sont détachés les chèques tirés par ces déposants ?
Mais au point de vue de débiteurs accidentels auquel
se plaçait M. Gressier, on ne pouvait admettre l’exis
tence d’une convention de ce genre ; il convenait donc,
DES CHÈQUES. — ART. 1 8r
�32
LOI DU 14 JUIN 1865
si on ne jugeait pas utile d’en faire une des conditions
du chèque, d’expliquer pourquoi on s’en abstenait, pour
que cette abstention et le silence de la loi qui en était la
conséquence ne pusseut être considérés comme une
négation. C’est cette explication que donnaient succes
sivement le commissaire du Gouvernement, et le rap
porteur de la commission.
21. — « M. Gressier, disait le premier, a exprimé cette
idée : que tous nos créanciers, tous nos fournisseurs,
toutes les personnes à qui nous devons des sommes plus
ou moins considérables, à raison des circonstances habi
tuelles de notre vie privée, au lieu de nous présenter
des factures pourraient tirer des chèques sur notre
caisse.
« C’est une erreur qu’exclut de la façon la plus cornpèle la rédaction de l’article 1er que vous avez adopté.
» En effet, autre chose est une créance, même exi
gible et susceptible d’être demandée immédiatement en
justice, autre chose un fonds disponible.
» Quand on parle d’une provision préalable de fonds
portés au compte créditeur du tireur et de fonds dispo
nibles, on fait nécessairement allusion à une conven
tion préalable, en vertu de laquelle le dépositaire s’est
engagé à fènir à la disposition du déposant les sommes
nécessaires pour pa^er ses ordres à présentation : voilà
ce que veut dire le mot d isp o n ib le .
» Je reconnais, ajoutait M. le commissaire du Gou
vernement, qu’il n’est pas nécessaire que cette obliga-
�DES CHÈQUES. — ART. 1 er
35
tion soit contractée par une caisse publique ; il n’est
pas nécessaire qu’elle le soit par un banquier ; il n’est
pas nécessaire non plus que ce soit un commerçant ;
mais il faut que le particulier quelconque, entre les
mains duquel vous voulez constater la disponibilité, se
soit placé volontairement dans une situation telle que la
raison et au besoin la justice puissent reconnaître qu’il
a accepté cette condition de disponibilité. >
22, — Le rapporteur de la loi n’était ni moins précis
ni moins formel : « Les mots qu’on demande d’intro
duire dans la loi sont absolument inutiles.
» Qu'est-ce que dit l’article 1"? il dit qu’il n’y a
chèque que quand les fonds sont disponibles.
» Quand est-ce que les fonds sont disponibles? quand
j’ai été avisé que les fonds sont à ma disposition. Qu’estce que c’est que cet avis? c’est évidemment une con
vention qui s’établit entre le tiré et le tireur.
» Donc ce que demande l’honorable M. Quesné est
dans la loi. Il est évident que, quand il n’y aura pas eu
convention de la part du tiré vis-à-vis du tireur, il n’y
aura pas de disponibilité.
» On craint que s’il n’y a pas dans la loi, sousentendue ou exprimée, cette convention, il n’y ait dan
ger pour certains établissements de crédit. Je répondrai
que non, et que, dans la pratique, les choses ne se
passent pas d’une façon autre que celle que veut
M. Louvet.
» Qu’est-ce qui se passe habituellement ? Les ban3
.
-
■
'
•
�U
LOI DU 14 JUIN 1865
ques de dépôt reçoivent des fonds en compte-courant ;
elles stipulent avec les déposants qu’une partie des/onds
déposés seront à leur disposition, c’est-à-dire qu’on
pourra tirer à vue sur cette partie des fonds, lesquels
sont toujours disponibles ; elles stipulent, d’autre part,
que, pour une portion des fonds déposés, on sera obligé
ou d’aviser à l’avance, ou bien de tirer à plusieurs jours
de vue.
» Je me demande ce que le mot convention viendrait
ajouter à la pratique ordinaire. Je me demande, d’autre
part, si la loi, telle qu’elle est rédigée, empêche ou
interdit ces conventions? elle ne les interdit nullement,
et voici ce qui se passera dans la pratique : toutes les
fois qu’un banquier recevra un dépôt, il ne manquera
jamais, la loi des chèques étant votée, de stipuler que le
déposant ne pourra tirer que pour une somme qu’il au
ra déterminée d’avance *. »
23.
Le rapporteur semble se préoccuper beau
coup plus des banquiers et des banques que des parti
culiers non commerçants que la proposition de M. Quesné, appuyée par MM. Louvet et Gressier, avait surtout
en vue. Mais en déclarant que pour les banques ellesmêmes la disponibilité ne peut résulter que d’une con
vention, il admet qu’il doit en être ainsi à plus forte
raison pour les particuliers.
Il ne suffit donc pas, pour que le créancier puisse se
l Séance du 5 m ai 1865.
�pourvoir par chèque, que la dette soit actuellement
liquide et immédiatement disponible, il faut encore
qu’une convention expresse ait autorisé ce mode de
paiement.
Cette convention doit être formelle entre commer
çants en compte-courant ordinaire, parce que tant que
le compte n’est pas arrêté et réglé il n’y a ni créancier
ni débiteur. Il en serait ainsi pour les banques de dépôt,
si dans les appels qu’elles font au public elles ne s’en
gageaient à payer sur chèque.
Pour le débiteur non commerçant la convention ne
résulte et ne peut résulter que de l’avis donné au cré
ancier qu’il tient les fonds à sa disposition.
Dans tous les cas, la remise du chèque confère par
elle-même et de plein droit, la propriété de la somme
qui y est mentionnée, pourvu que le chèque ait revêtu
la forme du mandat de paiement et réunisse les autres
conditions exigées par la loi.
Le débiteur quel qu’il soit qui n’aurait pas autorisé le
chèque, pourrait se refuser à le payer ; les frais que ce
refus pourrait entraîner resteraient à la charge du tireur
alors même que la dette du tiré et son exigibilité seraient
certaines et acquises.
24. — Le chèque doit être signé et daté.
L’exigence de la signature n’a pas besoin d’être justi
fiée : c’est la signature qui constitue en réalité le titre
quel qu’il soit. Un écrit non signé n’est rien et ne cons
titue ni obligation ni droit.
�Il n’en eût pas été autrement du chèque. Le tiré
n’aurait pas manqué d’exiger queÿcelui qu’on lui pré
sente fût revêtu de la signature du tireur, alors même
que la loi n’eût pas fait de cette signature une condition
essentielle.
Si le législateur a cru cependant devoir s’en expliquer
c’est pour indiquer que le chèque ne peut exister que
par écrit ; qu’en conséquence l’offre de le prouver par
témoins fondée sur un commencement de preuve, de
vrait être repoussée : frustra probatur quod probatum
non relevât.
25. — La date importante dans tous les actes de la
vie, s’imposait plus impérieusement encore en matière
de chèques. Le chèque, en effet, ne doit et ne peut
être tiré qu’à vue ; le paiement doit en être requis dans
les cinq ou les huit jours, y compris celui de la date,
suivant qu’il est ou non tiré d’une place sur une autre.
Or comment apprécier si ces conditions essentielles ont
été ou non remplies, si la date étant omise le porteur
peut lui donner celle qu’il juge utile à son intérêt?
« Si le chèque, disait avec raison l’exposé des motifs,
pouvait être émis sans date, ou post-daté, il serait en
vain déclaré payable à vue dans sa formule, il ne le se
rait point en réalité. L’absence de date ou la post-date
aurait ainsi pour effet de faire disparaître la différence
principale, au point de vue de l’impôt, entre le chèque
et la lettre de change. »
Que vaudrait d’ailleurs l'indication du paiement à vue
�37
si le porteur pouvait indéfiniment retarder la présenta
tion? N’est-ce pas contre cet abus que la loi a prescrit
un délai fatal pour le paiement ? Or omettez la date et
le porteur pourrait garder le chèque en portefeuille
trois mois, six mois, un an, sauf quand il croirait devoir
le présenter à lui donner une date qui le placerait en
apparence dans les conditions édictées, et le mettrait à
l’abri de la déchéance que prononce l’art. 8.
Le chèque qui ne serait ni daté ni signe ne serait pas
un chèque. De plus l’omission de la date ou la fausse
date constitueraient une contravention que l’art. 6 punit
d’une peine dont nous aurons à apprécier le caractère
et l’étendue ; ce que nous devons retenir dès à présent
c’est que l’absence de date ou la fausse date enlèverait
au litre toute sa valeur; que ce titre ne serait ni un
chèque ni une lettre de change; que par conséquent le
porteur ne serait ni recevable ni fondé à prétendre à un
droit de propriété ou de préférence sur la somme qui en
serait la provision.
DES CHÈQUES. — ART. 1 "
26. — Nous venons de dire que le chèque ne pour
rait être tiré qu’à vue ; c’est là en effet une des condi
tions que prescrit notre article. Cette condition c’est
l’intérêt du Trésor qui l’a dictée, et elle a pour but d’em
pêcher que le chèque, au lieu d’être un instrument de
liquidation et de paiement ne devint un papier de cir
culation et de crédit.
« Si, disait l’exposé des motifs, le chèque négociable
par voie d’endossement, et particulièrement le chèque
�58
LOI DU 14 JUIN 1865
tiré d’un lieu sur un autre, pouvait encore être payable
à une époque plus ou moins éloignée, ou à un certain
nombre de jours de vue, il est évident qu’ils ne différe
rait presque plus de la lettre de change, se substituerait
à elle dans la plupart des cas, et que le produit de l’im
pôt du timbre en souffrirait une diminution notable qui
ne serait entrée ni dans les prévisions, ni dans les vues
du législateur. »
Pourquoi d’ailleurs aurait-on hésité à prescrire et à
exiger le tirage à vue? N’était-il pas imposé par la na
ture même des choses? le chèque ne peut avoir pour
objet qu’une somme non-seulement existant mais en
core disponible entre les mains du tiré. Tirer un chèque
en l’absence de provision est même une contravention
punie d’une amende. Or, dès que la provision existe,
dès qu’elle est disponible actuellement et immédiate
ment, où était le motif d’accorder un délai quelconque
au tiré ? Celui-ci n’a-t-il pas au contraire le plus grand
intérêt à s’exonérer le plutôt possible de la responsabi
lité que lui impose la possession d’un argent qui ne lui
appartient pas ?
27. — Cependant la proposition d’autoriser pour les
chèques une échéance graduée se produisit au Corps
législatif et y fut discutée. « En premier lieu, disait-on
à l’appui, le point capital pour les déposants est de re
tirer de leur argent un intérêt élevé ; or comment y
parvenir si les banques sont placées dans la nécessité
d’accumuler dans leurs caisses des capitaux oisifs et
�59
disponibles ? En deuxième lieu il faut prévenir les effets
qui résulteraient d’une panique, si chacun peut à la fois
se présenter pour retirer ses fonds. »
DES CHÈQUES. — ART. 1 er
28. — Nous l’avons déjà dit : si les banques de dé
pôts étaient obligées de garder dans leurs caisses oisifs
et disponibles les fonds qu’elles reçoivent, elles joue
raient un rôle de dupe, et l'on ne comprendrait pas
qu elles consentissent non-seulement à recevoir dans
ces conditions, mais encore à supporter un intérêt quel
que modique qu’il soit en faveur du déposant; ce serait à
se demander comment de pareils établissements ont pu
se former, et comment on en annonce chaque jour de
nouveaux.
La vérité est que les banques de dépôt utilisent à
leur profit les fonds qui leur sont versés. Dans la pra
tique elle ne les emploient qu’en placements sûrs et à
courte échéance, que pour escompter des valeurs re
vêtues de plusieurs signatures. Par leur roulement ces
opérations créent un va et vient et amènent à chaque
instant des fonds qui servent k payer les chèques. Dans
un cas de besoin d’ailleurs elles s’en procureraient faci
lement en présentant à la banque de France des papiers
ou des titres que celle-ci escompterait, ou sur lesquels
elle avancerait des fonds.
Le bénéfice que ces banques réalisent est la diffé
rence entre l’intérêt accru de la commission de banque
qu’elles perçoivent, et l’intérêt aussi minime que possi
ble qu’elles paient aux déposants. Plus les dépôts sont
S
�40
LOI DU 14 JUIN 1865
nombreux et importants, plus ce bénéfice est considé
rable, ce qui explique ces annonces répétées, ces pros
pectus si libéralement distribués dans lesquels les ban
ques anciennes et modernes sollicitent la confiance du
public.
Sans doute il importe aux commerçants de retirer de
leur argent un intérêt élevé, ce qu’il dépend d’eux de
faire en disposant de leurs fonds de la manière usuelle
et ordinaire ; mais conserver la disponibilité des fonds
qu’on dépose chez un tiers est un avantage tellement
précieux qu’on peut bien l’acheter par un sacrifice sur
les intérêts à percevoir.
D’ailleurs quelque minime que puisse être l’intérêt
servi aux déposants autorisés à tirer des chèques, il n’en
constitue pas moins un profit ; ce que le commerçant
confie à la banque de dépôt c’est, outre le produit des
valeurs venues à échéance, sa recette journalière. Que
deviendraient toutes ces sommes si elles n’étaient pas
versées chez le banquier ? elles resteraient évidemment
improductives dans la caisse du commerçant, attendant
l’occasion qui les en fera sortir : son traité avec la ban
que lui fait donc retirer quelque chose de ce qui ne lui
rendrait rien, et ce quelque chose ne manquera pas de
se chiffrer par une somme qui, au bout de l’année,
aura son importance.
La première objection n’avait donc aucune portée
réelle : on ne fait aux déposants que la condition qu’ils
se sont bien volontairement imposée. Placés entre la
faculté de percevoir un intérêt élevé de leurs fonds en
�41 '
renonçant à leur disponibilité pendant un temps plus ou
moins long, et le droit de se pourvoir par chèques à
leur plaisir et volonté, on ne peut, s’ils optent pour ce
droit, que leur imposer les conséquences qui en décou
lent naturellement, conséquences qui servent leur in
térêt et celui de la banque elle-même.
Quant à prévoir et à prévenir les effets d’une pani
que, c’est l’affaire du banquier ; il est en état et par
conséquent en demeure de juger du danger que pourra
lui faire courir un remboursement exigé par tous ses
clients simultanément ou par la plupart d’entre eux, et
il lui appartient de prendre les précautions qu’une pa
reille éventualité appelle et exige; la loi lui laisse toute
liberté à cet égard, et ne fait aucun obstacle à ce qu’il
stipule qu’il ne sera tenu de rembourser qu’après un
certain nombre de jours de la réquisition, et de se mé
nager ainsi une échéance graduée.
S’il ne croit ni utile ni convenable de le faire, on ne
voit pas pourquoi la loi, plus jalouse de ses intérêts que
lui-même, stipulerait en sa faveur une garantie qu’il n’a
pas cru utile de se ménager ; elle le devrait d’autant
moins que sa conduite n’a été dictée que par son
intérêt.
Il est évident, en effet, que l’intérét que la banque
accordera différera suivant que le retrait de l’argent
pourra se faire à volonté et par chèques, ou seulement
après un délai plus ou moins long. Ainsi en Angletere
on distingue le compte n° 1, auquel on n’attribue au
cun intérêt ou qu’un intérêt minime, et sur lequel on
DES CHÈQUES. — ART. 1 "
�42
LOI DU 14 JUIN 1865
tire à vue par chèques notamment ; le compte n° 2 pro
duisant un intérêt plus fort et comportant des traites à
dix ou quinze jours ; le compte n° 3, auquel on attribue
un intérêt plus élevé avec le délai d’un mois pour le
recouvrement.
En France il n’y a qu’un type unique, mais ce qu’on
ne manque pas d’observer c’est la gradation des intérêts
qui se réduisent au taux le plus bas si le tirage de chè
que est autorisé.
Voici ce qu’on peut lire dans les prospectus de la
Société industrielle, banque de dépôt :
« intérêts sur les sommes versées en compte-cou
rant :
» Chèques à disponibilité, 3 fr. 65 0|0, soit un cen
time par jour.
» Compte-courant de trente jours à
quatre mois.................................. 4 1|2 0|0
>> Bons à intérês de quatre à huit mois. . 5 OjO
»
de huit mois à un an. . . 6 0|0
La loi n’avait donc pas à intervenir et à se préoccu
per du danger qu’une panique pouvait faire courir au
banquier, danger auquel celui-ci s’était volontairement
exposé dans le but de ne payer qu’un intérêt moindre.
D’ailleurs en protégeant celui-ci le chèque à échéance
graduée exposait le Trésor public à un grave danger,
en vue duquel la commission du Corps législatif repous
sait la proposition. « Tout en favorisant l’intérêt com
mercial, disait le rapporteur, la loi a pour but de pro
téger les iniérêts du Trésor. Les chèques à échéance
�43
graduée se confondraient avec la lettre de change, et la
recette de douze millions que le Trésor retire du tim
bre se trouverait exposée à une forte diminution. »
DES CHÈQUES. — ART. l ,r
29. — Cette confusion si menaçante pour le Trésor
public, que la forme du mandat de paiement facilite, va
être rendue plus imminente encore par la disposition
du dernier paragraphe de notre article : le chèque peut
être souscrit au porteur ou au profit d’une personne
dénommée ; il peut être souscrit à ordre et transmis
même par voie d’endossement en blanc.
Ne pourrait-on pas reprocher à la loi d’avoir multi
plié les chances en faveur de cette confusion qu’elle
s’efforce tant de prévenir ? Où trouver en effet dans ces
conditions organiques la différence qui doit exister entre
les chèques et les autres papiers de circulation et de
crédit ?
L’exposé des motifs n’hésitait pas à reconnaître qu’un
certain nombre de lettres de change, celles qui avant la
loi se tiraient à vue ou à de si courtes échéance qu’il
leur était facile de se transformer en lettres à vue, pour
ront bien emprunter la forme du chèque et se dérober
à l’impôt ; mais, ajoutait ce document, il semble établi
par l’enquête que cette catégorie de lettres de change
est peu nombreuse, et n’a pour objet que des sommes
de faible importance. La perte du Trésor sera donc, il
faut l’espérer, peu considérable.
Cette espérance, il faut en convenir, reposait sur
�H
DU 14. JUIN 1 8 6 5
une base bien fragile ; on ne pouvait en effet calculer
l’avenir sur le passé.
Qu’avant la loi la catégorie des lettres de change à
laquelle l’exposé des motifs fait allusion fut peu nom
breuse et n’eût pour objet que des sommes de faible im
portance, on le comprend. Quel intérêt aurait-on eu à
recourir à la simulation et à revêtir de la forme du chè
que les lettres de change pour sommes importantes?
L’impôt grevait le chèque comme la lettre de change
elle-même et empêchait toute confusion en la rendant
inutile.
Cette confusion a aujourd’hui un intérêt incontesta
ble : l’exemption de tout impôt concédé par la loi au
chèque. Plus la somme à recouvrer sera importante,
plus sera considérable l’avantage à retirer de cette exem
ption, et plus il est à craindre que le désir d’en profiter
n’inspire la pensée de recourir à la simulation.
LOI
50. — Le reproche pourrait donc paraître fondé,
mais on ne saurait se le dissimuler, en permettant pour
le chèque la forme à ordre ou au porteur, le législateur
n’a fait que céder à une nécessité impérieuse.
Si le chèque n’était payable que dans le lieu où il est
tiré, s’il ne devait être qu’un instrument de paiement
réel et effectif, on aurait pu, sans trop d’inconvénient
ne le permettre qu’au profit d’une personne déterminée.
Mais dès que le chèque pouvait être tiré d’une place
sur une autre, il fallait bien lui reconnaître la faculté
d’être souscrit soit à ordre soit au porteur, et ce tirage
�DES CHÈQUES. — ART. 1 er
45
d’une place sur une autre était une nécessité qu’on ne
pouvait méconnaître.
Il arrive souvent, en effet, que les fabricants, que les
marchands de gros, au lieu de fournir sur leurs ache
teurs, leur indiquent un banquier de la localité chez le
quel ils ont à verser les sommes dues pour les marchan
dises expédiées. Ce versement devient naturellement
l’aliment d’un chèque, à moins qu’on ne se décide à faire
voyager l’argent, ce qui occasionne des frais et offre
certains dangers.
Dans ce cas le chèque est forcément tiré d’une place
sur l’autre, et s’il ne pouvait être qu’au profit d'une
personne dénommée, il en résulterait que le paiement
ne pourrait en être requis que par celte personne; il
faudrait donc ou qu’elle se présentât elle-même, ou
qu’elle fît choix d’un mandataire qui, après avoir reçu
les fonds pour son compte, aurait à son tour à les lui
transmettre. On comprend facilement combien le com
merce répugne à cette manière d’opérer qui lui occa
sionnerait tant de longueurs et de frais, et l’on s’explique
l’insistance que ses organes les plus autorisés mettaient,
dans l’enquête, à réclamer la forme à ordre ou au
porteur.
L’usage avait d’ailleurs décidé la question ; tout per
sonnels que fussent les chèques avant la loi, on avait
trouvé le moyen de les rendre négociables à l’aide de
ces signes conventionnels qui constituaient les diverses
sortes de chèques, dénommés chèques barrés.
Le chèque d'ailleurs n’est pas seulement un inslru-
�46
LOI DU 14 JUIN 1865
ment de paiement, ainsi que le relevait M. PouyerQuertier dans la discussion de la loi, il est appelé à de
venir un instrument de compensation : c’est à ce titre
qu’il a rendu, en Angleterre, de si éminents services.
Or s’il ne pouvait être qu’au profit d’une personne dé
nommé, nulle autre que celle-ci ne pourrait avoir à
subir ou à imposer une compensation, et dans un cadre
si rétréci il est fort douteux qu’on pût atteindre à un
mouvement d’affaires dont le chiffre, en Angleterre, est
de 125 milliards, suivant M. Pouyer-Quertier.
On devait donc permettre, et l’on a en effet permis
que le chèque pût être souscrit à ordre, et admis ainsi
le moyen le plus puissant d’en propager l’usage. Ce
principe admis, était-il possible de repousser la forme
au porteur ? Mais rien ne se prête mieux à la négo
ciation, et vouloir rendre les chèques négociables c’était
se mettre dans l’impossibilité d’exclure la forme qui
réalise cette négociation par une simple tradition de la
main à la main.
31. — Comme instrument de compensation, le chè
que au porteur a également une valeur incontestable,
et l’on ne comprend pas que l’honorable M. Nouguier
ait pu le méconnaître et le contester.
« La compensation, dit-il, n’est admissible que lors
que, débiteur d’une somme liquide et exigible, un indi
vidu est, en même temps, créancier de pareille somme
également liquide et exigible. Or quand le chèque est
au porteur, il peut être la propriété de tous et de cha-
i
�DES CHÈQUES. — ART. 1 er
kl
cun, sans que cette propriété puisse être nominative
ment attribuée à l’un plutôt qu’à l’autre. Si je suis dé
biteur certain et nominal, et si le titre que j’ai en mains
ne porte pas mon nom, comment établir un droit à la
compensation l. »
M. Nougier se trompe : le chèque au porteur appar
tient non à tous et à chacun, mais au porteur unique
ment et exclusivement; dès qu’il l’a en mains il en est
le propriétaire nominal, non pas seulement en vertu de
la nature du titre, mais encore en force de la maxime
qu’en fait de meubles la possession vaut titre. Donc si
ce porteur, créancier incontestable du tiré, est en même
temps son débiteur, rien ne pourra faire obstacle à
une compensation soit totale soit partielle. Est-ce que
celle-ci ne produira pas son effet entier, complet, ab
solu, et le chèque remis, acquitté aux mains du tiré,
ou par lui adiré vaudra désormais quelque chose?
N’en déplaise à M. Nouguier, si nous étions appelés
à donner la préférence à l’un des deux titres à ordre ou
au porteur, c’est en faveur de ce dernier que nous nous
prononcerions, car, transmissible de la main à la main,
il constitue une véritable monnaie, et à tous les avan
tages du titre à ordre, il réunit celui de n’exiger ni écri
ture ni signature de ses propriétaires successifs.
Restent l’absence de toute obligation solidaire de la
part de ces propriétaires, la chance de perte ou de vol,
et l’obligation de ne l’expédier que par lettre chargée,
�48
LOI Dü H JUIN 18G5
si l’on veut le faire plus sûrément. Mais tous ces incon
vénients existent pour tous les autres litres au porteur
et n’empêchent pas qu’on ne convertisse journellement
des actions ou des obligations nominatives en titres au
porteur. Pourquoi donc les motifs qui font dans ce cas
préférer cette forme, ne produiraient-ils pas le même
résultat pour les chèques?
32. — Dans l’hypothèse de chèques à ordre, la loi
avait à indiquer et à régler le mode de transmission
dont ils seraient susceptibles, et ce mode ne pouvait être
que l’endossement.
Mais on sait les conditions exigées par la loi pour la
régularité et l’efficacité de l’endossement des lettres de
change et des billets à ordre. Aux termes de l’art. 138
du Code de commerce notamment, l’endossement en
blanc ne vaut que comme simple procuration, devaiton l’admettre ainsi pour les chèques ?
On s’est prononcé pour la négative. L’exposé des mo
tifs faisait remarquer que, même pour les lettres de
change, les dispositions du Code de commerce refusant
à l’endos en blanc les effets de l’endossement régulier,
étaient depuis longtemps discutées ; que, sans examiner
cette question délicate, on devait reconnaître que pour
le chèque il n'y avait pas de raison suffisante pour pros
crire l’endos en blanc, puisque le chèque pouvait indif
féremment être souscrit à une personne dénommée
ou au porteur.
« Quand à l’endossement en blanc, disait de son
�»
1er
49
côté Ië rapporteur, il convient mieux à la nature du
chèque qui doit être, avant tout, un instrument simple
et rapide, et qui ne se propagera qu’à la condition
d’offrir au porteur une sécurité sans réserve.
Exiger un endossement régulier, c’eût été prescrire
d’exprimer la valeur fournie aux termes de l’art. 137
du Code de commerce. Or, il ne pouvait pas être qu’on
se montrât plus difficile pour l'endossetnent que pour
le chèque lui-même, et qu’on fît au premier une condi
tion dont on dispensait le second. On remarquera en
effet que notre article se borne à prescrire que le chè
que soit signé et daté, sans exiger, comme l’article 110
du Code de commerce le fait polar la lettre de change,
l’indication de la valeur fournie en espèces, en marchan
dises, en compte, ou de tout autre manière.
D’ailleurs, en matière de chèques, comment appli
quer les conséquences que la loi déduit de l’endossement
en blanc? Il ne vaut que comme procuration, dit l’artile 138 du Code de commerce : c’est-à-dire que toutes
les exceptions opposables au souscripteur écarteront le
porteur. Or quelles exceptions pourrait avoir à invo
quer contre le tireur celui sur qui le chèque est tiré ?
qu’il n’est pas débiteur? qu’il a compensé ce qu’il de
vait avec ce qui lui était dû ? Mais dans ce cas il n’y
aurait pas provision, et provision disponible, et le chè
que serait frappé d’une nullité radicale, et cette nullité
annihilant le titre, le laisserait sans effets possibles dans
les mains du porteur. Il était donc sans nécessité d’armer
le débiteur du chèque d’une arme qui, inutile dans notre
4
DES CHÈQUES. — ART.
�LOI DU 14 .TUIN 1865
30
hypothèse, le serait bien plus encore dans celle de
l’existence d’une provision actuellement disponible.
Reste donc que l’endossement en blanc est valable ;
qu’il transfère immédiatement et de plein droit la pro
priété de la provision, qui devient, dès ce moment, la
chose du bénéficiaire de l’endossement. En réalité, l’en
dossement en blanc rend le chèque un titre au porteur
et dès que cette forme était admise, il eût été inconsé
quent de lui refuser tout son effet, comme on l’admet
pour le chèque originairement souscrit au porteur.
Il fallait donc ou autoriser l’endossement quel qu’il
fût, ou déclarer le chèque non négociable. Or ce der
nier parti était impossible, il opposait en effet un obs
tacle invincible àu but que le législateur voulait attein
dre, celui de favoriser et d’encourager le développe
ment du chèque, auquel on attachait avec raison une
si grande importance.
Art . 2.
Le chèque ne peut être tiré que sur un tiers ayant
provision préalable ; il est payable à présentation.
SOMMAIRE.
33. Caractère de la dispositiou exigeant la provision préalable,
34. Ce qu'il faut entendre par provision préalable.
35. Conséquences s’induisant de le combinaison des art. 1 et 2.
�36.
37.
38.
39.
40.
41.
42.
43.
44.
46.
DES CHÈQUES. — ART. 2
51
Y a-t-il lieu à chèques, dansj l’hypothèse Jd’un compte
courant ordinaire entre deux commerçants?
Quid dans l’hypothèse de l’ouverture d’un crédit ?
Effets de la faillite du tireur sur la provision ; application
des art. 446 et 447 C. de com. Conséquences.
Comment prouvera-t-on l’existence de la provision préa
lable?
Dénégation de cette existence par le tiré ; droits du
porteur.
Preuve admissible pour la nature du chèque au point de
vue des art. 446 et 447 C. de com.
Effets de la faillite du tiré sur la provision du chèque.
Pour compte de qui est la perle ?
Le chèque est payable à présentation ; motifs.
Résumé.
33. — La disposition de l’article 2 est la conséquence
forcée de l’article 1er, et dérivait naturellement du ca
ractère que celui-ci affecte au chèque. En effet, si le
chèque est l’écrit qui sert à opérer le retrait de fonds
portés au crédit du tireur et disponibles, il est évident
qu’il n’existe ou n’existera légalement qu’autant qu’il y
aura eu des fonds déposés avant sa souscription, c’està-dire provision préalable.
Il n’en est donc pas du chèque comme de la lettre
de change, qui est souvent tirée en l’air, et sur une per
sonne qui n’a jamais eu aucune relation avec le sous
cripteur : il ne peut s’adresser qu’à un tiers ayant en
mains de quoi y faire face, par suite d’opérations réali
sées entre le tireur et lui.
Il n’est pas douteux que ce tiers, malgré qu’il n’ait en
�52
LOI DU 1h JUIN 1865
aucune façon concouru à la création du qhèque, ne soit
tenu de le payer et puisse y être contraint, ce qui ne
serait ni juste ni possible s’il n’avait pas en mains pro
vision suffisante.
34. — Or cette provision pourrait exister au mo
ment de la présentation du chèque ; mais cette éventua
lité, la loi ne s’en est pas contentée, de crainte qu’il
n’en fût bientôt du chèque comme de la lettre de change,
et qu’il ne se substituât à celle-ci pour s’exempter de l’im
pôt du timbre uniquement. En réalité donc, un chèque
souscrit dans ces circonstances serait non le retrait de
sommes dues et disponibles, mais un papier de circu
lation et de crédit avec lequel la loi n’a voulu ni entendu
le confondre.
Voilà pourquoi elle exige une provision préalable, et
le sens précis de ces termes était parfaitement déter
miné par les documents législatifs.
« Il faut, disait l’exposé des motifs, entendre par ces
mots, que la provision doit exister non seulement au
moment où le chèque est présenté, mais encore au
moment où il aura été souscrit. »
« Cette condition disait le rapporteur du Corps lé
gislatif, rigoureuse en apparence, est l’expression même
d’un fait. Le chèque, on ne saurait trop le répéter, est
un moyen de paiement ; l’absence de provision préala
ble en ferait un instrument de crédit et lui ôterait son
caractère ; elle constituerait non-seulement une fraude
vis-à-vis du Trésor mais encore une tromperie vis-ài
�DES CHÈQUES. — ART. 2
55
vis des tiers qui doivent voir dans le chèque l’équivalent
d’un capital existant. »
35. — De la combinaison des articles 1 et 2 résulte
donc cette conséquence, qu’au moment de la circulation
du chèque, la somme pour laquelle il est tiré doit se
trouver entre les mains du tiré, et être non-seulement
liquide et exigible, mais encore à la disposition absolue
du tireur. Nous venons de voir, en effet, que c’est en
ce sens que la loi a entendu et compris la condition de
disponibilité.
Celui-là donc qui tire un chèque sans avoir, au mo
ment où il le souscrit, des fonds disponibles chez le tiré,
crée en réalité une lettre de change ou un billet à or
dre ordinaire , et s’attribue ainsi frauduleusement
l’exemption du timbre concédée au chèque. Nous ver
rons sous l’article 6 la peine édictée contre cette fraude
dans l’intérêt du Trésor. Au point de vue purement
civil, l’irrégularité du chèque l’empêcherait de produire
effet tant en faveur des tiers que vis-à-vis du tiré luimême.
56. — Peut-on légalement user de chèques dans
l’hypothèse d’un compte-courant existant entre deux
commerçants à raison des opérations de leur commerce?
On nous a assuré qu’on le pratiquait ainsi assez géné
ralement; mais à notre avis cette pratique n’est rien
moins qu’une fausse application de la loi, que la réalisa-
�54
LOI DU 14 JUIN 1865
tion de la fraude contre laquelle on a cru devoir multi
plier les précautions.
L’ouverture d’un compte-courant dans les conditions
ordinaires et son existence ne présentent aucune des
conditions auxquelles la loi subordonne la régularité et
la légalité des chèques. Les versements réciproques qui
en constituent l’aliment ne sont pas faits à titre de dé
pôts : ce sont tantôt des avances, tantôt des paiements
dans le but d’équilibrer le compte et d’arriver à un rè
glement.
D’autre part, ce n’est qu’après ce règlement qu’on
arrivera à un résultat certain et appréciable. Jusque là
il n’y a ni créance ni dette, car la compensation natu
relle du crédit avec le débit pourra faire que celui qui
était créditeur le matin sera débiteur le soir. D’ailleurs
tant que le compte n’est ni clos ni arrêté, il n’y a rien
de disponible : les valeurs entrées en compte ne peu
vent en être distraites sous aucun prétexte, ni recevoir
une destination en dehors du compte lui-même.
Il n’y aurait donc provision, dans le sens de la loi,
que lorsque la balance et le règlement du compte of
frent un solde créditeur en faveur de l’une des parties,
et en tant que rompant toute relation ultérieure, ce
solde ne sera pas reporté à nouveau et ne deviendra
pas le premier article d’un autre compte.
Jusque là il peut y avoir lieu de la part des parties à
un tirage réciproque de valeurs. Mais en supposant que
l’une d’elles refuse de payer, il n’y aurait aucun moyen
�— ART. 2
55
de l’y contraindre, et d'autre action contre elle que
l’action en règlement de compte.
Or il n’en est pas ainsi pour le chèque. Le tiré ayant
en mains une provision disponible, est obligé de s’en
libérer vis-à-vis du porteur, qui pourrait l’y contraindre
comme propriétaire de cette provision. Son droit à cet
égard existe si bien que s’il a omis de l’exercer dans les
délais déterminés par la loi, il est déchu de tout re
cours contre les endosseurs, et contre le tireur luimême, si cette provision a péri du fait du tiré.
Donc, pourvoir aux développements du comptecourant ordinaire par des chèques, c’est agir en dehors
des conditions exigées par la loi, en fraude de ses dis
positions, et se rendre passible de la peine édictée par
l’article 6.
DES CHÈQUES.
37. Qu’en est-il de celui à qui l’ouverture d’un
crédit permet de tirer sur le créditant jusqu’à concur
rence d’une somme déterminée? Pourra-t-il le faire au
moyen de chèques ?
Une distinction nous paraît nécessaire. Si le crédit
est ouvert en faveur d’un non-commerçant, il n’y a
qu’un prêt mettant à la disposition de l’emprunteur la
somme convenue, soit immédiatement, soit à des épo
ques déterminées. Rien ne saurait dès lors faire obsta
cle à ce qu’il use de la voie du chèque : il y a en réalité
provision et provision disponible.
Le crédit ouvert par un commerçant à un com
merçant, et devenant entre eux l’origine d’un compte-
�56
loi du 14 juin 1865
courant, n'est autre chose qu’une convention par la
quelle le créditant s’engage à porter son découvert jus
qu’à une somme déterminée. Cette convention n’altère
en rien la nature et le caractère du compte-courant. Le
crédité prend et verse selon sa convenance ; ce qu’il
donne s’impute sur son débit, et ce n’est également
qu’après balance du compte qu’on pourra connaître sa
véritable position et apprécier s’il a ou non épuisé son
crédit.
Où donc trouver cette provisiop préalable et dispo
nible exigée par la loi. Il ne saurait donc être question
de chèques à moins de vouloir en emprunter la forme
uniquement pour s’affranchir de l’impôt du timbre.
38- — L’article 2 est la confirmation de la doctrine
qui attache au fait de la remise du chèque le transfert
de la propriété de la provision. Dans quel but exigeraitil la provision préalable, si ce n’est pour assurer l’effet
de ce transfert en faveur du preneur du chèque, et pour
donner à ce titre une valeur qui en recommande le dé
veloppement?
Ce système pour lequel nous nous sommes pronon
cés l, est-il modifié par l’événement de la faillite soit
du tireur soit du tiré dans l’intervalle entre la création
du chèque et sa présentation ?
La question ne saurait être douteuse : le paiement
du chèque devant être requis dans les cinq ou les huit
Suprà, n°s <13 et suivants.
�DES CHÈQUES. — AKT. 2
57
jours de sa création, cette création, si la faillite du ti
reur éclate après, mais ayant la présentation au tiré, se
placera nécessairement soit à une époque postérieure à
la cessation de paiements, soit dans les dix jours qui
l’anront précédée ; on tombera dès lors sous l’empire
des dispositions des articles 446 et 4-4-7 du Code de
commerce.
On ne comprendrait pas qu’il pût en être autrement.
Si la loi que nous examinons n’a pas fait de la capacité
du tireur une des conditions de la validité du chèque,
c’est qu’à pet égard elle s’en référait au droit commun,
et qu’il n’a été ni dans sa pensée ni dans ses intentions
de déroger à l’article 1108 du Code civil. Comme tous
les autres actes, le chèque ne peut être souscrit que
par une personne jouissant de toute sa capacité.
Or le failli est en dehors de cette catégorie. Malgré
qu’actuelleraent il ne soit désinvesti de ses droits et ac
tions que du jour du jugement déclaratif, on ne pouvait
lui reconnaître et lui maintenir la capacité de disposer
de ses biens lorsque les approches de la faillite faisaient
supposer et craindre qu’il ne cherchât soit à avantager
certains créanciers, soit à s'avantager lui-même. Or le
chèque, soit qu’on le considère comme cession, soit
qu’on l’accepte comme paiement en espèces ou en va
leurs de commerce, n’en consomme pas moins l’aliéna
tion d’que partie de l’actif; on ne saurait donc le sous
traire à l’application des articles 446 et 4-4-7 du Code de
commerce.
En conséquence, si consenti à titre gratuit le chèque
�58
lo i du 14 juin 1865
constitue une libéralité, il est frappé d’une nullité radi
cale et absolue, s’il a été souscrit après la cessation de
paiement ou dans les dix jours qui l’ont précédée. Nonseulement le bénéficiaire n’a aucun droit à la provision,
mais il serait même obligé de la rapporter à la masse
s’il l’avait déjà touchée.
Si le chèque a été donné en paiement d’une dette, la
même nullité produira les mêmes effets en faveur de la
masse, si la dette qu’on a entendu acquitter n’était pas
échue.
Si la dette était échue, le paiement au moyen d’un
chèque rentrerait dans la catégorie des paiements en
valeurs de commerce autorisés par l’article 446. Mais le
créancier qui l’aurait reçu se trouverait régi par l’arti
cle 447, et par conséquent tenu de rapporter à la masse
tout ce qu’il aurait encaissé, si au moment de la remise
du chèque il connaissait la cessation de paiements. De
quelque faveur dont le chèque doive être entouré, on
ne saurait l’excepter de la règle applicable au paiement
en espèces, et que recommande le principe d’égalité
entre tous les créanciers de la même faillite.
Enfin si le preneur du chèque en avait réellement
fourni la contre-valeur au moment de sa création, il ne
saurait être recherché sous aucun rapport. C’est en effet
non un paiement qu’il aurait reçu, non un prêt qu’il
aurait consenti, mais un achat de titre qu’il aurait con
tracté. Or tant que le jugement déclaratif n’est pas venu
opérer le désinvestissement du failli, celui-ci a incon
testablement la capacité d'emprunter, d’escompter, de
_____
�DES CHÈQUES. — ART. 2
59
vendre et aliéner ses facultés mobilières, et si la masse,
revenant sur ces ventes, voulait reprendre la chose, elle
ne le pourrait, en supposant qu’elle le pût, qu’en resti
tuant le prix payé par l’acheteur.
59. — L’article 2 subordonnant la régularité du chè
que à l’existence d’une provision préalable, il est évi
dent que c’est cette existence que contesteront ceux qui
auront intérêt à empêcher que le chèque ne produise
son effet. Comment et par quelles preuves arrivera-t-on
à constater cette existence.
M. Nouguier se livre à ce sujet à des distinctions que
nous ne saurions admettre. De deux choses l’une : ou la
somme pour laquelle le chèque est tiré a été versée
dans une caisse de dépôt, ou elle provient d’une opé
ration d’escompte, d’une remise de marchandises ou de
la vente d’un immeuble.
Dans le premier cas, il est hors de toute probabilité
que le banquier ne délivre pas un récépissé constatant
le versement, et la date de ce récépissé rapprochée de
celle du chèque démontrera d’une manière certaine si
au moment de la souscription de celui-ci il y avait réel
lement provision.
Je sais qu’il est facile d’antidater un récépissé, mais
je sais aussi que cette manœuvre rencontre une chance
d’insuccès dans les écritures de la banque, et qu’un ban
quier qui se respecte se gardera bien de déclarer avoir
reçu hier ce que ses livres constateront n’avoir été reçu
qu’aujourd’hui ; alors surtout qu'il n'a absolument au-
�cun intérêt personnel à déguiser la vérité. Que lui im
porte en effet de payer celui-ci plutôt que celui-là, puis
qu’il ne rendra jamais que ce qu’il a reçu.
D’ailleurs ce serait là une fraude préjudiciable au
banquier lui-même, car, en reculant la date du dépôt,
il devrait payer des intérêts qu’il ne doit pas. Or en
notre matière comme en toutes autres la fraude fait ex
ception aux principes, mais elle ne se présume pas, il
faut qu’elle soit prouvée, et c’est à celui qui l’allègue
qu’incombe la charge de cette preuve.
Dans le second cas, il est impossible de supposer que
l’escompte, la remise des marchandises ou la vente d’un
immeuble n’aient pas laissé des traces de nature à pré
ciser le moment qui les a vus s’accomplir. Ici encore
on pourrait vouloir exciper de la fraude, mais, nous le
répétons, le défaut d’intérêt du débiteur rend cette
fraude invraisemblable, et ce serait à celui qui l’allègue
à la prouver.
Cette preuve, soit qu’elle ait pour objet de justifier
que la provision n’existait pas, soit d'établir la fausseté
de la date du récépissé ou de tout autre document dont
excipe le tireur, peut avoir lieu par témoins ou par pré
somptions, et résulter des livres et écritures des par
ties. On ne saurait l’exiger par écrit, car celui qui l’of
frira ne peut être qu’un tiers complètement étranger à
l’opération, et a été dès lors dans l’impossibilité de se
procurer la preuve littérale, qui ne saurait d’ailleurs
être exigée en matière de fraude.
�%■
DES CHÈQUES. — AKT. 2
Cl
40. — La question de savoir s’il y avait et s’il y a
ou non provision pourra-t-elle naître et s’agiter entre
le porteur du chèque et le tiré? On peut supposer l’af
firmative, mais en reconnaissant qu’elle ne saurait offrir
dans aucun cas, des difficultés sérieuses.
Supposez en effet que le tiré refuse de payer en dé
clarant qu’il n’a ni fonds, ni avis, ni provision; que doit
faire le porteur ? Rien autre que de faire dresser un pro
têt, ensuite recourir contre les endosseurs et le tireur
ensemble ou séparément. Le tiré ne saurait être lié par
un titre sur lequel sa signature n’a jamais figuré, et s’il
peut être actionné par le porteur ce n’est qn’obliquement en vertu de 1’articie 1166 du Code civil.
Supposez maintenant que le tiré ait délivré un récé
pissé et que ce récépissé joint au chèque soit avec celuici aux mains du porteur, le tiré ne pourrait sous aucun
prétexte se refuser de payer. Vainement prétendraitil s’être libéré avec le tireur, vainement offrirait-il de
le prouver, le porteur du chèque lui répondrait avec
raison qu’en payant sans se faire restituer son reçu il
avait commis une imprudence dont personne autre que
lui ne pouvait être victime ; que la vue de ce reçu aux
mains du tireur devait lui donner et lui avait donné la
certitude de l’existence de la provision; que cette erreur
étant la conséquence de sa négligence et de son impru
dence, il était de toute justice de l’obliger à en subir
seul toute la responsabilité.
41. — Il ne saurait s’élever des difficultés sur le
�62
LOI DU
14
JUIN
1865
mode de preuve admissible pour établir que le chèque
constitue une libéralité, ou qu’il a servi à payer une
dette non échue, ou que le preneur l’a reçue connais
sant la cessation de paiements.
Ces questions en effet ne peuvent se présenter que
dans l’hypothèse d’une faillite, car dans la déconfiture
civile, à quelque époque et de quelque manière que les
paiements aient été effectués, il n’existe pas d’actions
en rapport des sommes reçues.
Cette action ne sera donc jamais exercée que parles
syndics agissant au nom de la masse, et dès lors l’ad
missibilité de la preuve orale ne pourrait être contestée
sous un triple rapport :
D’abord la masse a été réellement dans l’impossibi
lité de se procurer une preuve littérale ; ensuite elle
excipe d’un fait exécuté en fraude de ses droits ; enfin
elle agit en matière commerciale, où la preuve orale
est de droit commun.
42. — Si au lieu du tireur c’est le tiré qui est en
faillite au moment de la présentation du chèque, que
devient la provision? Peut-elle être réclamée par le por
teur du chèque et doit-elle lui être attribuée de préfé
rence à la masse de la faillite ? Périt—elle pour le compte
du porteur ou pour celui du tireur?
La faillite du tiré anéantit et fait disparaître la pro
vision, à moins qu’elle ne consistât qu’en une somme
spécialement affectée à servir d’aliment au chèque et
conservée intacte et distincte de l'avoir personnel du
�63
2
dépositaire : c’est en effet une revendication que le
porteur prétendrait exercer ; or on connaît les condi
tions imposées à celle-ci par les articles 574 et suivants
du Code de commerce, et on sait qu’elle est irreceva
ble dès que la chose qui en fait l'objet a été confondue
avec l’actif du failli.
Or cette confusion se sera réalisée toutes les fois que
le chèque a pour but d’opérer le retrait de sommes
versées en compte-courant dans une banque de dépôt.
La faculté de se pourvoir par chèques, l’obligation de
les payer n’empêchent pas que la Banque ne soit deve
nue propriétaire de ces fonds et n'ait acquis le droit de
les faire valoir à son profit. Ce n’est même, nous venons
de le dire, que dans l’exercice de ce droit, qu’elle puise
la juste indemnité de ses peines et soins, et les moyens
de faire face aux retraits qui lui sont demandés.
Donc si elle tombe en faillite, il n’y a plus que des
créanciers ordinaires qui, ayant des droits égaux, doi
vent avoir une part égale dans l’actif de leur débiteur.
Admissible pour l’un, la revendication devrait l’être
pour tous, et l’insuffisance des ressources rendant im
possibles les effets de cette revendication générale, il
faudrait avantager les uns au préjudice des autres, et
sur quels motifs pourrait-on étayer ce résultat ?
Il n’y a donc pour tous que le droit d’arrêter et de
régler leur compte ; d’être admis au passif pour le solde
dont ils seront reconnus créditeurs, et de participer à
la distribution de l’actif dans cette proportion.
DES CHÈQUES. — ART.
�64
LOI DU 14 JUIN 1865
43. — La provision a donc péri aux mains du tiré,
mais cette perte ne concerne et ne peut concerner que
le tireur. Il est vrai qu’en remettant le chèque au pre
neur, il lui a transféré la propriété de la provision, et
l’on pourrait vouloir exciper de la règle : Res périt
domino.
Mais pour que le transfert de la propriété d’une chose
sorte à effet, il faut, de toute nécessité, que cette chose
existe au moment où elle doit être livrée au bénéficiaire
de ce transfert : cela est vrai pour la provision du chè
que comme pour toute antre chose.
Aussi la loi ne l’admet-elle que si elle existe au jour
de la création du chèque, au jour de sa présentation,
et ce n’est qu’à ce dernier moment que le porteur du
chèque pourra en prendre possession. Si elle n’existe
plus, il en résultera que le contrat de cession ou de
vente sera de plein droit résilié par l’impossibilité de
livrer la chose cédée ou vendue.
C’est ce que le législateur a compris et ce qu’il ne
pouvait pas ne pas comprendre ; aussi ne met-il la perte
à la charge du porteur du chèque que si ne l’ayant pas
présenté dans le délai qu’elle détermine, la provision
périt après l’expiration du délai, du fait du tiré.
Donc si, se conformant aux exigences de la loi, le
porteur a requis paiement en temps utile, et n’a pu être
payé parce que la provision n’existait plus, la loi lui ga
rantit son recours non-seulement contre le tireur mais
encore contre les endosseurs, à condition que le refus
de paiement ait été régulièrement constaté,
�DES CHÈQUES. —
ART. 2
65
C’est en définitive le tireur qui supportera dans ce
cas la perte de la provision imputable au tiré, et c’est
justice. Lui seul en effet a choisi et élu celui-ci, et s’il
s’est adressé à un homme infidèle ou insolvable nul
autre que lui ne saurait souffrir dè sa faute, de sa légè
reté, de son imprudence.
44. — La condition du paiement à présentation
qu’édicte l’article n’avait, ce semble, nul besoin d’y être
inscrite; elle était la conséquence forcée, inévitable de
cette disposition de l’article 1er : le chèque ne peut être
tiré qu’à vue. Comprend-on un effet tiré à vue et qui
ne serait pas payé à présentation ; pouvait-on admettre
une échéance graduée pour le paiement, alors qu’on
venait de la prohiber pour la simple indication de ce
paiement?
Donc les raisons qui s’opposaient à l’admission d’une
échéance graduée, et que nous avons déjà exposées !,
militaient en faveur du paiement à présentation et en
rendaient l’exigence indispensable.
Cette conséquence l’exposé des motifs ne se conten
tait pas de l’exposer, il la justifiait : « Il n’échappera à
personne, disait-il, que.cette obligation du paiement à
présentation ne peut avoir rien d’excessif quand il s’agit
d’un chèque ; qu’elle est au contraire tout-à-fait en
harmonie avec la nature de ce papier. Le chèque sup
pose la provision préalable ; les caisses de dépôt, préa1 Suprà n°* 26 et suivants
o
�lablement nanties de fonds, ne doivent les employer
qu’en placements sûrs et à courte échéance. Il nous a
été déclaré à l’enquête qu’il en était toujours ainsi ; par
conséquent le roulement des opérations doit toujours
laisser à la disposition des caisses les ressources suffi
santes pour faire face à leurs engagements sur la pré
sentation du titre. »
Le rapporteur de la commission du Corps législatif
disait à son tour : « Ce n’est pas seulement l’intérêt
fiscal qui a dicté cette condition : c’est encore et sur
tout l’intérêt commercial. Sans doute le chèque payable
à une échéance plus ou moins éloignée ou à un certain
nombre de jours de vue, s’il était tiré d’un lieu sur un
autre, ne différerait presque plus de la lettre de change,
et le produit de l’impôt du timbre souffrirait de cette
substitution une diminution notable. Mais le commerce
serait atteint plus vivement que le Trésor, si le chèque
n’était pas déclaré payable à présentation. Quand un
commerçant donne un chèque, il fait un règlement au
comptant, et c’est pour cette raison que son chèque est
accepté. Mais si le chèque était à date, le règlement au
comptant se transformerait en un règlement à terme ;
peut-être le chèque serait-il encore accepté, mais alors
le tireur serait obligé de tenir compte du retard de
paiement au bénéficiaire, ce qui se traduirait en une
bonification d’intérêts. Comprend-on d’ailleurs le trou
ble que jetterait dans toutes les relations commerciales
ce défaut de disponibilité de tous les capitaux flottants
qui constituent le fond de roulement de l’industrie et
�2
67
du commerce? La somme d’avantages qu’on retire des
dépôts en comptes-courants seraient surpassée par la
masse des inconvénients si les chèques n’étaient pas
toujours payables à présentation : mieux vaudrait alors
avoir sa caisse chez soi et ses fonds constamment sous
sa main, ce qui serait la mort des banques de dépôts. »
DES CHÈQUES. — ART.
45. — En résumé il n’y a de chèque régulier et ca
pable de produire les effets attachés à ce titre, que
l’écrit sous forme de mandat de paiement, signé et daté
par le tireur.
Le chèque peut être souscrit au porteur, au profit
d’une personne dénommée, ou à ordre ; il est négocia
ble par voie d’endossement et régulièrement transmis
par un endossement en blanc.
Il ne peut être tiré qu’à vue et sur un tiers ayant
provision préalable; il doit être payé à présentation.
Il y a provision toutes les fois que le tireur a en mains
du tiré une somme disponible, quelle qu’en soit
l’origine.
Les articles suivants de la loi vont déterminer le ca
ractère légal du chèque, concéder la faculté de le tirer
d’une place sur une autre, et régler les droits et les
devoirs du porteur ; enfin édicter la sanction pénale
sous la garantie de laquelle est placée l’exécution loyale
des conditions exigées par les précédents articles.
�68
LOI Dü 14 JU IN 1865
Art. 3.
Le chèque peut être tiré d’un lieu sur un autre ou
sur la même place.
Art . 4.
L’émission d’un chèque, même lorsqu’il est tiré d’un
lieu sur un autre, ne constitue pas, par sa nature, un
acte de commerce.
I
Toutefois, les dispositions du Code de commerce re
latives à la garantie solidaire du tireur et des endos
seurs, au protêt et à l’exercice de l’action en garantie,
en matière de lettres de change, sont applicables aux
chèques.
SOMMAIRE.
46. Caractère de l’article 3.
47. Nécessité de permettre le tirage d’un lieu sur un autre.
48. Le chèque ne pouvait devenir un instrument de compen
sation que de cette manière.
49. Son importance à ce point de vue ; opinion de M. Pouyer-Quertier.
50. Approbation que lui donnait la commission du Corps
législatif.
51. L’article 3 ne confère qu’une faculté , contrairement à ce
qui est prescrit pour la lettre de change. Raison de
la différence,
�69
DES CHÈQUES. — ART. 3 , 4
52. Caractère civil du chèque. Motifs.
53. Juridiction appelée à en connaître.
54. Compétence du tribunal de commerce si le chèque porte
des signatures de commerçants et de non commer
çants.
55. Qnid, si le non commerçant était poursuivi seul?
56. Caractère de l’article 4. Sa nécessité.
57. Réponse au reproche de contradiction qu’on lui a adressé.
58. Le second paragraphe de l’art. 4 est limitatif et restrictif.
59. Opinion de MM. Nouguier et Espinas sur la possibilité de
garantir le chèque par des avals.
60. Examen et réfutation.
61. Caractère de la disposition appliquant au chèque l’article
162 C. de com.
62. Modification proposée par la commission du Corps lé
gislatif.
63. Motifs qui la firent repousser.
64. Appréciation.
65. Quel jour pourra et devra être réalisé le protêt ?
66. Le porteur peut-il le requérir avant l'expiration du délai
accordé pour demander paiement?
67. Le chèque comporte-t-il la clause retour sans frais ? Opi
nion de MM. Nouguier et Espinas pour l’affirmative.
68. Examen et réfutation.
69. Quid, de l’indication de tiers chargés de payer au besoin ?
et
46. — Les dispositions de la loi de 1865 ont le mé
rite incontestable de s’enchaîner logiquement les unes
avec les autres, à tel point que celle qui suit semble se
déduire naturellement de celle qui précède. Ainsi nous
venons de voir que la transmissibilité du chèque par la
voie de l’endossement était la conséquence de la faculté
�LOI DU 14 JUIN 1865
70
de le tirer à ordre ; que l’obligation de le payer à pré
sentation était la conséquence de l’exigence d’une pro
vision préalable, et de l’obligation de ne tirer qu’à vue.
Voici maintenant la concession de la faculté de tirer
d’un lieu sur un autre que dictait en quelque sorte la
reconnaissance de la transmissibilité du chèque par voie
d’endossement.
47. — Sans doute l’une n’est pas la conséquence de
l’autre, car on peut négocier un titre sur la place môme
où il doit être payé ; mais ce qui se pratique pour les
papiers à 30, 60 ou 90 jours, n’est ni dans les usages
ni dans les habitudes du commerce à l’égard des valeurs
échues ou à la veille de l’être. Celles-ci le détenteur les
revêt d’un acquit, les présente lui-même ou les fait pré
senter à l’encaissement et économise ainsi les frais d’es
compte et de commission pour une opération qui ue
lui donnerait en définitive que ce qu’il a ou peut avoir.
Or le chèque ne peut être tiré qu’à vue, et doit être
payé à présentation. Cette présentation peut bien être
différée de cinq jours, mais elle peut avoir lieu avant
leur expiration, et n’est-ce pas ce que le porteur fera
de préférence à une négociation qui ne pourrait le plus
souvent se réaliser qu’à titre onéreux ?
D’ailleurs dès que le chèque était autorisé non pas
seulement pour les sommes déposées en comptecourant, mais encore pour toutes celles que le tireur au
rait à sa disposition, même à la suite d’une remise de
marchandises, ou de la vente d’un immeuble, il était
�71
facile de prévoir que le créancier et le débiteur pour
raient ne pas résider sur la même place, et l’on était
ainsi amené à interdire le chèque dans ce cas, ou à lui
permettre d’être tiré d’un lieu sur un autre.
DES CHÈQUES. — ART. 3 , 4
48. — C’est ce dernier parti que .la loi a cru devoir
prendre et avec beaucoup de raison. Borné à la place
même ou il est tiré, le chèque devenait un instrument
de liquidation et de paiement exclusivement : il ne
pouvait devenir un instrument de compensation; car
comment concevoir celle-ci entre le tireur et le tiré,
qui avait et devait avoir en mains une provision à l’en
tière disposition du premier?
49. — Or c’est surtout comme moyen de compen
sation qne le chèque a rendu en Angleterre de si grands
services et permis un mouvement d’affaires de 125
milliards avec un capital monétaire fort réduit.
Aussi M. Pouyer-Quertier, après avoir fait ressortir
l’utilité du chèque et la faveur due aux banques de dé
pôts, ajoutait-il : « Je le déclare, si vous n’arrivez pas
au bureau de compensation, alors vos banques de dé
pôts sont exposées à avoir des sommes considérables à
verser instantanément en échange des chèques qui se
ront tirés sur elles, mais si vous arrivez à ce qu’on ap
pelle la compensation, à ce que les Anglais appellent le
clearing-house, à ce bureau où se présentent toutes
les valeurs tirées sur les banquiers caissiers, et en mê
me temps toutes les valeurs que les banquiers possè
�dent sur Jeurs confrères, de manière que toutes ces
valeurs peuvent être échangées chaque jour en quel
ques heures, il résulte de cette organisation, vous le
savez aussi bien que moi, que, pour des sommes de 50
à 60 millions par jour en débit et en crédit, on ne sort
pas un écu des clearing - houses ni des caisses des
banquiers.
» Cette compensation est heureuse pour tout le
monde ; elle évite des transports de numéraire dans des
proportions considérables, des pertes, des frais, des er
reurs de toutes sortes.
» Aussi bien à Londres qu’à New-York, les clearing-houses opèrent chaque année un mouvement de
plus de 125 milliards de francs L »
Voilà le rôle véritablement important, considérable
que le chèque est appelé à remplir. Or comment sub
viendrait-il à cette haute mission s’il ne pouvait être
tiré d’un lieu sur un autre? En présence d’un aussi im
mense avantage, quel poids pouvait avoir la crainte
d’une fraude faisant perdre quelques cents ou qulques
mille francs au Trésor?
50. — Le législateur n’a pas hésité. La faculté de ti
rer le chèque d’un lieu sur un autre, réclamée dans l’en
quête par les organes les plus autorisés du commerce
et de l’industrie, était reconnue et consacrée par le pro1 Séance du 23 mai 186S.
�DES
CHÈQUES. — ART. 3, 4
,73
jet de loi, et adoptée par le Corps législatif sur ces ob
servations du rapporteur :
« On ne peut qu’applaudir à une disposition qui per
mettra aux virements et aux compensations de s’accom
plir de place en place, et diminuera ainsi les nécessités
des transports de numéraire. On peut se faire une idée
de la monnaie métallique qui voyage par le tribut payé
aux compagnies des chemins de fer pour transport d’es
pèces : ce tribut s’élève à deux millions, ce qui repré
sente un capital de trois milliards. »
On comprend qu’une mesure destinée à affranchir
le commerce de ce tribut fut ardemment désirée et ré
clamée par lui. D’ailleurs par lui-même le tirage de
place en place n’a rien d’antipathique avec le chèque,
et ce qui le prouve c’est qu’en Angleterre on a cru de
voir l’autoriser par une loi spéciale et rompre ainsi le
silence qu’on avait d’abord gardé à ce sujet.
31. — Ce qu’il importe d’ailleurs de remarquer, c’est
que notre article, au point de vue du tirage d’un lieu
sur un autre, concède une faculté et n’impose aucun
devoir. Le chèque peut et non doit être tiré d’un lieu
sur un autre comme cela est prescrit pour la lettre de
change.
Cette différence se comprend : la lettre de change ne
tire sa perfection que par la réalisation du contrat de
change, et celui-ci n'existe et ne peut exister que si
une somme reçue dans un lieu doit être payée dans un
autre ; à défaul, le titre a perdu son caractère, et n’est
�14 juin 1865
plus qu’une simple promesse. On ne comprendrait pas
que sans change il existât une lettre de change.
74
loi du
52. — Or le contrat de change est essentiellement
commercial. le chèque qui le réalisera sera-t-il un titre
commercial ? La solution de cette question était non
moins importante que celle de savoir si l’endossement
en blanc transférait la propriété. Le législateur qui avait
cru devoir s’expliquer sur celle-ci, devait donc se pro
noncer nettement sur celle-là, et c’est la négative qu’il
a consacrée. Il est évident qu’à défaut d’une disposition
à ce sujet on n’eût pas manqué de soutenir le contraire.
Le chèque tiré d’un lieu sur un autre, aurait-on dit,
réalisant le contrat de change, constituait un acte com
mercial puisqu’il offrait la condition qui fait seule la
commercialité de la lettre de change.
Il était d’autant plus urgent de s’expliquer qu’on vou
lait se prononcer pour la non commercialité, et ce qui
déterminait cette intention, c’est que le chèque était
destiné très-souvent et peut-être le plus souvent à li
quider des obligations contractées par des particuliers
non négociants, et qui ne présentent aucun caractère
commercial dans leur cause *. On s’explique ainsi les
termes de l’article 4 : Le chèque ne constitue pas par
sa nature un acte de commerce, même lorsqu'il est tiré
d'un lieu sur un autre.
1 Exposé des motifs.
�— ART. 3, 4
7b
53. — Ce point de vue détermine et précise à quelle
juridiction devront être portées les contestations aux
quelles les chèques pourront donner lieu : ce sera le
tribunal civil ou le tribunal de commerce suivant la
nature de l’opération, ou la qualité du souscripteur ou
des signataires successifs.
En effet la loi nouvelle ne déroge en rien au droit
commun, et ne modifie ni l’article 632 du Code de com
merce, ni l’article 638. Dès lors si le chèque a pour
cause un des faits qualifiés acte de commerce par le
premier, la compétence du tribunal consulaire ne saurait
être mise en question. Or sont déclarées actes de com
merce toutes obligations entre négociants, marchands
et banquiers. De plus, aux termes de l’article 638, les
billets souscrits par un commerçant sont censés faits
pour sa gestion lorsqu’une autre cause n’y est point
énoncée.
L’abolition de la contrainte par corps a de beaucoup
atténué l’inconvénient de la juridiction consulaire, re
doutable précisément parce que cette voie rigoureuse
était attachée à ses décisions. Aujourd’hui les jugements
des tribunaux de commerce n’ont d’autres^ effets que
ceux qu’entraînent les jugements des tribunaux ordinai
res, et comme ils interviennent plus promptement et à
moins de frais, on pourrait considérer comme sans in
térêt réel l’exception d’incompétence.
Mais les formes de la justice civile, quelque minu
tieuses qu’elles soient, n’en sont pas moins une garan
tie pour les justiciables. D’autre part, esclaves de la loi,
DES CHÈQUES.
�les tribunaux ordinaires doivent strictement se confort
mer à ses prescriptions, tandis que les tribunaux de
commerce peuvent se prononcer ex œquo et bono ; en
fin, pour certains débiteurs, les longueurs, quelque con
sidérables qu’elles soient, sont toujours trop courtes.
Toutes ces raisons font qu’à l’avenir, comme par le
passé, on ne manquera pas d’élever le déclinatoire tou
tes les fois qu’on pourra le faire avec quelque apparence
de raison.
Ce déclinatoire devrait être infailliblement accueilli,
si le souscripteur du chèque, poursuivi après protêt,
n’était pas commerçant, ou si, l’étant, il a tiré le chèque
pour une cause étrangère à son commerce ; c’est en
effet ce qui s’induit de l’article 638 du Code de com
merce, sauf la constatation de la cause étrangère qui
offrira ou pourra offrir plus ou moins de difficultés.
54. — Si le chèque souscrit par un non-commerçant
ou pour une cause étrangère au commerce, est tiré sur
un commerçant, et que celui-ci soit poursuivi en paie
ment concurremment avec le tireur, ou si ayant fait
l’objet de négociations successives, il porte la signature
de commerçants et de non-commerçants, le tribunal de
commerce pourra-t-il retenir la cause et prononcer en
tre toutes les parties citées à son audience?
Deux raisons décisives recommandent la solution af
firmative. D’abord notre article 4 appliquant au chè
que les dispositions du Code de commerce relatives à la
garantie solidaire du tireur et des endosseurs, au protêt
�3, 4
77
et à l’exercice de l’action en garantie en matière de
lettres de change.
Donc si tous les signataires du chèque sont de plein
droit solidairement tenus du paiement, si le porteur
peut les actionner tous, on ne saurait lui contester la
faculté de les traduire tous devant le tribunal du domi
cile de l’un d’eux : il ne ferait là qu’exercer le droit
que lui confère expressément l’article 59 du Code de
procédure civile.
Il est vrai que cet exercice pourrait rencontrer un
obstacle si le tribunal investi étant un tribunal d’excep
tion n’avait qu’une juridiction restreinte. Dans ce cas,
en effet, compétent pour statuer à l’égard des uns, il
pourrait ne pas l’être et ne le serait pas à l’égard de ceux
qui par la nature de l’acte et par leur qualité échappe
raient à sa juridiction.
Mais cet obstacle a été prévu et réglé par l’article
637 du Code de commerce, aux termes duquel lorsque
les lettre de change réputées simples promesses, ou les
billets à ordre porteront en même temps des signatures
d’individus négociants et d’individus non négociants, le
tribunal de commerce prononcera entre tous. Cet arti
cle est évidemment relatif à l’exercice de l’action en ga
rantie ; son applicabilité au chèque est donc formelle
ment et expressément consacrée par l’article k de notre
loi.
Vainement exciperait-on du caractère purement civil
donné au chèque. Nous remarquons en effet que l’arti
cle 637 du Code de commerce ne dispose que pour les
DES CHÈQUES. — ART.
�78
LOI DU
14 JUIN 1865
lettres de change réputées simples promesses, et pour
les billets à ordre qui n’auront pas pour cause une opé
ration de commerce, trafic, banque, change ou courtage,
c’est-à-dire pour des titres qui ont perdu ou qui n’ont
jamais eu le caractère commercial. Or le chèque sera
toujours sur la même ligne que les unes ou les autres, et
se placera dès lors sous l’empire de l’article 637 du Co
de de commerce : c’est d’ailleurs ce que M. Rouher
reconnaissait formellement dans la séance du 23 mai
1865.
SS. — On sait qu’on a prétendu conclure de l’article
637 du Code de commerce, qu’il suffisait qu’en fait il
existât des signatures de commerçants pour que le tri
bunal de commerce fût compétent, et pût prononcer
contre le non-commerçant, alors même qu’il serait
poursuivi seul et isolément des autres signataires.
Dans notre commentaire du livre IV du Code de
commerce sur la juridiction commerciale, nous avons
repoussé cette doctrine, qui ne nous a pas paru pou
voir se justifier ni en raison ni en logique h
Nous persistons de plus fort dans celte manière de
voir en ce qui concerne le chèque. On ne dira pas, en
effet, qu’il a par lui-même quelque chose de commer
cial, en présence de la disposition si formelle de notre
article, il ne peut donc revêtir ce caractère que par la
qualité du signataire, ou par la nature de sa cause.
l N °' 373 e t su iv a n ts.
�DES CHÈQUES. — ART.
5, 4
79
Absolument compétent lorsque celle-ci est commer
ciale, le tribunal de commerce ne l’est et ne peut l’être
ratione personœ que si cette personne est réellement
commerçante.
Que l’existence simultanée de signatures de négo
ciants et de non négociants lui ait fait attribuer juridic
tion même sur ces derniers, on le comprend ; la loi a
voulu et devait vouloir éviter ces nombreuses instances
que les diverses signatures auraient pu occasionner, ce
qui entraînait des frais considérables et pouvait aboutir
à une contrariété de jugement. Mais si elle autorisait
le tribunal de commerce à statuer entre tous, elle ne le
considérait que comme tribunal civil vis-à-vis des nonnégociants contre lesquels-on ne pouvait prononcer la
contrainte par corps.
Ce qui est naturel et légitime lorsque tous les signa
taires, ou du moins plusieurs d’entre eux sont cumulati
vement poursuivis, a perdu toute raison d’être dans
l’hypothèse où le porteur n’ayant plus qu’un seul débi
teur, ne peut actionner que lui : il faut dans ce cas en
revenir au principe que nul ne peut être distrait de son
juge naturel, et il ne saurait être que le non-commer
çant fut traduit devant le tribunal de commerce à rai
son d’une obligation qui n’aurait elle-même rien de
commercial. Une fois les signataires commerçants dés
intéressés et écartés, leurs signatures ont disparu,
n’existent plus, sont censées n’avoir jamais existé, et les
motifs qui ont déterminé l’article 637 du Code de com-
�merce ne pouvant être invoqués, son application serait
véritablement un effet sans cause.
56. — En déclarant que le chèque ne constituait pas
par sa nature un acte de commerce, la loi le plaçait en
dehors des dispositions spéciales qui régissent les lettres
de change et les billets à ordre : dès lors , étant donnée
l’intention de leur en rendre l’application commune, il
devenait indispensable non-seulement de consacrer le
principe mais encore de déterminer et de préciser celles
de ces dispositions auxquelles on s’en référait. C’est
ainsi que l’article 1er appliquait aux chèques la faculté
de les transmettre par la voie de l’endossement.
Obéissant à la même nécessité, l’article 4 vient à son
tour déclarer applicables les dispositions du Code de
commerce relatives à la garantie solidaire du tireur et
des endosseurs, au protêt et à l’exercice de l’action en
garantie en matière de lettre de change.
57. — On a objecté qu’il y avait une contradiction
flagrante entre déclarer le chèque un titre civil de sa
nature et le soumettre aux dispositions du Code.de com
merce relatives à la lettre de change, c’est-à-dire à
l’acte commercial par excellence ; mais ce reproche
n’avait aucun fondement.
Quelque civil qu’il fût par sa nature, le chèque n’en
était pas moins un titre spécial mi generis, et la loi qui
le créait et l’organisait était naturellement appelée à
indiquer non-seulement ses conditions constitutives,
�DES CHÈQUES. — ART. 3 , 4-
81
le mode de sa présentation et de son paiement, mais
encore les diverses obligations qui viennent accessoire
ment se joindre à celle du tireur, et la procédure à sui
vre en cas de non paiement.
A ce dernier point de vue, le législateur avait un
précédent significatif dans la pratique suivie pour le
billet à ordre ; celui-ci non plus n’est pas par sa nature
commercial, il ne le devient que par le caractère de sa
cause ou par la qualité des signataires, on n’a pas hésité
cependant, quant à la solidarité, au protêt, à la pour
suite de l’action en garantie, à l’assimiler à la lettre de
change. Pourquoi donc aurait-on fait autrement pour
les chèques? N’était-il pas évident que plus encore que
le billet à ordre il prendrait une large part dans les opé
rations commerciales : c’est même dans cette espérance
puisée dans ce qui se pratiquait en Angleterre, que la
loi venait en reconnaître et en sanctionner l’usage.
C’est ce que M. Rouher faisait remarquer dans la
séance du 23 mai 1865 ; c’est surtout contre l’attribu
tion de juridiction au tribunal de commerce qu’on
s’élevait, parce qu’on y voyait l'obligation pour les noncommerçants de comparaître et de plaider devant ce
tribunal.
« Mais, répondait M. Rouher, l’article 4 vous dit que
toutes les fois que le chèque sera protesté, toutes les
fois qu’il y aura dénonciation du protêt, les formalités
seront remplies suivant les prescriptions du Code de
commerce.
6
�82
loi du
14 JUIN 1865
>' C’est ainsi que les choses se passent pour un billet
à ordre souscrit par un simple citoyen. Lorsque, à l’oc
casion d’un billet à ordre, on exerce un recours contre
le souscripteur ou contre les endosseurs, toutes les for
malités prescrites par le Code de commerce sont sui
vies, dans le cas même où ce billet est souscrit et ga
ranti par des individus non commerçants.
» Mais dans cette circonstance, si le souscripteur
n’est pas un commerçant, il peut décliner la juridiction
consulaire, et demander son renvoi devant le tribunal
civil.
» C’est une distinction pareille que la loi établit pour
les chèques. Les procédures auxquelles un chèque peut
donner lieu seront réglées par le code de commerce,
sans que les tribunaux de commerce soient toujours et
nécessairement saisis des contestations. >»
Dans ces limites on ne saurait trouver un antagonis
me quelconque entre le premier et le second paragraphe
de l’article 4. L’appel que celui-ci fait au Code de com
merce ne menace aucun intérêt, ne lèse aucun droit,
car sauf le cas prévu par l’article 637 du Code de com
merce, la juridiction consulaire est absolument incom
pétente, si le chèque n’est commercial ni par sa cause
ni par la qualité des souscripteurs.
58. — Du caractère exceptionnel de notre article 4,
on doit conclure que son second paragraphe est limita
tif et restrictif ; qu’on ne saurait par conséquent recou-
�83
rir aux dispositions du Code de commerce qui ne figu
rent pas nommément dans la nomenclature de celles
que ce paragraphe déclare applicables. Aussi ne rencon
trant dans cette nomenclature rien qui se réfère aux ar
ticles 141 et 142 du Code de commerce, estimonsnous que le chèque ne comporte aucun aval ni sur le
chèque lui-même, ni par acte séparé.
%
59. — MM. Nouguier et Espinas sont d’avis contrai
re : « En règle générale, disent-ils, toutes les conven
tions qui ne sont pas prohibées par la loi, qui ne
heurtent pas le caractère substantiel de l’acte, doivent
être considérées comme permises. Or l’aval, qui n’est
autre chose qu’un cautionnement, n’est en contradic
tion ni avec une loi formelle, ni avec les règles spécia
les du chèque. Au contraire il semblerait rentrer, sinon
dans les prévisions du législateur, au moins dans ses
tendances. On veut favoriser le commerce en facilitant
l’émission et la négociation des chèques ; pour cela il ne
faut pas que le chèque subisse à l’échéance l'affront
d’un refus de paiement. Aussi pour assurer ce paie
ment on prescrit le versement au tiré d’une provision
préalable. N’est-ce pas entrer dans cette voie et accroî
tre la confiance que mériteront les chèques, que d’ac
croître leurs garanties en permettant à un tiers de les
cautionner. D’ailleurs puisque notre article veut que les
solidarités qui garantissent le paiement des lettres de
change appartiennent au chèque, pourquoi refuseraitDES CHÈQUES. — ART. 3 , 4
�14 JUIN 1865
on à ce dernier acte cette solidarité accessoire que l’on
appelle avalr parce qu’il signifie faire valoir 1? »
84
LOI DU
00- -1- Nos honorables auteurs se trompent. La loi
actuelle attribue au chèque, non pas toutes les solidari
tés qui garantissent le paiement de la lettre de change,
mais* exclusivement et uniquement la solidarité qui existe
entre le tireur et les endosseurs. Or la conséquence,
MM. Nouguier et Espinas l’indiquent eux-mêmes, lors
qu’ils enseignent que même à cet égard, les dispositions
du Code de commerce seraient inapplicables si la loi ne
s’était expressément expliquée. Dès lors, puisqu’elle
garde le silence sur les donneurs d’aval, c’est qu’elle
exclut celui-ci, et que cette garantie accessoire n’est pas
plus dans ses tendances que dans ses prévisions.
Pouvait-il en être autrement , un cautionnement
s’adapte très-bien à un papier de circulation ou de cré
dit ; mais le chèque n’est ni l’un ni l’autre : on a voulu
en faire, on en a fait un instrument de liquidation et
de paiement. Rappelons-nous les paroles de M. PouyerQuertier : Le chèque est appelé à n'avoir qu'une exis
tence éphémère, parce que c’est un moyen de compen
sation, parce que c'est de l'argent comptant, parce
que c'est du numéraire immédiatement disponible. Or
cautionne-t-on l’argent comptant, le numéraire, le paie
ment ?
De quelle utilité pourrait d’ailleurs être ce caution1 N° 99.
�DES CHÈQUES. —
ART.
5, 4
85
nement? Le chèque n’existe légalement que s’il y a
aux mains du tiré provision préalable et disponible. Le
souscrire en l’absence de cette condition c’est com
mettre une contravention passible d’une amende. Or, si
la provision existe, le preneur n’est-il pas suffisam
ment garanti, et de quelle nécessité serait l’aval?
On objecte que cette provision peut ne pas exister.
Mais la loi ne pouvait pas admettre qu’on éluderait ses
ordres, ni surtout permettre que par des obligations
accessoires, que par une garantie qui rendrait cette
désobéissance sans danger, on l’encourageât et on la
favorisât.
L’effet le plus immédiat de l’aval pour le chèque se
rait de faire de celui-ci un véritable papier de circu
lation et de crédit. Bientôt on s’inquiéterait non de sa
voir si la provision existe, mais du nombre des signa
tures et de la solvabilité des signataires. L’effet qualifié
chèque couvrirait une véritable lettre de change qu’on
déguiserait ainsi pour se soustraire à l’impôt, et le pré
judice pour le Trésor qu’on s’est tant appliqué à préve
nir prendrait des proportions considérables. A ce point
de vue il est incontestable que l’aval dénaturant le chè
que, en méconnaît le caractère essentiel, et que dès
lors, au jugement même de MM. Nouguier et Espinas,
on ne saurait le considérer comme permis.
61. — Notre article 4 applique au chèque les dispo
sitions du Code de commerce relatives au protêt. Il
faut donc que le refus de paiement du chèque soit cons-
�talé par un acte du ministère du notaire ou de l'huissier,
Dans quel délai cet acte devra-t il être requis et rédigé ?
On sait que l’article 162 du Code de commerce ne
l’exige qu’au lendemain de l’échéance, fallait-il le con
sacrer ainsi pour le chèque? convenait-il, au contraire
de permettre le protêt immédiatement après le refus
de paiement?
La commission chargée de préparer le projet de loi,
et à son exemple le Gouvernement s’étaient prononcés
dans le premier sens ; ils avaient pensé que, dans des
matières de cette nature il fallait innover le moins pos
sible, créer le moins possible des procédures spéciales ;
et que partout où la spécialité de la matière n’exigeait
pas une spécialité de législation, il valait mieux rester
dans le droit commun et dans les habitudes commer
ciales.
62. — Cette opinion méconnaissait évidemment la
vérité des choses. En faisant du chèque ni une obliga
tion ordinaire, ni une lettre de change, ni un billet à
ordre, on en faisait un titre spécial dont le droit com
mun en matière de commerce pouvait méconnaître les
exigences et contrarier les allures. Aussi la commission
du Corps législatif avait-elle pensé que la procédure
prescrite par l’article 162 du Code de commerce ren
fermait quelques lenteurs s’accordant mal avec la rapi
dité de transmission et du paiement des chèques.
En conséquence, elle proposait d’ajouter à l’article
4- un paragraphe portant ; Cependant le protêt pourra
�DES CHÈQUES. —
ART. 3, 4
87
suivre immédiatement le refus de paiement, et cette
proposition avait été accueillie par le conseil d’Etat.
65. — Mais elle trouva d’ardents adversaires dans le
sein du Corps législatif : « Pourquoi, disait M. Quesné,
cette dérogation au droit commun qui accorde au tiré
jusqu’au lendemain pour s’acquitter? Comment constatera-t-on le refus de paiement? Aujourd’hui il se
constate tout simplement par lui-même, c’est-à-dire
par le défaut de paiement depuis le moment où il est
réclamé jusqu’au lendemain. Comment, dans le cas du
projet de loi, constatera-t-on le refus de paiement?....
La fermeture de la caisse à une heure moins avancée de
la journée que dans d’autres établissements, l’absence
du tiré, le manque d’instructions données par lui à ses
représentants, la demande d’un délai d’une heure pour
examiner son compte avec le tireur, sont-ce là des
circonstances qui pourront être regardées comme cons
tituant des refus de paiement?
» Quand il s’agit d’une lettre de change, ajoutait
M. Quesné, d’un effet de commerce, le tiré, le débi
teur est averti; il sait que tel jour tel paiement lui sera
réclamé. Ici, point : il n’y a point de jour fixe, indiqué ;
le solde est à la disposition du créditeur dès qu’il a été
reconnu disponible. Pendant des jours, des semaines,
des mois, une année, le tiré, le débiteur est sous le
poids du chèque. Un chèque, même d’un chiffre consi
dérable , peut arriver à l’improviste ; pour éviter le
grave danger du protêt, il faudra donc que le débiteur
�'
88
LOI
du
14
JUIN
1865
garde constamment de fortes sommes dans sa caisse.
Mais c’est justement ce que vous voulez éviter, et avec
raison, car vous voulez comme moi la circulation de la
monnaie. Que ce chèque soit présenté au tiré au mo
ment de la fermeture des caisses; le tiré, s’il n’a pas
conservé chez lui la somme nécessaire, ne peut aller
chez son banquier, il ne peut aller chez des amis. Le
protêt est là, menaçant, impitoyable, inévitable, et voilà
un homme dont la signature est, comme vous le dites,
deshonorée. »
64. — C’étaient là des considérations bien plutôt fan
taisistes que juridiques, et il nous semble en effet qu’il
est impossible d’admettre une assimilation quelconque
entre le chèque et la lettre de change.
Sauf en effet celles que peuvent tirer réciproque
ment l’un sur l’autre deux commerçants en relations
par compte-courant, les dix-neuf vingtièmes des lettres
de change souscrites à la suite d’emprunt sont tirées en
l’air, sans compter que pendant que florissait la con
trainte par corps, le désir de s’assurer de cette voie ri
goureuse d’exécution déterminait seul l’indication d’un
tiré, sans laquelle le titre eût perdu le caractère de
lettre de change.
On comprend qu’en cet état non-seulement la provi
sion n’existait pas, mais encore que le tiré ignorât ab
solument l’existence de la lettre de change. Aussi le
délai de vingt-quatre heures, stipulé par l’article 162 du
Code de commerce n’était pas accordé en sa faveur et
�89
4
pour qu’il eût le temps de se remuer, comme on disait,
on avait voulu accorder au tireur le jour entier de
l’échéance dans l’espoir qu’il enverrait enfin cette pro
vision qu’il n’avait pu ou n’avait pas voulu faire jus
que là.
Rien de pareil pour le chèque. La provision existe et
doit exister avant même qu’il soit souscrit. On pe s’est
pas même contenté de cette exigence, on a voulu que
cette provision eût été mise par le détenteur à la dis
position entière du tireur.
Dès lors ce détenteur sera ou un non-commerçant
devenu débiteur par suite d’une transaction quelcon
que, et il n’autorisera le créancier à fournir sur lui que
lorsque nanti de la somme il sera en position de s’en
dessaisir à première réquisition.
Ou bien le tiré aura reçu en dépôt le montant du
chèque au crédit du déposant, et dès qu’il a consenti en
faveur de celui-ci la faculté de se pourvoir par chèques
il s’est engagé par cela même à payer à quelque épo
que que se présente le chèque, et ce paiement, le sim
ple roulement de ses opérations le mettra à même de
l’opérer. Nous l’avons déjà dit : si les banques de dé
pôts étaient obligées, pour faire face aux chèques tirés
par le déposant, de conserver dans leurs caisses les
sommes qu’elles reçoivent, elles feraient un métier de
dupe, qui les conduirait droit à la faillite, et il n’est per
sonne d’assez insensé pour l’entreprendre.
Quant à la crainte que le chèque ne soit présenté
qu’après la fermeture dç la caisse, qu’en l'absence du
DES CHÈQUES. — ART. o ,
�tiré sans qu’il eût laissé ses instructions à ses représen
tants, ou que le créancier néglige de tirer pendant des
jours, des semaines des mois, une année, rien de plus
chimérique, rien de plus contraire à ce qui se passe ha
bituellement.
Le porteur du chèque n’attend pas pour se présenter
la fermeture de la eaisse. Le plus souvent même il se
présentera avant midi si le nombre des valeurs à recou
vrer le lui permet, et il n’est pas nécessaire que le pa
tron soit présent, le caissier le supplée parfaitement en
matière de paiement à faire, et n’a nul besoin d’instruc
tions spéciales.
Quant à supposer qu’un créancier sachant ou averti
que ce qui lui est dû est à sa disposition, néglige de
l’encaisser ou de le faire encaisser non - seulement
pendant des jours, des semaines, mais encore des mois
entiers et même une année, c’est tout bonnement sup
poser à peu près l’impossible. Laisser en mains d’au
trui un argent qu’on peut immédiatement retirer, au
risque de se trouver dans l’impossibilité de le faire plus
tard, c’est ce qu’aucun commerçant, c’est ce que le
plus riche capitaliste ne fera certainement jamais.
On voit ce que valaient les arguments de M. Quesné,
qui firent cependant repousser la proposition de la
commission acceptée par le conseil d’Etat, malgré que la
faculté qu’elle conférait répondît parfaitement au carac
tère du chèqne et fût de son essence :^,on n’agit pas
autrement en Angleterre et le protêt suit immédiatediatement le refus de paiement.
H
�3, A
91
Mais, objectait M. Quesné, comment constater ce
refus? Comment! mais delà manière la plus naturelle
et la plus simple. Le chèque qu’on aurait refusé de
payer aurait été remis à un huissier ou à un notaire qui
l’aurait présenté de nouveau et qui, si le tiré avait
persisté dans son refus de paiement, aurait constaté ce
nouveau refus par un procès-verbal ; en d’autres ter
mes, on aurait fait exactement ce qu’on fait aujourd’hui,
avec cette différence qu’au lieu de ne se présenter que
le lendemain, l’officier ministériel se serait présenté le
jour même.
Dans tous les cas, la nécessité de s’adresser à un of
ficier ministériel, et du transport de celui-ci au domi
cile du tiré, laissait à celui-ci l’heure que M. Quesné
réclamait pour lui, et lui permettait de se retourner
comme on le disait.
DES CHÈQUES. — ART.
\
6 5 .-------Quoi qu’il en soit, le délai de vingt-quatre
heures ayant prévalu, le protêt du chèque ne pourra
être réalisé que le lendemain de l’échéance ; mais voici
l'embarras dont nos législateurs ne paraissent pas avoir
soupçonné l’existence, et qui cependant méritait qu’on
s’en préoccupât.
La prescription de l’article 162 du Code de com
merce est d’une application facile en matière de lettres
de change ordinaires ; qu’elles soient tirées à un ou plu
sieurs mois, à un ou plusieurs jours de date ou de vue,
l’échéance ne saurait être douteuse : il y aura donc possi
bilité d’apprécier avec certitude si le protêt a été fait
�92
LOI DÜ 14 JUIN 1865
avant, pendant ou après le délai de vingt-quatre heures.
Mais quelle est l’échéance du chèque? Le moment
de sa présentation, évidemment ; c’est donc, pour obéir
à l’article 162, vingt-quatre heures après que le por
teur s’est transporté au domicile du tiré et y a éprouvé
un refus de paiement, que le protêt devrait être rédigé,
sous peine de déchéance.
Mais comment établir le fait de la présentation autre
ment que par une déclaration du tiré, ou par un procèsverbal d’huissier ? Dans ce dernier cas, si le ministère
de celui-ci doit être requis, pourquoi l’obliger à reve
nir le lendemain et lui imposer ainsi un double ac
cessit ?
Peut-être qu’une mûre réflexion à ce sujet eût mo
difié les dispositions du Corps législatif, et l'opinion du
Gouvernement lui-même. Sans doute il ne faut pas in
nover à tout propos, mais l’exposé des motifs le recon
naissait lui-même, à une matière spéciale il faut une
législation spéciale. Or peut-on méconnaître ou contes
ter le caractère spécial du chèque, et l’incertitude de
son échéance ne le mettait-il pas en dehors de la dispo
sition de l’article 162 du Code de commerce ?
66. — En l’état nous nous trouvons en présence de la
difficulté que nous avons signalée dans notre commen
taire de l’article 160 du Code de commerce. On sait
que cet article détermine le délai
f dans lequel doivent
être présentées les lettres de change tirées à vue, ou à
un ou plusieurs jours ou mois de vue du continent et
�DES CHÈQUES. — ART. 3 , 4
95
des îles de l'Europe sur les établissements français aux
Echelles du Levant, et aux côtes septentrionales de
l’Afrique.
Nous avons à ce sujet soutenu, contrairement à l’opi
nion de MM. Horson et Nouguier, que l’esprit et le
texte dn Code de commerce aboutissaient à cette con
séquence : le porteur d’une lettre de change dans les
conditions de l’article 160, peut s’abstenir de la pré
senter pendant six, huit mois, un ou deux ans, et par
conséquent l’empêcher d’arriver ainsi à l’échéance.
Son abstention ne saurait motiver ainsi aucune réclama
tion, alors même qu’on offrirait de prouver qu’il a dé
pendu de lui d’agir plus tôt. Mais si renonçant au délai
il a présenté la lettre de change et a ainsi déterminé
l’époque précise de son échéance, il s’est mis dans la
nécessité de faire protester le lendemain de cette éché
ance l.
Ce que nous disions alors pour la lettre de change,
nous le disons aujourd’hui pour le chèque. En déclarant
que le paiement doit en être réclamé dans les cinq ou
dans les huit jours, y compris celui de la date, suivant
qu’il est tiré de la place sur laquelle il est payable, ou
d’un lieu sur un autre, la loi confère au porteur la fa
culté d’épuiser ce délai et de ne présenter le chèque
que le cinquième ou le huitième jour ; on ne saurait
donc lui en faire un grief, et le protêt rédigé le sixième
i Notre commentaire de la lettre de change n° 478.
�94
LOI DO 14 JUIN 1868
ou le neuvième jour serait évidemment régulier et pro
duirait tout son effet légal.
Mais les intéressés à la déchéance ne soutiendront-ils
pas que le chèque n’a été présenté ni le cinquième ni
le huitième jour, et que le protêt fait le lendemain n’a
eu d’autre objet que de masquer cette négligence et
d’échapper à la peine qu’elle faisait encourir? Quel
moyen a le porteur de prévenir ce reproche et d’en éta
blir le mal fondé ?
Puis ne pourront-ils pas prétendre que le chèque
ayant été présenté au tiré un, deux ou trois jours de
sa date, et étant dès lors échu au moment même de la
présentation, le protêt requis seulement le sixième ou le
neuvième jour a été tardif et n’a pu leur retirer le- béné
fice de la déchéance?
La loi nouvelle ne résout rien à cet égard et c’est re
grettable. L’occasion était bonne pour trancher la con
troverse qui existait et couper court à toutes difficultés.
En l’état nous restons dans les termes généraux du Code
de commerce, et il ne nous paraît pas possible de ne
pas placer le chèque sous l’empire des dispositions ré
gissant les lettres de change payables à vue.
En conséquence, et pour nous résumer, nous croyons
que le porteur peut ne présenter le chèque que le der
nier jour du délai accordé par l’article 5, et dans ce cas
le protêt reçu le lendemain ne saurait être querelé.
Que si le chèque a été en réalité présenté dans le cours
du délai, il est par cela même venu à échéance, et c’est
le lendemain qu’il doit être protesté, sous peine de dé-
�5, 4
95
chéance, si le fait de la présentation était acquis ou
établi.
On ne dira pas que nous méconnaissons les motifs
qui ont fait repousser la proposition delà commission ;
nous en tenons compte au contraire, en assurant au tiré
la garantie qu’on a voulu lui assurer. En effet , ce
que demandait M. Quesné, ce que le corps législatif a
entendu, c’est qu’nn délai de vingt-quatre heures sépa
rerait la réquisition de paiement et le protêt afin d’assu
rer au tiré le temps de se retourner. Or ce délai est
strictement observé dans chacune de nos hypothèses?
DES CHÈQUES. — ART.
67. — Le chèque comporte-t-il, comme la lettre
de change ou le billet à ordre, la clause retour sans
frais, qui a pour effet de conserver le recours du por
teur et de l’empêcher de requérir le protêt?
Comporte-t-il l’indication de besoins chez lesquels
on pourra demander le paiement refusé par le tiré ?
MM. Nouguier et Espinas, qui ont déjà admis la va
lidité de l’aval, se prononcent pour l’affirmative, et
voici par quels motifs.
« Quand l’article 4 déclare certaines dispositions du
Code de commerce relatives à la lettre de change ap
plicables au chèque, contient-il une nomenclature limi
tative ? Nous ne le pensons pas : celles de ces dispo
sitions qui sont spécialement indiquées devront être
suivies ; mais il en est d’autres dont l’application sans
être forcée pourra avoir lieu. Toutes les fois que nous
rencontrerons des usages qui, basés sur des conventions
�9fi
LOI DU 14 JUIN 1865
licites des parties contractantes, ne porteront aucune
atteinte.aux principes fondamentaux sur lesquels repo
sent les chèques, nous disons qu’il n’est pas interdit de
les inscrire sur les chèques l. »
68. — Dénier le caractère limitatif et restrictif de
notre article 4, c’est fermer les yeux à l’évidence. In
contestablement le caractère civil assigné au chèque
avait pour résultat immédiat et forcé de le soustraire à
l’empire des dispositions du Code de commerce. On ne
pouvait les lui appliquer que si la loi le déclarait ex
pressément, et MM. Nouguier et Espinas le reconnais
sent eux-mêmes.
Or remarquons que l’article 4 ne se réfère pas au
Code de commerce en termes généraux ; il indique cel
les de ses dispositions qui sont applicables. Qu’était-il
besoin d’une nomenclature si l’article 4 ne devait pas
être limitatif et restrictif? L’existence de celte nomen
clature démontre donc ce caractère : elle est l’exclusion
de tout ce qui ne s’y trouve pas compris, qui dicit de
uno de altero negat.
Nous repoussons donc l’opinion de MM. Nouguier et
Espinas, non seulement à ce point de vue mais encore,
mais surtout parce qu’elle ne va à rien moins qu’à faire
des chèques de véritables effets de circulation et de
crédit, ce qui est de tout point inconciliable avec l’es
prit de la loi et l’intention du législateur. Si en effet le
i N°s 102 et suivants.
�DES CHÈQUES. — ART. 5 , 4
97
chèque comporte l’aval, la clause de retour sans frais,
l'indication de besoins, qu'est-ce qui le distinguera de
la lettre de change.
Que la formule retour sans frais puisse se justifier
au point de vue de l’article 1134 du Code civil, là
n’est pas la question ; ce qu’il faut examiner c’est si elle
est compatible avec le caractère du chèque, si elle ne
constitue pas une atteinte aux principes fondamentaux
sur lesquels il repose.
Or de l’économie générale de la loi il résulte de la
manière la plus formelle que le chèque ne doit avoir
qu’une existence éphémère : voilà pourquoi il ne peut
être tiré qu’à vue, voilà pourquoi il est payable à vue ,
voila pourquoi le paiement doit en être réclamé dans
les cinq ou dans les huit jours sous peine de déchéance.
Que devient cette dernière prescription avec la clause
retour sans frais ? Son effet n’est-il pas de dispenser
le porteur de toutes formalités, de le relever de toute
déchéance ; pourquoi donc réclamerait-il son paiement
dans le délai prescrit? il ne peut prouver sa diligence à
cet effet qu’en faisant protester le lendemain, et c’est ce
protêt qu’il ne peut ni ne doit requérir.
Ce qui en résultera, c’est que le porteur gardera le
chèque en portefeuille pour le négocier ou le présenter
selon ses convenances, et lui assurera ainsi une circu
lation aussi longue qu’il lui plaira. Or, MM. Nouguier et
Espinas vont eux-mêmes nous l’apprendre : « La nature
du chèque ne saurait se prêter à une longue circulation;
il ne faut pas qu’en augmentant le temps de la circu7
�\
98
Loi du 14 juin 1865
lation du chèque, on le transforme en nn instrument
qui se substituerait aux valeurs de crédit \ »
C’est ce que ferait infailliblement la clause retour
sans frais. On ne saurait dès lors l’autoriser sans se
mettre en opposition avec un des principes fondamen
taux qui régissent le chèque.
69. — L’indication d’un tiers chargé au besoin de
payer, ne nous paraît pas non plus convenir au chèque.
Puisqu’il n’y a de chèque régulier que celui qui est tiré
sur un tiers ayant provision préalable, cette existence
de la provision et sa disponibilité ne permettent pas de
douter du paiement et rendent absolument inutile toute
précaution que la crainte du contraire peut inspirer.
L’indication de besoins ne paraîtra-t-elle pas, en cet
état, un doute sur l’existence réelle de la provision, ou
sur la solvabilité du tiré? Ce doute ne nuira-t-il pas à
la négociation du chèque? N’écartera-t-il pas ceux que
la nécessité de recourir à des besoins ne rassurerait pas
sur le sort de l’effet ?
L’indication de besoins, si elle n’est pas, comme la
clause retour sans frais, la violation expresse de la loi,
n’en est pas moins contraire à son esprit. Considéré
comme monnaie le chèque doit se suffire à lui-même,
et c’est le défigurer que de lui attacher les obligations
accessoires, et de le revêtir des conditions que compor
tent les papiers et valeurs de circulation et de crédit.
IN« 447.
�5
99
Certes, l’effet qualifié chèque, auquel auront concouru
les donneurs d’aval, qui portera la mention retour sans
frais, ou l’indication des tiers chargés de payer au besoin
ne sera pas nul ; il devra recevoir son exécution et pro
duire tout son effet ; mais il ne sera pas un chèque, en
conséquence, il ne sera pas régi par la loi quant au ti
rage à vue, quant au paiement à présentation, et à
l’obligation d’en réclamer le paiement dans les cinq
jours. Comme conséquence, il ne participera pas à la
gratuité accordée au chèque, et sera soumis au timbre
comme tous les autres effets de commerce.
DES CHÈQUES. — ART.
Art. K.
Le porteur d'un chèque doit en réclamer le paiement
dans le délai de cinq jours, y compris le jour de la date
si le chèque est tiré de la place sur laquelle il est paya
ble, et dans le délai de huit jours, y compris le jour de
la date, s’il est tiré d’un autre lieu.
Le porteur d’un chèque qui n’en réclame pas le paie
ment dans les délais ci-dessus perd son recours contre
les endosseurs ; il perd aussi son recours contre le tireur,
si la provision a péri par le fait du tiré, après lesdits
délais.
�100
LOI DU 14 JUIN 1865
SOMMAIRE.
70. Caractère et importance de l'article.
7t. Nécessité de fixer un délai dans lequel le paiement du
chèque doit être réclamé.
72. Dérogation à l’art, 160 C. de corn. Ses motifs.
73. Délai adopté par la commission chargée de préparer la
loi. Modification par le conseil d’Etat.
74. La commission du Corps législatif repousse cette modi
fication.
75. Proposition de s’en référer à l’art. 160 C. com. Opinion
contraire de M. Pouyer-Quertier.
76. Son caractère.
77. Raisons qui devaient faire repousser la proposition.
78. Quel était le délai qu’il convenait de fixer?
79. Prohibition du chèque entre la France et l’étranger , ou
les Colonies et réciproquement
80. L’usage du chèque est licite quelle que soit à l’intérieur
la distance entre la place où il est tiré et celle sur
laquelle il est payable.
81. Mais la distance n’influe en rien sur le délai de 5 ou 8
jours accordé par notre article. Son point de départ.
82. Effets de l'inobservation à l’égard des endosseurs.
83. Obligation pour le porteur de notifier le protêt avec ajour
nement , comme le prescrit le Code de commerce ,
art. 165 et 167.
84. Délai du recours des endosseurs les uns contre les autres.
85. Dans quels termes le projet soumis au Corps législatif
statuait à l’égard du tireur.
t jj8Sjiir “tkractère de sa disposition. Ses conséquences.
87. Ej{è supposait que la remise du chèque opérait novation,
ions soulevées au Corps législatif.
�DES CHÈQUES. — ART. 5
89.
90.
91.
92.
93.
94.
95.
96.
97.
98.
99.
100.
101.
102.
103.
104.
105.
106.
107.
108.
101
Réponse de M. de Lavenay , commissaire du gouverne
ment.
Le caractère rationnel de cette réponse, exigeait une mo
dification dans la rédaction.
Conditions définitivement exigées pour que le recours
conte le tireur soit perdu.
Quid donc si la provision venait après la déchéance, à
disparaître par suite d’une opposition des créanciers
du tireur? Opinion de M. Millet.
Appréciation.
La rédaction définitive de l’article 5 tranche toute diffi
culté, dissipe tous les doutes.
Applicabilité de l’article 161 C. de comm.
Résumé.
Prétendue contradiction entre les articles 4 et 5 , signa
lée par M. Millet.
Explication donnée par le commissaire du gouverne
ment.
Ne résout pas convenablement la difficulté.
Ce qu’il y avait à répondre.
Devrait-on en cas de perte ou de vol du chèque procéder
comme l'indiquent les art. 150 et suiv. C. de com. ?
Opinion de MM. Nouguier et Espinas. Objections qu’elle
soulève.
Différence dans les délais de la prescription. Ses consé
quences.
Position du tiré à qui celui qui a trouvé ou volé le chè
que viendrait le présenter après le délai.
Quid du tireur?
Conclusion.
Effets du paiement du chèque faux par supposition de
personnes.
Clause portant que le déposant prend à sa charge les con
séquences de ia perte ou du vol. Sa légalité.
�102
109.
110.
111.
112.
113.
114.
115.
116.
117.
118119.
loi du 14 juin 1868
Effets qu’elle doit produire.
Jurisprudence.
Son caractère juridique.
Que devrait-il en être à défaut de cette clause ?
Si le tiré informé du vol ou de la perte refuse de payer,
quelle sera la position du porteur ?
Son obligation, s’il est de bonne foi , de faire protester
en temps utile pour pouvoir recourir contre les
endosseurs.
Arrêt de la Cour de cassation.
Le tiré qui a payé un chèque faux a t-il action contre
celui aux mains de qui il a payé?
Opinion de MM. Nouguier et Espinas pour l’affirmative.
Leurs motifs.
Examen et réfutation.
Si le paiement d’un chèque vrai a eu lieu sur un faux
acquit, qui pourra exercer un recours contre l’auteur
du faux?
70. — Le rapporteur du Corps législatif n’hésitait
pas à considérer cet article comme le plus important du
projet de loi. Il est en effet certain qu’aucune disposi
tion ne spécialise mieux le chèque et le différencie plus
non-seulement des obligations ordinaires mais encore
de la lettre de change.
En droit commun le créancier d’une obligation n’est
pas tenu d’en poursuivre le paiement dans un délai quel
conque : il est libre de ne le faire que suivant ses con
venances, qu’à ses plaisir et volonté. Tant que la pres
cription n’est pas venue l’éteindre, la dette subsiste, et
è
�— ART. Î5
103
avec elle toutes les garanties accessoires qui en recom
mandent et en assurent l’exécution.
DES CHÈQUES.
71. — Un pareil état des choses ne pouvait convenir
au commerce. La mulliplicilé de ses opérations, le rè
glement prompt et rapide qu’elles exigent étaient in
compatibles avec la faculté pour le créancier de retar
der indéfiniment ce règlement. Aussi le Code de com
merce exige-t-il que les lettres de change et les billets
à ordre soient présentés à l’encaissement le jour même
de leur échéance, et, à défaut de paiement, protestés le
lendemain sous peine de déchéance contre les endos
seurs, et dans un cas donné contre le tireur lui-même.
Le caractère civil assigné au chèque, le laissait en
dehors de cette prescription ; elle ne pouvait le régir
qu’en tant que la loi spéciale l’aurait expressément con
sacré ; cette consécration expresse est, nous venons de
le voir, inscrite dans l’article 4.
Mais il ne suffisait pas de s’en être référé à l’article
162 du Code de commerce ; celui-ci, en effet ne dis
pose que pour les valeurs ayant une échéance certaine
et déterminée, quant à celles qui sont tirées à vue, ou
à un certain nombre de jours, de mois ou usances de
vue, c’est l’article 160 du même Code qui les régit.
72. Donc en supposant que l’article 4 en rendit la
disposition commune aux chèques, il en résultait que le
porteur aurait eu, suivant les’distances, six, huit mois,
un ou deux ans pour en réclamer le paiement. Dès lors,
�|
/
104
LOI DU U JUIN 1800
à quoi bon exiger que le chèque ne pût être tiré qu’à
vue et fût payé à présentation ? L’échéance de 15, de
30, de 60 ou de 90 jours eût encore offert une écono
mie de temps qui n’était pas à dédaigner.
Dès qu’il était admis qu’une échéance ainsi graduée
ne convenait ni à la nature ni au caractère du chèque,
il ne pouvait s’élever le moindre doute touchant l’ap
plicabilité de l’article 160. Le délai de six mois au mi
nimum leur était bien plus antipathique encore.
11 fallait donc se prôhoncer et la seule difficulté qui se
présentât était de savoir quel délai on accorderait. En
Angleterre, la loi se contente d’exiger que le chèque
soit réalisé dans un délai raisonnable ; mais la jurispru
dence n’admet comme tel que celui de quarante-huit
heures. La loi française devait-elle se prononcer dans
ce sens ?
73. — La commission chargée de la préparer ne
l’avait pas admis. Tout en reconnaissant que le paiement
du chèque devait être le plus prompt possible, elle s’était
prononcée pour le délai de cinq ou de huit jours, sui
vant que le chèque était tiré de la place sur laquelle il
était payable ou d’un lieu sur un autre.
Le conseil d’Etat, trouvant ce délai trop long, l’avait
réduit à trois et cinq jours, et avait rédigé l’article 5
dans ce sens et l’avait motivé en ces termes :
« Celte disposition a un double objet : en premier
lieu, elle tend à différencier de plus en plus le chèque
de la lettre de change au point de vue de la perception
�5
105
de l’impôt. En second lieu, elle a pour but, au point
de vue des intérêts et des droits privés, d’empêcher
que la négligence du porteur ne prolonge indéfiniment
la garantie des endosseurs et ne compromette la respon
sabilité du tireur lui-même, dans le cas où la provision
par lui faite viendrait à disparaître par la faillite du
banquier dépositaire. La nécessité d'un court délai pour
la réalisation du chèque s’est fait sentir en Angleterre
comme elle nous paraît devoir se produire en France.
En Angleterre, la loi veut que le chèque soit réalisé
dans un délai raisonnable ; la jurisprudence a fixé ce
délai à quarante-huit heures ; la commission spéciale
avait proposé des délais de cinq et de huit jours : le
conseil d’Etat a cru devoir les réduire à trois et à cinq.
Le chèque n’est pas destiné à une longue circulation.
L’intérêt même du porteur est de le réaliser prompte
ment, car tant que le chèque n’est pas réalisé, c’est au
profit du tireur et non au profit du porteur que courent
les intérêts. L’essentiel est de dégager promptement les
endosseurs. Au surplus, le chèque présenté après le dé
lai n’est pas pour cela caduc, le porteur perd seulement
les garanties spécifiées plus haut. »
DES CHÈQUES. — ART.
74. D’accord avec le Gouvernement sur la nécessité
d’imposer au chèque la plus prompte réalisation, la com
mission du Corps législatif n’admettait pas le délai de
trois et de cinq jours : « Ces délais, disait son rappor
teur, ont paru trop rigoureux; il peut se rencontrer des
cas où le fait de nejjpas se présenter au bout de trois
�106
LOI DU 14 JUIN 1865
jours, s’il est émis sur la même place, ne soit pas le ré
sultat d’un oubli ou d’une négligence : tel est le cas où
celui à qui le chèque a été remis en paiement demeure
à quelque distance, ou bien le cas où l’on a été obligé
d’avoir recours à la poste pour le faire parvenir ; tel est
encore celui où plusieurs jours fériés se suivent et où
on ne peut procéder à l’encaissement. S'il s’agit d’un
chèque tiré d’un lieu sur un autre, les cas de ce genre
se multiplient encore, et, pour mieux dire, ils varient
suivant les temps et les lieux. »
En conséquence, adoptant l’avis de la commission
spéciale, elle revenait au délai de cinq et de huit jours.
75. — Quelques membres du Corps législatif, et no
tamment M. Nogent-Saint-Laurent demandaient qu’on
s’en référât purement et simplement à l’article 160 du
Code de commerce, et qu’on déclarât communs aux
chèques les délais qui y sont indiqués.
Celte demande était repoussée notamment par MM.
Em. Ollivier et Pouyer-Quertier.
« Le chèque, disait le premier, m’est délivré pour
que je l’envoie à un banquier, qui le porte à mon com
pte comme il y portera ceux que je délivrerai moimême, de façon à ce qu’il opère d’abord une compen
sation sur moi-même, puis qu’il étende cette compensa
tion à ses divers clients, puis aux maisons de banque de
dépôt. Par suite de cette série d’opérations de pure
comptabilité, sans qu’un centime ait été déplacé, on
arrivera à liquider d’immenses opérations, et à épargner
�407
5
aux commerçants et au pays tout entier, le déplacement
des espèces et la perte du temps. Supposez maintenant,
comme le veut l’honorable M. Nogent-Saint-Laurent,
un chèque pouvant circuler pendant six mois, comment
concevoir la mise en œuvre du mécanisme que je viens
d’indiquer ? »
» Comment voudriez-vous, disait M. Pouyer-Quertier, vous qui paraissez prendre la défense des banques
de dépôts, admettre que ces banques consentent à ce
qu’on tire sur elles des lettres de change à vue pour des
sommes considérables ? Quand se présenteront-elles ces
lettres de change? Le banquier n’en sait rien. Il serait
engagé pour six mois, jusqu’au dernier jour où on a le
droit de présenter ces lettres de change. La commis
sion tout entière a voulu, au contraire, par la création
du chèque, garantir la sécurité des banques de dépôts
car elles ne sont jamais engagées au-delà de cinq jours
si le chèque est tiré de la place sur la place, et au-delà
de huit jours s’il est tiré d’une place sur une autre. Il
en résulte donc que le banquier qui prévoit une crise,
que le commerçant qui aperçoit quelques circonstances
extraordinaires au point de vue financier, peut défendre
à l’instant même à son créancier de tirer de nouveaux
chèques sur sa caisse, il s’entendra avec lui sur la ma
nière dont il remboursera la somme qu’il lui doit, mais
il ne voudra jamais rester exposé à payer des chèques
qui peuvent ne se présenter qu’au bout de deux, trois,
quatre ou six mois. L’échéance de la lettre de change
à vue ou à plusieurs jours de vue est indécise. Le banDES CHÈQUES. — ART.
�108
LOI OU 14' JUIN 1865
quier ne peut savoir à quel moment, à quelle heure elle
se présentera à sa caisse, il ne sait s’il aura alors provi
sion ou non pour payer cette valeur qui aura circulé
pendant plusieurs mois '. »
76. — M. Pouyer-Quertier traite un peu le droit en
grand industriel. Pour un jurisconsulte il n’est pas ad
missible que la banque de dépôt qui a concédé la facul
té de tirer des chèques puisse à un moment quelconque
défendre au déposant d'user de cette faculté. Celte pré
tention n’irait à rien moins qu’à détruire le contrat en
en supprimant la conditiou la plus essentielle sans la
quelle il n’eût pas eu lieu. Or, pour en arriver là, il
faut de toute nécessité le concours des volontés qui
ayant seul déterminé le contrat, peut seul le modifier
ou le détruire.
Tout ce que la banque de dépôt pourrait faire, serait
de restituer intégralement ce qu’elle a reçu, et dans ce
cas quel avantage en retirerait-elle? Ne vaut-il pas
mienx qu’elle n’opère ce remboursement qu’en détail,
au fur et à mesure que les chèques se présenteront.
Nous ne croyons pas qu’on pût faire pour elle autre
chose,J ni surtout revenir contre un engagement évi
demment contracté en parfaite connaissance de cause.
On ne peut pas en effet supposer que la possibilité d’une
crise ait pu échapper aux prévisious du fondateur de la
banque de dépôt, et si cette éventualité ne l’a pas emi Séance du 23 mai 1863.
�DES CHÈQUES. — ART. 5
109
pêché d’autoriser le retrait des sommes déposées par
chèques, où serait le motif, la crise se réalisant, de le
dispenser de tenir ses engagements ?
Nous croyons que l’initiative des banques de dépôt
doit être encouragée et favorisée. Mais l’autorisation de
fournir des chèques n’est pas concédée à titre gratuit;
elle abaisse singulièrement le taux, de l’intérêt à payer
au déposant, la banque y trouve donc un intérêt, et la
faveur qu’on lui ferait de pouvoir revenir sur ses enga
gements ne sarait-elle pas une criante injustice pour
les déposants ?
77. — Au reste l’obligation de faire face aux chèques
même en temps de crise ne saurait avoir les conséquen
ces que M. Pouyer-Quertier redoutait pour les banques
de dépôt. Tout ce qui en résultera pour elles sera la
nécessité de ralentir leurs opérations et de se résoudre
ainsi à gagner moins. Dans tous les cas, et en supposant
que malgré ce ralentissement elles ne soient pas com
plètement en mesure de payer, elles y suppléeront en
prenant dans le fonds de réserve qu’elles doivent avoir.
Mais même dans ces limites, leur intérêt à ce que les
chèques ne demeurent pas en suspens pendant six mois
est évident. Plus le ralentissement de leurs opérations
devraient se prolonger, plus elles verraient leur juste
et légitime bénéfice s’amoindrir : il leur importe donc
d’être fixées le plutôt possible pour rentrer dans un bref
délai dans le mouvement normal de leurs opérations.
�\
MO
LOI DU 14 JUIN 1865
D’ailleurs, si après avoir donné aux chèques la faculté
d’être à ordre, l’avantage d’être négociable par la voie
de l’endossement, enfin la faculté d'être tirés d’un lieu
sur un autre, on leur accorderait la jouissanse d’une
circulation de six mois, on en faisait en réalité de véri
tables lettres de change réunissant à tous ces avanta
ges celui d’être exempt de l’impôt du timbre, et l’on
arrivait forcément à ce résultat que le chèque fût de
venu la règle ordinaire et la lettre de change l’ex
ception.
78. — Quant au délai à accorder, nous croyons que
celui de cinq et de huit jours est plus que suffisant, ainsi
l’observaient l’exposé des motifs et le rapport lui-même.
L’intérêt de l’argent pendant l’intervalle qui s’écoule
entre la remise du chèque et son paiement court non au
profit du porteur, mais au profit du tireur. Or en com
merce il n’y a rien de petit et l’intérêt d’un jour ne
laisse pas que d’avoir son importance. On peut donc
être certain que le bénéficiaire du chèque n’aura rien de
plus pressé que de le présenter à l’encaissement, et que
l’épuisement du délai légal sera une très-rare exception
Il en eût été de même si le délai de trois et de cinq
jours admis par le conseil d’Etat eût été maintenu.
79. — L’appel fait à l’article 160 du Code de com
merce appelait naturellement l’attention sur les ehèques
tirés de l’étranger ou des colonies, et réciproquement.
�DES CHÈQUES. — ART. 5
111
Or dans cette hypothèse comment se conformer aux
prescriptions de la loi sur le délai de présentation ?
Il est évident que si, dans les relations avec l’étranger
ou les colonies on pouvait faire usage de chèque, l’ob
servation de la loi était impossible ; mais ce qui résulte
de la discussion au Corps législatif, c’est que cet usage
n’était pas autorisé.
Voici à ce sujet comment s’exprimait le commissaire
du gouvernement, M. de Lavenay, dans la séance du 6
mai 1865.
«< Nous avons admis comme chèques, c’est-à-dire au
bénéfice de l’immunité fiscale, non-seulement les chè
ques tirés sur la même place, mais les chèques tirés
d’une place sur une autre. C’est déjà une extension de
faveur considérable ; car si le chèque tiré d’une place
sur une autre peut être, comme le chèque tiré sur la
même place, un instrument de paiement, de liquida
tion, il contient une opération de change, c’est-à-dire
une remise de fonds de place en place.
» A vrai dire, le chèque tiré d’une place sur une
autre contient virtuellement une opération de change,
et, à ce titre, nous pouvions l’écarter du bénéfice de la
loi. Votre commission et le Gouvernement ont com
pris que le caractère de change s’effaçait ici devant le
caractère supérieur d’instrument de liquidation, et fai
sant prédominer, dans l’intérêt du pays, l’instrument
de liquidation, ils ont étendu au chèque tiré d’une place
sur une autre l’immunité de l’impôt.
» Quant aux chèques tirés de l’étranger ou des co-
�H2
LOI DU 14 juin 1865
lonies, le caractère de déplacement fictif, de remise
d’argent, y est tellement prédominant, tellement impor
tant, qu’il n’était pas possible d’étendre les bénéfices
de la loi jusque-là.
» Je reconnais que c’est l’intérêt du Trésor qui a mis
là une barrière. Le Trésor fait un sacrifice pour les chè
ques tirés de l’intérieur. Il consent à ne pas y voir le
caractère de change, qui cependant s’y trouve, pour
n’envisager qùele caractère d’instrument de liquidation;
mais quand il s’agit de chèques tirés soit de l’étranger,
soit des colonies, le caractère de change devient telle
ment prépondérent que le Trésor ne peut plus ne pas
en tenir compte, et fermer les yeux sur le signe qui les
rend passibles de l’impôt. »
Ainsi quelle que soit la qualification donnée au billet
tiré de France sur l’étranger ou les colonies, ou récipro
quement, il n’en sera pas moins une lettre de change
jouissant des délais accordés par l’article 160 du Code
de commerce,
mais soumis à l’iuipôt du timbre.
.
80.—En résumé, le chèque est exclusivement destiné
à l’usage de l’intérieur, quelle que soit d’ailleurs la dis
tance qui sépare la place où il est payable de celle d'où
il est tiré. Mais cette distance n’influe en rien sur le
délai delà présentation ; ce délai a été limité et devait
l’être dans l’intérêt du Trésor pour bien différencier le
chèque des autres papiers de circulation et de crédit, et
empêcher que sous une apparence trompeuse ceux-ci
ne parvinsent à se soustraire à l’impôt du timbre ; dans
�113
l'intérêt des endosseurs, ce qui les a décidés à concou
rir à la négociation du chèque, c’est la certitude de la
provision, qui en en assurant le paiement, rend ce con
cours absolument sans danger pour eux ; il leur importe
donc que le porteur se saisisse au plutôt de cette pro
vision, et prévienne ainsi une perte qui engagerait leur
responsabilité.
A ce point de vue le tireur n’est pas moins intéressé
que les endosseurs eux-mêmes, plus considérable serait
le délai accordé pour réclamer le paiement du chèque,
plus nombreuses seraient les chances de perte qui l’ex
poserait au recours du porteur et l’obligerait à faire les
fonds une seconde fois.
Enfin les banques de dépôt elles-mêmes sont intéres
sées à cette limitation. En supposant qu’en temps de
crise elles soient obligées de ralentir leurs opérations
pour être en mesure de rembourser, autre chose est de
subir cette nécessité pendant 15, 20 ou 30 jours, autre
chose de se la voir imposer pendant six mois. Or il est
évident qu’après 20 ou 30 jours du commencement de
la crise, tous ceux que cette crise aurait effrayés auront
tiré sur la banque, qu’il n’y aura plus à en redouter de
nouveaux, et que rassurée désormais, celle-ci pourra,
en toute sécurité reprendre le cours normal de ses opé
rations.
DES CHÈQUES. — ART. 3
81. — Toutes ces considérations ont dicté la dispo
sition du premier paragraphe de l’article 5, aux termes
8
�duquel le paiement du chèque doit être réclamé dans
les cinq jours, si le chèque est payable sur la place où
il est souscrit, dans les huit jours s’il est tiré d’un lieu
sur un autre.
Ce qu’il importe de remarquer c’est que dans ces
cinq ou huit jours se trouve compris celui de la date.
Ainsi la loi déroge ici à la règle suivant laquelle le dies
à quo ne compte pas dans le délai, elle n’accorde donc
en réalité que quatre ou sept jours francs suivant le
cas, sans que, dans aucun, on puisse ou on doive tenir
compte du délai de distance.
82. — Comme sanction à l’observation de l’obliga
tion imposée par le paragraphe premier de l’article 5, le
deuxième paragraphe déclare que le porteur qui ne ré
clame pas le paiement du chèque dans Jes cinq ou huit
jours, perd son recours contre les endosseurs, qu’il
perd aussi son recours contre le tireur si la provision a
péri, par le fait du tiré, après lesdits délais.
En ce qui concerne les endosseurs, la disposition de
l’article 5 était à peu près inutile. En déclarant applica
bles au chèque les prescriptions du Code de commerce
relatives au protêt, l’article 4 plaçait le porteur du
chèque sous l’empire de l’article 168, aux termes duquel
la déchéance de tout recours contre les endosseurs est
encourue si le protêt n’était pas requis et réalisé dans
le délai de l’article 162.
Or la preuve que le chèque a été présenté et que le
paiement en a été réclamé en temps utile, ne peut ré-
�DES CHÈQUES. — ART. 5
H 5
sulter que du protêt constatant le défaut de paiement.
Comme nous venons de le dire, ce protêt doit être fait
le sixième ou le neuvième jour y compris le jour de la
date. Donc tout protêt fait après l’expiration de ce
délai serait tardif et le recours contre les endosseurs
perdu non pas seulement en force de notre article 5,
mais encore en vertu de l’article 168 du Code de com
merce.
83. — De l’applicabilité aux chèques-des dispositions
du Code de commerce relatives à l’exercice de l’action
en garantie, résulte cette autre conséquence que malgré
que le protêt, eût été fait en temps utile, tout recours
contre les endosseurs serait perdu si le porteur ne
s’était pas conformé aux articles 165 et 168 du Code de
commerce.
Ainsi si le porteur agit individuellement contre son
cédant, il doit lui faire notifier le protêt, et à défaut de ,
remboursement le citer en jugement dans les quinze
jours qui suivent la date du protêt, si celui-ci réside
dans la distance de cinq myriamètres. Ce délai s’aug
mente d’un jour par deux myriamètres et demi excé
dant les cinq myriamètres.
Les exigences de la libre défense étaient aussi res
pectables et devaient être aussi respectées en matière
de chèques qu’en matière de lettres de change. Or les
délais prescrits par l’article 165 pour l’ajournement du
défendeur n'ont rien d’exagéré ; ils ne sont de nature ni
�116
LOI DU 14 JUIN 1865
à compromettre aucun droit ni à froisser aucun intérêt.
La loi nouvelle n’avait donc pas à les modifier ; elle
pouvait et devait les accepter tels qu’ils étaient établis.
On sait que dans la pratique la notification du protêt
et la citation en justice se font par un seul et même
acte.
Si le porteur agit collectivement contre tous les en
dosseurs, il jouit contre chacun d’eux du délai déter
miné par l’article 165, nous ne parlons pas de le dis
position de l’article 166, par la raison que nous venons
devoir, qu’il n’y a pas lieu à chèque pour les effets sous
crits en France sur l’étranger ou les colonies et réci
proquement.
84. — A leur tour les endosseurs, soit qu’ils aient
remboursé leur cessionnaire et soient devenus porteurs
du chèque, soit que ne l’ayant pas fait, ils veuillent faire
sortir à effet la garantie que leur doivent les endosseurs
précédents, sont en droit de réaliser leurs recours. Ils
peuvent le faire soit individuellement contre leur cédant
soit collectivement contre ceux-ci et contre le tireur.
Dans tous les cas ils n’ont que le délai accordé par les
articles 165 et 167, seulement ce délai au lieu de cou
rir contre eux de la date du protêt, ne court que du
lendemain de la date de la citation ; c’était évidemment
justice, car ils n’apprendront le plus souvent le refus
de paiement que par cette citation, étonné pouvait les
�— ART. 5
117
frapper de déchéance que du jour où ils ont été en me
sure et par conséquent en demeure d’agir l.
DES CHÈQUES.
85. — En ce qui concerne le tireur, la disposition du
deuxième paragraphe de l’article 5 offrit quelques diffi
cultés, souleva plusieurs objections. Dans le projet sou
mis au Corps législatif, celte disposition était ainsi rédi
gée : si le porteur du chèque n’en réclame pas le paie
ment dans les délais indiqués au paragraphe précédent,
il perd son recours contre les endosseurs et même con
tre le tireur dans le cas où celui-ci aurait fait provision,
sauf les réserves indiquées à l’article 171 du Code de
commerce.
La seule différence entre le tireur et les endosseurs,
au point de vue de la déchéance du porteur était qu’à
l’égard de ceux-ci cette déchéance résultait du fait seul
du retard de la présentation, tandis que pour le tireur
à ce fait devait se joindre la preuve de l’existence de la
provision. Mais à vrai dire, et pour ce qui concerne le
chèque, cette condition n’en était pas une, elle ne pou
vait pas ne pas exister. En effet, 11 n’y a lieu à chèque
que lorsque le tiré a préalablement en mains une pro
vision disponible, et le fait de l’avoir tiré en l’absence de
cette provision est une contravention passible d’une
amende. Donc toutes les fois qu’il s’agira d’un chèque
i V. au surplus notre commentaire des articles <65 et 167 du Code de
commerce.
�’ l»
LOI DU 14 JUIN 1865
régulier, la certitude de la provision ne saurait faire
doute.
86. — Quant à la réserve indiquée à l’article 171 du
Code de commerce, elle concerne aussi bien l’endos
seur que le tireur. Le projet venait donc aboutir à cette
conséquence que plaçant sur la même ligne le tireur et
les endosseurs, la déchéance du porteur absolue pour
ceux-ci, l’était également en faveur de celui-là.
Or c’était là une injustice. Il y a loin en effet de la po
sition du tireur à la position des endosseurs. En retirant
le montant du chèque, chacun de ceux-ci ne fait que
rentrer dans les fonds qu’il avait payés en le prenant.
Que si par le concours qu’il donne à la circulation du
chèque, il doit en garantir solidairement le paiement,
cette responsabilité est assez exorbitante pour qu’on ait
pu et dû la subordonner à des conditions déterminées,
à l’accomplissement de certaines formalités.
Il n’en est pas ainsi du tireur du chèque : lui a reçu
sans avoir rien donné ; il est en quelque sorte le véri
table, le seul débiteur, tant qu’il n’a pas fait provision
aux mains du tiré. La réalisation de cette provision fait
passer la qualité de débiteur sur la tête de celui-ci. Lui
tireur a acquitté sa dette, et s’il en est encore solidai
rement tenu c’est à titre de caution et de la même ma
nière que les endosseurs eux-mêmes.
Il est donc juste qu’il soit à son tour affranchi de
tout recours, mais à la condition qu’il n’ait ni indirec
tement ni directement contribué à la perte de la provi-
�DES CHÈQUES. — ART. 3
119
sion, et qu’ayant pu la retirer il se soit abstenu de le
faire.
87. — En l’état, le silence gardé à ce sujet par le
projet de loi pouvait faire supposer qu’il admettait que
la remise du chèque opérait novation, et éteignait par
conséquent la dette primitive en paiement de laquelle
le chèque avait été donné et reçu. C’est précisément
l’objection que présentaient MM. David Deschamps et
Picard : « La doctrine, disaient-ils, suivant laquelle le
porteur du chèque qui aurait encouru la déchéance
pourrait néanmoins agir en vertu de son titre originaire,
suppose nécessairement que la remise du chèque n’a
pas opéré novation ; or cette supposition semble se con
cilier très-difficilement avec la nature du chèque, puis
que le chèque c’est de la monnaie en papier et par
conséquent un paiement, et que ce paiement entraîne
novation par substitution de créancier. »
88. — Oui ; mais le chèque n’est qu'une monnaie de
convention, qui n’est acceptée que sous la condition du
paiement à l’échéance, et si ce paiement ne peut avoir
lieu par le fait du tireur lui-même, comment lui permettrait-on d’exciper d’une novation qu’il aurait lui
seul empêché de produire son effet? Le débiteur qui
paierait en fausse monnaie pourrait-il se prétendre li
béré? Or le tireur qui remet un chèque pour lequel
il n’a jamais existé de provision, et dont il aurait con
couru à retirer ou à annuler la provision, aurait dans
�120
14 JUIN 1865
tous les cas payé en monnaie fausse, et ne se serait pas
réellement libéré même au profit de la novation.
On voit que même à ce point de vue on arrive au
résultat que nous indiquions tout-à-l’heure, à savoir
que le tireur n'est affranchi et ne peut être affranchi de
tout recours que si la perte de la provision ne lui est
imputable ni directement ni indirectement, et ne se réa
lise que si le porteur a négligé de se présenter en temps
utile.
LOI DU
89. — Appelé à répondre à toutes ces objections,
M. de Lavenay, commissaire du Gouvernement, expli
quait la pensée qui avait dicté le projet de loi et en dé
terminait le sens. Gomme ces explications sont le com
mentaire le plus net, le plus précis de notre article,
nous croyons devoir les reproduire.
« L’honorable M. Picard a bien voulu reconnaître que
l’intérêt des endosseurs lui paraissait respectable, que
si le chèque n’était pas présenté dans un court délai il
y avait lieu de libérer les endosseurs, mais il pense qu’il
n’y a pas les mêmes raisons pour libérer le tireur. Mes
sieurs, il faut distinguer. Que dit notre article? Il dit
que si le chèque n’est pas présenté dans le délai de cinq
ou de huit jours, le recours est perdu contre les endos
seurs et même contre le tireur s’il avait fait provision ;
puis il ajoute : sauf les réserves indiquées à l’article 171
du Code de commerce. Eh bien ! maintenant voyons
les cas qui peuvent se présenter. Le tireur n’a pas fait
provision, il est évident que tout recours est réservé
�DES CHÈQUES. — ART. 5
121
conlre lui ; le tireur a fait provision : si la provision
existe au moment où le chèque est présenté, et c’est en
ce sens que l’exposé des motifs a dit qu’il n’était pas
caduc, alors même qu’il serait présenté après les cinq
ou les huit jours, le banquier dépositaire de la provivision doit payer le chèque. Ce n’est pas la créance qui
est périmée, c’est l’action en garantie, ce sont les re
cours spéciaux qui sont éteints. Par conséquent si l’on
se présente même après les cinq ou après les huit jours,
et que le banquier soit encore nanti de la provision, il
doit payer.
« Maintenant, je suppose que le banquier n’est plus
nanti de la provision. Pouquoi n’est-il plus nanti? a-t-il
fait faillite ? Oh ! alors dans ce cas tout le monde recon
naîtra qu’il est juste que le tireur soit libéré. La provi
sion a pu être à ses risques pendant un temps raisonna
ble, mais si la négligence du porteur a laissé périr la
provision, il est juste qu’elle périsse pour celui qui a été
négligent et non pas pour celui qui a été victime de la
négligence.
» Eh bien ! maintenant le banquier n’a pas fait faillite
mais il n’a plus la provision ; par conséquent il n’est
pas obligé de payer. Où est donc la provision ? Elle est
quelque part. Si elle a été retirée par le tireur ou par
un des endosseurs, l’article 171 conserve le recours
contre celui qui a retiré la provision. Le porteur du chè
que n’est donc jamais dans une situation inique. S’il y
a eu faillite il perd par sa faute ; s’il n’y a pas eu faillite,
la provision est quelque part, il a le droit de la suivre
�1,01 DU 14 JUIN 186b
122
partout où elle est, entre les mains du banquier, si elle
est entre les mains du banquier ; entre les mains du ti
reur, si le tireur l’a reprise ; entre les mains des endos
seurs, si c’est un endosseur qui en a la possession ; il
ne peut donc pas perdre à moins qu’il n’y ait par un
prodige inouï anéantissement de la provision.
» 11 peut arriver, je le reconnais, que la provision
étant entre les mains du tiré, elle se trouve arrêtée par
une opposition. Alors c’est par le fait indirect du tireur
que la provision n’existe pas. Si le chèque a été pré
senté dans les cinq jours et que dans les cinq jours on
ait rencontré l’opposition, le chèque ayant été présenté
en temps utile, tout les recours sont conservés contre
le tireur. Si on le présente après les cinq jours et que
l’opposition soit postérieure aux cinq jours, alors le por
teur du chèque ne peut imputer qu’à sa propre négli
gence de n’avoir pas touché le chèque.
» Pour trouver une difficulté réelle, il faut supposer
l'hypothèse bien rare ou l’opposition a été faite préci
sément dans les cinq jours, et où le chèque n’est pré
senté qu’après le délai. Cette situation déjà imputable
à la négligence du porteur, présente pourtant encore
son remède. Le porteur du chèque a perdu, il est vrai,
par la présentation tardive de son titre, le bénéfice
du
\
recours en garantie, mais le tireur est-il libéré de sa
dette primitive? je crois que l'honorable M. Picard se
trompe. J’hésite à le dire, il est plus jurisconsulte que
moi, mais je crois qu’il se trompe en voulant confondre
d’une manière absolue l’action qui naît de la dette ori-
�DES CHÈQUES. — ART. 5
123
ginaire et l’action qui résulte de la délivrance du chèque.
L’action qui naît de la délivrance d’un chèque, d’une
lettre de change, non-seulement comporte la réclama
tion de la créance, mais encore les avantages de la soli
darité et des dommages-intérêts, si celui qui était por
teur de l’effet a eu à souffrir dans ses intérêts en ne le
touchant pas. Ce recours en garantie, qui implique aja
fois la réclamation du montant du titre et la réclama
tion des dommages-intérêts, le tout avec solidarité du
tireur et des endosseurs, si le chèque est présenté après
les cinq jours, est perdu, et perdu par la négligence du
porteur. Mais la créance originelle subsiste et ne serait
définitivement éteinte que si la provision avait péri par
un fait étranger au tireur, pendant qu'elle était à la dis
position du porteur négligent.
» En effet, le chèque n’opère pas novation; la nova
tion ne se présume pas. Il est dit, je crois, dans un ar
ticle du Code civil, que la délégation n’opère pas nova
tion. Celui qui a délivré un chèque, a délivré un ins
trument de paiement ; si le paiement a lieu il est libéré ;
si le paiement n’a pas lieu par le fait du porteur il est
libéré encore ; si le paiement n’a pas lieu par le fait du
débiteur, le débiteur reste tenu non pas de dommagesintérêts, si on a laissé périmer l’action en garantie, mais
il reste tenu pour sa créance originelle.
» Voilà l’explication de l’article 5 r, »
1 Séance du 6 mai 1865.
�124
LO! DU 14 JUIN 1865
90. — L’évidente rationalité de cette explication re
commandait l’adoption de l’article, mais elle dévoilait
l’insuffisance de sa rédaction, et démontrait la nécessité
d’une modification qui ne laissât pas tant de place aux
sous-entendus.
L’article fut donc renvoyé à la commission, et celleci s’inspirant des considérations développées par M. de
Lavenay, adopta, de concert avec le conseil d’Etat, la
rédaction telle qu’elle figure dans l’article 5 de la loi.
91. Le porteur du chèque qui ne l’a pas présenté
dans les cinq ou dans les huit jours, perd son recours
contre le tireur lui-même, mais seulement à la condi
tion 1° que la perte de la provision se soit réalisée après
l’expiration du délai ; 2° que cette perte ait eu lieu par
le fait du tiré.
Ainsi la position respective des parties se trouve ra
menée dans un cercle légal et juridique, et naturelle
ment amenée la solution d’une difficulté soulevée par
M. Millet.
92. — « On s’est demandé, disait cet honorable
député, quel serait le droit du porteur dans le cas où la
provision ayant été faite dans les délais indiqués, et sa
déchéance étant encourue, cette provision viendrait à
disparaître par suite d’une action, d’une opposition exer
cée par les créanciers du tireur, c’est-à-dire par le fait
au moins indirect de celui-ci. L’honorable commissaire
du Gouvernement a répondu que le porteur aurait le
�5
125
droit,de réclamer le paiement de la créance primitive,
de la créance que le chèque avait pour objet de payer ;
que le porteur ainsi déchu du chèque devenu caduc
pourrait faire valoir celte créance.
» Selon moi cette opinion doit être admise lorsque
le porteur du chèque se trouve en même temps le
créancier primitif, ayant conservé en son pouvoir le
chèque destiné à le solder. Mais lorsqu’il en est déssaisi
par endossement et que le porteur du chèque n’est plus
ce premier créancier, quel sera le droit du porteur qui
n’a pas traité directement avec le tireur, qui n’a pas de
créance personnelle à faire valoir contre lui? Comment
et à quel titre pourra-t-il l’actionner? Il me semble qu’il
ne pourrait arriver à réclamer que par la voie de subro
gation dans la créance primitive, et je demande quelle
est la loi où cette subrogation est écrite ? »
DES CHÈQUES. — ART.
95. — M. Emile Ollivier avait raison de répondre
que cette loi était celle qui établissait les diveres obli
gations résultant de la lettre de change, et que l’article
4 de notre loi déclarait applicable aux chèques. Il est
évident qu'en cédant le titre le premier porteur trans
fère à son cessionnaire tous les droits qu’il peut avoir
contre le tireur de quelque nature qu’ils soient et puis
sent être ; toutes les actions résultant soit de la nature
du titre, soit de l’obligation personnelle.
Ces droits et actions, de cession en cession, arrivent
intactes au dernier porteur, qui peut recourir, en cas
de non-paiement, non-seulement contre tous les en-
�dosseurs, mais encore contre le tireur. Or n’est-ce pas
par l’action personnelle que celui-ci peut être tenu en
vers lui ?
D’ailleurs, on ne saurait contester au porteur sa qua
lité de créancier du premier endosseur, de celui qui avait
directement traité avec le tireur. Dès lors, comment lui
dénier le pouvoir d’exercer tous les droits et actions
que son débiteur serait dans le cas de faire valoir ? N'y
est-il pas formellement autorisé par l’article 1166 du
Code civil ?
94. — Au reste, la rédaction définitive de notre ar
ticle 5, enlève à l’objection de M. Millet toute possibi
lité de se produire. Il en résulte en effet qu’en cas de
perte de la provision après les délais de la présentation,
le porteur n’est déchu de son recours contre le tireur
que si cette perte arrive par le fait du tiré. Or si la pro
vision n’est arrêtée aux mains de celui-ci que par une
opposition des créanciers du tireur, c’est par le fait in
direct de ce dernier, M. Millet le reconnaissait luimême, que la provision aura péri, par conséquent la
condition exigée manquant, il ne saurait être question
de la privation du recours contre le tireur.
La raison et la logique l’exigeaient ainsi, car si la né
gligence du porteur ne peut être une occasion de pré
judice pour le tireur, on ne saurait admettre qu’elle
pût jamais devenir pour lui un moyen de s’enrichir. Or
ne serait-ce pas ce qui arriverait infailliblement si dans
�DES CHÈQUES. — ART. 5
127
l’hypolhèse admise par M. Millet, tout recours du por
teur contre le tireur était perdu ?
De deux choses l’une : l’opposition des créanciers sera
ou rejetée ou admise.
Si elle est rejetée, la provision deviendra libre aux
mains du détenteur, et si elle n'est pas remise au por
teur, elle fera nécessairement retour au tireur.
Si l’opposition est admise, la provision sera distribuée
aux créanciers opposants, et profitera au tireur qui sera
libéré à concurrence envers chacun d’eux.
95. Or était-il possible d’admettre qu’il pût ainsi
soit reprendre la provision, soit l’appliquer au paiement
de ses dettes, et qu’il fut néanmoins absolument libéré
envers le porteur du chèque ? N’est-ce pas ce résultat
qu’a entendu proscrire et qu’a proscrit en effet l’article
171 du Code de commerce?
Il est vrai que l’appel que le projet de loi faisait à sa
disposition, ne se trouve plus dans l’article 8. Mais on
se tromperait gravement si de ce silence on concluait à
l’interdiction d’y recourir.
D’une part, en effet, la disposition de l'article 171 du
Code de commerce, étant relative à l'exercice de l’action
en garantie du porteur, est virtuellement déclarée appli
cable au chèque par le deuxième paragraphe de l’ar
ticle 4.
D’autre part, le but unique de la déchéance pronon
cée par la loi contre le porteur qui n’a pas réclamé son
paiement dans le délai légal, est de punir ce porteur de
�sa négligence en laissant à sa charge le préjudice qu’elle
occasionne. Or, où est le préjudice pour le tireur si la
provision arrêtée par une opposition devait soit lui re
venir en définitive, soit servir à désintéresser ses créan
ciers ?
9g. — En dernière analyse, pour que le porteur soit
déchu de son recours contre le tireur, notre article exi
ge deux choses : lu que la provision soit perdue ;
2° qu’elle soit perdue par le fait du tiré. Or la provision
n’est pas perdue, si elle n’est qu’arrêtée par une oppo
sition des créanciers du tireur ; cette opposition n’est de
près ni de loin le fait du tiré, aucune des conditions
auxquelles la déchéance est subordonnée ne se réali
sant, il ne saurait être question de cette déchéance.
Sans doute si l’opposition est postérieure au délai de
présentation, il est évident que si le porteur s’était pré
senté en temps utile il en eût prévenu et empêché l’effet,
et, comme le disait le commissaire du Gouvernement,
il ne peut imputer qu’à sa propre négligence de n’avoir
pas touché le chèque, mais contre cette négligence il
n’y a de juste qu’une seule peine, la privation des in
térêts. Donc quelque long que puisse être le retard de
paiement occasionné par l’opposition, le porteur ne
pourra réclamer et on ne devra lui allouer que le
capital.
97. — Lcr même M. Millet signalait la nécessité de
modifier la rédaction de l’article 5. « L’article 4, dans
�DES CHÈQUES. — ART. b
129
sa seconde partie, disait-il, déclare applicables aux chè
ques toutes les règles du Code de commerce relatives
à la garantie solidaire du tireur et des endosseurs, au
protêt et à l’exercice de l’action en garantie en matière
de lettres de change. L’article 5 réglant dans sa dispo
sition finale la déchéance du porteur, encourue s’il ne
réclame pas le paiement dans le délai fixé, s’exprime
ainsi : le porteur perd son recours contre le tireur si
la provision a péri par le fait du tiré après lesdits dé
lais. Il semble résulter de ces derniers mots que si la
provision a péri par le fait du tiré avant l’expiration des
délais, le porteur devrait conserver son recours nonobs
tant le défaut de présentation et par suite de protêt. Or
cette disposition serait en contradiction avec le Code de
commerce qui, dans son article 163, dit : le porteur
n’est dispensé du protêt ni par la mort ni par la faillite
de celui sur qui la lettre de change est tirée. Et, en effet,
le cas le plus ordinaire où la provision du chèque périra
par le fait du tiré sera le cas de sa faillite ; si donc vous
admettez que la faillite du tiré, survenant avant l’expi
ration des délais, le porteur qui n’aura pas réclamé le
paiement du chèque n’encourt pas déchéance et con
serve son action contre le tireur ; vous aurez dans l’ar
ticle 5 une disposition contraire au Code de commerce,
que l’article 4 déclare applicable. Dans cette situation,
il me semble indispensable de modifier l’un de ces deux
articles pour les faire concorder.
98. — Evidemment M. Millet se trompait sur la por9
�tée de l’article 163 du Code de commerce, et sur les
conséquences de son inobservation quant au tireur. Ce
n’est pas cependant dans ce sens que le commissaire du
Gouvernement va répondre. Abondant dans l’opinion
de M. Millet, M. de Laveny va soutenir avec lui que
sans protêt il n’y a pas de recours possible contre le
tireur.
« Je crois, dit-il, en effet, qu’il est facile de rassurer
l’honorable M. Millet. Lorsque la provision périt dans
les cinq jours, le recours du porteur est conservé dans
tous les cas contre le tireur, parce que le principe, c’est
que le tireur comme les endosseurs garantisse la pro
vision pendant cinq jours : voilà le principe. Mais quand
nous disons que le recours est conservé, nous ne disons
pas qu’il est conservé indépendamment des formalités
accessoires pour constater le refus de paiement. Or,
pour constater que le paiement n’a pas eu lieu, il faut
un protêt ; sans cela la présentation n’étant pas cons
tatée, le refus de paiement ne le serait pas non plus. Il
faut donc distinguer le principe du recours des formes
auxquelles le recours est soumis. Le principe du recours
est conservé quand la provision a péri avant l’expiration
des cinq jours, même par le fait du tiré, mais sous la
condition que les prescriptions légales pour l’exercice de
l’action en garantie, celles qui sont indiquées par l’ar
ticle 4, seront remplies. » .
99. —. Ainsi, selon M. deLavenay, sans protêt point
�DES CHÈQUES. — ART. 5
131
de recours. Or, en ce qui concerne le tireur, cela n’est
vrai ni pour la lettre de change ni pour le chèque.
En effet ce n’est que pour les endosseurs que le dé
faut de protêt entraîne la perte de tout recours, cela
est formellement écrit dans les articles 168 du Code
de commerce et 5 de la loi nouvelle.
Mais pour que le porteur soit déchu de son recours,
il faut autre chose que le défaut de protêt ou sa tardiveté.
L’article 170 du Code de commerce exige en outre que
le tireur prouve qu’il y avait provision à l’échéance, et
l’article 5 de notre loi veut de plus que la perte de la
provision se soit réalisée après le délai de la présenta
tion et par le fait du tiré.
En d’autres termes, la libération du tireur n’est qu’une
application de l’article 1382 du Code civil. La loi dit au
porteur si vous vous étiez présenté dans les délais vous
auriez touché la provision, et la dette eût été éteinte;
votre négligence est une faute qui obligerait le tireur à
payer deux fois, elle lui occasionnerait donc un préju
dice que vous devriez réparer. Dès lors, à quoi bon le
rechercher si en définitive vous devriez, à titre de
dommages-intérêts, l’indemniser de toutes les adjudi
cations que vous obtiendriez contre lui.
Est-ce que ce raisonnement est possible lorsque la
provision a péri pendant et dans le délai de la présen
tation ? A l’exception tirée de la tardiveté ou de l’ab
sence du protêt. Le porteur répondra : qu’aurai-je ob
tenu si je m’étais présenté en temps utile? Rien, évi
demment, puisque avant même que je dusse le faire la
�provision avait péri. Donc ma négligence n’a préjudicié
qu’à moi en m’enlevant tont recours contre les endos
seurs, elle n’a ni modifié ni empiré votre position, ce
paiement que je réclame aujourd’hui vous en auriez
été tenu alors même qu’un protêt aurait été dressé; de
quoi donc vous plaindriez-vous, et où est le préjudice
dont je vous devrais réparation ?
10o. — La force juridique de ces objections est par
trop incontestable pour qu’il soit nécessaire d’insister,
et à la place du commissaire du Gouvernement nous
aurions répondu à M. Millet, oui si la provision a péri
par le fait du tireur avant l’expiration du délai, le por
teur conserve son recours contre le tireur nonobstant
le défaut de présentation et par suite de protêt ; et cela
par la raison toute simple que la présentation et le pro
têt n’auraient eu aucun résultat utile ; que la provision
périe avant l’échéance n’existait plus au moment de
cette échéance, et que c’est à ce moment-là surtout
que cette existence est requise.
Peu importe donc, dans cette hypothèse qu’un pro
têt ait été ou non dressé, tout ce qui résultera pour le
porteur de son défaut, sera l'obligation de prouver que
la provision a péri avant l’expiration du délai de pré
sentation.
En dernier résultat, il faut distinguer : à l’égard des
endosseurs, l’absence ou la tardiveté du procès entraîne
par elle seule leur libération ; que la provision ait péri
�DES CHÈQUES. — ART. 8
135
avant, qu’elle ait péri après l’échéance, tout recours
contre eux n’en est pas moins impossible.
Pour le tireur, sa libération est subordonnée nonseulement à l’absence de protêt mais encore à la condi
tion que la provision a péri par le fait du tiré, après les
délais de la présentation et du protêt ; parce que ce n’est
qu’alors qu’il pourra légalement soutenir que si le por
teur s’était présenté il eût encaissé la provision, et que
si depuis elle a été perdue ce n’est que par le fait de la
non-présentation, et qu’il ne serait ni rationnel ni juste
que les conséquences directes de sa négligence pesassent
sur un autre que sur lui.
Tout ce qu’il peut exiger du porteur alléguant que
la provision a péri avant l’expiration des délais, c’est
qu’il fournisse la preuve de son allégation ; cette preuve
faite, rien ne saurait le soustraire à l’obligation de rem
bourser.
101. — Comme tous les autres titres sous seing privé,
le chèque peut être perdu, volé, adiré, falsifié. Devra-ton, dans ce cas, se conformer aux dispositions des ar
ticles 150 et suivants du Code de commerce et suivre
la procédure qu’ils prescrivent?
102. — MM. Nouguier et Espinas se prononcent
pour l’affirmative 1; mais cette opinion nous paraît sou
lever de graves objections.
1N° 106.
�m
LO! DU 14- JUIN 1 8 6 5
L'article 150 ne saurait recevoir aucune application
en matière de chèque. Il vise, il est vrai la lettre de
change non acceptée et le chèque n’est pas susceptible
de l’être, mais il n’en comporte en aucune manière le
tirage à plusieurs exemplaires, comment dès lors en
poursuivre le paiement sur second, troisième ou quatrième etc...?
C’est encore la supposition d’exemplaires multiples
qu’admettent les articles 151 et 152, ce qui en rend
également l’application impossible au chèque.
D’ailleurs il y a entre la lettre de change même uni
que, même non acceptée et le chèque cette différence
capitale que dans la première le tiré n’est et ne peut être
tenu que s’il a accepté, tandis que le chèque ne pou
vant exister qu’en tant que le tiré a provision, c’est ce
tiré qui est le véritable débiteur et contre qui peut et
doit être dirigée la poursuite en paiement.
Les précautions ordonnées par le Code de commerce
se conçoivent dans les hypothèses pour lesquelles elles
sont prises. Le tiré qui a accepté a le droit d’exiger
qu’on lui remette l’exemplaire sur lequel figure son
acceptation, car si plus tard on lui présentait cet exem
plaire, il serait bien obligé de payer. On comprend
dès lors l’intérêt qu’il a à se prémunir contre ce danger
et combien il est juste de lui en faciliter les moyens.
•
103. — D’ailleurs la lettre de change n’est prescrip
tible que par cinq ans, le chèque au contraire n’a qu’une
durée bien courte, bien éphémère puisqu’elle se réduit
�138
à cinq ou à huit jours ; la précaution si nécessaire dans
un cas ne l’est et ne saurait nullement l’être dans
l’autre.
DES CHÈQUES. — ART. 5
104. — Le tiré à qui on viendra présenter un chèque
après l’expiration du délai légal, répondra qu’il n’a plus
provision, et cette réponse le mettra à l’abri de toute
prétention. En effet si nanti de la provision au moment
de la souscription, il est obligé de la conserver, cette
obligation n’existe que pendant le cours du délai de la
présentation, elle expire avec le délai lui-même. Or il
est évident qu’en matière de chèque perdu, volé ou
adiré, le tiré ne paiera qu’après les cinq ou les huit jours
à partir de la réclamation et après avoir ainsi acquis le
droit de se désinvestir de la provision.
105. — Déchu de ce côté, le porteur actuel du chè
que se retournera-t-il contre le tireur ? Mais quel risque
court celui-ci ? Si ce porteur est celui qui a trouvé ou
volé le chèque, à quel titre viendrait-il en réclamer le
paiement. Le tireur prouverait sans peine que n’ayant
jamais eu de relations avec lui, il n’a pu lui délivrer un
chèque.
Si le porteur a reçu le chèque par endossement, son
cédant sera ou celui qui a trouvé ou volé le titre, ou son
cessionnaire ; dans tous les cas le titre ne sera en ses
mains qu’en vertu d’un faux endossement qui ne lui
conférera que le droit de recourir contre l’auteur ou
contre le bénéficiaire de ce faux endossement.
�156
LOI DU U JUIN 1865
Enfin est-ce celui au profit de qui le chèque a été
souscrit qui l’aura régulièrement transmis au porteur
actuel, et qui depuis, sous prétexte qu’il l’a perdu ou
qu’on le lui a volé, serait venu se le faire payer ? Ce se
rait là une vraie, une coupable escroquerie qui serait
sans doute sévèrement punie, mais qui ne pourrait faire
que le tireur fût à couvert.de tout recours.
Dans ce cas, en effet, les conditions exigées par l’ar
ticle 5 se rencontreraient incontestablement, la provi
sion aurait péri après les délais de présentation et péri
par le fait du tiré. Le tireur dirait avec raison au por
teur : si, obéissant à la loi vous vous étiez présenté dans
les délais qu’elle prescrit, le chèque aurait été payé ;
c’est votre négligence qui seule a permis que la provi
sion fut remise aux mains de votre cédant, adressezvous donc à celui-ci, ainsi que vous y autorise l’article
171 du Code de commerce; quant à moi je ne puis
souffrir de votre faute, ni être tenu des conséquences
de votre négligence.
106. — Nous croyons donc que le tiré peut payer
après les délais de présentation et sur reçu déclarant
que si le chèque n’est pas remis c’est qu’il est adiré,
perdu ou volé. Sbppose-t-on d'ailleurs qu’il suffira de
dire à un banquier j ’ai détruit ou perdu, ou on m’a volé
un chèque, pour que le banquier, ouvrant sa caisse,
s’empresse d'en faire les fonds ? Un pareil laissé aller
n’est ni dans le goût, ni dans les habitudes du commerce.
Il est évident que dans l’hypothèse que nous supposons,
�DES CHÈQUES. — ART.
5
157
le banquier se renseignera sur la position et la moralité
de celui qui se présente pour toucher, qu’il s’informera
auprès du tireur de la sincérité du chèque, sur son mon
tant, sur la date du jour de sa création.
S’il paye après avoir procédé à cette enquête, pris
ces renseignements, recueilli ces informations, il paiera
valablement et libérera tous ceux qui ont concouru au
chèque, endosseurs ou tireur. Mais s’il refuse de le faire,
il ne pourra y être contraint que par la justice, mais
sans qu’il puisse réclamer une caution, parce que
payant d’ordre de celle-ci, il n’a plus rien à craindre
ni dans le présent ni dans l’avenir.
107. — Au reste le véritable danger pour le pro
priétaire du chèque perdu ou volé, réside tout entier
dans la diligence que peut déployer celui qui l’aura
trouvé ou volé. S’il néglige de se présenter dans les
délais, il donnera le temps au propriétaire d’aviser le
tiré et de s'opposer au paiement, tandis que si, profi
tant de ce que le chèque ne peut être tiré qu’à vue et
doit être payé à présentation, il le présente dès qu’il
l’a en mains, il pourra en être payé avant même qu’on
se soit aperçu de la perte et du vol. Or ce paiement ne
.pourra avoir lieu que sur un faux endossement, ou sur
un faux acquit ; on peut dès lors se demander quels en
seront les effets.
Le banquier qui reçoit des dépôts en compte-courant
avec chèques, se fait remettre ordinairement un spéci
men de la signature du déposant, pour pouvoir, chaque
�158
LOI DU
14
JUIN
1865
fois qu’un chèque se présente, vérifier la signature et
en constater l’identité.
Mais cet utile contrôle, efficace quant à la signature
du tireur, comment l’exercer lorsque par suite de né
gociations le chèque a passé dans plusieurs mains avant
d’arriver au porteur actuel? Comment vérifier la sincé
rité des signatures des endosseurs successifs? Comment
s’assurer enfin que celui qui se présente est bien la per
sonne en faveur de laquelle le dernier ordre a été passé,
et du nom de laquelle il va signer l’acquit?
Il est donc certain qu’à moins de circonstances ex
traordinaires le paiement d’un chèque faux soit par la
supposition de la signature du tireur, soit par la sous
cription d’un endossement mensonger, libérerait le tiré
si dans le premier cas l’imitation de la signature était si
réussie qu’il a pu et dû s’y tromper ; si dans le second
rien n’était de nature à exciter sa défiance. Pourquoi en
effet courrait-il la chance d’un protêt si en définitive les
causes de son refus étaient erronées et sans fondement ?
108. — L’imminence des difficultés que peut faire
naître le paiement d’un chèque égaré ou volé, a dû ap
peler l’attention des banques de dépôt, et le désir de
s’y soustraire a fait que par une clause expresse de la
convention on stipule que le déposant supportera toutes
les conséquences de la perte ou de la soustraction, s’il
n’a pas prévenu à temps pour empêcher tout paiement
irrégulier.
�DES CHÈQUES. — ART. 5
159
La légalité de cette clause ne saurait être contestée
pas plus que son caractère équitable. II est certain en
effet que si on découvre la perte ou le vol assez à temps
pour en aviser le tiré, et prévenir ainsi tout paiement,
la négligence qu’on mettrait à s’acquitter de ce devoir
serait impardonnable, et que si quelqu’un doit en souf
frir ce ne peut et ce ne doit être que son auteur.
109. — Mais si la diligence du voleur ou de celui
qui a trouvé le chèque a déterminé le paiement avant
qu’on ait été en mesure de mettre le tiré en garde, il y
a en quelque sorte force majeure, serait-il juste en
vertu de la clause que nous venons d’indiquer d’en
laisser les conséquences à la charge du perdant ou du
volé, alors même qu'on aurait à reprocher au tiré un
défaut de vigilance ?
C'est la négative que la jurisprudence a consacrée
avec raison. Il n’est permis dans aucun cas de stipuler
l’impunité pour sa faute, ponr son fait personnel, et de
se mettre ainsi au-dessus des lois et des devoirs qu’im
posent la loyauté et la simple prudence. Aussi en ad
mettant la légalité de la clause, en a-t-on subordonné
l’effet à l’absence de toute imprudence, de toute légè
reté de la part du banquier.
HO. Ainsi, par décision du 11 janvier 1870,
le tribunal civil de la Seine jugeait : que les parties peu
vent convenir que le déposant supportera toutes les
conséquences de la perte ou de la soustraction, s’il n’a
�140
LOI DU 14 JUIN 1865
pas prévenu à temps pour empêcher tout paiement ir
régulier ; et cette stipulation a pour effet d’exonérer le
banquier de toute responsabilité quant au paiement des
chèques revêtus d’une fausse signature, encore bien
qu’il ait reçu du déposant un fac-similé de sa signature;
il suffit que celle-ci soit assez bien imitée pour qu’une
personne non prévenue puisse s’y méprendre.
« Attendu, dit le jugement, qu’après la soustraction
des reçus qui lui ont été volés par la femme Frigard, la
dame Mertens n'a rien fait pour empêcher le paiement ;
qu’en l’absence de tout avertissement le comptoir s’est
valablement libéré en payant sur le vu d’une signature
qu’il pouvait croire celle de la veuve Emile Mertens ;
« Que si, à la vérité, il avait exigé d’elle, au moment
du dépôt un fac-similé de sa signature, on ne peut re
tourner contre lui une précaution qui n’a été prise évi
demment, en présence de ses réserves, que dans l’inté
rêt de la déposante, dont il s’est constitué, dans ces
circonstances, le mandataire ;
» Attendu qu’à ce titre le comptoir d’escompe ne
pourrait être obligé qu’à raison d’une faute lourde ;
» Attendu qu’en fait la signature de la dame Emile
Mertens a été suffisamment bien imitée pour qu’une
personne non prévenue puisse s’y tromper; qu’il s’en
suit qu’aucune faute n’est reprochable au comptoir
d’escompte b »
1 J. du P., 1870, 731.
�DES CHÈQUES. — ART. S
141
Le 13 mars 1869, le tribunal de commerce de la Seine
se prononçait dans le même sens. M. Geoffroy deman
dait au tribunal de déclarer que c’était à tort que le
comptoir d’escompte l’avait débité de 6,000 fr. mon
tant d’un chèque en son nom mais qu’il n’avait pas
signé. Le comptoir se prévalant de la clause qui mettait
à la charge du sieur Geoffroy les conséquences de la
soustraction ou de la perte, soutenait la demande nonrecevable et en tout cas mal fondée, parce qu’on n’avait
aucune faute à lui reprocher.
Le tribunal, accueillant ces prétentions, décide que si
la clause d’un compte-courant avec chèque par laquelle
le déposant consent à subir les conséquences de la perte
ou de la soustraction des chèques à lui remis, ne dégage
pas absolument le banquier de l'obligation de s’assurer
de la conformité des signatures apposées aux chèques
qui lui sont présentés avec le spécimen fourni par le
déposant, cette clause a du moins pour effet d’exoné
rer le banquier de toute responsabilité, quant au paie
ment des chèques revêtus d'une fausse signature, si
l’imitation est assez parfaite pour qu’il ait pu s’y mé
prendre.
« Attendu, dit le jugement, que la prétention du
comptoir d’escompte ne saurait être admise d’une façon
absolue ; que la clause dont il excipe, quelque explicite
qu’elle soit dans ses termes, ne peut suffire pour le
couvrir dans tous les cas ; qu’elle ne le dégage pas no
tamment de l’obligation naturelle et nécessaire de s'asi
�surer de l’identité des signatures apposées aux chèques
qui lui sont présentés ;
» Attendu toutefois que, dans l’espèce, il convient
de reconnaître que le titre attaqué offre tous les carac
tères de sincérité ; qu’il émane du carnet délivré au de
mandeur ; qu’il porte son nom en caractères imprimés;
que si la signature figurant au titre n’est pas celle de
Geoffroy, il résulte de la comparaison faite de cette
signature avec celle du spécimen donnée par Geoffroy
que le comptoir a pu s’y méprendre et la croire bonne
à raison surtout des circonstances susvisées ; que, vraie
ou fausse, il y a valablement fait honneur; qu’aucune
faute ne lui est donc imputable, d’où il suit que la de
mande doit être rejetée, »
Geoffroy se pourvut par appel, mais par arrêt du 1er
juillet 1870, la Cour de Paris adopte les motifs des pre
miers juges et confirme le jugement b
l l l . Nous croyons cette doctrine irréprochable en
droit el en équité. Non sans doute personne ne peul
stipuler l’impunité pour ses fautes, car le lui permet
tre serait l’encourager à en commettre. Mais quelle faute
peut-on reprocher au banquier qui paye un chèque qui
lui est présenté.
Il peut d’autant moins supposer la perte ou le vol
qu’il n’a été avisé ni de l’un ni de l’autre, qu’aucune
opposition au payement n’a été réalisée. Lui reproche-
�DES CHÈQUES. — ART. 5
14-5
ra-t-on d’avoir acceptée comme vraie une signature qui
ne l’était pas? Ce reproche, juste et fondé si la grossiè
reté de l’imitation devait faire soupçonner le faux, n’est
ni l’un ni l’autre lorsque l’imitation est assez parfaite
pour qu’on puisse s’y tromper, à moins d’être un expert
en écriture. Faudrait-il donc que chaque fois qu’on lui
présente un chèque, le banquier appelle cet expert, et
qu’il retarde de payer jusqu’après son rapport?
112.
Aussi estimons-nous que peu importe qu’il
n’existe ni traité, ni clause de la nature de celle sur la
quelle sont intervenus les monuments judiciaires que
nous venons d’indiquer. Or comment rencontrer l’un
ou l’autre lorsque le chèque aura pour objet de recou
vrer une somme disponible à la suite d’une opération
de change et d’escompte, d’une vente d'immeubles ou
d’une remise de marchandises, et nous avons vu que
la loi en autorise l’usage dans ce cas.
Que devra donc faire le tiré ? Exigera-t-on de lui
que, soupçonnant la perte ou le vol, il ne paye qu’après ^voir dissipé ces soupçons et s’être suffisamment
renseigné à ce sujet ? Evidemment ce serait là aller
contre le but que la loi s’est proposée, et retarder le
paiement qu’elle a voulu rendre plus prompt et plus
rapide.
Nous croyons qu’on doit ici admettre encore la doc
trine des tribunaux civil et de commerce, et de la Cour
de Paris. Si le tiré a été réellement trompé par la per
fection de l’imitation, si rien dans la personne qui se
�144
LOI
DU 1 4
JUIN
186b
présentait ni dans les circonstances de la présentation
ne devait éveiller ses soupçons, le paiement est pour
lui libératoire et ne saurait être querelé.
113. — Si le tiré, informé du vol ou de la perte ou
reconnaissant le faux, refuse de payer, quelle sera la
position du porteur actuel.
Evidemment s’il a lui-même trouvé, volé ou falsifié
le chèque, aucune difficulté ne saurait exister, on ne
saurait lui reconnaître et lui accorder un recours contre
qui que se soit : il n’a jamais été le créancier de per
sonne, et s’il détient le chèque c’est à un titre illégi
time et qui l’expose même à une poursuite et à une con
damnation criminelle.
114. — Si le porteur est de bonne foi, il n’est pas
douteux qu’en cas de refus de paiement son recours
contre les endosseurs et le tireur ne rencontreraient
aucun obstacle, mais à la condition qu’il aura fait cons
tater ce refus par un protêt en temps utile, et qu’il exer
cera ce recours dans le délai légal.
S’il omet de faire protester, il est déchu de tout
recours contre les endosseurs précédents, il n’a plus
qu’un droit : celui d’exiger de chacun d’eux le nom de
son cédant dont il doit garantir l’existence et l’identité,
afin d’arriver ainsi à celui qui ayant traité directement
avec le faussaire, a mis en circulation un effet sans
valeur et doit restituer le paiement qui lui a été fait.
�DES
CHÈQUES. —
ART.
3
445
115. — Cette théorie nous l’avons exposée et dé
montrée dans notre commentaire de la lettre de chan
ge !. Nous nous bornerons à rappeler ici que la Cour
régulatrice, cassant, le 17 mars 1829, un arrêt de la
Cour de Lyon, décidait que lors même que le tireur ou
souscripteur d’un effet de commerce est un être imagi
naire, le porteur qui n’a point fait protester en temps
utile, est déchu de tout recours contre les endosseurs, à
l’exception toutefois du premier qui, en pareil cas, doit
être réputé tireur de l’effet ; que pour tous les autres
endosseurs il y a eu réellement créance existante au
moment de la cession, et chacun d’eux peut seulement
être tenu de faire connaître au porteur son cédant im
médiat.
116. — Le tiré qui a payé un chèque faux a-t-il
action contre celui aux mains de qui il a payé, à l’effet
de l’obliger à restituer ce qu’il a reçu ?
117. — MM. Nouguier et Espinas se prononcent
pour l’affirmative. Le motif c’est que le devoir de ne
mettre en circulation qu’un chèque sérieux incombe au
premier endosseur. « Pour cela, disent nos auteurs, il
lui suffisait de connaître la moralité de la personne qui
lui offrait ce chèque ; s’il a été dupe de sa confiance,
nul autre que lui, ou ses ayants-droit, ne doit être vic
time de cette conduite légère. Or qu’est-ce que le tiers
1 N°s 534 et suivants.
10
�porteur présentant le faux titre à l’acquit du tiré? C’est
le représentant du bénéficiaire, de celui qui a commis
la faute. Remarquons en outre qu’il n’y a ni lien de droit
ni contrat, puisque celui de qui il émanerait n’en est pas
l’auteur véritable, et que, dès lors, on ne retrouve pas
le mandat de payer. Malgré cette nullité radicale, le
porteur se présente au domicile indiqué et annonce
qu’un tel, tireur, donne commission de verser à sa
décharge certaine somme entre les mains de lui, por
teur. Sur cette réquisition, le tiré accomplit le mandat
articulé. Qu’arrive-t-il ? C’est que l’ordre n’existe pas,
et que, trompé lui-même, le porteur a trompé le négo
ciant auquel il s’est adressé, celui-ci peut réclamer le
remboursement des sommes indûment perçues, en se
fondant sur les articles 1235 et 1377 du Code civil.
Ajoutons enfin que le chèque est envisagé comme une
sorte de monnaie ; or pour qu’un paiement soit valable,
il faut qu’il ait lieu en espèces de bon aloi, si vous ve
nez me verser des pièces fausses, leur remise ne vous
libère pas, et la seule difficulté que je trouverai dans
leur réception, ce sera de prouver leur identité. Il est
juste de le décider également en matière de chèques :
comme équivalent de l’argent que je paie, vous me don
nez de la fausse monnaie, un chèque faux ; nous ne
pouvons être quittes, et je suis fondé à vous attaquer
en restitution h »
�5
H7
H S . — M. Nouguier persiste ici dans la manière de
voir qu’il a adoptée dans son traité de la lettre de
change l, nous qui avons adopté l’opinion contraire
dans cette matière 2, nous ne pouvons en embrasser une
autre en matière de chèque. Nous repoussons donc la
doctrine de MM. Nouguier et Espinas, d’autant plus
qu’elle ne se soutient que par la plus singulière inter
version des rôles.
Le tiers-porteur n’est ni le représentant ni l’ayantcause du premier endosseur dont il est au contraire le
créancier, ni un débiteur venant acquitter sa dette, puis
qu’il réclame le paiement de sa créance.
Pour ce qui le concerne, cette créance est incontesta
ble ; nous venons de voir la Cour de cassation en con
sacrer expressément l’existence pour tous les endosseurs
autres que le premier, et par conséquent pour le por
teur.
La dette que cette créance suppose ne saurait non
plus être niée. En effet, le tiré qui a provision est réelle
ment débiteur, dès lors il ne saurait y avoir lieu à invo
quer et surtout appliquer l’article 1235 du Code civil.
D’une part, en effet, le porteur n’a reçu que ce qui lui
était dû ; de l’autre, le tiré n’a payé que ce qu’il devait.
A la vérité il a fait ce paiement à un autre qu'à son
créancier : il s’est donc trompé ; tout ce qu’il pourrait
dès lors ce serait de faire appel à l’article 1377 du Code
DES CHÈQUES. — ART.
i T. 4, p. 71.
* Notre commentaire de la lettre de change n° 377.
�148
LOI DU 14 JUIN 1865
civil. Mais loin de consacrer le droit que M. Nouguier
lui attribue, cet article le condamne. Aux termes de sa
disposition finale, celui qui a payé par erreur ne peut
plus se faire restituer dans le cas où le créancier a sup
primé son titre par suite de paiement.
Or, est-ce que le porteur n’a pas détruit son titre en
recevant paiement? Sans doute s’il n’a fait que le re
mettre acquitté, on pourra bien lui restituer matériel
lement le chèque, mais lui rendra-t-on son recours
contre les endosseurs? La Cour de cassation l’a égale
ment consacré. Le porteur même d’un chèque faux ne
conserve ce recours que par un protêt fait en temps
utile : or est-ce qu’on peut songer à faire protester
lorsqu’au lieu d’un refus de paiement on est intégrale
ment payé?
La perte de ce recours pourrait bien occasionner celle
de la créance, et où serait le motif pour exposer le por
teur à cette chance ? qu’a-t-on à lui reprocher ? quelle
faute a-t-il commis? Si quelqu’un a manqué de clair
voyance ce n’est évidemment pas lui, il ne pouvait soup
çonner que le paiement qu’il recevait était le résultat
d’une erreur.
Il n’y a donc pas à hésiter : que le tiré ait agi par
imprudence ou légèreté, qu’il ait été de la meilleure foi
du monde, il n’en a pas moins commis une faute, faute
qui ne peut préjudicier qu’à lui et dont les conséquen
ces dommageables ne sauraient, sans iniquité, être mi
ses à la charge d’un autre.
Le tiré, dans notre hypothèse, n’a qu’un seul droit,
�DES
CHÈQUES. — ART.
5
149
celui d’exiger de chaque endosseur le nom de son cé
dant immédiat pour arriver à celui qui a reçu le chèque
du faussaire, qui, d’après la doctrine de la Cour de cas
sation, doit être considéré comme tireur, et est par
conséquent le véritable débiteur contre lequel l’article
1377 du Code civil lui réserve son recours dans tous
les cas.
119. — Si le tiré a payé non un chèque faux par sup
position de la personne du tireur, mais un chèque vrai
sur un faux acquit, la question de savoir s’il a un re
cours contre l’auteur de ce faux acquit se résout suivant
que le paiement sera irréprochable ou seulement le résutat d’une imprudence, d’une légèreté, d’une inat
tention.
Dans le premier cas, à quoi bon un recours quel
conque, si le paiement par lui fait l’a libéré envers le
tireur ? quel préjudice éprouverait-il, et à quelle répa
ration pourrait-il prétendre ?
Or cette libération est acquise si le tiré, de bonne
foi et sans reproche, a été et dû être trompé par la per
fection de l’imitation de la signature, nous venons de
voir les tribunaux civil et de commerce et la Cour de
Paris le consacrer expressément.
Le seul qui dans ce cas peut éprouver le besoin d’un
recours, est le tireur, est celui dont on a imité la signa
ture. La validité du paiement lui occasionne un préjujudice que l’auteur du faux doit évidemment réparer.
Si le tiré a à se reprocher une faute, une légèreté,
�150
LOI DU 14 JUIN 1865
une imprudence, si un examen attentif lui eût décou
vert le faux, le paiement reste à ses risques et péril, il
ne saurait en exciper contre le tireur. Dès lors aussi
s’ouvre son intérêt à répéter ce qu’il a payé, et de quel
front l’auteur du faux prétendrait-il récuser ce recours,
quelles raisons invoquerait-il?
Art. 6.
Le tireur qui émet un chèque sans date ou qui le
revêt d’une fausse date est passible d’une amende égale
à six pour cent de la somme pour laquelle le chèque est
tiré.
L’émision d’un chèque sans provision préalable est
passible de la même amende, sans préjudice de l’appli
cation des lois pénales, s’il y a lieu.
SOMMAIRE.
120. L’article 6 est la sanction qui garantit l'observation de
la loi ; caractère que lui donnait le projet de loi.
121. Ses motifs.
12*2. Leur caractère.
123. Modifications introduites par la commission du Corps
législatif.
124. Motifs du rejet de l’amende do 6 ,1“ contre le premier
porteur.
�DES CHÈQUES. — ART. 6
151
125. Leur caractère.
126. Suppression de l’article 7 du projet. Rédaction de l’ar
ticle par la commission.
127. Suppression du délit du retrait de la provision après la
délivrance du chèque. Ses motifs.
128. Examen et discussion.
128 bis. Opinion de M. Josseau.
129. En quoi elle pêchait.
J30. Réponse du commissaire du gouvernement.
131. Son opinion sur le retrait de la provision après la dé
livrance du chèque.
132. En quoi elle était erronée.
133. Nouvelles observations de M. Josseau. Leur fondement
rationnel.
134. Opinion de M. Martel relativement à la suppression de
l'article 7 du projet.
135. Renvoi de l’article 6 à la commission. Modifications
apportées à sa rédaction.
136. Réserve d’appliquer la loi pénale s’il y a lieu. Son
caractère.
137. Impunité que la loi assure au retrait de la provision
après la délivrance du chèque. Son caractère.
138. Contraventions prévues par l’article 6. 1* Omission de
la date.
139. 2° Fausseté de la date. N’est plus assimilée au crime
de faux. Motifs.
140. 3° L’émission d’un chèque sans provision préalable.
141. Conséquences du caractère de contravention quant à
l’application de la peine.
142. Quelle est la peine encourue. Appréciations diverses
qu’elle avait suggérées.
143. L’amende est - elle encourue si la provision n’avait été
faite qu'après l’émission du chèque ?
144. Difficulté en fait de saisirla contravention. Conséquences.
�152
LOI DU 14 JUIN 1865
445. Quid, si le chèque a été protesté.
146. Insuffisance du protêt s'il n’y a pas eu jugement.
147. Le porteur est-il recevable à soutenir que le titre n’est
pas un chèque, pour échapper aux déchéances qui
peuvent atteindre celui-ci ?
120. La convenance, disons mieux, la nécessité d’une
clause pénale destinée à garantir l’observation des pres
criptions de la loi relativement à la date, et à l’exis
tence d’une provision préalable, ne pouvait être ni mé
connue ni contestée, la seule difficulté qu’elle pouvait
faire surgir était de savoir quelle devait être cette san
ction.
Le projet de loi avait fait de l’inobservation de la loi
une contravention et un délit, et avait, dans ses articles
6 et 7, édicté une peine en proportion avec le caractère
du fait qui la faisait encourir.
L’article 6 portait : le tireur qui revêt un chèque
d’une fausse date et le premier porteur sont punis cha
cun et sans recours l’on contre l’autre, d’une amende
égale à six pour cent de la somme pour laquelle le chè
que est tiré. La même peine est applicable à l’émission
d’un chèque sans date.
L’article 7 disposait : l’émission d’un chèque sans
provision préalable et le retrait de la provision après la
délivrance du chèque, sont punis, en cas de mauvaise
foi, des peines prononcées par l’article 405 du Code
�153
pénal, sauf, s’il ya lieu, l’application de l’article 463 du
même Code.
DES CHÈQUES. — ART. 6
124. — Ainsi l’absence de date ou une date fausse
n’étaient considérées que comme une contravention fis
cale ; le défaut de provision préalable ou son retrait
après la délivrance du chèque, constituaient un délit.
Les raisons qui devaient le faire admettre ainsi étaient
exposées en ces termes :
« Si le projet ne s'était placé qu’au point de vue du
Trésor, une amende purement fiscale aurait pu suffire
pour sanctionner l’obligation de la provision préalable.
Mais comme l’intérêt des tiers et la foi des transactions
se trouvaient aussi engagés, le projet édicte la peine de
l’article 405 du Code pénal contre l’émission d’un chè
que faite de mauvaise foi sans provision préalable. Les
chèques seront reçus avec d’autant plus de confiance,
et feront d’autant mieux office de monnaie, que les pre
neurs seront mieux garantis contre la mauvaise foi pos
sible de certains tireurs. Il est bien clair que le projet
ne punissant que l’émission faite de mauvaise foi, ne
peut en rien menacer les erreurs de compte par suite
desquelles le montant des chèques émis viendrait à dé
passer accidentellement la provision existante. »
422. — Ces considérations acquéraient un degré de
justesse bien supérieur lorsqu’il s’agissait non plus d’un
défaut de provision préalable mais du retrait de cette
provision après la délivrance du chèque : son existence
�que sans doute on avait fait miroiter aux yeux du pre
neur, n’était plus qu’un piège qui pouvait anéantir la
valeur du titre, et l’exposait à se voir dépouiller d’une
partie plus ou moins forte de sa fortune. Un pareil acte,
en effet, ne pouvait être le fait d’un homme honorable,
d’un commerçant solvable. N’était-il donc pas par luimême une véritable et dangereuse escroquerie.
S’il était bon d’ailleurs de veillera l’intérêt du Trésor,
n’était-il pas aussi convenable de protéger l’intérêt pri
vé menacé de se voir compromis en présence de la
mauvaise foi et de l’insolvabilité ? Or la menace d’une
peine corporelle pouvait réaliser cette protection, et
devenait dès lors d’une utilité incontestable.
125. — Telle ne fut pas l’opinion de la commission
du Corps législatif : elle n’adopta le projet qu’en modi
fiant l’article 6 et qu’en repoussant l’article 7.
D’accord avec le Gouvernement sur les conséquences
de l’omission de la date, ou de la fausse date, et recon
naissant que l’une ou l’autre enlevait au chèque son
caractère essentiel et en faisait un papier de circulation
et de crédit, elle admit la nécessité de les empêcher ou
de les réprimer, et maintint dès lors l’amende de six
pour cent dont les frappait le projet.
Mais elle ne crut pas que cette amende dut frapper
le premier porteur concurremment avec le tireur, ce
qui était cependant fort juste. Outre qu’il est naturel de
supposer que la fraude à la loi sera concertée entre eux,
il arrivera le plus souvent que le preneur qui y aura
�55
seul un intérêt réel aura exigé l’omission de date ou la
fausse date : donc ne punir que le tireur c’était risquer
d’aggraver sa position, et le rendre victime d’exigences
qu’il a dû subir.
La commission ne se le dissimulait pas, aussi n’est-ce
pas devant le principe d’une condamnation commune
qu’elle reculait ; si elle repoussait ce principe, c’était à
cause de la difficulté de son application.
DES CHÈQUES. — ART. 6
i
124. — « Le Gouvernement, disait le rapporteur,
a eu évidemment l’intention d’atteindre la connivence
qui pouvait exister entre le tireur et le premier por
teur. Mais, dans l’application, cette disposition a paru
renfermer des difficultés le plus souvent insurmonta
bles ; comment, en effet, dans la plupart des cas, dé
couvrir le premier porteur ? Quand le chèque est au
porteur cela est impossible puisque le chèque passe de
main en main sans qu’on puisse suivre la filière des
porteurs successifs. Quand le chèque est à ordre, la dé
couverte paraît plus facile, il n’en est rien cependant.
Si le premier endos est en blanc, et si plusieurs porteurs
se succèdent sans endosser, comment s’y prendra-l-on
pour trouver le premier porteur? Il peut arriver qu’un
chèque au porteur soit transformé en chèque à ordre
par l’un de ses porteurs, est-ce celui-ci qui sera dé
claré passible de l’amende ? Il n’y a qu’un cas où la
connivence puisse être atteinte sans peine, c’est celui
où le chèque est à une personne déterminée ; mais si
J’on veut commettre une fraude, on n’ira pas choisir
�156
LOI DU
14
JUIN
1863
justement la forme où la connivence est le plus facile à
découvrir. D’ailleurs, si l’on veut bien y réfléchir, on
verra que le véritable coupable est le tireur, puisque
c’est de lui que part l’idée de revêtir un chèque d’une
fausse date pour se soustraire au timbre qu’il eût dû
payer. »
125. — Ce dernier motif ne se comprend pas. Estce qu’en effet la date vraie ne dispenserait pas du tim
bre ? Ce ne peut donc pas être pour s’exonérer de celuici que le tireur aura eu l’idée de recourir à la fausse.
Le seul qui ait intérêt à celle-ci est le preneur qui s’af
franchit ainsi de l’obligation que lui impose l’article 5,
et dès lors s’il est vrai que is fecit oui prodest, on peut
admettre que c’est lui qui en a eu l’idée, et qui l’a
exigée.
Quant à la difficulté, elle n'existe réellement que dans
un seul cas, celui où le chèque est au porteur. S’il est à
ordre, le corps du chèque énoncera nécessairement le
nom de celui à l’ordre de qui il devra être payé. Com
prend-on un chèque qui se bornerait à dire : payez à
ordre ?
La formule qu’on suit et qu’on suivra en pareille ma
tière est : payez à un tel ou à son ordre. Dès lors le
nom du preneur comme le premier porteur est tout
trouvé : c’est ce preneur. Le premier endos a beau être
en blanc, il ne peut émaner que de lui, et^sa signature,
qui dans ce cas constituera seule l’endos, achèverait de
lever tout doute, si le doute pouvait être permis.
�DES CHÈQUES. — ART. 6
157
D’ailleurs si l’on devait s’arrêter à la difficulté d’appli
cation on eût pu tout aussi bien rayer l’article 6 dans
son entier. Croit-on en effet qu’il sera facile de constater
le défaut de date ou la fausse date ?
Sans doute l’omission est un fait matériel qui résulte
invinciblement du titre lui-même. Mais est-ce que ce
titre passera sous les yeux des préposés du Trésor, lors
que présenté au tiré il sera immédiatement payé par
celui-ci? Il faudra donc pour qu’ils puissent le consulter
que, sur le refus du paiement, il soit intervenu un pro
têt et une citation en justice. Or, croit-on que le por
teur voudra présenter un titre irrégulier, et qu’il n’aura
pas réparé l’omission en lui donnant une date?
Cette date peut être fausse, mais dans ce cas comme
dans tous ceux où on arguera de cette fausseté, com
ment l’établira-t-on, de quel élément la fera-t-on ré
sulter ?
On Je voit, la difficulté d’appliquer la loi est aussi, sé
rieuse ici que là, et si dans un cas elle rendait la dispo
sition inutile, on ne voit pas pourquoi il ne devait pas en
être de même dans l’autre.
126.
Mais tout en supprimant l’article 7 du pro
jet, la commission retenait le fait du défaut de provision
préalable, mais elle lui enlevait le caractère de délit, et
en faisait une simple contravention comme l’omission
de la date, ou la date fausse.
En conséquence elle avait ainsi rédigé l’article 6 : le
tireur qui revêt un chèque d'une fausse date, est pas-
�158
loi du 14 juin 1865
sible d'une amende égale à six pour cent de la somme
pour laquelle le chèque est tiré. La même peine est
applicable à l'émission d'un chèque sans date, ou sans
provision préalable.
1 2 7 .— Ce qui disparaissait complètement, ce dont
il n’était plus question, c’était le fait du retrait de la pro
vision après la délivrance du chèque. On l’acceptait
donc comme licite et on l’encourageait en quelque sorte
en le plaçant en dehors de toute atteinte. Voici en quels
termes le rapporteur de la commission expliquait et jus
tifiait cette grave résolution :
« L’article 7 du projet de loi du conseil d’Etat est
ainsi conçu : l’émission d’un chèque sans provision préa
lable, et le retrait de la provision après la délivrance du
chèque, sont punis, en cas de mauvaise foi, des peines
prononcées par l’article 405 du Code pénal, sauf l’appli
cation de l’article 463 du même Code. Cet article a
paru à la commission dangereux et inutile. En édictant
des peines sévères contre les délits qui pourraient se
commettre par le moyen de chèques, on a pensé qu’on
inspirerait une plus grande confiance au public dans ce
mode de paiement. Le porteur du chèque trouverait en
effet une certaine garantie dans cette législation rigou
reuse. Mais à quels dangers serait alors exposé le tireur !
L’émission d’un chèque sans provision peut être de sa
part le résultat d’une erreur de compte ; le retrait de la
provision après la délivrance du chèque, peut provenir
d’un simple oubli ; un négociant n’aura pas toujours
�159
sur lui son carnet de compte ; s’il crée un chèque dépas
sant la provision destinée à couvrir ce chèque, et cela
parce que sa mémoire l’aura mal servi, sera-t-il l’objet
de poursuites? il le faudra bien, car il y a un fait maté
riel qui a l’apparence d’un délit. Assurément, dans la
plupart des cas, la procédure n’aura pas de suite ; mais
le seul fait pour un négociant d’avoir eu à obéir à un
mandat de comparution ne constituerait-il pas une at
teinte à son honorabilité commerciale ? Les parquets
montreraient en vain de la discrétion dans ces sortes de
recherches, elles n’en constitueraient pas moins des
tracasseries intolérables, et pour y échapper, il est cer
tain qu’un grand nombre de commerçants renonceraient
à faire usage des chèques. La loi aurait donc manqué
son but qui est de développer cet instrument. »
DES CHÈQUES. — ART. 6
128. — Cet instrument est trop utile, trop avanta
geux au commerce pour qu’aucun commerçant soit tenté
de renoncer à s’en servir. Les craintes de la commis
sion étaient donc d’autant plus chimériques que le fait
qui les lui inspirait ne pouvait pas se réaliser.
Evidemment le ministère public ne pouvait être ins
truit de l’émission d’un chèque sans provision préalable,
ou du retrait de la provision, que par le résultat de
l’instance judiciaire qu’aurait nécessité le refus de paie
ment ouvrant l’exercice de l’action en recours du por
teur contre le tireur et les endosseurs. Si le chèque
présenté au tiré était acquitté, qui donc se préoccupe
rait de la question de savoir si la prescription de la loi
�100
LOI DU 1 4 JUIN 1 8 6 K
avait été observée, et comment le ministère public se
rait-il à même de le connaître et surtout de l’établir ?
Or le jugement qui constaterait soit l’absence de
provision, soit son retrait après la délivrance du chèque,
en indiquerait nécessairement la cause, et si l’un ou
l’autre était le résultat d’une erreur ou d’un oubli, évi
demment il n’y aurait ni poursuite ni mandat de com
parution, parce que la loi ne les autorise qu’en cas de
mauvaise foi, comme le constate expressément l’exposé
des motifs, et que, ce cas, l’erreur admise par le juge
ment l’exclut formellement.
Les autres motifs donnés par le rapporteur ne sont
ni plus concluants ni mieux fondés. Sans doute la loi ne
pouvait exiger que le commerçant ail constamment sur
lui son carnet de compte. Mais ce carnet doit se trou
ver et se trouvera nécessairement chez lui ; or ce n’est
pas sur la place publique, ce n’est pas en courant que
le commerçant délivrera des chèques : c’est, sauf de
très-rares exceptions, chez lui, dans son comptoir, qu’il
les souscrira, et est-ce trop exiger de lui que de vouloir
qu’il n’agisse qu’après avoir vérifié s’il est en mesure
de le faire. D’ailleurs autre chose est le défaut absolu de
provision, autre chose son insuffisance, et l’erreur pos
sible dans ce dernier cas ne peut guère se présumer
dans le premier.
A plus forte raison ne pouvait-on pas admettre que
le retrait de la provision après la délivrance du chèque
fût un oubli ; un oubli se conçoit lorsque des mois en
tiers se sont écoulés depuis l’émission d’une lettre de
�161
DES CHÈQUES. — ART. 6
change. Mais le chèque n’a qu’une durée maximum de
cinq ou de huit jours, y compris celui de la date. Le
retrait devra donc, s’il est effectué, l’être le lendemain
ou quelques jours seulement après son émission. Or
comment admettre qu’on oublie si vile ce qu’on a fait
la veille ou l’avant-veille ? Ce retrait est de beaucoup le
plus grave des faits que prévoyait l’article 7 : on n’aura
jamais à le reprocher à un homme honorable, à un
commerçant solvable ; c’est cependant celui-là seul que
la commission a cru devoir bannir et affranchir de toute
pénalité.
■" , , V -,
-J. ,
. . ..
128bls. — C’est ce qu’on ne manquait pas de lui re
procher lors de la discussion de la loi.
« C’est quelque chose de très-grave, disait notam
ment M. Josseau, que d’émettre un chèque sans provi
sion préalable, mais est-ce quelque chose de moins grave
que de retirer la provision? Dans le projet du Gouver
nement on faisait un délit de l’émission du chèque sans
provision et du retrait de la provision après la délivrance
du chèque ; on mettait ces deux faits sur la même ligne,
on leur appliquait la même peine ; qu’a fait la commis
sion ? elle a supprimé le délit et je ne l’en blâme pas ;
elle a déclaré passible d’une simple amende le défaut
de provision préalable lors de l'émission d’un chèque,
mais elle a passé sous silence le cas de retrait delà pro
vision après l’émission du chèque ; de telle sorte que
ce cas si grave et souvent même plus grave que le
premier, car la plupart du temps ce sera un acte frau-
11
�duleux, ne sera ni un délit ni une contravention ordi
naire, ni une contravention fiscale ; n’est-il pas évident
qu’il y a là une lacune ? »
129. — Dès que M. Josseau acceptait la conversion
du délit en une contravention, il s’enlevait en quelque
sorte le droit de se plaindre d’un silence qui n’était que
la conséquence directe de cette conversion. 11 était im
possible de faire du retrait de la provision une contra
vention ordinaire, car il n’enfreignait aucune loi ; c’était
un dol, une fraude contre l’intérêt privé qui pouvait
donner lieu à l’obligation de réparer le dommage, mais
jamais à une condamnation pénale quelconque, dès
qu’on refusait de lui reconnaître le caractère de l’escro
querie.
Pouvait-on en faire une contravention fiscale? Evi
demment non encore, parce que ici la contravention ne
pouvait consister que dans le fait de ne s'être pas servi
d’un papier timbré, alors qu’en réalité on ne souscrivait
pas un chèque, soit pour défaut de date, soit pour fausse
date, soit enfin pour absence de provision préalable.
130. — Aussi le commissaire du Gouvernement,
répondant au reproche d’avoir distingué le défaut de
provision préalable et le retrait de cette provision, di
sait-il avec raison : « que lorsqu'il s’agissait d’une
amende de timbre, on ne pouvait les confondre ni les
placer sur la même ligne ; qu’on pouvait bien appliquer
une amende de timbre à un chèque émis alors qu’il
�G
163
n’y avait pas provision, parce qu’au moment où le chè
que était émis, il devait l'être sur papier timbré ; qu’il
y avait donc contravention ; mais que dans l’hypothèse
où la provision a été retirée après le moment où le chè
que a été émis, la provision existait lorsque le chèque
avait été souscrit, et par conséquent existait le droit de
l’inscrire sur un papier non timbré. Voilà pourquoi,
ajoutait M. de Lavenay, du moment où l’on faisait pas
ser les pénalités de la catégorie des délits dans la caté
gorie des contraventions fiscales, on n’a pas cru pou
voir assimiler les deux faits parce que, au point de vue
fiscal, ils ne sont pas semblables. »
DES CHÈQUES. — ART.
131. — C’était fort juste, mais convenait-il d’adop
ter cette substitution qui aboutissait fatalement à laisser
impuni le fait si grave si dolosif du retrait de la provi
sion après la délivrance du chèque? M. de Lavenay en
était rien moins que convaincu, et aimait à se persuader
que cette impunité n’existait pas.
« Ce fait, disait-il, ne constituerait-il pas un délit de
droit commun en dehors de la loi des chèques ? Lors
qu’un homme aura remis à son créancier un chèque,
et qu’il aura retiré frauduleusement la provision, il me
semble, sans être criminaliste, qu’on doit trouver quel
que part, dans le Code pénal, une disposition pour l’at
teindre. »
132. — M. de Lavenay se trompait. Le délit n’avait
pu être prévu ni en 1810, ni en 1832, puisqu’il n’exis-
�164
LOI DU 1 4 JUIN 1 8 6 5
tait pas et qu’il n'a été créé que par la loi de 1865, il
n’était donc pas possible qu’il eût été spécialisé, prévu
et puni par le Code pénal.
On aurait pu, il est vrai, excipant des termes géné
raux de l’article 401, prétendre qu’il pouvait être atteint
par sa disposition, mais M. Millet ayant demandé qu’on
le reconnût et qu’on le déclarât applicable, sa proposi
tion était formellement repoussée par la commission.
Il n’y avait donc plus dans tout le Code pénal que
l’article 405 qu’on pût vouloir invoquer, car si le re
trait de la provision après la délivrance du chèque n'était
ni un vol, ni un larcin, ni une filouterie, il pouvait fort
bien passer pour une escroquerie ; mais voilà que la
commission le repousse à son tour, en refusant d’accep
ter l’article 7 du projet qui le déclarait applicable.
Les articles 401 et 405 du Code pénal ainsi mis à
l’écart, où aurait-on trouvé dans ce Code la disposition
qu’appelait le commissaire du Gouvernement?
133.
Elle n’était évidemment nulle part, « et le
Gouvernement, disait avec raison M. Josseau, l’a si
bien compris qu’il avait jugé nécessaire de proposer
l’article 7 du projet, et de déclarer formellement par cet
article que le fait du retrait de la provision après la dé
livrance du chèque, serait un délit puni des peines por
tées par l’article 405 du Code pénal ; puis qu’il jugeait
nécessaire de dire que cet article serait applicable au
fait dont il s’agit, comment voudriez-vous après qu'une
disposition a été présentée par le Gouvernement, après
�165
que l’opinion que je viens d’indiquer a été exprimée
dans un premier projet, et qu’ensuite la disposition
proposée a été purement et simplement retranchée par
la commission, comment voudriez-vous poursuivre un
fait pareil devant les tribunaux ? Les défenseurs des pré
venus ne manqueraient pas de dire à leurs juges : la
preuve que ce fait ne rentre pas dans la disposition de
l’article 405 du Code pénal, c’est qu’on avait proposé
de l’y faire entrer, et que la disposition qui avait cet
objet a été supprimée. »
Et c’est évidemment dans ce sens que les tribunaux
prononceraient. Qu’importe eD effet que le rapport
exprimât que « la commission avait tenu à déclarer
que les faits délictueux dans lesquels les chèques se
raient employés à commettre une escroquerie étaient
punissables ; que les pénalités du droit commun étaient
applicables ; qu’elle avait voulu que cette déclaration
fût consignée dans son rapport, afin qu’en l’absence
d’une disposition spéciale il ne pût y avoir le moindre
doute sur ce point? 'Cela fait-il que la proposition de
considérer le fait du retrait, par lui-même et indépen
damment de toutes autres manœuvres, comme une es
croquerie passible des peines de l’article 405 du Code
pénal, n’avait pas été repoussée par la commission? Cela
empêchait-il que ce rejet eût été motivé non pas sur ce
que le fait rentrait sous l’empire du droit commun, mais
sur ce que le caractère de délit qu’on lui donnerait ef
frayerait les commercants, les exposerait à de* tracasseDES CHÈQUES. — ABT. 6
�166
LOI DU 14 JUIN 1865
ries intolérables, et les ferait s’abstenir de faire usage
des chèques, et qu’ainsi le but de la loi serait manqué.
15-4. — Le rapport ne laisse aucun doute à ce sujet,
et un autre membre delà commission, M. Martel, dans
sa réponse à M. Josseau, est plus explicite encore :
« Plusieurs considérations ont déterminé la commis
sion à supprimer l’article 7 qui établissait une pénalité
fort grave pour le cas où le chèque aurait été délivré
sans provision préalable, et pour le cas où, après la
délivrance du chèque avec provision préalable, cette
provision aurait été retirée, et voici quelles sont ces
considérations :
« L’article 7 disait que l’article 405 du Code pénal
serait applicable à tout individu délivrant un chèque
alors qu’il n’y avait pas provision préalable, ou qui,
après avoir émis le chèque, retirerait la provision qu’il
avait faite. Or l’article 406 c’est l’article qui atteint l'es
croquerie, et votre commission s’est dit : lorsqu’un
homme sera assez indélicat pour émettre un chèque sans
provision préalable, ou pour retirer la provision après
avoir émis le chèque, il arrivera très-souvent que ce
fripon aura exercé des manœuvres, qu’il aura rempli
toutes les conditions prévues par l’article 405 du Code
pénal ; il se sera rendu coupable d’une véritable escro
querie, et, dans ce cas, il n’est pas besoin que, par
une pénalité spéciale, nous venions dire dans la loi qu’il
sera atteint comme si l’article 405 avait été spéciale
ment fait pour lui.
�167
« Nous avons pensé que le Code pénal suffirait le
plus souvent pour atteindre la mauvaise foi, lorsque celci se rencontrerait avec tous les caractères déterminés
par l’article 405. Mais supposez un instant qu’il en soit
autrement, c’est-à-dire supposez que le Code pénal ne
soit pas applicable à ce fait simple et déloyal de déli
vrer un chèque sans provision préalable, ou de retirer
la provision lorsque le chèque a été émis, supposez ce
fait-là : la commission a pensé encore qu’il ne fallait pas
dans ce cas une peine particulière, qu’il ne fallait pas
créer une pénalité spéciale, et voici pourquoi :
Ici M. Martel repète ce que le rapport a déjà dit sur
la possibilité d’un manque de mémoire d’une erreur de
compte, et revient sur la crainte qu’une poursuite obli
gée du ministère public, ne portât les commerçants à
ne pas faire usage des chèques, il ajoute :
« Votre commission a pensé qu’il ne fallait pas dans
une loi de cette nature, qui est une loi de confiance, de
crédit, qui a pour but de faciliter la pratique du chè
que, qu’il ne fallait pas insérer dans cette loi un instru
ment de défiance, quelque chose qui pourrait jeter sur
elle une défaveur, et certainement le commerce hésite
rait à faire des chèques, si un commerçant pouvait être
inquiété lorsqu’il a été de bonne foi en émettant par
erreur un chèque sans provision préalable.
k Voilà la considération principale qui a déterminé
votre commission. Elle s’est dit : le plus souvent l’hom
me de mauvaise foi qui aura émis un chèque sans pro
vision préalable, ou qui aura retiré la provision après
DES CHÈQUES. — ART. 6
�168
LOI DU U JUIN 1865
l’émission, le plus souvent cet homme de mauvaise foi,
aura commis toutes les manœuvres frauduleuses qui
sont prévues par le Code pénal, et le droit commun
l’atteindra.
« Que s’il arrive quelquefois qu’il puisse échapper au
Code pénal, il vaut encore mieux que cela soit que de
voir le commerce inquiet, le commerce embarrassé, le
commerce tourmenté dans l’usage du chèque, n’osant
pas s’eri servir dans la crainte qu’une erreur, qu’une
simple erreur puisse soumettre le négociant qui s’est
trompé à la nécessité de venir devant un magistrat,
devant un juge d’instruction, devant un commissaire
de police, démontrer qu’il a été de bonne foi »
J 55. — A la suite de ces discussions, l’article 6 fut
renvoyé à la commission, mais tout ce que produisit ce
nouvel examen fut la substitution des mots est passible
aux mots est puni. En outre la commission crut devoir
ajouter la disposition qui termine aujourd’hui l’article :
sans préjudice de l’application des lois pénales s’il y a
lieu.
Le sens et l'explication de cette réserve étaient ainsi
expliqués par le rapporteur: «'En soumettant à une
simple amende l’émission d’un chèque sans provision
préalable, la commission n’avait voulu frapper que la
simple contravention fiscale consistant à déguiser, sous
la forme d’un chèque, une véritable valeur de crédit ;
1 Séance du 6 mai 1865.
�DES CHÈQUES. — ART. fi
169
mais elle n’avait pas voulu innocenter le cas où une pa
reille émission serait accompagnée de circonstances qui
lui donneraient le caractère d’un délit. Quoique le rap
port se fût expliqué à cet égard de la façon la plus claire
et la moins équivoque, la commission, prenant en con
sidération les observations qui se sont produites, a in
troduit un changement dans le texte de l’article. »
136. — Ce changement est, nous venons de le voir,
la réserve de l’application des lois pénales s’il y a lieu ;
c’est-à-dire que la loi admet avec M. Martel que lorsque
le tireur aura exercé des manœuvres, rempli toutes les
conditions exigées par l’article 405 du Code pénal, et se
sera ainsi rendu coupable d’une véritable escroquerie,
on le poursuivra criminellement. A ce point de vue
toute réserve était inutile, car nul n’aurait été tenté de
contester la recevabilité, disons mieux la nécessité d’une
répression pénale. L’escroquerie étant certaine qu’im
portait la délivrance d’un chèque ? Cette délivrance n’é
tait que la consommation du délit en amenant la remise
aux mains de l’escroc de la partie de la fortune de la
victime dont il entendait la dépouiller.
Autoriser dans ce cas l’application de l’article 405,
c’était ne rien accorder aux objections qu’avait soule
vée la proposition de supprimer l’article 7 du projet.
Ce que cet article voulait, ce que réclamaient ceux qui
en demandaient le maintien, c’est que le fait de retirer
la provision après la délivrance du chèque fût considéré
et puni comme un délit, abstraction faite de toute autre
�170
LOI DU 14 JUIN 186S
circonstance. C’est qu’on ne laissât pas impuni un fait
aussi grave, aussi compromettant pour la foi publique,
et qui ne comportait que difficilement l’excuse de la
bonne foi.
Or cette impunité la loi l’assure complète entière,
malgré la réserve ajoutée à l’article 6. N’en déplaise à M.
Martel, le fripon qui aura retiré la provision après la dé
livrance du chèque n’aura exercé ni même pu exercer
aucune manœuvre, ni rempli les conditions exigées par
l’article 405 du Code pénal.
Cet article est précis et formel. Les seules manœu
vres punissables sont celles qui ont pour objet de per
suader l’existence de fausses entreprises, d’un pouvoir
ou d’un crédit imaginaire. Or ces manœuvres pourront
bien se rencontrer lorsque aucune provision n’étant aux
mains du tiré, le tireur voudra persuader qu’elle existe
et déterminer ainsi le preneur à accepter le chèque.
Mais pour le retrait de la provision après la remise
du chèque, imagine-t-on la possibilité d’une manœuvre
de la nature de celle que l’article 405 prévoit et punit ?
La provision existant réellement au moment de la sous
cription et de la remise du chèque, le tireur ne se sera
pas mis en frais de manœuvres frauduleuses pour en
persuader faussement l’existence. Or quelle est la ma
nœuvre que comporte le fait du retrait ? Tout ce que
fera le tireur, tout ce qu’il aura à faire sera de se pré
senter au tiré, à l’insu du preneur bien entendu, et de
retirer de ses mains les valeurs qui constituaient la pro
vision. Croire que, dans ce but, il se permettra ou se
�171
sera permis des manœuvres autrement frauduleuses,
c’est se berner d’un espoir imaginaire, et se livrer à
des suppositions essentiellement chimériques.
DES CHÈQUES. — ART. 6
157. _ Donc, de toute certitude, en l’état de la loi,
l’article 405 du Code pénal pourra bien atteindre quel
quefois celui qui a émis un chèque sans provision préa
lable, mais il ne pourra jamais être invoqué et appliqué
au retrait de le provision après la délivrance du chèque.
Ainsi le fait le plus grave peut compter sur l’impunité
la plus absolue. L’auteur qui quatre-vingt-dix-neuf fois
sur cent aura agi de mauvaise foi, et se sera impudem
ment joué de ses engagements, en sera quitte pour une
action civile en restitution, contre les conséquences de
laquelle il n’aura pas manqué de se précautionner.
Nous le regrettons d’autant plus que si quelque chose
peut inquiéter, embarrasser le commerce, l’éloigner de
l’usage des chèques, c’est cette scandaleuse impunité.
Mais quelle idée se faisait-on du commerce et des com
merçants, lorsqu’on supposait que la menace d’une
peine contre des hommes que M. Martel lui-même qua
lifiait de fripons, était dans le cas de nuire au succès de
la loi ?
Nous croyons nous, avec l’exposé des motifs de l’arti
cle 7 du projet, que cette menace eût au contraire as
suré ce succès; que les chèques seraient reçus avec
d'autant plus de confiance, et feraient d'autant mieux
office de monnaie que les preneurs seraient mieux ga-
�172
LOI DU
14 JUIPi 1865
rantis contre la mauvaise foi possible de certains
tireurs.
158. — Quoi qu’il en soit, la loi n’a retenu et ne
vise que trois contraventions.
La première consiste dans l’omission de la date. Nous
avons déjà, sous l’article 1er, indiqué la nécessité de la
date et les conséquences qui résulteraient de son omis
sion, vainement aurait-on exigé que le chèque fût tiré
à vue et payé dans les cinq jours de la date, le défaut
de celle-ci ne permettrait pas de vérifier si ces pres
criptions ont été ou non remplies. D’une part, en ffet,
qu’importerait que le chèque fût stipulé payable à vue,
si on pouvait en retarder la présentation ; d’autre part
le point de départ du délai de la présentation manquant,
rien ne serait plus facile que de prolonger même indé
finiment cette présentation et de faire dû chèque un
papier de circulation et de crédit, auquel il serait impos
sible d’appliquer la prescription de cinq ans édictée
contre les lettres de change et les billets à ordre.
459. — La deuxième contravention est la fausse date.
Cette fausse date aurait pour la durée du chèque et sa
mise en circulation les mêmes résultats que l’omission
de la date, quoique dans des proportions restreintes. On
ne pouvait donc pas l’envisager d’un autre œil que
celle-ci, et ne pas édicter contre elle la’même pénalité.
De même que la lettre de change, le chèque fait foi
�DES CHÈQUES. — ART. 6
173
de sa date envers et contre tous ; mais pour la première,
la sincérité de la date est garantie par une sévère et
grave sanction. Aux termes de l’article 139 du Code de
commerce l’antidate d'un ordre constitue le crime de
faux. On sait que l’objet principal de cette manière
d’envisager l’anti-date est d’empêcher qu’une opération
postérieure à la faillite, ou tout au moins contempo
raine de la cessation de paiements, trouvât dans l’anti
date un moyen sûr de produire tout son effet au mépris
des droits de la masse, et. en violation des prescriptions
de la loi à ce sujetl.
L’obligation de réclamer le paiement du chèque dans
les cinq ou les huit jours, y compris celui de la date,
enlevait tout danger et par conséquent toute crainte
d’anti-date. En effet, y recourir ce serait se placer néces
sairement en dehors des délais de la présentation, ou
tout au moins dans les dix jours qui ont précédé la ces
sation de paiements, et s’exposer à tomber sous l’appli
cation des articles 446 et 447 du Code de commerce.
Ce qu’on pouvait redouter c’était une post-date, des
tinée à permettre de présenter le chèque dans le délai
légal malgré qu’il fût en réalité expiré. On n’avait donc
pas à se préoccuper de cette fraude, lorsque son exécu
tion arriverait à une date postérieure à la faillite du
tireur. Dès lors, cessante causa cessât effectus, et rien
ne pouvait faire que cette post-date pût être assimilée au
faux.
i Notre Commentaire de la lettre de change, n»9 336 et suivants.
�174
LOI DU 14 JUIN 1865
Ce qu’elle était en réalité, c’était la tentative de dé
guiser sous l’apparence d’un chèque, un titre ordinaire,
et de s’attribuer ainsi le bénéfice de l’exemption du
timbre, c’était en d’autres termes une fraude à la loi qui
rend ce timbre obligatoire : on ne pouvait donc la con
sidérer autrement que comme une contravention fiscale.
140. — La troisième contravention prévue et punie
par notre article, est le défaut de provision préalable.
L’article 2 fait de cette provision préalable la condi
tion caractéristique du chèque. Donc celui qui en son
absence tire un chèque sur un papier non timbré, com
met à son tour une fraude à la loi, et essaie de s’attri
buer un avantage auquel il n’a et n’avait aucun droit.
Si le tireur s’est livré à des manœuvres dans le but
de persuader faussement de l’existence de la provision,
à la contravention prévue par notre article se joint le
délit puni par l’article 405 du Code pénal, qui devient
applicable ainsi que nous venons de le dire.
141. — Le caractère de contravention assigné aux
trois faits qui précèdent, aboutit à cette conséquence
qu’on n’a ni à rechercher ni à tenir compte de l’inten
tion qui les a inspirés. On sait en effet qu’en matière de
contravention, la bonne ou la mauvaise foi ne saurait
exercer une influence quelconque : la peine est encourue
dès que le fait constitutif de la contravention existe.
A plus forte raison, lorsqu’il s’agit d’une contraven
tion en matière de timbre. Alors en effet elles existent
�175
dans quelques circonstances que ce soit par cela seul
qu’on a fait usage d’un papier non timbré lorsque le
timbre était obligatoire. Eût-on agi de la meilleure foi
du monde, et même par ignorance, qu’on ne saurait
être affranchi de la peine portée par la loi.
DES CHÈQUES. — ART. 6
142. — Cette peine est pour chacune des contraven
tions prévues une amende de six pour cent de la som
me pour laquelle le chèque est tiré. Tandis que M. Pi
card trouvait cette amende draconnienne, M. Millet la
déclarait insuffisante et proposait de l’élever à 12 pour
cent.
C'était bien à ce taux que le projet était arrivé, mais
en le divisant, en en mettant la moitié à la charge du
tireur et l’autre moitié à la charge du preneur. La
commission affranchissant, par les motifs que nous avons
indiqués, celui-ci, ne crut pas devoir reporter sur le
tireur le six pour cent que le projet exigeait de lui ; elle
réduisait donc l’amende au taux actuel qui fut adopté
par le Corps législatif. Il faut avouer que ce taux de six
pour cent, s’il ne mérite pas le reproche que lui adres
sait M. Picard, était plus que suffisant dans le cas sur
tout où la contravention était évidemment le résultat
d’un oubli ou d’une erreur de compte.
M. Millet proposait encore de déclarer qu’outre l’a
mende de six pour cent le contrevenant devrait payer
le prix du timbre. Cette proposition fut également re
poussée par la commission. <<Le timbre est dû, disait
le rapporteur, toutes les fois que l’amende est encourue
�176
LOI DU 14 JUIN 1 8 65
pour infraction à la loi qui en prescrit l’emploi.C’est là
un fait inutile à énoncer. »
143. — On s’est demandé si le tireur qui, ayant
souscrit un chèque sans provision préalable, ferait plus
tard cette provision, pourrait échapper à l’amende pro
noncée par notre article 6 ?
En droit la négative ne saurait faire l’objet d’un doute.
La provision préalable est la condition sans laquelle il
ne saurait y avoir lieu à chèque. C’est ce qui résulte
énergiquement de la disposition de l’article 2.
Donc celui qui, en l’absence de cette provision préa
lable souscrit un chèque, ne fait en réalité que créer
soit une lettre de change, soit un billet à ordre, soit un
mandat ordinaire ; et s’il se sert d’un papier non tim
bré, il contrevient à la loi qui rend le timbre obliga
toire, et encourt la peine qu’entraîne cette contra
vention.
Qu’importe qu’il ait fait plus tard la provision, cela
ne pourra jamais faire que cette provision ait existé au
moment de l’émission du chèque, et qu’il eût le droit de
s’affranchir du timbre, au moment où il s’en affran
chissait.
144. — En droit donc la contravention est certaine
et la peine encourue ; mais en fait il est impossible qu’il
y ait poursuite et condamnation.
Si la provision quoique tardive est faite assez à temps
�DES CHÈQUES. — ART. 6
\7 7
{four qu’elle existe au moment où le chèque sera pré
senté, le tiré paiera, et le chèque ainsi acquitté viendra
grossir le nombre des effets payés. Qui donc aura à re
chercher et même à s’enquérir si la provision a ou non
existé au moment de l’émission du chèque? Comment
dès lors la contravention, si tant est qu’elle existe,
viendra-t-elle à la connaissance de l’administration ?
Prétendrait-elle le saisir entre les mains du tiré ? elle
n’en serait pas plus avancée, parce que le titre ne peut
indiquer par lui-même si les conditions exigées pour sa
régularité ont été ou non observées. Il n’y a que les écri
tures du tiré qui pourraient éclairer sur le moment
précis où la provision a été faite. Mais à quel titre et de
quel droit l’administration viendrait-elle consulter ces
écritures ou exiger qu’elles lui fussent communiquées ?
Dans la séance du 6 mai 1868, le commissaire du
Gouvernement, M. de Lavenay, reconnaissait lui-même
que « Toutes les fois que des papiers susceptibles soit
d’un timbre fixe soit d’un timbre proportionnel, échap
paient à cette formalité, l’administration ne pouvait pas
les saisir, par voie d’inquisition chez les particuliers
commerçants ou non commerçants ; qu’elle était obligée
d’attendre que les papiers tombassent dans ses mains par
des voies légales, telles qu’un procès, qu’une faillite,
que la mention dans un inventaire, etc. ; qu’alors l’ad
ministration percevait les droits, les doubles droits et
les amendes. »
Or le chèque payé est par cela même annulé, et
n’est plus qu’une pièce justificative à la décharge du
12
�LOI DU U JUIN 1868
178
tiré, et alors même que des débats sur le compte force
raient à le produire, l’administration serait bien forcée
de l’accepter comme chèque dans l’impuissance absolue
où elle se trouverait d’établir qu’on n’avait pas fait la
provision préalable exigée par la loi.
Donc quelque tardive qu’ait pu être en fait la provi
sion, le paiement du chèque excluant tout moyen d’éta
blir cette lardiveté, oppose un obstacle invincible à toute
poursuite.
145. — Qu’en serait-il si le retard avait été tel qu’à
la suite du refus de payer, un protêt eût été dressé?
Il est certain que le protêt mettrait l’administration
sur la voie, puisqu’il nécessiterait l’enregistrement du
chèque, et que l’absence de provision au jour de la
présentation ne permettrait pas de douter de sa nonexistence au moment de l’émission.
Mais le protêt en constatant le refus du paiement
n’en indique pas la cause; ce refus peut tenir à des
prétentions sur les sommes que le tiré a en mains, soit
de sa part, soit de celle de créanciers du tireur. Il n’est
donc pas absolument inconciliable avec l’idée d’une
provision préalable, et dans le doute on ne pouvait pas
autoriser une poursuite et une condamnation contre la
quelle il faudrait peut-être revenir.
C’est ce qu’avait pensé le Gouvernement que la com
mission avait cru devoir consulter. Voici, en effet, sa
réponse, telle que le rapporteur de la commission la
�DES CHÈQUES. —
ART. 6
179
communiquait au Corps législatif dans la séance du 20
mai 1865 :
« En ce qui concerne le timbre, l’administration doit
s’abstenir, en cas de protêt, de percevoir les droits de
timbre, et de soumettre à des amendes tout effet négo
ciable ayant le caractère extérieur du chèque. Ce n’est
que lorsque un jugement sera intervenu, qu’il aura éta
bli qu’un effet ayant emprunté la forme du chèque n’était
pas un véritable chèque; ce n’est en un mot que lors
que le caractère de l’effet aura été juridiquement déter
miné, que l’administration réclamera, lors de l’enregis
trement du jugement, le droit de timbre et les aman
des. *
Déjà M. de Lavenay, parlant au nom du Gouverne
ment, avait dit : « Il y a un principe reconnu, c’est
qu’en matière de timbre exemption vaut paiement. Le
chèque, même protesté, est donc réputé avoir payé le
timbre jusqu’au moment où il sera démontré qu’il n’y
avait pas provision, que ce n’était pas un chèque, qu’il
n’avait pas droit dès lors à l’exemption.
« Or à quel moment se fera la démonstration ? ce ne
sera pas au moment du protêt, car le refus de paiement.
peut venir, soit de ce que le banquier était en faillite,
soit de ce qu’il n’avait pas tenu la provision disponible,
soit de ce qu’il était survenu une saisie-arrêt, soit pour
tout autre motif qui ne dénature pas le chèque.
« A quelle époque donc sera-t-il reconnu qu’il n’y
avait pas provision, ou qu’on avait dissimulé une lettre
de change sous un chèque? Ce sera lorsque le jugement
�sera intervenu et aura donné à l’effet son véritable ca
ractère. A ce moment, l’administration se mettra en
mouvement ; elle réclamera le droit et l’amende, et elle
s’adressera à la partie qui, aux termes du jugement,
aura été déclarée responsable.
« Il n’y a donc aucun inconvénient à craindre en
fait, ajoutait M. de Lavenay. La chambre peut être as
surée que les choses se passeront de la façon la plus
simple et la plus régulière. L’opinion que j’énonce n’est
pas seulement la mienne ; je l’avais déjà exprimée dans
le sein de la commission comme mon opinion person
nelle ; mais je l’ai contrôlée de manière à pouvoir par
ler ici avec plus de certitude, et c’est après avoir con
sulté officiellement l’administration de l’enregistrement
que je la reproduis devant le Corps législatif1. »
146. — Il n’y a donc aucun doute à concevoir : le
protêt n’enlève pas au titre le caractère de chèque que
lui donne l’apparence, alors même que le tiré aurait
répondu n’avoir ni fonds, ni avis, ni provision ; il n’y a,
à ce sujet, certitude que lorsqu’un jugement a reconnu
et constaté la sincérité de la réponse. Alors le défaut
de provision préalable est acqbis, la contravention
existe, et le droit d’en poursuivre la répression ne sau
rait être contesté.
De là cette conséquence : que si après protêt le tiré
paye parce qu’il a reçu la provision, ou que si le chèque
i Séance du 6 tuai 4863.
�181
est retiré par le tireur, il n’y aura et il ne pourra y avoir
lieu à jugement et par conséquent à aucune poursuite,
puisque rien ne sera venu retirer judiciairement au
titre le caractère de chèque qui lui a été donné.
La nécessité d’un jugement, pour que la poursuite
de la contravention puisse avoir lieu, prouve combien
étaient chimériques les craintes exprimées par le rap
porteur et par M. Martel pour justifier le rejet de l’ar
ticle 7 du projet. Comment admettre en effet que cette
nécessité n’eût pas été imposée à la poursuite non plus
d’une simple contravention passible d’une amende, mais
d’un délit puni de peines corporelles ?
Or si le ministère public ne pouvait agir qu’après
jugement, on n’avait pas à craindre que cédant à l’ap
parence il confondit la bonne foi avec la mauvaise et
soumit les commerçants à l’obligation de répondre à
des mandats de comparution, et à fournir des explica
tions. Le jugement, en constatant le fait, en aurait,
comme nous l’avons dit, indiqué les causes, et quel est
le procureur de la République qui eût poursuivi s’il
était déclaré que le défaut de provision préalable ou
son retrait, n’était dû qu’à un oubli, qu’à une erreur de
compte ?
DES CHÈQUES. — ART. 6
147. — Rien dans la loi ne se réfère au droit de pré
tendre que le titre n’est pas un chèque que le porteur
pourrait vouloir exercer, et les documents officiels et la
discussion elle-même sont absolument muets à ce sujet.
Cependant le sort de la créance peut tenir à la solu-
�182
LOI DU 14 JUIN 1865
tion de la question. Supposez en effet un protêt fait
après l’expiration du délai prescrit par l’article 5. Si
chèque, le recours contre les endosseurs est perdu, et
celui contre le tireur peut l’être, c’est-à-dire que le
porteur perdra ou ne perdra pas sa créance suivant le
caraclère qu’on assignera au titre, car tous les recours
subsisteront s’il est déclaré ne pas constituer un chèque.
L’intérêt du porteur à ce qu’on le décide ainsi est donc
aussi incontestable que certain, que considérable.
Or l’intérêt étant la mesure de l’action on ne voit
pas ce qui pourrait faire écarter celle du porteur. On
devrait donc le déclarer recevable à soutenir et à prou
ver que le titre n’est pas un chèque, sauf la preuve
contraire par ceux qui y auraient intérêt.
Si la prétention du porteur était accueillie et consa
crée, le tireur se trouverait convaincu d’avoir mal à
propos usé d’un papier non timbré, et l’enregistre
ment du jugement mettrait l’administration à même de
poursuivre le recouvrement du droit et de l’amende.
Art . 7.
Les chèques sont exempts de tout droit de timbre
pendant dix ans, à dater de la promulgation de la pré
sente loi.
�DES CHÈQUES. —
ART. 7
185
SOMMAIS!.
148. Caractère de l’article 7.
149. L’exemption du timbre devait - elle être perpétuelle ou
temporaire. Opinion du gouvernement?
î50. Durée que lui avait assignée le conseil d’Etat.
151. Durée admise par la commission du Corps législatif.
152. Rejet par le conseil d’Elat des mots au moins, proposés
par la commission. Son caractère.
153. Observations au Sénat de M. de Germiny , rapporteur
de la loi.
154. Appréciation.
155. Reproche adressé par M. Ernest Picard à l’article 7.
156. Réponse de M. Martel.
157. Proposition de M. Garnier de dispenser le chèque de l’en
registrement. Motifs.
158. Réponse du commissaire du gouvernement.
159. Droit dont il est passible.
160. Abrogation de l’art. 7 par la loi du 23-25 août 1871.
448. — L’exemption du timbre, tel est l’avantage
que parut nécessiter le désir d’encourager l’usage des
chèques et d’en favoriser le développement. Il est cer
tain que le moyen adopté était dans le cas d’atteindre et
faisait espérer le résultat qu’on s’en proposait. Profita
ble aux maisons de premier ordre qui remuent annuel
lement des millions, ce moyen ne l’était pas moins pour
les maisons plus modestes, et même pour les petits
commerçants pour lesquels la moindre économie a son
intérêt et ses avantages.
�184
LOI DU 14 JUIN 1865
149. — L’exemption devait-elle être partielle ou
entière et absolue, temporaire ou perpétuelle ? Chaque
opinion avait trouvé des défenseurs, lorsque dans la ses
sion de 1864 il avait été pour la première fois question
des chèques.
C’est pour l’exemption totale mais temporaire que
s’était prononcée la commission chargée de préparer la
loi. Cette opinion, adoptée par le conseil d’Etat, le fut
également par le Gouvernement qui la justifiait en ces
termes dans l’exposé de l’article 8 du projet :
« Une faveur fiscale avait été le point de départ mê
me de la loi présentée l’année dernière ; ce point de
départ fut admis par tout le monde. On ne différait que
sur la question de quotité : les uns proposaient un droit
minime, les autres une exemption absolue. Le droit mi
nime présentait cet inconvénient que, sans procurer une
recette sérieuse au Trésor, il occasionnerait, par sa per
ception , une certaine gêne dans les transactions.
L’exemption absolue, d’un autre côté, avait le tort de
porter une atteinte fâcheuse au principe même de l’impôt
du timbre. D’après la législation sur le timbre, tout pa
pier susceptible de faire foi en justice d’un engagement
ou d’une libération doit être timbré. Les exceptions
strictement limitatives se rapportent toutes à une de
ces trois catégories : actes politiques, actes administra
tifs, actes qui touchent à la bienfaisance ou à l’intérêt
des classes pauvres. Le chèque ne rentrait évidemment
dans aucune de ces catégories ; ainsi le droit réduit avait
des inconvénients pratiques, l’exemption absolue des
�DES CHÈQUES. — ART. 7
18î>
inconvénients de principe. La nature même des incon
vénients que l’on invoquait pour l’exemption totale a
suggéré la solution. On disait : quand l’usage du chèque
n’était pas encore très-répandu en Angleterre, quand il
n’était pas encore complètement entré dans les habitu
des de la population, le chèque ne payait aucun impôt ;
lorsqu’il a été frappé de l’impôt d’un penny, c’est qu’il
était déjà tellement connu, tellement apprécié, qu’il
faisait tellement partie intégrante du mécanisme finan
cier de l’Angleterre, qu’il se reliait tellement aux autres
éléments de la circulation fiduciaire dans ce pays, qu’il
pouvait supporter un léger impôt sans préjudice et
qu’aucune considération ne justifiait plus à son égard
une dérogation au droit commun. En France, ajoutaiton, l’usage des chèques est encore dans l’enfance, il
cherche à entrer dans les habitudes, mais il n’y est pas
entré encore, il n’est pas même pour le droit commun.
Cet ordre d’idées qui est le vrai, s’il appelait comme
conséquence une exemption totale, n’appelait pas une
exemption définitive, et il a paru qu’une exemption to
tale, mais temporaire, ne présenterait ni les inconvé
nients pratiques du droit réduit, ni les inconvénients de
principe de l’exemption absolue. »
ISO. — L’exemption temporaire adoptée en prin
cipe, restait à déterminer quelle durée lui serait as
signée.
La commission chargée de la préparation de la loi
avait proposé dix ans, et ü faut avouer que ce n’était
�186
LOI DU 1-4 JUIN 1865
pas trop. Dix ans n’occupent pas une très-large place
dans la vie d’une nation, les nouveautés ne s’implan
tent guère dans un temps aussi réduit, et l’on pouvait
craindre que le chèque, après dix ans ne fût pas encore
si parfaitement acclimaté, si complétemenl relié à notre
système fiduciaire, qu’on pût et dût lui retirer le béné
fice de l’exemption : qu’on songe qu’en Angleterre il
avait jouit de la gratuité pendant cinquante ans.
Cependant le conseil d'Etat avait trouvé le délai de
dix ans exagéré et l’avait réduit à cinq ans estimant
que ce terme satisferait à tous les besoins actuels, et
permettrait aux pouvoirs législatifs, à son expiration,
de statuer dans toute leur liberté, en présence de la
situation de fait qui se produirait alorsl. »
4SI. — Mais la commission du Corps législatif ne fut
pas de cet avis. Son rapporteur nous apprend qu’elle
avait pensé que le terme de dix ans était nécessaire pour
permettre au système des chèques d’acquérir tout son
développement. Le rapport ajoute : elle n’a pas cru, du
reste, que ce terme de dix ans dût être considéré com
me un maximum qui ne pourrait pas être dépassé, et
elle a proposé d'ajouter à ce chiffre de dix ans les mots
an moins, afin qu’il n’y eût pas d’équivoque a ce sujet.
152. — Le conseil d’Etat accepta la limite de dix ans
mais rejeta les mots au moins. Si ce rejet reposait sur
! Exposé des motifs.
�187
— ART. 7
leur inutilité, le droit du législateur de prolonger de
nouveau l’épreuve si celle qui venait d’avoir lieu ne
paraissait pas suffisante, n’avait pas besoin d’être inscrit
dans la loi, ni d’être expressément réservé; il existait
certain, incontestable, et nul ne pouvait songer à en
dénier l’exercice.
Que si au contraire le rejet puisait sa raison d’être
dans la pensée qu’après dix ans il n’y aurait plus rien
à faire, parce que l’expérience était décisive dans un
sens ou dans l’autre, on pourrait croire que le conseil
d’Etat s’était trompé.
Nous puisons une preuve de la difficulté qui rendait
un pareil espoir en quelque sorte irréalisable, dans les
observations si justes que le rapporteur de la loi sou
mettait au Sénat.
DES CHÈQUES.
155. — Après avoir émis l’espérance que le chèque
survivrait aux nombreuses théories que le développe
ment du crédit faisait surgir, M. le comte de Germiny
dont on ne peut contester la compétence en matière de
finance, continuait : « Seulement jouera-t-il de suite
en France le rôle important qu’il a en Angleterre? En
le souhaitant sincèrement, il nous semble utile de re
marquer pourquoi ce peut être une question. Il faut
tenir compte des habitudes commerciales des deux na
tions, de la différence de richesse métallique des deux
pays ; il faut se souvenir par exemple que la France
possède pour cinq ou six milliards de numéraire, et
qu’elle tient à conserver ce Trésor avec sollicitude. Si
�188
LOI DU
14
JUIN
1865
elle pouvait penser que le chèque serait un moyen de
substituer une valeur en papier au numéraire, elle ne
l’accepterait qu’avec une extrême réserve ; elle aurait le
sentiment que cet instrument de paiement et de com
pensation lui est moins nécessaire qu’à l’Angleterre qui
passe pour n’avoir qu’un milliard cinq cent millions de
métaux précieux.
« Il est aisé de comprendre que le peuple Anglais a
dû s’occuper des formes de crédit suppléant à l’or et à
l’argent : et malgré tout le parti qu’il tire de ces formes,
la question de savoir si elles nous sont aussi nécessai
res, si nous ne devons pas nous estimer heureux d’en
avoir moins de besoin, ne sera pas chez nous résolue
sans réflexion. Elle le sera cependant, nous le croyons
du moins, dans le sens de l’adoption des chèques, car
il y a place pour eux, si nous savons les employer sans
leur permettre de nous faire oublier qu’ils doivent ser
vir d’appoint, rien de plus, à notre circulation métalli
que, toujours digne de nos préférences. »
Plus loin M. de Germiny ajoute encore : « Pourquoi
inclinons-nous à croire qu’en France l’usage du chèque
ne sera pas appliqué sans hésitation? Parce que nous
avons des habitudes dont nous nous départirons diffi
cilement. Ce n’est pas sans raison et sans respect pour
de saines traditions que les populations stipulent, dans
la plupart de leurs baux, l’obligation d’en payer le prix
principal en espèces sonnantes d’or et d’argent et non
autrement ; et comme on dit que l'homme a l’instinct
de sa conservation, on peut dire que le peuple français
�— ART. 7
189
a l’instinct national de la conservation du numéraire.
Ajoutons que depuis qu’il y a plus d’or que d’argent
dans la circulation (autrefois c’était le contraire), on n’a
pas môme pour s’en servir moins le prétexte de l’incom
modité, et souvenons-nous que pour les soldes débi
teurs de nos relations internationales on ne peut se pas
ser d’espèces. »
DES CHÈQUES.
.\
-
' : .
N
154. -— M. de Germiny s’exagère tellement le rôle
du chèque, qu’on serait tenté de croire qu’il n’en a pas
bien saisi le mécanisme. En quoi, en effet, son dévelop
pement pourrait-il empiéter sur notre capital moné
taire, le modifier ou lui nuire ?
Comme moyen de paiement le chèque ne fait qu’ac
tiver la circulation ; il ne dispense pas du paiement en
espèces, seulement au lieu de le faire opérer par le
débiteur direct, il le fait réaliser par le débiteur du dé
biteur, qui devant avoir et ayant provision préalable,
est en mesure d’y pourvoir. Dans ces conditions nous
sommes convaincus que ceux-là même qui ont stipulé
le paiement en espèces sonnantes n’hésiteraient pas à
accepter le chèque qui leur procure ce paiement, mais
par Pierre au lieu de Paul. Or que leur importe de re
cevoir de l’un ou de l’autre pourvu qu’en définitive ils
soient intégralement désintéressés? Le chèque se subs
titue si peu à la monnaie, qu’il n’est libératoire que
lorsqu’il a fait arriver celle-ci aux mains du porteur.
S’il n’est pas payé le preneur conserve tous ses droits
contre le tireur.
�190
LOI DU 14 JUIN 1 8 6 5
Comme instrument de compensation, le chèque n’a
qu’un seul objet, qu’un seul résultat, celui d’éviter un
mouvement de caisse absolument inutile. Si comme
créancier l’un des intéressés a à recevoir, comme débi
teur il a à payer ; il devrait donc restituer immédiate
ment ce qui vient de lui être compté. Or à quoi bon
cette sortie et cette rentrée de caisse? N’est-ce pas son
inutilité qui a déterminé l’adoption du paiement par
compensation ?
Or cette compensation qui a lieu de plein droit dès
qu’on est en même temps créancier et débiteur, quelle
que soit la nature du titre, pourquoi offrirait-elle, en
matière de chèque, un danger pour notre capital mé
tallique? Nous ne saurions, en l’état, concevoir ce dan
ger, et nous n’admettrons jamais que le chèque qui sup
plée en Angleterre au capital monétaire, eût en France
le résultat de compromettre, de diminuer ce capital.
Quoi qu’il en soit ce qui est beaucoup plus réel, ce
sont les obstacles, les difficultés que des habitudes dès
longtemps contractées, c’est-à-dire que la routine op
posera au développement du chèque, en dehors d’un
cercle assez restreint de commerçants qui en faisaient
usage sous un autre nom. Ces obstacles, ces difficultés
auront-il disparu dans dix ans ? Le Gouvernement luimême en doutait, puisqu’il ne voyait dans l’exemption
temporaire qu’un moyen qui permettrait au Corps lé
gislatif, à l’expiration du délai, de statuer en toute liberté
en présence de la situation de fait qui se produirait alors.
11 est vrai qu’il se plaçait dans l’hypothèse d’un terme
�DES CHÈQUES. — ART. 7
491
de cinq ans, mais nous ne croyons pas qu’on puisse
espérer mieux et plus de dix ans. C’est une expérience
qu’on a voulu essayer, et les résultats obtenus appren
dront si le chèque est ou non entré si profondément
dans la pratique, qu’on peut ou non le soumettre au
droit commun en matière d’impôt.
155. — L’article 7 souleva quelques objections. M.
Ernest Picard s’élevait contre l’exemption d’impôt pen
dant dix ans, et déniait au Corps législatif le droit et
le pouvoir de la consacrer.
« Je crois, disait-il, que nous nous exprimons mal
en disant que les chèques seront exempts de tout droit
de timbre pendant dix aus ; je crois que nous n’avons
pas le droit d’engager ainsi l’avenir. Nous devons voter
l’impôt chaque année, et lorsque nous disons que les
chèques seront exemptés de l’impôt pendant dix ans,
nous disons, à mon sens, deux choses qu'il ne nous ap
partient pas de dire ; la première, c’est qu’on n’imposera
pas les chèques pendant dix ans, et la deuxième, c’est
que dans dix ans les chèques seront imposés. En prin
cipe nous pourrions dire que le chèque ne doit pas être
soumis à l’impôt ; s’il doit être un jour soumis à l’impôt
il sera temps d’étudier la question et de la décider ce
jour-là. Quant à ce bail de dix années que nous don
nons soit dans l’intérêt des banques de dépôt, soit au
trement, je le trouve, oserai-je dire le mot, inconsti
tutionnel et contraire aux habitudes qu’une chambre
doit soigneusement garder, Si nous nous servions sou-
�X
192
/
LOI DU 14 JUIN 1 8 6 5
vent de ces locutions, nous aurions des impôts qui fini
raient dans un an, dans deux ans, dans trois ans, si tant
est, par extraordinaire qu’ils dussent jamais finir; d’au
tres qui commenceraient dans cinq, dans dix, dans
quinze années : je crois que nous préparerions ainsi à
nos successeurs de grandes difficultés. »
1 5 6 .— Il est étrange que M. Picard reconnût au
Corps législatif le droit de dire que les chèques ne se
raient pas soumis à l’impôt, c’est-à-dire de leur accor
der une exemption absolue et perpétuelle, et lui con
testât celui d’accorder une exemption seulement tem
poraire. Cependant ce dernier ne s'induisait-il pas ri
goureusement du premier, et depuis quand pouvait-on
ou devait-on refuser la faculté de faire moins à celui à
qui on reconnaissait le pouvoir de faire plus ?
Ce n’était d’ailleurs pas la première fois que le droit
d’accorder une exemption d’impôt temporaire était
exercé, et son exercice n’avait jamais soulevé de récla
mation, ni créé ces grandes difficultés que redoutait
M. Picard.
Nous nous souvenons qu’en 1848 on avait excepté
de l’impôt pour une période de dix ans, les construc
tions nouvelles. Dans une autre circonstance, une exem
ption de vingt-quatre ans avait été accordée pour les
dessèchements des marais.
C’est ce précédent que M. Martel rappelait en ré
ponse à M. Picard. Pourquoi, ajoutait M. Martel, la loi
avait-elle accordé cette exemption ? Pour encourager le
�DES CHÈQUES. — ART. 7
193
dessèchement des marais. Pourquoi avons-nous, d’ac
cord avec le Gouvernement, exempté de timbre pen
dant dix ans le chèque? C’est afin d’encourager l’usage
des chèques K
157. — Une critique d’un autre genre était dirigée
contre l’article. M. Garnier lui reprochait de n’avoir pas
exonéré les chèques des droits d’enregistrement en
même temps qu’il les exonérait des droits de timbre,
et d’être ainsi en contradiction avec tous les précédents
législatifs, car jamais les lois postérieures à la loi du 13
brumaire an XIII n’ont accordé l'exemption du timbie a
certains actes sans leur accorder en même temps celle
des droits d’enregistrement.
« La perception de ces droits, disait M. Garnier, en
traînera des difficultés très-sérieuses. En effet, lorsqu’un
chèque sera protesté, il affectera nécessairement les
caractères d’un des trois actes suivants : s’il a été en
dossé et qu’il ait été tiré de place en place, ce sera une
lettre de change passible du droit de 25 centimes pour
cent. Si, ayant été endossé, il n’a été tiré que de la
place dans laquelle il doit être payé, ce sera un billet à
ordre ou un effet négociable ordinaire passible de
50 centimes pour cent. Enfin s’il n’est pas endossé, ce
sera une obligation pure et simple passible de 1 pour
cent. Vous voyez donc que le chèque protesté peut
prendre, en présence des droits d’enregistrement, difl Séance du 6 mai 4865.
13
�__ _
194-
loi du
14 j u i n
18 65
férentes physionomies et peut, par conséquent susciter
des difficultés.
M Garnier allait plus loin encore, et admettant que
l’enregistrement du protêt donnerait lieu à la perception
des droits de timbre et de l’amende, il s’élevait contre
l’injustice de cette perception.
« Du moment, disait-il, que la provision est le signe
caractéristique du chèque, il y a présomption que l’acte
protesté n’est pas un chèque, puisqu’il n'y avait pas
provision pour le payer. Donc le receveur est parfaite
ment autorisé à le considérer comme n’étant pas un
chèque, et, par conséquent à percevoir les droits pro
pres à l’acte dont il lui restera à apprécier les caractè
res. Mais alors qui est-ce qui paiera les droits de timbre
et les amendes dont cet acte sera passible ? Et remar
quez que les droits à exiger pourront être très-considé
rables, car l’amende exigible sur un effet non timbré
est de six pour cent contre le tireur, et si l’effet est en
dossé il y a une seconde amende de six pour cent en
core contre le premier endosseur. Qui donc paiera cette
amende et ces droits de timbre pouvant s’élever à une
somme considérable ? Incontestablement, et d’après les
principes établis en matière fiscales, ce sera celui qui
fera faire le protêt, c’est-à-dire le tireur. Or, en bonne
conscience, si le chèque n’a pas été payé par suite de
circonstances étrangères à la volonté du tireur, serait-il
équitable d’exiger de lui le paiement de sommes souvent
fort considérables?
« Je sais bien qu’on me dira : le jugement qui in-
/
�7
198
terviendra plus lard rendra à l’acte protesté son vérita
ble caractère ; mais si dans l'intervalle du protêt au ju
gement, ce qui arrivera très-souvent, l'effet vient à être
payé, les droits qui auront été payés seront définitive
ment acquis au Trésor, parce que, comme il n’y aura
plus d’acte pouvant fournir la preuve légale du vérita
ble caractère de l’acte protesté, les droits seront consi
dérés comme ayant été régulièrement perçus, et, par
suite, non restituables. Mais je vais plus loin, et je dis
qu’alors même qu’un jugement interviendrait et déter
minerait le véritable caractère de l’acte sur lequel au
ront été perçus les droits, et amendes de timbre, alors
même que ce jugement établirait que cet acte était bien
réellement un chèque, il serait peut-être douteux qu’on
put obtenir la restitution des droits perçus, ou tout au
moins la demande de cette restitution pourrait faire
naître des difficultés. En effet, il est un principe fort ri
goureux posé par l’article 60 de la loi du 22 frimaire an
VII, principe qui veut que les droits régulièrement per
çus ne soient pas restitués quels que soient les événe
ments ultérieurs, et je pourrai mettre sous vos yeux une
foule de monuments judiciaires qui établissent que, dans
beaucoup de cas, qui présentent avec le notre une ana
logie parfaite, le jugement qui déterminait le caractère
de l’acte précédemment enregistré, devait être consi
déré comme un événement ultérieur, ne pouvant rétroagir sur la perception faite, et, par conséquent, ne pou
vant autoriser la restitution des droits. »
DES CHÈQUES. — ART.
�158. — Le commissaire du Gouvernement, M. de
Lavenay, répond à M. Garnier :
« En ce qui touche l’enregistrement, je serai trèsbref, et je dirai très-franchement au Corps législatif qu’au
point de vue de l’enregistrement le projet de loi ne fait
absolument rien, il n’entend rien faire. On n’a jamais
demandé au Gouvernement de rien faire pour les chè
ques au point de vue de l’enregistrement, et l’enregis
trement est tout-à-fait étranger au projet de loi. Les
chèques sont, dans ce moment, comme tous les papiers
de même nature, passibles du timbre dans tous les cas
et d’enregistrement quand ils viennent en justice après
protêt. 11 a paru à tout le monde qu’il y aurait grande
utilité publique à les exempter de l’impôt du timbre,
parce que l’impôt pèse sur tous les chèques sans dis
tinction, et grèverait toutes les liquidations, tous les
paiements dans lesquels on en ferait usage ; l’exemption
a ici le caractère d’une mesure d’intérêt général ; quant
à l’enregistrement, il ne pèse que sur les effets protes
tés. Lorsqu’un effet a été protesté soit pour défaut de
provision, soit par suite dqjaillite, soit sur opposition,
il y a toujours quelqu’un en faute ; il n’y a d’ailleurs là
qu’un fait accidentel qui ne saurait motiver une mesure
générale; l’intérêt public n’est pas en cause. »
Quant aux conséquences de l’enregistrement du pro
têt relativement à l’amende, signalées par M. Garnier,
elles n'étaient pas à craindre, dès que la perception de
l’amende ne pouvait avoir lieu après protêt. Or, comme
nous venons de le voir, le Gouvernement officiellement
�7
197
consulté à ce sujet, avait déclaré que cette perception
n’était autorisée qu’après jugement et sur l’enregistre
ment de ce jugement, il n’était dès lors pas à craindre
que l’administration exigeât et l'amende et les droits de
timbre, si le titre était reconnu un chèque, et si l’instan
ce judiciaire et le protêt qui l’avaient précédée n’étaient
dus qu’à des causes n’affectant en rien ce caractère. On
n’avait donc pas à prévoir une perception irrégulière,
ni à se préoccuper des difficultés d’une restitution.
DES CHÈQUES. — ART.
' .■
V
.
159. Restaient les difficultés que pouvait présenter la
détermination du droit à percevoir sur les chèques, sur
lesquelles la commission avait cru devoir également con
sulter le Gouvernement. Voici en quels termes le rap
porteur faisait connaître la réponse :
« Il n’apparaît pas que la perception du droit d’enre
gistrement puisse présenter des difficultés quant à l’ap
plication du tarif.
« Que le chèque soit endossé ou non, il restera tou
jours un effet négociable (art. 1er de la loi), il ne peut
donc pas être soumis au droit de un pour cent, droit des
obligations pures et simples.
Le chèque ne reste donc pas non plus une lettre de
change puisqu’il exige la provis on préalable, et qu’il ne
constitue pas un acte de com m erce. Il ne saurait donc
être soumis au tarif de cette nature d’effets.
« Le droit qui, dans tous les cas, sera dû pour le
chèque protesté ou produit en justice sera donc de cin
quante centimes, établi par l’article 69 § 2 , n° 6 de la
�loi du 22 frimaire an VII, pour tous les effets négo
ciables,
160. — Le législateur ne pouvait supposer que les
chèques ne jouiraient pas même de la période d’exemp
tion que leur accordait l’article 7. Les charges énormes
que la guerre insensée de 1870 a fait peser sur la France
ont rendu indispensable l’extension des impôts existants,
la création de nouveaux impôts.
Cependant le Gouvernement n’avait rien changé au
régime des chèques, mais divers impôts par lui propo
sés étant repoussés ou réduits parla commission de l’As
semblée nationale, il fallut pourvoir aux nécessités du
budget par de nouvelles ressources.
Au nombre de ces ressources nouvelles la commis
sion fit figurer un impôt sur les chèques.qu’elle réduisait
d’ailleurs au chiffre de dix centimes. Cette proposition
ayant été adoptée, a pris place dans l’article 18 delà loi
des 23-25 août 1871, qui dispose :
A partir du 1er décembre 1871 sont soumis à un droit
de timbre de dix centimes :
r.. ..
2° Les chèques, tels qu’ils sont décrits par la loi du
14 juin 1835, dont l’article 7 est et demeure abrogé.
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
��Article 6. — Est réduit à dix centimes le droit de timbre des
mandats appelés chèques, non négociables par voie d'endos
sement et payables à présentation, soit seulement à la personne
y dénommée, soit à la personne y dénommée ou au porteur.
Art. 7. — Pour jouir de la modération de droit établie par
l'article ci-dessus, les mandats doivent être extraits d’un livre
à souche préalablement timbré sur la souche et sur le talon.
Art. 8. — En cas de contravention aux dispositions qui pré
cèdent, le souscripteur du mandat, le porteur, le banquier,
l’établissement, ou toute personne qui aura acquitté le mandat,
sont passibles, chacun et sans recours, d’une amende de 50
francs, ils sont solidaires pour le paiement des amendes et du
droit de timbre.
EXPOSÉ DES MOTIFS DU BUDGET DE 1865.
Messieurs, personne n’ignore aujourd’hui la nature et l’ob
jet des billets connus sous le nom de chèques. Un établisse
ment de banque ou de crédit reçoit des fonds en compte cou
rant ; le déposant veut faire un paiement à un tiers quelconque.
V
�202
LO I DÜ
H
ju in
1865
il remet à ce tiers un billet sous forme de mandat ou de récé
pissé, extrait d’un livre à souche que l’établissement lui a dé
livré. Au vu de ce billet, la banque paie, sous la seule condi
tion qu’il y ait provision suffisante au compte créditeur du dé
posant. Le billet ainsi tiré sur l’établissement dépositaire, c’est
le chèque.
L’usage des chèques présente divers avantages. Il tend à ac
croître, au profit des établissements de crédit, l’importance
des sommes mises à leur disposition par les comptes-courants;
il donne aux déposants des facilités qui leur permettent simul
tanément de tirer un intérêt de leurs fonds, d’avoir ces fonds
toujours disponibles, et de faire des paiements sans déplace
ment de numéraire. Lorsque les chèques se multiplient
et que les établissements sur lesquels ils sont tirés sont
en même temps porteurs de chèques tirés sur d’autres établis
sements, les avantages de ce mode de paiement se développent
et beaucoups d’affaires se règlent par de simples virements.
L’Angleterre a de beaucoup dépassé la France sous le rapport
de l’usage, de la circulation et de la multiplication des chèques.
II y a sans doute de ce fait des causes nombreuses et diverses ;
mais il en est une, entre autres, que le Gouvernement a cru
apercevoir et à laquelle il lui a paru possible de rémédier.
La forme du rhèque la plus naturelle, la plus conforme à
l’essence et à l'objet du contrat, la plus sûre pour les parties et
la plus commode dans la pratique, c’est assurément celle qui a
été adoptée en Angleterre, c’est celle d’nn mandat souscr it par
le déposant, soit à une personne dénommée, soit au porteur.
Cette forme n’a pas été adoptée en France. On donne générale
ment au chèque la forme d'un simple reçu de la somme qui en
fait l'objet; le tiers-porteur n’est ni dénommé ni mentionné.
Si le chèque vient à se perdre et qu’il soit trouvé par une per
sonne de mauvaise foi, la banque est exposée à mal payer; des
procès peuvent s’ensuivre au préjudice soit de la banque, soit
du déposant, soit du tiers qui aura reçu le chèque ; il y a, en
�f
203
tout cas un intérêt lésé. Sous la forme de mandat, au con
traire, le chèque peut toujours présenter la garantie d’un titre
nominatif, et lors même qu’il est nominatif ou au porteur, le
souscripteur et la banque ont pour garantie, d’abord la per
sonne dénommée, ensuite l’obligation où se trouve le porteur
de justifier de son identité et de donner sa signature. A un autre
point de vue, on peut ajouter que celui qui a reçu en paiement
un chèque, sous forme de simple reçu, peut difficilement le
transmettre à un tiers qui ne connaît pas le souscripteur. Quand
au contraire, le chèque est à une personne dénommée ou au
porteur, la personne dénommée peut aisément le transmettre
à un porteur dont elle est connue et dont elle a la confiance.
S’il y a lieu à des transmissions ultérieures, elles se trouvent
facilitées par une double garantie.
D’autres supériorités de la forme du mandat sur celle du
reçu pourraient encore être signalées. Pourquoi donc en
France, malgré l'exemple voisin et connu de l’Angleterre,
s’est-on attaché à la forme du reçu? Il a paru au Gouverne
ment que la réponse à cette question se trouvait dans la diffé
rence des deux législations fiscales. En Angleterre, le chèque
même en forme de mandat, n’est assujetti pour le timbre qu’au
droit fixe de 1 penny (10 centimes). En France, au coniraire,
le mandat, même présentant le caractère particulier du chèque,
est sonars à un droit proportionnel représentant à peu près
50 centimes par 1,000 fr. La perception de ce droit est, en
outre, garantie par des amendes proportionnelles et s’élevant
ît 6 0|0 pour chacune des parties, du montant des sommes sous
crites.
C'est probablement pour se soustraire è ces droits, qui de
viennent considérables quand le chèque s’élève à de fortes
sommes, que les établissements de crédit ont répugné à la
forme du mandai et adopté celle du reçu. Ce n’est pas que les
reçus soient légalement affranchis des droits de timbre, car les
quittances de sommes au-dessus de dix francs (sauf les excepDOCUMENTS LÉGISLATIFS
�204
LOI du
14
juin
18 65
tions déterminées par la loi, parmi lesquelles les chèques ne
se trouvent pas), sont assujetties au droit de timbre de dimen
sion, c’est-à-dire à 50 centimes pour le plus petit format. Mais
en fqit et sans doute à cause de l’élévation même de ce droit,
on ne le paie point, et l'on préfère s’exposer à la sanction
pénale, c'est-à-dire à l’amende de cinquante francs qui frppe
les quittances non timbrées, lorsqu’elles arrivent par les voies
légales à la connaissance de l’administration.
La situation est donc celle-ci : pour éviter les droits propor
tionnels élevés et las fortes amendes proportionnelles édictées
par la législation sur les mandats, on prend la forme du reçu ;
puis, pour éviter le droit fixe afférent aux reçus, on s’expose
aux poursuites judiciaires et à l’amende de 50 fr. Le Gouverne
ment a pensé qu’il y avait là une entrave à la création des
chèques et un obstacle à leur multiplication. II vous propose
en conséquence de réduire à 10 centimes le droit sur les chè
ques en forme de mandat. Il est bien entendu que cette faveur
ne peut s’appliquer qu’aux billets ayant bien le caractère de
chèques, c’est-à-direà ceux qui sont extraits d’un livre à souche,
qui ne sont pas susceptibles d’endossement, et qui ne sont
payables que quand il y a dépôt préalable de fonds. Moyennant
le petit droit fixe de dix centimes, les parties auront la faculté
de rédiger les chèques dans la forme la plus sûre et la plus
commode. Les chèques ainsi créés pourront circuler, figurer
dans les actes, être produits en justice sans aucuns frais ni
amendes ; et il est probable qu'en présence de ces avantages,
les intéressés, au moins quand il s’agira de sommes d une cer
taine importance, renonceront peu à peu à la pratique actuelle,
périlleuse à tous les titres et qui n'a été à son origine qu’un
expédient Le caractère des dispositions que nous avons I hon
neur de vous soumettre n’est donc nullement fiscal; c’est une
expérience économique, une tentative au profil de la circula
tion financière, et nous espérons que le Corps législatif y don
nera son approbation.
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
3
SECOND
205
°
P R O JE T D E LO I
(Présenté au Corps législatif dans la séance du 46 février 1865J
Art. 1". — Le chèque, soit sous la forme d'un mandat de
paiement, soit sous la forme d’un récépissé, est signé par le
tireur et porte la da!e du jour où il est tiré.
Il ne peut être tiré qu'à vue.
Il p e u t ê tr e s o u s c rit au p o r te u r ou au p ro fit d 'u n e p e rs o n n e
dénom m ée.
Il peut être souscrit à ordre et transmis même par voie d’en
dossement en blanc.
Art. 2. — Le chèque ne peut être tiré que sur un tiers ayant
provision préalable ; il est payable à présentation.
Art. 3. — Le chèque peut être tiré d’un lieu sur un autre ou
sur la même place.
Art. 4. — L’émission d’un chèque, même lorsqu’il est tiré
d’un lieu sur un autre, ne constitue pas, par sa nature, un acte
de commerce.
Toutefois les dispositions du Code de commerce relatives à
la garantie solidaire du tireur et des endosseurs, au protêt et à
l’exercice de l’action en garatie, en matière de lettres de chan
ge, sont applicables aux chèques.
Art. 5- — Le porteur d’un chèque qui n’en réclame pas le
paiement dans le délai de trois jours, si le chèque est tiré de
la place où il est payable, et dans le délai de cinq jours, s’il est
tiré d’un autre lieu, perd son recours contre les endosseurs
et même contre le tireur si celui-ci avait fait provision.
Art. 6. — Le tireur qui revêt un chèque d’une fausse date
et le premier porteur sont punis chacun, et sans recours
l’un contre l’autre, d'une amende égale à 6 010 de la somme
�206
LOI DU U JUIN 1 8 6 5
pour laquelle le chèque est tiré. La même peine est applicable
à l’émission d’un chèque sans date.
Art. 7 — L’émission d'un chèque sans provision préalable et
le retrait de la provision après la délivrance du chè|ue sont
punis, en cas de mauvaise foi, des peines prononcées par l'ar
ticle 403 du Code pénal, sauf l'application, s’il y a lieu, de
l’article 463 du même Code.
Ait. 8. — Les chèques sont exempts de tout droit de timbre
pend, nt cinq ans à dater de la promulgation de la présente loi,
Ce projet de loi a été délibéré et adopté par le conseil d’Etat
dansses séances des 3 et 4 novembre 1864.
L e m in is tr e , p r é s id a n t le C o n seil d 'E ta t,
A d . Vu itbï .
L e c o n s e ille r d 'E ta t,
s e c r é ta ir e g é n é r a l d u C o n se il d ’E ta t,
De la N oue-B illaULT.
(Supplément du Moniteur du 24 février 1865).
4
EX PO SÉ
°
DES
M O T IF S
(A n n e x é a u p r o c è s - v e r b a l d e la séa n ce d u C o rp s lé g is la tif
d u 16 f é v r ie r 1865)
Exposé des motifs d’un projet de loi concernant les ehèques.
Messieurs, le Corps législatif a déjà été saisi des questions
relatives au timbre des chèques, vers la fin de sa dernière ses
sion. L’exposé des motifs qui fut présentée alors, le rapport de
la commission du budget et surtout la délibération.qui s’en est
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
207
suivie en séance publique, et à laquelle la plupart d’entre vou
se reporleront probablement, nous dispensent de donner aujourd hui de loogs développements aux observations que nous
devons vous soumettre à l'appui du projet de loi par lequel le
Gouvernement vous propose de régler tout ce qui concerne la
législalion des chèques.
Il nous paraît cependant nécessaire de rappeler en quelques
mots les faiis qui se sont passés l’année dernière.
Le Gouvernement préoccupé du désir de propager l’usage
des comptes courants et l’emploi des chèques, pensa qu’il était
opportun de lever l’obstacle que les lois relatives à l'impôt du
timbre pouvaient opposer à cette propagation.
En effet, le chèque est l’écrit qui sert à effectuer et à cons
tater le retrait, soit au profil du déposant, soit au profil d’un
tiers, de tout ou partie des fonds déposés en compte-courant.
Lorsque ce retrait était effectué au moyen d’un récépissé, ce
récépissé de ait, aux termes des lois, être revêtu d’un timbre
fixe de 50 centimes. Si ce même retrait était opéré au moyen
d’un mandat, ce mandat était assujetti à un timbre proportion
nel de 50 centimes en moyenne par 1000 fr. Le Gouvernement
proposa de ne plus assujettir les chèques, sous forme de man dat, qu’il un timbre fixe de 10 centimes.
La commission du budget entra dans les vues du Gouver
nement. elle pensa même qu’il y avait lieu d’aller plus loin et
proposa pour les chèques, sous quelque forme qu’ils fussent
émis, un droit fixe de timbre, réduit à la limite extrême de
5 centimes. Le Gouvernement se rallia à cette proposition. Il
faut ajouter que, dans le projet de la commission, comme dans
le projet primitif du Gouvernement, la faveur du timbre ré
duit n’est accordée au chèque qu’autant qu’il ne serait pas né
gociable par voie d’endossement.
C’est cette mesure qui sonleva une vive discussion dans le
sein du Corps législatif.
Plusieurs honorables députés revendiquèrent énergiquetn ent
3
�208
LOI DU
14
JUIN
1865
pour le chèque le double privilège de la transmission par voie
d'endossement et de l’exemption d’impôt.
Le Gouvernement résista, non qu’il méconnût l’intérêt que
pouvaient présenter, au point de vue économique, les facilités
qui seraient données à l’émission et à la transmission des chè
ques, mais parce qu’il craignait que les faveurs accordées au
chèque, non défini encore et non réglementé par la législation,
ne profitassent à d’autres papiers, et particulièrement à cer
tains effets de crédit, au préjudice des droits du Trésor et de
l’équilibre du budget.
Dans cette situation, un honorable député proposa l’ajour
nement, en vue de permettre au Gouvernement, dans l’inter
valle des deux sessions, d étudier la question dans son ensem
ble et de rechercher les moyens rie concilier l'intérêt écono
mique et les garanties fiscales.
Cet ajournement, auquel le gouvernement ne s’opposa pas,
fut prononcé par le Corps législatif.
En conséquence, dès la clôture rie la cession, le Gouverne
ment institua une commission spéciale chargée de procéder
aux études réclamées par le Corps législatif, et invita plusieurs
des honorables députés qui avaient soulevé le débat ou qui y
étaient intervenus, à faire partie de la comm ssion conjointe
ment avec les représentants du Gouvernement qui avaient
soutenu la discussion 1 ; parmi les membres du Corps législa
tif se trouvaient le président même de ce corps, M. le duc de
1 Cette commission était ainsi composée : S. Exe. M. Rouher, minis
tre d’Etat, président; S. Exc. M. le duc de Morny, président du Corps
législatif; M. le comte de Germiny, sénateur; M. Vuitry, vice-président
du Conseil d’Etat, gouverneur de la Banque de France; MM. Gouin, 01livier, Darimon, Mathieu, députés au Corps législatif; M. de Lavenay,
couseiller d’Etat; M. Deuière, président du tribunal de commerce de la
Seine; M. Bosredon, maître des requêtes au Conseil d’Etat, secrétaire
rapporteur, et MM. de Féligonde, auditeur au Conseil d’Etat, et Chauvy,
attaché au ministère d’Etat, secrétaires adjoints.
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
209
Morny; parmi les représentants du Gouvernement, M. Rouher,
ministre d'Etat.
La commission constituée décida qu'avant de délibérer elle
procéderait à une sorte d’enquête. Elle appela dans son sein et
entendit successivement les chefs ou les représentants des
principales institutions de crédit de Paris et de Lyon, plusieurs
banquiers notables de Paris et des départements, et enfin le
directeur général de l’administration de l’enregistrement et
des domaines.
C’est après s’être entouré ainsi des lumières de la pratique et
de l’expériencce que la commission a rédigé et voté à l’unani
mité un projet de loi. Ce projet, adopté par le Gouvernement
et par le conseil d’Etat, est celui que nous avons l’honneur de
proposer à votre approbation, sauf deux modifications légères
introduites par le conseil d'Etat, et que nous aurons l’honneur
de vous signaler à l’occasion des dispositions auxquelles elles
se rattachent.
L’enquête, Messieurs, et l’étude approfondie à laquelle se
sont livrés la commission spéciale, le Gouvernement et le con
seil d’Etat, ont fait ressortir de la manière la plus nette et la
plus évidente les deux points qui, dès le principe, avaient pré
occupé le Corps législatif et le Gouvernement : d'une part,
intérêt de donner à l’émission ou à la transmission des chèques
toutes les facilités et toutes les sûretés possibles ; d’autre part,
nécessité de donner à la perception de l’impôt sur les papiers
antres que le chèque, de sérieuses garanties.
L’intérêt qui s’attache à l’émission et à la transmission des
chèques s’explique de lui-même; il a d’ailleurs été mis parfai
tement en relief, l'année dernière, dans la délibération du Corps
législatif ; les dépôts de fonds en compte-courant dans les cais
ses ouvertes et organisées à cet effet, groupent une foule de
petits capitaux, et leur donnent ainsi une puissance productive
qu’ils n'auraient pas s'ils restaient disséminés dans les caisses
particulières. Le chèque est l’instrument de service des comp14
�tes-courants, et. par l’action combinée des comptes courants
et des chèques, on obtient ce triple résultat de servir aux dé
posants un intérêt do leurs fonds, tout en les leur maintenant
disponibles, d’effectuer une quantité considérable de paiements
sans déplacement ni emploi matériel de numéraire, et enfin
d'utiliser pour les besoins de l’industrie et du commerce des
capitaux qui, sans ce moyen, et alors même qu'ils ne seraient
pas livrés à une stérile thésaurisation, ne serviraient qu’aux
échanges journaliers, et qui se trouvent ainsi concourir au
mouvement de la production et du commerce sans cesser de
servir à l’échange.
Quant à la nécessité de donner des garanties sérieuses au
Trésor contre l’extension abusive des faveurs accordées au
chèque, elle n’a pas apparu avec moins d’évidence. Le chèque,
dans son essence, n’est et ne doit être qu'un instrument de
liquidation et de paiement, c’est à ce titre qu’une exception à
la loi fiscale est réclamée en sa faveur ; si des opérations de
crédit, spéculant sur ce que présente d’équivoque la forme ex
térieure du mandat, cherchaient à revêtir l’apparence du chè
que pour se soustraire à l’impôt qu’elles doivent au Trésor, il
pourrait se produire dans les recettes budgétaires une diminu
tion d’autant plus fâcheuse qu’elle ne profiterait pas à la masse
des contribuables, mais à la fraude.
De ces deux natures de considérations résultait cette consé
quence, que le projet de loi devait se composer de deux ordres
de dispositions : les unes ayant pour objet d’attribuer libéra
lement aux chèques les avantages nécessaires pour favoriser et
développer l’habitude des dépôts en comptes-courants, les au
tres destinées à définir et à délimiter le chèque d’une façon
assez précise pour qu’aucune autre nature de papier de crédit
ou de circulation ne pût aisément se faire confondre avec lui
et en usurper les privilèges.
Suivant ce double ordre d’idées, nous allons énumérer suc
cessivement ; 4* les dispositions du projet de loi tendant à fa-
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
211
voriser le chèque ; 2* celles qui ont pour objet de le circons
crire et de le délimiter dans l’intérêt du Trésor ou au point de
vue de la bonne foi.
Peu de mots suffiront pour indiquer la raison de chacune de
ces dispositions ; nous commencerons par celles que nous
avons appelées les dispositions favorables :
1“ Le chèque pourra prendre à volonté la forme de reçu ou
celle de mandat. Sous forme demandât, il pourra être sous
crit au porteur ou à une personne dénommée.
Cette disposition s'explique d’elle-même : la faculté de créer
le chèque sous toutes les formes ne peut manquer d’en facili
ter l'émission, en permettant aux uns de choisir le mode qui
présente le plus de garanties, à d’autres celui qui offre le plus
de célérité ; à d’autres enfin, celui qui permet le moins de faire
circuler leur signature.
2* Les chèques seront exempts de tout droit de timbre pen
dant cinq ans.
Une faveur fiscale avait été le point de départ même de la
loi présentée l’année dernière. Ce point de départ fut admis par
tout le monde. On ne différait que sur la question de quotité.
Les uns proposaient un droit minime, les autres une exemp
tion absolue. Le droit minime présentait cet inconvénient que
sans procurer une recette sérieuse au Trésor, il occasionnait
par sa perception une certaine gêne dans 1er transactions.
L’exemption absolue, d’un autre côté, avait le tort de porter
une atteinte fâcheuses aux principes mêmes de l’impôt du tim
bre. D’après la législation sur le timbre, tout papier susceptible
défaire foi en justice d'un engagement ou d’une libération
doit être timbré. Les exceptions, strictement limitatives, se
rapportent toutes à une de ces trois catégories : actes politiques,
actes administratifs, actes qui touchent à la bienfaisance ou à
l'intérêt des classes pauvres. Le chèque ne rentrait évidem
ment dans aucune de ces catégories. Ainsi le droit réduit avait
des inconvénients pratiques, l’exemption absolue des inconvé-
�212
LOI du 14 JUIN 1 8 65
nients de principes. La nature même des arguments que l’on
invoquait pour l’exemption totale a suggéré la solution. On di
sait : quand l’usage du chèque n’était pas encore très-répandu
en Angleterre, quand il n’était pas encore complètement entré
dans les habitudes de la population, le chèque ne payait aucun
impôt; lorsqu’il a été frappé de l’impôt d’un penny, c’est qu’il
était déjà tellement connu, tellement apprécié, qu’il faisait tel
lement partie intégrante du mécanisme financier de l’Angle
terre, qu’il se reliait tellement aux autres éléments de la circu
lation fiduciaire dans ce pays, qu’il pouvait supporter un léger
impôt sans préjudice, et qu’aucune considération ne justifiait
plus à son égard une dérogation au droit commun. En France,
ajoutait-on, l’usage du chèque est encore dans l’enfance, il
cherche à entrer dans les habitudes, mais il n’y est pas entré
encore, il n’est pas mûr pour le droit commun. Cet ordre
d’idées, qui est le vrai, s’il appelait comme conséquence une
exemption totale, n’appelait pas une exemption définitive, et
il a paru qu’une exemption totale, mais temporaire, ne présen
terait ni les inconvénient pratiques du droit réduit, ni les in
convénients de principes de l’exemption absolue. La commis
sion spéciale avait proposé d’assigner à cette exemption une
durée de dix ans ; mais le Conseil d’Etat a pensé que le terme
de cinq années satisfairait à tous les besoins actuels et permet
trait aux pouvoirs législatifs, à son expiration, de statuer dans
toute leur liberté, en présence de la situation de fait qui se
produirait alors.
3“Le chèque pourra être souscrit à ordre et par conséquent
être négocié par voie d’endossement.
Cette faculté répond au vœu exprimé l’année dernière dans
le sein du Corps législatif. Sans doute des précautions doivent
être prises et sont prises effectivement par le projet, comme
nous le dirons tout à l’heure, pour limiter autant que possible
la perte que cette disposition imposera au Trésor ; mais sous la
réserve de ces précautions, le Gouvernement a pensé, comme
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
215
le Corps législatif, que la faculté d’endossement serait un des
rpoyens les plus puissants de propager l’usage des chèques.
Cette faculté, en effet, semble tellement inhérente à la fonction
de cette espèce de papiers, qu’en Angleterre, avant l’époque où
l’impôt d'un penny l’a procuré au chèque en le faisant rentrer
dans le droit commun, le chèque l’avait pour ainsi dire usurpée
par des moyens indirects et à l’aide de ces signes convention
nels qui constituaient les diverses sortes de chèques connus
sous le nom de chèques barrés.
4’ L’endos du chèque, même en blanc, sera réputé valable.
Les dispositions du Code de commerce, qui, pour la lettre
de change, refusent à l’endos en blanc les effets d’un endosse
ment régulier sont depuis longtemps discutées. Sans examiner
une question, délicate en ce qui concerne la lettre de change,
on reconnaîtra, nous le pensons, que pour le chèque il n’y avait
pas de raison suffisante pour proscrire l'endos en blanc, puisque
le chèque peut indifféremment être souscrit à une personne
dénommée où au porteur.
5‘ Il peut être tiré soit sur la même place, soit d’un lieu sur
un autre, sans êtrepa r sa nature, dans l’un ou l’autre cas, un
acte de commerce. Le projet dit par sa nature, parce que le
chèque doit être considéré comme un acte de commerce ou
comme un acte civil suivant la qualité des parties et les causes
à raison desquelles il a été souscrit. La compétence sera réglée
par les tribunaux suivant les principes du droit commun. La
faveur du projet consiste en ceci : que, même d’un lieu sur
un autre, l’émission d’un chèque ne constituera pas un acte de
commerce comme celle d’une lettre de change -, cette faveur
s’explique par cette considération, qu’en fait, la fonction du
chèque est très-souvent, et peut-être le plus souvent, de liqui
der des obligations contractées par des particuliers non négo
ciants, et qui ne présentent aucun caractère commercial dans
les causes.
Maintenant, Messieurs-, après avoir muni le chèque de toutes
�214
LOI du
14
JUIN
1865
les faveurs et de toutes les garanties qui peuvent en favoriser
l’émission et la transmission, il reste à déterminer les garanties
qui doivent s’opposer à ce qu’il ne devienne pas un instrument
de fraude, soit vis-à-vis du Trésor, soit vis-à-vis des tiers.
1" Le chèque ne pourra être émis qu’avec provision préa
lable.
Il faut entendre par ces mots que la provision doit exister
non-seulement au moment où le chèque sera présenté, mais au
moment même où il aura été souscrit. Cette condition n’a rien
d’exorbitant, le chèque ne doit être qu’un moyen de paiement;
s’il devenait un instrument de crédit, il perdrait son caractère,
il usurperait une immunité fiscale à laquelle il n’aurait plus
droit, et tromperait la confiance des tiers qui doivent y voir
l’équivalent d’une monnaie réelle.
Si le projet ne s’était placé qu’au point de l’intérêt du Tré
sor, une amende purement fiscale aurait pu suffire pour sanc
tionner l’obligation de la provision préalable -, mais comme
l’intérêt des tiers et la foi des transactions se trouvaient aussi
engagés, le projet édicte les peines de l’article 405 du Code pé
nal contre l’émission d’un chèque faite de mauvaise foi sans
provision préalable. Les chèques seront reçus avec d’autant
plus de confiance et feront d’autant mieux office de monnaie
que les preneurs seront mieux garantis contre la mauvaise foi
possible de certains tireurs. Il est bien clair que le projet ne
prévoyant et ne punissant que l'émission faite de mauvaise foi,
ne peut en rien menacer les erreurs de compte, par suite des
quelles le montant des chèques émis viendrait à dépasser acci
dentellement la provision existante.
2° Le chèque ne peut être tiré qu’à vue ; il est payable à pré
sentation.
Cette disposition est essentielle pour sauvegarder les droits
du Trésor. Si le chèque, négociable par voie d’endossement)
et particulièrement le chèque tiré d’un lieu sur un autre, pou
vait encore être payable à une échéance plus ou moins éloi-
�215
gnée, ou à un certain nombre de jours de vue, il est évident
qu’il ne différerait presque plus de la lettre de change, se sub
stituerait à elle dans la plupart des cas, et que le produit de
l’impôt du timbre souffrirait de celte substitution une diminu
tion notable qui ne serait entrée ni dans les prévisions ni dans
les vœux du législateur. Au suplus, Messieurs, il ne vous échap
pera pas que cette obligation du paiement à vue ne peut avoir
rien d’excessif quand il s’agit d’un chèque ; qu’elle est au con
traire tout à fait en harmonie avec la nature de ce papier. Le
chèque suppose la provision préalable ; les caisses de dépôts,
préalablement nanties de fonds, ne doivent les employer qu'en
placements sûrs et à courte échéance. Il nous a été déclaré à
l’enquête qu’il en était toujours ainsi ; par conséquent le rou
lement des opérations doit toujours laisser à la disposition des
caisses dépositaires les ressources suffisantes pour faire face à
leurs engagements sur la présentation du titre. Même avec cette
condition, Messieurs, il ne faut pas se dissimuler qu’un certain
nombre de lettres de change, celles qui dans l'état actuel des
choses, se tirent à vue ou à de si courtes échéances qu’il leur
sera facile de se transformer en lettres à vue, pourront bien
emprunter la forme du chèque et se dérober à l’impôt : mais il
semble établi par l’enquête que cette catégorie de lettres de
change est peu nombreuse et n’a pour objet que des sommes
de faible importance ; la perte du Trésor sera donc, il faut l’es
pérer, peu considérable, et dès lors, l’Etat peut l’accepter dans
un intérêt économique qui paraît actuellement supérieur.
3° Le chèque doit être daté, et daté sincèrement.
Si le chèque pouvait être émis sans date ou post-daté, il
serait en vain déclaré payable à vue dans sa formule, il ne le
serait plus en réalité. L’absence de date ou la post-date ayant
ainsi pour effet de faire disparaître la différence principale au
point de vue de l’impôt entre le chèque et la lettre de change,
la pénalité doit naturellement être celle que la loi prononce
DOCUMENTS LÉGISLATIFS
�«
216
loi du
14
juin
1865
lorsque la lettre de change n’a pas été revêtue du timbre au
quel elle est assujettie.
4° Le porteur d’un chèque qui n’en réclame pas le paiement
dans le délai de trois jours ou de cinq jours, suivant que le
chèque est tiré de la place où il est payable ou d’un autre lieu,
perd son recours centre les endosseurs et même contre le ti
reur, si celui-ci avait fait provision.
Cette disposition du projet a un double objet : en premier
lieu elle tend à différencier de plus en plus le chèque de la let
tre de change au point de vue de la perception de l’impôt. En
second lieu elle a pour but, au point de vue des intérêts et des
droits privés, d’empêcher que la négligence du porteur ne pro
longe pas indéfiniment la garantie des endosseurs et ne com
promette la responsabilité du tireur lui-même, dans le cas où
la provision par lui faite viendrait à disparaître par la faillite
du banquier dépositaire. La nécessité d’un court délai pour la
réalisation du chèque s’est fait sentir en Angleterre, comme
elle nous paraît devoir se produire en France. En Angleterre,
la loi veut que le chèque soit réalisé dans un délai raisonnable;
la jurisprudence a fixé ce délai à quarante-huit heures. La
commission spéciale avait proposé des délais de cinq et de huit
jours; le conseil d’Etat a cru devoir les réduire à trois et à cinq.
Le chèque n’est pas destiné à une longue circulation ; l’intérêt
même du porteur est de le réaliser promptement,car tant que le
chèque n’est pas réalisé, c’est au profil du tireur et non au
profit du porteur que courent les intérêts. L’essentiel est de
dégager promptement les endosseurs. Au surplus, le chèque
présenté après le délai n’est pas pour cela caduc, le porteur
perd seulement les garanties spécifiées plus haut.
Tel est, Messieurs, l'ensemble des dispositions par lesquelles
la commission spéciale, le Gouvernement et le conseil d’Etat
ont pensé qu’il serait possible de concilier les faveurs réclamées
au profit des chèques avec les garanties que le Corps législatif
ne voudrait, pas plus que le Gouvernement, enlever au recou-
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
217
vrement de l’impôt. Ces dispositions se composent, ainsi que
nous l’avons dit, de facilités accordées et de précautions prises,
de privilèges importants et de mesures non moins importantes
contre l’abus possible des privilèges ; elles sont connexes entre
elles, et vous reconnaîtrez, nous l’espérons, que, destinées à se
faire mutuellement contre-poids, toutes sont nécessaires, au
moins dans ce qu’elles présentent d'essentiel, k l'équilibre du
budget. Maintenant, Messieurs, quel sera, dans la pratique, le
résultat de la loi? Pouvons-nous nous flatter de voir l'usage
des comptes-courants et des chèques prendre immédiatement
en France l’immense développement qu’il a acquis en Angle
terre ? Les dépositions recueillies par l’enquête ont fait connaî
tre qu’au 30 juin 1863 le montant des fonds déposés en com
tes-courants dans six des principales banques d’Angleterre
dépassait le chiffre de quatorze cent millions de francs. En
France, au 31 décembre 1863, nos cinq principaux établisse
ments de crédit ne réunissaient dans leurs caisses qu’un ensem
ble de dépôts représentant un peu plus de cent vingt et un
millions de francs. Arriverons-nous prochainement à faire dis
paraître cet énorme écart? 11 serait peut-être téméraire d'y
trop compter. Indépendamment de toute disposition législa
tive, il y a entre les mœurs anglaises et les nôtres des différen
ces que le temps seul peut effacer. En Angleterre, presque tout
le monde, commerçant eu non commerçant, a son banquier;
il n’y a pour ainsi dire pas de caisses privées.
Il en résulte que tout débiteur, qui veut se libérer, donne un
chèque sur le banquier qui lui sert de caissier ; le créancier,
qui a lui-même un banquier pour caissier, accepte volontiers
le chèque, qu’il envoie tout de suite à ce banquier pour être
porté au crédit de son compte courant ; enfin l'organisation du
Clearing-House permet d’effectuer chaque jour rapidement et
économiquement la liquidation générale des chèques, qui pres
que tous, arrivent pour ainsi dire naturellement entre les mains
des banquiers faisant partie de cette institution. On comprend
�218
LOI DU
U
JUIN 1865
comment la simplicité de ce mécanisme a dû propager l’usage
des chèques ; mais il repose tout entier sur cette habitude es
sentiellement anglaise de ne pas avoir de caisses privées. En
France, chaque particulier, commerçant ou non, a sa caisse ;
les rapports avec le banquier sont accidentels ; on ne dépose
guère en compte courant que l’excédant de ses besoins prévus;
les chèques émis ont plus fréquemment pour objet d’alimenter
la caisse privée que de faire des paiements aux tiers ; lorsque
un chèque est offert en paiement à un tiers, ce tiers, qui n'a
lui-même ni compte courant ni banquier, préférerait du numé
raire. Dans cette situation, on comprend que la propagation
de l’usage du chèque rencontre d’autres difficultés que celles
qui résultent de la loi fiscale. Est-ce une raison pour découra
ger le législateur? Nullement. Il n’appartient pas sans doute
à l’Etat de violenter les habitudes, de contraindre les mœurs,
ni de suppléer par des prescriptions légales à l’activité privée;
mais son devoir, toutes les fois que cela est possible, est de
faire disparaître les obstacles qui s’opposeraient à la sponta
néité de l'initiative individuelle, et surtout les obstacles qui,
nés de la loi fiscale, peuvent être considérés comme de son fait.
Le chiffre de 121 millions de francs que nous signalions toutà-l’heure comme étant celui des dépôts dans cinq établisse
ments français à la fin de 1863, s’il est peu considérable rela
tivement aux termes de comparaison pris en Angleterre, a ce
pendant en lui-même une certaine importance; il annonce
un mouvement dans les habitudes, une tendance qui promet
de se développer avec le temps; en tout cas, il révèle un besoin
à satisfaire, et la satisfaction de ce besoin est le but du projet
de loi ci-joint que nous avons l’honneur de présenter à votre
approbation.
Le conseiller d’Etat rapporteur,
Victor L
.
Les commissaires du Gouvernement soht : MM. de Lavena y
et Riché, conseillers d’Etat.
(Supplément du Moniteur du 24 février 1865).
de
¥
avenay
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
219
5
°
RAPPORT DE M. ALFRED DARIMON
Au nom de la commission chargée d'examiner le projet de loi
concernant les chèques.
Annexé à la séance du 26 avril 1865 1
«
Messieurs, depuis un an que la question des chèques est à
l’ordre du jour, il s’est répandu dans les esprits une foule de
préjugés, tant sur la nature de cet instrument, nouveau chez
nous, ancien chez nos voisins, que sur les services qu'il est ap
pelé à rendre dans les transactions. On semble avoir oublié
peu à peu le rôle que joue le chèque dans les pays où il est d’un
usage général ; on ne voit plus en lui seulement un moyen
commode de liquidation et de paiement ; on voudrait l ’élever
aux honneurs de la circulation et en faire une sorte de sup
pléant du billet de banque. Il est dans notre lâche de ramener
l’opinion à la vérité en rappelant à ceux qui paraissent l’avoir
oublié, quelle est la véritable fonction du chèque et en traçant
les limites dans lesquelles il se meut habituellement. Pour
cela il serait utile de montrer comment les choses se passent
en Angleterre, où le chèque a en quelque sorte pris naissance
et d’où il a tiré son nom. Mais, avant d’aborder cet ordre
d’idées et défaits, il nous a paru nécessaire de retracer, en
peu de mots, les phases diverses qu’a traversées le projet de loi
actuellement soumis à vos délibérations. Celte façon de procé
der offre un double avantage : en premier lieu, elle prépare
i Cette commission est composée de MM. Seydoux, président ; Maurice
Richard, secrétaire ; Darimon, Pouyer-Quertier fils, Magnin, Douesnel,
Martel, Gros, de Montagnac.
�220
LOI DU
JUIN
14
1865
les moyens de dissiper les erreurs que nous venons de signa
ler; en second lieu, elle permet, en montrant les difficultés
en présence desquelles la commission s’est trouvée placée, de
mieux apprécier la valeur des solutions auxquelles elle a cru
devoir s’arrêter.
I
Au cours de la session de 1864, le Gouvernement, mû par
une pensée de progrès qu’on ne saurait trop approuver, pré
senta au Corps législatif, sous la forme des dispositions addi
tionnelles à la loi de finances de 1865, un projet de loi destiné
à répandre l’usage des ordres de paiements connus sous le
nom de chèques, et à favoriser ainsi le développement des ban
ques de dépôt. La forme naturelle de ces ordres de paiement
est celle du mandat ; c’est la seule qui soit admise là où le chè
que est répandu dans les habitudes. Mais, à cause des exigen
ces de nos lois fiscales, les établissements decrédit qui, depuis
quelques années, cherchaient à vulgariser chez nous l'emploi
de cet instrument, avaient été conduits à adopter la forme men
teuse et incommode du reçu. En effet, s’ils s’étaient servis
pour leurs chèques de la forme du mandat, ils se seraient heur
tés à la loi du 5 juin 1850, qui soumet à un droit de timbre
proportionnel, lequel s’élève à 50 centimes pour 1,000 fr. tous
les effets de commerce, quels qu’ils soient. A la vérité, aux
termes de la loi du 13 brumaire an vu, le reçu au-dessus de
10 francs est lui-même imposé au droit fixe de 50 centimes
pour le plus petit format ; mais, dans l’usage et depuis long
temps, ce droit, à cause de son exorbitance, ne se paye plus,
sauf dans le cas où le reçu arrive à la connaissance du fisc à la
suite d’une contestation judiciaire ou par les voies légales.
Celte substitution du reçu au mandat, outre qu’elle habituait
le public à tourner la loi, était la source d’inconvénients nom
breux qu’il fallait se hâter de faire disparaître, si l'on voulait
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
221
inspirer une confiance entière dans le système de paiement par
chèques.
Le projet de loi proposé accordait la faculté de donner au
chèque la forme du mandat et ne l’assujettissait plus qu’à un
timbre fixe de 10 centimes. Mais en même temps il le soumet
tait à des conditions gênantes : ainsi les chèques-mandats de
vaient être extraits d’un livre à souche préalablement timbré
sur la souche et sur le talon ; ils ne pouvaient être payables
qu’à une personne dénommée ou au porteur ; par une disposi
tion formelle, ils étaient déclarés non négociables par voie
d’endossement.
<:
Dans le sein du Corps législatif comme au dehors, tout en
rendant justice aux intentions bienveillantes qui avaient inspiré
le projet on trouva que, tel qu’il était, il allait précisément
contre son but, et qu’au lieu d’étendre l’usage des chèques, il
devait avoir pour résultat de le restreindre. D’une part, on
considérait comme un singulier expédient de soumettre une
pratiqué nouvelle à une perception d’impôts pour la vulgariser;
d’autre part, les commerçants et les banquiers demandaient
pourquoi on refusait au chèque l’avantage dont il jouit en An
gleterre d’être transmissible par voie d’endos. La commission
du budget s’émut de ces réclamations, et chercha à leur don
ner satisfaction dans une certaine mesure. Elle abaissa à un
centime le droit de timbre sur les chèques, elle accorda qu’ils
pourraient être au porteur ; mais elle maintint les autres clau
ses restrictives, et notamment celle qui interdisait la faculté
d’endossement. Sa décision fut motivée sur celte opinion :
« Qu’admettre le chèque à l’endossement ce serait supprimer
« indirectement l’impôt du timbre sur les lettres de change et
« les billets à ordre. » Cette objection prenait d’autant plus
de force aux yeux de la commission du budget, quelle avait
introduit, dans le projet primitif, un amendement tendant à
débarrasser le chèque de l’obligation d’être payable à présen- .
lation. Il est certain que du moment que le chèque est ainsi à
*
�222
loi du
14
juin
1865
échéance plus ou moins éloignée, il est facile de le substituer
aux titres de crédit et d’éluder la législation qui les rend passi
bles d’un timbre proportionnel. Pourtant la commission du
budget ne put s’empêcher de reconnaître les questions com
plexes que soulevait le développement des chèques et d’en re
commander l’étude à l’attention du Gouvernement.
C’est sur le terrain tracé par la commission du budget que
s’engagea la discussion publique au Corps législatif. Dans cette
discussion, à laquelle prit part notre regretté président M. le
duc de Morny, un certain nombre de députés revendiquèrent
avec énergie pour le chèque le double privilège de la trans
missibilité par voie d’endossement et de l’exonération absolue
de l’impôt. C’est alors que là question fiscale, restée jusque-là
dans l’ombre, se posa en termes nets et précis. Le Gouverne
ment, cela résulte de toutes ses déclarations, ne demandait pas
mieux que d’entourer de faveurs le nouvel instrument, et d’ac
corder toutes les facilités nécessaires à son émission et à sa
transmission ; mais il craignait que le chèque prît la place de
certains effets de commerce, qu’il se substituât notamment aux
traites et aux lettres de change à vue, et qu’il n'en résultât un
préjudice pour les recettes du Trésor. Ceux qui combattaient
le projet déclaraient que c’étaient là des craintes mal fondées
ils démontraient qu’il n’y avait point de confusion possible,
entre le chèque et la lettre de change à vue ; ils insistaient
d’ailleurs sur ce point, que les traites à vue avaient presque
complètement disparu, et que le Trésor ne percevant rien de
ce chef n’avait rien à perdre ; comme dernier argument ils fai
saient valoir les avantagesque le commerce et l’industrie reti
reraient du développement qui serait donné à l’usage des dé
pôts en banque, avantages qu’il serait impossible d’obtenir, si
l'on persistait à soumettre le chèque à des restrictions gênantes.
Dans celle occurence, un honorable député fit remarquer
qu’à côté de la question fiscale se posait une question légale,
et qu’il était nécessaire de fixer les conséquences qu’entraînait
5
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
225
après soi la faculté d’endossement, si elle était accordée au
chèque. On s’aperçut alors que, de part et d’aqlre, on n’a
vait pas mûri suffisamment la question, et qu’il était indis
pensable de l’étudier de nouveau dans son ensemble. On pro
posa l’ajournement. Cet ajournement, auquel consentit le Gou
vernement, fut prononcé par le Corps législatif.
Aussitôt après la clôture de la session, un arrêté de M. le
ministre des finances institua une commission spéciale, chargée
de procéder aux éludes relatives au timbre des chèques. Celle
commission spéciale, placée sous la présidence deM. le minis
tre d’Etat et composée en grande partie des députés qui avaient
soulevé le débat et des représentants du Gouvernement qui
avaient soutenu la discussion, soumit la question à un examen
approfondi. Dans le but de s’entourer des lumières de la pra
tique et de l’expérience, elle procéda à une sorte d’enquête
dans laquelle furent entendus successivement les chefs et les
représentants des principales institutions de crédit de Paris et
de Lyon, plusieurs chefs des grandes maisons de Paris et des
départements,et, enfin, le directeur général de l’administration
de l’enregistrement et des domaines.
Le programme de la commission spéciale était renfermé
dans les limites que lui avait tracées la discussion du Corps
législatif ; il lui fallait tout à la fois donner à l’émission et à la
transmission des chèques toutes les sûretés et toutes les faci
lités possibles, et procurer à la perception de l’impôt sur les
effets de commerce de vraies et sérieuses garanties. C’est en se
plaçant à ce point de vue que la commission rédigea un projet
de loi qui fut envoyé au conseil d’état. Ce projet est, sauf deux
modifications peu importantes, celui que le conseil d’Etat a
présenté au Corps législatif, et qui a été renvoyé à l’examen de
votre commission.
Cette revue rapide des antécédents du projet de loi permet
de préciser nettement le caractère de ses dispositions. Comme
le point de départ du projet est une question fiscale, la préoc-
�cupation de sauvegarder les intérêts du Trésor se reproduit
nécessairement dans la plupart de ses articles, et tient la pre
mière place dans le projet. Mais il serait injuste de mécon
naître les efforts sérieux qui ont été faits pour favoriser le chè
que : les questions légales qu’il soulève dans la pratique ont
toutes été résolues de la façon la plus libérale. Pour les modi
fications que la commission a introduites dans le projet, il lui a
suffi de suivre la ligne qui lui avait été tracée, et les améliora
tions qu’elle a proposées n’ont point altéré, comme on le verra
tout-à-l'heure, le plan primitif.
Mais la commission ne s’est pas trouvée seulement en face du
projet de loi, elle a rencontré devant elle des demandes et des
prétentions qui s’étaient fait jour dans le public, et qui ont eu
leur retentissement jusque dans son sein. Toutes ont pour fon
dement une erreur commune ; elles partent de cette idée, que
le chèque peut devenir un instrument de circulation, une sorte
de monnaie courante, tandis qu’il est et ne peut être qu’un mo
de de paiement, ou bien un moyen de faire passer une somme
du compte d’un particulier au compte d'un autre particulier.
Pour avoir raison de celte confusion entre deux choses distin
ctes, il suffit de lui opposer la pratique. Rappelons donc, après
tant d’autres, à quel usage est employé le chèque dans le pays
où il est le plus répandu, quels services on en retire, à quelles
ingénieuse qombinaisons il a donné naissance, et à quelles rè
gles on a été conduit à le soumettre.
11.
Il existe en Angleterre et en Ecosse, depuis plus d’un siècle,
deux usages qui ont contribué bien certainement dans une
large mesure au puissant développement que l’industrie, le
commerce et l’agriculture ont atteint dans ces deux pays. Le
premier est l’habitude que tout particulier, négociant ou non
�DOCUMENTS
........, LÉGISLATIFS
. ..
- î*
225
négociant, a contracté d’avoir un banquier chez lequel il déposo
les valeurs de toute nature qu’il a reçues dans la journée ; es
pèces, bank-notes, traites ou effets arrivés à échéance, ne gar
dant dans sa caisse ou dans sa poche que les petites sommes
nécessaires îi ses besoins journaliers. Celte habitude est telle
ment enracinée qu’elle s’est en quelque sorte identifiée avec les
convenances sociales. Payer en argent au delà du détroit n’est
pas de bon ton. M. Alphonse Esquiros, dans ses curieuses
études sur la vie anglaise, raconte ce trait caractéristique : Un
boutiquier anglais auquel on demandait un jour quelle était la
différence entre un homme et un gentleman, répondit sans hé
siter, : « Un homme est celui qui vient acheter mes marchan
dises et qui paye argent comptant, un gentleman est celui au
quel je fais crédit et qui me règle tous les six mois par un bon
à toucher chez son banquier (chech). » Avoir un banquier est,
en Angleterre, la condition première de la respectabilité.
L’autre usage, non moins répandu, consiste à prendre domi
cile chez les banquiers pour les billets de commerce que l’on
souscrit. De cette façon, le banquier se charge de payer tous
les effets échus, sans qu’on ail à se préoccuper d'autre chose que
de tenir son compte courant à un chiffre suffisant pour faire
face à tous les besoins.
Ces deux usages, dont l’un est la conséquence naturelle de
l’autre, offrent des avanlages qu’il est superflu de faire ressor
tir. En se dispensant de garder sur soi ce que l’on possède en
numéraire ou en billets de banque, on se débarrasse des dan
gers de vol, d’incendie, de perte dans le transport ou d’er
reurs dans les comptes, et, de plus, des ennuis de compter
sans cesse, d’attendre le paiement, de passer des écritures, de
surveiller des commis et des garçons de caisse. En chargeant
un banquier d’opérer les recouvrements et d’effectuer le paie
ment des traites échues, on s’épargne des frais de caisse et de
caissier, et on est dispensé de tenir une comptabilité plus ou
moins compliquée. En outre, toutes les sommes déposées chez
15
�226
LOI DÜ
14.
JUIN
1865
le banquier ou inscrites au compte d’un particulier n’ont pas
besoin d’être constamment disponibles. Une portion est ordi
nairement confiée au banquier qui l'engage dans des opérations
prudentes et à court terme, et qui paye alors un intérêt plus
ou moins élevé. Plus les dépôts sont abondants, plus sont con
sidérables les sommes qu’on peut ainsi tirer de leur disponibi
lité et consacrer à vivifier le commerce et l’industrie. Un ca
pital énorme est de cette façon arraché à l’inaction, et, en mê
me temps qu’il produit un intérêt au déposant, il contribue à
accroître la richesse générale.
Il ne faut pas croire cependant que le premier venu soit ad
mis, en Angleterre, à avoir un compte-courant chez un ban
quier. Le postulant doit être recommandé par des personnes
honorables et pouvoir donner des renseignements certains sur
sa solvabilité, et, de plus, sur sa moralité. Avant l’ouverture du
compte, le nouveau client est tenu de verser, au minimum,
une somme de 2,500 fr., et de s’engager à rester toujours cré
diteur, par conséquent à ne jamais tirer sur son banquier une
somme plus forte que celle qui repose à son avoir. Ces condi
tions sont rigoureuses ; l’omission de l’une d’elles suffirait pour
que le banquier refusât d’ouvrir ou de maintenir le comptecourant.
Quand on s’est rendu compte de ces mœurs commerciales,
on comprend quel est, dans cette habitude générale des dépôts
en banque, le rôle que remplit le chèque. De temps immémo
rial, quand on avait à faire un règlement au comptant, on dis
posait d’une partie de ses fonds au moyen d’un mandat paya
ble à présentation. C’est ce mandat, dont l'analogue existe en
France dans le reçu de caisse, auquel on a donné le nom de
check, dont nous avons fait le mot chèque. Tout déposant reçoit
de son banquier trois carnets ° le slip-book, livre sur lequel il
inscrit les remises faites au banquier; °le check-book, ou livre
des paiements opérés au moyen des chèques; et 3° le passebook, carnet qui va et vient sans cesse, tenu par le banquier et
1
2
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
227
représentant le débit et le crédit du compte ; c’est, à propre
ment parler, le moyen de contrôler les deux autres livrets. Un
particulier effectue-t-il un dépôt chez son banquier, il le fait
inscrire au slip-book. A-t-il un paiement à faire, il détache un
feuillet du chec-book, après avoir pris soin d’inscrire la somme
sur le talon, et le donne à son créancier. Tous les quatre ou
cinq jours, le mouvement des remises et des chèques est noté
sur le pass-book -, de celte façon, le déposant et le banquier sa
vent toujours à quoi s’en tenir sur leur situation respective.
Le chèque est donc, suivant une heureuse expression, la
maîtresse-pièce des banques de dépôts. C’est lui qui permet
d’avoir constamment à sa disposition les sommes dont on s’est
dessaisi au profit du banquier, c’est autour de lui que pivote
cette ingénieuse combinaison au moyen de laquelle les plus
petits capitaux sont réellement productifs. Mais jamais il n’est
entré dans l’esprit d’un commerçant d’oulre-Manche de faire
du chèque un moyen de circulation et de crédit. Le chèque,
pour un Anglais, c’est de l’argent, et comme tout retard ap
porté dans l’encaissement peut non-seulement assurer un ris
que de non-paiement, mais causer une perte d’intérêt, il se
hâte de remettre les chèques qu’il reçoit à son banquier, qui
en opère le recouvrement et qui en inscrit le montant à son
crédit.
Au reste on se fera une idée plus exacte et plus complète
du véritable rôle du chèque quand on connaîtra la jurispru
dence qui s’est établie à son sujet, et qui, étant admise dans
les usages, peut être considérée comme ayant force de loi. Un
exposé rapide de cette jurisprudence ne saurait, à notre sens,
être déplacé dans un rapport sur une nouvelle législation re
lative aux chèques.
Voyons d’abord dans quelle catégorie de valeurs commer
ciales se range habituellement le chèque. La loi anglaise recon naît deux espèces d’effets ayant le caractère commercial et cor
respondant aux nôtres : la lettre de change [b ill o f e x c h a n g e ),
�et le billet à ordre (promissory note). Il y a peu de différence
entre la législation anglaise et la nôtre, en ce qui concerne le
billet à ordre. Mais, contrairement à ce qui a lieu chez nous,
la lettre de change a deux destinations distinctes dans la loi
commerciale de l'Angleterre. Elle a pour objet, soit les opéra
tions limitées au territoire européen du Royaume-Uni, des Iles
de la Manche, de l’tle de Man et des autres îles adjacentes : elle
s’appelle alors inland-bill (lettre de change pour l’intérieur) ;
soit les opérations dont le domaine est le monde entier, et
dans ce cas elle s’appelle foreign-bill (lettre de change pour
l’étranger). La condition d’une remise d'argent d’une place sur
une autre place n’est pas exigible pour Vinland bill ; un négo
ciant de Londres peut tirer une lettre de change sur un mar
chand de cette ville. Les foreign-bill supposent au contraire
nécessairement une remise d’argent de place en place ; on peut
dire que ce sont là les véritables lettres de change, les seules
dont les caractères concordent avec les caractères nettement
déterminés de la loi française. En effet, à la différence de ce
qui a lieu chez nous, la date n’est pas indispensable à la validité
de Vinland-bill ; il n’est nullement nécessaire que ce titre ex
prime la valeur reçue ; enfin la loi anglaise admet Vinlandbill payable à une personne fictive ou à son ordre, et revêtu
d’un endos en blanc. Une dernière remarque importante à faire
c'est que la lettre de change, quelle que soit sa nature, inland
ou foreign, peut être tirée par procuration et pour le compte
du mandant.
Le chèque étant dans son contexte un ordre à un banquier
de payer une somme d’argent au porteur, est considéré comme
une lettre de change à l’intérieur (inland-bill). A cause de cela
il est soumis à tous les règlements qui fixent les droits et les
responsabilités des parties en ce qui concerne la lettre de chan
ge de cette nature. Depuis l’acte du 24 mai 1858, qui a soumis à
un timbre fixe d’un penny toute traite ou ordre sur un ban
quier pour le paiement d’une somme d’argent au porteur sur
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
229
demande (on demand)\ les distinctions qu’il pouvait y avoir
entre la lettre de change payable h présentation et le chèque
ont entièrement disparu. Ainsi, de même qu’il est inlerdit de
créer un billet de moins de vingt shillings, de même il est dé
fendu de faire un chèque qui n'atteindrait pas cette somme :
la personne qui créerait un chèque de cette nature serait frap
pée d’une pénalité. L’assimilation entre les deux titres, au
point de vue de la loi, est aujourd’hui complète.
Ce sont les usages admis dans l’emploi du chèque qui en
font une valeur essentiellement distincte de l'inland-bill. Ces
usages constituent une sorte de jurisprudence dont les tribu
naux s’écartent rarement.
Voici les principaux :
• Un chèque étant habituellement énoncé «payable sur de
mande » (on demandj, est pour celle raison exempté de la for
malité préalable de l’acceptation. Le banquier doit le payer
tout de suite à la personne qui le présente.
* Un banquier n’est obligé de payer les chèques tirés sur lui
par son client qu’autant qu’il a une provision suffisante pour
les couvrir. Le rigorisme anglais va si loin sur ce point, qu’un
banquier serait en droit de refuser le paiement d’un chèque
dont la provision aurait été faite seulement quelques minutes
avant que le chèque lui eût été présenté. On n’admet pas qu’un
chèque puisse être valablement créé si la provision fait défaut
au moment de sa création.
3’ Le chèque doit être présenté au banquier dans un temps
raisonnable (a reasonable times), et on entend par là le jour qui
suit celui où il a été émis. On a, du reste, une raison puissante
pour ne pas dépasser ce délai, c’est que le banquier peut faire
faillite, et que si on met de la négligence à présenter le chèque
dans l’intervalle, le tireur est considéré comme entièrement
déchargé et dégagé de toute responsabilité. Aussi le porteur qui
peut encourir le risque de la faillite du banquier se hâte-t-il
de poursuivre l’encaissement du chèque. Si donc le chèque
1
2
�circule en différentes mains ce n'est que dans un temps trèscourt, et qui ne dépasse guère quarante-huit heures.
V Un chèque est considéré comme un paiement parfait. Une
personne qui a accepté un chèque en acquittement d’une dette
ne peut réclamer le montant de cette dette, à moins que le chè
que ayant été présenté, le banquier en ait refusé le paiement.
En ce cas le chèque est dit déshonoré (dishonored) . Quand une
dette est payée au moyen d’un chèque, la personne à laquelle
on le rembourse est tenue de signer son nom au dos : cette
précaution est prise afin qu’en cas de contestation le banquier
puisse être appelé en témoignage et montrer que le chèque a
bien réellement passé entre les mains du créancier.
5° Quelques commerçants se sont figurés que le chèque étant
la représentation exacte d’une somme d’argent, pouvait comme
le billet de banque servir au paiement des effets de commerce,
et que les garçons de caisse avaient tort de le refuser. En An
gleterre, le chèque est en effet quelquefois employé à cet usage,
mais avec des restrictions que notre législation sur les effets
de commerce rend inapplicables en France. Un commerçant
anglais est parfaitement admis à offrir un chèque en paiement
d’un effet de commerce échu; mais le porteur de l’effet prend
le chèque et garde l’effet ; il ne rend l’effet acquitté que lorsque
le chèque a été payé par le banquier. Si le porteur alors don
nait le billet avant l’annulation du chèque, il serait considéré
comme s’étant fié entièrement à celui-ci, et il serait privé de
tout recours pour son billet, dans le cas oit le chèque serait im
payé ou déshonoré.
° Si un banquier paie un chèque contrefait (forgedj, c’est
lui qui supporte la perle. On considère qu’il ne peut s’en pren
dre à son client que pour de l’argent délivré sur ses propes
chèques, et qu’un chèque contrefait est en réalité le chèque
d’un étranger. Mais le simple fait d’un endossement qui serait
une fraude ne fait pas rejaillir la perte sur le banquier dans le
cas où celui-ci serait dans l’ignorance de la fraude. Si la con6
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
231
trefaçon du chèque n’était que partielle, le banquier encour
rait la même responsabilité. Le seul cas qui pourrait le déchar
ger serait celui où le client, par sa négligence, aurait fourni
en tirant le chèque un prétexte à la fraude ; par exemple s’il
avait négligé de remplir les blancs d’un chèque imprimé.
7° Les chèques étant habituellement payables au porteur sur
sa demande, il était utile, quand on les expédie par la poste ou
par d'autres voies, de prendre des précautions pour qu’ils ne
tombassent pas entre les mains de personnes auxquelles ils ne
sont pas destinés et qui pourraient, en les présentant, en ob
tenir le paiement. Le moyen qu’on a considéré conmme étant
le plus efficace pour atteindre ce but, ça été d’écrire en travers
du chèque le nom d’un banquier, ou entre deux lignes trans
versales les mots et compagnie ou simplement et C‘. C’est ce
qu’on appelle croiser ou barrer un chèque. Le chèque peut être
croisé (crossed) indifféremment par le tireur ou par un des
porteurs. Quand le chèque porte seulemertles mots et compa
gnie ou et C°, celui qui le reçoit peut y insérer le nom d’un
banquier ou de toute autre personne à qui il désire que le chè
que soit payé, et cette formalité a les mêmes effets que si le
chèque avait été croisé par le tireur.
Un chèque croisé ne peut être payé qu’à un banquier. Si un
chèque a été acquitté dans ces conditions, le banquier sur le
quel il a été tiré non-seulement est déchargé de toute respon
sabilité, mais il est exempt de toute action qui pourrait lui être
intentée par son client dans le cas où une personne supposée
aurait touché l’argent.
Depuis l'acte du 24 mai 1858, qui a confondu la lettre de
change à vue avec le chèque, l’usage s’est répandu d'énoncer à
ordre le chèque qui n’avait ôté jusque-là qu’au porteur. Néan
moins le chèque croisé est encore le plus habituellement usité.
Mais il n’est pas inutile de faire remarquer que le croisement
d’un chèque est un véritable endossement.
° La faveur qui a été accordée aux chèques et aux lettres
8
�de change à vue de n'être soumis qu’à un timbre fixe d'un
penny a conduit le législateur à prendre des précautions contre
la fraude. La principale est celle qui transformerait un inlandbill à vue ou un chèque en lettre de change ou en billet à ter
me par une fausse indication de date. Le fait de postdater soit
un chèque soit un inland-bill à vue, est puni d’une amende
de livres prononcée contre le tireur.
9” Enfin, pour couronner toute cette jurisprudence, il a été
admis que le fait d’émettre de mauvaise foi un chèque sur un
banquier qui n’aurait pas de provision peut être, dans certain
cas qui se rapportent au droit commun, assimilé à l’escroque
rie et puni d’une peine qui peut aller jusqu’à la déportation. Il
n’y a point dans la loi de disposition spéciale ; le juge prononce
d’après les circonstances. On rencontre peu d’exemples de
l’application d’une pénalité aussi sévère. Les mœurs commer
ciales suffisent pour empêcher un commerçant anglais de se
laisser aller à un acte aussi déshonorant.
Quand on voit le chèque aussi favorisé par la législation, et
de plus protégé par des coutumes dont on ne saurait s’écarter
sans nuire à son crédit ou sans forfaire à l’honneur, on com
prend mieux comment l’usage des dépôts en banque s’est gé
néralisé en Angleterre et comment c’est une marque d’honora
bilité commerciale que de régler tous ses paiements sur un
banquier. Cette jurisprudence rigoureuse donne la clef de
l’immense développement qu’ont pris dans ce pays les banques
de dépôts connues au-delà du détroit sous le nom de jointstockbanks. C’est avec une certaine vérité qu’on a pu dire qu’en matière decrédit la Banque d'Angleterre ne joue plus aujourd’
hui le plus grand rôle et que celui-ci appartient aux institu
tions qui déversent sur le commerce et l’industrie les capitaux
réunis au moyen des dépôts L Le chiffre de ces dépôts s’accroît
en effet de jour en jour. « En Ecosse, dit M. Victor Bonnet, en
10 0
i L. Woloski, La question des banques, p. 320, Paris, 1864,
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
235
1845 et 1846, T. Wilson, le célèbre fondateur de VEconomist,
estimait à 90 millions de livres sterling, ou à 750 millions de
francs, les dépôts en comptes courants qui pouvaient exister
dans les diverses banques du pays et dont on faisait usage par
des chèques. En 1857, M. Mac Culloch les évaluait à 50 mil
lions de livres sterling ; ils sont au moins aujourd'hui de 60
millions de livres ou 1 milliard 500 millions de francs. En An
gleterre la somme des dépôts qui atteignait, il y a vingt ans,
à peine
millions de livres, était, il y a quelques années, au
dire de M. Mac Culloch, de
millions de livres ; elle est au
jourd’hui certainement de 250 millions de livres, soit plus de
milliards de francs l. Dans un ouvrage récent, M. L. Wolowski évalue à un milliard 700 millions au moins la masse des
capitaux réunis par la voie des dépôts dans la seule ville de
Londres 2.
On a publié dernièrement les résultats obtenus, pour l’exer
cice de 1863, parles six banques principales qui fonctionnent
à Londres à côté de la Banque d'Angleterre. Voici quel est le
montant de leur capital et le chiffre des dépôts :
10 0
200
6
capital souscrit
versé
dépôts
1 0 0 0 ,0 0 0
15,639,095
1. London and
Westminster. 1. s. 5,000,000 ,
. London
joint-stock . .
3,000,000
600,000
3. Union-banc .
3,000,000
720,000
4. City-bank. .
i 800,000
400,000
5. Bank Of London.................
600,000
300,000
. Alliancebank...............
3,000,000
595,745
1. s. 15,400,000 3,615,745
2
6
14,656,731
16,472,279
3,525,975
4,179,294
2,788,093
56,561,457
1 V. Bonnet, Le crédit et les finances, p. 74. Paris, 1865.
2 Ouvrage précité, p. 370.
�Soit, pour les dépôts, un total de 1 milliard 416 millions
286,676 francs.
L’émission des chèques donne des résultats non moins mer
veilleux. On évalue à 75 milliards environ la spéculation an
nuelle du Royaume-IJni. A cette circulation concourent, sui
vant M. J.-A. Rey i :
Les billets de banque pour 11 milliards environ ;
Les espèces métalliques pour 4 112 milliards ;
Le chèque pour 60 milliards.
On serait tenté de croire à l’exagération d’une pareille statis
tique. Cependant elle se trouve confirmée par des faits authen
tiques. M. Courcelle-Seneuil a publié dans le Journal des Eco
nomistes, numéro d’août 1854, un tableau qui peut être coisidérë comme inspirant toute confiance, puisqu'il est emprunté
à l’enquête de 1858. Ce tableau présente les diverses formes
de paiement dans une maison anglaise de premier ordre st
donne les chiffres du mouvement effectif de valeurs qui avait
eu lieu dans cette maison. R en résulte que sur un million ce
livres sterling, il y a eu :
En lettres de change. . 422,948
En chèques . . . . . . 510,694
En banknotes.............. 45,649
En espèces...................... 20,709 »
Dans ce mouvement, qui comprend les paiements et les
recettes, on voit que les effets de commerce et les chèques ont
une importance de 92 pour cent, tandis que les billets de
banque ne comptent que pour 4 1[2 et les espèces pour deux
pour cent seulement.
Ces faits ont unegrande signification ; ils prouvent que les
chèques ont en quelque sorte chassé le numéraire et les billets
de banque. Est-ce en prenant leur place et en devenant à leur
tour monnaie courante, instrument de circulation ? Non, cer1|2
1 Les crises et le crédit, 1 86 2, p .
96.
�DOCUMENTS LEGISLATIFS
tes ; la jurisprudence et les usages plus puissants qu’elle s’op
posent à ce que les chèques remplissent ce rôle. Comment se
fait-il donc que les chèques aient réduit la monnaie métallique
et ses suppléants à n'occuper qu’un rang infime dans le mouve
ment des valeurs. C’est ici que se place dans son ordre logi
que une des conséquences les plus fécondes de l’habitude des
dépôts en banque, dont le chèque est le plus actif auxiliaire.
Vers 1780, les banquiers de Lombard Street reconnurent
qu’il y aurait pour eux économie de temps et de travail, et en
même temps bénéfice d’intérêts, si, au lieu d’envoyer leurs
garçons de caisse les uns chez les autres, ils se bornaient à
échanger journellement les chèques et les acceptations de leurs
clients. A cet effet ils établirent une chambre de liquidation
[Clearing house) qui leur permettait de compenser entre eux
non-seulement les chèques mais tous les effets de commerce
provenant de leurs clients. Tout se réglait par des virements
de compte. Les soldes vérifiés, contrôlés par des inspecteurs
appointés, se paient en un mandat sur la Banque d’Angleterre.
On liquidait insi chaque jour pour des millions d’affaires sans
manier un seul billet de banque, sans compter une pièce de
monnaie.
Le Clearing house est devenu depuis le complément naturel
des banques de dépôts. C’est grâce au Clearing house qu’on a
pu restreindre de plus en plus l’usage du numéraire, générali
ser l’emploi du chèque et permettre aux banques de dépôts de
faire fructifier les capitaux qui leur étaient confiés. On a dit :
sans chèques il n’y a pas de dépôts ; et réciproquement, il n’y
a pas de dépôts sans chèques ; il n’y a pas de chèques sans
Clearing house, et encore moins de Clearing house sans chè
que. Il y a peut-être un peu d’exagération dans cette énoncia
tion ; mais il est certain que tout le système est lié d’une ma
nière indissoluble.
Les banquiers de Lombard Street, qui avaient pris le nom
■y
fj-l!
�Ainsi ils firent attendre pendant vingt ans à la London West
minster Bank son admission aux avantagés du Clearing house,
et ils repousssaierit absolument les joint stock banks, malgré
l’importance qu'elles avaient prise. Mais, le juin 1854, cette
résistance a élé vaincue, et les joint stock banks ont été reçues
au Clearing house. C’est à dater de cette mesure, complétée
par l’usage de liquider les soldes par l’intermédiaire de la Ban
que d’Angleterre, que cet établissement atteint rapidement
tout son développement et a pu rendre les plus grands servi
ces. On calcule que le montant total des sommes compensées
au Clearing house par les commis de trente et une maisons de
banque qui y sont admises s’élève chaque année à 48 milliards
de francs, et que, pour cet énorme mouvement d’affaires, les
transb rts journaliers des banquiers débiteurs aux banquiers
créditeurs n'ont pas dépassé en moyenne 12,623,000 francs.
Depuis, le 19 avril 1864, la Banque d’Angleterre est entrée
dans le système de la chambre de liquidation de Londres. Cela
ne peut manquer de simplifier encore plus le travail de cet
important établissement, et de donner un nouvel élan au mou
vement des banques de dépôts.
Nous ne décrirons pas ici le mécanisme merveilleux du Clea
ring house de Londres. Outre que nous ne pourrions que nous
livrer à des redites, un tel travail dépasserait de beaucoup les
limites du cadre qui nous est imposé. Nous préférons renvoyer
aux auteurs qui ont traité de cette matière, et notamment à
une brochure récente de M. P.-J Coullet, les Chèques et le
Clearing house, où les faits sont expliqués de la manière la plus
saisissante L Disons seulement que c’est à l’aide de ce système
que l’Angleterre, avec un capital métallique de 1 milliard 500
millions, réalise sans peine, annuellement, une somme d’af8
1 Les chèques et le Clearing house, Paris, Furne et Guillaumin,
4864.
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
257
faires montant à 80 milliards, tandis que nous, en France,
nous n’arrivons qu’au chiffre de 50 milliards, tout en possé
dant cinq à six milliards de numéraire.
III.
Si nous nous sommes étendus aussi longuement sur les ré
sultats produits chez nos voisins d’outre-Manche par l’usage
des chèques et des dépôts en banque, ce n’est pas pour établir
entre l’Angleterre et la France une comparaison qui ne serait
pas à l’avantage de notre pays. Chaque peuple a son génie pro
pre, et si, au point de vue des institutions de crédit, nous mon
trons parfois un excès de prudence et de timidité, nous avons
dans l’industrie et dans l’agriculture des qualités qui ne le cè
dent à nul autre, et qui constituent notre prépondérance à l’é
tranger. Il n’en est pas moins vrai que, par un esprit de natio
nalisme exclusif, nous aurions tort de ne pas profiter des expé
riences qui se font et des progrès qui s’accomplissent chez les
nations avec lesquelles nous entretenons des relations journa
lières. Il en est des institutions de crédit comme des chemins
de fer ; quand un peuple a adopté ce moyen de transport, il est
impossible aux autres peuples de se passer de cet outillage per
fectionné ; bon gré, mal gré, il faut qu’ils se le donnent, sous
peine de voir leur industrie et leur puissance déchoir. L’Angle
terre est en train de se donner les moyens d’économiser de
plus en plus, dans les transactions intérieures, l’usage du nu
méraire ; il est nécessaire que nous la suivions dans celte voie;
c’est pour nous une condition de succès commercial et indus
triel.
On ne peut point dire cependant qu’avant les essais tentés
depuis quelques années, la France ait été complètement dé
pourvue d’établissements de crédit recevant des dépôts ; sans
compter Ja Banque de France, dont le chiffre des comptes
�courants particuliers a parfois dépassé, depuis douze ans,
millions et est rarement descendu au-dessous de
millions,
il y a chez nous, depuis longtemps, une foule de banques pri
vées qui reçoivent des capitaux en dépôts, et qui payent aux
déposants un intérêt plus ou moins élevé. Le comptoir d’es
compte, dont la fondation remonte à 1848, a introduit dans sa
clientèle l'usage des dépôts en comptes-courants : dans le bilan
du 31 janvier 1865, ils figuraient pour une somme de 26 mil
lions 503,348 fr. Le Crédit foncier et le Crédit mobilier se li
vrent depuis longtemps aux mêmes opérations, et les capitaux
qu’ils rendent ainsi à la circulation et au crédit sont assez con
sidérables ; ils se sont élevés, pour le Crédit foncier, à
millions en 1863.
Le chèque n’était point non plus complètement inconnu en
France, avant que certains établissements de crédit cherchas
sent à le vulgariser. Le mandat rouge, que la Banque de
France délivre à ses clients pour opérer les virements d’un
compte à l'autre, et le mandat blanc qui sert au retrait des
fonds déposés à la banque en compte courant, ne sont rien
autre chose que des chèques. Les bons de caisse délivrés par
les banquiers, sont des chèques sous une forme embryonnaire.
Il en est de même des reçus ou récépissés qui servent è certifier
les dépôts et à les retirer au fur et à mesure des besoins. En
fin, le Crédit foncier, le Crédit mobilier et le Comptoir d’es
compte délivrent depuis longtemps aux clients avec lesquels
ils sont en rapport d’affaire des carnets de reçus, qui sont de
véritables chèques, au moyen desquels ces clients opèrent tous
les mouvements de fonds qui se produisent dans leurs comptes
courants.
Il n'y a pas juqu'au Clearing house qui n’ait en France son
analogue, qu'il suffirait d’étendre et de développer pour lui
faire rendre les plus grands services. La Banque de France
remplit, à l'égard de ses succursales et des maisons de banque
avec lesquelles elle est en relation, l'office de chambre de com200
120
222
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
239
pensation et de liquidation. La banque étant le dépositaire à
peu près exclusf du fonds de roulement des maisons qui on t
un compte courant chez elle, paye pour l'une, reçoit pour l’au
tre, au moyen de ses mandats de virement ; de cette façon des
règlements considérables se réduisent à un seul article d’écri
ture intérieur, et se résument à une mention sur le carnet du
négociant ou du banquier. La Banque de France ne se borne
pas à cette liquidation de compte à compte et de client à client;
elle se charge de toute espèce de valeur à échéance; elle de
vient ainsi, à certaines époques, un liquidateur pour un grand
nombre d’affaires, un compensateur pour une certaine quantité
de paiements. En 1864, la Banque de France a fait pour 14
milliards 19,306,700 fr. de virements ; elle a opéré l’encais
sement de 5 milliards 20,753,200 fr. d’effets ; elle a donc
contribué à liquider pour plus de 19 milliards d’affaires.
Une antre liquidation, qui a lieu également par l’intermé
diaire de la Banque de France, et qui se rapproche beaucoup
plus des procédés du Clearing house anglais, c’est celle qui se
fait au profit des agents de change. Un agent de change peut
avoir à lever des titres pour 7 ou millions, et il ne possède
à son compte courant à la Banque qu’un million. Par contre,
il a à livrer 9 millions de titres; son solde est, en définitive
d’un million à son profit. Pour opérer ces levées et ces livrai
sons, il lui faudrait posséder la somme intégrale des paiements
à faire ou bien ne livrer les titres qu’au fur et à mesure des
encaissements résultant de ses livraisons. Dans ces données
une liquidation exigerait un mouvement considérable de nu
méraire, un temps fort long, des démarches fort nombreuses
et un travail de caisse très-compliqué. Pour écarter tous ces
embarras» la chambre syndicale se livre à un premier travail
de compensation entre les titres à lever et les titres à livrer. Ce
travail s’opère au moyen d’un double bordereau que chaque
agent de change soumet à la chambre syndicale et qui indique
tous les titres qui le concernent. Le solde des comptes a lieu
8
�alors par des mandats blancs sur la Banque de France. Le soir,
chaque agent dépose à la Banque son carnet de comptecourant
sur lequel il a inscrit les sommes émises en mandats; il y joint
les mandais qu’il a reçus. La Banque de France fait la compen
sation des soldes, et la liquidation est accomplie sans qu’on ait
eu besoin de faire appel au numéraire.
Ainsi qu’on le voit, nous ne sommes point aussi étrangers
qu'on pourraitlecroire aux procédés des comptes dedépôts, des
chèques, des virements et des compensations. Tous les éléments
du mécanisme qui agit avec une si grande puissance chez d’au
tres peuples existent chez nous ; il suffit pour leur donner plus
de force et pour leur faire produire des résultats plus considé
rables, d’un mouvement d’élan et d’initiative. Déjà nous com
mençons à entrer dans cette voie : un certain nombre d’éta
blissements de crédit se sont formés depuis quelques années
dans le but exclusif de réunir les capitaux éparpillés dans les
caisses, dans les tiroirs, et, comme le disait l’année dernière
M. de Morny, dans les bas de laine, et de les faire servir à fé
conder notre commerce et notre industrie. De louables efforts
sont tentés pour répandre l’usage du chèque, seul moyen d’ac
croître le chiffre des dépôts. Au 31 décembre 1863, la somme
totale des dépôts dans ces établissements s’élevait à
mil
lions. C'est peu de chose en présence des milliards que comp
tent les jont stock banks. Mais nos banques de dépôts sont tou
tes récentes : la plus ancienne date de 1861. Il n’y a point de
témérité à espérer pour elles les succès et la prospérité des
banques de dépôts anglaises.
La plus grande difficulté que rencontrent chez nous ces uti
les institutions, c’est l’habitude invétérée que l’on a en France
de conserver chez soi des sommes et des valeurs inactives.
Cette habitude existe non-seulement chez les simples particu
liers, mais encore chez tous les commerçants et tous les indus
triels. Chacun a son caissier et sa caisse, malgré les pertes de
temps que cela procure, les dangers de vol et d’incendie que
120
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
241
l'on court, et le risque d’infidélités trop fréquentes. On n’a
que peu ou point de rapports avec le banquier, et seulement
au moment des escomptes ou des échéances. Si l’on a un com
pte courant, on n’y dépose que juste l’excédant de ses besoins
prévus. Quant à ceux qui possèdent un compte-courant à la
Banque et qui paient par voie de virements, ils composent une
sorte de classe privilégiée fort restreinte ; c’est en quelque fa
çon l’aristocratie du commerce et de la Banque.
L’année derniere, M. le ministre d’Etat évaluait à 600 mil
lions la masse énorme de numéraire qui était ainsi frappée
d’inertie. D’autres personnes vont plus loin ; elles croient pou
voir évaluer à plus de trois milliards la somme dormante et
inoccupée répartie dans les mains du public pour les besoins
des 38 millions d’habitants de la France.
Les pertes de temps et d’intérêt qui résultent de ce que cha
cun, au lieu de confier son service de caisse à un banquier,
paye lui-même, à son domicile, tous ses engagements, se tra
duiraient par des chiffres non moins considérables. « A cer« tains jours de chaque mois, disait l’année dernière au Sénat,
« M. le comte deGerminy, les hommes préposés à la recette
« de Paris quittent les bureaux (àe la Banque de France), à la
« première heure, emportent plus de
effets de com« merce, vont les encaisser dans 35 ou 40,000 domiciles et
« rentrent à la fin du jour, rapportant à l’administration cen« traie plus de 100 millions, dont 4 ou 5 millions en numéa raire. Voilà ce que c’est qu'une journée, une seule journée
« de la Banque centrale ; voilà le concours que donnent ses
« billets, c’est-à-dire son crédit aux affaires. » Personne ne
met en doute l’ordre et le zèle que la Banque de France met à
effectuer les services si compliqués des recouvrements ; mais
ce qu’on ne saurait nier c’est que si les
effets de com
merce qu’elle est chargée d’encaisser étaient payables chez les
banquiers, les 40,000 domiciles se trouveraient réduits à quel
ques centaines, ce qui constituerait déjà une grande simplifi1 0 0 ,0 0 0
1 0 0 ,0 0 0
16
�242
LOI DU
14
JUIN
1865
cation ; de plus, les débiteurs se trouvant la plupart du temps
créanciers, il leur serait facile de s’entendre pour liquider par
des compensations, comme le font déjà les agents de change.
Non-seulement un temps précieux se trouverait ainsi épargné,
mais on pourrait rendre à la production des capitaux tenus for
cément dans l’inaction.
Contre ces habitudes le législateur est impuissant. Il n’y a
point de prescriptions légales qui puissent suppléer à l’initia
tive privée. On ne peut point forcer les particuliers à déposer
leurs fonds disponibles dans les banques de dépôts ; ce serait le
plus sûr moyen de leur inspirer une défiance légitime. Le seul
rôle qu’un gouvernement sage et prévoyant ait à remplir, c’est
de faire disparaître tous les obstacles qui peuvent s’opposer au
développement de ces utiles établissements. La loi sur les so
ciétés qui est soumise à votre examen aura pour effet d'ouvrir
un champ en quelque sorte illimité à l’esprit de spontanéité ;
elle permettra en outre aux individus de se grouper suivant
des formes nouvelles et de participer ainsi aux avantages mul
tipliés qui résultent de l’union des forces. Il n’est pas impro
bable que les institutions de crédit destinées à répandre l’usage
des dépôts ne rencontrent là des moyens nouveaux de se pro
duire et de se développer. En attendant, la loi sur les chèques
en même temps qu'elle vient en aide aux établissements exis
tants, prépare le terrain pour les établissements futurs.
Quelques personnes frappées de la lenteur avec laquelle se
répandaient en France les banques de dépôts, ont recherché
les moyens de précipiter le mouvement. A leur avis, ce qui em
pêche les particuliers de déposer leurs fonds disponibles dans
les banques, c’est d'abord parce que, par la nature des opéra
tions auxquelles elles sont tenues de se livrer, elles ne peuvent
fournir un intérêt assez élevé ; c’est ensuite parce que le chèque
inspire une certaine défiance, surtout lorsqu’il émane d’une
personne peu connue. Les banques étant obligées d’avoir des
sommes considérables à leur disposition pour faire face aux
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
245
chèques qu’on tire sur elles, ne peuvent engager les fonds qui
leur sont confiés que dans des opérations fort courtes, et com
me le nombre en est très-restreint, elles ne servent aux som
mes déposées qu'un intérêt pour ainsi dire dérisoire, en pré
sence de celui qu’offrent aux capitaux les autres placements.
En ce qui concerne le chèque, tout le monde n’a pas la notoriété
d'un Rothschild : il peut se faire que, si l’on offre un chèque en
paiement, on se le voie refuser et qu’on soit obligé de rempla
cer le carnet de chèque par une bourse bien garnie.
Le remède à cette situation n’a pas coûté beaucoup de frais
d’imagination à ses auteurs. Il est emprunté aux procédés des
anciennes banques de dépôts. C’est le chèque soumis à un visa
préalable. Les premières banques de dépôts, telles qu’elles fu
rent établies à Genève, à Venise, à Amsterdam et à Hambourg,
ne faisaient point usage des chèques ; établies au seul profit des
négociants, elles exécutaient leurs virements de comptes au
moyen d’un autre instrument. En échange des sommes dépo
sées chez elles en monnaie métallique de toute provenance,
elles remettaient des certificats dans lesquels les sommes
étaient exprimées en une monnaie idéale, qu’on appelait à
cause de cela monnaie de banque. Ces certificats passaient de
main en main, exactement comme les waranls des marchandi
ses déposées de nos jours dans les magasins généraux ; ils
étaient préférés à l’argent, et le plus souvent faisaient prime.
Quant à la banque, son rôle se bornait à recevoir des dépôts,
à émettre des certificats et à opérer le virement des sommes
déposées du compte d’un négociant au compte d’un autre négo
ciant. Le chèque soumis à l’acceptation préalable et, comme on
l’a appelé récemment de son véritable nom, le chèque certifié,
n’est pas autre chose que l’instrument connu autrefois sous le
nom de certificat de dépôt. Voici comment on procéderait à
son émission : avant de déliver un chèque, on irait à la Banque
réclamer un visa constatant que la somme énoncée au chèque
existe réellement ; le chèque ainsi revêtu d’un visa prendrait la
�244
LOI DU
14
JUIN
1865
valeur de la monnaie métallique ; il inspirerait une confiance
entière ; il n’y aurait aucune limite à sa circulation ; il devien
drait bien vite le suppléant commode des billets de banque.
Dès lors, la banque des dépôts n’étant plus menacée d’un rem
boursement immédiat, pourrait placer les capitaux qui lui sont
confiés à des échéances plus longues, l’intérêt servi aux dépo
sants ne tarderait pas à s’élever et la quantité de dépôts par
suite à devenir plus considérable.
Nous soulèverons contre cette combinaison une objection
préjudicielle, c’est qu’elle repose sur une fausse idée que l’on
s’est faite de la banque de dépôts et de la nature d’opérations
auxquelles elle se livre. La banque de dépôts n’est point des
tinée, comme on pourrait le penser, à recevoir les capitaux qui
cherchent un placement et qui vont naturellement là où un
i ntérêt plus fort leur est offert ; elle tend à grouper et réunir
tous les capitaux flottants qui sont momentanément sans em
ploi, et les fonds de roulement que les particuliers gardent
habituellement dans leurs tiroirs et dans leurs caisses. Son but
n’est point de commanditer les entreprises ou d’entrer dans
des opérations aléatoires ; la seule fonction qui lui incombe et
qui puisse cadrer avec le genre de travail qui lui est confié,
c’est d’engager les fonds qui lui sont remis dans des opérations
à courts termes, par exemple l’escompte des valeurs de pre
mier ordre et à échéance très-rapprochée.
La banque des dépôts ne doit jamais oublier qu’elle remplit
avant tout un service de caisse et qu’elle doit à ses clients la
disponibilité de leurs fonds. Le paiement d'un intérêt attribué
aux sommes que les particuliers déposent chez elles est sans
doute un appât qu’il ne faut pas absolument négliger ; c’est le
moyen de stimuler le zèle et de triompher do la négligence;
de plus, c’est une rétribution juste pour l’emploi que la banque
est autorisée à faire des capitaux qu’elle détient en compte
courant. Mais là n’est pas l’unique attrait que doive présenter
la banque des dépôts ; la sécurité qu elle promet aux corn-
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
245
merçants, en les dispensant de tous les soucis et de tous les
dangers que leur fait courir le service d’une caisse particulière
et l’économie qu’elle donne en se chargeant des frais de garde,
de comptabilité et de liquidations, sont des vantages qu’il faut
faire entrer en ligne de compte et qui peuvent se chiffrer faci
lement. Aussi, en Angleterre, les capitaux déposés dans les
joint stock banks et dans les banques privées ne sont-ils point
nécessairement productifs d’intérêts ; pour les sommes cons
tamment disponibles, l’usage est de ne point payer d’intérêt
du tout ou du moins de ne payer qu’un intérêt excessivement
minime. S’il en est autrement ailleurs, et notamment en Ecosse,
cela tient à ce que les banques de dépôts sont en même temps
banques d’émissions et banques d’épargnes, et que ce qu'on y
recherche c’est un placement sûr et non une provision per
manente.
La substitution du chèque certifié au chèque ordinaire of
frirait-elle les avantages qu'on en espère ? Nous ne le pensons
pas. Nous ferons remarquer d’abord que le cas où le particu
lier de qui émane le chèque ne serait pas connu de la personne
qui le reçoit sera excessivement rare ; la plupart du temps, le
chèque servira à couronner une opération entre deux person
nes qui sont en relations habituelles d’affaire ; dans ces circon
stances, la précaution du visa préalable ne serait qu’une perte
de temps inutile. Le visa préalable mettra-t-il les commerçants
à l’abri de ce qu’on appelle d’avance le vol au chèque ? Pas le
moins du monde; si un fripon a assez d’audace pour émettre
un chèque sur un banquier chez qui il n’a point de fonds dé
posés, il ne lui en coûtera rien d’imiter le visa du banquier ; ce
ne sera qu’un pas de plus vers un acte criminel. Au lieu de
faciliter l’emploi du chèque, le visa préalable d’acceptation lui
susciterait des entraves gênantes. En effet, du jour où la néces
sité du visa serait admise pour une certaine catégorie de per
sonnes, le visa serait bientôt, au même titre, exigé par tout
négociant recevant un chèque. Que de complications 1 que de
�N
246
loi
DU 14
juin
1865
démarches multipliées 1 L’émission du chèque deviendrait alors
presque impossible.
Si le visa préalable n’offre aucun avantage appréciable, il
présente des inconvénients de plus d'une sorte. En premier
lieu, il tend à dénaturer le chèque ; au lieu de maintenir dans
les limites rationnelles d’un paiement au comptant, il le pousse
à en sortir pour entrer dans le domaine des valeurs de circula'
tion. Le chèque, on l’a répété cent fois, c’est de l’argent; c’est
l’ordre donné à un banquier de payer à un particulier une
somme d’argent qui existe constamment à la disposition du
déposant. A cause de cela il est destiné par sa nature et son
usage à être payé à l’instant, dans le jour même. Les longs dé
lais, en pareille matière ne servent guère qu'à multiplier les
difficultés et à faire naître des procès. Le banquier peut faire
faillite, la provision peut être retirée par une inspiration mau
vaise ou par une erreur de compte. L’intérêt du porteur d'un
chèque est de le recouvrer au plus vite, ne fût-ce que pour
grossir son compte courant. D’ailleurs il ne faut pas qu’il y
ait confusion dans les différentes espèces d’instrument ; autre
chose est le certificat de dépôt constatant qu’une somme d’ar
gent existe chex un banquier, certificat de dépôt qui en se gé
néralisant est devenu le billet de banque, et le chèque don
nant au porteur la faculté de retirer à son profit des fonds dis
ponibles. Il n’y a aucune analogie entre les banques de dépôts
ou joint stock banks actuelles, et les banques de dépôts qui
ont existé du 14* au 18“ siècle; ces dernières étaient des ban
ques de virements plutôt que de véritables banques de dépôts;
les joint stock banks ont un caractère différent et se livrent à
des opérations plus étendues.
Enfin, dans l’intérêt même des banquos de dépôts, il n’est
pas bon d’encourager les moyens de laisser un long intervalle
entre l’émission du chèque et son encaissement ; ce serait leur
inspirer l’idée de sortir de leur rôle et créer un péril dont, en
temps de crise, on ressentirait bientôt les effets. Il ne faut pas
i
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
24-7
que les banques de cette espèce se livrent à des placements à
long terme, et leurs opérations doivent être marquées au coin
d’une excessive prudence. Le visa préalable d’acceptation, en
faisant du chèque un instrument de circulation, leur donne
rait une sécurité trompeuse dont elles ne tarderaient pas à abu
ser. Qu'une crise éclate, et la confiance faisant défaut, les chè
ques certifiés se présenteraient en masse au remboursement;
comme les dépôts seraient engagés à longue échéance, les
banques ne pourraient faire face aux paiements ; les porteurs
de chèque se trouveraient n’avoir plus en main que des chif
fons de papier sans valeur, auxquels il serait impossible de
donner le privilège, accordé parfois au billet de banque, du
cours forcé.
Ce n’est point au moyen de combinaisons factices et plus ou
moins ingénieuses qu’on amènera le public à comprendre les
avantages des dépôts en banque. Il y a là des sentiments mo
raux sur lesquels les règlementations les plus savantes ne peu
vent rien. La nécessité, l’expérience et par dessus tout l’inté
rêt sont, en pareille matière, les incitateurs les plus puissants
et les plus sûrs du progrès. La seule chose utile et ligitime
qu’il y ait à faire, c’est de mettre à la portée des initiatives in
dividuelles les moyens de satisfaire au besoin qui certainement
se développera tôt ou tard. Tel est l’objet du projet de loi dont
il nous reste à vous expliquer les différentes dispositions.
IV
L’Angleterre a, comme la France, soumis les effets de com
merce de toute nature à un droit de timbre proportionnel ;
mais sa législation offre sur la nôtre un avantage, c’est, comme
on l’a vu plus haut, qu’elle établit une distinction entre les
lettres de change de l’intérieur sur l’intérieur et les lettres de
change de l’intérieur sur l’étranger ou de l’étranger sur l'inté-
�rieur. Les inland-bill et les foreign-bill offrent deux catégo
ries de valeurs qui sont soumises à des règles diffl érentes et
qu’il n’est pas possible de confondre.Chez nous, il n’y a qu’une
seule espèce de lettres de change ; le change est la remise de
place en place d’une sonmme d’argent ; quand ce caractère se
rencontre, le litre qui donne lieu à l'opération est une lettre de
chage, qu’elle vienne de l’intérieur ou de l’étranger. A cause
de la distinction qui existe dans la législation anglaise, et aussi
à cause des immunités qu'elle accorde à \'inland-bill, il a été
facile de régler en Angleterre les conditions d’existence du
chèque ; on l’a purement et simplement assimilé à l'inlandbill payable à vue, et pour que cette assimilation fût complète,
quand après cinquante années d’exemption, on a cru devoir
le frapper d’un timbre d’un penny, on a soumis au même droit
la lettre de change à vue. Un stamp commun est affecté aux
deux espèces de valeurs.
En France, il ne nous serait pas possible deprocéder de la
même manière. Pour assimiler le chèque à la lettre de change
à vue, il nous faudrait remanier tout le titre vu du livre 1", et
en partie le titre n du livre IV du Code de commerce. Il avait
paru, l’année dernière, à un certain nombre de personnes, que
c’était là une entreprise facile. Mais, après mûre réflexion, on
s’aperçoit qu’elle est plus compliquée qu’on ne le croit à pre
mière vue, et que d’ailleurs on peut arriver à un résultat utile
et pratique sans avoirs recours à une révision complète de no
tre législation en matière de lettre de change.
Quoique ayant entre eux des caractères communs, on ne
peut point dire en effet que le chèque et la lettre de change à
vue soient absolument une seule et même chose. La lettre de
change crée une obligation, il y a promesse de payer ou de
faire payer par un tiers. Le chèque est un paiement en papier
au lieu de numéraire ; il ne crée rien, il constate seulement
l’existence d’un fonds disponible et indique au dépositaire une
somme à livrer ou un virement de compte à opérer. Il est donc
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
249
facile d’établir les différences qui séparent les deux titres. C’est
là le point auquel la loi s’est plus particulièrement attachée.
Art. 1”'. Pour éviter toute confusion à l’avenir, il a paru utile
à la commission, non-seulement de soumettre le chèque à des
règles particulières, mais encore d’en donner une définition
qui permît aux idées de se fixer. Mais alors plusieurs questions
se sont présentées : le chèque doit-il être uniquement employé
à retirer des sommes déposées en compte-courant ? Ne peut-il
pas se trouver une foule de cas ou des fonds deviennent dis
ponibles, sans qu’il y ait eu un dépôt préalable? le chèque ne
doit jamais se substituer aux valeurs de crédit ; mais ne peutil arriver que, par suite d’une opération de change et d’escom
pte, d’une vente d’immeubles ou d’une remise de marchandi
ses, un particulier ait à sa disposition des sommes qu’il peut
transférer immédiatement à un tiers? Le chèque, en un mot,
doit-il être seulement l’instrument des banques de dépôts, ou
doit-on généraliser son usage et l’employer au retrait de tous
les fonds disponibles, quelle que soit leur origine?
Ces diverses questions ont été résolues par la commission
dans le sens de l’affirmative. Il lui a paru qu’une définition du
chèque restreinte aux seules banques de dépôts serait un obs
tacle à ce que l’usage s’en répandît rapidement. D’ailleurs, les
banques de dépôts elles-mêmes retireront un avantage d’une
définition plus large ; les fonds en compte courant peuvent pro
venir non-seulement des dépôts, mais encore des recouvre
ments et des opérations faites par elles aux lieu et place de
leurs clients.
Le projet de loi laissait la faculté de donner au chèque la
forme, soit du mandat de paiement, soit du récépissé. La com
mission, revenant à l’idée qui avait inspiré le premier projet
de loi soumis au Corps législatif, a cru devoir se borner à la
forme du mandat de paiement. L’option laissée entre le man
dat et le récépissé n’offre, à son avis, aucun avantage et pré
sente divers inconvénients. Le récépissé constitue un mensonge
�250
LOI
DU
14
JUIN
1865
commercial, puisqu’il est émis non après que l’encaissement
est effectué, mais avant même que le tiré connaisse l’ordre de
paiement; il est énoncé au passé quand il s’agit d’un fait futur.
La coexistence dans les usages de deux litres si différents, amè
nerait, en outre, des complications et créerait bien certaine
ment des difficultés. La forme du récépissé ne peut d’ailleurs
s’accorder avec les immunités que le projet de loi accorde au
chèque : comment peut-on faire entrer le nom du bénéficiaire
dans un récépissé? Comment appliquer à ce titre la faculté
d’être transmissible par voie d'endossement? Comment faire
protester en cas de non-paiement ?
Par toutes ces considérations, la commission a cru devoir
s’arrêter à la rédaction suivante :
« Le chèque est l’écrit qui, sous la forme d'un mandat de
paiement, sert au tireur à effectuer le retrait, à son profit ou
au profit d’un tiers, de tout ou partie des fonds portés au cré
dit de son compte chez le tiré et disponibles. »
Cette définition, adoptée par le conseil d’Etat, forme le pre
mier paragraphe de l’article 1".
Le chèque ne peut être tiré qu’à vue. C’est là un point sur
lequel on a insisté le plus fortement dans la discussion qu’a
soulevée au sein du Corps législatif le premier projet de loi.
Les honorables orateurs qui attachaient une importance capitale
à cette clause avaient raison de tout point. Si le chèque était à
un ou plusieurs jours de vue, il serait impossible de le distin
guer du mandat ou de la lettre de change, et le Trésor se ver
rait frustré d’une partie de ses recettes. En imposant au chè
que l’obligation d'être à vue, une pareille confusion n’est pas à
craindre. II ne se fait presque plus de lettres de change à vue,
si ce n’est pour de petites sommes. Quand il s’agit de sommes
considérables on a recours aux lettres de crédit ou aux déléga
tions sur une maison de banque. Mais ce ne sont pas seulement
les intérêts du Trésor qui sont sauvegardés par la clause à vue
ce sont ceux du porteur des chèques. Le chèque est un paie-
�DOCUMENTS LEGISLATIFS
ment ; or, quand on veut faire un paiement il ne suffit pas de
]e promettre. Le chèque à date suppose que les fonds dont on
dispose ne sont pas libres au moment où le chèque est émis. II
rentre alors dans la catégorie des titres de crédits, auxquels
s’attache un certain risque. Ainsi que le faisait remarquer
d’ailleurs l’honorable M. Pouyer-Querlier dans la séance du
25 mai 1864, le chèque doit être considéré comme un moyen
de compensation ; or, comment serait-il possible de compenser
entre eux des chèques qui auraient des échéances différentes !
Le chèque doit être à vue, si l'on veut qu’il remplisse son of
fice, le jour où on établira chez nous une chambre de liquida
tion (Clearing-house).
Non-seulement le chèque peut être soucrit au porteur ou à
une personne dénommée, mais encore il peut être souscrit à or
dre et transmis par voie d'endossement. Cette dernière faculté
répond au vœu qui avait été exprimé dans le sein du Corps lé
gislatif ; elle a d’ailleurs été réclamée par la presque unanimi
té des représentants du commerce et de la banque entendus
par la commission spéciale. Il est inutile d’insister longuement
sur les avantages qu’elle doit produire. Quoique le chèque ne
soit pas destiné à avoir une longue existence et à circuler entre
un grand nombre de mains, il se rencontre des cas fréquents
où l’endos est une condition de sécurité.L’endos permet au bé
néficiaire d’un chèque nominatif de remettre le chèque à son
banquier et de se dispenser ainsi des frais et des pertes de
temps, auxquels il serait assujetti s’il était obligé d’aller luimême réclamer le paiement. L’endos est du reste indispensa
ble pour le chèque émis d’un lieu à un autre et transmis par
la poste de l’expéditeur au destinataire.
Il y a lieu de remarquer qu’en France comme en Angleterre
on avait cherché à suppléer à l’absence d’endos par des moyens
indirects. Quelques maisons de banque ont tenté d’introduire
chez nous l’usage du chèque barré, qui est un véritable endos
sement.
�Le tireur d'un chèque est dispensé d'indiquer la valeur four
nie, et de plus l’endossement peut être en blanc. Des doutes
se sont élevés dans beaucoup d’esprits sur l’utilité de la men
tion de la valeur fournie en ce qui concerne la lettre de change;
du reste, elle n’a d’autre but que de constater le caractère
commercial de l’opération, caractère qui n’accompagne pas
toujours l’émission d’un chèque. Quant à l'endossement en
blanc, il convient mieux à la nature du chèque, qui doit être
avant tout un instrument simple et rapide, et qui ne se propa
gera qu'à la condition d’offrir aux porteurs une sécurité sans
réserve.
Art. 2. Cet article stipule deux des conditions principales
par lesquelles le chèque se distingue de la lettre de change ; la
première, c’est de ne pouvoir être tiré que sur un tiers ayant
provision préalable ; la seconde c’est d’être toujours payable à
présentation.
En ce qui concerne la provision préalable, l’exposé des mo
tifs dit « qu’il faut entendre par ces mots, que la provision
doit exister non-seulement au moment où le chèque sera pré
senté, mais au moment même où il aura été souscrit. » Cette
déclaration est conforme aux vrais principes, et l’on a vu pré
cédemment qu’une interprétation de ce genre est admise par
la jurisprudence anglaise. Cette condition rigoureuse en appa
rence, est l’expression même d’un fait : le chèque, on ne sau
rai trop le répéter, est un moyen de paiement ; l’absence de
provision préalable en ferait un instrument de crédit et lui
ôterait son caractère. Non-seulement elle constituerait une
fraude vis-à-vis du fisc, mais encore une tromperie vis-à-vis
des tiers, qui doivent voir dans le chèqne l’équivalent d’un ca
pital existant. L'obligation d’une provision préalable résulte,
du reste, de la définition que nous avons donnée du chèque.
Cette définition indique en même temps quelle peut être l’ori
gine de cette provision.
Le chèque est payable à présentation. Ce n’est pas seulement
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
2153
l'intérêt fiscal qui a dicté cette condition, c’est encore et sur
tout l’intérêt commercial. Sans doute, le chèque payable à une
échéance plus ou moins éloignée ou à un certain nombre de
jours de vue, s’il était tiré d’un lieu sur un autre, ne différerait
presque plus de la lettre de change, et le produit de l’impôt
du timbre souffrirait, de cette substitution, une diminution
notable. Mais le commerce serait atteint plus vivement que le
Trésor, si le chèque n’était pas déclaré payable à présentation.
Quand un commerçant donne un chèque, il fait un règlement
au comptant, et c’est pour cette raison que son chèque est ac
cepté. Mais si le chèque était à date, le règlement au comptant
se transformerait en un règlement à terme ; peut-être le chèque
serait-il encore accepté, mais alors le tireur serait obligé de
tenir compte du retard de paiement au bénéficiaire, ce qui se
traduirait en une bonification d’intérêts. Conçoit-on, du reste,
le trouble et la perturbation que jetterait dans toutes les rela
tions commerciales ce défaut de disponibilité de tous les capi
taux flottants qui constituent le fonds de roulement de l’indus
trie et du commerce? La somme d’avantages qu’on retire des
dépôts en comptes courants serait surpassée par la masse des
inconvénients, si les chèques n’étaient pas toujours payables à
présentation. Mieux vaudrait alors avoir sa caisse chez soi et
ses fonds constamment sous sa main. Ce serait la mort des ban
ques de dépôts.
Art. 3. « Le chèque peut être tiré d’un lieu sur un autre ou
sur la même place. »
On ne peut qu’applaudir à cette disposition, qui permettra
aux virements et aux compensations de s’accomplir de place
en place, et qui diminuera ainsi la nécessité des transports de
numéraire. On peut se faire une idée de la monnaie métallique
qui voyage, par le tribut payé aux compagnies de chemin de
fer pour transports d’espèces ; ce tribut s’élève à 2 millions,
ce qui représente un capital de trois milliards.
Art. 4. Deux questions avaient été soulevées Tannée der
�nière dans la discussion sur les chèques : le chèque devait-il
être considéré comme un acte de commerce, et les contesta
tions qui naîtraient à son sujet ressortir toujours des tribunaux
consulaires ? La faculté d’endossement si elle était accordée au
chèque, devait-elle entraîner la solidarité du tireur et des en
dosseurs comme cela a lieu en matière de lettres de change?
Ce sont là des questions délicates sans doute ; mais il ne faut
pas s’en exagérer l’importance, et la solution à laquelle se sont
arrêtés la commission spéciale et le conseil d’Etat nous paraît
devoir résoudre toutes ces difficultés.
Au premier abord il semble que, pour empêcher tout con
flit entre les compétences, il soit nécessaire de stipuler que les
contestations relatives aux chèques dirigées contre le tireur ne
seront du ressort du tribunal de commerce que si celui-ci est
un commerçant, Mais en examinant les choses d’un peu plus
près, on voit bien vite que cette disposition augmenterait les
complications. Que déciderait-on, en effet, dans le cas où le
tireur étant non commerçant, le chèque serait endossé par un
ou plusieurs commerçants ? Les mots par sa nature introduits
dans la rédaction du projet enlèvent toutes les équivoques : ils
indiquent nettement que le chèque sera considéré comme un
acte de commerce ou comme un acte de l'état civil, suivant la
qualité des parties et les causes à raison desquelles il aura été
souscrit. La compétence sera réglée par les tribunaux suivant
les règles ordinaires du droit commun. Mais le projet de loi va
plus loin : quoique le chèque émis d’un lieu sur un autre ait le
cachet extérieur d’une lettre de change, il n’est point néan
moins nécessairement assimilé à cette dernière en ce qui con
cerne la compétence. Il eût été difficile, du reste, de faire une
pareille assimilation ; en fait, le chèque tiré d’un lieu sur un
autre servira le plus souvent à liquider des obligations contrac
tées par des particuliers non-commerçants, obligations qui
n’auront aucun caractère commercial dans leurs causes.
Une assimilation plus naturelle est celle qui est relative à la
�I
DOCUMENTS LÉGISLATIFS
253
garantie solidaire du tireur et des endosseurs, au protêt et à
l’exercice de l’action en garantie. Ici, on comprend que les dis
positions du Code de commerce en matière de lettres de chan
ge, reçoivent leur application. Au point de vue économique,
une telle solidarité est nécessaire au succès des chèques et à
leur adoption générale. Le porteur du chèque doit avoir une
sécurité complète : la nécessité de la provision lui garantit que
le tireur ne peut abuser de sa bonne foi ; la solidarité des en
dosseurs lui garantit en outre le paiement de son chèque. Si
l’on repoussait cette solidarité, on aboutirait à des conséquen
ces absurdes. Faudrait-il admettre, dans aucune hypothèse, le
recours du porteur du chèque contre celui qui le lui a remis?
mais en considérant le chèque comme une monnaie, on ne
peut arriver à une conclusion aussi radicale, le porteur d’une
pièce fausse ayant parfaitement un recours contre celui de qui
il la tient. La solidarité est indispensable ; elle résulte de la
nature même des choses.
L’article 162 du Code de commerce dit que « le refus de paie
ment doit être constaté le lendemain du jour de l’échéance, et
que le protêt est fait le jour suivant, si le jour de l’échéance
est un jour férié légal. » Cette procédure a paru renfermer
quelques lenteurs. Les tribunaux s’habitueront sans doute à
considérer les contestations relatives aux chèques comme de
vant être résolues dans le plus bref délai et les rangeront par
mi les sommaires. En attendant, il était bon d'accorder au por.
teur du chèque la faculté de faire constater le refus de paie
ment à l’instant même, afin de lui permettre de se mettre en
règle vis-à-vis du tireur. En conséquence, la commission a
proposé d’ajouter à l’article 4 un troisième paragraphe ainsi
conçu :
« Cependant le protêt pourra suivre immédiatement le refus
de paiement. »
Cette modification a reçu l’assentiment du Conseil d’Etat.
Art. 5. Cet article est le plus important du projet. C est celui
�qui détermine le plus complètement la différence qu’on a voulu
mettre entre le chèque et la lettre de change. Aux termes de
l’article 160 du Code de commerce, le porteur d'une lettre de
change doit, suivant les cas indiqués à cet article, en réclamer
le paiement dans les délais de l’échéance, sous peine de per
dre son recours sur les endosseurs et même sur le tireur, si
celui-ci avait fait provision. On n’a jamais pu songer à accor
der au porteur du chèque des délais aussi longs. Outre qu’ils
lui seraient inutiles, ils changeraient complètement la nature
du chèque, qui n’est pas destiné à une longue circulation.
Deux considérations conduisent à abréger les délais le plus
possible pour la réalisation du chèque : en premier lieu il im
porte que la négligence du porteur ne prolonge pas indéfini
ment la garantie des endosseurs et ne compromette pas la res
ponsabilité du tireur lui-même, ce qui arriverait infailliblement
dans le cas où la provision viendrait à disparaître par suite de
la faillite du banquier ; en second lieu, il ne faut pas qu’en
augmentant la circulation du chèque, on en fasse un instrument
qui le substituerait aux valeurs de crédit. L’intérêt du porteur
est d’accord ici avec celui du fisc ; car, tant que le chèque n’est
pas réalisé, c’est au profit du tireur et non du porteur que
courent les intérêts.
Mais quels doivent être les délais pour la présentation du
chèque? La commission spéciale avait proposé de les fixer à
cinq jours pour le chèque tiré sur la même place et à dix jours
pour le chèque tiré sur un autre lieu ; le conseil d’Etat a cru
devoir le réduire à trois jours et à cinq jours. Votre commis
sion a trouvé que ces délais étaient trop rigoureux. Il peut
se rencontrer des cas où le fait de ne pas présenter un chèque
au bout de trois jours, s’il est émis sur la même place, ne soit
pas le résultat d’un oubli ou d’une négligence ; tel est le cas où
celui à qui il a été remis en paiement demeure à quelque dis
tance, ou bien dans le cas où l’on a été obligé d’avoir recours
à la poste pour le faire parvenir ; tel est encore celui où plu-
�257
sieurs jours fériés se suivent et où on ne peut procéder à l'en
caissement. S’il s’agit d’un chèque tiré d’un lieu sur un autre,
les cas de ce genre se multiplient encore, et, pour mieux dire,
ils varient suivant les temps et les lieux. Par ces motifs, la com
mission a proposé de fixer les délais à cinq jours, y compris le
jour de la date, si le chèque est tiré de la place sur laquelle il
est payable, et à huit jours, y compris également le jour de la
date, si le chèque est tiré d’un autre lieu.
Un membre de la commission a proposé d’ajouter à la fin de
l’article 5 ces mots : sauf les réserves indiquées à l’article 171
du Code de commerce. 11 s’appuyait sur ce que l’article 4 décla
rant que les règles concernant la garantie solidaire du tireur
et des endosseurs en matière de lettre de change sont appli
cables aux chèques, on pouvait croire que l'article 5, en repro
duisant une des déchéances contre le tireur, sans mentionner
les réserves indiquées à l'article 171, avait eu pour but d’écar
ter les dispositions de cet article, ce qui ne serait pas juste. La
commission a adopté cette addition.
Le Conseil d’Etat a consenti aux amendements introduits
dans l’article 5 par la commission.
Art. 0 et 7. Les articles 6 et 7 du projet du Conseil d’Etat
ont trait aux contraventions et aux délits qui peuvent se com
mettre dans l’émission des chèques.
La loi du 5 juin 1850 prononce des amendes contre les per
sonnes qui, en émettant des effets de commerce, cherchent à
se soustraire au paiement du droit de timbre proportionnel.
L’article 6 du projet est l’application des dispositions pénales
de cette loi aux fraudes qui peuvent avoir lieu en matière de
chèques.
Ces fraudes se rangent sous trois chefs distincts :
1* Le chèque est revêtu d'une fausse date ; 2“ le chèque ne
porte point de date ; 3° la provision préalable fait défaut. L’effet
produit par ces fraudes est le même ; elles font disparaîlre la
DOCUMENTS LÉGISLATIFS
17
�différence qui existe, au point.de vue de l’impôt, entre les ef
fets'de commerce et le chèque.
On a vu que la loi anglaise frappe d’une amende considéra
ble le fait d’avoir postdaté un chèque. Il n’y a pas une grande
distance entre ce fait et celui de l’avoir émis sans date. Dans
les deux cas on commet un véritable mensonge au point
de vue du fisc ; comme le dit, avec une grande force d’expres
sion l’exposé des motifs : « Si le chèque pouvait être émis sans
date ou postdaté, il serait en vain déclaré payable à vue dans
sa formule, il ne le serait pas en réalité. » L’analogie conduit à
appliquer, en ces circonstances, la pénalité que la loi prononce
lorsqu’un effet de commerce n’a pas été revêtu du timbre au
quel il est assujetti.
Le projet de loi déclarait.qu’en cas de fausse date, l’amende
devait frapper solidairement le tireur et le premier porteur.
On avait eu évidemment l’intention d’atteindre la connivence
qui pouvait exister entre ces deux personnes. Mais, dans l’ap
plication, cette disposition parut renfermer des difficultés le
plus souvent insurmontables. Comment, en effet, dans la plu
part des cas, découvrir le premier porteur ? Quand le chèque
est au porteur, cela est impossible, puisque le chèque passe de
main en main sans qu’on puisse suivre la filière des porteurs
successifs.
Quand le chèque est à ordre, la découverte de la fraude pa
raît plus facile ; il n’en est rien cependant ; si le premier endos
est en blanc et si plusieurs porteurs se succèdent, comment s’y
prendra-t-on pour trouver le premier porteur ? 11 peut arriver
qu’un chèque au porteur soit transformé en chèque à ordre
par l’un de ses porteurs : est-ce celui-ci qui sera déclaré passi
ble de l’amende? Il n’y a qu’un cas où la connivence puisse
être atteinte sans peine : c’est le cas où le chèque est à une
personne dénommée ; mais si l’on veut commettre une fraude,
on n’ira pas choisir justement la forme où la connivence est la
plus facile à découvrir. D’ailleurs, si l’on veut bien y réfléchir,
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
259
on verra que le véritable coupable est le tireur, puisque c’est
de lui que part l’idée de revêtir un chèque d’une fausse date,
pour se soustraire au timbre qu’il eût dû payer. La commis
sion, par ces motifs, a cru devoir restreindre le paiement de
l'amende au tireur seulement.
Cette modifiation a été acceptée par le conseil d’Elat.
U n m e m b r e d e la c o m m is s io n a p r o p o s é d ’a jo u te r à l’a r tic le
6 le p a r a g r a p h e s u iv a n t :
« En cas de protêt d’un chèque, le tireur devra payer le
droit de timbre proportionnel et sera puni d’une amende de
6 p. 100. Il aura son recours contre le tiré pour le rembourse
ment des frais de protêt, de timbre et d’amende, s’il prouve
qu’il y avait provision. »
Le b u t d e c e tte m o d ific a tio n é ta i t d ’a s s im ile r le c h è q u e i m
p a y é à u n e v a le u r d e c ré d it. L e s e u l fa it d u re fu s d e p a ie m e n t
c o n s titu a it, a u x y e u x d e s o n a u te u r , u n d é fa u t d e p ro v is io n , e t
tr a n s f o r m a i t f o r c é m e n t le c h è q u e e n l e t t r e d e c h a n g e .
Plusieurs objections se sont élevées contre cette rédaction.
Si elle était admise, ce serait punir le tireur de bonne foi ; ce
serait frapper en outre injustement le tiré, s’il arrivait par ha
sard qu’un tiers eût fait opposition sur les fonds existant entre
ses mains. II y a chèque d’ailleurs jusqu’à ce que la preuve soit
acquise par un jugement qu’il n’y avait pas provision. En ce
cas, comme en tant d’autres, il vaut mieux rester dans le droit
commun.
Le défaut de provision ne constitue pas moins une faute pu
nissable ; sans adopter la forme de l’amendement, la commis
sion en a retenu le principe, et, comme on le verra lout-àl’heure, elle lui a donné une place dans la loi.
L’article 7 du projet de loi du Conseil d’Etat est ainsi conçu :
« L’émission du chèque sans provision préalable et le retrait
delà provision après la délivrance du chèqne sont punis, en
cas de mauvaise foi, des peines prononcées par l’article 405
�du Code pénal, sauf l’application, s’il y a lieu, de l’article 463
du même Code. »
Cet article a paru à la commission dangereux et inutile. En
édictant des pénalités sévères contre les délits qui pourraient se
commettre par le moyen de chèques, on a pensé qu’on inspire
rait une plus grande confiance au public dans ce mode de paie
ment. Le porteur du chèque trouverait en effet une certaine
garantie dans cette législation rigoureuse.
Mais à quels dangers alors serait exposé le tireur 1 l’émission
d’un chèque sans provision préalable peut être de sa part le
résultat d’une erreur de compte. Le retrait de la provision,
après la délivrance du chèque, peut provenir d’un simple ou
bli. Un négociant n'aura pas toujours sur lui son carnet de
compte ; s'il crée un chèque dépassant la provision inscrite à
son crédit, ou s’il retire tout ou partie de la provision destinée
à couvrir un chèque, et cela parce que sa mémoire l’aura mal
servi, sera-t-il l’objet de poursuites? Il le faudra bien, car il y
a un fait matériel qui a l’apparence d’un délit. Assurément,
dans la plupart des cas, la procédure n’aura pas de suites.
Mais le seul fait pour un négociant d’avoir eu à obéir à un man
dat de comparution ne constituerait-il pas une atteinte à son
honorabilité commerciale ? Les parquets montreraient en vain
de la discrétion dans ces sortes de recherches ; elles n’en con
stitueraient pas moins des tracasseries intolérables, et pour y
échapper, il est certain qu’un grand nombre de commerçants
renonceraient à faire usage des chèques. La loi aurait ainsi
manqué son but, qui est de développer cet instrument.
A l’unanimité, moins une voix, la commission s’est pronon cée pour la suppression de cet article.
Un membre, que les raisons précédemment exposées n’a
vaient pu convaincre, a proposé alors la rédaction suivante :
« L’émission d’un chèque sans provision préalable et le re
trait de la provision après la délivrance du chèque sont punis,
en cas de mauvaise foi, d’un emprisonnement de trois mois à
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
261
trois ans, sauf l'application, s’il y a lieu, de l’article 463 du
même Code. »
L’objet de cette modification était de bien indiquer que
l’émission d’un chèque sans provision préalable ou le retrait
de la provision après émission, constitue un fait sui generis
qui n’est prévu ni puni par aucune des dispositions du Code
pénal.
La commission a vu dans cette rédaction les mêmes incon
vénients que dans l’article primitif ; elle a donc cru devoir
l’écarter.
Mais elle a tenu à déclarer que les faits délictueux dans les
quels le chèque serait employé pour commettre une escroque
rie étaient punissables, que les pénalités du droit commun leur
étaient applicables, et elle a voulu que cette déclaration fût
consignée dans son rapport, afin qu’en l’absence d’une dispo
sition spéciale il ne pût y avoir le moindre doute sur ce point.
En proposant la suppression de l’article 7, la commission
n'a pas eu davantage l’intention 'd’innocenter le fait d’avoir
émis un chèque sans provision préalable. Mais elle a pensé que
le plus souvent ce fait rentrerait dans la catégorie des simples
contraventions. En conséquence, elle l’a compris dans les frau
des punies par l’article 6. L’émission d’un chèque sans provi
sion préalable sera, comme l’émission d’un chèque sans date
ou revêtu d’une fausse date, punie d’une amende de 6 0|0 du
montant du chèque.
Le Conseil d’Etat a admis la suppression de l’article 7 et a
donné son assentiment à l’amendement qui consiste à frapper
d’une amende de 6 OjO l’émission d'un chèque sans provision
préalable.
Art. 8. Le point de départ du projet avait été, on s’en sou
vient, une question fiscale. L’article 8 et dernier du projet a
pour but de résoudre cette difficulté. La question s’était posée
l'année dernière entre un droit minime et l’exemption absolue.
On objectait contre l’application d’un droit minime que, pour
�procurer une recette insignifiante au Trésor, on occasionnerait
une grande gêne dans les transactions. A l’exemption absolue,
on opposait les principes qui ont dicté la loi du 13 brumaire
an vu ; d’après cette loi, tout papier susceptible de faire foi en
justice d'un engagement ou d’une libération doit être timbré;
il n’y a d’exceptions que pour les actes politiques, les actes
administratifs ou les actes de bienfaisance , or le chèque ne
rentrait dans aucune de ces catégories, et, par conséquent, on
ne pouvait l’exempter sans toucher à la législation sur le tim
bre. La solution k laquelle on s’est arrêté est une transaction ;
au lieu d’une exemption totale et définitive, on a adopté une
exemption totale mais temporaire. On a considéré que le chè
que était encore dans l’enfance ; qu’il cherchait à entrer dans
les habitudes, et qu’il n’était pas, comme le chèque en Angle
terre mûr pour le droit commun. Chez noS voisins, en effet, le
chèque a circulé pendant près d’un demi-siècle avec une com
plète immunité de droit ; c’est depuis 1858 seulement qu’il a
été soumis à un timbre fixe d’un penny.
La commission spéciale avait proposé d’assigner à l’exemp
tion du timbre une durée de dix ans ; le Conseil d'Etat avait
pensé que le terme de cinq années était suffisant, sauf à en ré
férer aux pouvoirs législatifs dans le cas ou, à l’expiration de
ce délai, la situation réclamerait une prorogation.
La commission n’a pas été de cet avis ; suivant elle, le terme
de dix ans est nécessaire pour permettre au système des chè
ques d’acquérir tout son développement. Elle n’a pas cru, du
reste, que ce terme de dix ans dût être considéré comme un
maximum qui ne pourrait pas être dépassé, et elle a proposé
d’ajouter à ce chiffre de dix ans les mots au moins, afin qu’il
n’y eût pas d’équivoque à cet égard.
Le Conseil d’Etat n’a pas admis les mots au moins, tout en
adoptant l’exemption pendant dix ans. La commission n’insiste
pas, dans l’espérance que si, à l’expiration du terme de dix ans,
de nouveaux délais étaient nécessaires pour permettre au sys-
�263
tème des chèques de prendre tout son développement, le Gou
vernement n’hésiterait pas à les accorder.
Un certain nombre de nos honorables collègues ont saisi la
commission de divers amendements. Nous allons les examiner
successivement :
L’honorable M. Morin (de la Drôme) a proposé l'amendement
suivant :
« Le chèque ne peut être tiré que sur un tiers ayant provi
sion préalable : il est payable à présentation. — La provision
résultera soit d’un dépôt de fonds en compte-courant chez un
banquier ou autre commerçant, soit d’une créance reconnue
exigible par le débiteur commerçant ou non commerçant. »
Il nous semble que la définition du chèque que nous avons
placée en tête de l’article 1er de la loi donne une complète sa
tisfaction à cet amendement.
L’honorable M. Dalloz a proposé de rédiger ainsi l’article 5 :
« Le porteur d’un chèque qui n’en réclame pas le paiement
dans le délai de cinq jours, si le chèque est tiré sur la place sur
laquelle il est payable, et dans le délai de huit jours, s’il est
tiré d’un département sur un autre département, et de quinze
jours, s’il est tiré de l’étranger sur Paris ou les départements,
etc. »
Les délais indiqués dans cet amendement ont été adoptés en
partie par la commission. Elle voit du danger à étendre les
délais pour les chèques tirés des départements sur Paris. Quant
aux chèques tirés de l’étranger, il lui a paru qu’ils rentraient
dans la catégorie des lettres de change.
L’honorable M. Millet a présenté plusieurs amendements.
Le premier amendement est relatif à l'article 4, dont il pro
pose de rédiger ainsi le premier paragraphe.
« L’émission d’un chèque, même lorsqu’il est tiré d’un lieu
sur un autre, ne constitue pas un acte de commerce et ne sou
met pas le tireur ou endosseur non négociant à la juridiction
consulaire. »
DOCUMENTS LÉGISLATIFS
�264
LOI DU
14 JUIN 1865
M. Millet a voulu éviter les pertes de temps que pouvait cau
ser l’application de l’article 636 du Code de commerce. La com
mission a pensé, au contraire, qu’il y avait là une complication
plus grande. Le texte du projet offre, du reste, cet avantage
qu’il maintient cette règle que, lorsqu’un endosseur est com
merçant, il entraîne l’affaire devant le tribunal de commerce,
quand même les autres seraient non commerçants. En consé
quence, la commission n’a pas admis l’amendement.
Par un second amendement, M. Millet proposait d’ajouter à
l’article 6 un paragraphe ainsi conçu :
» L’émission d’un chèque sans provision préalable est punie
d’une amende de 12 0|0 contre le tireur. »
Sauf le chiffre de l’amende, qu’elle a abaissé à 6 0|0, la com
mission a adopté cet amendement.
Un troisième amendement de M. Millet propose de rédiger
ainsi l’article 7 :
« Le retrait frauduleux de la provision après la délivrance
du chèque est punie des peines prononcées par l’article 401 du
Code pénal, sauf l’application, s’il y a lieu; de l'article 463 du
même Code. »
Les motifs qu’elle a invoqués pour repousser toute pénalité
spéciale et pour en référer au droit commun, ont déterminé la
commission à écarter cet amendement.
M. Millet, par un quatrième amendement, aurait voulu qu’on
stipulât que :
« En cas de protêt, les chèques fussent soumis au même
droit de timbre et d’enregistrement que les lettres de change.»
Il n’y a pas de doute qu’en cas de protêt le chèque ne doive
être soumis à l’enregistrement : il suit la loi de toutes les piè
ces susceptibles d'être produites en justice. Quand au timbre,
il n’y a aucune raison de le lui faire payer, attendu que c’est
un principe juridique que toute exemption de droit vaut paie
ment de droit, sauf toutefois lorsqu’il sera établi que le protêt
�. DOCUMENTS LÉGISLATIFS
265
a eu lieu par suite du défaut de provision ou de reirait de la
provision.
La commission n’a pu admettre l'amendement.
Enfin les honorables MM. Garnier-Pagès, Ernest Picard, Ju
les Favre, vicomte Lanjuinais, Eugène Pelletan, Glaiz-Bizoin,
Hénon, Carnot, Jules Simon, Paul Bethmont, ont proposé la
suppression de l’article 7. La commission avait pris l’initiative
de cette suppression avant que l’amendement lui fût parvenu ;
par conséquent, il est devenu sans objet.
Outre les auteurs des amendements que nous venons d’énu
mérer, la commission a entendu un certain nombre de per
sonnes placées â la tête d’établissements de crédits qui reçoi
vent des dépôts en comptes-courants. Ces honorables ban
quiers trouvent excessivement rigoureuse l’obligation imposée
au chèque d’être énoncé toujours à vue et d’être payable à pré
sentation. Ils auraient voulu que la loi consacrât la faculté
d’émettre ce qu’ils appellent des chèques â échéance graduée,
et que le délai pour la présentation du chèque fût étendu à
quinze jours au moins. Voici les motifs sur lesquels ils se fon
dent pour réclamer ces immunités :
Suivant eux, aux yeux des personnes qui confient leurs
fonds aux banques de dépôts, la faculté de disposer à tout ins
tant de leur argent est secondaire ; le point capital, c’est de
retirer de leurs capitaux un intérêt élevé. Or cet intérêt ne
peut être élevé, si les caisses de dépôts sont tenues d’avoir des
fonds considérables constamment disponibles pour faire face
aux demandes de paiements à vue. Il faut aussi prévoir les ef
fets désastreux qui résulteraient d’une panique, si les banques
de dépôts étaient mises en demeure de rembourser les dépôts
dans un moment de crise ; les chèques a présentation met
traient alors leur existence en péril. Avec les chèques à éché
ance graduée, les établissements de crédit auraient, comme on
dit, le temps de se retourner, ils pourraient liquider peu à peu
�266
LOI DU H JUIN 1 8 6 6
leurs opérations et faire face ainsi aux demandes d’argent dont
ils seraient l’objet.
Malgré la haute compétence des personnes qui font valoir
ces graves considérations, la commission n’a pas pu donner
suite aux demandes qui lui étaient adressées. Elle h’a pas dû
oublier que le projet soumis à son examen avait pour objet de
protéger les recettes du Trésor tout en favorisant l’intérêt com
mercial. Or le chèque à échéance graduée se confondrait avec
la lettre de change, et la recette de 12 millions que le Trésor
retire du timbre proportionnel se trouverait exposée à une
forte diminution.
Suivant elle, on s’exagère le danger que fait courir aux ban
ques de dépôts l’obligation de payer les chèques à présentation.
Si toute émission de chèque se traduisait en un retrait d’argent,
les craintes seraient fondées ; mais le plus souvent le chèque
donne lieu à un simple virement d’un compte à l’autre. Plus
l’usage du chèque se répandra, moins on aura à redouter, pour
les banques de dépôts, les conséquences des crises, puisque la
plupart des opérations se liquideront par voie de compensation.
Du reste, l’expérience a prononcé : il n’y a pas de pays où les
crises soient plus fréquentes qu’en Angleterre, et bien que les
chèques soient à vue, on ne croit pas que cela ait nui au déve
loppement des banques de dépôts, ni qu’elles en aient éprouvé
quelque ébranlement.
On prétend en outre qu’en Angleterre il y a trois espèces de
chèque : le chèque à vue, le chèque à sept jours ou à dix jours
et le chèque à un mois. C’est là une erreur qu’il importe de
rectifier ; il n’y a, au-delà de la Manche, qu’une seule sorte de
chèque, le chèque à vue ; toutes les autres valeurs rentrent dans
la catégorie des traites ordinaires et paient le timbre propor
tionnel. La vérité, c’est que les banques de dépôts reconnais
sent trois espèces de compte .■ 1° le compte n° 1, donnant peu
ou point d’intérêt, et sur lequel on tire à vue ; 2° le compte
n” 2, donnant un intérêt plus fort et.sur lequel on ne peut dis-
�267
poser qu'à dix ou quinze jours, et enfin le compte n° 3, auquel
on attribue un intérêt élevé et qui n’est disponible qu’à un
mois et même davantage. Par des combinaisons analogues il
est facile aux banques de dépôts de parer aux dangers que peu
vent leur faire courir des paniques exagérées ; mais la loi n’a
rien à y voir : ce sont des arrangements à régler entre les ban
ques et leurs clients.
Il en est do même de celte clause imposée par certains éta
blissements decrédit aux déposants de ne tirer à vue sur leur
caisse que pour une somme ne dépassant pas un certain chif
fre, ou tout au moins da’viser la banque trois, six et même
quinze jours avant l’émission d’un chèque d’un chiffre élevé.
Pour le succès de leurs opérations, les banques peuvent, en
effet, avoir besoin de soumettre leurs clients à des règles de ce
genre. Mais, de même qu’elles trouveraient fort mauvais que la
loi empêchât ces conventions d’un caractère purement privé, de
même elles doivent se résigner à voir la loi s’abstenir à leur
égard de toute faveur inutile.
Avant de terminer ce long travail, nous tenons à repousser
une dernière erreur : c’est celle qui voit dans l’usage généralisé
des chèques la fin de toutes les crises monétaires et financières.
Quand même les faits ne seraient pas là pour contredire cette
erreur, les véritables notions économiques suffiraient pour en
faire justice. En Angleterre et en Amérique, où les chèques
sont répandus dans toules les classes de la société, ils n’ont
jamais arrêté une crise. C’est que, si le chèque économise l’em
ploi du numéraire métallique, il ne saurait jamais y suppléer,
et que, dans les crises, ce ne sont point des chèques que l’on
réclame, c’est de l’argent. Il n’est donc pas vrai que le chèque
et les combinaisons auxquelles il donne lieu résolvent la ques
tion si compliquée de la circulation èt du crédit.
Mais si le chèque ne peut empêcher les crises, il peut beau
coup pour en diminuer l’intensité. Son usage rend plus consi
dérable la masse du numéraire disponible, et permet de faire
DOCUMENTS LÉGISLATIFS
�268
LOI DU i k JUIN 1865
servir ce numéraire à satisfaire des besoins urgents. Aussi,
dans les pays où il est répandu, les crises sont-elles moins pro
fondes et sont-elles plus facilement et plus rapidement répa
rées.
Ces considérations, que l’expérience constate, doivent nous
exciter à ne point négliger un progrès qu’il ne tient qu’à nous
d’accomplir. A ce point de vue le projet de loi qui vous est
soumis, s’il ne satisfait pas toutes les exigences, laisse du moins
le champ libre à toute les initiatives. C’est en ce moment tout
ce que nous avons à réclamer.
Par ces motifs, nous vous proposons l’adoption du projet tel
qu’il a été amendé par la commission d’accord avec le Conseil
d’Etat.
(Supplément du JUonitsur des S, 6, 7 et 10 mai 1865).
6°
RAPPORT SUPPLÉMENTAIRE DE M. DARIMON
Annexé à la séance du 20 mai 1865
Messieurs, je viens au nom de la commission dos chèques,
vous présenter les résultats du travail auquel elle s'est livrée
sur les articles 4, 5 et 6, que vous avez renvoyés à son examen.
A r t . 4. Cet article se terminait par un troisième paragraphe
ainsi conçu :
„
« Cependant le protêt pourra suivre immédiatement le refus
du paiement. »
La commmission n’avait dérogé, en cette circonstance, aux
règles du droit commun que pour environner le chèque d'une
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
269
grande faveur et pour lui attribuer la confiance du public, en
l’assimilant plus complètement à l’argent comptant. II lui pa
raissait d’ailleurs que le protêt immédiat était la conséquence
logique de ces deux conditions essentielles du chèque, d’avoir
une provision préalable et d’être payable à présentation.
La commission conserve ses convictions à cet égard ; mais
en présence des craintes manifestées dans la Chambre, la ma
jorité a consenti à la suppression du troisième paragraphe de
l’article 4.
A rt . 5. La discussion qui a eu lieu à propos de cet article
a porté sur certains points relatifs à la rédaction du deuxièm e
paragraphe. Ce deuxième paragraphe était ainsi conçu :
« Si le porteur n’en réclame pas le paiement dans les délais
indiqués au paragraphe précédent, il perd son recours contre
les endosseurs, et même contre le tireur, dans le cas où celui-ci
aurait fait provision, sauf les réserves indiquées à l’article 171
du Code de commerce. »
Dans l’esprit de la commission, comme du Gouvernement,
de qui cette rédaction émanait en partie, ce paragraphe signi
fiait seulement que, si le porteur d’un chèque laissait passer les
délais, il perdait le recours en garantie qui résultait de son ti
tre. Jamais ni la commission, ni le Conseil d’Etat n’avaiet eu la
pensée que le fait d’avoir négligé de présenter le chèque en
temps utile entraînât pour le porteur une déchéance absolue
et définitive et que celui-ci n’eût plus le droit d’agir par les
voies ordinaires. L’opinion contraire était exprimée en termes
très explicites dans l’exposé des motifs du projet de loi, et si
le rapport de votre commission ne l’avait pas reproduite, c'est
qu’elle jugeait qu’il ne pouvait pas y avoir le moindre doute à
cet égard.
Cependant il a suffi que, dans le Corps législatif, on ait cru
voir que, dans son texte, le paragraphe laissait planer sur ce
point une certaine équivoque pour que la commission se ren
dit aux observations qui étaient présentées et pour qu’elle
�270
LOI
du
14
ju in
18 65
s’associât elle-même â la demande de renvoi. En examinant
avec soin la question, la commission a pensé que le meilleur
moyen de dissiper toutes les obscurités était de se borner à in
diquer le cas où la forclusion absolue était encourue par le por
teur du chèque qui ne l'aurait pas présenté dans les délais lé
gaux. En conséquence, d’accord avec le Conseil d’Etat, elle a
adopté la rédaction suivante :
« Le porteur d'un chèqne qui n’en réclame pas le paiement
dans les délais ci-dessus perd son recours contre les endos
seurs; il perd aussi son recours contre le tireur, si la provision
a péri par le fait du tiré après lesdits délais. »
A r t . 6 . On a fait à cet article différentes critiques portant sur
sa rédaction :
1° Conformément aux observations présentées, la commis
sion a substitué le mot passible au mot puni, qui était dans le
projet du Conseil d’Etat ;
‘S* En soumettant à une amende l’émission d’un chèque sans
provision préalable, la commission n’avait voulu frapper que
la simple contravention fiscale, consistant à déguiser, sous la
forme d’un chèque, une véritable valeur de crédit. Mais il
n’avait pas entendu innocenter le cas où une pareille émission
serait accompagnée de circonstances qui lui donneraient le ca
ractère d’un délit. Quoique le rapport se fût expliqué â cet
égard de la façon la plus claire et la moins équivoque, la com
mission, prenant en considération les observations qui se sont
produites, a introduit un changement dans le texte de l’article.
Voici la nouvelle rédaction qui vous est soumise :
« Le tireur qui émet un chèque sans date ou qui le revêt
d une fausse date est passible d’une amende égale à 6 0|0 de la
somme pour laquelle le chèque est tiré.
a L’émission d’un chèque sans provision préalable est pas
sible de la même amende, sans préjudice de l’application des
lois pénales, s’il y a lieu. »
Plusieurs de nos honorables collègues, usant de la faculté
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
271
que leur confère l’article 66 du décret impérial du 3 février
1861, ont envoyé des amendements à la commission.
L’honorable M. Millet a envoyé trois amendements.
Le premier, portant sur l’article 6, est ainsi conçu :
« L'usage du chèque est subordonné au consentement préa
lable du tiré. Son émission, même d’un lieu sur un autre, ne
constitue pas, par sa nature, un acte de commerce.
« Toutefois, les dispositions du Code commerce, relatives à
la garantie solidaire du tireur et des endosseurs, au protêt et à
l’exercice de l’action en garantie, en matière de lettres de
change, sont applicables au chèque.
« Si le chèque a été indûment émis, le refus motivé de paie
ment, inscrit et signé par le tiré sur le billet au moment de sa
présentation, tiendra lieu de protêt. »
L’idée formulée dans le premier paragraphe de cet amende
ment s’est produite dans le sein du Corps législatif. Un mem
bre a demandé que, si l’on adoptait la faculté de faire suivre
le refus de paiement du chèque d’un protêt immédiat, la loi
déclarât que l’émission d’un chèque serait subordonnée au
consentement préalable du tiré.
La commission a conclu à l’inutilité d’une disposition qui
constituerait un véritable pléonasme légal. La renonciation
que la commission a faite du protêt immédiat en cas de non
paiement du chèque, diminue singulièrement l’importance de
la question ; il y avait entre ces deux choses, la convention
préalable et le protêt immédiat, une parfaite corrélation ; la
seconde condition disparaissant, la première n’a plus de raison
d'être. De plus, l’idée de la convention préalable entre le tireur
et le tiré, qu’on voudrait introduire dans la loi, s’y trouve ex
primée déjà de la façon la plus claire. En effet, aux termes de
l’article 1", le chèque ne peut être tiré que sur des fonds dis
ponibles, et l’article 2 déclare que le chèque doit être exclusi
vement tiré sur un tiers ayant provision préalable. Evidem
ment la disponibilité des fonds ne doit s’entendre que de fonds
�dont on peut disposer, à la suite du consentement du tiré ;
évidemment encore il n’y aurait pas de provision préalable là
où il n'y aurait pas eu de convention préalable.
On a attribué à la commission cette opinion que, par cela
seul qu’une créance serait exigible, on aurait le droit d’en ré
clamer le paiement en tirant un chèque. La commission se doit
à elle-même de repousser une pareille prétention qu’elle n’a
jamais eue, qu’elle n’a jamais pu avoir. A ses yeux, une créance exigible constitue une dette, et non cette provision préalable
qui est le caractère essentiel du chèque. Dans les usages du
commerce, un mandat, une traite, une lettre de change ne peuventêtre valablement lancées qu’autant qu’on a le consentement
du tiré. Si cette condition n’est pas remplie, le tiré a parfaite
ment le droit de refuser de faire honneurs aux valeurs dont on
dispose sur lui, et un refus de paiement, dans ces circonstan
ces, n’enlrafnerait pour lui aucune conséquence fâcheuse. Il
n’en sera pas autrement du chèque. L’émission d’un chèque et
l’absence d’une convention entre le tireur et le tiré sont deux
choses qui s’excluent.
Par ces motifs, la commission n’a pas pu admettre la pre
mière partie de l’amendement de l’honorable M. Millet. Elle a
dû repousser également la seconde partie qui se rattache par
des liens étroits à la première.
Par un second amendement, l’honorable M. Millet a proposé
de rédiger ainsi l’article 5 :
* Le porteur d’un chèque doit en réclamer le paiement dans
le délai de cinq jours, si le chèque est tiré de la place sur la
quelle il est payable, et dans le délai de huit jours s'il est tiré
d'un autre lieu. Ces délais passés, le porteur perd tout recours
contre les endosseurs. Il le perd aussi contre le tireur, à moins
que celui-ci n’ait pas fait provision, ou qu’il n’ait opéré le re
trait de cette provision, ou qu’il n’en ait indirectement profilé
avant ou après l’expiration des délais.
« Le porteur déchu ne conservera d’action que contre le
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
273
tiré, sauf le cas où il pourrait agir contre les endosseurs dans
les termes de l’article 171 du Code de commerce. »
Sur la première partie de l’amendement, il n’y a entre l’ho
norable M. Millet et la commission, qu’une nuance impercep
tible. Si, en cette circonstance, la commission s'est écartée des
termes usités pour indiquer les délais légaux, c'est parce qu'il
s'agissait d’un instrument nouveau, et qu’elle a pensé qu’à
cause de cela il fallait être aussi clair et aussi précis que pos
sible.
De même sur la seconde partie de l’amendement, la com
mission partage l’avis de l’honorable M. Millet, sur les cas où
le porteur conserve son recours soit contre le tireur, soit con
tre les endosseurs. Seulement elle considère que ces cas ren
trent dans le droit commun, et que l’article 4 du projet en dis
cussion les a prévus, puisqu'il déclare que les dispositions du
Gode de commerce relatives à l’exercice de l’action en garan
tie en matière de lettre de change sont applicables aux
chèques.
Le troisième amendement de M. Millet porte sur l’article 6.
Il est ainsi conçu :
« Est passible d’une amende de 6 0|0 du montant de la va
leur souscrite, en outre du paiement du droit de timbre pour
tous les effets négociables ou de commerce :
« 1° Celui qui émet un chèque sans provision disponible
chez le tiré ou sans le consentement préalable de ce dernier;
« 2* le tireur qui, après l’émission d’un chèque, opère le
retrait de sa provision avant l’expiration des délais fixés pour
le paiement ;
« 3° Le tireur qui émet un chèque sans date ou avec une
fausse date. »
Le timbre est dû toutes les fois que l’amende est encourue
pour infraction aux dispositions de la loi ; c’est là un fait inu
tile à énoncer. Quant aux cas énumérés par l’honorable M. Mil
let, s'il en est qui peuvent être admis, il en est qui doivent
18
�être écartés. On ne saurait toujours ranger parmi les simples
contraventions fiscales le fait d'avoir émis un chèque sans le con
sentement préalable du tiré ou celui qui consisterait à retirer
la provision avant l’expiration des délais. Ces faits constituent
non-seulement une contravention fiscale, mais ils peuvent en
outre donner lieu à des poursuites correctionnelles, suivant les
circonstances dans lesquelles ils se produisent.
Au moment où la commission allait clore ses travaux, elle a
reçu trois autres amendements.
Le premier, émané de l’honorable M. Nogent-Saint-Laurens, est ainsi conçu :
Article unique : a Les chèques sont exempts de timbre. »
Un second amendement, envoyé par M. Berryer, porte :
Article unique : « Les mandats délivrés à ordre ou au por
teur, sous forme de récépissés sur les maisons et établisse
ments de banque et de dépôts, ne seront soumis au timbre que
lorsqu’ils seront produits en justice. »
Sans examiner la question de savoir si le règlement autorise
la discussion sur des amendements qui modifient des articles
déjà votés par la Chambre, la commission repousse ces amen
dements par les raisons suivantes :
Le projet de loi n’a pas seulement pour but d’exonérer le
chèque du droit de timbre ; il tend à créer un nouvel instru
ment de liquidation et de paiement ; il fixe les conditions léga
les de son existence ; il indique, en outre, en quoi cet instru
ment diffère des autres valeurs de crédit, en usage aujourd’hui
dans le commerce sous le nom de mandats, lettres de change,
billets à ordre, récépissés, etc.
L’amendement de l’honorable M. Berryer aurait de plus l’in
convénient d’établir un privilège en faveur des établissements
de banque, et en même temps d’arriver, d’une manière indi
recte, à la suppression du droit de timbre proportionnel sur
les effets de commerce.
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
275
Enfin, l’honorable M. Garnier a fait parvenir à la commis
sion l’amendement suivant :
« Remplacer tous les articles en discussion, par la disposi
tion suivante ;
« Les mandats à vue, endossés ou non endossés, sont exempts
de timbre et d’enregistrement.
Ils n’auront droit à celte immunité que lorsqu’ils auront été
présentés au paiement dans le délai de cinq jours, y compris
le jour de la date, si le mandat est tiré de la place sur laquelle
il est payable, et dans le délai de huit jours y compris le jour
de la date, s’il est tiré d’un autre lieu. »
Cet amendement soulève les mêmes difficultés que ceux des
honorables MM. Berryer et Nogent-Saint-Laurent en ce qui
concerne l’application du règlement. Toutefois, la commission
voulant s'éclairer sur la question de l'exemption du droit d’en
registrement, qui est l’objet principal de l’amendement, a prié
le Gouvernement de vouloir bien s’expliquer à cet égard. Voici
la réponse qui nous a été faite :
« En ce qui concerne le timbre, l’administration doit s’abs
tenir, en cas de protêt, de percevoir les droits de timbre et de
soumettre à des amendes tout effet négociable ayant les carac
tères extérieurs du chèque. Ce n’est que lorsqu’un jugement
sera intervenu, qu’il aura établi qu’un effet avait emprunté la
forme du chèque, n’était pas un véritable chèque : ce n'est en
un mot que lorsque le caractère de l’effet aura été juridique
ment déterminé que l’Administration réclamera, lors de l’en
registrement du jugement, le droit de timbre et les amendes.
« Quant au droit d’enregistrement, il n’y a aucun intérêt à ce
que l’immunité en soit prononcée, tandis qu’il est d’utilité pu
blique d’exempter les chèques du droit de timbre. Ce droit, en
effet, pèse sur tous les chèques, tandis que le droit d’enregis
trement n’atteint que les chèques protestés ou produits en
justice.
« Il est vrai que l’exemption d’enregistrement a été habi
�tuellement le corollaire de l'immunité du timbre; mais il n’y
a aucune anomalie à ne qu’il n'en soit pas ainsi. Les deux im
pôts ne procèdent pas des mêmes principes. En matière d’ef
fets négociables, le timbre est un véritable impôt, qui ne con
fère à l’écrit aucun caractère et que les besoins du Trésor seuls
justifient. L'enregistrement, au contraire, ne frappe que les
écrits qui acquièrent baulhenticité par leur annexe à un acte
public ou qui sont produits devant la jus lice. Le droit qui les
atteint peut donc être considéré comme le prix de la protection
de l’Etat et d’un service rendu.
« Il n'apparaît pas d’ailleurs que la perception du droit
d’enregistrement puisse présenter des difficultés quant à l'ap
plication du tarif.
'* Que le chèque soit endessé ou non, il restera toujours un
effet négociable (art. 1" de la loi). Il ne peut donc pas être sou
mis au droit de 1 p. 100 (droit des obligations pures et sim
ples).
« Le chèque ne reste pas non plus une lettre de change,
puisqu’il exige la provision préalable et qu’il ne constitue pas
un acte de commerce. Il ne saurait donc être soumis au tarif
de cetto nature d’effets.
« Le droit qui, dans tous les cas, sera dû pour le chèque pro
testé ou produit en justice sera donc celui de 50 centimes éta
bli par l’article 69, § 2, n° 6 de la loi du 22 frimaire an vu
pour tous les effets négociables. »
(A r t ic le s 4, 5, et 6).
(Nouvelle rédaction adoptée par la Commission et le
Conseil d’Etat J.
A r t . 4. L’émission d’un chèque, même lorsqu’il est tiré
d’un lieu sur un autre, ne constitue pas, par sa nature, un acte
de commerce.
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
277
Toutefois les dispositions du Code de commerce relatives à
la garantie solidaire du tireur et des endosseurs, au protêt et à
l’exercice de l’action en garantie, en matière de lettres de
change, sont applicables aux chèques.
A rt . 5. Le porteur d’un chèque doit en réclamer le paie
ment dans le délai de cinq jours, y compris le jour de la date,
si le chèque est tiré de la place sur laquelle il est payable, et
dans le délai de huit jours, y compris le jour de la date, s’il
est tiré d’un autre lieu.
Le porteur d’un chèque qui n’en réclame pas le paiement
dans les délais ci dessus, perd son recours contre les endos
seurs ; il perd aussi son, recours contre
» le, tireur, si la provision
a péri par le fait du tire, après lesdits delais.
A rt . 6. Le tireur qui ém et un chèque sans date, ou qui le
revêt d’une fausse date, est passible d’une am ende égale à 6
pour 100 de la somme pour laquelle le chèque est tiré.
L’émission d’un chèque sans provision préalable est passible
de la même amende, sans préjudice de l’application des lois
pénales s’il y a lieu.
(Supplément du Moniteur du 4 juin 1865)
RAPPORT DE M. LE COMTE DE GERMINY
(Fait au Sénat le 9 juin 1865)
M.
G
, rapporteur. — Messieurs les Sé
nateurs, la loi sur les chèques, que le Corps législatif a votée
dans sa séance du 23 mai dernier, est-elle en quoi que ce soit
contraire à la constitution? Votre commission n’a, au point de
le
com te
de
e r m in y
�vue constitutionnel, aucun reproche à lui faire; il n’y a donc
pas lieu de s’opposer à sa promulgation ; nous vous demande
rons de le déclarer. Mais, en sa qualité de moyen de crédit, si
ce n’est tout à fait nouveau, du moins peu pratiqué en France,
sous le nom de chèque, nous avons pensé qu’il vous convien
drait de ne pas adhérer aux dispositions destinées à en régle
menter l’usage, sans appréciation de l’idée en elle-même et de
ses conséquences possibles. Reconnaissons, dès à présent,
d’une part, que si le chèque peut devenir l’origine de questions
contentieuses, la loi rendra des services et contribuera à fixer
la jurisprudence. D’autre part, apercevons aussi que les rap
ports très-étudiés dont elle a été l’objet ont donné une notorié
té jusqu’alors restée dans l'ombre à l’intéressant procédé qu’il
s’agit de populariser.
On a pu dire que la loi était superflue; que le chèque irait
bien seul et de soi, pourvu qu’il fût exempt de timbre, payable
à vue et valable, comme en Agleterre, pendant quarante-huit
heures seulement. Nous n’avons ni à combattre, ni à partager
cette manière de voir. Ce que nous savons, c’est que, jusqu’à
présent, les chèques ne nous étaient apparus que de loin ; nous
avions entendu vanter leurs avantages, mais il restait assez dif
ficile de juger s’ils seraient pour la France en particulier d’une
utilité réelle.
Le Gouvernement et le Corps législatif nous les présentent
aujourd’hui entourés de renseignements attrayants et précis ;
et le Sénat, quoiqu’il n’ait aucun droit d’amender la loi, peut
encore ajouter au bienfait de ses dispositions, car, lorsque vous
donnez les raisons d’un témoignage favorable, messieurs les
Sénateurs, les populations le remarquent, elles ont foi dans ce
que vous approuvez. Or, si elles apprennent que pour le bien
des affaires vous avez souhaité le développement des institu
tions qui ont ailleurs donné aux chèques le renom qu'ils ont
acquis, elles en adopteront l’usage plus promptement.
Nous allons essayer par des considérations et quelques chif-
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
279
fres, non de justifier la loi, qui ne peut être discutée dans cette
enceinte, mais de montrer qu’elle est opportune, et dans quel
les circonstances elle deviendra utile.
Et d'abord, rappelons qu’en peu d’années notre pays a subi
de grandes modifications commerciales, et qu’une activité inu
sitée dans les affaires et les entreprises a produit un mouve
ment extraordinaire, on pourrait dire une immense consom
mation de numéraire et decrédit ; cette vérité a frappé tous les
yeux et a préoccupé bien des intelligences d’élite.
Comment maintenir les instruments de travail, l’argent et le
crédit, au niveau de l’impulsion donnée? Car, malgré des avis
très-sages d’entreprendre un peu moins, l’ardeur n’a pas cessé
d’être vive, et beaucoup de publicistes, les uns dignes par leur
science d’être lus et médités, les autres moins pratiques, ont
donné le jour à de nombreux systèmes.
Que de fois n’a-t-on pas répété que l’or et le crédit, le pre
mier dans sa quotité, le second dans son organisation, n’étaient
plus que des voies et moyens au-dessôus de leur tâche! Que
de fois n’a-t-on pas écrit qu’il était urgent d’imaginer quelque
chose ! Et chacun alors d’inventer et d’avoir qui une idée, qui
un projet. Celui de modérer les entreprises s’est produit sans
doute, nous venons de le dire ; il semble avoir fait quelques
progrès ; mais il a moins de popularité que l’action, et cela se
comprend : l’action a réalisé de si remarquables choses depuis
quatorze ans 1 Les théories ont donc abondé ; en est-il beau
coup qui survivront au jour qui les a vues naître ? Espérons le
contraire, tant il y en a d’étranges.
Quoi qu’il en soit, nous n’hésitons ni à dire, ni à croire, que
le chèque sera, lui, une heureuse exception ; seulement, jouerat-il de suite, en France le rôle important qu’il a en Angle
terre? En le souhaitant sincèrement, il nous semble utile de
remarquer pourquoi ce peut être une question. Il faut tenir
compte des habitudes commerciales des deux nations, de la
différence de richesse métallique des deux pays; il faut se sou-
�280
loi du
14
juin
1868
venir, par exemple, que la France possède pour cinq ou six
milliards de num éraire, et qu’ elle tient à conserver ce trésor
avec sollicitude. Si elle pouvait penser que le chèque serait un
moyen de substituer une valeur en papier au n u m éraire, elle
ne l’accepterait qu’avec une extrêm e réserve : elle anrail le
sentim ent que cet instrum ent de paiement et de com pensation
lui est moins nécessaire qu'à l’A ngleterre, qui passe pour n’a
voir que 1 milliard 500 millions de métaux précieux.
11 est aisé de comprendre que le peuple anglais a dû s’appli
quer à organiser des formes de crédit suppléant à l’or et à l’ar
gent; et malgré tout le parti qu’il tire de ces formes, la ques
tion de savoir si elles nous sont aussi nécessaire, si nous ne de
vons pas nous estimer heureux d’en avoir moins de besoin, ne
sera pas chez nous résoluo sans réflexions. Elle le sera cependant, nous le croyons du moins, dans le sens de l’adoption des
chèques, car il y a place pour eux, si nous savons les employer
sans leur permettre de nous faire oublier qu’ils doivent servir
d’appoint, rien de plus à notre circulation métallique toujours
digne de nos préférences. Ce n'est pas de nos jours seulement
qu’on a l’habitude de rendre hommage au numéraire et de le
tenir en honneur. Un grand génie, il y a quatre siècles de cela,
qui ne regardait pas avec moins de science et de rectitude
d’esprit sur la terre que dans les astres, Copernic, a dit quel
que part, et nous aimons ce propos, que les pays qui ont de la
bonne monnaie fleurissent, tandis que ceux qui n’en ont que
de la mauvaise tombent en décadence et dépérissent; la bonne
monnaie, c’est la nôtre. C’est nos cinq ou six milliards de nu
méraire.
D’ailleurs, en somm es-nous aussi dépourvus qu'on veut bien
le supposer de ces formes exceptionnelles pour faire, à défaut
de métaux précieux, le service de nos affaires!
Nous n’avons pas depuis longtemps le mot, mais nous avons
depuis longtemps la chose. Les mandats rouges et les mandats
blancs que la Banque de France réunit en carnets et met aux
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
281
mains des banquiers, des commerçants, de ses créanciers en
compte-courant, ne s’appellent pas des chèques, mais équiva
lent ; ils ne servent pas moins à payer à vue, à solder des com
ptes par compensation, que des chèques, dont les Anglais font
usage ; or, durant l’exercice de 1864, des affaires à la Banque,
et de la Banque aux affaires, ces mandats rouges et blancs ont
été les intermédiaires d'un mouvement dont le total accusé par
les livres de service s'élève à 14 ou 15 milliards.
Le Crédit foncier, le Comptoir d’escompte, le Crédit indus
triel, le Crédit mobilier, la Société générale, le Comptoir Donon, quelques banques de dépôt, presque toutes les maisons
de banque, mettent à la disposition de leurs correspondants
des reçus reliés aussi en carnet, faciles è détacher successive
ment, et qui font à merveille et très-rapidement l’office du check
anglais. A eux seuls le Crédit foncier et le Crédit agricole, qui
on le sait, opèrent sous les auspices du même conseil d’admi
nistration et sous le même toit, ont satisfait depuis quinze
mois par le même procédé à un mouvement de va-et-vient de
dépôts qui ne s’est pas élevé à moins de 363 millions ; le solde
disponible de leurs dépôts, en compte-courant, est à l’heure où
nous écrivons ces lignes de 93 millions.
Il ne faudrait donc pas croire, messieurs les Sénateurs, que
la loi qui vous est présentée a importé le moyen, puisqu’il
nous appartient déjk sous d’autres dénominations ; mais nos
ingénieux voisins ont une manière de s’en servir, d’en tirer
parti, par les soins d’institutions si puissantes et si actives, qu’à
la condition de ne jamais perdre de vue le sentiment de notre
supériorité en métaux, et de retenir religieusement cette ri
chesse, il est tout simple que nous ayons été nous inspirer de
leur expérience, afin de ne rien négliger de ce qui peut gran
dir la fortune de la France et en faciliter l’emploi.
Nous avions l’honneur de vous dire, à l'instant, que par vo
tre appréciation de la loi et de ses dispositions, vous la popula
riseriez et la feriez goûter du public ; elle est courte, simple-
�)
282
LOI du
U
JUIN
1865
ment rédigée ; permettez-nous de rappeler les termes de son
premier article seulement. Il exprime à lui seul toute l’écono
mie du système :
A rt . 1". Le chèque est l’écrit qui, sous la forme d’un man
dat de paiement, sert au tireur à effectuer le retrait, à son pro
fit ou au profit d’un tiers, de tout ou partie des fonds portés
au crédit de son compte chez le tiré et disponibles.
« il est signé par le tireur et porte la date du jour où il est
tiré.
« Il ne peut être tiré qu’à vue.
« II peut être souscrit au porteur ou au profit d’une person
ne dénommée.
« Il peut être souscrit à ordre et transmis même par voie
d'endossement en blanc. »
Vous le voyez, messieurs les Sénateurs, telles sont les pre
mières et les principales dispositions de cette loi ; vous avez
entendu comment elle définit le chèque : un écrit sous forme
de mandat.
Ajoutons qu’en cette qualité, il est, comme nous l’avons
déjà dit, un instrument de paiement et de liquidation, d’une
extrême simplicité, ce qui n’est pas son moindre mérite.
Mais quel sera l’effet de cet instrument, lorsque nous l’au
rons adapté à nos habitudes autant que le peuple anglais?
Si nous devons prévoir qu’il tirera de leur oisiveté quelques
métaux immobiles ou improductifs, faut-il en conclure que nous
devons avoir moins de souci de l’ardeur des entreprises, que
tout sera pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles?
que nous aurons une fortune nouvelle et inépuisable? Cela ne
peut être vrai que jusqu’à un certain point, et sous réserve des
réflexions qui vont suivre. Lorsque un chèque intervient com
me i nstrument de paiement, vous avez vu qu’une provision de
fonds disponibles doit être sans cesse à sa disposition et l’at
tendre ; il a le droit pourjse faire payer, de vouloir des espèces,
car, Dieu merci 1 le cours forcé est loin de nous, alors le nu-
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
283
méraire est toujours indispensable ; mais si le chèque agit par
voie de compensation, comme le mandat rouge, dit de vire
ment, de la Banque de France, qui sert à passer une somme
d’un compte à un autre compte, c’est autre chose.
Alors, il devient un moyen de règlement entre le marchand
et le consommateur, entre le manufacturier et l’ouvrier, entre
négociants de toute espèce, et tandis qu’il joue ce rôle, les dé
pôts d’or et d'argent qui sont le point de départ du droit qu’on
a de tirer un chèque, et de compenser par son intervention ces
dépôts, sont prêts dans une certaine mesure, à recevoir une
autre destination ; en observant cela il devient évident qu’ils
peuvent, si ce n’est doubler, il y aurait imprudence alors, mais
accroître les moyens d’entreprendre et de travailler. Voilà ce
qu’elle peut être, cette fortune nouvelle.
C’est ainsi que dans un pays, sinon pauvre, il s’en faut de
beaucoup quand il s’agit de l’Angleterre, mais moins riche que
le nôtre en numéraire, le chèque a un mérite réel et incontesté.
Instrument de paiement, si l’on considère qu’il est remboursa
ble à vue en espèces, il est une valeur analogue au billet de
banque. Instrument de compensation, il prend la place du nu
méraire, et alors le crédit de ceux qui l’emploient doit être
l’objet d’une vigilance constante et spéciale. En Angleterre, le
premier venu n’est pas admissible, avec un chèque à ce comp
toir de compensation. Il faut être le mandataire d’une banque
respectable et présenter des garanties.
Pourquoi encore inclinons-nous à croire qu’en France l’usage
du chèque ne sera pas pratiqué sans hésitation ? Parce que
nous avons des habitudes dont nous nous départirons diffici
lement. Ce n’est pas sans raison et sans respect pour des saines
traditions que les populations stipulent, dans la plupart de
leurs baux, l’obligation d’en payer le prix principal en espè
ces sonnantes d’or et d’argent et non autrement ; et comme on
dit que l’homme a l’instinct de sa conservation, on peut dire
que le peuple français a l’instinct national de la conservation
�284
LOI PÜ
14
JUIN
1865
du numéraire. Ajoutons que, depuis qu'il y a plus d’or que
d’argent dans la circulation ^autrefois c’était le contraire), on
n’a pas même pour s’en servir moins le prétexte de l’incom
modité, et souvenons-nous que pour payer les soldes débiteurs
de nos relalions internationales on ne peut se passer d’es
pèces.
On peut donc croire que les chèques sont pour nous une
question de mesure et de temps. Qu’ils soient les bien-venus,
lorsqu’ils nous arrivent sous les auspices d’une bonne loi et
d’une savanle discussion au Corps législatif.
Nous en usons déjà sous des formes propres à notre nation ;
je l'ai prouvé tout-à-l'heure par des chiffres décisifs.
Maintenant, si le Sénat le permet, et si nous ne nous impo
sons pas trop à son attention, nous lui ferons en peu de mots
faire connaissance avec les institutions anglaises, qui, par
l’emploi des chèques, attirent des capitaux dont l’importance
ne concourrait pas sans elle à l’activité des affaires, et nous
précéderons nos renseignements de quelques réflexions géné
rales, exprimées dans des termes d’autant plus dignes d’être
signalés qu’ils ne sont pas de nous, mais du secrétaire distingué
de la commission d’enquête dans laquelle a été préparée la
loi soumise aujourd’hui à votre sanction.
Les voici ces réflexions, telles que M. le ministre d’E tat qui
présidait la commission les a agréées et en a ordonné la com
munication à son honorable collègue, M. le ministre des
finances.
« S’il est, en économie politique, un principe élémentaire,
et dans la pratique une règle vulgaire, c’est assurément qu’un
capital quelconque, disponible entre les mains de celui qui en
est propriétaire, ne dégage pour ainsi dire sa valeur intrinsè
que qu'autant qu’on l’applique à un emploi productif.
a La thésaurisation est le préjugé d’un peuple arriéré, ou une
nécessité imposée à une nation troublée par la guerre, ou in
quiétée par l’anarchie ; aussitôt que des conditions d’ordre, de
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS .
28S
sécurité, de progrès, se manifestent, celui qui possède un capi
tal cherche à le faire fructifier, en l'immobilisant soit dans des
acquisitions territoriales, soit en l’engageant dans des entre
prises industrielles ou commerciales ; plus tard, il le place en
valeurs mobilières, ou le confie à des maisons de banque ; en
un mot, au lieu de le conserver inactif, il le livre à la circula
tion afin de bénéficier de l’intérêt.
« On sait combien tous ces genres de placements sont répan
dus aujourd'hui ; mais il est un progrès auquel on n'est arrivé
que récemment.
« Si de tout temps, pour ainsi dire, on avait cherché à tirer
parti des fonds qui pouvaient être engagés pour une longue
durée, on regardait comme une nécessité et même comme un
acte de prudence de conserver tous ceux qui devraient être
nécessaires prochainement, pour servir de fond de roulement
ou pour payer les dépenses courantes ; dans chaque maison,
dans chaque boutique, on conservait ainsi une certaine somme,
moins pour l’employer immédiatement que parce que l’on
voulait être assuré de l’avoir.
a Toutes ces réserves, dont le chiffre est minime si l’on con
sidère isolément chaque fraction, énormes si on les suppose
accumulées, restaient ainsi stériles. Par une combinaison ingé
nieuse on a résolu le problème, qui consistait à rendre cette
masse de numéraire productive, sans qu’elle cessât pour cela
de rester disponible. C’est là l’office des banques de dépôts et
particulièrement de celles qu’on a appelées, en Angleterre,
Joint-Stock-Banks. Elles servent un intérêt à l’argent, un in
térêt minime, parfois aussi n’en servent aucun, mais le ren
dent â l’instant s’il est demandé. Qr, le mécanisme ingénieux
qui facilite cette restitution, en ménageant le temps et les pas
de chacun, c’est le chèque, tel que le définit la loi qui vous
occupe. »
Le Sénat comprend de suite ce que peut être la mission
d’une banque de dépôt et son utilité ; mais ne comprend
11
�pas moins quelle doit être la scrupuleuse modération avec la
quelle cette banque doit employer l’argent qu’on lui confie,
car elle en doit le remboursement à vue ; et si, par la force
naturelle des choses qui permet aux versements d’être sans
cesse un peu plus abondants que les retraits, une part de nu
méraire reste disponible, la différence disponible ne doit pas
être immobilisée ou risquée dans des affaires aléatoises. C’est
un dépôt sacré qu'on peut faire valoir, s’il y a sécurité, mais ja
mais compromettre ou engager à trop long terme.
Les devoirs d’une banque de dépôt sont donc aussi impé
rieux que délicats ; il est important de formuler sévèrement les
statuts qu’on lui octroie, et le respect qu’elle doit avoir pour
ces statuts doit grandir avec son crédit.
Il y a un bon conseil à donner en passant à ceux qui, ayant
des capitaux oisifs, iront les déposer à ces banques : ce con
seil, il doit être selon nous, d’accorder la préférence de leur
confiance aux établissements qui servent l’intérêt le moins
élevé, car il tombe sous les sens qu’il est impossible de garder
en caisse, et toujours disponible, un capital qui obligerait à un
lourd sacrifice celui qui le garde, lorsqu’à chaque heure il peut
être redemandé et par conséquent rendu à tout ayant droit.
Les banques de dépôts bien dirigées sont donc utiles à plu
sieurs points de vue : d’une part, par la sécurité qu'elles don
nent, si elles la donnent, aux capitaux qu’on leur confie; de
l’autre, par l’emploi prudent et modéré qu’elles peuvent faire
de la part de numéraire que le roulement de leurs opérations
laisse disponible.
Ce n’est pas tout, messieurs, les Sénateurs : à côté des ban
ques de dépôts, l’Angleterre possède une institution remarqua
ble et que nous ne saurions trop signaler à votre intérêt. Elle
a nom Clearing-house ou chambre de liquidation. Cet établis
sement est le rendez-vous de la plupart des chèques émis par
les banquiers, et, chaque jour, à une certaine heure, les por
teurs de chèque viennent y opérer par compensation.
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
287
Nous avons bien aussi à la Banque de France des opérations
analogues ; j’ai eu l’honneur de le dire, et de montrer qu’elles
témoignaient pour 1864 d’un mouvement de 14 milliards ; en
1863, il avait été de 15 milliards; mais qu’cst-ce que cette
somme en comparaison de celle dont le Cléaring-house de
Londres, par exemple, règle le mouvement, et qui est an
nuellement de 50 milliards ? Ainsi, en juillet 1863, six ban
ques anglaises pouvaient justifier d’une somme totale de dépôts
s’élevant à un milliard 899 millions, et un seui clearing-house,
celui de Londre, installé, ce qui est très-commode, dans le
voisinage de la Banque d’Angleterre, déclarait que, sans l’in
tervention d'aucune monnaie métallique ou fiduciaire, il ac
complissait pour 15 milliards de compensation. Or si, par la
pensée, messieurs les Sénateurs, on essaie de juger quel peut
être, chaque jour, aux heures où de tels faits s’accomplissent,
le mouvement d’hommes et de chiffres qui les réalise; si par la
réflexion on tente de comprendre comment des négociants,
des banquiers, le crédit que méritent leur position, leur fortune,
leurs aptitudes, sont assez connus de chacun, pour qu’une
mutuelle confiance permette de régler autant d’intérêts avec
sécurité, que doit-on voir et constater ? qu'il faut, pour en ar
river là, une grande science des hommes et des choses, une
présence d’esprit, un ordre digne d’admiration.
Puis, comme les résultats que nous venons de citer sont d’une
incontestable vérité, on se dit qu’une nation qui, dans un seul
de ses comptoirs, règle pour 50 milliards d’opérations sans
toucher à une pièce d’or ou d’argent, on se dit que cette na
tion possède un instrument de crédit d’une puissance excep
tionnelle, dont on regrette de n’avoir chez soi que des facsimilé en miniature. Il nous semble que, mieux compris, après
l’étude de la loi que nous venons d’apprécier, l’usage du chèque
nous permettra d’avoir autant de succès que nos ingénieux
voisins.
Il fautmieux faire que de l’espérer, il n’en faut pas douter.
�Tel est, messieurs les Sénateurs, le but vers lequel la loi des
chèques va diriger les hommes d’affaires de notre pays. Elle a
donc sa très-intéressante raison d'être. Faisons, en terminant
une dernière remarque. Lorsqu’elle a été discutée au Corps
législatif, on s’est inquiété de savoir si l’avènement du chèque
exempt du timbre pendant dix ans, compromettrait une part
des recettes que perçoit le trésor public sur les lettres de
change et les billets à ordre ; pour qu’il en fût ainsi, il faudrait
que le chèque pût tenir lieu de ces deux natures de valeurs ; or,
à quelques rares exceptions près, telle ne doit pas être sa des
tinée.
Nous avons vu qu’il était un instrument de paiement et de
compensation, qu’il n’avait que cinq jours d’existence, y com
pris le jour où il naît, lorsqu’il est tiré de la place sur laquelle
il est payable ; elle est de huit jours, y compris le jour de la
date, s’il est tiré d’un autre lieu ; la lettre de change et le bil
let à ordre, au contraire, sont des valeurs de crédit qui fonc
tionnent communément pendant 90 jours de place en place,
d’un lieu sur un autre. La lettre de change exprime, par son
nom, sa signification ; elle donne lieu à un bénéfice ou à une
perte au change, suivant que le pays dont elle acquitte la dette
est créancier ou débiteur du lieu vers lequel on la dirige ; par
l’échéance qu’on lui donne, elle ajourne le règlement d’une
opération aussi longtemps qu’il convient aux parties intéressées
de l’ajourner ; elle paye un impôt proportionnel dont la loi
double l’importance, si, en cas de centestation ou de protêt,
elle apparaît devant le juge impayée et sans avoir été timbrée.
Quant au chèque, tel que l’a fait la loi que nous examinons, il
ne ressemblera à la lettie de change que par deux dispositions;
il est endossable et peut être tiré d'une place sur l’autre, mais
sa durée légale est si courte, cinq jours dans un cas, huit dans
l’autre seulement, qu’il ne peut réellement, que dans des cir
constances assez rares, faire l’office de la lettre de change. Oui,
sans doute, lorsqu’il s’agira de régler entre deux villes voisines
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
289
avec le concours des chemins de fer, qui, en quelques heures,
portent une lettre et par conséquent un chèque, il pourra se
faire que le tireur d’un chèque, de connivence avec son cor
respondant, pourra, par l’absence de date, le rendre utilisable
pendant plus de cinq ou huit jours, et ce sera un moyen d’élu
der l’impôt proportionnel dû par la lettre de change ou le bil
let à ordre. Mais que, par une circonstance imprévue, ce dé
faut de date soit révélé, l'article de la loi interviendra, et le
tireur, soit qu’il n’ait pas dalé, soit qu’il ait revêtu son chèque
d'une fausse date, sera puni d’une amende de
de la som
me pour laquelle le chèque aura été tiré. Par cette mesure, les
intérêts du trésor, s’ils ne doivent pas être protégés par la
bonne foi des tireurs, le seront par la loi. Au reste, dans l’état
actuel de leurs relations, lorsque les commerçants règlent à
courte échéance, s’ils le font par voie de lettre de crédit ou de
reçu, alors le titre qui prépare le règlement échappe aussi à
l’impôt. Nous pensons donc que le chèque ajoutera peu au parti
que le commerce retire de ce reçu ou de celte lettre de crédit
non timbrés.
En résumé, que faut-il conclure des explications qui précè
dent, messieurs les Sénateurs ? Une justice de plus à rendre au
gouvernement de l’Empereur qui ne perd pas une occasion de
développer en France les procédés utiles. Il entreprend beau
coup, sans doute, mais reste-t-il sans souci des voies et
moyens? On peut en quelques chiffres compter ce qu’il a dé
pensé de milliards, depuis quatorze ans, mais qui pourrait
dire de quelle somme s’est accrue la fortune mobilière et im
mobilière de la France, pendant la même période? car, pour
être juste, il ne faut jamais parler de la dépense d’une nation,
sans mettre en regard le développement de richesse dont celte
dépense a été la source.
Qui pourrait dire encore le nombre des institutions utiles
dont l’Empire a favorisé la fondation ? Elles naissent sous les
pas de l’Empereur, comme les bonnes œuvres sous ceux de
6
6 0 10
19
�290
LOI DU 1 4 JUIN 1 8 6 5
l’Impératrice. En m ettant naguère le pied sur le sol de l’A lgé
rie, l’Em pereur n ’a-t-il pas dit : « J’ai dès à présent la satisfac
tion d’annoncer aux hom m es courageux qui ont apporté dans
cette nouvelle France le progrès et la civilisation, q u ’une puis
sante com pagnie se propose de faire ici de grandes choses, ou
plutôt de continuer les grandes choses qui ont été com m en
cées. » Ainsi donc, encore une institution im périale, M essieurs,
et ce ne sera pas le dernier bienfait d’un grand règne.
Si nos pressentim ents ne nous trom pent pas, nous croyons
apercevoir que bientôt un établissem ent nouveau naîtra près
de ceux qui, dans les affaires, sont réputés pour les plus sgaes
et les plus secourajales ; et cet établissem ent, il ne sera pas
nécessaire, pour le désigner, d’em prunter un nom étranger :
il s'appellera caisse, ou com ptoir, ou cham bre de com pensa
tion ; on y comptera aussi par m illiards.
Le Sénat porte bonheur aux vœ ux raisonnables et qu’inspire
l’amour du progrès. II doit se souvenir que le 30 mai de l’an
dernier, il lui fut parlé des chèques. La voix qui en disait du
bien exprim ait la pensée que l’em ploi dans les banques de dé
pôts, pour régler le prix des transactions du systèm e des ch è
r e s , ne saurait être trop recom m andé, trop encouragé ; et
cette voix, dont la fois était vive et l’est encore, croyait com
prendre que peu de temps s’écoulerait sans l’initiative du Gou
vernem ent pour cette intéressante question. E lle ne. s’est pas
fait attendre .• la loi vient d’ouvrir la carrière, l’intérêt des ca
pitalistes et l’intelligence industrielle feront le reste.
Ne vous opposez donc pas à la prom ulgation de la loi des
chèques, m essieurs les Sénateurs, elle n’a rien de contraire à la
Constitution, et renferm e plusieurs dispositions favorables au
crédit.
Tel est l’avis unanim e de la com m ission qui nous a fait l’hon
neur de nous choisir pour interprète.
P lu s ie u r s S é n a te u r s . Très-bien I très-bien !
�DOCUMENTS LÉGISLATIFS
291
(La délibération a lieu immédiatement).
M. le Sénateur Secrétaire lit le texte de la loi.
M . le Président. Personne ne demande la parole ?...... il va
être procédé au scrutin.
Celte opération a lieu et donne le résultat suivant :
Nombre de votants.................. 97
Bulletins blancs...................... 97
En conséquence, le Sénat ne s’oppose pas à la promulgation
de la loi.
(Supplément du Moniteur du 10 juin 186B).
��TEXTE
DE LA
LOI OU 14 JTUIIV 1865
A rt . er.
1
Le chèque est l’écrit qui, sous la forme d’un mandat de
paiement, sert au tireur à effectuer le retrait, à son profit
ou au profit d’un tiers, de tout ou partie des fonds portés
au crédit de son compte et disponibles.
Il est signé par le tireur et porte la date du jour où il est
tiré.
Il ne peut être tiré qu’à vue.
Il peut être souscrit au porteur, ou au profit d’une per
sonne dénommée.
Il peut être souscrit à ordre et transmis même par voie
d’endossem ent en blanc.
Art . .
2
Le chèque ne peut être tiré que sur un tiers ayant pro
vision préalable.
Art . 3.
Le chèque peut être tiré d’un lieu sur un autre ou sur
la même place.
�294
LOI DU 14 JUIN 1805
Art. 4.
L’émission du chèque, même lorsqu’il est tiré d’un lieu
sur un autre, ne constitue pas, p a r sa nature, un acte de
commerce.
Toutefois les dispositions du Code de commerce relatives
à la garantie solidaire du tireur et des endosseurs, au pro
têt et à l’exercice de l’action en garantie, en matière de let
tres de change, sont applicables aux chèques.
Art. 5.
Le porteur d’un chèque doit en réclamer le paiement
dans les cinq jours, y compris le jour de la date, si le chè
que est tiré de la place sur laquelle il est payable, et dans
le délai de huit jours, y compris le jour de la date, s’il est
tiré d’un autre lieu.
Le porteur d’un chèque qui n’en réclame pas le paie
ment dans les délais ci-dessus, perd son recours contre les
endosseurs ; il perd aussi son recours contre le tireur, si la
provision a péri par le fait du tiré après lesdits délais.
Art . G.
Le tireur qui émet un chèque sans date, ou qui le revêt
d’une fausse date, est passible d’une amende égale à six
pour cent de la somme pour laquelle le chèque est tiré.
L’émission d’un chèque sans provision préalable est pas
sible de la même amende, sans préjudice de l’application
des lois pénales, s’il y a lieu.
Art . 7.
Les chèques sont exempts de tout droit de timbre pen
dant dix ans à dater de la promulgation de la présente loi.
�TABLE
«
COMMENTAIRE DE LA LOI
Article 1".........................................................................page
Article 2. . . . • ...................................................
Aarticles 3 et 4..............................................................
Article 5...........................................................................
Article . . . . . . .
Article 7 .........................................................................
DOCUMENTS LÉGISLATIFS
Premier projet de loi (1864)..........................................
Exposé des motifs du budget de 1865 .......................
Second projet de loi (1865).............................................
Exposé des motifs.........................
Rapport de M. Alfred D arim on..................................
Rapport supplémentaire de M. Darimon......................
Rapport de M. le comte de Gerininy (au Sénat). . .
201
201
205
206
219
268
277
Texte de la loi du 14 juin 1865
293
6
\
50
68
99
150
182
��DES M ATIÈRES
Action . — Voyez Solidarité.
A mende . — Nature de celle prononcée par l’article 6, 142. — Est-elle
encourue si la provision n’a été faite que postérieurement à l’émis
sion du chèque, 143. — Peut-elle être exigée lors de l’enregistre
ment du protêt, 145 et suiv. — Voyez Contravention, Peine.
Aval. — Le chèque est-il susceptible d’être garanti par des avals, 58 et
suivants.
B anques de dépôt . — Avantages qu’elles retirent du remboursement
sur chèques, 5.
B esoins . — Le chèque comporte-t-il l’indication de tiers chargés de
payer au besoin, 69.
C hèques . — Avantages que le chèque, considéré comme instrument de
payement, offre au propriétaire des fonds déposés, 4. — Avantages
pour les banques de dépôts, 5. — Services qu’il est appelé à rendre
comme instrument de compensation, 6. — Sa définition, 8. — Ca
ractère de celui qui, depuis la loi, aurait pris la forme du récépissé,
�TABLE ALPHABÉTIQUE
41 et suivants. —Sa remise transfère la propriété de la provision, 43
et suivants. — Son objet, 48. — Disponibilité des fonds, son ca
ractère, 19 et suivants. — Doit être signé, 24. — Importance de la
date, effets de l’omission ou de la post-date, 25. — Ne peut être tiré
qu’à vue, 26. — Rejet de la proposition d’autoriser une échéance
graduée, motifs, 27. — Peut être au profit d’une personne dénom
mée, ou au porteur, ou à ordre, 29 et suiv. — Se transmet même
par un endossement en blanc, 32. — Ne peut être tiré que sur un
tiers ayant provision préalable, 33. — Doit être payé à présenta
tion, 44. Voyez Paiement. — Peut être tiré d’un lieu sur un autre,
46 et suiv. — Motifs, 48 et suiv. — La loi à ce égard n’accorde
qu’une simple faculté, contrairement à ce qu’elle prescrit pour la
lettre de change, 51. — A un caractère civil ; conséquences quant à
la juridiction qui doit en connaître, 52 — Est régi par le Code de
commerce quant à la solidarité du tireur et des endosseurs, au pro
têt et à l’exercice de l’action en garantie, 56 et suiv, — Peut-il être
garanti par des avals, 58 et suiv.—Comporte-t-il la clause « retour
sans frais », 67 et suiv., ou l’indication de tiers chaigés de payer
au besoin, 69. — Dens quel délai doit-il être présenté, 70 et suiv.
— Ne peut être tiré de France sur l’étranger et les colonies et réci
proquement, 79 et suiv.
298
Clause . — Le chèque comporte-t-il la clause
« retour sans frais », 67 et
suivants. — Légalité de celle par laquelle le tireur prend à sa
charge toutes les conséquences du vol ou de la perte, ses effets, 107
et suivants.
Code de commerce. — Les dispositions du Code de commerce relatives
à la solidarité du tireur et des endosseurs, au protêt et à l’exercice
de l’action en garantie, sont applicables au chèque, 56 et suiv.
Compensation . — Services que le chèque est appelé à rendre comme
instrument de compensation, 6. — Voyez chèque.
Contravention . —Trois contraventions prévues par l’article 6:1° faus
seté de la date, 138 ; 2° Son omission, 139 ; 3° absence de provision
préàlable, 140. — La peine est encourue par le seul fait de leur
existence, quel qu’en ait été le mobile, 141. — Difficulté que pré
sentera leur constatation, 144. — Quid dans le cas de protêt, 445
et suiv. — Voyez Amende, Peine.
�TABLE ALPHABÉTIQUE
299
D a te . — Nécessité de la date pour le chèque, 25.— Effets de son omis
sion ou de sa fausseté, voyez Contravention.
D él a i . — Dans quel délai devra et pourra être requis le protêt, 65 et
suiv. — Dans quel délai doit-on réclamer le paiement du chèque,
70 et suiv. — Rejet de la proposition de s’en référer à l’article 160
du Code de commerce, 75 et suiv. — Effet de l’inobservation à
l’égard des endosseurs, 82, vis-a-vis du tireur, 85 et suiv. — Délai
du recours des endosseurs les uns contre les autres, 84.
D ispo n ib ilité . — Quel est le sens que la loi a attachée à la disponibilité
des fonds autorisant le chèque, 19. — Discussion au Corps législa
tif, 20 et suiv.
E chéance . — Le chèque ne peut être tiré qu’à vue, motifs, 26. — Rejet
de la proposition de permettre qu’il fût à échéance graduée, 27.
E ndossement. — L’endossement en blanc transfère la propriété du chè
que, 32.
E ndosseurs. — Sont libérés, faute de présentation du chèque dans le
délai prescrit 82. — Par le défaut de protêt ou de notification avec
citation dans la quinzaine 83. — Délai du recours des uns contre
les autres, 84.
E nregistrement . _Proposition de dispenser le chèque de l’enregistre
ment, rejet, 157 et suiv. — Effet de l’enregistrement du chèque
après protêt, sur la perception de l’amende, 145 et suiv.
F a illite . — Effet de la faillite du tireur sur la provision au point de
vue des articles 446 et 447 du Code de commerce, 38. — Effet de la
faillite du tiré, 42 et suiv.
�TABLE ALPHABÉTIQUE
F ausseté de la date . — Voyez Contravention.
F aux . — Voyez Paiement.
300
Garantie . — Voyez Solidarité.
J uridiction . — Juridiction appelée à connaître du chèque, 53.
Loi
1865. — Historique, 1. — Reproche que lui adressait Berryer.
Appréciation, 2. — Pratique qui l’avait précédée, 3. _ Son esprit
fixé par l’exposé des motifs, 7.
de
P aiem ent . — Dans quel délai doit-il être réclamé, 70 et suiv. — Effets
du paiement du chèque faux par supposition de personne, 107. —
Le tiré qui a payé un chèque faux a-t-il action contre celui aux
mains de qui il a payé, 116 et suiv. — Si le paiement a eu lieu sur
faux acquit, qui pourra recourir contre l’auteur du faux, 119.
P e in e . — Objet de la peine que prononce l’article 6. — Son caractère,
120 et suiv. — Texte du projet du Gouvernement, modifications
par la commission du Corps législatif, 133 et suiv. — Rejet de l’ar
ticle 7 du projet appliquant la peine de l’article 405 du Code pénal,
aux faits qu’il prévoyait, 126. — Réserve d’appliquer la loi pénale
s’il y a lieu ; son caractère, 135.—Voyez Amende, Contravention.
P er te . — Doit-on en cas de perte ou de vol d’un chèque, procéder com
me le prescrivent les articles 150 et suivants du Code de commerce,
101 et suivants. — Voyez Clause, Paiement. — Position du tiré
si le chèque est présenté par celui qui l’a trouvé ou volé, 104. —
Quid du tireur, 105 et suivant.
�TABLE ALPHABÉTIQUE
501
P orteur . — Le chèque peut être au porteur ; nécessité de l’admettre
ainsi, 29 et suivants. — Droit du porteur si le tiré déclare n’avoir
pas provision, 40. — Son obligation de faire protester, 61 — Dans
quel délai pourra-t-il et devra-t-il le faire, 65 et suivant. — Doit
notifier le protêt avec ajournement, dans quel délai, 43.— Sa posi
tion, si le tiré informé de la perte ou du vol, refuse de payer, 413
et suivants.
P reuve . — Comment prouvera-t-on l’existence de la provision préalable?
39. — Preuve admissible au point de vue des articles 446 et 447
du Code de commerce, 41. — Voyez Faillite, Provision.
P ro priété . _ La propriété de la provision est-elle transférée par la re
mise du chèque, 43. — Discussion au Corps législatif, 44. — Doc
trine et jurisprudence, 45 et suiv. — Nécessité dans tous les cas de
la régularité du chèque, 47. — La propriété du chèque se trans
met même par un endossement en blanc, 32. — Voyez Chèque,
Endossement, Provision.
P rotêt . — Nécessité du protêt, discussion au Corps législatif, 61 et suiv.
— Quel jour devra-t-il être réalisé, 65 et suiv. — Son omission
libère les endosseurs, 83. — Quid à l’égard du tireur? 85.
P rovision . — Exigence d’une provision préalable disponible ; son carac
tère, 33. — Quand existera-t-elle, 34 et suiv. — Quid dans l’hy
pothèse d’un compte-courant ordinaire entre deux commerçants, 36.
— Dans le cas d’un crédit ouvert, 37, voyez Propriété._Effet de
la faillite du tireur sur la provision, 38. — Comment en prouverat-on l’existence, 39. — Dénégation du tiré, droits du porteur, 40.
— Faillite du tiré, pour compte de qui périt la provison, 42 et suiv.
— Le tireur est libéré si la perte, provenant du fait du tiré, se réa
lise après les délais de la présentation, 85 et suiv. — Quid en cas
d’opposition de la part des créanciers du tireur, 92 et suiv. — Ap
plication de l’article 474 du Code de commerce, 95 et suiv. — Voyez
Contravention.
— Rejet de la forme du récépissé, examen, 8 et suiv. _ Ca
ractère du chèque qui aurait pris cette forme depuis la loi, 4'4 et
suivants.
R écépissé ,
�302
TABLE ALPHABÉTIQUE
R ecours. — Voyez Solidarité.
R etrait . — Le projet du Gouvernement considérait et punissait comme
escroquerie le retrait de la provision après l’émission du chèque,
126. — Débat au Corps législatif, 127 et suiv. ~ N’est plus prévu
ni puni, caractère de cette impunité, 137.
S aisie - opposition . — Son effet par rapport au tireur si ses créanciers
l’ont formée soit avant soit après les délais de la présentation, 92.
Solidarité . — Comment elle se règle entre les divers signataires du
chèque, 56 et suiv.
T ir é . — Sa position en cas de présentation du chèque perdu ou volé,
104. — Voyez Chèques, Faillite, Perte, Provision.
T ireur . — Effet à son égard du défaut de présentation du chèque dans
le délai prescrit, 85 et suiv. — Voyez Chèque, Faillite, Provision.
■w
V ol . — Voyez Paiement, Perle, Tiré.
��
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
The Dublin Core metadata element set is common to all Omeka records, including items, files, and collections. For more information see, http://dublincore.org/documents/dces/.
Title
A name given to the resource
Droit commercial. Commentaire de la loi du 14 juin 1865 sur les chèques
Subject
The topic of the resource
Droit commercial
Description
An account of the resource
Commentaire de la loi du 14 juin 1865 qui fixe, notamment, les mentions obligatoires que doivent porter les chèques, mandats de paiement apparus au cours du 19e siècle.
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Bédarride, Jassuda (1804-1882)
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES 22978
Publisher
An entity responsible for making the resource available
L. Larose (Paris)
A. Makaire (Aix)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1876
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/12449174X
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-22978_Bedarride_Cheques_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
302 p.
22 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/327
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Alternative Title
An alternative name for the resource. The distinction between titles and alternative titles is application-specific.
Commentaire de la loi du 14 juin 1865 sur les chèques
Abstract
A summary of the resource.
Cet ouvrage est un commentaire de la loi du 14 juin 1865 sur les chèques.
Jassuda Bédarride, avocat au barreau d’Aix-en-Provence et ancien Bâtonnier réalise dans cet ouvrage un commentaire article par article de la loi du 14 juin 1865 sur les chèques. Cette loi est la première à réglementer la pratique du chèque en France, introduite au cours du XIXème siècle. Elle n’a pas établi de forme particulière pour le chèque mais elle a imposé des mentions obligatoires sous peine de nullité, notamment la date du jour auquel il est tiré. Avec cette loi, le législateur a également établi une distinction stricte entre le chèque, le billet à ordre et les lettres de change, afin d’éviter que celui-ci ne cause leur disparition. Cet ouvrage contient aussi les documents législatifs relatifs à la loi.
Source : J. Hamel, Banque et opération de banque, tome I, Rousseau et Cie, Editeurs, 1933, p.701.
Résumé de Morgane Dutertre
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Chèques -- Législation -- France -- 19e siècle
Droit commercial -- Législation -- France -- 19e siècle