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1
D R O I T COMMERCIAL
11
if
COMMENTAIRE DU CODE DE COMMERCE
LIVRE PREMIER
■‘r.-|
TITRE PREMIER
DES COMMERÇANTS
fLî'i
TITRE SECOND
DES LIVRES DE COMMERCE
tÿ
PAR J. BÉDARRIDE
Avocat près la Cour d'appel d’Aix , ancien Bâtonnier
Membre correspondant de l’Académie de Législation de Toulouse
Chevalier do la Légion d'Honneur
DEUXIÈME
1
ÉDITION
REVUE , CORRIGÉE ET AUGMENTEE
i
PARIS
AIX
L. L A R O S E , L I BRAI RE
ACHILLE MAKAIRE, LIBRAIRE
2 2 , RUE SOUFFLOT, 2 2
2 , RUE PONT-MOREAU, 2
1876
J,Î~A o o
JL30M
��DROIT COMMERCIAL
ou
COMMENTAIRE
DES DIVERS TITRES DU CODE DE COMMERCE
COMMENTAIRE DES TITRES 1 ET 2
i■
'
NOTICE
-
.
H ISTO RIQ UE
SOMMAIRE.
o '
1. Nécessité pour le commerce d’une législation spéciale.
2. Différence dans le caractère des principes civils et commer
ciaux.
3. Eléments qu’exigent les besoins du commerce.
4. Justification de ce qui précède par notre propre histoire.
5. Effets des ordonnances de 1673 et 4 681.
6. Appréciations contraires sur les maîtrises et jurandes.
7. Jugement qu’en porte l ’édit de 1776.
8. Nécessités qui les firent si longtemps maintenir.
9. Projet de Turgot de les abolir. Edit de 1776.
10. Ce qui le fit avorter.
1
�2
NOTICE HISTORIQUE.
\ 1. Leur suppression par le décret du 2-17 mars 1791.
12. Position que ce décret faisait à l ’ordonnance de 1673. Néces
sité de la modifier.
13. Nomination par les consuls d ’une commission chargée de
préparer et d’arrêter ces modifications. Mesures subsé
quentes.
14. Division adoptée par la commission. Attaques dont elle fut
l ’objet.
15. Esprit dans lequel a été rédigé le Code de commerce.
16. Utilité du commentaire en cette matière.
1.
— La commission instituée par les consuls pour
préparer le projet du Code de commerce s’écriait avec
juste raison : Depuis que les nations se sont éclairées
sur leurs véritables intérêts, le comrperce a été un des
premiers objets de l’attention des gouvernements. On
a reconnu qu’il était le principal moteur de l’industrie
et le ressort le plus actif de la prospérité publique.
La vérité de cette proposition est depuis longtemps
admise. Ce qu’on sait aussi, c’est que si le commerce
favorise l’industrie manufacturière, il n’est pas moins
utile à l’industrie agricole, dont il fait écouler les pro
duits et qu’il pourvoit de tout ce qui est indispensable
à ses développements.
Ces trois branches de la propriété publique sont donc
liées entre elles par des rapports intimes. Favoriser les
progrès de l’une, c’est faire progresser les deux autres,
c’est assurer l’avenir de la nation et asseoir ses desti
nées sur des bases inébranlables.
Au premier rang des intitutions qu’exige l’intérêt
�NOTICE HISTORIQUE.
3
réel du commerce, figure la nécessité d’une législation
spéciale, destinée à en protéger les opérations, à en
déduire les effets, à en conserver les formes. Quelque
parfaite que puisse être la loi civile, la rigueur de ses
principes ne se prête pas assez aux tempéraments de
transactions dont la multiplicité, et conséquemment la
facilité, devient la condition du progrès vers lequel le
commerce doit tendre sans cesse.
2.
— Cette proposition n’est pas seulement justifiée
par l’expérience des nations les plus commerçantes,
elle est encore invinciblement appuyée sur la nature
même des choses. Les principes de pur droit civil ne
devant exercer leur influence que sur la nation qu’ils
régissent, ne doivent tendre qu'à un seul objet, à savoir :
s’harmoniser avec les mœurs et les habitudes intimes
des régnicoles. Leur but étant de garantir autant que
de conserver, ils offriront par cela même plus de ces
difficultés, plus de ces précautions que les personnes
étrangères à l’observation seront tentées de regarder
comme minutieuses.
Les règles du droit commercial exigent un autre ca
ractère. Destinées à régir des transactions sur une
échelle fort étendue, elles doivent avoir une influence
plus universelle et se placer en harmonie avec les gran
des habitudes commerciales. La garantie qu’elles offrent
doit être égale pour l’étranger comme pour les natio
naux ; car, autant que ceux-ci, l’étranger contribue au
crédit du commerce et aux transactions qui l’entretien
nent et le développent.
�4
NOTICE HISTORIQUE.
En matière civile, c’est ordinairement la chose qu’on
suit ; en matière de commerce, c’est presque toujours
la personne. Conséquemment, les confondre dans une
législation unique, c’est compromettre l’une ou l’autre ;
c’est tout au moins risquer de ne pas leur accorder
une garantie assez efficace pour faire face à leurs besoins
réels.
3.
— Il faut donc au commerce des règles parti
culières et spéciales dont le caractère est nettement in
diqué par le but qu’elles doivent se proposer et attein
dre. Ce qui fait la puissance du commerce, c’est la
promptitude des transactions, la rapidité de la circula
tion, la sûreté du crédit ; les institutions destinées à le
régir doivent donc s’attacher à rendre les transactions
faciles, en déterminant leur forme et leurs effets d’une
manière simple et positive, à donner au crédit une ga
rantie inviolable, à dégager la circulation de tous les
obstacles susceptibles d’en ralentir la marche, à préfé
rer enfin, dans les moyens à adopter, ceux dont l’ap
plication est la plus prompte et la moins dispendieuse.
Le succès du commerce est à ce prix.
4.
— Nous n’avons pas à chercher loin de nous la
preuve de l’influence de la législation sur le commerce
et l’industrie. Notre histoire en est l’enseignement le
plus énergique et le plus décisif.
L’un et l'autre se sont développés fort tard en
; France. 11 est vrai qu’ils commencèrent à se montrer
sous le règne de Charlemagne. Nous voyons en effet ce
�NOTICE HISTORIQUE.
8
monarque entretenir des relations amicales avec le roi
de Perse pour la sûreté du commerce français. De plus,
il accueillit ics Italiens qui portaient leur industrie dans
ses Etats ; il contin! les Danois qui exerçaient la pira
terie la plus horrible sur l’Océan Germanique. Les fabri
ques, qui jusque là n’avaient existé que dans les cloî
tres, se répandirent dans les campagnes.
Mais ces lueurs se dissipèrent à sa mort. La division
de ses vastes Eîats, les dissensions civiles, la faiblesse
de ses successeurs, l’irruption des Normands, l’absence
de la force qui protège ou réprime, anéantirent le peu
d’industrie qui avait commencé à germer sous ce règne
puissant et protecteur. Deux siècles d’agitation et de
ténèbres achevèrent de détruire tout ce que ce grand
roi avait laissé de lumières et d’institutions sociales.1
Aussi, malgré la découverte du nouveau monde, qui
avait rendu si nécessaire la multiplicité des échanges,
malgré les découvertes successives que le seizième siè
cle vit se réaliser et qui accrurent encore la masse des
richesses , la France demeura dans une infériorité
marquée vis-à-vis des autres nations et surtout de la
Hollande , de l’Espagne r de Venise, de l’Italie. Ces
nations’' avaient des comptoirs partout où elles avaient
pu p én étrer ; leurs vaisseaux couvraient de leur
pavillon l’Océan , la Méditerranée et la Mer Noire,
tandis q u e les pirates dévastaient encore les côtes de
France.
I Chaptal, do l’Industrie française, tom . i, pag. xxxv.
�6
NOTICE HISTORIQUE.
Il n’y avait dans la France ni commerce ni industrie.
Comment en aurait-il été autrement dans un pays où
ces deux institutions, véritables artères de la prospérité
publique, étaient non-seulement délaissées par le légis
lateur, mais encore tenues dans une sorte de mépris
qui en écartait la noblesse et les gens riches, jaloux de
la copier.
Cependant, et au commencement du dix-septième
siècle, on s’aperçut des funestes conséquences qu’un
pareil état de choses entraînait. Une tentative de ré
forme fut essayée. Mais, par suite du préjugé, on laissa
à l’écart les gens du métier. C’est aux grands noms qu’on
demanda un projet de législation, et comme en pareille
matière, rien ne saurait suppléer à l’expérience prati
que, cet essai ne produisit rien. Les choses restèrent
ce qu’elles étaient longtemps encore.
Enfin surgirent le règne de Louis XIV et le ministère
de Colbert. Le génie de l’un et de l’autre ne tarda pas
à leur faire comprendre que le commerce peut seul as
surer la prospérité d’une grande nation. Concevoir celte
pensée, c’était comprendre la nécessité d’assurer l’ave
nir commercial de la France.
Voici ce que firent ce grand roi et ce grand ministre :
Les savants les plus célèbres, les manufacturiers les
plus habiles furent attirés dans le royaume. Par ce
moyen, la France fut dotée de Van-Robais, pour la dra
perie fine ; de Hindret, pour la bonneterie ; Huyghens,
pour les mathématiques ; W inslow , pour l’anatomie ;
Cassini, pour l’astronomie : Roëmer, pour la physique.
�NOTICE HISTORIQUE.
7
On appela dans nos ports le commerce étranger que
des vexations de tous genres en avaient exilé; on-ou
vrit des relations avec des pays qui jusque la nous
avaient été presque inconnus ; on créa des compagnies
pour faire pénétrer notre pavillon chez les nations les
plus éloignées.
Que seraient devenues toutes ces précautions, si leur
efficacité n’avait eu pour garantie une législation desti
née, par la consécration de leur principe, à en éterni
ser la durée, à en assurer les effets? C’est ce doute qui
inspira la pensée de placer leur succès sous l’égide de
dispositions appropriées aux besoins qu’elles avaient
pour objet de satisfaire.
Cette pensée conçue, Colbert se garda bien d’imiter
son prédécesseur. Le soin de réglementer la matière
commerciale devait être laissé à la pratique et à l’ex
périence. La commission instituée pour préparer .la
réforme projetée par ce grand ministre compta dans
son sein, à côté de quelques noms illustres, les juris
consultes les plus éminents, les commerçants les plus
notables.
Ce qui résulta de cette réunion, des recherches et
des travaux de tous ces hommes d’élite fut : pour notre
commerce intérieur, l’ordonnance de 1673 ; pour notre
commerce extérieur, celle de 1681.
5.
— L’impulsion que ces deux immortels monu
ments de législation imprimèrent au commerce et à
l’industrie de la France est suffisamment indiquée par
�8
NOTICE H1STOMQUE.
les résultats. Les artistes les plus célèbres de l’Europe,
dit M. Chaptal, apportèrent, de toute part, leur indus
trie, parce qu’ils trouvaient protection et encourage
ment. En moins de vingt années, la France égala l’Es
pagne et la Hollande pour la belle draperie ; le Brabant
pour les dentelles ; l’Italie pour les soieries ; Venise pour
les glaces ; l’Angleterre pour la bonneterie ; l’Allemagne
pour le fer-blanc et les armes blanches ; la Hollande
pour les toiles. 1
Bientôt même nos produits se firent remarquer par
leur perfection. Introduits sur tous les marchés, ils pu
rent braver toute concurrence. Notre marine, portant
notre pavillon et nos marchandises sur tous les points
du globe, le disputa à celle des nations les plus puis
santes. Notre commerce extérieur acquit de proportions
telles, qu’en 1789 encore, la balance de ses opérations
soldait à notre profit par une somme de 60 millions.
Et cependant, que de crises la France n’eut-elle pas
à traverser avant d’arriver à cette dernière et suprême
épreuve. Colbert n’étant plus là, des inspirations fu
nestes prévalurent, et la révocation de l’édit de Nantes
enrichit l’étranger de nos meilleurs ouvriers. Les mal
heurs de la guerre, l’embarras des finances, les dilapi
dations de l’agiotage le plus effréné furent autant de
périls qui auraient probablement submergé notre com
merce, si la force protectrice de la législation ne l’eût
préservé.
1 Pc l'Industrie française, pag. xliij.
�NOTICE HISTORIQUE.
9
6.
— Ce n’étaient pas là cependant les seuls enne
mis que cette législation eût à combattre. Les ordonnan
ces, qui dès leur apparition prirent place dans les Codes
des nations les plus commerçantes et devinrent l’élé
ment essentiel de leur jurisprudence, celle de 1673 no
tamment récélait dans son sein un germe pouvant lui
devenir funeste. Le génie de Colbert était digne de com
prendre et de proclamer que la liberté et la concur
rence sont lam e du commerce. Il ne l’osa pas cepen
dant, soit qu’il pensât que, tout étant à créer, il impor
tait de veiller sur les premiers pas que la nation allait
faire dans la voie qu’il lui traçait, soit que les besoins
du trésor lui parussent trop impérieux pour lui per
mettre de sacrifier une branche considérable de ses res
sources ordinaires. Il consacra donc le maintien des maî
trises et jurandes.
Il n’est pas d’institution qui ait plus que celle-là sus
cité des appréciations diverses et surtout diamétrale
ment opposées. Pour les uns, les maîtrises et jurandes
avaient le tort grave de violer un droit naturel et sacré,
en faisant du commerce un odieux privilège, un injuste
monopole ; de rejeter ainsi forcément et de maintenir
dans la misère une foule de gens dont le tort unique
consistait à ne pas posséder par devers eux les moyens
de se soumettre aux rigueurs d’un long et improductif
apprentissage, ou de subvenir aux frais énormes néces
sités par l’obtention de la maîtrise ; de s’opposer à
toute perfection, à tout progrès, par la rigoureuse et
stricte exécution des règlements de fabrication ; de con-
�10
NOTICE HISTORIQUE.
centrer enfin entre quelques mains privilégiées le sort,
non-seulement des commerçants, mais encore des con
sommateurs, aucune concurrence ne pouvant efficace
ment combattre l’exagération du prix de revente.
Pour le^'autres, au contraire, les maîtrises et jurandes
étaient une institution tellement utile, que la pensée de
les détruire devait être effrayante. C’est par elles qu’on
avait obtenu l’ordre admirable qui régnait dans le com
merce ; elles étaient l’origine des développements im
portants qu’il avait reçus, de la perfection qui recom
mandait si universellement ses produits. Les faire dis
paraître, c’était donc s’exposer à faire évanouir cette
perfection, rendre au commerce cet état languissant
dont Colbert l’avait heureusement tiré, ouvrir la porte
à tous les abus, à toutes les fraudes ; c’était porter un
coup funeste à l’agriculture, car la facilité de se soute
nir dans les grandes villes avec le plus petit commerce
ferait déserter la campagne et considérer les travaux
laborieux de la culture des terres comme une servitude
intolérable, en comparaison de l’oisiveté que le luxe
entretient dans les cités ; c’était enfin compromettre le
trésor public et donner naissance à de nouveaux impôts
pour remplacer les ressources assurées qu’offrait l’orga
nisation des communautés.
7.
— Nous sommes admirablement placés pour ap
précier sainement les objections des uns et les craintes
des autres. L’expérience du régime de liberté absolue,
substitué à celui des maîtrises et jurandes, a définitive-
�NOTICE HISTORIQUE.
11
ment résolu le problème. Et, disons-le tout de suite,
ce n’est pas en faveur de ces dernières. Ce résultat
était inévitable, s’il est vrai que l’institution des maî
trises fut, dans son origine, bien moins dans l’intérêt
général du commerce que dans l’intérêt individuel de
quelques personnes, que dans celui surtout des finances
de l’Etat. Or, la vérité de cette démonstration s’induit
des causes qui la firent naître et maintenir pendant si
longtemps. L’édit de 1776 va nous les révéler.
Lorsque les villes commencèrent à s’affranchir de la
servitude féodale et à se former en communes, la faci
lité de classer les citoyens par le moyen de leur profes
sion introduisit un usage inconnu jusqu’alors. Les diffé
rentes professions devinrent comme autant de commu
nautés particulières dont la communauté générale était
formée. Les confréries religieuses, en resserrant encore ■
les liens qui unissaient les personnes d’une même pro
fession, leur donnèrent des occasions plus fréquentes de
s’assembler et de s’occuper dans ces réunions de l’in
térêt commun des membres de la société particulière,
qu’elles poursuivirent, avec une activité continue, au
préjudice de la société générale. Bientôt chaque com
munauté rédigea ses statuts, et, sous différents prétex
tes du bien public, les fit autoriser par la police.
Les termes de ces statuts ne permettent pas de mé
connaître la pensée qui les dictait. Leur base était
d’abord d’exclure du droit d’exercer le commerce tout
ce qui n’était pas membre de la communauté ; leur es
prit général tendait à restreindre, le plus possible, le
�12
NOTICE HISTORIQUE.
nombre des maîtres, en rendant l’obtention de la maî
trise d’une difficulté presque insurmontable pour tout
autre que les enfants des maîtres actuels. De là la mul
tiplicité des frais des formalités de réception ; les diffi
cultés du chef d’œuvre, toujours jugé arbitrairement;
la longueur et la cherté des apprentissages, la servitude
prolongée du compagnonage, l’un et l’autre n’ayant
d’autre objet que de faire jouir gratuitement les maî
tres, pendant plusieurs années, du travail et des labeurs
- des aspirants.
C’était, on le voit, une féodalité nouvelle se substi
tuant à celle des seigneurs, sur une base d’autant plus
odieuse qu’elle avait les conséquences les plus révol
tantes. Ainsi les citoyens n’ayant d’autre propriété que
leur travail et leur industrie se voyaient privés de la fa* culté, disons mieux, du droit d’y puiser la plus natu
relle, la plus légitime des ressources.
Non content, en effet, des épreuves, des dépenses,
des difficultés imposées aux postulants, certains statuts
rendaient la profession inabordable, même .à çe prix.
Les uns excluaient de la maîtrise tous autres que les
fils des maîtres ou l’époux de la veuve de l’un d’eux ;
d’autres rejetaient tous ceux qu’ils qualifiaient d’étran
gers, par cela seul qu’ils étaient nés dans une autre cité.
Dans un grand nombre de communautés, il suffisait
d’être marié pour qu’on ne pût même être admis à l’ap
prentissage.
Enfin, on avait été jusqu’à exclure les femmes des
métiers les plus convenables à leur sexe. Ainsi, il leur
�NOTICE HISTORIQUE.
13
était interdit de se livrer à la broderie, si ce n’est pour
le compte des maîtres qui les employaient.
Ce n’est pas tout encore.
monopole établi, il était
utile d’en assurer le maintien par la proscription absolue
de toute éventualité de concurrence. De là les règles
les plus dures contre les forains d’abord, contre les
membres mêmes des communautés ensuite. Sous pré
texte de l’avantage qu’il y aurait à bannir du commerce
des marchandises qu’elles supposaient mal fabriquées,
les diverses communautés demandèrent pour elles-mê
mes des règlements d’un nouveau genre , tendant à
prescrire la qualité des matières premières, leur mode
d’emploi et de fabrication. Ces règlements, dont l’exé
cution fut confiée aux officiers des communautés, don
nèrent à ceux-ci une autorité leur conférant la faculté
absolue, non pas seulement d’écarter les forains, mais
encore d’assujettir les maîtres à l’empire des chefs, de
les contraindre, par la menace incessante d’une pour
suite pour des contraventions supposées, à ne jamais
séparer leur intérêt de celui de l’association, et par
conséquent à devenir forcément les complices de tou
tes les manœuvres que l’esprit de monopole inspirait
aux chefs et aux principaux membres de la commu
nauté.
Ainsi celui qui aspirait à devenir commerçant ren
contrait au début la nécessité d’abdiquer toute dignité
et d’accepter le plus absolu, le plus dur seryage. Pen
dant cet apprentissage, dont la durée dépendait de l’uni
que volonté du patron, qui pouvait même le rendre
�14
NOTICE HISTORIQUE.
indéfini en faisant repousser le chef-d’œuvre devant le
terminer, il ne retirait aucun profit, aucun avantage
personnel; parvenait-il à la maîtrise, les ressources qu’il
aurait si utilement consacrées à son établissement se
trouvaient absorbées par les dépenses énormes qu’il
devait subir; pendant la durée de sa profession, il était
enchaîné à la volonté et aux passions des chefs de sa
communauté. A la moindre velléité d’indépendance, on
répondait par la saisie de ses marchandises, par leur
destruction, soit pour prétendu défaut de qualité delà
matière première, ou pour vice de fabrication, ce qui
était dans le cas de déterminer sa ruine immédiate.
En d’autres termes, les maîtrises et jurandes n'étaient
que de vastes coalitions violant, à l’égard de leurs pro
pres membres, toutes les idées d’équité et de justice ;
dangereuses pour le public, en maintenant le prix des
marchandises au taux arbitraire que l’intérêt des coali
sés faisait seul établir.
8.
— Comment se fait-il donc qu’un pareil état de
choses ait pu si longtemps se maintenir? Les règlements
de fabrication avaient d’abord été nécessaires pour éta
blir, généraliser et consolider les bonnes méthodes.
Mais ils ne pouvaient condamner à tout jamais le pro
grès. Ceux que le statu quo favorisait pouvaieut seuls
soutenir le contraire. Mais ils devaient craindre qu’on
s’aperçut enfin de la vérité, et que leur intérêt seul ne
fut pas une raison suffisante pour perpétuer l’erreur qui
leur était si avantageuse.
�NOTICE HISTORIQUE.
15
Ils eurent donc l’adresse non-seulement d ’intéresser
l’Etat, mais encore de le lier par un véritable contrat.
Jusque là, par un abus étrange, le droit au travail avaij
été seigneurial et féodal, ils le supposèrent royal et
domanial, et soutinrent qu’il pouvait être vendu par le
prince, acheté p a rle s sujets. Mettant immédiatement
cet axiome en pratique, les communautés achetèrent la
sanction de leurs règlements ; elles consentirent même
à en payer la confirmation à chaque changement de
règne. Bientôt de nouveaux privilèges devinrent un
nouveau sujet d’impôt, une nouvelle ressource pour
l’Etat. Une fois établi, cet impôt eut le sort de tous les
autres, c’est-à-dire que l’Etat n’oublia rien de ce qui
pouvait en augmenter la consistance et en rendre la
perception plus fructueuse.
On ne se contenta plus du simple droit de confirma
tion. On confirma les corporations déjà établies, on en
créa de nouvelles.
Un édit rendu par Henri III, en décembre 1581,
donna à l’institution des maîtrises et jurandes l’étendue
et la force d’une législation générale, établit les arts et
les métiers en corporations et communautés dans tou
tes les villes et lieux du royaume, assujettit à la maîtrise
tous les artisans. L’édit de 1597 en aggrava les disposi
tions, en imposant à tous les marchands la même loi
qu’aux artisans.
Enfin l’édit de mars 1673, en ordonnant l’exécution
des deux précédents, ajouta, au nombre des commu
nautés déjà existantes , d’autres communautés encore
�16
NOTICE HISTORIQUE.
inconnues, et, en en augmentant le nombre, multiplia la
matière de l’impôt.
En un mot, toutes les fois qu’une dépense trouvait le
trésor dans l’impossibilité d’y pourvoir, on s’en procu
rait le moyen par la création des corporations. C’est ce
qui résulte énergiquement de ce passage des Mémoires
du duc de Saint-Simon : « Le conseil est dans la né« cessilé d’établir des maîtrises nouvelles à cause du
a mariage du roi. o
Lorsque les créations successives eurent épuisé la
matière, et qu’il fut impossible d’en imaginer de nou
velles, le zèle des financiers ne s’arrêta pas ; ils surent
se procurer de nombreuses ressources en créant pour
chaque corporation , et sous diverses dénominations,
des offices destinés à être mis en vente et qu’on obligeait
les corporations à acquérir. Puis, suivant la politique
financière de la vénalité qui a été si longtemps la res
source journalière des contrôleurs généraux, on révo
quait tous ces offices ; on renvoyait à l'arriéré la liqui
dation de l’indemnité due à ceux qui les avaient achetés ;
et le lendemain, on recréait les mêmes charges pour les
vendre soit à d’autres, soit aux mêmes, moyennant une
nouvelle finance.
Les corporations, contentes d’obtenir le privilège
exclusif de leur profession, faisaient face à toutes ces
charges, avec d’autant plus de facilité que, devenant un
des éléments de la détermination du prix de revente,
elles ne pesaient réellement que sur les consommateurs.
Ajoutons qu’on finit même par porter atteinte à ce pri-
�NOTICE HISTORIQUE.
17
vilége exclusif. En effet, en 1767, le roi vendit à tous
ceux qui se présentèrent pour les acheter, étrangers ou
Français, des brevets qui, sans toucher aux maîtrises, en
tenaient lieu.
9.
— Turgot avait donc raison de le dire. C’est
d’une part l’esprit de monopole, de l’autre l’appât de
ces moyens de finance qui a prolongé l’illusion sur le
préjudice immense que l’existence des maîLrises et juran
des causait à l’industrie elle-même, sur l’atteinte qu’elle
portait au droit naturel et à l’intérêt public. C'est en
effet le besoin du trésor qui est principalement invoqué
dans les remontrances que le parlement de Paris adres
sait à l’occasion du décret de février 1776.
Ce monument de législation honore à jamais l’illus
tre ministre qui le proposa et l’infortuné monarque qui
le revêtit de sa signature. Les abus qu’il avait pour
objet de détruire y sont vivement retracés, et la réfuta
tion des objections que ce but soulève y est noblement
et énergiquement exprimée.
Nous avons déjà rappelé qu’on s’efforçait de faire
considérer comme royal et domanial le droit au travail,
pour en déduire que le prince pouvait le vendre et que
les sujets devaient l’acheter.
« Non, répondait l’édit. Dieu, en donnant à l’homme
des besoins, en lui rendant nécessaire la ressource du
travail, a fait du droit de travailler la propriété de tout
homme, et cette propriété est la première, la plus sa
crée, la plus imprescriptible dé toutes.
2
�18
NOTICE HISTORIQUE.
« Nous regardons donc comme un des premiers de
voirs de notre justice et comme un des actes les plus
dignes de notre bienveillance d’affranchir nos sujets de
toutes les atteintes portées à ce droit inaliénable de
l’humanité. Nous voulons en conséquence abroger ces
institutions arbitraires qui ne permettent pas à l’indi
gent de vivre de son travail ; qui repoussent un sexe à
qui sa faiblesse a donné plus de besoins et moins de res
sources, et semblent, en le condamnant à une misère
inévitable, seconder la séduction et la débauche ; qui
éloignent l’émulation et l’industrie, et rendent inutiles
les talents de ceux que les circonstances excluent de
l’entrée d’une communauté; qui privent l’Etat et les
arts de toutes les lumières que les étrangers y apporte
raient ; qui retardent le progrès des arts, par les diffi
cultés multipliées que rencontrent les inventeurs aux
quels les différentes communautés disputent le droit
d’exécuter des découvertes qu’elles n’ont pas faites ; qui,
par les frais immenses que les artisans sont obligés de
payer pour acquérir la faculté de travailler, parles exac
tions de toute espèce qu’ils essuyent, par des saisies
multipliées pour de prétendues contraventions, par
les dépenses et dissipations de tout genre, par les pro
cès interminables qu’occasionnent entre toutes ces com
munautés leurs prétentions respectives sur l'étendue
de leurs privilèges respectifs , surchargent l’industrie
d’un impôt énorme, onéreux aux sujets, sans aucun
fruit pour l’Etat ; qui, enfin, par la facilité qu’elles don
nent aux membres de cés communautés de se liguer
�NOTICE HISTORIQUE.
19
entre eux, de forcer les membres les plus pauvres à
subir la loi des plus riches, deviennent un instrument
de monopole et favorisent des manœuvres dont l'effet
est de hausser, au-dessus de leur proportion naturelle,
les denrées mêmes les plus nécessaires à la subsistance
du peuple. »
On ne cessait de se récrier contre un système de
liberté absolue. Rendre le commerce accessible à tous,
ajoutait-on, c’est l’exposer à une prompte décadence
par l’infériorité des productions désordonnées dont on
ne pourra se défendre, et contre laquelle il n’y aura
plus de protection.
« Nous ne serons point arrêté dans cet acte de jus
tice, répondait l’édit, par la crainte qu’une foule d’arti
sans n’usent de la liberté rendue à tous pour exercer
des métiers qu’ils ignorent, et que le public ne soit inon
dé d’ouvrages mal fabriqués. La liberté n’a point pro
duit ces fâcheux effets dans les lieux où elle est établie
depuis longtemps. Les ouvriers des faubourgs et des
autres lieux privilégiés ne travaillaient pas moins bien
que ceux de l’intérieur de Paris. Tout le monde sait
d’ailleurs combien la police des juraudes, quant à ce
qui concerne la perfection des ouvrages, est illusoire, et
que tous les membres des communautés étant portés
par l’esprit de corps à se soutenir les uns les autres, un
particulier qui se plaint se voit presque toujours con
damné, et se lasse de poursuivre, de tribunaux en tri
bunaux, une justice plus dispendieuse que l’objet de
sa plainte. «
�NOTICE HISTOTUQUE.
10.
— Devant une pareille volonté, devant un
pareil but, devant un tel langage, il semble qu’on ne
devait rencontrer partout que des témoignages d’adhé
sion et de reconnaissance. Il n'en fut pas ainsi ce
pendant. La résistance des parlements ne put être
vaincue. L’enregistrement de l’édit ne fut obtenu qu’à
la suite d’un lit de justice reçu à cette occasion en
mars 1776.
Comme toujours, l’opposition de ces grands corps se
dissimula sous le manteau de l’intérêt public et général.
C’était au nom du trésor, au nom du commerce impru
demment menacé et compromis, que l’avocat général
Séguier, dans la séance même du lit de justice, com
battait cet acte éclatant de réparation et d’équité. Mais
c’était ailleurs que gisait le motif réel de cette opposi
tion. Pour combler le vide qu’allait laisser la suppres
sion des maitrises, Turgot avait imaginé l’impôt foncier.
Cet impôt, observait l’avocat général, allait atteindre
le clergé et la noblesse, il s’agissait donc pour l’un et
pour l’autre de se dérober à ses atteintes.
Rendre cet impôt inutile était une manière nouvelle
d’atteindre à ce résultat. Or, comment arriver à le faire
considérer comme tel, plus péremptoirement que par
le maintien de celui qu’il était destiné à remplacer. Il
est donc permis de croire que l’opposition du parle
ment tenait beaucoup plus à son désir d’empêcher l’éta
blissement de l’impôt foncier qu’à sa conviction de
l’utilité du maintien des maîtrises et jurandes.
�NOTICE HISTORIQUE.
21
li.
— Quoiqu’il en soit, il est certain que l’effet
de cette opposition priva la France d’une réforme dont
le bénéfice était ardemment sollicité par tout ce qui
n’était pas intéressé à la conservation d’une institution
surannée et abusive. L’effet du lit de justice se fit à
peine sentir dans la ville de Paris. Cependant la se-rmence jetée par le grand ministre ne demeura pas sans
fruits. Bien que la mesure qu’il avait fait prendre ne
survécût pas à son pouvoir éphémère, quoique à peine
six mois se fussent écoulés que déjà on avait rétabli les
corporations, l'institution, blessée au cœur par les vérités
que Turgot avait publiées, ne put recouvrer son ancien
prestige et son antique force. Les jurandes ne reprirent
qu'une existence passagère, vain simulacre de ce qu'el
les avaient été autrefois. 1
II était réservé à l’Assemblée constituante d’accom
plir la tâche que Turgot s’était vainement proposée. La
loi du 2-17 mars 1791 proclama le grand principe de
la liberté absolue du commerce, en déclarant qu’il était
libre à toute personne de faire tel négoce, ou d’exercer
telle profession, art ou métier qu’elle trouverait bon, à
la condition de se munir d’une patente.
Soixante ans de ce régime n’ont pas manqué de prou
ver toute la justesse des espérances que Turgot avait
conçues et toute la puérilité des craintes qu’affectaient
ses adversaires. Loin de nuire au développement de
notre commerce, au perfectionnement de notre indits1 Dupont do Nemours, Mémoires sur la vie de Turgot, t. j, p. 362t
�22
NOTICE HISTORIQUE.
trie, la liberté leur a imprimé à l’un et à l’autre un plus
puissant, un plus rapide essor. Malgré les bouleverse
ments sociaux qu’elle a dû traverser, malgré les crises
nombreuses et terribles qui l’ont assaillie, la France
s’est placée à la tête des nations manufacturières et
commerçantes.
12. — L’ordonnance de 1673 n’était donc pas par
faite. De plus, elle laissait plusieurs lacunes que l’ex
périence avait signalées. Un projet de modification
avait même été conçu sous le règne de Louis XVI, mais
ce projet, préparé par M. de Miroménil, tomba dans
l’abandon et l’oubli par la retraite de ce ministre.
Mais les institutions dont la révolution avait doté la
France rendaient cette modification inévitable. La légis
lation de 1673 était devenue insuffisante. A chaque pas,
d’ailleurs, son application était entravée par des insti
tutions nouvelles, avec lesquelles elle ne pouvait être
en harmonie.
13. — C’est surtout dans les temps où les tempêtes
et les convulsions politiques ont amené le relâchement
de tous les liens sociaux, où il faut tout raffermir ou
plutôt tout reconstruire, que le commerce éprouve le
besoin d’une législation franche et sévère, capable de
lui rendre ses allures normales et de le maintenir dans
la voie du progrès. Heureusement le génie appelé à
protéger notre patrie avait trop d’intelligence pour ne
pas saisir l’importance de cette mission, trop de puis-
�NOTICE HISTORIQUE.
23
sance réelle pour ne pas la mener à bonne fin. Aussi, à
peine le calme succédait-il à l’orage que, par un décret
du 13 germinal an IX, les consuls instituèrent une com
mission chargée de la refonte de notre législation com
merciale, et de rédiger le projet d’un Code de com
merce. Comme en 1673 , cette commission compta
parmi ses membres , et même en majorité, les plus
notables commerçants de l’époque.
On ne se contenta même pas de l’appel fait à leur
expérience pratique. Le projet de la commission ayant
été présenté au gouvernement, un décret du 14 frimaire
an X en ordonna l’impression et l’envoi à tous les tri
bunaux et chambres de commerce, aux tribunaux d’ap
pel et à celui de cassation.
Les observations des uns et des autres furent soi
gneusement recueillies. Soumises à la commission,
elles firent introduire dans le projet diverses modifi
cations. Le travail de celle-ci, définitivement arrêté,
parvint à la section de l’intérieur, qui le présenta, titre
par titre, à la discussion du conseil d’E tat, sections
rénunies.
Î4 . — La commission avait divisé son projet en
trois parties, comprenant : la première, les lois régis
sant le commerce en général; la seconde, celles rela
tives au commerce maritime en particulier ; la troi
sième, celles concernant les faillites et les tribunaux de
commerce.
Cette division fut attaquée dans le sein du conseil
�24
NOTICE HISTORIQUE.
d’-Etat. On proposa de retrancher du Code de com
merce tout ce qui élait relatif au commerce maritime.
Les règles, soit administratives, soit judiciaires, le con
cernant, disait-on, appartiennent, par leur nature et par
le fait, beaucoup plus au droit des gens. Pourquoi,
donc, en confondre une partie avec les lois du com
merce intérieur? Ne serait-il pas préférable d’imiter le
législateur de 1681, et de les conserver toutes dans un
Code unique ?
On répondait que la proposition pourrait être fon
dée si la commission avait abordé la question politi
que de la compétence des tribunaux maritimes, ou la
question administrative de la police des ports. Mais,
faisait-on observer, elle s’en est soigneusement abste
nue, obéissant en cela à l’esprit des constitutions, divi
sant ce qui est relatif à la justice distributive et en
ce qui concerne l’administration; que la loi de 1790,
restreignant le mandat absolu conféré aux amirautés,
avait rendu aux tribunaux de commerce la partie de
la justice distributive pour le commerce extérieur ;
qu’il y aurait donc plus tard à examiner s’il y avait
lieu de conserver les amirautés ; mais qu’en atten
dant, et pour embrasser toute la matière du Code, il
fallait bien aller jusqu’aux règles du commerce mari
time, sans lequel le commerce de terre est beaucoup
moins étendu.
Ces raisons prévalurent. La proposition fut rejetée,
et la division adoptée par la commission maintenue.
Il est donc vrai de dire que, dans la préparation de
�NOTICE HISTORIQUE.
25
notre législation commerciale, rien de ce qui était sus
ceptible de lui faire atteindre le plus haut degré de
perfection n’a été négligé. Pour les origines, c’est la
commission qui nous l’apprend, on ne s’est pas con
tenté de recourir aux ordonnances de 1673 et 1681,
on a été les puiser dans la législation, dans les usages
qui les avaient précédés, soit en France, soit chez les
nations les plus commerçantes. Pour la détermination
des principes, on a voulu profiter de l’expérience théo
rique en recourant aux lumières des magistrats des
cours d’appel et de la cour de cassation ; de l’expé
rience pratique, en appelant les observations du commerce-tout entier, légalement représenté par les tri
bunaux, chambres et conseils de commerce. Rien donc
n’a été oublié pour rendre les prescriptions de la loi
telles que l’exigent les besoins et les intérêts qu’il fal
lait satisfaire et protéger.
15.
— Quant à son esprit, il est facile d’en juger
par le but que s’est proposé le Code ; par la manière
dont ses auteurs ont entendu leur mission. On ne
peut mieux apprécier ce qu’est le Code de com
merce et la manière dont on doit en diriger l’applica
tion, qu’en se rappelant ce que le législateur a voulu
qu’il fût. Or, à cet égard, nous ne pouvons que nous
borner à rappeler quelques paroles du rapporteur de
ja section de l’intérieur, M. Regnaud de Saint-Jeand’Angély.
Après avoir rappelé qu’à travers les orages que nous
�26
NOTICE HISTORIQUE.
venions de traverser, les moeurs de la nation en géné
ral, les mœurs commerciales en particulier avaient subi
de profondes altérations, qu’elles n’étaient même pas
encore fixées, l’orateur ajoute :
« 1! est d’une haute importance de les saisir dans
ce moment d’oscillation ; de les arrêter dans des ha
bitudes heureuses, honorables; de les diriger, osons
le d ire , de les ramener vers cette loyauté , cette
bonne foi dont nos grandes places de commerce fu
rent l’antique berceau, et dont elles conservent de no
bles modèles.
« Il est d’une haute importance de fondre dans un
système commun les usages et la jurisprudence de la
métropole et des pays réunis ; de faire disparaître l’in
fluence de ces arrêts de règlement émanés des parle
ments, et qui formaient une seconde législation au sein
de la législation primitive ; d’effacer la trace des règles
établies par les coutumes locales, par les lois municipa
les, premier bienfait et dernier inconvénient de notre
législation civile.
« Il est d’une haute importance que les lois commer
ciales de France conviennent également au commerce
de consommation des vastes cités ; au commerce spé
culateur des grands entrepôts ; au commerce indus
triel des grandes fabriques ; à la navigation immense
des grands ports ; au cabotage actif des petites rades ;
aux marchands de toile de Courtrais, de Gand, de Brélagne, de Maine-et-Loire, et aux fabriques de soirie de
Lyon et de Tours ; à ceux qui ont fait tisser la laine à
�NOTICE HISTORIQUE.
27
Elbeuf, à Sédan, à Louviers, à Vervins, et à ceux qui
font tisser le coton à Tarare, à Rouen, à Alençon, à
Paris, à Troyes.
« Il est d’une haute importance que le Code de com
merce soit rédigé dans des principes qui lui préparent
une influence universelle ; dans des principes qui soient
adoptés par toutes les nations commerçantes ; dans des
principes qui soient en harmonie avec les grandes habi
tudes commerciales qui embrassent et soumettent les
deux mondes.1 »
Voilà ce que devrait être le Code de commerce ;
voilà ce que le législateur a voulu qu’il fût. Est-ce là
ce qu’il est réellement? C’est à l’expérience acquise
par son fonctionnement, c’est aux monuments de la
jurisprudence qu’il faut demander la solution de cette
question. Dans tous les cas, ce qu’il importe de re
marquer, c’est que c’est là ce qu’il devrait être. En
conséquence , résoudre dans ce sens les difficultés
d’application que son texte peut soulever, c'est évi
demment se conformer à la véritable pensée du lé
gislateur.
16.
— L’étude de la législation commerciale se re
commande non-seulement aux magistrats et aux juris
consultes, mais encore à tous les commerçants. C’est
en la méditant que chacun d’eux appréciera sainement
i Corps législatif, séance du 1er septembre 1807 ; — Locré, t. xvn,
pag. 57.
�28
NOTICE HISTORIQUE.
l’étendue de ses obligations et de ses droits, et parvien
dra à se tracer une règle de conduite très-honorable
et très-sûre.
C’est par cette étude que les négociants honorés de
la mission d’appliquer la loi et de siéger dans les tribu
naux de commerce se mettront à même d’atteindre à
la hauteur du devoir qu’ils ont à remplir, et de justi
fier la confiance dont ils ont été investis.
Malheureusement, les soins qu’exigent les affaires
commerciales sont trop absorbants pour que ceux qui
y sont voués puissent consacrer à l’étude du droit tout
le temps qu’elle nécessiterait. On doit donc s’efforcer
de simplifier cette étude pour les mettre à même de
profiler utilement des courts instants qui leur sont lais
sés. Ce résultat serait un véritable service pour l’intérêt
général lui-même.
Le moyen, à notre avis, existe dans la méthode si
justement réhabilitée par M. Troplong, et sur laquelle
il a jeté tant de lustre par ses immortels ouvrages.
Un traité général, quelque parfait qu’il soit, et nous en
avons de ce genre sur la matière commerciale , offre
toujours quelque chose d’abstrait, exige des recher
ches plus ou moins longues, parce que la solution
qu’on désire y rencontrer ne résulte que de princi
pes disséminés dans plusieurs titres. Le commentaire,
au contraire, groupe sous un seul article toutes' les
difficultés que son application peut faire naître, con
centre l'attention et permet de saisir d’un seul coup
�I .
NOTICE HISTORIQUE.
•
•29
d’œil l’ensemble des principes et les solutions qu’ils
doivent recevoir.
C’est cette conviction, c’e st'l’espoir de contribuer à
familiariser le commerce avec les règles qui en sont
l’élément le plus essentiel qui nous a fait prendre la
plume et aborder une laborieuse tâche. Puisse l’indul
gence qu’ont rencontrée quelques faibles productions
ne pas manquer à celle-ci. Puissent surtout nos efforts
appeler dans la même voie quelques-uns de ces grands
noms qui ont jeté tant de vives et éclatantes lumières
sur le droit civil en général, et sur quelques titres du
Code de commerce en particulier.
4
��LIVRE PREMIER
OU COMMERCE EN GÉNÉRAL
TITRE Ier
Des
Commerçant»
A r t . 1 er
Sont commerçants ceux qui exercent des
actes de commerce et en font leur profession
habituelle.
SOMMAIRE
17. La nécessité de bien définir la qualité de commerçant résulte
des obligations, des devoirs et droits dont cette qualité est
la source.
18. Motifs du silence que le législateur de 1673 avait gardé à
cet égard.
19. Termes dans lesquels l’article 1" avait été conçu par la com
mission. Motifs qui le firent repousser.
20. Renvoi aux articles 632 et 633 de la nomenclature des actes
de commerce, formant l ’article 2 du projet primitif.
�32
DES COMMERÇANTS.
21. Leur relation intime avec l ’article 1".
22. Ce qui les distingue de celui-ci.
23. Conditions exigées par ce dernier pour être réputé commer
çant. Nature de la première.
24. L’acle de commerce doit avoir été exercé dans un but de
spéculation et de profit.
25. Conséquences pour celui qui se livrerait à cet exercice comme
mode d’administrer sa fortune personnelle.
26. Ou pour celui qui n’achèterait des marchandises que pour
son usage.
27. Cet usage est toujours présumé pour les achats faits par un
non-commerçant. Conséquences quant au billet à ordre
causé valeur en marchandises.
28. Ou pour celui dont la profession exige cet exercice.
29. Caractère de la seconde condition exigeant la profession ha
bituelle.
30. L'habitude résulte de l ’établissement public.
31. Le doute ne pourrait naître que lorsque l’habitude aurait été
contractée sans que rien n ’annonçât publiquement la pro
fession de commerçant.
32. C’est dans ce but que l ’expression p r o f e s s i o n h a b i t u e l l e a
été substituée à celle de p r o f e s s i o n p r i n c i p a l e , qui figu
rait au projet primitif.
33. Effet de l’exercice habituel, même en cas d’incompatibilité
dans la profession acquise.
34. A qui appartient le droit de le constater ? Quels en sont les
éléments ?
53. Effets de la prise ou de l ’absence de la patente.
36. Affinité entre la profession des artisans et celle des commer
çants.
37. À quelles conditions devra-t-on mettre les premiers sur la
même ligne que les derniers ?
38. Différence entre l’ouvrier travaillant é la façon et n ’em
ployant que le secours d’un compagnon ou apprenti et ce
lui qui en occupe un plus ou moins grand nombre.
�ART.
1.
33
39. Faut-il assimiler à celui-ci celui qui, n’ayant pas d’atelier,
fait travailler ses ouvriers dans leur propre domicile ?
40. Résumé.
41. Dans quelle catégorie faut-il placer l’ouvrier qui, travaillant
peu, n'achète la matière première qu'au fur et à mpsure
des commandes qu’il reçoit.
42. Opinion de M. Pardessus le rangeant dans la classe des sim
ples artisans.
43. Réfutation.
44. Les mêmes principes doivent faire résoudre la question à
l ’endroit des artisans revendeurs.
45. Le débitant de tabac peut-il être rangé dans la catégorie des
commerçants ?
46. Q u id du maître de poste ?
47. Applications diverses de la maxime que l ’acte commer
cial en lui-mêm e doit avoir pour but la spéculation.
48. Examen de diverses hypothèses où la qualité de commerçant
a été prise ou acceptée.
49. P r e m i è r e h y p o t h è s e . Prise de qualité dans le contrat dont
l ’exécution est poursuivie. Controverse sous l ’ancien
droit.
*
50. Etat de la doctrine sous l’empire du Code, relativement à la
contrainte par corps.
51. A l'endroit de la compétence consulaire.
52. Conclusion.
53. Arrêt contraire de la Cour de Paris. Opinion de MM. Dalloz
et Coin-Delisle à cet égard.
54. Réfutation de l ’opinion de ce dernier, exigeant que la
preuve d’une autre profession soit toute faite à l ’au
dience.
55. Le titre renfermant la qualification de commerçant doit être
le fait exclusif du débiteur. Conséquences si cette qua
lification n’existe que dans le corps de l ’acte non écrit
par lui.
3
�34
56.
DES COMMERÇANTS
L’exception de non - commercialité de la personne peut
être opposée pour la première fois en appel. Dans quel
cas ?
57. D e u x i è m e h y p o t h è s e . Prise de qualité dans des actes ou
dans des procédures. Opinion de M. Pardessus.
58. Distinction, suivant qu’il s ’agit de tiers ou du débiteur luimême.
59. Effets par rapport aux tiers.
60. Par rapport au débiteur, s’il a pris la qualité par lui-m êm e
ou par son mandataire légal.
61. Q u id si cette qualité lui a été donnée par l ’autre partie.
62. T r o i s i è m e h y p o t h è s e . Qualité reçue en jugement. Ses
effets.
63. Comment on doit agir dans leur application.
64. Caractère que doivent présenter les actes et jugements dont
on veut faire résulter la qualité de commerçant.
65. Admissibilité de la preuve testimoniale dans la recherche de
cette qualité.
66. Exceptions que comporte la liberté illimitée. Incompatibili
tés, droit ancien.
66bis. Droit nouveau, noblesse, clergé, m agistrats, avocats,
avoués, notaires.
66ter. Fonctionnaires, articles 175 et 176 Code Pénal.
66quatuor Agents de change et courtiers, position que fait à ces
derniers la loi de 1866 qui a rendu le courtage libre.
66qumto, LeS personnes qui ne peuvent exercer le commerce à
raison d’incompatibilité, peuvent-elles autoriser leur fem
me à être marchande publique ?
66sexto_ Dans quel cas l ’acte fait contrairement à la loi d’incom
patibilité est-il nul, caractère de la nullité.
66septimo. Controverse sur la question de savoir si dans le cas de
l ’article 176 Code Pénal, la nullité est opposable aux tiers.
Solution négative.
�ART. 1
35
17. — Les obligations générales ou spéciales im
posées aux commerçants, la nature de la juridiction à
laquelle ils sont déférés, le mode d’exécution de leurs
engagements, enfin les règles exceptionnelles auxquelles
est soumise leur déconfiture, faisaient au législateur
commercial un devoir rigoureux de déterminer à quels
caractères on devait reconnaître l’existence de celle
qualité. Accomplir ce devoir, tel a été le but #de l’arti
cle 1" du Code de commerce.
18. — On chercherait vainement une disposition
analogue dans notre ancienne législation. Ce silence de
l’ordonnance de 1673 notamment, s’explique d’une
manière fort naturelle. Sans doute, sous son empire, il
convenait de ne pas confondre le commerçant avec ce
lui qui ne l’était pas, mais aucun doute ne pouvait naî
tre à cet égard. Cette qualité était à cette époque un
privilège s’acquérant au prix de dépenses que nous
avons dit être considérables. Ellé résultait forcément de
l’admission à la maîtrise, et nul autre que les membres
des communautés organisées ne pouvait exercer le
commerce.
La loi n’avait donc pas à définir le commerçant. Elle
acceptait comme tel celui qui en avait acquis la qualité
par son admission dans uue des communautés commer
çantes.
L’abolition des maîtrises et jurandes a fait de l’exer
cice du commerce le droit commun de la France. Cette
innovation commandait de déterminer à quelles condi-
�36
DES COMMERCANTS
' ■
tions on serait censé avoir usé de ce droit ; dans quels
cas on serait soumis à la juridiction consulaire, obligé •
avec contrainte par corps, et au besoin déclaré en état
de faillite.1
Notre article était donc une conséquence naturelle et
forcée du régime de liberté sous lequel la France se
trouvait placée relativement au commerce. Il était sur
tout nécessité par le motif qu’on ne pouvait permettre
à celui qui en avait recherché les avantages d’en répu
dier les charges.
19. — Dans le projet préparé par la commission,
l’article 1er rappelait le principe déjà proclamé par la
loi de 1791, à savoir : qu’il était libre à toutes per
sonnes de se livrer au commerce. L’article 2 donnait
immédiatement la nomenclature des actes réputés com
merciaux.
Dans la discussion au conseil d’Etat, on demanda la
suppression de ce premier article. Les principes sur la
liberté du négoce, faisait-on observer, ne sont à leur
place que dans un Code politique. D’ailleurs, il n’est pas
exactement vrai que toute personne ait, en France, le
droit de faire le commerce, puisqu’il existe encore des
professions incompatibles avec ce droit ; enfin, ajoutait
M. Bégouen, l’article est d’autant moins nécessaire,
qu’il est de principe que tout ce qui n’est pas défendu
par la loi est permis.
2 0. — Quant à la nomenclature des actes commeri On sait qu’une loi spéciale a aboli la contrainte par corps.
�ART.
1
37
ciaux ou réputés tels, on la considéra comme n’étant
pas à sa place dans cette partie du Code. Se référant
principalement à la compétence des tribunaux de com
merce, il parut plus convenable de la renvoyer au titre
régissant cette matière. Elle a été classée sous les arti
cles 632 et 633.
Mais chacun convenait de l’utilité immense qu’il y
avait à fixer, dès le premier pas, ce qui concernait la
qualité de commerçant. Il importait d’éviter toute dif
ficulté pouvant surgir à cet égard. Il fallait surtout que
celui qui se serait livré réellement au commerce ne pût
se soustraire à la législation spéciale , même sous le
prétexte d’incompatibilité de ses fonctions. La disposi
tion actuelle fut donc substituée à celle de la com
mission.
2 | . — Malgré la place assignée à la nomenclature
des actes de commerce, on ne saurait méconnaître la
relation intime qui lie l’article 1er avec les articles 632
et 633 qui la renferment. On peut dire avec vérité que
l’application du premier forcera de recourir à la dis
position de ceux-ci. En effet, la qualité de commer
çant étant le résultat de la profession habituelle d’actes
de commerce, il faudra toujours rechercher si ceux
dont on veut la déduire rentrent ou non dans les actes
réputés tels par la loi.
22. — Ce qui distingue ces trois dispositions, c’est
que la profession habituelle dont s’occupe l’article 1er
�38
DES COMMERÇANTS
ne sera utile que dans les questions de compétence
générale et personnelle; que relativement à la présomp
tion légale édictée par l’article 638, et à l’application
des lois de faillite. Mais la connaissance d’un litige,
à l’occasion d’un fait de commerce, n’en appartient pas
moins au tribunal de commerce. Quel que soit l’auteur,
la condamnation ne sera pas moins prononcée avec
contrainte par corps. Or, c’est pour régler cette com
pétence purement matérielle, que les articles 632 et
633 ont pris place dans le Code.
Cependant l’article t er peut, même à ce point de vue,
avoir un effet important. Il est, en effet, tels actes qui
n’empruntent leur commercialité qu’à la personne ellemême. Ainsi les billets à ordre ne sont réputés actes
de commerce que s’ils sont souscrits par des commer
çants. Il est vrai qu’il suffit qu'ils soient revêtus de la
signature de commerçants, pour que le tribunal consu
laire prononce compétemment entre les signataires qui
ne le sont pas. Mais, dans ce cas même, la profession
habituelle d’actes de commerce pourrait être opposée
avec succès à celui qui se placerait dans celte dernière
catégorie, puisque son existence entraînerait la con
trainte par corps, que le tribunal ne pourrait pas pro
noncer autrement.
Dans,cette hypothèse donc, comme dans celle de
l’article 638, comme dans celle de déconfiture, la qua
lité acquise de commerçant pourra avoir les plus gra
ves conséquences. Sa détermination intéressera nonseulement les parties, mais encore les tiers, la femme
�V
ART.
1
39
dn débiteur elle-même. Cette détermination ne pourra
se faire que par une intelligente et saine application de
l’article que nous examinons.
2 5.
— O r, cet article exige deux conditions :
1° exercice d’actes de commerce; 2° exercice consti
tuant la profession habituelle.
La première de ces conditions n’est pas de nature à
soulever de bien graves difficultés. Les actes exercés
rentrent-ils dans une des catégories des articles 632 et
633? C’est dans cette unique question que semblerait
devoir se concentrer un litige de la nature de celui que
nous supposons.
24. — Mais il importe de remarquer que ce n’est
pas tout de se livrer matériellement à des actes réputés
commerciaux. On doit en outre, pour que cet exercice
puisse conférer la qualité de commerçant, exiger qu’il
ait été réalisé dans un but de spéculation et pour se pro
curer des bénéfices éventuels. L’acte de commerce
exécuté dans l ’administration de ses propres affaires,
sans autre esprit que de réaliser ses revenus ou ses res
sources, ne pourrait donc, quelque répété, quelque
habituel qu’il fût, constituer la qualité de commerçant.
2 5. — Ainsi, un individu ayant des fonds à toucher
à des époques fixes ou indéterminées, sur des places
fort éloignées de son domicile, tire sur ses débiteurs ou
sur le mandataire entre les mains duquel ils ont payés.
11 se procure ainsi sur la localité qu’il habite, et par la
�I
4-0
DES COMMERÇANTS
-voie du change, les ressources qu’il serait obligé d'aller
chercher au loin.
Evidemment la réalité du contrat de change imprime
à chacune de ces opérations le caractère commercial.
Aussi si l’un des mandats, lettre de change ou simple
billet, revient impayé, le tribunal de commerce sera
compétent pour juger la demande en remboursement,
et le tireur pourra être condamné avec contrainte par
corps. Mais la profession habituelle de ces opérations
ne fait pas acquérir la qualité de commerçant, car,
dégagées de toute idée de lucre ou de trafic, ces opé
rations ne peuvent constituer qu’un mode de gestion.
Prises ensemble ou séparément, elles n’ont de com
mercial que la forme. Elles ne sont, au fond, que des
actes d’administration d’une fortune personnelle que
chacun est libre de diriger de la manière la plus con
venable à ses intérêts. Il en serait de même si, au lieu
d’avoir à réaliser, on avait à payer sur d'autres places.
Les opérations de banque réalisées à cet effet, à moins
que la dette à acquitter ne fût contractée à l’occasion
d’une transaction commerciale, n’ont de commercial
que la forme. Il serait par trop étrange qu’on pût de
venir commerçant par cela seul que, débiteur ou man
dataire chargé de recouvrer les revenus d’un tiers,
on le solderait de ce dont on lui est redevable au moyen
d’une opération de banque.1
1 Pardessus, Droit comm., n°5 -12 et 79 ; — Merlin, Rép, v“ Comm.,
n° 9 ; — Oi'illard, Comp. des trib. de comm., n° 144.
�ART.
i
41
26. — L’achat habituel de marchandises pour son
usage personnel ne conférerait pas non plus la qualité
de commerçant. Indépendamment de l’absence de tout
esprit de négoce ou de trafic, il y a dans cette hypo
thèse une raison décisive, à savoir : qu’en la forme
même, cet acte n’a rien de commercial. Aux termes
de la loi, l’achat de marchandises ne revêt ce caractère
que lorsqu’il est contracté en vue de la revente. Consé
quemment, celui qui n’achète que pour ses besoins
personnels ne fait qu’un acte ordinaire de la vie com
mune , qui ne le soumet même pas à la juridiction
consulaire.
27. — Il y a même mieux , le non-commerçant
achetant des marchandises n’est présumé le faire que
pour son usage personnel. Par application de cette
présomption, on a justement décidé que le tribunal de
commerce est incompétent pour connaître d’un billet
à ordre souscrit par un non-commerçant, quoique causé
valeur en marchandises, alors qu’il n’est pas justifié
qu’il ne les a achetées que pour les revendre.1
28. —• Enfin, il est des personnes pour lesquelles
l’exercice habituel d’actes de commerce n’est que la
conséquence des fonctions qu’elles sont appelées à
remplir. Tels sont les payeurs, receveurs, percepteurs
et autres comptables des deniers publics. On comprend
i Wouguier, Lettres de ch., t. i, pag. 513 ; — Angers, 11 juin 1824 ;
Lyon, 26 fév. 1829; Paris, 19 mars 1831,
�r
42
DES COMMERÇANTS
dès lors que tant que cet exercice se renferme dans les
limites qui lui sont tracées, il ne puisse être susceptible
de leur conférer la qualité de commerçant. Mais ils n’en
sont pas moins justiciables du tribunal de commerce
pour chaque fait commercial.
Du jour où sortant de ces limites et dans un but de
trafic, ils multiplieront les actes de commerce, l’immu
nité qu’ils puisent dans l’exercice de leurs fonctions
cessera de les protéger. Devenus, par la multiplication
des actes de commerce extra-légalement accomplis,
de véritables commerçants, ils seront soumis à toutes
les obligations, à tous les devoirs résultant de cette
qualité. Ils pourront conséquemment être déclarés en
état de faillite.
2 9 . — La seconde condition exigée par la loi, à
savoir : l’exercice constituant la profession habituelle,
était indiquée par la raison. Il n’est peut-être pas d’in
dividu qui n’ait, dans le cours de sa vie, participé à un
ou plusieurs actes de commerce, souscrit quelques let
tres de change, opéré quelques négociations avec des
capitalistes ou banquiers. Faire dépendre la qualité de
commerçant de la commercialité de ces actes plus ou
moins nombreux, plus ou moins rapprochés les uns
des autres, c’était s’exposer à n’avoir plus que des com
merçants dans toutes les classes de la société.
30. — D’autre part, il faut bien se garder d’équivoquer sur le sens de l’expression profession habituelle
�ART.
1
43
dont se sert le législateur. On serait tenté, en effet,
de lui reprocher d’avoir employé une locution impro
pre , puisque la profession implique nécessairement
l’habitude. Mais l’intention de la loi n’a pas été de s’oc
cuper de la qualité de commerçant, acquise par un éta
blissement patent et public. Elle n’avait pas même à le
faire, car aucune difficulté ne pouvait être prévue dans
une pareille hypothèse.
Comment, en effet, douter de la qualité de commer
çant de celui qui prendrait enseigne et boutique; ou
vrirait un magasin ; annoncerait, par affiches, circulai
res ou tout autre mode de publicité, qu’il entend
exercer telle profession commerciale , débiter telles
marchandises ; qui obtiendrait de l’administration les
autorisations exigées pour certains genres de commerce,
et paierait les contributions qui s’y rattachent. Peu im
porterait en pareil cas que l’auteur de cet établissement
vendît peu ou beaucoup. Il est prêt à le faire dès que
l’occasion s’en présentera ; il en a pris l’engagement
formel et public. A quoi bon, dès lors, recourir à des
présomptions. La vérité ne résulte-t-elle pas éclatante
d’un pareil ensemble de faits ? La qualité de commerçant
n’est-elle pas suffisamment indiquée?1
31.
Le doute ne pouvait naître que lorsqu’en
l’absence de tout établissement, ou bien en présence
d’une profession étrangère ou incompatible, il s’agirait
1 Pardessus, Droit comm., iococitalo, — Nouguier, n° 143.
�44
DES COMMERÇANTS
de rechercher si le débiteur est ou non devenu com
merçant. C’est principalement cette difficulté que le
législateur a eu en vue, et qu’il a voulu résoudre par la
disposition de l’article 1er.
5 2. — Ce qui le prouve, c’est que l’expression pro
fession habituelle fut substituée à celle de profession
principale dont s’était servi le projet soumis à la dis
cussion. Ce qui fît admettre cette substitution fut pré
cisément la remarque que si on maintenait les termes
du projet, on donnerait lieu aux individus, conciliant
l’habitude des actes de commerce avec une profession
quelconque, de soutenir que celle-ci était leur profes
sion principale, ce qui ne manquerait pas, dans bien de
cas, d’embarrasser les tribunaux.1
35.
— Ainsi, quelle que soit la profession qu’on
exerce, fût-elle même légalement déclarée incompati
ble avec le commerce, l’habitude des actes commerciaux
imprime à celui qui s’y livre la qualité de commer
çant, lui en impose les obligations et les devoirs, lui
rend commune la législation régissant la faillite. C’est
par application de ces principes que non-seulement des
receveurs d’enregistrement, des conservateurs des hy
pothèques, mais encore des avocats, des notaires, des
huissiers se sont vus judiciairement imprimer le carac
tère de faillis.8
1 Locré, Esprit du Cod. de comm., art. 1er, n° %.
2 y.
n o tre C om m . de la lo i des f a i ll i te s , art. 437.
�ART.
1.
45
L’habitude est donc pour tous ce que l’établissement
public est pour le commerçant avéré. Réunissant les
mêmes circonstances,, elle doit produire un effet iden
tique. Mais ce qui n’est pas contestable pour celui-ci,
le devient au contraire très-fort pour celle-là. L’habi‘ tude, en effet, est une de ces abstractions qui ne peu
vent obéir à aucune règle positive et invariable.
51. — Sa constatation est donc forcément laissée à
l’arbitrage du juge dont la décision, en fait, a une au
torité souveraine. Les éléments de son appréciation
peuvent être utilement puisés dans la nature des faits,
leur caractère, leur objél ; dans leur multiplicité, dans
la rapidité et la fréquence de leur succession. Autre
chose seraient, en effet, des actes de commerce réalisés
à des époques voisines les unes des autres, autre chose
ceux séparés entre eux par de longs intervalles. Quel
que nombreux qu’eussent été ces derniers, on pourrait
les considérer comme des actes isolés , sans liaison
nécessaire entre eux et, conséquemment, incapables
de constituer la profession habituelle. Enfin la notoriété
publique, l’opinion générale, dont le fondement repose
sur des notions habituelles, pourraient être utilement
consultées.
35. — La loi assujettissant le commerçant à la pa
tente, il semble qu’on devrait trouver dans l’existence
ou l’absence de celle-ci un élément de décision lors
qu’il s’agit de la qualité de commerçant. Le contraire
�46
DES COMMERÇANTS
est cependant admis, et dès que la certitude de la pro
fession habituelle d’actes de commerce est démontrée
et acquise, le défaut de patente est fort indifférent, et
ne fait nul obstacle à ce que son auteur soit déclaré
commerçant.1
Que la patente puisse être considérée comme un
signe de commercialité lorsqu’elle a été prise, cela se
comprend, car le consentement à la payer indique au
moins l’intention de se livrer au commerce. Mais, mê
me dans cette hypothèse , son existence ne devient
efficace que si elle est accompagnée de l’exercice effec
tif d’actes de commerce. Si l’existence de la patente
suffisait pour conférer la qualité de commerçant, il
faudrait admettre qu’elle déterminerait à elle seule la
commercialité des actes, ce qui est inadmissible. Ainsi,
l’acte non-commercial pour le non-patenté, reste tel
pour le patenté lui-même. C’est ce que la Cour de Metz
a décidé en jugeant, le 24 novembre 1840, que le pro
priétaire d’une ardoisière ne peut être réputé commer
çant, bien qu’il façonne lui-même des ardoises et qu’il
ait pris une patente.2
En résumé donc, la prise de la patente ou son dé
faut ne donne ni n’enlève la qualité de commerçant.
Cette qualité s'acquiert d’abord par la profession pu
blique de marchands, négociants, banquiers, fabricants.
Elle s’acquiert encore par l’exercice habituel d’actes
1 Cass., 24 ju in 1828; — V. Pardessus, n« 84 ; — Orillard, n° 142.
2 J. D. P , t. h, 1841, pag. 512.
�ART.
1.
47
réputés commerciaux par les articles 632 et 633 du
Code de commerce, à la condition toutefois que cet
exercice se réalise dans un esprit de spéculation et de
lucre, qu’on ne puisse le confondre avec le mode d’ad
ministration de ses propres affaires, et qu’il ne soit
pas une conséquence nécessaire des fonctions qu’on
exerce.
36. — U est des professions ayant avec le com
merce de telles affinités, qu’il est assez difficile de dé
cider si ceux qui les exercent doivent être ou non ré
putés commerçants, De ce nombre est celle des arti
sans de tout genre. Occupons-nous d’abord des indus
triels ou ouvriers appelés à confectionner une matière
quelconque.
Le louage d’œuvre et d’industrie ne constitue pas
une profession commerciale. Mais, comme toutes les
autres, elle est dans le cas d’offrir l’occasion de se livrer
à des actes de commerce dont l’exercice habituel doit,
dans toutes les hypothèses, faire acquérir la qualité de
commerçant.
37. — Cette considération signale une observation
d’une utilité incontestable, lorsqu’il s’agit de savoir si
un ouvrier quelconque est ou non commerçant. Ce n’est
pas à proprement parler l’industrie qu’il faudra consi
dérer. Ce qui est essentiel et important, c’est de con
sulter le développement que cette industrie a reçu entre
les mains de l’ouvrier.
�48
DES COMMERCANTS
Pourquoi un fabricant acquiert-il la qualité de com
merçant? Parce qu’il achète la matière première pour la
revendre après l’avoir fabriquée. Il est évident que si
l’artisan remplit de son côté la même condition, il doit
arriver à un résultat identique.
Dès lors l’ouvrier, quel qu’il soit, qui n’a jamais tra
vaillé qu’à la façon, sur des matières qui lui sont four
nies par le maître, n’a jamais acquis la qualité de com
merçant. L’acte qu’il a accompli n’est qu’un simple
louage d’œuvre et d’industrie dont la fréquente répéti
tion, dont l’habitude même ne pouvait produire un ré
sultat contraire, par la raison décisive que cet acte n’a
au fond et par lui-même rien de commercial.
Celui, au contraire, qui fournit la matière sur la
quelle il travaille, a acquis , par l’habitude qu’il en a
contractée, la qualité de commerçant. En effet, il n’a
pu le faire qu’en se mettant en mesure, par des achats
successifs, de remplir les commandes qu’il est dans le
cas de recevoir.
Peu importerait même que dans plusieurs circons
tances il se fût contenté de fournir son industrie en fa
çonnant les matériaux, fournis par celui avec qui il au
rait traité. Quelques fréquentes que fussent ces occa
sions, constituassent-elles une profession, elles ne fe
raient nul obstacle à ce qu’on le considérât comme com
merçant, s’il était convaincu de s’être livré habituelle
ment à des actes de commerce. La loi, en effet, n’exige
pas que leur exercice soit exclusif. Conséquemment,
l’achaL de matière pour la revendre après l’avoir ouvrée
�ART.
49
1.
étant un acte de commerce, l’habitude qu’en aurait
contractée l’artisan le rangerait sous l’empire de l’article
1er que nous examinons.
La preuve, au reste, que chez le fabricant véritable
la qualité de commerçant tient moins à son industrie
qu’aux actes de commerce dont elle est l’occasion ,
nous est fournie par celte règle dont l'application ne
rencontre aucune contradiction, à savoir : que celui qui
se bornerait à fabriquer ses propres produits, pour les
revendre ensuite, ne ferait pas même un acte de com
merce. C’est ce que la Cour de Métz décidait dans l’ar
rêt que nous avons cité, pour le propriétaire d'une
ardoisière. C’est ce que la cour de Douai consacrait, le
21 juillet 1830, en faveur du fabricant de sucre de bet
terave n’exploitant que ses propres récoltes.
On a été plus loin encore. On n’a pas hésité à assimi
ler à ce propriétaire celui qui ne se livre à la prépara
tion des matières, ou à l’achat pour revendre, que pour
satisfaire aux exigences de sa profession. Ainsi, sans
contestation aucune, le pharmacien est considéré com
me commerçant. Eh bien ! il est admis que l’officier de
santé, dans une localité où il n’existe pas de pharma
cien ; que le médecin ou chirurgien de campagne, pré
parant ou achetant, pour les revendre, des médica
ments, ne faisait pas un acte commercial^ s’il se bor
nait à les fournir aux malades près desquels il est ap
pelé.1
i Carré, t. vu, pag. 4 54 ; — Toulouse, 6 mars 4843; — J. D. P
1 .1, 4 835, pag. 334.
4
�60
DES COMMERÇANTS
Il
suit de ce qui précède que le louage d'industrie ne
devient acte de commerce que lorsqu’il s’exerce sur
une échelle assez vaste pour constituer une entreprise
de manufactures ; qu’ainsi l’ouvrier qui n’achète pas la
matière première, mais dont l’industrie consiste à ren
dre confectionnée, moyennant salaire, la matière qu’on
lui confie, doit être considéré comme un simple arti
san n’ayant jamais pu acquérir la qualité de commer
çant.1
3 8.
— Ce résultat ne saurait être empêché par cela
seul que cet artisan se ferait assister dans la confection
par un compagnon ou un apprenti à ses gages. Un pa
reil concours serait insuffisant pour faire perdre à l'acte
son caractère de simple louage d’industrie.2 Devrait-il
considérable, employait habituellement un grand nom
bre d’ouvriers?
Oui sans doute, car dans cette hypothèse l’industrie
de l’ouvrier serait assimilée à une entreprise de manu
factures. Son caractère commercial ressortirait du profit
qu’il retire du travail de ses ouvriers sur lequel il spé
cule. Il devrait donc être considéré comme commer
çant.3
3 9 . — En serait-il de même si les nombreux oui Cass., 2 décembre 1836 ; — J. du P., t. i, 1837; pag. 620.
j
pag. 179; — Vincens, Lég. comm., t. i, pag, 1 4 i; — O rillard, n° 149.
a Pardessus, 1 .1, n° 81.
s Carré,
/
V
,
•
�ART. i .
51
vriers employés par l’artisan travaillaient chacun dans
son domicile? Non, dit M. Coin-Delisle. Il n’y a là que
l’acte d’un ouvrier qui en fait travailler d’autres, et qui
reloue à un prix plus élevé des services qu’on lui a
loués pour un moindre prix, c’est un artisan plus aisé,
si l’on veut, que ceux qu’il emploie, mais ce n’en est
pas moins un simple artisan.1
Mais n’y a-t-il pas une grande différence entre celui
qui loue sa propre industrie, et celui qui ajoute à celleci la location de l’industrie d’autrui ? Que le premier ne
soit qu’un simple artisan, on le conçoit. 11 ne perçoit
que le juste salaire de son travail. Mais le second est un
véritable entrepreneur à la façon, car, à l’aide de ses
ouvriers, il se charge de travaux au-delà de ce qu’il
pourrait faire s’il était réduit à ses propres forces, et
il retire un profit du travail de ceux qu’il emploie.
La loi l’a tellement jugé ainsi que, par des disposi
tions répétées, elle défère, en premier ressort, aux prudhommes et, par appel, aux tribunaux de commerce,
les difficultés s’élevant entre maîtres et ouvriers dans
l'hypothèse môme qui nous occupe.2 Eût-elle fait de
même, si le contrat intervenu entre eux ne lui avait pas
paru un acte essentiellement commercial! Et si cet acte
est légalement considéré comme tel , l’habitude de
son exercice ne doit-elle pas conférer la qualité de
commerçant?
l De la contrainte par corps, pag. 79.
s Loi du 18 m ars 1805; — décret des 11 juin 1809, 3 août 1810,
7 août 1810.
�52
DES COMMERÇANTS
D'autre part, il y a réellement entreprise de manu
factures dans la convention par laquelle l’une des par
ties s’engage à exécuter l’ouvrage qui lui est commandé
par l’autre avec une matière fournie, moyennant une
rétribution stipulée, ou qui, à défaut de la convention,
doit être déterminée par experts. La condition que la
matière soit fournie par celui envers qui l’ouvrier s’en
gage est essentielle ; autrement le contrat serait une
vente de matière travaillée.1 Si cette opinion ne peut,
ainsi que nous l’avons vu, concerner celui qui ne loue
que son propre travail, elle est exacte pour celui qui
spécule sur le travail d’autrui. La convention, dans ce
cas, n’étant plus un simple louage d’industrie, mais bien
l’acte d’un entrepreneur de travaux.
Ainsi, commercial des ouvriers aux maîtres, l’acte
l’est également de celui-ci à celui envers lequel il s’en
gage. La qualité de commerçant doit donc nécessaire
ment en résulter.
40.
— En résumé, dès qu’il s’agit de décider si un
ouvrier, un artisan, à quelque profession qu’il appartienne
d’ailleurs, a ou non acquis la qualité de commerçant, on
doit se référer au mode dans lequel il a exploité son
industrie.
11 est commerçant, s’il a habituellement fourni tout
ou partie de la matière sur laquelle il a travaillé. Les
achats auxquels il a dû se livrer, à cet effet, rentrent
1 V. Pardessus, n° 35.
�ART.
I.
53
dans la catégorie de ceux dont s’occupe l’article 632,
et dont l’exercice habituel confère la qualité de com
merçant.
Celte conséquence ne reçoit qu’une seule exception,
à savoir : lorsque la partie fournie par l’ouvrier est tel
lement minime, tellement accessoire, qu’il serait dérai
sonnable de lui faire produire le moindre effet. C’est
ainsi qu’on ne pourrait, sans une sévérité outrée, con
sidérer comme commerçant le tailleur qui ne fournit
que le fil ou la soie pour la confection des habillements
qu’il fait à la façon ; le menuisier fournissant des clous
pour l’assemblage des meubles.
A plus forte raison ne considèrerait-on pas comme
tel l’ouvrier exclusivement voué à confectionner la ma
tière qui lui est fournie par le propriétaire. Alors, en
effet, le contrat ne constituera qu’un simple louage
d’œuvres et d’industrie qui, n’ayant rien de commercial
en lui-même, ne saurait faire acquérir, quelque habi
tuel qu’il eût été, la qualité de commerçant.
Mais cette règle subit à son tour une exception lors
que l’ouvrier à façon, entrepreneur de confection, em
ploie de nombreux ouvriers sur le travail desquels il
spécule. Son industrie constituant une véritable entre
prise de manufactures, son exercice habituel le consti
tuera commerçant.
41.
— Ces notions simples, claires et positives,
paraissant de nature à prévenir toute sérieuse difficulté,
n’ont pas cependant empêché la controverse de s’établir
�54
DES C0MMERÇ1NTS
sur une question qui, à notre avis, en était peu sus
ceptible.
On s’est demandé s’il fallait les appliquer aux arti
sans qui n’achètent et ne fabriquent la matière première
dont ils ont besoin qu’au fur et à mesure des comman
des qui leur sont faites ; qui ne travaillent que pour
pouvoir subvenir à leurs besoins les plus urgents et à
ceux de leur famille ; si, par suite, il ne conviendrait
pas de ne donner la qualité de commerçant qu’aux
artisans qui, avec les matières achetées et le secours
des ouvriers qu’ils emploient, fabriquent des objets
qu’ils livrent à des débitants, ou qu’ils tiennent expo
sés en magasin ou en boutique, en un mot. qui font
travailler à l’avance pour vendre ou débiter à tout ve
nant, et à ceux qui, sans acheter des matières premières
pour les revendre travaillées, tiennent des ateliers où
Ms emploient, à confectionner celle qu’on leur remet à
cette fin, des ouvriers qu’ils dirigent et salarient, et sur
le travail desquels ils spéculent?
La nécessité d’une distinction entre les uns et les
autres était indiquée, en 1811, par une circulaire du
ministre de la justice. Mais, en supposant celle distinc
tion équitable, est-elle juridique et acceptable en droit?
42.
— M. Pardessus penche pour l'affirmative. 11 y
aurait, dit-il, plus de subtilité que de raison à préten
dre que le plus ou moins ne change rien à la question;
qu’elle doit être la même pour celui qui achète un peu
de matières premières pour les revendre façonnées,
»
�'
ART.
f.
55
comme à l’égard de celui qui en achète de grandes
quantités, et par conséquent fabrique et vend un plus
grand nombre de choses.
43.
— Mais pourquoi la question ne doit^elle pas
être la même? L’unique raison qu’en donne M. Par
dessus, c’est qu’on distingue entre l’artisan travaillant à
façon qui n’emploie qu’un ouvrier, et celui qui en em
ploie plusieurs, et que l’acte, commercial pour celuici, ne,l’est pas pour l’autre. Mais il est évident qu’entre
cette hypothèse et celle sur laquelle nous raisonnons,
il n’y a aucune assimilation fondée.
En effet, l’artisan peut devenir commerçant sous un
double rapport : ou par l’achat et la revente, ou par
une entreprise de manufactures constituée par la spécu
lation sur le travail d’ouvriers loués à cet effet.
Celui qui travaille à façon, qui, par conséquent, se
borne à louer son industrie, n’entre pas dans la pre
mière catégorie. Devra-t-il être compté dans la seconde,
par cela seul qu’il aura à ses côtés un compagnon ou
un apprenti? Non bien certainement, car le concours
de celui-ci ne saurait constituer l’entreprise de manu
factures. Son industrie, purement accessoire, se con
fond avec celle du maître, restant la matière principale
du contrat. A son tour, la spéculation de celui-ci, ré
duite à un seul, n’a ni l’importance ni le caractère que
doit offrir une entreprise commerciale.
Mais la spéculation revêt l’un et l’autre lorsqu'elle a
pour objet un grand nombre d'ouvriers occupés d’une
�56
DES COMMERÇANTS
manière continue et apparente. Leur emploi offre un
bénéfice considérable, indépendamment de celui que le
maître est en droit d’obtenir de son industrie person
nelle. C’est l’obtention de ce bénéfice qui constitue la
spécuîatibn et qui lui donne le caractère éminemment
commercial.
En réalité donc, le premier ne fait pas ce que fait le
second, et l’on comprend dès lors une distinction entre
eux, lorsqu’il s’agit d’appliquer la loi commerciale.
En est-il de même entre celui qui achète peu et celu*
qui achète beaucoup? Evidemment non, car le premier
ne fait, quoique sur une échelle plus restreinte, que ce
que fait le second, à savoir : des actés de commerce
nombreux et répétés. Ici, la différence porte non plus
sur la qualité de l’acte, mais sur sa quotité. Comment,
dès lors, conférer à l’un la qualité de commerçant et la
refuser à l’autre, à moins de trouver dans la loi une
disposition faisant dépendre la commercialité de l’achat
pour revendre, npn plus du fait lui-même, mais du prix
de ce qui en fait la matière.
Nous comprendrions qu’on opposât le moins lorsque,
s’agissant d’établir la qualité de commerçant, la question
d’habitude professionnelle se présente à résoudre. Que
cette solution soit négative lorsque les actes sont peu
importants, éloignés les uns des autres, soit ! C’est là
une appréciation abandonnée à l’arbitrage souverain du
juge, entièrement libre d’admettre ou de rejeter. Mais
une fois l’habitude professionnelle reconnue, on ne peut
en changer les conséquences à raison du plus ou moins
�ÀRT.
1.
57
d’importance des actes commerciaux, sans s’exposer à
substituer l’arbitraire à la règle précise et formelle, tra
cée par la loi.
Aussi la distinction dont s’agit est-elle repoussée par
la doctrine le plus généralement enseignée. Le plus ou
moins, dit notamment M. Orillard^pe doit rien changer
à l’état de la question. Le marchand qui attend en vain
les acheteurs, qui ne vend pas ses marchandises, n’en
est pas moins commerçant. L’artisan qui ne fabrique
pas ou qui fabrique peu, faute de commandes, ne doit
pas moins être commerçant. Si l’un et l’autre demeurent
oisifs, c’est par une circonstance indépendante de leur
volonté. Tous les deux ont ouvert leur magasin et leur
atelier pour se livrer à des spéculations plus ou moins
heureuses, mais qui ont toutes un caractère commercial.
Concluons donc que l’artisan, dont la profession est de
vendre, après l’avoir travaillée, la matière qu’il achète
dans cette intention, est commerçant dans toute la force
du terme, soit qu’il n’achète qu’au fur et à mesure de
ses besoins, soit qu’il fasse des approvisionnements. La
loi ne distingue pas. Y a -t-il habitude? Voici toute la
question.1
C’est à cette conclusion que nous n’hésitons pas à
nous ranger. Elle a, à nos yeux, le mérite incontestable
de se conformer exactement à la loi, d’interpréter et
d’appliquer sainement les articles 1 et 632 du Code.
i N» 148; — Carré, t. v u , pag. 129 ; — Vincens, Lég , comm., t. î
pag. 126.
�58
DES COMMERÇANTS
Ainsi l’achat pour revendre, soit en nature soit après
confection, celui d’une chose quelconque pour en louer
l’usage, est une circonstance décisive dans l’apprécia
tion de la qualité de l'artisan. Il confère celle de com
merçant dès que son exercice s’élève aux proportions
d'une habitude.
.
4 4 . — C’est également par l’application de cette
règle qu’on devra régir une multitude d’autres profes
sions, pour lesquelles d'ailleurs la difficulté est d'autant
moindre qu’en général l'achat pour revendre ou pour
louer constitue leur caractère principal et essentiel.
Telles sont celles de pharmaciens, boulangers, bou
chers, hôteliers, restaurateurs, cafetiers, etc. La juris
prudence, qu’on peut consulter dans nos recueils, tend
chaque jour à lever tous doutes à cet égard, en ne
voyant que de véritables commerçants dans les uns et
dans les autres.
4 5 . — Mais il est encore des professions dont la dé
termination diversement appréciée a amené des déci
sions diamétralement opposées. Telles sont notamment
la profession de débitant de tabacs et celle de maître de
poste. Déclarées commerciales par les uns , elles ont
paru à d’autres exclusives de ce caractère. Que doit-il
en être en réalité?
En fait, il paraît difficile de voir dans un débitant de
tabacs, exploitant exclusivement le bureau dont il est
titulaire, un commerçant dans l’acceptation que la loi
attache à ce terme. La cour de Colmar fait avec juste
»
�ART.
1.
59
raison remarquer, dans son arrêt du 30 juillet 1814,
que, régis par une législation spéciale, les débitants de
tabacs sont sans cesse qualifiés de simples préposés;
qu'ils sont soumis aux visites et à la surveillance de la
régie ; qu’ils sont astreints à un cautionnement, révoca
bles à volonté, et formellement dispensés de la patente.
Il est vrai que la plupart de ces caractères convien
nent également aux maîtres de poste, que nous verrons
bientôt devoir être réputés commerçants. Il est vrai en
core que pour les maîtres de poste leur salaire est,
comme le prix de la revente des tabacs, fixé par un
tarif. Mais la différence énorme qui, dans ces deux hy
pothèses, existe pour le mode d’achat, ne pouvait être
méconnue, ni rester sans influence sur la solution de
notre question.
Ainsi le débitant de tabacs est, pour l’achat, dans une
dépendance absolue de l’administration. La matière sur
laquelle il opère n’est exposée à aucune des chances
commerciales de hausse ou de baisse ; il ne peut même
opérer un approvisionnement plus ou moins considéra
ble ; c’est au fur et à mesure des besoins de son débit
que, hebdomadairement ou mensuellement, la denrée
lui est fournie, et toujours contre espèce.
Tout cela, dit la cour de Metz, n’empêche pas que
le débit ne soit pour le buraliste un objet de spéculation,
une occasion de profit. Donc il constitue un acte de
commerce.1
l 28 janvier 1847.
�60
DES COMMERÇANTS
Il n’y a en réalité aucune spéculation possible dans
la revente d’une chose dont le prix est, comme celui
d’achat, déterminé d’une manière invariable par la loi.
Or, comme le débitant de tabacs paye la marchandise
au prix qu’il la revend, cette revente ne lui produirait
aucun bénéfice si, dans le but d’écouler ses produits, le
gouvernement ne lui avait assuré une commission et
une remise pour le trait de balance.
Est-ce là, nous le demandons, un profit commercial?
Ce qui constitue ce profit, c’est l’excédant qu’offre la
vente sur le prix de revient de la matière et les frais de
fabrication. Or, cet excédant, seul le gouvernement le
retire, seul il peut le retirer. Seul, en effet, il achète la
matière première, seul il la fabrique, seul il détermine
le prix de la revente. L’aléa de l’opération lui demeure
donc tout exclusif ; exclusivement aussi il en relire le
bénéfice commercial dont l’importance sera plus ou
moins considérable, selon qu’il achètera la matière pre
mière plus ou moins cher.
Ce que retire le débitant n’est donc pas un profit com
mercial. Les commissions et remises qu’il perçoit ne
sont que le juste et légitime salaire des peines et soins
qu’il consacre à la revente. En réalité donc l’engage
ment reste, envers le gouvernement et le public, un
louage d’œuvres et d’industrie, n’ayant aucun caractère
commercial ni dans son origine, ni dans l’exécution.1
Ce résultat n’étant atteint que parce que, dans cette
i Colmar, 30 juillet 1814; — Bruxelles, 6 mars et 5 mai 1813,
�ART. 1 .
61
exécution, le débitant est dans l’impuissance de contrac
ter envers le public un engagement relatif aux matiè
res qu’il revend, il est incontestable qu'il serait tout
autre si, concurremment avec son débit de tabacs, il
exploitait un autre genre d’industrie, un débit de li
queurs, par exemple, ou celui d’articles de mercerie.
L’un et l’autre, en effet, ont un caractère commercial
évident. En faire sa profession habituelle, serait donc
acquérir la qualité de commerçant.
Faut-il, dans ces circonstances, s’arrêter à la nature
des objets vendus? Faut-il dire avec la cour de Bruxel
les, dans un de ses arrêts, que la vente de pipes et de
briquets est un tel accessoire du débit de tabacs qu’elle
ne saurait en altérer la valeur? Cela ne nous paraît pas
acceptable en droit pur. Mais comme des questions de
ce genre offrent sans cesse à résoudre si l’acte est ou
non commercial ; comme, en fait, un acte revêtant ce
caractère pour l’un est susceptible de ne pas le revêtir
pour l’autre ; comme enfin, sur ce point, l’appréciation
du juge est souveraine et sans limite, l’espèce sur la
quelle la cour de Bruxelles a été appelée à statuer peut
bien justifier la solution qu’elle a reçue.
46.
— Le maître de poste est-il commerçant? Non,
a répondu la même cour, par arrêt du 30 avril 1812.
Ce qui le fait ainsi décider, c’est que les maîtres de poste
sont des employés du gouvernement, remplissant leurs
fonctions d’Rprès des règles particulières d’administra
tion, et à raison desquelles ils sont soumis à la surveil-
�62
DES COMMERÇANTS
lance du pouvoir administratif ; qu’ils sont dispensés de
la patente; qu’enfin aucun des actes de commerce énon
cés dans l’article 632 du Code de commerce ne se trouve
en rapport avec la qualité de maître de poste.
Nous venons de le dire, il y a entre les maîtres de
poste et les débitants de tabacs une grande assimilation.
En réalité, les uns et les autres sont des employés du
gouvernement. Nous avons cependant noté une grande
différence dans l’achat de la matière sur laquelle ils
opèrent.
Le gouvernement qui fournit tout aux uns ne fourdit rien aux autres. Le maître de poste demande donc
à la voie ordinaire tout ce qui est nécessaire à son ser
vice en chevaux, harnais, foins, avoines, etc.... Il est,
pour l’achat des uns et des autres, un véritable spécu
lateur à même de profiter des chances commerciales de
hausse ou de baisse. En effet, libre de s’adresser à qui
il lui plaît, il peut choisir le moment qui lui conviendra
le mieux, acheter des quantités considérables, s’appro
visionner en temps favorable, revendre même en cas
de hausse, et rendre ainsi plus importants les bénéfices
qu’il retire du louage dont seul il a le monopole.
Notons bien que tous ses achats n’ont pas d’autre
objet que ce louage même. Est-il donc exact de dire
qu’aucun des actes de l’article 632 n’est en rapport
avec son industrie? Sans doute il n’achète pas habituel
lement pour revendre, mais il achète pour louer. Ce
dernier acte, aux termes de l’article 632 lui-même,
constitue, comme le premier, l’acte de commerce. Cela
�I
ART.
1.
63
est évident pour le voiturier , pour l’entrepreneur des
transports. Pourquoi donc ne l’admettrait-on pas pour
le maître de poste? Sans doute il y a entre eux une dif
férence, mais, à notre avis, la cour d'Orléans l’a nette
ment caractérisée en disant que l’entrepreneur de
transport, que le voiturier était un commerçant ordi
naire, tandis que le maître de poste était un commer
çant privilégié.
Reste la qualité d’employé du gouvernement. Mais
si cette qualité peut être prise en considération dans
plusieurs hypothèses, il ne faudrait pas en conclure
qu elle est décisive dans toutes les circonstances. Ainsi,
dit M. Pardessus, celui qui obtient du gouvernement
l’exercice exclusif de telle espèce d’industrie, que l’uti
lité publique n’a pas permis de laisser à la libre dispo
sition des intérêts individuels, comme est le maître de
poste aux chevaux, ne pourrait prétendre que les achats
de fourrages et autres objets de son exploitation ne sont
pas actes de commerce.1
C’est à cette doctrine que paraît se ranger la juris
prudence. Ainsi la cour d’Orléans, qui avait admis le
contraire le 23 avril 1812, est revenue de son opinion
en consacrant l’opinion de Pardessus, par arrêt du 21
février 1837. C’est dans le même sens que se sont pro
noncées les cours de Bordeaux et de Paris.2
1 T. i, n° 16. Conf., O rillard. n° 295 ; — Carré, t. vu, pag. 147, à la
note.
2 J. du P ., t. n, 1837, pag. 529; Bordeaux, 28 août 1835; P a ris,
22 février 1841 ; J. du P., tom . i, 1841, pag. 313.
�64
DES COMMERCANTS
4 7.
— Nous terminerons à l’endroit de l’exercice
habituel des actes de commerce, en rappelant une règle
dont l’exacte application importe à la saine interpréta
tion des articles 1 et 632 du Code. 11 ne suffit pas que
l’acte habituellement exercé soit compris dans une des
catégories de ce dernier. Ce qui lui imprime le carac
tère de commercialité, c’est moins la nature de l’acte,
que le but de spéculation et de profit qui en est le mo
bile principal.
Conséquemment, si l’exercice n’est que l’accessoire
de la profession ; si, quel qu’il soit, le bénéfice qu’il
produit n’a été qu’une pensée secondaire, l’acte de
meure purement civil, comme celui dont il est le déve
loppement inévitable.
Ainsi l'achat de denrées pour les revendre, contracté
par un aubergiste, un cabaretier, un restaurateur, est
essentiellement commercial. Son exercice, en effet,
constitue la profession principale ou tout au moins ha
bituelle des uns et des autres.
Mais l’instituteur ayant des pensionnaires qu’il nour
rit ne fait pas, par l’achat et la revente des denrées né
cessaires à ses pensionnaires, un acte de commerce.
Ici le but principal est l’éducation des élèves. L’acte de
les nourrir n’est qu’un moyen d’arriver à cette éduca
tion, et non une spéculation commerciale en sa faveur;
il n’a, au fond , rien qui puisse le faire considérer
comme tel.
Ainsi encore, la location d’une maison pour la souslouer en garni ferait acquérir la qualité de commerçant.
�ART.
1.
65
Mais on refuserait avec juste raison cet effet à l’acte de
celui qui, prenant une maison pour l’habiter lui et sa
famille, distrairait, dans un but d’économie, une ou
deux chambres qu’il pourrait se dispenser d’occuper,
pour les sous-lduer en garni.
C’est surtout en regard des œuvres de l’intelligence,
exigeant des fournitures matérielles, que la règle que
nous rappelons est importante. Un peintre célèbre
achète des couleurs qu’il revend en vendant son ta
bleau. D ira-t-on que c’est là un acte commercial? La
raison répugnerait à une pareille qualification, tandis
que personne ne la refusera à l’achat de couleurs con
tracté par un peintre en bâtiments.
Ces exemples suffisent pour bien fixer notre pensée,
pour éclairer la règle que nous proposons, en faire sen
tir l’importance et en recommander l’observation.
48.
— Il résulte de ce qui précède que la qualité
de commerçant s’acquiert explicitement : 1° par la créa
tion d’un établissement public ; 2° par l’exercice d’ac
tes de commerce caractérisant une profession habituelle.
Peut-elle jamais s’acquérir implicitement? Devrait-on
notamment tenir comme commerçant celui qui se se
rait qualifié tel dans le contrat dont on lui demande
l’exécution ? Celui qui aurait pris ou accepté cette qua
lité dans des actes ou des procédures, celui enfin à qui
elle aurait été déférée par des jugements passés en force
de chose jugée?
5
�66
DES COMMERÇANTS
4-9. — La première hypothèse a été, avant et de
puis la promulgation de nos Codes, l’objet d’une con
troverse qui n’est pas môme encore fixée. En l’absence
de toute disposition législative, ce n’était, ce n’est en
core qu’à l’aide de certains principes qu’on peut arriver
à une solution.
Mais notre ancienne jurisprudence avait à invoquer
une analogie qui n’existe plus aujourd’hui. La faveur
due aux foires avait donné naissance à une juridiction
privilégiée qui, sous le nom de conservation, avait com
pétence exclusive pour toutes les transactions surgies
ou devant être exécutées en temps de foire. Or l’or
donnance du 13 février 1578, spéciale à la conservation
de Lyon, renfermait la disposition suivante : Ceux qui
dans des cédules, contrats ou obligations prennent la
qualité de marchands fréquentant les foires de Lyon,
et qui s'obligent ou promettent de payer auxdites foi
res, ne peuvent s'aider de leur c o m m it t im u s pour se
soustraire à la juridiction de ladite conservation, à
peine de nullité des procédures.
Quelques jurisconsultes, appliquant le même principe
d’une manière générale, soutenaient que dès qu’une
personne avait pris dans le contrat la qualité de mar
chand, elle ne pouvait plusse soustraire à la juridiction
commerciale et aux mesures rigoureuses d’exécution
qu’elle entraînait. Telle est notamment l’opinion de
Bouvot, qui cite à l’appui un arrêt du 8 août 1616,
l’ayant ainsi jugé.1
i Recueil i'arrêls, t. n, vis Juge
contul.
�ART.. î .
67
Dans son commentaire de l’ordonnance de 1667 ,
Jousse rappelle l’opinion de Bouvot, et paraît l’adopter
en s’abstenant de toute contradiction.1
Mais Guyot n’est pas de cet avis. « Comme les ci
toyens, dit-il, ne peuvent directement ni indirectement
intervertir l’ordre des juridictions, nous ne pensons pas
qu’ils soient les maîtres de le faire indirectement par
les qualités qu’ils prennent. On ne saurait se prévaloir
de ce qui est dit pour la conservation des foires de
Lyon, parce que les privilèges et la juridiction des con
servateurs sont bien plus étendus que ceux des con
suls ; d’ailleurs, ce n’est pas seulement la qualité prise
de marchand, c’est la stipulation du paiement en temps
de foire qui soumet à la conservation.2 »
Ce qu’on pourrait ajouter, c’est que depuis l’ordon
nance de 1667, la législation anterieure était en quel
que sorte devenue inapplicable à la matière. En effet,
la soumission à la juridiction consulaire, par la prise de
la qualité de commerçant, ne pouvait avoir pour but
que de se soumettre à la contrainte par corps, dans
un cas où elle était prohibée par la loi civile. Or, avant
comme après l’ordonnance de Moulins, cette voie d’exé
cution était de droit commun en France; non-seule
ment on pouvait librement la stipuler en matière civile,
mais elle était de plein droit acquise à défaut de paiel T it. 12, art. ter.
3 Répert., vis Juge consul.
�68
DES COMMERÇANTS
ment.1 Comment, dès lors, le législateur se serait-il
préoccupé d’une fraude n’ayant aucune raison d’être,
puisqu’on pouvait très-légalement arriver par une voie
directe à l’objet qu’on se serait proposé par la simu
lation.
L’ordonnance de 1667, prohibant la contrainte par
corps en matière civile, vint rendre la simulation indis
pensable pour ceux qui voulaient la stipuler au mépris
de sa prohibition. Cette nécessité devenait même un
motif de la présumer plus facilement. Etait-il donc ra
tionnel de demander la solution de cette difficulté toute
nouvelle à une législation qui s’en était si peu préoc
cupée, qu’elle n’avait pas même pu la prévoir ?
50.
— La prohibition de l’ordonnance de 1667
ayant été consacrée par le Code, la qualification de
commerçant prise dans le contrat a dû être considérée
comme destinée à éluder la loi. Aussi l’a-t-on appréciée
non-seulement à l’endroit de la compétence consu
laire, mais encore sous le rapport de la contrainte par
corps.
Relativement à celle-ci, la doctrine est unanime. La
disposition de l’article 2063 commandait en quelque
sorte ce résultat. Dans quels cas, en effet, appliqueraiton cet article, s’il était accordé aux prêteurs d'argent
d’attribuer aux emprunteurs des qualités qu’ils n’ont
pas, afin de les soumettre à la contrainte par corps?
t
1 Voyez notre Traité du Dol et de la Fraude , n° 327.
�\
ART.
1.
69
Etait-il rationnel de livrer ainsi la libertédes citoyens
à la merci des spéculations d’usuriers ?
D’autre part, celui qui s’engage n’est pas libre de
énoncer à un avantage que lui assure une loi d’ordre
public. Si cette renonciation devait s’induire nécessai
rement de la qualité qu’on s’est mensongèrement don
née dans l’acte, on devrait dire également quele mineur
ne pourrait faire rescinder ses engagements, parce qu’il
se serait, dans l’acte, déclaré majeur.1
Sans doute cette doctrine peut favoriser une fraude,
en ce que le créancier a été de très-bonne foi, que nonseulement il a pu croire qu’il avait affaire à un com
merçant, mais encore que la conviction contraire l’au
rait empêché de traiter sans exiger des garanties que la
soumission à la contrainte par corps lui a paru rendre
inutiles ; mais le simple mensonge ne constitue pas le
dol. De plus, comme c’est au créancier de s’assurer de
la véritable condition de celui avec qui il traite, la né
gligence qu’il met à remplir ce devoir le constitue en
état d’imprudence. On ne fait dès-lors que lui imposer
la responsabilité de son propre fait, en lui faisant sup
porter les conséquences d’une confiance trop aveuglé
ment accordée. En principe donc, la solution indiquée
se justifie parfaitement.
51. — La même unanimité de doctrine n’existe
1 Orillard, n° 154; — Merlin, Rép., vis Consul, des march., et tri
v ii , n» 484 ; — Nouguier, pag. 308 et
314; — Sêbire et Cartéret, n°s 247 et 254, Encyclopédie du droit, v»
bunal de commerce ; — Carré, t.
eororo.
�70
DES COMMERÇANTS
plus à l’endroit de la compétence. Mais il est facile de
se convaincre que la différence entre les opinions est
plutôt apparente que réelle.
MM. Merlin, Carré, Orillard se rangent à l’opinion de
Guyot, ne voyant dans la qualité prise dans le contrat
qu’un moyen d’intervertir l’ordre des juridictions, et
repoussent en conséquence la compétence des tribunaux
consulaires.
MM. Nouguier, Sébire et Cartéret admettent au
contraire cette compétence. Mais ils en circonscrivent
tellement les effets, qu’au fond ils arrivent à un résul
tat analogue à celui que Merlin, Carré et Orillard
adoptent
Nous ne dirons pas cependant avec eux qu’en pareille
matière il s’agit d’une exception d’incompétence, ra
tion œ per sonœ, à laquelle on est libre de renoncer, et
nous refusons de trouver cette renonciation dans la prise
de qualité de commerçant, car ils ne le professent ainsi
que parce qu’ils admettent que l’acte est commercial,
qu’il n’y a de faux que la qualité déclarée.
Mais il est évident que s’il en était ainsi, notre ques
tion ne pourrait même se présenter. La commercialité
de l’acte admise, le tribunal est, ratione materiœ, ex
clusivement compétent. Qu’importe dès lors que le
débiteur ait faussement pris la qualité de commerçant?
Admettez qu’il se fût qualifié de propriétaire et qu’il le
fût en effet, il ne serait pas moins soumis à la juridic
tion commerciale.
Les, effets de la fausse déclaration ne peuvent être
�ART.
1.
71
utilement recherchés que dans l’hypothèse contraire, à
savoir : lorsque le titre non-commercial en la forme,
n’ayant pour cause qu’une opération ordinaire, ne pour
rait être apprécié par le tribunal de commerce que s’il
émanait d’un commerçant.
Ce ne peut donc pas être sous prétexte d’une pré
tendue renonciation à une exception d’incompétence
ratione personce, que le tribunal pourra être investi
lorsque le souscripteur aura faussement pris la qualité
de commerçant. Ce qui déterminera cette investiture,
c’est que prendre une qualité, c’est faire présumer qu’elle
existe, et cette présomption ne peut céder que devant
la preuve du contraire.
Nous dirons donc avec MM. Nouguier, Sébire et Cartéret : celui qui, dans le contrat, a pris la qualité de
commerçant, devra être traduit devant le tribunal de
commerce, si des difficultés surgissent dans l’exécution
du titre. Mais il sera toujours recevable à opposer et à
prouver la fausseté de la qualification qu’il s’est donnée ;
et le tribunal, légalement saisi en la forme, ne pourra
retenir la matière au fond que si cette preuve n’est pas
demandée, ou si elle n’est pas fournie. En d’autres
termes, celui qui s’intitule commerçant fait présumer
qu’il l’est réellement, mais cette présomption s’évanouit
par la preuve contraire. Fournir celle-ci, c’est placer
la juridiction exceptionnelle dans la nécessité de se
désinvestir.
Dans ces termes, il n’y a plus réellement de diver
gence sérieuse entre l’opinion des auteurs, En effet,
�72
DES COMMERÇANTS
ceux qui se prononcent pour l’incompétence du tribu
nal de commerce présupposent que la fausseté de la
qualité prise est acquise. Or, ce résultat ne pourra être
atteint que par la faculté donnée au débiteur de faire
cette preuve, faculté qui ne pourra être exercée que
devant le tribunal de commerce, justement investi tant
que l’apparence du titre n’est contestée que par une
pure allégation. C’est ainsi que la cour de cassation a
juridiquement jugé, le 7 avril 1813, que si le débiteur
traduit devant le tribuual de commerce n’excipait pas
de la fausseté de la déclaration, le tribunal ne serait pas
tenu d’en ordonner d’office la preuve, et que, tenant la
qualité comme certaine, il prononcerait légalement sur
le litige.
52. — La prise, dans le contrat, de la qualité de
commerçant, défère donc la connaissance du titre à la
juridiction consulaire, mais le débiteur est toujours re
cevable à fonder le déclinatoire sur la fausseté de cette
qualification. La preuve offerte doit toujours être or
donnée, et si elle est faite, le déclinatoire doit être ac
cueilli. C’est dans ces termes que les cours de Turin et
de Liège l’ont consacré par arrêts des 20 mai 1807 et
28 août 1811.
v» J, '
.
>.
V
i
53. — Le contraire a cependant été admis par arrêt
de la cour de Paris, du 28 juin 1813. Cet arrêt, dont le
caractère juridique serait fort difficile à justifier, a été
diversement apprécié. M. Dalloz aîné l’accuse de ren-
�ART.
i.
73
fermer une pétition de principes, en déclarant l’appe
lant non-recevable, attendu que, dans sa signature ap
posée au billet, il avait pris lui-même la qualité de com
merçant.1 M. Coin-Delisle ne lui fait qu’un seul repro
che, celui d’être incomplet, la cour ayant omis de dire
que l’appelant ne justifiait pas d’une autre profession.
M. Coin-Delisle, en effet, pense que, pour que celui
qui dénie une qualité qu’il a prise et certifiée p>ar sa signa
ture puisse en répudier les circonstances, il doit prou
ver que cette qualité est fausse. Cette preuve, ajoutet-il, doit être toute faite à l’audience, autrement la ju
ridiction commerciale serait sans cesse entravée par des
enquêtes que requéraient les mauvais débiteurs.2
54.
— Cette doctrine nous paraît être repoussée
parla nature des choses, qui doit, ce semble, invinci
blement nécessiter une enquête, même dans le cas où
le débiteur justifierait à l’audience d’une profession dis
tincte de celle de commerçant.
M. Coin-Delisle se demande comment on pourrait
prononcer la contrainte par corps, si le débiteur fait
preuve à l’audience qu’il est médecin, militaire ou em
ployé, etc., et que l’affaire qui a donné naissance au
billet est une affaire civile?
Nous répondons : par la constatation que ce méde
cin, ce militaire, cet employé a fait, des actes de com1 D. A., v° Comm., pag. 710.
2 Contrainte par corps, pag. 90, a rt. 3, n° 2.
�74
DES COMMERÇANTS
merce sa profession habituelle, ce qui placera le billet
sous l’empire de la présomption de l’article 638. Il est
vrai que cette profession habituelle n’est jamais admise
de piano, et que le créancier qui en excipera devra la
prouver. Mais supposez qu’il en allègue l’existence, qu’il 7
offre de la justifier, pourra-t-on écarter son offre, alors
surtout que sa prétention a un point d’appui dans
la qualification prise dans le contrat par le débiteur luimême?
Un pareil système conduirait à une iniquité et à l’iné
vitable violation de la vérité dans cei tains cas. On ne
saurait donc le consacrer, ni en doctrine, ni en droit.
Concluons donc qu’on ne saurait être de l’opinion de
M. Coin-Delisle, que si la profession indiquée comme
exclusive n’est pas contestée. Si le créancier soutient,
malgré cette profession, que le débiteur est devenu
commerçant, une enquête, pouvant seule mettre le juge
à même de prononcer, deviendra inévitable.
D’autre part, on peut n’êlre pas commerçant, bien
qu’on ne soit ni médecin, ni militaire, ni employé. La
profession de bourgeois, de rentier, de cultivateur,
n’exige ni diplôme, ni brevet, ni ordonnance du gou
vernement. Or, comment prouver a priori qu’on est
l’un ou l’autre, et qu’on n’a jamais cessé de l’être?
L’opinion de M. Coin-Delisle leur forait à tous une sim
gulière position, car toute la preuve que chacun d’eux
pourra offrir est sa simple allégation. Que feront donc
les juges entre cette allégation et celle contraire du titre?
Evidemment une seule chose, à savoir : l’admission de
�ART. 1 .
75
l’enquête, dans laquelle chaque partie s’efforcera- (Je
prouver ce qu’elle prétend être la vérité.
Sans doute, l’offre et la demande de cette enquête-,
pourront n’être que des moyens dilatoires, à l’aide des
quels un mauvais débiteur retardera l’exécution de ses
engagements. Mais les principes généraux du droit
préviennent ces inconvénients. L’obligation d’ordonner
l’enquête n’existe pour les tribunaux que si le fait in
terloqué a actuellement un caractère de probabilité et
de vraisemblance ; que si la preuve du contraire ne ré
sulte pas déjà des faits et circonstances du procès. Cette
règle, commune à toutes les juridictions, est une sauve
garde de tous les intérêts.
Il faut donc en revenir à la doctrine consacrée par
les cours de Turin et de Liège. La qualification de
commerçant, prise dans le contrat, fait présumer cette
qualité, mais ne la prouve pas. Le porteur du billet
ainsi souscrit peut donc régulièrement investir le tribu
nal de commerce en cas de non paiement. Mais le
débiteur a toujours la faculté d’exciper de l’absence de
cette qualité qu’il s’est mensongèrement donnée, et il
est recevable à en fournir la preuve tant par titres que
par témoins et par présomptions. Le tribunal de com
merce ne peut prononcer au fond que si le débiteur
n’élève pas cette prétention ; et, dans le cas contraire,
que si la preuve est repoussée comme inutile, ou que
si elle n’est pas rapportée dans le cas où elle a été
admise.
55. — Il importe de remarquer que, pour que 1*
�76
DES COMMERÇANTS
présomption que nous induisons de la qualification
prise dans le contrat soit acquise, il faut qu’elle soit le
fait exclusif et personnel du débiteur. Il ne suffirait pas
de sa signature au bas de l’acte, si la qualité de com
merçant n’était renfermée que dans le corps de l’acte
écrit par un autre que par lui. C’est ce qui résulte ex
pressément d’un arrêt de la cour de cassation, jugeant
que la mention faite dans le billet que le signataire est
commerçant ne suffit pas pour le faire placer dans l’ex
ception portée par le deuxième alinéa de l’article 1326
du Code civil, lorsque le billet n’est pas de son écritu
re.1 A plus forte raison doit-on refuser à cette mention
la possibilité de soumettre le débiteur à la juridiction
exceptionnelle et à la contrainte par corps.
56. — L’exception de non-commercialité de la
personne, lorsque l’acte ne serait de la compétence du
tribunal consulaire que par suite de la qualité de sous
cripteur, constitue une exception d’incompétence ra tione materiœ, elle peut donc être proposée en tout
état de cause, et même, pour la premièrs fois, devant
la cour d’appel.
5 7 . — Que doit-on décider dans la seconde hypo
thèse, à savoir : lorsque la qualité de commerçant a été
prise ou acceptée dans des actes ou des procédures
plus ou moins nombreux ?
1 9 mai 4837,
�AUT.
1.
77
M. Pardessus voit dans un pareil état de choses un
puissant indice de la vérité de la qualité de commerçant.
Remarquons, en effet, que ce qui forme le principal mo
tif de solution dans la première hypothèse, à savoir : la
frauduleuse exigence d’un usurier, tenant à s’assurer la
contrainte par corps, n’est plus ici qu’un danger fort
éloigné et peu probable, alors surtout que les actes sont
les uns souscrits avec des personnes différentes, les au
tres, ceux de procédure par exemple, marqués au coin
d’une incontestable spontanéité.
58.
— On pourrait donc voir dans la multiplicité
et le caractère de ces actes un aveu public et formel
de la qualité de commerçant, aveu qui devrait d ’autant
mieux produire son effet, qu’il a été plus libre dans son
expression.
Au reste, il est évident que , dans l’hypothèse que
nous examinons, l’intérêt du litige ne se concentrera
pas uniquement entre le créancier et le débiteur. La
faillite, conséquence forcée de la déconfiture d’un com
merçant, est dans le cas de modifier et de compromet
tre la position de tiers, exposés à perdre les garanties
sous l’empire desquelles ils ont traité. Il faut donc,
dans l’appréciation de celte hypothèse, considérer la
solution qu’elle doit recevoir, selon qu’il s’agit des tiers
ou du débiteur; et, quant à celui-ci, distinguer les ac
tes faits en son nom, de ceux qui lui ont été tenus à la
requête d’autrui.
59. — A l’endroit des tiers, et lorsque la qualité
�78
DES COMMERÇANTS
de commerçant est de nature à leur occasionner un
préjudice, cette qualité ne saurait résulter contre eux
de la qualification prise par leur débiteur dans des actes
ou des procédures, quelque nombreux qu’ils aient été.
11 n’appartient pas à ce dernier de compromettre des
droits régulièrement acquis, en se plaçant mensongère
ment dans le cas de les faire modifier ou restreindre
par une déclaration de faillite.
Ceux-là donc qui auront intérêt à faire déclarer ou
maintenir la faillite ne devront pas seulement prouver
que le débiteur s’est, à de nombreuses reprises, qualifié
commerçant. Ils auront encore à établir qu’il s’est livré
à des actes de commerce, et qu’il a fait de leur exer
cice sa profession habituelle.1
Il y a plus encore, on ne pourrait faire déclarer nonrecevable à contester la qualité de commerçant le tiers
qui, par erreur ou par une préoccupation née des cir
constances, aurait lui-même, dans un acte quelconque,
donné au débiteur celte qualification. Ainsi, l’arrêt
d’Orléans que nous annotons a jugé que : Bien que dans
l’instance en séparation de biens, la femme eût qualifié
son mari de commerçant, on ne saurait lui opposer
l’article 551 du Code de commerce, lequel restreint son
hypothèque aux immeubles que le mari commerçant
possédait au jour du mariage.
1 Orléans, 16 m ars 1839 ; — J. du P ., 1 . 1, 1839, pag. 648 ; — Conf.
Locré, t. n i, pag. 2 ; — Boulay-Paty, Faillites, 1 . 1, n° 1 0 : — Pardes-
�4
ART.
1.
79
Cette doctrine nous parait fort juridique. Elle a ses
fondements dans un principe d’équité incontestable, à
savoir : que nul ne saurait être tenu des conséquences
d’un fait qu’il n’a pu ni prévoir, ni apprécier. Ceux qui
contractent avec un commerçant ne sauraient se plain
dre, si la faillite, se réalisant plus tard, vient modifier
leurs droits plus ou moins profondément. En consen
tant à contracter avec lui, ils ont volontairement accepté
les chances de celte éventualité. Mais comment supposer
cette acceptation, lorsque, rien n’annonçant celte qua
lité chez le débiteur, on veut la faire résulter d’une qua
lification prise dans une série d’actes qu’il n'a pu venir
dans la pensée des créanciers de se faire représenter.
Ce serait leur occasionner un préjudice injuste, lorsque
cependant ils n’ont manqué à aucune des lois que la
prudence leur prescrivait.
Pour ce qui les concerne donc, rien ne saurait sup
pléer à la notoriété résultant d’un établissement, ou à
celle plus difficilement appréciable de l’exercice habituel
d’actes de commerce. Ils ne pourront, donc subir la loi
commerciale que lorsque la preuve de l'une ou de l’au
tre sera acquise.
60.
— Il n’en est pas de même du débiteur. La
certitude d’actes nombreux, dans lesquels il se serait
déclaré commerçant, pourrait fournir dès à présent la
preuve qu’il l’est réellement, le faire en conséquence
considérer comme non-recevable à décliner la compé
tence du tribunal de commerce, et à se soustraire à la
contrainte par corps.
�80
DES COMMERÇANTS '
Mais même en ce qui le concerne, on doit distinguer
dans les actes, ceux où il a pris lui-même la qualité de
commerçant, de ceux où cette qualité lui aurait été
donnée par l’autre partie. Les premiers produiraient
seuls l’effet que nous venons d’indiquer , alors même
que la qualification serait plutôt l’œuvre de son man
dataire légal que la sienne propre. Ainsi l’huissier, de
vant à peine de nullité déclarer la profession de celui
pour lequel il exploite, a essentiellement qualité pour
faire cette déclaration. Conséquemment, celui qui dans
un acte extrajudiciaire est indiqué comme commerçant,
est censé, à défaut d’un désaveu de l’huissier, avoir pris
personnellement cette qualité.1
61. — Les seconds n’établiraient contre le débiteur
aucun préjugé, La partie adverse ne pouvant changer à
son gré, ni enlever, ni conférer une qualité quelconque,
son allégation ne produirait, en sa faveur, aucun effet,
alors même qu’aucune protestation n’aurait suivi la si-1
gnification. C’est ce qu’avec raison a admis la doctrine,
c’est ce que la cour de cassation a formellement con
sacré.2
t
62. — La même distinction n’est plus possible dans
notre troisième hypothèse, à savoir : lorsque la qualité
de commerçant a été reçue en jugement.
Ainsi il est admis qu’un individu s’étant qualifié
1 Nouguier, n° 3, pag. 3 ig ; — Orillard, n° 155.
s 26 janvier 1814.
�ART.
. i
1.
81
t
commerçant, qui, en cetle qualité, a été assigné devant
.
le tribunal de commerce sans protestation de sa part ;
,
i - i
;i.
qui se voit condamner et laisse le jugement acquérir
l’autorité de la chose jugée, ou qui, s’il en appelle, ne
soumet pas la question aux juges d’appel, ne peut plus
soutenir, après la confirmation du jugement, qn’il n’est
. I ' -S I
tti: >
'■'■'■■■ “ >* •> f i
pas commerçant.1
La différence dans la solution s’explique par celle de
la position du débiteur dans chacune de ces hypothèses.
La loi, dans la première, ne pouvait pas vouloir qu’il fût
tenu de signifier un acte protestalif toutes les fois que
dans un acte extrajudiciaire on l’a qualifié de commer
çant. C’eût été une charge inutile qu’on lui aurait im
posée. Le défaut d’obligation enlève donc au silence
qu’il garde toute signification.
Mais l’appel en jugement change cette position. Le
débiteur doit s’expliquer, parce qu’il est alors en me
sure et en demeure de le faire. La qualification qui lui
est donnée, soit en jugement, soit dans les qualités
auxquelles il ne fait pas opposition, n’est plus consi
dérée comme le fait exclusif de son adversaire, il l’ac....
cepte et se l’approprie formellement par son silence.2
-
• !■
v
i
63.
— En fait, cette règle repose sur l’autorité de la
chose jugée. En droit cependant, cette chose jugée man
que d’un de ses élémentsessentiels, lorsque les jugements
lf«j« > 1 Nouguier, 1 .1, pag. 312.
2 Cass., 7 mars 1821 et 7 août 1827; Bourges, 19 mars 1831 ; G re
noble, 31 mars 1832.
6
�82
DES COMMERÇANTS
et arrêts sont invoqués par tous autres que par ceux
qui les ont obtenus.
D’autre part, il est certain que le débiteur actuelle
ment poursuivi peut avoir été commerçant avant l’obli
gation et cessé de l’être au moment où il la souscrivait,
tout comme il a pu le devenir depuis. Dans l’un et dans
l’autre cas, les jugements et arrêts antérieurs ou posté
rieurs à l’obligation n’auraient aucune signification
utile, puisque pour être passible de la juridiction con
sulaire, à raison d’un engagement non-commercial en
la forme, il faut avoir été commerçant à l’époque de la
souscription.
64.
— Il faut donc, pour que les actes et jugements
invoqués puissent être utiles au demandeur, qu’ils soient
contemporains de l’obligation dont il exige l’exécution.
Vainement voudrait-il, à défaut de cette preuve, exciper d’actes ou jugements antérieurs ou postérieurs. Le
débiteur ne manquera pas de soutenir qu’il n’était pas
encore ou qu’il n’était plus négociant lorsqu’il s’est en
gagé envers le poursuivant, et cette exception devrait
être admise jusqu’à preuve contraire, à moins que l’acte
à l’occasion duquel il est poursuivi ne renfermât la
qualification de commerçant.
Dans cette hypothèse, en effet, les actes et juge
ments, quelle que fût leur date, auraient un effet immé
diat et direct. Leur succession continue, leur relation
avec la qualification prise dans l’acte établiraient une
habitude dont le débiteur ne pourrait récuser les con
séquences.
�Ainsi donc, les jugements définitifs ne créeraient ja
mais, au profit de tiers qui n’y ont pas été parties, l’au
torité de la chose jugée, mais ils deviendraient un élé
ment essentiel dans l’appréciation de l’exercice habituel
d’actes de cqmmerce. Celui qui aurait été considéré
comme commerçant, avant, pendant et après l’engage
ment dont on demande l’exécution, ne devrait pas être
admis à récuser cette qualité.
Il en serait de même si dans son engagement il s’était
qualifié de commerçant. Cette qualification se reliant
aux jugements antérieurs ou postérieurs, lui conférant
la même qualité, la preuve qui en résulterait serait dé
cisive, puisqu’elle établirait une habitude, sans aucune
solution de continuité.
65.
— Dans tous les cas où la preuve, soit affirma
tive, soit négative, est nécessaire, elle peut être faite
par témoins et par présomptions. On comprend que
l’exercice habituel d’actes de commerce ne saurait être
prouvé par écrit, car étrangers, la plupart, à la partie
intéressée, les faits divers dont il résulte lui seront à peu
près inconnus. Sans doute la production des livres serait
d’un grands secours, mais les commerçants seuls sont
obligés d’en tenir. Celui-là donc qui récusé cette qualité
ne manquera pas de soutenir, à l’appui de sa préten
tion, qu’il n'en a rédigé aucun.
Une autre preuve littérale pourrait, si elle n’était in
signifiante, être invoquée pour établir la qualité de
commerçant, à savoir : la patente. Mais nous l’avons
�DES COMMERCANTS
84
déjà dit : tout ce qui résulte de celle-ci, c’est l’intention
de se livrer au commerce, ce qui est encore fort loin
de son exercice réel. Aussi n’est-elle pas plus capable
de faire considérer celui qui la paye, comme commer
çant, que son absence ne l’est pour prouver qu’on ne
doit pas être réputé tel. Il faut cependant reconnaître
que son existence coïncidant avec la qualification prise
dans le contrat, ou en jugement, pourrait déterminer
la décision affirmative.
Dans les cas ordinaires, il faut donc subir les consé
quences de la force des choses; et, puisqu’il s’agit de
faits nombreux à établir, recourir au seul moyen sus
ceptible d’atteindre ce résultat, à une enquête.
66.
— La liberté illimitée du commerce, si ellejne
comportait aucune exception, admettait certains tem
péraments dans la pratique. Des convenances sociales
et, dans certains cas, l’intérêt du commerce lui-même,
exigeaient qu’on en déclarât l'exercice incompatible
avec certaines professions.
Dès l’abord la noblesse s’en était soigneusement abs
tenue. Mais la réaction contre ce préjugé se produisit
d’autant plus vive qu’on appréciait mieux l’heureuse
influence que le développement du commerce exerçait
sur la prospérité de l’Etat.
Aussi dès 1S56, Charles IX avait-il, par des lettres
patentes, permis le commerce à la noblesse de Marseille,
de Normandie et de Bretagne. La carrière ouverte à
�ÀRT. 1.
88
celle-ci ne pouvait pas rester indéfiniment fermée à la
noblesse des autres parties de la France.
En 1604, un édit d’Henri IV invita la noblesse à
prendre part au commerce des Indes orientales. En
1614, les états généraux firent connaître à la noblesse
que rien ne pouvait lui être plus honorable, et en même
temps plus avantageux à l’Etat, que de la voir équiper
des navires, s’exercer dans la marine et faire un grand
trafic.
En 1627, le corps de la noblesse demandait au roi,
dans son cahier particulier, que les gentilhommes pus
sent avoir part et entrer dans le commerce sans déchoir
de leurs privilèges. Conformément à ce vœu, un édit
de Louis XIII de 1629 déclara que les nobles qui feraient
le commerce de mer ou qui y prendraient part ne dé
rogeraient pas.
Les édits par lesquels Louis XIV institue en 1664 les
compagnies des Indes orientales et occidentales, dé
clarent que toutes personnes, de quelque qualité et con
dition qu’elles fussent, pourraient y entrer sans déroger.
Mais on voulait plus que ce commerce spécial. Et en
1669, le législateur voulant effacer entièrement les res
tes d'une opinion qui s’est universellement répandue
que le commerce maritime est incompatible avec la
noblesse, et qu’il en détruit les privilèges, déclare que
tous gentilhommes pourront par eux-mêmes ou par
personne interposée entrer en société et prendre part
dans les vaisseaux marchands denrées et marchandises
�86
DES COMMERÇANTS
d'iceux, sans qu'ils soient censés déroger à la noblesse,
pourvu toutefois qu'ils ne vendent pas au détail.
L’affectation de l’édit au commerce maritime pouvait
et devait inspirer la pensée que le commerce de terre
demeurait interdit, et c’est la conclusion que la noblesse
en avait induit. Elle s’abstenait donc, au grand détri
ment de l’intérêt public lui-même, et cette abstention
motiva l’édit de 1701.
« L’attention que nous avons toujours portée à faire
« fleurir le commerce dans notre royaume, dit le préam« bule, nons ayant fait connaître l’avantage que l’Etat
« retire de l’application de ceux de nos sujets qui se
« sont attachés avec honneur au négoce, nous avons
« toujours regardé le commerce en gros comme une
« profession honorable, et qui n’oblige à rien qui ne
« puisse raisonnablement compatir avec la noblesse,
« ce qui nous a même porté plusieurs fois à accorder
a des lettres d’ennoblissement en faveur de quelques« uns des principaux négociants pour leur témoigner
« l’estime que nous faisons de ceux qui se distinguent
« dans cette profession. Nous avons cependant été in« formés qu’un grand nombre de ceux de nos sujets
« qui sont nobles d’extraction ou qui le deviennent par
« les charges et offices qu’ils acquièrent, ainsi que ceux
« que nous anoblissons par grâce, font difficulté d'en« treprendre, de faire ou de continuer aucun com« merce, même en gros, autre que celui de mer, que
« nous avons déjà déclaré ne point déroger à noblesse,
« par crainte de préjudicier à celle qui leur est acquise,
�« et voulant exciter tous ceux de nos sujets nobles et
« autres qui peuvent avoir de l’inclination ou du talent
« pour le commerce, à s’y adonner, et engager ceux
« qui ont embrassé cette profession à y demeurer et à
« y élever leurs enfants, nous avons cru ne pouvoir
« rien faire de plus convenable que de marquer au pu« blic le cas que nous avons toujours fait des bons né# gociants qui, par leurs soins et leur travail, attirent
« de toutes parts les richesses et maintiennent l’abon« dance dans nos Etats. »
En conséquence, tous les nobles sont autorisés à faire
librement toutes sortes de commerce en gros, tant audedans qu’au-dehors du royaume, pour leur compte ou
par commission, sans déroger à leur noblesse, et en
continuant de jouir des privilèges attribués à leur no
blesse comme ils en jouissaient avant que de faire le
commerce.
Donc, à dater de 1701, l’incompatibilité se réduisait
au simple commerce de détail, et pour éviter toutes les
difficultés qui pouvaient s’élever à ce sujet, l’article 4
de l’édit disposait : « Seront censés et réputés inar« chands et négociants en gros tous ceux qui feront
« leur commerce en magasin, vendant leurs marchan« dises par balles, caisses ou pièces entières et qui
« n’auront point de boutiques ouvertes, ni aucun éta« lage et enseignement à leurs portes et maisons. »
L'incompatibilité entre l’exercice du commerce et les
fonctions cléricales n’admettait ni tempéraments ni res
trictions. Les Pères de l’Eglise prpfessaient cette règle
�88
DES COMMERÇANTS
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que le droit canonique avait converti en loi : Nemo mi1
i
.
litans deo, implicel se negotiis sœcularibus.
Ce n’est pas, dit avec raison Merlin, que l’Eglise eût
considéré le commerce comme une profession avilissante
•
>
ou contraire au christianisme. La prohibition avait sa raison
d’être dans la nécessité délaisser le sacerdoce dansla sphère
élevée où le placent naturellement ses fonctions et en
dehors de laquelle il compromettrait sa dignité et per
drait tout son prestige. Imagine-t-on un prêtre passant
de l’autel au comptoir et forcément amené à sacrifier
ses devoirs spirituels à l’intérêt de son industrie.
Aussi non-seulement l’Eglise elle-même, mais encore
l’Etat, mais encore les cours souveraines s’unissaient-ils
pour faire respecter la règle et prévenir tout ce qui pou
vait devenir le moyen de l’éluder.
Un édit de 1707 défendit à diverses maisons de reli
gieux et de moines, non-seulement de vendre des re
mèdes, mais encore d’en distribuer gratuitement ; dé
fense qui était renouvelée et confirmée par l’arrêt du
conseil du 28 juin 175B.
Le 12 juin 1721, un autre arrêt du conseil interdit à
toutes les communautés séculières et régulières de per
mettre qu’il fût fait en leurs maisons ou couvents, des
magasins de marchandises de quelque nature que ce fut
à peine de saisie de leur temporel et d’être privées de
leurs privilèges.
Bouchet, dans sa Bibliothèque canonique, rappelle
un arrêt du parlement de Normandie qui enjoint à un
carme, muni de plusieurs missives concernant le com -
�ART.
1.
89
merce, de se retirer dans le couvent de la ville de Paris,
pour y continuer l’exercice de sa profession religieuse
sans s’entretenir d’affaires séculières, à peine d’être pro
cédé contre lui suivant les décrets et les constitutions
canoniques.1
Des raisons semblables à celles qui écartaient le clergé
du commerce faisaient un devoir de s’en abstenir à tous
les officiers de judicature, magistrats, avocats, avoués,
etc... Aussi de nombreuses ordonnances vinrent elles,
de 1356 à 1765, prescrire cette abstention, à peine con
tre les contrevenants de la déchéance de toute exemp
tion et de tout privilège. On ne pouvait pas permettre
que les personnes appelées à rendre la justice ou à pré
parer et éclairer ses décisions fussent distraites de leurs
importantes fonctions par le soin de leurs propres affai
res, et surtout que les vicissitudes du commerce leur
créassent des intérêts contraires à l’impartialité dont ils
ne devaient jamais se départir.
— C’est en présence de ces dispositions que
se trouvait le législateur appelé par notre immortelle
Révolution de 1789, à régénérer la France; et l’on de
vine facilement quelle dût être et fût sa conduite. Tou
tes les restrictions imposées à la noblesse, notamment
la prohibition de se livrer au commerce de détail, se
trouvèrent anéanties par la force des choses. La noblesse,
n’ayant plus ni exceptions ni privilèges, ne compromettait
6 g b is ,
1 V. Merlin, Rép., v» commerce, S 4, art. 4.
�90
DES COMMERÇANTS
plus rien par l'exercice d’un commerce quel qu’il fût.
Elle pouvait donc s’y livrer en toute sécurité.
Mais il ne pouvait en être de même du clergé. Le
droit canonique n’a pas varié, et évidemment si l’Etat
avait encore à intervenir dans les mesures disciplinaires
ordonnées par l’Eglise, il ne pourrait que confirmer
celles que ferait encourir l’immixtion dans l’exercice
du commerce.
Seulement il faut reconnaître que l’Eglise elle-même
s’est relâchée de sa rigueur d’autrefois, nous sommes
loin de l’édit de 1707 et des arrêts des conseils de 1721
et 1755. Aujourd’hui, au lieu de ces travaux qui ont
immortalisé les Bénédictins, les plus importantes com
munautés religieuses nous donnent des liqueurs, des
élixirs, excellents je ne dis pas non, mais qui convertis
sent ces communautés en véritables commerçants. Cha
cune d’elle a sa marque de fabrique régulièrement dé
posée au greffe du tribunal de commerce, et l’ardeur
qu’elles mettent à vanter leurs produits dans les circu
laires dont on est inondé, n’a d'égale que celle qu’elles
déploient à poursuivre devant la justice les pauvres dia
bles qui ont contrefait ces produits. Cette manière de
comprendre le sentiment religieux pourrait ne pas être
du goût de tout le monde.
Il n’a été rien innové, rien changé à l’égard de la ma
gistrature. Aujourd’hui comme autrefois il est de sa di
gnité de se consacrer entièrement au noble devoir qui
lui est imposé. L’exercice du commerce ne pourrait que
porter une grave atteinte à sa considération et compro
mettre sa fortune.
�ART. 1 .
91
Quant aux avocats, l’incompatibilité a été de plus fort
confirmée. L’article 18 du décret du 14- décembre 1810,
et l’article 42 de l’ordonnance du 20 novembre 1822,
leur interdisent tout espèce de négoce, et l’o'n sait avec
quelle sollicitude les conseils de l’ordre veillent à l’exacte
observation de cette interdiction.
La môme incompatibilité existe pour les avoués et les
notaires. Il est vrai qu’il n’existe à ce sujet aucune dis
position de loi spéciale, mais la'raison et la nature des
fonctions dévolues aux uns et aux autres amènent for
cément à ce résultat.
6 6 ter. — La qualité de fonctionnaire , l’influence
qu’elle donne et l’abus qu’on pouvait en faire, ont créé
une incompatibilité puisant son fondement dans le dan
ger que ces abus feraient courir à l’ordre public. Ce
danger a de tout temps préoccupé le législateur et lui
avait inspiré des mesures propres à le conjurer. Ainsi,
la loi romaine défendait, à peine de confiscation, aux
proconsuls de faire aucune acquisition, aucune cons
truction dans l’étendue des provinces qu’ils adminis
traient. Quod a prœside seu prncuratore, vel quolibet
alio in eâ provinciâ in quâ adm inistrât, licet per
suppositam personam comparatim est, infirmait) con
tracta vindicatur et œstimatio ejus fisco infertur, nam
et novem in eâdem provinciâ in quâ quis administrât
cedificare prohibelur}
1 L.
46,
f 2.
ff. De ju re fisci.
�92
DES COMMERÇANTS
Une ordonnance de Charles VI du 5 février 1388
prohibe aux sénéchaux, baillis et autres juges d’em
prunter soit directement, soit par personne interposée,
de l’argent ou autres choses des habitants de leur séné
chaussée ou bailliage, d’acquérir ni héritage ni biens im
meubles en leur sénéchaussée, bailliage ou administra
tion, et en cas de contravention déclare le contrat nul,
et telles possessions ainsi acquises nous appartiendront.
L’ordonnance ajoute : El que durant leur administra
tion, ils ne se marieront, ne souffriront leurs enfants,
soit fils ou filles, contraire mariage avec quels aucuns
ou aucunes de leur sénéchaussée; bailliage ou adminis
tration.
C’était pousser la précaution un peu loin, et l’on
pouvait sans aller jusque là atteindre le but qu’on se
proposait. Il suffisait d’élever l’inobservation de l’incom
patibilité à la hauteur-d’un délit. Pourquoi, en effet, ne
se serait-on pas borné à faire pour les fonctionnaires
ce dont on s’était contenté vis-à-vis des agents de change
et courtiers.
C’est dans celte pensée que le Code pénal disposa,
article 175 : « Tout fonctionnaire, tout officier public,
« tout agent du gouvernement qui, soit ouvertement,
« soit par actes simulés, soit par interposition de per« sonnes, aura pris ou reçu quelque intérêt que ce soit
« dans les actes, adjudications, entreprises ou régies
« dont il a ou avait, au temps de l’acte , du tout ou
« en partie l’administration ou la surveillance, sera puni
« d’un emprisonnement de six mois au moins et de
�ART.
1.
93
« deux ans au plus et sera condamné à une amende qui
« ne pourra excéder le quart des restitutions et des in« demnités, ni être au-dessous du douzième.
« Il sera de plus déclaré à jamais incapable d’exercer
« aucune fonction publique.
« La présente disposition est applicable à tout fonc« tionnaire ou agent du gouvernement qui aura pris un
« intérêt quelconque dans une affaire dont il était chargé
« d’ordonner le paiement ou défaire la liquidation. »
Art. 176 : « Tout commandant des divisions militai« res, des départements ou des places ou villes, tout
« préfet ou sous-préfet qui aura, dans l’étendue des
« lieux où il a le droit d’exercer son autorité, fait ou
ït vertement ou par des actes simulés ou par interpo
le sition de personnes le commerce des graines, gre« nailles, farines, substances farineuses, vins ou bois« sons autres que ceux provenant de ses propriétés,
« sera puni d’une amende de 500 fr. au moins, de 10,000
« fr. au plus et de la confiscation des denrées appar« tenant à ce commerce. »
On le voit, le législateur n’a entendu permettra, dans
aucun cas, que les fonctionnaires trouvassent dans leur
qualité et en abusant de l’autorité qu’elle leur donne,
le moyen de s’avantager au détriment des simples par
ticuliers, et de peser sur le prix des denrées de pre
mière nécessité. Il n’est pas douteux que la prohibition
de la loi n’atteigne tous les fonctionnaires sans excep
tion, les plus élevés comme les plus humbles.
« Ainsi, dit M. Ch. Nouguier, le ministre des finan-
�94
DES COMMERÇANTS
« ces ne pourrait réaliser personnellement un emprunt
« qu’il a fait voler par les chambres ; le ministre des
« travaux publics ne pourrait participer aux sociétés
« formées pour l’exploitation des chemins de fer que le
« parlement l’a autorisé à fonder; le ministre de l inlé« rieur, le directeur du télégraphe ne pourraient spé« culer sur les fonds publics, parce que le télégraphe
« leur donnerait trop de moyens d’influer sur le cours
« de la rente ; dans les départements, les préfets qui
« exercent une grande autorité ne pourront com« mercer.1 »
Des considérations de même nature ont fait interdire
le commerce aux consuls, élèves consuls et drogmans,
ainsi qu’aux chanceliers nommés par le chef de l’Etat,
aux intendants et administrateurs de la marine.2
@(3quatuor, — De tout temps, on avait compris la né
cessité d’interdire tout commerce personnel aux agents
de change et courtiers. Si les uns et les autres pouvaient
se livrer à ses opérations, ce n’est qu’en utilisant à leur
profit les renseignements qu’ils reçoivent, les confiden
ces que leur qualité provoque; qu’en trompant ainsi
Tune des parties, peut-être toutes les deux, pour s’en
richir des dépouilles qu’ils leur auraient extorquées.
Plus le public était forcé de recourir à leur ministère,
1 T. 1, p. 270.
2 V. ordonn. 3 mars 1781, tit. i, art. 20 , arrêt du 2 prairial an XI,
art. 22; ordonn. 20 août 1833, art. 34; ordonn. 31 octobre 1734, tit.
14, art. 19; arrêté du 2 prairial an XI, art. 122.
»
�ART. 1.
95
plus on lui devait de le protéger contre l’abus qu’on
pourrait être tenté d’en faire. C’est ce qui explique que
toutes les fois que la législation a eu à s’occuper des uns
et des autres, elle a toujours consacré la défense d’exer
cer un commerce personnel. Cette défense se retrouve
successivement dans l’ordonnance de 1673, dans la dé
claration du 13 juillet 1714, dans l’arrêt du conseil
d’Etat du 30 août 1720, dans ceux des 24 septembre
1724 et 9 août 1785, dans le décret du 4 thermidor
an III, et dans la loi du 24 vendémiaire an IV.
L’article 10 de l’arrêté du 27 prairial an X la déve
loppe en ces termes : « Les agents de change et cour« tiers de commerce ne pourront être associés, teneurs
« de livres et caissiers d’aucun négociant, marchand ou
« banquier; ils ne pourront pareillement faire aucun
« commerce de marchandises, lettres, billets, effets pu« blics ou particulier pour leur compte; ni endosser
« aucuns billets, lettres de change ou effets négociables
« quelconques ; ni avoir entre eux ou avec qui que ce
>< soit aucune société de banque ni en commandite; ni
« prêter leur nom pour une négociation à des citoyens
« non commissionnés, à peine de 3,000 fr. d’amende
« et de destitution. »
Ces dispositions sont renouvelées et consacrées par
les articles 85 et suivants du Code de commerce.
La loi des 18-24 juillet 1866 est venue singulière
ment modifier ces prohibitions en ce qui concerne les
courtiers. La liberté absolue du courtage qu’elle substi
tue au monopole, en laissant aux commerçants le choix
/
�96
DES COMMERÇANTS
de l’intermédiaire qu’ils veulent employer, leur fait un
devoir de se protéger eux-mêmes, et de ne s’adresser
qu’à des personnes incapables d’abuser de leur confiance.
Sans doute la loi admet une catégorie de courtiers
officiels, ceux qui figureront sur la liste dressée parle
tribunal de commerce. Mais l’inscription sur cette liste
est purement facultative et son défaut ne saurait être
un obstacle à l’exercice du courtage. Aussi la loi ne la
prescrit-elle qu’en faveur de ceux qui l’auront sollicitée,
et n’y attache-t-elle d’autres avantages que ceux qu’elle
énumère. Ce que la loi a voulu, c’est, non substituer
un monopole à un autre, mais abolir le monopole que
la législation précédente avait reconnu et consacré.
Cette abolition entraînait forcément l’abrogation de
tout ce qui n’était que la conséquence du monopole,
notamment l’interdiction pour les courtiers de faire le
commerce pour leur compte. Tout le monde peut au
jourd’hui agir comme intermédiaire, commerçants ou
non, inscrits ou non inscrits, sur la liste prescrite par
l’article 2 de la loi. Le législateur l’a si bien reconnu
que l’article 1er abroge les dispositions du Code de com
merce, des lois, décrets, ordonnances et arrêtés en vi
gueur jusque là.
L’unique précaution que le gouvernement avait cru
devoir prendre se trouve dans l’article 6, disposant :
a Le courtier chargé de procéder à une vente publique,
« ou qui aura été requis pour l’estimation de mar« chandises déposées dans un magasin général, ne
« pourra se rendre acquéreur, pour son compte, des
�ART.
1.
97
« marchandises dont la vente ou l’estimation lui aura
« été confiée. »
La commission du corps législatif ne crut pas que ce
fût assez. « Elle pensa qu’au moment ou le projet de
« loi donnait aux intermédiaires, courtiers et repré« sentants les facilités les plus complètes et les plus
« larges, il était indispensable de bien définir leurs droits
« et leurs devoirs. En conséquence, elle voulut qu’une
« peine sévère atteignit celui qui, dans une opération
a de courtage, c’est-à-dire dans une opér ation où il se
« présente comme intermédiaire désintéressé entre deux
« parties contractantes, aurait eu dans la transaction
« un intérêt direct ou indirect inconnu à l’une ou à
« l’autre des parties ou à toutes les deux à la fois.1 »
Elle proposa donc et fit admettre par le conseil d’Etat
la disposition qui est devenue l’article 7 de la loi, et aux
termes de laquelle : » Tout courtier qui sera chargé
o d’une opération de courtage pour une affaire où il
« avait un intérêt personnel, sans en prévenir les par
ce tics auxquelles il aura servi d’intermédiaire, sera pour« suivi devant le tribunal de police correctionnelle et
« puni d’une amende de 500 fr. à 3,000 fr., sans prê
te judice de l’action des parties en dommages-intérêts.
« S’il était inscrit sur la liste des courtiers dressée con« formément à l’article 2, il en sera rayé et ne pourra
« plus y être inscrit de nouveau. »
Ainsi, désormais le courtier p eu t, non-seulement
i V. Rapport,
n° ix.
7
�98
DES COMMERÇANTS
exercer le commerce pour son compte, mais encore être
personnellement intéressé dans l’opération qu’il négo
cie comme intermédiaire. Tout ce qu’on exige de lui,
c’est qu’il fasse connaître cet intérêt aux deux parties
pour que celles-ci soient à même d’apprécier les condi
tions auxquelles elles doivent contracter et d’accepter
ou refuser le marché tel que l’offre le courtier.
06quinto. — Ceux dont les fonctions ou la qualité
sont incompatibles avec le commerce et à qui il est in
terdit de l’exercer directement, ne sauraient indirecte
ment s’y livrer, on doit donc leur refuser le droit d’au
toriser valablement leur femme à devenir marchande
publique. Il serait trop facile par une enseigne trom
peuse d’éluder la loi et d’obtenir par la ruse ce que cel
le-ci leur refuse.
M. Molinier, et avec lui M. Dalloz, pensent qu’il n’y
a nul motif pour appliquer la prohibition à la femme
d’un avocat ou d’un avoué, et que dans le cas où celleci ferait réellement le commerce pour son compte per
sonnel, il n’y aurait lieu d’adresser au mari aucun re
procha.1
Nous sommes d’un avis contraire. Toutes les fois que
les époux ont une habitation commune, il n’est pas
possible d’admettre qu’un avocat puisse autoriser sa
femme à exercer le commerce, sans violer la loi d’in
compatibilité que lui impose sa qualité. Qu’importe qu’au
Rép. g é n v° commerçant, n° ! 22.
�ART.
1.
99
fond la femme agisse pour son propre compte? Est-ce
que le mari ne sera pas amené à lui accorder par la
force des choses l’aide matérielle ou morale qu’elle ré
clamera? A se mêler plus ou moins activement à son
commerce ? Est-ce qu’il ne jouira pas des profits ? Est-ce
que, s’ils sont sous le régime de la communauté, il ne
sera pas tenu des engagements contractés par elle?
On sait très-bien que autoriser sa femme à faire le
commerce est la ressource de ceux qu'une insolvabilité
ou tout autre cause met dans l’impossibilité de l’exercer
eux-mêmes, et nous ne croyons pas qu’il se rencontre
jamais un conseil de discipline qui voulût consacrer la
doctrine de MM. Molinier et Dalloz.
— L’incompatibilité n’est pas l’incapacité.
D’où la conséquence que l’acte fait en contravention de
la loi ne serait pas nul et devrait recevoir son exécution,
sauf les peines disciplinaires qu’auraient encourues l’au
teur de la contravention.
Il en est autrement dans le cas où l’inobservation de
la loi d’incompatibilité constitue un délit, lorsque cette
inobservation est le fait d’un agent de change ou d’une
des personnes désignées dans les articles 175 et 176 du
Code pénal. L’acte qui en a été la conséquence est atteint
d’une nullité absolue en faveur des tiers et contre l’au
teur de la violation de la loi. Il répugnerait à la raison
et au droit que celui-ci pût se faire de son délit un titre
pour contraindre les tiers.
G fisexto,
6 6 septim o.
_
Mais la nullité ne pourrait être opposée
�100
DES COMMERÇANTS
à ceux-ci; ils ont donc incontestablement une action en
justice pour contraindre l’exécution du contrat en ce qui
les concerne. La doctrine est unanime à ce sujet. Elle
n’est divisée que relativement aux opérations faites con
trairement aux prescriptions de l’article 176 du Code
pénal.
MM. Delamarre et Lepoitvin estiment que si ceux qui
ont vendu les denrées ont agi avec connaissance, le con
trat est nul à leur égard. Ils fondent cette opinion sur
ce que l’acte du commandant est un délit, et qu’aux
termes de l’article 60 du Code pénal, sont déclarés com
plices et punissables comme l’auteur, ceux qui l’ont avec
connaissance aidé ou assisté dans les faits qui ont pré
paré ou facilité le délit, ou dans ceux qui l’auront con
sommé.1
Touiller enseigne le contraire. « Il est certain, dit« il, que le commandant qui aurait acheté des denrées
« n’en serait pas moins obligé de les payer sans pou« voir rompre le contrat sous le prétexte que le com« merce lui est interdit, parce que si la loi lui défend
« d’acheter pour commercer, elle ne défendait à per
te sonne de lui vendre, ce n’est point au vendeur à re« chercher l’usage que veut faire l'acheteur des mar« chandises livrées.2 »
M. Molinier se range à l’avis de Touiller relativement
au vendeur, mais il admet une exception pour ceux
. I, 11° 61.
�ART.
1.
101
qui ont été les intermédiaires du commerce illicite.
Ainsi, dit-il, le courtier qui sciemment aurait prêté son
ministère pour un pareil commerce, le commissionnaire
qui en aurait facilité l’exercice avec connaissance de
cause n’auraient pas d’action en justice pour obtenir le
paiement de leurs services, et pourraient être même
poursuivis comme complices du fonctionnaire cou
pable.
M. Dalloz ne se range à l’opinion de M. Molinier que
sur ce dernier point, qui lui paraît condamner le sys
tème de l’auteur relativement au vendeur. Nous ne
voyons pas, dit-il, des motifs suffisants pour ne point
traiter celui qui a vendu sciemment au fonctionnaire
les denrées formant l’objet du commerce prohibé, avec
la même rigueur que ceux qui ont concouru à ce
commerce en qualité de courtiers ou de commission
naires.1
En cela M. Dalloz a parfaitement raison. On ne peut
atteindre ces derniers qu’en vertu de l’article 60 du
Code pénal, or si cet article est applicable dans cette
hypothèse, il doit être appliqué à tous ceux qui ont avec
connaissance aidé ou assisté l’auteur du délit dans les
faits qui l’ont préparé ou facilité ou dans ceux qui l’ont
consommé. Or, comment ne pas ranger dans cette ca
tégorie ceux qui ont vendu les denrées, sachant l’usage
auquel elles étaient destinées ? Est-ce que, sans cette
vente, le délit eût existé ?
i Rép. ffén., v° commerçant, n» 123.
�102
DES COMMERÇANTS
Il y a donc en réalité contradiction dans la doctrine
de M. Molinier. Nous sommes à cet égard de l’avis de
M. Dalloz. Mais là où nous différons, c’est sur la con
clusion à en tirer. Pour nous, en effet, il n’y a pas à
distinguer entre le vendeur et les courtiers ou commis
sionnaires , tous sont à l’abri de tout reproche et de
toute poursuite, c’est-à-dire que nous nous rangeons à
l’opinion de M. Touiller.
Nous repoussons l’application de l’article 60 Code
pénal, parla raison que ce qui caractérise le délit prévu
par l’article 176 même Code, c’est non l’achat, non la
revente, mais la qualité de leur auteur. La conséquence
forcée est qu’à défaut de cette qualité, il ne saurait
exister ni délit"ni contravention. Or, comment invoquer
l’article 60, contre celui qui n’a fait que ce qu’il avait
le droit de faire?
Le délit prévu et puni par l’article 176 Code pénal
est spécial et n’admet pas de complicité. « Tout le délit
« du fonctionnaire, disent MM. Adolphe Chauveau et
« Faustin Hélie, est dans l’abus de ses fonctions; le
« même fait commis par toute autre personne est une
« action parfaitement licite; c’est donc un délit per« sonnel, et qui, de même qne tous les délits qui sup« posent dans leur auteur une qualité spéciale, par
« exemple les délits purement militaires , n'admet pas
« de complice.1 »
La conclusion qu’en tirent nos éminents criminalisi Théorie du C. pén'., 3me éd ., t. 2, p. 6 3 t .
�103
ART. 2.
*
tes, c’est que la personne interposée pour faire le com
merce illicite et qui prête son nom, ne peut être con
sidérée comme complice. A plus forte raison ne peuton reconnaître cette qualité au vendeur, au courtier, au
commissionnaire qui auraient traité avec le fonction
naire coupable.
Ainsi l’acte de ce fonctionnaire n’est nul et de nul
effet qu’en ce qui le concerne et doit être exécuté en
faveur des tiers.
De plus, si les actes sont assez nombreux pour cons
tituer l’habitude, le fonctionnaire serait réputé com
merçant et comme tels soumis aux effets attachés à
cette qualité quant à la compétence et aux conséquen
ces légales de la cessation de paiements édictées au titre
des faillites et banqueroutes.
A côté des personnes qui ne peuvent exercer le com
merce par incompatibilité, se placent celles qui en sont
absolument incapables, et qui n’acquerront jamais la
qualité de commerçant, quelque nombreux, quelque
répétés qu’aient été les actes de commerce auxquels ils
se sont livrés. Parmi ces incapables figurent les mineurs
et les femmes mariées.
Mais en ce qui les concerne, l’incapacité peut être
effacée. Nous allons voir dans quels cas et à quelles
conditions.
A rt.
2.
Tout mineur émancipé, de l’un et de l’autre
sexe, âgé de 18 ans accomplis, qui voudra pro-
�104
DES COMMERÇANTS
fitcr de la faculté que lui accorde l’article 487
du Code civil, de faire le commerce, ne'pourra
en commencer les opérations , ni être réputé
majeur, quant aux engagements par lui contrac
tés pour fait de commerce : 1° s’il n’a été préa
lablement autorisé par son père, ou par sa mère
en cas de décès, interdiction ou absence du
père, ou, à défaut du père et de la mère, par
une délibération du conseil de famille, homo
loguée par le tribunal civil 5 2 ° si, en outre ,
l’acte d’autorisation n’a été enregistré et affiché
au tribunal de commerce du lieu où le mineur
veut établir son domicile.
A ut. 3.
La disposition de l’article précédent est ap
plicable aux mineurs, même non commerçants,
à l’égard de tous les faits qui sont déclarés faits
de commerce par les dispositions des articles
632 et 633.
SOMMAIRE
67. Conséquences des engagements commerciaux. Motifs devant
faire prohiber tout commerce au mineur.
68. Silence gardé â cet égard par l ’ancienne législation. Consé
quences des dispositions de l’ordonnance de 1673.
69. Aggravation du sort des mineurs lors de son abrogation par
la loi de 1791.
�70. Disposition du Code civil.
71. Discussion au conseil d’Etat sur l’opportunité d’une excep
tion en faveur des mineurs.
72. Sur les précautions dont il convenait d’entourer cette ex
ception.
73. Conditions imposées par l’article 2 du Code de commerce.
74. Première condition. — E m a n c i p a t i o n g é n é r a l e . — Pour
quoi elle a été exigée.
75. Réponse à l ’objection qu’elle n’était qu’un double emploi
avec l'autorisation.
76. Distinction entre les effets de l ’une et de l ’autre.
77. Leur cumul était dicté par l ’intérêt du mineur lui-même.
78. Effets du défaut d’émancipation préalable. Devoir en résul
tant pour les tiers.
79. La fausse qualification de mineur émancipé rendrait-elle
l ’autorisation suffisante pour assimiler le mineur au ma
jeur ?
80. Deuxième condition. —■Age. — Motifs qui l’ont fait fixer à
18 ans.
8-1. L ’autorisation donnée avant 18 ans aurait-elle effet sur les
engagements pris par le mineur après cet âge.
82. Troisième condition. — A u t o r i s a t i o n . — C’est à la famille
que s’en est rapporté le législateur. Pouvoir du père, de la
mère, du conseil de famille.
83. Caractère de l ’autorisation. Motifs pour que la famille agisse
avec prudence.
84. Ne peut jamais s ’acquérir implicitement.
85. Conséquences de la règle qu’elle doit être expresse et préa
lable à l ’exercice du commerce.
86. Effets du silence gardé par la loi sur la forme de l ’autorisa
tion donnée par le père ou la mère.
87. Peut-elle être valablement donnée par acte sous seing-privé?
88. La mère n’est apte à autoriser qu’en cas de décès, d ’inter
diction ou d’absence du père. L ’intervention des tribunaux,
dans ce dernier cas, empêche tout abus.
�106
DES COMMERÇANTS
89. L ’autorisation ne doit pas contenir la nature des affaires aux
quelles doit se livrer le mineur. Conséquences.
90. Le mineur peut-i! contracter une société avec son père qui
l’a autorisé?
91. Quatrième condition. — P u b l i c i t é d e l ' a u t o r i s a t i o n . — Ob
jet de cette condition. — Forme tracée par la loi.
92. Effets du défaut ou de l’irrégularité de l’une de ces con
ditions.
93. Effets de leur accomplissement régulier.
94. La rétractation de l ’autorisation n ’est acquise que par le
retrait de l’autorisation.
95. Publicité que doit recevoir celui-ci.
96. Renvoi à l’article 6 pour les conséquentes de l’adminis
tration du mineur com merçant, à l’endroit de ses im
meubles.
97. L’autorisation ne couvre que les engagements qui l’ont sui
vie. Fraude que cette règle peut faire surgir. Ses effets
quant au mineur.
98. Incapacité du mineur à l’endroit des actes de commerce.
99. Le mineur émancipé par le mariage ne peut exercer le com
merce sans autorisation.
67.
— Les engagements que le commerçant con
tracte dans l’exercice de sa profession ont pour résultat
immédiat et direct non-seulement d’engager ses biens,
mais encore de compromettre sa personne, en le pla
çant sous le coup de la contrainte par corps pour leur
exécution. Il importe donc que ces engagements soient
le fruit des plus mûres réflexions, d’une prudence con
sommée. Pouvait-on se promettre ce résultat de la
légèreté inséparable de l’âge de minorité?
Le commerce n’est pas une industrie qu’on puisse
�ART.
2
ET
3,
107
machinalement exercer. Le calcul des chances qui en
font la base, l’appréciation des probabilités devant ren
dre la spéculation heureuse ou malheureuse trompe
souvent l’intelligence la plus consommée, la raison la
plus ferme. Le mineur offre—t—il ces garanties, et lui
permettre le commerce, n’est-ce pas le dévouer à une
ruine presque inévitable ?
68.
— Chose extraordinaire ! notre ancienne légis
lation, qui avait fixé la majorité civile à 25 ans, n’avait
déterminé aucune limite d’âge à l’exercice du com
merce. Cependant l’article 6 de l’ordonnance de 1673
disposait : que tous négociants, marchands en gros ou
en détail, comme aussi les banquiers, seraient réputés
majeurs pour les faits de leur commerce ou banque,
sans qu’ils puissent être restitués sous prétexte de
lésion.
Pour comble d'étrangeté, l’ordonnance de 1673,
s'occupant du commerce officiel, au point de vue des
maîtrises et jurandes, prescrivait que nul ne serait reçu
marchand s’il n’avait 20 ans accomplis et s’il ne rap
portait le brevet et les certificats d’apprentissage et des
services rendus depuis. Mais tout cela n’était exigé, aux
termes de l’article 1er, qu'ez lieux où il y a maîtrise
de marchands.
Ainsi, là où il n’y avait pas de maîtrise, on ne pou
vait pas recevoir la qualité de maître, mais l’exercice
effectif du commerce était, sans restriction, sans condi
tion aucune, laissé à la discrétion de celui qui voulait
�108
DES COMMERÇANTS
s
l’entreprendre, majeur ou mineur, à 15 comme à 20
ans, et le mineur était réputé majeur pour tous les faits
de ce commerce. De manière que moins il y avait de
garantie, plus grande était la liberté laissée au mineur.
On ne lui permettait de devenir commerçant à 20 ans
seulement, que lorsqu’il avait fait un long et laborieux
apprentissage, mais il pouvait l’être à 15 ans, sM n’en
avait fait aucun.
Ajoutons que, même dans les lieux où il existait des
maîtrises, certaines professions demeuraient entière
ment libres, parce qu’elles n’avaient pas été organisées
en corporations. Telles étaient notamment celles de
banquier, de manufacturier et d’armateur. En consé
quence, et même sur les places où le mineur ne pou
vait vendre les objets de la plus minime importance,
sans avoir atteint l’âge de 20 ans et accompli son ap
prentissage, il était libre d’ouvrir, à quelque âge qu'il
le trouvât bon, une maison de banque, de créer une
manufacture ou de devenir armateur.
6 9.
— Cet acte si périlleux pour le mineur fut en
core aggravé par la législation de 1791. L’abolition des
maîtrises et jurandes abrogea le titre 1er de l’ordon
nance de 1673. A dater de ce moment, toutes les bran
ches du commerce furent également accessibles aux
mineurs, sans aucune condition. Le résultat de tout
cela amena des ruines fâcheuses. Un grand nombre de
mineurs de moins de 16 ans, commercialement at
teints , virent leur fortune dissipée et leur personne
compromise.
�ART.
2
ET
3.
109
70. — Les auteurs du Code civil, dont l’attention
fut éveillée par ce grave inconvénient, furent naturelle
ment amenés à rechercher s’il convenait de permettre
aux mineurs de se livrer au commerce. L’affirmative
leur ayant paru nécessaire, ils posèrent une première
barrière à la faculté de l’exercer. Ils ne la consacrèrent
qu’en faveur du mineur émancipé.1
71. — Mais cette question était plus spécialement
du ressort du législateur commercial. Aussi, et malgré
quelle eût été en quelque sorte résolue par le Code ci
vil, reparut-elle dans la discussion du Code de com
merce. Plusieurs orateurs proposèrent même de la ré
soudre négativement.
Pourquoi, disait M. Jaubert, puisque la majorité civile
est fixée à 21 ans, ne pas attendre cette majorité? Pour
quoi livrer un jeune homme à lui-même, dès l’âge de
18 ans, pour les affaires les plus difficiles, les plus ha
sardeuses? Est-il prudent, ajoutait M. Bigot de Préame
neu, est-il utile à la société que, dans un âge aussi
tendre, tout citoyen puisse se livrer au commerce?
Mais, d’une part, le respect pour le Code civil, de
l’autre, la crainte que, dans bien des cas, la prohibition
absolue n’occasionnât un préjudice considérable au mi
neur, firent maintenir l’affirmative. Etait-il raisonnable,
répondait-on, d ’empêcher le mineur de continuer le
commerce dont il hérite de son père ? D’exploiter l’éta1 Art. 487 du Code civil.
�110
DES COMMENÇANTS
blissement commercial, à la tête duquel se trouve placée
ou appelée la femme qu’il épouse ?
\ •
72. — La question d’opportunité ainsi tranchée ,
restait celle des précautions à prendre, soit dans l’inté
rêt du mineur, soit dans celui du public. L’article 2
nous indique comment elle a été, à son tour, résolue.
73. — Il faut donc aujourd'hui, pour que le mi-*
neur puisse légalement se livrer au commerce : Ie qu’il
ait été émancipé; 2° qu’il ait 18 ans révolus; 3° qu’il
soit autorisé par qui de droit; 4° que l’aurisation ait été
enregistrée et publiée au tribunal de commerce du lieu
où il entend fixer son domicile. Examinons chacune de
ces conditions. Nous indiquerons ensuite les effets que
leur accomplissement produit pour ou contre le mineur.
7 4. — 1° Emancipation.
L’émancipation du mineur peut n’être qu’un calcul
de la part du père, se procurant la faculté de disposer
sous son couvert, et dans son intérêt propre, des reve
nus dont il serait comptable, s’il les percevait en qualité
de tuteur ou administrateur. Mais, il faut le reconnaî
tre, cette fraude est fort rare, et les tribunaux ont su
l’atteindre et la réprimer lorsqu’elle a eu l’audace de se
produire.
Le plus ordinairement donc, l’étnancipation suppose,
chez le mineur qui l’obtient, une capacité telle, que le
père de famille, premier et meilleur juge des intérêts
de son fils, a cru devoir s’en remettre aux espérances
�AB T.
»
2
ET
3.
111
qu’elle fait concevoir, et lui confier une gestion que tout
indique devoir être intelligente et avantageuse.
Cette présomption de capacité est une première ga
rantie sur laquelle la loi a voulu pouvoir compter, avant
de confier au mineur une capacité plus ample , par
la faculté d’exercer le commerce. Aussi, est-elle rigou
reusement exigée par le texte de l’article 2 que nous
examinons.
Tout mineur émancipé, porte ce texte, ce qui indi
que que la permission de faire le commerce est Subor
donnée à l’existence préalable de l’émancipation ; ce
qui comporte virtuellement, à l’endroit de cette faculté,
l’exclusion du mineur non émancipé. Ajoutons qu’avant
d’être inscrite dans le Code de commerce , cette exi
gence figurait dans notre droit civil, l’article 487 du
Code civil ne réputant majeur, pour faits de commer
ce, que le mineur émancipé.
75.
— En présence de la disposition de l’article 2,
on a été naturellement amené à se demander si l’éman
cipation, cumulée avec l’autorisation, ne constituait pas
un double emploi superflu et inutile. A quoi bon, en
effet, la première, lorsque, par l’effet de la seconde,
le mineur est en possession d’une capacité bien plus
étendue, puisqu’elle va jusqu’à lui permettre d’aliéner
ses biens? Mais la réponse la plus péremptoire à cet
égard nous est fournie par la discussion au conseil
d’Etat. Cette réponse a le mérite incontestable, nonseulement de fixer l’intention du législateur sur la né-
�112
DES COMMERCANTS
cessité du cumul, mais encore d'en justifier et d’en pré
ciser le sens.
D’une part, en effet, et sur l’observation de quelques
orateurs, M. Regnaud de Saint-Jean-d’Angely propo
sait de dire que l'autorisation accordée par la famille
vaudra émancipation. Mais cette proposition fut re
poussée sur l’observation de l’archichancelier Camba
cérès, disant que ce serait là s’écarter du Code civil,
qui exige, pour faire le commerce, une émancipation
générale.
76.
— D’autre part, M. Berlier, abordant le fond de
la question, distinguait en ces termes la simple éman
cipation de celle qui est suivie de l’autorisation de faire
le commerce : « L’on sent que l’article du Code civil,
relatif à la réductibilité des engagements du mineur,
même émancipé, selon que leur objet serait plus ou
moins utile, est inapplicable au mineur commerçant
envers ses créanciers, dont les actions ne pourraient
être entravées par un tel examen, sans que tout crédit
devînt impossible.
« Mais, de cette différence entre ces deux actes, il
ne résulte pas que l’émancipation ordinaire ne doive
pas précéder l’autorisation spéciale. On a établi l’utilité
et la nécessité de ce concours; et, outre la déférence
due au texte de la loi, il serait assez bizarre que le mi
neur, habile à faire de grandes opérations commercia
les, ne le fût point à jouir de ses revenus.1 »
i Procès-verbal de la séance du 4 novembre 1806.
�ART.
2
ET
3.
113
Ainsi, l’émancipation donne le droit de jouir des re
venus des biens, mais laisse le mineur dans la position
d’invoquer la réductibilité de ses engagements en cas
d’excès. L’autorisation de faire le commerce fait perdre
ce dernier droit à l’égard des engagements commer
ciaux, mais ne confère pas celui de jouir des revenus
des biens. Le cumul de l'une et de l’autre était donc
indispensable pour faire disparaître l’anomalie signalée
par M. Berlier, d’un mineur apte à contracter les enga
gements les plus importants, et n’ayant pas cependant
la libre disposition de ses revenus, alprs que ses biens
eux-mêmes pouvaient être absorbés par les dettes com
mercialement contractées.
77.
— Quel pouvait être d’ailleurs l’effet de cette
anomalie? Nul autre évidemment que celui de placer le
mineur dans une position fâcheuse à l’égard du public.
En lui accordant l’autorisation, mais en ne l’émancipant
pas, la famille laissait planer sur sa capacité un doute
qui, partagé par les tiers, devait lui faire refuser tout
crédit, ou tout au moins rendre ses relations avec eux
fort difficiles. Fallait-il donc qu’avant même son début
dans la carrière, le mineur rencontrât l’écueil sur lequel
il était condamné à venir se briser ?
Ce n’était pas tout encore. Le mineur commerçant
peut trouver un avantage à jeter ses revenus dans son
commerce. Dans cette faculté d’augmenter son capital,
il puisera des moyens nouveaux d’étendre son crédit,
de faire face à ses engagements. Lui enlever cette res-
8
�114
DES COMMERÇANTS
so.urce, c’était donc le mettre aux prises avec des em
barras pécuniaires, de nature à contrarier et à retarder
le succès et l’essor de son commerce.
Ces considérations militaient toutes en faveur de
l’émancipation préalable. Le mineur qu’on allait lancer
dans le commerce devait recevoir tous les encourage
ments, toutes les facilités susceptibles de l’y faire réus
sir. Avant de réclamer pour lui la confiance du public,
il fallait le montrer investi de toute celle de sa famille.
78.
— Le défaut d’émancipation préalable vicie donc
les pouvoirs que le mineur recevrait d’une autorisation
ultérieure. Irrégulièrement investi de la qualité de com
merçant, il ne serait plus réputé majeur à l’endroit des
opérations qu’il aurait accomplies. Ses engagements se
raient exclusivement régis par les principes ordinaires
applicables au simple mineur.
Cette conséquence indique combien les tiers sont in
téressés à l’exécution rigoureusement littérale de l’arti
cle 2 du Code de commerce. Peut-être aurait-on dû,
pour les protéger efficacement, prescrire, pour l’éman
cipation elle-même, un mode de publicité de nature à
en répandre et à en faciliter la connaissance. En l’ab
sence de toute disposition de ce genre, le devoir que
le droit commun impose de s’assurer de la condition de
celui avec qui on traite devient plus énergique et plus
indispensable j et puisque les formes tracées à l’émanci
pation permettent de la constater d’une manière cer
taine, par l’expédition du procès-verbal dressé par le
�ART.
2
ET
3.
ilB
juge de paix, ceux qui seront appelés à nouer des rela
tions avec le mineur commerçant agiront avec sagesse
et prudence, en exigeant la justification préalable de
l’accomplissement de cette formalité si essentielle.
79.
— Il ne suffirait pas, en effet, que cet accom
plissement fût indiqué dans l’autorisation par la qualifi
cation d’émancipé que le mineur y aurait reçue. La
fausseté de cette qualification aurait pour résultat im
médiat d’enlever au mineur toute capacité commerciale
pour le passé comme pour l’avenir.
L’opinion contraire est cependant enseignée par
M. Pardessus. Comme c’est l’autorisation seule, dit cet
éminent jurisconsulte, qui doit être affichée , si elle
contenait la fausse mention d’une émancipation qui
n’aurait pas eu lieu, le mineur serait engagé valable
ment, puisqu’il y aurait un véritable dol, ou du moins
un quasi-délit de sa part.1
Nous repoussons cette doctrine. Elle ne nous paraît
pas pouvoir se justifier soit au point de vue des princi
pes généraux du droit, soit à celui des principes spé
ciaux.de la matière.
En droit général, une incapacité légale ne peut être
couverte par la déclaration de capacité émanée de l’in
capable lui-même. Cela est surtout vrai lorsque cette
déclaration a pour objet d'éluder une disposition d’or
dre public, ou d’engager sa personne, d’aliéner sa li1 T. i, n° 58.
�116
DES COMMERÇANTS
berté contrairement à la prohibition formelle de la loi.
Déjà, et comme conséquence de ce principe, nous avons
vu que la partie majeure, qui a pris dans le contrat la
qualification de commerçant, n’est pas liée par sa dé
claration ; qu’elle est toujours recevable à alléguer et à
prouver le contraire.
Sous quel prétexte donc enlèverait-on au mineur la
garantie qu’on reconnaît au majeur? Remarquons, en
effet, que ce dernier déclarant dans l’autorisation, et
contrairement à la vérité, qu’il est émancipé, ne fait
que ce que réalise le premier en prenant faussement la
qualité de commerçant. Sans l’émancipation, en effet,
il n’y a pas possibilité pour le mineur d’acquérir cette
qualité. En déclarant que cette émancipation a eu lieu
le mineur ne fait donc que s’attribuer un caractère qui
ne lui appartient pas. Il affirme sa capacité.
Mais n’est-ce pas là précisément ce que fait le mineur
se déclarant majeur dans le contrat qu’il souscrit? Ce
pendant la loi est formelle à cet égard, le mineur est
restitué contre sa déclaration. Comment et pourquoi
n’en serait-il pas ainsi dans l’hypothèse que nous exa
minons, et dans laquelle une solution identique est in
diquée par une supériorité de raisons incontestable.
En effet, dans le premier cas, la déclaration de majo
rité émane directement du mineur. Elle est son fait pro
pre et personnel. Dans le second, au contraire, la quali
fication du mineur émancipé, ce n’est pas lui qui la
prend, c’est l’auteur de l’autorisation qui la lui donne.
Remarquons, à ce propos, que, dans cette autorisation,
�le mineur n’a aucun rôle actif à jouer ; elle peut lui être
conférée sans qu’il soit présent. De telle sorte qu’ex
cusé lorsqu’il a lui-même menti, il serait puni dans ses
biens et même dans sa personne pour un mensonge
auquel il a pu de très-bonne foi rester étranger. Une
pareille anomalie n’est pas admissible.
Il faut donc conclure avec M. Nouguier : qu’il n’y a
que le mineur émancipé qui soit capable de se livrer
au commerce, aux autres conditions exigées par l’arti
cle 2 ; qu’importe, s’il ne l’est pas, la mention contraire
renfermée dans l’autorisation ; cette énonciation men
songère ne lui donne pas la capacité que la loi lui re
fuse, en se fondant sur l’intérêt et la tranquillité des
familles, sur la jeunesse du mineur, sur son défaut de
discernement. Ne pourrait-on pas répondre aux tiers qui
se plaindraient : Ce jeune homme, avec lequel vous
avez traité, peut être coupable, mais il n’a pu apprécier
les conséquences de la déclaration qu’il faisait; c’était
à vous de vous enquérir et de savoir si toutes les for
malités avaient été remplies.1
Cette dernière considération a une grave importance
au point de vue du dol auquel se place M. Pardessus.
Le dol n’existe réellement que lorsque le mensonge a
été accompagné de manœuvres telles, qu’elles ont eu
pour objet et pour résultat de placer celui qui en est
victime dans l’impossibilité de découvrir l'a vérité. Dans
1 T. 1, pag. 245; — Adde, O rillard, n° 162; — Sebire et Carteret,
n° 271.
�118
DES COMMERÇANTS
l’espèce, l'énonciation mensongère renfermée dans Vautorisation, non-seulement n’a pas empêché les investi
gations, mais elle était un motif de plus de s’y livrer
dans une matière où la capacité du mineur dépendait
de l’existence du fait énoncé. Celui qui a failli à ce de
voir, en ajoutant une foi aveugle à la mention de l’au
torisation, ne peut être recevable à se plaindre d'un dol
dont il pouvait si facilement prévenir les effets. Si, du
côté du mineur ou de sa famille, il y a une immoralité,
le tiers, de son côté, est en état flagrant d’imprudence
et de légèreté. II y a donc faute de part et d’autre, et
dès lors impossibilité d’en rendre une des parties ex
clusivement responsable.
Vainement ferait-on appel à la confiance sans laquelle
le commerce n’est plus possible. Vainement dirait-on
que l’éloignement du domicile du mineur n’a pas per
mis de vérifier le plus ou moins d’exactitude des énon
ciations de l’autorisation. Exciper des termes de celleci, c’est prouver qu’on l’a connue et, dès lors, qu’on a
su qu’on traitait avec un mineur. Cette connaissance
acquise, restait le devoir impérieux de s’assurer si les
conditions exigées par la loi avaient été accomplies. Si
ce devoir était difficile à remplir par soi-même, on
pouvait le faire par correspondant. La capacité du mi
neur, d’une part, ne peut tenir au plus ou moins de
bonne foi de ceux qui ont traité avec lui. De l’autre,des
hypothèses exceptionnelles ne comportent plus l’applica
tion des règles ordinaires du commerce, et motivent
suffisamment une trêve à ses habitudes les plus usuelles.
�ART.
2 ET 3.
119
Ainsi le mineur doit être émancipé. Rien, en l’ab
sence de l’émancipation, ne peut lui conférer la capa
cité de faire légalement le commerce. C’est par appli
cation de cette règle, qu’il a été jugé que le mineur pubè
re, qui, en pays de droit écrit, avait la libre administra
tion de ses biens, n’a pu, depuis la survenance du Code
civil, faire un acte de commerce sans être émancipé.1
8 0.
— 2° Âge. — L’émancipation par le père ou
la mère peut être conférée au mineur ayant atteint l’âge
de 15 ans révolus. D’autre part, l’article 487 du Code
civil permet à tout mineur émancipé de faire le com
merce. La conséquence de ce double principe était de
reconnaître au mineur de moins de 16 ans la faculté
de devenir commerçant et de disposer dès lors de sa
personne et de ses biens.
Que dans un âge aussi tendre le mineur puisse ad
ministrer sa fortune, on le comprend, alors d’ailleurs
que la révocation de l’émancipation, en cas d’abus, at
ténue singulièrement le danger d’une pareille adminis
tration ; mais conclure de cette capacité à celle de gérer
des opérations commerciales, de se livrer à une profes
sion aussi délicate, aussi périlleuse, c’est ce qui ne vient
à l’idée de personne.
Aussi, la section de l’intérieur, après avoir admis en
principe qu’il convenait de poser une limite d’âge à la
faculté pour le mineur de faire le commerce, proposait
de la fixer à 18 ans révolus. Cette proposition rencon1 Grenoble, 23 novembre 1816.
�120
DES COMMERÇANTS
tra des contradicteurs dans le sein du conseil d’Etat.
On soutint qu’on ne devait autoriser le mineur qu’en
tant qu’il aurait atteint sa vingtième année.
Cette détermination fut repoussée. On considéra que
l’intérêt du mineur, qui le faisait admettre à la faculté
d’exercer le commerce, pouvait exiger qu’on la lui
conférât avant cet âge ; que la majorité étant fixée à 21
ans , la concession qu’on lui ferait à 20 ans serait
plutôt apparente que réelle; qu’autant valait ne pas
l’accorder du tout, et attendre une majorité si rap
prochée.
On s’arrêta donc à 18 ans. En conséquence, le mi
neur même émancipé ne peut, avant cet âge, obtenir
une autorisation régulièré. Celle qui lui serait accordée
serait radicalement nulle, et ne pourrait le faire réputer
majeur pour les engagements commerciaux dont elle
.
. .
/
serait suivie.
81.
— Si le commerce irrégulier du mineur s’était
prolongé au-delà de sa dix-huitième année, les enga
gements par lui souscrits depuis qu’il l’a atteinte se
raient-ils valables? Devrait-on le réputer majeur quant
à leurs effets?
En équité pure, la réponse affirmative pourrait pa
raître préférable. Mais les principes de droit, toujours
rigoureux en matière de capacité, conduisent au résul
tat contraire.
En effet, l’autorisation donnée contrairement aux
prescriptions de l’article 2 est viciée d’une nullité radi-
�ART. 2 ET 3.
121
cale. Cette nullité l’atteint dans son origine, l’autorisa
tion est censée n’avoir jamais existé.
Comment donc pourrait-on en valider les effets ,
quelque prolongés qu’ils aient été? Sans doute le mi
neur, parvenu à l’âge de 18 ans, est apte à être auto
risé; mais il ne peut l’être avant. En conséquence, si
l’autorisation ne lui a pas été accordée depuis qu’il a
atteint l’âge légal, il sera vrai de dire qu’elle n’a jamais
existé.
Vainement exciperait-on de l’exercice réel du com
merce, au vu et su de la famille et même avec son con
cours. Pour le mineur, ce n’est pas la qualité de la per
sonne qu’on considère. On ne peut s’arrêter qu’au fait
particulier de l’autorisation. De plus, et aux termes de
l’article 2 lui-même, cette autorisation doit précéder
les actes de commerce, être expresse, ce qui exclut
d’une part tout effet rétroactif, de l’autre toute pos
sibilité d’un consentement tacite. L’affirmative sur nos
questions, supposant nécessairement l’un et l’autre, est
donc directement condamnée par le texte de la loi
comme par son esprit.
Ainsi, le mineur irrégulièrement autorisé est comme
s’il ne l’avait jamais été. Le commerce qu’il fait est dès
lors illégalement exercé. Les engagements qui en ont
été la conséquence, souscrits en état de minorité, ne
peuvent échapper au sort commun à tous ceux du mi
neur ordinaire émancipé ou non.
- 82. — 3° Autorisation. — La famille du mineur
�122
DES COMMERÇANTS
est le premier juge de l’intérêt réel que le mineur peut
avoir à exercer le commerce ; de la capacité qu’il est
dans le cas de déployer ; la crainte de voir le mineur
dissiper sa fortune, la honte d’une faillite rejaillir jusque
sur elle est une double garantie de la maturité qu’elle
apportera dans une délibération de cette nature.
C’est donc à elle que le législateur a dû recourir ;
et, dans cet appel, il n’a négligé aucune précaution. Il
a gradué ses exigences sur le degré d’affection, sur le
plus ou moins de sollicitude sur l’avenir du mineur que
pouvait éprouver la personne appelée à l’autoriser.
Le père, et à son défaut la mère, dispose à cet égard
d’une manière souveraine et sans contrôle. Agir autre
ment, c’eût été témoigner une méfiance injurieuse, en
supposant, contre nature, que l’un ou l’autre était ca
pable d’oublier ce qu’il doit à son enfant.
Mais la décision du conseil de famille, à laquelle il
faut recourir à défaut du père et de la mère, n’est exé
cutoire qu’après homologation par le tribunal civil. Le
conseil de famille n’est pas même toujours composé de
parents plus ou moins éloignés; à défaut de ceux-ci,
les amis sont appelés. On pouvait donc raisonnable
ment craindre qu’il n’apportât pas dans sa délibération
toute la prudence, toute la maturité désirable. L’examen
sévère et impartial de la justice était dès lors une ga
rantie qu’on ne devait pas négliger.
83. — Mais la famille, qui déjà a accordé l’éman-
�ART.
2
ET
3.
123
cipation, ne se montrera-t-elle pas par trop facile à ac
corder l’autorisation ? Non, répondait-on dans le sein
du conseil d’Etat, car il y a une tout autre difficulté à
suivre des opérations commerciales, parfois si hasar
deuses, qu’à administrer son patrimoine. Il y a donc
sagesse à demander des garanties plus grandes, lorsqu’il
s’agit de conférer une capacité plus étendue que celle
attribuée par l’émancipation. Il convenait d’exiger une
autorisation spéciale pour une garantie spéciale. Il im
porte donc que la famille n’accorde pas légèrement une
autorisation ; qu’elle se détermine seulement par un
examen sérieux, approfondi de l’intérêt du mineur;
qu’elle soit retenue par la crainte des suites désastreu
ses que pourrait avoir pour lui une autorisation trop
légèrement accordée.1
Cette volonté du législatenr doit non-seulement servir
de règle au père, à la mère, au conseil de famille, mais
encore dicter aux magistrats l’appréciation à laquelle
ils doivent s’arrêter. Elle détermine les conséquences
suivantes :
84.
— D’une p a rt, l’autorisation ne saurait s’ac
quérir d’une manière implicite. Vainement donc exciperait-on d’un consentement tacite du père, de la mère
ou de la famille, consentement qu’on ferait résulter du
silence qu’ils auraient gardé sur des actes de commerce
faits par le mineur sous leurs yeux, ou du concours
i Procès-verbal de la séance du 4 mars 1806.
�124
DUS COMMERÇANTS
qu’ils y auraient donné. On ne pourrait voir là l’auto
risation avec les caractères exigés par la loi.1
8 5 . — D’autre part, cette autorisation devant, pour
rendre le mineur apte à faire le commerce, être ex
presse, on déciderait, avec la cour de Bourges, qu’elle
ne peut résulter d’une délibération ayant pour objet
d’autoriser le mineur à vendrç des immeubles, pour
faire honneur à ses engagements et se livrer avec plus
d’avantages au commerce.5
En troisième lieu enfin, l’autorisation devant précé
der l’exercice du commerce, son obtention ne peut avoir
d'effets pour le passé. Tous les actes de commerce faits
avant n’en seraieut donc nullement validés, et, en ce
qui les concerne, on ne pourrait réputer majeur le mi
neur émancipé qui les auraient souscrits.
86. — La loi n’a prescrit aucun mode, aucune
forme déterminée pour l’autorisation, excepté en ce
qui concerne celle du conseil de famille dont la délibé
ration doit se réaliser en la forme ordinaire. En consé
quence, le père, ou à son défaut la mère, peut valable
ment la consentir, soit par acte authentique, soit par
une déclaration faite devant le juge de paix, ou au greffe
du tribunal de commerce.
87. — D evrait-on déclarer valable l’autorisation
1 Pardessus, n°s 57 et 18; — Nouguier,
2 26 janvier 1828,
t. i, pag. 244.
�ART.
2
ET
3.
125
donnée par acte sous seing-privé ? Rien, dans le texte
de la loi, n’exclut formellement cette forme. L’acte
sous seing-privé devant être enregistré et publié au tri
bunal, reçoit de cette double formalité une date cer
taine vis-à-vis des tiers.
Mais, malgré cette certitude dans la date, l’acte sous
seing-privé ne fait foi de l’écriture et de la signature
qu’en tant que l’une et l’autre sont reconnues ou avé
rées. Or, est-il présumable que la loi ait voulu laisser
planer sur l'autorisation un doute de cette nature ?
L’affirmative ne saurait être admise sans accuser la loi
d’une imprévoyance fort dangereuse pour les tiers. La
fraude, en effet, saurait d’avance se créer une ressource
infaillible, en se ménageant une dénégation d’écriture,
d’un effet d’autant plus certain qu’en réalité, et par
suite d’un coupable concert, l’écriture ne serait réelle
ment pas de celui auquel on l’attribuerait. La crainte
seule d’un pareil résultat motive donc le rejet de la
forme sous seing-privé.
88.
— La loi n’appelle la mère à autoriser son en
fant mineur qu’en cas de décès, d’interdiction ou d’ab
sence du père. La preuve légale des deux premières
hypothèses, toujours facile à produire, ne permet pas
d’entrevoir, à leur occasion, la moindre difficulté. Il
n’en est pas de même de l’absence. On aurait pu crain
dre que par une confusion, que rien ne justifiait d’ail
leurs, la mère ne se crût autorisée à délivrer l’autori
sation par cela seul que le père ne serait pas présent
�126
DES COMMERÇANTS
sur la localité, et, pour prévenir cet abus, exiger que
la faculté qui lui est déférée ne pût être exercée qu’après la déclaration judiciaire de l’absence. Mais l’inanité
de cette crainte doit faire évanouir tout scrupule. L’ar
ticle 863 du Code de procédure civile régit la mère
voulant autoriser son enfant. Elle doit donc, avant de
pouvoir y procéder, se faire autoriser elle-même, et les
magistrats auxquels elle s’adressera ne confondront
pas une absence momentanée avec l’état d’absence
présumée, exigé par le législateur. L’intervention de
la justice est une garantie suffisante contre tout abus.
89.
— L’autorisation donnée au mineur de faire le
commerce, en termes généraux, est suffisante et régu
lière. On ne saurait le décider autrement que si la loi
eût exigé qu’elle mentionnât le genre d’opérations aux
quelles il entend se livrer. Une exigence de ce genre
eût pu constituer un grave danger pour le mineur ,
puisque, lié par son autorisation, il n'aurait pu, sans
autorisation nouvelle, se livrer à un autre commerce
plus lucratif que celui dans lequel il n’aurait éprouvé
que des pertes. D’ailleurs, quelles que soient les opéra
tions qu’il entreprend, le mineur ne fait pas autre chose
que le commerce, et c’est précisément ce à quoi il est
autorisé. De là on a conclu qu’il pouvait même contrac
ter une société commerciale.1
9 1 . — Peut-il contracter cette société avec son
père, lorsque c’est de lui qu’il a reçu l’autorisation?
i Caen, 41 août 4828.
�ART.
2
ET
3.
127
La cour de Douai a décidé la négative par arrêt du
21 juin 1827. Cet arrêt se fonde sur ce que l’autorisa
tion n’étant exigée que dans l’intérêt du mineur, ne
peut légalement émaner d’une personne intéressée et
de la partie même qui traite avec lui ; qu’il est de prin
cipe, en droit, que nul ne peut être auteur dans sa pro
pre cause, d’où il suit que dans l’espèce le père n’a pu
valablement autoriser son fils à contracter avec luimême, puisque, dans la réalité, c’est bien moins celui
qu’on autorise qui contracte, que celui de qui l’autori
sation émane; et qu’un père qui autorise son fils mi
neur n’agit que comme le représentant légal de ce der
nier ; qu’il est vrai de dire que, dans de pareilles cir
constances, le père devrait être regardé, relativement à
l’autorisation, comme n’existant pas, et qu’on devrait
recourir au conseil de famille.
Cette doctrine ne nous paraît pas admissible. Elle
arrive, en effet, par une application erronée d’un prin
cipe incontestable, à méconnaître l’esprit de la loi, à
ajouter à son texte, à consacrer une grave atteinte à la
puissance paternelle, à favoriser, dans tous les cas, une
fraude fort dangereuse pour les tiers.
Sans doute, nul ne peut être auteur dans sa propre
cause. Mais est-il possible d’appliquer cette règle en
matière d’autorisation? Dans l'origine, le père n’a au
cun autre intérêt que celui du mineur lui-même, et s’il
est appelé par la loi à la consentir, c’est que, investi de
de la puissance paternelle, on a compris qu’on ne pou
vait, sans violer le respect que cette puissance com-
�128
DES COMMERÇANTS
mande, soustraire le mineur à ses effets; c’est que l’af
fection si naturelle qu’il porte à son enfant était une
garantie contre toute légèreté, dans une matière pou
vant si déplorablement grever l’avenir de celui-ci.
L’autorisation est donc toute dans l’intérêt de ce
dernier. C’est par elle qu’il acquiert la capacité de faire
le commerce sans restriction aucune, sans condition,
sans autre guide que son intérêt. En d’autres termes,
le mineur autorisé devient un véritable majeur pour
tous les actes se renfermant dans l’exercice de la pro
fession à laquelle il s’est voué.
Il n’est pas douteux qu’en cet état le mineur puisse
contracter une société commerciale ; et ce qui rend
cette faculté incontestable, c’est qu’en agissant ainsi, le
mineur obéit à un intérêt pressant. En effet, quelles
que soient son intelligence et sa capacité personnelle,
il lui importe de profiter de l’expérience de gens depuis
longtemps versés dans la pratique des affaires, et qui
pourront ainsi imprimer à ses premiers pas une habile
et sage direction.
Pourquoi donc ne pourrait-il demander ce secours à
son propre père? La qualité de celui-ci n’est-elle pas
pour lui une garantie de plus ? L’affection du père n’estelle pas exclusive de toute idée de fraude dans la ges
tion qu’un associé ordinaire pourrait être tenté de diri
ger dans son intérêt exclusif? Il semble donc que, pour
consacrer une prohibition de cette nature, il faudrait la
rencontrer formellement écrite dans la loi.
Or, non-seulement le texte est muet, mais ce qui
�ART, Ü JT 3;
129
ressort en outre de l’esprit de la loi, c’est la proposi
tion contraire à celle consacrée, par la cour de Douai. Il
est facile de s’en convaincre en recourant à la discus
sion que l’article 2 subit au conseil d’Etat.
Nous l’avons déjà dit : la faculté, pour le mineur,
d’exercer le commerce, fut contestée en principe. Si
elle fut en définitive consacrée, c’est qu’il pouvait se
présenter des circonstances telles, que cette faculté de
vînt, pour le mineur, du plus grave intérêt. Ces circons
tances, quelles étaient-elles? Celle, disait M. Janet, où
le mineur épouse une femme qui possède un établisse
ment de commerce; celle où il devient /' associé ou l'hé
ritier de son père.
Ainsi, l’association entre le père et son fils a été
formellement prévue. C’est même pour la favoriser
qu’on a permis au mineur de devenir commerçant.
Comment dès lors comprendre que le législateur n’eût
pas indiqué la personne appelée, dans cette hypothèse,
à donner l’autorisation, s’il avait voulu que le père ne
pût la consentir lui^mêpac? Cependant l’article 2 ne
confère ce droit à la mère que dans le cas de décès,
d’interdiction ou d’abspnce du père, et au conseil de
famille qu’à défaut du père et de la mère.
Concluons donc que le législateur n’a nullement en
tendu, dans le cas d’une association entre le père et le
fils, intervertir une règle fondée sur le respect de la
puissance paternelle. Pourquoi l’eût-il fait d’ailleurs?
Devait-il supposer que le père voulût entraîner son en
fant dans l’abîme dans lequel il allait être lui-même pvé9
�130
DES COMMERÇANTS
cipité ? Une pareille crainte eût imprimé à la loi un
caractère d’immoralité qui explique po urquoi elle n’a
dû ni pu s’en préoccuper. La loi ne dispose pas pour les
cas exceptionnels ; or, un père méditant traîtreusement
la perte et la ruine de son enfant est une de ces hon
teuses exceptions qui ne méritent pas d’être prévues.
On ne devait pas surtout en faire le fondement de l’at
teinte qu’on porterait à la puissance paternelle en re
courant à la famille pour l’exercice d’un de ses actes
les plus importants.
En résumé, la loi a non-seulement prévu l’association
entre père et fils, mais encore entendu la favoriser.
Juge unique de l’opportunité et de l’avantage que cette
association doit avoir pour ce dernier, le père ne pou
vait pas ne pas être mis en mesure de la réaliser lors
qu’il l’a résolue. L’autorisation du mineur étant un préa
lable indispensable, le père a qualité et droit pour la
consentir. Le priver de ce droit, ce serait admettre
que la loi voulant la fin en a refusé les moyens, car la
volonté du père pourrait venir échouer devant l’obsti
nation irrationnelle, devant les petites passions, et quel
quefois devant l’intérêt contraire de la famille. On ne
peut donc légalement et juridiquement trancher notre
question dans le sens de l’arrêt de la cour de Douai.
91.
— 4° Publicité de Vautorisation. — Le but
de cette condition est facile à saisir. Elle a surtout pour
objet d’édifier le public, et de le mettre à même de
constater, si besoin en était, la capacité du mineur.
�ART. 2 RT 3.
131
L’autorisation, enregistrée au tribunal de commerce
du domicile du mineur, doit y être affichée. La loi ne
s’expliquant ni sur la forme, ni sur la durée de cette
affiche, il faut, par analogie, s’en référer aux dispositions
des articles 67 du Code de commerce et 872 du Code
de procédure civile. L’affiche se réalisera donc par l’in
sertion de l’autorisation au tableau indiqué par ce der
nier, et devra y être maintenue pendant un an.
Le domicile du mineur est de plein droit celui de son
père ou de son tuteur. Mais celui qui est autorisé à
faire le commerce est dès lors apte à se choisir un do
micile distinct, qui est d’ailleurs, comme pour tous les
commerçants, le lieu où il a son principal établisse
ment. C’est donc au tribunal de commerce, et s’il n’en
existe aucun, au tribunal civil de ce lieu que doivent
se réaliser l’enregistrement et l’affiche.
92.
— Telles sont, dans leur ensemble, les précau
tions au moyen desquelles le législateur a cru devoir
permettre au mineur l’exercice du commerce. Chacune
d’elles est impérieusement exigée. Ce n ’est que par leur
fidèle accomplissement que le mineur acquiert la capa
cité légale. Le défaut de l’une d’elles ou le vice qui l’en
tacherait laisserait le mineur sous le coup de l’incapa
cité dont la loi civile l'a frappé.
Dès lors on ne pourrait, à raison des engagements
qu’il aurait souscrits, ni le traduire devant le tribunal
de commerce, ni obtenir la contrainte par corps. Sa
déconfiture ne le constituerait pas en état de faillite, il
�132.
DES COMMERÇANTS
ne pourrait en conséquence être poursuivi, et moins
encore puni comme banqueroutier, simple ou frau
duleux.1
93. — L’exécution régulière des prescriptions de
l’article 2 a pour effet : 1° De donner au mineur tous
jes droits conférés par le chapitre 3, titre 10 du livre
l*r du Code civil ; 2° de le réputer majeur pour tout ce
qui concerne son commerce; 3° de le soumettre, quant
à ce, à la juridiction consulaire et à la contrainte par
corps; 4° enfin, de lui rendre communes toutes les
obligations imposées aux commerçants, et notamment
toutes les conséquences de l’état de faillite.
Il peut donc, en vertu de l’émancipation générale,
faire tous les actes de pure administration , acheter
même des objets étrangers à son commerce, sauf réductibilité en cas d’excès. En force de l’autorisation de
faire le commerce, il acquiert la capacité de transiger,
d'ester en jugement, de s’obliger, d’acheter et vendre
des marchandises, d’emprunter, de souscrire des let
tres de change ou des billets à ordre, sans pouvoir,
dans aucun cas , se faire restituer contre ses enga-.
gements.
9 4. — Que d’abus peuvent surgir d’une pareille
capacité, chez un jeune homme à peine âgé de 18 ans!
Mais c’est ici que se manifeste la haute prévoyauce de
i Cass., 2 décembre 4825.
�ART.
2 ET 3,
133
la disposition, exigeant cumulativement l’émancipation
générale et l’autorisation.
En droit, cette dernière n’est pas révocable. De telle
sorte que, définitivement enchaînée, une famille dont
les espérances auraient été cruellement déçues par l’in
conduite du mineur, par les excès dans lesquels il se
jetterait, se verrait condamnée à demeurer spectatrice
passive de ses actes insensés ; à le laisser courir à
sa ruine et à la misère, à ne pouvoir enfin prévenir
une faillite dont le déshonneur doit rejaillir jusque
sur elle.
Il fallait, à tout prix, s’opposer à un pareil malheur,
et le moyen, c’est la nécessité de l’émancipation qui le
fournit. Celle-ci, en effet, est essentiellement révoca
ble si le mineur abuse de la concession qui lui en a été
faite. Cette révocation amène ipso facto celle de l’auto
risation. Le mineur n’est plus émancipé, et, dès lors,
une des conditions impérieusement exigées, pour qu'il
puisse exercer le commerce, s’évanouissant, la capacité
dont il a joui jusque là s’efface et disparaît.
95.
— On arrive ainsi, par une voie indirecte, au
résultat qu’on atteindrait par la révocation directe de
l’autorisation. Mais il est évident qu’en pareil cas, on
ne pouvait se contenter du mode tracé par la loi pour
la révocation de l’émancipation. Le public doit être
averti, car, ayant jusque là traité régulièrement avec le
mineur, il pourrait, ignorant son changement de situa
tion,- le faire encore et se trouver ainsi en!présence
�i 34
DES COMMERÇANTS
d’un débiteur qu'il ne pourrait contraindre, ni commer
cialement ni civilement. L’acte de révocation devrait
donc être publié dans la forme prescrite pour l’autori
sation, à savoir par l'enregistrement et l’affiche au tri
bunal du domicile, sauf le droit que les juges appelés à
prononcer cette révocation ont de prescrire tout autre
mode de publicité qu’ils croiront utile.1
96.
— Nous verrons, sous l’article 6 , les consé
quences de l'administration du mineur commerçant, à
l’endroit de ses biens immobiliers. Nous nous bornons
à rappeler ici que, pour tout ce qui est en dehors du
commerce pour lequel il est autorisé, sa position est
celle du mineur émancipé ou non émancipé.
96bis.— « Ainsi, enseigne avec raison M. Louis Nou« guier, pour les actes en dehors de son commerce, ou
« qui lui seraient étrangers, le mineur ne serait plus
« réputé majeur. Comme tout autre mineur, il pour« rait invoquer l’action en nullité ou en rescision. C’est
« ce qu’ont jugé plusieurs arrêts de parlements rappor« tés par Jousse, et ces arrêts doivent aujourd’hui
« même avoir toute autorité, car en cela les principes
« n’ont point varié.8 »
Dans notre ancien droit, on considérait le caution
nement de la dette d’autrui comme étranger au com
merce, et par suite comme interdit au mineur commer1 Pardessus, n° 5 8 ; — Nouguier, pag. 249 ; — Orillard, n° 165.
2 Trib. d. comm., p . 251.
�AHT.
2
ET 8
.
135
çant. « ün m ineur, marchand ou banquier, disait
« Jousse, qui se serait rendu caution ou certificateur
« pour raison d’une dette étrangère à son commerce,
« pourrait se faire restituer contre un pareil engage« ment. Ainsi, par arrêt du mois d’avril 1601, rapporté
* par M. Le Bret, un marchand qui, en minorité, s’é« tait rendu certificateur d’un receveur des tailles, fut
« restitué contre son obligation. Bouvet, en ses ques« tions, rapporte un arrêt du parlement de Dijon du
« 28 juillet 1614, par lequel un marchand mineur qui
« avait cautionné un autre marchand, quoique pour
« marchandises, a été déchargé de son cautionnement,
« parce qu’il ne suffit pas que le mineur s’oblige pour
« marchandises quand elles sont pour le compte d’au« trui; mais il faut qu’il s’oblige pour le fait de son
» commerce.1 »
En ce point encore, les principes n’ont point varié,
et comme autrefois on refuserait aujourd’hui au mineur
commerçant la capacité de cautionner un tiers, la cause
de l’obligation de celui-ci fût-elle essentiellement com
merciale. Le cautionnement en effet n'a pas cessé d’être
un contrat de bienfaisance, et en quelque sorte une
pure libéralité. Comme tel, il est forcément en dehors
de toutes les catégories des actes de commerce. Donc,
l’autorisation d’exercer ceux-ci ne saurait s’étendre à la
faculté de consentir celui-là.
1 Ordonn., 1673, tit. î, art. 6.
�136
DEâ COMMERÇANTS
ggter, aa U ^'existerait donc ni difficulté ni douté.
Si l’obligation énonce comme cause un cautionnement,
elle serait annulable et devrait être annulée, quand bien
même la dette aurait, à l’endroit de celui qui l’a sous
crite, un caractère commercial. Ce caractère ne pour
rait pas faire que l’obligation contractée par le mineur
fût relative à son commerce personnel auquel se res
treint forcément sa capacité.
Qu’arrivera-t-il si l’acte est muet sur la cause de l’en
gagement? Pourra-t-on exciper contré le mineur de
l’article 638 Code de commerce et prétendre que sa
dette est de plein droit présumée contractée pour son
commerce?
« Non, répond M. Pardessus, car pour que le mineur
« soit obligé, il faut non-seulement qu’il soit légale—
« ment commerçant, mais encore que l’engagement
« soit relatif à son commerce. En conséquence, lors« que la cause de l’engagement n’est pas exprimée, on,
« ne doit pas présumer de plein droit que l’engage« ment est commercial, et encore moins supposer qu’il
« est relatif au commerce du mineur.1 »
Le système contraire ouvrirait à la fraude une trop,
large issue. L’autorisation de faire le commerce ser
virait merveilleusement l’intérêt de certains usuriers qui
se garderaient bien d’indiquer dans le titre la cause des
avances ruineuses qu’ils auraient faites au mineur et
peut-être avant qu’il eût obtenu cette autorisation.
1 N» 62.
*
�art .
2 et 3.
137
Eli droit, d’ailleurs, la doctrine de M. Pardessus est
irréprochable. Celui qui poursuit en vertu d’un titre
doit justifier de la validité et de là régularité de ce ti
tre* Or, si ce titre émane d’un mineur autorisé régu
lièrement à faire le commerce, sa validité et son auto
rité sont subordonnées à cette double condition : 1° que
l’engagement a pour cause un acte de commerce;
2° que cet engagement a été contracté pour le com
merce personnel du mineur. Il faudra donc que celui
qui s’en prévaut prouve l’un et l’autre sous peine d’é
chouer. Il ne saurait dans ce cas être question de la
présomption de l’article 638 Code de commerce.
Le principe que le mineur commerçant doit être re
levé du cautionnement qu’il aurait donné à la dette
d’un tiers est incontestable. Mais cette protection que la
loi a entendu lui assurer perd à peu près toute son ef
ficacité par la facilité qu’on a de l’éluder.
En effet, le mineur commerçant est incontestable
ment capable de souscrire et d’endosser les billets à or
dre, les lettres de change et tous autres titres négocia
bles; or, endosser un de ces titres, c’est se rendre cau
tion solidaire du souscripteur et des endosseurs pré
cédents.
Qu’arriverait-il si le mineur, en présence de ces ti
tres, pouvait sé prévaloir des règles relatives au cau
tionnement que nous venons d’indiquer? C’est que per
sonne n’oserait traiter avec lui, c’est qu’il ne jouirait
d’aucun crédit, qu’il ne pourrait traiter qu’au comp-
�------- -
138
DES COMMERÇANTS
tant, et qu’il serait ainsi réduit pour ainsi dire à l’im
possibilité d’exercer le commerce.
L’intérêt même du mineur exigeait donc qu’on fît
exception au principe lorsqu’il s’agit de la négociation
de lettres de change, billets à ordre ou de tous autres
titres transmissibles par endossement. Cette exception
admise par Jousse est également professée par M. Par
dessus. Mais il en résultera évidemment que ceux qui
voudront faire engager le mineur commerçant pour le
cautionnement pur et simple d’un tiers ne manqueront
pas de prendre la forme commerciale. Ils lui feront
souscrire ou endosser des lettres de change, des billets
à ordre causés valeur reçue ou valeur en marchandé,S
ses, et ils arriveront ainsi à tourner l’obstacle que leur
oppose la loi.
Cette simulation laissera le mineur en quelque sorte
désarmé, car en supposant qu’il puisse en exciper con
tre les auteurs, il ne serait ni recevable ni fondé à s’en
prévaloir contre les tiers porteurs de bonne foi, n’avonsnous pas raison de dire que l’exception est dans le cas
de tuer la règle ?
— En est-il de la société comme du cau
tionnement? Celle que le mineur, régulièrement auto
risé à faire le commerce, aurait contractée avec un tiers
devrait-elle être maintenue ou annulée ?
9 6 q u a tu o r.
En examinant la question de savoir si le mineur pou
vait s’associer avec son père dont il tient l’autorisation,
'
,1
�>j
' v ;
ART.
2
ET
3.
139
nous avons admis que sa capacité pour contracter une
société commerciale ne pouvait être méconnue.1
C’est l’opinion contraire que M. Delangle enseigne.
Pour cet honorable jurisconsulte, le droit de contracter
une société ne saurait être la conséquence de l’autorisa
tion de faire le commerce.
« Cette autorisation, dit-il, est un mandat, et, à ce
« titre, elle ne peut être étendue au-delà de ses terif mes. C’est pour faire un commerce déterminé et
« pour le faire seul, que le mineur reçoit de sa famille
« la capacité qui lui manque ; il ne peut pas aller au« delà. Ne comprend-on pas d’ailleurs que lui reconff naître le droit de s’associer à son gré, même pour
« son commerce, c’est le livrer à tous les dangers que
« l’inexpérience entraîne? Rien n’est plus difficile que
« le choix d’un associé. Il faut connaître et peser avec
« scrupule ses antécédents, sa position actuelle, sa sol« vabilité, les ressources de son industrie, sa moralité.
« Un mineur ne suffit pas à cette étude. Ignorant de
« tout et sans défiance, comme on est quand la vie
« commence, il n ’éviterait aucun des pièges tendus à
« sa bonne foi si la famille ne se plaçait près de lui
« pour guider ses pas.
« C’est donc à la famille qu’il appartient de décider
« s’il convient d’ajouter au mandat qu’elle a donné
« précédemment un mandat nouveau. Le mineur éman« cipé n’a pas plus le droit de contracter une société
i
S u p .,
n° 90.
�140
DES COMMERÇANTS
« sans y être spécialement autorisé, que de faire le
« commerce contre la volonté de la famille dont il
« dépend.1 »
96quint°.
Cette dernière proposition ne rencon
trera aucun contradicteur. Tant que le mineur n’est
qu'émancipé, il ne peut contracter une société par l’ex
cellente raison qu’il est encore absolument incapable de
faire le commerce, mais dès qu’une autorisation.régu-,*
lière lui a donné le droit d’exercer celui-ci * il a par
cela même reçu celui de contracter celle-là.
On ne pourrait soutenir le contraire que. si l’autori
sation n’avait été donnée que pour un commerce dé
terminé comme l’admet M. Delangle. Mais ce n’est pas
ce que la pratique a admis. Ordinairement l’autorisation
est donnée au mineur en termes généraux, pour exer
cer le commerce sans restriction et sans limitation.
Dans une espèce où l’autorisation avait été consentie
en ces termes, on soutenait qu’elle était nulle parce
qu’elle ne déterminait pas la branche de commerce
dont le mineur devait s’occuper. Mais la cour de Caen
répond : « Que cette détermination n’est exigée -par,
« aucune loi, et que, dans l’état actuel du commerce où
« le plus souvent des opérations de diverse nature s’en« chaînent les unes aux autres d’une manière tout-à-fait
« imprévue et pourtant nécessaire, il ne serait pas sans
« inconvénients dans beaucoup d’occasions, tant pour
i S o c ., n° 58. Conf. Malepeyre
et
Jourdain, des S o c ., p 12.
�ART.
2
ET
3-
141
« les tiers que pour les mineurs livrés au négoce, que
« la capacité commerciale de ceux-ci fût rènfermée
« dans des limites trop fixes.1 »
N’est-ce pas, en effet, que là détermination d’une
nature d’affaire pourrait devenir la source de difficul
tés, de procès nombreux. Les intéressés ne manque
raient pas de soutenir à chaque occasion que l’acte est
en dehors de l’autorisation, et la crainte de ces diffi
cultés ne créerait-elle pas un obstacle sérieux à toutes
relations avec le mineur? C’est précisément ce danger
qu’on a, voulu éviter et qu’on évite en autorisant le mi
neur à faire le commerce, ce qui ne limite et n’exclut
rien.
*
Maintenant, est-il possible d’admettre que l’autorisa
tion est un mandat. Où est entre l’une et l’autre l’affi
nité qui permettrait de les assimiler ? Le mandat est le
pouvoir d’agir au nom et dans l’intérêt de celui qui le
donne, Aussi, tout cè que fera le mandataire sera censé
fait par le mandant qui est seul tenu, seul obligé.
Or, le mineur autorisé à faire le commerce n’agirat-il pas en son nom et dans son intérêt personnel? Estce qu’il ne s’obligera pas seul et à l’exclusion de ceux
de qui il tient l’autorisation. Ces effets se concilient-ils
avec l’idée d’un mandant et d’un mandataire ?
En réalité, l’autorisation n’ést qu’un certificat attes
tant cette capacité, cette intelligence que l’émancipation
faisait présumer ; et son effet légal étant d’assimiler le
l 11 août 1828.
�142
DES COMMERCANTS
mineur au majeur relativement au commerce, on ne
saurait légalement dénier à l’un le droit et la capacité
de faire tous les actes qu’on permet à l’autre. La capa
cité étant la même, elle doit nécessairement aboutir à
un résultat identique, à moins d’une disposition con
traire expresse.
Lorsque la loi a voulu restreindre cette capacité, elle
s’en est formellement expliquée. Ainsi, l’article 6 Code
de commerce ne permet aux mineurs commerçants de
vendre leurs immeubles que dans les formes prescrites
par les articles 457 et suivants Code civil, pourquoi ne
se serait-elle pas également expliquée si elle avait en
tendu limiter la capacité du mineur, l’étendue de son
commerce, et lui dénier le droit de contracter une so
ciété.
Sans doute, le choix d’un associé est une affaire déli
cate exigeant du tact et de la prudence. Mais nous ne
saurions considérer comme incapable de s’y livrer le mi
neur jugé par sa famille digne d’être émancipé et autorisé
à faire le commerce. Si ce mineur, en effet, est tel que
le représente M. Delangle, si ignorant de tout, il doit
donner tête baissée dans tous les pièges tendus à sa
bonne foi ; s’il est dans le cas de prendre pour associé
le premier venu sans aucune notion, ou s’en s’être ren
seigné sur ses antécédents, sa position actuelle, sa sol
vabilité, les ressources de son industrie, sa moralité, ce
n’est pas l’association seulement, mais encore le com
merce qu’il faudrait lui interdire, et en l’émancipant et
en l’autorisant à exercer celui-ci, la famille aurait agi
�ART.
2
ET
3.
143
avec une légèreté impardonnable. Loin de relâcher les
liens de la tutelle, elle aurait dû les resserrer.
Une pareille légèreté ne se présume pas. On doit
donc considérer la détermination de la famille comme
une garantie de l’intelligence du mineur, et de la pru
dence qu’il apportera dans tous les actes de sa gestion.
D’ailleurs, si l’association a ses inconvénients, elle a
aussi ses avantages; en multipliant les ressources, en
groupant les intelligences et les aptitudes, elle double
les chances de réussite. Elle peut même constituer pour
le mineur commerçant l’élément indispensable du
succès.
Nous convenons qu’en définitive la famille est appe
lée à trancher souverainement la question. Ainsi, elle
peut dans l’autorisation, non-seulement définir le genre
d’affaires dont le mineur devra s’occuper, mais encore
lui imposer la condition d’agir seul. A défaut, assimilé
purement ët simplement au majeur, il a, comme celuici, le droit et la capacité de contracter une société.
96sexto. —r Les seuls monuments de jurisprudence
existant sur la question, consacrent l’opinion que nous
émettons. L’arrêt de Douai du 21 juin 1827, en jugeant
que le mineur ne peut s’associer avec son père dont il
tient l’autorisation, reconnaît implicitement qu’il est
capable de s’associer avec un tiers. Le contraire ad
mis, l’arrêt aurait évidemment fondé la nullité de la so
ciété sur l’incapacité absolue du m ineur, sans se jeter
�144-
DES COMMERÇANTS
dans la théorie fort hasardée de l’irrégularité de l’auto
risation.
: : ' '
Ce que la cour de Douai consacre implicitement, la
cour de Caen l’admet très-explicitement. Elle décide,
en effet, par arrêt du 11 août 1828, que le mineur ré
gulièrement autorisé à faire le commerce peut former
une société commerciale.
On disait aussi à l’appui de la nullité de la société,
que le droit de la consentir ne pouvait résulter que
d’une autorisation spéciale ; qu’il excédait les limites de
celle donnée simplement pour faire le commerce, mais
cette prétention est formellement repoussée.
« Attendu, porte l’arrêt, que du moment que Guil« laurne d’Harembure a été régulièrement autorisé à
« faire le commerce, la société qu’il a contractée avec
« son frère pour spéculer sur les toiles et fils, n’avait
« rien que de très-licite et de très-conforme à ladite
« autorisation. »
97.
— Constatons encore qu’aux termes précis de
l’article 2, l’autorisation régulière ne couvre que les ac
tes de commerce qui l’ont suivie. En conséquence, le
sort de ceux qui l’auraient précédée obéira aux règles
ordinaires du droit civil. Ils seront donc, suivant le cas,
ou annulables ou simplement réductibles.
Cette conséquence nous amène à nous occuper d’une
fraude que le désir de s’y soustraire peut déterminer.
Les porteurs du titre nul ou réductible en obtiendront
le renouvellement à une date postérieure à l’autorisa-
�ART.
2
ET
3.
145
tion. Pourront-ils, en vertu de ce nouveau titre, con
traindre le mineur, sans que celui-ci puisse leur oppo
ser la véritable origine de la créance?
Cette question doit se résoudre par les principes
généraux sur la fraude. Celle qui a pour objet de dissi
muler une incapacité légale est une fraude contre une
loi d’ordre public, pouvant toujours être opposée, mê
me par celui qui en a assumé la complicité.
Le mineur serait donc recevable à er.ciper de celle
dont nous nous occupons, et à la prouver par témoins
et même par présomptions. Cette preuve fournie, et la
date véritable acquise, l’engagement antérieur à l’auto
risation ne serait plus qu’un contrat purement civil,
régi par les règles applicables au mineur émancipé
ou non.,
On pourrait sans doute se prévaloir de l’article 1322,
pour combattre notre solution. Mais nous avons déjà
vu que la présomption que cet article crée n’était ad
mise que jusqu’à preuve contraire, lorsque le souscrip
teur de l’obligation avait depuis peu perdu ou acquis la
capacité de contracter.1
98.
La disposition de l’article 3 du Code de
commerce était une conséquence forcée du principe
consacré par l’article précédent. Le mineur, ne pouvant
exercer le commerce qu’après autorisation, est évidem
ment incapable d’arriver par une voie indirecte au réi Voyez notre Traité du V olet de la Fraude, n« 1276.
40
�146
DES COMMERÇANTS
sultat qu’on voulait atteindre. Quelle que soit donc la
commercialité de l’acte fait par le mineur, il ne pourra
être ni traduit devant le tribunal de commerce, ni être
soumis à la contrainte par corps. Son engagement n’en
sera pas moins nul ou réductible, suivant les circons
tances. Si on avait permis au mineur de faire valable
ment des actes de commerce, l’habitude à laquelle il
se serait livré lui ferait bientôt acquérir cette qualité de
commerçant à laquelle il ne peut atteindre que par une
autorisation préalable.
D’ailleurs, si le mineur avait été capable à l’endroit
des actes de commerce, bientôt tous ses engagements
auraient revêtus ce caractère. La fraude aurait large
ment usé de ce moyen, et serait ainsi parvenue à anni
hiler la protection dont le droit civil a cru devoir
l’entourer.
Il ne pouvait réellement exister à ce sujet deux ma
nières de voir. Aussi la doctrine est-elle unanime, et la
jurisprudence n’a-t-elle jamais varié. La cour d’Aix, la
cour de cassation, la cour de Paris avaient consacré le
principe les 10 novembre 1817, 2 décembre 1826 et
28 novembre 1834.
Plus récemment et le 23 juillet 1859, la cour de
Rouen jugeait que le mineur émancipé n'est justiciable
que du tribunal civil et non du tribunal de commerce,
à raison des obligations ayant le caractère commercial,
qu’il a contractées avant d’avoir reçu l’autorisation qui
lui était nécessaire pour se livrer au commerce. En con
séquence, elle réformait le jugement par lequel le tri-
�ART.
2
ET
3.
147
bunal de commerce d’Evreux s’était déclaré com
pétent.
« Attendu, dit la cour, que Boutigny est né au
« Bourg-Beaudoin le 21 mai 1837 ; qu’il est marié et
* émancipé de plein droit par le mariage, mais qu’il
« n’a pas été autorisé à faire le commerce; qu’il n’est
« pas contesté que les obligations à raison desquelles
« il est poursuivi par Audenet, contractées du 4 juillet
« au 20 octobre 1857, sont postérieures à son érnanci« pation ; mais qu’à défaut de l’autorisation exigée par
« l’article 2 Code de commerce, elles ne peuvent être
« réputées avoir, à son égard, le caractère commercial,
« ladite autorisation devant précéder les opérations;
« que la juridiction consulaire était donc incompétente
« pour connaître de l’action.1 »
Saisie à son tour de la question, la cour d’Amiens la
résolvait dans le même sens et jugeait le 8 février 1862,
que le mineur émancipé qui n’a pas obtenu l’autorisa
tion de faire le commerce, n’était ni justiciable de la
juridiction commerciale, ni passible de la contrainte
par corps à raison des engagements commerciaux con
tractés par lui.3
Enfin, par arrêt du 6 août 1862, la cour de cassa
tion décide que le prêt consenti à un mineur non ha
bilité à faire le commerce n’est pas commercial ; que
dès lors ce mineur actionné en remboursement du prêt,
1 J. du P., 1860, 1059.
a Ibid. 1862, 624.
�148
DES COMMERÇANTS
dans la mesure du profit qu’il en a tiré, n’est soumis
ni à la juridiction commerciale, ni au paiement des in
térêts au taux du commerce, ni à la contrainte par
corps.
Elle déclare en outre que le moyen tiré de ce qu’un
tel prêt ne saurait entraîner aucune des conséquences
d’un prêt commercial étant d'ordre public, peut être
présenté pour la première fois devant la cour de cas
sation.1
99.
— Le mineur marié n’a pas la capacité d’exer
cer le commerce. Il ne remplit, en effet, jusque là,
qu’une des conditions de l’article 2, à savoir l’émanci
pation, conséquence légale du mariage lui-même. Il
faut donc qu’il soit de plus régulièrement autorisé par
son père, par sa mère à défaut de celui-ci, par le con
seil de famille en absence de l’un et de l’autre. L'exer
cice du commerce, sans cette autorisation, ou en force
d’une autorisation incomplète ou irrégulière, ne pour
rait le faire réputer majeur quant aux engagements
qu’il aurait souscrits.
A rt.
4.
La femme ne peut être marchande publique
sans le consentement de son mari.
1 J. du P. 1863, 1096.
�ART.
4
ET
5.
149
A rt. 5 .
La femme, si elle est marchande publique,
peut, sans l’autorisation de son mari, s’obliger
pour ce qui concerne son négoce, et, audit cas,
elle oblige aussi son mari, s’il y a communauté
entre eux.
Elle n’est pas réputée marchande publique
si elle ne fait que détailler les marchandises du
commerce de son mari. Elle n’est réputée telle
que lorsqu’elle fait un commerce séparé.
SOMMAIRE
100. Aptitude et capacité de la femme pour faire le commerce.
Position que le mariage lui fait à cet égard.
101. Responsabilité que le droit ancien faisait peser sur le mari.
Conséquences.
102. Position que l ’article 217 du Code civil fait à h femme,
marchande publique.
103. Le Code civil n ’avait pas à s’occuper des conditions devant
faire acquérir celle qualité. Influence que l ’article 217
a exercé sur le Code de commerce.
104. Dans la discussion de celui-ci, la difficulté s ’offrit sur la
forme qu’il convenait de donner à l ’autorisation.
105. Observations à l’appui des deux systèmes présentés.
106. Adoption de celui présenté par le ministre, sauf rédaction.
107. L ’autorisation peut être tacite. Exemples divers d’applica
tion de cette règle.
108. Conséquences de cette doctrine et de cette jurisprudence.
�150
DES COMMERÇANTS
109. Motif de la différence entre le mineur et la femme mariée,
à l ’endroit de l’autorisation.
110. Autre motif donné par M. Nouguier. Son appréciation.
111. Difficultés que soulèvera la question de savoir si la femme
est ou non marchande publique, à défaut d’un établis
sement public et spécial.
112- La femme, sous quelque régime qu’elle soit mariée, ne
peut être marchande publique sans le consentement du
mari.
113. Peut-elle, au refus de celui-ci, se faire autoriser par jus
tice ?
113bis. Arrêt de la cour de Grenoble en sens contraire, ses
motifs.
113ter. Examen et discussion.
113(iuatuor. Arrêt de la cour de Paris, son caractère.
114. Q u id si après avoir consenti, le mari entend user du droit
de révoquer l’autorisation.
115. Eléments sur lesquels la justice doit, dans ce cas, baser
son appréciation.
115bis. Tempérament admis par M. Pardessus, son caractère.
115ter. Opinion de M. Louis Nouguier. Examen et discussion.
1 1 5 quatuor< Jugement invoqué parM. Nouguier, son caractère.
4 4 gquiato^ Légalité de l’annulation que ce jugement prononce de
la société contractée par la femme sans autorisation spé
ciale.
11 ssexto. Doctrine en ce sens.
115sePtimo. Arrêt de la cour de cassation.
116. Publicité que doit recevoir la rétractation consentie par la
femme ou ordonnée par justice.
117. Résumé.
118. Principes régissant la femme mariée, encore mineure.
119. De qui doit émaner l ’autorisation d’exercer le commerce.
Arrêt juridique de la cour de Toulouse.
120. Arrêt contraire de la cour de Grenoble. Son caractère.
�ART. 4 ET 5.
121.
122.
123.
124.
125.
126.
151
Qui doit autoriser la femme, si le mari est encore mineur.
Quid en cas d’absence ou d’interdiction du mari ?
Capacité de la femme régulièrement autorisée.
Peut-elle cautionner valablement un tiers?
Ou contracter une société commerciale?
Peut-elle acheter une maison pour y établir sa manufacture
ou ses magasins ?
127. Nécessité d’une autorisation spéciale pour ester en justice.
Seseffets.
128. Caractère de la présomption de l ’article 638 du Code de
commerce, à l ’endroit de la femme.
129. Effets des engagements commerciaux de la femme autoririsée, sur sa personne et ses biens.
130. La femme commune ne peut s ’en libérer en renonçant à la
communauté.
131. Fondement de la régie que la femme commune oblige di
rectement son mari.
132. Conséquences qu'en a déduit la doctrine, suivant le régime
sous lequel se sont placés les époux.
133. Le mari est obligé, si l’exclusion de la communauté est
pure et simple.
134. Quid dans l ’hypothèse de l ’article 1525 du Code civil ?
135. Quid dans celle du régime dotal ?
136. Le mari e s t-il, aujourd’hui comme autrefois, contraignable par corps, pour les engagements auxquels il est
tenu ?
137. Dans quels cas la femme, marchande publique, est-elle te
nue des faits de son mari ?
138. La femme, comme le mineur, est recevable à quereller l ’au,
torisation vicieuse ou irrégulière qu ’elle aurait reçue.
139. La femme ne peut être marchande publique, si elle ne fait
que débiter les marchandises de son mari.
140. Véritable acception des expressions de la loi, voulant que
la femme exerce un commerce distinct et séparé.
�152
DES COMMEBÇANTS
141. Conséquences pour la femme qui, exerçant le commerce,
se marierait sous le régime de la communauté, ou avec
un commerçant.
442. Modifications que ces conséquences peuvent subir.
143. Applications diverses du principe posé par les articles 220
du Code civil et 5 du Code de commerce.
144. Les engagements que la femme souscrirait dans ce cas ne
l ’obligent point personnellement.
145. Q u id à l’endroit du mari ?
146. Difficultés qui pourront s’élever sur le consentement du
mari à la gestion de sa femme. Solution.
147. Diverses décisions sur la matière.
148. Examen d'un arrêt de Bruxelles, indiqué comme ayant
décidé dans un autre sens.
149. Nature des questions que les litiges de ce genre offriront
à résoudre. Devoir des tribunaux.
150. Résumé.
151. La femme gérant le commerce de son mari ne peut s ’en
gager personnellement sans une autorisation spéciale.
Conséquences quant à l ’aval qu’elle apposerait l’obli
gation du mari.
452. La femme est-elle censée valablement autorisée par l’ac
ceptation que ferait le mari d’une lettre de change qu’elle
aurait tirée sur lui?
4 53. Q u id , dans l’hypothèse inverse, de l’acceptation par la
femme d’une lettre fournie sur elle par son mari ?
154. Le mari peut-il ratifier seul l ’acte nul pour défaut d’auto
risation ?
à
100.
— L’aptitude de la femme à faire le com
merce ne saurait être méconnue. Aussi a-t-elle été
justement placée, en regard de son exercice, sur la
même ligne que l’homme. Mineure, l’article 2 la sou-
�ART.
4
ET g .
153
met à l’autorisation. Majeure, elle n’a d’autre règle à
suivre que sa propre volonté.
Mais le mariage modifie profondément son état et sa
capacité. Soumise à la puissance maritale, elle doit se
conformer aux exigences de celle-ci. On conçoit donc
que cet état de dépendance relative ne permettait pas
de la laisser indépendante à l’endroit du commerce.
Mais ce qu’il importe de remarquer, c’est que sa capa
cité, comme majeure, lui permettait de faire le com
merce, tant que le mari n’avait pas manifesté une vo
lonté contraire; qu’à raison des opérations auxquelles
elle se livrait, elle était entièrement dégagée de toutes
les règles de la puissance maritale.
C’est ce que nous trouvons inscrit dans les monu
ments les plus anciens de notre législation. Le chapitre
45 des établissements de saint Louis nous en fournit
une preuve irréfragable. Nul famé n'a réponse en cour
laie, puisqu'ele a seigneur, si ce n'est du fat de son
corps. Mais qui l'aurait batue, ou dit folie ou autlre
deloiauté, en tele manière ele a réponse sans son sei
gneur, ou si ele était marchande, ele aurait bien la
réponse des choses qu'ele aurait baillées de sa mar
chandise, auttrement non.
Cette doctrine ne pouvait faire difficulté dans les
pays de droit é crit, puisqu’il y était admis que la
femme pouvait s’engager sans l’autorisation de son
mari.1 Mais l’exigence contraire, consacrée en général
i D enisart, v°
aulor. mar.,
n °s 2 e t su iv
�154
DES COMMERÇANTS
dans les pays coutumiers, n’en avait nullement empê
ché la sanction. La jurisprudence des parlements ne
laisse aucun doute à cet égard : Negociatrix mulier,
vinculis cogitur œs alienum exsolvere, licet in sacris
m ariti constituta sit. Telle était la règle universelle
ment admise.
— Quels devaient être les effets des engage
ments que la femme pouvait commercialement sous
crire sans l’autorisation de son mari ? Devait-on les
réduire à grever exclusivement ses biens personnels?
L’affirmative amenait à cette conséquence : d’une part,
que le mari, ayant incontestablement profité du com
merce de la femme, retiendrait, en cas de revers, les
avantages antérieurements acquis et se trouverait libéré
de toutes les charges, pouvant n’avoir d’autre origine
que ces avantages mêmes; d’autre part, que la décon
fiture déterminant la faillite , les tiers créanciers se
trouveraient en présence d’un actif tellement illusoire
qu’il ne leur offrirait aucune ressource.
Ce qui pouvait résulter de là, c’est que, dans la
crainte de ce résultat, les tiers fussent amenés à n’ac
corder aucun crédit, et qu’ainsi le commerce de la
■jjgj
femme fût d’avance condamné à l’impuissance.
Le remède à cet inconvénient était indiqué par la si
tuation même des choses, rendre le mari responsable
des engagements de la femme. C’est ce remède que
notre ancien droit avait consacré ; qu’il avait même
porté fort loin, puisque non-seulement le mari était
101.
�ART. 4 ET 5.
155
'%
solidairement tenu , mais encore contraignable par
corps.
Mais il était juste, dès lors, que le mari ne pût en
courir, malgré lui et sans son consentement, une pa
reille responsabilité. Aussi, était-on arrivé à conclure
que la femme ne pouvait régulièrement exercer le
commerce qu’avec l’autorisation de son mari. Néan
moins, comme l’existence de cette autorisation pouvait
offrir des difficultés, donner matière à des fraudes de la
part des époux, on la faisait de plein droit résulter de
ce que la femme vendait et trafiquait publiquement, au
vu et au su de son mari, et sans obstacle de sa part.1
102.
— Telle était, sur cette matière, l’état de la
législation, jusqu’au moment où l’attention du conseil
d’Etat fut appelée à poser les fondements et les bases
de la législation nouvelle.
L’article 217 du Code civil a fait une loi générale de
la règle suivie en pays coutumier. La femme, même
non commune ou séparée de biens, ne peut donner,
aliéner, hypothéquer, acquérir à titre gratuit ou oné
reux sans le concours du mari dans l’acte, ou son con
sentement par écrit.
' Mais aussitôt, et par exception à ce principe général,
l’article 220 ajoute : La femme, si elle est marchande
publique, peut, sans autorisation de son mari, s’obliger
1 Bornier, sûr l’art. 8, tit. 34, de l’ord. de 1667,
�156
DES COMMERÇANTS
pour ce qui concerne son négoce, et, audit cas, elle
oblige aussi son mari, s’il y a communauté entre eux,
103.
— Remarquons que le Code civil admet en
principe que la femme a acquis la qualité de marchande
publique et raisonne dans cette hypothèse. Il n’avait
pas autre chose à faire. En effet, la détermination des
conditions acquisitives de cette qualité était et devait
être naturellement abandonnée au législateur com
mercial.
Mais, à son tour, celui-ci était en quelque sorte lié
par le principe du Code civil à l’endroit des effets des
engagements contractés par la femme marchande. Ne
voulant ni l’abroger ni le modifier, il admettait a priori
la responsabilité du mari sous le régime de la com
munauté.
Cette responsabilité devait produire, dans le nouveau
droit, une conséquence identique à celle que notre droit
ancien en avait déduit, à savoir la nécessité d’un con
cours quelconque de la part du mari. Comment, en
effet, consacrer, malgré son' refus, une atteinte aux
droits exclusifs qui lui sont conférés sur les biens com
muns? Comment, d’ailleurs, concilier l’indépendance
absolue de la femme avec la puissance maritale que
notre législation a tant renforcée ?
(0 4 . — Aussi, dans la discussion que l'article 4
subit au conseil d’Etat, l’utilité de permettre à la femme
l’exercice du commerce ne fut contestée par personne.
�ART. 4
ET
5.
157
La justice des conséquences attachées à cet exercice
par le Code civil fut universellement reconnue. L’uni
que difficulté à résoudre consistait donc sur la forme
qu’il convenait de donner à l’autorisation.
Deux systèmes fort opposés s’offraient à l’examen du
conseil d’Etat. Le premier, proposé par le ministre, se
formulait dans la disposition suivante : Le mari, dont
la femme fait notoirement le commerce, est responsa
ble des engagements qu’elle contracte pour les faits de
son commerce, si elle n’est séparée de biens avec lui,
et si la séparation n’a été enregistrée, publiée et affi
chée dans les formes voulues.
Le second, émané de la section de l’intérieur, ten
dait, au contraire, à ne permettre à la femme d’être
marchande publique que lorsque le mari aurait donné
son autorisation, et que celle-ci aurait été enregistrée
et affichée, comme pour le mineur.
10 5.
— A l’appui de cette disposition, M. Cretet
faisait remarquer qu’il serait contre la nature des cho
ses et les principes du droit civil, que la femme pût
disposer des biens de la communauté sans l’autorisation
de son mari ; qu’à la vérité, il est rare qu’elle fasse le
commerce sans ce consentement, mais qu’il faut encore
qu’elle ne puisse s’en passer. Autrement il lui suffirait,
pour engager son mari, de souscrire des billets, parce
que, par cet acte, elle se constituerait marchande pu
blique.
Les partisans du premier système répondaient que,
�158
*
DES COMMERÇANTS
si la femme fait notoirement le commerce, il est im
possible que le mari n’en soit pas instruit ; qu’il n’y a
donc pas de précautions à prendre pour empêcher qu’il
ne se trouve engagé malgré lui; que, dès lors, toutes
les formalités proposées par la section devenaient inu
tiles ; que ce système pourrait même être dangereux,
en ce qu’il ménagerait, à un mari de mauvaise fo i, la
ressource d’un désaveu tardif, pour échapper à des en
gagements que cependant il aurait tacitement autorisé
sa femme à contracter.
Dans le droit existant, ajoutait M. Bigot de Préame
neu, il suffit, pour que la femme soit réputée mar
chande publique, et engage à ce titre la communauté,
qu’elle fasse le commerce sous les yenx de son mari. Il
semble plus juste de faire dépendre ses engagements
envers les tiers de ce fait seul, que des formalités éta
blies dans l’article exigé.1
106.
— Cette discussion amena le rejet du système
adopté par la section. On lui préféra celui du ministre,
sans cependant adopter la rédaction qu’il avait présen
tée. On craignit que l’existence de la notoriété ne de
vînt l’origine de difficultés qu’on tenait surtout à éviter
en pareille matière. On se borna donc au texte actuel
qui, éclairé par la doctrine ancienne, par la discussion
elle-même, n’offre aucune prise au doute ou à l’in
certitude. Des tiers au mari, tout dépend de la qualité
l Séance du 23 nov. \ 806.
�ART. k ET
5.
lg9
réelle de la femme, plutôt que d-un fait particuIier à
ce dernier.
107.
— Aussi la doctrine est-elle unanime sur ces
divers points, à savoir : qu’à la différence du mineur,
la femme n’a pas besoin que l’autorisation qui lui serait
donnée soit enregistrée et affichée au tribunal de com
merce, la loi n’exigeant que le consentement du mari ;
qu’il n’est pas nécessaire que ce consentement soit
exprès ni écrit, il peut également n’être que tacite, et
résulter des circonstances ; qu’ainsi, si la femme se
livre à des opérations commerciales, au vu et su de
son mari, celui-ci est de plein droit présumé l’avoir lé
galement autorisée.
Cette doctrine est une déduction juste et logique de
la discussion législative que nous venons de rappeler.
Aussi a-t-elle été universellement consacrée par de
nombreux monuments de jurisprudence.
En effet, il a été jugé : que la femme mariée, qui
tient sous son nom un hôtel garni, est réputée mar
chande publique, et peut valablement s’engager sans
l’autorisation de son m ari;1
Que lorsqu’un mari ne s’oppose pas au commerce
que sa femme fait sous ses yeux, il est réputé consen
tir à ce qu’elle soit marchande publique ;2
Que lorsqu’un mari commun en biens souffre que sa
i Paris, 21 nov. 1812.
s Cass., 14 nov. 1820,
�160
DES COMMERÇANTS
femme fasse, dans le domicile conjugal, un commerce
de détail, distinct de celui qu’il exerce lui-même dans
le même domicile, il est censé l’avoir expressément
autorisée ou constituée sa mandataire ; et les obliga
tions de la femme, à raison de son commerce, engagent
la communauté ; que le mari ne peut exciper du dé
faut d’autorisation expresse lorsque, après avoir mani
festé l’intention d’empêcher sa femme de faire le com
merce, il l’a néanmoins laissée continuer celui qu’elle
avait commencé j1
Qu’à défaut d’un écrit, le consentement exigé par
l’article 4 du Code de commerce, pour que la femme
puisse faire le commerce et soit réputée marchande pu
blique, résulte suffisamment de ce que la femme n’a
fait un commerce séparé qu’au vu et su de son mari,
et sans opposition de sa part ?
Que la femme mariée n’a pas besoin, pour faire le
commerce, d’une autorisation écrite de son mari ; qu’il
suffit de son consentement tacite, lequel peut résulter
notamment de ce que, étant marchande publique avant
son mariage, elle n’a pas cessé de continuer son com
merce.3
108.
— Il résulte de cette doctrine et de cette
jurisprudence que, en définitive, le mari autorise par
i Cass., 1er mars 1826.
s Cass., 27 mars 1832.
3 Cass., 27 avril 1841 ; — J.
du P ., t. il.
1841, pag. 144.
�ART.
4 ET 5.
161
cela seul qu’il n’empêche pas ou qu’il tolère. Les diffi
cultés pouvant naître à cet égard offriront dès lors des.
questions de fait (Jont l’appréciation rentre dans le do
maine de la conscience, et est par conséquent abandon
née à l’arbitrage souverain du juge ; que, comme sous
l’empire du droit ancien, le silence ou l’inaction du
mari équivaut de plein droit à autorisation, lorsque,
sous ses veux et à son vu et su, la femme s’est livrée à
l’exercice du commerce.
109.
— Ce qui ne serait pas suffisant à l’endroit
du mineur, à savoir l’autorisation tacite, suffit donc
pour que la femme soit légalement réputée marchande
publique. La raison de cette différence est facile à sai
sir. L’incapacité du mineur est absolue et générale.
Pour lui, la faculté d’exercer le commerce est une ex
ception ayant pour objet de l’exonérer de son incapa
cité; il était donc rationel, en ce qui le concerne, de
subordonner l’effet à la certitude de la cause, et d’exi
ger, dans son propre intérêt, dans celui du public luimême, que l’exception résultât d'un acte exprès et
formel.
Comme tous les majeurs, la femme, même mariée,
est en possession de toute sa capacité. Seulement des
raisons de haute convenance devaient en subordonner
les effets à l'autorisation du mari. Obligée de suivre la
condition de celui-ci, on ne pouvait lui permettre de se
créer un état et une position indépendants de l’état et
de la position du mari. C’est là uu avantage tout pér
il
�162
DES COMMERÇANTS
sonnel à celui-ci, et auquel, par conséquent, il peut
renoncer. Celte renonciation pouvait et devait s’induire
de la tolérance qu’il met à ce que sa femme exerce, de
fait, le commerce.
MO. - A cette raison légale , M. Nouguier en
ajoute une seconde. La femme, dit-il, est forcée de vi
vre avec son mari ; or, il est impossible que celui-ci
ne soit pas averti du commerce auquel elle peut se
livrer, par le mouvement, la publicité que ce commerce
exige. Par suite, les tiers, qui voient ce commerce se
passer en quelque sorte sous les yeux de l’époux, n’ont
pas besoin d’être officiellement avertis de son concours.
Le mineur peut, au contraire, ne pas habiter avec sa
famille; rien n’indique au public son âge, son aptitude
légale. Il était donc convenable que le législateur or
donnât une salutaire publicité, établit une distinction
fondée sur la situation respective des personnes.1
Cette raison ne nous paraît nullement décisive. Ren
versez en effet l’hypothèse ; supposez que le mineur
exerce le commerce dans le domicile de son père, sous
les yeux de sa famille et même avec son concours ; que
la femme, avant comme après séparation, exploite le
sien dans un domicile autre que celui de son époux,
mais à son vu et su, cala empêchera-t-il que le mineur
ne puisse être réputé majeur que s’il a été régulière
ment autorisé ? Que la femme ne soit censée l’être par
l T. i, pag. 255, n° 2.
�♦
ART. 4- ET 5 .
16â
cela seul que son mari n’a pu ignorer qu’elle se livrait
publiquement au commerce? Nous ne voyons donc,
dans le fait signalé par M. Nouguier, qu’une considéra
tion grave lorsque l’hypothèse qu’il suppose se réalise.
La véritable raison de la distinction entre la femme et
le mineur, c’est que l’incapacité est pour ce dernier le
principe général, tandis que pour la femme elle n’est
qu’une exception tout entière en faveur du mari, qui
est présumé y renoncer par cela seul qu’il tolère au
lieu d ’empêcher.
t i l . — La question de savoir si la femme a été ou
non autorisée étant subordonnée à la notoriété, à la
publicité de son commerce, aucune difficulté ne saurait
être prévue, lorsque la femme, ayant créé un établisse
ment commercial, l’exploite d’une manière perma
nente, soit dans le domicile conjugal, soit dans un au
tre lieu de la localité habitée par son mari. Mais la
femme peut acquérir la qualité de marchande, si elle a
fait sa profession habituelle de l’exercice des actes de
commerce. La prétention de la ranger dans cette caté
gorie offrira donc à apprécier d’abord l’habitude allé
guée, ensuite l’existence du consentement du mari.
Nous avons déjà dit que les éléments de la première
se puisent dans le caractère et la nature des actes,
dans leur multiplicité, dans leur succession plus ou
moins régulière, plus ou moins rapprochée, enfin dans
la notoriété publique..
Cette dernière deviendra dans l’espèce d’autant plus
�164
DES COMMERÇANTS
décisive, qu’elle exercera une influence grave sur la
question de savoir si le mari a ou non consenti. Com
ment admettre, en effet, que ce qui a frappé les yeux
d’une cité tout entière ait échappé aux regards du ma
ri, et qu’il ignore lui ce que tout le monde sait? Le
consentement tacite pourrait donc s’induire de cette
notoriété, indépendamment des autres circonstances
qu’on pourra relever à l’appui.
Au reste, ce sont là des difficultés résidant plutôt
dans le fait que dans le droit. Nous l’avons déjà dit,
leur solution est dès lors souverainement laissée à l’ar
bitrage des tribunaux , dont l’indépendance est ab
solue.
Notons néanmoins que, dans notre hypothèse, la
question de savoir si le consentement du mari existe
est capitale, non-seulemer.t par rapport aux effets que
les engagements de la femme sont susceptibles de pro
duire sur les biens de la communauté, mais encore à
l’endroit de la femme elle-même. Celle-ci ne s’engage
valablement qu’autant qu’elle est marchande publique.
Maig si elle ne l’est pas, elle ne peut souscrire, même
un acte commercial, sans l’autorisation spéciale et par
ticulière à chaque acte. Quelques nombreux que fus
sent donc les engagements de cette nature, ils seraient,
dans leur ensemble et séparément, atteints de la nullité
résultant du défaut d’autorisation, à moins qu’on ne
prouvât le concours ou le consentement même tacite
du mari. Alors, en effet, la femme devient légalement
marchande publique, et l’autorisation générale de faire
4
�ART.
4
ET
5.
165
le commerce lui confère la capacité pour tous les actes
le constituant.
1 1 2 . — L’obligation pour la femme de rapporter
le consentement au moins tacite de son mari existe,
quel que soit le régime sous lequel le mariage ait été
contracté. Il est vrai que la femme dotale ou séparée
de biens n’engage que ses propres. Mais l’article 217
est formel, et ses exigences se justifient sous un dou
ble rapport. L’autorité maritale commandait cet acte
de déférence dont l’intérêt de la famille faisait une loi.
Il importe, en effet, à celle-ci que la fortune de la femme
ne soit pas follement dissipée. Appeler le mari à veil
ler, dans tous les cas, sur le mode de sa disposition
était donc non-seulement un juste hommage à son au
torité, mais encore un devoir imposé par les légitimes
susceptibilités de la famille.
113. — Les articles 218 et 219 du Code civil ap
pellent les tribunaux civils à suppléer non-seulement à
l’impossibilité dans laquelle se trouverait le mari, mais
encore au refus qu’il ferait d’autoriser sa femme. Ce
recours à la justice peut-il être admis pour l’autorisa
tion à l’effet d'exercer le commerce?
Celte question est résolue négativement par M. Par
dessus, enseignant que rien ne peut suppléer au con
sentement du mari qu’exige l’article 4 .1 Cependant
1 T. 1, n° 63; Conf., Bravsrd Veyrières, Manuel du droit comm.,
pag, 17: — Annotateurs de Zachariæ, t. n i, pag. 334, note 44.
�166
DES COMMERÇANTS
M. Locré semble professer l'opinion contraire, en ad
mettant l’intervention de la justice dans tous les cas où
il y a lieu à autorisation par le mari.1
Cette opinion ne nous paraît pas admissible, en pré
sence du texte de la loi, rapproché de l’esprit qui a
présidé à son adoption.
L’article 4 exige, pour que la femme puisse être
marchande publique, le consentement du mari. Ce qui
prouve que ce consentement doit être le fait exclusif
et personnel de celui-ci, c’est qu’il n’est pas nécessaire,
à défaut de concours dans l’acte, qu’il soit donné par
écrit, comme l’exige l’article 217. Il est acquis par cela
seul que le mari laisse sa femme exercer le commerce
à son vu et su, et sans réclamation.
Ce caractère personnel exclut l’idée de toute con
trainte judiciaire. Aussi, non-seulement la loi n’a-t-elle
pas autorisé le recours à la justice, elle l’a de plus im
plicitement exclu. C’est ce que va nous apprendre la
discussion que l’article 4 a soulevée dans le sein du
conseil d’Etat.
Insistant sur la nécessité d’obtenir, pour la femme,
l’assentiment du mari, le prince archichancelier disait
Il est difficile de comprendre comment la femme, qui a
passé sous la puissance maritale, pourrait s’en affran
chir et faire le commerce de sa seule autorité. On doit
donc maintenir la puissance du mari, et ne permettre
1 Eiprit du Code de comm., art. 4.
�.
AKT.
4
ET
5.
l'W
le commerce à la femme que lorsqu’elle a obtenu son
autorisation, soit expresse, soit tacite.
Supposons ensuite que le mari veuille retirer son con
sentement, il est juste de ne pas lui laisser indéfini
ment cette liberté, et de ne pas lui permettre de s’op
poser, par caprice, à ce que la femme améliore la for
tune de leurs enfants communs. Qu’alors le tribunal
intervienne et prononce!1
Point de doute donc sur l’intention de l'orateur. En
pareille matière, l’intervention de la justice n’est ad
missible que lorsqu’il s’agira du retrait d’une autorisa
tion précédemment accordée. Alors le mari devra, s’il
en est requis, expliquer ce retrait et justifier qu’il n’est
pas dicté par un pur caprice ou par un entêtement ridi
cule. Or, cette pensée était si bien celle du conseil
d’Etat, que, dans la même séance, M. Régnault de
Saint-Jean-d’Angély prétendait la faire législativement
formuler par l’adoption de la rédaction suivante : 1° la
femme, sous puissance du mari, peut faire le com
merce, si le mari y a donné son consentement exprès
ou tacite et résultant de faits apparents ; 2° le mari
peut, en tout temps, faire cesser le commerce de sa
femme, sauf à elle à réclamer devant les tribunaux pour
se faire autoriser, s’il y a lieu, à le continuer.
Cette proposition ne fut pas adoptée, mais les motifs
qui la firent repousser n’impliquent en rien la condam
nation de la règle en faisant la base. La crainte de gêi Séanee du 3 janv. 1807:
�168
DES COMMERÇANTS
ner l’indépendance qu’on voulait laisser aux tribunnaux
dans la recherche de l’existence du consentement, de
ses caractères constitutifs fit préférer le laconisme de
l’article 4.
La femme ne peut donc être marchande publique
que du consentement de son mari. Le refus que celuici en ferait serait absolu et définitif. La justice n’est pas
appelée à le contrôler. Elle ne pourrait surtout y sup
pléer sans porter une grave atteinte aux droits et à l’au
torité du mari.
On pourrait objecter que cette atteinte est consacrée
par la loi, lorsqu’il s’agit pour la femme d’ester en ju
gement, ou de passer un acte, puisque, dans l'un et
dans l’autre cas, la justice est appelée à autoriser en
cas de refus de la part du mari. Mais cette objection ne
saurait être accueillie.
L’autorité maritale est une règle que notre législation
actuelle a entendu renforcer, bien loin de prétendre
l’affaiblir. Mais cette régie pouvait, comme toutes les
autres, subir des exceptions. De là cette conséquence
que, pour être admise, l’exception devra être non-seu
lement prévue, mais encore formellement consacrée.
C’est ce qui se réalise pour le cas où le mari refuse
d’autoriser la femme à ester en jugement, ou à passer
un acte.
Que conclure de là? Qu’il faut, par analogie, auto
riser des exceptions nouvelles, non prévues? Non, évi
demment, car, en pareille matière, tout est de droit
étroit. Ce qui doit nécessairement s’induire du silence
�ART. 4 ET 5.
169
du législateur, c’est qu’il a entendu exclure l’hypothèse
sur laquelle il ne s’est pas expliqué. On connaît la
maxime : Qui dicit de uno, de allero negal. Refuse
rait-on de le décider ainsi, dans le cas, par exemple, où
la femme demanderait d’être autorisée à administrer ses
biens, et permettrait-on à la justice de lui accorder
cette autorisation, sur le refus que le mari, ferait de la
consentir ?
Au fond, peut-on assimiler les hypothèses prévues
par les articles 218 et 219 du Code civil, avec l’autori
sation à l'effet d’exercer le commerce ? Ce qui ressort
de ces deux dispositions, c’est que le législateur a en
tendu faire de l’autorisation maritale une mesure de
sage précaution et non un instrument de vexations
injustes. Or, elle pouvait prendre facilement ce carac
tère surtout après la séparation des époux, laissant la
femme dans la nécessité de se pourvoir de l'autori
sation,
D’autre part, la justice n’est autorisée à suppléer au
refus du mari que lorsque l’acte pour lequel le con
cours de celui-ci est requis est réellement avantageux
à la femme. Il faut donc qu’elle soit mise à même de
se convaincre de ce caractère. Cela lui est possible et
facile dans les hypothèses des articles 218 et 219. Les
conséquences que peut avoir le jugement, ou l’acte, à
l’occasion duquel l’autorisation est demandée, peuvent
être actuellement appréciées, et il est juste, s’il s’agit
pour la femme d’un avantage à conserver ou à acqué
rir, qu’elle ne soit pas empêchée d’agir par le mauvais
�m
DES COMMERÇANTS
vouloir, par la haine ou le ressentiment, par une sim
ple erreur d’un mari entêté ou peu éclairé.
Que pourrait faire la justice, investie de la demande
en autorisation d’exercer le commerce? A-t-elle des
éléments d’appréciation de son utilité? Peut-elle en
prévoir les conséquences ou en juger les résultats ? Mal
gré les plus magnifiques apparences , n’a-t-on pas à
craindre de funestes revers, occasionnés par l’adminis
tration de la femme ou par une de ces crises venant si
souvent et si brusquement bouleverser et tromper les
calculs de la plus extrême prudence? C’est donc en
aveugle que la justice serait condamnée à agir; c’est à
l’incertitude et aux hasards qu’elle confierait la fortune
de la femme, contrairement à la volonté du chef de la
famille, et aux risques et périls de celle-ci.
Ce n’est pas tout encore. L’autorisation de la justice
produit les mêmes effets que celle du mari qu’elle rem
place. Les engagements de la femme ainsi autorisée
réfléchiraient sur la communauté. Le mari verrait donc,
non-seulement son autorité méconnue, mais encore sa
fortune propre compromise et dissipée, et tout cela
contre sa volonté et malgré la plus vive opposition.
Un pareil système, conduisant à de telles conséquences,
serait une monstruosité. C’est ce qui explique que
le législateur n'ait pas même conçu la pensée de le
consacrer.
Réduisît-on les engagements de la femme judiciaire
ment autorisée à sa fortune personnelle, qu’on ne cau
serait pas moins un grave préjudice au mari. Suivant le
�ART.
\
ET 5 .
171
régime adopté, les revenus de cette fortune appartien
dront à celui-ci, ou bien ils contribueront, dans une
proportion déterminée, aux charges du ménage. Con
séquemment, exposer les biens de la femme aux chan
ces du commerce, c’est courir le danger de tarir ces
sources, peut-être indispensables au bien-être de la
famille ; c’est en augmenter les charges par l’obligation
de nourrir et d’entretenir la femme après sa ruine,
c’est enfin attenter à l’honneur du mari en lui imposant
une inévitable solidarité dans la honte d’une faillite.
Qu’on tolère de pareilles éventualités lorsque le mari a
volontairement consenti, c’est là ce qu’on pouvait ad
mettre, mais qu’on les lui impose lorsqu’au lieu de
consentir il s’est énergiquement opposé, c’est ce que
la raison et la justice ne permettent pas de consacrer.
1 l 3 bis. — Tous les auteurs embrassent cette opi
nion et enseignent cette doctrine. C’est pourtant la
doctrine contraire que la cour de Grenoble a cru devoir
consacrer. Elle confirmait le 27 janvier 1863 un juge
ment du tribunal de Vienne, décidant que la femme
séparée de corps et de biens peut, au refus du mari,
être autorisée par justice à faire le commerce, et même
à s’associer avec un tiers. Celle confirmation s’étaie des
motifs suivants.
« Attendu, en droit, que la femme séparée de biens
« peut, aux termes de l’article 219 du Code civil, se
« faire autoriser par le tribunal pour passer un acte,
« lorsque le mari a refusé son autorisation ; que l’arti-
�172
DES COMMERÇANTS
« cle 4 du Code de commerce, en posant le principe
« que la femme ne peut être marchande publique sans
« l’autorisation de son mari, n’a pu vouloir créer une
« exception au droit commun ; que le législateur l’au« rait exprimé s’il l’avait voulu, et qu’aucun motif
« n’existe de refuser à la femme qui veut faire acte de
« commerce le recours aux tribunaux, qui la protègent
« contre un refus intéressé ou capricieux du mari ; que
« les dispositions tutélaires écrites au titre du mariage
« dans l’article 219, et qu’on ne saurait restreindre à
< un acte isolé, embrassent tous les actes que la femme
« peut faire dans l’administration de ses biens, et, par
« suite, l’ensemble des actes que comporte le droit de
o se livrer à un commerce ; que c’est ainsi qu'il faut
« interpréter l’article 4 du Code de commerce, qu’il
« faut concilier avec le principe général porté par l’ar« ticle 210 du Code civil; que le tribunal avait donc le
« droit d’autoriser la femme Dorel à gérer un atelier
« de modes à Lyon.1 »
ï l o ter. — Nous avons d’avance et péremptoire
ment réfuté ces considérations en exposant celles qui
militent en faveur de l’opinion contraire à celle qu’em
brasse la cour de Grenoble, et qui excluent absolument
l’applicabilité de l’article 219 du Code civil à l’hypo
thèse d’une demande en autorisation de faire le com
merce. Nous répétons que le silence gardé par l’article
�ART.
4 et 5.
173
4 du Code de commerce sur le recours à la justice en
cas de refus du mari, est l’exclusion formelle de ce re
cours. Ce recours, en effet, loin d’être la règle géné
rale, comme le dit l’arrêt, n’est qu’une exception è l’om
nipotence maritale. Ce qui le prouve, c'est que toutes
les fois qu’il a été dans l’intention du législateur de le
permettre, il s’en est expressément expliqué. Aussi, le
retrouvons-nous écrit dans les articles 1449 et 1555 du
Code civil, ce qui aurait été inutile si les articles 218 et
219 du Code civil avaient édicté un principe général et
absolu.
Le caractère d’exception admis, la conséquence lé
gale et forcée est que le recours à la justice n’est re
cevable que dans Iss cas où il est expressément consa
cré par la loi, on ne saurait donc l’accueillir dans l’hy
pothèse de l’article 4 du Code de commerce, précisé
ment parce que cet article est muet a cet égard.
Ce silence, en effet,’ prouve que le législateur n’a
pas voulu l’autoriser, car s’il avait entendu le contraire,
il n’eût pas manqué d’ajouter à l’article 4 du Code de
commerce : Ou à son défaut par justice, comme il le
le fait notamment dans les articles 1449 et 1555 du
Code civil.
Nous convenons qu’on ne saurait restreindre l’article
219 du Code civil à -un acte unique et isolé, qu’il se
réfère à l’ensemble de ceux que la femme peut être
tentée de faire, mais en ce sens qu’après en avoir ac
compli un, la femme pourra en faire un second, un
troisième. Rien ne saurait l’en empêcher, à la condition
�174
DES COMMERÇANTS
que pour ce second, que pour ce troisième, elle se fera
donner une autorisation spéciale soit par le mari, soit
par la justice. Les termes de l’article 219 sont précis
et formels : Si le mari refuse d’autoriser la femme à
passer u n acte, etc.... Donc, au refus du mari il y aura
lieu de recourir à justice toutes les fois qu’il s’agira
pour la femme de faire UN acte, et il ne pouvait en
être autrement.
En appelant la justice à suppléer au mari, la loi n’a
pas entendu favoriser les écarts dans lesquels voudrait
se jeter la femme, les actes de dissipation auxquels elle
pourrait vouloir se livrer. La mission des tribunaux est
une mission de circonspection et de prudence. Ils ne
doivent autoriser et ils n’autoriseront bien évidemment
que lorsqu’ils seront convaincus que le refus du mari
est injuste, inopportun, ou dicté par la morosité ou le
caprice.
Or, cette conviction où peuvent-ils la puiser, sinon
dans l’examen de l’acte à autoriser, dans l’appréciation
de sa nécessité, des conséquences qu’il peut entraîner.
Cet examen et cette appréciation supposent et exigent
un acte déterminé, dès à présent certain. Ils seraient
impossibles s’il s’agissait d’un ensemble d’opérations,
d’actes devant se succéder à des époques plus ou moins
éloignées.
*'
On ne saurait donc admettre avec la cour de Greno
ble que l’article 219 embrasse tous les actes que la
femme pourra vouloir accomplir dans l’administration
de ses biens. L’article 219 se réfère nécessairement à
�ART. 4 Ex 5.
175
l’article 217, et l’acte pour lequel il ouvre à la femme
le recours à la justice n’est et ne peut être qu’un de ceux
que ce dernier article énumère.
Pourquoi la femme, s’il s’agissait de l’administration
de ses biens, aurait-elle après sa séparation à se pour
voir devant les tribunaux? L'article 1449 la dispense
de l’autorisation maritale, non-seulement pour les actes
d’administration, mais encore pour l’aliénation de son
mobilier. Donc, l’interprétation que l’arrêt fait de l’ar
ticle 219 n’a rien de juridique, et ne saurait être ad
mise.
D’ailleurs, en supposant que l’article 219 a en vue
les actes d’administration, on ne saurait l’étendre à l’en
semble des actes que comporte le droit de se livrer à
un commerce. L’exercice du commerce donne lieu
à une série d’actes, non d’administration, mais de
disposition qui peuvent aboutir à la ruine, au déshon
neur et à la misère.
Et l’on voudrait Contraindre le mari à subir cette ter
rible chance! Et c’est la justice qui l’y condamnerait,
alors qu’elle n’a aucune donnée pour asseoir sa convic
tion, et qu’elle est forcée d’agir et de prononcer en
aveugle ! Une pareille doctrine blesse non-seulement la
justice, mais encore le plus simple bon sens, et nous
nous expliquons que les auteurs soient unanimes pour
enseigner qu’elle n’est ni n’a été dans la pensée du lé
gislateur.
ll3quatuor, — Le Journal du Palais, dans la note
�176
DES COMMERÇANTS
dont il accompagne l’arrêt de Grenoble, cite comme
rendu dans le même sens un arrêt de la cour de Paris
du 24 octobre 1844.1
Mais cet arrêt autorise la femme à continuer le com
merce qu’elle faisait conjointement avec son mari, et
pour lequel elle avait été par conséquent autorisée. 11
n’adtnel donc, en réalité, l'intervention de la justice
que dans le cas où la femme résiste à la rétractation de
l’autorisation qui lui a été donnée, et à ce point de Vue,
ainsi que nous allons le voir, il serait juridique.
Il est vrai que sans paraître se préoccuper de cette
circonstance spéciale du procès , l’arrêt considère :
« Que si, aux termes de l’article 4 du Code de com« merce, la femme mariée ne peut faire le commerce
« qu’avec l’autorisation de son mari, il n’en est pas
« moins vrai qu’elle peut y être autorisée par justice
« en cas d’impossibilité de celui-ci de l’accorder ou en
<f cas de refus reposant sur d’injustes motifs. »
Ainsi, l’arrêt accepte comme démontrée une propo
sition fort contestable et qui a contre elle l’unanimité de
la doctrine.
Aussi s’abstient-il de la discuter et de l’établir, et se
décide-t-il en faveur de la femme en fait et notamment
par le motif que « les époux sont séparés de biens et
« que, sous ce point de vue, aucun préjudice ne peut
« résulter pour le mari des conséquences que pour•i J. -du P. â, 1844., 461.
J
�ART.
4
ET
5,
177
« raient avoir les opérations auxquelles la femme pour« rait se livrer. »
Aucun préjudice ne peut résulter pour le mari des
conséquences des opérations auxquelles la femme pour
rait se livrer ! Mais si la femme a demandé et obtenu
sa séparation de biens, c’est que ses droits étaient en
périls et que le mari ruiné ne présentait plus de garan
ties. Or, si le mari est ruiné, il n’a plus à compter pour
l’entretien du ménage et de la famille que sur les res
sources personnelles de la femme, et si celle-ci en dis
pose, si elle les engloutit dans les chances du commer
ce,, le préjudice pour le mari ne sera-t-il pas au con
traire aussi évident que considérable?
D’ailleurs, nous croyons avec notre excellent confrère
Louis Nouguier, que : « Dans une question qui touche
« d’une manière si intime à la tranquillité du ménage,
« à l’avenir des enfants, il serait imprudent de dire
« que la femme doit être son libre arbitre lorsqu’elle
« n’engage que ses propres capitaux. Ce n’est pas, en
« effet, dans le seul but de mettre le mari à l’abri de la
« réaction des opérations de sa femme que son con« cours est exigé ; c’est aussi dans le but de protéger
« ce principe d’ordre public qui constitue un chef à la
« famille.1 »
Ainsi, l’opinion que nous repoussons ne se justifie
1 Des Irib. de com., Des commerçants
p. 256.
et Des actes de com., t, î,
12
�US
DES COMMERÇANTS
ni en droit ni en fait, on ne saurait donc l’accueillir et
la consacrer.
114. — Nous n’hésitions donc pas à nous ranger à
l’opinion de M. Pardessus : le refus du mari laisse la
femme sans recours possible. Mais nous ne pouvons pas
admettre avec lui qu’il doit en être de même lorsque le
mari, ayant d’abord consenti, prétend revenir et rétrac
ter son autorisation. Nous croyons, au contraire, que,
dans cette hypothèse, la femme a la faculté de repous
ser la prétention de son mari et d’obtenir de la justice
le droit de continuer son commerce.
Nous venons de voir que cette règle, posée par l’ar
chichancelier, ne rencontra aucun contradicteur dans le
sein du conseil d’Etat. On reconnut donc qu'on ne pou
vait permettre au mari de s'opposer, par caprice, à
ce que la femme améliorât la fortune de leurs enfants
communs. Qu'alors, concluait-on, le tribunal inter
vienne et prononce I
Il est évident qu’en principe le mari, étant le chef
et maître de la femme, a toujours le droit de révoquer
le consentement exprès ou tacite, en vertu duquel cel
le-ci exerce le commerce. Il le peut, alors même qu’ayant
épousé une marchande publique, il l’aurait expressé
ment autorisée, dans le contrat de mariage, à conti
nuer son état. La doctrine est unanime sur ce point,
par le motif que l’article 4 ne concerne pas seulement
la femme qui prétend devenir commerçante, qu’il régit
même celle qui veut continuer de l’être. C’est ce qu’in-
�ART.
4
ET
5.
179
cliquent suffisamment les expressions du législateur :
La femme ne peut être.....
D’autre part, il est vrai que les conventions matri
moniales ne peuvent recevoir aucun changement après
la célébration du mariage. Mais, quelque illimitée que
soit la liberté des époux en matière de contrat de ma
riage, leur droit s’arrête devant un commandement ex
près de la loi. Or, d’une part, l’article 1388 défend de
déroger aux règles de la puissance maritale; de l'au
tre, aux termes de l’article 223 , l’autorisation géné
rale n’est valable que quant à l’administration des
biens de la femme. La stipulation par laquelle le mari
s’interdirait d’empêcher à sa femme l’exercice du com
merce serait donc attaquable sous un double rapport.
Elle dérogerait à la puissance maritale, elle excéderait,
en faveur de la femme, les bornes d’une simple admi
nistration. Elle serait donc, sous l’un et l’autre rapport,
frappée d’une nullité légale et absolue.
Le mari pourrait donc toujours révoquer son autori
sation. Mais autre chose est de refuser à la femme la
permission de devenir marchande publique, autre chose
de retirer cette permission. En effet, l’autorisation pré
cédemment donnée suppose que la femme offre, sous
le rapport de l’aptitude et d%,l’intelligence, toutes les
garanties désirables ; elle crée en sa faveur un engage
ment qu’elle continuera son état tant que la réalité ne
viendra pas faire évanouir les espérances conçues sous
ce double rapport; tant que, par son incurie ou son
insuffisance, elle ne mettra pas le mari dans la nécessité
�180
DES COMMERCANTS
de rétracter son autorisation, afin d’empêcher une im
minente catastrophe.
Ainsi, par cela seul qu’il a consenti d’abord, le mari
voulant rétracter son autorisation est obligé de se fon
der sur le désordre des affaires de sa femme, ce que
celle-ci pourra contester. Or, à l’époque où la révoca
tion sera poursuivie, les résultats matériels du com
merce pouvant être constatés, les bénéfices ou pertes
justifiés, la justice aura tous les éléments pour pro
noncer en connaissance de cause.
Conséquemment, l’appeler à prononcer entre les
deux époux n’offre plus les inconvénients que nous
signalions tout à l’heure pour repousser son concours,
en cas de refus de l’autorisation. On doit donc d’autant
moins hésitera s’en référer à sa décision, que le juge
ment, uniquement relatif à l’état, actuel des choses,
laissera les droits du mari intacts pour l’avenir. Déclaré
non-recevable en l’état, celui-ci pourra renouveler sa
demande et la voir accueillie, si des pertes ultérieure
ment éprouvées, si des crises fâcheuses rendent le com
merce dangereux pour la femme ou pour la famille.
115. — Cette solution rentre dans l’esprit général
de la loi, car elle n’a pour but que de protéger la fem
me contre les caprices, la haine ou le ressentiment du
mari, ce qu’il importe de faire dans noire hypothèse
comme dans toutes les autres. Aussi a-t-elle reçu
l’adhésion de nombreux et savants jurisconsultes. MM.
Sébire et Carteret l’adoptent, tout en recommandant
�ART.
4
ET
S.
.
181
aux tribunaux la plus grande circonspection dans
l’exercice de leur mission.
M. Orillard va plus loin. Après avoir rappelé que la
justice ne doit pas permettre trop facilement à la femme
de se créer une position et une existence à part de celle
de son mari, dont elle doit suivre la condition, cet ho
norable auteur continue : Toutes les fois que le mari
peut fournir à tous les besoins de la femme et à ceux
de leurs enfants avec ses propres ressources, les tribu
naux doivent respecter la Volonté maritale. Mais si un
époux ne pouvait, avec ses propres moyens, subvenir
à toutes les dépenses de sa famille, et que la femme
pût, par un commerce lucratif et honorable, faire face
à tous les besoins, ce serait le cas seulement pour les
juges d’accorder une autorisation qu’un mari mal éclairé
refuserait contre ses propres intérêts : Maliliis hominum non est indulgendum.1
A notre avis, le seul élément décisif d’appréciation
est, en pareil cas, l’état actuel du commerce que le
mari veut interrompre. Peut-être même que si la posi
tion de fortune des époux était à considérer, faudrait-il
en tirer une conclusion diamétralement opposée à celle
de M. Orillard. Celui, en effet, qui possède beaucoup
peut risquer quelque chose. Mais comment imposer ce
risque à qui peut à peine fournir à ses besoins? Que
répondrait-on au mari disant : Il vaut mieux v i1 N» 470.
�182
DES COMMERÇANTS
vre avec peu, que de s’exposer à être obligé de vivre
avec rien !
L’état pécuniaire des époux ne peut donc exercer
qu’une influence très-secondaire. Ce qui est à considé
rer, c’est, nous le répétons, l’état actuel du commerce
dont la femme sollicite la continuation. Autant on ac
corderait cette permission si ce commerce n’avait pas
cessé d’être lucratif, autant on devrait se hâter d’in
terrompre celui qui depuis un temps plus ou moins,
long n’aurait offert que des pertes.
Ainsi, en principe, le mari peut rétracter son auto
risation. Mais il importe qne ce retrait ne s’effectue pas
en temps inopportun ou ne soit pas dicté par un pur
caprice, ou par animosité pure. Dans l’un et dans l’au
tre cas, la femme est recevable à le contester et à se
pourvoir devant la justice pour être autorisée à conti
nuer ses opérations. C’est ca que la cour de Paris a for
mellement jugé par arrêt du 24 octobre 1844.1
Hgbis. — Au reste, M. Pardessus reconnaît que sa
doctrine sur la non-recevabilité du recours en justice,
contre la révocation par le mari, comporte exception.
Il enseigne, en conséquence, « que la femme pourrait
« en appeler à la justice, si, après séparation judiciai-'
« re , le mari révoquait le consentement qu’il avait
« donné sans motifs valables. Cette exception, ajoute
« M. Pardessus, semble fondée sur ce que la nécessité
« de demander la séparation à laquelle le mari a, par
i J. du P., t. il, 1844, pag. 461,
�ART.
4
ET
5.
183
« sa faute, réduit sa femme peut rendre suspect aux
« yeux de la justice son changement de volonté.1 »
Ce que M. Pardessus admet dans l’hypothèse d’une
révocation postérieure à une séparation judiciaire, nous
l’admettons dans tous les cas. A notre avis, tout chan
gement de volonté doit être présumé l’effet du caprice,
d’un esprit de vexation, et cette présomption ne le cède
qu’à la preuve qu’il repose sur des raisons sérieuses, sur
des motifs graves.
Il faut donc que le mari explique le mobile qui le dé
termine à revenir sur son consentement. Il faut que le
mérite et la légitimité de cette détermination soient
appréciés et constatés. Qui donc, si ce n’est la justice,
peut et doit être appelé à faire cette appréciation et
cette constatation.
115ter. —• Telle n’est pas l’opinion de M. Louis
Nouguier. Cet honorable jurisconsulte n’admet pas mê
me le tempérament qu’adopte M. Pardessus. Pour lui,
le droit du mari de révoquer son autorisation est absolu
et sans limite.
« Si la femme résiste à la révocation, dit-il, elle ne
« pourra obtenir de la justice le droit de poursuivre
« ses opérations. Sans doute le mari peut, comme sou« vent, abuser de la suprématie dont il est investi, si,
« par exemple, il est judiciairement séparé de corps et
« de biens, le désir de nuire à une femme qui fit ré1 N» 64.
�f 84
DES COMMERÇANTS
a
«
«
«
«
primer ses écarts pourrait être le mobile de sa conduite. Cela sera fâcheux, mais quelques graves que
soient ces motifs, ils ne sauraient infirmer la loi, ni
détruire les motifs d’intérêt général sur lesquels elle
repose.
•
«
•
•
« La loi ! Elle est claire, énergique : le consentement du mari est indispensable à la femme qui veut
être marchande publique; nulle part on ne trouve
l’autorisation de substituer à ce consentement la volonté des magistrats.
« Les motifs de la loi ! Mais nous venons de le dire ;
a la femme même séparée judiciairement est toujours
« en puissance du mari ; le lien conjugal n’est pas rom« pu ; l’ordre public ne saurait permettre le renverse« ment de la prééminence maritale et l’intervention
« des magistrats viendrait ajouter de nouveaux élé■ ments de discorde à ceux qui pourraient déjà
« exister.1 »
Le tort de cette doctrine est de ne tenir aucun compte
de la différence si considérable entre donner l’autorisa
tion et la retirer après l’avoir donnée. C’est la première
hypothèse exclusivement que prévoit et régit l’article 4
du Code de commerce.
Nous admettons avec M. Nouguier que, dans cette
hypothèse, le mari est souverainement libre de donner
ou de refuser son consentement. Rien ne peut le con1 Des Irib. de comm,, 1 .1, p. 257.
�ART.
4 E'f 5.
185
traindre, et nul, pas même la justice, ne saurait subs
tituer sa volonté à la sienne.
La raison en est fort simple. Le refus du mari sera
fondé sur l’incapacité de la femme, sur le danger que
présentent les chances aléatoires du commerce. Ôr
quels moyens aurait la justice de contrôler les dires du
mari, d’afïirmer la capacité de la femme, de déclarer
que son administration neutralise toute chance fâcheuse.
A quoi bon, dès lors, l’appeler à statuer lorsque évi
demment, elle n’est pas en position de le faire en con
naissance parfaite de cause.
Uien de tout cela ne se réalise lorsqu’il s’agit de ré
voquer l’autorisation précédemment accordée. En la
donnant, le mari a reconnu l’idonéité, la capacité de la
femme, l’absence de tout danger sérieux dans l’exercice
du commerce auquel elle veut se livrer.
De plus, au moment où la révocation se produira, la
femme aura fait le commerce pendant un certain temps.
Les résultats qu’elle aura obtenus permettront d’appré
cier son administration, et de puiser dans le passé des
garanties pour l’avenir.
En d’autres termes, l’autorisation a formé filtre le
mari et la femme un contrat qui doit recevoir son en
tière exécution, à moins que trompant toutes les espé
rances, le commerce de la femme soit devenu ou me
nace de devenir désastreux, ou que la femme n’ait dé
ployé dans son exercice qu’une incapacité ou une légè
reté dangereuse. Or, qui sera juge entre le mari affir
mant et la femme soutenant l’injustice et la fausseté de
\
�186
des
com m erçants
ces affirmations? Peut-on admettre que contrairement à
une pratique constante, la loi ait admis dans ce cas que
le mari pouvait être juge dans sa propre cause?
M. Nouguier se trompe. De loi! il n’en existe aucune.
L’article 4 du Code de commerce, non-seulement ne
régit pas le cas de révocation, mais il a, au contraire,
entendu l’exclure. Rappelons-nous la discussion au con
seil d’Etat, refusant tout recours à justice lorsqu’il s’a
git de donner l’autorisation, et l’accordant expressé
ment lorsque le mari prétendra révoquer cette auto
risation.1
— M. Nouguier cite, comme consacrant
son opinion, un jugement du tribunal de commerce de
Paris du 3 novembre 1843. Mais si, en effet, le tribu
nal avait admis cette opinion, il aurait dû se désinvestir purement et simplement et refuser tout recours
contre la décision du mari. Donc, s’il retient l’affaire et
y statue au fond, c’est qu’il reconnaît la recevabilité du
recours, et s’il admet cette recevabilité, il n’est pas de
l’opinion de M. Nouguier.
D’ailleurs, dans l’espèce de ce jugement, il ne s’a
gissait pas de révocation et le mari ne s’opposait pas à
ce que sa femme continuât le commerce. Mais celle-ci
ayant, en vertu de l’autorisation et sans en demander
une nouvelle et spéciale, contracté une société en nom
collectif, le mari demandait la nullité de cette société.
U g q u a rto .
l Sup., n° 113.
�ART. 4 eT 8.
18?
Le jugement n’avait donc pas à se préoccuper de la
question de révocation. Il s’en préoccupe pourtant ,
mais uniquement pour reconnaître qffe le maria le droit
de la prononcer.
« Attendu, dit-il, que le législateur n’a pas voulu
« admettre de distinction en ce qui touche à l’autori« sation entre la femme commune et la femme séparée
« de biens; que si la condition du mari est différente
o dans l’un ou l’autre cas, la condition de la femme est
« la môme quant à la nécessité du consentement ; qu’il
« a été légalement examiné si le consentement du mari
« pourrait être révoqué; qu’il a été reconnu que si ce
« droit ne devait pas être brusquement exercé à raison
« des engagements pris vis-à-vis des tiers, le mari était
« cependant toujours le chef, le maître de la famille et
« ayant le pouvoir d’agir comme tel; que c'est par ce
a motif que l’article 4 du Code de commerce, ne dit pas
« que la femme peut devenir marchande publique,
« mais bien qu’elle ne peut être, ce qui réserve tou« jours au mari le droit de révoquer son autorisation. »
Il n’y a là que l’affirmation du droit de révocation
qui n’a jamais été contesté au mari. Mais le droit est in
dépendant de son exercice, et loin de dire que celui-ci
ne peut faire la matière d’un recours à justice, le juge
ment semble dire le contraire, puisqu'il admet que le
droit ne doit pas être brusquement exercé. Or, suppo
sez qu’il l’ait été dans ces conditions, le mari aura violé
un devoir, et comment refuse^ à la femme le pouvoir
de signaler cette violation, et d’en obtenir réparation.
�188
DES COMMERÇANTS
Ainsi, le jugement laisse au moins dans le doute les
conséquences que l’exercice du droit de révocation est
dans le cas d’entr'Éner; Comment aurait-il pu s’occu
per de celle-ci, alors que le droit n’avait été, n’était pas
exercé.
En effet, ce que le tribunal constate, c’est que :
« Vero ne s’oppose pas à ce que sa femme continue le
« commerce, mais à ce qu’elle forme une société avec
« les sieur et dame Delamarre ; que le fait de s’associer
« n’est pas un des actes qui se trouvent définis dans les
« articles 632 et 633 du Code de commerce ; que c’est
« un contrat par lequel on met quelque chose en com« mun dans le vu de partager le bénéfice qui pourra en
« résulter. »
Or, pour obtenir la nullité de cette société, le mari
ne disait pas : Je révoque l’autorisation que j ’avais don
née à l’effet de la contracter. Il soutenait au contraire
que la femme avait agi sans autorisation celle donnéi^
pour faire le commerce en général se bornant aux opé
rations que le genre de commerce déterminé entraînait,
et ne s’étendait pas, ne pouvait pas s’étendre jusqu’au
droit de contracter une société. C’est en effet ce que le
jugement admet et consacre.
Donc, la prétention de M. Nouguier d’appeler ce ju
gement à l’appui de sa doctrine est dénuée de fon
dement.
1 15<Iuinto. — La difficulté que le tribunal avait à
résoudre se référait à un ordre d’idées bien différent :
�ART. 4 ET 5.
189
il n’avait à décider que cette seule question : la femme
autorisée à faire le commerce avait-elle capacité pour
contracter une société? La négative consacrée par le
jugement constituait une saine appréciation et faisait
une exacte application des principes de la matière,
comme nous le verrons bientôt.1
La doctrine était depuis longtemps fixée sur ce point
que l’autorisation de faire le commerce, consentie en
termes généraux, n’habilite la femme que relativement
aux opérations qu’exige le genre de commerce que ï’autorisation détermine. En dehors de ces opérations, la
femme ne peut faire aucun acte sans s’y faire spéciale
ment autoriser.
Or, cela est surtout vrai pour la société que la femme
pourrait vouloir contracter avec d'autres commerçants,
alors môme que ceux-ci exerceraient le même com
merce que celui pour lequel la femme a été autorisée.
L'importance de cet acte, les dangers qu’il peut faire
courir à la femme, les modifications qu’il fait subir aux
droits du mari commandaient impérieusement cette
solution.
11 Ssext° .— « Il est possible, disaient MM. Malepeyre
« et Jourdain, que la femme ait assez de prudence
« pour diriger sagement les affaires de son négoce, et
« qu’elle manque de l’expérience nécessaire pour se ga1 Inf., n° 425.
�190
«
«
a
«
DES COMMERÇANTS
rantir des pièges qu’on pourrait lui tendre en le cachant sous le voile d’une association. Un pareil acte
peut engager non-seulement sa fortune, mais son
avenir tout entier.1 »
« Un mari, enseignait de son côté M. Delangle, lors« qu’il autorise sa femme à faire le commerce, se déo termine par une appréciation des facultés de celle-ci
« et de l’industrie qu’elle doit exercer. Or, la femme
« en contractant une société détruit les garanties sur la
« foi desquelles était fondée l’autorisation. Elle se sou« met à l’action collective des associés ; son commerce
« s’exploitait sous la surveillance du mari ; l’association
« crée pour elle des rapports dont celui-ci ne peut ap« précier la convenance et la sécurité. Enfln, en éten« dant le cercle de ses opérations, la femme aggrave
« ses dangers et ceux du mari, au-delà de toute pré« vision.
« Ce n’est pas tout, la femme, nonobstant l’autori« sation qui lui est conférée, ne cesse pas d’être sou« mise à la puissance maritale. Le mari peut, si les
« résultats du commerce qu’il a permis ne sont pas fa« vorables, en empêcher la continuation. L’autorisa« tion est essentiellement révocable. Mais si la femme
« peut contracter une société, comme conséquence de
« cette autorisation, c’est un droit perdu pour le mari.
« Sa volonté ne suffit pas pour briser une convention
« dont le terme n’est pas arrivé ; il faut qu’il respecte
i P. 42 et 13.
�ART.
4
ET B.
191
« le droit des tiers. Or, comment admettre que le mari
« puisse, à son insu, malgré lui être ainsi dépossédé
« des prérogatives attachées à sa qualité.1 »
En définitive, comme l’enseignent ces auteurs, le
droit, l'équité, la morale même ne permettent pas que
la femme, même régulièrement autorisée à faire le com
merce, contracte une société sans autorisation spéciale
du mari. L’autorisation générale qu’elle a reçue ne l'ha
bilite pas à cet égard :
1° Parce que la formation d’une société pour l’in
dustrie ou le commerce, qui faisait l’objet de l’autori
sation donnée, détruit la condition même de cette in
dustrie ou de ce commerce en substituant une exploita
tion sociale et ses obligations, à l’exploitation person
nelle qui seule avait été autorisée ;
2° Parce que l’association crée pour la femme des
rapports dont la convenance et la sécurité doivent être
spécialement appréciées;
3° Enfin, parce que l’existence de la société rendrait
irrévocable une autorisation qui, dans les prévisions du
mari et de la justice, est essentiellement révocable.
Il ne paraît pas que la question se fût présentée aux
tribunaux avant 1843. Nous venons de voir que saisi à
cette époque, le tribunal de commerce de Paris s’était
prononcé pour la nullité de la société.
Depuis, la difficulté s’étant présentée au tribunal de
i Soc., n° 56, Conf. Pardessus, 1 . 1, n.® 65. Molinier, Dr. com.,
n<M76.
t. i,
�192
DES COMMERÇANTS
commerce de Rouen, un jugement du 5 mars 1858 s’é
tait prononcé en sens contraire et avait validé la société.
Mais par arrêt du 3 décembre même année, la cour de
Rouen avait infirmé le jugement.
Cet arrêt fut déféré à la cour suprême. On lui re
prochait d’avoir méconnu et violé la loi en décidant
que la femme autorisée à faire le commerce n’avait pu,
sans une autorisation nouvelle et spéciale , contracter
une société avec un tiers pour l’exploitation de ce com
merce.
Ce système n’eut aucun succès devant la cour de
cassation qui rejetait le pourvoi le 9 novembre 1859,
par les motifs suivants :
« Attendu que par jugement du tribunal de Rouen
« en date du 17 août 1831, prononçant la séparation
« de corps et de biens entre le sieur Décaux et sa fem« me, celle-ci a été autorisée à faire le commerce sous
« son nom ; que cette autorisation n’a pu avoir d’autres
« et de plus amples effets que celle du mari qu’elle avait
« pour objet de suppléer ;
« Attendu que le mari ou le tribunal, en autorisant
« la femme à faire le commerce, l’habilite uniquement
a à s’obliger elle et ses biens, par les actes de négoce
# qu’elle fait personnellement et sous la réserve du re« trait de celte autorisation dès que son intérêt le com« mande ; qu’étendre les effets de cette autorisation
« jusqu’à la faculté pour la femme de contracter une
« société en nom collectif avec des tiers, ce serait con« férer à des tiers le pouvoir d’obliger la femme-, et
�ART.
4
ET
5.
193
«
«
«
«
fournir à celle-ci le moyen de paralyser, pendant
toute la durée de cette société, l’exercice du droi,t
réservé au mari ou au tribunal de retirer en tout
temps l’autorisation accordée ;
«
«
«
«
»
«
«
«
« Attendu qu’un pareil résultat porterait atteinte à la
puissance maritale ou à l’action de la justice ; qu’ainsi, en déclarant nulles et de nul effet, à l’égard de la
femme Decaux, la société en nom collectif entre elle
et Bérard père et fils, ensemble les lettres de change
souscrites par Bérard père au nom de ladite société,
l’arrêt attaqué, loin de violer les dispositions légales
invoquées par le pourvoi, en a fait une juste appli—
cation.1 »
116.
—- Le retrait du m ari, non contesté par la
femme ou accueilli par jugement, si elle s'est pourvue
contre, doit recevoir une publicité suffisante pour aver
tir le public. Ce retrait ne peut, dans aucun cas, deve
nir un piège contre les tiers qui, dans l’ignorance où
on les aurait laissés, pourraient continuer de traiter avec
la femme. Cette publicité pourrait être celle dont
nous avons parlé à l’occasion du retrait de l’émancipa
tion. En même temps, la femme devrait cesser effecti
vement le commerce. Le mari qui, après avoir retiré
son consentement,, laisserait sa femme continuer ,1e
commerce, à son vu et su, perdrait le bénéfice de la
1 D. P. 60, l, 87.
13
�19A
DES COMMERÇANTS
rétractation et serait, de plein droit, présumé avoir re
noncé à ses effets.
117.
— En résumé donc, la femme ne peut être
marchande publique qu’avec le consentement de son
mari. Ce consentement n’a pas besoin d’être exprès. Il
peut être tacite et résulter de tous faits impliquant la
connaissance du commerce exercé par la femme. Mais
il importe que ces faits aient une relation directe et
formelle avec la connaissance du commerce. Ceux qui
ne créeraient qu’une analogie plus ou moins sérieuse,
ne seraient pas suffisants pour suppléer au consente
ment. C’est ainsi que, quelque étendu que fût le pou
voir donné à la femme par le mari de gérer et d’admi
nistrer la communauté, on ne saurait y voir l’autorisa
tion de se livrer à des spéculations commerciales.1
Le refus par le mari de consentir à ce que la femme
exerce le commerce est, pour celle-ci, la négation ab
solue de tout commerce. Elle n’est pas recevable à de
mander à la justice de l'y autoriser. Il n’en est pas
ainsi lorsque le mari, après avoir consenti, veut rétrac
ter son autorisation. Comme ce retrait ne doit être
inspiré que par des motifs légitimes, la femme pourra
toujours en contester l’opportunité et le mérite, et ap
peler la justice à prononcer entre elle et son mari.
118. — Tout ce qui précède suppose que la femme
1 Pardessus, n° 63 ; — Nouguier, pag 255.
�ART. 4 ET 5.
1Ô5
mariée a atteint et dépassé l’âge de la majorité légale,
que son mari lui-même est majeur. Si l’un ou l’autre,
ou tous les deux, étaient encore mineurs, il y aurait
lieu à recourir à d'autres principes.
La minorité de la femme mariée voulant exercer le
commerce la place sous le coup de la disposition de
l’article 2. Elle ne pourrait donc se livrer régulièrement
à cet exercice qu’après y avoir été dûment autorisée.
119.
— Mais de qui devrait émaner cette autorisa
tion? Celle donnée par le mari suffirait-elle poyr habi
liter la femme ?
La négative est généralement admise en doctrine.
Le motif qui a paru déterminant, c’est la crainte que
le mari accordant, de sa propre autorité, à sa femme,
le droit d’aliéner ses immeubles avant sa majorité, pût
ainsi se ménager les moyens d’une spoliation fraudu
leuse.1
C’est dans ce sens que s’est prononcée la cour de
Toulouse, par arrêt du 26 mai 1821 : « Attendu, dit
la cour, qu’aux termes de l’article 2 du Code de com
merce, tout mineur, même émancipé, et de l’un ou de
l’autre sexe, qui veut faire le commerce, doit préala
blement être autorisé par son père, à défaut du père,
parla mère ou par le conseil de famille, laquelle auto1 Pardessus, n° 63; — Devincourt, Droit comm., t, il, pag. 7, n° 8 ;
— Duranton, t. u, n° 476, et t. n i, n» 700 ; — Vazeilles, Mar., t. i i ,
n° 330; — Nouguier, t. î, pag. 261 ; — Sebire et Carteret, n° 298 ; —
Orillard, n° 168.
�196
DES COMMERÇANTS
risation doit être enregistrée et affichée au tribunal de
commerce ;
« Attendu que si ces formalités n'ont pas été rem
plies, le mineur n’est point réputé majeur pour ses
engagements ;
« Attendu que l’article 4 du même Code, en exi
geant, q\jant aux femmes mariées, le consentement du
mari, ne déroge point à l’article 2 puisque, malgré
l’existence de ce dernier article, il résulte toujours que
tout mineur émancipé ne peut faire le commerce qu’après y avoir été autorisé par les auteurs de ses jours, ou
par sa famille, et que la femme, quoique mariée, se
trouve comprise dans cette catégorie, le mariage
n’ayant eu d’autre objet que de l’émanciper de plein
droit ;
« Attendu que l’esprit du législateur, en émettant
l’article 2, a été d’éviter la ruine des mineurs ; que ce
but serait manqué s’il dépendait du mari, par une sim
ple autorisation, de mettre sa femme à même d’hypothéquer ou d’aliéner ses immeubles. »
Le caractère juridique de cet arrêt ne saurait être
contesté, il importe, en effet, de constater que l’article
2 ne fait aucune distinction entre le mineur marié et
celui qui ne l’est pas. Sa disposition est absolue, et
l’article 4 n’y introduit aucune dérogation. Celui-ci
suppose évidemment que la femme est majeure, car il
ne s’occupe qu’à régler l’incapacité naissant pour elle
du mariage lui-même, et les effets de la puissance
maritale.
%
�ART. 4, ET 5.
197
4
Il faut donc arriver à cette conclusion que la femme
mariée, si elle est encore mineure, est atteinte d’une
double incapacité : celle comme mineure, celle comme
femme mariée. La première, fondée sur la faiblesse et
l’inexpérience, n’est pas effacée par le mariage, qui la
modifie seulement par l’émancipation qu’il confère.
Elle ne peut donc s’affranchir de ses liens, à l’endroit
du commerce, qu’en remplissant les formalités exigées
par l’article 2. Mais ces formalités accomplies, reste l’in
capacité résultant du mariage, et celle-ci, à son tour,
ne s’efface que par le consentement du mari, confor
mément à l’article 4.
Le système contraire tendrait à ce singulier résultat
que, laissant le mari mineur sous le poids d’une inca
pacité absolue relativement à la disposition de ses
immeubles, le mariage aurait pour la femme un résul
tat tout opposé. Ce qui, formellement condamné par
le droit ancien,1 n’a pas cessé de l’être sous l’empire
du Code.
120.
— L'opinion contraire peut s’étayer d’un ar
rêt de la cour de Grenoble du 17 février 1826, mais
cet arrêt se borne à résoudre la qu e^o n implicitement.
Il ne la discute pas et surtout ne justifie nullement la
solution qu’il consacre.
A l’exception tirée de la minorité d,e la femme, l'ar
rêt répond :
« Considérant qu’il est établi au procès que la dame
i Pothier, de la Puissance maritale, n° 32.
\
�198
DES COMMERÇANTS
« Pommier, femme Jasset, était marchande publique,
« faisant le commerce avec ses propres fonds, du con« sentement de son mari, en conformité de l’article 4
« du Code de commerce, et qu’en conséquence, elle
« doit remplir les obligations par elle contractées en
a cette qualité ; que ladite Pommier, femme Jasset, a
a opposé elle-même de cette qualité et de sa propriété
« de toutes les marchandises existantes dans le maga« sin de chapellerie dont il s’agit, pour faire annuler
« une saisie des mêmes objets à laquelle avaient fait'
« procéder deux des créanciers de son mari qui, d’a« près cette opposition, n’ont donné aucune suite à
« cette saisie ; qu’il suit de là que la femme Jasset n’est
« plus recevable à soutenir que son mari faisait seul le
« commerce pendant qu’il résulte, au contraire, de
« toutes les circonstances de la cause, des actes pro« duits au procès, notamment des conventions de bail
« à loyer intervenues entre la femme Jasset et Curnier,
« et de la patente par elle prise, que le commerce de
« chapellerie était sur sa tête.
« Considérant d’ailleurs que la femme Jasset, quoi<r que mineure, ne pourrait être restituée contre les
« actes contractés pendant sa minorité, qu’autant qu’elle
« aurait été lésée, et que, dans l’espèce, elle ne justifie
« d’aucune lésion ni d’aucun dol pratiqué à son égard
« pour lui faire souscrire les billets dont il s’agit, et
« qu’il paraît même que les marchandises par elle ache« tées ont tourné à son profit.1 »
1 Palloz, R é p . g c n . , v° commerçant, art. 4, S 2, n» 173
�ART.
4 Jst 5 .
199
Qu’importait, en fait, que la femme Jasset eût exer
cé le commerce en son nom. L’unique question du pro
cès était de savoir si elle avait pu valablement et léga
lement s’y livrer, c’est-à-dire si elle avait été régulière
ment autorisée.
Or, l’arrêt ne constate qu’une chose, à savoir le con
sentement du mari d'où résultait son autorisation tacite.
Mais cette autorisation suffisait-elle vu l'état de mino
rité de la femme? C’est sur quoi il importait de s’ex
pliquer, et c’est sur quoi l’arrêt garde le plus complet
silence.
Il est donc impossible de reconnaître à cet arrêt une
autorité doctrinale quelconque relativement à la ques
tion que nous examinons, et de donner à son système
la préférence sur celui de l’arrêt de Toulouse, parfaite
ment justifié en droit et en principe.
Qu’importait encore que les billets dont le paiement
était poursuivi n’eussent pas été surpris par dol, que
la femme Jasset n’en eût éprouvé aucune lésion, que
les marchandises pour lesquelles ils avaient été souscrits
eussent tourné à son profit. Rien de tout cela n’était à
examiner. Il suffisait, en effet, qu’au moment de leur
souscription, la femme ne fût pas autorisée par le mari,
pour que ces billets fussent frappés d’une nullité radi
cale et ne pussent produire aucun effet. Vraie pour la
femme majeure, celte conséquence n’atteignait-elle pas
rigoureusement la femme mineure ?
Le tribunal pense qu’on pourrait appliquer ici la rè
gle de l’article 1312 du Code civil, et son erreur est
�200
UES COMMERÇANTS
démontrée par cette considération notamment que la
nullité étant absolue pour la femme majeure, ne saurait
être conditionnelle pour là femme mineure, on ne sau
rait faire à celle-ci une condition pire que celle qu’on
assure à celle-là.
Aussi, eSt-il de doctrine que la nullité, résultant du
défaut d’aûtorisation maritale, ne saurait être modifiée
par l’application de l'article 1312.
« Le défaut d’autorisation, dit M. Solon, produit la
« nullité de l’engagement de la femme. Peu importe
« que cet engagement lui soit avantageux ou désavan« tageux, car l’autorisation n’est pas requise en sa fa« veur, mais bien en faveur du mari, et pour maintenir
« la puissance qu’il a sur les biens par elle apportés
« dans la communauté conjugale.1 »
« Ceux qui auraient traité avec une femme non au« torisée par son mari ou par la justice, dit de son côté
« M. Pardessus, ne seraient pas fondés à prétendre et
« à prouver que la négociation dont on demande la
« nullité était avantageuse à elle ou à son mari. Cette
« nullité est fondée sur des motifs différents de ceux
« qui ont fait admettre les mineurs à la restitution con« tre leurs engagements.2 »
En résumé, la femme qui exerce en fait le commerce,
mais qui, étant encore mineure, n’a pas été autorisée
par sa famille, n’est pas marchande publique et on ne
1Des nullités,
2 N» 63,
t . 1, p. 62, n° 99:
�ABT. 4
ET 5 .
201
saurait dès lors lui reconnaître la capacité que la loi ac
corde à celle-ci.
Conséquemment, outre l’incapacité qui peut résulter
de son état de minorité, elle ne peut contracter un acte
quelconque sans l’autorisation spéciale du mari ou de
la justice.
L’absence de cette autorisation rend le contrat nul et
*■
de nul effet, et sans qu’on ait à s’enquérir ou à recher
cher s’il a été volontairement souscrit, et s’il a ou non
tourné au profit de la femme.
121.
Si la femme était majeure, pourrait-elle
régulièrement exercer le commerce avec l’autorisation
de son mari, s’il était, de son côté, encore mineur?
La négative ne saurait être douteuse. Le mineur,
même marié* ne peut lui-même devenir commerçant
qu’aprés y avoir été autorisé dans les formes prescrites
par l’article 2. Comment pourrait-il conférer à un autre
la capacité qu’il n’a pas lui-même ?
Cependant il peut être urgent pour la femme de ne
pas attendre la majorité de son mari, comme si elle
était appelée à succéder au commerce de son père ou
de tout autre parent. Par quelle voie lui sera-t-il per
mis d’éviter l’obstacle qu’elle rencontre? A qui deman
dera-t-elle l’autorisation? Elle doit, dit M. Duranton,
s’adresser à la justice,1 et cette opinion est celle qu’en
seigne M. Pardessus.
i T. 1, no 478.
�202
DES COMMERÇANTS
M. Vazeilles pense que l’époux mineur doit, dans
cette hypothèse, recourir à ses parents. De même ,
dit-il, que ceux-ci peuvent, par leur consentement
formel, le rendre capable de faire le commerce et lui
donner, à cet effet, une capacité anticipée, de même,
ils pourront l’habiliter à donnera sa femme l’autorisation
de se faire marchande publique. Appuyée sur celle
de ses parents, qui doit être constatée par écrit, enre
gistrée et publiée au tribunal, l’autorisation du mineur
sera, comme celle du majeur, également efficace, tacite
ou expresse.1
Cette opinion paraît préférable à M. Orillard ; en
effet, dit-il, un ou plusieurs juges, pris dans la famille,
seront toujours mieux à même de décider la question
relative à l’autorisation sollicitée que des magistrats qui
n’ont pas un intérêt aussi direct à la prospérité du jeune
ménage, et qui ne sont pas, comme des parents, initiés
à tous les secrets de la famille.3
D’autres, enfin, ont prétendu déduire, du silence
que la loi garde sur notre hypothèse, l’impossibilité ab
solue pour la femme de devenir marchande publique.
Les incapacités, disent-ils , ne peuvent cesser qu’en
présence d’une disposition légale. Or, la législation n’a
autorisé ni le mari mineur, ni les parents du mari, ni
la justice à donner à la femme le consentement néces
saire à l'exercice du négoce. C’est ce que pensent no-^
i Traité du mariage, t. n , pag. 74, n° 331,
3 N» 167,
�ART.
I
ET
5.
203
tamment MM. Nouguier, Sebire et Carteret. C’est ce
qu’on a également voulu induire d’une noie de MM. Delamarre et Lepoitvin. Mais, en réalité, ces honora
bles jurisconsultes n’examinent et ne résolvent pas no
tre question.3
Cette dernière opinion nous paraît se placer en op
position directe avec l’esprit de la loi, en créant une
hypothèse dans laquelle la femme serait fatalement
empêchée'd’exercer le commerce, quelque grave que
fût l’intérêt qu’elle aurait à agir autrement. Nous avons
vu, en effet, que ce qui avait fait introduire l’exception
en faveur du mineur, était précisément qu’il pouvait se
rencontrer des circonstances telles, que le maintien de
son incapacité lui occasionnerait un grave et notable
préjudice. Ce qui est possible pour le mineur peut égament se rencontrer pour la femme dont le mari n’a pas
encore atteint sa majorité. Par exemple, comme nous
le disions tout à l’heure, si elle était appelée à succéder
à son père ou à tout autre parent dont le commerce,
en voie de prospérité assurée, ne pourrait être aban
donné sans un grave dommage. Pourquoi donc établir
entre cette femme et le mineur une différence si essen
tielle, et comment admettre que le législateur, dans une
position identique, n’ait pas entendu faire pour l’une
ce qu’il a fait pour l’autre?
Il dojt donc y avoir un moyen légal de sortir de la
1 T. i, pag. 262, Encyclop., n° 300.
2 Contrat de comm.,
t, i,
pag. 92,
n° 53.
�204
DES COMMERÇANTS
difficulté offerte par notre hypothèse, et ce moyen,
nous le demanderons aux principes généraux réglant
l’incapacité du mineur.
Non, sans doute, la famille n’a pas reçu de la loi le
pouvoir d’autoriser le mineur à donner à sa femme l’au
torisation d’exercer le commerce. Cette autorisation est
un acte tenant essentiellement à la vie civile et excé
dant, en conséquence, la capacité purement commer
ciale conférée au mineur.
Non, sans doute, et nous venons de le dire nousmême, la justice ne peut, en cas de résistance de l’é
poux, concéder à la femme l’autorisation de se faire
commerçante. Mais ce que la justice a mandat de faire,
c’est d’habiliter le mineur à passer certains actes qu’il
ne pourrait faire seul. N’est-elle pas, en effet, appelée
à sanctionner le plus exorbitant de tous, l’aliénation
des immeubles ?
C’est donc à elle qu’on devra recourir lorsque le
mari, encore mineur, voudra autoriser sa femme à
exercer le commerce. C’est dans la forme admise pour
les aliénations qu’il devra être procédé, c’est-à-dire
que le conseil de famille sera consulté, et que sa déli
bération sera soumise à l’homologation du tribunal, qui
admettra ou repoussera la demande du mineur. Ainsi
les inconvénients signalés par M. Orillard s’évanouissent,
puisque la justice n’est appelée à se prononcer qu’en
second ressort, et qu’elle pourra consulter le témoignage
écrit, authentique des parents sur l’opportunité et l’a
vantage de la mesure réclamée. *
♦
�1 22. — Telle nous paraît la solution rationnelle et
légale que doit recevoir la difficulté dont nous nous
occupons. Cette solution, nous l’admettons également
dans le cas où le mari est dans l’impossibilité, quoique
majeur, de manifester une opinion. L’esprit de la loi
n’admettant aucune impossibilité invincible, ce serait
le méconnaître que d’en faire résulter une de l’interdic
tion ou de l’absence du mari. D’ailleurs, il ne s’agit plus
ici d’autoriser la femme malgré la volonté de son mari,
on doit au contraire supposer qu’il consentirait, s’il
pouvait le faire, à un commerce susceptible de créer
de nouvelles ressources à la famille. Dès lors, la famille
doit être appelée à s’expliquer sur la demande de la
femme, et sa délibération, déférée à la justice, suffit,
si elle est homologuée, pour constituer la femme mar
chande publique.
123. — La femme majeure, régulièrement auto
risée par son mari, jouit, quant au commerce, d’une
capacité générale et absolue. Elle peut, sans autorisa
tion spéciale, faire tous les actes s’y référant. Ainsi elle
est apte à acheter et vendre des marchandises ; à con
sentir des louages d’ouvriers ; à souscrire des lettres de
change ou billets à ordre; à les accepter ou à les trans
mettre par endossement; à faire, en un mot, tout ce
qu’exigent les besoins du commerce auquel elle se livre.
Celte règle, consacrée par l’article 220 du Code civil, était également suivie sous notre ancien droit. Il
était même impossible qu’il en fût autrement. La loi,
�206
DES COMMERÇANTS
permettant à la femme l’exercice du commerce, devait
nécessairement lui en faciliter les moyens. Or, exiger
pour chaque acte distinct une autorisation spéciale et
particulière, c’était semer sur sa route des obstacles tels
que, tout en lui permettant le commerce, on lui en
rendait l’exercice impraticable. La femme, disait Pothier,
n’ayant pas toujours son mari à ses côtés qui puisse
l’autoriser pour ses actes, lesquels ne souffrent pas sou
vent des retardements.1
124.
— Mais les effets de l’autorisation générale
du mari ne protègent que les opérations véritablement
commerciales. La femme marchande publique, si elle
se livrait à une opération de la vie civile ordinaire, se
retrouverait en présence de son incapacité absolue, et
ne pourrait valablement contracter qu’avec l’autorisa
tion spéciale de son mari. De celle règle on a conclu
qu’elle ne pourrait, sans cette autorisation, cautionner
un tiers commerçant.
Le contraire, enseigné par Voët,2 a été admis par
arrêt de la cour de Paris du 7 décembre 1824. Mais ce
qu’il importe de remarquer, c’est que, dans l’espèce, la
femme marchande publique était en outre séparée de
corps et de biens d’avec son mari, qu’elle n’avait donné
qu’un cautionnement mobilier: et que ce cautionne
ment n’était contesté ni par elle, ni par son mari, mais
uniquement par le créancier du débiteur cautionné.
1 De la Puiss. marit., partie <tre, seet. S, S 8.
s Ad Pcndect., lib. 23, tit. 2, n° 4 t.
�ART.
4
ET
5.
207
Quant à l’opinion de Voët, elle paraît trop générale
à Merlin. Elle doit, dit ce célèbre jurisconsulte, se res
treindre au cas où la femme serait associée d’intérêts
avec le commerçant qu’elle cautionnerait. C’est la seule
circonstance où une telle obligation soit relative à son
négoce et où on puisse, par conséquent, adopter l’ex
ception que la faveur du commerce a fait apporter à
l’incapacité des personnes du sexe.1
Ainsi la faculté de cautionner ne résulte pour la
femme de l’autorisation de faire le commerce qu’en
tant que ce cautionnement se réfère aux opérations
pour lesquelles elle a reçu une entière capacité. Tel
serait évidemment celui que la femme aurait consenti
en faveur de son associé commercial, pour qu’il pût
continuer le concours qu’il prête à la société.
12 5.
— L’association a donc pour premier effet
d’agrandir la capacité de la femme. De plus, en la con
tractant, celle-ci aliène une partie de son capital, réduit
ses bénéfices et aggrave sa responsabilité en se sou
mettant à celle que peut entraîner l’administration d’un
tiers. Dans le cas où elle est mariée sous le régime de
la communauté, le mari, également tenu du fait de ce
tiers, se trouve aussi dans une position de nature à lui
occasionner un grave préjudice.
Ces considérations signalaient à l’examen des juris
consultes la question de savoir si la femme marchande
1 Rép., v» auloris. marit. ; — conf. Vazeilles, t. ii , n° 332.
I
�DES COMMERCANTS
208
publique pouvait , sans une autorisation nouvelle et
spéciale, contracter une société commerciale ?
La négative a été adoptée par le tribunal de com
merce de la Seine, et il ne paraît pas que sa décision,
rendue le 3 novembre 1843, ait été déférée au degré
supérieur de juridiction. Cette décision, rapportée par
M. Nouguier,1 est ainsi conçue :
« Attendu que le fait de s’associer n’est pas un des
actes qui se trouvent définis dans les articles 632 et 633
du Code de commerce, que c’est :un contrat par lequel
on met quelque chose en commun dans le vu de parta
ger le bénéfice qui pourra en résulter ;
« Attendu qu’en contractant la société dont s'agit,
la dame Vero a commencé par aliéner, sans le concours
de son mari, partie de son fonds de commerce ; qu’elle
a de plus donné l’autorisation à un tiers de l’obliger
comme si elle s’engageait personnellement ; qu’elle a
encore ainsi aliéné une partie de ses droits ; qu’elle a
en outre pris l’engagement d’exploiter un hôtel garni,
tandis que le consentement donné par son mari est li
mité à l’exploitation d’un fonds de commerce de char
cuterie et de comestibles. »
Ce dernier motif était en lui-mème plus que suffisant
pour déterminer la nullité de la société. Nous l’avons
déjà dit : Il n’en est pas de :1a femme mariée comme
du -mineur. L’autorisation dé faire le commerce,-régu
lièrement conférée à eeluwci, est générale et absolue ;
i T . 1, pag. 2 5 8 ,
�ART.
209
4 ET 5.
elle comprend virtuellement tous les actes de commerce,
et ne souffre d’autre exception que celle tirée du ca
ractère non commercial de l’acte qu’il se serait permis.
La femme au contraire , expressément ou tacitement
autorisée, n’est jamais censée l’être que pour un com
merce déterminé, à savoir celui qu’elle a réellement
entrepris et qu’elle exerce au vu et su de son mari.
Ainsi, dit M. Delvincourt, elle ne serait pas valablement
engagée si faisant, par exemple, le commerce des toiles,
elle contracte, sans autorisation de son mari, des obli
gations pour achat de fers.1
Cela posé, il est évident que lorsque la femme con
tracte une société et que dans l’acte elle prend l’obli
gation d’exploiter une branche de commerce autre que
celle pour laquelle elle a été autorisée, elle ne fait pas
un acte de son commerce ; qu’elle excède donc sa capa
cité, et que son engagement est nul, si elle n’obtient pas
de son mari une autorisation nouvelle et spéciale.
Nous n’admettons pas, avec le tribunal de commerce
de la Seine, que la souscription d’une société de com
merce ne soit pas un acte de commerce. La proposition
contraire nous paraît seule vraie et conséquemment
seule admissible. Mais nous convenons avec lui qu’un
pareil contrat n’est pas un accessoire du commerce de
la femme, tel que le mari ait pu le prévoir ; que celui-ci
est donc recevable et fondé à demander la nullité de
l'association, à prétendre que s’il a consenti à ce que
i D r o it
c o m m e r c ia l,
t. i. pag. t67.
U
�210
DES COMMERCANTS
sa femme devînt marchande publique, c’est qu’il comp
tait sur sa prudence et sur sa capacité, et qu’il eût
certainement refusé son adhésion s’il avait pu croire
qu’elle s’associerait à un tiers ne lui offrant pas les mê
mes garanties; que, d’ailleurs, il n’entend pas subir
les conséquences du développement que l’association
va nécessairement imprimer au commerce.1
Mais, pour que cette réclamation du mari fût accueil
lie, il faudrait qu’il l’eût émise immédiatement après
avoir appris l’existence de la société. Il en est, en effet,
de la société contractée par la femme comme du com
merce lui-même. Le mari serait censé avoir consenti
par cela seul qu’il a toléré. Conséquemment, celui qui
se serait tu d’abord verrait sa réclamation ultérieure re
poussée comme n’étant plus recevable; C’est ainsi que
la cour de cassation a jugé que la femme a pu valable
ment former une société en commandite, et apporter
un de ses immeubles dans cette société, lorsque cette
opération a eu lieu au vu et su de son mari, et sans
opposition de sa part.2
Cet arrêt de la cour de cassation du 27 août 1841,
offre un remarquable exemple d’application de notre
doctrine.
Une dame Eymard avait formé en 1836, avec le sieur
Saint-Paul, une société pour l’exploitation d’une forge.
Son apport social était une somme de 50,000 fr. qui
1 Sup., n°s ngquinto et suiv.
5 27 avril 1841, J. du P ., t. n , 1844, pag. 443,
�ART.
4 ET 5.
21 i
servit à acheter l’immeuble sur lequel devait être éta
blie la forge. Puis cette société en participation ayant
été remplacée en 1837 par une société en commandite,
cet immeuble devint un des apports de la dame Eymard
dans la société nouvelle.
Plus tard, la dame Eymard poursuit judiciairement
la nullité de la société comme ayant été contractée sans
le concours ou l’autorisation de son mari. Mais sa de
mande est repoussée par le tribunal de commerce de
Toulouse.
« Attendu, porte le jugement, que la dame Eymard
« doit être réputée marchande publique à raison des
« actes habituels de commerce auxquels elle s’est Ii« vrée; qu’elle exciperait vainement du défaut de con
te sentement de son mari; qu’elle faisait le commerce
« du vivant de son premier mari, depuis son décès,
« avant et depuis son second mariage ; et qu’ainsi le
« sieur Eymard, qui n’a ignoré ni pu ignorer les actes
« divers de commerce faits par sa femme et qui ne s’y
« est jamais opposé, est censé par cela même lui avoir
« donné son consentement tacite; qu’il suit de là que
« la dame Eymard, en sa qualité de marchande publi—
« que, pouvait, sans autorisation préalable, engager sa
« fortune immobilière pour fait de son commerce, et
« que l’établissement de la forge rentrait dans les spé« culations auxquelles elle se livrait. »
L’autorisation tacite de faire le commerce était in
contestable et le tribunal devait tenir que la femme
Eymard était marchande publique. Mais son jugement,
�212
DES COMMERÇANTS
irréprochable à ce point de vue, laisse à désirer relati
vement aux sociétés contractées par elle. Nous venons
de voir en effet que l’autorisation de faire le commerce
n’habilite pas la femme à se mettre en société sans au
torisation nouvelle et spéciale. 11 est vrai qu’à son tour
rette autorisation peut être tacite, mais si elle avait été
donnée en cette forme, le jugement aurait dû le cons
tater.
Son silence à ce sujet était donc une lacune qui lais
sait planer le doute sur son caractère juridique. Aussi
la cour de Toulouse, saisie par appel, et confirmant le
jugement avec adoption des motifs, ajoute :
« Attendu que l’apport des terrains dans la forge de
« Gand, dans la société de novembre 1837 constitue,
a d’après les actes acquis au procès, une aliénation
« d’immeubles par une femme non autorisée par son
« mari ; que néanmoins, le caractère et la qualification
« de marchande publique attribuées à l’appelante par
« les motifs des premiers juges, se fortifient encore du
« fait acquis au procès que l’établissement de la forge
« de Gand n’avait eu lieu qu’au vu et su , et par un
« consentement tacite du sieur Eymard, son mari, par
« suite de la société commerciale intervenue entre l’ap« pelante et le sieur Saint-Paul. »
Ces considérations complétaient le jugement et ren
daient la solution inattaquable. Aussi, vainement la dame
Eymard se pourvut-elle en cassation. Vainement sou
tenait-elle que la cour de Toulouse avait violé la loi et
méconnu les principes ; son pourvoi n’en fut pas moins
�ART.
4 ET 5.
213
rejeté et devait l’être. Voici les motifs qui déterminent
ce rejet :
«
«
«
a
«
« Attendu, en fait, que l’arrêt a reconnu : 1° que la
dame Eymard était marchande publique à raison des
spéculations de tout genre auxquelles elle se livrait
habituellement; que cette décision, puisée dans les
circonstances de la cause, ne peut tomber sous la
censure de la cour de cassation ;
a
«
«
«
a 2° Que la demanderesse a fait le commerce pendant son premier mariage, depuis la mort de son
premier mari, et avant comme depuis son second
mariage ; qu'ainsi, c’est au vu et su de son mari qu’elle
s’est livrée au commerce ;
a
«
«
«
« Attendu, en droit, que la loi exige du mari, non
une autorisation, mais un consentement, et que ce
consentement peut s’induire toutes les fois que la
femme fait un commerce public sans opposition de
la part de celui-ci ;
« Attendu que la dame Eymard faisant un négoce
a qui embrassait toutes sortes de spéculations, l’éta« blissement d’une forge sur son propre terrain ren« trait dans son négoce général ;
«
«
«
«
a Attendu que l’arrêt, en constatant que la demanderesse a apporté un de ses immeubles dans la société, déclare en même temps que cet immeuble a
été acheté pour y former l’établissement commercial,
et que le mari a formellement approuvé cette opéra-
�214
DK S COMMERÇANTS
a tion, d’où il suit qu’il n’existe aucune violation de
« l’article 217 du Code civil.1 »
126.
— La femme marchande publique, ou auto
risée à l’être , peut-elle , sans autorisation spéciale ,
acheter une maison pour y établir ses magasins, sa fafrique ou manufacture? Non, dit M. Vazeilles, un pareil
acte n’est pas en soi commercial. Il ne peut être fait
sans autorisation particulière. Mais cette solution est
fort contestable. La femme agit réellement pour son
commerce lorsque, autorisée à l’exercer, elle se pro
cure les moyens devant lui permettre de s’y livrer. Il
lui faut une manufacture, une fabrique si son commerce
l’exige, des magasins dans tous les cas; le mari con
sentant au commerce est donc présumé consentir à
ce que la femme se crée et acquière tout ce qui est in
dispensable à sa profession. On ne contesterait pas à
celle-ci la faculté de souscrire des baux, pourquoi lui
contesterait-on celle d’acheter, alors q u e , dans l’un
comme dans l’autre cas, il peut être du plus grand in
térêt de lui épargner les retards que lui ferait éprouver
la nécessité de se pourvoir d’une autorisation, qu’au
refus de son mari elle serait obligée de demander à la
justice ?
127.
— A la différence de ce qui se réalise pour le
mineur, la femme marchande publique du consente1 D. P. 41, 1, 219.
�ART.
4 ET 5.
215
ment de son mari ne peut ester en justice, même pour
les actes de son commerce, sans l’autorisation de celuici. C’est là un hommage rendu à l’autorité maritale, et
une garantie contre la légèreté avec laquelle la femme
pourrait s’engager dans de mauvaises contestations.
Mais cette règle ne pouvait devenir un obstacle contre
les tiers, contre la femme elle-même. A défaut ou au
refus du mari, c’est le tribunal investi du litige, fût-ce
le tribunal de commerce, qui est appelé à autoriser la
femme purement et simplement.
Mais l’incapacité d’ester en jugement sans autorisa
tion du mari ou de la justice ne prive pas la femme de
procéder à toutes les mesures conservatoires que l’in
térêt de son commerce exige. Elle pourrait donc re
quérir les protêts faute d’acceptation ou de paiement,
faire procéder à des saisies-arrêts, donner même des
assignations. Mais elle ne pourrait obtenir jugement
sans avoir été autorisée par son mari, et, à défaut, par
la justice.
128.
— La femme régulièrement constituée mar
chande publique est assimilée à un commerçant ordi
naire. En conséquence, la présomption de l’article 638
lui devient applicable. Les billets et engagements sous
crits par elle sont censés faits pour son commerce, à
moins qu’une autre cause n’y soit énoncée.
Cette présomption à l’endroit des commerçants s’é
tend au cas d’engagements et d’emprunts par acte no
tarié et authentique. Doit-on l’admettre aussi contre
�216
DES COMMERÇANTS
la femme ? M. Delvincourt se prononce pour l’affirma
tive.1 Cette opinion nous|paraît fondée.
Mais il y a, quant à la présomption de l’article 638,
entre la femme marchande publique et un commerçant
ordinaire, cette différence essentielle qu’à l’endroit de
celui-ci, cette présomption est juris et de jure. Il suffit
donc qu’aucune autre cause n’y soit énoncée pour que
le billet ou l’acte soit définitivement considéré comme
fait pour son commerce.
Il n’en est pas ainsi de la femme marchande publi
que. Celle-ci n’a qu’une capacité relative. Elle ne s’en
gage valablement que dans les limites de cette capacité
et qu’en tant que l’objet pour lequel elle s’oblige a réel
lement trait à son commerce. On doit donc, pour ce
qui la concerne, s’arrêter moins à l’apparence qu’au
fond même des choses, Sans cela on arriverait bientôt
à ce résultat qu’en traitant avec elle, même dans un in
térêt purement civil, les tiers, pour échapper à la ri
gueur de la loi et pour assurer la validité de l’obliga
tion, exigeraient soit que l'engagement ne mentionnât
aucune cause, soit qu’il énonçât que la femme agit dans
l’intérêt de son commerce. Dans l’un comme dans l’au
tre cas, l’autorité maritale aurait été méconnue, et tou
tes les garanties prises par la loi seraient violées au dé
triment de la femme.
Cette fraude périlleuse ne pouvait être évitée qu’en
n’acceptant la présomption de l'article 638 que jusqu’à
1 T. î, pag. 168.
�\
AUX. 4 ET 5.
217
preuve contraire. Ainsi, quels que soient les termes de
l’acte, et alors même qu’il exprimerait formellement
qu’il a été fait pour le commerce, la femme est toujours
recevable à soutenir et à prouver le contraire, et cette
preuve faite, l’obligation retombe sous l'empire du
droit civil et en subit l’application. Cette preuve peut
être faite par témoins, non-seulement par la femme
elle-même, mais encore par le mari, dont l’intérêt à cet
égard ne saurait être méconnu.1
129.
— Les engagements commerciaux de la fem
me marchande publique atteignent sa personne et ses
biens. Nous verrons, sous l’article 7, ce qui se rapporte
à ses immeubles. Quant à son mobilier, il est directe
ment affecté, alors même qu’elle serait sous le régime
de dotalité absolue et générale. Il peut donc être frappé
de toutes les exécutions autorisées par la loi et le droit
commun.
La femme marchande publique est contraignable par
corps. Elle est soumise à la juridiction consulaire. Elle
peut être déclarée en état de faillite, et atteinte, suivant
le cas, des peines de la banqueroute simple ou fraudu
leuse. La poursuite contre elle est la même que contre
tout commerçant. On doit donc l’appeler devant le tri
bunal de commerce et demander à ce tribunal de l’au
toriser à ester en jugement, si le mari ne peut ou ne
veut donner cette autorisation.
1 Toullier, t
x ii ,
n° 250, v. infra, n0! 144 etsuiv
�218
DES COMMERÇANTS
130.
— Enfin, la femme commune en biens n’est
pas libérée de ses engagements commerciaux par la
renonciation qu’elle ferait à la communauté. Celte res
source, ouverte par la loi pour exonérer la femme de
toute participation aux dettes contractées par le mari,
en sa qualité de chef et maître de la communauté, n’a
plus aucune raison d’être lorsqu’il s’agit d’obligations
directement et personnellement contractées par la fem
me dans l’exploitation de son commerce. Elle en reste
donc solidairement tenue, qu’elle renonce à la commu
nauté ou non.
131.
— Dans la même hypothèse, la femme n’est
pas seule obligée directement, elle engage aussi soli
dairement son mari qui l’a autorisée à faire le com
merce. Pendant toute la durée du mariage, celui-ci ne
laisse pas que d’être le chef et maître de la commu
nauté. Il en retire les revenus et peut même en aliéner
l’actif. Or, comme c’est dans cet actif que viennent se
fondre les produits du commerce de la femme, il parti
cipe évidemment aux bénéfices dont il est la source.
Il doit donc, par une juste réciprocité, être tenu des
dettes.
La disposition des articles 220 du Code civil et 5 du
Code de commerce puise donc son fondement dans une
règle d’équité et de morale. On ne saurait permettre
au mari de s’enrichir au détriment des créanciers com
merciaux de la femme. Il était même indispensable de
le décider ainsi, pour empêcher une fraude trop facile
�ART. 4 ET 5.
219
pour ne pas être dangereuse. Bientôt, en effet, par une
collusion coupable, l’actif commercial de la femme eût
été successivement réalisé par elle, absorbé par le
mari; et la faillite se réalisant, les créanciers se seraient
trouvés en présence d’un déficit que l’immunité ac
cordée au mari n’aurait pas permis de combler ou de
diminuer. C’est là le résultat que le législateur a en
tendu surtout condamner.
152. — Aussi, se conformant à sa pensée sur ce
point plutôt qu’au texte littéral de la loi, la doctrine
n’a-t-elle pas hésité à enseigner que le mari est tenu
des dettes toutes les fois qu’il a réellement perçu les
bénéfices commerciaux, quel que soit d’ailleurs le régime
adopté par les époux.
Ils peuvent, par exemple, avoir stipulé dans leur
contrat de mariage l’exclusion de la communauté. Il est
évident que si cette clause est accompagnée de celle
de séparation de biens, aucune difficulté ne saurait s’éever. Le mari ne pourrait être tenu des dettes contrac
tées par sa femme.
1 3 3 . — Mais si l’exclusion de la communauté est
pure et simple, les effets de ce régime, réglés par les
articles 1530 et 1531 du Code civil, laissent au mari
l’administration des biens de la femme, la jouissance
des revenus. Seul il perçoit le mobilier qu’elle a ap
porté en mariage et celui qui lui échoit pendant sa du
rée, à la seule condition de le restituer en cas de dis
solution ou de séparation de biens.
�DES COMMERÇANTS
220
En réalité donc, sous l’empire de ce régime, le mari
profiterait exclusivement des bénéfices commerciaux
de la femme. Pourquoi donc l’exonèrerait-on de l’obli
gation de payer les dettes créées par elle à l’occasion de
son industrie? Le seul motif que M. Toullier invoque,
c’est la restitution à laquelle le mari est tenu, et au
moyen de laquelle, dit-il, la femme se trouvera avoir,
en définitive, profité seule des résultats de son com
merce.1
Mais cette restitution ne comprend que les capitaux
apportés en dot ou échus depuis le mariage, tels que le
mari les a lui-même perçus. Les fruits et revenus qu’ils
outpu produire ne sont pas restituables. L’article 1530
du Code civil les attribue au mari d’une manière ab
solue. Or, les gains du commerce successivement re
cueillis, le plus souvent sans constatation aucune, sont
plutôt des revenus qu’un capital. Dès lors le mari en
profite, et, en vertu de la règle que nous rappelions
tout-à-l’heure, il doit, par une juste réciprocité, être
tenu des dettes.3
L’opinion que nous émettons çst adoptée, mais avec
quelques nuances, par MM. Pardessus et Molinier.
« Lorsqu’il n’y a qu’une simple exclusion de com « munauté, dit le premier, on sait que le mari n’ac« quiert pas la propriété du mobilier qui écheoit à sa
1 T. x n , n» 254
2 Orillard,
pag.147.
n° 172 ; — Düvanton, t. n, n» 480 ; —Delvincourt, t.
i
�ART.
«
«
«
»
«
«
«
«
«
«
«
«
4
ET
5.
221
femme pendant le mariage ; qu’il n’a que le droit de
le percevoir pour le rendre quand l’union sera dis—
soute; que les seuls fruits des biens de sa femme
sont censés lui être apportés pour soutenir les charges du ménage. Or, le produit d’un commerce ne
paraît pas devoir être considéré comme fruits de
biens. Cependant, par cela seul que le mari perçoit
tout le mobilier de sa femme, dont le commerce de
celle-ci fait partie, il est obligé envers les créanciers,
sauf règlement particulier des droits respectifs à la
cessation du commerce ou à la dissolution du mariage.1 »
Mais où trouver à ce compte particulier des éléments
sérieux et offrant quelque certitude? La femme pré
tendra-t-elle à une récompense quelconque? Comment
justifiera-t-elle que le mari a reçu plus que ce qu’il est*
obligé de payer au créancier et au-delà de ce qu’il avait
droit de recevoir pour subvenir aux frais du ménage ?
D’ailleurs, ne suffit-il pas, pour interdire toute action
en répétition à la femme, que la loi ait formellement
attribué au mari les fruits des biens de la femme? Si
ces fruits lui sont acquis, on n’a dans aucun cas à lui en
demander compte.
,
Mais, dit M. Pardessus, le produit d’un commerce ne
paraît pas devoir être considéré comme fruits de biens.
Sur quels fondements M. Pardessus établit-il sa propo
sition ? Le commerce se fait avec les capitaux qu’on lui
1 N» 68.
*
�222
j
r
DES COMMERÇANTS
'
■
affecte ; si la femme n’était pas marchande publique,
est-ce que ses capitaux ne seraient pas productifs?
Est-ce que les fruits qui en proviendraient n ’appartiendraient pas au mari ?
Or, que ces fruits proviennent de l’intérêt des capi
taux, ou du résultat des spéculations commerciales aux
quelles ces capitaux ont été consacrés, il ne saurait
exister aucune différence. Dans un cas comme dans
l’autre, ce que le mari touche, ce sont les fruits des
biens de la femme.
Sera-ce le mari qui réclamera une récompense? Com
ment à son tour établira-t-il qu’il paye au-delà de ce
qu’il a reçu? D’ailleurs, dès qu’il a consenti à ce que sa
femme exerçât le commerce dans le but d’en toucher
les bénéfices, il doit en supporter les charges. On pour» rait d’autant moins l’en exonérer qu’en définitive, il
était maître et libre de retirer l’autorisation ou le con
sentement en vertu duquel la femme avait entrepris et
exerçait le commerce; qu’il devait user de cette faculté
N
dès qu’au lieu de bénéfice, le commerce n’offrait que
des pertes ; qu’il est en faute de ne pas l’avoir fait et
qu’il doit subir les conséquences de cette faute.
M. Molinier, lui, pense que le mari ne doit aux créan
ciers que ce qui reste en ses mains des produits du
commerce, prélèvement fait de la partie consacrée aux
besoins du ménage. « L’excédant de ce qui a été con« sacré à ces besoins, dit-il, est un capital dont le
« mari n’a que la jouissance durant le mariage. En con« séquence, les porteurs des obligations commerciales
�ART. 4 ET 5.
«
«
«
«
«
«
«
«
«
223
de la femme ont bien, indépendamment de leur action contre celle-ci, action qu’ils peuvent exercer sur
la pleine propriété de tous ses biens, le droit de
poursuivre le mari qui a perçu les bénéfices du eommerce ou les capitaux de la femme sans en faire authentiquement constater la consistance. Mais s’il est
en possession de faire raison de ces sommes, il ne
peut être recherché que jusqu’à concurrence de ce
qu’il a perçu.1 »
Il est évident que si, comme nous venons de l’éta
blir, les produits du commerce de la femme sont perçus
par le mari à titre de fruits, ils lui appartiennent en to
talité et indépendamment de la destination qu’ils ont
reçue. De même qu’il n’a rien à prétendre dans l'hy
pothèse où ces produits n’ont pas suffi à faire face aux
frais du ménage, de même on ne devrait pas l’admettre
à n’offrir aux créanciers que ce qui a excédé ces frais
pour s’exonérer de la charge que la loi lui a imposée
en échange de l’attribution des produits qu’elle fait en
sa faveur.
Au reste, il est facile de se convaincre que la condi
tion que M. Molinier met à la restriction de la respon
sabilité du mari est irréalisable. En effet, cette restric
tion ne lui sera acquise que s’il a fait constater authen
tiquement la consistance des bénéfices par lui perçus.
On comprend la possibilité de cette constatation dans
les cas prévus par les articles 1510 et 1532 du Code
1 T. î, pag. ISO.
�224
DES COMMERÇANTS
civil, mais comment la concevoir dans notre hypothèse?
Est-ce que les sommes empruntées journellement, heb
domadairement ou mensuellement à la caisse pour sub
venir aux frais du procès sont des bénéfices? Si peu
que peut-être en fin d’année, l’inventaire se soldera par
une perte.
Faudra-t-il donc faire intervenir le notaire chaque
jour ou toutes les fois qu’on prendra une somme quel
conque? Mais bientôt on ne gagnerait pas assez pour
payer les frais d’enregistrement de ces actes multiples
et les honoraires du notaire. Donc, exiger cette cons
tatation authentique, c’est vouloir l’impossible, et lui
subordonner la restriction de l’obligation du mari, c’est
exclure toute celte restriction et laisser, mais indirec
tement, subsister cette obligation dans son entier.
Puis, la conséquence de l’opinion de M. Molinier
serait que si le commerce de la femme n’avait produit
aucun bénéfice, ou que si ce bénéfice n’avait pas suffi
à solder les frais du ménage, le mari ne devrait rien,
malgré que dans l’un et l’autre cas, ces frais eussent été
pris sur le capital. Or, si M. Molinier ne va pas jusque
là, c’est que le système qu’il préconise n’est ni logique
ni juste, qu’il est par conséquent inadmissible.
En dernière analyse, toutes les fois que le mari per
çoit les produits du commerce de la femme, ou a droit
de les percevoir, il est tenu des dettes. C’est une chance
aléatoire qu’il n’a pu ignorer et qu’il a volontairement
acceptée en consentant à ce que sa femme exerçât le
commerce. Il ne saurait donc en récuser les effets.
�ART. 4 RT 5.
225
134. — MM. Duranton et Delvincourt enseignent
qu’il doit en être de même lorsque, aux termes de l’ar
ticle 1525 du Code civil, les époux ont stipulé que la
totalité de la communauté appartiendra au survivant.
D’abord, il n’est pas certain si la femme survivra ou non,
et, dans le cas où elle prédécèderait, le mari, recueil
lant la totalité de la communauté, devrait à fortiori
être tenu des dettes de sa femme marchande publique.
De plus, cette clause n’empêche pas la femme de re
noncer à la communauté, et le mari n’est pas moins au
torisé à disposer de l’actif tant que dure le mariage.1
!3£». — Quant au régime dotal, il faut distinguer.
Si la femme est mariée sous constitution particulière,
elle conserve l’administration et la jouissance de tout
ce qui n’est pas dotal. Elle profite des gains commer
ciaux qu’elle réalise. Elle sera donc, par réciprocité, te
nue exclusivement des dettes qu’elle a contractées.
fl en serait autrement si la constitution dotale était
accompagnée d’une communanté d’acquêts ou si elle
comprenait généralement tous les biens présents et à
venir.
Dans le premier cas, le mari participe aux gains
commerciaux à l’aide desquels pourront se réaliser les
acquêts tombant dans la communauté. II doit donc être
également tenu des dettes.
Dans le second cas, le mari profite de ces gains, m êi Conf., Touiller, t. xn, n° 286
�226
DES COMMERÇANTS
me d’une manière exclusive , puisque la femme ne
pourra jamais obtenir que la restitution delà dot, telle
qu’elle a été constituée, puisque l’administration et les
revenus des biens personnels de la femme lui appar
tiennent. On peut, dans cette hypothèse, dire avec
M. Nouguier que la femme est censée faire, pour l’in
térêt du mari, le commerce dont les produits n’aug
mentent pas ses reprises.1 Il n’y a donc qu’exacte et ri
goureuse justice à lui en faire supporter les dettes.
En dernière analyse, le mari est tenu toutes les fois
qu administrateur des biens de la femme, il jouit des
revenus. Il serait immoral qu’ayant puisé dans le com
merce de la femme les moyens d ’accroître sa fortune,
il pût être affranchi de toute participation aux dettes,
lorsque les créanciers, dépouillés de toutes ressources,
se trouveraient en présence d’une insolvabilité dont il
se serait rendu lui-même l’auteur principal.
136. — Nous avons déjà rappelé que sous l’empire
du droit ancien, le mari, tenu des engagements de sa
femme, était contraignable par corps. En est-il de mê
me depuis notre nouvelle législation ? •
M. Delvincourt soutient l’affirmative, il l’appuie d’a
bord sur les anciens principes enseignés par Pothier,
Valin et Bornier, consacrés par la jurisprudence du par
lement de Paris. Il ajoute ensuite : le mari est réputé
l’associé de sa femme, et, dans les sociétés de comi T. i, pag. 265; — conf. Vazeilles, t. ii, n° 360.
�ART.
4 r;T 5.
227
merce, 1 associé est tenu par corps des engagements
contractes par 1 associe qui a droit de signer pour la
société. Cette opinion est également enseignée par
M. Fournel.1
L’opinion contraire, soutenue par un grand nombre
d’auteurs, nous paraît préférable et faire une plus juste
application des principes de la matière. En effet, les
articles 220 du Code civil et 5 du Code de commerce
déclarent une seule chose, à savoir que la femme mar
chande publique oblige son mari, s’il y a communauté
entre eux. Nous avons vu quel était le fondement légal
de ces dispositions. On n’a pas voulu permettre au mari
de profiter des dépouilles des créanciers.
Ainsi il y a, aux yeux de la loi, si peu société entre
la femme et le mari, que celui-ci n’est obligé que dans
une hypothèse prévue, qu'il ne le sera même pas dans
telle autre. Dans tous les cas, ses biens pourront être
engagés, sa personne jamais. On ne comprendrait pas
que la loi, qui a cru devoir s’expliquer sur les uns, eût
gardé le silence à l’égard de l’autre.
Ce silence est surtout décisif en l’état de la législation
civile, prohibant d’appliquer la contrainte toutes les
fois qu’elle n’est pas autorisée par une loi formelle. Il
est vrai que cette exécution rigoureuse est de droit
commun en matière de commerce. Mais , pourrait-on
soutenir qu’en consentant à ce que-la femme exerce le
commerce, le mari a fait un acte commercial ? Ce conl Ve la contrainte par corps, pag.
�228
DES COMMERÇANTS
sentement ne peut constituer qu’un mode de disposition
de l’autorité maritale, il n’est donc, en réalité, qn’un
acte essentiellement civil.
Comment d’ailleurs cet acte, commercial dans le cas
d’une communauté entre époux, perdra-t-il tout effet
à l’égard du mari, dans le cas où la femme sera séparée
de biens ou soumise à une dotalité particulière. N’est-il
pas singulier de faire résulter la société commerciale,
non pas de la nature et du caractère de l’acte en luimême , mais du régime matrimonial des prétendus
associés ?
L’admission d’une société commerciale entre la fem
me marchande publique et son mari blesse donc la vé
rité des choses. Elle n’irait, dans certains cas, à rien
moins qu’à violer la légalité elle-même. Il est des pro
fessions et des fonctions que la loi déclare incompatibles
avec l’exercice du commerce. Mais cette incompatibilité
se restreint à la personne même de celui qui remplit
ces fonctions ou qui exploite ces professions. Aucune
loi ne défend . à la femme de l’un ou de l’autre de devenir marchande publique.
Or, celui qui ne peut faire le commerce est également
incapable de contracter une société commerciale. Les
inconvénients que la loi a voulu éviter par l’incompa
tibilité, notamment la contrainte par corps, se réalisent
à l’endroit de l’associé comme du commerçant. Donc,
reconnaître au mari la qualité d'associé de sa femme,
c’est éventuellement lui permettre ce que la loi lui pro
hibe expressément de faire.
j
�4
ART.
ET
5.
229
Ainsi, le mari resté étranger au commerce, et qui
s’est borné à consentir expressément ou tacitement à
ce que sa femme s’y livre, n’est pas l’associé de celle-ci.
Il en est la caution solidaire, quant aux biens seule
ment. Cet état de choses n’est pas spécial aux matières
commerciales. En droit civil, les engagements de la
femme commune , contractés avec l’autorisation du
mari, engagent celui-ci.1 Or, l’autorisation générale de
faire le commerce vaut pour la femme autorisation
formelle pour tous les actes se rattachant à son exer
cice. L’article 5 du Code de commerce n’a donc pas
introduit un droit nouveau, il n’a fait que rappeler le
principe posé par l’article 220 du Code civil, qui
n’est lui-même qu’une conséquence des règles géné
rales régissant la communauté. Le caractère du cau
tionnement du mari ainsi établi, il est évident qu’on
ne saurait le déclarer contraignable par corps sans mé
connaître les véritables principes de notre législation
civile et commerciale.2
C’est dans ce sens que la Cour de Lyon s’est pro
noncée par arrêt du 26 juin 1822.
157. — La femme marchande publique n’est nul
lement engagée par les faits de son mari, même dans
le cas où celui-ci, percevant tous les bénéfices du
'
t,
i î 'p -
1 Toullier, t. xn, n» 283 ; — C. civ., art. 1419, 1426.
2 Malleville, t. î, pag. 231 ; _ Toullier, t. n , n» 639 et xn, n° 245;
— Locré, t. m , pag. 539 ; — Vazeilles, t. i i , pag. 10S ; — Sébire et
Carteret, n° 306.
�230
DES COMMERÇANTS
commerce, devrait en supporter toutes les dettes. Ainsi
les obligations contractées par le mari, les achats opé
rés par lui de marchandises identiques à celles dont
s’occupe la femme seraient sans nul effet à son en
contre.
Mais cette règle reçoit exception : 1° si le mari avait
agi comme mandataire de la femme, et en vertu d’une
procuration expresse ou tacite. L’existence de cette
dernière pourrait résulter de la conduite habituelle des
époux et de l’usage où ils seraient d’en agir ainsi ; de
ce que, notamment, la femme aurait toujours reconnu
et payé les engagements souscrits par son mari ; 2° si
la femme avait réellement reçu dans ses magasins la
marchandise achetée par le mari. L’offre de prouver
l’un ou l’autre, même par témoins, ne saurait être re
fusée au tiers qui en alléguerait l’existence.
Mais en dehors de ces exceptions, les dettes contrac
tées par le mari restent étrangères à la femme. Les
créanciers qui peuvent incontestablement, pour arriver
à leur paiement, saisir les biens de la communauté, ne
pourraient porter leurs exécutions sur les marchandises
du commerce de la femme. Le prix de celles-ci serait,
dans tous les cas, dévolu par privilège à ses créanciers
commerciaux.
138.
— Une observation commune à la femme et
au mineur, c’est que l’un et l’autre sont recevables à
exciper personnellement de l’absence, ou de l’irrégula
rité de l’autorisation en vertu de laquelle ils ont fait le
�ART. £ Et 5.
231
commerce. Les prescriptions de la loi à cet égard étant
d’ordre public, leur violation ne saurait créer un lien
quelconque contre le violateur lui-même. Ce droit
passe à leurs héritiers. Il peut, de leur vivant, être
exercé par les père ou mère du mineur ou par son tu
teur; par le mari, surtout dans l’hypothèse où il est
tenu des dettes. La rétractation de la faculté de faire
le commerce, qui serait la conséquence de l’action des
uns ou des autres, devrait être publiée dans les formes
que nous venons d’indiquer.
139.
— L'autorisation régulière, suivie de l’exer
cice effectif du commerce, suffit pour que le mineur
soit constitué commerçant et réputé majeur à l’endroit
des engagements souscrits pour son commerce. Il n’en
est pas de même pour la femme mariée à un commer
çant. Vainement prouverait-on contre elle qu’elle a fait
un grand nombre d’actes de commerce ; vainement exciperait-on de la connaissance qu’en a eue le mari et
de l’absence de toute opposition de sa part. Elle ne se
rait et ne pourrait être marchande publique que si le
commerce exploité par elle était distinct et séparé de
celui exercé par son mari.
Cette condition a été de tout temps exigée. C’est
ainsi notamment que l’article 235 de la Coutume de
Paris déclarait que la femme ne devait pas être réputée
marchande publique si elle se bornait à débiter les mar
chandises dont se mêlait son mari. Elle n’était considé
rée comme telle que lorsqu’elle faisait marchandise sé
parée et autre que celle de son mari.
�232
DES COMMERÇANTS
Cette, manière uniforme d’envisager la position de la
femme ne peut surprendre personne. Les effets, que
l’exercice du commerce produit sur sa personne et sur
% ses biens, sont de telle nature, qu’il ne convenait de les
consacrer que lorsqu’aucun doute ne pouvait s’élever
sur la certitude et la spontanité de sa volonté de s’y
exposer.
Comment admettre l’une et l’autre, lorsque la femme
se borne à aider son mari à exploiter le commerce à la
tête duquel celui-ci se trouve placé? Ce concours n’est
que l’effet de la position de la femme, de l’obligation
où elle se trouve de participer à toutes les mesures
tendant à accroître le bien-être et la prospérité du
ménage. Il n’est donc pour la femme que l’accomplis
sement d’un devoir auquel elle n’était pas libre de se
soustraire. On ne pouvait dès lors en faire résulter un
engagement sérieux pour sa personne et l'aliénation de
ses biens, avec d’autant plus de raison que le mari in
téressé à cette aliénation, dont il profitera, pourrait ne
poursuivre d’autre but dans la participation qu’il saura
bien obtenir de sa femme, ce qui rendrait cette parti
cipation une véritable fraude contre elle ou contre ses
héritiers.
Il importait donc de protéger la femme contre un
pareil danger. Le seul moyen de le faire d’une ma
nière énergique était d’imiter le législateur ancien et
de s’approprier le principe qu’il avait consacré. C’est ce
que font, en effet, les articles 220 du Code civil et 5
du Code de commerce.
�ART.
4
ET
5.
233
140.
— La femme n’est donc marchande publique
que si elle fait un commerce distinct et séparé de celui de
son mari. Mais ces expressions de notre Code ne doi
vent pas recevoir aujourd’hui l’acception et le sens de
celles de la Coutume de Paris : marchandise séparée et
autre que celle du mari. La femme peut exercer le
même commerce que son mari, pourvu qu’elle le fît sé
parément et d’une manière distincte ; par exemple, si
elle avait agi en son propre nom et non en celui de son
mari ou comme sa mandataire; si celui-ci ne pouvait
diriger ses actes, ni les modifier suivant son intérêt
personnel; si la raison sociale du commerce respectif
des époux n’était pas la même ; enfin, si la femme avait
pris une patente particulière, indépendamment de celle
prise par le mari, elle serait et devrait ê tre , dans ce
cas, réputée marchande publique.1 Mais l’absence de
ces caractères placerait la femme, traitant les mêmes
affaires que son mari, sous l’empire de la règle rap
pelée par l’article 5, alors même qu’elle agirait dans
un magasin distinct de celui du mari.
441. — Cette règle est absolue et s’appliquerait à
la femme qui se serait mariée après avoir, pendant plus
ou moins longtemps, exercé le commerce. Ainsi, si les
époux, adoptant le régime de la communauté, n’avaient
rien stipulé pour la continuation du commerce jusque
là propre à la femme, elle cesserait de plein droit d’être
1Nouguier, t. i, pag. 263; — Pardessus, n» 65; — Sebire et Carteret, n» 302,
�234
'
DES COMMERÇANTS
commerçante, parce qu’elle serait présumée avoir ap
porté dans la communauté son industrie, qui devien
drait celle de son mari.1
Quel que fût le régime adopté, si la femme avait
épousé un commerçant exerçant le même genre d’in
dustrie, ou si le mari, depuis le mariage, prenait le
commerce sous son nom et l’exploitait dans son inté
rêt, la femme ne serait plus marchande publique. L’ex
ploitation qu’elle continuerait d’en faire serait de plein
droit considérée comme' réalisée pour le compte ex
clusif de l’époux.
1 4 2 . — Mais cet état de choses peut être modifié
d’abord par le contrat de mariage. Les conjoints sont
libres de stipuler que la femme continuera son com
merce. Dans ce cas, la femme ne cesse pas d’être mar
chande publique, saufle droit de révoquer son autori
sation, que nous avons vu ci-dessus appartenir au mari.
Il peut ensuite être modifié par le fait du mari. Le
non-commerçant épousant une marchande publique et
qui, sans s’immiscer lui-même dans le commerce, laisse
sa femme continuer celui qu’elle exerçait avant le ma
riage, est censé consentir à ce que sa femme demeure
marchande publique. On ne saurait donc lui refuser
cette qualité. Le même effet serait de plein droit acquis
si le m ari, ayant une profession ou remplissant des
fonctions incompatibles avec le commerce, laissait le
i Pardessus; — Nouguier, loc. cil ; — Toullier, t. x n , n° 243.
�ART.
4
235
ET 5 .
commerce de sa femme se continuer depuis le mariage.
Dans l’un comme dans l’autre cas, il importerait peu
que les époux se fussent ou non expliqués dans leur
contrat. Le mari n’exerçant pas, ou ne pouvant exer
cer le commerce, la femme ne pourrait être placée
dans la catégorie de celles dont parle l’article 5 du Code
de commerce.
Hors ces cas, et toutes les fois que le mari est com
merçant, la femme qui ne s’occupe que du commerce
fait par lui n’acquiert pas la qualité de marchande pu
blique.
143. — Ainsi la femme qui ne ferait qu’exploiter
un fonds de commerce concurremment avec son mari
n’est pas réputée légalement commerçante, et ne peut
conséquemment être déclarée en état de faillite1 alors
même, dit un arrêt de la cour de Paris du 7 février
1835, qu’elle figurerait au bilan qu’elle aurait signé
conjointement avec son mari.
Il en serait de même de la femme qui aurait habi
tuellement fait le commerce, mais sous le nom et en
vertu de la patente de son mari.2
Toutefois, l’existence de la patente sous le nom du
mari n’est qu’une présomption qui n’a rien de décisif,
et qui n’empêcherait pas que la femme fût déclarée
marchande publique, si d’une part le mari avait notoi1 Paris, 19 oct. 4843, J. d u P .,
2 Bruxelles, 4 fév, 4 809.
«
t. xi, 1843,
pag. 697.
�236
DES COMMERÇANTS
rement une industrie ou une profession étrangère au
commerce; si, d’autre part, il était acquis que ce com
merce était exercé par la femme exclusivement.
C’est ce que la cour de Caen jugeait le 8 décembre
1829. Une dame Clément ayant emprunté 1,200 fr. du
sieur Morel, lui avait souscrit un billet en son nom pro
pre et personnel. Ce billet n’ayant pas été payé à l’é
chéance, Morel actionne les époux Clément et demande
qu’ils soient condamnés solidairement.
La dame Clément soutient alors que n’ayant fait qu§
détailler les marchandises de son mari, elle n’a jamais
été marchande publique. Comme preuve que le com
merce est personnel à son mari, elle excipe de la cor
respondance, produit des factures au nom de celui-ci,
et enfin elle se prévaut de la patente qui lui est égale
ment personnelle.
Condamnées par le tribunal de commerce, ces pré
tentions sont renouvelées devant la cour. Mais par arrêt
du 8 décembre 1829, le jugement est confirmé. Voici
sur quelles circonstances de fait s’étaye et se légitime
cette confirmation :
« Considérant qu’aux termes de l’article 220 du Code
k civil, la femme est réputée marchande publique
« quand elle fait un commerce séparé ; qu’encore,
« bien que la paleute, prise pour le commerce de la
« maison, ait été prise sous le nom de Clément, que
« plusieurs factures et pièces de correspondance aient
«. été indiquées comme ayant eu lieu sous le nom de
« Clément, que dans d’autres circonstances Clément
�ART. 4 ET 5.
237
« ait été qualifié de marchand, il est de fait suffisam« ment établi dans les plaidoiries que Clément ne s’oc« cupait nullement de commerce, et qu'il a été souo tenu, au contraire, qu’il n’était personnellement con« sidéré que comme agent d’affaires ;
« Considérant, en effet, que le commerce se faisait
« par la dame Clément seule ; qu’il n’y avait qu’elle
« qui allait dans les foires vendre et débiter les m ar« chandises, de sorte que l’on ne peut pas dire qu’elle
« ne faisait que détailler les marchandises du com« merce de son m ari, puisque tout le commerce se
« faisait par elle et pas du tout par le mari ; que cela
« demeure de la plus grande évidence par l’enseigne
« même mise sur la boutique, enseigne qui n’indique
« que la femme Clément et nullement son m ari, évi« dence qui est plus particulièrement encore démon« trée dans la cause par ce billet même de 1,200 fr.
« dont il s’agit, lequel n’est souscrit que de la femme
« Clément, et dans lequel il n’est désigné d’autre em« ploi que celui de son commerce; qu’à ces faits, il
« faut joindre les observations demeurées constantes
« dans les plaidoiries et dont s’était servie la dame Clé« ment pour engager le baron de Morel à lui prêter
« l’argent qu’elle lui demandait et qui consistaient à
« faire remarquer qu’il y avait sûreté pour lni, quoi« que l’argent fût destiné à être employé dans son
« commerce, ce commerce étant autorisé par son ma« ri, celui-ci se trouvait engagé comme elle ; qu’enfin,
« après avoir fait valoir de tels motifs de sécurité, la
�238
DES COMMERÇANTS
« femme Clément se contredit elle-même en ne vou« lant pas être aujourd’hui regardée comme ayant fait
« un commerce séparé. »
Ce qui frappe dans cette espèce, ce qui était vérita
blement décisif, c’est l’enseigne portant le nom de la
femme. Après une pareille manifestatÎŒ publique, la
prétention de n’être pas personnellemeaPcommerçante
était une témérité qui ne pouvait faire illusion à la
justice.
La femme Clément néanmoins ne se tint pas pour
battue et dénonça l’arrêt de la cour de Caen à la cour
suprême comme violant les articles 217, 220 du Code
civil et les articles 4 et 5 du Code de commerce.
Mais par arrêt du 27 mars 1832, le pourvoi était
rejeté. La cour de cassation considère « qu’en décla« rant que la dame Clément ne pouvait pas être con« sidérée comme n’ayant fait que détailler les marchan« dises du commerce de son mari, et quelle devait au
« contraire être considérée comme ayant fait un com« merce séparé, et, à ce titre, être réputée marchande
« publique, l’arrêt attaqué n’avait fait que se livrer à
« une appréciation d’actes et de faits qui était dans ses
« attributions et ne pouvait donner ouverture à cas
te sation. »
La dame Clément soutenait à l’appui de son pourvoi
qu’elle n’avait jamais été autorisée par son mari. Mais
la cour déclare de nouveau « que l’article 4 du Code
« de commerce n'exige pas une autorisation du mari,
« mais un simple consentement; et que ce consente-
�A RT.
4 ET 5.
239
« ment peut s’induire de ce que la femme fait un com« merce public au su de son mari et sans opposition de
« sa part.1 »
A plus forte raison, la femme qui s’est engagée pour
son commerce doit-elle être déclarée marchande pu
blique si, outre qu’elle gère le commerce, on peut con
sidérer les fonctions remplies par son mari comme in
compatibles avec ce commerce. Quelle apparence par
exemple que la femme d’un huissier tenant un magasin
de modiste, ne fasse que détailler les marchandises du
commerce de son mari ?
C’est cependant ce qu’on soutenait devant la cour de
Rennes. « Une dame Thierrée, marchande de modes,
« avait emprunté 1,500 fr. au sieur Robichon, lui avait
« souscrit un billet à ordre en son nom personnel et
« causé pour mon commerce.
« Sur la poursuite du créancier, le tribunal de com« merce de Nantes condamne la dame Thierrée et par
o corps au paiement du billet et ordonne l’exécution
« provisoire du jugement nonobstant appel et sans
« caution.
« Après divers incidents sur l’exécution provisoire,
« les époux Thierrée émettent appel et, pour la pre« mière fois devant la cour, soutiennent que la femme
« n’a fait qne détailler les marchandises du commerce
« de son mari.
« Cette prétention rencontre l’accueil qu’elle méri1D a llo z ,
R é p . g è n ., v ° c om m erç a nt, a r t. 4 , S 2 ,
n°
4 86.
�240
DES COMMERÇANTS
« tait. Elle est repoussée par arrêt du 26 novembre
« 1834.
« Considérant, dit la cour, que dans le billet qui fait
« l’objet de la contestation, la femme Thierrée recon« naît être marchande publique , puisqu’elle déclare
« que le prêt a eu lieu pour son commerce, et que
u cette déclaration a été ratifiée par le mari, qui, à di
te verses époques, a reconnu la validité du billet ; con
tt sidérant, d’ailleurs, qu’il est peu présumable que le
« sieur Thierrée, huissier au tribunal de Nantes, soit
« lui-même marchand modiste; qu’il n’a pas osé prê
te senter devant le tribunal de son domicile le moyen
« qu’il invoque aujourd’hui, et que, jusqu’à l’appel, il
« a fait porter lui-même sur sa femme la qualité de
« marchande publique en se faisant exempter de toute
« condamnation personnelle.1 »
Il y eut bien pourvoi en cassation contre cet arrêt,
mais ce pourvoi était uniquement fondé sur un tout au
tre grief que celui tiré de l’attribution à la femme de la
qualité de marchande publique.3 On passait donc con
damnation sur ce point. Quel succès pouvait-on espérer
en ne le faisant pas ?
En définitive, la question de Savoir si la femme a
exercé un commerce séparé, ou seulement détaillé les
marchandises du commerce de son mari, peut offrir
quelques difficultés. Mais aux tribunaux appartient le
1 J. du P. à sa date.
2 V. cass., 2 février 1836
�ART.
4 Et 5.
241
droit de les trancher souverainement. Les principaux
éléments qui se recommandent à leur appréciation sont
l’enseigne, les circulaires, les annonces publiquement
distribuées et répandues, les énonciations des livres et
de la correspondance, la désignation de la patente, la
nature même du commerce, et le plus ou moins d’in
térêt que le mari peut y avoir, la profession de celui-ci
ou les fonctions qu’il remplit.
1 4 4 . — Quels seraient, dans les diverses hypothè
ses où la femme ne fait que détailler les marchandises
du commerce de son mari, les effets des engagements
que la femme aurait pu souscrire?
Par rapport à elle, il ne saurait y avoir doute. La
femme gérant le commerce de son mari, avec son con
sentement, ne s’oblige personnellement, ni civilement,
ni commercialement, à l’exécution des obligations qu’elle
a pu contracter en cette qualité.1
145. — Relativement au mari, la doctrine est una
nime. Delvincourt, Toullier, Vazeilles, Duranton, Orillard, Pardessus, Nouguier, Yincens et Favard de Langlade enseignent tous que lorsque la femme est dans
l'usage de signer les factures et les billets, de faire, en
un mot, toutes les opérations commerciales, les obliga
tions qu’elle contracte ne sont pas nulles pour défaut
d’autorisation, elles engagent le mari propter bonam
1 D u ra n to n ,
t. i i , n» 4 84 ; —
Sé b ire et C a rte re t, n ° 3 4 6 .
46
�242
DES COMMERÇANTS
fidem. La femme est considérée comme son facteur ;
elle est quasi ejus institrix.
La difficulté, en pareille matière, ne peut être sé
rieuse lorsque la femme agit en vertu du consentement
formel et non contesté du mari ; le besoin d’autorisa
tion pour la femme n’existe que lorsqu’elle traite in rem
suant. Celle qui ne fait que remplir un mandat qu’elle
a reçu, ne contractant que pour un tiers, ne serait dans
la nécessité de la requérir que si elle se soumettait à une
obligation personnelle, et c’est ce qui ne se réalise ja
mais, tant qu’elle n’agit que dans les limites de son
mandat.
Conséquemment, elle oblige valablement son man
dant, lequel n’aurait nul besoin de l’autorisation mari
tale s’il traitait lui-même; et c’est ce qu’il est censé
faire : Qui mandat ipse feeisse videtur. Si le mandant
est le mari lui-même, il ne saurait se soustraire à cette
application du droit commun.
146.
— En pareille matière, donc, ce qui pourra
devenir l’objet de contestations , c’est l’existence du
consentement du mari, la détermination de la forme
dans laquelle il doit être donné. Or, à cet égard, la
position et la qualité des parties dictent la solution à la
quelle il convient de s’arrêter. Si la femme doit être
considérée comme le facteur, le préposé du mari, il en
résultera qu’en la laissant agir publiquement en cette
qualité, qu’en approuvant et exécutant ses actes dans
de nombreuses circonstances, ce dernier s’est formelle
ment engagé à les exécuter toujours.
�A RT.
4
ET
5.
243
Il en est donc, dans cette occurence, comme lors
qu’il s’agit de rechercher si le mari a ou non autorisé
sa femme à exercer le commerce. Son consentement
n’a pas besoin d’être exprès ou écrit. Il suffirait qu’il
résultât tacitement d’un ensemble de faits certains et
établis. C’est dans ce sens que s’est prononcée la juris
prudence dans de nombreuses circonstances.
147.
— Ainsi, il a été jugé qu’un tribunal de com
merce est compétent pour connaître de l’action en
paiement d’un billet à ordre souscrit par la femme qui,
du consentement de son mari, gérait seule les affaires
du commerce de celifl-ci. Dans ce cas, le billet oblige
le mari lorsque, de son aveu, il lui laissait la gestion
du commerce qu’elle faisait en son nom, lors, surtout,
que le montant du billet se trouve énoncé dans un in
ventaire fait par les époux après leur séparation de ,
corps j1
Que la femme qui gère habituellement et même ex
clusivement le commerce et les affaires de son mari
(qui ne sait ni lire ni signer) oblige celui-ci, par sa si
gnature, au paiement des billets de commerce sous
crits ou endossés par elle au nom et pour compte de
son mari f
Que la femme, dans ces hypothèses, doit être décla
rée agir, non comme marchande publique de son chef,
1 D o u a i, 2 déc. 1 8 1 3 .
2 Angers, 24fév. 1819.
�24*
DES COMMERÇANTS
mais comme mandataire du mari, et le mandat, non
pas tacite, mais formel, peut résulter des aveux et faits
du mari lui-même, notamment de ce qu’il a toujours et
indistinctement ratifié et exécuté les engagements com
merciaux contractés par la femme ;*
Que le commerçant est même tenu par corps des
obligations commerciales contractées par sa femme, lors
qu’il est notoire que celle-ci fait en tout ou en partie le
commerce de son m ari, et que les engagements par
elle souscrits ont toujours été exécutés ;s
Que la femme qui est dans l’habitude de gérer et ad
ministrer le commerce de son mari peut, sans son au
torisation par écrit, vendre en gros les marchandises
de ce commerce ; et bien qu’elle ne s’oblige pas per
sonnellement en contractant ainsi, elle oblige son mari,
dont elle est censée mandataire.3
Ainsi la jurisprudence consacre ce que la doctrine
enseigne, à savoir : que le mari, laissant la direction de
son commerce à sa femme, est tenu des actes de celleci. Son consentement n’a pas même besoin d’être écrit.
Il est suffisamment acquis lorsque les faits et circons
tances, les antécédents, la notoriété publique prouvent
que tel a toujours été l’usage pratiqué par les époux. En
d’autres termes, les mêmes faits faisant induire, de la
part du mari, l’autorisation à ce que la femme exerce
i Cass,, 85 janv. 1821.
s Rennes, 17 m ars 1823; — Cass., 23 avril 1821 et 2 avril 1822.
3 Poitiers, 14 mai 1823.
�a r t.
4
et
5.
245
le commerce, établissent également le mandat de gérer
son propre commerce. C’est ce que la cour de cassation
enseigne d’une manière énergique, dans un arrêt du
1er mars 1826. Dam tous les cas, la tolérance du mari
équivaut à une autorisation expresse.
|4 8 . — On indique, comme ayant décidé le con
traire, un arrêt de la cour de Bruxelles du 27 février
1809. Mais on peut facilement se convaincre que cet
arrêt n’a nullement l’acception qu’on lui donne.
Dans l’espèce, on ne contestait pas seulement l’en
gagement pris par la femme sous le rapport du défaut
d’autorisation. Ce moyen, le mari ne le faisait valoir
que parce qu’il soutenait que cet engagement n’avait
aucun rapport avec le commerce dont sa femme avait
la direction. Il fallait donc juger d’abord la question de
savoir si réellement ou non la lettre de change, dont on
demandait le paiement au mari, avait été créée pour
son commerce.
La cour de Bruxelles décidant la négative, et consé
quemment que l’acte de la femme est nul pour défaut
d’autorisation, ne tranche nullement la question de
savoir si la tolérance du mari équivaut ou non à l’auto
risation. Il résulte même de son arrêt que, si cet acte
avait concerné le commerce du mari, celui-ci eût été
condamné à en supporter les effets.
Attendu, dit en effet la cour, que quand on pourrait
supposer que Claire Stroef fait plus que détailler les
marchandises du commerce de briques et de chaux, et
�246
DKS COMMERÇANTS
en induire quelle a été, au moins tacitement, préposée
à ce commerce par son mari, elle n’aurait pu obliger
celui-ci, en souscrivant des lettres de change, à moins
qu’elle n’y eût été spécialement autorisée, ou que les
lettres de change n'eussent été créées concernant le
négoce de briques et de chaux, ce que l’intimé n’a ni
prouvé, ni offert de prouver.
La cour de Bruxelles reconnaît donc que si les lettres
de change eussent concerné le commerce du mari, son
autorisation spéciale n’eût pas été nécessaire ; qu’il en eût
été tenu par cela seul qu’il avait préposé sa femme à la
gestion de ce commerce. Dès lors, loin de contredire
la doctrine des précédents arrêts, celui qu’elle a rendu
la confirme implicitement. La solution qu’il consacre ne
saurait d’ailleurs être querellée, puisqu’elle n’est que
la conséquence forcée de faits dont l’appréciation sou
veraine appartenait à la cour.
149.
— En effet, les difficultés pouvant s’élever
sur la matière offriront constamment à résoudre d’a
bord si le mari a expressément ou tacitement consenti à
ce que sa femme gérât et administrât son commerce ;
ce point acquis, reste à savoir si l’engagement dont on
poursuit l’exécution contre le mari a été pris dans
l’exercice ou à l’occasion de cette gestion, et dans l’in
térêt de son commerce. Ce serait, en effet, une bien
étrange condition qu’on ferait au mari si, par cela seul
qu’il aurait laissé gérer sa femme, on mettait à sa
charge toutes les obligations qu’il aurait plu à celle-ci
de souscrire, quels qu’en fussent l’objet et la cause.
�ART,
4
RT
5.
247
Dans l’appréciation à laquelle donne lieu la recher
che du consentement du mari et de la spécialité de l’en
gagement qu’on veut lui faire payer, le droit des ma
gistrats est illimité et absolu. En cas de dénégation de
la part du mari, n’oublions que c’est au créancier pour
suivant à fournir la preuve de l’un ou de l’autre, car
ce n’est que par cette preuve qu’il pourra établir la lé
gitimité de son titre.
En conséquence, le tribunal investi, qui, en l’état
de cette dénégation et faute de preuve contraire de la
part du créancier, décharge le mari de la poursuite, ne
fait que remplir le devoir que sa conscience lui dicte.
Il ne méconnaît ni ue viole la règle, il déclare seule
ment que le créancier n’est pas en position d’en reven
diquer le bénéfice. Or, c’est précisément ce que faisait
la cour de Bruxelles dans l’arrêt que nous venons de
rapporter. Comme arrêt d’espèce, le caractère juridi
que de cette décision ne saurait être méconnu.
1 50.
—t- En résumé donc, le principe est certain.
La femme autorisée à gérer le commerce de son mari
est, quant à ce commerce, le mari lui-même. Toutes
les obligations s’y référant sont comme si elles étaient
souscrites par lui et n’engagent que lui.
Le consentement du mari ne doit pas être nécessai
rement exprès ou écrit; il est acquis toutes les fois que
la gestion, se réalisant sous les yeux du mari, n’excite
de sa part aucune réclamation, ne soulève aucune op
position. Sa tolérance lui fait appliquer justement cette
�248
DES COMMERÇANTS
règle de droit : Qui prohibere potest et non prohtbet,
consentire videtur.
151.
— La femme, dans cette hypothèse, ayant le
droit d’engager son mari sans autorisation spéciale,
n’a pas ce droit en ce qui la concerne personnellement.
Ainsi l’obligation qu’elle souscrirait, tant en son nom
que comme gérant le commerce de son mari, serait
nulle à son endroit, si elle n’avait été spécialement au
torisée à agir ainsi.
Sans doute il n’est pas défendu à la femme de cau
tionner son mari, mais elle ne peut le faire valablement
qu’en rapportant dans chaque acte de cette nature une
autorisation spéciale et particulière. La femme mar
chande publique est seule dispensée de celte formalité
au bénéfice de l’autorisation générale qui lui a été ac
cordée de faire le commerce. Or, celle qui ne fait que
gérer le commerce de son mari n’a pas la qualité de
marchande publique. Donc, pour tout ce qui la con
cerne personnellement, elle retombe sous l’empire de
la disposition de l’article 217 du Code civil.
Elle ne peut donc, même quand l’acte serait com
mercial, valablement contracter qu’avec l’autorisation
de son mari, réalisée par son concours à l’acte ou par
un écrit séparé. L’autorisation devant être expresse, il
a été décidé que l’aval apposé par une femme sur une
lettre de change souscrite par le mari est nul, si la
femme n’a pas été régulièrement autorisée par son mari
ou par la justice.1
ï Riom, 2 février 1810 ; Limoges, 24 mai 1821.
�ART.
4
ET
5.
249
Le principe de cette nullité se fonde sur ce que l’aval
étant ou pouvant être donné postérieurement à l’obli
gation du mari, rien n’établit le concours de celui-ci
à l’engagement de la femme qu’il a pu ignorer et qu’il
n’a, dans aucun cas, régulièrement autorisé.
152.
— Une question fortement controversée est
celle de savoir si la femme est valablement engagée
lorsque, ayant tiré sans autorisation une lettre de chan
ge sur son mari, celui-ci donne son acceptation et,
réciproquement, lorsque la femme accepte la lettre de
change fournie sur elle par son mari.
Dans le premier cas, M. Duranton pense que la fem
me n’est pas engagée. En supposant, dit-il, que l’ac
ceptation du mari valût l’autorisation, elle ne saurait rétroagir sur le passé, ni valider un acte radicalement nul
dans son origine. Elle ne pourrait, en effet, empêcher
que la femme n’eût pas été autorisée au moment où
elle s’engageait, et c’est surtout à ce moment que l’au
torisation lui était indispensable.1
L’opinion contraire est enseignée par M. Vazeilles
dans les termes suivants : le mandat de la femme ne
doit-il pas être regardé comme un commencement
d’obligation ou bien une obligation imparfaite subor
donnée, pour sa perfection et sa validité, au consente
ment du mari, auquel l’effet est adressé? L’acceptation
de celui ci, qui le rend caution de sa femme, n’opèrei T. n, n° 548
�250
DES COMMERÇANTS
t—elle pas son concours à l’acte et son consentement à
l’obligation principale ? Cependant, si les lettres de
change tirées parla femme n’avaient pour cause qu’une
affaire du mari, le mandat donné sur lui n’étant, pour
le porteur, que l’indication de son débiteur, et une in
vitation à celui-ci de payer sa propre dette, son accep
tation ne devrait pas être considérée comme consente
ment à une obligation que sa femme aurait prise per
sonnellement. Mais, quand l’affaire regarde la femme,
ou plutôt quand il n’est pas constant qu’elle ne con
cerne que le mari, l’acceptation de ce dernier doit em
porter tout à la fois son consentement à l’obligation de
sa femme et sa propre obligation à payer pour elle la
dette qu’elle a reconnue.1
La doctrine de M. Vazeilles tranche, sans la discuter,
l’importante question signalée par M. Duranton, à sa
voir : si l’obligation de la femme, nulle pour avoir été
contractée sans autorisation, peut être validée par un
acte postérieur du mari. Comme nous sommes à cet
égard de l’avis de M. Duranton , comme nous allons
bientôt le dire,2 nous ne pouvons nous associer à l’opi
nion de M. Vazeilles, se prononçant dans un sens dia
métralement opposé.
Au fond, les considérations qu’il invoque ne nous
paraissent ni graves ni décisives. Lorsque la femme
donne un mandat, même à son mari, sans y être auto1 T. h , n° 336.
2 V, infra, n° 184.
i
'•
�ART.
4
ET
5.
251
risée par lui, le mandat est nul et de nulle valeur. Il ne
peut donc avoir pour effet d’imprimer une autorité
quelconque à un engagement vicié lui-même d’une nul
lité semblable. Il n’est pas possible que la femme soit
et ne soit pas obligée, et il répugnerait à la raison de
permettre au mari, ayant d’abord refusé d’accepter, de
le faire plus tard, alors que, guidé par un sentiment
de haine ou par un esprit de collusion avec le porteur,
il voudrait ainsi ou emoirer
le sort de sa femme ou sa4
tisfaire un vil intérêt.
Tout ce qui pourrait d’ailleurs résulter de la doc
trine de M. Yazeilles serait la nécessité d’apprécier dans
chaque espèce la distinction qu’il signale lui-même, et
de substituer ainsi la difficulté et le doute à la règle
claire, nette et précise, tracée par l’article 217.
Ainsi l’a pensé la cour de Paris, car, saisie de la ques
tion, elle s’est prononcée dans le sens de la nullité.
Attendu, porte l’arrêt, que l’acceptation du mari, qui
n’est pas même datée et n’a de rapport qu’à son propre
engagement, ne peut pas être regardée comme un con
cours dans l’acte ou un consentement écrit par lui,
donné à l’obligation contractée par sa femme.1
Ajoutons que la lettre de change n’a rien d’imparfait
par cela seul qu’elle n’est pas acceptée. L’acceptation
n’est pas de l’essence du contrat, elle ne tend qu’à
créer une obligation nouvelle et à l’ajouter à l’obligation
du tireur. Conséquemment, celle fournie par la femme,
i 2 janvier 1815
�282
DES COMMERÇANTS
indiquant un tiré et renfermant toutes les autres for
malités voulues, ne saurait être une promesse d’obli
gation, elle est un engagement définitif qu’elle ne pou
vait valablement souscrire qu’avec l’autorisation de son
mari.
153.
— La seconde hypothèse est plus délicate. En
effet, on peut dire que l’acceptation que fait la femme
d’une lettre de change fournie sur elle par son mari
n’étant que la conséquence de la prière, ou mieux de
l’ordre de celui-ci, est par cela même autorisée. Dans
ce cas, dit M. Duranton, le consentement écrit du mari
ne saurait être révoqué en doute. C’est également sur
ce motif que la cour de Caen s’est prononcée contre la
femme par arrêt du 2 août 181*, validant une accep
tation de ce genre.
Est-ce interpréter sainement l’opération faite par le
mari, que d’en faire résulter l’autorisation pour la fem
me de s’obliger personnellement ? Non, dit la cour de
Paris, attendu qu’une lettre de change est naturelle
ment tirée de place en place, et que, lorsqu’elle est
acceptée, elle contient deux actes distincts et deux
obligations séparées : celle du tireur et celle de l’accep
teur ; attendu que la lettre de change dont s’agit a été
acceptée par la femme seule ; qu’ainsi cette acceptation,
à laquelle le mari n’a point encouru, n’a pu produire
d'obligation personnelle de la femme; attendu que le
mandat de payer, donné par le mari à la femme, né
cessaire pour l’autoriser à prendre dans la caisse de la
�ART.
4
ET
5.
253
communauté, n’emporte pas le consentement à ce qu’elle
s’oblige personnellement ; qu’ainsi, à défaut du con
cours du mari dans l’acte d’acceptation, et de son
consentement à ce que sa femme s’oblige personnelle
ment et sur ses biens, aux termes de l’article 217 du
Code civil, la lemme, par son acceptation, ne s’est
obligée que comme mandataire de son mari.1
Il nous semble que cette réponse est catégorique et
qu’elle détruit d’une manière péremptoire le principa
motif de l’opinion adverse. La manière dont la cour de
Paris interprète l’ordre donné par le mari fournissant
sur sa femme est décisive. En effet, la conclusion qu’en
tirent M. Duranton et la cour de Caen ne serait admis
sible que si l’acceptation était le corollaire forcé de la
création d’une lettre de change. On pourrait dire alors
que le mari, ne pouvant être présumé vouloir laisser
son oeuvre incomplète, a autorisé sa femme à la com
pléter par son acceptation.
Mais, nous/ l’avons d it, cette acceptation n’ajoute
rien à la validité intrinsèque de la lettre de change, et,
dans le plus grand nombre de cas, non-seulement elle
ne se réalisera pas, mais encore elle n’aura jamais dû se
réaliser. L’indication d’un tiré n’est donc souvent que
l’exécution d’une condition exigée impérieusement
pour que le contrat de change existe. Elle n’est en réa
lité qu’un mandat de payer, si le tireur fait provision
avant l’échéance, que l’indication du lieu du paiement
1 10 avril 1810
�254
DES COMMERÇANTS
et delà personne à laquelle devra s’adresser le porteur.
Pourquoi ce qui est vrai pour les tiers ne le serait-il
pas pour la femme? Pourquoi surtout supposer que le
mari a voulu l’engager personnellement ? Qui prouve
que l’indication du nom de la femme n’est pas due à
la facilité que le tireur trouvera à payer chez elle ou
plutôt chez lui? Dans la vérité des choses, ce caution
nement, qu’on veut faire résulter de plein droit de cette
circonstance, n’a été ni promis par le mari ni exigé
par le créancier, peut-être même eût-il été refusé si
celui-ci l’avait demandé, et qu’il ne l’aura acquis qu’aprèscoup, en s’adressant à la femme isolément et sans
en prévenir le mari.
Le système que nous combattons peut donc, dans
un cas donné, aboutir à un résultat contraire à la vé
rité, au grand préjudice de la femme. Pourquoi, dès
lors, au lieu de placer le juge dans cette perplexité, ne
pas s’en tenir à la règle tracée par la loi? Est-il permis,
en matière d’autorisation maritale, de la faire résulter
d’autres faits que de ceux qui n’ont pas d’autre signifi
cation? E t, comme l’acte que nous examinons ne se
place pas dans cette catégorie, on doit le repousser
comme ne la créant pas.
Au reste, quoiqu’il en soit en thèse ordinaire, il est
évident que, dans le cas où la femme gérerait et admi
nistrerait le commerce du mari, l’acceptation qu’elle
ferait d’une traite de celui-ci ne l’obligerait pas per
sonnellement. C’est bien plutôt à sa mandataire qu’à sa
femme que le mari se serait adressé, et c’est la pre-
�AKT.
4
ET
5.
255
mière qui aurait promis de payer, sur les fonds com
merciaux qu’elle a à sa disposition. L’acceptation ne
serait qu’un acte de la gestion qui lui est confiée, et ne
saurait donc l’obliger personnellement.
154.
— La nullité résultant du défaut d’autorisation
est acquise à la femme par cela seul qu’au moment où
elle a contracté, elle n’y était pas autorisée. L’autorisa
tion ultérieure du mari ferait-elle évanouir cette nulli
té? En d’autres termes, le mari peut-il ratifier l’acte et
le rendre obligatoire pour la femme, sans le concours
de celle-ci ?
L’affirmative était soutenue dans l’ancien droit par
Lebrun;1 et Leprêtre2 cite deux arrêts du parlement le
décidant ainsi. Mais ces deux honorables jurisconsultes
constatent que ces deux arrêts ne font pas remonter
l’effet de la ratification du mari au moment de la con
vention. L’acte vaut non pas ex tune, mais ex nunc,
tanquam ex consensu contrahentium, qui adhuc perseverare intelligitur quamdiu non apparet mutatio voluntatis.
L’opinion contraire est enseignée par Lacombe qui,
rappelant l’autorité de Renusson et de Pontanus sur la
Coutume de Blois, pose en principe que la ratification
postérieure du mari ne rend pas l’acte valable. Le motif,
c’est qu’il en est du mari comme du tuteur : Stalim in
Liv. 2, chap. 1, sect. 4, n° 10.
8 Cent. 2, ehap.
\ 6.
�286
DES COMMERÇANTS
ipso negotio prœsens debet fieri. Post tewpus vero, aut
per epistolam interposita ejus auctoritas, nihil agit.1
C’est pour la première de ces opinions que Pothier
se prononce. Il admet la validité de la ratification du
mari seulement pour l’avenir. Ainsi, dit-il, l’acte ne
peut conférer hypothèque que depuis le moment de la
ratification. Si, avant, une des parties était morte, ou
avait perdu l’usage de la raison, ou avait déclaré un
changement de volonté, l’autorisation du mari, qui serait
depuis interposée, ne pourrait plus rétablir l’acte.2
Cette doctrine, même dans ces termes, ne pourrait
être suivie sous notre Code. Elle nous paraît condam
née d’abord par l’article 1128 du Code civil. Le défaut
d’autorisation est une nullité que la femme seule peut
invoquer. Que deviendrait ce droit si, sans son con
sentement et malgré sa volonté, le mari pouvait effacer
cette nullité?
En second lieu, l’article 217 du même Code déclare
la femme absolument incapable de contracter sans le
concours du mari dans l’acte ou son consentement par
écrit. La première condition explique la nature de la
seconde. Le consentement remplaçant le concours doit
être évidem ment, comme celui-ci, contemporain de
l’acte, à défaut, il n’y a aucun lien légal contre la fem
me. Comment donc ce lien pourrait-il plus tard résul
ter du fait unique et exclusif du mari ?
1 Recueil de jurisprudence, v° autorisation,
2 De la puissance du mari, n° 74.
�ART.
4
ET
5.
257
L’autorisation qu’il donnerait et sa ratification ne
pourraient donc produire aucun effet. Tel n'est pas ce
pendant l’avis de MM. Delvincourt et Vazeilles. L’au
torisation du mari, enseignent-ils, n’étant exigée que
propter reverentiam, on ne voit pas pourquoi elle ne
pourrait être ultérieurement accordée, si elle n’a pas
été donnée au moment de l’acte.
Du mari à la femme, on pourrait admettre le senti
ment indiqué. Mais, pour les tiers, l’autorisation est
une nécessité invincible. Traiter avec la femme seule,
c’est faire présumer qu’on a voulu abuser de son inex
périence et de sa faiblesse. Celte présomption ne serait
pas détruite par la ratification du mari, car, inspirée le
plus souvent par l’animosité et la vengeance, elle n’au
rait pour objet que d’imposer à la femme le préjudice
auquel elle se serait trop légèrement exposée.
C’est par ces considérations que la cour suprême a
décidé notre question. Elle a en conséquence cassé un
arrêt de Paris qui avait validé l’acte nul, sur la seule
autorisation donnée plus tard par le mari.1
A rt. 6.
Les mineurs marchands, autorisés comme il
est dit ci-dessus, peuvent engager et hypothé
quer leurs immeubles.
126 juin 4839, J. du P., t, n, 1839, pag. 12.
�258
DES COMMERÇANTS
Ils peuvent même les aliéner, mais en suivant
les formalités prescrites par les articles 457 et
suivants du Code civil.
SOMMAIRE
455. Capacité du mineur commerçant sous l ’ancienne légis
lation.
456. Effets qu'en avait déduit la doctrine.
457. Discussion du Code de commerce, ses résultats.
458. Sous l ’empire du Code, le mineur commerçant peut vala
blement engager et hypothéquer ses immeubles.
459. Position du mineur à l ’endroit de l’article 638 du Code de
commerce.
160. Effets de la présomption par rapport aux engagements
souscrits en la forme commerciale.
464. Arrêt remarquable d e là cour d’Aix signalant une auto
risation frauduleuse. Conséquences que l ’arrêt en dé
duit.
462. L ’autorisation de faire le commerce ne constitue le mi
neur commerçant que si elle est suivie de son exercice
effectif.
463. Réponse à une objection tirée de l ’article 3.
464. Utilité du caractère extérieur de l ’acte, à l ’endroit du tiersporteur de bonne’foi.
465. Lorsque l ’acte est commercial en la forme, l ’obligation de
prouver qu’il n ’est’pas relatif à son commerce incombe
au mineur.
466. C’est au créancier hypothécaire à prouver que l ’acte au
thentique a eu pour cause le commerce du mineur.
4 67. D ’où s’induit cette preuve, suivant Savary.
467bi*. Controverse sur la question de savoir si l’article 638 du
Code de commerce régit les actes du mineur conférant
hypothèque.
�ART. 6 .
259
468. Effets de l’hypothèque régulièrement consentie.
169. Le mineur commerçant a capacité d’ester en jugement, de
compromettre et de transiger sur les contestations com
merciales.
170. Il peut acheter même des objets étrangers à son commerce,
sauf d’être restitué en cas de lésion.
171. Il ne peut cautionner un tiers pour affaires étrangères &
son commerce.
172. Difficultés que cette règle peut faire naître en cas de sous
cription ou d’endossement d ’une lettre de change. So
lution.
173. Sévérité que les tribunaux doivent déployer en pareille
matière.
174. Le mineur peut aliéner ses biens, mais avec les formalités
prescrites par les articles 457 et suivants du Code civil.
175. Examen critique de cette disposition.
176. Conséquences de la violation de cette prescription.
177. Caractère relatif de la nullité.
178. L ’action du mineur peut être exercée par ses créanciers.
A quels litres ceux-ci pourront agir.
179. Le mineur ayant fait plusieurs opérations avec là même
personne ne peut accepter les unes et répudier les
autres.
180. Par combien de temps se prescrit l ’action du m ineur?
Point de départ de la prescription.
181. Effets de la ratification expresse ou tacite faite depuis la
majorité.
155.
— Nous avons déjà dit que sous l’empire du
droit ancien, fixant la majorité civile à l’âge de vingtcinq ans, le mineur pouvait, dans les lieux où il n’exis
tait pas de maîtrise, exercer le commerce à l’âge de
quinze ans. Qu’il en était de même dans les lieux de
�260
DES COMMERÇANTS
maîtrise pour certaines professions non constituées en
état de corporation.
D’autre part, le mineur commerçant était réputé ma
jeur pour tous les actes de son commerce ; ce qui fai
sait dire à Jousse que, pour les mineurs, la majorité
commençait dès l’instant qu’ils faisaient le commerce
pour leur compte particulier.
156.
— La détermination des effets de la capacité
que les mineurs acquéraient de cette manière, ne pou
vait manquer de préoccuper les jurisconsultes. Cette
capacité allait-elle jusqu’à leur permettre d’aliéner ou
d’hypothéquer leurs immeubles?
L’affirmative résultait de l’absence de toute disposi
tion législative prohibant l’un ou l’autre. Puisque le
mineur était purement et simplement réputé majeur,
puisque cette présomption n’avait reçu aucune restric
tion, sur quoi se serait-on fondé pour invalider des dis
positions auxquelles les nécessités de son commerce
l’avaient fait recourir?
Aussi les exigences de la doctrine ne s’étaient guère
portées que sur les caractères que devaient offrir les
aliénations et les hypothèques. Or ce caractère était
dicté par la certitude que la capacité du mineur se
trouvait restreinte à son commerce. Il fallait donc que
les actes par lui consentis se référassent à celui-ci,
pour qu’on pût les valider.
« Il faut, disait Jousse, s’il s’agit d’une aliénation,
distinguer si cette aliénation n’a été faite par le mineur
�ART. 6
.
201
que sur la simple promesse d’en employer le prix dans
son commerce ; ou si la mineur a cédé ou aliéné cet
immeuble pour demeurer quitte du prix de la marchan
dise dont il se mêle, qu’il pourrait devoir à l’acquéreur,
ou qui lui serait vendue par le même contrat. Dans le
premier c as, il paraît que le mineur pourrait se faire
restituer contre la vente, à moins que l’acquéreur ne
prouvât que le mineur en a employé le prix dans son
commerce, conformément à sa promesse. Mai9, dans le
second cas, l’aliénation serait légitime, parce que le
mineur étant réputé majeur pour le fait de son com
merce, c’est une suite qu’il puisse disposer de son bien
pour son négoce.
« A l’égard des hypothèques, il est constant que si
un mineur marchand emprunte une somme par obliga
tion passée devant notaire, le créancier acquiert une
hypothèque sur les biens de ce mineur, parce que
comme un mineur marchand s’engage sans aucune dé
claration d’emploi par un simple billet valeur reçue
comptant ou en marchandises, il peut aussi s’engager
par-devant notaire en déclarant que les deniers qu’il
emprunte sont pour être employés dans son com
merce. 1»
Ainsi le mineur avait, relativement à son commerce,
toute la capacité du majeur. Il pouvait non-seulement
engager et hypothéquer ses immeubles, mai3 encore
i Sur l’art. 6, tit. i de l'ordonnance de 4673 ;
ticien des juges et consuls, pag. 47.
Bornier, ibid, Pra
�262
DES COMMERÇANTS
les vendre tractativement sans aucune formalité de jus
tice. Rien dans la législation ne lui imposait l’obligation
contraire. Aussi n’est-ce qu’à titre de précaution dictée
par la prudence que Jousse conseille de prendre, en
cas d’aliénation, les mesures dont on use ordinairement
avec les mineurs, en faisant autoriser cette aliénation
par le tuteur, ou dans une assemblée de famille.
■<r
>
•'
157.
— Telles étaient la doctrine et la jurisprudence
en présence desquelles se trouvaient les rédacteurs du
Code de commerce. Faisons tout de suite remarquer
que les inconvénients qu’on pouvait reprocher à l’une
et à l’autre se trouvaient singulièrement modifiés par
le report de la majorité civile à l’âge de vingt-un ans ;
par la nécessité pour le mineur d’avoir atteint sa dixhuitième année pour qu’il pût se livrer au commerce ;
enfin et bien plus énergiquement encore, par l’exigence
d’une émancipation et d’une autorisation préalables de
vant garantir et constater la capacité et l’aptitude du
mineur.
Tout cela, cependant, n’empêcha pas que dans le
sein du conseil d’Etat on ne considérât la liberté d’alié
ner ou d’hypothéquer les immeubles comme offrant de
tels dangers qu’il était prudent de ne pas y exposer
le mineur. On proposait donc de lui en refuser le pou
voir, ou tout au moins de le réduire à la faculté d’hy
pothéquer.
« Mais, répondait M. Béranger, il faut s’en tenir à 1
�a r t.
6.
263
disposition du Code civil, donnant au mineur, relative
ment à son commerce, toutes les capacités du majeur.
« Si l’on s’écarte de là, on tombe dans une alterna
tive fâcheuse.
« Ou il faudra déclarer les immeubles du mineur
négociant absolument inaliénables, et alors il ne pourra
dégager sa personne tant qu'il sera mineur ; tandis
qu’à sa majorité les biens deviendront saisissables, et
qu’ainsi la cause de l’aliénabilité se reportera au
temps de la minorité, sans cependant avoir profité au
débiteur.
« Ou il faudra n’autoriser l’aliénation que quand la
nécessité sera justifiée, et alors le mineur, obligé de
prouver qu’il est obéré, se trouve pour ainsi dire cons
titué en faillite ; il perd son honneur et son crédit.
« 11 convient donc ou de lui interdire le commerce,
ou de lui accorder la disponibilité illimitée de ses biens.
« A l’objection qu’il fallait empêcher que la vente
fût consentie à vil prix, M. Béranger répondait : qu’un
négociant a de l’avantage même à vendre à vil prix, si
les sacrifices qu’il fait l’empêchent de faillir. Ici on met
le mineur dans le cas de faillir, en lui permettant de se
livrer au commerce, et ensuite on lui ôte ses ressour
ces, mieux vaudrait le déclarer incapable de faire le
négoce. »
A la suite de ces observations et sur l’avis du prince
archichancelier, le conseil divisa l’article. La faculté
d’engager et d’hypothéquer les biens fut adoptée, com
me favorable à l’intérêt du mineur.
?
�264
DES COMMERÇANTS
En effet, à quoi bon lui refuser cette faculté, puis
que l’affection hypothécaire était la conséquence forcée
des engagements qu’on ne peut l’empêcher de souscrire
légalement et ■valablement. Le créancier, porteur d’une
lettre de change ou d’un billet à ordre, traduira son
débiteur devant le tribunal de commerce, et le juge
ment qui interviendra lui concédera de plein droit hy
pothèque sur tous ses biens. En conséquence, prohiber
au mineur le droit de consentir cette hypothèque, ce
n’est pas l’en garantir, c’est évidemment la lui rendre
plus onéreuse, en l’obligeant à subir inévitablement les
frais occasionnés p arla poursuite et le jugement. C’est
donc empirer sa situation sous prétexte de la rendre
meilleure.
Des motifs identiques militaient en faveur de l’aliéna
tion tractative, devant donner au mineur le moyen d’é
viter une poursuite en expropriation devant laquelle le
créancier n’eût pas réculé, si elle avait été pour lui
l’unique moyen d’obtenir son paiement. Aussi, en
principe, la nécessité de l’accorder ne fut méconnue
par personne. Fallait-il la déclarer illimitée, ou bien la
soumettre à des restrictions, à des formalités détermi
nées? C’est ce qui devint l’objet exclusif de la discussion.
Les partisans de la liberté illimitée, M. Berlier no
tamment, trouvait bizarre et contradictoire que celui
qui est réputé majeur pour s’engager ne le fût pas pour
se libérer par la vente de ses immeubles, et qu’en ce
cas, il lui fallût recourir à un conseil de famille.
a Ce caractère équivoque, disait-il, répugne à la rai-
�ART. 6 .
265
son, car le même individu ne peut être à la fois majeur
et mineur; et quand le conseil de famille l’a jugé digne
de se livrer à des entreprises qui peuvent indéfiniment
engager sa fortune entière, comment peut-on lui con
tester la faculté bien moins importante de transiger sur
ses immeubles comme le majeur.
a D’ailleurs, en empêchant le mineur d’aliéner, on
ne peut empêcher les créanciers hypothécaires en vertu
d’un jugement de poursuivre l’expropriation des biens.
Cette expropriation, que le mineur arrêterait par une
vente volontaire, il ne pourra la prévenir qu’en recou
rant à des emprunts usuraires ou à d’autres ressources
aussi onéreuses. Loin donc de trouver dans les obstacles
qu’on lui suscite une protection efficace, le mineur n’y
rencontrera qu’une cause de ruine.
« C’est sans doute une résolution fort délicate que
d’autoriser un jeune homme de dix-huit à vingt ans à
faire le commerce. Mais il ne faut pas vouloir retenir
partiellement en tutelle celui qui en a été dégagé dans
de telles vues. »
Le texte de l’article 6 indique que ces considérations
fort graves n’ont point prévalu. On les repoussa, parce
qu’il convenait de ne pas s’en rapporter trop aveugle
ment à l’inexpérience et à la faiblesse, inséparables de
l’âge du mineur : on répondit que l’espèce de majorité
dont jouit le mineur négociant ne lui avait été accordée
que par l’indulgence de la loi ; que le législateur ne se
contredit donc pas quand il ne la rend pas indéfinie ;
qu’il était même de sa sagesse de prendre des précau-
�266
DES C0MMEBÇANT3
tions pour que le mineur n’abuse pas, à son détriment
et au préjudice de ses créanciers, de la faveur que la loi
lui a faite.1
1 5 8 . — Aujourd’hui donc , et sous l’empire du
Code de commerce, le mineur commerçant peut vala
blement engager et hypothéquer ses immeubles sans le
concours de son curateur, sans même être tenu de
consulter sa famille. Mais ce qu’il importe de ne pas
perdre de vue, c’est que c’est là une capacité pure
ment relative au commerce dont on lui a permis l’exer
cice. Engager ou hypothéquer ses biens, c’est faire un
acte de majeur, or le mineur n’est réputé tel que pour
ce qui concerne son commerce. Il faut donc, pour la va
lidité de l’un et de l’autre, établir qu’ils n’ont d'autre
origine qu’un fait purement commercial.
159. — En vertu de l’article 638 du Code de com
merce, cette origine est acquise pour les commerçants
ordinaires toutes les fois qu’une autre cause n’est pas
indiquée par le titre, et cela qu’il s’agisse de lettres de
change , billets ou d’actes authentiques et notariés.
Mais cette présomption ne peut être appliquée au mi
neur. Pour lui, en effet, aucun engagement n’est vala
ble que s’il reste dans les limites de sa capacité, s’il n’a
pour cause les faits de son commerce. Il est donc ra
tionnel d’exiger que la preuve de l’existence de cette
1Séance
du 25 n o v. t8 0 6 .
�art .
6.
267
condition essentielle à la perfection de l’obligation ré
sulte du titre lui-m êm e.1
S’il en était autrement, le patrimoine du mineur se
rait bientôt consommé par des opérations que la loi ne
lui permet pas de réaliser. Le prêteur qui lui consenti
rait des prêts, évidemment en dehors des besoins de
son commerce, n’aurait qu’à passer sous silence la vé
ritable cause de l’engagement, et obtiendrait par ce
moyen fort simple un titre régulier là où le mineur
était incapable d’en souscrire valablement aucun.
— Tout au plus pourrait-on présumer la cause
commerciale lorsqu’il s’agit d’un titre ayant la forme
des engagements de commerce. Ainsi, les sommes em
pruntées par le mineur par lettres de change, billets à
ordre, mandats négociables, comptes courants, etc.,
pourraient être plus facilement considérées comme se
référant à ses affaires commerciales.
Au reste, dans tous ces cas, comme dans celui où
l’acte énonce que l’obligation est contractée pour le
commerce du mineur, rien n’est définitivement acquis
contre celui-ci. Il peut toujours soutenir et prouver
qu’en fait, la cause de l’engagement a un tout autre
objet. C’est ce que la cour d’Aix a formellement con
sacré en jugeant, le 17 janvier 1823, que le mineur
émancipé et autorisé à faire le commerce, auquel un
billet à ordre a été endossé pour valeur reçue en mar160.
1 Sup., 96ter
�268
DES COMMERÇANTS
chandises, et qui l’a endossé pour valeur reçue comp
tant et pour fait de son commerce, est recevable, à
l’égard de celui qui a reçu son endossement, à soute
nir qu’il n’était pas commerçant et qu’il n’a pas fait acte
de commerce, et par suite à former requête civile en
vers le jugement en dernier ressort qui le condamne au
paiement du billet.
161.
— Il importe de retracer l’espèce de cet arrêt,
car elle renferme un exemple remarquable que la frau
de à la loi peut recourir même à simuler une autorisa
tion pour le mineur de faire le commerce.
Le 30 mars 1821, un billet à ordre delà somme de
4,000 fr., causé valeur reçue en marchandises, et paya
ble au 15 août, est souscrit à Marseille par le sieur Mar
celin Clément, commerçant, en faveur du sieur Edouard
Clément fils.
Ce billet est endossé par le sieur Clément fils en fa
veur de la demoiselle Marie-Catherine Clément, et cet
endossement est causé valeur en marchandises.
Le même billet est endossé par la demoiselle Clément
en faveur du sieur Philippe-Laudry Lezac, et cet en
dossement est causé valeur reçue comptant et pour fait
de mon commerce.
Il est à remarquer que la demoiselle Clément était
âgée de plus de dix-huit ans; qu’elle avait été éman
cipée et autorisée à faire le commerce à l’époque où
l’endossement avait été passé en sa faveur, et par elle
cédé au sieur Lezac,
�ART. 6 .
269
Le tribunal et la cour saisis de la demande en re
quête civile constatent en fait que la demoiselle Clément
n’a jamais fait le commerce. Ils en concluent que l’é
mancipation et l’autorisation n’ont eu pour but que
d’éluder la loi, en donnant à cette mineure une appa
rence de capacité en vue de l’engagement qu’on lui
arrachait.
Ce qui se présentait dans cette circonstance peut
également se rencontrer dans d'autres cas. C’est là une
fraude périlleuse pour le mineur, et contre laquelle il
doit être énergiquement protégé. Heureusement qu’on
arrive à ce résultat par la seule application des princi
pes généraux de la matière.
162.
- L 'autorisation de faire le commerce, pré
cédée de l’émancipation, rend le mineur capable de de
venir commerçant, mais ne le constitue pas tel. Il faut,
pour qu’elle devienne acquisitive de cette qualité,
qu’elle soit suivie de l’exercice effectif du commerce.
Conséquemment, si, après s’être fait autoriser, le mi
neur n’en entreprend aucun, il ne peut valablement
s’engager, la condition exigée pour la validité de ses
obligations, à savoir qu’elles aient été souscrites pour le
fait de son commerce, devenant irréalisable.
Ainsi le mineur émancipé et autorisé est, en droit,
capable de faire le commerce. Mais si, en fait, il s’est
abstenu de s’y livrer, il n’a pas la capacité. L’énonciation
que le titre renferme qu’il a été souscrit pour son com
merce n’est plus qu’un mensonge avéré, qu’une fraude
�270
DES COMMERÇANTS
contre la loi. La cour d’Aix a donc tiré de ces prémis
ses une conclusion logique, lorsqu’elle a admis la re
quête civile, le mineur, dans l’espèce, ne s’étant pas
défendu et ne l’ayant pas été valablement.
163.
— Il est vrai qu’en vertu de l’article 3 du Code
de commerce, le mineur régulièrement émancipé et
autorisé peut faire valablement un acte de commerce.
Mais cette objection était justement repoussée dans
l’espèce par la nature du titre. En effet, la négociation
d’un simple billet à ordre ne constitue pas un acte com
mercial. Le contraire se fût-il réalisé, le résultat eût
dû être le même. En effet, dès qu’il est acquis que
l’acte n’est en réalité, de la part du mineur, qu’un cau
tionnement bénévolement donné pour la dette d’un
tiers, sous quelque forme qu’il ait été donné, ce cau
tionnement excède la capacité du mineur commerçant,
et devient un acte purement civil contre lequel il doit
être restitué.1
164.
— Mais la question de forme peut avoir un
grave intérêt pour le tiers porteur. Ainsi, celui qui
accepte un billet à ordre portant la signature d’un mi
neur ne pourra obtenir contre lui une condamnation
que s’il prouve qu’il est commerçant et qu’il n’a signé
que pour les affaires de son commerce.
Le tiers porteur d’une lettre de change, endossée par
l Sup., n» 96bis,
inf., n° 174bia.
�le mineur, n’aura à prouver qu'une chose, à savoir
qu’il était régulièrement autorisé. Cette autorisation
rend le mineur capable de tous les actes de commerce.
La transmission d’une lettre de change étant un fait
commercial, le mineur serait donc valablement engagé.
En conséquence, et si la bonne foi du tiers porteur
était incontestable, le mineur, ne pouvant faire valoir
contre lui aucune exception foncière, devrait être con
damné à le désintéresser, sauf son recours contre celui
avec qui il aurait directement traité.
\
t
1 6 5 . — Ainsi il faut distinguer, dans les engage
ments souscrits par les mineurs, ceux qui l’ont été dans
la forme commerciale, de ceux qui sont constatés en la
forme ordinaire ou par acte authentique.
Les premiers doivent, pour être présumés faits pour
son commerce, en renfermer la mention expresse. Tou
tefois, cette mention n’exclut pas la preuve contraire
que le mineur est toujours recevable à offrir et à faire
tant par témoins que par présomptions. Cette preuve
contraire, pour être utile, doit nécessairement établir
que celui qui a traité avec le mineur a connu le motif
de son obligation et l’emploi que devaient recevoir les
fonds qu’il a reçus en échange.
166. — Les actes authentiques conférant hypothè
que ne sont pas régis par l’article 638. Il n’est pas in
dispensable qu’ils renferment la déclaration que le mi
neur agit pour son commerce, mais il faut de toute
�272
DES COMMERÇANTS
nécessité qu’ils aient réellement cette cause , car ce
n’est qu’à cette condition qu’ils auront été valablement
souscrits.
Donc, que la cause commerçiale y soit ou non ex
primée, il suffit que le mineur la dénie pour que le
créancier soit tenu d’en justifier l’existence et la réalité.
Que la charge de cette preuve incombe au créancier,
c’est ce dont il n’est pas permis de douter après avoir
consulté la discussion législative que le prince archi
chancelier résumait dans cette proposition : Ce sera au
créancier à prouver que les immeubles ont été hypo
théqués pour fait de commerce ; et, certes, le créancier
aura soin de se ménager celle preuve, en prenant les
précautions nécessaires pour établir l’origine de la
créance.1
167.
— Savary indique de quelle nature doivent
être ces précautions. « Le prêteur doit voir si celui qui
« veut emprunter est établi dans quelque boutique ou
« magasin ; lui faire déclarer par le contrat que l’ar« gent est pour l’employer en achat de marchandises
« pour en faire le commerce dans sa boutique ou ma« gasin ; l’obliger d’en rapporter les quittances d e l’em« ploi, de ceux qui lui auront vendu ses marchandises.
« Ainsi ce marchand ne pourra se faire restituer sous
« prétexte de minorité.2 »
1 Séanee du 2b nov. 1806.
1 Parfait négociant, t, î, p. 28b.
ms
'
�..
: c
■ i
273
ART. 6 .
Toutes ces précautions sont sans cloute peu compa
tibles avec la rapidité qu’exigent les opérations com
merciales. Mais il ne faut pas perdre de vue que nous
sommes en matières exceptionnelles, et que la loi qui,
tout en permettant le commerce au mineur de dix-huit
ans, ne s’est pas dissimulée qu’on ne pouvait attendre
de lui autant de maturité et de sagesse que d’un homme
de trente ans, devait le protéger efficacement contre
sa propre faiblesse, contre l’avidité de ceux qui spécu
leraient sur l’entraînement de son âge. D’ailleurs, un prêt
hypothécaire n’est guère dans les usages du commerce.
On pouvait donc exiger, à son endroit, ce qu’on n’exi
gerait pas dans une opération purement commerciale.
I.67bis. — L’opinion que nous venons d’émettre
sur l’inapplicabilité de l’article 638 du Code de com
merce aux hypothèques conférées par le mineur com
merçant est, en doctrine, l’objet d’une vive contro
verse. M. Delvincourt notamment enseigne l’opinion
contraire et pense que le prêt, en garantie duquel l’hy
pothèque est consentie, doit être présumé avoir pour
cause le commerce du mineur, sauf à celui-ci à prou
ver le contraire.
Nous avons déjà vu1 que M. Pardessus, à l’égard des
mineurs, n’admet la présomption de l’article 638 que
pour les engagements souscrits en la forme commer1 96ter.
18
�274
DES COMMERÇANTS
ciale, ce qui l’exclut formellement pour l’hypothèque
qui ne peut être conférée que par acte authentique.
M. Dalloz, se rangeant à l’opinion de M. Molinier, est
d’avis : a Que la présomption créée par l’article 638
« doit être étendue à tous les engagements des com« merçants, quand la preuve contraire ne résulte point
« de la nature de ces engagements ou des énonciations
« contenues dans les actes qui les constatent ; qu’il y a
« donc lieu de considérer comme ayant une cause com« merciale, non-seulement les simples billets souscrits par
« les commerçants et les engagements qu’ils ont contrac« tés sous une forme commerciale, mais encore les obli—
« gâtions passées devant notaires, qu’elles contiennent
« ou non des constitutions d’hypothèque, et les ventes
a immobilières qu’ils ont consenties, car ces obligations
« et ces ventes ont presque toujours pour but de leur
« procurer les fonds dont ils ont besoin pour leur com« merce, et il est dès lors rationnel d’assigner pré« somptivement aux actes dont il s’agit le caractère
<* commercial qu’ils ont dans la plupart des cas.1 »
Nous ne croyons pas, en ce. qui concerne les mineurs
commerçants, qu’il puisse exister des doutes sérieux
sur la cause des ventes. Les mineurs, en effet, ne peu
vent vendre qu’après une délibération du conseil de
famille homologuée par le tribunal. Or, il est évident
que le conseil de famille n’autorisera et que le tribunal
n’homologuera qu’à bon escient ; qu’après s’être édifié
1 Rép, gén ., v° commerfanl, art. 4, § 2, n° 186
�ABT. 6 .
275
sur la réalité et la sincérité des besoins allégués par
le mineur et vérifié la nécessité et l’urgence de la
mesure.
L’abus n’est donc pas à craindre ni à supposer dans
ces circonstances, et si la délibération et l’homologa
tion assignent une cause à la vente, et lui donnent
pour but la nécessité de pourvoir aux besoins du com
merce, qui oserait contester cette indication et préten
dre le contraire.
Tout ce qu’on peut redouter en pareil cas, c’est que
le prix reçu par le mineur reçoive une destination autre
que celle en vue de laquelle la vente a été autorisée,
mais, ainsi que l’indique M. Dalloz, le conseil de fa
mille, lorsqu’il autorise la vente pour fournir au mi
neur les ressources qui lui sont nécessaires, peut pres
crire des mesures propres à assurer l’emploi du prix ;
il peut, par exemple, ordonner que l’acquéreur se libé
rera aux mains des vendeurs de la marchandise à payer
ou des porteurs des créances à éteindre, or ce que le
conseil de famille aurait omis, le tribunal pourrait en
faire la condition de l’homologation s’il pouvait conce
voir le moindre doute sur l’emploi du prix s’il était
abandonné à la discrétion du mineur.
Donc, en ce qui concerne le mineur, la question
d’applicabilité de l’article 638 ne peut s'agiter qu’à l’oc
casion des actes conférant hypothèque soit pour prêt
actuel, soit en garantie de sommes précédemment re
çues. C’est dans ce dernier cas surtout que l’abus et la
�276
DES COMMERÇANTS
fraude sont à redouter, et l’admission de la présomp
tion, soutenue par MM. Delvincourt, Molinier et Dal
loz, leur ouvrirait la plus large issue.
Ces honorables jurisconsultes ont le tort de ne pas
distinguer entre les mineurs autorisés à faire le com
merce et les commerçants ordinaires, et de méconnaitre ainsi l’esprit de la loi.
Car cette distinction découlait forcément de la nature
des choses. 11 est évident, en effet, que tout autorisé
qu’il soit, le mineur n’est pas un commerçant ordinaire,
et que, quoique réputé majeur, il n’en est pas moins
mineur, et c’est précisément ce dont se préoccupait le
législateur, et ce qui l’amenait à restreindre la capacité
du mineur autorisé dans de certaines limites.
« Il est impossible, disait M. Jaubert, de regarder le
« mineur qui fait le commerce comme jouissant de
« toutes les capacités du majeur. Ce n'est que par
« condescendance qu’on a dérogé, à son égard, au droit
« commun, mais il n’est pas dans la nature des choses
« de supposer que sa raison soit entièrement formée,
« et dès lors on ne peut l’assimiler en tous points au
« majeur. Certainement on ne peut se persuader qu’un
« jeune homme de dix-huit ans conduira ses affaires
« avec autant de sagesse qu’un homme de trente, et
« peut-être même que sa famille, si elle est prudente,
« modifiera par des conditions et par des réserves l’au« torisation qu’elle lui donnera de faire le commerce.
« On exposerait donc beaucoup trop les intérêts du
�ART. 6.
277
« mineur en lui accordant la faculté illimitée d’aliéner
« et d’engager ses immeubles.1 »
Ces considérations pesèrent d’un grand poids dans
les résolutions du conseil d’E tat, et firent refuser au
mineur le droit de vendre les immeubles autrement que
dans les formes prescrites par les articles 457 et sui
vants du Code civil. On lui eût également interdit le
droit de les engager, mais on fit remarquer qu’on ne
pouvait lui contester le droit de souscrire des lettres de
change et des billets à ordre ; que les porteurs non
payés à l’échéance obtiendraient jugement et pren
draient valablement hypothèque sur les biens, et que
puisque le mineur avait indirectement le droit de les
engager, il était inutile et même dangereux pour ses
intérêts de lui refuser le droit de le faire directement.
Mais ce droit, on ne le concéda que pour les besoins
de son commerce, et c’est ce qui faisait dire à l’archi
chancelier résumant la discussion : « On ne peut éten« dre la capacité du mineur au-delà de ses engage« ments de commerce sans contrevenir au Code civil,
« mais il ne s’ensuit pas qu’il soit obligé d’exprimer
« dans le contrat la cause pour laquelle il hypothèque
« ses immeubles. C e sera au créancier a prouver qu ’ils
« l’ont été pour fait de commerce , et certes le créan« cier aura soin de se ménager cette preuve en pre« nant les précautions nécessaires pour établir l’origine
« de sa créance. »
i Discussion au conseil d ’Etat, Locré, t. xvn, p. 139.
�278
DES COMMERÇANTS
Cette interprétation de la loi est d’autant plus remar
quable que l’archichancelier répondait à M. Berlier,
proposant d’ajouter à l’article : Vengagement du mi
neur commerçant est réputé avoir été contracté pour
fait de commerce s'il n’exprime une autre cause. Or,
non-seulement cette proposition est rejetée, mais il est
encore admis que dans le silence du contrat, la cause
commerciale doit être prouvée, et que la charge de
cette preuve incombe au créancier. Donc, lorsque vous
appliquez à l’hypothèque consentie par le mineur com
merçant la présomption de l’article 638, vous vous
placez en contradiction manifeste avec le législateur,
puisque vous exonérez le créancier de l’obligation de
fournir cette preuve qui lui est si expressément impo
sée. Est-ce d’ailleurs que le législateur ne repoussait la
proposition de M. Berlier sous l’article 6 que pour
la consacrer dans l’article 638 ?
La doctrine que nous repoussons est encore en con
tradiction manifeste avec les principes de droit qui
peuvent et doivent régir la matière.
Le mineur autorisé à faire le commerce est placé
dans cette position : capable pour s'engager à raison
de son commerce, il est incapable pour tout ce qni
excède ce commerce ou lui est étranger.
Donc, lorsqu’un créancier revendique contre lui l’ef
fet d’un engagement, il faut de toute nécessité qu’il
établisse que cet engagement a été régulièrement et
valablement contracté, c’est-à-dire qu’il prouve qu’il a
réellement pour cause les exigences du commerce.
�ART. 6.
279
C’est là un principe incontestable. Celui qui se prévaut
d’un titre quelconque est tenu de justifier de la valeur
de ce titre. Or, l’article 638 du Code de commerce a
bien pu présumer cette preuve à l’égard des majeurs
dont la capacité est générale et sans restrictions. Mais
pouvait-il le faire lorsque, s’agissant d’un m ineur, on
avait à rechercher si l’acte excédait ou non sa capacité?
Il n’est pas possible de le supposer, et moins encore
de l’admettre.
Que les emprunts contractés par un commerçant
aient presque toujours pour but de lui procurer les
ressources qu’exigent ses affaires, cela peut être. Qu’on
l’admette donc à l’égard du majeur, on peut le trouver
rationnel. Mais pour le mineur, on ne saurait raisonner
ainsi. En ce qui le concerne, la loi ne se contente pas
d’une possibilité. Elle exige la réalité qui seule peut
faire fléchir la règle de droit commun refusant au mi
neur la faculté de s’engager.
De quoi se plaindrait d’ailleurs le créancier? Ou l’en
gagement a eu réellement pour cause le commerce du
mineur, et il aura eu d’autant plus de facilités pour s’en
ménager la preuve ; ou l’engagement a été contracté
en dehors du commerce et quel grief lui fait-on en le
ramenant à la vérité des choses, et en laissant à sa charge
les conséquences d’un traité fait sciemment avec un
mineur?
Nous persistons donc dans notre opinion, et nous
répétons que si l’acte conférant hypothèque est muet
sur la cause, le créancier n’est ni recevable ni fondé à
�280
DES COMMERÇANTS
se prévaloir de l’article 638, et doit prouver la com
mercialité de la cause ; cette preuve lui incombe, alors
même que l’acte exprimerait cette cause si le mineur la
dénie.1
168. — L’hypothèque légalement et régulièrement
consentie produit contre le mineur commerçant le mê
me effet qu’elle aurait contre le majeur. Le créancier
pourra donc, en cas de non-paiement à l’échéance et
après avoir rempli les formalités voulues par la loi, sai
sir et faire vendre les immeubles affectés à sa créance.
On ne pourrait le contraindre à la discussion préalable
du mobilier. L’article 2206 du Code çivil, qui la pres
crit n’est applicable qu’au mineur émancipé ou non.
Or, le mineur commerçant n’est pas dans cette catégo
rie. Réputé majeur pour le fait de son commerce, il ne
serait pas recevable à revendiquer une faveur à la
quelle le majeur n’a aucun droit.
169. — Le mineur com m erçant, réputé majeur
pour tout ce qui concerne son négoce, n’a besoin d’au
cune autorisation pour ester en justice soit comme de
mandeur soit comme défendeur. Il peut donc directe
ment citer ses débiteurs ou être cité par ses créanciers
devant le tribunal compétent. I! peut également transi
ger et compromettre sur toutes contestations, pourvu
toutefois qu’elles aient le caractère commercial. A l’é
gard des contestations purement civiles, ses droits se
�bornent à ceux du mineur émancipé, dont il doit éga
lement subir les obligations.
170.
— Le mineur commerçant peut acheter mê
me des objets étrangers à son commerce, mais à cet
endroit il agit plutôt comme mineur émancipé qu’en
sa qualité de commerçant. Les conséquences qui s’en
tirent sont que si les achats, même d’objets mobiliers,
lui ont occasionné un préjudice, il peut, non les faire
annuler, mais en demander la réduction.
Conformément à cette règle, il a été jugé que l’achat
fait par un mineur commerçant d’immeubles pour y
établir son industrie est valable, et que la lésion qu’il en
aurait éprouvée donnerait lieu en sa faveur non à la nul
lité de l’acte, mais à la réduction du prix.1
171.
— Du principe que le mineur autorisé à faire
le commerce n’est réputé majeur que pour les actes
relatifs à celui-ci, il résulte que, pour tout ce qui ne s’y
rapporte pas d’une manière immédiate et directe, le
mineur reste grevé de l’incapacité inhérente à sa qua
lité. Dans quelle catégorie doit-on placer le cautionne
ment qu’il aurait consenti en faveur d'un tiers ?
Si ce cautionnement intéressait son commerce com
me, par exemple, s’il avait garanti l’obligation de son
associé, il ne pourrait en être relevé. Il le serait incon
testablement si la dette cautionnée n’avait aucun rapi Colmar, 31 janvier 1826.
�282
DES COMMERÇANTS
port avec ses propres affaires. C’est ce qui avait été ad
mis sous l’empire de l’ordonnance de 1673.1
172.
— Ainsi que nous l’avons déjà dit, la même
solution se déduirait juridiquement de notre législation
actuelle. Mais celte règle , fort simple en matière de
cautionnement ordinaire , peut offrir des difficultés ,
lorsqu’il s’agit d’un cautionnement réalisé en la forme
commerciale. Ces difficultés devraient se résoudre par
les considérations que nous exposions tout à l’heure en
nous occupant de l’arrêt d’Aix, du 17 janvier 1823.
Ainsi, signer ou endosser une lettre de change étant
un acte commercial, oblige ipso facto le mineur régu
lièrement autorisé. On ne saurait dès lors, si l'autori
sation est justifiée, écarter sous aucun prétexte le tiers
porteur de bonne foi, en mains duquel la négociation
ultérieure a fait arriver la lettre de change.
Mais il ne saurait en être ainsi de celui qui a directe
ment traité avec le mineur. A son encontre celui-ci sera
recevable à rendre à l’opération son véritable caractère.
Il obtiendra donc, par la preuve qu’elle n’a été de sa
part qu’un acte de complaisance, qu’un simple caution
nement, soit d’être délié de tout engagement, soit d’ê
tre rem boursé, s’il a lui-même désintéressé le tiers
porteur.
175. — En pareille matière, nous le répétons, on
�ART. 6 .
283
ne saurait agir avec trop de prudence. Les tribunaux
ne doivent jamais perdre de vue que ee n’est en quel
que sorte qu’à regret que la loi a permis aux mineurs
de se livrer au commerce ; elle a senti à combien de
périls leur âge, leur inexpérience et leur faiblesse les
exposaient ; combien l’avidité et la finesse de certains
hommes pourraient facilement abuser d’un entraîne
ment aveugle qu’ils auraient fait naître, et dont ils pro
fiteraient pour ruiner les mineurs dans leur intérêt.
C’est donc s’associer à sa pensée la plus intime que
de veiller à ce que le mineur ne puisse, sous aucun pré
texte, sortir des limites de la capacité spéciale qui lui
est accordée. Or, en cette matière, une ligne imper
ceptible sépare le droit de l’abus; la fraude est trop
facile pour n’êlre pas redoutable. La vigilance des tri
bunaux ne saurait donc être trop excitée. La rigueur
qu’ils mettront à réprimer tout ce qui, sous les dehors
d’une opération commerciale, tendrait à éluder la loi
sur l’incapacité ordinaire du mineur, peut seule assu
rer à celui-ci la protection que la loi n’a pas voulu lui
faire perdre, en l’autorisant à commercer.
174.
— Aujourd’hui encore le mineur commerçant
a la faculté d’aliéner ses biens pour les besoins de son
commerce. Seulement, le silence gardé par l’ancienne
législation a été rompu. L’aliénation ne peut être tractativement consentie. Elle n’est valable que si elle est
faite dans les formes prescrites par les articles 457 et
suivants du Code civil.
�284
DES COMMERÇANTS
175.
— L’assentiment de la famille est donc indis
pensable, mais il ne devra être donné, aux termes de la
loi, que pour cause d’une nécessité absolue ou d’un
avantage évident. Et si cette prescription était négligée
par le conseil de famille, le tribunal chargé de statuer
sur la délibération ne manquerait pas d’y ramener les
parties.
Nous avons vu les attaques dont cette partie de la
disposition de l’article 6 fut l’objet dans le sein du con
seil d’Etat. Nous avouons pour notre part que les mo
tifs qui les firent repousser sont loin de nous paraître
concluants.
Comme mesure de précaution dans l’intérêt du mi
neur, l’obligation qui lui est imposée nous paraît com
plètement inefficace. En effet, elle n’arrivera jamais à
lui conserver les biens dont on a voulu gêner l’aliéna
tion. On ne pouvait arriver à ce résultat qu’en les dé
clarant inaliénables comme lesbiens dotaux de la femme.
Mais on ne pouvait agir ainsi sans rendre tout com
merce impossible pour le mineur. La faculté de les en
gager et de les hypothéquer qu’il a dû recevoir le laisse
donc, quant à leur conservation, sans aucune garantie
réelle.
Que fera, en effet, le conseil de famille en présence
d’un créancier se livrant ou menaçant de se livrer à une
saisie immobilière? P ourrait-il refuser l’autorisation
d’aliéner? Mais il ne le ferait qu’en exposant le mineur
à supporter des frais considérables, à subir les consé
�quences d’une saisie qui lui enlèvera immédiatement
toute ressource et tout crédit.
Voilà donc une hypothèse où la délibération du con
seil de famille sera enchaînée ; et notons bien qu’il peut
se faire qne cet effet ne se produise que parce que le
mineur aura voulu se défaire de ses biens. La conduite
du créancier, ses menaces, ses poursuites même pou
vant n’être que le résultat d’une collusion concertée
dans le but de forcer la volonté de la famille.
Le concours de la famille, à l’endroit de la conser
vation des biens, est donc illusoire. Tout ce qu’il peut
produire est, comme on le faisait si bien remarquer,
de rendre inévitable une ruine et une faillite qu’une
aliénation tractalive aurait pu conjurer.
Sous un autre point de vue, la nécessité de ce con
cours produira ce singulier résultat, d’opposer une bar
rière à l’exercice d’un acte de la puissance paternelle.
C’est au père, en effet, qu’appartient le droit d’auto
riser son fils mineur à exercer le commerce. Cette au
torisation donnée, il faut des fonds pour la faire sortir
à effet. Le moyen le plus simple est donc d’aliéner un
immeuble.
Mais si le conseil de famille ne partage pas l’opinion
du père, s’il ne pense pas que le commerce offre cet
avantage évident qu’exige la loi, s’il refuse l’aliénation,
la volonté du père sera donc annihilée et devra rester
sans exécution?
Non, dira-t-on, car il restera au mineur la ressource
des emprunts. Mais à quoi dès lors se réduit la précau-
�286
DES COMMERÇANTS
tion qu’on veut prendre dans l’intérêt du mineur? Evi
demment à rien autre qu’à empirer sa position. La vente
de son immeuble lui eût permis d’acheter au comptant,
d’obtenir ses marchandises à des meilleurs prix. L’obli
gation d’emprunter au fur et à mesure de ses besoins
lui conservera un immeuble d’un revenu de deux à
trois pour cent, tandis qu’avec les frais de commission
l’argent lui coûtera le sept ou le huit, et une crise ame
nant une mévente, le ver rongeur qu’il a attaché à son
commerce dévorera tous les fruits de son industrie et
le conduira à la ruine et à la faillite.
La disposition de l’article 6, dont nous nous occu
pons, n ’avait donc aucune raison essentielle d’être. Sans
efficacité réelle sur les biens du mineur, elle peut de
venir, dans un cas donné, une source d’embarras et de
dangers.
Vainement a-t-on dit qu’il fallait empêcher le mi
neur d’abuser de la faculté de vendre au détriment de
ses créanciers. Frauder ses créanciers est une pensée
que le mineur pourrait concevoir comme le majeur luimême, mais l’article 1167 a indiqué comment on pou
vait avoir raison des actes que celui-ci pourrait se per
mettre en ce sens. Si cette disposition est efficace con
tre le majeur, elle l'était également contre le mineur;
on n’avait donc qu’à s’en référer aux exigences de l’in
térêt personnel, contre l’abus dont il aurait pu avoir à
se plaindre.
On dira sans doute que dans la pratique, les incon
vénients et les dangers dont nous nous préoccupons ne
�ART. 6 .
287
se sont guère produits. Nous répondrons, en fait, que
ce qui en rend les effets moins saisissables, c’est que le
mineur n’exerce le commerce que depuis trois ans à
peine, qu’il atteint sa majorité; que ce laps de temps
n’est pas assez considérable pour voir se produire les
conséquences fâcheuses que nous relevons.
Mais si le mal n’est pas consommé, il est déjà sou
vent irrémédiable, et s’il était permis de lire dans les
causes vraies de la ruine de certains majeurs ayant com
mencé le commerce en état de minorité, peut-être
trouverait-on que les engagements souscrits pour éviter
de faire à sa propre famille l’aveu du désordre de ses
affaires, pour ne pas le rendre public par la vente judi
ciaire de ses immeubles, y ont la plus grande part.
176. — Quoi qu’il en soit, la loi existe, elle doit
être exécutée. Le mineur commerçant ne peut aliéner
ses immeubles que dans les formes prescrites par les
articles 457 et suivants du Code civil. Toute vente faite
contrairement à cette prescription serait radicalement
nulle et de nul effet.
177. — La poursuite de cette nullité, comme l’ac
tion pour se faire relever des engagements étrangers au
commerce ou irrégulièrement souscrits, peut être in
tentée par le mineur. S’agissant dans tous les cas d’une
nullité relative, les majeurs qui auraient traité avec le
mineur ne seraient pas recevables à revenir contre leur
engagement, par application de l’article 1125 du Code
civil.
�288
DES COMMERÇANTS
178.
- L’action du mineur peut-elle être exercée
par ses créanciers? L’affirmative ne nous paraît pas dou
teuse, mais le motif de la nullité peut être de telle na
ture qu’opposable d’une manière générale, il repousse
rait tous les créanciers.
Ainsi si le mineur a été irrégulièrement autorisé, ou
s’il a agi sans autorisation, il est évident que tous ses
engagements sont infestés du même'vice. Il n’y aurait
dans ce cas d’autres créanciers pouvant agir que ceux
qui l’étaient de l’auteur du mineur, ou qui ont acquis
cette qualité en traitant avec lui sous l’assistance du
tuteur ou du curateur.
Si la nullité provient de ce que la matière de l’enga
gement était étrangère au commerce que le mineur
exerçait régulièrement, ou de ce que les formes vou
lues par la loi pour la vente des immeubles n’ont pas
■été suivies, tous ceux qui ont agi dans les limites de la
capacité du mineur sont des créanciers sérieux et légi
times, ils peuvent donc, soit comme exerçant les droits
de leur débiteur, en vertu de l’article 1166 du Code
civil, soit en leur nom, aux termes de l’article 1167,
poursuivre la nullité que le mineur pourrait faire pro
noncer lui-même.
179.
— M. Pardessus fait, sur les effets de l’action
ouverte au mineur, une observation extrêmement juste,
à savoir que c’est par l’ensemble des opérations, et par
leur résultat général, qu’on doit se prononcer sur le
mérite de ses prétentions. Ainsi, s’il avait fait, avec la
�môme personne, plusieurs opérations dont les unes
auraient été avantageuses, les autres préjudiciables, il
ne pourrait profiter des premières et répudier les au
tres. L’équitable justesse de cette solution n’a pas be
soin d’être établie, elle se justifie en droit par l’indivisi
bilité forcée des opérations quant au résultat à obtenir.
La loi, qui défend au mineur de s’appauvrir, n’a pas
entendu lui donner l’occasion de s’enrichir au détri
ment des majeurs, elle n'entend qu’une seule chose, ré
parer le préjudice qu’il a pu souffrir. Or, dans notre
espèce, le préjudice n’existera qu’autant que, balance
faite de toutes les opérations, il resterait une lésion à la
charge du mineur.
180.
— L’action du mineur se prescrit par dix ans,
mais ce délai ne commence à courir que du jour où il a
atteint sa majorité. Vainement exciperait-on de la ca
pacité relative que lui donne la faculté d’exercer le
commerce. Laisser une prescription s’accomplir n’a
rien en soi de commercial. On ne saurait donc, quant à
ce, réputer majeur le mineur commerçant.
181.
— Nous avons déjà dit,1 que l’obtention d’une
autorisation régulière ne pouvait être pour le mineur
l’occasion de valider les engagements qu’il aurait aupa
ravant irrégulièrement contractés. La capacité résultant
de cette autorisation ne pouvant effacer le vice dont ces
engagements se trouvent entachés.
i Sup., n° 97
49
�290
DES COMMERÇANTS
Mais la majorité arrivée, le mineur acquiert avec
une entière capacité la liberté illimitée de disposer de
ses biens et droits. Il peut aliéner les uns, exercer les
autres, les abandonner même, s’il le croit utile ou con
venable.
Cela est vrai pour le passé, comme pour le présent,
comme pour l'avenir. Ainsi, et relativement aux actes
nuis qu’il a pu faire en état de minorité, il a la faculté
de les faire révoquer. Mais la loi ne lui en fait pas un
devoir, c’est là un bénéfice auquel il peut renoncer,
auquel il est légalement présumé avoir renoncé, si son
inaction s’est prolongée assez pour laisser à la prescrip
tion le temps de s’accomplir.
A plus forte raison se rendrait-il non-recevable a re
venir contre ces actes si, au lieu de réaliser son atta
que, il les avait confirmés ou ratifiés. Or, ce résultat n’a
pas toujours besoin d’être exprès, il peut s’induire d’ac
tes personnels le faisant présumer, notamment de l’exé
cution à laquelle il se serait livré, ou qu’il aurait promis.
Il est évident que le renouvellement du titre en se
rait la confirmation. En effet, on ne régularise pas ce
qu’on ne veut pas exécuter, ce qu’on peut légalement
ne pas exécuter. La loi, conférant au débiteur l’option,
admet définitivement le parti auquel il a plu à celui-ci
de s’arrêter lorsque, ayant atteint sa majorité, il était
capable d’en choisir un.
Ainsi la ratification expresse ou tacite du mineur de
venu majeur est un obstacle invincible à toute attaque
ultérieure contre l’acte soumis à l’action eu nullité ou en
�rescision, cet acte est donc purgé du vice dont l’enta
chait la minorité du souscripteur, et rien ne saurait
plus en arrêter l’exécution.
A rt. 7.
Les femmes marchandes publiques peuvent
également engager, hypothéquer et aliéner leurs
immeubles.
Toutefois leurs biens stipulés dotaux, quand
elles sont mariées sous le régime dotal, ne peu
vent être hypothéqués ni aliénés que dans les
cas déterminés et avec les formes réglées par le
Code civil.
SOMMAIRE
189. La disposition de cet article était une conséquence du pré
cédent. Motif pour accorder à la femme le droit d’a
liéner.
183. Conditions pour la validité de l’aliénation : 1“ majorité
de la femme mariée ;
184. 2* Cause commerciale.
185. Difficultés que peut faire naître celle-ci. A qui incombe la
charge de la prouver.
186. Nature de la preuve contraire que doit faire le poursui
vant.
187. Proposition de la section de l ’intérieur de permettre l ’alié
nation du fond dotal.
188. Discussion au conseil d ’Etat.
189. Raisons qui en légitimèrent le rejet.
�292
des
com m erçants
190. Il n ’y a inaliénabilité que lorsque les époux sont mariés
sous le régime dotal. Conséquences.
191. Q u id si l’aliénabilité a été convenue dans le contrat de ma
riage?
1 92. Les créanciers de la femme ne sauraient en exciper.
193. Conséquences de l’inaliénabilité en cas de faillite de la
femme.
194. Droit des créanciers commerciaux après la dissolution du
mariage.
495. Faculté pour la femme ou ses héritiers de ratifier expres
sément ou tacitement.
182.
— La disposition de l’article 6 amenait forcé
ment celle de l’article 7. Comme le mineur, la femme
mariée étant admise à faire le commerce, devait avoir
le moyen de se procurer les ressources indispensables à
ses opérations, on ne pouvait donc lui refuser ce qu’on
accordait au premier, à savoir la faculté d’engager et
d’hypothéquer ses immeubles, dans cet objet.
On devait même lui concéder à elle ce qu’on avait
refusé à l’incapacité du majeur, le pouvoir d’aliéner ses
biens tractativement et sans aucune formalité de justi
ce. La femme mariée n’a pas perdu la capacité qu’elle
a acquise en atteignant sa majorité. Seulement, et pour
un motif de haute convenance, les effets de cette capa
cité sont subordonnés à l'autorisation maritale. Dans le
cas qui nous occupe, cette autorisation ne pouvait être
un obstacle. Le mari, en consentant à ce que sa fem
me soit marchande publique, est par cela même présu
mé l’avoir formellement autorisée pour toutes les opé-
�a r t.
7.
293
rations ressortissant de son industrie. L’aliénation d’im
meubles amenée par les nécessités et les besoins de
cette industrie, se plaçant dans cette catégorie, est donc
comprise dans cette autorisation générale que la loi
admet exceptionnellement.
J 8 5 . — La vente de ses immeubles, faite par la
femme sans autorisation spéciale, est donc autorisée.
Mais, des considérations qui précèdent, il suit qu’elle
ne pourra valablement et régulièrement user de cette
faculté qu’aux deux conditions suivantes :
i
1° Elle doit avoir atteint sa majorité, il est évident
que si au moment de la vente elle était encore mineure,
elle ne pourrait avoir plus de droit qu’un mineur ordi
naire. L’autorisation du mari ne pourrait avoir pour
résultat de la délier des effets de son incapacité légale.
Rien donc ne la dispenserait de suivre les formes tra
cées pour la vente des biens des mineurs. Marchande
publique, elle y serait notamment obligée par la dispo
sition formelle de l’article 6 que nous venons d’ana
lyser.
184.
— 2° La vente doit avoir pour cause le com
merce qu’elle est autorisée à exercer. En effet, la ca
pacité que confère l’article 7 n’est relative qu’au com
merce lui-même. La femme n’est dispensée de l’auto
risation particulière et spéciale à chacun de ses actes,
qu’au bénéfice de l’autorisation générale embrassant
toutes ses opérations. Exciper de celle-ci pour couvrir
1,'iiiV;
ii
�294-
DES COMMERÇANTS
un aete étranger au négoce serait donc en méconnaître
la nature et le caractère, en outrer les effets et lui don
ner une extension que la loi lui a refusée.
Ainsi, lors de la discussion de l’article 7 au conseil
d’Etat, on avait proposé d’exprimer que le faculté d’en
gager, d’hypothéquer et d’aliéner, conférée aux fem
mes marchandes publiques, était bornée aux faits de
leur commerce. Cette proposition n’eut pas de suite
sur l’observation qu'on ne pouvait se méprendre sur
l’étendue de la disposition, puisqu’elle est placée dans
le Code de commerce, et que, pour le reste, la femme
demeure sous l’empire du Code civil.
185.
— La question de savoir si la femme était ou
non majeure au moment de l’acte ne saurait être ni
difficile ni douteuse. Le rapprochement de la date de
cet acte et de celle de la naissance suffit pour la tran
cher. Mais il n’en est pas ainsi de celle de savoir si la
cause de l’obligation ou de la vente se réfère ou non au
commerce de la femme. La première difficulté qu’elle
soulève est celle de savoir à la charge de qui, du mari
ou de la femme, du créancier ou de l’acquéreur, in
combe la preuve que l’acte a ou n’a pas une cause com
merciale.
En ce qui concerne l’hypothèque, son sort est inva
riablement lié à celui de l’obligation dont elle n’est que
l’accessoire. Sa validité dépend donc exclusivement de
la cause de celle-ci ; valable, si cette cause est commer
ciale, nulle, si elle ne l’est pas. Or, nous avons dit plus
�ART.
7.
295
haut1 qu’en vertu de l’article 638 du Code de com
merce, les engagements que la femme aurait contrac
tés, même sous la forme authentique, sont censés faits
dans l’intérêt de son commerce ; que seulement cette
présomption, en ce qui la concerne, admettait la preuve
contraire, alors même que l’acte renfermerait la décla
ration de la femme qu’elle s’oblige pour le fait de son
commerce.
L’application de cette doctrine à la difficulté que
nous examinons en commande la solution. L’obligation
hypothécaire sera présumée contractée pour fait de
commerce ; mais que l’acte l’exprime ou non, le mari
oq la femme, les représentants qui en poursuivront la
nullité ne pourront l’obtenir qu’en prouvant que la
cause exprimée dans l’acte est simulée, et si l’acte n’en
énonce aucune, que l’opération a été complètement
étrangère au commerce de la femme.
C’est à l’aide des mêmes principes que nous résou
drons ce qui se rapporte à l’aliénation. La femme mar
chande publique est présumée vendre pour son com
merce. Mais cette présomption ne peut avoir dans ce
cas plus de force que dans celui d’une obligation hypo
thécaire. En conséquence, les motifs qui feraient annu
ler l’une feront rétracter l’autre, à savoir, la preuve
qu’en réalité la vente n’a pas eu cet objet.
186. — Dans ce dernier cas, la preuve est tout en-
1 N» \28.
�296
DES COMMERÇANTS
tière dans la destination donnée au prix retiré de la
vente. Il est certain que si ce prix n’a pas été versé dans
le commerce, la vente n’aura oas été faite dans l’intérêt de ce commerce. Mais suffira-t-il à la femme ou
au mari poursuivant la nullité de prouver, en fait, la
non-réalité de cette destination?
L’affirmative conduirait, dans certains cas, à une ré
voltante iniquité. Elle pourrait devenir pour les époux
un trop énergique moyen de fraude, pour qu’on hésite
à la proscrire.
Notons bien que, dans les prévisions de la loi, la fa
culté d’aliéner n’a pas été considérée, comme pour le
mineur, au point de vue d’une nécessité déterminée
par des besoins urgents, par un arriéré à combler. Dans
un cas de ce genre, l’acquéreur pourrait à la rigueur,
et par surcroît de précautions, exiger le paiement ac
tuel des factures ou titres en retard, demander la remise des titres acquittés et se ménager ainsi la preuve
d’une libération acquise au moyen des fonds par lui
versés.
Mais la femme peut aliéner sans besoin urgent, sans
autre motif que celui de donner à son commerce actuel
une plus grande étendue. La loi l’y autorise d’une ma
nière générale et sans restriction ; il n’apparaît pas mê
me de son esprit qu’elle ait entendu en opposer la
moindre. De là, pour les tiers acquéreurs, la nécessité
d’accepter comme vraie la volonté indiquée par elle, et
la destination qu’elle déclare vouloir donner au prix de
la vente.
�ABT.
7.
297
L’exécution de cette volonté, la réalisation de cette
destination sont nécessairement postérieures à la con
sommation de la vente. A cette époque, la femme nan
tie du prix peut en disposer à son gré, et la déclaration
qu’elle aura fait dans l’acte ne sera pas un obstacle à ce
qu’elle le dissipe follement et sans fruit aucun pour les
affaires de son commerce.
La preuve de cette dissipation acquise, devra-t-on
en faire peser sur les tiers la responsabilité, et leur en
lever l’immeuble qu’ils ont acquis et payé? Mais quelle
faute a-t-on à leur reprocher? De n’avoir pas surveillé
l’emploi? Mais la loi leur donne-t-elle qualité pour le
faire? En ont-ils eu les moyens? Comment donc les pu
nirait-on pour n’avoir pas fait ce qu’ils n’avaient ni
l’obligation ni le pouvoir de faire ?
Ce serait là, nous le répétons, une révoltante iniquité
dont la femme ne tarderait pas d’ailleurs à devenir la
victime. Qui oserait traiter avec elle sous la menace
d’une pareille éventualité? Son commerce, bientôt at
teint, périrait infailliblement, car elle serait dans l’im
puissance de se procurer ni ressources ni crédit.
En conséquence, la preuve que l’époux poursuivant
la nullité de l’aliénation est obligé de faire, doit justifier
non-seulement que le prix en a été dissipé sans utilité,
mais encore qu’il n’a jamais dû être versé dans le com
merce de la femme, que la vente a été résolue dans de
tout autres motifs, et que cette résolution a été connue
de l’acheteur qui s’y est sciemment associé ; comme si,
par exemple, obéissant à ses propres convenances, il
�298
DES COMMERÇANTS
avait décidé la femme à vendre par des sollicitations
réitérées, ou si sa mauvaise foi s’induisait de précau
tions suspectes, de la vileté du prix, du mode de paie
ment, ou de toutes autres circonstances de nature à
éveiller la méfiance et à inspirer le soupçon.
En dernière analyse, l’aliénation ne peut être révo
quée que lorsqu’il est certain qu’elle n’est que le résul
tat d’une simulation frauduleuse tendant à éluder la loi
sur la nécessité de l’autorisation maritale. Il faut donc
en ce cas, et par application des principes généraux du
droit, que les tiers poursuivis aient connu la fraude et
y aient participé. Le devoir de prouver cette conni
vence , imposé aux créanciers ordinaires agissant en
vertu de l’article 1167 du Code civil, ne pouvait pas ne
pas être obligatoire, dans l’espèce, pour l’époux pour
suivant la nullité de l’aliénation. La preuve poura être
difficile. Mais recule-t-on devant une difficulté dans l’hy
pothèse à laquelle nous venons de faire allusion? Or
ici, comme là, la bonne foi des tiers est une exception
légale et péremptoire ; ici, comme là, cette bonne foi
est toujours présumée et ne s’efface que devant la preuve
de la mauvaise foi.
Ainsi la preuve contraire que l’époux peut faire, mal
gré la présomption de l’article 638; doit avoir pour ré
sultat d ’établir la complicité de l’acquéreur dans la
fraude que l’aliénation constituerait. Elle ne serait donc
recevable que si les faits cotés présentaient ce caractè
re. La preuve de la dissipation du prix, isolée de cette
complicité laissant le tiers sans reproche, lui assurerait
�ART.
7.
299
le bénéfice de son acquisition. Tout ce que le mari
pourrait prétendre dans ce cas serait de rétracter le
consentement qu’il aurait donné à ce que sa femme fît
le commerce, car elle aurait abusé de la confiance qu'il
lui avait témoignée et trompé ses légitimes prévisions.
— L’incontestable avantage que la femme
marchande publique peut trouver dans l’aliénation de
ses biens, les secours qu’elle y puisera dans l’intérêt de
son commerce avaient déterminé la section de l’inté
rieur à lui permettre l’aliénation de son fonds dotal.
Cette proposition fut repoussée après une vive dis
cussion.
187.
Ici, comme pour les articles précédents, les principes
déjà consacrés par le Code civil, et auxquels on ne
voulait pas déroger, devaient exercer une puissante
influence sur la solution. Aussi la section de l’intérieur
s’empressait-elle de déclarer qu’elle n’entendait nulle
ment méconnaître l’inaliénabilité de la dot ; que sa
proposition n’avait qu’un seul but, à savoir, ajouter un
cas d’aliénabilité à ceux déjà admis par le Code civil.
— * Dans ces termes, disaient les partisans
de ce système, la proposition de la section n’a rien que
de raisonnable ; elle ne fait que simplifier la marche des
choses, car, si la femme ne peut engager ses biens do
taux, on s’assurera de sa personne, et alors ses biens
deviendront aliénables. Pourquoi exiger une formalité
188.
�300
DES COMMERÇANTS
« C’est à ce point de vue qu’il faut se placer pour
décider la question. Il s’agit de savoir si l’on permettra
à la femme d’aliéner ses biens dotaux pour prévenir
son déshonneur et sa ruine, ou si on ne lui donnera
cette faculté qu’après qu’elle sera déshonorée et rui
née ? a
i
On répondait : « Que l’aliénation du fonds dotal im
portait peu au succès du commerce de la femme ;
qu’ainsi en pays de droit écrit, où le commerce était
permis aux femmes, cette inaliénabilité ne les empêchait
pas de trouver un crédit suffisant.
« Cependant on propose non-seulement d’ajouter à
la loi", mais encore de violer les dispositions du contrat
de mariage lui-même. En effet, la femme mariée sous
le régime dotal est constituée dans un état d’incapacité
qui n’est pas seulement légale, elle est encore contrac
tuelle.
« On n’établira qu’elle en peut être relevée, qu’autant qu’on établira qu’elle peut, pendant le mariage,
déroger à son contrat, ou que le mari, auquel il est dé
fendu autant qu’à la femme d’y déroger, peut l’y au
toriser.
e II faut qu’on dise que les conventions matrimo
niales peuvent être changées et altérées dans leur es
sence, si la femme veut négocier ; et alors pourquoi ne
pas lui permettre de les changer pour causes aussi utiles
et moins chanceuses ? »
Enfin, on faisait remarquer qu’il n’y aurait plus de
biens dotaux, s’il était indéfiniment permis au mari et
�■*s
ART. 7.
301
à la femme de les employer au commerce. Ainsi s’éva
nouirait cette ressource suprême que la loi a entendu
réserver à la famille.1
— On n’admit donc pas que le commerce pût
et dût introduire une nouvelle exception au principe de
l’inaliénabilité du fonds dotal. Etait-il bien urgent
qu’il en fût autrement? Ce qui est de nature à faire ré
fléchir à cet endroit, c’est que l’inaliénabilité n’a dans
aucun temps excité la moindre réclamation, la nécessité
de la modifier n’a été indiquée par aucun tribunal, par
aucune chambre de commerce, offrant leurs observa
tions sur le projet du Code de commerce. 11 faudrait
donc induire de ce silence que, dans la pratique, on
avait été fort peu frappé des inconvénients signalés au
conseil d’Etat par les défenseurs du système de la sec
tion de l’intérieur, et par la section elle-même.
Celte pratique, cependant, ne se bornait pas aux
pays de droit écrit. Les coutumes admettant l’inaliénabilité de la dot n’en avaient point fait fléchir le principe
devant les exigences du commerce de la femme. C’est
ainsi notamment que la femme normande , quoique
marchande publique, ne pouvait engager, hypothéquer
ou aliéner ses immeubles dotaux.
189.
En réalité, cette inaliénabilité n’avait rien de trop ab
solu, et les créanciers pouvaient indirectement en cor
riger les effets, La femme marchande publique s’obli1 Séance du 40 janvier 1807.
�302
DES COMMERÇANTS
géant par corps, l’exercice de la contrainte était une
occasion d’obtenir la vente du fonds dotal. Celui-là donc
qui, placé en présence de ce fonds, persistait à vouloir
être payé, n’avait pour y parvenir qu’à faire exécuter
la contrainte par corps. Quelque rigoureux que fût ce
m oyen, il n’en sauvegardait pas moins l’intérêt des
créanciers dans une certaine limite, et cela expliquerait
jusqu’à un certain point l’absence de réclamation dont
nous parlions tout à l’heure.
En dernier résultat, le mari est libre de consentir à
ce que sa femme exerce le commerce. Que l’autorisa
tion tacite en résultant donne à la femme le pouvoir de
faire seule les actes que, dans les cas ordinaires, elle ne
pourrait faire sans le concours du mari ou son consen
tement écrit, il n’y a là rien que de très-naturel, que
de fort logique. Mais on n’hésite pas cependant à re
connaître que cette autorisation se restreint aux actes
du commerce. A plus forte raison devait-on en admet
tre l’impuissance lorsque l’acte est de telle nature, que
le mari était lui-même incapable de le permettre. Or,
l’autorisation formelle du mari serait insuffisante pour
l’aliénation du fonds dotal. Comment donc la faire ré
sulter valablement du consentement donné à l’exercice
du commerce, sans reconnaître à l’autorisation tacite
une force qu’on n’hésite pas à refuser à l’autorisation
spéciale et formelle ?
190.
— La femme marchande publique est donc, à
l’endroit de sa dot immobilière, dans la même position
�*
ART.
7.
303
que la femme ordinaire. Comme celle-ci, elle ne peut
l’engager, l’hypothéquer ou l’aliéner que dans les cas
et aux formes spécialement énoncés par la loi, à la con
dition toutefois qu’elle sera mariée sous le régime dotal.
Ces mots, qui ne figuraient pas dans le projet du
Code, ont été ajoutés pour prévenir tout équivoque sur
l’esprit de la loi et sur le sens de l’inaliénabilité qu’elle
consacre.
Ainsi la constitution de dot n’est pas exclusive au
régime dotal, elle peut se réaliser sous tous les autres
systèmes, et notamment sous celui de la communauté.
Des doutes pouvaient s’élever dans ces hypothèses sur
le caractère de l’immeuble faisant l’objet de la constitui
tion. Etait-il ou non inaliénable vis-à-vis de la femme
marchande publique ?
Ce doute est tranché par l’article 7, il n’y a réelle
ment inaliénabiîité pour celle-ci que si elle est mariée
sous le régime dotal. Conséquemment, si ce régime n’a
pas été choisi, il importe peu que l’immeuble ait été ou
non constitué en dot. La femme pourra l’hypothéquer
ou l’aliéner pour raison de son commerce, comme elle
le pourrait pour ceux qui lui seraient plus tard obvenus
à titre de succession, donation ou autrement. Par une
conséquence immédiate , l’immeuble constitué est ,
comme les autres, soumis aux exécutions des créanciers,
celles-ci ne s’arrêtant qu’en présence de l’inaliénabilité,
empêchant l’acquisition d’un droit quelconque sur les
biens qui en sont frappés.
�304
DKS
C O M M ERÇ A N TS
1 91.
— L’indisponibilité de la dot peut être modi
fiée par les conventions matrimoniales. Les époux, par
exemple, peuvent stipuler que le fonds dotal pourra
être aliéné avec l’autorisation du mari, ou par lui avec
le consentement de sa femme, et avec ou sans remploi.
Dans ces hypothèses, la femme marchande publique
trouverait-elle dans l’autorisation tacite le pouvoir de
vendre valablement l’immeuble déclaré aliénable par
le contrat?
La négative nous paraît devoir être consacrée, tant
sous le rapport du texte de l’article 7, que sous celui
des effets résultant du consentement donné par le mari
à ce que la femme exerce le commerce. Nous l’avons
déjà d it, l’autorisation générale que ce consentement
entraîne, ne s’entend jamais que pour les actes ressor
tissant du commerce de la femme. Les faits purement
civils restent soumis à la règle tracée par l’article 217.
Or, la dot de la femme ne saurait être rangée au
nombre des objets sur lesquels elle est appelée à exercer
son industrie. Sa disposition ne saurait donc jamais re
vêtir un caractère commercial. Loin de l’autoriser, l’ar
ticle 7 la prohibe formellement.
Conséquemment, la femme ne saurait revendiquer le
droit de l’aliéner qu’en vertu de la clause expresse de
son contrat de mariage. Un acte pareil n’a évidemment
rien de commercial, et dès lors l’autorisation tacite du
mari ne saurait le concerner.
En d’autres termes, l’aliénation n’est pas en général
considérée comme une conséquence directe du com-
�merce de la femme, elle ne revêt ce caractère que lors
qu’elle n’est réalisée que dans l’intérêt exclusif de ce
commerce, et pour fournir le moyen de pourvoir à ses
exigences.
Cette éventualité a dû nécessairement être prévue
par le mari, à l’endroit des biens dont la disponibilité
dépend uniquement de son autorisation. Il en a donc
volontairement couru la chance. En consentant à ce que
sa femme fît le commerce, il est de plein droit présumé
lui avoir donné au besoin cette autorisation : qui veut
la fin veut les moyens.
En droit commun, au contraire, le fonds dotal est
inaliénable, même pour la femme marchande publique.
Sa disposition, comme conséquence du commerce, n’a
donc pu entrer dans la prévision de personne. Reste
l’application des clauses du contrat de mariage, mais
l’exercice d’un droit puisé à cette source est un acte
ordinaire de la vie civile pour lequel la femme marchande
publique ne serait pas dispensée de recourir à une au
torisation spéciale, alors même que le contrat de ma
riage ne la prescrirait pas formellement.
194.
—* Ainsi l’aliénation du bien dotal, permise
par le contrat de mariage, n’est valable que dans les
conditions stipulées et qui doivent être rigoureusement
accomplies. Ce n’est là, d’ailleurs, qu’pne faculté ex
clusivement personnelle aux époux, et dont la réalisa
tion ne saurait dans aucun cas leur être imposée. Ainsi
les créanciers commerciaux de la femme ne pourraient
20
�306
D ES
C O M M ERÇ A N TS
exciper contre elle'de cette faculté, ni la contraindre à
la réaliser, il suffit qu’il s’agisse d’un bien dotal, et que
la femme soit mariée sous le régime de la dotalité,
pour que, sans droits sur les biens, ils soient irrece
vables à profiter des modifications stipulées dans le
contrat.
1 9 3 . — L’inaliénabilité du fonds dotal tenant moins
à l’incapacité personnelle des époux qu’à l’indisponibi
lité dont le frappe la loi, il en résulte qu’à l’endroit des
créanciers commerciaux de la femme, les biens le compo
sant ont été réellement placés hors du commerce et
n’ont jamais pu être considérés par eux comme une
ressource sur laquelle il leur fût permis de compter,
même d’une manière éventuelle. Ils ne peuvent dès lors,
dans aucun cas, les rendre l’objet d’une poursuite,
d’une exécution quelconque.
Ce qui est vrai pour chaque créancier personnelle
ment est vrai pour la masse. Ainsi, même après la fail
lite déclarée de la femme, la propriété de ces immeu
bles ne cesse pas de résider sur la tête de celle-ci, elle
en conserverait même l’administration et la jouissance
par la séparation de biens qu’elle aurait précédemment
obtenue, ou qu’elle ferait ultérieurement prononcer, si
le désordre des affaires du mari mettait la dot en péril.
Ce désordre est d’autant plus facile à prévoir que le
mari, responsable dans cette hypothèse des dettes de
sa femme, peut trouver dans la ruine de celle-ci sa pro
pre ruine. Les revenus de la dot appartiennent exclusi-
�ART.
7.
307
vement à la famille. N’ayant jamais traité ni pu traiter
avec elle, les créanciers ne pourraient ni en revendiquer
ni en faire saisir les produits.
La femme marchande publique est donc, même après
la faillite, à l’endroit de ses immeubles dotaux, dans la
même position que si elle n’avait jamais fait le com
merce. Ses créanciers, sans droit ni titre contre le ca
pital de la dot, ne sauraient apporter aucun obstacle à
ce que les revenus conservent la destination que la loi a
entendu exclusivement leur donner.
1 9 4 . — La dissolution du mariage par la mort d’un
des époux enlève aux biens de la femme tout caractère
de dotalité, et les rend, par conséquent, aliénables pour
l’avenir. Les créanciers de la femme antérieurs à son
mariage, comme ceux envers qui elle s’obligerait après
la dissolution, peuvent donc les saisir et les faire vendre
pour se faire payer de ce qui leur est dû.
Cette faculté appartient-elle aux créanciers dont les
droits ont été acquis durant le mariage? L’affirmative
avait été soutenue par MM. Toullier et Delvincourt.
Mais c’était là une erreur évidente q u i, signalée par
tous les auteurs qui ont écrit après eux, a été proscrite
énergiquement par la jurisprudence. On ne pouvait, en
effet, la soutenir qu’en interprétant la pensée du légis
lateur dans un sens diamétralement opposé à celui qu’il
a réellement admis.
L’inaliénabilité de la dot est autant dans l'intérêt de
la famille que dans celui des époux. Or, comment ce
�308
D ES
C O M M ERÇ A N TS
double intérêt pourrait-il être atteint, si, pour de3 obli
gations contractées pendant la durée du mariage, la
femme ou ses héritiers voyaient, aussitôt après la dis
solution, disparaître les biens que la loi avait tant à
cœur de leur conserver?
Vainement exciperait-on de ce que la femme mar
chande publique ayant capacité pour contracter, ses
créanciers doivent être plus favorablement traités que
ceux de la femme ordinaire. Nous avons déjà dit que la
capacité de la femme marchande publique n’existait
que pour ses biens libres ; qu’elle disparaissait complè
tement à l’endroit de son fonds dotal. Elle n’a jamais
pu valablement l’engager ni l’hypothéquer, et ce serait
admettre le contraire que d’autoriser, en cas de disso
lution du mariage, un recours quelconque sur ces biens
en faveur de ses créanciers. Ce recours conduirait à ce
résultat singulier, à savoir que l’hypothèque qui aurait
été consentie, se trouvant nulle de plein droit, ne sau
rait, dans aucun temps, produire le moindre effet, tan
dis qu’on accorderait ces effets à la simple obligation
personnelle non accompagnée d’hypothèque.
Il est évident d’ailleurs qu’il ne pouvait exister d’ina
liénabilité réelle qu’à la condition d’affranchir les biens
dotaux des conséquences des engagements contractés
pendant le mariage. Repousser cette condition, c’était
leurrer la famille d’un espoir trompeur, et se réduire à
une inaliénabilité temporaire. C’était en un mot, tout en
proscrivant la disposition de la dot, en consacrer le prin
cipe et le germe. Or, c’est précisément ce principe et ce
germe que l'article 15ô4 a entendu et voulu condamner.
�ART.
7.
309
La dissolution du mariage rend les biens dotaux à la
circulation pour l’avenir, mais elle ne saurait faire qu’ils
n’aient pas été inaliénables pendant le mariage, ni va
lider ce que la loi déclarait absolument nul. En consé
quence, les créanciers commerciaux de la femme, qui
d’ailleurs n’ont jamais traité avec l’immeuble dotal, sont,
comme les créanciers ordinaires , irrecevables à se li
vrer à des exécutions sur cet immeuble redevenu libre.
Ils sont, quant à ce, sans droit et sans action.
Mais l’incontestable validité des titres dont ils sont
porteurs et leur nature leur assurent la faculté d’éluder
l’application de cette règle. Après la dissolution du ma
riage, comme pendant sa durée, ils ont le droit d’exer
cer contre la femme la contrainte par corps. Cet exer
cice pouvant déterminer l’aliénation du fonds dotal pen
dant qu’il est encore inaliénable, pourrait, à plus forte
raison, la légitimer lorsqu’il a perdu ce caractère. Il
n’est donc pas douteux que la femme, voulant racheter
sa liberté, aurait, si elle était devenue veuve, la capa
cité d'aliéner ses biens, sans être même obligée de re
courir à la justice..
Mais c’est là une faculté dépendant de la volonté ex
clusive de la femme, et dont les créanciers ne pour
raient contraindre l’exercice. Ainsi, si la veuve pour
suivie à raison de son commerce, exécutée par la voie
de la contrainte par corps, faisait déclarer sa faillite, la
position des créanciers, à l’endroit des biens dotaux, ne
cesserait pas d’être telle que nous l’indiquions tout à
l’heure.
�310
D ES
C O M M ERÇ A N TS
Si la dissolution du mariage était amenée par le dé
cès de la femme, la position des créanciers serait pire,
après cette dissolution, que pendant le mariage. L’im
possibilité d'exécuter la contrainte leur enlèverait tout
espoir de déterminer leur paiement par l’aliénation des
biens volontaire ou judiciaire.
195.
— Mais la femme ou ses héritiers ne sont pas
tenus d’user du droit que leur confère la loi. Ils peuvent
sans doute conserver les biens et ne pas payer les det
tes, mais ils sont libres de suivre une marche contraire.
La veuve peut ratifier la dette, la garantir ou l’hypothéquer sur tous ses biens. Ses héritiers ont le même
droit. La reconnaissance réalisée, cette dette serait pur
gée du vice qu’elle puisait dans son origine. L’auteur de
cette reconnaissance perdrait donc tout pouvoir de se
soustraire au paiement.
L’admissibilité de la ratification expresse entraîne
celle de la ratification tacite. L’exécution que la femme
ou ses héritiers auraient donnée, telle que le renouvel
lement du titre depuis la dissolution du mariage, ren
drait ce titre irréprochable dans l’avenir, et les con
traindrait à en opérer le paiement. A plus forte raison
ne pourraient-ils revenir contre le paiement qu’ils en
auraient réalisé.1
i Ne pas o u b lie r que la c o n tra in te p a r c o rp s a été a bo lie .
�TITRE ïï
De» L ivres d e C om m erce
A
rt.
8.
Tout commerçant est tenu d’avoir un livre
journal qui présente, jour par jour, ses dettes
actives et passives, les opérations de son com
merce, ses négociations, acceptations ou en
dossements d’effets , et généralement tout ce
qu’il reçoit et paie, à quelque titre que ce soit ;
et qui énonce, mois par mois, les sommes em
ployées à la dépense de sa maison, le tout in
dépendamment des autres livres usités dans le
commerce, mais qui ne sont pas indispensables.
Il est tenu de mettre en liasse les lettres mis
sives qu’il reçoit, et de copier sur un registre
celles qu’il envoie.
A rt. 9.
Il est tenu de faire tous les ans, sous seingprivé, un inventaire de ses effets mobiliers et
immobiliers, et de ses dettes actives et passives,
et de le copier, année par année, sur un registre
spécial à ce destiné.
�312
D ES
L IV R E S
DE
C O M M ERC E
SOM M AIRE
196. Motif pour lequel le Code a gardé le silence sur l ’obliga
tion de prendre patente,
197. Caractère et but de celle de tenir des livres.
198. L’usage d’avoir des livres a dû nécessairement précéder
l’obligation que la loi en a fait.
199. Pratique chez les Romains.
200. — En France, avant l ’ordonnance de 1673.
201. Motifs qui devaient rendre cet usage obligatoire.
202. Disposition de l'ordonnance de 1673.
203. Modifications introduites par le Code de commerce.
204. Nature des exceptions que comporte l ’obligation de tenir
des livres.
205. Caractères que doit offrir le livre journal. Matière des énon
ciations qu’il doit contenir.
206. Comment on doit interpréter le devoir d’inscrire jour par
jour les sommes payées ou reçues, à l ’endroit des dé
taillants.
207. A quoi se réfère l’obligation d’inscrire chaque mois la dé
pense de la maison.
208. Utilité des prescriptions de la loi relativement à la corres
pondance.
209. Importance de l ’inventaire, obligation d’avoir un livre spé
cial.
210. Ce que l ’inventaire annuel doit comprendre. Devoir du
commerçant.
211. Rigueur de la sanction attachée par l ’ordonnance à l’obli
gation de tenir les livres.
212. Celle consacrée par le Code étant plus humaine, était de
nature à devenir plus efficace.
213. L’obligation de tenir des livres est imposée même aux
commerçants dont la profession est soumise à des rè
glements particuliers.
�àrt .
214.
215.
216.
217.
218.
219.
8 Et 9.
313
Le Code ne prohibe pas la faculté d’avoir d’autres livres
que ceux qu’il prescrit.
Circonstances les rendant nécessaires.
Nomenclature et caractère des livres auxiliaires.
Ces livres peuvent être produits concurremment avec le
journal, mais ils ne peuvent le suppléer.
Exception en cas de perte par force majeure.
La loi n ’a tracé aucune forme pour la tenue dés livres qu’elle
exige. Il suffit qu’ils soient exacts et fidèles,
196. — Après avoir établi ce qu’était le commer
çant et de quelle manière on le devient, le législateur a
dû s’occuper des obligations que l’intérêt général,
comme l’intérêt privé, devait faire imposer à ceux qui
ont revêtu cette qualité. La prem ière, celle qui est
inhérente à la profession, est le paiement de la patente,
imposé par la législation de mai 1791.
Son caractère purement fiscal dispensait le Code de
commerce de s’en occuper. C’est là une affaire particu
lière entre le commerçant et le fisc, et l’on pouvait s’en
rapporter à ses agents pour tout ce qui la concerne. On
ne pouvait donc la confondre avec les règles à prescrire
pour l’exécution du commerce ou de l’industrie. D’ail
leurs la patente, nous l’avons déjà dit, ne constitue pas
le négociant. Des lois spéciales énumèrent les profes
sions qui y sont soumises. Leur exécution se trouve
naturellement recommandée au trésor, qui y est le prin
cipal intéressé.
197. —- La tenue de livres et écritures offrait bien
de son côté un caractère de spécialité pour l’intérêt
�314
D ES
L IV R E S
DE
C O M M ERC E
privé du commerçant qu’elle a pour but de protéger et
de défendre. Mais en veillant au succès de cet intérêt,
on développait les chances de prospérité des maisons
de commerce ; on raffermissait le crédit public. S’occu
per de cette tenue, c’était donc entrer viscéralement
dans le devoir, dans la mission que l’intérêt général
impose au législateur.
C’est ce que notre Code fait dans le titre que nous
abordons. Nous pouvons, avant d’entrer dans les déve
loppements qu’il com porte, en résumer l’économie
dans cette proposition. Les livres sont utiles au négo
ciant à chaque pas qu’il fait dans son commerce, il faut
donc que leur tenue régulière trouve un encourage
ment dans son intérêt personnel ; mais cette tenue n’im
porte pas moins au public, il est donc juste de la con
sacrer par une sanction de nature à en assurer la loyale
exécution.
Ce double caractère, la commission chargée de pré
parer le projet du Code, le faisait énergiquement res
sortir. « La conscience du commerçant, disait-elle, est
écrite dans ses livres ; c’est là qu’il consigne toutes ses
actions ; ils sont pour lui une sorte de garantie ; c’est
par ses livres qu’il se rend compte du résultat de ses
travaux ; lorsqu’il a recours à l’autorité du magistrat,
c’est à sa conscience qu’il s’adresse, c’est à ses livres
qu’il s’en remet. Si la loi admet ce titre en sa faveur,
il faut qu’elle en assure la légitimité ; les précautions
qu’elle prend pour lui donner toute l’authenticité qu’il
peut avoir sont à l’avantage du commerçant.
�<.
V
t
-
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f
y :
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A RT.
8
ET
9.
315
« Les transactions du commerce se succèdent et se
multiplient avec une si grande rapidité, qu’elles ne
laissent souvent aucune trace qui puisse les caractériser.
Lorsqu’il s’élève des contestations, il faut que la cons
cience du juge soit éclairée ; c’est alors que les livres
sont nécessaires, puisqu’ils sont les seuls confidents des
actions du commerçant.
« Lorsque des revers réduisent un commerçant à
implorer la clémence de ses créanciers, c’est par ses
livres qu’il justifie sa conduite ; c’est dans ses livres
qu’ils peuvent trouver les traces de ses malversations
ou les preuves de son innocence. »
198. — La tenue de livres est évidemment une de
ces institutions que le législateur peut réglementer,
mais qu’il ne crée pas. Son utilité, disons mieux, son
indispensable nécessité a dû la rendre usuelle avant
qu’aucune prescription l’imposât comme obligatoire en
certains cas, et dans des positions déterminées. Quel
est le père de famille, jaloux de sc conduire avec ordre
et prudence, qui n’ait cherché dans tous les temps à se
rendre raison de ses affaires au moyen de registres
constatant ses ressources, ses obligations et les résul
tats de son administration ? A plus forte raison est-il
permis de supposer qu’il en était de même des com
merçants pour lesquels la multiplicité d’affaires rend le
secours de l’écriture plus indispensable encore.
1 9 9 . — Il n’est pas de législation qui ne vienne
�316
DES LIVRES DE COMMERCE
confirmer cette induction, car toutes se sont plus ou
moins occupées de l’existence de livres ou registres do
mestiques , de la foi qui devait leur être accordée.
Chez les Romains notamment, leur tenue offrait un ca
ractère commercial. Le père de famille ouvrait à chacun
de ceux avec qui il était en relation un compte cou
rant. mentionnant d’un côté l’actif, acceptum, de l’au
tre le passif, expensum, d’où sans donte la qualification
de nomina, que ces registres avaient reçu.
A côté de celui-ci, qu’on appelait nomina transcriptia, existait le livre de caisse, nomina arcaria. Ce qui
les distinguait, c’est que l’inscription sur le premier
constituait l’obligation, tandis que l’inscription sur le
dernier n’était que la conséquence de l’obligation déjà
existante et résultant de la numération de l’argent.
C’est ce qui faisait dire à Gaïus : Qua de causa recte
dicemus arcara nomina nullam facere obligationem,
sed obligationis facto testimonium prœbere.1
L’avantage que présente le compte courant en a re
commandé la forme même aux simples particuliers dé
sireux de juger d’un seul coup d’œil leur véritable
situation. Nous pourrions citer des propriétaires qui
sont parvenus à introduire un ordre admirable dans
leur fortune, dans l’exploitation de leurs propriétés, en
en personnifiant en quelque sorte les diverses parties
ayant chacune sa comptabilité distincte. Dans leur re
gistre, la bergerie, les vignes, les vergers, les prairies,
l
In s t. com m .
3, § 131.
�les terres à blé viennent inscrire, au débit, les dépen
ses qu’elles occasionnent, au crédit, les produits qu’elles
rendent. Le solde de ces divers comptes établit d’une
manière certaine et naturelle le résultat général de l’o
pération.
200.
— Ce que des simples particuliers pratiquaient
devait également se retrouver, et sur une plus vaste
échelle, chez les commerçants. Aussi est-il bien certain
qu’ils n’ont pas attendu, pour avoir des livres, que la
loi leur en fît une obligation. Avant l’ordonnance, dit
Savary, les négociants, pour tenir bon ordre dans leurs
affaires, ont toujours tenu des livres sur lesquels ils ont
écrit toute leur dépense, non-seulement celle qui re
gardait leur commerce, mais encore celle de leur
maison.1
Ajoutons que ces négociants étaient récompensés de
la régularité avec laquelle ils procédaient. Leurs livres
leur valait de les faire considérer comme de bonne foi,
et faisaient pencher en leur faveur les balances de la
justice. C’est ce que prouve la doctrine et la jurispru
dence.
Si le marchand a accoutumé de faire papier jour
nal, il pourra être creu en plus grande somme que cinq
sols tournois, dedans les six mois de l'ordonnance,
pourveu qu'il soit marchand de bonne réputation, et
que son papier journal soit bien réglé par ordre d'an1 Parfait négociant, liv. 4, ch. îv, p. 294.
�318
DES LIVRES DE COMMERCE
nées, mois et jours, et nombre de feuillets. Ainsi le dé
cide Guidopape, décis. 441.1
Par sentence des juges et consuls, confirmée par ar
rêt du 2 décembre 1657, un marchand passementier,
n’ayant point tenu de livres, fut condamné à payer à un
marchand de soie, qui en rapportait un, la somme de
4000 livres de laquelle il s’était rendu redevable sur le
livre de sa partie, d’où il faut induire cette règle que
lorsqu’un marchand en gros ou en détail n’a point de
livre de raison, et que l’autre partie au contraire en
rapporte un, elle est réputée être dans la bonne foi et
son livre fait foi.3
201.
— L’obligation depuis imposée par le législa
teur n’était donc pas, comme le dit Savary, une chose
nouvelle. Sa prescription était exécutée avant même
qu’il l’eût sanctionnée. Il importait cependant qu’elle
fût prise pour faire cesser un abus que le silence gardé
par la loi rendait inévitable. Le commerçant pouvait
toujours dénier avoir tenu aucun livre, et cette déné
gation devait surtout se réaliser lorsque la partie ad
verse offrant de s’en remettre à leur énonciation, la
production eût amené la condamnation de leur rédac
teur ; ou lorsque tombé en déconfiture, il pouvait crain
dre que ses livres ne fissent découvrir ses malversations
et sa fraude.
1 Coquille, sur la Coutume du Nivernais, art. 1«r, ch. xxix.
2 Bornier, sur l’art. I er, tit. m de l ’ord. de 1673.
�ART. 8 ET-
9.
319
Un pareil état des choses était on danger pour les
commerçants, une atteinte grave au crédit public. Il
sacrifiait inévitablement les créanciers de bonne foi,
assurait le triomphe de la fraude, en rendait toute ré
pression impossible. L’intérêt public, comme l’intérêt
privé, exigeait donc une énergique et radicale modifi
cation. C'est à ce besoin que répondit l’immortel au
teur de l’ordonnance de 1673.
✓
202.
— Le titre 3 fut consacré à réglementer l’o
bligation imposée pour l’avenir, à indiquer les livres
qu’on entendait exiger, à déterminer les formes qu’ils
devaient offrir. Il résulte de ses dispositions : Que les
négociants et marchands, tant en gros qu’en détail, au
ront un livre qui contiendra tout leur négoce, leurs let
tres de change, leurs dettes actives et passives, et les
deniers employés à la dépense de leur maison j1
Que ce livre sera signé sur le premier et dernier
feuillet par l’un des consuls, dans les villes où il y a
juridiction consulaire, et, dans les autres, par le maire
ou l’un des échevins, sans frais ni droits, et les feuillets
paraphés et cotés par premier et dernier de la main de
ceux qui auront été commis par les consul, maire
ou échevin , dont il sera fait mention au premier
feuillet.2
Que ce livre serait écrit d’une même suite par o r-
�320
DES LIVRAS DR COMMERCE
dre de dates, sans aucun blanc, arrêté en chaque
chapitre et à la fin, et ne sera rien écrit aux marges;1
Un arrêt du conseil, du 3 avril 1674, avait ordonné
d’écrire le livre journal sur papier timbré, mais, au té
moignage de Jousse, cette disposition, dont la violation
devait entraîner la nullité du journal et une amende de
mille livres, n’avait pas tardé à tomber en désuétude.
Aux termes des articles 7 et 8 , les commerçants
étaient en outre tenus de mettre en liasse les lettres
missives qu’ils recevaient, et en registre la copie de
celles qu’ils écrivaient ; de renouveler chaque deux ans
l’inventaire de leurs effets mobiliers et immobiliers, de
leurs dettes actives et passives, qu’il leur était prescrit
de rédiger dans les six mois de l’ordonnance.
Tel est l’ensemble des précautions que prit le légis
lateur de 1673 pour maintenir les commerçants dans
la voie de la délicatesse et de la loyaaté qu’exige leur
importante et honorable profession. Sans doute l’inté
rêt général y avait la plus grande part, mais elles n’é
taient pas sans utilité réelle pour l’intérêt privé, car
leur accomplissement était de nature à inspirer des ha
bitudes, d’ordre, d’économie et de prudence. Le com
merçant, dit Savary, dont les livres contiennent toutes
les affaires en aura une plus grande connaissance, et
par conséquent négociera plus prudemment en l’achat
et en la vente de ses marchandises ; il connaîtra ce qu’il
doit, ce qui lui est dû, la dépense qu’il fera chaque an-
�ART.
8 ET 9.
321
née ; et s’il trouve en avoir fait de superflue une année,
il retranchera la suivante.1
2 0 3 . — Le Code de commerce s’est approprié les
errements de l’ordonnance de 1673. L’article 8 pres
crit la tenue du livre journal, l’obligation de mettre en
liasse les lettres missives que le commerçant reçoit, et
de copier sur un registre celles qu’il envoie. L’article 9
exige que, tous les ans, il rédige un inventaire de ses
effets mobiliers et immobiliers, de ses dettes actives
et passives, et le copie année par année sur un re
gistre spécial à ce destiné. Le Code n’a donc innové
sur l’ordonnance qu’en ce qu’il rend obligatoires trois
livres, là où celle-ci n’en exigeait qu’un.
2 0 4 . — L’obligation de tenir des livres est donc
encore strictement imposée à tout commerçant. Toute
fois, comme il n’y a pas de règle sans exception, celleci en souffre quelques-unes, malgré les termes généraux
du Code.
Néanmoins, ces exceptions ne pourraient naître de
considérations personnelles au commerçant, alors mê
me qu’il prouverait avoir été physiquement dans l’im
possibilité de vaquer à ce soin. Nous admettons donc,
avec la cour de Caen, que celui qui ne sait ni lire ni
écrire n’est pas dispensé de tenir des livres.3 La loi, en
1 Ibid., pag. 292.
s 21 février 1820.
21
�322
DES LIVRES DE COMMERCE
effet, n’exige pas que les livres soient écrits de la main
du commerçant. Celui qui est dans l’impossibilité de
les tenir lui-même doit confier ce soin à un employé ou
commis capable de s’en acquitter, alors surtout que
l’importance de ses affaires le comporte et l’exige.
Mais si l’industrie exercée est réduite à des propor
tions telles que l'emploi d’un teneur de livres dût en
absorber les bénéfices , si par sa nature elle exigeait
des déplacements continuels, il ne serait ni rationnel ni
juste de soumettre le commerçant à une obligation évi
demment onéreuse ou même presque impraticable.
Dans ce cas, une exception est légitime et naturelle.
C’est ce que la cour de cassation a consacré en refusant
d’appliquer les peines de la banqueroute pour absence
de livres, notamment à de simples marchands col
porteurs.
Ainsi l’exception ne saurait être accordée que lors
qu’elle se fonde sur des motifs tirés du peu d’importance
réelle du commerce. Mais quelle que soit la position
sociale du négociant, qu’il soit ou non capable de tenir
ses écritures, rien ne saurait le délier de l’obligation
qu’en fait la loi, si le commerce par lui exercé a une
importance réelle et incontestable.
205.
— Les divers objets que s’est proposé le lé
gislateur dans les articles 8 et 9 rendent raison de leurs
dispositions. Le commerçant pourra vouloir exciper de
ses livres pour justifier les demandes qu’il introduira en
justice, ou pour repousser celles qui seront dirigées
�contre lui. En cas de faillite, c’est encore à l’aide de
ses livres qu’il voudra justifier les malheurs et les per
tes dont il excipe et prouver sa bonne foi. Tout cela,
évidemment, exigeait d’abord qu’il eût des livres, en
suite que la manière régulière et loyale dont ils auront
été tenus puisse garantir la véracité et la loyauté de
leurs énonciations. Or, ce caractère ne saurait résulter
que de la franche exécution de la loi.
L’ensemble des écritures d’un commerçant doit donc
offrir toutes les notions à l’aide desquelles on pourra
juger son administration, rendre compte de toutes les
ressources dont il a pu disposer, et de l’emploi qu’il en
a fait. A ce titre, l’article 8 exige que le livre journal
présente, jour par jour, les dettes actives et passives,
les opérations de son commerce, ses négociations, ac
ceptations et endossements d'effets, et généralement
tout ce qu’il reçoit et paye, à quelque titre que ce soit.
La généralité de ces dernières expressions, succédant
a des spécialités qui, dans leur ensemble, constituent à
leur tour une véritable généralité, ne permet pas le doute
sur l’intention de la loi. Ce que doit renfermer le livre
journal, ce n’est pas seulement le détail des opérations
relatives au commerce, c’est le tableau complet de la
position du négociant et la relation de tout ce qui se
réfère à ses ressources pécuniaires, à sa fortune. Ainsi
on ne devrait pas distinguer dans les dettes actives et
passives, elles doivent être inscrites au journal, alors
même qu’elles résulteraient d’actes notariés et de causes
étrangères à son commerce.
�324
DES LIVRES DE COMMERCE
Il en serait de même des recettes. Il ne faut pas que
le commerçant puisse en dissimuler aucune pour s’af
franchir de l’obligation d’en justifier l’emploi. Aussi la
discussion au conseil d’Etat prouve que son obligation
à cet égard comprend la mention de la dot qu’il aurait
reçue de sa femme, et celle de ce qui lui serait obvenu
du chef de celle-ci, ou de son propre chef, par succes
sion, donation ou autrement.
Telle était au reste la doctrine que la jurisprudence
avait induit de l’ordonnance de 1673, malgré que ces
termes fussent moins généraux que ceux du Code, mal
gré qu’elle ne parlât que des lettres de change, ce qui
semblait exclure les simples billets. Savary cite notam
ment un arrêt rendu par le parlement de Paris, le 22
juillet 1688, jugeant qu’un marchand est obligé de re
présenter ses livres pour justifier la vérité de sa créance,
quoiqu’il ait pour titre une reconnaissance passée de
vant notaire. On n’eût certes pas décidé ainsi si l’obli
gation d’inscrire ces sortes de créances sur le liyre jour
nal n’avait été admise.
La cour de cassation a jugé de plus que l’obligation
imposée par l’article 8 d ’inscrire tout ce que le com
merçant reçoit ou paie, à quelque titre que ce soit,
comprenait les recettes faites pour le compte de tiers
dont il serait mandataire. En conséquence, elle décide
que le silence des livres, relativement au prix de la
vente de marchandises appartenant à un tiers, doit être
regardé comme un défaut absolu de justification, auto
�risant les tribunaux à se décider d’après les documents
qui leur sont fournis par le mandant.1
206.
— L’obligation que fait l’article 8 d’inscrire
toutes les opérations du commerce, tout ce que le né
gociant reçoit et paie chaque jour doit être sainement
entendue et se régler sur la nature et le genre du com
merce. Ainsi le marchand en gros peut bien inscrire
une à une chaque opération qu’il réalise, le banquier
les négociations qu’il opère, mais astreindre le détail
lant à cette forme, ce serait le condamner à l’impossi
ble, et rendre la loi inexécutable.
Pour celui-ci donc il y aura accomplissement de son
obligation légale, si, jour par jour, il porte sur son jour
nal le total de la recette qu’il a opérée dans la journée,
soit au comptant, soit à terme.3
Par une juste application de cette règle, la cour de
Lyon a jugé, le 23 août 1825, que la fabrication des
armes se composant d’objets très-minutieux, confec
tionnés par un très-grand nombre d’ouvriers, il est im
possible que les fabricants tiennent des livres d’entrée
et de sortie de ces objets, de telle sorte qu’on ne peut,
dans une contestation, se prévaloir contre eux de ce
qu’ils sont hors d’état de représenter ces sortes de li
vres. Le pourvoi dont cet arrêt avait été l’objet fut re
poussé parla cour de cassation, le 18 décembre 1827.
1 24 décembre 1835.
2 Pardessus, n° 86.
�326
DES LIVRES DE COMMERCE
Ces premières prescriptions de l'article 8 se réfèrent
autant à l’intérêt privé des commerçants qu'à celui de
leurs créanciers et de la vindicte publique. D’une part,
en effet, elles auront pour résultat d’éclairer la cons
cience du juge sur les litiges qui lui seront soumis ; de
l’autre, de fournir les moyens de contrôler la conduite
du débiteur, quant aux. fraudes dont la faillite pourrait
faire soupçonner l’existence.
207.
— C’est plus particulièrement à ce dernier
point de vue que se rapporte l’obligation d’inscrire
mois par mois, sur le journal, les sommes employées à
la dépense de la maison. Le commerçant, qui opère en
général avec les fonds d’autrui, ne doit pas se livrer à
des dépenses folles ou exagérées. Son premier devoir
est de faire régner dans ses dépenses personnelles, dans
celles de sa famille, cette intelligente économie qui
n’exclut pas le bien-être, tout en se gardant de toute
prodigalité.
L’utilité de la mention mensuelle de la dépense se
révèle surtout à l’endroit d’un abus que la discussion
législative de la loi sur les faillites nous apprend avoir
été exploité sur une vaste échelle. Un commerçant em
barrassé de justifier la perte, souvent imaginaire, qu’il
prétendait avoir éprouvée, portait dans son bilan une
somme fort considérable, qu’il attribuait en bloc à la
dépense de sa maison, ce qui, comme s’en plaignaient
divers tribunaux de commerce, donnait à celle-ci une
proportion annuelle de dix, de quinze et même de vingt
�ART.
8 ET 9.
327
mille francs. Cet abus, l’exécution franche de l’article 8
le fait disparaître, ou tout au moins l’atténue singuliè
rement. L’énonciation mensuelle faite au journal, à une
époque où la failite n’était ni prochaine ni prévue, sera
pure de toute exagération, à moins qu’il ne fût démon
tré ; ou que le commerçant a toujours agi en prévision
de son événement, et pour se ménager le moyen de
s’attribuer une partie de son actif; ou que le livre qu’il
représente a été fabriqué après coup et depuis sa dé
confiture.
D’ailleurs, l’article 586 complète par une énergique
sanction le devoir que l’article 8 a fait relativement à
la dépense du commerçant. Celui dont la dépense aura
été jugée excessive sera poursuivi comme banquerou
tier simple et pourra être déclaré tel. La poursuite est
donc forcée, et sans nul doute les tribunaux ne tolére
raient plus un abus qui a vivement préoccupé le légis
lateur, et avant lui le commerce lui-même.
208.
— Le second paragraphe de l’article 8 pres
crit au commerçant de mettre en liasse les lettres mis
sives qu’il reçoit, et de copier, sur un registre, celles
qu’il envoie. L’importàùce de la correspondance dans
les litiges commerciaux ne saurait être méconnue. C’est
elle bien souvent qui en procurera la solution, en fixant
le caractère réel de l’opération, et les conditions pro
posées et acceptées. Les lettres reçues deviennent le
contrôle le plus décisif des copies de lettres dont on
pourrait exciper; celles-ci, à leur tour, offrent le moyen
�328
DES LIVRES DE COMMERCE
le plus naturel de suppléer au refus que ferait l’une des
parties de produire des lettres que l’autre prétendrait
lui avoir envoyées ; elles servent de plus à rappeler
sans cesse à leur auteur les circonstances de l’opération
dont il ne pourrait guère se souvenir, si un laps de
temps quelconque s’était écoulé depuis.
D’ailleurs, si les livres ordinaires constatent l’opéra
tion, ils sont muets sur le mode d’exécution qui a été
suivi. Cependant ce mode deviendra presque exclusi
vement l’objet du litige. C’est donc à la correspondance
qu’on sera réduit à demander la nature de l’ordre, les
modifications qu’il a subies, l’approbation, plus ou
moins explicite, donnée à son exécution. C’est donc
avec infiniment de raison que la loi exige la conserva
tion des lettres reçues et la copie de celles écrites. C’est
là un moyen de justifier les indications contenues au
journal. C’est là un secours indispensable, surtout en
tre le commissionnaire et son commettant.
L’obligation de garder copie des lettres qu’on écrit
s’applique même à celles que les commerçants d’une
même place s’envoient réciproquement. C’est ce que
la cour de Bordeaux a consacré en jugeant, le 18 mai
1829, qu’à défaut de transcription sur le livre copie de
lettres, les lettres émanées de négociants domiciliés sur
la même place ne peuvent être opposées à des tiers, ni
faire aucune foi à leur égard, quelque général que soit
l’usage des négociants de ne point copier ces lettres.
M. Pardessus rappelle, et loue avec juste raison, l’u
sage pratiqué par plusieurs maisons de commerce de
�ART.
8 ET 9.
329
conserver non-seulement les factures, qui font en quel
que sorte partie de la correspondance, mais encore
tous les billets, lettres de change et mandats qu’elles
acquittent. Cette précaution, dit M. Pardessus, est dans
l’esprit de la loi. Il ne suffît pas toujours, en effet, d’a
voir des livres régulièrement tenus, il faut encore que
les pièces originales en justifient l’exactitude. C’est d’a
près les récépissés, les comptes d’achat et de vente, les
factures, les lettres de change et billets acquittés, etc...,
autant que d’après leur correspondance, que les com
merçants passent écritures.1
209.
— Un des premiers et des plus indispensables
éléments de tout commerce est, pour le négociant, la
connaissance exacte de sa situation. L’ordre dans son
administration est à ce prix, puisque ce n'est qu’à l’aide
de cette connaissance qu’il saura ce qu’il peut se per
mettre, ce qu’il doit éviter.
C’est dans ce but que l’ordonnance de 1673 lui en
imposait le moyen, en prescrivant l’obligation d’un in
ventaire devant être récolé et renouvelé tous les deux
ans. La législation n’était en cela que l’écho d’une doc
trine s’étayant d’une pratique constante chez les com
merçants les plus honorables.
J ’ai vu, dit Savary, des marchands qui faisaient tou
tes les années pour quatre à cinq cent mille livres d’af
faires, qui n’ont jamais manqué de faire leurs inventai-
�330
DES LIVRES DE COMMERCE
res tous les ans. Aussi ont-ils heureusement conduit
leur commerce à bon port et laissé du bien considéra
blement à leurs enfants.
Favorable au développement du commerce, l’inven
taire n’est pas moins utile lorsqu’il faut, au moment de
la faillite, s’éclairer sur la consistance de l’actif déclaré
et sur la bonne ou mauvaise foi du débiteur. C’est par
^e rapprochement des déclarations avec les indications
de l’inventaire qu’on est à même de découvrir sile failli
a ou non détourné une partie de ses ressources.
Aussi le Code, s’associant à la pensée intelligente de
son devancier, l’a non-seulement consacrée, mais en
core notablement améliorée, d’abord en prescrivant un
inventaire annuel, ensuite en en rendant la transcrip
tion sur un registre spécial obligatoire. En effet, per
mettre son existence sur des feuilles détachées que le
commerçant pouvait égarer ou soustraire, c’était livrer
l’exécution de la loi à la libre volonté de celui-ci et se
priver du secours qu’on se promettait en cas de faillite.
Dans l’esprit de la loi, comme dans son texte, cet in
ventaire est dispensé de toutes les formes prescrites à
ces actes, il n’exige pas même le concours d’un homme
de l’art, ou d’un officier ministériel. Le commerçant le
rédige seul et sous seing privé. C’est en effet bien
moins la valeur que la consistance matérielle des ob
jets que la loi recherche, puisque cette valeur est natu
rellement indiquée d’une part par le prix de facture,
de l’autre par le cours actuel de la marchandise.
�ART. 8 Et 9.
331
210.
— Aussi n’est-ce pas à ce qui est relatif à
celle-ci que doit se borner le commerçant. Son inven
taire doit être un résumé exact et complet de son état
de situation. Il doit donc nécessairement comprendre
l’universalité de l’actif et du passif, de ses facultés mo
bilières et immobilières, des revenus et des charges, en
un mot tout ce qui est relatif à sa fortune, sans distinc
tion de ce qui concerne spécialement ou non son com
merce.
L’inventaire ainsi fait a pour premier résultat d’éclai
rer le commerçant sur sa situation, il voit le bénéfice
qu’il a réalisé, les pertes qu’il éprouve, les ressources
qui lui restent. Il est donc à même de juger s’il peut
ou doit continuer le commerce. Si les ressources sont
devenues insuffisantes, si les pertes absorbent ou dé
passent son capital, il doit liquider. La raison le lu ico aseille, la loi l’exige. Le commerce qu’il continuerait en
cet état, et qui le conduit fatalement à la faillite, n’est
plus qu'un abus, souvent même qu’une fraude dont on
pourra lui demander un compte sévère.
Il n’est pas douteux, de plus, que, chargé de l’actif
qu’il aurait lui-même indiqué dans son inventaire, le
commerçant ne dût, dans la même hypothèse, en justi
fier l’emploi, sous peine d’une présomption de soustrac
tion, et conséquemment d’une poursuite en banque
route frauduleuse.
Le livre des inventaires est donc un des éléments les
plus essentiels pour l’appréciation de la conduite du
commerçant, il est même le seul de nature à mettre sur
�332
DES LIVRES DE COMMERCE
la voie de la destination réelle de l’actif, puisque chaque
inventaire postérieur devra rendre raison des constata
tions contenues dans le précédent. Il était donc indis
pensable d’en rendre la tenue obligatoire pour prévenir
toute solution de continuité que la fraude voudrait ex
ploiter après l’avoir occasionnée.
211.
— Prescrire obligatoirement la tenue de tel
ou tel registre, c’était contracter l’obligation d’attacher
une sanction pénale à la violation de la loi. Ce devoir,
le législateur de 1673 l’avait trop énergiquement rem
pli. Aux termes de l’article 11 du titre il de l’ordon
nance, les négociants et marchands, tant en gros qu’en
détail, et les banquiers qui, lors de leur faillite, ne re
présentent pas leurs registres et journaux signés et pa
raphés, comme il est ordonné ci-dessus, pourront être
réputés banqueroutiers frauduleux. Or, la banqueroute
frauduleuse était punie de mort.
On comprend qu’en présence d’un pareil résultat, la
justice ne se montrât pas facile à user de la faculté qui
lui était conférée. Aussi, au dire de Jousse, un négo
ciant qui aurait été assez négligent pour ne pas tenir de
livres, ou du moins qui les aurait tenus sur des feuilles
volantes, ne serait pas réputé banqueroutier frauduleux,
dès qu’il représenterait ces feuilles volantes.
212.
— La sanction pénale du Code de commerce
est plus humaine, et par cela même de nature à offrir
une plus grande efficacité. La soustraction des livres
constitue seule, aujourd’hui, la banqueroute fraudu-
�ART.
8 ET 9.
333
leuse. Mais, aux termes de l’article 586, peuvent être
déclarés banqueroutiers simples ceux qui n’ont pas tenu
de livres et fait exactement leur inventaire ; ou dont
les livres et inventaires sont incomplets ou irrégulière
ment tenus ; ou n’offrent pas leur véritable situation ac
tive ou passive, sans néanmoins qu’il y ait fraude.
Ainsi la violation matérielle des obligations imposées
parles articles 8, 9, 10 et 11, alors même qu’elle ex
clut toute idée de fraude, peut constituer la banque
route simple. Il est dans l’esprit de la loi que la justice
use de la latitude qui lui est laissée, car, d’une part, il
ne faut pas que les prescriptions, à l’endroit des livres,
puissent être impunément violées, et, de l’autre, l’ar.
ticle 463 du Code pénal perm et, dans tous les cas,
de graduer la peine à l’importance de l'infraction. L’im
punité absolue conduirait à ce fâcheux résultat que les
garanties que la loi a voulu assurer à l’intérêt public
s’effaceraient complètement, et que la tenue des livres
deviendrait bientôt ce qu’elle était avant 1673, c’est-àdire purement facultative.
213.
— En résumé, tout commerçant est tenu d’a, voir un livre journal, un registre copie de lettres, un
registre d’inventaire. La destination de chacun d’eux
est nettement indiquée. Le commerçant n’a donc rem
pli son obligation que lorsqu’il a exactement accompli
les prescriptions de la loi sous ce double rapport.
Ces prescriptions sont absolues et s’appliquent à tous
les commerçants indistinctement. Mais elles ne dispen-
�334
DES LIVRES DE COMMERCE
sent pas ceux qui exercent certaines professions de
l’exécution des lois et règlements qui les obligent à avoir
des registres particuliers. Tels sont notamment, d’après
l’article 102 du Code de commerce, les commissionnai
res de transports; d’après l’article 1785 du Code civil,
les entrepreneurs de voitures publiques; d’après l’arti
cle 411 du Code pénal, ceux qui tiennent une maison
de prêts. Réciproquement, la tenue de ces registres spé
ciaux met ces individus en règle pour ce qui concerne
les obligations que les lois ou règlements leur imposent,
mais ne les exempte pas de celles que le Code de com
merce prononce en cas d’infraction aux articles 8 et
suivants.
214.
— Il est de plus évident que le Code de com
merce, en restreignant l’obligation des commerçants au
livre journal, au copie de lettres et au registre d’inven
taire, n’a pas entendu leur prohiber tout autre écriture.
Cela résulte expressément de ces expressions de l’article
8 : Le tout indépendamment des autres livres usités
dans le commerce.
Seulement ces livres ne sont pas indispensables.
Emanations du livre journal, ils n’ont pour objet que de
faciliter la gestion, en présentant le résultat des divers
détails dont celui-ci renferme l’ensemble.
215.
— En effet, pour arriver à connaître sa posi
tion exacte, le commerçant, au lieu de se mettre cha
que fois en opposition, comme créditeur ou débiteur,
�ART.
8 ET 9.
335
avec ceux à qui il paie, ou de qui il reçoit, se fait repré
senter par les divers objets dont sa fortune et son com
merce se composent. Il appelle capital, tout ce qu’il
possède en objets autres qu’argent et titres ; caisse, l’ar
gent effectif qui fait partie de ce capital ; effets à rece
voir, les lettres de change et les valeurs qu’il a dans
son portefeuille ou qu’on lui remet ; effets à payer, les
engagements qu’il a souscrits et qu’il doit acquitter à
leur échéance ; marchandises générales, celles qu’il
possède, qu’il achète ou qu’il vend, et quelquefois il les
subdivise en désignant chacune par son nom ; mobilier,
ses meubles et objets de nature mobilière qui ne peu
vent être considérés comme marchandises; ustensiles
de commerce, les comptoirs et autres objets d’usage ;
biens fonds, ses maisons, terres et autres immeubles ;
frais généraux, les loyers, impositions, e tc ., et tou
tes les dépenses relatives à son commerce ; dépenses de
ménage, ce que lui coûte l’entretien de sa famille ;
profits et pertes, les bénéfices qu’il peut faire, et les
pertes qu’il peut éprouver. Dans cet état de choses, la
balance qu’il établit de chacune des situations où il est
ainsi représenté lui fait connaître tous les détails de sa
position active et passive, et par suite l’ensemble de ses
affaires.
216.
— Pour quelques-uns de ces articles, le com
merçant se borne à ouvrir sur un grand livre un compte
spécial dont le crédit et le débit se balancent. Pour
d’autres, au contraire, il tient des livres particuliers,
�336
DE3 LIVRES DE COMMERCE
ce sont ceux qu’on qualifie d’auxiliaires. Ces livres
sont :
1° Le livre de caisse. La caisse reçoit et paye chaque
jour, elle est débitée de la recette et créditée de la dé
pense. Ce livre n’est dans ses diverses indications que
la répétition du journal, mais son utilité se révèle par
son objet. Il offre d’un seul coup d’œil l’état de la
caisse qu’on ne pourrait connaître, sans lui, qu’après
de nombreuses investigations sur le livre journal.
Cet avantage incontestable avait paru devoir en ren
dre la tenue obligatoire, M. Treillard en fit même la
proposition expresse au conseil d’Etat.
On répondit qu’en général il n’y avait que les gran
des maisons qui aient besoin d’un livre de caisse ; que
les petites n’en tiennent pas.
Que l’obligation de le faire serait, à l’égard des unes
et des autres, dangereuse et inutile.
Dangereuse, parce que la loi réputant banqueroutier
simple tout négociant qui n’a pas tenu les livres que la
loi l’oblige de tenir, ou dont les livres ne sont pas en
règle, le moindre oubli sur le livre de caisse pourrait
lui faire appliquer injustement cette qualification.
Inutile, parce que le livre de caisse n’est qu’un ex
trait du livre bouillard, et que ce dernier contient tous
les paiements et toutes les rentrées faites chaque jour
par le négociant.
M. Regnaud de Saint-Jean-d’Angély poursuivait :
« Le marchand a également d’autres registres renfer
mant le relevé partiel de son livre journal, mais la sec-
�ART.
8 ET 9.
337
tion a pensé qu’il ne fallait faire porter l’obligation que
sur le livre journal, c’est-à-dire sur le livre général,
qui présente l’universalité des opérations, et qui est in
dispensable dans toutes les maisons de commerce. »
Sur ces observations et sur celles présentées dans le
même sens par MM. Cretet et Bégouen, M. Treillard re
tira sa proposition.1
On voit dans la citation qui précède, M. Regnaud de
Saint-Jean-d’Angély qualifier indifféremment le livre
prescrit par l’article 8 de livre brouillard et de livre
journal. C’est une confusion dans laquelle on tombe as
sez souvent et dont on doit se garder. Le brouillard est
en quelque sorte le projet du journal, mais n’est pas
le journal lui-même. C’est un cahier de papier sur le
quel le commerçant jette une à une ses opérations,
pour les transporter ensuite, à tête reposée, sur le
journal. Cela surtout se réalise dans les maisons qui
n’ont leur teneur de livres qu’à de certaines heures. Il
résulte que le brouillard, qui ne saurait jamais rem
placer le journal, peut devenir pour celui-ci un utile
moyen de contrôle.
2° Le grand livre. Ce livre, ordinairement tenu par
ordre alphabétique, ne contient qu’une série de comp
tes courants, ouverts à chacun de ceux avec lesquels
le commerçant est en relation. C’est dans ses colonnes
que prennent place les divers articles dont nous nous
occupions tout à l’heure, et par lesquels le commerçant
1 Séance du U janvier 4807.
22
�338
DES LIVRES DE COMMERCE
représente sa situation. Ce livre, par l’ordre même dans
lequel il est tenu, n’offre aucune garantie sérieuse, il
ne serait rien sans le livre journal, dont il facilite l’u
sage.
3° Le livre des traites et billets. Il sert à l’inscription
de tous les effets négociables entrant ou sortant. Au
moyen de ces indications, il est facile de remonter à
travers les diverses transmissions jusqu’à l’origine du
billet ou de la lettre de change, et de les rétablir en cas
de perte, non-seulement à leur date, mais encore avec
les noms des souscripteurs, accepteurs ou endosseurs.
4° Le livre d’achats et ventes. Ce livre sert à la trans
cription des factures que le commerçant retire lors de
ses achats ou qu’il délivre lui-même lorsqu’il vend. Son
objet spécial est de procurer le moyen de connaître
sans cesse l’importance des unes ou des autres, sans
être obligé de se livrer au dépouillement des liasses de
factures ou à une pénible recherche dans le journal.
5° Le livre d’échéance. C’est celui sur lequel le com
merçant inscrit les sommes à payer et l’époque précise
de chaque paiement. 11 est indispensable pour empêcher
que le retard causé par une erreur, un oubli ou une
négligence n’amène un protêt funeste pour le crédit du
commerçant.
6° Le livre d’entrée et de sortie du magasin. Ce livre
est surtout utile pour les fabricants travaillant soit sur
la matière qu’ils achètent, soit sur celle qui leur est
fournie. La balance de la marchandise entrée et de celle
sortie indique celle restant en magasin, et avertit au
�ART. 8 ET
9.
339
besoin le commerçant de se livrer à de nouveaux achats
ou à suspendre ceux entrepris.
Ce livre est remplacé, dans de certaines industries,
par le livre des numéros, atteignant au même résultat.
Ce dernier consiste à diviser chaque nature ou chaque
espèce de marchandises en fractions recevant un nu
méro spécial, auquel on ouvre un compte distinct. On
débite chaque numéro de la quantité qu’il comporte au
moment de l’achat, on le crédite au fur et à mesure des
ventes des quantités sur lesquelles les ventes portent.
En balançant les unes et les autres, le commerçant con
naît d’une manière certaine ce qui lui reste de chaque
numéro.
7° Le livre des frais généraux. Ce livre se distingue
des autres en ce que, au lieu d’être la copie du journal,
il en est la souche. Les frais généraux peuvent se com
poser d’articles tellement minimes qu’il serait impossi
ble de les porter un à un sur le journal sans multiplier
les écritures au-delà de toutes proportions. En consé
quence, ils sont écrits jour par jour sur un registre, ar
rêtés chaque semaine au plus tard suivant le cas, et le
total inscrit sur le journal.
8° Le livre ou compte de profits et pertes. Les com
merçants ne procèdent pas tous, à cet égard, d’une ma
nière uniforme. Les uns ont un livre spécial, d’autres
se contentent d ’ouvrir un compte sur le grand livre.
Livre ou compte, sa destination exclusive est de ren
fermer d’un côté le bénéfice, de l’autre les pertes, et
�340
DES LIVRES DE COMMERCE
de concourir ainsi à éclairer le négociant sur sa situa
tion, et à le fixer sur les résultats de son commerce.
Comme on le voit, ces livres ne sont que des rameaux
divers partant d’une souche commune, le livre journal.
Ils ne font que séparer des opérations que celui-ci con
fond nécessairement, puisqu’il doit sans distinction les
inscrire par ordre de date et à mesure qu’elles se réali
sent. Ils sont donc utiles par l’ordre qu’ils mettent dans
les écritures et par les facilités qu’ils offrent au com
merçant, mais ils ne sont pas indispensables , le jour
nal les supplée tous, ils ne sauraient le remplacer. En
cas de contradiction dans leurs indications respectives,
c’est le journal qui serait préféré.
2 1 7 . — La loi, en tolérant les livres auxiliaires, a
par cela même autorisé le commerçant à les invoquer,
mais ce recours n’est légal qu’en tant qu’il a pour objet
de renforcer les indications du journal. Evidemment la
production de celui-ci rendrait non-recevable la pré
tention tendant à contraindre la représentation de ceuxlà, mais, à défaut de cette production, le commerçant
ne saurait être admis à la remplacer par celle de ses li
vres auxiliaires, quelques réguliers qu^ils fussent d’ail
leurs.
2 1 8 . — Il est une seule hypothèse où l’on pour
rait admettre le contraire, à savoir, s’il était établi que
le journal a péri par une circonstance majeure indépen
dante de la volonté du commerçant. L’équité comman
derait alors d’admettre à l’appui de sa demande tous
�a rt .
8
et
9.
341
les documents qui auraient survécu au naufrage, et
conséquemment les livres auxiliaires.
219.
— La tenue des écritures commerciales est
un art qu’il n’est pas donné à tout le monde de con
naître et d’exercer. La tenue en parties doubles sur
tout qui, comme l'observe M. Pardessus, est la plus
sûre et la plus exacte, exige des connaissances spécia
les qu’on ne trouve pas même chez des négociants trèshonorables. Mais la loi ne l’exige pas. Pourvu qu’il existe
un livre journal remplissant les conditions ci-dessus ex
posées; pourvu que le livre des inventaires soit fidèle
ment tenu, et que le copie de lettres soit le miroir loyal
de la correspondance, ses exigences, sous ce premier
rapport, sont pleinement exécutées, et le commerçant
est irréprochable s’il a, d ’ailleurs, obéi aux prescriptions
des articles suivants.
On sait que la tenue des livres en parties simples
consiste en ce que les débiteurs et les créanciers sont
énoncés seuls et isolément, sans que les écritures pré
sentent l’opération dans son ensemble. Ainsi on se con
tente d’écrire doit un tel.... avoir un tel.... sans dési
gner quels sont les rapports de la négociation ainsi énon
cée avec les objets qui composent la fortune du
commerçant.
« La tenue des écritures en parties doubles, dit
« M. Pardessus, est plus exacte, parce que, présentant
« tout l’actif et tout le passif dans leurs divisions res« pectives, il ne peut être porté un article à un compte
�342
DES LIVRES DE COMMERCE
« qu’il ne faille en passer un correspondant quelque
« part. Elle offre un tableau complet de chaque opéra« tion, et fait ressortir des rapports et de la comparai« son des divers comptes, qui marchent tous d’un pas
« égal, un solde précédé des preuves de son exactitude.
« En effet, chaque opération commerciale est nécessai« rement composée, et met deux intérêts en quelque
« sorte en présence. La tenue des livres en parties
a doubles, présentant toujours cette opposition d’inté« rêts, est seule complète, elle a seule la faculté d’avoir
« prouvé son exactitude au raisonnement, avant de
« l’avoir démontrée aux yeux, par le calcul ou la vé« rification ultérieure. La base fondamentale de ce
« mode d’écritures et la seule condition qui soit reo quise sont de décrire tout ce qui se fait, et rien que
« ce qui se fait ; de ne passer aucune écriture sans éta« blir le compte des deux agents de l’opération. Par ce
a moyen, celui dont les spéculations portent sur une
« grande quantité de choses ou de négociations diver« ses, est à même de connaître non-seulement sa si« tuation générale, mais encore la situation de chaque
« opération particulière.
« Ainsi, lorsqu’un commerçant reçoit de l’argent, la
« caisse est débitrice, soit envers quelqu’un qui a versé
« la somme, soit envers une chose vendue dont le prix
« est entré dans la caisse ; lorsqu’il en sort, la caisse
« est créancière ou des choses achetées, ou des obliga« tions acquittées.
« S’il entre des marchandises chez un commerçant,
�ART.
«
«
«
«
«
«
«
«
«
«
«
«
«
8
ET
9.
343
elles doivent à la caisse le prix de leur achat î et s’il
en sort, elles sont créancières pour leur p rix , soit
de la caisse si elles ont été payées, soit des effets à
recouvrer si l’acheteur a réglé de cette manière, soit
enfin de cet acheteur s’il a obtenu crédit sans souscrireou fournir des effets. Mais si la vente a excédé
le coût, il reste sur le compte de la marchandise vendue un excédant de valeur qui est le bénéfice, et qui
se solde en le transportant au compte général des
profits. Dans le cas contraire, où, soit la détérioration, soit la dépréciation des marchandises, soit tout
autre cause, aurait occasionné un déficit, il est transporté du côté des pertes.
« S’il entre chez un commerçant des effets qu’il garde
« à sa disposition, leur compte doit ce qu’ils ont coûté
« ou ce qu’ils représentent, soit à la caisse, soit aux
« choses fournies en contre-valeur ; et s’il en sort, ce
« compte est créancier soit de la caisse, s’ils ont été
« vendus au comptant, soit des objets achetés et payés
« avec ces effets, soit des personnes à qui ils ont été
« cédés en compte ou à crédit. En un mot, c’est une
« règle constante de comptabilité commerciale, qu’une
« chose entrée sous une dénomination, doit sortir sous
« la même dénomination, quel que soit l’usage auquel
« on l’applique.
« Tel est ce système des parties doubles dans lequel
« un compte sert de contrôle à l’autre, parce que rien
« n’a pu entrer dans la caisse sans éteindre une créance
« active, sans être le prix d’une valeur aliénée ou sans
�34*
DES LIVRES DE COMMERCE
o
«r
«
«
«
«
«
«
«
«
correspondre à un profit ; réciproquement, il faut
que tout article passé au débit ait son correspondant
dans le crédit d’un compte quelconque, ce qui facilite
la vérification et prévient les erreurs. Par ce moyen,
chaque jour, le commerçant est en état de se rendre
un compte détaillé de sa situation avec chaque correspondant et surtout avec lui-même; chaque jour
il peut voir quelle branche de son commerce donne
du profit ou de la perte, et non-seulement s’il gagne, mais où passent les profits.1 »
Il semble qu’un mode de tenue de livres qui offre de
pareils avantages aurait dû être obligatoirement pres
crit à tous les commerçants. Notre loi commerciale n’a
rien ordonné à ce sujet et avec juste raison, que les
maisons de premier ordre, qui font un commerce con
sidérable y aient intérêt, c’est ce que démontre la pra
tique, car il n’en est pas une peut-être qui ne tienne ses
écritures en parties doubles et cela sans y être con
trainte.
Mais combien de commerçants, pour lesquels les
avantages de ce mode ne compenseraient pas les char
ges qu’il imposerait, par l'obligation d’avoir un teneur
de livres spécial. La tenue des livres en parties simples,
dit M. Dalloz, peut suffire à ceux dont les affaires sont
peu compliquées ; et c’est parce que le législateur l’a
ainsi pensé qu’il a, par son silence, autorisé chacun à
i N® 8 8 .
n* 235.
V. Molinier,
i,
pag.
220.
Dalloz,
R é p . g è n „ v ° com m e rç a nt,
�ART.
10 ET 11.
345
agir suivant ses convenances. Nous le répétons, peu im
porte la manière dont ses prescriptions relativement aux
livres seront remplies. Il suffît qu’elles le soient de ma
nière à réaliser l’objet que ces prescriptions se sont pro
posées.
A rt.
10.
Le livre journal et le livre des inventaires
seront paraphés et visés une fois par année.
Le livre de copie de lettres ne sera pas sou
mis à cette formalité.
Tous seront tenus par ordre de dates, sans
blancs, lacunes, ni transports en marge.
A rt.
11.
Les livres dont la tenue est ordonnée par les
articles 8 et 9 ci-dessus, seront cotés, paraphés
et visés, soit par un des juges des tribunaux de
commerce, soit par le maire ou un adjoint, dans
la forme ordinaire et sans frais. Les commer
çants seront tenus de conserver ces livres pen
dant dix ans.
SOMMAIRE
520. Nécessité et objet des formalités prescrites pour l’authenti
cité des livres. Inexécution dont l ’ordonnance de 1673
avait été suivie à cet endroit.
�346
221.
222.
223.
224.
225.
226.
227.
228.
229.
230.
231.
232.
233.
234.
235.
236.
237.
238.
239.
DES LIVRES DE COMMERCE
Importance de cette circonstance pour faire juger de l'in
tention du nouveau législateur.
Preuve de la volonté de contraindre l ’exécution littérale de
ses dispositions.
Résistance du commerce, son irrationalité, surtout depuis
la loi du 20 juillet 1837.
Objet et caractère de celle-ci.
Les livres obligatoirement prescrits doivent être visés, co
tés et paraphés. Débat que fit surgir l’intervention du
maire ou adjoint. Son caractère.
Objet de ces premières formalités.
Pour quel motif le législateur a soumis au visa annuel le
journal et le livre des inventaires.
Débats au conseil d’Etat pour savoir si on devait rendre
cette formalité commune aux copies de lettres.
Exigences de la loi en ce qui concerne la tenue régulière
des livres. 1° Ordre de dates.
2* Absence de tous blancs et de toute lacune.
3’ Défense de tout transport en marge.
Importance de ces formalités. Devoir que leur exécution im
pose au commercé et aux tribunaux.
Obligation pour les commerçants de conserver leurs livres
pendant dix ans.
Conséquences du silence que l ’ordonnance de 1673 avait
gardé à cet’ égard.
Discussion au conseil d’Etat.
Point de départ de ce délai.
Q u id s’il est certain que les livres ont été conservés et sont
en la possession du commerçant ?
Caractère de l ’exception créée par l ’article 11. Conséquen
ces quant aux causes qui interrompent et suspendent la
la prescription.
Faculté que le commerçant a de la répudier. Impossibilité
�pour tout autre de l’invoquer ou de contraindre celui-ci
à le faire.
220.
— Ce n’était pas tout d’ordonner que les
commerçants auraient des livres ; il fallait, puisque ces
livres étaient dans le cas d’être produits en justice et de
faire foi de leur contenu, veiller à prévenir tout abus,
et pour cela ordonner des mesures propres à en cons
tater l’identité, à en assurer l’exactitude, à en garantir la
sincérité.
Déjà, et dans ce triple objet, l’ordonnance de 1673
avait rendues obligatoires les formalités que le Code de
commerce a à son sour consacrées. Mais il ne paraît
pas que le commerce ait été fort exact à les remplir, et
que la justice se fût montrée fort jalouse d’en assurer
l’exécution. « Aujourd’hui, dit Jousse, toutes ces for
malités ne sont plus guère observées dans l’usage. On
n’y tient pas même la main dans les juridictions consu
laires ; et ce défaut d’observation de la loi a même été
autorisé par des arrêts. Ainsi, un journal qui ne serait
ni signé, ni coté, ni paraphé, n’empêcherait pas un mar
chand de pouvoir demander ce qui lui est dû pour rai
son de son commerce, en vertu de ce journal, si, d’ail
leurs, il est tenu de suite et par ordre de dates, et sans
aucun blanc, et si celui qui forme cette demande est
d’une probité connue et incapable de supposer des arti
cles faux.
« Ce défaut de signature et de paraphe ne fait pas
non plus supposer la fraude dans le cas de faillite d’un
�348
DES LIVRES DE COMMERCE
marchand. On juge qu’il a négligé de se soumettre à la
formalité établie par la loi, et cette négligence est excu
sable quand la bonne foi paraît d’ailleurs.1 »
De son côté, Denizart enseigne que l’usage des con
suls de Paris était d’ajouter foi aux registres des négo
ciants non paraphés ni cotés , pourvu qu’ils fussent
reliés.3
2 2 1 . — Ainsi en 1761, époque à laquelle écrivait
Jousse, et depuis longtemps déjà, les formalités pres
crites par le législateur de 1673 étaient inobservées, et
les tribunaux mêmes s’étaient associés à l’abandon qu’en
avaient fait les commerçants. La constatation de cette
pratique était un fait important. Elle doit servir à dé
terminer le motif que les auteurs du Code ont eu de
les prescrire d’une manière formelle dans les articles
que nous examinons. 11 est évident que si le législa
teur eût entendu s’associer à ce qui se fait et approuver
l’usage commercial et judiciaire en présence duquel il
se trouvait, il se serait bien gardé d’exprimer une vo
lonté contraire. On ne fait pas une loi pour la laisser
impunément méconnaître et violer.
2 2 2 . — Notre législation a donc formellement con
damné la pratique née depuis l’ordonnance, elle a évi
demment voulu l’exécution entière et fidèle des pres-
i Sur l’art. 6, tit. m de l ’ordonnance.
S V. livres et registres n° 7,
�ART.
10
ET
11.
349
criptions qu’elle sanctionnait dans les articles 10 et 11,
et la preuve s’en tire d’abord de la consécration de ces
deux articles.
Cette preuve ressort bien plus explicite de l’esprit
de la loi. Ainsi, dans l’exposé des motifs du projet du
Code, la commission primitive ne séparait pas l’authencité de la forme de l’existence des livres, il nous a paru
important, disait-elle, d’en prescrire sévèrement la te
nue, d’en authentiquer la forme, pour éviter les tenta
tives de fraude et les moyens de falsification.
Elle ajoutait : « Les anciennes lois prescrivaient im
périeusement l’authenticité des livres de commerce. Il
ne faudrait pas conclure de leur inexécution qu’elle
n’était pas nécessaire. Les abus qu'on a tolérés ne ju s
tifient pas les abus, ils ajoutent à la nécessité de les
réprimer.
« La cause qui a peut-être rendu ces abus trop com
muns et l’inexécution des anciennes lois presque géné
rale, c’est qu’en prescrivant ces devoirs, elles n’impo
saient aucune peine à ceux qui les avaient enfreints.
Nous avons senti combien cette garantie était nécessai
re, et nous avons non-seulement prescrit l’inadmissibi
lité des livres non authentiques, mais nous avons dé
claré à ceux qui négligeraient de se conformer au vœu
de la loi, que, dans le cas de faillite, cette contravention
était une présomption de fraude qui autorisait contre
eux une poursuite criminelle. >■
Ces sentiments furent partagés par le conseil d’Etat.
�350
DES LIVRES DE COMMERCE
Ils étaient hautement exprimés au nom des sections
réunies du tribunat.
« Quelque gênantes et minutieuses que puissent pa
raître les formalités prescrites; disait l’orateur, elles
sont devenues indispensables pour mettre un terme
aux désordres qui se sont introduits dans le commerce.
L’obligation de les remplir, en éclairant à chaque ins
tant le commerçant honnête sur sa véritable position,
empêchera qu’il ne puisse s’abuser lui-même sur ses
moyens réels, lorsque le succès de ses spéculations
n’aura pas répondu à son attente ; et elle l’avertira de
s’arrêter à temps pour son honneur, et ne pas entrainer
dans sa ruine ceux qui pourraient avoir confiance en
lui. En cas de faillite, ces formalités mettront à même
de distinguer l’homme honnête et malheureux de l’hom
me inconsidéré et de mauvaise foi qui aura spéculé
sans prudence ni discernement, ou qui aura prémédité
une banqueroute frauduleuse. Dans le même cas, leur
omission sera un motif de prévention contre l’individu
qui s’en sera rendu coupable, et aucun négociant ne
pourra raisonnablement se plaindre d’être astreint à
une obligation qui a pour objet de rétablir l’ordre dans
ses affaires, d’éclairer la justice sur sa conduite et de la
justifier, en cas de besoin, dans l’opinion publique. »
Ainsi le législateur de 1807 a considéré l’inobserva
tion de l’ordonnance de 1673 comme un abus donnant
naissance à de graves désordres. C’est assez dire qu’il
n’a sanctionné les mêmes prescriptions qu’avec la ferme
intention de les faire littéralement exécuter. Mais il n’a
�ART.
10
ET
11.
351
pas mieux réussi que son prédécesseur. Aujourd’hui
encore, les maisons de commerce ayant des livres visés,
cotés et paraphés sont d’honorables, mais fort rares
exceptions.
223.
— On ne comprend pas que le commerce,
qui est la première victime des fraudes si ordinaires
dans les faillites, résiste obstinément à des mesures de
vant avoir pour conséquence forcée d’en'diminuer le
nom bre, d’empêcher les plus considérables. Que la
mauvaise foi cherche à se cramponner aux moyens de
vant la faire réussir, c’est ce qu’on peut, c’est ce qu’on
doit attendre d ’elle, mais que les tribunaux n’opposent
pas à cette tendance une barrière infranchissable, qu’ils
délaissent la faculté que leur donne l’article 586, c’est
ce' qui est fort regrettable dans l’intérêt public et au
point de vue du respect dû à une loi positive.
Jusqu’en 1837, cet état de choses avait un fonde
ment presque plausible dans une exigence évidemment
irrationnelle du législateur. Nous voulons parler de la
disposition de la loi du 13 brumaire an vil, qui nonseulement soumettait au timbre ordinaire les livres de
commerce, mais qui défendait de coter et de parapher
sur papier non timbré.
Dans la discussion au conseil d’Etat, on affranchit de
cette formalité le livre copie des lettres, mais on dé
clara en même temps ne rien innover aux lois des finan
ces. Les autres registres continuèrent donc d’être sou
mis à leur empire.
�352
DES LIVRES DE COMMERCE
/
C’était là une charge énorme, aussi inégale qu’injuste,
à laquelle le commerce ne devait pas volontairement se
soumettre. Aussi plusieurs tribunaux et chambres de
commerce en avaient signalé l’insupportable rigueur,
ils demandaient que, si on le maintenait, cet impôt fût
rabaissé par la création d’un timbre particulier, d’un
prix inférieur au tarif actuel, spécialement applicable
aux registres et livres de commerce.
De son côté, le tribunat attaquait la nécessité du tim
bre, qu’il considérait comme pouvant, par l’exagération
du droit, empêcher l’exécution des formalités prescrites
parles articles 10 et 11, formalités d’autant, plus pré
cieuses, disaient les sections réunies, qu’on pourra en
appliquer les conséquences soit aux faillites, soit aux
diverses circonstances qui exigent la recherche de tous
les indices propres à faire présumer la bonne foi ou la
fraude.
Le tribunat ajoutait : a En rappelant à quel point la
loi de brumaire étend l’usage des livres sur papier tim
bré, on rend évidente l’extrême inégalité de l’impôt qui
frappe le détaillant et l’artisan d’une manière beaucoup
plus rigoureuse que les négociants, ceux-ci faisant avec
bien moins d’écritures des affaires bien plus considéra
bles. S'il est impossible de corriger cette inégalité, n’estil pas à propos d’y appliquer le remède nécessaire
pour tout impôt entaché de ce vice, d’en fendre la
quotité très-faible? Cette mesure n’entraînerait qu’un
sacrifice apparent, puisque la perception actuelle de
�ART.
10
ET
11.
353
l’impôt se trouve restreinte en proportion même de sa
rigueur.
« Les sections réunies se font un devoir de recom
mander la réclamation des chambres de commerce à la
sagesse du gouvernement.1 »
Ces considérations n’amenèrent aucun résultat, et la
loi de l’an vu continua d’être exécutée. Mais son main
tien ne tarda pas à justifier les prévisions du tribunat.
D’année en année, l’exécution des articles 10 et 11 de
vint moins fréquente, ce qui détermina une diminution
progressive dans les produits de l’impôt. En 1837, la
recette atteignait à peine à 87,000 fr., tous les com
merçants avaient déserté l’obligation de tenir leurs li
vres sur timbre.
224.
— Cet état de choses fit ce que les justes ob
servations des chambres de commerce et du tribunat
n’avaient pu déterminer. L’article 20 de la loi des finan
ces du 20 juillet 1837 ordonna qu’à partir du 1er jan
vier 1838, il serait ajouté trois centimes additionnels
au principal de la contribution des patentes, pour tenir
lieu, dans l’intérêt exclusif du trésor, du droit du tim
bre des livres de commerce, qui en seraient alors af
franchis.
Cette disposition était une amélioration incontestable
sous le rapport non-seulement de la quotité de l’impôt,
mais encore de sa proportionnalité, elle fut cependant
1 Locré, t. xvu, p. 293.
23
�354
DES LIVRES DE COMMERCE
attaquée à la chambre des pairs. Comment se fait-il,
disait le marquis Barthélemy, qu’en présence de la
prospérité qu’on nous annonce, l’esprit de fiscalité ait
porté les ministres à venir demander une augmentation
de charges publiques qui se fera vivement sentir dans
les localités où, comme à Lyon par exemple, les centi
mes additionnels sont déjà si nombreux, et où le com
merce est en souffrance? L’impôt qu’il s’agit de rem
placer était tombé en désuétude, et dès lors il devrait
être supprimé.
Je ne crois pas, répondait le ministre des finances,
qu’on doive considérer cette disposition comme une
augmentation de charges. En effet, ceux des négociants
qui obéissaient à la loi, et qui avaient soin de faire tim
brer leurs livres de commerce, supportaient une dé
pense beaucoup plus forte que celle qui résultera pour
eux des trois centimes. Quant aux autres négociants,
ils éludaient l’application de la loi, et on ne peut consi
dérer, à leur égard, la perception nouvelle comme une
augmentation de charges, mais on doit y voir le retour
à une charge qui devait peser sur eux. Le gouverne
ment a pensé que la justice exigeait que l’impôt pesât
également sur tous.
Sans doute l’abolition absolue de l’impôt était préfé
rable. Mais en admettant que les besoins du trésor ne
permissent pas de la consacrer, la loi de 1837 en faisait
une répartition plus exacte, moins onéreuse et par cela
même plus intelligente que celle de la loi de l’an vil.
Dès lors aussi l’absence des formalités prescrites pour
�ART.
10 ET 11.
355
l’authenticité des livres de commerce en devient sans
motifs. L’impôt se trouvant, dans tous les cas, inévita
blement payé, on ne voit pas pourquoi le redevable ne
s’empresserait pas d’acquérir en échange les avantages
qu’il puisera dans la régularité de ses écritures. D’autre
part, les tribunaux, que la nécessité de pourvoir à une
lourde charge avait pu mettre en considération, n’ont
plus aucun prétexte pour ne pas exiger l’accomplissemeint rigoureux des formalités que la loi prescrit ex
pressément.
225.
— L’article 11 exige pour la régularité des
écritures que le livre journal, celui de copie des lettres
et celui des inventaires soient visés, cotés et paraphés
par un des juges des tribunaux de commerce, ou par
le maire ou adjoint, dans la forme ordinaire et sans
frais.
/ L’intervention de l’autorité administrative avait été
combattue d'abord comme appelant l’administration à
s’immiscer dans un acte ressortissant exclusivement de
l’autorité judiciaire ensuite comme exposant à un dan
gereux abus.
Souvent, en effet, les marchands attendront, pour
faire coter et parapher leurs registres, qu’une contesta
tion les oblige de les produire. Alors ils iront trouver
un maire peu \ éclairé, sur la facilité duquel ils auront
compté, et qui, pour prix de sa complaisance, se trou
vera peut-être engagé dans un procès criminel.
On proposait donc de faire substituer le juge com-
�356
DES LITRES DE COMMERCE
mercial soit par un des juges du tribunal civil, soit par
le juge de paix du canton.
Ce qui fit repousser cette proposition et maintenir
l’article, fut d’abord la pratique recommandée par l’or
donnance de 1673, pratique fort sage, puisque dans
toutes les localités il y aura un maire, tandis que le
commerçant éloigné du siège du tribunal de commerce
peut l’être également de celui du tribunal civil et de la
résidence du juge de paix, ce qui pouvait entraîner
des inconvénients et des longueurs qu’il importait d’é
viter.
Remarquons en outre que le Code de commerce a
innové sur l’ordonnance, en ce que celle-ci n’appelait
le maire ou l’adjoint qu’à défaut de juge consulaire,
tandis que le Code admet leur concours dans les locali
tés mêmes où il existe un tribunal de commerce. Si les
membres de ces tribunaux, disaient les sections réu
nies du tribunat, étaient seuls chargés dans les grandes
villes de coter et parapher les livres des commerçants,
ce travail absorberait la presque totalité de leur temps.
D’ailleurs, les maires et adjoints placés dans les grandes
villes sont ceux dont l’intelligence et l’exactitude mé
ritent le plus de confiance. De là, la disparition dans
l’article 11 de la restriction que l’article 3 du titre m
de l’ordonnance de 1673 renfermait.
226.
— Ainsi les livres des commerçants doivent
être visés, cotés et paraphés par un juge consulaire, ou
par le maire ou l’adjoint, sans frais aucun. Le but de
�ART.
10
ET
11.
357
cette formalité est de constater l’identité de ces livres,
d’empêcher en conséquence toute substitution fraudu
leuse, soit à l’occasion d’une instance, soit pour pour
voir aux nécessités d’une faillite, ce qui est bien plus à
redouter.
On comprend, en effet, que plus la spéculation et la
fraude auront de part à la faillite, et moins on pourra
se flatter d’avoir les véritables écritures du failli. Il
faudrait supposer que du jour de son entrée dans le
commerce, le négociant les a tenues dans cette unique
prévision, ce qui est peu admissible, surtout lorsque
son commerce s’est continué pendant plusieurs années.
Mais il arrivera alors que jusqu’au moment où la
certitude de la faillite aura inspiré la pensée de la
fraude, ses livres seront le miroir plus ou moins exact
des opérations, et que leurs énonciations pourraient
opposer un sérieux obstacle au succès de la fraude. On
ne pourra donc pas, on ne voudra pas certainement les
produire. Ce qu’il faudra dans cette hypothèse, ce sont
des livres créés à cause de la faillite et à son occasion,
et ces livres, on les fabriquera ou on les fera fabriquer
après coup.
Cette prévision n’a rien de trop hasardeux. Celui qui
s’est occupé habituellement des faillites est à même de
comprendre et de juger tout ce qu’elle a de sérieux et
de réel. Fabriquer des écritures à l’usage des faillis ou
de ceux qui se préparent à le devenir, constitue dans
les grandes villes une industrie lucrative qui s’exerce
pour ainsi dire ostensiblement.
�358
DES LIVRES DE COMMERCE
Le seul moyeu d’opposer une barrière à cet abus
aussi déplorable que dangereux est l’exécution littérale
des prescriptions de nos articles : qu’on n’accepte com
me sérieux que les livres visés, cotés et paraphés ; qu’on
déclare banqueroutier frauduleux ceux qui, n’en pro
duisant aucun de ce genre, seront présumés les avoir
soustraits pour les remplacer par ceux qu’ils présen
tent ; qu’on leur applique tout au moins les peines
de la banqueroute simple, en conformité de l’article
586, et la justice verra diminuer le nombre de ces
faillites scandaleuses et coupables , aussi profitables
à leurs auteurs que ruineuses pour les malheureuses
victimes.
227.
— Le législateur, il faut le reconnaître, n’a
rien négligé pour qu’on pût arriver à ce résultat, il ne
s’est pas contenté d’exiger que les livres fussent visés,
cotés et paraphés, il veut plus encore, il soumet le li
vre journal et celui des inventaires à être paraphés et
visés une fois l’an. 11 est évident, en effet, que l’exécu
tion de l’article 11 n'empêche pas la fraude d’une ma
niéré absolue, un négociant pouvant, à toutes fins, faire
coter, viser et parapher ses livres à double exemplaire
et en garder un à l’effet de refaire ses écritures le cas
échéant.
Le visa annuel rend cette précaution inefficace, car
on ne pourrait, sans se rendre coupable d’un faux ma
tériel, le transporter sur le livre nouvellement fabriqué,
et son absence fera soupçonner et reconnaitre la fraude.
�A RT.
10
ET 11.
359
Ajoutons que cette formalité, tout en concourant d’une
manière énergique à assurer l’authenticité des registres,
offre une garantie précieuse de l’exécution de l’obliga
tion de faire annuellement un inventaire.
La loi a donc fait tout ce qui était possible pour as
surer la bonne foi dans les transactions commerciales.
Si la fraude ne les vicie encore que trop souvent, c’est
qu’on tolère sa violation. On ne saurait dès lors l’accu
ser des maux en résultant. L’institution est suffisante,
ce sont les hommes qui restent en deçà de leurs obliga
tions et de leurs devoirs.
228.
—- Dans la discussion au conseil d’Etat, on
proposa de soumettre également au visa annuel le livre
copie des lettres. Ce livre, disait-on, mérite une atten
tion particulière, parce que c’est par la correspondance
que la fraude s’exerce.
Mais on répondit que le livre copie des lettres, quoi
que indispensable, ne devait cependant être considéré
que comme un registre auxiliaire. Or, ces sortes de re
gistres sont trop multipliés dans une maison de com
merce pour qu’on les soumette au visa exigé par l’arti
cle 10. On n’interroge au surplus la correspondance
que pour vérifier les détails , les clauses diverses des
conventions qu’un négociant a pu faire avec ses corres
pondants par lettres missives. La situation d’un négo
ciant est tout entière dans son livre journal, qui, conte
nant nécessairement les éléments dont se composent
tous les autres livres, présente l’ensemble de ses opé
rations.
�360
DES LIVRES DE COMMERCE
D’ailleurs, la crainte qu’un négociant enlevât ou in
tercalât un cahier dans son livre copie des lettres est
illusoire, puisque, aux termes de l’article 11, ce livre
doit être visé, coté et paraphé.
Enfin, on a beaucoup moins à craindre la contrefaçon
de la correspondance, puisque les lettres elles-mêmes
sont entre les mains de leur destinataire, et que leur
production ferait prendre la fraude la main dans le sac.
Une lettre s’explique ordinairement par celles qui l’ont
précédée et suivie. Une supposition de lettres intro
duites par fraude dans la correspondance pourrait donc
facilement être reconnue et constatée par l’ensemble
de la correspondance.
Ces considérations firent et devaient faire repousser
la proposition.
229.
— Après s’être ainsi occupé de l’identité des
livres, le législateur prescrit les moyens qui doivent en
constituer la régularité. Il exige qu'ils soient tenus par
ordre de dates, sans blancs, lacunes, ni transports en
marge.
L’ordre des dates est, pour le commerçant, la con
séquence forcée de l’obligation d’inscrire ses opérations
jour par jour et à mesure qu’elles se réalisent. L’exécu
tion de cette obligation est exclusive d’une confusion et
d’une transposition quelconque, puisque les opérations
de la veille s’accomplissent nécessairement avant celles
du lendemain. Il n’y a donc de livres régulièrement te-
�ART.
10
ET
11.
361
nus que ceux qui deviennent, au moyen de cet ordre,
l’image exact et fidèle du commerce.
230.
— Pour qu’on les considère comme réguliers,
les livres doivent en outre être rédigés d’un seul trait
et sans blancs dans l’intervalle d’un article à l’autre.
L’existence de ces blancs est une forte présomption de
fraude. En effet, elle ne peut être expliquée que par
l’intention de se réserver le moyen de modifier l’arti
cle qui les précède ou les suit immédiatement. C’est
ainsi qu’on peut ajouter comme vendues des marchan
dises qui ne l’ont pas été, ou augmenter le chiffre des
sommes prétendues payées.
Il est vrai qu’on pourrait dire que, puisque les blancs
existent encore, la fraude n’aurait pas été consommée.
Mais l’existence de ceux qu’on y trouve effectivement
peuvent facilement faire soupçonner qu’il y en avait
qu’on a remplis. Comment, d’ailleurs, savoir si celui
qu’on voit est tel qu’il a été laissé, si une partie n’en a
pas été déjà employée à constater une énonciation
mensongère et frauduleuse? Tout cela jette sur le re
gistre ainsi tenu un vernis de déloyauté qui exclut toute
confiance.
Le même résultat serait admis si les registres offraient
des lacunes plus ou moins réitérées, plus ou moins im
portantes. Le registre d’un commerçant doit offrir l’en
semble de son administration, il n’a de valeur réelle
que lorsqu’il rend raison de toutes ses opérations.
Conséquemment, si dans diverses circonstances il a
�362
DES LIVRES DE COMMERCE
sciemment omis de porter sur son registre les actes
qu’il a réellement accomplis, on doit présumer qu’il
n’a fait en cela qu’obéir à un intérêt illégitime. Com
ment dès lors ajouter foi à ces mêmes livres, lorsqu’il
voudra en faire résulter un avantage personnel ?
2 3 1 . — Enfin la loi prohibe tout transport en mar
ge. On ne comprend la nécessité de ces transports que
dans l’hypothèse d’une modification arrêtée et convenue
entre les parties, ou d’une découverte d’une omission
ou d’une erreur.
Or, en matière commerciale, modifier une opération,
c’est faire une opération nouvelle devant être portée,
non en marge de la précédente, mais dans le livre jour
nal lui-même, à la date à laquelle elle s’accomplit. Il en
est de même de l’erreur ou de l’omission. On doit en
faire article du journal du jour de leur découverte.
Le simple transport en marge serait donc trop éloigné
des vraies habitudes commerciales pour ne pas être
suspect.
2 3 2 . — Telles sont les formalités que la loi a cru
devoir prescrire, pour imprimer aux livres commerciaux
le caractère de loyauté et de sincérité sans lequel ils
ne sauraient mériter aucune confiance. Ces formalités
sont essentielles dans l’intérêt privé, car le négociant
trouvera dans leur accomplissement le moyen d’établir
sa bonne foi dans les litiges particuliers, et de justifier
sa conduite dans le cas où des revers immérités le ré
duiront à traiter avec ses créanciers.
�ART.
10
ET
11,
363
Elles intéressent l’ordre public, car, en multipliant
les garanties, elles appellent la confiance, raffermissent
et développent le crédit, ces éléments indispensables à
tout commerce et, par voie de conséquence, à la pros
périté de l’Etat.
Les négociants loyaux, trop souvent victimes de
faillites frauduleuses, doivent donc concourir à l’exé
cution de la loi, d’abord par leur exemple en s’y sou
mettant eux-mêmes scrupuleusement, ensuite par leur
conduite en déférant à la justice du pays ceux qui leur
demanderont une remise, un concordat, et dont les li
vres ne rempliraient pas les conditions voulues.
C’est aux tribunaux à veiller, de leur côté, à ce que
la volonté si manifeste de la loi ne soit pas condamnée à
la stérilité et à l’impuissance. Les juges consulaires ont
un moyen énergique d’atteindre ce résultat par le refus
d’homologation du concordat, en faveur du failli dont
les écritures ne seront pas conformes au vœu du légis
lateur. Les tribunaux ordinaires, par l’application ri
goureuse de l’article 586 du Code de commerce. Devant
une telle jurisprudence, le mal que la loi a voulu pré
venir perdra inévitablement de son intensité, les résis
tances s’effaceront, le mauvais vouloir sera vaincu ; alors
surtout que la loi de 1837 a enlevé aux unes et aux au
tres le prétexte qui semblait les légitimer. Aujourd’hui
les livres sont dispensés du timbre, ils sont visés, cotés
et paraphés sans frais; le seul impôt qu’ils supportent
est forcément payé par tous les commerçants. Quelles
�364
DE3 LIVRES DE COMMERCE
raisons pourrait-on donc alléguer, qui puissent faire
pardonner la violation de la loi ?
253.
— L’article 11 fait un devoir aux commer
çants de conserver pendant dix ans les livres déclarés
obligatoires, à savoir : le journal, le copie des lettres,
le livre des inventaires'. Tant que ce laps de temps n’est
pas écoulé, la production de ces livres, légalement ré
clamée en justice, ne saurait être refusée sous aucun
prétexte.
2 3 4 . — Aucune disposition analogue n’existait dans
l’ordonnance de 1673, le législateur s’était borné à or
donner implicitement la conservation du livre des agents
de change ou de banque, auquel les parties pouvaient
recourir en cas de contestations.
Le silence gardé à l’endroit des commerçants les obli
geait donc à conserver indéfiniment leurs livres. Tant
que le droit, n’étant pas prescrit, pouvait donner ma
tière à un litige, le commerçant était en position d’être
obligé de les produire, Aussi a-t-il été jugé que dans
un procès né depuis le Code de commerce, le négociant
à qui on demandait de produire ses livres ne pou
vait exciper du bénéfice de l’article 11 , s’il s’agissait
d’une opération réalisée sous l’empire de l’ordon
nance.1
2 3 5 . — Préoccupés des fraudes nombreuses que
�ART.
10
ET
11.
365
les faillites font surgir, et dans le désir d’en empêcher
le retour, plusieurs conseillers d’Etat demandaient, lors
de la discussion du Code, qu’on obligeât les commer
çants à conserver leurs écritures depuis le premier mo
ment qu’ils sont entrés dans le commerce. On aurait
ainsi, disait notamment M. Treilhard, la facilité, en cas
de faillite, de vérifier quelle somme chacun d’eux a
reçue sur la dot de la femme. Quand le commerce au
rait duré trente ans, c’est tout au plus s’il y aurait
trente registres à conserver; mais il importe que tous
soient représentés, parce que souvent le principe de la
fraude remonte à des époques fort reculées.
Cette proposition, renvoyée à la section, fut par elle
modifiée. L’obligation de conserver les livres fut limitée
à dix ans.
256.
— De quelle époque commence à courir le
délai? Est-ce de la date de l’opération litigieuse ou seu
lement de celle de la dernière opération portée sur le
livre ?
M. Pardessus se prononce dans ce dernier sens et,
selon nous, avec infiniment de raison. L’idée de con
servation, dans le sens de l’article 11, s’applique forcé
ment à un objet devenu sans utilité réelle et actuelle,
dont on pourrait se passer sans inconvénients. De telle
sorte que si cet objet est retenu et conservé, on ne
peut en alléguer d’autre motif que le devoir spécial que
la loi impose d’en agir ainsi. Or, tel n’est pas évidem
ment le livre sur lequel le commerçant continue d’ins
crire ses opérations.
�366
DES LITRES DE COMMERCE
Ce livre ne fait alors que servir à la destination spé
ciale auquel il est affecté. On ne saurait d’autant moins
avoir égard à sa possession, qu’elle est indispensable au
commerçant. Cette possession répond aux exigences de
l’article 8, et non pas à celles de l’article 11. Le com
merçant ne saurait donc compter dans le délai de celuici tout le temps pendant lequel, n’ayant pas d’autre
livre journal, il continue de se servir de celui qui lui
en tient exclusivement lieu. Admettre le contraire, ce
serait méconnaître la loi, puisqu’un registre, commencé
longtemps avant sa clôture, cumulerait le bénéfice de
l’article 8 et celui de l’article 11, ce qui est incon
ciliable.
Ainsi la nécessité de conserver, dans le sens de la loi,
ne peut naître qu’au moment où, définitivement rem
pli, un registre a cessé d’être utile au commerce cou
rant. Supposez un livre ouvert en 1830, mais fini seu
lement le 1er janvier 1834, le délai de l’article 11 ne
commencera à courir que de cette dernière époque, il
ne sera échu que le 1er janvier 1844. Jusque là le com
merçant sera tenu de le produire dans l’hypothèse d’un
litige sur une opération remontant aux années 1830 et
suivantes. Sans doute il se sera écoulé plus de dix ans
depuis cette opération, mais c’est là la conséquence
forcée de la nature des choses et de l’indivisibilité des
livres. La loi, en effet, n'a pas prescrit la conservation
de tel et tel feuillet. Ce qu’elle veut, c’est celle du li
vre dans son ensemble, tel qu’il a été visé, coté et pa
raphé. Or, puisque la nécessité de cette conservation
�ART.
10
ET
11.
367
ne s’est réalisée qu’en 1834 et qu’elle doit continuer
jusqu’en 1844, on ne voit pas pourquoi on n’ordonne
rait pas la production exigée dans l’intervalle, à quel
que date, d’ailleurs, que pût remonter l’opération liti
gieuse.
Le commerçant pourrait d’autant moins s’en plain
dre, qu’il avait le moyen de l’empêcher, si son inten
tion était d’user rigoureusement du bénéfice de l’article
11, à l’endroit de chaque opération. Il avait pour cela
un parti bien simple à prendre, c’était de ne faire durer
son journal qu’un an, et d’en commencer un nouveau
à l’expiration de chaque année. Dans ce cas, on n’eût
pas été recevable à lui demander, en 1843, celui des
années 1830, 1831 ou 1832. Si, dans un intérêt quel
conque, il s’est servi du même pendant trois ou quatre
années consécutives, il ne saurait trouver mauvais qu’on
lui impose une responsabilité résultant de son propre
fait, volontairement et spontanément accompli.
237.
— Notre solution se corrobore de cette règle
généralement admise, à savoir, que l’exception autori
sée par l’article 11, contre la demande en production
des livres, après le délai de dix ans, ne repose que sur
la présomption qu’après ce temps, les registres ne sont
plus en la possession du commerçant. Le législateur n ’a
pas entendu favoriser la fraude. Il n’a édicté l'article 11
que pour venir au secours du commerçant de bonne
foi qui, rassuré par le long terme écoulé, aurait réelle
ment disposé de ses livres, et serait dans l’impossibilité
de les produire.
�368
DES LIVRES DE COMMERCE
Dès lors aussi, si le fait contraire se réalise, la pré
somption cède la place à la réalité, et le commerçant
n’est plus recevable à se retrancher derrière l’article 11.
Ainsi si, même après plus de dix ans, il est prouvé que
les livres existent, qu’ils sont en la possession de son
auteur, leur production non-seulement pourra, mais
devra être ordonnée ; ne pas le faire, ce serait encoura
ger une résistance illégitime, consacrer la mauvaise foi
et la fraude, priver la justice des éléments d’apprécia
tion pouvant lui être indispensables, lui refuser tout
au moins les éclaircissements qu’elle est en droit d'exi
ger et d’obtenir.
« Attendu, disait la cour de Caen à ce sujet, dans
un arrêt du 24 juin 1828, qu’il est vrai qu’aux termes
de l’article 11 du Code de commerce, les commerçants
ne sont tenus de conserver que pendant dix ans les
livres qu’ils sont obligés de tenir; mais que, néanmoins,
quand il est certain qu’ils les ont conservés au-delà de
dix ans, qu’ils les ont entre les mains, et qu’ils sont
nécessaires pour éclairer la justice, rien ne s’oppose à
ce que les commerçants soient également forcés de les
représenter. »
Or, dans l’hypothèse que nous supposons, il est de
toute certitude que le livre existe ; qu’il est en mains
du commerçant, qui sera tenu de justifier à l’aide de
ses énonciations les opérations de la dernière année. Il
devrait donc le produire, dans tous les cas, par applica
tion de la règle consacrée par la cour de Caen.
Nous le répétons donc, le délai de l’article 11 ne
�commence à courir que du jour de la clôture du livre
et de la date de la dernière opération qu’il constate.
Quelle que soit dès lors l’époque à laquelle remonte
l’opération litigieuse, il suffît qu’elle soit constatée dans
ce livre, et que la production de celui-ci soit requise
moins de dix ans depuis sa clôture, pour qu’elle doive
être ordonnée.
2 3 8 . — L’exception autorisée par l’article 11 n’est
pas une prescription dans le sens ordinaire. Tout ce qui
peut en résulter, en effet, c’est la perte d’une voie
d’instruction. Mais elle n’est ni libératoire, ni acquisitive d’un droit sur le fonds du litige, puisque la preuve
de l’obligation ou du paiement pourra toujours être
acquise, soit par d’autres documents, soit par témoins
ou par présomptions.
Il résulte de là que le délai de dix ans ne cesse pas
de courir dès qu’il a commencé; qu’il est ni suspendu
ni interrompu par les causes qui interrompent ou sus
pendent le cours de la prescription.
2 3 9 . — Enfin l’article 11 étant un bénéfice que la
loi a entendu conférer, ne renferme qu’une pure faculté
pour celui que ce bénéfice concerne, nul autre que lui
ne peut l’invoquer, comme personne ne saurait le con
traindre à le revendiquer.
Ainsi, le commerçant ne peut être contraint, après
un délai de dix ans, à produire les livres qu’il soutien24
�370
DES LIVRES DE COMMERCE
drait ne plus avoir en sa possession, sauf le cas où la
preuve du contraire serait établie. Mais, à quelque épo
que que se réalise le litige, il peut non-seulement
obéir à la sommation de les produire qui lui serait faite,
mais encore les produire lui-même spontanément et y
chercher la preuve, dans les cas prévus par l’article 12,
de la justice de ses prétentions. 'C’est ce que la cour
de Rennes a fort judicieusement consacré, en jugeant,
le 10 novembre 1817, qu’il ne saurait résulter de la
disposition de l’article 11 qu’après le délai de dix ans
un commerçant ne puisse pas, en les représentant, faire
usage de ses livres.
A
rt.
12.
Les livres de commerce, régulièrement tenus,
peuvent être admis par le juge pour faire preuve
entre commerçants pour faits de commerce.
A
rt.
13.
Les livres que les individus faisant le com
merce sont obligés de tenir, et pour lesquels ils
n’auront pas observé les formalités ci-dessus
prescrites, ne pourront être représentés ni faire
foi en justice au profit de ceux qui les auront
tenus, sans préjudice de ce qui sera réglé au li
vre des faillites et banqueroutes.
�ART.
12 ET 13.
371
SOM M AIRE
240.
2 4 t.
But de la disposition de ces deux articles. Son caractère.
Quels sont les livres que l ’article 12 déclare pouvoir faire
preuve en faveur du commerçant.
242. Pourquoi la loi n’a rendu cette preuve que facultative et
non forcée.
243. Système de l ’ordonnance de 1673. Encore applicable.
244. Conditions exigées par l ’article 12. 1* Litige entre com
merçants.
245. 2° Fait commercial.
246. La commercialité de l ’acte doit-elle exister à l ’égard des
deux parties? Opinion deM . Delvincourt.
247. Opinion contraire de M. Toullier et de M. Pardessus.
248. Solution.
249. Il n ’est pas nécessaire néanmoins que l ’acte constitue un
fait du commerce respectif des parties.
250. Conséquences de notre solution pour le non-négociant.,
251. Les livres d’un commerçant ne pourraient être opposés
au commis attaqué en restitution d’un excédant de sa
laires.
252. Le commerçant ne pourrait pas non plus exciper de l ’arti
cle 1781 du Code civil.
253. Les livres réguliers ne pourraient, sans la représentation
des quittances, faire preuve d’un paiement fait à un tiers
pour le compte d’un correspondant.
254. Les livres d’un commerçant font-ils, contre un non-négo
ciant, un commencement de preuve par écrit?
255. Opinion de M. Bravard Veyrières.
256. Réfutation.
257. Le commencement de preuve n’existe que pour les four
nitures faites, par le marchand, d’objets de son com
merce. Conséquences pour les prêts d’argent.
�DES livres de commerce
258. Défense d'exciper des livres irréguliers et de les produire
en justice. Motifs de cette défense.
259. Ces livres irréguliers ne peuvent autoriser le juge à déférer
le serment à celui qui les a tenus,
260. Quand les livres sont irréguliers, la défense faite par la loi
doit être exécutée, qu’il s ’agisse d’un acte commercial
ou non, entre négociants ou non-négociants.
261. Cette défense ne concerne que celui qui a tenu les livres.
On peut donc les invoquer contre lui.
262. Discussion de l’article 13 au conseil d’Etat.
263. Motifs qui l’ont fait admettre tel qu’il se trouve dans le
Code.
264. Conséquence par rapport au commerçant.
265. A l ’endroit des tiers-débiteurs ou créanciers.
266. Pour les tribunaux eux-m êm es.
267. Les associés ue peuvent s ’opposer l ’irrégularité des livres
de la société.
268. L ’exception tirée de l’irrégularité des livres n’est que fa
cultative pour les ayant-droit. Conséquences.
269. L ’irrégularité des livres du failli peut-elle être invoquée
parla masse?
270. Conséquences de cette irrégularité pour le failli vis-à-vis
des créanciers et de la justice.
2 4 0 . — Les articles 12 et 13 complètent la pensée
du législateur sur la nécessité des formalités tendant à
assurer l’identité et l’authenticité des livres. Le premier
confère une récompense à celui qui a exécuté les obli
gations que la loi a prescrites, le second punit celui qui les
a violées. L'un et l’autre ont un but unique, favoriser
et encourager l’accomplissement littéral des dispositions
des articles précédents.
�L’ordonnance de 1673 avait omis d’employer ce
double mobile, et cette omission était considérée, nous
l’avons déjà vu, par la commission primitive du Code
de commerce, comme une des causes ayant le plus
contribué à l’inexécution de l’ordonnance. Au reste,
i
l’un et l’autre étaient des conséquences tellement logi"
ques que, dans le silence de la loi, ils avaient été admis
et consacrés par la doctrine et la jurisprudence.
Quoi de plus naturel que de fournir, à celui qui a
fidèlement obéi à la loi, le moyen de trouver dans son
obéissance même la récompense qui lui est due? Quoi
de plus juste que de dénier toute faveur à celui qui a
dédaigné et violé les conseils et les ordres du légis
lateur?
Donc les livres régulièrement tenus peuvent être ad
mis par le juge pour faire preuve entre commerçants
pour faits de commerce.
2 4 î . — Remarquons d’abord la généralité des ex
pressions de l’article 12 : Les livres de commerce. Or,
nous avons vu que si la loi n’en prescrit obligatoire
ment que trois,à savoir: le journal, le copie des lettres, le
livre des inventaires, elle en tolère plusieurs autres ; il
faut donc conclure, de ce qu’elle n’a posé aucune limite,
aucune restriction dans l’article 12, qu’elle n’en exclut
aucun.
Les livres auxiliaires peuvent donc aussi être invo
qués par le commerçant dont les livres obligatoires
sont régulièrement tenus. 11 est vrai que les premiers
�374
DES LIVRES DE COMMERCÉ
ne sont soumis à aucune des formalités garantissant la
loyauté de ces derniers, mais leur régularité est une
conséquence forcée de celle du journal. Elle est donc
incontestable, lorsqu’ils ne font que répéter* et confirmer
les indications de celui-ci.
Ce ^n’est même qu’à cette condition que les livres
auxiliaires ont une valeur quelconque. S’il existait une
différence entre eux et le journal, c’est à celui-ci qu’on
devrait exclusivement ajouter foi. Ce n’est donc pas
tant pour le fait en lui-même que pour les circonstances
qui ont pu l’accompagner et le suivre, qu’on sera tenté
de recourir aux livres auxiliaires. Cependant les com
merçants ne. sont pas infaillibles, leur livre journal pour
rait renfermer des erreurs que les livres auxiliaires
constateraient, et, dans ce cas, ils pourraient valable
ment exciper de ces derniers.
L’utilité de ces mêmes livres est plus évidente encore
lorsqu’il s’agit de rechercher et d’expliquer, par le mode
d’exécution suivi, les conditions et les caractères d’une
opération. Destinés à venir en aide au livre journal, les
livres auxiliaires peuvent renfermer des indications pré
cises, des développements que celui-ci ne comporte
pas. Sous ce point de vue donc, il était sage de ne pas
les exclure, et c’est à ce parti que s’est arrêté le légis
lateur. La généralité des termes de l’article 12 l’établit
d’une manière péremptoire.
Cette interprétation est admise en doctrine, ainsi que
la règle qu’en cas de contradiction entre les énoncia-
�ART.
12
ET
13.
375
tions, la préférence est due au journal.1 Il est donc cer
tain que les livres auxiliaires ne peuvent être invoqués
que concurremment et conjointement avec les livres
obligatoires. Ainsi un commerçant, qui n’aurait ou qui
ne représenterait pas ceux-ci, ne pourrait utilement
recourir à ceux-là, quelque régulièrement tenus qu’ils
parussent. D’ailleurs, leur régularité est nécessairement
subordonnée à celle du journal, que le défaut de pro
duction empêche de reconnaître et de constater. D’autre
part, ils peuvent bien compléter ou expliquer celui-ci,
mais le remplacer, jamais.
242.
— La loi laisse les tribunaux libres d’ajouter
foi aux livres mêmes réguliers ou de les rejeter. La pres
cription de l’article 12 confère une faculté, mais n’im
pose aucune obligation. C’était là la conséquence forcée
de cette observation, si souvent rappelée dans le cours
de la discussion du Code de commerce, à savoir, que
les tribunaux consulaires sont essentiellement des tri
bunaux d’équité, et que dès lors il ne faut pas les lier
par des règles trop absolues.
Au surplus, l’absolu , en pareille matière, pourrait
offrir, comme résultat, une violation de la loi inévitable
et forcée. Supposez, en effet, que dans un litige entre
deux commerçants, pour fait de commerce, des livres
réguliers soient produits de part et d’autre; que les
énonciations des uns soient, tout juste, le contraire de
1 V. Delvincourt, t. n, p. 17; — Favard, Liv. de comm.,
Pardessus, n» 258 ; _ Locré, sur l'a rt. 4 2-
n° 7 ; —
�376
DES LIVRES DE COMMERCE
ce que les autres renferment, comment le juge sortiraitil de la perplexité naissant de l’obligation d’ajouter foi
aux uns et aux autres. Il devrait adopter ou les uns ou
les autres, et alors la loi serait violée à l’encontre de
celui dont on aurait rejeté les prétentions; ou bien, ce
que la force des choses £ t la raison indiquent, les re
pousser les uns et les autres, et la loi se trouverait vio
lée à l’égard des deux parties. On ne pouvait sauver les
embarras d’une pareille situation que par le caractère
facultatif donné à la prescription de l’article 12.
D’un autre côté, ce caractère n’était pas moins com
mandé par la crainte d’être amené, dans le cas contrai
re, à consacrer une iniquité flagrante. Les commer
çants ne sont pas infaillibles, et l’on peut supposer
qu’indépendamment de toute pensée de fraude, ils ont
pu se tromper ou omettre sur leur livre le paiement
qu’ils ont réellement reçu, et qu’ils viennent de bonne
foi redemander. Fallait-il que le juge, que les circons
tances de la cause auraient convaincu de la réalité du
paiement allégué, se trouvât enchaîné par une loi posi
tive, et qu’il condamnât le débiteur à payer une se
conde fois, parce que, par une circonstance malheu
reuse, le premier paiement serait omis sur le livre du
créancier? C’eût été inique et absurde, et, en présence
d’une pareille éventualité, on ne peut qu’applaudir l’ar
ticle 12, le laissant libre-d’obéir aux inspirations de sa
conscience.
2 4 3 . — Ainsi, la production de livres régulière-
�ART.
12 ET 13.
377
ment tenus ne doit pas, dans tous les cas et par elle
seule, faire admettre la demande. Les tribunaux ne de
vront l’accueillir qu’en tant que cette demande se fon
dera sur la vraisemblance, qu’elle ne sera pas surtout
combattue par des présomptions graves nées des cir
constances et des faits du procès. Mais, dans l’appré
ciation à laquelle ils sont appelés à se livrer, ils ne doi
vent pas oublier que la loi entend récompenser celui
qui a fidèlement exécuté ses prescriptions. En consé
quence, dans le doute, ils doivent se prononcer en fa
veur de celui dont les livres sont réguliers, surtout si
son adversaire commerçant ne produisait que des livres
irrégulièrement tenus ou prétendait n’en avoir tenu
aucun.
C’est ce qui se pratiquait spus l’empire de l’ordon
nance de 1673, notamment dans le cas de refus de
représenter les livres. « Si un négociant dit n’avoir
point de livres, il est certain que celui qui s’y veut
rapporter demandera que le sien soit cru, et il le doit
être, parce qu’il est toujours à présumer qu’un mar
chand qui tient ses livres en bonne forme est plus hom
me de bien et plus croyable que celui qui dit n’en
point avoir, et les juges ont sujet de croire qu’il ne
veut pas les représenter pour éviter sa condamnation.1 »
11 en serait de même aujourd’hui. Des motifs iden
tiques amèneraient un résultat semblable. Celui qui se
verrait ainsi condamner ne pourrait justement s’en
1 Savary, Parfait négociant, t. i, p. 375.
�378
DES LIVRES DE COMMERCE
plaindre, car, de deux choses l’une : ou il cache ses li
vres, et la seule conclusion qu’on puisse en tirer, c’est
que ses propres livres déposeraient contre lui; ou il
n'en a réellement tenu aucun, et, dans ce cas, sa né
gligence est si grave qu’on ne doit pas hésiter à l’en
punir, en lui en imposant toutes les conséquences,
quelque rigoureuses qu’elles puissent être.
2 4 4 . — L’article 12 renferme donc en quelque
sorte une exception à cette règle : que nul ne peut se
créer un titre à soi-même. Le désir de voir la loi rece
voir son entière exécution rend suffisamment raison de
l’existence de cette exception, qui ne peut, d’ailleurs,
devenir un danger que pour ceux qui veulent volon
tairement s’y exposer."
moyen de s’y soustraire est
fort simple. Il consiste à opposer des livres réguliers
aux livres réguliers produits par l’adversaires, à rame
ner ainsi forcément le juge dans le droit commun.
C’est cette réciprocité de position qui est devenue le
fondement essentiel de l’exception. Ce qui le prouve,
c’est quetl’article 12 ne confère la faculté d’ajouter foi
aux livres réguliers que dans les contestations de com
merçants à commerçants pour faits de commerce.
2 4 5 . — Dans le projet du Code, communiqué au
tribunat, l’article 12 portait que les livres pourraient
être admis pour faire preuve entre commerçants, e t
pour faits de commerce. Les sections réunies du tribu
nat firent remarquer que cette rédaction induisait à
�ART. 155 ET 13.
379
croire que la preuve par les livres pourrait être oppo
sée : 1° entre négociants pour contestations étrangères
au commerce ; 2° pour faits de commerce à ceux mê
mes qui ne seraient pas négociants. Or, comme les
deux conditions étaient exigées cumulativement, et
qu’il importait dès lors d’empêcher tout équivoque, le
tribunal demanda et obtint le retranchement du mot e t ,
ce qui expliquait parfaitement l’esprit de la loi, en en
rectifiant le texte.
Ainsi l’application de l’article 12 se trouve subor
donnée à cette double circonstance : qualité de com
merçant dans les deux parties ; caractère commercial
dans le fait en litige. En l’absence de l’un ou de l’au
tre, la preuve de l’obligation, comme celle du paiement,
obéirait aux principes du droit commnn.
246.
— Toutefois, et même dans ces termes, une
difficulté sérieuse peut s’offrir. Sufïit-il, dans une opé
ration entre commerçants, que le caractère commercial
existe à l’égard d’une des parties, doit-on l’exiger pour
toutes deux?
M. Delvincourt se prononce dans le dernier sens.
Ainsi, dit-il, un marchand d’étoffes ne pourra pas pré
senter ses livres pour preuve d’une fourniture d’étoffes
à un marchand de vin pour son habillement et celui de
sa famille, et vice versa.1
2 4 7 . — L’opinion contraire est enseignée par M.
1 Inst, du droit com., t. n, p. 18.
�380
DES LIVRES DE COMMERCE
Toullier. Il n’est pas nécessaire, dit-il, que le fait ou
l’engagement de commerce qui forme l’objet de la con
vention appartienne au commerce respectif des deux
contendants.
Ainsi, si un marchand de vins vendait à un banquier
des vins pour sa consommation, la vente, qui n’est un
acte de commerce que de la part du vendeur, est sus
ceptible d’être prouvée par ses livres ; car la loi, pour
les admettre à faire preuve, n’exige pas autre chose,
si ce n’est que les deux parties soient des commerçants
et qu’il s’agisse d’un fait de commerce; elle n’ajoute
pas du commerce respectif des contendants.1
Toullier invoque M. Pardessus à l’appui de sa doc
trine. Mais celui-ci est bien moins positif que lui. Dans
une hypothèse de cette nature, dit en effet M. Pardes
sus, l’acte n’étant commercial que d’un côté, il serait
plus douteux que les livres pussent être admis pour
faire preuve. Néanmoins, comme nous avons vu au nu
méro 86 que les registres d’un négociant devaient con
tenir la mention, même des faits étrangers à son com
merce, cette considération pourrait porter les juges à
exiger, en tout état de cause et même d’office, de l’une
ou de l’autre des parties, ou des deux, l’exhibition de
leurs livres pour s’éclairer sur le fait ou les conditions
de la négociation intervenue entre elles.3
Ainsi M. Pardessus doute et ne se prononce pas. Il
�y a loin, en effet, entre la faculté de consulter les livres
pour y rechercher des éclaircissements, et celle de les
accepter comme preuve. Conséquemment, reconnaître
aux juges la première, ce n’est pas nécessairement leur
conférer la seconde.
248.
— Quant à nous, nous croyons que l’avis de
M. Delvincourt doit seul prévaloir, comme faisant une
plus saine application de la loi. En effet, pour que les
livres puissent faire preuve, l’article 12, nous venons de
le dire, exige cumulativement la qualité de commerçant,
le caractère commercial de l’acte. Il est évident que ce
dernier ne peut s’entendre que relativement à chacune
des deux parties.
Il y a même mieux. C’est surtout contre la partie
poursuivie que ce caractère doit être exigé, car si elle
n’a fait qu’un acte ordinaire de la vie civile, elle s’est
placée par cela même sous l’empire du droit commun,
et les livres de son adversaire ne peuvent pas plus lui
être opposés, qu’ils ne pourraient l’être au non-com
merçant pour un acte isolé de commerce.
Il faut donc, pour qu’un commerçant puisse se pré
valoir de ses livres, que celui à qui il les oppose ait
contracté en sa qualité de commerçant, qu’il ait fait un
acte de commerce. O r, dans l’hypothèse prévue par
M. Delvincourt, le marchand de vins achetant pour sa
propre consommation et pour celle de sa famille agit
bien plutôt comme citoyen que comme commerçant. Il
importe peu qu’au regard du vendeur l’acte soit com-
�382
DES LIVRES DE COMMERCE
mercial. En ce qui le concerne, lui acheteur, le fait
manque complètement de ce caractère. Cela est incon
testable et incontesté.
Dès lors, on ne rencontre dans celte hypothèse au
cune des conditions exigées par la loi. Tout au moins
n’offre-t-elle pas le cumul qu’elle prescrit. La conclu
sion qu’en tire M. Delvincourt est donc la seule légale,
la seule admissible.
Mais, dit-on, le commerçant a des livres sur lesquels
il doit inscrire toutes les opérations même étrangères à
son commerce. Pourquoi donc n’admettrait-on pas le
vendeur à exciper des siens, puisque l’acheteur peut
en annuler les indications en produisant ceux qu’il a
lui-même tenus. Ne rencontre-t-on pas cette réciprocité
sur le fondement de laquelle l’exception qui fait admet
tre les livres se trouve reposer ?
Nous répondons que la même circonstance se réalise
dans toutes les contestations entre commerçants, et
pour quelque cause que ce soit. Supposez, en effet, que
deux négociants aient épousé deux sœurs et que des
difficultés surgissent entre eux sur la quotité de la dot
respectivement touchée. Certes, le litige sera purement
civil et, conséquemment, il ne pourra être résolu par
les livres. Cependant chacune des parties a dû ins
crire sur les siens les sommes qu’il a réellement reçues.
L’existence réciproque des livres n’est donc pas tou
jours une raison péremptoire. L’objection à laquelle
nous répondons n’a dès lors rien de décisif. Il n’y a pas
plus de raison de l’admettre dans notre hypothèse, alors
�qu’elle ne serait même pas proposée dans le cas que
nous supposons.
Cependant il y a, entre celui-ci et la première, cette
différence que le montant de la dot devra figurer sur
les livres à la date de sa réception, tandis que la dé
pense faite pour la consommation de la famille pourra
n’y être inscrite qu’implicitement. En effet, la loi n’o
blige de porter sur le journal la dépense du ménage que
de mois en mois, c’est-à-dire que le commerçant n’y
inscrira que le total. Comment donc pourra-t-il plus
tard prouver que la somme qu’on lui réclame figure
réellement dans celui-ci? En fait, donc, la réciprocité
n’existe pas. Dès lors, indépendamment de ce qu’elle
est loin d’être péremptoire, l’exception n’a aucun fon
dement réel dans notre hypothèse.
Elle n’en trouve pas davantage dans la loi. En effet,
on ne comprendrait pas, si la réciprocité d’écriture de
vait suffire pour que les livres pussent faire foi, que la
loi eût exigé la commercialité de l’acte et la qualité de
négociant. Pouvait-elle oublier l’obligation qu’elle ve
nait d’imposer de porter sur ces livres les opérations
étrangères au commerce? Dès lors, si elle n’avait en
vue que la certitude de cette mention réciproque, elle
pouvait et devait évidemment se contenter de la qualité
de commerçant.
249.
— Est-ce à dire cependant que M. Delvincourt subordonne l’application de l’article 12 à l’hypo
thèse exclusive où l’opération concernerait le commerce
�384
DES LIVRES DE COMMERCE
respectif des parties? La solution affirmative implique
rait la supposition qu’un négociant ne peut faire un acte
de commerce en dehors de sa profession habituelle.
Le contraire est tellement certain, que ce serait faire
injure à cet honorable jurisconsulte que de croire qu’il
a pu le méconnaître ou l’ignorer. On peut d’autant
moins lui reprocher l’un ou l’autre, que son opinion ne
repose que sur cette incontestable vérité.
C’est précisément parce que le commerçant peut
faire des actes de commerce en dehors de ses affaires
habituelles, que la loi n’a pas exigé que le fait litigieux
se rapportât à celles-ci. Quel qu’il soit, il suffit qu’il ait
un caractère commercial à l’endroit des deux parties,
pour que l’application de l’article 12 devienne légale
ment possible.
Ainsi, supposez que le marchand de vins, voulant
faire une spéculation, achète une partie plus ou moins
considérable d’étoffes pour les revendre. La double
condition exigée par le législateur se trouverait réali
sée. Il ne pourrait donc écarter les livres du vendeur,
sous prétexte qu’il n’aurait pas fait un acte de son com
merce habituel. Commerçant, il n’en aurait pas moins
traité avec un commerçant; commercial par rapport à
ce dernier, l’acte ne le serait pas moins à son endroit.
Le cumul de ces deux conditions ne le placerait pas
xf,
moins sous l’empire de l’article 12.
Voilà la véritable portée et le sens réel de la loi. On
comprend dès lors pourquoi elle n’a pas exigé un acte
du commerce respectif des parties, et comment, malgré
�ce silence, M. Delvincourt a pu très-juridiquement con
clure comme il l’a fait.
2 5 0 . — Ainsi le concours simultané de la qualité
de commerçant et du caractère commercial réciproque
de l’acte est indispensable pour que l’article 12 puisse
être appliqué. Cette règle, si explicitement déduite par
le tribunal, justifie l’opinion de M. Delvincourt. Il en
résulte également que le non-commerçant ne serait pas
soumis à sa disposition par cela seul que son obligation
reposerait sur un fait de commerce. Ainsi, si un indi
vidu achetait isolément des marchandises pour les re
vendre, le vendeur ne pourrait lui opposer ses livres.
L’acte aurait bien été commercial vis-à-vis de toutes
les parties, mais comme il ne suffirait pas pour confé
rer à l’acheteur la qualité de négociant, celle-ci man
querait, et son absence ferait sortir les parties du cas
pour lequel l’article 12 est exclusivement édicté.
2 5 1 . — Les livres d’un négociant ne sauraient être
opposés à son commis. En ce qui le concerne person
nellement , celui-ci n’est pas commerçant. Il n’ag it,
dans les actes de commerce qu’il peut faire, que pour
le compte d’autrui. Il n’est pas obligé d’avoir des livres,
sur lesquels il doit porter les sommes qu’il reçoit de son
patron. En conséquence, l’action en répétition des
sommes que celui-ci prétendrait lui avoir payées en
sus de ce qui lui était dû resterait sous l’empire du
droit commun.
25
�386
DES LIVRES DE COMMERCE
252.
— Dès lors le patron demandeur serait obligé
de justifier sa demande. Pourrait-il, dans cet objet, se
prévaloir de l’article 1781 du Code civil, et préten
dre être cru sur son affirmation? Non, car en assimilant
le commis à un domestique, cette exception ne lui se
rait opposable que dans le cas où elle pourrait l’être à
ce dernier, à savoir, lorsque, demandeur contre son
»
maître, il veut le faire condamner au paiement des sa
laires qu’il prétend lui être dus. Telle n’est pas la posi
tion respective des deux parties, lorsque c’est le maître
qui prétend avoir payé plus que ce qu’il devait. Son
affirmation devient alors une prétention ordinaire dont
l’accueil est nécessairement subordonné à la preuve de
sa véracité.
Cette preuve ne pourrait résulter des livres du com
merçant , quelque régulièrement tenus qu’ils fussent
d’ailleurs.1 Il ne s’agirait plus, en effet, d’une contesta
tion entre commerçants pour faits de commerce, l’arti
cle 12 ne saurait donc être invoqué.
2 5 5 . — La foi due aux livres réguliers doit être
restreinte aux opérations directement intervenues entre
commerçants, pour lesquels l’usage invariable est de se
contenter de les porter sur les écritures, soit au débit,
soit au crédit. Elle ne pourrait donc être invoquée si
par sa nature l’opération comportait une justification
spéciale indépendamment de cette mention. Tels sei Rouen, \ 6 novembre 1826
�raient, par exemple, les paiements qu’un commerçant
prétendrait avoir fait à des tiers pour le compte d’un
de ses correspondants. Ces paiements ne pourraient être
prouvés en faveur de celui-ci que par les quittances si
gnées par les créanciers. Comment, en effet, prouve
rait-on que la dette est éteinte? Ce n’est cependant que
si elle l’a été réellement, que le débiteur sera tenu de
rembourser ce qu’on a payé pour lui.1
2 5 4 . — Le principe déjà posé par l’article 1329 du
Code civil, à savoir, que les livres et registres des mar
chands ne font point, contre les personnes non-mar
chandes, preuve des fournitures qui y sont portées,
prouve une éclatante confirmation dans les conditions
que l’article 12 exige pour qu’ils puissent faire foi.
Pourra-t-on du moins en faire résulter contre les
non-commerçants un commencement de preuve par
écrit rendant la preuve orale et celle par présomptions
admissibles ?
Nous avons, ailleurs, résolu affirmativement cette
question. Nous nous sommes fondé sur les usages com
merciaux, qui ne permettent pas aux détaillants surtout
de rapporter une preuve écrite de chacune des fourni
tures qu’ils font; sur la doctrine et la jurisprudence
ancienne ; enfin, sur la faculté que laisse le Code de dé
férer le serment, ce qui, a fortiori, entraîne le pouvoir
1 B o rd e a u x ,
10 août 1 8 3 8 . J . D . P . , n , 38, p. 4 7 4 .
�388
DES LIVRES DE COMMERCE
d’admettre la preuve testimoniale, aux termes de l’arti
cle 1367 du Code civil.1
2 5 5 . — Telle n’est pas cependant l’opinion de M.
Bravard Veyrières. Il ne veut pas que dans un cas pareil
on ait recours à la preuve testimoniale. Si le juge, ditil, a confiance dans le demandeur, il doit lui déférer le
serment et non pas recourir à la preuve testimoniale.
S’il n’a pas confiance en lui, il doit déférer le serment
au défendeur ou même le renvoyer purement et sim
plement de la demande, sans recourir à la preuve testi
moniale. Admettre cette preuve, ce serait empirer la
position du défendeur, au mépris du texte et de l’es
prit de la loi.2
2 5 6 . — Il importe de remarquer que M. Bravard
n’enseigne pas que la preuve testimoniale n’est pas
admissible. Seulement, il ne veut pas qu’on l’ordonne,
sans doute elle serait inutile dans les hypothèses où il se
place. Si la conviction du juge est dès à présent for
mée, s’il est en position de formuler un jugement en
faveur ou contre le marchand, il serait illusoire de pro
longer un litige désormais sans objet.
Mais Cette conviction n’est pas toujours facile, les
circonstances du procès peuvent je te r, même sur la
question de savoir à qui doit être déféré le serment,
un doute tel, que le juge éprouve le plus complet em i V. notre Traité du Dolet de la Fraude , n°s 733 et suivants,
s Manuel de droit com.. o. 31.
�ART.
12 ET 13.
389
barras. Pourquoi donc ne pas lui permettre de sortir
de cette perplexité en s’entourant de nouveaux docu
ments, en cherchant des lumières nouvelles dans une
enquête contradictoire . N’est-ce pas pour des cas pa
reils qu’est faite la preuve testimoniale ? Comment
donc le juge qui, dans cette position, userait de la fa
culté discrétionnaire que lui accorde la loi, encourraitil le reproche d’en violer le texte et l’esprit ?
Quant à celui d’empirer par ce moyen la position du
défendeur, il est au moins singulier. M. Bravard, qui
veut Lien que le magistrat rende le marchand juge dans
sa propre cause en lui déférant le serment, ne veut pas
lui permettre, avant d’en venir là, d’interroger des per
sonnes désintéressées, et de soumettre le litige à une
enquête dans laquelle le défendeur pourra discuter les
témoignages produits contre lui et faire entendre ceux
qu’il croira utiles à son exception. Evidemment si quel
que chose devait empirer le sort du défendeur, ce se- .
rait, sans contestation possible, la consécration de l’o
pinion de M. Bravard.
Ce reproche n’est donc pas sérieux. La doctrine
qu’il invoque ne saurait dès lors être admise. On doit
d’autant plus le décider ainsi, qu’au fond cette doctrine
n’est que la négation de la faculté, que la loi aban
donne à la prudence du juge, de recourir à tous les
moyens propres à éclairer sa religion et à rassurer sa
conscience.
Nous résumerons cette discussion en rappelant quel-
�390
DES LIVRES DE COMMERCE
ques considérations fort judicieuses, à l’aide desquelles
le profond Toullier tranche notre question.
« La loi permettant expressément de déférer au
marchand demandeur le serment supplétoire à l’appui
de ses livres, lorsqu’il y a en leur faveur vraisemblance
et présomption de bonne fo i, permet implicitement,
par une raison a fortiori, l’admission de la preuve tes
timoniale; car admettre le témoignage o u ïe serment
du demandeur pour décision dans sa propre cause ,
c’est infiniment plus que de lui permettre d’invoquer
le témoignage de tierces personnes désintéressées, qui
ne lie point les juges, et qui, d’ailleurs, est balancé par
les témoins que le défendeur peut toujours faire en
tendre ; en permettant le plus, la loi est toujours
censée permettre le moins ; c’est une exception à la
règle de l’article 1347, laquelle, au reste, n’est pas li
mitative.1 »
M. Bravard Veyrières pourrait vouloir étayer sa doc
trine sur un arrêt de la cour de cassation du 30 avril
1838. Cet arrêt, en effet, rejette le pourvoi formé con
tre un arrêt de la cour de Paris, refusant de considé
rer comme un commencement de preuve par écrit les
indications des livres d’un commerçant.
Nous avons eu occasion de le répéter bien souvent,
la signification et la valeur des décisions judiciaires ne
peuvent être sainement appréciées qu’eu égard à la ma
tière sur laquelle elles sont intervenues, que secundum
�subjectam materiam, l’oubli de cette règle a pu seul
faire attribuer un caractère doctrinal à des arrêts qui
ne constituent que des arrêts d’espèce.
Que celui rendu par la cour de cassation le 30 avril
1838 se place dans cette dernière catégorie, c’est ce
dont son examen ne permet pas de douter. En effet, les
sieurs André et Cottier, banquiers à Paris, qui avaient
acheté et payé une rente de 6,500 fr. sur l’indemnité
à payer par l’Espagne, en vertu de traités intervenus
avec la France, au propriétaire du navire les Trois Fé
licités, la revendaient à un sieur Dreux par acte public
qui stipulait également le prix à 80,000 fr., et en don
nait quittance.
L’Espagne s’étant exécutée, Dreux fut mis en pos
session de la rente qu’il avait achetée, mais il dut plus
tard s’en dessaisir, les assureurs ayant fait définitive
ment juger contre lui que l’indemnitée due par l’Espa
gne était leur propriété exclusive. A la suite de cette
éviction, il demande à MM. André et Cottier le rem
boursement du prix de 80,000 fr.
Ceux-ci s’y refusent. A l’appui de ce refus, ils allè
guent que l'indication du prix de 80,000 fr. est une
simulation j que ce prix n’a été que de 15,000 fr., ce
qu’ils prétendent établir par les énonciations de leurs
livres de commerce. Appelés devant le tribunal de com
merce , ils soutiennent : 1° que l’acte notarié dont le
sieur Dreux se prévaut est entaché de dol et de fraude ;
2° qu’il leur a été impossible de se procurer une preuve
écrite de la simulation ; 3° qu’on doit voir un com-
�392
DES LIVRES DE COMMERCE
mencement de preuve par écrit soit dans les interroga
toires de Dreux et du notaire qui avait reçu l’acte, soit
dans leurs livres de commerce ; qu’en conséquence, on
doit les admettre à prouver la simulation nonobstant la
prohibition que fait l’article 1341 du Code civil de
prouver outre et contre le contenu aux actes publics.
Le tribunal de commerce d’abord, la cour de Paris
ensuite repoussent ce système et ordonnent la restitu
tion des 80,000 fr. Celle-ci établit d’abord qu’il ne s’a
git en réalité que d’une simulation sans mélange de dol
ni de fraude ; et à ce point de vue elle considère :
« 1° Que dans l’acte passé devant Beauderon-Delamaze,
« notaire à Paris, le 21 novembre 1825, André Cottier
« ont stipulé en leur nom personnel ; qu’ils ont dé« claré transporter à Dreux la créance qui y est énon« cée, et reconnu avoir reçu la somme de 80,000 fr.
«c formant le prix du transport; qu’étant parties dans
« ce transport, ils sont inadmissibles à prouver sa si« mulation ou tout autre allégation outre et contre son
« contenu; 2° qu’au surplus, ils ne présentent aucun
« commencement de preuve par écrit des faits par eux
« allégués ; qu’on ne saurait en effet reconnaître ce ca« ractère à leurs livres de commerce, à la correspon« dance d’Hamelin avec eux, ni à l’interrogatoire sur
« faits et articles de Beaudenon-Delamaze, toutes ces
« pièces n’étant pas émanées de Dreux. »
C’est le pourvoi contre cet arrêt que la cour de cas
sation rejetait le 30 avril 1838. Pouvait-elle, dans les
circonstances du procès, faire autrement sans mécon
naître les principes les plus élémentaires.
�Â.RT.
12
ET
13.
393
L’existence d’un acte authentique plaçait immédia
tement les parties sous l’empire de l’article 1341 du
Code civil. La preuve que cet acte était le résultat du
dol et de la fraude pouvait seule faire disparaître l’obs
tacle qui naissait de cette disposition. Mais si André
Cottier avaient parlé du dol et de la fraude, ils n’avaient
ni articulé les faits dont ils entendaient les faire ré
sulter, ni offert de les justifier, ce que leur reproche
avec raison la cour de cassation.
Tout se réduisait donc à la simple-simulation du prix
de la cession, mais cette simulation avait été nécessai
rement concertée. Elle était donc le fait d’André Cot
tier comme celui de Dreux, ils étaient dès lors irrece
vables à en exciper, en vertu de la règle nemo auditur
turpitudinem suam allegans.1
Il aurait fallu dans tous les cas que pour échapper à
l’article 1341, que André Cottier pussent se placer dans
l’exception soit de l’article 1347, soit de l’article 1348.
Or, pouvaient-ils sérieusement soutenir qu’ils avaient
été dans l’impossibilité de se procurer la preuve écrite.
Outre que l’article 1348 a précisé les cas dans lesquels
cette impossibilité peut être reconnue, et qu’ils ne pou
vaient prétendre s’être trouvé dans aucun d’eux, la vé
rité était, au contraire, que rien ne leur était plus facile
que de se procurer cette preuve. Ils pouvaient exiger
une contre-lettre établissant le prix réel, et subordon
ner à sa souscription leur consentement à l’acte de ces1 V. notre Traité du dol et de la fraude, nO !29
�394
DES LIVRES DE COMMERCE
sion. Ils le devaient d’autant plus qu’il se serait agi de
15,000 fr. au lieu de 80,000. En l’état d’une différence
aussi énorme, l’absence de toute contre-lettre imprimait
à l’allégation un caractère d’invraisemblance qui devait
la faire repousser.
André Cottier ne pouvaient donc se placer sous le
bénéfice de l’article 1348. Etaient-ils mieux à même
d’invoquer l’article 1347? Avaient-ils en mains un
commencement de preuve par écrit? La cour de cas
sation se prononce pour la négative et qui oserait le lui
reprocher? En définitive, les sieurs André Cottier en
étaient réduits à invoquer leurs livres de commerce,
c’est-à-dire leur propre et unique allégation. Est-ce là
le commencement de preuve que définit l’article 1347?
On nous objectera qu’à deux reprises, nous nous
sommes prononcés pour le commencement de preu
ve.1Nous persistons à l’admettre ainsi, et la loi le pense
avec nous, puisqu’elle permet au juge de déférer le ser
ment à l’une dés parties, ce qui, supposant la preuve
testimoniale recevable, considère les livres et registres
comme fournissant un commencement de preuve.
Mais cette dérogation au droit commun ne saurait
être ni générale ni absolue et pour en apprécier saine
ment le caractère et l’étendue, il faut s’en référer aux
motifs qui la recommandent et la légitiment.
La vente à crédit est une des impérieuses nécessités
1 V. notre Traité du dol et de la fraude, n°* 733 et suiv. ; sup ., n°‘
�ART.
12 ET 13.
395
du commerce et il n’est ni dans les usages, ni dans les
possibilités que dans les ventes au détail "surtout, le
commerçant exige une reconnaissance. Comment l’obtiendrait-il de la classe encore trop nombreuse de ceux
qui ne savent ni lire ni écrire ?
En l’état de ces usages et de ces impossibilités, il se
rait inique qu’on laissât la fortune des marchands à la
merci de leurs pratiques et d’accepter une dénégation,
souvent inspirée par la mauvaise foi, comme un obsta
cle invincible à la demande. Est-ce que d’ailleurs l’ar
ticle 1348 ne peut pas être invoqué avec raison ?
C’est aux magistrats à apprécier et c’est dans ce but
que la loi, loin de leur faire un devoir de se prononcer
dans ce sens, leur accorde une simple faculté, faculté
dont ils ne doivent user, disait Dumoulin, qu’à la con
dition que d’autres présomptions militeront en faveur
de la demande ; qu’entre la moralité du marchand et la
régularité de ses écritures, la modicité de la somme
réclamée, la vraisemblance de la fourniture, sa propor
tionnalité avec les besoins réels du débiteur, l’habitude
de celui ci de prendre à crédit feront considérer cette
demande comme n’étant pas totalement dénuée de
preuves.
Voilà dans quel sens nous avons admis que les livres
des commerçants pourront servir de commencement de
preuve par écrit, or, rien de tout cela ne se réalisait
dans l’espèce de la cour de cassation. La nature de l’o
pération tout-à-fait en dehors du commerce, l’impor
tance de la somme, protestaient contre la prétention
■i
�396
DES LIVRES DE COMMERCE
des sieurs André Coltier, loin de la rendre vraisem
blable.
Puis, chose plus grave et plus caractéristique, il n’a
vait existé ni impossibilité matérielle ni impossibilité
morale de se procurer la preuve écrite. Les parties
n’avaient pas traité en la forme commerciale, et puis
qu’elles en avaient appelé au ministère du notaire, cha
cune d’elles avait été en mesure et par conséquent te
nue de faire déterminer le véritable caractère de son
engagement soit dans l’acte même, soit dans une con
tre-lettre. C’est donc avec raison que la cour de cas
sation déclare que : Loin d'être dans l'exception per
mise par l'article 1348, les demandeurs en étaient ex
cluspar le principe que consacre cet article, puisqu'il
leur a été très-possible de se procurer une preuve écrite
de leur allégation.
Nous avons donc raison de le dire, l’arrêt de la cour
de cassation du 30 avril 1838 est un arrêt d’espèce. On
ne saurait dès lors en tirer aucune induction pour la
solution en droit pur de notre question. Nous persis
tons donc dans l’opinion que nous avons émise à ce su
jet. Oui, les tribunaux peuvent considérer les livres ré
gulièrement tenus comme un commencement de preuve
par écrit toutes les fois que s’agissant d’une opération
du commerce ordinaire de celui qui les a tenu, les usa
ges et les nécessités de sa profession ne lui permettaient
pas d’exiger et de se procurer une preuve écrite.
Mais aux termes de l’article 1329 et des articles
1366 et 1367 du Code civil, ce n’est là qu’une simple
�ART.
12 ET 13.
397
faculté, et si par les faits et circonstances du procès,
les juges refusent de donner aux livres ce caractère,
leur décision pourrait bien constituer un mal jugé,
mais ne saurait être querellée comme une violation de
la loi.
257.
— Ainsi les livres réguliers des marchands,
s’ils ne font pas foi contre les non-commerçants, éta
blissent au moins un commencement de preuve par
écrit rendant la preuve orale admissible. Mais cela ne
peut s’entendre qu'à raison des fournitures que le mar
chand aurait fait d’objets de son commerce. L’autorité
que la loi a elle-même attachée aux livres, même à
l’endroit des non-négociants, n’est que la conséquence
de l’impossibilité que nous signalions tout à l’heure, à
savoir, d’exiger de chaque acheteur au détail une
preuve écrite de l’achat. Conséquemment, là où cette
impossibilité n’existerait pas, et où elle ne résulterait
pas des usages commerciaux, on n’aurait aucun motif
raisonnable d’accueillir la présomption sur laquelle est
fondée l’exception à l’article 1347 dont parle Toullier.
Conséquemment, si un négociant répétait contre un
non-commerçant une créance plus ou moins considé
rable provenant d’un prêt en espèces, ses livres ne
pourraient lui être d’aucun secours. 11 ne s’agirait plus,
en effet, d’un acte qui lui était imposé par sa profes
sion, et sans lequel il n’y a pas de commerce de détail
possible. Il aurait fait un traité ordinaire de la vie civile
pour la constatation duquel il restait soumis aux pres-
)
�398
DES LIVRES DE COMMERCE
criptions du droit commun. La responsabilité dont on
lui appliquerait les effets ne serait que la juste consé
quence de la négligence qu’il aurait mise à leur exécu
tion. La production de ses écritures serait écartée par
application de la maxime que nul ne peut se créer un
titre à soi-même.
258.
— Du principe posé par l’article 12, à savoir,
que, pour être admis entre commerçants pour faits de
commerce, les livres devaient être régulièrement tenus,
il résultait nécessairement que leur irrégularité devait
les faire absolument exclure. Quelque puissante que
fût cette induction, le législateur ne s’en est pas contenté
cependant, il a cru devoir la consacrer formellement
dans l’article 13.
Donc les livres que les individus faisant le commerce
sont obligés de tenir, et pour lesquels ils n’auront pas
rempli toutes les formalités requises, ne pourront être
représentés ni faire foi en justice au profit de ceux qui
les auront tenus, sans préjudice de ce qui est réglé au
livre des faillites et banqueroutes.
Ainsi non-seulement les livres irréguliers ne pour
ront faire preuve de ce qu’ils renferment au profit du
commerçant qui les a tenus, mais encore ils ne sont
pas susceptibles d’être produits en justice. Les tribu
naux peuvent d’office, et doivent, lorsqu’ils en sont
requis, les rejeter purement et simplement du procès
dont ils ne peuvent jamais devenir un élément légal de
solution. Cette règle, conséquence immédiate du texte
�d elà loi, est consacrée par la jurisprudence. Nous la
retrouvons notamment proclamée dans un arrêt rendu
par la cour de Bourges, le 22 août 1817.
Il eût été, au reste, difficile d’admettre le contraire
sans méconnaître l’intention de la loi et sans compro
mettre le but qu’elle a voulu atteindre. Le désir de se
créer un titre capable de faire consacrer son droit peut
être pour un commerçant un mobile suffisant pour sou
mettre ses écritures aux formalités qui doivent en ga
rantir l’identité et l’authenticité. S’il peut atteindre au
même but sans y recourir, il ne le fera pas, parce qu’il
n’aura plus d’intérêt à le faire.
259.
— On doit donc tenir la main à ce que les
prescriptions de l’article 13 reçoivent une exécution
sévère et complète. Les livres irréguliers ne doivent
jamais être admis par la justice. Quelles que soient
leurs énonciations, elles ne peuvent ni devenir les ba
ses légales d’une condamnation, ni être invoquées à
titre de présomptions autorisant le juge à déférer le
serment supplétoire. C’est ce que la cour de Rennes a
fort nettement décidé par arrêt du 23 août 1821.
Dans l’espèce de cet arrêt, un sieur Mercier préten
dait avoir rapporté d’un sieur Démolière la cession de
la quote-part d’intérêt que celui-ci avait à prétendre
dans une association relative à l’armement et à l’exploi
tation d’un navire dont il avait le commandement. En
preuve de cette cession, formellement déniée, Mercier
produisait son livre journal, sur lequel il l’avait effectiment inscrite à la date du 20 nivôse an i i i .
�400
DES LIVRES DE COMMERCE
L’affaire ayant été portée devant le tribunal de com
merce de Nantes dès l’an v, et divers jugements étant
toujours restés sans exécution, ce tribunal en prononça
un dernier, le 21 février 1821, par lequel, sans admet
tre que la preuve de la cession dût être considérée
comme résultant du livre irrégulier de Mercier, il trouve
dans ses énonciations une circonstance de nature à en
faire présumer la sincérité. En conséquence, il admet
Mercier à prêter le serment supplétoire qui lui est dé
féré d’office.
Démolière émet appel de ce^ugement. Il discute d'a
bord les présomptions extérieures invoquées par le pre
mier juge, il soutient ensuite que c’est mal à propos
qu’on a cru devoir déférer le serment à son adversaire
sur le fondement de ses livres, puisque leur irrégularité
devait les faire absolument rejeter du procès.
Ce système triompha devant la cour. Les motifs qui
le firent accueillir sont : « Que si aux termes de l’arti—
« cle 12 du Code de commerce, conforme en ce point
« au droit ancien, les livres de commerce régulière« ment tenus peuvent être admis par les juges pour
« faire preuve entre commerçants, pour faits de corn
et merce, le législateur a exigé pour la r4gularité de la
« tenue de ces livres qu’ils aient été paraphés et visés
« une fois l’an, et qu’ils aient été tenus par ordre de
« dates, sans blancs, lacunes ni transports en marge ;
« qu’à défaut de ce, l’article 13, même Code, décide
« que les livres de commerce, pour lesquels les forma« lités ci-dessus prescrites n’auront pas été observées,
�y
«
«
«
«
«
«
«
ne pourront être représentés ni faire foi en justice
au profit de ceux qui les auraient tenus; en fiait,
que les livres de Mercier ne sont ni visés ni paraphés
conformément à la loi, et conséquemment ne peuvent faire foi en justice de leur teneur, ni avoir autorisé les premiers juges à lui déférer d'office le serment supplétoire. »
Ce qu’il importe de retenir de cet arrêt, c’est l'ap
plication du Code de commerce à une opération évi
demment réalisée sous l’empire de l’ordonnance, ce qui
prouve qu’il ne s’agissait pas seulement de l’absence du
visa et du paraphe annuel. Cette formalité, en effet,
n’a été introduite que par le Code, l’ordonnance de
1673 ne l’exigeait pas. Comment donc aurait-il été
possible de considérer comme irrégulier le journal tenu
en l’an tir, c’est-à-dire à une époque où la formalité
dont on relevait le défaut n’était pas encore obliga
toire ?
Il est certain que si ce journal avait été signé, coté et
paraphé comme l’exigeait l’article 3, titre m de l’or
donnance, il eût été régulier et aurait pu faire foi entre
commerçants et pour fait de commerce. L’arrêt de la
cour de Rennes n’est donc, et ne peut être considéré
comme juridique qu’en admettant, indépendamment
du reproche qu’il renferme dans ses motifs, que le
journal n’avait pas été tenu dans les formes exigées
par la législation antérieure au Code. Dans cette hypo
thèse, en effet, malgré le silence qu’elle gardait sur
les effets de sa violation, il n’est pas douteux que la
26
�402
DES LIYRES DE COMMERCE
règle depuis consacrée par le Code ne dût être appli
quée. La doctrine et la jurisprudence l’indiquaient à
l’en v i, comme résultant implicitement du texte de
la loi.
On reprochera peut-être à la cour de Rennes de finir
par faire ce qu’elle blâme chez le premier juge, d'avoir
déféré le serment non plus au demandeur, il est vrai,
mais au défendeur.
Ce reproche serait immérité, ce que la cour critique
chez le premier ju g e, c’est d’avoir induit des livres,
quoique irréguliers, une vraisemblance assez forte pour
autoriser la délation du serment, et d’avoir ainsi jugé
que si ces livres ne justifiaient pas pleinement la de
mande, ils ne la laissaient pas totalement dénuée de
preuves, ainsi que l’exige l’article 1367 du Code civil.
La cour de Rennes repousse les livres d’une manière
absolue, et si elle défère le serment, c’est, dit l’arrêt,
« que les faits respectivement retenus et contestés, et
« la nature des liaisons commerciales qui avaient existé
« entre les parties autorisent la cour, aux termes de
« l’article 1366 du Code civil, à exiger que le sieur
« Demolière affirme, sous la foi du serment, qu’à au« cune époque, il n’a cédé au sieur Mercier la moitié
« de son intérêt, d’un quart dans le navire l’Hydre ou
« le Tyrannicide. »
C’est-à-dire que la cour invoque les présomptions
auxquelles donnaient naissance les faits du procès et la
nature des relations qui avaient eu lieu entre les par
ties. Qu’elle fut en droit de le faire, c’est ce qui ne sau-
�ART. 12 ET 1 3 ,
403
rait être ni méconnu ni contesté, elle jugeait en ma
tière commerciale où la preuve testimoniale étant de
droit commun, la preuve par présomptions était évi
demment admise, admissibilité qui autorisait de son
côté la délation du serment supplétoire.
Je sais qu’on a prétendu induire de ces termes de
l’article 1329 du Code civil : Sauf ce qui y sera dit à
l'égard du serment, la faculté pour le juge d’user du
droit que lui donne l’article 1366 même Code, dans
tous les cas, et dans quelque état que se trouvent les
livres invoqués par le marchand. La réserve est géné
rale, a-t-on dit, sans restriction aucune. On ne pour
rait donc,isans ajouter à la loi, faire une distinction que
le législateur n’eût pas manqué de libeller si elle avait
été dans son intention.
Cette interprétation de l’article 1329 est de tous
points inadmissible. Elle aboutirait à ce résultat qu’on
aurait fait aux non-commerçants, dont cet article s’oc
cupe exclusivement, une position pire que celle qui est
assurée aux commerçants.
En effet, en ce qui concerne ces derniers, les livres
irrégulièrement tenus ne peuvent, aux termes de notre
article 13, être représentés ni faire foi en justice, tandis
que pour les non-commerçants, les livres irréguliers
pourraient non-seulement être représentés, mais encore
devenir le fondement d’une délation de serment.
Une pareille anomalie est trop contraire à la raison
pour qu’on hésite à la condamner. Dans tous les cas,
elle ne pourrait être admise que si la loi l’avait exprès-
�404
DES LIVRES DE COMMERCE
sèment autorisée or cette autorisation n’est ni dans
son texte ni dans son esprit.
L’article 1329 du Code civil suppose de toute certititude que les registres des marchands, pouvant deve
nir pour le juge un motif de recourir au serment, sont
légalement représentés et ont été valablement versés
au procès. 11 est évident, en effet, que s’ils ne peuvent
être produits en justice, il était fort inutile d’exprimer
qu’ils ne feraient pas foi contre les personnes non mar
chandes. Comment, en effet, les juges auraient-ils pu
accueillir des indications qu’ils ne connaissaient pas,
qu’il leur était interdit de connaître ?
Or n’est-ce pas ce qui, aux termes de l’arficle 13 du
Code de commerce, se réalisera si des livres ont été ir
régulièrement tenus, à moins de soutenir que cet arti
cle 18 ne peut être invoqué par les non-commerçants,
ce qui serait, en droit, une véritable hérésie?
Donc, l’article 1329 se place darîs l’hypothèse d’écri
tures régulièrement tenues, et ce n’est que de cette
manière qu’on s’explique la réserve relative au ser
ment. En effet, la demande fondée sur ces écritures,
si elle n’est pas pleinement justifiée, n’est pas totale
ment dénuée de preuves, c’est-à-dire que la double
condition que l’article 1367 met à l’exercice de la fa
culté donnée par l’article 1366 se réalisant, cet exer
cice n’est plus de la part du juge qu’un acte légal et
légitime.
En dernière analyse, les prescriptions de l’article 13
du Code de commerce peuvent être invoquées par les
�ART.
12 ET 13.
405
non-commerçants comme par les commerçants euxmêmes. L’article 1329 du Code civil n’y met aucun
obstacle, il ne dispose que pour le cas où les livres
ayant été régulièrement tenus, peuvent être valable
ment soumis aux juges et appréciés, par eux.
2 6 0 . — L 'irrégularité des livres ne permet pas de
distinguer si le litige s’agite ou non entre commerçants,
s’il a pour cause une opération de commerce ou une
affaire purement civile. Par cela seul que celui qui les
a tenus a omis de se conformer aux formalités prescri
tes parles articles 8 et suivants, les livres ne peuvent
fournir ni preuve, ni présomption ; ils ne sauraient
même être représentés en justice. Ils auraient pu être
fabriqués après coup pour les besoins du procès, du
moins on pourrait le soutenir, et cette supposition,
juste conséquence du mépris de la loi, leur enlève ab
solument toute consistance.
2 6 1 . — Mais cet effet est exclusivement borné au
commerçant qui n’a pas rempli les formalités voulues.
Les livres irréguliers ne pourront être représentés en
justice, ni faire foi de ce qu’ils contiennent en faveur de
veux qui les ont tenus. Si ces termes de l’article 13
avaient besoin d’un commentaire, la discussion législa
tive qu’ils ont subie nous en fournirait un aussi péremp
toire que décisif.
2 6 2 . — Dans le projet primitif du Code, l’article
13 disposait que les livres irréguliers ne feraient aucune
�406
DES LIVRES DE COMMERCE
foi en justice, ni pour ni contre personne ; mais cette
rédaction ne fut pas définitivement admise. On se borna
à décider que ces livres ne produiraient aucun effet en
faveur de ceux qui les auraient tenus. La déduction
logique de cette modification était évidemment qu’en
en prohibant la représentation en leur faveur, on l’ad
mettait implicitement contre eux. Cette conséquence,
résultant du texte même, est encore bien plus claire
ment démontrée par l’esprit de la loi.
263.
— Cet esprit, que nous puisons dans la dis
cussion au conseil d’Etat, se fonde d’abord sur cette
règle de morale et d’équité, que nul ne doit être puni
pour une faute qui lui est étrangère. Or, quelle est la
part que le tiers a prise à la tenue irrégulière des livres?
A -t-il pu influer sur la conduite de leur détenteur?
Pouvait-il le contraindre à agir autrement qu’il n’a fait,
et l’obliger à remplir les formalités prescrites? Non évi
demment. Dès lors, on ne devait raisonnablement pas
le rendre responsable et victime de leur violation dans
une proportion quelconque.
Un autre motif se réunissait à cette inspiration de
haute équité. Il fallait se bien garder de donner le moin
dre encouragement à la violation de la loi. C’en était
un que d’admettre que les livres irréguliers ne pour
raient jamais être invoqués contre celui qui les a tenus.
La certitude de n’avoir jamais à les produire pouvait
paraître, à un commerçant de mauvaise foi, une com
pensation plus que suffisante à l’impossibilité de pou-
�ART.
12 ET 13.
407
voir lui-même y puiser un élément en sa faveur. Lui
accorder cette compensation, c’était le récompenser
de sa désobéissance, favoriser sa mauvaise foi, et se
placer ainsi doublement en opposition à la volonté bien
formelle du législateur.
Enfin il était inique de consacrer qu’un commerçant
pût trouver dans la violation de la loi un titre suffisant
pour se délier d’une obligation dont il pourrait faire
disparaître toute trace, en célant ses propres écritures.
On lui aurait ainsi permis non-seulement de se placer
au-dessus de la volonté du législateur, mais encore de
venir effrontément s’en glorifier devant la justice et en
réclamer le prix. A une prétention de cette nature, il
n’y avait qu’une réponse possible : Nemo auditur propriam turpitudinem allegans.
La rédaction définitive de l’article 13 se justifie donc
sous le triple rapport de la morale, de la raison et de
la justice. Voici la position exacte qu’elle fait au com
merçant, aux tiers, aux tribunaux.
2 6 4 . — Le premier, coupable de la tenue irrégu
lière des livres, n’est pas recevable à les représenter, à
l'appui des actions qu’il aura judiciairement intentées, il
ne peut y puiser ni preuve, ni présomption à son pro
fit. Pour lui, les livres irréguliers sont comme s’ils n’a
vaient jamais existés. Ils ne sont pas même de nature à
lui faire déférer le serment supplétoire.
2 6 5 . — Pour les tiers débiteurs ou créanciers, la
�408
DES LIVRES DE COMMERCE
loi leur permet de récuser l’autorité des livres irrégu
liers dont on voudrait se prévaloir contre eux. Ils sont
recevables et fondés à en faire prononcer le rejet pur
et simple. Mais c’est là une faculté dont l’exercice est
exclusivement subordonné à leurs convenances person
nelles. Ils peuvent donc, si leur intérêt leur en fait un
devoir, non-seulement ne pas s’opposer à leur produc
tion, mais encore la requérir de leur chef et contre la
volonté du commerçant qui les a tenus. Vainement ce
lui-ci exciperait-il de leur irrégularité. Cette fin de nonrecevoir , exclusivement abandonnée aux tie rs, ne
saurait jamais leur être opposée, surtout par celui qui
se la serait plus ou moins frauduleusement ménagée, en
commençant par violer les obligations qu’il devait
remplir.
266.
— Les tribunaux peuvent même d’office or
donner la production des écritures irrégulières, afin de
se procurer les éclaircissements qu'ils croient indispen
sables à la solution du litige. Mais ils ne sauraient faire
résulter de leurs indications la nécessité d’une solution
favorable à celui qui les a tenues.
Cette faculté a été formellement et expressément
réservée lors de la discussion de l’article 13 dans le
sein du conseil d’Etat. Nous avons déjà vu comment
avait été primitivement conçu l’article, comment et
pourquoi on avait substitué à sa rédaction celle qui
nous régit actuellement. M. Bigot de Préameneu faisait
remarquer à ce sujet qu’il fallait se borner à dire que
�..
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ART. 10 ET 11.
, V..
^
409
les registres qui ne seront pas en règle ne pourraient
faire foi au profit du marchand , parce qu’il con
venait d’autoriser le juge à se les faire représenter,
s’il veut prendre cette précaution pour rassurer sa
conscience.
Ainsi, tous peuvent recourir aux livres irréguliers,
et y trouver des preuves contre leur auteur. Celle rè
gle, qui se déduit du texie même de l’article 13, nous
est de plus fort enseignée par son esprit. Nous venons
de voir les cours de Bourges et de Rennes la consacrer
d’une manière formelle. Une seule personne n’est pas
recevable à s’en prévaloir, c'est le commerçant qui les
a tenus.
267.
— D’autre part, et lorsque les tiers ou la jus
tice ont demandé ou ordonné la production des livres,
il n’y a qu’une personne irrécevable à exciper de leur
irrégularité, et c’est encore le commerçant qui les a
tenus. Cette règle s’applique même entre associés,
par le motif qu’étant également coupables de la viola
tion de la loi, les associés ne peuvent s’opposer l’un à
l’autre l'irrégularité des livres de la société, c’est ce
qu’enseigne la doctrine.1
C’est aussi ce qui résulte de la jurisprudence. En
effet, la Cour de cassation a décidé formellement que
l’irrégularité des livres de commerce ne peut être in1 V. Toullier, t. vin, n°s 387 et suiv. ; — Rolland de Villargues,
v‘> Livre de comm., n° 54 : — Pàrdessus, n»s 258 et 260,
�AlO
DES LIVRES DE COMMERCE
voquée que par les tiers, et non par les parties qui ont
tenu ces livres entre elles.
Dans l’espèce soumise à la cour régulatrice, il s’agis
sait du bail d’un immeuble accepté par un associé en
son nom personnel, mais dont il avait fait jouir la so
ciété. Celle-ci s’étant dissoute avant l’expiration du
bail, des difficultés s’étaient élevées d’abord sur la ques
tion de savoir qui devait rester chargé du bail, ensuite
sur la quotité du prix annuel que la société devait
payer pour la durée de la jouissance. L’associé préten
dait que le taux fût maintenu tel qu’il était porté sur les
livres sociaux.
La cour de Douai, après avoir réglé la jouissance
pour les années à courir, avait fait droit pour le passé
à la prétention de l’associé, et accepté comme prix sé
rieux et sincère celui que les écritures indiquaient
avoir été annuellement payé.
Son arrêt fut déféré à la cour suprême, notamment
pour violation des articles 12 et 13 du Code de com
merce, en ce que les livres à l’aide desquels l’associé
établissait le chiffre de la dépense étant irréguliers
comme non revêtus des formalités prescrites par les
articles 8 et suivants du Code de commerce, l’arrêt n’a
vait pu en faire la base de sa décision.
Mais ce moyen ne fut point accueilli. « Attendu que
la prétendue irrégularité des livres n’a été en aucune
façon démontrée ; attendu d’ailleurs, qu’alors même
que cette irrégularité serait prouvée, elle n’aurait pu
�ART.
12
ET
13 .
411
être alléguée que par les tiers et non par les parties qui
avaient elles-mêmes tenu ces livres.1 »
2 6 8 . —- Ainsi donc, l’exception tirée de l’irrégu
larité des livres est ouverte à tous les ayants-droit.
Elle n’est interdite qu’au commerçant dont ces livres
émanent. Mais cette exception n’est qu’une faculté à
laquelle les tiers peuvent renoncer. Ils sont donc libres
de ne pas les repousser lorsqu’ils sont produits. Ils
peuvent même en exiger la production, ainsi que nous
l’établirons sous les articles suivants.
A cet égard, il n’y a plus à distinguer ni sur la qua
lité des personnes, ni sur le caractère de l’acte. Que le
litige s’agite ou non entre commerçants; que la cause
en soit ou non commerciale, cela importe peu. Nous
aurons seulement à noter les divers effets que le refus
de la production demandée produirait dans ces diverses
hypothèses.2
2 6 9 . — Les créanciers sont, en règle générale, re
présentés par leur débiteur dans tous les actes par les
quels ce dernier croit devoir administrer sa fortune. Ils
doivent donc en subir les effets, tout comme le débi
teur y serait tenu lui-même.
De là cette conséquence que les créanciers d’un
failli seraient liés par les indications des livres que ce-
1 Cass., 7 mars 1837 ; — J. du P ., t. n, 37, pag. 11.
2 V. infra, art. 15 et 16.
�412
DES LIVRES DE COMMERCE
lui-ci aurait irrégulièrement tenus, à moins qu’ils ne
justifiassent que ces indications n’ont été faites qu’en
fraude de leurs droits, par le résultat d’une collision
entre le débiteur et celui qui est appelé à en retirer le
bénéfice.
Ainsi, le souscripteur d’effets de complaisance, qui
en a payé le montant aux tiers-porteurs, peut prouver
le caractère de l’opération par les livres du failli, et se
porter créancier de la faillite pour toutes les sommes
ainsi avancées, ou obtenir la restitution des billets se
trouvant encore dans le portefeuille du failli. La masse
ne serait pas recevable à exciper de l’irrégularité des
livres. Elle ne pourrait même en récuser l’autorité que
si elle établissait que, le souscripteur étant réellement
débiteur, l’indication le constituant simple tireur de
complaisance n’est qu’une fraude pour enlever aux au
tres créanciers cette partie de l’actif. C’est ce que la
cour de Rouèn a très-judicieusement consacré par un
arrêt fort remarquablement motivé.1
270.
— Voilà donc la première et énergique sanc
tion que la loi a donnée à l’obligation de tenir des li
vres, et à celle de les soumettre aux formalités devant
en garantir la sincérité en les authentiquant. Il en est
une autre non moins efficace qui ne s’arrête plus à une
simple blessure pour l’intérêt privé, qui ne va à rien
moins qu’à^compromettre l’honneur et la liberté.
1 23 mai 1825
�ART.
12 ET 13.
413
Pas plus que l'ordonnance de 1673, le Code de com
merce n’a entendu contraindre à l’exécution matérielle
de ses dispositions. Il donne des conseils plutôt que
des ordres. Il dépend des commerçants de les exécuter,
et, s’ils ne le font pas, personne n’a le droit de le trou
ver mauvais. Mais à la condition, comme l’observait
fort judicieusement Savary, que ceux qui ont usé de
cette liberté n’aient jamais aucun différent avec per
sonne pour raison de la vente ou l’achat de leurs mar
chandises; que pour établir leurs demandes ou leur dé
fense en justice, ils n’aient pas besoin de livres; qu’ils
paient toujours bien leurs dettes ; qu’ils soient assurés
de faire toujours bien leurs affaires ; qu’il ne leur arrive
jamais d’éprouver des pertes considérables qui les
mettent hors d ’état de pouvoir payer ce qu’ils doi
vent.1
En effet, si une difficulté surgit sur une vente ou sur
un achat, ils auront à regretter amèrement de n’avoir
pas obéi à la loi. Les livres irréguliers auxquels ils au
raient recours ne pourront jamais faire foi en leur fa
veur, tandis qu’ils prouveront contre eux. S’ils deman
dent le paiement d’une créance dont ils n’auraient
d’autre titre que ces livres mômes, ils ne pourront en
obtenir le paiement, que la régularité de leurs écritures
leur aurait fait« vraisemblablement obtenir.
C’est bien pis encore si des revers inattendus les ré
duisent à recourir à un arrangement ou les font décla1 Parfait négociant, t. i, p. 293.
�414
DES LIVRES DE COMMERCE
rer en état de faillite. Les créanciers, la justice ellemême pourront supposer que les livres irréguliers
qu’ils produisent ont été fabriqués après coup et pour
les besoins de la faillite, que les véritables écritures ont
été par eux soustraites dans l’intention de masquer leur
situation réelle, ce qui les expose à toutes les rigueurs
d’un emprisonnement préventif, aux humiliations et
aux dangers d’une accusation de banqueroute frau
duleuse.
Ce danger évité, reste la banqueroute simple , et
l’article 586 est tellement exprès, que son application
peut résulter de l’omission matérielle des formalités
voulues parla loi. La fraude n’est pas même exigée.
Enfin et en dernière analyse, l’irritation des créan
ciers, les soupçons plus ou moins fondés que l’irrégu
larité des écritures pourra leur faire concevoir peuvent
être un obstacle invincible à tout concordat. Les faillis
ne pourront donc rien acquérir par la suite, sans être
exposés aux poursuites dont la faculté résulte éternelle
ment du contrat d’union.
Ainsi, préjudice pour l’intérêt privé pendant toute la
durée du commerce ; en cas de faillite, emprisonne
ment préventif, humiliation d’un débat criminel ou cor
rectionnel, atteinte éternelle à l’honneur et à la consi
dération naissant d’une condamnation, impossibilité de
revenir à meilleure fortune créée par le contrat d’union ;
voilà les fruits que le mépris des dispositions de la loi
est dans le cas de produire. N’est-ce pas l’occasion de
s’écrier avec Savary : Se trouvera-t-il quelque négo-
�ART.
14.
415
ciant qui puisse, à moins d’avoir perdu la raison, cou
rir de pareilles chances plutôt que de se soumettre à
des formalités dont l’exécution ne doit occasionner au
cun frais !
A
rt.
14.
La communication des livres et inventaires
ne peut être ordonnée en justice que dans les
affaires de succession , communauté , partage
de société, et en cas de faillite.
SOM M AIRE
271.
i 272.
273.
274.
275.
276.
277.
278.
279.
280.
Exception que devait subir le droit de se faire communi
quer toutes les pièces dont excipe l’adversaire,
Respect que le droit romain professait pour les secrets des
affaires d'un citoyen.
Nécessité qu’il en soit ainsi pour les affaires commer
ciales.
Conséquences que pouvait entraîner la communication des
livres.
Sentiment de Casaregis sur ce point.
Inconvénient qu’avait entraîné en France le système con
traire que l ’ordonnance de 1673 proscrivit.
Le Code de commerce a adopté la règle et les exceptions
tracées par celle-ci.
Nature et caractère des exceptions.
Droit de l ’héritier à la communication des livres de son
auteur.
Ce droit est commun aux héritiers légitimes et testamen
taires.
�416
281.
282.
283.
284.
285.
286.
287.
288.
289.
290.
291.
292293.
294.
295.
296.
297.
298.
299.
300.
DES LIVRES DE COMMERCE
Quand les légataires particuliers et les donataires pour
ront-ils réclamer cette communication ?
Comment on peut résumer, sur cette première exception,
l ’intention du législateur.
Fondement de l’exception en faveur du communiste.
Le droit de celui-ci passe à ses héritiers.
Droit de l’associé. Peut-il être exercé avant le partage ?
La communication est due à l ’associé commanditaire.
A l’actionnaire d’une société anonyme.
Utilité spéciale de cette mesure pour les uns et pour les
autres.
Le prêteur qui a stipulé une part dans les bénéfices est un
véritable associé quant à ce. Conséquences.
Arrêt de la cour de Rouen. Espèce sur laquelle il est in
tervenu.
Examen et critique de cet arrêt.
Le commis intéressé, dans les bénéfices a droit à la com
munication des livres.
Réponse de la cour de Lyon à l’objection puisée dans l ’ar
ticle 1781 du Code civil.
Exception en cas de faillite. Véritable sens de l’article 14.
Ne concerne que les créanciers.
Résumé.
L ’article 14 est limitatif. Conséquences.
C’est au juge qui ordonne la communication à en prescrire
la forme.
Arrêts divers de la cour de cassation sur l ’application de
l ’article 14.
Critique de celui rendu le 25 janvier 1843.
271.
— Il est de principe, en matière de contes
tations judiciaires, que les parties ont le droit d’exiger
la communication des pièces dont on excipe contre
�ART.
14.
417
elles. Ce droit existe même à l’égard des pièces signi
fiées et versées au procès. Les faécessités de la défense
sont dans le cas d’exiger la représentation des origi
naux, soit pour s’assurer de là fidélité et de l’exactitude
de la copie, soit pour vérifier certains passages qu’on
pourrait croire tronqués ou supposés.
Ces nécessités comprises par le législateur soiit de
venues la matière de dispositions tendàrtt à lés satis
faire. Le Code de procédure, après les avoir sanction
nées, consacre un paragraphe à en réglementer l’exé
cution.1
Mais ce droit devait s’arrêter dans certaines circons
tances, surtout lorsque, n’ayant pas à s’exercer sur un
titre spécial et déterminé, sa concèssion aurait eu pour
objet de livrer à un tiers le secret des affaires de son
adversaire. On se trouvait, dans ce cas, én présence de
susceptibilités consacrées par des. raisons de hatite
convenance sociale et d’intérêt général, qu’il était ur
gent dès lors de respecter. Le secret de ses propres
| affaires est un patrimoine inviolable sur lequel le légis
lateur a, de tout temps, veillé avec la plus constante
sollicitude. C’est par une juste application du respect
qui lui est dû, que le Code civil a autorisé le retrait
successoral, et écarté de l’inventaire les créanciers op
posants.
2 7 2 . — Cette règle avait été énergiquement proi V. art. 188 et suivants du Code de procédure civile.
27
�418
DES LIVRES DE COMMERCE
clamée par le législateur romain, qui n’avait pas hésité
à sanctionner les précautions les plus capables d’en as
surer le maintien. Ce qu’il fallait conserver avant tout,
même contre les droits spécialement créés par la loi,
c’était le secret de la famille : Quid enim tam durum,
tamque inhumanum est, quam publicatione pompaque
rerum familiarium, et panpertatis detegi vilitatem, et
invidiœ exponere divitias.1
273.
— Si l’immixtion, si la connaissance acquise
par une intervention indiscrète dans les affaires d’au
trui est une chose grave et regrettable en matière or
dinaire, à combien plus forte raison ne saurait-on lui
refuser ce double caractère lorsqu’il s’agit d’affaires de
commerce !
Le secret est pour le négociant l’âme de ses opéra
tions, l’élément le plus essentiel, le plus indispensable
à leur succès. Cacher à ses concurrents, à ses rivaux,
le mode de son exploitation, la connaissance des moyens
qu’il emploie, leur soustraire le nom de ses corres
pondants, la connaissance des lieux ou il,a l’habitude
de s’approvisionner, peut devenir pour lui une ques
tion de vie ou de m ort; le législateur l’a si bien senti,
qu’il a permis au commissionnaire commercial d’agir
efi son propre et privé nom, quoique pour le compte
d’un tiers.
k
1 L. n , Cod. de quando etquibus quarta par», e tc ....
�ART.
14.
419
274.
— Or, permettre la communication des livres
d’un commerçant, c’était non-seulement divulguer le
secret des affaires de famille, puisque toutes les affai
res, môme non commerciales, doivent y figurer, mais
encore livrer à un concurrent, à un rival, à un jaloux,
l’avenir commercial de celui à qui cette communication
était demandée ; révéler le mode de ses opérations, le
nom de ses correspondants, apprendre comment et
dans quels lieux il réalisait ses approvisionnements.
C’était plus encore, une communication de ce genre,
en indiquant les correspondances, enseignait également
leur situation, établissait leur crédit et surtout leur
débit. Elle compromettait dès lors une foule de gens
dont l’existence commerciale pouvait être ruinée ou
profondément atteinte par une indiscrétion même
involontaire, livrant uu public un secret qui devait
rester éternellement enfoui entre le débiteur et le
créancier.
Enfin un dernier et immense inconvénient delà com
munication des livres était le danger ré e l, inévitable
qu’elle pouvait offrir pour le commerçant. On sait que
dans le commerce le crédit supplée au capital, et *
suffit bien souvent pour acquérir celui-ci lorsqu’il n’a
jamais existé, pour le reconquérir lorsqu’il a été perdu.
Mais le crédit ne s’attache qu’à celui qui est présumé
posséder un capital de nature à offrir une garantie. Sup
posez que celui dont on communique le livre ne se
soutienne plus que par la confiance qu’il inspire, estce que la connaissance de sa position réelle n’aura pas
�420
DES LIVRES DE COMMERCE
pour résultat de compromettre cette position, de lui
arracher tout crédit? Il se verra donc contraint de s’ar
rêter et peut-être de recourir à une faillite, tandis que,
sans la communication de ses livres, il eût pu continuer
ses opérations longtemps encore, et arriver à une meil
leure fortune.
2 7 5 . — On comprend dès lors pourquoi la législa
tion des nations commerçantes interdisait la communi
cation des livres. Cette règle était admise en Italie. On
ne tolérait leur production que par une fiction assez in
génieuse. Celui qui traitait avec un marchand, obligé
de transcrire toutes les opérations qu’il réalisait, était
censé lui donner le mandat de porter sur ses livres la
mention de celle qui se passait entre eux, il était donc
présumé, lorsqu’il demandait la production des livres,
agir en qualité de mandant, et pour s’assurer si son
mandat avait été rempli.1 De là cette conséquence que
la production devait se borner à la page sur laquelle se
trouvait inscrite' l’opération litigieuse : Notandum est
quod mercatores, licel teneantur libros exhibere, eos
attamen exhibere non lenentur, nisi in ea parte aut
pagella quœ adest controversia?
2 7 6 . — Il parait qu’en France, avant l’ordonnance
de 1673, on avait méconnu ce principe tutélaire et au
torisé la communication. Ce qui était résulté de cet
1 Casaregis, dise. 102, n° 5.
s Id., dise. 30, n° 79.
�état de choses, c’est que celui à qui cette communica
tion était demandée se refusait souvent à la faire.
Par là il perdait son procès sans doute, mais il évitait
l’inconvénient bien plus grave de rendre un tiers con
fident des secrets de son commerce et de sa véritable
situation.
Savary, qui atteste cette pratique, l’approuve haute
ment. « Il faut remarquer, dit-il, que quand un mar
chand demandait en justice à un autre la représentation
de ses registres, pour prendre droit par iceux, souvent
celui à qui elle était demandée alléguait n’avoir point
de registres, quoiqu’il en eût, afin qu’étant déposés
au greffe, l’on ne pût pas voir ses autres affaires,
parce qu’il en était arrivé plusieurs inconvénients ; et,
en effet, il n’est pas juste qu’un négociant qui demande
à un autre la représentation de ses livres pour justi
fier sa demande ou sa défense, ait connaissance des
autres choses qui sont écrites en iceux et qui ne le re
gardent pas.1 »
L’ordonnance de 1673 fit justement cesser cet état
de choses, et consacra les véritables principes de la ma
tière , en prohibant désormais toute communication
des livres. L’article 9, titre n i, n’admet d’exception à
cette prohibition qu’en cas de succession, communauté,
partage de société ou de faillite.
277. — Le même principe et les mêmes exceptions
i Parfait négociant, 1 .1, p, 295.
�422
DES LIVRES DE COMMERCE
se retrouvent dans notre Code. Les justes motifs aux
quels le législateur de 1673 avait cédé, ne pouvaient
échapper au législateur de 1807. Les inconvénients et
les dangers qu’on avait voulu prévenir à une époque
devaient également l’être à cette dernière. On devait
donc s’arrêter à des résultats analogues.
Aujourd’hui donc, la loi garantit aux commerçants
le secret absolu de leurs affaires, de leurs spéculations,
de leur correspondance. La communication de leurs
livres ne saurait être ordonnée en justice, c’est-à-dire
que nul ne serait recevable à en demander soit le dépôt
au greffe, soit la remise amiable sur récépissé, et les
rendre ainsi l’objet d’une libre et minutieuse investi
gation.
278.
— Le fondement rationnel et juridique de
cette règle faisait assez prévoir les exceptions qu’elle
était susceptible de recevoir. Il ne faut pas que des tiers
surprennent, surtout au prix d’une mauvaise contesta
tion, un secret qui doit leur rester éternellement caché.
Dès lors, lorsque celui qui veut s’y faire initier n’est
pas un étranger; si, ayant un intérêt incontestable à la
communication des livres, il peut étayer cet intérêt sur
un droit non moins incontestable, à quel titre et pour
quoi la lui refuserait-on ?
Or, telle est évidemment la position de l’héritier, du
communiste, de l’associé, de la masse des créanciers
et de chaque créancier dans le cas de faillite. C’est donc
�a r t.
14.
423
avec juste raison que l’article 14 les excepte de la pro
hibition qu’il fait de cette communication.
2 7 9 . — Il n’est pas douteux que si un commerçant
décède en laissant plusieurs héritiers, chacun de ceuxci a un droit égal, nous ne dirons pas à la communica
tion des livres, mais à leur propriété. Il faut cepen
dant faire choix d’un dépositaire, mais la nomination
de celui-ci n’est pas une renonciation à un droit dont
l’utilité se fera surtout sentir lorsqu’il s’agira de déter
miner l’actif de la succession. '
A quelque époque donc que se réalise la demande
en communication de la part de l’héritier, elle doit être
accueillie, il ne fait qu’user d’un droit que lui attribue
sa qualité de copropriétaire, il ne cherche pas à péné
trer dans le secret d’une famille qui lui soit étrangère,
il ne demande que le moyen d’éviter un préjudice dont
on pourrait vouloir le rendre victime.
On ne pourrait non plus lui objecter qu’il n’a pas le
droit de s’immiscer dans les affaires commerciales du
défunt. Il est, en effet, appelé, comme tous les autres
cohéritiers, à continuer le commerce de son auteur,
s’il le juge convenable. Il a dès lors qualité et droit à
en pénétrer tous les mystères, à en connaître les déve
loppements, dans le cas où, ayant conçu ce projet, il
voudrait le réaliser.
2 8 0 . — Le droit que nous reconnaissons aux héri
tiers légitimes appartient aux héritiers testamentaires.
�£24
DES LIVRES DE COMMERCE
Ainsi les légataires universels ou à titre universel peu
vent et doivent être admis à prendre communication
des livres du testateur. Cette communication, en effet,
leur est indispensable pour déterminer la quotité vraie
de l’émolument qu’ils ont à percevoir, et qui, surtout
pour les légataires à titre universel, est nécessairement
subordonnée à la composition de la masse active de la
succession. Or, comment procéder à cette composition
sans le secours indispensable des livres?
281.
— Quant aux légataires à titre particulier, on
ne saurait prévoir qu’ils aient jamais besoin de recourir
à une pareille communication. La délivrance qui leur
est faite des objets qui leur sont légués les désintéresse
complètement et les rend désormais étrangers à la suc
cession. Cependant si cette délivrance leur était totale
ment ou partiellement refusée, soit sous prétexte d’in
suffisance de l’actif par rapport au passif, soit pour
cause d’excès sur la quotité disponible donnant lieu à
une réduction, ils se verraient appelés à établir la con
sistance réelle de la succession, et à se défendre contre
tout abus. Comment pourrait-on dès lors leur contes-r
ter la communication des livres qu’ils réclameraient
dans cet objet?
Il est vrai que le droit romain, en pareil cas, voulait
que le légataire ou portionnaire s’en référât au serment
des héritiers sur la consistance du mobilier. Mais cette
obligation était spécialement imposée à la curie, relati
vement au quart qu’elle était appelée à recevoir dans
�la succession des dédirions. La loi qui avait exigé cette
part, par des motifs que nous n’avons pas à rechercher,
avait bien pu soumettre la curie à cette condition. Ce
qui est certain, c’est que nous ne la trouvons nulle
part répétée à l’endroit des légataires appelés par le
testateur lui-même.1
Dans tous les cas, le Code civil ne consacre rien
de semblable. Quel que soit le titre d’un successeur,
sa qualité résultant du testament lui donne le droit de
recevoir intégralement ce dont il a été gratifié. II peut
donc, lorsque dans l’exécution on lui conteste la quo
tité lui revenant, établir contradictoirement la consis
tance de la succession, et prendre communication de
tous les documents conduisant à ce résultat. De quoi
se plaindraient d’ailleurs les héritiers légitimes ou les
légataires universels? Si cette communication est de
nature à leur occasionner un préjudice , ils ont un
moyen bien simple de l’empêcher, celui de désintéres
ser le légataire particulier. Si, au lieu de le faire, ils lui
disputent son legs, ils ne sauraient échapper à la né
cessité d’une mesure que le droit de défense commande
impérieusement.
Le donataire est également, quant aux choses don
nées, le représentant du donateur. Conséquemment, si
au décès de celui-ci, la donation est attaquée en réduc
tion, sa défense ne pourrait être complète, s’il ne lui
était pas permis de se faire communiquer les livres et
1 Liv. n, Cod. de quando et quibus quarto,pars, etc ...
�426
DES LIVRES DE COMMERCE
écritures. C’est, en effet, par la détermination de la
masse active qu’on pourra juger s’il y a lieu ou non à
réduction. Le donataire devant la supporter est donc
appelé par la force des choses à débattre les éléments
de cette détermination, à y ajouter ceux qui auraient
été omis ou négligés par les héritiers, et à prouver que
la quotité disponible n’a pas été dépassée. Tout cela, il
ne pourrait le faire si on lui cachait les documents les
plus essentiels, c’est-à-dire les livres. Il serait donc re
cevable et fondé à en faire ordonner la communication
par leur dépôt au greffe, ou parleur remise amiable sur
récépissé.
%
282.
—- Ainsi l’intention du législateur peut se
résumer dans cette simple proposition : lorsqu’il s’a
gira de l’exécution d’un traité créant pour chaque par
tie des obligations et des droits ; lorsque le demandeur
n ’aura à invoquer que sa qualité personnelle de con
tractant, la communication des livres n’est et ne doit
pas être autorisée ; lorsque, au contraire, cette com
munication n’est réclamée que comme représentant, en
quelque qualité que ce soit, du commerçant qui les a
tenus, pour conserver ou pour accroître l’avantage
qu’on tient de lui, elle ne saurait être refusée. Alors,
en effet, le litige porte sur la succession, et se place
dès lors sous l’empire de l’article 14.
283.
— Le droit de propriété du communiste ne
saurait être ni méconnu ni contesté. Les livres tenus à
l’occasion de l’administration de la chose commune
�A RT.
14.
427
appartiennent donc, dans une proportion déterminée,
à tous et à chacun des membres de la communauté.
La loi ne pouvait dès lors pas hésiter sur la question de
savoir si ces livres seraient ou non communiqués. Le
communiste demandant la communication ne fait qu’u
ser d’un droit incontestable, attribut inséparable de sa
copropriété. La lui refuser, c’était le livrer à la merci
de ses cointéressés, et le forcer à se contenter de la
part qu'ils voudraient bien lui faire.
Cela eût été d’autant plus injuste, que ceux-ci ne
pourraient invoquer que des titres s’appliquant à tous ;
que les affaires n’ont jamais été traitées que pour le
compte de tous; qu’au moyen des ressources fournies
par eux tous; que conséquemment, les résultats ont
été acquis en faveur de tous et dans les proportions con
venues. Dès lors le communiste réclamant ne demande
qu’à être initié au secret de ses propres affaires. Le re
fus qu’on ferait de la communication des livres ne pour
rait donc plus s’étayer sur aucun des motifs qui l’ont
fait admettre en matière ordinaire. L’autoriser en cet
état eût été méconnaître le droit sacré de propriété et
violer cette maxime d’équité : Cessante causa, cessât
effectus.
284.
— Les héritiers du communiste, appelés à
succéder à ses obligations, succèdent également à ses
droits, dès lors ils peuvent, lors de la liquidation de la
communauté, exiger la communication des livres de la
même manière qu’aurait pu le faire leur auteur. La co- N
�428
DES LIVRES DE COMMERCE
propriété résidant désormais sur leur tête a pour pre
mier effet de leur conférer le droit de percevoir l’inté
gralité de ce qui leur revient. Comment pourraient-ils
l'exercer d’une manière utile, si on ne leur permettait
pas de constater la consistance de la communauté par
les seuls documents capables de l’établir ?
285.
— A son tour, la société n’est autre chose,
qu’une véritable communauté. Le capital social, les
bénéfices résultanlde son exploitation sont la propriété
commune de tous les intéressés. Les considérations
que nous venons d’exposer reçoivent donc leur applica
tion incontestable à l’endroit des associés et de leurs
héritiers.
Cependant l’article 14 semble, en ce qui les concer
ne, subordonner la communication à la liquidation de
la société. En effet, en parlant de celle-ci, elle s'exprime
différemment de ce qu’elle a fait pour les succession et
communauté. Elle précise l’époque où la communica
tion pourra être exigée, en cas de partage de socié
tés. Faut-il conclure de là que cette mesure ne pour
rait être réclamée et ordonnée pendant la durée de la
société?
Le décider affirmativement serait se méprendre
étrangement sur l’intention du législateur et sur la por
tée et le caractère de la locution dont il s’est servi.
Cette locution n’est que la conséquence d’un état de
choses que les auteurs de la loi ne pouvaient se dissi
muler, à savoir? l’inutilité de prescrire une commu-
�art.
14.
429
nication, alors qu’il était impossible d’en prévoir la
nécessité.
Le partage, en effet, réalise les droits de l’associé,
mais ne les crée pas. Ces droits résultent de la société
elle-même qui, établissant une communion, donne par
cela même la copropriété à chaque communiste. C’est
cette copropriété dont le partage a pour objet de régler
les effets et les conséquences.
Tant que l’indivision, que l'administration commune
se continuent, le législateur n ’avait pas à se préoccuper
de la communication des livres et écritures. Elle s’opère
naturellement, nécessairement par les relations liant
les associés entre eux. Chacun d’eux les a en sa posses
sion dans le comptoir social, qu’il est appelé à fréquen
ter habituellement et librement. A quoi bon, dès lors,
réglementer un droit tellement inhérent à la qualité de
la personne, que celle-ci en fait admettre nécessairement
l’exercice ?
La rupture du lien social ne substitue que trop sou
vent l’aigreur et la discorde aux relations bienveillantes
ayant existé jusque là. Alors aussi, avec la nécessité
du partage, peut naître, chez un ou plusieurs des asso
ciés, l’intention de s’avantager au détriment des autres.
Alors aussi, le besoin d’une communication loyale des
livres et registres sociaux pouvait se faire sentir. C’est
dans cette éventualité que s’est placé le législateur, et
c’est pour trancher toutes difficultés qu’il a spéciale
ment consacré le droit incontestable de chaque associé.
Il n’a pas voulu que, sur un prétexte quelconque, celui
�430
DES LIVRES DE COMMERCE
d’entre eux qui aurait conservé les écritures en qualité
de liquidateur pût prétendre les dérober aux investiga
tions de ses anciens associés.
Ainsi, la communication entre associés n’est nommé
ment prévue que dans l’hypothèse du partage de la so
ciété. On a cru prudent de la prescrire au moment où
le besoin devait s’en faire plus particulièrement sentir.
Mais on ne saurait voir dans cette disposition l’exclu
sion de la mesure pendant la durée de la société. Cela
est d’autant moins douteux, que le droit de l’exercer
est inhérent à la qualité d’associé, et que si elle est
maintenue pour le cas de partage, c’est que, en ce qui
la concerne, on a voulu faire survivre cette qualité à la
rupture du lien social.
Conséquemment, si, pendant la durée de ce lien,
des difficultés surgissent entre associés, chacun d’eux a
le droit incontestable d’invoquer les livres sociaux,
d’en demander et d’en obtenir la communication la plus
entière et la plus indéfinie.
286.
— Ce droit n’est pas exclusivement attaché à
la qualité d’associé en nom collectif. Résultant de la
communion d’intérêt à quelque titre qu’elle s’opère, il
suffit que celle-ci existe pour que les ayants-droit puis
sent le revendiquer.
Ainsi les associés commanditaires, quoique qualifiés
par la loi de bailleurs de fonds, n’en sont pas moins de
véritables associés, tout au moins des communistes en
proportion des sommes qu’ils doivent fournir. Par rap-
�A RT.
14.
431
port à eux, en effet, la société constitue un être mo
ral, représentant sinon leur personne, au moins leur
mise, que le gérant engage en s’engageant lui-même.
Ils ne doivent pas moins retirer une quote-part dans
les bénéfices et subir la perte, quoique dans une pro
portion déterminée.
Dès lors, si des difficultés naissent sur le paiement de
la mise, ou sur la quotité des bénéfices à répartir, on
ne saurait leur contester la faculté de se faire commu
niquer les livres pour justifier l’up, ou pour faire recti
fier le compte que le gérant leur aurait présenté.
2 8 7 . — Il en est de même des actionnaires d’une
société anonyme. Ici, les personnes s’effacent, mais les
capitaux restent. Ceux-ci sont seuls l’objet de l’admi
nistration qui porte sur une masse commune apparte
nant aux divers actionnaires.
Chacun d’eux, dès lors, ne saurait se voir refuser la
communication des livres sociaux. On ne pourrait lui
objecter 'qu’il cherche à s’immiscer dans le secret des
affaires d’autrui. C’est celui de ses affaires propres qu’il
veut pénétrer, ce qu’il a incontestablement le droit de
faire, ne fût-ce que pour contrôler les comptes que le
gérant doit périodiquement présenter.
2 8 8 . — Dans l’une et dans l’autre hypothèse, la
communication des livres pourrait d’autant moins être
refusée, qu’indépendamment de tout litige, les com
manditaires et les actionnaires n’ont d’autre moyen de
�432
DES LIVRES DE COMMERCE
contrôler l'administration du gérant. Qu’ils aient le
plus haut intérêt à la connaître, c’est ce qui ne saurait
être contesté. On ne saurait les contraindre à subir
jusqu’au bout les écarts et les excès devant nécessaire
ment aboutir à une faillite. Comment cependant pourrpnt-ils faire remplacer le gérant, ou même poursuivre
la dissolution de la société, si celui-ci peut les tromper
sur la véritable situation des affaires, en leur dérobant
la connaissance des écritures? Dans cette hypothèse,
remarquons-le bien, c’est avant le partage que la com
munication sera demandée, et l’on ne saurait admettre
que les termes de l'article 14 puissent jamais être invo
qués comme créant une fin de non-recevoir.
289.
— La jurisprudence a admis que le capita
liste peut, outre la restitution du capital et des intérêts
légaux, stipuler une part déterminée dans les bénéfi
ces.1 Une pareille clause constitue, qnant à ces béné
fices, une véritable société et confère conséquemment
au bailleur de fonds le droit de se faire communiquer
les livres lorsqu’il s’agira de liquider et partager. Refu
ser cette communication, ce serait reconnaître le prin
cipe et en nier les conséquences. Or, qui veut la fin,
veut les moyens, et puisque l’associé aux bénéfices a
qualité pour se faire intégralement payer la part qui lui
a été promise, il doit avoir la faculté d’en établir la juste
quotité. L’unique moyen de le faire est la communii V. notre Traité du Dol et de la Fraude, n 011070 et suivants.
�A RT.
14.
433
cation des livres. Il est donc recevable et fondé à
l’exiger.
290.
— La cour de Rouen a cependant décidé le
contraire, par arrêt du 7 juillet 1832. Mais cette déci
sion ne saurait créer un précédent contre notre solu
tion, ni acquérir la moindre autorité comme doctrine.
En effet, elle ne fait qu’apprécier l’espèce qui lui était
soumise, et dans laquelle la cour reconnaît l’absence de
toute société. Cette espèce, la voici :
Un sieur Plotel avait prêté au sieur Bachelet, son
beau-frère, pour former un établissement de commerce,
deux sommes : l’une de 12,600 fr., l’autre de 6,000
fr. ; i! devait avoir un tiers dans les bénéfices. BacheIet lui envoya, en effet, un compte de 1819 à 1825, en
lui annonçant qu’il le créditait de 16,800 fr., montant
de sa part des bénéfices. Plotel soutint que sa part de
vait s’élever plus haut, et il demanda la production 4es
livres.
Par jugement du 9 août 1831, le tribunal de com
merce du Havre rejette cette prétention dans les termes
suivants : « Attendu que le tiers des bénéfices accordé
par Bachelet l’était d’une manière bénévole ; que c’était
une libéralité spontanée ; que dès lors il était libre de
fixer l’étendue de son don, et qu’on ne pouvait l’obli
ger à exhiber ses livres. »
Appel, et, 1er mai 1832, arrêt interlocutoire de la
cour de Rouen, ordonnant que Bachelet sera interrogé
sur faits et articles. Dans son interrogatoire, celui-ci
38
e
�434
DES LIVRES DE COMMERCE
déclare que « voulant reconnaître les services que Plotel lui rendait, il lui aurait promis, à titre d’indemnité
et de reconnaissance, un tiers dans les bénéfices nets
de son commerce, sans limiter l’époque, etc... »
L’arrêt définitif, rendu le 7 juillet suivant, confirme
la décision du tribunal. « Attendu, dit la cour, que des
faits de la cause il résulte qu’il n’existait pas entre les
parties de véritable association, mais simplement que
le sieur Bachelet avait voulu faire un don à son beaufrère , et que les renseignements fournis par lui ne
tendaient qu’à prouver sa loyauté et sa bonne foi. »
Ainsi la cour de Rouen constate en fait qu’il n’y a
pas société entre les parties. La conséquence qui dé
coulait de ces prémisses était l’inapplicabilité forcée de
l’article 14, et dés lors le refus de la communication
réclamée. C’est ce que la cour de cassation va ellemême constater.
En effet, Plotel s’étant pourvu en cassation contre
l’arrêt de Rouen, la cour suprême rejette le pourvoi.
« Attendu qu’en l’absence de tout acte, et en présence
des pièces produites, l’arrêt a déclaré en fait qu’il n’a
vait jamais existé de société entre les parties ; qu’ainsi,
loin d’avoir violé l’article 14, l’arrêt s’y est au contraire
conformé.1 »
2 9 t. — Quelle influence ces deux monuments de
jurisprudence peuvent-ils exercer sur la solution à laI Cass.,
% juillet
1833.
�ART.
14.
, 435
quelle nous nous sommes arrêtés. Aucune évidemment.
Remarquons bien qu’ils ne refusent la communication
des livres que parce qu’ils constatent en fait qu’il n’y a
pas société, et cette absence de société ils ne l’indui
sent pas de ce que l’obligation par le commerçant d’a
bandonner à un tiers une quotité de ses bénéfices ne
constituerait pas une association. Ce qui les porte à ex
clure celle-ci, c’est le défaut de titre de la part du
tiers, et ce défaut, que l’arrêt de Rouen faisait présu
mer, est expressément relevé par la cour de cassation.
Conséquemment, si le demandeur avait produit un
titre régulier établissant son droit à la participation des
bénéfices, il n’est pas douteux que la décision eût été
diamétralement contraire, et que la société, dès lors
prouvée, n’eût été admise, et avec elle la nécessité de
communiquer les livres. C’est ce que les arrêts de
Rouen et de la cour de cassation font naturellement
présumer.
Loin donc de contrarier notre doctrine, ces deux ar
rêts la recommandent et l’appuyent. Il est évident que,
ne refusant communication des livres que parce que,
dans l’espèce, il n’y avait pas société, l’un et l’autre dé
cident implicitement que, si cette société avait existé,
la communication eût été ordonnée.
Mais nous allons plus loin encore. La cour de cassa
tion, s’arrêtant devant l’appréciation de fait consacrée
par la cour de Rouen, ne faisait qu’obéir à la loi de son
institution. Mais celle-ci consacrait-elle un principe
bien juridique en décidant que l’abandon à titre gratuit
�436
*
DES LIVRES DE COMMERCE
d’une part dans les bénéfices ne constituait pas une vé
ritable association ? Est-ce qu’une pure libéralité n’en
gage pas le donateur aussi irrévocablement qu’une
obligation ordinaire, et peut-on lui reconnaître le droit
de modifier sa disposition, sans méconnaître la loi?
Poser ces questions, c’est les résoudre. Il dépend tou
jours du donateur de poser à sa libéralité telles limites
qu’il juge convenables, mais lorsque, dans l’origine, il
ne s’est arrêté à aucune, il ne peut plus en revendiquer
dans l’exécution.
Or, dans l’espèce, ce qui avait été promis, c’était le
tiers des bénéfices. Ce qui devait être délivré, c’était
cette quotité. En faire dépendre la détermination de la
volonté exclusive du donateur, c’était, contrairement à
la loi, lui permettre de revenir sur l’engagement qu’il
avait contracté.
Etait-ce vrai, d’ailleurs, que dans l’espèce cette con
cession fût une pure libéralité? Plotel n’avait-il pas
avancé des sommes importantes? Ne courait-il pas la
chance de les perdre, si le commerce projeté ne réussis
sait pas? N’était-ce donc pas en compensation de cette
chance que l’on avait abandonné une portion dans les
bénéfices? Tout cela, il faut en convenir, ne manquait
pas de probabilité, était même plus vraisemblable qu’un
abandon spontané et volontaire d’une portion, dans les
bénéfices, aussi considérable qu’un tiers. Quel est le
commerçant capable de consentir un pareil sacrifice, si
rien ne le contraint à le faire ?
Nous ignorons les circonstances particulières qui ont
�ART.
14.
437
pu déterminer la cour de Rouen à faire pencher la
balance de ce côté, mais ce que nous ne saurions ad
mettre, c’est qu’on puisse, sous le prétexte d’une li
béralité, annuler une convention certaine. Quel qu’en
ait été le mobile, l'abandon d'une part dans les bénéfi
ces constitue un droit indéterminé, dont la liquidation
dépend de la quotité intégrale du bénéfice, et comme
cette liquidation ne peut s’opérer qu’au moyen des
livres, leur communication ne saurait être refusée à ce
portionnaire.
292.
— Le commis intéressé dans les bénéfices
doit être assimilé au prêteur dont nous venons de par
ler. Dès lors, et par identité de raisons, on doit lui re
connaître le droit d’obtenir la communication des li
vres, lorsque, s’agissant de régler la part lui revenant,
il faudra établir la totalité des bénéfices réalisés.
Vainement objecterait-on que le lien existant entre
le commis et son patron ne constitue pas une société
proprement dite, il n’en est pas moins vrai que les bé
néfices sont, quoique dans des proportions différentes,
la chose commune de l’un et de l’autre ; que, pour fixer
la part afférente au commis, il faut d’abord établir le
chiffre total du bénéfice ; que cette détermination ne
peut résulter que de la vérification des livres et écritu
res. Leur communication est donc inévitable et forcée,
à moins de consacrer que le commis est réduit à subir
la loi que le patron voudra bien lui imposer.1
J Lyon, Î1 février 1844, J.
du P., t. u, 1845, pag. 391.
�*38
DES LIVRES DE COMMERCE
293.
— C’est en effet ce qu’on a essayé de faire
prévaloir, en se plaçant sous l’empire de la disposition
de l’article 1781 du Code civil. Le maître, disait-on,
doit être cru sur son affirmation, soit pour la quotité
des gages, soit pour les à-comptes donnés. Pourquoi
donc ne le croirait on pas lorsque la détermination des
bénéfices ne doit avoir pour effet que de fixer le mon
tant des gages à percevoir ?
Parce que, répondait très-judicieusement la cour de
Lyon, les dispositions de l’article 1781 du Code civil
n’embrassent que des intérêts fort bornés, et qui ne
sont ordinairement réglés que verbalement; que dès
lors le législateur, à défaut de tout autre document,
a dû s’en rapporter à l’affirmation de celui qui, par sa
position, lui paraissait le plus digne de confiance ; mais
que cette règle si exorbitante du droit commun ne
saurait, sans de graves inconvénients, sortir de sa spé
cialité;1
Parce que, lors même que l’article 1781 pourrait,
par analogie, s’appliquer aux relations de négociant à
commis, ce ne serait, dans tous les cas, qu’autant que
le commis recevrait un salaire fixe ;
Parce que, lorsque, outre ce salaire fixe, le commis
a droit à une part proportionnelle dans les bénéfices,
l’importance des sommes qui peuvent lui revenir, la
facilité d’en déterminer le montant, sa position d’asso
cié aux bénéfices le font sortir du cas exceptionnelle1 Sup., n® 252
�ÀBT.
439
14.
ment prévu par l’article 1781 pour rentrer dans la rè
gle générale qui renferme la preuve orale dans les plus
étroites limites, et ne veut pas surtout rendre une des
parties maîtresse de sa cause ;
Parce que, d’ailleurs, dans un litige de ce genre, les
parties contestent uniquement sur l’existence et la con
sistance des bénéfices faits par le commerce, et non sur
la quotité du gage, ou sur la question de savoir si des
paiements ont été faits, ou des à-comptes donnés sur
le salaire promis, seuls cas prévus et réglés par l’article
1781, qui, dès lors et sous ce point de vue, est encore
inapplicable ;
Parce que, enfin, le négociant qui s’est engagé à faire
participer son commis aux bénéfices de son commerce
ne peut être admis à demander que ces bénéfices soient
constitués par son serment, alors que les règles qui lui
sont tracées par la loi l’assujettissent à les constater par
des livres régulièrement tenus et par des inventaires
annuels.1
Ainsi, un commis intéressé dans les bénéfices de la
maison ne sera pas associé, dans ce sens que les contes
tations qui pourront surgir entre elle et lui ne devront
pas être déférées à la juridiction arbitrale.2 Mais quel
que soit le juge appelé à statuer, lorsqu’il s’agira de
déterminer la part d’intérêt à laquelle il a droit de pré
tendre, le commis pourra demander non-seulement la
i.
%
.
1 Lyon, 30 mai 1838, J. du P., ibid, p. 390.
' 3 Cass., 31 mai 1831.
�DES LIVRES DE COMMERCE
représentation des livres, ifiais encore leur communica
tion, soit par leur dépôt au greffe, soit par leur remise
sur récépissé.
294.
— Enfin, l’article 14 excepte de la prohibi
tion qu’il consacre le cas de faillite. Cette exception n’é
tait que la conséquence naturelle et immédiate de la
modification que la faillite introduit dans la position du
commerçant qui la subit.
La faillite, en effet, arrête l’exploitation du commer
ce, désinvestit le débiteur de l’administration de ses
biens, lui enlève la disposition de sa fortune mobilière
et immobilière, amène sa liquidation, dont le, soin ap
partient exclusivement aux mandataires légaux de la
masse, aux syndics.
On ne rencontre plus, dès lors, aucun des motifs
dont la juste autorité a fait, dans les cas ordinaires,
proscrire la communication des livres, il n’y a plus de
commerce à protéger, plus de secrets à défendre. La
prohibition n’a plus en conséquence aucune raison
d’exister. Elle devait disparaître avec les causes qui la
motivent.
Cette exception était tellement naturelle, qu’on pour
rait s’étonner de ce que le législateur ait cru devoir la
prescrire. Elle était, en effet, rendue tellement inévita
ble par l’état de faillite, qu’il ne pouvait entrer dans
l’esprit de personne de la méconnaître ou de la contes
ter. Comment séparer le désinvestissement du failli, le
transfert de ses droits et actions sur la tête des syndics,
�ART.
14.
441
de l’idée d’une remise absolue des livres et écritures
entre les mains de ceux-ci?
Comment pourraient-ils poursuivre les droits du failli
ou défendre aux actions dirigées contre lui, s’ils igno
rent l’état réel de ses affaires? Comment procéderontils à la liquidation, s’ils ignorent les noms des débiteurs
et les causes de leurs dettes? Comment protégeront-ils
la masse contre les créanciers supposés, s’ils ne peu
vent vérifier dans les livres la sincérité ou la fausseté
des droits prétendus ?
Comment, enfin, découvriront-ils les fraudes que le
failli aura commises, les soustractions et les détourne
ments dont il se sera rendu coupable? Comment la
justice elle-même pourrait-elle l’en convaincre et l’en
punir?
La communication des livres à l’endroit des syndics
n’avait donc pas besoin d’être prévue. Les prescriptions
consacrées au titre des faillites le prouvent invincible
ment. Ils doivent, en effet, recevoir les livres des mains
du juge de paix, les clore et les arrêter, balancer tous
les comptes courants, vérifier la conformité des créan
ces offertes à l’affirmation, adresser au ministère public
un rapport sur l’état, les causes de la faillite. Pour eux
donc, il ne pouvait s’agir d’une communication, mais
d’une remise pleine et entière des livres et écritures
dont ils deviennent, à partir de la faillite, les seuls dé
tenteurs légitimes.
2 9 5 . — On ne peut donc admettre que l’exception
�442
DES LIVRES DE COMMERCE
que l’article 14 consacre en cas de faillite, au principe
de la non-communication , puisse concerner les syn
dics. Ce que la loi a voulu décider, c’est que chaque
créancier pourra désormais obtenir cette communica
tion que l’absence de faillite lui faisait refuser, la fail
lite faisant disparaître tout motif plausible à la prohibi
tion d’une mesure , ne présentant désormais aucun
des inconvénients et des dangers qui en motivaient
l’exclusion.
Au contraire, les droits du créancier demandeur ou
défendeur peuvent être de telle nature, qu’en l’absence
des explications que le failli eût pu donner , on ne
puisse les établir que par l’étude approfondie de ses
écritures. Persister à lui en refuser le moyen, c’était
aggraver sa position et le rendre victime d’un fait déjà
trop préjudiciable, à savoir, la disparition du failli.
En réalité, cependant, les livres du failli ne lui ap
partiennent plus. De leur côté, les syndics n’en devien
nent les détenteurs qu’au nom et dans l’intérêt de la
masse, de-laquelle ils sont désormais la propriété. Cha
que créancier participe proportionnellement à cette
propriété commune, il ne fait donc qu’user d’un droit
incontestable lorsque, son intérêt l’exigeant, il en de
mande la communication. On ne saurait, dès lors, ad
mettre que cette demande pût être repoussée.1
2 9 6 . — En résumé donc, tant que le commerçant
I
S u p .,
n® 269,
�art.
14.
443
est à la tête de ses affaires, aucun créancier, aucun ad
versaire n’est recevable à demander la communication
des livres tenus par lui. S’il tombe en faillite, ses livres
passent, comme tous ses autres biens, aux mains de ses
créanciers. La divulgation, la publicité donnée à ses
affaires n’est plus à redouter , 'non-seulement il n’y a
plus de secret à garder, mais encore il ne saurait en
exister aucun que les créanciers ne soient en droit de
pénétrer. Ce n’èst qu’en tant qu’ils seront initiés à
la connaissance entière des affaires de leur débiteur
qu’ils pourront convenablement remplir ce qu’exige
leur intérêt dont la loi s’occupe exclusivement. On
ne pouvait donc, sans blesser les plus simples notions
de la raison , leur méconnaître ou leur contester le
droit de se faire communiquer les livres et écritures
pour justifier la demande qu’ils intentent, ou les ex
ceptions qu'ils opposent à celle que les syndics intente
raient contre eux. C’est pour empêcher tout doute à
cet égard que l’article 14 a excepté le cas de faillite de
la règle qu’il établit.
297.
— Il résulte du texte même de l’article 14
que la communication des livres n’est autorisée que
dans les cas exceptionnels qu’il prévoit. Cet article est
donc limitatif et ne comporte ni assimilation, ni une
plus grande étendue. Conséquemment, hors les cas de
succession, communauté, société ou faillite, la commu
nication des livres d’un commerçant doit être sévère
ment prohibée. Personne ne peut l’obtenir, soit par dé-
�444
DES LIVRES DE COMMERCE
pôt au greffe, soit par remise amiable. L’unique droit
que la loi reconnaisse à celui qui plaide contre un com
merçant, est celui de faire représenter ses livres dans
les formes prescrites par les articles 15 et 16 dont bous
allons nous occuper.
Du principe que l’article 14 est limitatif et non énonciatif, on a justement conclu que la communication
des livres ne devait pas être autorisée, en cas de liqui
dation, sans déclaration de faillite. Le négociant qui
s’arrête volontairement ne renonce pas à reprendre
plus tard son commerce, il lui importe donc d’en rete
nir les éléments divers, qui restent sa propriété exclu
sive et incontestable.
C’est ce que la cour d’Aix a consacré, en jugeant
que le débiteur attaqué à raison de la créance préten
due contre lui par le liquidateur judiciaire d’une mai
son de commerce, ne peut exiger la communication
des livres de cette maison pour vérifier les éléments de
son compte avec elle; qu’il n’y a lieu dans ce cas qu’à
ordonner un extrait ou relevé des livres en ce qui con
cerne le différend ; et que si cet extrait ou relevé, dû
ment certifié conforme aux livres, existe déjà au pro
cès, il n’est pas nécessaire d’en ordonner un autre.1
Pour l’intelligence et la saine appréciation de ce der
nier chef de l’arrêt, il est bon d’observer que l’exacti
tude et la conformité de l’extrait des livres versé au
procès n’étaient pas contestées. Si elles l’avaient été, la
1 5 a v r il 1 8 3 2 ,
�ART.
14.
445
cour aurait probablement ordonné la représentation
des livres pour en extraire judiciairement ce qui con
cernait le différend, à moins qu’usant d’un pouvoir que
nous prouverons bientôt lui être réservé par la loi, et
s’appuyant sur la qualité de liquidateur judiciaire qu’a
vait le signataire de l’extrait, elle eût été suffisamment
convaincue de l’exactitude et de la conformité de cet
extrait.
2 9 8 . — Un autre principe, que nous trouvons dans
un arrêt également rendu par la cour d’Aix, nous paraît
incontestable, à savoir, que dans tous les cas où la
communication des livres est commandée par la loi,
c’est au juge appelé à la prononcer qu’il appartient d’en
régler la forme. Il peut prescrire le dépôt au greffe, la
remise à la partie elle-même sur récépissé, ou entre les
mains d’un tiers. Dans l’arrêt auquel nous faisons allu
sion, la cour décide que, dans un arbitrage entre asso
ciés, il est de convenance et d’usage que les livres et
écritures, dont l’une des parties demande la communi
cation hors du siège social, soient déposés chez l’arbitre
le plus âgé, plutôt qu’au greffe du tribunal de commer
ce, ou chez un officier public.1
2 99. — La règle tracée par l’article 14 doit être
d’autant plus sainement entendue qu’elle est absolue et
plus sévère. On doit, dès lors, se bien garder de con1 17 juin 1826
�446
DES LIVRES DE COMMERCE
fondre la communication qu’elle interdit avec des me
sures que leur caractère ne pourrait faire considérer
comme la constituant. La loi favorise tout ce qui tend à
éclairer la justice, à faire triompher le bon droit. Elle
ne s’arrête qu’en présence d’une véritable inquisition
dont nous avons déjà fait ressortir les inconvénients et
les dangers. Dans le doute, on devra donc se prononcer
suivant le résultat que peut offrir l’exécution de la me
sure ordonnée, et valider celles qui n’offriraient aucun
de ces inconvénients et de ces dangers. C’est une
règle que la cour de cassation a invariablement suivie.
Ainsi elle a jugé que, dans une instance en paiement
de salaires réclamés par un ouvrier contre un fabricant,
les juges peuvent donner mission à un tiers de vérifier
dans les livres du fabricant les allégations réciproques
des parties, et de les concilier si faire se peut, sans qu’on
puisse considérer cette mesure comme un ordre de
communiquer les livres de commerce, hors les cas pré
vus par la loi. Dans un tel cas, dit la cour de cassation,
l’arrêt attaqué n’a point ordonné une communication
des livres, mais seulement la vérification des faits arti
culés, ce qui ne peut s’entendre que du différend exis
tant entre les parties.1
La même cour a décidé, le 22 février 1848, que les
juges d’une contestation relative à la négociation de
certains billets peuvent condamner une des parties à
rapporter ses registres de commerce pour en extraire,
1 42 mars 4832.
�ART.
14.
447
non-seulement les articles relatifs à la négociation des
billets litigieux, mais encore ce qui concerne d’autres
négociations pouvant jeter du jour sur le différend, cette
mesure constituant une simple représentation des livres
autorisée par l’article 15 du Code de commerce, et non
une communication que l’article 14 ne permet que
dans les cas qu’il spécifie ; que la vérification ainsi or
donnée peut être confiée à un expert, aussi bien qu’à
un magistrat.1
Enfin, et par arrêt du 25 janvier 1843, la cour régu
latrice a encore admis que l’arrêt ordonnant le dépôt
des livres d’un négociant au greffe d’un tribunal pour
être mis sous les yeux des juges et demeurer à leur dis
position seulement, ne constitue pas la communication
de ces livres, prévue et réglée par l’article 14 du Code
de commerce, et qu’une telle mesure n’est en elle-mê
me que la représentation autorisée par l’article 15 du
même Code.3
300.
— Nous comprenons les deux premiers ar
rêts ; dans l’espèce de l’un et de l’autre, malgré sa gé
néralité, la vérification avait cependant un objet déter
miné. C’était, dans la première, les articles des livres
relatifs aux paiements faits à l’ouvrier ; c’était, dans la
seconde, des négociations secondaires indiquées comme
conséquence de celle des billets litigieux. Donc, les ex1 J. du P., t. î, 1848, pag. 354.
Ibid., t. 1, 1 8 4 3 , pag. 5 1 3 .
â
�448
DES LIVRES DE COMMERCE
traire des livres, ce n’était pas ordonner et moins en
core réaliser une communication, avec d’autant plus de
raison qu’à l’occasion de l'une ou de l’autre, les livres du
commerçant ne sortaient pas de ses mains.
Or, nous le dirons bientôt, ce qui distingue la simple
représentation des livres, c’est que, contrairement à ce
qui se réalise dans la communication, le commerçant
tenu de les produire n’est pas tenu de s’en dessaisir.
L’absence de ce dessaisissement dans les deux espèces
jugées par la cour de cassation venait donc étayer et
corroborer sa décision.
Mais il n’en est pas de même dans la troisième. Ici,
le dessaisissement est ordonné. Rien ne distingue donc
plus la mesure prise de la communication pure et
simple.
Vainement ferait-on observer que le dépôt au greffe
n’est que pour les membres du tribunal, à la disposition
exclusive desquels les livres devront rester. Nous ré
pondrons que la communication qui n’est pas due à la
partie n’est pas due au juge ; et ce qui le prouve, c’est
que la loi, qui permet d’ordonner d’office la simple re
présentation, refuse cette faculté, en se taisant sur la
communication.
Nous répondrons que le commerçant peut justement
trouver un inconvénient grave à laisser, même trois
juges, lire dans le secret de ses affaires de famille et de
son commerce ; que, parmi ces trois juges, il peut s’en
trouver qui excercent la même industrie que lui, et
qu’il leur sera fort difficile, en sortant de leur siège,
�àRT.
15 eT 16.
449
d’oublier ce qu’ils auront appris pendant qu’ils l'oc
cupaient.
Nous répondrons1enfin qcr’iifi greffé est un lieu fort
fréquenté; que plus il est important, et plus la surveil
lance absolue y est difficile!; qu’une indiscrétion est
toujours à redouter, et que sa réalisation pourrait être
pour le commerçant un coup fatal et irrémédiable.
Nous concluons de tout cela que l’arrêt delà cour de
cassation a, involontairement sans doute, méconnu les
véritables principes, qu’il a ajouté à la loi en permet
tant au juge de se faire personnellement communiquer
les livres, ce que n’autorisent ni le texte, ni l'esprit du
Code de commerce.
A rt. 15.
Dans le cours d’une contestation, la repré
sentation des livres peut être ordonnée par le
juge, même d’office, à l’effet d’en extraire ce
qui concerne le différend.
A
rt.
16.
En cas que les livres, dont la représentation
est offerte, requise ou ordonnée, soient dans
des lieux éloignés du tribunal saisi de l’affaire,
les juges peuvent adresser une commission ro
gatoire au tribunal de commerce du lieu, ou
29
�450
DES LIVRES DE COMMERCE
déléguer un juge de paix pour en prendre con
naissance, dresser un procès-verbal du contenu
et l’envoyer au tribunal saisi de l’affaire.
SOMMAIRE
301. But et objet de la disposition de l’article 15,
302. Première modification qu’elle apporte à l’ordonnance de
1673. Faculté pour le juge d’ordonner d’office la repré
sentation des livres.
303. Deuxième modification. Abrogation de l ’obligation d’offrir
d’ajouter foi aux livres dont on voulait la représen
tation .
304. Le juge-commissaire de la faillite a le droit que l ’article 15
confère aux tribunaux.
305. Mais il ne peut statuer lui-m êm e sur le refus de représen
tation.
306. Espèce remarquable jugée par la cour de cassation.
307. Il importe peu que le commerçant déclare ne pas vou
loir se servir de ses livres, la représentation peut en
être ordonnée, quel que soit d ’ailleurs le titre in
voqué.
308. Q u id s ’il s’agissait de l’exécution d’un titre notarié et au
thentique ?
309. Quels sont les livres dont on peut demander la représen
tation ?
310. La représentation des livres n’est pour le juge qu’une sim
ple faculté, et jamais un devoir.
311. Q u id à l’égard du non-commerçant.
312. Elle peut être ordonnée par toutes les voies de droit et
même par contrainte d’une somme d’argent.
313. L’induction établie par l ’article 7 n’est pas un obstacle à ce
�ART.
314.
315.
316.
317.
318.
S19.
320.
321.
322.
323.
324.
325.
326.
327.
328.
329.
15 ET -16.
451
que le juge alloue des dommages-intérêts lorsqu’il le
croit utile.
Le jugement prescrivant la représentation des livres est
interlocutoire. Conséquences.
Excepté si la représentation n’a pas été contestée.
. Q u id si elle est ordonnée d’office ?
Le commerçant ne peut exciper de l’irrégularité de ses li
vres pour en refuser la représentation.
Droit des tiers de faire valoir celte irrégularité, même après
avoir requis leur représentation.
A quel moment doivent-ils proposer cette exception ?
Ils peuvent aussi les accepter, quoique irréguliers, et for
cer à les représenter.
En quoi la communication et la représentation diffèrent
entre elles.
Forme de celle-ci en Italie et sous l’ancien droit.
Q u id sous le Code de commerce.
Celui qui a requis la représentation a le droit d’assister à
l'opération, mais son absence ne l ’annule pas, même
lorsqu’il n’y a pas été appelé.
Celui qui représente ses livres n’est pas tenu de s’en des
saisir.
Quelles sont les exceptions que la forme de la représenta
tion peut subir?
Nature et disposition de l ’article 16.
Ce que doit renfermer le procès-verbal du juge rogatoirement commis.
Où doit se faire l’extrait ou la collation des livres ?
5 0 1 . — Nous venons de voir la loi refuser d’une
manière absolue la communication des livres dans les
litiges ordinaires. Nous avons rappelé les puissantes
considérations légitimant cette prohibition.
�45â
Ï>ES LIVRES DE COMMERCE
On ne pouvait cependant se dissimuler combien les
livres pouvaient aider à éclairer la justice. L’obligation
d’y inscrire toutes les opérations devenait la source de
documents précieux susceptibles de fixer la conscience
des magistrats, d’édifier leur justice sur la décision que
comporte la difficulté dont ils sont investis,. D’ailleurs,
comment empêcher la partie adverse de s’en référer
à ces livres, de les rendre les arbitres de la contesta
tion , d’en appeler à leur témoignage ? Déjà l’arti
cle 133*0 du Code civil avait reconnu cette faculté
au non-commerçant, son exercice amenait donc forcé
ment, à recourir à une mesure.qui, sans constituer une
communication, conciliât toutes les exigences, tous les
intérêts.
Tel est le but que s’est proposé l’article 15 du Code
de commerce, en autorisant la représentation des livres
pour en extraire ce qui concerne le différend.
3 0 2 . — En s’appropriant cette mesure que l’or
donnance de 1673 avait consacrée, notre législateur l’a
heureusement modifiée. D’abord en conférant aux juges
la faculté de l’ordonner d’office. Comme voie d’instruc
tion, la représention dés livres peut être pour les ma
gistrats d’une utilité incontestable. Il n’était donc pas
rationnel de la subordonner au silence plus ou moins
intéressé des parties.
Or, non-seulement l’ordonnance de 1673 s’était tue
sur cette faculté,, mais. elle, l’avait en outre implicite
ment proscrite, en la rendant incompatible avec les
�ART.
15
ET
16.
453
conditions dont elle faisait dépendre la représentation
des livres. Ainsi la partie qui prétendait l’obtenir devait
offrir d’y ajouter foi et s’en rapporter ainsi à leur té
moignage exclusif. Comment le juge aurait-il pu sup
pléer à cette condition et imposer d’office une pareille
obligation à une partie ? Il dépendait donc de la par
tie d’empêcher toute représentation, en refusant d’ac
cepter cette condition. La représentation ordonnée
en cet état eût donc constitué une violation flagrante
de la loi.
Le Code de commerce a fait une application plus in
telligente du principe. Reconnaissant que la représen
tation des livres peut , indépendamment de l’intérêt
personnel des parties contendantes, avoir une puissante
influence sur la manifestation de la vérité, il autorise le
juge à l’ordonner d’office.
3 0 5 . — La seconde modification introduite par le
Code à l’ordonnance de 1673 consiste dans la suppres
sion de la condition imposée à la partie, à savoir, l’of
fre d’ajouter foi aux livres dont elle demande la repré
sentation. Désormais, donc, cette représentation peut
être requise à titre de simple document, et sans aliéner
la faculté d’en contester et d’en débattre le contenu.
En raison et en droit, cette disposition se recommande
par une foule de considérations aussi puissantes que
décisives.
Faire représenter les livres n’est qu’un moyen de
défense, pouvant il est vrai devenir péremptoire, mais
�454
DES LIVRES DE COMMERCE
qui, dans tous les cas , n’a rien d’inconciliable avec
l’existence d'autres et de plus amples moyens. Ainsi un
commerçant est obligé d’inscrire sur ses livres toutes
les opérations auxquelles il se livre. Or, si l’objet liti
gieux ne s’y trouvait point porté, il est évident que
le défaut de mention créerait un préjugé considérable
contre la vérité de ses allégations. Celui qui plaide
contre lui a donc un intérêt évident à vérifier, avant
même toute défense au fond, s’il y a conformité entre
les livres et la demande, mais celte conformité acquise,
on ne saurait lui contester le droit de prouver soit la
sincérité de sa demande, soit le bien fondé de ses ex
ceptions.
Celui qui plaide contre un commerçant a donc le
droit d’exiger que la demande ou la défense de celui-ci
soit appuyée sur les énonciations conformes de ses li
vres ; que l’extrait qui peut en avoir été versé au pro
cès soit la reproduction fidèle de l’original ; qu’il n’existe
sur celui-ci ni renvois, ni ratures, ni surcharges. Il est
recevable dans ces divers objets à requérir la représen
tation des livres.
Les livres produits et la vérification réalisée, il n’en
conserve pas moins la faculté de discuter la demande
contre laquelle il se débat , ou l’exception qu’il re
pousse, et les livres eux-mêmes dont il peut prouver
l’inexactitude et l’infidélité. Cela est beaucoup plus ra
tionnel et beaucoup plus juste que de le contraindre à
se lier définitivement, et d’exiger de lui, comme condi
tion de la vérification qu’il sollicite, de s’en rapporter
�ART.
15 ET 16,
455
indéfiniment à des registres qui peuvent avoir été altérés
depuis qu’il les a vus.
Le décider ainsi était d’ailleurs une conséquence for
cée du principe que les juges peuvent d’office ordonner
la représentation des livres. Pour admettre ce prin
cipe, il fallait que cette mesure n’eût rien de défini
tif, ne créât aucun droit certain. Dans le cas con
traire, les juges, se trouvant liés par la conduite des
parties, n’auraient pu imposer à l’une d’elles des
conditions onéreuses auxquelles elle n’aurait pas con
senti.
La preuve que le juge n’aurait pu d’office ordonner
a représentation que la partie n’aurait pu obtenir qu’en
offrant d’ajouter foi aux livres, se tire de l’article 1330
du Code civil. Là le non-négociant ne peut demander
l’exhibition des livres qu’en les acceptant dans toute
leur étendue et sans pouvoir les diviser. Aussi le
juge n’a pas la faculté d’ordonner cette exhibition d’of
fice, et il est obligé de s’en rapporter exclusivement à
la partie.
Il est donc certain que, pour conférer la faculté d’or
donner d’office la représentation des livres, il fallait la
dégager de toute condition , de tout préjugé défavo
rable aux parties, et c’est ce qu’avec juste raison a fait
l’article 15.
3 0 4 . — Ce que l’article 15 permet aux tribunaux
de commerce, l’article 495, en matière de faillites, l’ac
corde au juge-commissaire. Ce magistrat ayant un pou-
�456
DES LIVRES DE COMMERCE
voir souverain pour tout ce qui tient à la vérification
amiable des créances, on ne pouvait lui interdire un des
moyens les plus énergiques de parvenir à la découverte
de la vérité. Il peut donc, dès qu’il le juge nécessaire et
utile, soit d’office,, soit sur la réquisition des syndics,
ordonner que le créancier se présentant à la vérification
représentera ses livres.
3 0 5 . — Mais le juge-commissaire, n’étant pas ap
pelé à statuer sur le sort de la créance contestée, ne
pourrait ni édicter à l’obligation qu’il imposerait aucune
sanction pénale, ni prendre aucune mesure sur le refus
que le créancier ferait d’y satisfaire. Tout se bornerait
donc pour lui à refuser en l’état l’admission au passif, et
à renvoyer les parties à l’audience pour être ultérieure
ment dit droit sur la contestation.
*Le tribunal ainsi investi peut de son côté ordonner
la production des livres. Le refus que le négociant con
tinuerait d’opposer à l’exécution de sa décision, appelle
rait le tribunal à statuer sur les conséquences de cette
inexécution. Sous l’empire de l’ordonnance de 1673, ces
conséquences n’étaient pas douteuses. Aux termes de
la déclaration du 3 septembre 1739, les créanciers qui
se prétendaient à la faillite et qui, sommés de produire
leurs livres, ne les représentaient pas, étaient déchus
de leurs créances. La cour de cassation a appliqué cette
législation dans une espèce qu’il nous paraît utile de
rappeler.
3 0 6 . — « Les frères Manuel, négociants, avaient
�ART.
15 ET 16.
457
des relations commerciales et étaient en compte-cou
rant avec L erat, celui-ci déposa son bilan le 14 fri
maire an vij et y porta les frères Manuel pour une som
me de 17,000 livres, dont 10,000 avaient éé payées à
compte.
« Lorsqu'il s’agit de la présentation et de l'affirma
tion des créances, les frères Manuel fournirent un
compte d’où ils faisaient résulter en leur faveur un
solde de 188,075 livres en éeus, qu’ils offraient de vé
rifier par les livres d'où ce compte était extràit, et
qu’ils produiraient au besoin.
« Frappés de la différence entre ce résultat et la
déclaration du failli dans le bilan , les syndics des
créanciers pressèrent les frères Manuel de représenter
leurs livres. Alors ceux-ci changèrent de langage, ils
déclarèrent n’avoir jamais eu de livres contenant leurs
négociations avec Lerat ; et dans le cas où l’on refuse
rait d’ajouter foi à ce compte , extrait d’une feuille
informe retrouvée par hasard, ils exhibaient une obli
gation de 60,000 livres, à la date du 8 pluviôse an tv,
souscrite par Lerat, pour solde de tous eortiptes en
tre eux.
« Ces tergiversations firent insister davantage les
créanciers, syndics et directeur sur la nécessité de re
présenter les livres. La contestation élevée à ce sujet
fut soumise au tribunal de commerce de Dijon.
« Ce tribunal, par jugement du 21 thermidor an ix,
ordonna que, dans le délai d’une décade, les livres des
frères Manuel seraient déposés au greffe ; et qu’à défaut
�458
DES LIVRES DE COMMERCE
par eux de faire ce dépôt, ils seraient réputés créan
ciers d’une simple somme de 17,336 livres, sur quoi
imputation serait faite des 10,000 livres qu’ils ont re
çues à compte.
« Ce jugement fut frappé d’appel : de la part des
frères Manuel, parce qu'on ne les a pas reconnus créan
ciers du montant du titre qu’ils ont produit; de la part
des syndics, parce que les frères Manuel n’ont pas été
déclarés sans droits, faute par eux de n’avoir pas repré
senté leurs livres.
« Le 15 pluviôse an x, jugement du tribunal d’appel
de Dijon, par lequel : Considérant que les frères Manuel
sont négociants; que l’article 1", titre ni de l’ordon
nance de 1673, porte : Que les négociants et mar
chands auront un livre qui contiendra tout leur négoce,
lettres de change, dettes actives et passives, e tc ...;
que l’article 6 est impératif, ayant dit qu’ils y seront
tenus ; que, dans le procès-verbal de vérification et
d’affirmation des créances du 28 nivôse an vi, les frères
Manuel ont déclaré être créanciers d’une somme de
188,075 livres; qu’ils ont offert4de vérifier la sincérité
de leur créance par la représentation de leurs livres
dont le compte était fidèlement extrait; que depuis ils
ont changé de plan, en annonçant qu’ils voulaient
baser leur créance uniquement sur l’arrêté de compte
du 28 pluviôse an iy, et en déclarant qu’ils n’avaient
jamais eu des livres constatant leurs négociations avec
Lerat ;
« Considérant que dans toutes les banqueroutes ou-
�ART.
15 ET 16.
459
Vertes, ou qui s’ouvriraient à l’avenir, la déclaration
du 13 septembre 1739 veut : Qu’il ne soit reçu l'affir
mation d’aucune créance sans qu’au préalable les par
ties se soient trouvées devant les juges consuls auxquels
les bilan, titres et pièces seront remis pour être vus et
examinés ; quelle porte de plus, que, faute par les
créanciers et débiteurs de se conformer à ces présen
tes, ainsi qu’aux autres dispositions de l’ordonnance de
1673, les créanciers seront déchus de leur créance ;
« Que, d’après ces deux lois, soit que l’on considère
les frères Manuel comme ayant des livres sur lesquels
ils ont inscrit leurs négociations avec Leral, et qu’ils
refusent de représenter, soit comme n’y ayant porté
rien de relatif à ces négociations, ils ont, dans l’un et
l’autre cas, encouru la peine de déchéance ;
« Qu’il y a d’autant moins à balancer d’user ,à leur
égard de toute la sévérité de la loi, qu’ils ne sont pas
à l’abri de violents soupçons de fraude, pour avoir
constamment varié sur le titre constitutif et le montant
de leur créance, comme sur les éléments dont elle est
composée ;
« Considérant que le billet du 28 pluviôse an iv est
sous écriture privée ; qu’il n’a aucune fixité de date, et
qu’il n’en est fait aucune mention sur les livres de Leral
ni sur son bilan ;
« Considérant, d’ailleurs, que le bilan d’un failli et
les déclarations qui peuvent s'y trouver n’ont pas l’effet
de donner un titre à un créancier qui n’en aurait pas
d’autres ;
�460
DES LIVRES DE COMMERCE
« Considérant, enfin, que l’intérêt général du com
merce commande la sévère exécution des lois créées
pour réprimer les fraudes et corriger les funestes effets
des faillites.
« Par ces motifs, le tribunal d’appel, réformant sur
la demande des syndics, entérine leurs fins et conclu
sions , et déclare les frères Manuel déchus de leur
créance.
a Ceux-ci frappent ce jugement d’un pourvoi, ils le
défèrent à la cour régulatrice comme renfermant un
excès de pouvoir et appliquant faussement l’ordon
nance de 1673 et la déclaration de février 1739. Voici
les raisons invoquées à l’appui du pourvoi :
« L’article 1er, titre m de l’ordonnance, prescrit bien
aux négociants de tenir des registres de leurs affaires de
commerce, mais ne prononce aucune peine contre ceux
qui négligent de s’y conformer. La seule conséquence
qui résulte de cette négligence, c’est qu’en cas de con
testation entre deux marchands, si les livres tenus par
l’un d’eux sont conformes à la loi, ils font foi en justice
contre celui qui n’en a pas tenu ; d’ailleurs, les frères
Manuel ne sont pas dans le cas de l’article 10 de l’or
donnance, qui oblige les négociants à représenter leurs
livres lorsqu’ils veulent s’en servir, puisqu’ils fondent
leur créance sur un autre titre qu’ils représentent, sur
l’obligation du 28 pluviôse an iv.
« A l’égard de la déclaration du 13 septembre 1739,
elle exige seulement que les créanciers d’un failli
remettent leurs titres et pièces pour être examinés,
�ART.
16 RT 16.
461
elle ne parle en aucune manière de la représentation
des livres. Les frères Manuel s’y sont conformés autant
que possible en produisant le billet souscrit à leur
profit par Lerat, qui est un litre régulier dont ils ont
affirmé la sincérité. La déclaration de 1739 prend le
créancier et le failli au moment de la faillite, et prescrit
les formalités à suivre à cette époque. Aussi, dans quel
cas le créancier est-il déchu ? S’il ne se présente pas
en personne, s’il ne produit pas ses titres. Voilà tou
tes les conséquences qu’on peut tirer de la loi. A
l’égard des titres, il faut distinguer : s’ils reposent sur
des registres de commerce, ces registres devront être
produits ; s’ils ne le sont pas, c’est le cas de la dé
chéance; si, au contraire, le créancier déclare ne point
avoir de registres1^ qu’il présente un autre titre, alors
la déchéance n’est point encourue ; il satisfait, par la
présentation de ce titre, au vœu de la loi. Il est donc
évident qu’en déclarant les frères Manuel déchus, les
juges d'appel ont fait la plus fausse application de l’or
donnance de l'673 et de la déclaration de 1739 ; que
leur jugement ne peut se soutenir et doit être cassé. »
Comme on le voit, toute cette défense se réduisait à
ceci : un commerçant ne peut être tenu de représenter
ses livres que lorsque, s’armant lui-même de leur con
tenu, il veut s’en faire un titre contre son adversaire.
Mais lorsque, au lieu de recourir à ses livres, il invo
que un titre émané de son adversaire même, celui-ci
doit être immédiatement condamné par suite de l’auto
rité s'attachant an titre. H ne peut demander la produc-
�462
DES LIVRES DE COMMERCE
tion des livres, car quelles qu’en soient les énonciations,
et alors même qu’ils ne feraient aucune mention du
titre, cela ne pourrait faire que le titre n’existât et qu’il
ne doive sortir à effet.
Ce système était trop en contradiction avec la loi,
avec la doctrine, avec la jurisprudence, nous pourrions
ajouter avec la raison, pour qu’il pût être consacré.
Aussi la cour de cassation ne s’y arrêta-t-elle pas. Le
pourvoi des frères Manuel fut rejeté par les motifs
suivants :
« Considérant que les articles 1er, titre in, et 3, titre
xi de l’ordonnance de 1673 obligent les marchands à
tenir un livre qui contienne tout leur négoce, leurs let
tres de change, leurs dettes actives et passives, et jus
qu’à la dépense de leur maison ; que la déclaration du
13 septembre 1739 veut que, dans toutes les faillites,
il ne soit reçu d’affirmation d’un créancier, sans qu’au
préalable les parties aient remis leurs titres et pièces
sur lesquels elles se fondent, et que, faute par les créan
ciers de remplir cette formalité et de se conformer aux
autres dispositions de l’ordonnance de 1673, il soient
déchus de leurs créances.
« Considérant que dans l’espèce, les frères Manuel
avaient déclaré, devant le tribunal de commerce, être
créanciers de Lerat de la somme de 188,075 livres en
numéraire, ainsi qu’ils le vérifiaient par lë comptecourant de toutes leurs opérations de commerce avec
Lerat, lequel compte ils représentaient, avec offre de
le vérifier par les livres desquels il était fidèlement ex-
�ART.
15 ET 16.
463
trait, et qu’ils offraient de représenter toutes et quantes
fois ils y seraient requis.
« Considérant q u e , cependant, les frères Manuel
n’ont depuis cette époque ni déposé, ni représenté
ces livres, d’où il suit que la peine de déchéance por
tée par la déclaration de 1739 leur a été justement ap
pliquée.
« Considérant encore que, mal à propos, les frères
Manuel ont prétendu devoir échapper à cette applica
tion, sous prétexte que leur créance, indépendamment
de tous livres, était fondée sur une reconnaissance de
Lerat, car leur créance n’ayant pas été d’abord déclarée
fondée sur cette reconnaissance, le tribunal d’appel
a pu légitimement insister sur la représentation de ces
livres, et appliquer au refus de les représenter la
déclaration de 1739, d'autant plus que celte variation
sur le titre de la créance, ainsi que d’autres sur son
montant et sur ses éléments , pouvait présenter une
fraude dont le tribunal d’appel a remarqué et déve
loppé les indices, et qui suffirait seule pour justifier son
jugement.1 »
307.
— Cet arrêt, comme le jugement du tribunal
d’appel de Dijon, invoque avec raison la conduite et les
tergiversations de l’une des parties, et les soupçons de
fraude qu’elles faisaient naître. Ils devaient en effet y
trouver un motif de plus pour insister sur la production
1 Cas* . 12 floréal an x n .
�464
des livres de commerce
des livres, et appliquer la peine réservée au refus de
cette production.
Eût-on décidé autrement si ces tergiversations n’a
vaient pas existé ? Auralt-on refusé d’ordonner l’apport
des livres si les créanciers eussent dans ï’origine invo
qué le titre sur lequel ils se fondaient en dernier lieu ?
La négative nous paraît incontestable. En effet, la doc
trine et la jurisprudence s’étaient depuis longtemps
prononcées dans ce sens, que le marchand tenu d’avoir
des livres était obligé de les représenter à la réquisition
de la partie, alors même que l’objet du litige n’aurait
pas été commercial.
Déjà nous avons rappelé que, par arrêt du 22 juillet
1688, le Parlement de Paris avait appliqué l’obligation
de produire, ses livres au commerçant poursuivant
l’exécution d’un titre authentique et notarié.1 Cette
règle, la cour de cassation l’avait elle-même sanction
née en jugeant, le 25 nivôse an x, qu’un marchand qui
ne représentait pas ses livres pouvait être déclaré nonrecevable à demander le paiement d’un obligation no
tariée, même étrangère à son commerce.
Donc, sous l’empire de l’ordonnance de 1673, aucun
doute n’existait sur l’obligation pour les commerçants
de représenter leurs livres, qu’ils en excipassent euxmêmes ou non. L’article 10, titre m , était formel d’ail
leurs, cette représentation pouvait être ordonnée soit
lorsque le marchand prétendait les invoquer en sa
1 V. sup., n° 205.
�AKT.
15
ET
465
16.
faveur, soit qu’on prétendît s’en servir contre lui. Or,
on comprend que celte dernière circonstance devait se
réaliser le plus ordinairement lorsque le commerçant
négligeait volontairement ou non de s’en prévaloir luimême, son silence permettant de supposer que leur
teneur lui était contraire.
Si quelque chose avait été changé par le Code, ce ne
serait certes pas cette règle. Car, loin de créer des obs
tacles à la représentation des livres, il a entendu la fa
voriser, d’abord en dispensant la partie la requérant de
l’obligation d’y ajouter foi, ensuite en conférant aux ju
ges la faculté de l’ordonner d’office. Cette représenta
tion peut donc aujourd’hui être ordonnée, malgré qu’elle
ne soit ni offerte ni demandée. A plus forte raison donc
doit-on admettre cette possibilité lorsqu’une des par
ties soutiendra qu’elle est indispensable à l’appréciation
de ses intérêts.
Vainement donc le commerçant voulant se soustraire
à l’obligation de représenter ses livres exciperait-il de
la maxime que nul n'est tenu de produire contre soi.
Ce qui a fait admettre cette règle en matières civiles,
c’est que l’existence du titre dont on réclamerait la
production n’est souvent pas même établie, et encore
la rigueur de ce principe reçoit une notable modifica
tion par la faculté laissée à la partie de demander un
compulsoire et de se procurer ainsi les litres que son
adversaire ne veut pas verser au procès.
Mais, en matière de commerce, aucun doute n’est
permis sur l’existence des livres. En droit, leur tenue
30
�466
DES LIVRES DE COMMERCE
est une obligation ; en fait, il est certain qu’il a dû en
exister, réguliers ou non. Or, la destination qui"*leur
a été légalement affectée est de recueillir la preuve de
tous les actes du négociant, commerciaux ou non. Dès
lors, il est justes lorsqu’il s’agit de l’un d’eux, qu’on
puisse vérifier si les livres en établissent la sincérité et
surtout s’ils ne démentent pas la prétention actuelle.
En forcer la représentation, ce n’est donc pas contrain
dre le commerçant à produire contre lui ; c’est le con
traindre à remplir une obligation légale, celle de justi
fier sa demande ou son exception.
Il suffit donc encore aujourd’hui que celui contre qni
on plaide soit commerçant, qu’en cette qualité il ait dû
tenir des livres, pour qu’on soit recevable à lui en de
mander la représentation. Il importe peu que celui qui
la requiert soit lui-même commerçant, l’article 1330
étendant cette faculté au non-commerçant, et la rendant
plus énergique encore par l’obligation de les accepter
indivisiblement ; il n’importe pas davantage que le com
merçant excipe de lui-même ou non de ses livres, que
le droit litigieux soit ou non relatif à son commerce,
qu’il soit établi par un titre positif émané de son ad
versaire. Comme complément de justification , la re
présentation des livres peut toujours être réclamée, et
même ordonnée d’office par les juges.
308.
—- Doit-on, sous l’empire du Code, décider,
comme on le faisait sous l’ordonnance, que cette re
présentation est admissible, même lorsqu’il s’agit de
l’exécution d’un titre notarié et authentique ?
�ART.
15
ET
16.
467
L’affirnçative nous paraît devoir résulter de ce que
nous venons d’établir, à savoir, que le Code n’a en rien
modifié l’état des choses créé par l’ordonnance. Dès
lors, ce qui était juridique sous l’empire de celle-ci n’a
pas cessé de l’être aujourd’hui.
Pourquoi, d’ailleurs, excepterait-on de l’obligation
de représenter les livres, dans le cas où il s’agit de
l’exécution d’un acte notarié? Une pareille distinction,
indépendamment de ce qu’elle n’est pas dans la loi,
pourrait, dans une circonstance donnée, favoriser et
faire réussir l’injustice et la fraude. L’utilité de la pro
duction des livres, et conséquemment sa nécessité, se
justifie, même dans ce c as, d’abord par la possibilité
que le débiteur ait perdu ou égaré la quittance sous
seing-privé dont il s’était contenté dans un but d’éco
nomie. Il serait inique que cette perte pût fournir l’oc
casion de le faire payer une seconde fois, et surtout
d’empêcher de la suppléer par la mention qui doit se
trouver dans les livres. Pourrait-on concevoir le moin
dre doute sur la réalité du paiement, si, à la date indi
quée par le débiteur, ces livres constataient la récep
tion d’une somme identique à celle qu’il devait à cette
époque en capital et intérêts? Si cette réception était
indiquée provenir du débiteur lui-même ? Hésiterait-on
à proscrire la nouvelle demande si le commerçant,
l’ayant débité dans un compte-courant de la somme
par lui prêtée, avait crédité son débiteur d’une somme
égale ? C’est pourtant l’existence d’un de ses faits
que celu i-ci prétendra justifier par la représenta-
�4-68
DES LIVRES DE COMMERCE
tion des livres. Serait-il équitable de l’éconduire sans
examen ?
Il est un autre point de vue sous lequel la représen
tation des livres, même dans le cas d’un acte notarié,
,se justifie parfaitement. Il n’est pas d’usage qu’un com
merçant dispose de ses fonds par cette voie, il lui est
plus utile de les appliquer à son commerce, ce qui lui
offre un intérêt bien plus considérable. Aussi, lorsque
la position critique de son débiteur le force à se procu
rer une garantie hypothécaire, en prorogeant le terme
de l’exigibilité, arrive-t-il souvent qu’indépendamment
de l’acte, il se fait souscrire des effets négociables pour
le montant de ce qui lui est dû.
Ces effets formant double emploi avec l’acte, il est
évident que le créancier est payé de celui-ci lorsque
par leur négociation il en reçoit la valeur, il ne rede
vient créancier que si, à l’échéance, il a lui-même rem
boursé cette valeur et repris les effets.
Aucun doute ne pourrait certes s’élever si le débi
teur, ayant lui-même payé ces effets, pouvait les re
présenter. Cependant, dans ce même cas, l’identité de
la cause peut être contestée et peut rendre le recours
aux livres du négociant indispensable.
A plus forte raison faudrait-il y recourir si le débi
teur était dans l’impossibilité de représenter ces effets.
Ce ne serait plus alors leur cause qui serait contestée,
on pourrait en nier jusqu’à l’existence, et comment
avoir raison de cette dénégation, si le débiteur poursuivi
était absolument empêché de se faire représenter les li~
�ART.
15
ET
16.
469
vres qui en renferment la preuve? On comprend ce
pendant que plus les livres seront précis sur ce point,
et moins le commerçant se prêtera à les produire pour
ne pas divulguer sa mauvaise foi.
Quel danger, d ’ailleurs, peut offrir notre solution ?
Nous allons le dire bientôt , l’article 15 ne confère
qu’une faculté dont il est toujours loisible aux juges de
ne pas user. Ils s’en abstiendraient, certes, si dans
notre hypothèse les vraisemblances, les faits et cir
constances de la cause pouvaient faire supposer que la
demande en représentation des livres n’est qu’un moyen
de gagner du temps à l’effet de reculer l’exécution d’un
titre légitime.
Ainsi la règle déduite, par la jurisprudence, de l’or
donnance de 1673 peut et doit être suivie sous l'empire
du Code. Le commerçant qui poursuit l’exécution d’un
titre authentique, sans se prévaloir de ses livres, peut
être contraint de les représenter, quelle que soit, d’ail
leurs, la cause de l’obligation. Cette représentation
peut être ordonnée soit sur la demande de la partie,
soit d’office par le juge.
309.
— En thèse ordinaire, les livres dont on peut
demander ou ordonner la repésentation se réduisent
aux trois dont la loi a rendu la tenue obligatoire, à sa
voir : le journal, le copie des lettres, le livre des inven
taires. Quant aux livres auxiliaires, il est évident que le
négociant étant libre de les tenir ou non, la déclaration
qu’il ferait de n’en point avoir ne pourrait manquer,
�470
DES LIVRES DE COMMERCE
à défaut de preuve contraire, d’être accueillie. C’est
ce que la cour de Paris a consacré par arrêt du 2
août 1842.1
Mais s’il était prouvé que le commerçant a réelle
ment tenu des livres auxiliaires, et que ces livres sont
encore en sa possession, on pourrait le condamner à
les représenter, de même que les livres -obligatoires.
Remarquons bien que la loi, si elle ajustement reculé
devant une mesure inquisitoriale, vexatoire et dange
reuse pour celui qui en serait devenu l’oj?jet, n’a nul
lement entendu favoriser, ni moins encore encourager
la résistance qu’on opposerait, de mauvaise foi, à ce que
la justice s’entourât de tous les documents susceptibles
de l’édifier sur les droits respectifs des parties. Consé
quemment, s’il est acquis que le livre auxiliaire réclamé
existe réellement entre les mains du négociant, aucun
motif ne saurait raisonnablement être invoqué à l’appui
du refus qu’il ferait de le représenter, refus peu natu
rel, et par cela même devant paraître fort suspect.
D’ailleurs, les livres auxiliaires expliquent le journal
dont ils sont en quelque sorte le développement et le
commentaire. Qu’on ne soit pas forcé de les tenir, c’est
ce qui est incontestable ; mais que, les ayant tenus, on
puisse se dispenser de les représenter, malgré la ré
quisition de la partie, au mépris des ordres formels de
la justice, c’est ce qui ne saurait se comprendre, et
bien moins encore être autorisé.
1 J- du p. t. n, 1843, p. 388.
�ART.
15
ET
16.
471
Dans une espèce soumise à la cour de Caen, la par
tie poursuivie réclamait du demandeur la production
d’un livre d’enregistrement de traites et remises. Le
négociant repoussait cette demande comme non-rece
vable, sur le motif que ce livre n'étant pas obligatoire
ment prescrit par la loi, on ne pouvait le contraindre à
le représenter.
Mais cette exception fut repoussée par la cour, éta
blissant d’abord que la preuve de l’existence du livre
réclamé existait au procès, elle en ordonne la repré
sentation.
« Attendu, porte l’arrêt, qu’on voit par les numéros
d’ordre mis par l’appelant sur les diverses lettres de
change et billets auxquels il prenait part, qu’il tenait
réellement un livre de la nature de celui qui lui est ré
clamé ; qu’encore bien que la loi ne désigne pas nomi
nativement, quant aux livres que doivent tenir les com
merçants, un livre d’enregistrement et de numéros
d’ordre des traites et remises, ces livres sont cependant
implicitement compris dans ceux qui doivent contenir
les négociations, acceptations ou endossements d’ef
fets, et généralement tout ce qui est reçu ou payé ; et
que , d’ailleurs, il est évident que dès qu’il en a été
tenu de cette espèce, leur représentation peut être or
donnée.1 »
Ainsi la seule différence entre les livres obligatoires
et les livres auxiliaires, c’est que l’existence des prei Caen, 24 juin 4 828.
�472
DES LIVRES DE COMMERCE
miers est forcément admise par la loi , alors même
qu’on exciperait n'en avoir tenu aucun. On devait en
tenir, et cela seul suffit pour qu’on soit obligé de les
représenter, sous les peines portées par la loi. On ne
pouvait admettre le contraire sans s’exposer à rencon
trer dans toutes les espèces une exception ne consti
tuant après tout qu’une violation d’un devoir formelle
ment imposé par la loi, et ne méritant dès lors aucune
indulgence.
Les livres auxiliaires, au contraire, ne sont pas pré
sumés exister. Le commerçant peut ou non user de la
faculté que la loi lui laisse à cet égard, et aucun repro
che ne peut lui être adressé, s’il n’en a tenu aucun. La
représentation de ces livres ne peut donc être ordon
née sans qu’au préalable leur existence ait été prouvée,
ou résulte évidemment de l’état et de la nature des do
cuments produits, comme dans l’espèce de l’arrêt de
Caen.
310.
— Au reste, pour les uns comme pour les
autres, la représentation n’est jamais un devoir pour les
juges. L’article 15 ne leur confère qu’une pure faculté
dont l’exercice est exclusivement abandonné à l’inspi
ration de leur conscience. A quoi bon, en effet, une
pareille mesure si, la vérité ressortissant nettement des
faits et circonstances du procès, les juges se trouvent
en l’état suffisamment édifiés et peuvent se prononcer
avec certitude?
Le texte de l’article 15 ne laisse à cet égard aucun
�\
ART.
15
ET
16.
•
473
doute possible. De commerçant à commerçant, la re
présentation des livres n’est jamais forcée. La jurispru
dence est depuis longtemps fixée dans ce sens. Indé
pendamment de l’arrêt d’Aix, du 5 avril 1832, que nous
citions tout à l’heure, ce principe a constamment été
reconnu et proclamé par la cour de cassation.1
3 1 1 . — Mais en est-il de même à l’égard du non\
commerçant agissant en vertu de l’article 1330 du Code
civil? Le juge peut-il encore refuser la représentation
des livres demandée aux conditions-qu'impose cet arti
cle? La raison de douter se tire de l’existence de ces
conditions. Le non-commerçant demandant la produc
tion des livres de son adversaire négociant est obligé de
les admettre tels qu’ils se trouveront, leurs énonciations
mettront fin au litige ; recourir à ce moyen, c’est donc
en réalité déférer le serment décisoire. C’est ce qui
porte MM. Massé et Devilleneuve à enseigner que, dans
ce cas, la demande en représentation des livres ne sau
rait être écartée.®
Il est certain qu’une demande de ce genre ne paraît
pas de nature à soulever de sérieuses difficultés. Le
moyen de solution qu’elle offre est si naturel et si sim
ple, qu’en général la justice, s’empressera de le saisir.
Elle n’aurait même aucun moyen de ne pas s’y arrêter,
1 V. cass., 25 nivôse an x , 20 août 4848, 12 décembre 1827, 4 fé
vrier 1828, 9 juin 1839; — J. du P ., t. i, 1839, p. 4 9 5 ; — conf. Aix,
8 décembre 1820.
3 Dial, du contentieux comm. Y. Livres de com., n<> 14,
�474
DES LIVRES DE COMMERCE
si la représentation des livres était proposée avant toute
défense au fond. Cependant nous répugnons à admettre
une règle absolue en cette matière, qui ne parait pas
en comporter d’autre que la libre appréciation des ma
gistrats. Nous pensons en conséquence qu’il leur est
loisible, même dans ce cas, d’écarter la demande en
production des livres, si des faits du procès, des docu
ments produits, des débats que la cause a déjà subis,
il résulte pour eux la conviction que cette production
serait inutile et frustratoire ; qu'elle n’est sollicitée en
désespoir de cause que pour prolonger un litige ac
tuellement en état de recevoir une solution définitive.
5 1 2 . — La représentation des livres, dans tous les
cas où elle est légalement autorisée, peut être deman
dée et ordonnée par toutes les voies de droit, même
par contrainte d’une somme d’argent. 11 peut se faire
en effet que cette représentation soit d’un tel intérêt
pour celui qui la réclame, qu’évidemment les consé
quences que la loi attache à son refus ne pussent suffi
samment réparer le préjudice qu’éprouverait celui qui
en serait la victime, c’est en effet ce qui se réalisait dans
l’espèce suivante :
Un sieur Blanchard était assigné en restitution d’in
térêts usuraires qu’il avait perçus. Pour établir le chiffre
exact de la restitution, on demandait la production de
ses livres, Blanchard refuse de la faire, mais un juge
ment l’y condamne, sous contrainte, en cas d’inexécu
tion, d’une somme de 3,000 fr.
«
�ART.
15
ET
16.
475
Blanchard émet appel de ce jugement. Devant la
cour, il soutient d’abord que personne ne peut être
obligé de produire des titres dont il n’entend pas se
servir; il prétend ensuite que la production des livres
d’un commerçant, pût-elle être ordonnée, ne pourrait
l’être sous une contrainte, sauf seulement aux juges à
induire du refus telles conséquences qui leur paraî
traient légitimes.
Ce double système fut repoussé. « Attendu que
quand une partie, dans des vues d’intérêt personnel,
se refuse à satisfaire à des décisions rendues par la jus
tice, la justice se trouve dans la nécessité de la con
traindre par toutes les voies de droit qu’elle croit les
plus propres à atteindre le but qu’elle se propose ; que
si elle eût cru devoir se contenter d’autoriser la partie
à induire du défaut de production du registre, elle eût
pu s’en tenir là ; mais que regardant le moyen de la
contrainte comme plus propre à produire l'effet qu’elle
en attend, elle a dû employer cette voie.1 »
3 1 5 . — Il est évident que la loi a pu et dû, dans la
prévision de l’inexécution d’un jugement ordonnant
la représentation des livres, déterminer les conséquen
ces légales et ordinaires de cette inexécution. C’est là
en effet l’objet de l’article 17 du Code de commerce.
C’est là le droit commun applicable toutes les fois que
la partie n’a rien proposé, n’a rien demandé au-delà.
1 Caen, 24 juin !§28,
�476
DES LIVRES DE COMMERCE
Mais on ne doit pas conclure de cette disposition que
le législateur ait refusé la faculté aux parties de sollici
ter, et à la justice de prononcer d’autres dommagesintérêts. En principe général, ceux-ci sont la con
séquence de l’inexécution de toute obligation, et leur
appréciation est laissée à la prudence des juges. Or,
l’obligation de représenter les livres est une obligation
de faire, dont l’exécution ne peut être assurée que par
une allocation pécuniaire; pour échapper à celle-ci,
il faudrait soutenir que l’article 17 du Code de com
merce a d'érogé au principe général en matière d’inexé
cution.
En droit donc, la faculté d’ordonner la représenta
tion des livres sous une contrainte d’une somme d’ar
gent est incontestable. En fait, l’équité de cette sanction
ne l’est pas moins.
Sans doute, l’article 17 peut paraître suffisant lors
que, actionné en paiement d’une dette, un commerçant
est admis à purger par serment la vérité de sa libéra
tion, à défaut par son adversaire de représenter ses li
vres. Mais évidemment cela ne suffit pas lorsque , à
''cette représentation, se trouve subordonnée la détermi
nation des droits de celui qui l’a requise. Ainsi l’exem
ple que nous venons de citer, la quotité restituable des
intérêts usurairement perçus.
Cet inconvénient se réaliserait dans de bien plus for
tes proportions dans le cas de succession, de commu
nauté, de société, puisque, sans les livres, on ne pour
rait déterminer la quotité des droits des parties récla-
�A R T.
15
ET
16.
477
mantes. Aussi, dans ces matières, la communication des
livres est ordinairement demandée et ordonnée, sous
peine d’avoir à payer une certaine somme pour chaque
jour de^retard. Pourquoi donc ce qui est considéré
comme légal dans le cas de communication perdrait-il
ce caractère dans celui de la représentation ? Pour être
moindre, ce dernier droit n’est pas moins certain, moins
utile que le premier. Il importe donc d’en assurer l’exé
cution, sous peine d’avoir à indemniser la partie de
tout le préjudice qu’elle serait dans le cas d’éprouver
de la violation d’une décision judiciaire.
3 1 4 . — Quel est le caractère du jugement prescri
vant la représentation des livres d’un commerçant? Ce
jugement est-il préparatoire ou interlocutoire ? En
d’autres termes, est-il ou non susceptible d’appel divisément du jugement définitif et avant que celui-ci ait
été rendu ?
La question ne paraît pas douteuse, lorsque la re présentation est ordonnée sous contrainte d’une somme
d’argent. La cour de Paris, saisie de cette question, l’a
résolue dans le sens d’un interlocutoire, et décidé con
séquemment que l’appel interjeté avant le jugement
définitif était recevable.1
Pourquoi n’en serait-il pas de même en l’absence de
toute sanction pénale, alors surtout que la représenta
tion des livres a été contestée? A notre avis, on ne
12
ao ût 1 8 4 3 . J . d u P . , t . u , 1 8 4 3 , pag. 3 8 2
�478
DES LIVRES DE COMMERCE
saurait le décider autrement sans se placer en contra
diction avec la nature des choses. C’est ce qui nous
paraît résulter des principes généraux de la matière.
Aux termes de l’article 452, les jugements sont pu
rement préparatoires lorsqu’ils ne sont rendus que pour
l’instruction de la cause, que pour mettre le procès en
état de recevoir une décision définitive.
S’il fallait s’arrêter là, notre question serait évidem
ment tranchée dans un sens contraire à notre opinion,
car le jugement ordonnant la production des livres n’a
pas d’autre objet que d’instruire la cause et de la mettre
en état d’être définitivement jugée. Mais alors aussi il
faudrait dire qu’il n’y a pas de jugements interlocu
toires, car, quelle que soit la mesure ordonnée, il sera
certain qu’elle.se proposera le même objet.
Ce qui distingue ces derniers, c’est qu’indépendamment de ce qu’ils mettent la cause en état de recevoir
jugement, ils préjugent le fond, ce qui ne peut et ne
doit évidemment s’entendre que d’une manière relative
et jamais absolue.
En effet, s’il pouvait en être autrement, il n’y aurait
plus de jugements interlocutoires dans un autre sens
que celui dont nous venons de parler. On se prévau
drait de la maxime licet judici ab interlocutario discedere, et l'on soutiendrait que le jugement n’étant pas
obligatoire ne saurait créer un préjugé. Il faut donc
dire avec MM. Carré et Chauveau, que le jugement in
terlocutoire est celui q u i, sans juger positivement la
question, laisse entrevoir l’opinion qu’en a conçue le
�/
ART.
15 ET 16.
479
juge, et d’après laquelle il la décidera plus tard, non pas
certainement, mais probablement.
Or, n’est-ce pas là ce qui résulte de la décision or
donnant la représentation des livres? Est-ce que ces li
vres, s’ils sont contraires aux prétentions de celui qui
les a tenus, ne les feront pas repousser? Est-ce que
dans tous les cas, il n’y a pas une évidente probabilité
que le juge aura égard à leurs indications et y confor
mera sa sentence? On ne saurait donc refuser à ce juge
ment le caractère d’interlocutoire.
Cela serait surtout incontestable si le commerçant
avait opposé à la demande en représentation de ses li
vres une exception de fin de non-recevoir. Dans ce
cas, statuer et repousser cette fin de non-recevoir, re
fuser même de l’examiner pour ordonner des apure
ments que son admission eût rendus parfaitement inu
tiles, puisqu’elle eût terminé toute contestation, c’est,
dans le premier cas, avoir rendu un jugement définitif
quant à ce ; c’est, dans le second, avoir évidemment
préjugé que cette fin de non-recevoir n’est d’aucune
considération ; que le fond peut être décidé sans qu’il
soit besoin de s’y arrêter.
Comment pourrait-il en être autrem ent, lorsque,
sans avoir opposé une fin de non-recevoir spéciale, le
commerçant s’est borné à soutenir l’inadmissibilité ou
l’inutilité de la représentation. II y aurait dans le juge
ment qui l’aurait ordonnée mieux qu’un préjugé sur l’ad
missibilité de la représentation, il y aurait décision for-
�)
4-RO
DES LIVRES DE COMMERCE
melle, annonçant que le juge se réserve de subordonner
à ses résultats la solution de l’affaire.1
Il importerait donc peu que l’avant-dire-droit réser
vât aux parties tous leurs droits et exceptions. Cela
sans doute laisse intacts tous les moyens se rattachant
au fond, mais nullement ceux relatifs en la forme. Com
ment, en effet, après avoir exécuté le jugement et re
présenté les livres, soutenir que la demande en repré
sentation n’était ni recevable ni admissible? Le juge
ment aurait produit tout son effet, et quels seraient
l’utilité et le profit d’une attaque ultérieure?
5 1 5 . — Il n'est qu’un seul cas où le jugement se
rait simplemeut préparatoire, à savoir, si la représen
tation n’avait pas été contestée, et, dans ce cas encore,
la fin de non-recevoir contre l’appel séparé serait plutôt
la conséquence du contrat d’acquiescement que du ca
ractère propre du jugement.
Il en est donc de la représentation des livres comme
de la preuve testimoniale, ou de tout autre mesure in
terlocutoire. Si aucune contestation n’en a accueilli la
demande, l’appel ne peut être interjeté qu’avec celui
du jugement définitif. Si, au contraire, l’une des parties
a résisté, si elle l’a combattue comme non-recevable ou
inutile, le jugement, qu’il ait prononcé ou sursis à sta
tuer sur le mérite de ces contestations, n’en est pas
moins interlocutoire.
1 Chauveau sur Carré, art. 482, quest. 4616.
*
�ARÎ. 15
ET
16.
481
5 1 6 . — Nous n’hésitons pas à penser qu’il en est de
même dans le cas où la représentation a été ordonnée
d’office par le juge. Sans doute, dans cette hypothèse,
aucune des parties n’a contesté, mais elle n’a jamais été
en mesure de le faire. La preuve que si cette possibi
lité eût existé, celui qui prétend émettre appel aurait
contesté, se tire de l’appel lui-même. II est donc pré
sumé avoir combattu en première instance ce qu’il va
combattre devant le second degré de juridiction.
D’ailleurs, quoique rendu d’office, le jugement n’en
indique pas moins la réserve que se fait le juge de su
bordonner sa décision aux résultats de la mesure qu’il
ordonne. Le préjugé naît donc de ce jugement qui
ne peut dès lors être considéré que comme interlo
cutoire.
3 1 7 . — Le commerçant à qui on demande la pro
duction de ses livres ne saurait se prévaloir de leur
irrégularité pour la refuser. Il est vrai que les livres
irréguliers ne peuvent faire foi en justice, mais en fa
veur de celui qui les a ainsi tenus contrairement au de
voir qui lui était imposé. Mais quels qu’ils soient, ainsi
que nous le disions sous l’article 13, ils font preuve
contre lui.
La conséquence naturelle de cette règle était qu’il ne
pût exeiper de leur irrégularité à l’effet de se dispenser
de les représenter lorsqu’il en est requis soit par son
adversaire, soit par la justice. Il est évident, en effet,
que décider autrement, c’était admettre que ses livres,
�*82
DES LIVRES DE COMMERCE
ne pouvant faire foi en faveur, ne pourraient non plus
“devenir une preuve contre lui, et renverser ainsi la
peine que l’article 13 a entendu faire résulter de l’inob
servation de la loi.
C’était de plus placer celui qui l’aurait violée dans
une position plus avantageuse que celle du commerçant
l’ayant scrupuleusement observée. Celui-ci, en effet,
pouvait dans un cas être condamné sur ses livres, l’au
tre jamais, puisque, maître de les représenter ou de les
refuser, il n’eût pas manqué de s’arrêter à ce dernier
parti toutes les fois qu’il aurait eu à redouter leurs
énonciations.
Un pareil résultat eût été une monstrueuse anomalie
que l’intérêt public, que la raison et le droit condam
naient énergiquement. Le commerçant n’a des livres
irréguliers que parce qu’il a débuté par violer une loi
formelle.il est donc juste qu’il en soit puni. Toutes les
fois dès lors qu’il tentera de se prévaloir de cette viola
tion, il devra être impitoyablement repoussé.
3 1 8 . — Les tiers ayant traité avec un commerçant
n’ont aucune part dans la tenue irrégulière de ses écri
tures. Ils sont donc recevables à en exciper toutes les
fois qu’ils le jugent convenable à leurs intérêts.
Ils ont cette faculté même dans le cas où ils ont euxmêmes demandé la représentation des livres. Ils peu
vent, en effet, soutenir que cette demande supposait
l’existence de livres dignes de foi par la régularité de
leur tenue, mais que la confiance qu’ils auraient témoi-
�ART. 15 ET 16.
483
gnée à ceux-ci, il ia refusent à ceux qu’on prétend pro
duire et dont rien ne garantit la sincérité.
519. — Mais pour être admis, ce refus doit être
fait en temps utile, c’est-à-dire au moment où par la
représentation des livres on a pu connaitre leur irrégu
larité. Si on les avait d’abord acceptés, si on en avait
extrait ce qui concerne le différend, l’exception d’irré
gularité ne serait plus ni proposable, ni admissible.
5 2 0 . —- Ainsi les tiers créanciers ou débiteurs ont
la faculté d’opposer l’irrégularité des livres de leur ad
versaire et les faire rejeter du procès, soit que celui-ci
prétende les leur opposer, soit qu’ayant eux-mêmes
demandé leur production, ils découvrent cette irrégula
rité. Ils ont de plus un autre droit, à savoir, celui d’en
forcer la représentation malgré leur irrégularité. Nous
l’avons déjà dit, celle-ci ne peut être opposée par celui
à-qui elle est exclusivement imputable. Bien entendu
que, dans cette hypothèse, ils ne sauraient eux-mêmes
être admis à exciper plus tard de ce défaut de formes
qui ne les aurait pas empêchés de faire ordonner cette
représentation.1
52 ï . — Ce qui distingue la communication des li
vres de leur représentation, c’est que, dans la première,
le commerçant se dessaisit de ses livres en faveur des
1 V. supra, n°s 261 et sùiv.
�484
DES LIVRES DE COMMERCE
parties intéressées, libres dès lors de les examiner et de
les compulser dans toutes leurs parties. Dans la secon
de, au contraire, le commerçant est autorisé à ne pas
s’en dessaisir, à ne pas les perdre de vue, il n’est tenu
de les représenter seulement pour qu’en sa présence
et avec son concours on puisse en extraire ce qui con
cerne le différend.
C’est là tout ce que peut exiger le demandeur en
production. C’est là tout ce qu’on pouvait lui accorder.
11 n’était pas possible, en effet, qu’après avoir proscrit
la communication pour assurer l’inviolabilité du secret
du commerce et de la famille, on en autorisât la di
vulgation, en la facilitant par un moyen indirect et dé
tourné.
322. — C’est ce qui avait été justement admis par
tous les peuples commerçants. La restriction écrite
dans notre Code avait été expressément consacrée par
l’article 10 du titre m de l’ordonnance de 1673. C’est
ce que nous retrouvons dans la forme même que la ju
risprudence avait tracée. Ainsi en Italie, de droit com
mun, on n’était obligé de représenter que la page sur
laquelle figurait l’opération litigieuse, nisi in ea parte
autpagella qua adest controversia.1
Jason, sur la loi première du Code de edendo, nous
apprend qu’à Florence un marchand n’est pas tenu de
représenter ses livres, journaux et registres, si le de1Casaregis, de com., dise. 30, n° 79.
�ART.
15 ET 16.
488
mandeur ne désigne, par l’extrait du compte du mar
chand , en quel feuillet du livre il est couché. Âdeo
lim ent, dit Mornac sur la même loi, caventque ne
edatur tantillum domus fortunatiumque suarum existimatio.
Mornac ajoute que l’usage du parlement est de faire
rapporter les livres des marchands devant les juges ou
devers deux marchands, et en leur présence d’ouvrir
et de lire tout d’un temps le feuillet auquel le deman
deur indique qu’il est fait mention de la chose en
question. Arcana enim in reliquis partibus retegi,
oculisque alienis, iisque utplurimum maligne curiosis
subjici, iniquum semper visum est nec toleratum
unquam.
3 2 3 . — Voilà les sévères précautions que le respect
du secret d’autrui avait inspirées à nos devanciers.
Voilà aussi les traditions que notre législateur a voulu
s’approprier et suivre. Ainsi, comme l’ordonnance, le
Code de commerce n’autorise la représentation des li
vres que pqur en extraire ce qui concerne le différend,
et cette restriction indique assez quelle est la forme à
laquelle doit obéir cette représentation.
Le marchand n’est donc pas tenu de se dessaisir de
ses livres. C’est en sa présence, sous ses yeux, que le
juge ou l’expert commis doit en faire l’extrait, sans
que son attention puisse se porter sur d’autres opéra
tions que celles sur lesquelles le litige est engagé, ce
que le négociant est toujours maître d’empêcher en
�486
DES LIVRES DE COMMERCE
refusant d’ouvrir les livres aux passages étrangers à ces
opérations.
5 2 4 . — De son côté, celui qui a requis la repré
sentation des livres a droit d’assister à l’extrait qui en
est fait. Mais on n’est pas tenu de l’y appeler, et son
absence occasionnée par ce défaut d’appel n’influe en
rien sur l’opération consommée hors sa présence. Dans
une espèce jugée par la cour de Paris, on prétendait
assimiler la représentation des livres à un compulsoire,
pour en induire la nullité de la vérification faite sans
que le demandeur y eût été appelé.
Mais l’arrêt qui intervint repoussa cette prétention
sur le motif que la vérification des livres, par suite de
leur représentation, n’avait aucun des caractères du
compulsoire, que dès lors elle ne pouvait être soumise
aux formalités tracées pour celui-ci ; que la présence
de la partie étant facultative, on ne saurait l’empêcher
de s’y présenter, mais qu’on n’était pas obligé de l’y
appeler, malgré que le jugement eût ordonné que
l’opération aurait lieu parties présentes ou dûment
appelées.1
525. — Ainsi, en principe, la représentation des
livres ne saurait devenir ni le prétexte ni le moyen de
pénétrer un secret que la loi a voulu rendre impénétra
ble. Elle ne peut donc avoir pour résultat d’amener
1Paris, 28 juillet 1813.
�ART.
15
ET
16.
487
le dessaisissement matériel du commerçant qui est con
damné à les produire, soit par un dépôt au greffe, soit
par une remise entre les mains d’un tiers, et c’est sur
tout à ce point de vue que l’arrêt de la cour de cassa
tion, du 25 janvier 1843, s’est écarté de la saine doc
trine, puisqu’il consacre précisément le contraire, en
ordonnant le dépôt au greffe des livres dont on ne
devait autoriser que la représentation.1
52.6. — Que ce principe puisse subir des excep
tions, on peut l’admettre. Quelle est, en effet, la règle
qui n’en comporté aucune ? Mais encore faut-il que ces
exceptions n’affectent pas un caractère diamétralement
opposé à l’essence du principe lui-même; et ce carac
tère, nous le rencontrerions toutes les fois que la me
sure ordonnée serait dans le cas de permettre de com
pulser librement les livres et de lire dans tout leur
contenu.
/
Nous comprenons que dans une contestation entre
un maître et un ouvrier, sur la détermination des sa
laires de celui-ci, le juge ou l’expert commis puisse
examiner toutes les indications des livres se référant à
ces salaires ; que, lorsqu’il s’agit de la négociation de
certains billets litigieux, on puisse extraire de ces
livres non-seulement ce qui est relatif à la négociation
des billets litigieux, mais encore ce qui concerne d’au
tres négociations pouvant jeter du jour sur le difféi V.
*
sup., n°s 299 et 300.
�488
DES LIVRES DE COMMERCE
rend. Ce sont Jà des objets devenant des spécialités
soit par la nature des indications, soit par la désignation
des négociations accessoires que la partie invoquera,
se référant d’ailleurs essentiellement à l’objet du litige
et rentrant dès lors dans les termes de l’article 15.
Dans les deux cas, au surplus, le commerçant n’est pas
dessaisi de ses livres, et il demeure libre de surveiller
l’opération.
Mais nous ne saurions admettre que, dans une hy
pothèse quelconque, on pût, sous prétexte de repré
sentation, autoriser une mesure ne tendant à rien moins
qu’à arracher les livres à la possession du commerçant
pour un temps plus ou moins long. Car, quel que soit
celui qui sera appelé à y lire, il est certain que le secret
de ce commerçant sera à sa discrétion, et c’est précisé
ment ce que, à toutes les époques, la loi a entendu ab
solument proscrire.
327.
— L’article 16 nous fournit un exemple déci
sif de l’importance que notre Code attache à ce que le
commerçant ne perde pas de vue ses écritures. Les
inconvénients d’une dépossession temporaire l’ont dé
terminé à ne pas même exiger leur déplacement.
Ainsi, lorsque le domicile du commerçant tenu de
représenter ses livres est éloigné du lieu où siège le tri
bunal saisi du litige, ce tribunal peut déléguer le soin
d’en extraire ce qui concerne le différend soit aux juges
du tribunal de commerce de la localité, soit à un juge
de paix. Ce n’est là sans doute qu’une faculté, mais
�à#T. 15 ET 16.
489
il est évident ,que son exercice est complètement dans
l’esprit de la loi. Elle en eût certainement fait un devoir,
si la nature et le caractère de la juridiction commer
ciale ne lui eussent pas paru insusceptibles de règles
absolues.
— La mission du magistrat rogatoirement
commis se borne à dresser procès-verbal de l’opération.
Ce procès-verbal doit renfermer la copie extraite des
livres. Il doit également indiquer l’état matériel du
passage extrait, les ratures, surcharges ou renvois qui
existeraient. Ce procès-verbal transmis au tribunal, ce
lui-ci juge définitivement.
328.
— L’expert ou le juge commis ne peut, dans
aucun cas, exiger que le commerçant transporte ses
livres hors de son domicile ; il doit lui-même se rendre
dans le magasin ou comptoir dans lequel ces livres
sont reposés, et y procéder à l’extrait qu’il doit en
faire.
329.
Ce point n’était susceptible d’aucun doute sérieux
sous l’empire de l’ordonnance de 1673. Celle-ci, en
effet, n’avait en rien dérogé à celle du 18 février 1578,
aux termes de laquelle : Les marchands ne pourront
être dessaisis de leurs livres et papiers de raison, ni
tenus les exhiber et représenter en justice, ni trans
porter hors leurs maisons pour en être fait extrait ; et
que les extraits ne seront faits qu'ès endroits que lesdits
livres feront mention des choses qui se trouveront liti-
�(
490
DES LITRES DE COMMERCE
gieuses et en controverse, et en leurs dites maisons, ou
la collation s'il y échet.
Il est vrai que cette dernière ordonnance était spé
ciale aux privilèges des foires de Lyon, mais le mode
d’extraire des livres ce qui concernait le différend de
vint généralement applicable depuis que l'ordonnance
de 1673, s’appropriant la prohibition et la restriction
de l’édit de 1578, les rendit l’une et l’autre le droit
commun de toute la France.
Dès lors aussi le Code de commerce, n’ayant voulu
permettre que ce que l’ordonnance de 1673 permettait,
n’a pas dû se montrer moins jaloux qu’elle de la forme
qu’il convenait de suivre. Les motifs étant les mêmes,
le résultat devait être identique. De plus, il est évident
que ces motifs, n’étant puisés que dans le désir de ren
dre plus inviolable encore le secret des affaires du com
merçant, se trouvent en harmonie complète avec l’es
prit général de la législation de 1807.
Concluons donc que la forme qu’il convient de don
ner à l’exécution des mesures prescrites par les articles
15 et 16 ne peut être autre que celle que l’ordonnance
de 1673 admettait comme obligatoire.
A rt.
17.
Si la partie, aux livres de laquelle on offre
d’ajouter foi, refuse de les représenter, le juge
peut déférer le serment à l’autre partie.
�ART.
17.
491
SOMMAIRE
330.
331.
332.
333.
334.
335.
336.
337.
338.
339.
340.
341.
342.
343.
344.
345.
Motifs pour lesquels le législateur a attaché une peine à
l’inexécution des obligations qu’il impose.
Nature de l ’article 17. Nécessité de la peine qu’il pro
nonce.
Sa nature résultait de celle de l’obligation dont elle deve
nait la sanction.
Elle avait été admise sous l ’ordonnance de 1 6 73, malgré
qu'elle n ’y fût pas écrite.
Modification que lui a fait subir le Code en l ’introduisant
dans ses dispositions.
Motifs de cette modification.
Position des -syndics d’une faillite en présence de l’obliga
tion de prêter serment.
On ne doit pas le leur imposer.
Q u id, des héritiers et représentants de la partie.
Diverses hypothèses dans lesquelles le serment ne paraît
pas nécessaire.
Rapport entre l’article 17 et l ’article 1367 du Code civil.
La condamnation pure et simple pourrait être prononcée à
titres de dommages-intérêts. Arrêt conforme de la cour
de Paris.
Hypothèses dans lesquelles le serment pourrait être né
cessaire.
Conclusion.
Comment doit s’entendre la faculté conférée par l’article
17 vis-à-vis du commerçant qui refuse la représentation
de ses livres Arrêt de la cour de cassation.
La résistance que le commerçant oppose à la demande de
son adversaire ne constitue pas le refus prévu par l ’ar
ticle 17.
�492
346.
347.
348.
349.
350.
351.
352.
353.
354.
355.
356.
357.
358.
359.
360.
DES LIVRES DE COMMERCE
Le devoir de produire ses livres ne commence qu'après que
la justice en a ordonné la représentation.
Sous l ’empire de l’ordonnance, le refus d’une partie de re
présenter ses livres faisait ajouter foi aux livres de l ’au
tre. — Motifs.
On ne pourrait l ’admettre encore sans violer l ’article 12, si
les livres n'étaient pas réguliers.
L’article 17 doit-il se restreindre au cas où le demandeur
en représentation offre d’ajouter foi aux livres ?
Dans la supposition de l ’affirmative, on arriverait à un ré
sultat identique par application des principes du droit
commun à tout refus de produire après une décision or
donnant la seprésentation.
Arrêt de la cour de Bourges, confirmé par la cour de cassa
tion.
L’inscription de faux n’est pas recevable contre les livres
d’un commerçant. Arrêt de la cour de Rennes.
C’était là la conséquence du caractère des livres et de l ’ad
missibilité de la preuve testimoniale.
Exception que cette admissibilité comporte. Ses effets quant
à l’application de l ’article 1330 du Code civil.
Obligations imposées aux commerçants en ce qui concerne
leurs contrats de mariage. Leur but.
Ces contrats doivent être publiés, même lorsque les époux
ont adopté le régime de communauté.
Dans quelle forme la publicité a-t-elle lieu, indications que
doit contenir l ’extrait. Rejet de la proposition d’y men
tionner l’apport des époux.
Caractère de ce rejet.
Les prescriptions de l’article 67 du Code de commerce doi
vent être appliquées lorsque c ’est la femme qui exerce
le commerce.
Délai dans lequel doit avoir lieu le dépôt de l ’extrait. Où
doit être opéré ce dépôt.
�1
17.
493
Difficultés que les termes de l ’article 872 : S ’il y en a .
ont fait naître. Arrêt de la cour de Paris. Son carac
tère.
C’est au notaire qui a reçu le contrat qu’incombe la charge
de remplir les prescriptions de la loi. Peine qu’il encourt
en cas d’omission.
Il suffit qu’un des époux ait pris la qualité de commerçant
pour que le notaire doive se conformer à ces prescrip
tions. Arrêt de Colmar, son caractère.
Il en est de même si l ’époux est pharmacien. Arrêt con
traire de Montpellier, son caractère.
Par quel délai se prescrit l ’action du ministère public con
tre le notaire. Point de départ de la prescription.
Rejet de la proposition de rendre commune aux époux l ’o
bligation de déposer l ’extrait.
Ceux qui n ’ont embrassé le commerce qu’après leur ma
riage doivent remplir eux-mêmes toutes les formalités.
Sous quelle sanction pénale.
Quel est dans ce cas l'époux qui doit agir. Dans quel cas.
Disposition de la loi à l’égard de la séparation de biens, de
la séparation de corps ou du divorce.
art.
361.
362.
363.
364.
365.
366.
367.
368.
369.
3 30. - Il est du devoir de tout citoyen d’exécu
ter la loi et d’obéir aux décisions de la justice. Il n’y a
de société possible que par l’exécution absolue de ce
devoir. Le jour où l’on pourrait impunément s’en dis
penser ou s’y soustraire verrait la plus odieuse anar
chie atteindre et anéantir bientôt l’ordre social tout
entier.
Une perspective de ce genre dictait au législateur
la conduite qu’il devait tenir. L’intérêt personnel, aux
prises avec une obligation dont il aurait à redouter les
�’
494
DES LIVRES DE COMMERCE
conséquences, pouvait bien faire prévaloir ses inspira
tions et négliger ce devoir. Il fallait donc assurer celuici d’une manière telle que son inexécution entraî
nât le préjudice qu’on se promettait ou qu’on était
présumé se promettre d’éviter par celte inexécution
elle même.
3 5 1 . — C' est ee but que la loi a voulu atteindre
lorsque, à côté de chaque obligation de faire, elle place
une sanction destinée à en rendre l’inexécution inutile
pour son auteur, en lui en faisant perdre tout le bénéce. Les articles 15 et 16 prescrivent la communication
ou la représentation des livres. L’article 17 est destiné
à assurer l’exécution des deux autres.
La nécessité d’une peine était la conséquence du
droit que la loi conférait à la partie intéressée d’exiger,
dans certains cas, la communication des livres ; dans
certains autres, leur représentation; de la faculté don
née aux tribunaux d’ordonner celle-ci d’office. Mais elle
avait un autre but non moins élevé, à savoir, celui de
contraindre les commerçants à revêtir leurs écritures
des formes qni leur étaient prescrites. La représenta
tion des livres ne sera légalement faite qu’autant que
ces livres seront réguliers. Forcer celle-ci, était donc
un moyen d’amener les intéressés à donner à leurs écri
tures le caractère pouvant seul leur faire éviter la peine
résultant du défaut de production.
332. — La nature de la peine qu’il convenait de
sanctionner était indiquée par le caractère de l’acte
�art.
17.
495
qu’il fallait réprimer. Refuser de produire ses livres
sur la demande formelle que la loi confère le droit de
former, la refuser lorsque la justice l’a déclarée indis
pensable, et lorsque la partie a offert d’ajouter foi à
leur contenu, est un acte ne pouvant comporter qu’une
seule explication, à savoir, la certitude, chez celui qui
se le permet, que de cette représentation doit naître
sa propre condamnation. Dès lors sa résistance imprime
à sa demande ou à son exception un tel caractère de
mauvaise foi, qu’on ne saurait désormais y avoir aucun
égard.
Quel autre motif, en effet, pourrait-il raisonnable
ment alléguer pour justifier sa conduite? Dira-t-il qu’il
craint de compromettre ou de hasarder le secret de
ses affaires ? Mais la forme dans laquelle la représenta
tion doit s’opérer, telle que nous venons de la voir
résulter de la loi et des usages, exclut toute crainte de
ce genre; que ses livres sont irréguliers? Mais il ne
pourrait se faire un titre d’une négligence que la loi
n’a nulle part excusée, mais dont l’exception appar
tient exclusivement à son adversaire. Or, si, loin de
s’en prévaloir, celui-ci déclare accepter les livres tels
quels, peut-il continuer à les refuser sans rendre sa
mauvaise foi plus évidente encore ?
Dira-t-il enfin qu’il n’en a tenu aucuns? Mais cette
excuse, inadmissible en droit, est invraisemblable en
fait. Un commerce quelque peu important ne peut se
concilier avec l’idée d’une absence complète d’écritu
res. 11 ne pourrait donc la rendre probable qu’en pro-
�496
DES LIVRES DE COMMERCE
duisant les cahiers informes par lesquels il prétend
avoir remplacé les livres.
Mais, dans ce cas même, rien ne justifiant que ces
cahiers ne sont pas des brouillards destinés à une rédac
tion ultérieure des livres, on ne saurait admettre l'inexis
tence de ceux-ci et l’exonérer du reproche de fraude.
Son refus le placerait donc sous la présomption que
nous venons d’indiquer, et motiverait l’application de
l’article 17. Il est censé vouloir, per fas et nefas, se
soustraire à une condamnation. Cette condamnation de
vient dès lors un devoir pour la justice.
3 3 3 . — Ce résultat est d’une moralité tellement
incontestable, que, quoique non prévu par la loi, il n’en
était pas moins admis sous l’empire de l’ordonnance de
1673. C’est ce que nous enseignent la doctrine et la
jurisprudence.
« Si le marchand n’a point tenu de livres, ou qu’en
ayant tenu, lui ou ses hoirs refusent de les représenter,
bien que sa demande soit fondée sur une promesse
écrite et signée de la main de celui à qui les marchan
dises ont été livrées, en ce cas, le livre journal du dé
biteur doit faire foi pour prouver qu’il a payé, parce
qu’un marchand qui ne tient point de livres en bonne
forme est réputé de mauvaise foi.
« La représentation des livres des marchands peut,
aussi être ordonnée lorsque celui qui la demande s’en
veut servir pour établir sa défense ou ses exceptions ;
comme s’il dit qu’il a payé, et que, pour en justifier, il
�ART.
17.
497
requiert que les livres du demandeur soient représen
tés. En ce cas, si le demandeur refuse de le faire, le
juge d o it déférer le serment au défendeur.1 »
Jousse enseigne la même doctrine : « Si la partie
aux livres de laquelle on offre d’ajouter foi refuse de les
représenter, le juge d o i t alors déférer le serment à l’au
tre partie.* »
5 3 4 . — ILe Code de commerce n’a donc fait que
conformer sa disposition à la pratique que l’ordonnance
de 1673 avait fait naître, pratique d'ailleurs trop natu
rellement indiquée pour qu’elle pût échapper aux re
gards du législateur.
Seulement, en l’élevant à la hauteur d’une disposi
tion législative, les auteurs du Code l’ont quelque peu
modifiée. Ainsi l’article 17 ne dit pas qu’en cas de refus
de représenter les livres, le juge d o i t ; il se contente
de disposer que le juge p e u t déférer le serment à l’au
tre partie, convertissant ainsi en une pure faculté ce que
l’ancienne doctrine considérait comme un devoir.
335.
Nous l’avons déjà dit, notre législateur a
voulu exclure de la matière commerciale toute règle
impérative et absolue. Il lui a paru important de n’op
poser aucune gêne, aucune entrave au développement
de la liberté et de l’indépendance qu’exige la juridici Bornier, sur l’art. 10, tit. n i de l ’ord. de 1673.
3 Ibid.
32
�m
DES LIVRES DE COMMERCE
tion consulaire, à laquelle l’équité convient beaucoup
plus que la rigueur des principes. Il a voulu surtout
qu’elle ne pût jamais se trouver en face d’une hypo
thèse de nature à faire fléchir une règle dont l’applica
tion exacte pouvait devenir impossible ou évidemment
illusoire.
Rendre le serment obligatoire, c’était s’exposera cet
inconvénient, notamment dans les faillites et pour les
contestations relatives à la vérification des créances.
336.
— Des syndics peuvent bien concevoir des
doutes sur la nature de la créance, sur son caractère,
sur son chiffre, mais ils ne peuvent jamais acquérir une
certitude telle que l’exige l’obligation de prêter ser
ment. Leur devoir est de contester la sincérité de la
créance en tout ou en partie, de demander à cet effet
la représentation des livres de celui qui se prétend
créancier, afin d’arriver à un résultat positif par leur
rapprochement avec ceux du failli. 11 est certain que si
cette représentation est refusée , ils seront d’autant
moins en position de jurer que les renseignements à
l’aide desquels ils voulaient s’édifier eux-mêmes leur
manqueront absolument.
Les obliger à prêter serment, c’était donc ou les sou
mettre à une vaine formalité sans force aucune, ou les
mettre dans la nécessité de perdre leur procès, si, dans
l’état d’incertitude où ils sont, ils refusent de lier témé
rairement leur conscience. Ce résultat, absurde dans le
premier cas, serait inique dans le second. Le créan-
�ART.
17.
499
cier contesté n’aurait pas de meilleur moyen que de
céler ses écritures, et il gagnerait un procès que leur
représentation devait peut-être lui faire perdre sûrement.
337.
— Aussi n’hésitons-nous pas à dire qu’en ma
tière de faillite, on peut faire abstraction complète de
l’article 17, et qu'on arrivera à une solution légitime
par l’application d’un principe spécial. Aujourd’hui ,
comme sous l’empire de la déclaration de 1739, aucun
créancier ne peut être admis au passif de la faillite qu'après avoir fait vérifier ses titres. C’est à lui qu’incombe
la charge de provoquér cette vérification, d’en fournir
tous les éléments. Or, si les livres paraissent devoir être
un de ces éléments, et qu’au lieu de les représenter, il
refuse de le faire, on devra décider qu’il n’a pas rempli
son obligation, et sa créance, ne pouvant être vérifiée
par sa faute, doit être purement et simplement repous
sée de la faillite.
358.
— L’inconvénient qu’une règle absolue, quant
au serment, présenterait pour les syndics d’une faillite,
s’offrirait également dans le cas où la représentation
des livres serait exigée par les héritiers de celui qui a
traité avec le commerçant, s i, d’ailleurs, l’exception
qu’ils opposeraient prenait naissance dans un fait per
sonnel à leur auteur. Sur quoi pourrait-on leur déférer
le serment, si leur adversaire refusait de représenter ses
livres? Sur la croyance dans laquelle ils sont de la vé
rité du fait dont ils excipent, et on ne pourrait évidem-
�500
DES LIVRES DE COMMERCE
ment leur demander autre chose. Mais l’indication de
cette croyance n’est-elle pas la conséquence nécessaire
du procès qu’ils intentent ou qu’ils soutiennent? Leur
serment est donc en quelque sorte prêté d’avance. Il
n’ajoutera rien à ce qui ressort déjà de leur conduite.
Est-il dès lors de la dignité de la justice de l’ordonner ?
Le plus sage était donc de s’en référer exclusivement
à la prudence du juge, et de le laisser libre d’agir dans
chaque espèce selon que les circonstances le détermi
neront.
339.
— D’ailleurs, le serment est une mesure trop
solennelle pour qu’on s’expose à le discréditer, en le
prodiguant dans les cas où il n’est pas indispensable.
Ce n’est donc qu’en tant que la solution du litige ne
pourrait naturellement s’induire des principes géné
raux du droit, qu’on doit recourir à cette voie. Or, en
matière de représentation des livres, il sera vrai dans
bien des cas qu’il suffira de se référer à ces principes
pour résoudre sainement la difficulté.
Supposez que le commerçant défendeur ait à répon
dre à une action fondée sur un titre émané de lui. Il ne
peut en contester l’existence et la sincérité, seulement
il soutient que le titre est éteint. Si sa prétention est
fondée, bien certainement on en trouvera la trace dans
ses livres, qui pourront dès lors être utilement consul
tés. Si, au lieu de produire lui-même ces livres, il laisse
à son adversaire le soin d’en requérir la représentation,
si, sur cette demande, il refuse encore de les produire,
�ART. 17.
501
à quoi bon le serment? N’est-il pas évident que la
preuve de sa prétendue libération ne se trouve pas dans
ses livres? Abstraction faite de cette présomption, n’estil pas évident que, sous le rapport du droit commun,
il doit être débouté purement et simplement de son
exception ? Reus excipiendo fit actor. Il était donc tenu
de justifier sa prétention. Or, non-seulement il ne l’a
pas fait, mais il a même refusé le moyen bien simple
de le faire qui lui était offert par son adversaire. L’ab
sence de toute justification suffît pour que cette préten
tion ne puisse être accueillie.
Supposez l’hypothèse contraire , un commerçant
ajourne une personne en paiement d’une somme qu’il
prétend lui être due. Il n'a aucun titre émané de celleci, seulement il soutient lui avoir vendu certaine quan
tité de denrées ou d’effets. Son adversaire avoue la
dette, mais il déclare en même temps qu’il a payé, et
il réclame la représentation des livres sur lesquels il
prétend que le paiement a été inscrit. Le refus de cette
représentation laisse la demande du commerçant sans
aucune justification. Il ne saurait en effet diviser l’aveu,
et s’il l’invoque dans la partie relative à l’existence de
la dette, il doit l’accepter dans celle se rapportant au
paiement. La justice se trouve donc en présence d’une
allégation à laquelle, d’ailleurs, le refus de représenter
les livres enlève toute vraisemblance, toute probabilité.
Que faut-il de plus pour qu’elle la rejette?
Dans l’une et l’autre hypothèse donc, si l’appel fait
aux livres du commerçant n’est pas écouté, s’il n’est
�502
DES IIVRES DE COMMERCE
pas obéi, son adversaire doit être mis purement et sim
plement hors de cause, soit sur la demande, soit sur
l’exception , sans qu’on soit obligé de lui déférer le
serment. La décision trouve sa plus complète justifica
tion dans l’application des principes généraux sur les
obligations imposées à tous les demandeurs, et qui sont
communs à toutes les juridictions. On pourrait d’au
tant moins reprocher au juge de n’avoir pas déféré le
serm ent, qu’indépendamment de ce qu’il n’était pas
obligé de le faire, on pourrait aller jusqu’à dire qu’il
n’était pas en position de le faire légalement.
3 4 0 . — En effet, l’article 17 ne renferme qu’un
cas d’application du principe général posé par l’article
1367 du Code civil, il suppose donc que la demande ou
l’exception , sans être pleinement justifiée, n’est pas
totalement dénuée de preuve. O r , dans nos deux
hypothèses, il est évident que non-seulement la de
mande n’est pas justifiée, mais encore qu’elle est to
talement dénuée de preuve. Le refus de produire les
livres élève même contre l’une ou l’autre un préjugé
décisif ne permettant pas de la considérer comme
sérieuse.
Le refus du serment ne constitue donc, dans ce cas,
que la déduction logique de la véritable pensée de la
loi, que sa saine interprétation. Il peut en outre se jus
tifier sous un autre point de vue non moins incon
testable.
341, — Toute obligation de faire se résout en dom-
�ART.
17.
503
mages-intérêts dont la quotité et la nature sont laissées
à l’arbitrage souverain du juge. Or, le devoir de repré
senter les livres est sous tous les rapports une obliga
tion de faire, et la perte du procès peut n’être, aux
yeux du juge, que la juste indemnité de son inexé
cution.
Pourrait-on contester à l’obligation de représenter
les livres le caractère et les effets que nous lui attri
buons? Mais sur quoi fonderait-on cette dénégation?
Par cela seul qu’un négociant traite avec un tiers, il
contracte l’engagement de représentuer éventuellement
ses livres, sans qu’il soit nécessaire de le stipuler. Cette
obligation est de plein droit consacrée par la loi, parce
qu’elle a compris que celui qui traite avec un com
merçant agira avec d’autant plus de confiance que la
certitude de rencontrer dans ses livres les phases di
verses de l’opération le rendra moins exigeant à s’en
procurer la preuve. Le punir de cette confiance, ce se
rait attenter au crédit lui-même que l’intérêt public
recommande à un si haut point.
L’obligation existe donc, et certes son caractère ne
saurait être méconnu. L’objet qu’elle a pour but est un
pur fait dépendant exclusivement de la volonté du
débiteur que rien ne saurait suppléer. C’est donc véri
tablement une obligation de faire, dans toute l’accep
tion du mot.
Pourquoi donc lui refuserait-on l’effet ordinaire aux
obligations de cette nature? Vaudrait-il mieux laisser
le débiteur libre de se soustraire aux devoirs qui lui
�604
DES LIVRES DE COMMERCE
sont imposés? Personne n’osera le soutenir. Il faut
donc, l’inexécution se réalisant, recourir au remède
indiqué par la loi. Pourrait-on en choisir un plus effica
ce, dans cette circonstance, que la perte du procès
sans condition, et conséquemment l’entérinement pur
et simple de la demande de celui qui a vainement re
couru aux livres de son adversaire?
Cette doctrine n’â rien que de moral et de juste.
Aussi a-t-elle été expressément consacrée par la cour
de Paris, le 29 janvier 1828.
Son arrêt décide que lorsqu’un préposé à une espèce
d’opérations commerciales, assigné en reddition de
com pte, prétend qu’il n’a pas de comptes à rendre
d’tine partie des opérations, parce qu’elles ont été faites
par le commettant lüi-mêmé, il peut exiger que celuici produise 'son livre journal pour y puiser des rensei
gnements à ce sujet ; et, fj'u’en ca's de refus du com
mettant, lë fcompte du préposé peut, à titre de dôrrtmageè-intérêts, êtrè alloué tel qu’il le produit.
542.
Mai», dita-t-oU, à quoi bon dès lors l’ar
ticle 17, et la faculté de déférer le serment? La réponse
est facile. Il peut se présenter telle hypothèse où, mal
gré le refus dfe représenter les livres, il reste encore
des doutés ë'ériéùx dtittS l’eèprit des magistrats, soit que
les explications données par la partie qui l’à réclamée
ne soient pas décisives, Sbit que la cRüré du refus ne
soit pas clairement établie. C’est pôür cette hypothèse
�ART.
17.
505
que la disposition de l’article 17 a été insérée dans
la loi.
Ainsi un commerçant poursuit le paiement d’un
titre émané de celui qu’il attaque. Celui-ci soutient
qu’il a payé et que la preuve se trouve dans les livres
mêmes du demandeur. En conséquence, il en demande
la représentation. Le refus de les représenter qu’oppose
celui-ci ne fait pas qu’il ne soit pas nanti du titre, et
cette circonstance peut laisser quelque doute que le
serment doit faire évanouir. On comprend dès lors son
utilité.
Remarquons de plus que loin de méconnaître le
principe de l’article 1367 du Code civil, notre solution
en fait au contraire la plus exacte application. Le paie
ment allégué n’est pas pleinement justifié, mais il n’est
pas non plus totalement dénué de preuve. La bonne
foi de celui qui l’oppose, prouvée par l’appel qu’il fait
aux livres de son adversaire, le refus que fait celui-ci
de les produire, élèvent en faveur du paiement des pré
somptions considérables, c’est dès lors avec toute rai
son et très-légalement que les juges défèrent le serment
comme garantie suprême d’une vérité qui n’est jusque
là que présumée.
545.
Au reste, cette interprétation rationnelle
de l’article 17 ne loi fait rien perdre de son caractère
purement facultatif. Quelle que soit l’hypothèse qui se
présente, les juges peuvent ou non soumettre le défen
deur au serment. Quelle qu’elle soit, leur décision ne
�506
DES LIVRES DE COMMERCE
pourrait être attaquée sous prétexte de violation ou de
fausse interprétation de la loi.1
54-4.—Il y a même à remarquer que la faculté confé
rée par l’article n’est pas seulement celle de donner gain
de cause au défendeur avec ou sans serment. Elle
comprend également le droit d’apprécier le refus
du commerçant, et, suivant le cas, de n’y avoir aucun
égard.
Dans une espèce soumise à la cour de Caen, un com
merçant, sommé de représenter ses livres, opposait à
cette demande le refus le plus absolu ; entre autres
moyens, il soutenait que la mesure réclamée était frustratoire et inutile ; qu’elle n’avait pour objet que d’éter
niser le litige, qu’il était donc fondé à s’y refuser.
De son côté, l’adversaire, s’emparant de la disposi
tion de l’article 17, en demandait l'application. Mais sa
prétention fut repoussée par la cour. L’arrêt considère
en fait : Que, d’après les circonstances de la cause, l’ap
pel fait aux livres ne tendait qu’à prolonger indéfini
ment des contestations qui duraient depuis longtemps ;
que, depuis la cessation de son commerce, la partie à
laquelle on voulait faire produire ses livres n’en avait
conservé aucun aux époques signalées; enfin, que le
demandeur en représentation avait déjà eu trois fois en
tre les mains les registres de la société, et que le re
nouvellement des délais ne pouvait être utile à la ma
nifestation de la vérité.
Cass., 5 août 1823.
\
�ART.
17.
507
Cet arrêt fut déféré à la cour suprême. Mais le
pourvoi dont il avait été l’objet fut rejeté le 18 jan
vier 1832.
345.
— C’est ici le lieu de faire remarquer que le
refus dont parle l’article 17 ne peut s’entendre de celui
qui se réalise lorsque le commerçant ne fait encore que
contester la demande que formule son adversaire. Nous
avons déjà dit que les juges ne sont pas obligés d’or
donner la représentation des livres toutes les fois qu’elle
est demandée. En conséquence, tant que la justice n’a
pas prononcé, le litige sur la représentation des livres
n’est qu’un incident ordinaire dont on ne peut rien
conclure contre le commerçant. Sa résistance est natu
relle et juste, elle se légitime par l’intérêt évident qu’il
a à faire immédiatement juger le fond.
D’ailleurs, celte résistance peut être fondée, car les
juges peuvent la consacrer. Mais, alors même qu’ils la
condamneraient, la décision ne statue que pour l’ave
nir. On ne saurait donc pas plus exciper de sa conduite
passée, qu’il ne saurait lui-même y persister malgré le
jugement rendu.
Conséquemment si, la représentation ordonnée par
la justice, il continue de refuser la production de ses
livres, ce refus revêtira le cachet de mauvaise foi et de
fraude que nous avons déjà signalé. L’application de
l’article 17 deviendra inévitable, c’est-à-dire qu’il de
vra être condamné sans que les juges soient obligés de
déférer le serment à son adversaire.
�508
DES LIVRES DE COMMERCE
3 4 6 . — Ainsi, le devoir pour le commerçant de
produire ses livres ne commence que du moment où la
justice a décidé qu’il est tenu de le faire. En résistant
jusque là à la demande qui lui en était adressée, il n’a
fait qu’user d’un droit que sa défense légitimait. C’est
là un moyen préjudiciel qui doit être vidé par la justi
ce, et qui, jusqu a décision, ne saurait entraîner contre
lui aucune conséquence, aucun préjugé fâcheux.
En dernière analyse, avant de recourir à la disposi
tion de l’article 17, les tribunaux auront à apprécier
le caractère du refus dont on excipera contre le com
merçant.
Si ce refus s’est borné à soutenir que la représen
tation était inutile, que la demande en était non-rece
vable ou mal fondée, les juges prononceront. Dans le
cas où ils admettraient le contraire, ils détermine
ront le délai pendant lequel devra être faite la repré
sentation.
Si, ce jugement rendu, le commerçant persiste dans
son refus, rien ne saurait le soustraire à l’application de
l’article 17. Il en serait de même si, la représentation
ayant été ordonnée d’office, le commerçant refusait de
l’exécuter.
3 4 7 . — Sous l’empire de l’ordonnance de 1073,
lorsque, le litige existant entre commerçants, l’un d’eux
refusait de représenter ses livres, les livres de l’autre,
s’ils étaient produits, faisaient pleine foi en sa faveur.
La doctrine l’admettait sans difficultés. La jurispru
dence l’avait ainsi consacré.
�A RT.
17.
509
C'était là au reste une conséquence du silence que
l’ordonnance avait gardé sur les effets de la violation
de ses dispositions relatives aux formalités tracées pour
la tenue des écritures. Ce silence, dépouillant ces dis
positions de toute sanction, avait bientôt amené leur
désertion. On en était enfin arrivé à ce point que, quoi
que non cotés nj paraphés, les livres des marchands ne
devaient pas moins être admis en justice et faire foi en
faveur de celui qui les avait tenus, pourvu qu’ils fus
sent écrits tout d’une suite, par ordre de dates et sans
blancs ni lacunes.1
348.
— Ce qui se pratiquait sous l’ordonnance de
1673 ne saurait l’être encore depuis la promulgation
du Code. Le commerçant auquel son adversaire refuse
rait la représentation des livres ne pourrait invoquer
les siens que s’ils étaient régulièrement tenus. Telle
est, en effet, la condition exigée par l’article 12, pour
que des livres quelconques puissent être produits en
justice et faire preuve en faveur de celui qui les a
tenus.
D’autre part, l’article 13 enlève aux écritures irrégu
lières tout caractère probant, il ne permet pas même de
les produire en justice, et surtout de créer un droit
quelconque en faveur de celui qui a dédaigné d’exécu
ter la loi. Cette règle est absolue et ne comporte au
cune exception. Conséquemment s i , dans un litige
i V . iup., n° 8 2 0 .
�510
DES LIVRES DE COMMERCE
quelconque, les juges s’étaient étayés des livres irré
guliers et avaient accepté leurs indications comme élé
ments de leur décision, cette décision devrait être an
nulée pour violation de l’article 13 et fausse application
de l’article 12.
Vainement arguerait-on du refus de l’autre partie de
représenter ses livres, ce qui plaçait les juges dans la
nécessité de s’en remettre à ceux qui étaient produits.
Mais ce refus ne pouvait avoir pour effet certain que le
déboutement pur et simple, ou à charge de serment de
la demande ou de l’exception de son auteur. Ce serait
entendre singulièrement les conséquences d’un pareil
refus que d’en faire ressortir une modification à la règle
de l’article 13, que de lui reconnaître le pouvoir d’au
toriser ce que la loi prohibe expressément.
349.
— L’article 17 semble, dans son texte, limiter
la faculté qu’il confère au cas où la représentation des
livres est sollicitée avec offre d'ajouter foi à leur conte
nu. De là la question de savoir ce qu’il doit en être
lorsque la représentation est demandée sans condition
aucune, notamment lorsqu’elle est ordonnée d’office
par le juge?
Nous ne croyons pas cette question susceptible de
sérieuses difficultés. L’esprit de la loi nous paraît la ré
soudre. On ne peut admettre, en effet, que le législa
teur ait pu créer un droit illusoire, ni autoriser la vio
lation de la chose jugée. C’est ce qui se réaliserait ce
pendant si, ayant consacré : pour la partie, le droit de
�demander la représentation des livres ; pour le juge, la
faculté de l’ordonner d’office, on ne pouvait punir le
refus que le commerçant en ferait.
D’ailleurs, de quelque manière que cette représenta
tion ait été ordonnée, ce qui résulte de la décision, c’est
qu’en l’état la cause n’est pas susceptible de recevoir
jugement au fond, que le juge hésite et doute. Com
ment cet état de choses sera-t-il changé si la partie
en possession de produire les documents destinés à
dissiper cette hésitation et ce doute se refuse obstiné
ment à exécuter la voie d’instruction à laquelle la jus
tice s’est arrêtée. N’est-ce pas précisément pour des
hypothèses de ce genre que l’article 17 a été édicté ?
350.
— Au reste, voulût-on, par respect pour le
texte, ne pas permettre d’y recourir, qu’on serait con
traint d’arriver au même résultat à l’aide des principes
généraux du droit. Nous le disions tout à l’heure, le
premier devoir de la-partie est de prouver sa demande
ou son exception. Faute de cette preuve, la justice
doit repousser l’une ou l’autre.
Mais, en matière commerciale, la preuve testimoniale
étant de droit commun, le serment peut toujours être
déféré non pas seulement dans le cas prévu par l’article
17, mais encore dans toutes les hypothèses réunissant
les conditions exigées par l’article 1367 du Code civil.
Il est vrai qu’aux termes de celui-ci et de la doc
trine qu’il a inspirée, c’est au demandeur que le ser
ment doit être déféré de préférence. Mais remarquons
�512
DES LIVRES DE COMMERCE
que le défendeur devient demandeur à l’égard de l’ex
ception qu’il soutient ; et que, dans bien des cas, c’est
sur cette exception que portera le litige, car, n’étant
pas pleinement justifiée, elle ne sera pas totalement dé
nuée de preuve.
C’est ce qui se réalisera inévitablement dans les espè
ces de la nature de celle que nous examinons. Un com
merçant demande le paiement d’une certaine somme,
le défendeur soutient que ce paiement a eq lieu, qu’il
est constaté sur les livres du commerçant dont il de
mande la représentation. L’unique question qu’un pa
reil litige offre à résoudre, est évidemment celle de
savoir si le paiement a eu lieu ou non. Certes, il n’est
pas encore pleinement justifié, mais il est bien près de
l'être, si le commerçant refuse de représenter ses livres
et d’enlever ainsi tout appui à l’exception qui lui est op
posée. Comment expliquer, en effet, qu’ayant le moyen
de confondre son adversaire, de dissiper tous les dou
tes, d’éclairer la conscience du juge, il ne s’empresse
pas de le saisir?
En l’état, lui déférer le serment supplétoire serait
méconnaître les justes soupçons que sa conduite inspire,
encourager sa résistance et le récompenser de sa mau
vaise foi. D’ailleurs, ce n’est jamais ni sa defnande, ni
son exception, c’est celle de l’autre partie que son refus
de représenter ses livres rend vraisemblable. C’est
donc à cette dernière seule que le serment doit être
déféré, s’il y a lieu.
Ainsi, à quelque titre que la représentation des livres
�ART.
17.
813
ait été demandée, si elle a été ordonnée, il n’y a pas de
distinction possible. Le refus de les représenter rend
l’article 17 applicable.
En supposant que cet article ne dût recevoir d’ap
plication que dans le cas où la partie offre d’y ajouter
foi, il faut reconnaître qu’en l’absence de cette offre, on
arrive à un résultat identique, par la seule force des
principes généraux du droit commun. C’est ce que la
cour de cassation a expressément consacré.
351.
— Un arrêt de la cour de Bourges, du 27 mai
1825, avait jugé que lorsqu’il est constant et reconnu
qu’il a existé un registre servant à constater les paie
ments faits à la société, et que l’un des associés, pour
prouver le versement d’une certaine somme qu’il pré
tend avoir fait entre les mains de son associé, en même
temps caissier et dépositaire de ce registre, en de
mande l’exhibition, le refus que fait ce dernier de le
produire peut, surtout en matière commerciale, être
considéré par le juge comme une présomption suffisante
que la somme a été effectivement versée dans la caisse
sociale et pour déférer le serment d’office à l’associé qui
articule le paiement.
Cet arrêt, on le voit, ne se fondait pas sur l’article
17. Ne considérant la difficulté qu’au point de vue des
principes consacrés par les articles 1341, 1347, 1353,
1366 et 1367 du Code civil, il l’avait résolue sous
leurs inspirations. Aussi, est-ce pour violation et fausse
33
I
�514
DES LIVRES DE COMMERCE
application de ces articles qu’il fut déféré à la cour de
cassation.
L’arrêt qui intervint rejette le pourvoi : « Attendu
que la preuve du récélé d’un registre social (sur lequel
le défendeur éventuel soutenait que se trouvait inscrit
le versement de la somme de 4,464 fr. entre les mains
du demandeur, caissier de la société commerciale, en
tre celui-ci et celui-là), résultant de l’enquête ordonnée
par la cour, a paru à cette cour former une présomp
tion suffisante pour en induire que cette somme avait
été effectivement versée entre les mains du demandeur
qui cachait l’instrument pouvant servir à vérifier le fait
allégué par le défendeur éventuel ;
« Attendu que cette appréciation d’un fait constant
et justifié dans la cause, qu’il appartenait exclusivement
à la cour de qualifier, rendant très-probable le fait at
taqué, elle a pu, d’une part, sans violer la loi, admet
tre, comme un commencement de preuve, une pré
somption grave, d’autant plus admissible qu’il s’agissait
d’un compte entre associés en matière commerciale, et,
d’autre part, ordonner, pour corroborer cette présomp
tion de fait, que le défendeur éventuel affirmerait à ser
ment la vérité de son allégation, laquelle, si elle n’était
pas en soi pleinement, entièrement justifiée, n’était ce
pendant pas dénuée de preuve.1 »
Dans cette espèce, on avait dû d’abord établir l’exis
tence du registre, puisqu’il n’était pas de ceux dont la
3 Cass., 22 janv. 1828,
*
�A RT.
i7 .
515
loi prescrit la tenue. Mais cette preuve serait complè
tement inutile, si le livre réclamé était obligatoire pour
le commerçant. La loi présumant de plein droit son
existence, le refus de le représenter inspirerait la même
présomption et dicterait une décision analogue. Nous
avons donc raison de le dire, indépendamment de l’ar
ticle 17 et en dehors de sa disposition, le refus des li
vres, dans toutes les circonstances, amènerait le résul
tat que celui-ci commande dans l’hypothèse où l’offre
d’y ajouter foi accompagne et motive la demande de
leur représentation.
5 5 2 . — Peut-on s’inscrire en faux contre les livres
d’un commerçant? On a soutenu l’affirmative en s’é
tayant des termes de l’article 147 du Code de procé
dure, punissant le faux en écritures de commerce et de
banque.
Mais c’est là une solution inacceptable. L’esprit de
la loi, le caractère du faux punissable la repousse. En
effet, un des éléments sans lesquels le faux ne saurait
exister est le préjudice devant résulter, pour un tiers,
de l’acte fabriqué ou de l’altération de ses clauses.
Or, ce préjudice ne peut exister lorsque le fait cons
titutif du faux, ne créant aucun titre en faveur de per
sonne et contre qui que ce soit, reste une arme inutile
entre les mains de son auteur. Tel est en réalité le sort
des livres de commerce. Leur altération ne saurait donc
constituer le crime prévu et puni par la loi.
C’est ce qui est fort judicieusement déduit dans un
arrêt de la cour de Rennes, du 29 janvier 1828 :
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DES LIVRES DE COMMERCE
« Considérant qu’il ne peut y avoir lieu à inscription
de faux contre un livre journal représenté par des né
gociants qui l’ont tenu, en quelque temps qu’il ait été
confectionné; que les écritures de commerce ou de
banque, mentionnées dans l’article 147 du Code de
procédure, ne s’entendent que des lettres de change
et billets et de tout titre ayant le caractère de preuve
en justice; que les livres de commerce pouvant être
plus ou moins arriérés, peuvent être par la suite, ou
plus tôt ou plus tard, mis à jour sans qu’il en résulte
une altération portant le caractère du faux; que cette
orme d’instruction extraordinaire ne doit être poursui
vie qu’avec une extrême circonspection ; qu’elle est
surtout inadmissible lorsque les moyens proposés ne
tendent qu’à prouver un ajustement qui ne doit pas se
confondre avec le faux. »
3 5 3 . — L'inscription de faux contre les livres ne
saurait donc être admise. C’est là d’ailleurs une consé
quence de ces deux règles, à savoir; :
1° Que les livres ne font jamais nécessairement foi
de leur contenu que contre le commerçant dont ils
émanent. Ainsi, dans le cas même où, conformément
à l’article 12, il est autorisé à les invoquer comme
preuve en sa faveur, cette prétention peut être re
poussée ;
2° Que la preuve testimoniale et celle par présomp
tions sont toujours admissibles pour détruire leurs
énonciations. Cette double preuve est en effet de droit
�ART.
17.
517
commun en matière commerciale. D’ailleurs la fraude
est ici trop prochaine, trop inévitable, une omission
même involontaire trop possible, pour qu’on pût ad
mettre le contraire.
5 5 4 . — Mais l’admissibilité de l’une ou de l’autre
ne saurait être invoquée, lorsque la représentation des
livres n’est ordonnée que sur l'offre, de la part du de
mandeur, d’ajouter foi à leurs indications. Cette offre
ne permet plus d’élever la moindre réclamation contre
ce qui y est contenu, ils deviennent, dans cette hypo
thèse, la loi suprême et unique des parties. Il en est de
ce cas comme de celui où le serment décisoire a été
déféré. La représentation des livres met fin à tout litige,
comme le ferait la prestation du serment.
De là il suit : que dans un procès entre un négociant
et un non-cpmmerçant, si ce dernier s’en réfère aux
livres de son adversaire, il ne sera pas recevable à les
discuter par la preuve testimoniale. L’article 1330, lui
conférant ce droit ou cette faculté, exige, comme con
dition essentielle, qu’il accepte les livres dont il sollicite
la représentation dans leur entier, et sans pouvoir les
diviser, c’est-à-dire que, libre de s’en rapporter aux
livres, il est non-admissible, lorsqu’il l’a fait, à en dis
cuter les énonciations.
5 5 5 . — A l’obligation imposée aux commerçants
de prendre patente et de tenir des livres, la loi en
ajoute une autre : celle de publier soit leur contrat de
mariage, soit les jugements de séparation de biens.
�518
DES LIVRES DE COMMERCE
Le but de cette formalité se comprend facilement, il
ne faut pas que la confiance publique puisse être trom
pée et induite à croire à des ressources qui n’existe
raient pas. Or, ne le serait-elle pas si un commerçant
ayant épousé une femme plus ou moins riche, les époux
mariés soit sous le régime dotal, soit sous celui delà sé
paration de biens, avaient laissé supposer qu’ils l’étaient
sous le régime de la communauté en célant leur contrat
de mariage? De manière que la déconfiture arrivant,
les tiers créanciers auraient vu disparaître ces biens qui
donnaient au mari l’apparence d’une solvabilité qui les
avait déterminé à traiter avec lui.
« Il s’agit, disait M. Cretet, de détruire le crédit fic« tif que se procure celui qui épouse une fille ou une
« veuve opulente, sans cependant se mettre en com
te munauté de biens avec elle. 11 est plus important
« qu’on ne pense de prévenir ces espèces de fraude,
« car rien de moins rare de voir un homme obtenir des
« fonds sur la présomption qu’il est chef d’une corn
et munauté opulente, et ne déclarer la séparation qu’an près la déconfiture.1 »
r
3 5 6 . — De cet esprit de la loi, on a voulu induire
que l’obligation de publier le contrat de mariage n’existe
pas dans le cas où les époux sont mariés en commu
nauté. Il est certain que dans cette hypothèse, l’intérêt
des tiers ne saurait souffrir du défaut de publicité, puis! Locré, Législ. civ. cl comrn., t. xvix, p. 217.
�A RT.
519
17.
que la réalité leur donnera ce que l’apparence leur pro
mettait. Mais cetle induction se trouve condamnée par
les termes formels de l’article 67 du Code de commerce
exigeant la publication de tout contrat de mariage, et
prescrivant de mentionner dans l’extrait si les époux
sont mariés en communauté.
La publication doit donc avoir lieu dans le cas de
communauté comme dans celui de séparation de biens
ou de dotalilé. Si dans ces deux derniers cas, elle a son
utilité pour les tiers, elle ne laissera pas dans le premier
que d’être avantageuse à l’époux commerçant, car la
certitude d’une communauté est dans le cas de lui atti
rer un crédit plus considérable.
357. — Une autre conséquence de l’esprit de la
loi et du but qu’elle se propose, était de réduire la pu
blication à un extrait du contrat de mariage. Les tiers,
en effet, n’ont rien à voir dans les stipulations qui peu
vent intervenir entre les deux familles, ce qui les inté
resse, c’est le régime adopté et cet intérêt est parfaite
ment satisfait par un extrait du contrat.
Cet extrait doit indiquer les noms, prénoms, profes
sion et demeure des époux. Le silence que garde à ce
sujet l’article 67 du Code de commerce ne saurait être
considéré comme dispensant de cette mention qui dé
coule de la nature des choses. L’article 67 d’ailleurs
renvoie à l’article 872 du Code de procédure civile, et
celui-ci est formel quant aux noms, prénoms, profession
et demeure.
#
�520
DES LIVRES DE COMMERCE
L’extrait doit mentionner le régime adopté par les
époux, s’ils sont mariés en communauté, séparés de
biens, ou sous l’empire de la dotalité. On avait proposé
au conseil d’Etat d’exiger l’indication des apports des
époux. Mais cette proposition fut repoussée sur les ob
servations suivantes des sections réunies du tribunat :
« Outre que la publicité donnée à de tels détails se« rait presque toujours désagréable aux familles, et
« que par là elle deviendrait un obstacle à la facilité
« des mariages, il y a encore une raison prépondérante
« pour ne pas l’exiger : c’est que le montant de ces
« sortes de constitutions est souvent très-peu fixe, et
« peu liquide, et que tantôt il ne paraît pas ce qu'il est
« en effet, et tantôt il devient par la suite fort différent
« de ce qu’il était d’abord. Ces cas arrivent toutes les
« fois qu'une fille se marie avec des droits acquis, mais
« indivis et non encore déterminés ; lorsque après son
« mariage, elle recueille des successions, des donations,
« des legs, des augments de dot, qui n’ont pas fait
« partie de sa constitution dotale primitive, mais qui
« viennent s’y réunir ensuite, non-seulement pour l’ac« croître, mais encore pour y joindre de certaines char« ges. Dans toutes ces circonstances, pour assurer à
« la constitution dotale nne entière et véritable publi« cité, il faudrait, qu’à mesure qu’il survient un acte
« par lequel la qualité de cette constitution se trouve
a modifiée, un tel acte devint aussi public que le con« trat de mariage, et c’est ce qui paraît à peu près im« possible, Se çontentera-t-on alors d ’énoncer simple-
�A RT.
«
«
«
«
«
l i .
621
ment la constitution dotale telle qu’elle est portée
au contrat? Ce sera ne donner à ceux qui traiteront
avec les époux qu’une notion imparfaite capable de
les induire en erreur, qui par cela même pourrait
devenir un piège au lieu d’être un secours.1 »
338.
Nous avouons que ces raisons ne nous pa
raissent nullement démontrer le mérite et la convenance
du système qu’elles prétendent justifier. L’intérêt des
tiers à connaître les apports des époux ne nous paraît
pas moindre que celui de savoir sous quel régime ces
époux ont contracté. N’est-ce pas en effet sur l’impor
tance de ces apports qu’ils calculeront le crédit qu’ils
doivent accorder. Est-ce que si la dot et par consé
quent la reprise de la femme est de 100,000 fr., on
n’agira pas avec beaucoup plus de prudence que si elle
n’est que de 10 ou de 20,000 fr.
Que le chiffre de cette dot puisse varier pendant le
mariage par successions , donations ou legs obvenus
à la femme, en quoi cela peut-il nuire aux tiers et de
venir un piège au lieu d’un secours? Est-ce que cette
éventualité peut rester ignorée d’un seul de ceux qui
ont traité avec le mari, et cette connaissance ne met-elle
pas chacun en mesure et par conséquent en demeure
de se défendre utilement contre les effets qui peuvent
en résulter?
Un danger connu ne Saurait jamais devenir un piège.
1t*ocré, ibid., p. 32S,
�f522
DES LIVRES DE COMMERCE
Si l’incertitude sur le chiffre définitif des droits de la
femme est dans le cas de nuire à quelqu’un, c’est évi
demment au mari dont elle peut faire restreindre le
crédit au-delà d’une juste limite.
D’ailleurs, est-ce que cette incertitude n’existe pas
actuellement et sans que le commerce s’en plaigne trop.
Pourquoi aurait-elle été plus dangereuse, plus domma
geable si elle avait été réduite à ce qui pourra obvenir
à la femme pendant le mariage?
Quoiqu’il en soit, le conseil d’Etat crut devoir accueil
lir les observations du tribunat, et consacrer en consé
quence que l’extrait devait se borner à énoncer le ré
gime adopté par les époux.
359.
— Les prescriptions de l’article 67 du Code
de commerce, obligatoires dans l’hypothèse où le mari
est commerçant, ne le sont pas moins dans celle où le
commerce est personnellement exercé par la femme.
11 y avait même pour le consacrer ainsi une supériorité
de raisons incontestable.
Ainsi que M. Pardessus le fait rem arquer, « ceux
« qui ont vu une personne du sexe , maîtresse de ses
« droits, faire le commerce, ont intérêt à connaître
« non-seulement son changement d’état, mais encore
« les conditions de ce changement, et de savoir si le
« mariage leur donne deux obligés par l’effet de la
« clause qui établirait une communauté ou qui l’exclu« rait simplement, ou si, dans le cas d’une séparation
« de biens, on ne leur laisse que le même débiteur, ou
�\
ART.
17.
523
a enfin si l’on change leurs chances en frappant pour
« l’avenir les biens de la femme de l’inaliénabilité
« dotale.1 »
Cet intérêt existant, il doit y être satisfait dans les
conditions et les limites prescrites par la loi.
360.
— Le terme accordé pour le dépôt de l’extrait
est d’un mois de la date du contrat de mariage. Ce dé
pôt doit être fait suivant les prescriptions de l’article
872 du Code de procéduré civile, auquel l’article 67 du
Code de commerce se réfère.
Ainsi l’extrait doit être déposé aux greffes du tribu
nal civil et du tribunal de commerce du domicile con
jugal, pour être inséré sur un tableau à ce destiné et
exposé pendant un an dans l’auditoire de ces tribunaux ;
s’il n’y a pas de tribunal de commerce dans ce domi
cile, cette exposition a lieu dans la principale salle de
la maison commune.
Pareil extrait doit être inséré sur un tableau exposé
dans les chambres des notaires et des avoués près le
tribunal civil du même domicile, après y avoir été préa
lablement enregistré sur un registre spécial qui doit y
être tenu conformément à la circulaire du ministre de
la justice du 5 mai 1807.
Enfin, si c’est la femme qui exerce le commerce,
et que le siège de ce commerce soit dans un lieu autre
que le domicile du mari, toutes ces formalités doivent
1
No 92.
�524
DES LIVRES DE COMMERCE
être accomplies non-seulement à ce domicile, mais en
core à celui de l'établissement de la femme.
5 6 1 . — Des termes de l’article 872 : Pareil extrait
sera inséré au tableau exposé en la chambre désavoués
et des notaires s ’il y en a ont donné à penser que s’il
n’y a dans la localité ni chambre d’avoués, ni chambre
de notaires, on se trouve par cela même dispensé de
la formalité. C’est ce que la cour de Paris jugeait trèsexpressément en acquittant un notaire poursuivi pour
n’avoir pas déposé un extrait au chef-lieu de l’arrondis
sement.
La régie de l’enregistrement se pourvut en cassation,
et un arrêt souverain du 10 décembre 1822 rejetait le
pourvoi. Mais la cour suprême n’aborde pas même la
question. Elle étaye le rejet sur ce motif unique que la.
poursuite n’appartenant qu’au ministère public, la régie
de l’enregistrement, sans qualité pour l’intenter, n’était
pas recevable à se plaindre de ce que son action avait
été repoussée.
Qu’aurait fait la cour si la poursuite étant régulière,
elle avait été appelée à statuer au fond? Il est probable
qu’elle n’eût pas partagé l’opinion de la cour de Paris.
Sans doute les termes de l’article 872 peuvent prêter
au doute, mais l’esprit de la loi est dans le cas de dissi
per ce doute. En effet, comment concilier le désir de
donner au contrat de mariage la plus grande publicité
avec la dispense de l’insertion au tableau des chambres
des avoués et des notaires, dans toutes les localités fort
nombreuses où il n’en existe point.
�ABT.
f7.
525
D’ailleurs, il est incontestable qu’à défaut de tribunalcivil au domicile conjugal, le dépôt doit être fait au
greffe du tribunal dans l’arrondissement duquel ce do
micile est situé. Pourquoi en serait-il autrement pour
l’insertion au tableau exposé dans les chambres des
avoués et des notaires.
Aussi, dès que l'arrêt de Paris eut signalé la difficulté,
le ministre de la justice et le ministre des finances n’hé
sitèrent pas à intervenir. Par une circulaire du 10 juillet
1823, ils déclarèrent que le dépôt et l’insertion au ta
bleau des chambres des notaires et des avoués étaient
obligatoires dans tous les cas, parce que ces chambres
existent au chef-lieu de chaque arrondissement.
Nous comprenons que l’interprétation doctrinale de
la loi n’appartient ni au ministre des finances, ni au
ministre de la justice, et que leurs circulaires ne lient
pas les tribunaux. Néanmoins, nous conseillerions aux
notaires de ne pas trop compter sur la doctrine de la
cour de Paris, et, ne fût-ce que par prudence, d’agir
comme le prescrit la circulaire.
3 0 2 . — C’est, en effet, le notaire qui a reçu le con
trat de mariage qui est chargé d’accomplir les diverses
formalités exigées par l’article 872 du Code de procé
dure civile. Outre que sa signature authentique l’extrait
et en garantit la sincérité, son action, il faut le recon
naître, pouvait seule donner la certitude de la loyale,
de l’entière exécution de la loi. S’en remettre aux par
ties, c’était s’exposer aux chances d’inexécution que
�526
DES LIVRES DE COMMERCE
faisaient craindre la légèreté, la négligence et le mauvais
vouloir.
C’est donc au notaire qu’incombe le devoir de rédi
ger les extraits et de les transmettre partout où ils doi
vent arriver. On n’a rien à redouter de lui, ni insou
ciance, ni ignorance, ni légèreté. Et cependant la loi a
cru devoir se précautionner non-seuleuie'nt contre l’ou
bli involontaire, mais encore contre l’hypothèse où cet
oubli serait le résultat d’une collusion avec les parties.
Dans le premier cas, elle prononce contre le notaire
une amende qui, primitivement de 100 fr., a été ré
duite à 20 par l’article 10 de la loi du 16 juin 1824.
Dans le second cas, le notaire encourt la destitution
et répond envers les tiers créanciers du préjudice qu’ils
sont dans le cas d’éprouver. Disons à l’honneur du no
tariat que s’il y a eu des poursuites pour simple omis
sion, il n’est pas d’exemple qu’on ait prétendu que
cette omission était due à une collusion frauduleuse.
3 6 3 . — Les notaires ne sauraient agir avec trop
de circonspection, ils n’ont ni la mission ni le droit de
contrôler les déclarations qui leur sont faites. En con
séquence, dès qu’une des parties au contrat de mariage,
l’époux ou l’épouse, a pris la qualité de commerçant,
ils sont tenus d’accomplir les formalités de publication
du contrat. C’est ce que la cour de Colmar jugeait ex
pressément le 4 mai 1829.
« Considérant, dit l’arrêt, que l’allégation du notaire
« qu’aucun des contractants n’était commerçant à l’é-
�ART.
17.
527
« poque de la passation de l’acte est inadmissible,
« puisque un acte public authentique fait foi de son
« contenu ; que les attestations des autorités locales,
« lors même qu’elles seraient produites en forme régu« lière, ne pourraient détruire une pareille mention à
« l’égard des obligations de l'officier public ; qu’à la
a vérité, celui-ci ne peut conférer dans la réalité aux
« parties contractantes une qualité ou un titre qu’elles
« n’ont pas ; mais que dès l’instant qu’il en est fait
« mention dans son acte, la loi lui impose l’obligation
« d’exécuter ce qu’elle prescrit à cet égard. »
L’acte public authentique ne fait foi que des énoncia
tions qui émanent et ne peuvent émaner que du notaire.
Les indications des titres et de la qualité des parties
n’entrent pas dans cette catégorie. A cet égard, l’acte
ne constate et ne fait foi que d’une seule chose, la décla
ration des parties elles-mêmes.
Donc, le motif puisé dans la foi due à l’acte authenti
que n’est ni juridique ni décisif. Ce qui l’est essentiel
lement, c’est que le notaire à qui une des parties dé
clare être commerçant doit tenir le fait comme certain
et agir en conséquence.
3 6 4 . — Le notaire doit-il considérer le pharmacien
comme un commerçant et publier le contrat de mariage
conformément aux articles 67 du Code de commerce et
872 du Code de procédure civile?
r
Un arrêt de Montpellier du 19 février 1836 se pro
nonce pour la négative et déclare qu’en tout cas, le no-
�828
DES
LITRES
DE COMMERCE
taire devrait, en raison de sa bonne foi, n’être pas con
damné à l’amende.
11 est vrai que la question de savoir si un pharmacien
est commerçant a été l’objet d’une vive controverse et
de décisions contradictoires. Mais la jurisprudence la
plus récente, et à notre avis la plus juridique, se pro
nonce dans un sens contraire, et déclare le pharmacien
commerçant.1
Donc, supposez la question devant une des cours
qui le décident ainsi, le notaire, s’il n’a pas rempli le
devoir qui lui est prescrit par l’article 68 du Code de
commerce sera infailliblement condamné.
Vainement exciperait-il de sa bonne foi. L’omission
de ce devoir constitue non un délit exigeant la mauvaise
foi, mais une simple contravention punissable dès qu’elle
est établie, et quelle qu’ait été l’intention de son au
teur. Les notaires agiront donG prudemment en don
nant la publicité requise au contrat de mariage, l’époux
ne fût-il que pharmacien.
5 6 5 . — Nous venons de voir la cour de cassation
décider que la poursuite contre le notaire ne peut être
exercée que par le ministère public. Aux termes de
l’article 14 de la loi du 1 B juin 1824, cette poursuite
doit être exercée dans les deux ans du jour où la Con
travention a été commise. Elle est prescrite par l’expi
ration des deux ans.
1 V. not.
C o m m e n t, de l a j u r i d . c o m m .,
n»s 235 et suiv.
�ART.
17.
529
La loi du 15 juin s’appliquait-elle aux contraventions
antérieures à sa promulgation? Un arrêt de la cour de
Bourges du 13 juin 1856 décide la négative. Nous
croyons cette solution erronée. Mais la question ne pou
vant plus se présenter, il serait oiseux d’entreprendre
de le démontrer.
La loi fixe le point de départ de la prescription bien
nale au jour où la contravention est commise. Or, les
formalités pouvant être remplies pendant un mois à da
ter du contrat de mariage, c’est à l’expiration du mois
que la contravention sera commise, et que commencera
à courir le délai de la prescription.
3 6 6 . — La charge de remplir les formalités pres
crites pour la publicité du contrat de mariage, incom
bant au notaire, leur omission exclusivement imputable
à celui-ci ne pouvait entraîner aucune conséquence
contre les époux. On avait proposé de rendre l’obliga
tion de transmettre l’extrait commun aux parties sous
peine, en cas de faillite, d’être traitées comme banque
routiers frauduleux. Mais cette proposition fut repous
sée comme inutile, la qualité de notaire étant une ga
rantie morale de l’exécution de la loi.
367. — Mais l’intérêt du public à connaître le ré
gime adopté par les époux n’existe pas dans le cas seu
lement où ceux-ci sont commerçants au moment du
du contrat. Il est incontestable dans celui où l’exercice
I
34
�530
DES LIVRES DE COMMERCE
du commerce n’a lieu que plus ou moins longtemps
après le mariage.
Dans cette hypothèse, on ne pouvait imposer au no
taire l’obligation de publier le contrat, car il peut même
ignorer la prise de qualité de commerçant. Aussi est-ce
à l’époux que l’article 69 du Code de commerce im
pose ce devoir. Comme sanction pénale, cet article dé
clarait que faute de le remplir dans le mois du jour où
il aura ouvert son commerce, l’époux serait puni comme
banqueroutier frauduleux, en cas de faillite.
C’était là un excès de sévérité qui ne pouvait qu’as
surer l’impunité, comme dans tous les cas où la peine
est en dehors de toute proportion avec le fait qu’elle a
pour but de réprimer.
Aussi le législateur de 1838 a-t-il modifié profondé
ment cet état des choses, non-seulement il ne considère
plus l’inobservation des articles 67 du Code de commerce
et 872 du Code de procédure comme un cas de ban
queroute frauduleuse, mais il refuse même de la ranger
dans la catégorie des faits constituant de plein droit la
banqueroute simple. P ourra être poursuivi et condamné
comme banqueroutier simple, se contente de dire l’ar
ticle 586.
368.
— La loi se servant du mot époux ne distin
gue pas entre le mari et la femme. L’obligation pres
crite par l’article 69 est imposée à celui des deux qui a
embrassé la profession de commerçant.
De plus, cette obligation n’existe que si les époux
�ABT.
17.
531
sont séparés de biens ou mariés sous le régime dotal.
S’ils ont contracté sous le régime de la communauté,
le défaut de publication du contrat de mariage ne sau
rait nuire ni préjudicier aux tiers. De quoi en effet se
plaindraient ces tiers? De ce qu’ils ont cru qu’il n’exis
tait pas de contrat de mariage, et que par conséquent
les époux étaient en communauté? Mais à quoi bon ces
plaintes, si cette communauté leur est acquise en vertu
du contrat de mariage lui-même? Cependant, si tout en
stipulant la communauté, le contrat de mariage y in
troduisait des modifications pouvant restreindre les
droits des tiers, ce contrat devrait être publié dans les
formes prescrites.
569. — Il est évident que la séparation de biens
intéresse les tiers à un très-haut degré et que par con
séquent ils doivent en être informés, mais le Code de
commerce n’avait à se préoccuper que de la séparation
contractuelle, celle qui pouvait intervenir pendant le
mariage, ayant été prévue et réglée, quant à sa publi
cité, par l’article 872 du Code de procédure civile.
On remarquera en effet que cet article exige l’affiche
du jugement dans l’auditoire du tribunal de commerce
comme du tribunal civil du domicile du mari, même
lorsqu’il ne sera pas négociant. Que pouvait donc or
donner de plus que cet article 872, le Code de com
merce.
Mais l’article 872 est spécial au cas d’une séparation
judiciairement intervenue. Il fallait, donc, pour qu’il
\
�532
DES LIVRES DE COMMERCE
pût recevoir son application à celle stipulée au contrat
de mariage, une disposition expresse et formelle de la
loi, et c’est cette disposition que consacre l’article 67
du Code de commerce.
Quant à la séparation de biens postérieure au maria
ge, après avoir déclaré qu’elle sera poursuivie et jugée
conformément à ce qui est prescrit au Code civil, liv. m ,
tit. vi, chap. il, sect. ni, et au Code de procédure ci
vile, 2me partie, liv. i, tit. vm, le législateur commer
cial ajoute : Le jugement qui prononcera une sépara
tion de corps ou un divorce entre mari et femme, dont
l’un serait commerçant, sera soumis aux formalités
prescrites par l’article 872 du Code de procédure civile,
à défapt de quoi les créanciers seront toujours admis à
s’y opposer pour ce qui touche leurs intérêts, et à con
tredire toute liquidation qui en aurait été la suite.
On le voit, le législateur s’est montré plein de solli
citude pour les intérêts commerciaux et avec beaucoup
de raison. Le commerce en effet est une des principales
artères de la prospérité publique. Ses développements
sont donc du plus grand intérêt. Or, ces développe
ments tiennent à la loyauté de ses opérations, aux sû
retés qu’elles offrent au public. C’est ce que le législa
teur a compris, c’est ce qu’il s’est efforcé d’obtenir par
les obligations et les devoirs que font aux commerçants
les dispositions que nous venons d’examiner.
�T ABLE A L P H A B É T I Q U E
DES
M A T IÈ R E S
Les c h i f f r e s i n d i q u e n t l e s n u m é r o s d ' o r d r e
A
a u t h e n t i q u e . — Peut-on demander l a représentation de ses livres
au commerçant poursuivant l’exécution d’un acte notarié et authenti
que? 308.
A c t e u e c o m m e r c e , voy. Commerçant.
A c t i o n e n n u l l i t é , voyez Femme mariée, Mineur.
A c t i o n n a i r e . — L’actionnaire d’une société anonyme peut réclamer la
' communication des livres sociaux, 286 et suiv. Voy. Communication
A
c te
des livres.
. — Le mineur ne peut exercer le commerce qu’après avoir atteint
sa dix-huitièm e année, motifs de cette règle, 80. — L’autorisation
donnée avant cet âge validerait-elle les engagements commerciaux pos
térieurs à l’époque où il a été atteint? 81.
A r t i s a n . — Affinité entre l’artisan et le commerçant, 36. — Quand
doivent-ils être placés sur la même ligne? 37. Voy. Commerçants,
A
g e
Ouvriers
. — Les^associés ne peuvent s’opposer l’irrégularité des livres
sociaux. 267. — Sont recevables à en demander et fondés à en obte
nir la communication, voy. ce mot.
A
s s o c ié s
A
u t o r is a t io n
d e f a i r e l e c o m m e r c e . — P ar qui peut-elle être donnée
au m ineur? 82. — Ses caractères, devoirs q u Jelle impose à la fa
mille, 83. — Ne peut être im plicitement acquise, 84. — Conséquen
ces de la règle qu’elle doit être préalable à tout commerce, 8ë. —
Effet du silence gardé sur la forme qu’elle doit revêtir, 86. — Peutelle être valablement donnée par acte sous seing privé ? 87. — La mère
n ’est apte à la consentir q u ’en cas de décès, d’absence ou d’inter
diction du père, 88. Il n ’est pas nécessaire que l’autorisation men
tionne le genre de commerce que le mineur veut faire, conséquen
ces", 89. — Publicité que doit recevoir l’autorisation, 91. — La ré
tractation de l’autorisation est la conséquence de celle de l’émanci-
/
�534
TABLE
ALPHABÉTIQUE
pation, 94. — Formes de la publicité qu’on doit lui donner, 95. —
Fraude que peut faire n aître la règle que l’autorisation ne couvre que
les opérations qui lui sont postérieures, 97. Voy. Age, Emanci
pation, Mineur.
A
u t o r is a t io n
m a r it a l e
,
voy. Femme mariée.
B
\
— Effet du b illet à ordre causé valeur reçue en mar
chandises, son influence sur la qualité de commerçant, 27.
B
il l e t
a
o r d r e
.
C
C
C
d e c o m m e r c e . — Mesures ordonnées pour la préparation du projet
du Code de commerce, 41. _ Division adoptée par la commission.
A ttaques dont elle fut l’objet au conseil d’Etat, 14. — Esprit qui a
présidé à la rédaction du Code, 15.
ode
o m m e n t a ir e
.
— Utilité du commentaire pour l’étude du droit commer
cial, 16.
Co
m m e r ç a n t . — Fondement de la nécessité de bien définir la qualité
de commerçant, 17. — M otifs du silence que le législateur de 1673
avait gardé à cet égard, 18. — Termes dans lesquels la commission
avait rédigé l’article 1 « du Code, motifs qui firent rejeter sa ré
daction, 19. — Renvoi aux articles 632 et 633 de la nomenclature
des actes de commerce. Relation de ces deux articles avec l’article
1er actuel, 20 et suiv. — La première condition, pour qu’on soit
réputé commerçant, c’est d’avoir fait des actes de commerce, 23. —
Ne sont présumés tels que ceux qui ont pour objet le trafic et la
spéculation. Conséquence pour les actes qui ne sont* faits que pour
l’administration de sa propre fortune, 24 et suiv. — Pour les achats
de marchandise pour son usage, et pour les actes imposés par les
fondions q u ’on remplit, 26 et suiv. — Caractère de la profession h a
bituelle exigée par la loi, 29. — L’habitude résulte d’un établisse
ment public, 30. — Effet du doute pouvant s’élever en son absence,
31 et suiv. — Conséquences de l’exercice habituel d’actes de com
merce, en cas d’incompatibilité entre cette profession et celle notoi
rement acquise, 33. — A qui appartient le droit de constater cet
exercice, et quels en sont les éléments ? 34 et suiv. Effet de la prise
de qualité de commerçant dans le contrat dont l’exécution est pour
suivie, 48 et suiv. — Quid si cette qualité ne figure que dans le
corps de l’acte non écrit par le signataire? 55. Peut-on exciper pour
la première fois, en appel, de la non-commercialité de la personne?
�DES
MATIÈRES.
535
86. — Effets de la prise de qualité de commerçant dans des actes ou
des procédures, 87 et suiv. — De celle reçue en jugement, 62 et suiv.
— La qualité de commerçant peut toujours être établie par la preuve
testimoniale, 66.
Commerce. — Importance du commerce, nécessité de le régir par une
législation spéciale, 1. — Différence entre les principes qui lui sont
propres et ceux de pur droit civil, conséquences, 3. — E tat du com
merce français avant et depuis les ordonnances de 1673 e t de 1681,
4 et suiv. — Exceptions que comporte la liberté illimitée de faire le
commerce, leur caractère, leurs effets, 66.
Commis. — Le règlement des salaires d’un commis ne peut résulter des
livres de son patron, ni obéir à la disposition de l’article 1781 du Code
civil, 281 et suiv. — Le commis intéressé dans les bénéfices a droit
à la communication des livres, 293 et suiv.
C
d es
l iv r e s .
— Exception, pour les livres de com
merce, à la règle prescrivant de communiquer les pièces dont on
éxcipe, 271. — D roit ancien, 272 et suiv. — Inconvénient du systè
me contraire avant l ’ordonnance de 1673, 276. _ Disposition du
Code, nature des exceptions qu’il consacre, 277 et suiv. — Droit de
l’héritier à la communication des livres de son auteur, 279. — Ce
droit est commun aux héritiers légitimes et testamentaires, 280. —
Q u id du légataire particulier et du donataire? 281. — D roit du
communiste, 283 et suiv. — D roit de l’associé, même avant partage,
288. — La communication des livres est due à l’associé commandi
taire et à l’actionnaire d’une société anonyme, 286 et suiv. — Q u id
du prêteur ayant stipulé une p art dans les bénéfices? 289 et suiv. —
Comment faut-il entendre l’exception en cas de faillite ? 292 et suiv.—
Caractère de l’article 14, conséquences, 297. — C’est au juge ordon
nant la communication à en prescrire la forme, 298. — Arrêts divers
appliquant cet article, 299 et suiv.
o m m u n ic a t io n
Communiste. — A droit à la communication des livres de la commu
nauté, 283 et suiv.
Contrat de mariage. — Obligation de déposer par ex trait le contrat de
mariage des commerçants, 388 et suiv. — Indications que doit ren
fermer l’extrait, 387 et suiv. — Délai dans lequel il doit être déposé.
Lieux dans lesquels ce dépôt doit être opéré, 360 et suiv. — C’est au
notaire qui a reçu l’acte à rem plir les formalités prescrites, 362 e
suiv. — Par quel délai se prescrit l’action du ministère public. Poin
de départ de la prescription, 368 et suiv. — La charge d’exécuter la
loi incombe aux parties qui n’ont embrassé le commerce qu’après leur
mariage, 367 et suiv. — Dispositions de la loi en cas de séparation de
biens, de corps ou de divorce postérieurement au mariage, 369.
Créancier, voy. D o t, F em m e m a rié e , M in e u r.
�536
TABLE ALPHABÉTIQUE
D
t a b a c . — Le débitant de tabac est-il commerçant? 45.
— Comment doit-on interpréter, pour les marchands dé
taillants, l ’obligation d’inscrire jour par jour les sommes reçues ou
payées, et chaque opération consommée? 206. Voy. Livres.
Dot. — Le bien dotal de la femme marchande publique n ’est inaliénable
que si elle est mariée sous le régime dotal, conséquences, 490. — Les
créanciers de la femme peuvent- ils exciper de la faculté d’aliéner, sti
pulée dans le contrat de mariage? 491 et suiv. — Conséquences de
l ’inaliénabilité de la dot en cas de faillite de la femme, 4 93. — Droit
des créanciers commerciaux après la dissolution du mariage, 194. —
Faculté pour la femme ou ses héritiers de ratifier l’aliénation irrégu
lière, 195.
D
é b it a n t
D
é t a il l a n t
d e
.
E
. — Motifs de la nécessité d’une émancipation générale
pour le mineur voulant devenir commerçant, 74. — Effet de l’absence
de cette formalité, 78. — La fausse énonciation que- le mineur est
émancipé validerait-elle l ’autorisation? 79.
E
m a n c ip a t io n
E
x c e p t io n
E
x e b c ic e
. — Caractère et effets des exceptions que comporte la liberté
illimitée de faire le commerce, 66.
h a b it u e l
du
c o m m erce
.
— Ses caractères, ses effets, 33 et
su iv .
F
. — La masse de la faillite peut-elle opposer à un créancier
l ’irrégularité des livres du failli? 269. — La faillite crée pour les
ayants-droit la faculté d’obtenir la communication des livres. V oy.
ces mots.
F
a il l it e
F
em m e
m a r i é e . — Capacité de la femme pour faire le commerce, position
dans laquelle la place le mariage, 400..— Conséquences, par rapport
à elle; de l ’article 217 du Code civil, caractère de cette disposition,
102 et suiv. — Difficultés élevée?, lors de la discussion du Code de
commerce, sur la forme de l’autorisation maritale, double système
présenté, 104 — Adoption de celui qui adm ettait l’autorisation ta
cite, conséquences, 107 et.suiv. — Motif de cette différence entre la
femme et le mineur, 109 et suiv. — La femme qui n ’a pas ouvert
�537
DES MATIERES.
d’établissement peut-elle devenir marchande publique? 111. — Sous
quelque régime qu'elle soit mariée, elle ne peut exercer le commerce
qu’avec le consentement exprès ou tacite de son mari, 442. — En
cas de refus de celui-ci, peut-elle se faire autoriser par la justice? 443.
— Quid si, après avoir consenti, le mari entend révoquer son auto
risation? 444 et suiv. — Publicité que cette révoeation doit rece
voir, 14 6. __Principes régissant la femme mariée encore mineure.
Qui doit l’autoriser dans ce cas? 118 et suiv. — Quid si le m ari est
lui-môme mineur, s’il est absent ou interdit? 421 et suiv. — Capacité
de la femme régulièrement commerçante,' 123. — Peut-elle cautionner
un tiers? Contracter une société, acheter un immeuble pour y établir
sa manufacture ou ses magasins? Ester en justice sans une autorisation
spéciale de son mari ou de la justice? 124 et suiv. __ Caractère, en
ce qui la concerne, de la présomption de l’article 638 du Code de
commerce, 128. — Effets de ses engagements sur sa personne et ses
biens, 4 29. — Peut-elle s’en exonérer en renonçant à la commu
nauté; 130. — Fondement et effets de la régie suivant laquelle la
femme marchande publique engage directement son mari, 431 et suiv.
— Dans quels cas la femme est tenue des faits de son m ari? 437.
— Elle est recevable à exciper du vice ou de l’irrégularité de son
autorisation, 138. — La femme n ’est pas marchande publique si elle
n ’exercé pas un commerce distinct de celui de son m a ri, caractère
de cette règle, 4 39 et suiv — Conséquences pour la femme m ar
chande se m ariant sous le régime de la communauté, ou avec un com
merçant, 444 et suiv. — Effets de la gestion que la femme ferait du
commerce de son mari, 143 et suiv. — Elle ne pourrait s’obliger
personnellement qu ’avec une autorisation spéciale, conséquence quant
à l’aval donné à l’obligation du mari, 454. — Quid de l ’acceptation
par celui-ci d’une lettre de change tirée par la femme? 4 53. — Ca
ractère de l’article 7, à quelles conditions la femme peut-elle vala
blement engager, hypothéquer et même aliéner ses biens, 4 82 et suiv.
— A qui à prouver que la cause de l’engagement est ou n ’est pas
commerciale? — Nature de la preuve à faire par le tiers, 185 et suiv.
— La femme ne peut aliéner sa dot, 187 et suiv. Voy. Dot, Mari,
Mineur.
F raude, voy. Autorisation de faire le commerce.
H
Habitude. — De quels actes résulte l’habitude de faire le commerce,
29 et suiv.
H
, voy. Dot, Femme mariée, Mineur.
la communication des livres, voy. ces mots.
é r it ie r s
—
Ont droit d’obtenir
�538
TABLE ALPHABÉTIQUE
Incompatibilité, voy. Commerçant, Commerce,
Inscbiption de faux . — L’inscription de faux n ’est pas recevable contre
les livres d’un commerçant, 352 et suiv.
Inventaire — Importance de l’inventaire, sa nécessité, voy. Livres.
Jt
J ugement. — Le jugement ordonnant la représentation des livres est-il
interlocutoire ou préparatoire? 34 4 et suiv.
J urandbs, voy. Maîtrises.
L
L ivres. — Caractère et bu t de l’obligation pour les commerçants de
tenir des livres, 497. __ Ancienneté de cet usage, motifs pour le
rendre obligatoire, 4 98 et suiv. — Dispositions de l’ordonrance de
4 673, 202 — Modifications introduites par le Code, 203. — La règle
de la tenue des livres comporte-t-elle une exception? 204. — Ce que
doit renfermer le livre journal, 205. — Q u id du marchand détail
lant? 206. — De la dépense de la maison, 207. — Utilité de la cor
respondance et de l’inventaire, 208 et suiv. — Conséquences du dé
faut de livres sous l’ordonnance et depuis le Code, 24 4 et suiv. —
L’obligation d’en tenir est imposée même à ceux dont la profession
est soumise à des règlements particuliers, 24 3. _ Le Code admet
la tenue de livres autres que ceux qu’il prescrit obligatoirement, no
menclature des livres auxiliaires, leur objet, 214 et suiv. _ Ces li
vres peuvent être produits concurremment avec le journal, mais
ne peuvent jam ais le remplacer, 247 et suiv. — La tenue des écritu
res, quant à la forme, est laissée à l’arbitraire du commerçant, 219__
Nécessité de rem plir les formalités prescrites et indiquées par. les ar
ticles précédents, 220. — Nature de ces formalités pour les livres
obligatoires, 225 et suiv. — On doit conserver ces livres pendant 40
ans, 233. — Effets du silence gardé sur ce point par la législation
précédente, discussion au conseil d’Etat, 234. _ Point de départ de
ce délai, 2 3 6 .— Quid si en fait les livres ont été conservés plus de
dix ans, 237. — Caractère de cette exception, qui peut l’invoquer ?
238 et suiv. — A quelles conditions ces livres réguliers peuvent-ils
faire preuve en faveur de celui qui les a tenus? 240 et suiv. — La
�DES MATIERES.
539
commercialité de l’acte doit-elle exister à l’égard des deux parties?
Controverse entre MM. Delvincourt, Toullier et Pardessus, 246 et
suiv. — Solution, 248 et suiv. — Conséquences vis-à-vis du noncommerçant, 2 5 0 .__Les livres d’un commerçant ne pourraient être
opposés à son commis poursuivi en restitution d’un excédant de sa
laires, 251 et suiv — Les livres réguliers ne pourraient seuls prou
ver un paiement fait à un tiers pour le compte d’un autre, 253. —
Peuvent-ils servir d’un commencement de preuve contre un noncommerçant? 254 et suiv. — A quoi se réduit le commencement de
preuve, Î 5 7 . — Effets de l ’irrégularité des livres, 258 et suiv. —
Discussion au conseil d’E tat de l’article 13, son adoption, 262 et suiv.
Conséquences par rapport aux commerçants, aux tiers, aux tribunaux
eux-mêmes, 264 et suiv. — Les coassociés ne peuvent s’opposer l’ir
régularité des livres sociaux, 267. — L’exception tirée de cette irré
gularité n ’est que facultative, conséquences, 268 — Position que cette
irrégularité fait aux créanciers entre eux, et au failli, 269 et suiv.
Voy. Communication et Représentation des livres.
»I
Maîtrises . — Appréciations diverses que l’institution des maîtrises et
jurandes avait fait naître, 6. — Jugement qu’en porte l'édit de 1776,
7. — Ce qui les fit si longtemps m aintenir, 8. — Projet de Turgot
de les abolir, résistance qu’il rencontra, 9 et ..suiv. — Leur aboli
tion fut prononcée par la loi du 2-17 mars 1791, effet de cette aboli
tion, 11.
Mari . — Responsabilité que la loi ancienne imposait au mari de la
marchande publique, 101. — Le mari est-il, depuis le Code, obligé
par le fait de sa femme exerçant le commerce? 132 et suiv. — Est-il,
comme sous l ’ancienne jurisprudence, contraignable par corps? 136.
Peut-il ratifier seul l’acte nul pour défaut d’autorisation? 154. Voy.
Femme mariée.
— La conséquence des engagements commerciaux devait faire
interdire le commerce au mineur, 67. — E tat des mineurs sous l’or
donnance de 1673, surtout depuis l’abolition des maîtrises, 68 et
suiv. — Dispositions du Code civil, 70. — Discussion au conseil
d’Etat sur la question de savoir s’il fallait ou non perm ettre au mi
neur d’exercer le commerce, conditions exigées par l’article 2 du
Code de commerce, 71 et suiv. — Réponse à l’objection que l’éman
cipation faisait un double emploi avec l’autorisation, motifs pour les
exiger l’une et l’autre, 75 et suiv. — Le mineur peut-il contracter
une société avec son père qui l’a autorisé ? 90. — Effet de l’absence ou
du vice de l’une des conditions exigées, ou de leur accomplissement
MiNEUR.
�540
TABLE ALPHABÉTIQUE
régulier, 92 et suiv. — Incapacité dn mineur non autorisé à l’endroit
des actes isolés de commerce, 98. — Le m ineur émancipé par le ma
riage ne peut faire le commerce sans autorisation, 99. — Capacité du
mineur commerçant sous l’ancienne législation, ses effets, 4 55 et
suiv — Sous le Code, le mineur peut valablement engager et hypo
théquer ses immeubles, 157 et suiv. _ Position du mineur au regard
de l’article 638 du Code de commerce, 159 et suiv. — Fraude signa
lée par un arrêt d’Aix dans une autorisation, conséquences, 161. —
Le mineur autorisé n ’est réputé commerçant que s’il exerce de fait
le commerce, 162 et suiv. — Quid du tiers porteur de bonne foi d’un
billet commercial souscrit par lui ou du créancier hypothécaire?
164 et suiv. — Effet de l’hypothèque régulièrement consentie, 168.—
Le mineur commerçant peut compromettre, transiger et ester en ju s
tice, 169. — Il peut acheter même des objets étrangers à son com
merce, sauf restitution s’il y a lieu, 170. — Il ne peut cautionner un
tiers. Quid du cautionnement par endossement? 171 et suiv. — Le
mineur commerçant peut aliéner ses b iens, mais seulement dans
les formes établies par l’article 457 et suiv. du .Code civil, carac
tère de la nullité résultant de leur violation, 174 et suiv. — L’ac
tion du mineur peut être exercéé par ses créanciers, 178. — Les opé-,
rations irrégulières faites par le mineur sont indivisibles, 179. —
Quels sont la durée et le point de départ de la prescription de l’ac
tion du m ineur? 180. — Effet de la ratification donnée depuis la ma
jorité, 181.
ai
N
. — Ses obligations lorsqu’il reçoit le contrat de mariage de
commerçants, Voy. C o n t r a t d e m a r i a g e .
o t a ir e
4»
. — Effets des ordonnances de 1673 et 1681 sur le commer
ce, 5. — Les institutions nées de la révolution de 1789 en nécessi
taient la refonte, 12.
O u v r i e r s . — Différence entre l’ouvrier travaillant à la façon et n ’em
ployant qu’un seul compagnon ou apprenti, et celui qui en occupe
un plus ou moins grand nombre, 38. — Faut-il assimiler à ce der
nier celui qui, n ’ayant pas d’atelier, fait travailler ses ouvriers dans
leur propre domicile? 39 et suiv. — Dans quelle catégorie faut-il pla
cer l’ouvrier qui, travaillant peu, n’achète la matière première qu’au
fur et à mesure des commandes qu’il reçoit, 41 et suiv. Voyez A r t i
O
rd o n n a n c e
sa n s, C o m m e r ç a n ts ,
�DES MATIÈRES.
541
P
P
, t - Influence de là patente sur la qualité de commerçant, 35.
— Motif du silence que le Code de commerce a gardé sur la paten
te, -196.
a t e n t e
. — Est commerçant, conséquences pour son contrat de ma
riage, 356. Voy. C o n lr a l d e m a r i a g e .
P o s t e s (Maître dej. — Le maître de postes est-il comm erçant? 46.
P
h a r m a c ie n
. — Voy. L i v r e s , M in e u r .
— Le prêteur qui a stipulé une part dens les bénéfices a d roit
à se faire communiquer les livres, 289 et suiv. Voy. C o m m u n ic a tio n
P
r e s c r ip t io n
P
r ê t e u r
P
r eu v e
.
d e s li v r e s .
t e s t im o n ia l e
.
— Est admissible pour établir la qualité de com
merçant, 65.
P
d e q u a l it é
— Effets de la prise de qualité de commerçant dans
l’acte dont l’exécution est poursuivie, 49 et suiv. — Dans des actes
ou des procédures, 57 et suiv. — Effet de cette qualité prise ou
reçue en jugement, 62. — Caractère que doivent offrir les actes et
les jugements dont on veut faire résulter la qualité de commerçant, 63.
r is e
R
R
R
a t if ic a t io n
.
Voy. F e m m e m a r ié e , M a r i , M in e u r .
d e s l i v r e s . — Peut être ordonnée d’office par les ju
ges, 301 et s u i v . E l l e n ’est plus subordonnée à l ’offre d’ajouter foi
à leur contenu, 303. — Droits et devoirs du juge-commissaire de la
faillite, 304 et suiv. — La représentation des livres peut être ordon
née malgré que le commerçant déclare ne pas vouloir s’en servir, 307.
— Q u i d s’il s’agissait de l’exécution d’un acte authentique? 308.
Quels sont les livres dont on peut demander la représentation? 309.
— Cette représentation n ’est qu’une faculté laissée au juge, 310. —
Q u i d à l’égard du non-commerçant? 311. — Mais elle peut être o r
donnée, même sous contrainte d’une somme d’argent, 312 et suiv. —
Caractère d’un jugement rendu à cet effet, 314 et suiv. — Le commer
çant ne peut exciper de l’irrégularité de ses livres pour se refuser de
ies représenter, différence entre la communication et la représentation
des livres, forme de celle-ci, 321 et suiv. — L’absence du requérant
donne-t-elle lieu à la nullité de l’opération, 326. — Nature de la dis
position de l’article 16, 327. — Que doit renfermer le procès-verbal
du juge commis ? 328. — Où doit se faire l’ex trait ou la collation des
livres, 329, — Sanction pénale attachée au refus de représenter les lie p r é s e n t a t io n
�r
542
TABLE ALPHABÉTIQUE.
vres, sa nature, 330 et suiv. — Modification à la doctrine qu’avait
inspirée l’ordonnance de 1673, 333 e t suiv. Yoy. Communication des
livres, Serment.
R
. — Principes devant faire décider si l’artisan revendeur est
ou non commerçant, 44. Voy. Artisan, Commerçant, Ouvrier.
e v e n d e u r
S
S
. — Le serment autorisé par l’article 17 ne saurait être exigé
des syndics d’une faillite, 336 et suiv. — Ni des héritiers ou représen
tants de la partie, 338. — Hypothèses dans lesquelles le serment ne
paraît pas nécessaire, 339 et suiv. — Hypothèses contraires, 342. —
— L’article 17 ne confère aux juges qu’une pure faculté, 343. —
Gomment doit-elle être entendue vis-à-vis de celui qui refuse de repré
senter ses livres? Qui est-ce qui constitue ce refus? 345 et suiv. t Pourrait-on aujourd’h u i, en cas de refus d’une partie, ajouter foi aux
livres de l’autre? 347 et suiv. — L’article 17 doit-il se restreindre au
cas où le demandeur en production des livres offre d’ajouter foi à leu r
contenu? 349 et suiv.
S o c i é t é . — Le mineur peut-il contracter une société avec son père l’ayant
autorisé à faire le commerce? 90. — Quid de la femme mariée. Voy.
ces mots.
e r m e n t
T
T
T
. — Effet, par rapport aux tiers, de la prise de qualité de commer
çant dans des actes ou des procédures, 89. — Devoir des tiers dans le
cas où le mineur n’a pas été généralement émancipé, 78.
i e r s p o r t e u r . — Utilité du caractère extérieur de l’acte à l’endroit du
tiers porteur de bonne foi, 164.
ie r s
V
Vice . — Effet du vice dont peut être entachée une des formalités pres
crites pour la régularité de l’autorisation donnée au mineur de faire le
commerce, 92.
��
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Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
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Title
A name given to the resource
Droit commercial. Commentaire du Code du commerce. Livre premier, titre premier, Des commerçants. Livre premier, titre second, Des livres de commerce
Subject
The topic of the resource
Droit commercial
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Bédarride, Jassuda (1804-1882)
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES-22977
Publisher
An entity responsible for making the resource available
L. Larose (Paris)
A. Makaire (Aix)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1876
Rights
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domaine public
public domain
Relation
A related resource
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Format
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application/pdf
1 vol.
542 p.
21 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/325
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Alternative Title
An alternative name for the resource. The distinction between titles and alternative titles is application-specific.
Des commerçants
Des livres de commerce
Abstract
A summary of the resource.
Il s’agit d’une partie du commentaire de l’intégralité du Code de commerce de 1807 effectué par l’auteur.
Jassuda Bédarride, avocat au barreau d’Aix-en-Provence et ancien Bâtonnier, poursuit son commentaire du Code de commerce de 1807 en traitant dans ce volume des titres sur les commerçants et les livres de commerce.
L’auteur effectue en premier un rappel historique sur la législation commerciale avant de débuter son commentaire du Code. Il justifie le choix du commentaire du Code plutôt qu’un traité parce que cet exercice permet de mettre davantage en lumière toutes les difficultés d’application des articles. Le Code de commerce de 1807 a eu pour ambition d’unifier la législation nationale, en supprimant les coutumes et la jurisprudence des parlements afin d’établir des règles universelles en la matière. Le Code devait devenir la législation de toutes les nations commerçantes.
2ème édition, revue, corrigée et augmentée
Résumé Morgane Dutertre
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Description
An account of the resource
Partie du commentaire de l’intégralité du Code de commerce de 1807 relative aux commerçants et aux livres de commerce
Commerçants -- France -- 19e siècle
Commerce -- Législation -- France -- 19e siècle